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## Saint Pie V pour le quatrième centenaire 1^er^ mai 1572
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### Un pape fils de saint Dominique
par R.-Th. Calmel, o.p.
MICHEL GHISILIERI, entré quasi-miraculeusement chez les dominicains à l'âge de 15 ans, en 1519, se distingua dès le début par sa fidélité à l'idéal et aux traditions des Frères Prêcheurs. C'est l'idéal apostolique au sens fort du terme. L'action proprement apostolique, en effet, c'est-à-dire l'enseignement de la foi et sa défense, doivent dériver de l'abondance de la contemplation. *Contemplari et contemplata aliis tradere,* selon la formule de saint Thomas d'Aquin ([^1]). Une telle contemplation présuppose elle-même chez tous les *Pères* Prédicateurs de cet Ordre, la célébration des saints mystères, car depuis l'origine, et par essence, l'Ordre est « clérical » et non pas « laïque ». Devenu Pape en 1566, Michel Ghisilieri continua de porter son habit religieux, mais surtout il conserva et approfondit la grâce de sa profession. De là, dans son gouvernement, cet esprit de foi, cette simplicité de regard, cette rectitude du jugement, cette loyauté et cette force. Or l'harmonie des vertus qui font un saint prélat ne se rencontre dans l'Église que chez les vrais contemplatifs. Si, dans l'armée, le sens de l'honneur militaire, la passion de servir le pays, sont suffisants pour rendre étrangère l'âme du chef à toute idée de trahison, -- dans la sainte Église en revanche, dans cette société surnaturelle et mystique, le chef n'est rendu incapable de trahir, ou du moins incapable d'avoir une certaine complicité avec l'ennemi, que s'il brûle du véritable amour mystique ; mais celui-ci ne se sépare pas de la contemplation.
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L'intensité de l'oraison de ce Pape a étonné et entraîné ses contemporains. Il prenait le temps nécessaire pour *goûter à quel point le Seigneur est doux* et puissant (Ps. 33). Il faisait l'expérience du mystère du Seigneur dans les veilles de la nuit, dans la célébration de la Messe du matin, puis en étudiant les saintes lettres. Il suivait fréquemment et à pied de longues processions. ; il visitait, également à pied, les grandes basiliques romaines. L'austérité de sa table et de son train de vie était confondante et son serviteur, à la suite de plusieurs réprimandes, ne savait plus comment s'y prendre pour lui verser à boire autre chose que de l'eau colorée, en guise de vin. D'une façon générale c'est dans tout le déroulement de sa vie, en particulier par le pardon des offenses qui regardaient seulement sa personne privée, que le Vicaire du Christ *s'offrait par les humiliations aux inspirations* ([^2])*.*
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Un double royaume de l'absence étendait alors ses conquêtes sur le monde. Protestantisme et Islamisme méritent l'un et l'autre, bien qu'à des titres fort divers, d'être appelés royaumes de l'absence. Partout où triomphait l'hérésie protestante la présence réelle disparaissait, la Messe devenait nulle, le tabernacle restait vide, le prêtre dégénérait en prédicant, les pouvoirs d'ordre et de juridiction étaient anéantis ; il restait sans doute la foi au Christ et à la Trinité, le saint Baptême, la lecture de l'Écriture Sainte, quoique sans guide ni boussole, mais il n'y avait plus de Saint-Sacrement, il n'y avait plus de prêtre. Plus radicale encore que l'absence répandue par le Protestantisme, la forme d'absence imposée par le Mahométisme. En terre d'Islam il était interdit sous peine de mort de professer la foi en la Trinité et en Jésus-Christ notre Rédempteur ;
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évidemment pas de baptême ni de Sainte Écriture ; un monothéisme faussé qui exclut le Fils de Dieu et le mystère de l'Incarnation ; un messianisme terrestre devenu féroce, issu plus ou moins directement du judaïsme apostat, qui confond spirituel et temporel et qui cherche par la guerre à se soumettre le monde. -- Que fera le Pape en face de ces deux royaumes de l'absence qui sont l'un et l'autre en expansion, qui s'apprêtent à tout submerger ? -- Il résistera à l'Islam par les armes terrestres et célestes. Au temporel il mobilise les princes ; au spirituel il fait se prosterner devant la Vierge du Rosaire le peuple chrétien tout entier. Que chacun prenne son Rosaire et se mette à l'égrener. Que chaque paroisse sorte en procession, la croix en tête, bannière au vent, tous chantant à pleine voix les Litanies de la Sainte Vierge. Alors la victoire militaire contre l'islam, malgré notre indignité commune, ne laissera pas d'être accordée. Marie toujours vierge, qui a donné au Fils de Dieu la nature humaine, connaît parfaitement les limites et les exigences de notre condition charnelle ; elle sait mieux que personne qu'un minimum de sécurité temporelle nous est indispensable pour participer à la vie spirituelle. Que le peuple chrétien la supplie et elle accordera au peuple chrétien la sécurité. Le Pape est pénétré de ces simples vérités jusqu'au fond de l'âme. Ayant donné ordre aux prélats et aux fidèles de se mettre à genoux devant la Vierge, avec lui et comme lui, il ne doute pas que la Reine du Rosaire ne fasse le reste ; le reste c'est-à-dire l'abaissement de l'État musulman, la flotte turque mise hors de combat, sa puissance frappée d'un coup irrémédiable. En effet, la Reine du Rosaire, à Lépante, a obtenu de son Fils ce qui lui était demandé avec tant de foi et de dévotion. Ainsi le royaume islamique de l'absence a été refoulé ; la présence du Seigneur sur la terre n'a pas été abolie ; elle ne le sera jamais. L'Église a conservé une liberté suffisante pour maintenir ici-bas la présence réelle eucharistique et pour annoncer la vérité révélée.
« Il était environ cinq heures du soir lorsque (la bataille de Lépante) se termina. Or ce 7 octobre 1571, saint Pie V qui, depuis le départ de la flotte redoublait de mortifications et de prières, examinait, en présence de quelques prélats les comptes de Bussotti son trésorier.
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Tout à coup comme mû par une impulsion invincible il se lève, s'approche d'une fenêtre, l'ouvre, regarde l'Orient, demeure en contemplation, puis se retournant vers ses visiteurs, les yeux brillants encore de l'extase : « Ne nous occupons plus d'affaires, dit-il, mais allons remercier Dieu. L'armée chrétienne vient de remporter la victoire. » ([^3])
Nous étonnerons-nous que l'esprit de Croisade, qui est si élémentairement chrétien, ait brûlé d'une flamme incoercible au cœur du vieux Pontife ? Depuis saint Louis tant de Princes et trop de Papes avaient renoncé à la Croisade ; pourquoi donc à son tour celui-ci n'a-t-il pas renoncé ? Demandons-nous plutôt comment il aurait pu renoncer. Puisque d'une part il était évident aux yeux de tous, et d'abord à ses propres yeux, qu'il fallait défendre contre l'Islam l'Église et la chrétienté ; puisqu'il était non moins évident d'autre part que cette défense exigeait de prendre les armes ; enfin puisqu'il y avait un minimum de possibilité de le faire, comment éviter la conclusion pratique unir les Princes en une sainte Ligue, armer une flotte, lever une armée, engager la guerre. Puisque devant Dieu et devant les hommes, pour l'honneur de Dieu et pour maintenir sur terre la présence et la liberté de son Église, c'était un devoir de se battre, il ne restait qu'à mettre en œuvre les ressources dont on disposait au spirituel et au temporel. Pas de conclusion plus obvie, rien de plus certain, pour un Pape qui se meut habituellement dans la vérité de Dieu.
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Rien de plus logique non plus que de mettre à exécution, de traduire en actes, les décrets du dernier Concile qui s'était tenu de 1545 à 1563. Le Concile de la défense et illustration de la foi catholique face aux erreurs du protestantisme, le Concile de la Grâce, de la Messe et des Sacrements, le Concile de Trente en un mot, aurait pu très facilement demeurer lettre morte. Il eût suffi d'un Pape dont l'intelligence n'eût pas été prête à se laisser guider invariablement par les lumières de la foi. Un tel Pape eût rendu inopérantes les décisions tridentines, car il eût été incapable de résister aux raisons de la politique mondaine. Ces raisons ne manquaient certes pas de force, si du moins on acceptait de les isoler de la lumière de la foi. Le roi de France, Charles IX, et l'Empereur d'Autriche, Maximilien, n'opposaient à l'hérésie qu'une résistance bien molle. On pouvait peut-être espérer encore de rattraper une partie des Protestants en faisant des concessions sur la discipline de l'état ecclésiastique et sur le rite de la communion. Pie IV, le prédécesseur immédiat de saint Pie V, n'avait cessé, malgré ses réelles qualités de gouvernement, de nourrir cette chimère ; il avait travaillé dans ce sens jusqu'à son dernier souffle ([^4]). Au reste avait-on sous la main les troupes nécessaires ? Sur qui s'appuyer pour faire entrer dans les mœurs les réformes décidées à Trente ? Il y avait sans doute la Compagnie de Jésus, alors dans l'élan de sa ferveur première ; l'Ordre de saint Dominique refleurissait aussi, du moins en Espagne et dans le Nouveau Monde ; sainte Thérèse réformait le Carmel et saint Philippe de Néri fondait l'Oratoire. Malgré cela, que de pusillanimité dans l'entourage même du Pape ; quel relâchement chez une foule de clercs, réguliers ou séculiers. Était-il sage de demander un effort harassant à des troupes qui n'avaient pas envie de se battre, qui avaient surtout envie d'une chose : concilier tout doucettement vie chrétienne et médiocrité ? A quoi bon vouloir obliger la chrétienté à ne pas s'assoupir ? A quoi bon la maintenir à toute force sur pied de guerre, ne pas envisager de désarmer ?
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Or, pas une fois, saint Pie V n'a laissé tomber cette parole : à quoi bon ? Judas et ses pareils pendant tout le cours de l'histoire de l'Église pourront bien s'écrier : *ut quid perditio haec,* à quoi bon cette dépense d'énergie, cette profusion d'héroïsme ? Les âmes unies à Dieu ne cesseront de répondre qu'il est toujours bon de prouver à Dieu notre amour en entreprenant et en souffrant pour lui autant que nous le pouvons. *Quantum potes tantum aude.* Les âmes qui n'ont voulu connaître que *le Christ et le Christ crucifié* ([^5]) ne cesseront de répondre aux diagnostics des lâches et aux observations avisées des égoïstes et des traîtres : pour l'amour de ton Seigneur, *tu tenteras tout ce qui est en ton pouvoir* et ton pouvoir lui-même se fondera sur la force de Dieu. Si saint Pie V ne s'est pas contenté de faire semblant dans la mise en application du Concile de Trente, s'il en a fait passer les décrets dans le tissu social de l'Église c'est parce qu'il voulait témoigner à Dieu son amour à son poste de Pape.
Les imitateurs de Judas ont beau se moquer : *ut quid perditio haec,* pourquoi ces efforts et ces peines, ils sont en pure perte, les amis du Seigneur savent bien que la perte n'est qu'apparente : *le grain qui meurt porte beaucoup de fruits.*
Nous n'ignorons pas que saint Pie V disposait, pour son entreprise de défense et illustration de la foi, d'une énergie de caractère exceptionnelle. Mais cette énergie elle-même se fondait sur l'aide du Seigneur qui est toute-puissante, et qui ne fait jamais défaut. *Qui habitat in adjutorio altissimi, in protectione Dei caeli commorabitur. Celui qui habite sous l'assistance du Tout-Puissant demeurera sous la protection du Dieu du ciel.* (Ps 90 -- Complies du dimanche.) Par ailleurs si l'énergie de ce grand Pape n'a pas dégénéré en dureté orgueilleuse c'est parce que son ressort le plus profond était l'humble amour du Seigneur et de son Église.
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Il y aurait beaucoup de légèreté à reprocher à saint Pie V un manque de largeur de vue sous prétexte qu'il fut intraitable sur la loi du célibat ecclésiastique, sur le rite de la communion, ou sur la mise à la retraite de huit évêques français, fauteurs d'hérésie : Nos Seigneurs de Troyes et Chartres ; Valence, Aix et Uzès ; Dax, Lescar et Oloron.
Certes on imagine sans peine un Pape « très ouvert aux aspirations de son temps » qui, au nom d'une non-incompatibilité théorique entre la foi chrétienne et certaines réalisations pratiques, serait devenu incapable de voir que, de fait, cette non-incompatibilité, quand on cesse de la considérer d'une manière abstraite, de l'analyser pour ainsi dire en laboratoire, en dehors des lieux et du temps, cette non-incompatibilité dans l'abstrait est tenue d'aboutir, dans le contingent et l'historique, à des réalisations limitées et précises. Dans le contingent et l'historique du gouvernement de l'Église les possibilités de réalisations vraiment fidèles à la foi, effectivement bienfaisantes pour la foi et les mœurs, ces possibilités sont toujours assez restreintes. Il en est ainsi parce que l'Église n'est pas stratosphérique ; elle ne loge pas dans la sphère en expansion du non-absolument-contradictoire, mais elle chemine à travers les siècles et combat au milieu des nations, environnée d'ennemis ; d'autre part elle s'est développée, avec l'assistance de l'Esprit Saint, selon une Tradition déterminée qui fait corps avec elle. Dans l'absolu il n'est sans doute pas hérétique ni criminel de marier les prêtres ; mais dans l'Église d'Occident, au XVI^e^ siècle, alors qu'en Angleterre, en Allemagne et en France tant de prêtres se mettaient en ménage et se rabaissaient à l'office de pasteurs, -- donc dans cette conjoncture historique et d'autre part, dans le sillage d'une tradition aussi ancienne que celle du célibat sacerdotal, en un mot alors que le péril était si grave et la tradition ecclésiastique si ferme, le successeur de Pierre eût trahi sa mission et fait le jeu des hérétiques s'il eût laissé introduire la moindre faille dans cette loi si sainte, justifiée à tant de titres.
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Nous ferions des remarques analogues pour d'autres mesures de saint Pie V : codification de l'*Ordo Missae,* maintien du latin pour la liturgie, communion sous une seule espèce. Ces mesures ont sauvegardé la vie de l'Église. Face au royaume protestant de l'absence, face à l'hérésie d'après laquelle le Christ se serait à jamais retiré du monde nous laissant tout juste le livre de la Bible, face au royaume vide et glacial de la nouvelle religion, la sainte Église est restée debout comme le Royaume de la présence réelle, le Royaume inexpugnable où le Verbe incarné continuera sa présence jusqu'à la fin des siècles sous les espèces eucharistiques.
Il nous est facile de voir et de dire cela quatre siècles plus tard. Mais juste après le Concile de Trente, alors que le Protestantisme gardait sa virulence et sa force d'expansion, on peut penser que si le successeur de Pie IV eût regardé moins pieusement du côté du Seigneur -- *levavi oculos meos ad montes unde veniet auxilium mihi* ([^6]) -- alors il se fût laissé impressionner par mille raisons, toutes plus intelligentes les unes que les autres, et qui toutes auraient abouti à l'invariable conclusion des mauvais Pontifes : « Nous ne perdrons pas la cité sainte même si nous abattons les remparts ; nous deviendrons au contraire beaucoup plus accessibles et le monde nous en sera reconnaissant ; commençons en tout cas par réduire de moitié la hauteur des remparts et faisons tomber les tours. Après tout, avec les progrès de l'humanité, les prétendus ennemis de la religion ne sont pas aussi méchants qu'on a voulu le dire ; le diable n'est pas aussi enragé. Il n'existe pas d'appareil de domination *intrinsèquement pervers.* Et puis, pour tout vous avouer, nous n'arrivons pas à admettre que le Seigneur exige de nous le combat continuel et un témoignage qui peut aller jusqu'au sang. Pourquoi voulez-vous que le Seigneur nous demande d'être sur le qui-vive de nuit comme de jour ? »
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Pourquoi ? Mais parce qu'il veut nous conformer à lui par l'amour et que l'amour ne dort pas.
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La bonté du chef, comme la bonté de tout homme, est faite certainement de miséricorde, de compréhension, de libéralité, de dévouement sans compter. Le chef cependant, pour mériter le titre de bon, doit unir aux vertus de tous l'exercice accompli des vertus particulières à celui qui est investi d'autorité : réalisme du jugement, force de caractère, absence de tout respect humain, indifférence à l'impopularité. Si le pape Pie V fut bon au point d'être saint et saint canonisé, s'il fut un bon chef de l'Église de Jésus-Christ, s'il fut sur la terre et au XVI^e^ siècle un saint Vicaire du Pontife éternel c'est parce que, dans son âme, le réalisme et l'énergie ne faisaient qu'un avec la miséricorde et la libéralité. Il en fut ainsi parce que son âme, comme celle d'un vrai fils de saint Dominique, habitait dans la vérité de Dieu et se déployait dans sa lumière.
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Notre époque n'est pas meilleure que la sienne. Il semble même qu'elle soit pire, car les méthodes communistes sont plus efficaces pour étouffer la vie spirituelle et la liberté temporelle que la domination turque, cependant que le modernisme est plus meurtrier que le Protestantisme ; en effet il ne procède point par négation ouverte mais par stérilisation de l'intérieur. Dogmes et sacrements ne sont pas niés en face, mais, par un diabolique procédé de démantèlement, le modernisme les conduit peu à peu à se dénaturer, à se vider de leur mystère propre. L'Église d'après Pie XII connaît une détresse plus universelle et plus profonde que l'Église à l'époque de saint Pie V. -- Que pouvons-nous faire ? Évidemment tenir la Tradition ; qu'il s'agisse de la Messe -- la Messe de saint Pie V justement -- le latin dans la liturgie, le catéchisme, les coutumes éprouvées de la prière catholique, notamment le chapelet, enfin les institutions chrétiennes temporelles, du moins ce qu'il en reste.
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Ce faisant, il n'est pas exclu que nous soyons un jour ou l'autre frôlé par la tentation de l'à quoi bon ? Ce qui est exclu cependant c'est de prendre cette tentation au sérieux, la laisser avancer dans notre cœur, empiéter sur nos résolution d'une seule semelle ou d'un quart de millimètre. Impossible de dire : à quoi bon ? quand on sait qu'il est toujours bon de prouver à Dieu notre amour ; -- la première preuve d'amour à donner étant de persévérer dans la foi et donc de garder la Tradition catholique.
Toutes les raisons que nous pourrions avoir de perdre cœur : la lutte qui se prolonge, la trahison qui s'étend, l'isolement qui s'élargit, nous ne devons les considérer que dans le rayonnement souverain de la foi. Le plus grand malheur qui pourrait nous arriver ce n'est pas d'être meurtri jusqu'au fond de l'âme des malheurs de ce temps et des scandales venus de très haut ; ce serait de manquer de foi et, par suite, de ne pas voir que le Seigneur prend occasion de la détresse présente pour nous presser de tourner vers lui nos regards, pour nous inviter à lui témoigner plus que jamais notre confiance et notre amour. Ainsi, la première chose à faire -- et c'est là que l'intercession et l'exemple du grand Pape, fils de saint Dominique, nous sont si précieux -- la première chose à faire est de regarder le Seigneur ; ensuite de tenir inséparée de cette contemplation surnaturelle la considération des attaques à refouler et de la lutte à poursuivre jusqu'à la fin.
R.-Th. Calmel, o. p.
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### La Bulle de saint Pie V promulguant le Missel romain restauré
par l'Abbé Raymond Dulac
IL S'AGIT de la Bulle commençant par les mots QUO PRIMUM TEMPORE, publiée le 19 juillet 1570.
Le premier dessein de la présente étude avait été uniquement de procurer une traduction française de ce document. Il est d'une importance exceptionnelle et pourtant il reste mal connu. Des fidèles et même des prêtres. Combien parmi eux l'ont lu, étudié ?... Certains se demandent où le trouver. Or, sans recourir au grand Bullaire, il suffit d'ouvrir un Missel à usage liturgique, en tête duquel il est toujours imprimé ; d'une façon d'ailleurs peu agréable et capable de rebuter le lecteur : pas un seul alinéa dans un texte qui occupe trois ou quatre grandes colonnes !
Il faut ensuite l'avouer : la lecture de cette Bulle dans l'original est difficile. Certains termes sont d'abord malaisés à traduire en raison de leur emploi juridique qui leur donne un sens rigoureusement précis, quelquefois assez différent du commun. Quant aux phrases, elles sont d'une rare complication, produite par de longues suites d'énumérations au détail minutieux, puis par des incises multiples qui s'enchevêtrent, introduisant des propositions subordonnées à l'intérieur d'autres subordonnées.
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En outre et quant au fond, les décisions que le document édicte sont d'espèces variées et le lecteur non averti est exposé à les confondre, faute de connaître la tradition canonique en matière législative.
Enfin le sens profond de la Bulle ne peut être bien saisi que si on la situe dans la circonstance historique qui l'a provoquée ; celle-ci exigeant, à son tour, d'être éclairée par l'histoire elle-même du Missel Romain depuis son origine comme jusqu'au temps du Concile de Trente.
Ces différentes considérations nous ont décidé à faire précéder notre traduction d'une brève introduction historique, et à la faire suivre d'un exposé juridique expliquant les diverses ordonnances de la Bulle de saint Pie V sur le Missel Romain restauré.
-- Car il ne s'agit que d'une restauration, et point du tout d'une réforme qui aurait modifié l'économie du rite traditionnel. Le titre de nos Missels à usage liturgique le dit expressément : MISSALE RESTITUTUM *;* RECOGNITUM*,* c'est-à-dire : restitué à sa forme originelle, rétabli, et, dans ce but, simplement révisé. Nous reviendrons là-dessus, mais nous devions l'observer dès le commencement, ne serait-ce que pour relever la distance vraiment infinie qu'il y a entre l'ouvrage de saint Pie V et l'entreprise de Paul VI, aidé de ses « experts ».
#### I. -- Brève histoire du Missel romain
Simple résumé qui s'efforcera de ne retenir que les lignes à la fois essentielles et certaines de cette longue histoire. Ceux qui l'ont profondément étudiée reconnaissent modestement que, sur de nombreux points, ils sont réduits à des conjectures. Ce n'est point eux qui poursuivraient la chimère de réformer le rite usité jusqu'à nos jours par le retour à un rite réputé « primitif », *reconstruit* artificiellement.
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Pour bien comprendre la Messe romaine telle qu'elle se présentait aux Pères du Concile de Trente et au Pape saint Pie V, il faut donc découvrir sa place exacte dans l'évolution générale de la liturgie eucharistique.
I. -- Les Apôtres avaient reçu du Seigneur, la veille de Sa Passion, le commandement et le pouvoir de célébrer le Sacrifice de la Nouvelle Alliance. Ils devaient, à cet effet, refaire, en mémoire de Lui, CELA qu'Il avait accompli Lui-même, ce soir-là : offrir, sous les espèces du pain et du vin, transsubstantiées en Son Corps et en Son Sang par la vertu de Ses paroles, la Victime propitiatoire immolée sur la Croix d'une manière sanglante.
II\. -- Les documents les plus anciens nous montrent que les Apôtres et leurs successeurs ont observé fidèlement cet ordre.
Par la nature même des choses et avec l'autorité inspirée reçue soit du Christ soit de l'Esprit de la Pentecôte, les Apôtres devaient compléter la simple répétition des gestes du Jeudi-Saint par un ensemble de rites. Ils allaient solenniser leur « commémoraison » et en faire une *cérémonie* religieuse véritable.
Cette cérémonie n'aurait pas seulement pour but d'entretenir un sentiment intérieur de fidélité à un souvenir, dont le mérite varierait suivant les dispositions subjectives du célébrant et des participants. Elle aurait les effets objectifs d'un ACTE, effets accomplis par la vertu de l'institution même de Jésus-Christ, qui a voulu se rendre présent sous les espèces sacramentelles. Une seule condition : que le prêtre humain se fasse l'*instrument* exact du Sacerdoce unique et souverain, en ce conformant, par sa foi et par son intention, à la Volonté de Celui qui est le maître de Ses dons :
« Faites CELA. »
III\. -- Il y eut, ainsi, à l'origine, dans toutes les églises locales d'Orient et d'Occident, un rite à peu près uniforme. Il est attesté par des allusions des plus anciens Pères de l'Église :
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Doctrine des Douze Apôtres (*Didachê*) ; première Épître de Clément aux Corinthiens ; Épître de Barnabé ; lettres de saint Ignace ; saint Justin ; saint Irénée, etc.
Ce rite, encore quelque peu indéterminé dans les détails et laissant place à certaines improvisations, allait, au cours des trois premiers siècles, se cristalliser peu à peu dans de grands *types* qui devaient prendre une forme fixe, conforme au génie particulier des peuples.
IV\. -- Ainsi, à partir du IV^e^ siècle, on reconnaît quatre types généraux de liturgie eucharistique, dont trois s'étaient formés autour des grandes églises patriarcales : Antioche, Alexandrie, Rome.
Ce sont les trois « rites-sources ». -- Avec un quatrième, le rite dit gallican, ils sont à l'origine des rites *dérivés* qui seront finalement célébrés dans tout le monde catholique.
Le rite ROMAIN n'était, à l'origine, que le rite local de la seule ville de Rome. C'est seulement à partir du VIII^e^ siècle qu'il se répandit dans tout l'Occident, à quelques exceptions près, supplantant les autres rites occidentaux dont il avait d'ailleurs subi l'influence et auxquels il avait fait des emprunts.
Ce sont ces rites occidentaux, *latins* mais *non romains*, qu'on a réunis sous l'appellation générique de : Rite GALLICAN. Titre commun qui comprend le rite observé dans les Gaules mais aussi, avec des variantes, en Espagne, en Bretagne, dans l'Italie du Nord et dans d'autres régions.
Les historiens ne sont pas d'accord sur l'origine de ce rite. Ce qui paraît certain, c'est qu'il constitue un usage différent de celui de Rome. Leur développement à tous deux est d'abord parallèle, suivi du VI^e^ au VIII^e^ siècles, d'influences réciproques, jusqu'au moment où le Gallican est absorbé par le Romain, sous l'influence de grands missionnaires : saint Augustin, en Angleterre, (597), saint Boniface, en Germanie (754) ; sous l'influence aussi de Charlemagne qui, voulant pour son royaume l'uniformité liturgique, lui donna pour base le rite observé à Rome.
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Les deux seules survivances du rite gallican commun furent le rite dit MOZARABE ; usité dans toute l'Espagne jusqu'au, XI^e^ siècle et qui subsiste encore à Tolède ; et le rite appelé AMBROSIEN, toujours observé à Milan.
V. -- En s'imposant définitivement dans tout l'Occident entre le XI^e^ et le XII^e^ siècle, le rite Romain devait néanmoins subir, à des degrés divers, après cette date, des influences locales qui allaient produire des variantes qu'on peut, à la rigueur, qualifier de rites, mais qui ne sont à la vérité que des formes dérivées, très secondaires, de la source romaine commune. Ainsi à Lyon, Trèves, Salisbury, etc.
Les formes dérivées que nous indiquons là sont plus connues en raison de l'illustration de la ville, mais l'étude des Missels du Moyen Age montre que presque chaque cathédrale avait ses particularités liturgiques dont la pratique s'étendait plus ou moins dans les régions voisines.
En quoi consistaient-elles ? -- En additions exubérantes, de pur ornement ou de dévotion : fêtes locales, processions, cérémonies symboliques, prières et chants ajoutés, textes « farcis », séquences, préfaces supplémentaires... A ces variétés selon les lieux s'ajoutaient d'autres, propres aux familles religieuses : Carmes, Chartreux, Dominicains.
Mais, répétons-le : aucune ne constitue de vrai rite distinct. Toutes appartiennent indubitablement au tronc commun originel du rite Romain tel qu'il s'était fixé au temps du Pape saint Grégoire (590-604), avec toutefois quelques additions « gallicanes » postérieures. Les anciens « Sacramentaires » romains, le « Léonien », le « Gélasien », le « Grégorien », qui sont comme les ancêtres de notre Missel, et qui ont été écrits respectivement entre le V^e^ et le VIII^e^ siècle, nous donnent une ORDONNANCE DE LA MESSE IDENTIQUE A CELLE QUE SAINT PIE V DEVAIT CANONISER DANS SA BULLE.
Comme l'écrit le liturgiste anglais Fortescue : « Depuis le temps de saint Grégoire, on considère le texte, l'ordre et la disposition de la Messe comme une tradition sacrée à laquelle personne n'ose toucher, si ce n'est pour des détails sans importance. »
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VI\. -- Si l'on met ensuite en parallèle cette messe romaine avec toutes les liturgies orientales sans exception, aussi bien celles des Schismatiques que des Uniates, on constate que certaines cérémonies sont rigoureusement identiques dans leur fond : intouchables, vraiment *sacrées*, parce qu'elles appartenaient à l'institution de Jésus-Christ ou des Apôtres :
Reconnues comme essentiellement nécessaires pour que le prêtre pût réellement accomplir « CELA » que le Seigneur avait accompli à la Cène ;
Vraiment indispensables pour que la Messe fût et APPARÛT un SACRIFICE au sens propre et plénier, c'est-à-dire une OBLATION *actuelle, personnelle*, faite au nom de l'Église par un prêtre ordonné, de la VICTIME immolée sur le Calvaire ; cette victime étant rendue réellement *présente* sur l'autel par la consécration du pain et du vin qui les *convertit substantiellement* au Corps et au Sang de Jésus-Christ par les paroles de l'institution, répétées « en mémoire » de Lui.
Ces parties immuables de la liturgie eucharistique peuvent être ramenées à quatre mais qui ne sont pas au même degré d'importance pour l'ESSENCE du rite :
1\. -- L'OFFERTOIRE : qui est la dédicace préalable du pain et du vin devenant ainsi des « oblats ».
2\. -- Le CANON, appelé aussi ACTION. -- C'est la PREX des Latins, dite ANAPHORA par les Grecs : prière consécratoire qui commence en forme d'action de grâces pour se conformer au geste de Notre-Seigneur qui « rendit grâces » à Son Père avant de « bénir » le pain et le vin et de les consacrer.
C'est dans cette Prière que sont insérées les *autres parties* du rite consécratoire, à savoir :
-- La mémoire de la Cène précédant les PAROLES de l'INSTITUTION : « Prenez... Ceci est mon corps... » ;
-- Avant, ou après, une invocation, plus ou moins explicite, à l'Esprit Saint : l'ÉPICLÈSE. -- On a de la peine à la situer exactement dans la Messe romaine.
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-- Après les paroles de l'Institution, qui consacre les oblats, se place une prière pour bien *affirmer* que le prêtre et tous les participants au sacrifice agissent, chacun à son rang, essentiellement différent, « en mémoire » de Jésus-Christ, comme Il l'a commandé. C'est l'ANAMNÈSE.
3\. -- Suit la FRACTION : elle veut répéter le geste du Seigneur qui « rompit » le pain avant de le distribuer aux Apôtres.
La Fraction est accompagnée de la COMMIXTION, par laquelle un fragment de pain consacré est plongé dans le vin consacré.
4\. -- Enfin la COMMUNION. -- La manière de la donner et de la recevoir, les chants ou prières qui la précèdent, l'accompagnent et la suivent, varient suivant les rites locaux.
Aux quatre rites que nous venons de décrire et qui sont liés directement à l'*Acte* du Sacrifice, s'en ajoutaient d'autres qui les encadraient, complétant ou ornant leur signification religieuse et leur inspiration chrétienne. Rites que tout le monde reconnaissait comme secondaires, même si la fidélité fortifiée par la coutume y tenait fortement.
Au premier rang : le BAISER DE PAIX. Il apparaît à peu près partout, bien que le sens qu'on lui attribuait et la manière d'en accomplir le rite fussent variables.
Ensuite : des lectures, des litanies, des processions, des hymnes, l'homélie.
N'oublions pas le partage de l'office entre la « Messe des Catéchumènes » et la « Messe des Fidèles ». Et observons, en passant, que l'appellation : « Liturgie de la Parole » est restée totalement inconnue, des origines jusqu'aux temps du Vatican II. Elle est contradictoire dans les termes : étymologiquement, le mot de lit-*urgie* désigne une ACTION. Or, sauf pour les bavards, la parole n'est point un acte. Certes quand cette parole est divine, elle est « esprit et vie ». A ce titre elle doit trouver *une place* éminente dans l'acte de la Messe, mais elle n'*est* pas cet acte.
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Si elle l'était, on n'aurait pas *congédié* (formellement !) une partie des assistants au moment précis où s'achève l'accomplissement des Lectures ! Et ce, pourquoi ? Parce que n'étant pas encore admis à la Communion eucharistique (les Non-baptisés) ou en ayant été éloignés ou exclus (les Énergumènes, les Pénitents), l'Église jugeait qu'ils devaient pareillement n'être point admis à *la liturgie* proprement dite : celle qui prépare formellement cette Communion. Preuve que les Lectures étaient nettement *distinctes* de la « Liturgie ».
Il faut être franc : la place, de plus en plus envahissante, donnée dans les messes postconciliaires à « la parole », la divine et l'humaine, est une concession faite aux Protestants, pour qui la parole est *tout*.
D'ailleurs un signe découvre là-dessus le fond des cœurs : ce sont les manipulations des textes sacrés : non seulement les traductions adultères, mais les amputations, ou édulcorations *de l'original*, jugé trop peu œcuménique : la Bible revue et corrigée par les PP. Bugnini et Roguet.
#### II. -- Digression sur l'Offertoire
Ainsi décrite, dans ses parties principales, la Messe romaine telle qu'elle était célébrée dans l'Occident tout entier avant le Concile de Trente (Milan et Tolède exceptés), nous croyons devoir nous arrêter à l'une de ces parties : l'OFFERTOIRE. Nous verrons mieux ainsi, sur un exemple caractéristique, la distance infinie qui sépare la « restitution » du Missel ancien par saint Pie V et la *réforme* de Paul VI.
On sait, en effet, que les modernes réformateurs du rite millénaire canonisé par les Pères de Trente et Pie V ont voulu (... ou feint de vouloir), « simplifier », comme ils disent, l'Offertoire, qualifié par eux, soit de « doublet » superfétatoire, soit de réplique aberrante de l'Oblation essentiellement unique : celle qui est accomplie dans la Consécration où c'est le Christ, et Lui seul, qui est offert au Père, lequel ne saurait agréer d'autre don que celui de Son Fils.
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Ce reproche aurait une apparence de vérité si les gestes et les paroles de notre Offertoire avaient une valeur absolue, subsistant en soi. Or leur signification est toute différente. Ils sont expressément ORDONNÉS à AUTRE CHOSE.
Ils ont une réalité certaine, mais la réalité des choses RELATIVES : *esse ad*.
Que se passe-t-il, en effet ?
Le pain et le vin, encore communs et profanes, sont apportés à l'autel, *puis donnés* à la Sainte Trinité selon un certain rite d'Offrande.
Ce rite les *sépare* de l'usage commun, les *dédie* et les *prépare*. A quoi ? A une AUTRE oblation : l'oblation proprement sacrificielle qui sera, peu après, consommée dans et par l'ACTE de LEUR consécration.
L'offertoire, que Luther allait chercher à démolir, n'a donc aucunement le sens du geste de la gratitude humaine envers le Créateur du blé et du raisin, ni celui de la restitution de prémices au Maître de toutes choses, comme Juifs et Païens n'avaient cessé de les accomplir (... et comme la messe de Paul VI semble les « restituer », dans son nouveau rite œcuménique et teilhardien).
Dans la liturgie romaine de la Messe, le pain et le vin deviennent, par l'Offertoire, des OBLATS, comme les appellent des textes innombrables : c'est-à-dire un vrai sacrifice, MAIS un sacrifice *préparatoire*, un sacrifice *en attente* et comme *en devenir*.
Et ce sont *ces* oblats, déjà *réservés*, qui vont ensuite être SANCTIFIÉS, au sens plénier du mot, c'est-à-dire *entrer* dans l'unique sacrifice agréable à Dieu : celui de la Cène et du Calvaire.
Seulement ces oblats n'y entrent que pour s'*y perdre*.
S'y perdre, comment ?
-- Non point par une « trans-finalisation » ou « trans-signification », qui laisserait leur *nature entière* intacte, comme l'imaginent les calvino-catholiques de l'église hollandaise : il n'y aurait alors qu'un changement symbolique ;
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-- Ni par une simple trans-formation de leur matière, telle qu'elle s'accomplit dans les mutations physico-chimiques qui laissent, elles, la *matière* intacte : il n'y aurait alors qu'une simple *association juxtaposée* de *deux* sacrifices *successifs*, celui du prêtre humain et celui du Christ ;
-- Ni par une *annihilation* des deux oblats, qui *éteindrait* alors l'oblation du prêtre, en lui *substituant* purement et simplement celle du Christ ;
Mais par une CONVERSION totale de substance en substance.
*Alors* et alors seulement le sacrifice de l'homme, réel, actuel, personnel, est vraiment *confondu* avec celui du Sauveur, mais le rite de l'Offertoire les avait préalablement et momentanément *distingués*. L'homme a fourni son apport et le Christ l'a assumé.
C'est pourquoi, sous des formes assurément variées mais toujours très expressives, ce rite se retrouve dans toutes les liturgies sans exception. Et c'est en ce sens qu'on peut dire qu'il fait partie « intégrante » de la Messe. -- *Intégrante*, au sens philosophique du mot : partie d'un être qui ne *constitue* pas sa nature, mais qui lui donne son achèvement convenable et harmonieux.
Car, il ne faut pas l'oublier : l' « essence » de la Messe n'est point une essence *physique*, même si elle est profondément *réelle*, d'une réalité qui transcende infiniment l'ordre des signes et des symboles. Réalité *sacramentelle*, celle du « Mystère de la Foi ». *Inventions*, oui, mais inventions *d'un autre monde*, où c'est l'Amour et l'Art qui deviennent créateurs.
Rappelons-nous le mot du vigneron de la parabole, qui répartissait si étrangement les salaires (*Matth *: XX, 15)
« Ne m'est-il pas permis de FAIRE ce que je VEUX ? ». Ce que je veux : le *bon plaisir* des musiciens et des amants. Sphères au-dessus des nombres rationnels. Qui saurait y parler de « répétitions » ?
Dire que l'Offertoire est un « doublet », c'est une vue non de liturgiste mais de sacristain. C'est comme si l'on disait que la main gauche est un doublet de la main droite parce qu'on peut tenir un chandelier avec une seule main, ou qu'on peut s'éclairer avec un seul cierge.
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#### III. -- De l'anarchie laïciste de Luther à la restauration du Concile de Trente
Telle était donc la messe romaine, celle que le Pape Grégoire le Grand avait célébrée, et Augustin de Cantorbery, et Ambroise de Metz, et Bernold de Constance, et Jean Beleth, et Thomas d'Aquin, et Durand de Mende, et Gerson, et une multitude de petits prêtres de campagnes, dont les noms sont inscrits dans le Livre de Vie,... Et, aussi, le moine Martin Luther, pendant quinze ans, avant que son diable gardien ne lui eût révélé que cette messe était l'abomination de la désolation (comme il l'a conté dans un récit inimaginable, qu'on devrait bien republier en ces doux temps d'œcuménisme).
Mille ans de possession paisible, heureuse, qui a réconcilié, consolé, réconforté, illuminé, sanctifié des millions d'âmes, à travers les accidents les plus variés d'une histoire de l'Église souvent catastrophique.
Un ostensoir immobile, intact sur la montagne.
Alors vint Martin Luther, suivi de sa troupe bigarrée. On ne l'a pas assez dit : la révolution protestante a été avant tout une révolution laïciste, antisacerdotale. Si le moine Augustin et les siens s'en sont pris aussi furieusement à toute l'économie des Sacrements et de la Messe, c'est, d'abord, parce qu'ils en voulaient au sacerdoce.
Et ils attaquaient le prêtre, parce qu'ils l'avaient été et qu'ils avaient voulu cesser de l'être. Toute leur « théologie » d'un salut purement intérieur, *sans médiation humaine*, n'a été, peu à peu, forgée que pour masquer leur désertion. La théologie protestante de la grâce et de la foi est une théologie de défroqués qui cherchent à se rassurer en justifiant leur trahison.
La logique de ce LAÏCISME aurait dû conduire Luther à supprimer tout culte extérieur organisé. Est-ce, comme l'a écrit J. Paquier, son « passé catholique et son bon sens » qui lui conseillèrent de se contenter d'une « ...réduction et transformation du culte catholique, prudentes, timides, gardant beaucoup du passé » ?
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N'est-ce pas plutôt, comme il l'écrivait lui-même, le souci d'arriver « sûrement et heureusement » (*tuto et foeliciter*) à son but, en procédant *par étapes,* comme d'autres, de chez nous, l'ont écrit, depuis 1963 ? Créer ainsi, sans choquer violemment les coutumes séculaires des peuples, un culte nouveau *qui ne serait plus sacerdotal ?*
Le résultat de ces tâtonnements tactiques fut celui que nous connaissons aujourd'hui, à l'intérieur de l'Église, depuis la fin du Vatican II : l'anarchie et le chaos liturgiques. En même temps la prolifération de *cènes, services, cultes,* sans règle et sans contrôle, allait fournir un véhicule exceptionnel aux schismes et aux hérésies.
Il était urgent d'*unifier* et de *purifier*.
Ce fut l'un des ouvrages du Concile de Trente.
Ici, comme en d'autres matières, les Pères mirent en tête de leur sollicitude, l'œuvre *doctrinale* avant la réforme *disciplinaire.*
Enseigner la théologie de la Messe et du Sacerdoce : d'une manière d'abord positive (les « chapitres ») suivie des condamnations de l'hérésie correspondante (les anathèmes des « canons »). Du *culte* lui-même le plus urgent était dit, à propos du Canon, de la langue liturgique et de la communion sous une seule espèce.
Mais ce n'était pas tout : il fallait arrêter le processus de la désagrégation protestante des rites de la Messe. Elle était favorisée par les variétés innombrables des missels catholiques et par des abus que les Pères désignaient par leur nom en les ramenant à trois principaux : la superstition, l'irrévérence et l'avarice.
Déjà à Bologne, le 28 novembre 1547, une Commission avait été chargée par le Concile de relever les abus ou erreurs « relatifs à *la Messe,* aux indulgences, au Purgatoire et aux vœux monastiques » (Act : ed. Goerresgesell : I, 723).
Mais c'est surtout en 1562 que le souci se précise une nouvelle Commission de sept Pères est formée en juillet. Elle dresse un catalogue d'abus de toutes sortes, puis un résumé, enfin une liste de neuf canons qui furent soumis en septembre à la discussion du Concile. Il n'y était plus question du Missel, comme dans ses précédents projets, où on lisait :
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« Que le sacrifice (*res sacra*) soit accompli selon le même rite partout et par tous, afin que l'Église de Dieu n'ait qu'un seul langage (*unius labii sit*), et que, parmi nous, la plus légère différence à cet égard (*dissentio*) ne puisse être relevée. Et pour que ce but puisse être atteint, il faudrait peut-être prendre le soin suivant : que tous les missels, après avoir été purifiés de prières superstitieuses et apocryphes, soient proposés à tous parfaitement purs, nets (*nitida*)*,* sans défauts (*integra*) ; qu'ils soient identiques, au moins parmi tous les prêtres séculiers, les coutumes légitimes et non abusives des pays restant sauves. »
« Que certaines *rubriques* bien fixes (*certae*) soient prescrites ; les célébrants devront les observer d'une manière uniforme, afin que le peuple ne soit heurté et scandalisé par des rites *nouveaux ou divers. *»
Et, comme pour tout dire en résumé : « Que les *missels* soient restaurés selon l'usage et la coutume *ancienne* de la Sainte Église *Romaine. *»
(*Act*., éd. cit. : t. VIII, p. 5a : n^os^ 420, 421 : pp. 916-917 et 921.)
Le Concile se sépara avant d'avoir pu accomplir lui-même cette tâche. Il décidait d'en confier le soin au Saint-Père, afin qu'il achevât l'ouvrage « selon qu'il le jugera à propos et sous son autorité ».
Le Pape, qui était Pie IV, institua, à cet effet, une commission. Il mourut avant qu'elle ait terminé.
Son successeur, Pie V, devait la confirmer dans sa mission et réaliser les volontés du Concile dans les termes mêmes où celui-ci les avait exprimées :
Unifier les missels.
Les purifier de tous leurs défauts.
Ramener le rite romain au type exemplaire de son origine.
Le rendre obligatoire pour tous.
Respecter néanmoins les coutumes légitimes.
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La grâce d'accomplir cette œuvre éminemment religieuse avait été réservée par la Providence divine au Pape du Saint Rosaire. L'organisateur de la victoire de Lépante devait être le même que le restaurateur du Missel.
#### IV. -- La Bulle de saint Pie V
*NOTES :*
1\. -- *Afin de faciliter la lecture de notre traduction, nous mettrons des alinéas dans le texte. Aucun ne se trouve dans les copies de la Bulle imprimées en tête de tous nos modernes missels à usage liturgique, mais ils ressortent assez clairement de la teneur même du texte. En outre plusieurs sont indiqués dans la grande édition romaine du Bullaire* (Bullarium.... Amplissima Collectio : *Rome, 1746. Notre Bulle s'y trouve au t. IV, pars 3a, sous le n° 147, pp. 116-117*)*. -- Le numéro d'ordre en chiffres romains, qui précède chaque alinéa, nous est personnel.*
2\. -- *Nous partagerons quelquefois en plusieurs membres certaines phrases dont l'extraordinaire longueur est cause d'obscurité.*
3\. -- *Nous ajouterons, au bas des pages, des notes qui nous seront strictement personnelles. Elles rapporteront le terme latin de l'original quand sa version en français risquerait d'être inadéquate ; d'autres fois elles donneront brièvement une explication ou un commentaire.*
\*\*\*
PIE ÉVÊQUE\
SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU\
POUR MÉMOIRE PERPÉTUELLE
I. Dès que Nous fûmes élevé au sommet de l'Apostolat, Nous Nous sommes plu à porter notre zèle et nos forces à conserver dans sa pureté tout ce qui peut toucher le culte de l'Église ; Nous y avons appliqué toutes Nos pensées ; Nous Nous sommes efforcé à le préparer et, Dieu aidant, à l'accomplir avec tout le soin possible.
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II\. Or, entre autres décrets du saint Concile de Trente, il Nous appartenait de statuer sur l'édition et la correction des Livres Saints, du Catéchisme, du Missel et du Bréviaire.
III\. Déjà, avec la grâce de Dieu, a été publié le Catéchisme, qui est destiné à l'instruction du peuple, et amendé le Bréviaire qui acquitte le tribut des louanges que nous devons à Dieu.
Dès lors, afin qu'au Bréviaire répondît le Missel, comme il est juste et convenable, (étant souverainement opportun que, dans l'Église de Dieu, il n'y ait qu'une seule façon de dire les Psaumes, un seul rite pour célébrer la Messe), il Nous semblait là-dessus nécessaire de procurer au plus tôt le reste de cette tâche, savoir l'édition du Missel.
IV\. C'est pourquoi, Nous avons estimé devoir confier ce travail à des hommes distingués par leur érudition. Ils ont commencé par collationner soigneusement tous les textes, les anciens de Notre Bibliothèque Vaticane et d'autres, corrigés, sans altération, qu'on avait recherchés de tous côtés. Puis, s'étant instruits des écrits des Anciens et d'auteurs autorisés qui nous ont laissé des monuments sur les saintes institutions liturgiques, ils ont restitué le Missel lui-même à la règle et au rite des Saints Pères ([^7]).
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V. Ce Missel ainsi revu et corrigé, Nous avons, après une mûre réflexion, ordonné qu'il soit au plus tôt imprimé à Rome, puis publié, afin que tout le monde puisse retirer les fruits de cette institution ([^8]) et de l'ouvrage entrepris : de telle sorte que les prêtres comprennent de quelles prières ils doivent à l'avenir se servir et quels rites, quelles cérémonies ils doivent observer dans la célébration des Messes.
VI ([^9]). Et, afin que tous et en tous lieux adoptent et observent les traditions de la sainte Église Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les Églises, faisons ([^10]), pour les temps à venir et à perpétuité, défense que, dans toutes les églises du monde chrétien, la Messe soit chantée ou récitée autrement que selon la forme du Missel publié par Nous ;
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C'est, à savoir : dans les églises Patriarcales, Cathédrales, Collégiales, Paroissiales tant séculières que régulières de quelque Ordre ou Monastère que ce soit, d'hommes ou de femmes, y compris celles des Milices régulières ([^11]) ; pareillement dans les Églises ou Chapelles sans charge d'âmes en lesquelles la Messe Conventuelle doit, selon le droit, ou par coutume, être célébrée, à haute Voix avec chœur ou à voix basse, selon le rite de l'Église Romaine ([^12]) ;
(Et ce) lors même que ces mêmes Églises, exemptes en quelque façon que ce soit ([^13]), seraient munies d'un indult du Siège Apostolique, d'une coutume, d'un privilège, même par serment, d'une confirmation Apostolique ([^14]), ou de toutes autres espèces de facultés ([^15]).
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(*Nous exceptons deux cas*) ([^16]) *:* celui où, à partir d'une institution approuvée dès l'origine ([^17]) par le Siège Apostolique, ou bien en vertu d'une coutume, la célébration de ces messes dans ces mêmes Églises (*selon un rite propre, distinct du romain commun*) aurait (*dans les deux cas*) un usage ininterrompu supérieur à deux cents ans ([^18]).
A ces Églises, Nous n'entendons aucunement ôter ni l'institution susdite de leur célébration ni leur coutume ([^19]) ; mais, également, au cas où le Missel que Nous Venons d'éditer, leur serait plus agréable ([^20]), et ce avec le consentement de l'Évêque ou du Prélat, joint ([^21]) celui de tout le Chapitre, Nous leur accordons la permission, nonobstant toutes choses contraires, de célébrer les messes selon ce Missel ([^22]).
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VII ([^23]). Quant à toutes les autres susdites Églises ([^24]), par Notre présente Constitution, qui doit rester valable à perpétuité, statuons et ordonnons ce qui suit, sous peine de Notre indignation ([^25]) : leur ôtons l'usage de ces mêmes Missels ([^26]) ; les rejetons radicalement et totalement ([^27]) ; et, pour ce qui concerne Notre présent Missel récemment publié, décrétons : rien jamais ne devra lui être ajouté ou retranché, rien ne devra y être modifié.
Enjoignons et, au nom de la sainte obéissance, faisons strict commandement ([^28]) à tous et à chacun des Patriarches, Administrateurs ([^29]) des susdites Églises, de même qu'à toutes autres personnes honorées d'une quelconque dignité ecclésiastique, fussent-ils cardinaux de la Sainte Église Romaine, et dotés de quelque dignité que ce soit ; à savoir :
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Toutes autres pratiques ([^30]), tous autres rites sans exception ([^31]) d'autres Missels, aussi anciens soient-ils, accoutumés jusqu'à présent d'être observés, seront à l'avenir absolument abandonnés par eux et entièrement rejetés ; ils chanteront et liront la Messe selon le rite, la manière et la règle qui sont indiqués par Nous dans le présent Missel ;
Et que, dans la célébration de la Messe, ils n'aient l'audace d'ajouter ou réciter d'autres cérémonies ou prières que celles qui sont contenues dans ce Missel ([^32]).
VIII ([^33]). En outre ([^34]), en vertu de l'autorité Apostolique ([^35]), par la teneur des présentes concédons et donnons l'indult suivant ([^36]), et cela, même à perpétuité :
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Que, désormais, pour chanter ou réciter la Messe en n'importe quelles Églises, on puisse, sans aucune réserve ([^37]) suivre ce même Missel, avec permission (donnée ici) et pouvoir ([^38]) d'en faire libre et licite usage, sans aucune espèce de scrupule ou sans qu'on puisse encourir aucunes peines, sentences et censures ([^39]) ;
Voulant, ainsi, que les Prélats, Administrateurs, Chanoines, Chapelains et tous autres Prêtres, séculiers de quelque dénomination soient-ils désignés, ou Réguliers de tout Ordre, ne soient tenus de célébrer la Messe en tout autre forme que celle par Nous ordonnée ; et qu'ils ne puissent, par qui que ce soit, être contraints et forcés à modifier le présent Missel.
IX ([^40]). Statuons et déclarons que les présentes Lettres ne pourront jamais et en aucun temps être révoquées ni modifiées ([^41]), mais qu'elles demeureront toujours fermes et valables dans leur portée ([^42]).
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X ([^43]). Nonobstant tous statuts et coutumes contraires, qui auraient précédé, de quelque espèce soient-ils Constitutions et Ordonnances Apostoliques, ou Constitutions et Ordonnances, tant générales que spéciales, publiées dans des Conciles Provinciaux et Synodaux. Nonobstant, non plus, l'usage des susdites Églises, fût-il autorisé par une prescription très longue et immémoriale.
XI\. ([^44]). Voulons et, par la même autorité, décrétons qu'après la publication de Notre présente Constitution et de ce Missel, tous seront tenus de s'y conformer dans la célébration de la Messe, tant chantée que lue : les Prêtres qui sont en la Cour Romaine, après un mois ; ceux qui habitent en deçà des monts, après trois mois ; ceux qui sont au-delà, après six mois, ou aussitôt qu'ils trouveront ce Missel en vente.
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XII\. ([^45]). Et, afin qu'en tous lieux de la terre ce Missel soit conservé sans altération, pur d'incorrections et d'erreurs, faisons, par Notre autorité Apostolique et en Vertu des présentes, défense à tous d'oser, par téméraire audace, imprimer, débiter, recevoir, en aucune façon, ce Missel, (autrement *que selon la règle suivante*) ; savoir :
Licence aura été obtenue de Nous-même ou d'un Commissaire Apostolique, qui devra être établi spécialement par Nous dans les pays (*intéressés*) ;
Ce Commissaire aura, au préalable, remis à l'imprimeur un exemplaire du Missel qui lui servira de norme pour imprimer les autres. De cet exemplaire, le Commissaire aura donné la pleine attestation qu'il a été collationné avec le Missel imprimé à Rome selon la grande impression ([^46]), qu'il lui est conforme et n'en diffère absolument en rien ;
(*Notre défense s'adresse*) à tous imprimeurs demeurant dans des lieux soumis à Notre obéissance et à celle de la Sainte Église Romaine, médiatement ou immédiatement ; à ceux-là (*elle est portée*) sous peine de la perte des livres et d'une amende de 200 ducats d'or applicables ipso facto à la Chambre Apostolique ;
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A tous autres, habitant en quelque autre partie du monde que ce soit, sous peine d'une excommunication encourue par le seul fait et sous autres peines arbitraires ([^47]).
XIII\. Et comme il serait difficile de transmettre les présentes Lettres à tous lieux du monde chrétien, et les porter d'abord à la connaissance de tous, Nous ordonnons que, suivant l'usage, elles soient publiées et affichées aux portes de la Basilique du Prince des Apôtres et de la Chancellerie Apostolique, ainsi qu'à l'extrémité du Champ-de-Flore ([^48]) ;
Ordonnons pareillement : aux exemplaires, même imprimés, de ces Lettres, soussignés de la main d'un tabellion public et munis en outre du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, la même foi parfaitement indubitable sera accordée dans le monde entier, qui serait donnée aux présentes, si celles-ci étaient montrées ou exhibées.
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XIV\. Ainsi donc, qu'il ne soit à personne, absolument, permis d'enfreindre ou, par téméraire entreprise, contrevenir à la présente charte de Notre permission, statut, ordonnance, mandat, précepte, concession, indult, déclaration, volonté, décret et défense ([^49]).
Que s'il avait l'audace de l'attenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu tout-puissant, et des bienheureux Apôtres Pierre et Paul.
-- Donné à Rome, près S. Pierre, l'année de l'Incarnation du Seigneur mille cinq cent septante, la Veille des Ides de juillet, de Notre Pontificat le cinquième.
L'an 1570 de la Nativité du Seigneur, Indict. 13, le 19 juillet, la cinquième année du Pontificat de notre très Saint Père dans le Christ Pie V, Pape par la Providence divine, les lettres ci-contre ont été publiées et affichées aux portes de la Basilique du Prince des Apôtres et de la Chancellerie Apostolique, de même à l'extrémité du Champ-de-Flore, comme de coutume, par nous Jean Roger et Philibert Cappuis, huissiers, Scipion de Ottaviani, Premier Huissier.
#### V. -- Portée juridique de la Bulle
##### I. -- Remarques préliminaires.
1\. -- Si la Bulle édicte une vraie loi, celle-ci sera une loi humaine, dont toute la vigueur émane non point de la *nature* des choses ni de la volonté *révélée* de Dieu, mais d'un choix, raisonné certes mais libre, du législateur humain.
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2\. -- Celui-ci devra donc *manifester,* aussi clairement et complètement qu'il est possible, la nature et l'étendue de sa volonté :
1° Dire qu'il édicte une vraie loi, créant une *obligation juridique*, non un simple vœu, ou une recommandation, ou une « directive », ou même peut-être une volonté formelle mais une volonté qui ne veut point se déclarer comme imposant un ordre qui lie ses sujets.
2° Ensuite : délimiter le *champ d'application* de sa loi, selon le temps, les lieux, les personnes.
3° Préciser, s'il y a lieu, les modalités de la décision législative : ce qu'elle *commande*, ce qu'elle *permet* et, peut-être, certains *privilèges* qu'elle accorde, *à côté* de la loi commune.
4° Dans le cas où l'ordonnance ne légifère pas sur une matière entièrement neuve, préciser le rapport de la présente loi à la loi ou aux coutumes précédentes.
a\) Simple *dérogation* partielle ?
b\) Totale *abrogation *?
5° Comme la loi *coutumière*, non écrite, est munie d'une force qui lui est propre, décider expressément ce que la loi nouvelle en conserve ou en supprime.
3\. Pour *l'expression* formelle, officielle de ces diverses volontés, il y a certaines « règles de droit », un vocabulaire reçu, une *propria verborum significatio*, que les Juristes connaissent bien. L'Église ne les a jamais dédaignées, elles sont la garantie unique à la fois contre le despotisme arbitraire et contre l'anarchie.
Il était réservé à « l'église postconciliaire » de mépriser, avec ces règles, ce qu'elle appelle le « juridisme », c'est-à-dire, *en toutes matières* (dogmatique, éthique, disciplinaire) l'expression claire, honnête, loyale de la pensée et des choses.
Le supérieur hiérarchique mis-à-jour, n'osant plus commander, s'exprime de manière assez ambiguë pour le laisser croire. Il peut ainsi, selon l'état de l'Opinion-qui-« attend », tantôt *reculer*, tantôt *avancer* au-delà de sa volonté première, et sans jamais perdre la face. -- Parce qu'*il l'a masquée.*
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Cette nouvelle autorité s'est donnée un nouveau nom elle s'appelle : service. On devrait dire *self-service*, chacun, du haut en bas, faisant *sa* volonté.
C'est ainsi que le législateur du nouveau Bréviaire ne dit plus, comme le canon 135 du Code de Droit canonique : « Les clercs qui sont dans les ordres sacrés sont *tenus par l'obligation* de réciter tous les jours en entier les Heures canoniales ». Il dit : « Ils s'en *acquitteront *».
Mais est-ce que « l'obligation » du Bréviaire subsiste, oui ou non ? -- Oui, vient de notifier le Secrétaire Bugnini il n'y a rien, à cet égard, de changé *que le mot*. Et pourquoi alors en avoir changé ? -- Parce que, dit-il : « la mentalité moderne préfère obéir à des convictions qu'à des *obligations *». (*Osservatore Romano,* 24 Novembre 1971.)
Comme l'auteur de cette astucieuse substitution verbale en fait l'aveu à haute voix et la publie sur le journal, qui donc espère-t-il tromper ?
Ces remarques préliminaires ne nous ont point distrait de notre sujet. Notre lecteur sera mieux préparé à reconnaître la portée juridique de la Bulle qui ordonne le Missel restauré de Pie V s'il connaît déjà les conditions formelles traditionnelles de toute obligation juridique, et, a contrario, l'esprit, le vocabulaire et les « ruses » des ordinateurs du missel réformé de Paul VI.
##### II. -- La Bulle édicte une vraie loi.
1\. -- Une loi portant une obligation juridique exprimée dans les termes traditionnels du Droit : nous les avons soulignés au cours de notre traduction.
2\. -- Cette loi n'est pas seulement une décrétale *personnelle* du Souverain Pontife, mais bien un acte *conciliaire*, Pie V se référant explicitement aux « *décrets* du S. Concile de Trente » lequel lui a *remis* cette tâche, après que les Pères en eussent précisé les modalités souhaitées par eux. -- D'où le titre officiel de nos Missels : « Missale Romanum *ex decreto* S.C. Tridentini *restitutum*, S. Pii V jussu *editum *». Le Concile a décrété sa restauration, le Pape a ordonné sa publication.
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3\. -- La volonté du Législateur revêt, dans sa Bulle, des modalités variées, détaillées au cours de la longue énumération finale dont nous avons observé plus haut qu'elle n'était pas une redondance emphatique : « ...Hanc paginam Nostrae *permissionis, statuti, ordinationis, mandati, praecepti, concessionis, induti, declarationis, voluntatis, decreti* et *inhibitionis... *»*.* -- Le lecteur peut aisément mettre chacun de ces ONZE termes en face d'un énoncé de la Bulle : excellent exercice d'attention respectueuse.
4\. -- La Bulle spécifie minutieusement les personnes, le temps, les lieux soumis à ces diverses dispositions.
5\. -- L'obligation est sanctionnée par des peines expresses.
6\. -- Le Pontife ne promulgue pas la loi d'un *nouveau* Missel, il restaure le primitif restitué. *Néanmoins* il va clairement signifier en quoi il *déroge* partiellement au passé et, d'autre part, ce qu'il en *abroge* totalement. -- Nous avons observé combien la clausule finale du NONOBSTANT est, à cet égard, précise, spécifique et rigoureuse, ne se contentant point de la mention purement *générique* des lois ou coutumes précédentes qu'elle veut abolir, mais les désignant toutes par leur nom propre.
##### III. -- La Bulle respecte les droits acquis.
Trait caractéristique du vrai chef : plus son ordre est ferme, quand il impose des devoirs, plus aussi est-il attentif à respecter les droits : pas seulement les droits généraux et absolus de la Personne abstraite, mais les droits *historiques* des individus ou des communautés particulières, même, acquis par simple coutume.
Pie V *confirme* ainsi *deux* droits :
1° Celui des Églises ou Communautés qui ont bénéficié d'un Missel propre, approuvé dès son institution.
2° Même droit reconnu à un Missel pareillement distinct du Romain, quand il peut justifier d'un usage, de fait, de plus de 200 ans.
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Cette *confirmation* (« ...*nequaquam auferimus *») ne doit pas être confondue avec la « permission » ni avec l' « indult » qui suivent : il s'agit ici de droits *déjà existants,* que la Bulle se contente de maintenir.
##### IV. -- La Bulle condescend à des préférences personnelles.
Après avoir confirmé dans la possession paisible de leur Missel propre un Chapitre, un Ordre religieux, etc., Pie V « permet » à ces Communautés d'y renoncer au profit du Sien « ...si iisdem *magis placeret *»* *: si ce Missel de Pie V *leur plaît davantage.* Mais à une condition : que cette préférence reçoive le consentement de l'Évêque ou du Prélat Supérieur *avec, en plus,* celui de « tout leur Chapitre » ; tellement, là encore, le Pape, tout en favorisant (en certains cas) son Missel, ne veut pas léser les droits acquis, auxquels il veut ainsi reconnaître une priorité -- souvenons-nous, d'ailleurs, que ces Missels particuliers sont fondamentalement *identiques* au Romain, avec, uniquement, des variantes secondaires.
##### V. -- La Bulle confère un privilège.
Voici un point capital et que, personne, à notre connaissance, n'avait appelé par son nom :
1\. -- La « mentalité moderne ». (comme parle M. Bugnini) veut ignorer les *Privilèges :* exceptions à la loi commune, distinctions aristocratiques, indignes d'une époque qui est simultanément égalitaire et totalitaire. Ce monde ne connaît que des droits ou des passe-droits.
2\. -- L' « église post-conciliaire », présente au monde, y ajoute deux choses : des « expériences » provisoires et des infractions légalisées (langue vulgaire ; communion dans la main ; communion des laïcs au calice ; concélébrations généralisées, etc.).
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3\. -- L'Église catholique, elle, *personnalise* ses lois et, quelquefois, les adoucit par la coutume et les privilèges. -- Celui-ci est aristocratique ? soit et tant mieux ! Il convient alors singulièrement à la loi évangélique, qui est une loi de grâce et de bon plaisir.
4\. -- La Bulle de saint Pie V admettait déjà, nous venons de le voir, plusieurs *exceptions* à l'usage commandé de son Missel. Il va *maintenant* conférer un PRIVILÈGE. Celui-ci fait l'objet de l'alinéa que nous avons cru devoir distinguer (c'est le N° VIII). Dans l'original latin il commence par les mots : « *Atque ut hoc ipsum Missale*... »
Nous devons faire sept observations capitales sur les dispositions de cet alinéa :
a\) Ce qui distingue cette nouvelle exception à la loi commune, des simples « permissions » que nous venons d'expliquer, ce sont les deux verbes « *concedimus et indulgemus *»*,* qui l'introduisent : dans le vocabulaire canonique, ils signifient proprement une faveur à côté et en dehors de la loi commune, une loi à PART : une CONCESSION de faveur.
b\) Ce qui souligne l'importance que le Pontife veut attacher à cette concession -- indult, c'est le recours à « l'Autorité Apostolique » qu'il invoque ici expressément avant de conférer le privilège.
c\) Cette faveur est accordée *sans exception à tous* les prêtres, séculiers, réguliers, de toutes les Églises, à la fois pour les messes chantées et pour les messes « récitées » (= nos messes dites « basses », le plus souvent *privées, sans assistance*)*.*
d\) Aucun supérieur ne pourra faire échec à ce privilège par aucune sorte de défense, ni au for interne, ni au for externe.
e\) Le privilégié ne pourra être « contraint et forcé par qui que ce soit » (*a qualibet cogi et compelli*) à user d'un autre missel ni même à apporter un simple « changement » au Missel de Pie V ainsi concédé.
f\) Cet indult n'a besoin d'aucun agrément ou visa ou consentement ultérieur. C'est le sens de l'adverbe « OMNINO » (*omnino sequantur*) qu'aucun équivalent français ne paraît pouvoir traduire aussi bien que l'italien *senz' altro --* purement et simplement. La Bulle ajoute : « par *la teneur* de ces présentes », lesquelles sont ainsi estimées se suffire.
g\) Enfin il s'agit d'un privilège « à perpétuité » : *etiam perpetuo*.
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Ce dernier caractère nous amène à nous poser une question qui concerne toutes les dispositions législatives de la Bulle et chacune : comment un Pape peut-il lier ses Successeurs ? Question immense et délicate, que nous limiterons au cas présent. -- Il ne s'agira pas évidemment du Pape légiférant comme interprète de la loi *divine* celle-ci s'impose immuablement à tous, mais du Pape portant des lois *ecclésiastiques.*
##### VI. -- La Bulle est-elle valable à perpétuité ?
1\. -- Un principe régit d'abord ce sujet : *Par in parem potestatem non habet *: un pair n'a pas de pouvoir sur son pair. Nul ne peut donc proprement *obliger* ses égaux. Cela est particulièrement vrai entre ceux qui possèdent le pouvoir *suprême.* Celui-ci, par essence, est, en effet, *un* et *le même* dans ses différents détenteurs... Mais il faut réfléchir ensuite profondément à la portée véritable de ce principe. Si un Pape (pour ne parler que du Souverain religieux) a le pouvoir de *se délier* par LA MÊME puissance qui avait permis à son prédécesseur de *lier,* il ne devra user de cette faculté que pour des raisons gravissimes celles-là mêmes qui auraient décidé *le prédécesseur* à revenir *lui-même* sur ses propres ordres. Sinon, c'est *l'essence de l'autorité suprême* qui est atteinte par ces ordres successifs contradictoires.
Quand les philosophes disputent de « la puissance divine », ils ont recours à une distinction qui doit trouver, dans notre cas, une application *infiniment* plus pressante : ce que peut Dieu « en puissance absolue » et ce qu'Il peut « en puissance ordonnée ».
Tout n'est pas décidé quand on aurait dit, par exemple « Paul VI peut *validement* abroger la Bulle de S. Pie V. » Il resterait à montrer qu'il le fait *licitement.*
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Or cette licéité concerne à la fois *le fond, la forme* de la loi nouvelle, et déjà, au préalable, la *mutation* de loi *comme telle.* La Loi divine porte *en elle-même* les justifications de son universalité et de sa stabilité. Mais la loi ecclésiastique, comme toute loi *humaine,* a besoin d'ajouter à ses justifications intrinsèques, des étais qui ont pu être, au début, de pure convention mais que le consentement social a fini par empêcher d'être arbitraires ou artificiels.
2\. -- Quant à ses exigences de FORME, la Bulle QUO PRIMUM est revêtue de toutes les conditions de PERPÉTUITÉ, nous l'avons suffisamment démontré en soulignant les termes employés par le Législateur.
3\. -- Quant au FOND, *trois* traits caractéristiques confirment cette perpétuité :
a\) La FIN poursuivie par la Bulle : qu'il y ait un missel identique, afin, par l'unité de la prière publique, de protéger et de faire apparaître l'unité de la foi.
b\) La MÉTHODE de son établissement : ni une fabrication artificielle entre une quantité d'autres imaginables, ni une réforme radicale, mais la restauration du missel romain primitif : la pure *restitution* d'un passé éprouvé étant aussi la meilleure garantie d'un paisible avenir.
c\) Les AUTEURS : un Pape agissant, avec toute la force exprimée de son autorité Apostolique, *en conformité exacte* au vœu pareillement exprimé d'un Concile œcuménique ; en conformité avec la tradition ininterrompue de l'Église Romaine ; enfin, pour les parties principales du Missel, en conformité avec l'Église universelle.
4\. -- Chacune de ces caractéristiques prise à part et, plus encore, leur réunion, nous assurent qu'aucun Pape, jamais, ne pourra licitement, abroger la Bulle de S. Pie V, en admettant qu'il puisse le faire validement sans trahir le « dépôt de la foi ».
5\. -- Il nous paraît indiscutable que Paul VI ne l'a point fait, à ne considérer même que les conditions *de forme* requises pour semblable abrogation, et qui manquent dans son Acte.
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6\. -- Mais il nous paraît, hélas, également indiscutable que Paul VI FAVORISE l'abolition *de fait* du Missel Romain soit par volonté délibérée, soit par connivence, soit par tolérance, soit par la contrainte subie d'engagements obscurs dont il ne peut plus se déprendre et qui en font un prisonnier.
##### VII. -- Conseils pour une résistance respectueuse.
1\. -- Il y a quatre ans et six mois que nous avons donné, pour la première fois, publiquement et par écrit, le conseil, les raisons et les moyens réguliers d'une résistance à la révolution liturgique qui s'autorisait du Pape régnant. C'était en septembre 1967, dans un *Courrier* aujourd'hui révolu : deux ans donc avant la « promulgation » du nouvel *Ordo Missae*, mais à une date où les prodromes de la révolution étaient assez évidents pour qu'un simple fidèle ou un prêtre eussent le droit et le devoir de lui résister.
Nous avons, depuis, réaffirmé cette position, notamment dans ITINÉRAIRES (février 1970 : « *la Messe de Saint-Pierre-aux-liens *»)*.*
Si cette position était erronée ou scandaleuse, il n'est point croyable que ni le Saint-Siège, ni les évêques de France, ni leurs « théologiens » n'aient condamné ou blâmé ou simplement réfuté sa proclamation publique et répétée. Pas croyable que l'auteur n'ait reçu jusqu'à ce jour (13 janvier 1972) l'ordre de se rétracter.
C'est DONC que cette position est, pour le moins, « probable » ; au sens que les Moralistes donnent à ce terme avis que tout le monde peut suivre prudemment, le silence prolongé du Magistère hiérarchique donnant l'autorité de sa charge à une « opinion privée ».
Nous allons, par conséquent, après avoir réitéré et précisé notre avis, corroboré par la lecture commentée de la Bulle de S. Pie V, donner, en toute sécurité, des conseils pratiques de conduite :
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2\. -- PREMIÈRE RÈGLE. -- Même si l'on veut faire abstraction de son contenu doctrinal et à ne considérer que les aspects juridiques de sa publication, le Missel de Paul VI ne peut être affirmé obligatoire, d'une obligation strictement juridique *imposant* son usage et *excluant* celui du « Missel Romain restitué par décret du S. Concile de Trente et publié par ordre de S. Pie V ».
3\. -- DEUXIÈME RÈGLE : La Bulle QUO PRIMUM TEMPORE de saint Pie V n'est point *abrogée* dans sa totalité par la Constitution de Paul VI MISSALE ROMANUM, du 3 avril 1969. Celle-ci n'apporte tout au plus à l'obligation du Missel tridentin que des *dérogations* particulières (que nous nous abstenons d'apprécier ici dans leur fond).
4\. -- TROISIÈME RÈGLE : Ces dérogations, même à les supposer strictement obligatoires, laissent en tout cas intactes TROIS LIBERTÉS, inscrites dans la Bulle de saint Pie V, *et non expressément abrogées* par l'Acte de Paul VI, comme il devait le faire d'une NÉCESSITÉ DE DROIT :
1°) Liberté, pour tout prêtre, d'user du PRIVILÈGE-INDULT que nous avons commenté ci-dessus au § V.
2°) Liberté, pour tout prêtre, de préférer au Missel de deux ans de Paul VI le Missel Tridentin autorisé par la COUTUME quinze fois séculaire qui l'a précédé et qui l'a suivi.
3°) Liberté pour les Religieux et les Religieuses, dotés d'un Missel propre à leur Ordre, d'en conserver l'usage ou d'user du Privilège susdit, de préférence à la messe pauline. -- N. B. : Des religieuses (Chartreusines, Carmélites, Dominicaines) sont *en droit* d'exiger cet usage de leur aumônier, même récalcitrant.
5\. -- Par voie de conséquence, TOUT FIDÈLE LAÏC a *le droit* de bénéficier des deux premières libertés susdites : à travers les prêtres auxquels ces libertés sont conférées directement, le privilège de saint Pie V est devenu leur *propriété.* Ils peuvent donc demander à leur Curé ou, s'il y a lieu, à leur Évêque, que des messes soient *régulièrement* célébrées selon ce rite.
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6\. -- Nous sommes tellement assuré de cette doctrine, que nous croyons pouvoir ajouter ce conseil final : si -- ce qu'à Dieu ne plaise ! -- un Supérieur quelconque osait refuser à des Prêtres, à des Religieuses, à des Fidèles, l'exercice de ces droits, ils pourraient, ils devraient dénoncer par toutes les voies de justice à l'autorité compétente cette infraction formelle à la Bulle de saint Pie V, comme un ABUS DE POUVOIR.
*13 janvier 1972,*
Raymond Dulac.
prêtre.
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### Après la Bulle Quo primum tempore
par Alexis Curvers
M. RICHARD FORGEUR, premier assistant à la Bibliothèque de l'université de Liége, a bien voulu me donner sur un point de la bulle *Quo primum* cette explication utile : les bénéficiers, à leur installation, faisaient serment sur l'Évangile de respecter, faire respecter et conserver les coutumes louables de leurs abbayes ou églises. En les déliant de ce serment, Pie V les dispense donc expressément de tout scrupule qui les retiendrait d'abandonner ces coutumes propres, si louables qu'elles fussent, et d'adopter le Missel désormais commun à toute l'Église. Missel qui d'ailleurs ne se recommandait ni ne s'imposait aucunement par sa nouveauté, mais au contraire par sa fidélité à une tradition plus ancienne et mieux fondée que les diverses coutumes locales qui la défiguraient.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure et dans quels délais les ordres formels du pape furent suivis d'exécution. Parce que nous avons vu jusqu'en ces dernières années le Missel romain constamment honoré et pratiqué dans la catholicité tout entière, nous supposons de confiance qu'il en fut ainsi pendant toute la durée des quatre siècles qui nous séparent de la bulle *Quo primum*. Mais bien des signes donnent à penser que cette unanimité fut lente à s'établir, et que les débuts en furent longtemps entravés et retardés tant par la force de l'habitude en général que par la susceptibilité de maints supérieurs religieux, qui sans doute mirent leur point d'honneur à ne pas démordre des habitudes particulières de leurs communautés.
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M. Jean Hoyoux, directeur-adjoint de la même Bibliothèque, m'apprend que le premier bréviaire imprimé à Liége le fut par Morberius en 1560, donc peu avant la réforme de Pie V ; qu'un autre le fut par Streel en 1604, soit une bonne trentaine d'années après la réforme ; d'autres encore par A. de Corswarem en 1622, puis en 1636. Il serait bien intéressant de savoir à partir de laquelle de ces éditions le texte du bréviaire a commencé de se régler sur le modèle romain. On serait peut-être étonné de voir qu'il y fallut des efforts beaucoup plus longs qu'on ne pense et que Pie V lui-même ne l'avait prévu.
Une preuve m'en est fournie par M. Hoyoux, qui procure en ce moment l'édition de la correspondance des nonces envoyés par Rome au pays de Liége pendant le XVII^e^ siècle. L'un d'eux, Albergati, visite l'abbaye bénédictine de Saint-Laurent en 1613 (soit exactement neuf ans après le missel liégeois de Streel, et neuf ans avant celui de Corswarem). Son enquête terminée, il rédige un rapport dont une copie est destinée à Rome (où M. Hoyoux l'a retrouvée), une autre aux bénédictins de Liége auxquels il donne les instructions suivantes :
« Ayant trouvé en visitant les monastères de votre ordre cet inconvénient que, dans la récitation de l'office divin, bien des additions et modifications sont intervenues au cours des temps, souvent prescrites par les Abbés ou d'autres personnes, de telle sorte que la récitation varie d'un monastère à l'autre du même ordre ; souvent aussi parce que les moines n'ont pas de bréviaires imprimés, mais des manuscrits faits par eux-mêmes ; afin de remédier à cet inconvénient, nous chargeons le Père Abbé de veiller, dans un délai d'un mois à dater de ce mandement, à convoquer, de chacun des couvents que compte cet ordre dans le diocèse, un moine délégué par le couvent, pour qu'ensemble ils se mettent d'accord sur une façon commune de restaurer l'office (*qui simul conveniant inter se de forma communi recollationis officii*), qu'ensuite le bréviaire et le missel soient imprimés, et que les monastères de l'ordre en fassent un usage commun.
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Qu'ils récitent les offices divins posément et distinctement, et que jamais un verset ne soit dit par une partie du chœur avant que l'autre partie ait dit *jusqu'au* bout le verset précédent. Que les moines soient attentifs aux versets, Même à ceux que chante l'autre partie du chœur. »
Ce texte est révélateur de l'anarchie qui continuait à régner, quarante-trois ans après la bulle *Quo primum*, dans la liturgie, même bénédictine, de la principauté de Liége. C'était pourtant une principauté ecclésiastique, dont le prince-évêque entretenait naturellement avec la cour de Rome des rapports plus étroits que ceux des autres souverains.
Mais peut-être aussi l'autonomie temporelle favorisait-elle dans le clergé liégeois un certain régionalisme, voire une certaine insubordination à l'égard même de l'autorité spirituelle. Il n'y a pas si longtemps, nous pouvions quelquefois entendre, à la grand-messe, le chant grégorien exécuté dans le *ton liégeois* que de vieux prêtres employaient encore, le préférant au ton romain pour sa grande richesse mélodique. (Le regretté chanoine Kuppens me contait naguère que les jeunes clercs d'avant-garde les plus partisans d'abolir cet héritage du passé pour se rallier au ton romain furent les mêmes qui ensuite se déclarèrent avec le plus de zèle contre le ton romain pour y substituer les musiquettes actuellement en vogue.)
Les princes-évêques eux-mêmes ne semblent pas avoir été généralement en très bons termes avec les nonces, auxquels sans doute les opposaient des conflits de préséance et de juridiction, et qui en tout cas, pendant leurs séjours dans la principauté, ne recevaient pas l'hospitalité du palais épiscopal, se logeant plutôt dans quelqu'une des abbayes qu'ils inspectaient comme à l'insu du prince. Albergati ne fait pas une seule fois mention de ce Ferdinand de Bavière dans les États duquel il représentait le pape.
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Plus curieux encore est qu'il ne fasse pas une seule fois mention de la bulle *Quo primum,* qui aurait dû être en vigueur depuis longtemps partout, et qu'il trouve nulle et non avenue dans ce pays de prêtres. Lui-même l'avait-il oubliée ? Ou jugeait-il impolitique de la rappeler dans un milieu où elle s'était heurtée à trop de résistances ? En revanche, il cite à deux reprises une bulle plus récente de Clément VIII (mort en 1605) sur la réforme des ordres religieux. Pie V ne fut canonisé qu'en 1712 par Clément XI, et il est fort possible que, dans cet intervalle de plus d'un siècle, son œuvre liturgique ait traversé des périodes d'éclipse, analogues à celle où nous-mêmes avons vu si brusquement s'estomper les enseignements lumineux de Pie X ou de Pie XII.
Toujours est-il que le nonce Albergati découvre chez les bénédictins de Liége une liturgie en plein désarroi, demeurée ou déjà retombée dans le fâcheux état auquel Pie V avait pensé mettre bon ordre. Que fait-il ?
Ces nonces avaient qualité de plénipotentiaires, et pouvaient donc imposer, au nom du pape, le respect des lois de l'Église. La loi édictée par Pie V n'est pas respectée à Liége, elle y est même apparemment ignorée. Et l'ignorance des moines s'explique très bien : ils se servent toujours de leurs vieux antiphonaires manuscrits, diversement remaniés selon les temps et les lieux, et non des missels et bréviaires dont Pie V avait eu si grand soin de fixer le texte *ne varietur.* Cette réforme unificatrice n'eût guère été concevable avant l'invention de l'imprimerie, qui seule garantit la conformité immuable et définitive des multiples exemplaires d'un livre. On peut se demander si les bénédictins liégeois, entre autres, ne se cramponnaient pas à leurs anciens manuscrits, peut-être sous prétexte d'économie, dans la mesure même où ils préféraient ne rien savoir des corrections que la législation romaine leur enjoignait d'y apporter, et que la caution de l'imprimé les eût empêchés de révoquer en doute.
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Le fait est que le nonce Albergati, bien loin de se référer à cette législation, laisse aux moines délégués par les différentes abbayes toute liberté de réformer eux-mêmes leurs textes liturgiques, à condition seulement de s'accorder sur une composition unique de ces textes, et de la faire ensuite imprimer : précisément ce que la bulle *Quo primum* interdisait aux imprimeurs de faire sans une approbation expresse de Rome, attestant que les ouvrages imprimés concordaient bien avec l'archétype romain.
Comment comprendre l'instruction que le nonce donne aux moines : *qui simul conveniant inter se de forma communi recollationis officii *? Je crains que ce ne soit là un assez bon échantillon du style ambigu cher aux autorités ecclésiastiques défaillantes, qui dans les cas difficiles se tirent d'affaire en plongeant dans des abîmes de perplexité les fils les plus obéissants de l'Église, et en se lavant les mains des initiatives généralement désastreuses où les plus désobéissants auront alors beau jeu de se lancer et d'entraîner les autres.
*Recollatio* est un néologisme peu clair. Je l'ai traduit par *restauration*, qui est le sens le plus favorable. Mais d'autres sens moins nets sont également plausibles : *nouvel assemblage, nouveau collationnement, confrontation* ou simple *comparaison* des textes litigieux.
Ce travail, quel qu'il soit, les moines réunis auront à l'exécuter sans autre règle à suivre que celle de tomber d'accord (*conveniant*) sur le résultat final : accord conclu à l'unanimité ? à la majorité ? ([^50]) au prix de quels marchandages et de quelles concessions mutuelles ? Les deux compléments *simul* et *inter se* ne sont que des pléonasmes destinés à masquer l'imprécision voulue de la pensée du nonce ; car il va de soi qu'une *convention* se passe entre parties qui la négocient *ensemble et entre elles*. Cela n'éclaire absolument pas les moines sur la nature, les conditions et les limites de cette convention qui leur est prescrite.
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Ni même d'ailleurs sur son objet : *de forma communi*. L'indétermination est ici complète. Il ne s'agit évidemment pas de donner à l'office bénédictin *la* forme commune, commune à toute l'Église selon les décisions de Pie V qu'il eût suffi de notifier à nouveau ; mais simplement *une* forme quelconque à décider par les moines pour leur usage commun, pourvu qu'ils la choisissent *ensemble* et *entre eux*. L'autorité du nonce refrène l'indiscipline qui les divise d'une abbaye à l'autre, mais en leur laissant sur le cou la bride qui aurait dû les soumettre tous à l'autorité du pape.
Contradiction peut-être moins grave dans ses conséquences, mais aussi peu estimable dans son principe que celle que nous voyons actuellement paralyser le magistère romain dans l'exercice de son autorité, quand il abandonne aux « conférences épiscopales » le soin, le pouvoir et le droit de trancher indépendamment de lui les questions sur lesquelles il s'est déjà prononcé, et de contrevenir impunément à ses décrets les plus solennels ; il n'existe pas de moyen plus sûr d'encourager les abus.
Certes la liturgie bénédictine, pour s'être exemplairement assagie et disciplinée depuis le XVI^e^ siècle, était, hier encore, admirable entre toutes. Mais toujours y a persisté quelque chose de son autonomie première, même en dehors et bien en deçà des cas aujourd'hui de plus en plus fréquents où l'autonomie a tourné à l'extravagance et l'extravagance au délire. Assistant voici peu au chant des complies dans l'une des dernières abbayes bénédictines de France où le culte se maintient dans toute sa rigueur canonique et dans sa merveilleuse pureté, je fus surpris de n'y pas entendre le sublime répons du capitule : *In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum*. Cette parole du Christ figure cependant bien en cet endroit du bréviaire romain ; elle me transperçait le cœur chaque dimanche, dans l'église paroissiale dont la cloche, en cette heureuse époque si proche et déjà presque oubliée, sonnait encore l'office du soir. N'est-il pas juste et beau que l'homme qui s'apprête à dormir, faisant sienne la prière de Jésus qui va mourir, abandonne son esprit entre les mains de Dieu ? Pourquoi cette prière suprême était-elle omise par les moines très pieux dont j'étais l'hôte ?
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L'un d'eux me répondit, sans autre explication, que l'usage bénédictin s'écartait, sur ce point et sur quelques autres, du rituel romain que suivaient les paroisses. Je perçus dans sa voix une nuance de fierté, faible mais indélébile vestige d'un particularisme séculaire, de ce même particularisme que la ferme volonté de Pie V et les timides efforts des nonces avaient pourtant fini par tenir en respect.
Car enfin, jusqu'au dernier concile, Pie V fut généralement obéi dans l'Église. Et tous ses successeurs, jusqu'à Paul VI, veillèrent à ce que la bulle *Quo primum* ne fût jamais démentie. Si elle se heurta d'abord à des oppositions locales, elle en vint graduellement à bout ; et ses adversaires eurent à attendre quatre siècles avant d'oser se déclarer contre elle et la fouler aux pieds, comme ils font aujourd'hui avec toute l'insolence de leur brusque triomphe.
Les choses en sont au point que la messe de Pie V, qui n'est autre chose que la messe catholique de tous les temps, la plus authentique, la mieux enracinée dans le passé chrétien le plus immémorial, est à présent la seule qui pratiquement soit mise au ban de l'Église. Libre à vous de donner en spectacle, n'importe où, n'importe comment, n'importe quoi que vous ayez le front d'appeler la messe ou de n'importe quel autre nom, l'autorité n'y verra rien à redire, sinon que c'est là une expérience curieuse ou une intéressante recherche. Il n'est exhibition si scandaleuse qui ne jouisse de la même faveur. Les mêmes du Bas-Empire font la loi dans le sanctuaire, ensemble avec les agitateurs communistes. Les uns et les autres y sont accueillis à bras ouverts, et en sortent couverts de bénédictions. Mais vous serez lapidé si vous prétendez y obtenir ou y célébrer discrètement la messe de saint Pie V, c'est-à-dire la messe, car il n'y en a point d'autre.
C'est le moment de juger les arbres à leurs fruits.
L'*Ordo* de saint Pie V avait lentement porté la liturgie catholique au plus haut degré de la piété, de la décence, de la dignité intellectuelle et morale.
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L'*Ordo* de Paul VI est traité comme une farce par ceux-là mêmes qui ne feignent de le prendre au sérieux que pour s'en faire une arme contre la tradition sacrée qu'il s'agit d'abolir. Aussi le nouvel *Ordo* mériterait-il mieux de porter le nom du *nouveau désordre* qu'il a instantanément engendré. Il n'est d'ailleurs respecté nulle part, pas plus qu'il ne visait à l'être. Je connais un collège de jésuites où des films documentaires (construction d'un barrage, etc.), projetés sur un écran dominant le maître-autel désormais inutile, remplacent d'ores et déjà la fameuse « liturgie de la Parole » dont on nous promettait merveilles. Voilà ce que l'*Ordo* de Paul VI a produit de plus sérieux. Heureux encore quand il n'a pas laissé la liturgie catholique, et tout le reste avec elle, dévaler sans retenue aux plus bas degrés de la niaiserie, de la laideur, du gâchis, de la profanation et de la forfaiture.
Alexis Curvers.
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## ÉDITORIAL
### Eucharistie illusoire à Taizé
par R.-Th. Calmel, o.p.
Si Calvin eût publié un livre liturgique : *Eucharistie à Genève*, les Catholiques du XVI^e^ siècle, ses contemporains, eussent traduit spontanément *Hérésie à Genève :* pour la double raison que Calvin n'était pas prêtre, ensuite parce que son intention quand il faisait la Cène n'était pas celle des prêtres catholiques offrant le Saint Sacrifice de la Messe. Pour les mêmes raisons lorsque les pasteurs protestants du XX^e^ siècle publient un livre liturgique *Eucharistie à Taizé* ([^51])*,* nous devons aussitôt traduire *Hérésie à Taizé,* ou bien *Eucharistie invalide et trompeuse.* Cette traduction s'impose d'autant plus que, à la faveur des manipulations liturgiques postconciliaires, le danger s'est accru de confondre la liturgie de Taizé avec la liturgie catholique ou inversement.
\*\*\*
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A la lecture de ce livre liturgique notre réaction immédiate sera peut-être de bondir : Comment ? Ces messieurs ne sont ni catholiques, ni prêtres, et ils font cependant leurs offices conformément au *Novus Ordo Missae* catholique : De quel droit ces hérétiques ont-ils fait main basse sur l'héritage réservé de la Sainte Église : la Messe ?
Cependant l'indignation tombe bien vite, ou plutôt elle se déplace, dès que l'on regarde les choses de près. -- On s'aperçoit alors en effet que ce sur quoi les hérétiques ont fait main basse ce n'est pas la Messe *catholique traditionnelle latine et grégorienne,* celle qui est obligatoirement et irréductiblement catholique ; c'est la Messe nouvelle, qui fut combinée par des catholiques hélas ! pour satisfaire et arranger tout le monde : ceux qui ont la foi catholique et ceux qui ne l'ont pas ; ceux qui sont vrais prêtres et les simples pasteurs. C'est sur les auteurs de la Messe nouvelle, équivoque et démantelée, que doit tomber notre indignation plutôt que sur les hérétiques qui en ont fait bon profit. Ces Messieurs de Taizé ont pris le *Novus Ordo Missae,* parce que ce *Novus Ordo,* bien que fabriqué chez nous, *n'est pas pour nous.* Il l'est tellement peu que, alors qu'ils ne sont ni catholiques, ni prêtres, ils s'y trouvent parfaitement à leur aise, il leur va comme un gant.
\*\*\*
Gardons-nous surtout de nous figurer que Taizé partage notre foi sur la Messe et l'Eucharistie. Je n'ignore certes pas que Taizé parle de *présence réelle* ([^52]). Ces Messieurs précisent même : « réalité nouvelle substantielle » (page 31).
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Par bonheur, à cette expression qui peut donner le change, ils ajoutent une précision qui enlève l'hésitation et vient nous détromper. La « réalité nouvelle substantielle » est tellement peu la présence réelle selon la vraie foi, -- cette « réalité nouvelle substantielle » subsiste tellement peu -- que, nous disent-ils, elle n'est *pas statique* (page 27). Ou cette restriction ne signifie rien, ou elle signifie que le Christ n'est pas d'une manière stable, -- à la manière d'une substance, -- sous les espèces consacrées ([^53]). Nous tenons au contraire avec l'Église que la présence réelle substantielle est tout ce qu'il y a de plus « statique » pour employer ce langage ; autrement dit elle se tient -- *stat* -- même lorsque cesse le déroulement de toute célébration religieuse ; même lorsque plus personne n'est dans l'église pour prier ; même lorsque les Anges invisibles veillent seuls auprès du tabernacle. Le Christ est présent au Tabernacle sans que sa présence supporte d'aucune façon un plus ou un moins, aussi longtemps que ne sont pas consommées (ou altérées) les saintes espèces. Et ce n'est pas de le manger qui le rend présent ou plus présent. Il est aussi présent en dehors de la communion que dans la communion ; encore qu'il devienne présent par la consécration de telle sorte qu'il soit à la fois offert pour nous en sacrifice et destiné à nous être donné en communion.
La croyance de ces Messieurs de Taizé *au sujet du mystère de la Messe* est aussi étrangère à la foi catholique que leur croyance au sujet de ce qu'ils appellent, dans un langage trompeur, *la présence réelle.* Ils peuvent bien dire que l'Eucharistie « est la présence sacramentelle du sacrifice de la croix » (page 29) ; puisque, d'autre part, ils se refusent de dire que la Messe soit un sacrifice *propitiatoire* (toujours page 29) c'est donc qu'elle n'est pas, comme nous, nous le croyons, le même sacrifice, quoique sous un autre mode, que le sacrifice de la croix, lequel est essentiellement propitiatoire.
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Du reste pour nous assurer que ces Messieurs de Taizé sont encore et toujours dans l'hérésie, pour faire la preuve qu'ils ne disent pas la même chose que les catholiques alors qu'ils ont l'audace d'employer des expressions matériellement catholiques, pour nous convaincre que, dans la bouche des Messieurs de Taizé, les mots les plus sacrés de notre foi comme Saint Sacrifice ou présence réelle sont trafiqués, vidés, pervertis, détournés de leur sens, le bon moyen, plutôt que d'éplucher mot à mot leurs phrases et leur phraséologie, c'est de leur demander de souscrire tels quels, *prout sortant,* les définitions et anathématismes du Concile de Trente sur l'Eucharistie et le Sacerdoce.
Messieurs, au lieu de vos trente et une pages *d'introduction,* il suffirait de nous dire : nous admettons ou nous rejetons ceci, qui est la définition irrévocable de la foi catholique :
*Canons sur le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie -- 13^e^ Session du Concile de Trente.*
2\. Si quelqu'un dit que, dans le Très Saint Sacrement de l'Eucharistie, la substance du pain et du vin demeure avec le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, et qu'il nie ce changement admirable et unique de toute la substance du pain en son corps et de toute la substance du vin en son sang, tandis que demeurent les apparences du pain et du vin, changement que l'Église catholique appelle de manière très appropriée « transsubstantiation », qu'il soit anathème.
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4\. Si quelqu'un dit qu'après la consécration le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ ne sont pas dans l'admirable sacrement de l'Eucharistie, mais qu'ils n'y sont que lorsqu'on en use, quand on les reçoit, ni avant ni après, et que le vrai corps du Seigneur ne demeure pas dans les hosties ou les parcelles consacrées qu'on garde ou qui restent après la communion, qu'il soit anathème.
6\. Si quelqu'un dit que, dans le Saint Sacrement de l'Eucharistie, on ne doit pas adorer le Christ, Fils unique de Dieu, d'un culte de latrie qui soit aussi extérieur, et, par suite, qu'on ne doit pas le vénérer par une solennité particulière ni le porter en procession selon le rite et la coutume louable et universelle de la sainte Église ; ou qu'il ne doit pas être proposé publiquement à l'adoration du peuple, et que ceux qui l'adorent sont des idolâtres, qu'il soit anathème.
7\. Si quelqu'un dit qu'il n'est pas permis de garder la sainte Eucharistie dans le tabernacle, mais qu'il faut la distribuer aux assistants aussitôt après la consécration, ou qu'il n'est pas permis de la porter avec honneur aux malades, qu'il soit anathème ([^54]).
*Canons sur le Très Saint Sacrifice de la Messe. 22^e^ Session du Concile de Trente.*
3\. Si quelqu'un dit que le sacrifice de la Messe n'est qu'un sacrifice de louange et d'action de grâces, ou une simple commémoraison du sacrifice accompli à la Croix, mais non un sacrifice propitiatoire ; ou qu'il n'est profitable qu'à ceux qui reçoivent le Christ et qu'on ne doit l'offrir ni pour les vivants ni pour les morts ni pour les péchés, les peines, les satisfactions et autres nécessités, qu'il soit anathème.
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5\. Si quelqu'un dit que c'est une imposture de célébrer des messes en l'honneur des saints et pour obtenir leur intercession, comme l'entend l'Église, qu'il soit anathème.
9\. Si quelqu'un dit que le rite de l'Église romaine, où l'on prononce à voix basse une partie du canon et les paroles de la consécration, doit être condamné ; ou que la messe doit n'être célébrée qu'en langue vulgaire ; ou que l'eau ne doit pas être mêlée dans le calice, au vin qu'on va offrir, parce que c'est chose contraire à l'institution du Christ, qu'il soit anathème.
*Canons sur le Sacrement de l'Ordre. 23^e^ Session du Concile de Trente.*
3\. Si quelqu'un dit que l'Ordre ou l'ordination sacrée n'est pas vraiment et à proprement parler un sacrement institué par le Christ notre Seigneur ; ou qu'il est une invention humaine imaginée par des hommes qui n'entendent rien aux choses ecclésiastiques ; ou seulement un rite par lequel on choisit les ministres de la parole de Dieu et des sacrements, qu'il soit anathème.
4\. Si quelqu'un dit que le Saint-Esprit n'est pas donné par l'ordination sacrée et que c'est en vain que l'évêque dit : « Reçois le Saint-Esprit » ; ou que l'ordination n'imprime pas un caractère ; ou que celui qui a été une fois ordonné prêtre peut redevenir laie, qu'il soit anathème.
Si quelqu'un dit que l'onction sacrée utilisée par l'Église au cours de la sainte ordination, non seulement n'est pas requise, mais est méprisable et pernicieuse, et qu'il en est de même pour les autres cérémonies de l'ordre, qu'il soit anathème.
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Il vous suffisait, Messieurs, au lieu de vos 31 pages de souscrire ces Canons qui ne tiennent même pas 3 pages. Après quoi tout serait clair de votre côté comme du nôtre. Aucun danger de nous embrouiller mutuellement, et possibilité pour vous de vous convertir au lieu de patauger dans une mixture indéfinissable qui est toujours de l'hérésie, même en revêtant les apparences de la foi, et dont l'effet majeur est de tromper quelques-uns de ceux qui ont la foi catholique, un plus grand nombre de ceux qui la cherchent et qui se tournent Vers Vous. Et peut-être vous faites-vous illusion à vous-mêmes. Mais du jour où vous voudrez bien vous situer par rapport aux définitions tridentines, dire *oui* ou *non* aux Canons du Concile de Trente, de ce jour vos livres liturgiques ne tromperont personne, ne donneront à personne l'impression navrante d'être une espèce de recueil de simulacres, par la démarcation constante d'un Missel nouveau dénommé *romain* par antiphrase. De ce jour-là, vous ne supporterez plus une *Eucharistie* démarquée. Ou vous reprendrez une cène protestante, qui ressemble à une cène protestante, ou vous viendrez assister *à la Messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne, selon le Missel romain de saint Pie V.* Vous cesserez de patauger dans ce mélange innommable de cène protestante et de Messe catholique. Pour votre honneur et pour le bien des âmes, il est temps de ne plus donner le change, le moyen étant : ou bien de souscrire les *Canons* de Trente *prout sonant* dans la lettre et l'esprit, de manière à mettre fin au confusionnisme luthéro-catholico-œcuméniste, ou bien d'affirmer sans ambages vos positions hérétiques et de repousser Trente catégoriquement.
Que si vous êtes en tendance vers la foi véritable, ou, comme l'on dit, « en recherche » de cette foi, ayez alors la pudeur de ne pas en usurper le langage ; ne donnez pas à croire que peut-être vous seriez convertis, alors que ce n'est pas vrai. Celui qui est né dans l'hérésie et qui en a fait profession, celui-là ne possède pas la foi sans avoir abjuré l'hérésie.
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Et si la pastorale qui se prévaut du dernier Concile laisse entendre le contraire c'est parce qu'elle est, ni plus ni moins, une pastorale d'imposteur. Honnêteté d'abord. On verra ensuite pour l'œcuménisme. Par ailleurs si, comme je l'espère, vous cherchez à entrer dans la vraie Église, pourquoi donc une telle publicité autour de votre recherche ? Comment ne pas se demander si vous cherchez à connaître l'Église véritable, ou si vous cherchez à vous faire connaître comme cherchant cette Église ?
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Je sais trop bien hélas ! ce que Taizé peut répondre -- « Qui a commencé de démarquer ? Si notre livre liturgique est une démarcation du *Nouveau Missel* c'est parce que dans votre *Nouveau Missel* vous, les premiers, vous avez tenté de démarquer le culte protestant. Par une transformation graduelle du formulaire, de la langue et du rite vous avez abaissé votre *Messe papiste,* comme disaient nos pères, jusqu'à pouvoir s'adapter à notre cène protestante ; ne nous reprochez pas, après cela, d'avoir légèrement haussé notre cène protestante jusqu'à s'aligner sur la nouvelle *Messe papiste.* Libre à vous de parler de simulacres ; s'il y a surenchère de simulacres qui, avec Vatican II, qui donc a fait la première grimace ?
A quoi nous répondons que la grimace des uns ne légitime pas celle des autres ; -- que la grimace est répugnante des deux parts et doit cesser au plus Vite ; -- que la publication de son livre liturgique par Taizé fournit une preuve supplémentaire et dont nous n'avions pas besoin, du faux-pas considérable que fut la publication, nous savons par qui, hélas ! du *Novus Ordo Missae*. Celui qui détient la primauté dans l'Église, n'a pas reçu mission pour faire des livres liturgiques qui conviennent aux sectes hérétiques.
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Saint Pierre n'avait pas organisé le culte catholique à Jérusalem, à Antioche ou à Rome de façon à satisfaire à la fois la Synagogue et l'Église.
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On peut se demander si la fausse *Eucharistie* de Taizé n'aurait pas poussé la confusion jusqu'à prendre le *Canon romain.* Il suffit cependant de lire pour s'apercevoir que, à la différence des nouvelles prières eucharistiques II, III et IV, copiées telles quelles (excepté quand même la mention du Pape, de l'évêque et du titre de Mère de Dieu pour la Sainte Vierge) donc à la différence des « canons » nouveaux, le Canon romain adopté par Taizé est fortement arrangé et déformé. Notamment dans la prière *Unde et memores* d'après la consécration, les paroles d'oblation si nettement expressives de l'actualité du Saint Sacrifice *hostiam* + *puram, hostiam* + *sanctam, hostiam* + *immaculatam* sont devenues : *notre seule offrande c'est de te rappeler tes merveilles et tes dons.*
Mais il y a plus grave et plus significatif. Les rubriques du Missel de saint Pie V ont bel et bien sauté. Ces rubriques qui prescrivent des gestes et attitudes précis, ont été mises là pour affirmer très explicitement notre foi au sujet de la présence réelle et de l'actualité du Sacrifice. Eh ! bien, montrez-nous donc, dans l'adaptation taizéïque du Canon romain ; les trois signes de croix du *Te igitur,* et les cinq signes de croix du *Quam oblationem* et le signe de croix renouvelé à chacune des consécrations, et de nouveau les cinq signes de croix de l'*Unde et Memores*. A quoi bon poursuivre ? Taizé ignore la multiplication de ces gestes qui à tous rappellent bien clairement que c'est ici un sacrifice réel, actuel et propitiatoire. Et Taizé ne fait pas ces gestes parce que Taizé n'a pas la vraie foi relativement au Saint Sacrifice. D'ailleurs Taizé ignore également les génuflexions.
65:162
S'ils croyaient comme nous à la présence réelle, ils n'auraient pas besoin pour se faire entendre de 31 pages de dissertation. Il leur suffirait indiquer quatre génuflexions à la Consécration. ; deux au *Per Ipsum.* *;* deux au *Pax Domini* *;* une avant d'ouvrir le *Tabernacle *; une pour le communiant avant de recevoir le Saint Corps, à genoux et sur les lèvres. Et puis pour tout résumer en deux mots : lorsque ces Messieurs de Taizé, après avoir dûment abjuré, auront été ordonnés prêtres par des évêques catholiques non suspects, ils pourront prétendre offrir le Saint Sacrifice ; et le jour où ils sortiront dans les campagnes du Mâconnais pour faire la procession du *Corpus Christi* nous les tiendrons quittes des discours sur la Présence réelle.
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Vatican II, par sa Constitution liturgique piégée ([^55]), la réforme entreprise par la suite avec ses formulaires et ses rites équivoques et démantelés, ont introduit dans l'Église de Dieu des éléments hétérogènes. La règle d'or a été brisée du développement homogène, c'est-à-dire *in eodem sensu, eadem sentientia* ([^56])*.* Vatican II et les réformes qui ont suivi ont abouti, par éclatement du langage et liquéfaction des rites, à rendre suffisamment douteux le culte catholique pour que des hérétiques s'en accommodent le mieux du monde. C'est assez dire que les réformes liturgiques postconciliaires ne se situent pas dans une ligne catholique, ne s'inscrivent pas dans la Tradition.
66:162
Soyons sans illusion. Taizé, ou les groupements de ce genre, sont d'autant plus dangereux qu'à la faveur de Vatican II et des sinistres réformateurs mis en place après ou pendant ce Concile, les hérétiques trouvent désormais pleine facilité de prendre les dehors de catholiques. Il n'en est pas moins vrai que, même revêtus *de peaux de brebis* les hérétiques sont des loups ravisseurs (Matth. VII, 15). Le plus répugnant c'est que de mauvais bergers catholiques aient arrangé les peaux de brebis tout exprès pour en revêtir les loups.
Du moins que les prêtres catholiques et les évêques -- en tout cas quelques évêques -- en attendant mieux -- comprennent la manœuvre. Qu'ils renoncent une bonne fois à porter les déguisements préparés par des hiérarques félons pour arranger des prédicants hérétiques. Qu'ils refusent de dire la Messe avec le *Novus Ordo* puisque ce *Novus Ordo,* avec son démantèlement calculé du formulaire et des rites, est devenu ce qu'il était destiné à devenir : un livre liturgique à l'usage d'officiants hérétiques qui ne croient pas à la Messe et qui ne sont pas prêtres.
R.-Th. Calmel, o. p.
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## CHRONIQUES
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### Le docker et le professeur
par Louis Salleron
JE LIS, dans une revue de cadres dirigeants de l'industrie, cinq pages de « *Réflexions désobligeantes sur les privilèges des clercs *»*,* signées de Joseph Folliet.
Ces réflexions m'en inspirent d'autres qu'il serait trop long de présenter ici. Je me limiterai à quelques-unes, relatives à un point unique.
« *Je n'arrive pas,* écrit J. Folliet, à *voir au nom de quels principes un intellectuel devrait percevoir un revenu supérieur à celui d'un travailleur manuel pour l'unique raison qu'il est un intellectuel* (*...*)
« *En réalité, les différences entre les rémunérations des travailleurs devraient s'établir en fonction de l'utilité sociale du travail accompli, des frais professionnels nécessaires pour l'accomplir, des besoins personnels et sociaux des travailleurs et des responsabilités acceptées* (*...*) *D'aucuns se scandalisent parce qu'en Australie un docker gagne, paraît-il, plus qu'un professeur de faculté ; pour moi, ex-professeur de l'enseignement supérieur, je ne m'en offusque point. Si la société ne trouve pas assez de dockers, il faut bien qu'elle leur accorde une rémunération correspondant aux besoins qu'elle a d'eux, comme aux dangers et aux peines de leur travail. C'est ce qui se passera probablement un peu partout dans l'avenir, à mesure qu'on trouvera plus de postulants au travail intellectuel qu'au travail manuel et, au bout du compte, je préfère être un professeur moins payé qu'un docker mieux payé. *»
Ces lignes plaisent à l'oreille moderne, et il est caractéristique que des cadres dirigeants de l'industrie les recueillent. Elles traduisent la confusion sans bornes où nous baignons dès que nous pensons à la justice sociale.
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J. Folliet a la plume facile et il joue volontiers les Clément Vautel de la doctrine sociale de l'Église. Le fait que ce qu'il a écrit ici ait plu montre qu'il connaît son public. Mais je crois que s'il analysait lui-même les propos qui sont tombés tout naturellement de sa plume, il en serait effaré.
Soyons très brefs.
1\) C'est la loi de la concurrence, la loi de l'offre et de la demande, sur laquelle il fonde son raisonnement. « *Si la société ne trouve pas assez de dockers etc*. ». Nul doute qu'il la condamne quand il professe.
2\) Après la loi de l'offre et de la demande, les critères qu'il retient pour « *les différences entre les rémunérations des travailleurs *» sont divers ; mais le premier est « *l'utilité sociale du travail accompli *». A ses yeux, l'utilité sociale du travail du docker est supérieure à celle du professeur.
C'est possible, mais il faudrait savoir pourquoi, car cela ne va pas de soi. Apparemment, c'est parce que l'utilité *sociale,* c'est d'abord l'utilité *économique.* J. Folliet place donc l'Économie au premier plan des valeurs de la société. Aussi bien le mot « utilité » semble l'impliquer. Car si l'on estime que l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais aussi de la parole de Dieu, on ne rangerait pas spontanément la parole de Dieu dans la catégorie de l' « utile ».
3\) « Je parle *rémunération *» pourrait rétorquer J. Folliet ; « il est normal que l'argent aille au travail utile ».
Fort bien. Mais alors on doit mentionner qu'il peut y avoir autre chose que l'argent dans les « rémunérations » sociales.
Un vieil auteur dont je fais mes délices, le marquis de Mirabeau, écrit dans *L'ami des hommes :* « *Chaque service mérite son salaire, c'est la justice, mais le genre de service décide du genre de salaire. L'amitié se paie par l'amitié, la confiance par la confiance, l'honneur par l'honneur, l'argent par l'argent. *»
J. Folliet, qui est certainement contre la civilisation de l'argent, ne semble, en réalité, pas en concevoir d'autre. Aussi bien, il écrit, à la fin de son article : « *Mais il faut comprendre que le temps des clercs prend fin et que commence celui des travailleurs tout court... *»*.*
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J'ignorais que les XIX^e^ et XX^e^ siècles fussent le temps des *clercs.* Je les eusse vus plutôt comme le temps de *l'argent.* Comme ce temps de l'argent était aussi celui de l'*idéologie libérale,* il aboutissait à ce qu'on appelle sommairement le « capitalisme », dont les « bourgeois » profitaient en premier lieu.
Mais c'était aussi le temps du *travail.* En transférant le bénéfice du travail des « bourgeois » aux « travailleurs » on fait peut-être un pas vers la justice sociale. Mais le pas en avant sera suivi de plusieurs pas en arrière, car *l'ordre des choses,* pour conserver le *matérialisme économique,* tout en refusant les *hiérarchies d'argent* qu'il implique naturellement, doit faire appel à la *dictature étatique,* laquelle, ne songeant qu'à elle-même implique une *économie de puissance,* en organisant la *servitude des travailleurs* et en leur assurant des *revenus inférieurs à ceux qu'ils obtiennent dans une société libre.*
Où est alors la justice ?
4\) L'exemple du docker est particulièrement piquant. Car ce que J. Folliet appelle « utilité sociale » n'est, en réalité, que cette utilité jointe à la *capacité de pression* sur la société par un syndicalisme débouchant dans le monopole.
L'utilité sociale du paysan n'est certainement pas moindre que celle du docker. Si pourtant plusieurs millions de paysans ont été chassés de la terre depuis vingt-cinq ans, c'est parce que leur dispersion ne leur permettait pas de lutter contre le progrès technique qui condamnait leurs petites exploitations.
Après s'être rallié à la loi de l'offre et de la demande, J. Folliet se rallie-t-il au monopole ?
S'il l'ignore, je lui apprendrai que les dockers précisément ont tenté plusieurs fois, sans succès, de se constituer en corporations sous l'ancien régime. Ils s'appelaient, à ce moment-là, portefaix, gagne-deniers, lesteurs et délesteurs de port. Les tribunaux leur refusaient le droit corporatif -- disons : le monopole syndical -- estimant que la liberté concurrentielle était préférable pour assurer l'exercice d'une activité qui n'exigeait ni apprentissage, ni habileté technique ([^57]).
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5\) J. Folliet n'aimerait pas être docker. Moi non plus. Il trouve donc normal que les dockers soient bien payés. Moi aussi. Mais je lui raconterai, à ce sujet, une histoire.
C'était il y a une quinzaine d'années. Je visitais une grande usine de textile dans le Nord. Usine très moderne, comprenant malgré une automatisation déjà très poussée plusieurs centaines d'ouvrières (c'étaient surtout des femmes). L'ambiance était sereine et les attitudes parfaitement « décontractées ».
Au tournant d'un atelier, je vis une femme à laquelle était échu ce qu'on appelle « le sale boulot ». Je ne me rappelle plus trop ce qu'elle faisait. Mais, d'une part, c'était effectivement un travail sale, et d'autre part, elle ne pouvait l'accomplir que pliée en deux.
Je fis la grimace. « Il n'y aurait pas moyen d'aménager ce poste de travail ? » demandai-je au patron. « J'ai fait venir des organisateurs, me répondit-il. Pas plus que moi ils n'ont trouvé la solution. » -- « Au moins, lui dis-je, vous devez la payer particulièrement bien. » -- « J'ai essayé, répondit-il encore, mais je me suis heurté à l'opposition des autres ouvrières, parce que c'est un travail qui, pour pénible qu'il soit, ne demande aucune qualification. »
Nous autres, professeurs, avons peine à comprendre ces choses.
Louis Salleron.
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### Réaction scolaire aux U. S. A.
par Thomas Molnar
IL est difficile de mesurer les dégâts culturels et intellectuels causés à la vie américaine par la « mutation » de l'Église. Occupons-nous pour l'instant de quelques problèmes scolaires apparus depuis peu d'années et dont les conséquences funestes se manifestent déjà d'une façon effroyable. Mais ajoutons-y tout de suite des signes d'espoir provenant non pas de la hiérarchie qui suit la triste mode de la désacralisation (dé-mythisation, comme ils aiment s'exprimer), mais du petit peuple catholique et des intellectuels qui l'écoutent et lui insufflent courage.
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Dans un pays où le principe de la séparation de l'État et des Églises fait partie de la sacrosainte Constitution, il n'est pas étonnant que l'école publique soit devenue un foyer idéologiquement non pas neutre mais actif et agressif, selon l'esprit de l'agnosticisme et du relativisme en morale, en philosophie, en matière de sciences dites sociales. Des millions de familles catholiques -- et même non-catholiques -- ont depuis plus d'un siècle créé un réseau extraordinaire d'écoles libres, depuis les classes élémentaires de la paroisse jusqu'aux universités fièrement catholiques. « *Catholic education *» devint le synonyme d'intégrité, de civisme, et de choix justes dans la vie post-scolaire, tandis que le contenu intellectuel de cette instruction n'était aucunement inférieur au niveau des écoles et universités publiques, niveau qui, d'une manière générale, n'a jamais dépassé une certaine médiocrité, si on le mesure avec des normes européennes récentes.
73:162
Depuis une demi-douzaine d'années, le soi-disant renouveau de l'Église a totalement bouleversé cet état de choses. Ce n'est pas ici le lieu de décrire la folie qui s'empara de l'administration ecclésiastique des écoles et des enseignants ; ce qui a débordé la patience des parents (qui ont longtemps toléré les extravagances morales et politiques des religieuses et des prêtres de l'enseignement), ce fut l'introduction forcée, dans les écoles primaires et secondaires dirigées par l'Église, de la fameuse « éducation sexuelle » et du non moins fameux « entraînement de la sensibilité » (*sensitivity training*)*.* La première n'est qu'un dérivatif du Planning Familial qui est responsable de la légalisation des contraceptifs et de l'avortement, en attendant mieux, c'est-à-dire, la formation d'êtres humains tout à fait « émancipés » des « tabous sexuels ». Entendons-nous sur le sens de ces termes : en société puritaine, et incurablement puritaine malgré les bruits contraires, comme dans la Scandinavie et les États-Unis, la sexualité normale et saine, rejetée par l'âme recroquevillée sur elle-même, ne se sent à l'aise que si elle est garantie soit scientifiquement, soit par une idéologie. Dans le concept « éducation sexuelle » les deux exigences se donnent la main, on fait l'amour parce que et la science et l'idéologie l'autorisent. Quant au « sensitivity training », c'est une sorte d'adjoint à la sexualité dite émancipée, car il autorise, à son tour, l'attouchement et la nudité chez l'enfant qui « explore » son propre corps ainsi que celui de son copain et de sa copine. -- Eh bien, la « science » l'autorisant, les écoles dirigées par les bonnes sœurs et les religieux se sont faites des adeptes enthousiastes de ces deux formes d' « instruction ». C'est contre ce relâchement des mœurs -- et pire -- que s'insurgèrent les parents catholiques, cherchant à retirer les enfants de ces écoles et à en créer d'autres, catholiques, elles aussi, mais soustraites à l'influence et à l'autorité de l'administration ecclésiastique.
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Je veux brièvement décrire ici la création de la première école élémentaire nouvelle sur les bases de l'intégrité doctrinale et du comportement décent. En 1970, un certain nombre de parents de New Jersey ont demandé au Prof. William Marra qui enseigne la philosophie à l'université Fordham (jésuite, démythisée) de jeter les bases d'un programme d'école primaire pour enfants. Aujourd'hui, à peine deux ans plus tard, l'école de la Sainte Innocence se trouve en pleine activité, grâce à l'esprit d'initiative, la ferveur religieuse et la juste vision de ce qui constitue l'essentiel du prof. Marra. Voici les problèmes qui se sont posés et les solutions apportées.
Au sein du comité d'organisation il y a deux avocats qui ont débroussaillé (c'est le cas de le dire) les obstacles de l'autorisation pour le fonctionnement. L'école ne dépend ni de l'État, ni des évêques, elle est pourtant (je devrais dire « partant ») catholique et reconnue comme telle. Le personnel a été recruté parmi les nombreux honnêtes gens qui en ont assez d'enseigner la révolution et le sexe, et qui, par conséquent, acceptent un salaire moindre, payé de la contribution d'environ deux cents dollars annuels sur chaque élève. Comme l'école catholique « officielle » coûte beaucoup plus cher, les parents sont contents de payer moins et avoir néanmoins un enseignement bien supérieur à celui qui se pratique ailleurs, sans parler de la morale. Les matières enseignées : lecture, écriture et composition, histoire (celle de l'Église également), géographie et littérature anglo-américaine. C'est modeste (on vient de commencer le latin et le français), mais il faut comparer ce programme aux élucubrations fantaisistes et obscènes qui ont cours dans les autres écoles, (notamment « les problèmes entre garçons et filles »*,* les « problèmes de l'Onu », etc., tout cela au nom des *social studies*) afin d'apprécier la pureté et le bien-fondé d'un programme minimum mais suffisant au début.
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Même avec ces moyens réduits les deux cents dollars par élève ne vont pas loin. Seulement il y a l'esprit, celui des chrétiens du début de notre ère, s'opposant à l'État païen. Le prof. Marra est ouvertement d'avis que la plupart des institutions scolaires entretenues par l'Église américaine vont se désagréger, et que les écoles telles que la sienne vont hériter, à des frais minimes, des bibliothèques et autres nécessités.
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Sans parler des enseignants qui, une fois soustraits à la pression sexualo-gauchiste du pouvoir étatique et ecclésiastique, reconnaîtront dans les écoles nouvelles les dignes héritières de l'école libre maintenant à l'agonie.
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Après dix-huit mois d'existence l'École de la Sainte-Innocence a reçu des demandes d'information sur sa manière de faire des villes suivantes : New Rochelle (État de New York), Seattle et Vancouver (État de Washington), Royal Oak (Michigan), Fort Lauderdale (Floride), San Rafaël (Californie) et Elm Grove (Wisconsin). C'est donc presque tous les points géographiques du pays, ce qui est encourageant car bientôt un réseau d'écoles catholiques nouvelles va s'implanter à la place du système gigantesque mais ruiné qu'entretient encore l'Église. Et il s'agit non seulement d'écoles primaires et secondaires, il s'agit également déjà de collèges et d'universités en train de pousser ici et là. Des jésuites « intégristes » (car il y en a, et beaucoup, qui ne se laissent pas intimider par leurs confrères dans le vent) profitant de la confusion de l'Ordre et de la carence de l'autorité, sont en train de mettre sur pied une université dans le sud-ouest du pays. Eux aussi, ils cherchent à attirer d'autres prêtres dans leur sillage et à créer un réseau universitaire. Ainsi les jeunes gens sortis des Écoles Sainte-Innocence multipliées auront les moyens de terminer dignement leur instruction.
Thomas Molnar.
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### Le Chili socialiste
*Deux documents*
par Jean-Marc Dufour
#### I. -- Comment le gouvernement tourne la loi
Le texte que nous reproduisons ci-dessous n'est ni le fruit d'une campagne déclenchée par la C.I.A., ni l'élucubration d'un opposant irréductible au régime de Salvador Allende. C'est une circulaire confidentielle de la très officielle CORA : *Corporation de la Reforma Agraria ;* autrement dit l'organisme chargé de mettre en application la réforme agraire.
Pour la comprendre, une ou deux explications sont nécessaires aux lecteurs français. La loi de Réforme Agraire prévoit que les propriétaires dont les fermes sont expropriées ont le droit de conserver une « reserva » dont la superficie varie selon la qualité du terrain, mais qui correspond à 80 « hectares basiques ». Le calcul de la superficie réelle de la « reserva » tient compte du pourcentage de terres cultivables que comporte le domaine, les 80 hectares basiques étant l'étendue de celles-ci que doit comprendre la « reserva ».
La circulaire de la Cora, adressée aux chefs de Zone de cet organisme, fut publiée le 26 janvier dernier par le journal *El Mercurio.* La voici :
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La présente circulaire a pour objet de donner des instructions de caractère confidentiel, qui doivent être appliquées par les directeurs de zones, chefs d'assemblées juridiques, et techniciens de zone, afin d'obtenir que les propriétaires qui réunissent toutes les conditions de fond comme de forme pour obtenir de la *Corporacion de la Reforma Agraria* la reconnaissance de leur droit de « reserva », renoncent à celui-ci ou acceptent une transaction extrajudiciaire, par laquelle ils obtiennent la « reserva » non en terrain mais en son équivalent d'argent.
Pour atteindre les buts décrits ci-dessus, on appliquera rigoureusement les démarches et étapes suivantes :
1°) -- Le Département Juridique de la Zone effectuera une étude à fond, qui sera transcrite dans son rapport, pour fixer si l'exproprié réunit les conditions de fond et s'il a exercé son droit en temps et forme utiles.
2°) -- Faire connaître aux paysans l'existence du droit de « reserva », ceux-ci devront alors dire s'ils acceptent que le propriétaire continue à exploiter une partie du domaine ou s'ils préfèrent que l'on épuise tous les moyens pour obtenir que celui-ci ne conserve aucune partie de la propriété, et que lui soit payée en argent la « reserva » à laquelle il a droit.
3°) -- Si l'opinion des paysans est que le propriétaire exproprié ne doit conserver aucune partie du domaine, la Direction de Zone communiquera au propriétaire que, en principe, il a droit à la « reserva », mais que cela porterait préjudice à la manière dont serait effectué le paiement, réduirait le quota versé au comptant et -- ce qui est plus important --, que les améliorations postérieures au 4 novembre 1964 perdraient leur traitement préférentiel de paiement au comptant ; le tout en conformité avec l'Article 53 de la loi N° 16.640.
Pour démontrer de manière pratique les différences intervenant dans le paiement selon qu'il s'agit d'un domaine exproprié avec un droit de « reserva » reconnu, et le même exproprié sans que soit reconnu ou que soit fait valoir ce droit, ci-joint une annexe démonstrative et un formulaire permettant d'effectuer la comparaison, avec les chiffres correspondants ([^58]).
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4°) -- La Zone devra persuader le propriétaire de l'avantage qu'il a à renoncer à son droit, au moyen de la démonstration prévue au paragraphe précédent. Si cela n'est pas suffisant, elle pourra lui faire de nouvelles offres, telles que quelques-unes des suivantes, ou toutes, selon les circonstances :
*a* -- Convenir que le dépôt du quota payable au comptant sera fait dans un délai de 30 jours et non d'un an comme le prévoit la loi ;
*b* -- Convenir que les évaluations se feront en augmentant de 10 % les chiffres indiqués dans le manuel d'évaluation pour les améliorations postérieures au 4 novembre 1964 et de 15 % pour les autres améliorations ;
*c *-- S'il existe du matériel utile pour la corporation, on peut offrir de le faire acquérir directement par la Corporation dans des conditions plus favorables quant au paiement que celles fixées par la Banque d'État ;
*d* -- De la même manière, on pourra convenir de modalités spéciales pour la récolte en cours ; retard à la livraison de la maison du patron, de quelque hangar, etc. cela jusqu'à une date déterminée ;
*e* -- Enfin, au cours de cette étape (renonciation au droit de « reserva »), si le propriétaire ne manifeste pas son désir de renoncer à son droit ou à s'en désister s'il l'a déjà exercé, on lui communiquera que la Corporation effectuera la consignation d'après sa propre estimation du prix, et qu'elle prendra possession de la totalité du domaine, y commençant immédiatement ses travaux. Ce qui précède obligera le propriétaire à accepter le prix offert pour les améliorations en bloc, y compris la détermination de celles des améliorations incorporées au domaine après le 4 novembre 1964, ou, s'il ne le fait, à se pourvoir en justice contre elle avec les frais et les à-côtés que comporte tout jugement. De plus, il faut insister sur ce que la Corporation de la Réforme Agraire demandera au Tribunal Agraire Provincial concerné l'application de l'article 36 de la Loi N° 16.640, selon lequel, en aucun cas, le propriétaire ne récupérera la moindre partie du domaine exproprié.
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5°) -- Si, toutes les instances ou démarches signalées ci-dessus étant épuisées, le propriétaire persiste à faire valoir son droit de « reserva », la Direction de la Zone -- à ce moment seulement -- pourra lui proposer de conclure un accord extrajudiciaire, dans les conditions qui sont indiquées plus loin, qui a l'avantage, pour la Corporation et pour le propriétaire, d'être un procédé plus simple, rapide et économique que la voie strictement judiciaire. D'autre part, il permet un paiement en billets à ordre au lieu de Bons de la Réforme Agraire, ce qui exerce un attrait indubitable sur les expropriés.
Les bases de l'accord sont les suivantes :
*a* -- Au propriétaire, on reconnaît théoriquement un droit de « reserva » sur une superficie maximum de 40 hectares ([^59]) -- la Zone s'efforçant de réduire, si possible cette superficie -- et on calcule sa valeur suivant le système indiqué par l'Article 36 paragraphe 2 de la Loi N° 16.640, c'est-à-dire qu'on divise la valeur totale de l'indemnisation (sol, améliorations antérieures et améliorations postérieures) par le nombre d'hectares basiques du domaine ; la valeur résultante (qui correspond au prix d'un hectare) est multipliée par le nombre d'hectares basiques que contient la « reserva » théorique (sans aucune localisation réelle que ce soit).
*b* -- La valeur de la réserve théorique sera payée avec 20 % au comptant et le solde en cinq versements annuels et successifs, effectués en billets à ordre, avec les mêmes ajustements et intérêts que les Bons de la Réforme Agraire de classe b (qui sont ceux qu'obtiendrait le propriétaire pour sa « réserva » en suivant la voie judiciaire adéquate).
Cette circulaire pourrait se passer de tout commentaire. Pourtant je crois qu'il est bon de souligner les points suivants, pour les lecteurs mal familiarisés avec les problèmes agraires d'Amérique latine en général et du Chili en particulier.
La Réforme Agraire chilienne est née sous l'inspiration d'un gouvernement démocrate-chrétien. Elle avait -- en principe -- pour but de promouvoir la petite propriété.
Elle réservait les droits du propriétaire exproprié sur une partie (80 hectares) de son domaine. Dès le début, la présence des marxistes-chrétiens dans la CORA faussa les intentions des législateurs et ce n'est pas un hasard si les mesures de pression s'appuient aujourd'hui sur des textes légaux.
La circulaire institue, en fait, un nouveau pouvoir : une fois reconnu par une enquête « menée à fond » le bien-fondé des droits du propriétaire, on demande aux paysans si ledit propriétaire peut les exercer. Sous quelle forme et dans quelles conditions le Soviet rural devra-t-il se prononcer, la circulaire est muette sur ce point ;
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mais si l'on se reporte au numéro de *Poder Campesino* (*Pouvoir Paysan,* supplément de *La Nacion,* socialiste) qui expose le règlement des Centres de Réforme Agraire, on constate que ce vote se fera au scrutin public, et sans doute par acclamations. On peut remarquer que la CORA envisage, le cas échéant, de payer les terres en litige 10 % plus cher que le prix fixé, ce qui est une curieuse manière de gérer les fonds de l'État chilien.
Enfin, si rien ne porte, la menace...
Mépris de la loi, corruption, menace, le pays de Salvador Allende devient vraiment un paradis soviétique.
#### II. -- Comment le gouvernement ne paie pas ce qu'il doit
Autre circulaire de la CORA. Il s'agit cette fois de ne pas payer les expropriés. De faire la réforme agraire aux moindres frais, sur le dos des propriétaires. La technique est la même : noyer le paysan sous des masses de papiers, le menacer de procès, qu'il gagnera peut-être, mais qui lui coûteront gros -- on verra d'ailleurs les juges pour que les frais soient le plus élevés possible. La circulaire dont voici, la traduction -- légèrement abrégée -- a pour objet l'indemnisation relative aux améliorations, apportées, par les propriétaires expropriés, au domaine dont on les prive.
1 -- *Frais.*
Il est nécessaire, en accord avec les articles 13 et 29 de la Loi sur les Timbres, Sceaux et Papiers timbrés qui porte le N° 16.272 et 115 du Code de procédure, d'obtenir du tribunal qu'il fixe le montant des frais de justice d'après la valeur en litige, qu'il indique de quel papier timbré le demandeur doit faire usage eu égard à cette même valeur, et qu'il ordonne au même demandeur de verser le complément de ce qu'il doit dans un délai de cinq jours après la notification de l'ordonnance, sous avertissement de tenir pour non présentés les papiers en cause. Si le Tribunal n'accède pas à cette demande, il faudra déposer des conclusions, et, si celles-ci sont rejetées, une plainte. Si le demandeur, afin d'éviter la fixation des frais à leur taux véritable, ne signale pas concrètement la somme qu'il réclame, il faudra lui opposer des conclusions tendant à la non-conformité de sa plainte, afin qu'il précise cette somme.
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2 -- *Contestation de la demande.*
En général, il faut demander le rejet de la demande dans toutes ses parties, avec frais, vu que la taxation effectuée par la CORA est conforme en tous points à la loi et au règlement. S'il y a procès, il faudra dire que les améliorations sont anciennes, qu'elles sont de mauvaise qualité, qu'elles sont en mauvais état, etc.
S'il s'agit de bois naturels on devra alléguer, lorsqu'ils n'auront pas été compris dans l'accord de taxation, qu'on ne doit pas les payer parce qu'ils ont été inclus dans l'évaluation fiscale, et parce qu'ils ne constituent pas des améliorations, vu qu'ils ne nécessitent aucune activité humaine ; si le demandeur soutient le contraire, il devra faire la preuve qu'ils ne sont pas compris dans l'évaluation et qu'ils sont considérés comme des objets utiles. (En cela nous suivons les instructions expresses de Monsieur le Directeur Juridique.)
Au cas improbable où le demandeur ferait la preuve, et lorsque les bois auront été mentionnés dans l'accord de taxation, il faudra alléguer, s'il y a procès, que le volume de la masse boisée est inférieur ou très inférieur à celui indiqué dans l'acte ; que le bois, en totalité ou dans sa plus grande partie, manque de valeur ou en a une très faible, parce qu'il est trop vieux ou beaucoup trop vieux ; qu'il a été mal entretenu ; qu'il est de mauvaise qualité ou de très mauvaise qualité ; qu'il est dans un état sanitaire mauvais ou pire ; que son exploitation est difficile par manque de chemins ou de bons chemins ; qu'il est sur un mauvais emplacement, éloigné du marché ; que les arbres qui le composent ont un faible diamètre, etc.
Sur ces points, comme sur d'autres, il faudra se référer aux conseils techniques correspondants et examiner le texte du rapport d'expropriation respectif. Il faudra ajouter que : au cas où le bois aurait une valeur quelconque, celle-ci ne serait autre que sa valeur commerciale considérée comme partie de la valeur commerciale du domaine au moment de l'expropriation, et considérant l'emplacement du bien immobilier en litige, il sera nécessaire de calculer d'abord cette seconde valeur et ensuite la soustraire de la première, en considérant toutes les caractéristiques négatives du bois auxquelles nous avons déjà fait référence. (Sur ce point aussi nous suivons les instructions expresses de Monsieur le Directeur Juridique.) ([^60])
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Il faudra aussi préciser, dans ce cas, que le demandeur, en évaluant le bois n'a pas fait de distinction d'âge, de qualité, etc. estimant de manière absurde que tous les arbres qui le composent sont semblables. De plus, il faudra insister sur le fait que les bois naturels n'entraînent aucun travail humain et qu'il est en conséquence injuste de réclamer quelque chose pour eux.
S'il s'agit de bois de plantation, il faudra argumenter alors que le volume du bois indiqué par le demandeur est exagérément élevé par rapport au volume réel ; que la valeur du bois est mince, vu qu'il est très jeune ; qu'il n'a pas reçu les soins appropriés ; qu'il est de mauvaise ou très mauvaise qualité ; qu'il est en mauvais ou très mauvais état sanitaire ; qu'il n'y a pas de chemins ou de bons chemins d'accès ; qu'il est loin ou très loin du marché, etc. et que la valeur de ce bois doit être commerciale et non potentielle ; et qu'il n'est pas conforme à tous les points du paragraphe 2 de l'article 7 du décret N° 100.
3 -- *Dossier et supplément d'enquête.*
Le « dossier de preuves » devra contenir tous les points qui permettent à la CORA d'accréditer ses allégations. Exemples : s'il s'agit de constructions, leur ancienneté, leur qualité, leur état, leur superficie, etc. ; s'il s'agit de bois naturels, s'ils sont compris dans l'évaluation fiscale, si non, sont-ils des améliorations ? et s'ils sont des améliorations, leur âge, entretien, qualité, état sanitaire, chemin d'accès, diamètre des arbres, difficultés de leur extraction, etc. ; et valeur commerciale des bois considérée comme partie de la valeur commerciale du domaine.
Si le « dossier de preuves » ne contient pas tous ces points, ou s'il y a d'autres erreurs ou omissions, il faudra demander un supplément d'enquête, et si cela n'est pas accordé, il faudra déposer la plainte correspondante.
4 -- *Preuve testimoniale.*
La CORA devra présenter et faire déposer des témoins quant aux aspects négatifs signalés par elle en rapport avec les améliorations, mais pas sur leur nature et leur valeur, puisqu'ils ne pourraient déposer sur ces points en vertu de l'article 11 du décret N° 100. Naturellement il faudra choisir les meilleurs témoins, autant que possible des techniciens, et ils doivent être soigneusement préparés. (...)
5 -- *Preuve par expertise*
Au cours de l'audience appropriée, il faudra demander que l'expertise comprenne tous les points soulevés par la CORA et qui doivent être contenus dans le « dossier de preuves ».
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Il faudra demander que l'on désigne soit un, soit plusieurs experts selon la complexité du cas, et que chacun d'entre eux fasse son rapport séparément (...)
Si le tribunal prenait une décision erronée quant aux points qui font l'objet du rapport, du nombre des experts, de leurs qualités ou titres, il faudra déposer des conclusions et, si elles sont rejetées, porter plainte devant la Cour Suprême. Si un ou plusieurs des experts nommés est frappé de quelque incapacité légale, il faudra faire opposition.
6 -- *Preuve documentaire.*
Dans le cas de bois naturels, il faudra prouver, avec l'acte correspondant, le prix auquel le demandeur a acquis le domaine, et que les bois n'ont pas eu d'influence dans la détermination de ce prix. (...) Il faudra demander que l'on enquête auprès de la Perception des Impôts afin de savoir si le demandeur a payé l'impôt sur le patrimoine pour les bois naturels, et pour une valeur équivalente à celle qu'il demande dans le procès. (Sur ce point encore, nous suivons les instructions de Monsieur le Directeur Juridique.)
7 -- *Preuve par aveu.*
Il faudra demander, aussi souvent que la loi le permet, que le demandeur expose sa position sur les points qui intéressent la CORA. Les demandes devront être rédigées avec intelligence et contenir le plus de points d'interrogation possible (souligné par le traducteur).
8 -- *Communication permanente avec l'administration centrale.*
Il faudra se tenir en permanence en relation avec le Département judiciaire de l'administration centrale à propos des incidents nouveaux qui se produisent et on devra demander son opinion en cas de doute et son approbation s'il s'agit d'écrits ou de pièces fondamentales.
Ce qui précède est sans préjudice de l'application d'autres idées que vous pouvez avoir pour une meilleure défense judiciaire de la CORA.
Textes traduits par\
Jean-Marc Dufour.
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### Sur le bon usage des "conseils"
par Alexis Curvers
LE 29 MAI 1969, au Vatican, le cardinal préfet (Gut) et le secrétaire (Bugnini) de la Congrégation pour le Culte divin signaient l'Instruction *Memoriale Domini,* sur la manière d'administrer le sacrement d'Eucharistie. En voici la conclusion, traduite officiellement en français par la *Documentation catholique* du 20 juillet suivant :
« ...*Le Souverain Pontife n'a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la Communion aux fidèles. Aussi le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau *»*,* etc.
C'est énorme. Pour qu'un tel texte ait passé comme une lettre à la poste, il faut que les gens ne sachent plus lire.
Imaginez un gouvernement qui, édictant et confirmant une loi, *exhorterait vivement* les citoyens, c'est-à-dire ne les obligerait pas à la respecter. On soupçonnerait à bon droit ce gouvernement de conspirer tout le premier à rendre caduque la loi qu'il affecterait de maintenir en vigueur. Et pareil soupçon, suggéré aux futurs délinquants par l'autorité elle-même, ne manquerait pas de provoquer d'immédiates et constantes violations de cette loi qui n'aurait plus que la valeur d'un conseil.
C'est précisément ce qui est arrivé dans l'Église, où la Communion se distribue maintenant de diverses façons plus contraires les unes que les autres à la tradition catholique : on voit partout les fidèles, que cela leur plaise ou non, la recevoir debout, dans la main, ou pis encore. Comment le tour s'est-il donc joué ?
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Dès le 6 juin 1969, soit exactement huit jours après la promulgation de l'Instruction *Memoriale Domini,* le Saint-Siège, négligeant sans vain scrupule ce qui n'avait été de sa part qu'une simple exhortation, accordait gracieusement à l'Épiscopat français toute licence d'y contrevenir et de tolérer la communion dans la main. Il n'était que trop facile à prévoir que sauter de la tolérance à la préférence et de la préférence à l'habitude serait l'affaire d'un instant. Aussi l'Instruction vaticane, porteuse de la loi séculaire qu'elle n'avait rappelée que pour l'invalider, était-elle déjà tombée en désuétude et presque dans l'oubli qu'elle méritait, lorsque, six semaines après avoir obtenu permission de la traiter comme une plaisanterie qu'elle était, en effet, l'Épiscopat lui fit enfin l'honneur désormais inutile de la publier en version française.
L'encre de cette publication était à peine sèche que la télévision nous offrit en spectacle et en édifiant exemple une messe effrontément illégale, célébrée à l'occasion d'un retentissant congrès de théologiens notoirement hérétiques, où toute l'Europe eut loisir d'admirer le cardinal Suenens et le nonce à Bruxelles, tous deux en tenue, de ville, assis côte à côte et prenant d'une main résolue, dans une corbeille qui circulait de fauteuil en fauteuil, le pain consacré ou supposé tel : ce n'était déjà plus la communion dans la main, mais la communion à la main.
Ce prince de la nouvelle Église et ce représentant du pape étaient-ils en défaut ? Nullement. Ils étaient parfaitement en règle avec la loi qui avait cessé d'en être une avant qu'ils la foulassent au pieds *coram populo.* Le scandale qu'ils causèrent n'encourut aucun blâme et n'en risquait aucun. On est parfaitement libre de désobéir à une exhortation. Une exhortation n'a jamais eu force de loi.
Ainsi le Souverain Pontife et nos évêques sont également fondés à prétendre, l'un qu'il n'a pas changé la façon traditionnelle de communier à genoux et de la main du prêtre, puisqu'il l'a recommandée, les autres qu'elle n'a rien de si recommandable, puisque le Saint-Siège n'a pas interdit de la changer.
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C'est bien pourquoi elle a changé du tout au tout, sans que personne eût à en répondre et sans que personne y vît que du feu, le temps d'une comédie où l'hypocrisie le dispute au cynisme, et la bêtise à la malice. Elle a si bien changé que la voici morte et enterrée, les évêques n'ayant eu qu'à lui creuser une tombe sur laquelle Rome avait jeté d'avance une couronne d'éloges consentants, impliquant le permis d'inhumer.
\*\*\*
Épiphanie 1972. Cité du Vatican (A.F.P.). Le dernier numéro de *Communicationes,* revue officielle de la Commission chargée de la révision du droit canon, publie les conclusions des experts sur la réforme des droits et des devoirs des prêtres. -- Encore une bonne nouvelle :
« *Aller à la chasse, surtout à la chasse à courre, continuera à être vivement déconseillé aux prêtres. *»
Je n'ai pas vu le texte original, mais je suis prêt à mettre ma main au feu que cette version qu'en donne l'A.F.P. en est la reproduction exacte : une telle astuce dans l'art de faire entendre le contraire de ce qu'on semble dire appartient en propre au style des autorités ecclésiastiques postconciliaires, et c'en est une spécialité que personne, à ce degré de perfection, ne saurait égaler ni seulement pasticher.
Je ne vous apprendrai pas, messieurs du Vatican, qu'une chose déconseillée n'est nullement défendue, et que par conséquent ce qui a toujours été défendu peut bien commencer mais non pas continuer à être déconseillé. Or la chasse a toujours été défendue aux prêtres.
Sous le titre *De obligationibus clericorum,* le canon 138 oblige les clercs à s'abstenir absolument (*prorsus*) de tout ce qui est indigne de leur état (*ab iis omnibus quæ statum suum dedecent*) : que donc ils n'exercent pas les arts indécents (*artes indecoras*) ni ne se livrent aux jeux de hasard où l'on risque de l'argent (*pecunia exposita*) ; qu'ils n'entrent pas dans les tavernes et autres lieux de ce genre sans nécessité, ou sans quelque autre juste motif approuvé par l'Ordinaire du lieu ; que, sauf le cas de légitime défense, ils ne prennent pas les armes ; qu'enfin ils ne s'adonnent pas à la chasse, et qu'ils ne la pratiquent jamais à son de trompe : *venationi ne indulgeant, clamorosam autem nunquam exerceant*.
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On comprend très bien : tout au plus était-il permis aux clercs de chasser par nécessité, mais non par complaisance (*ne indulgeant*)*,* ni en aucun cas (*nunquam*) de manière tapageuse. Même pratiquée de manière discrète, la chasse en général ne leur est pas moins interdite que la fréquentation des tavernes et l'usage des armes, sauf les cas de nécessité. Et ces prescriptions ne sont pas des conseils, mais des ordres. Elles ont la force impérative qu'indique le titre du chapitre : *Des obligations des clercs.*
Le canon 139 est encore plus net : « Que les clercs évitent même les choses qui, bien que non inconvenantes, sont cependant étrangères à l'état clérical » ; ainsi de certains métiers, affaires, occupations et exercices profanes, fussent-ils honorables dans l'état laïque.
C'est ce qu'illustre à merveille un épisode du *Centaure de Dieu,* où La Varende nous montre son héros, jeune séminariste en vacances, exécutant des prouesses équestres, soutane retroussée, dans la campagne normande. Le cardinal de Bonnechose, parcourant le pays en carrosse, assiste par hasard au spectacle et le juge peu convenable. Le jeune homme a dans le cœur deux passions brûlantes : l'amour du cheval et l'amour de Dieu. Par obéissance il immole l'une à l'autre, et c'est par là qu'il devient sublime, infiniment plus que le sévère cardinal. -- Soit dit en passant, Pie XII, dans sa jeunesse excellent cavalier, eut à faire à sa vocation le même sacrifice.
La chasse est plus qu'étrangère à l'état sacerdotal, elle y est contraire. Que l'homme consacré pour offrir à Dieu la Victime sans tache contracte aux dépens d'aucune créature la souillure du sang, c'est un scandale qui répugne à tout cœur bien né. *Horror sanguinis *: sentiment instinctif non moins constamment éprouvé que respecté dans l'Église, principe idéal où s'était fixée l'une des fleurs les plus pures de la tradition chrétienne. Les prêtres païens versaient le sang des bêtes. Et les prêtres juifs. Des rabbins officient encore dans les abattoirs. Ô merveille, dans les plus antiques liturgies chrétiennes, on voit les fidèles apporter sur l'autel leurs offrandes de pain et de vin, de fruits, de laitage, de miel, de fleurs, mais jamais de viande. Par une délicatesse divine, le Sauveur du monde n'accepte pas que son nom soit mêlé par ses fidèles à une œuvre de mort et de violence. Il désavoue l'effusion fût-ce du sang le plus humble.
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Ce qui donc était défendu ne sera plus désormais que déconseillé.
Or nous savons aussi bien que vous, messieurs du Vatican, que dans votre nouveau jargon *déconseiller* veut dire *permettre,* et de là *trouver bon.* Vous avez l'art de suggérer en fait ce que vous feignez de tolérer à regret. Les exemples abondent. Il en sera de la chasse que *vous déconseillez vivement à vos* prêtres, au lieu de la leur interdire, comme de la communion que vous les *exhortez vivement* à ne pas donner dans la main...
C'est ainsi que la communion a pris souvent et impunément l'aspect d'un sacrilège public, dont vous espériez vous être lavé les mains par un truc de langage. Et c'est ainsi que nous verrons bientôt des curés chasseurs, c'est-à-dire tueurs par plaisir.
Il ne leur manquait vraiment plus que ça.
Alexis Curvers.
#### Rien de nouveau sous le soleil.
Extraits des *Mémoires* de Fouché, réédités par Louis Madelin (Flammarion, 1945), livre I, chapitre I : *la Révolution.*
« Vous qui vous déchaînez contre les prodiges de la Révolution ; vous qui l'avez tournée sans oser la regarder en face, vous l'avez subie et peut-être la subirez-vous encore.
« Qui la provoqua, et d'où l'avons-nous vue surgir ? Du salon des grands, du cabinet des ministres : elle a été appelée, provoquée par les parlements et les gens du roi, par de jeunes colonels, par les petites-maîtresses de la cour, par des gens de lettres pensionnés, dont les duchesses s'érigeaient en protectrices et se faisaient les échos.
« J'ai vu la nation rougir de la dépravation des hautes classes, de la licence du clergé, des stupides aberrations des ministres, et de l'image de la dissolution révoltante de la nouvelle Babylone.
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« N'est-ce pas ceux qu'on regardait comme l'élite de la France, qui, pendant quarante ans, érigèrent le culte de Voltaire et de Rousseau ? N'est-ce pas dans les hautes classes que prit faveur cette manie d'indépendance démocratique, transplantée des États-Unis sur le sol de la France ? On rêvait la république, et la corruption était au comble dans la monarchie ! L'exemple même d'un monarque rigide dans ses mœurs ne put arrêter le torrent.
« Au milieu de cette décomposition des classes supérieures, la nation grandissait et mûrissait. A force de s'entendre dire qu'elle devait s'émanciper, elle finit par le croire. L'histoire est là pour attester que la nation fut étrangère aux manœuvres qui préparèrent le bouleversement. On eût pu la faire cheminer avec le siècle ; le roi, les esprits sages le voulaient. Mais la corruption et l'avarice des grands, les fautes de la magistrature et de la cour, les bévues du ministère, creusèrent l'abîme. Il était d'ailleurs si facile aux meneurs de mettre en émoi une nation pétulante, inflammable et qui sort des bornes à la moindre impulsion ! Qui mit le feu à la mine ? Étaient-ils du tiers-état, l'archevêque de Sens, le genevois Necker, Mirabeau, Lafayette, d'Orléans, Adrien Duport, Choderlos-Laclos, les Staël, les La Rochefoucauld, les Beauvau, les Montmorency, les Noailles, les Lameth, les La Tour-du-Pin, les Lefranc de Pompignan et tant d'autres moteurs des triomphes de 1789 sur l'autorité royale. Le club breton eût fait long feu sans les conciliabules du Palais-Royal et de Mont-Rouge. Il n'y aurait pas eu de 14 juillet, si, le 12, les généraux et les troupes du roi eussent fait leur devoir. Besenval était une créature de la reine, et Besenval, au moment décisif, en dépit des ordres formels du roi, battit en retraite, au lieu d'avancer sur les émeutes. Le maréchal de Broglie lui-même fut paralysé par son état-major. Ces faits ne sauraient être contredits.
« On sait par quels prestiges fut soulevée la multitude. La souveraineté du peuple fut proclamée par la défection de l'armée et de la cour. Est-il surprenant que les factieux et les meneurs aient pu s'emparer de la Révolution ? L'entraînement des innovations, l'exaltation des idées firent le reste.
« Un prince (le duc d'Orléans) avait mis tout en feu ; il pouvait tout maîtriser par un changement dynastique ; sa lâcheté fit errer la Révolution sans but. Au milieu de cette tourmente, les cœurs généreux, des âmes ardentes et quelques esprits forts crurent de bonne foi qu'on arriverait à une régénération sociale. Ils y travaillèrent, se fiant aux protestations et aux serments.
« Ce fut dans ces dispositions que nous, hommes obscurs du tiers, hommes de la province, fûmes entraînés et séduits par le rêve de la liberté, par l'enivrante fiction de la restauration de l'État. »
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### Préambule à une éducation de la pureté
par Luce Quenette
L'IMPURETÉ RÈGNE, triomphe dans les écoles. Cela est sûr et devient universel. L'impureté marche avec la Révolution. La plupart des écoles dites religieuses (les exceptions, très rares, sont connues), non seulement ne sont plus garanties, mais sont des garanties, par leur religiosité même, d'une corruption accélérée, car elles ont l'avantage d'une hypocrisie mieux rodée.
Un instinct catholique pousse encore les Parents à se fier à cet enseignement qui a porté l'étiquette de confessionnel et laisse cette étiquette pendre à sa porte comme un appât usé pour les croyants.
Les faits abondent, il n'est que d'écouter et de voir, encore que seuls les enfants sachent à quel degré d'horreur dans la sexualité et le sacrilège on les laisse, on les fait descendre -- et les enfants pervertis se cachent. Certaines choses, incroyables aux Parents, ne se savent que par le scandale affolé des bons enfants. Tel ce fait *que personne n'aurait su*, si « un bon enfant » n'avait été égaré dans un mauvais lieu. Ce mauvais lieu est une église ! De « bons » parents naïfs laissent leur petit garçon aller à la « messe de classe ». Il en revient épouvanté : on les a fait communier, dans la main bien entendu, deux à deux, puis il a vu des camarades mâchouiller, cracher, rouler en boulettes ce qui restait de « leur hostie » et, sous les yeux de la religieuse et du prêtre, se bombarder joyeusement. Le « bon enfant » s'est échappé, son père indigné part immédiatement au mauvais lieu, trouve la religieuse, crie sa colère, et elle, souriante : «* Ce sont jeux d'enfants *»... et le prêtre : «* Ce gosse est un vilain petit cafard ! *»
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En quoi il résumait exactement la situation. En effet, sans l'incident épisodique du « bon enfant », les descentes en enfer, convergentes, du dortoir, où sous les yeux connivents des professeurs, on se promène tout nus (en attendant mieux, lumières éteintes) et du bombardement par hosties dites consacrées, ces descentes en enfer (ayant fait leurs adeptes, leurs zélés, leurs complices, leurs honteux, leurs désespérés muets et consentants) se réalisent progressivement en paix, sans heurts, sans discussions.
Le « bon enfant » surgit, importun, chassé, hué, troublé, impuissant. Une histoire de plus pour pousser des soupirs d'horreur entre parents « intégristes », soupirs combien stériles, si on n'arrache pas les enfants à l'horreur, instantanément. *Mais on ne les arrache pas*. On continue à envoyer les tout petits en classe, avec une routine et une confiance incompréhensibles, jusqu'à ce que, troublés, puis apprivoisés au mal, puis hypocrites inconscients, ils s'engagent sur le tapis roulant de l'Enfer.
Cette nonchalance, cet aveuglement, cette routine, c'est l'attitude du plus grand nombre. On espère je ne sais quelle chance, quel miracle d'innocence chez de pauvres enfants auxquels, en famille, on n'a imposé aucune contrainte. Et on méconnaît le prodigieux talent de dissimulation, de double vie, que les enfants n'ont aucune peine à exercer sur des Parents disposés à l'optimisme d'un « faire confiance » imbécile.
#### L'impossible préservation
J'ai sous les yeux, tous les jeudis, pendant trois quarts d'heure, toute la petite école de La Péraudière, jusqu'à la troisième incluse, du plus petit qui n'a pas ses 6 ans, jusqu'à 14 et même 15 ans. Tous les yeux sont attentifs, personne ne tourne la tête, ne se permet une distraction. Sans doute parce que je suis sévère, mais aussi parce que tout le monde est inquiet : car tout le monde doit savoir par cœur un article du règlement intérieur de l'école et l'interrogatoire se fait de manière imprévisible. Ce règlement enfonce dans chaque tête la discipline de la maison.
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C'est intimidant, c'est efficace.
Supposez que j'inculque ainsi, au lieu de la discipline de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la discipline de Marx, après en avoir expliqué l'idéal frelaté et la passion généreuse.
Après, soulagement relatif, nous en venons aux désordres, incartades, fautes publiques de la semaine, bons exemples, actes de courage, progrès d'obéissance et de charité. Parmi cet examen qui va du froid au chaud, du désagréable au réconfortant, volent çà et là des histoires, des traits, des anecdotes dont mes petits auditeurs sont parfois les héros, avec un plaisir imprévu, extraordinaire privilège de l'enfance.
Eh bien, tandis que les chers regards attentifs boivent la parole qui sort de mon cœur et de mon expérience, tandis que je vois s'étonner, s'inquiéter, se rassurer les physionomies, s'éclairer les consciences et, autant que m'aide la grâce de Dieu, se raffermir les volontés, pendant que je vous parle, chers petits enfants chrétiens, dans cet enseignement des « petits », ce catéchisme qui est notre précieuse et obligatoire œuvre de miséricorde spirituelle, le bon Dieu me fait la grâce d'une réflexion douloureuse, d'une vue angoissante que je voudrais faire partager à tous les parents : les enfants *boivent l'enseignement.* Celui qui sait son métier impressionne leurs âmes presque infailliblement. La malléabilité de ces âmes est effrayante. Le recyclage, la marxisation, l'apprentissage révolutionnaire trouvent en eux pâte molle, arbustes flexibles, disciples instantanément fanatisés, pour peu que les suppôts du diable connaissent, par formation, où il faut piquer, s'arrêter, mollir, poser des jalons.
Angoisse horrible de la non-résistance des enfants. Or la technique est au point.
Et songez que ma pauvre parole, doctrine du catéchisme traditionnel, ne flatte aucun bas instinct, rebrousse la nature, humilie l'amour-propre, flétrit le péché, ordonne l'obéissance et le respect des lois les plus austères.
Et eux, éveillent, excitent la concupiscence, les appétits, les *curiosités* que n'a même pas endigués une autorité familiale languissante et optimiste.
Non, ne comptez pas que les enfants résisteront. Psychologiquement, c'est impossible. Mais, direz-vous, la grâce est toute puissante. Entendons-nous. Savez-vous que se mettre en occasion dangereuse, c'est déjà pécher.
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Et y mettre ceux dont on a la charge, c'est commettre déjà le péché de scandale avec les misérables qui les scandaliseront. C'est stériliser la grâce. Et si, par héroïsme toujours possible, un enfant y résiste, le mérite en sera tout à lui, mais le péché de présomption à ses parents qui auront insoucieusement compté sur cet héroïsme imprévisible.
Comprenez enfin que ces deux voies de perdition dans une école « religieuse » sont convergentes : le sacrilège, l'impureté. Obligation de communier dans la main, par vote organisé, exhortation, ironie, explication pseudo-mystique ou qui pis est, hygiénique (transport de salive !!), que sais-je, avec l'intention diabolique, sacrilège, d'obtenir cela à tout prix des enfants, et dans la nouvelle Messe ou ce qui en reste, selon la cuisine aumônière, c'est *la garantie* absolue que les mœurs sont atteintes, que la vie privée des organisateurs n'est pas nette, qu'on a entrepris, ou qu'on va entreprendre la sexualisation de l'enseignement, qu'on va entamer la propreté des yeux, des mains, de la chair.
Le temps a justifié. Si j'avais dit cela il y a deux ans, à l'aube du nouvel Ordo, on m'eût accusée de diffamation, ou, accusation bien plus dangereuse, d'*exagération*, de *pessimisme,* péchés inexpiables dans notre standard de vie.
Mais, aujourd'hui, les horreurs viennent à toutes les oreilles, même les mieux bouchées, et je pourrais remplir mes pages de celles que les lecteurs *font bien* de me raconter. Par-dessus le marché il est certain, je l'ai dit ci-dessus, que nous ne connaissons que le minimum trahi par des honnêtes fourvoyés, ou des convertis qui déchargent leurs consciences.
Alors, maintenant, on n'osera plus me dire que les profanations du Corpus Domini Nostri Jesus Christi n'entraînent pas les profanations des corps par l'impureté.
Il faut donc arracher les enfants, il faut donc fonder de pauvres bonnes écoles. Et, en attendant, puisqu'elles sont rarissimes, il faut enlever de son propre cœur de Parents, *cette dévotion* « catholique » (hérétique) et française *aux programmes et aux diplômes.* Mais une telle idolâtrie demande tout une autre étude, pour un autre jour. Il faut garder les enfants à la maison et les inscrire à un cours par correspondance, puisque la loi scolaire l'autorise. Mais les cours par correspondance peuvent être mauvais ? Assurément. Je répète toujours la même chose : « Vous êtes là pour surveiller » -- et les enfants échappent à l'ambiance pourrie de l'école.
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*Vous êtes là,* père, mère, grande sœur, tante, oncle, *famille.* C'est ce que vous ne pouvez pas comprendre : votre mission, votre solitude, et *que votre foi doit suffire.*
N'ayez crainte, les cours par correspondance ne seront pas encombrés. Ceux qui écouteront cet appel seront les rares, les fiers, les humbles catholiques fidèles, comme ceux qui, enfin, organisent des catéchismes familiaux, s'aidant d'un saint prêtre de passage, mais ont compris qu'on *n'envoie plus* des âmes d'enfants se perdre aux catéchismes officiels avec la puérile intention de « compléter ». Compléter quoi ? l'hérésie ? la pornographie ?
On m'a fait hier une objection terrible et qui, je crois, emportera *presque* tous les consentements. Bien que les cours par correspondance soient très chers, le gouvernement supprimerait, à leurs adhérents, les allocations scolaires. Je doute beaucoup de la mesure, car les entreprises de ces cours sont puissantes, organisées, universitaires. Mais enfin ! Et s'il arrivait, en effet, que les allocations fussent refusées aux Parents ayant inscrit leurs enfants hors des « Établissements » ? C'est injuste ? Oh, combien ! C'est logique ? Hélas, absolument. C'est la logique de la Révolution, de la persécution... comme pour l'école qui doit se passer de tout secours et pourtant prendre des prix modiques. C'est l'état de persécuté. Glorieux. Méritant. Le persécuté est pauvre. Logiquement. Il n'est plus reconnu par l'État, plus payé. Est-ce étonnant ? Nous sommes trop habitués. Et pourtant, que souffrons-nous, Monseigneur Slipyi, au regard de l'Ukraine et de ses trois millions de martyrs ?
\*\*\*
Certains parents, affolés de ce qui guette leurs enfants, et particulièrement en *classe de sexualité* (effroyable : ce terme devenu familier *aux enfants !*) envisagent une mise en garde, en instruisant eux-mêmes, *là-dessus,* leurs malheureux (encore !) innocents. C'est, renouvelé, le vieil argument éculé : « Si nous ne le lui disons pas, il se renseignera auprès de grands camarades corrompus. » Il faut donc *satisfaire sainement la curiosité,* d'avance, *comme on nourrirait d'avance un gourmand pour qu'il* PARAISSE *sobre au festin.* Et, pour satisfaire cette curiosité regardée comme légitime, on se servira moins de sa propre inspiration que de « manuels d'initiation » de très bonne volonté et de relative expérience.
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Je vous en supplie, Parents, *ne faites jamais cela.* Ne satisfaites jamais la curiosité. La curiosité n'est jamais satisfaite. Ne vous scandalisez pas. Ne me maudissez pas. Je ne peux justifier aujourd'hui ma prière instante. Cette justification, je ne peux la faire qu'après vous avoir « instruits », au cas où vous en auriez besoin, de la vertu possible des enfants, *de la sainteté de l'éducation.* Je pense que, pour votre consolation et votre espérance et votre confiance en Dieu, vous avez besoin de vous plonger dans cette sainteté-là, expérimentée, vécue, d'une façon toute familière. C'est ce que nous allons faire en deux fois. Et puis, à la troisième fois, si Dieu nous donne force et loisir, tranquillement, mieux armés, rafraîchis dans notre foi aux sources mêmes du Sauveur, nous étudierons l'éducation de la pureté et donc les conditions de cette lancinante, obsédante « initiation ».
Mais, dira votre bon sens, laisserez-vous dans l'ignorance un *adolescent *? Hélas, pauvres Parents, un adolescent 1972 dans l'ignorance de la reproduction et de l'adultère et du vice ?... S'il en est un, ne lui dites pas un mot de ces belles choses, approchez-vous avec respect de son âme et instruisez-vous de sa qualité.
-- Au moins, dit votre indignation, ne voulez-vous pas redresser ce qui a été ou sera expliqué ignominieusement ? -- Oh si ! je veux redresser. Mais le redressement lui-même d'une âme et d'une chair *ne commence pas par une instruction sexuelle,* même honnête. C'est faire fausse route, complètement, et s'exposer à subir un lamentable sourire protecteur et un « te fatigue pas, Papa, j'en sais plus que toi ». Ou, ce qui est pire, un visage fermé et recueilli et une bouche muette qui retient le cynique : « Asseyez-vous, Monsieur, vous serez mieux pour parler » de don Juan.
Je crains bien qu'ils soient très peu nombreux les papas et les mamans qui croiront que c'est par un tout autre bout qu'il leur faut aguerrir et préserver leurs jeunes enfants. Cependant, peut-être, l'initiation des Parents que je veux entreprendre, initiation toute renouvelée *à la sainteté des enfants,* disposera leurs âmes lassées à puiser, dans les sources pures de la Religion, les lumières et les fermetés qu'on ne trouve que là. Il me revient un souvenir qui fixera en Jésus notre méditation. C'est un grand vitrail de mon église autrefois rustique de Sainte-Foy-lès-Lyon. Ce vitrail central éclairait tout le chœur.
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Le Sauveur en croix avait à sa droite Celle qui pouvait être la Vierge Marie, mais M. le Curé avait expliqué aux enfants que c'était notre Mère la Sainte Église, vêtue de pourpre et couronnée ; à gauche, tenant les Tables de Moïse, l'Ancienne Loi baissait la tête. Et la sainte Église, des deux mains, soutenait un grand calice d'or contre la plaie du côté d'où coulaient le sang et l'eau dont saint Jean a rendu témoignage. J'ai souvent contemplé cette profonde image à la lumière du texte qui doit nous inspirer aujourd'hui : *Haurietis aquas in fontibus Salvatoris*, vous puiserez des eaux aux fontaines, aux seules fontaines du Sauveur. L'Église, sainte Église éternelle, mater et magistra, éducatrice souveraine des peuples et des enfants, sage de la Sagesse crucifiée, nous apprend la seule et toujours nouvelle méthode pour apprendre LA VIE à tous ceux qui l'ont reçue.
Que la Mater Dolorosa, Mater Ecclesiae daigne éclairer les mères douloureuses de notre temps, et, par elles, éclairer les mères qui sont coupables d'être rassurées.
#### Les bons enfants.
Nous allons partir dans le monde des enfants, *la réalité des enfants de toujours*. Avant de vous y faire entrer, je vous prie de lire ces lignes écrites toutes fraîches, dans le chapitre sur l'Éducation du VI^e^ plan, rapportées par l'*Écho de la Liberté de l'Ouest*, janvier 1972 :
« Selon beaucoup (?) la pédagogie pourrait évoluer d'*une façon assez décisive pour que celle de 1985 paraisse plus éloignée de la pédagogie actuelle que cette dernière de la pédagogie d'il y a un siècle. *»
Suivent, commentées respectueusement par H.M. Houard, secrétaire général de l'Université catholique de l'Ouest, les extravagances envisagées pour cette ère glorieuse, les dépenses somptuaires aux intentions d'un enseignement gangrené par la contestation, la marxisation, l'engorgement, la démission des maîtres, le dégoût public et « la centaine d'aumôniers qui se livrent à une action subversive », centaine avouée par M. Marcellin, mal renseigné, car c'est une demi-douzaine de centaines qui œuvrent dans ses lycées ([^61]) sans compter les instituteurs en dépression et en tentation de suicide. « parce qu'ils ne réussissent pas à dominer les maths modernes ». ([^62])
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On rit devant la candeur de l'interprète catholique de ce VI^e^ plan prestigieux qui écrit pieusement : « *Il va de soi* (comment donc !) *que pendant toute cette période, l'enseignement catholique devra s'imposer les efforts correspondants. Le pourra-t-il ? Quand on sait que la participation des familles a atteint le point de saturation... *»
Eh oui, l'esclave n'est pas encore entretenu convenablement par son maître... l'esclave « enseignement libre » prend conscience que ses lendemains ne sont pas gras. Pensez donc l'État envisage un équipement actuel « *qui représentera la somme des dépenses d'équipement de 40 années *». Il a déjà dépassé le budget de 20 années. Quelle manne d'ordinateurs et de télés circuits fermés indispensables pourra-t-il répandre sur les écoles de son fidèle Mgr Cuminal, qui culmine la mendicité pour l'entretien du cadavre confessionnel ?
C'est que, s'il s'agit de parcourir un siècle en 13 ans, il ne faut pas lésiner sur la galette. Nous sommes donc avertis : les enfants des vingt ans d'aujourd'hui seront aux mains (très provisoires) de parents nés 120 ans avant eux, exactement comme si les enfants 1972 étaient brusquement confiés à Mme de Ségur, née Rostopchine...
Pénétrons-nous de la parole prophétique, c'est bien cela « Selon beaucoup, la pédagogie pourrait évoluer d'une façon assez décisive pour que celle de 1985 paraisse plus éloignée de la pédagogie actuelle que cette dernière de la pédagogie d'il y a un siècle. »
\*\*\*
J'ai choisi cette citation du VI^e^ plan à cause de cette heureuse phrase de démence majeure qui résume bien la mutation assassine où la Révolution entraîne l'intelligence et le cœur de nos enfants. Mais elle a mille expressions, vous le savez, je vous en ai marqué depuis longtemps les duperies et les pièges.
Seulement, l'illusion est tenace, ses ruses sont mortelles. J'ai pensé aujourd'hui qu'il fallait vous emmener pour de bon dans *la réalité* des enfants, dans l'univers où croît l'éternel animal raisonnable, essentiellement le même, l'enfant des hommes, élevé dans les principes chrétiens de la seule civilisation chrétienne.
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J'ai précédemment parlé des méchants enfants, enfants de colère des suites du péché originel. Aujourd'hui, il nous faut voir la grâce au travail au sein de la société naturelle des « bonnes familles » où se forment les « bons enfants ». Et justement, je vous prie de me suivre dans le monde équilibré de la Bibliothèque Rose. Oui, c'est bien Madame de Ségur 1860, d'il y a 112 ans, qui nous fera faire une cure de désintoxication.
Je pourrais arrêter les objections, les refus, les plaisanteries sur mon dessein d'archaïsme par quelque démonstration de psychologie rationnelle qui prouverait que : crinolines, calèches, valets, institutrices, bonnes empressées, châteaux, tapisseries, diligences... arithmétique élémentaire, romances et piano n'ont pas produit une génération imperméable à celle de nos enfants. Mais on sourirait, tant est répandue l'absurde théorie que radio, cinéma, télévision, moteurs, informations, lune et ordinateurs nous ont fait concevoir des enfants prodigieux, « enfants de la mathématique moderne qu'on filme avec amour dans leurs écoles bien nettes, couveuses d'une génération qui descend du ciel pour renouveler la face de la terre. » (Marcel Signac.)
Ma démonstration, je la prends justement chez les merveilleux enfants d'aujourd'hui eux-mêmes, dans ce trésor d'expérience où je puise sans cesse et qu'ils enrichissent chaque jour. Les livres de Madame de Ségur font le *bonheur des enfants, filles, et garçons, de 1972.* Ils en écoutent la lecture avec ravissement, l'interrompant par des exclamations qui veulent toutes dire : -- C'est bien cela, c'est bien nous, c'est bien moi, voilà mon amour-propre, mes mensonges, ma vanité, mes repentirs, mes résolutions, mes jeux, mes joies, mes peines, mes sacrifices, mes vertus, ma vie tout entière. Transmission impressionnante d'émotions, de révélations sur les caractères et sur les âmes, depuis plus d'un siècle. Je trouve dans un enfant d'aujourd'hui mon plaisir ressuscité. Ils choisissent, chérissent et relisent les mêmes épisodes. Et, vérité incroyable pour nos psychologues diplômés, *ils jugent comme nous les jugions la valeur pédagogique des éducateurs :* papas, mamans, bonnes et institutrices, oncles et tantes qui président à la vie de Sophie, de Gisèle, de Paul, d'Auguste, de Léonce, de Camille, de Madeleine.
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Les éditeurs le savent bien. Après une éclipse qui fut longue, une tentative de réédition authentique en 1948, les adultes pensèrent qu'on ne pouvait offrir aux enfants de 1940, 50, 60, une archéologie dépassée, si bien qu'on habilla Sophie, Camille, Madeleine, le pauvre Blaise et les petits Dérigny à la mode contemporaine dans des versions brochées du plus mauvais goût. Quoique maquillées, les « histoires Ségur » tenaient le marché, les gosses les réclamaient et les dévoraient. Enfin, à l'âge des cosmonautes où nous sommes, un éditeur entreprit de reconstituer l'édition originale avec toutes les images de ces dessinateurs étonnants : Bertall, Castelli, Bayard, Foulquier, dont le crayon prodigieux avait donné au texte de 1860 un certificat de vie, de poésie et de réalité. Plus encore ! Bien loin d'être insipide, ce passé d'un siècle séduit nos lecteurs d'aujourd'hui. Les belles robes 1850, les casaques, les redingotes, les capotes, les fringants attelages, les diligences arrêtées la nuit en forêt, les gros aubergistes, toute cette bonne vie d'avant « les voitures sans chevaux » distillent un goût d'histoire, je veux dire, une saveur historique, un charme balzacien auquel le bon enfant « moderne » est très sensible. On contemple, on détaille les images, les unes font rire, les autres feraient presque pleurer...
Mais ce n'est pas les enfants que j'invite aujourd'hui à se plonger dans toute cette collection assainissante, revigorante, salvatrice, c'est vous, Parents. Achetez donc à la Guilde internationale du Disque, Cercle du Bibliophile, 22, rue Cocherel, 27 Evreux, toute la Collection authentique, de rose devenue bleue, et faites une retraite, régalez-vous. Moi je vais m'efforcer maintenant d'exciter votre appétit, de déterminer votre résolution ; j'irai jusqu'à vous dire, en parlant du petit volume des *Malheurs de Sophie* ce que Musset disait du fablier de La Fontaine :
*Ouvrez-le sur votre oreiller*
*Vous verrez l'Aurore se lever...*
*Comme l'antique, il est nouveau.*
Mon attention, en vous conseillant ce bain de jouvence, comprenez-la bien. Vous allez mesurer *en deux temps* les vertus qu'on peut, qu'on doit cultiver dans les enfants *jusqu'à la sainteté.*
Le PREMIER TEMPS, ce sera, en effet, les livres vivants de cette éducation chrétienne de bon sens que la Comtesse de Ségur et quelques autres auteurs ont admirablement exprimée au siècle dernier, quand se développait un relèvement chrétien opposé à la voltairienne bourgeoisie Louis-Philipparde, aux années d'Ars, de Lourdes, de la Salette, de la Mère Sophie Barat, de Solesmes et des Buissonnets de Thérèse Martin.
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Mais les familles à tradition chrétienne étaient trop contemporaines de Bernadette, Mélanie, Thérèse, Dominique Savio, pour en ressentir directement l'influence. Elles appliquaient en éducation *un idéal raisonnable de piété équilibrée,* où des pointes d'héroïsme, cependant, dépassaient... C'est le « premier temps », celui qu'aujourd'hui, je veux vous faire goûter.
Et puis, un saint enfant de cette première époque, Beppo Sarto, est devenu saint Pie X. La révélation de la sainteté des enfants, de la sainteté par les enfants s'accomplit en lui. Il est infailliblement inspiré : *c'est l'Eucharistie* qu'il faut donner aux enfants avec l'exemple des saints de leur âge du siècle précédent. L'Eucharistie aux tout petits. La Croisade eucharistique. Alors fleurit dans les familles une sainteté, familière justement, d'un héroïsme simple et quotidien, avec ses merveilles : Lucie, François, Jacinthe de Fatima et ces fleurs de grâce et de sagesse comme Anne de Guigné et Louis Vargues, Roger Pallier, Angèle, Marguerite, etc., etc., tous Croisés d'Eucharistie, qui nous font atteindre 1917, 1928, 1935, 1948, 1950...
Enfin, c'est la troisième période, la nôtre, la Révolution, la croisade diabolique contre les enfants, arrachés à la Messe et à l'Eucharistie par l'hérésie, l'impureté et la profanation. Et notre mission à nous, à vous : former, forger des saints, dans le dur creuset de la persécution, faire étinceler la sainte Messe, la sainte Eucharistie, et par la sainteté, fortifier en pureté intelligente l'immuable nature humaine nourrie de grâces permanentes et nouvelles. Diriger fermement, malgré notre indignité, l'héroïsme latent aux cœurs des enfants dans la voie qui convient à nos cruelles années.
#### Sophie.
Dans une petite préface exquise, Mme la Comtesse de Ségur nous laisse voir que Sophie, c'est elle, et que « les Malheurs » sont une autobiographie d'enfance de l'aïeule.
« Grand'Mère, dit-elle, n'a pas toujours été bonne, et il y a bien des enfants qui ont été méchants comme elle et qui se sont corrigés comme elle. Voici des *histoires vraies* d'une petite fille que Grand'Mère a beaucoup connue dans son enfance :
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Elle était colère, elle est devenue douce,
elle était gourmande, elle est devenue sobre,
elle était menteuse, elle est devenue sincère,
elle était voleuse, elle est devenue honnête,
enfin elle était méchante, elle est devenue bonne.
Grand'Mère a tâché de faire de même. Faites comme elle, mes chers petits enfants, cela vous sera facile, à vous qui n'avez pas tous les défauts de Sophie. »
Peut-on plus clairement marquer un dessein pédagogique, en faire valoir la loyauté, et, d'une manière plus humble, l'utilité. Cette enfant supérieurement intelligente a su apprendre, dans sa propre éducation, les vrais principes et la bonne méthode. Nous y reviendrons, mais retenons déjà que l'éducateur apprend à élever dès son enfance, dans sa propre éducation. Corollaire l'enfant mal élevé est en puissance et en expérience un mauvais éducateur.
Donc, le traité de pédagogie intitulé « les Malheurs de Sophie » a une valeur d'authenticité remarquable. Il s'oppose à l' « Émile » de Jean-Jacques, avant tout par le réalisme. Ce n'est point une construction extravagante, gratuite, c'est une réussite vécue. Et ce livre que je dédie aujourd'hui aux grandes personnes, l'auteur l'a modestement *dédié aux enfants* pour leur plaire, et, par noble plaisir, leur apprendre patiemment le gouvernement chrétien de soi-même. Je dis « chrétien ». Je ne dis pas « pieux » et « surnaturel » avant tout. J'ai caractérisé la période. Mais c'est bien la morale du catéchisme, la référence à la foi par une autorité maternelle qui vient d'en haut et n'admet ni doute, ni hésitation, base indispensable pour une ferveur plus tendre, pour l'héroïsme des jeunes saints.
La Sainte Vierge interviendra Elle-même dans les foyers prédestinés du petit Jean Bosco, de Thérèse Martin, Dominique Savio, Lucie, Jacinthe, François. Aujourd'hui, nous constatons la solidité du terrain, la netteté des fondements. Exactement ce qui est d'abord et presque définitivement méconnu dans la famille contemporaine.
En effet, j'ai vu plusieurs fois des élans mystiques, des enthousiasmes religieux intenses autour de petits enfants qu'on me disait prédestinés par quelque grâce de choix, dont je ne discute pas l'authenticité, obtenue dans une maladie, un pèlerinage, une neuvaine. Mais je constatais tristement que ces sortes de faveurs s'accompagnaient de faiblesses et de complaisances sur les principes. Il est difficile, de nos jours, de gifler un prédestiné, de traiter d'égoïste et de menteur un petit enfant qui répète (sincèrement) en vous embrassant qu'il veut être le prêtre de Jésus.
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Erreurs graves sur les bases, romanesque dangereux. Surtout si l'appel divin est véritable. Il faudrait à ces mamans un stage chez Mme de Réan.
Voici donc notre Sophie, nature riche, comme on dit, d'intelligence, d'imagination, d'orgueil et de convoitises. Les passions germent dru dans son *cœur de trois ans.*
C'est exactement le sujet qui devient un monstre s'il n'est gouverné. Mme de Ségur ne travaille pas dans l'eau de rose. Cependant, Sophie est incroyablement jeune. Elle aura quatre ans à la page 100.
J'ai lu et entendu beaucoup de faits de cette époque. Ma grand-mère avait trois ans en 1848. Elle m'a souvent raconté qu'elle écoutait passionnément ce qui se disait des batailles de rues et que, grimpée sur une chaise, elle se haussait pour regarder derrière le matelas dont on avait garni la fenêtre par crainte de la mitraille. Son père l'y surprit et la fessée prit place dans ses souvenirs historiques.
Thérèse Martin écrit : « Depuis l'âge de trois ans, je n'ai rien refusé au bon Dieu. »
Impossible de ne pas songer à la petite Immaculée montant résolument les degrés du Temple de Jérusalem : trois ans, dit la Tradition. On sourit : c'est la Sainte Vierge. Mais la petite Thérèse ? Je ne parle pas ici de la sainteté en tant que telle, mais du développement de l'intelligence. Et pour en revenir à la méchante Sophie, je rappelle cette affirmation par le prédicateur d'une retraite de mon enfance, au sermon indispensable sur l'Enfer : « Une révélation, disait-il, apprit à un saint prêtre qu'une petite fille de quatre ans était en Enfer. » Mme de Réan ne craint point d'en menacer Sophie, sans aucune précaution.
Vous voyez bien que, d'emblée, vous entrez dans un monde oublié, où les petits enfants sont traités en humains responsables, dès l'âge de trois ans trois quarts.
En traitant nos petits enfants en *merveilles irresponsables,* nous utilisons deux moyens (« merveille » et « irresponsable ») d'abrutir leur intelligence, de fermer leur cœur, de durcir leur sensibilité.
\*\*\*
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Je crois que le péché principal de Sophie est *l'orgueil*. Toute son éducation sera une *remise en place* continuelle de sa petite personne en face du bon Dieu, du devoir, de l'autorité, de la nature des choses, et de la supériorité des enfants de son âge, plus humbles et plus vertueux qu'elle. L'humiliation, l'abaissement, *les leçons de la vie* lui viendront de toutes parts, le plus naturellement du monde.
C'est que Sophie, pour nourrir son orgueil, possède une imagination étonnante. Elle a « des idées ». Si petite, il lui semble qu'elle raisonne mieux que tout le monde, que ses inspirations, en dépit de tous les conseils, sont infaillibles, et que, si elle va au bout de son désir, chacun rendra hommage à son Idée du jour.
Ses malheurs, c'est l'histoire de ses Idées.
Tous les enfants intelligents et gais ont des idées... qui leur paraissent porteuses de bonheur, sources des plus doux plaisirs. Le devoir des enfants, c'est d'aller confier leurs idées à leur maman pour demander la permission de les exécuter. Il ne leur est pas demandé d'en découvrir par eux-mêmes les dangers et les illusions, mais de *croire sans raisonner* l'avis de maman, même s'il apparaît incompréhensible à leurs désirs trop ardents. Sophie ne croit qu'elle-même, tant que le malheur n'est pas arrivé. Devant le malheur, elle s'humilie et croit sa maman. Maman n'obéit point à Jean-Jacques qui dit de laisser Émile à ses « idées » sans un ordre, sans un conseil, jusqu'à ce que le *malheur seul* lui prouve, non sa faute, son péché, mais sa maladresse. Résultat : Émile ne fait pas un seul acte moral. Il expérimente *les choses* à ses dépens, non l'obéissance au devoir. A Sophie, le devoir est ordonné, la défense morale est faite, *indépendamment de toute expérience.* Elle passe outre, l'événement la punit, mais c'est la *désobéissance* qui apparaît grave et d'un autre ordre, bien supérieur à *la mésaventure.*
Par exemple, Sophie accompagne maman vers les maçons qui construisent un mur. Elle voit « le grand bassin à chaux tout plein ». Une idée germe : « Maman, pourquoi ne voulez-vous pas que j'aille voir les maçons sans vous ? » Et la suite... raisonneuse... : « Mais Maman !... » etc. « La maman l'interrompant : « Voyons, ne raisonne pas tant et tais-toi. Je ne veux pas que tu ailles dans la cour sans moi ! » Sophie baissa la tête et ne dit plus rien. »
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C'est à ce moment-là qu'elle commet *le péché :* attachement à l'idée, désobéissance consentie : « Elle prit un air maussade et se dit tout bas : J'irai tout de même, cela m'amuse et j'irai. » Netteté du péché, éblouissante pour les jeunes lecteurs. La suite est exquise. Une image montre Sophie posant, à l'insu des maçons, son petit pied sur le bassin de belle chaux vive bien blanche : « Comme cette chaux est blanche et jolie... Maman ne me laisse jamais approcher. Comme c'est uni... Comme ce doit être... je vais traverser... »
« Le pied enfonce, pour ne pas tomber, elle pose l'autre pied... elle enfonce jusqu'à mi-jambes...
Cris, bonne accourue, les souliers, les bas, les picotements, la fille qu'on emporte en larmes, maman qu'on rencontre, le tablier brûlé de la bonne...
« *Mademoiselle,* je devrais *vous* fouetter pour votre *désobéissance,* mais le bon Dieu vous a déjà punie par la frayeur que vous avez eue... » Un châtiment, par ce « Mademoiselle, vous... je devrais vous fouetter... ». Maman offensée qui marque froide distance, ne fait pas de sentiment, ne demande pas si « petite chérie, ça pique bien ? ». Un univers de dignité. Mademoiselle, je devrais vous... mais le bon Dieu... Cependant, l'expérience ne suffit pas. Pour que ce « malheur » de Sophie soit éducateur, Maman ajoute : « Vous n'aurez donc d'autre punition que de me donner, pour racheter un tablier neuf à votre bonne, la pièce de cinq francs que vous avez dans votre bourse et que vous gardez pour vous amuser à la fête du village. » -- Sophie *eût beau pleurer, demander grâce* pour sa pièce de cinq francs, la maman la lui prit... ». -- Il n'y a pas *une mièvrerie* dans tout le livre.
#### L'enivrement.
Les enfants se montent la tête et la perdent, en des errements qui peuvent aller loin. Les jeux non surveillés sont terrain d' « idées » à enivrements... Cette griserie aveugle est peinte dans Les Malheurs avec un « mouvement » digne de Balzac. C'est l'histoire barbare des petits poissons. L'occasion en est : un petit couteau, un peu de sel et la surveillance négligente de la bonne. Les animaux jouent un rôle important de victimes dans Les Malheurs. On ne tient pas assez compte de l'attrait qu'ont tous les enfants pour les bêtes. C'est aussi profitable que dangereux.
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L'animal attire, d'une part, la curiosité, la tendresse, les soins, les caresses, l'engouement des petits -- mais en même temps, leur « volonté de puissance » ([^63]). Après que le bambin a caressé, nourri le chat, le diable lui souffle que cet être *vivant* est à sa merci. Il suffit : le despotisme est en branle vers la cruauté...
Les titres de chapitre sont éloquents : les petits poissons, le poulet noir, l'abeille, l'écureuil, le chat et le bouvreuil, l'âne, la tortue.
« Sophie aimait les bêtes », assure l'auteur, et pourtant, toutes les histoires de bêtes finissent mal, parce que s'éveille dans la concupiscence une *idée de tyrannie.*
Généralisons : toute faiblesse inspire à l'enfant une « idée de tyrannie » et « libère » (pas besoin de Freud pour le comprendre) une volonté coupable de puissance. Devant les enfants, on peut être tendre, mais on doit *toujours être fort.* « *Cet âge est sans pitié. *»
\*\*\*
« Mme de Réan avait de petits poissons pas plus longs qu'une épingle et pas plus gros qu'un tuyau de plume de pigeon... » On nourrissait les petits poissons. Sophie les aimait beaucoup. Mais papa avait donné à Sophie un petit couteau d'écaille... Elle était tourmentée de couper, couper, avec son joli petit couteau.
Elle coupe amandes, pain, feuilles de salade et obtient du sel pour que la salade soit complète.
Mais, après ce jeu, il lui reste « beaucoup de sel ».
Sophie *n'a plus rien à couper et il lui reste beaucoup de sel.* L'idée fatale apparaît. Or, la bonne, au fond de la chambre, est absorbée dans son ouvrage. Toute l'horrible épopée se passera dans le silence extérieur et le bouillonnement de la cervelle enivrée. Je cite cette page d'anthologie : on admirera l'étonnante progression du drame, dans la pureté et la simplicité du style. C'est une campagne de Russie : un départ de folie, un massacre, la déroute sauve qui peut, la sinistre retraite...
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1 -- L'Idée
« Si j'avais quelque chose à saler, je ne peux pas saler du pain... Il me faudrait de la viande ou du poisson... »
« *Oh la bonne idée !* Je vais saler les petits poissons de maman : j'en couperai quelques-uns en tranches avec mon couteau, je salerai les autres tout entiers ; que ce sera amusant ! Quel joli plat cela fera ! »
2 -- Le crime
« Et voilà Sophie qui ne réfléchit pas que sa maman n'aura plus les jolis petits poissons qu'elle aime tant, que ces pauvres petits souffriront beaucoup d'être salés vivants ou d'être coupés en tranches. Sophie court dans le salon où étaient les petits poissons, elle s'approche de la cuvette, les pêche tous, les met dans une assiette de son ménage, retourne à sa petite table, prend quelques-uns de ces pauvres petits poissons, et les étend sur un plat. Mais les poissons qui ne se sentaient pas à l'aise hors de l'eau, remuaient et sautaient tant qu'ils pouvaient. Pour les faire tenir tranquilles, Sophie leur verse du sel sur le dos, sur la tête, sur la queue. En effet, ils restent immobiles : les pauvres petits étaient morts. Quand son assiette fut pleine, elle en prit d'autres et se mit à les couper en tranches. Au premier coup de couteau les malheureux poissons se tordaient en désespérés ; mais ils devenaient bientôt immobiles, parce qu'ils mouraient. »
3 -- La déroute
Sophie coupe et sale, sale et coupe, elle est grisée, elle ne sait ce qu'elle fait. Je connais un petit garçon qui s'étant enivré ainsi d'un joli couteau neuf coupait, coupait, tailladait, et pour finir, lui, très douillet, coupait d'une large estafilade son propre mollet : le sang coule. Sa sœur le voit, sanglote, va supplier la maman ; le coupeur dérouté, dégrisé, accuse la sœur. Maman fait justice, on enlève le couteau cause de folie...
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Soudain « Sophie *s'aperçut qu'elle tuait les poissons en les coupant en morceaux ;* (ce qui lui donne l'idée *de regarder* les poissons salés) *elle regarda avec inquiétude les poissons salés,* ne les voyant pas remuer... elle les examina et vit qu'ils étaient tous morts ». Alors, les yeux dessillés devant le désastre, c'est la déroute : « Sophie devint rouge comme une cerise. Que va dire maman ? se dit-elle. Que vais-je devenir, moi, *pauvre malheureuse ? *»
4 -- La sinistre retraite
Aucun repentir, Sophie n'a point alors de lumière morale. Sa conscience est endormie, d'où la piteuse retraite.
« *Comment faire pour cacher cela *?
« Sophie réfléchit un moment. Son visage s'éclaircit, elle avait trouvé un moyen excellent pour que sa maman ne s'aperçût de rien. Elle ramassa bien vite tous les poissons salés et coupés, les remit dans une petite assiette, sortit doucement de la chambre, et les reporta dans leur cuvette.
« Maman croira, dit-elle, qu'ils se sont battus, qu'ils se sont tous entre-déchirés et tués. Je vais essuyer mes assiettes, mon couteau, et ôter mon sel ; ma bonne n'a heureusement pas remarqué que j'avais été chercher les poissons ; elle est occupée de son ouvrage et ne pense pas à moi. »
Le mensonge, auxiliaire de tout péché ! Les malheurs de Sophie, à tous les chapitres, montrent que les enfants, dans leurs fautes, passent par un aveuglement, une cécité morale qui ne laisse visible que le dégât temporel et la nécessité toute matérielle de le cacher. Le mensonge : refuge.
De cette analyse si lumineuse d'une folie enfantine *coupable*, passons un instant à notre propre cœur. Reconnaissons loyalement les étapes de tout péché, depuis celui du Paradis terrestre : l'idée du plaisir -- la hâte de l'aberration -- la catastrophe temporelle -- le mensonge pour la dissimuler aux autres et à soi-même -- et, si l'on en reste là, l'état de péché peu à peu inconscient.
Je dis qu'un père et une mère qui, dans cet esprit humain-chrétien, méditent les malheurs de Sophie, font en psychologie et donc en *crédit* auprès de leurs enfants, en pénétration de leur conscience, des progrès qui les délivrent, sans qu'ils s'en doutent, de l'immoral fatalisme freudien, dont les quelques remarques justes sont des vols à la psychologie rationnelle, noyés dans le sensualisme révolutionnaire.
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Revenons aux pauvres enfants, en pleine déroute, les yeux ouverts sur la catastrophe. Autant ils ont été stupides dans la faute, autant ils deviennent ingénieux dans la dissimulation.
C'est pourquoi *il ne faut pas être absent* au moment où germe l'Idée et sa griserie. La bonne ne pensait pas à Sophie ! C'est qu'elle avait un ouvrage intéressant, et que Sophie *ne faisait point de bruit.* Je déplore, je l'ai dit, que, maintenant, on envoie jouer les enfants seuls, et qu'on ne s'inquiète que des cris, des chutes, des bosses et en général de la casse. Autrefois, c'était un véritable adage : « Plus de bruit, sottise commencée ! »
Ne croyons pas que le mensonge inventé par Sophie, si petite, fût trop naïf et facile à déjouer. Les dissimulations des enfants sont très ingénieuses ; y aident leur air de candeur naturelle, leurs protestations et, de nos jours surtout, le stupide préjugé qu'ils sont trop petits pour... bien incapables de... etc. Et pourtant, quel éducateur n'a pas connu ces situations où un bambin, par ses mensonges, met l'aréopage des juges dans un inextricable embarras ?
Sophie avait *un alibi.* La bonne témoignera qu'elle n'a pas bougé de sa chambre. Carence de la surveillance.
Je résiste au plaisir de vous citer la page inoubliable où Sophie entend, le nez dans un livre d'images, sa mère rentrer, les allées et venues, la voix qui interroge et qui gronde -- tempête dans son cœur -- La bonne, curieuse, va aux nouvelles. Rapport de la bonne : « Votre maman m'a demandé si vous aviez été dans le salon, j'ai heureusement pu lui répondre... -- « C'est singulier, a-t-elle dit, j'aurais parié que c'est Sophie qui a fait ce beau coup... » -- « Oh Madame, ai-je répondu, Sophie n'est pas capable d'avoir fait une chose si méchante. » etc. « Sophie ne disait rien, elle restait immobile et rouge, la tête baissée, les yeux pleins de larmes. Elle eut envie un instant d'avouer à sa bonne... mais le courage lui manqua... La bonne la voyant triste » multiplie les propos stupides : « Comme vous avez bon cœur !... les poissons s'ennuyaient dans la cuvette... ils ne souffrent plus... etc. ». C'est une bonne négligente et flatteuse qu'on renverra bientôt.
5 -- Le repentir
La maman a donc l'intuition que Sophie est la coupable. Mais l'intuition se heurte à l'alibi. L'aveu qui marquera le repentir ne peut jaillir que du *fond moral,* vivant dans le cœur de Sophie, de la *formation morale* de Sophie.
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Il faut donc réveiller l'intelligence par la suite logique de la situation. Si l'alibi est réel, il y a un autre coupable. Le mensonge officieux (pour éviter d'être puni) par sa logique, devient mensonge pernicieux (qui fait punir un innocent). C'est une déduction qu'il faut toujours faire en examen de conscience du mensonge devant les enfants.
Madame de Réan annonce donc à Sophie qu'en dehors d'elle, elle ne voit de coupable que « le domestique Simon, chargé de changer chaque jour l'eau et le sable de la cuvette et qui aura voulu se débarrasser de cet ennui... Aussi, je le renverrai demain ».
« Sophie *effrayée :* « Oh Maman, ce pauvre homme ! Que deviendra-t-il avec sa femme et ses enfants ? »
Si Sophie avait été élevée selon les principes de l'Émile, une telle réaction morale, chrétienne, selon la justice et la charité, n'aurait pas eu lieu...
Voir le fameux épisode « du ruban volé » dans les Confessions de Jean-Jacques... « le ruban me tenta, je le volai... on voulut savoir où je l'avais pris... je dis que c'est Marion qui me l'a donné... Marion, jolie... modeste, douce, bonne fille, sage et d'une fidélité à toute épreuve... je la charge effrontément... elle reste interdite, se tait, me jette un regard qui aurait désarmé les démons, et auquel mon cœur barbare résiste... etc. J'ignore ce que devint cette victime de ma calomnie, mais il n'y a pas d'apparence qu'elle ait, après cela, trouvé facilement à se placer... Souvenir cruel... reproche de mon crime... insomnie !... etc. » Malheureux Jean-Jacques, sentimental et perverti. -- Sophie est chrétienne ; l'ivresse du péché dissipée, sa conscience est éloquente, c'est un pécheur chrétien, dirait Péguy.
« Mais ce n'est pas lui, Maman ! je vous assure que ce n'est pas lui. »
Et Maman, partagée entre l'horreur de voir confirmer son intuition et l'incrédulité :
« Comment sais-tu que ce n'est pas lui... ? Dès demain je le ferai partir. » Sophie, pleurant et joignant les mains : Oh non, Maman, ne le faites pas. *C'est moi* qui ai pris les petits poissons et qui les ai tués. -- Toi ? quelle *folie...* Toi qui aimais tant ces petits poissons, tu ne les aurais pas fait souffrir et mourir ? Tu dis cela... »
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Et c'est le merveilleux réquisitoire de Sophie contre Sophie, éclairée sur elle-même. Le moment où il faut que l'éducateur écoute le pécheur, qu'il soit confesseur, ou papa ou maman, ou maître. Moment où il contemple la grâce de pénitence illuminant les profondeurs de la malice humaine. Ces moments-là font pleurer de joie ; le juge chrétien admire la lumière de Dieu dans l'âme et s'humilie intérieurement avec le petit pécheur.
Quelle analyse :
« Non, Maman, je vous assure que c'est moi -- oui c'est moi, je ne voulais pas les tuer, je voulais seulement les saler, et je croyais que le sel ne leur ferait pas de mal. Je ne croyais pas non plus que de les couper leur fit mal, parce qu'ils ne criaient pas. Mais, quand je les ai vus morts, je les ai reportés dans leur cuvette, sans que ma bonne, qui travaillait, m'ait vu sortir ni rentrer. »
Vraiment, les enfants sont inconnus, il faut qu'à la lumière de Dieu, ils s'expliquent eux-mêmes pour que nous sachions dans quelle misère leur faiblesse malicieuse les peut conduire.
« Madame de Réan resta quelques instants si étonnée » (« je croyais que le sel... je ne croyais pas non plus que de les couper... parce qu'ils ne criaient pas ! »), -- si étonnée fut la maman *qu'elle ne répondit pas.* Elle pense, elle plonge dans le mystère de l'éducation, elle mesure la faute, le « ils ne savent pas ce qu'ils font » et *la réparation* sans défaut de l'aveu absolu.
« Sophie leva timidement les yeux, *et vit ceux de sa mère fixés sur elle,* mais sans colère, ni sévérité...
« Sophie, dit *enfin* Madame de Réan, si je l'avais appris par hasard, je veux dire *par la permission de Dieu* qui punit toujours les méchants je t'aurais punie *sans pitié... *»
Quand l'enfant n'est pas formé chrétiennement et que son cœur s'est durci comme celui de Jean-Jacques, il reste à lui inspirer la terreur d'un châtiment *sans pitié* par une *fonction policière* de découverte que Dieu inspire. Pas de rééducation sans police.
Pour Sophie, il faut seulement recueillir les lumières et les mettre en relief :
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« Mais le bon sentiment (expression bien faible, Madame de Ségur !) qui t'a fait avouer... te vaudra ton pardon... tu sens combien tu as été *cruelle* pour ces pauvres petits poissons *en ne réfléchissant pas* d'abord que le sel devait les tuer, ensuite qu'il est impossible de *couper et de tuer n'importe quelle bête sans qu'elle souffre. *»
Pauvre vérité qui vous maudit, vivisecteurs !
\*\*\*
Je laisse aller vos méditations tout le long de ce livre excellent. Peut-être aurai-je eu le bonheur de vous en donner le goût. Allez, parents, humblement votre chemin, dans le bon sens, le long « des idées » et des malheurs de Sophie.
Arrêtez-vous à l'image prodigieuse de la page 53 où l'art délicieux de Castelli a placé la « coquette » Sophie : « Sophie était coquette, elle aimait à être bien mise et à être trouvée jolie. Et pourtant, elle n'était pas jolie », dit Sophaletta Rostopchine les yeux fixés sur son miroir et sur ses propres portraits d'enfant : « elle avait une bonne grosse figure bien fraîche, bien gaie, avec de très beaux yeux gris, un nez en l'air et un peu gros, une bouche grande et toujours prête à rire, des cheveux blonds, pas frisés, et coupés court, comme ceux d'un garçon »... Balzac, vous ne faites pas mieux en donnant à David Séchard votre grosse tête et vos beaux yeux dorés.
Donc Castelli a gravé notre coquette dans l'enivrement de sa nouvelle idée, sous la gouttière, pendant l'orage, pour faire friser les rebelles cheveux blonds. Cette image mérite l'amour des lecteurs : la grosse gouttière, près du toit, qui gicle en rayons sur le sommet de la tête ronde, cheveux renversés, soumis au brutal traitement de beauté ; les deux pieds sur le bord du caniveau d'écoulement, les deux bras raidis sur la robe un peu retroussée, dans une conviction qui mesure la violence d'une idée, parmi les éléments déchaînés ; on aperçoit, au second plan, une ombre cachée sous parapluie qui fuit l'averse... ombre du banal instinct de conservation. Seul, un petit cocker (race qui, comme chacun sait, n'a pas besoin de vouloir friser pour aimer les douches) tombe en arrêt devant la victime volontaire.
Et l'autre image ! *celle de l'humiliation,* page 57 ([^64]), en deux parties : à droite, Maman en grande toilette, Papa tiré à quatre épingles et le cousin Paul, trois figures égayées pour l'accablement du petit corps trempé, à gauche, en face, cheveux ébouriffés et vêtements collés.
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Regardez-la bien, cette deuxième image, vous qui êtes persuadé qu'il ne faut jamais *humilier* un enfant en public... et aussi l'image du chapitre suivant (p. 66) avec les têtes cocasses des domestiques qui se gaussent de la figure aux sourcils coupés de Mamzelle Sophie (nouvelle idée !). Attention ! Si l'humiliation fait chaque fois grand bien à Sophie, c'est que son cœur, en dépit de ses sottises, est *formé à l'humilité* par l'examen de conscience chrétien, parce qu'elle n'a d'autre mouvement intérieur, au sein de ses malheurs, que cette disposition de bon sens chrétien : « C'est bien fait, je paie ! » La flatterie et l'arbitraire, l'aveugle colère, les compliments du monde n'ont pas touché son cœur. Hélas, le vrai malheur atteindra Sophie quand elle perdra son excellente Maman pour une marâtre imbécile. Elle connaîtra alors la révolte, la contestation et même la rage. (Voir « Les petites filles modèles ».)
La leçon est aisée à tirer. Un enfant chrétiennement élevé, dans une charité ferme, connaît la honte salutaire et, s'il faut la lui mesurer, il ne faut jamais l'en préserver complètement.
\*\*\*
Dans une analyse sérieuse de ce traité d'éducation, je devrais parler de Paul, le compagnon ordinaire des jeux, des idées et des malheurs de l'imaginative Sophie. Paul est un enfant d'élite, étourdi, railleur, taquin, mais un petit héros cornélien d'honneur et de bon sens. Je parlerai donc de lui en même temps que des très naturelles, très édifiantes et très charmantes « petites filles modèles » : car nous allons vers les sommets des enfants et bientôt à leur sainteté... C'est pour la prochaine fois.
\*\*\*
Mais pour vous inciter à méditer ce premier et fondamental chef-d'œuvre, je termine par le plus profond chapitre, le plus chrétien et presque le plus mystérieux. Et il y faudra bien parler un peu de Paul. *Les fruits confits...* Voici donc que vient de Paris par la diligence et par un commissionnaire, un gros colis de « fruits confits et de pâtes d'abricots ». C'est écrit sur le paquet, Sophie est très excitée... « Mais les enfants furent tout attrapés quand ils virent Madame de Réan poser le paquet sur la table et retourner à son bureau pour écrire. »
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Éducatrice.
« Demande à Maman de l'ouvrir, dit tout bas Sophie à Paul.
« -- Je n'ose pas », répond le bon sens de Paul, « *ma Tante n'aime pas qu'on soit impatient et curieux. *»
Mais, l'incorrigible Sophie :
« Demande-lui si elle veut que nous lui épargnions la peine... etc. »
Oh rouerie féminine !
La Maman :
« J'entends très bien ce que *vous* dites, Sophie, c'est très mal de faire la fausse... quand c'est par curiosité et par gourmandise que... Si *tu* m'avais dit franchement : Maman j'ai envie... je t'aurais permis. Maintenant, je te défends... »
C'est Paul qui tirera, loin du salon, la sage conclusion de cette première étape :
« Voilà ce que c'est que d'avoir voulu *faire des finesses...* Tu fais toujours comme cela et tu sais que ma Tante déteste les faussetés. »
A cette remarque d'or, Sophie éclate de colère :
« Tu veux toujours faire le sage et tu ne fais que des bêtises ! »
Et le clairvoyant taquin :
« Je ne fais pas de bêtises ; ensuite je ne fais pas le sage. Tu dis cela, *parce que tu es furieuse* de ne pas avoir les fruits confits ».
Psychologie spontanée de l'enfant qui ne ment jamais, comme c'est le cas de Paul : une lucidité que notre mièvre temps appellerait « peu charitable », et je connais des pseudo-éducateurs qui feraient taire Paul en l'honneur de la menteuse gourmande, et qui éteindraient peu à peu cette droiture cornélienne (j'y reviens) de jugement.
Silence, bouderie. Cependant Paul n'en veut plus à Sophie. Il sait que c'est à lui de rompre la brouille. En garçon avisé, sans plus gratter l'amour-propre de sa cousine, il se balance exprès de sa chaise, et tombe exprès par terre.
« Tu t'es fait mal, pauvre Paul, lui dit Sophie.
« Au contraire, répond Paul... puisqu'en tombant, j'ai fait finir notre querelle. »
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Voilà Sophie émue, réconciliée. On s'entend, on joue, puis, après le dîner, enfin, Maman ouvre le fameux paquet : douze boîtes de fruits confits. Dans la première boîte, chacun en prendra deux à son choix. Suivons bien, désormais, la passion, tourment de Sophie. Elle hésite, évalue les plus gros : abricot et poire. Maman referme la boîte et la place dans sa chambre sur le dernier rayon d'une étagère... et puis part en visite...
Les enfants jouent devant la maison. Mais Sophie est obsédée par les fruits confits :
« *Je suis fâchée,* dit-elle, de n'avoir pas pris d'angélique, ni de prune (envieuse ! c'est ce qu'avait pris Paul), ce doit être très bon.
« Oui, c'est très bon, dit Paul, tu en prendras demain. N'y pense plus », ajoute le perspicace psychologue, « *crois-moi,* et jouons. »
Le jeu consiste à remplir d'eau un bassin fait de leurs mains. La terre boit, il faut en remettre toujours. Paul glisse, renverse l'arrosoir, doit aller se changer. Voilà Sophie toute seule, le diable avec elle. Et voilà Mme de Ségur dans un souvenir qui a marqué ses quatre ans. L'accent d'authenticité en est saisissant. C'est le début d'un grand événement moral : « Sophie resta près du bassin, *tapotant l'eau avec sa petite pelle,* mais ne pensant ni à l'eau, ni à la pelle, ni à Paul. Hélas, Sophie pensait aux fruits confits. » La tentation était là. Ah, comme les enfants sont captivés quand la lectrice en arrive à ce fatal moment, ce fatal moment humain ! « Elle pensait à l'angélique, aux prunes, elle regrettait de ne pas pouvoir en manger encore, de n'avoir pas goûté à tout. Demain, pensait-elle, maman m'en donnera encore, je n'aurai pas le temps de bien choisir... ». L'idée, nourrie de gourmandise, se lève comme une flamme. « Si je pouvais les regarder d'avance, je remarquerais ceux que je prendrais demain... » Le mouvement d'ivresse est né, rien ne l'arrêtera. Mais il est comme retenu, mesuré, dans ses premiers temps. « *Je ne veux que regarder* pour choisir »... jusqu'à ce que la vue entraîne le goût et fasse tout perdre. Sophie est d'une nature *dont les appétits sont puissants et tenaces.* « Quand elle voyait quelque chose qui lui faisait envie, elle demandait, redemandait... Si sa Maman, toujours refusant, la renvoyait, elle y pensait toujours et répétait :
« Comment *faire pour avoir ce que je veux ? j'en ai envie,* il faut que je tâche de l'avoir. » (chap. XVIII : la boîte à ouvrage, p. 173) De là viendra, pour aujourd'hui, notre conclusion générale.
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Revenons à notre Sophie seule avec l'image lancinante des fruits confits et le démon :
« Si je pouvais les regarder d'avance, je remarquerais ceux que je prendrais demain... *Et pourquoi ne pourrais-je pas les regarder ? *»
Comprenez-vous que lorsque la CURIOSITÉ, la CONVOITISE est ainsi allumée dans un enfant, LE PIRE DES PROCÉDÉS EST DE LA SATISFAIRE, soit en le fournissant de friandises, soit en le fournissant d'explications embarrassées à partir des graines de platanes ou de haricot. Méconnaissance complète de l'ascèse et de la concupiscence. Légitimer la gourmandise, ou la sensualité, c'est mettre les âmes dans le feu. Que faire alors ? dites-vous. Prenez patience. Pénétrez-vous de ce premier manuel de gouvernement que je vous propose aujourd'hui. *Pour diriger le cœur des enfants, il faut le recueillement d'une méditation quotidienne.* L'improvisation est catastrophique.
« Voilà Sophie, bien contente de son idée (le péché du plaisir est précédé d'exaltation).
« Voilà Sophie... qui court à la chambre de sa maman et qui cherche à atteindre la boîte... ne peut... pense au fauteuil... le pousse, grimpe dessus, atteint la boîte, l'ouvre et regarde avec envie les beaux fruits confits. Lequel prendrai-je *demain ?* dit-elle. Elle ne peut se décider, c'est tantôt l'un et tantôt l'autre. Le temps passait pourtant, Paul allait bientôt revenir... »
Vous admirez la fluidité exquise de style si simple, qui suit le mouvement même de l'âme... je n'ose plus dire de l'âme enfantine, tant c'est l'âme humaine de tous les âges.
Le diable a fourni à Sophie *un passeport légitime* au péché. Elle ne veut, croit-elle, que regarder, se *renseigner pour plus tard,* au cas où... pour être plus à même de... En plein péché où elle est maintenant, l'illusion de son « intention » l'aveugle encore.
« Que dirait-il (Paul) s'il me voyait ici ? *Il croirait que je vole* les fruits confits, et *pourtant, je ne fais que les regarder... *»
Et c'est la débâcle... dans ce mouvement de désagrégation de la conscience auquel les enfants assistent, palpitants, parce qu'ils s'y reconnaissent acteurs, victimes, roulés par l'esprit mauvais. Même s'ils rient, c'est en témoignage que c'est trop vrai.
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« J'ai une bonne idée : si je grignotais *un tout petit morceau* de chaque fruit, je *saurais le goût* qu'ils ont tous, je saurais quel est le meilleur, et personne ne verrait rien, parce que j'en mordrais si peu que cela ne paraîtrait pas. » (page 131)
« Et Sophie mordille un morceau d'angélique, puis un abricot, puis une prune, puis une noix, puis une poire, puis du cédrat, mais elle ne se décide pas plus qu'avant.
« Il faut recommencer, dit-elle.
« Elle recommence à grignoter, et recommence tant de fois qu'il ne reste presque plus rien dans la boîte. Elle s'en aperçoit enfin : la frayeur la prend. »
Scherzo classique de la troisième partie : la naïve déroute, sans alibi, sans chance, cette fois. Panique plutôt que retraite.
« Mon Dieu, mon Dieu ! qu'ai-je fait ? dit-elle. Je ne voulais qu'y goûter, et j'ai presque tout mangé. Maman va s'en apercevoir dès qu'elle ouvrira la boîte ; elle devinera que c'est moi. Que faire, que faire ? Je pourrais bien dire que ce n'est pas moi ; mais maman ne me croira pas... Si je disais que ce sont les souris ? Précisément, j'en ai vu une courir ce matin dans le corridor. Je le dirai à maman ; seulement je dirai que c'était un rat, parce qu'un rat est plus gros qu'une souris, et qu'il mange plus, et, comme j'ai mangé presque tout, il vaut mieux que ce soit un rat qu'une souris. Sophie, enchantée de son esprit, ferme la boîte, la remet à sa place et descend du fauteuil. Elle retourne au jardin en courant, à peine avait-elle eu le temps de prendre sa pelle, que Paul revint. »
Présence de Paul, comme on dit, après présence de Satan. Le bassin est vide.
« Donne-moi ta pelle... Ta pelle est toute poissée, elle colle aux doigts. Qu'est-ce que tu as mis dessus ? »
« Rien », répond la pécheresse, « rien, je ne sais pas pourquoi elle colle. » Et Sophie court plonger ses mains dans l'arrosoir. Étonnement de Paul. Les yeux de Paul :
« Quel drôle d'air tu as... *On dirait que tu as fait quelque chose de mal. *»
Sophie troublée, furieuse.
Paul : « Comme tu te fâches !... »
Lucidité enfantine de Paul : transparence rationnelle de l'âme à souhaiter à tant de parents distraits !
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C'est, à mon avis, du livre, l'épisode majeur. La solution en sera prise d'en Haut, surnaturelle, par une grâce de choix, cependant toute simple pour qui sait le racinement de la foi dans un cœur d'enfant chrétien.
Sophie s'endort sur son péché. Et elle eut un rêve que nos gens d'aujourd'hui appelleraient mystique et que je définirai positivement : grâce actuelle de la bonté divine quand l'âme sait bien son catéchisme. Elle vit un jardin riant, plein de fleurs et de fruits merveilleux où, malgré son ange gardien, elle entra pour voir qu'en effet, les fleurs et les fruits de belle apparence étaient empoisonnés. L'ange, un ange énergique, aux muscles solides, l'attend à la porte, car il faut qu'elle renonce librement aux charmes trompeurs du mauvais jardin, enfin, elle consent et, d'une poigne ferme, l'ange l'entraîne au chemin escarpé, âpre, montant, rocheux, qui conduit au Ciel.
« Les premiers pas lui parurent difficiles, mais plus elle avançait, plus le chemin devenait doux... »
Mme de Ségur se plaît à décrire en détail l'une et l'autre démarche, parce qu'elle connaît les enfants et qu'elle sait que ces descriptions ne leur paraissent jamais longues.
\*\*\*
Sophie, au réveil, est tellement frappée, qu'elle court chez sa maman, lui raconter son rêve et lui en demander l'explication. Tellement frappée, dit la connaisseuse de l'enfance, qu'elle en a oublié les fruits confits.
Mais maman y pense.
Elle explique : *Il faut, le bon Dieu le veut,* prendre le chemin raboteux où *l'on se prive* des choses agréables *qui sont défendues,* sinon *c'est l'Enfer.* Mais le chemin dur devient plus doux à mesure qu'on marche, c'est-à-dire *qu'à force* d'être obéissant, doux, bon, on s'y habitue tellement que cela ne coûte plus d'obéir, « *de ne pas se laisser aller à toutes ses volontés *»*.*
Mme de Réan fera notre conclusion. Mais, avec elle, délivrons Sophie de ses remords réveillés :
« Tu as quelque chose à avouer, Sophie... »
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« D'une voix tremblante... Sophie avoua à sa maman... » Elle dit aussi l'invention du rat. Et maman lui demanda si les rats poussaient les fauteuils, ouvraient et fermaient les boîtes... Elle lui montra l'avantage d'un aveu bien complet. Et ainsi, ne la fouetta pas. Elle ne lui infligea « d'autre punition que de ne pas manger de fruits confits tant qu'ils dureront ». Et il y en avait encore onze boîtes ! Mais la tentation était partie, restait le goût du repentir et de la pénitence.
Sophie raconta tout, faute et aveu, à Paul qui lui vit les yeux rouges. Et ce futur conquérant des âmes « loua beaucoup Sophie d'avoir tout avoué à sa maman. Comment as-tu eu ce courage ? demanda ce charitable et intelligent témoin. Alors, Sophie lui raconta son rêve, et comment sa maman le lui avait expliqué. Depuis ce jour Paul et Sophie parlèrent souvent de ce rêve, qui les aida à être obéissants et bons. »
\*\*\*
*Haurietis aquas in fontibus Salvatoris *: Puisez aux sources du Sauveur. On peut mener une âme d'enfant plus surnaturellement que l'autorité ne le fait dans les Malheurs de Sophie. Sans doute, Mme de Réan puise aux sources du Sauveur, pas autant dans la Croix, le sacrifice, la Sainte Vierge, la Communion, la Messe qu'il est possible et urgent de le faire.
Mais beaucoup de parents pieux puisent très haut et négligent la base sans laquelle la plus haute piété n'est que vaine illusion. En effet, la piété doit inspirer avant tout *l'horreur du péché* et donc *la maîtrise du corps.*
Sans cette méfiance prudente de la chair, toutes les initiations, les édulcorées et les crues, apporteront également *le feu.* Nous n'avons fait qu'entamer notre ouvrage. Il nous faut, la prochaine fois, étudier la VERTU OBLIGATOIRE et la SAINTETÉ POSSIBLE des enfants.
Mais, direz-vous, et si, en classe, on les livre à l'horrible cours de sexualité ? Alors, écoutez-moi, et voyez bien le dilemme :
Si on vous disait qu'au restaurant où vous envoyez vos enfants, il y a un cuisinier empoisonneur qui, un jour, mettra du cyanure dans la purée : que feriez-vous immédiatement ? *Vous trouveriez bien le moyen de le nourrir chez vous !*
Et il est écrit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, craignez plutôt... »
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Si vous savez qu'il y a un risque, vous êtes responsable de *l'irréparable.* Je pourrai vous dire et je vous dirai comment *un enfant* peut se protéger de camarades impurs : mais non pas d'un cours « magistral ».
Mieux vaut sa mort, et pour lui, et pour vous.
Luce Quenette.
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### La tenue de sacre de saint Louis IX roi de France
*son arrière-plan symbolique\
et la "renovatio regni Juda"*
par Hervé Pinoteau
Hervé PINOTEAU est né à Paris en 1927. Il est secrétaire général de l'Académie internationale d'héraldique et il s'est spécialisé dans la symbolique d'État. En novembre 1970, il a publié dans le numéro 147 d'itinéraires une importante étude sur la bulle « Dei Filius » (21 octobre 1239) avec la première traduction française intégrale qui en ait jamais été établie. Il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages parmi lesquels :
-- L'héraldique capétienne.
-- L'héraldique de saint Louis et de ses compagnons.
-- Monarchie et avenir.
Il a réédité le Livre du sacre de Napoléon I^er^ et a collaboré aux deux in-fos du Sang de Louis XIV.
*Ce qui suit est la base d'un exposé fait le mercredi 19 mai 1971 à l'École pratique des hautes études, IV^e^, section* (*sciences historiques et philologiques*)*, devant M. Alain Erlande-Brandenburg, chargé de conférences sur l'archéologie du Moyen Age, ses élèves et des amis.*
#### I
La France de 1970 a pris de l'intérêt pour le roi mort il y a sept siècles et c'est ici une contribution tardive à l'*année saint Louis*. Contribution « insigniologique » donc peu habituelle à des Français... Je ne veux pas hésiter à dire tout de suite qu'il est très difficile de se représenter le roi le jour de son sacre. Ayant parlé de cette question à un éminent « ludovicien » il y a déjà quelques années, j'ai eu quelques peines à susciter en lui quelques doutes sur sa science, car il était fermement assuré qu'il suffisait de regarder le sceau de majesté pour voir le roi dans la cathédrale de Reims !
121:162
Je tiens quant à moi, à enlever les illusions, les idées toutes faites et à ne laisser aucune quiétude dans les esprits.
Le roi fut donc sacré et couronné à l'âge de 12 ans 7 mois et 4 jours, le premier dimanche de l'avent, 29 novembre 1226 en la cathédrale Sainte-Marie de Reims et ce par Jacques de Bazoches, évêque de Soissons, comme premier suffragant du siège de saint Remi alors vacant.
On ne sait pas grand-chose sur la cérémonie. Blanche de Castille y fut évidemment et beaucoup de grands manquèrent à l'appel : Thibaud IV, comte de Champagne, avait même été chassé de Reims par les gens du roi ! On pouvait cependant compter parmi les présents : Gautier, archevêque de Sens, les évêques de Soissons et Senlis, l'oncle du roi, Philippe. Hurepel, comte de Boulogne, Robert III, comte de Dreux, Jean son fils aîné, Gautier d'Avesnes, comte de Blois, Enguerrand III le Grand, sire de Coucy, et deux de ses frères, Henri II, comte de Bar (le Duc), le tout jeune Hugues IV, duc de Bourgogne (13 ans, put-il agir ce jour-là au sacre comme le veut l'ordo ?), le prestigieux croisé qu'était Jean de Brienne, roi détrôné de Jérusalem et neveu de la reine Blanche par sa femme ([^65]).
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Dessin de Claude Le Gallo ([^66])
S. Louis est figuré dans les trois tenues successives qu'il dût porter le jour de ses sacre et couronnement à Reims le 29 novembre 1226, trois semaines après la mort inopinée de son père Louis VIII en Auvergne (8 novembre). Il a donc 12 ans et 7 mois.
*A gauche :* le petit roi porte une chemise largement fendue devant et dans le dos, ainsi qu'une tunique ou camisole de satin rouge, mise par-dessus et tout aussi fendue ; si la chevalerie lui fut conférée à Reims (ce qui n'est pas certain), il dût recevoir les bottines de couleur hyacinthe et tissées de fleurs de lis d'or, des éperons rapidement enlevés et la fameuse épée « Joyeuse » ou « de Charlemagne ».
*Au milieu :* saint Louis débarrassé des éperons et surtout de l'épée porte maintenant sur sa camisole rouge une tunique de couleur hyacinthe, tissée de fleurs de lis d'or ; il est à vrai dire à genoux quand on lui passe ces vêtements et les insignes du pouvoir.
*A droite :* sur sa tunique, le roi porte le manteau hyacinthe tissé de fleurs de lis d'or, sans doute agrafé sur l'épaule droite et dont l'un des plans possibles est figuré au-dessus ; le long sceptre dans la main droite n'a qu'une terminaison hypothétique ; le petit sceptre sommé d'une main (la future main de justice) est pris dans la main gauche ; la couronne fleurdelisée à tiare ou coiffe conique, est celle qui sera dite « de Charlemagne » et elle fut faite par Philippe II Auguste, grand-père de saint Louis.
La reconstitution a été faite sur les bases suivantes : le roi avait dans les 1,45 m (?), l'épée devait avoir comme de nos jours 1 m de long ; il est probable que le sceptre avait 6 pieds soit 1,95 m et que le sceptre à la main avait bien la coudée annoncée par *l'ordo,* soit 0,50 m, la main elle-même n'ayant que dans les 0,04 m de haut.
On s'est inspiré du sceau de majesté pour les bordures fleurdelisées des tunique et manteau, ainsi que pour le sommet du sceptre.
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Dans l'assistance on pouvait distinguer la dame de Beaujeu (sans doute Sybille de Hainaut, veuve de Guichard III), Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut de son propre droit (dont l'époux, Ferrand de Portugal, était à même d'apprécier les geôles royales depuis Bouvines), Agnès de Beaujeu, enfin, comtesse de Champagne comme épouse de Thibaud IV et fille de Sybille de Hainaut : donc, les proches parents du roi, issu des Hainaut par l'épouse de Philippe II Auguste ([^67]).
Le poète tournaisien contemporain Phelipes Mouskés nous a laissé du sacre la seule anecdote d'intérêt : selon lui, les comtesses de Champagne et de Flandres eurent en fin de cérémonie une contestation pour savoir qui porterait l'épée royale, car elles prétendaient avoir chacune ce droit au nom de leur époux. Pour apaiser les esprits, c'est « li quens de Boulogne Felipres » Hurepel qui reçut (visiblement d'ordre de Blanche de Castille) l'épée qu'il avait déjà portée au sacre de Louis VIII et de Blanche. Cet épisode qui n'a l'air de rien, corrobore le fait qu'il pouvait y avoir un droit pour le port de l'épée royale, port qui apparaît au sacre de Philippe II Auguste en 1179 ([^68]).
Il est aussi curieux de constater que la discussion entre ces dames arriva à la fin de la messe, ce qui veut dire que l'épée n'avait pas été portée avant ce moment-là, or, c'est assez stupéfiant, puisque le texte de l'*ordo* montre que le roi est fait chevalier avant le sacre et que les éperons et l'épée ne sont portés qu'un moment ; les éperons sont visiblement remis sur l'autel, alors que l'épée est remise au sénéchal, ou à celui qui le remplace, cette charge ayant été supprimée par Philippe II Auguste (et d'ailleurs sous ce roi, ce n'est pas le sénéchal qui porta l'épée). On en vient à se demander si saint Louis fut investi des éperons et de l'épée en une cérémonie de chevalerie au sacre, alors qu'il venait d'être fait chevalier à Soissons quelques jours avant, à une date imprécise ([^69]).
125:162
L'épée faisant partie des insignes de Saint-Denis serait donc restée posée sur l'autel durant la cérémonie et c'est au moment de la procession finale, en retournant vers le palais pour le festin, que ces dames auraient soulevé le problème de l'attribution de cet insigne ([^70]).
Ce manque de précisions nous laisse entendre qu'il ne se passa rien d'extraordinaire et c'est alors que l'on peut penser qu'on appliqua au mieux l'*ordo* prévu pour ce genre de cérémonie.
L'ennuyeux est qu'il y a deux textes possibles, mais ils sont assez semblables.
1\) Le premier *ordo* est dit maintenant de « vers 1200 » et il existé en un seul manuscrit, le latin 1246 de la B.N., ex-Regius 4464. Or ce manuscrit illustré de très libre façon (les peintures ne correspondant que de loin au texte !) est aux derniers renseignements du milieu de ce siècle. Il a été publié par les Godefroy ([^71]) et Edmond Martène ([^72]).
126:162
On l'a montré dans diverses expositions ([^73]) et il fut commenté par de nombreux auteurs ; je ne cite ici que le chanoine Victor Leroquais ([^74]), Jean de Pange ([^75]), Percy-Ernst Schramm ([^76]) et Marcel David ([^77]).
127:162
Ce qui rend le manuscrit particulièrement intéressant sont ses quinze peintures représentant trente scènes du sacre et il est curieux de constater que ce texte en quelque sorte révolutionnaire dans les *ordines* français est accompagné d'un ensemble de représentations qui feront école sous Charles IV, Charles V et jusqu'à Charles X ([^78])*.*
2\) Le second *ordo* est dit « de Reims » ou de « vers 1270 ». Il est simplifié par rapport au précédent et diverses considérations laissent entendre qu'il reflète les idées de la cour de saint Louis : c'est ainsi qu'il aurait pu servir au sacre de son fils Philippe III le Hardi en 1271. Le seul manuscrit le contenant est de 1274 et il se trouve à la Bibliothèque municipale de Reims sous le n° 326, aux folios 70 v°-73. Il a été publié par le chanoine Ulysse Chevalier ([^79]) et H. Schreuer ([^80]). Une traduction française en fut donnée à la fin du XIII^e^ siècle ([^81]).
On trouvera des commentaires dans les ouvrages de Schramm ([^82]), de David ([^83]), etc. Notons pour terminer que Henry-Gerald Richardson pense que cet ordo est en fin de compte antérieur à 1215 ([^84])
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Pour moi, le premier *ordo* aurait été composé par un moine de Saint-Denis qui aurait vu le sacre de 1179*,* le premier de Philippe II Auguste ou qui aurait mis en ordre tous les éléments qui s'étaient juxtaposés autour de cette cérémonie l'apport des insignes par l'abbé (et c'est le premier *ordo* à décrire de façon assez précise les « regalia »), le port de l'épée par celui qui faisait fonction de sénéchal (fonction qui venait de disparaître sans qu'il y ait eu d'acte spécial du roi à cet effet, ce qui pouvait laisser entendre qu'il y en aurait d'autres) ([^85]), etc. Quant au second *ordo,* il aurait été mis au point à Reims à une époque imprécise, entre 1215 et 1274 ([^86]).
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Nous n'avons plus maintenant qu'à comparer les deux textes au sujet des objets apportés par l'abbé de Saint-Denis dans la cathédrale de Reims ([^87]).
1\) « Postmodum positis super altare corona regia, gladio in vagina incluso, calcaribus aureis, sceptro deaurato, & virga ad mensuram unius cubiti vel amplius, habente desuper manum eburneam.
130:162
Item caligis sericis, & iacintinis, intextis per totum liliis aureis, & tunica eiusdem coloris, & operis, in modum tunicalis quo induuntur subdiaconi ad missam, nec non & socco prorsus eiusdem coloris, & operis, qui est factus fere in modum cappae sericae absque caparone. Quae omnia abbas Sancti Dionysii in Francia de monasterio suo debet Remis apportare, & stans ad altare custodire. » Le roi se tient lui aussi un moment debout devant l'autel et « deponit vestes suas praeter tunicam sericam bene profunde apertam ante in pectore, & retro in dorso, videlicet inter scapulas, aperturis tunicae sibi inuicem connexis ansulis argenteis » ([^88]). Le grand chambrier de France commence par lui mettre les chaussures. Le duc de Bourgogne lui met et lui enlève les éperons d'or. L'archevêque lui donne l'épée qui est ensuite donnée au sénéchal. Les onctions sont faites sur la tête (le front), sur la poitrine, entre les épaules, sur les épaules, aux jointures des bras ; les ouvertures de la tunique sont refermées, le chambrier de France met au roi « *tunica iacintina, & desuper soccus, ita quod dextram manum habet liberam in apertura socci. Et super sinistram soccum eleuatur sicut eleuatur casula sacerdotis *» ([^89]).
L'archevêque donne ensuite au roi le sceptre dans sa dextre, la verge dans sa senestre et avec l'aide des pairs de France, il lui pose sur la tête la couronne. L'ordo qui est un ensemble de textes mal raboutés, continue par les prières pour l'épée, puis par les lignes : « *Accinctus autem ense similiter ab illis armillas & pallium accipiat, & annulum dicente metropolitano *» qui est suivi de la prière de l'anneau ([^90]). On constatera que l'anneau, signe de la foi catholique, n'est pas apporté de Saint-Denis, ce qui sera une habitude conservée jusqu'à Louis XVI. Suivent ensuite les prières pour « *sceptrum & baculum *» (unique prière pour deux insignes qui ne sont d'ailleurs pas exactement définis ainsi supra !), pour la couronne... puis les oraisons spéciales que l'on met dans la messe de la fête ou du dimanche en question, mais il est sous-entendu qu'il y a deux séries d'oraisons possibles. Bien mal composé, cet ordo s'occupe ensuite de la reine qui doit avoir un trône moins élevé et à la gauche de celui de son époux. Elle est « *sericis induta *». Après les onctions, elle reçoit de l'archevêque « *sceptrum modicum alterius modi quam sceptrum regium, & virga consimilis virgae regiae *». L'archevêque aidé des barons lui met une couronne sur la tête.
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L'*ordo* parle ensuite de ce qui se passe à la messe pour le roi et la reine. « Missa expleta deponit archiepiscopus coronas de capitibus eorum, exutis regalibus insignibus, iterum imponit capitibus eorum modicas coronas, & sic vadunt ad palatium, nudo gladio praecedente. » Toujours curieux, l'*ordo* de vers 1200 continue par les prières relatives à la reine : il n'y a qu'une prière pour la couronne, les sceptres n'étant accompagnés par rien ce qui est visiblement le souvenir du temps où la reine ne recevait que la couronne. Pour parfaire le tout dans l'incohérence, l'*ordo* se termine par les oraisons d'une messe visiblement réservée au sacre de la seule reine, puisque l'épître y est celui *aux Éphésiens* de la messe du mariage : « Fratres, mulieres viris suis subditae sint, sicut Domino, &c. »
2\) « Postmodum jam antea preparatis et positis super altare corona regia, gladio in vagina incluso, calcaribus aureis, sceptro deaurato et virga ad mensuram unius cubiti vel amplius habente desuper manum eburneam ; item caligis sericis et iacinctinis intextis per totum liliis aureis, et tunica ejusdem coloris et operis, in modum tunicalis quo induuntur subdiaeoni ad missam ; necnon et socco prorsus ejusdem coloris et operis, qui est factus fere in modum cape serice absque caparoue, que omnia abbas Sancti Dyonisii in Francia de monasterio suo debet Remis asportare, et stans ad (= incontinenter) altare custodire » ([^91]). On voit combien le texte est semblable au précédent. La suite montre un changement, le roi ayant une chemise sous sa tunique d'entrée dans l'église : « Deponit vestes suas ([^92]), preter tunicam suam sericam et camisiam ([^93]) apertas profundius ante et retro, in pectore videlicet et inter scapulas, aperturis tunice sibi invicem connexis ansulis argenteis ». Le reste est tout semblable, avec des mots parfois identiques, au moins pour ce qui a trait aux insignes. Il n'y est pas question des prières et de la mention de l'anneau. Ce qui concerne la reine est aussi tout à fait semblable.
132:162
La traduction française de la fin du XIII^e^ siècle donne les mêmes insignes : « Entre ce l'en doit auoir appareillé & mis sus l'autiel la couronne du roy, & l'espée & mise dedans son feurré, ses esperons d'or, son ceptre d'or, & sa verge à la mesure d'vn coude ou de plus, qui ara au dessus vne main d'yuoire. Item les chausses de soye de couleur violette brodées ([^94]) ou tissuës de fleurs de lys d'or : & la cote de ceste couleur & de ceste œuure mesme, faicte en maniere de tunique dont les soubsdiacres sont vestus à la messe : & auec ce le sercot qui doit estre du tout en tout de celle mesme couleur, & de celuy mesme œuure, & si est faict en maniere à bien prés d'une chappe de soye sans chapperon. Toutes lesquelles deuant dictes, l'abbé de Sainct Denys en France doit apporter de son monstier (sic) à Reins, & doit estre à l'autiel & les garder. Le roy sera à l'autiel en estat, & despoüillera sa robe, fors sa cotte de soye, & sa chemise ([^95]) qui seront ouuertes bien aual deuant & derrière, c'est à scauoir au pis & entre les espaules, & les ouuertures de la cotte seront à la fois recloses & reiontes auec estaches d'argent » ([^96]). Les onctions faites, les ouvertures refermées, le chambrier de France « le doit vestir de la deuant dite cotte de l'euure & de la couleur deuisée ([^97]) cy dessus, & l'abbé de S. Denys la doit bailler à iceluy chambrier ; & aussi le doit le dict chambrier vestir par-dessus du deuant dict seront en telle maniere que il doit auoir la dextre main deliurée deuers l'ouuerture du surcot, & sus la senestre main doibt estrè leué le surcot ainsi comme la chasuble d'vn prebstre » ([^98]). Le roi reçoit le sceptre et la « verge », la couronne et point d'anneau. « La royae... doit estre vestuë de soye », recevra « vn petit ceptre d'autre maniere que le ceptre du roy », « vne verge semblant à la verge royale » et la couronne. A la fin de la messe « l'arceuesque oste leurs couronnes de leurs chefs, ansquels, ostez les enseignes royaux, il leur met en leurs chefs autres petites couronnes. En celle maniere ils s'en vont au palais l'épée nuë portée deuant » ([^99]).
133:162
Si nous nous en tenons aux textes cités (en n'allant pas rechercher d'autres *ordines* mentionnés par Leroquais), nous pouvons donc imaginer le petit roi entrant dans la cathédrale. Il est en chemise largement fendue devant et derrière ; il porte au-dessus une tunique qui me semble être la camisole de satin rouge fendue de même que les rois porteront par la suite et il est probable qu'il aura aussi par-dessus une sorte de longue robe de chambre qu'il ôtera en arrivant devant l'autel ([^100]). Pour la chevalerie, mais fut-elle conférée à Reims alors qu'elle venait de l'être à Soissons et ce pour une raison qui me paraît de simple bon sens ([^101]), on lui mit ces bottines de tradition, utilisées jusqu'à Charles X, puis les éperons d'or qui furent ôtés rapidement : on a l'impression très nette qu'ils sont ôtés avant même que l'épée soit donnée : « Et postmodum à duce Burgundiae calcaria eius pedibus astringuntur, & statim tolluntur » ([^102]). Il est probable que des éperons de tradition, ceux mêmes qui existent encore de nos jours, devaient mal s'attacher aux bottines et le geste symbolique fait, on devait aussitôt les enlever. L'épée fut portée ensuite par le roi, toujours en camisole rouge, au moyen du baudrier qui passait comme un grand cordon en travers de son buste. Quand le roi quitta l'épée qu'il donna à Philippe Hurepel (mais Philippe Mouskés laisse bien entendre que Philippe Hurepel ne prit l'épée qu'à la fin de la cérémonie, cf. supra), le fourreau et le baudrier durent être posés sur l'autel. Après les onctions, le roi en rouge (cf. supra) reçut les vêtements de tradition, la tunique semblable à celle que le sous-diacre utilise lorsqu'il sert la messe et un manteau à la franque, circulaire si on le met à plat (à la réserve d'une queue ou traîne pas certaine à cette époque), fendu du col au pied sur le côté dextre. Il n'est pas certain que saint Louis ait reçu un anneau ou des gants spéciaux.
134:162
Quoiqu'il en soit, il reçut le long sceptre et la verge, future « main de justice » ([^103]) : elle est longue d'une coudée environ, ce qui sera souligné par la suite. Quant à la couronne, rien n'est mentionné de spécial à son sujet. Autrement dit, aux environs de 1200, on sait comment est couronné un roi de France, mais le texte est fort sobre, même sec, n'ayons pas peur de le dire.
Je vais essayer de percer les divers mystères qui entourent cette tenue et l'on verra les nombreux points obscurs qui subsisteront.
#### II *Les vêtements fleurdelisés*
*Chausses ou bottines, tunique* et *manteau* ont une commune caractéristique : ils sont de couleur hyacinthe ou violet et semés de fleurs de lis d'or. Ce n'est pas le lieu de montrer comment à travers les siècles les ornements du sacre sont soit bleu soit violet (le bleu semblant sans doute plus normal avec des fleurs de lis d'or, puisqu'il s'agit là des armes du roi), mais on doit souligner ce rôle important du violet qui jusqu'au XIX^e^ siècle s'étalera non seulement sur les vêtements du sacre, mais encore sur les tabards des hérauts de nos rois et de Napoléon I^er^ (dont le manteau de sacre était pourtant de pourpre rouge certes pas violette !), sur les bannières des obsèques des Bourbons, etc. C'est dire combien cette couleur peu héraldique et pas facile à définir est d'importance : dès le XIII^e^ siècle elle existe donc et en latin, son nom évoque une pierre précieuse, « variété de zircon jaune rougeâtre » ([^104]) et cette plante nommée jacinthe, liliacée qui nous offre toute la gamme des roses, lilas, mauves, bleus...
135:162
Ce terme peu habituel est voulu et il a été mis par le rédacteur de l'*ordo* pour bien indiquer que le roi porte un vêtement dérivé de celui du grand prêtre d'Israël. La Bible nous en dit long à ce sujet au livre de l'Exode où comme un lancinant refrain nous reviennent les trois teintes de base des tissus semés de chérubins, formant le tabernacle : « hyacintho, purpura, cocco » (dans la *Vulgate*, 26, 1, etc. 31, 36) ([^105]) ; les habits du grand prêtre (d'Aaron à l'origine) sont avec les mêmes teintes, ce qui prouve l'intime union qui existe dans certaines cérémonies entre le décor et le vêtement (sur les habits du grand prêtre, cf. Exode 28, 4-5, etc.). Mais parmi eux, le manteau ou robe de l'éphod n'était que d'une seule couleur : « Facies et tunicam superhumeralis totam hyacinthinam... » (*Exode* 28, 31) ou comme le traduit la *Bible de Jérusalem :* « Tu feras le manteau de l'éphod, tout entier de pourpre violette » ([^106]).
136:162
Elle est tissée au cou pour l'empêcher de se déchirer, et en bas (« ad pedes »), des grenades (« mala punica ») aux trois teintes alternent avec des clochettes. « Et vestietur ea Aaron in officeo ministerii, ut audiatur sonitus quando ingreditur et egreditur sanctuarium in conspectu Domini, et non moriatur* *» (28, 35) ([^107]). Autrement dit, lorsque le grand prêtre entrait dans le tabernacle pour se trouver face au Seigneur, comme médiateur entre le peuple et Dieu, il portait cette robe ou ce manteau, mais il avait aussi une tiare et sur cette tiare un diadème de sainteté (28, 36-39 ; 29, 6) ([^108]). Le grand prêtre était oint d'huile sur la tête, ses fils auraient de même une cérémonie d'investiture et « le sacerdoce leur appartiendra par une loi perpétuelle » (29, 9) ([^109]). Il était prévu que les vêtements d'Aaron seraient transmis à ses successeurs oints après lui (29, 29) ([^110]).
*137*:162
La lecture de la *Bible* devait apporter bien des points de rapprochement entre la symbolique royale et la symbolique sacerdotale ([^111]), en relation d'ailleurs avec tout le cosmos. Nombreux sont les passages où le tabernacle et le temple sont mis en relation avec l'univers, dont ils sont en quelque sorte l'image. Les vêtements du grand prêtre eux aussi étaient à l'image de l'univers : « In veste enim poderis quam habebat, totus erat orbis terrarum » (Sagesse 18, 24), c'est-à-dire : « Car sur sa robe talaire (= qui tombait aux pieds) était tout l'univers » ([^112]).
138:162
On comprend combien les symbolistes des Capétiens ont dû s'accrocher au hyacinthe dans un tel contexte, alors que l'on sait par ailleurs que la symbolique cosmique du grand prêtre d'Israël était employée en Occident depuis au moins les Othons ([^113]). Aussi, il ne faut pas être étonné des vêtements des rois mérovingiens représentés en statue vers 1150/1160 dans Saint-Médard de Soissons : ils étaient semés de lunes, de soleils (ou d'étoiles ?) et même, timidement quant à la surface, de fleurs de lis d'or sur azur, ce qui est l'apparition des « connaissances » bien connues de nos rois ([^114]).
139:162
Plus tard, le grand symboliste qu'était Jean II le Bon avait des vêtements de sacre (chausses, vêtements de sous-diacre et de diacre, manteau) en « Samy pers » semés de losanges, croissants, étoiles et fleurs de lis ! ([^115])
On peut ainsi se demander si saint Louis avait des vêtements entièrement fleurdelisés comme le veut l'*ordo* qui n'est qu'un idéal à atteindre ou s'il avait plusieurs autres motifs qui les parsemaient... Nul n'en saura sans doute jamais rien, mais il fallait poser la question.
140:162
On remarquera que le lis qui apparaît dans la *Vulgate* comme un motif décoratif de chandeliers et de colonnes du Temple ([^116]) et qui se trouve dès les Carolingiens sur les couronnes et les sceptres ([^117]) a en soi une valeur de fécondité, de vie ([^118]) et qu'elle remplace d'autres signes cosmiques sur le manteau royal. Il est probable que l'on a voulu montrer que le roi portait les emblèmes d'un ciel non astronomique mais bien rempli de forces bénéfiques et fécondes, matérielles et spirituelles. Encore au XIV^e^ siècle, la colombe ou mieux, le colombidé, du Saint-Esprit pourra remplacer la fleur de lis au sommet de sceptre royal, un peu à l'imitation de ce qui se passait en Angleterre depuis longtemps et chez les Othons depuis plus longtemps encore. Je serai tenté de croire que cet autre grand symboliste qu'était Suger (abbé de Saint-Denis en 1122-1151) a dû être responsable de l'invasion des fleurs de lis sur le manteau de Louis VII (sacre de 1131 par Innocent II) c'était le signe royal par excellence puisqu'il se trouvait depuis les Carolingiens au sommet des couronnes et des sceptres.
142:162
Il ne faut pas oublier que l'héraldique naît à la même époque (à partir de 1128, date donnée pour fixer les idées) et qu'il est à peu près certain que Louis VII eut les armes d'azur semé de fleurs de lis d'or, ce qui semble manifeste pour son fils Philippe II Auguste ([^119]). L'azur fut pris comme champ car c'était la couleur héraldique la plus proche de ce ciel qui était sous-entendu dans les vêtements royaux.
Ainsi durent naître les armes du roi, dérivant de vêtements issus de concepts bibliques ([^120]) et qui n'ont sans doute rien à voir avec les théories de sir Francis Oppenheimer ([^121]).
144:162
Quoi qu'il en soit, les Français n'ont pas oublié la signification cosmique du manteau royal et ils dissertaient encore à ce sujet sous les Bourbons ([^122]), mais ils ont oublié le vrai sens du violet, s'attachant au bleu semé de lis d'or qui évoque mieux le ciel visible ([^123]).
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On remarquera que l'*ordo*, quel qu'il soit, ne parle pas des détails, comme le fait que le manteau peut être doublé d'étoffe et bordé d'un galon de tissu doré ; je crois que cela est dû en particulier au fait que le texte ne donne que l'essentiel. Rien n'est dit non plus sur la possibilité d'une fourrure d'hermine ou autre comme le vair. Je pense que les gens du Moyen Age étaient assez réalistes pour certains aspects pratiques de la vie : la fourrure était réservée à la période froide, ce qui était peut-être le cas ainsi pour le sacre de saint Louis ([^124]).
L'*ordo* ne parle pas non plus de la dalmatique que le diacre met à la messe et il faut visiblement attendre un peu pour que ce vêtement apparaisse ([^125]), alors qu'il semble bien qu'elle existe effectivement chez les rois de Saint-Médard de Soissons ([^126]) et pour Richard Cœur de Lion lors de son sacre le 3 septembre 1189, tel qu'il nous est relaté par Roger de Howden ([^127]).
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Si la forme des bottines, des chemises et de la tunique ne posent pas de graves problèmes, celle du manteau peut facilement s'imaginer en pensant que la traîne ou queue ne devait pas être exister, ou peu. Ce qui fait difficulté, peut se résumer en deux points :
1\) Saint Louis ayant été sacré trois semaines après la mort inopinée de son père, durée qui se réduit considérablement si l'on veut bien admettre que Blanche de Castille n'a pas su la nouvelle tout de suite, a-t-on eu le temps de lui couper des vêtements pour enfant de 12 ans ? On pouvait évidemment couper dans les vêtements du père et l'on sait que nos aïeux n'avaient guère de sens archéologique. On pouvait trouver dans le trésor royal ou à Saint-Denis des vêtements de sacre pour enfants : mais dans quel état pouvaient-ils bien être ? Philippe II Auguste avait 14 ans lors de son sacre en 1179. A-t-on donné à saint Louis les vêtements un peu grands de son grand père ? On n'ose remonter plus haut dans le XII^e^ siècle, au sacre de Louis VII à 11 ans en 1131 par exemple, car une chose est de conserver des vêtements comme souvenir (les vêtements de Jean II et Charles V existaient encore en 1534 au trésor de Saint-Denis) et une autre les conserver en état de servir !
2\) On remarquera ensuite que les *ordines* cités nous disent que les étoffes des vêtements sont couvertes de fleurs de lis tissées dedans : « intextis per totum liliis aureis » et ce n'est que la traduction de la fin du XIII^e^ siècle qui dit : « brodées ou tissües de fleurs de lys d'or », ce qui passe dans l'*ordo* de Charles V (cf. n. 27) mais pas encore dans celui de Sens, vers 1300 : « intextis per totum liliis aureis » ([^128]). Les vêtements de Jean II et Charles V sont tout au contraire semés de motifs brodés ([^129]).
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On peut donc conclure sans risque de se tromper que les étoffes de saint Louis étaient tissées de fleurs de lis (et peut-être de motifs de moindre importance), et qu'il ne s'agissait évidemment pas de velours, qui ne viendra que bien après dans les manteaux et autres vêtements royaux ([^130]). Ce qui entraîne comme importante conséquence que les fleurs de lis semant l'étoffe sont toutes de la même grandeur : elles ne peuvent pas sur le manteau rayonner du cou vers les pieds en grandissant peu à peu, ce que l'on peut voir sur tous les tableaux des rois Bourbons. Ce qui entraîne une autre conséquence : alors que le patron de la tunique et des chemises est facile à concevoir, celui du manteau est complexe. Découpait-on l'étoffe en segments ou pour parler plus simplement, le manteau royal ne ressemblait-il pas dans ses détails de couture à une tarte découpée en plusieurs parts, disons quatre pour fixer les idées ? Mais alors, si les fleurs de lis étaient assez grandes, et même moyennes, devait se poser le problème des raccords le long des coutures entre divers segments... C'est dire que dans la tentative graphique de reconstitution, il y aura forcément bien des partis pris. Je crois cependant qu'on n'est pas particulièrement hardi en imaginant un galon de tissu d'or tout autour, ainsi que cela se faisait sur le manteau porté par le roi sur son sceau. Il est même bien possible que ce galon était orné de pierreries, tout comme les galons que l'on peut voir sur les statues de Chartres ou de Reims.
#### III *Les objets remis au roi*
Ces objets sont des insignes du pouvoir, les vêtements faisant d'ailleurs partie de l'ensemble, mais leur matière, métallique, les rendent moins périssables et ainsi plus constants dans ces cérémonies, parfois fort distantes les unes des autres.
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Il s'agit là, dans l'ordre de la tradition au roi, des *éperons,* de *l'épée,* du *sceptre,* de la *verge* et de la *couronne,* pour ne pas parler en détail du *fermail* destiné à fermer le manteau sur l'épaule droite : monté sur le manteau, il n'est jamais mentionné à part et celui qui de nos jours est encore dit « de saint Louis » dans la galerie d'Apollon du Louvre, n'est en fin de compte qu'une œuvre du XIV^e^ siècle ([^131]). Je ne pense pas, de plus, que l'on puisse attribuer à saint Louis tous les nombreux objets placés sous son patronage dans le trésor de Saint-Denis : le signet parvenu jusqu'à nous et dont la pierre offre l'effigie d'un roi nimbé et debout ([^132]) ;
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l'épée de très bonne trempe ([^133]) ; la « sainte couronne » dont l'histoire est à faire et qui a été liée au souvenir de saint Louis pour une raison que je crois connaître ([^134]) ; un sceptre et une main de justice d'argent doré ([^135]). A vrai dire, l'abbaye a réparti certains des objets de son trésor en plusieurs lots, attribués d'abord à saint Denis lui-même, puis aux trois grands souverains des trois dynasties : Dagobert (saint car sauvé in extremis selon la légende de l'abbaye), saint Charlemagne (tenu pour saint par Charles V et mieux, par sainte Jeanne d'Arc) et enfin saint Louis.
L'étude approfondie des inventaires telle qu'elle résultera de la publication de ceux rédigés en 1534 et 1634 par le comte Blaise de Montesquieu Fezensac, apportera peut-être des lumières sur le sceptre et la main de justice « de saint Louis », mais je ne pense pas que l'absence d'ivoire pour la main de justice indique une grande ancienneté.
Les *éperons* mis un court instant me semblent devoir être ceux que nous connaissons de nos jours après rectification pour les sacres de Napoléon I^er^ et de Charles X. Ils sont certainement très anciens et c'est sans aucun doute eux qui sont évoqués au sacre de Charles VIII : « les esperons d'or ou dorez, qui ont des boulettes rondes assez grosses sur les bouts de verges » ([^136]).
Ayant des « parties romanes d'un très beau style », ces éperons d'or, « ont été fabriqués dès les débuts de la monarchie capétienne » ([^137]) et avaient autrefois des équivalents plus récents dans le trésor impérial de Nuremberg ([^138]). Il est certain qu'ils sont au moins du XII^e^ siècle mais le fait qu'ils aient été ornés autrefois de fleurs de lis d'or sur champ d'azur ne peut les rendre antérieurs, à moins d'avoir été profondément remaniés au XII^e^ ce que je ne crois pas ([^139]).
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L'*épée* serait celle que l'on baptise « de Charlemagne » depuis le sacre de Philippe III et qui n'est sans doute que l'épée portée aux deux sacres de Philippe II Auguste. J'en parle par ailleurs ([^140]) et les conclusions montrent que c'est un incroyable montage, le pommeau semblant fort ancien (XI^e^ siècle, on a même été dire qu'il était d'inspiration sassanide et il est manifeste que les deux bêtes ailées gardant l'arbre de vie viennent du fond des âges) ([^141]) ; la fusée ornée autrefois de fleurs de lis semées dans un réseau losangé peut fort bien être de Louis VII ou Philippe II Auguste ([^142]) ; les quillons d'un or différent représentent deux lions ailés adossés à une fleur de lis antéhéraldique ; on pense qu'ils seraient du XI/XII^e^ siècle. L'assemblage de ces pièces serait fait à une époque déterminée en gros par les dates 1150-1200 ([^143]) et il semble que cette épée ait été fabriquée pour être portée pointe en bas : elle aurait donc été renversée au sacre de Philippe II Auguste. Sa lame a été repolie et sans doute bien retouchée en 1804 (l'épée a en tout 1 m de long au millimètre près 1) Son fourreau date de 1804, mais la plaque de garde (dont les pierres ont été complétées en 1804 après la tornade révolutionnaire) est visiblement un travail contemporain de l'ancienne couronne « de Charlemagne », et contribue par ses joyaux à identifier l'arme avec la Joyeuse de l'empereur des chansons de geste. Tout montre que ce fourreau devait être fleurdelisé comme de nos jours ([^144]).
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N'oublions cependant pas que saint Louis n'a peut-être pas été à nouveau fait chevalier le jour de son sacre !
Le *sceptre* est traditionnellement en France un long bâton de six pieds de haut ou environ ([^145]) ; il est tenu dans la dextre. Il est probable que s'il n'était pas démontable, comme le sceptre « de Charlemagne » fait par Charles V et qui était en quatre parties pouvant être dévissées, il devait être bien disproportionné par rapport à la taille de saint Louis. On peut l'imaginer surmonté d'une fleur de lis, d'un style assez héraldique, mais ce n'est qu'une hypothèse. Sur son sceau, saint Louis a un sceptre mi-long terminé par un ensemble complexe de feuilles, qui peut être un simple divertissement d'artiste, mais le sceptre feuillu, pouvant rappeler la floraison de la verge d'Aaron ([^146]) est envisageable...
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La colombe du Saint-Esprit que l'on trouve au sommet des sceptres de Philippe IV le Bel, de Jeanne de Navarre son épouse et de Philippe VI de Valois ne semble cependant pas être dans la tradition insigniologique au XIII^e^ siècle français ([^147]). Mais il y avait quand même à Saint-Denis, depuis au moins le début du XII^e^ siècle un court sceptre montrant l'apothéose d'un homme monté sur un oiseau et qui fut dit (par la suite ?) « sceptre de Dagobert » ([^148]).
Nous sommes donc assez peu certains de la forme du sommet du sceptre royal employé en 1226 et on se résignera à faire quelque chose de semblable à ce que l'on peut voir sur le sceau de majesté, en sachant que le sceptre trouvé dans le cercueil de Philippe IV le Bel avait deux feuilles de part et d'autre du sommet de la tige.
La *verge* surmontée d'une main d'ivoire, donc blanche, est un sceptre beaucoup plus court que le roi tient en sa senestre. Comme par hasard, sa longueur est dite avec insistance comme étant d'environ une coudée, or la coudée est une mesure qui sert dans la *Bible*, encore elle, à mesurer les édifices sacrée ! ([^149]) Cette mesure archaïque, ignorée de l'ancienne France, nous remet donc dans une perspective biblique, ce qui s'explique d'autant mieux quand on connaît la signification de cet emblème qui fut par la suite dit « main de justice ». Bien que n'apparaissant de façon formelle pour notre roi que dans l'*ordo* de vers 1200, il est probable que ce sceptre ait été mis dans la senestre de Louis VI le Gros lors du sacre de 1108. Suger évoquant ainsi les insignes qui lui furent donnés : l'épée ecclésiastique, le diadème royal, le sceptre « et virgam » ([^150]). On a des indices d'ancienneté plus grande avec certaines prières et deux « monuments » maintenant disparus mais dont on a représentation.
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Tout ceci fera l'objet d'un article spécial ([^151]). Notons simplement ici que l'idée de justice viendra par la suite auréoler cette main et ce par le canal des prières de l'*ordo* et peut être surtout à cause de ces mots : « Justitia plena est dextera tua » ([^152]). Quoiqu'il en soit, l'objet tenu par saint Louis n'est pas parvenu jusqu'à nos jours et rien ne nous montre exactement, dans ce que nous savons du trésor de Saint-Denis, ce qu'il a tenu ([^153]).
Reste à envisager la question de la *couronne.* Je pense quant à moi que saint Louis porta tout bonnement la grande couronne royale faite par Philippe II Auguste et qu'il rendit à l'abbaye de Saint-Denis en 1260. Évidemment, il pouvait porter l'une des autres couronnes de l'abbaye ; c'est même ce qui aurait pu être le plus commode pour lui, étant donné que la couronne de Philippe II Auguste, comblée d'une tiare fort oubliée de nos jours, pesait dans les quatre kilogrammes, poids énorme pour un enfant n'ayant pas treize ans ! Il pouvait encore porter la couronne connue sous le nom de « couronne du Seigneur » ou « sainte couronne » du fait que le rubis cabochon principal cachait l'épine bien connue de l'abbaye ; couronne ayant elle aussi une tiare intérieure, ou si l'on préfère une coiffe conique et qui est connue comme « couronne de saint Louis » depuis au moins Jean II le Bon, sans doute parce que saint Louis ajouta les cheveux de N.-S. venus de Constantinople au début du siècle.
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Ce genre de couronne pouvait aller assez bien sur une tête d'enfant, hors son poids, vu que sa circonférence n'était pas excessive : la couronne « de Charlemagne » sur la tête du gisant de Philippe VI de Valois à Saint-Denis est visiblement assez haut perchée ([^154]). Le dessin montrera donc saint Louis avec cette couronne, la tiare n'ayant pas au sommet le gros rubis que Jean II le Bon y mit.
A la fin de la messe du sacre, sans doute après la communion, l'archevêque mit sur la tête de l'enfant une couronne plus petite, qu'il garda pendant le festin. Est-ce celle qui est évoquée dans l'acte de 1260, quand saint Louis donne trois couronnes à Saint-Denis ? C'est possible. Voici le texte visé : « Et unam coronulam auream cum lapidibus preciosis quam consueuit rex die coronationis suae in prandio deportare » ([^155]).
Dernière question : saint Louis reporta-t-il sa tenue de sacre ? Je crois la réponse aisée à donner et c'est : jamais. Ayant grandi, ses vêtements devenaient importables. Aucun texte ne nous dit qu'il mit à nouveau une couronne sur sa tête et au sacre de son épouse Marguerite de Provence en la cathédrale Saint-Étienne de Sens, le dimanche 28 mai 1234, par Gautier Cornut archevêque du lieu et le lendemain de leur mariage, je crois qu'il dut y assister en bel habit, avec tout juste une petite couronne d'or et de pierreries sur la tête, mais ce n'est qu'une hypothèse.
#### IV
Avec tous les éléments à nous donnés par les *Ordines* et quelques raisonnements, on peut ainsi reconstituer la tenue de saint Louis et l'on peut faire la critique des « monuments » qui nous restent.
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Les dessins représentent saint Louis : 1) au moment de sa chevalerie, avec les bottines hyacinthe fleurdelisées d'or et déjà sans éperons, la tunique rouge sur la chemise, largement fendue devant (et derrière) et des aiguillettes sur les fentes ; l'évêque vient de lui passer l'épée « de Charlemagne » avec son baudrier qui flotte ; on a imaginé que le roi tient l'épée une seconde, car l'évêque la lui enlève aussitôt, pour tirer l'épée du fourreau, mettre le fourreau et le baudrier sur l'autel, donner l'épée seule au roi... 2) en tunique hyacinthe fleurdelisée d'or, attendant que le chambrier de France lui passe le manteau ; 3) avec le manteau hyacinthe fleurdelisé d'or, doublé de satin uni et sans doute rouge, portant le sceptre de 6 pieds, la verge d'une coudée surmontée de la main d'ivoire (très petite, pas 5 cm sur la main de justice « de Charlemagne ») et la couronne « de Charlemagne » faite sans doute en 1180 par Philippe II Auguste son grand père.
Quant à la critique des « monuments », je parlerai surtout de ceux-ci :
Les *sceaux de majesté* du roi, étant commandés par celui-ci, on pourrait s'attendre à ce que le souverain soit correctement représenté ([^156]) et, on s'en doute maintenant, il n'en est pas question ! Le roi tient un petit sceptre feuillu dans sa senestre et une fleur, sans doute d'orfèvrerie dans sa dextre ; la couronne est ouverte ; la chemise est visible sous la tunique bordée à larges manches ; le manteau est uni, ce qui est en cela normal, les fleurs de lis tissées n'étant pas en relief, donc invisibles... si tant est qu'elles existaient dans l'esprit du graveur. Par contre, celui-ci nous a laissé une bonne représentation de la bordure du manteau, des fleurs de lis brodées dans un réseau losangé. Il est manifeste que le roi n'est pas là en tenue de sacre, et nul n'a jamais dit que le roi du sceau était comme à Reims. C'est là une invention de modernes. Le roi est en costume royal simplifié, sans doute un lointain souvenir de sa tenue lors d'une « curia coronata », fête que ne connut évidemment jamais saint Louis.
Les *peintures de* l'ordo *de vers 1200*, faites au milieu du XIII^e^ siècle, seraient toutes à voir en détail. L'artiste ne donne comme « regalia » que la couronne ouverte, l'épée et l'anneau, tous trois posés sur l'autel. La forme des vêtements et leur couleur unie (pas de fleurs de lis) sont inexactes... Le roi est couronné assis, etc. Par contre, deux peintures ont le mérite de montrer comment s'ouvrait la tunique largement fendue devant et derrière : les fentes ouvertes, le consécrateur pouvait facilement faire les onctions sur les épaules, entre celles-ci et aux jointures des bras ([^157]).
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Les *vitraux* contemporains *de la Sainte Chapelle de Paris* montrent le roi avec un manteau uni, ouvert par devant, la couronne ouverte et un petit sceptre de convention.
Le *vitrail de saint Louis à Saint-Pierre de Chartres* qui, serait d'environ 1305/1306 montre le roi avec couronne ouverte, petit sceptre feuillu dans sa senestre, un livre dans sa dextre ; le manteau uni, doublé de vair, s'ouvre devant et découvre une tunique d'azur semée de fleur de lis jaunes ([^158]).
Le *vitrail du sacre de saint Louis* dans la chapelle de la Vierge derrière le chœur *de Saint-Louis de Poissy* est très fantaisiste ; la couronne ouverte, le manteau bordé et doublé d'hermine, ouvert par devant, le collet d'hermine, tout indique les libertés de l'artiste ; mais le fait que le grand sceptre est en la senestre et un court sceptre en la dextre, ne peut être que le reflet d'un *ordo* ancien ([^159]).
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Le *portrait peint du roi* dans le *Registre des ordonnances de l'hôtel du roi* vers 1320, montre le roi avec sa couronne ouverte, un petit sceptre rouge fleurdelisé, une verge à la main blanche ; les chausses sont rouges, les souliers noirs, manteau et tunique étant doublés de vair ([^160]).
Les représentations de saint Louis lors de son sacre, peintes dans le *Livre d'heures de Jeanne II de France, reine de Navarre,* exécuté vers 1330, sont de peu d'intérêt ([^161]).
La *statue de l'église de Mainneville* dans l'Eure est controversée : saint Louis, Philippe IV le Bel ? Je ne me prononcerai point. Elle fut exécutée en 1306/1315. Le roi est couronné d'un diadème à huit fleurons maintenant cassés. Le manteau bleu est semé de fleurs de lis jaunes toutes égales ; il a une bordure jaune et il est doublé de rouge ([^162]). Il y a une dalmatique à manches assez longues, ce qui ne manque pas d'étonner ; elle est fendue sur les côtés, mais à hauteurs différentes, (plus haut à dextre) ; elle va jusqu'en bas et elle est bleue avec les mêmes fleurs de lis ; une large bordure jaune la décorant souligne que c'est bien une dalmatique. Une tunique enfin, allant plus bas encore, est elle aussi du même bleu, avec les mêmes fleurs de lis et la bordure jaune comme le manteau ([^163]). Le grand mérite de cette statue est de nous montrer en relief comment est fait un manteau, comment il n'a pas de traîne à cette époque, comment sont faits ses plis.
Pour terminer, je signale le *vitrail* énigmatique *de la galerie occidentale de la cathédrale de Reims :* au milieu d'un ensemble de vitraux marqués des châteaux de Castille qui indiquent une œuvre « ludovicienne », un homme en tunique verte et manteau bleu semé de larges fleurs de lis jaunes ([^164]) tient une épée haute et blanche. Il n'est pas couronné, mais étant dans l'axe, il ne peut que représenter un roi et un roi chevalier, encore, que le roi tenant l'épée ne peut avoir de manteau ! ([^165]).
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Je ne ferai pas d'autres comparaisons et commentaires. L'essentiel est que l'on comprenne bien qu'il n'existe aucune bonne représentation de saint Louis en tenue de sacre. Si l'on voulait bien méditer sur cette chose surprenante, on découvrirait qu'on ne trouve en fin de compte aucune représentation exacte d'un roi et d'une reine de France en une telle tenue et ce jusqu'à Charles X compris. On comprendra qu'il faut s'arrêter, le sujet devenant immense.
Par contre, il est manifeste qu'une idée générale se dégage de ces lignes et c'est que les Français du XII^e^ siècle ont non seulement été préoccupés par une *Renovatio imperii Karoli Magni*, trouvant son épanouissement dans le règne de Philippe II Auguste ([^166]), mais encore qu'ils ont fait ce qu'il fallait pour se placer dans le droit fil de la royauté davidique, tentative consacrée par les papes en ces bulles fameuses que les Français devraient connaître dès l'école maternelle : *Dei Filius* et *Rex gloriae* ([^167]). C'est ainsi que le roi saint Louis bénéficia de toute une tradition biblique relative à Israël et Juda, en germe dès les Carolingiens et qui était toujours bien vivante sous Charles X.
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Prières, *ordines,* insignes ornés des lis, vêtements cosmiques, comparaisons avec les personnages bibliques, bulles pontificales, vitraux de Chartres et de la Sainte-Chapelle, naissance du terme de « maison de France » en parallèle avec celui de « maison de David » ou encore de « maison de Juda » ([^168]) proclamaient au monde entier l'essentielle
RENOVATIO REGNI JUDA
qui avait lieu en ce royaume de France que sainte Jeanne d'Arc n'hésitera pas à qualifier de « saint royaume » ([^169]).
Il y a là une idée force à méditer en ces temps de désolation et il faudra bien qu'on en reparle un jour.
Hervé Pinoteau.
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ANNEXE
#### Quelques lignes sur Guillaume Durand
Auteur tardif pour notre propos, Guillaume Durand ou Durant (vers 1231-1296) n'en était pas moins un remarquable spécialiste des questions de cérémonial. Il avait fréquenté la cour pontificale quand il fut nommé évêque de Mende et il écrivit son *Rational des divins offices* dès 1286. C'est un reflet de ce que l'on pensait au XIII^e^ siècle de bien des questions relatives aux vêtements et aux couleurs d'intérêt pour le costume du sacre royal. Je suivrai ici pas à pas la traduction de Charles de Barthélemy qui vaut ce qu'elle vaut mais qui est commode ([^170]).
Au livre 2, chapitre 1, § XXXI et p. 162, l'auteur nous indique : « Le prêtre portait la tiare légale (legis tyaram), c'est-à-dire le bonnet (pileum) de lin très-fin fait en forme d'un demi-globe, sur la tête, et le roi portait la couronne » ce qui nous donne une indication sur ce que portait le prêtre et roi, encore que je montre par ailleurs que la tiare était fort haute et pointue dans la couronne du roi de France.
Au l. 3 qui sera le seul envisagé par la suite, je lis ch. I, § I, p. 213 qu'en se vêtant le prêtre dépouille le vieil homme et revêt le nouveau : le vêtement est donc le signe d'un changement, de la transformation de l'homme, ce qui est un des rôles du sacre : l'homme privé devient homme public, etc. en union avec les forces cosmiques et bénéfiques ([^171]).
Il ajoute au sujet la tunique de couleur hyacinthe : « c'est-à-dire la conversation et la vie céleste » montrant que cette couleur est liée au ciel (I, III, 214). Le thème du ciel s'applique à la mitre : « afin d'agir de telle sorte qu'il mérite la couronne éternelle » (*ibidem*) ;
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le prêtre s'avance à l'autel « avec le secours des armes célestes »... « pour repousser les attaques spirituelles de la malice » (I, VI, 216) et la chasuble couvre le prêtre « comme un bouclier rond » (c'est l'armure de Dieu, I, IV, 215). Par ailleurs les habits sacerdotaux sont comparés aux vertus (I, IX, 218). Le pluvial à franges ou chape, doit remplacer la tunique à clochettes de l'ancienne loi ; elle doit aller jusqu'aux pieds en signe de persévérance finale et représente « la glorieuse immortalité des corps » : « lors de la résurrection à venir, les élus, après avoir jeté loin d'eux le fardeau de la chair, recevront deux robes, savoir : le repos de leurs âmes, et la gloire de leurs corps... » (I, XIII, 220). Même l'agrafe a son rôle : elle « est nécessaire pour l'attacher (la robe), parce que les corps devenus spirituels n'éteindront plus l'âme d'aucune angoisse » (221). Il y a six vêtements propres aux pontifes : les bottines, les sandales, les chausses, la tunique, la dalmatique, les gants, la mitre, l'anneau et le bâton pastoral et sont communs aux prêtres et aux évêques : l'amict, l'aube, la ceinture, l'étole, le manipule et la planète (I, XVIII, 223). La chasuble ou planète veut dire charité, unité de la foi et son intégrité (VII, I, 238) ([^172]).
Au sujet des chausses (caligis) et sandales (sandaliae, VIII, I, 241) : « Les chausses de couleur d'hyacinthe, c'est à dire d'un bleu céleste, marquent que le prédicateur doit avoir ses pieds, c'est-à-dire ses affections dirigées vers le ciel, et fermes, afin de ne pas boiter » (VIII, V, 243). La tunique qui « comprend les vertus les plus intimes » (X, I, 249) est de couleur hyacinthe qui est celle de la pierre de ce nom « qui imite la couleur d'un ciel serein, et elle signifie les saints qui pensent aux biens du ciel et en réalisent la perfection sur terre ; ou bien c'est la pensée et la vie du ciel » ; d'ailleurs, la pierre « hyacinthe change de couleur en même temps que le ciel » (d'où les idées de corresponsance, de reflet... X, III, 249). Cette tunique est recouverte, cachée... le peuple ne doit pas la voir car tout ne doit pas être révélé ! (X, IV, 250). La tunicelle du sous-diacre, la dalmatique du diacre et la chasuble du prêtre remplacent « la tunique d'hyacinthe, qui était de couleur céleste, c'est-à-dire aérienne (bleu de ciel), pour marquer que tous les ministres de l'autel doivent avoir une conversation et une vie céleste » (XI, I, 251). « Le pontife revêtu de ses ornements et remplissant sa charge, représente d'une manière plus expressive l'image du Sauveur que le simple prêtre » (XI, IV, 252) ce qui indique que le pontife (et le roi) est image du Christ.
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La mitre remplace la tiare et le diadème « mais, depuis la concession que lui en a faite l'empereur Constantin, le pape a la couronne, l'*homophorium* (*frigium lorum*)*,* le surhuméral, la chlamide de pourpre et la tunique d'hyacinthe » (XIII, I, 257). La mitre doit avoir un cercle d'or à sa base car il est en relation avec « la science du royaume des cieux » (XIII, IV, 258). Une réflexion \[qui\] va loin quand on pense à la « couronne de saint Louis » enrichie d'une épine de la sainte couronne sous le rubis frontal : « Il y en a aussi quelques-uns qui disent que la mitre du pontife représente la couronne d'épines ; et de là vient que le diacre, à l'office de la messe, où le pontife figure le Christ pendant la Passion, lui met la mitre et la lui ôte, parce qu'il a, par sa charge, le droit de lire l'évangile, dans lequel on lit que le Christ fut couronné d'épines » (XIII, V, 259). Quant au pontife romain, en signe d'empire, il se sert du *regnum* (la tiare), c'est-à-dire de la couronne impériale, et, en signe du pontificat, de la mitre ; il se sert toujours de la mitre, mais pas toujours du *regnum* qui est réservé à certains jours et en certains lieux, jamais dans l'église mais au dehors (XIII, VIII, 260-261 : de nos jours et jusqu'à Paul VI qui semble bien s'en être débarrassé sauf sur l'écu de ses armes, la tiare n'était pas un insigne liturgique). Tout cela aura de l'importance quand on lira mon article sur la couronne « de Charlemagne ». Le haut du bâton pastoral est d'os ou d'ivoire, ce qui signifie la dureté de la loi, la sévérité (XV, III, 265).
Guillaume disserte enfin sur les vêtements mêmes de l'ancien testament. La tiare du pontife était comme un casque rond (XIX, I, 286) et plus loin : la « tiare ou mitre » (de forme ancienne, et c'est vrai) est « pointue par en haut, ayant un cercle d'or, avec des pommes de grenade et des fleurs » ; d'elle tombait sur le front une lame d'or en forme de demi-lune avec le saint nom du Seigneur (XIX, V, 288)... « Assurément, le pontife paré de ces vêtements offrait aux yeux l'image de tout l'univers » (XIX, VI, 288), les divers éléments du costume représentant terre, océan, air... les grenades qui s'entrechoquent le tonnerre ; les quatre parties du monde et les quatre éléments étaient aussi évoqués. « L'éphod, par la variété de ses ornements, représentait le ciel étoilé. Pour ce qui est de l'or mêlé au tissu des couleurs, cela figurait que la chaleur vitale pénètre tout ; les deux pierres d'onyx désignaient le soleil et la lune, ou les deux hémisphères » (XIX, VI, 289 : il est dit en XIX, III, 287 que l'éphod ou surhuméral a quatre couleurs, qu'il est tissu d'or et que le pectoral se posait dessus ; Samuel et David portaient l'éphod). La rational aux douze pierres figurant les douze signes du zodiaque a aussi son importance. La tiare, encore elle, représente le ciel le plus élevé, le séjour des bienheureux (XIX, VI, 290).
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Le nom du Seigneur *He, Ioth, Eth, Vau* (il s'agit du fameux *IHVH*) veut dire celui-là est le principe de la vie que nous a procurée la Passion ; le Christ (représenté par la pontife) a procuré en effet la vie par sa Passion (XIX, XVI, 298) ce qui est, il faut l'avouer, la suite des idées de sacrifice, de divinité etc. évoquées par le rubis frontal des couronnes médiévales (cf. supra pour un parallèle avec la sainte couronne d'épines dont un fragment figurait dans la sainte couronne de France dite de saint Louis). Pour terminer, cette ultime affirmation : hyacinthe est la couleur du ciel et symbolise « la sérénité de la conscience »... (XIX, XIX, 299).
H. P.
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### Le cours des choses
par Jacques Perret
EN FACE DE CHEZ NOUS un triste acacia dépérit au coin d'une pelouse pelée que ne hantent plus ni grillons ni sauterelles. Ce jardinet lui-même est coincé entre les murs d'un bastion universitaire et les chicanes d'un complexe immobilier Louis XVI. La terre de ce lopin est assez végétale encore pour subvenir aux derniers besoins de l'acacia qui se meurt. Ce n'est pas tout à fait la flore des ruines, généralement plus fournie. J'y vois plutôt comme le dernier carré d'une formation horticole s'épuisant à verdir dans les douves asséchées d'une fortification de style composite et peuplée de locataires plus ou moins historiques selon l'âge des pierres ou du béton qu'ils habitent. L'acacia aura une belle mort, entouré de témoins compatissants, du souvenir de toutes les familles qui l'auront connu dans sa verte jeunesse, et des cerfs volants qu'il retenait dans ses branches quand il y avait de quoi courir autour.
Bientôt les dérivés errants du soufre et du carbone l'ayant soigneusement défolié, il abandonnera d'un cœur léger son demi-arpent d'espace vert aux édifiants promoteurs qui en bavent d'impatience. Après tout il ne faisait que succéder au sycomore Louis-Philippe qui relayait un marronnier de la Révolution. Sous le regard des laborantins de la chimie et sur les derrières bâtards du pâté Louis XVI que fait déjà trembler l'approche des marteaux-piqueurs l'acacia milnœucent va crever sans regret dans l'ombre épaissie des siècles de lumière. Mais enfin il est toujours debout, branchu, et si bon perchoir qu'il emprunte à d'innombrables moineaux une apparence de vivacité. Quelquefois un merle, tout en haut, s'attarde à siffler le crépuscule. Comparé aux moineaux et pigeons, increvables parasites agréés des populations urbaines, le merle qui ne demande rien à personne fait encore figure d'oiseau sauvage et nous le remercions d'être encore là. L'an passé, au mois d'août, j'ai bien cru entendre le sifflet d'un loriot mais j'ai sûrement rêvé ce loriot.
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En revanche, il n'y a pas si longtemps qu'une chouette m'a bel et bien réveillé ; elle ululait dans l'acacia et je n'en croyais pas mes oreilles. Comme le Jardin des Plantes n'est pas loin ce pouvait être une évadée qui pleurait sa mangeoire et sa cage, ayant cherché en vain les mulots qu'elle rêvait. Je me suis demandé quand même si nos pouvoirs publics n'avaient pas discrètement procédé au nettoyage écologique de la région parisienne à l'exemple des Anglais qui, paraît-il, ont vu revenir dans les jardins et les eaux purifiés de Londres et de la Tamise quelques papillons et poissons, avant-coureurs d'un charmant reflux de leurs espèces fugitives. A bien réfléchir, je doute un peu que nos pouvoirs publics aient pris en considération une fantaisie anglaise aussi manifestement réactionnaire, à tout le moins conservatrice. Ou alors ce serait en répartie malicieuse aux révélations de Mgr Marty professant au collège ou au comptoir que Dieu n'est pas conservateur.
Au loin le trafic du boulevard de l'Hôpital et du quai Saint-Bernard est plus ou moins bruyant mais il n'a pas de cesse. Comme d'habitude il commençait à forcir au point du jour quand il fut traversé par des cris d'animaux. Tout bête qu'il est je ne m'amuse plus à écouter le grondement des véhicules comme le piétinement sourd de 50.000 bisons en fuite sur le pavé de Brunehaut. Ces cris et mugissements étaient poussés par les animaux enfermés du Jardin des Plantes. Ce n'est pas tous les jours que cette aubade m'est donnée. Question de vent, d'abord, et ensuite ces bêtes-là ne pratiquent plus le salut aux aurores aussi ponctuellement que leurs aïeux ou elle-mêmes en avaient coutume au temps de leur liberté. Elles ont leurs humeurs ; un jour ce sont les fauves, ou le lion tout seul, ou les grands oiseaux criards et parfois le chahut général. Il semblerait en effet qu'en dépit d'une discrimination raciale très sévère, la promiscuité des enclos ait suscité l'invention d'un langage commun et secret donnant lieu à une prise de conscience collective. M. Schmeck a rédigé sur la question un rapport très objectif que la direction du Muséum a mis sous clé. A mon avis, s'il y avait une conscience de Zoo elle recevrait ses directives d'un comité de vieux serpents lovés en pelote et sournoisement assoupis dans la tiédeur du vivarium, plutôt que des oiseaux criards ou des fauves aristocratiques et moins encore du gibbon braillard dont le petit côté anthropoïde laisse trop deviner l'agent double.
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Quant à savoir si l'aurore est saluée par des cris de joie ou des bordées d'injures, c'est une question qui nous plonge dans la nuit des bêtes ; question assez pénible et dont j'ai honteusement fini de me tourmenter. Je me dis qu'après, tout ni l'éléphant ni même la perruche et moins encore le gorille n'ont été créés à l'image de l'homme et qu'au demeurant bien des hommes ont préféré les gamelles de la servitude aux ivresses de la liberté.
Ce sont là évidemment les mêmes cris et refrains dont se réjouissait le promeneur solitaire au sein de l'Eden impolluable. Ni cage ni volière n'ont pu les dénaturer, profitons-en, ce n'est pas tous les matins que la nature vivante et fraîche vient nous chanter son hymne en dépit de nos tintamarres. A vrai dire il ne s'agit que de vocalises empâtées de gazoil et péniblement poussées dans les crépitements et brouhahas de la mécanique. Elles ne sont perceptibles qu'aux rémissions de l'aurore et dans un rayon de trois cents mètres. N'empêche que réveillé à la voix des lions à quelques pas des arènes de Lutèce je me sens un peu d'attaque aujourd'hui pour défier les environnements qui m'attendent et foncer dedans comme le fit saint Marcel dans les écailles du dragon qui polluait la Bièvre.
Les bonnes impressions ne s'arrêtent pas là. Le soleil se lève sur Charenton derrière un beau nuage blanc ourlé de vermeil, le dôme de la Salpetrière se découpe sur un ciel de vapeurs irisées où transparaît l'azur et bientôt sous mes yeux les doigts de rose vont caresser la terrasse du laboratoire crénelée de quinze petites cheminées d'aération. Le logement de fonction qui donne sur la terrasse est habité par une famille en bonne santé je crois. Elle profite au bon air de la terrasse, et je suppose que les petites cheminées rejettent le trop plein d'oxygène élaboré dans les travaux pratiques et les longues nuits de la recherche scientifique. C'est en plus une famille élevée dans le culte et peut-être l'obsession du linge propre. De tous les toits qui la dominent les fumées de mazout n'arrêtent pas de provoquer son zèle et la ménagère n'arrête pas de suspendre et dépendre son linge pour satisfaire aux besoins de sa machine. Je ne lui vois aucune raison d'être dispensée de la machine. Toujours est-il que la terrasse a trouvé son plein emploi de jour et de nuit. J'y vois comme tous les matins voltiger les pièces multicolores d'une lessive toujours renouvelée.
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Depuis le romantisme une lessive bien tendue fait toujours bon effet dans le paysage et ce n'est pas le moment de bouder aux effets prétendus faciles. Au demeurant nous ne sommes ni à Venise ni à Gènes et nous tirons de ces pavois autre chose que du pittoresque. Le soleil est sorti du grand nuage blanc et le voilà qui commence à festoyer les combinaisons roses, les collants mauves, les chemises cachou et les slips éclatant de blancheur virginale. Pincés sur le fil comme peaux d'anges rescapés des ténèbres, les corps glorieux de la famille ondulent et claquent au vent. C'est un vent parfumé de jardin botanique et de fumier d'autruche, capiteux effluves que viennent assagir la sulfureuse ypérite échappée des camions et l'ineffable bouquet des cornues pédagogiques. Mais tous les vents sont propices au jupon qui sèche, la terrasse est l'oasis et les vertus domestiques viennent danser la polka dans les sentines de l'atmosphère. Mais pourquoi noircirais-je le tableau quand le zénith est bleu, que les moineaux gazouillent comme au matin du cinquième jour et qu'une fois encore la sève montera dans les branches de l'acacia pour témoigner elle aussi de l'héroïque nature. Héroïque nature au péril des sociétés corruptrices, voilà où nous en sommes, à causer comme Rousseau.
Le grand nuage blanc s'étire vers Pantin, cumulus voluptueux aux reflets nacrés comme la coquille de Vénus. Les aurores immaculées se feront bientôt rares et nous n'avons jamais cru à leur éternel retour. Il y en aura une dernière, nous ne l'attendons pas des hommes qui seraient encore assez farauds pour croire qu'ils ont dupé Dieu en le prenant de vitesse. Le beau nuage blanc s'étale et se capitonne comme un long pouf moelleux pour l'atterrissage des anges. Plus simplement dit c'est un nuage de Poussin dans un ciel de Watteau sur un Paris de Monet. Les pigeons prolifiques des nichées gauloises vont roucouler sur les corniches de béton comme sur les toits de jonc des cabanes lutéciennes. Ils n'ont pas l'air incommodés. Le fumet du mazout a relayé la fumée d'auroch, et puis après ? Je respire bien dans l'air le parfum naphteux des marécages de Sully-Morland où les guerriers de Camulogène tiraient à la fronde les canards et les oies que j'entends couiner dans les bassins de M. Buffon. C'est pour dire qu'en y mettant du mien le séjour s'évertue à contenir ses mutations. Et comment pourrai-je croire enfin que la nature et ses merveilles sont au péril des hommes quand l'aurore se lève comme une apparition biblique sur la nuée vraiment céleste et liliale qui se déploie sur Charenton.
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Rectification. Le grand nuage blanc si attentif à la gloire du soleil levant, ce météore décoratif et généreux qui fait la parure de l'horizon est une fumée industrielle. Elle est vomie jour et nuit d'une haute cheminée plus svelte et plus fière que le phare d'Alexandrie. Torrentielle ou floconneuse elle n'arrête pas d'évacuer ses cochonneries, sauf le 15 août par déférence légale aux saintes nuées de l'Assomption. Tout le restant de l'année le conduit fonctionne sans reprendre haleine. Émerveillé qu'un chalumeau si mince fume comme un volcan on se demande quels produits merveilleux sont réclamés d'urgence au prix d'une diarrhée éolienne persistante. Selon le vent elle prodigue ses blancheurs ballonnées sur le secteur Nord et défoule ses anneaux laiteux sur le secteur Sud. Par temps clair et vent nul c'est une pile d'édredons argentés qui s'écrase mollement sur Bagnolet. Par nuit de lune c'est l'angoissant message d'une prospérité insomniaque. Et quand le ciel est de plomb c'est le panache du progrès, l'ineffable clarté qui s'élève de la terre pour traverser les ténèbres d'en haut.
On me dit : calmez-vous, les fumées industrielles blanches sont des fumées épurées. Vas-y voir. Elles sont peut-être hygiéniques ? La blancheur a bon dos. Il est bien facile de rassurer les gens avec le blanc de la pureté. Tout ce qui est blanc n'est pas pur et tout ce qui est pur n'est pas innocent. La coco pure est blanche et l'arsenic aussi, toutes les nuits blanches ne sont pas angéliques et le blanc des sépulcres est passé en locution. Une fumée blanche sur la ville ne peut faire qu'un signal inquiétant. Le cours des choses est jalonné de signaux inquiétants et c'est un grand bienfait. S'il n'y avait pas de signaux nous n'aurions la liberté de passer outre.
M. Poujade ne tardera pas à se dire, s'il ne l'a déjà fait, que son ministère de l'environnement est un traquenard. Pour y échapper il suffirait de le prendre en plaisanterie ou en sinécure, je veux dire sans autre cure que des allocutions et communiqués témoignant de sa sollicitude à l'égard des populations présumées attentives à son mandat. Il aura compris qu'il était vain de s'attaquer aux effets sans toucher à la cause et qu'en l'espèce la cause est sacrée. Son chef de cabinet lui aura fait observer que les grands principes et le divin progrès ne sont pas étrangers aux environnements peccamineux dont lui-même et ses collègues de l'Éducation, de l'Économie, du Culturel etc. ont l'étrange mission de nous débarrasser :
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-- Entre nous, Monsieur le ministre, il faut bien dire que nos gouvernements s'en remettent volontiers aux rats pour venir à bout de la peste.
-- Je vous en prie mon cher, les affaires publiques ne se règlent pas avec des paraboles. Si je confie votre information à l'ordinateur il me sortira un fabliau pour l'Institut Pasteur qui le mettra au panier. Alors, s'il vous plaît, parlons direct.
-- C'est facile, Monsieur le ministre : les environnements pernicieux que nous avons à punir dans le monde sensible ou intelligible sont entretenus et exploités sous la projection de gros bonnets.
-- Qu'allez-vous chercher là mon cher ! vous ayez lu ça dans *Minute ?* D'abord, l'environnement n'est pas une tête de Turc, mais un être social qu'on vient à peine d'identifier. Il est encore fruste et nous devons le raisonner, le bonifier tout simplement. L'environnement a du bon, mon cher, nous lui devons vous et moi notre carrière, nous sommes les élus de l'environnement, il suffira de le purger de ses fraudeurs, de ses tapages et de ses miasmes.
-- Bien sûr, Monsieur le ministre, on peut toujours faire semblant, mais j'ose dire que l'amélioration du choléra est un projet captieux.
-- Ah ! vous revoilà dans la métaphore ? Si je dois administrer dans ces conditions, mon cher, si l'environnement est un mythe, supprimons-le et n'en parlons plus. Mon portefeuille pour une ambassade au Tiers-Monde !
-- Allons, Monsieur le ministre, vous n'allez pas livrer l'environnement au secteur privé ? C'est une atteinte à la sûreté de l'État. Votre collègue de la Santé publique ou des Finances n'a pas supprimé l'hygiène ou les finances parce que l'environnement hygiénique et financier sont plus ou moins souillés.
-- Ah ! c'est pourtant vrai mon cher que l'homme a toujours eu besoin d'environnement.
-- Hélas, Monsieur le ministre, là où il y a des hommes il y a environnement, bon ou mauvais.
-- Et nous n'y pouvons rien, mon cher, ils ont l'environnement qu'ils méritent.
-- Bien entendu, Monsieur le ministre, alors laissez-aller, croyez-moi. Et j'ose alors vous rappeler que l'environnement restauré à l'échelon national dans le gaullisme ou le paragaullisme doit se perpétuer dans le post-gaullien ou le gaulloïde, alors méfiez-vous de le dénaturer en le dépolluant.
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Laissez-aller, Monsieur le ministre : dénoncez les gaz, flétrissez les bruits, stigmatisez les microbes et célébrez vos tisanes, mais laissez aller. J'insiste encore sur le fait que la pollution n'est pas seulement le prix dont nous payons le progrès mais l'adorable témoignage de sa vélocité. Et alors, rendez-vous compte que la contre-pollution c'est l'immobilisme, l'OAS, l'intégrisme, enfin la contre-révolution ! Mais vous me faites marcher, Monsieur le ministre, et je n'ai rien à vous apprendre ; si notre campagne antipollution n'était pas une entreprise bidon nous serions déjà voués aux gémonies de la conscience mondiale et précipités dans les ténèbres de la réaction. Et alors, adieu la bonne soupe.
\*\*\*
Autre son de cloche. L'immense péril de la pollution serait un montage publicitaire au bénéfice de la toute jeune et dynamique industrie de la contre-pollution. Elle aurait fait des arrangements avec les confrères aînés solidement établis dans une économie forcenée, à la fois ultra-moderne et routinière, indifférente aux résidus. Ils auraient même accepté que les inconvénients ordinaires à toute industrie en expansion fussent ignominieusement calomniés sous le nom de nuisance, le dernier né des mots à bénéfice.
Si canular il y a il est parfaitement fondé sur la vieille combine de la crasse et du savon. Le pour et le contre associés dans la concurrence. La dyade indéfinie de l'eau minérale et du foie gras. La version commerciale et publicitaire d'un petit jeu socratique et sans fin. Si l'un des joueurs vient à manquer ou faillir il faut immédiatement le ranimer ou lui fabriquer un remplaçant. On a pu dire ainsi que l'OAS était un produit de synthèse élaboré dans les caves de l'Élysée pour stimuler le génie répressif et libérateur du général de Gaulle. Ou que la stratégie soviétique en Méditerranée subventionne les colonels grecs. Ou que le péril communiste est une invention des petits porteurs de fonds russes manipulés par Moscou. Je n'ai pas encore ouï dire que l'abbé de Nantes, Salleron, Madiran et Debray sont des créatures suscitées par l'épiscopat au bénéfice du modernisme opprimé, mais cela peut venir. La fièvre missionnaire et prophétique peut susciter l'esprit de machination pour la plus grande gloire d'une cause ou d'une autre.
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Et nous voilà dans les imbroglios de la subversion. C'est un mot qui fait beaucoup parler de lui en ce moment, et la chose n'en est pas du tout gênée. Plus les honnêtes gens la dénoncent et mieux elle se porte. Que de militaires vertueux n'a-t-on pas vu tendre des ficelles, eux aussi, et s'y prendre les pieds. Serait-il polytechnicien le machinateur bien élevé doit savoir que sa machine lui sautera au nez : il faut être soi-même enfant de subversion et subverti jusqu'au fond de l'âme pour semer le blé rouge et n'en pas mourir de colique. Ce disant j'avoue me payer la minute de bonne conscience qu'on obtient toujours en tranchant par l'absolu le casse-tête agaçant de la fin et des moyens. N'empêche qu'à prendre une fourche pour attaquer le fourchu, on risque gros.
\*\*\*
*Le chagrin et la pitié.* Il y a quelques mois je vous disais que le chef-d'œuvre de M. Ophüls nous faisait respirer en douce et pendant quatre heures d'affilée la haine déguisée, refroidie mais recuite où s'éternise l'esprit de la Résistance. Il faut bien croire que sa fortune en dépend. Le film est si roublard que ses grosses ficelles ont généralement échappé aux spectateurs les mieux prévenus. Les pétinistes anxieux de fraternelles embrassades ont applaudi à l'impartialité de M. Ophüls et même de sourcilleux collaborateurs. Je n'en reviens toujours pas. Mais j'apprends avec plaisir que M. Ophüls est enfin attaqué en justice par une de ses victimes. Mme Nury avait été condamnée à la libération pour avoir livré son mari à la gestapo, jugement rendu par le tribunal de Nevers sans autre pièce que la dénonciation d'une de ses amies. Au bout de vingt cinq ans, Mme Nury, toujours protestant de son innocence, a obtenu révision de son procès et gain de cause : elle avait été calomnieusement dénoncée par la dénonciatrice même de son mari. La réhabilitation n'était pas encore prononcée quand M. Ophüls, pour les besoins de son art, interrogea cette malheureuse. Il a trouvé là un des personnages les plus captivants de son documentaire. Je suppose que l'amie dénonciatrice a été en son temps récompensée de quelque manière et qu'on n'ira pas maintenant lui chercher des ennuis, et quoi qu'il en soit le film avait plutôt besoin de Mme Nury. Elle ferait une bonne allégorie de la France avilie jusqu'au fond des provinces par le gouvernement de Vichy. L'interrogatoire est conduit avec douceur et malveillance.
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La patiente a tout de suite compris qu'on ne lui voulait pas du bien et nous la voyons sur ses gardes, nouée. Malheureusement elle n'est pas du genre petite vieille bonasse et pitoyable. Si jamais elle fut avenante et gracieuse, vingt-cinq ans de calomnie féroce lui auront durci les traits, peut-être le cœur. Les questions lui sont posées comme pour la mettre en confusion et accentuer son embarras photogénique. Son visage est ingrat, mais de quelle gratitude voudrait-on qu'il s'éclaire. Le regard est inquiet, méfiant, la posture guindée, la voix sèche, les intonations acides s'appliqueraient à satisfaire les intentions du metteur en scène. La malheureuse est si bien traquée par l'objectif que tous les spectateurs la reconnaîtront pour menteuse et coupable. Et quand l'artiste aura découvert ses mains ils ne douteront plus de son crime, la caméra ne cesse d'aller et venir de la bouche qui ment aux mains qui se tourmentent. On nous détaille le jeu des mains nouées et dénouées, les doigts qui se tordent, piégés dans la magie des gros plans. Tout au long du film on aura vu l'artiste au choix des images, mais là vraiment c'est l'œil du maître et le génie de l'inquisiteur, et la lâcheté. Car enfin c'était le Cinéma qui était venu jusqu'ici, dans cette chambre médiocre ; le très haut et tout puissant Cinéma, l'ogre, le géant, le souverain juge du bien et du mal qui était venu soi-même en personne, avec ses lumières et ses machines, pour jeter la dernière pierre sur une femme déjà lapidée, par erreur.
J'ignore sur quoi est fondé le procès intenté par Mme Nury. M. Ophüls fera sans doute constater qu'à la sortie du film l'erreur judiciaire n'était pas encore sanctionnée. Peut-être alors lui reprochera-t-on les côtés trop tendancieux des images et de l'interview. En ce cas je pense qu'il fera aisément reconnaître les droits sacrés de l'art et de l'artiste sans avoir besoin d'invoquer les droits sacrés de la Résistance. Au pire, en cas de bonne justice, il faudra couper toute la scène, tant pis pour l'art mais la Résistance elle-même n'y perdra rien.
Enfin tout cela n'est pas grave, le film poursuit sa carrière et même flanqué d'un Oscar. Les gens qui avaient vu Mme Nury coupable reviennent la voir innocente en lui trouvant tout de même un air coupable ; et ceux qui ne l'avaient pas encore vue font la queue pour se payer la scène de torture imméritée en songeant qu'après tout la réparation pourrait être aussi une erreur judiciaire.
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Songez alors vous-mêmes que Mme Nury n'est pas morte, que vingt cinq ans de supplice moral ont pu la laisser capable de souffrir encore et qu'à l'enseigne du chagrin, et de la pitié elle est toujours ligotée au cinéma de M. Ophüls, pilori national où des millions de Français ont déjà défilé et défilent toujours ; on paye vingt francs au tourniquet.
Dans ce film truqué Mme Nury est à ce jour la seule plaignante. M. de Chambrun dont le témoignage a été coupé à son insu n'a pu mieux faire qu'une mise au point et protestation platonique. Disons-nous que le passage coupé était fracassant. D'autres coupures ont été faites en d'autres scènes et témoignages que les intéressés n'ont pas cru bon de relever, par indifférence, paresse ou bonnes raisons que j'ignore. Il ne semble pas que la déclaration de M. Bidault ait fait l'objet de mutilations. Nous l'aurions à mon avis entendu crier, c'est dommage. Tel que je l'ai vu passer le témoignage n'a pas été emprunté aux collections de l'époque, il a été sollicité pour les besoins du film et de la cause. J'attendais alors que M. Bidault nous fît, ès-qualité de résistant, une sortie, une échappée, une allusion à propos de l'Algérie française, de quoi rappeler aux spectateurs que la Résistance, bêtement affublée d'une majuscule épisodique, est en réalité un mot commun utilisable en tout lieu, temps, et circonstance opportune et honorable. J'ai attendu en vain. Tant pis ; ce sera pour la prochaine fois.
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Au début de février le cardinal Daniélou, vêtu en clergyman et chaussetté de pourpre, est allé voir *Godspell* à la Porte Saint-Martin. Il y avait dans la salle d'autres personnalités bien parisiennes. Je suppose que vous avez entendu parler de Godspell qui est l'Évangile de saint Matthieu dans une adaptation hippie rock et pop. Disons tout de suite que la productrice, Mme Fargue, n'a pas voulu dénuder ses personnages comme elle le fit pour *Hair* et *O Calcutta* dont les enseignements plastiques ne concernaient pas directement la problématique ecclésiale. Mais *Godspell* est une comédie musicale, de patronage à vocation internationale mercantile et les producteurs n'ont pas voulu traumatiser leur public ni abuser des largesses de la tolérance religieuse. On se borne à traiter l'ouverture au monde en forçant un peu sur le côté entrée de cirque, on émoustille l'évangile par des clowneries bien réglées avec petit calvaire modéré pour faire pleurer Margot, et le happy end. La démolition en cours ayant tendance à forcer le train il faut la conduire avec prudence et bonhomie.
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Voici, d'après un numéro de *France-soir* où je pique l'information, quelques apostrophes et sentences tombées de la bouche d'or des personnalités parisiennes qui se trouvaient dans l'assistance.
Mme Simone (comédienne, 95 ans) : « Ils sont tellement mignons ! »
M. Couve (ancien ministre) : « Je suis dans le bain. »
M. Sabatier (prix Goncourt) : « Je me suis marré comme un petit fou. »
M. Touffait (Procureur général) : « Je n'avais pas lu l'évangile de saint Matthieu depuis longtemps et j'y retrouve l'importance de la justice il y a deux mille ans. »
L'innocence de ces commentaires attesterait l'innocence du spectacle. Ils ont été recueillis pendant l'entracte au cours duquel les acteurs servaient le vin rouge dans la salle et sur la scène. Le cardinal était monté sur la scène pour trinquer avec l'acteur qui tenait le rôle de Jésus. Très entouré le cardinal manifestait son contentement : -- « L'évangile retrouve toute sa fraîcheur », disait-il, et chacun d'applaudir à cette fraîcheur qu'on croyait perdue. Puis s'adressant à la productrice, très entourée elle aussi : « Faites-moi signe pour J. C. S. S. », dit le cardinal. J. C. S. S. sont pas les initiales d'un homme politique dans le vent mais celles d'un grand artiste oublié qui revient très fort dans le vent : Jésus-Christ Super Star. Mme Fargue en prépare l'exhibition au TNP.
Quelques jours plus tard le cardinal Daniélou publiait un avertissement sévère à l'intention des novateurs excessifs. On doit raisonnablement penser que les *Godspell* ne sont pas du tout visés par les avertissements du cardinal.
Mme Carmen Tessier est la piquante et célèbre consœur qui, chez Lazaref, nous relate le cours des choses parisiennes. En novembre dernier elle invitait le cardinal Daniélou à dîner chez elle. Rencontre amicale et pouvant servir aussi bien les intérêts de la chronique et ceux de la pastorale. En bonne hôtesse et chroniqueuse avisée, Carmen Tessier fait parler son invité. Le cardinal est très gai, disert et primesautier, d'après l'article bien sûr, et compte tenu de la manière de Carmen Tessier.
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Des traits qu'elle nous rapporte je ne détacherai que deux ou trois pour donner le ton. Le mariage des prêtres ? -- « J'en ai par-dessus la tête de ce faux problème ». Les femmes prêtres ? Éventuellement il ne serait pas contre, si le pape en décidait ainsi. « Alors, mon père, qu'y a-t-il d'important dans l'Église d'aujourd'hui ? » -- « Rétablir le dialogue avec le monde moderne, parler surtout de paix, de justice, de famine dans le monde etc. ». Les hippies ? -- « Ils demandent que la vie soit une fête et ils ont raison. » Et Jésus-Christ super-star ? -- « Cela ne me choque pas, plus on parle du Christ et mieux cela vaut. » Le Jazz dans les églises ? « Je suis pour tout ce qui fait entrer du monde dans les églises, etc. » (les *etc.* sont de moi).
Les propos de table, on sait bien ce que c'est. Que d'honnêtes curés et de prélats bon-bec n'ont-ils pas cédé aux entraînements du babil mondain. Verba volant que le bruit des assiettes éparpille. Mais pour un commensal de Carmen Tessier il n'y a pas de paroles en l'air. Le cardinal n'ignore pas que son hôtesse doit songer d'abord à l'amusement de ses lecteurs, il parle en connaissance de cause, il sera publié, tout est bon qui fait bruit de l'Église. Tout est bon au glorieux de ce monde qui fait placard de son nom aux affichettes de *France-Dimanche.* Enfin le cardinal a beaucoup ri au dîner, et j'ai comme l'impression qu'il a ri, tout seul. A force de consigner le brio de sa clientèle hebdomadaire, Mme Tessier serait un peu blasée. Je me suis même demandé, ayant lu sa chronique, si un rien de mépris n'avait pas contrarié sa verve habituelle.
Deux jours plus tard, à Strasbourg et prenant la parole au congrès des silencieux, le cardinal exhortait fermement l'auditoire à persister dans le respect des traditions selon les directives de Paul VI. Dans certains cas en effet le sermonnaire en tournée passe par la douane. Mais pour peu qu'il s'exprime de loin en loin avec la prudence d'un conciliateur, le cardinal Daniélou, malgré lui je pense, consolidera sa réputation de prélat de choc au service des cagots fascistes. La réputation lui étant faite principalement par les défroqués de l'église mondaine, il est permis d'en sourire et même d'en sourciller.
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Les élèves caporaux, malicieux comme pas un, ont découvert depuis longtemps l'économie des commandements qui font exécuter deux mouvements dans le même temps, par exemple : « En avant... halte ! » et « Demi-tour à droite... gauche ! ». L'enseignement du cardinal Daniélou rappellerait un peu cette manière. Disons pour être juste que les balancements qui s'en suivent s'articulent fermement sur l'axe romain. De quelque côté qu'il penche, le cardinal professera de sa fidélité au Pape et nous sommes bien d'accord.
Si le cardinal est modeste ou ambitieux, je n'en sais rien. Beaucoup d'ambitieux autant que de modestes ont bien servi l'Église. Dans l'hypothèse où, par ces moyens de chèvre et de chou, le cardinal envisagerait d'être un jour pressenti pour le rôle de médiateur et d'y réussir, il se tromperait je crois beaucoup. La médiation n'est pas affaire d'équivoque. Ceux qu'on appelle à ce rôle et qui s'en acquittent avec bonheur sont généralement des hommes forts.
Jacques Perret.
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### Au courrier des lecteurs
par Hugues Kéraly
CHACUN DE NOUS lit comme il peut, trop souvent aussi comme il veut, et ne se donne en fin de compte que bien rarement la peine de raisonner ses préférences. Pour ma part, quoique rempli de la plus grande admiration pour tous les textes -- éditoriaux ou chroniques -- où mon esprit trouve à subir la séduction d'une pensée à la fois large et achevée, c'est presque toujours par une avide compilation de ses *Avis pratiques* que je commence ma lecture mensuelle de la revue. La raison n'en doit pas être cherchée bien loin, ni bien haut : j'y trouve en effet une sorte de compensation personnelle devant l'absence, dans la revue, de ce qui existe partout ailleurs ([^173]) sous la rubrique bien connue de « Courrier des lecteurs » -- transposée à juste titre en courrier « du cœur » dans les publications qui ne sont normalement pas faites pour être lues... Car de ces rubriques je suis, on verra pourquoi, un des lecteurs certainement les plus assidus.
Mais sans doute faut-il d'abord que je me fasse mieux comprendre. Nous avons chaque mois ([^174]) dans ITINÉRAIRES, sous une forme ou sous une autre, un « Courrier du Directeur » qui est à l'évidence tout à fait important et, je le pense aussi, tout à fait passionnant. Il m'a toujours semblé cependant qu'il ne devait pas être l'un et l'autre par la seule vertu de sa cause efficiente, c'est-à-dire de son artisan, mais aussi en quelque sorte par les exigences de sa raison d'être matérielle ;
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je veux dire en cela qu'il constitue également une manière de courrier des lecteurs au premier degré d'abstraction -- et donc abstraction faite de toute matière sensible individuelle, mais non point pour autant de toute « matérialité » ([^175])... Autrement dit, la vie toute crue n'est pas loin ; et il faut bien que l'expérience directe, constamment enrichie, des lecteurs eux-mêmes s'y reflète à l'occasion dans sa toujours instructive vérité. J'engage ici très fermement ceux qui n'auraient pas encore senti la nécessité d'y goûter à revenir sur un préjugé malheureux et particulièrement répandu, et à s'attarder un peu plus -- en lisant ITINÉRAIRES -- sur la fin : prenant garde, au demeurant, que les leçons les plus riches se trouvent généralement confinées dans ces notes courtes, discrètes et comme automatiquement répétées auxquelles on trouverait dérisoire d'accorder régulièrement un peu de son temps et de son attention.
Laissons maintenant le premier degré d'abstraction et venons-en au degré zéro, celui du courrier des lecteurs proprement dit, tel qu'il nous est habituellement donné de le lire à travers presque toute la littérature périodique à grand tirage de notre temps. J'avoue qu'il ne m'est pour ainsi dire jamais arrivé de jeter un journal sans y glaner au préalable quelque pâture -- et point du tout négligeable. A mes yeux, ce courrier offre en effet l'occasion de prendre -- d'une façon que je qualifierais volontiers d'*expérimentale* -- la température de notre société, de mesurer par là même son évolution -- et de sonder ainsi parfois, d'un seul coup d'œil, la situation réelle, non retouchée par le mensonge journalistique, de ses nouvelles mœurs intellectuelles ou morales. Et il faudrait dire aussi *sentimentales* (pour le courrier « du cœur »), mais en réalité les trois choses sont intimement liées... On m'opposera peut-être que, jusque en ce domaine tout à fait marginal de l'information, le rédacteur sans scrupules peut falsifier à l'occasion sa correspondance, en y introduisant le savant arsenal de son mensonge quotidien : par ceux -- et ce -- qu'il décide de citer (nous savons bien ce qu'il en est, souvent, des lettres envoyées aux journaux) ; par le jour, la circonstance et le lieu où il choisit de le faire ; par la manière et le ton de sa réponse ou éventuellement, de son commentaire personnel ; etc.
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Pourtant, même après de pareils traitements, il subsiste nécessairement dans son *Courrier* quelque chose qui n'est pas entièrement fonction de ce dont il entend nous persuader ; qui émane directement des lecteurs eux-mêmes. C'est qu'en vérité le rédacteur le plus malintentionné ne peut ici nous mentir que par omission : et comme sa petite vision personnelle des choses fait qu'il ne voit ni ne comprend, dans ce qui lui est adressé, que ce qu'il veut bien y voir et comprendre, le plus important finit de temps à autre par lui échapper. Il suffit pour s'en apercevoir de relire attentivement après lui... avec naturellement d'autres yeux que les siens.
On connaît aussi la circonstance où l'intérêt de ce type de « sondage » grandit considérablement -- lorsque, par chance, la personnalité même du correspondant interdit qu'on lui fasse subir le traitement habituellement réservé à la simple piétaille. Alors on peut lire des lettres entières, et faire de véritables découvertes. (C'est souvent le cas, par exemple, dans le journal *Le Monde,* lequel remue en fin de compte une trop grande masse d'information pour la déformer toute -- quand même il y serait absolument décidé, ce qui pour l'heure ne semble pas.) En définitive, il n'est rien qui *découvre* plus son auteur que l'écrit, fût-il le mieux écrit, dès lors que celui-ci n'émane pas d'un professionnel, d'un spécialiste du mensonge journalistique... Supposons même que la personnalité en question s'avère être par ailleurs, dans sa propre sphère d'influence, un très habile spécialiste de la falsification et du mensonge publics. Je tiens qu'une telle personnalité ne saurait s'exprimer, en même temps et sous le même rapport, en spécialiste du mensonge *journalistique,* et que par suite elle ne saurait nous mentir pareillement, je veux dire sur le même plan et avec la même aisance.
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Voici pourquoi : le mensonge journalistique, tout comme l'abstraction, procède normalement par *degrés,* ou modes successifs, que nous pensons pouvoir ramener à trois principaux. Aucun d'entre eux, d'ailleurs, ne peut ni ne doit ici être qualifié de souverain -- le cumul des trois manières étant parfaitement possible, et même souvent souhaitable dans les pratiques mensongères les plus couramment utilisées. On va voir comment.
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Le *premier* mode, ou degré, consiste évidemment à falsifier l'information elle-même : c'est le mensonge *direct,* et à part entière ; le moins commode sans doute à mener sans faille jusqu'à son terme, mais aussi le plus difficile à récuser -- puisqu'il suppose qu'on soit pratiquement le seul à disposer de toute l'information nécessaire (ou à pouvoir la diffuser). Aussi reste-t-il principalement le fait du traducteur, de l'interprète, de l'envoyé spécial, du sociologue, de l'économiste, et autres « spécialités »... Que penser par exemple d'une information sur le chômage *réel* dans une quelconque région, établie sur la seule base du chômage *déclaré,* quand on devrait bien savoir par ailleurs que : d'une part, il y a une foule de chômeurs (déclarés) qui exercent en fait un emploi rémunéré ; d'autre part, il y a une autre foule de chômeurs non déclarés (et qui en effet ne travaillent point) ; enfin, il y a cette foule de travailleurs (déclarés, eux aussi) qui feraient bien mieux en réalité de se considérer comme chômeurs, leurs fonctions ne correspondant plus à aucun travail réel ? Et je n'entre pas ici dans la délicate question de savoir si, sur le nombre de chômeurs *déclarés et réels,* il ne faudrait pas encore soustraire un pourcentage plus ou moins important (selon les régions) pour ce chômage *transitoire --* imputable à la seule « mobilité de l'emploi » inhérente à certaines professions -- où certains économistes indépendants voient la marque d'un progrès manifeste, et non d'une dangereuse instabilité.
Le *second* degré du mensonge journalistique passe de très loin le premier en importance (tant quantitative que qualitative), et il faudra bien un jour en dénoncer, par le détail, l'extraordinaire nocivité : c'est le mensonge *indirect* -- ou mensonge « par omission », mais mieux vaudrait dire ici par élection orientée, par accumulation de choix successifs et partiels... Celui-ci en effet ne devient mensonge qu'au terme d'un nombre suffisant de répétitions, autrement dit à condition d'en faire un usage constant, cohérent et assuré. Il ne consiste pas tant, on le sait, à falsifier la nature des événements eux-mêmes, qu'à choisir -- entre tous -- ceux qu'il conviendra de mentionner par priorité, en quels termes, et jusqu'à quel point : le plus souvent, on se contentera donc en réalité de *créer, à l'occasion d'un événement déterminé et indiscutable, une information qui dépasse* (ou au contraire n'exprime pas) *la portée réelle de cet événement.* Mais c'est déjà beaucoup, car de telles pratiques, systématiquement répétées, entraînent des conséquences qui n'affectent pas seulement la réalité de l'information elle-même :
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elles ne manquent pas, en effet, de favoriser puissamment la propagation de conditions psychologiques et sociales favorables à la réapparition des types d'événements choisis, parmi tous les autres, comme particulièrement dignes d'être rapportés... Phénomène que nous expérimentons pour ainsi dire chaque jour, en ouvrant au hasard notre grand quotidien habituel ou encore en captant les « informations » d'un quelconque poste périphérique : je défie bien quiconque aujourd'hui de discerner sans grave risque d'erreur -- dans tel obscur procès, telle rencontre sportive, telle manifestation sociale, telle campagne de dénonciation « politique » -- où finit exactement l'événement réel, c'est-à-dire tel qu'il a été effectivement vécu sur place, et où précisément commence l'événement journalistique ou (surtout) radiophonique ; quel a été l' « impact » du premier sur le second, et réciproquement.
Enfin, le *troisième* degré du mensonge journalistique se présente à mes yeux comme la *répercussion psychologique* en quelque sorte *inévitable* d'une trop longue pratique des deux premiers modes, à la fois sur la mentalité du public et sur celle de la profession -- je veux dire quand le lecteur ou l'auditeur n'imagine même plus qu'un certain « journalisme » est quotidiennement en train de lui mentir, et que le journaliste lui-même ne réalise plus qu'il ment, qu'il porte la responsabilité de cette quotidienne mystification... Le mensonge en effet a manifestement atteint chez certains professionnels de l'information déformante le pouvoir terriblement coercitif d'une seconde nature, d'une nouvelle manière permanente d'être et de penser. Il ne s'agit plus du tout en somme d'une simple habitude vicieuse, mais d'un véritable *habitus.* L'instinct prend alors la place de la volonté, qui permet au chroniqueur d'actualité de reconnaître infailliblement, parmi l'ensemble des événements de la semaine ou de la journée, en fonction des sentiments de sympathie ou de répulsion en cours dans son milieu et sa profession :
1\. l'événement qu'il ne faut *jamais* voir, ou dont il ne faut voir qu'une partie, afin de diminuer le risque de le revoir ;
2\. celui qu'il peut voir *quelquefois* (par exemple lorsque les circonstances rendent impossible de le dissimuler complètement), et la manière de le faire voir au moment opportun ;
3\. celui enfin qu'il doit *toujours* voir, et comment, pour augmenter les chances de le revoir bientôt.
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Voilà pourquoi il reste apparemment hors de question, pour le non-initié, d'accéder d'un seul coup et en fonction des seules nécessités de l'heure présente, à la maîtrise d'une rhétorique qui -- pour aller contre la vérité matérielle des choses -- n'en requiert pas moins l'expérience répétée d'un savant appareil de procédures « logiques », et même souvent l'acquisition de tout un complexe d'(aberrantes) attitudes mentales... Même et surtout si ce non-initié est un personnage public ; car le mensonge journalistique exige presque toujours une légère auréole de (*pseudo*) objectivité et d'anonymat (*apparent*) : celle dont bénéficie exclusivement aux yeux du public le professionnel qui prétendument s'efface, « parce-qu'il-vous-informe-avant-tout ». On n'est jamais mieux trahi que par les siens.
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Un exemple entre mille. A la fin de l'année dernière, on s'en souvient peut-être, la presse dite d' « opinion » s'était assez fortement émue des menaces de chômage qui risquaient de peser cette année sur la Lorraine du Nord, à la suite d'importants licenciements envisagés par le groupe Wendel-Sidélor, et sur la Meuse, à la suite de la fermeture définitive d'une usine à Bar-le-Duc... Mgr Boillon, évêque de Verdun, était alors aussitôt intervenu pour faire connaître par tous les moyens appropriés la vivacité de son émoi personnel, jeter dans la balance sa solidarité indéfectiblement acquise aux revendications syndicales en cours, et rappeler fermement au patronat français le droit au travail reconnu par la charte des Nations Unies -- proférant pour finir cette profonde sentence épiscopale : « *Comment s'étonner des révoltes de ceux qui veulent que ça change ? *» L'opinion locale, et même nationale, ne manqua pas d'être très favorablement frappée par tant d'énergique assurance ; quant à la conjoncture économique, elle faillit bien s'en trouver elle-même définitivement ébranlée...
En ce qui nous concerne, nous ne nous sommes guère étonnés, à vrai dire, des sursauts et des assauts de Mgr de Verdun face aux menaces locales de la situation économique. Le « il faut que ça change » épiscopal, appliqué par priorité aux événements de l'ordre politique et social, est aujourd'hui un air assez connu : au point que nous finissons par ne plus trouver nous-mêmes révoltant, voire simplement étonnant, qu'un évêque n'ait apparemment rien de mieux à faire -- en pleine crise spirituelle -- que de participer au plus grand nombre possible de débats sur l'actualité économique ou sociale de notre pays ;
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et par surcroît rien de mieux à y apporter que le poids de son émotion et celle de l'O.N.U. réunies, pour les besoins de la cause revendicatoire, en un pathétique sanglot... Aussi l'anecdote n'aurait-elle rien de particulièrement notable, si les propos de Mgr Boillon n'avaient été entendus par un autre grand spécialiste des « droits » et « intérêts » de la population laborieuse : M. Georges Marchais, actuellement Secrétaire-Général-Adjoint du Parti Communiste français ; et ce dernier en fait publiquement état le 22 janvier 1972, à l'occasion d'une de ces déclarations à la presse qui suivent généralement les réunions importantes du Comité Central de son parti... Or c'est ici que les choses se compliquent, car Mgr de Verdun ne peut tolérer ce qu'il considère comme une « exploitation politique » de son intervention personnelle (qui *n'était pas* -- selon lui -- *une prise de position politique*), et se fâche tout de bon. Toujours très énergique, Mgr Boillon, dès qu'il ne s'agit pas directement de ses affaires épiscopales ([^176])...
Il le fait d'ailleurs comme le ferait, en l'absence d'un organe périodique à sa solde et dévotion, n'importe quel homme politique local de moindre envergure, mis en cause par un parti adverse : il écrit aussitôt au « Courrier des lecteurs » de son quotidien habituel une sorte de grande lettre ouverte, dont nous croyons honnête aussi bien qu'utile pour la suite de notre propos de reproduire ici les principaux passages (*L'Est Républicain*, édition de la Meuse, jeudi 27 janvier 1972, page 13 -- « Dans notre courrier ») :
« (...) J'ai cru comprendre que M. Marchais me récupérait comme allié pour prôner l'union de la gauche. Je crains que certains lecteurs ne soient, sinon influencés, du moins surpris par cette utilisation. C'est pourquoi je suis reconnaissant au journal de me permettre de m'expliquer. »
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« L'union de la gauche est une formule spécifiquement politique. Des catholiques la prônent sous diverses étiquettes. C'est leur droit. Mais il est de mon devoir de déclarer tout net que je refuse à quiconque de se recommander de moi pour cette option. Des chrétiens se situent presque sur toute l'amplitude de l'éventail politique. Je suis l'évêque des uns et des autres. Je rencontre chez des gens que l'on situe à droite, au centre ou à gauche, des valeurs et des intentions conformes à l'Évangile. Ils diffèrent dans leurs analyses et dans les méthodes qu'ils jugent plus aptes à faire évoluer la société dans un sens plus conforme à la dignité de la personne, à la liberté et à la solidarité. Je me refuse à les classer en bons ou mauvais. Je refuse au parti communiste le droit de me situer sur l'éventail politique. »
« Si je suis intervenu pour protester contre la manière dont s'est accomplie une fermeture d'entreprise, ce n'était pas une prise de position politique remettant en cause toute la société, mais une intervention en face d'un cas particulier, intervention dans laquelle me rejoignaient un certain nombre de chrétiens classés à droite et même des chefs d'entreprise. Je sais très bien que, quel que soit le régime politico-social, je devrais intervenir dans des cas analogues (...) ! »
« Car *il faut que l'équivoque soit levée* ([^177]). Dans sa lettre au cardinal Roy, le pape admet qu'un chrétien puisse rejoindre une perspective socialiste pour l'organisation de la société. Mais que mettre sous l'étiquette socialiste ? Il n'est que de lire les diverses opinions envisagées par le parti socialiste français, ou celles des socialistes allemands et des travaillistes anglais, pour se rendre compte des nuances considérables que permet une telle orientation politique. »
« Par contre, pour ce qui est de l'option communiste, la diversité est difficilement envisageable. Le parti communiste français se rattache à l'école de Moscou. Or, de cette école, comme évêque et comme français, je ne veux pas. »
« Je n'en veux pas d'abord *parce que j'aime la liberté.* Je reconnais qu'un tel régime peut permettre une meilleure répartition des biens et, par la profusion des équipements collectifs, rendre accessible à tous la participation au progrès matériel et culturel. *Il faut* *que chez nous les choses évoluent en ce sens*. Mais pas au prix de la liberté muselée, de l'endoctrinement totalitaire et des camps de concentration. »
« Or ce prix à payer est dans la logique du système : l'objectif est la « dictature du prolétariat ». Mais de quel côté que vienne la dictature, j'y suis allergique (...). »
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Sans doute est-il désormais bien assez *écrasant*, le dossier de la déconfiture épiscopale en matière de doctrine sociale chrétienne, pour qu'on ne se préoccupe plus de l'alourdir régulièrement de circonstances aggravantes, ou d'épisodes nouveaux. Aussi je crains fort qu'il ne soit pas besoin d'interroger longuement le texte de la déclaration épiscopale pour décider s'il convient ou non d'insérer aujourd'hui dans un tel dossier l'affaire « Boillon-Marchais ». Hélas, comment le nier ? Nous sommes ici en présence d'une de ces prises de position de la plus terrible gravité... parfaitement symptomatique au demeurant, du degré actuellement atteint par une fraction importante du clergé français, dans sa trahison quasi permanente de la doctrine sociale de l'Église.
Car enfin, après avoir lui-même soigneusement entretenu l'*équivoque* du plus irréprochable « apolitisme » ([^178]), précisant avec un grand luxe de détails la nature toute « particulière » de sa récente intervention ; après avoir bien fait observer qu'on trouvait des valeurs conformes à l'Évangile « sur toute l'amplitude de l'éventail politique » (au centre, à gauche, à droite même), et solennellement affirmé qu'il restait l'évêque des uns comme des autres -- après toutes ces sereines et bonnes paroles, que déclare Mgr Boillon ?
Il déclare que l'équivoque doit être *levée.* Admet alors qu'un chrétien puisse rejoindre une perspective « socialiste » pour l'organisation de la société. Reprend en effet à son compte les deux principaux thèmes communs à la propagande de tous les partis socialistes : celui de la nouvelle « répartition des biens », et celui de la profusion des « équipements collectifs » (objectifs nécessairement *subordonnés* à une appropriation collective des biens de production, et par suite à la création d'un appareil technocratique aussi bien que policier pratiquement investi de tous les pouvoirs). Reconnaît enfin que le régime communiste peut fort bien permettre la réalisation d'un tel programme.
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Et ajoute aussitôt qu'il se voit néanmoins contraint -- « comme évêque et comme français » -- de récuser sans appel ledit régime communiste parce qu'un parti communiste (fût-il français) ne pourrait en fin de compte réaliser ce programme de rêve qu'aux dépens de la liberté : ce en quoi il ne se trompe point du tout ; et qu'*il aime trop la liberté,* Mgr Boillon, pour payer de ce prix la réalisation d'un idéal politique quel qu'il soit... Motif tout à fait respectable en effet -- quoique bien mince et bien subjectif -- pour le français, pour l'homme privé mais pour l'évêque ?
Autrement dit, l'évêque de Verdun appellerait bien volontiers de tous ses vœux la réalisation du grand Bonheur socialiste ; mais *à condition* que tout se passe dans l'amour : dans la liberté, dans la solidarité, dans la fraternité les plus absolues. Il veut bien le qualificatif, la « perspective » -- mais non point du tout le « système » et sa « logique », non point le régime totalitaire et dictatorial, non point le parti unique au pouvoir... Ce en quoi cette fois-ci il s'illusionne gravement, car *tout socialisme passe en quelque sorte de la puissance à l'acte* AVEC la *dictature d'une classe technocratique dirigeante* investie de tous les pouvoirs. Et cela en dépit des « nuances considérables » que semble permettre une telle orientation politique. (Nuances réelles, mais qui en vérité sont surtout sensibles sur le papier : je veux dire au niveau des partis actuellement sans pouvoir, des sociétés de pensée. Dès lors qu'un parti vraiment *socialiste* accède seul au pouvoir -- comme c'est normalement son but --, il ne peut déboucher que sur un totalitarisme de droit ou de fait, plus ou moins bien dissimulé par les services de la propagande... Aussi Mgr Boillon a-t-il beau jeu de s'en tenir aux seuls exemples des partis socialistes de l'Europe occidentale.)
Il faut donc bien maintenant le reconnaître : au terme de son énergique « mise au point », l'évêque de Verdun n'a strictement *rien* fait d'autre que de retirer à un parti politique déterminé -- le Parti Communiste français -- la caution épiscopale qu'en définitive il reporte aussitôt (en fixant comme il le fait la nature et les limites exactes de son utopie personnelle) sur une tendance ennemie, mais en réalité bien voisine -- la tendance progressiste, utopiste et libertaire des principaux courants socialistes français.
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Mais, merveille. Voici que par cette lumineuse mise au point, rendue publique à l'intention des lecteurs de *L'Est Républicain,* Mgr de Verdun rejoint très exactement -- et presque terme pour terme -- l'argumentation actuellement développée sur les ondes et à travers toute la presse périodique par la gauche non communiste elle-même, autour de la sempiternelle querelle de l'union des gauches ; union chaque soir plus « nécessaire », chaque matin plus « problématique », si l'on veut bien en croire les avis les plus autorisés...
La gauche, on le sait, s' « émeut » aujourd'hui très vivement de savoir si, dans la perspective d'une alliance pour le pouvoir avec les communistes (et donc préalablement d'un programme politique commun), le Parti Communiste français accepterait enfin d'inscrire officiellement à son programme le droit fondamental à toutes les libertés d'expression -- je veux dire le droit pour *toutes* les minorités gauchistes à s'exprimer librement... Mais naturellement, répond alors invariablement le Comité Central, *même* les minorités pourront s'exprimer en toute liberté ; la démocratie populaire respectera les convictions de chacun... Assurance purement verbale ? Point du tout : nous avons actuellement à l'étude une proposition de loi qui figurera (en post-scriptum ?) dans la prochaine édition imprimée de notre programme commun, *et qui prévoira dans le détail les modalités pratiques d'exercice de cette liberté,* pour s'assurer qu'elle reste bien « conforme aux intérêts de toute la population laborieuse ». Peut-on rêver plus large ouverture d'esprit ? plus bienveillante marque de compréhension réciproque ?
Telle est d'ailleurs aussi, exactement, la réponse que M. Marchais fait à Mgr Boillon, en lui répondant dans les mêmes colonnes, et à l'intention des mêmes lecteurs (*L'Est Républicain,* édition de la Meuse, vendredi 4 février 1972, page 17 -- « Dans notre courrier ») :
« Dans mon rapport devant le comité central du parti communiste français, le 20 janvier, j'ai souligné, faits à l'appui, que le pouvoir actuel -- loin d'être le défenseur et le garant de « l'intérêt général » -- sert avec un zèle sans précédent les intérêts exclusifs d'une infime minorité. »
« Des couches sociales toujours plus nombreuses, des courants de pensées divers, en prennent désormais mieux conscience et le disent à leur manière, et avec leurs préoccupations propres. J'en donnais une série d'exemples dans mon rapport. »
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« Je citais entre autres pour la justesse des préoccupations qu'elle exprime, cette déclaration de Mgr Boillon, évêque de Verdun : *Comment s'étonner des révoltes de ceux qui veulent que ça change ? *» ([^179]).
« (...) Sur la foi d'une « interprétation » pour le moins superficielle, Mgr Boillon craint que, de ce fait, nous ne « comptions sur lui » et que nous ne cherchions à le « récupérer comme allié pour prôner l'union de la gauche » (...) Ce n'est nullement notre propos. »
« (...) Face à la difficile condition qui est faite à des millions de simples gens, chacun se détermine naturellement comme il l'entend. Pour notre part, nous disons que pour placer l'économie au service de l'homme et non plus au profit de quelques grandes sociétés privées, il faut opérer dans notre pays un changement réel et profond de politique. Dans l'action pour un tel changement, tous ceux dont le grand capital lèse les intérêts vitaux ont leur place, côte à côte, *et dans le respect naturel de leurs convictions. *»
« C'est un fait que parmi eux, il y a de nombreux catholiques (...) ».
« *A quel changement convions-nous ceux qui croient au ciel comme ceux qui n'y croient pas ?* Notre programme pour un gouvernement démocratique d'union populaire répond à cette question. »
« (...) Mgr Boillon oppose à notre programme pour la France, ce qu'il croit savoir de l'expérience de certains pays socialistes. Disons d'abord qu'il ne paraît pas très bien informé (...) : hier encore, le père Arrupe, général de la compagnie de Jésus, reconnaissait, dans un rapport public, que les jésuites de Pologne *jouissent d'une liberté considérable sous le régime communiste. *»
« Mais surtout, je rappelle ce que j'ai dit dans une interview à *La croix :* Notre politique, notre programme, ne constituent pas des promesses. Ils constituent un engagement, et un engagement réaliste. Nous ne voulons pas bâtir une société nouvelle contre les masses laborieuses chrétiennes, mais avec elles. *En somme, nous proposons un contrat.* Un contrat engage toutes les parties contractantes, chacun veillant à sa bonne exécution. J'ajoute que les propositions que formule notre programme pour un régime démocratique nouveau seraient naturellement, et à plus forte raison, valables dans la France socialiste. Ce n'est pas en lançant l'anathème contre le communisme qu'on résoudra les graves problèmes (...).
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Pour sa part, le P.C.F. s'emploie au contraire à forger, contre la mainmise du grand capital sur le pays, la plus large union populaire sur un programme d'action et de gouvernement, *respectueux des convictions de chacun et conforme aux intérêts de toute la population, laborieuse. *»
Arrêtons là le mensonge -- ou plutôt la double série de mensonges manifestes paisiblement alignés par M. Marchais : série *directe* quand il s'adresse lui-même aux catholiques, et *indirecte* quand il se mêle de les faire parler, en choisissant pour interlocuteurs exclusifs... Ce serait d'ailleurs un exercice bien vain et bien fastidieux que de chercher à tout prix à les relever un à un, quand plus de six très grandes encycliques pontificales ([^180]) sont là désormais pour en avertir le lecteur désireux de s'instruire aux meilleures sources.
Au demeurant, je serai presque tenté de dire que lorsque le Secrétaire-Général-Adjoint du Parti Communiste français prend la plume pour répondre à l'évêque de Verdun -- et à travers lui à toute la communauté catholique de France --, le mensonge (inscrit en effet dans la « logique du système ») devient en quelque sorte *inévitable* *;* et il faudrait sans doute ajouter « de bonne guerre », si la cause était bonne... Par contre, lorsque l'évêque répond au Secrétaire -- et à travers lui au communisme tout entier --, pour en rejeter les perspectives au nom de son seul « socialisme personnel »...
Je laisse ici à décider où est la pire violence ; où se tient, à l'évidence, l'impardonnable et radicale *mystification.*
Hugues Kéraly.
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### Journal logique
par Paul Bouscaren
LES TABOUS sont intolérables à la conscience moderne parce qu'ils jugent de nos actes, non par abstraction, (sexuelle ou autre), mais compte tenu des circonstances ; lesquelles, sans aucun doute, se moquent d'une liberté aveugle à la nécessité des conditions particulières, à la nécessité de vivre dans le concret. Faisons-le observer par parenthèse : ce n'est pas un hasard si la liberté moderne aboutit à l'universelle irresponsabilité, il est impossible à la conscience de se sentir responsable de ce que l'on n'a pas à connaître selon ses conditions particulières. Impossible, dis-je, à la conscience normale, de là notre déluge d'irresponsabilité ; mais aussi quelques malheureux pour se faire brûler parce que l'injustice du monde pèse trop à leur conscience détraquée, identifiée à la « conscience universelle », dont les autres parlent... Retour au bon sens avec Ia IIae, 7, 2 ad 3.
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-- Les criminels sont des hommes.
-- Oui, sans aucun doute, mais précisément : lorsqu'un homme a fait voir qu'un homme peut être une bête féroce, que veut dire de l'appeler un homme sans opposition à la bête féroce ? Vérité certaine, mais quelle vérité sociale ?
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L'avantage pour chacun de savoir lire, si l'on veut bien le mettre en doute, paraîtra au moins douteux ; ce qui ne l'est pas, c'est l'avantage inestimable pour quelques-uns, et, par eux, de tous ; telle est la vérité humaine de l'instruction pour tous.
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Pas d'ordre social sans justice ; toute injustice est un désordre, d'une part, et, d'autre part, toute injustice détruit la justice et fait un mensonge d'y prétendre ; oui, oui, et oui ; mais... Mais au contraire, tout désordre s'entend par un ordre, faute duquel ce serait le chaos, où rien ne voudrait rien dire. On a lieu de demander si le monde moderne sait distinguer le zéro de justice de toute injustice consentie, d'un zéro d'ordre que ne peut être quelque désordre que ce soit, mais le chaos. Pas d'ordre que l'on puisse dire social sans le vouloir juste pour tous ; il n'en reste pas moins une marge d'existence immense, du désordre de quelque injustice au chaos de l'anarchie.
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« L'homme naît bon », selon qu'il s'agit de sa nature même blessée par le péché originel, ce n'est pas le serpent tentateur ; « la société le déprave », selon que l'homme a besoin d'être éduqué par la société, et qu'il reçoit de la société moderne une contre-éducation invraisemblable, -- à commencer par ceci, la vie personnelle n'étant possible qu'à l'existence de membre du corps social, qu'on fait liberté d'opinion et de conduite comme s'il n'en était rien, mais, au rebours, l'existence sociale par la liberté de chacun. Volontiers demanderais-je si des humains nés sans le péché originel résisteraient à pareil serpent mieux que ne firent Adam et Ève au Paradis terrestre.
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Notre temps se sert aussi mal de la science que de la langue, pourquoi fait-il aisément le procès de celle-ci et ne supporte-t-il pas que l'on accuse celle-là ? Est-il donc assez sot que d'identifier à lui-même une science dite moderne et prise pour la vérité, alors que la langue, ne pouvant être, même à pareille sottise, que l'héritage d'un long passé, devrait être à mesure un flot de mensonges où se noie la science ?
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Il faut être aveugle à la réalité démocratiste (et non pas démocratique), et ne rien comprendre à la conscience moderne, pour débattre encore si la fin peut justifier les moyens ; il y a les principes (de liberté, d'égalité, etc.), et... « il n'y a pas de problème » :
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tout ce qui s'oppose aux principes est à détruire, toute réalité doit être conforme aux principes à la seule mesure des pouvoirs de chacun ; les conséquences de l'application des principes n'ont rien à voir avec les principes, si bien qu'il suffit de rappeler ceux-ci à toute critique de la démocratie et de la conscience universelle. Voilà ce qui est le pain quotidien de l'Église ouverte au monde moderne, -- témoin le *Figaro* de ce jour comme des autres jours : « l'orthodoxie (au sens large de recherche de la vérité). » (17 août).
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Enfin, le bon sens populaire à *France-Inter* (13 h., 27 août) ! Des voyous ont poignardé à mort, sans raison aucune, un pauvre chien ; question à son maître de l'ordinaire sottise journalistique : « Si vous rencontriez ces jeunes, que leur diriez-vous ? » Le brave homme semble surpris, mais il n'hésite pas longtemps : « Dix coups de fouet chaque matin, pendant huit jours, à nu, voilà ce que ça mérite ! L'instituteur me dit que ce serait revenir au Moyen-Age ; je me fous du Moyen-Age ; c'est aujourd'hui qu'il faut ça pour ces voyous-là ! » *L'homme et les autres animaux,* langage de saint Thomas d'Aquin, il faut entendre : cet être raisonnable dont la vie est premièrement sensible et en deçà de la raison ; qui rendra cette humble vérité de l'homme à l'illuminisme moderne, au frénétique respect d'un homme qui n'existe pas, tant pis pour l'existence des hommes ?
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L'outil forme le bon ouvrier, ce n'est pas sa faute si d'aucuns s'accusent eux-mêmes en l'accusant ; ainsi en va-t-il par excellence du langage, l'outil propre de l'ouvrier de soi-même qu'est l'homme.
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Une fois de plus, peut-être la dixième, je vois citer à contre sens, (par Louis Chaigne, un critique), le *titre* de Maurras : *Quand les Français ne s'aimaient pas, --* toujours le même contresens du manque d'amour mutuel, où il s'agit du manque de fierté nationale. Je n'ai jamais vu faire cette citation (en dehors de l'A.F.) par quelqu'un qui la comprenait ; voilà qui en dit long, il me semble, sur les possibilités du dialogue, et, à parler net, sur l'imperméabilité de cet esprit moderne, si ouvert, mais, mon Dieu, *à quelle vérité contraire à ses préjugés ?*
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Pour saint Thomas, l'irresponsabilité passionnelle est une question de fait, n'y ayant rien d'impossible à ce que l'animal raisonnable se trouve sans plus de liberté qu'une bête, (Ia IIae, 10, 3) ; notre Docteur va jusqu'à préciser que l'on est fou de colère ou de désir « sicut et propter aliquam perturbationem corporalem *: hujusmodi enim passiones non sine corporali transmutatione accident *». A peine s'il manque le nom de l'adrénaline... Plus utilement, le Théologien rappelle qu'il y a deux natures dans l'homme, et que la vie des hommes, vertueuse ou démente, ou entre deux couci-couça, ne devrait pas permettre l'illusion de l'Homme (ibid., ad 2).
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La foi chrétienne n'est pas la foi révolutionnaire :
1° ni comme cette foi spécifique au lieu de cette foi générique ;
2° ni comme la révolution en cause est spécifiquement politique ;
3° ni comme une quelconque révolution sociale ;
4° ni comme une révolution personnelle devant opérer une révolution sociale ;
5° ni comme par identité de la conversion évangélique avec une révolution pour la nature humaine ;
6° ni comme révolution d'aucune sorte, mais comme restauration en Dieu par la grâce de Dieu en Jésus-Christ, (un cas topique est celui du mariage, Matthieu, 19/3-12) ;
7° la révolution la plus anti-chrétienne étant tout de même à craindre comme la *corruptio optimi pessima* du ferment évangélique en mauvaise pâte des hommes, la bonne odeur du Christ odeur de mort pour la mort, selon l'avertissement de l'Apôtre, (II Corinthiens, 2/16).
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Pourquoi ne dit-on jamais que l'antisémitisme a commencé par être un antiracisme de l'universalisme chrétien ? ignore-t-on également que l'antisémitisme de Maurras n'est pas un racisme, mais une réaction nationaliste à une agression de fait, tout comme son antimaçonnisme ?
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« Prendre son parti de quelque chose, en prendre son parti : accepter raisonnablement quelque chose de désagréable, de pénible, faute de pouvoir ou de vouloir faire autrement. » (Robert). Si donc « l'Évangile ne nous permet pas de prendre notre parti de l'injustice », au point de le réduire à « quelque vague sentimentalisme », faute d'y « apporter... les remèdes qu'appelle et permet la situation historique du temps présent », (Mgr Schmitt, évêque de Metz, *Figaro* du 6 septembre), c'est alors qu'il n'y a pas, selon l'Évangile, d'acceptation raisonnable de l'injustice *dans le monde,* raisonnable à mesure de ne pouvoir remédier à ce mal, non plus qu'à beaucoup d'autres, personnels ou sociaux, où en réalité il faut voir et accepter, néanmoins, la volonté de Celui qui fait briller le soleil sur les bons et sur les méchants. Dont je conclus que l'évangile de Mgr Schmitt croit au mensonge extravagant de la démocratie, du peuple assez réel souverain pour être responsable de tous les maux, et se moque éperdument de démolir les consciences à coup d'obligations canularesques en elles-mêmes, et, pour comble assez visible, introuvables leviers de commande d'une entreprise esclavagiste on ne peut moins chrétienne.
A propos d'injustice... S'il arrive un accident où se casse une des plus tristes figures de notre Église progressiste, le *Figaro* nous en informe et réinforme en sa rubrique *Religion,* (8 et 9 septembre) ; si le cardinal Martin disparaît en montagne du dimanche au mardi, et laisse peu d'espoir de le retrouver, le *Figaro* en parle n'importe où, les mêmes jours, -- et pour cause : il s'agit d'une « équipée », (titre en page II, le 9 septembre) !
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Ni l'homme au volant n'est un autre homme, ni l'ordinateur, « outil strictement neutre,... ce que l'homme en fait », (*Figaro,* 10 septembre) ; *aucun outil n'est neutre pour l'homme qui s'en sert,* voilà l'humaine condition, au rebours du préjugé de liberté, strictement démentiel lorsque l'outil offre le pouvoir absolu, proclamé inhumain chez les princes.
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Si quelque chose peut préparer à bien vivre demain, c'est de bien vivre aujourd'hui ; vérité à longueur de la vie, mais singulièrement pour l'enfance, puisqu'elle ne peut sans violence être une vie adulte. *A chaque jour suffit sa peine !*
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*Loi* naturelle ou *droit* naturel ? Que dit à l'homme moderne le mot loi, sinon le premier sens donné par le Robert : « Règle impérative imposée à l'homme de l'extérieur », et point du tout le sens II : « La norme à laquelle il doit se conformer pour se réaliser » ? Alors que le mot droit emporte la liberté de pouvoir faire ou ne pas faire ? Jugez de là notre abandon de la *loi* naturelle au profit du *droit* naturel...
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Est-ce la liberté qui rend chatouilleux, ou le manque de liberté, dans ce refus d'un personnage, au demeurant inévitable en toute *personne *? La prétention d'être une personne sans aucun *personnage* fait le personnage le plus commun, le plus superficiel, le plus inconsistant, le moins conciliable avec la liberté de la personne.
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L'amour de la justice en dispense-t-il, ou bien quoi ? La soif de la justice en saoule-t-elle, ou bien quoi ?
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Un amour auquel on donne sa vie pour transmettre la vie, c'est la vérité du mariage et c'est la vérité du sacerdoce chrétien ; je doute que ce soit reconnu lorsque l'on conteste à l'Église le droit de demander que l'on choisisse entre les deux sacrements, pour l'unique vie que l'on ait à donner.
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Une femme qui pleure renonce à frapper, nullement à combattre et moins encore à vaincre ; les hommes s'y trompent comme le chien à la queue du chat, et comptent sur les femmes au pouvoir pour la paix du monde.
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L'homme a toujours fait obstacle à l'homme, l'homme moderne rend l'homme impossible. Faire un chrétien de l'homme impossible, je peux l'espérer d'un miracle, je constate la prétention d'y arriver par une catéchèse moderne. Faut-il éclairer ma lanterne ?
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L'homme n'est pas totalement homme et agira sans difficulté selon qu'il n'est pas homme, auquel cas il ne se respecte pas lui-même, voilà l'obstacle. Or l'homme est moderne selon que le respecter consiste à respecter sa conduite en tant même que conduite d'un homme, les yeux clos sur l'équivoque fondamentale de cette qualification humaine : inséparable de l'être, pas du tout inséparable de la conduite de cet être. Respect de l'humanité où elle se trouve, mais alors, sous bénéfice d'inventaire là où elle peut manquer ! Respect chrétien pour les incroyants, qui sont des hommes, oui ; respect de l'incroyance en tant qu'incroyance, non à cette impossibilité moderne du chrétien et de l'homme.
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Malheur aux hommes d'aujourd'hui, croyants ou incroyants, comme ils ignorent tout ou presque tout de l'Évangile, comme ils sont sans défense devant l'exploitation de leur crédulité par les prêtres ! « La justice dans le monde » qu'ils nous doivent est « une justice de Dieu qui vient de la foi et aboutit à la foi », (Romains, 1/17), mais une telle *justice* parle au monde pour ne lui rien dire et ne rapporte rien aux prêtres ; alors, ils tendent l'oreille, et les voici au service d'une justice des hommes, par les hommes modernes pour les hommes modernes, évangélisée l'Évangile même, enfin compris et vécu.
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Parler de toute chose n'y comprenant d'ordinaire à peu près rien ne peut manquer d'aboutir à l'incapacité de dire même ce que l'on sait ; en fallait-il une preuve expérimentale, nous en avons deux : celle du langage de la jeunesse étudiante, celle du langage des parleurs professionnels de la radio.
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S'il faut l'égalité de la naissance pour tous, est-ce là un titre à revendiquer les droits inégaux des appartenances familiales ? Si la naissance donne droit à une famille, assure-t-on ce droit aux individus en les regardant eux seuls, comme si l'institution familiale n'avait rien à perdre avec une loi qui la compte pour rien alors même qu'elle prétend l'assurer à tous ?
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« Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le suis. » (Jean, 13/13). Si l'Église est le peuple de Dieu par opposition à la traditionnelle Église hiérarchique, le Christ s'y trouve donc dans et par la foi des chrétiens, voilà tout, et notre Maître et Seigneur n'a fait que passer sur la terre, il n'y est pas demeuré « en forme d'Église » ; le Fils de Dieu fait homme, la foi catholique dit : non par mutation de la divinité en l'humanité, mais, tout au contraire, selon qu'une vie humaine, mystérieusement, est assumée par le Verbe ; si la Vérité de l'Église est Jésus-Christ lui-même, comme l'enseigne saint Paul, mais s'il nous faut identifier l'Église au peuple de Dieu, alors l'évolutionnisme moderne obtient l'inconcevable mutation du divin en l'humain ; c'est la nouvelle intelligence de la foi chrétienne, par mutation, elle aussi.
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Pris un à un, les témoins introuvables de ce temps comme il passe me sont un monstre de sottise ou de mauvaise foi ; leur foule me détrompe : non des témoins mais des produits, non des témoignages, mais des documents sur la « prise de conscience » programmée.
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N'est-il pas comique de menacer l'Église de perdre les femmes, faute de leur accorder l'accès au sacerdoce ? Combien de femmes seraient prêtres ? Et ne sont-elles pas, ne l'étant pas, en compagnie de presque tous les hommes ? Quant aux pouvoirs du sacerdoce, l'égalité concrète de presque toute l'humanité n'est-elle pas d'en rester privé ?
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L'égalité de la femme avec l'homme dans la société se dispense toujours de poser les questions les plus naturelles en la matière, par exemple : une femme qui ne veut pas plaire et que l'on s'y plaise, absolument, et à la merci de n'importe quelle mode, vestimentaire ou autre, est-ce une femme ? Un homme qui veut de même est-il un homme ? Le non de part et d'autre laisse-t-il place à l'égalité dans les fonctions de gouvernement indispensables à toute société ? Alléguer les femmes bien femmes qui ont su gouverner à l'envi des hommes, n'est-ce pas avouer l'idéologie, incapable de distinguer de l'ordinaire l'héroïque, humain ou divin ? D'autre part, si l'on veut bien y réfléchir, est-ce trop du gouvernement traditionnel de la société par les hommes, pour compenser l'influence maternelle au long de la gestation et de la petite enfance ?
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Si le langage actuel pouvait ne pas frelater d'étrange manière ce qu'il pelote, ne faudrait-il pas s'ébahir d'entendre jacasser du *célibat* ecclésiastique, s'agissant pour les prêtres de la renonciation perpétuelle à prendre femme, et ceci seul étant héroïque : *le vœu de chasteté ?* On y ferme assez les yeux pour qu'un Père, au Synode, parle de « charrue avant les bœufs », du moment que les prêtres ne sont pas, dit-il, astreints à renoncer, comme à la famille, « aux titres et à l'argent », (*Figaro,* 14 octobre) : dirait-on pas qu'on ne puisse avoir ceux-ci sans leur être marié, obligé à la vie, à la mort, une seule chair avec eux, serviteurs de Mammon incapables de servir Dieu ?
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Jacques Laurent projette de faire un livre sur le mystère de l'écrivain de droite qui peut, tel Marcel Aymé, se déclarer contre les opinions de droite, (*Figaro,* 15 octobre, page 30). Mais Jacques Laurent vient de parler de distinction préalable, et non point de mystère, touchant sa propre opinion sur les prix littéraires ; « institution néfaste », il le montre avec force, et néanmoins son désir ne lui paraît pas contradictoire, que son dernier livre ait un prix pour être lu d'un plus grand nombre de lecteurs. Mais en voilà, de l'esprit de droite ! Et en voilà aussi, (page 23 de ce même *Figaro*)*,* lorsque le général Massu déclare, quant à la torture antiterroriste en Alger : « Je n'ai pas donné d'ordre, mais j'ai pris la responsabilité, j'ai couvert.... J'ai admis. »
Je veux dire ceci : l'esprit de droite ne tient pas des opinions de droite d'être l'esprit de droite, comme la gauche est la gauche par ses opinions ; la coupure irréductible, c'est l'opinion sur les opinions en tant qu'opinions : rien de plus que des opinions, et c'est loin d'être tout, dit l'esprit de droite ; mais jamais, au grand jamais, la gauche ne dira rien de tel de sa politique, -- axiomatique bien avant la théorie des ensembles !
Ce qui doit être dispose-t-il de ce qui est, à la seule mesure du droit de l'un sur le fait de l'autre, ou doit-il composer avec lui pour la bonne raison première de n'être rien du tout sans lui, même pas une rêverie cohérente ? « Fais ce que dois, advienne que pourra » :
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est-ce à dire le seul absolu de l'obligation morale, ou s'agit-il de déterminer chacun ses obligations sans avoir à peser les conséquences de ce que l'on fera et ne fera pas, -- conséquences bonnes ou mauvaises par toutes sortes d'autres principes que, bon ou mauvais en soi, ce que l'on fera et ne fera pas ? L'esprit de la gauche et l'esprit de droite ne sont-ils pas le cru et le cuit de l'abstrait et du concret, celui-ci concrètement humain, celui-là concrètement inhumain, -- voyez au concret la toute fraternelle décolonisation ?
« La guerre, disait Clausewitz, c'est la continuation de la politique par d'autres moyens. La politique, a renchéri Lénine, c'est la continuation de la guerre par d'autres moyens. » (*Figaro,* 14 octobre, page 40). A renchéri ? Comme l'esprit de la gauche peut renchérir sur l'esprit de la droite : en faisant de la politique sa guerre sainte.
Ce n'est pas ceux qui disent : « L'ordre, l'ordre », comme la gauche dit : « Justice, justice », qui sont les hommes de droite...
Mais encore, et serrant d'autre sorte, la politique est-elle, oui ou non, une opinion sur l'homme ? Oui ou non : le voilà bien, l'axiomatisme dénoncé ! Pourquoi pas, peut-être, oui et non, si la société qu'il s'agit de gouverner, concerne bien les hommes, mais reste loin de s'identifier à leur multiplicité multiforme ? S'il existe, sous le nom de politique, un art de gouverner le corps social pour son bien commun, cet art se réduit à un mot s'il n'est qu'une opinion sur l'homme ; et la société, à un mot pour dire son propre contraire, la dispersion de fait et de droit des individus humains ; et par là-même, directement et proprement, non, la politique n'est pas une opinion sur l'homme. Celle-ci ne peut se dire de celle-là que selon le rapport de la réalité sociale à la réalité des hommes en tant que citoyens ; cette seconde réalité emporte bien l'exigence d'une opinion sur l'homme en tant qu'homme, certes, mais : primo, d'une opinion requise comme une vérité indispensable, non pas, (la gauche a beau dire, redisons-le), comme opinion et ça suffit ; secundo, d'une opinion non pas sur l'Homme abstrait que Joseph de Maistre ni quiconque n'a jamais rencontré nulle part, mais sur l'homme réel qui vit en société, et c'est telle société, vaille que vaille ; l'animal citoyen, et, seulement ainsi, capable de vivre en animal raisonnable ; de sorte que, tertio, l'opinion sur l'homme que dit la politique est aussi une opinion, inséparablement, sur la société en tant que milieu propre de l'homme.
S'il y a une droite face à la gauche, depuis 1789, ce n'est pas en opposant opinions à opinions, ou opinion sur l'homme à opinion sur l'homme ; le refus de tels quiproquos définit seul une droite, comme ces quiproquos sont seuls à définir la gauche, libérale ou socialiste, et marxiste aussi bien. Car, en définitive, la gauche, c'est la révolution, et c'est-à-dire la réaction au mal selon la mécanique de la nature laissée à elle-même ; la droite, s'il en est une, relève de la volonté du bien, qui est finaliste, selon l'intention de la nature, et veut les moyens de ses fins, et veut à ce titre seulement une guerre au mal où la gauche et la révolution ne peuvent être que Gribouille.
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Pour « annoncer la bonne nouvelle aux pauvres », l'Église de Jésus-Christ doit-elle poser le « problème politique inévitable » de « la justice dans le monde », et déclarer, d'entrée de jeu, « les peuples sous-développés en état de légitime défense », (*Figaro,* 15 octobre, page 38), -- donc, témoin Robert citant le Code pénal, contraints d'accomplir des actes interdits par la loi pénale pour se protéger contre une agression injuste ? Tout ce que l'Église *peut* faire pour la justice dans le monde, tout ce que chacun peut faire, l'Église et chacun *doivent-ils* le faire ? L'esprit de la gauche estime que pareille question emporte *sa* réponse ; l'esprit de droite demande *quelle* réponse, puisque, primo, « faire pour la justice » dit une intention à ne pas confondre avec une action certaine du résultat ; secundo, « pouvoir faire » se dit en effet par rapport à l'Église et à chacun, et non pas quant à la fin proposée ; tertio, ni l'Église ni personne au monde ne peut « devoir faire » sans voir de façon précise, et le lien de son action à son intention, et que ce lien l'oblige compte tenu de toutes les circonstances, les bonnes et les mauvaises, et ce qui va s'ensuivre. Pourquoi, demande alors l'esprit de droite, Gribouille ne serait-il pas l'Antéchrist ?
Paul Bouscaren.
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### Éléments pour une philosophie du réel
*Chap. IV -- suite*
par le Chanoine Raymond Vancourt
CES RÉSULTATS, les savants les obtiennent grâce à leurs prétentions modestes. Il est devenu banal d'expliquer le progrès des sciences par leur spécialisation croissante. En effet, « le savant est celui qui sait tout ou quasi-tout dans un domaine de plus en plus restreint, actuellement presque infinitésimal au regard du panorama complet des connaissances » ([^181]). Nietzsche, dans un célèbre apologue, exalte *le consciencieux de l'esprit,* qui préfère « ne rien savoir que de savoir beaucoup de choses à moitié » ; qui se passionne pour un secteur infime du réel ([^182]), tout en se gardant de vouloir en déceler « les causes les plus profondes » ; qui déclare fièrement à Zarathoustra : « ...ce dont je suis maître et connaisseur, c'est du *cerveau* de la sangsue : c'est là mon univers à moi. Et cela est aussi un univers. Mais permets qu'ici mon orgueil se manifeste, car en ce domaine je n'ai pas mon pareil. C'est pourquoi j'ai dit : C'est ici mon domaine... Ma conscience exige que je sache une chose et ignore tout le reste ; je suis dégoûté de tous ceux qui ont l'esprit nuageux, flottant et exalté » ([^183]).
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Le savant découpe dans la réalité un secteur et s'y cantonne. Il ne prétend point expliquer la totalité du réel. Sans doute aspire-t-il, comme nous l'avons dit au chapitre précédent, à l'achèvement de notre connaissance des phénomènes, c'est-à-dire à la découverte de tous leurs rapports ; mais c'est à ses yeux un idéal infiniment éloigné et quasi irréalisable. Cela ne veut pas dire qu'il se contente d'aligner, les unes à côté des autres, quelques vérités sans lien entre elles. Pour qu'il y ait science, une « rhapsodie » d'affirmations séparées ne suffit pas ; il faut un ensemble coordonné de propositions, un « système » ([^184]). Mais le système constitué par une discipline scientifique correspond à un secteur limité de l'univers et n'englobe point le Tout.
Pour rendre cette situation plus claire, il faudrait analyser de près les concepts de système et de totalité. Faisons seulement remarquer qu'une totalité suppose une pluralité d'éléments, qu'ils soient homogènes ou hétérogènes : s'il n'en existe qu'un, il n'y a évidemment rien à totaliser. Mais il faut aussi un principe unificateur, qui empêche les éléments de rester à l'état d'éparpillement, car « la totalité n'est autre chose que la pluralité considérée comme unité » ([^185]). Bref, dès qu'on parle de système et de totalité, on retrouve le vieux *problème de l'un et du multiple,* que W. James considère « comme le plus central de tous les problèmes *philosophiques* et cela en raison de sa portée, de sa fécondité » ([^186]).
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Personne ne conteste que les réalités d'ici-bas soient nombreuses et diverses. ([^187]). Tout le monde admet également, semble-t-il, que l'activité de connaissance consiste à rechercher les connexions entre ces réalités, à les faire entrer dans des « ensembles ». Déjà au niveau de la connaissance vulgaire, le concept totalise les cas individuels passés, présents et à venir. Et le « genre », par exemple le genre animal, unifie la diversité des espèces. -- Ce processus totalisateur se manifeste également dans les sciences. Nous l'avons souligné plus haut : celles-ci ne consistent pas à aligner quelques vérités séparées les unes des autres ; chaque discipline, au contraire, constitue « un *système* de propositions développé selon certaines règles ;
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*système* signifiant d'une part que toute proposition de la science doit être compatible avec les autres... ; et d'autre part que chaque donné rencontré peut être décrit par la science en l'incorporant dans son ensemble » ([^188]). Des connaissances décousues ne suffisent donc pas pour qu'il y ait science ; il faut qu'elles soient étroitement groupées. Mais chacun des ensembles ainsi constitués est limité ; en dehors de lui, dans le vaste domaine scientifique, aussi vaste que le réel, il en existe d'autres, également limités. Sans doute, un des problèmes auxquels se trouve affrontée la science contemporaine est celui de leur coordination ; il n'en demeure pas moins que chaque science se débrouille, somme toute, assez bien à l'intérieur du secteur qu'elle s'est découpé et, en tous cas, n'éprouve guère le besoin d'évoquer la totalité du réel.
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On dira : c'est dommage, car les sciences risquent ainsi de se déconsidérer elles-mêmes. Elles oublient que la nature constitue un tout ; cette « totalité unifiée des phénomènes », dont Kant se plaisait à souligner l'interdépendance des parties ([^189]). Comment prétendre avoir expliqué un phénomène, lorsqu'on s'est contenté d'énumérer quelques-uns de ses antécédents immédiats et qu'on a, par principe, négligé les autres ? Omission d'autant plus regrettable qu'un fait ne dépend pas seulement de ceux avec lesquels il coexiste, mais aussi de ceux qui l'ont précédé dans le temps. Si tout tient à tout et s'il faut prendre la formule au sérieux, n'est-on pas en droit de se gausser, avec Valéry, d'une activité de connaissance qui « picore » seulement quelques lambeaux au sein d'une immensité et croit avoir engendré un savoir hautement scientifique ? N'est-elle point risible, par exemple, la jactance de l'historien qui estime avoir rendu compte d'un événement, alors qu'il est incapable d'en connaître tous les antécédents, proches et lointains ? Ne faut-il pas avouer que les sciences opèrent dans la réalité un découpage artificiel qui les disqualifie ([^190]) ?
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207:162
Les savants ne s'inquiètent pas outre mesure de ce reproche. Ils avouent qu'ils ne s'occupent pas de la totalité du réel, de l'ensemble infini des relations qui unissent les êtres dans l'espace et le temps. Ils croient, certes, au déterminisme ([^191]), mais n'estiment pas que celui-ci les oblige à découvrir toutes les conditions d'un phénomène, fussent-elles les plus éloignées. Ils se bornent à en rechercher les antécédents immédiats, ceux qui contribuent directement à leur production et sur lesquels nous avons prise. L'activité scientifique, en effet, ne se réduit point à la contemplation de l'univers ; elle doit permettre d'agir sur lui. Or, pour agir efficacement, pour faire bouillir, par exemple, l'eau dans un récipient, il n'est point indispensable de connaître les causes les plus lointaines de son ébullition ; il suffit que je sache qu'il faut un foyer de chaleur susceptible de faire monter la température de l'eau à 100°. L'action porte toujours sur quelque chose de précis, de délimité. Peut-être, en agissant, exerçons-nous une influence sur le tout ; mais ça ne nous intéresse pas. Bachelard semble reprocher à Descartes de ne considérer un objet que dégagé de ses relations avec les autres ([^192]). Mais Descartes, en négligeant d'examiner le rapport d'un être avec le Tout, se comporte en savant et laisse entendre, par là même, que le concept de totalité, au sens fort, ce que Kant appelle « la totalité absolue de toute expérience possible » ([^193]), n'est pas une idée de savant, mais de métaphysicien. On comprend d'ailleurs aisément pourquoi. La connaissance ordinaire, disions-nous plus haut, suffit à révéler la multiplicité apparente des choses, multiplicité que personne ne conteste. Leur unité, par contre, n'est pas évidente. On ne peut que la déduire, après avoir cherché, à ses risques et périls, un principe unificateur susceptible d'embrasser tout ce qui existe. De quelque façon que l'on conçoive ce principe, qu'on l'identifie à un Dieu personnel, cause efficiente et finale des réalités de ce monde ; à une Raison immanente qui se dégagerait progressivement de la nature (Hegel) ; à la matière, étoffe comme dans laquelle tous les êtres seraient taillés (marxisme) ; au « genre humain », promu à la dignité de centre de l'univers et de l'histoire (Feuerbach) ; -- qu'on l'envisage de quelque manière que ce soit, ce principe ne peut être découvert par les méthodes scientifiques.
208:162
En l'affirmant -- ou en le niant --, le savant sort de son domaine ; il oublie qu'il a uniquement pour tâche d'étudier la succession régulière des phénomènes qui se produisent à l'intérieur de notre caverne ([^194]). Décider si les choses sont fondamentalement une et en quel sens elles le sont, n'est pas de son ressort ; il ne doit point s'en préoccuper, car on ne lui demande pas de nous faire accéder à la contemplation du Tout. Qu'il se contente d'édifier ces ensembles limités que constituent les diverses disciplines et laisse aux philosophes le soin de construire, s'ils le peuvent, ces systèmes grandioses, censés rendre compte de la totalité du réel à partir d'un principe dont les êtres et les événements dériveraient. Quel que soit le jugement que, personnellement, il porte sur ces systèmes, le savant doit se dire qu'ils se situent sur un terrain auquel il n'a pas accès ; une frontière infranchissable l'en sépare, qui marque les limites de sa compétence.
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A l'intérieur de sa sphère, chaque science cherche à découvrir des rapports constants et nécessaires ([^195]) entre les phénomènes, rapports qui ne sont pas seulement de succession, mais peuvent revêtir d'autres formes ([^196]), et que le savant exprime, dans la mesure du possible, en langage mathématique ([^197]). La catégorie de « relation » joue ainsi un rôle de premier plan dans les sciences. Celles-ci ne font point pénétrer « au cœur des choses », mais « tourner autour » ([^198]). Elles cherchent à découvrir les liens qui unissent les réalités de ce monde, leurs actions et leurs réactions.
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Mais bien qu'elles ne renseignent point sur « l'essence des choses et leur intérieur substantiel » ([^199]), elles nous instruisent cependant sur le réel. D'abord, les relations qu'elles décèlent existent bel et bien ; ce n'est point la science qui les crée ; elle se borne à les constater et à les formuler avec précision. Dans la connaissance ordinaire il en est d'ailleurs de même. Le primitif utilise l'arbre de la forêt pour fabriquer la pirogue parce qu'il s'aperçoit que le bois flotte sur l'eau dans certaines conditions. Bref, connaître signifie toujours découvrir des relations constantes entre les êtres, des relations sur lesquelles on peut tabler ; et, comme le dit Nietzsche, « c'est un bonheur profond, un bonheur radical que la science nous procure en découvrant des choses qui *tiennent bon* et qui donnent motif à de nouvelles découvertes... » ([^200]).
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Mais bien que les sciences fassent seulement tourner autour des choses, elles dévoilent néanmoins, dans une certaine mesure, leur « intérieur substantiel ». Nous pouvons, en effet, nous faire une idée d'un être à partir de ses propriétés manifestes et des activités qu'il déploie ; on comprend ce qu'il est en le regardant agir et entrer en rapport avec ce qui l'entoure. Ce principe s'applique à tout ce qui existe. Nous devinons ce qu'est l'homme en examinant ses œuvres et la tonalité de ses relations avec l'univers ; nous n'avons même pas d'autre moyen pour y parvenir. On a tiré de cette loi des conclusions excessives, sur lesquelles nous reviendrons ; le principe s'avère indiscutable : Les sciences, en révélant les rapports entre les êtres, nous font entrevoir quelque chose de leur essence. Elles constituent, avec la connaissance vulgaire nullement négligeable, l'instrument indispensable pour nous approcher, autant que faire se peut, du « cœur des choses ».C'est dire que nous ne minimisons pas l'importance des liens qui unissent les êtres, ni le rôle de premier plan que joue, dans la connaissance scientifique, la recherche de ces liens.
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Il faut néanmoins se demander si le réel peut se réduire à un réseau de relations. Quand on a décrit, fût-ce en langage mathématique, les rapports d'une chose avec ce qui l'entoure, en a-t-on complètement rendu compte ? -- Il ne semble pas. -- Pour qu'il y ait une relation, on a besoin de termes qui en constituent le support et où elle prend racine. Peut-on concevoir des « rapports sans supports », des rapports qui, par conséquent, ne s'appuieraient sur rien, ne relieraient rien ? Cela paraît difficile. Même si on admet que les êtres nous sont connus seulement par leurs relations, on est obligé d'attribuer à ces êtres une existence qui soit à la base des multiples rapports qu'ils entretiennent les uns avec les autres et en fasse, en quelque sorte, l'unité. Bref, les relations doivent reposer sur quelque chose d'absolu, sur ce que les Grecs ont appelé « l'essence », la « substance », la « nature » ([^201]).
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Ces termes et la réalité qu'ils désignent ont mauvaise presse de nos jours. Le « rationalisme appliqué » qui, selon Bachelard, définit la science du XX^e^ siècle, se refuse à fonder les relations sur des supports ontologiques, qu'il estime inutiles. Pour le physicien, le « corpuscule » n'est pas un petit corps, et dans la trajectoire d'un électron, il n'y a point à distinguer le mobile qui se déplace et le mouvement lui-même. Ce que nous serions tentés de considérer comme fondement des relations n'est, en fait, que le point d'intersection où celles-ci se rencontrent ; il tient sa réalité des relations elles-mêmes, en dehors desquelles il n'est rien. Choses, essences, substances, natures, désignent les produits d'une abstraction, par laquelle, pour des raisons pratiques, nous envisageons à part les points où s'entrecroisent les relations ; il faut se garder de leur conférer une consistance ontologique autonome. C'est ainsi désormais que les sciences nous obligeraient à concevoir la réalité ; elles professeraient un « relationnalisme » intégral. Non seulement les objets matériels et les êtres vivants n'ont point « d'intérieur substantiel », mais le sujet connaissant lui-même en serait dépourvu. Chaque individu se réduirait aux rapports qu'il entretient avec les choses et avec autrui, rapports que les sciences de l'homme se chargent d'analyser. Nous serions seulement ce que nous *faisons* dans le monde, et une fois coupés de nos relations avec ce qui nous entoure, nous retomberions dans le néant. Pas question de nous attribuer une âme, d'imaginer un principe spirituel permanent, d'où émaneraient nos diverses activités. L'homme, comme les autres réalités de l'univers, est simplement un tissu de relations, un ensemble de rapports sans support ([^202]).
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Ainsi, les développements qu'a connus la science depuis l'invention de la physique mathématique, nous acculeraient à abandonner, dans tous les domaines, l'interprétation « substantialiste » de la réalité, à laquelle la philosophie aurait trop longtemps accordé ses préférences.
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Cette thèse a été défendue, au début du siècle, par les néokantiens de l'École de Marburg, en particulier par Cassirer. Évoquant les difficultés auxquelles achoppe la théorie kantienne de la connaissance, Cassirer souligne qu'elle suppose l'existence d'un « donné », distinct de l'acte cognitif, d'un « objet transcendantal » dont nous n'avons point l'expérience et en face duquel Kant place un « Moi pur », situé lui-même à l'arrière-plan de la conscience empirique. Ce donné, cet x, que Kant considère comme indispensable à la connaissance, Cassirer estime que si nous ne pouvons l'appréhender, ce n'est point parce qu'il constitue une réalité inconnaissable, existant en soi, source et support réel des phénomènes, mais bien parce qu'il se réduit à un concept-limite, servant à unifier nos représentations. Sur le plan ontologique, il n'existe ni essence, ni substance, ni nature, ni cause. La substance, composé de matière et de forme dont parle Aristote, traduit simplement le terme du processus par lequel la pensée s'efforce d'édifier un ensemble structuré de relations. Ne lui accordons pas une réalité indépendante de celles-ci ; il n'y a rien d'autre dans la substance que l'acte même par lequel nous la posons en vue d'unifier nos connaissances. Ne parlons plus d'un donné, auquel notre activité cognitive serait rivée et encore moins d'un fondement mystérieux et inconnu où s'ancreraient les relations. Kant, bien que d'une manière ambiguë, voulait déjà éliminer de tels supports et « leur dissolution constitue le but ultime et l'acquis définitif du kantisme » ([^203]). Le développement des sciences et celui de la philosophie, étroitement liés, auraient ainsi fait prédominer « le concept de règle et de fonction sur celui de substance », prédominance qui serait allée « jusqu'à l'annihilation irrémédiable du second au profit du premier » ([^204]).
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Les sciences, nous l'avons constaté, s'intéressent aux relations entre les êtres et à rien d'autre. A cet égard, il est vrai que « la physique mathématique se détourne de l'essence des choses et de leur intérieur substantiel pour se tourner vers leur ordre et liaison numériques et leur structure fonctionnelle et mathématique » ([^205]). La question se pose néanmoins : une relation se conçoit-elle sans points d'appui ? Le savant peut négliger ce problème, puisqu'il a simplement pour tâche de découvrir et de mesurer des rapports. Et si, en s'acquittant de son travail, il entrevoit cette question, il n'a pas besoin de la trancher : que les relations s'enracinent ou non dans une substance, peu lui chaut, car il ne s'occupe que des relations elles-mêmes. Ne trouvant aucun intérêt scientifique dans la recherche de la substance, il sera peut-être tenté de contester l'existence de cet x mystérieux, dénué de propriétés tangibles ([^206]). Toutefois, il n'est pas de sa compétence de l'affirmer ni de la nier. Il appartient aux philosophes de poser ce problème et d'en esquisser la solution. Il s'est trouvé des savants : Kepler, Descartes, Boyle, par exemple ([^207]), pour croire que les relations entre les phénomènes ne devenaient intelligibles que si on les ancrait dans la substance ; mais ces savants étaient en même temps, peu ou prou, des philosophes et ils se comportaient comme tels en soutenant l'existence des substances. De même, ce sont les empiristes anglais, Hume en particulier, qui, au XVIII^e^ siècle, l'ont rejetée, suivis plus tard par les idéalistes qui, tels les néo-kantiens, pour justifier leur négation, prétendaient, à tort, que la croyance à l'existence de substances était incompatible avec les exigences de la pensée scientifique. A quoi aboutissait leur prise de position ? A des conclusions très discutables sur le plan philosophique : à considérer finalement l'univers comme un vaste réseau de rapports sans supports.
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Le sujet et l'objet, ayant perdu leur consistance ontologique, se réduisent à des « fonctions du Logos ». Il ne peut plus s'agir pour le savant de vouloir arracher ses secrets à une réalité distincte de lui, car elle s'est évaporée dans le processus même de la connaissance. Ni le savoir ordinaire, ni la science ne renseignent sur *ce qui est,* rien désormais n'existant véritablement, hormis le réseau de relations que la pensée développe comme une immense toile d'araignée ([^208]).
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Cette interprétation cadre mal avec le « réalisme » de la connaissance scientifique ([^209]). Mais, pour le moment, nous voulons seulement souligner -- la remarque s'applique aux défenseurs de la substance comme à ses contempteurs -- que le problème de son existence relève du philosophe et non du savant. Même si celui-ci le voit poindre à l'horizon, il peut s'en désintéresser, n'étant pas qualifié pour élaborer une solution, pas plus qu'il ne l'était, nous l'avons dit, pour trancher le dilemme de « l'un et du multiple ». Il pourra adopter cette neutralité vis-à-vis d'autres questions, telle celle évoquée il y a un instant : le réel existe-t-il indépendamment de la connaissance que nous en avons ? Le savant implicitement le croit ; mais s'il veut justifier sa croyance, choisir valablement entre le réalisme et l'idéalisme, il se transforme en philosophe ([^210]). -- Ces problèmes, et d'autres, analogues, sont d'ordre théorique. Il en est un, par contre, soustrait également à la compétence du savant, dont l'importance pratique s'avère considérable. La recherche scientifique est une activité humaine ; elle vise, comme telle, un but : la connaissance des rapports entre les phénomènes et l'accroissement de notre pouvoir sur les choses. Mais pourquoi vouloir à tout prix augmenter notre savoir et notre puissance ? Les sciences, mêmes les sciences humaines, sont incapables de le dire. Elles constatent sans doute que nous désirons plus de sécurité et de confort dans l'existence ; mais la question rebondit : que valent le confort et la sécurité ? Est-ce vraiment à cela que nous aspirons en dernière analyse ? Dans un texte admirable, Nietzsche a souligné que la science est, par nature, incapable de préciser quelle fin ultime elle poursuit ;
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elle ne sait pas à quoi elle aspire. On croit, par méfiance pour la religion et la philosophie, pouvoir s'abandonner *entièrement* à elle. « Quelle erreur ! Elle ne peut pas commander, montrer la route ; elle ne peut être utile que si on sait où on veut aller ». Mais on ne parviendra point à le savoir en recourant seulement aux méthodes qui ont cours dans la recherche scientifique.
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En méditant sur les caractéristiques de la science, nous avons constaté qu'elle bute contre des limites infranchissables. A l'horizon apparaissent des problèmes qui la dépassent ; elle n'est pas armée pour les définir, encore moins pour les résoudre. Il ne s'agit point d'une situation provisoire, due aux imperfections actuelles de la connaissance scientifique, et qu'on pourrait espérer voir se modifier au fur et à mesure de ses progrès. On se trouve, au contraire, devant une incompétence fondamentale, qui tient au fait que chaque science se borne à rechercher, dans son secteur, par des méthodes appropriées, les relations entre les phénomènes et, si possible, à les exprimer en langage mathématique. Le savant ne doit d'ailleurs avoir aucun complexe, car, dans le domaine qui est le sien, il demeure maître et roi. Mais il n'a pas le droit d'affirmer, d'entrée de jeu, qu'il n'existe point d'autres problèmes que ceux qu'il rencontre quand il se met à détecter, mesurer et relier les phénomènes. Il a encore moins le droit de prétendre que les procédés qu'il emploie pour connaître sont les seuls valables et que, dans quelque ordre que ce soit, aucun problème ne peut être correctement défini et recevoir de solution « qui ne soit rigoureusement démontrable par la raison et vérifiable par l'observation ». Une telle prise de position prouverait simplement que le savant a sombré dans le scientisme. Mais le scientisme, c'est déjà de la philosophie, de la métaphysique, et, qui pis est, de la mauvaise.
(*A suivre*.)
Chanoine Raymond Vancourt.
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### La liberté de Marie
«* Dès le commencement et avant tous les siècles Il m'a créée et jusqu'à l'éternité je ne cesserai pas d'être : dans sa sainte demeure, devant Lui, j'ai servi. *»
L'Église nous fait lire ces paroles de l'Ecclésiastique sur la Sagesse éternelle en les appliquant à la T.S. Vierge. Et nous en pourrions citer davantage :
« Alors le Créateur me donna ses ordres, et celui qui m'a créée fit reposer ma tente et il me dit : « Habite en Jacob, aie ton héritage en Israël (...) j'ai étendu mes branches comme le térébinthe et mes rameaux sont des rameaux de gloire et de grâce. Comme la vigne j'ai produit des pousses charmantes et mes fleurs ont donné des fruits de gloire et de richesse. Je suis la Mère du pur amour, de la crainte de Dieu, de la connaissance et de la Sainte-Espérance. »
Vous trouverez ce texte comme épître de la fête de N.-D. du Mont-Carmel le 16 juillet.
216:162
Il est bien certain que Dieu a tout conçu d'une pensée immatérielle qui englobait tout ce qui s'est fait et se fera. La Sainte Vierge était conçue avant l'existence du monde pour la tâche qu'elle y devait accomplir à la fin des temps ; elle allait contribuer au salut des hommes et en même temps à cette œuvre incompréhensible pour nous car notre esprit est trop limité et que S. Paul décrit en disant :
« Car l'attente anxieuse de la création aspire à la révélation des fils de Dieu. La création a été soumise à la vanité, non de bon gré, mais à cause de celui qui l'y a soumise avec l'espérance que la création elle aussi sera affranchie de l'esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Car nous savons que la création tout entière gémit ensemble, souffre ensemble les douleurs de l'enfantement jusqu'à présent. » (Rom 8, 19-22.)
S. Paul avait reçu directement de Notre-Seigneur la révélation du salut que Jésus nous apportait. Nous ne pouvons que croire S. Paul sans avoir toutes ses lumières. Sans doute Dieu peut avoir soumis toute la création à la vanité en vue de la faute de l'homme bien avant que l'homme ne fût créé. Et tous ceux qui ont vécu et travaillé avec des animaux domestiques, chevaux, ânes, vaches ou chiens ont pu prendre conscience du mystère. Dans la même espèce aucun de ces animaux n'est pareil aux autres. Chacun a conscience, mémoire, personnalité ; ils se vexent, ils boudent comme les enfants ; ils obéissent et parfois regimbent, ils apprennent certains mouvements, contraints par des moyens d'homme auxquels ils ne trouvent pas le moyen de résister : c'est le dressage. Ils ont un attachement à ceux-là même qui les commandent, et ces animaux, sans l'homme, redeviennent facilement sauvages car ils perdent ce que l'homme tient de Dieu et leur fait partager, une possibilité d'attachement et de justice : « Ô profondeur de la richesse, de la Sagesse et de la science de Dieu ! Qu'impénétrables sont ses jugements et insondables ses voies (...) de lui, par lui sont toutes choses ! A lui la gloire pour les siècles, Amen. » (Rom. 11, 33.) S. Paul quand il parle de la création semble parler de la vie et non de la nature matérielle. Mais où commence la vie ? Nous n'en savons rien.
Or voici plus étrange encore. L'Ange salue Marie en lui disant : « Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ».
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Marie semble ne pas s'étonner de voir un Ange. Peut-être en avait-elle déjà vu. Mais elle est effrayée par son humilité de s'entendre nommer *kékaritomenè* qu'on traduit généralement : *pleine de grâce ;* et cette traduction est bonne puisque le verbe grec veut dire : « je rend gracieux » et que l'Ange ajoute : « le Seigneur est avec vous ». Tellement avec elle, qu'il va être le père de son fils. Marie cependant a pu douter de la vraie personnalité de l'Ange car le mauvais esprit sait tenter et sait combien puissantes sont les tentations d'orgueil. L'Ange continue car il voit le trouble de Marie et dit : « Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. » Cela Marie pouvait l'admettre. « Et voici que vous concevrez et enfanterez un fils. Et vous l'appellerez du nom de Jésus » (qui veut dire Sauveur). « Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père et il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles. Et son règne n'aura point de fin. » Marie fait alors une objection : « Comment en sera-t-il ainsi puisque je ne connais point d'homme ? »
Alors que toutes les Juives désiraient un fils qui pourrait être le Messie promis, Marie était si profondément humble, elle se jugeait tellement indigne d'un tel honneur qu'elle y avait entièrement renoncé, et pensait demeurer vierge. Peut-être en avait-elle fait vœu pour n'appartenir qu'à Dieu. S. Joseph, au jour du mariage, avait le pouvoir de relever la jeune femme de ses vœux. S'il y eut vœu, il le sut et ne l'en releva point. Sa conduite prouve que les choses se passèrent ainsi et nous fait entrevoir la grandeur du saint époux de Marie, qui plaça par vertu surnaturelle tous ses désirs non dans la chair mais en Dieu. Il accomplissait ainsi l'attente de la création dont parle S. Paul.
L'Ange répondit à Marie : « L'Esprit Saint viendra sur vous, la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre et pour cela, l'enfant né Saint sera appelé Fils de Dieu. » Et il ajoute un signe : « Et voici qu'Élisabeth votre parente elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse et celle qu'on appelait stérile en est à son sixième mois, car rien n'est impossible à Dieu. » Or Marie dit : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. » La conception de Jésus suivit aussitôt.
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On peut remarquer combien différemment furent traités Marie et Zacharie à qui six mois plutôt le même ange Gabriel était venu annoncer qu'il aurait un fils, le Précurseur. Zacharie devient muet parce qu'il a cru impossible à Dieu ce que Dieu lui faisait annoncer. Marie doute d'abord de la personnalité d'un Ange parce qu'il lui faisait un compliment extraordinaire. La Sainte Vierge se rendait bien compte qu'on péchait autour d'elle et que dans les mêmes cas elle ne péchait point. Cette constatation la mettait dans un état de grande humilité car elle savait que dans la faiblesse de sa nature, cette préservation ne pouvait venir d'elle, mais de la puissance divine. Il est possible qu'elle ne sut point qu'elle était préservée du péché originel. Des siècles de théologie depuis lors en ont douté eux-mêmes comme un hommage durable à l'humilité de Marie. Il a fallu que le malheur des temps rendit indispensable l'action extraordinaire de la T.S. Vierge, pour que l'Église reconnût son Immaculée Conception et qu'elle même le vint dire à Bernadette : « *Qué soï era Immaculada Councepciou. *» Et l'enfant tout le long du chemin de la grotte à la cure répétait ce vocable extraordinaire de peur de l'oublier.
L'Ange répond donc avec tranquillité aux demandes et aux objections de Marie et sans qu'elle le demande, lui donne un signe : la maternité d'Élisabeth. Et Marie aussitôt, mue par Jésus conçu en elle sans qu'elle en eut aucune preuve physiologique, partit voir Élisabeth pour lui annoncer la grande nouvelle : Daniel avait dit juste : les soixante dix semaines d'années étaient accomplies et le Sauveur allait naître. Élisabeth aussi était un signe car à la voix de Marie la saluant Élisabeth s'écrie : « D'où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur me visite ! » Quelles grâces reçues par ce peuple juif qui conserve toujours nos Écritures, et qui attendait alors la réalisation des paroles de Daniel (7, 13) : « Je regardais dans les visions de la nuit et voici : vint sur les nuées comme un Fils d'homme : il avança jusqu'au vieillard et on le fit approcher devant lui. Et il lui fut donné domination gloire et règne, et tous les peuples, nations et langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera jamais détruit. »
Zacharie douta que Dieu pût ajouter à la nature une possibilité supplémentaire ; il fut puni et la volonté de Dieu s'accomplit. L'humilité de Marie (elle dit : sa bassesse) lui avait fait renoncer à être la mère du futur roi des Juifs chargé de les délivrer ; elle avait voué à Dieu sa virginité, et elle fut agréable à Dieu.
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Mais nous voyons s'agrandir le mystère : car Dieu savait de toute éternité que Marie dirait oui ; Il l'avait façonnée pour cela : elle serait la Mère du Sauveur. Et nous voyons Marie réfléchir, interroger, présenter des objections et enfin se décider. Elle était donc libre et Dieu savait ce qu'elle ferait. De même, aux noces de Cana, Jésus savait très bien qu'il ferait le miracle ; il répond à Marie : « Que nous importe à vous et à moi, mon heure n'est pas encore venue. » Et Marie, inspirée de son époux l'Esprit Saint, connaissant son rôle de puissance suppliante et usant de sa liberté dit aux serviteurs : « Quoi qu'il vous dise, faites-le. » Elle compte sur l'acte miraculeux. Son assurance est plus grande que le jour de l'Annonciation. Pendant trente ans, elle a été instruite par Jésus, et S. Jean qui rapporte le fait a été instruit par la Sainte Vierge qui lui a fait comprendre ses propres souvenirs.
Ces faits rapportés par l'Évangile montrent que la croyance très générale des hommes à leur libre arbitre est juste. Les hommes ont cette liberté de choisir la voie sur laquelle ils s'engagent. Ils sont créés à l'image de Dieu, ce qui ne veut point dire semblables. L'habitude de la science qui consiste à chercher des égalités quantitatives dans de petits systèmes fermés a perverti l'usage de l'intelligence. Tout est *analogue* dans le monde et non point semblable. La liberté de l'homme analogue à celle de Dieu s'emboîte dans la volonté et la liberté divines, mais les hommes peuvent la perdre et devenir esclaves du péché. Le Christ la leur restitue en les justifiant. Le pécheur ne pèche point sans libre arbitre et le pénitent ne fait pas pénitence sans le libre arbitre aidé par la grâce de Dieu qui le justifie.
Tout cela est mystère, mais mystère lumineux. Zacharie doute librement de la puissance de Dieu. Marie est dans un état où nous sommes tous appelés ; c'est l'œuvre de son Fils, qui a dit lui-même à quelle liberté supérieure peut tendre tout chrétien : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples : vous connaîtrez alors la vérité et la vérité vous libèrera. » (Jean 8, 31.)
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Marie était dans cette vérité-là : sa *bassesse* était vraie. Qu'est la créature auprès de Dieu ? C'était une vérité de vouloir réserver tous ses sens à la gloire de Dieu. La Révélation est nécessaire à l'esprit humain. Tout s'éclaire pour lui quand il l'accepte et les grâces abondent auxquelles chacun peut résister. Et S. Augustin dit des apôtres : « Ce n'est pas parce qu'ils ont su qu'ils ont cru, mais c'est pour savoir qu'ils ont cru, car ce que nous avons à connaître, l'œil ne l'a pas vu, ni l'oreille entendu et ne monte pas par soi dans le cœur de l'homme. »
Et puisque nous avons commencé par Marie finissons par elle et demandons-lui de nous convertir en répétant ces paroles que l'Église lui applique et qui ne sont peut-être qu'une glose inspirée des temps apostoliques :
« Je suis la Mère du pur amour, de la crainte de Dieu, de la connaissance et de la Sainte-Espérance. »
D. Minimus.
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## NOTES CRITIQUES
### Du nouveau sur Pie XII ?
Mgr Georges Roche et M. Philippe Saint Germain publient chez Robert Laffont un important ouvrage : *Pie XII devant l'Histoire.* Je l'ouvre au hasard et tombe sur le chapitre LX, *l'Église du silence,* où les auteurs décrivent l'état de choses qui fit dire à Pie XII : « Partout où domine actuellement le marxisme, dans tous les pays situés derrière le rideau de fer et en Chine, nous sommes en présence d'une situation effroyable que notre tranquille insouciance a peine à imaginer. »
Ce chapitre offre un tableau succinct, mais bien documenté, du traitement que subissent les chrétiens, et particulièrement les catholiques, en Hongrie, en Russie, en Tchécoslovaquie, en Ruthénie, en Yougoslavie, en Pologne, etc. En Chine, le gouvernement dispose de quatre évêques à sa dévotion, évidemment créés par lui contre le gré de Rome. Ils furent sacrés (par qui ?) le 1^er^ juin 1958. Le rituel du « sacre » exigeait qu'ils répondissent affirmativement à cette question : « Voulez-vous imiter le bon exemple de Jésus sous la direction du parti communiste et du gouvernement populaire, et conduire les prêtres et les chrétiens à participer activement à la construction socialiste ? » On sait de reste que cette participation consiste notamment à dénoncer, c'est-à-dire à vouer au martyre les catholiques suspects de fidélité envers le Christ et son Vicaire.
Je me souviens que l'un de ces quatre apostats, dûment harnaché de la soutane à parements violets, de la croix pectorale en or et de tout l'attirail que nos évêques occidentaux ont maintenant jeté aux orties, paradait à la fastueuse réception télévisée offerte par Mao-Tsé-Toung aux reines Élisabeth de Belgique et Marie-José d'Italie, où l'on vit le ci-devant trône et le soi-disant autel également prostitués et fondus en sourires aux pieds de la Révolution contre Dieu et contre les hommes.
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Ces cérémonies tant religieuses que mondaines sont une illustration entre mille de la politique adoptée par tous les États communistes, et dévoilée une fois de plus par nos deux auteurs. Ils citent une instruction du bureau 106 de Pékin, envoyée le 12 février 1957 aux communistes de l'étranger, et qui « ordonne aux militants du parti de pénétrer au cœur même des églises -- protestantes et surtout catholiques -- *afin de les diviser à l'intérieur.* Ils doivent s'insérer dans tous les secteurs de l'action ecclésiastique ; devenir, par le baptême, membres de l'Église, adhérer aux formations catholiques, se mêler au clergé, prendre contact avec les directeurs d'école, les maîtres, les élèves, les parents d'élèves, afin de les espionner, de les dominer et de diviser radicalement les différentes catégories de fidèles, même en faisant appel à l'amour de Dieu, et en plaidant la cause de la paix. Naturellement, le militant, grimé en bon catholique, prend toujours et partout l'initiative, déploie la plus grande activité, et gagne la sympathie des fidèles. Il sera alors capable *de s'insérer dans la direction de l'Église même.* Le but final est clairement désigné : *l'Église catholique, asservie à l'impérialisme, doit être abattue et détruite de fond en comble. *»
L'étrange est que ce « but final » semble loin d'être atteint dans l'empire communiste, alors qu'il en semble fort près dans les pays qui resteraient peut-être libres si l'Église n'y rendait au communisme le signalé service de se détruire préventivement elle-même. Car c'est en Occident que la désagrégation interne du christianisme s'effectue avec le plus de succès. Dans les peuples de l'Est, asservis et terrorisés, des millions de chrétiens s'y opposent avec un héroïsme qui ne recule pas devant le martyre : en Chine, où « c'est à l'échelle d'un continent entier que se poursuit la destruction du sentiment religieux », en Russie, où le même travail s'exécute par tous les moyens depuis plus d'un demi-siècle, sans autre résultat qu'un réveil spontané de la foi dans un grand nombre d'âmes désespérées.
Pie XII n'avait que trop de raisons de dénoncer la *situation effroyable* qui s'établit *partout où domine le marxisme.* Mais il n'en avait pas moins de redouter celle qui s'annonce là où le marxisme ne domine pas encore officiellement. Et peut-être, s'il tremblait pour l'Église ouvertement persécutée, eut-il à trembler davantage pour l'Église secrètement complaisante dont il découvrait, sans parvenir à les réprimer, les premières défaillances et les trahisons prochaines. Il avait éventé le grand dessein qui ne devait se manifester que plus tard par ses suites éclatantes. C'est pourquoi, avant de passer à l'exécution de ce dessein, il importait de salir la mémoire, de ruiner l'œuvre, d'effacer les enseignements et d'éliminer les disciples du dernier pape qui se fût dressé pour y faire obstacle. Manœuvre fort bien expliquée par le regretté Paul Rassinier dans son livre *L'opération* « *Vicaire *»*.*
Cela, Mgr Roche et son collaborateur ne le disent pas. Mais ils en laissent entendre assez pour nous livrer sur les dessous de l'affaire, comme par mégarde, quelques indices de vérité historique, d'ailleurs enveloppés de ces nuages d'encens où le style ecclésiastique se plaît et excelle à balancer la prudence de l'esquive par la hardiesse de la contradiction, quand le sujet devient brûlant.
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A la fin de ce même chapitre LX sur *l'Église du silence,* page 435 de l'ouvrage, lisons :
« Pie XII ne put, sans pleurer, prendre connaissance des terribles documents établissant sans démenti possible la réalité d'une entreprise plus que jamais machiavélique à laquelle peu d'âmes peuvent résister. L'un de ces documents transmis à Rome en 1954 par l'intermédiaire de l'évêque de Riga provoqua une grande douleur à Pie XII. Il y était fait état de contacts pris en son nom avec les persécuteurs par une haute personnalité du secrétariat d'État. L'amertume du Saint-Père fut si vive que sa santé en fut affectée et qu'il se résigna à assurer seul la marche des affaires extérieures. »
C'est une première version des faits.
Mais en voici presque aussitôt une autre, au chapitre LXII, pages 439-440 :
« Le 11 octobre (1954), il est rétabli, pour instituer la fête de Marie Reine du Monde, et, le 12 décembre, il ordonne la cérémonie de consécration épiscopale de Mgr Montini. » (En note : « Pie XII, retenu à la chambre, a tenu à faire diffuser pendant la cérémonie dans la basilique Saint-Pierre, un hommage personnel très chaleureux à Mgr Montini. Une estime réciproque unissait les deux prélats et Pie XII avait été très affecté par un rapport secret transmis par un informateur du Saint-Siège, le colonel A., émanant de l'archevêque de Riga faisant état de sondages de la secrétairerie d'État avec les autorités communistes. ») Suite du texte : « Le 18 janvier (1955), le Saint-Père reprend toutes ses activités et décide de ne pas remplacer Mgr Montini, afin de concentrer les affaires de l'État du Vatican entre les mains de Mgr Tardini et lui-même. »
Une troisième version suit immédiatement.
« Manifestement, Pie XII est affecté par le climat qui a entouré sa maladie, et qui lui a révélé l'existence d'un courant réformiste dont il ne soupçonnait ni l'ampleur ni les procédés. »
*Qui potest capere capiat.*
Nous sommes en présence de trois versions successives et difficilement compatibles. Nos deux auteurs ont-ils travaillé séparément ? L'un n'a-t-il pas relu ce qu'avait écrit l'autre ? Lequel a censuré ou lequel a compromis l'autre sans le lui dire ? A eux deux, en tout cas, ils parlent trop ou trop peu.
224:162
Version I. -- Pie XII constate que *peu d'âmes peuvent résister à l'entreprise machiavélique* menée par les communistes pour s'immiscer dans l'Église en vue de la détruire, suivant la méthode recommandée par Pékin. Parmi d'autres *documents terribles,* un message de l'archevêque de Riga, notamment, lui révèle en 1954 qu'une *haute personnalité* du secrétariat (sic) d'État, agissant au nom du pape et à son insu, entretient des rapports avec certaines autorités communistes. Pie XII en éprouve un choc tel que sa santé en est affectée, Il retire sa confiance à la « haute personnalité » qui jusque là assurait avec lui la marche des affaires extérieures, et congédie sur-le-champ ce collaborateur pour le moins indélicat.
Version II. -- Pie XII a failli mourir. Mais au moment où tout le monde le croyait perdu, il confie à Mgr Tardini, puis à sœur Pasqualina : « Ce matin, pendant que j'entendais la messe, j'ai vu le Seigneur pendant un court instant. Rien qu'un instant, mais je l'ai bien vu... Je pensais que le Seigneur m'aurait rappelé. Et au contraire... Mon heure n'est pas venue. » Disant cela, le mourant s'est redressé sur son lit. Quelle lumière, quel ordre, quel conseil avait-il reçus du Seigneur ? Mystère. A la mi-octobre, en tout cas, il a recouvré ses forces, et il les emploie à mettre sous la protection de Marie Reine du Monde ce monde qu'il sait en péril de mort, visé au cœur et déjà touché en ce cœur même qui est l'Église. -- Deux mois plus tard cependant, à la mi-décembre 1954, l'état de sa santé l'empêche d'assister au sacre de Mgr Montini, qui a lieu sur son ordre dans la basilique Saint-Pierre. Non content de l'avoir promu, il adresse publiquement au nouvel évêque un hommage très chaleureux, si exceptionnel que nos auteurs y voient la marque d'une *estime réciproque* entre les deux prélats. Et dans la même phrase du récit, un étrange coq-à-l'âne ou une association d'idées plus étrange encore nous rappelle que Pie XII (lui et non plus sa santé) avait été *très affecté* par le rapport secret de l'archevêque de Riga « faisant état de sondages de la secrétairerie d'État avec les autorités communistes ». A s'en tenir aux mots, il est impossible de saisir ici la cause de l'émotion de Pie XII. A-t-il ajouté foi au rapport de l'archevêque de Riga ? Apparemment oui, puisque ce rapport, concordant avec d'autres « documents terribles » qu'il n'a pu lire sans pleurer, l'a déterminé à diriger désormais lui-même les affaires de l'État ; il y gardera néanmoins le concours du seul Mgr Tardini, lequel n'est donc pas la « haute personnalité » précédemment congédiée, mais, fidèle jusqu'au bout, n'obtiendra pourtant pas la mitre épiscopale... Toujours est-il que, ne se fiant plus à personne d'autre, le pape « décide de ne pas remplacer Mgr Montini » à la secrétairerie d'État : et voilà enfin furtivement désignée par son nom l'indésirable « haute personnalité » convaincue d'avoir prêté l'oreille au chant des sirènes communistes.
225:162
Version III. -- De nouveau on nous dit Pie XII *affecté,* mais cette fois « par le climat qui a entouré sa maladie ». Ce n'est donc plus la trahison révélée par l'archevêque de Riga qui aurait affecté Pie XII ou sa santé, c'est au contraire le climat de sa maladie qui lui aurait révélé *l'existence* d'un courant réformiste jusque là insoupçonné, bien qu'ayant entraîné la trahison déjà connue et sanctionnée par lui comme on vient de le voir.
La question reste entière.
Pie XII, dans sa bonté, ou dans sa peur d'un plus grand mal, ou par un scrupule du second moment, ou parce que le Seigneur un instant apparu lui avait prescrit la clémence, a pu estimer que ce n'était pas trop d'une mitre d'évêque pour remercier Mgr Montini de ses services passés. *Promoveatur ut amoveatur*.
Mais pourquoi, sachant ce qu'il savait, l'a-t-il fait archevêque de Milan, c'est-à-dire futur pape ? *Amoveatur ut promoveatur *? Qui éclaircira ces mystères tiendra la clef de la tragédie que notre siècle est en train de vivre, et dont ce qui reste d'Europe va peut-être mourir.
Mais achevons la lecture du chapitre :
« Manifestement, Pie XII est affecté par le climat qui a entouré sa maladie, et qui lui a révélé l'existence d'un courant réformiste dont il ne soupçonnait ni l'ampleur ni les procédés.
Les marques d'affection qu'il prodigue aux cardinaux Ottaviani et Siri sont considérées comme une indication de sa volonté d'affirmer pour après sa mort l'autorité du magistère romain que d'aucuns voudraient plus démocratique. La décision, en 1953, de mettre fin à l'expérience des prêtres ouvriers, avait été pour Pie XII l'occasion de manifester sa volonté de briser les velléités contestataires d'un certain clergé. L'apostolat ouvrier et laïque, Pie XII ne le concevait pour des prêtres que dans la fidélité à la doctrine sociale des papes, et au-delà de toute démagogie. »
Et le chapitre se clôt par une citation de Pie XII lui-même : « On se plaît souvent à dire que durant les quatre derniers siècles, l'Église a été exclusivement cléricale par réaction contre la crise qui, au XVI^e^ siècle, avait prétendu parvenir à l'abolition pure et simple de la hiérarchie, et là-dessus on insinue qu'il est temps pour elle d'élargir ses cadres. »
Elle les a élargis en effet, précisément de la manière que suggérait le bureau 106 de Pékin ordonnant aux militants communistes de « pénétrer au cœur même des églises » et d'introduire leurs auxiliaires, conscients ou non, en qualité d'animateurs, « dans tous les secteurs de l'action ecclésiastique ».
L'abolition de la hiérarchie va bon train. Les évêques se sont dépouillés de leur autorité pour la remettre aux conférences épiscopales, plus faciles à manier. Les cardinaux âgés n'ont plus voix au chapitre.
226:162
Même les curés ne sont plus maîtres dans leurs paroisses restructurées. Et tout cela au nom de l'évolutionnisme, mythologie marxiste inventée pour l'usage externe ; car le marxisme, lui, évolue d'autant moins qu'il fait évoluer vers lui tout ce qui n'est pas lui. Ainsi l'Église, simple produit des vicissitudes de l'histoire aurait tout à gagner à se remodeler incessamment au gré des circonstances, dans un aggiornamento universel et permanent. Utile au XV^e^ siècle, une autorité hiérarchique ne le serait plus de nos jours ! Et puisque l'Église doit changer, la vérité dont elle se croit gardienne devra changer aussi, toute vérité n'étant non plus qu'un résultat de l'évolution. Voilà, notait Pie XII, ce qu'*on se plaît à dire.* Mais qui donc était ON ?
En tout cas, moins de quatre ans avant de mourir, Pie XII eut pleine connaissance du drame qui se préparait autour de lui, et qui n'attendait que sa mort pour sortir de l'ombre et l'y rejeter injurieusement lui-même. Tous les éléments du plan de la grande subversion qui allait se déchaîner étaient en place devant ses yeux, et bien en place.
Le « courant réformiste dont il ne soupçonnait ni l'ampleur ni les procédés », il l'a vu commencer d'emporter l'Église vers l'abîme où elle risque maintenant de sombrer.
Sa « volonté d'affirmer l'autorité du magistère romain » s'est brisée contre l'emprise de ceux qui le « voudraient plus démocratique », et surtout contre la démission de ce magistère même.
Les prêtres ouvriers ont retroussé les manches de leurs salopettes pour se consacrer de plus belle à un « apostolat ouvrier et laïque » totalement affranchi de la doctrine sociale des papes, mais très docile aux consignes d'une démagogie supérieurement organisée.
Les « velléités contestataires d'un certain clergé » sont devenues la volonté délibérée, claironnante et brutale de tout un clergé qui conteste pour le principe, car on se demande ce qu'il trouve encore à contester dans ce qu'il a déjà détruit.
L'offensive contre Pie XII, inaugurée sous le manteau dès avant sa mort, a éclaté peu après au grand jour avec un redoublement de fureur et une formidable puissance de moyens, à grand renfort de calomnies et de scandaleuses inepties fabriquées sur commande par un ramassis d'imposteurs, pseudo-dramaturges et pseudo-historiens aujourd'hui pudiquement ignorés de ceux-là mêmes qui les avaient embauchés. Mais le mal qu'ils ont fait reste fait, et tout un public naïf continue sinon à lire, du moins à mentionner leurs illisibles ouvrages avec plus de révérence que la nouvelle Église ne montre d'indulgence aux défenseurs de Pie XII et de la vérité ; puissent Mgr Roche et M. Saint Germain ne pas l'apprendre à leur tour et à leurs dépens.
227:162
La confiance et la prédilection que Pie XII désemparé marquait aux cardinaux Ottaviani et Siri, fermes défenseurs de la foi, ainsi qu'à Mgr Tardini, s'est retournée contre eux et n'a servi qu'à les mieux désigner pour une disgrâce à présent consommée.
Au fait, qu'est-il donc advenu de l'archevêque de Riga ?
Alexis Curvers.
### Le Kulturkampf des évêques américains
D'après les fétichistes de la Constitution fédérale des États-Unis, les Pères fondateurs de la République ont érigé ce qu'on appelle « un mur de séparation » entre l'État et les Églises. La leçon avait été apprise évidemment dans les innombrables conflits des deux institutions-géantes sur le sol européen, ainsi d'ailleurs que partout dans le monde. Il s'agissait de libérer la religion de l'intervention étatique, politique, en même temps qu'exclure des affaires publiques l'influence des intérêts religieux.
Cependant, au cours de presque deux siècles écoulés, on admettait pas mal d'entorses à cette règle cardinale : aujourd'hui même les Églises ne payent pas d'impôt sur leur fortune immobilière, ce qui équivaut à des milliards de dollars par an : le motif est que les institutions religieuses contribuent au bien-être du public par les écoles, hôpitaux, etc., qu'elles entretiennent. Même la Cour Suprême, pourtant audacieuse et agressive depuis une vingtaine d'années, ne voudrait rien entreprendre qui remettrait en question cette quasi-usurpation des Églises, tacitement admise.
Il en est autrement de l'aide concrète et en espèces, versée par le gouvernement aux écoles paroissiales ou aux collèges maintenus par les Églises. Il s'agit, d'ailleurs, de l'Église la plus puissante, la catholique, laquelle, à elle seule, épaule peut-être le quart de toutes les institutions scolaires. Les Assemblées législatives locales ont, depuis des années, c'est-à-dire depuis que la controverse a vu le jour, rejeté l'idée d'offrir une aide matérielle aux écoles catholiques sous la double pression de l'idéologie américaine mentionnée plus haut, et des groupes de pression protestants et juifs qui voient une menace dans la prépondérance de l'Église catholique.
228:162
En 1963, la Cour Suprême approuva la demande d'un groupe de militants athées et interdit d'un coup les prières, assez anodines, d'ailleurs, récitées au commencement de chaque journée d'étude, dans les écoles publiques. Il s'agissait, évidemment, d'une interprétation trop littérale de la Constitution, mais on peut facilement comprendre que les forces, des deux côtés de la barricade, se soient invectivées depuis lors. On peut voir aussi qu'approuver le non-paiement d'impôts et abolir les prières est un acte contradictoire ; mais enfin dans le premier problème l'argent joue un rôle important, dans le second il ne figure pas. Alors...
Quoi qu'il en soit, depuis la décision de la Cour Suprême, les partisans de la prière se sont agités pour remettre la religion dans les écoles. L'avant-garde de ce groupe était composée des députés et sénateurs dont l'État a une forte population de catholiques, mais ils n'en restèrent pas moins une minorité au Congrès. Au début, ces valeureux sénateurs pouvaient compter sur l'appui du clergé ; peu à peu, cependant, l'ardeur de celui-ci se relâcha, et les prêtres convoqués comme témoins devant les commissions sénatoriales se montrèrent souvent des défenseurs plus intrépides de la Constitution que de la religion. On a pu conclure à un moment donné que recommencer à faire des prières matinales dans les écoles publiques (tout en sauvegardant le droit au mutisme des enfants athées) revenait à détruire l'État et à subvertir les futurs citoyens.
Il y a quelque temps, le député Chalmer Wylie, d'Ohio, a réussi à réunir les signatures et votes nécessaires afin de remettre la question à l'ordre du jour du Congrès. C'est alors que survint la surprise anti-divine, si on peut et ose dire : les évêques catholiques, par le truchement de leur Assemblée, se sont déclarés contre le débat qui aurait résolu la question dans le sens positif, tant souhaité de millions de familles catholiques. Pourquoi ?
L'argument des évêques aurait dû être gardé pour une cause meilleure. Le projet de loi en question allait autoriser la prière non-confessionnelle ; or, disait l'Assemblée des évêques, cela équivaut à ne pas autoriser la prière confessionnelle ; dans un bâtiment public il est donc interdit de dire des prières qui font état du Père, du Fils et du Saint-Esprit (sic). Le Père Joseph Drinan, jésuite siégeant au Congrès, est allé même plus loin : il a subtilement expliqué à ses collègues qu'il ne peut pas y avoir de prière non-confessionnelle, et qu'ainsi le projet de loi n'avait pas de sens.
229:162
Voilà le cas de dire que les Sénateurs ne voulaient pas être plus catholiques que le Pape, ou bien, dans le cas concret, que les évêques américains réunis. On vient d'enterrer le projet de loi et avec lui toutes les prières dans les écoles publiques, mais avec des arguments que les athées les plus militants eux-mêmes n'auraient jamais imaginés. Il fallait des évêques pour leur rappeler que leur cause n'était pas perdue malgré l'insistance de millions de laïcs. On a les alliés qu'on peut.
Mais, encore une fois, pourquoi les subtilités logiques des évêques dans le combat anti-religieux ? Car enfin, réfléchissons un peu : par le biais de la prière non-confessionnelle bien des écoles, des directeurs d'école, des instituteurs, catholiques et autres, auraient fait passer la prière confessionnelle. Tout le monde le savait, et de guerre lasse, la troupe des militants athées se serait résignée à l'inévitable. Il est également certain -- bien que je ne puisse le prouver selon la rigueur de l'ancienne ni de la nouvelle mathématique -- que le pays souffre terriblement de la désacralisation, cette agonie de l'Occident. Nombreux sont ceux qui datent l'affaissement moral actuel de l'année 1963 laquelle -- sans qu'on veuille faire référence à d'autres événements de mauvais présage de cette même année -- vit la Cour Suprême intervenir dans la piété des enfants : le reste était à l'avenant.
Il n'est pas exclu que la subtilité épiscopale ait trouvé son explication dans le désir de recevoir des fonds publics pour les écoles catholiques. Nos bons évêques doivent s'imaginer que plus ils se montrent hostiles à la religion, et plus cela leur sera compté, sinon au Ciel, du moins dans les officines de l'État -- et davantage encore chez les puissants de la laïcisation, laïcisation aux dépens des catholiques, bien entendu. La course aux deniers publics devient chaque jour plus pressante, à mesure que s'amoindrit le denier du culte, car -- qui s'en étonnerait ? -- les écoles catholiques sont fermées par douzaines : les parents refusent d'y envoyer leurs enfants dignes d'un enseignement meilleur et qui leur inculque plus de vertu. Alors les évêques sont en train de déchristianiser les universités -- naguère la fierté du catholicisme américain -- afin qu'elles obtiennent les fonds tant souhaités. Le caractère catholique, voire chrétien, est nié par les recteurs ecclésiastiques de ces institutions, et cela devant les hommes d'affaires réunis, devant les commissions du Congrès, devant les téléspectateurs. Croix enlevées, chapelles transformées en lieux « non-confessionnels », professeurs et doyens nommés qui, en matière religieuse, sont indifférents ou pires.
Voilà le *Kulturkampf,* version américaine, anno domini 1972. Qui l'aurait cru, il y a un siècle, dans l'Allemagne de Bismarck ?
Thomas Molnar.
230:162
### La déclaration commune anglicane-catholique sur l'Eucharistie
On a beaucoup parlé, ces temps-ci, d'un « accord » entre Catholiques et Anglicans sur l'Eucharistie. On y faisait souvent allusion mais on n'en connaissait pas la substance. Elle figure maintenant dans la DOCUMENTATION CATHOLIQUE, N° 1601 (16 janv. 1972) p. 86, sous forme d'une « Déclaration commune sur la doctrine eucharistique » (Commission internationale anglicane-catholique romaine -- III^e^ réunion, Windsor 7 sept. 1971). Elle vaut la peine qu'on s'y arrête : les bonnes dispositions anglicanes concernant la Présence réelle sont évidentes mais frappées de stérilité parce que la consécration, dans leur optique qui reste résolument opposée à la notion de sacrifice, ne sera jamais valide. D'autre part, le glissement de la conception catholique de la Messe vers l'optique protestante d'un « mémorial » pur sans sacrifice est non moins évident. Un tel « accord » s'il prenait forme officielle, frapperait définitivement la nouvelle Messe du sceau de l'hérésie.
-- *Quelle est donc sa portée ?*
Il ne s'agit pas d'un *accord.* C'est une étude, une « déclaration commune ». Elle est précédée, dans la D.C., d'un « chapeau » qui précise :
« ...Le fait que le document soit publié avec le consentement des autorités catholiques et anglicanes ne signifie pas que ces autorités aient approuvé ce document ou lui aient reconnu un caractère officiel. Il est encore à l'étude. »
C'est heureux ! Mais c'est une *base d'étude* qui a le consentement des autorités catholiques...
Par ailleurs, le texte est suivi d'un commentaire de Mgr Butler, évêque auxiliaire de Westminster, membre de la Commission anglicane-catholique. Il dit :
« ...Il ne s'agit pas de ce que les uns et les autres nous faisons en fait, mais de ce que nous *avons l'intention* de faire (souligné dans le texte), *de ce qui, à notre avis, constitue une Eucharistie valide. *»
231:162
... Ce qui veut dire, dans le développement de la pensée de Mgr Butler, que l'étude en question ne vise pas, pour le moment, à reconnaître comme valide la Cène anglicane pour les Catholiques, ni la Messe Catholique pour les Anglicans, mais bien plutôt de se mettre d'accord sur l'*intention* commune qui, de part et d'autre, préside à la célébration de l'Eucharistie. C'est donc le premier pas, *la base doctrinale.* Après quoi, la reconnaissance réciproque ne sera plus qu'une question de forme.
Et c'est ici que, du point de vue catholique, on demeure stupéfait tant devant les conclusions que devant la méthode de travail adoptée. Sous prétexte de ne s'attacher qu'à la « tradition commune », on met résolument de côté (« provisoirement ») le Concile de Trente et les articles dogmatiques protestants. On en arrive à ce monumental calembour historique :
« ...Notre méthode a consisté à nous écarter provisoirement de Trente et des Articles (sans nier, bien entendu leur autorité et leur vérité) et à nous tourner vers la Bible et la « tradition commune » qu'ont partagée nos deux communions au cours des siècles qui ont précédé la Réforme » (*sic !*)
Qu'allons-nous donc trouver dans ce retour aux sources, au cours de ces siècles d'histoire où Protestants et Catholiques partageaient la même foi « avant » cette malheureuse Réforme ?... « *D'après le Nouveau Testament *», la Cène étant placée dans un contexte pascal et la Pâque étant un mémorial de l'Exode, la tradition commune va se rétrécir aux limites juives auxquelles, pour les besoins de la cause, on applique un effet « rédempteur » :
« ...Or la Pâque était un « mémorial » de l'Exode. Quel en était le sens pour les Juifs de l'époque de Notre-Seigneur ? Le mémorial signifiait une *actualisation effective* de l'Exode dans une célébration rituelle, où les bienfaits de l'Exode, *considéré comme un acte divin de rédemption,* étaient présentés dans l'espace et le temps à la communauté des croyants. Nous en avons inféré que l'Eucharistie est un « mémorial » du sacrifice du Christ en donnant au mot « mémorial » toute sa valeur doctrinale. Si nous n'avons pas dit en toutes lettres dans notre conclusion : « par conséquent, en ce sens, l'Eucharistie est un sacrifice », la conclusion reste ouverte à tous ceux qui, comme moi (Mgr Butler), la jugent inévitable. » ([^211])
232:162
Voilà donc toute la valeur doctrinale reportée sur le « mémorial ». Le « sacrifice » n'est « UN » sacrifice que par voie de conséquence, tirant toute sa valeur de l' « acte divin de rédemption » attaché aux bienfaits de l'Exode « effectivement actualisés » dans une célébration rituelle. De *l'actualisation du sacrifice rédempteur du Christ,* il n'est plus question. Et pour cause, on va le voir !...
Après ces commentaires de Mgr Butler, voici donc la substance de la déclaration commune.
##### 1) -- *La Présence réelle.*
Elle est nettement affirmée :
« ...La communion au Christ dans l'Eucharistie suppose sa vraie présence, efficacement signifiée par le pain et le vin qui, dans ce mystère, deviennent son corps et son sang. »
Seulement, si les Anglicans sont incontestablement prêts à l'accepter subjectivement, un lourd silence plane sur la consécration. Une note précise que le terme de Transsubstantiation « doit être considéré comme affirmant *le fait* de la présence du Christ et du changement mystérieux et radical qui s'accomplit. Dans la théologie catholique romaine contemporaine, ce terme n'est pas compris comme indiquant *le comment* de ce changement. » Bien sûr ! « Le comment » relevant du mystère, aucune théologie n'a jamais prétendu l'expliquer. Par contre, la « théologie catholique romaine *contemporaine *» a une tendance bien connue à escamoter le rôle actif consécratoire du prêtre qui célèbre. Le § 7 de la déclaration commune est le fidèle reflet de ses déviations :
« ...Le Christ est présent et agissant de plusieurs manières dans toute la célébration eucharistique. C'est le même Seigneur qui, par la proclamation de sa Parole, invite son peuple à sa table ; qui, par son ministre, préside à cette table et qui se donne ensuite sacramentellement dans le corps et le sang de son sacrifice pascal. »
Nous voyons donc le Christ présent non seulement dans le sacrement mais aussi dans sa Parole, agissant par l'intermédiaire du prêtre président. Voilà qui rappelle étrangement la définition de la Messe dans le fameux Art. 7 première manière, avant la rectification du Pape Paul VI !
Le § 10 fausse encore davantage le sens de la consécration :
« ...Selon l'ordre liturgique traditionnel, la prière consécratoire (anaphore) conduit à la communion *des fidèles* (c'est nous qui soulignons). Par cette prière d'action de grâces, une prière de foi adressée au Père, le pain et le vin deviennent, par l'action de l'Esprit Saint, le corps et le sang du Christ... »
233:162
Quelle valeur efficace de transsubstantiation aura donc une prière consécratoire qui n'est plus qu'une action de grâces conduisant à la communion des fidèles et qui renonce à son objet essentiel : le renouvellement « hic et nunc » du sacrifice rédempteur ?
##### 2) -- *Le Sacrifice.*
On nous dira (comme dans l'Art. 7 rectifié de la définition de la nouvelle Messe) : la notion de sacrifice reste sous-entendue. Hélas ! Le § 5 de la Déclaration commune lui donne le coup de grâce :
« ...La rédemption par la mort et la résurrection du Christ s'est effectuée une fois pour toutes dans l'Histoire. La mort du Christ sur la croix, sommet de toute sa vie d'obéissance, a été le sacrifice unique, parfait et suffisant pour les péchés du monde. IL NE PEUT Y AVOIR RÉPÉTITION DE CE SACRIFICE NI D'ADDITION A CE QUE LE CHRIST A ACCOMPLI UNE FOIS POUR TOUTES. AUCUNE TENTATIVE FAITE POUR EXPRIMER UN LIEN ENTRE LE SACRIFICE DU CHRIST ET L'EUCHARISTIE NE DOIT OBSCURCIR CE FAIT FONDAMENTAL DE LA FOI CHRÉTIENNE. » (C'est nous qui soulignons.)
On reste confondu que des Catholiques aient pu souscrire à pareille déclaration commune ! C'est à se demander si les bases premières de leur culture catéchétique sont aussi primaires que celles de leur culture historique. Car n'oublions pas que cette énormité nous est présentée comme la « tradition commune » qui liait Catholiques et Protestants « avant la Réforme »... Une note au bas de la page aggrave encore leur apostasie : on nous dit que le terme de « sacrifice » était employé dans l'Église *primitive* pour « *exprimer le sens *» de la mort et de la résurrection du Christ. Et pour plus de précision, on rétrograde au-delà des sources, jusqu'à l'Ancien Testament :
« ...Pour les Juifs, le sacrifice était un moyen traditionnel de communiquer avec Dieu. La Pâque, par exemple, était un repas en commun ; le jour des Propitiations était essentiellement expiatoire. Et l'Alliance établissait une communion entre Dieu et l'homme. »
Voilà donc, pour conclure, un « sacrifice » eucharistique qui n'est plus qu'une offrande d'action de grâces prenant sa source dans la commémoration rituelle de l'Exode de l'Ancien Testament. Le Nouveau Testament n'y a rien ajouté si ce n'est un « mémorial » de plus : celui de la Croix. L'Eucharistie n'est pas un sacrifice. Elle est un joyeux banquet, gage de la terre nouvelle et des cieux nouveaux (§ 11) :
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« ...Dans la célébration eucharistique, nous goûtons par avance les joies du monde à venir. Par l'action transformante de l'Esprit de Dieu, le pain et le vin de la terre ([^212]) deviennent la manne céleste et le nouveau vin, le banquet eschatologique pour l'homme nouveau : des éléments de la première création deviennent le gage et les prémices de la nouvelle terre et des cieux nouveaux. »
Tels sont donc les termes, les explications et les justifications d'une déclaration commune anglicane-catholique ; les « bases doctrinales communes » semées dans la « recherche », germées dans les rencontres où l'on cueille les fruits et les fleurs qu'on nous offre avec les rubans de l'espérance... le bouquet de l'œcuménisme !
On nous affirme que les autorités n'ont pas encore approuvé le document. Encore une fois, c'est heureux ! Souhaitons qu'il soulève la réprobation indignée des autorités catholiques. Souhaitons aussi que cette réprobation ne soit pas le premier temps d'un glissement comme ce fut le cas pour la Messe Normative !
Michel Demange.
### Bibliographie
#### Roger Bésus France-dernière (Plon)
On éprouve quelque scrupule à faire la critique d'un roman de R. Bésus en songeant qu'elle figurera peut-être auprès de comptes rendus d'autres romans qui n'auront ni la même conviction intime, ni la même concentration, ni la même maturité ; ceux-là présenteront les qualités de leurs défauts, l'œuvre de Bésus a les défauts de ses qualités.
235:162
Il n'est pas à craindre que Bésus ne cède à la tentation des préciosités nouvelles, des artifices gratuits, des compositions sophistiquées. S'il quitte un personnage, pour en retrouver un autre, c'est avec la même passion de recherche critique : d'où cette phrase en exergue, empruntée aux « Aventures de la dialectique » de Merleau-Ponty : « Est-ce donc tricher que de demander qu'on vérifie les dés ? » Les vérifications de Roger Bésus sont amères, et nous connaissons trop bien le milieu dit intellectuel pour lui faire jamais grief d'invraisemblance. Si le libraire Simon, l'homme aux vingt-huit meurtres secrets, fait parfois penser au Quinette des « Hommes de Bonne Volonté », la réalité offre aussi d'étranges histoires dont les échos parfois nous parviennent, et qui nous laissent supposer que, dans les arrière-fonds obscurs de notre société, se déroulent des actions parfaitement invraisemblables, et par là-même très bien défendues contre les curiosités. Admettons que le meurtre soit à ranger au nombre des exceptions : pour les assassins d'âmes, les maîtres dévoyés comme Anita Loire, professeur de philosophie en renom, les références concrètes ne manqueraient pas. L'action se déroule en 1954, et le personnage d'Anita Loire illustre un fait trop méconnu des badauds, à savoir que Mai 1968 ne fut pas un incident spontané éclos dans un capricieux printemps.
Je ne suis point convaincu (et l'auteur ne s'en étonnera pas) de la valeur de l'idée européenne et de l'importance extrême donnée ici à la personnalité politique de M. Mendès-France. Politiquement, j'admettrais peut-être que M. Mendès-France ait eu l'étoffe d'un Disraeli français auquel la Monarchie aurait manqué ; mais nos possibles Disraeli ayant toujours été allergiques à cette institution, je ne puis décidément rien pour eux... Par contre il apparaît plausible que la personnalité en question puisse tenir un rôle central dans l'étude littéraire, morale et psychologique de ces années qu'il faut bien qualifier d'oubliées. Remarquons à ce propos que le « Connais pas ! » aigrement proféré par la jeunesse ne concerne pas que l'avant-guerre, et que les débuts du pouvoir gaulliste appartiennent déjà, aux yeux de cette génération, à une proto-histoire quasi mérovingienne. Pourtant, autour de M. Mendès-France et de l'Europe, des passions s'exprimèrent, beaucoup de problèmes se concentrèrent. Roger Bésus, en voulant marquer cette étape, oppose ainsi aux romans du dédain, de l'ignorance, du présent radoté, une œuvre de connaissance, une reprise en mains de la suite historique indispensable. C'est un effort pour assurer l'avenir de l'intelligence. Tout au plus critiquerais-je, en certains chapitres, une abondance excessive de documents politiques et journalistiques.
Le climat où se déroule « France-dernière » est assez étroitement parisien ; il englobe les quartiers familiers au personnel intellectuel. Ce monde a ses mensonges, ses futilités, ses noirceurs que Bésus rappelle assez cruellement. Offrait-il aussi des sauveteurs, des héros salutaires ? Le peu de sympathie que m'inspire -- jusqu'ici -- le personnage du professeur Sommery me pousserait à conclure que 1954, c'était déjà la Bérésina des intellectuels.
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L'infatigable activité littéraire du « maître », par exemple la lettre adressée à son élève Beck lors de son succès à Normale Supérieure, ne fait que renforcer ma méfiance ; je n'y vois nulle invraisemblance et serais justement tenté d'ajouter : « hélas, ! » Et si je puis me permettre une taquinerie, je comparerai le style personnel de Bésus narrateur et dialoguiste avec celui qu'il prête à Sommery toujours imprégné de rhétorique universitaire... J'hésite encore, et non sans raison car ce serait prématuré, à donner une interprétation nette à l'aventure du journaliste catholique Despérant, quittant du jour au lendemain la biographie du Curé d'Ars pour une participation nutritive à la presse à forts tirages et curieuse de scandales. En même temps Despérant subit l'attirance vertigineuse du libraire-tueur Simon, dont il est le confident : « pouvoir des âmes fortes sur les âmes faibles » comme disait la Galigaï ? ou conséquence du « qui veut faire l'ange fait la bête » ? Il y a des périodes d'illusion et d'inefficacité mal reconnues par ceux qui les vivent. Sommery voit, dans l'échec de la politique européenne, la fin de la France, ou peu s'en faut : « Car il se pourrait que plus tard le chapitre où il sera question de sa présence \[celle de Mendès\] à la tête du pays, l'Histoire, faute de l'intituler : « l'Europe, enfin », l'intitulât : « France-Dernière ». Il est compréhensible que Sommery pense ainsi en 1954. Mais bientôt d'autres éléments allaient compliquer les problèmes : le poujadisme, l'Algérie. Nous espérons que les œuvres prochaines de R. Bésus nous feront apparaître, fût-ce de l'observatoire parisien, ces mouvements lointains et profonds, dans le style nerveux, intense et varié, unissant constamment en ses personnages la parole et le mouvement, qui lui confère une indiscutable supériorité sur presque tous les romans que nous offrit la dernière saison des lauriers littéraires.
Jean-Baptiste Morvan.
#### Angelo Rinaldi La maison des Atlantes (Denoël)
Toute œuvre orientée vers une « démystification » bénéficie d'un préjugé favorable de « réalisme », et le réalisme est lui-même identifié à la vérité du réel. Aussi aurons-nous peut-être mauvaise grâce à mettre en discussion la vraisemblance du thème dans « La Maison des Atlantes ». Je ne suis pas sûr qu'un homme déjà mûr, récemment frappé d'une grave crise cardiaque et sachant que ses jours sont comptés, consacre ce reste de vie à rédiger des souvenirs grinçants, et sans presque jamais interrompre le sarcasme. Le cas peut se présenter, mais l'exception est ici une justification trop commode ; on voit bien que le sujet ainsi posé permet une vue panoramique de l'existence : nous l'aurions bien acceptée telle quelle, pourvu que l'intensité du sentiment emportât notre adhésion ; un monologue intérieur eût suffi, et le procédé employé ici n'est ni plus neuf ni plus utile que la fiction du manuscrit trouvé dans un tiroir. L'auteur supposé des confidences les destine à son fils qu'il n'aime pas : il semble heureux de lui faire sa part des éclaboussures fétides qu'il projette sur les morts, sur les survivants de sa famille et de sa génération et sur lui-même. Avocat parvenu, fils d'une servante, doit-il à ces circonstances une tendance aux déballages d'audience, et à la volupté des racontars nauséabonds ? Ce serait conforme, sinon à l'absolue vérité humaine, du moins à une certaine perspective littéraire, un peu trop fréquente, de ces conditions sociales. Mais, même ainsi, l'âge aidant, le personnage n'eût-il pas abouti à une certaine satisfaction de lui-même, qui eût nuancé sa critique ? Le cynisme délibéré semble avoir outrancièrement détruit une naturelle vanité.
On ne peut éviter une comparaison avec le « Nœud de vipères » de Mauriac : la nature de l'intrigue nous y amène. Or l'âpreté de Mauriac laissait à la fin la place à une redécouverte du héros par lui-même ; ce n'est pas le cas ici, et c'est Mauriac refait dans l'optique de Flaubert et de Maupassant. Zola témoignait de certaines fougues, de quelques bouffées d'enthousiasme dont la « démystification » est ici tout à fait exempte. Presque continuellement, les deux pages du livre ouvert me font songer à la double poubelle que le balayeur de ma rue promène sur son petit chariot.
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Rinaldi consacre à un remplissage analogue un talent certain, digne d'un meilleur sort. Notez que les anecdotes plus salaces concernent immanquablement des prêtres et des gens de droite. Ah ! ces catholiques, ces maurrassiens, quels irremplaçables satyres ! Et sans eux, on se demande comment on pourrait encore avoir un Prix Fémina... J'en arrive à souhaiter que chez l'auteur, le sectarisme suffise à tout expliquer ; autrement, nous savons que devant certains jurys littéraires, il y a des bassesses qui sont payantes.
Pourtant, la vigilance déployée par l'avocat Tonio envers les spectacles de la malpropreté bourgeoise l'amène à entasser tant d'épines qu'il semble s'y être déchiré lui-même ; vers les dernières pages on peut croire qu'une larme va couler, que la perspective générale va subir une modification. Il a un jour renié sa mère, que dans tout le récit il n'a guère plus épargnée que son père, sa femme, son fils et tous ceux qu'il a connus ; il veut se tourner vers son souvenir : « ...mais je crains qu'elle ne m'écarte à nouveau de son chemin et ne m'abandonne à mon univers de remords -- le plus stérile de tous, car enfin, le remords, que change-t-il au passé ? » Tels sont les derniers mots. Mais c'était précisément une question qui ne pouvait se réduire à une interrogation oratoire. Le passé est déjà changé parce qu'il a été revu ; la confession de Tonio, ses dégoûts (peut-être immédiatement justifiables), ses rancœurs ont imprimé à ce passé une certaine métamorphose. Une autre transformation n'était-elle pas nécessaire ensuite pour essayer, comme dit le poète, de « changer en lui-même » ce passé ?
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Ce qui nous amène à un problème qui dépasse et le livre, et la littérature. Du livre au film, du spectacle au public et au lecteur, une contagion s'étend, d'autant plus à craindre que la pensée religieuse en état de carence ne permet pas de l'arrêter. Il est indéniable à mon avis que la tendance dénigrante de toute une littérature, depuis cent ans à peu près, a été politiquement encouragée. Les séquelles du Flaubertisme développaient un esprit médiocre, une attitude mesquine propre à contrarier l'esprit religieux d'abord, puis à favoriser le radicalisme et le marxisme. Toute littérature prônée, voire imposée, aboutit à une sorte de dogmatisme moral, à un conformisme qui est ici décevant et négatif : une anti-charité. On m'objectera que ma notion de la charité se confond avec la culture des illusions. Sur les illusions mêmes, on pourrait encore discuter. Mais l'investigation critique qu'on nous recommande représente-t-elle la vérité ?
Il nous semble qu'elle s'intéresse aux vivants et aux morts d'une manière telle qu'on proclame le mystère des existences honorables pour laisser supposer des secrets peu édifiants, mais que jamais on ne se livre à l'opération inverse pour passer de la réprobation à ce qui serait peut-être « l'indulgence plénière », pour reprendre un titre de La Varende. Dans ce jeu de massacre intoxicant, les morts sont particulièrement inaptes à se défendre, et difficiles à défendre. Et pourtant il n'est personne qui, à partir d'un certain âge ne soit amené à se méfier de sa propre vision du passé, et plus encore parfois, de la manière dont les survivants lui présentent les disparus et les oubliés. Révélations vraies ou fausses, radotages enveloppés d'apparence sérieuse et parfois de considérations comiquement érudites sur la psychologie clinique... Nous avons alors envie de réclamer un peu de charme pour compenser les grincements. Ces gens dont on nous raconte d'un ton gourmand ou égrillard les frasques et les sottises, nous avons pu les connaître dans notre enfance, et nous ne pouvons oublier certaines marques de bonté, certaines expressions de visage qui spontanément, fugitivement, révélaient la joie des affections directes et simples. Qu'ils aient été ou non ce que l'on en dit, est-ce au fond tellement important ? S'ils furent cela, ils furent très probablement aussi autre chose. Les propos épars que notre mémoire garde encore d'eux, bien lointains et assourdis, rendent sensible à notre esprit la part de leur être que les témoins goguenards et tardivement loquaces n'ont point vu -- ou point voulu voir. C'est dans cette lumière qu'ils auraient reconnu leur visage. Il est une autre lumière, une lumière froide où les voient encore leurs critiques posthumes qui n'étaient plus enfants au moment où ils les ont connus. A l'égard des disparus, nous sommes alors tentés d'observer une partialité favorable, d'abord pour leur être reconnaissants, ensuite pour être vrais. La charité donnerait au roman mieux qu'un supplément de richesse : une dimension nouvelle et nécessaire. Qu'adviendrait-il de notre climat humain si, dans l'univers réel, tous se mettaient à penser selon l'orientation dénigrante du roman réaliste, naturaliste, existentialiste ? De telles sévérités, souvent inutiles et complaisantes aux peintures les plus douteuses, seraient admissibles à la rigueur dans un roman si elles n'étaient que provisoires et compensées par des perspectives ultérieures vraiment éclairantes ; dans les pensées et les propos de la vie quotidienne, il est encore moins probable que les esprits ainsi guidés réussissent à dépasser ce stade décevant, et pour tous humiliant.
J.-B. M.
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#### Pierre-Jean Rémy Le sac du Palais d'été (Gallimard)
Il est regrettable qu'Honoré d'Urfé, Mlle de Scudéry, La Calprenède et autres bons vieux auteurs de romans-fleuves au temps jadis, soient trépassés trop tôt pour prétendre aux prix littéraires ; pour le poids et l'épaisseur, ils n'eussent point été indignes de figurer sur nos palmarès. Du moins gardaient-ils une continuité narrative : le lecteur s'endormait parfois, il n'était pas tenté de crier grâce. Je conseille aux amateurs courageux de commencer le « Sac du Palais d'Été » par les notes biographiques sur les personnages, situées à la fin ; car chacun de ces nombreux acteurs a son roman, ou plus exactement il reparaît de temps à autre dans un épisode qui dépasse rarement la demi-page. Chacune de ces émergences a le mérite relatif d'un style clair ; les aventures ne me paraissent point receler des mystères passionnants : du reste les intentions de l'auteur ne cherchent à situer le mystère que dans une perspective d'ensemble de cette énorme mosaïque chinoise où s'agitent des marionnettes venues d'Europe, toutes plus ou moins diplomates ou journalistes. Il fallait un guide, ou un intercesseur : ce qui fait qu'aux histoires pulvérisées des vivants vient s'ajouter de temps à autre l'apparition du voyageur et littérateur Victor Ségalen, mort en 1919. Il s'agit soit de scènes biographiques, soit d'extraits de ses lettres sur la Chine. Je ne sais quelle méfiance éveille en moi la présence de cet auteur pour qui les sectes et les intellectuels de l'ésotérisme m'ont toujours paru montrer quelque prédilection, et qui prend figure de « Supérieur inconnu », rôle cher aux fervents des fausses mystiques. Des anciens voyages de Ségalen au tableau de la révolution culturelle récente, un fait demeure permanent, un mystère chinois que les incertitudes intellectuelles, les passe-temps érotiques ou alcooliques des épaves européennes ici évoquées ne contribuent nullement à éclaircir. On peut même craindre que ces personnages aient été choisis pour laisser au mystère chinois son aspect impressionnant. Nous bénéficions de quelques scènes d'exécutions publiques pimentées de cruautés sadiques, qui susciteraient, si c'était encore admis, un dégoût hostile envers les sujets de Mao. Mais ce roman-confetti sur une Chine éclatée et pourtant demeurée massive vise à renforcer la polarisation hypnotique des intellectuels occidentaux vers un monde dont on tient à croire qu'il signifie humainement quelque chose.
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Personne ne semble penser que la bêtise humaine puisse avoir un visage chinois, ni qu'il y ait deux formes de stupidité, celle qu'on comprend et celle qu'on ne comprend pas : la seconde doit absolument être considérée comme une forme méconnue d'intelligence riche de promesses créatrices. Non point qu'il s'agisse ici d'un roman maoïste. Mais la sinophilie ou sinomanie française, dont le maoïsme est une forme particulière et révélatrice, constitue une synthèse de toutes les impuissances, de toutes les nostalgies frustes et de toutes les insatisfactions puériles qu'en ces années 70 l'Occident a pu accumuler. Nous ne devons point désespérer que la France triomphe de ces virus paralysants ; je me prends même à rêver parfois que c'est en France qu'on connaîtra la minute de vérité, que le Chant du Coq chassera les fantômes livides et ridicules qui nous obsèdent. Le roman de P.-J. Rémy aura-t-il contribué à cette offensive de résurrection ? Je crains en tout cas que ce ne soit que de manière fort indirecte. Il y a dans ce roman peu d'idées et de sentiments : la fragmentation ne leur en laisse pas le temps ; l'Occidental y semble condamné à la torpeur sans espérance, au whisky et aux filles. C'est du Malraux aggravé, et j'ai cru discerner sur ces visages européens, fugitifs dans tous les sens du mot, une ressemblance certaine avec le Clappique de la « Condition humaine ». Nous ne tenons pas à figurer dans le monde du XX^e^ siècle finissant avec cette physionomie là. Il faut refuser l'hypnose, ne pas laisser s'installer le Mandarin. On peut même envisager une critique de ce genre qui prétend au titre de « roman total ». Sa totalité semble surtout se définir par son épaisseur ; le foisonnement peut avoir son charme ou son intérêt, mais il peut aussi se prêter commodément à une absence d'observation centrale, à une abstention du jugement. Qu'on nous raconte si l'on veut les Mille et une Nuits, mais qu'on invente quelque nouveau Sindbad le marin -- authentiquement intelligent.
J.-B. M.
#### Pascal Lainé L'irrévolution (Gallimard)
Je n'ai jamais pensé que la profession universitaire pût offrir le climat propre à une intrigue de roman : une existence appliquée toujours au même parcours dans un cadre matériel anonyme, au même cycle de programmes, devant des élèves que l'on n'aura guère l'occasion de retrouver après qu'ils auront quitté la place avec ou sans diplômes, voilà qui prête d'autant moins au pathétique et au renouveau d'intérêt que les rencontres avec la population ambiante sont fort restreintes. Le roman du professorat, souvent tenté, ne peut guère se dérouler que dans l'espace d'une année ; finalement, il sera le roman des neiges d'antan, qui sont le symbole des choses vite oubliées....
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Du reste, ici, Il n'y a pas de roman : un jeune professeur inaugure sa carrière dans une ville où il ne séjourne que de manière fragmentaire, tenant à retourner à Paris le plus souvent possible. Cette cité est baptisée Sottenville et comme au début « l'auteur du récit affirme que les événements relatés ici, les lieux et les personnages décrits sont imaginaires, etc. », nous ne verrons dans ce toponyme qu'une fiction satirique. « Je n'aime pas Sottenville, je ne sais pas m'y promener... Je ne connais personne de Sottenville. Moi, bien sûr, j'aurais bien aimé me lier un peu à mes collègues de Sottenville ; ne serait-ce que pour distraire quelques heures de temps en temps à l'interminable ennui d'une existence éparpillée entre les chambres d'hôtel, les compartiments de chemin de fer et les restaurants à prix fixe... Mais les Sottenvillais ne tombent pas dans le panneau : on n'aime guère parler à quelqu'un qui regarderait sans cesse sa montre, attendant l'instant de s'en aller. Comme les autres Parisiens, me voilà donc livré à la solitude, le pire des maux à Sottenvile ». Nous le croyons sans peine ! Et nous tenons même ici un des caractères essentiels du roman : une étonnante et redoutable ingénuité, assez voisine de l'inconscience. Malgré la mise en garde contre les ressemblances fortuites, nous savons que l'auteur est, comme son personnage, agrégé de philosophie ; alors, cette déploration étonnée et douloureuse devant des évidences nous déçoit un peu.
Nous ne sommes pas moins déçus par la narration des différentes étapes de sa morosité. Elle représente néanmoins un document auquel nous pouvons apporter nous-mêmes le commentaire. Notre philosophe encore marqué par les émotions de mai 68 débarque dans un Lycée Technique, où il est fort surpris de ne trouver chez ses élèves aucune vocation révolutionnaire, mais seulement des ambitions fort réalistes d'accession aux « cadres moyens » ; loin de répondre à sa représentation de la « masse ouvrière », ce milieu a ses hiérarchies intérieures et ses sélections. Le maître prétend y apporter de fécondes insatisfactions, mais découvre que les idéologies révolutionnaires sont au moins aussi étrangères à ses élèves que la pensée de Bergson ou la preuve de l'existence de Dieu selon saint Anselme : tout cela est matière scolaire. Il essaye des méthodes dites « actives », créé un journal scolaire dans lequel un jeune agitateur gauchiste, bourgeois et parisien, fera astucieusement passer un texte incendiaire, ce qui amène la fin de l'expérience et la crise finale de dégoût de notre prophète malencontreux. A ce titre, le livre serait d'une lecture profitable pour les jeunes universitaires. Une certaine préparation idéologique marxiste dispensée par l'université est propre à fabriquer des illusionnistes, qui se retrouveront un jour, devant le monde ouvrier, d'autant plus ignorants qu'ils l'auront abordé avec des idées préconçues complètement fictives. Du point de vue personnel, leur soif de dévouement totalitaire les empêche de se réserver des violons d'Ingres. Dans leurs rapports avec le monde scolaire, ils trouvent que ce climat ne les satisfait pas, ils se proposent de le rendre satisfaisant en lui suggérant des insatisfactions de leur cru, et non telles ou telles autres qui auraient pu être génératrices de culture. Avec obstination, Ils prennent à tâche d'enfermer leur public dans un cercle d'où justement il cherche à sortir.
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Dialogue de sourds, déconvenue, morosité. L'agitateur bourgeois du journal agit autrement, cyniquement, avec efficacité et rapidité ; et l'universitaire est victime du court-circuit. Autre illusion : celle qui veut obtenir que les élèves livrent, proclament et écrivent le contenu de leur monde intérieur. Il faut, dit-on, qu'ils s'expriment ; mais justement l'expression fixe et asservit, et d'une certaine manière elle dépouille. Les adolescents sentent instinctivement ce qu'un écrivain éprouve consciemment. Un journal scolaire les déçoit ; j'ai suivi activement pour ma part une telle tentative, sur plusieurs années, et j'ai pu observer qu'elle ne provoquait guère que l'indifférence, la méfiance ou l'hostilité du plus grand nombre.
Si l'on voulait composer une histoire morale de l'université depuis 1945, les romans qui lui ont été consacrés pourraient (non sans beaucoup de précautions critiques) y contribuer ; et ce serait sans doute le seul intérêt de cette littérature. Je songe au titre de Paul Guth : « Le Naïf aux quarante enfants » ; mais le naïf était là, dans une assez large mesure, un faux naïf. Le personnage narrateur de « l'Irrévolution » est un naïf véritable, et l'on peut en conclure que dans l'université, pas plus qu'ailleurs, la naïveté ne constitue une valeur ou une vertu.
J.-B. M.
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## DOCUMENTS
### L'excommunication du P. Saenz
*Le P. Saenz y Arriaga est un prêtre et un docteur en théologie mexicain de grande renommée. Au Mexique, il est l'animateur de la* « *Hermandad Sacerdotal mexicana *», *association sacerdotale analogue à la* « *Hermandad Sacerdotal española *» *que dirige Mgr Francisco Santa Cruz. En outre, le P. Saenz est l'un des trois dirigeants ecclésiastiques de l'* « *Alliance mondiale PERC *» (Concordia gentium pro Ecclesia romana catholica)*. Les deux autres dirigeants ecclésiastiques du PERC sont, comme on le sait, Mgr Santa Cruz et le Père Noël Barbara* ([^213])*.*
#### I. -- La sentence d'excommunication
*Voici la teneur intégrale de la sentence de suspense et d'excommunication prononcée contre le P. Joaquin Saenz y Arriaga* (*traduite de l'espagnol par Hugues Kéraly*)
DÉCRET
NOUS, MIGUEL DARIO, CARDINAL MIRANDA, PAR LA GRACE DE DIEU ET DU SAINT-SIÈGE APOSTOLIQUE, ARCHEVÊQUE PRIMAT DU MEXIQUE.
LE PRÊTRE JOAQUIN SAENZ ARRIAGA, qui réside dans cet Archi-diocèse de Mexico, contrevenant au Canon 1.385, et négligeant l'avertissement préalable qui lui avait alors été donné concernant l'obligation imposée par ledit Canon, a publié (entre autres) -- sans le soumettre à aucune censure ni licence ecclésiastique -- le livre intitulé « LA NOUVELLE ÉGLISE MONTINIENNE ».
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De l'examen minutieux de ce livre, il résulte clairement que celui-ci contient une escalade de graves injures, insultes et jugements hérétiques -- directement proférés à l'encontre du Pontife Romain et des Pères du Concile Vatican II ; au point que l'auteur en vient à affirmer, non sans quelque maladive naïveté, que l'Église se trouve « acéphale » depuis que le Saint Père est tombé en hérésie. L'auteur de ce livre exhorte les fidèles à désobéir au Saint Père, et suscite haine et aversion contre les actes, décrets et décisions de ce dernier, conspirant ainsi contre l'autorité suprême de l'Église.
Ainsi le Prêtre Joaquin Saenz Arriaga, en publiant ce livre, a-t-il commis les délits consignés aux Canons 2.331 et 2.334, qui énoncent textuellement : « Paragraphe 2 : On punira de censures et autres châtiments ceux qui conspirent contre l'Autorité du Pontife Romain, de son Légat ou de l'Ordinaire du lieu, ou contre les personnes légitimement mandatées par ces derniers, et on punira de même ceux qui incitent les fidèles à la désobéissance ; et s'il s'agit d'ecclésiastiques, on les privera de leurs dignités, bénéfices et autres charges ; de voix active et passive, et de l'office s'ils sont religieux » (Can. 2.331). « Celui qui, par voie de publications périodiques, discours publics ou libelles, injurie directement ou indirectement le Pontife Romain (...) et celui qui suscite haine ou aversion dissimulée contre les actes, décisions et sentences de ce dernier, l'Ordinaire, non seulement sur requête d'une partie, mais aussi d'office, devra les obliger -- en usant au besoin de censures -- à faire réparation, et les punir au moyen d'autres châtiments ou pénitences adéquats, selon ce qu'exigera la gravité de la faute et la réparation du scandale » (Can. 2.344).
D'autre part, la Sainte Congrégation du Concile (aujourd'hui Congrégation du Clergé) a déclaré dans son Décret du 29 juin 1950 (AAS. 42 (1950) 601) que se placent automatiquement hors de l'Église « ceux qui de quelque façon que ce soit (...), directement ou indirectement, complotent contre les légitimes autorités ecclésiastiques ou tentent de détruire leur autorité. »
Ainsi donc, considérant mûrement tout ce qui vient d'être dit ; invoquant le Nom du Christ ; n'ayant en vue que le bien spirituel des fidèles et par-dessus tout du Prêtre Joaquin Saenz Arriaga lui-même ; faisant usage de Notre Autorité ordinaire ; et vus les Canons 2.222, paragraphe 1 et 2.223, paragraphe 2, 3 et 4, par les présentes Lettres :
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1\) NOUS SUSPENDONS « A DIVINIS » le Prêtre Joaquin Saenz Arriaga en application du Canon 2.279, paragraphe 2, n. 2, jusqu'à ce que -- son opiniâtreté dans l'erreur ayant été brisée -- il rétracte ses injures, retire dans toute la mesure du possible son livre de la circulation, offre une réparation proportionnée à ses délits et se soumette avec fidélité et humilité aux ordres que l'Autorité Ecclésiastique trouvera alors bon de lui prescrire.
2\) Nous déclarons que le Prêtre Joaquin Saenz Arriaga S'EST AUTOMATIQUEMENT PLACÉ HORS DE L'ÉGLISE.
3\) Nous déclarons en outre que, à moins de péril de mort, le Prêtre Joaquin Saenz Arriaga ne pourra être relevé de l'interdit mentionné dans notre N° 1, sinon par Nous ou par quelqu'un que nous déléguerions à notre place, en application des Canons 2.253 n. 2, 2.245 paragraphe 2 et 2.217 paragraphe 1, n. 3 ; de la censure décrétée dans notre N° 2, il pourra -- s'il donne au préalable une preuve suffisante de son repentir -- être relevé par ceux qui en détiennent le pouvoir spécial, en application du Motu Proprio « Pastorale Munus », I, 14 et II, 4.
Donné en la Salle de Gouvernance de la Curie de l'Archevêché de Mexico, ce dix-huitième jour du mois de décembre Mille Neuf Cent Soixante-et-Onze.
MIGUEL DARIO, CARDINAL MIRANDA\
ARCHEVÊQUE PRIMAT DU MEXIQUE
Luis Reynoso Cervantes\
Secrétaire de la Chancellerie
*Au n° 2, la formule : il* « *s'est automatiquement placé hors... *» *pourrait être prise par le lecteur pour une simple constatation. Il s'agit en réalité d'une déclaration, d'un décret, d'une censure portant excommunication, et dont la victime ne pourra être relevée qu'aux conditions indiquées.*
#### II. -- La déclaration du P. Saenz
*Moins d'une semaine après la sentence d'excommunication portée contre lui, le P. Saenz rendait publique une déclaration que nous donnons ci-après en entier, d'après le texte paru le 23 décembre 1971 dans* « *El Sol de Mexico *» (*traduite de l'espagnol par Hugues Kéraly*)
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**1. -- **Il est exact que Son Éminence Miguel Dario Miranda, Archevêque Primat de Mexico, en un document qui me fut remis sous pli fermé le samedi 18 du présent mois de la présente année, m'a infligé les suprêmes peines canoniques dont l'Église peut user à l'égard d'un prêtre. C'est le sommet d'un long calvaire de diffamation, de mise à l'écart et autres souffrances personnelles.
**2. -- **Laissons de côté toutes les irrégularités juridiques qui pourraient invalider une sentence sans le moindre procès légal, sans la notification formelle exigée par le Droit, etc., etc. ce qui se trouve ici mis en cause est, à l'évidence, ma lutte pour la foi catholique. On cherche à annihiler cette lutte au moyen des dernières pressions qui -- dans mon humaine faiblesse -- soient capables de me faire chanceler et, en même temps, de me discréditer aux yeux de mes proches, de mes amis, de toutes ces âmes que j'ai servies dans mon sacerdoce. Mais, au-dessus des normes juridiques, au-dessus des peines canoniques, se tient, devant ma conscience, la Vérité Révélée.
**3. -- **Je dois en effet rappeler que, durant plus de quarante ans de ministère sacerdotal, ministère qui fut celui de toute une vie, j'ai donné le témoignage de mes profondes et indéracinables croyances catholiques, lesquelles n'ont jamais connu de défaillances, ni de compromission avec l'erreur. Sur ce point je suis assez connu, non seulement dans tout le Mexique, mais aussi à l'étranger.
**4. -- **La crise actuelle de l'Église est un phénomène impressionnant et profond, que nous ne pouvons désormais dissimuler. Dans tous les pays, dans toute la presse nationale et mondiale, à la télévision, à la radio, dans les conversations privées et publiques, tel est le thème obligé ; et telle est bien la question qui a semé dans l'Église la plus profonde et catastrophique des divisions. Le Souverain Pontife lui-même a qualifié cette crise d'*autodémolition* de l'Église.
**5. -- **Il existe deux camps opposés, diamétralement opposés, qu'on appelle le *traditionalisme* et le *progressisme*. Le premier s'en tient à la position monolithique d'une foi qui remonte, à travers tous les Papes et tous les Conciles, jusqu'aux origines mêmes de la Vérité Révélée, le DEPOSITUM FIDEI, qui fut définitivement scellé avec la mort du dernier des Apôtres et dont les sources nous parviennent par la Sainte Écriture et la Tradition ; Ce DEPOSITUM, l'Église doit le garder immuable jusqu'à la fin des temps.
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Le second camp, par contre, revendique une nouvelle économie de l'Évangile : tendance qu'il est convenu de nommer « progressisme », ou « néomodernisme », religion de l'ouverture, du dialogue, de l'aggiornamento, de l' « œcuménisme ». Entre ces deux courants, il n'y a place pour aucun moyen terme. Ou bien nous sommes dans la vérité, ou bien nous sommes dans l'erreur ; ou bien nous sommes avec le Christ, ou bien nous sommes contre Lui.
**6. -- **Je reconnais, accepte et confesse, en privé aussi bien qu'en public, et comme partie intégrante de ma foi, tout ce que la théologie dogmatique nous enseigne sur le Primat de Juridiction et le privilège de l'infaillibilité de magistère : prérogatives que le Christ, pour préserver l' « inerrance » même de son Église, conféra à Pierre et à ses légitimes successeurs, les Pontifes Romains -- selon la définition infaillible promulguée par le premier Concile du Vatican. Je reconnais et confesse que cette autorité est suprême et universelle, qu'elle s'étend à tous les évêques, prêtres et fidèles catholiques. Mais que cette autorité, selon l'institution même du Christ, ne saurait être ni despotique, ni arbitraire. Il est en effet de doctrine commune que le Pape peut tout *in ædificationem*, pour l'édification du Corps Mystique du Christ ; mais qu'il n'a aucun pouvoir *in destructionem*, pour la destruction du Corps Mystique du Christ, l'Église.
**7. -- **La lutte entre les deux tendances désignées ci-dessus, lutte qui (comme je l'ai déjà fait remarquer) ne divise plus seulement aujourd'hui l'Église, mais aussi les communautés religieuses, les familles et les autres groupes humains, a progressivement envahi -- sous des formes chaque jour plus douloureuses -- le terrain dogmatique, le terrain moral, le terrain liturgique et le terrain disciplinaire. Force nous a bien été d'en chercher l'explication au niveau de la Hiérarchie, qui incontestablement apparaît comme responsable de l'épouvantable confusion dont souffre actuellement l'Église. Car nous devons nous en souvenir : les pouvoirs divins conférés par le Christ aux membres de la Hiérarchie, pouvoirs que, selon la doctrine de l'Église, j'accepte et confesse en toute sincérité, ne rendent ni impeccables, ni personnellement infaillibles les légitimes pasteurs du troupeau.
248:162
On pourrait m'opposer qu'en voulant m'instituer juge de mes légitimes supérieurs, je fais preuve d'une prétention inouïe. Ce à quoi je réponds : A -- Que je ne suis pas le seul dans le monde ni au Mexique à exprimer sur ce drame une telle opinion ; on connaît la décisive et brillante littérature du célèbre journaliste Capistran Garza sur ces questions, et les livres de Manuel Magana. B -- Et que je puis en outre invoquer ici l'avertissement qui nous est donné par le Christ dans l'Évangile : « Gardez-vous des faux prophètes, qui viendront à vous revêtus de peaux de brebis, mais qui en vérité sont des loups ravisseurs. A leurs fruits vous les reconnaîtrez. » Sur ces paroles du Seigneur, il y a quatre choses à faire remarquer : *a*) il s'agit d'un avertissement qui, par sa nature et son universalité, s'adresse à tous et chacun d'entre nous, qui déclarons être ses disciples ; *b*) par lui, le Christ nous annonce qu'il y aura dans son Église des faux pasteurs ; des loups vêtus de peaux de brebis ; *c*) Il nous en avertit, sans nul doute, pour nous mettre en garde ; *d*) et Il nous donne le critère nécessaire : « à leurs fruits vous les reconnaîtrez ».
**9. -- **Face à l'écroulement auquel nous assistons ; face à cette hémorragie de vingt mille prêtres qui, en ces années postconciliaires, se sont mariés ; face aux sermons inouïs qui s'entendent aujourd'hui dans presque toutes les églises, et qui sapent peu à peu les fondements de la piété, de la vie chrétienne, de la foi même du peuple, nous devons admettre que tous ces bouleversements ne sont pas (ou pas seulement) la conséquence de faiblesses humaines, mais bien plutôt que -- en l'absence du fondement inébranlable -- nous sommes en train de bâtir sur du sable mouvant. La crise du monde moderne est avant tout *une crise de foi.*
**10. -- **Du fait que l'autorité, abusant de son pouvoir, cherche à imposer par la force des opinions qui ne sont pas en accord avec la doctrine éternelle de l'Évangile, il ne s'ensuit pas pour autant que l'erreur devienne Vérité, ni que la Vérité devienne erreur. Le Christ fut bien condamné à mort par les autorités légales, qui apparemment triomphèrent ; mais il y eut sa Résurrection, triomphe éternel du Christ, fondement de notre foi et de nos espérances.
**11. -- **En tant que mexicain et latino-américain, je condamne en outre la position socio-politique du « progressisme », qui a fomenté la révolution et la violence, conspirant contre la stabilité des gouvernements légitimes -- sous prétexte d'entreprendre un changement audacieux et intégral de « toutes les structures ». Le cas de Camilio Torres Restrepo, prêtre colombien, le cas de Cuba, du Chili et de la Bolivie en sont autant de symptômes, et d'emblèmes. Notre mission sacerdotale, la mission de l'Église, n'est pas de mener des guérillas, ni de susciter des révoltes en milieu étudiant, fat-ce sous couvert d' « authenticité », de « compromis », de « nouveau témoignage ».
249:162
**12. -- **Je termine ces déclarations par une publique, solennelle et -- avec la grâce de Dieu -- inébranlable profession de foi : de la foi de mon baptême, la foi de mes pères, la foi de mon salut éternel ; la foi aussi de mon sacerdoce, que personne au monde ne peut m'enlever. J'accepte de plein gré, en expiation des faiblesses humaines que pour ma part je reconnais et que je pleure en présence de mon Dieu, cette humiliation publique, cette énorme diffamation, puisque le Seigneur permet que j'accomplisse par là comme une participation au calice amer de sa Passion bénie.
Si la situation interne de l'Église était la normale, je me réserverais la possibilité de me défendre, selon le droit. Mais dans la situation présente, me défendre selon le droit signifierait en appeler précisément à celui qui, en ce cas, serait à la fois juge et partie.
Mexico, le 21 décembre 1971\
*Pbro. Dr. Joaquin Saenz y Arriaga*
*Il est impossible de ne pas être frappé par le ton et le contenu de cette déclaration. Non seulement parce que sa ferme sérénité contraste singulièrement avec la fébrilité haineuse de la sentence d'excommunication. Mais d'abord parce que c'est une adhésion entière et sans équivoque à la doctrine et à la discipline de l'Église.*
*Les hideux hiérarques post-conciliaires avaient promis de ne plus excommunier l'hérésie : c'était une forfaiture évidente, dont le corollaire était d'en venir à excommunier les fidèles. Nous y voici.*
250:162
#### III. -- La vraie question : la personne des évêques et du pape serait-elle donc maintenant supérieure à celle de Jésus-Christ ?
*Nous n'avons encore en main aucun exemplaire du livre incriminé :* «* La nouvelle église montinienne *»*.*
*Supposons* (*par hypothèse de raisonnement*) *qu'il soit exact qu'il contienne de* «* graves injures et insultes *» *à l'égard de la personne du pape et des évêques.*
*Dans cette hypothèse extrême, la question se pose en pleine lumière :*
*-- Comment se fait-il que maintenant, dans l'Église* (*post-conciliaire*) *la personne du pape et des évêques soit estimée plus respectable que la personne de Jésus-Christ et la personne de la Vierge Marie ?*
*Ceux qui couvrent des plus graves outrages la Sainte Vierge et son divin Fils ne sont pas excommuniés ; ils ne sont pas même blâmés.*
*Accusé* (*à tort ou à raison*) *d'offense au pape et aux évêques, le P. Saenz, lui, est excommunié !*
*Il est donc plus grave d'offenser la personne du pape ou de l'évêque que d'outrager la personne de Jésus-Christ et de sa Sainte Mère ?*
*Nous n'avons pas à décider si le P. Saenz a réellement injurié le pape ou l'évêque : nous n'avons même pas, comme nous l'avons dit, un exemplaire de son livre.*
*Nous reconnaissons bien volontiers qu'il est répréhensible de faire injure à la personne du pape et des évêques.*
*Mais nous pouvons, à ce sujet, donner un avertissement.*
*Un avertissement gratuitement adressé à tous ceux qu'il intéresse.*
*Il est* INÉVITABLE, *même si cela demeure répréhensible, qu'un pape et des évêques qui* LAISSENT CONSTAMMENT INSULTER *Jésus et sa Mère dans les journaux catholiques, dans les églises, dans les assemblées liturgiques, finissent par être eux-mêmes insultés.*
*-- Mais qui donc insulte la Mère et le Fils ? demanderont les hiérarques hypocrites, comme s'ils ne le savaient pas.*
*Qu'il nous suffise de rappeler un exemple récent.*
251:162
#### IV. -- Georges Hourdin plus que le P. Saenz a mérité l'excommunication
*Nous l'avons déjà cité dans notre numéro de février* (*pages 191-192*)*. C'est un extrait de* « *Carrefour *» *en date du 29 septembre 1971. Le voici à nouveau :*
Chacun a maintenant son petit *Credo* à soi*.* Dans le numéro de Noël de « *La Vie catholique *»*,* nous lisons à la page 14, sous la signature de son directeur :
« *Et voici qu'éclate en nous, une fois, encore, devant cette imagerie rassemblée, la certitude que Dieu est bien venu sur terre, que Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie* ET DE JOSEPH LE CHARPENTIER*, que nous sommes sauvés si nous savons persévérer. *»
Perseverare diabolicum !
Qu'un enfant puisse naître d'une « vierge » et d'un « charpentier » étonnera peut-être certains lecteurs.
L'explication nous est donnée par une note en bas de la page 20 : Le mot traduit par « vierge » signifie en hébreu « jeune fille » ou « jeune femme ».
Comprenez donc qu'une jeune fille, devenue jeune femme par son mariage avec un brave charpentier du coin, a donné le jour *à* un enfant qui fut nommé Jésus.
C'est le Nouveau Christianisme, gracieusement offert à tous les fidèles dans les « présentoirs » de nos églises.
*Ayant outragé la Sainte Vierge et blasphémé le nom de Jésus, Georges Hourdin, loin de se rétracter, s'emploie à faire admettre qu'il a eu raison.*
*Voici ce qu'on pouvait lire dans* « *Carrefour *» *du 19 janvier 1972 :*
Ayant signalé (« Carrefour », 29 décembre) que le directeur de « La Vie Catholique Illustrée » avait écrit dans un éditorial « *Jésus de Nazareth né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier *» nous nous faisons un devoir de mettre sous les yeux de nos lecteurs la mise au point qu'il a faite depuis. La voici :
252:162
« *Nous nous adressons, ici, à ceux qui nous lisent, chaque semaine. Nous les traitons comme des adultes, en leur faisant confiance, en cherchant avec eux comment vivre la foi de l'Évangile et l'enseignement de l'Église à partir de l'appel que nous adressent les événements d'actualité. Nous sommes toujours un peu surpris lorsqu'une toute petite poignée de nos lecteurs ne semble pas nous faire la même confiance. Nous sommes, pourtant, des frères.*
« *Nous avons reçu une dizaine de lettres par exemple, qui nous reprochent d'avoir écrit, dans le numéro de Noël :* « *Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier *»*. Nous avons pris, naturellement, le terme de naître au sens où les évangélistes l'emploient quand ils établissent, à partir de Joseph, la généalogie du Christ ou quand ils parlent de la Sainte Famille.*
« *Nos lecteurs nous disent :* « *la théologie nouvelle a-t-elle pénétré* « *La Vie Catholique *»* ? Non, car nous ne doutons pas de la réalité de la virginité de la Vierge ou de la résurrection du Christ. Oui, car elle nous permet une lecture plus riche des textes sacrés qui nous interpellent et nous met davantage en question...*
« *Les pages religieuses de* « *La Vie Catholique *» *sont rédigées depuis un an en collaboration avec le Centre National de l'Enseignement Religieux. Elles ont pour objet de dire la même foi chrétienne sous la forme la plus vivante et la plus accessible. C'est certainement un élément positif de notre travail en 1971. *»
Connaissant M. Georges Hourdin depuis plusieurs décennies, ainsi que la spiritualité qui l'anime, nous ne sommes pas du tout surpris qu'il ait de lui-même pris la peine de rectifier un texte ambigu, écrit au fil de la plume et qui pouvait, comme nous l'avons indiqué, laisser un certain trouble.
*A la différence de* « *Carrefour *»*, nous n'apercevons aucune* RECTIFICATION *à un texte qui d'ailleurs n'était* NULLEMENT AMBIGU.
*Mais nous voyons un* MENSONGE *et un* BLASPHÈME SUPPLÉMENTAIRE *dans la scandaleuse affirmation de Georges Hourdin selon laquelle les évangélistes auraient employé le terme* « *naître *» *pour dire que Jésus est* « *né *» *de Joseph. Les évangélistes ne l'ont jamais fait.*
*Et quand Georges Hourdin écrit :* « *Nous ne doutons pas de la réalité de la virginité de la Vierge *»*, il répond à côté, il ne* RECTIFIE *rien.*
*Car il n'avait* (*évidemment*) *pas mis en doute le fait que Marie* AIT ÉTÉ *vierge. Il avait implicitement mais clairement nié le fait qu'elle soit* DEMEURÉE TOUJOURS *vierge. C'est pour cela qu'il expliquait que le terme hébreu signifie aussi bien* « *jeune femme *» *que* « *jeune fille *»*.*
253:162
*Pour bien montrer les procédés abominablement trompeurs de Georges Hourdin, citons encore la lettre qu'il a adressée à Mme Françoise Lucrot, dirigeante du* « *Rassemblement des Silencieux de l'Église *»*. Cette lettre a paru dans le* « *Courrier hebdomadaire de Pierre Debray *»*, numéro du 20 janvier 1972* (*texte intégral*)
« Votre lettre me stupéfie ([^214]) car, dans la semaine précédant la rédaction de votre lettre (nous ne l'avons reçue que le 11 alors qu'elle est datée du 4), j'ai fait une rectification qui engage toute la Rédaction et qui met fin -- si l'on veut bien me considérer avec un peu d'amitié fraternelle -- à la question.
J'ai beaucoup d'amitié pour tous mes frères chrétiens dans lesquels je comprends les « Silencieux de l'Église ». Je ne me permettrais pas de les dénoncer ou de ne pas leur faire confiance. Pourquoi n'agiriez-vous pas de même avec moi ? Je suis stupéfait de cette méfiance. Elle ne me semble pas ni ecclésiale, ni fraternelle.
En ce début d'année, je fais des vœux très fervents pour que vous connaissiez, vous et ceux que vous aimez, de même qu'aux groupements que vous animez, la Joie et la Paix.
Je suis,
Fraternellement et respectueusement avec vous.
Le Directeur :\
G. HOURDIN.
P.S. : J'espère que vous voudrez bien signaler aux mouvements mariaux le rectificatif que nous avons publié spontanément, d'ailleurs, quand nous nous sommes aperçus que notre phrase trop cursive pouvait prêter à une interprétation contraire au dogme.
*Le* «* rectificatif *» *est celui qui ne rectifie rien et que l'on a lu plus haut dans la publication qu'en a faite* «* Carrefour *» *du 20 janvier.*
254:162
*On remarquera* (*du moins quand nous l'aurons fait remarquer : car personne ne semble s'en être aperçu*) *que Georges Hourdin* SE DÉMASQUE *par mégarde dans son post-scriptum : il demande que son pseudo-rectificatif soit signalé... aux* «* mouvements mariaux *»* !*
*Il imagine donc que* CE SONT (*seulement*) LES MOUVEMENTS MARIAUX *qui croient à la virginité de Marie. Il imagine que la virginité de Marie concerne Marie seulement, -- et non pas la foi en Jésus et en sa conception virginale. Ce pauvre Georges Hourdin a toujours été lamentable d'ignorance et d'irréflexion. C'est là sans doute ce qui l'excuse. Nous avons toujours pensé qu'il était manœuvré par d'autres. Ici par le* «* Centre National de l'Enseignement Religieux *»*...*
\*\*\*
*Le* «* Courrier hebdomadaire de Pierre Debray *» *n'a pas marché sur le point essentiel. Il a par la suite publié une solide étude montrant que Georges Hourdin et son Centre national ont menti sur les Évangiles.*
\*\*\*
*Mais quoi qu'il en soit de l'irresponsabilité personnelle de Georges Hourdin, dont nous ne sommes pas juges, il demeure, objectivement, qu'il a écrit un horrible blasphème, et qu'au lieu de le rétracter il l'a justifié par un second blasphème aussi horrible.*
*Et l'on finit par s'habituer à ces horreurs. C'est déjà y céder que de consentir à n'y opposer que des* «* objections courtoises et modérées *»*.*
*L'Abbé de Nantes a eu raison de réveiller les consciences par un violent coup de trompette.*
#### V. -- L'intervention de l'Abbé de Nantes
*L'éditorial de la* « *Contre-Réforme catholique *»*, numéro 53 de février 1972, est signé* « *CRC *»*, mais la critique interne croit pouvoir y reconnaître avec certitude la pensée, la manière, le style de l'Abbé Georges de Nantes. En voici le texte intégral :*
255:162
Outrage à l'Immaculée ! -- Pour Noël, G. Hourdin insulte la Sainte Famille et blasphème le nom de Jésus, dans *La Vie catholique illustrée.*
Il dit :
« *Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier. *»
Quelques protestations dans les milieux bien-pensants, vite apaisées par les plaintes du dit Hourdin qui se prétend dénoncé (?) et traité avec méfiance (!) : « Je suis stupéfait de cette méfiance. Elle ne me semble ni ecclésiale, ni fraternelle ». Ah ! le bon apôtre. Il insulte Dieu, ce n'est rien. Mais on le critique, pensez donc ! « Nous avons publié spontanément, d'ailleurs, un rectificatif quand nous nous sommes aperçus que notre phrase trop cursive pouvait prêter à une interprétation contraire au dogme » (Lettre à Fr. Lucrot, 13 janv.). Ce serait un malentendu ?
En fait, dans son illustré du 29 décembre, il ne se rétracte pas, il se justifie, lui et sa phrase. Il ne s'excuse pas, il accuse les gens de ne pas comprendre et de lui chercher pouilles avec malveillance. Sur le fond, c'est lui qui a raison ! D'ailleurs, sa « rectification met fin à la question ». Ainsi la phrase de G. Hourdin passera bientôt dans le langage courant pour raconter l'événement de Noël : Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier.
LA « RECTIFICATION » DE MONSIEUR HOURDIN
« Nous avons reçu une dizaine de lettres, par exemple, qui nous reprochent d'avoir écrit, dans le numéro de Noël : « Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier ». Nous avons pris, naturellement, le terme de naître au sens où les évangélistes l'emploient quand ils établissent, à partir de Joseph, la généalogie du Christ ou quand ils parlent de la Sainte Famille.
« Nos lecteurs nous disent : « La théologie nouvelle a-t-elle pénétré « Vie Catholique » ? Non car nous ne doutons pas de la réalité de la virginité de la Vierge ou de la résurrection du Christ. Oui, car elle nous permet une lecture plus riche des textes sacrés qui nous interpellent et nous met davantage en question...
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« Les pages religieuses de « La Vie Catholique » sont rédigées depuis un an en collaboration avec le Centre National de l'Enseignement Religieux. Elles ont pour objet de dire la même foi chrétienne sous la forme la plus vivante et la plus accessible. C'est certainement un élément positif de notre travail en 1971. »
LA RÉPONSE DE LA CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE
1\. -- *M. Hourdin ment sur les évangiles*
Les évangélistes enseignent expressément que Jésus est né de la seule Vierge Marie par l'opération du Saint-Esprit. Ils évitent toute expression qui donnerait à penser que Jésus serait né de Joseph. Ils mentionnent l'opinion des gens qui ne savaient pas le mystère : on le tenait pour fils de Joseph le charpentier. Ils professent que Joseph est légalement son père ; mais ils adoptent pour le dire une tournure particulière qui maintient toute la vérité de la naissance miraculeuse : « Jacob engendre Joseph, époux de Marie, de qui est né Jésus qui fut appelé le Christ ». Né de Marie seule...
Jamais les évangélistes n'associent Joseph, père de Jésus selon la loi, père selon l'opinion, à Marie, mère selon la chair, comme s'ils avaient tous deux pris part, ensemble, à la naissance de cet enfant. Prendre « naturellement » le terme de naître, pour écrire que Jésus est « né de Marie et de Joseph », c'est blasphémer. Et prétendre que les évangélistes parlent ainsi, c'est mentir et abuser ses lecteurs.
Hourdin a reçu, dit-il, une dizaine de lettres de reproches... Il y a pourtant plus de cent vingt évêques payés pour défendre la foi et proclamer l'Évangile en France. Qu'ont donc fait les cent dix autres ?
2 -- *Perfidie moderniste de M. Hourdin*
L'homme écrit, comme les évangélistes ! tout naturellement ! que Jésus est né de Marie et de Joseph. Il renie donc sa foi ? Il rejette la virginité de Marie et la naissance miraculeuse de Jésus ? Et il ose invoquer les Évangiles contre l'Église, la Parole de Dieu contre nos dogmes sacrés ?
Non. C'est bien pire. Hourdin est moderniste. Il ne nie pas les dogmes, il les entend de manière plus fine, plus subtile que nous. Comme il nous dira à Pâques, « naturellement » et « selon les évangélistes » que le Corps de Jésus est resté dans le tombeau et s'y est décomposé... Cela ne l'empêchera pas de croire à la résurrection, MAIS pas comme nous imaginons, bêtement : la réanimation, le retour à la vie du propre Corps de Jésus transfiguré.
257:162
Pour Noël, il nous introduit dans d'autres subtilités de la « théologie nouvelle ». Il ne doute pas de la « réelle virginité de la Vierge », MAIS il l'entend d'une manière plus riche, qui décontenance les croyants ordinaires et met en question notre réalisme outrancier ! Cette virginité est un dogme qu'il ne rejette point, MAIS qu'il interprète. Avec les évangélistes (!), il voit naturellement (!) Jésus naître sans miracle et sans merveille, de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier.
Sa foi lui fait admirer dans cet événement une très réelle virginité, point biologique naturellement ! mais spirituelle, morale, mystique ! C'est l'Église qui depuis 2.000 ans est idiote d'avoir cru et pris au pied de la lettre de telles légendes et d'avoir ainsi déformé sur-naturellement les récits évangéliques, si simples, si vivants, si humains...
M. Hourdin est de cette espèce d'hérétiques plus perfides que tous les autres, démasqués par St Pie X : les Modernistes. Les pires corrupteurs de la foi catholique.
3 -- *Le centre national de l'enseignement religieux mis en cause*
On croyait avoir affaire au seul Hourdin, audacieux moderniste. Voilà qu'il se prétend le porte-plume du Centre National, etc., ce lobby créateur de tous les nouveaux catéchismes, émanation directe et intouchable de l'Épiscopat français. Tous sont impliqués par Hourdin dans ce scandale : auteurs de catéchismes, experts de l'enseignement religieux, Évêques francophones. Tous enseignent donc que « Jésus de Nazareth est né de la Vierge Marie et de Joseph le charpentier » PARCE QUE c'est « la forme la plus vivante et la plus accessible », aujourd'hui, de « la foi chrétienne ». C'est notre CREDO rendu par eux plus vivant et plus accessible ! C'est la vie de Jésus, telle quelle... Avant toute transfiguration par la foi. Sur ce réel historique se construisit plus tard, le Message, le Mythe !
Le Pape, mercredi 19 janvier 1972, a très sévèrement réprouvé le Modernisme. En voilà un cas typique, public, énorme, envahissant. Paul VI va-t-il réprouver M. Hourdin ? et l'Enseignement religieux en France ? et les Évêques qui ne trouvent rien à redire et patronnent le travail ?
Avec l'Église et le Saint-Esprit, nous proclamons :
*-- Anathème celui qui ose prétendre Jésus né de Marie et de Joseph le charpentier selon les Évangiles.*
*-- Anathème celui qui déclare avec perfidie croire à la réalité de la virginité de Marie non physique mais spirituelle, morale et pour tout dire, mythique.*
*-- Anathèmes tous ceux qui prétendent ainsi dire la foi chrétienne de manière vivante et accessible, et retrouver enfin la simplicité des récits évangéliques défigurés par la foi unanime de l'Église proclamée en 431 au C. d'Éphèse.*
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Dans notre indignation...
En attendant la condamnation de M. Hourdin ou sa rétractation publique et solennelle, nous déblaierons nos églises d'une VIE si peu catholique, en la payant à sa juste valeur, au prix du papier, 2 ct. le kilo.
*Personne n'est obligé de reprendre à son compte tous les termes employés par l'abbé de Nantes. On peut trouver l'un ou l'autre un peu excessif. Mais en l'occurrence, mais dans ce cas, quelle importance réelle ? Mieux vaut un excès* (*d'ailleurs non démontré*) *d'indignation qu'un excès de passivité... ou de complicité.*
\*\*\*
*Oui, les épiscopats, francophones renoncent à la conception virginale du Christ. Preuve le Nouveau Missel des dimanches pour 1972, le soi-disant missel à couverture fleurie. Page 27, et la prophétie d'Isaïe :*
« Voici que la Vierge concevra, elle enfantera un fils... »
*est ajoutée une note explicative ainsi libellée :*
Traduction du grec ; hébreu : « jeune fille » ou « jeune femme ».
*Pourquoi, mais pourquoi donc, cette précision dans un livre qui n'est pas de grammaire, ni de sémantique, ni de linguistique, mais qui se prétend un livre liturgique ? Pourquoi faire ? Quel résultat peut-on en attendre, si ce n'est d'insinuer un doute sur la conception virginale de Jésus ?*
\*\*\*
259:162
*Tous ces escogriffes, y compris les responsables épiscopaux, méritent beaucoup plus que le P. Saenz l'excommunication.*
*Mais ce n'est pas tout.*
#### VI. -- Les évêques hollandais plus que le P. Saenz ont mérité l'excommunication
*Dans leur lettre au Saint-Siège, tardivement publiée dans la Documentation Catholique du 23 juin 1968* (*col. 1096*)*, les évêques de Hollande déclaraient que la virginité de Marie est une* «* QUESTION EN LITIGE *»*.*
*Ils énonçaient :*
« Il n'est certes pas permis de négliger le magistère ordinaire sur ce problème : reste cependant à examiner de plus près si le magistère ordinaire après avoir bien pesé le pour et le contre soutient l'acception littérale de la conception virginale. »
*Nous disions à l'époque que c'était, de la part des évêques hollandais,* «* joindre un abîme d'hypocrisie à un abîme d'insolence *»*.*
*Mais nous ajoutions aussi* («* L'hérésie du XX^e^ siècle *»*, page 39*)* :*
Ces infamies de l'épiscopat hollandais et d'autres analogues, contenues dans la réponse hollandaise au Saint-Siège, ont été publiées comme allant de soi, sans aucune mise en garde ni aucune espèce de réserve, dans la *Documentation catholique* à l'intention des catholiques français.
Est-ce donc pour nous édifier, et nous préparer à ce qui nous attend ?
C'est alors superflu. Nous sommes suffisamment éclairés dans le nouveau catéchisme approuvé par l'Assemblée plénière d'octobre 1966, le récit de l'Annonciation selon saint Luc a été falsifié de manière à en faire disparaître ce qui est relatif à la virginité de Marie, y compris le terme « vierge ». Ainsi la « question en litige » de l'épiscopat hollandais est réglée par le catéchisme français : non par solution du litige mais par suppression de la question.
260:162
*Dans l'hérésie, l'épiscopat hollandais procède directement, par voie d'affirmations. L'épiscopat français procède de manière oblique, par omissions silencieuses et par falsification administrative des textes de l'Écriture sainte, -- les versions falsifiées étant rendues obligatoires dans le nouveau catéchisme et dans la nouvelle messe.*
*L'un et l'autre épiscopat, manifestement prévaricateurs, méritaient à coup sûr d'être excommuniés avant le P. Saenz.*
*L'anathème que l'abbé de Nantes a lancé à Georges Hourdin, c'est à l'épiscopat français* (*entre autres*) *qu'à aussi bon droit il pourrait le lancer.*
*Mais il n'est sans doute pas nécessaire de le lancer explicitement : les falsificateurs de l'Écriture ne sont-ils pas excommuniés* «* ipso facto *»* ?*
#### VII. -- Le même mensonge que pour le P. Lelong
*Dernière remarque : le P. Saenz a été excommunié sans avoir été, au préalable, ni averti ni entendu.*
*De même pour la sanction* (*beaucoup moins grave*) *infligée en France au P. Lelong par les évêques-commissaires Gouyon et Coffy : il n'avait été préalablement ni entendu ni averti.*
*En cela comme en beaucoup d'autres choses, l'Église post-conciliaire est l'Église du mensonge. Assurément, nous entendons ici* «* Église *» *non pas au sens où, en elle-même, elle est et demeure l'Épouse immaculée ; mais au sens d'une période historique de sa vie humaine, pérégrinante et militante. Cette Église post-conciliaire est dirigée du haut en bas par des hommes qui avaient été plus ou moins* «* condamnés *» *par Pie XII, ou* «* éloignés *» *par lui. Après la mort de Pie XII, ils ont raconté qu'ils avaient été condamnés ou éloignés sans avoir reçu d'avertissement préalable et sans avoir été entendus. Ils ont proclamé et décrété que cela ne se ferait* JAMAIS PLUS. *Mais il fallait comprendre, bien entendu, que cela ne se ferait jamais plus contre eux et leurs amis. Pour la bonne raison que ce serait eux désormais qui le feraient contre leurs adversaires.*
261:162
## RÉTRO
### Il y a quinze ans avril 1957
Avril 1957 : le général Weygand adresse un message aux Français et plus particulièrement aux chrétiens d'Algérie.
Il le fait en qualité de président de l' « Alliance Jeanne d'Arc ».
On peut rechercher ce message dans la presse métropolitaine de l'époque : la presque unanimité des journaux l'a ignoré.
En voici le texte, tel qu'il avait été reproduit dans le numéro 14 d'ITINÉRAIRES :
*Un effort persévérant, qui trouve des complices en France, et même parmi les chrétiens, tache de séparer l'Algérie de la France. La fidélité tenace des Algériens a réussi jusqu'à présent à empêcher le succès de cette entreprise.*
*On s'efforce maintenant d'exploiter une lassitude bien explicable chez ceux qui supportent depuis de longs mois le poids de la lutte ; des déclarations, au moins ambiguës, qui, de façon authentique ou frauduleuse, sont attribuées à des personnalités très diverses -- politiques, militaires, ecclésiastiques -- travaillent à transformer cette lassitude en désarroi.*
(Par là, le général Weygand visait principalement la trahison des évêques français.)
*S'il a été commis des excès, la conscience ne saurait les approuver, mais elle ne peut pas ignorer le climat de terreur et de provocation suscité par les ennemis de la France.*
*L'Alliance Jeanne d'Arc tient à affirmer solennellement que nul n'a le droit de mettre en doute la légitimité de l'action menée par la France pour défendre la vie et les droits de ses enfants.*
262:162
*Elle dénonce comme une injure à la France et à la religion chrétienne l'argument selon lequel le patriotisme français serait un obstacle à l'évangélisation.*
*Elle tient à assurer les serviteurs fidèles de la France en Algérie de son admiration fraternelle et prend l'engagement de faire tout ce qui sera en son pouvoir pour apporter à leur combat l'appui sans réserve de la France chrétienne.*
\*\*\*
21 avril 1957 : dans son encyclique *Fidei donum*, Pie XII renouvelle son grave avertissement aux peuples d'Afrique, les pressant «* de reconnaître à l'Europe le mérite de leur avancement ; sans son influence, étendue à tous les domaines, ils pourraient être entraînés par un nationalisme aveugle à se jeter dans le chaos ou dans l'esclavage *».
La plupart des évêques et des théologiens avaient pris Pie XII en horreur parce qu'il disait ouvertement la vérité, contredisant les préjugés de l'opinion mondaine.
Le même 21 avril 1957, dans son radiomessage pascal, Pie XII disait sans fard : «* ...Les hommes de toutes les nations, et de tous les continents sont contraints de vivre, désorientés et tremblants, dans un monde bouleversé et bouleversant. Tout est devenu relatif et provisoire... L'erreur, dans ses formes presque innombrables, a asservi les intelligences de créatures par ailleurs fort remarquables, et le dérèglement des mœurs sous toutes ses formes a atteint un degré de précocité, d'impudence, d'universalité tel qu'il préoccupe sérieusement ceux qui ont souci du sort du monde. L'humanité semble un corps contaminé et couvert de plaies... *»
Depuis la mort de Pie XII, on censure et on cache ces vérités-là : et à force de les cacher, on ne les aperçoit même plus.
### Il y a dix ans avril 1962
Avril 1962 : le P. Liégé, dans ses meetings au Canada et dans sa revue soi-disant « missionnaire » intitulée *Parole et Mission* lance le nouveau mot d'ordre :
263:162
« Les intégristes sont les pires ennemis de l'Église. »
En ce mois d'avril 1962, on ignore encore, bien entendu, que ce mot d'ordre sera le principal (voire le seul) critère doctrinal du prochain concile, qui va se réunir au mois d'octobre.
Le P. Liégé prend le relais du P. de Soras. Il attaque sous le nom d'intégristes principalement LA CITÉ CATHOLIQUE et la revue ITINÉRAIRES, les accusant d'utiliser les procédés et méthodes de la Franc-Maçonnerie et de Mao-Tsé-Tung (sic). Le P. Liégé éructe n'importe quoi, mais pas pour n'importe quel but.
Le but est un renversement de fond en comble dans l'Église. Saint Pie X avait dit : « Les modernistes sont les pires ennemis de l'Église » et il avait été canonisé par Pie XII. Depuis la mort de Pie XII (1958), il n'y a plus de véritable résistance à la colonisation moderniste des fonctions d'autorité dans l'Église. Et ce sont maintenant les « intégristes », c'est-à-dire les disciples de saint Pie X et de Pie XII, qui sont publiquement dénoncés comme « les pires ennemis de l'Église ».
Le P. Liégé aura été le premier à énoncer clairement ce qui était en train de devenir la doctrine officielle du nouveau gouvernement ecclésiastique.
### Il y a cinq ans avril 1967
25 avril 1967 : notre seconde réunion à la Mutualité, sous la présidence de l'amiral Auphan ; allocutions de Marcel De Corte, André Giovanni, Jean Madiran, Jean Ousset, Michel de Saint Pierre et Louis Salleron (on en retrouvera les textes, si on le désire, dans le numéro 114 d'ITINÉRAIRES).
Ainsi qu'il l'a été rappelé dans notre précédent numéro (n° 161, p. 165) : « C'était avant les désastres venus de haut qui allaient désintégrer les plus solides alliances. En 1970, les milieux dits traditionalistes furent submergés par le trouble du cœur, par la confusion de l'intelligence, par l'asphyxie des résolutions que provoquait (c'était d'ailleurs l'un de ses buts) l'atroce et l'incroyable et la diabolique subversion de la messe... »
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## AVIS PRATIQUES
### Annonces et rappels
Pour un livre\
d'Henri Charlier
*Il y aura une édition courante du livre d'Henri Charlier :* « *L'art et la pensée *»*. Grâce à vous : grâce à tous ceux d'entre vous qui ont bien voulu, à notre appel, souscrire pour cela à l'édition originale. Soyez-en remerciés de tout cœur.*
*Il est rappelé aux souscripteurs que c'est fin avril ou courant mai qu'ils recevront les exemplaires auxquels ils ont souscrit.*
*Dans notre prochain numéro, nous donnerons les résultats numériques définitifs de cette souscription.*
Pour le catéchisme :\
l'arsenal indispensable
Depuis le début de l'année 1968 -- il y a maintenant plus quatre ans -- nous avons méthodiquement publié tout ce qui est nécessaire aux familles chrétiennes pour maintenir et enseigner le catéchisme catholique.
Notre première publication du *Catéchisme de S. Pie X* remonte même à 1967.
A l'époque, on nous traitait de fous, d'insolents, d'outrecuidants ou d'imbéciles (comme on le fait aujourd'hui sur d'autres sujets).
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Nous sommes sinon résignés, du moins parfaitement habitués au fait que le plus grand nombre des catholiques, même parmi ceux qui se disent « traditionalistes », aient besoin d'une année au moins, et souvent de plusieurs, pour comprendre ce que nous leur annonçons et pour prendre en considération ce que nous leur proposons.
Pour le catéchisme, il arrive *maintenant* qu'après avoir beaucoup méprisé nos travaux, toutes les familles admettent enfin ce que nous disions il y a quatre ans : qu'avec la « catéchèse » officielle de l'épiscopat français, les enfants ou bien n'apprennent plus rien, ou bien apprennent les sottises pernicieuses de la nouvelle religion.
Qu'il s'agisse de résister aux mensonges du nouveau catéchisme, qu'il s'agisse de retrouver la substance du vrai catéchisme catholique, qu'il s'agisse des moyens pratiques de s'organiser et de se défendre, nous avons en temps utile publié tout *l'arsenal* nécessaire.
Nous avons publié aussi le *mode d'emploi,* qui est constitué par la brochure : *Notre action catholique* (voir ci-dessous n° 9), dont les premières éditions étaient intitulées : *Notre action pour le catéchisme.* On y lisait, on peut toujours y lire ces avertissements aux familles chrétiennes :
• Que le lecteur ne se laisse pas arrêter par l'effort laborieux et suivi que réclame par exemple le *Catéchisme du Concile de Trente*. Quelles sont donc les connaissances qui seraient faciles, qui ne réclameraient point d'effort suivi et laborieux ? Et quelles connaissances davantage que les *connaissances nécessaires au salut* mériteraient donc ce travail sérieux, prolongé, méthodique ?
• Qu'on ne parle point à ce niveau d'*adaptation,* l'adaptation ne demande pas tant de contorsions, de discours pseudo-scientifiques, de commissions ésotériques. *La mère de famille parle spontanément un langage adapté à son enfant*. Tout enseignement *oral*, celui du catéchisme comme les autres, est par lui-même, inévitablement, et au moins instinctivement, une adaptation à ceux qui l'écoutent. Les uns sont plus doués que d'autres ; mais c'est affaire aussi d'amour, de connaturalité, d'expérience ; et de prière, et de grâce. Et non pas d'une prétendue science psychologique qui, telle qu'elle est aujourd'hui, est *vaine* dans le meilleur des cas, et *fausse* le plus souvent.
L'adaptation n'est d'ailleurs pas le problème premier ni le problème essentiel. L'enseignement du catéchisme en France ne souffre pas d'abord d'inadaptation, il souffre d'abord d'*infidélité* et d'*ignorance*. C'est à l'ignorance et à l'infidélité qu'il faut avant tout porter remède.
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On trouvera dans cette brochure intitulée *Notre action catholique* toutes les explications nécessaires, depuis les « fondements doctrinaux » jusqu'aux « conseils pratiques ».
La méthode que nous recommandons (pour l'enseignement du catéchisme) se décompose en trois moments successifs :
I. -- Étudier et méditer à fond un chapitre du *Catéchisme du Concile de Trente*.
II\. -- Apprendre par cœur le chapitre correspondant du *Catéchisme de S. Pie X*.
III\. -- S'inspirer directement du chapitre correspondant du *Catéchisme de la famille chrétienne* du P. Emmanuel pour, ensuite, « faire le catéchisme » aux enfants.
Voici la liste des publications qui composent *l'arsenal indispensable aujourd'hui* pour maintenir et enseigner le catéchisme catholique :
1\. Catéchisme de la famille chrétienne\
par le P. Emmanuel
Ce n'est pas un exposé « sec et abstrait » des vérités de la foi : les questions que deux enfants posent à leurs parents et leurs digressions enfantines y donnent une forme aimable, en même temps que profonde, à l'enseignement des dogmes et aux applications de la doctrine chrétienne dans la pratique de la vie quotidienne.
Il est utile à toute la famille, *en famille :* aux grands et aux petits, aux parents et aux enfants.
Si vous avez déjà plusieurs autres catéchismes, celui-ci ne fera pas double emploi avec eux.
Si vous n'en avez aucun, c'est celui-ci que nous recommandons en priorité.
Un volume cartonné de 544 pages in-16 jésus : 28 F. A commander aux ÉDITIONS DOMINIQUE MARTIN MORIN, à Jarzé, par Seiches, Maine-et-Loire.
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2\. Catéchisme\
du Concile de Trente
Numéro 136 de la revue ITINÉRAIRES : 584 pages in-8° carré, 25 F franco. A commander aux bureaux de la revue.
C'est la source, la référence, *le seul* catéchisme romain aucun concile ni aucun pape n'a ordonné la composition d'un catéchisme *différent.* Tous les autres catéchismes romains sont un résumé ou une adaptation de celui-ci.
C'est un livre d'étude, de formation, de méditation, c'est le *manuel de religion* des prêtres, des professeurs, des éducateurs « pour l'instruction du peuple chrétien ». C'est, si l'on veut, le « niveau supérieur » : mais parfaitement accessible, à la seule condition de travailler.
Nous recommandons aux utilisateurs de faire relier ce numéro (qui est simplement broché, comme les autres numéros de la revue).
Si l'on veut en acheter des exemplaires déjà reliés, on en trouvera (prix de la reliure en sus) aux NOUVELLES ÉDITIONS LATINES, 1, rue Palatine, Paris VI^e^.
3\. Catéchisme de S. Pie X
Il est moins *explicatif* que les deux précédents. Son avantage est double :
a\) il convient mieux pour une consultation immédiate, sur un point précis ; il donne de brèves et nettes *définitions ;*
b\) les formules de ces définitions peuvent plus facilement être apprises par cœur (on peut ainsi *garder* les points essentiels *fixés* dans la mémoire).
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Ces définitions, ces formules nécessaires peuvent être expliquées, éclairées, méditées à l'aide des deux catéchismes précédents. Avec le CATÉCHISME DE S. PIE X*, on sait immédiatement ce qui est vrai et ce qui est faux.* Il est donc d'une utilité directe pour *démasquer* instantanément les discours trompeurs des nouveaux prêtres sur la messe, sur les sacrements, sur les dogmes, sur le Décalogue, etc. Il est par excellence le guide sans équivoque qui énonce les points fixes, les vérités à croire, le *résumé net* de la pensée permanente et obligatoire de l'Église ; il est en somme *la théologie scolastique au niveau du catéchisme.*
C'est pourquoi de grands esprits, qui n'avaient pas dédaigné de s'instruire dans ce « petit catéchisme », y ont trouvé les lumières et les grâces de la conversion.
En un seul volume de 400 pages in-8° carré -- Première notions.
-- Petit catéchisme. -- Grand catéchisme. -- Instruction sur les fêtes.
-- Petite histoire de la religion.
A commander aux bureaux de la revue : c'est le supplément à notre numéro 143 ; l'exemplaire : 15 F franco. -- Nous recommandons aux utilisateurs de faire relier ce supplément (qui est simplement broché, comme les autres suppléments de la revue). Si l'on veut en acheter des exemplaires déjà reliés, on en trouvera (prix de la reliure en sus) aux NOUVELLES ÉDITIONS LATINES, 1, rue Palatine, Paris VI^e^.
4\. Catéchisme des plus petits enfants\
par le P. Emmanuel
Destiné non pas aux petits enfants eux-mêmes (il concerne ceux qui ne savent pas encore lire) mais aux mamans.
Le but du P. Emmanuel dans cet ouvrage est de « *former la mère chrétienne à la science de première catéchiste de ses enfants.*
Un volume de 64 pages in-8° jésus, ÉDITIONS DOMINIQUE MARTIN MORIN.
5\. Lettres à une mère sur la foi\
par le P. Emmanuel
Complément de l'ouvrage précédent.
Un volume de 64 pages in-8° jésus, ÉDITIONS DOMINIQUE MARTIN MORIN.
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6\. L'Explication du Credo\
par saint Thomas d'Aquin
*La première des trois connaissances nécessaires au salut :* ce qu'il faut croire, vertu théologale de foi.
Ce sont des *sermons* de saint Thomas au peuple *chrétien* ouvrage adéquat à *l'instruction du simple fidèle.*
Un volume de 240 pages, NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
7\. L'explication du Pater\
par saint Thomas d'Aquin
*La seconde des trois connaissances nécessaires au salut :* ce qu'il faut désirer, vertu théologale d'espérance.
Comme l'ouvrage précédent, ce sont des *sermons au peuple chrétien,* convenant à l'instruction du *simple fidèle.*
Un volume de 192 pages, NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
8\. L'explication des Commandements\
par saint Thomas d'Aquin
*La troisième des connaissances nécessaires au salut :* ce qu'il faut faire, vertu théologale de charité.
Explication des dix commandements du Décalogue et des deux préceptes de l'amour.
Un volume de 240 pages, NOUVELLES ÉDITIONS LATINES.
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9\. Notre action catholique
L'action pour le catéchisme : fondements doctrinaux de cette action. -- Le possible et le nécessaire. -- Les cinq lignes directrices de l'action. -- Pouvoir temporel et société chrétienne. -- Les trois connaissances nécessaires au salut. -- Les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique. -- Le regard sur le monde et l'impiété du cœur. -- Le domaine de la pensée et celui de l'action. -- Dans un monde apostat.
C'est en somme *le mode d'emploi* des catéchismes mentionnés ci-dessus et des brochures mentionnées ci-dessous.
A commander aux bureaux de la revue, 60 pages : 3 F franco.
10\. Pour vous défendre\
et pour défendre vos proches
Pour vous défendre et pour défendre vos proches contre un catéchisme qui n'est plus catholique, voici ce qui est à votre disposition :
Le catéchisme sans commentaires.
Une brochure de 20 pages : 1 F franco, en vente à nos bureaux.
Cette brochure établit, par des exemples caractéristiques et fondamentaux, le fait de la falsification de l'Écriture sainte dans les nouveaux manuels de catéchisme.
Elle donne les textes, les références, les dates, sans aucune appréciation, sans aucun jugement, sans aucun commentaire *la simple comparaison, face à face, du texte authentique et des textes altérés.* Cette brochure a été rédigée spécialement à l'intention de ceux qui veulent seulement des faits, sans controverses ni « polémiques ».
Naturellement, en diffusant cette brochure, il vous arrivera souvent de faire la constatation psychologique suivante : plusieurs de ceux qui *écartent les explications et commentaires,* en prétendant y voir des controverses inutiles ou des « polémiques » superflues, et en assurant qu'ils sont suffisamment adultes pour *juger par eux-mêmes à partir des faits tout seuls,* en sont beaucoup moins capables qu'ils ne l'imaginent complaisamment...
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Ils n'ont pas forcément les connaissances (ni le jugement) qui leur permettraient d'apercevoir par eux-mêmes *la portée réelle* des faits, des textes qui sont mis sous leurs yeux. Ils ont besoin d'explications. Vous pourrez alors leur donner à lire les deux brochures suivantes.
Commentaire du communiqué.
Le communiqué reproduit et commenté dans cette brochure est celui qu'avait publié l'amiral de Penfentenyo sur le nouveau catéchisme.
Ce communiqué demeure le plus clair, le plus bref et en même temps le plus complet sur la question. Avec fermeté, avec netteté, il déclare l'essentiel de ce qu'il faut savoir.
Le commentaire de ce communiqué comporte des explications sur ce qu'est le *Catéchisme du Concile de Trente* et les recommandations faites par les Souverains Pontifes à son sujet.
Une brochure de 24 pages en vente à nos bureaux : 1 F franco.
Le nouveau catéchisme.
Troisième édition : 76 pages (paginées de I à XVII et de 1 à 55).
L'étude la plus détaillée, en brochure, sur le nouveau catéchisme français : des précisions que vous ne trouverez pas ailleurs.
En vente à nos bureaux : 3 F franco.
La bulle\
Quo primum
*En raison de l'importance de la bulle* « *Quo primum tempore *»*, de l'opportunité de l'étude qu'en fait l'abbé Dulac dans le présent numéro, de l'utilité pour tous d'en avoir sous la main une bonne traduction, nous en faisons deux tirages en brochure :*
*1. -- La traduction seule* (*avec les notes qu'elle comporte au bas des pages*) *: au prix de 1 F franco l'exemplaire.*
*2. -- L'étude en entier* (*avec la traduction*) *: au prix de 4 F franco l'exemplaire.*
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### Le calendrier
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*Avril*
-- Samedi 1^er^ avril : *Samedi-Saint.*
Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) : « Le samedi saint on honore la sépulture de Jésus-Christ et sa descente aux limbes et, après la sonnerie du Gloria, on commence à honorer sa glorieuse résurrection. »
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Père Emmanuel :
« Au sein du Père, Jésus naît une fois qui dure toujours, et par cette naissance, il est Dieu immortel.
« Au sein de Marie, Jésus est né une fois pour toujours, par cette naissance il est homme mortel.
« Au sein du tombeau, Jésus naît encore aujourd'hui, une fois pour toujours, et par cette naissance, il est homme immortel. « Le Père est Vierge, Marie est Vierge, le tombeau de Jésus est vierge.
« Ô splendeur des naissances de Jésus ! Ô Dieu né de Dieu, lumière de lumière ! Ô Dieu fait homme, né de Marie ! Ô Dieu fait homme, né du tombeau pour ne plus mourir !
« La première naissance de Jésus est pour nous la source de la gloire ; la seconde naissance nous apporte la grâce ; et celle que nous fêtons aujourd'hui nous fraie le passage de la grâce à la gloire.
« Suivons Jésus. Avec lui, soyons enfants de Dieu, avec lui soyons enfants de Marie, avec lui passons par la mort et par le tombeau ; avec lui nous entrerons dans l'immortalité. »
-- Dimanche 2 avril : *Dimanche de Pâques*.
Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) :
« En la fête de Pâques on célèbre le mystère de la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou la réunion de sa très sainte âme au corps dont elle avait été séparée par la mort, et sa nouvelle vie glorieuse et immortelle. -- La fête de Pâques est célébrée par l'Église avec tant de solennité et continuée pendant toute l'octave, à cause de l'excellence de ce mystère qui fut le complément de notre Rédemption et qui est le fondement de notre religion. -- Puisque Jésus-Christ nous a rachetés par sa mort, comment sa Résurrection est-elle le complément de notre rédemption ? Par sa mort, Jésus-Christ nous a délivrés du péché et nous a réconciliés avec Dieu ; puis par sa Résurrection, il nous a ouvert l'entrée de la vie éternelle. -- Pourquoi dit-on que la Résurrection du Christ est le fondement de notre religion ? Parce qu'elle nous a été donnée par Jésus-Christ lui-même comme la principale preuve, de sa divinité et de la vérité de notre foi.
« Le nom de Pâques donné à la fête de la Résurrection de Jésus-Christ est venu d'une des fêtes les plus solennelles de l'ancienne loi, instituée en souvenir du passage de l'Ange qui mit à mort tous les premiers-nés des Égyptiens et de la miraculeuse délivrance du peuple de Dieu de la servitude de Pharaon, roi d'Égypte, figure de notre délivrance de l'esclavage du démon.
282:162
Les Hébreux célébraient cette fête avec beaucoup de cérémonies, mais surtout en sacrifiant et en mangeant un agneau ; maintenant nous la célébrons surtout en recevant le véritable agneau sacrifié pour nos péchés. -- *Pâques* veut dire *passage :* dans l'ancienne loi il signifie le passage de l'Ange qui, pour obliger le pharaon à laisser aller en liberté le peuple de Dieu, tua les premiers-nés des Égyptiens et passa, sans les frapper de ce terrible fléau, devant les maisons des Hébreux qu'on avait marquées du sang de l'Agneau sacrifié la veille ; dans la nouvelle loi, il signifie que Jésus-Christ est passé de la mort à la vie et que, par son triomphe sur le démon, il nous a fait passer de la mort du péché à la vie de la grâce.
« Pour célébrer dignement la fête de Pâques nous devons faire deux choses :
« 1° adorer avec une sainte allégresse et une vive reconnaissance Jésus-Christ ressuscité ;
« 2° ressusciter spirituellement avec lui.
« *Ressusciter spirituellement avec Jésus-Christ* signifie que, à l'exemple de Jésus-Christ commençant par sa résurrection une vie nouvelle immortelle et céleste, nous devons nous aussi commencer une nouvelle vie toute spirituelle en renonçant entièrement et pour toujours au péché et à tout ce qui porte au péché, et en aimant Dieu seul et tout ce qui porte à Dieu.
« Le mot *Alleluia* veut dire : *Louez Dieu.* C'était le cri de fête du peuple hébreu ; aussi l'Église le répète souvent pendant ce temps de grande allégresse.
« Pendant le temps pascal, on prie debout en signe d'allégresse et pour figurer la résurrection de Notre-Seigneur. »
\*\*\*
Le *temps pascal* s'ouvre par les baptêmes de la vigile pascale et se termine par la grande ordination du samedi des quatre-temps de Pentecôte (c'est-à-dire le samedi après la Pentecôte) : le 27 mai.
Durant tout le temps pascal, l'*Angelus* est remplacé par le *Regina cœli*.
A l'aspersion du dimanche, l'antienne *Asperges me* est remplacée par le *Vidi aquam* qui fait allusion aux eaux du baptême. Le cierge pascal, symbole du Christ ressuscité, est allumé à la messe et aux vêpres jusqu'au jour de l'Ascension où on l'éteint après l'évangile de la fête.
\*\*\*
283:162
La *date de Pâques,* qui commande toutes les fêtes mobiles, a été l'objet de décisions conciliaires solennelles. Jésus étant mort et ressuscité lors de la Pâque juive et la célébration de ces mystères devant remplacer les rites mosaïques qui n'en étaient que la figure, l'Église conserva pour la fête de Pâques la manière de compter des Juifs. Entre l'année lunaire dont ils se servaient et l'année solaire, il y a un écart de onze jours, d'où résulte pour la fête de Pâques une variation de date qui s'étend du 22 mars au 25 avril. *Il fut arrêté par le concile de Nicée qu'elle se célébrerait toujours le dimanche après la pleine lune qui suit le 21 mars.*
Sur la date de Pâques, voir D. Minimus : « Clair de lune », dans ITINÉRAIRES, numéro 62 d'avril 1962.
\*\*\*
En vertu du décret de la Congrégation des Rites en date du 15 janvier 1955, les jours de l'octave de Pâques passent avant n'importe quelle autre fête et n'admettent pas de mémoires.
\*\*\*
-- Lundi 3 avril : *lundi de Pâques.*
*--* Mardi 4 avril : *mardi de Pâques.*
*--* Mercredi 5 avril : *mercredi de Pâques.*
*--* Jeudi 6 avril : *jeudi de Pâques.*
*-- *Vendredi 7 avril : *vendredi de Pâques.*
*-- *Samedi 8 avril : *samedi de Pâques,* dit « samedi in Albis ». La formule *in albis,* c'est-à-dire en vêtements blancs, désigne toute la semaine qui va de Pâques à Quasimodo autrefois les néophytes qui avaient été baptisés pendant la vigile pascale conservaient leurs vêtements blancs jusqu'au dimanche de Quasimodo, ou dimanche *in albis depositis.*
*-- *Dimanche 9 avril : *dimanche de Quasimodo,* ou dimanche « in Albis » (premier dimanche après Pâques). -- Sur la dénomination des dimanches *après* Pâques (et non point dimanches *de* Pâques), voir le P. Calmel, dans ITINÉRAIRES, numéro 147 de novembre 1970, page 257.
284:162
-- Lundi 10 avril : messe de Quasimodo. Ou : *saint Fulbert,* évêque de Chartres (mort en 1029).
-- Mardi 11 avril : *saint Léon le Grand,* pape et docteur.
-- Mercredi 12 avril : messe de Quasimodo.
-- Jeudi 13 avril : *saint Herménégilde,* martyr.
C'est le saint canonisé pour avoir refusé -- et refusé jusqu'au martyre -- de faire ses Pâques.
Fils du roi des Wisigoths d'Espagne Léovigild, saint Herménégilde était né dans l'arianisme comme tous les siens. On le maria en 579 à une jeune Française, descendante de sainte Clotilde : Ingonde, fille de Sigebert, roi des Francs d'Austrasie, et de Brunehaut.
Sous l'influence d'Ingonde, Herménégilde abjura l'arianisme ; il se convertit et fut baptisé par son maître et ami saint Léandre, évêque de Séville. Bientôt tous les espoirs catholiques se rassemblèrent sur le jeune prince héritier. Son père Léovigild le fit jeter en prison et *la nuit de Pâques, il lui fit porter la communion par un évêque arien.*
Herménégilde *repoussa avec indignation* cet évêque hérétique : il fut *pour cela mis à mort* (décapité) le 13 avril 586. Trois ans plus tard, toute l'Espagne adhérait à la foi romaine. On y vit un fruit du martyre de saint Herménégilde, qui pour cette raison est appelé « le Clovis de l'Espagne ». Son corps repose à Séville dont il est le patron.
Ainsi donc, contrairement aux doctrines honteusement opportunistes des actuels recyclés, *il n'y a pas lieu d'accepter les yeux fermés n'importe quelle messe, n'importe quelle communion, n'importe quel évêque, sous prétexte d'obéissance et de précepte.*
*-- *Vendredi 14 avril : *saint Justin,* martyr.
-- Samedi 15 avril : messe de Quasimodo. -- On peut aujourd'hui célébrer la messe de la Sainte Vierge le samedi.
-- Dimanche 16 avril : *deuxième dimanche après Pâques.* Sur la dénomination des dimanches *après* Pâques, voir la référence donnée au dimanche de Quasimodo. -- Mémoire de *saint Benoît-Joseph Labre,* pèlerin.
285:162
*-- *Lundi 17 avril : *saint Anicet,* pape et martyr au II^e^ siècle.
-- Mardi 18 avril : messe du 16.
-- Mercredi 19 avril : idem.
-- Jeudi 20 avril : idem.
-- Vendredi 21 avril : *saint Anselme,* évêque et docteur.
-- Samedi 22 avril : *saints Soter et Caïus,* papes martyrs au II^e^ et au III^e^ siècle. -- On peut aujourd'hui célébrer la messe de la Sainte Vierge le samedi.
-- Dimanche 23 avril : *troisième dimanche après Pâques.* Sur la dénomination des dimanches *après* Pâques (et non point dimanches *de* Pâques), voir la référence donnée au dimanche de Quasimodo. -- Mémoire de *saint Georges,* martyr : honoré à Lydda, en Palestine (près de l'actuelle Tel-Aviv) dès le IV^e^ siècle, son culte fut reçu à Rome à la fin du VII^e^ ; l'Église d'Orient l'appelle « *le grand martyr *» en raison des supplices exceptionnellement épouvantables qu'il eut à subir pendant son emprisonnement. Patron de l'Angleterre qui le vénère depuis le IX^e^ siècle comme son protecteur. Il est l'un des quatorze saints auxiliaires.
-- Lundi 24 avril : *saint Fidèle de Sigmaringen,* martyr des protestants à Sévis (Suisse) en 1622. -- *Sainte Marie de Sainte-Euphrasie Pelletier,* religieuse : née à Noirmoutier (Vendée) en 1796, religieuse de la Congrégation de Notre-Dame du Refuge (1814), elle fonda la branche autonome du Bon-Pasteur d'Angers pour le relèvement des filles tombées (1831) ; elle mourut à Angers en 1868.
-- Mardi 25 avril : *saint Marc,* évangéliste. -- *Litanies majeures *: grande procession de supplication, qui se fait exactement comme aux Rogations.
Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes)
« Le jour de saint Marc et les trois jours des Rogations, l'Église fait des processions et des prières solennelles pour apaiser Dieu et nous le rendre propice, afin qu'il nous pardonne nos péchés, éloigne de nous ses châtiments, bénisse les fruits de la terre qui commencent à se montrer et pourvoie à tous nos besoins tant spirituels que temporels. -- Les processions de saint Marc et des Rogations sont très anciennes : le peuple y prenait part pieds nus dans un véritable esprit de pénitence et en grand nombre laissant toute autre occupation, pour venir s'y associer.
286:162
« Que faisons-nous par les Litanies des Saints ?
« 1° Nous implorons la miséricorde de la T.S. Trinité ; et pour être exaucés, nous nous adressons en particulier à Jésus-Christ par ces paroles : *Christe audi nos, Christe exaudi nos,* c'est-à-dire : *Christ écoutez-nous, Christ exaucez-nous ;*
« 2° nous invoquons le patronage de la Sainte Vierge, des Anges et des Saints du ciel, en leur disant : *ora pro nobis,* c'est-à-dire : *priez pour nous ;*
« 3° nous nous adressons encore à Jésus-Christ et nous le prions par tout ce qu'il a fait pour notre salut, de nous délivrer de tous les maux et principalement du péché, en lui disant *libera nos, Domine,* c'est-à-dire : délivrez-nous, Seigneur ;
« 4° nous lui demandons le don d'une vraie pénitence et la grâce de persévérer dans son saint service, et nous le prions pour tous les ordres de l'Église, pour l'union et la félicité de tout le peuple de Dieu, en disant : *te rogamus, audi nos,* c'est-à-dire : *nous vous en supplions, exaucez-nous ;*
« 5° nous terminons cette prière par les paroles qui l'ont commencée, c'est-à-dire en implorant la miséricorde de Dieu et en lui disant de nouveau : *Kyrie eleison,* etc. »
« Comment devons-nous assister aux processions ?
« -- Nous devons assister aux processions : 1° en bon ordre et avec le véritable esprit de pénitence, chantant lentement et avec piété ce que chante l'Église ; ou, si nous ne savons pas, nous unissant de cœur et priant en particulier ; 2° avec modestie et recueillement, ne regardant pas à droite et à gauche et ne parlant pas sans nécessité ; 3° avec une vive confiance que Dieu exaucera nos gémissements et nos prières communes et qu'il nous accordera ce qui nous est nécessaire pour l'âme et pour le corps.
« Pourquoi dans les processions met-on la Croix en tête ?
« -- On met la Croix en tête des processions pour nous enseigner que nous devons toujours avoir devant les yeux Jésus-Christ crucifié afin de régler notre vie et nos actions selon ses exemples et afin de l'imiter dans sa passion en supportant patiemment les peines qui nous affligent. »
-- Mercredi 26 avril : *saints Clet et Marcellin,* papes martyrs. -- *Saint Paschase Radbert,* abbé de Corbie (Somme) au IX^e^ siècle.
-- Jeudi 27 avril : *saint Pierre Canisius,* mort à Fribourg en 1597, canonisé et proclamé docteur de l'Église par Pie XI.
-- Vendredi 28 avril : dernier vendredi du mois. -- *Saint Paul de la Croix,* confesseur. -- *Saint Louis-Marie Grignion de Montfort*, prêtre (voir l'opuscule de Marie-Claire et François Gousseau : « Saint Louis-Marie », Mame 1963). -- *Saint Pierre-Marie Chanel,* prêtre martyr : missionnaire mariste massacré à Futuna en 1841, il est le premier martyr de l'Océanie.
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-- Samedi 29 avril : *saint Pierre de Vérone,* martyr. -- *Saints Odon* (mort en 943), *Mayeul* (mort en 994), *Odilon* (mort en 1049) et *Hugues* (mort en 1109), abbés de Cluny. -- *Saint Robert,* abbé (1018-1111), père de la branche bénédictine cistercienne qu'illustra saint Bernard.
-- Dimanche 30 avril : *quatrième dimanche après Pâques. --* Sur la dénomination des dimanches *après* Pâques -- et non pas dimanches *de* Pâques -- voir la référence donnée au dimanche de Quasimodo. -- Mémoire de *sainte Catherine de Sienne,* vierge et docteur (1347-1380).
Note sur les messes votives. -- Les messes votives, ou messes de dévotion, sont celles qui ne sont pas imposées par le calendrier liturgique. Elles sont célébrées en l'honneur d'un mystère divin ou d'un saint ; ou pour obtenir certaines grâces dans des circonstances particulières. Leur célébration est déterminée soit par le libre désir du célébrant ou des fidèles (messes votives privées), soit par ordre de l'autorité ecclésiastique pour une cause grave d'intérêt public (messes votives solennelles).
Il y a des messes votives qui sont telles en elles-mêmes messe pour les pèlerins et voyageurs, messe pour le temps d'épidémie, messe pour les malades, messe pour diverses nécessités, etc.
Il y en a d'autres qui ne sont pas votives en elles-mêmes mais qui peuvent être célébrées comme telles : la messe d'un saint est une messe festive quand elle est célébrée au jour de sa fête, et elle est une messe votive quand elle est célébrée en dehors de ce jour. On peut célébrer comme messe votive la messe de tout saint inscrit au martyrologe romain et celle de tout saint local.
En semaine, lorsque le calendrier ne prescrit aucune fête, on célèbre la messe du dimanche précédent, mais on peut aussi célébrer une messe votive. On peut également célébrer une messe votive à la place des fêtes simples et des féries mineures.
288:162
Le temps pascal, qui a commencé avec la vigile de Pâques (1^er^ avril) se termine le samedi des Quatre-Temps de Pentecôte (27 mai).
Durant tout le temps pascal, l'Angelus est remplacé par le Regina Cœli.
\*\*\*
============== fin du numéro 162.
[^1]: -- (1). « Contempler soi-même et livrer au prochain les fruits de la contemplation. » (IIa IIae qu. 188 art. 6 et IIIa qu. 40, art. 2 ad 3).
[^2]: -- (1). Pascal, Pensées, n° 245 de Brunschvicg.
[^3]: -- (1). *Saint Pie V* (*1504-1572*), par l'Abbé Grente, page 194 (Édition Gabalda à Paris, Collection Les Saints, 1914). -- Le même livre a été réédité chez Fayard à Paris.
-- Le récit de la *bataille de Lépante* devrait normalement trouver place dans le présent numéro. Mais nous l'avons déjà donné, et très détaillé, l'année dernière, pour le quatrième centenaire : voir notre numéro 156 de septembre-octobre 1971, pages 281 à 290.
[^4]: -- (1). Voir *Dictionnaire de Théologie Catholique*, Pie IV, notamment colonnes 1644 à 1646.
[^5]: -- (1). Ia Cor. 2, 2.
[^6]: -- (1). « J'ai levé mes yeux vers la montagne d'où me viendra le secours » (Ps. 120 -- Vêpres du lundi). On peut entendre, symboliquement, la montagne du Calvaire où fut plantée la Croix de notre salut.
[^7]: -- (1). Tels étaient donc le principe et le but que s'étaient fixés les « érudits » chargés par saint Pie V de répondre au décret du Concile de Trente concernant le Missel romain : en faire ce qu'on appellerait aujourd'hui une « édition critique » ; ramener les variétés des missels en usage, à l'unité et à la pureté de l'*original*.
Il ne s'agissait donc, en aucune manière, d'une *réforme* mais d'une restauration ; et point encore au sens d'une « reconstitution » archéologique : non une *restitution*, obtenue par la seule collation des manuscrits et par les témoignages (c'est le sens de *monumenta*) soit des Anciens soit des auteurs faisant vraiment autorité en matière liturgique.
C'est pourquoi nous avons préféré la traduction « restituer *à *», au lieu de « restituer *selon *».
[^8]: -- (2). A savoir celle dont il est question dans la phrase précédente : l'ordre liturgique de la Messe.
[^9]: -- (3). Ici commence une phrase de trente lignes (dans le missel que j'ai sous les yeux) ; elle serait un vrai labyrinthe si l'on ne prenait le parti de la couper. Nous le ferons en observant, aussi respectueusement que possible, le mouvement de l'original, priant notre lecteur de comparer, mot à mot, notre version avec le texte latin, au fur et à mesure de la lecture.
[^10]: -- (4). Nous ne lisons pas ce verbe dans le latin, mais uniquement la conjonction NE, à laquelle nous donnons son sens fort comme si elle était bien précédée du verbe exprimant la prohibition.
[^11]: -- (5). Il s'agit d'ordres militaires, composés de chevaliers laïcs faisant profession de porter les armes (... et de s'en servir : on le vit à Lépante. Aujourd'hui, hélas...) -- Ainsi l'Ordre de Malte.
[^12]: -- (6). Ceci dit pour mettre à part toutes les églises orientales et les églises qui, quoique *occidentales,* suivent un rite différent du *romain *: ainsi celles de Milan et de Tolède. -- Leur cas est différent, nous l'avons dit, de celles qui suivent le rite romain mais un *romain modifié* par des variantes secondaires c'est de celles-ci uniquement qu'il va être question dans les lignes qui suivent.
[^13]: -- (7). Il ne s'agit évidemment ici que d'*exemption* à l'égard du « droit commun », et non à l'égard de l'autorité pontificale, laquelle est souveraine !
[^14]: -- (8). Il faut entendre par là un acte de l'autorité souveraine qui renouvelle ou complète ou « guérit » une faculté qui, à quelques égards, souffrirait d'une infirmité quelconque : cette « confirmation » la valide définitivement.
[^15]: -- (9). L'énumération est vraiment exhaustive : on voit que la volonté du législateur se manifeste de façon aussi précise que ferme.
[^16]: -- (10). Par cette périphrase, nous avons voulu traduire le NISI latin, lequel, traduit littéralement (*à moins que ; si ce n'est que*...) aurait introduit une nouvelle proposition subordonnée à l'intérieur d'une phrase déjà passablement longue et enchevêtrée.
[^17]: -- (11). Latin : *ab ipsa prima institutione*.
[^18]: -- (12). Les deux phrases entre parenthèses ont été *ajoutées par nous*, afin d'aider à la clarté. -- On voit avec quel scrupule saint Pie V reconnaît et consacre les « droits acquis », même quand ils n'ont été acquis que par le fait : celui d'une coutume.
[^19]: -- (13). Comme on pouvait douter si l'approbation par lui des deux exceptions précédentes relevait d'une simple interprétation, éventuellement discutable, du droit commun touchant les coutumes, le Pape les fait positivement entrer dans la législation de sa Bulle et il leur donne ainsi un droit propre. C'est un exemple de cette « confirmation » dont nous avons parlé à la note 8.
[^20]: -- (14). « ...*iisdem magis placeret *» -- Peut-on joindre plus de gentillesse à un acte d'autorité ? Ainsi la considération du *plaisir* compte pour l'adoption d'une loi, spécialement d'une loi liturgique ? -- Principe à retenir et, au besoin à rappeler, de notre temps, aux modernes employés de la Congrégation des Rites mise à jour.
[^21]: -- (15). Il faut donner un sens fort à la conjonction de coordination : Capituli*que *: ce consentement du Chapitre doit *s'ajouter* à celui de l'évêque *ou* du prélat quel qu'il soit et les deux consentements s'ajouter à la « permission » du Pape. Tellement saint Pie V veut rester respectueux des droits acquis et n'y apporter d'exception que moyennant des conditions rigoureuses.
[^22]: -- (16). Cette « permission » est très différente de l' « indult » dont il sera question plus bas (au § VIII).
[^23]: -- (17). Après avoir donné, en forme positive, ses ordres et ses permissions, le Pontife va les reprendre sous forme négative de prohibitions, y ajoutant, quand il le faut, des *réprobations* expresses : ce qui a un sens précis en Droit canonique (voir le canon 27 de notre Code).
[^24]: -- (18). Celles qui sont énumérées au § VI et qui n'entrent pas dans les cas exceptés.
[^25]: -- (19). Il s'agit bien d'une *peine*, mais inférieure au refus de la communion *catholique.*
[^26]: -- (20). A savoir les Missels particuliers, propres à ces Églises.
[^27]: -- (21). Voilà la *réprobation* formelle. Elle est répétée quelques lignes plus bas.
[^28]: -- (22). Dans le texte latin, deux participes : *Mandantes ac præcipientes*.
[^29]: -- (23). Il ne s'agit pas d'un *épithète* de Patriarches, mais d'un titre distinct.
[^30]: -- (24). Latin : *rationibus*, qui désigne ici la *méthode* (cf. : *Ratio studiorum*).
[^31]: -- (25). Nous soulignons ainsi l'apparent pléonasme de «* ceteris omnibus *».
[^32]: -- (26). Nous traduisons par : « avoir l'audace » le verbe « præsumere » qui a un sens et une portée très précis en droit pénal ecclésiastique : à la simple infraction il ajoute une volonté très délibérée et un mépris de la loi.
[^33]: -- (27). L'ouverture de cet alinéa est de notre cru, mais il est clairement autorisé par le texte : ici, en effet, commence l'énoncé d'un acte nouveau du Législateur : après le commandement, la permission, la prohibition développés jusqu'ici, saint Pie V va concéder une *faveur,* un « INDULT », un privilège.
[^34]: -- (28). C'est le sens fort que nous pensons devoir donner à la particule : *atque* qui introduit la phrase.
[^35]: -- (29). L'intervention manifestée du plus haut degré d'exercice de Son autorité veut manifester à la fois la fermeté de la volonté sur ce point du Législateur et l'importance de la chose qu'il va décider.
[^36]: -- (30). Latin : *Concedimus et indulgemus*. -- C'est plus qu'une permission, c'est un privilège, avec les conséquences de droit qui s'ensuivent. Nous expliquerons cela dans le dernier chapitre de notre étude.
[^37]: -- (31). Latin : *Omnino -- *L'adverbe ne peut porter sur les parties du Missel mais sur son usage, qui est ainsi déclaré sans limite.
[^38]: -- (32). Les deux verbes : «* possini et valeant *» distinguent clairement une faculté simple d'un pouvoir stable, définitivement acquis : un droit.
[^39]: -- (33). Énumération exhaustive qui touche successivement le « for *interne *» et l'*externe*.
[^40]: -- (34). Cet alinéa introduit la « clause dérogatoire » dont la déclaration explicite donne, sans contestation possible, les cachets de solennité, de fermeté et de stabilité qui distinguent une LOI véritable fondant une OBLIGATION JURIDIQUE, d'une *simple volonté* du Supérieur.
[^41]: -- (35). Latin : *moderari*. -- Nous entendons ce verbe comme signifiant une modification qui *affecterait* soit les dispositions de la loi, soit la portée *formelle* de sa force obligatoire intrinsèque.
[^42]: -- (36). Latin : *robore. -- *Le *robur,* la force de la loi, soit dans son intensité, soit dans son extension.
[^43]: -- (37). L'alinéa précédent visait le temps à venir. Le présent alinéa concerne le passé. Il révoque et abroge tous les droits antérieurs, soit écrits, soit coutumiers. Et comme la loi *coutumière* est revêtue d'une force particulière, la Bulle la mentionne explicitement ET selon la forme requise, à savoir en y incluant la coutume dite « immémoriale ».
Dans quelle mesure un Pape peut révoquer les actes de ses prédécesseurs et lier ses successeurs, nous le dirons au dernier chapitre de notre étude.
[^44]: -- (38). La détermination du *temps d'entrée en vigueur* de la Loi est une condition essentielle de la validité de sa promulgation. C'est l'objet de ce nouvel alinéa.
[^45]: -- (39). Cet alinéa règle les modalités d'impression et d'édition du Missel. Sa rédaction est, dans l'original, d'une telle complication, que nous avons dû couper la longue phrase de vingt-deux lignes qui le compose, modifier son articulation et *ajouter* des chevilles de notre cru : les mots ou groupes de mots entre parenthèses et en caractères italiques.
[^46]: -- (40). Latin : *secundum magnam impressionem. -- *Il faut entendre par là l'édition typique.
[^47]: -- (41). Le Code de Droit canonique en vigueur aujourd'hui, renouvelle, au canon 1390, l'obligation aux éditeurs des « livres liturgiques » et des extraits d'iceux, d'être munis d'un « constat » de conformité aux éditions approuvées, constat qui doit être délivré par l'Ordinaire du lieu soit de l'impression soit de l'édition. -- Mais la sanction de l'excommunication n'est point renouvelée dans notre Code.
[^48]: -- (42). Cette pittoresque place porte toujours ce nom printanier. Elle est toute proche de la Chancellerie Apostolique. -- L'affichage en ces trois emplacements tenait lieu de *promulgation* dans un temps où n'existait pas encore le périodique officiel créé sous Pie X, et appelé aujourd'hui : ACTA APOSTOLICÆ SEDIS.
[^49]: -- (43). Ni redondance ni emphase dans cette énumération chaque mot a et doit garder sa valeur.
[^50]: -- (1). Aux élections capitulaires, vers la même époque et dans le même pays, mais probablement aussi ailleurs, la décision qui prévalait était celle de la *major et sanior pars.* Formule passe-partout, qui laissait une large place à l'arbitraire. Qui désignait la *sanior pars,* et par quoi se définissait-elle ? Pure question d'appréciations personnelles. *Ce parti le plus sain s'appellerait aujourd'hui le parti le plus valable.*
[^51]: -- (1). En vente aux Presses de Taizé, 71 - Taizé (France). *Existe en volume relié pour la célébration liturgique*.
[^52]: -- (1). Sur cette question, on gagnera beaucoup à relire, dans ITINÉRAIRES de mai 1970 le dossier commenté par Madiran : *Tirer au clair la position de Taizé*, et notamment les pages intitulées : « *Nos conclusions *»* :* la présence réelle, le sacrifice, un autre sacrifice (pages 197-201).
[^53]: -- (1). La même conclusion se dégage du livre de Max Thurian, *L'Eucharistie,* surtout pages 226-227. -- *Eucharistie à Taizé* renvoie expressément à ce livre paru en 1963 (édition Delachaux et Niestlé à Neuchâtel (Suisse) et Paris).
[^54]: -- (1). Traduction Dumeige : *La Foi Catholique* (éditions de l'Orante, à Paris).
[^55]: -- (1). Voir Vaquié : *La Révolution Liturgique* (Diffusion de la Pensée Française, 86 -- Chiré-en-Montreuil).
[^56]: -- (2). Voir sur cette règle de saint Vincent de Lérins, dans ITINÉRAIRES de juin 1971, notre article sur *l'Esprit de notre résistance*.
[^57]: -- (1). *V. L'organisation corporative de la France d'ancien régime,* par Fr. Olivier-Martin, pp. 107-109.
[^58]: -- (1). Les annexes et tableaux n'ont pas été publiés par *El Mercurio.*
[^59]: -- (1). Et non de 80 hectares comme prévu par la loi...
[^60]: -- (1). Ce langage de chat-fourré marxiste peut paraître hermétique, En fait, si le bois représente la dixième partie du domaine, il s'agit de soustraire du prix payé pour indemniser le propriétaire de la perte de ce bois, le dixième de la somme versée pour l'indemnisation du domaine.
[^61]: -- (1). *Rivarol,* 20 janvier 1972 (Édith Delamare).
[^62]: -- (1). *Rivarol,* 20 janvier 1972 (Marcel Signac).
[^63]: -- (1). Claude Elsen, *Écrits de Paris*, mars 1969.
[^64]: -- (1). Nous donnons les pages de l'édition bleue.
[^65]: -- (1). J'ai évoqué beaucoup de ces personnes dans mon ouvrage *L'héraldique de saint Louis et de ses compagnons,* Paris, 1966, orné des dessins de Claude Le Gallo.
[^66]: **\***-- cf. 162-123.jpg.
[^67]: -- (2). Il ne faut pas oublier que les Hainaut étaient réputés descendants de Charlemagne, mais les Capétiens descendaient aussi de Charlemagne par les femmes.
[^68]: -- (3). C'est en effet Philippe comte de Flandre qui porte l'épée royale au sacre de Philippe II Auguste, au moment où le roi sort de sa chambre pour aller dans la cathédrale. Ce comte fit de même pour le sacre d'Isabelle de Hainaut en 1180, cérémonie à laquelle son mari, Philippe II Auguste, s'associa. Or Raoul de Dicet prétend que Philippe comte de Flandre portait l'épée et servit les mets au festin de 1179, exerçait les droits de son père et de sa femme !
[^69]: -- (3 bis) GUILLAUME abbé d'Andres de 1208 à 1234, au diocèse d'Arras, écrivit une *Chronique* dans laquelle il met à l'année 1227 (sic), avant le sacre de Reims : « Suessionis, promotus in militem » (Luc D'ACHERY, *Spicilegium*..., nlle éd., Paris, 1723, t. 2, *Chronicon Andrensis monasterii*..., p. 866).
[^70]: -- (4). Sur le sacre de saint Louis, voir : Sébastien LE NAIN DE TILLEMONT, *Vie de saint Louis roi de France*, éd. J. de Gaulle, Paris, 1847, t, 1, pp. 428-436 ; *Les grandes chroniques de France*, éd. Jules Viard, Paris, 1932, t. 7, pp. 33-34 ; plus ancien est de Théodore et Denys GODEFROY, *Le cérémonial françois*, Paris, 1649, t. 1, pp. 140-142 ; on ne trouvera presque rien dans les textes de base : *Extrait d'un abrégé de l'histoire de France composée en latin sous le règne de Philippe Auguste, traduite en français par Alphonse comte de Toulouse* (va jusqu'en 1226, cf. *Recueil des historiens de la France*, t. 17, p. 432) ; *Vita sancti Ludovici* et GUILLAUME DE NANGIS, *Vie de saint Louis* (Recueil, t, 20, pp. 3121.313) ; GUILLAUME DE NANGIS, *Chronicon* (*Recueil*, t. 20, p. 544) ; *Fragment d'une chronique anonyme dite chronique de Reims* (*Recueil*, t. 22, p. 304) ; PHILIPPE MOUSKÉS. *Chronique rimée* achevée en 1242-1243, est le seul à donner quelques détails d'intérêt (*Recueil*, t. 22, pp. 41-43, et surtout éd. baron de Reiffenberg, Bruxelles, 1838, t, 2, pp. 562-568, v. 27543-27716) ; Jean (THOMAS) DE PANGE, *Le roi très chrétien*, Paris, 1949, pp. 370-387 ; pour cet auteur, la comtesse de Champagne est la mère de Thibaud IV, Blanche de Navarre, ce qui est l'avis d'Henri WALLON, *Saint Louis*, Tours, 1878, p. 5 ; Edmond POGNON, *Le sacre*, dans *Le siècle de saint Louis*, Paris, Hachette, 1970, pp. 215-217 ; des passages d'intérêt dans l'article « Sacre des rois », par R. NAZ, dans le *Dictionnaire de droit canonique*, Paris, Letouzey, t. 7, col. 788-817.
[^71]: -- (5). *Le cérémonial françois*, t. 1, pp. 13-25 : c'est pour eux l'*ordo* de Louis VIII (et Blanche de Castille) en 1223.
[^72]: -- (6). *De antiquis Ecclesiae ritibus*, 2^e^ éd., Anvers, 1736, t, 2, col. 610-622. comme *ordo VI*, mais cet auteur se dispense de donner les litanies.
[^73]: -- (7). Cf. les catalogues suivants : *Manuscrits à peintures du XIII^e^ au XVI^e^siècle,* Paris, Bibliothèque nationale, 1955, p. 44, n° 93 (vers 1280, parmi les manuscrits de Champagne et Lorraine) ; *L'art en Champagne au moyen âge*, Paris, Musée de l'Orangerie, 1959, pp. 67-68, n° 128 et pl. XXIV (vers 1280, illustration de type parisien mais sans doute exécutée à Reims) ; *Saint Louis à la Sainte Chapelle,* Paris, 1960, p. 34, n° 10 (même commentaire) ; *L'Europe gothique XII^e^ XIV^e^ siècles,* Paris, Musée du Louvre, pavillon de Flore, 1968, p. 143, n° 232 et pl. 75 (pontifical de Châlons-sur-Marne, Champagne, vers 1280, « bon exemple de l'enluminure gothique champenoise encore très influencée par l'art parisien du milieu du siècle ») ; *La France de saint Louis,* Paris, salle des gens d'armes du Palais de justice, 1970, p. 110, n° 216 donne « Paris, milieu du XIII^e^ siècle... écrit vers le milieu du XIII^e^ siècle, le manuscrit est le prototype de tous les livres des sacres des souverains français. Il est orné en effet de quinze enluminures... Bien que les litanies dénotent l'usage de Châlons-sur-Marne, le manuscrit n'est pas d'origine champenoise mais a été décoré dans un atelier parisien dont l'activité se situe vers le milieu du XIII^e^ siècle » ; photo p. 112.
[^74]: -- (8). *Les pontificaux manuscrits des bibliothèques publiques de France,* Paris, 1937, t. 2, pp. 145-146, n° 138 et t. 3, pl. XXX-XXXVI. C'est le chanoine Leroquais qui est l'auteur des précisions sur Châlons-sur-Marne et la seconde moitié du XVI^e^ siècle. Philippe I.AUER, *Bibliothèque nationale. Catalogue général des manuscrits latins*, Paris, 1939, t. 1, p. 461, n° 1246 : *Ordo ad coronandum regem et reginam Francorum *; fin XIII-XIV^e^ s. (!) avec litanies de Reims ; additions du XVI^e^-XVII^e^ siècles.
[^75]: -- (9). Cf. n. 4.
[^76]: -- (10). En particulier dans son ouvrage *Der König von Frankreich*..., Weimar-Darmstadt, rééd. 1960, et plus particulièrement au t. 2, p. 4, *ordines* 13 et 16 (le 13, compilation autour de 1200 s'épanouit dans le 16, compilation autour de 1300 dont on a le texte dans ce manuscrit de Paris). Je crois cependant que certains points seraient à revoir dans cette affirmation.
[^77]: -- (11). *Le serment du sacre du IX^e^ au XV^e^ siècle*..., Strasbourg, 1950 (*Revue du moyen âge latin,* t. VI), pp. 236-241. Au sujet de ce premier *ordo* du XVI^e^ siècle, M. David dit : « Le sacre, pour la France du XVI^e^ siècle, nous est connu par deux *ordines.* L'un est difficile à dater avec précision, car nous le connaissons grâce à une copie réalisée seulement un siècle après sa mise en circulation. Godefroy l'appelle un peu imprudemment *ordo* de 1223. Schramm croit pouvoir remonter jusqu'au début du XVI^e^ siècle et baptiser ce document « *ordo* de 1200 », non sans avoir signalé qu'il s'agit seulement par là de fixer les idées, sans prétendre retrouver exactement l'année de sa confection... L'*ordo* de 1200 est caractérisé par l'influence très profonde exercée sur lui par le cérémonial du sacre des deux autres royaumes allemand et anglais. Aucun autre *ordo* ne comporte, à notre connaissance, une aussi forte dose d'emprunts. » Plus loin, M. David indique les résonances impériales de ce texte qui serait cependant trop précis dans les engagements à prendre pour qu'un roi comme Philippe II Auguste l'ait accepté. Cette compilation d'un clerc « soucieux de ne rien oublier » n'aurait probablement jamais été appliquée selon Schramm. On doit cependant reconnaître qu'elle a été copiée jusqu'au sacre de Charles X, au moins quant à l'essentiel.
[^78]: -- (12). Une page du *Res Siculae* ou *Liber ad honorem Augusti* de Pierre D'ÉBULON (Berne, Bürgerbibliothek, cod. 120 II, f° 105) montre les épisodes des sacre et couronnement impériaux d'Henri VI à Rome, le 15 avril 1191 (reproduit par exemple dans André MAUROIS, *Histoire de l'Allemagne,* Paris, Hachette, 1965, p. 74). L'*ordo* de vers 1200 inaugure en France une série qui avec le manuscrit de l'*ordo* de Sens fait pour Charles IV (cf. note 20), le livre du sacre de Charles V, les gravures des sacres de Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, Napoléon I^er^ et de Charles X aura le plus grand succès dans d'autres pays (cérémonies de Francfort, Königsberg, Londres...) L'*ordo* de vers 1200 a ses peintures reproduites en divers ouvrages, mais jamais totalement. Un ensemble incomplet dans Henri-Paul EYDOUX, *Saint Louis et son temps*, Paris, Larousse, 1971, pp. 34-35 (12 peintures) et une reproduction en couleur des quatre scènes f° 26 (p. 51 pour Leroquais) dans *Le siècle de saint Louis,* p. 224.
[^79]: -- (13). *Sacramentaire et martyrologe de l'abbaye de Saint-Rémy...,* Paris, 1900, p. 222-226 ; p. XXXIV est donnée la date de vers 1274 et c'est l'ordinaire de l'église de Reims.
[^80]: -- (14). *Die rechtlichen Grundlagen der französischen Königskrönung*, Weimar, 1911, pp. 174-178.
[^81]: -- (15). GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, pp. 26-30 comme *ordo* de saint Louis en 1226.
[^82]: -- (16). En particulier *Der König*, t. 2, p. 4, *ordo* 14.
[^83]: -- (17). *Le serment,* p. 236 : « Le second (*ordo*) entre plus franchement dans la catégorie des *ordines,* qui ont fait l'objet, selon toute vraisemblance, d'une application concrète. Il reflète assez les idées en honneur à la cour de saint Louis pour avoir été mis au point avant la fin du règne de ce roi et avoir été employé au sacre de Philippe III » ; pp. 240-241.
[^84]: -- (18). *The coronation in medieval England. The evolution of the office and the oath*, dans *Traditio*, New-York, t. XVI, 1960, pp. 111-202 ; sur l'*ordo* de vers 1270 : pp. 113-115 et 191-192. L'auteur n'attaque pas la question sur le fond et avance ceci : à l'origine, ce texte n'était qu'un *ordo* pour le roi qui fut augmenté d'un *ordo* pour la reine ; la jonction fut mal faite (donc tout comme pour l'*ordo* de vers 1200) ; l'*ordo* était simple partie d'un ordinaire ou sacramentaire de cathédrale qui ne fait pas mention de l'extirpation des hérétiques et la mention de ce que voulait le concile du Latran ne serait qu'une interpolation : « ...quemadmodum in Ordinario continentur, ubi tria promittenda et juranda eidem proponuntur, preter juramentum Lateranensis concilii, videlicet de hereticis de regno suo extirpandis » ; l'auteur souligne que la traduction française précise : les prélats demandent au roi qu'il garde les droits des évêques et des églises « & les autres chouses ainsi qu'il sont contenus en l'ordinaire, où trois chouses li sont proposées à estre promises & iurez. Et le serment de la nouuelle constitution du concile de Latran : c'est à sçauoir, de mettre hors de son royaume les hereges ». Si la constitution de 1215 est nouvelle, c'est que l'*ordo* est de cette époque.
[^85]: -- (19). Thibaud de Champagne, comte de Blois et de Chartres fut fait sénéchal vers 1152 et mourut au siège de Saint-Jean d'Acre en 1191 ; il était l'époux d'Alix de France, fille de Louis VII et Aliénor d'Aquitaine (père ANSELME, *Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France...,* Paris, t. 2 (1726), p. 845 ; t. 6 (1730), p. 37 ; Ch. BEMONT, *Hugues de Clers et le* « *De senescalcia Franciae *» dans *Études d'histoire du moyen âge dédiées à Gabriel Monod,* Paris, 1896, pp. 253-260.
[^86]: -- (20). Il existait encore au XIII^e^ siècle dans divers manuscrits des *ordines* plus anciens, comme celui de Fulrad abbé de Saint-Vaast d'Arras (ou de Ratold abbé de Corbie) datant de vers 980 ; il aurait servi en France à partir de Louis VI (1108). L'*ordo* du pontifical de Sens serait de la fin du XIII^e^ ou du début du XIV^e^ siècle. On le trouve édité dans MARTÈNE, *De antiquis Ecclesiae ritibus*, t. 2, col. 622-24 = *ordo* VII et pour SCHRAMM, *Die König,* t. 2, p. 4, *ordo* 17 c'est le dernier *ordo* des Capétiens (directs). Il existe plusieurs manuscrits subsistants, le plus ancien étant sans doute, avec un texte presque complet. celui exécuté pour Charles IV le Bel et Jeanne d'Évreux ; il fut pris dans le pillage de la cathédrale de Reims et fit partie de la collection de feu Wilfred Merton dans le Surrey. Harry BOBER, *The coronation book of Charles IV and Jeanne d'Évreux* (dans *Rare books notes on the history of old books and manuscripts published for the friends and clients of H.P. Brans,* New-York, vol. VIII, n° 3, nov. 1958) a tort de dire que ce manuscrit a servi au sacre du roi et de la reine, car le roi fut sacré en 1322 et sa seconde reine en 1326 (il s'agit bien de Jeanne car les armes d'Évreux figurent en partie avec celles du roi ; les petites illustrations du manuscrit, c'est à dire des scènes du sacre des souverains, sont du plus haut intérêt, au moins quant à ce qui est publié). Il existe une traduction française ancienne (XIV^e^-XV^e^ s. et sans doute XV^e^ s., le terme de « main de justice » étant justement tardif !) édité dans Jean DU TILLET, *Recueil des roys de France....* Paris, 1586, pp. 183-198 : texte établi par Louis VII pour le sacre de Philippe II Auguste en 1179 et enregistré à la chambre des comptes de Paris ; repris avec quelques minimes modifications dans GODEFROY, *Cérémonial,* t. 1, pp. 1-12 ; pour SCHRAMM, *ibidem* c'est *l'ordo* 18. Cet *ordo* de Sens (pseudo-*ordo* de 1179) est commenté par Georges PÉRÉ, *Le sacre et le couronnement des rois de France dans leurs rapports avec les lois fondamentales*, s. 1., 1921, pp. 11-16. Ce qui passe comme *ordo* de la fin du XIII^e^ siècle dans plusieurs ouvrages (cf. par exemple dans la collection « Clio », Joseph CALMETTE, Charles HIGOUNET, *Textes et documents d'histoire, II Le moyen âge,* Paris, 1953, pp. 76-77 et dans la collection Thémis, textes et documents, Jean IMBERT, Gérard SAUTEL, Marguerite BOULET-SAUTEL, *Histoire des institutions et des faits sociaux* (*X^e^-XIX^e^ siècle*)*,* Paris, 1956, n° 37, pp. 77-79) n'est que l'édition à peu près correcte de l'*ordo* de Charles V qui date de 1365 ! (ce texte français est compris maintenant dans le manuscrit du British Museum, ms. Tiberius B. VIII ; pour l'édition : Gabriel LEROY, *Le livre du sacre des rois, ayant fait partie de la librairie de Charles V, au Louvre, actuellement conservé au* British Museum, *à Londres,* publié par le Comité des travaux historiques et scientifiques dans le *Bulletin historique et philologique,* 1896, Paris, 1897, pp. 613-625, le texte même de l'*ordo* étant pp. 616-620 ; il manque les oraisons et chants en latin des sacres du roi et de la reine, ainsi que ceux de la messe qui suit et on les trouvera dans l'édition en latin de l'*ordo* faite par John Seldens, à Londres en 1631, passée dans GODEFROY, *Cérémonial,* t. 1, pp. 31-51). Il y a encore d'autres éditions.
[^87]: -- (21). En 1179, pour le sacre de Philippe II Auguste, l'abbé apporta les « regalia » de son trésor. Cf. à ce sujet *Recueil des historiens de la France,* t. 12, p. 215 et Élie BERGER, *Annales de Saint-Denis, généralement connues sous le titre de Chronicon Sancti Dionysii a cyclos paschales,* dans *Bibliothèque de l'École des chartes,* t. 40, 1879, pp. 279, 288.
[^88]: -- (22). Texte de GODEFROY, *Cérémonial,* t. 1, p. 17.
[^89]: -- (23). *Ibidem,* p. 20.
[^90]: -- (23 bis) « Armillas, pallium, annulum »... souvenirs d'anciens *ordines* sur lesquels on ne peut s'étendre ici.
[^91]: -- (24). CHEVALIER, *Sacramentaire,* pp. 223-224.
[^92]: -- (25). Comme il peut faire froid, le roi doit rentrer vers les 7 heures du matin dans la cathédrale avec un ensemble de vêtements ôtés lorsqu'il se tient devant l'autel, sauf une tunique et une chemise.
[^93]: -- (26). Il y a là l'apparition d'une chemise.
[^94]: -- (27). Précision nouvelle. Elle passe dans l'*ordo* de Charles V : « les chausses de soye de couleur violete, broudées ou tissues de flours de lys d'or » (LEROY, *Le Livre*, p. 617).
[^95]: -- (28). L'*ordo* de Charles V parle aussi de la « cote de soye » et de la « chemise » (LEROY, *Le livre*, p. 618).
[^96]: -- (29). GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 27.
[^97]: -- (30). C'est-à-dire que la couleur est ornée de la devise au sens large du roi, c'est-à-dire de fleurs de lis.
[^98]: -- (31). GODEFROY, *ibidem,* p. 28.
[^99]: -- (32). GODEFROY, *ibidem,* p. 29.
[^100]: -- (33). Les derniers Bourbons portaient effectivement la chemise, la camisole de satin cramoisi garnie de galons d'or, la longue robe de drap d'argent en forme de soutane, c'est-à-dire fermée devant. Ils portaient des mules de même drap d'argent et une toque de velours noir emplumé (cf. par exemple Nicolas GORET, abbé Th.- J. PICHON, *Sacre et couronnement de Louis XVI...,* Paris, 1775, premier et second habillement du roi). Charles V avait fait faire « une cote de satin vermeil » pour son sacre, « doublée de cendal renforcé vermeil » bordée d'un galon d'argent doré, avec annelets et aiguillettes (cf. Jules LABARTE, *Inventaire du mobilier de Charles V, roi de* France, Paris, 1879, p. 352, n° 3442).
[^101]: -- (34). Ne faut-il pas considérer que Blanche de Castille, ayant pitié de la jeunesse de son fils, scinda en deux la cérémonie du sacre, en raison de sa longueur ?
[^102]: -- (35). *Ordo* de vers 1200, cf. GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 18.
[^103]: -- (36). Le terme de « main de justice » apparaîtrait en 1461, l'objet, ayant été dit tout d'abord « bâton à seigner » (bénir) (Léon DE LABORDE, *Glossaire français du moyen âge*, Paris, 1872, p. 161, v° baston à seigner (D)). On trouve « main de iustice » dans la traduction française de l'*ordo* de Sens (cf. n. 20 ; GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, pp. 7, 8 ; le terme est assez rare : on le trouve dans cet ouvrage p. 279 (Henri II) et 52 (Louis XIII)).
[^104]: -- (37). *Petit Robert,* v° Hyacinthe. Une relation du sacre de Charles VIII s'évertue à définir la « couleur hyacinthe » du vêtement royal, « qui est entre iaune, roux & bleu » (GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 193). F. VIGOUROUX, *Dictionnaire de la Bible,* Paris, 1926, t. 3, 1^e^ p., col. 787-789 : 1. Hyacinthe (couleur d') produite par le *murex trunculus* avec lequel les Phéniciens font du pourpre bleu foncé tirant sur le violet et ressemblant à la fleur appelée en latin *hyacinthus*, la jacinthe ; 2. Pierre précieuse qui est un zircon, rouge ponceau ou orangé : en réalité d'un grand nombre de teintes. Cela peut aller du rouge grenat au jaune topaze. Saint Ambroise, *In Apoc*., XXI, 20, t. XVII, col. 957-958, signale sa nuance bleue, « de la teinte du ciel serein, comme le saphir ». GUILLAUME DURAND s'en souviendra, cf. infra. Le même *Dictionnaire*, 1922, t. 5, I^e^ p., col*.* 420-427, Pierres précieuses : montre (426) que la pierre est dite aussi ligure et la planche en couleurs entre 428-429 lui donne une teinte rouge orangé.
[^105]: -- (38). Traductions : Le Maistre de Saci, « hyacinthe, pourpre, écarlate » ; Crampon, ancienne édition « pourpre violette, pourpre écarlate, cramoisi » ; Segond, « bleu, pourpre, cramoisi » ; *Bible de Jérusalem*, tr. B. Couroyer, o.p., « pourpre violette et écarlate, cramoisi » donc comme le vieux Crampon. On a essayé au moins deux fois de montrer ces trois teintes en peignant le tabernacle : 1) En rouge/rose, violet/lilas et bleu pâle et c'est dans la *Bible* de Charles le Chauve, Reims, vers 870 (actuellement à Rome, Saint-Paul-hors-les-murs, f° 30 v° ; cf. André GRABAR, Carl NORDENFALK, *Le haut moyen âge, du quatrième au onzième siècle,* coll. « Les grande siècles de la peinture », Genève, Skira, 1957, p. 153). 2) En bleu, rose, rouge dans une peinture relative aux prétendants de Marie que l'on trouve dans les *Homélies sur la Vierge* du moine JACQUES DE KOKKINOBAPHOS, datant du XII^e^ siècle (Paris, B.N., ms. grec 1208, f° 181 v° reproduit en couleurs dans André GRABAR, *La peinture byzantine*, coll. « Les grands siècles de la peinture », Genève, Skira, 1953, p. 182 ; cf. catalogue de l'exposition de la B. N. : *Byzance et la France médiévale,* Paris, 1958, pp. 21-22 ; ce manuscrit offre une magnifique représentation du ciel actuel qui est une étoffe bleue semée d'astres, relevée par des anges, pour dévoiler le véritable ciel, c'est-à-dire Dieu en majesté comme Jésus, les séraphins et autres créatures spirituelles sur le fond d'or uni de la gloire lumineuse et divine : f° 162, vision d'Isaïe, reproduit dans GRABAR, *La peinture*, p. 183).
[^106]: -- (39). Pour le Maistre de Saci, la tunique de l'éphod est de couleur d'hyacinthe, pour Crampon la robe de l'éphod est de pourpre violette, pour Segond elle est d'étoffe bleue...
[^107]: -- (40). B. de J. : « Aaron le portera pour officier, afin qu'on entende le tintement des clochettes lorsqu'il pénètre dans le sanctuaire devant Yahvé, ou qu'il en sort : ainsi il ne mourra pas ». Plus qu'une défense contre les démons, il me semble que nous avons ici une idée de musique céleste, d'harmonie universelle.
[^108]: -- (41). Pour Roland DE VAUX, o.p., *Les institutions de l'ancien testament*, Paris, les Éditions du Cerf, 1960, t. 2, pp. 268-269, le grand prêtre n'avait pas en réalité un diadème, mais bien une fleur d'or, symbole de vie et de salut, mais au XII^e^ ou au XIII^e^ siècle, qui savait que sîs = fleur ? Si ce sens là a été perçu, alors ce serait de grand intérêt car on est proche du lotus et ainsi du lis, pour les couronnes royales.
[^109]: -- (42). C'est la traduction de Crampon pour « *eruntque sacerdoocs mihi religione perpetua *».
[^110]: -- (43). Tout cela redécrit en *Exode* 39 ; *Lévitique* 8, 6-12 ; *Nombres* 20, 26-28 ; *Ecclésiastique*, 45, 7-43 et 50, 1-14 ; *Zacharie* 6, 9-15. Il me semble utile d'attirer l'attention sur une représentation d'Aaron, faite en 245-256 dans la salle de réunion de la synagogue de Doura-Europos, poste frontière romain sur le cours supérieur de l'Euphrate, pris par les Perses vers 256 et abandonné par la population peu après. L'artiste n'ayant pas de tradition picturale juive, emprunte à d'autres civilisations les détails de sa composition ; les costumes seraient persans. Aaron devant le tabernacle, porte un curieux manteau ouvert par devant, violet, bordé d'or, semé de motifs du genre rosace, d'or et comblés de rose ; la curieuse coiffe violette est du genre capuchon ; la robe de dessous est bleue et la tunique qui apparaît en cachant les pieds, est de plusieurs couleurs. Les rideaux du tabernacle sont roses. (Musée national de Damas ; reproduit en couleurs dans : H. W. JANSON, Dora Jane JANSON, *Histoire de l'art, panorama des arts plastiques des origines à nos jours,* Éditions Cercle d'art, Paris, 1970, pl. 12, pp. 155-156.)
[^111]: -- (44). DE VAUX, *Institutions*, t. 1, pp. 155-176, et t. 2, pp. 268-271.
[^112]: -- (45). Traduction de la *Bible de Jérusalem *; Le Maistre de Saci « Car tout le monde étoit représenté par la robe sacerdotale dont il étoit revêtu », etc. (On peut encore penser au *Psaume* 104/103, 1-2 « Seigneur mon Dieu, tu es si grand ! Vêtu de faste et d'éclat \[ou de majesté et de splendeur\] ! Drapé de lumière comme d'un manteau, tu déploies les cieux comme une tente. ») Philon d'Alexandrie ( après 40) essaya de montrer comment les divers éléments de cette robe la mettent en relation avec l'univers (cf. note dans Crampon) mais Josèphe ( vers 100) donnait d'autres explications. Il est à noter qu'ils ne raisonnaient pas sur un tissu constellé, mais sur les couleurs, les grenades, les clochettes... Innocent III (pape de 1198 à 1216) commentait aussi ces questions dans son *De sacro altaris mysterio libri sex*, l. 1, ch. XII où l'on trouve : « His vestibus ornnatus pontifex, totius orbis praeferebat imaginem » *Patrologie latine*, t. 217, col. 782) ; ch. XXXII où il disserte sur quatre couleurs avancées par la *Bible *: « Per hyacinthum coloris aerei signatur serenitas conscientiae... » (*ibidem,* col. 783) ; cf. XXXIX : « De tunici. Tunica poderis, quae hyacinthini coloris erat in veteri sacerdotio... coelesten Christi doctrinam insinuat » (*ibidem, col.* 788). Le père Yves M.-J. CONGAR, o.p. dans son ouvrage *Le mystère du Temple*, Paris, Éditions du Cerf, 1958, pp. 119-126 nous a mis sur la voie de ce pape dont il donne référence et cite encore saint THOMAS D'AQUIN (1227-1274) ; il commente ainsi : « Le grand prêtre, qui représentait toute la nation, représentait aussi tout l'univers » (p. 123). A vrai dire, le grand prêtre était l'intermédiaire, le médiateur et ainsi en quelque sorte revêtu des symboles de Dieu ou de l'univers. Il y aurait toute une symbolique du médiateur à méditer et la grande médiatrice, la Vierge Marie, est ainsi revêtue de la robe cosmique, tout comme son Fils (par exemple, la Vierge du XII^e^ s. qui se trouve au Musée d'art de la Catalogne à Barcelone : son manteau est bleu semé de fleurs de lis archaïques blanches et de croissants versés rouges, alors que son Fils assis sur ses genoux a une tunique bleue semée de points « trinitaires » blancs et un manteau violet ou pourpre semé d'étoiles ou de soleils à 6 rais blancs, cf. *L'Œil*, n° 4, p. 38). C'est ainsi que l'on verra par la suite la Vierge porter tout naturellement un voile ou une robe d'azur semée de fleurs de lis d'or. Le père CONGAR renvoie à l'ouvrage de grand intérêt de Harald RIESENFELD, *Jésus transfiguré* (Acta seminarii neotestamentici Upsalensis edenda curavit A. Fridrichsen, n° XVI), Copenhague, Ejnar Munksgaard, 1947 : cf. pp. 115-129, chapitre VIII, « La robe sacrée ». Pour aller au fond des choses : Albert FRANK-DUQUESNE, *Cosmos et gloire. Dans quelle mesure l'univers physique a-t-il part à la Chute, à la Rédemption et à la Gloire finale ?* Paris, J. Vrin, 1947.
[^113]: -- (46). La question est bien résumée par le maître qu'était Percy-Ernst SCHRAMM, *La* « *renovatio imperii Romanorum *» *des Ottoniens et leurs symboles d'État*, dans *Bulletin de la faculté des lettres de* *Strasbourg*, 41^e^ année, n° 2, nov. 1962, pp. 179-193. Othon I^er^ se fit couronner empereur des Romains à Rome en 962 avec des insignes et vêtements nouveaux ; le témoin Liutprand évêque de Crémone parle de « *miro ornatu novoque apparatu *». L'ensemble découle de la lecture de la Vulgate. Othon II ou III a des vêtements avec des clochettes. Othon III et même Hugues Capet eurent des manteaux célestes. Le trésor de la cathédrale de Bamberg conserve le manteau de pourpre foncé en forme de chape de saint Henri II (roi 1002, empereur 1014, 1024) offert par un grand de l'Italie du sud : on y voit figurées en broderies des scènes de la Bible et les constellations, accompagnées des mots : DESCRIPCO TOCIVS ORBIS (Franz Bocx, *Die Kleinodien des heiligen römischen Reiches deutscher Nation*..., Vienne, 1864, Taf. XLI, fig. 64 ; Georges DUBY, *Adolescence de la chrétienté occidentale, 980-1140*, coll. Arts, idées, histoire n° 5, Genève, Skira, 1967, pp. 20-21). Il est probable que l'*ordo* de Mayence (rédigé vers 960 au couvent Saint-Alban de cette ville, pour ainsi dire sous les yeux de l'archevêque Guillaume, bâtard d'Othon I^er^) a été l'un des responsables de ces idées inscrites dans des objets. Les *ordines* royaux français dérivent en grande partie de cet *ordo* de Mayence.
[^114]: -- (47). Je renvoie à un mien article déjà ancien : *Quelques réflexions sur l'œuvre de Jean du Tillet et la symbolique royale française* paru dans les *Archives héraldiques suisses*, an. LXX, 1956, pp. 2-24. J'ai repris avec des précisions certains éléments dans un article en parution : *L'ancienne couronne française* « *de Charlemagne* ». Il est curieux de constater que les semés sont rares avant le XIV^e^ siècle dans les peintures de manuscrits, hors les motifs des étoffes « rouées » et les points trinitaires. Je signale cependant le roi devant les trois jeunes gens dans la fournaise de la *Bible de Cîteaux* datant de 1098-1109 (Daniel, 3, 19-21). Ce souverain couronné d'or est bedonnant, le cou large (Louis VI le Gros, associé en 1100, règne seul en 1108 et meurt en 1137 !) ; son manteau royal de coupe toute française est doublé de vair, bordé d'or au cou et de couleur bleue semé de quartefeuilles percées du champ, ayant des couleurs variées et serrées, ce qui évoque le « plus plein que vide » des fleurs de lis ultérieures (Bibliothèque de Dijon, *Bible de S. Etienne Harding,* t. 3, ms. 14, f° 64 ; reproduit en couleurs dans *La sainte Bible*, éd cl Liénart, Paris, Club des amis du Livre, 1962, t. 2, 3° pl. en couleurs). Légèrement antérieure (1078-1081) est la peinture de l'empereur Nicéphore III Botaniste entre saint Jean Chrysostome et saint Michel dans un recueil d'*Homélies* de saint JEAN CHRYSOSTOME ; l'archange y a un magnifique manteau bleu semé de fleurons genre fleur de lis antique ou palmier, ainsi que de quartefeuilles d'or : presque un manteau royal français ! (B.N., ms. Coislin 79, f° 2 V^e^, reproduit en couleurs dans GRABAR, *La peinture byzantine,* p. 179 ; cf. catalogue *Byzance et la France médiévale*, n° 29, pp. 18-19 et pl. XIV ; les étoffes de l'empereur et de l'impératrice Marie sont dignes d'intérêt ; pour GRABAR, *La peinture,* p. 180 l'atelier du peintre serait peut-être au palais impérial). Il ne faut pas oublier que saint Michel est souvent qualifié de chef (archonte) des armées célestes, ce qui a de l'intérêt en fonction de la note 51.
[^115]: -- (48). Jacques DOUBLET, *Histoire de l'abbaye de S. Denys en France*, Paris, 1925, p. 369, ce qui est confirmé par l'Inventaire de 1534. Les losanges sont sans doute des mâcles et à ce sujet, il faut lire de Robert VIEL, *Mâcles et rais d'escarboucle, leurs rapports, leur symbolisme* paru dans *Archivum heraldicum,* n° 2-3, 1967, pp. 18-28 ; mâcle et grand filet sont des symboles de force et d'énergie vitale (on ne saurait cependant majorer le dessin de la tunique fleurdelisée de saint Louis au vitrail de Saint-Pierre de Chartres, reproduit par M. Viel, p. 24, fig. 6 d'après MONTFAUCON, *Monumens*, t. 2, pl. XII, n° 2 et p. 70 ; OPPENHEIMER, *Frankish themes,* p. 227 avait déjà par trop brodé sur ces lignes de plomb obligatoires pour la façon d'un semé en verre et qui ne font un filet que par accident !). Sur le réseau cosmique « immense tissu dans lequel tout se tient et rien n'est isolé », cf. Mircea ELIADE, *Traité d'histoire des religions*, Paris, 1953, pp. 145, 162.
[^116]: -- (48 bis) L'*Exode*, 25, 31-40 par exemple cite le lis comme motif de chandelier. Il se trouve encore sur les colonnes Yakîn et Boaz du Temple (III ou I *Rois* 7, 19) et sur les chandeliers du même édifice (*ibidem* 49). Ceci dit sans avoir la prétention d'être exhaustif. Israël est comparé au lis en *Osée* 13, 6 : « Israël croîtra comme le lis » Ainsi que dans 4 *Esdras* 5, 24 : « *ex omnibus floribus orbis elegisti tibi lilium unum *», ce signe d'élection passant en devise de la maison de France au début du XVI^e^ siècle : « *Ex omnibus floribus elegi mihi lilium *».
[^117]: -- (48 ter) Nombreux exemples, peintures et textes étant commentés depuis longtemps par de nombreux auteurs.
[^118]: -- (49). Cela a souvent été dit et j'ai trouvé encore sous saint Louis un beau témoignage de ce fait : cf. *Les origines de l'héraldique capétienne* dans *Comunicaciones y conclusiones del III° Congreso international de genealogia y heraldica*, Madrid, 1955, pp. 483-511. En effet, une des scènes en relief de la châsse de saint Taurin, faite en 1240/1255 et conservée dans Saint-Taurin d'Évreux, Eure, montre sainte Euticie endormie ; un ange est debout devant elle, tenant un sceptre sommé d'un magnifique lis ou iris et touchant son ventre avec l'extrémité inférieure. La légende dit qu'elle vit un ange dont le sceptre sentait fort bon et qui lui prédit la naissance de saint Taurin. L'inscription résume ainsi : QUADAM NOCTE DUM IN LECTO SUO SANCTA EUTICIA FESSA QUIESCERET VIDIT SIBI ASTARE ANGELUM UTERUM SUM VIRGA TANGENTEM ET PAULUM POST PRECEDERE VIRGAM AD INSTAR LILII CUJUS FLORES NIMIUM DABANT ODOREM. NATO INFANTE... d'après le catalogue de l'exposition *Les trésors des églises de France,* Paris, 1965, pp. 111-113, n° 217. Cette inscription est plus ou moins bien donnée dans divers ouvrages : la meilleure transcription est celle d'Auguste LE PRÉVOST, *Notice sur la châsse de S.T. d'E.,* Évreux, 1838, pl. II. Voir aussi le P. Arthur MARTIN. *Châsse de S.T. d'E.,* extrait des *Mélanges d'archéologie et d'histoire,* Paris, 1850, t. 2 ; L.-T. CORDE, *La châsse de S.T. premier évêque d'E.,* Évreux, 1866 ; Georges BOURBON, *La châsse de S.T. d'E.*, dans *Bulletin de la Société des amis des arts du département de l'Eure,* 1887, t. 3 ; abbé J. B. MESNEL, *Les saints du diocèse d'E*., 1^er^ fasc. : *S.T*., Évreux, 1914 qui disserte sur la vie du saint apôtre des Aulerques Eburoviques par le moine DÉODAT au IX^e^ s., texte dans lequel on trouve les termes de l'inscription de la châsse ; il donne encore le texte de l'office en vers de Fécamp, dans la seconde moitié du X^e^ s. et d'autres textes liturgiques médiévaux qui ont été marqués par l'histoire de la fleur de lis féconde. L'auteur trouve cette affaire horriblement choquante, p. 132 ! Cf. encore chanoine BONNENFANT, *L'église S.T. d'E et sa châsse*, Paris, 1926 et chanoine A. LALLEMAND, *Notice sur la châsse de S.T.,* Évreux, 1928 ; *Exposition d'art religieux ancien du XI^e^ au XVIII^e^ siècle*, dans l'église Saint-Paul du Neubourg, Eure, 1954, s.l.n.d., p. 4, n° 1 ; *Saint Louis à la Sainte-Chapelle,* Paris, 1960, p. 110, n° 234 ; *La France de saint Louis,* Paris, 1970, p. 58, n° 86 ; une représentation de la scène dans Jean TARALON, *Les trésors des églises de France,* Paris, Hachette, 1966, pl. 154-155. Il est bien évident que la fleur de lis n'est pas ici symbole de virginité ou de pouvoir ! La fécondité pouvait d'ailleurs fort bien être évoquée sur un écu (le rapport entre bouclier et fécondité est assez net pour OVIDE, *Métamorphoses* IV, 282, cf. dom Barthélemy COUNE, o.s.b., *Le Mythe du bouclier céleste,* p*.* 85, n. 16 dans *Chthonia,* Editorial Herder, Barcelone, n° 5-6, 1965) et sur les vêtements puisqu'ils étaient aussi porteurs de forces bénéfiques. « Lorsqu'en 1081 l'empereur Henri IV -- excommunié pourtant -- traversa la Toscane, les paysans, accourus sur sa route, s'efforçaient de toucher ses vêtements, persuadés de s'assurer, par là, d'heureuses moissons » (Marc BLOCH, *La société féodale,* Paris, 1949, p. 152 citant RANGERIUS, *Vita Anselmi,* dans *M.G.H., SS,* t. 30, 2, p. 1256, v. 4777. sq.). On est là dans des idées tout à fait habituelles pour l'époque et même la plus haute antiquité. Le souverain est l'image de Dieu (SUGER, *Vie de Louis VI,* éd. Lecoy de la Marche, Paris, 1867, p. 72, déclare que le roi porte « la vivante image de Dieu en lui même », cité par Frantz FUNCK-BRENTANO, *Le Roi*, Paris, 1913, p. 174) et même du Christ : comme lui, il est crédité des mêmes forces miraculeuses dans son vêtement (*Saint Matthieu* 9, 21 ; *Saint Marc*, 5, 27-34 ; *Saint Luc*, 8, 44). On est proche aussi de l'idée évoquée par la dalmatique semée de fleurons du genre fleur de lis ancienne, portée par la Terre sur le *Rouleau d'Exultet* des archives de la cathédrale de Bari qui date d'avant 1028 (976/1025 ?) : Émile BERTAUX, *L'art dans l'Italie méridionale. Iconographie comparée des rouleaux de l'Exultet*. *Tableaux synoptiques,* Paris, 1903, pl. 1, n° 1 ; reproduction en couleurs dans André GRABAR, Carl NORDENFALK, *La peinture romane du onzième au treizième siècle*, coll. Les grands siècles de la peinture, Genève, Skira, 1958, p. 147 ; Gérard DE CHAMPEAUX, Sébastien STERCKX o.s.b., *Introduction au monde des symboles,* coll*.* Introduction à la nuit des temps, n° 3, s.l., 1966, pp. 309-311, fig. 138, p. 456, n° 9. -- Cette femme, symbole de la terre, figure aux paroles : « Gaudeat se tantis tellus inradiata fulgoribus », maintenant : « Gaudeat et tellus tantis irradiata fulgoribus et aeterni Regis splendore illustrata, totius orbis se sentiat amisisse caliginem », autrement dit : « Que la terre se réjouisse, illuminée des rayons d'une telle gloire, que l'éclat du Roi éternel, lequel resplendit sur elle, l'avertisse que tout l'univers est délivré des ténèbres qui le couvraient »... La terre toute féconde et active du printemps (elle est couronnée de fleurs et tient aussi des arbustes) porte sur elle le reflet du ciel dynamique (Pierre GORDON, *Le sacrifice à travers les âges*, Paris, La Colombe, 1950 a compris pas mal de choses en la matière). Jean DANIÉLOU dans *Les symboles chrétiens primitifs*, Paris, Le Seuil, 1961, p. 140 nous parle de Philon d'Alexandrie et le cite : « Les douze gemmes (de la plaque de la poitrine du grand prêtre) sont les figures des douze animaux du zodiaque. C'est le symbole des douze patriarches, puisque les noms de ceux-ci sont gravés sur elles, voulant en faire des étoiles et donner pour ainsi dire à chacun sa constellation. Bien plus, chacun des patriarches devient lui-même une constellation, comme une image céleste, en sorte que les chefs de peuples et les patriarches ne marchent plus sur la terre, comme des mortels, mais devenus des plantes célestes, circulent dans le ciel, étant plantés là ». Ce texte extraordinaire où est mentionnée l'immortalité stellaire des patriarches (et qui fait penser à l'apothéose d'Ounas) a certainement été connu par celui qui a fait le manteau d'Henri II qui se trouve à Bamberg (on doit aussi penser à ces paroles de Daniel 12, 3 : « Les doctes resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme les étoiles, pour toute l'éternité », cf. *Matt*. 13, 43 ; *Job* 38, 7 mêle astres et anges). Le fameux voile qui séparait le saint du saint des saints du Temple de Jérusalem reconstruit par Hérode était de couleurs variées et tout le ciel y était représenté, sauf les signes du zodiaque, si l'on en croit Josèphe. Il fut épargné par l'incendie du 10 octobre 70 (à vrai dire il devait y en avoir plusieurs) et conservé au palais impérial de Vespasien. Il resta ainsi à Rome avec les dépouilles du temple jusqu'en 455, époque où Genséric, roi des Vandales, les mit à Carthage sa capitale. En 534, Bélisaire ayant conquis l'Afrique apporta tout cela à Constantinople et il se peut que Justinien les fit mettre en l'église chrétienne de Jérusalem où ils disparurent sans doute lorsque Chosroês II et ses Perses prirent la ville, en 614 (Salomon REINACH, *L'arc de Titus et les dépouilles du Temple de Jérusalem*, Paris, 1890). Des artistes du haut moyen âge ont-ils vu le voile du Temple ? Sur le voile, lire : L.-Hugues VINCENT, o.p., *Jérusalem de l'ancien testament*..., Paris, Lecoffre-Gabalda, 1956, t. 2-3, pp. 433-434, 462 ; André PELLETIER, s.j., *Le* «* voile *» *du Temple de Jérusalem est-il devenu la* «* portière *» *du temple d'Olympie ?*, dans Syria, 1955, t. 32, p. 289-307 ; du même, *La tradition synoptique du* « *voile déchiré* » *à la lumière des réalités archéologiques,* dans *Recherches de science religieuse*, 1958, t. 46, pp. 161-180 ; du même, *Le grand rideau du Vestibule au Temple de Jérusalem*, dans *Syria*, 1958, t. 35, pp. 218226 ; pour terminer : Jean DANIÉLOU s.j., *La symbolique cosmique du Temple de Jérusalem*, dans *Symbolisme cosmique et monuments religieux*, Paris, Édition des Musées nationaux, 1953, t. 1, pp. 61-64.
[^119]: -- (50). J'ai rassemblé les indices dans l'article paraissant dans *Le vieux papier*, Paris, 1972 : *L'ancienne couronne française dite* « *de Charlemagne* ». Il y a, sur un vitrail de Chartres datant du XIII^e^ siècle, un autre exemple d'emblème passé en semé sur un vêtement : saint Jacques porte en effet un manteau bleu semé de coquilles jaunes, cf. : abbé Yves DELAPORTTE, Étienne HOUVET, *Les vitraux de la cathédrale de Chartres*, Chartres, 1926, p. 115 du vol. de texte ; pl. CLXXXIV, baie LXVIII du t. 3 des planches.
[^120]: -- (51). On a souvent montré que la royauté française se voulait continuatrice de celle des rois de Juda. Nos rois depuis Charlemagne ont été mis en parallèle avec David et Salomon. A ce sujet, littérature immense ! J'ai quant à moi montré les résonnances de ces concepts à l'époque de saint Louis en donnant la traduction d'une bulle pontificale de 1239 qui a déterminé le programme iconographique des vitraux de transept nord de Chartres (*Autour de la bulle* « *Dei Filius* » dans *Itinéraires*, n° 147, nov. 1970, pp. 99-123). On peut admirer dans les lancettes placées sous la rose, les couleurs violettes des manteaux de Melchisédech, d'Aaron... personnages cités dans l'*ordo* du sacre, en compagnie d'Abraham, de Moïse, de Sadoc, de Nathan... Nos ancêtres lisaient la *Vulgate* et il n'est pas inutile de montrer qu'elle a dû encore influencer la symbolique de la bannière de Philippe II Auguste, fleurdelisé donc cosmique (bien que postérieur à l'événement, le poème de Guillaume GUIART, *Branche des royaux lignages*, édité par J. A. Buchon dans la Collection des chroniques nationales françaises, t. 7, Paris, 1828, p. 80, vers 1423 sq. fait apparaître cette enseigne en 1191, lors de l'assaut donné à Saint-Jean d'Acre, par les Français de Philippe II Auguste : « Près de l'une (porte) et jà la banière / D'azur fin sur cendal parfaite, / Et à fleur de lys d'or pourtraite. / Hardy est celui qui la porte... »), pour ainsi dire signe d'efficacité au combat, car, ainsi que le déclare la Sagesse, les justes seront aidés par le Très Haut qui « armera la création pour châtier ses ennemis » (« et armabit creaturam ad ultionem inimicorum », 5, 18), « et l'univers ira au combat avec lui contre les insensés » (« et pugnabit cum illo orbis terrarum contra insensatos », 20). Tout le texte n'a d'ailleurs trait qu'à des armes, casque, cuirasse, bouclier, épée... Ces idées sont reprises plus loin, puisque là encore, il est affirmé combien les éléments venaient en aide de façon stupéfiante à Israël contre l'Égypte : « l'univers en effet combat pour les justes » (« Vindex est enim orbis justorum », 16, 17). Il y a peut-être une autre liaison possible entre le nouveau Juda qu'est la France (cf. bulle *Dei Filius*), peuple aimé spécialement par Dieu, et l'univers, les astres : le *Psaume* 33/32 commence à évoquer la création puis les nations et enfin Israël : « Par sa parole les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée » (v. 6)... « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu, la nation qu'il s'est choisie en héritage 1 » (v. 12 ; « Verbo Domini cæli firmati sunt et spiritu oris ejus omnis virtus eorum... Beata gens cujus est Dominus Deus est ; populus quem elegit in heredidatem sibi »). J'ai résumé ces questions dans une note de l'ouvrage collectif : *Le sang de Louis* *XIV*, Braga, 1961, t. 1, pp. 24-25, n. 7. L'essentiel est que l'on comprenne bien la participation de l'invincible univers aux combats des Israélites, thème habituel de la Bible : « Du haut des cieux les étoiles ont combattu, de leurs chemins, elles ont combattu Sisera » (*Juges* 5, 20) ; le soleil et la lune aident Josué (*Josué* 10, 10-14) ; voir encore le *Psaume* 18/17, 8-18... c'est là pour les cieux une façon de conter la gloire de Dieu (*Psaume* 19/18, 1) qui est... le Seigneur des armées célestes !
[^121]: -- (52). *Frankish themes and problems*, Londres, Faber and Faber ltd, 1952.
[^122]: -- (53). Je cite ici en vrac : André du Chesne (1609), Claude Villette (1611), Constant Leber (1825) et tant d'autres ! Au XIV^e^, siècle apparaissent les légendes sur l'origine céleste, cosmique puis divine des armes de France. En 1338, le moine de Chaalis, près Senlis, Guillaume DE DIGULLEVILLE dans *Le roumant de la fleur de lis* explique que les armes du roi ont été faites par Sapience avec deux restes de pièces de drap, l'une d'azur qui avait fait le ciel, l'autre d'or qui avait fait le soleil ; la fleur de lis faisait penser à l'étoile de Bethléem ! Tout ceci prépare la légende de Joyenval selon laquelle on voit Clovis porter d'abord des croissants (on en trouve sur les vêtements des rois mérovingiens de Saint-Médard de Soissons au XII^e^ siècle et sur ceux de Jean II le Bon) qui sont changés en fleurs de lis par sainte Clotilde, avant une grande bataille, ce qui entraîna la victoire et la conversion du roi. A ce sujet : Max PRINET, *Les variations du nombre des fleurs de lis dans les armes de France*, Caen, 1912, extrait du *Bulletin monumental*, 1911, t. 54, pp. 14-18 ; Arthur PIAGET, *Un poème inédit de Guillaume de Digulleville,* « *Le roman de la fleur de lis *», dans *Romania*, Paris, 1936, t. 62, pp. 317-358 ; Robert BOSSUAT, « Poème latin sur l'origine des fleurs de lis »*,* dans *Bibliothèque de l'École des chartes,* Paris, 1940, t. 101, pp. 80-101 ; Edmond FARAL, *Le roman de la fleur de lis de Guillaume de Digulleville,* dans *Mélanges de philologie romane et de littérature médiévale offerts à Ernest Hoepffner,* « Publications de la fac. des lettres de l'Un. de Strasbourg », fasc. 113, 1949, pp. 327-338 ; François CHATILLON, *Lilia crescunt*, dans *Revue du moyen âge latin*, Strasbourg, t. 11, n° 12, janv.-juin 1955, pp. 87-200 ; Edmond FARAL, *Guillaume de Digulleville, moine de Chaalis*, dans l'*Histoire littéraire de la France*, Paris, 1962, t. 39, pp. 1-132. De François CHATILLON mentionnons encore *Le roi Caudat* extrait des *Mélanges de linguistique et de littérature romanes à la mémoire d'Istvân Frank*, Université de Sarre, 1957, pp. 141-154. Je pense quant à moi qu'il y a une ombre de vérité dans l'affaire de Joyenval : en effet, on sait que le chambrier de France Barthélemy de Roye fut inhumé dans l'abbaye qu'il « fonda ». Or, le chambrier était celui qui auprès du roi s'occupait des vêtements et autres choses ressortissant de la chambre du souverain. De lui dépendent les fripiers, etc. (cf. Père ANSELME, *Histoire généalogique... de la maison royale de France, des pairs, grands* *officiers de la couronne et de la maison du roy*.... Paris, 1726, sq. t. 8, pp. 7, 393, 404, 430-435 ; cf. sur Barthélemy, H. PINOTEAU, *L'héraldique de saint Louis*, p. 42). On voit très bien le valeureux chambrier (qui par sa femme Montfort avait des alliances considérables !) obtenir du roi d'anciens vêtements de sacre pour que l'on y taille des ornements liturgiques destinés à « son » abbaye, opération qui s'est encore faite en faveur de Saint-Denis au XVIII^e^ siècle. D'où des tissus fleurdelisés, cosmiques évidemment, en relation avec le ciel et aux armes du roi, qui auraient été ainsi la source de la légende des armes ornées de fleurs de lis données à sainte Clotilde par un ange pour que Clovis soit victorieux (l'ange sera associé aux armes royales comme tenant de l'écu sous Charles V, etc.) et qui les ayant pris, s'en sentit plus vigoureux qu'à l'ordinaire ! (la force bénéfique, cf. note 49 de ce présent article). Je parlerai par ailleurs des croissants de gueules (forcement sur champ d'argent pour de nombreuses raisons héraldiques) de Clovis dont on s'est souvenu fort longtemps, récupérés qu'ils furent dans le blason des comtes d'Angoulême et, les « couleurs » inversées, dans le blason des comtes puis ducs de Montpensier, tout en sachant fort bien que le croissant figurait cependant dans la symbolique d'Angoulême (monnaies des Lusignan ; contre-sceau de la prévôté d'Angoulême en 1309, cf. DOUËT D'ARCQ, *Collection de sceaux*, n° 4729) et de La Roche-sur-Yon seigneurie puis principauté des Montpensier (contre-sceau de la sénéchaussée du Poitou à La Roche-sur-Yon en 1337, cf. *ibidem,* n° 4680 ; Bordeaux qui porte toujours un croissant dans son blason, avait dès 1297 un tel astre sur le contre-sceau de sa commune, *ibidem,* n° 5566 ; n'avons-nous pas là un discret rappel d'un cours d'eau qui fait une courbe, un coude ?). Pour sortir de France, considérons qu'il existe à Lunebourg en Brunswick une table pliante de 1328 et de provenance ducale qui est placée dans la salle de l'hôtel de ville ; parmi les armoiries des souverains qui y figurent, on peut y voir celles du roi de France, alors Philippe VI de Valois. L'écu penché d'azur semé de fleurs de lis d'or est timbré d'un heaume garni d'or, orné d'un mantelet de gueules doublé d'hermine ; son cimier est fort curieux : un croissant d'or, largement étalé horizontalement, est terminé par deux touffes de plumes de paon (ce qui est évidemment d'un style germanique) et un soleil à face humaine d'or et 8 rais de gueules, est posé dessus, dans l'axe et sous les deux touffes ! A ce sujet : Ottfried NEURECHER, *Die Wappen auf dem Falttisch im Fürstensaal des Rathauses zu Lüneburg*, dans *Lüneburger Blätter,* t. 2, 1951, pp. 65-85 et plus particulièrement p. 67 et fig. A2. Je remercie mon grand ami le Dr Ottfried Neubecker de m'avoir signalé ce curieux monument capétien. Postérieur d'une dizaine d'années, l'*Armorial de Zurich* se contente de donner au roi de France une fleur de lis d'or comme cimier, mais entourée de plumes de paon (Walther MERZ, Friedrich HEGI, *Die Wappenrolle von Zürich*..., Zurich, Leipzig, 1930, Tafel III, n° 24 : « Franckreich » ; p. 17).
[^123]: -- (54). Il est rare de voir le roi figuré avec des vêtements violets au moyen âge, les artistes se bornant à mettre sur le roi des vêtements à ses armes, à ses connaissances, pour qu'on le reconnaisse. L'art emploie des notations quasi algébriques pour signifier la nature de l'être, sans se soucier de la réalité des choses. Un exemple cependant, où Charles VI est figuré avec un magnifique manteau uni rose, lorsqu'il reçoit l'ouvrage de Pierre le Fruitier dit Salmon en 1403/4 (Pierre SALMON, *Les demandes faites par le roi Charles VI touchant son état*.... B.N., ms. fr. 23279, f° 53 reproduit en couleurs dans Pierre GAXOTTE, *Histoire des Français*, Paris, Flammarion, 1957, face p. 241). Les améthystes de la fleur de lis qui figure sur le fermail en losange pour le manteau royal et qui date du XIV^e^ siècle, bien qu'on le nomme « de saint Louis », sont de couleur violette.
[^124]: -- (55). Il est évidemment assez aberrant de surcharger un roi comme Louis XVI d'une fourrure d'hermine pour doubler son immense manteau, alors qu'on se trouvait un 11 juin ! Qu'on s'étonne de voir le roi épuisé d'une telle charge et d'une telle chaleur ! Philippe IV le Bel sacré un 6 janvier 1286 eut-il de la fourrure ? C'est possible. Sa dépouille mortelle en 1314 a un manteau doublé d'hermine (le 2 décembre 1314, selon le témoignage de Guillaume BALDRICH, édité par Ch. BAUDON DE MONY, *La mort et les funérailles de Philippe le Bel d'après un compte rendu à la cour de Majorque,* dans *Bibliothèque de l'École des chartes*, 1897, pp. 5-14 et surtout 11 ; (c'est M. Alain Erlande-Brandenburg qui m'a signalé ce texte peu connu). Il est beaucoup question de fourrures pour les vêtements de Philippe V le Long et de Jeanne de Bourgogne (Comté) lors de leur sacre à Reims, le 9 janvier 1317 (Premier compte de Geoffroi de Fleuri argentier du roi Philippe le Long pour les six derniers mois de l'année 1316, dans Louis DOUËT D'ARCQ, *Comptes de l'argenterie des rois de France au XIV^e^ siècle,* Paris, 1851, pp. 9-72). Mais il y aurait beaucoup de commentaires à faire là-dessus. Les manteaux de Jean II le Bon et Charles V ignorent tout de la fourrure (DOUBLET, *Histoire,* pp. 369 et 370 ; ils furent sacrés en septembre et en mai).
[^125]: -- (56). Les vêtements de Jean II le Bon et Charles V comprennent la dalmatique, cf. DOUBLET, *ibidem.* Pour Charles V, cf. LABARTE, *Inventaire,* pp. 352 et 353 : il y a effectivement pour ce roi une tunique, une dalmatique, un « soq » (c'est le manteau du genre chlamyde venant des Carolingiens et de l'antiquité), des sandales, des souliers (n^os^ 3443-3447). Le plus curieux est que l'*ordo* de Charles V ne parle pas de dalmatique, ce qui prouve son archaïsme en 1365 (LEROY, *Le livre,* p. 617). Jean GOLEIN dans son *Traité du sacre* ne parle pas non plus de dalmatique, mais c'est sans doute le roi lui-même qui rajoute le nom de ce vêtement dans une note sur son exemplaire personnel (cf. Richard A. JACKSON, *The* « *Traité du sacre* » *of Jean Golein* publié dans *Proceedings of the American philosophical Society*, Philadelphie, vol. 113, n° 4, 15 août 1969, pp. 305-324 et surtout p. 314). La traduction française du XV^e^ siècle de l'*ordo* de Sens qui est de vers 1300, hésite encore en parlant des vêtements. Ainsi « la tunique ou dalmatique... faite en manière de chasuble (sic), de laquelle les sous-diacres sont vestus à la messe (resic)... » (GODFFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 3) et avant de parler du manteau il évoque « les dalmatiques » (p. 7).
[^126]: -- (57). Jean DU TILLET, *Recueil des rois de France,* B.N., ms. fr. 2848, f° 20 (CHLOTAIRE LE PREMIER) et f° 23 (SIGEBERT LE PREMIER).
[^127]: -- (58). Bon observateur, Roger de Howden (de Hovedene) nous donne un *ordo* détaillé dans lequel on voit Richard recevoir une dalmatique sur ta tunique (MARTÈNE, *De antiquis Ecclesiae ritibus*, t. 2, col. 600-601).
[^128]: -- (59). MARTÈNE, *ibidem,* col. 623. Sa traduction en français au XV^e^ siècle donne de façon générale : « semées par tout de fleurs de lys d'or » (GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 3).
[^129]: -- (60). DOUBLET, *Histoire,* pp. 369-370 ; LABARTE, *Inventaire*, pp. 352-353. On peut se donner une idée de cela en regardant les fleurs de lys d'or brodées sur un taffetas bleu de la chemise du *Psautier de Paris* (fin XIV^e^ début XV^e^ siècle, Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 1186 reproduit en couleurs sur couverture du *Siècle de saint Louis,* Paris, Hachette, 1970).
[^130]: -- (61). Les vêtements d'Henri II ignorent le velours, le manteau de satin bleu n'ayant d'ailleurs pas d'hermine. Par contre, le manteau d'Henri IV est en velours violet et doublé d'hermine (cf. DOUBLET, *Histoire,* p. 370).
[^131]: -- (62). Cf. Michel FÉLIBIEN, *Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France*, Paris, 1706, planche III du trésor, G. La fleur de lis couverte de pierreries est inscrite dans un losange et c'est là sans doute le souvenir : 1°) des fleurs de lis que l'on trouve au sommet des sceptres de Louis VII, de Philippe II Auguste et de Louis VIII sur leur sceau de majesté : elles sont inscrites dans un losange ou mâcle pommeté (DOUËT D'ARCQ, *Collection de sceaux* \[des Archives impériales puis nationales\], Paris, 1863, n^os^ 36, 38, 40) ; 2°) du tissu des vêtements du sacre, les fleurs de lis semées pouvant fort bien s'inscrire dans un réseau losangé, ainsi que le montre OPPENHEIMER, *Frankish themes,* p. 201 etc. mais ce qui n'entraîne pas qu'il faille adopter son idée que la fleur de lis dérive graphiquement de la colombe du Saint-Esprit.
[^132]: -- (63). Pierre VERLET, *La galerie d'Apollon et ses trésors. Guide sommaire*, Paris, 1947, p. 9 : « La bague dite de saint Louis... est probablement née d'une pieuse intention de l'un de ses descendants, peut-être Philippe le Bel. « C'est le sinet du roi saint Louis », affirme une inscription niellée à l'intérieur de l'anneau. Mais le signet ou chaton est formé d'une aigue-marine, gravée d'une figurine de Louis IX, qui est représenté la tête entourée du nimbe, ce qui reporte au XIV^e^ siècle, tout au plus, la fabrication de cette bague, jadis conservée au trésor de Saint-Denis ». Cf. DOUBLET, *Histoire*, p. 346 : « Le riche anneau d'or (neeslé en verge demy ronde, semé de fleurs de lys) du Roy S. Louys, garny d'vn beau & grand saphir quarré en table, & sur iceluy vne image grauee d'vn Roy, & aux deux costez de la teste vne S. & vue L. & est escrit dedans ledit anneau, *C'est le signet du Roy S. Louys *» ; FÉLIBIEN, *ibidem,* O ; Henry BARBET DE JOUY, Jules JACQUEMART, *Musée impérial du Louvre. Les gemmes et joyaux de la couronne*, Paris, 1865, t. 1, pl. 11 ; H. D. FROMANGER, *Bijoux et pierres précieuses*, Paris, 1970, p. 83, etc. Alfred DARCEL a dit que le travail était en grande partie du XV^e^ siècle (*Musée national du Louvre, département de la sculpture et des objets d'art du moyen âge, de la Renaissance et des temps modernes, série D. Notice des émaux et de l'orfèvrerie*, Paris, 1883, p. 573, D. 947). Il était visiblement frappé par le fait que le roi porte un globe en sa senestre (la droite pour lui car il n'imagine pas l'empreinte) ce qui lui faisait penser à Louis XII, le premier de nos rois ayant porté globe (mais comme roi de Sicile !). Si on met de côté l'anneau lui-même, on ne peut qu'être plein de doutes quand on voit la gravure, telle qu'elle s'offre aux regards sur un agrandissement photographique d'une empreinte effectuée par M. Yves METALAN, chef du service des sceaux aux Archives nationales. Le roi debout posé sur un socle a une tête très grosse (la hauteur est d'environ 4,5 fois plus grande que la tête) ; sa couronne est à 3 fleurons visibles, le manteau est court, la tunique semble avoir une manche dextre fort tombante ; le petit sceptre tenu dans la dextre est fleurdelisé avec un haut de pétal médian assez pointu et le globe tenu dans la senestre est simple, sans rien pour le surmonter ; le nimbe est un cercle fin qui a peu de place pour passer entre le haut de la couronne et le bord de la pierre. Les lettres S et L peuvent vouloir dire *Sigillum Ludovici* comme *Sanctus Ludovicus*. Comme l'ensemble paraît du XVI^e^, on est porté à se demander si nous n'avons pas là un signet de Louis X le Hutin (sceau de Louis) transformé lors du montage sur un anneau travaillé à la fin du moyen âge et du don à l'abbaye de Saint-Denis, en souvenir de saint Louis par adjonction d'un nimbe ? Le globe fait évidemment difficulté et semblerait indiquer plus un empereur comme « Saint » Charlemagne (le nimbe étant alors d'origine) qu'un roi Capétien : « C'est dans la seconde moitié du XIV^e^ siècle que le culte de Charlemagne fut introduit à la Cour de France... » (Robert FOLZ, *Aspects du culte liturgique de saint Charlemagne en France*, extrait de *Karl der Grosse*, t. 4, *Das Nachleben,* Dusseldorf, 1966, p. 78). Aurait-on alors transformé le Carolingien en Capétien par le SL qui indiquerait saint Louis ? A vrai dire, Charlemagne est connu pour avoir l'épée dans sa dextre s'il a le globe dans sa senestre (cf. par ex. note 75), mais la statuette en haut du sceptre de Charles V montre le saint empereur portant sceptre fleurdelisé et globe crucifère... cependant la couronne est fermée. On a donc ici, s'il s'agit de Charlemagne, un « monument » antérieur à Charles V (couronne ouverte). On peut considérer le fait que l'on trouve au XIII^e^ siècle des rois figurés avec le sceptre et le globe : cf. Dagobert peint en 1250 dans une *Vie et histoire de saint Denys* (B.N., n.a. fr. 1098, f° 54, reproduit dans H. OMONT, *Vie*..., pl. XXVI) et Salomon dans le *Second petit psautier de saint Louis* (cf. Léopold DELISLE, *Notice de douze livres royaux du XIII^e^ et du XIV^e^ siècle*, Paris, 1902, n° V et pl. X). Enfin, il est bon de se demander si Louis X le Hutin ne s'est pas fait représenter comme « empereur en son royaume », la formule datant du règne de son père, ou encore comme héritier des prétentions impériales de ce dernier et ce serait ainsi un signet réservé aux « affaires étrangères » : le règne fut court et on a peu de renseignements sur lui... On sait qu'Henri VII avait indisposé Philippe le Bel avec ses prétentions universelles et l'on verrait très bien Louis X affirmer discrètement ses ambitions par un insigne (qui enseigne) tout comme saint Louis montrait à tous et sans fracas, qu'il était bien du sang de Castille par la profusion des châteaux partout mêlés aux fleurs de lis de France (cf. *L'héraldique de saint Louis et de ses compagnons*).
[^133]: -- (64). DOUBLET, *ibidem,* p. 341 ; FÉLIBIEN, *ibidem,* M.
[^134]: -- (65). DOUBLET, *ibidem,* p. 367 et passim, car \[elle\] tient un grand rôle dans l'abbaye ; FÉLIBIEN, *ibidem,* P. \[lacune\]
[^135]: -- (66). DOUBLET, *ibidem,* p. 368 ; FÉLIBIEN, *ibidem,* K pour la seule main ; l'ensemble des objets donné p. 1242.
[^136]: -- (67). GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 193.
[^137]: -- (68). Pierre VERLET, *La galerie d'Apollon et ses trésors, guide sommaire*, Paris, 1947, pp. 19, 20.
[^138]: -- (69). Jean Adam DELSENBACH, *Délinéation exacte des orneméns impériaux du saint empire romain et allemand. Gardés dans la ville libre et impériale de Nuremberg*, Nuremberg, 1790, Tab. IV (= 7) ; ils seraient du XIII^e^ siècle selon lord TWINING, *A history of the crown jewels of Europe*, Londres, B.T. Batsford ltd, 1960, p. 345. Les éperons n'apparaissent en Angleterre qu'en 1189, lors des obsèques d'Henri II et au sacre de Richard Cœur de Lion (TWINING, *European regalia*, *ibidem*, 1967, p. 263).
[^139]: -- (70). *Inventaire de 1534-1634,* B.N., ms. fr. 4611, f° 205. Si les boucles d'or à têtes de lion sont anciennes, elles seraient un souvenir de la symbolique de la tribu de Juda : « Juda est un jeune lion » (Genèse 49, 9)... « Le lion de la tribu de Juda » (*Apocalypse* 5, 5).
[^140]: -- (71). *L'ancienne couronne française* « *de Charlemagne *», *cf*. n. 50.
[^141]: -- (72). Le thème de l'arbre gardé se trouve dans la décoration du Temple de Salomon (« Et omnes parietes templi per circuitum sculpsit variis caelaturis et torno ; et fecit in eis cherubim, et palmas, et picturas varias*... *» III ou I *Rois* 6, 29, etc.) et plus précisément dans le Temple idéal prévu par Ézéchiel (« Et fabrefacta cherubim et palmae, et palma inter cherub et cherub... » *Ézéchiel*., 41, 18). Cf. André PARROT, *Le Temple de Jérusalem*, Neuchâtel -- Paris, 1954, p. 48. Il ne faut pas oublier qu'un autre ornement des objets du Temple était employé par les Capétiens, les lis (cf. n. 49).
[^142]: -- (73). Les fleurs de lis dans un réseau losangé apparaissent sur la tunique de Louis VII figuré gisant sur sa tombe, élevée par sa femme Alaïs de Champagne dans l'abbaye Sainte-Marie de Barbeau. A ce sujet, cf. peinture de Gaignières dans B.N., Estampes, Oa 9 / Fol., f° 31 ; BOUCHOT, *Inventaire*, t. 1, p. 8, n° 53 ; gravé dans MONTFAUCON, *Monumens*, t. 2, pl. XII et cf. p. 70 ; cf. *L'ancienne couronne...* RIGORD déclare qu'on n'a jamais vu de pareil comme splendeur depuis... Salomon !
[^143]: -- (74). Guy Francis LAKING, *A record of European armour and arms through seven centuries,* Londres, 1920, t. 1, pp. 89-94.
[^144]: -- (75). Le décor actuel date de Charles X. Roger de Howden montre que les trois épées présentes au sacre de Richard Cœur de Lion en 1189 étaient avec des fourreaux décorés : « Tres gladios aureos regios sumptos de thesauro regis, quorum vaginae desuper per totum auro contexte erant » (MARTÈNE, *De antiquis Ecclesiae ritibus*, t. 2, col. 600). En 1517, lors du sacre de Claude de France, l'épée « de Charlemagne », dite à tort « de Clouis » est décrite : « Une espée royale, ayant le fourreau & ceinture de veloux bleu, semé de fleurs de lys d'or » (GODEFROY, *Cérémonial*, t. 1, p. 474 ; cf. Hervé PINOTEAU, *Une représentation du sacre de Claude de France* (*1517*) *et quelques considérations préliminaires sur les* « *insignes de Charlemagne* », paru dans *Hidalguia*, Madrid, an XIX, mayo-junio 1970, pp. 313-336 et pour l'épée p. 325). L'art a presque toujours associé l'épée à la figure de Charlemagne : elle se trouve généralement dans sa dextre, sa senestre ayant le globe. Cette coutume remonterait au XIII^e^ siècle, puisque le seul roi accompagné d'un nom sur les vitraux de la nef de Reims est KAROLVS, il ne tient que l'épée qui est dans sa senestre, la dextre accomplissant le geste de tenir le cordon horizontal du haut du manteau (Hans REINHARDT, *La cathédrale de Reims...,* Paris, Presses universitaires de France, 1963, p. 190, pl. 45). Le seul roi Charles sacré à Reims avant Charles IV le Bel au début du XIV^e^ siècle, est Charles III le Simple, le 28 janvier 893... mais dans l'abbaye Saint-Remi ! On peut penser que le grand Charles par excellence, était bien, au moyen âge, Charlemagne et non Charles III ; il figurait sur les vitraux de Chartres et de Strasbourg (en effet, pour Rita LEJEUNE, Jacques STIENNON, *La légende de Roland dans l'art du moyen âge*, Bruxelles, 1966, t. 1, pl. III en couleurs, le souverain en majesté du Musée de l'œuvre de la cathédrale, vitrail datant de 1190-1200, ne serait autre que Charlemagne accompagné de Roland et Olivier, le premier portant l'épée de l'empereur).
[^145]: -- (76). Six pieds cela fait presque 1,95 m.
[^146]: -- (76 bis) Signe de grâce et d'élection, la « virga Aaron » est fleurie en *Nombres* 17. Sur le vitrail de Chartres, au-dessous de la rose « de France », transept nord, Aaron porte une verge terminée d'une longue touffe de feuilles vertes issante d'une sorte de chapiteau bleu (par exemple, en couleurs, dans Alphonse DIERICK, *Les vitraux de Chartres,* coll*.* « Orbis pictus », Lausanne, Payot, pl. XIII). On ne peut que penser au court sceptre feuillu tenu par Louis VII sur son gisant de Barbeau (cf. n. 73). Le roi Salomon du même ensemble chartrain a un sceptre mi-long terminé par un motif plus simple que celui que l'on peut voir sur le sceau de majesté (*ibidem,* pl. XII).
[^147]: -- (77). Pour Philippe IV et Philippe VI voir le texte des notes prises lors de l'exhumation faite à Saint-Denis en août 1793 ; ce texte facilement consultable dans CHATEAUBRIAND, *Œuvres complètes*, nlle éd., Paris, Garnier 1859-1939, t. 2 : *Le génie du christianisme*, pp. 638, 640 (on trouve alors des sceptres de 5 à 7 pieds !). Pour le sceptre de Philippe IV, sans aborder la question de l'aquarelle et de sa photographie, voir le sommet reproduit gravé dans : Jean REY, *Histoire du drapeau, des couleurs et des insignes de la monarchie française,* Paris, 1837, t. 2, pl. XXII, n° 286 et pp. 380-381. Pour le sceptre de Jeanne de Navarre, cf. un manuscrit de Raymond LULL (*Breviculum ex Artis Remondi electum, ad preceptum regine Francie et Navarre*, abrégé de son *Ars generalis ;* photographie dans Wilhelm BRAMBACH, *Des Raimundus Lullus Leben und Werke in Bildern des XIV. Jahrhunderts,* Karlsruhe, 1893, pl. XII : c'est un folio du ms. 92 de la bibliothèque alors grand-ducale de Bade à Karlsruhe, provenant du monastère de Saint-Peter en Forêt Noire). Ce long sceptre dérivé de celui que Zeus-Jupiter portait sommé d'un aigle avait une signification de liaison entre le ciel et la terre, le ciel pouvant être l'orage, évoquant les éclairs, la pluie fécondante, etc. cf. *Sagesse* 5, 21 ; *Psaume* 18/17, 10 sq. ; *Psaume* 29/28... ; *Exode* 19, 16 sq. ; les poètes des temps carolingiens aimeront parler du Dieu Tonnant ; cf. la liturgie de la Pentecôte ; cf. Hervé PINOTEAU, *Les origines de l'héraldique capétienne* et *Quelques réflexions sur l'œuvre de Jean du Tillet.* Il se peut qu'*Isaïe* 11, 1-2 ait légitimé la présence de l'oiseau sur le sommet du sceptre fleuronné, en des paroles célébrant le roi juste : « Et egredietur virga de radice Jesse, et flos de radice ejus ascendet. Et requiescet super eum spiritus Domini : spiritus sapientiae et intellectus, spiritus consilii et fortitudinis, spiritus scientiae et pietatis ; et replebit eum spiritus timoris Domini ». Le Maistre de Saci traduit : « Il sortira un rejetton de la tige de Jessé, & une fleur naîtra de sa racine (au vendredi des IV temps de l'Avent, des *Missels* traduisent : et une fleur s'élèvera de sa racine... une fleur s'épanouira au sommet de la tige). Et l'Esprit du Seigneur se reposera sur lui ; l'esprit de sagesse & d'intelligence, l'esprit de conseil & de force, l'esprit de science & de piété, & il sera rempli de l'esprit de la crainte du Seigneur ». Il y a donc là les sept dons du Saint-Esprit pour le roi à venir qui est le Messie.
[^148]: -- (78). Ce sceptre doit être un bâton surmonté d'un bijou ancien, cet assemblage ayant été sans doute fait pour commémorer la légende du sauvetage de l'âme de Dagobert. La reine Jeanne de Bourbon, épouse de Charles V, dut être investie de ce sceptre lors de son sacre. Était-ce là, dès autour de 1200, le sceptre de la reine que l'on sait être différent de celui du roi ?
[^149]: -- (79). La coudée sert pour mesurer l'arche et le tabernacle (*Exode* 25 et 26), le Temple de Salomon (III ou I *Rois* 6 et 7), le Temple idéal prévu par Ézéchiel (*Ézéchiel*., 40-43), le découpage idéal du pays réservé, etc. (*ibidem* 48), le rempart de la Jérusalem céleste (*Apocalypse* 22, 17). Pour la *Bible de Jérusalem*, la coudée fait 44 cm., sauf celle d'Ézéchiel qui a 52 cm. Crampon dit que la coudée équivaut à la longueur de l'avant-bras ; celle employée pour le tabernacle et le Temple est la grande coudée, ou coudée sacrée de 52,5 cm., la vulgaire, ou petite coudée n'ayant que 45 cm.... il arrondit ses estimations à 50 cm.
[^150]: -- (80). GODEFNOY, *Cérémonial,* t. 1, p. 125 citant SUGER ; cette relation un peu précise ne montre pas que Louis VI fut fait chevalier (il l'était depuis 1098) mais simplement qu'on lui changea l'épée séculière pour lui en donner une autre chargée de signification morale. Il sera disserté ailleurs sur les termes de « sceptrum, baculus, virga » que l'on trouve souvent associés dans la *Bible*.
[^151]: -- (81). L'art est pour ainsi dire à la traîne avec cet objet, tellement original qu'il sera pour des siècles l'apanage du roi de France. Le sceau du couvent de Saint-Louis d'Évreux, pour les dominicains, et qui fut dédié à ce roi en 1299, le montre nimbé, siégeant en majesté, tenant le long sceptre fleuronné à dextre et la verge surmontée de la main à senestre (J. CHARVET, *Description des collections de sceaux-matrices de M^e^ E. Donge,* Paris, 1872, p. 51, n° 79 et pl. 1, n° 1). C'est Louis X le Hutin qui inaugure sur son sceau de majesté le port de la verge à la main en 1315 et sans doute dès 1314 (DOUËT D'ARCQ, *Collection de sceaux,* n° 49).
[^152]: -- (82). *Psaume* 47, 11 dans la *Vulgate*.
[^153]: -- (83). Ce que l'on peut voir de la main de justice « de saint Louis » (FÉLIBIEN, *Histoire,* pl. III, K) n'autorise pas à y voir un objet très ancien. Pour la main de justice « de Charlemagne » on verra les images données par FÉLIBIEN, *Histoire,* pl. IV, S ainsi que l'aquarelle de Gaignières dans le recueil de la B.N., Estampes, Oa 9/Fol., f° 13 (cf. Henri BOUCHOT, *Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaignières....* Paris, 1891, n° 35) reproduite inversée (!) par Bernard DE MONTFAUCON, *Les monumens de la monarchie Françoise,* Paris, 1729, t. 1, pl. III. Ces représentations et le texte des *Inventaires de 1534-1634* ne semblent pas favorables au XIII^e^ siècle.
[^154]: -- (84). Au sujet de la couronne « de Charlemagne » et comme premières idées sur la « sainte couronne », cf. mon article *L'ancienne couronne française de* « *Charlemagne* ». Les princes (rois) d'Israël avaient tiare et couronne (dit *B. de J. ; Vulgate :* « Aufer cidarim, tolle coronam » en *Ézéchiel* 21, 26).
[^155]: -- (85). DOUBLET, *Histoire,* p. 910.
[^156]: -- (86). DOUËT D'ARCQ, *Collection de sceaux*, n^os^ 41, 42.
[^157]: -- (87). B.N., ms. lat. 1246, f^os^ 16 v°, 26 (pp. 35, 51, pour Leroquais). BLOCH, *La société féodale,* pl. VI. L'onction royale : pour lui le manuscrit est du début du XIV^e^ siècle, mais « les miniatures (sont) peut-être copiées sur des modèles un peu plus anciens ».
[^158]: -- (87 bis) Cf. n. 48 sur la représentation dans MONTFAUCON ; Meredith Parsons LILLICH, *An early image of saint Louis* dans *Gazette des beaux-arts*, avril 1970, p. 251-256. Le vitrail a été restauré, mais sans conséquence pour l'article. L'église Saint-Pierre est l'ancienne chapelle de l'abbaye bénédictine de Saint-Père-en-Vallée.
[^159]: -- (88). L'*ordo* d'Erdmann ou des Francs de l'ouest, qui est de vers 900, indique que l'on donne au roi « sceptrum » et « baculum », c'est-à-dire un sceptre court (qualifié de « virga » dans la prière) en ce cas et le long sceptre que l'on peut comparer à la crosse de l'évêque (Pierre DE LA LANDE, *Conciliorvm antiqvorum Galliae a Iac. Sirmondo s.I. editorvm svpplementa nvnc prodevnt*, Paris, 1666, p. 356). Cf. l'aquarelle de Gaignières (B.N., Estampes, Oa 9/Fol., 53 et Manuscrits, Clairambault, t. 632, f° 124 ; Henri BOUCHOT, *Inventaire*, n° 72 « peint au XV^e^ siècle ? » et n° 7028) et la gravure de MONTFAUCON (*Monumens*, Paris, 1730, t. 2, pl. XX et pp. 154-155). Le texte du vitrail dit que le personnage couronné en arrière plan est le roi d'Angleterre, mais il n'était pas là. Ce doit être Jean de Brienne, roi de Jérusalem *in partibus*. Pour Suzanne MOREAU-RENDU, *Le prieuré royal de Saint-Louis de Poissy*, Colmar, 1968, p. 53, les verrières ne devraient probablement pas être de beaucoup antérieures à 1330. Pour Alain ERLANDE-BRANDENBURG, le vitrail est plus tardif : « il ne paraît pas antérieur au XV^e^ siècle » (*La priorale Saint-Louis de Poissy*, dans *Bulletin monumental*, Paris, 1971, t. 129-II, p. 111, n. 4). Question à suivre...
[^160]: -- (89). Paris, A.N., JJ 57 (= AE II 327). Souvent montré dans les diverses expositions et comme sa seconde cote l'indique, fait partie du *Musée de l'histoire de France*. Cf. Jean-Pierre BABELON, *Musée de l'histoire de France,* II *Salle du moyen âge. Catalogue*, Paris, 1960, p. 20.
[^161]: -- (90). Auguste LONGNON, *Documents parisiens sur l'iconographie de saint Louis... d'après un manuscrit de Peiresc*.... Paris, 1882, pp. 32-34 et pl. VII-IX. Voir aussi la notice sur le manuscrit original Léopold DELISLE, *Notice de douze livres royaux...,* n° X.
[^162]: -- (91). La partie du manteau devant le roi montre 5 fleurs de lis complètes dans la hauteur et 3 fleurs de lis complètes, en haut, au cou, dans la largeur.
[^163]: -- (92). Bibliographie indiquée dans le catalogue de *La France de saint Louis*, n° 26, pp. 32-33, avec un écho de la controverse : saint Louis ou Philippe IV le Bel ?
[^164]: -- (92 bis) Les fleurs de lis sont grandes par rapport au vêtement ; il y a analogie avec celles figurant sur le futur Louis VIII, équestre, de la cathédrale de Chartres. Le visage de l'homme est devenu noir.
[^165]: -- (92 ter) L'ensemble est très restauré en 1834-1835. De dextre vers senestre : un roi couronné et tenant sceptre, avec manteau rouge et tunique verte ; un évêque ; une reine ? ; un évêque ; le roi chevalier au centre ; un évêque ; une reine du XIV^e^ s. ? ; un évêque ; un roi couronné avec un sceptre et un manteau rouge uni. S'agit-il de Philippe, II Auguste, Marguerite de Provence, S. Louis, Blanche de Castille et Louis VIII ? Ou de Clovis, Ste Clotilde, S. Louis, Blanche de Castille et Louis VIII ? Nul n'en saura sans doute jamais rien. Il n'existe aucune bonne reproduction de cet ensemble et le mieux est d'aller dans la cathédrale avec de fortes jumelles, ce que j'ai fait. REINHARDT, *La cathédrale de Reims,* p. 193, dit que le roi du triforium de la façade occidentale qui tient l'épée est couronné. Pour lui, il s'agit d'une scène du sacre, « le jeune roi accompagné de l'archevêque de Reims, de la reine et des pairs laïcs et ecclésiastiques du royaume » !
[^166]: -- (93). Travaux de Percy Ernst SCHRAMM évoqués par l'ouvrage de Robert FOLZ, *Le couronnement impérial de Charlemagne,* coll., Trente journées qui ont fait la France, n° 3, Paris, Gallimard, 1964, p. 257.
[^167]: -- (94). Cf. l'article évoqué note 51.
[^168]: -- (95). Cf. article *Autour de la bulle Dei Filius*, pp. 117-118. Le terme de « maison de France » peut être trouvé avant la bulle de canonisation de saint Louis, puisqu'on le lit en 1277 : « divina et regia domus Franciae ». Ce n'est pas un Français qui écrit cela, mais un Italien ! Cf. Luigi COLINI-BALDESCHI, *Rolandino Passagerii e Niccolo III*, dans *Studi e memorie per la storia dell' Università di Bologna*, t. 8, 1924, p. 181... cité par Ernst H. KANTOROWICZ, *The king's two bodies...*, Princeton, Princeton University press, 1957, p. 252, n. 183. Il ne m'est pas possible, malgré tout ce que j'ai écrit sur la symbolique française issue de la *Bible* et même du Temple, d'admettre la théorie de Jean BABELON, exprimée dans son article *La monnaie de saint Louis* paru dans l'ouvrage collectif *Le siècle de saint Louis*, p. 87. Selon cet auteur, le châtel tournois de nos monnaies devient sous Louis VII un véritable Temple de Jérusalem, avec ses deux colonnes Yakîn et Boaz bien détachées de part et d'autre. A vrai dire, c'est Philippe II Auguste qui ayant pris la Touraine à Jean sans Terre (1203-1205), frappe deux monnaies où apparaît le curieux édifice d'ailleurs surmonté d'une croix, ce qui prouve déjà qu'il doit s'agir d'un édifice chrétien, sans doute Saint-Martin de Tours (Jean LAFAURIE, *Les monnaies des rois de France*, t. 1 *Hugues Capet à Louis XII*, Paris-Bâle, 1951, pl. VII, n° 193 avec SCS MARTINVS et n° 194 avec TVRONVS CIVI). On est là devant l'une des nombreuses variantes du temple antique tétrastyle, orné de croix, évoquant la religion chrétienne et qui fut inauguré par Charlemagne. Ses successeurs carolingiens et capétiens l'utilisèrent plus ou moins déformé (frappes de Laon, Soissons, Sens, Montreuil-sur-Mer, etc. d'Hugues Capet à Louis VII). On est donc bien loin du verre du III-IV^e^ siècle trouvé dans une tombe juive, orné d'une représentation du Temple et que nous montrent plusieurs auteurs dont VINCENT, *Jérusalem*, t. 2-3, p. 431, fig. 136 : S'il ne s'agit pas d'un édifice chrétien, ce qui est possible, c'est alors le résultat d'une incroyable évolution graphique, comme peut en offrir une série de monnaies médiévales... Évolution qui transformera par la suite ce châtel tournois en couronne !
[^169]: -- (96). Il sera disserté sur cette question par ailleurs, au sujet d'un insigne du pouvoir autrefois bien connu en France, « la sainte couronne ». On doit lire du R.P. dom Édouard GUILLOU M.B., *Francia coronatur*, dans *Nouvelles de chrétienté*, Paris, n° de la Pentecôte 1960.
[^170]: -- (97). GUILLAUME DURAND, *Rational ou manuel des divins offices...,* Paris, 1854, t. 1.
[^171]: -- (98). Le sacre est *un rite de mise à part* de l'homme (il est élevé au-dessus des autres et de sa propre condition) pour qu'il soit un médiateur entre le ciel, Dieu et les hommes (d'où le trône au-dessus d'un échafaud) et *un rite de transformation* de l'homme. Il y a là quelque chose de mystérieux et Guillaume Durand parlant du prêtre n'hésite pas à dire que l'on ne doit pas révéler tous les mystères au peuple, ce qui est en quelque sorte la négation du catholicisme ! (*ibidem*).
[^172]: -- (99). p. 240, note b : Benoît VIII a parlé en 1023 d'une planète de pourpre ornée de 12 sonnettes d'or en bas.
[^173]: -- (1). Mais, assurément, ce n'est point pour cette seule raison qu'il n'en existe pas chez nous (du moins jamais sous ce titre).
[^174]: -- (2). Sauf ce mois-ci, -- à part « le calendrier » et quelques « annonces ». Mais on peut relire les *Avis pratiques* de janvier, de février et de mars : ils contiennent la réponse à bien des questions pratiques actuellement agitées (N.D.L.R.).
[^175]: -- (1). L'analogie peut paraître un peu osée, mais nullement obscure ; au cas où je me tromperais, une relecture du *Memento* de Jean Madiran sur la doctrine des trois degrés d'abstraction lui fera perdre du moins toute ambiguïté : ITINÉRAIRES, n° 156 de septembre-octobre 1971.
[^176]: -- (1). Mgr Boillon, on ne l'a pas oublié, fut de ceux qui opposèrent à l'oukase du 8 mars 1971 -- par lequel le Conseil permanent de l'épiscopat prétendit rendre obligatoire une version falsifiée de l'épître du dimanche des Rameaux -- une sorte de soupçon de résistance : « Une résistance timide, débile, presque imperceptible... » (*Itinéraires*, n° 153 de mai 1971, p. 55). Ce qui certes n'est pas rien, mais semble tout de même bien chichement mesuré, au regard de la réaction qu'on va lire. Il est vrai que, dans cette affaire, l'Écriture reste hors de cause ; seuls les propos radiodiffusés de Monseigneur l'Évêque...
[^177]: -- (1). C'est nous qui soulignons, dans tout ce texte.
[^178]: -- (1). Je n'entends pas du tout dire qu'une telle proposition devait *nécessairement* engendrer l'équivoque : le prêtre au contraire n'est-il pas (normalement)) le seul qui puisse se dire « a-politique » sans laisser place à aucune obscurité ? C'est la suite, on le voit bien, qui crée ici l'équivoque manifeste -- pour ne pas dire le mensonge.
[^179]: -- (1). *Bis*, mais à vrai dire on ne s'en lasse pas...
[^180]: -- (1). Celles qui contiennent les plus explicites et les plus précises condamnations du communisme et du socialisme : *Qui Pluribus*, Pie IX, 9 novembre 1846 ; *Quod Apostolici*, Léon XIII, 18 décembre 1878 ; *Humanum Genus,* Léon XIII, 20 avril 1884 ; *Rerum novarum*, Léon XIII, 15 mai 1891 ; *Quadragesimo Anno,* Pie XI, 15 mai 1931 ; et enfin surtout *Divini Redemptoris,* Pie XI, 19 mars 1937.
[^181]: -- (1), Roger Caillois, *Pour un dialogue entre les sciences*, dans *Le courrier du C.N.R.S.,* 1971, p. 4.
[^182]: -- (2). *Ainsi parlait Zarathoustra,* IV^e^ partie, *La sangsue* (trad. Albert, Paris, Mercure de France, 1946, p. 290). Nietzsche continue : « Qu'importe qu'il soit petit ou grand ? Qu'il s'appelle marécage ou bien ciel ? Un morceau de terre large comme la main me suffit, pourvu que ce soit vraiment de la terre solide. -- Un morceau de terre large comme la main, on peut s'y tenir debout. -- Dans la vraie science consciencieuse, il n'y a rien de grand et rien de petit. »
[^183]: -- (3). *Op. cit.*, p. 291.
[^184]: -- (1). Kant, *Critique de la raison pure,* trad. Trémesaygues, p. 558 ss.
[^185]: -- (2). *Op. cit.,* p. 97.
[^186]: -- (3). *Le pragmatisme*, trad. Brun, Paris, Flammarion, 1926, p. 125.
[^187]: -- (4). Même ceux qui admettent que la pluralité n'est qu'apparente et qu'au cœur des choses, c'est l'unité qui règne, même ceux-là ne nient pas absolument la pluralité.
[^188]: -- (1). E. Weil, *La philosophie est-elle scientifique ?* dans *Archives de philosophie,* juillet-septembre 1970, p. 354.
[^189]: -- (2). *Critique de la raison pure,* 3° analogie de l'expérience : « Toutes les substances, en tant qu'elles peuvent être perçues simultanées dans l'espace, sont dans une action réciproque universelle » (p. 195).
[^190]: -- (3). L. Brunschvicg, *L'expérience humaine et la causalité physique,* p. 203 : « Suivant quel critérium déciderons-nous qu'un phénomène donné dans une série est assez éloigné dans l'espace et le temps pour que nous l'en déclarions indépendant ? Je vois, dans mon jardin, des feuilles qui tombent ; cela me suffit-il pour deviner que la masse totale de la planète est intéressée à ce phénomène ? Je regarde un morceau de charbon brûler dans ma cheminée ; est-ce assez pour comprendre que je récupère à mon profit une chaleur jadis fournie par les soleils préhistoriques ? »
[^191]: -- (1). On sait que la micro-physique et la relation d'incertitude de Heisenberg n'ont nullement obligé à abandonner la croyance au déterminisme.
[^192]: -- (2). Bachelard, *Le nouvel esprit scientifique,* p. 142.
[^193]: -- (3). Kant, *Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science,* trad. Gibelin, Paris, Vrin, 1963, p. 106.
[^194]: -- (1). Même lorsqu'on prétend que tout ce qui existe se ramène à la matière, on ne fait pas pour autant œuvre de science, car celle-ci n'autorise absolument pas une telle extrapolation. Cf. ce que nous avons dit sur « l'un et le multiple » dans notre deuxième chapitre.
[^195]: -- (2). Rappelons qu'il s'agit d'une nécessité non pas absolue, mais hypothétique, conditionnelle, relative. Il n'est pas nécessaire qu'il existe de l'eau et de la chaleur ; mais, ces réalités une fois existantes avec les structures qui les définissent, il est nécessaire que l'eau bout à 100°.
[^196]: -- (3). On peut même dire que, dans les sciences, la notion d'antériorité, importante quand il s'agit du rapport de cause à effet, joue un rôle assez restreint : la loi scientifique n'est plus qu'une relation constante, quel que soit le type de relation.
[^197]: -- (4). La plupart des lois physiques expriment des relations fonctionnelles ; celles-ci peuvent revêtir différentes formes : fonction linéaire, homographique, parabolique, exceptionnelle, etc.
[^198]: -- (5). Bergson, *La pensée et le mouvant*, passim.
[^199]: -- (1). E. Cassirer, *Das Erkenntnisproblem in der Philosophie und Wissenschaft der neueren Zeit*, Berlin, 1906, t. II, p. 230.
[^200]: -- (2). *Le gai savoir*, trad. Vialatte, N.R.F., 1950, I, et 46, p. 87. Nietzsche poursuit : « Nous sommes si persuadés de l'incertitude et de la folie de nos jugements et de l'éternelle transformation des lois et des idées humaines que nous sommes dans la stupéfaction de voir combien les résultats des sciences tiennent bon. »
[^201]: -- (1). Nous n'avons pas à nous occuper, pour l'instant, des nuances qui distinguent ces différents termes.
[^202]: -- (1). Cette thèse, dont on trouverait les prémisses chez Hume, est défendue par Nietzsche, par certains phénoménologues, tel Merleau-Ponty ; et le structuralisme nous en offre la plus récente mouture.
[^203]: -- (2). Cassirer, *Das Erkenntnisproblem,* II, p. 617.
[^204]: -- (3). E. Meyerson, « L'histoire du problème de la connaissance par Cassirer » dans *Revue de métaphysique et de morale,* 1911, p. 121.
[^205]: -- (1). Cassirer, *op. cit.,* II, p. 230.
[^206]: -- (2). On cite souvent la boutade d'un humoriste : « Le botaniste qui veut décrire l'artichaut décrit la tige, le fond, le foin. Le métaphysicien élimine tout cela et décrit le reste », la substance mystérieuse, dont on ne peut rien dire.
[^207]: -- (3). A propos de Boyle, physicien et chimiste irlandais du XVI^e^ siècle (1629-1691), Cassirer écrivait : « ...il a dévêtu la nature de son être substantiel et la considère uniquement comme le tout ordonné des phénomènes eux-mêmes » (*op. cit.,* II, p. 312) ; et encore : « la nature, selon Boyle, ne doit pas être imaginée comme un ensemble de forces par lesquelles les choses ont été produites, mais comme un ensemble de règles selon lesquelles elles naissent » (II, p. 530). Meyerson combat cette interprétation et prouve, textes à l'appui, que Boyle n'a jamais eu l'intention d'éliminer la notion de substance (*op. cit.,* pp. 122 124).
[^208]: -- (1). Sur l'impasse où conduit ce « relationnalisme » intégral, cf. les profondes remarques de N. Hartmann, dans *Les principes d'une métaphysique de la connaissance,* trad. Vancourt, Paris, 1946, t. I, pp. 219 ss.
[^209]: -- (2). Hartmann, *op. cit.,* pp. 192 ss.
[^210]: -- (3). On déclare parfois que l'opposition réalisme et idéalisme est dépassée ; rien n'est moins sûr. Autre problème dont la solution n'est pas de la compétence du savant : celui de la finalité.
[^211]: -- (1). Dans tout ce texte, c'est nous qui soulignons.
[^212]: -- (1). « Cette offrande prélevée sur les biens que tu nous donnes » dit le Canon de la nouvelle Messe.
[^213]: -- (1). Sur le PERC, voir tous renseignements dans notre numéro 155 de juillet-août 1971, pages 270-274, et dans notre numéro 159 de janvier 1972, pages 156-161. -- Soit dit en passant, la lecture attentive des pages indiquées répond suffisamment aux questions qui nous sont posées sur les activités dirigées par le PERC.
[^214]: -- (1). La lettre de Mme Françoise Lucrot à laquelle répond ainsi Georges Hourdin n'a pas été, à notre connaissance, rendue publique.