# 175-07-73 1:175 ### L'étranglement du "Supplément-Voltigeur" COMME NOS LECTEURS LE SAVENT DÉJÀ, les pouvoirs publics ont refusé la qualité de « périodique » à notre mensuel le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR. Cette décision est arbitraire, elle est illégale, elle n'est même pas motivée. Mais elle n'est point platonique. Le refus de la qualité de « périodique » équivaut pratiquement à une interdiction de paraître : il prive le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR du papier de presse, des tarifs postaux pour périodiques et de toutes les conditions matérielles indis­pensables à la parution normale d'un organe d'opinion. \*\*\* La qualité d' « écrit périodique » est administrativement reconnue aux publications par la « commission paritaire des publications et agences de presse », sise 69, rue de Varennes à Paris, au cabinet du ministre de l'information, dans le palais du premier ministre. Cette commission est nommée « paritaire » parce qu'elle est composée à égalité de sept représentants de la presse et de sept représentants du gouvernement, sous la présidence d'un conseiller d'État. Ladite « commission paritaire » délivre un *numéro d'ins­cription* et un *certificat d'inscription* qui sont indispensables pour bénéficier de l'ensemble des conditions professionnelles, économiques, financières, fiscales, postales qui sont celles de la presse. L'attribution de ce numéro d'inscription n'est évidemment pas, en principe, et en fait n'était pas jusqu'ici une faveur que le bon plaisir du Prince puisse arbitrairement réserver à ceux qui « pensent bien » sur les chapitres essentiels : démolition des traditions nationales et religieuses, marche au socialisme, liberté de l'avortement, société moralement permissive, scolarisation universelle sans obligations ni sanctions. Sans doute, sur ces sujets et sur plusieurs autres également fondamentaux, il existe un accord de fond entre la majorité gouvernementale (électo­ralement de droite) et la majorité de la presse (d'opposition de gauche). 2:175 Mais jusqu'ici, la commission paritaire presse-gou­vernement n'avait pas cherché à interdire la parution des publications qui ne professent pas les dogmes communs au gouvernement de droite et à la presse de gauche. Les dogmes communs vont-ils devenir obligatoires ? La seule divergence, à leur sujet, entre la majorité de la presse d'opposition de gauche et la majorité gouvernementale électoralement de droite, est dans le degré de douceur et de promptitude. D'accord pour la libéralisation de l'avortement, les uns la veulent totale et immédiate (au besoin subventionnée et assortie d'une prime de productivité), les autres progressive et modulée. D'accord pour la marche au socialisme, la presse d'opposition de gauche la réclame à grands cris, la majorité gouvernementale électoralement de droite prétend l'assurer plus efficacement et plus confortablement. Sur ces dogmes communs presse-gouvernement, nous ne différons pas, quant à nous, par la nuance ou le degré ; ni par les procédés de financement et d'exécution. Nous sommes contre l'avortement ; nous sommes contre le socialisme ; nous sommes contre la société permissive ; nous sommes pour la déscolarisation mas­sive des âges et des métiers qui n'ont rien à faire de bon sur les bancs d'un école. Nous sommes absolument et incondition­nellement contre l'information sexuelle par les puissances publiques, État, Universités, ministères, préfectures, adminis­trations. Nous n'adhérons pas aux dogmes communs ; nous n'adhérons à aucun des dogmes modernes. Le refus de l'*inscription à la commission paritaire* va-t-il devenir, à partir de l'année 1973 et en commençant par nous, le moyen politique de bâillonner ceux qui rejettent la religion commune à la majorité de droite et à l'opposition de gauche ? Jusqu'à présent, l'attribution d'un *numéro d'inscription à la commission paritaire* était une simple formalité adminis­trative. Il s'agissait seulement de vérifier que le « périodique » était bien un périodique, paraissant régulièrement à date fixe (au moins une fois tous les trois mois) ; que le dépôt du titre de la publication avait bien été effectué auprès du procureur de la République ; que la publication portait bien les mentions réglementaires de son directeur, de son imprimeur, de sa périodicité et de son prix ; que c'était bien une publication d'information ou d'opinion, « ayant un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée » : c'est-à-dire qu'elle n'était pas en réalité un catalogue de publicité commerciale, industrielle ou bancaire ; et autres choses du même genre. Ces conditions réglementaires sont codifiées et rassemblées dans un « article 72 » figurant à l'annexe III du code général des impôts. 3:175 Il peut arriver que des publications soient des cas-limites, des cas douteux, prêtant à discussion, à contestation ou à interprétation, parce qu'elles ont plus ou moins l'apparence ou la réalité d'un catalogue commercial ; ou bien parce que leur périodicité est trop incertaine. Mais dans le cas du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, il n'y avait, sous aucun rapport, aucune incertitude, aucune ambiguïté. Sa parution est mensuelle. Il a effectivement paru huit mois consécutifs, le 15 du mois. Son caractère de publication d'opi­nion est manifeste. Il ne dépasse ni n'approche la limite de surface consentie à la publicité commerciale : il n'en accepte aucune. Au demeurant, la commission paritaire n'a invoqué aucun motif réglementaire ; elle n'a allégué contre le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR aucune des conditions de l'article 72 ; elle n'a énoncé aucun motif, donné aucune raison juridique ou admi­nistrative. Elle a simplement nié l'évidence : le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, a-t-elle décrété sans autre considération ou expli­cation, *n'est pas assimilable à un écrit périodique !* \*\*\* C'est un coup mortel. N'importe quelle publication, grande ou petite, que ce soit *Le Monde* ou *L'Homme nouveau,* que ce soit *L'Express* ou la *France catholique,* que ce soit le *Canard enchaîné* ou *La Croix,* n'importe quelle publication qui serait privée de son numéro d'inscription à la commission paritaire, devrait aussitôt CESSER DE PARAÎTRE. Elle en garderait bien sûr le droit théori­que ; elle n'en serait pas physiquement empêchée par les gendarmes ; mais elle serait économiquement et administra­tivement asphyxiée par la perte de sa qualité d' « écrit périodique ». \*\*\* Telle qu'elle a été constituée et confirmée par décrets suc­cessifs (du décret n° 50-360 du 25 mai 1950 au décret n° 58-1245 du 15 décembre 1958), la commission paritaire passe pour un organisme simplement consultatif dont les avis ne lient pas obligatoirement l'administration publique. Cela est vrai pour ses décisions *positives,* l'administration se réservant le droit de vérifier à son tour qu'une publication ayant reçu un numéro d'inscription remplit bien les conditions prévues par l'article 72. 4:175 En revanche, ses décisions *négatives* sont toujours suivies par l'administration, qui ne reconnaît comme « pério­dique » aucune publication n'ayant pas son *certificat d'ins­cription délivré par la commission paritaire* ([^1])*.* Il n'est d'ailleurs que de se reporter aux termes employés par la commission paritaire dans la lettre n° 70652 par laquelle son secrétaire général nous a notifié que le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR n'est pas un périodique. La commission paritaire *décide,* et elle *avise les ministres de sa décision :* Monsieur le Directeur, J'ai le regret de vous faire connaître que la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse, après examen de votre dossier a jugé que la publication intitulée : « ITINÉRAIRES-SUP­PLÉMENT-VOLTIGEUR » était une brochure non assimilable à un journal ou écrit périodique. Elle a donc décidé de ne pas lui délivrer de numéro d'inscription. Monsieur le Ministre des Postes et Télécommuni­cations et Monsieur le Ministre de l'Économie et des Finances ont été avisés de cette décision. Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération distinguée. Le Secrétaire général (signé) illisible. \*\*\* Cette lettre n° 70652 de la commission paritaire est datée du 7 mai 1973. Elle a été envoyée (date du cachet de la poste) seulement le 15 mai. Et, grâce à la diligence des services postaux, elle m'est parvenue le 28 mai. \*\*\* *Parenthèse sur l'accusation de* « *brochure *»*.* 1° Aucun des huit numéros parus du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR n'était *broché ;* la qualification de *brochure* ne peut d'aucune manière être appliquée à aucun d'entre eux. 5:175 2° Une *brochure* n'est d'ailleurs pas le contraire d'un *écrit périodique :* ni sous le rapport de la périodicité, ni sous le rapport de l'écriture. Une « brochure » peut être ou n'être pas un « périodique ». Un « périodique » peut être ou n'être pas une « brochure ». La plupart (je crois même la totalité) des revues mensuelles et des magazines hebdomadaires qui sont reconnus comme *périodiques* par la commission paritaire, sont justement des *brochures.* 3° Quel que soit le sens que l'on donne au terme *brochure,* le point décisif est que l'article 72 ne mentionne pas les *brochures* parmi les catégories de publications ne pouvant être reconnues comme « écrits périodiques ». Ces trois observations mettent en un relief encore plus net l'ARBITRAIRE et l'ILLÉGALITÉ de la décision par laquelle la com­mission paritaire « a jugé que la publication intitulée ITINÉRAIRES-SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR était une brochure non assimi­lable à un journal ou écrit périodique ». \*\*\* *Parenthèse sur l'accusateur.* Le « secrétaire général » qui, dans sa lettre n° 70652, parle de « brochure » et de « périodique » avec une légèreté aussi péremptoire, et une telle indifférence à l'égard de l'article 72, parle-t-il authentiquement au nom des quatorze membres de la commission paritaire et de leur président ? Est-ce seulement par désinvolture, ou est-ce pour une autre raison, qu'il ne mentionne pas la date de la décision qu'il notifie ? La commission paritaire se réunit habituellement une fois par mois. A-t-elle véritablement *jugé,* et au cours de quelle réunion, que le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR est *une brochure non assimilable à un écrit périodique ?* Jugement suffisamment mémorable pour que son existence, si elle est réelle, soit authen­tifiée au moins par sa date. Par lettre recommandée du 29 mai 1973, j'ai aussitôt placé la commission paritaire en face de ses responsabilités, et j'ai réclamé l'annulation immédiate de son refus : Monsieur le Secrétaire général, I. -- Premièrement : j'ai l'honneur de vous adresser ma *protestation* contre votre injuste refus d'inscrire à la Commission paritaire ma publication mensuelle : « ITINÉRAIRES-SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR ». 6:175 Contre l'évidence, vous prétendez que cette publi­cation mensuelle n'est pas *assimilable* à un écrit périodique. Mais elle EST un écrit périodique ; elle n'a aucun besoin d'y être assimilable ou assimilée. Elle satisfait à TOUTES les conditions fixées aux écrits périodiques par l'article 72. Vérification : vous n'avez pu alléguer *une seule* des conditions de l'article 72 à laquelle le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR n'aurait point satisfait ; vous n'avez pu énoncer *aucun* motif réglementaire à l'appui de votre refus, qui par là s'avoue donc ostensiblement illégal. II\. -- Secondement : en conséquence, je réclame, par la présente lettre à vous adressée, que la Com­mission paritaire annule son refus et *délivre sans retard* un numéro d'inscription au SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR. III\. -- Troisièmement : *j'attire sérieusement votre attention sur la gravité* de l'acte discriminatoire par lequel une publication d'opinion, présentant tous les caractères manifestes et toutes les conditions réglementaires d'un écrit périodique, s'en voit illégalement et arbitrairement refuser la qualité. Si, malgré ma réclamation motivée, la Commission paritaire maintenait son refus non motivé, cela constituerait une atteinte directe et délibérée à la liberté de la presse. Une prompte réponse de votre part m'obligerait. m'annonçant que la Commission paritaire, convo­quée par vos soins au réexamen qui est urgent et nécessaire, va cesser de me refuser mon droit. Je ne saurais en effet attendre au-delà du 15 juin -- date normale à laquelle devait paraître le prochain SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR -- pour saisir et mon syndicat, et l'opinion publique, et les instances administratives et judiciaires compétentes. IV\. -- Quatrièmement : bien entendu, je *suspends* la parution du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR jusqu'à l'obtention du numéro d'inscription auquel il a droit. Vous ne pouvez ignorer qu'en refusant de délivrer un numéro d'inscription à un écrit pério­dique, vous le privez *des conditions indispensables* à une parution normale. Cela équivaut pratiquement à une interdiction de paraître. 7:175 L'interruption de parution est un *dommage* capital pour une publication périodique. Le premier numéro du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR à ne point pa­raître de votre fait sera donc celui du 15 juin. Je souligne que la Commission paritaire porte la responsabilité de ce dommage injuste et de son éventuelle prolongation. En souhaitant que vous mettiez très rapidement un terme à cette situation incroyable, je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire général, les assu­rances de ma considération distinguée. N'ayant aucune idée précise sur les chances que peut avoir ma réclamation d'être effectivement communiquée à chacun des quatorze membres et au président de la commission pari­taire, je les prie de bien vouloir la trouver ici. De cette manière, s'ils n'en ont pas eu connaissance, ils pourront la lire main­tenant. \*\*\* Nous ne savons pas avec certitude ce qu'en l'occurrence veulent les pouvoirs publics : mais la suite le montrera bientôt. Cette affaire est peut-être la première manifestation d'une volonté de changer subrepticement le régime de la presse en France et d'instaurer un système discret d'autorisation préalable arbitrairement accordée ou refusée par le gouvernement. Hypothèse peu plausible en ce moment ? Sans doute. Mais réalité dans un premier cas, le nôtre, celui du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR illégalement privé de son droit. Nous ne savons pas encore quelle sera la réaction de la presse. Mais nous allons bientôt le voir et l'apprendre. La presse établie, la presse installée, est d'ordinaire extrêmement vigilante et sourcilleuse, elle le proclame du moins, pour tout ce qui blesse ou menace les libertés de la presse. Mais elle est pour moitié responsable des décisions de la commission pari­taire presse-gouvernement. La voici donc associée à une pre­mière mesure, à un premier acte, à un *précédent,* transformant une simple formalité de contrôle administratif en instrument de répression, de censure, d'interdiction contre un périodique qui « pense mal ». Car l'affaire est parfaitement nette. Il n'y avait aucune raison administrative, il n'y avait aucune raison réglementaire, il n'y avait aucune raison légale de refuser au SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR son numéro d'inscription. La commission paritaire n'en a découvert aucune. Elle n'a énoncé aucun motif licite. 8:175 S'il s'agit simplement d'un mauvais coup réservé à nous seuls et porté, au mépris des lois et règlements, par quelques subalternes ou quelques suppléants subornés par nos ennemis, il ne devrait pas être nécessaire d'insister beaucoup ni long­temps pour que le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR retrouve sa qualité d'écrit périodique et son droit à une parution normale. C'est pourquoi il m'a paru convenable et nécessaire que ma réclamation soit adressée d'abord à la commission paritaire elle-même. Je rappelle qu'elle est du 29 mai 1973. Jean Madiran. 9:175 ## ÉDITORIAL ### Sans messe et sans prêtre Clarification : c'est bien, chaque dimanche, une « célé­bration eucharistique » sans messe et sans prêtre que la nouvelle religion entend finalement établir à l'intérieur et sous le couvert de l'Église catholique. Et c'est la confirmation qu' « il s'agit simplement de faire mémoire ». Ce n'était pas un lapsus, c'était bien un « rappel de foi », un énoncé de la foi nouvelle : la hiérarchie collégia­liste maintient et persiste ; et elle met en pratique. **I. -- Le document de Bourges :** En « Annexe I » au présent éditorial, on trouvera le texte complet du Bulletin diocésain de Bourges définissant la doc­trine pastorale de cet archevêché sur l'excellence prééminente des « célébrations dominicales sans messe ». On aura donc, puisque le texte est entièrement reproduit, tout le contexte. Par acquit de conscience. Car ce n'était pas nécessaire. Cette doctrine pastorale tient en effet en une seule phrase : *les célébrations dominicales sans messe semblent préférables à la solution qui consiste à faire venir les fidèles dans une paroisse autre que la leur.* De peur que nous ne comprenions pas, la commission dio­césaine de Bourges précise qu'ainsi « *une piste est ouverte *» et qu' « *elle peut conduire beaucoup plus loin... *» Certes. Beaucoup plus loin. Elle peut conduire jusqu'en Enfer les prêtres qui trahissent et leur architraître. Je leur en donne l'avis. Qui sans doute les fera sourire. Finement. 10:175 Le peuple chrétien résiste comme il peut aux trahisons de son clergé. Il ne croit nullement qu'une célébration eucharis­tique dominicale sans prêtre puisse être *préférable* à une vraie messe avec un vrai prêtre. Aussi le Bulletin archiépiscopal de Bourges mesure la difficulté du « changement de mentalité chez les chrétiens du Berry » qu'il va falloir opérer pour implanter la religion nouvelle. « *Comment faire parvenir les membres de nos communautés chrétiennes à une foi plus éclai­rée, plus ouverte, à un sens de la communauté plus vrai, qui leur fasse envisager sans trop de réticence, sinon avec enthou­siasme, à telles célébrations dominicales sans messe et sans prêtre, une telle manière de sanctifier le dimanche, de célébrer l'Eucharistie. *» Ah ! ce sera une « rude tâche pastorale », dit le Bulletin diocésain. Mais courage, ajoute-t-il : « *Les mentalités, celles des ruraux surtout, évoluent plus facilement devant les faits. Il y a déjà eu dans le diocèse quel­ques célébrations dominicales sans messe. Elles sont à perfec­tionner ; elles sont à faire connaître dans ce qu'elles ont de meilleur : ce qui est bien fait donne envie de le faire ! *» Voilà donc ce qui se trame, ce qui se fait, ce qui s'enseigne officiellement, à Bourges, *en accord* *avec l'archevêque,* lequel est lui-même *en communion avec le pape*. Mais l'originalité à l'archidiocèse de Bourges n'est que de dire ce qu'il fait. D'autres diocèses font sans dire. Les célébrations eucharistiques domini­cales sans messe et sans prêtre s'implantent sournoisement par­tout. Et partout, refrain, en accord avec l'évêque, lui-même en communion avec le pape. Pour garder la foi chrétienne et catholique, il est devenu nécessaire de ne plus se laisser abuser par cette fausse com­munion ; et de ne plus suivre cette hiérarchie dans sa trahison. **II. -- Les réponses cachées\ des évêques de France** Cette célébration dominicale dite eucharistique, cette célé­bration sans prêtre et sans messe, n'est bien sûr que l'inévitable aboutissement pratique à la définition que le Nouveau Missel inculque aux fidèles depuis 1969 : « Il s'agit simplement de faire mémoire. » S'il s'agit simplement de faire mémoire, on peut le faire sans messe et sans prêtre, c'est évident. 11:175 Partout interpellés par leurs diocésains, les évêques de France ne veulent pas s'en dédire. Ils maintiennent cette défi­nition ; ils maintiennent ce « rappel de foi ». Avec des nuances, allant de la ferveur illuminée du bou­donisme intégral à la résignation de ceux qui y ont perdu leur latin. Mais si désolée que soit secrètement la résignation des résignés, c'est bien une résignation. Aucun d'entre eux ne censure comme hérésie, par un écrit signé à sa main, l'hérésie manifeste du Nouveau Missel. Tous, des résignés aux enthousiastes, professent finalement la même conclusion pratique, qui est d'accepter tel qu'il est le Nouveau Missel au lieu de le rejeter. Et tous répondent *en privé*. Non pas au sens où *privé* s'op­poserait à *officiel,* c'est impossible : un évêque catholique ne saurait avoir, distincte de sa doctrine officielle, une doctrine « privée » sur la messe. Mais au sens où *privé* s'oppose à *public*. Ils ont fabriqué des circulaires à la ronéo, qu'ils envoient avec leur signature à ceux qui leur écrivent pour les interroger ou pour protester. Ils pensent peut-être que leurs correspondants ne sauront pas distinguer une circulaire reprographiée d'une lettre dactylographiée. Mais ces réponses, pourquoi les font-ils en se cachant ? et de qui ? L'effort visible des évêques est d'endormir les fidèles qui s'inquiètent : en leur chuchotant sous enveloppe personnelle que la doctrine de la messe n'a pas changé. Ils évitent pourtant à professer explicitement les canons du concile de Trente sur le saint sacrifice. Ils restent dans le vague, parfois en se réfé­rant seulement aux approximations pastorales de Vatican II. Ils tournent autour du pot, comme on dit, et comme le remar­quent les correspondants qu'ils tentent de rouler dans leur farine. Mais à ceux qui ne s'inquiètent pas, à ceux qui ne leur font ni interrogation ni protestation, ils ne disent rien. Leurs assurances que la doctrine de la messe n'a pas changé sont données, seulement en privé, aux seuls protestataires. Les autres sont encouragés à penser que la doctrine est modifiée, ou en­core, ce qui revient au même en matière de doctrine révélée, qu'il n'y a plus de doctrine ; que la doctrine n'a plus aucune importance ; qu'il n'y a plus que du pastoral, du communautaire, du socialiste démocratique ; ils sont libres à se mettre à « croire », sur la foi du Nouveau Missel des évêques français, qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». Ainsi augmente chaque jour le nombre des laïcs et des prêtres qui se séparent à la foi catholique sans le savoir ; progressivement, ils quittent les rangs de la fidélité ; sans mauvaise conscience ; en toute sécurité. A force de pratiquer de confiance les rites nouveaux, à force d'assister imprudem­ment à la messe nouvelle, ils sont pénétrés par la nouvelle religion. 12:175 Les yeux fermés, le cœur tranquille, ils suivent « les évêques en communion avec le pape ». Et c'est précisément pour ne pas risquer de leur ouvrir les yeux que la secte au pouvoir dans l'Église a passé la consigne : aucun débat public sur le Nouveau Missel. Des boniments privés pour neutraliser les « traditionalistes » ; pour retarder, pour atténuer ou pour décourager leurs protestations ; rien de plus. En sens contraire, il faut continuer à réclamer, il faut continuer à protester, il faut continuer à exiger des évêques qu'ils prennent publiquement position : plus ils attendent, et plus se confirme et s'aggrave la suspicion légitime qui porte sur leur foi. **III. -- Nullité des réponses** Nulles parce qu'elles ne sont pas publiques, les réponses des évêques sont nulles en outre par leur contenu : par leur ab­sence de contenu ; par leur vide intellectuel ; par leur désert doctrinal. En « Annexe II » au présent éditorial, on trouvera le texte intégral de la circulaire que Mgr Boudon envoie à ceux qui lui écrivent. Elle est lamentable. Lamentablement, Mgr Boudon s'obstine à prétendre et à répéter que *c'est le Christ lui-même qui, le premier, a employé l'expression* « *faire mémoire *» ([^2])*.* Sentencieusement, Mgr Boudon ajoute : *Le Christ savait ce qu'il disait.* Le Christ sa­vait assurément ce qu'il disait : mais point Mgr Boudon. Ses correspondants remarquent tous aussitôt qu'il affirme gratui­tement, sans donner de référence à aucun verset de l'Écriture. Ils comprennent très bien que Mgr Boudon les prend pour des ânes. Mais patience. Mgr Boudon en a fait bien d'autres. Il pourra enrichir l'Écriture sur ce point-là aussi. Il a déjà fait appa­raître dans une lettre de saint Paul que le Christ Jésus n'est pas l'égal de Dieu. Il a fait apparaître dans une autre lettre de saint Paul la volonté de Dieu selon laquelle, pour vivre sain­tement, il faut prendre femme. Il a garanti officiellement que cela, foi d'évêque, était authentique et révélé. Un champion aussi doué n'est pas incapable de nous faire apparaître main­tenant, dans le récit évangélique de la Cène, une parole du Seigneur qui ordonnerait de *faire mémoire.* 13:175 Ce n'est pas difficile. On en a supprimé bien d'autres dans les nouvelles versions de l'Évangile. On supprimera aussi la parole : *Faites ceci* (en mémoire de moi). A la place on écrira : *Faites mémoire.* Mgr Boudon a juré que c'était dans l'Écriture ; on peut lui faire confiance, à la première occasion, à la première réédition il va l'y mettre. Il en a mis bien d'autres. Et néanmoins, tout autant que les précédentes falsifications, cela restera vain. D'autant plus que l'expression *faire mémoire* (que le Christ n'a pas employée) n'est absolument pas en cause. Cette ex­pression, qui est incomplète, n'est pas fausse. Il est certain que le saint sacrifice de la messe *fait mémoire* de la Passion du Sauveur ; personne n'y contredit. Et ce n'est point cela qui est en question. En mettant par fraude dans l'Évangile, comme il annonce et prétend qu'elle y est, une parole du Christ ordon­nant de *faire mémoire,* Mgr Boudon n'en sera pas plus avancé, il n'aura en rien authentifié le prétendu « rappel de foi » du Nouveau Missel français. Ce « rappel de foi », ce n'est point qu' « il s'agit de faire mémoire », non ; c'est qu'il s'agit SIMPLEMENT *de faire mémoire.* Ce « simplement », à cette place et dans un tel emploi, a un sens et un seul. Le sens qu'ont soutenu la plupart des écoles protestantes. Le sens qu'a rejeté le concile de Trente. « Faire *simplement* mémoire » a une signification bien connue et bien claire, une signification impérieusement restrictive, la même dans la tradition protestante et dans la tradition catholique. Cela veut dire faire une commémoraison qui *n'est pas* un sacrifice. Et parce que, dans la nouvelle religion, ce n'est plus un sacrifice ; parce que, souvent sans y penser, et comme par mégarde, les évêques s'en sont laissé persuader, ils trouvent tout naturel, comme à Bourges, d'instituer des célébrations eu­charistiques dominicales sans messe et sans prêtre. En général ils ne tiennent pas à en enseigner trop ouvertement la doc­trine, et c'est pourquoi ils biaisent et répondent à côté ; ils pensent plus ou moins, comme le professe le document épis­copal de Bourges, que « les mentalités évoluent plus facilement devant les faits » : devant les faits accomplis. Ces faits accomplis, le chemin parcouru depuis dix ans, at­testent que l'Église collégialiste épiscopalienne de France a quitté la foi catholique. Cette Église prétend interdire la célébration de la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. Elle prétend interdire seulement celle-là. Simultanément, elle encourage ou tolère *n'importe quelle autre* célébration dite eucharistique, n'importe quelles pitreries à liturgie expérimentale et circulaire, y compris celles qui par système se font de préférence sans messe et sans prêtre. 14:175 La clarification ne serait-elle pas suffisante ? Alors, en voici une autre encore. **IV. -- « Une injure envers Dieu »** Par bonheur, par grâce, il y a eu l'excellent *Homme nou­veau* du dimanche 20 mai 1973. C'était, dans la paroisse au bord à la mer, fidèle au calen­drier traditionnel comme à tout le reste, la messe du quatrième dimanche après Pâques. Monsieur le Curé, parmi les avis, a donné celui-ci : « Vous trouverez à la sortie le dernier numéro du journal catholique *L'Homme nouveau.* Il contient un article important la traduction française du Pater, c'est maintenant reconnu, est une fausse traduction. » Beaucoup d'autres curés de paroisse, qui ne l'ont pas dit à la grand-messe, l'auront dit à la sacristie et au presbytère, de bouche à oreille. Et beaucoup d'autres, sans oser rien dire encore, même à voix basse, auront cependant noté, en soupirant de soulage­ment, ce signe des temps : *L'Homme nouveau,* à la date du quatrième dimanche après Pâques de l'année 1973, imprime fermement que le Notre Père officiel des évêques français est « *une injure envers Dieu *»*.* Cela n'apprend rien à nos lecteurs. C'est en mai et en juin 1966, il y a sept ans, que la revue ITINÉRAIRES a publié l'étude décisive d'Alexis Curvers sur la traduction française du Pater ; elle a paru dans notre numéro 103 et dans notre numéro 104. Mais *L'Homme nouveau,* c'est autre chose. On y vénère non seulement la dignité épiscopale, mais encore, par un sombre héroïsme, jusqu'à la personne des évêques les plus manifes­tement prévaricateurs. Et dans *L'Homme nouveau,* c'est en l'occurrence l'abbé Carmignac qui tient la plume ([^3]) : l'abbé Carmignac qui en est encore à croire, comme il l'écrit à la même date, que les évêques français sont « attachés de tout leur cœur à la foi de l'Église catholique... » 15:175 ­Or voici que ce même abbé Carmignac énonce dans ce même *Homme nouveau,* en ce dimanche 20 mai 1973, au sujet de la traduction française du Pater, la protestation suivante : « La formule « *ne nous soumets pas à la ten­tation *» contredit une affirmation claire du Nou­veau Testament : « *Que nul ne dise, quand il est tenté, qu'il est tenté par Dieu... Lui* (*= Dieu*) *ne tente personne. *» (Épître de saint Jacques, chap. 1, verset 3.) En outre cette formule contient une injure envers Dieu, car c'est une insulte d'attribuer à quel­qu'un du mal qu'il n'a pas l'intention de faire. » Cette *injure envers Dieu,* cette *insulte à Dieu* est répétée à chaque messe en français, chaque dimanche et chaque jour. Elle est obligatoire pour ceux qui croient encore obligatoire d'obéir les yeux fermés à tout ce que décrètent nos « évêques en communion avec le pape ». C'est en effet l'ordonnance épis­copale du 12 novembre 1969 qui a imposé en France, pour célébrer la messe, d'utiliser obligatoirement, à partir du 1^er^ janvier 1970, les « traductions approuvées par la commission épiscopale française et confirmées par la congrégation pour le culte divin le 29 septembre 1969 ». Ces traductions comportent la nouvelle traduction française du Pater. Cette « injure envers Dieu », cette « insulte à Dieu » a été approuvée par l'épiscopat français ; elle a été, le 29 septembre 1969, confirmée par le Saint-Siège. Comme ont été approuvées et confirmées les autres insultes et injures litur­giques. Celles dont *L'Homme nouveau* ne parle pas encore. Mais à chaque jour suffit sa demi-lumière : et celle-ci est éclatante. A chaque messe ! A chacune de leurs messes... A chacune, les catholiques réformés profèrent une telle « injure envers Dieu » que l'abbé Carmignac n'arrive plus à se retenir de le leur dire en face, et publiquement, dans *L'Homme nouveau* du 20 mai. A chaque messe depuis le 1^er^ janvier 1970, à chaque messe depuis trois ans et demi, selon *l'obligation* décrétée par l'Église de France en son ordonnance du 12 novembre 1969. Mais avant aussi, en fait et souvent. Dans beaucoup de messes vernaculaires : non encore « obli­gatoires », mais déjà imposées. Et dans les catéchismes ! 16:175 Dans les catéchismes, *depuis plus de sept années* mainte­nant, c'est l' « injure envers Dieu » que systématiquement l'on met dans la bouche des petits enfants et qu'on leur apprend à réciter. Au lieu de la traduction française traditionnelle, si religieusement exacte : *Ne nous laissez pas succomber à la tentation,* voilà sept années successives que l'on enseigne aux petits chrétiens à dire, faussement, injurieusement : *Ne nous soumets pas à la tentation.* Et cela continue. Et, par ordre, cela continuera. Par ordre des évêques en communion avec le pape. Jusqu'à en crever : « autodestruction ». Mais ce qui est changé désormais, Monsieur le Curé de la paroisse au bord de la mer l'a très bien compris et très bien dit. Ce qui est changé désormais, malgré l'obstination épis­copale qui s'acharne, malgré la carence apostolique qui se prolonge, malgré la « communion » de cette carence avec cette obstination, ce qui est changé, c'est LA CLARIFICATION. Si *L'Hom­me nouveau* imprime que la traduction du Pater est mauvaise, s'il imprime qu'elle est inacceptable, s'il imprime qu'elle est une injure envers Dieu, cela veut dire, oui, que c'est MAINTENANT RECONNU. Et si *L'Homme nouveau* l'imprime en 1973, cela veut dire aussi que dans sept ans, vers 1980, à son tour *La France catholique* l'imprimera, et peut-être, sept ans plus tard, *La Croix,* aux alentours de 1987. \*\*\* Dans cet immense naufrage du monde chrétien, du clergé catholique, des peuples baptisés que voilà si profondément fourvoyés et abandonnés par leurs chefs temporels et par leurs chefs spirituels, IL DEMEURE POURTANT ASSEZ DE LUMIÈRE pour les âmes qui veulent la vérité. Tout ce qui dans l'Église a été témérairement innové depuis 1958, date de la mort de Pie XII, tourne visiblement à la confusion et à l'anéantissement. Tout ce qui dans l'Église d'après 1958 a voulu, avec impiété et mé­pris, se séparer à l'Église d'avant 1958, porte le signe manifeste du Mensonge et à la Mort. Vous les reconnaissez à leurs fruits. Plus que jamais, il n'y a d'issue que dans la fidélité. -- La fidélité à la *messe* catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. -- La fidélité au *catéchisme* romain, le catéchisme du concile de Trente, dans son texte même, et simultanément dans ses adaptations légitimes comme le catéchisme de saint Pie X il n'y a pas d'autre catéchisme catholique. -- La fidélité à l'*Écriture sainte,* par un retour à sa version et à son interprétation traditionnelles, les seules qui soient certainement exemptes d'erreur. 17:175 Tout ce que l'impiété moderne a voulu mettre à la place de l'Écriture, du catéchisme et de la messe, a déjà une épou­vantable odeur de pourriture. On peut ne pas oser l'avouer, par crainte du parti au pouvoir dans l'Église militante. On peut faire mine de n'en avoir encore rien aperçu, pour ne pas risquer les représailles à ce parti sectaire, cruel et persécu­teur. Mais, fût-ce dans le secret du cœur, fût-ce en cachant frileusement leurs certitudes retrouvées, les fidèles, maintenant, savent. Les fidèles, ceux qui ont reçu, gardé et cultivé le don de la foi théologale, savent maintenant que c'est un parti, précisément, un parti et non une magistrature légitime, qui gouverne l'administration ecclésiastique ; ils savent qu'une faction illicite et injuste, tyrannique et impie, confisque à son profit les pouvoirs spirituels ; ils savent que sa nouvelle Église n'est pas l'Église ; que sa nouvelle religion n'est pas la religion du Dieu vivant. Et cette vérité bien reconnue nous libère. J. M. 18:175 ANNEXE I ### Le document de Bourges La *Vie catholique du Berry* est le Bulletin officiel de l'archevêché de Bourges. Dans son numéro du 10 mars 1973, pages 108 et 109, il a donné le compte rendu de la réunion tenue le 26 février par la commission diocésaine de pastorale liturgique et sacramentelle. Nous reproduisons intégralement ci-dessous la première partie de ce compte rendu, concernant les « célébrations dominicales » (la seconde partie concerne le sacrement de pénitence). « *La matinée fut consacrée au problème des* célébrations dominicales sans messe. « *De telles célébrations semblent préférables à la solution qui consiste à faire venir les fidèles dans une paroisse autre que la leur : ils ne sont plus dans leur communauté humaine ; ils se sentent étrangers. De plus cette dernière solution pénalise les plus pauvres, ceux qui n'ont pas les moyens d'aller ailleurs.* \[Ce n'est pas vrai. Il y a toujours moyen que les plus riches transportent les plus pauvres. Ou que tous ensemble ils louent des autocars. Mais si c'est, sous prétexte de messe, pour aller assister ou participer aux pitreries de music-hall des « messes nouvelles », il est évident qu'il vaut mieux rester chez soi.\] « *Mais encore faut-il qu'il existe une communauté hu­maine ! Certaines* « *communes *» *sont tellement vidées de leurs éléments humainement et chrétiennement valables qu'il n'est plus possible d'espérer la formation d'une véritable communauté, et donc l'existence d'une vraie célébration domi­nicale par une assemblée chrétienne. D'autre part, en ville, les hommes qui se* « *rassemblent *» *sont loin de constituer une communauté humaine.* 19:175 « Comment envisager l'avenir ? *Dans cette recherche, il faut bien distinguer la sanctification du dimanche et la célé­bration de l'Eucharistie. Il semble bien difficile que l'Église renonce à* « *sanctifier le Dimanche *»*, le Jour du Seigneur, la Fête hebdomadaire du Mystère pascal : il y a là une Tra­dition trop ancienne et trop fondée en doctrine pour que l'Église accepte de remplacer le dimanche par le samedi ou le vendredi ou un autre jour de la semaine pour* « *sanctifier le Jour du Seigneur *»*.* « *Il est certain aussi que pour l'Église, l'Eucharistie est la forme la plus parfaite de cette sanctification du Jour du Seigneur parce que renouvellement par le Peuple de Dieu du Mystère de son Salut en Jésus-Christ.* « *Et pourtant, de nombreux fidèles préfèrent leurs loisirs ou leur repos à la messe dominicale, d'autres se tranquillisent la conscience par une rapide et distraite messe dominicale qui ne semble guère faire de ce dimanche un jour sanctifié. D'autres, des Jeunes surtout, se plaisent beaucoup à célébrer l'Eucharistie ensemble, un autre jour que le dimanche et hors de la communauté paroissiale. Et d'autres encore ne sont pas disponibles ou pas disposés le dimanche et le seraient un autre jour de la semaine qui leur permettrait davantage d'être en fête.* « *C'est qu'en définitive, il s'agit de* fêter le jour du Sei­gneur. *Le Mystère pascal se célèbre une fois par an à Pâques, il se célèbre aussi une fois par semaine, le dimanche, il se célèbre enfin dans chaque Eucharistie. Cette* « *idée *» *de* Fête *ne pourrait-elle pas nous mettre sur une bonne piste pour ré­soudre le problème des célébrations dominicales sans messe et sans prêtre ?* \[Ce soi-disant « problème des célébrations dominicales sans messe et sans prêtre », avant d'avoir à le *résoudre,* il faudrait d'abord sa­voir si et comment on peut et on doit (ou non) le *poser* légitimement.\] « *Comme toute communauté humaine, la communauté chré­tienne doit avoir ses fêtes. La célébration essentielle, c'est celle du* Mystère pascal. *On peut, en certains cas, envisager la dis­tinction entre la célébration du dimanche,* « *Jour du Seigneur *»*, et la célébration eucharistique du mystère pascal, un autre jour que le dimanche. La communauté en fête peut être soit la grande communauté, soit une communauté plus restreinte, peut-être même la communauté familiale* « *domestique *»*.* \[L'alinéa qu'on vient de lire semble donc distinguer, ou tendre à distinguer, entre « cé­lébration dominicale sans messe » et « célébration eucharistique ». 20:175 Mais on verra plus loin que cette nouvelle « manière » de sanc­tifier le dimanche, sans messe et sans prêtre, doit être entendue comme une manière de « célébrer l'eucharistie ».\] « *L'essentiel en tout cela n'est-il pas la conjugaison d'une communauté humaine en fête et la célébration, dans une vue de* Foi chrétienne *authentique, du Mystère pascal, grande fête chrétienne ? L'effort de la Pastorale ne sera-t-il pas de trouver les moyens d'opérer cette conjugaison par action sur la fête humaine et action sur la fête chrétienne ?...* « *Telles furent les réflexions des membres de la Commission sur ce sujet d'actualité. Une piste est ouverte... ; elle peut conduire beaucoup plus loin...* « *De tels changements, quels qu'ils soient, supposeront, exigeront un changement de mentalité chez les chrétiens du Berry. Comment faire parvenir les membres de nos commu­nautés chrétiennes -- là où elles peuvent exister -- à une foi plus éclairée, plus ouverte, à un sens de la communauté plus vrai, qui leur fassent envisager, sans trop de réticence sinon avec enthousiasme, de telles célébrations dominicales sans messe et sans prêtre, une telle manière de sanctifier le di­manche, de célébrer l'Eucharistie. Rude tâche pastorale !* \[On sait que les termes « célébrer l'eucha­ristie » ou « célébration eucharistique » sont ceux qu'emploie la nouvelle religion *à la place* de « messe » ou de « saint sacrifice », tout en assurant à voix basse, dans le creux de l'oreille de ceux qui s'inquiètent, et pour les faire tenir tranquilles, que *c'est la même chose. --* On voit très bien ici la vérité, qui est fort différente. On veut célébrer l'eucharistie *sans sacrifice ;* on soutient qu' « il s'agit simple­ment de faire mémoire » ; et l'on veut habi­tuer le peuple chrétien à faire mémoire et à célébrer, chaque dimanche, *sans* messe et *sans* prêtre.\] « *Les mentalités -- celles de ruraux surtout -- évoluent plus facilement devant les faits. Il y a déjà eu dans le diocèse quelques célébrations dominicales sans messe. Elles sont à perfectionner ; elles sont à faire connaître dans ce qu'elles ont de meilleur : ce qui est bien fait donne envie de le faire ! *» 21:175 \[L'archevêque de Bourges, comme tous les autres, assure qu'il est en pleine communion pastorale avec le Saint-Siège. Et le Saint-Siège ne manquera pas, en cas de besoin, de lui en fournir, comme aux autres, le témoignage oral ou écrit.\] \*\*\* Qu'on n'aille pas supposer que ces belles choses sont prévues, par force majeure, seu­lement pour les paroisses sans prêtre. Il y a en effet page 110 un nota-bene parfaitement clair : *N. B. -- Les prêtres qui ont déjà réalisé dans leurs paroisses des célébrations dominicales sans messe sont invités à en don­ner le plus rapidement possible un bref compte rendu au res­ponsable diocésain, M. l'abbé Duchauffour, 18800 Baugy, pour une enquête demandée par le Centre National de Pastorale Liturgique.* Vous avez bien lu : des célébrations domi­nicales sans messe organisées par des prêtres dans *leurs* paroisses. Avec l'attentive sollicitude du CNPL. 22:175 ANNEXE II ### La circulaire de Mgr Boudon Mgr Boudon, évêque de Mende, est -- en qualité de président de la commission épiscopale ad hoc -- l'évêque responsable de *l'impri­matur* (ou garantie officielle d'orthodoxie) donné aux falsifications et aux blasphèmes des nouveaux textes liturgiques et des nouvelles versions de l'Écriture sainte. Depuis des années, il est à ce sujet publi­quement interpellé de toutes les manières, allant de la supplication à la sommation. Il n'a jamais consenti ni une rectification, ni une explication publique. \*\*\* Voici le texte intégral de la circulaire reprographiée que Mgr Boudon envoie en guise de réponse aux correspondant qui lui écrivent leur perplexité ou leur protestation au sujet du « rappel de foi » du Nouveau Missel, énonçant qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». En tête il y a : « Mende, le... », mais dans toutes celles que nous avons eues sous les yeux, Mgr Boudon a oublié (ou a volontairement omis) de compléter à la main en inscrivant la date. « *Je réponds sans retard à votre lettre. Je suppose que vous avez lu attentivement le contexte du passage qui vous inquiète : c'est le sens de l'Épître aux Hébreux qui est pré­senté. Et ce qui est affirmé c'est la nécessité de nous* « *tour­ner avec foi vers le Christ *» (*ce qui implique un comportement conforme à cette foi*)*.* \[Le contexte du passage incriminé, c'est que le Nouveau Missel entend tirer ici de saint Paul des « *rappels de foi indispensables *»*.* Mgr Boudon préfère passer sous silence cet aspect capital du contexte, qui déclare l'in­tention de l'auteur, indique le genre littéraire et précise la note théologique.\] « *Et l'acte qui exprime le plus cette foi au Christ, c'est de* « *faire mémoire *» *du* « *sacrifice parfait *»*,* « *de nous y associer *»*,* « *d'y communier *»*. Qui a, le premier, employé l'expression* « *faire mémoire *»* ? Le Christ lui-même à la Cène. Il savait ce qu'il disait ; et* « *faire mémoire *» *n'a rien à voir avec la* « *nuda commemoratio *» *qu'avec raison condamne le Concile de Trente :* \[Ce n'est pas l'expression *faire mémoire* qui est en cause, Mgr Boudon le sait très bien ; c'est l'expression *simplement faire mémoire,* qui veut dire exactement la même chose qu'en latin la *nuda commemoratio* condamnée par le troisième des canons du concile de Trente sur le saint sacrifice.\] « *Toute la théologie des 30 et 40 dernières années a voulu mettre en relief cette expression qui vient du Christ, qu'a employée l'église primitive et qui a un sens réaliste, que l'église n'a jamais oublié puisque le Canon romain l'emploie.* \[L'expression *simplement faire mémoire* ne figure pas dans le canon romain ; l'expression *faire mémoire* non plus. Mais au fait, qu'est-ce donc que le *canon romain* pour Mgr Boudon qui l'a abandonné ?\] « *Je n'arrive pas à comprendre l'attitude maladive de ceux qui, a priori, soupçonnent d'hérésie évêques ou auteurs de missels.* \[Mgr Boudon sait très bien que ce n'est pas *a priori :* mais au contraire *a posteriori,* sur l'examen des textes, des faits, des actes. Il sait aussi très bien que dans le cas précis en question, on ne *soupçonne* pas, mais on *accuse.* Non par opinion personnelle. Mais parce que le Nouveau Missel a repris substan­tiellement et littéralement à son compte la formule même de l'hérésie condamnée par le concile de Trente. Il n'y a donc là ni soupçon ni doute, mais pleine certitude.\] « *Je me suis permis de vous répondre un peu longuement, en espérant que vous pourrez pacifier les personnes de bonne foi qui risquent d'être troublées par l'orchestration d'un soup­çon qu'elles n'auraient nullement eu à la lecture de cette mo­deste présentation de l'Épître aux Hébreux.* 24:175 « *En outre, dire qu'il s'agit simplement de* « *faire mé­moire *» *n'a rien de commun avec faire* « *une simple mémoire *»*. Mais je ne veux pas m'embarquer dans la grammaire !* \[Rien de commun. Il a bien écrit : *rien.* Vous avez bien lu : RIEN. Mgr Boudon affirme qu'il n'y a RIEN DE COMMUN entre *simplement faire mémoire* et *faire une simple* mémoire. Il prend ses correspondants pour des ânes.\] *Je vous prie de croire à mes sentiments respectueux.* (*signé :*) *René Boudon. *» 25:175 ## CHRONIQUES 26:175 ### Le nouveau socialisme par Louis Salleron LE SAMEDI 5 MAI 1973, M. Valéry Giscard d'Estaing ouvrait son cœur aux jeunes républicains indé­pendants. A la radio, j'entendis quelques-uns de ses propos, trop beaux, me sembla-t-il, pour être exactement rapportés. Mais j'avais bien entendu. Le *Monde* du 8 mai me le con­firma. « *Une* SOCIÉTÉ HOMOGÈNE, *déclara le ministre, doit avoir un* IMPÔT UNIQUE *et on doit commencer à le réaliser à la fois par les hauts revenus et les bas revenus.* Les *budgets de 1974 et 1975 marqueront des étapes significatives.* D'autre part, doit être mis en place un « *régime de pro­tection sociale à base* UNIQUE pour *tous les Français *»*,* car « il *n'y* a *aucune raison pour que, dans une* SOCIÉTÉ HOMOGÈNE, *le niveau de la protection sociale de base varie en fonction de la nature de l'activité professionnelle. Cela conduit à l'inégalité et à la rigidité. *» Telle est la profession à foi ministérielle. Il la consi­dère comme l'expression d'un « *progressisme libéral *»*,* face à la « *société collectiviste *»*.* On se demande comment il conçoit la société collectiviste. Sans doute M. Valéry Giscard d'Estaing entend-il désa­morcer le socialisme de l'opposition en montrant que celui de la majorité le vaut bien. Position tactique donc. Mais ce faisant, il confesse, d'une part, que le socialisme est bien la vérité (sans quoi il le combattrait expressément) et, d'autre part, on sent bien que telle est effectivement sa pensée. Pourquoi ? Parce que le socialisme, c'est d'abord le rationnel, et que la rationalité séduit le grand commis qu'il est. 27:175 Impôt UNIQUE, protection sociale UNIQUE, société HOMO­GÈNE -- les épithètes trahissent la conception profonde. La *justice,* c'est *l'égalité.* L'égalité est une notion mathé­matique qui n'apparaît nettement dans la société qu'au plan financier. Il s'agit donc pour *l'État* de faire une société financièrement *homogène,* afin que chaque individu puisse *donner* (fiscalité) et *recevoir* (protection sociale) selon un régime *unique* qui assurera l'égalité, c'est-à-dire la justice. Le problème à résoudre, pour le moment, c'est de rendre la société *homogène,* car elle ne l'est certes point de nature. Quelle homogénéité entre les activités du paysan, de l'ouvrier, du commerçant, du soldat, du prêtre, du pro­fesseur, du savant, de l'artiste, de la mère de famille, de l'infirmière, du député, du ministre, etc. ? Le corps social est un peu comme le corps de l'individu. Il est difficile de rendre homogène ce qui est de la tête, des membres et de l'estomac, du muscle, du nerf et de la peau. Acceptons toutefois de prendre le mot « homogène » dans un sens qui permette de concevoir une société homo­gène. L'homogénéité sociale sera alors simplement *l'unité* de la société réalisée par l'existence d'un élément commun à la diversité des éléments qui la composent. Cet élément commun, c'est forcément la vie. Tout corps vivant est unifié par la vie elle-même. Mais la vie va des sommets de l'esprit aux bas-fonds de la matière. La « société homo­gène » dont rêve M. Giscard d'Estaing ne le sera que par la puissance de la vie spirituelle ou par la puissance de la vie matérielle -- par *l'esprit ou* par la matière. Une religion commune, une mystique commune, une inspiration commune fait une société « homogène », une société où l'esprit assure l'unité et la diversité des éléments composants. Plus sera élevé le principe spirituel, plus grande et plus profonde sera *l'unité,* comme plus grande et plus féconde sera la *diversité.* Quelle société fut jamais plus « homogène » -- plus intégrée dans l'unité la plus vivante -- que la société médiévale ? Et quelle société fut jamais plus diverse, plus variée, plus libre ? C'est que le christianisme l'animait. Le plus haut principe spirituel soulevait sans peine et ordonnait en civilisation la lourde pâte de la matière sociale. Aujourd'hui, c'est dans la matière elle-même qu'on essaie de trouver le principe homogénéisant de la société. Entreprise absurde. La matière est néant ; elle n'existe qu'en attente d'une forme qui est nécessairement de nature, spirituelle. D'où ces formes illusoires auxquelles on se raccroche : le progrès, l'avenir, l'égalité, etc., auxquelles il faut trouver un dénominateur commun d'organisation, lui-même de nature matérielle, et qui est toujours finale­ment soit la *matière* elle-même, soit l'*argent*. 28:175 La « société collectiviste », c'est la société homogène par l'organisation directe de la matière. Le « progressisme libéral », c'est la société homogène par l'argent. Ce sont les deux formes modernes du socialisme. Dans les deux cas, la *société* le cède à la *nation*, et la nation à l'État. Dans les deux cas, le Fisc -- c'est-à-dire l'instrument de comptabilité et de contrainte de l'État -- est roi. Dans les deux cas, le moyen privilégié d'asservissement de l'individu à l'État est le régime du salariat qui seul permet le contrôle des revenus du travail. Une différence existe entre le socialisme de la société collectiviste et celui du progressisme libéral, c'est que le second demeure gêné par les valeurs spirituelles héritées du christianisme qui assurent encore certaines zones de protection aux libertés personnelles. La différence est appréciable, mais elle est en voie de disparition. Le régime d'organisation de la matière par l'argent est tellement supérieur à celui de l'organisation directe de la matière qu'il n'est même pas exclu que le progressisme libéral débouche un jour dans une société collectiviste plus achevée que celle du communisme. Quelque 80 p. 100 de la population active française sont des salariés. Quand le régime de salariat sera fisca­lement au point, l'État pourra faire sauter la propriété privée, ou la tenir dans une surveillance si étroite qu'elle ne sera plus qu'un leurre (comme elle l'est déjà dans de si nombreux cas). Il est d'ailleurs amusant (manière de dire) de cons­tater que notre système fiscal est bâti sur un principe que chaque jour rend plus absurde. Pour établir l'égalité, on veut, en effet, utiliser l'impôt sur le revenu. L'impôt indirect est aveugle et charge les plus pauvres. Il faut donc opérer un prélèvement progres­sif sur les revenus personnels. Mais ces revenus ne sont identifiables que dans le salariat. Or le salaire étant déter­miné et étant un coût de l'entreprise, il n'y a pas de différence entre un salaire de 100 francs sans impôt et un salaire de 120 francs amputé de 20 francs d'impôt. Si l'impôt est prélevé à la source il est identique à un impôt sur l'entreprise ; il n'est plus un impôt sur le revenu, lequel implique la propriété d'un bien ou d'une activité. 29:175 Pour des raisons de commodité, M. Giscard d'Estaing envisage d'étendre, pour commencer, la men­sualisation des versements fiscaux, en attendant de faire le prélèvement mensuel à la source, c'est-à-dire dans l'en­treprise. L'impôt personnel direct sur le revenu sera ainsi devenu, très logiquement, un impôt indirect sur l'activité de l'entreprise. Nous allons, dans tous les pays, vers cette formule. En U.R.S.S., l'impôt sur le revenu n'est que secondaire et M. Krouchtchev en envisageait la suppression « pour les masses laborieuses » (il y a toujours les écrivains et quelques indépendants). En Grande-Bretagne, on envi­sage sérieusement de doter chaque citoyen d'un statut financier qui, selon son activité et sa situation de famille ou l'âge, le rendrait débiteur d'une certaine somme déter­minée (impôt) et créditeur d'une autre (protection sociale). Il ne verserait ou n'encaisserait que la différence. On va vers des systèmes de ce genre. Pour le moment, en France, M. Giscard d'Estaing, dans son discours du 24 mai à l'Assemblée nationale, n'a laissé entrevoir que la marche dans cette direction. Ce qui signifie simplement un tour à vis fiscal pour les classes moyennes appartenant au salariat ou à des métiers stables et identifiables. C'est le nouveau socialisme, celui qui asservit la substance de la nation à l'État, ne laissant la liberté qu'au capitalisme sauvage. Le processus de la socialisation -- cette grâce -- est fatal. Il ne sera interrompu que par la catastrophe ou l'asphyxie. Il ne sera remplacé que par un système issu d'une doctrine politique. inspirée par un principe où la matière ne sera plus reine. Louis Salleron. 30:175 ### Les jeunes loups par Maurice de Charette La crise actuelle de la jeunesse contient une part d'action révolutionnaire non négligeable, dont té­moigne l'excellente organisation et le parfait enca­drement des récentes manifestations. Il ne s'agit plus des grandes vacances de mai 68, ni du joyeux désordre des culottes courtes ou de la bohème des étudiants, mais d'une troupe disciplinée qui fait confiance à ses cadres et leur obéit. Les jeunes loups sont désormais organisés en bande et ceci paraît une étape dans la subversion tant passée que récente, peut-être même un aboutissement. Nous entendons bien qu'ils sont manipulés par des adultes, utilisés au service de causes étrangères à leurs préoccupations ([^4]), mais il n'en reste pas moins qu'ils *croient* participer à la mise en place de lendemains qui chanteront, et, tout d'abord, à la destruction d'un monde dont ils ont horreur. Cette horreur contient d'ailleurs une part positive de pureté, une réaction saine en face des miasmes, une espérance de salut pour la société. Malheureusement, les règles du jeu sont égarées et la jeunesse ne sait plus ce qu'elle veut, en admettant qu'elle sache ce qu'elle ne veut plus. Elle se croit appelée à construire, alors qu'elle n'est utilisée que pour détruire, ses chefs réels lui réservant, après leur victoire, un rôle d'esclave, une situation pire que la situation présente. Et comme par inexpérience, fougue et générosité, elle manque de la patience et de la sagesse du bâtisseur, elle ne craint pas de détruire la maison ancienne avant d'édifier la nouvelle. 31:175 Elle renferme un feu et une ardeur physiologiques dont les adultes ont tenté souvent d'utiliser les poten­tialités, surtout depuis l'apparition des moyens de com­munication qui favorisent les actions de masse et les réflexes conditionnés. Hitler et Mussolini n'ont pas agi autrement avec leurs chemises brunes et noires. Pie XI, lui-même, s'est laissé entraîner à fonder l'ac­tion catholique spécialisée qui, à terme, devait obliga­toirement détruire le peuple chrétien par la désagrégation de la paroisse et la dislocation de la famille, tronçonnées en groupes multiples, bientôt étanches, avant que d'être opposés. Il est juste d'ajouter que les aumôniers de ces mouvements les ont entraînes à « détruire la baraque » avec, sans doute, une part de naïveté, mais aussi, parfois, une discipline révolutionnaire dont nous connaissons mal les ramifications et dont nous négligeons trop l'influence dans le désordre présent de l'Église. On a dit -- et il faut redire -- que la jeunesse n'existe pas en tant que catégorie sociale. Elle n'est rien. Elle n'a aucun droit générique. Elle représente un moment d'une vie humaine, entre l'enfance d'une part, l'âge adulte ou la vieillesse d'autre part ; mais il est faux de vouloir en faire une entité. On est jeune par son caractère ou par son âge, on est jeune par rapport aux uns, vieux par rapport aux autres, jeune pour ses parents, vieux pour ses enfants. On n'est jamais jeune au sens où il y a des Bretons ou des Auvergnats, des Durand ou des Dupont, ou même des ruraux ou des citadins. C'est encore un men­songe, pas toujours involontaire et innocent, que de faire croire aux jeunes qu'ils forment un légitime groupement humain identifié par leur jeunesse même. Il y a, sans doute, pour une époque donnée et dans un contexte géographique et social précis, certaines orien­tations d'esprit communes à une génération -- donc éven­tuellement à des jeunes -- mais cela demeurera secon­daire, voire accidentel, en tous cas non contraignant, à moins que d'être organisé ou téléguidé (et ceci nous ramène à l'action psychologique relayée par les moyens modernes de communication). S'il est vrai qu'aucun homme n'a vécu assez longtemps pour rendre à la société ce qu'il en avait reçu en éduca­tion, expérience acquise, protection, etc., il n'en demeure pas moins que certains ont fait bénéficier l'humanité d'un apport considérable parce qu'ils furent des saints, des héros, des savants ou des artistes par exemple. Mais juste­ment, ce sont des fruits aux lentes et pénibles maturités, exceptionnellement atteintes au temps de la jeunesse. 32:175 En règle générale, celle-ci reçoit tout de la société et de la famille ; c'est normal et elle a droit, par fait de nais­sance, à bénéficier de son introduction dans la cité, mais elle doit accepter le cheminement nécessaire à une inser­tion efficace, tant pour les autres que pour elle-même. C'est l'époque de la formation, des acquisitions multi­ples ; ce n'est pas le moment de l'action, encore moins de la réclamation. Contrairement à la tendance actuelle, il faut apprendre, éduquer, enseigner la jeunesse et ne pas lui faire con­fiance pour tout décider, construire, découvrir et orga­niser dès maintenant. Il faut au besoin la contraindre à cette indispensable période de formation dont dépendra sa capacité à gérer la cité plus tard. Pour que soit viable (et même respirable) le monde dans lequel vivra demain la jeunesse présente, il est nécessaire qu'elle apprenne les lois qui président à l'existence comme à la survie de ce monde. Il n'y a aucune défiance dans tout ceci, mais seulement analyse de la réalité des choses. La jeunesse, en soi, n'est pas plus admirable que la vieillesse, en soi, n'est respectable, même si l'on envie souvent un peu l'une, tout en souhaitant presque toujours parvenir jusqu'à l'autre. Elles ont cependant en commun le droit de compter sur notre assistance quoique sous des formes différentes et pour des raisons opposées. En dehors du droit à la vie et pour n'examiner la question que sur un plan temporel, voire matériel, on peut dire théoriquement que l'assistance dispensée à la jeunesse est, de la part de la société, un pari sur l'avenir, un placement à terme ; pour la vieillesse, au contraire, l'as­sistance est une récompense des services rendus pendant l'âge actif. En ce sens, il serait vrai de dire que la vieil­lesse a plus de droits que la jeunesse. \*\*\* Ce qui frappe de prime abord, c'est la prolongation actuelle de l'état de jeunesse, par l'allongement du temps d'études à tous les niveaux de l'enseignement. Il y a encore quelques années, on était ouvrier qualifié à 17 ou 18 ans, licencié à 20 ou 21 ans. Seules quelques pro­fessions, telles que la médecine, recevaient leur consé­cration au-delà de 25 ans ; mais dans ce cas précis, le retard était compensé par des responsabilités partielles dès l'internat et aussi par une certaine rémunération. 33:175 C'est l'occasion de remarquer que pour être vérita­blement un adulte, il faut bénéficier de l'autonomie que procure d'une façon générale l'activité professionnelle. A peu d'exceptions près, la prise d'une profession entraîne une mutation rapide, perceptible par l'entourage et, de quelque manière, physiquement apparente. Il s'agit d'une sorte de robe prétexte, de nubilité sociale très remar­quable ([^5]). Si l'on veut bien considérer par ailleurs que la forme de vie actuelle, trop souvent renforcée par des parents décervelés ou dépassés, donne aux enfants une liberté hors de proportion avec leur maturité vraie, on pourra mesurer le désordre mental qu'entraîne chez les jeunes la prolongation d'une scolarité ou post-scolarité infan­tilisante. Il y a là une cause de trouble dont les respon­sabilités sont multiples, mais dont la jeunesse est victime. Il est bien certain que la discipline scolaire est plus pénible à 18 ou 20 ans qu'à 10 ou 15. Il est également vrai qu'un jeune de 25 ans devrait être considéré comme un adulte, alors qu'il n'est trop souvent qu'étudiant, c'est-à-dire hors d'état de se marier et de prendre sa vie en main ([^6]). Cela entraîne un déséquilibre auquel il faudra bien trouver un remède. Même si la prolongation moyenne de la durée de vie peut entraîner légitimement un déca­lage de la période active, on doit tenir compte des réalités physiologiques. Il nous semble que les circonstances que nous venons d'évoquer puissent rendre compte du mélange d'imma­turité et de précocité que nous constatons dans le monde étudiant, comme aussi elles rendent compte du nombre de mariages trop légèrement conclus ou... trop tardive­ment réalisés. \*\*\* Une autre cause de trouble pour la jeunesse tient à l'extraordinaire mutation sociale des cinquante dernières années et l'invraisemblable brassage qui en est résulté. Depuis 1789, la famille française avait, grosso modo, résisté aux billevesées démocratiques et conservé son statut interne hiérarchisé dans lequel le opère et le patriarche, la mère, la grand-mère et les oncles et tantes tenaient leurs fonctions respectives dans une sorte de conseil de famille permanent ou occasionnel. 34:175 Toutes les familles respectant les mêmes rites, il fallait une réunion de circonstances exceptionnelles pour que les élans plus ou moins contrôlés de l'adolescence parviennent à rompre les barrages, même lorsque ceux-ci se manifestaient d'une façon quelque peu contraignante ou routinière. Seul le véritable aventurier finissait par s'échapper pour réaliser son rêve... à moins que pour échouer lamen­tablement. Pendant le temps de l'aventure, la famille maintenait sa pérennité, sans originalité ni gloire, c'est-à-dire dans des conditions correspondant aux moyens financiers, intellectuels et moraux de la grande majorité des êtres humains. Puis, un jour, elle célébrait le retour du triomphateur ou recueillait l'épave, délestée de ses illusions et trop heureuse de trouver une place au coin du foyer. Dans ce cadre solide, l'aventure demeurait le privilège d'êtres exceptionnels, aux pulsions impératives, sans que la vie de la cité s'en trouve modifiée, ni perturbée, si ce n'est par les rêveries des jeunes le soir à la veillée, quand on parlait du « hors la loi » qui prenait quelque peu figure de héros. Bernard Palissy fut grand d'enfourner ses meubles pour cuire ses plats, mais on n'imagine pas toute une population décidant de brûler son mobilier sous prétexte de devenir célèbre... A chacun sa vocation ! Hélas, aujourd'hui, tout le monde est lancé dans l'aventure, par l'un ou l'autre côté, sans y être prédisposé par la nature. La mobilité de la population, l'évolution de l'emploi, la progression générale du niveau de vie et même la promotion sociale sont autant de causes qui, jointes à la perte des références morales, au refus du clan familial et au conditionnement pervertisseur de l'environnement, ont déboussolé la quasi-totalité des foyers, désormais in­capables d'aucune œuvre d'éducation, lors même qu'ils se souviennent d'avoir une mission à remplir en cette matière. L'augmentation de la monnaie en circulation, jointe à l'industrialisation de la production et à la publicité com­merciale, ont fait naître la société de consommation, per­pétuellement avide et insatisfaite. A l'exception près, toutes les familles françaises sont en promotion permanente et *s'embourgeoisent* rapidement, sans que leur état moral et mental soit apte à suivre cette progression, sans non plus que la société décadente ou l'Église « en recherche » se montrent capables de les y aider. On habille l'enfant, on le nourrit, on se préoccupe de son enseignement, mais on ne l'éduque plus ! 35:175 Dans une société en ordre, *l'éducation précède et ac­compagne toute étape sociale,* au sens où Bourget enten­dait ce mot. En outre, le niveau auquel on atteint après l'étape étant lui-même solidement constitué, accueille et absorbe le nouveau venu qui passe bientôt de la situation inconfortable de parvenu de celle d'assimilé : C'est la vieille loi de la permanence et du mouvement, complétés l'un par l'autre, et l'on voudra bien n'y voir de notre part au­cune morgue ni aucun refus de promotion pour autrui. La sagesse enseigne seulement que l'ascension sociale -- comme d'ailleurs la descente sociale -- nécessitent des qualités particulières, des vertus particulières ainsi que des milieux d'accueil solides et compréhensifs. Au temps de la société structurée, noblesse et bour­geoisie, avec leurs défauts et leurs étroitesses, absorbaient les réussites tout en les pliant à leur code interne, à leurs obligations, à leur respectabilité réelle ou seulement appa­rente. Ce cadre un peu formel, sans doute, mais auquel il n'était guère possible d'échapper, servait de garde-fou pour les nouveaux venus et leur donnait le temps de s'installer dans leur nouvelle position. Et comme ce cadre était, à l'image de la société, chrétien et occidental, il per­mettait de limiter les drames. On a rejeté tout cela, ne voulant plus considérer que la hiérarchie matérielle symbolisée par le compte en banque, seule borne imposée, désormais, aux appétits de jouissance. Les milieux traditionnels de la noblesse et de la bourgeoisie craquent eux-mêmes, refusant de se plier plus longtemps à leurs lois propres qui garantissaient leur survie, constituaient leur précieuse originalité et les ren­daient bénéfiques pour la Cité tout en les protégeant d'une manière non négligeable des conséquences de la faiblesse humaine. Face à ces « notables » qui refusent de se continuer, sans pour autant renoncer aux facilités matérielles de leur position acquise, il faut considérer la prodigieuse montée de toute une bourgeoisie de fait, issue récemment du peu­ple, dont ne la sépare que son niveau d'études ou sa réus­site dans le commerce et l'industrie. Si les notables tradi­tionnels rejettent par lâcheté les contraintes qui faisaient leur force, ces nouveaux venus ne soupçonnent même pas la nécessité d'une morale religieuse et civique. Ils n'ont en vue que les satisfactions qu'ils peuvent s'offrir grâce à leur promotion et dont ils étaient, naguère encore, sevrés. Tandis que nobles et bourgeois s'efforcent de trans­mettre à leurs enfants les seuls avantages (ou les faux-semblants) de leur état, les modernes parvenus s'acharnent à préserver leurs « petits » de tout effort, à les gaver de biens périssables et de jouissances matérielles. Ils croient ainsi conjurer la longue plainte du peuple opprimé, par­venue du fond des siècles d'obscurantisme et qui leur fut révélée jadis par l'école laïque, puis maintenant par l'Église recyclée. 36:175 Le plus navrant et le plus stupide de l'affaire, c'est que l'on constate l'impossibilité pour ces nouveaux venus de maintenir chez leurs enfants le rang si chèrement acquis, au prix d'efforts qui avaient du moins leur grandeur hu­maine. A ces jeunes, ils ont offert la jouissance et ceux-ci n'ont retenu que la veulerie, accompagnée souvent d'une affligeante médiocrité contre laquelle les parents enragent en vain, pour n'avoir jamais connu les lois inhérentes à toute élévation sociale ou pour ne s'en être pas souve­nus ([^7]). Que l'on pense au *Milliardaire* de Michel de Saint Pierre et aux réactions du père et du fils. Bien sûr, il y a des exceptions à ce tableau que d'au­cuns trouveront bien noir, mais nous croyons pouvoir affirmer qu'elles demeurent numériquement des excep­tions, ce qui leur confère une position fragile, parfois in­tenable. Une famille en ordre moralement, socialement, affectivement, prend aujourd'hui l'aspect d'une coquille de noix dans la tempête. Elle ne peut espérer se tenir enfermée sur elle-même et n'a pratiquement aucune assu­rance d'élever ses enfants à l'abri, même relatif, de la contamination ambiante. Ses armes seront la grâce de Dieu et une éducation saine ; mais l'école, les camarades, la rue, les spectacles, la presse, peut-être même les foyers amis ou parents, seront autant de sources nauséabondes où il n'est pas certain que les jeunes n'iront pas s'abreu­ver... Le désordre et le vice sont, pour notre nature déchue, plus attrayants que l'ordre et la vertu ! En face de ce fumier, la jeunesse se révolte, parce qu'elle renferme en elle-même quelques traces de la pu­reté de l'Archange ; mais on ne lui a pas transmis « les clés du trésor ». Alors, elle marche dans l'obscurité vers des mirages, ou des fausses issues contre lesquels elle se brise, toujours plus errante, toujours plus révoltée. \*\*\* 37:175 De cette situation que nous venons d'évoquer, les fa­milles portent une lourde responsabilité, mais nous pen­sons qu'il serait injuste d'accabler les parents, eux-mêmes victimes, pour la plupart, du bateau ivre qu'est devenue la société. L'école tremble devant les enfants qu'elle a pré­tendu former, comme l'État tremble devant les professeurs qu'il paie et devant les enfant qui sont le fruit du dé­sordre dans lequel il nous fait baigner. Cent cinquante ans de démocratie ont appris aux Fran­çais que chacun d'eux était une fin en soi, un tout complet limité à un bout par sa propre naissance et par sa mort à l'autre. Le démocrate idéal est un surhomme remarquable, exempt du péché originel, doué de toutes les perfections et naturellement tourné vers le bien ; mais hélas, le démo­crate réel est un pauvre individu, autonome, sans foi ni loi, sans lien avec le passé ni projection vers l'avenir. Il peut arriver qu'il aime son foyer mais il ne sait plus ce qu'est la famille ni sur quels principes elle repose. On lui a appris qu'il était grand de mourir pour la dé­mocratie à laquelle il devait les lumières de la science et du progrès ; et même lorsqu'il défendait la patrie on vou­lait le persuader qu'il participait à la croisade des dé­mocraties, plutôt qu'à la défense de nos maisons, de nos champs et de nos villes. On a nié tout idéal, à moins qu'il ne soit abstrait et ne tourne le dos au réel. De la vanité on a fait une vertu et de l'égoïsme une justification. Le tripatouillage et la facilité ont remplacé la morale. Il fallait d'une part flatter l'électeur en lui faisant croire à son génie, à sa promotion humaine quasi illimitée ; mais d'autre part il fallait le gruger et le décerveler de peur qu'un jour il n'en vienne à se réveiller. La suppression des vraies libertés si chères à Maurras répond à la crise actuelle, tout comme l'école sans Dieu et la Cité sans maître. Et puis, lorsque les esprits furent assez vides pour tout supporter on a vu poindre la technocratie, c'est-à-dire le temps des grands initiés, tout fait d'une science froide, abstraite, inhumaine. La technocratie nous construit une demeure inhabitable -- une prison en réalité -- dont les grands prêtres auront seuls la clé qui leur permettra au besoin à s'échapper. Ils représentent l'aristocratie démo­cratique. A tous ces matérialistes, démocrates et technocrates, il importe peu de détruire une âme de jeune ou de pervertir une intelligence. Ils peuvent, sans scrupules, laisser à la gauche le soin de manipuler la jeunesse ; ils peuvent aussi rechercher une « astuce » pour mettre fin à l'effervescence printanière, mais ils sont incapables de découvrir les re­mèdes salvateurs, tout encombrés qu'ils sont par leurs idées fausses. 38:175 Nul ne doit toucher à la vocation enseignante de la république ; nul ne doit mettre en cause la laïcité. Sous cette double réserve toutes les combinaisons et transac­tions sont possibles. Par le biais démagogique de la gra­tuité (substituée aux bourses), on a ouvert à tous l'accès à l'Université sans se préoccuper ni de l'organisation de cette foule, ni de sa santé morale, ni des débouchés que lui garantiraient ses diplômes. On ne s'est pas non plus préoccupé de préparer des solutions de remplacement pour ceux qui échoueraient. On pourra à l'occasion matraquer les manifestants, ou tirer sur eux, pour peu que l'opinion publique, exaspérée par des semaines de manifestations, soit mûre pour l'accepter. On oubliera alors avec quel soin on a pourri l'Univer­sité depuis la libération ; on oubliera le soutien offert par la Sorbonne à l'époque où l'on voulait vaincre l'O.A.S. et en finir avec l'Algérie française. Pour n'avoir pas su mettre en place les conditions propres à développer l'intelligence et le cœur des jeunes, on s'en prendra à eux de ce qu'ils seront devenus. Au père Ubu, pervers et stupide, risque de succéder le père fouettard aussi stupide et non moins dangereux. César ou Marchais, voilà ce que nous cache le prochain tournant de la route ! \*\*\* Il faut bien encore -- et sans prétendre être complet -- évoquer en quelques mots la terrible responsabilité de l'Église de France dans cette marée de désordre qui sub­merge l'école et l'Université. Au vieux cri révolutionnaire « Ni Dieu ni Maître », l'Église en marche a répondu que Dieu n'était pas le Maître ; que d'ailleurs Dieu était « mort en Jésus-Christ ». Il est a peine besoin de forcer les âne­ries débitées sur ce thème, pour faire de Jésus, le jeune leader syndicaliste dressé, en tête de l'humanité, contre Yahvé, le vieux patron outrancier et cruel. Au Père, on oppose le Fils, encourageant ainsi le désordre des familles auquel nos clercs ont une part non négligeable. 39:175 Puis, dans un grand obscurcissement de l'intelligence, accompagné probablement d'un grain de lâcheté, le car­dinal Marty a proféré l'immense et célèbre sottise « Dieu n'est pas conservateur ». Il eût été plus digne et moins faux de rappeler que Dieu n'est pas révolutionnaire. Mais on ne peut pas trop en demander. Il est inutile de s'appesantir, mais on doit souligner la part prise par les jeunes de l'Action Catholique dans la subversion des esprits et leur influence dans la direction de la plupart des mouvements, même les plus éloignés. apparemment, de l'Église. Les mouvements catholiques de jeunes se trouvent être, pratiquement, la seule école d'en­cadrement de la jeunesse, a l'exception de quelques spécia­listes formés par les communistes. Au vrai, la formation dispensée est désormais à peu près la même dans les deux cas. Il faudrait aussi parler du désintérêt marqué par l'Épiscopat à l'égard de l'enseignement libre, de son abo­minable reconnaissance des soi-disant droits de l'État en matière scolaire, de ses multiples compromissions avec la Révolution. Si l'on veut bien examiner froidement les conséquences du pourrissement auquel nous assistons, il faut envisager le triomphe prochain de la gauche par l'arrivée de nou­velles tranches d'électeurs qui comporteront 80 pour cent de marxistes et maoïstes. Que Dieu daigne, à la prière de Notre-Dame, Reine de France, protéger notre pays et déciller les yeux de cette jeunesse, plus pitoyable que blâmable. Maurice de Charette. P.S. -- Un intarissable « monseigneur » ecclésiastique ayant pris l'habitude de m'interpeller plus ou moins honnêtement dans des arti­cles, sermons et tracts, à l'occasion de mes derniers textes dans ITINÉRAIRES, je le préviens que je n'ai pas l'intention de lui répondre. Il peut donc se livrer en toute quiétude à son péché mignon. L'avis vaut aussi pour ses éditeurs et commentateurs. 40:175 ### Les bons "apôtres" de Monsieur Cloche par Hugues Kéraly VOICI PLUSIEURS MOIS que nous nous sommes gardé d'écrire la moindre ligne sur le cinéma. Le cours des choses de l' « art » veut que cette production s'abîme actuellement, comme et même plus que les autres, dans d'inimaginables orgies de sottise, vulgarité, dégra­dation volontaire des corps ou des esprits. Je pense ici aux films autour desquels on fait le plus de bruit, que beau­coup vont voir, et dont il faudrait (en principe) que nos critiques en chaleur ou en folie ne soient point les seuls à parler... Mais on ne sait plus en bien des cas par quels mots évoquer les thèmes exacts de ces productions sans faillir à une pudeur élémentaire ; et ce serait trop encore d'en vouloir dénoncer les intentions profondes, quand tout y est généralement maintenu au-dessous à la ceinture. Bien sûr il y a des exceptions ; mais elles risquent, par contraste, de paraître plus qu'elles ne sont -- trop rares au demeurant pour fournir la matière d'une chronique men­suelle de plus de trois paragraphes. Ou alors il me faut les rechercher si fort que j'y gaspille sans profit suffisant temps, argent, acuité visuelle... et je tais le reste pour n'en­nuyer personne. Une solution serait de s'informer comme chacun auprès de quelque publication spécialisée des nouveautés qui mé­riteraient d'arrêter notre attention. Mais à qui se fier ? J'avais l'autre jour sous les yeux un hebdomadaire ([^8]) qui examine presque tous les films projetés dans la capitale, pour n'en recommander chaleureusement à ses lecteurs qu'une demi-douzaine par an -- proportion qui semble en effet raisonnable aujourd'hui. 41:175 Cette publication de surcroît se veut « implicitement » chrétienne, fort attachée à la défense de la morale et du droit naturel. Elle l'a prouvé dans une récente (et intelligente) campagne contre l'avor­tement, beaucoup mieux d'ailleurs que dans certaines de ses analyses cinématographiques un peu développées : le jugement proprement moral y semble parfois bien som­maire, dès lors qu'il ne s'agit plus de censurer des œuvres de pornographie pure et simple. L'immoralisme ne se réfu­gie-t-il pas cependant avec une égale efficacité dans les propos, ou les sous-entendus, des drames et des comédies « psychologiques » ? Quand la violence *verbale* suffit par exemple à la subversion des mœurs et des mentalités, il n'est pas nécessaire que la vue soit choquée. Je pense parmi cent autres aux stupides dialogues de *La maman et la putain* (Jean Eustache), sélection française au festival de Cannes de cette année ; ou encore aux deux bêtes ter­rifiantes qui se déchiraient dans le dernier Pialat : *Nous ne vieillirons pas ensemble...* Un rédacteur de R.O.C. réus­sissait à voir là « un sujet très humain, bien dans la vie, exprimé par des situations et des dialogues à tous les jours » -- jugement d'ailleurs contredit à angle droit par les nombreuses réserves qui viennent ensuite. (Et toujours pour le même film, dans *Le journal la croix* des 2 et 3 mai 1972, cette incroyable publicité : « Scènes d'une *vio­lence verbale* inouïe, réconciliations, explosions à colère. Une *œuvre admirable,* qui fait mouche en plein cœur. ») Inutile après cela d'évoquer le *Dernier tango à Paris* pour conclure à une magnification des plus basses saletés hu­maines par le cinéma. Et la presse qui y fait écho, en privilégiant l'ordure. Mais quoi, cette feuille hebdomadaire (R.O.C.) est plu­tôt de notre côté, et la bonne volonté ne lui a jamais fait défaut. Il n'y aurait donc rien d'absolument décisif à lui opposer si le numéro dont il est ici question ne développait une grande page d'éloges, intitulée s'il vous plait « Enfin un film à recommander », pour le long métrage du réali­sateur Maurice Cloche : MAIS TOI, TU ES PIERRE... Une évocation des principaux épisodes de la vie des Apôtres -- voilà du moins ce que nous avons d'abord eu la naïveté de croire sur parole. Il convenait d'aller toute affaire cessante à ce grand prodige. \*\*\* 42:175 Dans la salle où cette attente me précipitait, les spec­tateurs des deux séances, réunis, eussent pris place sans gêne sur une seule rangée de fauteuils. Ce détail est ins­tructif eu égard au contexte : le soir où se projetait dans quatorze grandes salles aussitôt assaillies de la région parisienne les riches heures d'une poignée de monstres qui décident de se suicider dans leurs excréments ([^9]), la vie et le martyre des premiers disciples du Dieu fait homme n'auront pu attirer qu'une vingtaine de curieux (le film de Maurice Cloche n'étant visible que là où nous l'avons vu). On a beau savoir que la barbarie rôde aux portes, lorsqu'on vient à s'y heurter en plein... Cela dit, l'heureux réalisateur de *Monsieur Vincent* (film réalisé vers 1950, avec la collaboration de Jean Anouilh) nous a très méchamment déçu. Mais pas autant que R.O.C. Si ceux-là n'avaient aussitôt crié au miracle, s'ils nous avaient donné les quelques dixièmes de seconde requis pour subodorer que -- bien sûr -- une version 1973 des Actes des apôtres ne pouvait paraître sur un écran français que revue et corrigée dans la grande soupe post-conciliaire, nous n'en serions point là ; nous n'au­rions point attendu le générique pour apprendre qu'il ne s'agit aucunement d'une reconstitution, d'une adaptation à l'écran, mais d'une *transposition au monde moderne* (au­tant dire : d'une antithèse) des premières années de la vie de l'Église : « ...l'aventure décrite ici ne se veut pas historique, mais simplement ([^10]) humaine, intérieure et spirituelle (...). L'histoire de Jésus, dit le Christ, et de Pierre, est un retour toujours nécessaire à la simplicité des relations humaines, à la fraternité, etc., etc., etc. » Je cite ici de mémoire, mais cette chanson nous est si bien connue que la probabilité d'en trahir l'essentiel se trouve réduite à néant. On a enfin compris de quoi il va être question. (Et, au fait, s'il ne s'agit vraiment *que* de cela, autant rester à la maison pour inviter à bavarder autour d'un pot quelque ami trop longtemps négligé.) Ce n'est évidemment pas à M. Cloche qu'il faut tenir grief de n'avoir pas compris qu'un tel film ne pouvait rien apporter à personne, au plan chrétien. M. Cloche est sans doute un fort brave homme, disponible et rangé ; il n'a jamais proclamé, du moins à ma connaissance, qu'il res­terait « debout sur son rempart », envers et contre toutes les pâles folies du siècle, ni même qu'il fût simplement chrétien ; et s'il l'est, les bénédictions cléricales ne lui auront pas manqué pour son dernier film. 43:175 Rien d'étonnant dès lors à ce qu'il nous mitonne sous un titre évangélique une *simple* histoire de fraternité humaine, très vaguement « transposée » de l'Écriture ; une histoire de résistants idéologiques, de pauvres pacifistes pourchassés par les gendarmes -- ou n'importe quoi d'autre que je n'aurais point entrevu. Ces détails n'ont plus d'intérêt que pour la petite histoire du cinéma français de l'année 1973 : la grande, la seule Histoire de l'Économie divine et du salut reste tout à fait hors de cause là-dedans... Témoin, ce petit dialogue imaginé par Maurice Cloche entre le bon Pierre et le bon Thomas, vers la tombée de la nuit : *Thomas :* « Pierre, peux-tu me dire pourquoi *je crois en toi* avec tant à force ? » *Pierre :* « Peut-être parce qu'un soir tu as mis ta main dans la mienne et que, ce soir, tu remets tes deux mains dans les miennes. » (Sic, j'ai noté sur place.) Réponse si palpable et si touchante que le bon Thomas en rayonne de confiance et de joie, chose rare chez lui. Le bon Pierre aurait-il été aussi fraternel, aussi récon­fortant, s'il n'avait voulu alors que se souvenir de la parole du Christ le consacrant comme premier Vicaire : Tu es Petrus*... ?* Je n'ai rien contre les extrapolations, les transpositions, voire les habillements pratiqués sur les personnages de l'Évangile ou les plus grands saints. La Vierge et le Christ ont été peints de mille manières au cours des âges sans qu'il en nuise bien au contraire à la piété. Et Péguy a su faire revivre Jeanne d'Arc de l'incomparable façon que l'on sait. Mais c'était Péguy. Pour faire parler aux Douze un vrai langage d'apôtres, dans une adaptation (non une « transposition ») cinématographique qui serait certaine­ment utile à sa place, et belle, il faudrait autre chose qu'un cinéaste notoirement travaillé aujourd'hui par la hantise de ne plus être au goût de tous -- je veux dire de ceux qui actuellement font ou défont le goût des masses anonymes dans le monde moderne. \*\*\* Mais revenons à R.O.C., et voyons les raisons de son émerveillement -- pour y opposer le plus honnêtement possible celles de notre propre désillusion. Car enfin, abs­traction faite encore une fois des vues personnelles (?) de M. Cloche en matière d'évangélisation (supposée), il fau­drait au moins tomber d'accord entre nous sur ce qui appartient ou non au domaine de l'art chrétien. Je prétends que *Mais toi, tu es Pierre* contient peut-être de fort belles, de fort émouvantes choses, mais que le surnaturel n'y entre point. 44:175 Ou qu'il y entre si imperceptiblement, si in­directement qu'on ne sait plus très bien s'il faut l'attribuer au film ou à la disposition intérieure de l'esprit qui, sans même l'avoir voulu, comble les blancs. R.O.C. soutient le contraire, et aligne quatre arguments : « (*...*) Nous croyons pouvoir recommander le film pour : 1\. La beauté des extérieurs de Corse qui évoque parfai­tement les paysages de la Palestine. 2\. La profonde humanité des personnages qui sont vrai­ment de notre époque. 3\. La manière dont le récit historique est actualisé, prou­vant ainsi qu'il est de tous les temps. 4\. La portée missionnaire des faits très simples, et parfois simplifiés, qui relatent la naissance de l'Église et qui peuvent être un point de départ pour une meilleure con­naissance de l'Évangile. » Le premier point est indiscutable, quoiqu'un peu hors sujet, et d'ailleurs sans rapport avec les trois autres. Les pèlerins nous rapportent en effet qu'ont été accumulés, sur tous les lieux connus de la vie du Christ, des monu­ments souvent sans grâce et presque toujours démesurés -- allant jusqu'à enfouir sous des murailles de pierre ci­selée une colline ou un jardin. Les paysages de la Corse retenus pour tourner le film, merveilleux oasis de verdure et de simplicité rupestre, semblaient donc bien et presque mieux désignés... Mais cela ne préjuge en rien de l'histoire qui peut s'y dérouler. Et, d'un autre point de vue, le choix d'un tel site reste assez contradictoire. L'homme « vrai­ment de notre époque » est citadin, salarié, de préférence fonctionnaire, palus ou moins « normalisé », ou tend chaque jour davantage à le devenir : à supposer que l'entreprise en soit possible et souhaitable, une transposition vraiment *moderne* des Actes des apôtres serait beaucoup plus con­vaincante à Parly 2 que dans un petit village de montagne corse, somme toute extraordinairement privilégié. Le second point n'apparaît pas davantage comme un véritable argument. Plutôt une constatation : les person­nages du film -- je refuse tout net à dire ici les « Apô­tres » -- portent sur leur « profonde humanité » certains blue-jeans, débardeurs ou complets à velours côtelé qui les rangent sans aucun doute possible dans « notre épo­que ». Ce n'est pas, par contre, le cas des « occupants » -- lesquels arborent une tenue *feldgrau* historiquement localisée. 45:175 Et il fallait bien décider d'un uniforme, d'une discipline, d'un pas pour tenir dans le film le rôle de l'armée moderne d'occupation. Mais, simple remarque pourquoi donc avoir choisi l'armée allemande de 1939-45 (qui pour la génération « actuelle » est déjà de l'histoire, presque du cinéma), quand on voit dans le monde contem­porain tant d'armées et de polices capables de terrifier, de persécuter ou de torturer dans les populations qu'elles occupent par la force -- Les S.S. n'étaient pas tendres, c'est entendu ; cependant -- transposition pour transposition -- on trouverait plus normal que la croix de Pierre ou de saint André soit, dans un tel film, fichée en terre de la main de ceux qui continuent à crucifier des hommes pour leur foi en Dieu ou leur refus de l'idéologie matérialiste. Et le reniement même de saint Pierre, aurait-il perdu de sa vraisemblance ou de son actualité face à un groupe de commissaires politiques, dans une quelconque démo­cratie « populaire » ? Peu importe au demeurant, car une transposition *mo­derne* de l'Évangile ou des Actes des apôtres, j'entends une complète transposition littéraire ou cinématographi­que dans des décors et des costumes contemporains, non la transposition intérieure et spirituelle dans tel ou tel événement de notre vie -- cette transposition extérieure en vérité ne semble pas possible, ni même souhaitable... L'Évangile est une histoire, l'Histoire même de l'Incar­nation : inséparable donc comme toute histoire (et plus éminemment encore que toute autre) de la *manière* dont elle nous a été rapportée par la tradition vivante, écri­te et orale de l'Église. Nous croyons bien que l'Incar­nation n'est pas un mythe, quelque illusion des apôtres ou invention des premiers docteurs : il nous faut donc la tenir et ne pas cesser de la considérer comme la réalité unique, historique et bien circonstanciée qui est contenue dans l'Écriture sous sa forme définitive : *depositum fidei.* Cette réalité essentielle de notre foi, elle s'est trouvée en quelque sorte livrée une fois pour toutes par Dieu à la mémoire des hommes ; et non pas sur un mode supérieur ou extérieur à celui dont les hommes ont coutume de garder la mémoire des choses... Réalité qui aura donc sa substance, mais aussi ses « accidents » (temps et lieu, par exemple), sa pièce maîtresse et ses pièces annexes, son fond et sa forme, ses acteurs et ses témoins, ses narrateurs et ses copistes et ses critiques. Péguy a montré comment et pourquoi cette limite elle-même était absolument né­cessaire à l'intégralité et à la loyauté de l'Incarnation : 46:175 « Jésus est un homme parmi les autres et qui en a laissé aux autres. Il est un saint parmi les autres et qui en a laissé aux autres. Il a été particulier, personnel, il a été une personne. Il n'a pas été tout le monde à la fois. Il a été loyalement et pleinement un homme et un saint. Il n'a point été dans tous les temps ni à la fois dans tous les lieux. Ainsi il n'a point occupé toutes, il n'a point envahi toutes les catégories de classement. Il se range parmi les hommes, il se range parmi les saints. Il se range le premier, mais il se range. » « (...) En ceci aussi Jésus a voulu être un saint ordi­naire, un homme, un saint comme les autres parmi les autres. Il a voulu avoir besoin de ses témoins, de ses martyrs, de ses notaires, des écrivains. Il n'a point voulu être attesté, remémoré par un miracle constant. Par un miracle permanent. Il n'a point voulu faire appel à d'au­tres moyens que les moyens de l'homme et de l'histoire et de la mémoire de l'homme. Il lui a fallu des *écritures.* Il a voulu avoir besoin des scribes et des huissiers, com­me ses saints, et de tout l'appareil judiciaire et historique. Il a voulu être la matière et l'objet d'un procès et même de deux, d'un procès au civil et d'un procès au religieux. D'un procès d'Église et d'un procès d'État. » « (...) Pour que l'incarnation fût pleine et entière, pour qu'elle fût loyale, pour qu'elle ne fût ni restreinte ni frauduleuse il fallait que son histoire fût une histoire d'homme, soumise à l'historien, et que sa mémoire fût une mémoire d'homme, humainement, défectueusement conservée. En un mot il fallait que son histoire même et que sa mémoire fût incarnée. » (*Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie car­tésienne,* pp. 216, 218 et 219 -- Gallimard, 1935.) Cette citation répond du même coup, je pense, au troi­sième point de R.O.C. : l'Évangile est bien POUR tous les temps, mais il est illogique (et inhumain) de vouloir qu'il soit en outre DE tous les temps. Évidemment. Quant à la portée missionnaire, à la Vertu évangélisa­trice de l'entreprise, argument « massue » des rédacteurs de R.O.C., voilà bien le seul point qui *pourrait* présenter quelque valeur... à condition toutefois de n'avoir pas vu le film. Certes des « faits très simples », parmi ceux qui re­latent la naissance à l'Église (mais ne le sont-ils pas tous ?) « peuvent être un point à départ pour une meil­leure connaissance à l'Évangile ». 47:175 En attente de plus et de mieux -- je veux dire du texte intégral de l'Écriture, de la Bonne Nouvelle tout entière annoncée --, on admettra donc sans difficulté qu'on puisse choisir, dans l'histoire des premiers Apôtres, les passages les plus aptes à émou­voir l'incroyance de nos contemporains. Encore faudrait-il que les faits ou dits retenus dans ce but soient eux-mêmes *authentiques,* partiels autant qu'on voudra, mais véri­diques ; ou même (à la limite) « extrapolés », mais dans ce cas en accord et en continuité avec tout ce que nous savons par ailleurs de certain. Or M. Cloche a réussi ce tour de force de « transposer » une vie des premiers Apôtres en évitant très soigneuse­ment d'évoquer tout ce qui les distingue comme tels ; et par exemple, sans faire allusion à aucun de leurs *miracles :* ses bons « apôtres » pansent volontiers les plaies des ma­lades, mais doutent semble-t-il de posséder un autre pou­voir ; mieux encore, sans leur faire administrer aucun *sacrement :* on ne les voit que discourir interminablement entre eux de la signification de la Pénitence, d'ailleurs sans résultat ; et sans même -- voilà bien le plus significatif -- que soit renouvelé une seule fois, à table ou dans leurs réunions, le Saint Sacrifice : ils ne songent à s'assembler que pour conter à tour de rôle leurs premiers déboires, rire un peu ensemble de la commune maladresse qui les afflige. *Toutes* les marques de leur mission surnaturelle ayant ainsi été évacuées, il faut conclure que « dialogue » et « fraternité » ont suffi aux Douze pour fonder l'Église du Christ ! Réduction navrante, puérile, blasphématoire -- et point du tout « évangélisatrice », n'en déplaise aux rédacteurs de R.O.C. .. Mais voici enfin le dernier acte de cette intégrale mystification, et il nous livre la clef du film. Saint Pierre se prend à parler tout haut dans son dernier cachot ; il sait que l'heure approche de retourner au Père, et s'ap­prête à élever une suprême fois vers Lui la prière reçue du « Maître » (on ne l'appelle jamais autrement dans le film). Du moins -- me disais-je -- avec le *Pater,* Cloche ne pourra pas tricher... On est naïf ou on ne l'est pas. Eh bien si, M. Cloche n'en est plus à une « transposition » près, et voici qu'il fait réciter par le premier Vicaire de Jésus-Christ un « Notre père » comme on en introduira sans doute l'an prochain dans les paroisses et les collèges avancés -- si même on y récite encore quelque chose en commun : 48:175 « *Notre père qui es au ciel. *» Tutoiement de rigueur. Bien sûr. Mais comme il contraste misérablement avec le « vous » grave et respectueux dont les disciples et même le geôlier usent ici envers l'homme qui va mourir pour sa Foi. Qui nous expliquera cette volonté d'étendre à n'im­porte quel prix l'usage du vernaculaire dans les choses sacrées, en le privant systématiquement des ressources qu'un enfant utilise sans peine dès l'âge de trois ans ? « *Que ton nom soit toujours béni partout. *» Première demande, première falsification : le Christ n'a point de­mandé que le nom de son Père soit simplement « béni » par nous (benedictum sit) dans la prière dominicale, com­me d'ailleurs il est loisible à le faire pour d'autres per­sonnes et même pour des choses, mais bien qu'il soit SANCTIFIÉ (sanctificetur) -- c'est-à-dire connu et tenu pour saint ; en nous manifesté et par nous proclamé, comme saint. Ce n'est pas du tout la même chose, si l'on veut bien réfléchir aux conséquences pratiques. (Voir à ce sujet l'ex­plication de saint Thomas d'Aquin, p. 51 à 53 de la trad­uction donnée aux Nouvelles Éditions Latines dans la « Collection Docteur commun ».) « *Que tes desseins soient exaucés. *» Traduction par M. Cloche de la troisième demande, et deuxième falsifi­cation : Dieu le Père n'a plus de VOLONTÉ à notre égard ; tout au plus peut-on souhaiter la réalisation à ses « des­seins », à ses vues sur le monde... Religion facile, bien lointaine et abstraite en vérité, qui nous fait adhérer à des pensées dans lesquelles nul homme ne pénètre, les « des­seins » du Seigneur, pour nous soustraire à ce que tous doivent connaître, ses « commandements », formulation explicite et expresse de sa Volonté à notre égard. Le Salut des hommes pourrait-il donc se faire sans leur coopé­ration ? (Saint Thomas, *op. cit.*, p. 73 à 91.) « *Que ta promesse nous arrive. *» On croit rêver, devant l'énormité de cette troisième falsification-traduction, en principe, de la deuxième demande dans notre *Pater :* Cloche substitue le souhait d'une simple « promesse » à la prière pour l'avènement du RÈGNE divin, du Royaume (adveniat *regnum* tuum). Si les mots ont un sens, cela signifie que l'Incarnation n'a point été une véritable et définitive réalisation de la Parole de Dieu, de la « pro­messe »..., ou encore... Mais non, les mots ici ne peuvent plus rien indiquer -- sinon le délire de M. Cloche de faire du neuf quoiqu'il en coûte à la vérité. (Saint Thomas, *op. cit.,* p. 59 à 71.) 49:175 (Pas de quatrième demande, si la colère ne m'a pas abusé, dans le *Pater* de M. Cloche : je suppose que pour lui, cette demande est devenue inutile dans la bouche d'un homme qui va être martyrisé. Il aura oublié dans ce cas que « nous demandons également, dans l'oraison domini­cale, cet autre PAIN (...) dont Jésus a dit (Mt., IV, 4) *L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. *» *--* Saint Thomas, *op. cit.,* p. 105.) Et en vrac, pour en finir, les cinquième, sixième et septième demandes de l'oraison dominicale selon M. Cloche « *Merci de m'avoir pardonné* (*sic :* au passé) *mes fautes, mais aide-moi à les pardonner aussi aux autres, ne me laisse pas succomber à la peur* (*sic :* peur), *et délivre-moi de la tristesse* (*sic :* tristesse), *ainsi soit-il. *» On ne va pas lésiner pour trois sottises supplémentaires... Notez qu'il subsiste tout de même une certaine logique dans tout cela. Dieu n'ayant à notre égard ni volonté ni commandements, nos « péchés » -- mais le mot même ne convient plus -- ne sauraient passer pour de véritables OFFENSES au Créa­teur : des errements tout au plus, d'ailleurs parfaitement inévitables et nécessairement innocents. Aussi sommes-nous pardonnés sans même avoir eu un instant à le sou­haiter dans notre cœur, sans même la CONDITION (*sicut* et nos) de la charité et de la miséricorde mutuelles. Et l'éva­cuation des offenses (volontaires) signifie du même coup celle de la conscience (morale), de la TENTATION, du MAL lui-même. Reste donc à demander à la puissance divine que tout s'arrange bien entre les humains ([^11]), que chacun soit à jamais délivré de la « peur » et de la « tristesse », fruit de l'incompréhension et de la solitude humaines. \*\*\* Ces tristes réductions humanitaristes de *Mais toi, tu es Pierre,* on aurait presque envie d'en plaisanter. En fait, elles anticipent (à peine) sur quelque chose de bien réel aujourd'hui dans l'Église de France, et que l'on voit se développer sous les mêmes sophismes d'un prétendu retour aux sources. Inutile donc pour y assister de s'offrir une place au cinéma « évangélisateur » de M. Cloche : elles fleurissent dans toutes les innovations liturgiques ou caté­chétiques des communautés chrétiennes avancées -- avec la caution ou le silence approbateur de la Hiérarchie. 50:175 (... A titre de confirmation supplémentaire, nous appre­nons par un nouveau numéro de R.O.C. -- n° 23 du 2 juin 1973 -- que le réalisateur Maurice Cloche a voulu s'en­tourer de toutes les garanties « afin qu'il n'y ait pas, dans son film, d'erreur *fondamentale *»* ;* le script en serait même parti à Rome « où il fut lu par des théologiens et par une commission protestante ». Résultat de cette déci­sive démarche : « Les critiques ont porté seulement sur des points de DÉTAILS. » Sans commentaire.) Le plus regrettable dans tout cela est de devoir op­poser une telle évidence à nos amis de R.O.C. : on ne préparera jamais une seule âme à « mieux recevoir la grâce ». avec une œuvre qui, outre la suppression des Commandements, la falsification des Évangiles ou des Actes des Apôtres, l'évacuation des miracles et des sacrements. va jusqu'à dénaturer à ce point la Prière enseignée par Jésus -- pour nous ouvrir à la vie chrétienne, précisément. Hugues Kéraly. 51:175 ### L'affaire de la Controlaria par Jean-Marc Dufour L'AFFAIRE de la Controlaria General de la Republica est, sans aucun doute, l'une des plus importantes parmi toutes celles qui se déroulent actuellement au Chili. En France, personne n'en parle. Il s'agit en effet d'une de ces querelles qui demandent des explications tou­chant la structure même de l'État chilien, explications parfois ennuyeuses et que l'on évite habituellement d'as­séner au lecteur. C'est cependant autour de ces affaires que se joue le sort des peuples l'acharnement du gouver­nement Allende en cette occasion montre bien que s'y joue aussi le sort des révolutions. \*\*\* Qu'est-ce que la « Controlaria general de la Repu­blica » ? C'est une « institution administrative d'ordre juridique, autonome dans sa constitution, indépendante par tradition dans ses jugements, qui est chargée de con­trôler la légalité des décrets pris par le gouvernement ». Comment cela fonctionne-t-il ? Très simplement : les décrets sont soumis à la Controlaria qui les accepte ou les rejette. Les décrets rejetés sont réputés illégaux et ne peuvent être appliqués. Le gouvernement a, d'ailleurs, une voie de recours : c'est ce que l'on appelle le « décret d'in­sistance ». Si un tel décret, -- signé de tous les ministres, -- est envoyé à la Controlaria, celle-ci doit s'incliner et le décret litigieux devient applicable. 52:175 Ce sont là des dispositions et des textes prévus pour être appliqués par des gens de bonne compagnie. Et le « décret d'insistance » était considéré, jusqu'à ces derniers temps, comme une mesure exceptionnelle. Le professeur Enrique Silva Cimma, ancien Controlar général, actuel­lement président du Tribunal Constitutionnel, précise dans son traité de Droit Administratif : « Le décret d'insistance ne peut avoir d'autre fin que de lever les doutes qui surgissent quant à l'interprétation de la légalité d'un acte, *mais il ne peut constituer une arme entre les mains du pouvoir administratif* pour qu'il agisse en marge de la Constitution et de la Loi au moyen des décrets d'insistance. L'ordre juridique préétabli et la régle­mentation précise à laquelle le chef de l'État doit soumettre ses actes dans un État de droit, rendent philosophiquement et légalement impossible à concevoir le décret d'insistance comme un moyen arbitraire dont on puisse se servir sans discrimination pour réaliser ou exécuter un acte illégal. » La crise qui a rempli ces derniers mois les colonnes des journaux chiliens tient essentiellement à ce que le gou­vernement Allende ne veut pas se plier aux règles fonda­mentales et, hélas, non écrites de la société politique chi­lienne. Dans l'énorme masse de la législation chilienne il existe un certain nombre de lois tombées en désuétude, de conventions tacites, de coutumes respectées ; jusqu'ici tous les gouvernements en avaient reconnu et admis toutes les conventions. Le gouvernement révolutionnaire au con­traire -- cela était à prévoir -- utilise toutes les failles possibles pour mener à bien son entreprise. Tout est né des suites de la grève professionnelle à l'automne dernier. Le gouvernement Allende s'était engagé, lors des accords qui y mirent fin, à ce qu'il n'y ait pas de représailles. Le général Prats, nommé ministre de l'Inté­rieur sur ces entrefaites, avait semblé se porter garant de ces accords. Dès le lendemain, ce militaire se dégagea de toute responsabilité. Contrairement à ce qui avait été promis, il y eut des représailles : licenciements, menaces ; surtout, le gouvernement mit sous séquestre un certain nombre d'industries qui s'étaient jointes au mouvement de grève. C'était le premier temps ; en seconde position, vinrent les décrets qui incorporaient à « l'aire sociale » les industries en question. En bon français cela signifiait que lesdites industries étaient nationalisées. Les décrets furent rejetés par la Controlaria comme entachés d'illéga­lité. Alors commença l'épreuve de force. 53:175 La presse socialo-communiste -- « les cloaques ambu­lants » comme les qualifie le P. Hasbun -- se mit à déverser sur la Controlaria et sur le Controlar Général Hector Hu­meres, ses qualificatifs habituels. Le gouvernement aurait bien voulu envoyer un décret d'insistance, mais les minis­tres militaires se refusèrent obstinément à le signer. Là-dessus vint se greffer un incident d'un assez haut comique. Le chef du secteur postal de Conception, pris de doute, demanda à la Controlaria s'il devait remettre le courrier des *Cementos Bio Bio,* entreprise se trouvant dans sa juri­diction, aux propriétaires légaux ou aux dirigeants de fait ? La réponse fut que les dirigeants de fait nommés par le gouvernement se trouvaient illégalement en possession des usines et que le courrier ne devait pas leur être remis. Ce fut un beau tollé. Le ministre de l'Économie, Orlando Millas, communiste, écrivit au Controlar Général des lettres dépourvues d'aménité ; celui-ci répondit en rappelant que la Controlaria était un organisme du pouvoir judiciaire et, donc, indépendante du pouvoir exécutif qu'elle avait pour rôle, justement, de contrôler. C'était sans issue. Seul je remaniement ministériel -- les ministres militaires étant remplacés par des politiciens -- permit à Salvador Allende et à son ministre Orlando Millas d'obtenir les signatures indispensables au décret d'insistance. En lui-même, ce décret est un invraisemblable monu­ment de sectarisme politique. Le gouvernement chilien ordonne par cet unique document la reconnaissance de *quarante décrets* pris à des *dates différentes,* et rejetés par la Controlaria pour des motifs différents. En admettant même que la Controlaria ait pu se tromper dans quelques cas, il est impensable qu'elle se soit trompée quarante fois de suite. La seule explication de cette attitude est que Sal­vador Allende et ses ministres ont décidé de se débarrasser des organismes de contrôle que la Constitution chilienne a prévus pour limiter le pouvoir de l'exécutif et éviter que le régime présidentiel se transforme en dictature pure et simple. Les membres du gouvernement ne se cachent nulle­ment d'avoir voulu, en prenant le décret d'insistance, « dé­passer » les lois existantes et tenter de créer cette « aire sociale » que la juridiction chilienne leur interdit de mettre sur pied. Ce qui n'empêche pas leurs juristes d'échanger avec la Contraria des notes remplies de références et de cotes : il faut bien occuper l'adversaire. \*\*\* 54:175 Pendant ce temps, le « camarade-président » s'obstine à prononcer des discours dont on se demande s'ils sont la traduction d'une hypocrisie profonde ou celle d'une mé­connaissance tout aussi profonde de la réalité. Selon cer­tains observateurs, cette seconde hypothèse ne serait pas à écarter totalement. Le refus de Salvador Allende de prendre en considé­ration les revendications des mineurs de El Teniente, son affirmation péremptoire selon laquelle « la grève était finie » -- deux jours après, il faillit proclamer l'état de siège dans la province de O'Higgins où se trouve la mine en question -- ne peuvent pas uniquement s'expliquer par le désir de tromper une opinion, qui d'ailleurs n'était pas dupe. Il ne serait pas le premier chef d'État égaré par les fausses nouvelles diffusées par les services du gouverne­ment qu'il dirige. L'appel qu'Allende vient de lancer « contre la guerre civile » relève, lui aussi, soit de la mythomanie, soit de l'aveuglement. S'il y a menace de guerre civile au Chili, c'est qu'il existe des groupes armés illégaux. Or, le premier de tous ces groupes est le G.A.P., Groupe des Amis du Président, qui, depuis l'élection d'Allende, veille à sa sécu­rité. Ce groupe est parfaitement illégal. Seuls l'Armée, la Police et les Carabiniers peuvent, selon la Constitution, détenir des armes offensives et exercer un contrôle sur la population. Vivre au milieu d'une milice privée illégale et en appeler à la concorde révèle une attitude paranoïaque ou, comme on dit depuis Brecht, une « distanciation » d'avec la réalité qui rend rêveur. Quant aux exactions commises par les groupes armés de l'Unité Populaire, la liste en est longue. Assassinat à brûle-pourpoint d'un militant de « Patrie et Liberté » en plein centre de la capitale ; fusillade contre des colleurs d'affiches : un garçon de dix-sept ans tué ; mitraillage de locaux de l'opposition : deux enfants tués. Pendant ce temps, la police découvre des dépôts d'armes ici ou là, et quelque fonctionnaire membre de l'Unité Populaire s'en va coucher en prison. « Dans divers endroits de Santiago, écrit *El Mercurio*, des inconnus arrêtent les automobiles. en font descendre les occupants et les frappent après les avoir menacés de revolvers et de mitraillettes. Dans le sud du pays, les rencontres armées sont fréquentes... » Non content de son bel « appel », Salvador Allende vient d'annoncer la préparation « d'une charte fonda­mentale ». En bon français, cela veut dire une constitution. 55:175 Jusqu'à ce jour je croyais que le Chili en avait une. Je devais me tromper. A moins que ce ne soit qu'une ruse assez subalterne : « Je ne viole pas la constitution dira le gouvernement marxiste. Je me conforme à la Charte fonda­mentale. » Reste à savoir qui cela pourra bien tromper. Jean-Marc Dufour. Note. -- Un attentat, exécuté par des inconnus, a privé de sa tête la statue du « guérillero héroïque » élevée à la gloire de Che Guevara dans une commune des environs de Santiago. Esthétiquement, l'œuvre d'art y a beaucoup gagné. Symboliquement aussi : l'absence de tête étant une caractéristique fondamentale des armées nationales de libé­ration et autres organisations plus ou moins liées aux guérillas sud-américaines. 56:175 ### Billets par Gustave Thibon ##### La démocratie contestée Les élections françaises du mois d'avril ont retenu l'attention à cause de l'importance exceptionnelle de leur enjeu, aucun pays ne pouvant rester indifférent de voir basculer la France dans le camp socialiste. Je n'ai pas à faire ici la critique du système électoral. Le dictionnaire définit la démocratie comme « l'état poli­tique dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune et de capacité ». On pourrait, en appuyant sur ce dernier point, montrer l'immense lacune d'un système reposant sur la seule loi du nombre. Sénèque écrivait il y a deux mille ans qu'il fallait peser les voix et non les compter. Mais comme il n'existe aucune machine -- fût-ce l'ordi­nateur le plus perfectionné -- capable de peser les com­pétences et les mérites et de les classer selon leur valeur, force est bien d'additionner les suffrages d'où qu'ils vien­nent et de désigner, d'après les chiffres obtenus, les vain­queurs et les vaincus de la compétition. La loi du nombre est une convention qui, si évidents que soient ses défauts, possède au moins l'avantage de mettre fin aux dissensions entre les citoyens et d'assurer pour quelques années la continuité du pouvoir. Normalement, ce mode de délégation de la souveraineté devrait être aussi incontesté que le principe d'hérédité dans un État monarchique. « Le roi est mort, vive le roi », disait-on sous l'Ancien Régime. De même, en démocratie, chacun devrait s'incliner devant le verdict des urnes et collaborer loyalement avec le gouvernement désigné par la majorité des électeurs. 57:175 En fait, dans un pays comme la France, personne ne croit en la convention électorale et personne ne la respecte. Ou plutôt chacun ne ratifie pour son propre compte le choix de la majorité que dans la mesure ou celle-ci se prononce suivant ses opinions et ses vœux. Les plus ar­dents démocrates -- ceux qui proclament sans cesse que de la bouche du peuple il ne peut sortir que la vérité et le bien -- sont les premiers à dénier toute valeur et toute autorité à des élections qui n'ont pas tourné en leur faveur. Veut-on des exemples ? Victor Hugo, fervent apologiste du suffrage universel, jetait feux et flammes contre les résultats de ce même suffrage lorsque celui-ci approuvait par des majorités écrasantes la politique de son ennemi Napoléon III. Et nous retrouvons aujourd'hui le même état d'esprit dans la gauche française qui, battue aux élections, nous parle d'une majorité abusée par la propagande men­songère de l'équipe gouvernementale et par là même inca­pable de discerner les radieuses perspectives ouvertes par programme commun, c'est-à-dire d'une majorité com­posée de dupes ou d'imbéciles et dont, en définitive, on ne doit tenir aucun compte. Et bien entendu, la minorité qui a voté rouge représente la sagesse et le progrès et n'est formée que de citoyens trop éclairés pour se laisser prendre à la glu des promesses chimériques. En d'autres termes, chaque voix est d'or ou de plomb suivant qu'elle émane du camp allié ou du camp adverse. Mieux encore. A cette contestation verbale, vient s'ajou­ter l'appel à la violence et au désordre. On nous annonce que le gouvernement issu de cette fausse majorité n'ar­rivera pas à son terme. Et l'on prépare déjà les manœuvres abortives en vue d'expulser au plus vite ce fruit vénéneux de la consultation populaire. En premier lieu, la relance de l'agitation sociale et des grèves où les revendications professionnelles voilent mal les objectifs politiques. Un des leaders de la gauche unie ne vient-il pas de s'écrier « qu'un million de grévistes seront plus efficaces que onze millions d'électeurs » ? Voilà qui est parfaitement clair. Mais que devient alors l'arithmétique électorale, fondement des démocraties ? On se rabattait sur elle pour éviter soit la tyrannie d'un homme ou d'un groupe, soit les convulsions révolution­naires et la prise du pouvoir par la violence. « Mieux vaut se compter que se battre », disait au XIX^e^ siècle l'un des premiers champions de l'idéal démocratique. Les temps ont changé : on accepte encore de se compter, mais si le compte n'y est pas, on n'hésite pas. à se battre... 58:175 Que cet état d'anarchie larvée ou déclarée ne puisse aboutir qu'à la dictature, c'est ce qu'ont parfaitement compris et réalisé les dirigeants des pays de l'Est. L'ordre -- ou plutôt l'apparence d'ordre imposé par la contrainte -- qui règne au-delà du rideau de fer repose sur la néga­tion radicale des principes démocratiques qu'on continue à proclamer avec une hypocrisie si grossière qu'elle ne se distingue plus du cynisme. Que signifie, par exemple, une consultation populaire sous le régime du parti unique ? L'Occident échappera-t-il à cette évolution régressive ? Tout dépend du degré de maturité des peuples. Si l'on veut conserver les maigres bénéfices du jeu électoral, il faut commencer par en respecter les règles. Car l'enjeu n'est rien d'autre que notre liberté. Celle-ci peut se com­parer à une flamme qui, d'abord attisée dans tous les sens par les souffles de l'anarchie, succombe ensuite, par le retour inévitable des choses, sous l'extincteur de la tyran­nie. ##### Qu'est-ce que le bonheur ? Au cours d'un échange de vues où j'avais parlé des conditions d'une vie harmonieuse, un de mes interlocu­teurs m'a demandé à brûle-pourpoint : « Mais vous, Monsieur, êtes-vous heureux ? » Pris au dépourvu, car je ne m'étais pas posé la question, j'ai répondu tout bêtement que je n'en savais rien. Et d'abord, qu'est-ce qu'un homme heureux ? Péguy a dit, dans un texte célèbre, que la grande, la terrible découverte de tous les hommes de quarante ans, c'est de constater qu'on n'est pas heureux, que personne n'a été et que personne ne sera jamais heureux. Sans doute voulait-il parler de cette plénitude absolue et permanente qu'on rêve dans la jeunesse et qui effectivement n'existe jamais, car elle supposerait, non seulement un accord parfait de l'homme avec lui-même, mais des circonstances extérieures toujours favorables -- deux choses impossibles à réaliser ici-bas. Et pour l'excellente raison que chaque élément de notre destin capable de nous rendre heureux porte égale­ment en lui de quoi nous faire souffrir, au même niveau et dans la même proportion. Et cela à tous les étages de nos besoins et de nos désirs. La santé physique est une des conditions de bonheur. Mais le corps humain, merveilleux instrument de plaisir par sa sensibilité devient pour la même raison une source inépuisable de souffrance quand la maladie s'abat sur lui. 59:175 De même pour les biens extérieurs comme la fortune, la réussite sociale, les honneurs, etc. Ceux-ci nous déçoi­vent doublement : par leur privation si on échoue dans leur poursuite ou par le vide qu'ils laissent en nous si on les obtient. La fréquentation des grands de ce monde nous apprend que l'éventail de leurs privilèges est loin d'englo­ber celui du bonheur... Restent les biens spirituels dont la source est incontes­tablement plus pure et moins intermittente. Mais la même loi joue pour eux sur un autre plan. L'intelligence nous apporte de grandes joies, mais ses lumières mêmes nous font sentir ses limites et soulignent amèrement notre impuissance devant le mystère. « Qui multiplie le savoir multiplie la douleur », disait l'Ecclé­siaste. A quoi Voltaire fait écho dans la lettre à Mme du Deffand : « Au fond, il n'y a d'heureux que les imbéciles, mais je vous crois hélas ! peu douée pour cette béa­titude... » Le sens du beau est également à double tranchant : par lui nous jouissons des merveilles de la nature et de l'art, mais nous sommes aussi douloureusement allergiques à toutes les formes de la laideur. L'amour, l'amitié nous comblent, mais nous souffrons dans la même mesure quand l'être aimé est frappé par le mal ou nous est ravi par la mort. Et quant à la sagesse, voire à la sainteté, si elles nous donnent la paix intérieure, elles ont pour rançon les blessures qu'infligent aux êtres les plus purs la présence universelle du mal. Qui donc a dit que la maturité de l'âme se reconnaissait au passage de la passion à la com­passion ? Mais compatir, c'est souffrir. Le bien et le mal, la joie et la peine étant indissolu­blement liés ici-bas, le vrai problème n'est pas d'être heureux ou malheureux : c'est d'être l'un et l'autre au niveau le plus élevé de soi-même. C'est d'avoir des joies et des souffrances authentiques et de ne pas se laisser fasciner par la possession ou la privation de bagatelles. De ne pas se gaspiller en vaines douleurs et en bonheurs illusoires. De se consumer s'il le faut, mais pas à n'importe quel feu. Tout semble se conjurer aujourd'hui contre cette con­ception sélective de l'existence. Le climat de facilité et de jouissance où nous vivons, en multipliant sur tous les plans des besoins qui croissent toujours plus vite que les possibilités de les satisfaire, ronge par la base notre capacité d'éprouver de vraie joies et de vraies souffrances. 60:175 Il ne reste, pour beaucoup de nos contemporains, qu'une grisaille de petits plaisirs et de petits ennuis, les seconds l'emportant d'ailleurs largement sur les premiers, car l'hom­me obsédé par la recherche exclusive du bonheur vit dans un état d'insatisfaction permanente qui le rend indifférent à ce qu'il possède et avide de ce qui lui manque. La faim, artificiellement provoquée et entretenue, se résout en satiété incurable. D'où une frustration en deux temps : « Il faut que j'obtienne cela a tout prix », puis : « Ce n'était donc que cela, vite autre chose ! » La conclusion est qu'on ne sépare pas impunément la recherche du bonheur de l'ensemble des activités, des de­voirs et des vertus qui sont le tissu de toute existence authentique. Moins on y pense, plus on a de chances de l'obtenir. Les grands personnages, en qui l'humanité recon­naît ses modèles et ses guides, se sont-ils jamais préoc­cupés de leur petit bonheur individuel ? Ils ont obéi à leur vocation, sans en éluder les risques ni les revers et parfois jusqu'au sacrifice de leur vie, et le bonheur, autant qu'il est possible en ce monde, leur a été donné par sur­croît. Car la vie est indivisible -- et si, au nom de ce fameux « droit au bonheur » dont on nous rebat les oreilles, on essaye de l'écrémer, on aboutit à ce résultat dérisoire de n'en retenir que le petit lait... ##### Imagerie sacrée et profane Un jeune prêtre me disait récemment que la présence de tableaux ou de statues dans les églises ne correspondait plus à la foi « adulte » du catholique moderne et devait, à ce titre, être éliminée au plus vite. Je me suis permis deux remarques. D'abord, que ce soi-disant symptôme de maturité reli­gieuse n'avait rien d'une nouveauté et s'était manifesté à plusieurs reprises dans l'histoire des religions Les icono­clastes byzantins, les musulmans et, en dernier lieu, les chrétiens réformés ont également banni de leurs temples toutes les représentations sensibles des choses divines. Ensuite, qu'il y a tous les degrés dans l'imagerie religieuse, depuis les sculptures de nos cathédrales médié­vales ou les peintures de Fra Angelico jusqu'à l'art fade et nauséeux du siècle dernier, dit de Saint Sulpice. 61:175 Je ne regrette pas la disparition de ce dernier et j'admets même que la vraie piété peut se passer, à la limite, de tout appel à l'imagerie et à l'imagination pour adorer Dieu, suivant le mot de l'Évangile, « en esprit et en vérité ». Mais est-ce bien dans ce sens qu'évolue l'humanité moderne à laquelle on décerne si légèrement le titre d'adulte ? Plus d'images dans les églises ? Je veux bien, mais ne vivons-nous pas dans un monde où les hommes n'avaient jamais été aussi traqués, imbibés et manœuvrés par les images ? Et quelles images ? Des produits, fabriqués en série et déversés à torrent, qui le dispensent de la réflexion, de l'étude et jusque de l'exercice spontané de son imagi­nation personnelle. Les mass-media (presse, cinéma, télé­vision, publicités, etc.) lui imposent du dehors une espèce de rêve-standard qui ne lui laisse même plus la possibilité de s'évader en lui-même. Car le dirigisme et la socialisation vont jusque là : plus de privilèges devant l'illusion, la même ration de mensonge pour tous ! Tous ceux qui possèdent encore la douloureuse faculté de penser et de revoir, poussent le même cri d'alarme devant cette pseudo-civilisation de l'image et cette menace d'un conditionnement des esprits dont les pires tyrannies des siècles passés n'offrent aucun exemple. Esclavage in­conscient et indolore -- opération sous anesthésie qui consiste à distraire l'homme de lui-même, à l'amputer de sa liberté intérieure, après quoi le maniement du pantin social ne comporte pas plus de difficultés pour l'opérateur qu'il ne provoque de réactions chez l'opéré... Mon jeune prêtre a bien voulu convenir de ce danger, mais il s'est borné à déplorer qu'on ne fit pas un meilleur usage des mass-media. Pourquoi, me dit-il, n'utilise-t-on pas davantage le cinéma ou la télévision pour la propa­gande religieuse ? J'ai répondu que je n'y voyais que des avantages, mais que ce souhait suffisait à prouver que le moment était bien mal choisi pour une critique si sévère des vieilles images sacrées, alors que nous sommes sub­mergés par le flot souillé des images profanes et profa­natrices... Le fond du problème se ramène à ceci. L'homme a des yeux et une imagination. De quoi faut-il les nourrir ? D'images qui portent en elles le reflet et l'appel des réalités invisibles ou bien de visions bonnes tout au plus à émou­voir nos appétits inférieurs ou à éponger notre ennui ? D'évocations de la beauté ou de l'amour, ou de provo­cations au désir ? A l'heure où s'étalent sur tous les murs, sur tous les papiers imprimés et sur tous les écrans tant de nudités commercialisées aussi parfaitement calibrées que les fruits de Californie, est-il opportun de récuser l'agenouillement et la prière devant une image du Christ ou de la Vierge ? 62:175 Dans l'imagerie du Moyen Age, la repré­sentation de la femme gravitait entre Ève et Marie, entre l'Éden perdu et le Ciel promis. Aujourd'hui on nous offre un album de photographies intitulé : « d'Ève à Brigitte Bardot ». On ne me fera pas croire que le second cycle représente une excursion vers la spiritualité... Images pour images, je préfère celles qui nous con­duisent vers Dieu à celles qui nous font glisser vers la chair. Que la foi chrétienne ait besoin d'être dépouillée de son alliage sensible afin d'adorer l'invisible à travers les chefs-d'œuvre de l'art religieux, je ne le conteste pas. Mais à condition que cette exigence se déploie au service de la vraie piété et qu'elle ne s'accompagne pas, comme on le voit trop souvent aujourd'hui, d'une indulgence complice à l'égard du monde et des idoles. Sinon, cette prétendue épuration du sacré ne peut aboutir qu'à un enlisement sans remède dans le profane. Gustave Thibon. © Copyright Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique). 63:175 ### DMM : le point par Antoine Barrois EN CETTE VEILLE de vacances nous avons fait le point de nos ventes depuis six mois. Et nous avons constaté que, si l'ensemble de notre catalogue se vendait à peu près régulièrement, les deux opérations menées depuis janvier sont, pour nous, des échecs. Et, nous devons le dire, durs et économiquement graves. Il n'y a pas cinquante personnes, il n'y a pas quarante et il n'y a même pas trente personnes qui se soient intéressées au Polyeucte de Péguy. Et d'un autre côté, après un départ satisfaisant et même allègre, nous nous sommes trouves arrêtés à moins de deux cents souscrip­teurs aux opuscules du Père Emmanuel. Comme on peut le penser, nous tirerons la leçon de ces échecs ; nous ne cacherons pas aujourd'hui que nous les ressentons dure­ment. L'un, parce qu'enfin, Péguy, parmi nous c'est tout de même quelqu'un de la famille, de la paroisse ; et que depuis qu'aux catholiques dits, dont on nous a appris qu'ils étaient et qui souvent se disent (nous nous deman­dons bien pourquoi) de droite, on leur explique et on leur cite Péguy, même s'ils ne le lisent jamais, même s'ils n'y comprennent rien, même s'ils sont convaincus qu'il n'est pas un « docteur de l'Église », ces catholiques, ces Français, ils pourraient sans doute, par déférence, par amitié, par sympathie, ou encore par miséricorde (cor­porelle et spirituelle), ne pas lui claquer la porte de la paroisse, ni celle de la famille, au nez ; et considérer que lui rendre hommage n'est pas nécessairement une im­piété. Et que ça peut, entre autre chose, servir la cause de l'amitié française. C'est bien joli la guerre civile et l'héritage d'hostilité des ancêtres, mais on a quand même le droit, n'est-ce pas, de reconnaître les siens dans ce carnage. De les aimer et de les faire connaître. C'est français, chrétien et catholique, aussi. Non ? 64:175 Et l'autre. L'autre échec nous le ressentons durement, parce qu'il s'agit du Père Emmanuel. Et que depuis le temps que D. Minimus, Henri Charlier, Claude Franchet, Jean Madiran et Dominique Morin (pour ne parler que d'eux que nous connaissons), ont, à leur place, œuvré pour faire connaître les écrits du Père Emmanuel, nous pensions qu'il y aurait plus de deux cents personnes qui consentiraient à mettre la main à la poche pour en extraire de quoi se procurer cinq de ses œuvres fonda­mentales. Aujourd'hui nous savons qu'il n'en est rien. Que les finances restent dans les poches, les œuvres du Père Emmanuel dans leurs paquets, et les hommages à Péguy dans leurs colis, telle est, ce jour, la décision de ceux qui connaissent notre travail et à qui nous écrivons. Hé bien ! C'est tout simple : nous n'en prenons pas acte. Et même nous la refusons. Nous faisons par conséquent *appel*. Nous demandons, très instamment, à nos clients, à nos amis, de considérer si vraiment ils ne peuvent pas nous acheter quelques livres parmi ceux que nous leur proposons. Nous disons bien : avec insistance, et nous irions, à l'occasion, jusqu'à être lourds, s'il le fallait. D'autre part, nous proposons à tous ceux qui le peuvent de s'ouvrir chez nous dès à présent un compte « crédit-livre ». Il s'agit de nous adresser de l'argent avant achat et en quelque sorte par provision. Cet argent sera porté à un compte ouvert au nom du payeur. Noter qu'il n'est pas possible d'ouvrir un compte au nom de et en payant pour quelqu'un d'autre. Le possesseur d'un tel compte peut ensuite demander qu'on lui adresse, ou qu'on adresse à qui il veut, les livres figurant à notre catalogue du moment ; nous prélèverons automatiquement la somme due sur son compte. 65:175 ­Nous, garantissons aux personnes qui ouvriraient chez nous un tel crédit-livre des propositions particulièrement avantageuses à chaque opération de souscription ou autre de ce genre, pendant la durée d'ouverture de leur compte. Un compte de crédit-livre DMM devra être utilisé dans les deux années qui suivront son ouverture. La liqui­dation d'un compte, pour quelque cause que ce soit, ne pourra être exigée sous une autre forme que celle de livres produits sous la marque « Dominique Martin Morin, Édi­teurs », aux prix fixés par le catalogue en vigueur à la date de solde du compte. Nous fixons un minimum à l'ouverture de ce compte qui est de F 50,00. Nous prions les personnes qui ne peuvent pas faire cette avance de ne point sen inquiéter. Elles peuvent toujours, si elles le désirent et à la mesure de leurs moyens, nous aider en nous achetant ne serait-ce qu'une brochure ; ou en diffusant notre catalogue. Nous fixons un maximum, un plafond, au compte ou­vrable au nom d'une personne, qui est de F 200,00 car nous considérons qu'au-delà, nous ne sommes plus en mesure de garantir raisonnablement une possibilité d'achat agréable, suffisamment diversifiée, en moins de deux ans. La formule d'ouverture d'un compte crédit-livre sera en­voyée à tous les lecteurs qui nous en feront la demande. Nous voudrions ajouter ici une explication. Le stock d'une entreprise très spécialisée comme la nôtre est consi­dérable en quantité et en valeur. Les investissements à réaliser pour le constituer sont très importants. Cela re­vient à dire qu'il y a beaucoup de sous immobilisés sous forme de marchandises à vendre. Et beaucoup d'autres à immobiliser pour conserver, gérer et vendre ces mar­chandises. Et encore une masse importante pour augmen­ter la quantité des produits à proposer. Tout ça fait beau­coup d'argent fixé, gelé. Comme nous, nous pratiquons le prix juste, la vérité des prix (et que, petits, nous ne som­mes point en régime de blocage des prix, ce qui arrive à nos immenses confrères), pour que nous allions bien, pour que ça tourne, nous n'avons aucun besoin de souscription à fonds perdus, ni d'opérations de renflouement, ni de quêtes sans fin. 66:175 Nous avons simplement besoin -- mais d'une nécessité qui se fait aujourd'hui urgente -- qu'on nous achète nos li­vres et que l'on parle d'eux. Que les livres que nous produi­sons ne soient pas dans des paquets chez nous, mais qu'ils soient dans des bibliothèques ou sur des tables de chevet ; et qu'ils fassent l'objet de conversations, de prêts, de dons, de cadeaux, de discussions. Antoine Barrois. 67:175 ### La religion de l'homme selon Feuerbach par le Chanoine Raymond Vancourt LA CRISE que traverse l'Église catholique et qui affecte ses dogmes, sa liturgie, sa structure hiérarchique, n'est plus niée par personne. Ceux qui, en 1966. prétendaient l'édulcorer, regrettent maintenant, mais un peu tard, de n'avoir pas pris au sérieux certains avertisse­ments ([^12]). Tous les observateurs, qu'ils appartiennent à l'Église ou voient les choses de l'extérieur, s'accordent pour définir cette crise comme une tentative en vue de remplacer par une « religion de l'homme » la religion fondée par le Christ qui mettait au premier plan le culte d'un Dieu transcendant. Les causes de ce changement de perspective sont multiples et complexes. 68:175 Il en est une que nous voudrions relever ici et à laquelle on n'a peut-être pas toujours prêté suffisamment attention. Au milieu du siècle dernier, un philosophe allemand, Ludwig Feuerbach (1804-1872), qui se situe entre Hegel et Marx, s'est efforcé de définir ce que devait être, à ses yeux, une « religion de l'homme », et il estimait qu'elle constituerait à la fois *la philosophie et la religion de l'avenir.* Sa doctrine n'est pas sans analogie avec celle que certains voudraient voir dominer à l'intérieur du catholicisme. Aussi une réflexion sur la religion de l'homme, telle que la concevait Feuerbach, peut aider à comprendre la crise que nous traversons et faire entrevoir où elle conduirait si nous ne réagissions pas. #### 1) Une conception sentimentaliste de la religion. Et d'abord quelle idée Feuerbach se fait-il de l'attitude religieuse en général ? Dans un opuscule sur la *Nécessité d'une réforme de la philosophie* (1842), il écrit ces lignes révélatrices : « Le cœur n'est pas une des formes de la religion, comme si elle devait résider *aussi* dans le cœur ; il est l'*essence* de la religion » ([^13]). Sur ce point, Feuerbach est d'accord avec Schleiermacher (1768-1834), qu'il ap­prouve « d'avoir fait de la religion une affaire de senti­ment » ([^14]) ; si nous voulons comprendre sa position, il faut dire au préalable quelques mots de celle qu'avait adoptée avant lui Schleiermacher dans ses *Discours sur la religion* d'abord (1799), et plus tard dans sa *Dogmatique* parue en 1821. \*\*\* L'idéalisme philosophique, celui de Kant en particulier, laissait inassouvie la faim de l'être que tout homme res­sent. Comment rejoindre l'être et comment retrouver la source de l'être si la raison s'avère incapable de nous assurer de son existence ? 69:175 Pour Schleiermacher, on ne peut sortir de cette difficulté que si on attribue à l'homme une expérience irréductible à tout autre, « une expérience qui part de l'influence de l'objet contemplé sur le contem­plateur, d'une action originelle et indépendante exercée par le premier et que le dernier accueille, condense et conçoit conformément à sa nature » ([^15]). Cette expérience s'accomplit à un stade de la vie de l'esprit où la conscience ne distingue pas entre le sujet et l'objet, ne se sépare pas de ce qu'elle appréhende. Ne vivant plus à cette époque initiale, nous la reconstituons par la réflexion, à qui il appartient également de préciser le rôle de l'expérience ainsi ressuscitée. Schleiermacher reconnaît que cette in­tuition, difficile à évoquer, apparaît floue et indéterminée. C'est un « instant de compénétration et d'union », que la réflexion et le langage, fût-il le langage de la théologie, ne peuvent que déflorer. Seule la poésie en laisserait soup­çonner la richesse. Mais les effusions lyriques, auxquelles se livre l'auteur des *Discours sur la religion,* n'engendrent point, tant s'en faut, la clarté ; et la multiplicité des termes qu'il emploie pour désigner l'expérience religieuse : in­tuition, perception, prise de conscience, sentiment, contem­plation, etc., montre à quel point le statut de cette expé­rience demeure imprécis. \*\*\* Finalement, elle consiste, selon Schleiermacher, dans le sentiment que nous avons de notre *absolue* dépendance. Il ne s'agit pas de l'action qu'exercent sur nous le monde extérieur et la société. Certes, ces réalités conditionnent, parfois dangereusement, notre existence, créant ainsi une situation qui a pu faire naître dans l'esprit des primitifs la crainte, en laquelle certains ont vu la source de la religion. Mais si je dépends de la nature et de mes sem­blables, il m'est aussi possible d'agir sur eux ; si je cons­tate ma faiblesse, je prends également conscience de ma puissance, et l'homme moderne aurait même tendance à soutenir, non sans exagération, que la conviction de notre pouvoir sur l'univers doit désormais l'emporter. Nous n'éprouvons plus, en tous cas, en face de la nature et de la société, les terreurs ressenties par nos lointains ancêtres et qui pouvaient, tout au plus, constituer les « débuts incultes de la religion ». Celle-ci repose sur quelque chose de plus profond, sur le sentiment d'une dépendance ab­solue qui affecte notre être au plus intime de lui-même et oblige à le rattacher à une source qui n'est, à vrai dire, ni le monde ni une partie du monde, mais plutôt le Tout inépuisable et indéterminé. 70:175 Ce sentiment n'implique pas nécessairement un Dieu transcendant, et dans les *Discours,* Schleiermacher semble admettre que la religion peut se passer de la croyance à la Divinité et à l'immortalité de l'âme ; le sentiment, la perception immédiate de quelque chose qui nous dépasse, voilà l'essentiel de la religion et Schleiermacher déclare sans fondement l'affirmation qu'il n'y a pas de religion là où il n'y a pas de Dieu ([^16]). \*\*\* Si l'essence de la religion se trouve dans le sentiment, ne faut-il pas en conclure qu'elle devient quelque chose de strictement individuel ? Chacun ne fait-il pas à sa ma­nière, et d'une façon originale, l'expérience de l'Absolu ? Dans ces conditions, peut-on encore parler de commu­nauté, d'Église ? Dans les *Discours,* l'Église vraie, authen­tique, apparaît comme un ensemble de petites communau­tés (*on dirait aujourd'hui : de communautés de base*), qui se seraient formées d'une manière spontanée et dans les­quelles ceux qui auraient vécu l'expérience religieuse « en échangeraient les fruits dans une communication libre et réciproque » ([^17]). Toutefois il faut que ces petites commu­nautés, que Schleiermacher concevait à l'instar des con­venticules des Frères moraves, soient unies entre elles par un minimum de doctrine et de discipline, et que l'indi­vidualisme religieux se tempère par le sens de la collec­tivité (*Gemeinschaft*)*,* ce qui suppose l'*institution* ecclésiale, laquelle conserve ainsi un certain rôle ([^18]). \*\*\* 71:175 Quelles que soient les ambiguïtés de cette doctrine, il semble bien que Schleiermacher, en fin de compte, consi­dère Dieu (et le Christ) comme des êtres ontologiquement indépendants de nous ; d'autre part, il essaie de sauver (bien ou mal, c'est une autre affaire) les dogmes chrétiens traditionnels. Or sur ces deux points Feuerbach va s'op­poser à Schleiermacher. L'Absolu, que nous sommes censés atteindre par le sentiment, se confond, pour Feuerbach, avec nous-mêmes. A Schleiermacher, il reproche de ne pas avoir tiré toutes les conséquences de sa conception sentimentaliste de la religion, « de n'avoir pas eu le cou­rage de saisir et de confesser qu'*objectivement* Dieu n'est rien d'autre que l'essence du sentiment » ([^19]). Feuerbach entend bien, quant à lui, remédier à cette carence et mon­trer que l'existence d'un Dieu transcendant et la dogma­tique chrétienne traditionnelle sont incompatibles avec une doctrine qui fait du sentiment l'essence même de la religion. -- Mais pourquoi Feuerbach en arrive-t-il à cette prise de position extrême et négatrice ? C'est ce qu'il faut d'abord essayer de comprendre. #### 2) Le constat de "sécularisation" dressé par Feuerbach. Feuerbach a été un hégélien, plus ou moins orthodoxe, jusqu'en 1839, date où parut son article *Contribution à la Critique de la philosophie de Hegel.* Mais même après la rupture, il continue de concevoir la tâche du philosophe un peu à la manière hégélienne. La philosophie, pour lui, comme pour Hegel, a pour mission « de comprendre ce qui est », c'est-à-dire de rendre compte de la mentalité d'une époque et d'entrevoir, si possible, comment se des­sine l'avenir ([^20]). Or, d'après Feuerbach, l'humanité, depuis le XVIII^e^ siècle spécialement, est engagée dans un proces­sus irréversible de déchristianisation. Le christianisme « est nié, nié dans l'esprit et dans le cœur, la science et la vie, l'art et l'industrie, radicalement, sans appel ni retour, parce que les hommes se sont si bien approprié le vrai, l'humain et l'anti-sacré, que le christianisme a perdu toute force de résistance »*.* Il ne s'agit pas d'une négation implicite, mais « d'une négation consciente, voulue, visée direc­tement », et en partie provoquée par l'alliance de la re­ligion avec les adversaires de la liberté politique ([^21]). 72:175 Dieu, le monde invisible, le bonheur éternel n'ont pratiquement plus d'importance aux yeux des hommes. Même ceux qui s'y réfèrent encore se contentent de la vie présente, la religion leur servant seulement, la plupart du temps, de paravent pour leurs passions ou leurs ambitions. Le chris­tianisme, conclut Feuerbach, « ne répond plus ni à l'hom­me théorique, ni à l'homme pratique. Il ne satisfait même plus le cœur, car nous offrons à notre cœur d'autres inté­rêts que l'éternelle béatitude céleste » ([^22]). En un mot l'humanité commence à se libérer des illusions dont on l'avait nourrie, à rejeter le carcan qu'on lui avait imposé. Les hommes l'Église ne l'avouent pas volontiers ; et pour­tant, selon Feuerbach, le fait est là, indéniable : Il n'y a plus de christianisme. « L'incroyance a remplacé la foi, raison la Bible, la politique la religion et l'Église ; la terre a remplacé le ciel, le travail la prière, la misère ma­térielle l'enfer ; l'homme a remplacé le chrétien » ([^23]). #### 3) L'élimination théorique du Dieu transcendant. La « philosophie de l'avenir » devra, si on en croit Feuerbach, rendre compte de cette situation nouvelle, de cette période qui commence seulement dans l'histoire de l'humanité et se caractérise par l'élimination du divin. La philosophie de l'avenir, dont Feuerbach a l'ambition de présenter les principes, de poser les jalons, doit faire com­prendre le bien-fondé du comportement que l'humanité est en train d'adopter. Il ne suffit pas, en effet, que « dans la pratique », homme remplace le chrétien, il faut aussi que « dans la théorie l'être humain remplace l'être di­vin » ([^24]). En d'autres termes, on a besoin d'une « philo­sophie nouvelle, franche, qui ne soit plus chrétienne, mais a-chrétienne » ([^25]) Ladite philosophie aura pour tâche primordiale de dissiper l'illusion qui nous porte à identifier la réalité authentique avec un Être invisible, éternel, doté de toutes les perfections. Elle démontrera que cet être est notre création ; 73:175 le résultat du mouvement par lequel nous pro­jetons hors de nous nos aspirations, nos désirs, notre idéal et les condensons dans un Monde transcendant, qui tra­duit seulement ce que nous voudrions être : des hommes tout-puissants, omniscients et jouissant d'une félicité sans ombre. Devant ce Dieu, que nous avons nous-mêmes fa­briqué, nous nous agenouillons ; nous faisons dépendre de Lui notre existence ; nous Lui demandons des règles de conduite et attendons de sa bienveillance le bonheur que nous ne recentrons pas dans le monde où nous vivons. Bref, nous nous considérons comme les créatures d'un Dieu qui est notre œuvre. Et, en conséquence, nous minimisons la réalité de l'univers et la nôtre ; nous y voyons un pâle reflet d'un Être suprême, qui nous aurait créés à son ima­ge et ressemblance, alors que c'est nous qui l'avons forgé sur notre propre modèle. \*\*\* Dans cette perspective, point de place évidemment pour un Dieu transcendant, ni pour une révélation venant de Lui. Le Christ n'est qu'un homme. L'Église, qui prétend continuer son œuvre, n'a aucun caractère surnaturel. La grâce et les sacrements, qui sont censés nous la conférer, perdent toute signification mystérieuse. Quant à l'immor­talité de l'âme individuelle, que Feuerbach avait âprement discutée dès le début de sa carrière ([^26]), elle est purement illusoire. En développant cette critique radicale du chris­tianisme, Feuerbach ne se place pas au plan historique comme Strauss dans la *Vie de Jésus* (1835), ni au plan philosophique comme Bruno Bauer ; il ne s'agit pas non plus pour lui de peser, comme le fait Kant, la valeur des preuves de l'existence de Dieu. Il fait porter son attaque sur l'origine de l'idée de Dieu, qu'il attribue au penchant naturel à l'homme de laisser vagabonder son imagination et ses désirs, il se situe ainsi « au niveau des aspirations éternelles et irrationnelles de la nature humaine » ([^27]), comme il le déclare d'ailleurs expressément dans la préface à la seconde édition de *L'essence du christianisme* ([^28])*.* C'est sans doute la raison pour laquelle la critique de Feuerbach continue d'intéresser nos contemporains. 74:175 #### 4) "Athée", mais non "irréligieux". Comment qualifier la position de Feuerbach ? Est-ce de l'athéisme ? -- Avant de répondre à cette question, il faudrait d'abord s'entendre sur le sens du mot. Par défi­nition, l'athée nie Dieu. Mais de quel Dieu s'agit-il ? On a conçu la Divinité de bien des façons ; et le concept d'athéis­me a subi le contre-coup de ces fluctuations. Les Athéniens, par exemple, regardaient comme des athées les philoso­phes, parce qu'aux yeux de ces derniers, Jupiter et les autres dieux de l'Olympe n'existaient que dans l'imagi­nation du peuple, alors que les philosophes se faisaient de la Divinité une idée plus élevée et plus pure. Incontestablement, Feuerbach est athée en ce sens qu'il rejette le Dieu transcendant de la Bible et les dogmes fondamentaux des chrétiens ; ou si l'on préfère, il propose de ces croyances une interprétation qui élimine leur valeur objective. Est-il pour autant « irréligieux » ? -- Absolument pas, car s'il rejette le Dieu des chrétiens et substitue l'homme à Dieu, c'est pour mieux sauvegarder l'essentiel de la religion. Sur ce point il est formel : la « philosophie de l'avenir » dont il prétend poser les jalons, doit être en même temps une religion : « Pour remplacer la religion, la philosophie doit redevenir elle-même religion en tant que philosophie ; elle doit introduire en elle-même, en termes qui lui soient propres, ce qui constitue l'essence de la religion et fait l'avantage de la religion sur la phi­losophie » ([^29]). Il lui faudra, en d'autres termes, remettre au premier plan la sensibilité ; ainsi la philosophie, sans cesser d'être philosophie, se changera en religion. Méta­morphose d'autant plus indispensable que la religion cons­titue l'élément primordial de l'existence humaine ([^30]), et que « les ères de l'humanité ne se distinguent entre elles que par des transformations religieuses ; un mouvement historique ne pénétrant au fond des choses que s'il pénètre au cœur de l'homme ». ([^31]). Les fondateurs du matérialisme historique ne seront évidemment pas de cet avis ([^32]). \*\*\* 75:175 Comment redevenir religieux, si Dieu n'existe pas et n'est qu'une illusion ? -- En adressant dorénavant notre culte à ce que symbolisait l'idée de Dieu : l'homme. Celui-ci rend la place de la Divinité. Débarrassé du Maître fictif qu'il s'était donné, il ne dépend plus désormais que de lui-même ; devenu son propre maître, il se façonne lui-même et dispose de lui-même. Mais tout n'est pas dit pour autant : Que faut-il mettre exactement sous le mot homme ? -- Étant donné le souci de coller au réel qui anime Feuerbach, il semble qu'il ne peut s'agir, à ses yeux, que de l'homme individuel, le seul qui existe vrai­ment ; il devrait, par conséquent, conclure qu'il n'y a aucune instance supérieure à l'individu. Mais Feuerbach ne s'engage pas dans cette direction, qui sera celle de Stirner. Il lui paraît, en effet, difficile de remplacer un Dieu, conçu comme infini et doté de toutes les perfections, par l'homme individuel, trop manifestement limité à bien des égards. Aussi Feuerbach va-t-il substituer au Dieu transcendant le « genre humain » et introduire dans ce but le concept « d'être (ou d'essence) générique », que Marx lui empruntera, au moins pendant un certain temps. Cette façon de procéder suppose que l'*essence* de l'homme, aux yeux de Feuerbach, s'identifie pratiquement au *genre* hu­main ; ce qui revient à dire que « les limites de l'individu sont supprimées dans l'essence du genre » ([^33]). Et cette « essence du genre », Feuerbach finalement la transpose « dans la communauté » ([^34]), ce qui donna un moment au jeune Marx l'impression que Feuerbach était proche du communisme ([^35]). 76:175 Bref, dans la religion de l'homme, le culte s'adresse moins à l'homme individuel, séparé comme tel de son essence, qu'à la communauté humaine tout en­tière ou, si l'on préfère, au genre humain ([^36]). \*\*\* On comprend désormais pourquoi et en quel sens Feuerbach refuse de passer pour un athée. Certes, il ré­pudie une certaine conception de l'objet religieux, mais pour la remplacer par une autre, plus authentique à ses yeux. Il demeure donc au plan religieux et prétend bien ne pas le quitter ; aussi ne peut-on absolument le qua­lifier d'irréligieux : « Feuerbach ne rompt pas avec la reli­gion en général, mais avec la forme chrétienne de la religion, contre laquelle il avance une religion de l'homme, ont il retrouve naturellement le concept dans ce qui fut nié et renversé par le Christianisme : le paganisme. Au fond, il n'est qu'un apostat, parce qu'il ne change pas de terrain, et se contente seulement de transmuter une re­ligion déterminée en une autre non moins déterminée... C'est pourquoi, après avoir balayé le Christianisme, Feuer­bach n'est capable que d'une restauration anti-chrétienne de la religion » ([^37]). \*\*\* En quoi consisterait une attitude vraiment irréligieuse Elle exigerait qu'on rompe tout rapport avec les religions, fût-ce pour les critiquer, car, en un certain sens, on de­meure encore dépendant de ce que l'on attaque et prétend rejeter. 77:175 Il faudrait, par conséquent, que l'on pose et résolve le problème de l'homme d'une manière positive, sans faire allusion à la façon dont les religions l'ont posé et résolu. Est-ce possible ? Sans doute les sciences de l'homme ont chacune leur façon de poser le problème anthropologique et apportent une réponse correspondant à la perspective dans laquelle elles se placent et d'où la religion pourrait être complètement absente. Mais vont-elles jusqu'à la racine des problèmes ? Pour atteindre le fond des questions, peut-on se passer de la philosophie, et une anthropologie philosophique pourrait-elle se constituer sans référence à la position religieuse du problème de l'homme ? -- Autant de points qu'il faudrait examiner de près. Marx semble croire parfois qu'une discipline qui mettrait l'accent sur l'activité que l'homme déploie pour transformer l'univers et se transformer lui-même résoudrait intégralement le problème de la source dernière de la nature et de l'homme et qu'on n'aurait même plus besoin de faire allusion aux solutions religieuses ([^38]). Mais on ne voit pas bien comment le fait pour l'homme de travailler et de se développer par le travail élimine le problème de l'origine radicale des choses et encore moins lui apporte une solution adéquate. Il est possible que pour certaines mentalités cette question et celle de la fin ultime de l'homme ne se posent même plus ; mais sans doute ne s'agit-il que d'exceptions. En tous cas, ce n'est point du tout l'attitude de Feuerbach, auquel on pourrait appliquer au contraire le mot d'un personnage de Dostoïevski, que toute sa vie il a été torturé par Dieu. Feuerbach fut un athée sans doute, mais en aucune façon un homme irréligieux. #### 5) Les pseudo-transcendances. La religion de l'homme, telle qu'il la conçoit dans *L'essence du christianisme,* se caractérise finalement par deux aspects principaux : 78:175 la prédominance accordée à l'amour et l'impossibilité d'échapper à la transcendance. Disons quelques mots du premier point pour nous occuper ensuite un peu plus longuement du second. C'est l'homme que Feuerbach propose a notre vénération. L'amour de l'homme pour l'homme devient désormais le précepte fon­damental, au-dessus duquel il ne s'en trouve aucun autre. Les rapports des humains les uns avec les autres : ceux de l'enfant avec ses parents, de l'époux avec l'épouse, de l'ami avec l'ami, etc., sont, aux yeux de Feuerbach, d'au­thentiques relations religieuses. Le mot religion n'évoque-t-il pas l'idée de lien (*religare*) et les liens que nous con­tractons avec autrui ne relèvent-ils point, en fin de compte de la sensibilité, c'est-à-dire de ce qu'il y a d'essentiel dans la religion, laquelle prescrit de s'aimer les uns les autres ([^39]) ? Nous savons aussi que ce n'est pas l'individu comme tel qui remplace le Dieu transcendant des chrétiens, mais bien le genre humain dans sa totalité, auquel seul on peut conférer les attributs que le christianisme confère au Dieu de la Bible. Qu'il le veuille ou non, Feuerbach met par conséquent l'individu en face de quelque chose qui le dé­passe : l'espèce humaine, seule éternelle, seule toute-puissante, etc. Stirner va lui demander, non sans raison, ce qu'il gagne à substituer l'espèce humaine à un Dieu personnel transcendant. N'est-ce point de nouveau faire dépendre l'homme de quelque chose d'autre que lui-même et dont il est d'ailleurs difficile de préciser la réalité., Qu'est-ce en effet que le genre humain en dehors des in­dividus qui le composent, sinon une abstraction ? D'après Stirner, en faisant dépendre l'homme de cette abstraction, Feuerbach montre qu'il n'est pas complètement libéré de l'idéalisme hégélien, lequel considère « l'universel » com­me la réalité vraie, confondant ainsi les êtres réels et les « êtres de raison » ([^40]). Tout n'est pas faux dans la critique de Stirner, laquelle prouve d'autre part qu'il est malaisé d'échapper à la trans­cendance et qu'on est réduit à remplacer une forme de transcendance par une autre, au moins aussi difficile à justifier que celle qu'on veut supprimer. 79:175 « L'être géné­rique » auquel recourt Feuerbach, l'espèce humaine, s'il n'est que l'ensemble des individus, on peut se demander par quel miracle il « réussit à se débarrasser des faiblesses humaines pour ne retenir que les perfections de la nature humaine. Et s'il faut l'envisager comme une sorte d'es­sence universelle, comment l'individu pourrait-il lui être adéquat ». ([^41]) ? -- Feuerbach se rend compte d'ailleurs de ces difficultés et peut-être les critiques de Stirner l'ont-ils amené à modifier quelque peu son point de vue et à consi­dérer non plus exclusivement le genre humain, mais *la nature entière* comme étant le Dieu de la religion nou­velle. Dieu, écrit-il, dans sa réponse à Stirner, est « un être composé de toutes les réalités, c'est-à-dire de tous les prédicats de la nature et de l'humanité : Dieu est lumière, vie, force, beauté, essence, intelligence, conscience, amour, bref tout » ([^42]). Et cette conception le conduit à « natura­liser » son concept d'amour et à mettre au premier plan l'amour sexuel. -- Mais Stirner n'aurait point de peine à lui faire remarquer qu'il continue ainsi à soumettre l'hom­me à un Absolu qui le dépasse. \*\*\* Feuerbach ne s'avoue cependant pas vaincu et il contre-attaque, soulignant de son côté que l'Individu, l'Unique, auquel Stirner veut que nous nous référions ; l'Individu qui ne dépend que de lui-même, qui refuse toute instance supérieure, que ce soit le Dieu des religions, le genre humain, la nature ; que cet Individu, dis-je, a tout l'air d'être un Absolu, auquel nous conférons indûment les attributs de la Divinité, comme si l'Individu ne dépendait que de lui-même. Et Feuerbach n'a point de peine à re­tourner contre Stirner l'accusation de transcendance et il lui demande ironiquement de se débarrasser de ce nou­vel avatar de la Divinité : « L'égoïste (entendez : Stirner) lui aussi a donc misé sur Dieu. Il fait donc partie lui aussi des *athées pieux *» ([^43])*.* \*\*\* 80:175 Quelles leçons tirer de ces discussions et en quoi de­meurent-elles actuelles ? -- En ceci qu'elles nous font comprendre que l'homme ne peut se passer d'un Absolu, c'est-à-dire d'une réalité qui lui paraît capable de fonder son existence, de lui en révéler le sens dernier, de lui ap­porter l'épanouissement auquel il aspire. Et l'Absolu lui apparaît toujours comme une réalité qui est à la fois supérieure à nous et présente à l'intérieur de nous. -- L'his­toire nous révèle en outre que les hommes ont considéré comme l'Absolu les choses les plus hétéroclites : la race, la nation, l'espèce humaine, l'individu, le devenir, la na­ture, la réussite temporelle, etc. La Bible nous apprend, elle, que l'Absolu est un Dieu un et trine, que lui seul fonde notre existence, est capable d'unifier nos activités en leur conférant un sens ultime, capable de drainer nos énergies conscientes et inconscientes, notre sensibilité, notre raison, notre liberté ; de susciter en nous la passion de l'infini qui non seulement ne nous appauvrit pas et ne nous détourne pas des tâches terrestres, mais leur confère au contraire leur vraie signification. Une religion de l'hom­me qui nous ferait perdre cette passion de l'Infini et le respect du sacré qu'elle implique ne pourrait que décevoir les humains et prêterait à de nombreuses critiques, à celles-là même auxquelles Feuerbach a dû faire face. Raymond Vancourt. *81*:175 ### Journal logique par Paul Bouscaren LA SOUVERAINETÉ de l'État une fois identifiée, par défi­nition de la démocratie, avec la souveraineté du peuple, que sera l'exercice du pouvoir par l'État démocratique, sinon totalitaire ? N'est-ce pas la logique histoire, en France, de l'enseignement laïc parce qu'il est d'État, et l'hypocrisie de cet enseignement qui n'enseigne pas l'essentiel parce que l'essentiel divise le peuple, mais ne prétend pas moins être l'enseignement du peuple et l'éducation nationale ? Quoi de plus totalitaire que cette prétention imposée comme elle s'impose ? Je voudrais croire honnête l'opposition affirmée entre le totalitarisme et la démocratie, mais comment se fait-il que l'on s'en tienne là, et ne parle jamais du totalitarisme démocratique, non seulement chez Rousseau, mais tout au long de l'his­toire de nos Républicains ? Sans totalitarisme démocrati­que, d'où viendrait la préférence d'un Staline à un Salazar, d'un Vietnam-Nord à un Vietnam-Sud ? (Je parle de notre radio comme elle parle.) Comment se ferait-il que des résistants au nazisme il y a trente ans insultent les Sud-Vietnamiens comme ne comprenant rien à leur résistance au communisme du Nord, quoi *qu'il en coûte ?* N'est-ce pas ainsi qu'eux-mêmes ont résisté ? Pourrait-on leur dire qu'il s'agissait de sauver la face (*Figaro*, 16 novembre) ? \*\*\* La main n'est la main que dans et par le corps, comme le tout organique de cette partie intégrante d'un tel tout ; il en va au rebours d'un ensemble axiomatique des capi­tales européennes, déterminé comme cet ensemble par la caractéristique des capitales européennes ainsi désignées. 82:175 Non pas identiquement, certes, mais en réalité la plus profonde de l'existence humaine, si la nation, depuis 1789, et après elle, la famille, l'Église, toute société humaine, ne peut être que *l'ensemble de ses membres,* alors, les indi­vidus humains en tant que tels sont absolus en toute société pour la déterminer par rapport à eux en tant que société. Voilà de quelle *révolution moderne* il s'agit, qui *renverse en effet le rapport naturel* subordonnant la vie des hommes à leur famille, à leur nation, à l'Église ; le rapport premier, nécessairement, et au-delà de toute me­sure, du fruit humain à l'arbre social ; le rapport que chaque personne, pieusement, doit reconnaître en elle-même, sous peine de stupidement se réduire à une abstrac­tion étrangère à toute humanité. S'il n'est pas évident que la contre-révolution exige des saints, il ne doit faire aucun doute qu'elle ne soit qu'un mot si elle ne consiste à rendre les hommes capables de piété filiale, partout où ils sont fils. \*\*\* L'économie politique, étymologiquement, est l'adminis­tration des biens dans la cité, par opposition à l'économie domestique, appliquée aux biens de la famille ; en ce sens, libéralisme et socialisme sont deux économies politiques contraires, selon que celui-ci étatise ce que celui-là veut hors de la compétence de l'État, comme d'ordre privé et non public ; mais de quel État s'agit-il ? Celui d'Aristote et de saint Thomas, qui est aussi celui du « politique d'abord » de Maurras, et c'est-à-dire l'organe spécifique du bien commun, -- ou l'État démocratique de la volonté générale, que rien n'oblige qu'à elle-même ? L'État d'un bien commun qui fait loi et donne droit, ou l'État des droits naturels de l'homme sans loi naturelle, sans bien commun que par l'exercice des droits naturels ? Cette question omise, l'économie politique, soit libérale ou socia­liste, constitue-t-elle une politique autrement que par qui­proquo ? \*\*\* Puisque le tout de chaque homme est Dieu, il faut dire que la société est pour l'homme ; seulement, attention ! La société est pour l'homme tel qu'il doit être, non pas pour des hommes dont la vie est contre elle ; car alors, la société aussi doit être contre pareille vie, et non pour elle car l'homme est à obtenir, et de l'homme lui-même ; et de l'homme en société. Attention encore une fois ! 83:175 La concep­tion moderne de la société comme l'ensemble des individus vivants, cette manière de voir, et de ne pas voir l'historique réalité sociale, se méprend sur ce point fondamental que ce n'est pas la multitude qui fait l'excellence du bien com­mun, c'est la communion de la multitude ramenée à l'unité sociale. \*\*\* *Amicitia aut pares invenit, aut facit :* sans aucun doute, lorsque *l'amitié* il y a, qui était donc possible de part et d'autre ; croit-on que ce soit toujours le cas ? Aristote y veut la vertu. \*\*\* Il peut y avoir pour la science un espace à *n* dimensions et une anti-matière, il ne peut pas être question d'un autre monde immatériel disposant de celui-ci à volonté, il ne peut y avoir pour la science que des faits scientifiques, -- et tel n'est pas le cas, au contraire, d'un miracle, d'une foi qui transporte les montagnes. Cette foi était celle de Pascal haïssant la sottise de ne pas croire à l'Eucharistie, si Jésus-Christ est Dieu ; mais la foi d'à présent est écrasée par la montagne scientifique, au lieu de la jeter dans l'océan de l'invisible ; elle n'est pas moins incapable des miracles que la science même, -- cette foi sans la foi, de fait, au moins autant que le matérialisme est sans Dieu. \*\*\* On me demande si je suis pour l'égalité sociale des femmes avec les hommes ; en réponse nécessaire, et peut-être suffisante, je me demande ce que c'est, réellement, que l'égalité sociale des hommes, et ce qu'elle a de réel­lement social. \*\*\* Je crois aux sympathiques témoins de leur socialisme ou de leur communisme ou de leur anarchisme ; je comprends que l'on admire leur faim et soif de justice ; mais prendre celle-ci et la donner aux socialistes, communistes et anar­chistes pour l'entière justice béatifiée par l'Évangile, c'est là un contre-témoignage abominable, de la part des témoins de Jésus-Christ en ce temps. Et quant à l'existence morale des hommes, on méditerait utilement la doctrine de saint Thomas sur la *vertu* de justice : 84:175 « ...justitia non solum facit quod homo sit promptae voluntatis ad justa operarndum, sed etiam facit ut juste operetur... Virtus est quae bonum facit habentem et opus ejus bonum reddit... » (Ia IIae, 56, 3.) Les justes dont regorge le monde actuel se moquent de la vertu plus encore qu'ils ne l'imaginent, ils ne sont, dirait le Théologien, que des grammairiens de la justice dans le monde : « Non tamen grammatica facit ut homo semper recte loquatur, potest enim grammaticus barbarizare, aut solecismum facere. » \*\*\* La science moderne a ses postulats, non des axiomes au sens traditionnel, lequel « n'a aucun sens », à son goût : n'est-il pas tragi-comique de la voir prétendre à *décider* de notre vie, c'est-à-dire à la diriger, sans plus de fins qui soient des fins, qu'elle ne la connaît sur d'autres axiomes que des postulats ? Refuser de croire en un autre monde peut-il ne pas mener à la mort de l'homme avec la mort de Dieu pour l'homme, si l'homme même est une vie dans l'un et l'autre monde, celui de la matière et celui de l'esprit ? *Quelle réalité de l'homme dans le seul monde visible ?* Ce ne sont pas des questions à la science, mais à la tentation de *croire* à la science, et c'est-à-dire au seul monde qu'elle ait à sa portée, la pauvre. \*\*\* Le droit de chacun à l'information planétaire est aussi vraisemblable qu'un droit à manger chaque jour de toutes les cuisines du monde ; mais enfin, supposons un tel droit ; s'il doit y être satisfait à la manière de notre radio, dans le langage de nos radioteurs, mieux vaut mille fois crever de faim de savoir que d'un mensonge aussi stupide ; littéralement, il ne sait rien dire qu'en massacrant le fran­çais avec le bon sens. Les bêtises ne sont que des bêtises, aujourd'hui comme hier ; y croire, comme aujourd'hui, à une intelligence hier impossible, c'est la bêtise, la bêtise, la bêtise... Dont la radio n'arrête pas de ruisseler, avec l'abondance et la joie d'abonder qu'il y a dans ce mot comme dans les eaux ruisselantes elles-mêmes. \*\*\* 85:175 De cette homélie de messe des funérailles (23 novem­bre), il ressortait que si la mort « apparaît comme un échec », elle est en réalité « le retour à la maison du Père », et il doit en aller, chrétiennement, comme d'un enfant qui joue dehors et que l'on appelle pour qu'il rentre. *Nous voilà loin de la mort du Christ...* Non seulement la mort est en vérité un échec, mais la catastrophe où nous per­dons tout de cette vie ; et cela, aux yeux de la foi, dans la juste défaite et pour l'expiation du péché. S'il y a la mort et la vie éternelle, et s'il faut passer par la première pour accéder à la seconde, ce n'est point que l'une soit l'autre ; et de plusieurs manières. D'abord, la vie éternelle est le don de Dieu à la vie naturelle de l'homme, et si celui-ci connaît la mort, c'est par sa faute. Ensuite, chacun meurt inéluctablement, du moment qu'il a reçu la vie, alors que pour entrer dans le Royaume, il faut avoir satisfait à ses conditions, et de telles conditions que Dieu seul peut en rendre capable ; *c'est l'Évangile, ou il n'y a pas d'Évangile.* Mon curé fait tout un de mourir et d'aller au ciel, tout un d'avoir vocation au Royaume et d'être concitoyen des saints ; il parle ainsi pour consoler chrétiennement de la mort, quoi de plus désolant, quoi de moins chrétien ? \*\*\* Trop de Français ne lisent pas, dites-vous ; mais s'ils lisaient, que liraient-ils ? Bien plus : comment liraient-ils Comment lisent les Français qui lisent ? Ne lisent-ils pas beaucoup trop, n'évoquent-ils pas le mot de Montaigne : « Que nous sert-il d'avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère, si elle ne se transforme en nous ? » Est-ce en automobile seulement que les hommes d'aujourd'hui vont trop vite et se tuent ? N'est-ce pas sur toutes les voies de leur vie, et en tout ce qu'ils font, qu'ils se rendent in­capables de vivre, et de s'entraider à vivre, tous emportés, comme ils s'y précipitent, par le torrent des mille torrents de leurs démarches les plus hautes aussi bien que les lus animales, ne prenant pas plus le temps de mâcher leur lecture que leur nourriture ? N'est-ce pas une perpétuelle adolescence de tous les âges, où les adolescents par l'âge sont privés de tout garde-fous ? Aurions-nous vu, sans cette mystérieuse ruée de buffles vers la mort, le mons­trueux carambolage où se broie l'Église de Jésus-Christ ? Paul Bouscaren. 86:175 ### De la sainte humanité de Jésus par R.-Th. Calmel, o.p. ##### Introduction Il n'est pas possible de parler de la sainte humanité de Jésus sans prononcer des mots que l'on ne prononce qu'au sujet de cette humanité-là et jamais au sujet d'une autre, s'agirait-il du plus grand saint et de la Vierge Marie elle-même. Quels sont les mots sacrés appliqués exclusivement à l'humanité du Seigneur ? Voici : plénitude de grâce, ou plus exactement grâce capitale, grâce de chef de l'Église pour tous les temps et tous les hommes ; et cette grâce capitale s'identifie à la grâce personnelle ; --. royauté spirituelle universelle ; -- sacerdoce éternel et souverain ; -- causalité instrumentale d'instrument conjoint ; -- science infuse en plus de la science de vision béatifique (et bien sûr en plus de la science divine comme Verbe de Dieu) ; -- donc vie intérieure au-delà de la foi et de l'espérance ; -- assomption d'une nature passible et mor­telle, mais aussi exemption absolue de toute tare dans cette nature, comme maladie ou désordre des passions et des sentiments ; -- pouvoir ordinaire de faire des miracles ; -- puissance judicative suprême ; -- à la fois *voyageur et compréhenseur*. Cette simple énumération, qui rappelle ce qui est expliqué dans les traités des Pères et des théolo­giens, suffit à donner quelque idée des grandeurs inouïes, disons des grandeurs absolument réservées, qui appartien­nent à l'humanité du Seigneur. En serions-nous étonnés ? Son humanité est la seule évidemment qui soit unie à la divinité en unité de personne, qui soit jointe à la nature divine par l'union hypostatique. Comment ne serait-elle pas aussi la seule à bénéficier d'une union à la divinité, dans la ligne de la charité et de la connaissance, qui ne se trouve ni ne peut se trouver chez aucun saint ? 87:175 Puisque cet homme est Dieu en personne il faut de toute nécessité qu'il soit capable de voir Dieu, d'aimer Dieu, d'accomplir l'œuvre de Dieu en vertu d'une union à Dieu dans la ligne du connaître et de l'agir qui soit proportionnée à son union hypostatique : d'où la grâce qui réside en lui en plénitude et comme source de grâce et de salut pour tous les hu­mains -- la grâce capitale ; -- d'où la science de Dieu qui, en lui, atteint d'emblée sa perfection par la vision béatifique et par la science infuse qui permet d'exprimer la vision ; -- d'où le pouvoir de médiateur unique et de prêtre, capable d'offrir le sacrifice parfait, de faire des prêtres, d'instituer une Église. \*\*\* Le danger qui menace les chrétiens en ces temps de modernisme, ce n'est point de devenir docètes et de réduire l'humanité du Christ à je ne sais quelle apparence imagi­native. C'est d'abord de ne plus croire que cet homme est Dieu, que son humanité, corps et âme, est celle de Dieu, étant unie à la divinité *sans confusion ni mélange des natures, sans division ni séparation* ([^44]), mais d'une union personnelle, hypostatique ; de sorte que cet homme est Fils de Dieu, non par grâce et adoption, mais Fils par nature. « Je t'adjure, au nom du Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. » Et Jésus lui répon­dit : « Tu l'as dit. Et d'ailleurs je vous le déclare : désor­mais vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel. » (Matth. XXVI, 63-64.) Le second danger que courent les chrétiens contem­porains, et qui est du reste la suite logique de l'affaiblis­sement de la foi dans la filiation divine de Jésus, le second danger est d'abaisser et de ravaler son humanité, avec ses connaissances, ses souffrances, son amour, au type d'une humanité vulgaire et très ordinaire. Ils font de Jésus un homme du commun ; ils ne le regardent plus comme le Fils de Dieu qui, sans cesser d'être Dieu, a pris la condition de l'esclave, mais comme un individu quelconque qui a subi la condition commune, loin d'avoir choisi, avec une liberté absolue, son genre de vie et de mort. De celui qui dès le premier instant s'est offert au Père comme victime d'holocauste ([^45]) ce qui implique qu'il eut, dès le premier instant, pleine conscience de soi et de sa mission, donc science infuse parfaite, de ce qui est plein de grâce et de vérité dès le premier instant, ils font un homme qui, com­me nous autres, aurait commencé d'exister, sinon dans le péché, du moins dans l'inconscience et le manque de liberté. 88:175 Puis il aurait progressé peu à peu dans la vie spirituelle. De celui qui, dès le premier instant, détient la grâce en plénitude pour tous les enfants d'Adam, de celui dont la grâce est capitale et principe pour tous de toute grâce et de tout mouvement vers la grâce, ils font simple­ment une sorte de prédicateur juif ; et pas même un prêtre, mais un *laïc* quelconque *dans la société de son temps,* comme l'écrit sans trembler le prêtre René Lauren­tin ([^46]) ; il n'est pas du tout question que nous ayons tous à recevoir de sa grâce et *grâce sur grâce.* Figure de proue de l'humanité, très en avance sur son époque, précurseur d'une ère de paix et de développement mondial, il n'est à aucun titre, en vertu de sa grâce qui nous atteint, cause efficiente du salut, ni cause exemplaire. Et l'on tient pour une fiction de l'esprit la vérité de notre foi selon laquelle la race humaine, récapitulée en Adam selon la nature et le péché, a été récapitulée et sauvée dans le nouvel Adam, Fils de Dieu incarné, selon la grâce et la rédemption, en attendant d'être récapitulée en lui par la résurrection de gloire. L'humanité du Christ étant de moins en moins consi­dérée comme l'humanité même du Fils de Dieu, ses préro­gatives étant méconnues, il est inévitable que sa résurrec­tion soit mise en doute. Quelle raison pourrait-il y avoir en effet qu'il serait ressuscité des morts, et ressuscité glo­rieux, celui dont on fait un homme ordinaire, un homme qui serait simplement porteur, peut-être à son insu, d'un message de fraternité ? Ce message du reste apparaît bien archaïque et primitif en regard des perfectionnements que lui confèrent, avec chaque nouveau train de décrets-lois pastoraux, les hommes d'église modernistes qui prétendent nous gouverner. \*\*\* La dissolution de la foi chrétienne se déroule selon un processus inéluctable : si on doute que la sainte humanité du Christ soit celle du Verbe, il faut bannir les termes qui marquent la splendeur unique de ses prérogatives : grâce de chef, science infuse, sacerdoce, instrumentalité, puis­sance judicative, dignité incomparable au milieu même de terribles humiliations, tout à fait évitables mais très volontairement choisies. 89:175 D'autre part si l'on bannit les prérogatives de grâce de la sainte humanité de Jésus, on n'évitera pas de jeter le doute sur ce qui est le couron­nement et le sommet de ces prérogatives : résurrection glorieuse, ascension dans les cieux, session à la droite du Père et cependant présence eucharistique réelle, sur les autels de nos églises, sous des espèces étrangères, en vertu de la transsubstantiation. Dans les pages qui vont suivre nous considérerons, dans la foi et à partir des Écritures, quelques-unes des pré­rogatives de la sainte humanité de Jésus, afin de pénétrer plus avant dans les secrets du cœur du Fils de l'homme, né de la Vierge Marie, qui est, identiquement, vrai Fils de Dieu. Car, en Jésus, il n'y a pas *autre et autre quel­qu'un* ([^47])*,* mais un quelqu'un unique, vrai Dieu et vrai homme. ##### 1. -- Le Christ tête du corps mystique. La grâce de Jésus-Christ. Il nous est plus habituel de désigner Jésus par le titre de Sauveur que par celui de chef du corps mystique. C'est du reste par ce terme de Sauveur, de Jésus, que le Verbe incarné fut annoncé à la première créature humaine qui crut en lui d'une façon tout à fait explicite, sa très sainte Mère, la Vierge Marie. *Vocabis nomen ejus Jesum.* Et l'Ange devait également avertir Joseph, le gardien de la Vierge : *Vocabis nomen ejus Jesum ; ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum.* L'image du corps mystique pour marquer les rapports, la dépendance, la profondeur d'union entre les rachetés et le Rédempteur est de l'apôtre saint Paul. *Le Christ est la tête de son corps qui est l'Église.* (Col. I, 18.) La désigna­tion du Rédempteur comme tête du corps mystique, comme chef de l'Église est également du grand Apôtre. *Dieu l'a établi comme tête sur toute l'Église.* (Eph. I, 22 ; voir aussi Col. II, 19.) C'est évidemment sous l'inspiration du Saint-Esprit que saint Paul a explicité et complété de la sorte la révélation divine sur le Christ sauveur. 90:175 Les images qu'il emploie : tête et corps, même si elles ne nous sont pas très habituelles, même si elles viennent moins spontanément que d'autres dans nos prières, ne laissent pas de constituer un enrichissement très précieux pour nous faire comprendre les grandeurs du Christ. Il est sauveur, disons-nous ; sauveur par les mérites de sa Passion et de sa croix ; sauveur par sa grâce, par la grâce qui découle de ses saintes plaies, et notamment de son cœur ouvert ; sauveur parce qu'il a satisfait pour nos péchés, offert le sacrifice de réconciliation, mis de nouveau dans l'âme des hommes cette vie spirituelle, surnaturelle, divine, disons cette grâce, que tous nous avions perdu par la prévarication du père unique de notre race, le premier homme, Adam pécheur. Eh ! bien, justement si Jésus nous a rendu la grâce et la vie divine, si c'est sa grâce, sa seule grâce qu'il répand dans notre âme, comme la grâce nous atteint au plus intime de nous-mêmes ([^48]) pour nous faire enfants de Dieu, c'est donc que notre dépendance vis-à-vis de lui est tout ce qu'il y a de plus intime ; c'est donc que nous vivons par lui et dans une dépendance beaucoup plus étroite que celle du corps à l'égard de la tête. Sans la grâce qui vient de lui, pas de grâce ; sans la vie divine rendue par lui, la mort spirituelle pure et simple. Il est sauveur par la grâce qu'il nous donne ; or, puisque cette grâce nous vient par lui, par lui seul, nous devons comprendre qu'il est sauveur et source de vie à la manière dont la tête est source de vie pour le corps. Non pas seulement à la manière dont un chef d'armée, par la sagesse, la force du caractère, le don de commandement fait passer ses orientations et son ardeur dans le corps d'armée ; non pas seulement à la manière dont un sage, exceptionnellement sage, éclaire et élève les disciples qui l'écoutent et devient en cela un maître à penser. La manière dont le Seigneur nous atteint est infiniment plus profonde ; elle se situe non seulement dans l'ordre de l'action, de la vie de l'esprit, des attitudes morales, mais dans l'ordre même de la vie spirituelle de notre âme ; dans l'ordre où il y va de notre tout. De sorte que lorsque l'on parle de chef à son sujet il faut d'abord prendre ce terme selon son analogie la plus élémentaire et en quelque sorte la plus dure, c'est-à-dire selon l'analogie corporelle. A ce degré de l'analogie il apparaît aussitôt que le corps ne vit que par le chef ; retranché du chef le corps cesse de vivre. Quand il s'agit d'un être vivant, c'est d'un point de vue tout à fait intime et intrinsèque que le chef est le chef. 91:175 L'armée ne dépend pas à un degré tellement intime de son capitaine que, celui-ci mort ou capturé, toute bataille, peut-être même une bataille encore victo­rieuse, soit rendue impossible. Mais dans l'ordre corporel, le corps retranché de la tête cesse de vivre. -- De même dans l'ordre de la végétation, qui est un ordre vital, tout sarment retranché de la vigne se dessèche et il est tout juste bon pour le feu. Voilà pourquoi l'apôtre bien-aimé, qui ne nous présente pas Jésus d'après l'image du chef qui fait vivre le corps, nous dit cependant, en une image semblable, que Jésus étant comparable à la vigne qui fait vivre les rameaux, sans lui nous ne pouvons rien faire. Le but de ces analyses est de suggérer combien est fondée l'expression de grâce capitale, ou grâce de chef, lorsque nous parlons de Jésus-Christ. Cette expression fait saisir à la fois l'une des grandeurs tout à fait propres et réservées de sa sainte humanité, -- ensuite la profon­deur du lien avec le Christ de tout homme qui vit de la grâce ou qui est appelé à vivre de la grâce, -- enfin l'iné­luctable conformité entre les modalités, les inclinations concrètes de notre grâce et celles de la grâce de Jésus, car il n'existe concrètement d'autre grâce que celle qui dérive de Jésus. Bref, l'expression théologique *grâce capitale*, usitée chez les docteurs, et l'expression révélée dans saint Paul le Christ est *la tête du corps qui est l'Église,* ces deux ex­pressions offrent le grand avantage de préciser la portée du terme tout à fait primitif, originel, foncier, fondamen­tal, -- et porteur d'une paix ineffable pour toute âme de bonne volonté : le terme de Sauveur. Les modalités concrètes disions-nous de notre grâce, de notre vie intérieure, sont celles même de Jésus ; abso­lument pas différentes, puisque nulle grâce ne sera jamais donnée aux hommes qui ne dérive de la sienne, qui ne découle de la grâce de son Sacré-Cœur. En son essence et sa vertu intrinsèque la grâce, aussi bien pour les anges que pour les hommes, est une participation ineffable à la vie vine, au-delà, au-dessus de toute participation d'or­dre naturel. La participation selon l'ordre naturel ressortit à l'intelligence et à l'amour, à la droiture et pénétration de l'esprit, à la noblesse innée du caractère et, chez les anges, à la qualité de leur spiritualité ou, pour prendre une comparaison, à la vigueur, à l'altitude, à la durée de l'en­vol intelligible et armant que leur permet la perfection de leurs grandes ailes de purs esprits. Eh ! bien, le moin­dre degré de grâce, comme l'explique saint Thomas, sur­passe infiniment le plus haut degré de participation natu­relle, de participation dans l'ordre des grandeurs créées, aussi spirituelles qu'on les imagine. Car le moindre degré de grâce fait pénétrer dans l'ineffable mystère de la vie rigoureusement réservée à Dieu, au sein de la Trinité, tandis que le plus haut degré de grandeur naturelle reste à tout jamais en dehors. *La distance infinie des corps aux esprits figure la distance plus infinie des esprits à la cha­rité, car elle est surnaturelle* ([^49])*.* 92:175 Toute grâce étant une participation intime, ontolo­gique, à la vie même de Dieu en ce qu'elle a de réservé à Dieu, il reste que les modalités concrètes de la grâce sont variables. Dans son essence la grâce des chérubins est la même que celle des hommes ; il reste que cette grâce, identique dans son essence, n'inclinera jamais ces esprits bienheureux à l'exercice de la vertu de tempérance, la­quelle exige d'avoir un corps uni à l'esprit. De même la grâce d'Adam, essentiellement identique à la nôtre, des­tinée comme la nôtre à croître et à grandir, ne pouvait avoir cependant comme loi de croissance d'incliner à la croix et à la mortification, puisque la nature sortait des mains du Créateur dans un état d'innocence et d'harmonie, sans nul attrait désordonné. Mais la grâce du Christ avait *un poids à la croix,* pour reprendre la terminologie du Père Chardon ([^50]), puisque le Christ venait nous racheter par sa mort, puisque nous ne devions recevoir de lui la grâce qu'en vertu du sacrifice de la croix. Donc l'inclination à la croix sera l'une des modalités concrètes, tout à fait inéluctables, de la grâce que nous recevons de Jésus. Im­possible désormais à aucun homme de recevoir une grâce qui ne le fasse point participer à la croix. Ce disant nous ne brouillons pas les perspectives, nous ne disons pas que la participation à la vie divine ne soit pas le tout de la grâce et de notre vie intérieure ; nous précisons seulement que, de fait, il n'est point possible de participer à la vie divine sans accueillir avec foi et avec amour la croix de Jésus. Il n'est pas possible d'être baptisé (serait-ce du baptême de désir) c'est-à-dire de naître à la vie des enfants de Dieu, sans être baptisé dans la mort de Jésus et sa résurrection ; mais sa résurrection suppose nécessairement sa mort. De même qu'il n'est pas possible de devenir enfants de Dieu sans croire que le Christ est Dieu : *dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine ejus* (Jo. 1, 12)*,* de même n'est-il pas possible de croire que le Christ est Fils de Dieu sans croire qu'il est Jésus, c'est-à-dire sauveur et rédempteur par sa Passion et sa résurrection. 92:175 ­Voilà donc en quel sens le Christ, qui est notre chef, le chef du corps mystique, nous fait dépendre de la grâce qui est la sienne c'est-à-dire une grâce qui est évidemment participation à la vie divine mais selon cette modalité, fort sensible, de l'inclination à la croie. Notre grâce est conforme à celle du Christ en toutes choses, y compris en cette modalité. Et voilà pourquoi saint Paul, par qui Dieu nous a révélé le mystère de la tête et du corps, -- cette explication normale du mystère du Christ sauveur -- voilà pourquoi saint Paul parle si souvent sous diverses formes de notre configuration à la mort du Christ. Cela est dans notre grâce. \*\*\* Nous savons tous que Dieu seul, que seule la Trinité sainte est principe et cause de la grâce. Nous ne contre­disons pas cette vérité première en affirmant qu'il n'est de grâce que par Jésus-Christ. Nous voulons dire simple­ment que toute grâce réside en Jésus-Christ et que la Trinité sainte ne met la grâce dans une âme, comme cause première, que par cette grâce qui est en Jésus en pléni­tude ; la Trinité Sainte ne nous élève à la vie de la grâce que par lui, avec lui et en lui. Car le Verbe incarné est *plein de grâce et de vérité et c'est de sa plénitude --* de sa seule plénitude -- *que tous nous avons reçu et grâce sur grâce. Il* est la vigne par laquelle vivent les rameaux, sans laquelle ils ne sont rien ni ne peuvent rien. Il est la têt : du corps mystique. Il est le nouvel Adam par qui nous sommes récapitulés dans la vie céleste. Dans l'hypothèse, que je proposerais ici, à titre d'illus­tration par contraste, dans l'hypothèse *où les humains auraient persévéré dans l'état d'innocence,* ils auraient reçu la grâce de la Trinité Sainte mais sans être reliés, pour toute grâce et tout mouvement de grâce, à un homme qui aurait été la tête d'un corps mystique ; la première grâce leur serait venue avec la génération, et c'est tout. Ensuite ils auraient cessé d'être dans la dépendance du premier père. Dans notre état de fait, le seul état de fait qui existe depuis la prévarication du premier Adam, les humains reçoivent toujours évidemment la grâce de la Trinité Sainte ; mais nous recevons désormais toute grâce par la médiation constante d'un homme qui est le Fils de Dieu, incarné, par lui et en lui (à partir de la foi en lui, laquelle est la première grâce qui vient de lui). Nous n'avons d'accès au cœur de Dieu que par la grâce qui dérive de lui et nous fait ressembler à lui ; nous ne par­ticipons de la vie de Dieu que comme membres de son corps mystique ; 93:175 nous ne faisons avec cette divine Per­sonne incarnée *qu'une seule personne mystique,* comme le dit saint Thomas ([^51]). De sorte que le Père et toute la Trinité ne nous voit, ne nous veut, ne nous touche que comme étant du Christ, par lui et avec lui. La grâce fait que nous sommes de la Trinité ; mais nous ne sommes de la Trinité que comme membres du Christ. Car le Christ *est plein de grâce et de vérité de sa plénitude nous avons tous reçu et grâce sur grâce.* (Jo. 1, 16.) \*\*\* Dans le corps mystique, qui est ordonné et hiérarchisé, d'autres que le Christ ont le titre de chef ; le premier d'entre eux est son vicaire, le chef visible de l'Église, le Pontife romain. Mais justement il n'est chef qu'au titre de ministre et de vicaire ; dispensateur assisté de la vérité et de la grâce, mais simple dispensateur, capable de faiblir en beaucoup de choses, de celui qui seul est tête du corps mystique et dont il reçoit toute grâce comme nous tous ; simple dispensateur qui, même éminent et assisté comme nul autre ministre du Christ, puisqu'il détient *les clés,* de­meure cependant capable de faillir en beaucoup de points ; soit par exemple qu'il n'use pas des *clés,* soit même qu'il laisse croire qu'elles vont servir, maniées par lui, à ouvrir ce qui restera fermé éternellement. Notre grâce et notre vie intérieure qui incluent une certaine dépendance à l'égard du Pape ne sont pas et ne peuvent pas être référées au Pape comme s'il était la tête du corps mystique. Les articles de foi et l'attitude morale relatifs au vicaire du Christ, au chef visible de l'Église, exigent avant tout de croire en Jésus comme seul Sauveur, seule tête du corps mystique. ##### II. -- Le Christ plein de sagesse et de vérité. Si la première grandeur de l'humanité du Christ est la plénitude de grâce, la grandeur qui fait suite immédia­tement est la plénitude de sagesse et de vérité. *Vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigeniti a Patre, plenum gratiae et veritatis.* (Jo. I, 14.) 95:175 Le Christ n'avait pas besoin de croire, il voyait Dieu face à face et il se voyait comme Dieu. Il serait inconce­vable que la nature humaine du Christ qui, avec son intel­ligence, était jointe à la divinité en unité de personne n'eût pas joui de la vision de Dieu, n'eût pas eu l'intuition im­médiate, par la vision béatifique, de la divinité elle-même, alors que le Christ est une personne divine. Aussi bien, il n'a jamais été sérieusement prétendu que Jésus ne voyait pas Dieu immédiatement. « Nul ne connaît le Fils sinon le Père, comme nul ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler. » (Matth. XI, 27.) -- Dans l'entretien avec Nicodème : « En vérité je vous je dis nous parlons de ce que nous savons et nous rendons témoignage *de ce que nous avons vu. *» (Jo. III, 11.) -- A la suite d'une question relative à Jean-Baptiste : « Celui qui vient du ciel est au-dessus de tout. De ce qu'il a vu et entendu il rend témoignage. » (Jo. III, 32.) -- Dans le dis­cours sur le pain de vie : « Non que personne *ait vu* le Père sinon celui qui vient de Dieu. Celui-là *a vu* le Père. » (Jo. VI, 48.) -- Dans une discussion avec les Juifs de Jérusalem : « Moi je dis *ce que j'ai vu* auprès de mon Père. » (Jo. VIII, 38.) On ne saurait soutenir que Jésus ait dû vivre comme nous dans l'obscurité de la foi et grandir dans la foi. A quoi donc aurait-il servi à l'humanité de Jésus d'être l'hu­manité même de Dieu, si le Seigneur n'avait pas reçu infi­niment plus que les autres humains de cette proximité, ou plutôt de cette union ; si sa condition eût été, comme pour nous, la condition de celui qui croit, non de celui qui voit et qui possède ? Cependant il suffit de nous rappeler que la vision béa­tifique, du fait d'être la vision immédiate de Dieu par l'essence même de Dieu est infiniment au-delà de tout in­termédiaire, de toute idée, de toute représentation, il suffit de nous souvenir que la vision de Dieu n'est pas un discours sur Dieu, serait-ce un discours ramassé en quel­ques mots, pour comprendre que pour nous dire le mys­tère de ce qu'il est et de ce pourquoi il vient, le Seigneur a besoin d'une certaine connaissance qui n'est pas la vision, qui découle de la vision mais qui est d'un autre ordre ; une connaissance qui se serve d'idées. Sans cela il ne pourrait ni s'exprimer, ni nous exprimer celui qu'il voit, celui qui l'envoie, celui qu'il est. Des idées, des ex­pressions, des moyens conceptuels de traduire ce qu'il voit, de le formuler à sa conscience, sont donc rigoureusement requis. Aussi bien, en plus de la vision béatifique, le Sei­gneur Jésus est-il comblé, dans son intelligence, de ce que la tradition appelle la science infuse. 96:175 C'est en vertu de cette science qu'il déclare : *ce que je vois auprès du Père, voilà ce que je dis.* C'est une telle science qui le fait révéler *les mystères cachés en Dieu depuis la création du monde.* (Matth. XIII, 35.) Il les révèle en adoptant cette façon de parler singu­lière, inouïe, qui fait du mot de conclusion *Amen* l'argu­ment et la preuve de la vérité de ce qu'il affirme. Le syllo­gisme est en quelque sorte inversé : la conclusion, la proposition terminale qui devrait être introduite par *ergo, igitur,* et qui découle des prémisses devient tout à coup la majeure. Eh ! bien si le Seigneur commence par *Amen,* au lieu de finir par ce mot de conclusion, c'est parce que, en effet, dès le commencement, ses discours, sans être à proprement parler des conclusions sont les traductions d'une connaissance antérieure qui les domine, qui exige qu'ils soient ce qu'ils sont. Le Seigneur en effet, par la vision béatifique, voit les secrets de Dieu, ce que Dieu est, ce qu'il est, ce pour quoi il est venu ; ensuite par la science infuse il s'exprime en langage humain et traduisible ce qu'il voit. Il est donc normal que ses discours se présentent comme la traduction et, si l'on peut dire, la conclusion d'un donné antérieur, absolument certain et immuable. \*\*\* Un philosophe, trop souvent aventureux, a soutenu une thèse singulière sur la science infuse du Seigneur. Le Seigneur n'aurait joui de cette science que plus ou moins tardivement, sans que du reste on parvienne à fixer une date certaine ([^52]). C'est là une thèse opposée à la tradition, en particulier à saint Thomas ; une thèse insoutenable au moins pour trois raisons, car elle est disloquante, amoin­drissante et son terme logique est de nier la divinité de Jésus. 97:175 Ainsi donc le Christ aurait eu la vision béatifique dès le premier instant mais il n'aurait pu faire usage de la science infuse qu'à une époque plus ou moins tardive ; il aurait passé un certain temps sans avoir conscience ni qu'il est Dieu, ni de ce qu'il vient faire, puisqu'il ne se serait pas traduit à lui-même, grâce à la science infuse, ce qu'il saisissait dans la vision ; nous aurions un Christ cassé en deux : la thèse est *disloquante. --* D'autre part, quelle raison décisive d'admettre que ce Christ est Dieu, alors qu'il passe un temps plus ou moins long sans savoir qu'il l'est : *la logique de la thèse* est donc de nier la di­vinité du Sauveur, sa filiation divine naturelle. -- Quant à la nature *amoindrissante* de cette thèse on la voit tout de suite : ce Christ que l'on nous dit être Dieu commence cependant, dans l'ordre spirituel, comme n'importe quel homme ; il commence par l'inconscience et donc l'absence de liberté et de mérite. Que Jésus ait commencé son existence historique sans prononcer une parole, se contentant de sourire à sa Mère et à saint Joseph, de les caresser, c'est là sans doute pour le Verbe de Dieu devenu homme une condition humiliée, mais non amoindrissante car c'est une condition normale ; comment aurait-il été *trouvé comme un homme* si, né de la Vierge, il n'avait été d'abord muet comme tous les en­fants des hommes ? Cependant l'inconscience de l'âme *est d'un ordre tout autre* que l'absence de parole. L'in­conscience, même temporaire, de l'âme du Verbe de Dieu n'eût pas été une humiliation mais une absurdité. Car dans cette hypothèse où l'on prétend maintenir que Jésus est Dieu, on assure toutefois que, du moins pour une certaine durée, il a ignoré aussi profondément son identité que s'il avait été une pierre ou une bûche. Les anges seraient descendus du ciel pour annoncer aux bergers : *il vous est né un Sauveur qui est le Christ Seigneur,* cependant le Christ Seigneur, qui est le Fils de Dieu en personne, n'au­rait pas su davantage ce qu'il en est que les deux animaux de sa crèche ! Voilà les énormités où l'on aboutirait si l'on déniait au Seigneur Jésus l'usage de la science infuse, et donc la conscience de ce qu'il est, dès le premier instant de sa vie d'ici-bas. Le Cardinal Journet, comme on pouvait le craindre, s'est mis à la remorque de son ami pour accréditer sa nouveauté doctrinale. Entraînement, fascination, faiblesse d'une vieille amitié qui jamais peut-être n'aura osé dire : *magis amica veritas ?...* 98:175 Quoi qu'il en soit, il suffit de voir avec quelle outrecuidance le Cardinal écarte saint Thomas, du moment que Jacques Maritain a parlé, pour être plus que réservé sur les prétendues découvertes théologiques de Maritain philosophe ([^53]). \*\*\* Les termes science du Christ, science infuse, n'éveillent pas immédiatement des harmoniques de sainteté, de salut, de vie spirituelle. C'est en cela qu'ils peuvent être trompeurs. Pour en percevoir le sens véritable et plénier il faut les comprendre dans la ligne du sacerdoce et de la royauté de Jésus. Un peu comme le mot docteur appliqué aux docteurs de l'Église n'a pas seulement, ni principa­lement, des résonances intellectuelles. Un docteur de l'Église n'est pas un intellectuel illustre et bien doué qui aurait allongé tous les ans de quelque puissant volume sa liste de publications. C'est un humble disciple du Sei­gneur, un ami humble fidèle du Christ Jésus qui, favorisé de dons intellectuels certains, ne s'y attache aucunement mais les met tous et toujours au service de la foi pour exposer et défendre la doctrine du salut et la tradition de l'Église. Eh ! bien la science du Christ, les idées infuses de sa science infuse, de même du reste que ses idées acquises, cette science du Christ peut être dite sacerdotale. C'est la sagesse salutaire et vivifiante de celui qui est médiateur, réconciliateur et prêtre ; celui qui expose ce qu'il voit au­près du Père uniquement en vue du salut ; celui qui envoie le Saint-Esprit afin de nous *guider vers la vérité tout en­tière ;* celui qui, en même temps que *la vérité,* est *la voie et la vie ;* celui qui est *venu rendre témoignage à la vérité et tout homme qui procède de la vérité écoute sa voix. *» 99:175 Le Christ, nous l'exposerons plus loin, s'il est venu pour sauver tous les hommes clercs et laïcs n'est pas ce­pendant venu comme laïc, mais comme prêtre, *Regnum meum non est de hoc mundo.* Dans sa science infuse, tout à fait unique, il embrasse les données des techniques et des arts ; mais ce n'est point dans ce registre qu'il parle. Il serait même pratiquement incompatible avec sa mission rédemptrice, sa mission de chef selon la grâce qui vient de sa Passion, qu'il nous ait parlé dans un registre laïc et profane. La plénitude de la science infuse ne lui a pas été donnée pour cela. Sa science est science sacerdotale, sa révélation est communication de la vérité divine en vue de la vie éternelle. « Il n'a point donné d'inventions, il n'a point régné mais il a été humble, patient, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché, Oh ! qu'il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnifi­cence aux yeux du cœur qui voient la sagesse. » (Pascal, *Pensées,* n° 793.) (*A suivre.*) R.-Th. Calmel, o. p. 100:175 ## Enquête sur la lettre à Paul VI *suite de la publication des réponses* 102:175 \[voir It 173 et 174\] 104:175 ### Réponse de Luce Quenette *La Lettre à Paul VI et les enfants* LA LETTRE A PAUL VI est une supplication, un ordre de l'obéissance : elle m'apparaît comme l'acte le plus exigeant du respect de l'autorité. Le cœur catholique est par essence obéissant. Sa profession de foi est une soumission : « Je crois toutes les vérités *que l'Église nous enseigne* parce que Vous les avez révélées et que Vous ne pouvez ni Vous tromper, ni nous tromper. » Je ne pratique pas le libre examen. Le texte de l'Écriture et le Catéchisme qui est son interprétation, le Saint Sacrifice tel qu'il est fixé par la Tradition me sont imposés par l'Église. L'ordre absolu : « Allez et enseignez... apprenez-leur... sur cette Pierre j'ai bâti... Tout ce que vous lierez, tout ce que vous délierez... », ces paroles divines de fondation sont le cœur et la volonté catholiques. Le plus grand mal­heur, par conséquent, pour un catholique, c'est, semble-t-il, de ne plus pouvoir obéir parce que l'Église n'enseigne plus, n'apprend plus, ne lie et ne délie, et livre le Sacrifice abso­lu à l'expérience. Mais il y a le pape. Notre-Seigneur Jésus-Christ « a voulu une Église ayant à sa tête l'évêque de Rome qui est son vicaire visible en même temps que l'évêque des évêques et de tout le troupeau » (P. Calmel, ITINÉRAIRES 173). Il est donc certain que sur la terre l'homme le plus chargé de commander au nom de Jésus-Christ, c'est le pape ; l'hom­me qui a, sur la conscience de tous les hommes, le plus de pouvoirs et le devoir de gouvernement le plus rigoureux sur les chrétiens, c'est le pape. Or le pape Paul VI ne gouverne plus, « il abandonne aux manœuvres des novateurs et des négateurs les moyens de sanctification eux-mêmes » (*id*.). « Le pape reste im­mobile. » 106:175 Il est donc évident que l'acte catholique par excellence envers le pape, c'est de le supplier, c'est de lui ordonner de commander. Il n'est pas d'acte plus pur de soumission et d'estime d'un pouvoir que de dire à celui qui en est investi : Commandez, je vous obéirai. C'est vraiment parler au pied du trône, en reconnaissant au Vicaire une trans­mission divine, avec la véhémence répétée dont nous nous adressons à Dieu. « *Exurge Christe adjuva nos -- libera nos Domine, libera nos a labiis iniquis, a lingua dolosa *» (119). « *Dirupisti vincula *» (115). Mais ce malheur d'un pape qui ne gouverne plus est un malheur temporel, épreuve, non blessure de l'Espérance, vertu théologale. C'est ce que le Père Calmel explique clairement dans ITINÉRAIRES 173, « De L'Église et du pape » : « Il est un chef de l'Église, toujours infaillible, toujours sans péché, ignorant toute intermittence, tout arrêt dans son œuvre de sanctification. Ce chef saint et sans tache, absolument à part des pécheurs, élevé au-dessus des cieux, ce n'est point le pape, c'est le Souverain Prêtre, Jésus-Christ. » Et cette épreuve d'un pape ne gouvernant plus ou gou­vernant mal est utile à la purification de notre foi, car il est vrai que, sans réfléchir, nous ne distinguions plus entre le Vicaire, assisté de Jésus-Christ s'il est fidèle, et son Maître divin. Maintenant, nous sommes éclairés : les fai­blesses du Vicaire doivent fortifier en nous « la seigneurie de notre Sauveur ». C'est donc en son nom, en ce nom divin que tout fidèle, même un enfant baptisé, instruit selon son âge dans la Tradition, *a le droit* de dire au pape : rendez-nous la Messe, le Catéchisme, l'Écriture. Voilà comment, la LETTRE A PAUL VI en main, j'expli­quai cette réclamation à nos enfants de tous les âges. Nous avions commencé la leçon par cette question : -- De quoi les ennemis de Jésus-Christ nous ont-ils privés sous le pontificat de Paul VI ? Les doigts se lèvent : -- « *De la Messe, -- du vrai Catéchisme, -- de la vraie Écriture. *» 107:175 On précise pour ce dernier point, le moins facile pour les petits. Mais l'exemple est gravé dans les mémoires « *Épître du dimanche des Rameaux ! *» Bien des voix appuient : « *C'est aux Philippiens *»*.* *-- *Qu'est-ce qui est nié dans cette traduction ? Réponse vive. « *La divinité de Notre-Seigneur. *» *-- *Quelle est la plus importante des vérités après l'existence de Dieu ? -- « *Que Jésus-Christ est Dieu, la deuxième personne de la Sainte Trinité. *» *-- *Donc nous n'avons plus la vraie sainte Écriture... Qui a le droit de dire au pape : Rendez-nous la Messe, le Catéchisme, la Sainte Écriture ? -- « *Tous les chrétiens. *» *--* Même un enfant ? -- « *Oui, même un enfant. *» *-- *Quels sont les plus à plaindre de tous les gens privés de la Messe, du Catéchisme et de la Sainte Écriture, les grandes personnes ou les enfants ? Unanime : -- « *Les enfants ! *» *--* Pourquoi ? Je cite cette réponse, la première : -- « *Parce qu'ils ne pourront plus transmettre ! *» \*\*\* Les autres réponses viennent de tous côtés : -- « *Parce qu'ils sont faibles -- parce qu'ils sont tentés -- parce qu'on veut leur faire du mal -- les entraîner au péché -- parce qu'ils n'auront jamais vu de vraie Messe, jamais appris le vrai Catéchisme, tandis que les Parents* PEUVENT SE SOUVENIR. -- Alors, un enfant irait au Vatican et arriverait à se faufiler jusqu'au trône du pape, aurait-il le droit de lui dire, au nom de Jésus-Christ : rendez-nous la Messe, le Catéchisme, l'Écriture ? Lui manquerait-il de respect ? -- « *Non, puisque c'est au nom de Jésus-Christ, non, puisque c'est son devoir* (le devoir du pape), *puisque c'est pour cela qu'il est pape, puisqu'il est le seul qui peut, puisqu'il n'y pense pas. *» Voilà les enfants. 108:175 Et encore : -- « C'est comme si je dis à Papa : -- Papa, il faut me punir parce que je le mérite ! Je ne manque pas de respect à Papa, puisqu'il est mon père pour ça. » \*\*\* C'est ainsi, mes enfants, que pour avertir le pape et prier pour qu'il nous rende nos Biens, en 1971 à a Pen­tecôte, nous avons tous été à Rome, et la voix des enfants s'est unie à celle des prêtres et des parents. Cette année, de nouveau, Mme Élisabeth Gerstner a organisé un pèlerinage à Rome annoncé sous la présidence du Professeur Marcel De Corte ; le Père Barbara en a organisé un autre et l'on souhaite qu'ils s'unissent pour demander par leur présence et par la prière que le pape rende aux chrétiens les trois Biens qu'il a laissé prendre. Au mois d'avril, un pèlerinage de religieux et de laïcs, sous la direction de M. l'abbé de Nantes, a demandé de parler au pape ou au moins qu'il lise avec attention, pour y répondre, les reproches suppliants et respectueux des catholiques. Le pape n'a pas voulu lire ces reproches ni voir ces pèlerins, il s'est fâché et les a fait chasser par la police. Mais il est quand même averti ; et ce ne sont pas des démarches, des fatigues, des peines et surtout des prières perdues. Les refus du pape ne sont pas des refus de Jésus-Christ. Et, comme nous l'avons dit, son silence ou ses fâcheries ou ses refus ne peuvent pas blesser la vertu théo­logale d'espérance. Il ne faut pas s'arrêter de lui réclamer clairement la Messe, le Catéchisme, l'Écriture Sainte. \*\*\* Les enquêtes sur la LETTRE A PAUL VI de Jean Madiran ont excellemment montré sa portée, sa profondeur, sa vi­gueur, son essentiel respect. Je n'ai pas à répéter cette estime et ces commentaires, je m'y associe complètement. On a dit aussi que cette lettre reprochait judicieusement au pape de vouloir la paix comme un absolu, « un bien en soi, valable à n'importe quel prix... », pendant qu'on autorise un désordre qui « fait lever dans le monde entier une génération d'apostats chaque jour mieux préparée à demain s'entretuer aveu­glément ». 109:175 Cette LETTRE A PAUL VI, c'est donc la plus terrible, parce que la plus claire réclamation des enfants, « ces enfants réclameront dans l'éternité », et mieux vaudrait pour le pape être englouti par la mer. Mais, parce qu'elle est la plus directe et la plus terrible défense des enfants, cette LETTRE A PAUL VI est la plus adaptée à l'intelligence et à la foi des enfants. Le mouvement de la pensée, classique, nourrit et en­traîne la pensée des enfants ; les grands en comprennent tous les termes parce qu'ils sont directs et clairs ([^54]) ; mais tous les enfants de bon cœur catholique en saisissent immédiatement le sens qui est une direction juste. Les classiques sont appelés tels parce que leurs œuvres ont l'honneur de former la jeunesse. Bien que leurs pen­sées soient profondes et que, se rapportant à l'absolu, on n'en épuise damais le contenu, elles n'ont point la vanité d'être hermétiques et goûtées des seuls savants, spécialis­tes et philosophes : cet avantage superbe est le lot des « intellectuels ». Le vrai classique instruit la classe, la flotille jeune qui prend la voile sur la mer de cette vie pour aborder aux rives éternelles. A plus forte raison, quand il parle de la foi, pour le salut des âmes. C'est pour­quoi je tire de l'attention et de la mémoire des enfants une louange de qualité pour l'auteur de la LETTRE A PAUL VI. L'explication qui a suivi la lecture nous a en effet con­vaincu que la LETTRE entrerait dans les mémoires. Pour les grands, quatrième comprise : tout le texte par cœur. Pour les plus jeunes, les articulations vitales. \*\*\* Il est probable, hélas, que la LETTRE de Jean Madiran a brûlé, elle aussi, les mains de Paul VI, mais elle aura fixé par des formules magistrales, classiques, et je dirai scolaires, ce que tout fidèle doit sans lassitude réclamer du Ciel et du pape. C'est un texte de prière qui précise la foi, et qui fait entrer vigoureusement les enfants dans la réalité de la persécution et le combat contre l'hérésie. Or, la prière des enfants en état de grâce est puissante ; et une prière qui demande exactement les vrais biens de l'âme : la Messe, le Catéchisme, la parole de Dieu, doit être exaucée. 110:175 Ceux qui la font comme des enfants, sans aucune arrière-pensée, dans la netteté de leur intelligence et tout le désir de leur volonté, sont déjà exaucés. C'est une expérience que nous avons faite. Il est nécessaire d'apprendre aux chrétiens qui soupirent et déplorent, non pas à continuer leurs déplorations, mais *à désirer ce qui leur manque d'essentiel.* Ils ne le savent pas, ils nagent dans un malaise obscur, ils errent dans des regrets dispersés. Les enfants apprennent avec plaisir par cœur les leçons bien claires et bien divisées. Honte à la paresse d'esprit et de mémoire de tant d'adultes ! La LETTRE A PAUL VI est l'expression pratique de ce qu'il leur faut vouloir, du fond de leur volonté. Ces trois biens surnaturels, s'ils les dési­raient fermement en famille, par la grâce de Dieu, ils « se les exauceraient » : surgirait une Messe de saint Pie V, et le temps d'étudier le catéchisme de saint Pie X. Ils mettraient au feu le Missel à fleurs empoisonné, et, dans leur ancien Missel, retrouveraient la Parole inspirée. Si, au moins, cette LETTRE A PAUL VI sous les yeux, tous les parents chrétiens avaient le courage d'apprendre à leurs enfants les trois exigences obligatoires, leurs enfants, ensuite, ne leur laisseraient plus la paix. Ils seraient bien obligés de chercher et de trouver de quoi les satisfaire. Témoins ces pères de famille : « Quand les enfants sont là, il faut les conduire à X, à la Messe de saint Pie V, ils n'en supportent pas une autre ! » Bref, cette simple « lettre » est comme une charte des désirs surnaturels obligatoires dans la famille chrétienne. Les enfants ont tout de suite vu qu'elle est composée comme en strophes, avec le même « refrain » (ils disent ainsi ! nous dirions : avec la même véhémente plainte). \*\*\* C'est beau et pratique. Le thème est donné tout de suite, les plus petits peu­vent le retenir (ils retiennent bien plus) : Très Saint Père, rendez-nous l'Écriture, le Catéchisme et la Messe. *1*) *La strophe de la Messe.* Et puis : Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été privés, chaque jour davantage... il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous la rendre, nous la rendiez. Nous vous la réclamons. 111:175 *2*) *La strophe pour le Catéchisme,* et de nouveau : Très Saint Père, que ce soit par vous... l'important est que... *3*) *La strophe de la Sainte Écriture* et la variation de la même plainte. Enfin, la supplication indignée pour les enfants donne une force renouvelée au thème tant répété : Rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain... Et à tous il faut faire retenir que, privés de la Messe, du Catéchisme et de la Sainte Écriture, les enfants seront « des apostats et des sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s'entretuer aveuglément ». Les enfants voient leur malheur. Est-ce cruel ? Non, la cruauté est douleur inutile. Or cette vue est sévère et nécessaire. Elle allume le désir des biens dérobés, elle fait aimer leur possession et j'ajoute : elle instruit l'enfant de l'extrême valeur que la véritable société chrétienne attache à l'éducation de son âme. C'est un élément important pour la formation *surna­turelle* du contre-révolutionnaire. \*\*\* Ainsi, cette LETTRE A PAUL VI n'exprime rien de nou­veau, ne se recommande par aucune originalité, ne se pique d'aucune image imprévue, n'a d'autre éloquence que la clarté, et l'angoisse maîtrisée du cœur. Elle est la *classique* réclamation catholique. Sa concision, non pas avare, mais poétique et poi­gnante, est sans doute la plus apte à réveiller, avec la grâce de Dieu, l'Immobilité tragique du pouvoir. S'il reste endormi et immobile, cette simple LETTRE commence la réclamation de l'éternité. C'est un châtiment. Mais pour les fidèles, pour les intelligences et les cœurs d'enfants, elle est enseignante, disciplinaire. *Elle fixe les désirs obligatoires des baptisés.* Elle dit avec la plus grande simplicité ce que doivent signifier dans la bouche des enfants de Dieu, en notre temps d'indicible détresse spiri­tuelle, les trois demandes sacrées : Que votre nom soit sanctifié, Que votre règne arrive, Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. Luce Quenette. 112:175 ### Réponse d'Alexis Curvers *Luc, XI, 11-12.* UN ROI QUITTA SON ROYAUME pour se rendre dans sa patrie d'origine, un lointain pays de montagne. Il dit adieu à ses sujets, leur promit de revenir un jour et nomma un vice-roi qu'il chargea de veiller sur eux en attendant. « Traitez-les comme vos enfants, lui dit-il. Soyez pour eux un père comme j'ai toujours été. Ne les laissez manquer de rien. Donnez-leur à manger, selon qu'ils vous le demanderont, du pain, du poisson ou ne fût-ce qu'un œuf, mais de qualité excellente et pure, comme le pain, le poisson et les œufs dont je les ai nourris de ma propre main. Moyennant quoi je vous assisterai de loin, ratifiant et bénissant tous les actes de l'autorité pleine et entière que vous exercerez en mon nom. » Le peuple eut connaissance de ces paroles et comprit que, par le pain, il fallait entendre le savoir enfermé dans des Écritures dont le roi avait garanti la vérité sacrée ; par le poisson, le corps des justes lois qu'il avait promul­guées, et que les plus sages de ses ministres résumèrent en un précieux petit livre accessible à tous ; enfin par l'œuf, le germe et l'aliment de la vie parfaite que le roi ne cesserait pas de communiquer à tous ceux qui, en son absence, perpétueraient fidèlement le culte dû à sa pré­sence, à sa personne et à sa majesté. Le roi une fois parti et disparu dans les nuages de la haute montagne où était sa demeure, ceux-là mêmes que cette séparation affligeait le plus eurent à cœur de reporter sur le vice-roi, qui s'en montra digne, les senti­ments de confiance et de respect dont ils avaient jusque là entouré le roi maintenant invisible, unique objet de leur amour, de leur adoration et de leur espérance. 113:175 On était sûr qu'il reviendrait et que ce serait à l'impro­viste, mais quand ? Dans le doute, chacun se tint prêt à lui rendre des comptes et à l'accueillir avec honneur. Ainsi peu à peu le royaume dans son ensemble prospéra et s'embellit en vue de ce glorieux retour. On se flatta long­temps que ce moment si désiré arriverait d'un jour à l'au­tre. Puis, les années passant, plusieurs vice-rois se suc­cédèrent, formant une suite ininterrompue de chefs irrépro­chables. Maints d'entre eux se distinguèrent par un génie propre ou des vertus particulièrement éminentes, quel­ques-uns il est vrai par des maladresses ou des défaillan­ces accidentelles ; mais tous veillèrent à respecter reli­gieusement, pour le transmettre intact, l'essentiel du dépôt et de la mission que le roi leur avait confiés. Aussi le peuple obéissant, l'esprit en paix, ne cessa-t-il de les vénérer presque à l'égal du souverain dont ils étaient les repré­sentants. Et le peuple s'en trouva bien. D'inévitables calamités publiques ne troublèrent ni son courage, ni sa constance, ni sa sécurité profonde, ni la foi qu'il avait dans la justice d'un principe et d'un ordre d'où découlaient pour lui tant de bienfaits réparateurs. Faible pourtant comme tous les peuples, souvent il péchait par étourderie, ou paresse, ou ingratitude ; mais à chaque fois il se relevait des fautes où ses passions l'avaient entraîné. Même quand il se con­duisait de travers, il pensait droit. C'est que sa nourriture était substantielle et parfaitement saine ; elle comblait tous ses besoins, augmentait ses forces, le payait de ses peines, entretenait en lui le goût du travail et de la vie. Les arts eux-mêmes, tant sacrés que profanes, étaient à la fois le miroir et le modèle d'une réalité si heureuse. Le peuple acquit ainsi la certitude, confirmée par une expé­rience qui se prolongeait, que vraiment ses vice-rois étaient les plus tutélaires des maîtres, les moins capables de tromper et de se tromper, mystérieusement promus qu'ils étaient sinon par des interventions directes du roi tou­jours absent, du moins par l'effet que produisait en eux sa volonté et sa puissance cachées. Vint cependant un jour où des murmures se firent entendre. Un homme prétendit que, mordant son pain, il s'était cassé les dents sur une pierre. Un autre, qu'on lui avait servi un serpent en guise de poisson. Un troisième n'osa briser la coquille d'un œuf à l'intérieur duquel il assurait avoir vu, par transparence, remuer un scorpion. Ces bruits fâcheux n'eurent point d'écho. On les traita par le mépris. Les plaignants n'avaient-ils pas l'imagination mal tournée ? Le premier n'avait-il pas les dents malades ? L'autre, le goût trop délicat ? Et le dernier n'était-il pas sujet à des hallucinations ? Ces prophètes de malheur furent bientôt réduits au silence, rebutés et blâmés par l'opinion presque unanime des bons citoyens, dont le vice-roi alors en fonctions partageait d'ailleurs l'optimisme. 114:175 Le calme ainsi rétabli dura peu. D'autres voix isolées s'élevèrent ici et là, témoignant que des ministres du vice-roi distribuaient bel et bien des pierres, des serpents et des scorpions plus ou moins agréablement déguisés sous l'apparence des pains, des poissons et des œufs que la population consommait sans défiance. Le fait bientôt fut indéniable, d'autant plus que les médecins, discrètement consultés par une clientèle inquiète et nombreuse, ne tar­dèrent pas à y perdre leur latin : ils ne comptaient plus les mâchoires endommagées, les cas d'intoxication, les vomissements infectieux, et toutes les variétés de malaises, de dérèglements et de souffrances que peut engendrer une alimentation frelatée. Mais les médecins liés par le secret professionnel gar­daient pour eux leurs statistiques, de peur de déplaire aux autorités, d'alarmer la foule et d'aggraver en le dénonçant un mal qui serait sans remède aussi longtemps qu'ils en tairaient la cause. Certains audacieux s'en prirent aux fonctionnaires subalternes à qui n'incombait que le soin d'écouler le ravitaillement ; ceux-ci les renvoyèrent aux ministres, à qui incombait le soin d'y pourvoir ; mais les ministres laissèrent sans suite et sans réponse les requêtes qui parvinrent jusqu'à eux : si timides qu'elles fussent, ils les jugèrent trop insolentes pour mériter examen. La population languissait, en proie à d'étranges désor­dres qui, donnant libre cours à tous les trafics et à toutes les fraudes, la détraquaient dans sa pensée et dans ses mœurs, dans ses travaux et dans ses jeux, dans sa vie fa­miliale et jusque dans ses convictions les plus intimes. La bêtise et la folie prévalaient partout, quand ce n'était pas l'imposture et le crime. Le faible était plus que jamais à la merci du fort. Il y eut des scènes d'orgie et de canniba­lisme, ostentatoirement applaudies par des docteurs, des scribes et des pontifes en service commandé. Tout le monde était malheureux et contribuait au malheur commun, ayant l'âme comme empoisonnée par les pierres, les serpents et les scorpions qu'on jetait en pâture à la foule affamée, à mesure que les ressources de l'héritage royal étaient dilapidées : les Écritures jusque là sacro-saintes foulées aux pieds, le petit livre des lois contrefait, la célébration de la personne du roi dégénérant en farce impie. 115:175 Beaucoup, par souci de leur santé déjà fort ébranlée, en vinrent à refuser toute nourriture et se retranchèrent dans un morne isolement, résignés à dépérir lentement tandis que tout délirait autour d'eux. Ils ne respiraient plus qu'à grand peine l'air de cet univers entièrement fal­sifié, où ne subsistait de juste et de sincère que sa détresse profonde. Les plus nombreux, par courtisanerie envers les auto­rités qui continuaient à porter beau, feignirent que les pierres qu'ils avalaient avec des marques d'appétit fussent toujours du pain comme à l'accoutumée, les serpents tou­jours des poissons et les scorpions toujours des œufs. D'aucuns allèrent encore plus loin dans le mensonge et, ne dissimulant plus ce que les précédents ne savaient que trop, affranchis de toute illusion sur la nature des pierres, des serpents et des scorpions dont se composait leur ordi­naire, prétendirent en faire délibérément leurs délices. Ralliés d'enthousiasme au nouveau régime, ils le procla­mèrent de loin préférable à l'ancien : l'essayer, c'était. l'adopter, car, loin de perdre au change, on avait tout à gagner. Le pain, le poisson et les œufs, disaient-ils, avaient assez joui d'une réputation surfaite et controuvée. Ils se félicitaient que le goût, le regret et jusqu'au souvenir leur en fussent passés. Les ministres laissaient tout dire et ne s'opposaient à rien, si ce n'est à la dénonciation du scandale. Impassi­bles, faisant la sourde oreille et se croisant les bras, parfois avec des sourires équivoques, bénisseurs ou complices, ils assistaient en spectateurs bénévoles au bouleversement du royaume. On les sentait paralysés par la désolation uni­verselle, ou corrompus à leur tour par la contamination du mal qu'ils niaient pour se dispenser de le combattre. Et on eut lieu d'en soupçonner plusieurs d'avoir partie liée avec les fournisseurs de la marchandise mauvaise qui avait chassé la bonne. C'est alors qu'une poignée de braves, jouant le tout pour le tout en désespoir de cause, résolurent d'en appeler au vice-roi en personne. L'entreprise était hasardeuse, car ce dignitaire investi de l'autorité suprême s'en était dé­pouillé au profit de ses ministres et n'usait pas autrement qu'eux du peu de prestige qui lui restait. Il se tirait d'af­faire en versant alternativement quelques larmes platoni­ques sur sa droite quand tout allait très mal, et quelques faveurs effectives sur sa gauche pour que tout allât mieux. Ainsi, prêchant d'un côté la résignation et encourageant de l'autre la forfaiture, ménageant à ses actes l'excuse de ses paroles et à ses paroles celle de son inaction, il espérait léguer de lui à la postérité l'image d'un arbitre impartial et serein, alors que dès à présent sa neutralité apparente irritait presque également le parti qu'elle décevait et celui qu'elle avantageait. 116:175 Quelques hommes donc furent assez braves pour ne plus cacher leur sentiment sur une telle politique et sur l'état des choses qui en résultait. L'un d'eux écrivit simplement au vice-roi : « Aucun père, selon l'Évangile, ne permettrait que ses enfants se nourrissent de pierres, de serpents et de scorpions im­mondes. N'êtes-vous pas notre père ? Rendez-nous le pain, le poisson et les œufs. » Il ne reçut point de réponse, et le trafic des nourritures immondes se développa de plus belle. D'autres se portèrent en groupes autour du palais du vice-roi, dans l'espoir que tantôt leurs prières silencieuses, tantôt leurs protestations unanimes en émouvraient les murs. Ils trouvèrent porte close et, bientôt dispersés, repar­tirent les mains vides. Un autre enfin, plus téméraire, ou plus assuré du triomphe de sa cause, tenta de forcer les consignes et de remettre lui-même au vice-roi une requête en forme de plainte accusatrice. Il n'en eut pas le temps. Ce vice-roi qui accueillait à bras ouverts les ennemis les plus déclarés du royaume avait pris toutes précautions utiles contre celui de ses sujets qui, à tort ou à raison, ne voulait que sauver le royaume. Non content de repousser la plainte sans la lire, il en fit malmener et expulser l'auteur par la police d'un État voisin préventivement appelée à la res­cousse. Une si brutale fin de non-recevoir consterna les amis de celui qui l'avait essuyée. Ils se trompaient : elle était de la part du vice-roi une dérobade qui valait un aveu de faillite. Lui qui prônait et pratiquait le dialogue à tout propos, l'esquivait sur le terrain même qui relevait de sa compétence au premier chef. Les déboutés ne pouvaient cependant chanter victoire. Si légitimes que fussent leurs récriminations, elles demeu­raient inécoutées désormais sans recours. Aucun des mi­nistres qui les auraient appuyées en cas de succès, mais dont la fortune était liée à celle du vice-roi, ne se risque­rait plus à les reprendre le moins du monde à son compte. Que faire en cette extrémité ? Le brave qui d'abord avait écrit au vice-roi, voyant le peu d'effet de sa lettre, consulta sur elle tous les témoins qu'il rencontra : « Que pensez-vous de ma triple récla­mation ? Comment en jugez-vous le contenu et l'oppor­tunité ? » 117:175 Sur le contenu aucune hésitation n'était possible, tant il sautait aux yeux de tous que le royaume allait en perdi­tion, et qu'il eût été du devoir d'un père de rendre à ses enfants le pain, le poisson et les œufs dont il les laissait si cruellement privés au mépris des ordres du roi et, pour la première fois dans l'histoire, en contradiction avec loi de nature et parole d'Évangile. Force était de convenir que la lettre exposait exactement, pour ne pas dire admi­rablement, sans un mot de trop, cette situation inouïe. Tous ceux qui en lisaient le texte, même s'ils auraient craint de le signer, y souscrivaient dans le fond de leur cœur. Quant à l'opportunité, les avis se nuancèrent. Certes, en règle générale, la vérité est toujours bonne à dire et même à crier sur les toits, *opportune et impor­tune.* Et les vérités qu'énonçait la lettre sur le ton le plus simple étaient d'une évidence incontestable, éblouissante, absolument sans réplique. Personne d'ailleurs n'y répli­quait, et moins que personne les gens que ces vérités devaient le plus inquiéter sinon confondre. De ce nombre étaient les ministres, et aussi à n'en plus douter le vice-roi, puisque, sommé de répondre, il se taisait comme eux, confessant de la sorte qu'il les suivait dans les voies de la félonie, à supposer même qu'il ne les y eût pas entraînés. De là justement naissait l'incertitude : est-il opportun de dire la vérité et de réclamer la justice à qui refuse d'entendre l'une et de rétablir l'autre ? A quoi bon demander du pain, du poisson et des œufs à quelqu'un qui joue le rôle d'un père sans en avoir le cœur ni les entrail­les ? Les orphelins maltraités ont toute raison d'implorer assistance, à condition pourtant de s'adresser en bon lieu. Sinon, leurs doléances se retournent contre eux et leur déréliction est complète. On se souvint alors que le roi, avant son départ, avait annoncé d'étranges catastrophes, des misères sans nom qui précéderaient son retour. « Quand je reviendrai, avait-il dit, trouverai-je encore la fidélité dans le royaume ? » il avait également prédit : « On vous dira que le roi est là, n'y allez pas ; ou qu'il est ici, ne le croyez pas. » Et ce temps était arrivé. Le roi n'était nulle part dans son royaume, n'étant même plus présent à l'esprit de ses représentants attitrés ; et la fidélité était trahie dans les lieux mêmes où elle avait été le plus exemplaire. On le comprenait maintenant : c'étaient là les signes que le retour du roi était proche. Son image oubliée et jusqu'au souvenir de son règne s'étaient comme effacés de la terre et ne survivaient plus que dans la nuit des der­nières âmes fidèles. 118:175 Et voici que ces âmes abandonnées reconnurent, dans le désespoir même où les plongeait une si totale absence du roi, le fondement d'une espérance nouvelle et d'une certitude invincible : le roi allait enfin redescendre de la montagne. Vers lui seul dès ce moment, sans plus rien attendre des hommes, elles élevèrent leurs yeux, leurs voix et leur prière : Hâtez-vous, Seigneur ! Alexis Curvers. #### Post-scriptum. *Cher Monsieur Kéraly,* *Si j'ai tant tardé à répondre à votre enquête, ce n'est pas faute de m'y être beaucoup efforcé. Je ne sais quelle difficulté m'arrêtait : la crainte peut-être d'en dire trop, peut-être de n'en pas dire assez, et de dire mal dans tous les cas ce que pourtant je pense avec énergie. Finalement, je n'ai réussi qu'à tout résumer, pour ne pas dire à tout délayer, dans cette es­pèce d'apologue fort médiocre. Je ne vous l'envoie qu'en signe de bonne volonté.* *Non seulement médiocre, mais désormais superflu. Car je viens de lire dans le dernier numéro d'*ITINÉRAIRES (*mai 1973*) *la réponse de Mme Élisabeth Gerstner : elle a dit avant moi et mieux que moi, avec plus de force et en moins de mots, préci­sément ce que je voulais dire. Et même il me suffirait de me déclarer pleinement d'accord avec Marcel De Corte quand il écrit au début de sa réponse :* « *Il n'est pas une seule phrase, un seul mot de la* LETTRE A PAUL VI *que je ne contresignerais. *» *Comment d'ailleurs ne pas contresigner ? La preuve que la* LETTRE *de Madiran est indiscutable, c'est que personne ne la discute. Louis Salleron m'a stupéfait en écrivant qu'elle* « *au­rait dû présenter davantage de marques de déférence au Sou­verain Pontife *»*. J'inclinerais à penser qu'elle en présente en­core trop, vu l'état de choses que tout le monde voit et que Salleron lui-même dépeint.* *Mme Gerstner cite un mot de Pascal. En voici un autre qui tranche le débat :* 119:175 « *Le silence est la plus grande persécution : jamais les saints ne se sont tus. Il est vrai qu'il faut vocation, mais ce n'est pas des arrêts du Conseil qu'il faut apprendre si l'on est appelé, c'est de la nécessité de parler.* « *Or, après que Rome a parlé, et qu'on pense qu'il a con­damné la vérité,* (*...*) *il faut crier d'autant plus haut qu'on est censuré plus injustement,* (*...*) *jusqu'à ce qu'il vienne un pape qui écoute les deux parties, et qui consulte l'antiquité pour faire justice.* « *L'Inquisition et la Société, les deux fléaux de la vérité.* « *Si mes lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y con­damne est condamné dans le ciel :* Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello. » *Quand il y a* nécessité de parler *et de* crier d'autant plus haut, *il ne faut donc certainement pas multiplier les marques d'une déférence qui n'a que trop longtemps flatté l'abus de pouvoir en étouffant le cri de la vérité impunément persécutée, intimidée et condamnée.* *Le savant chanoine Tonnellier a patiemment relevé les inscriptions gravées par des Templiers sur les murs de la forteresse de Domme en Dordogne* on *ils moururent prisonniers. Il y voit la preuve que ceux-ci étaient de bons chrétiens, sûrs de leur innocence. Leurs graffiti ne sont que des actes de foi, des prières, des hommages au Christ en croix et à la Vierge Marie. Le seul reproche qui s'échappe de leur cœur s'adresse au roi qui les opprime et au pape qui les a, fût-ce à regret, lâ­chement trahis. Et ce qu'ils reprochent à ce pape n'est pas de les avoir abandonnés à un sort injuste et cruel, c'est uniquement d'avoir détruit leur Ordre, sans aucune raison doctrinale.* CLEMENS, DESTRUCTOR TEMPLI : *ces mots se répètent indéfiniment sur les pierres de Domme. Je crains que les historiens de l'ave­nir n'aient à donner le même surnom, pris dans un sens plus général et beaucoup plus grave, à celui des successeurs de Clément V que nous voyons agir à son tour en* Destructeur du Temple, *d'un Temple qui cette fois est l'Église tout entière jusque dans ses fondements.* A. C. 120:175 ### Réponse du P. Maurice Avril Pendant près de deux mois, je viens d'être très grave­ment malade : épuisement total, avec deux rechutes chaque fois plus graves parce que je m'étais remis trop vite au travail. J'ai dû consentir à me reposer, et je suis non seulement hors de danger, mais remis. Tout travail im­portant m'est cependant toujours interdit, ce qui m'em­pêche de développer mon sentiment sur votre LETTRE A PAUL VI. Je me contenterai de ce petit mot. J'y tiens, c'est un devoir : ce que Notre-Seigneur nous a dit dans le secret, il faut le répéter sur les toits. J'y tiens, le silence serait une lâcheté et une trahison. J'y tiens, il s'agit de l'honneur de Dieu, de Jésus, notre Sauveur, Dieu lui-même, dont le sacrifice rédempteur se renouvelle réellement chaque jour sur l'autel. J'y tiens beaucoup, je veux, moi aussi, ne manquer aucune occasion de proclamer ma fidélité, humble, mais inébranlable, Dieu aidant, à la Sainte Messe traditionnelle. Voilà une douzaine de jours, au seuil de la mort, j'avais dicté mon testament dont voici la dernière phrase : « Je souhaite et j'ordonne avec la dernière vigueur que notre Chapelle de Notre-Dame de Salérans demeure un bastion de fidélité à la Sainte Messe traditionnelle, dans l'unité romaine. » Je proteste être acheté par qui ou quoi que ce soit, manifeste être racheté par le sang de notre Sauveur. J'ai charge de ce sang comme mon Sauveur a charge de mes péchés. C'est donc un devoir essentiel et pressant de proclamer devant l'autorité suprême que personne, rigoureusement personne, fût-ce elle-même, n'a le droit de tripoter le sang divin, de dépecer le Corps du Christ, d'en truquer un puzzle adapté, et encore et toujours adaptable, d'en inonder le marché d'échantillons falsifiés, dans le but de plaire à des falsifiés dont les échantillons inondent le monde, et enfin d'obliger tant de ministres confiants à falsifier ce sang, et, par là, bien vite leur foi. 121:175 J'y tiens, oui, j'y tiens beaucoup, car je veux posséder ma provision d'huile quand viendra le Seigneur : non au bout de la nuit, mais au milieu de la nuit, ce qui ne sau­rait donc tarder. Je tiens à pénétrer avec l'époux, je tiens, pour le banquet, à ma robe nuptiale, tissée au fil des siècles par la Tradition. Le reste pourrait-il compter : fin de non-recevoir, sarcasmes, contradictions, dérélictions ! Ce ne sont là que récompenses et joies sur la voie royale de la Croix. C'est pourquoi je signe et contresigne avec force et conviction, et en présence de Jésus et de Marie, tous et chacun des termes de votre LETTRE A PAUL VI. J'y ajoute mes encouragements robustes et mes sentiments d'amitié. 2 juin 1973 Maurice Avril, prêtre 122:175 ### Réponse de Georges Laffly LE SIÈCLE s'est donné une religion en canalisant la piété naturelle vers le culte des morts. La mode et la poli­tique déterminent le choix des Héros : Gandhi (la non-violence), Martin Luther King (la libération des Noirs américains), Kennedy (le progrès), Che Guevara (la révo­lution). Il existe aussi des héros locaux : de Gaulle, Nasser. Il est étonnant de voir l'Église impressionnée par ce courant : elle parle de plus en plus de l'homme Jésus (en colorant comme il convient : non pas le descendant d'une lignée royale, mais l'enfant élevé par un charpentier dans un pays occupé), beaucoup plus que de la deuxième Per­sonne de la Trinité. Certes, on ne nie rien, mais on dis­pose un éclairage. Ainsi la religion du Dieu fait homme verse dans le culte d'un homme-Héros (la suppression du mot *consubstantiel,* dans le *Credo,* fut un signe). Évidemment, je parle de l'Église bavardante, qu'on en­tend partout, qui escamote sans nier, qui nie sans renier et renie en se donnant l'air de la fidélité. Et comme ils sont à peine contredits et jamais condamnés, comment ne croi­rait-on pas qu'ils sont l'Église elle-même ? Un exemple. Le dominicain Chenu accorde un entretien à un hebdo­madaire. Il affirme : « Tout le vieux vocabulaire des théo­logiens, nous ne disons pas qu'il est faux, mais qu'il n'a plus de sens. Au point que certains linguistes jugent qu'il est devenu impossible de trouver un sens fixe à un quel­conque vocable religieux, ce qui est un vrai problème en théologie. » -- Un problème ? On trouverait plutôt qu'il y a là une situation extrêmement confortable pour un théologien de l'espèce Chenu. S'il n'y a pas de sens fixe au vocabulaire religieux, on peut faire n'importe quoi de la Révélation. Avec la caution scientifique (caution suprême) de « certains linguistes ». 123:175 Appollinaire parlait déjà d'un poète qui n'employait le mot *archipel* que dans le sens de *papier-buvard.* Mais le salut des hommes n'était pas en jeu. Dans le même entretien nous avons, après la théorie, la pratique. Le ciel, l'enfer ? « Ce n'était pas une blague, c'était un procédé d'expression mythique d'époque qui correspondait à une réalité toujours vraie. » Le péché originel ? « Là aussi, toute l'histoire est poétiquement très belle... Mais c'est totalement de l'imagination ! Et c'est liquidé depuis déjà assez longtemps. Seulement des gens y croient encore. » Les gens. Les petits gens. Les enfants. Les charbon­niers (la foi du charbonnier). Pas les savants comme Chenu, qui savent ce qui est liquidé depuis assez longtemps. Mais regardons-nous. Nous avons cru, sans doute, mais sans doute aussi nous n'avons pas eu assez de foi. Nous n'étions pas assez vigilants. Pas assez nombreux. Nous avons habité un palais, et nous le laissions ruiner, en mauvais serviteurs. Je pense que nous devons être un cer­tain nombre à mériter ce reproche. Maintenant nous es­sayons de mieux prier, d'approfondir notre foi, de nous y engager plus, mais notre faute reste. Car le vieux mot reste vrai, sur le clergé qui est saint, ou pieux, ou honnête, et fait le peuple pieux, honnête et impie. Mais à l'inverse, il est vrai aussi que le peuple a un devoir envers ses prêtres, qu'il doit les aider, les pro­téger, j'oserai le mot. Nous y avons failli. Au point où nous sommes aujourd'hui, comment éviter l'idée d'une Église nouvelle, à contenu variable. Église qui se sentirait moins l'institution créée pour communi­quer et répandre le Christ qu'une « structure d'accueil » fonctionnant pour elle-même, en quelque sorte, et où l'image du Christ serait de plus en plus vague et confuse. Non plus le point fixe d'où rayonne la Vérité, mais un miroir qui reflète d'incertaines et tremblantes et passagères lueurs. L'essentiel étant de garder une population, de la garder sous la main, d'en disposer. Une catholique malheu­reuse me disait : « Les prêtres ne pensent qu'au pouvoir et à l'argent. » Si le mot paraît excessif, c'est que, derrière les adap­tations et les ouvertures, derrière le souci de ne pas heur­ter les opinions et goûts dominants, on ne sait pas voir, au lieu de la « compréhension » affichée, la passion de retenir une clientèle. C'est au moment où l'Église affirme son refus de la politique (au sens de soutien ou d'alliance avec la société organisée) qu'elle révèle une préoccupation uniquement politique : celle de garder de l'influence et si possible de l'étendre. Elle rêve de gros bataillons. Pour aire quoi ? Simplement pour assurer son expansion. 124:175 Un fabricant de caramels, s'il s'aperçoit que la clien­tèle préfère les berlingots, fabriquera aussi des berlingots. L'important pour lui, c'est qu'à chaque bilan le chiffre d'affaires soit en hausse. Dans le cas de l'Église il ne s'agit pas de résultats financiers (secondaires) mais de pouvoir, de poids dans les affaires temporelles. Et ceux qui lui demandent de rester fidèle à sa seule finalité : trans­mettre la Révélation, restent sans réponse. C'est qu'elle estime qu'ils sont moins nombreux que ceux qu'elle désire attirer. A tout prix. Calcul affreux, et bête. Bête parce que d'autres corps (les partis) sont mieux armés pour séduire l'opinion. Les retournements, les incohérences leur sont beaucoup plus faciles. Ils n'ont pas dans leurs bagages le poids si gênant, si lourd à porter d'une Vérité présente malgré tout ce qu'on fait pour la cacher. Calcul qui est bête, également, parce qu'il n'a pas de­viné cet appétit de foi, cet appétit de Dieu qui perce un peu partout. Et il perce de façon extravagante ou quel­quefois insane, mais à qui la faute ? Reste qu'il est cons­taté par les esprits les plus divers, et quelquefois les plus hosties. Ces calculs, nous savons bien qu'ils sont le fait de la part humaine, pécheresse, de l'Église. C'est une très vieille dame, qui s'embrouille dans ses plans, qui s'obstine, et rate toujours son train, après avoir claironné qu'elle était à l'heure et même en avance. S'il n'y avait qu'elle, on pourrait annoncer la fin du christianisme, comme ne se privent pas de le faire beaucoup de ces esprits « évo­lués » qu'il s'agissait de conquérir. Mais il y a la part éternellement jeune, parce que divine, de l'Église, celle qui est inaccessible aux calculs et aux faiblesses. C'est à elle que s'adresse en fait la requête de Madiran. Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe. Les trois demandes sont nécessaires, mais suffisent à tout, per­mettant d'exclure toute dérive, toute trahison, reniant l'Église à sa mission propre, à la vérité invariable. Et si cette requête restait sans réponse ? L'épreuve la plus dure nous attend peut-être. Elle paraît même pro­bable. Mais si nous avons pu être légers, parfois, nous ne sommes pas des tièdes. Nous savons dire non. Georges Laffly. 125:175 ### Réponse de J. Trémolet de Villers *La seule démarche possible* Sur un point d'ordre secondaire, les rapports de l'Église avec les Juifs, une contradiction a éclaté, à la fin du mois d'avril, entre l'épiscopat français et le Saint-Siège. Précisons, entre la salle de presse du Vatican et le comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme. « Qui parle ? demande, inquiet, ce journaliste, et au nom de quoi ? Qui croire et pour combien de temps ? Ces questions, qu'un catholique ne se serait jamais posées, sont chaque jour, dans l'Église, un peu plus d'actualité. » L'Esprit Saint aidant, le fidèle dérouté pousse plus avant ses investigations et fait des découvertes. « On a beau tordre les phrases, nuancer, commenter, force est de re­connaître une évidence : l'application à la France d'une encyclique « Humanae Vitae », il y a cinq ans, ou d'une déclaration conciliaire comme celle sur le judaïsme, il y a dix jours, est plus qu'une simple adaptation : en adap­tant un texte, les évêques sont conduits à le dépasser, et sinon à le contredire, du moins à le modifier. » Et il reprend « Qui croire » ? Rome (comme les am­bassadeurs d'Égypte ou du Liban auprès du Saint-Siège) ou Paris (comme le Grand Rabbin de France) ? Et quelle est l'autorité, en France même, du texte. parisien ? Car l'affaire se complique encore quand le Cardinal Marty es­time nécessaire de rappeler que le document du 16 avril n'a pas été publié par l'épiscopat français mais par le comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme. 126:175 Sans ménagement, Robert Solé recherche quel est donc le responsable. Il trouve un comité. « Comité dont un pra­tiquant régulier ignorait probablement l'existence jusqu'à présent. Et que beaucoup de prêtres seraient bien en peine de définir, ne sachant pas, par exemple, ce qui distingue un comité d'une commission. On peut les ex­cuser et les rassurer : l'organigramme de l'Église de France est d'une telle complexité, les frontières entre pouvoirs exécutifs et législatifs tellement embrouillées, qu'aucun service officiel ne l'a encore publié. » Solé, quant à lui, en publie une esquisse, contrairement à ce qu'il dit, peu rassurante, mais effectivement très complexe. On y constate, sans discussion possible, que ce qui était naguère une hiérarchie n'est plus qu'un organi­gramme. « La conférence épiscopale, ajoute-t-il, est du reste, toujours régie par des statuts provisoires, établis en 1966, qui ne correspondent pas toujours à la manière dont elle fonctionne en réalité. » En bref, nous nageons dans l'illégalité. Et dans l'irres­ponsabilité. Le second sous-titre de l'article, introduisant à l'analyse du mécanisme de ces comités est ainsi libellé « Tous les évêques n'avaient pas lu le texte. » Et voici le mécanisme : « Les « orientations pasto­rales » publiées le 16 avril l'ont été sous la seule respon­sabilité des six évêques cités. Théoriquement du moins, car la conférence épiscopale française ne peut que se sentir solidaire d'un texte publié par six de ses membres. Mais tous les évêques de France -- ils sont cent quarante -- n'avaient pas eu connaissance du document avant sa pu­blication. Le Conseil permanent lui-même, qui est le principal organe exécutif, n'avait pas été consulté. En revanche, le texte avait été lu, et même annoté, par le Cardinal Marty, Président de la Conférence épiscopale. Son approbation n'était cependant pas exigée. Théoriquement là aussi, car il est évident qu'un texte de cette importance, préparé de­puis deux ans, pouvait difficilement être publié sans l'ac­cord de l'archevêque de Paris. » En somme, un texte rédigé par des inconnus, annoté par le seul évêque qui n'avait pas à lui donner son appro­bation et présenté au nom de ceux qui auraient dû l'écrire mais ne l'avaient en fait jamais vu. On pense à la réflexion que met dans la bouche de Robespierre Jean Anouilh, lors­que Saint-Just a terminé sa description des rouages du gouvernement de Salut Public : « Mais qui sera respon­sable ? » et à la réponse, superbe, de Saint-Just « Personne, la machine seule... » La machine sociale, eût dit Augustin Cochin, a pénétré la hiérarchie ecclésiastique, organisant dans l'Église l'oc­cupation des ennemis de Dieu, parmi l'évanouissement des responsabilités personnelles. 127:175 Il était bon que la confirmation nous en vînt d'un chro­niqueur du *Monde.* La signification symbolique de la lettre adressée par Jean Madiran à Paul VI en est extraordinai­rement soulignée. Car la même incertitude flotte, infiniment plus dou­loureuse, sur les besoins fondamentaux, vitaux, du fidèle : le Catéchisme, l'Écriture Sainte, la Messe. Là aussi, règne le désordre, la contradiction, l'imprécision, les divisions. Qui a autorisé ? et sur l'ordre de qui ? et qui com­mande quoi ? Le pratiquant régulier, comme dit Solé, et même l'au­tre, le moins régulier, sont incapables de remonter le laby­rinthe des commissions et de distinguer l'ordre légitime de la pression des hiérarchies parallèles. Habitué à obéir, il veut bien persévérer dans son obéissance, et il suit, mais qui ? Il est prêt à se réformer, mais selon quoi ? On le voit, plus désemparé chaque dimanche, même plus étonné, résigné, et pour tout dire, absent, de plus en plus. Absent physiquement, ou moralement. Vidé. Et quand il rentre en lui-même, quand il ne cherche plus à dissimuler sa déroute et qu'il veut en connaître les raisons, il est bien obligé de s'en tenir aux évidences, aux constatations premières, aux faits : -- La Messe, la Messe de toujours, qu'il connaissait et respectait, qu'il aimait et comprenait, cette messe a disparu. -- Le Catéchisme, le Catéchisme de toujours, qu'il avait appris et voulait apprendre à ses enfants, ou qu'il désirait faire apprendre à ses enfants par les prêtres qui le lui avaient appris, ce Catéchisme a disparu. -- L'Écriture Sainte, dont il entendait la lecture cha­que dimanche, et qu'il lisait parfois dans son Missel, n'a plus les mêmes formulations. Il ne la reconnaît plus. Et si, dans un souci bien rare, il recherche les auteurs de ces disparitions, comme dans une vulgaire adminis­tration de prestations sociales, il est renvoyé de bureaux en conférences et de comités en commissions, d'un guichet à l'autre. Alors, par-delà les collégialités enchevêtrées et les con­seils solidaires, il ne lui reste plus qu'à s'adresser à la seule autorité dont il soit certain, par l'ordre de Dieu et par la nécessité de la nature, qu'elle est unique, personnelle, et solidaire seulement des autorités personnelles qui l'ont précédées : l'autorité du successeur de Pierre. 128:175 En réclamant le pain de chaque jour, le Catéchisme, l'Écriture et la Messe, à Paul VI, Jean Madiran effectue la seule démarche qui soit conforme au bon sens et à l'ordre de l'Église. Et c'est la démarche vraiment du fidèle ordinaire, du simple paroissien. Bien sûr, ceux qui se tiennent au courant, ceux qui suivent de près la marche des choses ecclésiastiques, pou­vaient s'apercevoir, depuis longtemps, que le mal mena­çait. Ils l'avaient annoncé et Madiran, le philosophe, le théologien, avait démontré depuis quelques années déjà qu'en s'écartant du droit naturel, qu'en niant la doctrine sociale de l'Église, les clercs en seraient conduits à rejeter le dépôt de la Foi. Mais dans cette LETTRE A PAUL VI, le signataire n'est plus l'intellectuel qui voit loin, le publiciste qui dénonce, le polémiste qui sait avoir la dent dure. Il n'est même plus l'avocat des orphelins de l'Église. Il est l'un d'entre eux. Sa voix est celle du laïcat catholique tout entier. Sa de­mande est la demande du laïcat catholique de tous les temps. Il n'y a plus que le ton, et l'accent, qui demeurent personnels. C'est la supplique constante, en temps de paix comme en temps de trouble, du peuple de Dieu vers son Chef, « donnez-nous les aliments nécessaires à notre salut ». Et c'est pourquoi, avec un autre ton, moins net, avec un autre accent, plus neutre, le chroniqueur du *Monde* fait entendre la même plainte que le Directeur d'ITINÉ­RAIRES. Il se fait l'écho du même désarroi : « Mais com­ment expliquer à un public qui ignore tout -- ou presque -- du fonctionnement de l'Église que ce comité épiscopal n'est pas synonyme d'épiscopat ? Ce genre de distinction ne convient guère et n'intéresse pas un public qui -- à tort ou à raison -- attend de l'Église, sur tous les sujets, une position claire et unique « formulée au sommet ». La lumière est venue à Solé par les Juifs. Tout est grâce. Il n'est pas exagéré d'ajouter que la démarche de Jean Madiran envers le Saint-Père, voix du peuple qui crie, est, plus encore, dans le droit fil de l'Esprit qui nous ap­prend à demander ses Dons. Vox populi, vox Dei. En attendant les réponses, en acte ou en parole, du Vicaire de Jésus-Christ, que les petits-enfants continuent de demander au Seigneur, dans leurs prières, que leur soient donnés, comme le pain de chaque jour, l'Écriture, le Catéchisme et la Messe dont furent nourris leurs pa­rents, et dont personne n'a le droit de les priver. Jacques Trémolet de Villers. 129:175 ### Réponse d'Henri Rambaud MA RÉPONSE à votre enquête pourrait tenir en deux lignes : tant sur le fond que sur le détail des termes, accord complet avec la lettre de Jean Madiran au Saint-Père comme avec les explications qu'il y a jointes. Cependant, puisque vous posez trois questions -- sur l'objet de cette réclamation, sur son destinataire, sur son importance primordiale, -- je traiterai distinctement cha­cun de ces points. #### I Madiran réclame que nous soient rendus l'Écriture, le catéchisme et la messe. Il a raison sur toute la ligne parce qu'Écriture, catéchisme et messe, nos évêques sont en train de nous les enlever en les altérant substantielle­ment. 1\. -- Pour ce qui est de l'Écriture, les deux falsifica­tions dénoncées plus particulièrement par Madiran -- *Phil.,* 11, 6 et 1 *Thess.,* IV, 3-4 -- sont indéniables et ne sont pas vénielles. Inutile de refaire la démonstration : il est patent que l'une et l'autre offensent directement notre foi. Ces falsifications ne sont naturellement pas les seules. J'ai déjà relevé ([^55]) la traduction d'*Ave, gratia plena* (en grec : *Khaire, kekharitômenê*) par « Réjouis-toi, favorisée de Dieu ». traduction dont les derniers mots viennent tout droit de *l'Authorized Version :* « *Hail, thou that art highly favoured. *» 130:175 La filiation est intéressante par la préoccu­pation œcuménique dont elle témoigne : pour donner sa­tisfaction aux protestants, à l'affirmation de la plénitude de grâce de Marie est substituée une expression qui n'af­firme plus cette plénitude. Et si l'on se reporte à l'évangile du 8 décembre, l'intention paraît plus nettement encore : s'arrêtant avec la salutation de l'ange, correctement tra­duite, l'ancien mettait en pleine lumière le privilège d'avoir été préservée de la tache originelle ; le nouveau donne tout le récit de l'Annonciation, comme si nous fêtions ce jour-là la maternité de Marie, et dans l'éblouissement de cet autre mystère, sa conception immaculée cesse d'être perceptible : la « faveur » qui lui a été faite n'est plus que d'avoir été choisie pour être la mère du Sauveur. Ailleurs, la trahison procède par la suppression de l'essentiel : le *Fonds obligatoire* passera immédiatement de la mort sur la croix aux pèlerins d'Emmaüs, omettant ainsi le tombeau vide ([^56]), attesté par les quatre évangé­listes. « On a choisi un épisode plutôt qu'un autre », me répondit un curé. La réponse se comprendrait s'il s'agis­sait de telle ou telle des guérisons miraculeuses relatées dans l'Évangile. Elle est effrontée s'agissant du miracle sur lequel repose fondamentalement notre foi. Supprimez-le et tout s'écroule : les auteurs du *Fonds obligatoire* l'ont supprimé. Le principe de la falsification n'est pas ici l'esprit d'œcuménisme. Dans ce second cas, comme dans un certain nombre d'autres, ce qu'il faut mettre en cause est propre­ment le modernisme, c'est-à-dire la volonté de vider la foi catholique, toujours professée, de ce que ne peut accepter le rationalisme. Plus de miracles, par conséquent, la science moderne n'admettant que des causalités natu­relles : la résurrection de Lazare ne sera qu'une « réa­nimation » comme si le frère de Marthe et de Marie était simplement tombé en catalepsie ([^57]). Je n'invente rien. L'intention est ouvertement déclarée par *Marche en ma présence, orientations pour le caté­chiste,* p. 5 : Nous voulons que cette expérience de la foi, l'enfant n'ait aucun motif de la renier plus tard. 131:175 *On courrait ce risque si on lui présentait un chris­tianisme incompatible avec les exigences légitimes de l'homme actuel, notamment dans l'ordre de la connaissance.* C'est pour cela que nous soignons beaucoup la présentation des récits bibliques, et surtout des récits évangéliques. Autrement dit : pour que l'adulte ne risque pas de perdre la foi, nous veillons soigneusement à ne pas la donner à l'enfant. Œcuménisme et modernisme sont ainsi les deux ins­pirations fondamentales de la religion que l'on prétend nous imposer. Nous les retrouvons partout. 2\. -- Je ne suis renseigné qu'indirectement sur la façon dont est aujourd'hui dispensé l'enseignement religieux. Certains des rapports qui m'ont été faits sont eff­rayants et je n'ai aucune raison de les suspecter ; mais on pourrait dire qu'il s'agit de cas particuliers. Je m'en tiendrai aux deux volumes que j'ai sous les yeux : *Vous serez mon peuple,* cours moyen 2^e^ année (classe de 7^e^), livre de l'enfant ; *Marche en ma présence,* cours moyen 1^e^ année (classe de 8^e^), *orientations pour le catéchiste :* l'un et l'autre établis par la Diffusion catéchistique de Lyon ([^58]) et munis du *nihil obstat* d'A. Gand, évêque de Lille, président de la Commission épiscopale de l'Ensei­gnement religieux, et de *l'imprimatur* de J. Basseville, vic. ép. ([^59]), avec cette particularité curieuse que, dans les deux cas, la date de *l'imprimatur* (17 décembre 1967) est antérieure à celle du *nihil obstat* (2 mai 1968). Beaucoup d'images dans le livre de l'enfant : nous ne sommes pas pour rien à l'âge de l'audiovisuel, c'est-à-dire de l'infantilisme, il faut que les yeux soient contents. L'intelligence est moins bien partagée, comme si le gar­çon ou la fille d'une dizaine d'années était incapable de pensée. 132:175 Tout exposé doctrinal est banni : plus d'ex­plication du *Credo,* des commandements de Dieu et de l'Église, du *Pater* ni de *l'Ave,* et sur les moyens de sanc­tification, rien que des indications fugitives, laissant les notions les plus essentielles imprécisées. J'ai feuilleté *Vous serez mon peuple* sans y rencontrer le terme de sacrement. Madiran a raison : le petit baptisé restera privé des connaissances nécessaires au salut. Le point capital est que cette exclusion de tout exposé suivi des vérités de la foi n'est pas seulement métho­dique, mais systématique. Le livre du maître l'explique très bien : le but visé n'est pas d'apprendre à l'enfant la doctrine chrétienne, il est que l'enseignement du chris­tianisme soit « une découverte et non pas un emmagasi­nement de connaissances dont on ferait provision pen­dant l'enfance, à toutes fins utiles ! » ([^60]). Modernisme encore, par la conjugaison de l'agnosticisme et de l'im­manentisme : en matière de religion, point de vérité que l'intelligence puisse atteindre et formuler, ni non plus de révélation qui nous ait été apportée par message et que nous ayons à recevoir docilement : la source de la vraie révélation est en nous, seule compte notre expérience intime. Mieux : le catéchiste est positivement incité à prendre des positions contraires à la doctrine chrétienne la plus assurée. Deux exemples seulement. Parmi les « mau­vaises habitudes auxquelles a souvent succombé la caté­chèse » : *a*) « Présenter le PÉCHÉ ORIGINEL comme une *catas­trophe spirituelle* par laquelle on prétend expliquer ce qu'il y a de misère dans la condition humaine, et non pas comme l'envers ténébreux de la glorieuse révélation du salut opéré par Jésus *en faveur de tous. *» ([^61]) La pré­sentation jugée « mauvaise » est celle-là même du Concile de Trente : *Si quis Adae praevaricationem sibi soli et non ejus propagini asserit nocuisse, acceptam a Deo sanc­titatem et justitiam, quam perdidit, sibi soli et non nobis etiam eum perdidisse, aut inquinatum illum per inoboe­dientiae peccatum mortem et poenas corporis tantum in omne genus humanum transfudisse, non autem et pec­catum, quod est mors animae, anathema sit.* Même note dans le *Fonds obligatoire.* On fera décou­vrir à l'enfant que « dans le monde entier le péché exis­te », puis par la connaissance du Nouveau et l'Ancien Testament « qu'autrefois déjà les hommes étaient pé­cheurs ; on en viendra alors à dire que, dès l'origine de l'humanité, dès le premier homme, le péché était présent dans le monde » ([^62]). 133:175 Dès l'origine de l'humanité ? Non pas. Il est défini par le Concile de Trente qu'Adam fut créé dans un état de sainteté et de justice et que c'est du fait de son péché qu'ont été transmis à tout le genre humain le péché et par le péché la mort. Avec la nouvelle catéchèse, le péché originel n'est plus que la constatation que tous les nommes sont pécheurs, ce qui revient à le nier en lui refusant d'être à l'origine de nos misères morales et physiques. *b*) Autre exemple de présentation jugée « mauvaise » : « Présenter le CHRIST comme un *être divin* qui n'a d'hu­main que l'apparence et dont le rôle est essentiellement d'apaiser le courroux d'un Dieu vengeur en versant son sang sur la Croix, et non pas celui en qui s'origine et s'accomplit la vocation à la vie filiale, pour laquelle nous sommes créés. » ([^63]) On admirera l'astuce. Il est très vrai qu'il ne faut pas « présenter le Christ comme un être divin qui n'a d'humain que l'apparence », il faut le dire tout ensemble vrai Dieu et vrai homme ; mais si l'on peut accorder que ce docétisme existe parfois dans l'ima­gination des simples, l'imputer à l'enseignement tradi­tionnel est calomnie et ce n'est pas erreur moins mortelle au christianisme que de dire Jésus-Christ vraiment hom­me sans dire en même temps que cet homme est la Seconde Personne de la Trinité. J'ai vainement cherché cette affirmation dans la *Note doctrinale* ([^64]) de *Marche en ma présence* sur le mystère de l'Incarnation. J'ai cependant trouvé dans l'*Introduction* de l'ouvrage -- car il faut être honnête -- une ligne sur « le mystère de Jésus, vrai Dieu et vrai homme » ([^65]) et quelques pages plus loin qu'à Noël « par amour, Dieu lui-même devient un homme, pour que les hommes soient divinisés » ([^66]), ce qui donne à penser que le rédacteur du passage ne doit pas être un si jeune prêtre qu'il n'ait gardé quelque souvenir de l'offertoire de ses messes d'avant le déluge liturgique ([^67]). 134:175 Ou les auteurs de *Marche en ma présence* m'opposeront-ils qu'ils appellent constamment Jésus « le Fils de Dieu », plus d'une fois aussi « le Fils de Dieu fait homme » ? Sans doute. Mais saint Pie X en avertissait déjà, c'est le propre des modernistes d'allier des formules très au­thentiquement catholiques à des explications qui les vident de leur sens. Je copie quelques paragraphes de cette *Note doctrinale* sur l'Incarnation : Certes, Jésus a manifesté pendant sa vie en Pa­lestine des *dons* exceptionnels : lucidité, pénétra­tion spirituelle, don de guérir, don de domination de la nature... Mais ses dons ne le mettent pas à part de notre condition. Ces dons posent question, et ont une signification pour nous, justement parce qu'ils appartiennent à quelqu'un *qui est vraiment un homme comme nous.* Il ne faut pas se construire pour soi-même, et encore moins présenter aux enfants dans la caté­chèse, une « image » de Jésus qui serait tout entière centrée sur ces dons exceptionnels, ce qui ferait douter de l'authenticité de sa condition humaine. Il faut au contraire mettre au premier plan *la vérité de sa condition humaine,* la même que la nôtre, et à partir de là montrer la signification de ces dons exceptionnels dont témoignent les évan­giles. Même le témoignage des évangiles sur le Christ rappelant à la vie des hommes déjà saisis par la mort ne suffit pas à mettre à part de notre condition celui dont les apôtres témoignent qu'il est « né d'une femme », et qu'il a passé par les affres de la mort. Jésus n'est pas un « surhomme », il est un homme comme nous : c'est là le témoignage fonda­mental des apôtres. \[...\] A mesure que Jésus a pris conscience de lui-même (et il a dû le faire progressivement, à la manière dont un enfant prend conscience de son identité personnelle), il a pris conscience de lui-même comme Fils unique et bien-aimé du Père, com­me Fils de Dieu fait homme. \[...\] Il faut nous garder de séparer en Jésus la nature humaine et la nature divine. Il est dangereux par exemple de distinguer ce que Jésus ferait *en tant qu'homme* (naître, mourir, manger, se fatiguer, etc.), et ce qu'il ferait *en tant que Dieu* (guérir les malades, rappeler les morts à la vie, parler merveil­leusement de son Père, ressusciter le troisième jour). Le caractère propre de notre foi en l'Incarnation, c'est justement de croire que *tout ce que Jésus fait, il le fait et en tant qu'homme et en tant que Dieu.* 135:175 C'est le Fils de Dieu qui naît et qui meurt, et qui, au jardin des oliviers, côtoie le vertige d'une con­tradiction entre sa volonté et celle du Père. C'est l'homme Jésus qui guérit les malades, connaît les secrets du Père et les révèle aux hommes, et ressuscite « le troisième jour ». Tout ce que Jésus fait, tout ce qu'il dit, nous reconnaissons dans la foi que c'est l'œuvre du Fils de Dieu lui-même fait homme pour notre salut ([^68]). Dira-t-on que refuser de « séparer en Jésus la nature humaine et la nature divine » est par là-même lui recon­naître l'une et l'autre ? C'est indéniablement ce que l'au­teur veut faire penser, mais il n'aura pour l'en croire que les têtes de peu de réflexion. Car s'il est très vrai qu'indis­solublement unies dans la personne unique du Verbe in­carné, la nature humaine et la nature divine de Jésus furent inséparables dès l'instant de sa conception et le resteront à jamais, il ne l'est pas qu'il n'y ait à distinguer leurs opérations, quand c'est précisément de la nécessité de cette distinction que se déduit la duplicité des natures. Le *Sitio* du Golgotha ne peut pas avoir été proféré par Jésus en tant que Dieu : Dieu ne saurait avoir soif. In­versement, la parole d'abîme : « Avant qu'Abraham fut, Je Suis » ne peut pas avoir été proférée par Jésus en tant qu'homme, et les juifs surent bien le lui dire : « Tu n'as pas cinquante ans et tu as vu Abraham ? » ([^69]) Supprimez au contraire cette distinction, dites que tout ce que Jésus dit et fait, il le dit et fait indistinctement en tant qu'homme et en tant que Dieu, et la conclusion qui s'impose est juste l'opposée : tout ce que dit et fait Jésus vient alors du même fonds, autrement dit d'une seule nature, qui ne peut plus être que l'humaine. Et je ne relève que pour mémoire les autres offenses à notre foi, dont la première, en tout état de cause, est une ineptie : les miracles attri­bués à des « dons », certes « exceptionnels » (un peu), sans qu'il en faille conclure que Jésus, vraiment homme, par un autre aspect de sa personne cependant unique (c'est là le mystère) est plus qu'un homme ; Jésus prenant « progressivement conscience de son identité », c'est-à-dire se rendant compte peu à peu qu'il est Dieu ! Impossible d'hésiter : de toute certitude, le rédacteur de cette page ne veut pas apprendre aux enfants que Jésus-Christ est la Seconde Personne de la Trinité parce que lui-même ne le croit pas. Nous pouvons être tranquilles : faire dire à saint Paul que le Christ « n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu » n'était pas un accident de traduction. 136:175 Cependant Mgr Adrien Gand, toujours en 1973 évêque de Lille et président de la Commission épiscopale de l'En­seignement religieux, couvre de son autorité cette catéchèse manifestement hérétique ? Faut-il penser qu'il lui ait ac­cordé le *nihil obstat* les yeux fermés ? Ce serait beaucoup de légèreté. Ou qu'il n'ait pas compris qu'elle était typi­quement moderniste ? Ce serait bien peu d'intelligence. Je suppose plutôt qu'il a parfaitement vu que cette caté­chèse donnait aux dogmes « un sens différent de celui que l'Église leur donnait jusque là » et qu'il l'en a délibé­rément approuvée, se souciant comme d'une guigne d'avoir plusieurs fois juré sur l'Évangile qu'il rejetait absolument que les dogmes puissent « changer de sens » ([^70]). En quoi son cas n'est pas particulier : c'est celui de tous nos évê­ques, pour ne parler que d'eux. Car tous sans exception ayant reçu les ordres sacrés, puis été promus à de plus hautes fonctions avant qu'ait été abrogé le serment anti­moderniste, pas un d'entre eux qui ne l'ait prêté plusieurs fois au cours de sa carrière sacerdotale, et que ce soit apostasie, incurie, sottise ou lâcheté, c'est le violer de fait, sinon toujours d'intention, que de tolérer dans son dio­cèse qu'au lieu de nourrir les enfants du pain de la doc­trine chrétienne, l'enseignement religieux leur inocule le venin de l'hérésie. Mgr Gand va plus loin encore : en sa qualité de président de la Commission épiscopale de l'En­seignement religieux, il ne tolère pas, il demande, il impose cette perversion de la foi catholique, et, de ce chef, selon le *Motu proprio* de saint Pie X, en date du 1^er^ septembre 1910, si le Saint-Office existait encore, devrait être immé­diatement déféré à son tribunal. Je ne le dis pas pour l'inquiéter : avec Paul VI, il peut dormir sur ses deux oreilles. Je conclus que le second point de la réclamation de Madiran est aussi pleinement fondé que le premier. Il est urgent que d'authentique doctrine de l'Église reprenne la place usurpée par sa contrefaçon, et pour cela que le vrai catéchisme nous soit rendu. 3\. -- Madiran a pareillement raison sur le troisième point. Non que le Novus ordo Missae soit hérétique comme l'est la catéchèse actuellement en vigueur. Il n'est que sur le chemin de l'hérésie, sans y être encore parvenu, s'il est exactement observé ; mais tant s'en faut qu'il le soit toujours, et, par là, il conduit tout droit à une messe autre que la messe catholique ; qui parfois, déjà, ne l'est plus. 137:175 Car pourquoi cette messe nouvelle, que le Concile n'avait pas demandée, qui n'était souhaitée, autant dire, par per­sonne, s'il est à croire que Paul VI, homme des longs desseins, la méditait depuis des années ? Pour n'avoir pas été déclaré par un reste de pudeur, le but visé n'est pas au nombre des secrets impénétrables. Il n'était nullement de rendre plus belle et plus riche la célébration du saint sacrifice : simple boniment pour tranquilliser. Il s'agissait de faire une messe qui, sans offenser directement la doc­trine catholique, en voilât assez les arêtes pour être ac­ceptée par les protestants.. Preuve : que six d'entre eux aient été conviés à la confection du nouveau rite ; et sur­tout la première rédaction de l'article 7 de l'*Institutio generalis*, qui, taisant tout ensemble le sacrifice et la transsubstantiation, définissait la messe catholique comme la cène luthérienne. Devant le tollé général, il fallut bien faire machine arrière et substituer au texte primitif une rédaction cette fois conforme à la doctrine. Mais le rite lui-même n'a pas été retouché : l'intention qui l'avait inspiré a seulement disparu de l'*Institutio generalis*. C'est que l'une des grandes ambitions de Paul VI est de faire rentrer les protestants dans le sein de l'Église quel succès pour lui s'il y parvenait ! Mais c'est la voie qu'il a choisie qui est détestable. Il ne leur demande pas de se convertir, ce qui serait grand bonheur pour eux com­me pour l'Église : il cherche à leur faire assez de conces­sions pour qu'ils n'aient qu'à reconnaître l'autorité de Rome pour devenir catholiques sans cesser d'être protes­tants. Point d'erreurs qu'ils aient à abandonner, point de changement doctrinal qui leur soit demandé ([^71]) : l'union par le malentendu. De là cette messe « ambivalente », selon le mot définitif de l'abbé Dulac : calculée pour pou­voir être interprétée dans un sens catholique par les ca­tholiques, mais par les protestants dans un sens protestant, comme de fait il est advenu : Taizé l'accepte, le pasteur Roger Mehl aussi ([^72]). 138:175 Combien de temps faudra-t-il pour qu'à leur tour les catholiques interprètent cette messe équivoque dans le sens protestant ! C'est déjà fait, Madiran nous le montrait il y a trois mois, par les auteurs du *Nouveau Missel des dimanches :* dire, comme ils le font, qu'à la messe, il s'agit « simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli » est positivement contraire au troisième canon du Concile de Trente sur la messe : *Si quis dixerit Missae sacrificium tantum laudis et gratiarum actionis aut nudam commemorationem sacrificii in cruce peracti, non autem propitiatorium* \[*...*\] *anathema sit.* Il n'en résulte évidemment pas que les messes célébrées selon le rite nouveau soient de ce chef invalides : parce qu'il ne suffit pas que les fidèles aient entre les mains un missel indiscutablement hérétique pour qu'il soit assuré que le célébrant le soit aussi ; mais surtout parce que, le célébrant serait-il lui-même hérétique, cela n'empêche­rait pas que sa consécration ne soit valide, s'il a reçu le pouvoir de consacrer et qu'il ait l'intention de faire ce qu'a institué le Christ ou tout au moins ce que fait l'Église ([^73]), se tromperait-il sur ce point, par exemple en ne croyant pas à la transsubstantiation ([^74]). 139:175 Il n'en reste pas moins que les messes suivies dans le *Nouveau Missel des fidèles* ou simplement célébrées selon le rite nouveau, avec des sermons -- pardon, des homé­lies -- d'une pauvreté de doctrine fréquemment misérable, pour ne pas dire davantage, sont un péril pour la foi des fidèles. Péril qu'une solide instruction religieuse pourra sans doute conjurer, mais qui risque de conduire subrepti­cement à passer, sans s'en apercevoir, de la foi catholique à la foi protestante. Faut-il en conclure qu'à défaut de la messe dite de saint Pie V il faille s'interdire d'assister à la messe nou­velle ? Ce serait se priver du sacrement et, s'il est certain que les sacrements ne sont pas de nécessité absolue pour le salut, si Dieu nous dispense certainement sa grâce par d'autre voies aussi, ils n'en sont pas moins le moyen nor­mal de sanctification institué par Jésus-Christ : on ne s'en prive pas sans péril, et, pour la vie de l'âme, ce second péril est plus imminent que le premier. Je n'ignore pas que la question est disputée, j'entends parmi les esprits les plus fermement attachés à l'authen­tique foi catholique, et ce n'est pas sans tristesse que je crains, sur ce point précis, d'être en désaccord avec des amis très chers ; mais vous m'interrogez, je dois dire ce que je pense. Je pense donc, quant à moi, que, dans les circonstances actuelles, je problème de l'assistance à la nouvelle messe est une question d'espèce. Car sans doute n'en existe-t-il que trop de scandaleuses, on les voit même se multiplier dans les paroisses qui se veulent à l'avant-garde ; mais il en existe aussi, même certainement en plus grand nombre, où le nouveau rite est assez exactement observé pour que celles-ci puissent être entendues sans offense à notre foi et qu'en conséquence ce soit devoir de s'y rendre quand on ne peut assister à une messe dite de saint Pie V. Le précepte de la messe dominicale subsiste et ce n'est pas y satisfaire que de lire sa messe chez soi, même très pieusement. Il n'empêche que la messe traditionnelle (une tradition de quelque quinze siècles) exprime incomparablement mieux le mystère du saint sacrifice et que les évêques qui prétendent l'interdire abusent : Quo primum tempore leur en refuse en termes exprès le pouvoir. C'est donc cette messe de toujours que les chrétiens conscients de leur foi doivent choisir, fût-ce au prix de quelque gêne. Beaucoup n'en ont pas le moyen ? Je conclus avec Madiran que le vrai remède à l'équivoque périlleuse de la nouvelle messe est que l'ancienne nous soit partout rendue. 140:175 La réclamation a toutes les chances de rester présen­tement vaine ? Question secondaire. Pour le salut de notre âme, plus importe le témoignage que le succès. #### II Il n'est pas seulement d'une irréprochable décence, il était nécessaire que la réclamation de Madiran fût adressée personnellement à Paul VI. Deux raisons : La première est que quelque jugement que l'on porte sur le pontificat que nous subissons depuis bientôt dix années, il ne fait pas l'ombre d'un doute que Paul VI ne soit le pape légitime. Nos évêques refusent de nous écou­ter : pas d'autre ressource que d'en appeler à l'autorité supérieure. Ce n'est pas faire acte d'insubordination, c'est faire acte de soumission au Siège apostolique ; c'est en reconnaître expressément la suprématie. La seconde raison est que, le for interne réservé, com­me il est de rigueur à l'égard de tout homme, il n'est pas historiquement contestable que Paul VI ne soit le premier et le plus grand responsable de cette auto-destruction de l'Église qu'il lui est arrivé de déplorer. Je ne parle pas de la responsabilité qui lui incombe en raison de sa primauté ; je parle de celle qui résulte de la manière dont il exerce cette primauté, autrement dit des actes de son gouverne­ment. Maintien en fonction d'évêques publiquement héré­tiques, mise à l'écart des personnalités conservatrices, refus de condamner les erreurs les plus flagrantes, large tolé­rance de leur diffusion, abrogation du serment antimoder­niste, instauration d'une messe dangereusement équivoque, et j'en passe, partout, si l'on remonte à la source, c'est sa volonté que l'on trouve. Il faut se crever les yeux pour se refuser à cette évidence. Évidence qui n'a rien pour choquer un théologien. Cer­tes, l'Église est divine et le pape, dans certaines circons­tances, infaillible ; mais la suite des pontifes romains en montre d'incontestablement légitimes qui ne furent pas des plus reluisants : les uns, par leurs mœurs ; d'autres, par leur convoitises temporelles ; d'autres encore, faute de clairvoyance et d'énergie dans la défense de la foi. Il y en a même un -- c'est Honorius I^er^ (625-638) -- qu'au troisième Concile de Constantinople (680-681), le pape ré­gnant, saint Léon II, déclara « condamnable pour n'avoir pas éteint à sa naissance le feu de l'hérésie, mais l'avoir au contraire fomenté par sa négligence à le combattre ». 141:175 Cependant, eût-elle à sa tête le premier Honorius, Serge III, Jean XII ou Alexandre VI, et j'en pourrais nommer bien d'autres, l'Église de Jésus-Christ ne cessait pas d'être divine et de pas un de ces tristes pontifes il ne peut être dit qu'en tant que pasteur et docteur de l'Église univer­selle il ait erré. Il n'y a pas à s'étonner qu'en un temps où l'Église souffre un des plus furieux assauts qu'ait déchaî­nés contre elle le Prince des ténèbres, l'histoire se répète. On se tromperait pourtant sur le caractère de Paul VI en le disant un autre Honorius. Celui-ci manqua certaine­ment de prudence ; mais plutôt, semble-t-il, faute d'esprit de décision que pour avoir positivement partagé, ne fût-ce qu'en tant que docteur privé, donc faillible, l'erreur du monothélisme, laquelle, au surplus, n'avait pas encore été l'objet d'une condamnation dogmatique. Il n'en vit pas le péril : le Concile de Chalcédoine avait défini les deux na­tures du Christ, il n'y avait qu'à s'en tenir là, en laissant la dispute de ses volontés aux *grammatici*, c'est-à-dire aux philosophes. Le patriarche de Constantinople avait fait miroiter à ses yeux que les monophysites seraient ainsi ralliés : il le crut, le félicita, et mourut avant que saint Sophrone ait eu le temps de le détromper. Le cas de Paul VI est psychologiquement bien différent. Il n'est ni un faible ni un indécis, et s'il y a un personnage historique dont il puisse être rapproché, ce n'est certes pas Louis XVI, comme quelques-uns l'ont pensé : c'est Charles de Gaulle. Même appétit du pouvoir, même ténacité mais aussi même souplesse à cheminer pas à pas, en arrière au be­soin, vers le but qu'il s'est assigné, même incroyable puis­sance de dissimulation : l'un et l'autre, pour reprendre une expression de Bossuet, « capables de tout entreprendre et de tout cacher » : celui-ci, se faisant rappeler pour sauver l'Algérie, qu'il est secrètement résolu à perdre ; celui-là, par son attitude d'homme du centre, séduisant au Conclave les suffrages des conservateurs, qu'il se promet intimement de duper. Et les desseins aussi sont similaires : de Gaulle jugeait inévitable l'avènement d'une société com­muniste et voulait nous y conduire sans révolution ; Paul VI pense de même que de « grands mouvements entraînent l'humanité vers ses destins inéluctables », quoique « dif­ficiles à atteindre », à savoir, je cite ses propres termes ([^75]), « l'unité, la fraternité, la justice, la liberté vécue dans l'ordre, la dignité personnelle, le respect de la vie, la maîtrise de la terre, sans en rester prisonnier, la culture sans en rester dérouté ». 142:175 Erreur, donc, quand l'humanité marche inéluctablement vers de si hautes destinées, si, « par fidélité à des institutions et des conceptions d'un autre âge », l'Église n'avait souci que « de conserver le passé et de freiner la course vers l'avenir ». Les espérances de l'homme d'aujourd'hui sont légitimes, et l'Église doit en être « à l'avant-garde ». Point de « timidité » : pour ne pas se couper d'un monde qui change si rapidement, qu'elle-même n'hésite pas à changer non moins rapide­ment en elle ce qui peut être changé sans atteinte à sa mission divine ; mais pareillement, qu'elle opère ces chan­gements nécessaires sans révolution, par la réforme pro­gressive de ses structures, en évitant le double écueil de l'immobilisme, qui la situerait « hors de la vie vécue, hors de l'Histoire », et du relativisme, qui lui ferait perdre « l'inaliénable trésor de la foi », immuable par essence. Un nom s'impose à la lecture de ce programme, qui est proprement celui d'une mutation de l'Église, le mes­sage de Jésus-Christ demeurant inaltéré : c'est exactement le programme d'évangélisation de Teilhard de Chardin. Non que les erreurs doctrinales du teilhardisme puissent être imputées à Paul VI, quoiqu'il ne les ait jamais dé­noncées qu'en termes trop généraux pour être une mise en garde efficace ([^76]) ; en revanche, sur la façon de répan­dre l'Évangile qu'appelle l'âge de l'humanité où nous venons d'entrer, l'accord est total : parce que Paul VI partage la conviction de Teilhard, ou, pour mieux dire, sa foi qu'à travers les inévitables accidents de parcours, l'évo­lution nous entraîne inéluctablement vers une terre de siècle en siècle plus confortable et qu'il en tire, pratique­ment ([^77]) la même conclusion : à savoir, que la condition nécessaire et suffisante (avec la grâce s'entend) de la con­version du monde à Jésus-Christ est que « le christianisme se pose en sauveur des espérances les plus actuelles de la terre » ([^78]). 143:175 On ne méconnaîtrait donc pas sans injustice les inten­tions apostoliques de Paul VI. A peine élu, lui-même le donnait clairement à entendre en choisissant de s'appeler Paul : il serait un nouvel Apôtre des Gentils, c'est-à-dire des chrétiens séparés, des fidèles des religions non-chré­tiennes et des incroyants. Mais il faut ajouter aussitôt que les méthodes d'apostolat sont le jour et la nuit. Rien de plus exceptionnel dans la prédication de saint Paul que de partir de la pensée des Gentils pour les ame­ner à Jésus-Christ. Un seul exemple dans toute sa carrière apostolique : son discours devant l'Aréopage ([^79]) : « Athé­niens, vous êtes les plus religieux des hommes... » ; mais en vient-il à leur parler de la Résurrection, les rires écla­tent, et par la suite, refusant expressément de recourir aux « prestiges de la parole ou de la sagesse », il ne prêchera plus que « Jésus-Christ et Jésus-Christ cruci­fié » ([^80]). Il faudrait beaucoup de complaisance pour soutenir que Jésus-Christ crucifié soit le thème ordinaire de la prédication de Paul VI. Serait-ce donc alors qu'il prend pour modèle le cas unique qu'est le discours devant l'Aréo­page ? Oui et non. S'adresse-t-il aux Gentils de notre temps, il leur dira pareillement très volontiers qu'ils sont les plus religieux des hommes, mais la similitude s'arrête là : pour les conduire à Jésus-Christ, il fait bien plus sou­vent appel à leurs besoins temporels qu'à leur quête du « Dieu inconnu ». « Citoyens du monde, aime-t-il à leur dire, vous aspirez à la liberté, la paix, la prospérité, il n'y a que Jésus-Christ qui puisse vous les donner. » Et, bien sûr, ce n'est pas faux, il est tout ce qu'il y a de plus certain que notre monde détraqué serait moins malheureux s'il devenait chrétien. 144:175 Il n'empêche que mettre au premier plan le bonheur terrestre inverse foncièrement l'ordre du *Quaerite primum regnum Dei* ([^81]) *:* ce qui nous est promis « par surcroît » devient la fin principale et la recherche du royaume de Dieu est réduite au rang de moyen. Le pontificat de Paul VI dure depuis assez longtemps pour que nous puissions juger de cette pastorale à ses fruits. Teilhard pensait que si les autorités de l'Église voulaient bien l'écouter, « nous serions stupéfaits envoyant le torrent de peuples qui reflueraient spontanément vers Jérusalem » ([^82]). Tout porte à croire que Paul VI a par­tagé cette illusion et son homélie du 5 mars ne donne pas à penser qu'il en soit revenu. Comme si l'événement ne parlait pas assez haut ! A l'extérieur, les conversions des protestants et des Juifs arrêtées net : quelle raison de changer de religion quand Rome elle-même n'en finit pas de vous corner aux oreilles que la vôtre est déjà si bonne ? A l'intérieur, le pourrissement de la doctrine, l'invasion en cataclysme de l'hérésie. Je pense qu'il ne peut y avoir de plus grande charité envers Paul VI que de lui mettre sous les yeux les résul­tats désastreux de sa méthode d'apostolat et de le supplier, pour le salut des âmes, d'y renoncer au plus tôt, en nous rendant l'authentique Écriture, le vrai catéchisme, la finesse de toujours. #### III Je puis après cela répondre en peu de lignes à votre troisième question : cette triple réclamation constitue-t-elle l'essentiel de notre combat ? Sans aucun doute. Parce que l'Écriture est le fonde­ment de notre foi. Parce que le catéchisme, enseigne les connaissances nécessaires au salut. Parce que le sacrifice de la messe en perpétuant le sacrifice de la Croix est au cœur du mystère de notre Rédemption et qu'il ne doit pas être équivoque. Et parce que, dans un monde où tout chancelle, se corrompt, qui déjà croule dans la boue et dans le sang, le devoir de préserver intact le message de Jésus-Christ prime tout le reste, qui ne peut être, au prix de notre foi, qu'af­faire d'opportunité. *Stat crux dum volvitur orbis.* 145:175 On disait autrefois que Rome était lente à bouger. C'était grande sagesse. Les changements nécessaires s'im­posent d'eux-mêmes avec le temps, mais il n'y a que le temps pour faire la preuve de leur nécessité, et jusqu'à ce qu'il ait prononcé, la prudence n'est pas d'épouser le cou­rant, mais de le retenir, de peur qu'il ne conduise à l'abîme. Paul VI a fait le choix opposé et les conséquences ont suivi. Grande et terrible leçon, pour parler encore comme Bossuet, qu'un pontife de tant d'intelligence et de volonté, le génie même de la manœuvre, pour s'être voulu le pape de la réconciliation de l'Église avec le monde moderne et n'avoir pas craint de faire passer l'adaptation des struc­tures et des conceptions avant l'intrépide défense de la doctrine, n'ait abouti qu'à livrer à la meute des faux pro­phètes et des professeurs de mensonge le troupeau qu'il avait reçu mission de paître et de nourrir de la parole de vie. Henri Rambaud. #### APPENDICE. Pas de meilleur exemple du modernisme délibéré de la nouvelle catéchèse que sa comparaison de la résurrection du Christ à celle de Lazare. ([^83]) *Marche en ma présence*, orientations pour le catéchiste, p. 207 : La SÉANCE PRINCIPALE veut faire partager aux enfants la foi des premiers disciples au Christ res­suscité. Le catéchiste devra éviter deux dangers. Le pre­mier consiste à présenter la résurrection de Jésus comme un simple retour à la vie, analogue à la « résurrection » de Lazare. Dans le cas de Lazare, il s'agit plutôt d'une réanimation. On peut dire : Lazare est redevenu vivant. Mais Jésus n'est pas redevenu vivant comme avant sa mort. C'est bien le même Jésus de Nazareth que reconnaissent les apôtres, mais ENTRÉ DANS UNE VIE NOUVELLE. 146:175 Le second danger serait de vouloir donner des preuves de la résurrection. Les apparitions ne sont pas des preuves, ce sont des SIGNES que Jésus donne de sa résurrection, des signes adaptés à ceux qui l'ont connu comme Jésus de Nazareth. C'est pour­quoi les disciples d'Emmaüs, comme Marie-Made­leine, ou Thomas, ne le reconnaissent pas d'abord. Il leur faut dépasser leur tristesse et leur doute, espérer et chercher pour reconnaître Jésus vivant d'une vie nouvelle. Lu dans un esprit orthodoxe, le second paragraphe ne contient pas un mot qui puisse être dit positivement hérétique. Il est très vrai que la résurrection du Christ n'est pas iden­tique à la résurrection de Lazare : le Christ a ressuscité à l'état de corps glorieux, pas Lazare. Il n'est pas moins vrai de dire que Lazare est « redevenu vivant », l'expression im­pliquant qu'il était mort : enseveli depuis quatre jours, précise l'Évangile, et quand Jésus demande d'enlever la pierre du tombeau, Marthe l'avertit : « Seigneur, il sent déjà, *jam foe­tet*. » Séparé de son âme, son corps pourrissait ; elle y est revenue : miracle qu'il est donc on ne peut plus exact d'ap­peler une ré-animation. Étymologiquement, le terme est la pro­priété même. La perfidie est que « redevenir vivant » peut aussi se pren­dre au sens large (comme on dit d'un noyé que la respiration artificielle l'a fait « revenir à la vie »), et le rédacteur se garde trop attentivement de dire que Lazare était mort -- car, relisez, le texte ne le dit pas -- pour qu'on ait le moindre doute sur la manière dont il veut que soit entendu son « retour à la vie ». Pas de mention des quatre jours dans le tombeau ni de l'odeur du cadavre, le mot de « résurrection » mis entre guillemets, le terme de « réanimation » (sans trait d'union) préféré -- si le catéchiste est docile à l'orientation donnée, il expliquera que Lazare avait simplement l'apparence d'être mort et qu'il a retrouvé la parole et le mouvement. L'imposture est encore plus flagrante dans le troisième para­graphe. Le rédacteur admet les apparitions de Jésus, mais seulement à titre de « signes adaptés à ceux qui l'ont connu » simples manifestations de leur croyance à la survie de Jésus, desquelles il n'y a rien à conclure touchant la réalité de la résurrection : « ce ne sont pas des preuves », mais simple­ment, comme on dit, des « visions », chose dont l'illusion n'est pas exclue. De la preuve capitale, du tombeau trouvé vide par les saintes femmes, puis par Pierre et par Jean, pas un mot Matthieu, Marc, Luc et Jean, tous les quatre d'un seul coup impudemment caviardés. 147:175 Mais le chef-d'œuvre est sans conteste le premier alinéa. Il ne s'agit pas d'apprendre aux enfants que le Christ a réelle­ment ressuscité. Il doit leur être expliqué que les premiers disciples ont cru à cette résurrection et qu'ils ont à partager cette foi. C'est-à-dire que ce n'est pas la constatation du fait par les premiers témoins qui a fondé la croyance : c'est la croyance qui est à l'origine des récits de la résurrection, qui par là devient un mythe. H. R. 148:175 ## NOTES CRITIQUES ### Bibliographie #### Bertrand de Jouvenel : Du principat (Hachette) Quel plaisir on a, quelle excitation de l'esprit, à lire un auteur qui, traitant de la politique, ne vise pas à autre chose qu'à bien observer et à comprendre. On connaît les ouvrages de B. de Jouvenel : *Du Pouvoir, De la politique pure,* etc. Celui qui vient de paraître et qui a pour titre *Du principat* est un recueil d'essais et d'articles. Il faudrait un long article pour l'analyser sérieusement. Dans une note, on a envie seulement de citer pour appâter le lecteur. M. de Jouvenel note d'abord (je veux dire que c'est l'idée essentielle du volume) que nous assistons à un retour en force du pouvoir d'un seul : « *Le phénomène* « *État *» *présente une très forte corrélation avec le phénomène* « *monarchie *»*.* Pendant six ou sept générations, nous avons assisté à un phénomène de *démonarchisation,* qu'on a pu prendre pour le signe du progrès, un chemin sans retour. C'est qu'on cédait à deux préjugés : « *Un préjugé général qu'un phénomène du* « *passé *» *peut être regardé comme un phénomène* « *dépassé *»* ; un préjugé particulier que seuls les héritiers des rois seraient portés à rétablir un pouvoir monarchique. *» Il suffit de regarder autour de soi : partout, personnali­sation du pouvoir et déclin des Parlements. Sur ce sujet, l'au­teur est très éclairant : les Parlements sont en train de devenir des « *institutions de majesté *» (par opposition aux institutions efficaces). Ils meurent d'avoir voulu annexer le pouvoir exé­cutif : cas de la France, de la Grande-Bretagne (les États-Unis échappent à ce travers). Conséquence : discipline de vote, dé­pendance des élus à l'égard du parti, réélection dépendent de la docilité du parlementaire envers le *leader* auquel il est lié et qui est seul connu du peuple. 149:175 Il faut lire aussi la page où à propos de concentration du pouvoir, l'auteur montre que le seul obstacle est la résistance de notables politiques qui ne dépendent pas de la puissance régnante (ce qui n'est pas le cas des députés, sauf exceptions où l'on parle, justement de *fiefs :* le fief de M. Médecin, le fief de M. Defferre). Il écrit, choisissant à dessein son exemple hors du « politique » au sens strict : « *Le conflit récent du président-générai* \[de l'AFL-CIO, qui groupe les syndicats américains\] *avec le président des camion­neurs évoque celui de Louis XI avec Charles le Téméraire, mais se produisant bien avant que le processus de concen­tration du pouvoir ait été aussi loin qu'il avait été en France au bénéfice du roi. *» Mais il faut lire toute la suite. La politique vraie, le jeu des forces et des intérêts apparaît, dessinant des constellations immuables. Encore une fois, il ne s'agit ici que de signaler un livre important. Une dernière citation et très *actuelle :* « ...*un peuple étant un complexe de rapports, d'attitudes, il y a une autre menace qui pèse sur lui, autre que la destruc­tion physique, autre que la perte de l'indépendance : c'est celle de la dissolution, si les hommes ne se sentent plus mem­bres d'un même corps, si le climat de confiance qui unit ces citoyens disparaît, si les symboles qu'ils ont en commun n'ont plus le même sens pour les uns et pour les autres, en un mot si l'existence morale du peuple disparaît. Et cette perte de l'exis­tence morale n'est pas due à des causes extérieures et soudai­nes : elle est due à des phénomènes intérieurs et dissociateurs, qui sont des sous-produits du progrès.* » Ces lignes datent de 1958, on croirait qu'elles ont été écrites pour définir la France de 1973. Georges Laffly. #### Pierre de Boisdeffre Où va le roman ? (Plon) *En tous cas, pas chez M. de Boisdeffre. Pas plus que la critique, d'ailleurs.* G L. 150:175 #### Paul Sérant : Des choses à dire (Table ronde) M. Paul Sérant a beaucoup de choses à dire, et les dit très bien, avec une sorte de douceur pleine d'obstination. On aurait bien des choses à lui répondre. Par exemple sur l'Europe des ethnies qu'il dé­fend, en annulant, en quelque sorte, le phénomène de l'unité française. Hier, cette unité ce fut le roi, puis une sorte de foi républicaine (la France, mère de 89, etc.). Aujourd'hui cette unité française dépend de forces basses mais énormes. Elle est comme bétonnée par la télé­vision, les magazines, le fonc­tionnariat, etc. L'Occitan et le Breton sont unis, et uniformi­sés, par Zitrone, « Elle » et le reste, et ils en redeman­dent. C'est un malheur, mais il faut en tenir compte : des ethnies, il ne reste que des braises, avivées par le souffle révolutionnaire. Mais il faut lire cet essai modéré, sensible, intelligent. G. L. #### Roger Caillois : La pieuvre (Table ronde) L'imagination la plus libre comporte des lois. Les hom­mes n'inventent pas au hasard, ne choisissent pas leurs my­thes et leurs symboles sans raisons. Après les avoir cher­chées au début de sa carrière dans son étude sur la mante religieuse (voir le *Mythe et l'homme*), Caillois revient sur la question avec ce livre sur la pieuvre. Cependant la pieuvre ef­frayante qui suce le sang des hommes, ce fantôme armé de ventouses et affamé de sang est un mythe récent. Il a pour pères Hugo (*Les Travailleurs de la mer*), qui lui donne même son nom -- auparavant on disait poulpe, et pieuvre est un mot du littoral de la Manche, Michelet (*la Mer*) et J. Verne (*Vingt mille lieues sous les mers*). Nous tenons donc l'origine de la légende. Ce livre est plein d'intérêt à des titres divers, mais plus encore que l'érudition, la ri­gueur d'esprit, la curiosité de R. Caillois, il me semble qu'il faut y retenir ceci, dans le chapitre *le plus récent ava­tar :* 151:175 « ...le renouveau des sciences approchées ou conjecturales, qui empruntent aux véritables leur vocabulaire, répand des mythologies hybrides. Pareil­les constructions se présentent comme théories éprouvées et vérifiables, en un mot comme scientifiques. Pourtant la part d'une fabulation sans doute conséquente avec elle-même, et rigoureusement dévelop­pée à partir de prémisses ha­bilement choisies, y est consi­dérable. La psychanalyse ap­paraît comme l'un de ces sys­tèmes clos caractéristiques de l'époque. Elle possède au plus haut point ce double aspect d'être explicative et de de­mander elle-même une expli­cation, d'interpréter les don­nées symboliques où ses exé­gètes qualifiés exercent leur sagacité et de constituer une somme de matériaux qui de­vraient appeler à leur tour l'analyse et l'interprétation. » Déjà l'an dernier, dans *le Virage*, M. Berl parlait de la psychanalyse comme d'une mythologie. Conjonction re­marquable. G. L. #### Michel del Castillo : Le vent de la nuit (Julliard) Un des personnages du roman est lui-même auteur d'un livre dont il a recensé les mots : 32.624, je crois... Nous ne pensons pas que Michel Del Castillo ait pratiqué une aussi minutieuse comptabili­té. D'un roman de 654 pages qui a obtenu le « Prix des Libraires », on sent qu'il a voulu faire une étude humaine approfon­die, aussi bien pour la psychologie que pour la peinture extérieure des personnages. Mais les thèmes ordinaires du roman actuel en sont-ils pour autant renouvelés ? C'est toujours le sentiment de l'absurde la souffrance humaine vue du côté de la clinique chirurgicale ou psychiatrique, le dosage habile de trois quarts de déses­poir et d'un quart d'espérance -- huma­niste -- encore bien incertaine dans ses principes. Le choix des personnages ne s'écarte guère des poncifs en vogue : les puissants P.D.G. devant la vanité de leurs réussites, l'esthète douloureux, masochiste et inverti, les médecins enfermés dans la technique de leur profession. L'auteur, nous dit l'avis au lecteur, « remplit sans tricher son rôle d'écrivain ». Il semble que « sans tricher » signifie actuellement : en se gardant d'avancer quelque certitu­de qui pourrait sembler dogmatique. Une culture du dolorisme aboutit à une concep­tion vaguement apocalyptique dépourvue de promesses divines. Un des personnages évoque l'angoisse créée en lui par le vent d'une nuit saharienne ; une vieille Bédouine lui a dit : « C'est la voix d'Allah que tu as entendue. Il nous avertit ainsi que sa patience a des limites. Il lève le Vent de la Nuit afin que nous nous souvenions de Lui. » On eût aussi bien pu replacer l'image dans l'Évangile de saint Jean, lors de l'entretien avec Nico­dème, où le même mot désigne le Vent et l'Esprit. Et nous doutons que toutes les voix douloureuses, mais confuses, qui s'élèvent d'un univers romanesque, nous livrent jamais un authentique message de vérité. On ne fait plus « concurrence à l'état civil », comme Balzac, mais concurrence aux registres et aux dossiers des cliniques ; le freudisme, la littérature mé­dicale et la contestation vague de la Société ont déjà trouvé les structures d'un mélodrame ; il est moins sûr qu'ils ouvrent la voie à une foi. 152:175 Ce monde a trop de poison dont on n'arrive pas à extraire un remède. « Ne faites pas com­me l'aragne qui convertit toutes bonnes viandes en venin », disait peu avant la guerre l'épigraphe d'un roman de Troyat. La leçon n'a guère été entendue, on ne sort pas des venins ; et les personnages, quand l'auteur nous les a, comme ici, bien fait connaître, nous apparaissent comme des témoins incertains ou sus­pects. La fiction si élaborée qu'elle soit, ne prêche pas vraiment une conversion. Il faudrait que la Vérité descende sur ce monde désemparé ; il est vain d'attendre qu'elle parte de lui. On parle de la crise du livre, mais nul ne songe à en chercher les causes de ce côté-là ; le lecteur reste sur sa faim, et le romancier, quel que soit son talent, reste asservi à des pudeurs vaines et confiné dans un mandarinat lit­téraire de l'angoisse Jean-Baptiste Morvan. #### Lucien Preuvot : La poésie des psaumes (chez l'auteur) Toute époque rapprend à penser et à écrire en retrouvant le contact avec la Bible, et plus particulièrement peut-être avec les Psaumes. L'expression de l'âme individuelle y est incluse dans le destin d'une nation et plus encore dans une situation soumise au rôle directeur de la Foi. Les angoisses, les haines elles-mêmes y retrouvent une échelle, une mesure : non celle de la prudence facile ou scepti­que d'une âme vieillie, aux réactions atté­nuées, mais celle d'une exaltation authen­tique et légitime. La référence à un Israël encore chargé de sa mission essentielle y filtre les humeurs et juge les sursauts de l'esprit. L'expérience est rude, et le lyrisme altier des Psaumes a lui-même sa rudesse qui subsiste dans les interpré­tations et les modalités du langage, à travers les siècles français. M. l'abbé Lu­rien Preuvot a maintenu cette rudesse dans une poésie le plus souvent fondée sur l'alexandrin. Dans cette perspective, il consent même à certains prosaïsmes fa­miliers et à quelques anachronismes d'ex­pression. Mais ne fallait-t-il pas que l'épreuve intellectuelle restât sensible dans l'expression, que le choc infligé par le texte sacré demeurât présent ? Disons tout de suite qu'il n'y a là que simples détails, et que rien n'est plus étranger à l'auteur que certaine mas­carade modernisante où d'aucuns se complaisent. On n'en apprécie que mieux la réussite de tant de passages propre­ment poétiques conformes au lyrisme biblique ; on peut même penser que l'auteur a fixé des bornes sévères à son propre tempérament poétique mais on sent affluer discrètement l'apport per­sonnel de quelques souvenirs nés de l'expérience des terroirs d'Algérie et de France : le sens des paysages de la patrie et des épreuves de la vie sous la main du Seigneur s'harmonise pro­fondément avec le sentiment du Psalmis­te. Ce recueil ne veut être qu'une lec­ture des Psaumes, non une traduction versifiée ; mais il est ainsi fidèle à une tradition littéraire classique, nourrie de cette force bien française et bien pay­sanne qu'on ressent dans des expériences analogues de Malherbe de Corneille et de Péguy : une impression de présence authentique s'en dégage, que ne nous don­nent pas bien des œuvres qui préten­dent être en prise directe sur les réalités du temps. J.-B. M. 153:175 ## AVIS PRATIQUES ### Informations Depuis 1969, la définition de la cène luthérienne s'est substi­tuée à la définition de la messe catholique, à titre explicite de *rappel de foi,* dans le Nouveau Missel des dimanches diffusé par l'épiscopat français. Qu'on approuve ou qu'on réprouve cette substitution, elle n'en constitue pas moins une « information » de première importance. Nous avons demandé aux « informateurs religieux » spécia­lisés et en général aux journalistes catholiques pourquoi ils s'obstinent à passer cette information sous silence. (C'est peut-être par ignorance ; ou par indifférence.) Nous le leur avons demandé à la cantonade. En outre, par appel nominal, nous l'avons à cette place demandé personnellement : -- au journaliste Jean Guitton, ès qualités qui sont les siennes de théologique lieu commun à *La Croix* et au *Figaro ;* *--* au journaliste Louis-Henri Parias, ès qualités qui sont les siennes de directeur de la *France catholique ;* *-- *au journaliste Robert Serrou, ès qualités qui sont les siennes d'ornement religieux de *Paris-Match ;* *-- *au journaliste Jean Daniélou, ès qualités qui sont les siennes d'inévitable bavard des émissions religieuses ou autres de radio et de télé ; subsidiairement, cardinal de la sainte Église romaine ; -- au journaliste Robert Solé, ès qualités qui sont les siennes de spirituel informateur du *Monde.* Comme nous l'avons déjà spécifié, les noms des journalistes Guitton, Parias, Serrou, Daniélou et Solé ne sont mentionnés qu'à titre d'exemples, pêchés au hasard : simplement, nous en pêchons un de plus chaque mois. Ce mois-ci, ce sera le journaliste Jean Gélamur lui-même, choisi non pas au hasard celui-ci, mais en raison du haut exemple d'honnêteté professionnelle qu'il donne comme direc­teur de la *Documentation catholique* ([^84])*.* 154:175 Ceux-là nommément, mais tous les autres en bloc, nous leur rappelons l'avis que nous leur avons déjà donné : nous avons déclenché les chronomètres afin de mesurer le temps qu'il faudra aux uns et aux autres pour se sentir « concernés » par la diffusion épiscopale, dans le peuple chrétien, d'un Missel inculquant dogmatiquement aux fidèles, comme « rappel de foi », qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». \*\*\* Dans nos précédents numéros, nous avons relevé et cité les articles de presse qui avaient déjà fait écho à notre campagne ; à savoir ([^85]) : 1\. -- Louis Salleron dans *Carrefour* du 15 janvier. -- 2. -- L'abbé J. Emmanuel des Graviers dans le numéro 111 du *Courrier de Rome*. -- 3. -- L'éditorialiste de *Lumière*, numéro 104 de janvier. -- 4. -- L'abbé Coache dans *Monde et Vie* du 6 février. -- 5. -- Le *Courrier de Rome* pour le seconde fois : numéro 112, lettre aux évêques. -- 6. -- *Nouvelles de chrétienté*, numéro 533. -- 7. -- Louis Salleron pour la seconde fois, dans *Carrefour* du 8 mars. -- 8. -- *Lumière* pour la seconde fois : numéro 106. -- 9. -- L'abbé de Nantes dans la *Contre-Réforme*, numéro 66. -- 10. -- *Monde et Vie* pour la seconde fois numéro du 16 mars. -- 11. -- Un lecteur, dans le courrier des lecteurs de *L'Homme nouveau*, numéro du 18 mars. -- 12. -- G. de Wurtember­ger dans *Le Républicain d'Estavayer-le-Lac* (canton de Fribourg en Suisse). -- 13. -- *Lumière* pour la troisième fois (Bernard Wacon­gne) : numéro 107. -- 14. -- Édith Delamare dans *Rivarol* du 5 avril. -- 15. -- Le *Bulletin de l'APS*, numéro 9. -- 16. -- *Cooperatores Veritatis* de Bruxelles, numéro 7. -- 17. -- L'abbé Luigi Villa dans *Chiesa viva* de Brescia, numéro 19 d'avril. -- 18. -- Luce Quenette dans la *Lettre de la Péraudière*, numéro 47. -- 19. -- *Fidélité chrétienne*, numé­ro 18. -- 20. -- L'abbé Luc J. Lefebvre dans la *Pensée catholique* de mars-avril. -- 21. -- *Tradition et renouveau*, numéro 43 de mai. On trouvera ces vingt et une premières réactions reproduites dans nos numéros 171, 172, 173, 174. 155:175 Voici maintenant les suivantes, toujours dans l'ordre chro­nologique : 22\. -- Louis Salleron\ dans Carrefour du 17 mai Louis Salleron pour la troisième fois. Il avait précédemment stigmatisé l'hérésie du Nouveau Missel dans *Carrefour* du 15 janvier, puis dans *Carrefour* du 18 mars. Il y revient à nouveau, cette fois-ci en « *conseillant aux lecteurs de demander à leur évêque ce qu'il en pense *»*.* Ainsi Louis Salleron est le troisième à recommander un soutien actif à notre campagne (le premier à faire une telle recommandation fut le *Bulletin de* PAPS, le second l'organe des *Cooperatores Veritatis* de Bruxelles). Louis Salleron commence son article par cette observation de portée générale, et qui mérite d'être méditée avec attention : « *On ose à peine répéter le mot du cardinal Daniélou sur les* « *assassins de la foi *»*, tant l'expression semble aujourd'hui peu appropriée.* « *Le cardinal visait quelques théologiens dont les idées paraissaient être en rupture avec la doctrine de l'Église.* « *Ces idées, depuis lors, ont fait leur chemin. Un ob­servateur de l'extérieur serait fondé à croire qu'elles constituent l'enseignement officiel, sinon de l'Église, du moins de l'épiscopat français. A telle enseigne que si l'on tente de s'y opposer, on est invariablement accusé de* « *désobéir aux évêques *», *lesquels se disent* « *en union avec le pape *», *lequel à son tour nous invite à obéir à nos évêques -- ce qui nous plonge dans une. situation sans issue. *» Après avoir reproduit en son entier la notice des pages 382-383 du Nouveau Missel, Louis Salleron conclut : « *Luther est dépassé. C'est l'antithèse absolue du concile de Trente, l'hérésie pure -- sous les vêtements d'un pieux langage qui ne peut que tromper les fidèles et les amener, sans qu'ils s'en doutent, à l'abandon de la foi catholique.* « *Alors que faire ?* « *Vous connaissez la réponse :* « *Obéissez *». 156:175 23\. -- Saint-Gilles\ dans la revue de presse de *L'Homme nouveau*\ du 3 juin « *Le malaise est indéniable *» écrit Saint-Gilles à propos du « Nouveau Missel des dimanches 1973 ». Il reproduit le texte incriminé *et* le commentaire de Louis Salleron : « *C'est l'anti­thèse absolue du concile de Trente, l'hérésie pure... *» A la question de Louis Salleron -- « Alors que faire ? » Saint-Gilles répond : -- « *Le dire. Le faire savoir. Filialement. Paternellement. *» Saint-Gilles est ainsi (ainsi c'est-à-dire à sa manière, comme c'est son droit) le quatrième qui recommande d'apporter un concours actif à notre campagne. Faites-le savoir autour de vous. Dites-le à vos évêques. Demandez-leur de prendre position au sujet du « rappel de foi » qui enseigne qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». \*\*\* Plus loin dans la même revue de presse, Saint-Gilles cite une déclaration du père Coffy, évêque de Gap, contre « *ceux qui accusent ce qu'ils appellent* LES BUREAUX *et qu'ils tentent d'opposer aux évêques *»*.* (On sait que ce n'est point le cas d'ITINÉRAIRES. Nous tenons les évêques pour auteurs responsables de tout ce qu'ils font par leurs bureaux. Nous ne voyons aucune opposition à « tenter », ni en général aucune distinction à faire, entre la prévarication des bureaux et celle des évêques : c'est la même.) Donc, le père Coffy avait déclaré que ceux qui accusent les bureaux « *ignorent tout du travail accompli, de la collaboration étroite entre les évêques et le CNPL, du souci de tous d'être au service, etc. etc. *» Ayant cité cette déclaration, Saint-Gilles la commente d'un ton clément : « *Il faudrait peut-être, alors, le leur expliquer en détail. Et donner, par exemple, un commentaire au sujet du Missel 1973. *» Oui. Et sans omettre de prendre en considération que le Missel 1973 ne fait que réitérer ce qu'avait déjà affirmé le Missel 1969-1970. 157:175 Annonces et rappels \[...\] 160:175 #### Le calendrier Juillet **-- **Dimanche 1^er^ juillet : *fête du Précieux Sang de Notre-Seigneur *; ornements rouges. Ou bien : *solennité des saints apôtres Pierre et Paul*. \[...\] 161:175 -- Lundi 2 juillet : *visitation de la T. S. Vierge*. Ornements blancs. Père Emmanuel : « Mystère tout de paix, de grâce et d'effusion du Saint-Esprit. C'est la première manifestation du Verbe incarné. Il commence ses grandes œuvres : il refoule le péché originel en Jean-Baptiste, il verse en lui l'esprit de prophétie, il le ravit en la joie de voir son Sauveur en notre chair... Élisabeth est remplie du Saint-Esprit ; dans la lumière divine, elle voit à la fois son *Seigneur* et la *mère de son Seigneur.* Elle admire, elle chante le Verbe qui s'est fait chair, la Vierge mère de Dieu, la joie de son enfant et aussi son propre bonheur. -- Enfin dans ce grand et beau jour retentit pour la première fois le MAGNIFICAT. A cette fête se rattache aussi le BENE­DICTUS de Zacharie... » -- Mardi 3 juillet : *saint Léon II*, pape (682-683). Ornements blancs. -- Mercredi 4 juillet : messe du troisième dimanche après la Pentecôte ou messe votive. Propre de France : *ordination de saint Martin*, évêque de Tours ; c'est la « saint Martin d'été ». -- Jeudi 5 juillet : *saint Antoine-Marie Quaccaria*. Ornements blancs. -- Vendredi 6 juillet : *sainte Maria Goretti*, vierge et martyre. Ornements blancs. -- Samedi 7 juillet : *saints Cyrille et Méthode*, évêques (IX^e^ siècle). Ornements blancs. « Leur œuvre, la pénétration chrétienne du monde slave, est un témoignage des magnifiques possibilités missionnaires que conservait l'Église byzantine à la veille du schisme. » Propre de France : *saint Pierre Fourier.* 162:175 *-- *Dimanche 8 juillet : *quatrième dimanche après la Pentecôte *; ornements verts. Mémoire de sainte Élisabeth de Portugal, reine et veuve (1271-1336). Propre de France : mémoire des bienheureuses *Iphigénie de Saint-Mathieu et ses trente compagnes*, religieuses et martyres à Orange (Vaucluse) : massacrées par les révolutionnaires en juillet 1794. -- Lundi 9 juillet : messe du dimanche précédent ou messe votive. -- Mardi 10 juillet : *les Sept Frères*, martyrs (II^e^ siècle) et *saintes Rufine et Seconde*, vierges et martyres (IV^e^ siècle). Ornements rouges. \[...\] -- Mercredi 11 juillet. -- Propre de France : *translation du corps de saint Benoît* (vers 672-673 : du Mont-Cassin à l'abbaye de Fleury-sur-Loire devenue Saint-Benoît-sur-Loire). -- Mémoire de *saint Pie I^er^*, pape et martyr (140-155). 163:175 \[...\] -- Jeudi 12 juillet : saint *Jean Gualbert*, abbé. Ornements blancs. Grand adversaire des évêques simoniaques et hérétiques du XI^e^ siècle. Voir notice dans notre numéro 165 de juillet-août 1972, pages 344-346. *-- *Vendredi 13 juillet : *saint Anaclet*, pape et martyr. Ornements rouges. -- Samedi 14 juillet : *saint Bonaventure*, évêque, cardinal et doc­teur de l'Église. Ornements blancs. Voir notice dans notre numéro 165 de juillet-août 1972, page 346. *--* Dimanche 15 juillet : *cinquième dimanche après la Pentecôte*. Mémoire de *saint Henri*, empereur (973-1024). Sur saint *Henri,* voir notice dans notre numéro 165, page 346. *--* Lundi 16 juillet : *commémoraison de Notre-Dame du Mont-Car­mel*. Ornements blancs. Voir notice dans notre numéro 165, page 347. *-- *Mardi 17 juillet : *saint Alexis*, l'homme de Dieu, le pauvre sous l'escalier (IV^e^-V^e^ siècles). Ornements blancs. -- Propre de Fran­ce : *Bienheureuses Thérèse de Saint-Augustin et ses quinze compa­gnes*, vierges et martyres (1794) ; sainte *Marie-Madeleine Postel*, vierge. Sur saint Alexis, voir notice dans notre numéro 165, page 347. 164:175 -- Mercredi 18 juillet : *saint Camille de Lellis* (1550-1614), patron des hôpitaux et des malades, protecteur des religieuses hospitalières. Ornements blancs. -- Jeudi 19 juillet : *saint Vincent de Paul* (1581-1660). Ornements blancs. -- Vendredi 20 juillet : *saint Jérôme Émilien* (1481-1537) ; orne­ments blancs. Mémoire de *sainte Marguerite* (ou : Marine), martyre à Antioche de Pisidie vers 255. -- Samedi 21 juillet : messe du dimanche précédent ou messe votive. Mémoire de *sainte Praxède*, vierge. On peut célébrer aujour­d'hui la messe de la Sainte Vierge le samedi. -- Dimanche 22 juillet : *sixième dimanche après la Pentecôte*. Mémoire de *sainte Marie-Madeleine*, pénitente. -- Lundi 23 juillet : *saint Apollinaire*, évêque et martyr (premier évêque de Ravenne). Ornements rouges. -- Mardi 24 juillet : messe du dimanche précédent ou messe vo­tive. Mémoire de *sainte Christine*, vierge et martyre. -- Mercredi 25 juillet : *saint Jacques le Majeur*, apôtre. Ornements rouges. -- Jeudi 26 juillet : *sainte Anne*, mère de la Sainte Vierge. Orne­ments blancs. Voir notice dans notre numéro 165, page 349. -- Vendredi 27 juillet : dernier vendredi du mois : messe du di­manche précédent ou messe votive. Mémoire de *saint Pantaléon*, mar­tyr. Martyr vers. 305, saint Pantaléon est un des « grands martyrs » que célèbre l'Orient. « Noble médecin de Nicodémie, il fut instruit par le prêtre Hermolaü dans la foi de Jésus-Christ. Ayant reçu le baptême, il persuada son père Eustorgius de se faire chrétien lui aussi. Puis il se mit à prêcher dans Nicodémie la doctrine du Sei­gneur, exhortant tout le monde à l'embrasser. C'était sous l'empire de Dioclétien. On le tortura sur le chevalet, on le brûla au fer rouge ; il supporta tout d'une âme forte et tranquille ; enfin il fut tué par le glaive. » 165:175 -- Samedi 28 juillet. *saints Nazaire et Celse*, martyrs, *Victor I^er^*, pape et martyr, et *Innocent*, pape ; ornements rouges. -- Propre de France : *sainte Colombe*, vierge et martyre. -- On peut célébrer aujourd'hui la messe de la Sainte-Vierge le samedi. Sainte Colombe fut martyrisée au III^e^ siècle ; son culte est attesté à Sens depuis le VI^e^ siècle. -- Voir le chef-d'œuvre de Claude Duboscq : Colombe-la-Petite. -- Dimanche 29 juillet : *septième dimanche après la Pentecôte*. Mémoire de *sainte Marthe*, vierge ; des saints *Félix, Simplicius, Faustin et Béatrice*, martyrs ; en France, de *saint Loup*, évêque ; du *bien­heureux Urbain II*, pape. *Sainte Marthe *: « Quiconque, écrit saint Grégoire, s'est donné entièrement à Dieu, doit avoir soin de ne pas se répandre seule­ment dans les œuvres, et de tendre aussi aux sommets de la con­templation. Cependant il importe extrêmement ici de savoir qu'il y a une grande variété de tempéraments spirituels. Tel qui pouvait vaquer paisible à la contemplation de Dieu, tombera écrasé sous les œuvres ; tel que l'usuelle occupation des humains eût gardé dans une vie honnête, se blesse mortellement au glaive d'une contempla­tion qui dépasse ses forces (...). L'Évangile loue Marie, mais Marthe n'y est point blâmée, parce que grands sont les mérites de la vie active, quoique meilleurs ceux de la contemplation. » *Saint Loup *: né à Toul vers 383, marié à une sœur de saint Hilaire d'Arles, puis moine à Lérins, il devint évêque de Troyes vers 426 et s'affirma comme « défenseur de la cité » lors de l'invasion des Huns en 451. Il mourut vers 478. *Bienheureux Urbain II *: Eudes de Lagery, né à Châtillon-sur-Marne vers 1040, moine à Cluny en 1073, fut un des collaborateurs de Grégoire VII ; pape en 1088, il continua sur tous les plans l'œu­vre du grand pontife ; il prêcha la croisade à Clermont en 1050 et mourut en 1099. -- Lundi 30 juillet : messe du dimanche précédent ou messe votive. Mémoire des saints *Abdon et Sennen*, martyrs. « Sous l'empereur Dèce (249-251), les Persans Abdon et Sennen furent accusés d'avoir enseveli dans leurs terres les corps de chré­tiens jetés à la voirie. On leur commande de sacrifier aux dieux ils refusent en proclamant fermement la divinité de Jésus-Christ. Dèce les fit arrêter, et revenant à Rome les produisit dans son triom­phe, chargés de chaînes. Conduits de force aux idoles de la Ville, ils crachèrent dessus. Pour les punir on les livra aux ours et aux lions, qui n'osèrent pas les toucher. Ils furent tués par le glaive et leurs cadavres traînés devant l'idole du Soleil. Leurs restes furent secrètement enlevés, et ensevelis par le diacre Quirinus dans sa mai­son. » 166:175 -- Mardi 31 juillet : *saint Ignace de Loyola* (1491-1556) ; ornements blancs. -- Propre de France : *saint Germain*, évêque. Saint Germain : évêque d'Auxerre ; juriste, haut fonctionnaire, évêque par acclamation populaire, père des pauvres, défenseur de son peuple contre le pouvoir civil, missionnaire mort à Ravenne vers 478. #### Août -- Mercredi 1^er^ août : *saint Pierre aux liens *; ornements blancs. Mémoire de *saint Paul*, apôtre, et des *saints Maccabées*, martyrs. -- Jeudi 2 août : *saint Alphonse-Marie de Liguori*, évêque et doc­teur de l'Église. Ornements blancs. -- Vendredi 3 août : *découverte du corps de saint Étienne*, pre­mier martyr. Ornements rouges. -- Samedi 4 août : *saint Dominique*. Ornements blancs. -- Dimanche 5 août : *huitième dimanche après la Pentecôte*. Mé­moire de la *dédicace de Sainte-Marie-aux-Neiges* (Sainte-Marie-Ma­jeure). -- Lundi 6 août : *Transfiguration de Notre-Seigneur*. Ornements blancs. -- Mardi 7 août : *saint Gaëtan*. Ornements blancs. -- Mercredi 8 août. *saints Cyriaque, Large et Smaragde*, martyrs. Ornements rouges. -- Jeudi 9 août : *saint Jean-Marie Vianney*, curé d'Ars ; ornements blancs. Mémoire de la *vigile de saint Laurent*, martyr, et de *saint Romain*, martyr. 167:175 On peut aussi célébrer la messe de la vigile de saint Laurent, en ornements violets, avec mémoire de saint Jean-Marie Vianney et de saint Romain. -- Vendredi 10 août : *saint Laurent*, martyr. Ornements rouges. -- Samedi 11 août : messe du dimanche précédent ou messe votive. Mémoire de *saint Tiburce*, martyr, et de *sainte Suzanne*, vier­ge et martyre. -- On peut célébrer aujourd'hui la messe de la Sainte Vierge le samedi. -- Dimanche 12 août : *neuvième dimanche après la Pentecôte*. Mémoire de *sainte Claire*, vierge. -- Lundi 13 août : messe du dimanche précédent ou messe voti­ve. Mémoire des *saints Hippolyte et Cassien*, martyrs ; et, en France, mémoire de *sainte Radegonde*, reine et veuve. -- Mardi 14 août : *vigile de l'Assomption *; ornements violets. Mé­moire de *saint Eusèbe*. -- Mercredi 15 août : *Assomption de la T.S. Vierge*. Ornements blancs. La Sainte Vierge étant patronne principale de la France au titre de son Assomption, c'est aujourd'hui *la principale fête nationale de la France.* Voir notice dans notre numéro 165, pages 353-354. Il n'y a plus d'octave de l'Assomption : elle a été supprimée par Pie XII en 1955. Le décret de Pie XII du 23 mars 1955 n'a maintenu que les octa­ves de Noël, de Pâques et de la Pentecôte, « *toutes les autres, soit dans le calendrier universel, soit dans les calendriers particuliers, étant supprimées *». *-- *Jeudi 16 août : *saint Joachim*, père de la Sainte Vierge ; orne­ments blancs ; solennité le dimanche après l'Assomption. En France mémoire de *saint Roch*, pèlerin. -- Vendredi 17 août : *saint Hyacinthe*. Ornements blancs. -- Samedi 18 août : messe du dimanche précédent ou messe voti­ve. Mémoire de *saint Agapit*, martyr. -- On peut célébrer aujourd'hui la messe de la Sainte Vierge le samedi. -- Dimanche 19 août : *dixième dimanche après la Pentecôte*. Mé­moire de *saint Jean Eudes*. Ou bien : *solennité de saint Joachim*. 168:175 -- Lundi 20 août : *saint Bernard*, abbé et docteur de l'Église. Orne­ments blancs. -- Mardi 21 août : *sainte Jeanne Françoise Frémiot de Chantal*, veuve. Ornements blancs. -- Mercredi 22 août : *Cœur Immaculé de Marie*. Ornements blancs. Voir notre numéro 165, page 355. -- Jeudi 23 août : *saint Philippe Béniti*. Ornements blancs. -- Vendredi 24 août : *saint Barthélémy*, apôtre. Ornements rouges. -- Samedi 25 août : *saint Louis*, roi de France. Ornements blancs. La fête de saint Louis est de rite simple pour l'Église univer­selle ; elle est de rite double majeur en France, et de rite double de 2^e^ classe dans le diocèse de Paris. Voir notre numéro spécial sur saint Louis : numéro 147 de novembre 1970. -- Dimanche 26 août : *onzième dimanche après la Pentecôte*. Mémoire de *saint Zéphyrin*, pape et martyr. -- Lundi 27 août : *saint Joseph Calasanz *; ornements blancs. En France : mémoire de *saint Césaire*, évêque d'Arles. En Suisse : mé­moire de *saint Amédée*, évêque de Lausanne. -- Mardi 28 août : *saint Augustin*, évêque et docteur de l'Église. Ornements blancs. -- Mercredi 29 août : *décapitation de saint Jean-Baptiste *; orne­ments rouges. Mémoire de *sainte Sabine*, martyre.. -- Jeudi 30 août : *sainte Rose de Lima*, vierge ; ornements blancs. Mémoire des *saint Félix et Audactus*, martyrs. -- Vendredi 31 août : dernier vendredi du mois : *saint Raymond Nonnat *; ornements blancs. 169:175 #### Septembre -- Samedi 1^er^ septembre : messe du dimanche précédent ou messe votive. Mémoire de *saint Gilles*, abbé, et des *douze frères de Bénévent*, martyrs. -- On peut célébrer aujourd'hui la messe de la Sainte Vierge le samedi. -- Dimanche 2 septembre : *douzième dimanche après la Pente­côte*. Mémoire de *saint Étienne*, roi de Hongrie. Propre de France : les *bienheureux : martyrs de septembre* (1792). Voir notre numéro 165, page 356. -- Lundi 3 septembre : *saint Pie X*, pape. Ornements blancs. Voir notre numéro spécial sur saint Pie X : numéro 87 de novembre 1964. -- Mardi 4 septembre : messe du dimanche précédent ou messe votive. -- Mercredi 5 septembre : *saint Laurent Justinien*, évêque. Orne­ments blancs. -- Jeudi 6 septembre : comme le 4 septembre. -- Vendredi 7 septembre : idem. -- Samedi 8 septembre : *nativité de la Sainte Vierge*. Ornements blancs. Père Emmanuel : « La naissance de Marie fut une de ces grandes œuvres de Dieu qui s'accomplissent dans le silence. L'homme, souvent, cherche à montrer ses œuvres ; Dieu, le plus souvent, tient cachées ses plus grandes merveilles. Il en est l'auteur et le témoin : cela lui suffit. « Aujourd'hui, en la naissance de Marie, Dieu voyait pour la première fois une naissance pure et sans tache. Toutes les généra­tions, depuis l'origine du monde, avaient porté la souillure du péché d'Adam ; mais aujourd'hui, dans la maison de saint Joachim et de sainte Anne, Dieu fait naître une enfant tout immaculée. » 170:175 -- Dimanche 9 septembre : *treizième dimanche après la Pente­côte*. Mémoire de *saint Gorgon*, martyr. -- Lundi 10 septembre : *saint Nicolas de Tolentin*. Ornements blancs. -- Mardi 11 septembre : messe du dimanche précédent ou messe votive. Mémoire des saints *Prote et Hyacinthe*, martyrs. -- Mercredi 12 septembre : *saint nom de Marie*. Ornements blancs. -- Jeudi 13 septembre : messe du dimanche précédent ou messe votive. -- Vendredi 14 septembre : *exaltation de la sainte Croix*. Orne­ments rouges. -- Samedi 15 septembre : *Notre Dame des Sept Douleurs *; orne­ments blancs. Mémoire de *saint Nicomède*, martyr. Sur *Notre Dame des Sept Douteurs,* voir notice dans notre numé­ro 165, pages 357-358. Solennité de Notre Dame des Sept Douleurs le troisième dimanche de septembre. -- Dimanche 16 septembre : *quatorzième dimanche après la Pentecôte*. Mémoire des *saints Corneille*, pape et martyr, et *Cyprien*, évêque et martyr ; ou de *sainte Euphémie, sainte Lucie et saint Gémi­nien*, martyrs. Ou bien : *solennité de Notre Dame des Sept Douleurs*. -- Lundi 17 septembre : *impression des stigmates de saint Fran­çois *; ornements blancs. En Belgique : *saint Lambert*, évêque de Maes­tricht, patron du diocèse de Liège. -- Mardi 18 septembre : *saint Joseph de Cupertino *; ornements blancs. En France. mémoire de *saint Ferréol*, martyr à Vienne (Isère) au III^e^ siècle. -- Mercredi 19 septembre : *mercredi des quatre-temps de sep­tembre *; ornements violets. Ou bien : *saint Janvier*, évêque et mar­tyr, *et ses compagnons*, martyrs ; ornements rouges. -- Jeudi 20 septembre : *saint Eustache et ses compagnons*, mar­tyrs. -- Vendredi 21 septembre : *saint Matthieu*, apôtre et évangéliste ; ornements rouges. Mémoire du *vendredi des quatre-temps de sep­tembre*. 171:175 -- Samedi 22 septembre : *samedi des quatre-temps de septem­bre *; ornements violets. Ou bien : *saint Thomas de Villeneuve*, évê­que : ornements blancs. Mémoire de *saint Maurice et ses compa­gnons*, martyrs. On peut au choix célébrer la messe de la fête avec mémoire de la férie ou bien l'inverse. -- Dimanche 23 septembre : *quinzième dimanche après la Pente­côte*. Mémoire de *saint Lin*, pape et martyr. -- Lundi 24 septembre : *Notre Dame de la Merci*. Ornements blancs. -- Mardi 25 septembre : messe du dimanche précédent ou messe votive. En Suisse : *saint Nicolas de Flüe*, ermite, patron de la Confé­dération helvétique. -- Mercredi 26 septembre : messe du dimanche précédent ou messe votive. Mémoire de *saint Cyprien*, martyr, et de *sainte Justine*, vierge et martyre. -- Jeudi 27 septembre : *saints Côme et Damien*, martyrs. Orne­ments rouges. -- Vendredi 28 septembre : dernier vendredi du mois : *saint Wenceslas*, martyr (duc de Bohême ; héros national et patron des Tchèques). Ornements rouges. -- Samedi 29 septembre : *fête de saint Michel et de tous les Anges*. -- Dimanche 30 septembre : *solennité de sainte Thérèse de l'En­fant Jésus*, vierge ; ornements blancs. Ou bien : *seizième dimanche après la Pentecôte*, Mémoire de *saint Jérôme*, docteur de l'Église. ============== fin du numéro 175. [^1]:  -- (1). Voir *Journal officiel,* Assemblée nationale, numéro du 10 mars 1973, p. 555 : réponse à la question écrite n° 28038. [^2]:  -- (1). Cette affirmation extravagante de Mgr Boudon, nous en avons fait justice en détail dans notre n° 173 de mai dernier, p. 17 à 21. [^3]:  -- (1). Sur les ouvrages que l'abbé Carmignac a publiés en 1969 et en 1971 sur le Pater, cf. ITINÉRAIRES, n° 161 de mars 1972, p. 130 et suiv. [^4]:  -- (1). On a souvent prétendu que la profondeur de la crise de la jeunesse et en quelque sorte sa justification, ressortait de l'aspect mondial que revêt cette crise. Il nous semble qu'il faut seulement, ou principalement, y voir la preuve d'une orchestration extérieure, secrète mais parfaitement organisée. [^5]:  -- (1)Pour avoir eu des contacts fréquents avec des écoles d'appren­tissage, nous avons mesuré maintes fois cette mutation d'apprentis que nous retrouvions ouvriers quelques mois plus tard. [^6]:  -- (2). Le Grand Condé avait 22 ans à Rocroi ! [^7]:  -- (1). Nous n'en parlons pas à la légère, connaissant beaucoup de familles actuellement incapables de se maintenir dans leur récente promotion, d'ailleurs plus matérielle que morale, plus occasionnelle que réelle. [^8]:  -- (1). R.O.C. (Réseaux d'Organismes Culturels consacrés au cinéma et à la télévision), n, 22 du 26 mai 1973. Ce petit cahier existe depuis huit ans, sous la forme d'un polycopié. [^9]:  -- (1). La *grande bouffe,* de Marco FERRERI. Le film « le plus attendu » du festival de Cannes 1973. Je n'invente malheureusement rien. [^10]:  -- (2). Notez bien la restriction : comme en un autre sujet, c'est elle qui va décider de tout. [^11]:  -- (1). Aussi le seul passage de l'Écriture cité à la lettre dans le film est-il celui où saint Paul fait précéder son enseignement aux Corin­thiens d'une « exhortation à l'union » (1 Cor., 1, 10-20). [^12]:  -- (1). Dans une lettre du 24 juillet 1966, adressée aux Présidents des Conférences épiscopales, le Cardinal Ottaviani évoquait les erreurs doctrinales qui commençaient à se répandre, demandait aux évêques de prendre garde et de renseigner Rome sur l'impact de ces doctrines dans les différents pays (*Documentation catholique,* 1966, col. 1843-1846). Mgr Veuillot déclarait au journal La Croix, le 21 octobre 1966 : « il n'y a pas actuellement de motifs d'alarme, de pessimisme, et l'attitude des évêques veut être très constructive... S'il y a des mani­festations ici ou là de quelque pétulance, elles sont plutôt au fond une invitation continuelle au travail théologique ». Quant à Mgr de Pro­venchères, archevêque d'Aix, il écrivait dans la *Vie diocésaine* du 6 novembre 1966 : « Nous avons remarqué un flottement doctrinal et de nombreuses imprudences en paroles et par écrits. En recher­chant la cause de ces faiblesses, il nous semble qu'en France au moins, il n'y a pas remise en cause de la foi, mais une insuffisance de for­mation tant chez les prêtres que chez les laïcs. » -- Je connais des évêques qui regrettent maintenant d'avoir alors édulcoré la situa­tion et le Cardinal Liénart me disait à moi-même, trois mois avant sa mort : « Nous sommes arrivés à un point tel qu'humainement parlant l'Église ne peut pas en sortir. » [^13]:  -- (1). « Nécessité d'un réforme de la philosophie », dans *Manifestes phi­losophiques,* trad. Althusser, Paris, P.U.F., 1960, p. 97. [^14]:  -- (2). *Zur Beurteilung der Schrift* « *das Wesen des Christentums *»*,* 1842, dans Feuerbach, Kleine *philosophische Schriften,* Leipzig, 1950, p. 35. [^15]:  -- (1). *Discours sur la religion,* trad. Rouge, Paris, Aubier, 1944, p. 151. [^16]:  -- (1). *Discours sur la religion,* p. 199. [^17]:  -- (2). Cf. sur ce point les remarques de G. COTTIER, dans *L'athéisme du jeune Marx, ses origines hégéliennes,* Paris, Vrin, 1959, p. 117. [^18]:  -- (3). *Op. cit.*, p. 118 : « L'individualisme de l'expérience religieuse, dès le début, se double d'un sens de la communauté et de la commu­nion. Le thème est partout présent chez les romantiques, et la com­munauté spontanée de Schleiermacher est une réplique de la com­munauté charismatique des piétistes. Il est remarquable que Schleier­macher ne nie pas l'Église, mais oppose à l'Église existante, l'Église vraie, idéale ; d'autres chercheront ailleurs la vraie communauté : la communauté sera la Cité ou l'État ; qu'on pense également à l'Église esthétique, dont rêvait Hölderlin. » [^19]:  -- (1). FEUERBACH, *Zur Beurteilung der Schrift* « *das Wesen des Chris­tentums *» dans *Kleine philosophische Schriften*, p. 35. [^20]:  -- (2). HEGEL, *Principes de la philosophie du droit*, trad. Kahn, Paris, N.R.F., 1940, Préface, p. 32. [^21]:  -- (1). FEUERBACH, *Nécessité d'une réforme de la philosophie,* dans *Manifestes,* p. 99. [^22]:  -- (2). *Op. cit.,* p. 98. [^23]:  -- (3). *Op. cit.,* p. 99-100. [^24]:  -- (4). *Ibid.* [^25]:  -- (5). *Op. cit.,* p. 99. [^26]:  -- (1). En 1830, FEUERBACH publiait d'une façon anonyme les *Pensées sur la mort et l'immortalité,* suivies de considérations déplaisantes pour les piétistes et les théologiens rationalistes. [^27]:  -- (2). Cf. sur ce point H. ARVON, *Ludwig Feuerbach ou la transfor­mation du sacré,* Paris, P.U.F., 1957, p. 59. [^28]:  -- (3). FEUERBACH, Préface à la 2^e^ édit de *L'essence du christianisme,* dans la trad. Osier, Paris, Maspero, 1968, p. 111. [^29]:  -- (1). FEUERBACH, « Nécessité d'une réforme de la philosophie »*,* dans *Manifestes,* p. 99. [^30]:  -- (2). C'est du moins l'avis de Feuerbach, pour qui, manifestement, le problème religieux a été le problème central de toute son existen­ce, comme il l'avoue d'ailleurs à plusieurs reprises. [^31]:  -- (3). FEUERBACH, *op. cit.,* p. 97. [^32]:  -- (4). Cf., par exemple, les réflexions d'ENGELS, dans *L. Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande,* texte dans Marx-En­gels *Sur la religion*, Éditions sociales, Paris, 1969, p. 233-236. [^33]:  -- (1). FEUERBACH, *L'essence du christianisme*, trad. Osier, p. 292. -- Et encore : « Le concept de divinité ne fait qu'un avec le concept d'humanité. Toutes les déterminations divines, toutes celles qui font de Dieu un Dieu, sont des déterminations du genre, déterminations qui sont limitées chez le particulier, l'individu, alors que dans l'es­sence du genre et même dans son existence, dans la mesure où il ne trouve son existence que dans tous les hommes pris ensemble, leurs limites sont supprimées. » (*ibid.*) [^34]:  -- (2). FEUERBACH, « Principes de la philosophie de l'avenir », § 59, dans *Manifestes,* p. 198. [^35]:  -- (3). Marx écrivait à Feuerbach le 11 août 1844 : « Dans vos écrits, vous avez donné au socialisme un fondement philosophique -- je ne sais si c'est à dessein, --, et les communistes les ont immédiatement interprétés en ce sens. L'unité de l'homme avec l'homme qui se fonde sur la différenciation réelle de ces hommes, le concept de genre humain, ramené du ciel de l'abstraction sur la terre réelle, qu'est-il donc sinon le concept de société ? » [^36]:  -- (1). L'identification de l'essence et du genre pose des problèmes difficiles et importants. Le concept d'essence peut être qualifié d'on­tologique, l'essence étant une composante réelle de chaque être. Le concept de genre est un concept purement logique, que je forme à partir de réalités singulières en dégageant leurs ressemblances. A certains égards, il coïncide avec celui d'essence et je puis dire qu'il y a une seule essence humaine, comme il y a un seul genre humain. Mais *formellement identique* chez tous, cette essence n'en est pas moins *numériquement multiple*, parce que reproduite en autant d'exemplaires qu'il y a de personnes ; et en chaque personne je retrouve l'essence de l'homme, une essence réelle, ce qui précisément constitue sa dignité. -- De cette situation découlent des conséquences sur lesquelles nous reviendrons un peu plus loin. [^37]:  -- (2). J.-P. OSIER dans *Présentation de L'essence du christianisme*, p. 70-71. [^38]:  -- (1). K. MARX, *Manuscrits de 1844,* trad. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1968, p. 99 : « Pour l'homme socialiste, tout ce qu'on appelle l'histoire universelle, n'est rien d'autre que l'engendrement de l'hom­me par le travail humain, que le devenir de la nature pour l'homme ; *il a donc la preuve évidente et* *irréfutable de son engendrement par lui-même,* du processus de sa naissance... La question d'un être étranger, d'un être placé au-dessus de la nature et de l'homme est devenue pratiquement impossible -- cette question impliquant l'aveu de l'inessentialité de la nature et de l'homme. L'athéisme est une négation de Dieu et par cette négation il pose l'existence de l'homme ; *mais le socialisme, en tant que socialisme,* *n'a plus besoin de ce moyen terme. *» [^39]:  -- (1). Les marxistes reprochent évidemment à cette conception de négliger les rapports de collaboration dans le travail et, au fond, de substituer à la liaison religieuse de l'homme à Dieu, un rapport tout aussi religieux de l'homme avec l'homme. [^40]:  -- (2). Max STIRNER, *L'unique et sa propriété,* trad. Lasvignes, Paris, Éditions S.L.L.M., p. 60 et suiv. [^41]:  -- (1). H. ARVEN, *L. Feuerbach ou la transformation du sacré,* p. 52-53. [^42]:  -- (2). FEUERBACH, « *L'essence du christianisme *»*,* dans son rapport à « L'Unique et sa propriété », (1845), dans *Manifestes,* p*.* 221. Cf. également *L'essence de la religion,* publié par Feuerbach en 1845. [^43]:  -- (3). FEUERBACH, *op. cit., Manifestes,* p. 222. [^44]:  -- (1). Concile de Chalcédoine (saint Léon Le Grand, pape) en 451­. [^45]:  -- (2). *Hébreux,* X 5-10, *Ingrediens mundum...* [^46]:  -- (1). R*.* LAURENTIN, *La fin du clergé* (Paris, 1971), p. 107. [^47]:  -- (1). Voir notre livre : *Les Mystères du Royaume de la Grâce,* tome 1^er^, chap. III, p. 42, deuxième colonne. [^48]:  -- (1). On peut se reporter au chap. VI du tome 1^er^ de nos *Mystè­res du Royaume de la Grâce.* [^49]:  -- (1). PASCAL, *Pensées,* n° 793. [^50]:  -- (2). Le Père Chardon, l'un des grands dominicains du XVII^e^ siècle, qui eurent à cœur, comme le fit incomparablement Bossuet, d'expri­mer en langue française *vivante* la grande doctrine théologique des Pères et de saint Thomas. [^51]:  -- (1). IIIa Pars de la *Somme,* qu. 19, art. 4 ; qu. art. 2 ad. 1. [^52]:  -- (1). « Cette connaissance de sa propre divinité (Jésus) l'avait déjà *en germe sitôt* qu'il a été en âge de se parler à lui-même -- à la façon, sans doute encore à peine consciente, propre à la petite enfance, mais pour devenir déjà *parfaite ou plénière* à « l'âge de raison » et *continuer à grandir* (???) en richesse et en perfection tout au long de sa vie. » (Même idée reprise p. 125). J. MARITAIN, *De la Grâce et de l'Humanité de Jésus* (Paris, 1967, p. 113.) -- « La connaissance par science infuse que Jésus avait de sa propre divinité s'est *développée* pendant l'enfance de Jésus, *probablement très vite*. » p. 123. -- « La conscience que Jésus avait de sa divinité devait (???) être bien plus haute encore au temps de la sainte Cène et de la comparution devant Caïphe. » (p. 125, n. 1.) Comme si la conscience que Jésus avait d'être *Un de la Trinité* n'était pas une lumière qui eût brillé immédiatement : absolue, indivisible, indépas­sable ; comme si Jésus pouvait se savoir Dieu, un peu moins, un peu plus, selon l'âge et les circonstances. [^53]:  -- (1). « Pour expliquer le texte de saint Luc, 11, 52 : « Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes », on dira avec saint Thomas qu'en elle-même la grâce du Christ n'a pas grandi, qu'elle ne pouvait grandir que selon ses effets et ses manifestations. » p. 18 du livre de Maritain, *De la Grâce et de l'Humanité de Jésus* (Paris, 1967). Et voici le com­mentaire du Cardinal Journet, dans sa revue *Nova et Vetera,* n° 3 de 1967, p. 236 : « *Mais ces conséquences que tire saint Thomas sont-elles acceptables ?* Une autre voie peut être ouverte. » Suivent toutes indications sur les tours et détours et sur les merveilles de *la voie nouvelle enfin ouverte* par Jacques Maritain « *à la suite des recherches* des psychologues modernes, sur la séparation du cons­cient et de l'inconscient ». p. 236 du même numéro de *Nova et Vetera.* [^54]:  -- (1). A la lecture, devant les plus jeunes (au-dessous de la classe de 4°) j'ai sauté « révélation de la sexualité et de ses sortilèges » ; j'ai dit « révélation du mal ». [^55]:  -- (1). ITINÉRAIRES, juin 1971, p. 158-159. [^56]:  -- (1). *Fonds obligatoire à l'usage des auteurs d'adaptation, catéchis­me français du cours moyen,* Co. 1967 by Association épiscopale caté­chistique, p. 61. [^57]:  -- (2). Sur ce point, voir Appendice. [^58]:  -- (1). Mais volumes dont la diffusion n'est pas limitée à la région lyonnaise. Publiés par les éditeurs suivants : Dessain-Tolra, L'École, de Gigord, Grain de Sénevé. Lafolye-Lamarzelle, Lethielleux, Mame, Éditions Ouvrières, Privat-Centurion, Spes, Taffin-Lefort, Tardy, Vit­te. [^59]:  -- (2). Joseph Basseville, né en 1905, ordonné en 1930 ; à la date de ce double *imprimatur,* supérieur et professeur de pastorale au Grand Séminaire du diocèse de Lyon. On frémit en pensant aux prêtres qu'il aura formés. [^60]:  -- (1). *Marche,* p- 5. [^61]:  -- (2). *Ibid.* [^62]:  -- (1). *Fonds obligatoire,* p. 123. [^63]:  -- (2). *Marche,* p. 5. [^64]:  -- (3). *Marche,* p. 116-118. [^65]:  -- (4). *Id.,.* p. 19. [^66]:  -- (5). *Id.,* p. 23. [^67]:  -- (6). «* Deus, qui humanae substantiae dignitatem mirabiliter con­disti et mirabilius reformasti : da nobis, per hujus aquae et vini mysterium, ejus divinitatis esse consortes, qui humanitatis nostrae fieri dignatus est particeps, Jesus Christus, Filius tuus, Domine pos­ter... *» Tout de même, quelle autre richesse dogmatique ! [^68]:  -- (1). *Marche,* p. 116-117. [^69]:  -- (2). Jn, 8, 57-58. [^70]:  -- (1). Serment antimoderniste, § 4. [^71]:  -- (1). Cf. le mot du cardinal Pellegrino, archevêque de Turin (nom­mé par Paul VI) à un journaliste danois : « Nous ne devons pas dire que les chrétiens qui se sont séparés de l'Église doivent retour­ner à l'Église. Des deux côtés, nous devons marcher à la rencontre de l'autre : c'est cela, l'œcuménisme. » (*Le Monde* du 24 août 1967 ; cité par *Le Courrier de Rome* du 5 août 1968.) [^72]:  -- (2). « Si l'on tient compte de l'évolution décisive de la liturgie eucharistique catholique, de la possibilité de substituer au canon de la messe d'autres prières liturgiques, de l'effacement de l'idée selon laquelle la messe constituerait un sacrifice, de la possibilité de communier sous les deux espèces, il n'y a plus de raisons pour les Églises de la Réforme d'interdire à leurs fidèles de prendre part à l'eu­charistie dans l'Église romaine. » Roger Mehl dans *Le Monde* du 10 septembre 1970. [^73]:  -- (1). Le onzième canon du Concile de Trente sur les sacrements ne donne que la seconde formule : *Si quis dixerit, in ministris, dum sacramenta conficiunt et coanferunt, non requiri intentionem, saltem faciendi quod facit Ecclesia, anathema sit *; mais il la donne comme le minimum requis (*saltem*) : minimum inclus, de toute évidence, dans la première formule. Les deux formules sont données par la réponse du Saint Office du 28 décembre 1949 *De intentione ministri sacramentorum :* l'intention requise pour la validité des sacrements est l'*intentio faciendi quod facit Ecclesia vel quod Christus ins­tituit* (Denzinger, éd de 1967, n° 3874/2304). Sur cette question, voir Philippe de la Trinité, o.c.d., *Peut-on* *brader le dogme de l'Eucharistie ?* édition Saint-Michel, 1970, p. 142-143. [^74]:  -- (2). Cf. la question traitée dans la Somme, III a, q. 82, a. 7 : « Les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés peuvent-ils con­sacrer ? » Réponse : oui, quoiqu'ils n'en aient pas le droit. Parce que, dans la consécration de l'Eucharistie, le prêtre, du chef de son pouvoir d'ordre, parle *in persona Christi* et que ce pouvoir est ina­missible -- ne l'ayant pas perdu, « le prêtre retranché de l'unité de l'Église consacre véritablement le corps et le sang du Christ ; mais, ajoute saint Thomas, parce qu'il est séparé de l'unité de l'Église, ses prières sont sans efficacité ». Pour prendre un cas extrême, une messe de Boquen peut parfaitement être une consécration valide ; ce qui n'entraîne pas comme conséquence que le prêtre ait le droit de la célébrer telle et les fidèles d'y assister. Les deux questions sont dis­tinctes. [^75]:  -- (1). Homélie prononcée par Paul VI le 5 mars 1973 au cours de la messe qu'il concélébrait avec les nouveaux cardinaux. Fragments étendus reproduits d'après le texte complet par Louis Salleron dans *Carrefour* du 28 mars : *Que sera la papauté demain ?* article de première importance pour comprendre la pensée de Paul VI. [^76]:  -- (1). Cf. son allocution du 24 février 1966 à l'ICAR, qui loue Teilhard « d'avoir su lire à l'intérieur des choses un principe intelligent qu'il faut appeler Dieu », avec cette réserve : cela ne signifie pas qu'il n'y ait dans Teilhard « bien des fantaisies et des inexactitudes, et je suis le premier à le reconnaître ». La formule finale est caracté­ristique : elle dit expressément que le principal est de sens con­traire. (Cité par Philippe de la Trinité, o.c.d., *Pour et contre Teilhard de Chardin,* Éditions Saint-Michel, 1970, pp. 22 et 177, n. 2.) [^77]:  -- (2). Car Paul VI ne l'énoncerait certainement pas aussi formelle­ment que Teilhard dans les textes ci-dessous. Mais que tel soit l'esprit de sa pastorale n'est pas niable. [^78]:  -- (1). Condition nécessaire : « Je pense que le Monde ne se conver­tira aux espérances célestes du Christianisme que si préalablement le Christianisme se convertit (pour les diviniser) aux espérances de la Terre. » (*Quelques réflexions sur la conversion du Monde,* 9.10.36 Œ., IX, 166.) -- Condition suffisante : « La conscience religieuse moderne, définitivement conquise à l'idée de quelque "surhumanité", à naître de nos efforts mais impuissante à trouver, pour ses aspira­tions, ni représentation ni formule d'action cohérente, *ne résisterait pas* à un christianisme se posant en sauveur des espérances les plus actuelles de la Terre. » (*La Parole attendue,* 31.10.40 : *Cahiers Teilhard de Chardin,* IV 28 ; souligné de Teilhard.) [^79]:  -- (2). Actes, XVII, 19-34. [^80]:  -- (3). I Cor., II, 1-2. [^81]:  -- (1). Matth., VI, 23. [^82]:  -- (2). *Note pour servir à l'évangélisation des temps nouveaux,* 6-1.19 (*Écrits du temps de la guerre,* p. 380). [^83]:  -- (1). Jn., XI., 17 et 39. \[manque l'appel de note dans l'original\] [^84]:  -- (1). Il y aura bientôt un an que M. Jean Gélamur, directeur de la *Documentation catholique,* laisse sans réponse et sans effet une demande de rectification que nous lui avons adressée ; il ne nous a même pas fait connaître les motifs de son omission. Cf. notre numéro précédent, p. 188 à 190. [^85]:  -- (1). Nous rétablissons l'ordre chronologique qui avait été perturbé pour les numéros 12, 13 et 14, comme nous l'avons dit p. 184 d'ITINÉRAIRES de juin.