# 163-05-72
1:163
### Il y a dix ans dans "Itinéraires" en juin 1962
*En 1871 nous avions dû abandonner un million d'Alsaciens, sans compter les Lorrains, à la domination allemande. Mais nos armées étaient détruites et la France occupée. Aucun moyen de résister. Beaucoup de ces Alsaciens, pour rester Français, quittèrent l'Alsace et allèrent s'installer en Algérie.*
*Aujourd'hui, avec une armée victorieuse, nous abandonnons un million de Français à une domination étrangère, dont les descendants de ces Alsaciens.*
*Après 1871 la France entière fit un deuil de quarante ans sur l'Alsace. Jusqu'en 1918 la statue de Strasbourg sur la place de la Concorde fut garnie de crêpe et de couronnes sans cesse renouvelées. Les chansons populaires abondent qui témoignent de ces regrets et de ce deuil.*
*Aujourd'hui notre armée victorieuse fusille des gens qui veulent rester Français.*
2:163
*Au mépris même de tout ce que les hommes de notre époque considèrent comme leurs principes, ce million de Français n'a été consulté ni avant, ni après les tractations qui ont amené leur abandon.*
*On ne leur a même pas obtenu ce statut personnel que la minorité turque a obtenu en Crète, les minorités religieuses au Liban.*
*Il semble que des banquiers tout puissants les aient échangés contre des pétroles.*
\*\*\*
*En 1871 nous abandonnions les Alsaciens-Lorrains à une puissance où le statut des personnes restait celui de la civilisation chrétienne.*
*Aujourd'hui nous abandonnons un million d'hommes de civilisation chrétienne, dont beaucoup d'excellents chrétiens, à une domination musulmane plus ou moins proche mais certaine. Ô cendres de saint Louis, ô tombeaux des martyrs africains, à Scilli, à Carthage, et des premiers Pères de l'Église latine, saint Cyprien, saint Augustin, vous le savez, il ne s'est fait entendre aucune protestation des chrétiens de France et du monde. Il faut croire qu'ils ont accepté la loi de la foule et que pour eux le nombre fait le droit, ce qui est une des erreurs fondamentales de notre civilisation. Le monde occidental est mûr pour qu'un nouveau Jérémie pleure sur ses ruines.*
\*\*\*
3:163
*Un peuple qui a subi en 1940 la défaite la plus écrasante de son histoire et qui ne doit son indépendance actuelle qu'à la force de ses alliés fait semblant d'être un grand vainqueur. On le lui fait croire. Les Français d'Algérie mobilisés jusqu'au dernier homme ont fait les trois quarts de son armée à la libération de 1944. Ils sont vendus pour du pétrole et l'illusion d'un grand rôle à jouer en Europe, soi-même, avant de mourir...*
*Notre aveuglement accumule sur nos têtes les promesses de châtiments terribles. Car il s'agit bien d'un aveuglement général, et l'aveuglement est par lui-même le plus grand châtiment que Dieu puisse infliger à des hommes et à une nation.*
D. Minimus.
4:163
### "Les voici"
*Éditorial d' "Itinéraires"\
de juillet 1962*
Le visage d'une souffrance indicible, cela ne se récuse point, cela ne se récuse plus. Voici l'exode et l'exil, voici les réfugiés. On tente encore de mentir, on va jusqu'à *changer leur nom* pour dissimuler l'étendue du draine : officiellement ils sont nommés des RAPATRIÉS. Eh ! bien, écoutez-les. Ils doivent tout de même savoir mieux que personne -- et mieux que les propagandes -- où est leur patrie et quel est leur nom. Ils ont tout perdu. Ils se réfugient en France pour sauver leur vie. Ils sont eux-mêmes des survivants. Mais ils ne sont point en France des « rapatriés », L'essentiel du drame, par delà les horreurs physiques et le sang versé, l'essentiel on l'avait caché à la conscience des métropolitains : il y avait une nation française en Algérie.
\*\*\*
La *vie nationale,* disait Pie XII, est *une réalité non politique.* Dans les débuts de cette revue, nous nous sommes beaucoup battus -- intellectuellement -- pour faire entendre ce message qui nous arrivait en temps utile, ce message de Pie XII qui, comme tant d'autres messages de Pie XII, et comme lui-même l'a dit une fois, « n'est pas parvenu à la connaissance de la plus grande partie du peuple français ».
\*\*\*
*La vie nationale est une réalité non politique.*
Cela ne veut point dire que la politique ne puisse sauver ou ruiner la vie nationale. Mais cela veut dire, entre autres choses, que de soi la vie nationale est une « valeur » antérieure et supérieure à la politique, et qu'éventuellement plusieurs politiques peuvent s'y appliquer, *à la condition* de la respecter et de la servir, non de l'exploiter ou de l'écraser.
5:163
Il existe une VIE NATIONALE française au Canada. Dire cela n'est aucunement décider quelle forme doit prendre l'État canadien, ni trancher entre l'indépendance l'autonomie, la confédération, la fédération. C'est affirmer seulement, mais pleinement, que l'État éventuellement fédéral, ou confédéral, unitaire ou pluraliste, a le devoir de ne pas méconnaître ni écraser cette nation, *de ne pas supprimer cette* VIE.
Il existe une VIE NATIONALE française en Algérie. Dire cela n'est aucunement opter en faveur de l'indépendance, de l'association, du fédéralisme : c'est affirmer seulement, mais pleinement, que ni association, ni indépendance, ni fédération ne seront viables, ni licites, si elles ne respectent pas cette vie nationale.
\*\*\*
*La vie nationale est une réalité non politique*, il n'est pas au pouvoir de la politique d'en disposer arbitrairement. Elle est antérieure, elle est supérieure à la politique : et l'on a voulu au contraire que la politique se soumette la vie nationale, la transplante ou l'écrase. On a nié cette vie nationale. On l'a *omise*. On a tiré des plans, conclu des accords, édicté des mesures sans en tenir aucun compte. On l'omet et on la nie en allant jusqu'à imposer le nom trompeur de « rapatriement » à ce qui est manifestement, en fait et en droit, une expatriation.
Ce n'est pas une question « politique ». C'est une question qui domine la politique et qui devrait la commander c'est une question qui est partie intégrante du droit naturel et de la dignité humaine. Un silence massif, un énorme mensonge par omission ont enseveli la nation française d'Algérie avant même sa mise à mort. On l'a anéantie d'abord dans les consciences. Ces crimes-là sont aussi des crimes, ils sont même les plus grands.
6:163
Des politiques, il y en avait plusieurs : et nous ne défendons pas l'une contre l'autre. Notre propos n'est point *politique* en ce sens-là. Il est même, au contraire, une fois de plus, résolument *impolitique,* en ce qu'il *refuse de soumettre à la politique ce qui est supérieur à la politique.*
Des politiques, il y en avait deux, en somme.
Il y avait celle de droite.
Il y avait celle de gauche.
Que ni la gauche ni la droite n'ont reconnues, car la droite politique et la gauche politique ne se connaissent plus elles-mêmes, dans la confusion générale où l'aveuglement de fausses élites civiles, militaires et religieuses a plongé notre pays.
Il y avait la politique de gauche, c'est-à-dire l'intégration : l'intégration envisagée déjà avant la guerre, proposée par Léon Blum, combattue par Maurras ; généreuse dans son inspiration, critiquable par son jacobinisme éventuel. Il y avait la politique de droite, la solution fédérale ou confédérale : la République algérienne.
Louis Salleron avait résumé cette alternative politique en des termes auxquels nous avions à l'époque donné notre accord, et dont la pertinence est confirmée avec éclat, surtout pour le second membre de l'alternative, par la suite des événements ([^1]) :
« On écrit partout ces temps-ci : « L'intégration était possible il y a quinze ans, elle ne l'est plus aujourd'hui... » L'affirmation est fausse. Le 13 mai (1958) le prouve. Ce jour-là, l'intégration a été faite à Alger. Un Bonaparte l'eût immédiatement ratifiée en disant à Alger : « Je vous ai compris », en le redisant à Oran, à Constantine, en Kabylie, dans les djebels, partout. Il eût trouvé les mots et les gestes qui ralliaient ou désarmaient le petit nombre d'ennemis. C'était la paix -- une paix non pas imposée ni subie, ni octroyée mais, je le répète, ratifiée. Le monde entier eût applaudi.
« Cette solution avait en outre l'intérêt de montrer qu'il était possible de surmonter les deux obstacles à la paix des temps présents : le nationalisme et le racisme. A cet égard, j'ai été souvent étonné qu'elle ne s'imposât pas comme la plus vraie et la plus logique a ceux qui se disent de gauche et passent leur vie à pourfendre en paroles nationalisme et racisme. »
7:163
Cette solution était conforme à la tradition des hommes qui se proclament de gauche, elle était possible, viable, humaine.
L'autre, solution, plus humaine encore, plus conforme au droit naturel, était celle de la tradition des hommes, que l'on répute de droite. Louis Salleron la résumait ainsi :
« L'autre solution, c'était la République algérienne. Je dois dire que, bien définie, elle me paraissait meilleure encore. Une République algérienne faite en mai 1958 par une équipe de durs où Français d'origine métropolitaine et Français musulmans auraient été soudés dans une volonté commune, c'eût été beau. Et c'eût été, pour la France, l'obligation de faire une Constitution fédérale. »
Comme Louis Salleron, nous n'avons préconisé aucune des deux politiques à l'exclusion de l'autre. L'une et l'autre tenaient compte, de manière diverse et à un degré différent, de la réalité algérienne.
Nous préférions, comme Louis Salleron, la seconde. L'intégration eût risqué de poser, non dans l'immédiat, mais à la longue, des problèmes difficilement surmontables, -- ou alors aurait finalement conduit, par d'autres voies, à une autre forme de République algérienne autonome, fédérée ou confédérée. Car il manquait à l'Algérie de 1958 ce que Charles de Foucauld avait en vain appelé sur elle, et que rappellent, dans le présent numéro, Antoine Lestra et Joseph Hours.
\*\*\*
Qu'a-t-on fait en Algérie, de 1958 à 1962 ?
Ni l'une ni l'autre politique.
Ni une troisième.
A la vérité on n'y a pas fait une politique mais le contraire d'une politique : le dégagement ; s'en aller. Toutes les ressources licites de la politique, et quelques autres encore, employées à se mettre en état de n'avoir plus en Algérie ni devoir politique, ni souci politique, -- aucune politique.
Renoncer à nos droits ?
En soi, cela est théoriquement possible et quelquefois généreux : mais à la *condition que celui qui renonce à un droit soit celui qui le possède.* Or les droits français en Algérie n'étaient pas seulement ceux de *l'État* français.
8:163
Ils étaient aussi ceux de la nation française d'Algérie : et l'État n'était pas le maître de ces droits-là, l'État n'en était pas le possesseur, l'État n'avait pas licence d'en disposer souverainement. D'ailleurs l'État n'a pas tellement renoncé à ses droits : il a gardé, ou cru garder, ses droits sur le pétrole et sur les bases, et il n'a sacrifié, selon la conception qu'il s'en fait, ni ses intérêts économiques ni ses intérêts stratégiques : il pense même les avoir mieux assurés, ce qui est, en intention du moins, le contraire d'un renoncement. Ce n'est pas surtout son intérêt ni son droit que l'État néglige c'est à son devoir qu'il a tourné le dos. Le dégagement est explicitement un dégagement à *l'égard des charges et des obligations*. L'État se dégage de son devoir envers les hommes.
Les hommes, il les considère en somme non pas comme des communautés vivantes ayant *leurs* droits propres, mais comme des fonctionnaires à ses ordres.
C'est cette conception aberrante de la vie sociale qui est sans doute la racine du drame.
Les chrétiens, les musulmans et les juifs d'Algérie qui se déclarent « fidèles à la France » et qui veulent « demeurer Français », à vrai dire l'État n'a pas omis de les prendre en considération. Mais il les a considérés comme des *individus* selon la définition de Renan, des individus nés orphelins, vivant fonctionnaires et mourant célibataires, transportables et interchangeables à merci. Il a considéré qu'il pouvait les *déplacer* et les *rappeler* comme on déplace un préfet et comme on rappelle un ambassadeur.
Et quand il a vu que ça ne marchait pas, quand il a constaté que les Français d'Algérie étaient autre chose, que des fonctionnaires à ses ordres, il les a traités comme on traite -- et même comme on ne traite pas -- des fonctionnaires félons.
L'État a prétendu renoncer en Algérie à des droits, ceux de la société, qui ne sont point à la disposition de l'État, et qui au contraire imposent à l'État des devoirs, et des « charges », et des « obligations », d'une nature différente de celles qui sont énumérées dans le statut des fonctionnaires. L'État a ignoré que la nation française d'Algérie avait seule qualité pour éventuellement renoncer aux droits qui sont les siens. Il ne s'agissait même pas de la consulter : la nation française, d'Algérie avait en la matière beaucoup plus qu'une voix consultative.
9:163
Personne ne peut disposer à sa place des droits qui sont les siens, personne ne peut les supprimer sans son aveu et sans son consentement. Que si l'État y prétend néanmoins, c'est alors exactement ce que Pie XII a nommé *l'absolutisme d'État.*
On peut assurément « rapatrier » un corps expéditionnaire. On peut « reclasser en métropole » un fonctionnaire.
Mais traiter ainsi une communauté nationale, c'est une violence sans nom.
\*\*\*
Les principes majeurs, les droits fondamentaux, les devoirs essentiels de la vie en société sont ici en cause.
10:163
Les citoyens ne sont pas *au service de l'État.* Ce sont les fonctionnaires qui sont au service de l'État, et c'est l'État qui est au service des citoyens : au service de leur bien commun. Ce bien commun lui-même n'est absolument pas le bien propre *de* l'État, c'est le bien au *service duquel* se trouve placé l'État. *Et ce qu'il y a de plus précieux dans le bien commun, ce sont les droits primordiaux de l'homme* (Pie XII)*.*
Dans l'hypothèse extrême où l'État français aurait été amené à considérer, entre 1958 et 1962, qu'il ne pouvait plus défendre les DROITS PRIMORDIAUX de la nation française d'Algérie -- hypothèse, car l'État nous a peu renseignés sur l'évolution de ses pensées -- on se trouvait alors devant un grand malheur, une grande défaite, à la rigueur un cas de force majeure : mais enfin cela ne pouvait d'aucune manière lui permettre de se considérer comme fondé à *disposer* lui-même de ces droits qu'il pensait ne plus pouvoir défendre. Ne plus les défendre si on ne le peut plus, ou si on croit ne plus le pouvoir, c'est une chose. Adhérer et aider à l'abolition de ces droits, c'est autre chose. Et c'est autre chose encore d'aller imposer à une communauté nationale, par voie autoritaire, d'abandonner ses droits primordiaux et de disparaître en tant que telle.
(...)
Selon l'État français, il n'y avait pas une communauté, il n'y avait pas une nation française en Algérie. Il y avait des Français, et il considère que ces Français, comme tous les autres Français où qu'ils soient, quels qu'ils soient, sont à son service, purement et simplement, sous la seule réserve de leur consentir les allocations de déplacement, de logement et de reclassement prévus pour les fonctionnaires changeant de poste. A la place des *serfs taillables et corvéables à merci,* voici le temps où l'ensemble de la population est considérée comme des *fonctionnaires interchangeables et transportables à merci*. Ni dans un cas ni dans l'autre, cela ne fait des citoyens. L'État méconnaît les droits primordiaux des hommes, de leurs familles, de leurs métiers, de leurs communautés. Il est sans morale. Et c'est le plus grave. Car « la vraie conception de l'État est celle d'un organisme fondé sur l'ordre moral du monde » (Pie XII).
11:163
Il y avait, vivante, et il y a, agonisante, une nation française en Algérie : la considérer et la traiter comme un ensemble de fonctionnaires qui seraient au service et inconditionnellement aux ordres de l'État, qui auraient été en somme provisoirement « détachés » hors de la métropole, et que l'État aurait le droit de « rappeler » à n'importe quel moment par décret, est une vue aberrante, asociale et immorale, d'une inhumanité absolue.
\*\*\*
Voici les Français d'Algérie. Sans doute ont-ils d'abord besoin d'être compris et d'être aimés. Simultanément, dans beaucoup de cas, d'être secourus. Dans l'amitié. La charité surnaturelle est l'âme de tout, et de la justice, n'allons pas leur apporter un secours sans âme. Mais n'allons pas non plus nous tromper sur la charité.
*La charité n'est authentique qu'à la condition d'être en règle avec la justice... Il n'est permis à personne de se dérober aux devoirs de justice en les remplaçant par de petits dons charitables...* Cette exhortation pontificale vaut dans toute sa généralité. Elle vaut, et à quel point, dans ce cas précis. *La charité et la justice imposent chacune des devoirs : souvent, des devoirs ayant le même objet, mais sous un rapport différent...* Notre devoir d'amitié envers les Français d'Algérie est à la fois de charité et de justice. N'oublions pas la justice.
Ils ont des droits, et nous avons omis leurs droits dans nos calculs politiques, -- du moins, dans les calculs politiques qui s'opèrent et s'exécutent en notre nom.
Ils avaient le droit naturel et imprescriptible à une vie nationale, à leur vie nationale, et en notre nom ils en ont été privés. Ce droit faisait partie intégrante de leur dignité humaine, et l'on a mutilé leur dignité.
*Il n'est permis à personne de se dérober aux devoirs de justice en les remplaçant, par de petits dons charitables...*
La justice que nous leur devons dépasse, peut-être à jamais, ce que nous pourrons leur donner.
Quoi que nous fassions pour eux, ce ne pourra plus jamais être un don gratuit.
Ce sera le devoir de RÉPARATION, qui est désormais au-delà de ce que nous pouvons réparer.
12:163
Ils sont écrasés par la souffrance, et l'injustice.
Nous, par la responsabilité, et par la honte.
\*\*\*
Unissons du moins nos misères, et que Notre-Dame de la Sainte-Espérance daigne les recouvrir ensemble de son manteau.
13:163
Rappel
### L'obéissance à l'Église
DANS LES TERMES MÊMES où nous l'avons toujours fait, et où nous l'avons réitéré spécialement en 1970, nous redisons quels principes fondent notre attitude et notre combat spirituel. Le rappel périodique, la méditation renouvelée des points fixes qui sont nos points cardinaux, voilà dans la confusion présente ce qui est continuellement nécessaire.
\*\*\*
Sur la falsification de l'Écriture, sur la désintégration du catéchisme, sur la subversion de la messe comme sur tout le reste, nous parlons de la place où nous sommes et sans en sortir ; selon notre état de vie ; selon les responsabilités qui sont les nôtres là où nous nous trouvons ; et en application de principes qui ont été publiquement énoncés dans notre DÉCLARATION FONDAMENTALE.
Cette DÉCLARATION FONDAMENTALE avait été publiée en décembre 1958, c'est-à-dire avant la subversion de la messe, avant la désintégration du catéchisme, avant la falsification de l'Écriture sainte. Ses principes immuables s'appliquent depuis 1958 à une situation nouvelle : *l'autodestruction de l'Église.* Mais ce sont bien les mêmes principes. Cette DÉCLARATION FONDAMENTALE est et demeure notre DÉCLARATION FONDAMENTALE.
\*\*\*
En cette année 1972, nous en réitérons et réaffirmons spécialement -- et ci-dessous explicitement -- les chapitres I et II.
14:163
A savoir, chapitre I :
Le Christ est la Voie, la Vérité, la Vie. Nous recevons telle qu'elle se définit elle-même la doctrine qu'enseigne l'Église catholique. Nous y trouvons la règle de nos pensées et de nos actes. Nous lui rendons le témoignage de notre foi publiquement exprimé et, s'il plaît à Dieu, de nos Œuvres.
Nous croyons qu'un catholique se reconnaît pratiquement à ce que rien ne peut l'empêcher de répondre « oui » à la question : « êtes-vous catholique ? » chaque fois que cette question lui est posée et même sans qu'elle lui soit posée. Nous faisons donc entendre ce « oui » même lorsqu'on ne nous interroge pas, à temps et à contre-temps.
La confusion actuelle nous oblige à préciser qu'en disant : *Nous recevons telle qu'elle se définit elle-même la doctrine qu'enseigne l'Église catholique,* c'est bien de LA DOCTRINE QU'ENSEIGNE L'ÉGLISE CATHOLIQUE que nous voulons parler. C'est-à-dire la doctrine enseignée par les papes et les conciles dans sa cohérence, sa permanence, sa continuité, son explicitation progressive. Nous refusons d' « enjamber » seize siècles de définitions dogmatiques et de tradition liturgique. Nous refusons de prendre désormais comme unique référence *doctrinale* le concile *pastoral* Vatican II.
Nous nous référons en particulier au Catéchisme du concile de Trente : seul catéchisme romain, aucun pape ni aucun concile n'ayant ordonné depuis lors la rédaction d'un catéchisme différent.
Nous affirmons que la fidélité -- envers et contre tout ce qui le contredit, l'esquive ou le délaisse -- au Catéchisme du concile de Trente est un *acte d'obéissance à l'Église.*
\*\*\*
15:163
Nous réitérons, en cette année 1972, tous les termes des quatre paragraphes du second chapitre de notre DÉCLARATION FONDAMENTALE.
\*\*\*
Premier paragraphe :
La fidélité dans la doctrine et l'unité dans la discipline ne peuvent être maintenues que sous l'autorité du pape et des évêques en communion avec le pape.
La vérité intemporelle, universelle, nécessaire de ce paragraphe, énoncé *en décembre 1958*, a été tragiquement démontrée par les faits dans les temps que nous vivons *depuis décembre 1958*.
Quand, pour des causes diverses, externes et internes, « l'autorité du pape et des évêques en communion avec le pape » se fragmente, se dissout ou, de son propre aveu, subit une *autodestruction,* alors l'unité dans la discipline et la fidélité dans la doctrine subissent inévitablement les atteintes générales et profondes que nous constatons chaque jour de plus en plus.
Dans ce désastre universel, la fidélité aux vérités révélées, définies par l'Église, et la résistance à l'erreur, au mensonge, à l'injustice, ne cessent pas d'être un devoir : un devoir dont chacun aura personnellement à rendre compte au dernier jour, selon ce qu'étaient ses lumières, son état de vie, ses responsabilités.
Cette fidélité et cette résistance sont sans illusion sur leur portée quant à l'évolution générale de l'Église et du monde.
Les initiatives particulières de la résistance et de la fidélité sauveront s'il plaît à Dieu quelques âmes, quelques familles, quelques écoles existantes ou à fonder, quelques paroisses, quelques monastères, quelques ermitages : condition des lendemains, semence des renouveaux à venir. Mais pour restaurer *dans l'ensemble* du corps social de l'Église la fidélité doctrinale et l'unité de discipline il faudra que *se restaure elle-même,* après son actuel collapsus, l' « autorité du pape et des évêques en communion avec le pape ».
16:163
C'est ce qu'exprime, pour le temps présent, la première des « cinq lignes directrices » de la « charte de notre action » ([^2])
« La confusion et l'anarchie généralisées qui ont accompagné et suivi Vatican II relèvent de l'autorité suprême de l'Église : quelles que soient les raisons de sa temporisation, de son abstention, de son absence ou de son collapsus, aucune initiative particulière n'est en mesure d'y suppléer ou n'a qualité pour le faire. Rien ni personne ne peut remplacer la succession apostolique et la primauté du Siège romain ni s'y substituer.
« Les détenteurs de cette succession et de cette primauté ont pu déjà, comme le montre l'histoire de l'Église, connaître toutes sortes de faiblesses et commettre plusieurs sortes de crimes, brûler Jeanne d'Arc, hésiter et louvoyer inutilement devant la Réforme protestante et devant la Révolution française, mais ce cul relève spécifiquement de leur charge, personne ne peut le faire à leur place, personne qu'eux-mêmes aujourd'hui ou demain leurs successeurs.
« Aujourd'hui et demain comme hier et toujours, nous nous en remettons pour le jugement souverain à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain. »
\*\*\*
Pensant cela, déclarant cela, y réglant notre action, nous professons faire acte *d'obéissance à l'Église.*
\*\*\*
17:163
DÉCLARATION FONDAMENTALE, second paragraphe du chapitre II :
C'est l'Église qui conserve et qui traduit la définition des droits et des devoirs. Elle enseigne aux hommes à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Ce faisant, elle est la protectrice de la dignité des consciences, de la responsabilité personnelle selon chaque état de vie, et des libertés fondamentales.
Commentaire actuel : tout ce qui, d'une part, s'appuyant à tort ou à raison sur les approximations pastorales de Vatican II, entend *changer* la définition universelle des droits et des devoirs formulée par le Décalogue, -- tout ce qui, d'autre part, prétend construire une Église nouvelle et nous imposer une nouvelle religion, -- nous le rejetons.
Nous déclarons qu'en cela nous accomplissons un acte nécessaire d'*obéissance à l'Église.*
\*\*\*
Paragraphe troisième :
Les limites de l'obéissance ne sont pas réduites à celles de l'infaillibilité. Un catholique ne cherche pas à restreindre les domaines où, selon les besoins de chaque époque, le Vicaire de Jésus-Christ précise les implications et conséquences de l'ordre naturel et de la Révélation.
Les circonstances présentes nous invitent, en réitérant cette affirmation de principe, à y ajouter aujourd'hui un exemple et un commentaire.
1\. -- EXEMPLE ACTUEL : dans l'encyclique *Humanæ vitæ*, le Vicaire de Jésus-Christ s'est prononcé contre le sentiment majoritaire de la commission qu'il avait instituée ; il s'est prononcé même contre son sentiment personnel ([^3]).
18:163
Il a rappelé, concernant l'ordre naturel, un enseignement irréformable attesté à toutes les époques de la tradition de l'Église. Nous professons que rejeter cet enseignement, comme l'ont fait plus ou moins ouvertement même des évêques, est un *acte de désobéissance à l'Église.*
Mais nous professons qu'il en va tout autrement en ce qui concerne par exemple l'encyclique *Ecclesiam suam ;* et que nous ne sommes nullement tenus d'adhérer ou d' « obéir » à ce que l'on appelle « la doctrine » de cette encyclique-là, qui *n'est pas* un acte du magistère doctrinal du Vicaire de Jésus-Christ, ainsi que son texte et son auteur l'ont explicitement déclaré ([^4]).
2\. -- COMMENTAIRE ACTUEL : nous réaffirmons qu'un catholique n'a pas à *déplacer,* de sa propre autorité, les *limites de l'obéissance.* Il ne lui appartient de les déplacer *ni dans un sens ni dans l'autre.* Il ne lui est pas permis de les *ignorer.*
L'obéissance chrétienne ne comporte pas des conditions et des limites fixées au gré de chacun.
Mais elle comporte des conditions et des limites objectives, énoncées par l'Église, qu'aucune autorité au monde n'a le pouvoir de supprimer.
D'où la seconde « ligne directrice » de la « charte de notre action » :
Nous n'avons besoin de rien ni de personne, sauf de la grâce de Dieu qui ne fait pas défaut, nous n'avons besoin d'aucune autorisation préalable pour rejeter tout ce qui nous est proposé ou imposé, par qui que ce soit, de contraire à la loi naturelle et à la doctrine révélée telles qu'elles ont été définies par l'Église.
Ce second point n'enlève rien au point précédent ([^5]) ; le premier point n'atténue en rien celui-ci.
19:163
Nous refusons de nous séparer de l'Église, de nous en laisser séparer, de suivre ceux qui s'en séparent, quel que soit leur rang hiérarchique : leurs personnes ne relèvent pas de notre jugement, mais nous ne sommes plus soumis à une autorité quelle qu'elle soit dans la mesure où elle déclare son intention de se séparer, et où elle prouve son intention par ses actes.
En professant cela et en y réglant notre action, nous déclarons faire *acte d'obéissance à l'Église.*
\*\*\*
Quatrième paragraphe :
Nous n'éprouvons là aucune entrave à la liberté de la pensée, nous en recevons au contraire la condition et la garantie. Car ce qui embarrasse la liberté de la pensée, ce sont les infirmités humaines, dont l'Église travaille à libérer tous les hommes, y compris les hommes d'Église. La liberté de la pensée est de pouvoir atteindre la vérité.
Nous disions bien en 1958 et nous répétons en 1972 : « ...dont l'Église travaille à libérer tous les hommes *y compris les hommes d'Église *»*.*
Les membres de l'Église enseignante *font partie* eux aussi de l'Église enseignée : ils ne sont pas au-dessus. L'Église, dans sa réalité essentielle et mystique, l'Église une, sainte, catholique, apostolique, est aujourd'hui aux prises avec les hommes d'Église.
Depuis 1958, et plus spécialement depuis l'ouverture du concile en octobre 1962, les hommes d'Église dans leur majorité visible (ou du moins apparente) ont entrepris de *réformer l'Église* au lieu de *se réformer eux-mêmes selon l'Église.*
C'est très exactement en quoi consiste l'actuelle *autodestruction* de l'Église.
20:163
Notre prière, notre attente, notre espérance certaine est qu'à l'heure voulue de Dieu, l'épreuve nous sera abrégée, et que ces hommes d'Église, ou leurs successeurs, rentreront dans *l'obéissance à l'Église.*
Il faut travailler pendant ce temps-là ; il faut veiller et maintenir ; s'armer spirituellement et intellectuellement contre les entreprises de l'apostasie immanente.
C'est à quoi nous nous employons.
J. M.
21:163
Rappel
### Nous n'obéissons pas au mensonge
*Les pages que voici sont extraites de la troisième partie de* « *L'Hérésie du XX^e^ siècle *»*, livre paru en novembre 1968.*
DE TOUTES LES MANIÈRES et de plus en plus nous est enseigné le mépris de l'Église pré-existante parce qu' « elle a perdu » : elle a perdu, nous dit-on, la classe ouvrière, elle a perdu la civilisation technique, elle a perdu le monde moderne. Que lui sert dès lors de garder un dépôt dont le monde ne veut pas ? Que lui sert de garder son âme si la marche du monde s'en éloigne ? L'Église préexistante a gardé son dépôt et son âme à l'intérieur d'un juridisme, d'un dogmatisme, d'un intégrisme, d'un ghetto que rejette la religion nouvelle par mille considérations qui se résument en une seule question : -- *Que sert de* *garder son âme si l'on en vient à perdre le monde ?*
Nous en avons assez dit pour que chaque chrétien baptisé et confirmé puisse en regard, et en toute certitude, reconnaître de quel esprit il est.
Nous n'avons rien à mettre en œuvre contre la religion nouvelle, nous n'avons ni les prestiges ni les pouvoirs du monde, nous n'avons ni les moyens massifs d'information ni les organisations de masse, et d'ailleurs nous n'en voulons pas, nous ne saurions qu'en faire en l'occurrence et ils ne nous serviraient de rien, nous n'avons rien que la Parole de Dieu : -- « *Que sert à l'homme de gagner le monde s'il vient à perdre son âme ? *» (Mt. XVI, 26.)
Et que sert donc en vérité aux hommes d'Église de gagner le monde s'ils viennent à perdre leur âme ?
22:163
C'est le Diable qui pose la question :
-- Que sert à l'Église de garder son âme si elle vient à perdre le monde ?
Il n'y a d'autre réponse que la question inverse :
-- Que servirait à l'Église de gagner le monde si elle venait à perdre son âme ?
Mais elle ne le peut pas.
Nous savons de connaissance humaine que même au prix de son âme l'Église ne gagnerait pas les pouvoirs, les honneurs et les complaisances du monde, mirages offerts par la tentation mais qui n'ont aucune existence : ils s'évanouiraient entre ses mains comme l'eau d'une source impure, n'y laissant qu'un peu de boue.
Et nous savons par la foi que l'Église sainte qui est le Corps mystique du Christ Notre-Seigneur perdra tout plutôt que son âme.
Recouverte mais non souillée par le mystère d'iniquité, l'Église sainte se recueille dans le mystère de charité et demeure indéfectible dans la foi ; au regard de la foi mystérieusement visible. *Vigilate et orate.*
La religion catholique pré-existante qui est présentement disqualifiée comme inactuelle et comme insuffisamment évangélique, sera aussi la religion survivante. Quoi qu'il arrive, c'est l'Église sainte, une, catholique qui survivra : telle est notre foi.
Cette Église et cette religion dites anciennes, et traditionnelles, et dépassées, sont celles dont nous vivons. Elles ont formé des hommes libres : nous leur rendons ce témoignage et nous allons maintenant devoir le leur rendre par nos actes.
Des hommes libres, les docteurs de la religion nouvelle ne savent plus ce que c'est, même quand ils n'ont que le mot de liberté à la bouche. Des hommes libres ne sont pas des moutons ni des robots. *L'agenouillement d'un homme libre,* disait Péguy, *le bel agenouillement droit d'un homme libre,* mais vous ne voulez plus d'agenouillements et vos séides, l'hostie en main ! donnent des coups de pied dans les jambes à ceux qui se présentent à genoux pour communier...
23:163
Vous vous êtes bien trompés quand vous pensiez que nous nous mettions à genoux par « christianisme sociologique » et par servilité routinière devant les grandeurs humaines d'établissement. Vous vous êtes bien trompés en imaginant que nous marcherions n'importe où et accepterions n'importe quelle religion, par séidisme, du moment que les « directives » nouvelles auraient la garantie « épiscopale ». Nous respections l'autorité que vous ne respectiez pas ; et nous la respectons toujours et vous ne la respectez pas davantage ; mais vous pensiez que l'on pourrait faire de nous des apostats et des traîtres par argument d'autorité, par voie d'autorité ; et d'avoir annexé quelques autorités à votre nouvelle religion vous faisait espérer qu'ainsi nous y entrerions par obéissance en rangs par quatre. Vous n'avez jamais compris que nous prenons très au sérieux l'autorité et l'obéissance, dont vous faites présentement une farce, celle que vous a dite Alexis Curvers :
Les progressistes disent aux intégristes : « *Nous exigeons de vous, parce qu'elle est dans vos principes, une obéissance que vous n'avez pas à attendre de nous, parce qu'elle n'est pas dans les nôtres. *» Et le plus fort est que les intégristes répondent en s'inclinant : « *Puisque le respect de l'autorité n'est pas dans vos principes et qu'il est dans les nôtres, bafouez tant qu'il vous plaira l'autorité dont nous nous réclamons, et comptez que nous restons soumis à celle dont vous vous emparez. *»
Nous n'obéissons pas aux farces.
Parce que nous prenons très au sérieux l'obéissance et l'autorité, nous savons depuis toujours qu'aucune obéissance aux hommes ne peut prétendre nous faire aller contre l'obéissance à Dieu et à ses lois, qui sont la loi naturelle ou Décalogue et la loi du Christ ou Évangile, l'une et l'autre reçues, apprises et obéies dans et par la tradition apostolique de la sainte Église.
24:163
Vous n'avez rien compris au type d'homme nouveau dont la sainte Église éduque la liberté depuis deux mille ans. Vous avez pris les fidèles pour les séides automatiques d'un séidisme sociologique, vous avez pris ces fronts courbés et ces genoux en terre pour ceux de l'esclave alors qu'ils sont ceux de l'homme libéré. Vous n'avez rien compris à *l'agenouillement d'un homme libre* -- libre de la liberté du Christ Notre-Seigneur. Vous aurez affaire maintenant à la profondeur, à l'étendue, à la hauteur du refus d'un homme libre. La liberté que vous n'avez pas aperçue dans l'agenouillement et l'adoration, vous aurez à en faire connaissance dans l'opposition radicale à laquelle vous vous heurterez désormais. Vous aurez à connaître ce qu'est la liberté du chrétien ; vous ne l'avez pas reconnue dans sa dévotion, dans sa discipline, dans sa patience, vous la subirez dans son refus légitime des idolâtries du monde. Lisez donc Polyeucte (c'est de Corneille) (qui est un poète français) (et un poète chrétien), cela vous instruira peut-être de certaines choses. C'est une seule et même liberté qui adore à genoux la présence réelle du Dieu vivant et qui s'en va briser les idoles quand il le faut.
C'est une seule et même liberté en face de laquelle, dès que vous déclarez vous écarter de la tradition apostolique, vous n'avez plus aucun poids moral, vous n'êtes plus rien, simulacres sonores, docteurs de néant. Vous pouvez bien nous supprimer le catéchisme, qui vous condamne : nous le savons par cœur, et nous ferons en sorte, avec la grâce de Dieu, qu'il soit toujours appris. Déjà dans plusieurs paroisses les petits qui ne vont plus au pseudo-catéchisme du nouveau prêtre sont regroupés pour apprendre ailleurs les vérités du salut. L'autodéfense spirituelle va s'organiser partout, dans la sainte liberté des enfants de Dieu. Et les impasses où vous croyez nous bloquer, Dieu lui-même, à son heure, les ouvrira devant ceux qui, quoi qu'il arrive, auront été inébranlablement fidèles.
25:163
RAPPEL
### Les trois connaissances nécessaires au salut
*et les quatre points obligatoires\
de tout catéchisme catholique*
Enfin, enfin, enfin ! voici que les familles catholiques dans leur ensemble (et non plus seulement une minorité d'entre elles) prennent en main le catéchisme de leurs enfants, ayant constaté qu'au catéchisme officiel, dans le meilleur des cas, les enfants n'apprennent plus rien, et trop souvent apprennent les sottises et les immoralités de la nouvelle religion.
Mais la bonne volonté, le sentiment du devoir ne suffisent pas. Il y faut les connaissances nécessaires. On peut les acquérir. La brochure *Notre action catholique* donne les indications indispensables. Pour ceux de nos lecteurs qui ne l'auraient pas, nous rappelons ci-après ce qu'il faut absolument savoir -- et faire connaître -- concernant les trois connaissances nécessaires au salut et les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique. CATÉCHISME, c'est-à-dire l'enseignement qui est donné sous ce nom et qui est contenu dans un livre ainsi dénommé, a pour but de procurer LES CONNAISSANCES NÉCESSAIRES AU SALUT.
Tout catéchisme catholique comporte *quatre* points obligatoires, incluant les *trois* connaissances nécessaires au salut.
26:163
#### I. -- Les trois connaissances
Trois connaissances sont nécessaires au salut :
1\. -- La connaissance de ce qu'il faut croire (vertu théologale de foi), procurée par l'explication du *Credo.*
2\. -- La connaissance de ce qu'il faut désirer (vertu théologale d'espérance), procurée par l'explication du *Pater.*
3\. -- La connaissance de ce qu'il faut faire (vertu théologale de charité), procurée par l'explication des *Commandements.*
Ces trois connaissances nécessaires au salut demeurent généralement inefficaces sans le secours des *Sacrements.* Nous disons : « généralement », parce que, par exemple, en période de persécution violente les chrétiens peuvent être privés plus ou moins, voire totalement, des sacrements que le prêtre administre : pénitence, eucharistie, extrême-onction ; ils n'en seront pas pour autant privés du salut éternel. Le baptême lui-même, qui est nécessaire au salut ([^6]), peut être suppléé par le « baptême de sang » ou par le « baptême de désir » (voir catéchisme).
#### II. -- Les quatre points
Le véritable « Fonds obligatoire » de tout catéchisme catholique *comporte donc les trois connaissances nécessaires au salut et la doctrine des sacrements.*
Ces quatre points indispensables ne résultent pas d'une option, d'une fantaisie, d'une préférence permise mais facultative à laquelle on pourrait opposer d'autres préférences également facultatives et permises. Ces quatre points sont ceux qui contiennent en résumé toute la doctrine chrétienne, selon la tradition *doctrinale et pédagogique* de l'Église, codifiée avec autorité par le Catéchisme du Concile de Trente.
27:163
Leur ordre de succession est libre, mais aucun d'eux ne peut être omis :
1\. -- L'explication du Credo.
2\. -- L'explication du Pater.
3\. -- L'explication des Commandements.
4\. -- L'explication des Sacrements.
On ne veut pas dire que le catéchisme se *limite* à ces quatre points. Histoire sainte, vie de Jésus, vies de saints, explications liturgiques, explication et méditation des mystères du Rosaire, histoire de l'Église, etc., prennent normalement place dans le catéchisme : dans des proportions et selon des méthodes qui peuvent varier. Ce qui ne peut varier, ce qui est indispensable, ce sans quoi un catéchisme n'est plus catholique, ce sont les quatre points obligatoires.
#### III. -- Considérations pédagogiques
En théorie, il demeure possible d'enseigner la doctrine chrétienne autrement que par l'explication du Credo, du Pater et des Commandements. Mais cette éventualité théorique n'a aucune portée pratique dans la plupart des cas, et notamment en ce qui concerne les enfants du catéchisme. Comment admettre que l'on pourrait :
-- soit les laisser dans l'ignorance du Credo, du Pater et des Commandements,
-- soit mettre entre parenthèses le fait qu'ils les savent déjà et qu'ils en vivent ?
Le Pater et le Credo de la prière quotidienne, les Commandements de l'examen de conscience quotidien, comment admettre qu'ils restent pour les enfants des formules récitées par cœur, qui ne leur auraient jamais été expliquées ?
Toutes les considérations « pédagogiques », si elles tiennent compte de la réalité, sont ici convergentes :
28:163
1\. -- La réalité même de la vie spirituelle de l'enfant est fondée sur sa prière de chaque jour et sur son examen de conscience quotidien. Cette vie spirituelle progresse, pour ce qui relève du catéchisme, à mesure que progressent l'explication du Credo, l'explication du Pater, l'explication des Commandements.
2\. -- Cette explication est une « *explication de textes *», *--* Il existe deux méthodes fondamentales et permanentes d'éducation intellectuelle et morale, toutes deux nécessaires simultanément :
a\) expliquer (et faire expliquer) des textes ;
b\) raconter (et faire raconter) des histoires.
Toutes deux se conjuguent dans le catéchisme : on *explique les textes* du Credo, du Pater, des Commandements (et de la liturgie) ; on *raconte* des épisodes de la vie de Jésus, des vies de saints, de l'histoire de l'Église.
3\. -- Les textes à expliquer obligatoirement : Credo, Pater, Commandements, sont d'une part ceux que l'enfant utilise quotidiennement ; ils sont d'autre part les textes les plus « officiels » de l'Église et de la foi chrétienne, les textes fondamentaux. Deux motifs pour lesquels il faudrait de toutes façons les expliquer : et justement c'est leur explication qui procure, selon la pédagogie traditionnelle de l'Église, l'essentiel de la doctrine chrétienne.
Répétons qu'il ne serait pas théoriquement *impossible* d'enseigner la doctrine chrétienne sans expliquer ces trois textes fondamentaux : mais on voit que ce serait manifestement *absurde.*
Le nouveau catéchisme français, s'il s'est libéré des trois connaissances et des quatre points, ce n'est pas pour enseigner d'une autre manière la religion chrétienne c'est pour ne plus l'enseigner, comme on peut le constater.
29:163
#### IV. -- Conseils pratiques
Le seul catéchisme romain est le Catéchisme du Concile de Trente.
Parmi les adaptations ou résumés authentiques qui en ont été faits, nous recommandons en priorité le Catéchisme de S. Pie X et le *Catéchisme de* l*a famille chrétienne* du P. Emmanuel.
Ces catéchismes-là sont certainement catholiques. Ils seront utiles aux familles, aux écoles, aux groupes d'études pour réapprendre la doctrine chrétienne. Mais, selon les lieux et les circonstances, ils pourront éventuellement paraître (à tort ou à raison...) insuffisamment à la portée des enfants. De toutes façons, parents et maîtres choisissent librement les manuels qu'ils utilisent, pourvu que ce soient des manuels véritablement catholiques.
Ils les reconnaîtront pour tels en examinant s'ils y trouvent les *quatre* points obligatoires, dont les *trois* connaissances nécessaires.
\*\*\*
Insistons cependant pour que le lecteur ne se laisse pas arrêter par l'effort laborieux et suivi que réclame par exemple le Catéchisme du Concile de Trente. Quelles sont donc les connaissances qui seraient faciles, qui ne réclameraient point d'effort suivi et laborieux ? Et quelles connaissances, davantage que les connaissances *nécessaires* au salut, mériteraient donc ce travail sérieux, prolongé, méthodique ?
Qu'on ne parle point à ce niveau d'adaptation. L'adaptation ne demande pas tant de contorsions, de discours pseudo-scientifiques, de commissions ésotériques. La mère de famille parle spontanément un langage adapté à son petit enfant. Tout enseignement oral, celui du catéchisme comme les autres, est par lui-même, inévitablement, et au moins instinctivement, une adaptation à ceux qui l'écoutent. Les uns sont plus doués que d'autres ; mais c'est affaire aussi d'amour, de connaturalité, d'expérience ; et de prière, et de grâce. Et non pas d'une prétendue science psychologique qui, telle qu'elle est aujourd'hui, est vaine dans le meilleur des cas, et *fausse* le plus souvent.
L' « adaptation » n'est d'ailleurs pas le problème premier ni le problème essentiel. L'enseignement du catéchisme en France ne souffre pas d'abord d'inadaptation, il souffre d'abord d*'infidélité et d'ignorance*. C'est à l'ignorance et à l'infidélité qu'il faut avant tout porter remède.
30:163
Depuis un siècle, tous les papes ont répété que *l'ignorance religieuse* est le mal initial et majeur qui affaiblit et désoriente les catholiques dans le monde moderne.
Les parents, les enseignants, les animateurs de cellules et de réseaux doivent tous aujourd'hui *vérifier* leurs connaissances religieuses fondamentales, souvent les rafraîchir, ou même... les acquérir. Sans quoi ils seront incapables de poursuivre leur tâche en conscience et en vérité, et ils se trouveront finalement emportés eux aussi, quoi qu'ils en aient, dans le tourbillon de l'apostasie immanente.
La base indispensable de tout le combat spirituel de notre temps est dans le réapprentissage méthodique des *trois* connaissances nécessaires au salut et des *quatre* points obligatoires du catéchisme catholique.
Pour les adultes, la méthode que nous recommandons non certes comme obligatoire, mais comme point de départ, se décompose en trois moments successifs :
1° Étudier et méditer à fond un chapitre du *Catéchisme du Concile de Trente.*
2° Apprendre par cœur le chapitre correspondant du *Catéchisme de S. Pie X.*
3° S'inspirer directement du chapitre correspondant du *Catéchisme de la famille chrétienne* du P. Emmanuel, pour, ensuite, « faire le catéchisme » aux enfants.
Dans les Avis *pratiques* du présent numéro, au chapitre : *Annonces et rappels,* on trouvera la liste des livres et brochures qui composent « L'ARSENAL » indispensable pour la bataille du catéchisme. ([^7])
31:163
RAPPEL
### Le domaine de la pensée et celui de l'action
Nous sommes fort loin de pouvoir réellement *agir* sur tout ce que nous pouvons plus ou moins *connaître*. Ce n'est pas une raison pour jamais renoncer à connaître et à comprendre. Mais c'est bien une invitation à détourner nos résolutions pratiques de ce qui ne dépend pas de nous. -- Les réflexions et directives ci-après sont elles aussi extraites de la brochure : « Notre action catholique ».
NOUS SOMMES DANS UNE SOCIÉTÉ en voie de décomposition, mais des apparences nous le cachent. Ces apparences sont celles du « progrès ». Les progrès du XX^e^ siècle, déclarés « admirables », « merveilleux » et « glorieux » par toutes les autorités civiles et religieuses de notre temps, sont des progrès *techniques,* des progrès *matériels :* et ces progrès sont éventuellement utiles dans leur ordre. Mais ils ne peuvent rien sur la décomposition de la société ; ils ne peuvent que la dissimuler aux yeux de ceux qui s'y laissent divertir ; car la décomposition de la société est d'un autre ordre.
Elle est d'ordre moral et religieux. Elle s'étale dans l'anarchie ecclésiastique, dans l'anarchie universitaire, dans l'anarchie mentale, -- et dans la vogue mondaine d'un marxisme qui pourtant est intellectuellement, est scientifiquement fourbu et plus que fourbu.
La société moderne se décompose plus vite que ne fit l'Empire romain ; c'est peut-être l'accélération de l'histoire, mais peu importe : ce qu'il faut observer, c'est que l'Empire romain s'est décomposé et effondré en tant que société alors qu'il était en plein progrès matériel et technique. Ce progrès-là n'est ni une garantie ni un remède contre la décadence. Les autorités civiles et religieuses se trompent dans l'admiration qu'elles lui portent et dans la confiance qu'elles lui font : comme si ce progrès pouvait compenser en quoi que ce soit leur propre démission morale.
32:163
Le point vulnérable d'une société, le point vital, son cœur en quelque sorte, et en même temps son essentielle raison d'être, c'est l'éducation intellectuelle et morale des générations nouvelles. Quand cette éducation est atteinte, quand elle est détruite ou pervertie, aucune découverte *technique,* aucun progrès *matériel* ne peut y suppléer.
Les familles le sentent, au moins instinctivement quand la société civile et la société ecclésiastique *ne savent plus au juste ce qu'elles veulent et ce qu'elles doivent enseigner aux générations nouvelles,* alors de telles sociétés ne sont plus en cela un facteur de vie mais un facteur de mort.
\*\*\*
On peut philosopher sur les causes de cette catastrophe. On peut philosopher sur les conséquences. C'est, selon Pascal, la grandeur du « roseau pensant ». Relisons :
« *La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable... Quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. *»
Nous philosophons donc sur les causes et sur les conséquences de la désintégration intellectuelle et morale dans le monde moderne : cela relève de notre dignité d'hommes. Nous travaillons à comprendre, expliquer, faire comprendre. Le diagnostic quotidien porté par Pie XII sur l'évolution du monde moderne, on n'a pas voulu l'entendre ; il est aujourd'hui rejeté, méconnu, oublié (c'est tellement plus commode) par la quasi-totalité des autorités civiles et religieuses, du rang le plus modeste au rang le plus élevé. Les détenteurs actuels des diverses sortes d'autorités officielles ont grandi sous Pie XII, ils ont reçu son enseignement sur le monde moderne à l'âge de la formation ; à l'âge du séminaire ; à l'âge des études supérieures ; à l'âge des premières responsabilités. Il est infiniment peu probable que nous puissions maintenant les convaincre alors que Pie XII en personne n'y a pas réussi.
33:163
Depuis 1955, plusieurs de nos amis ne cessent de nous presser, ou de s'occuper eux-mêmes, d' « avertir les évêques », d' « éclairer le pouvoir civil », d' « informer le Saint-Siège ». Nous n'y avons pas manqué, même quand nous ne l'avons pas claironné sur les toits. Nous l'avons fait, à mesure que les années passaient, davantage par respect des pouvoirs qui viennent de Dieu que par illusion sur leurs détenteurs : et en constatant, et en vérifiant de plus en plus que cela ne servait, pour le moment et dans la situation actuelle, absolument à rien. Ce n'est pas de notre part un pronostic : mais une expérience déjà faite, et faite longuement. Des amis, des lecteurs insistent à nouveau : il faut avertir les autorités, il faut les éclairer, il faut les informer. Ah ! quelle respectable pensée, quelle admirable confiance ! Elle est venue du fond des siècles, elle est un vieux réflexe : « Si le Roi savait... »
Si le Roi savait ? Eh ! bien, il sait.
Mais il sait à sa manière, selon ses vues, selon ses catégories mentales et sa conception du monde, selon ses *habitus* intellectuels, selon son tempérament, qui l'empêchent de comprendre...
*Si le Roi savait...* Ancienne et instinctive confiance. Mais le « Roi », tous les rois modernes, tous les pouvoirs établis dans le monde moderne et dans l'Église moderne ont eu tout ce qu'il fallait pour savoir. Ils ont d'immenses dossiers, avec les faits, les chiffres, les statistiques et même les anecdotes. Ce qui leur manque n'est pas une documentation : mais *la clef* pour l'interpréter. Pourtant ils ont eu Pie XII qui leur a donné cette clef ; ils ont eu Pie XII qui pendant vingt ans, jour après jour, leur a enseigné et expliqué... Les détenteurs ou les futurs détenteurs des différents pouvoirs ont endurci leur cœur, leur âme a « lâché » devant la vérité, et ils ont voulu promouvoir *au contraire* une ouverture à ce monde, une adaptation à ce monde dont Pie XII avait montré comment et pourquoi il était en train de s'écrouler.
« *C'est tout un monde qu'il faut refaire depuis ses fondations *»*,* disait Pie XII, et il disait quoi faire et comment s'y prendre.
On a voulu au contraire *refaire l'Église à l'image et à la dévotion de ce monde-là.*
34:163
Voici deux déclarations pontificales séparées par six années seulement.
Première déclaration :
« *Il arrive souvent que dans l'exercice de Notre ministère apostolique Nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu'enflammés de zèle religieux, manquent de justesse de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société ils ne voient que ruines et calamités ; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés* (*...*)*. Il Nous semble nécessaire de dire Notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur... *» ([^8])*.*
Seconde déclaration :
« *L'Église se trouve en une heure d'inquiétude, d'autocritique, on dirait même d'autodestruction. C'est comme un bouleversement intérieur, aigu et complexe, auquel* PERSONNE NE SE SERAIT ATTENDU *après le Concile. *» ([^9])
Nous lisons et relisons ces deux déclarations : l'une après l'autre, l'une rapprochée de l'autre. Nous ne cessons de le faire depuis des mois et des années.
\*\*\*
Il y avait donc en 1962, au moment où s'ouvrait le concile, des « prophètes de malheur » qui avaient « coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés ».
Ils se ralliaient en cela aux vues de Pie XII.
35:163
Ou même, plus simplement, à ce qui leur paraissait une évidence élémentaire du bon sens chrétien : à savoir qu'*une époque qui refuse le Dieu de la révélation et même le Dieu de la loi naturelle a manifestement empiré, et profondément,* par rapport aux siècles qui au contraire, si pécheurs qu'ils aient été, confessaient Dieu et Jésus-Christ.
Notre époque a empiré à ce point de vue. Peut-être voudra-t-on dire qu'elle a empiré *seulement à* ce point de vue-là. Et quand cela serait ? En quoi d'autres progrès pourraient-ils compenser cette régression ? Ou empêcher cette régression de porter peu à peu toutes ses conséquences intellectuelles et morales, personnelles et sociales ?
\*\*\*
Il faut bien constater qu'il y a eu successivement deux regards différents, deux jugements contraires portés sur le monde contemporain :
1° le regard et le jugement de Pie XII jusqu'en 1958 ;
2° et, après 1958, un autre regard et un autre jugement.
\*\*\*
Mais cet autre regard, mais ce nouveau jugement *voyaient-ils* le monde dont ils parlaient ? Le voyaient-ils *tel qu'il est ?*
Nous avons eu un concile pastoral et des orientations officielles qui se voulaient tournés vers les problèmes les plus actuels du monde actuel : et ce concile, et ces orientations ont quasiment toujours mis entre parenthèses et volontairement ignoré ce monstrueux, ce pressant, cet universel problème actuel qu'est le communisme. (Sauf pour nous dire, en tout et pour tout, qu'il est bon de « dialoguer » avec des « athées ».)
A aucun moment, malgré tous les avertissements et enseignements antérieurs de Pie XII, ce concile et ces orientations n'ont considéré que NOUS SOMMES DANS UNE SOCIÉTÉ EN TRAIN DE S'EFFONDRER PARCE QU'ELLE A RENIÉ DIEU. Cette explication, qui était sans cesse présente à la pensée de Pie XII, a été constamment absente des orientations pastorales données depuis 1958 (ou si l'on veut depuis 1960). Elle a été absente de l'analyse du phénomène de la « socialisation » ; elle est absente de *Gaudium et Spes.*
36:163
Bien sûr, en ce domaine où l'infaillibilité n'est pas formellement engagée, on peut en théorie supposer que *c'était Pie XII qui se trompait,* et qu'au contraire ses successeurs ont eu raison. Mais c'est une supposition qui devient de plus en plus difficile à mesure que les événements suivent leur cours et que la décomposition s'accentue dans la société civile et dans la société ecclésiastique.
Il n'est pas vrai que les malheurs actuels de l'Église et sa crise d' « autodestruction a, proviennent uniquement ou principalement d' « une petite minorité d'agitateurs ». Ils proviennent au moins d'une erreur prudentielle, -- d'une erreur provenant de LA NATURE DU REGARD JETÉ SUR LE MONDE MODERNE. Seulement cette erreur a été massive, générale (comme on l'a vu lors des débats conciliaires), et elle comportait à l'origine une énorme *impiété naturelle* à l'égard de Pie XII, -- pour ne pas dire plus et n'aller pas chercher plus loin. Ce n'est pas de cette erreur que pourront nous venir secours, lumière et protection.
Par « impiété naturelle », j'entends non point qu'il était naturel d'être impie : je veux désigner le contraire de la *piété naturelle,* celle du IV, Commandement du Décalogue ([^10]).
C'est la même « impiété naturelle » qui veut nous persuader qu'avec le progrès, la démocratie et le concile, notre époque est supérieure à toutes les autres, et les hommes d'aujourd'hui plus épatants que les hommes de tous les temps, et les chrétiens actuels enfin lucides, conscients et adultes comme jamais.
Si c'était vrai, de tels chrétiens se reconnaîtraient d'abord à leur humilité, qui leur interdirait d'avoir de telles pensées.
37:163
Je prie et au besoin je supplie le lecteur de ne point voir là une remarque anecdotique, polémique ou épigrammatique. Nous la proposons au contraire comme une remarque absolument fondamentale, touchant à l'essence de la vie chrétienne, au ressort principal de la civilisation, à l'esprit de toute éducation morale.
On peut, admettons-le du moins, dire n'importe quoi dans les journaux et dans les congrès académiques. On ne peut pas dire n'importe quoi aux enfants, aux jeunes gens, dans les collèges, dans les séminaires. *Leur dire que leur époque et leurs personnes dépassent en valeur tout ce que l'humanité a jamais vu, c'est en faire, en quelque sorte automatiquement, des barbares et même des sauvages.*
Considérons les saints.
*Les saints, eux, ont toujours été les plus prompts à se juger inférieurs aux saints du passé.*
Cette perspective est fondamentale. Elle est essentielle à la vertu naturelle. Elle est essentielle à la vertu chrétienne. Elle est essentielle à l'éducation intellectuelle et morale. Elle est essentielle à la vie sociale et à la civilisation.
Depuis 1958, cette perspective a été systématiquement *inversée* dans les esprits et dans les mœurs : dans la pensée religieuse, dans la prédication ecclésiastique et dans les orientations pastorales. Ce n'est pas de cet incroyable renversement de perspective, imprudent à toute époque et particulièrement injustifié en la nôtre, que le secours, la protection, la lumière pourront nous venir. Il nous en est venu de grandes ténèbres et une perversion de l'éducation.
\*\*\*
Il est naturel à l'homme de chercher à *tout* comprendre (dans la mesure où cela lui est possible). Il est donc naturel à l'homme d'examiner, d'analyser, de scruter *même ce qui ne dépend pas de lui.* Nous examinons, nous analysons, nous scrutons la situation du monde moderne, la vaste décomposition actuelle de la société civile et de la société ecclésiastique. Nous philosophons sur ses causes et sur ses conséquences. Nous voulons *comprendre.*
D'autre part, il est surnaturellement naturel au chrétien de *prier* même pour ce qui ne dépend pas de lui, car ce qui ne dépend pas de lui ne cesse pas pour autant de dépendre de Dieu.
38:163
Mais en ce qui concerne nos *résolutions pratiques,* si nous ne voulons pas nous contenter de rêves, d'intentions, de discours et de vaines agitations, il faut nous limiter au domaine de *ce qui dépend de nous :* ce domaine est *beaucoup moins étendu* que le domaine des choses sur lesquelles nous pouvons philosopher et que le domaine des choses pour lesquelles nous pouvons prier.
\*\*\*
« Travaillons à bien penser » sur toute chose connaissable, c'est la grandeur et la dignité naturelles de l'homme et le domaine de notre pensée est quasiment illimité. *Mais le domaine de notre action réelle est beaucoup plus réduit.* Il est réduit par les circonstances de temps et de lieu ; par notre état de vie ; il s'accroît ou se rétrécit selon les possibilités occasionnelles et l'aptitude à les saisir ; il se mesure aux hommes et aux choses sur lesquels nous avons réellement, à un moment donné, une influence, ou une autorité, ou des moyens d'action.
Oui certes, « travaillons à bien penser » sur toute chose connaissable, mais notre condition humaine fait que nous sommes fort loin de pouvoir *agir* sur tout ce que nous pouvons plus ou moins *connaître.* Caricature : on peut aller au café, traditionnellement dénommé en la circonstance « café du commerce », pour développer toutes les stratégies pour exposer fortement à nos voisins comment nous conduirions les armées si nous étions le général en chef ; et ce que nous ferions si nous étions le premier ministre ; et ce que nous déciderions si nous étions le pape. On peut même convaincre les voisins assemblés, et tenir avec eux un meeting, rédiger un manifeste, publier une proclamation, envoyer un ultimatum dictant ce qu'il doit faire au général en chef, au premier ministre ou au pape. *Quand on dispose à son gré de la totalité ou de la plus grande partie des moyens de communication sociale les plus puissants,* cela peut constituer une pression objective capable d'obtenir quelque résultat. Mais quand on en est où nous en sommes, c'est perdre son temps.
39:163
Nous perdons notre temps et nous nous dupons nous-mêmes, dans la situation présente, si nous nous employons à « avertir les évêques », « éclairer le pouvoir civil », « informer le Saint-Siège ». Peut-être quelques personnes sont-elles encore en état de le faire : qu'elles le fassent donc. Mais nous autres, chrétiens du rang, et pensant ce que nous pensons, aimant ce que nous aimons, étant ce que nous sommes, on ne nous demande pas notre avis ; on ne l'attend pas ; *on ne le désire pas.* A la rigueur, on le fera peut-être figurer une fois ou l'autre, d'ailleurs déformé, trituré, méconnaissable, dans quelque nomenclature plus ou moins statistique ou sociologique, afin de montrer qu'elle est bien complète. Plus souvent, on notera le nom des signataires, s'ils sont prêtres, et on les inscrira au tableau d'avancement pour la prochaine fournée de sanctions canoniques...
Plus s'approfondit la décomposition de la société civile et de la société ecclésiastique, et moins ceux qui ont proclamé leur « complet désaccord » avec les « prophètes de malheur » acceptent de réviser leur position : *l'attitude fondamentale de leur regard sur le monde.* Ils se persuadent au contraire que « *personne ne se serait attendu *» à ce qui arrive, ce mot est, dans l'ordre pratique, d'un poids définitif : ils n'ont pas vu *les causes,* ils n'ont pas accepté de les voir quand c'était un Pie XII qui les leur montrait, ils gardent et garderont, sauf MIRACLE, la conviction instinctive que ce qui arrive est accidentel, fruit de la malchance, de malentendus déplorables, et d'ailleurs inexplicables quand on songe à la bonté du monde, à la bonté de l'homme moderne, à la bonté de la démocratie et à la bonté du progrès...
Au premier jour du concile, le 11 octobre 1962, les « prophètes de malheur » ont été brutalement, officiellement, décisivement disqualifiés : on les a ensuite chassés de son univers mental au point d'assurer maintenant que « *personne ne se serait attendu *»*. --* Dans la remarque que j'en fais, il ne s'agit pas des personnes, qui n'importent pas, ici, en elles-mêmes. Mais l'important est que ces personnes avaient vu *les causes,* et les avaient dites, et que la suite des événements a montré en outre qu'elles avaient eu raison. Ce sont *leurs raisons,* et non leurs personnes, dont nous demanderions qu'on les prenne enfin en considération. Mais cette demande serait vaine, elle serait tenue pour dépourvue de sens.
40:163
Car on croit au contraire que l'actuelle auto-destruction de l'Église et l'actuelle décomposition de la société moderne étaient *imprévisibles* un pur accident, un accident inattendu, incroyable, au point qu'au moment même où l'on évoque en passant son existence on n'arrive pas à se persuader tout à fait de sa réalité, de son étendue, de sa nature exacte. Ce ne sont point là des pensées secrètes, dont je présumerais l'existence chez les détenteurs de l'autorité : ce sont les pensées que ces détenteurs nous manifestent abondamment dans leurs exhortations pastorales.
Nous sommes là en présence disons d'un phénomène psychologique qui échappe à nos prises, qui échappe à nos discours, qui échappe à nos démonstrations, qui, échappe à notre action, qui est hors d'atteinte, bref, qui ne *dépend pas de nous.*
\*\*\*
Détournant nos résolutions pratiques de ce qui ne dépend pas de nous, il nous faut alors faire l'inventaire, chacun pour soi et à sa place, de ce qui dépend de nous. Il faut nous y entraider au niveau des cellules naturelles élémentaires, des petites communautés chrétiennes au plan familial, scolaire, professionnel. *En visant juste :* ce à quoi il faut travailler, c'est à tout ce qui concerne l'ÉDUCATION INTELLECTUELLE ET MORALE, cœur de toute société, de toute civilisation, de toute chrétienté. C'est principalement en matière d'éducation intellectuelle et morale que nous avons été abandonnés, trahis, livrés abominablement par ceux qui devraient nous guider et nous protéger. Leur crime est infini : mais ce n'est plus leur crime, une fois qu'il a été exactement repéré, qui nous importe : c'est ce que nous pouvons faire pour reconstruire, dans nos catacombes. Avec, à la base, au principe et au centre de toute éducation morale, de toute action culturelle, de toute formation civique : le catéchisme catholique.
41:163
## CHRONIQUES
42:163
### Vaines querelles sur la messe ?
par Éric M. de Saventhem
Comme on le sait, Éric M. de Saventhem est le président de la FÉDÉRATION INTERNATIONALE « UNA VOCE ». L'article que l'on va lire a été écrit en anglais. La traduction française a été revue par nos soins.
EN PARCOURANT diverses publications « traditionalistes », j'ai remarqué, chez certains porte-parole de groupes soi-disant « modérés » une tendance à critiquer ceux qui, comme la FÉDÉRATION INTERNATIONALE « UNA VOCE », considèrent que le maintien de la messe de saint Pie V est une affaire d'une importance capitale. *Puisque,* dit-on, *le Pontife régnant a approuvé la réforme de la messe dans chaque détail, l'orthodoxie du nouvel Ordo qui en résulte est garantie. Dire que le nouvel Ordo* « *favorise l'hérésie *» *impliquerait, en fait, que le Pontife régnant néglige gravement son devoir de protéger la foi ou qu'il est lui-même victime de tendances hérétiques. De telles implications,* suggère-t-on, *sont incompatibles avec le respect affectueux et l'obéissance inébranlable que chaque catholique fidèle doit au pape. Quiconque professe de telles opinions ne peut être de ceux qui luttent* « *pro Pontifice et Ecclesia *»*.*
43:163
D'une manière plus charitable (et probablement pour la consommation interne plutôt qu'externe), on dit que les discussions échauffées entre ceux qui estiment le nouvel Ordo malheureux mais orthodoxe et qui sont ainsi prêts à l'accepter (pourvu qu'il soit suivi strictement selon les règles actuellement en vigueur), et ceux qui y voient un danger direct pour la foi, sont de « *vaines querelles *» qui devraient être abandonnées sans délai, tant il y a d'affaires beaucoup plus importantes en débat entre les « traditionalistes » et la « maffia » des néo-modernistes qui sont actuellement au pouvoir. A l'appui de quoi on relève l'insistance répétée du pape sur le besoin de sauvegarder entièrement et fidèlement le « depositum fidei » ; la nomination d'évêques « conservateurs » en Hollande (Mgr Simonis à Rotterdam et plus récemment Mgr Gijsens à Roermond) est citée comme preuve de la détermination de Sa Sainteté de mettre ses actes en accord avec ses paroles.
Il est un peu curieux d'observer que les mêmes qui parlent avec une franchise admirable des attitudes manifestement hérétiques de tant de fonctionnaires influents de l' « établissement. » ecclésiastique (la « maffia »), sont prêts à croire que la réforme liturgique post-conciliaire est restée (du moins dans les résultats promulgués officiellement) indemne de cette même hérésie néo-moderniste qu'ils trouvent rampante dans toutes les autres sphères de la vie de l'Église !
Une connaissance même peu profonde de l'histoire de l'Église et de la naissance et du développement des hérésies innombrables que le magistère a dû combattre à travers les siècles, suffit à établir le fait saillant qui se répète toujours : la propagation de toutes les hérésies a été accompagnée par l'introduction de nouvelles formes liturgiques, destinées à exprimer le contenu théologique de la nouvelle « foi », et à propager cette nouvelle foi parmi le peuple. Si, alors, l'on accepte comme un fait l'existence, dans l'Église post-conciliaire, d'une « maffia » ecclésiastique bien établie et avec des opinions hétérodoxes (c'est-à-dire néomodernistes) sur presque tous les dogmes essentiels de la Foi catholique et apostolique, c'est prendre ses désirs pour des réalités que de prétendre que cette même « maffia » n'aurait pas réussi à pénétrer les multiples organismes qui, au niveau national et à Rome, sont chargés de l'application de la Constitution Conciliaire sur la Sainte Liturgie. Tous les précédents historiques nous enseignent que ces organismes auraient été parmi les premiers dont la « maffia » aurait cherché à prendre le contrôle.
44:163
Et puisque, dans toutes les autres sphères de la responsabilité hiérarchique, la pénétration effective des administrations épiscopales et centrales par des membres de la « maffia » est considérée comme un fait prouvé, il est clair qu'il en va de même, et a fortiori, en ce qui concerne la partie de l' « établissement » ecclésiastique qui a la charge de la réforme liturgique.
Il semble donc illogique -- pour ne pas dire plus -- que dans leur lutte courageuse contre l'hérésie néo-moderniste dans les hautes sphères, ceux qui prétendent lutter « pour le pape et pour l'Église » traitent la réforme de la messe comme si, par quelque miracle, elle avait été gardée à l'abri de l'infection néo-moderniste, et représentait, pour ainsi dire, un territoire interdit à tout le monde par une espèce « d'extraterritorialité » spirituelle ou canonique.
Et il semble peu charitable, pour ne pas dire plus, que, dans leur attitude envers les autres mouvements, ces « loyalistes » parlent et se comportent parfois comme si eux seuls savaient où mettre les lignes de démarcation que le conflit ne devrait pas franchir.
Il est vrai que les catéchismes hollandais, français ou allemand ne portent pas d'imprimatur papal, tandis que le Novus Ordo l'a. Mais en sont pourvus aussi tous les autres textes formellement approuvés par n'importe quel dicastère romain -- jusqu'aux « traductions-trahisons » de la Sainte Écriture. N'est-ce pas alors faire une distinction bien subtile que d'attaquer le néo-modernisme sur la sélection (et amputation ou « montage ») des lectures de la Sainte Écriture offertes dans la nouvelle Messe, et de dénigrer en même temps comme de « vains querelleurs » ceux qui attaquent de la même manière les textes et rubriques de la nouvelle messe elle-même.
Il est vrai aussi que les textes de la messe ne sont pas des définitions dogmatiques et que l'ordre de la Liturgie se réfère plus aux prérogatives juridiques du pape qu'à son autorité enseignante. Mais c'est ici précisément une raison de plus pourquoi la critique et même la condamnation de la Nouvelle Messe est parfaitement compatible avec le respect dû à la Protection Divine accordée par le Christ à Son Vicaire. Cette Protection ne s'étend pas au domaine très large de la discipline et du gouvernement de l'Église, dans lequel chaque Pontife dépend de la qualité de son propre jugement et de celui de ses conseillers. Il est donc aussi faillible que tout autre être humain chargé d'une grave responsabilité et jouissant d'une grâce proportionnée à son haut état.
45:163
C'est pourquoi beaucoup qui sentent vivement la subversion néo-moderniste dans toutes les affaires de la foi, pensent qu'ils peuvent en confiance laisser la Liturgie « s'occuper d'elle-même », pendant qu'ils se concentrent sur la défense du Credo -- qu'il soit apostolique ou « du peuple de Dieu ».
Néanmoins, la liturgie est « la source de laquelle l'Église tire tout son pouvoir, et le sommet vers lequel tendent toutes ses actions ». Sûrement donc, ce qui touche la messe (le sommet de la liturgie de l'Église) ne peut pas être simplement une affaire de discipline, mais doit concerner l'autorité enseignante de l'Église au plus haut niveau.
C'est ainsi assurément que saint Pie V l'a vu -- et c'est pourquoi la bulle *Quo Primum* se lit comme une définition infaillible portant contre les offenseurs des sanctions qui ressemblent beaucoup à celles appliquées à quelqu'un qui nie un dogme.
En fait : les « vaines querelles » paraissent avoir leur source dans une divergence d'opinion compréhensible sur la nature de la législation liturgique. Il est possible et légitime de la voir comme une simple affaire de discipline -- ce qui est peut-être l'opinion du pape Paul VI et de la plupart de nos évêques. Mais il est également possible et légitime de la regarder comme un chevauchement des secteurs de la discipline et du magistère, soumise ainsi aux critères plus rigoureux qui s'appliquent au dernier. C'est là la position prise par UNA VOCE, par ITINÉRAIRES, par DER FELS, et par beaucoup d'autres, tous se considérant luttant « pro Pontifice et pro Ecclesia » autant que ceux qui ont fait de ces mots leur devise.
En critiquant la réforme liturgique post-conciliaire, et en particulier le nouvel Ordo Missae, nous, les membres d'UNA VOCE, nous sommes guidés par ces critères plus stricts. Mais nous devons avoir de la compréhension pour ceux qui ne voient pas de mal intrinsèque dans la subordination de la législation liturgique aux options pastorales du moment.
46:163
Étant donné que beaucoup de ces options (pour ne pas dire ces « manies ») sont d'une valeur spirituelle douteuse, leur contrepartie liturgique sera aussi peu profonde et transitoire. Nous sommes sûrs, ainsi, qu'en temps utile l'imprévoyance et la superficialité de cette approche de la réforme liturgique et de la législation deviendront apparentes -- même à ceux qui l'appuient maintenant de tout le poids de leur autorité hiérarchique. A ce moment-là nous serons témoins d'une vraie « restauration » liturgique qui s'étendra à toute l'Église.
\*\*\*
Mais d'ici là nous devons prendre les choses comme elles sont. En ce qui concerne nos principes et notre action pratique cela veut dire :
-- Nous *luttons* pour la préservation -- de facto et de jure -- du Missel Romain promulgué par saint Pie V.
-- Nous *tolérons*, en tant qu' « expérience », la nouvelle Messe ordonnée par les Décrets Romains récents.
-- Nous *agissons* -- à tous les niveaux de la persuasion -- pour la révision sans délai des parties du nouvel Ordo et des ordonnances subséquentes qui, dans notre jugement bien considéré, représentent des dangers pour la foi du peuple, et surtout du célébrant.
-- Nous *demandons* que les résultats pastoraux de la liturgie réformée de la Messe soit soumis à un examen critique permanent.
-- Nous *ne prétendons pas avoir l'autorité* de décider si le nouvel Ordo Missae est intrinsèquement hérétique ; ou s'il encourage l'hérésie à un point tel que l'assistance à des Messes « nouvelles » doit être découragée même quand il n'y a pas de doute quant à l'orthodoxie du célébrant, et même quand la disposition intérieure de ceux qui y assistent est telle qu'elle les protège contre le sapement de leur propre foi.
-- Nous *ne disons ni n'insinuons* qu'en promulguant le Nouvel Ordo de la Messe le Pontife régnant a abusé de sa position de Gardien de la Foi, puisque, pour lui, la législation liturgique ne se situe pas au niveau où s'exerce cette fonction tutélaire.
47:163
-- Nous *affirmons* que, par principe, et a fortiori dans l'atmosphère actuelle de pluralisme et de « coresponsabilité », nous sommes non seulement libres mais obligés de contester la réforme liturgique partout où nous la trouvons teintée d'hérésies modernes.
-- Nous *répudions* l'accusation -- qu'elle vienne d'en haut ou de ceux que nous considérons comme nos « frères d'armes ». -- qu'une ou plusieurs de ces attitudes seraient incompatibles avec le respect dû à la hiérarchie et à son, gouvernement responsable, qui est le sceau des vrais « fils de l'Église ».
Éric M. de Saventhem.
ANNEXE
### Le Missel de saint Pie V n'est pas interdit
Pour ceux qui n'en ont pas encore vu le texte entier ([^11]), je cite la lettre du 22 novembre 1971, adressée par le Cardinal Heenan à M. Houghton-Brown, président de la Latin Mass Society ([^12])
« Cher M. Houghton-Brown,
Lors de la dernière conférence des évêques (A), j'ai fait part d'une audience privée que le pape Paul m'avait accordée.
48:163
Je lui ai exprimé mon regret que maints catholiques, opposés à la réforme liturgique, aient parlé du Saint-Père d'un ton offensant. J'ai ajouté toutefois que j'avais de la sympathie pour les quelques catholiques qui, tout en acceptant fidèlement les réformes, ressentaient encore une certaine nostalgie pour l'ancien rite. *Le pape* ne considéra pas cette attitude (B) comme déraisonnable et *il n'interdirait pas absolument l'usage périodique du Missel Romain* (selon Décret 1965, amendé 1967), *pourvu que tout danger de division soit évité* (C).
Dans ce diocèse je suis tout à fait prêt à permettre l'usage de l'ancien rite lors d'occasions spéciales.
En souhaitant à vous et à vos membres la bénédiction de Dieu... »
\(A\) Le cardinal fait allusion à la conférence des évêques d'Angleterre et du Pays de Galles qui a eu lieu après son retour du Synode des évêques à Rome.
\(B\) Il est difficile de voir à quelle « attitude » le pape se référait : celle des « quelques » catholiques, qui « tout en acceptant fidèlement les réformes ressentent une certaine nostalgie pour l'ancien rite », ou celle du cardinal qui « sympathise » avec eux. Personnellement, je pense que le pape se référait à l'attitude du cardinal.
\(C\) C'est ici la phrase-clé. Quelques explications sont nécessaires :
1\. -- Contrairement à certaines hiérarchies plus circonspectes, les évêques anglais ont agi avec une hâte excessive en 1969, lorsqu'ils ont décrété que le nouvel « Ordo Missae devait être employé dans toutes les messes vernaculaires à partir du Carême 1970, c'est-à-dire dix-huit mois avant l'expiration de la « vacatio legis » prolongée, et même avant que la révision des textes de l' « Ordo » et de « L'*Institutio Generalis* » (que Rome avait entreprise après la réclamation du cardinal Ottaviani) puisse être complétée. Priés par la *Latin Mass Society* de citer chapitre et verset justifiant leur décision arbitraire, les évêques avaient répondu qu'ils faisaient simplement « ce que le Saint-Père désire ».
49:163
Bien que la *Notificatio* du 14 juin 1971 ait montré une attitude plus souple ([^13]), le cardinal Heenan décidait de maintenir que le pape désirait la disparition totale de l'ancien rite, et que son maintien, si limité qu'il soit, exigeait une dispense particulière du pape. Mais en vérité, ce que Son Éminence pensait obtenir du pape lors de cette audience privée était déjà, par délégation générale papale, une prérogative des évêques : le droit de maintenir l'ancien rite en usage tout à fait légitime en *permettant* simplement (au lieu d'ordonner) l'usage des nouveaux livres liturgiques dans l'édition vernaculaire lorsque celle-ci serait achevée et officiellement approuvée par Rome.
2\. -- Ce que le cardinal Heenan voulait vraiment savoir du pape était : Sa Sainteté avait-elle l'intention de proscrire formellement l'ancien rite le 28 novembre 1971 ou peu après ? La réponse du Pontife à cette question est « non » : « Le pape n'interdirait pas absolument l'emploi de l'ancien Missel Romain. »
3\. -- Ensuite, le cardinal voulait savoir si le pape attendait des évêques qu'ils suppriment l'ancien rite. Ici, la réponse de Sa Sainteté était que : a) il n'estimait pas déraisonnable de permettre à ceux qui restaient attachés à l'ancien rite de l'utiliser ; mais b) puisqu'il fallait éviter le danger d'une division, l'on devait veiller à ce que l'usage de l'Ordo Missae de l'ancien Missel Romain ne devienne pas un signe ou une cause de scission au sein de la communauté catholique. C'est pourquoi l'ancien rite ne peut être utilisé qu' « occasionnellement ».
\*\*\*
Vue dans cette perspective, la lettre du cardinal apparaît comme un document d'une importance capitale. Elle montre en effet que la *nouvelle législation liturgique n'abroge pas l'ancienne loi pour la remplacer par une nouvelle* -- sinon le pape l'aurait mentionné au cardinal Heenan. De plus, elle montre que toute législation épiscopale qui interdit tout à fait l'usage de l'ancien rite ne peut pas se réclamer d'une approbation papale.
50:163
Finalement, la lettre du cardinal montre nettement que le pape parlait en termes généraux et que ce qu'il a dit équivaut à une interprétation de caractère autoritaire de la législation romaine en ce qui concerne le rite de la Messe. *Cette législation n'entend pas rendre illégal tout usage de l'ancien rite.* Si le pape ne veut pas « interdire tout à fait l'usage occasionnel du Missel Romain » (comme dit le cardinal en rechignant) cela veut dire que l'usage « occasionnel » de l'ancien Missel Romain reste légal et que cette légalité prime toute directive épiscopale l'interdisant.
\*\*\*
Deux conclusions pratiques :
1\. -- Chacune de nos associations nationales peut et doit adresser de nouveau à ses évêques la demande que toute la législation du nouveau rite de la Messe, qui a tendance à supprimer complètement l'ancien rite (de jure ou de facto) soit abrogée sans délai, ou modifiée de façon à raffermir (sinon plus) la légalité continue de l' « usage occasionnel du Missel Romain (selon le décret 1965 modifié 1967), pourvu que tout danger de division soit évité ».
2\. -- Un grand effort doit être entrepris pour informer les prêtres de leur droit incontestable de rester fidèles au Missel Romain « pourvu que tout danger de division soit évité ». L'on peut soutenir avec raison que la menace d'une division ne vient pas de ceux qui, dans la liturgie de la Messe, proclament par paroles et gestes la Foi inaltérable de l'Église. Et puisque le nouveau rite est devenu presque partout la norme générale pour dire la Messe, l'usage de l'ancien Missel Romain peut être présenté comme « occasionnel » dans ce contexte de l'usage actuel de l'Église, même si la minorité des prêtres qui l'utilisent ne disent *jamais* la Messe de la manière moderne.
Je pense que nous devons carrément voir les choses en face dans cette affaire du rite de la Messe, il n'y a pas de mi-chemin, pas de solution facile de compromis. On ne le voit que trop souvent : les prêtres qui pratiquent le nouveau rite par « obéissance », mais contre leur gré, et contre leur jugement, sont très vite mal à l'aise quand ils reviennent « de temps en temps » à l'ancien rite.
51:163
De plus, le poison subtil de la foi adultérée du nouveau rite est absorbé par le célébrant, même si celui-ci se croit immunisé. Il est clair, bien sûr, qu'en adoptant une telle attitude nous nous excluons du groupe que le cardinal décrivait comme « *les quelques catholiques qui, tout en acceptant fidèlement les réformes, ressentent une certaine nostalgie pour l'ancien rite *»*.* Nous accepterions fidèlement toute réforme ayant sans équivoque comme but la plus grande gloire de Dieu et la consécration de l'homme. Mais « les réformes » auxquelles le Cardinal se réfère n'ont pour but que la plus grande gloire de l'homme et l'idolâtrie de l'univers. Nous ne les acceptons pas et ne les accepterons jamais. Cela veut dire peut-être que nous ne pouvons pas invoquer pour notre bénéfice la « concession » papale. Mais j'en doute, car ce qu'a dit le pape n'était pas une concession mais la reconnaissance du fait que l'ancien rite ne peut pas être « tout à fait interdit ». Cela a été très bien exprimé dans la réponse de M. Houghton-Brown, de laquelle je cite :
« L'opinion de notre association est que l'usage du rite usuel romain ne peut être légalement interdit. Le pape n'a jamais annulé ni la bulle « *Quo Primum *» ni les droits de la coutume immémoriale, qui sont les deux titres donnant aux prêtres le droit perpétuel d'utiliser, en public et en privé, le Missel Romain autorisé par le Pape saint Pie V. »
Éric M. de Saventhem.
52:163
### Notre combat
par Maurice de Charette
PAR SUITE DU PÉCHÉ ORIGINEL, bien des drames surgissent parmi les hommes, bien des problèmes sont mal résolus, bien des gens n'assument pas le rôle que leur a imparti la Providence, entravés qu'ils sont par la médiocrité, la prévarication, l'ambition, l'orgueil, la vulgarité d'âme ou les mille autres infirmités inhérentes à la condition humaine.
Et cependant, lorsque les temps sont bénis de Dieu, le Prince gouverne, le général commande au soldat, le clergé organise le culte, l'administrateur administre, le commerçant commerce, le chercheur cherche, l'écrivain écrit, et tout est en ordre dans la cité.
Mais, rien n'étant définitivement acquis en ce bas monde si l'on ne veille pas attentivement à protéger les institutions, il arrive que, par paliers successifs, par touches imperceptibles, tout vienne à se pervertir et à se désorganiser.
Dans les premiers temps, seuls quelques esprits particulièrement avisés perçoivent le danger et l'annoncent en vain, *voces clamantes in deserto*. Puis, dans une seconde étape de la décomposition, la foule prend conscience du drame mais, désorientée, court en tous sens, incapable d'envisager le remède adéquat. Ainsi, dans la tempête, les passagers se précipitent à bâbord pour fuir la lame qui frappe à tribord, sans se rendre compte qu'ils aggravent son effet et rendent la situation plus tragique.
C'est la tour de Babel, la ronde des fous, l'époque où les meilleures intentions elles-mêmes ne produisent plus le résultat escomptable parce que les mécanismes sont perturbés et que l'homme paie les conséquences de ses actes. Pour avoir voulu tourner le dos à la Loi naturelle qui régit la création, ou pour avoir renié Dieu Lui-même, 1'homme se retrouve seul, livré à ses propres forces, forces de désintégration dont le Diable tire profit, croyant entendre sonner l'heure de son triomphe.
53:163
Cependant, même aux pires époques, il demeure quelques âmes pour assurer la pérennité de l'Oraison, quelques esprits pour conserver l'équilibre, bien qu'eux-mêmes ne soient pas exempts de faiblesse humaine et de quelque contamination avec leur temps. Pourtant, nous les honorons pour le mérite qu'ils ont d'infléchir la colère de Dieu et de sauver l'honneur de l'homme.
L'histoire, aussi bien religieuse que laïque, est pleine de ces périodes agitées où certaines personnes ont eu la gloire de s'opposer au flot, sans être pour autant des saints ou des génies. Il semble même, lorsqu'on se penche sur les cas les plus typiques, que Dieu ait voulu marquer particulièrement Sa Majesté et Sa puissance par la faiblesse ou le petit nombre des hommes réunis pour la défense du droit et de la vérité.
Ainsi en fut-il à l'époque de l'Arianisme malgré des géants et des saints comme Athanase ou Hilaire. Ainsi en fut-il lors de la Réforme (1517), combattue d'abord par des papes bien médiocres. Et encore, ces cas paraissent-ils relativement favorables, puisque ici et là ce sont des autorités légitimes qui ont fait face à l'ennemi et ont mené la bataille. Mais le risque est bien plus considérable lorsque seul le hasard préside à la désignation de chefs nés des circonstances, élevés par elles au-dessus du commun dans des conditions atypiques et portant, par cela même, une limitation et un danger. Comment ne pas évoquer, dans ce domaine, les guerres de Vendée, lorsque les paysans se choisirent des chefs que rien ne destinait à un tel rôle. Ni le courage de tous, ni la sainteté, ni le talent des uns ou des autres, ne purent remédier totalement aux circonstances anormales de leur ascension, ou compenser l'absence d'un Prince qui eût été leur chef légitime.
Et voilà que nous nous trouvons, depuis la mort de Pie XII, et depuis Vatican II, dans un cas comparable. L'Église apparente, l'Église officielle, avec à sa tête un pape légitime et des évêques légitimes, trahit la cause de Dieu ou, à tout le moins, n'en assume plus la représentation loyale et la défense complète.
Alors, la rage au cœur et l'âme inondée de tristesse, se réclamant de l'exemple d'Eusèbe, quelques-uns se sont levés, au hasard des fidélités individuelles, pour la défense des Saintes Écritures, la sauvegarde du catéchisme et le maintien de la vraie messe.
54:163
Ont-ils eu tort, malgré ce que nous écrivions plus haut, de clamer la vérité et de réclamer en son nom ? Bien au contraire, ils méritent honneur et respect d'avoir renoncé aux avantages de la paix, de la quiétude et de la lâcheté qui sont cependant des valeurs humaines de grande sûreté. La nécessité est leur mobile immédiat, la sainteté de l'entreprise est leur sauvegarde fondamentale, mais ils n'échappent pas pour autant aux multiples dangers d'une action exceptionnelle, poursuivie hors de toute légitimité pré-existante. Par devoir, ils agissent en dehors de la discipline et du droit formels, ce qui ne les empêche pas d'agir au nom de l'Ordre et du Droit supérieurs.
Loin de nous l'idée de les blâmer alors que nous sommes avec eux, à leurs côtés, fier de nous placer sous leurs ordres lorsque les circonstances le réclament. C'est un choix que nous avons fait et que nous ne récusons pas ; nous l'avons fait, librement, dans la mesure même où l'on est libre de faire son devoir ou de s'en détourner.
Mais ce que nous voulons indiquer ici, c'est le surcroît de prudence, d'humilité et de prière nécessaires à tous ceux qui prennent une initiative dans les temps actuels. La noblesse de l'œuvre ne suffit pas à nous garantir, d'autant que les légions infernales sont mobilisées pour faire échouer la renaissance de l'Église, au même titre qu'elles s'agitent pour parfaire son auto-destruction.
Indépendamment de l'erreur de jugement, la tentation la plus insidieuse réside dans l'orgueil d'avoir raison, dans la satisfaction d'avoir remporté quelque succès, au lieu d'en rendre hommage à *Celui à qui revient tout honneur et toute gloire.* Si nous avons le privilège de mener le bon combat, nous devons nous souvenir que *tout est grâce* et que le Seigneur nous a placés là où nous sommes pour Le servir et non pour nous glorifier. Pour répondre dignement, filialement, à cette marque de prédilection, nous devons demeurer constamment dans la vassalité de la Très Sainte Vierge afin qu'Elle nous préserve de tous les dangers et guide notre action, en vue du rétablissement de la légalité, plutôt que de nous complaire dans les joies mauvaises de lutte.
De même, nous devons, comme Madiran le rappelle souvent, étudier sérieusement de peur d'agir avec une légèreté que la gravité du débat rendrait impardonnable.
Enfin, il nous faut demeurer (ou devenir) fraternels entre compagnons de lutte... Et ceci ne veut pas dire que nous approuverons tout sans restriction, mais seulement que nous ferons effort pour maintenir l'unité dans la nécessaire diversité des actions, en cherchant à découvrir leur complémentarité lorsqu'elle existe.
55:163
Disons-le tout net, il ne s'ait pas d'approuver ceux qui se trompent, ou ceux qui s'offusquent de l'intensité de la lutte et recherchent des compromis, en renonçant à aller jusqu'au bout de leur combat. La Cause de Dieu, le triomphe de l'Église, dépendent de notre engagement total et ne souffrent ni atermoiements, ni faiblesse intellectuelle, ni compromissions. La Croix du Golgotha et les lions du cirque demeurent pour nous des leçons qui ne nous incitent pas aux demi-mesures.
Et surtout nous avons l'obligation de supplier : *Qui sedes, domine, super Cherubim, excita potentiam tuam, et veni ut salvos facias nos* (Vous, Seigneur, qui trônez sur les chérubins, exaltez votre puissance et venez afin de nous sauver).
Et encore : *Exsurgeat Deus, et dissipentur inimici ejus ; et fugiant, qui oderunt eum, a facie ejus* (Que Dieu se lève et que ses ennemis se dispersent ; que ceux qui Le baissent fuient de devant Sa face).
Nous devons prier aussi les uns pour les autres, et très spécialement pour ceux qui assument le glorieux danger de guider notre combat, de nous informer et de nous former. Ce sont pour la plupart des laies, des hommes du rang qui ont renoncé à tout esprit de paresse et même, en quelque sorte, à toute tranquillité religieuse pour porter aux lieux et places de ceux qui en avaient mission, *les Étendards du Roi.*
\*\*\*
Mais, par delà tous autres, il nous faut prier pour les prêtres fidèles, prier pour tous et pour chacun en particulier, avec une intensité sans faille et à proportion même des responsabilités que certains assument à nos côtés. Ils ont les grâces sacramentelles du sacerdoce pour les soutenir, mais ils n'en demeurent pas moins des hommes avec leur chair, leur cœur et leurs tentations qui ressemblent aux nôtres. Spécialement persécutés par leurs évêques et leurs confrères, parfois abandonnés, isolés, manquant du minimum indispensable, ils ont à tenir ferme hors des cadres qui étaient leurs depuis le jour d'entrée au séminaire. Ils s'étaient donnés et on les avait accueillis. A leur don correspondait une prise en charge dans une communauté hiérarchisée mais fraternelle (surtout chez les religieux), du moins l'avaient-ils cru... Et ils s'étaient trompés puisque leur fidélité même les a fait rejeter par ces faux frères dont les moins mauvais sont des mollusques et les pires, des loups.
56:163
Pour résister à cette peine, à ce misérable isolement, ils ont Dieu et Sa Sainte Mère. Par contre, s'il leur advient quelque faiblesse, quelque relâchement, ils n'auront plus que leur solitude, leur célibat humain et la hargne triomphante de leurs confrères progressistes. Tels sont les motifs qui doivent inspirer notre attentive prière à leur égard.
Mais il est encore une raison pour nous de ne pas les oublier devant Dieu, car ils courent un péril très grave, ces prêtres qui se veulent et se savent dans la mouvance de Dieu malgré leurs évêques et toute la hiérarchie et tous leurs confrères. Et ce risque est l'orgueil, un orgueil très spécifique, un orgueil de prêtre auquel Marcel De Corte a donne un nom : *la volonté de puissance.* Dans cette revue, des pages magistrales ont été publiées à ce sujet, qui visaient les clercs dans leur ensemble, pris comme une entité. Mais ici le drame est sans commune mesure, car un prêtre isolé est bien plus accessible au mal et trouverait bien moins de limites dans le contexte organique à l'égard duquel il s'est vu contraint de prendre ses distances. Et la volonté de puissance se camouflant sous un prophétisme orgueilleux ne serait plus que délire démentiel.
Disons-le bien nettement, telle est la pierre d'achoppement pour nos prêtres, surtout pour ceux d'entre eux qui ont des positions de pointe. Nous sommes donc dans l'impérieuse obligation de prier pour eux, de les porter devant le trône de Dieu, de ce Dieu qu'ils nous rendent présent à la Messe et qu'ils nous distribuent dans l'Eucharistie. Notre reconnaissance pour leur fidélité, pour LA VIE, qu'ils nous distribuent, doit demeurer immense et efficace à travers notre prière. Que Dieu leur rende présent ce péril qui n'est pas imaginaire et les en préserve, à raison même de leur fidélité, en les maintenant attentifs à fuir la tentation. Et si par malheur ils ont succombé, il nous appartiendra de leur faire des remontrances chrétiennement fraternelles, mais surtout de les recommander à la clémente, pieuse et douce Vierge Marie dont on n'a jamais entendu dire qu'Elle ait abandonné aucun de Ses enfants.
Ils sont très chers à nos meurs, les prêtres fidèles, et pour leur soumission au plan de Dieu, et pour leur dévouement à notre égard, et pour la vérité qu'ils nous dispensent. Dans leur sacerdoce, ils puisent l'admirable pouvoir de consacrer ; MAIS ILS N'ONT AUCUN CHARISME PARTICULIER POUR DIRIGER LE MONDE OU SEULEMENT L'ÉGLISE. Ils sont *dans la piétaille, comme nous,* quoique sur un plan essentiellement différent ; mais, en même temps, ils sont plus tenus que nous à une certaine dépendance dont l'institution est sage, même si les circonstances de l'instant poussent à mettre l'accent sur la liberté de faire son devoir plutôt que sur l'obligation d'obéir.
57:163
Ces circonstances ne doivent pas, cependant, les inciter à outrepasser leur fonction qui est spirituelle, sacramentelle et pastorale. Ils ont vocation pour cela, mais ils n'ont vocation que pour cela.
Il ne faut même pas hésiter à dire qu'*ils ont une sorte d'anti-vocation pour les choses de la terre.* Celles-ci n'étant pas de leur ressort, les clercs ne peuvent se laisser entraîner dans une telle direction qu'en tournant le dos à leur sacerdoce et en acceptant les incitations du Malin. Ils ne sont pas, de soi, mieux protégés que leurs confrères progressistes à l'égard de cet attrait pour le temporel ; s'il est vrai que leur fidélité les dispose à accueillir la grâce, il est également vrai qu'elle leur fait une obligation particulière de veiller à la tentation, car il y a grande joie en Enfer lorsque l'un d'eux sort de la voie droite. Nos prêtres fidèles excitent particulièrement la rage de Satan qui, s'il parvenait à les faire succomber, ne les lâcherait plus et les entraînerait obligatoirement vers les pires excès du cléricalisme, ruinant ainsi toute leur action, car le désordre ne saurait engendrer l'ordre, ni la lumière naître des ténèbres.
\*\*\*
Au jour de la Passion -- il faut nous en souvenir -- Pierre a renié trois fois et les apôtres se sont dispersés tandis que Judas cherchait une corde pour se pendre... Et pourtant, Pierre fut confirmé dans sa dignité de Chef, malgré ce coq affreux qui continuait de lui chanter dans les oreilles pour sa honte secrète.
Cela n'avait duré que trois jours, mais c'était suffisant pour que les prêtres et les princes des prêtres aient pu se féliciter d'avoir vaincu avec l'appui du bras séculier symbolisé par Pilate. C'en était fait de l'Espérance représentée par le Christ, par Sa prédication, par Ses miracles. Tout au plus resterait-Il le souvenir d'un idéaliste exceptionnel, d'un surhomme doué de charismes étranges. Mais il avait été vaincu et il était mort, pendu à cette croix d'infamie.
Ce n'est pas bien long, trois jours... Mais, qui savait que cela durerait seulement trois jours ?
58:163
Jésus l'avait dit sans que personne ne l'eût compris, probablement, si ce n'est Marie, dans Sa lumière immaculée et virginale. Et pourtant ils furent quelques-uns à ne pas désespérer, parce qu'ils avaient des âmes loyales, des natures droites et des meurs fidèles.
Le Chœur des Anges, qui avait chanté le Gloria à Bethléem, a entonné l'Alléluia au matin de Pâques, dans une joie extraordinaire, dans une liesse à nulle autre pareille, et les derniers fidèles ont eu l'âme en fête, tandis que revenaient les *flanchards* tout remplis de l'humble bonheur de s'être trompés, tout auréolés du privilège de l'enfant prodigue.
\*\*\*
Ces souvenirs sont pour nous autant d'enseignements qui nous rappellent que Dieu gagne toujours, quand et comme Il veut. A nous le combat, à Lui la victoire. A nous l'effort, mais à Lui le triomphe : *gratias agimus tibi, propter magnam gloriam tuam*.
Dans notre troupeau, les pasteurs sont absents et le loup a dévoré les chiens. Mais le Maître ne saurait oublier son troupeau. Présentement, les brebis ont à assumer leur propre défense dans l'attente du secours qui ne peut manquer de venir. Qui viendra.
Dans trois jours ou dans trois siècles, qu'importe !
Maurice de Charette.
59:163
### Les cabotins de la liturgie
par Marcel De Corte
L'ÉNORME HOULE de la subversion qui agite et disloque la foi s'attaque à la dernière digue que le catholicisme oppose encore aux entreprises du Prince de ce monde : la Liturgie de la Sainte Messe. Aux pires époques de l'histoire de son pèlerinage sur la terre, l'Église pouvait offrir aux fidèles le spectacle d'un clergé hérétique ou vicieux, un point restait respecté : le renouvellement du Sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur l'autel. Quelle que fût l'indignité du célébrant, les formes immuables du rite lui en imposaient et la substance immarcescible qu'elles transportent parvenait intacte au croyant. En dépit des ruptures les plus graves, le catholicisme restait amarré solidement, inébranlablement, à son essence détentrice des promesses d'éternité qui lui ont été accordées : *stat Crux dum evolvitur orbis*. L'Offrande perpétuelle du Fils au Père échappe depuis le Calvaire à toutes les vicissitudes du temps. Les déchéances les plus abominables peuvent affecter l'Église en son chef visible, en sa hiérarchie et en ses membres. Aussi longtemps que la Sainte Messe ne souffre aucune atteinte, on peut dire que tout est sauf. Saint Pie V n'a fait que codifier ce sentiment universel de l'Église en proférant les malédictions les plus terribles contre quiconque oserait porter la main sur cette œuvre parfaite de la foi, de l'espérance et de la charité chrétiennes dont Notre-Seigneur est l'auteur et l'acteur. Il faut que les vertus théologales qui ont Dieu pour objet soient disparues de leurs âmes pour que les profanateurs du caractère sacré de la Messe puissent aujourd'hui se livrer à leurs exploits et s'en glorifier.
60:163
Ce qui leur ouvre encore une porte du salut, c'est la crainte révérencielle qu'ils éprouvent devant les menaces lancées contre eux et qui les incitent à ne pas abroger *officiellement,* par un décret public, daté et signé, la Messe de saint Pie V. Reste à voir si les manœuvres cauteleuses auxquelles ils se livrent à l'instigation de l'Ennemi de l'Univers ne leur fermeront pas définitivement cette issue.
\*\*\*
De la collection impressionnante de ces outrages qui s'accumulent depuis le concile dans mes papiers, j'en détacherai deux, apparemment et effectivement très distincts l'un de l'autre, et cependant soudés en une même inspiration. Le premier est la Messe de Noël célébrée en l'église de Rixensart (Belgique) en 1971 et animée par un groupe de « jeunes » avec la permission enthousiaste du clergé de l'endroit ; le second est une « phénoménologie de la présence corporelle » du prêtre au cours de la Liturgie, dont l'auteur est un certain Olivier du Roy, abbé de l'abbaye bénédictine de Maredsous (Belgique) ([^14]).
La cérémonie de Noël à Rixensart commence par « l'appel plaintif d'un blues, de plusieurs blues », suivi « d'un silence brutal, d'une obscurité totale, d'une attente... ». Les points de suspension ne sont pas de nous.
Ce préambule donne le ton. Il s'agit *avant tout* de *faire sensation,* de surprendre, d'étonner, *intentionnellement.* Dès l'abord, ce prologue à la Messe sent le fabriqué, le cérébral, le factice, le dessein de *modeler* l'esprit des auditeurs en le submergeant d'émotions violemment contrastées qui empêchent leur âme de s'ouvrir à l'intelligence de la réalité effective de la Sainte Messe de Noël et qui les préparent à en recevoir une autre dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle en est la caricature.
La « séquence 2 » propose à l'auditoire ébahi des « définitions » : « *Noël,* substantif masculin, un grammairien a fait Noël monosyllabique, etc. *Arbre de Noël,* petit arbuste vert avec jouets, friandises, etc. *Bonhomme Noël... Petit Noël... *»*.* Je ne cite pas cette longue litanie d'insanités qui se veulent surréalistes. Je ferai exception pour « Jésus, nom masculin... Image, représentation de Jésus enfant.
61:163
Un Jésus en cire. Petit enfant innocent. Nom d'amitié qu'on donne aux tout petits : mon Jésus. Jésus ou adjectivement papier Jésus, sorte de papier de grande dimension (grand Jésus : 56 76) dont la marge portait, autrefois les lettres J H S, monogramme de Jésus. Il existe aussi à Paris un Jésus de dimension courante : 56 72, et même un double Jésus 112 76 ». Inutile d'insister : qui ne sent ici la volonté d'étourdir, de *stupéfier,* au sens fort du verbe, l'auditoire, voire d'exhiber une « science » empruntée aux dictionnaires et de parader sur les tréteaux en proférant : « Voyez, comme je suis malin de vous trouver ces admirables définitions dont vous ne vous doutiez pas ? »
Ce n'est pas assez, l'auteur de ces « prières au pied de l'autel » ne se contente pas d'en mettre plein la vue aux spectateurs, il le fait délibérément et il en remet « l'imagination au pouvoir », dans la « liturgie » contemporaine, depuis que les hiérarques qui nous gouvernent en ont banni le latin, n'a plus de bornes, Le *Confiteor* est remplacé par l'apparition sur la scène d'un personnage appelé CAPITALISME, en majuscules, dont les éructations fanfaronnes sont destinées à donner mauvaise conscience au publie et, par contre coup, de faire naître en leur âme lavée de ce péché collectif, le seul qu'il faille avouer, la radieuse figure du communisme rédempteur.
Je ne cite, encore une fois, que des extraits de la longue homélie qu'il prononce : « Écoutez-moi, je m'appelle CAPITALISME. Ne me confondez pas avec les cadres des entreprises ([^15])... Les entreprises, quand elles ne m'intéressent plus, je les liquide. Ne me confondez pas avec l'investisseur qui risque ses biens ([^16])... Je m'appelle CAPITALISME. Je ne risque damais rien ou si peu. Je suis puissant, ma jouissance est d'être le maître... Je suis habile... Je suis le serpent. Je suis celui qui dirige le commerce, l'industrie, la science, les arts et... la guerre à MON PROFIT... Je suis le péché mortel de la société moderne... J'ai quelques belles victoires... mai 1968... j'en ai fait un immense succès de librairie ([^17])... Jadis un illuminé vous a appris à dire Notre Père !... Des mots inutiles, sans valeur. Écoutez la prière que je vous propose... Prions mes frères :
62:163
*Notre Capital, toi qui es en Occident,*
*Que tes placements soient protégés,*
*Que tes profits viennent,*
*Que nous achetions selon ta volonté,*
*Notre nécessaire comme notre superflu.*
*Donne-nous aujourd'hui notre gadget quotidien,*
*Que nous te payerons à crédit.*
*Pardonnes-nous de rêver encore,*
*Comme nous pardonnons aux poètes qui ont tort.*
*Ne nous soumets pas le la tentation,*
*Mais délivre-nous du Tiers-Monde.*
« Mais ma plus belle victoire, c'est Noël. »
Suit alors avec une plate diatribe contre les sapins, la neige en bombes (*sic*), les gueuletons, l'Alka-Seltzer qui les fait digérer (*sic*), les bûches de Noël, les trêves du Vietnam qui servent à acheter des canons, etc.
On voit l'habileté du profanateur : mettre la profanation du *Pater* sur le dos du « Capitalisme » et, en vertu du dogme de la lutte des classes qui sous-tend sa « liturgie » communautaire, insinuer que le Communisme est le salut apporté par le Christ. Il s'agit pour lui de briser les liens qui unissent l'Église au « Capital » installé en « Occident » et, dès lors, d'en nouer d'autres avec les pays de l'Est et d'Orient d'où nous viendra la délivrance. « Cette maison est une maison de prières et on en fait une caverne de voleurs », hurle le Coryphée et personne n'ose sortir de l'église à peine de se considérer comme « capitaliste » et de se voir soupçonner de « péché mortel » par l'assemblée. On reconnaît là le travail de conditionnement mis au point au plan social et politique par le communisme et transposé dans le culte. *Il s'agit d'un véritable terrorisme liturgique* où la conversion des cœurs et la désappropriation de soi-même s'amalgament à la révolution et à la désappropriation des autres AU PROFIT DE LA SUBVERSION. « L'esprit de notre peuple s'est épaissi », clame le meneur de jeu, qui déclenche aussitôt sur la scène « une manifestation pacifiste et des sirènes d'alarme ». On brandit à bout de bras « un cadavre » et le chœur entonne : « Paix au Vietnam ! Paix au Biafra ! Paix en Israël ! Paix au Bengale ! », toute licence accordée à la violence révolutionnaire.
La séquence 3 qui comporte près de trois pages dactylographiées dans le texte a dû endormir les auditeurs avec les discours filandreux et « poétiques » de Myriam (Marie faisant trop vieux) incarnée sur le théâtre de la Messe par une jeune fille au ventre, gonflé, pour la cause, d'un oreiller !
63:163
On y parle de la « face immense du soir beige sur les villages », de « papillons mauves », d'une « grande secousse immobile », de « grands arbres ébouriffés d'oiseaux », d'une « nuit qui tombe comme une épée fragile », d'un « grand pas d'amour bleu sur les mondes », etc. Bref, une littérature qui frise à chaque instant les limites du grotesque et se prend pour une œuvre psychédélique de génie, un mélange de sentimentalité fade et d'affectation étudiée qui vise au « charme » en recourant aux vessies de la rhétorique, mais qui anesthésie la faculté de comprendre et la rend disponible à recevoir sans réaction le martèlement qui va suivre dans la séquence 4.
Un mur qui n'est aucunement de béton ou de bambou délimite le domaine du capitalisme oppresseur et celui de la liberté sans cesse ébauchée et reprise. Une voix s'élève « Y a pas que l'Christ. Ceux qui marquent l'hésitation n'apportent rien. L'Église a faussé le message du Christ et je veux le RECONSTRUIRE (*sic*). Il nous faut tendre à l'unité. » De part et d'autre, le chœur entier lance alors un appel unanime : « Mais, où, et, donc, or, ni, car, où donc, où est *l'homme,* où, où, où, où, dont nous avons besoin tout de suite... Des actes clairs... etc. », chacun de ces mots répétés cent fois par chacun des « chantres » et se mêlant au hasard. Puis vient une burlesque énumération d'une bonne centaine de professions les plus aberrantes invitées à répondre. J'en donne quelques exemples : « Répondez, -- vingt ou trente fois lancé --, répondez... pâtissiers, franciscains, sociologues, dentistes, déserteurs, prophètes, romanistes, menteurs, patineurs, diamantaires, chefs de gare, footballeurs, Jésuites, lycéennes, astrologues, atomistes, sexologues, etc. ».
On notera qu'il n'est pas un seul instant question de Dieu ! Depuis la fameuse parole du Pontife : « *Nous aussi, nous avons plus que quiconque le culte de l'Homme *», les « constructeurs du nouveau message chrétien » se déchaînent à l'envi et se prennent tous, dans leur délire prophétique et mystique, pour Jésus-Christ en personne. Seulement, l'Évangile est désormais prêché A L'ENVERS ! ([^18])
Vient une séquence cinquième qui se veut incantatoire comme le charivari précédent, mais qui sur un mode douceâtre, insinue le même thème de la plainte de l' « opprimé », : « Laissez-nous mettre sur les coups l'eau très douce des arnicas... Laissez dormir les pauvres devant les châteaux intérieurs et rêver devant les glaciers... Au grand livre des nuits, au livre aux grands bords, à la Bible des berges...
64:163
Nous sommes affamés d'un matin enfin plus juste... et nous sommes déjà un grand peuple de princes des sources, une fête des sources, un buisson explosé d'oiseaux blancs », en langage clair et net : Prolétaires de tous pays, unissez-vous dans la Révolution libératrice que vous apporte la Bible politiquement lue ! le prolétariat apporte le salut à l'Humanité. -- En effet, « si tu le voulais, mon frère, on créerait un monde juste et si tu le veux nous construirons ce monde dès maintenant ». Autrement dit : Nous referons l'œuvre du Créateur, nous referons le Paradis terrestre trop longtemps fermé pour cause de démolition, nous construirons l'Homme nouveau, la société nouvelle, d'où le péché originel aura été banni. Le rêve de tous les millénaristes, la Grande Utopie de la Pentecôte postconciliaire qui ravale le christianisme au niveau d'une religion de derviches tourneurs...
\*\*\*
Dans cet énorme canular se trouvent enchâssés l'Épître et l'Évangile avec l'aveu sans ambages : « Ce n'est pas un spectacle, mais BIEN PLUS, un essai, une méditation (sic), une FIÈVRE... de ce que Dieu REPRÉSENTE pour nous, les hommes ». On notera qu'il ne s'agit pas de *ce que Dieu est, de ce qu'Il nous révèle de sa gloire,* mais *de ce que les hommes pensent de Lui, de l'idée qu'il s'en font et qu'ils triturent à leur guise.* Pouah !
J'ai réservé pour la fin le *Credo* dont on appréciera la dextérité dans l'emploi des mots ambigus, le manteau de silence tendu sur la Croix et sur la Résurrection, la division de l'histoire en trois étapes successives qu'elle implique ouvertement et qui est propre à toutes les sectes gnostiques : l'âge du Père créateur, l'âge du Fils teilhardisé, l'âge où nous entrons, où l'Esprit s'identifie, par l'intermédiaire de l'Église communisée, à l'Humanité, sommet de la Divinité, crime *à tout jamais* inébranlable de l'unique et vraie foi :
Je crois en Dieu, créateur de toutes choses,
qui *recrée son œuvre* (*sic*) en son Fils fait homme.
Je crois en Jésus, Parole de Dieu faite chair,
qui suscite sans cesse des hommes nouveaux.
Je crois en l'Esprit, qui ouvre les yeux de notre foi
et nous fait découvrir *les signes d'un monde nouveau* (sic).
Je crois en l'Église, communauté des hommes nouveaux
qui travaille à faire éclore le monde nouveau.
Je crois en L'HOMME,
malgré tout ce qu'il a pu faire de mortel et d'irréparable.
Je crois en lui pour la sûreté de sa main,
65:163
pour son goût de la liberté,
pour le jeu de sa fantaisie,
pour son vertige devant l'étoile.
Je crois en lui
pour le sel de son amitié,
pour l'eau de ses yeux,
pour son rire,
pour son élan et ses faiblesses.
Je crois *à tout jamais* en lui,
pour une main qui s'est tendue,
pour un regard qui s'est offert,
et puis surtout et avant tout,
pour le simple accueil d'un berger.
Seigneur, je crois, mais fais grandir ma foi.
Cette pantalonnade liturgique que son auteur substitue au *Credo* de Nicée condense en quelques phrases la révolution culturelle qui s'opère sous nos yeux dans l'Église à l'incitation de la hiérarchie, sauf rarissimes exceptions. Il n'est personne qui ne perçoive ici son intention, analogue du reste à celle de « La nouvelle Messe » : *déplacer l'axe vertical de l'adoration que l'homme voue publiquement à Dieu vers l'horizontale de l'autodivinisation de l'homme,* du travailleur, « pour la sûreté de sa main », par une mise en condition de l'esprit des fidèles grâce à des moyens théâtraux qui transforment la Sainte Messe *en une œuvre d'homme,* « *cousue main *». L'OPUS DEI fait place, dans une opération subversive, à l'OPUS HOMINIS. Le verbe humain élimine le Verbe divin. La littérature évacue la Liturgie. Une vague religiosité romantique, de très mauvais aloi en l'occurrence, et *de pure création humaine,* se substitue au culte qui rend à Dieu ce qui lui est dû *selon ce que la religion chrétienne nous enseigne.* La nouvelle liturgie révolutionnaire transforme la Messe pour transformer la mentalité des fidèles, exactement comme l'homme transforme la nature pour se transformer lui-même dans la doctrine marxiste. Ce n'est pas seulement du chiqué, du postiche, de l'artificiel, c'est de *l'imposture.* Cette nouvelle messe est *de la mise en scène* où le regard des spectateurs est détourné artificieusement de l'Auteur divin qui se sacrifie sur l'autel, vers les acteurs humains en quête d'applaudissements. Alors que, dans la Sainte Messe traditionnelle, le prêtre et les officiants *s'effacent* devant Dieu et n'agissent qu'*in persona Dei*, dans cette parodie du Sacrifice, des histrions, hissés sur les tréteaux de ce monde, paradent devant la foule. On se trouve en présence d'une *profanation* au sens le plus rigoureux et le plus sacrilège du terme.
\*\*\*
66:163
La même inversion pathologique du rapport de l'homme à Dieu éclate dans la « philosophie » de la liturgie démarquée de Heidegger, pour son propre usage bien entendu et pour celui de ses moines gyrovagues, par le Révérendissime Père Abbé de l'Abbaye bénédictine de Maredsous, faquin de l'espèce la plus quintessenciée, qui, depuis l'ouverture de l'Église au monde, se pavane sur tous les tréteaux afin d'attirer l'attention sur son « originale personne » : Olivier du Roy de Blicquy, nobliau en rupture de ban avec sa classe, et qui tente, avec un certain succès, il faut le dire, de dresser la jeunesse aristocratique et bourgeoise que d'aveugles parents lui confient, au rôle de « ferment dans la masse » sans lequel, comme on sait, il n'est pas de rénovation chrétienne véritable. Est-il vrai qu'à la veillée de Pâques ou à celle de Noël de l'an dernier, je l'ai oublié, des professeurs de son école abbatiale, encore en robe monastique à cette époque, ont dansé avec des jeunes filles venues en retraite pieuse en son abbaye ? Rien de tel que quelques cabrioles ou quelques rigodons pour se préparer à la résurrection ou à la venue du Sauveur ! David n'a-t-il pas dansé devant l'Arche ? Le cardinal Suenens n'a-t-il pas autorisé une nouvelle Messe, dansée en collants par des jeunes filles, dans je ne sais plus quel mauvais lieu de son diocèse ?
Au surplus, notre freluquet d'abbé n'est pas à un grand écart près. N'a-t-il pas récemment diffusé l'ignoble *Petit Livre Rouge* des écoliers et des lycéens en son école et prétendu publiquement que sa lecture purificatrice « dédramatise » les problèmes sexuels que se pose la jeunesse ? Ne vient-il pas d'autoriser ses moines à porter « un habit moderne sans uniformité », afin qu'ils puissent ainsi manifester au dehors le souci qu'ils ont de « la personne humaine », la leur, bien sûr. La raison qu'il en donne ? Je vous la donne en mille : « L'habit monastique apparaît comme une façon trop voyante d'afficher ses convictions ! ». Le froc aux orties ! « Porter des jupes pour un moine apparaît un peu comme un travesti féminin » ! Et qu'un obstiné lui réplique que le pantalon est aujourd'hui porté par des femmes, notre abbé lui clôt le bec en lui disant, dans le pur style de ses congénères du XVIII^e^ siècle, qu' « il est porté d'une façon féminisante à souhait ». Textuel ! Ce godelureau est décidément fort bon observateur...
67:163
De telles incartades mesurent un esprit. La « philosophie phénoménologique » de notre sérieux drille en pèse la substance éthérée. Selon lui, la liturgie présuppose « une certaine manière d'être là, présent dans son corps », le *Dasein* quoi*,* cher au charabia philosophique de la pensée contemporaine. La manière d' « être là » du Révérendissime abbé est évidemment une manière d'être un peu là, de tenir beaucoup de place, d'être important, de faire la roue.
Et la meilleure façon de s'ébrouer est toujours chez les amateurs de nouveautés de jeter le discrédit sur la liturgie traditionnelle : celle-ci n'est rien d'autre, proclame-t-il avec superbe, qu'un « ritualisme magique et légaliste ». Il ajoute péremptoirement que le corps y exécute des gestes « sans fantaisie ». Ces gestes « expriment le code et non la personne » qui « s'efface au maximum ». Il ne vient pas un seul instant à la pensée de notre écervelé que la première préoccupation d'un officiant est de *s'effacer* devant la Présence divine attendue ou effectuée et de réaliser en soi, en se dépouillant de toute *fantaisie,* la parole de l'Apôtre : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. » Le rite, avec son formalisme en apparence tout extérieur, est le signe de ce dépouillement de soi-même et de ce vide qui laisse tout l'espace intérieur vacant pour la seule action du Christ. Comment un fils de saint Benoît peut-il ignorer ce principe élémentaire de la Liturgie sacrée ? Selon lui, « ce style légaliste... nous plonge immédiatement dans la magie » : « l'exécutant n'a pas la clef du sens : il exécute une formule ancestrale à laquelle est attachée une « vertu » ! « Tel était, dans l'ancien *Missel Romain,* ce geste des deux mains ouvertes, parallèles, mesurant exactement la carrure ou je ne sais quelle aune imaginaire. » A lire pareil commentaire, on peut se demander si les réalités de la foi qu'on a tout de même apprises à notre hurluberlu sont encore présentes à son cœur...
Ce qu'il faut, ce n'est évidemment pas Dieu -- qui est à peine nommé, à qui on ne s'adresse jamais -- dans la pavane que le Révérendissime abbé déroule sous nos yeux -- c'est autrui, l'accord et l'admiration d'autrui instamment sollicités. Je veux, écrit-il, « un style qui se voudrait à la fois expressif de soi et attentif à l'autre, présence et accueil... On est là, *avant tout,* présent en son corps, dans l'espace et le temps de la célébration \[autrement dit sur la scène !\] par tout son corps, *tous pores ouverts* \[nous citons sans éclater de rire !\] vivant pleinement la temporalité de la rencontre ». Le premier rôle est ainsi celui du « président de l'assemblée » uni par toutes ses glandes sudoripares à l'assemblée elle-même, le second est réservé non pas à Dieu, mais à la parole de Dieu. Je cite à nouveau : « Accueillir la parole de Dieu, entrer dans sa communion, c'est D'ABORD cette qualité de présence du réel (!), aux autres, à la situation (!) ».
68:163
Je continue : « Pour vivre l'authenticité de cette présente corporelle \[Dieu ! quel amphigouri !\] *fondement de toute expression liturgique,* il faut accepter son corps... il faut l'habiter tout entier, de part en part (*sic*)... il faut, apprendre à le réhabiliter, *à le conscientiser jusqu'en ses moindres recoins. *»
Nous détenons l'aveu : la Sainte Messe est une pièce de théâtre où le prêtre est acteur, où il remplace et donc élimine Jésus-Christ *en jouant* le rôle du sauveur, où il fait passer dans son corps non pas *une présence* de Dieu, mais la conscience qu'il a d'être le substitut de Dieu, son *alter ego,* où s'étale sa propre présence à lui acteur, son Moi porteur de *la représentation* qu'il se fait de Dieu, son Moi divin. En langage plus direct, le prêtre *singe* Dieu. C'est proprement *diabolique.*
A partir de là, tout devient permis à l'abbé. Le passage du rite au style \[de la Messe éternelle à la nouvelle Messe !\] est celui du « corset » à l' « ossature » : « il correspond *au passage du texte obligatoire au schéma directeur sur lequel le célébrant improvise *»*.* La Sainte Messe se mue donc, à notre époque de mutations, en *commedia dell'Arte,* où le pitre brode sur un canevas, inventant les farces les plus grossières, celles qui *frappent* le plus le public, entraîné en cette escalade dans un cercle *infernal.* Il lui faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde, pour susciter l'enthousiasme de l'assemblée subjuguée. *On se trouve là en présence de la volonté de puissance cléricale à son plus haut exposant.*
Nous en avons derechef l'aveu, déclaré sans vergogne : « La valeur fondamentale du corps est le lien entre l'expression et *l'efficacité *»*.* Dans le corps, « la transe émotive et la parole lucide (*sic*) s'appellent l'une l'autre... Le critère \[celui de la réussite de l'entreprise théâtrale, bien sûr !\] c'est la présence de l'étranger qui, entrant dans une assemblée de glossolales, peut s'en aller sans être compromis, mais qui, entendant la prophétie, est jugé, retourné, converti ». Si le scénario est bien mis au point, si les concélébrants forment une troupe bien homogène, si le coryphée tient bien ses hommes en main et s'il sait composer sur-le-champ et sans préparation, le succès se mesurera au nombre de gens qui, venus pour lancer des tomates, ne ménagent pas leurs acclamations aux acteurs et au meneur du feu. Rideau.
\*\*\*
69:163
Dans tout ce pathos, *il n'est pas une seule fois* question du Saint Sacrifice de la Messe, de l'offrande à Dieu, de l'Immolation de Jésus sur l'autel, sommet de la Liturgie, ni de la prière elle-même : je dis *pas une seule fois.* Il suit de là que la formule que j'ai si souvent employée devant mes enfants afin de leur conserver la foi -- et ils l'ont conservée : « Il y a des prêtres qui croient en Dieu et des prêtres qui ne croient pas en Dieu, mais en eux-mêmes », -- s'applique exactement aux deux cas de névrose liturgique que je viens d'évoquer et qui sont pris entre mille.
Ces prêtres qui jouent à l'homme et qui attendent impatiemment la création du Grand Prix International de la nouvelle Liturgie catholique à décerner à toute Messe inédite dont ils seraient à la fois les auteurs et les interprètes, sont visiblement des *ratés.* Ils n'ont pas réussi leur vie sacerdotale comme ils l'espéraient. Alors, ils font « sauter la baraque » pour la « reconstruire ». A cette fin, *ils* se jouent à eux-mêmes la comédie avec tant d'astuce qu'ils ne s'aperçoivent même plus de leur imposture. Tartufe a pris corps en eux jusqu'à la racine. Il est devenu Narcisse. Seuls ses œuvres, son affreux gribouillis qui le dénoncent offensent le bon goût et le bon sens. Mais encore faudrait-il que les gardiens du troupeau alertent le bon peuple médusé et qui finit par s'habituer à cette liturgie comme il s'est habitué à l'information déformante des journaux, de la radio et de la télévision. Nous pouvons attendre !
On comprend alors la portée du sarcasme de Sacha Guitry : « Tous les hommes sont des comédiens, bien peu sont des acteurs. »
Il va comme un gant aux cabotins de la liturgie.
Marcel De Corte,
professeur à l'Université de Liège.
70:163
### Triste vieillesse
par Louis Salleron
LA VIEILLESSE, cela commence à m'intéresser. Pour cause. Mais ce n'est pas de la vieillesse en soi que je voudrais parler, c'est de la condition de la vieillesse -- des vieillards, des « vieux » -- dans le monde actuel.
Est-elle pire que jadis ? Je n'en sais rien. Il faudrait avoir été vieux soi-même en des siècles différents pour en juger. Ce genre de comparaison est impossible, en quelque domaine que ce soit. Il pose la question du bonheur et du malheur. C'est toujours une question sans réponse si l'on n'identifie pas le bonheur aux satisfactions du progrès technique et le malheur à l'inconfort. Tout le monde est d'accord que l'électricité est préférable à la chandelle. On peut débattre de la mesure dont le bonheur est lié à l'électricité et le malheur à la chandelle.
En toute hypothèse, la première disgrâce de la vieillesse c'est la vieillesse elle-même. On peut dire, drôlement, avec Max Jacob que le drame de la vieillesse ce n'est pas de vieillir, c'est de rester jeune ; le sens est le même.
Mais cette disgrâce est accrue ou atténuée par des éléments extérieurs. On doit constater que le monde moderne rend la vieillesse très dure à beaucoup.
Le vieux est un être qui se sent désarmé et qui sent qu'il le sera de plus en plus. Sa hantise est donc là sécurité. Il éprouve aujourd'hui une insécurité croissante.
Ce sentiment existe à tout âge. Il grandit à mesure que se développe la Sécurité sociale. Le chômage est une hantise. C'est que nous vivons en un siècle où tout se paye.
Le budget de chacun, quel qu'en soit le montant, est quasiment incompressible. Si, brusquement, les ressources dont on dispose habituellement sont amputées de 50 p. 100, ou seulement de 30 ou de 20, c'est la panique. Les notes à payer sont les mêmes ; et la structure sociale est à ce point rigide qu'on ne peut se caser dans un autre secteur que celui on occupe. Pour y parvenir, en tout cas, il faut une série de démarches exténuantes ; et le coût du changement est très lourd.
71:163
Au moins, quand on est jeune, on peut lutter et on peut espérer rétablir la situation, voire l'améliorer. Quand on est vieux, c'est impossible.
Si l'on symbolise par la retraite l'entrée en vieillesse, on découvre brutalement ce passage dans l'absolu de l'insécurité.
Les trois quarts, ou les quatre cinquièmes, de la population étant des salariés, l'entrée en vieillesse, c'est d'abord la conversion du salaire en pension de retraite, c'est-à-dire une diminution de ressources qui peut aller de 20 à 60 pour cent. La rigidité des structures rend très difficile et souvent très onéreuse cette mutation.
On le voit très bien, dans le cas des catégories de salariés qu'on peut considérer comme privilégiées. Prenons l'exemple d'un cadre qui, en fin de carrière, gagne 8 000 francs par mois. A sa retraite, il touchera, par exemple, 5 000 francs (la somme peut varier considérablement). S'il meurt, sa femme n'aura plus que 3 000 francs. On se récrie : ce sont des retraites énormes, très supérieures aux salaires habituels de ceux qui travaillent. Bon. Mais j'analyse la situation de cette catégorie privilégiée. Qu'on juge des autres !
Le retraité doit souvent changer de logement, le sien est devenu trop grand et trop cher. Il s'aperçoit qu'un petit logement, moins cher absolument, coûte souvent plus cher proportionnellement dès qu'il a le moindre confort, c'est-à-dire simplement les commodités techniques modernes dans un cadre parfaitement inconfortable. Mais comme il ne peut plus avoir d' « employée de maison », il doit recourir aux facilités fragiles des équipements ménagers automatiques.
A sa mort, sa femme restée seule n'aspire qu'à la maison de retraite, qu'elle aura beaucoup de mal à trouver. C'est le « mouroir », devenu classique.
Au point de vue familial, la situation est sinistre. Imaginons ces « vieux » ayant trois ou quatre enfants et une dizaine de petits-enfants. Il ne peuvent plus les recevoir, moins encore les « aider ». La « maison » a disparu, avec l'argent. Ce ne sont pas des conditions psychologiques propres à favoriser une vieillesse heureuse.
Mais les enfants ne pourraient-ils pas recevoir chez eux leurs parents ? Dans la plupart des cas, c'est impossible.
72:163
Pour les mêmes raisons. Logement trop petit, Difficultés de personnel. Question d'argent aussi.
La cause de tout cela ? Toujours la même, la *concentration* universelle engendrée par le *progrès technique,* les *doctrines socialistes* et *l'inflation.*
La cellule familiale est dévorée par le cancer étatique. L'argent ruisselle, mais dans une giration qui a nom financier de « répartition » et qui exclut toute « capitalisation »*,* c'est-à-dire la constitution par l'épargne normale de réserves permettant de compenser l'insécurité de la faiblesse de l'âge par la sécurité la prévoyance, au sein de structures patrimoniales correspondant aux structures réelles profondes d'une société diversifiée et hiérarchisée.
Le commun dénominateur du socialisme, plus encore que de l'individualisme, c'est l'individu. Ménages, parents, grands-parents, familles sont des mots. Tout un chacun est traité comme orphelin et célibataire, les orphelins et les célibataires étant d'ailleurs souvent les plus mal lotis, n'ayant plus que l'État en face d'eux, sans pouvoir s'étayer au cadre de la famille où ils trouvaient encore à se loger.
Si l'on entrait dans le détail des réglementations et de la fiscalité, on verrait se multiplier, les causes de l'insécurité. Les vieux sont suspendus à leurs mandats, d'où dépend leur vie quotidienne, redoutant l'augmentation perpétuelle du coût de la vie et l'imprévisible « pépin » qui laissera leur faiblesse sans recours face à la bureaucratie.
Ajoutons que même ceux qui, à la différence de Max Jacob, ne restent pas jeunes dans leur vieillesse, continuent souvent d'avoir une cervelle pensante et méditante. Voyant clairement l'invisible avenir, ce n'est pas pour eux-mêmes mais pour leurs enfants et leurs petits-enfants qu'ils sentent monter en eux l'angoisse du futur. De voir s'écrouler à la fois leur famille, la civilisation et l'Église leur est souvent plus pénible qu'une fin de vie personnelle dont ils accepteraient philosophiquement les aspects de déchéance.
Il est curieux d'observer que les écrivains pour qui les considérations financières ou familiales de l'existence ont peu de poids éprouvent cette mélancolie particulière de la vieillesse actuelle. On le voit à des tempéraments aussi différents que ceux d'un Malraux ou d'une Simone de Beauvoir. L'impression qu'ils ont d'avoir été « floués » prend une dimension métaphysique.
Sans doute l'euthanasie viendra-t-elle s'ajouter à la contraception pour parachever le meilleur des mondes, en réglant les problèmes de la mortalité en harmonie avec ceux de la natalité. Mais nous ne sommes pas encore parvenus à ce stade du progrès.
73:163
Efforçons-nous donc de vieillir sereinement en lisant le nouveau rituel des funérailles. Faute de prêtres, nous aurons ce qui nous restera de famille et d'amis pour nous chanter « Ce n'est qu'un au revoir ».
Mais où nous reverrons-nous -- et nous reverrons-nous ? -- puisqu'aux dernières nouvelles de la théologie post-conciliaire il n'est pas sûr que le Christ lui-même soit ressuscité ?
Louis Salleron.
74:163
### Pages de journal
par Alexis Curvers
LE CURÉ d'un petit village belge a gardé dans son église une très belle statue de sainte Philomène, sculptée en bois plein. Désespérant de la lui faire enlever, l'évêché lui dépêche un savant chanoine qui le conjure d'en changer au moins le nom ! Réponse du curé : « Le saint curé d'Ars, notre modèle à tous, qui avait pour sainte Philomène une dévotion particulière, était-il donc une bête ? » La statue reste en place.
\*\*\*
Le 10 février, fête de sainte Scholastique, sœur de saint Benoît. Oraison de la messe : « Seigneur notre Dieu, qui, pour nous montrer le chemin de l'innocence, avez donné l'apparence d'une colombe à l'âme de sainte Scholastique montant au ciel, daignez nous accorder, par ses mérites et ses prières, de mener une vie si pure que nous parvenions aux joies éternelles. »
Oraison de la nouvelle messe : « En célébrant la mémoire de sainte Scholastique, Seigneur, nous t'en prions, fais que nous sachions, nous aussi, te servir avec une charité sans défaut et goûter le bonheur de ton amour. » Adieu, colombe. Adieu, innocence. Adieu, miracle. Adieu, poésie.
\*\*\*
75:163
Réduite à une petite demi-heure, la récitation du nouveau bréviaire ne comporte souvent qu'à titre facultatif l'histoire du saint du jour, qui se lisait généralement au deuxième nocturne des vêpres. J'apprends qu'alors déjà c'était une plaisanterie courante, parmi les clercs frottés de « culture », de dire : *mentir comme un deuxième nocturne*. Ils faisaient encore semblant de croire à ce dont ils se moquaient entre eux. Ils mentaient donc, ils ne mentent plus. On est adulte ou on ne l'est pas. On a l'esprit scientifique ou on ne l'a pas. Adieu, légende dorée. Adieu, signes du ciel. Adieu, foi du charbonnier. Adieu, vêpres. Il n'y a plus qu'à découvrir par quoi les remplacer. Le génie de nos petits curés « en recherche » y pourvoira sans faute.
\*\*\*
Je ne comprends pas pourquoi les adversaires les plus déclarés de la nouvelle messe, tout en la réprouvant, assurent si volontiers qu'elle n'est pas invalide. Qu'en savent-ils donc ?
J'espère bien qu'ils se trompent. Car si la nouvelle messe était valide, elle serait manifestement sacrilège dans la plupart des cas. Or mieux vaut encore un simulacre d'outrage qu'un outrage effectif.
L'abbé de Nantes, par exemple, affirme que la nouvelle messe est « valide, quoique mauvaise et ambiguë ». Mais comment admettre que Dieu puisse, en effectuant le miracle de la transsubstantiation dans ce qui de la messe n'est plus qu'une parodie souvent ridicule, parfois ignoble, en tout cas dégradante, se rendre complice d'une action mauvaise et ambiguë, perpétrée contre Lui et contre ceux qui croient en Lui ?
\*\*\*
On raconte que Jules Ferry, au sortir de Notre-Dame où ses fonctions l'avaient obligé d'assister à une grand-messe solennelle, soupira, fort ému : « Quelle belle cérémonie ! Et dire que dans cinquante ans, qu'on le regrette ou non, tout cela sera fini !... »
Par excès d'optimisme, il ne se trompait guère que d'un demi-siècle. Mais il se trompait également par défaut d'optimisme, ne prévoyant pas qu'il ne perdrait rien pour attendre, puisque ce serait l'Église elle-même qui, avec bien plus de succès que les gouvernements athées, entreprendrait un jour de mettre fin à « tout cela ».
76:163
Talleyrand, qui avait vu finir beaucoup de choses, et en avait mené beaucoup à leur fin, disait : « Ce qui finit, finit tout à fait, rien n'est remplacé. »
\*\*\*
Cette prêtraille impie et scandaleuse qui ose encore se dire l'Église du Christ nous aura du moins rendu un service : elle nous a forcés de choisir en connaissance de cause entre le Christ et elle.
Dostoïevski disait que s'il avait eu par impossible à choisir entre le Christ et la Vérité, il aurait choisi le Christ. A plus forte raison entre le Christ et le Mensonge, mon choix est fait.
\*\*\*
« Une foule livrée à ses instincts ne peut manquer de déshonorer même le patriotisme, le courage et la justice », dit Robert Poulet. C'est vrai, mais une foule n'a d'instincts que ceux qu'éveillent et surexcitent en elle des meneurs que du reste elle ne connaît pas.
\*\*\*
L'humanité sans l'Évangile est horrible. Moins horrible pourtant qu'elle ne l'est devenue depuis l'Évangile, malgré l'Évangile et contre l'Évangile.
\*\*\*
Tout le système progressiste présuppose une théologie parfaitement cohérente et d'une logique inattaquable, pourvu que le principe en soit sauf.
Ce principe est que l'homme, étant naturellement bon, ne cesse de s'améliorer automatiquement, en vertu des lois de l'évolution.
On ne sait d'ailleurs ce qu'il faut ici entendre par le bon et le meilleur, puisque ces notions ne peuvent se définir que par rapport à une valeur absolue que le système récuse. Mais à partir de là, tout se tient.
77:163
Si l'homme, au lieu d'être déchu de sa perfection première, est demeuré naturellement bon et par soi-même capable de s'améliorer indéfiniment, c'est qu'il n'en est pas empêché par le péché originel.
S'il n'y a pas de péché originel, l'homme n'a besoin d'aucun autre Sauveur que lui-même. A plus forte raison n'a-t-il besoin d'aucune Rédemption ni même d'aucune Révélation, puisqu'il est seul juge et artisan de son propre salut et que la connaissance du vrai lui est innée.
Si l'homme n'attend de Dieu ni rédemption ni révélation, Dieu n'avait aucun motif de se faire homme pour le racheter et pour l'instruire.
Il suit de là que Jésus-Christ n'est pas Dieu incarné, mais tout au plus un homme particulièrement avancé dans la voie du progrès, et remarquable donc en ce qu'il est lui-même produit exemplaire, témoin prophétique et facteur décisif de l'évolution bienheureuse où il entraîne l'humanité.
Si Jésus-Christ n'est qu'un homme, il n'avait aucun pouvoir de prédestiner une Vierge à lui servir de mère.
Il n'avait pas non plus le pouvoir de changer les substances du pain et du vin en celles de son corps et de son sang ; car Dieu seul est créateur et maître de la substance, l'homme n'ayant de pouvoir que sur les accidents, lesquels d'ailleurs lui semblent beaucoup plus intéressants que l'immuable et invisible substance des choses.
L'Eucharistie est donc un pur symbole ainsi que les autres sacrements institués de Jésus-Christ, images facultatives d'une grâce divine dont la véritable source est dans l'homme qui les reçoit.
Le Baptême par exemple, bien que recommandable en tant que figure d'une mutation déterminée par l'évolution, n'est cependant rien de plus qu'un rite de passage, en dernière analyse une formalité d'état civil religieux, totalement impropre, et pour cause, à effacer le péché originel, ou à libérer l'homme de la domination d'un diable non moins imaginaire.
78:163
Enfin Jésus, s'il n'est qu'un homme, n'a jamais eu le droit ni le pouvoir ni seulement l'idée de fonder une Église infaillible, encore moins de transmettre à Pierre et à ses successeurs le privilège d'exercer en son nom l'autorité divine.
Qu'on examine chacune de ces propositions, on verra qu'elles sont toutes incluses dans le credo progressiste, et si conséquemment que, pour peu qu'on en accepte une seule, on est contraint de souscrire à toutes les autres, c'est-à-dire de prendre entièrement et exactement le contre-pied du credo catholique.
Le comble est que l'Église qui s'appelle encore catholique adopte aujourd'hui explicitement ou non, en tout cas dans ses décisions et dans sa politique, cette théologie progressiste dont nous sommes désormais en mesure de comparer le principe et les suites : l'homme qui n'a pas besoin de Dieu, l'homme naturellement bon évolue en effet, puisque nous le voyons se transformer chaque jour un peu plus vite en animal stupide, heureux encore quand ce n'est pas en bête féroce.
\*\*\*
Il me semble que le nom de *Vatican II* est parfaitement propre à désigner non seulement le dernier concile, mais aussi le gouvernement de l'Église tel qu'il fonctionne en permanence depuis les innovations renversantes que ce concile y a introduites. On ne sentait jusque là nul besoin de distinguer par un numéro d'ordre le Vatican qu'on croyait unique et immortel, avant qu'on ne s'aperçût qu'il était bel et bien mort avec Pie XII. Force fut dès lors de marquer par une différence de chiffre le changement survenu entre ce Vatican immuable et le Vatican tout autre qui lui succédait sous le même nom. On peut dire même qu'une Église II, que nous ne connaissions pas, se substitua dans ce moment à celle qui pendant près de vingt siècles avait été l'Église tout court.
De cette rupture incroyable témoigne un mot de Jean XXIII, qu'un ami très au courant des choses romaines me rapporta en son temps comme une simple boutade. En visite *ad limina,* l'évêque du Mans s'était plaint de la difficulté qu'il éprouvait à occuper dignement le siège du prélat éminent qu'avait été Mgr Grente.
79:163
-- Faites comme moi, aurait répondu le pape. Faites exactement le contraire de ce que faisait votre prédécesseur.
Nous rîmes d'une plaisanterie qui annonçait tout ce dont à présent nous pleurons. Le mot est peut-être apocryphe. Maintenant que nous en apparaît pleinement la signification augurale et prémonitoire, si Jean XXIII n'en fut pas le vrai auteur, les visées de ceux qui l'avaient inventé et le colportaient avec un vif succès ne sont que plus décelables : ce n'est plus un évêque, ce n'est plus un pape, c'est tout entier le Vatican second du nom qui fait exactement le contraire de ce qu'a toujours fait le Vatican. -- Il est d'ailleurs curieux que le pape auquel on attribue ce mot révélateur ait choisi d'être lui-même un Jean XXIII second du nom.
\*\*\*
La récente affaire des papiers du cardinal Tisserant montre assez que, si le Vatican II prône l'ouverture au monde, il ne la pousse pas jusqu'à l'ouverture de ses propres dossiers. Et cela se comprend de reste. Plus l'Église est ouverte au monde, plus elle a de raisons de cacher que le monde ne l'a pas envahie sans la corrompre.
\*\*\*
Les papiers de Tisserant après les mémoires de Mindszenty : cela fait beaucoup de témoignages à étouffer dans l'Église du dialogue.
\*\*\*
Ce n'est pas à Judas, c'est à Pierre que Notre-Seigneur a dit : *Vade retro, Satanas !* Et il lui en donne la raison « Parce que tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes. »
Pierre croyait n'avoir fait rien de bien grave. Il avait seulement douté que le Seigneur, comme il l'annonçait, eût beaucoup à souffrir « des anciens, des grands-prêtres et des scribes », c'est-à-dire du monde.
\*\*\*
80:163
Les pompiers ont beau allonger leurs échelles, celles-ci ne rattrapent jamais à temps les tours de Babel de plus en plus, hautes, où l'incendie s'allume de préférence dans les derniers étages.
\*\*\*
Les termites parlent de faire sauter la baraque, comme s'ils ne l'avaient pas déjà entièrement rongée par le dedans.
Alexis Curvers.
81:163
### Le cours des choses
par Jacques Perret
TOUT LE MONDE SAIT que le papier d'aujourd'hui se fabrique avec du bois. E ligno factus. Le journal dit *La Croix* vend ainsi chaque soir le métrage cubique de l'arbre qui fait son titre, de l'arbre où se pendit Judas et de l'arbre où fut piégé Absalon. A dire vrai et pour être honnête les journaux prennent leur papier sans se préoccuper des essences qui en font la pâte.
Il y a aussi les cartons, les emballages, les coiffures de cotillon et mille choses encore dont le bois fait matière première, mais quand on parle papier on en voit tout de suite l'espèce noble et souffrante qui est le papier à écrire ou à imprimer. On peut en flétrir les méfaits ou chanter les mérites, mais l'importance de son rôle dans l'évolution des sociétés n'est pas contestable. Soit dit entre nous, si la postérité s'obstine à juger des siècles d'après leurs édifices et leurs écrits, mieux vaudrait encore, hélas, que le nôtre survécût dans ses écrits, non ses bâtisses. L'énormité du volume papier toujours croissante est un phénomène assez trompeur. Il traduit un niveau et une activité intellectuelles sensiblement inférieures à celles du Gallo-romain moyen. C'est la fructification et exploitation anarchique de l'alphabétisme inculte. La condition papyriacée leur étant commune on peut considérer comme un ensemble homogène les publications de presse, les romans, les affiches de slips, les billets de mille, les prospectus, l'incontinence des imprimés administratifs et des projets de loi, les bulletins de vote, etc. ; il faut bien dire alors que nous vivons au siècle du papier. Siècle de logorrhée aussi bien mais tout le verbe diffusé, enregistré, emboîté n'a pour effet semble-t-il que d'affermir l'autorité du papier écrit et d'en multiplier l'espèce. Moyennant quoi nous laissons dire qu'aujourd'hui la civilisation occidentale est une civilisation de papier.
82:163
Un quotidien de Tokyo, le plus grand il est vrai, consomme tous les jours 80 hectares de forêt. Observant que les progrès du papier boulimique ont surpris nos forêts en régression et qu'il faut plus de temps pour faire un arbre à papier que pour lire le *Monde,* les augures importuns commencent à entrevoir que si l'arbre est tué par le papier le plumitif ne survivra pas au dernier bûcheron mort lui-même d'anémie faute de lecture.
-- Pas de panique, me dites-vous ; si les forêts venaient à disparaître et que le papier manquât, nous pourrions bien, en attendant qu'elles repoussent, vivre sur nos bibliothèques et nous contenter par ailleurs de plaines, landes et garennes.
Grave erreur : il n'y a pas que le papier. Chaque fois, dit-on, qu'un gros Boeing traverse l'Atlantique il consomme le volume d'oxygène dégagé en une nuit par quatre forêts de Fontainebleau ; je vous laisse conclure.
-- Permettez qu'avant de conclure je me souvienne qu'en 1910 nos savants prévoyaient qu'en 1930 les gaz d'automobile auraient déjà réduit la population parisienne à 5.000 habitants crachant leurs poumons. Les prévisions anciennes sont parfois rassurantes.
C'est oublier qu'aujourd'hui nous avons la prospective, le sondage électronique de l'avenir. Toujours est-il que les pouvoirs publics, éclairés par l'histoire du Boeing, ont expressément recommandé aux populations rurales et urbaines de ne plus respirer que lentement et rarement. Mais je les vois venir : le rationnement du papier sous prétexte d'oxygène, le journal unique, l'attentat à la liberté de la presse ; or la liberté fait l'oxygène du citoyen, ce sera donc une fois de plus la liberté ou la mort, zut !
Il est probable en effet que l'homme adulte ne pourrait vivre longtemps ni décemment sans papier, écrit ou non. Ce que j'en dis n'est pas que j'aie peur d'en manquer. Je trouverai toujours de quoi écrire et au besoin graver ou charbonner sur un mur le quatrain qui doit me faire immortel, et qui se laisse attendre. Si je dois l'attendre en vain je n'accuserai pas le déboisement du globe. A bien regarder d'ailleurs il y a toujours eu plus de papyrus, de chiffons et de futaies que n'en demandait la littérature proprement dite. Et à ne considérer que la belle et utile littérature, si l'industrie du papier n'avait pas d'autres clients, la grande forêt hercynienne serait en train de repousser de l'Atlantique à l'Oural.
83:163
Parlons sérieusement. Le jour est proche où, en attendant que la science nous fasse n'importe quoi avec n'importe quoi et inversement, il faudra choisir entre les arbres et le papier. Alternative assez douloureuse parmi toutes celles qui brusquement nous sont révélées, à croire que le génie de l'homme serait à la merci des routines de la nature. A croire en l'occurrence qu'un jour peut venir où nous serions empêchés d'aller lire notre journal à l'ombre des forêts, faute de journal et de foret. Toutes les alternatives de ce genre se résument en effet, paraît-il, dans une question de vie ou de mort. Si nous considérons les investissements dont les industries papetières et cimentières, entre autres, sont l'objet, il est à parier que nous choisirons de mourir à l'ombre de notre dernier journal, couchés sur l'écorce bétonnée de la Terre. Si les dieux nous sont favorables un myrthe poussera dans une lézarde.
Tout cela bien sûr n'est que visions d'atrabilaire païen subjugué par la statistique et le fatum. Or il est de foi qu'aujourd'hui nous fassions confiance à l'Homme devenu immortel par autorité de majuscule. Il ne fabrique plus d'alternatives que pour le jeu, l'honneur et la gloire d'en sortir par des chimies ou des motions de synthèse. Mais un procédé héroïque, dit de révision déchirante, est en cours d'expérience. Ici même le mois dernier je faisais allusion au sursaut naturiste observé chez les Anglais. Les Anglais sont réputés la plus orgueilleuse et la moins folle des nations. Voyant dépérir le gazon qui faisait leur lustre et se corrompre les fumées qui faisaient leur force, ils ont décidés de rafraîchir leurs verdures et de n'être plus jaloux de leur purée de pois. Ouverte en 1958 le jour même où nous laissions sortir de ses frondaisons oxygénées le destin de la France que nous avions mis au vert en Haute-Marne, leur campagne anti-pollution, véritable campagne d'Angleterre, aurait déjà obtenu entre autres résultats : l'ensoleillement de la zone londonienne augmenté de 50 % et le rapatriement de 70 espèces d'oiseaux, papillons et poissons qui avaient disparu des ciels et des eaux britanniques. Pendant ce temps-là, fidèles à nos programmes d'expansion économique nous maintenons l'ambiance nationale au niveau décibel et sulfurique indispensable à l'élévation de notre niveau de vie.
Les Anglais auraient donc une autre conception du niveau de vie. Ils lui donneraient pour condition première la possibilité de vivre. Encouragés par les succès obtenus ils n'en resteront pas là. Le plus gros reste à faire. Une trentaine de leurs savants parmi les meilleurs viennent d'achever la mise au point d'un Plan de survie. Ils sont arrivés à cette conclusion que si le progrès ne fait pas immédiatement volte face pour revenir sur ses pas et ventre à terre, c'est la fin des Anglais, ce qui dans leur langage signifie la fin de l'humanité.
84:163
Vous avez bien noté que ce propos n'est pas formulé par des réactionnaires obscurantistes, mais par des hommes de science probablement élevés dans la foi et le culte du progrès qu'on n'arrête pas. La reine elle-même, en qualité de présidente du comité de lutte contre la pollution, a gracieusement opiné à la partie du programme relative à la défense de la nature. Le prince Philippe, lui, primesautier comme toujours, s'est emballé pour le projet tout entier qui exige au départ un dépeuplement rapide et partiel du Royaume Uni. C'est là un conseil prodigué à toutes les nations par toutes les consciences de l'univers y compris la chinoise qui n'en fera peut-être rien. En Angleterre les démographes soutiennent qu'en laissant courir la natalité, les 55 millions d'habitants seront avant peu 100 et 200 millions d'insulaires agglomérés en poudingue. Un instant séduite par la vision de cette multitude anglaise, la Reine a bien voulu se rendre à l'évidence à savoir la tristesse d'une pareille densité qui sonnerait le glas du golf et du cricket. En revanche et eu égard aux préjugés inhérents à la dignité royale, elle a différé son approbation au malthusianisme d'État. C'est probablement à son insu que l'industrie privée fait pulluler la pilule.
Enfin si la raison l'emporte et que le programme soit correctement exécuté à la faveur de leur incomparable civisme, les Anglais seront au plus 30 millions de gentlemen frais et roses à vivre heureux et s'ébattre à leur aise dans un royaume silencieux, oxygéné, verdoyant et débarrassé de ses automobiles. Une grande partie du réseau routier aura été rendu à l'agriculture, le trafic étant reporté sur les chemins de fer où glisseront des trains inodores et sans bruit ni fumée. C'est un rêve si merveilleux que je n'ai pas le courage de lui trouver des objections, sauf que les trains sans bruit ni fumée nous cachent encore quelque chose et qu'un panache de Cardiff ne fait pas si mal dans certains paysages, mais n'allons pas chicaner là-dessus. Le bonheur des Anglais me tient certes à cœur, et aussi bien le bonheur des routes où reviendront sonner les pas et les rires de la promenade en famille. Mais je n'oublie pas le bonheur des hérissons et que voilà leur dernière chance. L'image me vient en effet de nos grand, routes jalonnées de hérissons éclatés, laminés par mille voitures plus stupides et meurtrières que le galop des brontosaures écrasant des châtaignes. C'est un fait que la hérissonne est toujours de l'autre côté de la route. Mais qui donc reculerait devant l'orage ou le torrent pour rejoindre sa belle.
85:163
Or, on ne traverse pas le progrès. Il se télescope assez bien tout seul et rebondit sur ses détritus pour foncer plein gaz vers les trente-six chandelles du platane suprême qui lui fera sa fête. Si nous calculions le temps moyen qu'il faut au hérisson pour traverser la route avec seulement deux chances sur trois d'arriver vivant nous saurions à quelle vitesse il faudrait, pour vivre heureux, limiter nos impatiences ; et la marche du progrès tout entier se règlerait alors en majesté sur le cas du hérisson. Si je prends ce gentil mammifère pour témoin c'est qu'il fut de tout temps ami de l'homme, depuis l'Eden jusqu'aux potagers d'Argenteuil en passant par les jardins de l'Oronte, et qu'aujourd'hui les cantonniers de l'aube viennent pelleter ses derniers cadavres aplatis et raplatis comme vulgaires piétons.
C'est triste à dire mais le hérisson gaulois qui déjà ne pouvait plus se nourrir que de bestioles empoisonnées commence à rêver d'un paradis d'outre-Manche : « Ah que ne suis-je hérisson dans les jardins d'Angleterre, je n'aurais plus la hantise d'aller mourir en boule derrière l'arrosoir en me tortillant de coliques pour avoir croqué une limace bourrée de cyanure ; et les routes ne seront plus polluées de nos écrabouillements car nous savons d'ancestrale mémoire calculer notre affaire selon le bruit de la charrette et le pas du chemineau. »
A vrai dire pourtant l'initiative anglaise me plairait davantage si l'abattement démographique était obtenu par le simple effet de la continence, pratique étrangère à la science et que la morale tolère. Elle ferait l'honneur et la preuve d'une population maîtresse de son destin et lui épargnerait en même temps les tracasseries d'une mortalité infantile obtenue par artifice. Peut-être avez-vous vu dans les journaux la photographie d'une fabrique de pilules à Liverpool. Autour des chaudrons où s'élabore le bouillon génocide on voit se pencher des créatures sabbataires en tenue fonctionnelle. Gonflés comme bibendum et raides comme poussahs mécaniques les laborantins sont coiffés jusqu'aux épaules d'un cylindre en ni matière souple et transparente maintenu à distance de la tête par un cerceau bordé de franges cotonneuses. Ils font penser à des automobilistes venussiennes à la mode 1900 et plus encore à des apiculteurs martiens Les manipulations pilulaires imposent en effet l'obligation d'un scaphandre imperméable aux hormones sexuelles dont les lieux de travail sont imprégnés. Il n'y a pas de raison pour que les pilulières et les piluliers ne soient pas désireux de conserver leur sexe d'origine. Il n'y a pas de quoi rigoler non plus à la vue de ces sorciers bouffis. Il est seulement permis de se gratter la tête ou de se frotter les yeux en murmurant : où suis-je ? où vais-je ?
86:163
Il faut alors se dire que les décrets de la chimique Providence sont insondables et que d'honnêtes chrétiens ont pu trouver là l'occasion de gagner leur vie en collaborant aux amours de leurs prochains dans l'esprit des pastorales endocriniennes. Toutefois ce document me laisse un peu rêveur sur les dessous et les coulisses du processus entamé pour le bonheur des Anglais. Il va de soi que la science en aucun cas ne se laissera empêcher par le ridicule, que si les chiens aboient la caravane passe etc. Je me demanderai néanmoins si le progrès, quand il s'évertue non sans mérite à revenir sur ses erreurs, n'effectuerait pas un mouvement contraire à sa nature, ce qui pourrait engendrer des catastrophes à l'envers, les pires de toutes.
-- Vous ne devriez pas vous mêler des affaires du progrès. De plus malins que vous y sont allés d'une plume légère et déliée pour ne ramener que dilemmes en bourbillon enrobés de galimatias distingué. Restez-en plutôt à ceci qui est le tranquillisant universel : *tout ce qui arrive est adorable.*
A ce moment-là en effet je n'ai plus qu'à la fermer. J'y consens avec d'autant moins de quiétude que Teilhard de Chardin nous a seriné la précieuse formule, mais d'autant plus de ferveur qu'il l'avait piquée dans Léon Bloy sans citer sa source.
\*\*\*
D'un ami attentionné j'ai reçu un petit cadeau minutieusement élaboré dans l'intention de me ravir. C'est d'abord un écrin de maroquin couleur amande, en forme de polyèdre octogonal, travail français du XIX^e^ siècle. Fait pour être posé debout il s'ouvre par écartement simultané des deux moitiés de la partie supérieure, découvrant ainsi la doublure de satin blanc et le présentoir de velours vert en forme d'arceau. L'ensemble est visiblement destiné à la garde et présentation d'un bracelet de grand prix que je n'ai pas trouvé. Intact ou dispersé il suit probablement le cours des tribulations ordinaires aux bijoux de ce genre. Par esprit de piété mêlé de défi, mon ami avait remplacé le joyau par un rivet de fer provenant de la démolition des fameux pavillons Baltard. On notera le touchant scrupule qui donnait à la chose un écrin de son époque.
87:163
Il s'agit donc d'un écrin élevé à la dignité de reliquaire. En pareil cas le contenant peut toujours donner lieu à estimation en tant qu'objet d'art mais le contenu ne peut qu'être absolument inestimable, toute estimation vénale étant réputée profanatoire. N'empêche que celui-ci est vendu aux puces entre 5 et 10 fr la pièce. Son cours évoluera en fonction de la littérature qui en sera faite, comme celui des bréviaires selon les apparentes fluctuations des vérités de la foi. Pour être au courant du cours des choses les brocanteurs sont bien placés.
N'ayant jamais cru que les Halles de Napoléon III puissent jouir d'une éternité qui n'a pas été consentie à celles de Philippe Auguste, j'ai même pensé que leur déménagement ne ferait pas scandale si nous n'étions si inquiets, là comme ailleurs, des élucubrations qui surgiront des ruines. Bien sûr qu'il est permis d'essuyer une larme qui nous viendrait par nostalgie d'un quartier qui n'a cessé de s'enrichir de toutes manières depuis qu'aux temps mérovingiens les découpeurs d'aurochs y plantaient leurs étals. Mais franchement si les pavillons Baltard, comme la tour Eiffel, ont fait honneur à la charpenterie en fer, ils intéressaient effectivement les arts du fer, plus difficilement l'art au sens artistique du mot. Je crois bien avoir vu démolir la fameuse Galerie des Machines, en tous cas je l'ai entendu maintes fois glorifier comme un sommet de l'âge du fer. N'ayant pas eu le temps de se faire une légende, son deuil n'a pas été public. Toujours est-il que l'enlèvement des Halles aura eu au moins l'avantage de nous découvrir Saint-Eustache et c'est bien une découverte en effet. Ces églises-là n'étant pas construites pour être vues en recul elles n'ont que plus de mérite à nous paraître plus belles encore après leur dégagement. Elles nous révèlent alors des grandeurs et perfections que, par humilité sans doute, elles nous tenaient cachées. Ainsi de Saint-Eustache. Je ne saurais trop vous conseiller d'en profiter avant que l'espace libéré ne soit reconquis par les vaniteux promoteurs de bétonneries culturelles ou pataquès immobiliers. C'est un spectacle assez grandiose si vous l'abordez par le sud et de préférence au soleil du matin. Et pendant que vous serez là, si c'est un dimanche, vous irez peut-être à la grand' messe de Saint-Eustache qui n'est pas mauvaise me dit-on. Mais sachez qu'il existe, en lisière de l'espace vague, rue de la Cossonnerie, et sous le vocable de Sainte Germaine des Halles, une chapelle un peu catacombaire où vous n'entendrez que des messes à la fois bonnes et valides.
Je vous signale également et à toutes fins utiles que le diable n'est pas loin. Tant qu'à tant faire il s'est logé aux Innocents, vis-à-vis de la fontaine. Le local s'y prêtant il en a fait un petit théâtre sous le vocable des *Saints Innocents* et du *Sexe* réunis. La dédicace est inscrite au fronton et se voit de loin. Le programme affiché en devanture est assez chaud mais je ne saurais vous dire s'il tient ses promesses.
88:163
Peut-être qu'il s'agit d'initiation aux mystères priapiques, de porno démocratique, ou que l'enseigne est un attrape-nigaud. De toute manière il m'apparaît que ce Théâtre du Sexe est aménagé sur la poussière de quelques millions de Parisiens enterrés là depuis saint Denis, tous plus ou moins pécheurs et quelquefois sacripants, mais tous baptisés et bon nombre ayant vécu pieusement, pour mourir saintement. Et alors ? Je m'étonne de la coïncidence ? Pas du tout, j'en profite, je suis là sur une terre architassée par deux mille ans de danse macabre, il faut bien que j'y fasse mon tour de polka. Et d'autre part l'heure n'est-elle pas venue de faire enfin sortir de l'oubli le sexe des Saints Innocents et que la mémoire en soit honorée pour la sanctification de celui des vivants. Et ce théâtre-là, comme dit l'Autre, c'est la Vie, et moi je suis la Vie, et moi je etc.
Jacques Perret.
89:163
### Dans les mines de cuivre du Chili
Les textes que nous publions ci-dessous sont deux articles parus dans *El Mercurio* de Santiago du Chili. Ils décrivent ce que devient une entreprise sous le régime marxiste. Chuquicamata et El Teniente sont les deux plus grandes mines de cuivre du monde. La première est exploitée à ciel ouvert, l'autre selon les méthodes classiques. Dans une lettre à Salvador Allende, les ouvriers du cuivre -- qui ne sont pas des adversaires déclarés de l'actuel gouvernement chilien, il faut bien le souligner -- lui disent que, avec les méthodes employées aujourd'hui, « nous allons tous à l'abîme ».
Les rédacteurs de ces deux textes sont différents. Celui sur Chuquicamata a pour auteur un ancien haut fonctionnaire de l'industrie cuprifère ; celui sur El Teniente, deux députés qui, tout en se refusant à nommer leurs informateurs pour leur éviter des représailles, affirment que les informations qu'ils donnent sont exactes et vérifiées.
Jean-Marc Dufour.
#### Ce qui se passe à Chuquicamata
1 -- Ce jour-là, le convertisseur ne faisait pas que fondre le cuivre ; dans un endroit « stratégique », on préparait un mouton, qui serait sûrement un peu sec à cause de la chaleur, tandis qu'on trinquait au bon vin rouge. Malheureusement, les contrôleurs de la Fonderie ne firent pas preuve de beaucoup de sens de l'humour ; ils arrêtèrent la « fête », distribuant des sanctions sévères et immédiates aux participants.
90:163
Quelques minutes plus tard, arriva le Président de l'Entreprise (ancien poste décoratif ne comportant auparavant que des fonctions de représentation), occupé actuellement par l'ouvrier communiste Julio Zambrano ; chargé normalement de problèmes sans importance, il donne l'impression que ce sont les ouvriers qui dirigent. Il annula les sanctions, ridiculisant les contrôleurs qui avaient mis fin à l'indiscipline.
2 -- De nombreux faits comme celui que nous venons de signaler expliquent le manque absolu de discipline régnant actuellement à Chuquicamata. Mais le plus curieux est que les communistes ne se rendent pas compte qu'en procédant de cette manière, ils ne gagnent aucunement l'amitié des ouvriers, lesquels respectent seulement celui qui les dirige en faisant preuve d'énergie, de sûreté, de loyauté et de compétence.
3 -- Si la psychologie du travailleur chilien est très particulière, celle de l'ouvrier du nord est extraordinaire. Les meilleurs traits du travailleur chilien s'amplifient et atteignent toute leur grandeur chez cet homme -- très homme -- dur, courageux, parlant et souriant peu, qu'est le « nordique ». Ayant enduré mille fois les tromperies des politicaillons de toujours, il n'est plus facile à leurrer et cela fait déjà quelque temps qu'il a compris que son unique défense se trouve dans son organisation professionnelle, au-delà des groupes politiques qui ne lui plaisent pas et qui lui ont toujours menti. C'est pourquoi les ouvriers constituent un groupement professionnel authentique et ferme, qu'il sera extrêmement difficile de briser, malgré les agissements de certains dirigeants syndicaux demeurés sur place et n'obéissant qu'à des consignes opposées aux intérêts des travailleurs.
91:163
4 -- Comme tout bon Chilien, le « nordique » est malin.
On votait sur deux motions : une augmentation de salaire de 35 % proposée par le gouvernement, ou de 50 % réclamée par le cahier de revendications. L'Unité Populaire (U.P.) distribua aux votants de belles cocardes rouges sur lesquelles on lisait : « 35 » suivi de la phrase : « Le Chili te le demande ». Au moment du vote secret, près de 80 % des travailleurs portaient orgueilleusement la cocarde en allant déposer leur bulletin de vote (avec la bénédiction des gens de l'U.P. qui firent connaître leur triomphe à Santiago avant même le dépouillement du scrutin). Le scrutin dépouillé, 3.120 votes étaient en faveur des 50 % et seulement 634 pour l'offre gouvernementale.
5 -- En contrepartie de ce qui vient d'être dit, il faut savoir que plus de 1.200 travailleurs ont été engagés dernièrement en suivant de stricts critères politiques, justement pour contrôler le Syndicat, et que même ces travailleurs ne votèrent pas la formule proposée par le gouvernement.
C'est que, s'il est nécessaire pour pouvoir travailler de signer sur les registres d'un parti et de payer quelques cotisations, on le fait ; mais cela ne veut pas dire que l'on soit communiste ou socialiste. Ce n'est qu'une manière d'acheter son pain.
6 -- Chuquicamata est semé d'activistes politiques chargés de « conscientiser ». Tous les murs, les poteaux et les rues sont tapissés de slogans. Chaque jour arrivent des politiciens de l'U.P. pour haranguer les ouvriers. En deux occasions, le Président de la République lui-même est venu exposer ses projets. Mais tout cela n'a donné aucun résultat. Fidel Castro lui-même est tombé à plat.
Le mouvement syndical ne pourra être brisé que par la répression et la persécution. A ce sujet, des menaces voilées laissent entendre que cela pourrait se produire.
7 -- C'est que le travailleur de Chuquicamata ne peut ni comprendre ni suivre les politiciens marxistes. Ce sont eux qui ont poussé les ouvriers lors des précédentes luttes syndicales ; ils se sont toujours montrés partisans des cahiers de revendications les plus hardis, et intransigeants lorsqu'il s'agissait d'accepter des accords contenant la moindre renonciation à ce qui était demandé ; de même, c'est eux qui prônèrent toujours la lutte la plus dure et la grève ; eux encore qui affirmèrent toujours représenter les intérêts des travailleurs et prirent pour suprême doctrine la devise « l'usine aux ouvriers ».
92:163
Et maintenant, les mêmes politiciens marxistes disent que « l'usine aux ouvriers » est une infamie inventée par les réactionnaires pour susciter le chaos ; et maintenant, ces mêmes politiciens marxistes -- oubliant un passé encore tout proche -- accusent les travailleurs d'être des « anti-patriotes » lorsqu'ils défendent leurs droits syndicaux et cherchent à améliorer leurs conditions de vie, comme ils l'ont fait tant de fois avec la bénédiction et l'aide de ceux qui les dénigrent aujourd'hui.
8 -- C'est que, aujourd'hui, le cuivre est au Chili.
Et avant, de quoi vivait le Chili ? Peut-être que 80 % des rentrées du cuivre ne revenaient pas au Chili ? Et peut-être que la diminution des revenus du cuivre n'affectait pas les revenus du Chili ? Est-ce que, auparavant, une baisse du cours mondial du cuivre ne touchait pas le Chili ? Est-ce que, peut-être, une grève d'un ou deux mois -- fomentée par ces mêmes patriotes marxistes -- ne secouait par les fondements de l'économie chilienne ? Est-ce que, peut-être, lorsque le Front d'Action Populaire -- à la demande des patriotes marxistes -- donna le cuivre à 11 centimes de dollar la livre pendant la Seconde Guerre Mondiale pour aider Staline, ce ne fut pas le Chili qui perdit des millions et des millions de dollars ?
Le raisonnement qui précède m'a été tenu par un dirigeant syndical parfaitement indigné.
Qu'il ne se passe pas ici\
la même chose qu'à El Salvador.
9 -- Dans les circonstances actuelles, les hommes et les institutions n'ont de valeur ou ne sont utilisés que dans la mesure où ils servent aux fins idéologiques que l'on recherche. Dans le cas contraire on les rejette.
Comme l'élection des membres au Comité Paritaire de Sécurité fut très malheureuse (aucun représentant de l'U.P. ne fut élu), pratiquement et en fait, cet organisme -- quoiqu'il continue d'exister -- n'accomplit plus aucune fonction importante ; il a été remplacé par d'autres (C.U.P. : Comité de l'Unité Populaire ; Comités de Production), dont les membres sont désignés par l'entreprise elle-même, ce qui veut dire par l'Unité Populaire. La même chose avec les dirigeants syndicaux : les seuls auxquels on accorde une participation sont ceux qui présentent une évidente tendance gouvernementale. Mais les travailleurs ne se sentent pas représentés par ces dirigeants « parce qu'ils sont de l'entreprise ».
93:163
10 -- Actuellement, les travailleurs de Chuquicamata se sont donné une consigne : « qu'il ne se passe pas la même chose qu'à El Salvador ».
En effet, il y a peu de mois, la grève légale que le Syndicat des Ouvriers de El Salvador poursuivait dans cette mine se termina à l'improviste, au moment le plus inattendu et bien que la majorité des travailleurs voulût continuer le conflit légal.
De nombreux travailleurs de Chuquicamata m'ont expliqué comment cela s'était fait : les communistes (qui avaient amené des personnes étrangères à l'entreprise, de Pueblo Hundido et d'autres lieux) obtinrent que l'assemblée se prononçât sur les motions par simple acclamation et non par un vote secret. De plus, de nombreux travailleurs furent l'objet de menaces et de pressions : obligés de manifester publiquement leur opinion, ils cédèrent à la violence dont ils étaient victimes. Quelque jour, on saura tout ce qui s'est passé à cette occasion. D'après les renseignements que je possède, ce sera l'une des pages les plus noires de l'histoire syndicale chilienne.
Les travailleurs de Chuquicamata ont saisi la leçon, et maintenant seul un vote secret met fin aux conflits.
Ma garde est la meilleure !
11 -- Lorsqu'on donne au travailleur un travail d'importance, une rémunération d'importance et qu'on lui reconnaît quelque dignité, certaines consignes, certains sentiments de haine ne peuvent pénétrer son esprit. Et l'ouvrier a compris qui est son ennemi. Au cours de ces derniers temps, au lieu d'antagonismes de classes et de rivalités avec les cadres, il s'est forgé une union ; et sûrement, à l'avenir, cadres et ouvriers mèneront ensemble la lutte professionnelle.
C'est pour cela que l'ouvrier de Chuquicamata méprise et tourne en dérision les cadres qui -- durant leur grève -- trahirent leurs compagnons. C'est que le travailleur sait le mal que peut faire un traître ; il comprend également que, d'ici peu, il en trouvera aussi dans ses rangs.
12 -- Des autorités gouvernementales ainsi que des cadres affiliés à l'Unité Populaire participaient à une assemblée de travailleurs où se discutaient les problèmes surgis du dernier cahier de revendication.
Brusquement, un ouvrier demanda la parole et protesta contre la présence de ces cadres de l'U.P : A quoi on lui répondit que c'étaient des travailleurs comme les autres.
94:163
Alors, un autre travailleur se dressa et s'écria : « Et les cadres que l'on a mis à la porte, ils n'étaient pas des travailleurs comme nous ? Est-ce que l'on va nous traiter comme eux ? »
Une tempête de cris et de protestations contre les autorités gouvernementales présentes empêcha la poursuite de la réunion.
13 -- Et les ouvriers s'en vont aussi. Des travailleurs efficaces de tout premier ordre abandonnent leur travail, excédés de tant de politique et de tant de pressions.
On estime que, durant l'année 1971 plus de 200 ouvriers ayant une ancienneté moyenne de 20 à 25 ans chacun auraient quitté l'entreprise, et cela, au moment où l'on avait le plus besoin de leur savoir. Ce sont 5.000 ans d'expérience qui se sont perdus.
14 -- « *Ma garde est la meilleure *»*.* Ces simples mots, prononcés avec orgueil, étaient la base sur laquelle reposait le dynamisme du travail à Chuquicamata. Le travail était un véritable sport dans lequel chacun avait son équipe, quoique la tenue fut la même pour tous : le bleu de travail.
Aujourd'hui, au lieu de sport, il y a la politique.
Le contrôle politique de l'entreprise.
1 -- Le principe marxiste : « deux pas en avant, un pas en arrière » produit réellement tous ses fruits, désarme, paralyse. Après les deux pas qui leur font gagner de nouvelles positions grâce à des mouvements réellement audacieux, ils s'arrêtent à la première réaction adverse et reculent d'un. Cependant, ce pas en arrière ne constitue jamais un recul véritable ; au contraire, c'est toujours un changement d'attitude destiné à calmer les esprits et à tranquilliser les opposants. Bien plus, à la faveur de ce repli, on parvient à un accord dans lequel les opposants se font reconnaître certains droits et assurer certaines garanties. Au bout de peu de temps, ces accords et ces garanties sont méconnus et, rapidement, les marxistes occupent de nouvelles positions, plus avancées, jusqu'à ce qu'ils rencontrent une nouvelle opposition, que se produise une nouvelle réaction.
La force de cette stratégie réside dans la différence de valeur que chaque parti en lutte reconnaît à l'accord réalisé. Tandis que, pour les uns, cet accord et la parole donnée constituent des faits qui ne peuvent être violés ni transformés, dont la transgression décourage et déconcerte, pour les autres, ils ne représentent qu'une halte, un armistice pour reprendre souffle. Au moment opportun, lorsque les circonstances s'y prêtent le mieux, il est légitime de renier sa parole et de rompre l'accord.
95:163
On ne respecte rien. Renier une parole engagée quelques heures auparavant est licite et moral ; violer un accord fait partie des règles du jeu ; fouler aux pieds des garanties et des droits est un élément normal de la lutte en cours. *Face à cela, nous sommes absolument désarmés.*
Prétendre combattre par les mêmes armes serait ridicule : le mensonge, le cynisme, l'hypocrisie qui sont nécessaires sont étrangers à notre nature et ne peuvent s'improviser. De plus ils auraient, sur ce terrain, toujours le dessous, et nous perdrions notre arme principale, celle qui finit toujours par triompher : la vérité.
Les communistes commandent.
2 -- Pour remplacer l'ancien Directoire de la Compagnie, une Commission Administrative a été désignée par décret présidentiel, et dotée de facultés expressément déterminées par ce même décret. Le Communiste Julio Zambrano occupe le poste de président de cette commission.
Au cours de la session constitutive de la Commission Administrative, Zambrano demanda « au nom du Parti Communiste qu'il représentait et pour atteindre les fins déterminées par ce parti » qu'on fît à sa personne la délégation de toutes les facultés et attributions dont disposait cette Commission en vertu du décret qui l'avait créée. Tous les membres de la Commission furent d'accord pour cette délégation, sauf l'unique représentant des « supervisores » (cadres supérieurs) et président national de l'ANSCO (Association Nationale des « superviseurs » du Cuivre) Anibal Rodriguez. Ce dernier fut catégorique à ce sujet, ajoutant que cette mesure aurait été ouvertement illégale, attendu que le décret constitutif de la Commission avait organisé celle-ci comme un groupe collégial, donnant à diverses personnes le droit de participer à son travail sans que l'on pût déduire de son texte la possibilité d'une délégation comme celle qui était demandée, ni la légalité d'une telle mesure. C'est-à-dire que les pouvoirs résidaient dans l'organisme en tant que groupe de personnes, et ne pouvaient se trouver réunis au bénéfice d'un seul de ses membres.
Peu de temps après, un procès fut intenté à Anibal Rodriguez, qui fut mis à la porte de l'entreprise. A sa place, un communiste fut désigné comme membre de la Commission Administrative.
96:163
3 -- Aimant le luxe, la bonne chère et la rapidité des meilleures autos de la Compagnie, l'anthropologue Antonio Berthelon accomplit une délicate mission dont l'a chargé son parti. Il entra au Parti Communiste lorsqu'il venait d'avoir 15 ans, et celui-ci lui paya ses études -- qui se déroulèrent en partie en Allemagne Orientale et à l'Université Patricio Lumumba de Moscou. Aujourd'hui, de son poste de Sous-Régent des Relations Industrielles, il est chargé de contrôler politiquement -- à n'importe quel prix -- la Mine de Chuquicamata.
C'est l'autorité politique la plus élevée de toute l'entreprise et rien ne se fait sans son accord. Il ne rend compte qu'à un communiste espagnol ayant son bureau au Palais de la Monnaie (l'Élysée chilien) avec lequel il communique journellement par téléphone.
Ses échecs : déroute de l'U.P. à l'élection du Comité Paritaire de Sécurité ; manque d'intérêt manifesté par les ouvriers pour les « travaux volontaires » ; imperméabilité des travailleurs à la « conscientisation » politique ; ferme attitude du syndicat en défense du cahier de revendications ; mesures administratives précipitées qui ont causé un sérieux préjudice à l'entreprise, etc., l'ont mis en situation difficile, d'où une délicate crise personnelle, mais rien n'indique qu'il doive être rapidement relevé de ses fonctions.
4 -- La revue *Oasis*, qui dépend de la Sous-Régence des Relations Industrielles, était un organe employé par l'entreprise pour informer les travailleurs es activités intérieures -- qu'elles fussent sociales, sportives ou de simple information --, et de marche de notre industrie.
Si l'on ouvre au hasard un quelconque numéro du nouvel *Oasis* (n° 821 du 6 novembre 1971) couverture : photo du Président. Allende (toute la page) ; éditorial : (je copie une phrase quelconque de celui-ci) « ...il affronte avec le plus grand courage ceux qui attaquent avec une phobie bestiale les bases de la démocratie socialiste... » ; article de fond : apologie de Vladimir Illich (Lénine). Je copie un quelconque paragraphe de ce dernier : « Les masses prolétariennes après avoir démoli l'appareil de l'État bourgeois, avec tous ses attributs -- l'Armée, la police, les tribunaux, les prisons, etc. -- et avoir annulé toute la législation... » Page 3 : « Un an de gouvernement » avec la photo du président Allende et un petit drapeau chilien. Page 4 : « La Russie de 1917 à 1971 », et « Les grands dirigeants du Soviet Suprême ». Page 5 : article extrait d'une revue russe, etc., etc.
97:163
Groupes armés.
5 -- A Chuquicamata on écoute seulement Radio Calama (poste appartenant à une société privée), qui offre en toute impartialité ses microphones à toutes les tendances sans distinction. Sans compter que l'entreprise avait acheté en Allemagne tout le coûteux matériel nécessaire pour monter un poste radio de grande puissance à Chuquicamata même. Les directeurs de Radio Calama sont l'objet de fortes pressions de tout genre pour qu'ils cèdent leurs droits. Actuellement même, des fonctionnaires de l'O.I.R. interviennent directement dans les affaires intérieures du poste.
6 -- Les moyens de pénétration les plus puissants sont fournis aux Comités d'Unité Populaire et aux Comités de Production qui sont aussi chargés de confectionner les listes noires d'ouvriers et d'employés qui doivent être congédiés au moment opportun.
7 -- De nombreuses maisons qui avaient été auparavant occupées par d'inoffensifs ingénieurs ou travailleurs de la Compagnie, ainsi que les « maisons d'hôtes », qui avaient reçu avant de tranquilles visiteurs, sont aujourd'hui les quartiers généraux des Brigades Ramona Parra, Elmo Catalan et Luciano Cruz. Ces éléments se déplacent librement dans toute l'entreprise en utilisant les voitures de la Compagnie. Tous les frais qu'ils causent sont à la charge de l'entreprise.
Le plan d'action de ces brigades comprend la destruction des points vitaux de l'entreprise, au cas où cela deviendrait nécessaire.
De plus, les membres de ces brigades se sont munis, à Chuquicamata et dans d'autres mines nationalisées, de casques et d'autres moyens de protection dont ils usent dans les bagarres de rues. A ce qu'il semble, ils s'approvisionnent aussi en explosifs.
8 -- Qui plus est, la présence de tous ces activistes politiques a obligé d'augmenter le nombre des « maisons d'hôtes » -- huit aujourd'hui, alors qu'il n'y en avait que trois auparavant. Comme tous ces gens réquisitionnent des passages d'avion, de la nourriture et font des frais spéciaux, les dépenses de cette rubrique dépasse déjà 2.500.000 escudos par mois.
98:163
Espionnage et magnétophones.
9 -- Le monde que crée le marxiste avec tant d'ingéniosité est un monde étrange. Les haines, les intrigues et la méfiance s'y établissent, modifiant substantiellement les relations entre les hommes. Parler y est déjà dangereux. J'ai vu personnellement un de ces magnétophones de fabrication chinoise : légers et de la taille d'un paquet de cigarettes, ils peuvent -- cachés dans une poche -- enregistrer avec une extraordinaire fidélité ce que dit votre interlocuteur ou ce qui s'exprime dans une assemblée. Des dizaines de ces engins concourent à la délation.
10 -- Comme le poste qu'occupe une personne dans l'entreprise n'indique pas son importance réelle, mais que celle-ci est déterminée par son ancienneté ou sa position dans le parti, il se produit des situations extrêmement curieuses : subordonnés qui donnent des ordres à leurs chefs ; employés qui ne viennent pas à leurs bureaux, ou qui disparaissent des semaines entières (ils sont normalement à Santiago, remplissant « d'importantes fonctions » que personne ne connaît) ; supérieurs qui ne savent pas à qui s'adresser pour résoudre réellement un problème ; un ingénieur subalterne devient membre de la Commission Administrative et, du coup, devient le supérieur de ses supérieurs qui ont plus d'expérience et de qualification que lui ; etc.
11 -- Des précédents écrits confirment les instructions de n'engager que du personnel appartenant à l'Unité Populaire. Avant, le chef de division demandait les travailleurs dont il avait besoin au Bureau du Personnel, lui signalant les qualifications techniques et humaines que devraient remplir les candidats. Le Bureau du Personnel groupait les qualifications des intéressés et les remettait au chef de division qui, au vu des examens, choisissait ceux qu'il décidait de prendre. Aujourd'hui, le chef de division n'a plus rien à voir au choix de son personnel, lequel est recruté, exclusivement sur critères politiques, par le Département du Personnel qui dépend de la Sous-Régence des Relations Industrielles.
12 -- Sans aucun doute, le Parti Communiste contrôlera d'ici peu Chuquicamata. A partir de ce moment-là, plus personne, au Chili, ne saura ce qui se passera réellement dans la mine.
99:163
Le travail volontaire.
1 -- Le problème du « travail volontaire » qui est effectué tous les dimanches et jours fériés, avec un grand déploiement de slogans et de propagande, est intimement lié au contrôle politique de la mine.
Le travail volontaire est une création marxiste, employée comme moyen de contrôle politique. Les objectifs visés sont différents selon le degré de domination atteint.
Ainsi, au début, le travail volontaire a pour buts principaux : A) -- Détruire la « motivation » capitaliste (rémunération) dans les relations professionnelles, en poussant le travailleur -- au moyen de slogans adéquats et grandiloquents -- à renoncer à ses droits comme contribution à la construction de l'État socialiste. B) -- Connaître et déterminer quels sont les travailleurs qui renâclent devant les idées nouvelles et n'ont pas peur des pressions politiques. C'est pourquoi on entoure le travail volontaire d'une atmosphère nettement politique, insinuant ouvertement qu'il pourrait arriver des ennuis à ceux qui n'y participent pas. Aussi, le travailleur qui use de son repos dominical légitime et nécessaire pour rester auprès des siens finit par passer pour un élément dangereux et un « antipatriote ». C) -- Implanter dans l'esprit des travailleurs l'idée qu'ils peuvent faire fonctionner leur secteur en faisant abstraction des cadres et des supérieurs.
Par la suite, lorsque le plein contrôle politique a été obtenu, le travail volontaire n'est qu'une des facettes du nouvel esclavage ouvrier.
2 -- Personne ne peut échapper à cette atteinte à la liberté individuelle qui signifie que l'on est obligé, sous la pression de menaces voilées, de renoncer à l'unique temps libre dont on dispose.
3 -- Le travail volontaire a été un grand échec. Les ouvriers afin d'éviter les représailles, ont organisé, grâce à des listes établies à cette fin, un « tour », et tout cela n'est qu'un « show » coûteux, avec guitares, chants, discours, drapeaux et déjeuner. Plus : durant la semaine on « prépare » le travail volontaire du dimanche et, lorsque le jour vient, tout se réduit à quelques coups de pinceaux et à des photographies de coups de pelles prises sous tous les angles, pour la publicité. Seulement, dans la mine, ces travaux ont eu une certaine signification et ont porté un grave préjudice comme on va le voir.
Dans la mine.
4 -- Le travail volontaire a altéré l'exploitation rationnelle de la mine. Ainsi, par exemple, la mine nécessite un développement planifié du travail qui coordonne les mesures productives distinctes, afin de parvenir à extraire la quantité de minerai déterminée auparavant comme permettant un rendement économique optimum.
100:163
Cette planification divise le processus en étapes, qui ont pour objet d'obtenir le maximum d'efficacité dans l'emploi du matériel disponible.
Dans le cas de la mine -- qui est celui que nous examinons -- les étapes sont les suivantes : 1. Coordination, 2. Explosion, 3. Extraction, 4. Transport, 5. Livraison graduelle du minerai aux usines de raffinage et des déchets aux décharges.
Mais aussi, pendant les périodes intermédiaires, il est indispensable de procéder à ce qu'on appelle « le repos de la mine », consacré à la révision du matériel et à la préparation de la mine pour l'opération suivante : réparer les chemins, vérifier les voies ferrées et en placer de nouvelles, réviser les normes de sécurité, inspecter le réseau électrique -- réseau de 5 000 volts -- etc. On peut facilement comprendre l'importance de ces « repos » qui doivent être soigneusement planifiés. Il va sans dire qu'une planification adéquate fait coïncider ces « repos » avec les jours fériés.
Tout cela ne se fait plus. Le travail volontaire empêche la remise en état de la mine et, ce qui est pire, affecte l'entretien dont dépend le sort et la durée d'utilisation d'un matériel important -- camions, pelles mécaniques, wagons, voies ferrées, etc. d'un prix extrêmement élevé, qui sont détruits par ces mesures irresponsables.
5 -- Et tout cela pour rien. La distorsion du processus de production que représente le travail volontaire des dimanches se répercute sur les lundis, lorsque les travailleurs -- ou beaucoup d'entre eux -- n'ont rien à faire : ils ont fait leur travail la veille sans aucune planification ni prévision. Ainsi, par exemple les perforateurs n'ont rien à perforer et perdent les gratifications respectives. Cela explique la grève récente de près de 700 ouvriers de l'usine de concentration et d'autres sections, qui réclamaient la baisse des normes de production.
#### Ce qui se passe à "El Teniente"
Jusqu'à l'arrivée des nouveaux administrateurs, il existait dans la mine d'El Teniente un groupe de 85 personnes chargées de la surveillance et de la protection de l'entreprise.
101:163
Leur travail leur attirait les constantes critiques des dirigeants syndicaux appartenant à l'Unité Populaire ; la manière habituelle d'en parler consistait à les traiter de « mouchards » et de « flics » de l'usine. On supposait que ce corps disparaîtrait avec une nouvelle administration dont on disait qu'elle devait promouvoir la dignité du travailleur, l'incorporant à la direction de l'entreprise et le faisant participer à l'élaboration des décisions. Néanmoins ce corps de protection fut augmenté de 45 nouveaux postes, qui furent soigneusement occupés par des partisans de l'Unité Populaire, spécialement par des membres des brigades connues sous les noms de Brigade Ramona Parra et Brigade Elmo Catalan. Parmi ceux que l'on engagea pour remplir ces fonctions se trouve l'ex-lieutenant de Carabiniers Santoni, qui fut exclu de ce corps après enquête administrative.
Ces groupes remplissent une fonction classique dans la stratégie communiste pour la conquête du pouvoir. Ils sont un élément d'intimidation, qui par son action, paralyse les non-conformistes -- lesquels, par crainte, ne manifestent pas leurs critiques. Dans le cas improbable de protestations, ou d'actes de rébellion contre le système que l'on prétend imposer, ces groupes ont à remplir leur autre tâche, qui est la répression et l'agression physique, comme méthode pour mettre fin aux dissensions idéologiques qui incommodent par trop le Parti Communiste.
Si quelque membre de ces groupes tombe aux mains de la justice bourgeoise au cours de l'étape de transition au socialisme, il n'aura rien à craindre.
Il y a quelques mois que fut perpétré l'assassinat d'un jeune agriculteur, M. Gllberto Gonzalès, dans lequel fut impliqué M. Mario Bellemans, membre du Parti Socialiste, candidat de ce parti à la dernière élection municipale, engagé par El Teniente. Depuis quatre mois il est détenu et déclaré coupable, mais l'entreprise s'est préoccupée de lui réserver son poste, et lui a payé ponctuellement son traitement. Pendant ce temps, pour s'être mis en grève à bon droit, les cadres supérieurs voient leurs contrats annulés, leurs maisons attaquées, et on leur applique la Loi de Sécurité Intérieure de l'État.
Il y a peu de jours, la maison du président de l'Ansco de El Teniente fut encerclée et attaquée par une foule de 150 personnes dirigée par les chefs communistes Orlando Moraga et un certain Tapia. Comme ils n'étaient que 150, ils profitèrent de ce que Rafael Quevedo était à Santiago, de manière à n'avoir à affronter que sa femme et ses petits enfants. Ce sont là les méthodes de la lutte idéologique et de la discussion pluraliste.
102:163
Malgré ces attitudes, la persécution et la discrimination, on exige de la productivité et de l'efficacité. Après avoir qualifié les cadres supérieurs « d'armes de la bourgeoisie » et les avoir accusés d'être des saboteurs, des agents de l'impérialisme, ils veulent une confiance inconditionnelle et une soumission sans limite aux postulats de l'Unité Populaire.
A la date du 10 décembre, il y eut une réunion extraordinaire des responsables des syndicats industriels et professionnels de Coya. Selon le texte du compte rendu les autorités suivantes de l'entreprise assistèrent à cette réunion : Tomas Ireland, Renzo Trufelio, Armoldo Teutsch, Jorge Schonherr, Fernando Ramirez, Marcial Valladares et M. Dieguez.
L'objet de la réunion était de faire une analyse des faits « qui se passaient dans le camp de Coya en préparation d'un défilé des épouses des cadres supérieurs avec des casseroles vides et que ce serait un acte séditieux organisé par la démocratie chrétienne ».
Le compte rendu fait état d'une liste de femmes qui participèrent à cet acte séditieux et de l'accord qui fut adopté sur ce sujet important.
Le texte de cet accord est le suivant :
(...) « 3° -- Demander le renvoi de l'entreprise de tous les époux des señoras du défilé « des casseroles vides » annoncé, car il s'agit d'une action séditieuse qui est en opposition avec les intérêts du pays et du peuple chilien. »
Nous verrons plus loin les effets de cette politique sur la production.
Il y a peu de jours le pays s'émut à l'annonce d'un sabotage à El Teniente.
On avait fait sauter quelques pompes à eau ce qui, selon la presse gouvernementale était un attentat de la plus haute gravité. Par ordre exprès du Ministre de l'Intérieur et du Président de la République on mobilisa les Carabiniers et la Police Investigation. On arrêta deux hommes et deux femmes qui les accompagnaient. On interrogea ces personnes, les menaça publiquement dans les journaux, par radio et à la télévision. On les mit au pilori sans aucun respect pour leurs personnes.
Finie l'enquête le juge les mit en liberté faute de preuves.
\*\*\*
Malgré l'attitude du gouvernement et de la direction de l'entreprise niant de manière réitérée que l'incompétence soit la cause fondamentale de la situation où celle-ci se trouve, le 26 octobre 1971, le chef de la section des Études Statistiques, M. Jose M. Vera, militant socialiste, publia un rapport dans lequel s'analysaient, entre autres, les problèmes de la productivité et de l'absentéisme.
103:163
Ce rapport dit textuellement dans sa page 3 :
« Une autre conclusion intéressante qu'il a été possible d'obtenir au moyen d'une analyse d'un ensemble d'indices de la productivité du travail, c'est qu'il se produit dans notre entreprise une chute continuelle des niveaux de productivité atteints au début de l'année actuelle. Ce fait ajouté aux coûts de production en hausse constante, indique une situation extrêmement critique, qu'il serait nécessaire d'analyser avec le plus grand soin pour pouvoir en établir les causes et adopter les mesures qu'on estimerait nécessaires pour les surmonter. »
Dans sa page 5 le même rapport déclare :
« Une dernière conclusion que nous estimons nécessaire de souligner : le coût de la main-d'œuvre a atteint, dans les derniers mois qu'examine ce rapport, des niveaux supérieurs à 70 % du coût total de la production. »
Au sujet de l'absentéisme page 78 et 79 du rapport :
« Les rapports antérieurs ont continuellement rappelé l'attention sur la tendance croissante que l'on a observée au sujet de cette variable dans quelques secteurs de l'entreprise et spécialement la forte augmentation de l'absentéisme injustifié ; nous ne croyions donc pas nécessaire d'aborder le problème. Néanmoins, nous croyons opportun de signaler que, vu la gravité de ce même problème, on a réalisé une étude interdisciplinaire tendant à établir les causes possibles de ce comportement atypique de la force de travail. »
Le tableau suivant, inclus dans la page 83 du rapport en question montre clairement la gravité de ce comportement si aimablement qualifié « d'atypique » :
TABLEAU W 32
Pourcentage d'absentéisme ouvrier-mine
Janvier 1970 - mai 1971
Mois Justifié Injustifié Total
> Janvier 10,71 11,36 22,07
>
> Février 8,78 13,00 21,78
>
> Mars 9,90 10,90 20,88
>
> Avril 9,64 10,88 20,52
>
> Mai 10,46 9,69 20,15
>
> Juin 10,96 11,18 22,14
>
> Juillet 9,55 10,66 20,21
>
> Août 9,17 14,18 23,35
>
> Septembre 11,83 10,17 22,00
>
> Octobre 10,52 11,55 22,07
>
> Novembre 7,84 11,69 19,53
>
> Décembre 9,53 18,67 28,20
>
> Janvier 10,68 11,32 22,00
>
> Février 11,98 18,00 29,98
>
> Mars 10,96 13,13 24,09
>
> Avril 10,72 13,10 23,82
>
> Mai 10,12 12,15 22,27
104:163
Il est évident que cette information est confidentielle et que ses conclusions ne seront pas publiées, car il ne serait pas politique d'appliquer les correctifs qui s'imposeraient. Il est beaucoup plus simple d'attribuer à la C.I.A. la diminution de la production, ou à des saboteurs vendus à l'impérialisme. C'est dans ces faits que se trouve la racine du problème. Mais il ne suffit pas de les découvrir, il est nécessaire de voir quels sont les effets de cette « nouvelle politique ». Il est nécessaire que le pays sache le prix qu'il paie.
En 1971, qu'on a appelé « l'année de notre indépendance économique » il n'a été produit que 162.500 tonnes de cuivre. C'est cela le résultat de notre indépendance économique C'est cela le résultat du « gouvernement du peuple » ?
Avec les accords de 1966, on a mis en marche un ambitieux Plan d'Expansion, qui aurait dû permettre d'augmenter la capacité annuelle de production de 180.000 tonnes à 280.000, dans un délai de six ans, avec un investissement de plus de 260.000.000 dollars U.S. C'est-à-dire qu'en 1971 la production aurait dû approcher de 300.000 tonnes de cuivre. En même temps que cette expansion on prétendait appliquer les procédés technologiques les plus avancés quant à l'extraction et au raffinage, si bien que El Teniente ne serait plus seulement la mine souterraine la plus grande du monde, mais celle où serait appliquée la technologie la plus moderne.
Depuis que les « hommes nouveaux » ont pris la mine en main, la seule chose qu'ils soient parvenus à atteindre c'est un record de basse production et un autre record : celui des prix les plus élevés, si bien qu'à la fin de 1970 nous nous trouvions devant une année de travaux pas même capable de couvrir ses frais, puisque les pertes atteignaient approximativement 10 millions de dollars U.S.
105:163
### Le problème noir aux U. S. A.
*en 1972*
par Thomas Molnar
LE SOI-DISANT « problème noir » restera, au-delà des années 1960, le sujet le plus passionnant de l'Amérique des années 1970. Le plus passionnant car les Noirs donnent à présent libre cours à leur mentalité équatoriale et à leur « négritude », et aussi parce que absolument personne n'ose en parler honnêtement : le sujet n'est pas tabou dans le sens du sacré et de l'intouchable, car, en effet, tout le monde, y compris les cabaretistes de la télévision, en parle à longueur du jour ; il est tabou car il est entouré de tant de mensonges et d'embellissements que dégager la simple vérité équivaut à un acte solennel. Le lecteur est donc prié d'oublier pour l'instant tout ce qu'il a vu, lu et entendu mentionner du « problème noir aux États-Unis » dans les dernier six mois.
Il n'y a pas une communauté noire en Amérique, il y en a plusieurs. Et d'abord celle des Noirs à la couleur de peau claire, allant du « café au lait » jusqu'au blanc (et dont le propriétaire « passe », comme on dit, sans que les Blancs s'en aperçoivent), puis celle des Noirs « noirs », c'est-à-dire allant du foncé jusqu'à l'ébène. Comme dans toute société noire, de l'Afrique jusqu'en Haïti, il y a antagonisme, haine et violence entre les deux groupes, bien qu'il ne soit pas de bon ton d'en parler jamais. Autre distinction à faire dans la « communauté » noire : la classe de la bourgeoisie aisée et même plus qu'aisée, et celle des « petits noirs », l'homme de la rue. Il est entendu que la haute bourgeoisie noire consiste plus ou moins en gens à couleur claire, tandis que la masse est plus foncée de couleur. Attribuez ce fait aux gènes, aux chromosomes, à la sélection raciale ou économique, à l'intelligence ou au racisme blanc, attribuez-le à tout ce que vous voulez, c'est un fait et dont les Noirs sont *très conscients,* sans, bien sûr, le claironner dans les *media* des Blancs.
106:163
Le pouvoir noir (non pas dans le sens actuel de violence, mais dans celui du pouvoir d'achat et du pouvoir politique à l'échelle municipale et électorale) s'est trouvé traditionnellement dans la main de la bourgeoisie à la peau claire. Ce dont nous sommes actuellement témoins c'est un glissement éventuel (je dis bien : éventuel) de ce pouvoir, somme toute pouvoir politique, dans la main des « peau foncée », ce qui inquiéterait moins les Blancs que la bourgeoisie noire elle-même. Car que veulent les Noirs foncés, c'est-à-dire les dirigeants plus ou moins radicaux ? C'est assez simple, ils veulent le pouvoir qui passe à la fois par l'*establishment* blanc et les gens en place noirs. Un exemple. Le N.A.A.C.P., l'association nationale des peuples de couleur (noirs), est, depuis des décennies, le groupe modérément militant qui représente les intérêts de la population noire, luttant pour les droits civiques, contre la discrimination, etc. Or, cette organisation fut fondée par des Blancs (pour la plupart des Israélites) et par les Noirs de la classe moyenne. Au fil du temps, ces derniers, ainsi que l'association, sont devenus « respectables », des « oncles Tom », comme on dit, accusés par les militants de s'être vendus et aliénés. A présent ces militants cherchent à s'emparer de l'association et du pouvoir qu'elle détient.
Pourtant, la situation semble être assez floue, et les faits sont loin de se conformer à l'escalade verbale. La bourgeoisie noire trouve cependant de quoi s'inquiéter lorsque dans les résidences luxueuses qu'elle habite les révolutionnaires « foncés » tiennent un langage d'autant plus radical et abracadabrant qu'ils y fusionnent le vocabulaire des rebelles blancs, le jargon tiers-mondiste, et la négritude imaginaire importée des bars et cafés de Dakar, de Conakry et d'Alger.
107:163
Dans les salons meublés selon le dernier goût, ces Noirs habillés à la dernière mode de Londres (Carnaby Street), mais ayant hérité de leurs ancêtres africains la verve exaltée, exigent des compensations fabuleuses pour les siècles d'esclavage -- pour finir par demander des logements sans loyer pour les « masses déshéritées » noires lorsqu'on les presse de concrétiser leur « programme ». Tout cela, aussi saugrenu soit-il, embarrasse plutôt les propriétaires de ces riches résidences car eux aussi sont des Noirs (hommes d'affaires, artistes, avocats, professeurs, politiciens) et dépendent économiquement du public et de la clientèle de leur race. Comment pourraient-ils s'opposer au langage révolutionnaire et acquérir ainsi une réputation d'ennemis des Noirs et même -- comble de l'ironie ! -- de « racistes ».
Quand je dis que le pouvoir politique pourrait passer dans la main des Noirs « noirs » qui sont dans une situation « objectivement » (comme le disent les marxistes) révolutionnaire, il faut envisager comme arrière-plan de cette constatation la *négrisation* progressive de ce qu'on appelle en Amérique la « inner city », le centre des villes, par distinction d'avec les « suburbs ». C'est dans ces derniers que de plus en plus d'Américains cherchent refuge depuis une vingtaine d'années, mais surtout depuis l'assemblage forcé des écoliers blancs et noirs. D'abord, les Blancs voulaient ainsi éviter qu'on envoie leurs enfants dans les écoles que fréquentaient les prolétaires noirs et portoricains, ensuite les familles noires plus prospères s'y installèrent, en partie pour la même raison. La « inner city » devient donc en majorité noire, ce qui donnera, dans une dizaine d'année, le pouvoir municipal aux manipulateurs noirs des masses urbaines.
C'est également à ces derniers, et non pas à la bourgeoisie noire genre Ralph Bunche ou Walter Washington, maire noir de la capitale, que la masse attribue sa propre promotion politique, sociale et économique. C'est eux qui prêchent la violence, qui font peur à Washington, et c'est alors Washington qui fait pression sur les entreprises privées (sans parler de la bureaucratie, depuis les services postaux jusqu'aux fonctionnaires des tribunaux) pour engager un nombre toujours croissant d'employés noirs -- sous peine de poursuites judiciaires et de contrôle légal mais poussé des transactions financières. Le résultat c'est que les « jobs » se multiplient, souvent inutilement ; une très grande entreprise avec des filiales dans presque tous les pays du monde -- Place Vendôme à Paris -- suit à présent la politique de proportionner le nombre de ses employés noirs un peu au-delà du pourcentage des Noirs dans la population du pays.
108:163
C'est dire que d'ici 1980 la compagnie en question cherche à fixer à 15 % la présence des Noirs dans ses bureaux et services, et ce pourcentage est recherché partout, notamment dans les universités, dans le fonctionnariat public, dans les banques, et ailleurs, et certainement dans le monde du théâtre et de la télévision.
Cette promotion sur tous les fronts et à grande échelle n'est pas loin de desservir la population noire. La politique des « pourcentages » est assez transparente, il ne s'agit que de se mettre à l'abri des lois de plus en plus tyranniquement « non-discriminatoires », c'est-à-dire favorisant les Noirs. Est-ce la simple justice rendue finalement à une partie de la population, jadis maltraitée ? Mais d'autre part, quel est le sens de cette justice quand les militants s'enhardissent par l'immense mollesse de l'État, se référent à Angela Davis comme à une victime innocente de la répression fasciste ; et à la ville de Washington (où les Blancs ne s'aventurent plus hors de leur appartement après le coucher du soleil), comme à un « État policier » (rappelons que le maire en est un Noir). Quel est le sens de cette justice, quand la grande compagnie internationale dont il a été question tout à l'heure admet en privé que très peu des nouveaux employés noirs (le 15 %) sont compétents et veulent travailler, et que la plupart ne sont là que pour arrondir le chiffre voulu. De même dans les universités où l'on invente des cours nouveaux (*Black English,* par exemple) afin d'accommoder un personnel noir hâtivement ou pas du tout formé.
Ces choses nous réservent des surprises vraisemblablement désagréables. Au lieu d'abolir le « problème noir », elles l'alimentent.
Thomas Molnar.
109:163
### Journal logique
par Paul Bouscaren
« TOUT LE MONDE peut croire à l'Amour qui a tout créé ; même M. Brejnev, et M. Brejnev aussi bien que quiconque... », -- M. Jean Guitton le proclame au même moment où nous avons à Paris cet homme-là, (*France-Inter,* 13 h., 26 octobre). M. Jean Guitton aurait-il ajouté, dans le même souci de ne condamner personne : « aussi bien que quiconque, Hitler, par exemple » ? Ou bien la règle de ne condamner personne a-t-elle des exceptions, qui ne tiennent pas à la conduite de fait, et à ce qu'il en coûte à autrui ? Mais alors, à quoi ? S'il faut répondre : à l'idéal de l'amour universel comme il n'est pas refusé par les communistes, pareille réponse ne fait-elle pas éclater sinistrement que l'amour non plus qu'autre chose n'échappe à l'illusion, et fallait-il le communisme pour s'en aviser ? Quoi de si ressemblant au chantier Staline d'amour universel, admettons-le, que le chantier Hitler de son combat raciste ? *Dieu seul est bon.* Si aimer Dieu ne peut se complaire en Dieu sans risquer de se complaire en soi-même, comment arrive-t-on à parler sans autre de l'amour, notre vérité de droit, certes, mais en fait ?
\*\*\*
Ne pas prendre son parti d'une Église coupée du monde, -- est-ce à dire selon que l'Église est dans le monde pour le salut du monde en Jésus-Christ, et autrement, à quoi bon gagner le monde entier ? Ou bien, selon le nouvel évangile, que le monde est perdu par la seule faute de l'Église, coupée de lui par sa mollesse à elle, son avarice à elle, son orgueil à elle ?
\*\*\*
110:163
La justice dans le monde, -- en ce qui me concerne et à ce qu'il me semble, voudrait que l'on me fasse une obligation d'y croire et d'y travailler seulement après me l'avoir montrée accessible dans les conflits où je me trouve engagé personnellement, par exemple, celui de l'aggiornamento de l'Église, celui des générations ainsi appelé, ainsi fomenté, celui des Maurras et des Pétain avec leurs calomniateurs ; par-dessus tout, celui de l'Évangile avec les mensonges qui s'en réclament, à commencer par une *justice* tout autre que celle des Béatitudes, celle de la fidélité à la grâce de Dieu, celle des saints.
\*\*\*
Les esprits en avance sur leur temps, -- ont-ils jamais fait autre chose que de voir les vrais besoins du monde, alors que la foule en était incapable, stupidement en retard bien plutôt qu'eux en admirable avance ? L'admirable, c'est la liberté de ces esprits, mais tous y prétendent.
\*\*\*
Le pape est un homme moderne, -- son ami Jean Guitton aussi, André Frossard aussi, et quelques autres desquels, Dieu merci, je ne suis pas dans la nécessité de mettre en doute la bonne foi, mais qui m'en administrent à tire-larigot la tentation, par une jonglerie des mots qui ne cesse pas de me laisser bouche bée. Moderne, l'apôtre Jean ouït Dante chanter « l'idée d'amour » au derniers vers du *Paradis,* où il s'agit clairement de Dieu tout comme au premier vers du même *Paradis.* Moderne identiquement, l'apôtre André connaît des « exigences théoriques de la paix et de la charité » dans le christianisme, (*Figaro*, 2 et 4 novembre) ; qui me dira le plus beau, de ces exigences *théoriques,* et de la paix *exigée tout de même* que la charité ?
\*\*\*
Le manque de science de nos pères leur a valu mille fléaux, -- c'est entendu, mais nous avons les nôtres avec notre science qui, notre science que ; ils sont donc pour nous des fléaux de bêtise ?
\*\*\*
111:163
Autrui considéré comme un égal, c'est le prochain selon l'Évangile, -- à cela près que reconnaître son *prochain* le fait un avec soi-même en communauté de vie, alors que dire *autrui* oppose radicalement à soi-même ; et l'égalité ne peut que rendre irréductible l'opposition, toute fausse et inexistante qu'elle soit envers et contre la vérité humaine et chrétienne qui nomme le prochain.
\*\*\*
« *Moderne.* Qui est du temps de celui qui parle.... ANT. Ancien, antique, classique... » -- Croyons-en le Robert. Mais croyons-le aussi pour son autre série des antonymes : « Archaïque, arriéré, attardé, désuet... » Or, qu'est-ce à dire, sinon que ce temps, au contraire des autres, condamne tout ce qui n'est pas lui seul, c'est-à-dire rien du tout, s'il pouvait être pris au mot ?
\*\*\*
L'Église ouverte du monde, -- c'était *l'abandon* de l'Évangile par l'Église traditionnelle *ouverte au monde* traditionnel, c'est le *retour à* l'Évangile de l'Église d'aggiornamento *ouverte au monde* révolutionnaire. Voilà-t-il pas d'une belle et bonne et honnête prose ?
\*\*\*
Le problème de l'autorité et de la liberté, -- posé de la sorte en termes absolus, est absurdement faussé : ni l'autorité ne s'étend à toute la vie, sans limites ni réserves, sous peine d'incohérence avec ce qu'elle peut être humainement ; ni la liberté ne peut disposer de la vie sans conditions, et d'exercice moral, et d'existence sociale de l'être humain, non d'une bête ou d'un dieu. L'autorité commande, ce n'est pas à dire un volontarisme qui s'impose, mais, au moins par un principe indispensable à notre vie en société, la raison exigeant l'ordre. La liberté doit obéir, non par renoncement à elle-même, n'étant pas davantage un volontarisme chimérique, mais par le consentement à l'ordre qui est, quant au consentement, le bon usage d'elle-même, et quant à l'ordre, encore une fois, notre existence même. Le fond sans fond du problème de l'autorité et de la liberté, aujourd'hui, c'est de ne pouvoir rien entendre à cette remarque du Père Gillet : que *commander,* la langue française le dit très bien, c'est *ordonner.*
\*\*\*
112:163
Hier, on s'en fout ! -- En même temps que l'on pousse les jeunes à croire tout le monde d'accord avec eux en ce point, la science est là pour les convaincre que l'aventure humaine de chacun dépend terriblement de ses neuf mois d'avant la naissance, et aussi des premiers mois et des premiers ans d'après. Sadisme ou idiotie ?
\*\*\*
Toute histoire est un roman de l'époque où elle est écrite. -- « Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur », disait l'adage thomiste ; et Fustel de Coulanges : « Pour écrire l'histoire, il faut se faire une âme d'ancêtre. » (Je cite de mémoire.) Mais nous, à force de dépasser le passé, de régler son compte à l'évidence, de transformer le monde par création de nous-même antécédente et conséquente ; comme la mathématique doit être axiomatique, et la politique par prise de conscience de l'information chacunière, ce je ne sais quoi universel ; pouvons-nous retracer la vie de Jeanne d'Arc et ne pas en faire, ni plus, ni moins, un roman d'aujourd'hui ? Saint Louis ou Jeanne d'Arc peuvent-ils exister en leur temps pour nous en notre temps, qui faisons de l'Évangile un roman de ce que doit être la foi de l'an 2000, et non autre chose à la source de cette foi ?
\*\*\*
Les valeurs chrétiennes de notre civilisation -- ont été des Mystères exigeant des Vertus nourries par des Sacrements, et c'est-à-dire des forces vives au travail, pour que civilisation en résulte. Voilà dans quel sens le Père de Foucauld disait des peuples de l'Afrique du Nord, qu'il nous fallait, sous peine de révolte inévitable, franciser pour les civiliser : « Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens. » Mais des valeurs chrétiennes au sens d'un « jugement personnel plus ou moins en accord avec celui de la société de l'époque », un tel sens idéologique met le christianisme au commun niveau moderne, assez peu chrétien pour faire dire : « En morale, la notion de valeur a remplacé celle d'obéissance à une loi révélée ». (Ribot, cité par le Robert.) A *remplacé* par annulation de la Croix du Christ, si bien que le Père de Foucauld passe pour un prophète de l'anticolonialisme, et du droit, à l'encontre de la France, pour « les indigènes de sa colonie », à « un recul de ces peuples vers la barbarie, avec perte d'espoir de christianisation pour longtemps » !
\*\*\*
113:163
L'homme, -- ce terme générique, incapable de désigner une existence abstraction faite de l'état concret du citoyen, soit de son pays selon la nature, soit du Ciel selon la grâce de Jésus-Christ. Concrètement, la société suppose l'homme et l'homme la société, l'Église suppose le chrétien et le chrétien suppose l'Église ; mais, tout à fait concrètement, la société et l'Église ont précédé le citoyen et le chrétien qu'est chacun de nous à l'instar de l'enfant né de sa mère. Tant il peut être absurde d'identifier l'Église et la société à leurs membres actuels, dussent-elles même ne pas leur survivre comme elles ont survécu à nos milliards d'ancêtres ! Il est vrai que la consistance personnelle des membres de la société ou de l'Église refuse de très haut la comparaison avec celle des membres de notre corps ; il est sophistique d'en conclure que la consistance incomparable de la personne humaine lui appartienne indépendamment et non à partir du corps social ; excepté Notre-Seigneur Jésus-Christ, nulle personne au monde n'a été donnée à elle-même et n'est demeurée à elle-même sans le corps social non plus que sans le corps physique. (Faut-il le souligner, ces remarques sont faites quant à l'existence, point de vue temporellement premier, point de vue propre de la politique, et c'est-à-dire le bon sens introuvable du « politique d'abord »).
\*\*\*
Nous naissons hommes et nous devenons chrétiens, -- est-ce à dire la société civile et l'Église diverses comme la nécessité de la naissance et la liberté de l'acte de foi ? Premièrement, « les hommes naissent et demeurent... », oui et non ! Hommes de naissance ne sont pas hommes de vie sans la volonté de chacun fidèle à son obligation humaine ; et l'obligation humaine emporte l'obligation civique, le consentement intérieur à la nécessité de vivre en citoyen pour vivre en homme. Réduire le citoyen à la nécessité de la naissance est inhumain. Est-il chrétien, d'autre part, de se voir dans l'Église selon la liberté qu'il faut à l'acte de foi, mais qui reste loin d'en être le tout ? Quelle liberté ? S'agit-il pour elle d'autre chose que de vivre ou non, ici encore, mais ici, de vie éternelle ou de mort éternelle, et à mesure, en quelle évidence, de l'obligation pour chacun, ici encore, de consentir à la nécessité, mais ici, de vivre dans l'Église pour vivre en Dieu, et cela, par la nouvelle naissance du baptême ?
« Ne dites pas : Nous avons communié, dites : Nous allons communier, en vivant de manière à continuer la vie de Jésus-Christ », (24 octobre), qu'est-ce à dire, mon Père, sinon, misérablement : communier, ce n'est pas Jésus qui nous donne sa vie, c'est notre vie qui doit faire vivre le Christ ? Ceci et non cela, quand cela seul peut donner un sens à ceci ?
\*\*\*
114:163
« L'enfer, c'est les autres », -- inévitablement, lorsqu'il n'y a plus, ni prochain selon l'Évangile, ni proches selon les communautés naturelles de la vie ; les autres, c'est l'enfer d'une existence à soi tout seul qui n'existe pas, la chute éternelle dans le vide d'un atome qui est une âme.
\*\*\*
Ne pas baptiser les enfants par respect de leur liberté personnelle ?
a\) Le bon usage de la liberté est obligatoire, et c'est ici de croire en Jésus-Christ et recevoir le baptême. On présume donc le mauvais usage de la liberté qui refuse le baptême, et c'est lui que l'on respecte !
b\) Respecter en toute personne sa liberté emporte-t-il une identique attitude du respect, que la personne soit ou non en état d'exercer sa liberté ?
c\) Croit-on ou ne croit-on pas que le baptême donne la vie éternelle aux enfants ?
\*\*\*
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Or quiconque agit mal, n'importe en quelle sorte, se nuit à lui-même, se diminue lui-même, et détériore à mesure ses relations avec autrui. La liberté consiste donc à pouvoir faire tout ce qui est bien, et rien de mal ! Qui en sera juge ? « La loi, expression de la volonté générale » ! La liberté à ce compte, c'est l'État totalitaire à partir de la disposition totalitaire de soi-même, -- aux antipodes d'Aristote et de saint Thomas : « Philosophus dicit... quod ratio praeest... principatu politico aut regali, qui est ad liberos, qui non totaliter subduntur imperio...* *» La liberté humaine se trouve à ne pas être totalement soumis à qui commande selon la raison ; ainsi, mais ainsi seulement, il peut y avoir un régime de liberté réelle de l'homme réel dans la société réelle.
\*\*\*
115:163
« Je ne fais pas de politique. » Est-ce à dire que rien n'y oblige si peu soit-il, vous semble-t-il, les hommes vivant en société ? C'est la politique négative de l'anarchie. Pensez-vous, au contraire, que les obligations politiques, réelles et raisonnables, ne peuvent pas être de parler sans savoir et de choisir à l'avenant, incapable d'autre chose en ce que l'on appelle la politique ? Mais alors, êtes-vous monarchiste ? Ou bien vous ne faites pas de politique parce qu'il n'en faut pas du tout ; ou bien vous n'en faites pas selon que ce n'est pas votre affaire ; ou bien quoi ?
\*\*\*
Heureux les malades, s'il y a, pour les soigner peu ou prou, les autres en bonne santé ! Heureux les pauvres, s'il y a pour les secourir la richesse des autres ! Heureux les ignorants, si d'autres savent et leur font savoir ! Heureux le plus malheureux des hommes, si Dieu, les hommes aidant, ne lui manque pas ! Heureuse toute misère et toute impuissance, de se trouver parmi des hommes moins démunis et plus forts, même sans en être aidée à mesure ! Heureuse l'inégalité, au lieu de l'égale indigence où se précipite la folie égalitaire !
Paul Bouscaren.
116:163
### L'action temporelle des chrétiens
par Louis Salleron
*En mai 1951, la Semaine des Intellectuels catholiques consacra ses travaux au thème* « *Espoir humain et Espérance chrétienne *»*.*
*Je fut invité à y présenter un exposé sur* « *l'action temporelle des chrétiens *»*.*
*C'était l'usage, chez les dirigeants de la Semaine, de mêler à ses orateurs habituels un* outlaw *réactionnaire. Un cheval, une alouette. J'étais, cette année-là, l'alouette désignée.*
*J'acceptai.*
*Mon exposé -- celui qu'on lira ci-après -- fut fort bien accueilli de l'auditoire. Applaudissements unanimes et chaleureux. Parmi les notabilités présentes, le Père Daniélou, François Mauriac, Gabriel Marcel me dirent leur approbation totale.*
*La suite fut curieuse. Pour l'édition du volume, les dirigeants du Centre catholique des intellectuels français me demandèrent, par deux fois, successivement, des coupures et des modifications à mon texte.*
*Certaines coupures pouvaient se justifier pour abréger le texte. Les autres, ainsi que les modifications, avaient pour but d'atténuer l'expression, pourtant pleine de mesure et d'objectivité. J'acceptai tout, sauf la suppression des sept mots* « *et des iniquités de notre épuration intérieure *» (*v. note 12*)*. On n'en tînt pas compte, ce qui provoqua de ma part une vive réaction que je raconterai peut-être un jour mais qui importe peu ici.*
117:163
*Tout à fait par hasard, en rangeant des papiers, je viens de retrouver un double dactylographié du texte original de mon exposé. Il est hélas ! bien plus actuel aujourd'hui qu'en 1951, car le mal que je signalais s'est développé dans des proportions gigantesques. C'est pourquoi je crois bon de le redonner dans sa version intégrale première. Les notes indiquent la version des principales modifications publiées dans le volume du compte rendu de la Semaine des Intellectuels catholiques. Quant aux coupures les plus importantes, elles portent sur le sixième ou le cinquième du texte sans en altérer la courbe. Je ne crois donc pas nécessaire de les signaler.*
MESSIEURS,
La Semaine des Intellectuels catholiques m'a fait l'honneur de m'inviter à parler devant vous de l'action temporelle des chrétiens.
C'est un sujet difficile, aux confins incertains.
Je l'aborderai dans la perspective de l'Espérance, qui est le thème central de ces journées.
Si vous voulez bien accepter un titre très lourd, je dirai que le point que je m'efforcerai de fixer est le suivant « *l'action temporelle des chrétiens peut-elle être soutenue par un espoir temporel en harmonie avec l'Espérance chrétienne ? *» Le domaine de mon enquête paraît ainsi un peu mieux défini. Je le trouve, quant à moi, encore très vague. En ce sens du moins que, dans la mesure où il est religieux -- et est-il autre chose ? -- je le vois réservé aux théologiens ou à la hiérarchie. Si la simple piétaille de chrétienté a le droit d'y pénétrer, ses réflexions n'ont pas de valeur particulière. Ce sont des réflexions de cet ordre que je suis seulement en mesure d'offrir, comme n'importe lequel dans cette salle. Alors à quoi bon ?
N'essayons pas de résoudre ce problème et allons de l'avant. Dès le premier mot je bute et tombe, rempli de confusion. Car qu'est-ce que « l'action temporelle » ?
Certainement l'expression est définie, expliquée et commentée longuement dans quantités d'ouvrages. Mais je me suis promis de n'en ouvrir aucun, car ce sont des ouvrages de clercs et je n'ai pas pour mission de traduire leur pensée.
Je me place donc, vierge de lecture, en face de cette mystérieuse « action temporelle » et je me demande : qu'est-ce que c'est ?
118:163
Les idées se distinguent d'abord par leur contraire. On oppose habituellement le *temporel* au *spirituel.* On dit « le pouvoir *spirituel *» et « le pouvoir *temporel *»*.* Le Pape et l'Empereur.
L'action temporelle s'opposerait donc à l'action spirituelle. *Temporel* est aussi le contraire d'*éternel.* Mais on voit mal ce que serait l'action éternelle.
Cependant si je mets en parallèle l'*espoir temporel* et l'*espérance chrétienne,* il s'agit bien d'un temporel qui s'oppose à l'éternel -- ce qui me prouve que tout cela est assez emmêlé.
Dira-t-on que je coupe les cheveux en quatre ? Je ne le pense pas. Il faut savoir de quoi on parle. Si on demandait à toutes les personnes ici présentes de prendre un crayon et d'écrire en dix lignes ce qu'elles entendent par « l'action temporelle des chrétiens » je suis convaincu qu'on obtiendrait un résultat significatif -- significatif, veux-je dire, du nombre d'interprétations dont ces simples mots sont susceptibles.
Je vais donc vous proposer ma propre interprétation.
J'entends par « action temporelle des chrétiens » soit l'activité normale, simplement humaine, des chrétiens, hommes comme les autres, soit plus précisément l'action qu'exercent les chrétiens dans la société, selon des moyens et des fins de l'ordre naturel qui leur semblent être en particulière harmonie avec l'ordre surnaturel et par conséquent indirectement favorables à l'épanouissement social du christianisme.
C'est à cette seconde conception que je m'attacherai particulièrement.
S'il fallait substituer une épithète à une autre pour la faire comprendre c'est « politique » que je proposerais. L'action *temporelle* est principalement de l'ordre *politique,* au sens le plus large du mot, car notre « temporel » inclut l'économique, le social, toute une large portion du domestique et déborde, de l'autre côté, dans le destin de la civilisation et de l'homme lui-même.
L'avantage de référer mentalement l'action temporelle à l'action politique (en faisant les corrections nécessaires), c'est d'éviter d'autres confusions possibles, infiniment plus graves.
Il n'y a, par exemple, aucun rapport (notionnel) entre l'action temporelle et l'action catholique. Celle-ci est, en gros, l'apostolat du milieu par le milieu, le rayonnement de l'Église au degré laïc de sa hiérarchie. C'est une action spirituelle au premier chef. Dans toute action, et dans l'action temporelle notamment, il peut y avoir de l'action catholique, mais les deux notions et les deux domaines sont si parfaitement distincts qu'on pourrait presque dire que l'action temporelle commence là où s'arrête l'action catholique.
119:163
Prenons quelques exemples dans l'histoire.
Saint Paul bâtit l'Église. Il ne fait pas d'action temporelle, car ses buts ne sont pas temporels.
Jeanne d'Arc combat pour la libération de la France et le sacre de Charles VII. Elle fait de l'action temporelle au suprême degré.
Saint Louis, tous les rois chrétiens font de l'action temporelle à toutes les heures de leur vie puisqu'ils sont l'incarnation même de la politique.
Le P. de Foucauld fait sa part à l'action temporelle en 1914 quand il se considère comme mobilisé en plein Sahara et rend, à ce titre, les services qu'il peut à ses camarades de l'armée.
Toute l'Église, à la fin de l'Empire romain, a fait de l'action temporelle quand elle a assumé les cadres de la société défaillante et en a construit de nouveaux.
Peut-on dire que de nos jours l'Église continue d'avoir une action temporelle ? C'est une question de définition. Je pense qu'il vaut mieux garder l'expression dans son sens étroit. Le Pape et les Évêques ne font pas d'action temporelle dans l'administration de l'Église, ni même dans la politique de l'Église. Le Pape en faisait dans les États Pontificaux quand il en avait. Il en fait exceptionnellement quand on lui demande d'intervenir, à cause de son autorité, dans des questions où l'Église n'est pas partie. Il n'en fait pas quand il donne un enseignement sur les questions temporelles. Même chose pour les Évêques.
Ce secteur, en tout cas, ne nous concerne pas.
Nous parlons des laïcs, et des laïcs du XX^e^ siècle. Disons qu'ils font de l'action temporelle quand ils se mêlent des affaires de la cité, et qu'ils trouvent dans leur christianisme soit la cause originelle, soit la cause finale, soit la justification de leur action -- les trois pouvant aller ensemble, mais l'une ou l'autre étant subjectivement dominante.
Cette action temporelle soulève un monde de difficultés dont on peut discerner, à notre époque, deux causes principales. La première cause remonte à l'origine de l'humanité : c'est le péché originel.
La seconde cause est plus récente : on peut la situer à la fin du Moyen Age quand la chrétienté fait place au monde moderne. Parlons d'abord de la première cause.
Après avoir créé l'Univers, « Yahweh Dieu, dit la Genèse, prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder ».
En quoi consistait, en quoi aurait consisté la mission de l'homme sans la faute ? Il est difficile de s'en faire une image. Mais ce que nous savons, ce que nous sentons à travers la Genèse comme à travers nous-même, c'est que l'homme placé à la tête du monde visible, avait à le parachever.
120:163
Après la faute, cette tâche subsiste, mais elle est tissu de contradictions. De même que le travail, tout en demeurant le privilège d'ordonner l'univers, est devenu le châtiment de toute la vie, de même notre activité se déroule dans une trame temporelle où le beau masque toujours le laid, et le bon, le mauvais. Nous avons le droit et le devoir de parachever le monde créé, mais dès que nous croyons réaliser du merveilleux, c'est le hideux qui apparaît. Le paradis est perdu, et bien perdu, et il nous faut agir comme si nous cultivions et gardions le jardin d'Eden. Cette contradiction n'a pas été abolie, elle a été élargie jusqu'à l'écartèlement de la croix par l'Incarnation.
Au monde visible de la Création s'ajoute le monde invisible de la Rédemption. Au mystère de la nature s'ajoute le mystère de la grâce. Aux buts que Yahweh assignait à Adam s'ajoutent les buts que nous propose le nouvel Adam. L'intelligence s'arrête devant l'affirmation du Christ : « Je suis la voie, la vie et la vérité. » Il n'y a rien à comprendre, que les limites de notre raison qui nous autorisent à répondre à l'appel. *Credo quia absurdum*.
Le chrétien vit donc de la vie du monde visible et de la vie du monde invisible.
Or il sait que le seul nom qui puisse lui rendre compte, en langage humain, de la vie du monde invisible, c'est la mort. « *Mortui enim estis,* dit saint Paul aux Colossiens, *et vita vestra est abscondita cum Christo in Deo. *» Vous êtes des morts, vous autres chrétiens, et votre vie, la vie qui est vôtre, elle est cachée avec le Christ en Dieu.
Alors la contradiction est totale et le déchirement absolu. Hommes de la création, nous savons le conflit qui nous divise. Hommes de la rédemption, nous sommes avisés que ce conflit n'est que la pâle image et l'approche lointaine d'un autre, dont nous ne savons rien et qu'il nous faut trancher dans la nuit. Nous sommes sommés par la grâce de choisir la vie d'au-delà de la vie, de choisir la vie de la mort, et de choisir de vivre la vie de la création dans la mort de la rédemption.
Un mot résume et résout ce nœud de contradictions : l'amour.
La création est amour. La rédemption est amour. La vie est amour. La mort est amour. L'amour poursuit l'œuvre de rédemption. L'amour est œuvre de vie : *magnum est hoc sacramentum.* L'amour est œuvre de mort : *mortui enim estis.* L'amour est charnel. L'amour est spirituel. L'amour est naturel. L'amour est surnaturel. L'amour est contre Dieu. L'amour est de Dieu. L'amour est nuit et lumière. Tout est amour. Dieu est amour.
121:163
C'est pourquoi la Charité est la plus grande des trois vertus théologales. Mais les deux autres ne s'en distinguent que parce qu'elles sont nos compagnes d'ici-bas. Il faut bien croire ce qu'on ne sait pas. Il faut bien espérer ce qu'on n'a pas. Ce sont des vertus théologales, car tout est grâce, comme dit le curé de Bernanos. Mais ce sont aussi des vertus naturelles car la grâce ne peut qu'achever la nature et nul ne peut vivre sans croire à quelque chose, sans espérer quelque chose.
Ici encore, cependant, la contradiction reparaît, et c'est toujours la même. Ce que la vie chrétienne est à la vie humaine, l'Espérance chrétienne l'est à l'espérance humaine : couronnement et contraire.
Il est vrai que la vertu théologale d'Espérance ne peut naître et croître que dans la vertu naturelle d'espérance, mais en tuant celle-ci dans la mesure même où elle la porte à son épanouissement. La nuit obscure des mystiques est le sommet de l'Espérance dans une sorte de désespoir. Le cri du Christ, *Eli, Eli, lamina sabacthani,* est le cri de l'Espérance toute nue. Au moment que la vie de la création se mue en vie de la rédemption elle devient mort, et l'espérance comblée n'est plus que le désespoir de la vie mortelle vaincue par la vie éternelle.
Au fond, on serait presque tenté de dire que tout cela est très simple et très évident, si tout cela n'était évidemment très mystérieux et incompréhensible.
On parlerait des heures sur ce thème. Nous en avons assez dit pour montrer que l'espérance humaine étant en harmonie et en contradiction avec l'espérance chrétienne, il est certain que l'action temporelle des chrétiens peut être soutenue par un espoir temporel en harmonie avec l'espérance chrétienne. Nous verrons précisément de quelle manière tout à l'heure. Pour l'instant il s'agissait simplement de souligner la difficulté permanente due au péché originel.
Mais nous avons dit qu'un second chef de difficulté provenait, pour nous, de la disparition de la chrétienté médiévale. Trois étapes ont rendu cette difficulté croissante :
-- l'étape de la rupture même de la chrétienté ;
-- l'étape de l'avènement de la démocratie libérale ;
-- l'étape de l'expansion du marxisme.
N'essayons pas de définir la chrétienté médiévale. Nous n'y arriverions pas. Retenons l'extraordinaire unité sociale qu'elle réalise, unité caractérisée, pour ce qui nous occupe, par la référence de fait et de conscience de tout l'ordre temporel à l'ordre spirituel et nommément l'Église.
122:163
Il y a distinction, mais union ; et cette union est de l'ordre spirituel. Ce n'est pas un contrat, c'est un mariage entre la cité humaine et la cité de Dieu.
La rupture de la chrétienté se présente sous trois aspects :
1° L'unité de l'Église est rompue par la Réforme.
2° L'unité de l'ordre temporel est rompue par le fait national.
3° L'union des nations catholiques avec l'Église, de mariage devient contrat, -- concordat.
Bref le laïcisme fait son apparition.
Dans les secteurs demeurés catholiques, Autriche, Espagne, France, les choses, au début, vont à peu près, puisque juridiquement et théologiquement les rapports entre Dieu et César sont assez faciles à définir, donc à établir. Mais pour garder notre image, le contrat l'emporte peu à peu sur le sacrement. Chacun connaît ses droits et les défend. S'il n'y a pas trouble dans les consciences, il y a désordre dans les faits. Un Richelieu s'allie avec les protestants pour combattre les catholiques. Un Louis XIV révoque l'édit de Nantes pour fortifier l'unité catholique nationale. Contradictions historiques de l'action temporelle sur son plan purement politique. Présage de contradictions plus générales et plus graves.
Avec la Révolution, le contrat saute ; le divorce est établi. Mais la société « libérée » a besoin d'une métaphysique. La démocratie la lui apporte. C'est le royaume de l'homme dressé contre le royaume de Dieu. C'est l'Espérance du Progrès indéfini substituée à l'Espérance de l'Éternité. Le chrétien n'a plus le choix ; il est forcé de s'opposer à ce qui s'oppose à lui sur toute la ligne. Une trêve intervient. Un nouveau concordat. Mais le régime démocratique, politiquement, s'installe. Pendant cent cinquante ans il va falloir distinguer, dans ce régime, ce qui est un mode juridique d'organisation du Pouvoir et ce qui est une religion anti-chrétienne. Les deux réalités sont tellement étroitement imbriquées l'une dans l'autre que les catholiques français seront perpétuellement déchirés sur ce point, entre eux d'abord, et dans l'intime de leur conscience. La Papauté, longtemps, ne croira pas que l'aspect juridique de la démocratie puisse être dissocié de son aspect religieux. A la fin elle admettra et conseillera le ralliement à la République. Mais les divisions catholiques n'en seront guère apaisées, car d'une part la Troisième République accentuera jusqu'en 1914 son anticléricalisme et, d'autre part, la valeur de nos institutions sera mise en doute par beaucoup même incroyants, sur un plan simplement national.
Après 1918, la France épuisée se réconcilie avec elle-même dans la victoire et la lassitude. Pour peu de temps cependant.
123:163
Au sein du catholicisme français, deux courants divergents subsistent. Au sein des institutions françaises, une maladie de dégénérescence s'installe et se développe. L'affaire d'Action française, le 6 février, le Front populaire conduisent la France à une confusion totale à la veille de la seconde guerre.
En 1944, à la libération, le fait dominant est le communisme. Il menace à la fois l'Église et l'État. C'est la civilisation occidentale elle-même qui est en péril.
Chose étonnante, le marxisme *pénètre profondément* ([^19]) dans le christianisme français.
Entendons-nous. La masse catholique demeure imperméable au marxisme, et la hiérarchie également. Mais *ce sont les minorités qui mènent, dans le catholicisme comme ailleurs* ([^20])*.* De 1944 à aujourd'hui, non sans un certain recul, heureusement, *le* « *climat marxiste *» *est le climat du catholicisme français* ([^21])*.*
Je dis « climat » parce que le phénomène est infiniment complexe.
On pourrait classer les catholiques qui évoluent dans ce climat en quatre groupes :
-- le premier comprendrait ceux qui se disent et se veulent marxistes. Ils sont très peu nombreux, surtout après les condamnations pontificales qui les obligent à choisir entre le marxisme et le christianisme.
-- le second comprendrait ceux qui refusent la *doctrine* marxiste mais acceptent la *méthode.* Ils sont un peu plus nombreux, quoique, intellectuellement, leur position soit très peu confortable.
-- le troisième comprendrait ceux qui, refusant le marxisme pour eux-mêmes, estiment qu'il est la grande espérance du prolétaire et qu'à ce titre il doit être compris et, en quelque sorte, intellectuellement épousé pour être mieux « évacué ». Ils pensent, plus ou moins explicitement, que les chrétiens *doivent être eunuques avec les eunuques, esclaves avec les esclaves, et marxistes avec les marxistes* ([^22])*.*
*-- *le quatrième comprendrait ceux qui, non-marxistes ou même anti-marxistes, croient au Progrès et à l'évolution de l'Homme vers des formes supérieures. Leur croyance soutient le marxisme, même à leur insu, parce que le marxisme étant la forme la plus répandue et la mieux organisée de la croyance au Progrès et à l'évolution humaine, toute croyance analogue le fortifie nécessairement.
124:163
Ce climat marxiste tend à se dissiper. Mais enfin il a existé et ce qui reste de tendance marxiste *dans le christianisme français est* ([^23]) assez important pour que nous nous penchions sur le phénomène et que nous tachions de l'expliquer. Pour notre sujet c'est indispensable.
La cause immédiate et contingente de la sympathie christiano-marxiste est dans les rencontres et les communautés d'action à l'époque de la Résistance. « Celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas... »
Cette cause, toute occasionnelle, ne suffirait pas cependant à expliquer *une alliance ou* ([^24]) une amitié à ce point contre nature. Il y a donc autre chose. Cet « autre chose » est assez emmêlé, mais je crois qu'on peut poser fortement les deux points suivants.
En premier lieu, ce qui était liquidé à la libération, ce n'était pas seulement le régime de Vichy, c'était aussi la Troisième République. Celle-ci avait *toujours bafoué* ([^25]) le catholicisme ; et *même* ([^26]) les catholiques les plus démocrates *ne trouvaient* ([^27]) grâce devant elle que dans l'humiliation. Une quatrième République prenait naissance. Elle allait être fondée par les catholiques en union avec ce qui était la quintessence du peuple souverain. Belle revanche pour les catholiques démocrates. Ils n'avaient plus à être les ralliés, ils étaient désormais les rallieurs. C'est eux qui absoudraient les vieux républicains et leur tendraient le rameau de réconciliation.
En second lieu, sur le plan chrétien, le fossé qui existait entre la religion et la classe ouvrière était comblé. De même qu'en 1914-1918 la guerre avait tué l'anticléricalisme politique grâce au prêtre soldat, de même la Résistance avait tué l'antichristianisme prolétarien grâce au prêtre déporté. *Le P. Riquet relayait le P. Doncœur* ([^28]).
Les catholiques qui s'accrochèrent à ces points n'étaient pas dans l'illusion complète. La réalité qui les frappait existait indubitablement. Mais ce n'était qu'une réalité parmi d'autres, une portion ([^29]) de la réalité globale. Ils en avaient bien conscience, à la vérité. Ils en avaient même tellement conscience qu'ils s'efforcèrent d'occuper tout le terrain catholique et d'éliminer ce qui ne pensait pas comme eux.
125:163
Leur christianisme était sincère, sans aucun doute. Mais dans leur désir de séduire les incroyants ils firent trop bon marché des problèmes qui, semble-t-il, eussent dû les préoccuper en première instance. Qui, dans l'avenir, feuillettera les publications catholiques françaises de la fin de 1944, de 1945 et de 1946, s'étonnera d'y voir fait si peu mention des persécutions au delà du rideau de fer et *des iniquités de notre épuration intérieure* ([^30]). *Oui, le climat de l*'intelligentsia *catholique française de ces dernières années a bien été le climat marxiste. La petite* ([^31]), l'infime minorité qui parlait, qui écrivait, qui tenait le devant de la scène publique favorisait, volontairement ou non, le jeu communiste.
*Que si on estimait que nous exagérons, il nous suffit de rappeler la répugnance, pour ne pas dire la résistance, avec laquelle furent accueillies, à une époque encore proche de nous, les décisions pontificales concernant le communisme et l'encyclique Humani generis* ([^32]).
Le mirage se dissipe, mais lentement. Il subsiste intégralement dans le domaine social. On a le droit, certes, d'avoir les idées qu'on veut en matière d'organisation du travail, de l'entreprise, de propriété, de salaire, de gestion économique, mais faut-il invoquer toujours la justice chrétienne pour proposer des solutions dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont contestables ? S'il s'agit vraiment de la doctrine sociale de l'Église, ce ne peut être que celle des Encycliques. Mais la doctrine qu'on nous offre *s'écarte aisément des* ([^33]) Encycliques *ou s'y oppose carrément* ([^34]). Pourquoi mettre en avant le christianisme ou simplement la justice dans des études, des analyses, des programmes, des revendications qui sont peut-être légitimes mais ressortissent au temporel le plus extérieur à l'Évangile ?
Le danger de cette attitude nous est révélé par la jeunesse *qui, avec la logique des vingt ans, va en nombre imposant au progressisme* ([^35]). Son espérance chrétienne est sincère ; elle ne se détache plus d'un espoir temporel qui l'obligera peut-être demain à un choix douloureux.
126:163
*Ici, nous ne pouvons plus parler d'infime minorité. La semence a déjà germé. Toute une cohorte de jeunes étudiants, de jeunes ouvriers, de jeunes agriculteurs mêmes -- et je ne parle pas des clercs --* ([^36]) s'avance dans la vie avec la conviction qu'un nouvel âge chrétien est lié à l'avènement d'un nouvel âge humain qui serait peut-être l'âge de l'homme nouveau.
Homme nouveau ? L'expression dit bien ce qu'elle veut dire. Car il y a un homme nouveau du christianisme et il y en a un autre du marxisme et de je ne sais quelle évolution biologique. Ces deux hommes-là ne peuvent être le même. L'espoir temporel est ici en contradiction absolue avec l'espérance chrétienne.
L'action temporelle du chrétien qui rêve de l'homme nouveau s'inscrira très vite nécessairement soit dans le sens du christianisme le plus foncier, soit dans le sens de l'anti-christianisme le plus certain.
Il est beau, certes, d'être sensible à l'injustice sociale. Il est bon cependant de ne pas vouloir la supprimer par la projection dans l'avenir d'un schéma de justice idéale et d'ailleurs contestable. « Avenir combleur de vide », dit Simone Weil. La justice parfaite n'est pas de ce monde ; elle n'est d'ailleurs ni dans l'égalité, ni dans la révolution, et l'argent n'a qu'une faible part dans son approche.
Il est de bon ton, de nos jours, de médire de la chrétienté médiévale. On lui accole l'épithète « totalitaire ». On se voile la face au souvenir des croisades. *On rougit de saint Louis* ([^37])*.* Or je me demande, en y réfléchissant, si ce n'est pas une nouvelle chrétienté qu'on veut faire, une chrétienté de style prolétarien. Je n'y verrais certes aucun inconvénient si tous les postulats de *l'espoir prolétarien* ([^38]) n'étaient liés à une métaphysique très étrangère au christianisme, et qu'en réalité le totalitarisme inclus dans ces postulats n'était infiniment plus certain que celui dont on s'accuse à propos du Moyen Age.
La vision générale d'une cité chrétienne n'a pas lieu de nous quitter et l'espoir d'une société juste s'associe tout naturellement à l'espérance chrétienne du royaume de Dieu. Mais s'il est un ordre à concevoir pour ce monde visible, c'est un ordre que nous ne pouvons forger de toute pièce au gré de notre imagination ou de nos songes. La société a ses lois et nous ne pouvons lui commander qu'en lui obéissant, selon le précepte baconien.
C'est pourquoi je pense que si les chrétiens ont, comme les autres, le droit d'avoir des idées de révolution sociale, le mieux qu'ils aient à faire est de ne pas engager leur christianisme dans ces idées et dans l'action qu'ils entendent mener pour les faire aboutir.
127:163
En matière temporelle le genre d'espérance qui a seul chance normalement de pouvoir coïncider avec l'expérience chrétienne, c'est le genre le plus modeste. L'immense majorité des humains vivent dans un cercle d'espérances extrêmement concrètes, même quand elles sont d'une nature très élevée. L'enfant espère la croix à l'école, des vacances, un beau livre, un costume neuf, une bicyclette. L'adolescent espère réussir à un examen, faire un voyage, obtenir telle ou telle situation. Le jeune homme aime la jeune fille et espère l'épouser. La jeune fille aime le jeune homme et espère l'épouser. Le jeune ménage espère un enfant, une maison, l'amélioration d'une situation. Le père espère que ses enfants bénéficieront de son expérience et auront une vie plus heureuse ou plus marquante que la sienne. L'ouvrier espère s'établir à son compte. Le paysan espère maintenir et agrandir son héritage, etc. etc. Sur cette trame éternelle, des maladies, des guerres, des aventures, des échecs, des déceptions varient à l'infini les espérances individuelles et collectives. Ce sont ces humbles espérances, l'histoire en témoigne, que le christianisme soutient, corrige, redresse, pétrit, bénit. Elles ont leurs racines dans la vie quotidienne, dans la vie familiale, dans la vie professionnelle, dans la vie nationale. Elles évoquent, sans philosophie, l'ordre naturel de l'existence humaine où l'ordre de la grâce trouve son terrain d'élection. Il en est d'autres, je le sais bien, plus exceptionnelles. Mais l'action temporelle du grand nombre est cette activité normale, ou le dévouement à cette activité.
Lors donc que nous nous demandons quel espoir temporel peut soutenir l'action temporelle des chrétiens dans la perspective de l'espérance chrétienne, nous devons répondre, me semble-t-il, que cet espoir doit toujours être celui qui s'ordonne autour des réalités éternelles de l'existence humaine. Encore une fois ; on ne peut refuser certains espoirs exceptionnels liés à des actions non moins exceptionnelles. Toute vocation brise les cadres normaux. Mais en ce cas, la valeur de l'espérance humaine et de l'action temporelle qu'elle suscite est elle-même absorbée par l'espérance chrétienne, et sa qualité vérifiée par le comportement du sujet. Qui peut douter de l'espérance chrétienne de saint Louis ou de Jeanne d'Arc ?
Prenons aujourd'hui le mythe du mouvement de l'Histoire et de l'avènement du prolétariat. C'est le mythe marxiste par excellence. Un *grand* ([^39]) nombre de chrétiens en sont imprégnés. Leur espoir temporel est-il en harmonie avec leur espérance chrétienne ? On peut en discuter à l'infini, car pour chacun c'est le secret de sa conscience.
128:163
Mais l'origine du mythe, son contenu logique, ses effets pratiques sont aux antipodes du christianisme. Décanté des verbiages pieux, il est très exactement l'Espérance temporelle absolue opposée à l'Espérance chrétienne ; il est la forme moderne de l'*eritis sicut dei*. A supposer qu'on y cède naïvement, dans une bonne conscience chrétienne, ou qu'on y fasse sa part dans un souci apostolique, alors il importe d'être un saint pour qu'à chaque moment on manifeste que c'est l'espérance chrétienne qui vous meut en réalité. Sans quoi, on risque de tuer cette espérance, en soi et chez les autres. Ce n'est pas un risque illusoire.
Au fond, saint Paul a tout dit dans cette étonnante définition : *fldes substantia rerum sperandarum*. La foi est la substance de ce qu'on espère, de ce qu'on doit espérer. Le degré d'espérance mesure le degré de foi. La nature de l'espérance révèle la nature de la foi.
Espérer la grâce en ce monde et la gloire éternelle dans l'autre, c'est y croire.
Espérer la libération de l'homme, l'avènement du Prolétariat, c'est y croire. Croire quoi, d'ailleurs ? Je me le demande. C'est le vague de l'idée qui la mue en sentiment, en émotion. On se sent bon, chaleureux, éthéré, pur, sincère, généreux. On se sent chrétien. La confusion n'est pas nouvelle. Elle est aussi fâcheuse au plan social qu'au plan individuel ([^40]).
Pour terminer ce trop long exposé, nous résumerons en quelques propositions l'attitude qui doit être, selon nous, celle des chrétiens en matière temporelle :
1° Pour l'immense majorité des chrétiens l'action temporelle n'est autre que leur activité normale d'hommes quelconques. Leurs espoirs temporels sont normaux et se purifient peu à peu dans la lumière de l'espérance chrétienne.
2° Les chrétiens qui mènent une action publique auront toute chance d'accorder heureusement leurs espoirs temporels à leur espérance chrétienne s'ils s'efforcent d' « œuvrer » dans le concret, c'est-à-dire dans le sens même des espoirs temporels de la multitude humaine.
129:163
3° Les chrétiens qui visent à de profondes réformes de structure, à des révolutions sociales de dimension historique ont bien le droit de se consacrer à des actions d'envergure, ce qui implique évidemment qu'ils y croient et qu'ils nourrissent en ce domaine des espoirs temporels ; mais neuf fois sur dix, ils auront toute raison de ne pas lier leur christianisme à ces actions et à ces espoirs, sinon dans le secret de leur cœur et dans leur comportement personnel.
4° Les chrétiens, enfin, qui seraient menés par leur christianisme même à des actions de type révolutionnaire devront justifier la perspective chrétienne de ces actions par l'affirmation absolue de leur foi et leur attitude exemplaire. Vouloir une cité chrétienne de type nouveau n'est certes pas interdit mais exige une rigueur unique dans la seule référence qu'on puisse en offrir à l'avance, qui est soi-même.
Telles sont, Messieurs, mes vues très simplifiées sur la question qui m'était proposée : *l'action temporelle des chrétiens peut-elle être soutenue par un espoir temporel en harmonie avec l'espérance chrétienne.* J'aurais pu les condenser en un seul mot : vérité. Mais à défaut du mot, l'idée n'en était pas absente. *Veritas liberabit* vos. De l'espoir temporel à l'espérance chrétienne il n'y a de libération possible que dans la vérité. Dans une époque marquée au sceau de l'imposture, il est tout de même bon de le rappeler en ultime conclusion ([^41]).
Louis Salleron.
130:163
### Éléments pour une philosophie du réel
*Chap. IV -- suite*
par le Chanoine Raymond Vancourt
#### IV. § 6. Le point de vue de l'empirisme logique.
Nous avons constaté l'existence de problèmes qui ne relèvent point de la compétence de la science et ne peuvent être résolus par le recours à l'expérience et au calcul. Il s'agit de problèmes concernant ce que nous appellerions volontiers la réalité transcendante, ce mot signifiant ici tout ce qui, à un titre quelconque, dépasse la connaissance vulgaire et scientifique des phénomènes. On peut se demander si ce sont des problèmes authentiques et si les solutions que proposent les philosophes ont un sens. A cette question, l'empirisme logique ([^42]) donne, sans hésiter, une réponse négative, qui doit retenir notre attention.
\*\*\*
131:163
La possibilité de la philosophie ne va pas de soi et on ne peut l'établir à partir du principe *ab esse ad posse valet consecutio*. Certes, il existe, depuis l'antiquité, ce qu'on nomme des philosophies ; elles sont même assez nombreuses ; cette pluralité, toutefois, ne constitue pas précisément une recommandation. Les questions auxquelles le philosophe s'intéresse ne peuvent comporter qu'une réponse vraie : par exemple, il existe un Dieu personnel ou il n'en existe pas. Or, à la différence des sciences, les philosophies défendent des thèses qui se contredisent et dont aucune n'est, semble-t-il, capable de s'imposer sans conteste. La raison dernière de cette situation inconfortable paraît être celle signalée par Kant ; en philosophie, on s'occupe de réalités situées au delà du monde dont nous avons l'expérience. Si on admet que notre activité cognitive, enracinée dans l'organisme et rivée aux sens, appréhende seulement les phénomènes qui se produisent à l'intérieur de la caverne où nous vivons, il faut en conclure que les problèmes philosophiques ne peuvent être résolus par un effort de connaissance théorique, résolus : précisons-le, dans un sens ou dans un autre : s'il est impossible de prouver (scientifiquement) que Dieu existe, il l'est tout autant prouver qu'il n'existe pas. C'est, en tout cas, par ce biais que Kant nie la possibilité de la métaphysique, avec l'arrière-pensée de la sauver sur un autre plan ([^43]).
\*\*\*
Cette critique paraît insuffisante aux fondateurs du « cercle de Vienne ». Elle suppose, d'entrée de jeu, qu'il existe des réalités supra-sensibles : les substances, le Tout, l'Absolu, etc.. dont notre faculté de connaître est séparée par une frontière infranchissable. Mais peut-on parler de frontière si on n'a pas quelque idée de ce qui se trouve au-delà de l'endroit où l'on est ? Kant aurait dû abandonner sans scrupule l'hypothèse d'un « arrière-monde », hypothèse qui, d'après les partisans de l'empirisme logique, a grevé la recherche philosophique depuis Platon ([^44]). -- Ce n'est point tout. -- L'impossibilité d'accéder à un monde supra-sensible, « transphénoménal », résulte, aux yeux de Kant, d'une incapacité de fait, due à la structure de l'homme. Nous ne sommes pas de purs esprits, mais des intelligences incarnées, dont l'activité, nous l'avons souligné, se trouve conditionnée par les organes des sens. Nous ne possédons pas de faculté capable de nous mettre en contact immédiat avec des réalités transcendantes ; nous n'avons point d'intuition de Dieu, ni de notre âme, ni du fond substantiel des choses ([^45]).
132:163
Mais, d'après Kant, on peut concevoir des êtres autrement constitués, qui auraient le privilège d'appréhender directement le monde suprasensible. Bref, l'impossibilité de la philosophie au sens ordinaire du mot, c'est-à-dire de la métaphysique, est, dans ce contexte, une simple question de fait. En droit, les problèmes dont elle traite sont de vrais problèmes et de première importance ; les solutions qu'on leur apporte, même si elles se contredisent et ne peuvent s'appuyer sur l'expérience et le calcul, n'en possèdent pas moins un sens. Kant ne soupçonne pas qu'il pourrait y avoir une raison plus profonde, rendant caduques, non seulement les philosophies qu'inventent les humains, mais toute philosophie, quelle qu'elle soit ([^46]).
\*\*\*
Pour pousser l'enquête jusque là, il manquait à Kant un instrument indispensable ; la logique mathématique, inventée après lui et qui allait permettre une critique radicale de la métaphysique. Valable ou non, celle-ci se présente comme une forme de la connaissance humaine et s'exprime dans le langage. Il appartient dès lors à la discipline qui analyse les concepts, les propositions, les démonstrations et leurs formulations linguistiques, de porter un jugement définitif sur la légitimité des philosophies. Mais la logique, jusqu'en ces derniers temps, restait trop dépendante de la philosophie pour être à même de l'apprécier sainement. Il lui fallait au préalable se libérer, acquérir un statut scientifique précis et rigoureux. C'est chose faite ; et les progrès de la logique moderne ont permis, si on en croit Carnap et ses amis, de mesurer exactement la valeur des philosophies et de porter un verdict ne provenant pas, comme chez Kant, d'une « logique transcendantale », mais d'une logique authentiquement scientifique ([^47]).
\*\*\*
133:163
Cette discipline s'occupe de la langue qu'emploie le savant, mais aussi de celle dont use l'homme de la rue ([^48]). Le langage, peu importe la façon dont on le définit ([^49]), consiste en des systèmes de symboles, grâce auxquels on fait plus que vivre les impressions subies de la part du donné, on les exprime de manière à être compris des autres. La connaissance ne se conçoit pas sans une traduction linguistique et peut-être la valeur de notre savoir dépend-elle, pour une part importante, de la qualité des symboles employés, la science utilisant des formules mathématiques plus précises que le vocabulaire ordinaire. En tout cas, l'étude du langage s'impose si on veut comprendre les modalités de notre connaissance et en apprécier la valeur et la portée.
En entreprenant cet examen, on s'aperçoit aussitôt que les diverses propositions où se condense notre savoir ne sont pas toutes également reliées à l'expérience. Les unes, les propositions dites *a priori*, en sont indépendantes ([^50]). Elles ne se réduisent pas, comme le prétend Stuart Mill, à des généralisations d'observations particulières, car ces généralisations n'ont qu'une valeur de probabilité, alors que les propositions en question sont nécessaires et universelles. Elles ne sont point, non plus, des *jugements synthétiques a priori *; Kant n'a pas réussi à prouver l'existence de tels jugements ([^51]) ; et les propositions *a priori* valent en vertu de leur forme : elles sont analytiques et n'ont point la prétention de nous renseigner directement sur le réel.
134:163
La logique et les mathématiques, constituées par des propositions de ce genre, n'augmentent pas, à proprement parler, notre savoir ; sciences purement formelles ([^52]), les raisonnements qu'elles impliquent revêtent un caractère tautologique ([^53]).
\*\*\*
Aux propositions analytiques s'opposent les propositions synthétiques qui, nous renseignant sur des « matters of fact », sont susceptibles dans le savoir vulgaire comme dans les sciences d'augmenter la somme de nos connaissances. Seulement, ces propositions n'engendrent pas une certitude absolue ; dans le domaine des faits, nous n'obtenons que des probabilités ([^54]), dont le degré se mesure par référence à l'expérience et, en dernière analyse, par référence aux données immédiates qui s'expriment dans ce que l'École de Vienne appelle les « énoncés protocolaires » ([^55]).
\*\*\*
A partir de ces bases va se développer une attaque impitoyable contre la philosophie. On exige qu'elle précise la nature des propositions dont elle se sert. -- Seraient-elles analytiques et le philosophe pourrait-il, en raisonnant, se contenter de rester fidèle à des conventions établies au préalable ? -- Cela paraît difficile, car il devrait avouer qu'il ne nous apprend rien sur ce qui existe, alors que, depuis les origines, la philosophie a prétendu nous expliquer la réalité, voire la réalité transcendante. -- Les propositions qu'elle utilise seraient-elles synthétiques ? -- Ce n'est point non plus possible. Des propositions de ce genre, en effet, ne peuvent dépasser les frontières de l'expérience, car elles s'enracinent finalement, nous l'avons dit, dans les données immédiates. Or la philosophie a toujours voulu nous renseigner sur un monde dont nous n'avons pas l'expérience.
135:163
-- Dira-t-on que les affirmations du philosophe sont déduites de celle-ci par un raisonnement, grâce auquel nous la dépasserions et en obtiendrions une interprétation plus complète, qui comblerait notre besoin de savoir ? -- Ce serait oublier, répond Carnap, que la déduction s'avère absolument incapable de faire changer de plan. Si nous raisonnons à partir des données de l'expérience -- et comment faire autrement ? -- nos conclusions vaudront seulement pour le domaine de l'expérience et ne permettront jamais d'atteindre une sphère située au delà : le monde au milieu duquel nous vivons ne nous renseigne que sur lui-même ([^56]).
\*\*\*
Ni analytiques, ni synthétiques, les propositions qu'alignent les philosophes apparaissent comme des monstres logiques, des formules dénuées de signification. Elles valent moins que des chimères et des fables : « Il n'y a pas de conflit avec la logique pour les phrases d'une fable ; elles se bornent à contredire l'expérience ; bien que fausses, elles gardent une signification. La métaphysique ne relève pas non plus de la superstition : on peut ajouter foi à des propositions fausses comme à des propositions vraies, mais on ne le peut pas à des alignements verbaux privés de sens. Les énoncés métaphysiques ne doivent pas davantage être considérés comme des hypothèses de travail : l'hypothèse implique, en effet, un rapport de connexion déductive avec des propositions d'ordre expérimental, vraies ou fausses, ce qui n'est pas le cas pour des pseudo-propositions. » ([^57]) En philosophie, on se trouve devant des « *flatus vocis*, privés de sens, encore que susceptibles de provoquer des associations d'idées » ([^58]). Une intelligence, même supérieure à la nôtre et autrement structurée, ne pourrait comprendre de tels énoncés et nous en faire percevoir le bien-fondé. « Autrui peut nous aider à rendre notre connaissance plus certaine ; il ne peut rien sur ce qui est inintelligible et manque de sens ; il est incapable de faire que cela devienne pour nous sensé, si puissant et omniscient qu'il soit. Ni Dieu, ni diable ne peut nous donner une métaphysique » ([^59]) ; et cela, répétons-le, à cause du but même que poursuit une telle discipline : « découvrir et décrire une connaissance inaccessible à la science expérimentale.
136:163
En effet, puisque le sens d'une phrase réside dans les opérations de vérification, *une proposition ne dit que ce qui en est vérifiable et ne peut donc affirmer qu'un fait d'expérience.* S'il y avait quelque chose au-delà de l'expérience, ce quelque chose, par essence même, ne pourrait être ni énoncé, ni pensé, ni demandé » ([^60]).
\*\*\*
On serait tenté d'objecter à Carnap : Même si les réponses proposées par les philosophes aux questions concernant l'existence et la nature d'une réalité transcendante transgressent les lois de la logique et s'avèrent inintelligibles, cela ne prouve point que les questions elles-mêmes soient dénuées de sens. D'où vient le monde ? Où va-t-il ? Procède-t-il d'une source unique ? Tout concourt-il à un but commun ? A quoi rime mon existence ? Que puis-je espérer ? Que dois-je faire ? -- Autant de problèmes inévitables, dont l'énoncé ne présente, à première vue, rien d'incompréhensible. Que nous ne puissions les résoudre sans tomber dans des contradictions, n'autorise pas, semble-t-il, à conclure que les formules où on coule les problèmes philosophiques sont de pseudo-propositions. -- Les empiristes pensent que si ; ils font leur une remarque de Wittgenstein, pour qui toute « réponse qui ne peut être exprimée suppose une question qui, elle non plus, ne peut être exprimée » ([^61]). Si les problèmes métaphysiques avaient un sens, on leur trouverait des solutions qui, vraies ou fausses, du moins ne violeraient pas les règles fondamentales de la logique. Puisqu'on n'y parvient pas, il faut admettre que les questions posées sont aussi absurdes que celle-ci : La lumière est-elle un nombre premier ([^62]) ? La métaphysique est impossible, non seulement parce que ses problèmes dépassent notre entendement, mais aussi parce qu'ils sont dénués de signification et s'avèrent inexprimables ([^63]).
\*\*\*
Les empiristes s'efforcent de le montrer sur des exemples. Le philosophe, avons-nous constaté, croit devoir, sous peine de se disqualifier, parler de la *Totalité* du réel ; rechercher le ou les principes qui unifient cette masse immense d'êtres et d'événements dont l'univers nous offre le spectacle ; il entreprend, en un mot, « the study of reality as a whole » ([^64]).
137:163
Mais, selon Ayer, rien de plus vague que l'idée de totalité ; le philosophe qui prétend expliquer le Tout, agit comme s'il n'en faisait point partie et était capable d'avoir une vue panoramique de ce qui existe. En outre, il attribue à la Totalité je ne sais quelle réalité mystérieuse, indépendante des éléments qui la composent, comme si elle pouvait être autre chose que la somme des parties de l'univers prospectées par les différentes sciences. Sans doute, concède Ayer, la philosophie ne doit pas s'occuper exclusivement d'un secteur particulier du réel ([^65]) ; mais cela ne signifie point qu'il lui faut découvrir des principes cachés, qui unifieraient en profondeur la pluralité des choses existantes ([^66]).
Le tort de la philosophie consiste précisément à vouloir expliquer le réel en évoquant des principes échappant à l'expérience. On vide ainsi le mot (*principium, arxé*) de son sens originel. Le terme évoque l'idée d'antériorité ; il désigne ce qui est premier dans le temps. On lui retire progressivement cette signification. Dorénavant, « il ne doit plus vouloir dire premier dans l'ordre temporel ; mais premier sous quelque autre rapport, spécifiquement métaphysique. On se garde de fournir des critères pour cet aspect métaphysique. Et ainsi disparaît la signification originaire d'un mot, sans qu'on la remplace par une autre. Le mot demeure, mais à l'état d'enveloppe vide. Néanmoins, de l'époque où il possédait un sens précis, il conserve, associées à sa forme, diverses représentations ; elles vont aller se souder avec des représentations nouvelles et des sentiments, par le moyen d'associations verbales, où le mot continue à figurer » ([^67]).
(*A suivre*)
Chanoine Raymond Vancourt.
138:163
### Préambule à une éducation de la pureté
*seconde partie*
par Luce Quenette
L'HISTOIRE commentée de Sophie a été généralement accueillie gracieusement en famille. Beaucoup de jeunes et moins jeunes mamans m'ont écrit que ce fut pour elles non seulement un moment d'agréable repos, mais un rappel rassurant de principes qu'elles sentaient justes et qu'elles laissaient ensevelir dans l'agglomérat des préjugés à la mode. J'ai reçu, cependant, deux immenses lettres de protestation indignée contre mon passéisme, mon immobilisme, les onze boîtes de fruits confits, la méchanceté de Mme de Réan congédiant la bonne qui flatte Sophie, mon mépris du corps, la confusion que je fais entre ignorance et innocence, etc., etc. Je constate qu'il est difficile d'obtenir de certaines personnes qu'avant de prendre une plume fertile et éloquente contre un texte, elles le lisent avec soin, réflexion, conscience, et peut-être avec le désir d'y trouver quelque vérité...
A leur intention, mais surtout pour nous remettre clairement dans le travail entrepris, je cite de nouveau notre projet et notre plan :
1\) on ne peut, sans un grand péché de présomption, présumer qu'un enfant se gardera d'impureté et de sacrilège dans la presque totalité des écoles actuelles ;
2\) les précautions que certains imaginent efficaces, qui consistent à *prévenir les enfants* du mal, sont stériles et dangereuses ;
3\) Et enfin, l'essentiel : les enfants, toujours, mais surtout aujourd'hui, surtout depuis Pie X, sont appelés *à la sainteté.* Le grand, l'unique salut pour les enfants, dans la persécution actuelle, ce n'est pas une médiocre préservation pratiquement impossible, une honnêteté relative, une convenance sociale (abolie), c'est la sainteté.
Ou les parents et les nouvelles bonnes écoles puiseront directement au surnaturel : *Haurietis aquas in fontibus Salvatoris*..., ou leur éducation se cassera le nez...
Et je cite de nouveau *ma prière :*
« Je vous en supplie, parents, *ne faites jamais cela,* ne satisfaites jamais la curiosité. *La curiosité n'est jamais satisfaite.* Ne vous scandalisez pas. Ne me maudissez pas. Je ne peux justifier, aujourd'hui, ma prière instante. Cette justification, je ne peux la faire qu'après vous avoir « instruits », au cas où vous en auriez besoin, de la vertu possible des enfants, *de la sainteté de l'éducation.* Je pense que, pour votre consolation et votre espérance et votre confiance en Dieu, vous avez besoin de vous plonger dans cette sainteté-là, expérimentée, vécue, d'une façon toute familière. C'est ce que nous allons faire en deux fois. Et puis, à la troisième fois, si Dieu nous donne force et loisir, tranquillement, mieux armés, rafraîchis dans notre foi aux sources mêmes du Sauveur, débarrassés des préjugés, nous étudierons l'éducation de la pureté. »
Vous voyez bien, vous constatez que je n'ai pas dit qu'il ne faut pas « mettre au courant » les pauvres enfants, je ne confonds pas innocence et ignorance, mais je dis que l'éducateur se fourvoie s'il prend l'éducation par ce bout, s'il n'a pas formé son âme propre et l'âme de son disciple, AVANT, par une tout autre voie dont j'ai donné les premiers et ordinaires principes dans l'exemple commenté des *Malheurs de Sophie.* Bref, nous faisons le travail d'INITIATION *des Parents à la sainteté de l'éducation* que je propose en deux temps ; et je reproduis encore la préface que je donne à cette initiation :
Premier temps : les livres vivants de cette éducation chrétienne de bon sens que la Comtesse de Ségur et quelques autres auteurs ont admirablement exprimée au siècle dernier et qui visait *un idéal raisonnable de piété équilibrée où des pointes d'héroïsme, cependant, dépassaient.*
Et puis un deuxième temps, parce qu'un saint enfant de cette première époque, Beppo Sarto, est devenu saint Pie X. La révélation de la sainteté des enfants, de la sainteté par les enfants s'accomplit en lui.
140:163
Il est infailliblement inspiré : c'est l'*Eucharistie* qu'il faut donner aux enfants avec l'exemple des saints de leur âge du siècle précédent. L'Eucharistie aux tout petits. La Croisade eucharistique. Alors fleurit dans les familles une sainteté, familière justement, d'un héroïsme simple et quotidien, avec ses merveilles : Lucie, François, Jacinthe de Fatima et ces fleurs de grâce et de sagesse comme Anne de Guigné et Louis Vargues, Roger Pallier, Angèle, Marguerite, etc., etc., tous Croisés d'Eucharistie, qui nous font atteindre 1917, 1928, 1935, 1948, 1950...
Enfin, c'est la troisième période, la nôtre, la Révolution, la croisade diabolique contre les enfants, arrachés à la Messe et à l'Eucharistie par l'hérésie, l'impureté et la profanation. Et notre mission à nous, à vous : former, forger des saints, dans le dur creuset de la persécution, faire étinceler la Sainte Messe, la Sainte Eucharistie, et par la sainteté, fortifier en pureté intelligente l'immuable nature humaine, nourrie de grâces permanentes et nouvelles. Diriger fermement, malgré notre indignité, l'héroïsme latent aux cœurs des enfants dans la voie qui convient à nos cruelles années.
\*\*\*
Nous allons voir, aujourd'hui, « les pointes d'héroïsme dépasser », dans Les Petites Filles Modèles et, peut-être, si nous avons le temps, dans les « Tableaux d'éducation ».
Je sais bien qu'on trouvera que je me presse peu d'en arriver à la méthode pratique qui doit préserver les enfants, tout en les armant « pour la vie ».
Mais si un papa, une maman, une grand-mère, une grande sœur, veut s'abandonner de bon cœur et comme insoucieusement à ce cheminement paisible par visite aux bons enfants, je prétends que leur volonté et leur intelligence seront toutes préparées à savoir comment s'y prendre avec les jeunes âmes de maintenant dont ils sont chargés.
Aujourd'hui, nous allons voir les enfants d'élite. En effet, c'est bien une « élite » que nous devons former. ÉLITE : terme honni, anti-révolutionnaire. C'est comme si nous voulions former une nouvelle aristocratie. Mon Dieu ! Nous sommes chrétiens -- l'élite du monde ce sont les chrétiens, et, dans nos familles, il faut que nos enfants soient l'élite des chrétiens.
141:163
L'instinct révolutionnaire qui s'est infiltré chez les meilleurs repousse cette notion d'un choix dans le groupe, comme si être de l'élite, c'était manquer à la règle du nivellement dont on a fait la règle de la charité défigurée.
Au contraire, rien n'est plus charitable que l'homme d'élite.
Dans ITINÉRAIRES ([^68]) Marcel De Corte a fait là-dessus des considérations définitives :
« *L'élite, c'est la fleur. Et comme la fleur qui se dresse sur la tige au-dessus du sol, l'élite dépasse le terre à terre et désigne ce qu'il y a de meilleur entre plusieurs individus de même espèce. L'élite de l'armée, la fleur de l'armée, c'est la même chose ; mais avec des nuances : la fleur indique ce qu'il y a de plus brillant, de plus remarquable par la beauté, la naissance, le talent, etc. tandis que l'élite exprime ce qu'il y a de préférable, de plus choisi... l'élite* (*dans la société*) *assure les condition les plus dures et les honneurs qui en résultent. On n'imagine pas un seul instant l'élite de l'armée dissociant son sort de l'armée au cours de la bataille. Elle accepte le destin commun, de la racine jusqu'au faîte. L'élite conjugue le maximum de communion et le maximum de différence avec l'inférieur. *»
Autrement dit, l'homme d'élite est le plus séparé du groupe par ce qu'il exige de soi-même et le plus uni au groupe par le dévouement.
En passant, je signale que ces réflexions sur l'essence et la situation de l'élite plaisent beaucoup aux enfants. Ils retiennent cette formule : l'homme d'élite « le plus séparé par l'exigence de vertu, le plus uni par l'amour », avec une facilité plaisante.
Former des enfants d'élite, voilà notre clair devoir. Quel éducateur chrétien, *en temps ordinaire,* aurait cru imiter Notre-Seigneur si son ambition n'allait qu'à former des médiocres, des demi-convaincus, d'honnêtes gens, peu exigeants d'eux-mêmes, inspirés d'intérêt temporel et non de gloire pour Dieu, bref, économes d'amour.
Le progressisme a tout vicié. Depuis longtemps le principal but c'est l'obtention des diplômes, en vue de la situation dans une société corrompue où le diplôme dispense d'initiative et garantit contre les risques. On demande à l'enfant de passer dans la classe supérieure et de finir par le bac, *cependant*, de rester honnête chrétien. C'est ainsi, pense-t-on, qu'il sera automatiquement d'une certaine élite ; la grosse situation l'y confirmera ensuite, après la grande école. C'est le degré de sécurité « contre les coups du sort » qui passe maintenant pour supériorité.
142:163
Le médecin de La Péraudière traverse un soir l'étude des grands, il saisit un cahier, avise un dictionnaire et, d'un ton édifiant d'humour noir : « Travaillez bien, dit-il, pour pouvoir, comme moi, trimer plus tard ! »
C'est en effet la seule perspective, christianisme absent, ou plutôt sur le côté, ni direct, ni absolu.
Reste « le travail », Moloch dévorant de l'homme qui s'est fait dieu. Et, par une contradiction éclatante que les éducateurs aveugles ne veulent pas voir, on prétend libérer l'enfance, consulter ses désirs, donner valeur d'oracle à ses caprices et, d'autre part, la lancer dans l'engrenage impitoyable où il faut trimer à la construction du monde nouveau sous peine, si l'on perd pied, d'être broyé au passage.
Plus logique, la jeunesse hippie se couche dans la drogue, sécurité ignoble, aussi décevante, mais pas plus épuisante... Ce n'est plus la foi qui inspire l'éducation dite encore chrétienne, ce sont les mensonges de Jean-Jacques et de Freud, devenus sacrés. Les voici :
1\) les enfants, *autrefois, étaient malheureux *: « autrefois », c'est, selon l'état mental de la famille, il y a cinquante ans, dix ans, avant mai 68, ou encore l'année dernière ;
2\) le but de l'éducation *maintenant*, c'est le développement de la personnalité ou de la spontanéité (les deux termes étant équivalents) en vue de la mutative construction du monde ;
3\) cela est certain, puisque le bien souverain de l'homme, *c'est la liberté.*
Devant l'incohérence insensée du programme, on a envie de prendre pour expression adéquate de la pédagogie nouvelle la déclaration de la sœur recyclée qui fait communier dans la main son troupeau manipulé : « *Les enfants ont choisi ! *» Ils choisiront aussi le baptême ou l'athéisme, l'union libre, la drogue, la pilule, l'esclavage des ordinateurs du rendement et de la productivité. Quel que soit le choix, sur ce contexte la religion ne peut être que plaquée, parallèle, mort-née *parce qu'ouverte au monde*. Car l'incohérence naît et se développe naturellement à partir de : la liberté, bien absolu. Une élite morale, inconcevable.
143:163
Il nous faut purger de tout ce mélange empoisonné de grande hérésie. Il nous faut « purger canoniquement, comme dit Rabelais, et nettoyer toute l'altération et perverse habitude du cerveau ».
C'est à cette purgation que vise notre travail d'*initiation des parents.*
La société est, aujourd'hui, incapable de former une élite. Elle n'a plus, pour l'inspirer, de modèle humain. « La famille chrétienne est désormais le seul lieu de la terre où, si nous le voulons, se maintiennent les élites. Il faut que le père et la mère soient aujourd'hui tels que leurs enfants puissent les admirer, découvrir en eux des modèles de chrétiens, des exemples de finalité vécue, tant naturelle que surnaturelle. » (Marcel De Corte, loc. cité.)
Vous voyez bien qu'il faut initier les Parents ; et pour qu'ils soient modèles et éducateurs modèles, pour qu'ils forment des enfants d'élite, il faut qu'ils soient pénétrés de ces vérités ressuscitées de la raison et de la foi :
-- le petit homme naît pour mourir et vivre l'éternité ;
-- il naît en état de péché, il en garde la concupiscence ;
-- c'est un petit barbare, mais qui a la grâce du baptême. C'est un barbare avec les *germes de la sainteté *;
-- il est normal que l'homme se dessine et se décide dans l'enfant de quatre à sept ans ;
-- l'enfant est naturellement et surnaturellement plus porté à la morale et à la métaphysique que les adultes ;
-- les deux chemins, celui du Ciel et celui de l'Enfer, se présentent très tôt devant sa conscience ;
-- l'éducation est transmission d'un patrimoine inestimable de sagesse chrétienne, pour apprendre, en définitive, l'*usage de la liberté, sous le joug de Jésus-Christ.*
Il y a une autre vérité, bien plus imperméable à notre nature déchue et à notre modernisme, vérité qui doit pénétrer toute l'éducation, présider à toute initiation des Parents et à l'initiation des enfants vers la sainteté, la pureté, « la vie ».
Mais je fais exprès de ne pas la dire maintenant, de vous laisser en suspens, de vous laisser la deviner, si vous pouvez ; elle est à portée de la main, de la foi, de l'expérience. Mais on n'y fait pas attention. Je la dissimule un temps pour lui restituer mieux son incommensurable importance, pour la faire briller plus, quand nous la découvrirons, pour qu'elle règne et, sans doute, la verrez-vous peu à peu, si vous êtes bien attentifs, dans l'analyse que nous allons faire de l'élite modeste qui a mérité ce titre charmant : Les Petites Filles Modèles.
144:163
Auparavant, je dirai quelque chose de Paul, l'enfant d'élite, le petit cornélien des Malheurs de Sophie. Paul n'est pas parfait, il est réel : impatient, moqueur, emporté, mais loyal, d'un courage remarquable, pétri d'honneur et de bon sens.
Dans le chapitre délicieux de « la joue écorchée », la définition du petit homme d'élite : le plus séparé par l'exigence envers soi-même, le plus dévoué par l'affection, cette définition s'applique exactement à Paul.
Tout commence par une dispute : Sophie peint et Paul découpe, l'un et l'autre sur une petite table que Paul ébranle en bougeant les jambes. La plume de Mme de Ségur excelle en ces disputes puériles qui naissent, flambent et s'éteignent en quelques minutes. Sophie est colère, Paul, moqueur et taquin. Je cite ce mouvement remarquable de bataille :
Sophie, tout à fait en colère, lance de l'eau fi la figure de Paul qui, se fâchant à son tour, donne un coup de pied à la table et renverse tout ce qui était dessus. Sophie s'élance sur Paul et lui griffe si fort la figure, que le sang coule de sa joue. Paul crie ; Sophie, hors d'elle-même, continue à lui donner des tapes et des coups de poing. Paul, qui n'aimait pas à battre Sophie, finit par se sauver dans un cabinet, où il s'enferme. Sophie a beau frapper à la porte, Paul n'ouvre pas. Sophie finit par se calmer. Quand sa colère est passée, elle commence à se repentir de ce qu'elle a fait ; elle se souvient que Paul a risqué sa vie pour la défendre contre les loups.
Pauvre Paul, pensa-t-elle, comme j'ai été méchante pour lui ! Comment faire pour qu'il ne soit plus fâché ? Je ne voudrais pas demander pardon ; c'est ennuyeux de dire : Pardonne-moi ! Pourtant, ajouta-t-elle après avoir un peu réfléchi, c'est bien plus honteux d'être méchant ! Et comment Paul me pardonnera-t-il, si je ne lui demande pas pardon.
Sophie, contre la porte que Paul a fermée, demande enfin pardon. Réconciliation...
Paul ouvrit tout à fait la porte et Sophie, levant les yeux, vit son visage tout écorché.
Oh mon pauvre Paul, comme je t'ai fait mal !
Comme je t'ai griffé ! Que faire pour te guérir. ?
145:163
Paul a beau laver sa joue, les « marques des griffes » restent toujours. Sophie est désolée. La petite égoïste redoute d'être grondée. Et voici, gentiment, l'héroïsme :
*Paul ne savait qu'imaginer pour ne pas faire gronder Sophie.*
Honneur de Chevalerie.
Je ne peux pas dire que je suis tombé dans les épines, dit-il, *parce que ce ne serait pas vrai.*
Mais si... attends donc, tu vas voir !
Et dans l'élan de *l'Idée* dont la beauté le transporte, voilà « Paul qui part en courant... vers un buisson de houx, se jette dedans, se roule de manière à avoir le visage, piqué et écorché par les pointes des feuilles. Il se relève plus écorché qu'auparavant... » la suite se devine...
Mais le petit chevalier est ainsi proposé par Madame de Ségur à l'admiration des jeunes lecteurs. Paul a *des vertus* commençantes : loyauté, courage, dévouement. Paul a l'étoffe d'un apôtre, d'un missionnaire, d'un de ces officiers d'Afrique qui se firent adorer, et la France par eux, hélas !
\*\*\*
C'est un petit chrétien, sans doute, mais son acte n'est pas inspiré directement par l'amour de Jésus-Christ. Au même temps à peu près, les petites orphelines de la Providence d'Ars, en Carême, « arrachaient des orties, s'en frappaient la figure pour la conversion des pécheurs ». Mais ceci est pour la sainteté. On en verra encore la parenté et la différence par l'exemple de cette petite Élisabeth Fresneau, bien réelle, puisque c'est à elle qu'est dédié tout le livre des Malheurs. Son nom est à peine déguisé au chapitre XV, quand il est raconté qu'Élisabeth Chéneau, pour se punir d'avoir griffé sa bonne s'écorche elle-même le bras : « C'est moi-même, ma bonne, pour me punir de vous avoir griffée, hier... j'ai pensé qu'il était juste que je me fisse souffrir, ce que vous souffriez... » Ces filles aux ongles acérés, ne sont pas douillettes, et la Grand'Mère qui raconte n'est pas sentimentale.
Les vicieux de notre temps (voir abbé Six pour la sainte mère de Thérèse de l'Enfant Jésus, ITINÉRAIRES 161 : Louis Salleron) ne manqueront pas d'accuser le petit Paul, la petite Élisabeth, Ségur, les filles de la Providence et le Curé d'Ars, de masochisme et de sadisme.
146:163
Métier de Satan et de Freud tout souiller, comme les Pharisiens qui disent au Fils de Dieu et, par Lui, aux saints et aux justes, que c'est par le diable qu'ils chassent le diable.
La Vertu, voilà ce qui est fermement cultivé dans ces enfants-là. Les petites filles modèles *apprennent à être* VERTUEUSES et c'est par cette formation qu'elles font honte à notre pédagogie où la vertu, les vertus, ne sont pas même nommées.
Je m'arrête pour y réfléchir.
#### Les vertus
Il nous faut méditer sur les vertus.
Une vertu, dit-on communément, est une habitude de faire le bien. Mais nous ne désignons vulgairement, sous le mot habitude, qu'une facilité à répéter un acte. Le terme « *habitus *» dont se sert saint Thomas dépasse cette acception superficielle.
Nous allons étudier, modestement, la nature des habitudes, et des vertus qui sont de bonnes habitudes, d'après la Somme même de saint Thomas. (Question XLIX de la prima secundae, art. 1-2-3-4.) Ce n'est pas difficile ; c'est extrêmement important ; cela demande toute notre attention d'éducateurs.
« Il y a *habitus* dans tout être dont la nature exige plusieurs choses qui peuvent être mesurées de différentes manières. » Disons tout simplement : Quand un être peut choisir entre plusieurs manières d'agir conformément à sa nature, il a forcément des habitudes. Par « être dont la nature exige plusieurs choses » et donc un choix, saint Thomas désigne l'homme, l'ange, spirituels et libres, et les distingue des êtres qui ont en eux, pour satisfaire à leur nature, une loi qui exclut tout choix. Ceux-là n'ont pas d'habitudes, c'est-à-dire des dispositions ; on dit simplement qu'ils ont des qualités naturelles. Par exemple, le poids, ou la couleur, ou le froid pour les corps, le mouvement pour les astres. Ce sont qualités où il n'y a pas lieu, pour l'être, de chercher l'opération qui satisfasse la nature, car la voie de sa satisfaction est unique et réussit toujours. Un corps tombe suivant sa qualité de pesant. Il s'ensuit que l'habitude n'est pas à proprement parler une disposition, une possession d'aucun corps, même vivant, car le corps par lui seul ne choisit pas la voie de son opération, elle est inscrite dans ses qualités, comme chez les animaux.
147:163
En effet, l'instinct ou le dressage qui se sert de l'instinct, dicte à l'animal l'opération conforme à sa nature, et quelquefois fatale quoique conforme, par exemple quand le chien mange une viande empoisonnée ou la souris le lard de la souricière, parce que les hommes ont utilisé cette détermination instinctive de la nature contre la nature. Cependant, on peut par élargissement du sens courant employer le terme d'habitude pour l'animal, bien qu'elle lui soit imposée par l'instinct, mais parce qu'il y est sensible en plaisir et en douleur.
Cependant l'habitude selon le sens exact n'appartient qu'à l'âme qui choisit le mode ou mesure d'opération qu'elle juge, à tort ou à raison, convenir à sa nature humaine. C'est elle qui, pour cette opération, met le corps en mouvement.
Puisque l'homme doit, par nature, mesurer ses différentes opérations, il est nécessaire qu'il ait des dispositions ou habitudes qui lui servent de mesures ou de manières d'agir selon sa nature. *Un être humain ne peut donc pas être sans habitudes.*
Ainsi les habitudes disposent les puissances de l'âme, intelligence, volonté libre, et par elles, mémoire, imagination, sensibilité à faire des opérations, chacune en rapport avec sa fonction dans la nature.
La raison et la volonté exécutent, au moyen du corps, ce que l'âme a résolu, si bien que l'habitude marque le corps, y réside en quelque sorte « en ce sens que le corps devient apte et dispos à se mettre promptement au service de l'âme pour ses opérations ».
On aura donc bien compris : 1) que l'homme a nécessairement des habitudes ; 2) que chaque habitude produit une opération et chaque opération marque ses puissances et fortifie ses dispositions ; 3) que par la connaissance et la volonté, il adopte une méthode de satisfaction de ses tendances qui les modifie et laisse sa trace dans le corps.
Concluons donc que les habitudes se développent dans l'enfant, bonnes ou mauvaises, que nous le voulions ou non. Mais, direz-vous, il n'a pas l'usage de sa raison et de sa volonté. Il en a l'usage dès le premier instant en ce sens qu'il comprend et qu'il veut, mais sans *expérience,* c'est-à-dire sans discernement, sans responsabilité proprement dite. Il n'est pas en âge, il n'a pas l'expérience suffisante pour user normalement de la raison, il en use à l'aveuglette en quelque sorte, par le seul fait qu'il est homme, *si nous ne choisissons par pour lui,* à sa place, en lui imposant pour son bien les choix, les habitudes qui conviennent à sa nature.
148:163
Le mécanisme spirituel est vivant et donc en marche, mais *désarmé* littéralement, totalement confié à sa mère et à son père qui connaissent son bien, savent qu'il n'a pas, comme le petit chien, un instinct déterminant, mais qu'il est démuni, libre et impuissant.
Il faut donc tout de suite orienter les opérations vers le bien de la nature, car les habitudes vivent leur vie, drues, nombreuses, nourries des besoins et des caprices. Déjà ? Attention : Il y a en effet déjà, dans ce nouveau-né, les racines de mauvaises habitudes qui se trompent sur les opérations favorables à la nature parce que le péché originel a souillé cette nature et ses dispositions. Avec quelle hâte faut-il recourir au baptême ! Je n'ai que le temps, parce que notre sujet a déjà trop d'ampleur, de jeter notre indignation à ces insensés du « baptême par étapes », à ces évêques sans sagesse, ces prêtres pharisiens qui assignent un mois, deux ans, dix ans de souillure originelle à ce malheureux nouveau-né, dont la faiblesse est sans défense, mais dont l'âme et la chair crient vengeance au Ciel.
C'est donc le moment de distinguer entre les mauvaises et les bonnes habitudes. L'homme choisit par sa disposition l'opération qu'il juge conforme au bien de sa nature. Mais il est libre, concupiscent, et, suivant sa concupiscence, il produit l'opération que sa raison, aveuglée par les sens, et sa volonté inclinée au plaisir ont choisie pour le bien apparent de sa nature, et pour son mal réel.
Au petit enfant, il faut apprendre à choisir la bonne opération. Même baptisé, son inclination est trop peu éclairée, la maman chrétienne veille sur son âme et dresse son corps.
Elle lui inculque, peu à peu, les vertus -- tout de suite. La vertu est cette habitude qui produit le perfectionnement de la puissance. Vertus de la raison, vertus de la volonté, vertus servies par la sensibilité et par un corps bien gouverné.
Telle est donc la vertu, *nécessairement une habitude* (Quest. LV, 1) et une habitude pratique, c'est-à-dire en vue d'actions, nourrie d'actions. (LV 2).
Voilà l'obligation absolue. Former l'enfant aux vertus.
« Le sort qui de l'honneur nous ouvre la barrière,
« Offre à notre constance une illustre carrière. »
149:163
C'est dans l'enthousiasme en effet, et quelque peu militaire, qu'un père et une mère doivent envisager cette entreprise noble entre toutes : cultiver les vertus dans les âmes que Dieu leur a confiées.
Je reprends, mais avec le lyrisme ardent et retenu de saint Thomas : « La vertu humaine, étant une habitude pratique, puisqu'elle dispose l'homme à parvenir à son plus haut degré de perfection, est nécessairement une bonne habitude qui opère le bien... il est donc convenable de la définir ainsi, selon saint Augustin : « La vertu est une bonne qualité de l'esprit d'après laquelle on vit avec droiture, et dont personne ne fait mauvais usage... » (LV, 4).
Il faudra parler des vertus surnaturelles « que Dieu produit en notre âme sans nous » mais ce sera quand nous traiterons directement de la sainteté des enfants.
\*\*\*
Eh bien, de ces vertus qui sont les habitudes indispensables au perfectionnement de la nature, *on ne parle jamais aux enfants.* Vous avez bien saisi la démonstration de saint Thomas LES HABITUDES CROISSENT NÉCESSAIREMENT. Si ce ne sont pas les vertus selon l'ordre de la raison et la droiture de la volonté, ce seront les *habitudes mauvaises,* habitudes pratiques toujours, et dont la croissance, qui se nourrit des appétits les plus faciles et les plus bas, est la plus rapide et la plus aisée. Ces habitudes qui atrophient et gâtent les puissances, ce sont les vices.
Il faut prendre son parti des nécessités absolues de la nature. *Si l'éducateur ne cultive pas les vertus, ce sont les vices qui pousseront.* Or « l'éducation » d'aujourd'hui ne parle pas plus de vices que de vertus, donc elle n'est pas morale. Elle laisse l'enfant à sa « spontanéité », c'est-à-dire à son impuissance, au désarmement naturel de l'enfance, donc elle en fait la proie des vices, il suffit pour cela de la *simple démission qui observe au lieu de diriger.*
On interdit même de nommer les vices ou péchés capitaux. On ne parlera surtout ni de « pureté », ni de « pudeur » à un enfant qui manifeste des gestes et des actes contre ces vertus. Ce serait le « traumatiser », le « culpabiliser ». Il faut laisser faire en se gardant bien de prémunir, d'avertir que « c'est mal ». Ce n'est, dit le psychiatre, ni tentation, ni danger moral, il n'y faut ni apprentissage de la maîtrise de soi, ni préservation du vice, ni acquisition de la vertu. Il s'agit, tout au plus, d'une petite « étape sexuelle ».
150:163
Il en est de même pour l'égoïsme, l'impatience, la dureté. Les enfants ne savent plus qu'il faut devenir *vertueux.* On voit les meilleurs, les convertis, résolus à bien faire, étrangement desservis par des habitudes de sans gêne, de brutalité, d'indolence, d'apathie ou d'excitation. Leurs bonnes résolutions se heurtent tout de suite à un corps exigeant, à une impuissance morale entretenue par des habitudes cruelles de mollesse et de caprice, de ruse, de mensonge. Leur bonne volonté nouvelle réalise des efforts intermittents, des élans pleins de promesses, une journée d'empressement, un acte de générosité, un coup de collier, une ferveur, une inspiration courageuse.
Mais c'est la retombée, « il n'ont point de racines » ; ils ont reçu la parole avec joie, et elle périt faute de l'humidité fortifiante des vertus commençantes. On les a voués, par les stupides principes de cette éducation contre nature, soit au découragement, soit, s'ils veulent vraiment se vaincre, à des luttes continuelles, à une pénitence et à des efforts disproportionnés avec leur âge, fait pour l'enchantement permis de la vie.
Je connais des garçons de onze ans, douze ans, qui ont une vue claire de leur devoir, une intelligence au-dessus de la moyenne, mais qui sont tellement en friche pour l'apprentissage des habitudes vertueuses, que se déranger de table, céder leur place, ranger leurs cahiers, mettre leurs pantoufles, essuyer quelques assiettes, voire se débarbouiller et se laver les mains, leur coûte un vrai combat, une victoire honteuse et fatigante.
Ce sont ces enfants-là qu'un beau jour on « initiera » à ce qu'on appelait « la vie » pudiquement, et qu'on nomme tout crûment « la sexualité ». Que fera un gamin sans maîtrise aucune de lui-même, d'une pareille initiation, honnête ou non ? C'est que si la disposition dans une faculté (une puissance) produit une opération ou action bonne ou mauvaise, les actions répétées développent l'habitude. Elle augmente, nourrie d'actes. Dès le premier, elle paraît, mais la raison, même si elle a compris la valeur de la vertu, ne peut vaincre du premier coup les inclinations de l'appétit, il y faut *la réitération patiente.*
151:163
Le vice est soumis à la même nécessité, l'action le nourrit, il attaque la nature comme un cancer et les actes répétés de son espèce atrophient les facultés et excitent les passions.
Cependant, saint Thomas marque bien que la raison, convenablement éclairée par l'évidence du bien, peut être convaincue d'un seul coup de la bonté de la vertu ; il reste à soumettre volontairement la mémoire, l'imagination, le corps.
Il se peut hélas aussi qu'un seul acte mauvais de luxure ou d'enivrement d'orgueil bouleverse une raison non formée, une sensibilité amollie, et installe le vice et ses besoins comme l'ennemi dans une place non gardée.
Enfin une bonne habitude ou vertu, atteinte à quelque degré de perfection, *peut se perdre,* non seulement par des actes contraires, mais par la négligence de ses actes propres. Si bien que cette possession si précieuse qui rend aisé le perfectionnement, n'est jamais, sur cette terre, une acquisition définitive. Surtout dans le jeune âge : l'éducateur ne doit cesser d'exercer et d'inspirer, d'apprendre la vigilance. Il faut produire les actes des vertus pour les fortifier ; la vertu sans les actes meurt. Il faut *en appeler* toujours à la vertu de peur qu'elle se perde. Saint Thomas relève, pour mieux nous le faire comprendre, une comparaison excellente d'Aristote : « *multas amicitias inappellatio dissolvit *» que nous traduirons sans poésie : le défaut de relation a détruit beaucoup d'amitiés, et l'oubli détruit en l'âme la vérité autant que l'erreur (LIII, 3).
Je donne donc, en conclusion, ces admirables avertissements de saint Thomas qui sont une paraphrase du Vigilate de Notre-Seigneur Jésus-Christ, principe parfait d'éducation des vertus :
« La cessation de l'action produit la perte et l'affaiblissement des habitudes ; en ce sens qu'elle écarte l'acte par lequel nous pouvons repousser les causes qui les affaiblissent ou les détruisent (...) Comme le temps fait naître ces sortes de causes ou d'agents, il faut que les actes qui procèdent des (bonnes) habitudes les combattent, autrement les habitudes elles-mêmes peuvent être affaiblies ou complètement détruites...
« C'est ce qui est évident à l'égard de la science et de la vertu. Car il est manifeste que l'habitude de la vertu morale rend l'homme apte à garder une juste mesure dans toutes ses opérations et ses passions ; tandis que quand *on ne fait pas usage* de la vertu pour régler ses actions et ses passions, il est *nécessaire* qu'on éprouve une *foule de passions* et qu'on fasse une foule d'actions contraires à la vertu par suite des penchants de l'appétit sensitif et de tous les objets extérieurs qui agissent sur l'homme.
152:163
C'est ainsi que la vertu se perd ou s'affaiblit du moment qu'on cesse de la pratiquer. Il en est de même des habitudes de l'intelligence qui rendent l'homme apte à juger de tout ce qui se présente à son imagination. Par conséquent, quand l'homme *n'exerce pas son intelligence*, s'élèvent, s'insurgent des imaginations étranges et quelquefois contradictoires : « *insurgunt imaginationes extraneae et quandocumque ad contrarium ducentes *» (et voilà : c'est frappant pour les pauvres petits abandonnés aux illustrés et à la Télé) de telle sorte que s'il ne s'applique fréquemment à les rejeter ou à les comprimer (mais point à les défouler et accueillir), il devient moins capable de juger les choses et son jugement peut être totalement disposé à juger en sens contraire : *totaliter disponitur ad contrarium*. C'est ainsi que le défaut de travail affaiblit et détruit les habitus de l'intelligence. »
\*\*\*
« La bonne terre, ce sont ceux qui, ayant reçu la parole dans un cœur bon et excellent, portent du fruit par la patience... *et fructum afferunt in patientia *» (Luc VIII, 15). Notre-Seigneur recueille toutes les vertus comme en un faisceau qu'Il appelle *la patience*. Quelle leçon ! Patience du cœur bon et excellent, c'est, nous le verrons, la conduite pratique quotidienne des vertus morales qui demandent sur la terre le continuel « gouvernement de soi-même » au prix duquel on est sage, tempérant, fort, juste. Patience avec soi-même, les autres et la vie.
Voyez-vous se lever cette grande vérité, cette grande révélation qui fait le mystère, le ressort caché de toute éducation chrétienne et que je ne formule pas plus clairement pour vous la faire encore chercher et deviner.
Patience de l'éducateur, *patientia Christi*, pour apprendre peu à peu la patience, *patientia Christi*, au disciple. Exemples dans les épisodes délicats des Petites Filles Modèles. Elles nous sont présentées comme deux petites sœurs qui s'aiment sans nuages, profondément et tendrement, mais on nous avertit que cette affection est VERTUEUSE, elle s'appuie, certes, sur une grande inclination réciproque, mais aussi sur UN SUPPORT MUTUEL acquis au jour le jour, patience dans la vertu-amitié, d'où force d'émulation, habitude paisible de sacrifice.
153:163
Est-ce ordinaire ? Pour notre temps, c'est vertu extraordinaire à peu près inconnue. LE SUPPORT des goûts, des défauts, des préférences, des répugnances entre enfants de même famille est rarissime. On s'aime bien, dit-on, mais on NE SUPPORTE RIEN, si ce n'est par accident, par élan de tendresse, par accès de générosité, tandis qu'il faut APPRENDRE A CÉDER de bon cœur, par affection des frères et des sœurs.
Saisissez la différence :
« On voit souvent des frères et des sœurs se quereller, se contredire et venir se plaindre à leurs parents après s'être disputés de manière à ce qu'il soit impossible de démêler de quel côté vient le premier tort. Jamais on n'entendait une discussion entre Camille et Madeleine. »
Elles SE CÉDAIENT, si je puis dire, et HABITUELLEMENT :
« Tantôt l'une, tantôt l'autre cédait au désir exprimé par sa sœur. » C'est qu'elles étaient de goûts fort différents. Il y avait matière à disputes fréquentes, ou bien à petits renoncements vertueux multipliés :
« Camille, plus vive, plus étourdie, préférant les jeux bruyants aux jeux tranquilles, aimait à courir, à faire et à entendre du tapage. Jamais elle ne s'amusait autant que lorsqu'il y avait une grande réunion d'enfants, qui lui permettait de se livrer sans réserve à ses jeux favoris. Madeleine préférait, au contraire, à tout ce joyeux tapage, les soins qu'elle donnait à sa poupée et à celle de Camille, qui, sans Madeleine, eut risqué souvent de passer la nuit sur une chaise et de ne changer de linge et de robe que tous les trois ou quatre jours. (!)
Remarquons en passant, je n'y reviendrai pas, l'importance des poupées pour la formation morale des petites filles. Si j'avais un traité à faire de l'éducation des seules filles, j'aurais un chapitre entier sur les révélations des poupées. « Montrez-moi votre poupée, ma petite fille, et je connaîtrai presque toute votre âme ». (Mais la révolution a souillé jusqu'aux visages, aux formes, aux habits des poupées !)
Prenez le temps de goûter cette petite scène DE DÉLICAT RENONCEMENT à propos de poupées.
154:163
Madeleine prête aux poupées les torts qu'elle ne veut pas reprocher à Camille :
Camille changeait les lits de poupées de place, transportait les armoires, les commodes, les chaises, les tables. Elle voulait, disait-elle, faire leur déménagement.
Madeleine : je t'assure, Camille, que les poupées étaient mieux logées dans leur ancienne maison : il y avait bien plus de place pour leurs meubles.
Camille : Oui, c'est vrai, Madeleine ; mais elles étaient ennuyées de leur vieille maison. Elles trouvent d'ailleurs qu'ayant une plus petite chambre, elles y auront plus chaud.
Madeleine : Oh ! quant à cela, elles se trompent bien, car elles sont près de la porte, qui leur donnera du vent, et leurs lits sont tout contre la fenêtre, qui ne leur donnera pas de chaleur non plus.
Camille : Eh bien ! quand elles auront demeuré quelque temps dans cette nouvelle maison, nous tâcherons de leur en trouver une plus commode. Du reste, cela ne te contrarie pas, Madeleine ?
Madeleine : Oh ! pas du tout, Camille, *surtout si cela te fait plaisir !*
La patience par le détachement dans l'amour du prochain, j'en trouve un exemple étonnant au chapitre V : « *Les fleurs cueillies *». La petite Marguerite, quatre ans, demeure avec sa Maman chez Madame de Fleurville, maman de Camille et de Madeleine. C'est une petite « vivette », espiègle et étourdie. Camille et Madeleine cultivent avec amour un petit jardin. Elles bêchent, ratissent, sèment, arrosent elles-mêmes. Le voilà en pleine floraison -- les deux sœurs en sont très fières dans deux jours, il fournira un magnifique bouquet pour la fête de Maman. La petite Marguerite s'amuse, seule, dans ce jardin. Tout d'un coup, l'idée sans malice lui vient d'en cueillir les fleurs pour orner la chambre de ses amies. Elle exécute gaîment un horrible désastre, et, dans son tablier relevé, entasse les pauvres fleurs « tant qu'elle peut » ; et, détail abominable, « elle ne leur laisse presque pas de queue ».
Et puis, elle se précipite...
« Tenez, Camille, tenez Madeleine, regardez ce que je vous apporte, comme c'est beau ! » Et ouvrant son tablier, elle leur fit voir toutes ces fleurs fripées, fanées, écrasées... »
155:163
Sur le moment, les deux sœurs croient que Marguerite a fait sa récolte au hasard d'une promenade, les fleurs étant méconnaissables. Elles rient...
« Enfin Camille : Où as-tu cueilli ces belles fleurs, Marguerite ? »
-- « Dans votre jardin ! »
-- « Dans notre jardin ? tout ? dans notre jardin ? » La réponse, cruelle dans sa naïveté :
-- « Tout, tout, *même les boutons...*
« Camille et Madeleine se regardent d'un air *consterné et douloureux.*
« Marguerite, sans le vouloir, leur causait un grand chagrin. »
Imaginez cela chez vous, comme je l'imagine chez nous. Quelle violence, quelle colère, quel désespoir, quels cris, quels désirs de vengeance, quel réquisitoire auprès du gouvernement, et sur, quelle apparence de justice !
Vertu : la charité inspirant la patience, la patience soutenant la charité. Clarté du jugement : *la petite ne l'a pas fait exprès.* Voilà l'important, le principal qu'il ne faut pas perdre de vue dans le désarroi de la catastrophe. Que ces enfants envisagent d'abord la question MORALE : magnifique résultat d'une *instruction* persévérante de leur mère, au jour le jour.
« Marguerite... regarda attentivement les deux sœurs, et, lisant leur chagrin sur leurs figures consternées, elle comprit vaguement qu'elle avait fait quelque chose de mal, et se mit à pleurer. »
Ces pleurs parlent au courage de la pieuse Madeleine :
« Madeleine rompit enfin le silence » et elle fit ce petit discours maîtrisé, judicieux, tout entier pour le bien de la coupable et pourtant d'une douce et dramatique sévérité :
« Ma petite Marguerite, nous t'avons dit bien des fois de ne toucher à rien sans en demander la permission. Tu as cueilli nos fleurs et tu nous as fait de la peine. Nous voulions donner après-demain à maman, pour sa fête, un beau bouquet de fleurs plantées et arrosées par nous. Maintenant, par ta faute, nous n'avons plus rien à lui donner. »
Devant les sanglots de Marguerite les deux sœurs négligent leur chagrin, elles consolent l'étourdie. Sa maman arrive. Bonne occasion pour les gens non vertueux de plaintes légitimes. Pour la vertu, embarras.
156:163
-- « Marguerite, qu'as-tu, serais-tu méchante ? »
-- « Oh non, Madame, dit Madeleine ; nous la consolons. »
-- « De quoi la consolez-vous ? »
« Madeleine : -- De... de... Madeleine *rougit et s'arrêta*.
-- « Madame, reprit Camille, nous la consolons, nous... nous l'embrassons, parce que... » *Elle rougit et se tut* à son tour.
Et c'est Marguerite, édifiée, impétueuse, qui explique sa faute et les larmes de tout le monde. « Au lieu de me gronder, elles m'embrassent. » -- La sage Maman ne grondera pas plus que les deux sœurs et réparera le désastre.
\*\*\*
Je vais quitter un moment Ségur et parler d'un autre jardin ravagé, ravagé à dessein, exprès, pour soviétiser un cœur, laïciser une intelligence.
C'est le pendant sinistre de l'épreuve chrétienne des petites filles modèles. Notre exemple est pris de l' « Émile » de Jean-Jacques. On veut apprendre à Émile que chacun *doit respecter le travail des autres afin que le sien soit en sûreté.*
Cette « morale » démocratique, laïque, n'est pas morale ; elle est une solidarité d'intérêts.
A Émile, on ne doit jamais dire : Fais ceci parce que c'est bien ; évite cela parce que c'est mal, mais : fais ceci, tu obtiendras cela. Encore pourrait-on instruire Émile directement de ces maximes-droits de l'homme. Mais il faut des *leçons de choses* cruelles et machinées entièrement par le précepteur Rousseau, afin que la leçon sociale de solidarité, étant plus cuisante, soit enracinée.
Lisez en pensant à tout ce que nous avons dit de la vertu pour voir qu'elle est absolument étrangère à ce troublant récit :
« Émile n'aura pas vu deux fois labourer un jardin, semer, lever, croître des légumes, qu'il voudra jardiner à son tour.
« Par les principes ci-devant établis, je ne m'oppose point à son envie : au contraire, je la favorise, le partage son goût, je travaille avec lui, non pour ses plaisir, mais pour le mien ; du moins il le croit ainsi : je deviens son garçon jardinier ; en attendant qu'il ait des bras, je laboure pour lui la terre : il en prend possession en y plantant des fèves. »
157:163
Vous avez bien compris : Rousseau, bien loin de suggérer à son élève l'idée que ce bout de terrain a peut-être un propriétaire, ou qu'il faut demander une permission, joue la comédie de l'approbation la plus ardente. Il va plus loin, afin que le tour qu'il veut jouer au pauvre enfant soit plus noir et plus complet :
« On vient tous les jours arroser les fèves, on les voit lever dans des transports de joie. J'augmente cette joie en lui disant : *Cela vous appartient *; et, lui expliquant alors ce terme d'appartenir, je lui fais sentir qu'il a mis là son temps, son travail, sa peine, sa personne enfin ; qu'il y a dans cette terre quelque chose de lui-même qu'il peut réclamer contre qui que ce soit, comme il pourrait retirer son bras de la main d'un autre homme qui voudrait le retenir malgré lui. »
Et quand la tête du malheureux gosse est bien montée, qu'il est bien sûr de la légitimité de sa possession et de la poussée de ses fèves, le diabolique comédien fait son coup d'État :
« Un beau jour Émile arrive empressé, et l'arrosoir à la main. Ô spectacle ! ô douleur ! toutes les fèves sont arrachées, tout le terrain est bouleversé, la place même ne se reconnaît plus. Ah ! qu'est devenu mon travail, mon ouvrage, le doux fruit de mes soins et de mes sueurs ? Qui m'a ravi mon bien ? Qui m'a pris mes fèves ? Ce jeune cœur se soulève ; le premier sentiment de l'injustice y vient verser sa triste amertume ; les larmes coulent en ruisseaux ; l'enfant désolé remplit l'air de gémissements et de cris. On prend part à sa peine, à son indignation ; on cherche, on s'informe, on fait des perquisitions. Enfin l'on découvre que le jardinier a fait le coup : on le fait venir. »
Mais la comédie cruelle du lavage de cerveau n'a pas son dernier acte. Il faut que le jardinier accusé se plaigne hautement du vol qu'on lui a fait. Ce bout de terrain est à lui, il y avait mis des graines de melon. « Vous m'avez fait un tort irréparable ! » etc.
158:163
Comprenez que le jardinier est dans le coup, chapitré par Rousseau, complice dressé pour tourmenter Émile et lui enfoncer dans la tête... quoi ? exactement quoi ? Que son précepteur est ou un ignare ou un menteur ; un imbécile qui ne s'est pas enquis de la destination du terrain -- ou un tourmenteur acharné à décevoir son infortuné élève. Mais Lagarde et Michard ([^69]) admirent cette lamentable machination dont l'invraisemblance saute aux yeux encore plus que la malice.
Tout cela pour ne pas dire à Émile que DIEU DÉFEND de prendre le bien d'autrui PARCE QUE C'EST MAL et qu'il faut devenir honnête. Mais Émile n'a rien volé, Émile est cruellement puni d'avoir cru son précepteur.
Voilà le précurseur de nos psychologues. « *Que d'idées fécondes, initiatrices de la pédagogie moderne ! *» s'écrie Lagarde-Michard en ajoutant tout de même « *qu'on ne sait pas ce qu'il adviendrait si Émile se mettait à observer le précepteur lui-même *» roué, monteur de coup.
Incursion dans la pédagogie moderne, née en 1762, aujourd'hui en plein épanouissement !...
\*\*\*
Pour mieux expliquer les petites filles habituées à la vertu, Mme de Ségur leur oppose sa Sophie sans vertu.
Sophie a perdu son admirable maman, elle est gardée, fouettée, maltraitée par la stupide marâtre, Mme Fichini. Il paraît que Sophie de Ségur s'est souvenue de sa propre mère, la terrible Rostopchine, née Catherine Pratassov, qui « prisait au bal pour ne pas s'endormir ».
Quoi qu'il en soit, rapprocher Sophie, restée en friche, de ses amies chrétiennement civilisées est on ne peut plus instructif, d'autant que la « riche » nature de Sophie, mûrie par le malheur, se développerait facilement, maintenant qu'elle est séparée de l'affreuse belle-mère, SI ELLE AVAIT DE BONNES HABITUDES.
Mais avec des élans, une intelligence peu commune, de brusques repentirs, d'admirables résolutions, elle n'a pas encore entrepris pour de bon le gouvernement de soi-même.
Triste état, bien expliqué, le *Jour des cassis* (ch. XV). Camille et Madeleine bêchent leur jardin, elles envoient Sophie et Marguerite arracher quelques jeunes groseilliers au bord du bois pour les replanter.
159:163
Découverte des arbustes de cassis couverts de fruits. Mais comme on sort de table, Marguerite goûte les cassis et s'arrête.
« Mange donc, nigaude, lui dit Sophie, *profite de l'occasion !*
Marguerite : Quelle occasion ? J'en mange tons les jours à table et au goûter !
Sophie, avalant gloutonnement : c'est bien meilleur quand on les cueille soi-même ; et puis on en mange tant qu'on veut. Dieu, que c'est bon ! -- Marguerite la regardait faire avec surprise ; jamais elle n'avait vu manger avec une telle voracité, avec une telle promptitude. »
Marguerite, toute petite, est déjà habituée à la tempérance et la gloutonnerie lui paraît une curiosité intéressante... elle ne raisonne pas plus loin.
« Enfin, quand Sophie ne put plus avaler, elle poussa un soupir de satisfaction et s'essuya la bouche avec des feuilles.
Marguerite : Pourquoi t'essuies-tu avec des feuilles ?
Sophie : Pour qu'on ne voie pas de taches de cassis à mon mouchoir.
Marguerite : Qu'est-ce que cela fait ? Les mouchoirs sont faits pour avoir des taches.
Sophie : Si on voyait que j'ai mangé du cassis, on me punirait.
Marguerite : Quelle idée ! on ne te dirait rien du tout ; nous mangeons ce que nous voulons. Sophie, étonnée : Ce que vous voulez ? Et vous n'êtes jamais malades d'avoir trop mangé ?
Marguerite : Jamais, nous ne mangeons jamais trop, *parce que nous savons que la gourmandise est un vilain défaut. *»
Et quand leurs amies s'étonnent de leur longue absence, Sophie tente quelque mensonge, mais ne peut arrêter l'espiègle Marguerite.
« Marguerite : Eh bien, depuis près d'une heure, au lieu d'arracher des groseilliers, nous sommes là, Sophie à manger des groseilles et du cassis, et moi à la regarder manger. C'est étonnant comme elle mangeait vite ! Jamais je n'ai vu tant manger en si peu de temps. Cela m'amusait beaucoup. »
160:163
Suit l'interrogatoire précis et charitable de Camille. Elle apprend que Sophie n'a jamais gouverné son appétit.
« Pourquoi as-tu mangé, Sophie ? tu vas être malade.
Sophie : Oh non, je ne serai pas malade, j'avais très faim. (lisez : *très envie*...)
Camille : Comment faim ? Mais nous sortions de table !
Sophie : Faim, non pas de viande, *mais de cassis*.
Camille : Ah, ah, ah, faim de cassis !... Mais comme tu es pâle, je suis sûre que tu as mal au cœur. »
Protestation. Retour. Les mamans institutrices attendent leurs élèves.
« Camille, Madeleine et Marguerite se placent vivement devant leurs pupitres.
« Comme tu es pâle, Sophie, tu as l'air de souffrir ! »
Les deux sœurs, *vertueuses*, ne disent rien, répriment tout de suite *l'envie d'accuser*. Mais les cinq ans de Marguerite crient :
« C'est le cassis ! »...
Sophie : Marguerite ne sait ce qu'elle dit... Ce n'est rien, ce n'est rien, Madame, c'est...
Et à ce moment même, Sophie se sent malade, son estomac ne peut garder les fruits dont elle l'a surchargé, elle les rejette sur le parquet... »
Cependant, le lendemain, bien honteuse, Sophie n'a pas compris l'essence de la tempérance chrétienne, elle raisonne presque en élève de Jean-Jacques qui a reçu une « leçon des choses » :
« Sophie : Oh ! oui, je suis bien fâchée d'avoir été si gourmande ; une autre fois, bien certainement que je n'en mangerai qu'un peu, puisque je serai sûre de pouvoir en manger le lendemain et les jours suivants. C'est que je n'ai pas l'habitude de manger de bonnes choses ; et, quand j'en trouvais, j'en mangeais autant que mon estomac pouvait en contenir ; à présent je ne le ferai plus c'est trop désagréable d'avoir mal au cœur, et puis c'est honteux. »
161:163
Il faudra une dure pénitence pour qu'après d'autres fautes, elle copie dix fois toute la prière « Notre Père qui êtes aux Cieux » dans la « Journée du Chrétien » et *demande pardon au bon Dieu.*
\*\*\*
Mais revenons à l'enfantine vertu.
Quand il fut décidé que la petite Marguerite resterait pour toujours auprès de ses amies, Mme de Fleurville ne craignit pas de dire à ses filles (chapitre IV)
« C'est vous qui serez chargées de son éducation, sous la direction de sa maman et de moi. Pour la rendre bonne et sage, il faut lui donner toujours de bons conseils et surtout de bons exemples. »
Dès que des enfants ont fait quelques progrès en vertu, *il faut leur donner une mission*. La lutte directe contre les défauts est amère, la charité de l'exemple, vivifiante. Quand la vertu apparaît nécessaire conquête pour le bien d'un petit frère, d'une petite sœur, de plus jeunes camarades, elle nourrit l'ardeur en montrant déjà ses fruits. La lutte amère devient glorieuse. Nous le verrons en pleine lumière dans la vie des saints enfants.
Camille et Madeleine sont sur cette route. Cependant, Camille se sent faible aux caprices de l'aimable Marguerite qui ne veut pas quitter la salle d'étude où elle dérange les leçons de ses amies.
Camille allait céder, mais Madeleine pressentit la faiblesse de sa sœur : elle prévit tout de suite qu'en cédant une fois à Marguerite, il faudrait lui céder toujours et qu'elle *finirait par ne faire jamais que ses volontés*. Elle prit donc Marguerite par la main, et, ouvrant la porte, elle lui dit :
« Ma chère Marguerite, Camille t'a déjà dit deux fois d'aller te promener : tu demandes toujours a rester encore un instant. Camille a la bonté de t'écouter ; mais cette fois nous voulons que tu sortes. Ainsi, pour être sage, comme tu nous le promettais tout à l'heure, il faut *te montrer obéissante*. Va, ma petite ; dans une heure tu reviendras. »
Marguerite regarda Camille d'un air suppliant ; mais Camille, qui sentait bien que sa sœur avait raison, *n'osa pas lever les yeux*, de crainte de se laisser attendrir. Marguerite, voyant qu'il fallait se soumettre, sortit lentement et descendit dans le jardin.
162:163
Mme de Fleurville avait écouté, sans mot dire, cette petite scène, elle s'approcha de Madeleine et l'embrassa tendrement. « Bien ! Madeleine, lui dit-elle. Et toi, Camille, courage ; fais comme ta sœur. »
Puis elle sortit.
#### La bonne Élisa
Camille et Madeleine n'ont d'autres maîtresses de classe que leur maman, mais pour pédagogue associée, elles ont Élisa.
C'est leur « bonne ».
Du côté des bonnes et du côté des bourgeois, depuis la Révolution, on a avili ce titre exquis. Et cependant, il n'est pas d'Ancien Régime. Je ne sais pas le jour de sa naissance. Je sais seulement qu'au XVI^e^ siècle, entre amies, on aime dire « ma bonne, ma toute bonne ». La Marquise s'adresse ainsi à sa fille bien-aimée : *Croiriez-vous, ma toute bonne*...
Et « Bonne » est un nom propre dans noble famille.
Quoi de plus charmant, sur cette lancée, que d'appeler « bonne » la servante aimée la plus familière de la maison ! Il a fallu que la lutte des classes passe par là, que le bourgeois invente cette corruption méprisante du mot : « bonne à tout faire », et que la servante ne veuille plus ni « servir » ni être « bonne » ni appartenir à la maison « domestique » mais revendiquer le titre mécanique d' « employée », ou mercenaire, de « salariée ».
Élisa n'est pas de cette révolution là. Elle est bonne, elle est bonne éducatrice, elle ressemble aux Toinette et aux Dorine dévouées de Molière, elle donne son avis, elle applique les sanctions, elle organise les jeux, elle veille, elle surveille, elle avertit les mamans, elle est aimée, choyée, et... glorifiée.
« Ma bonne, venez voir ! Ma bonne, voulez-vous venir vous promener avec nous ? » -- « Il vaut mieux faire comme dit Élisa ! »
Élisa soigne et sauve le rouge-gorge. Élisa partage les jeux. Quand on apprend que Mme Fichini laisse Sophie pour toujours, on danse, on saute, on appelle Élisa. (XIX)
« Si tu savais, ma bonne Élisa, si tu savais quel bonheur ! Viens danser avec nous ! »
163:163
« Élisa : A-t-on jamais vu des petites filles crier et se démener ainsi comme de petits démons ! M'expliquerez-vous ? »
On explique. « Élisa se met de la partie. »
Elle est pleine de bonnes idées, de surprises, de talents. Maman et enfants ont en elle une confiance entière, c'est l'union la plus intelligente pour l'éducation des vertus. Il y a des explosions d'amour pour Élisa.
« Élisa, que d'esprit tu as ! Viens que je t'embrasse !
Et Marguerite se jeta sur Élisa pour l'embrasser ; Camille, Madeleine, Sophie en firent autant, de sorte qu'Élisa, enlacée, étouffée, chercha à esquiver ces élans de reconnaissance ; elle voulut se sauver : les quatre petites se pendirent après elle, et ce ne fut qu'après bien des courses qu'elle parvint à leur échapper. On l'entendit s'enfermer dans sa chambre : impossible d'y entrer ; la porte était solidement verrouillée.
Marguerite : Élisa ! Élisa ! ouvre-nous, je t'en prie. Camille : Élisa, ma bonne Élisa, nous ne t'embrasserons plus que cent cinquante fois. »
Mais Élisa n'a fermé sa porte que pour préparer une surprise : l'illumination avec les coques de noix.
Élisa, collaboratrice des mères, franche, ouverte, sans détour, ferme, gaie, consciente de sa vocation, de sa place, de son rang modeste.
« Non, mes enfants, ne me forcez pas à être de la partie (promenade à âne) de demain, j'en serais contrariée. *Une bonne est une bonne* et n'est pas une dame qui vit de ses rentes, j'ai mon ouvrage et je dois le faire. »
L'air sérieux d'Élisa impressionna les petites.
« Élisa, dit la maman, fait preuve de tact, de jugement et de cœur,... c'est la délicatesse qu'elle met dans toutes ses actions, qui la rend supérieure... »
Piètre Jean-Jacques, précepteur rusé, poseur, menteur, faux camarade. Jean-Jacques qui n'a que faire des parents, lui, le thaumaturge et le machineur, oui, bien sot, faux prêtre contre nature de la Nature, avec ses confrères les psychiatres, bien penaud en face de la solide et chrétienne Élisa.
164:163
Mais Camille est très malade. Élisa a beau saupoudrer de camphre les cataplasmes et donner à sucer du sirop de gomme, c'est la petite vérole.
Élisa : Jamais, Madame, je n'abandonnerai *ma pauvre enfant* malade, quand je devrais y gagner la petite vérole...
Camille : Ma bonne Élisa, je sais combien tu m'aimes, mais moi aussi je t'aime et je serais désolée de te voir malade à cause de moi...
C'est bien ce qui arrive, Élisa tombe malade, mais bien plus malade que Camille... Et Camille, guérie, ne la quitte plus... « il fallut toute son obéissance aux ordres de sa mère pour l'empêcher de passer la nuit auprès de sa chère Élisa ». « C'est en me soignant qu'elle est devenue malade, répétait-elle en pleurant... Élisa ne sentait pas la *douceur de cette tendresse* touchante : depuis la veille, elle était sans connaissance... » L'enfant surveille le pauvre visage ; enfin le surlendemain, Élisa « ouvrit les yeux ; reconnut Camille et lui sourit. Camille saisit sa main brûlante et la porta à ses lèvres. « Ne parle pas, ma chère Élisa, ne parle pas, Maman et moi sommes près de toi. » -- Tendresse dévouée qui baigne d'amour les vertus, rend tout effort léger, tout sacrifice aimable.
Je supplie les parents de ne pas épargner à leurs enfants ces épreuves qui approfondissent le cœur et développent la sensibilité.
« Tante Cécile est très mal, me confie cette maman, nous ne le disons pas à Robert, parce qu'il l'aime beaucoup, il est si jeune, c'est trop triste ! » Et le slogan fatal : « Ça pourrait le traumatiser. » Toute la semaine, Maman court au chevet de tante Cécile. Elle n'est pas là pour surveiller les devoirs de Robert, il en profite et passe la plus joyeuse semaine.
Que fallait-il faire ? *De la peine à Robert.* Chance merveilleuse, il *aime* tante Cécile. Alors : prières, sacrifices, davantage de zèle aux devoirs. Et s'il pleure, s'il pense à la mort ? Tant mieux ! La tendresse chrétienne changera un peu son cœur (moderne) de pierre en cœur de chair. L'épargner, c'est le durcir et l'appauvrir, c'est l'éloigner des vertus, car toutes, les théologales et les cardinales, profitent d'une rare tendresse dévouée qui arrache l'enfant à l'égoïsme.
165:163
La guérison d'Élisa, c'est la plus grande joie de tout le livre des Petites Filles Modèles, qui sera célébrée par une grande fête, familiale et villageoise (XXVII).
#### La vraie charité
« Sophie a bon cœur. *Elle n'a pas l'habitude de pratiquer la charité *», dit à ses filles Mme de Fleurville (XVI).
Les enfants avaient fait connaissance de la pauvre petite Lucie et de sa pauvre mère (XX). On avait résolu de tout mettre en œuvre pour les secourir, les petites donnèrent tout leur argent, les mamans louèrent une petite maison blanche et, la semaine entière, on travailla à la mettre en état, à la meubler, arranger pour y installer les deux chères pauvres femmes tendrement aimées (XXI).
Ce fut, pour les enfants, une semaine de rêve. Rien ne leur coûtait, tant il est doux de rendre heureux. Les mamans, Élisa, encouragèrent ces charitables fatigues qui se terminèrent par un bon dîner préparé à la petite maison blanche par Camille et Madeleine. Et les quatre petites filles furent les convives de Lucie et de la pauvre mère, guérie et heureuse.
De cette semaine, Sophie garde un vif souvenir (XXII).
« Elle avait senti le bonheur qu'on goûte à faire le bien. » Elle se croyait charitable comme ses amies. Elle apprend la misère d'une petite vieille qui demeure au-delà de la forêt.
« Elle ne dit plus rien, mais elle forma en elle-même le projet d'y aller ; et, pour en avoir seule le mérite, elle résolut de le faire sans aide, sans en parler à personne, d'ailleurs elle craignait que Camille et Madeleine *qui ne faisaient rien sans demander la permission à leur maman* ne l'empêchassent de s'éloigner. »
Il s'agit de conquérir à cette fausse charité la naïve Marguerite. Je cite la conversation. Les sophismes de l'amour-propre et de l'égoïsme déguisés en charité y sont exactement exprimés. C'est, a contrario, un petit traité sur ce texte « la charité est humble ».
Voilà une méditation « sur le discernement des esprits » mise à la portée des jeunes lecteurs et dont les parents chrétiens profiteront :
166:163
Marguerite : Je ne demande pas mieux ; allons-y tout de suite, si maman le permet, et emmenons avec nous Camille, Madeleine et Élisa.
Sophie : Mais non, Marguerite, il ne faut en parler à personne : *ce sera bien plus beau, bien plus charitable, d'aller seules,* de ne nous faire *aider de personne,* de donner à cette petite mère Toutain l'argent que nous avons pour nos gâteaux et nos plaisirs.
Marguerite : *Pourquoi est-ce plus charitable de nous cacher* de Mme de Fleurville, de maman, de Camille, de Madeleine ?
La réponse a l'éloquence hypocritement pieuse de l'orgueil qui se sert, comme de juste, de l'Écriture sainte, qui plus est sortie de la bouche de maman.
Sophie : Parce que j'ai entendu dire l'autre jour à ta maman qu'il ne faut pas s'enorgueillir du bien qu'on fait, et qu'il faut se cacher pour ne pas en recevoir des éloges. Alors, tu vois bien que nous ferons mieux de nous cacher pour faire la charité à cette bonne vieille.
Marguerite : Il me semble pourtant que je dois le dire au moins à maman.
Sophie. Mais pas du tout. Si tu le dis à ta maman, ils voudront tous venir avec nous, ils voudront tous donner de l'argent ; et nous, que ferons-nous ? Nous resterons là à écouter et à regarder, comme l'autre jour dans la cabane de Françoise et de Lucie. Quel bien avons-nous fait là-bas ? Aucun : c'est Mme de Rosbourg qui a parlé et qui a tout donné.
Marguerite : Sophie, je crois que nous sommes trop petites !
Sophie : Trop petites !... je vois que tu as tout bonnement peur.
La vertu de six ans de Marguerite n'est qu'un petit bourgeon trop faible, son amour-propre piqué entraîne la défaite... Elles marchaient vite et en silence. Marguerite ne se sentait pas la conscience à l'aise, elle comprenait qu'elle commettait une faute et elle regrettait de n'avoir pas résisté. Sophie n'était guère plus tranquille : les objections de Marguerite lui revenaient en mémoire, elle craignait de l'avoir entraînée à mal faire. « Nous serons grondées » se disait-elle.
167:163
Vous aurez envie de lire ou relire la suite, les petites égarées dans la forêt, la peur, la nuit, le passage des marcassins, le brave boucher en tournée qui les trouve, les sauve, les ramène. Il faut bien tout cela pour que Sophie et les lecteurs comprennent que :
« *Caritas non æmulatur, non agit perperam, non inflatur, non est ambitiosa, non quærit quæ sua sunt. *» (Cor. I, XIII.)
La charité n'est point envieuse, elle n'est point téméraire, elle ne s'enfle point, elle ne cherche point ses intérêts...
Cependant, Camille sait que la vertu gagne peu à peu dans le cœur de Sophie « *par la réitération* quotidienne des actes ». Sa vraie charité le lui dit bonnement.
« Ma petite Sophie, ne te décourage pas, on ne se corrige pas si vite de ses défauts. Tu es devenue bien meilleure que tu ne l'étais en arrivant chez nous, et chaque mois il y a une différence avec le mois précédent. »
Surtout, est né, tout neuf dans Sophie, le *désir de la vertu* (faire demander chaque jour par l'enfant la vertu opposée au péché principal !)
« Je crois bien qu'il faut convenir que toi et Madeleine, vous êtes meilleures que nous... »
Camille : Nous sommes plus âgées que vous, et par conséquent *plus raisonnables,* voilà tout. Pense donc que je me prépare à faire ma première communion l'année prochaine...
\*\*\*
Je termine par « l'honneur, qui est *la gloire de la vertu *»*.* C'est « la partie d'âne ». (XXVIII) Les mamans, la garde Nicaise et son fils ont trouvé sept ânes. On ira dîner dans la clairière en pleine forêt. La forêt, les champs, le moulin et toutes les bêtes sont présents à l'éducation (c'est en réalité le château des Nouettes en Normandie, la demeure de prédilection de Sophie de Ségur et de ses petits enfants).
Sept ânes sont, à neuf heures, sellés devant la maison. Sophie les voit avec bonheur. « Elle descendit précipitamment et les examina tous. »
168:163
« Celui-ci est trop petit, dit-elle, celui-là est trop laid avec ses poils hérissés. Ce grand gris a l'air paresseux ; ce noir me paraît méchant ; ces deux roux sont trop maigres ; ce gris clair est le meilleur et le plus beau : c'est celui que je garde pour moi. Pour que les autres ne le prennent pas, je vais attacher mon chapeau et mon châle à la selle. Elles voudront toutes avoir, mais je ne le cèderai pas. »
« Pendant que, songeant uniquement à elle, elle choisissait ainsi cet âne qu'elle croyait préférable aux autres, Nicaise et son fils plaçaient les provisions dans deux grands paniers qu'on attacha sur le bât de l'âne noir. »
Voici les mamans, elles désignent un âne à chaque petite fille.
Sophie : J'en ai déjà *pris* un, Madame : le gris clair, j'ai attaché sur la selle mon chapeau et mon châle.
Mme de Fleurville : Comme tu t'es pressée de choisir celui que tu crois être le meilleur, Sophie ! Ce n'est pas très aimable pour tes amies ni très poli pour Mme de Rosbourg et pour moi. Mais puisque tu as fait ton choix, tu garderas ton âne et peut-être t'en repentiras-tu.
Sophie était confuse, elle sentait qu'elle avait mérité le reproche de Madame de Fleurville, et elle aurait donné beaucoup pour n'avoir pas montré l'égoïsme *dont elle ne s'était pas encore corrigée.*
Camille et Madeleine ne dirent rien et montèrent sur les ânes qu'on leur désigna ; Marguerite jeta un regard souriant à Sophie, réprima une petite malice, et sauta sur son petit âne.
Toute la cavalcade prit le départ... Nicaise et son fils fermant la marche avec l'âne aux provisions... que le bel âne de Sophie s'obstine soudain à ne pas quitter. Malgré tous les efforts, il marche au pas « comme son ami ». Les cinq ânes au galop disparaissent et « Sophie reste seule, pleurant de colère et de chagrin ».
Et c'est sur cet âne têtu que Sophie apprit de la bouche du jeune Nicaise, le prix de la bonne réputation -- l'honneur que mérite la vertu et qu'elle éprouva le dépit de n'avoir pas ce bien précieux : l'estime sincère des braves gens.
Comment aurait-elle douté, en effet, de la sincérité du jeune paysan qui lui offrit ces naïves et fortifiantes consolations :
169:163
« Faut pas pleurer pour si peu, de plus grands que vous s'y trompent bien aussi. Votre bourru vous semblait meilleur que les autres, c'est pas étonnant que vous n'y connaissiez rien, puisque vous ne vous êtes pas occupée de bourris dans votre vie. C'est qu'il a l'air, à le voir comme ça, d'un fameux bourri ; moi qui le connais à l'user, je vous aurais dit que c'est un fainéant et un entêté. C'est qu'il n'en fait qu'à sa tête ! Mais il faut pas vous chagriner ; au retour, vous *le passerez à mamzelle Camille, qui est si bonne qu'elle le prendra tout de même, et elle vous donnera le sien qui est parfaitement bon. *»
« Sophie ne répondait rien, elle rougissait... Dans son cœur, elle se comparait à Camille, elle reconnaissait *son infériorité...* elle demandait au bon Dieu de la rendre bonne comme elle. »
\*\*\*
Rien n'est fait dans le cœur de nos enfants, si nous ne leur apprenons pas chaque jour à aimer les vertus, à les désirer comme le plus cher trésor, à les conquérir peu à peu, à porter du fruit par la patience...
Et, de ces vertus, souhaiter les humbles honneurs.
Que la Sagesse des enfants soit connue, non seulement de Dieu, mais des hommes.
Initiation des enfants. -- Initiation des Parents.
*Jesu, exemplar virtutum*...
Jésus, modèle des Vertus, ayez pitié de nous.
Luce Quenette.
170:163
### Sancta Trinitas unus Deus
par R.-Th. Calmel, o.p.
BIEN FAIRE LE SIGNE de la croix, nous incliner pieusement au *Gloria Patri*, nous unir de tout notre cœur au *Per Dominum nostrum* des oraisons de la Messe, à la *Préface* des dimanches de l'année et à la doxologie du *Per Ipsum*, méditer les pages de l'Évangile qui nous dévoilent le mystère des Trois Personnes : baptême de Jésus, discours après la Cène, mission des Apôtres : est-ce que tout cela ne serait pas suffisant pour connaître le mystère de la Sainte Trinité ? En y ajoutant le Catéchisme et quelques bonnes prédications, aurions-nous encore tellement besoin d'autres études pour nous disposer à une union grandissante avec les Trois Personnes, pour entrer dans leur bonheur ineffable, afin que notre vie habituelle se passe en compagnie du Père et de son Fils Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit : *Ut societas nostra sit cum Patre et cum Filio ejus Jesu Christo* (Ia Jo, 1, 3).
Certes cela peut suffire. Cela suffit de fait à nombre de fidèles. Il n'est pas indispensable à chaque chrétien de poursuivre selon les règles une réflexion doctrinale. Il est cependant nécessaire que certains dans l'Église, en particulier les prêtres de Jésus-Christ, s'appliquent à une réflexion de cet ordre. Il le faut pour éclairer et défendre non seulement leur propre foi mais celle de leur prochain ; il le faut pour que le culte et l'adoration soient rendus à Dieu dans la vérité.
\*\*\*
171:163
Prenons garde de ne pas nous laisser décourager avant de commencer, sous prétexte que ce mystère nous dépasse. Évidemment il dépasse à l'infini les forces naturelles de notre entendement. Il les dépasse encore beaucoup plus que les autres mystères, cela dans la proportion même où la vie de Dieu *ad intra* (à l'intérieur de lui-même) dépasse les réalisations de Dieu *ad extra* (en dehors de lui) c'est-à-dire l'œuvre de création, de grâce, d'Incarnation rédemptrice.
Il reste que notre entendement, tout infirme qu'il est, a été surélevé par la foi théologale à saisir les vérités surnaturelles. En vertu de la foi le mystère de la Trinité nous est devenu accessible d'une certaine manière. Surélevé par la foi notre esprit est devenu capable de tenir ce mystère pour absolument vrai, s'y adapter dans une certaine mesure, en acquérir une certaine intelligence très fructueuse. Pour cela commençons par faire humblement un acte de foi dans la vérité qui nous est proposée par la Sainte Église : un seul Dieu en Trois Personnes égales et distinctes, le Père, le Fils, le Saint-Esprit. Nous croyons cette vérité comme l'ont crue la Vierge et les Apôtres ; nous la croyons comme la voient dans la vision béatifique, après avoir commencé par croire, la multitude sans nombre des anges et des saints ; nous la croyons comme Jésus la voyait face à face et en pleine clarté dès le premier instant de l'existence de son âme humaine. Ce que je vous dis c'est ce que je vois auprès de mon Père ; *Ego, quod vidi apud patrem meum loquor* (Jo. VIII, 38).
\*\*\*
Père, Fils, Esprit Saint... *Domine, sancte Pater, Omnipotens aeterne Deus qui cum Unigenito Filio tuo et Spiritu. Sancto, unus es Deus, unus es Dominus ; non in unius singularitate personæ, sed in unius Trinitate substantiae... Ut in confessione verae sempiternaeque Deitatis et in personis proprietas et in essentia unitas, et in majestate adoretur aequalitas. Quem laudant Angeli atque Archangeli*... Seigneur, Père Saint, Dieu éternel et tout-puissant, qui avec votre Fils unique et le Saint-Esprit êtes un seul Dieu, un seul Seigneur. Non dans l'unicité d'une seule personne, mais dans la Trinité d'une seule substance... Afin que dans la confession de la véritable et éternelle divinité, et dans les Personnes soit adorée la propriété, et dans l'essence l'unité et dans la majesté une dignité égale. C'est elle que louent Anges et Archanges...
172:163
En écoutant, dans la *Préface* ce clair énoncé de notre foi, avant même toute tentative d'approfondir, nous avons le sentiment que l'air se raréfie ; l'air des connaissances familières, l'atmosphère de ce discours dont nous avons l'habitude, et qui est spontanément en rapport avec notre intelligence non angélique, mais humaine et incarnée. Notre esprit qui baigne dans le sensible se trouve un peu perdu. Comment en serait-il autrement, alors que l'attention de l'homme se fixe sur celui qui n'est qu'Esprit ; non pas seulement pur esprit comme les Anges mais encore Esprit infini, infiniment parfait ; non seulement cela, mais encore cet Esprit infini nous le considérons en ce qu'il a d'intime, en sa vie propre et absolument réservée, c'est-à-dire en cette vie ad intra, non connaissable en nous élevant à partir des effets créés, connaissable seulement par révélation toute gratuite et par grâce, *car nul ne connaît le Fils sinon le Père, et le Père nul ne le connaît sinon le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler* (Matth. XI, 27). Car Dieu nul ne l'a jamais vu, mais le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui-même nous l'a fait connaître : *Deum nemo vidit unquam ; unigenitus Filius qui est in sinu Patris ipse enarravit* (Jo. I, 18).
A cette altitude de la considération du Seigneur Dieu dans sa vie intime l'air des connaissances naturelles nous manque ; mais nous respirons l'air de la grâce et de la foi. Les connaissances naturelles, les notions tirées de la créature comme personne, majesté, unité, père, fils, amour cessent d'être le but de notre considération ; elles descendent au rang de simples moyens qui permettent de saisir les réalités divines ; ce sont les points d'analogie choisis dans le créé, mais en toute propriété de terme, par la Vérité incréée, pour nous faire atteindre, sans crainte d'erreur, quoique dans l'obscurité de la foi, le mystère devant lequel les Anges mêmes n'exultent qu'en tremblant. Par ailleurs, au sujet de ce mystère, les points d'analogie utilisés se réduisent à un tout petit nombre : « procession », paternité, filiation, nature et personne, relation, majesté, unité... Voyons par exemple le *Symbole dit de Saint Athanase :* « (la foi catholique enseigne à) ne pas confondre les personnes et ne pas diviser la substance. Autre la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit.
173:163
Mais pour le Père, le Fils, le Saint-Esprit la divinité est une, la gloire égale, la majesté coéternelle... Non trois tout-puissants mais un seul tout-puissant... non trois Seigneurs, mais un seul Seigneur. Car de même que nous sommes contraints par la vérité chrétienne de confesser que chacune des Personnes, prise à part, est Dieu et Seigneur, de même il nous est défendu par la religion chrétienne de dire qu'il y a trois dieux ou seigneurs. Le Père n'est fait par personne, ni créé, ni engendré. Le Fils est par le Père seul : ni fait, ni créé, mais engendré. L'Esprit Saint est par le Père et le Fils : ni fait, ni créé, ni engendré, mais procédant... Dans cette Trinité rien n'est avant, ni après ; rien n'est plus grand ni plus petit ; mais les trois Personnes sont toutes coéternelles l'une à l'autre et coégales. De sorte que, en toute chose, on doit vénérer l'unité dans la Trinité et la Trinité dans l'unité. »
Même doctrine sublime au Concile de Florence ; même doctrine toujours aussi éloignée des régions de la connaissance par connaturalité humaine, fréquentées d'habitude par notre réflexion ; même doctrine mais davantage explicitée, au Concile de Florence (17, œcuménique) en 1442, dans le décret pour les Jacobites.
« La sacrosainte Église romaine, fondée sur la parole de Notre-Seigneur et Sauveur, croit fermement, professe et enseigne qu'il y a un seul vrai Dieu tout-puissant, immuable et éternel, Père, Fils et Saint-Esprit, un dans l'essence, trine dans les Personnes ; le Père inengendré, le Fils engendré du Père, l'Esprit Saint procédant du Père et du Fils ; le Fils n'étant pas le Père ou l'Esprit Saint ; l'Esprit Saint n'étant pas le Père ou le Fils ; le Père est seulement Père, le Fils seulement Fils, l'Esprit Saint seulement Esprit Saint. Seul le Père, de sa substance, engendre le Fils ; seul le Fils, du Père seul est engendré ; seul l'Esprit Saint procède en même temps du Père et du Fils. Ces trois Personnes sont un seul Dieu et non trois dieux, parce que une même substance est celle des trois, une même essence, une même nature, une même divinité, une même immensité, une même éternité ; *et toutes choses sont un, là où ne se rencontre* *pas une opposition de relation.* (*Omniaque sunt unum, ubi non obviat relationis oppositio*.)
174:163
En vertu de cette unité le Père est tout entier dans le Fils, tout entier dans l'Esprit Saint ; le Fils est tout entier dans le Père, tout entier dans l'Esprit Saint ; l'Esprit Saint, tout entier dans le Père, tout entier dans le Fils. Aucun ne précède l'autre en éternité, ne le dépasse en grandeur, ne le surpasse en puissance. C'est de toute éternité et sans commencement que le Fils existe à partir du Père ; et c'est de toute éternité et sans commencement que l'Esprit Saint procède du Père et du Fils. Le Père, tout ce qu'il est ou tout ce qu'il a, il ne le tient pas d'un autre mais de lui et il est principe sans principe. Le Fils tout ce qu'il est ou tout ce qu'il a, il le tient du Père et il est principe à partir du principe. L'Esprit Saint tout ce qu'il est ou tout ce qu'il a, il le tient en même temps du Père et du Fils. Mais le Père et le Fils ne sont pas deux principes de l'Esprit Saint, mais un seul principe ; de même que le Père et le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois principes des créatures mais un seul principe.
« Tous ceux donc qui ont un sentiment opposé et contraire, (l'Église) les condamne, réprouve et anathématise, et les dénonce comme étrangers au corps du Christ qui est l'Église. Ainsi elle condamne Sabellius qui confond les Personnes et supprime complètement leur distinction réelle. Elle condamne Ariens, Eunomiens, Macédoniens, car ils disent que le Père seul est Dieu véritable et ravalent le Fils et l'Esprit Saint au rang des créatures. L'Église condamne également tous les autres, quels qu'ils soient, qui introduisent des degrés ou une inégalité dans la Trinité. » ([^70])
\*\*\*
Ainsi, bien que tout soit égal en Dieu, bien que sagesse, amour, éternité soient les mêmes, il existe cependant un principe de distinction au sein de l'unité la plus intime. Le Père, en effet, qui lui-même est inengendré, fait naître le Fils de toute éternité ; il le fait naître sans nulle variation dans la substance, nulle différence d'aucune sorte dans les attributs divins qu'ils se rapportent à la connaissance ou à l'amour ; il le fait naître en vertu d'une « procession », d'une génération toute spirituelle, d'un mouvement donc tout intérieur et qui laisse l'essence intacte et inchangée ; un mouvement dont la pensée à l'intérieur de notre esprit nous fournit quelque idée.
175:163
Il restera toujours cette différence infinie que le Verbe au sein du Père est non seulement d'une ressemblance parfaite, mais il est subsistant et unique ; il est le Fils. *Dominus dixit ad me... Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils ; moi aujourd'hui je vous ai fait naître* (Ps 2, *Quare fremuerunt Gentes*). En vertu de la procession d'origine du Fils à partir du Père (et non l'inverse) il existe de l'un à l'autre une relation d'origine qui n'est évidemment pas interchangeable : paternité n'est pas filiation. Or ces relations sont nécessairement subsistantes. Ce sont elles qui constituent les Personnes. On ne conçoit pas que ces relations pourraient être en Dieu, comme cela se passe dans les créatures, un simple accident. Il est impossible en effet qu'il y ait place, en Dieu, pour de l'accidentel ; pour une paternité ou une filiation qui seraient quelque chose s'ajoutant à la substance divine. Eh ! bien, toutes subsistantes qu'elles soient les relations d'origine ne laissent pas d'être opposées entre elles. C'est de là que se tire le principe de distinction entre le Père et le Fils, Père et Fils sont égaux en tout ; il reste que la relation subsistante de paternité, qui constitue le Père, ne se confond pas avec la relation subsistante de filiation, qui constitue le Fils ([^71]). Nous dirons la même chose pour la procession qui, par voie d'amour entre le Père et le Fils est le principe du Saint-Esprit. On ne saurait confondre en effet la relation entre, d'une part, le Père et le Fils à l'égard du Saint-Esprit comme principes conjoints et inséparables de cet Esprit d'amour et, d'autre part, la relation entre cet Esprit d'amour et le Père et le Fils à partir desquels il procède.
\*\*\*
Plus nous méditerons les Évangiles et le Nouveau Testament, plus aussi nous verrons à partir, soit des récits historiques et concrets, soit des lettres aux communautés chrétiennes primitives, que les termes de nature, personne, relation, encore qu'ils ne se rencontrent pas dans l'Écriture, sont parfaitement homogènes aux textes inspirés et de plus sont indispensables pour entendre ces textes correctement. Que Jésus soit Dieu, les Évangiles en apportent une foule de témoignages. Que d'autre part il se donne toujours comme distinct du Père, impossible à confondre avec lui, les témoignages qui nous l'assurent ne sont ni plus rares, ni moins affirmatifs.
176:163
« Moi et le Père nous sommes un » (Jo. X, 30). -- « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant -- Tu es heureux, Simon, fils de Jean, car ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela » (Matth. XVI, 17). -- « Le prince des prêtres se dressa et lui demanda : je vous adjure par le Dieu vivant de nous dire si vous êtes le Christ, le Fils de Dieu. Jésus lui répondit : Vous l'avez dit ». (Matth. XXVI, 62-64). -- On connaît d'autre part les deux manifestations solennelles de la Trinité pendant le ministère de Jésus ; l'une au baptême, tout à fait au début, lorsque le Seigneur commence sa mission publique ; l'autre à la transfiguration, lorsqu'il ne fait plus de doute que le Fils de l'homme sera crucifié pour le salut des pécheurs. Il y a sans doute, en ce qui touche la Personne du Saint-Esprit, une différence entre baptême et transfiguration. Dans le premier cas, la manifestation du Saint-Esprit sous forme sensible : la colombe, est tout à fait certaine étant affirmée par les Évangélistes. Dans le second cas les Évangélistes ne se sont pas expliqués, et la tradition n'est pas unanime à reconnaître l'Esprit Saint dans la nuée lumineuse. Cependant cette façon de voir est fortement autorisée ([^72]). A la transfiguration comme au baptême une voix du ciel se fait entendre et proclame : « *Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances. *» Le récit de la transfiguration ajoute encore : *écoutez-le* (Matth. IV, 17 et XVII, 5). A la transfiguration comme au baptême le Saint-Esprit se manifeste sous un aspect sensible : une fois la colombe, l'autre fois la nuée resplendissante. Avant ces théophanies radieuses des Trois Personnes, il convient de mentionner la révélation, indirecte sans doute mais explicite, qui est faite à Notre-Dame lors de l'Annonciation. C'est évidemment le mystère de l'Incarnation qui lui est révélé directement. Mais ce mystère même ne lui aurait pas été intelligible, et il ne serait du reste intelligible à personne, hors du mystère de la Sainte Trinité. Il eût été incompréhensible d'envoyer l'Ange Gabriel parler à Notre-Dame si celui-ci, en l'entretenant de la descente *du Fils du Très-Haut* dans son sein virginal, en vue de notre rédemption, eût omis de faire connaître, avec une clarté suffisante, la distinction des Personnes divines.
177:163
De fait, il suffit de lire pour voir que l'Ange Gabriel en annonçant à Marie qu'elle deviendrait Mère de Dieu l'a éclairée comme il convenait sur le mystère des Personnes au sein de Dieu.
\*\*\*
Si l'on veut bien faire attention aux textes évangéliques, ont est obligé de reconnaître, à moins de nier l'évidence, que le Fils nous est présenté comme distinct du Père et qu'il se donne comme distinct ; par ailleurs l'un et l'autre ne se laissent pas confondre avec le Saint-Esprit. Ceci est particulièrement visible dans le discours après la Cène.
« ...Nul ne vient au Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez également mon Père. -- Dès maintenant vous l'avez connu et vous l'avez vu. Philippe lui dit : Seigneur, montrez-nous le Père et cela nous suffit. Jésus lui dit : Depuis si longtemps je suis avec vous et vous ne m'avez pas connu ? Philippe, qui me voit voit aussi le Père. Comment dites-vous : montrez-nous le Père ? Ne croyez-vous pas que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis je ne les dis pas de moi-même. Mais le Père demeurant en moi, lui-même fait les œuvres. Ne croyez-vous pas que moi je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Croyez-le au moins à cause des œuvres. » (Jo. XIV, 6-12.)
« Si vous m'aimez gardez mes commandements. Et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet pour qu'il demeure avec vous à jamais, l'Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas. » (Jo. XIV, 15-17).
« Le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, celui-là vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous aurai dit. » (Jo. XIV, 26.)
« Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de Vérité qui procède du Père, celui-là rendra témoignage de moi. » (Jo. XV, 26.)
« Lorsque sera venu cet Esprit de vérité il vous conduira vers la vérité tout entière, car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu'il entendra il le dira et ce qui doit advenir il vous l'annoncera. Tout ce que le Père possède est à moi, c'est pour cela que je vous ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera. » (Jo. XVI, 13-15).
178:163
« Voici venir l'heure et elle est déjà venue où vous serez dispersés chacun de son côté et me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi. » (Jo. XVI, 33.)
« Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi auprès de vous de la gloire que j'ai eue, avant que le monde fut, de vous. » (Jo. XVII, 5.)
« Et tout ce qui est à moi, (Père), est à vous et ce qui est à vous est à moi, et j'ai été glorifié en eux... Père Saint, gardez-les dans votre nom que vous m'avez donné, afin qu'ils soient un comme nous. » (Jo. XVII, 10-11.)
« Père ceux que vous m'avez donnés je veux que là où je suis ils soient aussi avec moi, afin qu'ils voient ma gloire, celle que vous m'avez donnée, parce que vous m'avez aimé avant la création du monde. » (Jo. XVII, 24.)
\*\*\*
Que conclure ? On ne peut concevoir que le Fils ou l'Esprit Saint seraient moindres que le Père ; que leur sagesse serait moins profonde, leur liberté plus entravée, leur amour moins généreux ou moins pur. Comment exprimer cette égalité totale dans les attributs divins si ce n'est en se servant des termes de *nature* ou d'*essence*, même si l'Évangile les ignore. La Préface liturgique est en pleine harmonie avec les récits inspirés lorsqu'elle nous fait chanter : *in essentia unitas*. Et c'est en vertu du même accord avec les textes de l'Écriture que nous chantons également : *in personis proprietas*. Car lorsque Jésus, qui apparaît dans sa sainteté comme une Personne si profondément caractérisée et irréductible, se désigne (ou nous est désigné) comme distinct du Père et du Saint-Esprit, ce n'est pas au titre de la nature divine. A ce titre-là, au contraire, même connaissance et même opération. « Ce que (le Père) fait, le Fils le fait pareillement. » (Jo. V, 19.) La distinction entre le Fils et le Père ne peut exister qu'au titre de la Personne.
179:163
Vous insistez et vous dites : nous savons qu'une personne est le sujet d'attribution ultime des facultés et des actes dans une nature raisonnable ; *la substance individuelle d'une nature raisonnable*, selon l'immortelle définition de Boëce, admirablement reprise et expliquée par saint Thomas d'Aquin ([^73]). Eh ! bien, si la personne est une substance et si, en Dieu, le Fils est une Personne autre que le Père, comment concevoir qu'il serait aussi une substance autre ? La foi chrétienne nous interdit de penser cela, car ce serait absurde et blasphématoire ; il serait absurde que Dieu soit constitué de plusieurs substances ; le soutenir serait un outrage à la Majesté infinie. Le Fils est donc la même substance que le Père ; mais cette substance unique est dans le Fils comme communiquée et procédante, alors que le Père la possède comme la faisant procéder en tant que principe, en vertu d'une génération spirituelle. Ainsi la foi chrétienne, loin de nous enseigner qu'il y aurait en Dieu plusieurs substances, nous enseigne au contraire que la même substance, absolument inchangée, appartient au Fils comme communiquée par le Père et revue du Père, et cela par une procession de l'ordre de la connaissance ; et la même substance, absolument inchangée, appartient encore au Saint-Esprit comme communiquée par le Père et le Fils, comme reçue du Père et du Fils, et cela par une procession de l'ordre de l'amour. La substance divine est telle, sa générosité, si l'on peut dire, est à ce point transcendante que, -- nous le savons par la foi -- elle implique, sans être en rien modifiée, procession et communication. En vertu des processions, il existe des relations d'origine qui, sans toucher en rien à l'unité de la substance, établissent néanmoins la distinction des Personnes. Du fait que nous admettons au sein de Dieu, comme la foi le garantit, la réalité des processions d'origine nous sommes amenés à concevoir des relations distinctes et nous voyons comment il est possible de parler de Personnes distinctes. Parler en Dieu de Personnes au sens de relations subsistantes ce n'est pas aller contre la notion d'un principe de distinction ultime dans la substance spirituelle ; c'est comprendre que dans le Seigneur Dieu, cette notion se réalise selon un mode réservé à Dieu.
180:163
Ainsi lorsque la foi nous demande d'attribuer à Dieu le nom de personne au sens très précis de Trinité des Personnes, nous devons entendre que ce nom, sans devenir équivoque ou inintelligible, revêt cependant une signification qui ne peut se trouver qu'en Dieu et dont nous connaissons la vérité par la seule foi. De même que le terme de nature appliqué à Dieu prend le sens d'un principe d'être et d'opération qui subsiste par soi, dans une aséité absolue, ne dépendant de rien dans quelque ordre que ce soit, de même le terme de personne en Dieu prend le sens de relations d'origine qui sont subsistantes.
Ces termes d'unité de nature et de Trinité des Personnes que nous prononçons dans la nuit de la foi désignent, en toute propriété, un abîme de lumière et d'amour d'une telle fulguration que nous ne pouvons le regarder en face avant la mort et le Paradis. Nous avons confiance que, si nous vivons en conformité avec notre foi, cet abîme de la Trinité dans l'unité deviendra bientôt notre bonheur éternel et ineffable. C'est pour nous donner accès à cette béatitude-là *que le Verbe s'est fait chair et qu'il a habité parmi nous ;* que s'étant offert pour nous en sacrifice sanglant, il a voulu demeurer avec nous jusqu'à sa Parousie, continuant de s'offrir en sacrifice et de se donner en communion sous les espèces du pain et du vain :
*O Sacrum convivium in quo Christus sumitur... futurae gloriae nobis pignus datur*. *Ô festin sacré où nous recevons Jésus-Christ... oui le gage nous est donné de la gloire future.*
\*\*\*
Nous ne démontrons pas ; aucun esprit angélique ou humain n'est en mesure de démontrer qu'il y ait en Dieu, en vertu de la transcendance de ses opérations *ad intra,* du fait de l'infinité de sa pensée et de son amour, une Trinité dans l'unité. Nous ne démontrons pas ; mais ayant commencé par accorder une adhésion simple et totale à la Révélation du Seigneur nous posons d'emblée unité et Trinité, bien loin d'essayer de déduire de quelque manière que ce soit la Trinité des Personnes à partir de l'unité transcendante de la nature. Avec la foi catholique ayant posé d'emblée et sans nul dessein de démonstration l'unité et la Trinité nous voyons ensuite comment, en méditant sur les opérations divines *ad intra* : la pensée et l'amour, il n'est pas inconcevable d'abord qu'il y ait procession dans l'ordre de la pensée et procession dans l'ordre de l'amour ;
181:163
ensuite ces processions fondent des relations qui tout en ne différant pas de la substance comportent cependant entre elles une distinction de principe à terme et inversement ; et c'est par là que, sans différer de la substance, les Personnes cependant se distinguent l'une et l'autre, car dans la divinité *toutes choses sont un, excepté là où se rencontre une opposition de relation.*
La distinction que la foi nous fait mettre entre les Personnes n'est pas du même ordre que la distinction qui se trouve entre un ange et un ange, un homme et un homme, un père et son fils, un ami et son ami. La distinction dont parle la foi ne partage pas la nature, ne la divise pas. C'est la même et identique essence qui est communiquée du Père au Fils, puis du Père et du Fils à l'Esprit Saint. Mais cette essence appartient au Père comme principe du Fils, comme *disant* le Verbe ; elle appartient au Fils comme reçue du Père et expression parfaite du Père ; elle appartient au Saint-Esprit comme don d'amour entre le Père et le Fils. C'est bien la même essence entre les Trois Personnes, mais du fait qu'elle est communiquée, du fait qu'il y a procession, il y a également relations non interchangeables, opposition de relation : et cela suffit à distinguer les Personnes sans briser l'essence, puisque ces relations, distinctes entre elles, sont, chacune, identique à l'essence.
Ce n'est pas inconcevable ; mais que ce soit vrai nous ne le savons que par la foi. Ce qui serait absurde ce serait que la communication de l'essence, les processions, divisent l'unité, car il y aurait alors trois dieux. Ce qui ne serait pas absurde, mais qui est contraire à la foi, ce serait que la communication, que les processions, soient fictives, métaphoriques, simples dénominations arbitraires : alors Dieu connaîtrait souverainement et lui-même et toutes choses et il aimerait de la même façon, mais en vertu de cette connaissance il n'y aurait pas procession d'un Fils ; d'un Verbe qui est Fils ; de cette connaissance ne procéderait personne ; de même en vertu de l'amour mutuel entre le Père et le Fils ne procéderait personne ; il n'y aurait point la Personne du Saint-Esprit. Tel n'est pas le Dieu qui nous est révélé ; le seul Dieu véritable. Il y a, au sein même de son unité infinie, procession selon la pensée et l'amour, Trinité de Personnes.
182:163
Le Dieu qui nous est révélé et donné est absolument immuable et parfaitement défini, mais il est immuable et défini comme ayant en soi génération dans l'ordre de la pensée et procession dans l'ordre de l'amour. Le Dieu qui nous est révélé et donné n'existe que dans une unité absolue d'être et de nature, mais en Trois Personnes. Être Trinité c'est la seule manière qu'il ait d'être une nature, une substance, un être.
Ce donné de notre foi est donc concevable. Nous disons concevable, pas plus. Il serait ridicule de soutenir : c'est démontable ou c'est démontré. Le mystère demeure intact.
« Saint Hilaire dit dans le premier livre de son *De Trinitate *: que l'homme ne pense pas pouvoir atteindre par son intelligence le mystère de la génération (en Dieu) ! Saint Ambroise écrit de son côté dans son *De Fide,* au chapitre V du livre II : il est impossible de savoir le mystère de la génération (en Dieu). L'esprit défaille et la parole s'arrête. *Mens deficit, vox silet *: C'est par l'origine de la génération et de la procession (d'amour) qu'on distingue la Trinité dans les personnes divines. Mais comme l'homme ne peut savoir, ni atteindre par son intelligence ce sur quoi il n'a pas d'argument nécessitant, il s'ensuit que la Trinité des Personnes n'est pas connaissable par la raison (naturelle). » *Somme de Théologie* de saint Thomas, *Ia Pars*, question XXXII, art. 1 sed contra.
Pourquoi ce mystère des Personnes divines nous a-t-il été révélé ? « C'est parce qu'il nous était nécessaire de les connaître à un double titre. D'abord pour avoir un juste sentiment de la création de toute chose. En disant en effet que Dieu a tout fait par son Verbe on exclue l'erreur de ceux qui prétendent que Dieu a produit les êtres parce que sa nature l'y obligeait. De même en affirmant qu'il y a en Dieu une procession d'amour nous manifestons que Dieu n'a pas produit les créatures parce qu'il était privé de quelque chose, ou pour quelque motif extérieur à lui, mais par pur amour de sa propre bonté. Voilà pourquoi Moise, après avoir dit : *au commencement Dieu créa le ciel et la terre,* ajoute : Dieu dit : *que la lumière soit,* pour la manifestation du Verbe divin ; puis il continue : *Dieu vit que la lumière était bonne,* pour montrer l'approbation de l'amour divin. De même pour les autres ouvrages.
183:163
« La seconde raison et la principale (pour laquelle Dieu nous a révélé la Trinité des Personnes) c'est pour avoir un juste sentiment du salut du genre humain ; car il est réalisé par le Fils incarné et par le don du Saint-Esprit. » *Somme de Théologie, Ia Pars,* toujours qu. XXXII, art. 1. ad 3.
\*\*\*
Est-il bien utile d'entrer dans ces précisions ? Faut-il attacher tant de prix aux déterminations du Concile de Florence ? Ne pourrait-on se satisfaire d'un certain à peu près ? Hélas ! on veut voir dans les dogmes de la foi non une vérité absolue, divinement révélée, infailliblement traduite par l'Église, mais une sorte d'invention qui est finalement d'origine humaine et dont le principal intérêt est de procurer la réussite de quelque grande ambition politique ; politique d'État ou politique d'Église, peu importe d'ailleurs lorsque les dogmes sont ravalés au rang de moyens et de monnaie d'échange. Si la papauté assistée du Saint-Esprit a toujours été préservée, non pas de prêter l'oreille à ces tentations horribles de marchandages, mais du moins de s'y engager à fond, de s'y engager au point de couler à pic ; si la papauté sera toujours, et même au temps de l'Antéchrist, préservée de trafiquer *formellement* du dogme et d'enseigner *formellement* l'hérésie, en revanche les faux-prophètes de toutes les époques n'ont pas reculé devant ce trafic, soit dans l'intérêt de leur orgueil intellectuel, soit pour assouvir leur ambition religieuse. Qu'ils s'appellent Sabelliens ou Ariens comme aux premiers siècles ou Modernistes comme de nos jours, tous ils ont prétendu mettre le dogme trinitaire à la portée de l'esprit des contemporains et assurer le succès de la religion au milieu du monde de leur temps. Tous ils ont prétendu qu'il ne faut pas y regarder de si près avec les définitions dogmatiques, car elles furent bonnes pour un autre âge mais elles sont aujourd'hui tout à fait dépassées.
Fort bien ; mais si peu que se relâchent les formules rigoureuses du Concile de Nicée, du Symbole de saint Athanase ou du décret aux Jacobites, c'est toute la foi catholique qui s'écroule.
Vous prétendez qu'il n'importe pas de savoir au juste si le nom de Père appliqué à Dieu désigne Dieu simplement d'une manière extérieure, c'est-à-dire en tant qu'il est Créateur et Père de tout, ou bien si ce nom désigne en toute vérité l'être intime de Dieu connu de lui seul (et de ceux à qui il lui a plu de le révéler par son Fils), c'est-à-dire une Personne véritable et distincte qui engendre le Verbe par une procession dans l'ordre de la pensée ;
184:163
vous prétendez qu'il n'y a pas grand intérêt à savoir si le Fils serait une Personne véritablement distincte du Père, procédant éternellement du Père comme son Verbe, sans toutefois quitter sa substance, sans constituer une autre essence divine, un autre dieu, ou bien si le Fils serait non pas vraiment une Personne mais simplement la divinité vue sous un certain angle, la divinité considérée sous l'aspect où elle se connaît à la perfection, étant transparente à elle-même ; -- bref, vous prétendez qu'il est inutile de savoir avec certitude si le Père, le Fils, le Saint-Esprit existent comme Personnes égales et distinctes, dans la même unité divine, ou se réduisent à n'être que des points de vue complémentaires sur la divinité, des façons de parler qui décrivent plus ou moins exactement un mystère dont l'intimité nous échappe ; eh ! bien si vous acceptez ces interprétations relativistes et approximatives, n'hésitez donc pas à tirer les conséquences. La première conséquence est que vous n'avez plus le droit de dire que le Père a envoyé son propre Fils pour notre salut et que Marie est Mère de Dieu. Vous n'avez pas davantage le droit d'offrir la Sainte Messe. Car si le Christ n'est pas, en toute vérité, le Fils de Dieu distinct du Père mais égal au Père, Dieu comme lui, comment sera-t-il en mesure d'accomplir la transsubstantiation par laquelle il continue d'offrir au Père son corps et son sang, grâce au ministère du prêtre ? -- Si les noms de Père, Fils, Saint-Esprit ne désignent pas, en toute propriété de termes, la Trinité des Personnes au sein de l'unité divine alors il n'y a plus de religion catholique qui tienne.
\*\*\*
Les premiers grands négateurs furent les Sabelliens qui tenaient les Personnes non pour de vraies Personnes mais pour de simples différences de point de vue dans la considération de l'unité divine. Vinrent ensuite les Ariens, hérétiques particulièrement habiles, puissants et organisés qui détruisaient la Trinité en niant que le Fils soit Dieu comme son Père ; d'après eux l'unité de nature ne pouvait comporter la Trinité des Personnes. En tout cas, Ariens ou Sabelliens, ou autres hérétiques tout au long de l'histoire, ont toujours eu en commun la même méthode voyante de l'argumentation publique, de la discussion ouverte.
185:163
Avec le modernisme la méthode est beaucoup plus perfide, vraiment diabolique. C'est ou bien l'équivoque de la réinterprétation par quoi le moderniste vide subtilement de leur contenu les vérités mêmes qu'il affirme, ou bien le conditionnement par le silence intentionnel dans les formules de prière et par les modifications insensibles, mais implacablement orientées, dans les attitudes et les rites. Dans les Litanies des saints, par exemple, telles qu'elles furent récitées officiellement le mercredi des Cendres 19 février 1969, à Sainte-Sabine, l'invocation *Sancta Trinitas unus Deus* était froidement supprimée. On ne voulait plus déclarer si le Père, le Fils et le Saint-Esprit, que l'on continuait de nommer, étaient ou n'étaient pas la Sainte Trinité. Par ailleurs dans la récitation chorale du psautier en langue vernaculaire, l'habitude se répand de supprimer la doxologie : *Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit.* On sait que depuis le Vatican II on a aboli graduellement les marques d'adoration que l'on donnait de toujours à Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit après la consécration, soit dans le rite de la communion, soit en passant près du tabernacle ; ces changements d'attitude laissent supposer que l'on n'est plus très sûr de la divinité de Jésus, réellement présent comme vrai Dieu et vrai homme au sacrement de l'autel.
L'un des moyens indispensables pour lutter contre ces négations déguisées est de ne pas mettre le doigt dans l'engrenage sans défaut de cette transformation moderniste des rites et des formulaires qui sévit depuis le Vatican II. Avec le temps et à mesure que ces réformes donnent leur fruit il devient difficile de garder quelque illusion sur leur but dissimulé mais certain : vider les dogmes de leur signification et faire craquer les protections traditionnelles des sacrements, afin d'instaurer une religion œcuméniste qui s'adapterait à toute sorte de croyance ou d'incroyance.
Si, à la différence de l'offensive d'Arius, l'offensive du Modernisme appuyée sur le Vatican II ne vise pas de manière immédiate le dogme trinitaire, elle ne laisse pas de l'atteindre à coup sûr par un effet d'enveloppement et de démantèlement ; comme du reste elle atteint le dogme de l'incarnation, de la maternité divine, de la virginité de Marie, des sacrements et de la grâce.
186:163
La première forme de la riposte à opposer consiste à refuser tout dans les procédés modernistes et donc à garder intacts formulaires et rites ; l'autre forme est de connaître mieux les mystères et de persévérer dans l'oraison.
\*\*\*
Dans cette esquisse toute menue du mystère des mystères le lecteur aura transposé spontanément, selon leur portée analogique, les termes de nature et personne, Père, Fils, Esprit, Amour, et bien d'autres. Pour plus de clarté cependant nous rappellerons le rôle de l'analogie dans la réflexion sur les réalités spirituelles. Disons que les propriétés désignées par les termes analogiques conviennent à la fois à la créature, ange ou être humain, et au Créateur, au Seigneur Dieu ; mais ces propriétés leur conviennent selon un mode de signifier qui est à la fois différent, à prendre les choses purement et simplement et néanmoins identique à prendre les choses sous un certain rapport. Ainsi la dignité de personne, à considérer les choses purement et simplement, est tout à fait autre selon qu'il s'agit d'une Personne divine ou au contraire d'une personne humaine ou angélique. Il reste que, sous un certain aspect, ce terme de personne, exactement le même, désigne en vérité une certaine propriété qui est pareille en Dieu, en l'ange, et en l'homme : la propriété par quoi il y a distinction et irréductibilité dans une substance spirituelle. Mais dans l'univers humain ou angélique cette propriété se tient du côté de la substance simplement ; en Dieu au contraire, Dieu dont la substance est unique, indivisible, impossible à multiplier, ce quelque chose, ce principe de distinction et d'irréductibilité se tient du côté de la relation, non certes en tant qu'elle serait un accident surajouté, mais en tant que subsistante. Le Fils possède en commun la même substance divine que le Père, -- autre Personne non autre divinité, *alius non aliud* -- ; le principe de distinction c'est que, étant le terme d'une procession (selon la connaissance) dont le Père est le principe, il a à l'égard du Père une certaine relation d'origine propre ; ou plutôt il est cette relation même. C'est en vertu de cette distinction que l'union hypostatique deviendra possible pour le Fils sans le Père, appartiendra non pas au Père mais au Fils, encore que *le Fils et le Père soient un.*
\*\*\*
187:163
Dans l'histoire du Salut la Trinité n'a pas été révélée que n'ait été révélée en même temps l'Incarnation rédemptrice. Ces Révélations confondantes ont été accordées tout d'abord à la femme bénie, à la Vierge qui allait devenir Mère de Dieu. Nous ne disons certes pas que l'Annonciation soit, au même titre que le baptême de Jésus, une Révélation de la Trinité sainte, car ce qui est directement manifesté à l'Annonciation est la descente du Verbe dans notre nature : descendit de *cœlis et incarnatus est de Spiritus Sancto ex Maria Virgine*. Mais l'Ange Gabriel ne peut instruire Notre-Dame de ce mystère qu'il ne l'éclaire aussi, indirectement, *ex obliquo*, du mystère intime des Trois Personnes. Il ne peut parler *du Fils du Très-Haut* qui va prendre vie humaine dans le sein virginal sans faire connaître par là que le même qui, à ce moment de l'histoire, va devenir Fils de Marie est, de toute éternité, Fils de Dieu. Semblablement l'Ange ne peut rassurer la Vierge Marie en lui promettant que c'est l'Esprit Saint qui formera à Jésus un corps semblable au nôtre sans faire connaître que, en Dieu, il y a un Esprit Saint, une troisième Personne, impossible à confondre avec le Fils incarné et avec son Père qui l'envoie et nous le donne. Ainsi la première révélation explicite, quoique indirecte, des Trois divines Personnes nous montre une Trinité qui est, si l'on peut ainsi dire, en état de don ; don tellement total que le Fils, sans quitter le sein du Père, deviendra cependant l'Un de nous par le *Fiat* de la Vierge, afin de nous racheter et de nous rendre participants de la vie des Trois. La première fois où Dieu a fait connaître à l'humanité, en la personne de Marie, le secret de sa vie intérieure il l'a révélé afin de se donner à nous, puisqu'il a révélé le mystère de la Trinité dans sa liaison intime avec celui de l'Incarnation rédemptrice. Par suite, lorsque nous considérons pour lui-même le mystère de la Trinité, prenons garde que Dieu nous a livré son secret non pas en vue d'une considération curieuse, intempérante et toute extérieure, mais afin de nous faire vivre de la vie de sa Trinité, dans le Christ Jésus, par Lui et avec Lui.
188:163
La Sainte Église par ses Conciles et ses définitions solennelles, les Pères et les docteurs par la voix desquels l'Église nous instruit, ont toujours apporté une vigilance extrême dans l'énoncé de la doctrine, dans le choix des termes qui traduisent et défendent le donné révélé. Ils ont fait cela afin de maintenir notre foi dans la pure vérité ; afin que, notre foi étant maintenue et garantie, devienne le principe d'une communion, aussi mystérieuse que réelle, à la vie du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; et qu'ainsi notre vie passagère en *cette vallée de larmes,* dans la grande obscurité et l'absolue certitude de la foi, nous prépare sans illusion comme sans détour, dans le Christ Jésus, à la vision éternelle et béatifique du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
R.-Th. Calmel, o. p.
189:163
### Des élus de Dieu
*Conférence du P. Emmanuel à ses religieux*
« ELECTI DOCTORES ANIMARUM FIUNT », nous dit saint Grégoire le Grand dans la vie de saint Benoît. Cette parole est très grande et très précieuse. Il convient de la méditer. Il y a dans l'Église un double ministère institué pour le salut des âmes. Le premier est tout visible, c'est l'ordre hiérarchique, institué pour la dispensation des sacrements, il faut que tout fidèle, pour être sanctifié, passe sous l'action de ce premier ministère. Mais il y a un autre ministère, non plus visible toujours mais en partie visible, en partie invisible, qui est également ordonné au salut des âmes. C'est le ministère des élus. C'est à celui-là que saint Grégoire fait allusion quand il dit : « *Les élus sont les docteurs des âmes *»*.* Le premier ministère répond en quelque manière aux grâces suffisantes que Dieu prépare avec abondance pour le salut de tous ; le second à quelque chose de plus intime, de plus efficace. Le type du premier, c'est, par exemple, l'assemblée des douze Apôtres sous leur chef : saint Pierre ;
190:163
le type du second, c'est par exemple, saint Paul apôtre aussi, ayant reçu sa mission de Notre-Seigneur lui-même, et toutefois en dehors des douze. En parlant de ce ministère des élus, je n'entends pas un ministère indépendant du ministère hiérarchique. Tout au contraire ce ministère est essentiellement dépendant : il s'exerce, il agit dans la dépendance du premier. Voyez saint Paul : il a reçu sa mission de Notre-Seigneur lui-même : et néanmoins son premier soin est de conférer son Évangile avec Pierre.
Quiconque jette les yeux sur le ministère hiérarchique aperçoit le corps de l'Église avec ses jointures et ses liaisons. Mais celui qui considère le second aperçoit, en vérité, l'âme de l'Église, c'est-à-dire les opérations secrètes, intimes du Saint-Esprit au moyen de certaines âmes ordinairement cachées aux yeux du grand nombre et quelquefois inconnues à tous. Il n'y a rien de comparable à ce spectacle des élus qui travaillent à sauver des âmes. On peut affirmer que tous les élus y travaillent et s'aident mutuellement à se sauver. Ils sont tous docteurs à leur manière, tous sauveurs à la ressemblance de Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST.
Il y a des élus en qui le caractère hiérarchique concourt avec cette puissance merveilleuse d'attraction et de salut. Ils font assurément un bien immense. Tels les Grégoire le Grand ; tels les Pie IX. Il y en a d'autres qui, en dehors du ministère hiérarchique, ont une mission très efficace pour le salut des âmes ; ou qui par la vertu de cette mission, alors qu'ils sont attachés à un degré de hiérarchie, étendent leur influence à toute l'Église. Tels apparaissent, parmi les premiers : saint Benoît et saint François d'Assise : qui dira le nombre d'âmes qu'ils ont attirées après eux à Notre-Seigneur ? Tels dans le second ordre, les Charles Boromée, les François de Sales : il est clair que toute l'Église a reçu d'eux une influence de sanctification.
Mais il y a en outre les sauveurs d'âmes absolument inconnus, oubliés, qui par la vertu de leurs prières silencieuses, attirent à Notre-Seigneur grand nombre d'âmes par les grâces qu'elles obtiennent : et ces âmes leur forment une couronne au Paradis.
191:163
C'est principalement ainsi que sainte Thérèse a sauvé un nombre incroyable d'âmes, de son vivant, alors qu'elle n'était qu'une fille passablement méprisée qui s'appelait Thérèse. Ainsi encore aujourd'hui bien souvent ce n'est point le prêtre qui est le sauveur des âmes dans une paroisse, mais telle pauvre femme inconnue. Ce prédicateur qui s'agite en chaire et fait du bruit ne doit point s'attribuer les conversions qui suivent sa parole elles sont procurées à Notre-Seigneur par un pauvre petit élu du bon Dieu qui est ignoré de la foule. C'est ainsi que Dieu se plaît à opérer dans un grand secret. Et ce secret, il faut l'adorer, et pour l'adorer le connaître quelque peu.
Il y a ordinairement dans un siècle quelques élus du bon Dieu, qui sauvent le grand nombre des âmes qui se sauvent. Mais en général, ils sont inconnus : ou du moins ils ne sont pas mis en relief. Un ou deux siècles après, on commence à y voir un peu clair. Ah ! vraiment c'était cet évêque savoyard, c'était ce prêtre landais, c'était cette femme veuve, qui étaient il y a deux siècles les grands sauveurs des âmes, et leur influence de salut n'a point cessé à leur mort. Car combien d'âmes encore aujourd'hui se sauvent par saint François de Sales, saint Vincent de Paul, sainte Jeanne de Chantal, la Bienheureuse Marie de l'Incarnation ! Et remarquez comment ces élus de Dieu se présentent les uns les autres, s'attirent réciproquement, s'unissent pour leur œuvre incomparable ! Mais il y aura de bien autres révélations au jugement de Dieu. Aujourd'hui il y a même des âmes qui travaillent puissamment et efficacement : mais combien sont-elles inconnues. Toutefois au commencement du siècle il semble que Notre-Seigneur ait voulu manifester en Anna Maria Taïgi le mystère de ces élections secrètes, impénétrables. Et tout récemment encore nous avons vu dans le curé d'Ars un de ces sauveurs d'âmes dont la vertu est un prodige de la grâce de Dieu. Il y a donc au ciel des familles d'âmes, et comme des générations. Il est très certain que les élus de Dieu enfantent très réellement les âmes qu'ils sauvent. Saint Paul se glorifiait grandement de cette paternité, aussi disait-il à ses enfants spirituels : « Vous avez beaucoup de maîtres, mais vous n'avez qu'un seul père. »
192:163
Et nous-mêmes ne nous disons-nous pas les enfants de saint Benoît. Dirai-je les enfants ? Non, mais au moins les avortons : puisse ce grand Saint, notre Père, nous amener à une complète formation dans le Christ ! Puissions-nous être au ciel les membres de cette famille innombrable qu'il présente à Notre-Seigneur. Saint Grégoire, en (disant) le mot qui nous occupe, nous révèle en même temps comment les élus de Dieu arrivent à ce point d'être les docteurs des âmes : c'est lorsque, par des actions héroïques de vertus, ils ont assuré leur propre élection. Car saint Benoît devient docteur des âmes lorsqu'il dompte pour jamais la révolte de la chair. Ainsi affermis en Notre-Seigneur et liés à Lui inébranlablement, ils deviennent des anneaux qui Lui rattachent plusieurs âmes. C'est ainsi que sur la terre s'édifie la céleste Jérusalem.
Rien n'est beau, rien n'est grand, rien n'est divin comme le spectacle de cette édification : mais ce spectacle n'est bien connu que de Dieu seul et de l'Agneau. Il est la Tête, le premier Anneau attaché indissolublement à Dieu même mais d'autres sont attachés à lui, et d'autres par ceux-là. Le mystère de la Rédemption s'opère ainsi par des voies admirables et impénétrables et s'opérera ainsi jusqu'au dernier élu.
Oh ! mes frères, puisque nous aspirons à être de la famille de Saint Benoît, prions ce grand Saint d'être vraiment notre Père !
#### Commentaire par D. Minimus.
Trop heureux de pouvoir donner place au P. Emmanuel, nous ajoutons quelques mots cependant à ces pages écrites il y a environ cent ans et qui de ce fait même appellent quelques commentaires.
193:163
Vous y voyez quel cas le P. Emmanuel fait de Pie IX. Ce saint pape avait accordé séance tenante à un jeune curé de 27 ans, l'abbé André, qui devait devenir le P. Emmanuel, la nouvelle fête que ce dernier lui demandait sous le nom de Notre-Dame de la Sainte-Espérance. Cette condescendance rarissime d'accorder ainsi une nouvelle fête dans l'Église venait de ce que le bon pape voyait s'accomplir par un jeune prêtre un désir de sa propre jeunesse. Et ce jeune homme était inspiré ; à Rome toujours avant l'audience il avait reçu l'avertissement spirituel que sa jeune sœur malade faisait sa première communion dans son lit, recevait les derniers Sacrements et qu'il ne la reverrait plus. Six jours après l'audience du Saint-Père, encore à Rome, le futur P. Emmanuel se trouva éveillé durant la nuit vers une heure du matin et dans une lumière d'en haut, il vit que sa jeune sœur venait de mourir. Elle avait onze ans.
Le jeune abbé André pleura beaucoup. Ainsi la grande grâce accordée par le Saint-Père, le décès d'une enfant joyeuse d'aller au ciel et les avertissements célestes avaient instruit le jeune homme en même temps de sa mission et du prix terrestre qu'il fallait s'accoutumer à payer.
La mission du P. Emmanuel allait être d'enseigner que si la foi sans les œuvres est une foi morte, la grande œuvre de la foi est de donner naissance à la vertu théologale d'espérance ; l'œuvre de la Sainte Vierge dans sa paroisse fut de former les âmes à ordonner leur vie en vue du ciel. Cette œuvre n'est pas aussi facile qu'il paraît à le dire ; elle demande un examen de conscience quasi constant.
Or, nous l'apprenons peut-être à beaucoup de nos lecteurs, l'intention de Jean XXIII et des organisateurs romains du dernier concile était d'y proclamer la sainteté de Pie IX. Et comme l'un des actes du Saint pontife avait été la création de la fête de Notre-Dame de la Sainte-Espérance, un évêque italien chargé de cette enquête vint s'assurer de la qualité de cette création. Notre-Seigneur avait dit aux Apôtres entre la Cène et l'Agonie : (Jean XV, 16) « *Je vous ai posés, pour que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure. *»
Le P. Emmanuel fut nommé curé du Mesnil pour Noël 1849. Son voyage à Rome s'accomplit dans l'été 1852 ; il est mort en 1903. Trente ans après, sous l'autorité d'un saint prêtre, l'abbé Thiriot, cette œuvre était intacte.
194:163
Elle est affaiblie aujourd'hui par les transformations sociales et l'incroyable déficience du monde ecclésiastique, mais dure toujours par la grâce de Dieu et précisément par l'action de cette Église des élus qui, dans le ciel et sur la terre, fait le sujet de la conférence plus haut reproduite.
\*\*\*
La Très Sainte Vierge ne fait pas partie de l'Église hiérarchique ; S. Pierre parlait et commandait ; et il est bon, il est urgent de rester attaché à son successeur, quitte à exposer nettement et respectueusement notre avis lorsqu'il ne s'agit pas du dogme proprement dit. Le Saint Père ne peut pas tout savoir ; il peut même avoir des idées fausses sur la charpente ou la meilleure manière de soutenir la tour de Pise, ce qui le conduirait à agir imprudemment.
S. Paul est donné par le P. Emmanuel comme le type de l'homme appartenant au ministère des élus. S. Paul va consulter S. Pierre sur la doctrine pour être sûr de la sienne. Et dans l'épître aux Galates il ajoute (2, 11)
« Mais quand Céphas (Pierre) vint à Antioche je lui résistai en face, parce qu'il était visiblement en faute. En effet, avant l'arrivée de certains de l'entourage de Jacques, il mangeait avec les Gentils. Mais à leur arrivée, il se retira et se tint à l'écart par crainte de ceux de la circoncision. Et à sa dissimulation s'associèrent aussi les autres Juifs, en sorte que Barnabé lui-même fut entraîné dans leur dissimulation.
« Mais quand je vis qu'ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l'Évangile, je dis à Céphas en présence de tous : « Si toi qui es Juif, tu vis à la manière des Gentils et non à celle des Juifs, comment peux-tu contraindre les Gentils à judaïser ? »
S. Pierre était déjà diplomate et dans l'Église des élus on ne l'a été que bien rarement. S. Paul lui-même pourtant circoncit Timothée chrétien, dont le père était grec et la mère juive. Ce ne pouvait être que pour qu'on l'admît dans les synagogues. La diplomatie était déjà bien connue au temps de Rébecca...
195:163
Mais il serait bien imprudent de se croire soi-même de l'Église des élus quand on a tant de péchés à se reprocher. Le P. Emmanuel, qui en était, ne s'y place pas, avec juste raison. Cependant il disait au moment de sa mort : « *J'ai au ciel une paroisse qui m'attend. *» Mais il estimait que cette paroisse était l'œuvre de la Sainte Vierge. Soixante-dix ans après sa mort on commence à s'apercevoir qu'il a vécu et qu'il pourrait bien être de la cité des élus.
Mais le ministère des élus n'est pas sans un chef et ce chef n'est autre que la Vierge Marie ; vous la saluez vous-même reine des anges, reine des patriarches, reine des prophètes... Les prophètes en longue suite, enseignant petit à petit les signes qui feraient reconnaître le Messie, n'appartenaient pas à la hiérarchie du Temple ; ils furent persécutés par elle. Isaïe fut scié et finalement elle fit crucifier Jésus. Elle avait la garde de la loi de Moïse, comme la nôtre a la garde de la Révélation. Elle n'aimait pas que Dieu parlât à qui lui plaisait sans passer par elle. C'était le cas des prophètes, chargés d'avertir soit de l'aveuglement des grands prêtres et du peuple juif, soit de la conduite à tenir dans les événements de leur temps, soit dans l'avenir.
Rien d'étonnant que la nôtre suspecte la Sainte Vierge et les efforts que le Père lui suggère pour éclaircir la vue de la chrétienté. Elle n'appartient pas à l'Église hiérarchique, elle est la reine du ministère des élus. A Rome l'Église reconnaît généralement de bon cœur cette aide du ministère des élus et particulièrement de la T. S. Vierge. Après l'apparition de La Salette en septembre 1846, il y eut enquête de l'autorité diocésaine ; cette enquête dura trois ans. Enfin le 18 juillet 1851 les envoyés de l'évêque de Grenoble allèrent porter au Saint-Père les conclusions des enquêteurs ainsi que les « Secrets » des deux voyants que ces enfants avaient écrits pour la circonstance, et scellés eux-mêmes pour que le pape en eût le premier connaissance. Les envoyés de Grenoble rendirent visite au cardinal Fornari, ancien nonce en France, qui leur dit :
« *Je suis effrayé de tels prodiges : nous avons dans la Religion tout ce qu'il faut pour la conversion des pécheurs, et quand le Ciel emploie de tels moyens, il faut que le mal soit grand.* »
196:163
Il n'a fait que grandir, mais si Rome fut favorable au fait de la Salette, les évêques français lui firent une franche opposition dont on peut dire qu'elle continue sourdement par le mépris affiché des deux voyants.
Sans Rome jamais S. François n'aurait eu les permissions qui l'autorisèrent à prêcher partout sur les matières morales. Sans Rome, Cluny aurait été contrarié dans chaque évêché ; Rome a généralement su se servir heureusement pour le bien de la chrétienté de ce ministère des élus. S. Paul, à la veille de son martyre, écrivait à Timothée (II Tim. 2, 1) : « *Toi donc, mon enfant, fortifie-toi en la grâce qui est dans le Christ Jésus, et ce que tu as entendu de moi avec beaucoup d'autres témoins, confie-le à des hommes sûrs qui soient capables d'en instruire aussi d'autres. *» Timothée était évêque ; il lui dit encore (2, 12-18) : « *Si nous le renions lui aussi nous reniera... Rappelle leur cela, les adjurant devant Dieu d'éviter les disputes de mots, qui ne servent à rien si ce n'est à la ruine de ceux qui écoutent. *» Cela veut dire que la théologie doit partir de la Révélation et non de la philosophie. Or tous nos fameux « chercheurs » partent de la philosophie moderne et aboutissent à transformer la Révélation ; cette philosophie moderne descend et dépend de Kant.
\*\*\*
Nous n'avons donc aucune assurance aujourd'hui que les hommes à qui l'on confia le dépôt soient des hommes sûrs. Un religieux écrivait dans *Le Monde* au 28 août 1971 : « L'Église retarde donc d'un siècle. C'est au moment où la Science prenait son plein essor qu'elle aurait dû prendre au sérieux les problèmes qu'elle lui posait et réviser ce qui dans son enseignement relevait de représentations mythiques. » Comme si la science pouvait poser des problèmes à une révélation. Voltaire se moquait de la Bible parce que la lumière y était créée avant le soleil. Or il est bien évident qu'il y eut de la lumière avant l'existence du soleil. Là-dessus ce religieux écrivait un livre où les évangiles de l'Enfance sont attribués à l'imagination littéraire des évangélistes. S. Luc aurait simplement copié et agrémenté l'annonciation à la mère de Samson. L'annonce aux bergers dans la nuit de Noël serait simplement l'utilisation d'une hymne de la société chrétienne primitive ainsi passée dans l'Évangile.
197:163
C'est là sans doute le genre de science révéré de ce religieux. Or c'est pure conjecture : il n'y a rien, rien du tout pour l'appuyer, sinon que ce religieux ne croit probablement pas aux Anges dont Notre-Seigneur a dit (Matt. 18, 10) : « *Voyez à ne pas dédaigner un seul de ces petits car je vous dis que leurs anges dans les cieux contemplent constamment la face de mon Père céleste. *»
Nous préférons croire aux apôtres qui ont donné leur vie pour défendre leur témoignage. Car là-dessus ce religieux fut consacré évêque et nommé cardinal : c'est le P. Daniélou. Vous pouvez vous procurer son livre, c'est un livre de propagande, il est très bon marché ([^74]).
\*\*\*
Que de pénitences se prépare l'Église de Dieu ! Que de prières et de pénitences nous devons accepter d'accumuler pour obtenir miséricorde ! C'est justement ce que la Sainte Vierge vient demander un peu partout dans le monde sous le mépris d'une grande partie de l'Église hiérarchique.
D. Minimus.
198:163
### LA COMMUNION DANS LA MAIN
On ne sait plus d'où est venue ni comment s'est installée « la communion dans la main ». Ni quand. Ni, par suite, quel degré d'autorité s'y attache, quelle mesure de respect lui est due.
Cela s'est passé en 1969. Nous avons à l'époque publié les observations nécessaires, qui ont ultérieurement inspiré la plupart des commentateurs. Pourtant tout cela s'éloigne et s'estompe dans le passé. Seul demeure ce rite, facultatif pour les adultes, mais très souvent imposé aux enfants des écoles et des catéchismes.
Voici donc rassemblés :
1\. -- Les trois textes officiels de 1969, dans leur version intégrale.
2\. -- Notre commentaire sur « le processus de la communion dans la main ».
199:163
I. -- Les textes officiels
#### L'Instruction "Memoriale Domini"
*du 29 mai 1969*
Instruction de la Congrégation du culte divin\
rédigée par mandat spécial du pape Paul VI\
et approuvée par lui-même\
en vertu de son autorité apostolique ([^75])
En célébrant le mémorial du Seigneur, l'Église affirme par ce rite sa foi et l'adoration du Christ, présent dans le sacrifice et offert en nourriture à ceux qui participent à la table eucharistique.
C'est pourquoi elle tient beaucoup à ce que l'Eucharistie soit célébrée et qu'on y participe de la façon la plus digne et la plus fructueuse, en gardant dans toute sa pureté la tradition -- parvenue jusqu'à nous avec un certain développement -- dont les richesses sont passées dans les usages et la vie de l'Église. Les documents historiques nous montrent en effet que l'Eucharistie a été célébrée et distribuée de multiples façons. Et de nos jours des changements importants et nombreux ont été introduits dans le rite de la célébration de l'Eucharistie, afin qu'il réponde mieux aux besoins spirituels et psychologiques des hommes d'aujourd'hui.
200:163
De plus, dans la discipline relative au mode de participation des fidèles au divin sacrement a été rétabli, dans certaines circonstances, l'usage de la communion sous les deux espèces du pain et du vin, qui était autrefois commun, également dans le rite latin, et qui ensuite est progressivement tombée en désuétude. L'état de choses ainsi instauré s'était déjà généralisé au moment du Concile de Trente, lequel le sanctionna et le défendit par une doctrine dogmatique, parce qu'il convenait à la situation de cette époque ([^76]).
La communion dans la main\
Aperçu historique
Par ces éléments de renouveau, le signe du banquet eucharistique et l'accomplissement fidèle du mandat du Christ sont devenus plus manifestes et vivants. Mais en même temps, ces dernières années, la participation plus complète à la célébration eucharistique, exprimée par la communion sacramentelle, a suscité ça et là le désir de revenir à l'ancien usage de déposer le pain eucharistique dans la main du fidèle, lequel se communie lui-même en le portant à sa bouche.
Dans certains endroits et dans certaines communautés, cette façon de faire est pratiquée, bien que le Saint-Siège n'ait pas encore donné l'autorisation demandée et que parfois cette pratique ait été introduite sans que les fidèles y aient été préparés convenablement.
Il est certes vrai qu'en vertu d'un usage ancien, les fidèles ont pu autrefois recevoir cet aliment divin dans la main et le porter eux-mêmes à la bouche. Il est également vrai que, dans des temps très anciens, ils ont pu emporter le Saint Sacrement avec eux, depuis l'endroit où était célébré le Saint-Sacrifice, avant tout pour s'en servir comme viatique dans le cas où ils auraient à affronter la mort pour confesser leur foi.
Cependant, les prescriptions de l'Église et les textes des Pères attestent abondamment le très profond respect et les très grandes précautions qui entouraient la sainte Eucharistie. Ainsi, « que personne... ne mange cette chair s'il ne l'a auparavant adorée ([^77]) », et à quiconque la mange est adressé cet avertissement : « ...Reçois ceci, en veillant à n'en rien perdre ([^78]) » : « C'est en effet le Corps du Christ ([^79]) ».
201:163
De plus, le soin et le ministère du Corps et du Sang du Christ étaient confiés d'une façon toute spéciale aux ministres sacrés ou aux hommes désignés et à cet effet : « Après que celui qui préside a récité les prières et que le peuple tout entier a acclamé, ceux que nous appelons les diacres distribuent à tous ceux qui sont présents, et portent aux absents, le pain, le vin et l'eau sur lesquels ont été données les grâces ([^80]). »
Avantage de la pratique traditionnelle
Aussi, la fonction de porter la Sainte Eucharistie aux absents ne tarda-t-elle pas à être confiée uniquement aux ministres sacrés, afin de mieux assurer le respect dû au Corps du Christ, et en même temps de mieux répondre aux besoins des fidèles. Par la suite, lorsque la vérité et l'efficacité du mystère eucharistique, ainsi que la présence du Christ en lui, ont été plus approfondies, on a mieux ressenti le respect dû à ce Très Saint Sacrement et l'humilité avec laquelle il doit être reçu, et la coutume s'est établie que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de pain consacré.
Compte tenu de la situation actuelle de l'Église dans le monde entier, cette façon de distribuer la sainte communion doit être conservée, non seulement parce qu'elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais surtout parce qu'elle exprime le respect des fidèles envers l'Eucharistie. Par ailleurs, cet usage ne blesse en rien la dignité personnelle de ceux qui s'approchent de ce sacrement si élevé, et il fait partie de la préparation requise pour recevoir le Corps du Seigneur d'une façon très fructueuse ([^81]).
Ce respect exprime bien qu'il s'agit non pas « d'un pain et d'une boisson ordinaires » ([^82]), mais du Corps et du Sang du Seigneur, par lesquels « le peuple de Dieu participe aux biens du sacrifice pascal, réactualise l'alliance nouvelle scellée une fois pour toutes par Dieu avec les hommes dans le Sang du Christ, et dans la foi et l'espérance préfigure et anticipe le banquet eschatologique dans le Royaume du Père ([^83]). »
202:163
De plus, cette façon de faire, qui doit déjà être considérée comme traditionnelle, assure plus efficacement que la sainte communion soit distribuée avec le respect, le décorum et la dignité qui lui conviennent ; que soit écarté tout danger de profanation des espèces eucharistiques, dans lesquelles, « d'une façon unique, le Christ total et tout entier, Dieu et homme, se trouve présent substantiellement et sous un mode permanent ([^84]) » ; et qu'enfin soit attentivement respecté le soin que l'Église a toujours recommandé à l'égard des fragments de pains consacré : « Ce que tu as laissé tomber, considère que c'est comme une partie de tes membres qui vient à te manquer ([^85]). »
L'enquête auprès des évêques de l'Église latine
Aussi devant les demandes formulées par un petit nombre de Conférences épiscopales, et certains évêques à titre individuel, pour que sur leur territoire soit admis l'usage de déposer le pain consacré dans les mains des fidèles, le Souverain Pontife a-t-il décidé de demander à tous les évêques de l'Église latine ce qu'ils pensent de l'opportunité d'introduire ce rite. En effet, des changements apportés dans une question si importante, qui correspond à une tradition très ancienne et vénérable, non seulement touchent la discipline, mais peuvent aussi comporter des dangers qui, comme on le craint, naîtraient éventuellement de cette nouvelle manière de distribuer la sainte communion, c'est-à-dire : un moindre respect pour l'auguste sacrement de l'autel ; une profanation de ce sacrement ; ou une altération de la vraie doctrine.
C'est pourquoi trois questions ont été posées aux évêques, dont les réponses s'établissent ainsi à la date du 12 mars dernier :
203:163
1\. Pensez-vous qu'il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ?
*Placet* (oui) : 567 ;
*Non placet* (non) : 1233 ;
*Placet juxta modum* (oui, avec réserves) : 315 ;
Réponses non valides : 20.
2\. Aimeriez-vous que ce nouveau rite soit expérimenté d'abord dans de petites communautés, avec l'autorisation de l'Ordinaire du lieu ?
*Placet *: 751 ;
*Non placet *: 1215 ;
Réponses non valides : 70.
3\. Pensez-vous qu'après une bonne préparation catéchétique, les fidèles accepteraient volontiers ce nouveau rite ?
*Placet *: 835 ;
*Non placet *: 1185 ;
Réponses non valides : 128.
Ces réponses montrent donc qu'une forte majorité d'évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle ; et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles.
Conséquence : la pratique traditionnelle\
doit être maintenue
C'est pourquoi, compte tenu des remarques et des conseils de ceux que « l'Esprit Saint a constitués intendants pour gouverner » les Églises ([^86]), eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, le Souverain Pontife n'a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles.
Aussi, le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l'épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie et enfin le bien commun de l'Église.
204:163
Mais là où s'est déjà introduit un usage différent -- celui de déposer la sainte communion dans la main -- le Saint-Siège, afin d'aider les Conférences épiscopales à accomplir leur tâche pastorale, devenue souvent plus difficile dans les circonstances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d'écarter tout risque de manque de respect ou d'opinions fausses qui pourraient s'insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d'éviter soigneusement tous autres inconvénients.
De plus, en pareils cas, pour que cet usage s'établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation ([^87]), accompagnées d'un exposé précis des causes qui les ont motivées. Le Saint-Siège examinera chaque cas attentivement, en tenant compte des liens existant entre les différentes églises locales, ainsi qu'entre chacune d'elles et l'Église universelle, afin de promouvoir le bien commun et l'édification commune, et afin que l'exemple mutuel accroisse la foi et la piété.
Cette instruction, rédigée par mandat spécial du Souverain Pontife Paul VI, a été approuvée par lui-même, en vertu de son autorité apostolique, le 28 mai 1969, et il a décidé qu'elle soit portée à la connaissance des évêques par l'intermédiaire des présidents des Conférences épiscopales.
Nonobstant toutes dispositions contraires. A Rome, le 29 mai 1969.
Benno, Gard. GUT*, préfet.\
*A. BUGNINI, *secrétaire.*
205:163
#### La Lettre de la Congrégation du culte divin, 6 juin 1969
Cette lettre, écrite en français, est adressée au président de la Conférence épiscopale française. Elle répond à une demande présentée par ladite Conférence épiscopale. Le texte de cette demande n'a pas été publié.
En réponse à la demande présentée par votre Conférence épiscopale sur la permission de distribuer la communion en déposant l'hostie dans la main des fidèles, je suis en mesure de vous transmettre la communication suivante ([^88])
Tout en rappelant ce qui fait l'objet de l'instruction ci-jointe, en date du 29 mai 1969, sur le maintien en vigueur de l'usage traditionnel, le Saint-Père a pris en considération les motifs invoqués à l'appui de votre demande et les résultats du vote qui est intervenu à ce sujet. Il accorde que, sur le territoire de votre Conférence épiscopale, chaque évêque, selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser dans son diocèse l'introduction du nouveau rite pour distribuer la communion, à condition que soient évités toute occasion de surprise de la part des fidèles et tout danger d'irrévérence envers l'eucharistie. Pour cela, on tiendra compte des normes suivantes :
207:163
1\. La nouvelle manière de communier ne devra pas être imposée d'une manière qui exclurait l'usage traditionnel. Il importe notamment que chaque fidèle ait la possibilité de recevoir la communion sur la langue, là où sera concédé légitimement le nouvel usage et lorsque viendront communier en même temps d'autres personnes qui recevront l'hostie dans la main. En effet, les deux manières de communier peuvent coexister sans difficulté dans la même action liturgique. Cela pour que personne ne trouve dans le nouveau rite une cause de trouble à sa propre sensibilité spirituelle envers l'eucharistie et pour que ce sacrement, de sa nature source et cause d'unité, ne devienne pas une occasion de désaccord entre les fidèles.
2\. Le rite de la communion donnée dans la main du fidèle ne doit pas être appliqué sans discrétion. En effet, puisqu'il s'agit d'une attitude humaine, elle est liée à la sensibilité et à la préparation de celui qui la prend. Il convient donc de l'introduire graduellement en commençant par des groupes et des milieux qualifiés et plus préparés. Il est nécessaire surtout de faire précéder cette introduction par une catéchèse adéquate afin que les fidèles comprennent exactement la signification du geste et accomplissent celui-ci avec le respect dû au sacrement. Le résultat de cette catéchèse doit être d'exclure quelque apparence que ce soit de fléchissement dans la conscience de l'Église sur la foi en la présence eucharistique et aussi quelque danger que ce soit ou simplement apparence de danger de profanation.
3\. La possibilité offerte au fidèle de recevoir dans la main et de porter à la bouche le pain eucharistique ne doit pas lui offrir l'occasion de le considérer comme un pain ordinaire ou une chose sacrée quelconque ; elle doit, au contraire, augmenter en lui le sens de sa dignité de membre du Corps mystique du Christ, dans lequel il est inséré par le baptême et par la grâce de l'eucharistie, et aussi accroître sa foi en la grande réalité du corps et du sang du Seigneur qu'il touche de ses mains. Son attitude de respect sera proportionnée à ce qu'il accomplit.
4\. Quant à la manière de faire, on pourra suivre les indications de la tradition ancienne, qui mettait en relief la fonction ministérielle du prêtre et du diacre, en faisant déposer l'hostie par ceux-ci dans la main du communiant. On pourra cependant adopter aussi une manière plus simple en laissant le fidèle prendre directement l'hostie dans le vase sacré. En tout cas, le fidèle devra consommer l'hostie avant de retourner à sa place et l'assistance du ministère sera soulignée par la formule habituelle : « Le Corps du Christ », à laquelle le fidèle répondra : « Amen ».
207:163
5\. Quelle que soit la formule adoptée, qu'on fasse attention à ne pas laisser tomber ni se disperser des fragments du pain eucharistique comme aussi à la propreté convenable des mains et à la bonne tenue des gestes selon les usages des divers peuples.
6\. Dans le cas de la communion sous les deux espèces distribuée par intinction, il n'est jamais permis de déposer dans la main du fidèle l'hostie trempée dans le sang du Seigneur.
7\. Les évêques qui auront permis l'introduction du nouveau mode de communion sont priés d'envoyer à cette S. congrégation, d'ici à six mois, un rapport sur le résultat de cette concession.
Je profite de l'occasion pour vous exprimer, Révérendissime, mes sentiments de profonde estime.
Benno, Card. GUT, préfet.\
R. BUGNINI, secrétaire.
208:163
#### La Note du Conseil permanent de l'épiscopat français, 19 juin 1969
Cette « Note » a paru elle aussi dans la *Documentation catholique* du 20 juillet 1969. Il y est précisé qu'elle a été publiée par le Conseil permanent « au terme de sa réunion qui s'est tenue à Paris du 17 au 19 juin 1969 ».
La *Documentation catholique* précise en outre :
En présentant cette note, le 25 juin, le Secrétariat national français de l'opinion publique précise : « Le Conseil permanent insiste pour que la communion dans la main ne soit rendue nulle part obligatoire. L'histoire nous apprend que les fidèles ont reçu ainsi la communion pendant *les dix premiers siècles de l'Église.* C'est désormais à chacun de choisir, pour recevoir la communion, la manière qui, pour lui, exprimera le mieux la démarche du chrétien recevant dans la foi le Corps du Christ. Ainsi seront respectées la *sensibilité spirituelle et la liberté* de chacun. »
La note est précédée de l'avertissement suivant :
« Cette note est mise à la disposition des évêques et peut être publiée dans *la Semaine religieuse* du diocèse si l'évêque autorise dans son diocèse la distribution de la communion dans la main. Cette faculté pourra être mise en œuvre à partir du 29 juin 1969. »
L'an passé, plusieurs épiscopats d'Europe ont attiré l'attention du Saint-Père sur le fait que, dans les communautés dont ils avaient la charge, le souhait de voir se rétablir l'antique coutume consistant, pour les fidèles, à recevoir la communion dans la main était de plus en plus fortement exprimé.
209:163
I. -- La réponse de Rome
Après avoir interrogé tous les évêques du monde sur l'opportunité d'introduire dans toute l'Église cette manière de faire nouvelle pour notre temps, le Pape vient de faire connaître les résultats de cette consultation : la majorité des évêques n'est pas favorable à ce que, d'une manière générale, la communion dans la main soit substituée à l'actuelle manière de faire, et ceci en raison des risques de manque de respect envers les saintes espèces et des dangers que ces manques de respect peuvent faire courir à la foi. Les situations et les mentalités sont en effet très diverses suivant les pays. Cependant, le Saint-Père prend en considération le fait que des désirs très nets s'expriment dans certaines régions pour que les fidèles puissent recevoir la sainte communion dans la main.
C'est le cas de la France où les évêques ont souhaité pouvoir laisser s'introduire, à côté de la manière de faire habituelle, la coutume de donner la communion dans la main tout en réalisant la catéchèse nécessaire. En raison des motifs pastoraux exposés par la Conférence épiscopale française et pour aider les évêques dans leur charge, le Saint-Père, par une communication de la Congrégation pour le culte divin en date du 6 juin, accorde que, dans notre pays, « chaque évêque, selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser dans son diocèse l'introduction du nouveau rite pour distribuer la communion à condition que soient évités toute occasion de surprise de la part des fidèles et tout danger d'irrévérence envers l'eucharistie ».
II\. -- Cette réponse invite\
à une réflexion commune
La possibilité qui vient d'être ainsi accordée aux fidèles de recevoir la communion soit dans la main, soit sur les lèvres, doit être pour tous, prêtres et fidèles, l'occasion d'une réflexion sérieuse sur les points suivants :
Respect de la sensibilité spirituelle\
de chacun :
L'éducation reçue par un grand nombre de chrétiens, quel que soit leur degré de culture humaine, a lié dans leur esprit le respect dû aux saintes espèces, la foi en la présence réelle et la consigne de ne jamais toucher l'hostie, fût-ce avec les dents.
210:163
La possibilité qui peut maintenant être offerte aux fidèles de tenir le pain eucharistique dans leur main pour le porter eux-mêmes à leur bouche constitue donc une nouveauté qui ne manquerait pas de heurter gravement certains si cette manière de faire se trouvait imposée, dans leur paroisse ou dans leur communauté, par une mesure autoritaire.
Si la plupart des réformes de la liturgie se présentent comme de simples possibilités offertes au peuple chrétien, c'est justement pour que soient respectés le cheminement et la sensibilité de chaque communauté et de chacun dans ces communautés.
Dans le cas présent, le document romain déclare que tout doit être fait « pour que personne ne trouve dans le nouveau rite une cause de trouble à sa propre sensibilité spirituelle envers l'eucharistie et que ce sacrement, de sa nature source et cause d'unité, ne devienne pas une occasion de désaccord entre les fidèles ». Le document ajoute : « Puisqu'il s'agit d'une attitude humaine, elle est liée à la sensibilité et à la préparation de celui qui la prend. »
Approfondissement de la foi en la présence\
eucharistique du Christ
Le Christ est présent sous divers modes dans son Église et par l'action de celle-ci dans le monde. Il est spécialement présent dans les célébrations liturgiques. Il est présent « au degré le plus éminent dans les espèces eucharistiques. Dans ce sacrement, en effet, est présent d'une façon incomparable, le Christ total et complet, Dieu et homme, d'une façon substantielle et permanente. Cette présence du Christ sous les espèces est appelée réelle non à titre exclusif, comme si les autres présences ne l'étaient pas, mais par excellence ([^89]) ».
Cette foi de l'Église en la présence réelle doit être soutenue et s'exprimer par un respect tout particulier des saintes espèces. Que le chrétien reçoive l'hostie sur les lèvres ou dans la main, il importe que « personne ne mange le Corps du Christ sans d'abord l'avoir adoré ([^90]) ».
211:163
Sens de la dignité de l'homme\
sauvé par Jésus-Christ
Rien dans l'homme, pas plus la bouche que la main, ne serait digne de recevoir le Corps du Christ si l'homme tout entier ne recevait cette dignité d'un don gratuit de Dieu. Déjà, par l'incarnation du Fils de Dieu, la nature humaine, créée par Dieu, a été élevée dans tout homme à une dignité sans égale ([^91]). Bien plus, par le baptême et par la grâce de l'Eucharistie, Dieu fait de l'homme un membre du Corps mystique du Christ. A la suite de saint Paul ([^92]), le Pape saint Léon déclare : « Reconnais, ô chrétien, ta dignité... Souviens-toi de quelle tête et de quel corps tu es membre ([^93]). »
C'est donc dans une attitude d'action de grâce pour ce don de Dieu qui le sanctifie tout entier que le chrétien s'approche de l'eucharistie. L'introduction de la nouvelle manière de communier doit être pour tous les chrétiens l'occasion de renouveler en eux le sens de la dignité qu'ils ont reçue de Dieu et par là d'accroître le respect qu'ils doivent avoir d'eux-mêmes et des autres hommes sauvés par Jésus-Christ.
III\. -- Normes pour la mise en application
1\. *La nouvelle manière de communier ne devra pas être imposée* d'une manière qui exclurait l'usage traditionnel. Il importe notamment que chaque fidèle ait la possibilité de recevoir la communion sur les lèvres, là où sera concédé légitimement le nouvel usage et lorsque viendront communier en même temps d'autres personnes qui recevront l'hostie dans la main.
2\. *Il est nécessaire de faire précéder cette introduction par une catéchèse adéquate* afin que les fidèles comprennent exactement la signification du geste. Ils pourront ainsi choisir la manière de recevoir le pain eucharistique qui, pour chacun d'eux, exprimera le mieux la démarche du chrétien recevant dans la foi le Corps du Christ. Cette catéchèse saura en outre renouveler chez les chrétiens le souci que rien ne se perde du pain eucharistique, comme celui de la beauté et de la dignité des objets et des gestes qui ont rapport à l'eucharistie. Cet effort sera mené avec une attention particulière auprès des enfants.
3\. *Quant à la manière de faire,* on peut distinguer deux moments : celui où le fidèle reçoit l'hostie et celui où il la porte à sa bouche pour s'en communier. Les pasteurs et les fidèles veilleront à ce que l'un et l'autre moment soient vécus d'une façon digne et significative.
212:163
a\) Pour recevoir l'hostie, on pourra suivre les indications de la tradition ancienne qui mettait en relief la fonction ministérielle de celui qui distribue la communion en faisant déposer l'hostie au creux de la main du communiant, celui-ci tendant ses mains posées l'une sur l'autre. On pourra cependant adopter aussi une manière plus simple en laissant le fidèle prendre directement l'hostie dans le vase sacré qui lui est présenté par le ministre. En tout cas, l'assistance du ministre sera soulignée par la formule habituelle : « Le Corps du Christ », à laquelle chaque fidèle répondra « Amen ».
b\) Le fidèle devra consommer l'hostie avant de retourner à sa place. Il paraît plus digne que le fidèle ne consomme pas l'hostie tout en marchant. Il conviendra cependant que le temps d'arrêt qui pourrait être marqué pour cela ne gêne pas le déroulement de la procession de communion. Dans le cas d'un très petit nombre de communiants, les fidèles pourront attendre que tous aient reçu leur part pour se communier en même temps avant de regagner leur place.
4\. Il importe que les *Commissions diocésaines de pastorale liturgique* suivent attentivement la mise en œuvre du nouveau mode de communion, là où l'évêque aura décidé de le permettre, afin que soient évitées les erreurs et réalisée la catéchèse indispensable. Ces Commissions pourront ainsi fournir à leur évêque les éléments du rapport que celui-ci aura à transmettre dans six mois à la congrégation pour le Culte divin.
213:163
II\. -- Notre\
commentaire
### Le processus de la communion dans la main ([^94]
PAR « processus » de la communion dans la main, nous entendons celui qui a été engagé par le mouvement interne de l'Instruction *Memoriale Domini*, et par le mouvement analogue qui va de cette INSTRUCTION à la LETTRE, et de la LETTRE à la NOTE.
Ces trois documents ont paru dans la *Documentation catholique* du 20 juillet 1969, pages 669 à 674.
Les deux premiers proviennent de la CONGRÉGATION romaine maintenant dite POUR LE CULTE DIVIN, le troisième émane de l'organisme dénommé CONSEIL PERMANENT DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS.
#### I. -- L'Instruction
L'Instruction *Memoriale Domini* de la Congrégation pour le Culte divin, en date du 29 mai 1969, « rédigée par mandat spécial du Souverain Pontife Paul VI » et « approuvée par lui-même », porte les signatures de Benno card. Gut, préfet, et d'Annibal Bugnini, secrétaire.
Ce document déclare que « de nos jours des changements importants et nombreux ont été introduits dans le rite de la célébration de l'Eucharistie, afin qu'il réponde mieux aux besoins spirituels et psychologiques des hommes d'aujourd'hui », De plus « a été rétabli, dans certaines circonstances, l'usage de la communion sous les deux espèces du pain et du vin ». « Par ces éléments de renouveau (?), le signe du banquet eucharistique et l'accomplissement fidèle du mandat du Christ sont devenus plus manifestes (?) et vivants (!?). »
214:163
« Mais en même temps, ces dernières années, la participation plus complète (?) à la célébration eucharistique, exprimée par la communion sacramentelle, a suscité ça et là le désir de revenir à l'ancien usage de déposer le pain eucharistique dans la main du fidèle, lequel se communie lui-même en le portant à sa bouche. »
Et même, « *dans certains endroits et dans certaines communautés, cette façon de faire est pratiquée, bien que le Saint-Siège n'ait pas encore donné l'autorisation demandée *».
\*\*\*
Voilà donc, à la date du 28 mai 1969, quelle était la situation, telle du moins qu'elle était vue du Vatican : le *renouveau* continuait de grandir admirablement, le « signe du banquet eucharistique » était devenu plus manifeste et plus vivant, et cette participation plus complète avait sus-cité (spontanément) le désir de la communion dans la main. Celle-ci était déjà pratiquée par certaines communautés qui en avaient demandé l'autorisation et ne l'avaient pas « *encore *» reçue. Désobéissance grave qui, dans l'Instruction *Memoriale Domini,* n'est à aucun moment qualifiée de désobéissance, et qui à aucun endroit n'est ni condamnée, ni blâmée, ni déplorée, ni même regrettée. Dans la présentation vaticane qui en est ainsi faite, cette désobéissance devient une simple anticipation, parfaitement normale anticipation d'une évolution ultérieure et d'une autorisation à venir. Telle est la manière aujourd'hui habituelle qu'a l'Autorité de détruire elle-même son autorité.
De toutes façons, à la lecture de la première partie du document, la communion dans la main apparaît comme un fruit logique du « renouveau » dont nous jouissons depuis le Concile (lequel cependant n'est ni allégué ni nommé).
\*\*\*
215:163
*Mais, parvenu à ce point, le document change brusquement de ton, de style, de contenu :* comme s'il changeait de rédacteur et même de pensée. Avec une soudaine fermeté et un ample exposé de motifs précis, il se met, en sens contraire, à établir qu'il est meilleur « que ce soit le ministre lui-même qui dépose sur la langue du communiant une parcelle de pain consacré », et que « *rien *» ne doit être changé à cette manière de faire.
Les principales considérations invoquées sont les suivantes :
A\) « Cette façon de distribuer la sainte communion » (sur la langue) « a derrière elle une tradition multiséculaire. »
B\) « Elle exprime le respect des fidèles envers l'Eucharistie. »
C\) Elle « ne blesse en rien la dignité personnelle de ceux qui s'approchent de ce sacrement ».
D\) Elle « assure plus efficacement... que soit écarté tout danger de profanation ».
E\) Elle est conforme à la volonté des évêques : sans doute « un petit nombre de Conférences épiscopales » et « certains évêques » avaient demandé la communion dans la main. Le Souverain Pontife a consulté « tous les évêques de l'Église latine ». Trois questions leur ont été posées. Voici les questions et les réponses :
« 1. -- Pensez-vous qu'il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ?
« *Placet* (oui) : 567 ;
« *Non placet* (non) : 1233 ;
« *Placet juxta modum* (oui, avec réserves) : 315 ;
« Réponses non valides : 20.
« 2. -- Aimeriez-vous que ce nouveau rite soit expérimenté d'abord dans de petites communautés, avec l'autorisation de l'Ordinaire du lieu ?
« *Placet :* 751 ;
« *Non placet :* 1215 ;
« Réponses non valides : 70.
216:163
« 3. -- Pensez-vous qu'après une bonne préparation catéchétique, les fidèles accepteraient volontiers ce nouveau rite ?
« *Placet :* 835 ;
« *Non placet :* 1185 ;
« Réponses non valides : 128.
« Ces réponses montrent donc qu'une forte majorité d'évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle ; et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. »
F\) « C'est pourquoi... eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, *le Souverain Pontife n'a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles. *»
\*\*\*
Conclusion : « *Aussi le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l'épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie, et enfin le bien commun de l'Église. *»
Cette conclusion rejette avec autorité, sans laisser subsister aucune équivoque ni aucune possibilité d'échappatoire, ce que semblait admettre l'introduction du même document.
\*\*\*
Seulement, l'Instruction *Memoriale Domini* comporte encore quelques lignes : un petit ajout, presque un post-scriptum, dont la longueur est inférieure au septième de la longueur totale du document.
A nouveau changent le ton, le contenu (et peut-être le rédacteur ?) ; et ce qui avait été rejeté se trouve maintenant accepté :
217:163
« Mais là où s'est déjà introduit un usage différent -- celui de déposer la sainte communion dans la main le Saint-Siège, afin d'aider les Conférences épiscopales à accomplir leur tâche pastorale, devenue souvent plus difficile dans les circonstances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d'écarter tout risque de manque de respect ou d'opinions fausses qui pourraient s'insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d'éviter soigneusement tous autres inconvénients.
« *De plus, en pareils cas, pour que cet usage s'établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation. *»
Ainsi l'Instruction *Memoriale Domini* est un champ de bataille.
Le oui et le non y coexistent, *comme si l'on enregistrait avec impartialité les pensées opposées de deux Papes concurrents.*
Cette INSTRUCTION, en effet, maintient d'une part la communion traditionnelle comme rite unique exigé par « le bien commun de l'Église », le « Souverain Pontife », « une forte majorité d'évêques », « la valeur des arguments » et cetera.
Mais, d'autre part, elle permet en fait ce qu'elle a déclaré contraire à « la valeur des arguments », à « une forte majorité d'évêques », au « Souverain Pontife » et au « bien commun de l'Église ».
Cette contradiction dramatique inhérente à l'Instruction romaine *Memoriale Domini,* son caractère intrinsèquement « auto-destructeur », et la singulière révélation qui s'en dégage, ont été tenus absolument cachés par l'épiscopat français et la presse française, dans la présentation qu'ils nous ont faite du « nouveau rite » de la communion.
218:163
#### II. -- La Lettre
En date du 6 juin 1969, également signée par Benno tard. Gut préfet, et Annibal Bugnini, secrétaire, une LETTRE DE LA CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN AU PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE FRANÇAISE, en se référant explicitement à l'INSTRUCTION précédente, autorise la communion dans la main : plus précisément, elle « accorde que chaque évêque (de France), selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser l'introduction du nouveau rite ».
Cette Lettre de la Congrégation est une « réponse à la demande présentée par votre Conférence épiscopale sur la permission de distribuer la communion en déposant l'hostie dans la main des fidèles ».
La LETTRE déclare que « la possibilité offerte au fidèle de recevoir dans la main et de porter à la bouche le pain eucharistique » doit « accroître sa foi en la grande réalité du corps et du sang du Seigneur qu'il touche de ses mains ». Mais il n'est aucunement précisé en quoi le fait de toucher l'hostie avec les mains pourrait être de nature à accroître la foi. C'est une simple affirmation gratuite jetée en l'air.
Les rédacteurs de cette LETTRE se réclament de leur INSTRUCTION précédente et s'y réfèrent. Mais ils l'enfreignent (ou la « dépassent », si l'on préfère) sur deux points qui aggravent encore l' « auto-destruction » :
1° La porte ouverte par l'INSTRUCTION à la communion dans la main était limitée très explicitement : « *là où s'est déjà introduit un usage différent : celui de déposer la sainte communion dans la main *». Il est de notoriété publique, et incontestable, qu'à la date du 6 juin 1969, l'usage de la communion dans la main ne s'était point introduit dans l'ensemble du territoire français. Mais la clause de l'INSTRUCTION : « *là où s'est déjà introduit *», est traitée, au bout de huit jours seulement, comme une astuce déjà périmée, par les mêmes rédacteurs Benno tard. Gut, préfet, et Annibal Bugnini, secrétaire.
2° Le « rite nouveau » dont parlait l'INSTRUCTION était très clairement décrit et délimité : « déposer le pain eucharistique dans la main du fidèle », « réception de la communion dans la main », « déposer la sainte communion dans la main ». Ce n'était pas assez : la LETTRE de la Congrégation en rajoute encore. Elle invente, sans autre explication, un rite dont l'INSTRUCTION n'avait pas soufflé mot : « *On pourra, dit-elle, adopter aussi une manière plus simple* (!) *en laissant le fidèle prendre directement l'hostie dans le vase sacré. *»
En attendant le prochain document et la prochaine innovation.
219:163
#### III. -- La Note
Cette NOTE a été publiée par le Conseil permanent de l'épiscopat français « au terme de sa réunion qui s'est tenue à Paris du 17 au 19 juin 1969 ».
Elle ne fait aucune allusion à l'Instruction *Memoriale Domini :* considérant sans doute cette INSTRUCTION pour ce qu'elle, a été en fait, un masque, un faux-nez, une étape déjà « dépassée » huit jours après par ses propres rédacteurs Benno tard. Gut et Annibal Bugnini.
« La majorité des évêques, déclare la NOTE, n'est pas favorable à ce que, *d'une manière générale*, la communion dans la main soit *substituée* à l'actuelle manière de faire. » C'est nous qui soulignons. Cette incise : « d'une manière générale », jointe au terme : « substituée », insinue très exactement le contraire de la vérité. La NOTE donne à entendre que la majorité des évêques s'est opposée *seulement* à cette *substitution générale*, et donc qu'elle n'était pas opposée à une introduction facultative. Mais c'est bien l'introduction *facultative* qui a été *rejetée* par la majorité des évêques. Ce qu'ils ont refusé, c'est bien d' « *exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main *».
La NOTE du Conseil permanent poursuivait en ces termes :
« Le Saint-Père a pris en considération le fait que des désirs très nets s'expriment dans certaines régions pour que les fidèles puissent recevoir la sainte communion dans la main. »
Le fait que de tels « désirs » se soient « exprimés » a été pris en considération *pour être catégoriquement rejeté*, et non pour être accepté, ainsi que le montre clairement la lecture de l'Instruction *Memoriale Domini.* Autrement dit, il a été pris en considération... négative.
220:163
Ce qui a été pris en considération positive, c'est *un autre* fait : le fait qu'en certains lieux, *la communion dans la main était effectivement pratiquée par désobéissance aux lois en vigueur et aux volontés du Saint-Siège*. -- On sait que, depuis 1958, la ferme désobéissance est une nouvelle source du droit et de la loi dans l'Église (à condition toutefois que cette désobéissance aille dans un certain sens et non dans un autre). Nous avons là une nouvelle confirmation de cet état d'anarchie et de subversion où sont tombées les lois et les mœurs ecclésiastiques. Nous y voyons aussi, une fois de plus, qu'elles n'y sont pas tombées spontanément : elles y sont poussées par le comportement de l'autorité.
Mais les évêques français voulaient cacher que la vraie cause, attestée par l'INSTRUCTION, de l'autorisation de la communion dans la main, est la désobéissance prise en considération positive et respectueuse par le Saint-Siège. D'ailleurs, cette fois, ils n'avaient pas eux-mêmes désobéi, ou guère : point assez en tous cas pour fonder un droit selon les nouvelles procédures ecclésiastiques. L'*usage* de la communion dans la main n'avait pas été *introduit* sur l'ensemble du territoire français ; notre épiscopat avait manqué ce train-là. Les évêques n'auraient pas pu dire aux Français : -- « Parce que vous communiez déjà dans la main, et seulement « *là où *» vous avez eu le mérite de cette désobéissance, le Saint-Siège vous autorise à continuer. » -- Alors ils inventent autre chose dans leur NOTE.
Mais ce qu'ils ont dit *à Rome,* nous l'ignorons, et ils le tiennent caché. La NOTE du Conseil permanent fait allusion aux « motifs pastoraux exposés par la Conférence épiscopale française » : *exposés au Saint-Siège, dans le secret, derrière le dos des fidèles.* Ce fameux exposé de motifs pastoraux n'a pas été publié.
\*\*\*
221:163
L'examen de ces trois documents, chacun en lui-même et tous comparés à chacun, fait donc apercevoir une cascade d'incohérences, d'inexactitudes et de truquages successifs. Nous ignorons dans quelle mesure une telle constatation atteint leur éventuelle valeur juridique : mais nous n'avons même plus envie de le savoir. Nous constatons que l'on nous trompe à jet continu, et cela nous suffit.
Jean Madiran.
222:163
## DOCUMENTS
### L'enseignement d'un évêque
*D. Antonio de Castro Mayer\
évêque de Campos* (*Brésil*)
« POR UM CHRISTIANISMO AUTÈNTICO » : sous ce titre, les *Éditions* Vera Cruz Lida (*Rua Dr. Martinico Prado, 246 -- Sao Paulo, Brésil*) *ont réuni à la fin de l'année dernière les plus importantes Lettres, Instructions ou Circulaires pastorales données depuis 1950 par Mgr Antonio de Castro Mayer aux prêtres et fidèles de son diocèse* ([^95])*. Au total, plus de quatre cent pages serrées de conseils, d'explications, d'exhortations ou de mises en garde intégralement, magnifiquement* catholiques : : *une œuvre pastorale et doctrinale considérable... Car enfin, il suffit de lire. Mgr de Castro Mayer, depuis le début de la tourmente pré et post-conciliaire -- c'est-à-dire depuis sa consécration au Siège de Campos -- est à l'évidence, et continue d'être aujourd'hui, un véritable évêque du Christ, témoin et docteur de la vie éternelle. Un évêque dans la vérité. Dans la légitimité. Dans la loi de l'Église.*
223:163
*On va le voir, à travers les quelques extraits que nous donnons ici* (*la traduction en langue française, les titres et les quelques notes supplémentaires qui s'imposaient sont de nous :* miserere). *Inutile de dire à quel point nous souhaiterions voir un jour entre les mains du public français une traduction complète de ce recueil de documents épiscopaux émanés du Siège de Campos. Mais, nous ne l'oublions pas pour autant, il y a beaucoup mieux, beaucoup plus encore à souhaiter pour nous que la traduction des écrits d'un Père brésilien -- fût-il le plus saint... Il y a la conversion des évêques de France.*
H. K.
#### De la collaboration avec les communistes
« (...) Ce qui s'est passé à Cuba est un exemple typique du résultat auquel aboutit nécessairement la collaboration avec les communistes. Ceux-ci en effet ne dédaignent pas du tout la coopération des catholiques. Bien plutôt, ils la sollicitent, et même la provoquent, attirant l'attention des esprits droits sur la misère et les injustices susceptibles d'éveiller en eux une réaction d'indignation. Et par malheur, cet appât leur permet souvent d'obtenir la collaboration désirée. Habitués à agir de bonne foi, les catholiques en effet inclinent presque toujours à considérer comme impossible que quelqu'un puisse dissimuler, derrière des considérations humanitaires, une intention perverse. Ils finissent ainsi par s'embrigader, non dans le mouvement communiste lui-même, mais dans la lutte pour la défense des malheureux et des opprimés. Et ils travaillent, eux catholiques, la main dans la main avec les communistes -- certains que ces derniers ont, comme eux, sincèrement en vue de guérir la société des plaies qui l'affectent. Mais il n'est pas moins certain, pour les communistes, que l'agitation humanitaire ainsi créée procurera l'atmosphère idéale pour le renforcement de leur pouvoir.
« En vérité, les communistes ne se soucient aucunement de la réparation des maux, des injustices sociales : le régime qu'ils applaudissent est au contraire la plus terrible tyrannie, érigée en système de gouvernement. Les communistes ne cherchent donc qu'à créer une atmosphère de conflit, d'exacerbation contre les élites. Leur but immédiat est de provoquer l'inquiétude sociale et la division des esprits. Et la violation de la loi morale ne les dérange d'aucune manière : pour eux, il n'existe pas de loi morale (cf. Enc. *Divini Redemptoris, A.A.S.,* vol. 29, pp. 70 et 76).
224:163
La seule chose qui leur soit suprêmement utile est de provoquer et d'entretenir la lutte des classes, lutte d'extermination, et non de mettre en œuvre une quelconque tentative de conciliation harmonieuse, ainsi que le demande l'Église. Tout cela peut être lu dans l'*Histoire du Parti Communiste de l'U.R.S.S.,* publication officielle des soviets : *Pour ne pas se tromper en politique, il faut être un révolutionnaire et non un réformiste* (*...*)*. Il faut suivre une politique prolétarienne de classe, intransigeante, et non une politique réformiste d'harmonie des intérêts du prolétariat et de la bourgeoisie, non une politique conciliatrice d'* « intégration » *du capitalisme dans le socialisme.* (apud *Itinéraires,* de Paris, n° 52, p. 99). Pour sa part, dans l'Encyclique *Divini Redemptoris,* Pie XI faisait remarquer que la seule fin poursuivie par les efforts des marxistes est d'exacerber la lutte des classes (A.A.S., vol. 29, p. 70). »
« (...) D'où il suit que toute collaboration offerte à une campagne dans laquelle œuvrent aussi les communistes -- même quand ils ne s'y présentent pas comme tels -- est en réalité une collaboration apportée à l'implantation du marxisme dans le monde. L'exemple douloureux de Cuba nous en avertit, et la simple observation des manières d'agir de la secte suffit à nous en convaincre. »
« Il importe de distinguer, à ce propos, la collaboration mutuelle de la convergence occasionnelle des efforts. Il y a collaboration mutuelle quand catholiques et communistes, œuvrant pour le même objectif immédiat, se joignent les uns aux autres, ou pour le moins imposent provisoirement silence au fondamental et réciproque antagonisme qui les sépare. Une telle collaboration ne manque jamais de tourner à l'avantage des marxistes. Il peut arriver, cependant, que les catholiques entreprennent une campagne déterminée et que fortuitement ou intentionnellement, les communistes aussi se mettent à œuvrer dans le même sens. On aboutira alors, comme nous le verrons plus loin, à une convergence occasionnelle d'efforts, qui peut fort bien ne pas tourner à l'avantage des communistes, pour peu que les catholiques se refusent à articuler toute action avec la leur, aussi bien qu'à établir avec le communisme un armistice même temporel. »
« Les disciples de Marx n'ont jamais œuvré sur terre que pour favoriser leur propre cause. S'il existe dans le monde un parti totalitaire, un parti dans lequel aucune force ne se disperse, dans lequel tout -- absolument tout -- est calculé en fonction du but à atteindre, c'est bien celui des communistes. Ainsi, partout où ces derniers portent leur action, on peut être sûr qu'un intérêt du communisme est en jeu ; et vainement s'emploiera-t-on à détourner le sens de leur action, vu que le communiste, dans la mesure où il reste communiste, n'abandonne jamais sa perspective, et se trompe rarement dans ses calculs. Ce n'est pas pour une autre raison que Pie XI a, condamné toute collaboration avec les marxistes. »
225:163
« Même quand ces derniers proposent, selon l'expression de Pie XI, des *projets en tout point conformes à l'esprit, chrétien et à la doctrine de l'Église,* même dans ce cas (et il faudrait ajouter, pour rester fidèle à l'esprit de l'Encyclique, plus spécialement dans ce cas), ON NE PEUT AUTORISER SUR QUELQUE TERRAIN QUE CE SOIT UNE COLLABORATION RÉCIPROQUE AVEC LE COMMUNISME (*Divini Redemptoris*, A.A.S., vol. 29, p. 96). L'interdiction de Pie XI est catégorique, et n'admet aucune exception : il faut qu'il n'y ait collaboration réciproque en rien -- NULLA IN RE -- avec cette secte exécrable (...). Les fidèles qui s'unissent aux communistes, fût-ce pour la réalisation d'objectifs entièrement *conformes à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église,* collaborent en réalité à l'implantation du communisme dans le monde. »
(*Pour mettre en garde les habitants du Diocèse contre les ruses de la secte communiste,* Lettre Pastorale du 13 mai 1961, I^e^ partie, § 5, 6, 8 et 9.)
#### De la collégialité des évêques
« Comme vous le savez, chers fils, un des problèmes qui ont le plus agité les débats conciliaires fut celui de la *collégialité épiscopale.* La presse d'inspiration moderniste s'empressa, à cette occasion, de faire naître dans l'opinion publique un courant en faveur d'une modification par le Concile de la structure même de l'Église : de monarchique, fondée comme elle l'est depuis toujours sur un seul, Pierre -- UNI, PETRO --, celle-ci devait devenir collégiale, c'est-à-dire gouvernée conjointement par le corps épiscopal, composé des Évêques du monde entier, lesquels éliraient à Rome un sénat chargé de les représenter et de partager avec le Pape le pouvoir ecclésiastique... A la suite de nombreux amendements, le schéma conciliaire sur l'Église fut correctement modifié -- de manière à être maintenu dans la ligne dogmatiquement tracée par le premier Concile du Vatican. C'est ainsi que furent supprimées les expressions qui semblaient indiquer une sujétion du Successeur de Saint Pierre au Collège Apostolique. Par exemple, là où il était question du pouvoir concédé à Saint Pierre, COMME premier des Apôtres et CHEF DU COLLÈGE, les expressions « comme » et « Chef du Collège » furent éliminées, de façon à dire simplement que le pouvoir fut concédé à Saint Pierre, sans dépendance aucune à l'égard du Collège Apostolique (...).
226:163
Ces amendements, pourtant, ne parurent point encore suffisants à l'*Autorité supérieure* (l'expression est du Secrétaire Général du Concile) -- laquelle en l'occurrence était le Pape, unique Autorité supérieure aux Pères réunis pour le Concile. Aussi le Saint Père fit-il ajouter une note explicative, précisant l'exacte signification doctrinale du schéma relatif au Collège Épiscopal. Cette note fit apparaître avec clarté, et même avec une certaine surabondance, que la *collégialité* épiscopale ne devait jamais être entendue au sens strict (...), et qu'en conséquence le Collège Épiscopal n'avait juridiquement de pouvoir dans l'Église Universelle qu'en union avec le Pape, convoqué par lui, et sous son entière dépendance. »
« Dans sa rédaction finale, avec la note explicative qui dissipait le moindre doute, le schéma conciliaire sur l'Église obtint une impressionnante unanimité. A peine cinq Pères Conciliaires votèrent contre ce texte à la session de clôture. Nous nous trouvions donc en présence d'un document de l'Église enseignante qui aurait dû, normalement, être accueilli dans un esprit de pleine et cordiale approbation par toute l'Église.
« Voyons maintenant comment ce document a été compris, et rapporté, par les organes de la presse catholique : ces publications qui devraient être -- selon le vœu exprimé par Pie XI -- *de précieux porte-voix pour l'Église, pour sa Hiérarchie, pour son enseignement* (*...*). ([^96]) »
(*Sur l'Église,* Instruction Pastorale du 2 mars 1965, chap. VI.)
#### De l'usage du latin et des langues vernaculaires dans les rites sacrés
« (...) Qu'on observe ce qui se passe, en bien des lieux, dans l'application de la Constitution sur la Liturgie Sacrée, en ce qui concerne l'usage du latin. »
« Dans l'Église occidentale, et dans celles qu'elle-même a fondées, le latin fut toujours considéré par les fidèles comme *la* langue de l'Église. Dans le latin, les fidèles voyaient en effet comme l'enveloppe sacrée d'un mystère sacré ; à travers le latin, ils admiraient en outre l'unité d'une Église qui réunit en une même langue les peuples les plus éloignés les uns des autres par les usages, les coutumes et les dialectes...
227:163
Ayant bien pesé toutes ces raisons, et d'autres encore qui furent exposées dans les Congrégations organisatrices du Concile, la Constitution sur la Liturgie Sacrée ordonna que soit conservé l'usage du latin dans les rites liturgiques de l'Église latine : *sauf droit particulier, on maintiendra l'usage du latin dans les rites latins* (Const. *de Sacra Liturgia*, 36, § 1). Ayant en vue, cependant, l'éventuel profit que les fidèles pourraient en retirer, la Constitution rendit possible l'usage du vernaculaire dans quelques parties des rites sacrés -- spécialement dans les instructions, exhortations, ou encore dans certaines prières, certains cantiques (Const. *de Sac. Lit.,* 36, § 2). Décision qui, donc, concernait également le très Saint Sacrifice de la Messe ; le Concile demandait toutefois de faire en sorte que les fidèles soient en mesure de dire ou de chanter aussi en latin les parties de l'Ordinaire de la Messe visées par cette autorisation (Const. *de Sac. Lit.,* 54). »
« On aurait pu s'attendre, au vu de ce qui vient d'être rappelé, à un empressement général, dans toutes les paroisses, pour que les fidèles s'habituent au latin. Et aujourd'hui, plus de deux ans après la promulgation de la Constitution sur la Liturgie Sacrée, il devrait être désormais tout à fait ordinaire de voir presque partout les fidèles habitués à dialoguer la Messe en latin. Or que constatons-nous ? »
« La décision principale de la Constitution, déclarant que l'usage de la langue latine doit être conservé ([^97]) dans les rites liturgiques de l'Église latine, comportait normalement comme conséquence que, sauf motif suffisant, le vernaculaire ne soit pas utilisé ; et que, par ailleurs, on favorise le plus que possible dans le peuple l'intelligence du texte latin des livres liturgiques. Au lieu de cela, nous notons en bien des endroits l'existence d'une campagne visant à ce que le latin soit oublié (...). La coutume en effet se généralise de ne remettre entre les mains des fidèles que le texte en langue vernaculaire des rites sacrés. »
« Partant, on aboutit exactement à l'inverse de ce que recommande la Constitution. Selon le Document conciliaire, on devait faciliter dans les paroisses l'usage du latin, puisque c'est la langue officielle de notre rite latin. Or la conséquence réelle de l'application de cette Constitution est que l'usage de la langue officielle de la liturgie romaine se fait chaque jour plus problématique. Convenons qu'une telle manière de faire ne saurait en aucun cas contribuer à l'édification des fidèles. »
(*Considérations sur l'application des Documents promulgués par le Concile de Vatican II,* Lettre Pastorale du 19 mars 1966, III^e^ partie.)
228:163
#### Du Sacrifice de la Messe
« Nous ne faisons qu'accomplir un devoir pastoral en ravivant avec vous, chers fils, notre foi en l'Auguste Mystère de l'Autel, et en rappelant ici les enseignements de la doctrine traditionnelle sur ce sujet. »
« La responsabilité de Notre charge, d'ailleurs, ne se fait-elle pas plus pressante encore, quand un manque de compréhension de ce point de la Doctrine Catholique fait obstacle à l'épanouissement spirituel de nombreuses âmes, qui se fixent par là même en une dangereuse médiocrité. En outre, l'hérésie protestante -- qui a vidé autrefois de sa substance le concept même de la Messe, arrachant ainsi du sein de l'Église de nombreuses nations européennes -- aujourd'hui encore tente de dévier les catholiques du chemin du salut, et guette plus ou moins Nos chers fils, de toutes parts. Chers fils, c'est d'ailleurs un point commun à toutes les hérésies de s'insinuer parmi les fidèles à travers des édulcorations de la Sainte Messe (...). »
« Ainsi, ils se trompent ceux qui ne voient dans la Messe qu'une quelconque réunion de fidèles assemblés pour le culte divin, dans laquelle se déroule une simple commémoraison de la Passion et de la Mort de Jésus-Christ, ou même du Sacrifice autrefois accompli par le Calvaire. Ils tombent également en hérésie, ceux qui acceptent la Messe comme sacrifice de louange et d'action de grâce, mais lui nient tout caractère propitiatoire en faveur des hommes. Ou encore ceux qui feignent d'ignorer la relation essentielle unissant la Messe à la Croix, et prétendent que celle-ci en vient à constituer une offense pour celle-là. De la même manière s'écartent de la Doctrine Catholique ceux qui considèrent la Messe, principalement, comme un banquet du Corps du Christ. »
« Toutes ces opinions hérétiques désagrègent la Vérité révélée, attiédissent les cœurs, et font obstacle à l'épanouissement de cette charité ardente dont la flamme vive alimente l'acte d'ineffable amour de Jésus-Christ S'immolant pour nous, réellement présent sur l'autel -- aussi bien qu'à la possession paisible de la vérité. »
(*Sur le Saint Sacrifice de la Messe*, Lettre Pastorale du 12 septembre 1969.)
229:163
#### De la Sainte Communion
« Nous savons, chers Prêtres, qu'au très Saint Sacrement de l'Autel est réellement, véritablement et substantiellement présent Jésus-Christ lui-même, Dieu et Homme, le Sauveur que nous adorons : présent avec Son Corps, Son Sang, Son Ame et Sa Divinité. Cette profession de foi, nous la faisons avec l'intelligence et avec les lèvres ; mais, de façon plus vivante encore et plus habituelle, nous la faisons aussi par notre conduite face au très Saint Sacrement, spécialement au moment de la Communion. »
« Dans l'Église latine, la foi vivante en la Présence Réelle se manifeste au moyen de la génuflexion et de l'inclination, lorsqu'on passe ou demeure en présence de la Sainte Hostie Consacrée, qu'elle soit solennellement exposée, ou enfermée dans le tabernacle. Cette attitude trouve son fondement dans la Sainte Écriture : nous y lisons en effet qu'elle constitue, pour le fidèle, le signe visible de l'adoration. C'est ainsi que furent loués les milliers de juifs qui *ne ployèrent point le genou devant Baal* (Rom. 11, 4) ; et il est dit dans Isaïe, au sujet du Dieu véritable, que *devant Lui tout genou sera fléchi* (45, 23 -- cf. Rom. 14, 11). Et encore, à propos de Jésus-Christ lui-même, l'Apôtre déclare qu'*à Son Nom tout genou devra être fléchi, au Ciel, sur la terre et aux enfers* (Phil. 2, 10). Telle était d'ailleurs la manière dont extériorisaient leur foi au Sauveur ceux-là mêmes qui venaient Lui demander quelque bienfait (cf. Mat. 17, 14 ; Marc 1, 40). Dans la Sainte Église, la coutume de ployer le genou devant le très Saint Sacrement, outre l'adoration due à notre éminent Seigneur, vise aussi à rendre manifeste notre volonté de réparation pour les injures et les moqueries infligées au miséricordieux Sauveur par la soldatesque, après la flagellation et le couronnement d'épines : *à genoux devant Lui, de Lui ils se* *moquaient* (Mat. 27, 29). »
« Ainsi s'enracine dans la Tradition Apostolique l'habitude de manifester, au moyen de la génuflexion et de l'agenouillement, notre foi ardente en la Divinité de Jésus-Christ, substantiellement présent sur l'autel. Pour toutes ces raisons, le fidèle reçoit à genoux la Sainte Communion. Si le Prêtre lui-même, lorsqu'il célèbre, ne le fait pas, c'est qu'il représente à la Messe la personne de Jésus-Christ. *Agit in persona Christi*, il tient lieu de Christ comme sacrificateur, office qui d'aucune manière ne convient au simple fidèle. Mais, lorsqu'il ne célèbre pas, le Prêtre aussi communie à genoux. »
« La génuflexion, non seulement parce qu'elle constitue une coutume immémoriale, fondée sur la Sainte Bible, mais encore par la nature même de son acte, qui nous pénètre d'humilité, nous amène à reconnaître notre petitesse de créatures face à la transcendance ineffable de Dieu ; plus encore elle nous force d'admettre notre condition de pécheurs ; pécheurs qui ne parviendront que par la mortification et la grâce à dominer leur orgueil et leurs autres péchés, et à vivre en véritables fils adoptifs de Dieu, rachetés par le très Précieux Sang de Jésus-Christ. »
230:163
« *D'où il suit que la substitution d'une aussi pieuse coutume par une autre se pourrait seulement justifier dans le cas où l'excellence et la supériorité de la nouvelle coutume seraient à ce point manifestes qu'elles compenseraient du même coup le mal qui réside en tout changement -- comme l'enseigne saint Thomas d'Aquin* (Ia IIae, qu. 97, art. 2) *à propos des habitudes qui donnent vie aux lois* ([^98]). Fidèle à cette doctrine de l'Aquinate, le II^e^ Concile du Vatican prévoit que seules les modifications qui s'avèrent véritablement nécessaires pourront être introduites en liturgie ; et ordonne, de même, que les nouvelles formules introduites en liturgie dérivent organiquement des formules déjà existantes (Const. *Sacrosanctum Concilium*, n° 23). »
« Or, *la nouvelle façon de communier ne présente pas du tout une excellence telle qu'il faille* *absolument en désirer l'introduction*. La communion debout n'a en effet en sa faveur ni les textes de la Sainte Écriture, ni les avantages spirituels que Nous signalions, tout à l'heure, comme inhérents à l'agenouillement ; elle présente en outre les inconvénients de tout changement (en matière liturgique), qui relâche la ferveur des fidèles au lieu de l'aviver. »
231:163
« Pour cette raison, on devra conserver l'habitude de communier à genoux. Cette disposition a toujours été en vigueur dans Notre Diocèse, et Nous ordonnons que tous continuent de la suivre. D'autant plus que, interrogée sur le point de savoir si le nouvel *Ordo* rendait obligatoire la communion debout, la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin répondit que, là où la coutume était de communier à genoux, il convenait *sans le moindre doute* que cette coutume soit maintenue. » ([^99])
« Partant, Nous recommandons à tous les Prêtres qui exercent leur saint ministère dans Notre Diocèse qu'ils se conforment à cette disposition diocésaine, et distribuent la Sainte Communion aux fidèles agenouillés -- certaines exceptions étant possibles dans les cas de personnes, quand par exemple quelque infirmité rend impossible, ou presque, l'agenouillement. En aucun cas, toutefois, on ne permettra que soit donnée la Communion dans la main. »
(*Sur le respect dû aux Sacrements*, Circulaire du 21 novembre 1970.)
#### De l' « aggiornamento »
« (...) Chers Prêtres de Notre Diocèse, il est absolument nécessaire de ne jamais perdre de vue la fin normalement poursuivie par le Concile, selon la déclaration formelle du Pape : Nous avons eu l'occasion de la faire voir dans Notre Lettre Pastorale du 19 mars 1966, en commentant le Motu Proprio de Paul VI sur le Jubilé post-conciliaire. Le Concile désire que l'Église rénove sa face, par une plus grande sanctification de ses membres. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'aggiornamento dont parlait Jean XXIII : ceux qui se trouvent placés hors de son sein, l'Église ne les attirera sous le joug d'amour de Jésus-Christ que par la sanctification de ses fils. Ainsi le déclare le Pape, ainsi en atteste l'Histoire de l'Église, ainsi en témoigne la Sainte Écriture. *Cum exaltus fuero, omnia traham ad meipsum* -- quand je serai élevé de terre, J'attirerai tous les hommes à Moi. Et l'Évangéliste explique qu'en disant cela Jésus parlait de sa mort (Jean 12, 32-33).
232:163
L'*aggiornamento* ainsi compris est donc une œuvre de pénitence, de mortification, de renonciation, à l'imitation du Divin Sauveur qui, par l'ignominie et la renonciation de la Croix, par les humiliations et l'isolement du Calvaire, attira à Lui le monde entier : *Cum exaltus fuero, omnia traham ad meipsum.*
« Or, très chers Prêtres, de multiples changements, qui se présentent comme autant de nouvelles étapes de l' « aggiornamento », ne visent en réalité qu'à favoriser les commodités de la nature humaine déchue, et à diminuer la ferveur de la charité envers Dieu. Sous prétexte de respecter la dignité humaine, ces changements réduisent la place due à Dieu dans la vie de l'homme, dont l'autonomie est vantée de toutes les manières. Un tel « aggiornamento » ne saurait aucunement s'insérer dans la Tradition catholique du Salut. Dans celle-ci, l'importance accordée à la mortification et à la renonciation est bien autre chose qu'une simple concession à laquelle -- douloureusement -- il est demandé au chrétien de ne pas se soustraire : c'est une exigence positive, comme l'enseigne le dogme du péché originel, point fondamental de toute l'Économie de la Rédemption, et la vie chrétienne -- qui met sa joie dans l'austérité et la pénitence par lesquelles l'homme se prépare à la vision béatifique -- doit s'y conformer par une amoureuse et totale adhésion. »
« Ainsi, avec l' « aggiornamento » dont Nous parlons maintenant, on perd de vue le bonheur de la vie future, pour se préoccuper exclusivement de prospérité, de confort et de féli-cité sur cette terre, comme si l'homme y avait sa demeure permanente. »
« Il n'est pas besoin de souligner à quel point un tel « aggiornamento » constitue un scandale, au sens propre du mot, puisqu'il contribue à perdre les âmes. »
« Chers Prêtres. Les considérations que Nous vous livrons ici, comme vous pouvez facilement le constater, bénéficient de cette valeur éternelle que leur confère la Tradition catholique dont elles procèdent. (...) Il est par conséquent inutile d'avancer contre elles l'exemple de ce qui peut se faire ailleurs. Nous ne connaissons point en effet les raisons qui justifient les dérogations particulières introduites dans les autres régions -- toujours dans l'hypothèse qu'il ne s'agit pas d'abus, mais de concessions légitimes. Nous savons par contre, de l'aveu du Cardinal Gut lui-même, Préfet de la Congrégation pour le. Culte ; divin, que, plus d'une fois, le Pape a laissé s'instaurer -- contre son sentiment -- certaines pratiques que lui-même, le Pape, considérait comme abusives ([^100]).
233:163
Ce qui indique bien que nous devons faire preuve d'une extrême prudence en la matière, y compris quand il s'agit de permissions accordées par le Saint-Siège lui-même. D'ailleurs nous pouvons considérer, pour finir, que chez nous n'existent pas ces motifs qui, peut-être, justifient en d'autres lieux les nouveaux usages introduits : ce qui, peut-être, ailleurs ne serait pas censurable, ici certainement constituerait un facteur de désacralisation. »
« Très chers Prêtres, Nous sommes bien certain que tous et chacun d'entre vous accueillerez ces paroles comme l'appel d'un Père spirituel, angoissé par l'évolution d'un esprit social qui se fait chaque jour moins sacré, chaque jour plus sensuel et païen. Angoissé, et suprêmement attentif à votre propre sanctification, dont résultera le bien du peuple fidèle au milieu duquel vous vivez et exercez votre ministère. »
(*Sur le respect dû aux Sacrements,* Circulaire du 21 novembre 1970.)
#### Des nouveaux catéchismes
« Quand les ennemis sont dans la maison (...), il faudrait être suprêmement niais pour ne point redoubler de vigilance. Dans la crise actuelle de l'Église, on peut bien dire que notre salut reste conditionné par la mise en œuvre de tous les moyens propres à préserver l'intégrité de notre Foi. Une très grande attention, en effet, est aujourd'hui nécessaire pour déjouer les embuscades ourdies contre l'authenticité de notre christianisme. »
« Dans Notre Instruction Pastorale *Sur l'Église,* du 2 mars 1965, nous développions les raisons de cette mise en garde, montrant comment l'Esprit du modernisme, infiltré en milieux catholiques, introduisit parmi les fidèles le relativisme et le naturalisme religieux, renversant le dogme et la morale révélés. *La propagation d'un tel esprit est assurée, actuellement, par les nouveaux catéchismes* ([^101]).
234:163
C'est pourquoi il est de Notre devoir, chers fils, d'attirer votre attention sur ces nouveaux ouvrages d'instruction et de formation religieuse, qui -- au nom d'une foi pour adultes, adaptée à l'homme moderne -- *détruisent la doctrine traditionnelle, soit par abstention, soit par omission, soit encore de manière positive, en diffusant des conceptions contraires à la vérité constamment enseignée par l'Église*. Ainsi, les nouveaux Catéchismes constituent le moyen d'inoculer dans l'esprit des fidèles une nouvelle religion, en accord avec les courants évolutionnistes et rationalistes de la pensée contemporaine. »
« Notre intention n'est point de prononcer ici le moindre jugement sur les intentions des auteurs des nouveaux Catéchismes. Mais Nous n'oublions pas pour autant l'homme ennemi, c'est-à-dire le démon, celui qui fait toujours tout pour perdre les âmes : comment ne profiterait-il pas des perturbations provoquées dans l'Église par les prurits de nouveauté, en y insinuant les sophismes propres à corrompre la foi et pervertir les mœurs ? Les nouveaux Catéchismes étant, comme tels, instruments pour la formation religieuse des nouvelles générations, il serait naïf en effet de penser que l'ange des ténèbres ne tente pas de se servir d'eux pour la réalisation de son œuvre sinistre. Et il s'en sert en effet, puisque -- objectivement -- les nouveaux Catéchismes doivent être placés parmi les principales causes de l'autodémolition de l'Église, pour reprendre l'expression employée par le Pape. »
« On ne mettra jamais trop en valeur l'importance du Catéchisme. *Il ne sera par conséquent jamais excessif de mettre en garde les fidèles contre les textes de Catéchismes qui détruisent la Religion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. *»
(« *Aggiornamento *» *et Tradition,* Lettre Pastorale du 11 avril 1971, III^e^ partie.)
D. Antonio de Castro Mayer,
évêque de Campos
235:163
### La propriété privée est-elle devenue un péché ?
Marcel Clément continue à opposer dans *L'Homme nouveau* les plus graves objections au document du dernier Synode romain « sur la justice dans le monde ». Ce document synodal est inacceptable en doctrine, il est inacceptable en conscience. Il invoque l'Évangile au profit du socialisme et de la révolution. Dans notre numéro 160 de février 1972, nous avions déjà (pages 194 à 201) reproduit l'important article de Marcel Clément paru dans *L'Homme nouveau* du 2 janvier. Voici maintenant son article du 5 mars.
Les Évangiles contiennent-ils un message social ? Oui. C'est celui qui nous invite à vivre, comme fils adoptifs de Dieu, dans la charité théologale en appliquant le deuxième commandement. Ce commandement de l'amour fraternel dans le Christ implique-t-il un combat pour la libération ? Oui, s'il s'agit d'un combat intérieur contre le péché et qui redresse la volonté pour la rendre de plus en plus conforme aux exigences de la justice et de la charité. Oui encore, par l'enseignement constant de l'Église, s'il s'agit de mettre en œuvre sa doctrine sociale où convergent droit naturel et Révélation. Non, certainement, s'il s'agit, sous le nom de « libération » de supprimer des droits naturels absolument fondamentaux comme l'envisagent les partisans contemporains de la « libération intégrale de l'homme ».
Dans ces conditions, le blocage que l'on est en train d'imposer un peu partout, entre l'Évangile et une « *libération de toute situation oppressive *» est inacceptable du point de vue de la Foi : ce blocage constitue une révolte contre l'enseignement constant de l'Église et celui du Pape Paul VI. Elle aboutit à faire de l'annonce de l'Évangile et des diverses organisations qui se réclament de l'Église catholique des instruments au service d'une idéologie politique de gauche. Par l'équivocité et l'insinuation ; cette entreprise de blocage défigure la Foi et torture les consciences.
236:163
A ce point de la réflexion, la « libération » temporelle identifiée avec l'Évangile se présente comme la conclusion d'un raisonnement partout suggéré par la propagande en cours qu'on peut ainsi schématiser :
a\) Le problème essentiel de notre temps, dans la lumière de l'Évangile, c'est celui de l'injustice dans le monde.
b\) Or l'injustice résulte de toute dépendance à l'égard d'un homme ou d'un groupe d'hommes disposant de la propriété privée des biens de production.
c\) Donc la première et la plus urgente démarche de la Foi est de s'engager pour aider les hommes de ce temps à instaurer un régime collectiviste.
Chacune de ces trois propositions mérite, et même appelle, l'examen critique.
#### 1^e^ Proposition le problème essentiel de notre temps
Le document synodal sur la justice dans le monde affirme qu' « *un ensemble d'injustices constitue l'essentiel des problèmes de notre temps *». Le document espagnol « *Justice et paix *» va dans le même sens : « *Le problème de la justice est aujourd'hui le plus grave et le plus important pour toute l'humanité. C'est aussi le cas chez nous *». Le document « *Justice et développement en région parisienne *» n'en dit pas moins : « *Sur le plan de la foi, le développement apparaît comme une histoire qui doit être réussie par tous et pour tous *». Quant au « *Comité catholique contre la faim *», il vient de diffuser une affiche dans les paroisses de France dont le texte pousse la thèse à la limite : « *Peux-tu être heureux tant qu'un seul homme meurt d'injustice et de faim ? *». Je ne multiplie pas davantage les exemples. Ils pullulent.
En outre, la structure de la propagande en question ne se borne pas à mettre, au premier rang, dans l'ordre d'urgence, le problème général de la libération temporelle et de la justice. On tend aussi à établir une série d'équivalence de mots qui réduisent toutes les notions chrétiennes à l'équité dans la distribution des biens comme finalité essentielle de l'Église dans le monde d'aujourd'hui. La Foi, aujourd'hui, dit-on ici, c'est la Justice. L'amour, dit-on là, est avant toute exigence absolue de Justice. L'apostolat de l'Église, dit-on encore, : ne sera crédible que s'il se réalise dans la mouvance d'une action pour la justice, etc.
237:163
Bref, sous prétexte de déchiffrer les signes des temps et d'avoir une religion pour les hommes d'aujourd'hui, de façon explicite, et avec un vacarme que je n'ose appeler infernal, on vient à identifier la foi théologale à la justice temporelle, à affirmer que le premier problème de la foi, c'est le problème de la justice temporelle, à faire de l'action pour la justice temporelle l'action préliminaire à tout apostolat, à pousser même les choses au point de laisser espérer la réalisation, sur la terre, d'un développement de la justice RÉUSSI PAR tous et POUR tous, sinon d'un monde de trois milliards et demi d'hommes où PLUS UN SEUL ne pourra mourir d'injustice !
Du simple point de vue du ban sens, il est clair que l'on est en pleine démagogie, et de la pire de toutes : la démagogie religieuse. Laisser espérer que l'engagement de l'Église dans la politique va enfin permettre la réalisation, SUR LA TERRE, dès ici bas, et bientôt peut-être, d'un monde d'où toute injustice sera chassée, d'où toute larme sera séchée, etc., peut faire naître, dans des âmes droites, des espérances aussi folles que vaines. Leur déception, tôt ou tard, sera terrible. Elles se retourneront alors CONTRE LA FOI, qui, identifiée avec une espérance terrestre, leur apparaîtra comme un mensonge abominable. Qu'on ne leur explique pas alors, qu'ils n'avaient pas compris. ILS AURONT DES TEXTES POUR PROUVER QU'ON LES A TROMPÉS.
Même si cet aspect n'est pas le plus profond, je dois y insister. Ceux qui font dépendre la « *crédibilité de la Foi *» des promesses de justice temporelle ne semblent pas se rendre compte que cette attitude conduit, non à la Foi théologale, mais simplement à l'utilisation de l'Église pour réaliser un paradis de justice sociale sur la terre.
Et puis, il y a la Foi.
La justice que Jésus a apportée sur la terre c'est la réconciliation de l'homme avec Dieu. La réconciliation de l'homme avec l'homme ne peut en être que la conséquence.
Jésus a donné une vie nouvelle : la vie de fils de Dieu à ceux qui croient à sa Parole et qui entrent dans l'Église. C'est cette vie nouvelle qui, nous faisant fils du Père nous rend capables de devenir frères dans le Christ.
Si graves donc que soient les injustices temporelles -- elles l'étaient aussi, sous le roi Hérode ! -- l'essentiel, pour le chrétien est d'abord et avant tout de rechercher le royaume de Dieu et sa justice. Ce n'est pas, ce ne peut pas être, de chercher d'abord et avant tout le royaume de l'homme et sa justice.
Jésus est venu pour que sa grâce permette à l'homme de mortifier en lui les passions, de crucifier en lui les convoitises. Lorsque l'homme accepte, enraciné dans le Christ, de vivre ainsi, il devient capable -- mais c'est une conséquence -- d'agir de façon plus humaine et plus chrétienne, c'est-à-dire plus conforme à la justice et à la charité.
238:163
C'est donc inverser l'Évangile que de le présenter comme une *exigence directe de justice sociale,* extérieure et d'en faire comme une condition d'authenticité ou de crédibilité de la justice intérieure, spirituelle. C'est le contraire qui est le vrai. L'Évangile apporte une *exigence directe* et immédiate de *justice intérieure*, spirituelle : filiale avec le Père, fraternelle avec les frères. La justice extérieure est une *conséquence* de la justice intérieure, non l'inverse.
Jésus a multiplié les pains en vue de l'eucharistie. Il n'a pas institué l'eucharistie en vue de la multiplication des pains. Jésus a changé l'eau en vin en vue du sacrifice du Calvaire. Il n'a pas consenti le sacrifice du Calvaire en vue du miracle de Cana.
On est en train de retourner l'Évangile, littéralement comme on retourne un vêtement. Tout s'y retrouve, peut-être, mais tout est à l'envers.
Ainsi, la première proposition de la campagne pour la libération temporelle au nom de l'Évangile est inacceptable. Elle est contraire à la Foi. Aujourd'hui comme hier le second commandement est la conséquence du premier. La réconciliation de l'homme avec l'homme est la conséquence de la réconciliation de l'homme avec Dieu. Non l'inverse. La moindre équivocité sur ce point est inacceptable.
Et que l'on ne vienne pas dire qu'en proclamant « Dieu premier servi » cela détourne du service de l'homme. Toute l'histoire de l'Église montre le contraire. Spécialement l'histoire de l'action sociale catholique.
Celle-ci, depuis 1891 en particulier, a joué un rôle non pas important, mais déterminant dans le progrès social des pays d'Occident. Elle a contribué à réduire les exactions de la mentalité libérale tout en refusant de tomber dans la tyrannie de la mentalité socialiste. Assumant la liberté sans le libéralisme amoral, assumant la volonté de justice sans le collectivisme totalitaire, elle a contribué à sauver, malgré le progrès de l'incroyance et de l'immoralité, les éléments d'une politique familiale minima, d'un droit du travail parfois bien élaboré, d'une pratique du dialogue et de la collaboration des classes pour le progrès social dont certains fruits sont sous nos yeux. Nier tout cela, ou plutôt l'ignorer ou le mépriser est d'un irréalisme tragique.
Que ces réalisations ne soient pas suffisantes, c'est évident. Qu'il faille redoubler d'efforts dans la ligne de la doctrine sociale de l'Église, j'en suis persuadé. Mais le problème essentiel, l' «* Unum necessarium *» reste le Royaume de Dieu et sa justice.
239:163
C'est dans la mesure où il y aura beaucoup de chrétiens fervents dans toutes les classes que la société deviendra plus fraternelle et donc plus équitable. Les premiers chrétiens mettaient tout en commun *parce qu'ils s'aimaient*, dans la grâce, comme les enfants du même père. Ce n'est pas *parce qu'ils mettaient tout en commun* qu'ils ont supprimé les « obstacles objectifs » à une prédication et à une sainteté qui serait venue après ! Il y a là une erreur substantielle, une erreur évidente, une erreur qu'un catholique ne peut pas laisser s'insinuer sans affirmer, tranquillement, la vérité.
#### 2^e^ Proposition la propriété privée est-elle injuste en soi ?
Si cette première proposition (qui identifie l'Évangile avec des conséquences économiques au lieu de l'identifier avec des causes spirituelles et surnaturelles) s'étale largement et presque sans précaution, la seconde proposition reste, tout à l'inverse, allusive et quelque peu honteuse. Elle tend à suggérer que l'injustice dans le monde résulte du lien de dépendance, et donc des inégalités que l'exercice du droit de propriété privée des biens de production entraîne nécessairement. Elle tend à insinuer qu'en face de cela, la lutte des classes et l'alliance avec des partisans des syndicats révolutionnaires sont chrétiennement acceptables.
Les documents sont feutrés. L'un condamne la mentalité qui « *béatifie la possession *». L'autre demande gravement si la libération se réalisera par « *la transformation des cœurs ou par la lutte des classes *». Le troisième décrit la situation du monde actuel « *marqué par le grand péché de l'injustice* » comme si le mépris de Dieu, la débauche, les vols, les meurtres, les adultères, les fraudes, la jalousie, l'envie, la diffamation, l'orgueil n'étaient pas d'aussi « grands péchés » ou étaient moins répandus ! Le document « *Justice et développement en région parisienne *» ne dissimule pas une analyse dialectique de la société. Reprenant le mythe marxiste, il conceptualise « *l'opposition, consciente ou inconsciente, des possédants au développement des plus démunis *» et enseigne que la révolution sociale est une loi de la société fondée sur la propriété privée. « *Une personne, un peuple qui veut se développer, a un projet qu'il entend réaliser et ce projet remet généralement en cause l'équilibre social, politique ou économique dans lequel les possédants sont installés. Le dominé remet en cause le pouvoir de domination de l'autre *». Tout cela est enveloppé, le « projet » n'est pas explicité, la révolution est une simple « remise en cause du pouvoir de domination » afin de défenestrer les « possédants ». Mais l'idée n'est pas douteuse, si la formulation est tarabiscotée.
240:163
On peut néanmoins se demander comment il s'explique que la campagne pour la libération temporelle au nom de l'Évangile soit à la fois aussi générale et aussi feutrée, aussi insistante et aussi insaisissable en ce qui concerne la remise en cause de la propriété privée. C'est que, pour presque tout le reste de cette propagande on peut prendre des mots ou des phrases de l'Évangile et en modifier le poids. On peut prendre le mot « Libération » dans l'Évangile : il s'y trouve. On peut lui donner un sens non à l'égard de Satan mais à l'égard des injustices temporelles. La parenté des significations est réelle. L'équivocité est facile.
Pour la propriété privée, y compris celle des biens de production, la gêne est visible. En dehors de quelques chrétiens socialistes depuis leur enfance ou de quelques personnalités religieuses « de pointe » on se borne à des allusions et l'on précise, ce qui évite d'entrer dans le vif du sujet, que l'Église n'a pas de solution concrète d'ordre social, politique ou économique pour la justice dans le monde. On soutient à la fois que « *la mission propre que le Christ a confiée à son Église n'est pas d'ordre économique ou social *» -- ce qui est évident, notoire et fondamental, et en même temps que « *la mission de prêcher l'Évangile exige aujourd'hui l'engagement radical pour la libération intégrale de l'homme *»... Radical... intégral... bien que cet engagement ne soit pas sa « mission propre ». On frôle l'incohérence.
Cette incohérence est symptomatique. Ce côté à la fois insistant et inconsistant de l'opposition à la propriété privée est révélateur d'une terrible gêne. Dans cette campagne de propagande idéologique qui cherche à identifier l'ouverture au monde avec une ouverture politique et idéologique « à gauche », c'est le point le plus difficile à franchir. Pourquoi ? Parce que, providentiellement, tous les Papes ont été d'une précision, d'une solennité, d'une unité dans les affirmations proclamant le droit de propriété et repoussant la lutte des classes que cela ne permet pas de prendre les mots pour en changer le poids extérieur.
Ainsi, Pie XI, pour établir qu'il s'agissait d'une doctrine constante et reçue dans l'Église a insisté sur le fait que Papes et théologiens « *ont unanimement soutenu que c'est* DE LA NATURE *et donc* DU CRÉATEUR *que les hommes ont reçu le droit de propriété privée. *» (Quadragesimo Anno, n° 50).
Pie XII, d'un autre point de vue, a enseigné que « *la conscience chrétienne ne peut reconnaître la justice d'un ordre social qui nie en principe, ou qui rend pratiquement impossible ou vain le droit naturel de propriété, tant sur les biens d'usage que sur les moyens de production. *» (1^er^ septembre 1944.)
241:163
Jean XXIII, il y a juste dix ans, a souligné que la valeur de ce droit est permanente, c'est-à-dire qu'elle existe indépendamment des contingences historiques ou culturelles : « *Le droit de propriété privée* (*jus privati dominii*) *même des biens de production, a valeur permanente, pour cette raison précise qu'il est un droit naturel, fondé sur la priorité ontologique et téléologique, des individus sur la société. *» (Mater et Magistra n° 109).
Cet enseignement des prédécesseurs immédiats de Paul VI est d'ailleurs la continuation d'un enseignement qui est implicite dans les Évangiles.
Ceux-ci, qui condamnent avec une si grande fermeté l'esprit de richesse, n'identifient absolument pas le riche avec le propriétaire chef d'entreprise. La parabole des ouvriers « de la dernière heure » n'aurait évidemment pas été donnée sous cette forme par Jésus s'il avait estimé que le régime de la propriété privée et le régime du salariat étaient EN SOI condamnables.
Car le propriétaire de vignes dont il s'agit est un chef d'entreprise. Il possède une exploitation agricole. Il sort dès le point du jour « *afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne *» (Matth. 20-1-16).
Il négocie un contrat de salaire : « *Ayant fait accord avec les ouvriers d'un denier par jour, il les envoya à sa vigne. *» A ceux qu'il embauche au cours de la journée, il donne aussi un denier, c'est-à-dire un salaire calculé non sur le temps ou le rendement, mais sur les nécessités de la vie ([^102]).
Il est évident que tout cet enseignement est destiné à faire comprendre que dans le Royaume des Cieux, les derniers arrivés pourront être les premiers. Mais il est aussi évident que les exemples pris par Jésus dans l'ordre de la vie économique ne peuvent pas être, en eux-mêmes, des exemples immoraux.
Il est donc conforme à la nature, selon l'Évangile, de posséder un bien de production.
Il est donc conforme à la nature, selon l'Évangile, de faire un contrat entre l'apporteur de travail et l'apporteur de capital. Il est donc possible, humainement et chrétiennement, que le chef d'entreprise, non seulement soit juste, mais même, soit bon (Jésus fait dire à ce patron : « Ou bien ton œil serait-il mauvais parce que *je suis bon ? *») L'homme a été affaibli par le péché originel. Il n'a pas été vicié.
242:163
Il n'y a donc pas une « loi » de l'opposition inéluctable entre les apporteurs de capitaux et les apporteurs de travail. Il n'y a donc pas une « loi » de l'opposition entre les « dominants » et les « dominés ». Jamais Jésus n'a, fût-ce de loin et indirectement, prêché la révolte des esclaves. Il a obtenu la conversion des maîtres et ce fut beaucoup plus efficace. L'enseignement de saint Paul à la fin de la première épître à Timothée, est net. Aux riches, il recommande de ne pas céder à l'orgueil, de ne pas mettre leur espérance dans les richesses incertaines, de donner avec générosité et libéralité. Aux esclaves, il n'enseigne ni la révolte, ni la contestation.
« *Tous ceux qui vivent sous le joug de la servitude considéreront leurs maîtres comme dignes de tous égards pour qu'ainsi ne soient dénigrés ni le nom de Dieu, ni la doctrine. Ceux dont les maîtres sont croyants, ils ne les mépriseront pas sous le prétexte qu'ils sont frères ; ils les serviront d'autant mieux que ce sont des fidèles, aimés de Dieu, et qui s'appliquent à leur faire du bien* (VI-1-2). »
Cette doctrine se retrouve dans les Pères de l'Église. Véhémente contre la richesse, celle-ci n'est point à leurs yeux l'*exercice* du droit de propriété, mais la *manière d'en user* lorsqu'elle est captation ou accaparement.
C'est encore la doctrine de saint Thomas d'Aquin, le docteur commun (Cont. gent. III, 127 et IIa IIae Q. 66 a. 2). C'est celle qui est enseignée tout au long de Rerum Novarum, par Léon XIII, dont Paul VI a tenu à célébrer solennellement le quatre-vingtième anniversaire, non point pour enseigner le contraire de son contenu essentiel, comme on l'a suggéré parfois, mais pour le confirmer, comme je l'ai établi précédemment.
C'est pourquoi les collectivistes chrétiens sont, sur cette question centrale, à la fois « insistants et inconsistants ». Ils cherchent à répandre un état d'esprit chez les catholiques. En même temps, ils proclament que l'Église n'a pas de doctrine sociale afin que, dans la logique de l'état d'esprit diffusé, les catholiques croient devoir, en conscience, voter pour les partis collectivistes athées et participer, éventuellement, à une révolution sociale par la violence. L'intention apostolique de tout ce plan n'empêche pas qu'il soit une chimère sans nom.
Ils n'ont, pour agir ainsi, aucune base évangélique valable. Ils n'ont aucun enseignement de l'Église dans ce sens. L'Écriture et la tradition sont d'accord pour enseigner une doctrine toute différente.
Car Jésus n'est pas venu pour arracher à l'homme ses droits naturels. Il est venu pour lui rendre la lumière et la force surnaturelles pour *faire bon usage* de ces droits. Il est venu, même, pour lui enseigner, dans certains cas : celui des vocations spéciales, à *renoncer* à cet usage.
243:163
Dans le cas du droit au mariage, la doctrine catholique est connue. Elle enseigne que le mariage est un sacrement, c'est-à-dire que le consentement de deux baptisés est efficace, dans l'obéissance à l'Église, pour leur communiquer toutes les grâces nécessaires à vivre selon leur état : un seul homme et une seule femme, unis indissolublement jusqu'à la mort de l'un des deux, réciproquement fidèles à un amour qui s'exprimera dans la conception et l'éducation de leurs enfants.
Ainsi, Jésus ne relâche pas le droit naturel. Il restaure la monogamie. Il peut le faire, car sa grâce apporte, aux époux qui y coopèrent, la possibilité, à travers des luttes, d'être fidèles.
Il va même plus loin. A certains, il demande de se faire « eunuque pour le Royaume de Dieu ». Il sanctifie le mariage et, simultanément, offre à ceux qu'il appelle plus spécialement, de renoncer à l'usage du droit au mariage en prononçant le vœu de chasteté.
Or, dans le cas du droit de propriété, la doctrine est la même. Elle enseigne que la gestion des biens doit être et peut être conforme à la justice. Le chrétien doit même, dans l'esprit des béatitudes, « posséder comme ne possédant pas », c'est-à-dire gérer les biens avec le détachement de la pauvreté. A certains, enfin, Jésus demande le vœu de pauvreté, c'est-à-dire de renoncer à exercer le droit de propriété. Mais le renoncement même étant nécessaire, prouve, *a contrario,* que le droit de propriété existe et qu'il est un droit inscrit dans la nature.
Comme on le pressent peut-être, à la suite de ce qui précède, un collectivisme chrétien ne peut être qu'une contradiction dans les termes.
Car, dans son respect de la liberté des âmes, Notre-Seigneur n'a pas donné la même force aux *préceptes* de la loi évangélique et aux *conseils* qu'il y a ajoutés. Les *préceptes* exigent face aux biens matériels que les chrétiens évitent toute faute contre la justice, et cette norme objective est d'une grande exigence dans l'ordre économique, qu'il s'agisse des prix ou des salaires, qu'il s'agisse de l'utilisation des capitaux ou de la contribution à la justice générale. Les *conseils* évangéliques, eux, vont beaucoup plus loin : « *Vends tout ce que tu as et donnes-en le prix aux pauvres *» (Matth. XIV, 21). Ces conseils, toutefois, ne s'adressent pas à tous, ni à tous moments. Au contraire des préceptes, ils ne s'imposent pas sous peine de péché (sauf pour ceux qui se mettent librement dans l'obligation de les pratiquer).
C'est pourquoi affirmer que l'Évangile implique, d'une manière ou d'une autre, la communauté des biens et donc l'abolition de la propriété privée, cela revient, spirituellement, à faire du *conseil* évangélique de la pauvreté un *précepte* évangélique *strict et universel :* ce que Notre-Seigneur, précisément, s'est refusé à faire.
244:163
En outre, il est AUJOURD'HUI AUSSI parfaitement possible de disposer de biens de production, même importants, et d'agir selon l'esprit de pauvreté. La campagne de calomnie que l'on voit se dessiner actuellement de la part surtout de certains milieux ecclésiastiques à l'égard des chefs d'entreprise comme tels, constitue l'une des formes, et non des moindres, de l'injustice dans le monde. Professeur, pendant plus de quinze ans, à l'École du chef d'entreprise du Patronat chrétien, j'y ai vu passer plusieurs milliers de patrons. J'ai corrigé leurs travaux. Je souhaiterais que beaucoup de prêtres contestataires aient à la fois leur équilibre et leur générosité.
La propriété n'est pas un péché. Le propriétaire privé, individu ou société, des biens de production n'est pas un pécheur public. Le *précepte* évangélique implique la pratique de la vertu de justice qui est une obligation morale stricte. Le *conseil* évangélique qui implique le renoncement à toute propriété ne saurait être transformé en structure sociale sans une véritable torture des consciences. Si l'on se scandalise des cas très rares, où des parents ont pu, naguère, forcer leur fille à devenir religieuse et à vivre de force les conseils évangéliques, que dira-t-on de ces révolutionnaires qui, en abolissant dans les faits le droit spirituel de propriété privée acculent une population entière à une mutation spirituelle magique dont tout le monde sait qu'elle requiert, en fait, vocation spéciale, maturation lente et sacrifice totalement libre ?
Enfin, il y a aussi l'obéissance ! L'homme a le droit naturel d'être la cause responsable de ses actes. Mais il est dans la nature que, *sous un rapport déterminé*, les relations humaines soient hiérarchiques, c'est-à-dire fondées sur le droit du supérieur de créer des obligations morales conformes à la droite raison, obligation que les subordonnés doivent mettre en œuvre. Ce n'est qu'à quelques âmes que le Christ demande de renoncer à l'exercice universel du droit d'être cause de ses actes en formulant le vœu d'obéissance.
Or, dans une société collectiviste, la nécessité de l'autorité et de l'obéissance n'est pas abolie. Mais elle impose alors à tous les hommes la pratique du renoncement universel au droit d'être cause de ses actes. Car, quand le droit de propriété est respecté, on peut changer de contremaître, ou de chef d'entreprise, et cela se passe tous les jours dans les pays libres. ON NE PEUT PAS CHANGER DE SOCIÉTÉ QUAND C'EST LA SOCIÉTÉ QUI EST PROPRIÉTAIRE DE TOUT ET QUI DÉCIDE DE TOUT. C'est le vœu d'obéissance obligatoire, universel et irréversible.
Le collectivisme est donc une caricature de l'Évangile. C'est une communauté des biens sans la grâce. C'est une pauvreté évangélique sans la vocation. C'est un détachement de toute propriété sans la liberté.
245:163
C'est un renoncement imposé et universel au droit d'être cause responsable de ses actes sans grâce, sans vœu et sans vocation. C'est la tyrannie absolue. Des chrétiens qui bâtiraient, au nom de l'Évangile, cet enfer sur la terre, porteraient un contre-témoignage inimaginable.
La propriété, même des biens de production, n'est pas injuste de soi. Le propriétaire n'est pas un pécheur public. Il est urgent de redresser les esprits sur ces points.
Et pas seulement les esprits : les cœurs.
#### 3^e^ Proposition l'engagement nécessaire
Alors, vous ne voulez rien changer ? Vous trouvez que tout va bien ? Vous ne partagez même pas le jugement du Pape qui demande un engagement pour un monde plus juste !
Ainsi procèdent dialectiquement les collectivistes chrétiens. Ils adoptent le schéma marxiste :
-- ou le capitalisme oppresseur,
-- ou le socialisme libérateur,
et raisonnent : si vous n'êtes pas POUR le second, vous êtes NÉCESSAIREMENT complices du premier. Au moins inconsciemment. Dès lors, votre procès commence. Au nom de « l'Évangile », bien entendu.
On ne peut que récuser au nom de l'enseignement même du Concile et de Paul VI qui proclame qu' « *une même foi chrétienne peut conduire à des engagements différents *» ([^103]), la tyrannie d'un tel schéma. Car la doctrine sociale de l'Église existe. Elle affirme A LA FOIS la légitimité du droit de propriété, même des biens de production, et A LA FOIS la cogestion, non de l'entreprise privée qui appartient à ses propriétaires, mais la cogestion des professions, mais la cogestion de l'organisme économique tout entier, dans une prise de conscience des intérêts communs et des négociations et des ententes pour perfectionner, par des retouches incessantes, l'équité des relations et des conditions de travail, l'équité de la répartition des biens et services.
246:163
Tel est l'ordre naturel. Il conduit à réconcilier la propriété privée avec la communauté nationale de tous ceux qui participent à l'effort productif. Il conduit à réconcilier les classes en leur demandant un désarmement progressif et la substitution de l'ajustement des droits à l'affrontement des forces. Il conduit à demander aux responsables des capitaux comme aux chefs syndicaux de prendre largement conscience de leurs responsabilités mutuelles et des problèmes concrets qu'ils doivent résoudre. Il appartient à l'État de faciliter des mœurs normales dans le monde du travail.
Que les résultats de ces dialogues, de cette collaboration organique soient une meilleure connaissance réciproque, une découverte plus rapide des injustices silencieuses et facilitent une solution immédiate à celles-ci, c'est ce qui est dans la logique même de l'amitié et de l'esprit de collaboration. Mais imaginer que les hommes cesseront d'être dominateurs, envieux, jaloux, cupides, voleurs, etc., parce qu'on aura aboli en pratique le droit de propriété, est une incroyable chimère : il n'est que de voir les passions qui se développent dans les régimes communistes, les purges incessantes et les drames du monde du travail, en Pologne, au Chili, en Yougoslavie, en Chine, en U.R.S.S....
La collaboration organique des classes établie pour équilibrer la liberté de l'entreprise privée va d'ailleurs dans le sens des aspirations actuelles.
J'ai été très frappé, je l'ai écrit déjà, par le fait que Paul VI ait choisi de mettre en lumière dans « Octogesima adveniens » deux aspirations subjectives de la société contemporaine l'aspiration à l'égalité et l'aspiration à la participation.
Ces deux aspirations rejoignent en effet le discours capital prononcé par Pie XII le 7 mai 1949 -- et, ici encore, il faut admirer la manière dont Paul VI, sous une forme renouvelée, reste dans la stricte tradition de l'Église.
Pie XII, concrétisant l'égalité fondamentale des ouvriers et des chefs d'entreprises, soulignait : « Ils sont coopérateurs dans une œuvre commune. Ils mangent, pour ainsi dire, à la même table, puisqu'ils vivent, en fin de compte, du bénéfice net et global de l'économie nationale. Chacun touche son revenu et, sous ce rapport, leurs relations mutuelles ne mettent aucunement les uns au service des autres. »
Et il poursuivait développant cette fois le thème de la participation :
« *Mais dès lors que l'intérêt est commun pourquoi ne pourrait-il pas se traduire dans une expression commune ? Pourquoi ne serait-il pas légitime d'attribuer aux salariés une juste part de responsabilité dans la constitution et le développement de l'économie nationale ? *»
247:163
Paroles qui résonnent maintenant comme annonciatrices de cette explosion des aspirations à l'égalité et à la participation que les journées de 68 dans ce qu'elles exprimaient de profond, ont manifesté. On comprend aujourd'hui que cette double aspiration conduit à la prise en charge au niveau professionnel et interprofessionnel de l'économie tout entière, à parité, par tous ceux qui y coopèrent.
Faut-il appeler cela « programme social de l'Église » ? Franchement, je ne le crois pas. L'Église se veut missionnaire auprès des hommes. C'est en eux, qu'éclairée par l'Esprit Saint, elle veut retrouver les lignes de force de la société à édifier. Mais il demeure, bien sûr, essentiel, dans la ligne même de l'annonce de l'Évangile, de travailler à réaliser dans le corps social ce que l'apôtre dit du Corps mystique du Christ : « *Tout le corps, coordonné et uni par les liens des membres qui se prêtent un mutuel secours et dont chacun opère selon sa mesure d'activité grandit et se perfectionne dans la charité. *» (Eph. IV, 16). Cela ne se confond-il pas avec l'application, à la société, de la vie théologale elle-même ? Et le chrétien peut-il renoncer à la foi, à l'espérance et à la charité vécue ?
Nous savons bien que non. Le second commandement est semblable au premier, mais il présuppose le premier. C'est dans la mesure où le Royaume des Cieux sera dans les âmes que la société sera plus fraternelle et plus juste. C'est dans la mesure où la grâce sera efficace que les conduites s'amélioreront. C'est l'application des mérites de Jésus-Christ qui rendra la société chrétienne et, de ce fait, plus humaine et plus juste. Ce n'est pas la collectivisation des biens.
« *On entend attribuer les maux existant actuellement dans les États au fait que les biens n'y sont pas mis en communauté* (!...) *En réalité, ces maux n'ont jamais pour cause le défaut de communauté des biens, mais la faiblesse humaine. *» ([^104])
C'est très certain, même si la chose est connue depuis plus de deux mille trois cents ans. Or c'est la rédemption de Jésus-Christ qui guérit la faiblesse humaine. Ce n'est pas la suppression des droits inscrits dans la nature. Cette suppression n'est pas une rédemption. C'est une mutilation.
248:163
### L'affaire Coache
NOUS n'avons jusqu'ici jamais nommé l'abbé Louis Coache dans ITINÉRAIRES que pour prendre sa défense contre les injustices qu'il subissait. Même quand nous désapprouvions certains de ses propos ou certaines de ses initiatives, ou leur manière tapageuse et envahissante, nous avons fait taire ces divergences, nous n'avons jamais engagé de controverse publique (fût-ce courtoise et bienveillante) contre sa personne. Le fait qu'il soit injustement persécuté ne nous oblige pas à accepter les yeux fermés tout ce qu'il dit. Mais ne point accepter tout ce qu'il dit ne nous a jamais empêché de protester contre la persécution qui le poursuit.
Comme on le sait, la réciproque n'est pas vraie. Encore tout récemment, au mois de novembre 1971, quand l'épiscopat a dénoncé à la colère et au mépris de l'opinion publique, comme les plus ignobles individus que l'on puisse aujourd'hui nommer dans le catholicisme français, le Directeur d'ITINÉRAIRES et trois autres écrivains catholiques ([^105]), il est certain que le silence et l'abstention de l'abbé Coache ont fait sur nous une profonde impression. Nous ne prétendons pas que notre surprise fut immense. Mais nous n'avons pas caché que nous avons goûté alors une nuance nouvelle de l'amertume et du chagrin.
Nous n'appliquerons pas à l'abbé Louis Coache la loi du talion. Nous ne nous enfermerons pas à notre tour dans le silence, dans l'abstention, dans l'indifférence en face des persécutions qui l'accablent.
Mais seraient-elles venues l'accabler comme elles l'ont fait en mars 1972, si à la précédente occasion, en novembre 1971, l'abbé Coache n'avait pas donné le spectacle d'une parfaite insensibilité aux coups qui ne tombaient pas sur lui-même ?
249:163
Et s'il n'avait pas, ainsi, donné à croire aux persécuteurs que n'ayant point porté secours à son prochain, il n'en recevrait à son tour aucun sans doute, et qu'on pouvait donc y alter impunément ?
\*\*\*
Cette dernière considération est beaucoup plus importante que le chagrin et l'amertume. C'est pourquoi nous allons y insister.
Nous dirons très nettement notre pensée. A savoir : nous considérons comme dérisoires les soi-disant « unions » ou « fédérations » pour la « défense de la foi », ou « de l'Église », surtout quand les artisans de ces grandioses et chimériques constructions ne sont pas capables de l'humble minimum qui est l'entraide dans la légitime défense. Or ils n'en sont même pas capables entre eux : concernant l'excommunication du P. Saenz, dirigeant du PERC, c'est seulement la revue ITINÉRAIRES, non membre du PERC, qui a publié en langue française le dossier de l'affaire et notamment la traduction intégrale de l'importante et belle déclaration faite par le théologien mexicain ; et c'est encore la revue ITINÉRAIRES, seule en France et même, autant que nous sachions, seule en Europe, qui a présenté une argumentation en sa faveur ([^106]).
Qui ne peut pas le « moins » ne pourra jamais le « plus ». Qui n'est pas capable d'union fraternelle, ou au moins de solidarité active, au niveau élémentaire et vital de la légitime défense mutuelle, en sera encore plus incapable au niveau nuageux des vastes machineries internationales fabriquées sur le papier, pour la réclame et pour l'épate. Nous n'avons jamais cru à l'organisation nationale ou internationale d'un grand parti religieux, qui serait le parti traditionaliste, ou intégriste : nous ne croyons ni à son opportunité, ni à sa possibilité. Nous refusons de former des partis dans l'État : ce n'est point pour aller en fomenter dans l'Église. Mais nous croyons à la nécessité de quelque chose de beaucoup plus réel, de beaucoup plus modeste, de beaucoup plus concret : l'assistance mutuelle, pour leur défense légitime, des victimes de la persécution moderniste.
250:163
Qu'elles n'en soient pas réduites à se défendre elles-mêmes car cela n'est pas conforme à l'ordre de la charité.
Chacun a pu constater, lors de l'agression épiscopale de novembre 1971, à quel point on est éloigné du minimum vital de défense mutuelle. Dans ces conditions, dans cette situation, nous marchons moins que jamais dans les échappatoires et dans les faux-semblants ; nous déclarons illusoire, nous déclarons trompeuse toute « union » qui méconnaît l'humble et indispensable devoir de réciprocité.
\*\*\*
Les « traditionalistes » sont frappés un à un, ou trois par trois, isolément, successivement, sous l'accusation d'avoir « attaqué » le pape, les évêques ou le concile Vatican II.
Il faut les défendre tous ensemble. Non point en assurant qu'ils ont eu raison s'ils ont eu tort, ou si leur droit n'est pas clair. Mais en proclamant très haut que même dans l'hypothèse extrême où ils auraient tous les torts qu'on leur reproche, ces torts demeureraient excusables, et minuscules, et quasiment inexistants en regard des BLASPHÈMES ET CRIMES PUBLICS de l'apostasie immanente : falsifications de l'Écriture, outrages à la personne de Jésus-Christ et de sa Sainte Mère, perversion intellectuelle et morale distillée aux enfants des écoles de la nouvelle religion, démolition de l'Église ; démolition qui est bien une « auto-démolition » dans la mesure où les démolisseurs, vêtus de peaux de brebis, se sont emparé de divers postes et sièges dans la hiérarchie ecclésiastique.
Comparées à cette subversion générale, les réactions même supposées « excessives » (!?) des « traditionalistes » ne méritent vraiment pas d'être LES SEULS ACTES présentement réprimés dans l'Église. Et même si on les suppose coupables, les « traditionalistes » ne sont évidemment ni LES PLUS GRANDS coupables dans L'Église d'aujourd'hui ni LES SEULS qu'il faille frapper.
Par quoi l'injustice est rendue évidente.
\*\*\*
251:163
Cette argumentation est fondamentale quand il s'agit de montrer et démontrer à tous que l'autorité ecclésiastique, actuellement colonisée par un parti, mène une persécution religieuse contre les prêtres et les laïcs fidèles à l'Église de toujours.
C'est une argumentation analogue en substance que l'abbé Georges de Nantes a invoquée dans le numéro 54 de la « Contre-Réforme » (mars 1972)
« Tout peut être discuté, remis en cause, contesté, même l'infaillibilité du pape, même la Virginité de Marie, même la Résurrection du Christ, même l'existence de Dieu. Tout cela est possible, permis, pastoral, dans la ligne du concile. Mais remettre en cause Vatican II et sa Réforme, sous quelque aspect que ce soit, est un péché irrémissible. »
A ce premier argument s'en ajoute un second, que voici.
Les postes de commandement dans l'Église ont été, depuis 1958, colonisés par ceux que Pie XII avait plus ou moins « condamnés » ou « éloignés ». Ils ont depuis lors raconté qu'ils avaient été éloignés ou condamnés sans avoir reçu d'avertissement préalable ni avoir été entendus pour leur défense. Ils ont proclamé, ils ont promis, ils ont décrété que cela ne se ferait JAMAIS PLUS. Mais ils voulaient dire que cela ne se ferait jamais plus contre eux et leurs amis ; jamais plus contre leur parti, contre leur secte, contre leur maffia. Pour la bonne raison que ce serait eux désormais qui le feraient contre leurs adversaires : comme on les voit faire contre le P. Saenz, contre le P. Lelong, contre l'abbé de Nantes, contre l'abbé Coache... Ce second argument est « ad hominem ». Nous l'avons déjà énoncé plusieurs fois. Nous ne cesserons de le répéter, car il met en lumière l'imposture des persécuteurs qui frappent sans écouter et qui condamnent sans avoir entendu.
\*\*\*
Sans doute, ces deux arguments sont en quelque sorte « propédeutiques » : ils ne sont pas sans rapport avec le fond des choses, ils ne l'épuisent pas. Mais ils sont directement adéquats à l'injustice et à la méchanceté de ceux qui imposent l'autodémolition de l'Église. Et ils sont immédiatement accessibles au simple fidèle.
Ce préambule ne pouvait, croyons-nous, être omis. Voyons maintenant le dossier de la nouvelle affaire.
252:163
Une nouvelle « mise en garde »\
(mais qui « n'est pas un communiqué » !)\
contre les abbés de Nantes et Coache
La presse du vendredi 10 mars 1972 a fait savoir au peuple chrétien que le groupe dirigeant de l'épiscopat français vient d'inventer un nouveau fusil à tirer dans les coins : la « mise en garde écrite » mais qui « n'est pas un communiqué ». En novembre 1971, contre l'abbé de Nantes, Pierre Debray, Louis Salleron et Jean Madiran, le groupe dirigeant de l'épiscopat avait inventé le « communiqué qui ne nomme personne », oralement accompagné par la liste des noms donnée par le « porte-parole officiel de l'épiscopat ».
En mars 1972, c'est une autre sorte de miquemac.
Lisons le compte rendu de Georges Merchier dans *L'Aurore* du 10 mars :
Le Conseil permanent de l'épiscopat qui vient de se réunir « *s'est élevé contre les attaques dirigées contre le Saint-Père, le II^e^ Concile du Vatican, la hiérarchie par M. l'abbé Georges de Nantes, quand il affirma par exemple :* « le Concile a renversé l'ordre hiérarchique et mis l'Église tête en bas » et parle du Pape Paul VI « oublieux de sa foi et négligeant sa fonction apostolique » (« *La Contre-Réforme catholique,* juillet 1969).
Le conseil « *a condamné l'attitude de M. l'abbé Coache qui qualifie* « *l'Ordo Missae *» de vérité d'hérésie, proche de l'hérésie, protestant d'esprit et de forme et donc extrêmement dangereux ».
« *Ces expressions,* précise une note*, sont, au dire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi* « *doctrinalement fausses et condamnables *» (*15 février 1972*)*. *»
Le texte cité ici provient d'un compte rendu écrit des travaux du Conseil permanent remis hier à la presse et non, il faut le préciser toutefois, d'un communiqué officiel.
Le soir du même jour, dans son numéro daté du 11 mars, *Le journal la croix*, sous la signature de Robert Ackermann, donnait entre guillemets la citation suivante :
253:163
« *Le Conseil permanent,* déclare le compte rendu de presse (il n'est pas un communiqué officiel) *s'est élevé contre les attaques dirigées contre le Saint-Père, le II^e^ Concile du Vatican, la hiérarchie par M. l'abbé Georges de Nantes quand il affirme par exemple :* « *Le Concile a renversé l'ordre hiérarchique et mis l'Église tête en bas *» *et parle du Pape Paul VI* « *oublieux de sa foi et négligeant sa fonction apostolique *»*.* (« *La Contre-Réforme catholique *»*,* juillet 1969.)
*Il a condamné l'attitude de M. l'abbé Coache qui qualifie l'*Ordo Missae *de* « *teinté d'hérésie, proche de l'hérésie, protestant d'esprit et de forme et donc extrêmement dangereux *»*.*
Le « compte rendu de presse », ou « compte rendu écrit », qui « n'est pas un communiqué officiel », n'a été publié, à notre connaissance, nulle part ([^107]).
Le cas particulier\
de l'abbé Georges de Nantes
S'ils ne l'ont pas dit dans leurs journaux, les journalistes ont du moins remarqué à haute voix que la mise en garde contre l'abbé de Nantes était, cette fois, insolite et inexplicable.
On lui reproche en effet une vingtaine de mots écrits en juillet 1969 (soixante-neuf). Ce n'est pas très « actuel », ont dit les journalistes. L'autorité religieuse n'a su donner aucune explication.
254:163
Ajoutons ceci : postérieurement à son texte de juillet 1969, l'abbé de Nantes a fait l'objet d'une Notification de la Congrégation de la doctrine et de trois mises en gare épiscopales. On voit mal pourquoi le groupe dirigeant de l'épiscopat a voulu, en mars 1972, revenir sur cette vingtaine de mots datant de 1969 et qui ne sont même pas très caractéristiques.
Une opinion assez répandue est que l'abbé de Nantes a été -- cette fois-ci -- nommé pour la figuration, et *pour dissimuler qu'il y avait urgence à frapper l'abbé Coache *: afin, dit-on, de l'empêcher de bénéficier d'une importante cession imprudemment consentie par un Ordre religieux.
Il est vrai que l'affaire s'est développée ensuite, comme on va le voir, en direction de l'abbé Coache et nullement en direction de l'abbé de Nantes.
Quoi qu'il en soit, l'abbé de Nantes qui avait fait l'objet, comme il le rappelait récemment, de -- sept mises en garde en sept ans --, vient ainsi de recevoir sa huitième nomination au tableau d'honneur.
La mise en garde\
du Saint-Office
Dans *L'Aurore* du 10 mars, on l'a vu, Georges Merchier avait fait une brève allusion à une condamnation doctrinale de l'abbé Coache par la Congrégation de la doctrine.
Le groupe dirigeant de l'épiscopat français avait en main cette condamnation doctrinale quand il préparait contre l'abbé Coache son « compte rendu écrit qui n'est pas un communiqué officiel ».
*Le journal la croix* avait au contraire passé sous silence cette condamnation doctrinale. Mais trois jours plus tard, dans son numéro du 14 mars, il donnait la nouvelle :
La revue diocésaine *Église de Beauvais* publie dans son numéro du 11 mars une mise en garde de la Congrégation, pour la Doctrine de la foi.
Elle est introduite par ces quelques lignes signées par Mgr Stéphane Desmazières, évêque de Beauvais : « *A la suite de ma visite ad limina à Rome fin janvier, et d'un échange épistolaire, voici la lettre que la S. Congrégation pour la Doctrine de la foi* (*anciennement Saint-Office*) *a adressée à l'évêque de Beauvais pour éclairer l'opinion publique, abusée par l'abbé Coache, et mettre en garde contre son action et ses écrits. *»
255:163
L'évêque de Beauvais, c'est Mgr Stéphane Desmazières : évêque de Beauvais, Noyon et Senlis.
Selon toute apparence, il a longuement réclamé la tête de l'abbé Coache.
Et pour l'occasion, il ressuscite le Saint-Office. Il précise bien que la « Congrégation pour la doctrine de la foi » c'est « anciennement le Saint-Office ».
Il ne faut pas s'y tromper et Mgr Desmazières ne s'y trompe pas. La suppression du Saint-Office, son remplacement par une Congrégation « pour la Doctrine » était, dans la pensée des modernistes, un faux-semblant. Le Saint-Office a été supprimé pour les progressistes. Il n'a pas été supprimé pour les intégristes. Tel est leur calcul.
Pour les progressistes, il n'y a plus que la Congrégation « pour la Doctrine », benoîtement chargée de leur organiser des congrès doctrinaux et des dialogues pluralistes.
Pour les intégristes, il faut que la même Congrégation se rappelle et rappelle qu'elle est « anciennement le Saint-Office », et que son préfet fulmine des condamnations, d'ailleurs atypiques et très probablement illégales.
La portée de la lettre
Toutefois, le document invoqué et publié par Mgr Stéphane Desmazières n'a nullement l'air d'être « une mise en garde de la Congrégation », comme le prétend *le journal la croix*. Rien dans ce document n'indique qu'il aurait été écrit « pour éclairer l'opinion publique abusée par l'abbé Coache et mettre en garde contre son action et ses écrits », comme le prétend l'évêque de Beauvais.
Il s'agit comme on va le voir, d'une lettre du cardinal François Seper, préfet de la « Sacra Congregatio pro Doctrina Fidei », qui « répond » à Mgr Desmazières pour lui faire connaître, sur sa demande, « la position » de la Congrégation.
Selon toute vraisemblance, cette lettre est une lettre privée. Elle n'est pas un *acte public*.
256:163
On en trouve la confirmation dans une dépêche de l'A.F.P. (Agence France-Presse) datée de la Cité du Vatican, mercredi 15 mars :
On refuse mercredi de confirmer ou de démentir à la Congrégation pour la doctrine de la foi que le préfet, le cardinal yougoslave Franjo Seper, ait adressé une lettre à l'évêque de Beauvais, Mgr Stéphane Desmazières, au sujet de l'abbé Louis Coache, curé de Montjavoult.
S'il y avait un acte public, régulièrement promulgué, il n'y aurait aucun doute sur son existence, il n'y aurait ni à le confirmer, ni à le démentir, ni à refuser de le démentir ou de le confirmer.
Le texte de la lettre
La lettre du cardinal Seper à Mgr Desmazières est datée du 15 février 1972 et porte la référence : « Prost. N. 955/68 ».
En voici le texte intégral :
« Excellence,
Dans votre lettre du 27 janvier dernier, vous invitez cette Congrégation à préciser sa position dans le cas douloureux de l'abbé Louis Coache. Voici notre réponse :
Le 10 juin 1968, à un premier examen des écrits *d'alors* de l'abbé Coache, ce Dicastère a retenu qu'il ne s'y trouvait pas de formules contraires à la foi ; d'autre part, il a exigé que l'abbé obéisse *à son évêque*.
Le 29 mai 1969, cette Congrégation a fait savoir que la réponse de l'année précédente était dépassée depuis les attaques de l'abbé Coache à l'adresse de l'épiscopat français et ses consignes de résistance.
Dans une lettre du 17 mars 1970 à S. Em. le cardinal Marty, cette Congrégation exprime sa très vive inquiétude devant l'évolution de ce prêtre, tant sur le plan de la foi que sur celui de la discipline.
De son côté, la S. Congrégation pour le Clergé, dans sa lettre N. 128 656/1 du 18 mars 1970, confirme que l'abbé Coache reste suspendu, qu'il ne peut pas célébrer les Saints Offices dans sa paroisse ni ailleurs, ni tenir des processions, sans avoir reçu une permission écrite de l'Ordinaire du lieu.
257:163
Une feuille publiée en 1970 par l'abbé L. Coache et le P. Philippe Rousseau, comme supplément au n° 11 du *Combat de la foi,* affirme que le nouveau ([^108]) *Ordo Missae* « *apparaît comme teinté d'hérésie, proche de l'hérésie, protestant d'esprit et de forme et donc extrêmement dangereux *». Dans une feuille ultérieure, supplément au *Combat de la foi 16*, il est affirmé que le nouveau (**105**) « Ordo » est « anathème ». La Congrégation pour la Doctrine de la foi considère ces expressions doctrinalement fausses et condamnables.
Tout en espérant avoir suffisamment précisé la position de ce Dicastère je vous prie, cher Monseigneur, de vouloir agréer l'expression de mes sentiments respectueux et fraternels en Notre-Seigneur. »
Le communiqué\
de l'abbé Coache
Le 14 mars, l'Abbé Louis Coache publiait le communiqué suivant :
*Église de Beauvais,* bulletin officiel de l'évêché de Beauvais, a publié une lettre que semble avoir reçue Mgr Desmazières, évêque de Beauvais.
L'abbé Louis Coache constate :
1\. -- Qu'il n'a jamais eu connaissance des documents mentionnés par cette lettre.
2\. -- Que la question de la tentative de destitution par Mgr l'évêque de Beauvais n'est pas encore tranchée et donc qu'il est toujours en droit curé de Montjavoult.
3\. -- Qu'il a été émis au courant de la teneur de la lettre citée plus haut seulement trois jours après l'ensemble des diocèses de Beauvais ; en effet Mgr l'évêque de Beauvais qui l'avertissait de l'arrivée et de la publication d'un document à son sujet ne lui en a pas livré la teneur ; et *Église de Beauvais* n'est parvenu à l'abbé Coache que trois jours après sa parution à Beauvais.
258:163
Interrogé par plusieurs journalistes, l'abbé Coache déclare que, pour le moment, il ne peut s'appuyer sur un texte publié par l'une des parties en cause, puisque le litige soumis à Rome concerne les sanctions de Mgr l'évêque de Beauvais ; cependant l'abbé Coache est prêt, sans comprendre mais recherchant la volonté de Dieu, à se soumettre à l'une des plus hautes instances de la Sainte Église qu'il aime tant, à partir du moment où il aura entre les mains le document officiel.
Le document officiel qui aurait dû être remis à l'abbé Coache, n'est d'ailleurs pas principalement cette lettre du cardinal Seper, mais la terrible lettre de la Congrégation du clergé, n° 128656/1 du. 18 mars 1970, et plus encore les documents et actes antérieurs que cette lettre déclare « confirmer ». Nous allons tout de suite revenir sur ce point capital. Mais remarquons dès maintenant que l'abbé Coache a été condamné sans avoir été entendu.
Peut-être même a-t-il été condamné... sans avoir été condamné !
Suspens sans le savoir
Donc, la lettre du cardinal Seper cite ou plutôt mentionne une lettre de la Congrégation pour le clergé en date du 18 mars 1970 qui « *confirme *» (à qui ?) « *que l'abbé Coache reste suspendu *» (par qui et depuis quand ?), « *qu'il ne peut pas célébrer les Saints Offices dans sa paroisse ni ailleurs *» (ni ailleurs ! Il est plus sévèrement frappé que l'abbé de Nantes, qui n'est suspens que dans le diocèse de Troyes), « *ni tenir des processions sans en avoir reçu une permission écrite de l'Ordinaire du lieu *».
Il en était ainsi depuis plus de deux ans et l'abbé Coache n'en avait pas été averti.
Et personne n'en savait rien.
Nous avons soigneusement relu dans la « Documentation catholique » tout ce que son évêque ou d'autres ont publié sur l'abbé Coache. Nous avons retrouvé une et plusieurs mises en garde contre ses écrits ; l'interdiction de la procession le la Fête-Dieu ; sa destitution de la charge de curé de Montjavoult (destitution contre laquelle il a fait appel à Rome, le jugement définitif n'est point encore publié). Nulle part il n'est mentionné que l'abbé Louis Coache aurait reçu l'interdiction de célébrer la messe « *dans sa paroisse ni ailleurs *».
259:163
Voici pourtant que cette interdiction est publiée, officiellement, dans le Bulletin diocésain de Beauvais ; elle est publiée comme existant depuis plus de deux ans et comme « confirmée » en mars 1970, sans que l'on sache où, quand, par qui elle aurait été portée.
Les autorités qui donnent le spectacle de telles procédures ont donc juré qu'elles arriveraient à empêcher même les plus naïfs de les respecter ? Ce n'est plus seulement l'anarchie.
C'est la jungle.
Oui, c'est bien la jungle...
Douze jours après son communiqué du 14 mars, le dimanche des Rameaux, l'abbé Coache en publiait un second (ou plus exactement, une version plus développée de son premier communiqué), et cette fois, au lieu de le remettre à l'A.F.P. (Agence France-Presse) il en assurait lui-même la diffusion par feuilles volantes. L'A.F.P. peut seulement envoyer des « dépêches » aux journaux : les journaux les publient ou ne les publient pas. La presse s'est volontairement abstenue de faire le moindre écho au communiqué du 14 mars, à part deux quotidiens qui en ont reproduit seulement deux ou trois membres de phrase.
Voici les compléments d'information qu'apporte le second communiqué de l'abbé Coache.
1\. -- Sur l' « acte » (?) du 10 juin 1968, évoqué en ces termes dans la lettre du cardinal Seper :
« Le 10 juin 1968, à un premier examen des écrits d'alors de l'abbé Coache, ce Dicastère a retenu qu'il ne s'y trouvait pas de formules contraires à la foi ; d'autre part il a exigé que l'abbé obéisse à son évêque. »
L'abbé Coache précise :
Pour le document du 10 juin 1968, l'abbé Coache a bien appris son existence par Mgr Desmazières, mais celui-ci ne lui en a envoyé que de très courts extraits, noyés dans ses propres commentaires ; et encore ces extraits, phrases hachées, étaient servis tantôt en latin (langue originale), tantôt dans une traduction française, tantôt avec guillemets, tantôt sans guillemets. A plusieurs reprises, mais sans succès, l'abbé Coache a demandé à son évêque le texte intégral afin de connaître la pensée exacte de la Congrégation et de pouvoir en tenir compte. Quant aux autres documents cités dans la lettre « du cardinal Seper » ([^109]), l'intéressé les ignorait purement et simplement.
260:163
2\. -- Sur le point qui nous paraît le plus grave -- à savoir que l'abbé Coache soit réputé condamné sans avoir été condamné -- la lettre du cardinal Seper s'exprimait ainsi :
« ...La S. Congrégation pour le clergé, dans sa lettre N. 128656/1 du 18 mars 1970, confirme que l'abbé Coache reste suspendu, qu'il ne peut pas célébrer les Saints Offices dans sa paroisse ni ailleurs, ni tenir des processions etc. »
Sur ce point, le second communiqué de l'abbé Coache précise :
La lettre du cardinal Seper présente l'abbé Coache comme suspens (*generaliter*) et avec *effet dans toute l'Église !* Il s'agirait alors d'une suspense portée par le Saint-Siège, et la plus grave de toutes. Or l'abbé Coache n'a été l'objet à Rome d'aucune monition canonique et la censure ne lui a jamais été notifiée !
C'est cela surtout qui nous fait dire : *ce n'est plus l'anarchie, c'est la jungle !*
Si une suspense avait été prononcée contre l'abbé Coache, la lettre du cardinal Seper devrait normalement en donner la référence. Mais non. Il mentionne seulement une lettre qui la « confirme ». C'est tellement énorme que l'abbé Coache en vient à douter que la lettre publiée par Mgr Desmazières puisse être véritablement du cardinal Seper.
Mais l'hypothèse selon laquelle cette lettre serait un faux n'est, si l'on y réfléchit, pas plus rassurante.
\*\*\*
261:163
Sur cette lettre du cardinal Seper publiée par Mgr Desmazières, l'abbé Coache fait encore remarquer :
-- L'expression « anathème » réprouvée par la lettre a pour auteur et signataire le R.P. Barbara qui regrette qu'un confrère endosse à sa place une condamnation ; il souhaiterait répondre personnellement de ses actes.
-- La dite lettre ne fait *aucune mention* de la « destitution » de l'abbé Coache tentée par Mgr l'évêque de Beauvais, ce qui confirme bien que le recours porté à Rome a été gagné par l'intéressé ; comme il l'a appris de source absolument sûre quoique privée. On sait que la Secrétairerie d'État a refusé la publication de cette sentence favorable à l'abbé Coache.
Ce dernier point, il sera sans doute toujours impossible de le prouver. Mais il n'est pas invraisemblable, car on connaît d'autres interventions autoritaires et injustes de l'actuel Secrétaire d'État.
En revanche, que « ce Dicastère » ne soit plus capable de distinguer un texte signé par l'abbé Coache d'un texte signé par le P. Barbara -- ou sans doute qu'il n'attache plus aucune importance à ces choses -- voilà qui nous renseigne.
Les organes centraux sont complètement détraqués.
\*\*\*
Le second communiqué de l'abbé Coache conclut en ces termes :
Pratiquement :
1\. -- Le fameux document est une lettre personnelle faite pour « rassurer » le destinataire (« tout en espérant avoir suffisamment précisé la position de ce Dicastère... » terminait le cardinal Seper), lettre personnelle dont l'abbé Coache n'a aucune connaissance officielle, donc *document a-canonique.*
2\. -- Si cette lettre n'a pas été élaborée par un organisme autre que la Sacrée Congrégation de la Foi, si le texte est EXACTEMENT et intégralement celui qui a été reproduit, de toute façon *elle n'était pas destinée à être publiée.*
De nombreux prêtres amis ont persuadé l'abbé Coache qu'il devait fournir toutes ces précisions pour servir la vérité et rejeter la confusion qui scandalise tant les fidèles.
262:163
Lui-même cependant affirme de nouveau qu'il est prêt à accepter les décrets disciplinaires (éventuels) du Saint-Siège, le sacrifice d'une action extérieure pouvant être encore plus fécond que l'action publique, restant sauve l'adhésion à la foi et à la morale explicitées par l'Église elle-même pendant vingt siècles.
Une odieuse galéjade
Et voici, le 2 avril 1972, que la *Documentation catholique* publie la lettre du cardinal Seper dans la rubrique : « Actes du Saint-Siège » !
Sous le titre : « Mise en garde de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi ».
... A moins que la rédaction de la *Documentation catholique* ait été entièrement changée d'un seul coup, on y sait très bien, on y sait encore discerner que la lettre du cardinal Seper n'est pas un acte du Saint-Siège, ni un acte de la Congrégation.
La méprise est impossible.
C'est visiblement une galéjade.
C'est une rigolade.
Mais odieuse : il s'agit d'écraser un prêtre sous le poids d'un mensonge.
Pour que la *Documentation catholique* ait accepté de paraître ignorante et sotte dans sa spécialité même, il aura fallu sans doute qu'on le lui impose.
Ici encore, en cela aussi, c'est désormais la jungle.
263:163
### RETRO
Il y a quinze ans :\
mai 1957
Visite, le 13 mai 1957, du président de la République René Coty au pape Pie XII.
Il est extrêmement rare qu'un chef de l'État français se soit rendu en visite auprès du Saint Père.
Avant la visite du président Coty, il y en avait eu seulement quatre, dont trois faites par Charlemagne :
1. -- Charlemagne vient à Rome en 781 pour le baptême de ses fils Pépin et Ludovic, célébré par Adrien I^er^ qui introduisit alors dans les prières liturgiques l'oraison pour le roi des Francs, étendue ensuite à tous les chefs d'État.
2. -- Il revient en 787.
3. -- Puis en 800 pour être couronné « empereur romain ».
4. -- Charles VIII se rendit auprès du pape le 18 janvier 1495 pour attester à Sa Sainteté les sentiments filiaux de ses prédécesseurs.
Il y a dix ans :\
mai 1962
Notre collaborateur Marcel Clément devient rédacteur en chef de *L'Homme nouveau.* Il poursuivra sa collaboration à ITINÉRAIRES jusqu'en novembre 1962.
264:163
### AVIS PRATIQUES Annonces et rappels
\[cf. n° 162\]
276:163
### Le calendrier
\[...\]
278:163
*Le temps pascal*, qui a commencé avec la vigile de Pâques (1^er^ avril) se termine le samedi des Quatre-Temps de Pentecôte (27 mai).
Durant tout le temps pascal, l'*Angelus* est remplacé par le *Regina Coeli*.
\*\*\*
*Mois de Marie *: le mois de mai, consacré par la dévotion catholique à honorer la Sainte Vierge (par des litanies, des fleurs, des cantiques, des récitations en commun du chapelet, etc.) est une pratique qu'inaugurèrent à Rome des étudiants du Collège romain, dans les années qui précédèrent immédiatement l'année 1789. Elle se répandit dans toute la Chrétienté pendant le premier tiers du XIX^e^ siècle.
\*\*\*
-- Lundi 1^er^ mai : *saint Joseph artisan*. Fête chrétienne du travail instituée par Pie XII (voir son discours du 1^er^ mai 1955) et pratiquement refusée par, entre autres, l'épiscopat français.
279:163
La signification et la portée de cette fêtes ont été plusieurs fois expliquées dans ITINÉRAIRES. Voir notamment :
1. -- Marcel CLÉMENT : *La fête chrétienne du travail* numéro 5 de juillet-août 1956.
2. -- *Préparons le Premier Mai :* premier éditorial du numéro 12 d'avril 1957.
3. -- D. MINIMUS : *Saint Joseph artisan :* numéro 12 d'avril 1957 (second éditorial) ; reproduit dans le numéro 32 d'avril 1959.
4. -- *Préparons le Premier Mai :* éditorial du numéro 22 d'avril 1958.
-- Mardi 2 mai : saint Athanase, évêque et docteur de l'Église.
Nommé *saint Athanase le Grand,* car il est l'un des « quatre grands » parmi les Pères grecs. Héros de la lutte contre l'arianisme au IV^e^ siècle, au moment où cette hérésie avait pour elle toutes les puissances du monde, les pouvoirs politiques, les savants, les philosophes et les riches, l'opinion publique et l'ensemble d'un épiscopat qui se voulait moderne, ouvert aux idées nouvelles, recyclé selon son temps, réformateur et mutant : « mais la partie était encore égale tant qu'un tel homme restait debout ». Évêque d'Alexandrie pendant 45 ans (328-373), il fut cinq fois exilé.
-- Mercredi 3 mai : *invention de la sainte Croix* (« invention » c'est-à-dire : découverte).
Après la victoire que Constantin remporta grâce à la Croix qui lui apparut dans les airs, et dont il reproduisit le signe dans le Labarum, sainte Hélène, sa mère, alla à Jérusalem pour y rechercher la vraie Croix et la découvrit dans le sol du Calvaire.
-- Jeudi 4 mai : *sainte Monique*, veuve.
Mère de saint Augustin, elle avait tant pleuré et prié pour la conversion de son fils que saint Ambroise lui avait dit « Le fils de tant de larmes ne saurait périr ».
-- Vendredi 5 mai : *saint Pie V*, pape de 1566 à 1572. Entré à quatorze ans dans l'Ordre de saint Dominique, il conserva toute sa vie le goût de la pauvreté qui était, jusqu'à ces derniers temps, une des caractéristiques de la vie dominicaine. Il publie le Catéchisme du Concile de Trente (1566).
280:163
Il proclame saint Thomas d'Aquin docteur de l'Église (1567) et fait obligation aux Universités catholiques d'enseigner la Somme de théologie. Il publie le Bréviaire romain (1568) et le Missel romain (1570). Il remporte la victoire de Lépante (1571). « Toute l'armature de la pensée catholique moderne, de sa vie liturgique et de sa piété, porte en quelque sorte la signature de saint Pie V. »
Sur saint Pie V, voir notre numéro 162 d'avril 1972.
-- Samedi 6 mai : *saint Jean de la Porte Latine*.
Il s'agit de saint Jean l'évangéliste : nous savons, par une tradition que rapportent Tertullien et saint Jérôme, que l'empereur Domitien fit amener Jean à Rome, où il fut plongé dans une chaudière d'huile bouillante. Par l'effet d'un miracle éclatant, il en sortit « plus sain et plus vigoureux ». On éleva à cet endroit, près de la Porte latine, un sanctuaire dédié au saint Apôtre.
-- Dimanche 7 mai : *cinquième dimanche après Pâques*. Sur la dénomination des dimanches après Pâques (et non point dimanches de Pâques), voir le P. Calmel, dans ITINÉRAIRES, numéro 147 de novembre 1970, p. 257.
-- Lundi 8 mai : *lundi des Rogations* (férie majeure non privilégiée).
Mémoire de l'*apparition de saint Michel*, archange : en 492, sur le mont Gargano, en Apulie (Italie méridionale), près de l'Adriatique, pour demander qu'on lui élevât un sanctuaire où l'on rendrait à Dieu un culte en mémoire de lui et de tous les Anges. Le 8 mai est l'anniversaire de la dédicace de ce sanctuaire, qui devint célèbre par de nombreux miracles. C'est le 8 mai (1429) que saint Michel obtint de Dieu pour Jeanne la délivrance d'Orléans.
On peut aussi, inversement, célébrer la messe de la fête avec mémoire de la férie.
Les Rogations, ou Litanies mineures, sont trois jours de prières publiques pour éloigner tous les fléaux qui sont les conséquences du péché. Instituées par saint Mamert, les Rogations furent étendues à toute la France par le concile d'Orléans en 511 ; en 816, le pape Léon III les adopta pour Rome, d'où elles se répandirent dans toute l'Église.
Les prières publiques des Rogations consistent principalement en une procession avec chant des Litanies des saints avant la célébration de la messe : soit la messe propre des Rogations, soit la messe de la fête du jour, selon les cas : le lundi des Rogations étant férie majeure, on en dit obligatoirement la messe aux fêtes simples ;
281:163
on peut la dire aux fêtes doubles ; on ne la dit pas si la fête est de première classe. Le mardi, on ne peut célébrer la messe des Rogations qu'en l'absence de toute fête, même simple. Le mercredi : messe de la vigile de l'Ascension, avec mémoire des Rogations.
Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) :
\[...\]
282:163
-- Mardi 9 mai : *saint Grégoire de Naziance*, évêque et docteur, dit *Grégoire le théologien*, l'un des quatre grands parmi les Pères grecs.
Mémoire des Rogations.
-- Mercredi 10 mai : *vigile de l'Ascension*. Mémoire de *saint Antonin*, évêque, et des Rogations.
-- Jeudi 11 mai : *Ascension*.
(La fête des saints apôtres Philippe et Jacques est renvoyée au 12 mai.)
Catéchisme de saint Pie X (Instruction sur les fêtes) :
« Dans la fête de l'Ascension, on célèbre le jour glorieux où Jésus-Christ en présence de ses disciples, monta au ciel par sa propre puissance, quarante jours après sa Résurrection.
« Jésus-Christ est monté au ciel : 1° pour prendre possession du royaume éternel conquis par sa mort ; 2° pour nous préparer notre place et nous servir de médiateur et d'avocat auprès du Père ; 3° pour envoyer le Saint-Esprit à ses Apôtres. « Le jour de l'Ascension, Jésus-Christ n'entra pas seul au ciel ; il y fit entrer avec lui les âmes des anciens Patriarches qu'il avait délivrées des limbes.
« Jésus-Christ, au ciel, est assis à la droite de Dieu le Père ; c'est-à-dire que, comme Dieu, il est égal à son Père dans la gloire et, comme Homme, il est élevé au-dessus de tous les Anges et de tous les Saints et établi le Seigneur de toutes choses. « Pour célébrer dignement la fête de l'Ascension nous devons faire trois choses :
1° adorer Jésus-Christ dans le ciel comme notre médiateur et notre avocat ;
2° détacher entièrement notre cœur de ce monde comme d'un lieu d'exil, et aspirer uniquement au Paradis comme à notre vraie patrie ;
3° prendre la résolution d'imiter Jésus-Christ dans son humilité, sa mortification et ses souffrances, pour avoir part à sa gloire.
283:163
« De la fête de l'Ascension à la Pentecôte, les fidèles doivent, à l'exemple des Apôtres, se préparer à recevoir le Saint-Esprit par la retraite, le recueillement intérieur, la prière persévérante et fervente.
« Le jour de l'Ascension, après l'évangile de la Messe solennelle, on éteint et on enlève le cierge pascal, pour représenter Jésus-Christ disparaissant du milieu des Apôtres pour monter au ciel. »
-- Vendredi 12 mai : *saint Philippe et saint Jacques*, apôtres.
-- Samedi 13 mai : *saint Robert Bellarmin*, évêque et docteur. -- Anniversaire de la première apparition de Notre-Dame à Fatima, le 13 mai 1917.
-- Dimanche 14 mai : *fête nationale de sainte Jeanne d'Arc*, vierge.
La fête est le 30 mai : la solennité est le dimanche après le 8 mai, ou second dimanche de mai (et, si ce dimanche est empêché, le dimanche après l'Ascension).
Oraison : « Ô Dieu, qui avez suscité d'une façon merveilleuse la bienheureuse Jeanne pour protéger la foi et la patrie, faites, nous vous en prions, en raison de son intercession, que votre Église, ayant triomphé des pièges de ses ennemis, jouisse d'une paix perpétuelle. »
Mémoire du *dimanche après l'Ascension *; et de saint Boniface, martyr de Tarse (aujourd'hui Tarsous en Turquie) au IV^e^ siècle sous Dioclétien.
-- Lundi 15 mai : *saint Jean Baptiste de la Salle*, confesseur.
Voir notice dans notre numéro 153 de mai 1971, page 190.
-- Mardi 16 mai : *saint Ubald*, évêque.
-- Mercredi 17 mai : *saint Pascal Baylon*, confesseur.
-- Jeudi 18 mai : *saint Venant*, martyr.
-- Vendredi 19 mai : *saint Pierre Célestin*, pape sous le nom de Célestin V. Renonça volontairement au trône pontifical (1296).
284:163
Notice liturgique :
« Pierre (de Morrone), nommé Célestin, du nom qu'il prit lorsqu'il fut pape, naquit de parents honnêtes et catholiques à Isernia dans les Abruzzes. A peine entré dans l'adolescence, il se retira au désert pour garantir son âme des séductions du monde. Il la nourrissait dans cette solitude par la contemplation, et réduisait son corps en servitude, portant sur sa chair une chaîne de fer. Il institua sous la règle de saint Benoît la congrégation connue depuis sous le nom de Célestins. L'Église Romaine ayant été longtemps sans pasteur, il fut choisi à son insu pour occuper la chaire de saint Pierre, et on le tira de son désert où il ne pouvait demeurer caché davantage, comme on place la lumière sur le chandelier. Un événement si peu ordinaire ravit tout le monde de joie et d'admiration. Mais lorsque Pierre, élevé à cette dignité sublime, sentit qu'en raison de la multitude des affaires qui préoccupaient son esprit, il pouvait à peine vaquer comme auparavant à la méditation des choses célestes, il renonça volontairement à la charge et à la dignité. Il reprit donc son ancien genre de vie, et s'endormit dans le Seigneur, par une mort précieuse, qui fut rendue plus glorieuse encore par l'apparition d'une croix lumineuse que l'on vit briller dans les airs au-dessus de l'entrée de sa cellule. Pendant sa vie et après sa mort, il brilla par un grand nombre de miracles qui, ayant été soigneusement examinés, portèrent Clément V à l'inscrire au nombre des saints, onze ans après sa mort. »
Dom Guéranger :
« Entre tant de héros dont est formée la chaîne des Pontifes romains, il devait s'en rencontrer à qui fût donnée la charge de représenter plus spécialement la vertu d'humilité ; et c'est à Pierre Célestin que la grâce divine a dévolu cet honneur. Arraché au repos de sa solitude pour être élevé sur le trône de saint Pierre et tenir dans ses mains tremblantes les formidables clefs qui ouvrent et ferment le ciel, le saint ermite a regardé autour de lui ; il a considéré les besoins de l'immense troupeau du Christ, et sondé ensuite sa propre faiblesse. Oppressé sous le fardeau d'une responsabilité qui embrasse la race humaine tout entière, il s'est jugé incapable de supporter plus longtemps un tel poids ; il a déposé la tiare et imploré la faveur de se cacher de nouveau à tous les regards humains dans sa chère solitude. »
*Précisions historiques. --* Pierre de Morrone est né en 1209, onzième enfant d'une famille de paysans, dans le royaume de Naples, province de Pouille. Très jeune il se retire dans une vie érémitique, mais il y est rejoint par beaucoup de personnes qui aspirent à être ses disciples. Il fonde alors l'Ordre des Ermites de Saint-Damien, sous la règle de saint Benoît mais avec des constitutions plus sévères, assez proches de l'observance cistercienne.
285:163
Il établit ainsi une trentaine de monastères voués à la contemplation, leur donna un supérieur général et se retira à nouveau dans un ermitage. Lorsqu'il fut pape sous le nom de Célestin V, les Ermites de Saint-Damien prirent le nom de « Célestins ». Cette branche bénédictine fut supprimée à la fin du XVIII^e^ siècle.
Pierre de Morrone était dans sa 85° année lorsqu'on vint le chercher pour occuper le trône pontifical, qui était vacant depuis plus de deux ans.
La situation était fort confuse en 1294. Le pape précédent, Nicolas IV, était mort le 4 avril 1292 (lui-même avait été élu pape en 1288, onze mois après la mort de son prédécesseur). Rome était livrée aux luttes féroces des factions à la solde des deux grandes familles romaines rivales, les Colonna et les Orsini. Le conclave était donc réuni à Pérouse. Mais parmi les onze cardinaux, plusieurs étaient des agents soit des Orsini soit des Colonna. En outre, le roi de Naples Charles Il d'Anjou, dit le Boiteux, voulait lui aussi faire élire un pape à sa dévotion, qui puisse l'aider à reconquérir la Sicile, révoltée depuis les Vêpres siciliennes (30 mars 1282) où avaient été massacrés tous les Français qui se trouvaient à Palerme.
Mais il existait aussi dans l'Église un courant d'opinion aspirant à la venue d'un pape indépendant de tous les intérêts politiques, qui puisse mettre fin aux rivalités des cardinaux.
C'est en s'appuyant sur ce courant que Charles d'Anjou persuada le conclave d'élire le saint ermite Pierre de Morrone, qui ainsi fut pape du 5 juillet au 13 décembre 1294. Cette élection fut accueillie avec un grand enthousiasme par le peuple chrétien.
Mais Pierre de Morrone, devenu Célestin V, se laissa entièrement circonvenir et dominer par Charles d'Anjou qui l'emmena à Naples sous le prétexte d'assurer sa protection et lui fit nommer toute une série de cardinaux dévoués à sa cause.
Célestin V se rendait compte de son incapacité à gouverner l'Église. Il pensa à se retirer : il y fut vivement encouragé par le cardinal Benoît Gaëtan. On établit qu'il était canoniquement permis à un pape de se démettre de sa charge. Célestin V abdiqua solennellement devant le Sacré-Collège, le 13 décembre 1294. C'est ce que Dante a sévèrement nommé « le grand refus ».
Réuni à Naples dix jours plus tard, le conclave, en une seule journée, choisit le cardinal Benoît Gaëtan qui devint pape sous le nom de Boniface VIII. Tous ses adversaires (notamment les Colonna et les légistes du roi de France) assuraient qu'il avait contraint Célestin V à l'abdication, que cette abdication était invalide, que l'élection d'un successeur était illégitime, etc.
286:163
Pour éviter que l'on fasse revenir Célestin V sur son abdication, ce qui aurait pu provoquer un schisme, Boniface VIII lui imposa jusqu'à sa mort une détention sévère, le faisant garder à vue et au secret dans une cellule du château de Fumone prés d'Anagni. Saint Pierre Célestin mourut dans cette détention le 19 mai 1297.
-- Samedi 20 mai : *vigile de la Pentecôte*. Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) :
« Dans la solennité de la Pentecôte, l'Église honore le mystère de la venue du Saint-Esprit. -- La fête de la venue du Saint-Esprit est appelée *Pentecôte,* c'est-à-dire 50, jour, parce que la venue du Saint-Esprit eut lieu cinquante jours après la résurrection de Jésus-Christ. -- La Pentecôte était aussi une fête très solennelle chez les Hébreux ; elle était la figure de celle qui se célèbre chez les chrétiens. -- La Pentecôte chez les Hébreux fut instituée en souvenir du don que Dieu leur avait fait sur le mont Sinaï, au milieu des tonnerres et des éclairs, de la Loi écrite sur deux tables de pierre, cinquante jours après la première Pâque, c'est-à-dire après la délivrance de la servitude d'Égypte. -- Ce qui était figuré dans la Pentecôte des Hébreux s'est accompli dans celle des chrétiens en ce que le Saint-Esprit descendit sur les Apôtres et les autres disciples de Jésus-Christ, réunis avec la Vierge Marie dans un même lieu, et imprima la nouvelle loi dans leurs cœurs par son divin amour.
« Lors de la descente du Saint-Esprit, on entendit tout à coup un bruit dans le ciel comme celui d'un vent impétueux, et il apparut comme des langues de feu qui se posèrent sur chacun de ceux qui étaient assemblés.
« Le Saint-Esprit descendant sur les Apôtres les remplit de sagesse, de force, de charité et de l'abondance de tous ses dons. -- Les Apôtres, quand ils eurent été remplis du Saint-Esprit, d'ignorants devinrent intelligents pour les plus profonds mystères et les Saintes Écritures ; de timides ils devinrent courageux pour prêcher la foi de Jésus-Christ ; ils parlèrent diverses langues et firent de grands miracles.
« Le premier fruit de la prédication des Apôtres après la descente du Saint-Esprit fut la conversion de trois mille personnes à la prédication faite par saint Pierre le jour même de la Pentecôte, conversion bientôt suivie de beaucoup d'autres. « Le Saint-Esprit n'a pas été envoyé seulement aux Apôtres, mais aussi à l'Église et à tous les fidèles. -- Le Saint-Esprit vivifie l'Église et la dirige par sa perpétuelle assistance ; et de là vient la force invincible qu'elle a dans les persécutions, la victoire sur ses ennemis, la pureté de sa doctrine et l'esprit de sainteté qui persiste en elle au milieu de la corruption du siècle.
287:163
« Les fidèles reçoivent le Saint-Esprit dans tous les sacrements et spécialement la Confirmation et l'Ordre. »
-- Dimanche 21 mai : *Pentecôte*.
Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) : « En la fête de la Pentecôte nous devons faire quatre choses :
1° adorer l'Esprit Saint ;
2° le prier de venir en nous et de nous communiquer ses dons ;
3° nous approcher dignement des Sacrements ;
4° remercier le divin Sauveur d'avoir, conformément à ses promesses, envoyé le Saint-Esprit et d'avoir ainsi consommé tous les mystères et la grande œuvre de l'établissement de l'Église. »
*Selon le Décret de la Congrégation des Rites du 15 janvier. 1955, les jours pendant l'octave de Pentecôte passent avant n'importe quelle autre fête et n'admettent pas de mémoires.*
*-- *Lundi 22 mai : *lundi de Pentecôte*.
-- Mardi 23 mai : *mardi de Pentecôte*.
-- Mercredi 24 mai : *mercredi des Quatre-Temps de Pentecôte*.
Chacune des quatre saisons de l'année est inaugurée par un temps liturgique, appelé quatre-temps, composé de trois jours de pénitence (le mercredi, le vendredi et le samedi), institués pour consacrer à Dieu les diverses saisons et pour attirer par le jeûne et la prière les grâces célestes sur ceux qui vont recevoir le sacrement de l'Ordre. L'institution des quatre-temps s'est faite progressivement, à Rome, du IV^e^ au VII^e^ siècle ; c'est une institution propre à l'Église latine. Le jeûne et l'abstinence des quatre-temps avaient notamment pour intention de demander à Dieu de dignes pasteurs. De nos jours, le jeûne et l'abstinence ne sont plus obligatoires ; la dignité des pasteurs non plus.
Catéchisme de S. Pie X : « Le jeûne des quatre-temps a été institué pour consacrer chaque saison de l'année par une pénitence de quelques jours ; pour demander à Dieu la conservation des fruits de la terre ;
288:163
pour le remercier des fruits qu'il nous a déjà donnés, et pour le prier de donner à son Église de saints ministres, dont l'ordination est faite les samedis des quatre-temps. » Dieu n'étant quasiment plus prié de donner à son Église de saints ministres, désormais Il s'abstient presque complètement de lui en donner, comme on peut le constater chaque jour davantage.
-- Jeudi 25 mai : *jeudi de Pentecôte*.
(La fête de *saint Grégoire VII*, pape, est cette année empêchée.)
-- Vendredi 26 mai : *vendredi des Quatre-Temps de Pentecôte*. Dernier vendredi du mois.
(La fête de *saint Philippe Néri,* confesseur, est cette année empêchée.)
-- Samedi 27 mai : *samedi des Quatre-Temps de Pentecôte*.
(La fête de *saint Bède le Vénérable,* docteur, est cette année empêchée.)
Aujourd'hui, dernier jour du temps pascal : à partir de demain, on recommence la récitation de *l'Angelus.*
\*\*\*
*Temps après la Pentecôte*. -- Il s'étend jusqu'au premier dimanche de l'Avent (qui est toujours fixé au dimanche le plus proche du 30 novembre, et qui sera cette année le 3 décembre).
Dom Guéranger : -- Dans la liturgie romaine, les dimanches dont se compose cette série sont désignés sous le nom de dimanche après la Pentecôte. Cette appellation est la plus convenable, et elle a sa base dans les plus anciens Sacramentaires et Antiphonaires.
-- Dimanche 28 mai : *fête de la T.S. Trinité*.
(La fête de *saint Augustin de Cantorbéry,* évêque, est cette année empêchée.)
Catéchisme de S. Pie X (Instruction sur les fêtes) :
« L'Église honore la T.S. Trinité tous les jours de l'année et principalement les dimanches ; mais elle lui consacre une fête particulière le premier dimanche après la Pentecôte :
289:163
pour que nous comprenions que la fin des mystères de Jésus-Christ et de la descente du Saint-Esprit a été de nous amener à connaître la T.S. Trinité et à l'honorer en esprit et vérité. -- Très sainte *Trinité* veut dire Dieu un en trois Personnes réellement distinctes : Père, Fils et Saint-Esprit. -- Dieu est un pur esprit : on représente cependant les trois Personnes divines par certaines images pour nous faire connaître quelques-unes des propriétés ou actions qu'on leur attribue, et la manière dont quelquefois elles sont apparues. -- Dieu le Père est représenté sous la forme d'un vieillard pour signifier ainsi l'éternité divine, et parce qu'il est la première Personne de la T.S. Trinité et le principe des deux autres Personnes. -- Le Fils de Dieu est représenté sous la forme d'un homme, parce qu'il est vraiment homme, ayant pris la nature humaine pour notre salut. Le Saint Esprit est représenté sous la forme d'une colombe, parce que c'est sous cette forme qu'il descendit sur Jésus-Christ lors de son baptême par saint Jean.
En la fête de la T.S. Trinité, nous devons faire cinq choses :
1° adorer le mystère de Dieu en trois Personnes ;
2° remercier la T.S. Trinité de tous les bienfaits temporels et spirituels que nous recevons ;
3° nous consacrer tout entier à Dieu et nous soumettre entièrement à sa divine providence ;
4° penser qu'au baptême nous sommes entrés dans l'Église et devenus membres de Jésus-Christ par l'invocation et la vertu du nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ;
5° prendre la résolution de faire toujours avec dévotion le signe de la Croix qui exprime le mystère, et de citer avec une foi vive et avec l'intention de glorifier la T.S. Trinité ces paroles que l'Église répète si souvent : *Gloire soit au Père, au Fils et au Saint-Esprit. *»
*-- *Lundi 29 mai : *sainte Marie-Madeleine de Pazzi*, vierge.
-- Mardi 30 mai : *saint Félix*, pape et martyr.
-- Mercredi 31 : *Marie-Reine*.
Fête instituée par Pie XII dans son encyclique *Ad cœli reginam* du 11 octobre 1954 :
Nous avons décidé d'instituer *la fête liturgique de la Sainte Vierge Marie Reine.* Nous n'entendons pas proposer par là au peuple chrétien une nouvelle vérité à croire, car le titre même et les arguments qui justifient la dignité royale de Marie ont déjà de tout temps été abondamment formulés et se trouvent dans les documents anciens de l'Église et dans les livres liturgiques (...).
290:163
« Par Notre autorité apostolique, Nous décrétons et instituons la fête de Marie Reine qui se célébrera chaque année dans le monde entier le 31 mai. *Nous ordonnons également que ce jour-là on renouvelle la consécration du genre humain au Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie*. C'est là en effet que repose le grand espoir de voir se lever une ère de bonheur où régneront la paix chrétienne et le triomphe de la religion.
\*\*\*
La Royauté de Marie fut proclamée par Pie XII le jour de la Toussaint 1954 (voir son discours de ce jour à l'occasion de la cérémonie de proclamation ; voir aussi son très important discours du lendemain aux évêques qui étaient venus à Rome pour cette proclamation).
Le 28 novembre suivant, Pie XII, dans une lettre au cardinal vicaire de Rome, le cardinal Micara, annonce son intention de renouveler le 8 décembre, pour la clôture de l'Année mariale, la consécration du genre humain au Cœur Immaculé de Marie (c'est nous qui soulignons)
« Comme Nous avons commencé à la Basilique Sainte-Marie-Majeure cette année particulièrement consacrée à la Vierge Bienheureuse, Nous voudrions, *si Dieu le permet*, la terminer de même (...). Nous aimerions consacrer à nouveau à notre Mère très aimante, à la Reine du Ciel, le genre humain tout entier, blessé par le péché, désuni par un trop, grand amour des réalités terrestres, troublé et angoissé par les événements présents et futurs. Et, Nous n'en doutons pas, *ce que Nous allons faire ici, si Dieu le permet*, Nos frères et Nos fils dans le Christ, tous joyeusement en union avec Nous, *chacun de son côté va le refaire dans son église. *»
Texte émouvant et terrible, Pie XII y répète deux fois : SI DIEU LE PERMET. Dieu ne le permit point.
Pie XII invitait une fois encore l'univers catholique à accomplir ou renouveler la Consécration au Cœur Immaculé EN UNION AVEC LE PAPE. On sait que ce dernier point, par la défaillance et la mauvaise volonté de nombreux évêques, est celui qui n'a jamais été réalisé que partiellement, incomplètement, insuffisamment.
Malgré ce qu'avaient été les enseignements, l'insistance et l'exemple même de Pie XII, l'univers catholique, en décembre 1954, à la clôture de l'Année mariale, n'avait pas suffisamment fait avancer le Règne de Marie dans les cœurs.
291:163
La maladie va terrasser Pie XII et l'empêcher de renouveler une consécration du genre humain à laquelle -- on peut du moins l'imaginer, et le craindre -- l'univers catholique et une grande partie de l'épiscopat n'étaient nullement disposés à s'associer d'un cœur vrai.
Depuis lors, les deux successeurs de Pie XII ont progressivement écarté puis tout à fait placé sous le boisseau l'exigence mariale d'une consécration renouvelée du genre humain. -- Les conséquences ont suivi, pour le genre humain dans son ensemble, pour la société civile et pour la société ecclésiastique.
Mais cette défaillance au sommet n'empêche nullement les personnes, les familles, les écoles, les associations chrétiennes de renouveler individuellement ou collectivement leur consécration au Cœur Immaculé de Marie.
\*\*\*
Le soi-disant « nouveau calendrier » a achevé de tout brouiller et estomper. Le 31 mai y est maintenant la fête de la Visitation ; la fête de Marie-Reine est transportée au 22 août, à la place de la fête du Cœur Immaculé de Marie qui avait été instituée pour l'Église universelle par Pie XII en 1944. Ainsi a-t-on supprimé, dans la nouvelle liturgie, jusqu'à la mention du Cœur Immaculé de Marie.
\*\*\*
On se reportera à notre numéro spécial : *La Royauté de Marie et la consécration à son Cœur Immaculé* (numéro 38 de décembre 1959). Ce numéro est épuisé. On le trouvera dans les bibliothèques privées ou publiques qui ont une collection complète de la revue ITINÉRAIRES.
\*\*\*
============== fin du numéro 163.
[^1]: -- (1). Voir le texte intégral de l'article de Louis Salleron dans *La Nation française* du 23 novembre 1960. Extraits dans *Itinéraires*, n° 50, pp. 22-23.
[^2]: -- (1). *La charte de notre action : les cinq lignes directrices,* en tête de notre numéro 141 ; et dans la brochure : *Notre action catholique* (chap. I).
[^3]: -- (1). Sur ce dernier point, voir : *Journal écrit pendant un Synode*, dans ITINÉRAIRES, numéro 138 de décembre 1969, page 190.
[^4]: -- (1). Voir sur ce point : Journal écrit pendant un Synode, numéro cité à la note précédente, pp. 181-182 et 189-190 ; voir la page 168 de notre numéro 143 de mai 1970 ; et enfin, dans notre numéro 157 de novembre 1971, la (longue) note 1 à la page 337.
[^5]: -- (2). Le « point précédent », ou « premier point », est la première « ligne directrice » qui a été citée plus haut, page 16.
[^6]: -- (1). Mais qui en cas de nécessité peut être donné par un laïc, homme ou femme, par un hérétique, par un infidèle, pourvu qu'il en accomplisse le rite et qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'Église.
[^7]: **\*** -- pas reproduite ici. Cf. 223:146-09-70.
[^8]: -- (1). Discours de Jean XXIII à l'ouverture du Concile, le 11 octobre 1962 ; cf. *Documentation catholique* du 4 novembre 1962, col. 1380. L'inspiration de ce discours, voire sa rédaction, est généralement attribuée au cardinal Jean-Baptiste Montini.
[^9]: -- (2). Discours de Paul VI le 7 décembre 1968 ; cf. *Documentation catholique* du 5 janvier 1969, col. 12.
[^10]: -- (1). Sur la piété naturelle, voir notre étude : « La civilisation dans la perspective de la piété », numéro 67 d'*Itinéraires*, novembre 1962.
[^11]: -- (1). Texte intégral déjà publié en traduction française dans ITINÉRAIRES, numéro 160 de février 1972, page 202. -- Selon le texte paru dans la presse britannique (notamment le *Times* de Londres du 2 décembre 1971), la lettre du cardinal commençait par : « Merci de votre lettre. » Elle était donc une réponse. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^12]: -- (2). *The Latin Mass Society* est une « association pour la défense du rite tridentin » ; elle est adhérente à la FÉDÉRATION INTERNATIONALE « UNA VOCE ». (Note d'ITINÉRAIRES.).
[^13]: -- (1). Sur cette *Notificatio,* voir le numéro 159 d'ITINÉRAIRES (janvier 1972), pages 136 à 140 : « *Petite histoire* (*et philosophie*) *d'une Notification *»*.* (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^14]: -- (1). Nos sources sont : a) les feuilles ronéotypées distribuées par « l'équipe animatrice de la Messe de Noël » à Rixensart à l'entrée de l'Église ; b) l'article d'Olivier du Roy, « L'expression personnelle dans la liturgie »*,* publié dans *Paroisse et Liturgie,* n° 5, 1970, pp. 419427. Cette revue est elle-même publiée par l'Abbaye bénédictine de Saint-André à Bruges. Sauf quelques exceptions, d'ailleurs réduites au silence, l'Ordre bénédictin a basculé en Belgique du côté de la subversion liturgique.
[^15]: -- (2). Voyez le plat machiavélisme : il ne faut pas qu'on s'aliène les cadres qui, en Belgique, en nombre assez grand, restent attachés à l'Église catholique, et sont, pour la plupart, conservateurs. Les collectes en pâtiraient !
[^16]: -- (3). Même remarque pour les petits entrepreneurs belges.
[^17]: -- (4). Ce succès a surtout profité aux librairies gauchistes et à l'*intelligentsia* qui gravite autour d'elles.
[^18]: -- (5). On voit poindre le bout de l'oreille !
[^19]: -- (1). « tente de pénétrer ».
[^20]: -- (2). « Mais les minorités comptent même dans le catholicisme. »
[^21]: -- (3). « une minorité de catholiques a évolué dans un « climat » marxiste. »
[^22]: -- (4). « devant être, selon l'invitation de saint Paul, « Juifs avec les Juifs, Grecs avec les Grecs, esclaves avec les esclaves » peuvent être aussi marxistes avec les marxistes ».
[^23]: -- (5). « dans l'esprit de certains chrétiens français demeure ».
[^24]: -- (6). Mots supprimés.
[^25]: -- (7). « souvent méconnu ».
[^26]: -- (8). « parfois ».
[^27]: -- (9). « n'avaient eux-mêmes trouvé ».
[^28]: -- (10). Phrase supprimée.
[^29]: -- (11). Mot ajouté : « infime ».
[^30]: -- (12). Mots supprimés sans mon accord.
[^31]: -- (13). Mots supprimés.
[^32]: -- (14). Paragraphe supprimé.
[^33]: -- (15). « prend volontiers ses aises avec les ».
[^34]: -- (16). Mots supprimés.
[^35]: -- (17). « dont une minorité active, avec la logique des vingt, ans, est séduite par le progressisme ».
[^36]: -- (18). Tout cela supprimé et remplacé par « Elle » (la jeunesse).
[^37]: -- (19). Supprimé.
[^38]: -- (20). « l'action prolétarienne (telle qu'elle se présente actuellement) »*.*
[^39]: -- (21). « certain ».
[^40]: -- (22). Ici, une phrase qui ne figure pas sur mon texte dactylographié, mais qui est bien de moi car j'ai le souvenir précis (à cause de la chaude approbation de Mauriac), de l'avoir prononcée devant mon public. J'ai dû oublier de la reporter sur le double que j'ai conservé :
« Et que si l'on m'objectait que mon scepticisme n'est pas mieux fondé *que* cette foi temporelle et qu'il peut y avoir demain, effectivement, une société égalitaire et pacifique roulant dans l'opulence, cette vision d'une sorte d'Amérique communiste, au coefficient 10 ou 100 de sa prospérité actuelle me fait encore frémir, car ce w*elfare* universel me révèle plus violemment encore le sens de la question chrétienne : si le Fils de l'Homme revient alors sur terre, quelle foi y trouvera-t-il ? »
[^41]: -- (23). Note d'ITINÉRAIRES. -- Nous avons retrouvé dans *La Croix* du 29 mai 1951 le compte rendu de cette conférence. Le voici : « *Proche des étudiants dont il est le professeur à l'Institut catholique de Paris, M. Louis Salleron devait faire preuve de jeunesse et d'originalité : il aime* « *faire choc *» *et tenir ainsi en haleine son auditoire. L'action temporelle des chrétiens englobe à la fois leur activité normale* (*famille, profession*) *et leur action politique. Avec quelque exagération l'orateur voit deux dates majeures dans l'histoire : le péché originel et la disparition de la chrétienté médiévale, déterminant* « *le climat marxiste du christianisme *»*. Il aurait peut-être pu penser à l'Incarnation et à la Rédemption. L'orateur résume sa position : pour l'immense majorité des chrétiens, l'action temporelle consiste surtout en leur activité normale ; ceux qui mènent une action publique ne doivent pas lier le christianisme aux réformes de structure... ni non plus à la conservation des structures. *»
[^42]: -- (1). Le néo-positivisme est apparu entre les deux guerres, à Vienne ; d'où l'expression : cercle de Vienne. Il a été connu en France à partir de 1934 et s'est répandu dans les pays anglo-saxons. Principaux représentants : Carnap, Schlick, Neurath, Reichenbach, Ayer, etc. -- L'empirisme logique a été influencé par les deux ouvrages de Wittgenstein : *Traité logico-philosophique* et *Investigations philosophiques.* L'accord n'est cependant pas complet entre Wittgenstein et le néo-positivisme.
[^43]: -- (1). Incontestablement, Kant a voulu sauver la métaphysique. Voir, sur ce point, notre ouvrage *Kant,* P.U.F., 2^e^ édition, 1971, p. 15 ss.
[^44]: -- (2). Thème que l'on trouve développé chez Feuerbach, Nietzsche et d'autres.
[^45]: -- (1). Bergson prétend que nous possédons ce pouvoir, que nous sommes capables de communier avec l'intime des choses ; mais la célèbre « intuition » bergsonienne prête à beaucoup d'objections.
[^46]: -- (2). Ayer, *Language, Truth and Logic*, London, Gollanez, 1951, p. 34 : « Kant aussi condamne la métaphysique transcendante, mais pour des raisons différentes. Il déclare que l'esprit humain est constitué de telle manière qu'il tombe en d'inextricables contradictions, quand il s'aventure en dehors des limites de l'expérience possible et veut s'occuper des choses en soi. Ainsi l'impossibilité de la métaphysique n'est pas une impossibilité logique, mais de fait. Il n'affirme pas qu'il est impensable que nos esprits aient le pouvoir de pénétrer au-delà du monde phénoménal, mais seulement qu'en fait ils ne possèdent pas ce pouvoir. »
[^47]: -- (3). Carnap, *La science et la métaphysique devant l'analyse logique du langage*, trad. Vouillemin, Paris, Hermann, 1934, p. 9. -- Neurath écrit aussi : « Vers la construction d'un empirisme sans métaphysique, on progresse par à-coups. Les prémisses nécessaires à un progrès continu manquaient ; ce progrès est devenu possible aujourd'hui seulement grâce à un *scientisme rénové*, qui construit son empirisme sur les bases logiques, *sur une pensée rigoureusement scientifique *; qui se garde d'une critique sans méthode et a souci, par contre, d'agir conformément à un plan. » (*Le développement du cercle de Vienne,* trad. Vouillemin, Paris, Hermann, 1935, p. 10).
[^48]: -- (1). Carnap déclare qu'il ne faut pas seulement s'intéresser aux énoncés de la science, mais aussi à ceux « auxquels on a affaire dans la vie courante. Il n'est pas possible de séparer les uns des autres par une délimitation précise ». (*Le problème de la logique de la science,* trad. Vouillemin, Paris, Hermann, 1935, p. 3).
[^49]: -- (2). Sur la définition du langage, cf. les intéressantes remarques de Georges Mouin, dans *Clefs pour la linguistique,* Paris, Seghers, 1968,'p. 52 ss.
[^50]: -- (3). Indépendantes dans leur structure formelle, s'entend. Que du point de vue psychologique et historique, ces propositions se soient constituées à partir de données sensibles, ne change rien à leur nature logique.
[^51]: -- (4). Ayer, *op. cit.,* pp. 78 ss.
[^52]: -- (1). Carnap, *Le problème de la logique de la science,* p. 37 : « La science formelle n'a absolument aucun objet ; elle est un système propositionnel auxiliaire, vide de tout objet, de tout contenu ».
[^53]: -- (2). Ayer, *op. cit.,* pp. 79-80, admet cependant que les propositions analytiques augmentent notre savoir, en ce sens qu'elles attirent notre attention sur des usages linguistiques, dont, autrement. nous n'aurions pas conscience ; elles nous révèlent ainsi les implications plus ou moins cachées de nos assertions et de nos croyances.
[^54]: -- (3). Ayer, *op. cit.,* chap. V.
[^55]: -- (4). La notion « d'énoncés protocolaires » a donné lieu à beaucoup, de discussions entre Schlick et d'autres membres du « cercle de Vienne ». Cf. Schlick, *Sur le fondement de la connaissance,* trad. Vouillemin, Paris, Hermann, 1935, pp. 9-33.
[^56]: -- (1). Carnap, *La science et la métaphysique devant l'analyse logique du langage,* p. 38.
[^57]: -- (2). Carnap, *op. cit.,* pp. 29-30.
[^58]: -- (3). *Op cit*., p. 31.
[^59]: -- (4). *Loc. cit*.
[^60]: -- (1). *Op. cit.*, pp. 36-37.
[^61]: -- (2). Wittgenstein, *Tractatus logico-philosophicus*, § 6, n° 5.
[^62]: -- (3). Cf. l'introduction de B. Russell à l'ouvrage de Wittgenstein.
[^63]: -- (4). H. Hahn, *Logique, mathématiques et connaissance de la réalité*, trad. Vouillemin, Paris, Hermann, 1935, pp. 35-36.
[^64]: -- (5). Ayer, *Language truth and logic,* p. 47.
[^65]: -- (1). Nous verrons, un peu plus loin, en quel sens l'empirisme logique se donne comme une philosophie dépassant les sciences particulières.
[^66]: -- (2). Ayer, *op. cit.,* pp. 47-48.
[^67]: -- (3). Carnap, *La science et la métaphysique devant l'analyse logique du langage,* p. 18.
[^68]: -- (1). Numéro 71 de mars 1963.
[^69]: -- (1). *Littérature XVIII^e^ siècle -- *Manuel Collection Bordas.
[^70]: -- (1). *Enchiridion* de Denzinger (édit. 1957, chez Herder à Barcelone) n° 703.
[^71]: -- (1). Voir Ia pars, qu. 28 art. 3 ad 1 et art. 4 ad 5.
[^72]: -- (1). III, Pars qu. 45 art. 4 ad 2, et art. 2. ad 3.
[^73]: -- (1). Ia Pars, *de Trinitate*, questions 29 et suivantes sur les personnes divines.
[^74]: -- (1). *Les Évangiles de l'Enfance,* 140 pages, Éd. du Seuil.
[^75]: -- (1). Traduction (d'après le texte latin original) et inter-titres de la *Documentation catholique,* numéro du 20 juillet 1969 : ce numéro est épuisé.
[^76]: -- (2). Cf. Concile de Trente, Sess. XXI, *Doctrina de communione sub utrague specie et parvulorum *: Denz. 1726-1727 (930) ; Sess. XXII, *Decretum super petitionem concessionis calicis *: Denz. 1760.
[^77]: -- (3). S. AUGUSTIN, *Enarrationes in Psalmos*, 98, 9 : PL, XXXVII, 1264.
[^78]: -- (4). Cf. S. CYRILLE DE JÉRUSALEM, *Catecheses Mystagogicae*, 5, 21 ; PG, XXXIII, 1126.
[^79]: -- (5). S. HYPPOLITE, *Traditio Apostolica*, n° 37 : éd. B. Botte, 1963, p. 84.
[^80]: -- (6). S. JUSTIN, *Apologia*, 1, 65 ; PG, VI, 427.
[^81]: -- (7). Cf. S. AUGUSTIN, *Enarrationes in Psalmos*, 98, 9 ; PL, XXXVII, 1264-65.
[^82]: -- (8). Cf. S. JUSTIN, *Apologia*, 1, 66 : PG, VI, 427 ; cf. S. Irénée, *Adversus Haereses*, 1, 4, c. 18, n. 5 ; PG, VII, 1028-1029.
[^83]: -- (9). S. congrégation des Rites, Instruction *Eucharisticum Mysterrium,* n° 3 a, *AAS* LIX (1967), p. 541. (*DC* 1967, n. 1496, col. 1093. *NDLR.*)
[^84]: -- (10). Cf. *ibidem,* n° 9, p. 547.
[^85]: -- (11). S. CYRILLE de Jérusalem, *Catecheses Mystagogicae*, 5, 21 ; *PG*, XXXIII, 1126.
[^86]: -- (12). Cf. Act. 20, 28.
[^87]: -- (13). Cf. Conc. Œcum. Vat. II, *Christus Dominus*, n. 38, 4 ; AAS, 58 (1966), p. 693.
[^88]: -- (1). «* Je suis en mesure *» : mais la lettre porte deux signatures... Il n'y a aucune formule de politesse au début de la lettre, du moins dans la version publiée par la *Documentation catholique* du 20 juillet 1969, que nous reproduisons.
[^89]: -- (1). Instruction sur le culte du mystère eucharistique, n° 9.
[^90]: -- (2). Saint Augustin, traité sur les psaumes, 98, 9 (*PL* 37, 1264).
[^91]: -- (3). Cf. *Gaudium et Spes*, n. 22 § 2.
[^92]: -- (4). I Cor 3, 16-17 ; 6, 13-15 ; Rom. 8, 23.
[^93]: -- (5). Saint Léon, sermon XXI, 3, Sources chrétiennes 22 *bis*, p. 73.
[^94]: **\*** -- Reproduction. Cf. 146-09-70.
[^95]: -- (1). Né à Campinas, près de Sao Paulo, en 1904, D. Antonio de CASTRO MAYER est depuis le 3 janvier 1949 évêque de Campos -- un des plus importants diocèses de l'État de Rio de Janeiro, au Brésil. C'est en cette qualité qu'il assista au deuxième Concile du Vatican, où ses interventions répétées en faveur du maintien de la langue latine dans la liturgie, de la condamnation explicite du communisme par le Concile, aussi bien que ses énergiques mises au point sur la structure monarchique de l'Église et la primauté du Siège Romain, le désignèrent comme un des principaux « leaders » du clergé traditionnel en Amérique latine.
[^96]: -- (1). Mgr de Castro Mayer se livre alors à une analyse détaillée et sévère des réactions de la presse catholique locale à l'occasion de ce vote conciliaire. Il nous a semblé inutile de poursuivre ici plus avant notre traduction : le lecteur d'ITINÉRAIRES n'aurait rien de bien nouveau à y découvrir, malheureusement. (Note du traducteur).
[^97]: **\*** -- cf. *Itin*. n° 117, p. 87, note 1 : non pas *conservé* mais *observé*.
[^98]: -- (1). C'est nous qui soulignons, cette phrase constituant véritablement le centre, la charnière, de cet admirable passage consacré par l'évêque de Campos à l'Eucharistie. La question de la Somme théologique invoquée ici est la suivante : faut-il toujours changer la loi humaine, quand on trouve quelque chose de mieux ?
Et voici la réponse de St Thomas d'Aquin : « (...) *Une loi humaine est changée à juste titre dans la mesure où son changement profite au bien public. Or la seule modification de la loi constitue, par elle-même, une sorte de préjudice porté à l'intérêt général. La raison en est que pour assurer l'observation des lois, l'accoutumance joue un rôle de premier ordre : à ce point que ce qui se fait contre la coutume générale, même s'il s'agit de choses de peu d'importance, paraît encore très grave. C'est pourquoi quand il s'opère un changement de loi, la force de la contrainte légale se trouve diminuée -- dans la mesure même où la coutume a disparu. Telle est la raison pour laquelle la loi humaine ne doit jamais être changée, à moins que la compensation apportée par l'amélioration de la loi au bien commun équivaille au tort qui lui est causé par la modification elle-même. Ce cas se présente quand une utilité très grande et absolument évidente résulte d'un statut nouveau, ou encore quand il y a une nécessité extrême résultant de ce que la loi usuelle contient une iniquité manifeste, ou que son observation s'avère tout à fait nuisible. Aussi est-il noté par le Jurisconsulte que* « *dans les choses nouvelles à établir, l'utilité doit être évidente pour qu'on renonce au droit qui a longtemps été tenu pour équitable. *» -- La traduction que nous suivons ici est, à peu de choses près, celle du P. Laversin O.P., dans l'édition dite de la Revue des Jeunes -- Desclée 1935 : La loi, Ia IIae, qu. 90 à 97. (*Note du traducteur*.)
[^99]: -- (1). Un *post-scriptum* du document épiscopal précise que cette consultation du Dicastère romain a été demandée le 2 mars 1970 par Carlos Galan Pbro., Secrétaire de la Commission épiscopale de Liturgie de Campos. La réponse de Mgr A. Bugnini, Secrétaire de la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin, est du 9 mars 1970. Il est à remarquer que, la question ayant été posée sur un mode général (le nouvel *Ordo* rend-il obligatoire la communion debout ?), la réponse apportée par la Congrégation romaine vaut quels que soient te lieu et les circonstances où cette question se pose. (*Note du traducteur*).
[^100]: -- (1). Nous transcrivons ici les paroles de S.E. le Cardinal Gut, auxquelles il est fait allusion ci-dessus. Elles sont extraites d'un entretien qui peut être lu dans *La Documentation Catholique* du 16 novembre 1969, p. 1048, col. 2 : « (...) on a parfois franchi les limites, et beaucoup de prêtres ont simplement fait ce qui leur plaisait. Alors, ce qui est arrivé parfois, c'est qu'ils se sont imposés. Ces initiatives prises sans autorisation, on ne pouvait plus, bien souvent, les arrêter, car cela s'était répandu trop loin. Dans sa grande bonté et sa sagesse, le Saint Père a alors cédé, souvent contre son gré ». (*Note du Document épiscopal*.)
[^101]: -- (1). C'est nous qui soulignons, dans ce texte, les passages essentiels de la mise en garde de l'évêque de Campos contre les nouveaux catéchismes. A notre connaissance, cette récente prise de position de Mgr de Castro Mayer constitue en effet la première dénonciation explicite de l'affaire des catéchismes par un évêque régnant. (*Note du traducteur*).
[^102]: -- (1). Ce sera d'ailleurs l'enseignement de Pie XI sur le juste salaire (*Quadragesimo Anno*, n° 108-109 et 70 à 82).
[^103]: -- (2). Gaudium et Spes, n° 43 ; *Octogesima Adveniens*, n° 50. -- Note d'ITINÉRAIRES : Pour notre part, on le sait, nous n'allons pas *argumenter en doctrine* en prenant comme *autorités doctrinales* des textes tels que « Gaudium et Spes » ou « Octogesima adveniens »... ! Mais l'utilisation rhétorique de ces textes demeure parfaitement légitime au niveau de l'argumentation ad *hominem.*
[^104]: -- (3). Aristote : La politique, Livre II, chapitre V.
[^105]: -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 160 de février 1972, pp. 3 à 10 et pp. 155 à 172.
[^106]: -- (1). Voir : « L'excommunication du P. Saenz », dans ITINÉRAIRES, numéro 162 d'avril 1972, pp. 243-260.
[^107]: -- (1). Finalement, la *Documentation catholique* l'a publié le 2 avril dans son numéro 1606, voici le texte : « *Il* (*le Conseil permanent*) *s'est élevé contre les attaques dirigées contre le Saint Père, le II^e^ Concile du Vatican, la hiérarchie, par M. l'abbé Georges de Nantes quand il affirme par exemple :* « *Le Concile a renversé l'ordre hiérarchique et mis l'Église la tête en bas *» et parle du pape Paul VI « *oublieux de sa foi et négligeant sa fonction apostolique *» (*La Contre-Réforme catholique, juillet 1969*). *Il a condamné l'attitude de M. l'abbé Coache qui qualifie l'Ordo Missae de* « *teinté d'hérésie, proche de l'hérésie, protestant d'esprit et de forme et donc extrêmement dangereux *»*. Contre ces attitudes, il a affirmé la nécessité de vivre et de promouvoir une communion profonde, de cœur et d'attitude, avec le Saint Père et entre tous les membres du Peuple de Dieu. *»
[^108]: -- (1). *Sic.* Mais *le journal la croix* a rectifié en : *nouvel.* Et de même la *Documentation catholique* du 2 avril.
[^109]: -- (1). Les guillemets sont dans le texte du communiqué de l'abbé Coache. Ils signifient que l'abbé Coache met en doute que la lettre soit véritablement *du cardinal Seper.* Édith Delamare exprime en substance un doute analogue dans *Rivarol* du 6 avril en remarquant : « *L'abbé Coache reste* suspendu. *Suspendu à quoi ? Le ternie canonique est :* « *suspens *»*. Ce* « *suspendu *» *est suspect et le reste est à* l'avenant.