# 189-01-75
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### Appel à nos lecteurs
Dans les circonstances économiques très difficiles où nous nous trouvons, la revue ITINÉRAIRES ne pourra survivre que par un effort méthodique, soutenu, résolu de tous ceux qui veulent qu'elle survive.
Cet effort commence, pour nos lecteurs, par accepter de donner :
*a*) au moins leur nom et leur adresse,
*b*) dans la mesure du possible : leur cotisation,
aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 40, rue du Mont Valérien, 92210 Saint Cloud (chèques postaux : Paris 19.241.14).
\*\*\*
C'est en effet l'Association des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES qui organise l'*entraide à l'abonnement* (et au réabonnement), par laquelle il se fait que *personne n'est empêché par simple raison d'argent de s'abonner ou de se réabonner à* ITINÉRAIRES.
La revue ITINÉRAIRES est en effet *la revue la moins chère :* chacun fixe lui-même le montant de ce qu'il peut raisonnablement payer pour son abonnement.
\*\*\*
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A tous ceux qui le peuvent, nous demandons un franc par jour, comme pour un journal, pas plus que pour un journal, ce n'est pas exorbitant. Un franc par jour ouvrable, cela fait non pas 200 F par an, mais 300. Ce qui veut dire que pour l'abonnement annuel, dont le montant est indiqué : « 200 à 300 F », c'est bien 300 F par an, et non 200, la somme *nécessaire* pour la survie de la revue.
Ceux qui n'ont pas les moyens d'acheter un journal, ceux qui ne peuvent pas verser un franc par jour, au lieu de verser 300 F, fixent eux-mêmes le montant de leur versement à l'intérieur de la fourchette du tarif indiqué : « 200 à 300 F ».
Ceux qui ne peuvent pas verser 200 F, eux aussi ils fixent eux-mêmes le montant de leur versement ils demandent une bourse partielle d'abonnement (ou de réabonnement) en écrivant aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 40, rue du Mont-Valérien, 92210 Saint Cloud, et en leur indiquant combien ils peuvent verser.
\*\*\*
Pour que la revue ITINÉRAIRES puisse survivre et continuer son combat, il faut que l'aide à ITINÉRAIRES soit organisée et développée.
Il faut, redisons-le, que nos lecteurs commencent par vouloir bien *donner :*
a\) au moins leur nom et leur adresse,
b\) dans la mesure du possible : leur cotisation,
aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 40, rue du Mont Valérien, 92210 Saint Cloud (chèques postaux : Paris 19.241.14).
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### Réclamation au Saint-Père
*Le livre de l'Année sainte*
La réclamation au Saint-Père est une démarche personnelle et non pas collective.
Le soutien à cette démarche est également un acte non pas collectif mais personnel.
Ceux qui soutiennent la réclamation au Saint-Père ont exposé, chacun pour sa part, leurs raisons d'apporter leur soutien :
Alexis Curvers, Henri Rambaud, Marcel De Corte, Bernard Faÿ, Louis Salleron, Thomas Molnar, Éric M. de Saventhem, Jacques Trémolet de Villers, l'abbé Louis Coache, le P. Maurice Avril, l'abbé J.E. des Graviers, Élisabeth Gerstner, Jacques Vier, Édith Delamare, Luce Quenette, Georges Laffly,
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Maurice de Charette, Paul Bouscaren, Jean Crété, Bruno Durand, Roger Berrou, Jean-Bertrand Barrère, Hugues Kéraly, Gustave Corçâo et Antoine Barrois.
n'ont pas donné seulement une approbation ou une signature comme pour une pétition. Chacun d'eux, dans ce livre, donne sa position sur la réclamation au Saint-Père, expose ses motifs, développe ses explications.
C'est véritablement le livre de l'Année sainte : pour la réconciliation dans la foi, dans l'espérance, dans la charité, rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe.
Cette réclamation, notre réclamation permanente, puisque jusqu'ici les hommes d'Église n'ont pas voulu l'entendre, pendant l'Année sainte nous la crions à la terre et au ciel, aux Anges et à Dieu.
Ceux d'entre nous qui iront à Rome pour l'Année sainte, ce sera cette prière au cœur, cette réclamation à la bouché, ce livre à la main.
Jean Madiran : *Réclamation au Saint-Père.* Un volume de 300 pages. L'ouvrage, qui est le tome II de L'hérésie du XX^e^ siècle, vient de paraître aux Nouvelles Éditions Latines, 1, rue Palatine à Paris VI^e^. Téléphone : 033.77.42. Bulletin de commande à la dernière page du présent numéro.
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## ÉDITORIAUX
### Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre
Mgr Marcel Lefebvre a fait cette déclaration, le 21 novembre 1974, en raison de circonstances sur lesquelles des éclaircissements qualifiés seront publiés, si nécessaire, en temps opportun. Cette déclaration s'adressait aux membres de la Fraternité sacerdotale S. Pie X (spécialement aux professeurs et aux élèves du Séminaire international d'Écône), et seulement à eux.
Comme il s'est trouvé que le texte ou des fragments du texte ont circulé, dans des conditions fort diverses, et parfois regrettables, au-delà de ses intentions, Mgr Marcel Lefebvre nous a autorisé à en publier dans ITINÉRAIRES une version authentique et complète.
Mais nous ne la publions pas simplement à titre documentaire, ni simplement par déférence. C'est une profession de foi, et nous y adhérons pleinement.
J.M.
*En la fête de la Présentation de Marie*
*NOUS adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité.*
*Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues.*
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*Toutes ces réformes, en effet, ont contribué et contribuent encore à la démolition de l'Église, à la ruine du Sacerdoce, à l'anéantissement du Sacrifice et des Sacrements, à la disparition de la vie religieuse, à un enseignement naturaliste et teilhardien dans les Universités, les Séminaires, la catéchèse, enseignement issu du libéralisme et du protestantisme condamné maintes fois par le magistère solennel de l'Église.*
*Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le magistère de l'Église depuis dix-neuf siècles.*
«* S'il arrivait, dit saint Paul, que NOUS-MÊME ou un Ange venu du ciel vous enseigne autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu'il soit anathème. *» (*Gal. I, 8*)
*N'est-ce pas ce que nous répète le Saint-Père aujourd'hui ? Et si une certaine contradiction se manifestait dans ses paroles et ses actes ainsi que dans les actes des dicastères, alors nous choisissons ce qui a toujours été enseigné et nous faisons la sourde oreille aux nouveautés destructrices de l'Église.*
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*On ne peut modifier profondément la* « *lex orandi *» *sans modifier la* « *lex credendi *». *A messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Église charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l'orthodoxie et au magistère de toujours.*
*Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l'hérésie et aboutit à l'hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d'adopter cette Réforme et de s'y soumettre de quelque manière que ce soit.*
*La seule attitude de fidélité à l'Église et à la doctrine catholique, pour notre salut, est le refus catégorique d'acceptation de la Réforme.*
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*C'est pourquoi sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment nous poursuivons notre œuvre de formation sacerdotale sous l'étoile du magistère de toujours, persuadés que nous ne pouvons rendre un service plus grand à la Sainte Église Catholique, au Souverain Pontife et aux générations futures. C'est pourquoi nous nous en tenons fermement à tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les mœurs, le culte, l'enseignement du catéchisme, la formation du prêtre, l'institution de l'Église, par l'Église de toujours et codifié dans les livres parus avant l'influence moderniste du concile en attendant que la vraie lumière de la Tradition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de la Rome éternelle.*
*Ce faisant, avec la grâce de Dieu, le secours de la Vierge Marie, de saint Joseph, de saint Pie X, nous sommes convaincus de demeurer fidèles à l'Église Catholique et Romaine, à tous les successeurs de Pierre, et d'être les* «* fideles dispensatores mysteriorum Domini Nostri Jesu Christi in Spiritu Sancto *»*.*
*Amen.*
Mgr Marcel Lefebvre.
Mgr Marcel Lefebvre présidera en personne les cérémonies religieuses du PÈLERINAGE A ROME organisé par l'Association « Credo », récemment créée sous la présidence de Michel de Saint Pierre. Le pèlerinage aura lieu du vendredi 23 mai 1975, date du départ de France, au lundi 26 mai au soir, date du départ de Rome pour le retour en France. (Renseignements et inscriptions au siège de l'Association « Credo », 20, passage des Récollets, Paris X^e^. Téléphone, 205.80.39.)
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### Fils de l'Église en un temps d'épreuve
par R.-Th. Calmel, o.p.
IL SERAIT VAIN de chercher à nous dissimuler que l'Église est soumise par son Seigneur à une très dure épreuve : une épreuve assez nouvelle car les ennemis qui lui font la guerre sont dissimulés dans son sein. Malgré les discours optimistes, le Pape actuel n'a pas hésité à parler de cette crise ; les termes d'autodémolition sont bien de lui ; du reste l'expérience quotidienne ne nous permet plus de penser que, du point de vue des garanties que donne l'autorité comme du point de vue de la foi des fidèles, tout marcherait encore comme avant le Concile. L'expression dont se servait Maritain dans *Le Paysan de la Ga**ronne *: *apostasie immanente*, nous en vérifions chaque jour un peu plus la terrible justesse. Les faits sont innombrables qui font toucher du doigt les carences de l'autorité hiérarchique, la puissance étonnante des autorités parallèles, les sacrilèges dans le culte, les hérésies dans l'enseignement doctrinal.
En présence de cette épreuve un grand nombre de prêtres et de fidèles ont pris le parti de ce qu'ils appellent l'obéissance. En réalité ils n'obéissent pas vraiment parce que des ordres véritables qui offriraient pleine garantie juridique ne sont pas portés. Je prends l'exemple que je connais bien des religieux, des religieuses ou des prêtres séculiers. Ceux et celles qui se sont mis en civil, ceux et celles qui récitent un office forgé par telle maison ou pour telle maison, les prêtres, j'entends les prêtres pieux, qui se composent les liturgies qui leur conviennent davantage selon les jours et les assemblées, dirons-nous de tous ceux-là qu'ils obéissent ?
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En réalité ils suivent, généralement sans grand enthousiasme, des indications ambiguës ; ils subissent, ils « encaissent » les innovations. Les plus sages essaient de ne pas trop s'engager dans un sens ou dans un autre ; ils n'excluent pas radicalement ce qui se faisait depuis des siècles, ils ne prennent pas non plus ce que l'on appelle une position en pointe. De toute manière, encore qu'ils marchent dans le sens des innovations, il est certain qu'il ne s'agit pas pour eux, même si d'aventure ils le pensent, d'obéissance au sens propre du mot ; ils ne se conforment pas à un précepte qui aurait les qualités d'un précepte ; qui se présenterait avec la netteté et la force de l'obligation ; il semble surtout ([^1]) qu'ils ne veulent pas ou qu'ils n'osent pas contrarier une certaine mode, sur la valeur et sur la validité de laquelle ils demeurent assez perplexes. De toute façon ces fidèles, ces prêtres, ces religieux sont résolus à ne pas mettre en cause la foi de l'Église, ni la morale qu'elle enseigne ; nous pensons que, pour un certain nombre d'entre eux, leur docilité et leur bonne foi ont été surprises ; ils sont abusés plutôt que coupables. Mais jamais ne nous a effleuré la pensée qu'ils ne seraient plus dans le sein de l'Église. Nous ne les considérons pas autrement, cela va sans dire, que comme des fils de l'Église. Le malheur, le grand malheur, c'est que, même sans qu'ils le veuillent, leur conduite fait le jeu de la subversion. Ils se sont pliés en effet à des innovations désastreuses ; des innovations introduites par des ennemis cachés, des transformations équivoques et polyvalentes, qui n'ont d'autre but effectif que d'énerver une tradition certaine et solide, de la débiliter et finalement, sans donner l'éveil, de changer peu à peu la religion. Sous prétexte qu'il fallait faire des réformes, sous prétexte qu'il fallait essayer de gagner les protestants, les modernistes, ces hérétiques dissimulés, ont fait entrer la Révolution.
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Or il est des fidèles, des prêtres séculiers et réguliers, des religieuses, de rares évêques, qui ayant discerné, plus ou moins vite, plus ou moins profondément, que les innovations innombrables procédaient de l'intention révolutionnaire de l'ennemi, -- et d'un ennemi qui travaillait dans la place, -- ont décidé, par attachement à l'Église, de maintenir ce qui était pratiqué, ce qui était enseigné avant la période très amère et très périlleuse de *l'autodémolition.* Pour la Messe ils s'en tiennent au rite, à la langue, au formulaire de la Messe *catholique traditionnelle, latine et grégorienne ;* s'ils ont à réciter le bréviaire ils se servent toujours de celui qui était d'un usage universel avant Jean XXIII ; ils gardent pour les psaumes la version millénaire antérieure à la révision ridicule des jésuites du cardinal Bea ([^2]) ; ils continuent à dire le *Notre Père* et le *Je Vous Salue* comme ils l'ont appris ; ils portent encore soit la soutane de leur état clérical, soit la tunique de leur profession religieuse ; ils enseignent le catéchisme de saint Pie X ; et de même que dans leur prédication ils n'embrouillent pas la vie de la grâce et le développement économique, de même dans leur étude doctrinale ils ne se laissent pas égarer par la chimère d'une réconciliation de l'enseignement de l'Église avec les philosophies modernes ; ils estiment enfin que dans l'ordre social et politique l'Église approuve et favorise uniquement une cité qui est conforme à la morale naturelle et qui reconnaît les droits de Dieu et de son Christ ; ils sont assurés que l'Église ne met pas, ne mettra jamais sur le même pied d'une part une société et des lois révolutionnaires et d'autre part une société conforme au droit naturel et chrétien. L'Église condamne la Révolution et la condamnera toujours, qu'elle s'appelle libéralisme ou socialisme. Eh ! bien donc les chrétiens qui, conscients de l'ambiguïté des innovations récentes non moins que des intentions perverses qui en réalité sont à leur origine, qui les gâtent et les corrompent radicalement, les chrétiens dis-je qui les ont refusées par attachement à la foi et à l'Église, ces chrétiens fidèles les accuserons-nous de désobéissance ? Gémirons-nous sur leur aveuglement en leur reprochant de céder au libre examen, de s'ériger eux-mêmes en arbitres de la situation ? Serons-nous scandalisés de ce qu'ils n'aient pas mauvaise conscience ?
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Comprenons plutôt que devant la carence désolante de l'autorité, devant l'affolante incertitude des directives et la multiplicité invraisemblable des changements, loin de s'ériger en arbitres ils s'en tiennent, si l'on peut dire, à un arbitrage, à un ensemble de lois et de coutumes qui se sont perpétuées jusqu'à Jean XXIII, qui étaient encore reçues paisiblement il y a de cela une quinzaine d'années, qui ne peuvent être que tout à fait sûres ayant pour elles la force de la tradition *in eodem sensu et eodem sententia* ([^3])*.* Les chrétiens dont je parle prient de toute leur âme le Christ notre Seigneur, qui est notre chef et notre roi invisible, de faire sentir la puissance et la sainteté de son gouvernement sur le corps mystique par un chef visible, par un pontife romain qui plutôt que de déplorer *l'autodémolition* exercera sa charge suprême avec netteté et suavité, et confirmera la tradition ; il la confirmera en tenant compte de quelques adaptations nécessaires ; il le fera sans ambiguïté, en garantissant l'essentiel loin de l'exposer à la ruine. Dans l'attente de ce jour je ne vois pas ce qui autoriserait certains chrétiens à taxer de désobéissance les fidèles ou les prêtres qui gardent la tradition ; je vois encore moins ce qui permettrait de les accuser de n'être plus des fils de l'Église.
La position de ces fidèles n'est rien moins que confortable. Ils refusent les compromis ; ils refusent d'entrer en complicité avec une Révolution qui est assurément moderniste. Sociologiquement ils sont tenus à l'écart. Quels que soient leurs-mérites, les postes de responsabilité importants ne sont pas pour eux. Ils ne s'en plaignent pas du reste, sachant qu'ils ne peuvent rendre témoignage sans être exposés peu ou prou, selon les lieux et les personnes, aux blâmes, à la suspicion, à la ségrégation. Ils ne se plaignent pas de payer ce prix pour rester fils de l'Église. Si vous hésitez à les suivre, au moins ne leur jetez pas la pierre. Vous seriez d'autant moins fondés à le faire eux-mêmes n'ont jamais songé à vous anathématiser, encore qu'ils pensent que, probablement sans bien le saisir, vous faites le jeu de la subversion.
Ces chrétiens qui gardent la tradition en ne concédant rien à la Révolution désirent avec ardeur, afin d'être pleinement les fils de l'Église, que leur fidélité soit pénétrée d'humilité et de ferveur ; ils n'ont de goût ni pour le sectarisme, ni pour l'ostentation. A leur place, qui est modeste et tout juste supportée, ils essaient de maintenir ce que l'Église leur a transmis, étant bien certains qu'elle ne l'a pas révoqué et s'efforçant, dans leur maintenance, de garder l'esprit de ce qu'ils maintiennent.
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C'est évidemment en vue de la gloire de Dieu et du salut des âmes que la tradition nous a transmis le rite latin et grégorien de la sainte Messe, le bréviaire antérieur aux bouleversements, le catéchisme romain, l'ascèse et la discipline de l'état ecclésiastique et de l'état religieux. C'est également pour l'amour de Dieu et le bien des âmes -- d'abord de notre âme, -- et non par un esprit de contention ou de zèle amer que nous essayons de maintenir. Ce faisant nous ne doutons pas d'être fils de l'Église. Nous ne formons aucunement une petite secte marginale ; nous sommes de la seule Église catholique, apostolique et romaine. Nous préparons de notre mieux le jour béni où l'autorité s'étant retrouvée elle-même, dans la pleine lumière, l'Église sera délivrée enfin des brouillards suffocants de l'épreuve présente. Encore que ce jour tarde à venir, nous essayons de ne rien relâcher du devoir essentiel de nous sanctifier ; nous le faisons en gardant la tradition *dans l'esprit même où nous l'avons reçue,* un esprit de sainteté.
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Nous n'en sommes pas moins d'Église parce que nous opérons un tri dans les messes qui se célèbrent ou dans les formes d'enterrement que l'on prétend imposer aux familles, à l'encontre d'ailleurs de la volonté expresse des défunts. Nous n'avons rien de schismatique du fait de choisir entre les rites, les prières, les prédications, car ce choix l'Église elle-même nous a appris à le faire. -- Je me souviens à ce sujet du propos désolé de Louis Daménie, qui était le directeur de *l'Ordre Français ;* c'était à la fin de 1969 lors de l'invasion des messes nouvelles. « Jusqu'à ces derniers temps, me confiait-il, j'allais à la messe à peu près tous les jours et d'après l'heure qui cadrait le mieux avec mes déplacements. J'étais tranquille sur la messe que je trouverais, quelle que soit l'Église où j'étais entré. Mais à présent je vois tellement de variations et de différences, je souffre tellement de ces rites de communion désinvoltes et même sacrilèges, ces rites avilis, contraires à la foi dans la présence réelle, contraires à la fonction réservée au prêtre, en un mot je trouve un peu partout et si souvent des messes protestantisées, des messes qui ne portent ni le caractère de la foi ni celui de la piété, que je suis obligé de m'abstenir. *Après tout c'est l'Église qui m'a appris à faire comme je fais : ne point pactiser avec ce qui détruit la foi.* Je me suis limité à quelques chapelles ; mais du fait même de cette limitation inévitable je ne vais plus à la messe en semaine que très rarement. »
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Qui oserait dire que le chrétien d'une loyauté exemplaire qui avait pris cette décision très pénible avait cessé d'être aussi filial à l'égard de l'Église du jour où il avait fait ce choix ? ? Ce choix ? il le faisait justement parce qu'il aimait l'Église comme un fils ; parce qu'il savait que notre Mère l'Église tient pour abominables les rites ambigus. Car une Église dont la liturgie serait ambiguë ferait injure à son Époux, le Souverain Prêtre ; elle exposerait ses fidèles à un danger mortel. Je souhaite à tous nos frères catholiques qui seraient tentés d'attribuer nos choix ? à quelque passion sectaire, à quelque attrait pour le schisme, de considérer que c'est précisément pour échapper à la rupture dans la discipline et à la déliquescence dans la foi, c'est pour demeurer au cœur de la sainte Église, que nous maintenons les choix ? que la tradition a maintenus. Du reste si nos choix ? au sujet des rites de la messe, des catéchismes, des enterrements ou des baptêmes entrouvraient une brèche schismatique ou procédaient d'une racine diabolique de rébellion, il serait dans l'ordre que nous soyons frappés dans les règles et juridiquement condamnés. Nous ne le sommes pas. Il est vrai que nous passons pour suspects, nous sommes souvent regardés sans bienveillance, ridiculisés ou bafoués ; mais cela n'a rien à voir avec des sanctions juridiques.
C'est parce que nous sommes d'Église, c'est pour rester ses fils dociles et aimants, que nous avons choisi de ne pas marcher dans le sens de toutes ces innovations, sachant bien que le but inavoué mais certain est la démolition, *l'autodémolition.* En outre, et de toute évidence, ces innovations qui se multiplient sans mesure et sans frein ne sont pas tenues en main par les autorités ecclésiastiques.
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Non seulement l'Église ne nous a pas excommuniés pour nous être conformés à la doctrine et à la pratique d'avant le Concile, mais tout ce que nous croyons de l'Église et de sa stabilité vivante nous persuade que, sans trop tarder et bien clairement, elle approuvera notre attitude et la consacrera de son autorité. Nous ne pensons pas, nous ne disons pas qu'elle réprouvera toute adaptation, bénira la sclérose, canonisera l'engourdissement ; nous disons au contraire que, par l'effet de sa volonté sainte de faire valoir la tradition en ce quelle est véritablement, elle rejettera avec grande netteté les innovations ambiguës qui biaisent avec la tradition, qui l'exténuent et la détruisent, sous prétexte de lui rendre sa pureté primitive ou son ampleur missionnaire.
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(Comme si, malgré la faiblesse des hommes d'Église, il existait quelque antinomie entre vie et tradition, entre tradition et zèle, tradition et vie évangélique.) Nous espérons en paix, et non pas dans le sommeil mais dans une fidélité attentive, que l'Église, sans trop tarder, élèvera sa voix puissante et portera des décrets efficaces pour faire savoir qu'elle ne supporte pas les catéchismes douteux, les messes protestantisées, l'abolition pratique du latin dans la liturgie ni la suppression pratique du canon romain latin traditionnel, ni ce rite tendancieux de la communion qui contrarie sournoisement la foi dans l'eucharistie et dans le sacerdoce ; -- et nous ne dirons rien ici de l'indiscipline religieuse et de l'anarchie cléricale qui sont un outrage pour le sacerdoce et une insulte pour les saints fondateurs.
Il se lèvera bien le jour où l'Église qui, pour le quart d'heure, subit comme le répète Madiran avec tant de justesse l'occupation ennemie, condamnera très ouvertement tous ces soi-disant renouveaux qui biaisent « modernistiquement » avec la tradition ; et cassera en même temps que ces nouveautés modernistes, les autorités occultes qui du fin fond de quelque repaire maçonnisé tirent savamment les ficelles et introduisent dans la pratique la religion antéchristique de l'homme en évolution. Il se lèvera le jour où nous chanterons avec le grand classique qui paraphrasait Isaïe :
« Jérusalem renaît plus brillante et plus belle...
« D'où lui viennent de tous côtés
« Les enfants qu'en son sein elle n'a point portés ?
« Lève, Jérusalem, lève ta tête altière...
« Les peuples à l'envi marchent à ta lumière ([^4]). »
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En définitive, si nous sommes persuadés que les innovations postconciliaires ne sont pas d'Église, n'engagent pas notre obéissance, seront manifestement rejetées lorsque prendra fin l'occupation de l'Église, c'est parce que ces bouleversements travaillent *par eux-mêmes* à détruire l'Église si nous la considérons dans son mystère fondamental. Que nous voyions en effet l'Église comme temple et *demeure de Dieu* parmi les hommes ou comme *médiatrice divinement assistée* de la vérité et de la grâce ;
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que nous l'envisagions comme *le corps du Christ* et son prolongement mystique -- *Jésus-Christ répandu et communiqué*, disait Bossuet -- ou comme *l'Épouse sans tache ni ride* qui dispense aux pécheurs les biens surnaturels, dans une union intime avec son Époux et son Roi, de toutes manières ([^5]) les mesures ambiguës, le rituel mouvant, le catéchisme informe, la morale sans précepte, la discipline religieuse sans obligation, l'autorité hiérarchique dépersonnalisée et transférée à un appareil fuyant et anonyme, aucune de ces inventions postconciliaires n'appartient véritablement à l'Église. Nous n'avons pas à en tenir compte puisque nous sommes enfants de l'Église et que nous entendons le rester. Nous gardons la tradition avec patience. Les forces modernistes occupantes ne pourront plus bâillonner bien longtemps les lèvres sacrées de notre Mère. Elle nous dira tout haut que nous n'avons rien de mieux à faire que de tenir saintement la tradition. *Patientia pauperum non peribit in finem* (.Psaume 9). La patience des pauvres ne sera plus indéfiniment trompée.
R.-Th. Calmel, o. p.
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## CHRONIQUES
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### Une nouvelle politique économique s'impose
par Louis Salleron
LE PROBLÈME POLITIQUE et le problème économique sont étroitement liés ; mais ils demeurent distincts. J'appelle problème politique celui qui concerne la restauration de l'autorité de l'État, à l'intérieur, et, à l'extérieur, la conduite des relations avec les autres États. J'appelle problème économique celui qui concerne les affaires de la production, des échanges, de la monnaie, de l'emploi, etc.
Le problème économique est difficile à résoudre, pour toutes sortes de raisons évidentes, mais sa solution implique une vue exacte de la situation, qui commande la *politique économique* à suivre. Autrement dit, quelles que soient les carences de l'autorité gouvernementale, celle-ci peut s'exercer dans telle direction plutôt que dans telle autre. Selon les choix qu'elle fera, elle préparera le rétablissement de la prospérité et, conséquemment, de la puissance nationale ou, à l'inverse, contribuera à l'accélération de notre décadence.
Or je pense que la voie dans laquelle nous sommes engagés est sans issue et qu'une autre voie s'impose.
La crise de l'énergie nous affecte plus qu'aucun autre grand pays. Les États-Unis et l'U.R.S.S. disposent de toutes les ressources nécessaires en matières premières, énergétiques ou autres, et ont les moyens politico-militaires de surmonter les difficultés accessoires. La Grande-Bretagne a du charbon en quantité illimitée, va avoir le pétrole de la mer du Nord et dispose d'un appareil financier qui, malgré son délabrement, conserve une certaine valeur.
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L'Allemagne a tout le charbon qu'il lui faut et, par sa balance commerciale largement excédentaire, jouit d'une monnaie extrêmement solide et de ressources financières lui permettant d'acheter sans difficulté tout le pétrole dont elle a besoin. La France n'a que peu de charbon, elle n'a aucune autre ressource énergétique notable, sa monnaie est faible et sa balance commerciale est déficitaire.
Notre gouvernement mène une politique économique à double volet. D'une part, il tente de développer nos exportations pour obtenir des devises ; d'autre part, il prétend lutter contre l'inflation en faisant pression sur les entreprises pour qu'elles contrôlent la hausse des salaires. Ces deux directions sont bouchées.
Le développement des exportations industrielles, à base de matières premières importées, peut d'autant moins dégager d'excédents substantiels que nos clients traditionnels sont dans la même situation que nous. Ce n'est que si nous pouvions accroître massivement nos exportations vers les pays producteurs de pétrole, vers l'Allemagne et vers les États-Unis que nous pourrions acquérir des devises. Les résultats, dans ces directions, ne peuvent être que très limités.
La pression sur les entreprises, par les restrictions de crédit et les augmentations d'impôt, n'aboutit qu'à pénaliser les petites et moyennes entreprises en anémiant des activités fondamentales et en freinant les investissements. Il n'en résulte que du chômage et un renforcement de la concentration, sans ralentissement notable de l'inflation, laquelle continue d'être alimentée par les taux d'intérêt exorbitants et les privilèges insensés accordés aux secteurs puissants de l'économie.
Une autre politique est possible dont les trois volets seraient les suivants :
1\) *-- L'agriculture. --* Nous disposons d'une capacité considérable de production agricole. C'est cette capacité qui doit être utilisée car, liée à notre sol, c'est-à-dire non importée, elle est, à long terme, notre seul moyen d'échange contre les produits que nous devons nécessairement importer, à commencer par le pétrole. L'option agricole n'est pas une option contre l'industrie, c'est une option pour la conversion de multiples activités industrielles en fonction de l'agriculture. Car l'industrie a à s'employer de mille manières pour développer la production agricole et pour transformer et vendre les produits agricoles.
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Il est extravagant de constater que notre agriculture a, jusqu'à présent, intéressé surtout l'industrie étrangère. Qu'il s'agisse d'équiper les fermes ou de transformer et vendre nos produits agricoles, partout nous trouvons l'industrie étrangère.
Bien mieux ! Chaque fois que nous avons des excédents de blé, de lait, de viande, nous les bradons à vil prix sur les marchés extérieurs, ce qui signifie une perte nette de substance.
Si l'on veut bien considérer, d'autre part, que la famine s'étend dans le monde et que, de l'aveu de tous les experts, le problème alimentaire sera demain, partout, le problème numéro un, nous devrions, dès maintenant, nous atteler à faire de notre agriculture le point de départ de notre activité économique fondamentale (production agricole, production industrielle liée à l'agriculture, recherche agronomique, engineering, coopération, organisation des marchés, etc.).
2\) -- *L'indexation*. -- Notre gouvernement s'est prononcé résolument contre toute indexation de l'épargne et des emprunts. S'il s'agissait d'une indexation généralisée, il aurait raison. Mais une politique d'indexation dans des domaines circonscrits est nécessaire et serait aussi bénéfique qu'elle serait équitable.
J'ai eu la satisfaction de voir que cette politique de bon sens est celle que préconise M. Olivier Moreau-Néret, grand expert en la matière. Dans un article du *Monde* (6 novembre 1974), il expose ses idées. En gros, il s'agit de limiter, à 3, 4 ou 5 p. 100 l'intérêt des dépôts en banque et aux caisses d'épargne et celui des obligations, en garantissant le remboursement du capital, au moins pour 75 % de sa valeur, à un taux indexé, par exemple sur les prix à la consommation :
On peut moduler le schéma comme on veut, mais le schéma est bon. Les résultats en seraient certains. L'inflation serait freinée de deux manières. D'une part, la diminution du taux de l'intérêt diminuerait le prix de revient, voire la consommation ; d'autre part, la revalorisation de l'épargne favoriserait les investissements tout en assurant la sécurité aux épargnants.
Le mécanisme aurait l'immense avantage d'être autorégulateur et de conduire à la restauration de l'équilibre économique et à la santé monétaire.
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3\) -- *Le marché financier.* -- Une économie nationale basée sur l'agriculture et sur une monnaie saine permettrait à la France de se redonner un marché financier digne de ce nom. Les capitaux étrangers afflueraient chez nous, nous pourrions redevenir des prêteurs internationaux et investir dans le monde entier. Ainsi pourrions-nous aisément payer les déficits de notre balance commerciale par les excédents de notre balance financière. Ce serait, en somme, le retour au modèle de notre équilibre international d'avant 1914.
La politique économique des différents pays ne peut être la même. Chaque pays a ses caractères propres, avec ses atouts propres et ses handicaps propres. S'il y a des vérités communes à toute l'économie, il y a des structures particulières à chaque économie nationale. Nous ne sommes ni l'Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni les États-Unis. Empruntons à ces pays ce qu'il y a d'universellement vrai dans leur comportement, mais évitons aussi bien de leur emprunter leurs erreurs, quand ils en commettent, que de les copier dans ce qui leur convient et ne nous convient pas.
Comme il est absolument certain que la monnaie et l'alimentation sont déjà et seront de plus en plus les impératifs de toute politique économique dans le monde, profitons de ce que nos structures géographiques et traditionnelles nous permettent de nous bien placer, dans ces deux domaines, pour y trouver les principes directeurs d'une politique économique nouvelle, à la fois rationnelle et vouée au succès.
Rien ne permet d'espérer, pour le moment, que ces vérités aient aucune chance d'être accueillies dans les hautes sphères de notre technocratie nationale. Mais comme l'échec de la politique actuellement suivie est dès maintenant patent, il est bien évident que les responsables de nos destinées vont être appelés prochainement à réfléchir sur ce qu'il faudrait faire. N'hésitons donc pas à semer généreusement les idées. Il en restera bien quelque chose.
Louis Salleron.
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### La vraie richesse du Brésil
par Hugues Kéraly
ON APPRENAIT CELA dans nos classes terminales d'avant 68 : tout est grand au Brésil ; les plages, les déserts, les villes, les fleuves, les forêts. Il faut le voir pour mesurer combien c'est vrai, aussi, de ces multiples riens qui font là-bas le charme de la vie. Et tant pis si le phénomène décourage d'avance la description, pour celui que le génie poétique n'habite pas.
Dans le jardin impérial de Petropolis, j'ai marché sous des azalées de dix, quinze mètres de haut, avec des ramifications charmantes peuplées de colibris, si bleus et vifs sur ce fond de neige rosée que d'abord on n'y croit pas ; après cela, le palais colonial fait bien en se bornant à une bourgeoise, discrète harmonie. A Copacabana, dans ce centre de Rio coincé entre la mer et l'océan, on s'entasse à raison de 29 694 « cariocas » ([^6]) par km^2^ ; quelques pas plus haut, dans les terres, commence ce qui passerait chez nous pour un semi-désert humain -- quatorze fois la France, 104 millions d'habitants --, avec un poste à essence tous les 200 km dans les régions du Nord et du Centre-Ouest. Cela n'empêche pas le carioca d'être aussi accueillant que le Brésilien des États reculés, spirituel, beaucoup plus bavard, et à l'abri comme par nature de toute morosité ; dans la rue, il trouve souvent plus civil de vous conduire lui-même à bon port que d'indiquer le chemin, et vous devenez son hôte jusqu'à la maison recherchée. Sur les rives de l'Araguaia, c'est une autre image, une autre richesse du Brésil : n'importe qui d'un peu musclé sort dans la demi-heure, sans même appâter, ses cent kilos de poisson frais aux plus merveilleuses couleurs -- quand il ne lâche pas tout précipitamment sous le poids d'un pirarucu deux fois gros comme lui !
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La beauté, la magnifique générosité naturelle et humaine de ce pays échapperaient de la même irrésistible manière au chroniqueur simplement philosophe si Dieu n'avait aussi richement doté le Brésil dans des choses toutes simples, comme le brin d'herbe. *Ex simplicibus ad composita*, commençons par lui : bien compris, il en dit plus que les chiffres et les statistiques sur certains caractères essentiels du pays. Celui que j'ai rapporté en souvenir n'a pas moins de cinq millimètres d'épaisseur, trois centimètres et demi de large, huit de haut ; il vient du Jardin botanique de Rio mais ne fait aucunement exception. Cette imposante réserve moléculaire lui permet de résister sans vrai dommage à plusieurs mois de sécheresse. Il jaunit, s'empoussière, s'écrase alors au ras du sol jusqu'à se confondre avec la terre rouge du Brésil comme une vulgaire tourbe en décomposition : on croit fouler les aiguilles inertes de nos pins. Il fait le mort. C'est pour mieux nous surprendre. Car en une heure de pluie sa verdeur devient insoutenable, les pelouses prennent plus de densité et de fierté, sinon de grâce, qu'un gazon anglais... Humilité, vitalité et confiance, n'est-ce pas le vieux secret de toute nature végétale.
A ce que j'ai pu constater, le Brésilien ressemble assez à son brin d'herbe. Doux et résistant face à la pauvreté, entreprenant et généreux dans l'abondance, il garde en toute circonstance un génie de l'adaptation heureuse qui ne laisse pas d'étonner -- héritage certain des ancêtres Portugais. Cela peut aller jusqu'à l'insouciance ou au débordement, surtout près des tropiques ; mais l'enthousiasme est son excuse et aussi sa grandeur. Plus que l'immensité des ressources et la réussite dans l'expansion industrielle, il fait la vraie richesse du pays.
L'Européen se sent vieux au Brésil, s'il veut bien voir ce que cette nation a de meilleur, qui est de pousser droit, et joyeusement. Du moins respire-t-on cette jeunesse dans les conversations, même bourgeoises, et dans les rues jusqu'aux plus pauvres. Pour le reste, nos hôtes nous ont soigneusement préservés de tout contact avec les fonctionnaires de Brasilia, les instituteurs et les curés. C'est sans doute mieux ainsi.
\*\*\*
J'ai passé un mois au Brésil, sur l'invitation du grand écrivain qui nous fait dans ces pages l'honneur de sa collaboration régulière. Naturellement, la découverte du pays a commencé chez lui, dans son bureau de la rue Pirès Ferreira.
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Celui-ci partage avec tout Rio le privilège d'être placé sous le regard d'une gigantesque statue du Sacré-Cœur, à la mesure en somme de tout le reste : 1.145 tonnes, 38 mètres, au sommet du Corcovado. On la voit de partout, le jour comme la nuit, avec ses bras puissants ouverts sur la capitale, la baie de Guanabara et l'océan, plus imposante encore si l'on s'éloigne du mont.
Dans le petit jardin de Gustave Corçao, on remarque un fauteuil d'osier tourné en permanence vers la statue ; comme si le meilleur de la conversation brésilienne pouvait et devait se poursuivre là. Lorsqu'on s'y assoit, la tête du Christ Rédempteur reste seule visible. Debout, le corps en croix émerge par-dessus la ville et semble se pencher un instant vers vous en signe de protection, ou d'avertissement.
Gustave Corçao tient là une sorte de paternelle permanence. On peut l'y déranger à toute heure, c'est un principe établi. Il y a même deux téléphones sur le bureau, à l'usage des questions ou des arguments oubliés ; et, virtuellement, plusieurs millions de lecteurs brésiliens au bout du fil. Corçao est un des plus grands écrivains d'Amérique latine. Mais il a toujours le temps de vous répondre, entre un point et une virgule, plus trois ou quatre choses délicates à vous demander. Son temps appartient au prochain, et réciproquement. J'ai pu m'en rendre compte lorsqu'il me pria de réserver au programme du séjour trois libres conversations de six heures, pour commencer... C'était la fin de l'hiver à Rio, juste chaud comme un beau mois d'août parisien. L'été, on doit user de doses plus homéopathiques.
Homme de science, philosophe chrétien et merveilleux conteur, Gustave Corçao sait ne jamais ennuyer. Simplement, comme chez les Grecs du III^e^ siècle avant notre ère, la parole est pour lui et son entourage une sorte de fête ; et le grand art, celui qui invite l'interlocuteur à une intuition plus sûre des vérités. Or ce n'est pas facile de faire remonter à d'autres la pente du relativisme universel. L'esprit, l'intelligence même ne suffisent pas. Il y faut de la patience, de l'imprévu, de l'élan, quelque amicale férocité, bref un tempérament d'escrimeur que nous avons peut-être négligé. Il y faut encore un terrain d'entente minimum, le respect de principes philosophiques communs sans quoi la pensée plane ou s'égare loin du réel. -- Sur ce plan, Gustave Corçao a plus d'admirateurs au Brésil que d'égaux. Mais le Brésil a cinq siècles, sans passif intellectuel irréversible derrière lui. C'est déjà quelque chose, que cet enseignement et ce combat d'un sage soient honorés ; qu'on aime là-bas à se sentir disciple, fils spirituel de quelqu'un...
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Il y a en Guanabara un petit groupe qui doit à Gustave Corçao le meilleur de sa formation civique, intellectuelle et morale, voire même théologique ; comme, au temps de la dictature du président Vargas, ses élèves de l'École Militaire, dont certains furent hissés au pouvoir par la contre-révolution catholique de 1964 ([^7]).
Malgré cela, le vieux professeur est toujours dans l'opposition. Non politique, mais certes aussi héroïque, et beaucoup plus solitaire encore qu'autrefois : dans le plus grand pays catholique du monde selon la statistique, il s'en prend aux déclarations et aux agissements sournois de la C.N.B.B. ; cette « conférence » épiscopale, anti-catholique et anti-brésilienne, qui médite une propulsion évangélique du pays dans la voie du Chili d'Allende et du Portugal d'aujourd'hui.
Du point de vue de la stratégie révolutionnaire, rien de plus inévitable que cette poussée de fièvre progressiste à la C.N.B.B. : le Brésil communiste, c'est à court terme l'Amérique latine entière qui peut basculer. Tout dépendra ; on le sait aujourd'hui, du degré de perméabilité des militaires au mirage vaticano-socialiste. De là à rêver qu'au Brésil, par grâce spéciale de la providence, les officiers catholiques soient anti-cléricaux... Mais je songe avec quelque tristesse au professeur Corçao, pionnier de la science et du nouveau monde, esprit si amical et si positif, qui presque seul se contraint chaque jour à fustiger ces loups mitrés, au grand scandale d'une bourgeoisie plus aveugle encore que chez nous sur ce plan-là. L'Église vraiment est une. Comment éviter que son autodestruction suive partout des voies identiques ; et que l'abandon, le drame, l'isolement de ceux qui la subissent en s'y opposant soient les mêmes des deux côtés de l'Océan.
Pour l'heure, le mieux est d'en venir à d'autres découvertes.
\*\*\*
Dans les grandes capitales brésiliennes, la circulation passe très vite du pittoresque au terrifiant. Un dimanche soir, j'ai vu toute une artère s'immobiliser en quelques secondes : dans les véhicules, la radio diffusait les résultats du match de football *Fla-Flu* ([^8])*.*
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Ailleurs, deux bus surchargés peuvent aussi bien décider de se donner la course ; les stations défilent alors, on ne s'y arrêtera plus que vainqueur ou vaincu. Pour le touriste nécessairement hors-jeu, le vrai drame s'annonce avec la pente et les curieux bruits du frein ; mais il est bien le seul à s'en préoccuper.
Par bonheur, les taxis restent nombreux et bon marché. Dans presque tous, au centre d'un fatras de fétiches et d'objets baroques, on découvre un signe de chrétienté : une croix, une image de saint, une statuette de la Vierge stabilisée dans le cendrier. De jour leur conduite est cordiale, sinon tranquille. Juste un petit coup de frein pour entretenir, ici ou là, les multiples raisons d'admirer le paysage ; on s'en voudrait de vous lâcher silencieux ou déçu. -- Ça se corse un peu après onze heures du soir, quand le trafic permet d'attribuer à feu rouge et sens unique une valeur simplement indicative. Garanti contre l'accident par sa madone ou son saint, le chauffeur vous protège en outre des attaques à main armée en franchissant le plus rapidement possible les carrefours et les rues suspectes. Il paraît que la police autorise cette interprétation nocturne du code de la route ; et, quoiqu'au Brésil le banditisme ait beaucoup reculé, pour le meilleur comme pour le pire, le droit au rodéo de minuit reste acquis chez les cariocas.
Dans certains quartiers de Rio, les soirs de *macumba,* on aperçoit de petites flammes disposées en offrande aux esprits (quelquefois aux démons), à même le sol. Elles marquent les lieux de réunion de la secte locale ou, dans une autre disposition, le mauvais sort jeté sur une maison. De près, on voit que ces bougies sont fichées sur des assiettes, à côté d'un gros cigare, d'une griffe noire et d'une cuisse de poulet grillé. Aux périphéries pauvres, la cuisse disparaît bien souvent ; l'étonnant est que, par temps de pluie, les flammes ne s'éteignent jamais. Ce détail ajoute une dimension assez fantastique aux risques présumés du trajet de nuit, mauvaise rencontre ou autre collision.
Au Brésil, les croyances importées d'Afrique en même temps que l'esclave noir, le *candomblé* religieux de Bahia et cette *macumba* parfois diabolique de Rio, tiennent moins de place cependant que le doux « spiritisme » des quartiers populaires. Il y a toujours beaucoup d'attente à la consultation du medium, personnage vénéré entre tous.
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On peut rester bon catholique et préférer le guérisseur au psychiatre ou au médecin : pour soigner l'angoisse, le rhumatisme, l'insomnie, il vaut mieux parfois être un peu sorcier que savant. Voilà d'ailleurs un excellent moyen d'éviter la fonctionnarisation exagérée de la médecine, pour l'État de faire des économies.
Dans ce genre semi-légal, Rio abrite une autre activité, nocturne tout à fait surprenante. De vieilles camionnettes venues des banlieues et des monts avoisinants stationnent certains soirs près des chantiers ou des maisons abandonnées du centre de la ville. Pierres, briques, tuiles, tôles, poutres, tout ce qui se traîne ou s'arrache est acheminé dans la rue aux bras agiles des petits noirs. Ce plein sera utilisé pour des constructions en dur, dans les *favellas.* Il s'agit, à tout le moins, de consolider sa baraque, côté façade. C'est que le gouvernement brésilien accorde la propriété de la terre à ceux qui y construisent leur maison dans les matériaux traditionnels. Nous tenons ici une belle loi de progrès, pour récompenser l'effort et assurer dans l'avenir la qualité de la vie. Le législateur ne prévoyait sans doute pas que le génie populaire « carioca » en tournerait tout de suite la difficulté -- l'absence de matière première dans les banlieues --, pour en faire surtout une loi de justice distributive à sa façon.
« *Sempre tem um jeito *»*,* disent les Brésiliens : on trouve toujours le biais, le moyen avantageux de s'en sortir.
\*\*\*
Il s'en faut de beaucoup que le Brésil soit une nation comparable à la nôtre par ce qui décide chez les économistes du niveau de la vie. Sans abus de langage, c'est un pays en voie d'industrialisation. Avec d'énormes disparités régionales, et guère plus de 500 dollars de revenu moyen *per capita :* neuf fois moins qu'aux États-Unis, cinq fois moins qu'en France. Mais il faut introduire ici plusieurs observations.
Le Brésil s'étend sur 8.511.965 km^2^ ; en 1971, 3,6 % seulement de cette surface était cultivée. Il réunit 23 États ; les deux tiers en friche, si l'on peut dire, et certains presque inexplorés. 104 millions d'habitants, mais 53 % de cette population a moins de 20 ans. Les moyennes donc peuvent tromper ; surtout, elles ne donnent pas la mesure des problèmes et des voies qui s'imposent comme prioritaires dans ce pays.
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Quand deux millions de personnes. entrent chaque année dans la vie active, la disparité des salaires est une question beaucoup moins urgente que celles de l'équipement, de la formation et de l'emploi. Écraser sous l'impôt les trois États les plus prospères n'aboutirait qu'à freiner leur dynamisme au détriment du bien commun. L'analphabétisme, la pauvreté quasi absolue du « Tiers-Monde » brésilien appelle plus et mieux qu'une politique de subventions.
« Si nous distribuons tout l'argent des riches, déclare le député Daniel Faraco, cela ne ferait toujours que quelques Cruzeiros par tête d'habitant. » Au Brésil, il y a presque partout des barrages, des routes, des écoles, des villes entières à construire ou à moderniser. A quoi bon spéculer sur les meilleures façons de répartir un gâteau qui n'existe pas ?
On parle beaucoup en Europe de l'essor industriel brésilien. Dans la plupart des États, le phénomène reste encore assez neuf. Il a suffi pratiquement d'une génération pour faire de Sao Paulo une des villes les plus américaines du monde (vue d'avion). Mais le reste du pays décroche plus sagement : 7 à 12 % d'augmentation annuelle du produit national brut depuis la dernière guerre mondiale, c'est bien assez même au Brésil pour une assimilation heureuse de ce que le progrès matériel apporte avec lui. Quant à ce qu'il emporterait dans tout le pays, au-dessus d'un seuil de tolérance d'environ 10 %, une étude sociologique de la bourgeoisie propulsée ici ou là aux sommets du confort peut nous le dire. La philosophie du « bof », expression de l'indifférence et de l'écœurement universels, règne déjà en maître chez les « blousons dorés » de Rio -- avec toute la vulgarité qui s'y attache.
D'autre part, le développement économique du Brésil n'est pas resté à l'abri de toute crise. Celle des années soixante détermine encore la plupart des décisions du plan ([^9]). En un mot, plusieurs gouvernements successifs avaient si mal investi (et si bien dépensé) que la hausse des prix sortit des proportions tolérables : 48 % en 1961, 81 % en 1963, pour atteindre le record de 144 % au premier trimestre de 1964. On diagnostiqua un phénomène d'hyperinflation ; c'est-à-dire que la croissance elle-même se bloquait, au lieu de s'en nourrir comme chez nous au détriment du pouvoir d'achat. Les communistes se préparaient déjà à substituer leur dictature au marasme.
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Or le Brésil a retrouvé et même largement dépassé aujourd'hui son taux de croissance des années cinquante. Il prévoit de doubler vers 1980 l'actuel revenu moyen par tête d'habitant, et de faire accéder toute la population active au salaire minimum garanti. Déjà, l'inflation monétaire est considérablement réduite : jusqu'à moins de 10 %, cinq points de mieux que la France pour l'année écoulée. Les experts et les visiteurs officiels reviennent de là-bas en parlant de « miracle », rien de moins.
Que s'est-il passé ? La révolution nationale de 1964 a introduit de grands bouleversements dans tout le personnel administratif et politique : elle a donné le pouvoir. avec de larges moyens de l'exercer, à des hommes qui ne l'avaient pas spécialement courtisé ni voulu. (En cela, elle serait mieux appelée une contre-révolution.) Ils sont entrés dans la bataille économique selon leurs qualités, et c'étaient des militaires assistés d'hommes d'affaires ou de banquiers. Ces gens qu'on désigne si légèrement comme les ennemis du peuple ont trouvé quelques moyens équitables et lumineusement simples de combattre les méfaits inflationnistes de l'industrialisation, sans tomber dans le dirigisme. Technocrates, oyez plutôt ; économistes, applaudissez :
Premièrement -- là sans doute gît le miracle -- l'État a diminué ses propres dépenses. Plus de prestige mal placé ; finies, les subventions particulières ; au tiroir, les projets grandioses -- les Brasilia somptueuses qui surgissent au milieu du désert, tandis qu'ailleurs on n'a même pas le confort de l'électricité. Ainsi le déficit budgétaire, qui dépassait 3 % du P.N.B. en 1964, n'en représente plus que 0,3 % en 1971. -- Deuxièmement, l'État a freiné l'augmentation des salaires qui dépendent directement de lui. La fonction publique est moins enviable au Brésil que le secteur privé, où s'appliquent des « normes d'évolution », légèrement inférieures à celle du pouvoir d'achat, mais non obligatoires : une entreprise peut offrir davantage si sa productivité le permet. Par ailleurs, en maintenant ses hausses de prix au-dessous des normes nationales, l'entreprise obtient des avantages fiscaux et des facilités supplémentaires de crédit. -- Troisièmement, les salariés ont été imposés plus lourdement que les entreprises ; en revanche, des exonérations allant jusqu'à la moitié du revenu sont accordées pour l'épargne et l'investissement. La consommation individuelle a donc baissé pendant trois ans, de 1964 à 1967, surtout dans les classes moyennes. Mais la multiplication des entreprises et des emplois profite aux classes les plus défavorisées ([^10]).
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Parallèlement, l'État a porté tout son effort sur le développement de l'instruction et des infrastructures à vocation économique : énergie, transports, télécommunications. L'esprit importe plus ici que le détail. Or celui des plans de développement brésiliens semble réconcilier dans plusieurs secteurs décisifs les exigences prétendument contraires des industriels et de l'écologie.
Selon le principal critère de la croissance « organique » aujourd'hui préconisée par le Club de Rome ([^11]), l'économie doit sacrifier tous les profits à court terme qui absorbent sans retour les ressources naturelles de la planète, ou vont nous étouffer. Ainsi, la production d'électricité à partir des barrages hydrauliques, plus coûteuse au départ, ne présente pour l'avenir ni menace de pollution ni risque d'épuisement. Avec l'exploration des nouvelles sources d'énergie, notamment nucléaires, elle constitue le véritable investissement à long terme de l'humanité. Ce que réalise déjà le Brésil : 90 % de sa production électrique ne dépend plus du pétrole ([^12]) ; et les crédits de la recherche atomique sont considérés comme une priorité, au même plan que ceux de l'éducation et de la santé.
La force du Brésil n'est pas tant de juguler progressivement son inflation que d'y parvenir sans décourager l'initiative économique, et la croissance des marchés ou des investissements essentiels au pays. Elle est, plus encore, d'avoir restitué sa véritable autorité à l'État, vis-à-vis des intérêts particuliers. Dans la création et la consommation des richesses industrielles, la libre concurrence entraîne presque toujours des phénomènes de déséquilibre, d'écrasement, de surenchère : une part d'injustice et un risque de blocage. On peut les réduire tous deux par des règlements appropriés. Pour que le bienfait (ou le moindre mal) dure, il faut que le contrôle lui-même s'installe dans les mentalités. Affaire d'autorité, quelle que soit l'intelligence du système proposé.
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Le gouvernement Medici a fait admettre aux entreprises brésiliennes, parmi bien d'autres choses, le bien-fondé du contrôle des prix, si mal vu des industriels français. Mais il leur a laissé le soin de déterminer selon les circonstances la marge et les moyens. Aujourd'hui, la nécessité est passée dans la réalité économique ; on n'en discute même plus. Pourtant, l'État n'a pas outrepassé dans l'intervention directe les bornes de sa fonction modératrice et subsidiaire ; il n'a pas fait tomber entre ses mains le monopole bancaire et les secteurs-clé de l'économie. Il n'existe aucun État-patron brésilien. Le gouvernement est devenu crédible, en exigeant tous les concours au nom du bien commun.
La contre-révolution chilienne va réussir par des voies semblables. Et si pour nous le succès économique n'est pas tout, du moins réduit-il à néant les arguments favoris de l'adversaire.
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On sait que le Brésil ignore totalement le problème racial. Quoique minoritaire, la population noire n'opprime point les autres ([^13]) -- et vice-versa. A côté des purs africains d'origine, nombreux à Bahia mais non ailleurs, on remarque quelques indiens, et surtout une indescriptible variété dans le métissage : certaines mulatas offrent un profil et des traits aryens ; au carnaval, en robes à paniers, elles supportent très bien le rôle jusqu'au moment de danser. D'autres visages, plus que latins, sont noirs. Les blancs dominent par le nombre (60 % de la population), l'initiative et la productivité. Mais leur culture et leurs techniques n'abolissent aucune des disparités, si elles profitent à tous. Et dans la rue les enfants de couleur paraissent encore plus beaux d'être nourris et vêtus aussi bien que les autres. La grande inégalité n'est pas entre les races, mais entre les régions économiques ; ce problème-là peut se résoudre avec le temps. Pour le reste, le Brésil est vraiment sorti de la meilleure côte du Portugal civilisateur et chrétien.
Sur ce plan, c'est un métis carioca qui m'a laissé de son pays l'image la plus profonde. Je quittais Rio pour visiter l'État voisin de Sao Paulo, et il se trouvait dans le même avion du « Ponte Aeréa ». Les amis cariocas s'étaient employés à me faire comprendre par toute sorte d'allusions que la mentalité du « paulista » industrieux et sévère me ferait vite regretter la belle, la douce, la riante Guanabara. On m'a suggéré à peu près la même chose des gens de Bahia, à Sao Luiz, dans le Nord, et des cariocas eux-mêmes avant que je m'arrache à Sao Salvador (État de Bahia) pour regagner Rio.
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Cet *estadismo* est surtout charmant dans sa forme directe, quand il vous explique et au besoin vous prouve que ce que le Brésil produit de mieux dans tous les genres, végétal, animal et humain, c'est ici. Avec cela, on est royalement reçu partout. Sao Paulo ne fait en rien exception à la règle.
Mais mon compagnon de voyage était tant persuadé du contraire qu'il me supplia dans l'aéroport de Sao Paulo d'accepter de sa part un minimum de protection. Dans une telle ville, selon lui, personne d'autre qu'un carioca de passage n'aurait pu humainement me guider. Je feignis de le croire, parce qu'il forçait la sympathie. Nous fîmes donc taxi commun. Le chauffeur, en dépit de ses traits germaniques, n'avait rien de foncièrement terrifiant. Assis à ses côtés, le métis entreprit pourtant de lui faire avouer devant moi l' « inhospitalité » quasi pathologique de son État :
-- « Bien d'accord sur toutes vos supériorités, matérielles et intellectuelles. Reconnaissez seulement que les paulistas ne savent pas vivre... Car c'est malheureux à dire, mais rien n'arrête un paulista sur le chemin du bureau. »
-- « Faut bien que certains fassent tourner la machine », grommelait le chauffeur avec quelque raison. « *Paulistas trabalhan, cariocas gastan :* Vous dépensez, nous gagnons. »
La suite se perdit dans le vacarme des rues du centre. D'ailleurs, le ton montant, je n'aurais rien compris. A un feu rouge, le métis mit fin au débat d'une surprenante manière. Il se tourna vers moi pour articuler, tout sourire :
-- « *O Senhor Francés,* ceci n'empêche qu'en cas de nécessité nationale, nous sommes d'accord tous deux pour vous descendre ! »
C'était justement le jour anniversaire de la proclamation de l'indépendance du Brésil par l'empereur Pierre I^er^, le 7 septembre 1822, dans la région de Sao Paulo. *Independencia o morte,* le cri d'Ipiranga réconciliait le métis carioca et le paulista d'origine allemande, que ce dénouement avait mis en joie. On parla d'autres choses.
J'étais rassuré sur la limite des régionalismes brésiliens, et la vigueur du sentiment national. Oui, j'enviais à ce peuple son génie rayonnant, qui peut tout intégrer sans rien détruire, et soude une nation comme d'autres sèment le désastre.
Hugues Kéraly.
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### Lettres du Brésil
par Gustave Corçâo
A la recherche\
du ton perdu
J'avais, chers amis, conçu le projet de vous écrire une longue et dense lettre sur les prouesses de nos trois archevêques, « saisis par la débauche ». Les trois mousquetaires, comme tout le monde sait, étaient quatre ; nos trois archevêques, je crains fort qu'ils soient légion.
A peine ces quelques lignes écrites, je sens déjà un malaise aigu, et aussitôt un impérieux désir de m'expliquer : non ! je n'ai pas la moindre intention de plaisanter, de m'esclaffer devant le spectacle grotesque qui se déroule, sous mes yeux fatigués. Je cherche à vous écrire, histoire de rire, ou plutôt pour éviter de rire aux larmes, car le rire, au dire de Bergson, est en soi social et public, tandis que nos larmes, elles, sont intimes et cachées.
D'une part, je me débats pour résoudre le problème de mon étouffement personnel ; oui, je cherche pour mon âme la position antalgique, au milieu du chambardement général. D'autre part, le métier d'écrivain m'oblige à trouver un ton capable de transpercer l'écorce des rhinocéros de notre siècle ; oui, un ton capable de faire comprendre que le feu brûle, que l'eau mouille et que le soleil éclaire le monde, et avec cela, un ton capable de laisser au lecteur l'impression d'avoir fait des découvertes stupéfiantes.
Il faut qu'ils sursautent, les endormis, à tout prix, il faut qu'ils bronchent, les Impassibles.
Cherchons donc, essayons, ô mon âme,
des jeux de mots, comme l'organiste s'ingénie à chercher, dans la variété des registres, le trésor caché dans la forêt des sons.
\*\*\*
34:189
Jouons donc. On a dit trop sommairement : « jeu de mots, esprit de sot ». Sur ce genre de jeu, j'ajouterai qu'il marque l'âge de l'épellation mentale, mais, mon Dieu ! il y a jeu et jeu dans une gamme infinie qui va du calembour à la poésie. Jouons donc pour conjurer le démon du désespoir et l'autre, plus sinistre encore, de l'optimisme ; mais jouons aussi pour entreprendre la découverte des racines de tant d'absurdes, ceci par la voie de l'absurdité qui défie et démasque. Imitons, cher lecteur, les enfants de chez nous qui jouaient au « *faz de conta *»*,* que je traduirai, faute de mieux, par « jeu du comme si... », car ce jeu-là, celui de notre enfance brésilienne, commençait par un brouillage des réalités, en vue d'une redistribution, des nouvelles identités.
On commence : toi, tu es le Roi ; elle, elle est la Fée ; et moi, je suis le Sorcier... Jouons. Essayons ce moyen de comprendre ce qui se passe, par un effort d'identification. Imaginez que vous êtes un nouveau prêtre, que je suis l'Archevêque, et peut-être parviendrons-nous à saisir le jeu du *faz de conta* que ces gens d'Église jouent, devant la Voie Lactée indifférente, les anges pensifs et les hommes abêtis.
Oui ! Oui ! Ils jouent au *faz de conta.* Ils jouent qu'ils sont au Synode, qu'ils feront une nouvelle Église et construiront un nouveau monde. Pour ce faire, il faut d'abord jouer à la Révolution. Et nous voilà, ici, à l'échec de notre jeu : la recherche d'un divertissement nous apporte un surcroît de souffrance devant l'épouvantable spectacle des archevêques tombés en enfance. Comme un petit garçon blessé dans sa plus pure dignité, et qui, lui, ne veut plus jouer, je me sens excommunié sans pouvoir admettre la moindre possibilité d'entrer dans ce jeu-là.
Des jeux, il y en a d'autres. Le jeu de massacre. Le jeu des échecs. Dans le premier (comme au Synode), on bombarde un pantin qui bascule. Je préfère, pour ma part, le noble jeu des échecs, comme disait maître Philidor. L'ayant beaucoup pratiqué, aux temps de ma jeunesse, je m'imagine souvent jouant une partie « immortelle. » avec la CNBB. Le jeu des échecs a des règles rigoureuses, des dogmes qui ne se sont pas pliés devant les exigences du monde moderne. Il est symétrique, loyal, sans possibilité de tricheries au nom des droits de l'homme. Je me vois en rêve, annonçant *mat en trois coups* à Dom Aluisio Lorscheider, président de la Conférence des Évêques du Brésil (CNBB).
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Dans le jeu des échecs, il y a deux pièces moyennes, le *chevalier* et le *fou* (du roi). En portugais, chevalier devient cheval, *cavalo,* par simplification, et fou du roi devient évêque, *bispo,* par un caprice de l'histoire que j'ignore. Il reste que, pour nous, au plan de l'échiquier, le *bispo* et le *cavalo* ont à peu près la même valeur (et honni soit qui mal y pense), mais ils sont très différents dans leurs mouvements : tandis que le cheval saute et se cabre, le *bispo,* toujours, se faufile de biais.
Tout ce badinage est né d'un délirant désir de trouver encore une communication qui rendrait possible un cri d'avertissement ou de supplique ; tous ces jeux, à propos de jeu, m'amènent à un Jeu joué un jour, sur un échiquier de pierre, appelé Lithostrotos, à côté de la forteresse Antonia. Ce jeu-là avait un Roi, plutôt victime que Seigneur. Alors, imaginons (*faz de conta*) que le flagellé, que le condamné soit roi par dérision. Et *faz de conta* que cette couronne d'épines soit une vraie couronne de Roi. Couronnons-le et bousculons-le. C'est le jeu !
« C'est alors que Pilate fit prendre Jésus pour le faire flageller. Puis les soldats tressèrent une couronne d'épines qu'ils lui mirent sur la tête et ils le revêtirent d'un manteau de pourpre. Et, s'approchant de Lui, ils disaient (jouant au *Faz de conta*) : Salut, roi des juifs ! »
(Jn. XIX, 12 et suiv.)
Au milieu de ma vie, je fis ma première communion, furtive et joyeuse, en la Chapelle des religieuses de Notre-Dame de Sion ; *in illo tempore,* elles avaient l'habitude de chanter, après l'élévation du Calice, en souvenir de ce Jeu au Lithrostrotos, cette supplique qui me revient, Jésus ! des profondeurs du Ciel :
« Pater dimitte illis :
non enim sciunt quid faciunt »
Le jeu de massacre ou des échecs continue, et les joueurs, eux-mêmes, dispensèrent de la continuation de cette supplique. les Filles de Notre-Dame de Sion. Ils se disent, eux-mêmes, conscientisés, adultes ; et ils se vantent de bien savoir ce qu'ils font ! Cela nous dépasse.
\*\*\*
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J'ai écrit à la première page que nos trois archevêques étaient légion. Le lecteur averti a certainement saisi la discrète allusion faite au Synode. Alors, l'évidence d'un impératif se dresse devant moi, comme un monstre courroucé. Oui : avant les prouesses ou les facéties particulières des trois mousquetaires du Brésil, je vous dois des réflexions sérieuses sur le Synode.
Après mes errances par les chemins des fautes et douleurs, pauvre Parsifal sans heaume et sans lance, je rentre. La bête blessée cherche son trou. Je rentre, à bout de forces. La voilà ma chère table de travail, lieu de mon repos. Ici, les téléphones, là, les coupures de journaux déjà signalés à l'encre rouge et, tout autour de moi, les livres anciens et tutélaires qui m'assurent la pérennité de la sagesse perdue. Du Synode m'arrivent des rumeurs de vacarme. Nous y reviendrons, si Dieu le veut.
J'arrive, épuisé. Je rentre. Et assis à ma table de travail je vois encore, au fond de ma cellule, l'ombre familière de mon Jésus crucifié. Il est là le Seigneur. Cloué au mur, Il m'expose le pentagone des plaies éternellement saignantes pour mon salut. Il paraît me dire aujourd'hui que c'est Lui le Ton. Prions.
\*\*\*
Deux mots à propos d'un mot.
Plus près d'Edgar Poe, pour son éloge du « Pouvoir de la Parole », que de Hamlet dans son ricanement trop connu sur la vanité des mots, je crois que, de toutes les œuvres humaines, les mots sont les plus divins.
Qu'est-ce que le mot, sinon la plus claire émergence de l'esprit ? Pensons au processus de l'humaine connaissance : au commencement c'est l'image saisie dans le monde sensible qui pénètre l'âme et là, dans la nuit intérieure, reçoit l'illumination de l'intellect agent qui la distille, qui l'élève au niveau de l'esprit où, cherchant à voir la *quiddité* des choses cachées par les sens, à travers la nuit obscure, elle se purifie, se malaxe, se dématérialise jusqu'au moment où, heureuse et enceinte du concept, l'âme accouche le mot. Alleluia. Et l'esprit humain redevient chair.
Ou encore : sous les espèces de figures et de sons, par un acte sacerdotal, l'âme humaine consacre la présente réelle du verbe mental, ou du concept, sans quoi le mot sort vide et sacrilège. Toutes ces analogies plus ou moins hardies sont ici convoquées pour témoigner de la gloire du verbe humain, et de l'honneur tout spécial de notre métier.
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Songez-y : Jésus, pendant trois ans de vie publique, et avant son Œuvre suprême, n'a fait autre chose que de semer des mots. Des mots, des mots, des mots. Words, words, words. En dépit des apparences déroutantes dans ses paraboles, dans ses hyperboles, malgré l'apparente dispersion des connotations infinies, ces mots étaient toujours consacrés par la présence réelle d'une vérité qui surpassait infiniment et éternellement tous les concepts humains.
Ces réflexions nous mènent à trembler devant la responsabilité de ceux qui ont mandat de parler.
Tout cela m'est venu à cause d'un mot, d'un seul mot : « réconciliation ». On nous propose, on nous impose comme bannière de cet An d'optimisme, ce mot effroyablement offert à la dérision : réconciliation. Réconciliation de qui avec qui ? quem cum quem ? who with who ? Abstrait, vide, sacrilège, en tant que *mot,* il ne peut pas, néanmoins, dissimuler son contenu de capitulation devant l'ennemi.
Et pour l'homme qui travaille les mots avec onction, même quand il paraît jouer, ce mot dérisoire le blesse dans le recoin secret de son âme spécialement réservé à l'Imitation du Christ, modèle de tous ceux qui vivent des mots.
Et je me demande encore si tout cela ne nous montre pas trop clairement que la perfection du rite de l'Eucharistie est atteinte, quand c'est sur la langue que le communiant reçoit le verbe de Dieu.
Je vous parlerais intarissablement, obsessivement, jour et nuit, sur ce sujet qui concerne la dignité des mots, sur la nécessité d'être sérieux, doublée de celle d'être joyeux dans l'usage des mots.
Ici, je dois revenir à l'exemple de Jésus. Il y a un mystère dans son style si varié, si coloré, si nuancé. C'est Chesterton qui nous a laissé, comme clé d'or de son *Orthodoxy,* cette remarque profonde :
« Pourtant Il a caché quelque chose (...) De solennels surhommes et d'impérieux diplomates ont l'orgueil de contenir leur colère. Il n'a jamais contenu Sa colère. Il a jeté les tables des marchands sur les degrés du Temple et demandé aux hommes comment ils espéraient échapper à la damnation de l'Enfer. Pourtant Il a contenu quelque chose. Je le dis avec respect : il y a dans cette personnalité troublante je ne sais quoi qui pourrait être nommé de la réserve. Il y eut quelque chose qu'il cachait à tous les hommes quand il gravissait une montagne pour prier.
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Quelque chose qu'Il recouvrait constamment par un silence brusque on un isolement impétueux. Il y avait une chose qui était trop grande pour que Dieu nous la montrât quand Il a marché sur la terre, et j'ai quelquefois imaginé que c'était sa joie. »
J'ai toujours admiré le tour de force de Charles Grolleau dans son admirable traduction de *Orthodoxy,* mais il faut redire qu'il n'est pas possible de passer intégralement d'une langue à une autre, surtout quand l'auteur traduit -- comme Chesterton --, cache lui aussi une joie mystérieuse, dans ses jeux, dans ses escrimages de mots, dans ses combats. Les dernières lignes de Chesterton sont intraduisibles :
« There was some one thing that was too great for God to show when he walked upon our earth ; and I have sometimes fancied that it was His mirth. »
Mon Dieu, qu'il est beau cet effort de l'homme dans l'édification des mots, car ces mots sont toujours travaillés en hommage et louange au Verbe Divin. Par contre, rien n'est plus laid, plus triste, plus morne que le spectacle de logorrhée qui menace le monde d'un déluge de mots vides et avortés.
Je reviens au malheureux mot choisi pour l'année sainte. On comprend la valeur du terme réconciliation, comme nous l'enseigne l'Évangile, quand il s'agit des effets de l'amour-propre qui divise tant de frères : « Avant de porter l'offrande sur l'autel, réconcilie-toi avec ton frère... » Mais on ne peut pas transposer ce conseil de direction spirituelle en programme de civilisation, sans le risque, non ! sans la certitude d'aboutir au refus du combat, à la capitulation totale devant l'ennemi. Sans parler de l'affront fait à Dieu, même sur le plan des rapports humains c'est une erreur théologique, celle-là, qui veut corriger le désordre des amours par un pacifisme de l'homme à l'homme. Nous avons parlé longuement de l'ordre de la charité dans notre lettre du mois de novembre. Insistons. Ce problème est au centre des confusions accumulées depuis la Renaissance et la Réforme. A savoir : la scission entre l'homme et lui-même ; le divorce entre l'homme et son âme.
L'inimitié produite par le nouvel humanisme a pénétré les atomes de la civilisation, elle a produit l'explosion nucléaire et l'effet létal dont nous mourrons tous. Prêchez donc une réconciliation de toute urgence, mais celle de l'homme avec son âme devant son Dieu.
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Ai-je besoin de répéter que ce redressement des positions perdues ne s'obtiendra que dans la vérité de la charité ? Ai-je besoin de me plaindre, encore une fois, du faux humanisme diffusé, aujourd'hui, par cette nouvelle religion qui ne dissimule même plus son caractère décidément anti-catholique ? Je suis le spectateur de tous ces « services de l'homme à l'homme », et toutes ces « réconciliations sont comme l'inondation d'une pleutrerie générale érigée en système. »
Gustave Corçâo.
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### Cuba et l'O. E. A.
(*Organisation des États Américains*)
par Jean-Marc Dufour
LA RÉUNION DE L'Organisation des États Américains,(O.E.A.) qui s'est tenue à partir du 8 novembre dernier à Quito (Équateur), revêtait une importance particulière, en raison des efforts d'un certain nombre de pays sud-américains pour « blanchir » le régime castriste et obtenir la levée des sanctions décidées contre la Cuba de Fidel Castro, il y a exactement dix ans.
Quelle est la situation de Cuba vis-à-vis de l'O.E.A. : ? Plus compliquée qu'on ne le croit communément ; en effet, deux séries de mesures ont été prises : l'une en 1962 et l'autre en 1964. La première décidait de l'exclusion de Cuba ; la seconde imposait son isolement diplomatique et économique.
Cuba fut exclue de l'O.E.A. à la huitième réunion des ministres des affaires étrangères des pays membres de cet organisme, qui se tint du 4 au 22 février 1962 dans la station balnéaire uruguayenne de Punta del Este. Les attendus de la décision déclaraient notamment que :
« (*...*) *L'actuel gouvernement de Cuba s'est volontairement, à la suite d'actes réitérés, placé en dehors du système inter-américain ;*
« *Que cette situation requiert la vigilance la plus continue de la part des pays membres de l'O.E.A., qui devront tenir le Conseil au courant de tout fait ou situation de nature à mettre en péril la paix et la sécurité du continent ;*
« *Qu'il est de l'intérêt collectif des États Américains de renforcer le système inter-américain et de reconstituer son unité sur la base du respect des droits de l'homme et avec des intentions respectant la démocratie et la Charte de l'Organisation ;*
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« *Décide en conséquence :*
« *L'adhésion au marxisme-léninisme de quelque membre de l'O.E.A. que ce soit est incompatible avec le système inter-américain, et l'alignement d'un tel gouvernement sur le bloc communiste brise l'unité et mine la solidarité de l'hémisphère ;*
*L'actuel gouvernement de Cuba, qui s'est identifié officiellement avec un gouvernement marxiste-léniniste, est incompatible avec les desseins et principes du système inter-américain ;*
« *Le conseil de l'O.E.A. et les autres organismes du système inter-américain adopteront sans retard les mesures nécessaires pour l'exécution de cette résolution. *»
Le rapport qui servit de base aux discussions n'avait pas été tendre pour le gouvernement de Fidel Castro. Il constatait, en effet, que :
« *Il existe une activité constante et systématique des émetteurs radio du gouvernement cubain, tendant à diffamer* les *gouvernements des autres pays de l'hémisphère, à discréditer leurs institutions représentatives et démocratiques, à insulter leurs représentants, à fomenter des désordres publics, et même à inciter à la subversion violente de régimes légalement constitués. La presse gouvernementale et le parti du gouvernement cubain lui-même, ont constamment travaillé dans le même sens.*
« *De nombreux gouvernements accusent celui de Cuba d'entretenir une propagande constante au moyen de brochures, journaux et autres publications qui, profitant de la coutume admise consistant à informer sur le développement culturel, politique ou économique du pays, mènent une propagande dont l'objet est d'encourager les méthodes et les pratiques de caractère subversif, en violation des règles habituelles du système de la démocratie représentative* (*...*)
*Plusieurs gouvernements ont rapporté à ce Comité que des voyages, nombreux et répétés, de citoyens appartenant au parti communiste ou aux groupements politiques d'extrême-gauche, avait pour but d'instruire lesdits citoyens dans les méthodes spécifiques de l'action subversive ;*
« *Que, dans divers pays, l'intervention et la participation directe des diplomates cubains dans les affaires intérieures avaient été révélées -- ce qui, dans de nombreux cas, avait entraîné la déclaration de* persona non grata *envers ces diplomates ou leur rappel par le gouvernement cubain* (...) »
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Il eût été difficile de revenir directement sur une condamnation aussi fortement motivée, même s'il est admis communément que, au cours des quatre dernières années, Cuba n'a plus abrité les quartiers généraux des mouvements subversifs sud-américains. Pour des raisons de commodité -- transports plus faciles, frontières terrestres, etc. -- ces quartiers-généraux avaient été transférés au Chili. Mais c'est aussi un secret de Polichinelle que Cuba continuait à financer la subversion, et cela par millions de dollars ([^14]), sans d'ailleurs que la conscience universelle se sentit le moindrement chatouillée en l'occurrence.
Ne pouvant visiblement pas revenir sur cette première condamnation, la conférence de Quito fut priée annuler la seconde, celle de 1964. Cela aurait dû être encore plus difficile, parce que la condamnation de 1964 était encore plus fortement motivée que celle de 1962. La première affirmait que Cuba entretenait des intelligences avec les mouvements subversifs du continent ; la seconde prenait acte du fait que Cuba avait été coincée la main dans le sac et qu'un ensemble de faits concomitants prouvait qu'elle organisait la révolution au Vénézuéla.
Les faits étaient les suivants :
a\) Trois tonnes d'armes (fusils, mitraillettes, bazookas, canons sans recul, explosifs, munitions et grenades) découvertes le 2 novembre 1963 dans une « cache » de la presqu'île de Paraguana, État de Falcon. Il fut prouvé de façon indubitable que ces armes appartenaient au gouvernement cubain : entre autres, les fusils (F.A.L. calibre 7 mm 62) avaient été vendus par la fabrique d'armes belge d'Herstal au gouvernement de La Havane, et la précaution prise par ledit gouvernement de découper la partie de l'arme où se trouvait le blason de Cuba et l'inscription *Ejercito de Cuba,* signait l'opération. Il n'y avait que les armes vendues à Cuba qui étaient marquées à cet endroit.
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b\) Arrestation d'un certain Luis E. Sanchez Madero par les services de sécurité vénézuéliens ; ils trouvèrent sur lui un plan de Caracas avec les indications relatives à l'attaque de casernes. Le nombre des armes indiquées sur le plan de feu correspondait au nombre de celles découvertes à Paraguana. Disons tout de suite que le gouvernement de La Havane affirma qu'il était innocent et le pauvre Raul Roa, ministre des Affaires Étrangères du lieu, affirma dans un inénarrable télégramme que « ces armes devaient appartenir à la C.I.A ». Inutile de dire qu'aujourd'hui ces précautions sont abandonnées et que Régis Debray cite le débarquement des armes cubaines au Paraguana comme un des cas où Cuba joua son va-tout pour aider les révolutionnaires vénézuéliens.
\*\*\*
Dix ans ont passé. Quelle n'est pas la surprise de tout observateur tant soit peu doué de mémoire, de trouver, au premier rang des pays qui réclament avec le plus d'insistance et de fermeté la levée des sanctions de 1964, le même Vénézuéla qui porta alors plainte contre le gouvernement de La Havane. Mieux, qui trouvons-nous à la tête de l'État vénézuélien ? Qui, aujourd'hui, est Président de la République ? Le Très Honorable Dr Carlos Andres Perez qui était ministre de l'Intérieur justement au moment où l'on découvrait les armes et à propos duquel le rapport du Comité d'Enquête de l'O.E.A. s'exprimait en ces termes :
« (...) Nous entendîmes le Dr Carlos Andres Perez, ancien ministre de l'Intérieur du Président Betancourt, qui nous donna une description complète des divers aspects de l'activité subversive du Parti Communiste et du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire. Il mentionna les connections internationales de ces groupes, spécialement avec Cuba ; les voyages à Cuba effectués par leurs membres afin de s'y entraîner ; les mesures et tactiques qu'ils utilisent pour leur communications, la diffusion de leur propagande, l'obtention des fonds et des armes ; il exposa leurs activités de guérilla et leurs actes de sabotage et de terrorisme. »
S'il y a un homme qui ne peut pas dire « qu'il ne sait pas »*,* c'est, de toute évidence, Carlos Andres Perez.
Alors : pourquoi -- et la question ne se pose pas uniquement pour le Vénézuéla et ses représentants -- pourquoi cette ruée de pays latino-américains pour laver Cuba de tout reproche, cette unanimité pour affirmer que Fidel Castro fut toujours un honorable préopinant et que ceux qui rappellent ses débuts dans la carrière politique comme chef d'un gang à l'Université de La Havane ne sont que d'infâmes calomniateurs... ([^15]).
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D'abord, et les ironistes ne manqueront pas de le souligner, parce n'il s'agissait, à Quito, d'un geste gratuit. De quoi était-il en effet, question ? Non de revenir sur la première condamnation, celle qui, en 1962, avait mis Cuba à la porte de l'O.E.A. Cela eût été difficile, parce que les motifs de cette exclusion sont toujours valables (encore que cela n'eût sans doute pas tellement gêné les conférants), mais surtout parce que Fidel Castro n'a cessé de proclamer qu'il ne voulait pas revenir dans cette O.E.A. pourrie.
Il s'agissait plus simplement de renoncer aux mesures prises en 1964, enjoignant aux membres de l'O.E.A. de rompre tout lien diplomatique ou commercial avec La Havane. On passait l'éponge sur le débarquement d'armes vénézuélien ; on ignorait la tentative de Che Guevara en Bolivie ; on refusait d'admettre que Cuba soit intervenue dans les affaires intérieures chiliennes ; on ne voulait pas entendre l'Uruguay qui affirmait détenir des preuves de l'actuelle ingérence cubaine sur son territoire ; il en allait de même pour la Bolivie.
Ayant écarté tout ce qui pouvait les gêner dans l'actuelle situation, les ministres des Affaires Étrangères du Panama, de Colombie et du Vénézuéla, se félicitaient d'avoir atteint « un point de vue réaliste » (sic). Qu'est-ce donc qui les faisait courir si vite ?
Pour un pays, la Colombie, cela est clair. L'actuel Président de la République, Lopez Michelsen, fut un compagnon de route du castrisme au temps où il dirigeait le M.R.L. (Mouvement Révolutionnaire Libéral) -- scission de l'extrême-gauche du Parti Libéral -- dont la plupart des membres se retrouvèrent dans le Frente Unido de Camilo Torres. Lopez Michelsen -- une des plus grosses fortunes de Colombie, mais précisait-il à ses intimes « placée au Mexique » -- a fait sa paix avec le Parti Libéral ; ce qui l'a conduit à la magistrature suprême ; mais il n'a pas, pour autant, renié ses amitiés d'antan. Joyeusement, il conduit son pays à la révolution, et ne peut s'abstenir de marquer sa sympathie à qui veut faire de même pour toute l'Amérique (latine ou non).
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Le second pays, c'est le Costa Rica : la Suisse de l'Amérique Centrale. Je n'ai jamais pu comprendre l'admiration que ce pays montagneux et hypocrite a pu susciter dans le monde sud-américain. Il est de bon ton de rappeler que le Costa Rica n'a pas d'armée -- elle a été dissoute -- mais on oublie de dire qu'il possède une Garde Nationale aux effectifs plus importants. On assure que tous les enfants d'âge scolaire sont scolarisés : je dois dire que, chaque fois que je suis passé à San José, j'ai trouve des petits mendiants presqu'à chaque coin de rue (moins qu'au Guatemala cependant, je dois le dire). On a célébré la culture et le goût des Belles Lettres des habitants de ce pays : j'ai cherché en vain dans les minables librairies de ce même Costa Rica une histoire du pays et de l'Amérique Centrale ; quant aux romans qui s'y vendaient... c'étaient les laissés pour compte de l'édition mexicaine. Sa bruyante prise de position fait partie des manifestations sporadiques et contradictoires dont sa classe politique est coutumière ; elle n'a, en définitive, que peu d'importance.
Reste le Vénézuéla. L'affaire, ici, défie l'analyse. Quelle part a joué, dans l'incompréhensible décision vénézuélienne, le désir de montrer aux États-Unis que le gouvernement vénézuélien avait, à portée de la main, un autre acheteur pour son pétrole ? Quelle part aussi le désir sans danger de jouer les libéraux et les généreux ? Je dis « sans danger », car l'inexistence des partis d'extrême-gauche qu'a révélée la dernière consultation électorale semble autoriser toutes les audaces et permettre toutes les ouvertures. Quelle part enfin, dans cette décision, faut-il affecter au sentiment d'être riche, très riche, fabuleusement riche depuis les réévaluations du prix du pétrole, et donc d'être puissant, très puissant, fabuleusement puissant, et de pouvoir s'offrir n'importe quoi ? Tout cela a certainement joué, et puis aussi le fait que l'Accion Democratica, aujourd'hui au pouvoir, est un parti socialiste (sur le papier du moins) qui se veut de gauche, même si le Vénézuéla devient le premier pays capitaliste d'Amérique Latine. C'est Guy Mollet, -- ni plus, ni moins -- gouvernant avec les ressources pétrolières du Sahara à sa disposition.
La conférence commença au milieu du fracas des bombes et de la sottise des déclarations faites à la presse par les représentants des pays américains. Les bombes blessèrent le concierge de l'ambassade de Bolivie et sa femme enceinte -- ce qui représentait une belle victoire du progressisme. Les déclarations ne blessèrent que le bon sens.
A tout seigneur, tout honneur : M. Williams Rogers, sous-secrétaire d'État nord américain : « Nous allons à cette conférence avec une attitude positive », déclara-t-il, pour ajouter immédiatement et sans perdre son souffle :
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« La position des États-Unis est constructive : je crois que, dans cette réunion, le système américain se renforcera, puisqu'il existe un état d'esprit constructif dans tous les pays. » Comme en définitive « tous les pays » n'ont pu se mettre d'accord, force nous est bien d'admettre que les uns voulaient construire vers le haut et les autres vers le bas, ou plus simplement que M. W. Rogers a parlé pour ne rien dire.
M. Indalecio Liévano Aguirre, colombien, en dit plus : « Je crois qu'au moment où les grandes puissances liquident les dernières traces de la guerre froide, il n'y a pas de raison pour que subsistent en Amérique des situations comme le cas cubain. » Ce qui correspond à peu près à : « Au moment où il fait 25 degrés au-dessus de zéro à Bamako, il n'y a pas de raison de chauffer les immeubles à Paris. » C'est à peu près aussi sérieux.
En définitive, le point le plus important de la réunion ne fut pas, comme on aurait pu le penser, la discussion autour du cas cubain, mais les attaques auxquelles donna lieu la position -- l'absence de position -- américaine. Retranché derrière « la neutralité », Robert S. Ingersoll, représentant de Washington, fit dire par un fonctionnaire de sa délégation « qu'il ne dirait rien sur rien jusqu'à la fin » pour qu'on ne puisse pas prétendre « que les États-Unis faisaient pression sur quelque pays que ce soit ». C'était peut-être là une position « payante » puisque, en définitive, la motion demandant l'abolition des sanctions fut rejetée. Ce n'était pas une position très glorieuse. L'abstention nord-américaine fut d'ailleurs condamnée avec férocité par le ministre vénézuélien, Efraim Schacht, qui trouva facilement les mots les plus blessants pour souligner « le manque d'intérêt » que prouvait l'absence de Kissinger et le silence officiel des représentants « du pays le plus fort et le plus développé » du continent américain.
\*\*\*
Et maintenant, que va-t-il se passer ? Le chancelier mexicain Rabasa s'avançait peut-être beaucoup lorsqu'il affirmait, au début de la Conférence de Quito, que, selon le résultat des travaux, l'O.E.A. en sortirait rénovée ou détruite. Quelle était la situation réelle avant le 8 novembre ? Le Mexique n'avait jamais appliqué les résolutions de 1984 ; le Pérou avait renoué des relations diplomatiques avec La Havane ; l'Argentine avait suivi le même chemin au retour de Peron.
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L'unanimité était donc fortement entamée. Un vote favorable à Cuba aurait-il entraîné ipso facto la reprise des relations diplomatiques ? Pour certains pays, la chose n'est pas sûre : ainsi l'Équateur, dont la presse (gouvernementale) -- favorable à la levée des sanctions -- désapprouvait la reprise des relations diplomatiques.
Ce qui se serait passé, réellement, c'est que les mouvements d'extrême-gauche auraient reçu un encouragement décisif dans certains cas, important dans les autres ; la situation chaotique du continent sud-américain aurait empiré de façon certaine. Dira-t-on que le thème des « relations diplomatiques avec Cuba » sera de toute façon un des thèmes de l'agitation gauchiste ? Oui. Mais mieux vaut pourtant que cette agitation n'ait pas pour alliés les visiteurs et les invités de la famille.
Jean-Marc Dufour.
##### *Le Chili et Cuba.*
On sait que, à l'occasion de l'anniversaire du coup d'État chilien, le général Pinochet a offert de libérer des prisonniers politiques qui quitteraient aussitôt le pays, à condition que Cuba et l'Union Soviétique en fassent autant.
Cette offre n'a évidemment pas été retenue par les gouvernements de Moscou et de La Havane, mais cela n'empêche pas que l'idée fasse son chemin et que, à intervalles irréguliers, la presse sud-américaine, même la moins favorable à la Junta Chilienne, rappelle cette offre, ce qui a, semble-t-il, suffi pour alarmer les dirigeants cubains.
Des informations en provenance de Cuba, reproduites par *El Tiempo* de Bogota, font état de nouvelles poursuites engagées contre certains détenus politiques cubains. Le cas le plus extraordinaire serait celui d'Orlando Mattus. Mattus fut l'un des chefs de l'insurrection contre Batista : il devint *Comandante* de l'armée rebelle (le plus haut grade jusqu'à ces jours derniers). Nettement anticommuniste, il protesta devant l'envahissement du pouvoir par les gens du Parti Communiste : le P.S.P. Cela suffit pour qu'il soit jeté en prison et, après un procès déshonorant pour ses juges où Fidel Castro vint en personne accuser son camarade de combat, Mattus fut condamné à la détention. Depuis près de quatorze ans, celui-ci est au secret à l'Ile des Pins. Pour éviter qu'il ne puisse être réclamé, au cas où quelque organisme international -- Croix Rouge, O.N.U., etc. -- s'emparerait de la proposition du général Pinochet, de nouvelles poursuites pour atteinte à la sûreté de l'État viennent d'être engagées contre lui et tous les anciens fidélistes actuellement en prison.
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Autre exemple de « l'humanité » des gouvernants cubains : il y a quelques mois, la presse annonça que, faisant preuve de « bonne volonté », le gouvernement de La Havane allait libérer des anticastristes pris les armes à la main et (par miracle) non exécutés. Un nom était donné : celui d'un combattant anti-castriste qui, atteint par l'explosion d'une charge qu'il transportait, était, depuis sa capture, resté aveugle. Cela n'avait pas empêché les délicats humanistes de La Havane de le garder en prison depuis lors.
##### *L'effondrement argentin.*
Je reviendrai en détail dans un prochain article sur la situation en Argentine. Quelques mots cependant : le nombre des assassinats politiques devient écrasant. On ne peut ouvrir un journal sud-américain sans tomber sur les titres : « La situation se dégrade en Argentine » ou « La terreur croît en Argentine », à se demander comment l'une peut encore se dégrader et l'autre encore croître. Cela ressemble à ces sons artificiels fabriqués dans les laboratoires d'électronique musicale.
Au moment où s'achèvera cette année, le nombre des morts aura certainement dépassé les deux cents pour les six derniers mois... Un général argentin -- du cadre de réserve -- a parlé de 200 000 guérilleros. Cela est sans doute exagéré ; mais, en comptant les réseaux de soutien et les sympathisants, on doit bien atteindre la moitié de ce chiffre.
« L'Argentine aujourd'hui, c'est le Chili sous Allende », m'écrivait, au moment de la mort de Peron, un ami argentin. Ce stade doit être largement dépassé maintenant.
##### *Les fantaisies péruviennes.*
Les militaires péruviens ont eu pendant longtemps les faveurs de la presse de gauche française (et internationale). Un quelconque pays était-il le théâtre d'un coup d'État militaire, que nos penseurs se demandaient s'il en naîtrait un régime « péruvien, ou « nassérien ». C'était là le fin du fin. Cela n'allait tout de même pas jusqu'à la confusion mentale dont faisait preuve un journaliste colombien ; me révélant que le général Novoa -- un général du cru dont on disait merveille -- était « un général nassérien », il ajouta à titre de preuve : « D'ailleurs, il est allé en Israël et s'est intéressé aux Kibboutz. »
Les généraux péruviens ont nationalisé la presse, du moins « les journaux à diffusion nationale ». En principe, elle a été remise aux « groupements professionnels ». En pratique, et sans doute jusqu'à ce que les paysans de la Sierra sachent assez de politique économique ou internationale pour écrire des articles, le gouvernement des généraux péruviens a nommé des administrateurs provisoires. Des hommes libres.
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L'un d'entre eux affirmait sans rire qu'il ne demandait rien tant que d'être en désaccord avec le gouvernement, mais qu'il avait beau chercher, mais chercher, et encore chercher, il ne pouvait trouver un sujet sur lequel il divergeât des positions officielles.
Cet homme n'avait sans doute pas d'imagination. En attendant, les journalistes doués, eux, d'imagination, et qui avaient été mis à la porte des journaux (l'un expliquant l'autre), ont voulu créer un nouveau journal. Erreur, triste erreur : leur journal a été bien évidemment interdit (s'il le faut, j'expliquerai pourquoi). Eux-mêmes sont fort proches d'une de ces prisons péruviennes que José Maria Arguedas a immortalisées dans *El Sexto.*
##### *La retraite à soixante ans.*
Que l'on veuille bien m'excuser si je sors délibérément du cadre ibéro-américain, mais tout de même, il y a des informations qu'on ne peut pas laisser passer. Du *Tiempo* de Bogota du 25 octobre, légende d'une photo publiée en dernière page du corps A :
« Moscou -- Zibeida Zheidayeba, âgée de 114 ans, a passé 100 ans à travailler dans une usine russe. Selon l'Agence Novosti, Zibeida fournit un meilleur rendement que ses collègues plus jeunes. Le gouvernement soviétique l'a convoquée pour la féliciter de sa production. »
Pour couper court à tout commentaire, je tiens à préciser que l'Agence Novosti, est l'une des deux agences de presse de l'État soviétique.
##### *Colombie : la culture ne manque pas de bras.*
Un rapport de la Police Nationale de Colombie révèle un aspect jusqu'à présent ignoré du retour à la terre. Après avoir déclaré que la marihuana était en passe de devenir l'exportation n° 1 de la Colombie, les policiers affirment que :
« La marihuana colombienne, aujourd'hui plus célèbre que le café lui-même -- au point que dans des pays comme les États-Unis on imprime des chemisettes ou des serviettes sur lesquelles on fait l'apologie de la « Colombian Golden Grass » -- est principalement préparée dans la province de Santa Marta et dans la Sierra Nevada, où la qualité de la terre lui donne un « prestige mérité ».
« Santa Marta étant sur la Côte Atlantique, la sortie de l'herbe en est facilitée de telle manière que son contrôle est quasi impossible. Outre les voies maritimes, les trafiquants se sont ingéniés à utiliser également au maximum les aéroports internationaux.
« A tout cela vient s'ajouter l'invasion de « hippies » américains qui viennent comme des légions de sauterelles envahir de vastes zones du pays pour cultiver, préparer et exporter les stupéfiants. Certains cas sont de notoriété publique comme celui de San Agustin, où une invasion de colonies hippies « gringas » a acheté pour quelques centimes les terres aux paysans, afin de se consacrer à la culture de l'herbe. Et sans parler de la Sierra Nevada, du Meta, de l'Antioqua, du Valle (ce sont là d'autres provinces colombiennes) où des légions de chevelus étrangers ont occupé les terres pour se livrer à leur criminel trafic. »
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##### *Encore le Pérou.*
J'ai parlé dans un précédent numéro d'*Itinéraires* de la fête nationale péruvienne, du défilé militaire, du défilé populaire et de l'enthousiasme que cette manifestation avait éveillé chez Monseigneur l'Archevêque de Lima.
Une journaliste colombienne se trouvait justement à Lima ce même jour : d'un article assez long, je détacherai seulement quelques paragraphes :
« Lorsqu'en la très agréable compagnie d'Alberto Zalamea et de Maria Chavez nous nous approchâmes, croyant assister à une manifestation de masse, on pouvait seulement entendre le bruit tonitruant d'enregistrements antérieurs (diffusés par haut-parleurs) qui hurlaient le slogan « Alvarado, Alvarado, el pueblo esta a tu lado » (Alvarado, Alvarado, le peuple est à ton côté). De minuscules délégations de paysans et d'ouvriers ne parvenaient pas à dépasser le chiffre de six mille personnes. Ce qui fut, pour moi, une incroyable surprise. »
Ce qui prouve que tout archevêque que l'on soit, l'enthousiasme progresso-patriotique peut vous conduire à ne pas voir ce qu'on a devant les yeux, ou à proférer de gros mensonges.
J.-M. D.
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### Le cours des choses
par Jacques Perret
ENTRE AUTRES EFFETS de la politique du changement les revues mensuelles ont dû prendre un coup de vieux dans leur numéro de novembre. Il a fallu mettre le sommaire au frigo. Certaines chroniques, rédigées sous le charme des brumes automnales et les mirages de la rentrée, y ont perdu de leur fraîcheur. Pour ma part, je n'ai pas encore, à l'heure où j'écris, le numéro d'ITINÉRAIRES sous les yeux, mais c'est beaucoup demander à ma salade de tenir le coup si longtemps. Je dois avouer que de toutes façons les événements m'auraient gagné de vitesse. J'avais traité l'actualité si légèrement que mes commentaires auront pris couleur de bluette en plein gâchis. Je filais ma romance et pendant ce temps-là, chargés de présents tactiques, nos chevaliers de l'Occident libéral partaient en croisade pour séduire les enfants de Mahomet et leur mendier quelques outres de bitume à prélever sur les sources, qu'ils nous ont dérobées. Car enfin notre cause est joliment éclairée par cette vieille maxime et démocratique s'il en fut, que la terre appartient à celui qui la cultive.
\*\*\*
C'est pourquoi je vais une fois de plus revenir sur le regrettable abandon de l'Algérie. C'est un événement dont l'actualité ne peut se dégager, mais le lien est secret. Les citoyens exemplaires n'y pensent même plus, ou alors comme d'une sépulture anonyme au carré des suppliciés, rassurante image des rigueurs et bienfaits de la justice gaullienne. D'autres, beaucoup. moins exemplaires, se le représentent comme une espèce de momie subalterne et malsaine encore que farcie d'aromates sous un maquillage pieusement entretenu et surveillée par la corporation des embaumeurs d'État.
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En tant que mauvais citoyens nous traînons une mémoire intolérable à la dignité du progrès dans le changement. Nous sommes par exemple un peu surpris que le don de l'Algérie et du Sahara aux populations arabiques en réparation des soins que nous leur avons prodigués, ne soit jamais mentionné au nombre des causes, accessoires au moins, de ce qu'on appelle pompeusement le drame de l'énergie ou la catastrophe du pétrole. Que je sache en effet aucune des grandes voix du gouvernement, de l'opinion, de la conscience nationale, politique ou économique, n'y a fait la plus timide allusion. Sans doute auraient-elles plus facilement avoué le crime que la faute. Et le processus de la faute est d'y persévérer pour faire croire aux bienfaits de sa fatalité. Les leçons du général de Gaulle continuent de maintenir la certaine France tête haute et à quatre pattes sur un tapis d'orient.
Si la posture nous paraît impudique, c'est au regard d'un passé récent qui n'est pas encore un mythe. Il ne s'agit pas non plus de l'obsession d'un impossible retour où se captiverait un Pied-Noir abîmé en nostalgie, alors qu'il n'est de retour qu'on ne puisse imaginer, à preuve le drapeau vert en Alger. D'ici que viennent les faveurs du changement je m'endeuillerai de cette province en tant que métropolitain, fieffé patos, et rubricard dans une revue non seulement catholique mais fidèle à la religion catholique autant qu'à la patrie française. Or naguère, pendant une dizaine d'années, mon filet de voix a répété que l'ignoble sacrifice de l'Algérie française au fanatisme mahométan n'arrêterait pas d'enfumer. le destin de nos enfants et petits-enfants. Et je m'aperçois tous les matins qu'il y a plus de témérité que de mérite à prévoir que demain deux et deux continueront de faire quatre et la caque de sentir le hareng. La postérité gaullienne en est la première incommodée. Comme une bête puante s'aviserait enfin de sa propre odeur elle se ruine en désodorants, elle n'arrête pas de se parfumer et si le mélange nous écœure on dira qu'un esprit malin habite notre nez.
\*\*\*
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Le dernier témoignage publié sur l'Algérie, côté français, au sens français-français du mot comme diraient les savants, est celui du colonel Antoine Argoud ; mais je crois bien que ce titre a cessé de lui convenir. Le correctif ex ou ci-devant ne saurait même pas le flatter. En revanche le beau nom de monsieur est assez banalisé pour se faire insignifiant sans cesser d'être honorable. On devine que le livre de M. Argoud nous expliquera pourquoi il n'est plus et ne se veut plus colonel. Évidemment, *La décadence, l'imposture et la tragédie* (Fayard), ce n'est pas ce qu'on appelle un bon titre, mais un titre de rhétorique dont les libraires lui diront que l'impact est mou. Les trois grands mots dont il est fait sont trop galvaudés, ils auront peine à racoler cinq cent mille lecteurs. Le style aussi bien a d'autres chiens à fouetter que séduire les délicats de la critique. Le texte enfin, à part quelques traits piquants et quelques scènes étonnantes, n'apporte pas grand chose de neuf sur le déroulement des faits. Il est quand même bon qu'on les rappelle. Mais il y a l'auteur. Le principal de l'ouvrage est la personne de l'auteur. Il est le premier de ses pareils à nous dire sans précautions ni réserves son parfait dégoût et mépris pour les actes et la personne du général de Gaulle. S'il en est venu à ce degré d'indignation, c'est que la vérité ne lui est apparue que progressivement et d'autant plus ignoble qu'il avait pratiqué honnêtement et sur le terrain l'inventaire des mensonges.
Il n'aura fait en somme dans cet ouvrage que nous confirmer par écrit ce que l'écran nous avait prouvé avec plus de bonheur encore, à savoir que non seulement polytechnicien mais colonel, Argoud n'avait peur ni de la république ni du public ni des mots qu'il faut leur dire quand on les pense. L'espèce ne court pas les rues, les calculateurs ne sont pas toujours des sabreurs.
Dans le film *Français si vous saviez,* dont je n'ai vu que la partie algérienne, le choix des témoins est relativement acceptable et tout juste équilibré. Il reste fâcheux que le corps des paras, au niveau de la troupe, soit représenté par deux déserteurs, encore que les questions les aient poussés jusqu'au malaise. Le ton de l'enquêteur est parfaitement impassible et froid, sans plus de ménagement que de bienveillance. On a vu défiler des tartufes, des roués, des filandreux, des faux-jetons professionnels, des serpillières de luxe, des crâneurs laborieux, quelques honnêtes gens intimidés ou maladroits. Quand j'ai vu paraître Argoud je me suis dit, jugement téméraire, qu'il avait été choisi pour asséner à son insu le coup de grâce à la cause qu'il défendait. Par sa tenue, son attitude, ses paroles, sa voix, son assurance, il avait tout pour faire ricaner un public de cinéma. Or la salle tout entière en avait bientôt le souffle coupé : comment peut-on proférer de telles choses avec une pareille intrépidité, comment un officier perdu peut-il être encore à ce point convaincu de sa vérité.
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Pendant plus d'un quart d'heure il a, comme on dit, crevé l'écran et pendant quelques minutes j'ai eu l'impression que tous ces gens matraqués par le mensonge gaulliste éprouvaient une inquiétude à l'idée de succomber aux raisons de cet homme, car ils ne pouvaient douter qu'ils n'eussent affaire à un homme. On dit même qu'au seul point de vue de l'art dramatique et du goût de la clientèle sa présence dans une émission fait un succès. On attend peut-être de lui qu'il fasse un numéro. Il saura bien y prendre garde.
Georges Laffly vous dira l'essentiel de ce livre que les tribunes de la critique ont pu dédaigner en prétextant qu'il n'était pas suffisamment littéraire ; sauf *Le Monde.* En effet, dans tous les cas d'exhumation accidentelle ou délibérée du cadavre de l'Algérie française, *Le Monde* se fait un devoir d'être là, en tenue d'huissier objectif, pour lui cracher une fois de plus sa kyrielle d'injures selon la loi gaullienne. M. Viansson-Ponté s'en étant chargé j'avais mis de côté son article dans l'intention de le décortiquer point par point. Nous faut-il donc rabâcher sur les rabâcheurs, et cela jusqu'à la fin des temps qui déciderait du dernier mot. A l'instant de m'y mettre, une bouffée d'écœurement m'a coupé le sifflet. Servir dans la guerre civile à coups de plume, à la longue, c'est démoralisant. Revenir sur ces questions-là, me faire honte et me mordre les doigts d'avoir usé mon talent pendant plus de dix ans au lieu de balancer tout bonnement une quadrillée sur le podium d'Ubu, non je cale.
Et tout de même, c'est plus fort que moi ; j'irai encore d'un petit abrégé du point de vue français, au cas où le présent numéro tomberait chez le dentiste ou dans le salon d'un psychiatre sous les yeux d'un de ces millions de Français qui n'ont jamais entendu que la voix de nos ennemis. M. Viansson-Ponté ayant la réputation d'un esprit distingué, une mauvaise foi aussi grossière, une condamnation aussi absolue est à peine concevable. C'est oublier le grand nombre d'esprits distingués qui se sont distingués dans la mauvaise foi sous l'aiguillon de la haine. Une haine que toutes les grimaces de bon apôtre et les onguents de la conscience mondiale n'empêchent pas de suer. On a bientôt fait de croire aux calomnies qu'on profère et c'est pourquoi la haine vient d'abord au calomniateur. Toutefois, pour ce qui est de la répression et de la torture, il va de soi qu'Argoud ne les prend pas du tout pour calomnie : il a le courage de les admettre au nombre des horreurs de la guerre et la guerre elle-même au nombre des servitudes et grandeurs de la condition humaine en général et française en particulier. Mais le soldat n'a pas besoin de haïr son ennemi.
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Il se permet d'être impitoyable pour l'égorgeur au rasoir, le flambeur d'écoles, le ravageur de petites filles et le plastiqueur de tramways, mais il n'est pas habité par la haine. La haine est une maladie, une dégradation de l'esprit guerrier. Cependant, haï depuis toujours par les transfuges du parti français, il a bien fallu qu'à la longue parfois, dans le cœur des haïs, la haine engendrât sinon la haine, au moins le dégoût, le mépris, la colère, l'idée de châtiment et l'impatience de punir. Car la haine d'un renégat, ce n'est pas rien, surtout quand il est distingué. C'est la haine qui le soutient dans la peur. La situation du renégat n'est jamais confortable ; méprisé d'un côté comme de l'autre il a toujours peur. Bien sûr qu'en se faisant avocats ou colporteurs au service de l'Islam, les esprits distingués ne s'arrêtaient pas à la notion moyenâgeuse de renégat. Ils se disaient justiciers des crimes de leurs frères. Et ils avaient seulement la haine et la peur des colonels. Je crois que M. Viansson-Ponté a toujours un peu peur des colonels. Et c'est là qu'hélas il nous fait un peu sourire. La peur fait éclore des fantasmes.
Il y a toujours eu dans notre histoire un parti de l'étranger, plus ou moins actif. Il n'est pas loin de prévaloir aujourd'hui à la faveur du libéralisme candide ou malhonnête. Ce sont les mêmes qui cajolent maintenant les fedaynes de tout poil et toute couleur, et ce n'est pas tant par amour des sultans ou des bolchos que par haine d'une chrétienté pourtant moribonde, sinon fantomatique. Ils ont haine et peur de l'ombre d'une France qui n'est pas la leur. Mais je crois qu'avant tout les distingués supplétifs de toute cause antichrétienne ou révolutionnaire sont fascinés par le terrorisme, médusés par la boucherie, extasiés. Il y a là un phénomène assez fréquent chez les esprits distingués. L'énarque et le voyou.
Si M. Viansson-Ponté avait le courage et l'honnêteté de M. Argoud, il nous tiendrait le discours que voici au nom de tous les esprits distingués de son espèce :
« Nous sommes les inventeurs de la seule fin qui justifie tous les moyens, à savoir la libération de l'humanité préalable à l'institution démocratique universelle. Nous ne savons pas bien le contenu de cette fin mais nous avons l'expérience des moyens. Nous avons subventionné les grands carnages indispensables à la dignité du peuple russe. Après quoi nous pûmes sauver la fraternité démocratique par l'anéantissement de populations irresponsables sous un déluge de phosphore et de trinitrotoluène ; cela fait nous avons reçu de la bombe atomique le moyen de nous débarrasser au moins provisoirement d'un redoutable gêneur.
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Ensuite votre tour est venu : avec le concours du général de Gaulle, incomparable serviteur, nous avons fourni aux soldats et spadassins de Mahomet tout ce qu'il fallait d'arguments et instruments pour en finir avec l'insolente communauté chrétienne qui paralysait la vocation démocratique de l'Algérie arabe. Nous avons flétri la répression des égorgeurs sans pleurnicher sur nos frères égorgés, nous avons pratiqué le terrorisme calomniateur, et la charité de nos évêques arrivant à la rescousse nous avons pu célébrer enfin la revanche du conquérant arabe humilié par vos cultivateurs du désert. Et nous poursuivons notre tâche en favorisant par tous les moyens qui nous sont propres la victoire historique des émirs épileptiques associés jusqu'à nouvel ordre à tous les commissaires de la révolution. Et tout cela pour la seule raison qu'ils nous vengeront des frayeurs un peu ridicules que nous inspiraient vos colonels bénis et scrogneugneux de saint Louis. Ainsi dressé l'inventaire de nos expériences et de nos moyens, c'est assez dire je crois tout le dérisoire de vos petites répressions d'amateurs. Je salue donc avec attendrissement et respect le colonel Argoud, honnête et clairvoyant ennemi. Il ne s'étonnera pas si je continue à proclamer inlassablement l'indignité de sa conduite et la honte que j'en éprouve en tant que soi-disant défenseur des valeurs occidentales. Valeurs dont je vous signale, entre nous, l'état de déhiscence avancée. »
Une prosopopée sous condition a peu de chances de traduire la pensée, même intime, de M. Viansson-Ponté. Mais cinq colonnes sous la signature d'un moraliste et compatriote, cinq colonnes bien tassées sur le drame de l'Algérie pour n'y voir évoquer que celui des fellagas, sans un mot pour le drame des autres qui sont les nôtres, voilà une chose qui m'agace encore.
Dans ce discours apocryphe le seul propos que l'auteur pourrait avouer c'est l'avertissement relatif aux valeurs occidentales. Mais la vérité que je lui fais dire là n'est que partielle. Une confidence en valant une autre je me permets de lui signaler entre nous que des valeurs en question tout n'est pas encore pourri. Le peu qui reste sain me paraît vivace et probablement imputrescible. S'il en était autrement les pourrisseurs cesseraient de s'inquiéter sinon de haïr.
\*\*\*
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Français si vous saviez... L'auteur du film avait sans doute l'intention de faire savoir au public certaines choses qui l'inciteraient à préciser ou modifier son jugement sur ceci ou cela. La suspension est une figure aguicheuse, le public a payé sa place pour connaître la suite, il a vu défiler une quantité d'images plus ou moins instructives et qui ne l'auront pas délivré des points de suspension.
A mon avis, dans le meilleur des cas, on aurait tenté de lui faire savoir qu'il conviendrait maintenant de renvoyer dos à dos les gendarmes rouges et les soldats perdus, les barbouzes et les activistes, voire de Gaulle et Degueldre. Je ne vais tout de même pas donner dans ce vieux panneau qui nous ferait pigeons. Nous attendons des excuses. On ne saurait pardonner qu'à ceux qui le demandent. Et dans le cas où il s'agirait d'une réconciliation expédiée en manière d'apaisement historique, c'est beaucoup trop tôt évidemment. Pour ce qui est de moi j'arrive tout juste à confondre les suppôts de Frédégonde et les tenants de Brunehaut dans la perspective sentimentale de nos tribulations françaises, mais j'en suis encore à militer chez les Armagnacs et je ne boirai avec les sicaires du parti de l'étranger qu'ils ne soient venus à résipiscence.
\*\*\*
Français si vous saviez... Mais s'ils ne veulent pas savoir ? Et si, venant à savoir ils font semblant de ne pas savoir ? Ou que, s'avisant qu'il n'est pas tout de savoir mais qu'il faut pouvoir ils soupçonnent ceux qui savent et qui peuvent de faire semblant de ne pas pouvoir ? Ou alors qu'une très vieille exclamation se propage de bouche en bouche : « Si le roi savait ça ! » Pieuse hypothèse, le temps qu'on se la dise elle réconforte.
En même temps que le livre d'Argoud paraissait celui de Marcelle Routier : *Derrière eux le soleil* (Laffont). C'est un recueil de témoignages sur la condition des Pieds-Noirs en Algérie et en métropole depuis l'indépendance. Un travail énorme, épuisant, affreusement révélateur. Et d'autant plus convaincant que l'auteur est visiblement de gauche et qu'il a dû par lui-même et courageusement dégauchir quelques opinions reçues en découvrant pas à pas toute l'ignominie de la besogne accomplie par une mère patrie acharnée à détruire ses enfants. J'ai l'impression que ce livre aura passé pour insignifiant aux yeux de la critique et qu'il n'aura même touché qu'une partie de la clientèle acquise d'avance.
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Français si vous pouviez savoir ce qu'il s'est vraiment passé sous les deux règnes du plus grand des Français vous sauriez ce que sont la fausse gloire et la vraie honte. Et vous comprendriez peut-être que le grand dessein du plus grand des Français continue de glisser dans le bourbier, pieusement administré par de tels successeurs que nous voyons de nos yeux les mamamouchis leur pouffer de rire au nez en postillonnant leur mépris.
A l'instant où j'écris M. Poniatowski, le dur du conseil, se fait présenter les installations de Hassi-Messaoud par un sous-ministre de Boumedienne. Cocorico. Il est prévu pour demain un méchoui de gala à Ghardaïa. Hommage du vainqueur magnanime au vaincu sans rancune. Ponia se lèchera les doigts et je l'entends dire à la cantonade « Oui, mais faut le faire ! » Et alors ? Combien d'autres ne le font-ils pas.
Cependant nos harkis affamés, loqueteux, sans toit ni travail continuent d'errer sur les routes de France et réclamer en vain le beau nom de Français. C'est une promesse qu'on leur fit naguère afin qu'ils sachent bien ce que c'est aujourd'hui que d'être Français, quand on s'est dérobé à la bouilloire et au pal.
Jacques Perret.
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### Faits divers
par Christian Langlois
A L'AGE DE 13 mois, 2 semaines et 4 jours, Jérôme Lempereur mordit sa nurse. Celle-ci mourut quelques minutes plus tard dans d'horribles souffrances. Le médecin, accouru avec diligence quelques heures après, ne put que constater le décès sans parvenir à s'en expliquer la cause. Toutefois, l'aspect de la victime, son visage cyanosé, sa langue boursouflée, ses membres recroquevillés dans une ultime convulsion, lui parurent à ce point insolites qu'il demanda l'autopsie ; ce que ne put que confirmer le médecin légiste contrarié de ce surcroît de travail.
Le laboratoire ayant décelé une dose massive de cyanure et l'autopsie deux traces de piqûres au niveau de la deuxième phalange de l'index droit, le Parquet fut saisi de l'affaire. Au terme d'une courte enquête, le Juge Blaise inculpa le père de Jérôme d'assassinat avec préméditation. Il fondait son accusation sur la conviction qu'il avait que le père de Jérôme avait courtisé sans succès la nurse et qu'il l'avait assassinée pour se venger d'avoir été éconduit.
Lempereur eut beau prouver qu'il se trouvait à cinq cents kilomètres des lieux le jour du crime et faire observer que la nurse, âgée de soixante-dix ans et fort revêche, n'avait rien de particulièrement attrayant pour un homme de trente-huit ans normalement constitué, rien n'y fit : dans une conférence de presse radio-télévisée, le Juge précisa même les motifs de sa décision. Pour lui la culpabilité de Lempereur était évidente pour trois raisons : d'abord, il jouissait d'une situation aisée, ce qui faisait de lui un criminel en puissance ; de plus, époux exemplaire n'ayant jamais eu de liaisons, Lempereur ne pouvait que souffrir de désirs d'adultères d'autant plus violents que profondément et longuement refoulés ; enfin, les alibis, vérifiés, de l'inculpé étaient trop indiscutables pour n'être pas suspects.
\*\*\*
60:189
Jérôme Lempereur mordit pour la seconde fois à l'âge de 15 mois, 3 semaines et 6 jours, lors de la reconstitution du crime : le doigt du Commissaire. Celui-ci mourut quelques minutes plus tard dans d'atroces souffrances.
Les médecins experts présents diagnostiquèrent un infarctus massif complique d'ictère cérébro-spinal foudroyant et délivrèrent immédiatement le permis d'inhumer.
L'avocat de Lempereur commit l'imprudence de faire remarquer la similitude des symptômes entre la mort de la nurse et celle du commissaire. Aussitôt, le M.L.N. (Mouvement de Libération des Nurses), qui s'était constitué partie civile, car la nurse n'avait aucune famille, émit une violente protestation qui aboutit à un blâme de l'avocat.
Une campagne télévisée se déclencha aussitôt, appuyée par des pétitions signées de plusieurs Prix Nobel et vedettes milliardaires en retraite. Les signataires s'élevaient contre une justice de classe qui se refusait à admettre que le plus riche est nécessairement le coupable.
Agressé de toutes parts, ne pouvant sortir de chez lui sans être insulté par une foule hostile, pris à partie quotidiennement par la presse, la radio et la télévision, le malheureux avocat abandonna le dossier, fit une dépression nerveuse et se jeta dans la Seine du Pont de Tancarville. Malheureusement, il fut repêché par une péniche et condamné à une forte amende pour infraction à la législation sur la circulation fluviale.
Son geste fut considéré comme un aveu de malhonnêteté et il fut radié du barreau. Il tenta alors de mettre fin à ses jours en se jetant sous un train. Mais celui-ci parvint à freiner à temps ce qui eut pour effet secondaire d'occasionner le déraillement du fourgon chenil. Dans l'accident, un loulou de Poméranie, un épagneul chinois et un setter irlandais de grande race furent blessés légèrement, raison pour laquelle le désespéré fut condamné à de lourds dommages et intérêts au profit de la S.P.A.
Rendu fou furieux par l'injustice du sort, l'ex-avocat, en sortant du Palais, se précipita chez un armurier où il acheta :
2 mitrailleuses lourdes Hotchkiss, 2 fusils mitrailleurs,
6 carabines à tir rapide,
14 pistolets,
127 grenades offensives,
1.800 cartouches de calibres divers, 1 obusier de campagne,
6 détonateurs de 75,
61:189
4 bazookas,
et divers menus accessoires.
L'armurier, après s'être assuré que l'adresse figurait au dos du chèque, aida son client à charger le tout dans un taxi.
L'ex-avocat se fit aussitôt conduire à la banque la plus proche où il s'empara de la caisse, de la caissière et de dix-sept otages dont il abattit froidement la moitié afin de prouver sa détermination. Puis il offrit à chaque survivant une tablette de chewing-gum, ce qui provoqua d'élogieux commentaires dans la presse.
Afin d'éviter tout incident, le gouvernement se hâta de mettre à la disposition du révolté :
une limousine blindée avec chauffeur repris de justice, un Boeing 747 avec son équipage complet et un cuisinier trois étoiles,
une somme de dix millions de pétrodollars,
un compte chèque suisse avec garantie d'anonymat,
un contrat d'édition de ses mémoires,
un certificat de bonnes vie et mœurs.
L'ex-avocat relâcha les otages sur le terrain d'aviation gardé par l'armée à l'issue d'un vin d'honneur où il annonça ses fiançailles avec la caissière de la banque qui ne voulait plus le quitter et l'avion décolla vers l'Arabie Séoudite dans l'agitation des mouchoirs et l'émotion mal contenue des spectateurs.
\*\*\*
Pendant ce temps, Lempereur n'ayant trouvé personne qui acceptât de se charger de sa défense se vit commettre d'office un jeune stagiaire qui lui proposa de plaider le crime crapuleux, D'après lui, c'était seulement en acceptant de se charger de toutes les abjections et de tous les vices, en se présentant comme un être ignoble taré et irrécupérable que Lempereur avait quelque chance d'échapper à la guillotine surtout si, comme on pouvait l'espérer, on retrouvait un alcoolique dans son ascendance.
Lempereur ayant refusé avec horreur une pareille version des faits si opposée à la vérité, son jeune défenseur ne lui cacha pas que, dans ces conditions, il ne répondait pas de sa tête.
Quelques jours plus tard, Lempereur reçut la visite d'un important éditeur qui lui proposa d'écrire l'histoire de son crime pour une somme fabuleuse. Lempereur répondit que cela était impossible puisqu'il était innocent.
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L'éditeur partit en hochant la tête et conseilla au stagiaire de plaider la débilité mentale..
\*\*\*
C'est à l'âge de 22 mois, 4 semaines et 2 jours que Jérôme Lempereur mordit pour la troisième fois.
Le procès avait été assez terne jusque là, dominé par la puissante stature du Juge Blaise dont on parlait comme d'un probable ministre de la justice et qui en était à son sixième best-seller :
« Tuez-les d'abord »,
« Coupable par principe »,
« Faites votre justice vous-même »,
« Les innocents sont des coupables qui s'ignorent »,
« Dénoncez-vous les uns les autres »,
« Tuera bien qui tuera le dernier ».
Il n'y avait pratiquement pas eu d'incident au cours des audiences si l'on excepte le décès accidentel d'un expert qui s'était empoisonné avec du cyanure qu'il avait pris pour du Scotch au cours d'une brillante démonstration.
Comme on pouvait s'y attendre, les jurés avaient adopté les conclusions du Juge Blaise et voté la mort à l'unanimité.
C'est au moment où l'on venait d'emmener le condamné que le procureur, descendant du prétoire, crut bon de venir chatouiller le menton du jeune Jérôme Lempereur qui était là comme pièce à conviction. Le bambin était très doux mais fort chatouilleux, aussi, dans un mouvement de défense aussi instinctif que subit, mordit-il jusqu'à l'os le doigt de l'imprudent magistrat.
Celui-ci mourut quelques minutes plus tard dans d'épouvantables souffrances.
Le médecin de service diagnostiqua un transport au cerveau dû à la joie de la victoire.
Malgré tout, le doute était semé et les journaux commençaient à s'interroger sur les coïncidences troublantes entre les circonstances des décès de la nurse, du commissaire et du procureur.
Sur ces entrefaites, à l'âge de 23 mois, 1 semaine et 1 jour, Jérôme Lempereur mordit pour la quatrième fois : le doigt de l'oto-rhino-laryngologiste qui lui examinait la gorge afin d'y déceler la présence d'éventuelles végétations.
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Mais le praticien y découvrit tout autre chose : deux énormes crochets à venin. Médusé par cette découverte surprenante, il n'eut pas la présence d'esprit de se retirer à temps lorsque le gamin ferma la mâchoire.
Avant de mourir quelques minutes plus tard dans d'abominables souffrances, il eut le temps de faire part de sa découverte à son assistante et au tuteur du bambin qui l'avait accompagné.
L'affaire fit grand bruit. On parla de révision du procès. Le seul à demeurer inébranlable fut le Juge Blaise abandonné de tous, même des Prix Nobel occupés avec un manifeste en faveur de la libération des schizophrènes chiliens. Afin de prouver le bien-fondé d'une cause bien compromise, il proposa de tenter l'épreuve sur lui-même.
Le test eut lieu en présence de trois journalistes de revues semestrielles et des représentants du M.L.N. Le juge chatouilla le menton du garnement non sans une certaine inquiétude. Celui-ci, comme il fallait s'y attendre, mordit aussitôt le doigt du juge jusqu'à l'os. Que croyez-vous qu'il arriva ? C'est le bambin qui creva.
Christian Langlois.
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### Le procès Jamin
*entièrement écrit*
par Luce Quenette
ITINÉRAIRES numéro 187 de novembre a publié le récit des événements qui se sont passés en juin à Saint-Hilaire-le-Vouhis, Vendée, avec tous les documents du dossier de cette « dramatique et significative affaire ».
La persécution infligée à Monsieur l'abbé Jamin, en effet, importe extrêmement à notre foi, notre jugement, notre conduite, et enfin, à l'histoire même de l'Église catholique.
La Providence qui se sert pour notre bien de tout événement et particulièrement des persécutions a permis que fût mise sous nos yeux la conjonction d'une méchanceté résolue, minutieuse, persévérante, et des réponses calmes, raisonnables et raisonnées du persécuté ; les persécuteurs se révélant à mesure ennemis de la foi, leur victime s'appuyant sur elle. L'inique procès, par suite des circonstances et de la tranquille résolution de l'accusé, a été *entièrement écrit.* C'est un dossier unique qui s'apparente au dossier de Jeanne d'Arc par sa précision historique. Ce n'est pas que l'humble et paisible abbé Jamin s'autorise de la moindre gloire de martyr ou d'inspiré. Mais il a reçu la grâce de la simple inspiration de sa foi de prêtre catholique ; sa plume et sa conduite y ont été simplement fidèles, et enfin, il a eu le bonheur de voir écrit en très gros caractères, sur le portail et les murs de son presbytère, l'épilogue souhaité par ses juges ecclésiastiques :
« JAMIN AU POTEAU »
orné, avant et après de :
« JAMIN S..S. » et « JAMIN NAZI »,
enfin, le motif central qui mérite le poteau de la mort :
« NON A LA MESSE DE PIE V »
Je dis « l'épilogue souhaité par les juges ecclésiastiques », car c'est bien ainsi que les évêques indignes (Cauchon) « remettent » leur victime « au bras séculier ».
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Vous comprenez combien la lecture de ce procès et son explication ([^16]) est importante pour nous tous. D'autres prêtres fidèles ont souffert autant, ont été chassés et persécutés ; l'épisode de la persécution du curé de Monjavoult est dans nos mémoires, mais « l'avantage » du procès Jamin pour l'édification de notre foi, c'est la rédaction complète du dossier, la communication du *greffe de l'instruction,* et les menaces physiques sues, tolérées, maintenues par l'évêque. Le principe de cette affaire qui en anime toutes les pièces, le voici : nous constatons, testes en main, que « l'abbé Jamin n'a pas bougé, il a gardé la foi de son baptême, c'est l'évêque de Luçon et le clergé diocésain qui sont sortis de la foi catholique ».
La conclusion s'impose :
« Nous ne sommes plus de la même Église. Nous n'avons plus la même religion. »
Voilà ce qui nous est exposé et expliqué en pleine lumière, imposé à notre jugement si nous avons une droite volonté. Voilà pour nous mettre en droit chemin si nous vivions encore dans les illusions d'une fausse obéissance, si nous nous imaginons que la fidélité à la messe authentique, au catéchisme et à la doctrine du concile de Trente fait de nous des séparés, voire des schismatiques.
Ou si nous imaginons (car la raison n'est pour rien là-dedans) qu'en laissant de côté la messe, le catéchisme et les dogmes, nous allons pouvoir faire un traité à l'amiable, trouver un terrain d'entente avec ceux qui professent la liberté révolutionnaire contre la messe, le catéchisme, la naissance virginale de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la transsubstantiation du pain et du vin à son corps et à son sang.
Vous mesurez combien il est important pour vous personnellement de lire, d'étudier, de comprendre, d'assimiler ce procès entièrement rédigé, y trouver de quoi entrer dans le repos et vous préparer (mon Dieu si Vous le permettiez) à la conclusion de cette tranquille profession de foi, cette conclusion qui est « le poteau ».
\*\*\*
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Peut-être est-ce ici, enfin, que nous trouverons de quoi faire une brèche dans cette erreur jusque là invincible où vit l'immense majorité, non pas seulement des artisans d'iniquité, évêques et prêtres prévaricateurs, mais l'immense majorité des prêtres et des braves gens qui veulent garder la foi et, en même temps, dire et fréquenter des messes, matière de péché mortel, sans vouloir ou pouvoir en prendre conscience, advertance et responsabilité.
C'est ainsi que des millions d'hommes se réveillèrent ariens, ou calvinistes, ou zwingliens, ou « soumis à Martin » comme dit Montaigne, tous hérétiques par insensible glissement.
Luce Quenette.
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### La réforme du Bréviaire
ou les étapes d'une réforme
par Jean Crété
On a beaucoup parlé, à juste titre, depuis quelques années, du problème de la messe. Nous nous proposons ici d'étudier la question du Bréviaire. Importante pour les prêtres et les religieux des deux sexes, la question du Bréviaire intéresse les simples fidèles à un double titre. Tout d'abord, le Bréviaire n'est pas l'apanage exclusif des prêtres et des religieux ; les fidèles ont toujours été invités à s'associer à tout le moins au chant des Vêpres des dimanches et fêtes ; et de tout temps, de pieux fidèles, notamment les tertiaires et les oblats, ont tenu spontanément à réciter, en tout ou en partie, l'office divin. C'est le cas de l'auteur de ces lignes qui, simple laïc, trouve depuis plus de trente ans dans la récitation intégrale du Bréviaire un réconfort spirituel extrêmement précieux. Nous ne comprenons pas comment tant de prêtres ont pu abandonner des parties importantes du Bréviaire le jour où elles ont cesse d'être pour eux obligatoires sous peine de péché. Considéraient-ils donc l'office divin comme une corvée aussi ennuyeuse que sacrée ? Hélas... Nous pensons au fameux dialogue, rapporté par Henri Charlier, entre deux prêtres dont l'un se vantait d'expédier son Bréviaire en trois quarts d'heure, tandis que l'autre avouait y mettre honnêtement une heure un quart ! Avec l'expérience de trente ans de récitation de l'office divin, nous pouvons affirmer qu'une heure un quart constitue un minimum pour une récitation digne et fructueuse du Bréviaire de saint Pie X. Il n'est pas question, d'ailleurs, de réciter tout l'office du jour d'affilée ! Dites vos Heures aux Heures, conseillait le Père Emmanuel à ses confrères, et il prêchait d'exemple.
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C'est là l'idéal ; il n'est pas toujours réalisable. Un prêtre chargé de ministère, un laïc qui allie la récitation de l'office à ses occupations professionnelles ou familiales, sont bien souvent obligés d'avancer ou de retarder la récitation de certaines Heures ; et, si l'on prévoit un obstacle, mieux vaut anticiper ce qu'on ne pourra dire à l'heure idéale ; c'est une question de prudence et d'appréciation personnelle. Le Bréviaire intéresse donc les laïcs, dans la mesure où certains d'entre eux le récitent spontanément, et ils sont peut-être plus nombreux aujourd'hui que jamais. Mais le Bréviaire intéresse les simples fidèles à un autre titre : en raison de sa connexion très étroite avec la messe. Il est impossible de faire une réforme du Bréviaire qui n'ait pas d'incidences sur la célébration de la messe. La Bulle *Divino afflatu,* promulguée par saint Pie X le 1^er^ novembre 1911, ne réformait que le Bréviaire et, plus précisément, deux éléments du Bréviaire : le psautier et les rubriques. Elle eut cependant des conséquences notables dans le choix de la messe à célébrer ; c'est ainsi que les messes des simples dimanches, qui étaient jusqu'alors presque toujours supplantées par celles des saints occurrents, retrouvaient leur place, et, en 1913, les fidèles les moins attentifs durent à tout le moins remarquer l'usage beaucoup plus fréquent de l'ornement vert ; les fidèles plus attentifs se réjouirent d'entendre les textes des messes dominicales contenues dans leur paroissien. C'est de cette réforme du Bréviaire par saint Pie X, et plus particulièrement des incidences de cette réforme sur la messe, qu'est sorti ce qu'on a appelé le « mouvement liturgique », c'est-à-dire l'intérêt très vif porté à la liturgie, par un nombre croissant de fidèles dans les décades qui suivirent. Ce mouvement liturgique entraîna la publication d'un nombre impressionnant de missels quotidiens à l'usage des fidèles, le plus connu étant celui de Dom Gaspar Lefebvre ; ces missels contenant, outre la messe de chaque jour, des parties importantes de l'office : Vêpres, Complies, parfois les Petites Heures (qui étaient chantées dans les cathédrales jusqu'au dernier concile), et les Matines et Laudes de Noël, de la semaine sainte, du Saint-Sacrement et des morts. Les usagers de ces missels complets pouvaient se nourrir de piété liturgique : ce qui était le vœu de saint Pie X.
Une question se pose tout naturellement : pourquoi saint Pie X a-t-il réformé ainsi le Bréviaire ? Le Bréviaire de saint Pie V avait-il vraiment besoin d'être réformé ? Une réforme laisse supposer des imperfections ou des inadaptations assez graves pour justifier des changements qui ne vont jamais sans inconvénients.
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L'ordre des psaumes, conservé dans le Bréviaire de saint Pie V, remontait à l'antiquité. Il fallait, pour s'en écarter, des raisons très sérieuses. Ces raisons existaient, et elles tenaient, non à un défaut congénital du précédent Bréviaire, mais à un développement qui était dans la nature des choses. Tout le monde le sait : l'année liturgique comporte un double cycle : le Temporal ou Propre du Temps, constitué par les dimanches, les grandes fêtes et les féries (ou jours ordinaires) ; le Sanctoral ou Propre des saints. Au début du Moyen Age, le Temporal dominait de beaucoup, le nombre de fêtes de saints étant limité. Mais avec les siècles, le nombre de fêtes de saints augmenta : c'était tout à fait normal. Seulement, l'année ne compte que 365 jours, dont 52 ou 53 dimanches et un certain nombre de féries importantes ayant des messes propres : Carême, Quatre-Temps, Vigiles, une soixantaine en tout. En outre, les très grandes fêtes avaient, dès l'antiquité, des octaves, c'est-à-dire que leur célébration se prolongeait pendant huit jours. Si le nombre de fêtes de saints augmente par trop, le Sanctoral risque de supplanter le Temporal, et c'est ce qui se produisit. A la fin du Moyen Age, le nombre des fêtes de saints célébrées dans l'Église entière avait grandement augmenté ; en outre, les diocèses et les ordres religieux avaient des calendriers propres qu'ils établissaient eux-mêmes, sans recourir à Rome. Les féries (ou jours ordinaires ayant l'office temporal) avaient à peu près disparu ; sauf toutefois en Carême : pendant la période allant du 15 février au 15 avril, le nombre de fêtes de saints a toujours été limité. Mais, chose plus grave, les dimanches s'étaient trouvés supplantés bien souvent par des fêtes de saints secondaires. Toutes les fêtes n'ont pas la même importance. Dès l'antiquité, quelques très grands saints (les apôtres, saint Laurent, saint Martin...) avaient un office calqué sur celui du dimanche : 1^e^ vêpres la veille, Matines de trois Nocturnes, 2^e^ vêpres. Ce type d'office fut appelé *double,* en raison du doublement des vêpres. La plupart des saints avait un office *simple :* 1^e^ vêpres, Matines d'un seul Nocturne, pas de 2^e^ vêpres. Or, au cours du Moyen Age, le mot *double,* appliqué primitivement au doublement des vêpres, entraîna le doublement des antiennes des psaumes à Matines, Laudes et Vêpres. Le dimanche avait, dès l'antiquité, des 1^e^ et des 2^e^ vêpres et les grandes Matines ; mais il échappa au doublement des antiennes ; de ce fait, il fut appelé : *semi-double,* et supplanté par toutes les fêtes doubles. La multiplication de ces dernières faisait pratiquement disparaître l'office dominical.
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Saint Pie V eut le souci de remédier à cet inconvénient sans bouleverser la structure traditionnelle de l'office, et notamment l'ordre des psaumes qui remontait à l'antiquité. Il ne put le faire qu'en supprimant des fêtes de saints relativement récentes et quelques fêtes de dévotion, anciennes en Orient, mais introduites en Occident au cours des XIV^e^ et XV^e^ siècles : Présentation de Marie, sainte Anne... Le nombre de fêtes doubles, dans le calendrier de l'Église universelle, se trouvait réduit à soixante-cinq. Les calendriers particuliers, désormais assujettis à l'approbation de Rome, furent sérieusement élagués. Le dimanche retrouvait ainsi, le plus souvent, son office et sa messe propres. Mais la simplification du Sanctoral heurtait bien des dévotions légitimes ; des fêtes supprimées furent rétablies au lendemain de la mort de saint Pie V ; et tous les papes qui se sont succédés depuis le XVI^e^ siècle en ont ajouté de nouvelles. Un seul fit exception : Benoît XIV. Dès le milieu du XVIII^e^ siècle, les dimanches se trouvaient de nouveau supplantés par les fêtes de saints, car presque tous les saints canonisés et introduits dans le calendrier de l'Église universelle depuis le XVI^e^ siècle ont reçu le rang de fête double, supplantant parfois des martyrs antiques de rite simple. Benoît XIV envisagea une nouvelle réforme du calendrier, la fit étudier par une commission : celle-ci, après bien des travaux, proposa un remède radical : la réduction de toutes les fêtes au rang de mémoires ; de la sorte, non seulement la prépondérance absolue des dimanches se serait trouvée assurée, mais, en semaine, on aurait perpétuellement récité l'office férial, les saints ne conservant que la messe. Benoît XIV écarta ce projet outrancier... et abandonna la partie. Ses successeurs continuèrent à ajouter des fêtes, ce qui était normal ; il n'y a pas de raison d'exclure systématiquement du calendrier les saints récemment canonisés. La dévotion légitime des fidèles appelle inévitablement de nouvelles fêtes. Chaque nouvelle fête, prise individuellement, était légitime ; mais la multiplication des nouvelles fêtes entraînait une surcharge du Sanctoral qui réduisait d'autant le Temporal ; entre ces deux éléments de l'année liturgique, il y a un équilibre à trouver, et ce n'est pas facile. Ce fut le mérite de saint Pie X de le réaliser. A la mort de Léon XIII, le nombre des fêtes doubles de l'Église universelle dépassait cent quatre-vingt-dix ; les calendriers particuliers s'étaient gonflés dans la même proportion ; les dimanches ordinaires n'étaient presque jamais célébrés ; un privilège sauvegardait les dimanches d'Avent et de Carême. Les psaumes assignés aux féries n'étaient presque jamais récités, les belles leçons du Temporal régulièrement omises ; on répétait indéfiniment les psaumes du Commun des saints, surtout ceux des confesseurs.
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N'exagérons pas les inconvénients de cette surcharge du Sanctoral : des générations de prêtres et de fidèles se sont sanctifiées au moyen de ces offices et messes de saints, dont la répétition nous paraît fastidieuse. Dom Guéranger lui-même était opposé à toute réforme liturgique : il avait pour unique but de remettre en honneur la liturgie romaine, telle qu'elle était. Ce furent certains de ses fils -- de la seconde génération -- qui, sous Léon XIII, posèrent la question de la prédominance du Temporal. Saint Pie X, dès son avènement, s'occupa très sérieusement de la réforme, qui lui paraissait indispensable, du Bréviaire. Il constitua une commission qui travailla une dizaine d'années à cette réforme. La commission envisagea une nouvelle simplification du Sanctoral ; dès que le projet en transpira, il y eut de telles oppositions que saint Pie X y renonça, ne voulant pas blesser des dévotions légitimes ; il orienta donc la commission vers une réforme rubricale qui fut promulguée par la Bulle *Divino afflatu* du 1^er^ novembre 1911 et dont les modalités furent précisées un peu plus tard par des *Additiones et variationes* ajoutées aux rubriques du Bréviaire et du missel. Les dimanches restaient semi-doubles, mais avaient désormais la préséance sur toutes les fêtes doubles et doubles majeures, à l'exception des fêtes du Seigneur. Ainsi la célébration régulière des messes des dimanches était désormais assurée, sans qu'aucune fête de saint n'ait été supprimée. En semaine, les fêtes semi-doubles et doubles et quelques fêtes doubles majeures empruntaient désormais leurs psaumes et les leçons du 1^er^ Nocturne à la férie occurrente. Ainsi les 150 psaumes et les belles leçons d'Écriture retrouvaient leur place. Mais cela exigeait une refonte complète du psautier liturgique : en effet les anciennes Matines fériales, constituées d'un seul Nocturne de douze psaumes, ne se prêtaient pas à une division en trois Nocturnes. Le nombre des psaumes de Matines fut donc réduit à neuf, pouvant se réciter en un seul Nocturne (aux féries et aux fêtes simples) ou en trois (aux fêtes semi-doubles et doubles) ; les Matines du dimanche, qui comportaient jusqu'alors dix-huit psaumes, n'en avaient plus que neuf, très courts. Les longs psaumes étaient partagés en deux, trois, quatre ou six divisions. Les psaumes qui se trouvaient ainsi écartés de Matines étaient replacés aux Petits Heures et à Complies, qui antérieurement avaient des psaumes invariables. La récitation des 150 psaumes dans la semaine se trouvait assurée et, eu même temps, la longueur de la psalmodie se trouvait notablement réduite. Une agréable diversité rendait l'office divin beaucoup plus intéressant et donc beaucoup plus fructueux.
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Les changements étaient réduits au minimum on pouvait encore se servir des anciens Bréviaires en y ajoutant le volume du psautier, édité à part. C'était, certes, une innovation fort grave que de remplacer l'ordre traditionnel des psaumes, qui remontait à l'antiquité, par un ordre en grande partie nouveau. Mais cette innovation était justifiée par les avantages considérables qui en résultaient. Saint Pie X avait réalisé un bel équilibre entre Temporal et Sanctoral, puisque, sans supprimer aucune fête de saint ni de dévotion, il avait rétabli la préséance des dimanches, l'usage des 150 psaumes et des leçons d'Écriture et la possibilité de célébrer presque toujours les belles messes propres des féries majeures (Carême, Quatre-Temps, Vigiles). Nul ne pouvait se plaindre d'être lésé dans sa dévotion. Aussi la réforme de saint Pie X fut-elle accueillie avec faveur par presque tous les prêtres et les fidèles, avec enthousiasme par beaucoup. La délicatesse de saint Pie X apparaît dans quelques décrets complémentaires qui suivirent la promulgation du nouveau Bréviaire : celui-ci était rendu absolument obligatoire à partir du 1^er^ janvier 1913, mais des indults permirent aux prêtres âgés qui le désiraient de garder le Bréviaire antérieur. Les fêtes de dévotion précédemment célébrées le dimanche étaient, pour la plupart, transférées à une date fixe ; mais saint Pie X permit, par un décret général, d'en célébrer la solennité le dimanche auquel elles étaient précédemment assignées. Par dérogation à ce principe, saint Pie X avait fixé au 4^e^ dimanche de juin la fête de saint Jean-Baptiste, le 24 juin n'étant plus férié ; il y eut des protestations ; et, dès 1914, saint Jean-Baptiste fut replacé au 24 juin ; mais sa solennité restait permise le 4^e^ dimanche de juin. Toutes ces mesures témoignent du souci de saint Pie X de ne pas heurter les habitudes et de respecter les dévotions légitimes. Dans le même esprit, il laissa les Bénédictins opérer eux-mêmes la réforme du Bréviaire monastique. Les Bénédictins gardèrent l'ordre des psaumes établi par saint Benoît lui-même, adoptèrent les nouvelles règles de préséance et même les renforcèrent sur certains points ; en outre, ils réalisèrent pour leur compte la réforme du Sanctoral à laquelle saint Pie X avait renoncé ; le calendrier bénédictin de 1915 est d'une belle sobriété répondant aux désirs des moines bénédictins, mais qu'il eût été excessif d'imposer à l'Église universelle. Les ordres religieux qui désiraient garder un Sanctoral très chargé (Dominicains, Franciscains, Jésuites), obtinrent de Rome à peu près tout ce qu'ils demandèrent. *Diversa sunt dona*. Saint Pie X ne l'ignorait pas et il sut respecter les diverses aspirations, n'imposant à l'Église universelle que ce qui était bénéfique pour tous :
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Son désir personnel l'inclinait vers une réforme plus poussée. S'il la différa, c'est qu'il estimait que les esprits n'étaient pas mûrs. La réforme du Sanctoral était différée, non abandonnée. Celle du missel était très clairement annoncée dans la Bulle *Divino afflatu*, et une commission fut constituée pour la préparer ; elle ne put tenir que quelques séances du vivant de saint Pie X, elle en tint quelques autres après sa mort, mais Benoît XV et Pie XI se désintéressèrent de la question, et la commission finit par se séparer sans avoir rien décidé.
Ce fut Pie XII qui reprit les projets de réforme liturgique. Mais, en trente ans, les esprits avaient bien évolué, les experts n'étaient plus dans l'esprit de saint Pie X. Le « mouvement liturgique », dû aux bonnes réformes de saint Pie X, s'était beaucoup développé, mais certaines déviations s'y étaient glissées, sous l'impulsion de certains prêtres, et surtout des aumôniers d'Action catholique. Des réformes étaient demandées -- et souvent, déjà, mises en œuvre -- qui n'étaient pas toutes mauvaises en soi. Ce qui était inquiétant, c'était l'esprit de dénigrement et de revendication qui présidait à ces innovations. La plupart des réformes accordées par Rome sous Pie XII et ensuite ont été obtenues par des groupes de pression, les mêmes qui se manifesteront au grand jour lors du concile. Dès lors, les réformes, même justifiées par certains côtés, ont préparé la subversion totale de la liturgie, à laquelle nous assistons aujourd'hui. Cela, évidemment, Pie XII ne l'a ni voulu, ni prévu ; et il aurait fallu une perspicacité bien extraordinaire pour discerner dans des réformes somme toute justifiées l'élément trouble qui devait tout gâter. Si, dans la suite de cette étude, nous critiquons les réformes de Pie XII, nous n'entendons pas incriminer les intentions de ce très grand pape, dont la doctrine, la piété et le zèle ne peuvent être mis en doute. Saint Pie X avait chargé les Bénédictins de Saint-Jérôme de préparer une édition critique de la Vulgate, et même de la réviser, avec prudence, en la confrontant aux originaux. C'était un travail de très longue durée qui impliquait à plus ou moins longue échéance, la révision du psautier, qui est l'élément fondamental du Bréviaire, et donc la partie la plus employée de toute la Bible ; il est indéniable que le psautier liturgique comporte des imperfections et des obscurités ; sa révision était donc ardemment désirée, non par le commun des prêtres, encore moins par les fidèles, mais par les spécialistes de l'exégèse. A l'avènement de Pie XII, la révision du psautier n'avait pas encore été abordée par les Bénédictins ; elle n'a été réalisée par eux qu'après 1960 et a servi de base au psautier liturgique de Paul VI.
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Pie XII constitua donc une commission spéciale, composée surtout de Jésuites, chargée de réaliser rapidement la révision du psautier ; la cheville ouvrière de la commission était le Père Augustin Bea, jésuite allemand, qui deviendra cardinal sous Jean XXIII. En cinq ans, la commission s'acquitta de sa tâche, et le nouveau psautier liturgique fut promulgué par Pie XII en 1945 : le pape, tout en louant et en recommandant chaleureusement le nouveau texte, ne le rendait pas obligatoire ; les usagers du Bréviaire restaient libres de choisir entre le nouveau texte et le psautier de la Vulgate. En fait, la plupart des prêtres adoptèrent le nouveau psautier ; et dès lors les éditeurs l'adoptèrent pour tous leurs Bréviaires. Le nouveau texte, pourtant, donnait lieu à de sérieuses critiques. D'abord, ce n'était pas une révision du psautier de la Vulgate, mais une traduction entièrement nouvelle, faite directement sur l'hébreu, dans un latin pseudo-classique, qui s'écartait grandement du latin liturgique. On pourrait même croire que l'auteur s'était écarté systématiquement du texte traditionnel ; il avait, en effet, substitué partout : *quoniam* à *quia ; celebrabo* à *confitebor ; psallam* à *psalmum dicam ; conam* à *cantabo,* etc. De toute évidence, on innovait pour le plaisir d'innover. Chose plus grave encore, le nouveau texte était d'une lourdeur insupportable ; l'auteur avait bien traduit de l'hébreu en latin, mais il avait pensé son texte en allemand ; son latin pseudo-classique était fortement teinté de germanismes qui sautaient à l'œil dès la première lecture. Ses formules heurtées, très pénibles même à la lecture à voix basse, deviennent intolérables dans la récitation en commun. L'inadaptation du psautier de 1945 à la récitation publique de l'office divin a été reconnue universellement, et elle a entraîné l'abandon de ce texte dès le lendemain de la mort du cardinal Bea. Pie XII avait, dans sa Bulle, recommandé l'usage du nouveau psautier même pour le chant. En fait, les livres de chant restèrent inchangés. Les Bénédictins, de leur côté, gardèrent le psautier de la Vulgate. Cette dualité des textes rompait l'unité de la prière publique. Il est juste d'ajouter que, malgré tous ces défauts, le psautier de 1945 n'est nullement hérétique ; il rend très exactement le sens du texte hébreu dans un latin discutable, mais intelligible au plus médiocre élève de seconde (nous parlons de 1945). Les prêtres habitués *à* ce texte peuvent donc le garder en toute sûreté de conscience.
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Le 23 mars 1955, un *Décret sur la simplification des rubriques* était promulgué, pour entrer en vigueur le 1^er^ janvier 1956. La simplification des rubriques était assez généralement désirée par les prêtres. Les rubriques liturgiques, qui s'étaient constituées progressivement au cours des siècles, étaient inévitablement complexes. Saint Pie V les avait codifiées. Clément VIII, Urbain VIII et Léon XIII les avaient complétées sur certains points. Saint Pie X enfin les avait très heureusement réformées, comme nous l'avons vu. Mais les difficultés qui auraient pu se présenter pour les usagers étaient résolues par un « ordo » publié chaque année dans chaque diocèse et dans chaque institut religieux. Il n'y avait donc pas de difficulté sérieuse d'application. Et les rubriques de saint Pie X avaient le mérite d'être parfaitement logiques et cohérentes. Le décret du 23 mars 1955 introduisait dans ce corps bien réglé la confusion et l'incohérence. D'abord le décret lui-même était très mal rédigé et laissait beaucoup de points dans l'incertitude ; il fallut demander à Rome des précisions complémentaires, et les réponses introduisirent des nouveautés par rapport au décret lui-même. Même après ces réponses, des incertitudes subsistaient, que les rédacteurs d' « ordo » résolurent, chacun à sa manière. Les principales innovations introduites par ce décret étaient des suppressions. Étaient supprimés : le rite semi-double, la plupart des vigiles et des octaves, les 1^e^ vêpres des fêtes simples, doubles et doubles majeures, bon nombre de mémoires, les Pater, Ave et Credo récités jusqu'alors au début des Heures canoniales et à la fin des Complies, l'antienne à la Sainte Vierge à la fin des Laudes, des Petites Heures et des Vêpres (elle était réservée à Complies), enfin les oraisons secondaires de la messe, variables suivant les divers Temps liturgiques. En outre, d'assez nombreuses règles liturgiques étaient modifiées. Une disposition préliminaire déclarait ce décret provisoire et interdisait d'introduire aucun changement dans les livres liturgiques ; de la sorte, le but avoué de la réforme : la simplification des rubriques, se trouvait manqué. La simplification eût été réelle, avec des livres liturgiques conformes au décret. Mais, avec les livres liturgiques inchangés, le décret devenait source de confusions et de complications inextricables. En outre, si certaines suppressions pouvaient se comprendre, beaucoup étaient regrettables. Dans le régime antérieur, les octaves étaient trop nombreuses, c'est certain ; mais on n'en avait gardé que trois, celles de Noël, Pâques et Pentecôte ; c'était vraiment peu ; on aurait dû garder au moins celles de l'Épiphanie, de l'Ascension et du Saint-Sacrement, qui étaient privilégiées dans les régimes de saint Pie V et de saint Pie X ; et même les octaves communes de l'Assomption et de la Toussaint. La vigile de la Toussaint était supprimée, alors que celle de saint Laurent était maintenue, ce qui paraissait incohérent.
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La suppression des 1^e^ vêpres était plus fâcheuse encore, car elle faisait disparaître (sauf toutefois le dimanche et aux grandes fêtes, qui gardaient les 1^e^ vêpres) la conception biblique du jour, commençant non à minuit, mais à la tombée de la nuit : « Il y eut un soir, il y eut un matin. » Mais l'inconvénient majeur du décret se trouvait dans le caractère qui lui était donné officiellement, de réforme partielle et provisoire constituant une étape vers une réforme plus profonde qui était ainsi annoncée, mais dont nul ne pouvait prévoir en quoi elle consisterait. Dans un moment où les esprits fermentaient dangereusement, une telle annonce ne pouvait que les surexciter. Et c'est ce qui se produisit. Au Congrès liturgique qui se tint à Pise en 1956 ([^17]), il y eut des manifestations tumultueuses, et qui n'étaient pas spontanées, pour demander l'introduction de la langue vulgaire dans la liturgie, ce qui devint dès lors la revendication majeure des « réformistes ». Pie XII réagit par un discours très sage et très ferme, qui admettait un usage plus important des cantiques en langue vulgaire, mais maintenait le principe de l'usage du latin dans la liturgie. Si malencontreux qu'il fût, le décret du 23 mars 1955 ne contenait rien de contraire à la foi ni aux mœurs ; il fut accepté par tous, avec des sentiments divers. Mais il constituait la première étape d'un processus que, compte tenu des énormes pressions qui s'exerçaient, l'autorité suprême de l'Église n'aurait plus la possibilité de maîtriser ; la suite des événements ne l'a que trop montré. Cela, on pouvait le prévoir -- et les meilleurs liturgistes l'avaient prévu -- dès 1955.
La même année, Pie XII promulguait la réforme de la semaine sainte, qui fut accueillie avec enthousiasme. Dans son ensemble, elle était excellente. La vigile pascale, restaurée en 1951, avait subi les allègements indispensables à une célébration nocturne (quatre prophéties au lieu de douze) et comportait, à côté de complications bien inutiles de cérémonial, une innovation très désirée : le célébrant n'avait plus à lire en son particulier ce qui était chanté ou lu par d'autres. Le transfert des cérémonies du jeudi et du vendredi saints du matin au soir favorisait grandement l'assistance à ces offices ; celui du jeudi saint ne subissait que de légères retouches ; en revanche, la messe des présanctifiés du vendredi saint était remaniée de façon très fâcheuse. La dénomination même de « messe des présanctifiés » disparaissait pour faire place à un titre très vague : « Actio liturgica ». Dans la quatrième partie, les innovations étaient nombreuses : substitution du violet au noir ; suppression du manipule ; la procession solennelle de retour du Saint-Sacrement au maître-autel, qu'accompagnait le chant du *Vexitla Regis,* était supprimée, le diacre étant désormais chargé d'assurer ce retour avec le minimum de cérémonial ; plus d'encensement, plus d'élévation, moins de génuflexions.
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Comment ne pas faire le rapprochement avec les réformes analogues du missel de Paul VI ? La volonté d'atténuer les marques de respect dû au Saint-Sacrement était manifeste dans cette réforme de 1955. Elle ne fut guère remarquée, car toutes ces atténuations se trouvaient compensées par la restauration de la communion des fidèles, qui n'avait jamais été abolie par voie d'autorité, mais qui était tombée en désuétude au cours du 16^e^ siècle. Don magnifique dû au pape Pie XII ! Mais déjà certains experts étaient en place, et ils avaient glissé dans le rite restauré leurs innovations pernicieuses, qui préparaient de loin la subversion dont nous sommes témoins aujourd'hui.
La réforme plus profonde du Bréviaire, annoncée dans le décret du 23 mars 1955, fut réalisée cinq ans plus tard. Entre temps, Jean XXIII avait succédé à Pie XII (octobre 1958), mais il ne semble pas que ce changement de pontificat ait eu beaucoup d'incidences sur cette étape de la réforme. Le Code des rubriques, promulgué par le Motu proprio *Rubricarum instructum* du 25 juillet 1960, et entré en vigueur le 1^er^ janvier 1961, avait l'avantage d'être très bien rédigé avec clarté et précision, et de ne laisser place à aucune hésitation. Toutes les rubriques antérieures étaient abrogées, y compris le décret de 1955, dont les dispositions étaient reprises dans le Code et parfois aggravées. C'est ainsi que les fêtes de 2^e^ classe perdaient les 1^e^ vêpres, le droit d'être célébrées le dimanche et le droit au transfert en cas d'empêchement. Or les fêtes de 2^e^ classe sont tout de même très importantes ; la plupart des fêtes de la Sainte Vierge et les fêtes des apôtres sont de ce rite ; il est anormal de leur préférer un simple dimanche. La dévaluation était telle que les 26 classes de Jean XXIII sont à peine l'équivalent des semi-doubles de saint Pie X. La réforme du sanctoral était, une fois de plus, différée ; on n'avait supprimé que des fêtes considérées comme historiquement douteuses ou constituant des « doublets ». Or ce critère était faux ; il aboutissait à supprimer une fête de l'importance de l'Invention de la sainte Croix et à conserver plus de 200 fêtes de 3^e^ classe (englobant les anciens doubles majeurs, doubles et semi-doubles), dont bon nombre auraient pu être simplifiées ou supprimées sans inconvénient. En outre, par souci d'abrègement du Bréviaire, on avait réduit à trois les leçons des dimanches et des fêtes de 3^e^ classe, supprimant ainsi un des éléments les plus intéressants de l'office. Les Matines de ces jours, composées désormais de neuf psaumes et trois leçons, devenaient fastidieuses.
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Étaient supprimées aussi les doxologies propres aux divers Temps liturgiques et à certaines fêtes. Un « réformiste » aussi résolu que M. Martimort avouait lui-même, dans « La Maison-Dieu », à ce sujet : « Je crains que l'office n'en soit simplifié jusqu'à la monotonie. » La messe n'était que très peu touchée : le Confiteor qui précède la communion disparaissait, et certaines rubriques étaient assouplies de façon assez heureuse. Dans l'ensemble, le Code fut apprécié parce qu'il remettait de l'ordre dans les rubriques que le décret de 1955 avait désorganisées. Surtout, le Code fut suivi de la publication d'éditions typiques très soignées du Bréviaire et du missel. Les éditeurs, ayant reçu l'assurance que le nouveau régime resterait stable (!), n'hésitèrent pas à publier des Bréviaires et des missels. Jean XXIII, qui n'aimait pas le psautier de 1945, avait expressément prescrit une double édition du Bréviaire : l'une avec le nouveau psautier, l'autre avec l'ancien. La plupart des prêtres achetèrent un Bréviaire, pour s'éviter des transpositions fatigantes. Avec le Bréviaire de Jean XXIII (qui ne comportait plus que deux volumes au lieu de quatre), la simplification, voulue par Pie XII, était réelle, mais au prix de suppressions regrettables. Le missel n'étant que très peu modifié, l'édition 1961 du missel d'autel est restée pratiquement invendue ; et l'on peut aujourd'hui se procurer, pour un prix dérisoire, un missel d'autel de Jean XXIII.
On sait ce qu'il en a été de la promesse de stabilité faite au Code des rubriques. Dès sa première session (1962), le concile aborda la question de la liturgie dans un esprit très novateur. La réforme du Missel passa en premier, nous n'y revenons pas. Celle du Bréviaire fut différée et n'a été réalisée qu'en 1971. Mais entre temps, on avait réduit à peu de choses l'obligation du Bréviaire par des dispenses générales de différentes parties de l'office. En outre, l'usage de la langue vulgaire dans la récitation de l'office s'étendit rapidement et fut même pratiquement imposé à la plupart des communautés religieuses. En 1969, l'épiscopat français faisait publier un recueil intitulé : « Prières du temps présent », comportant des psaumes et des prières diverses, uniquement en français ; les leçons une figurent dans ce volume que sous forme de renvois à la Bible ou à la patrologie. L'usage de ce recueil était autorisé en remplacement du Bréviaire, avec une complète liberté de choix pour les usagers. En 1972 enfin, paraissait le Bréviaire de Paul VI, intitulé *Liturgia Horarum,* publié en quatre volumes par les éditions vaticanes. L'office s'y trouve réduit à trois Heures obligatoires : l'office des Lectures qui remplace les Matines ; les Laudes ; et les Vêpres.
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Chaque Heure ne comporte plus que trois psaumes. Une psalmodie complémentaire comporte deux Heures facultatives : l' « Heure médiane » (Sexte), et les Complies. Du coup, le psautier s'y trouve réparti sur quatre semaines au lieu d'une ! Le texte des psaumes est celui de la Vulgate, corrigé par les Bénédictins de Saint-Jérôme, et il faut reconnaître qu'il est bien meilleur que le texte de 1945. Il a malheureusement été amputé des psaumes et versets jugés « imprécatoires » ; c'est ainsi qu'on a éliminé du psaume *dixit dominus* le verset : *Judicabit in nationibus, implebit ruinas : conquassabit capita in terra multorum.* Cette affirmation du pouvoir de Dieu de juger les nations et de les châtier est évidemment incompatible avec les sacrosaints « droits de l'homme ». Les leçons et textes propres du nouveau Bréviaire sont très nombreux, ce qui explique qu'il comporte quatre volumes, malgré son extrême brièveté, les quatre volumes, luxueusement reliés en cuir (il n'y en a pas d'autre édition), coûtent, Dieu merci, soixante mille lires ou 560 francs. On peut se demander si ce prix prohibitif n'a pas été voulu pour détourner les prêtres d'acheter cette unique édition latine du nouveau Bréviaire et les obliger pratiquement à adopter les versions en langue vulgaire. En France, il n'existe même pas de traduction de la *Liturgia Horarum,* la place étant prise par les *Prières du temps présent.* De toute façon, *la Liturgia Horarum* est, comme le nouveau missel, modelée sur un calendrier dont nous une dirons qu'un mot, le sujet ayant été suffisamment traité par d'autres. La simplification du sanctoral, souhaitée, mais différée, par saint Pie X, aurait pu être réalisée judicieusement, avec discernement, tact et modération. C'était une tâche très difficile, car des suppressions qui contentent le sens liturgique des uns blessent la dévotion légitime des autres. Réalisée en corrélation avec un missel ouvertement subversif, la réforme du calendrier ne pouvait être et n'est en réalité qu'une œuvre de destruction. Le nouveau Bréviaire se trouve, de ce fait, totalement discrédité. Les prêtres qui ont, si peu que ce soit, le sens de la prière liturgique, n'ont actuellement pas d'autre ressource que de recourir aux Bréviaires antérieurs. Nul ne peut leur interdire de garder ou de reprendre, dans son intégralité, le Bréviaire de saint Pie X. Cette solution nous paraît la plus logique, la meilleure, la plus sûre, tant en raison de la valeur du Bréviaire de saint Pie X, éprouvée par quarante ans d'usage, que du fait de l'autorité exceptionnelle de ce pape. On ne peut toutefois faire de ce choix une obligation. L'usage du Bréviaire de Jean XXIII est légitime. La Pénurie des livres risque, dans un proche avenir, de restreindre beaucoup les facultés de choix.
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Les jeunes prêtres useront du Bréviaire qu'ils auront pu se procurer. Le problème de l'office, comme celui de la messe, ne pourra être résolu que par l'autorité suprême d'un pape indiscutable, envers qui le devoir d'obéissance s'imposera, quand bien même il promulguerait des réformes qui heurteraient nos préférences. On a pu critiquer les réformes de 1955 et de 1960 ; nul n'a songé à les refuser : elles ont été si éphémères qu'on peut aujourd'hui les rejeter pour retrouver l'excellent régime de saint Pie X, mais sans exclusive ni sectarisme. Le pape qui entreprendra, comme il le pourra, l'œuvre très difficile d'un redressement dont nous sentons toute l'urgence, peut être assuré de notre filiale obéissance, pourvu qu'il nous rende l'essentiel : l'Écriture Sainte, le catéchisme et la messe.
Jean Crété.
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### L'avenir de l'Église
par Louis Salleron
L'AVENIR EST INCONNAISSABLE. On hésite donc toujours à en parler. Le caractère surnaturel de l'Église ajoute aux raisons de l'hésitation. Cependant, il y a une physique sociale. La courbe d'un développement appelle un prolongement qui apparaît normal, ou logique. C'est en ce sens que des prévisions sont elle-mêmes normales et logiques. Elles se révèlent fausses, tuais pas totalement. C'est la volonté humaine, c'est l'événement imprévisible, c'est la cause aujourd'hui indécelable ou insuffisamment appréciable, c'est enfin la Providence qui feront le futur différent de ce que nous pouvons l'imaginer. Mais pour le faire ou l'infléchir, nous devons bien l'imaginer.
Nous sommes donc fondés à poser la question : *quel est l'avenir de l'Église ?* Et nous sommes fondés à tenter d'y répondre.
\*\*\*
Le caractère le plus saillant de la situation présente, c'est *le recul constant, depuis la Renaissance, de l'Église dans la société.*
Ce recul a un double aspect.
D'une part, la Foi a reculé devant la *Science.*
D'autre part, la *société ecclésiale* a reculé devant la *société séculière.*
Ces deux phénomènes sont liés et se traduisent dans un double fait.
D'une part, le nombre des catholiques diminue par rapport au nombre des non-catholiques.
D'autre part, les catholiques sont moins assurés de leur foi que jadis.
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En bref, *l'Église tend à devenir marginale dans le monde moderne.*
Le Concile Vatican II a été l'expression de la prise de conscience de ce fait. L'Église y a décidé de se mettre à jour -- l'aggiornamento -- en s'ouvrant au monde largement par une adaptation de sa manière de parler, de penser et d'agir. Son souci était de montrer que la Foi chrétienne est indépendante des revêtements qui l'accompagnent, étant éternellement actuelle, et qu'elle est seule capable de répondre aux problèmes d'une humanité en pleine mutation.
L'expérience post-conciliaire a jusqu'à présent démenti les espoirs qu'avait fait naître cette vision des choses. Il en a été à peu près, pour l'ensemble de l'Église, ce que l'on a déploré dans le cas des prêtres-ouvriers. Ceux-ci, ayant voulu pénétrer le monde communiste pour le convertir, ont eu tellement à cœur de se faire marxistes avec les marxistes qu'ils y ont pour la plupart, perdu la foi. De la même façon, l'ouverture de l'Église au monde moderne s'est traduite, au moins en surface, par l'absorption de l'Église par le monde moderne. Nous disons « en surface » parce qu'il va de soi que l'Église ne peut être absorbée par le monde moderne ou non ; mais quand on considère l'attitude générale de l'épiscopat à l'égard du progressisme toléré, favorisé ou expressément encouragé par lui -- on doit objectivement reconnaître que l'aggiornamento s'est traduit par un net progrès du monde et un recul concomitant de l'Église.
S'agit-il là d'un problème passager ? Rien ne permet de le penser si l'erreur qui a été commise doit continuer d'imprégner les esprits.
Quelle erreur ? Celle qui consiste à croire que la conversion du monde relève de la *méthode,* alors qu'elle relève de la *Foi*.
C'est la Foi qui communique la Foi, comme c'est la charité qui communique la charité. Ce n'est pas l'habileté, le savoir-faire, l'adaptation. Certes la connaissance des lois psychologique, sociologiques et politiques peut recommander l'usage de certains moyens, mais ceux-ci demeurent subordonnés.
Dans le cas présent, les moyens ont primé. Les novateurs ont été victimes d'une volonté de puissance qui les a induits en illusion. Ils ont cru qu'en s'emparant des armes de l'adversaire, ils allaient triompher de lui. L'adversaire, pour eux, c'était le marxisme. Dans le marxisme, ce qui les frappait, c'était la praxis. Comme ils étaient avides d'agir, ils ont épousé la praxis et se sont vite retrouvés aux antipodes du christianisme. Car la praxis, qui est bien, en effet, caractéristique du marxisme, est liée à la lutte de classes, à la révolution, à la transformation temporelle du monde.
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Refusant Dieu, négatrice de l'Être, suspendue à la philosophie du devenir, elle ne pouvait qu'amener rapidement les chrétiens à un missionarisme terrestre qui les tentait d'autant plus que leur Foi était devenue plus débile. Tout s'est passé comme on pouvait le prévoir, et tout continuera de se passer de la même façon tant qu'on continuera de la même façon.
Mais pourquoi, en Occident du moins et particulièrement en France, est-ce toute l'Église qui s'est précipitée dans cette voie sans issue où seules, semble-t-il, auraient dû s'engager les têtes légères ? C'est, pensons-nous, parce que l'Église a cru pouvoir « rattraper » -- comme on rattrape une mayonnaise -- une société demeurée au fond chrétienne et qui était en train de (mal) tourner. Une volonté apostolique, dont on se croyait très sûr, marquait la volonté politique dont on refusait de prendre conscience. Une fin ambiguë justifiait des moyens suspects.
\*\*\*
L'Histoire explique cette erreur, et cette défaillance.
Le christianisme, à sa naissance, est une explosion de foi. Jésus-Christ a vaincu la mort et le péché. L'Évangile est la bonne nouvelle du salut. L'Église répand cette bonne nouvelle qui, en moins de trois siècles, s'impose au Pouvoir politique lui-même. L'Empire romain devient officiellement chrétien. Étrange aventure pour une religion qui, refusant tout pouvoir temporel, se voit munie du plus formidable moyen de communiquer à la société comme aux individus un message purement spirituel !
C'est le début de ce qu'on appelle, bien à tort, le constantinisme, car presque aussitôt le pouvoir impérial entre en décomposition, et l'Église, loin d'y trouver un moyen de puissance, doit s'employer à établir, dans l'anarchie, les fondements d'un ordre social nouveau. Après des siècles d'efforts obscurs où les évêques et les moines seront les lueurs annonciatrices de la grande lumière à venir de la chrétienté médiévale, un ordre social nouveau prend consistance. C'est celui qui connaît son apogée au XIII^e^ siècle. Le Pouvoir temporel y est nettement distinct du Pouvoir spirituel, mais ce dernier, *tout puissant* dans le domaine de la société est aussi très puissant dans le domaine de *l'État.*
Reste à savoir en quoi consiste chaque domaine. On s'imaginera le découvrir au fil des siècles en voyant l'État revendiquer et acquérir à peu près tout. L'*individu* demeure l'enjeu suprême, mais les *institutions* virent, dans une progression ininterrompue, du domaine de l'Église au domaine de l'État.
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La première grande coupure se produit au XVI^e^ siècle. Le schisme protestant, en divisant l'*Église,* l'affaiblit au profit de l'*État* tandis que, simultanément, l'affaire Galilée affirme le Pouvoir de la *Science* en face du Pouvoir de la *Foi*. C'est la naissance de l'Humanisme, c'est-à-dire, synthétiquement, du Pouvoir de l'*Homme* face au Pouvoir de *Dieu.*
A partir de là, l'Histoire sociologique de l'Église, c'est l'histoire de la peau de chagrin. Mais une civilisation millénaire ne s'effondre pas en un tournemain et l'Église, touchée dans sa puissance temporelle, avait d'autres ressources pour maintenir son existence.
Au point de vue où nous nous plaçons, on peut envisager deux périodes.
1\. -- Le XVII^e^ siècle voit naître la contre-réforme, qui est une véritable réforme intérieure de l'Église. La rechristianisation est profonde. La sainteté fleurit, les courants spirituels, nombreux, sont d'une haute qualité, les missionnaires s'élancent vers les extrémités de la terre. Un ordre nouveau, celui des jésuites, marque cette ère nouvelle d'un trait distinctif : la méthode. Est-ce le ver dans le fruit ? Pas nécessairement. Une foi intrépide peut s'accompagner de calculs rationnels. Les saints et les martyrs seront aussi nombreux que partout ailleurs dans la Compagnie de Jésus ; et ses membres ne répugnent à aucune activité apostolique, mais leur choix les oriente d'abord vers les secteurs que l'humanisme attaque : la science, la politique, l'enseignement. Ils y collectionneront succès et échecs.
2\. -- Le XIX^e^ siècle consacre, après la Révolution française, la laïcisation totale de l'État. Cependant la philosophie est celle du libéralisme. L'Église condamne le libéralisme mais use des droits que la liberté lui confère. Moyennant quoi, elle reconstitue, en un siècle et demi, une sorte de *chrétienté, intérieure au domaine de sa liberté.* Pour ce qui est du domaine extérieur, elle ne touche plus guère que les *individus* par les sacrements du baptême, du mariage et de l'extrême-onction. (C'est ce que le P. Bonnet appelle le catholicisme « festif ».) Son impact sur les secteurs sociaux qui lui échappent demeure important, parce que l'incroyant rencontre l'Église à tous les tournants de l'Histoire nationale, dans les monuments, dans l'art, dans la littérature ; mais la foi n'est plus instruite, la pratique religieuse diminue, et les *institutions* que la liberté lui permet de conserver, -- l'école, l'hôpital -- reculent progressivement au bénéfice des institutions concurrentes que l'État lui oppose, avec l'avantage de la gratuité pour les bénéficiaires. Quant au secteur politique, l'Église ne s'y maintient que par la considération où sa qualité de « seule Internationale qui tienne » (Maurras) oblige les États à reconnaître en droit ou en fait le Saint-Siège.
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Dans cette situation, l'Église produit de beaux fruits. Une fois de plus, on peut énumérer ses œuvres de sainteté, le renouveau de la liturgie, de la théologie, de la morale. La première moitié du XX^e^ siècle est, à cet égard, une sorte de sommet. Il y a même une certaine reconquête sociale. La bourgeoisie, déchristianisée par le siècle des lumières, revient en grande partie à la foi par l'enseignement secondaire libre. Des écrivains catholiques de grande qualité entretiennent ou raniment l'esprit religieux chez les adultes. Malheureusement les masses populaires sont, dans leur majorité, livrées par l'école laïque au marxisme. Globalement, le bilan est négatif. On pourrait le contester en arguant de la quasi-disparition de l'anticléricalisme et du prestige de la papauté -- prestige plus grand sans doute qu'il n'a jamais été depuis le XVI^e^ siècle. Mais si l'anticléricalisme a presque disparu, c'est pour trois raisons :
1°) à cause des souffrances communes des deux guerres qui ont rendu désuètes les querelles du passé ; 2°) parce que le communisme, maître du terrain, oriente à la lutte contre le capitalisme les masses populaires que les vieux républicains dressaient contre l'Église ; 3°) parce que, dans l'opinion publique, la religion n'a plus qu'une importance secondaire. Quant à la papauté, son prestige tient, certes, à la qualité des papes des deux derniers siècles et au redressement intérieur de l'Église après le Concile de Trente, mais il ne faut pas se dissimuler que la centralisation dont s'est accompagnée la revalorisation du Pontificat suprême a contribué pour une part à affaiblir la vitalité de l'Église. Rome est toujours dans Rome, mais elle aussi est un peu trop partout dans la catholicité. La vieille équation *Urbs = Orbis,* qui pesa sur l'Empire romain, pèse sur la catholicité.
\*\*\*
Vatican II a terminé la seconde période post-tridentine et ouvert une troisième période. Celle-ci se présente, pour le moment, sous des aspects plutôt sombres.
*L'affaiblissement de la Foi* s'exprime dans :
-- L'*œcuménisme,* dont la *protestantisation* de l'Église est le trait le plus notable ;
-- le *progressisme,* dont la *marxisation* de l'intelligence catholique est le trait le plus notable ;
-- le *modernisme,* dont la « *scientisation *» de la théologie et de l'exégèse est le trait le plus notable.
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La liturgie est devenue anarchique. Les structures de l'Église sont ébranlées. La curie romaine, impuissante, voit l'épiscopat se moquer de ses lois. Des églises nationales, dominées par une Bureaucratie omnipotente, tentent de se constituer. La politisation de l'Évangile est universelle. La démocratie renverse l'ordre hiérarchique traditionnel. Nul ne sait plus ce que veut, ce que peut, ce que pense le pape. On a l'impression, selon sa propre parole, d'une « autodémolition » de l'Église.
Le fait le plus impressionnant de cette situation c'est l'absence de réaction des personnes qualifiées pour réagir. Pas un évêque ne s'est levé pour venger la VÉRITÉ bafouée. On dirait que tous ceux qui assument quelque responsabilité de droit dans l'Église craindraient de la tuer s'ils s'avisaient de dénoncer l'apostasie collective. L'UNITÉ dans la décadence semble être le gage de l'orthodoxie et l'assurance du salut. Que tout périsse ensemble devient le signe de l'inerrance. Jamais une trahison à ce point unanime ne s'était vue dans l'Église. Au temps même de l'arianisme, un Athanase et un Hilaire avaient suffi à la sauver. On cherche en vain leurs émules aujourd'hui.
Le christianisme est comme perdu dans la masse immense d'un monde qui en est la négation. Alors, pour en revenir à notre propos, quel est son avenir ?
\*\*\*
Si l'on accorde que la SCIENCE et la SÉCULARISATION, fondues dans l'HUMANISME, sont les béliers qui ont ébranlé l'Église, on en déduit nécessairement que l'avenir de l'Église est lié à l'avenir de ces forces qui lui sont antagonistes. Deux idées contradictoires se présentent alors immédiatement à l'esprit. Car d'une part les progrès constants de la Science, de la Sécularisation et de l'Humanisme semblent condamner l'Église à un recul permanent. Mais d'autre part, Science, Sécularisation et Humanisme ne sont que les aspects (voire les noms) nouveaux de l'immuable réalité à laquelle l'Évangile est confronté depuis l'origine et que le Christ appelle le MONDE. Alors il n'y a rien de changé. Ce qu'il y a de plus visible et de plus spectaculaire dans la crise actuelle de l'Église ne serait qu'un phénomène circonstanciel dû à la rupture de l'organisation temporelle que l'Histoire lui avait imposée et à laquelle elle s'était habituée.
En un sens, il en est bien ainsi. Mais cette constatation ne va pas sans poser des problèmes sur la mission de l'Église, car si l'Évangile ne s'adresse qu'à l'homme individuel, il concerne l'homme dans sa totalité sociale.
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Pour y voir plus clair, tâchons d'analyser un peu les données en cause.
1°) *La Science. --* La Science a été, et demeure dans l'opinion, l'adversaire principale de l'Église. Les oppositions : Science et Foi ; Science et Religion, sont classiques. Où la Science avance, la Foi et la Religion reculent.
C'est ce qu'on a observé pendant quatre siècles, mais peut-on dire qu'on l'observe encore ? L'apogée du scientisme, c'est-à-dire de la foi en la Science, se situe à la fin du XIX^e^ siècle et au début du XX^e^ siècle. Aujourd'hui, le scientisme est descendu dans le peuple, mais il n'est plus triomphant chez les savants. Ceux-ci, en grand nombre, considèrent que la Science a son domaine propre et qu'au-delà de ce domaine elle avoue son ignorance. Disons qu'ils ne sont plus généralement *athées,* mais *agnostiques.* Leur tendance pourrait se formuler ainsi : « Nos certitudes s'inscrivent dans l'observation, l'expérimentation et les mathématiques. Hors de là, nous ne nous prononçons pas, car nous ne savons pas. » Admises ou non par les scientifiques, la métaphysique et la foi sont donc en droit de revendiquer des objets qui leurs soient propres.
Cependant l'impact de la Science sur la Religion continue de se vérifier, non seulement dans les masses populaires mais chez les chrétiens ; notamment dans la théologie, l'exégèse et l'histoire. Le *modernisme* en est l'effet.
Le modernisme est-il appelé à croître dans l'Église ? Nous ne le pensons pas. Il s'étend, chez les prêtres et les laïcs, mais il a fait son plein chez les savants de la Religion comme chez les savants de la Science.
Ce qui va demander du temps, c'est la mise au point des rapports de la Science et de la Foi, ou même, plus complètement, des rapports de la Science, de la Philosophie et de la Foi. Ce n'est qu'un aspect du problème des antinomies, sur lequel butte à perpétuité l'intelligence. De ces antinomies, celle qui nous paraît principalement en cause est l'opposition de la *continuité* et de la *discontinuité.* Tout, dans la réalité, est à la fois continu et discontinu. Il faut tenir les deux bouts de la chaîne. Fort heureusement, maints objets propres de l'investigation scientifique sont maintenant eux-mêmes reconnus, en ce qu'ils ont de plus profond, comme obéissant à la continuité et à la discontinuité.
Il serait trop simple de considérer que les deux domaines de la Science et de la Foi sont contigus et séparés. Là où s'arrête la Science commencerait la Foi, et inversement. A la vérité, pour les cas extrêmes, on peut se satisfaire de la discontinuité, mais la continuité pénètre tout le réel, faisant place d'ailleurs à son tour à la discontinuité dans la réalité absolue.
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Derrière les mots Science et Foi nous n'avons qu'à mettre ceux de « nature » et « grâce » (ou « surnaturel »), voire « nécessité » et « providence », pour comprendre où se situe la difficulté, depuis toujours étudiée en théologie et en philosophie.
Ce qui brouille les esprits, c'est que la philosophie et la théologie semblent être cousines parce qu'elles se meuvent l'une et l'autre dans l'abstraction des concepts, alors que la réalité phénoménale est le domaine propre de la Science. No bridge est-on alors tenté de dire -- pas de pont. Mais c'est une illusion. Il n'y a ni plus ni moins de pont, ni plus ni moins de continuité et de discontinuité entre la Science et la Foi qu'il n'y en a entre la philosophie et la théologie, entre la science, la philosophie et la théologie, entre le minéral, le végétal, l'animal et l'humain, entre les trois ordres de la chair, de l'esprit et de la charité. Simplement la nature des distinctions à faire, les genres de continuité et de discontinuité ne sont pas les mêmes. Maritain a abordé ces difficultés dans « les degrés du savoir ». Il a dit des choses intéressantes, mais nous sommes, quant à nous, mal satisfait de ses explications.
Le modernisme, c'est essentiellement l'affirmation de la seule discontinuité. Pie X l'a fort bien vu, et fort bien dit dans son encyclique Pascendi (8 septembre 1907) :
« ...*Au point où nous en sommes, vénérables Frères, nous avons plus qu'il ne faut pour nous faire une idée des rapports qu'ils* \[les modernistes\] *établissent entre la foi et la science, entendant aussi sous ce dernier mot l'*Histoire*. En premier lieu, leurs objets sont totalement étrangers entre eux, l'un en dehors de l'autre. Celui de la foi est justement ce que la science déclare lui être à elle-même inconnaissable. De là, un champ tout divers : la science est toute aux phénomènes, la foi est toute au divin, cela est au-dessus de la science. D'où l'on conclut enfin qu'entre la science et la foi il n'y a point de conflit possible ; qu'elles restent chacune chez soi et elles ne pourront jamais se rencontrer ni, partant, se contredire. *»
C'est bien là la thèse de la discontinuité.
Cependant nombreux sont les objets de la foi qui s'inscrivent dans la réalité phénoménale. « *Ainsi, à la demande si Jésus-Christ a fait de vrais miracles et de véritables prophéties, s'il est ressuscité et monté au ciel :* non, *répondra la science agnostique ;* oui, *répondra la foi. *» Finalement, il y a pour les modernistes « *deux exégèses forts distinctes : l'exégèse* théologique et pastorale, *l'exégèse* scientifique et historique... ».
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On voit que, depuis 1907, le modernisme n'a guère changé. Seulement, en 1907, il n'existait que chez les clercs ; aujourd'hui les livres de vulgarisation et la presse vendue dans les églises l'ont répandu dans tous les milieux. Quant à la catéchèse, tant celle des enfants que des adultes, elle est essentiellement moderniste.
Pourrait-on distinguer, dans la connaissance qui intéresse de près ou de loin la foi chrétienne, des catégories d'objets relevant uniquement de la foi, d'autres uniquement de la science, et d'autres encore qui seraient mixtes ? Par exemple, la Trinité n'intéresserait que la foi, l'Évolution n'intéresserait que la science et la vie de Jésus intéresserait la science et la foi. Des classifications de ce genre peuvent être retenues pour prendre conscience des *degrés* du « savoir » (et du problème), mais il importe de ne les retenir que pour la commodité de l'analyse, car si on voulait leur donner une valeur absolue, on rentrerait dans la discontinuité. C'est évident en ce qui concerne les objets qu'on considérerait comme relevant de la seule science ; mais c'est non moins certain pour ceux qu'on considérerait comme relevant de la seule foi, car la contemplation de leur réalité mystérieuse ne va pas sans répercussion sur l'intelligence de la réalité profonde de la nature humaine et même de la nature cosmique.
Cette liaison de la continuité et de la discontinuité ne s'applique pas seulement à la hiérarchie des objets de la connaissance, elle recouvre encore chacun d'eux. Disons qu'elle est à la fois horizontale et verticale. Nous appelons liaison horizontale celle qui concerne l'éventail de la réalité depuis les objets qui relèvent le plus directement de la connaissance scientifique jusqu'à ceux qui relèvent le plus directement de la connaissance de foi. Nous appelons liaison verticale celle qui, sur le même objet, sollicite à la fois la connaissance scientifique et celle de la foi (sans parler de tous les autres modes de connaissance). Dans les deux cas (et surtout dans le second), il ne faut pas séparer, en discontinuité, les deux connaissances, comme font les modernistes, mais les associer, en les distinguant, comme fait saint Thomas d'Aquin pour la théologie et la philosophie.
La nature de l'objet étudié doit guider ce délicat travail de distinction et d'union (« distinguer pour unir » disait Maritain). Par exemple, si nous prenons les deux cas de l'Ascension et de la Résurrection, ni du point de vue de la Science ni du point de vue de la Foi ils ne sont assimilables, malgré les ressemblances qu'ils offrent à première vue.
L'herméneutique actuelle est dominée par le modernisme. Néanmoins nous croyons qu'elle est au bout de son rouleau. Elle est si étrangère à la Foi, si contraire au bon sens et si dépourvue d'esprit vraiment scientifique qu'il est impossible de lui prédire un succès durable. Quant à Teilhard de Chardin, le concordisme géant de sa « vision » a épuisé son pouvoir de séduction. C'est le dernier des gnostiques et sa gnose ne captive plus qu'un petit nombre de fidèles.
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Au total, nous estimons que la menace qu'a constitué longtemps la Science pour la Foi est maintenant derrière nous. L'avenir de la Foi serait bien plutôt conforté que compromis par l'avenir de la Science.
2°) *La Sécularisation. --* Le problème de la sécularisation est infiniment plus compliqué. Comment, d'abord, le poser ? Au départ, dans la tradition catholique, il y a la distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Mais qu'est-ce qui est à César ? et qu'est-ce qui est à Dieu ?
Nous avons vu que le pouvoir temporel n'avait cessé, depuis le XVI^e^ siècle, de grignoter le pouvoir spirituel. On se posa alors la question : y a-t-il un domaine propre du pouvoir spirituel ? Au Moyen Age, la question était inverse : y a-t-il un domaine propre du pouvoir temporel ? L'Église affirmait l'autonomie du pouvoir temporel, mais elle affirmait aussi son propre pouvoir indirect sur le domaine du temporel. Tout pouvoir venant de Dieu, l'Église représentant Dieu sur la terre, avait un droit de regard sur le pouvoir temporel.
Le partage des droits de l'État et de ceux de l'Église sur l'immense domaine qui relevait à la fois du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel était une occasion de luttes incessantes, mais dans la reconnaissance commune de l'origine *divine* du pouvoir temporel. La démocratie établit le dogme de la souveraineté populaire.
Nous vivons toujours dans la confession de ce dogme. L'Église elle-même l'a admis, sinon en droit, du moins en fait, au point que toute sa politique actuelle consiste à faire seulement reconnaître l'autonomie du pouvoir spirituel dans son domaine propre. Un cas comme celui de l'Espagne embarrasse et même irrite le Vatican parce qu'il reflète la doctrine antérieure à Vatican II.
La *sécularisation* universelle des pays développés a contraint l'Église à cette politique nouvelle. Mais cette politique la gène parce qu'il faut la justifier doctrinalement et que la justification doctrinale ne peut être que la reconnaissance du *libéralisme.* Certes la « thèse » peut toujours être affirmée, mais il est difficile de la mettre en avant si l'on veut récolter des fruits de l' « hypothèse ».
La contradiction entre la thèse et l'hypothèse, entre la théorie et la pratique, avec la prééminence absolue accordée à l'hypothèse et à la pratique, est un gage de succès croissant de la sécularisation. Tout ce qui, dans la législation et les institutions, maintenait l'influence de l'Église, s'effrite au contact de la métaphysique démocratique. La volonté du peuple est souveraine. S'il veut le divorce, la contraception, l'avortement, l'école unique, la fermeture des églises, quelle volonté, sinon hérétique, pourrait s'opposer à la sienne ?
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En fait, ce qui subsiste de chrétien dans les États n'est que *le legs du passé.* On ne change pas rapidement des mœurs et des rites incorporés à la vie nationale depuis des siècles. Mais ils sont en quelque sorte « en l'air ». Le temps ne peut que les user.
Le Libéralisme est d'ailleurs appelé à se transformer. Au début, c'est, si l'on peut dire, un libéralisme libéral, en ce sens qu'il proclame la liberté pour tous afin d'assurer la liberté de ceux qu'il libère d'un système autoritaire dont ils étaient ou se considéraient les victimes. Mais peu à peu il devient lui-même autoritaire en étendant son empire. Il n'y a pas de libéralisme pur. Il n'y a pas de système de liberté pure. Il faut toujours que ce soit la liberté de quelqu'un ou de quelque chose. Le sujet de la liberté conquise devient potentiellement l'oppresseur d'autrui. Il faut, à nouveau, libérer autrui. Finalement, ce sont des *forces* qui sont libres. Pour qu'elles n'écrasent pas les plus faibles, il faut une force plus forte pour les dominer. Ce ne peut être que la force de l'État, que le libéralisme rend tout-puissant et invite au totalitarisme.
Ce processus se déroule sous nos yeux depuis près de deux siècles. Il n'est pas achevé dans nos sociétés dites libérales, et constitue pour l'Église un danger d'autant plus grave qu'elle-même s'est convertie au libéralisme, non seulement dans ses rapports avec les États mais dans sa propre constitution. De même que la Science a porté ses coups les plus durs à l'Église en s'installant en elle par le modernisme, de même la sécularisation la démantèle par le libéralisme, le pluralisme, la démocratie, le progressisme, etc., sans parler d'une *désacralisation* générale qui est un effet direct de l'invasion du « séculier ».
On ne voit pas comment une Église qui accepte les postulats de la société démocratique, non seulement pour l'organisation des État mais pour sa propre organisation, ne serait pas appelée à reculer continuellement.
Quand, comme les prêtres et les évêques (et, les pasteurs protestants), le pape s'habillera en civil et quand il n'y aura plus de relations diplomatiques officielles entre le Vatican et les États, nous mesurerons exactement la signification du mot « sécularisation ».
3°) *L'Humanisme. --* En parlant de la Science et de la Sécularisation, c'est déjà de l'Humanisme que nous parlions, en entendant par ce mot une doctrine où *l'Homme est constitué en valeur absolue à la place de Dieu.*
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A cet égard, l'Humanisme est exactement à l'opposé du Christianisme. Le Christianisme est la doctrine du Dieu qui se fait homme ; l'Humanisme, la doctrine de l'homme qui se fait Dieu.
L'Humanisme est officiellement proclamé par le communisme marxiste et il est sous-jacent au libéralisme démocratique. C'est dire que la quasi-totalité du monde moderne refuse explicitement ou implicitement le christianisme. Ce refus s'exprime en grande partie par la Science et de manière plus nette, par la Sécularisation. La philosophie se charge de mettre en forme ce refus.
Comme elle a fléchi devant la Science et la Sécularisation, l'Église fléchit devant l'Humanisme. Rappelons-nous la phrase de Gaudium et Spes *:* « *Croyants et incroyants sont généralement d'accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet *» (art. 12, § 1). Bien sûr, des pages entières de la Constitution expliqueront ce qu'il faut entendre par là, mais le caractère équivoque de la phrase est significatif de cette volonté d'ouverture au monde qui, depuis Vatican II, ne s'est traduite dans les faits que par un recul de l'Église devant le monde.
L'Humanisme actuel est entretenu par le caractère essentiellement technique de notre civilisation. Jadis, le contact de la nature convainquait l'homme de sa faiblesse. La puissance des éléments était comme un reflet de la puissance divine, dont elle témoignait. L'orage pour le paysan, la tempête pour le marin, la famine et l'épidémie pour tous portaient l'homme à invoquer le ciel. Aujourd'hui tout notre environnement est produit de notre art, -- artificiel. Quand les choses vont mal, on se tourne vers l'État, qui remplace la Providence. L'homme n'a plus besoin de sauveur ; il se sauve lui-même, collectivement. Le socialisme est le christianisme passé à l'état d'humanisme.
Restent la souffrance, la mort -- le mal. Comment les ignorer ? Eh ! bien, les images de la vie en refoulent l'idée, les mœurs en désacralisent la réalité. Qu'on lise cette information du journal danois *Aktuel* (rapportée par *Le Monde* des 19-20 mai 1974) : « *Je suis dans cette profession depuis vingt-quatre ans, raconte le directeur de l'agence municipale des pompes funèbres de Copenhague, et force m'est de constater que les enterrements qui se déroulent en la seule présence d'un pasteur et de nos employés sont de plus en plus fréquents. Actuellement nous en avons plus d'une centaine par an* (*...*) *Récemment, nous avons enterré un homme qui avait pourtant huit frères et sœurs ; aucun d'eux n'a accepté de se déranger pour assister à la cérémonie funèbre...* »
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Sur cette pente, on ira loin. L'euthanasie sera la digne compagne de l'avortement ([^18]) ; et l'incinération, inscrite au programme de la lutte contre la pollution, facilitera les ennuyeuses formalités du décès.
L'Église semblerait devoir être au premier rang du combat contre l'Humanisme. Or non seulement elle s'en abstient, mais, là encore, elle introduit l'ennemi dans la place. Son christianisme devient de plus en plus une religion de l'Homme. Jésus-Christ qui, dans le « Credo », n'est plus « consubstantiel » au Père, est seulement l'Homme exemplaire, l'Homme parfait, qui ne nous apporte plus le « salut » (éternel) mais la « libération » (temporelle). La théologie se flatte de n'être plus anthropologie. Feuerbach et Marx sont les saint Pierre et les saint Paul de cette nouvelle religion où l'espoir en des lendemains qui chantent se substitue à l'espérance en la vie éternelle.
Cette idéologie, qui relaie le scientisme élémentaire du siècle dernier et se conjugue admirablement avec la sécularisation, n'a pas fini de faire des ravages, portée qu'elle est par la catéchèse.
\*\*\*
A travers ces lignes de force, l'avenir de l'Église apparaît sombre. En France notamment, la démission, pour ne pas dire l'apostasie immanente des évêques, présage une dislocation complète du catholicisme. Faute de séminaires, la relève des prêtres qui meurent ou défroquent n'est plus assurée. Parmi ceux qui restent, bon nombre sont contaminés. Les paroisses disparaissent peu à peu et dans vingt ans la masse de la population risque de n'être même pas baptisée. Ce qui subsistera de christianisme s'éparpillera en une multitude de sectes et de petits groupes, dont nous connaissons déjà plus que la préfiguration.
La grande question est de savoir si au-dessus de l'anarchie de la base, la papauté se maintiendra. Rien n'est moins certain. Les réformes amorcées par Paul VI mettent dangereusement en cause la succession pontificale. Une explosion peut se produire. Nous entrerions alors dans une nuit chrétienne sans précédent. Nous disons bien « sans précédent », car si l'on ne compte pas les périodes où la papauté fut d'une débilité extrême, la vitalité de la chrétienté suppléait à la carence du sommet. Aujourd'hui, c'est de la base au sommet que le catholicisme est rongé.
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La crise actuelle de l'Église est une crise de la Foi et de l'intelligence. Une crise, d'abord, de la Foi, car il est évident que si les dogmes sont mis en question jusque dans les catéchismes des enfants, c'est que ceux qui fabriquent ces catéchisme n'y croient plus. De même, l'article 7 de l'*Institutio generalis* de la nouvelle messe révèle, sans contestation possible, que ceux qui l'ont rédigé n'attachent aucune importance aux définitions doctrinales du Concile de Trente. Le mouvement œcuménique en vue de l'unité chrétienne est mené comme une négociation entre deux grandes sociétés industrielles qui envisagent de fusionner. L'idée qui est au cœur de toutes les réformes, c'est celle dont Teilhard s'est fait le chantre. N'oublions pas qu'il allait jusqu'à écrire : « *L'humanité est en train de muer. Comment le christianisme ne devrait-il pas le faire ? Plus précisément, je considère que la Réforme en question* (*beaucoup plus profonde que celle du XVI^e^ siècle*) *n'est plus une simple affaire d'institution et de mœurs mais de* FOI... » Ce qu'il pense, et écrit sans gêne, beaucoup des « responsables » de l'Église le pensent comme lui, quitte à le dire moins nettement.
C'est ici que la crise de l'intelligence apparaît. Quand le P. Chenu déclare que ce n'est pas seulement le monde extérieur mais la substance même de l'esprit humain qui change, il va de soi que l'homme ne peut plus croire à rien. D'où vient cette corruption de l'intelligence ? On peut penser que c'est simplement l'affaiblissement des images traditionnelles auxquelles était liée la Foi qui l'explique. Ce serait donc un ultime effet indirect de la Science. Mais la Science est-elle vraiment en cause ? Il semble plutôt que l'intelligence de nos contemporains soit saisie par une sorte de vertige dû à l'accélération de l'Histoire et au développement prodigieux des pouvoirs de l'homme. Elle a l'impression que l'humanité, après un long cheminement, a pris subitement son essor dans une ascension fulgurante où elle va se réaliser pleinement. La seule question qui se pose : quel rapport y a-t-il entre le temps et l'éternité, entre le fini et l'infini, entre l'homme et Dieu, elle ne songe même pas à se la poser. Parce qu'une lecture « fondamentaliste » de la Bible n'est plus possible et que la formulation des dogmes est liée à une philosophie et à un vocabulaire qu'on estime dépassés, elle prétend ne plus vouloir que la Foi toute nue, dont à en juger par ce qui nous en est proposé on se demande en quoi elle consiste et quel est son objet.
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Les novateurs oublient, en ce domaine, un certain nombre de choses. D'abord : que la Foi est une vertu théologale que l'Église a toujours présentée comme telle, et totalement distincte à cet égard de son appareil naturel. Ensuite, que les saints et les mystiques, chez qui la Foi rayonne de la manière la plus éclatante dans leurs œuvres de contemplation et d'action, ont toujours associé à la nudité radicale, au *nada* de leur foi vécue, un flot d'expressions imagées qui ne leur faisaient nulle difficulté. De saint Jean de la Croix à sainte Thérèse de Lisieux, comme de saint Vincent de Paul à saint Jean Bosco, on trouve toujours la foi la plus nue en même temps que la plus « habillée ». Aussi bien nos novateurs ruissellent eux-mêmes, à défaut de poésie, d'explications philosophico-scientifiques dont ils devraient concevoir le néant s'ils étaient logiques.
A la ruine des concepts et des images s'ajoute la ruine des institutions qui constitue dès maintenant et constituera de plus en plus l'épreuve la plus cruelle pour la masse des fidèles. Comment, privés de paroisses et de prêtres, ceux-ci pourraient-ils tenir contre la pression des mass-média et les réseaux désacralisants du monde de la technique ?
*Tant et tant d'éléments négatifs s'additionnent qu'il est impossible de ne pas prévoir un recul plus accentué de l'Église.*
\*\*\*
Voilà, dira-t-on, des vues bien pessimistes. Elles le sont. L'observation des faits les impose. Mais nous avons dit, dès les premières lignes de cet article, les limites du prévisible. L'avenir est toujours inconnu, et inconnaissable. Or, dans le domaine que nous tentons d'explorer, quelques réflexions viennent à l'esprit, tant en ce qui touche au *possible* qu'en ce qui concerne le *certain.*
Tout d'abord, c'est principalement la situation de l'Europe occidentale, et en tout premier lieu celle de la France, qui a retenu notre attention. Or si la subversion post-conciliaire s'étend au monde entier, il semble que les points de résistance structurelle soient plus nombreux ailleurs que chez nous. En France, la bureaucratie est totalement maîtresse de l'épiscopat par le biais de la collégialité. Ce n'est pas le cas au même degré dans les autres pays. Les désordres peuvent y être aussi grands, voire plus grands que chez nous, mais les laïcs ont la possibilité de se ranger derrière des évêques qui luttent. Les courants sont divers, et ceux de la fidélité à l'Église et à la tradition ont des chances de l'emporter.
Si la mort de Paul VI peut entraîner une anarchie totale, elle peut aussi bien être le point de départ d'un redressement sous l'impulsion d'un pape énergique. Les ruines seront grandes, mais elles sont peut-être le prix à payer pour l'élaboration de structures nouvelles. Imaginons qu'il n'y ait pas eu le Concile et ses suites désastreuses, il eût fallu, de toute manière, que l'Église affronte les problèmes de la Science, de la Sécularisation et de l'Humanisme. Elle n'aurait pu le faire sans des secousses intérieures dont nous ne pouvons savoir les effets.
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Le centre de la vie chrétienne s'est déplacé d'abord de la méditerranée orientale à la méditerranée occidentale, puis au continent européen. Qui sait s'il ne se déplacera pas encore ? Jacques Maritain pensait que si une nouvelle chrétienté devait naître un jour, son berceau serait l'Amérique. Pourquoi pas ? On devrait même dire : les deux Amériques, celle du nord et celle du sud. Pure hypothèse, bien sûr, et qu'on pourrait faire aussi bien pour l'Europe de l'est. Quand on pense à la vitalité chrétienne qui se manifeste sous la tyrannie communiste et au flot de vocations qu'elle suscite dans ceux des pays où un minimum de liberté est accordé à l'Église, ce n'est plus que chez nous qu'il est permis de parler de décadence. Mieux : si l'œcuménisme a un sens, c'est en U.R.S.S. qu'il le révèle, car quand on songe à la résistance spirituelle qu'illustre aujourd'hui un Soljénitsyne, on se prend à rêver de ce que pourrait être un printemps chrétien au pays de Méthode et Cyrille. Le message de Fatima demeure dans la conscience de l'Église.
Imaginations ? Sans doute, mais qui se nourrissent de certains éléments de la réalité qui les inscrivent dans le domaine du *possible,* fût-il peu probable.
Cependant, à côté d'un possible imaginaire, il y a le certain. Ce certain, c'est la nature même de l'Église, la nature même du Royaume de Dieu, dont l'Évangile nous dit et redit qu'il est une semence, la plus petite de toutes les semences.
Pour que l'Église apparaisse dans toute la gloire de sa puissance, il faut que quelque circonstance historique l'ait greffée sur le pouvoir temporel. Tel fut le cas sous l'empire romain et au Moyen Age. Cet appareil de soutien l'abandonne. Elle retourne à sa pure essence. Elle redevient semence et ferment. Ce n'est pour elle qu'une épreuve de purification. Trouvera-t-elle un mode nouveau d'incarnation, ou sera-t-elle, institutionnellement, réduite à sa plus simple expression ? Verrons-nous le pape redevenir le pôle spirituel du monde, ou le verrons-nous errer à la surface de la planète, simple pèlerin de la vérité qu'accueilleront les rares chrétiens dispersés ? Nul ne peut le savoir, mais ce qu'on sait dès maintenant, c'est que sous une forme ou sous une autre le christianisme continuera. Le Christ lui-même s'est demandé si, au jour où le Fils de l'Homme reviendrait sur la terre, il y trouverait encore la Foi. Il nous a dit aussi que nul ne savait le jour ni l'heure de ce retour. Ni du point de vue de la Foi, ni du point de vue de la Science nous ne savons si la fin du monde, désormais plausible, est proche, ou si au contraire la mutation dans laquelle nous sommes entrés annonce une ère nouvelle de l'humanité qui s'étendrait sur des milliers ou des millions d'années.
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On connaît les développements de Péguy (dans *L'argent suite*) sur « cette incapacité, absolue, du spirituel à se passer du temporel (...) Le temporel garde constamment, et commande constamment le spirituel. Le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel (..) Le temporel fournit la souche et le spirituel, s'il veut vivre, s'il veut produire, s'il veut continuer, s'il veut poursuivre, s'il veut fleurir et feuillir, s'il veut bourgeonner et boutonner, s'il veut poindre et fructifier, le spirituel est forcé de s'y insérer... » etc., etc.
Le temporel romain, méditerranéen, européen dans lequel s'est inséré, à l'origine, le spirituel chrétien, a provigné en temporel américano-russe libéralo-communiste, océanico-mondial. Cet agrandissement, cette extension planétaire, est en même temps mutation, déchirement, explosion. Le spirituel chrétien, sous cette pression effroyable, éclate lui-même en deux tendances extrêmes : l'une purement politique (et c'est la théologie de la révolution), l'autre purement (impurement) spirituelle (et c'est le pentecôtisme et le prophétisme délirant).
A cet égard, ce qui paraît inédit dans la crise actuelle de l'Église ne l'est que par sa dimension.
On peut donc dire que l'avenir de l'Église ne diffère pas de son passé si on la considère dans son authentique nature spirituelle, si bien définie par Bossuet : Jésus-Christ répandu et communiqué. Si la Foi, l'Espérance et la Charité sont plus accessibles au commun des mortels quand elles sont soutenues par une Église de chrétienté, elles exigent la même violence de l'esprit pour les saints en toute circonstance, car le saint est toujours seul en face de Dieu. Ce sont donc les saints qui, demain comme hier et comme toujours, sauveront l'Église.
L'espèce de temps d'apocalypse dans lequel nous entrons semble réduire à une poignée d'hommes le nombre des chrétiens, mais nous n'en savons rien. S'il est vrai que l'Église semble s'effondrer, il est non moins patent que l'Humanisme est en train de faire faillite. Les menaces qui, de toutes parts, pèsent sur notre univers, redonnent à l'homme une conscience diffuse de ses fins dernières. Qui oserait soutenir que les temps à venir s'imposent à notre esprit comme le triomphe de l'homme générique et l'établissement de la paix perpétuelle dans la liberté, l'égalité et la fraternité ?
Que l'homme désemparé de ce XX^e^ siècle finissant retrouve dans l'Église les certitudes de la Foi, les dimensions d'une Espérance authentique et le sens exact de la Charité Évangélique, le catholicisme refleurira. Tout passe par la réforme *intérieure* de l'Église. Une fois de plus, sans doute, les saints paveront la voie.
Louis Salleron.
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### Pour tous les temps
Tous les temps sont destinés à l'attente du Messie au dernier jour, quand le soleil et la lune seront obscurcis et que les hommes assisteront à un cataclysme astronomique. En attendant, le monde dure, et Dieu, pour nous instruire, a, par l'Esprit Saint consolateur, ordonné une année liturgique, véritable catéchisme annuel, où se succèdent l'attente d'un Messie pour réparer la faute d'Adam pendant des milliers de siècles, la mémoire de sa naissance et de sa vie sur la terre, et son enseignement pour nous préparer à la vie future.
\*\*\*
Car chacun de nous aura sa fin du monde, aussi inconnue pour nous que celle de notre univers. Et nous ne savons que par ses promesses et ses actes ce qui nous attend après la mort. Ce héros a vaincu la mort. Il est ressuscité par sa propre puissance. Et, merveille ! Il a été un petit bonhomme comme nous-même l'avons été, a vécu et travaillé comme nous, mangeant son pain et son fromage aux heures habituelles. Et il a passé sa vie à nous instruire, il a voulu mourir pour payer à son Père la dette de nos péchés et il a laissé des institutions nous aidant à devenir semblables à Lui, à échapper comme lui à la mort éternelle en devenant unis à Lui et à son Père (Notre Père) pour ne former qu'un corps mystique avec Dieu même !
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Tel est le don de la Foi : c'est elle qui nous prépare à cette admirable destinée dont nous pouvons même jouir dès cette vie terrestre, si nous en prenons les moyens. Or cette foi est donnée à qui a l'humilité de la demander. S. Matthieu rapporte (7.7) : « Demandez et il vous sera donné ; cherchez et vous trouverez ; frappez à la porte et elle vous sera ouverte... Qui est celui d'entre vous qui donne une pierre à son fils, lorsqu'il lui demande du pain ? ... Si vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il les vrais biens à ceux qui le prient ! »
Que de grâces perdent ceux qui s'opposent à toute recherche ! Le seul remède est de prier pour eux.
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La liturgie de l'Attente débute par un répons saisissant qui raconte une vision d'Isaïe : « Regardant au loin, voici que je vois venir la puissance de Dieu et un nuage couvrant toute la terre : Allez au devant de lui et dites : « Annonce-nous si tu es celui qui doit régner sur ton peuple d'Israël. » Venez tous, fils de la Terre, enfants des hommes riches et pauvres ensemble, allez au devant de Lui et dites : « Écoute, toi qui gouvernes, toi qui as conduit Joseph comme une brebis, annonce-nous si c'est bien toi ? »
Nous voyons bien ce nuage couvrant toute la terre ; il est fait de l'ignorance, mal de l'intelligence et des concupiscences maux de la volonté, développées aujourd'hui dans tout l'univers par les peuples chrétiens eux-mêmes, infidèles aux grâces reçues. Nous savons par la foi que la puissance de Dieu est bien là derrière tout ce désordre, ces haines, ces guerres impitoyables et sans doute aussi, bien des dévouements cachés, des sacrifices connus de Dieu seul ; et nous commençons à trembler, car ce qui nous menace, c'est le prix de nos fautes. Et maintenant, les ennemis de la foi viennent de nous enlever les moyens de faire fonctionner nos armes. Ils enlèvent aux citoyens eux-mêmes la perception des dangers qui nous menacent et celle du bien de la patrie et de l'État.
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Isaïe voyait des choses analogues : l'Orient ravagé par les Assyriens, les Syriens et les Juifs de Samarie attaquant Jérusalem et Jérusalem victime de son impiété. Sept cents ans d'avance, il annonçait la venue d'un messie souffrant qu'une Vierge devait enfanter. L'Église que Jésus a instruite finit le répons par ces paroles d'un psaume « Princes, ouvrez vos portes ! Élevez-vous, portes éternelles et le Roi de gloire entrera. »
Nous qui fêtons à Noël la venue de ce Roi de gloire, comment le voyons-nous ? Certainement pas dans une gloire suivant le monde. Car c'est un petit enfant qui naît dans les conditions les plus pauvres qui soient, dans une grotte servant d'étable, logis primitif où tant d'hommes des anciens temps vécurent. L'Église a toujours existé depuis Adam ; comment ces ancêtres pouvaient-ils en faire partie ? En croyant à un salut venant de Dieu seul. Non pas de l'usage du feu, ou de la découverte de l'arc et des flèches, de la roue et du char attelé ou des métaux, mais de la volonté de Dieu, et de son amour, amour de Dieu pour les hommes et des hommes pour Dieu.
Voilà les raisons de l'allégresse générale naissant à la fête de Noël : la « Puissance de Dieu » nous apparaît sous la forme la plus humble et la plus aimable qui soit : « Un petit Enfant nous est donné, la principauté est sur ses épaules ; on l'appellera : Conseiller admirable, Dieu fort, Père du siècle futur, Prince de la Paix. » Et ce petit enfant dut coucher dans la mangeoire des agneaux à la lumière d'un luceron. Sa mère jouissait d'une joie bien douce, car le Sauveur du monde était né. La Sainte Vierge admirait les circonstances préparées par Dieu qui l'avaient conduite à donner le jour dans la solitude plutôt que dans une hôtellerie, au plus beau des enfants des hommes. Le miracle de cette naissance fut ainsi protégé par la sainteté des deux époux.
Isaïe évoquait le patriarche Joseph vendu par ses frères pour devenir par là gouverneur de l'Égypte. Un nouveau Joseph, simple artisan, est chargé de protéger et de nourrir l'Enfant admirable. Et non seulement l'enfant mais la mère immunisée du péché originel « pour que son corps et son âme devinssent un digne habitacle pour le Fils du Père Éternel »*.*
*Les solives du toit faisant comme un arceau.*
*Les rayons du soleil baignaient la tête blonde,*
*Tout était pur alors, et le maître du monade*
*Était un jeune enfant dans un pauvre berceau.*
Mais ce jeune enfant sans autre expérience encore que le sein de sa mère ne pouvait méditer rien autre que l'amour, la Sainte Trinité à laquelle sa Mère était liée comme épouse du Saint Esprit et S. Joseph même comme l'image du Père.
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La joie qui éclate en tous lieux le jour de Noël est celle des œuvres de la Foi : elle est faite de l'Espérance du ciel, cachée au fond des cœurs trompés quotidiennement par le train du monde, car le Sauveur attendu nous est donné vivant et nous savons qu'il nous est donné pour nous en nourrir et devenir participants de sa paix et de sa gloire.
\*\*\*
Et cette joie universelle qui résiste aux folies du monde est en même temps un grand exemple. Elle est l'exemple et le triomphe de la première béatitude du Discours sur la montagne : « Bienheureux les pauvres en esprit ! parce que le royaume des cieux est à eux. » Car la joie et le bonheur régnaient dans la grotte de Bethléem. Il n'y avait là que des « justes » ; le royaume de Dieu était en eux au plus haut degré imaginable, alors que les habitants de la grotte étaient à la limite du besoin. Cela fut toujours ressenti avec joie dans notre peuple ; les noëls populaires parlent souvent des dons que les premiers avertis apportèrent à la grotte. Dans un Noël bourguignon les voici présentés :
*Pierrot avait un tiot lièvre*
*qu'il avait nourri*
*Jeannot une mère chèvre* (c'est la vache du pauvre)
*Toinot un cabri.*
*Jean un fromage à* *la crème*
...
*Les autres ils ont fait de même*
*Et moi à peu près...*
« Venez tous, fils de la terre, enfants des hommes, riches et pauvres ensemble » (*in unum,* dit le répons, *comme un seul homme*)*.* Cela se fait toujours, grâce à Dieu dans la nuit de Noël. Mais il faut vivre en tout temps avec cet esprit de la crèche. Il est lié comme dans l'étable de Bethléem à la sainteté, et les efforts que nous ferons pour en garder la voie, si faible qu'ils soient en nous, nous donneront de comprendre les béatitudes, vraies joies où conduit l'imitation de Jésus-Christ.
102:189
Car vous savez comment, devenu homme, Jésus mourut sur la croix.
*Ainsi l'enfant dormait au fond du premier somme,*
*Il allait commencer le grand gouvernement,*
*Il allait commencer le grand avènement,*
*L'avènement de Dieu dans le cœur de tout homme.*
D. Minimus.
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## Les Mémoires du cardinal Mindszenty
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### Comment le Vatican s'est débarrassé du primat
par Hugues Kéraly
Ex 1971, le cardinal Joseph Mindszenty a soixante-dix-neuf ans. Chef d'une Église persécutée, il a connu toutes les souffrances, traversé toutes les humiliations qu'un homme peut endurer des ennemis de Dieu. Il est bien le primat de Hongrie, confesseur et martyr de sa foi sous l'occupation soviétique. Les communistes lui ont fait payer très cher ce titre glorieux, jusqu'à la torture et au cachot, ils n'ont pas le pouvoir de le lui retirer.
La persécution suprême devait venir autrement. Pour réduire le prince-primat de Hongrie à l'exil, il aura fallu tout la duplicité diplomatique du pape régnant ; pour le déposséder de sa charge après l'avoir isolé de son peuple et de sa terre natale, l'inimaginable révocation du 5 février 1974, vingt-cinquième anniversaire du simulacre de procès monté contre le prélat par le gouvernement de Budapest. Au nom d'une ouverture qui ne changera rien au sort du peule catholique de Hongrie, le Vatican lui-même appliquait au cardinal Mindszenty la loi de Moscou.
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Les manœuvres du Saint-Siège ont commence le 25 juin 1971 à l'ambassade américaine de Budapest, où le primat de Hongrie avait trouvé refuge. Joseph Zagon, prélat romain, se fit annoncer. Il apportait un cadeau de Paul VI, et de bonnes paroles : « Le Saint-Père pense arranger une solution qui éclaire différemment le sacrifice de Votre Éminence, afin que votre importance morale face à l'opinion mondiale grandisse encore, que vous ne perdiez rien de vos mérites ([^19]) et que vous puissiez servir a exemple à l'Église tout entière. Le pape voudrait faire tout ce qui est possible dans ce sens ([^20]). »
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L' « éclairage » différent consistait à quitter la Hongrie. Zagon représenta au cardinal tout le bien que ses compatriotes émigrés retireraient de sa présence, aux cérémonies prochaines pour le millénaire du catholicisme hongrois. D'autre part, le monde entier attendait son témoignage personnel, et celui qu'il porterait au nom de l'Église de Hongrie. Comment même sauverait-il le manuscrit de ses mémoires, s'il ne le portait point de son vivant aux éditeurs étrangers ?
Le primat répondit que son éloignement serait vite exploité par la propagande bolchevique ; d'ailleurs, il n'entendait pas abandonner ses fidèles, dans la situation où ils se trouvaient. Il avait de bonnes raisons, lui, pour ne pas croire à la réalité de la « détente » ou de l' « entente » entre l'Église et les régimes communistes. Pendant les trois jours ([^21]) que dura l'entretien, il expliqua la situation réelle du catholicisme hongrois : la fermeture des églises et des couvents, les nombreuses arrestations, l'interdiction à l'école du cours de religion, la mise en place d'un mouvement de prêtres acquis au pouvoir, et d'une hiérarchie parallèle.
Tout cela intéressait beaucoup moins l'envoyé personnel du Saint-Père que son propre départ, préalable imposé par les communistes hongrois à un accord entre l'Église et l'État. Par obéissance au pape, Mindszenty devait céder à cette exigence de l'ennemi. Il devait cautionner lui-même, en s'exilant, les mensonges et les calomnies de la propagande athée. En échange, le Vatican voulait bien multiplier les promesses verbales d'œuvrer pour la réparation des injustices subies par l'Église de Hongrie, dans ses négociations futures avec le gouvernement de Budapest. Mais, quand il en vint à parler des conditions du départ, Mgr Zagron fit clairement voir à qui le pape entendait donner, dans l'immédiat, les plus grandes satisfactions :
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1\. Joseph Mindszenty reste archevêque-primat de Hongrie, mais les droits et devoirs attachés à l'exercice de son ministère sont annulés. Un administrateur apostolique est nommé par le Vatican pour gérer le diocèse d'Esztergom.
2\. Le départ du pays doit se faire « dans le plus grand silence ». Aucune déclaration publique ne sera tolérée à cette occasion, émanant du cardinal.
3\. De même, à l'étranger, le primat de Hongrie devra s'interdire toute prise de position susceptible de « contrarier les relations entre le Saint-Siège et le gouvernement hongrois ou d'être offensante pour la République populaire ».
4\. Le cardinal Mindszenty gardera ses mémoires secrets jusqu'à sa mort. Il peut seulement les léguer par testament au Saint-Siège, « qui veillerait à leur publication en temps opportun ».
Ces conditions annulaient toutes les perspectives du premier entretien. Elles confirmaient la vieille accusation portée par les communistes contre le primat de Hongrie, tenu pour le principal obstacle à des rapports « normaux » entre l'Église et l'État. Mindszenty pouvait quitter le territoire, mais en condamné, en vaincu ; s'exiler, mais silencieusement, comme pour bien marquer lui-même que par son départ tout rentrait dans l'ordre. Le cardinal refusa de signer le protocole d'accord rédigé par Mgr Zagon.
Cependant, il lui fallait prendre une décision. Il écrivit au président des États-Unis, pour l'informer de sa situation et lui demander s'il pouvait encore compter sur l'hospitalité de l'ambassade américaine. « Sa réponse me parvint très rapidement. Il me conseillait de me résigner à mon sort. Il était clair, à travers le ton courtois de la lettre, qu'à partir de ce moment j'étais un hôte indésiré à l'ambassade. En fin de compte, je n'avais le choix qu'entre deux solutions : quitter l'ambassade, me livrant ainsi à la police politique, ou partir à l'Ouest conformément au vœu du pape ([^22]). »
Joseph Mindszenty serait bien retourné en prison, ou en résidence surveillée. Il en avait l'habitude. Mais il songea aux siens, et aux avertissements du cardinal Stepinac que Tito avait fait interner dans son village natal, en compagnie de seize commissaires politiques. A Mindszent, il y avait quatorze enfants et de nombreux petits-enfants dans les familles de ses deux sœurs cadettes. Il ne voulut pas les exposer davantage aux persécutions du pouvoir, et choisit de supporter seul le poids du sacrifice en s'exilant.
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Le cardinal hongrois cédait à la menace et au chantage politiques plus qu'à la diplomatie vaticane, qui se contentait d'exploiter cette horrible situation. Mais c'est à Rome qu'il écrivit, noblement, dominant toute son amertume personnelle :
« J'aimerais passer la fin de ma vie sur le sol hongrois, sans préjudice des circonstances extérieures qui m'attendent. Cependant si les passions nourries contre moi ou des raisons considérées comme graves par l'Église ne devaient pas le permettre, *je me charge de la plus lourde croix de ma vie :* je suis prêt à quitter ma patrie pour expier en exil. pour l'Église et pour mon peuple. Je dépose humblement cette offrande aux pieds de Votre Sainteté, convaincu que le sacrifice personnel le plus grand se réduit à l'insignifiance quand il s'agit de Dieu et de l'Église. »
Le matin du 28 septembre 1971, sur le seuil de l'ambassade américaine, le prince-primat de Hongrie bénit pour la dernière fois sa capitale et tout le pays.
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A Rome, le cardinal Mindszenty fut somptueusement reçu. Paul VI l'installa dans les appartements de la tour San Giovanni, résidence des hôtes de marque. Il l'invitait souvent à sa table, ou lui faisait porter des messages d'amitié. « *Tu es et tu resteras archevêque d'Esztergom et primat de Hongrie *», lui déclara-t-il un jour solennellement. en latin. A cette époque, le pape estimait sans doute l'affaire classée. Dans son esprit, Mindszenty avait purement et simplement renoncé avec l'exil à toute forme d'activité ou de combat. Conformément au diktat transmis par Mgr Zagon (mais rejeté par le cardinal), il n'avait plus le droit de se mêler de rien. En échange de quoi on lui assurait les honneurs de son ancien titre et une retraite dorée au Vatican :
C'est en lisant les journaux que le primat de Hongrie mesura l'ampleur du piège où Paul VI l'avait fait tomber Le. 28 septembre 1971, l'*Osservatore Romano* commentait son départ de Hongrie comme un retour à la normale : il n'y avait plus d'obstacle aux bonnes relations entre l'Église et l'État hongrois.
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Quelques jours plus tard, le Saint-Siège faisait savoir qu'il avait levé toutes les excommunications portées par Mindszenty contre le mouvement des « Prêtres de la paix », allié des communistes en Hongrie. Par ailleurs, le cardinal Mindszenty avait manifesté son intention de se rendre au Pazmaneum de Vienne, pour y résider, plus près de sa terre natale : la diplomatie vaticane négligea de transmettre cette demande au chancelier autrichien, qui fut informé par la presse, lui aussi. Tout se passait comme si le primat de Hongrie n'existait plus, sinon dans la mémoire de ses malheureux compatriotes.
Le cardinal Mindszenty quitta Rome le 23 octobre 1971. Il voulait se consacrer aux catholiques hongrois dispersés à travers le monde, ainsi que Mgr Zagon le lui avait d'abord suggéré. Le Saint-Siège refusa cependant de l'assister dans cette entreprise, dont il condamnait d'avance le principe. Les vagues promesses faites au cardinal n'étaient qu'un préalable, subordonné aux intérêts de l'ouverture à l'Est ; par-dessus tout, il ne fallait pas déplaire aux communistes. « Manifestement, le Vatican voyait que mon activité pastorale pouvait irriter le régime de Budapest, qui avait raison de craindre qu'une direction de conscience menée par moi sur les émigrants exerce une influence durable et se fasse sentir dans leur activité sociale, politique et culturelle ([^23]). »
Dans la presse, les attaques redoublèrent d'intensité. En Autriche, une lettre pastorale datée de l'Avent 1971 fut si bien interprétée que le chancelier fédéral dut intervenir au Parlement pour répondre à des interpellations. Le Cardinal évoquait dans la lettre « la frontière provisoire et mortelle » du rideau de fer : des journalistes avaient présenté l'allusion comme une remise en cause du tracé de la frontière austro-hongroise ! On s'employait par tous les moyens à étouffer le témoignage public de Mindszenty, ou du moins à le discréditer. Le mieux était encore de recopier servilement les accusations imaginées par les communistes au procès de 1949 ; cela donnait plus de vraisemblance au mensonge. Et Rome laissait faire, Rome approuvait : « Pendant cette campagne de presse manifestement dépourvue de tout fondement, aucune autorité religieuse n'intervint en ma faveur. Au contraire : on m'informa de Rome que je devrais dorénavant soumettre au Saint-Siège pour approbation chacune de mes déclarations et même mes prêches ([^24]). »
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Mindszenty ne renonça pas. De mai 1972 à la fin de l'année 1973, il entreprit une grande série de voyages pastoraux, visitant les communautés hongroises d'Allemagne, de Belgique, d'Angleterre, du Canada, des États-Unis. Partout il fut acclamé, père et héros pour ses compatriotes, symbole de la foi victorieuse dans l'épreuve pour les croyants du monde entier. Dans chacun de ses prêches, il évoquait la misère spirituelle de son peuple, la violence de l'athéisme militant, la gravité des persécutions religieuses qui continuent de s'organiser dans l'univers communiste.
Le gouvernement hongrois se retourna vers Rome, augmentant le niveau de ses exigences. On peut supposer que, dès novembre 1972, il tenait la révocation de Mindszenty pour acquise. Si le Vatican a repoussé l'échéance, c'est qu'il escomptait encore réduire le prélat hongrois au silence, par la menace, la censure et la remontrance réunies.
Mindszenty fut prévenu que le gouvernement de Budapest pourrait bien se venger sur les catholiques. Paul VI lui-même émit délicatement quelques craintes à ce sujet ; en remerciant de l'envoi du manuscrit des *Mémoires,* dont il ne manquait alors que cette conclusion où il occupe une si triste place. Le primat de Hongrie lui fit parvenir une réponse qui mérite d'être citée et retenue :
« L'histoire du bolchevisme qui a déjà plus d'un demi-siècle montre que l'Église ne peut faire aucun geste vers lui dans l'espoir de le voir abandonner ses persécutions religieuses. Cela est inhérent à l'essence et à la nature profonde de son idéologie. Même l'Église russe orthodoxe n'est pas parvenue à échapper à la persécution, ni pendant la collaboration sans réserve, ni pendant la période de coexistence et pas non plus au temps de la soumission. L'expérience des négociations entre Budapest et le Vatican prouve la même chose. »
C'est l'enseignement des papes, que Paul VI se voyait rappeler. En l'invoquant, Mindszenty n'avait aucune chance d'être entendu. Sachant que sa condamnation serait sans appel, il ne se justifie point aux yeux du monde, mais témoigne pour l'éternité.
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Le 1^er^ novembre 1973, la diplomatie vaticane n'est plus en mesure de résister à l'assaut du gouvernement de Budapest. Paul VI invite le primat de Hongrie à se dessaisir de sa charge. Celui-ci pourra librement disposer de la publication de ses mémoires, après son abdication.
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Le cardinal Mindszenty refuse : l'Église catholique de Hongrie n'est pas libre, la direction des diocèses est entre les mains d'une administration ecclésiastique installée et contrôlée par le régime communiste, la liberté de conscience n'existe pas, les cours de religion sont interdits. Dans ces conditions, céder aux prétentions du régime n'a pas de sens, sinon d'augmenter la dépendance, l'esclavage du catholicisme hongrois, et la misère du peuple.
Par lettre datée du 18 décembre 1973 et signée de S.S. Paul VI, le cardinal Mindszenty apprend que le siège archiépiscopal d'Esztergom est déclaré vacant. C'était le jour du 25^e^ anniversaire de son arrestation. Le Vatican attendra le 5 février 1974, 25^e^ anniversaire de son procès, pour rendre publique la nouvelle de sa révocation. A supposer qu'il ne l'ait point exigé, le gouvernement hongrois a dû être sensible à la précision des concordances historiques.
« C'est ainsi, conclut le cardinal Mindszenty, que je pris le chemin du bannissement total. »
Hugues Kéraly.
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### Le cardinal Mindszenty defensor civitatis
par Louis Salleron
PRÉSENTANT ses Mémoires ([^25]) dans un bref Avant-propos, le cardinal Mindszenty écrit : « Si je rends tout cela public, c'est uniquement pour que le monde réalise quel sort le communisme lui réserve. Je veux seulement montrer qu'il ne respecte pas la dignité de l'homme et je veux seulement décrire mon calvaire pour que les yeux du monde se portent sur celui de la Hongrie et de son Église. »
Il est le *defensor civitatis* dans la pleine acception de l'expression. Il a lutté pour sa patrie, pour ses concitoyens, pour son Église, pour la civilisation chrétienne, pour la liberté et la dignité de l'homme.
Comme son combat fut public, ses *Mémoires* sont irrécusables. A chaque page s'y trouvent des documents -- lettres, discours, sermons, articles -- qui figurent dans la presse, dans ses procès, dans les archives officielles. Simplement, tout cela est rassemblé, et illustré par des commentaires et des souvenirs personnels.
Quelques traits dessinent sa haute figure.
Le premier, bien sûr, c'est son intrépidité. Ni la torture, ni le danger, ni la menace, ni la ruse ne le font dévier de la voie qu'il s'est tracée. Si, un jour, réduit à l'état de loque humaine par les coups et la drogue, il signe un papier où il se charge de crimes imaginaires, c'est pour le rétracter dès qu'il a recouvré ses forces. A sa signature il a d'ailleurs ajouté les deux lettres C.F. sur le sens desquelles ses amis sont alertés. Elles signifient *coactus feci* -- je l'ai fait sous la contrainte. C'était une ruse pratiquée jadis par les catholiques hongrois prisonniers des Turcs. Le monde extérieur, si les aveux étaient produits, savait ainsi à quoi s'en tenir.
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Le second trait, c'est son goût de la vérité. « Je considérais, écrit-il, que l'amour de la vérité était la vertu essentielle d'un évêque ; une qualité qui ne doit jamais être abandonnée, ni à cause de la crainte ni pour des louanges ou des avantages et à laquelle il faut s'en tenir, même au prix de sa vie. La liturgie du sacre des évêques fait aussi remarquer que les chefs spirituels n'ont en aucune circonstance le droit de qualifier la lumière d'ombre, mais par contre peuvent nommer l'ombre lumière, ni de qualifier le bien de mal, mais peuvent nommer le mal un bien ([^26]). » (p. 132.) Ce goût de la vérité, qui révèle son courage, fait aussi sa force. Sa parole, qui sait être prudente et mesurée, est toujours exempte d'ambiguïté. Elle porte à proportion.
Le troisième trait, c'est un mélange de noblesse et de simplicité qui lui assure une autorité extraordinaire. Issu d'une modeste famille paysanne, il a je ne sais quoi de souverain dans sa démarche par quoi il s'impose à ses ennemis comme à ceux de son bord. C'est un chef né. Il ne connaît que la loi divine, et la constance, faite de douceur et d'humilité, avec laquelle il s'y soumet en fait la loi universelle qui juge ceux qui le condamnent et l'écrasent.
Enfin, et c'est le trait le plus notable, le cardinal Mindszenty est un homme d'une foi absolue. Sans doute doit-il à son hérédité et à son éducation première une rare fermeté de caractère. Mais cette fermeté innée n'avait pas de quoi lui dicter nécessairement sa conduite. D'autres auraient pu, et ont pu effectivement, être aussi courageux que lui. Mais c'est dans la rectitude de sa foi catholique qu'il a trouvé la règle d'action qui a fait de lui le personnage le plus représentatif de l'Église face à l'oppression communiste. Son attitude politique procède, en toutes choses, de sa vocation de prêtre et d'évêque.
On oublie que c'est seulement à 52 ans que se révèle sa stature nationale. Né en 1892, ordonné prêtre en 1915, il a été curé de la paroisse de Zalaegerszeg de 1919 à 1944.
Qu'a-t-il fait là ? Il le dit lui-même dans son sermon d'adieu à ses paroissiens, quand il est nommé par Pie XII évêque de Veszprem : « ...j'ai fait tout ce qu'attend l'Église d'un de ses prêtres : j'ai prêché la parole de Dieu, j'ai célébré la sainte messe et j'ai administré les sacrements.
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« J'ai prêché la parole de Dieu. Si je fais maintenant mon examen de conscience, je dois remercier Dieu de ce que j'ai pu faire par sa grâce divine. Il ne reste de traces qu'à la Congrégation de Marie : là, j'y ai fait 537 sermons en dix ans.
« J'ai célébré, rien que pour ma paroisse, 72 messes par an et j'ai lu chaque jour mon bréviaire à l'intention de la ville, de tous les fidèles vivants et morts. Nombreux étaient les fidèles qui se pressaient à chaque messe et je priais le Seigneur qu'il les bénisse, qu'il amène jusqu'ici les incroyants et qu'il protège les enfants. Après la consécration, j'évoquais devant les yeux de mon âme le monde du cimetière, avec tous les défunts à qui j'avais donné les derniers sacrements, sans oublier ceux qui étaient morts avant, et je demandais à notre Seigneur Jésus qu'il adoucisse les douleurs des âmes souffrant au Purgatoire.
« J'ai administré les sacrements. Je peux dire que les toiles d'araignée ne se sont pas accumulées dans mon confessionnal. Si quelqu'un n'est pas venu, ce n'est pas ma faute. Je prie maintenant pour que tous trouvent chez le nouveau curé la voie qui mène aux sacrements. » (p. 31.)
On imaginerait difficilement paroles plus purement sacerdotales. Elles nous disent, mieux que tout témoignage extérieur, le secret de son attitude future. Il est pasteur, et rien que pasteur. Il le sera comme primat de Hongrie de la même manière qu'il l'a été comme curé de paroisse. Ses responsabilités seront autres. Il les assumera avec la même égalité d'âme. Responsabilités politiques ? Certes, et le mot ne lui fait pas peur, mais responsabilités politiques qui découlent de ses responsabilités de pasteur, en terre de chrétienté, conformément à la tradition de sa patrie, et à la mesure d'un drame historique où c'est le destin total de son peuple qui est engagé.
Comme curé de paroisse, le compte rendu qu'il fait de ses vingt-cinq années de ministère montre suffisamment que la politique ne l'occupait guère. Il ne s'en désintéressait pas, était membre du conseil municipal et du « comitat », participant à la rédaction d'un journal et donnant ses conseils pour les élections, bref accordant à la vie publique le temps qu'y pouvait accorder un prêtre uniquement soucieux du salut des âmes ; c'était une activité locale, conforme à la tradition d'un pays catholique où le curé a des responsabilités sociales importantes et reconnues par tous. « Mais, dit-il, en ce qui me concernait, je tenais à rester simplement chargé des âmes. La politique pour un prêtre n'était à mes yeux qu'un mal nécessaire que j'étais obligé d'affronter de temps en temps. » (p. 22.) On n'a pas de peine à le croire.
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Le 25 mars 1944, il était sacré évêque de Veszprem. L'année suivante, Pie XII le nomme archevêque d'Esztergom, où il est installé le 7 octobre 1945.
Esztergom, c'est l'ancienne capitale de la Hongrie, « le berceau de l'État hongrois ». L'archevêque de cette ville est Primat de Hongrie. En 1942, le cardinal Seredi, alors Primat, expliquait : « En la personne de chaque Primat de Hongrie sont heureusement liées la plus haute dignité de l'Église catholique et celle du droit public hongrois, ce qui symbolise la royauté chrétienne et hongroise (...) \[Ainsi\], à la suite d'une loi émise par le roi Étienne, le Primat est-il la première autorité de droit commun, après le roi ou le chef de l'État... » (P. 68.)
Le cardinal Mindszenty nous donne d'autres précisions : « C'est le Primat qui couronnait le roi, avec la couronne de saint Étienne. Le roi ne devenait chef d'État qu'à partir de son couronnement (...) Comme le droit de couronner le roi était réservé à l'archevêque d'Esztergom. le Primat était un haut dignitaire de l'État et de l'Église. Il représentait le roi quand celui-ci était absent du pays (...). » (p. 67.)
Les bouleversements politiques du XX^e^ siècle ont pu porter atteinte, sur le plan purement juridique, à la consistance des liens entre le Primat et l'État hongrois. Mais la tradition pluricentenaire en restait vivace et retrouvait nécessairement une vigueur nouvelle quand la guerre et les invasions successives rendaient particulièrement suspecte la légitimité des régimes et des gouvernements plus ou moins imposés par des puissances étrangères.
C'est dans ces conditions que Mindszenty, pleinement conscient du fardeau écrasant qu'il allait avoir à porter, accepta le poste où l'appelait le pape. Son sermon inaugural atteint au sublime. Quelques extraits permettront d'en juger :
« Mes chers Frères, par la grâce de Dieu je suis devenu votre Primat. Mes pensées se tournent vers Rome, vers le chef de notre Église, le pape Pie XII qui règne dans la souffrance et la majesté. Notre âme hongroise fidèle, combative, est à ses pieds (...)
« Le Primat du pays reprend maintenant le flambeau de ses prédécesseurs (...) Votre archevêque, nanti de droits vieux de neuf cents ans, et premier haut dignitaire de votre pays, ne vous fera pas défaut (...)
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« ...Une Hongrie saignant de nombreuses blessures se trouve brisée dans la plus grande détresse morale, juridique et économique de son histoire. Notre psaume doit être « De Profundis », notre prière le « Miserere », notre prophète Jérémie et notre monde, celui de l'Apocalypse. Nous sommes assis au bord des fleuves de Babylone et devons apprendre des chants étrangers sur des harpes brisées (...)
« ...Chers Frères... soyons maintenant le peuple de la prière. Si nous réapprenons à prier, nous aurons en nous une source inépuisable de force et de foi.
« Si Dieu le Père et la Sainte Vierge Marie m'aident, alors je veux bien être la conscience de notre peuple, frapper à la porte de vos âmes en tant que leur gardien appelé et prêcher à notre peuple, à l'opposé des nouvelles théories propagées dans tout le pays, les vérités éternelles et réveiller en lui des espoirs sacrés... » (pp. 69-71.)
A la fin de l'année 1945 des élections générales doivent avoir lieu. Il réunit les évêques et leur fait approuver les termes d'une lettre pastorale qui sera imprimée, publiée et, le 1^er^ novembre, lue dans toutes les églises du pays :
« ...La nouvelle organisation de notre vie publique ne pourra être possible que sur des bases démocratiques. Dans notre dernière lettre pastorale, nous avions déjà salué en toute confiance les idées démocratiques. Le monde a déjà bien assez souffert sous toutes les formes de la tyrannie. Une tyrannie a amené cette guerre meurtrière jusqu'à l'extrême absurdité. Elle a foulé aux pieds pendant de longues années les droits les plus sacrés de l'humanité, elle a banni toute liberté, elle a méprisé famille et droits parentaux.
« Les démocraties ont décidé de mettre fin à ce mépris de l'humanité. Mais elles ne voulaient pas remplacer cette dictature illimitée d'un seul chef par la dictature illimitée d'un autre chef. Elles ne voulaient pas d'une démocratie qui remplace la dictature effrénée d'un groupe d'hommes par les actes de violence d'un autre groupe d'hommes. Le support de toute vraie démocratie est la reconnaissance des droits fondamentaux inviolables de tout être humain, auxquels aucune puissance humaine n'a le droit de s'attaquer (. ...)
« ...C'est très alarmés que nous devons reconnaître que le ministre anglais des Affaires étrangères a raison quand il dit qu'on a l'impression qu'en Hongrie un régime totalitaire ne sera remplacé que par un autre. Nous regrettons beaucoup de nous ranger à cet avis (...)
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« ...C'est pourquoi nous nous adressons à vous, chers frères, pour que vous donniez vos voix aux candidats qui représentent la moralité, le droit, la justice et l'ordre et sont capables de soutenir leurs idées dans cette triste situation. Ne craignez aucune menace. La violence et l'arbitraire n'en seront que plus grands s'ils ne rencontrent pas de résistance. C'est dans la nature même de toute tyrannie de demander aujourd'hui l'assentiment des citoyens par le vote, le lendemain de les envoyer au travail forcé et le surlendemain de les mener à la guerre et les livrer à la mort... » (pp. 82-84.)
Il signe, « au nom des évêques hongrois » : Joseph Mindszenty, Prince-Primat, archevêque d'Esztergom.
Le 18 février 1946, entre trente et un autres évêques, il est fait cardinal, à Rome, par Pie XII. Celui-ci, en lui remettant le chapeau cardinalice, lui dit : « Parmi les 32, tu seras le premier à subir le martyre, dont cette couleur rouge est le symbole. » (p. 90.)
Pendant quatre années il se bat. L'étau ne cesse de se resserrer sur lui et sur la Hongrie, mais tant qu'il est libre, il parle, il écrit, il agit, pour la défense de l'Église et de la Hongrie. Le 19 novembre 1948, son secrétaire est enlevé dans la rue et jeté en prison. Une campagne de « lettres ouvertes », signées de catholiques « collaborateurs et progressistes », est déclenchée contre lui dans la presse. Il y répond avec son impavidité habituelle : « ...Selon eux, l'Église hongroise serait arriérée, par rapport à celles de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie, de Roumanie, de Bulgarie et de Pologne (...) Si l'on en croit ces lettres, il faut en conclure que tout va très bien pour les Églises de ces pays. Cependant, Mgr Beran et le cardinal Sapieha ont déjà été flétris comme traîtres. En Roumanie aussi, quatre évêques ont été jetés en prison... Les « auteurs des lettres » oublient qu'il existe un matérialisme athée dont le caractère hostile à l'Église n'a son origine ni dans l'Église ni dans ma personne. » (p. 198.)
C'en est trop. Le 26 décembre, il est arrêté. C'est alors son long martyre qui commence. Le 8 février 1949, il est condamné à la prison perpétuelle. Libéré le 30 octobre 1956 par l'insurrection, il lance un appel au peuple hongrois et au monde entier dans un message radiodiffusé le 3 novembre. Mais les chars russes sont revenus et écrasent la capitale. Il se réfugie à l'ambassade américaine qui l'hébergera jusqu'au 28 septembre 1971.
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A cette date, cédant aux instances du Saint-Siège et des États-Unis, il accepte, après des négociations compliquées, de quitter la Hongrie. S'il avait jusque là toujours voulu rester dans son pays, c'était pour signifier au monde que, faute de pouvoir agir et parler, il demeurait du moins au milieu de son peuple et privé, comme lui, de la liberté. Si, pour le bien de l'Église, il devait partir, il se résignait à ce sacrifice suprême, mais il entendait bien que son geste ne pût être interprété comme un désintéressement quelconque à l'égard de sa patrie et de l'Église hongroise.
Le 23 octobre, il célèbre la messe avec Paul VI qui lui dit en latin : « Tu es et tu resteras archevêque d'Erztergom et Primat de Hongrie. Continue à travailler et si tu as des difficultés, adresse-toi toujours à nous avec confiance ! » (p. 403.)
« En m'exilant, écrit-il, j'avais la faible consolation de penser que je pourrais continuer à servir à l'étranger les trois principaux objectifs hongrois, si Dieu me prêtait vie et force : en tant que Primat prendre sous ma protection de dignitaire religieux les centaines de milliers de catholiques apatrides, attirer l'attention de l'opinion internationale sur le danger du bolchevisme en faisant paraître mes mémoires, et peut-être me charger du tragique destin de mon peuple. » (p. 403.)
En fait, le Saint-Siège ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues, sous prétexte que les allocutions qu'il prononce dans tous les pays où on l'invite nuisent à l'Église de Hongrie, sur laquelle se venge le gouvernement communiste. A propos de ses Mémoires, dont il a communiqué le texte au pape, celui-ci ne fait pas d'objection personnelle mais craint les répercussions, en Hongrie, de leur publication. Le cardinal Mindszenty répond :
« L'histoire du bolchevisme qui a déjà plus d'un demi-siècle montre que l'Église ne peut faire aucun geste vers lui dans l'espoir de le voir abandonner ses persécutions religieuses. Cela est inhérent à l'essence et la nature profonde de son idéologie. Même l'Église russe orthodoxe n'est pas parvenue à échapper à la persécution ni pendant la collaboration sans réserve, ni pendant la période de coexistence et non pas non plus au temps de la soumission. L'expérience des négociations entre Budapest et le Vatican prouve la même chose ; bien que depuis 1964 les diplomates du Vatican aient mené des négociations au sujet des prêtres de la paix, de l'enseignement de la religion et de la libre activité de direction de conscience, c'est à ce moment-là que le mouvement des prêtres de la paix s'est épanoui de nouveau, que le cours de religion a été complètement étouffé dans les villes et dans certains villages.
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Les directeurs de conscience capables et pieux ont, sauf exception, tous été séparés de leurs fidèles. Les négociations spectaculaires et utilisées à des fins de propagande par les communistes ont eu pour seul résultat que des évêques furent choisis par l'Office national pour les Affaires religieuses parmi les rangs des prêtres de la paix pour le plus grand tort de la discipline ecclésiastique et de la vie religieuse. » (p. 140.)
Quand, pendant l'été de 1971, l'émissaire du Vatican, Mgr Zagon, était venu à Budapest pour convaincre le cardinal de rejoindre Rome, celui-ci lui avait demandé la dissolution du mouvement des prêtres de la paix, Mgr Zagon lui avait répondu qu'il « ne croyait pas à un succès à ce sujet » (p. 395). Néanmoins, le cardinal ne s'attendait pas à apprendre par les journaux, quinze jours après son départ de Hongrie, que le Saint-Siège venait de lever l'excommunication dont étaient jusqu'alors frappés les prêtres de la paix !
Il n'était pas au bout de ses déceptions. Le 1^er^ novembre 1973, le pape lui demande de se dessaisir de sa charge épiscopale. Il refuse, bien évidemment. Alors le pape lui écrit, le 18 décembre, pour l'informer que le siège archiépiscopal d'Esztergom serait déclaré vacant. Dans une lettre du 7 janvier 1974, le cardinal exprime au pape sa douleur en lui expliquant : « Si je ne peux pas accepter cette décision, ce n'est ni à cause de mon chagrin personnel, ni pour me cramponner à ma charge, mais parce que cette mesure aggrave encore la situation de l'Église hongroise, fait du tort à la vie spirituelle et jette le trouble dans l'âme des catholiques fidèles à la foi et des prêtres fidèles à l'Église » (p. 411), et il prie le pape d'annuler cette décision. Cependant, le 5 février, l'information que le cardinal était écarté du siège archiépiscopal d'Esztergom était rendue publique.
Le cardinal fait alors diffuser dans la presse par son secrétariat le communiqué suivant :
« Quelques agences de presse ont transmis la décision du Vatican de telle façon qu'on a eu l'impression que le cardinal Joseph Mindszenty avait pris volontairement sa retraite. Les agences de presse ont également mentionné qu'un échange de lettres intensif entre le Vatican et le cardinal Primat archevêque aurait précédé cette décision. Certains en ont conclu qu'il y avait un accord parfait entre le Vatican et l'évêque hongrois. Dans l'intérêt de la vérité le cardinal Mindszenty autorise son secrétariat à faire la déclaration suivante :
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« Le cardinal Mindszenty n'a renoncé ni à sa charge archiépiscopale ni à sa dignité de Primat de Hongrie. La décision a été prise unilatéralement par le Saint-Siège.
« Après longue et mûre réflexion, le cardinal a justifié sa position de la façon suivante :
« 1. La Hongrie et l'Église catholique hongroise ne sont pas libres.
« 2. La direction des diocèses est entre les mains d'une administration ecclésiastique installée et contrôlée par le régime communiste.
« 3. Aucun archevêque, évêque ou administration apostolique n'est en mesure de changer quoi que ce soit à la composition ni au fonctionnement de l'administration ecclésiastique précitée.
« 4. Le régime décide qui doit occuper les postes ecclésiastiques et combien de temps les occupants doivent rester à leur poste.
« En outre le régime décide qui a le droit d'être ordonné prêtre par les évêques.
« 5. La liberté de conscience et de religion garantie par la constitution est opprimée dans la pratique. Le cours de religion facultatif a été banni des écoles des villes et des grandes localités. A l'heure actuelle, la lutte pour le cours facultatif de religion dans les écoles des petites communes continue. Contre la volonté des parents, la jeunesse est éduquée de façon exclusivement athée. Les croyants subissent des discriminations dans la vie de tous les jours. Les enseignants croyants ont été récemment sommés de choisir entre leur profession et leur foi.
« 6. La nomination d'évêques ou d'administrateurs apostoliques sans l'élimination des inconvénients précités ne résoudra pas les problèmes de l'Église hongroise. L'installation de « prêtres de la paix » aux principaux postes ecclésiastiques ébranle la confiance des prêtres fidèles et des croyants dans la direction ecclésiastique suprême.
« Dans ces conditions, le cardinal Mindszenty ne pouvait pas résigner ses fonctions. » (pp. 412-413.)
\*\*\*
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Ainsi, à 82 ans, le cardinal Mindszenty reste le pasteur indomptable qu'il a toujours été. Bien entendu, les progressistes l'accusent de mener une politique qui fait obstacle à la mission de l'Église. Mais justement c'est parce qu'il ne fait pas de politique, au sens usuel du mot, qu'il agit comme il agit. C'est parce qu'il est le pasteur fidèle qu'il est le *defensor civitatis*. Le cardinal en exil a la même attitude qu'avait le cardinal en prison et le curé de Zalaegerszeg. La politique proprement dite ne l'intéresse pas. Il s'y trouve impliqué par l'Évangile. Il ne connaît que l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Il refuse de souscrire à des conditions qui l'obligeraient à ne plus se conformer à l'amour de Dieu et à l'amour du prochain. Il a connu les prisons de Bela Kun en 1919, celles de Hitler en 1944, celles de Staline de 1948 à 1971. Il sait ce que sont les régimes totalitaires et, particulièrement, le régime communiste dont l'objectif avoué est le matérialisme athée. Il refuse de composer avec le communisme, n'ignorant pas que toutes les concessions qu'on lui fait ne sont que les paliers d'une oppression toujours plus grande.
Cependant, la vie est politique. Le Saint-Siège ne peut pas ne pas faire de politique, c'est-à-dire négocier, composer, concéder. Dans le cas de la Hongrie et des autres pays soumis à la domination communiste, la politique qu'il fait est-elle bonne ? ou est-elle mauvaise ? Nous la croyons très mauvaise. Mais lui trouvâ-t-on des excuses, il reste que ses seuls atouts sont la foi et la force d'âme des chrétiens persécutés. A cet égard, il est absolument évident que la foi intrépide et la force d'âme exemplaire du cardinal Mindszenty sont les vraies chances de la résurrection.
Mais ce n'est pas la seule Hongrie que sert l'exemple du cardinal, comme ce n'est pas la seule Russie que sert celui de Soljénitsyne. Un combat qui s'étend à l'univers entier est engagé entre le communisme et le christianisme : En deçà comme au-delà du rideau de fer tous les problèmes de la politique, de la civilisation et de la foi sont emmêlés de manière inextricable. Il faut que des témoins de la foi pure montrent où est le christianisme, afin que puisse renaître une civilisation chrétienne et une politique humaine.
Le jour de son arrestation, le cardinal Mindszenty avait emporté une image qu'il put conserver pendant toute sa détention. Cette image représentait le Christ couronné d'épines avec la légende : devictus vincit. C'est l'éternelle vérité du martyr. C'est celle du cardinal Mindszenty. Vaincu, il est vainqueur.
Louis Salleron.
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### Une technique de domination
par Roland Gaucher
QUAND ON ÉVOQUE la figure du cardinal Mindszenty, on pense instinctivement, -- sauf quand on s'appelle Pézeril ([^27]) -- au long martyre qu'il a subi, dans les prisons d'un ignoble régime. On évoque les interrogatoires incessants, la torture, la mascarade d'un procès truqué, un long calvaire. On a tendance à rejeter dans l'oubli les années qui ont précédé cette épreuve et qui l'expliquent. C'est-à-dire les années pendant lesquelles, après l'entrée des troupes soviétiques sur le territoire hongrois, le cardinal a tente avec un courage intrépide d'enrayer la prise du pouvoir par le parti communiste.
Les *Mémoires* rappellent ces étapes. Et la lecture de ce livre permet d'en saisir les phases principales : Voici comment le communisme vient a régner sur peuple libre.
Une des données fondamentales de cette conquête du pouvoir par un appareil totalitaire, c'est, bien sûr, la présence des troupes soviétiques qui, ayant envahi la Hongrie, ne la quitteront plus. Par sa seule présence, la puissance des chars rend déjà toute résistance difficile.
Les « libérateurs », dès les premières heures, sont abominables.
« L'Armée rouge -- écrit le cardinal -- entra à Sopron la nuit de Pâques... Les jours qui suivirent, je vis les maisons voisines pillées ; les soldats faisaient aligner les hommes contre le mur, recherchaient les femmes cachées, emportaient vin, aliments, souvenirs de famille et objets de valeur... ([^28]). »
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Ailleurs, Mindszenty a connaissance « des horreurs dont je ne veux citer que celle-ci : lors de l'avance russe on amena un millier de jeunes filles, de femmes à l'hôpital de la Charité *dont huit cents étaient atteintes de syphilis*. Nombreuses furent alors les femmes qui se suicidèrent, d'autres devinrent folles » ([^29]).
Bref, le « Libérateur » s'est comporté à l'égard du peuple hongrois comme à l'égard du peuple allemand. Aux combattants soviétiques pénétrant sur le territoire du Reich, on avait distribué à des centaines de milliers d'exemplaires, cette circulaire :
« Tuez ! Tuez ! Personne en Allemagne n'est innocent des crimes nazis. Ni les vivants, ni les enfants à naître. Écrasez à jamais la bête fasciste dans sa tanière. Brisez l'insolence raciste des femmes germaniques. Prenez les toutes comme des proies légitimes. Tuez tout, hommes, femmes et enfants ! Soldats glorieux de l'Armée Rouge, tuez ! »
L'auteur de cette ordure, s'appelle Ilya Ehrenbourg ([^30]). Quand le « libérateur » s'en donne ainsi à cœur joie -- et il faisait de même en Yougoslavie -- quand il campe sur le sol de la nation, avec le consentement de MM. Roosevelt et Churchill, même si les excès de la soldatesque, et le bon plaisir des ilotes ivres de Staline ont pris fin, le souvenir de leur comportement demeure et entretient dans les consciences un état de panique.
L'action du parti communiste hongrois se développe à partir de là, je veux dire, sur un terrain psychologique déjà réparé. D'autant que les étrangers « libérateurs » ont imposé un gouvernement provisoire et que celui-ci prend aussitôt un certain nombre de mesures qui seront ensuite déclames irréversibles.
Ce n'est pas un hasard : ces mesures visent en tout premier lieu l'Église hongroise, parce que cette Église apparaît comme le centre de résistance principal.
Avec la réforme agraire, on la prive d'une grande partie de ses ressources matérielles. Sans doute un dédommagement est-il prévu. On en recule sans cesse le règlement définitif. Les communistes disposent ainsi d'un moyen de pression permanent.
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Seconde mesure. Elle vise les moyens d'information. Avant guerre, l'Église disposait d'une presse florissante. Il faut désormais, pour toute reparution, demander la permission de l'Armée Rouge. « Il n'y a pas de papier », répond le haut commandement qui n'accorde de dispense que pour deux hebdomadaires. Dans le même temps, la crise du papier n'atteint pas le P. C. hongrois qui utilise 24 quotidiens et 5 hebdomadaires.
Naturellement, les « libérateurs » appliquent à la presse catholique cette censure qui fait pâmer d'horreur les distingués scribes du *Monde,* sauf quand elle est appliquée par les « bolchos ».
Ces changements décisifs s'effectuent en trois mois. En dépit de ces pressions forcenées, en dépit de la terreur exercée de multiples façons par l'Armée Rouge, les premières élections organisées ne sont nullement favorables aux communistes.
Le parti communiste hongrois ne réunit en effet que 17 % des suffrages exprimés, tandis que le parti des petits propriétaires terriens en rassemble 57,7 %. On retrouve là une situation très semblable à celle de l'élection de la Constituante en décembre 1917 en Russie. Bien que les bolcheviks aient depuis peu conquis le pouvoir, ils n'obtinrent que 25 % des suffrages, le parti socialiste-révolutionnaire obtenant 58 % et détenant de ce fait la majorité absolue. Mais, dès janvier 1918, après une unique séance, Lénine fit chasser les députés par les marins de Cronstadt, et ordonna de fermer la Constituante.
Les élections en Hongrie eurent lieu le 4 novembre 1944. Logiquement, après sa victoire, le parti des petits propriétaires aurait du constituer le nouveau gouvernement. Il n'en fut rien, un gouvernement de coalition fut formé. Le principe de ce gouvernement avait été admis, avant même les élections, par les dirigeants du parti des petits propriétaires. Aussi les occupants soviétiques déclarèrent-ils qu'ils n'accepteraient qu'un gouvernement où les membres du parti vainqueur et ceux des partis de gauche se retrouveraient avec des portefeuilles à part égale. En outre, ils exigèrent pour le P. C. le ministère de l'Intérieur.
Le parti des petits propriétaires s'inclina. Ainsi fonctionne la démocratie sous la botte soviétique.
Le premier ministre était alors un pasteur, Zoltan Tildy. Histoire d'accentuer les antagonismes entre catholiques et protestants ([^31]).
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Qu'est-ce qu'une démocratie où les vainqueurs ne peuvent pas faire respecter la loi de la majorité absolue ? Un leurre. C'est comme si en France, après la victoire de Giscard aux élections présidentielles, l'Intérieur avait été confié à Roland Leroy et plusieurs autres ministères aux socialistes et aux communistes.
Le choix de Tildy attire l'attention sur un autre aspect de la prise en mains par l'appareil communiste. Les forces électorales qui, aux yeux de l'opinion, sont censées s'opposer à la montée du communisme, sont elles-mêmes insidieusement ou ouvertement divisées et affaiblies.
La décomposition de l'adversaire politique, soit de l'intérieur à l'aide d'agents infiltrés dans ses rangs, soit en utilisant une législation arbitraire, est un des procédés favoris du communisme dans la phase de la conquête du pouvoir.
Dès 1946, c'est le communiste Laszlo Rajk ([^32]) qui occupe l'Intérieur, et qui exerce une répression accrue. L'adoption d'une loi « pour la protection de l'ordre public et de la République » facilite les choses. N'importe qui peut désormais être poursuivi. C'est en vertu de cette loi que le cardinal sera plus tard arrêté.
Comment le parti des petits propriétaires a-t-il pu accepter une législation qui sera sa perte ? C'est que la présence des Russes constitue un chantage incessant. A tout instant, les esprits « sages », c'est-à-dire timorés, représentent qu'il vaut mieux accepter un compromis que de provoquer une crise grave. Voilà la conception qui porte au poste suprême un homme faible, issu du milieu des petits propriétaires, Ferenc Nagy. C'est lui qui, à l'instigation des Soviétiques, va proposer la fameuse loi.
-- Si nous la rejetons, fait-il dire, les Russes exerceront des représailles.
Ses porte-parole colportent que l'essentiel est de gagner du temps, qu'une fois la paix signée, les temps changeront et n'il sera alors possible de revenir à une législation plus Suce.
Nous avons entendu des chansons semblables, au moment de l'affaire algérienne.
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Le 12 mars 1946, le Parlement approuve la loi que le peuple avec prescience appelle « la loi du bourreau » et que seule au sein du parti des petits propriétaires, une minorité consciente combat courageusement.
Isolée par la lâcheté ou l'aveuglement de ses frères, cette minorité dirigée par Deszo Sulyok paie aussitôt son audace. Sous la pression soviétique, Sulyok et vingt autres députés sont expulsés du parti des petits propriétaires terriens.
La loi permet désormais de découvrir des « complots » partout, ces « complots réactionnaires », « fascistes », « impérialistes », qui sont le prétexte sous lequel le communisme s'impose d'une façon absolue, supprime les garanties démocratiques qu'il avait impudemment promises aux jobards, et leur substitue inquisitions, perquisitions, arrestations, cependant que la « conscience universelle » entre en transe parce qu'au même moment, un Nègre à Pretoria a encaissé un coup de pied au derrière.
Dans cette bataille que mènent les communistes hongrois, appuyés sur la force militaire soviétique, pour éliminer ceux qui leur résistent, l'Église catholique constitue le principal obstacle.
Dès avril 1946 appliquant « la loi du bourreau » Rajk ordonne les perquisitions dans les écoles secondaires. On y « découvre » des armes et des munitions. Objectif réel : obliger le parti des petits propriétaires terriens à approuver la nationalisation des écoles.
Mindszenty prend position avec vigueur. Derrière lui, l'Église hongroise se mobilise. Elle rassemble et stimule les parents d'élèves groupés au sein d'une association, et leurs protestations, leur contre-enquête contraignent les marxistes à reculer...
Mindszenty courageusement rappelle les droits de la famille :
« C'est le créateur qui a donné à la famille le devoir et le droit sacré d'élever les enfants.
« Ce droit des parents passe avant le droit de toute autre institution créée par la société. » ([^33])
A leur tour, les protestants participent à cette bataille défensive.
Le 12 juin 1946, une délégation de l'association des parents est reçue par la direction de l'Enseignement. Dans le mémoire qu'elle remet, figure le point 5/ qui est pour nous plein d'actualité :
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« 5 -- En tant que parents, nous sommes opposés à la participation forcée des écoliers à des manifestations, réunions et conférences qui ont pour but de former notre jeunesse à une philosophie contraire à la nôtre. »
Enrayée sur le terrain de l'école, l'offensive communiste est reprise quelques mois plus tard contre la jeunesse catholique, à la faveur du meurtre d'un soldat soviétique attribué à un membre de la jeunesse catholique. Opération classique qui permet à un membre de l' « Agit-Prop » de lancer une campagne-monstre contre « les bandits fascistes ».
La mort d'un unique occupant sert de prétexte à une ordonnance gouvernementale ME N° 2333/1946 qui soumet les organisations de la jeunesse catholique au contrôle de Rajk.
« Nos associations, écrit Mindszenty, furent donc dissoutes, leurs biens, leurs maisons et leurs foyers saisis et transférés aux organisations marxistes des jeunes. » ([^34])
On fonde, par exemple, une nouvelle union des Éclaireurs Hongrois au sein de laquelle les anciens scouts sont accueillis, mais dont les dirigeants ont été soigneusement choisis par les marxistes en fonction d'un critère essentiel pour le pouvoir : la docilité.
Un peu plus tard, la nouvelle Union annonce qu'elle va fusionner avec les Pionniers communistes.
Le processus de cette décomposition est très instructif. Dès le lendemain de la guerre, le bruit se répand que l'association catholique des jeunes (appelée Ka ot) doit disparaître.
Émotion : un jésuite se propose pour négocier un compromis. On obtient ainsi un an de répit.
En 1946, l'association est de nouveau menacée. Le même jésuite obtient les conditions suivantes :
1\) L'Association change de nom. Le terme « catholique » disparaît.
2\) Une nouvelle direction centrale doit être choisie, parmi des candidats ayant l'approbation des communistes.
3\) L'Association dans ses statuts doit tenir compte de la situation politique.
4\) Elle doit collaborer avec le M.I.O.T : (organisation communiste).
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Après l'Église et ses organisations, l'offensive est reprise contre le principal centre de résistance politique : le parti des petits propriétaires. Le système est simple : il s'agit de détecter dans ses rangs des « comploteurs ». Tildy se prête à cette opération, montée à partir des aveux arrachés à des détenus. Ces aveux mettent en cause le nouveau secrétaire général du parti des petits propriétaires, Bela Kovacs, qui semble décidé à résister aux communistes. Rakosi fait pression sur le président du Conseil Ferenc Nagy lequel cède, et accepte la levée de l'immunité parlementaire d'un certain nombre de députés.
Le 25 janvier 1947, Kovacs est arrêté par les occupants. D'autres arrestations s'ensuivent.
La peur est partout.
En mars, les dirigeants du parti des petits propriétaires capitulent. Ils acceptent la suppression de l'enseignement religieux et l'introduction de nouveaux manuels scolaires dans les écoles ; la préparation d'une Convention entre l'Église et l'État ; l'élimination de leurs rangs de tous ceux qui « entravent une collaboration pacifique entre les partis » (i. e. les adversaires des communistes).
La dislocation et l'intimidation du parti des petits propriétaires permettent aux communistes de franchir une nouvelle étape : une autre loi électorale est adoptée le 25 juin 1947. Elle exige un renouvellement des listes, sous le contrôle de l'Intérieur. Un million d'électeurs sont ainsi effacés, dont nombre de prêtres et de religieuses.
Un nouveau parti, décidé à la résistance, s'est entre temps créé : le parti de la Liberté. Bien organisé, il dispose d'un journal qui tire à 300 000 exemplaires. Mais, sur ordre du syndicat, les ouvriers de l'imprimerie refusent de le fabriquer. On arrête en masse. Les dirigeants du parti, pour mettre fin à cette persécution, n'ont d'autre choix que de dissoudre leur organisation.
Parallèlement, les autorités donnent licence à d'autres partis d'entrer en lice, ceci afin de morceler les voix de l'opposition. Quant à la majorité, elle est constituée par un bloc du parti communiste, du parti socialiste et des agrariens. Le parti des petits propriétaires terriens, domestiqué, rallie cette coalition. Elle obtient 60 % des suffrages.
Quelque temps plus tard, les écoles sont nationalisées. A l'automne 1948 est déclenchée contre le cardinal une terrible campagne qui aboutira à son arrestation.
La suite est connue.
Les étapes de la communisation d'un pays ont pour nous valeur d'exemple. On voit bien, certes, ce qui distingue avant tout la situation en France aujourd'hui et celle de la Hongrie, à la Libération.
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Il n'y a pas chez nous d'occupants soviétiques.
La présence de troupes étrangères, la menace permanente qu'elles représentent, constituent sans aucun doute un facteur important de la bolchevisation d'un pays. Mais non pas indispensable. Le Coup de Prague en 1948, c'est-à-dire la conquête du pouvoir, fut effectué sans l'occupation du pays par les armées soviétiques. Celles-ci, il est vrai, étaient à la frontière et leur proximité pesait sur la situation.
On aurait tort de croire que cette absence d'une armée étrangère dans les limites de l'hexagone nous met à l'abri d'une conquête marxiste du pouvoir. Quand on lit Mindszenty, on est frappé par la capacité de résistance de l'Église hongroise, hiérarchie, prêtres, religieux, religieuses, et laïcs. Tout le monde fait bloc et oppose une résistance farouche.
*Or, chez nous, cette résistance s'est déjà effondrée.* La hiérarchie catholique, de très nombreux clercs, des groupes de laïcs, non seulement ne sont pas disposés à lutter, mais travaillent de leur mieux à l'avènement du communisme. Dès maintenant, on brade les institutions d'enseignement catholique.
Un seul exemple, terriblement significatif. En février 1974, à Clamart, se réunissent une centaine d'ecclésiastiques : aumôniers de l'enseignement public, des hôpitaux, vicaires de banlieue, jésuites, etc. Objet : entendre un discours de Juquin, un des principaux dirigeants du P.C.F., spécialisé dans les questions d'enseignement.
Dès ses premiers mots, Juquin souligne tranquillement que la Gauche, si elle arrivait au pouvoir, appliquerait le Programme Commun.
Donc, dit-il, tout l'enseignement serait nationalisé. Les observateurs présents à cette réunion avec le laissez-passer de Leroy, notèrent, non sans quelque surprise, que ce point du programme commun ne provoqua chez les clercs aucune protestation.
Mais, dans bien d'autres domaines : Mass media, armée, magistrature, enseignement, etc... les capacités de résistance à la bolchevisation sont, hélas, beaucoup plus faibles qu'en Hongrie après 1945.
Roland Gaucher.
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## NOTES CRITIQUES
### Le secret de Darlan
Un mémorialiste savoureux et précis, c'est ainsi que l'on connaissait M. Ordioni, en particulier avec « Tout commence à Alger » (éd. Stock). Son nouveau livre ([^35]) ressortit à une discipline proche mais qui a d'autres exigences : l'histoire. Ce nouvel essai est une réussite égale aux précédentes.
Accumulation de références précises, et pour une bonne part, neuves, coordination et mise en ordre des témoignages, nous avons là, à la fin, une démonstration sûre d'une thèse inhabituelle, en même temps qu'un récit animé et coloré. C'est être seulement exact que de parler de réussite, de grande réussite.
Ce que M. Ordioni entend montrer, c'est que l'amiral Darlan -- qu'il nomme « le vrai rival de De Gaulle » -- est l'homme par qui le destin de la France aurait pu changer. Après la défaite, il reste l'armée et l'empire, il reste provisoirement, miraculeusement, l'unité française. Tant que l'Angleterre est seule contre l'Allemagne, notre politique doit être d'atermoyer, d'attendre, de garder nos atouts. L'issue peut être une paix de compromis, où la France ne doit pas être sacrifiée. Une nation n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts. Cette sage doctrine, on la dit gaullienne. Il est remarquable que ses tenants refusent de la reconnaître quand elle est appliquée par d'autres.
Avec l'invasion de la Russie, et plus encore avec l'entrée en guerre des États-Unis tout change : la France doit rejoindre les Alliés, mais sans rupture de l'unité, sans casser l'Empire. Darlan l'a compris, nous démontre l'auteur. Dès octobre 41, il est entré en contact avec Robert Murphy, antenne de la diplomatie américaine en Afrique du Nord. Dès octobre 41, cela veut dire deux mois avant Pearl Harbour.
Le contact fut maintenu, et en particulier par l'intermédiaire d'Alain Darlan, fils de l'amiral. Mais d'autres Français jouaient un autre jeu, et peu leur importait si, jouant leur partie, ils compromettaient celle du pays. M. Ordioni est sévère pour le général Mast, sévère aussi pour certains membres du « groupe des Cinq ». Je serais curieux de savoir son avis sur le rôle du colonel Van Herke, dont les mémoires ont paru aux Nouvelles Éditions Latines. Le colonel s'y montrait un gaulliste farouche, dès 41, ce qui m'a paru assez surprenant. N'y a-t-il pas eu dans son cas, reconstruction après coup, des souvenirs ?
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On sait comment l'amiral Darlan devint finalement par un coup du hasard (son fils malade à Alger) le maître de l'Afrique du Nord, puis fut assassiné. On mesure mal, en général, ce qui aurait pu être, les divisions et le sang perdu qui auraient pu être épargnés. L'auteur nous le montre, appuyé sur une documentation inattaquable : archives américaines, et récits de témoins français. Il nous montre du même coup que les mémoires de Murphy sont truqués par des omissions capitales. C'est bien le défaut de l'histoire contemporaine. Comment tout dire deux ans ou cinq ans après un événement quand tant d'intérêts sont en jeu, tant de réputations à ménager. Beaucoup de livres prématurés ne font qu'égarer, et la vérité ensuite, est bien difficile à rétablir. Avec « le secret de Darlan » elle a en tous cas une chance : le talent est de son côté.
Georges Laffly.
### La Contre-Offensive
Jacques Rougeot vient de publier contre l'occupation marxiste un livre dense et bref : *La Contre-Offensive* (édition de la Pensée universelle, Paris 1974). La France est minée depuis longtemps, et, dans l'Église comme dans l'État, trop d'esprits semblent préparés à accepter un régime, qui ne peut s'imposer qu'à la condition de détruire les rapports humains traditionnels. A guerre totale doit répondre une défense totale.
Jeune universitaire, de grand courage et de grand talent, Jacques Rougeot qui, contre vents et marées, dès la subversion de mai 68 a dressé avec le professeur Frédéric Deloffre, la digue de l'U.N.I. (Union nationale inter-universitaire) dont il assume la présidence, a vu, comme en éprouvette, c'est-à-dire à l'intérieur de telle ou telle Faculté de Lettres la colonisation marxiste à l'œuvre. Si l'insanité gauchiste se satisfait d'un chaos généralisé, le communisme conserve le souci de ne détruire dans la société actuelle que ce qui lui fait obstacle. Il ne peut rien dans l'ordre économique et il y a beau temps que les contradictions dont devait périr le capitalisme sont passées au rang de vieilles lunes.
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Seule une terrible compression policière maintient debout des régimes qui ne peuvent nourrir qu'en rationnant. En revanche, la démocratie libérale leur abandonne les esprits et les mœurs et s'emploie même à perfectionner, pour les leur remettre, les instruments de corruption. Le marxisme ne s'embarrasse jamais, on ne le sait que trop, des démentis de la réalité. Il a toujours raison puisqu'il progresse selon les lois de l'Histoire, qu'il accélère ou ralentit selon les besoins de sa propagande, c'est-à-dire selon les ordres du Kremlin. Il détruit et replâtre avec une souveraine aisance ; la famille, la patrie, la religion lui offrent ses champs de manœuvre préférés. Il s'agit surtout de dévorer feuille à feuille l'artichaut planétaire, tout comme dans les pays, où il est parvenu à prendre pied, il entame une conquête méthodique, secteur par secteur. Une fois pour toutes héritiers authentiques de ce siècle des *lumières,* où la cité nébuleuse contraignit la cité charnelle à se modeler sur son patron abstrait, et à ne voir dans la réalité que le prétexte à d'incessantes transformations, dût-il en coûter l'extermination d'une partie du genre humain, les marxistes n'ont jamais cessé d'interpréter les événements de telle sorte qu'ils vinssent régulièrement s'inscrire dans les cadres doctrinaux. Ainsi les individus destinés à exercer une activité quelconque, pour ne rien dire du troupeau habitué à obéir, perdent-ils le meilleur de leur humanité ; seules comptent leurs aptitudes à la subversion. Il y a des écoles pour le dressage de ce genre d'eunuques où l'on pratique l'anesthésie de l'esprit critique, à coup sûr l'une des créations les plus originales et les plus abominables de ce XX^e^ siècle, si fécond en institutions contre nature. Jacques Rougeot pose avec limpidité la question attendue : « Comment des militants ou des dirigeants communistes peuvent-ils demeurer fidèles à leur parti tout en connaissant la sinistre réalité des pays de l'Est ([^36]) ? » Le réponse est nette. L'impeccable perfection de la machine à prendre le pouvoir, telle que l'ont inventée, fourbie, huilée les ingénieurs du communisme, agit sur la matière humaine avec une telle efficacité qu'elle en vient à produire une espèce nouvelle. Quoi d'étonnant si cette hideuse parodie du *renovabis faciem terrae* donne à des techniciens d'aujourd'hui l'envie de toucher aux manettes et aux commandes du prodigieux ordinateur ! Leur châtiment, ils le connaissent bien avant la disgrâce, sanglante ou non. Jacques Rougeot le leur signifie en termes définitifs : « Ils sont maîtres dans l'art d'utiliser une masse humaine comme un instrument au service de leur entreprise, mais lorsqu'ils sont au pouvoir, ils sont incapables de faire vivre ensemble au fil des jours, dans une certaine harmonie, des hommes réels, concrets, qui sont autre chose qu'un réseau de réflexes conditionnés, car ces hommes, ils ne les connaissent pas ([^37]). »
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Traînés à leur tour en prison, torturés, le canon du revolver sur la nuque, ils restent toujours capables de sacrilège, et s'accusant eux-mêmes, singent la contrition en vue d'un pardon naturellement refusé. La connivence continue à les lier à leurs bourreaux jusque dans les fers. Il s'agit bien d'un univers mental « radicalement différent du nôtre ». Je serai porté à dire rigoureusement inverse de celui que Dieu voulut pour l'homme, donc satanique.
Quand il est impossible ou inopportun d'user de la force pour s'implanter dans un pays, le marxisme le décompose, tantôt en affectant une rigueur qui lui fait prêcher chaque jour la subversion sous couleur de défense intransigeante de la liberté, de l'égalité érigées en absolus, tantôt en discréditant les valeurs morales et en relâchant la vertu de justice jusqu'à conduire l'opinion à ne plus distinguer entre le fait et le droit. Toute culpabilité et toute responsabilité se dissolvent dès qu'il est question, par exemple, d'affaires de drogue ou d'avortement. L'État ne se porte plus garant de l'honorabilité de l'individu, l'individu perd tout recours devant l'État ; n'est-ce pas se résigner d'avance à l'asservissement totalitaire ? L'accélération de l'Histoire n'est autre, de nos jours, que l'habile gestion de la décadence. Il ne suffit pas de creuser des abîmes et de miner les océans. Encore faut-il savoir y pousser promeneurs et navigateurs. Les aurores se lèveront plus lumineuses sur des monceaux de cadavres enfouis. Le pire obstacle à la propagande communiste, c'est, dans un pays donné, la conquête non pas du bonheur, mais du mieux être. Les épopées antiques mettaient la discorde au premier rang des divinités infernales. Un peuple serait-il satisfait du sol, de l'usine, du bureau, de l'école, de la maison, il faudrait découvrir et multiplier sans cesse les raisons de braquer les ouvriers contre les patrons, les enfants contre les parents, les élèves contre les professeurs, les jeunes contre les adultes, les femmes contre les hommes, les citoyens contre l'État. Selon l'ordre formel donné à ses fondés de pouvoir dans les pays qu'elle n'asservit pas encore, l'U.R.S.S., c'est-à-dire l'État le plus colonisateur du monde, exige que les masses nourrissent un complexe de négritude. Ainsi se préparent les campagnes permanentes contre les saboteurs dont le régime a tellement besoin qu'il les suscite, tant il importe de dissimuler l'incapacité où il se trouve de gouverner et d'administrer humainement. Bien entendu la propagande marxiste ne peut que gagner à la surenchère de poncifs ou de mots de passe aussi prestigieux que mutation ou évolution, sans que les légions d'intoxiqués soient capables de savoir s'ils avancent on s'ils reculent.
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Encore que les pharaons, au regard de la dictature du prolétariat, ruissellent de bienfaisance et d'équité. L'essentiel c'est que nos contemporains, convaincus qu'on n'arrête pas le progrès, soient disposés à accepter toute espèce de changement, dût-elle nous conduire à l'immobilisme des camps de concentration.
La profonde et courageuse analyse de Jacques Rougeot fait apparaître une nouvelle génération de bien-pensants capables de s'attirer le mépris de ceux de Bernanos. Lesquels souvent battus avaient au moins le réflexe de masser leurs fesses endolories et de tenter de découvrir à leur avantage quelque clause favorable dans le traité qui les liait à la République radicale. Les nôtres pactisent avec la Révolution et hurlent à l'anticommunisme systématique dès qu'il est question des livres de Soljénitsyne. Un certain snobisme tout droit dérivé de la haute bourgeoisie, contribue à amorcer les grenades, à dépaver le quartier latin, quand il ne tripatouille pas les chefs-d'œuvre pour les faire concourir à l'assassinat de la culture. Les petits Talleyrand cousinent avec les grandes consciences et les optimistes attendent les Cosaques, mais non le Saint-Esprit en s'efforçant de rendre logeable la cité de Satan. C'est au nez et aux torches d'Alaric que saint Augustin jetait jadis le défi de la *Cité de Dieu.*
L'on se doute bien que c'est dans l'Université que Jacques Rougeot a senti et décrit la bizarre allégresse de l'expectative marxiste. Elle est, à l'intérieur de la société française, l'immense *base rouge* à la fois place de sûreté et piste d'envol vers de nouvelles conquêtes. Certains enseignements, anciens ou récents, psychologie, sociologie, psychanalyse, linguistique, en somme l'éventail ou l'éventaire des sciences humaines, recrutent des troupes, forment des cadres, beaucoup plus qu'ils ne se soumettent à l'objectivité scientifique. Les ravages sont plus aisés peut-être à constater en littérature française, car beaucoup plus qu'à la déviation ou à l'orientation d'une discipline, l'on assiste au démantèlement systématique d'un patrimoine. Retenons d'abord cet axiome issu des barricades de mai 68 : « Un texte n'a pas de sens en lui-même, seule existe l'image que chaque lecteur s'en fait ([^38]). » Il est aisé de voir que cette insanité, tout juste applicable à l'interprétation de la loi de M. Edgar Faure, sous couleur de respecter la liberté de l'étudiant (!) abolit toute distinction entre le vrai et le faux. Que l'on ne s'y trompe pas ; la cuistrerie magistrale a une fois pour toutes épuré les programmes.
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Bien que les plus pénibles torsions soient indispensables pour rendre compte de *Booz endormi* comme du parfait modèle de poème phallique, on ne peut que rejeter au néant toute œuvre consacrée sur laquelle ce genre de viol serait décidément impossible. Les grandes pages de la littérature sont passées sous silence ou dénaturées. Or l'histoire et la critique littéraires ont leurs traditions, leurs usages, leurs lois. S'il est assez commode mais aussi tout à fait indigne d'un enseignement loyal de tourner à l'endoctrinement révolutionnaire les philosophes du XVIII^e^ siècle, il est monstrueux, comme on l'a vu, il y a peu d'années, d'obliger des candidats, dont le programme comprenait les *Châtiments,* à décomposer en propositions marxistes les cataractes des imprécations hugoliennes. Ici l'on assassine les grands écrivains. Ce titre à peu près repris de Léon Bloy pourrait reluire au fronton de la plupart de nos Universités. On les assassine deux fois, d'abord en refusant de faire la part, fût-elle la plus menue, alors qu'elle est essentielle, de l'art du poème ou de la page de prose, ensuite en stérilisant la langue par la répudiation de la grammaire. Exécuté jadis par Rabelais, Janotus de Bragmardo gisait dans les oubliettes ; il ressuscite de nos jours et toute une nuée de pédants béquillent autour de son apothéose.
De nos jours, M. Jourdain ne se sentirait plus de goût pour l'orthographe. Devant l'appétit qu'on le contraindrait d'avouer pour la linguistique, son maître lui demanderait de choisir entre la structuraliste, la générative, la transformationnelle, ou plutôt trois représentants de ces sectes se disputeraient l'honneur de fausser l'esprit curieux et le cœur zélé de l'ingénu. Et dans un ruissellement d'absconses injures, chacun soutiendrait son droit divin. Les professeurs d'éloquence française sont remplacés par des espèces d'ingénieurs ou de contremaîtres, qui mutilent à plaisir la lettre et l'esprit de nos chefs-d'œuvre, en les fixant sur des chevalets, auprès desquels le lit de Procuste inviterait à un mol délassement. Obtenue en vertu de dogmes aussi certainement prouvés que la rotation de la terre (complexe d'Oedipe, lutte des classes, degré zéro de l'écriture, etc.) la rigidité cadavérique proscrit l'esprit critique, exclut la découverte personnelle, stéréotype le commentaire et fait de l'exercice le plus vivant, le plus ardent, le plus passionné qui soit, je veux dire l'explication française, une surenchère d'automatisme. Quand Auguste Comte enseignait que l'humanité est peuplée de plus de morts que de vivants, il envisageait entre le Panthéon et la Sorbonne de vigoureux et toniques échanges. Les jeunes cuistres d'aujourd'hui, aussi soigneusement dépouillés par leurs maîtres de leur esprit d'initiative et d'aventure que des cobras de leurs crochets à venin, interdisent aux tombes de reverdir, aux chefs-d'œuvre de féconder les générations qui montent. Le saule de Musset n'a, pour eux, ni feuilles ni larmes.
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Jacques Rougeot accuse et j'accuse avec lui l'Université de notre temps de déshonorer et d'émietter le chef-d'œuvre. Grotesque entreprise dira-t-on ; plus grotesque encore le moyen employé. « Cette notion \[de chef-d'œuvre\] est accusée d'avoir été imposée par la bourgeoisie et de n'être à ce titre qu'un instrument de domination intellectuelle aux mains de la classe dominante. Reconnaître l'existence des chefs-d'œuvre, c'est donc pactiser avec la bourgeoisie en acceptant sa culture et, par conséquent, son idéologie ! Et c'est finalement la littérature qui est désintégrée ([^39]). » Eh oui ; nous en sommes là. Si les promoteurs s'en mêlaient, que deviendrait le Parthénon ? Or voici que de nos jours des pédagogues aux mains pleines mais lourdes se vantent de conseiller à leurs catéchumènes un triple sacrilège, à l'égard des grands auteurs, de leur message et de la langue ([^40]). Ils bûcheronnent à tour de bras dans la forêt des chefs-d'œuvre, sans la moindre crainte, puisque le ridicule, cessant de tuer, devient alimentaire, et enseignent à leurs disciples la haine des beaux arbres.
« Sur le Racine mort les pucerons pullulent. » « Le flot monte, le flot monte ! » gémissait M. Thiers, le 24 ou 25 février 1848, en agitant son chapeau dans la marée des émeutiers. Mais les bras étaient courts et le flot grandissait. Il est vrai qu'il ajoutait : « Courrons nous jeter dans les bras des évêques ! » De nos jours, le refuge n'est pas sûr. La conclusion est facile à tirer : « Si nous disons que les jeunes gens soumis à ces méthodes possèdent moins de connaissances que leurs aînés, qu'ils sont dans une grande mesure étrangers au patrimoine culturel de leur pays et se sentent peu solidaires de la communauté nationale, qu'ils sont moins entraînés et moins disposés à l'effort personnel, qu'ils raisonnent suivant des schémas marxisants ou freudiens sans en avoir en général clairement conscience, qui pourra sérieusement nous démentir ? Qui, dès lors, pourrait nier qu'ils risquent fort d'aller grossir les rangs de la masse passive ou vaguement favorable à la révolution ([^41]) ? »
Le marxisme maintient l'Université sous le joug d'une décomposition surveillée. L'esprit cassé, le cœur durci, la volonté asservie, le sens moral émoussé par l'inqualifiable liberté des mœurs et la subversion érotique, trop de jeunes ignorent qu'ils sont comme recrutés et embrigadés d'avance dans un camp de concentration, pour le moment idéologique et où ils gardent l'illusion des coudées franches. Si les lendemains se mettent à hurler à la révolte, il leur faudra de gré ou de force participer au chœur.
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Quant à l'ensemble du pays, l'information l'empoisonne à doses, elles aussi, calculées. Des exemples précis, une manifestation du *Mouvement de libération féminine,* l'incendie du *C.E.S. de Pailleron,* permettent à Jacques Rougeot de démonter un mécanisme dont la perversité même prouve la candeur, ou la niaiserie, des informés. Une seule règle explique cette ahurissante malléabilité, celle du « quo non descendat scriptor... aut vociferator ! » Sans compter, il est vrai, la soif toujours plus ardente de nouvelles à sensations, quotidiennement exigées des assommoirs de la presse, de la radio et du petit écran. Ici encore, ici toujours, l'État se tait, ou ne consent à parler que pour donner des gages à ses plus tenaces ennemis. De l'ampleur même du mal, dont il a su établir un diagnostic scrupuleux, exact, incisif, jusque dans sa modération, Jacques Rougeot n'a aucune peine à dégager les plus urgents remèdes.
Ceux-ci conduisent tous à une intégrale restauration de l'humanisme, dans la mesure où, devant un virus qui dénature et pourrit tous les ressorts de l'esprit et du cœur, naît l'obligation de dénoncer une intrinsèque perversité. Sans doute reprochera-t-on à l'auteur, sans vouloir même examiner le positif de sa thérapeutique, le caractère négatif de quelques prescriptions. On incriminera même son titre et peut-être estimera-t-on que *l'Offensive* eût suffi. Il convient simplement d'observer que la Révolution ne manifeste jamais mieux sa force qu'en instituant. Si Jacques Rougeot conseille 1°) de ne jamais pratiquer l'unité d'action avec l'adversaire, -- et remarquons en passant la singulière confirmation que M. François Mitterrand est aujourd'hui, et sans trop le vouloir, en train de donner à ce précepte, -- 2°) de ne jamais se laisser prendre dans un engrenage mis en place par ce même adversaire, 3°) de ne point spéculer sur une conversion possible de l'adversaire, s'agit-il d'autre chose que de rassembler des hommes de bonne volonté, qui entendent épanouir dans la paix et dans l'harmonie, et selon les lois de leur patrimoine national, cette vertu de sociabilité, déjà reconnue par la sagesse antique comme l'essence même de leur être ? Par le fait même que l'on combat une entreprise de désintégration, l'on bâtit. En réalité, c'est aussi à l'État d'aujourd'hui, que l'on ne voudrait pas voir s'établir sur l'équivoque ni sur le reniement, que ce livre s'adresse. Ils sont nombreux à s'entasser, les hommes politiques, depuis un demi-siècle, dans l'in-pace des fourriers du communisme, et notons en passant que l'actuelle subversion portugaise ne peut que rendre plus urgente la nécessité de la contre-offensive. « Les détenteurs de l'autorité de l'État devraient savoir qu'une bonne gestion ne les dispense pas d'une action spécifique, entièrement psychologique, contre la subversion ([^42]). »
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Seulement, voilà. L'actuelle défection ou, si l'on veut, la présente neutralité d'une partie de l'Église expose dangereusement l'offensive en question. Ouvertement affirmés, à temps et contretemps proclamés sur les nations hébétées ou hystériques, criminelles ou capitulardes de ce temps, les droits de Dieu restaureraient les vrais droits des hommes. Mais le livre de Jacques Rougeot, qui rejoint si étroitement une encyclique pontificale mémorable entre toutes, se ferme sur le silence de trop de sanctuaires. Le laïque a fait son devoir et, gardien vigilant, a rendu compte de la nuit. Mais le bras séculier ne peut se tendre indéfiniment dans le vide.
Jacques Vier.
### Bibliographie
#### Jean Rousselet : L'allergie au travail (Seuil)
Très sérieux. Ne pensons pas à faire de vaines plaisanteries sur ce titre. Le temps en est passé. L'auteur, pédiatre et psychologue, s'est spécialisé depuis près de vingt ans dans l'étude des adolescents. Il en a retiré cette constatation : le refus du travail, la fuite devant le travail se développent. Les jeunes générations, en particulier, semblent de moins en moins décidées à assurer la relève des anciennes.
Par parenthèse, je trouve un article de M. Bourgine dans « Valeurs actuelles », où il raille ces jeunes gens de 20 ans qui défilent avec des pancartes : la retraite à 60 ans. Souhaitons que cela dure, ajoute-t-il, et qu'au cours de leur vie active ces travailleurs persistent dans l'idée de payer les retraites de leurs aînés. Ce qui me paraît moins sûr. On nous trouvera trop nombreux et encombrants, vous verrez. Fin de la parenthèse.
Jean Rousselet constate donc une indifférence de plus en plus grande au choix d'un métier, à la formation permanente, etc. Beaucoup se contentent d'un travail temporaire. D'autres se consacrent à un artisanat de poteries et de bijoux. Les statistiques estiment qu'il y a 200.000 jeunes gens en chômage plutôt volontaire (le livre a été publié avant l'automne). L'auteur, quant à lui, évalue à 800.000 ces « marginaux » qui refusent, au moins pour un temps, d'entrer dans la vie active, ou, comme on dit de plus en plus, « dans le système ». Les études supérieures ne sont souvent qu'un alibi.
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Il est temps d'ajouter que l'auteur étudie ce phénomène avec une grande sympathie pour ces jeunes gens. Une bonne part de son livre a pour but de montrer quelles sont leurs raisons. Il y a là pour lui une « véritable révolution éthique » qu'adoptent déjà « les groupes adultes les plus jeunes ou les mieux informés ».
A quoi tient ce changement ? Trois raisons : le travail a changé. Les jeunes gens ont changé. On remet en cause les vieilles valeurs, et en particulier le travail, sacré jusqu'ici.
Le travail a changé. La société industrielle a émietté le travail. Pas seulement celui de l'ouvrier, mais de l'ingénieur ou du savant aussi bien. On a de moins en moins besoin d'ouvriers qualifiés, et de plus en plus besoin de manœuvres. Les « services » se développent, et la vie des employés est aussi fastidieuse et pauvre que celle des ouvriers qui travaillent à la chaîne.
Les jeunes gens ont changé. Ils sont mieux informés et plus instruits que leurs parents. A mon sens : vrai pour la première affirmation, complètement faux pour la deuxième. Mieux informés, car télé, films, presse, les gavent de renseignements sur ce qu'est le monde, y compris le monde du travail. Ils ont plus facilement des contacts avec des milieux différents. Cela, c'est ce que dit l'auteur, et l'on en voit la justesse. Ajoutons que ces jeunes gens sont en même temps bourrés de propagandes, assurés d'être dans le vrai par une sorte de droit divin, et moins mûrs que leurs aînés au même âge, ce qui n'est pas fait pour affermir leur jugement.
Enfin, la mise en question des valeurs, la critique (démolition) du monde de sentiments et de principes sur lesquels la société était fondée. Le travail, compris comme devoir, et comme accomplissement de l'homme, est évidemment soumis à cette critique. Selon Rousselet, les jeunes gens d'aujourd'hui (et les adultes les mieux informés) se soucient plus de la qualité de la vie, et des responsabilités à prendre dans l'entreprise, que du salaire. Ils pensent aussi que l'on peut s'accomplir pendant les loisirs, que les activités hors-travail comptent au moins autant que l'activité gagne-pain. Bref, le travail n'est plus conçu que comme un impôt en temps à payer à la société. Il faut se soucier de ce nouvel état d'esprit, et essayer d'organiser une société qui en tienne compte, tout en faisant comprendre aux nouveaux venus qu'il n'y aura jamais de société sans travail -- et sans travaux pénibles. Et qu'il n'est pas sûr du tout que les 20 heures par semaine soient pour demain.
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Livre honnête, et nourri de faits. On est moins pressé de le suivre quand il est question de vues générales. Par exemple le travail, nous dit-on, a été sacralisé par l'Église, la pensée libérale, le socialisme. Pour l'Église, elle oubliait ainsi la parabole sur le lys des champs, mais clergé et noblesse avaient besoin du travail du peuple. Etc. Mais deux pages plus loin, l'auteur note que saint Thomas ne voulait pas que l'homme fût « confondu avec sa tâche ». Et que sous l'ancien régime, l'Église imposait 141 jours par an de fêtes chômées. Les jeunes viennent de découvrir cela, paraît-il. Il suffisait pourtant de lire La Fontaine (ce qui était assez fréquent, jusqu'à hier)
*Le mal est que dans l'air s'entremêlent les jours*
*Qu'il faut chômer.*
*Et monsieur le curé*
*De quelque nouveau saint charge toujours son prône.*
Les choses ne sont donc pas si simples.
Ce problème du travail est celui de la société industrielle. On la soupçonne depuis longtemps de laisser insatisfaits des besoins essentiels (que cette société industrielle soit capitaliste ou socialiste est ici très secondaire). La tyrannie de l'horloge, la tyrannie de la productivité, l'urbanisation massive, la destruction des liens sociaux sont des maux dont nous payons l'accroissement de puissance et de bien-être. Et si l'effort que l'Occident s'impose depuis près de deux siècles lui paraissait tout à coup trop lourd, si l'arc si longtemps tendu se brisait ? Il s'agit peut-être de rêveries. Mais ces centaines de milliers de marginaux, c'est le premier signe de fatigue sur le chemin de la conquête technique.
Pour bâtir la société industrielle, il a fallu des vertus paysannes : la patience, la ténacité, l'humilité. Il en fallait beaucoup pour accomplir, jour après jour, sa tâche dans l'énorme machinerie qui se mettait en place, grandissant toujours. Mais la ville et l'usine ne favorisent pas ces vertus dont elles ont besoin. Nous avons usé ce capital accumulé depuis des siècles. Là aussi, on a brûlé en peu d'années une énergie dont les réserves s'épuisent.
Comme le note Rousselet, aujourd'hui, on compare son travail avec d'autres, on en voit les limites, l'ennui. Et puis l'argent échangé contre le temps de travail semble réparti arbitrairement, et se multiplier quelquefois mystérieusement, tandis qu'ailleurs il tombe goutte à goutte. Pas étonnant si les sommes fabuleuses gagnées par un chanteur ou un cabot font rêver, si l'on se fie au tiercé ou à la loterie pour obtenir cet argent indispensable et qui semble dû.
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Mais il faut en finir. Le marginalisme décrit ici est un parasitisme permis par une société riche. Si tant de bons jeunes gens peuvent vivre à l'écart de « la société de consommation », et cracher sur elle, c'est qu'elle existe et que la machine tourne.
Si la machine ralentit, il sera moins commode de vivre en marge. Il semble que nous entrons dans une période de pénurie. Qu'adviendra-t-il alors des critiques du travail et du système ? On se demande si elles s'estomperont ou si le mouvement est déjà assez fort pour aboutir à saccager une société qui ne donnerait même plus les avantages qu'on en obtenait jusqu'ici, et qui paraîtra donc encore plus absurde.
Georges Laffly.
#### Paul Valéry : Cahiers, tome II (Bibliothèque de la Pléiade)
Voici donc le second volume des « Carnets ». Cette édition, nous l'avions noté à propos du premier tome, a deux caractéristiques : les textes sont groupés par thèmes (Rêve, conscience, poèmes, etc.) et il s'agit d'un choix.
J'attendais avec curiosité ce volume, en particulier parce qu'on y trouve les notes sur l'histoire et la politique. J'espérais qu'on y placerait un grand nombre de ces éphémérides où Valéry fixait les rencontres et impressions de la journée. On trouve de ces notes en tête du premier volume de ses œuvres (éd. de la Pléiade), dans la longue notice biographique. Elles sont d'un grand intérêt. On pourra trouver ce souci frivole, et me reprocher de voir Valéry par le petit bout de la lorgnette, mais il n'a pas dédaigné d'être mondain, et d'avoir de l'esprit. (Il appelait Keyserling : *von Marius.* Ce n'est pas mal.)
J'attendais aussi autre chose. Personnage officiel, trop sceptique pour bafouer les idées convenables, Valéry était aussi trop lucide pour les accepter. Quelques mois avant de mourir, il prononça en Sorbonne, fin 44, un discours sur Voltaire. Puis il nota dans son cahier : « Ce n'est pas là ce que je pense de Voltaire, mais ce que j'ai pensé qu'il fallait que j'en dise, vues les circonstances. »
Publier ces cahiers, c'était une bonne occasion de montrer ce que Valéry pensait quand il ne tenait pas compte des circonstances. Quand il se sentait libre. Quand il parlait à son bonnet.
Eh bien, j'ai été déçu.
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Voici, par exemple, deux réflexions citées par Mme E. de la Rochefoucauld. (En lisant les cahiers de Paul Valéry, tome III -- éd. Universitaires) :
« Le terme de *morale* introduit une résonance de sottise et d'ennui dans le discours, car il a été souvent articulé par des bouches de sots ou d'ennuyeux, sans compter celles des hypocrites. Il en est de même du mot *Devoir* qui a le même nimbe fâcheux. Et voilà ce qui advient quand on laisse aux imbéciles ou aux quasi-gredins de divers genres le soin des choses sublimes, dures et nécessaires, qui sont les trois choses à faire comprendre.
N'est-ce pas intéressant, de voir ce beau regret, chez le négateur ?
Et ceci, sur l'Église : « En somme, a représenté tout l'esprit pendant des siècles. Aujourd'hui, on peut presque l'excuser d'avoir brûlé quelques physiciens -- la science sert trop la bête.
La science sert trop la bête. Et Valéry est mort quelques jours avant la bombe d'Hiroshima. Qu'aurait-il dit s'il avait vécu et comme il aurait attaqué l'idole féroce.
Je n'ai pas trouvé ces notes dans l'édition de la Pléiade, et généralement on y trouve très peu de « choses à ne pas dire ». Dommage.
G. L.
#### Paolo Santarcangeli : Le livre des labyrinthes (N.R.F.)
A partir du labyrinthe qui abritait le Minotaure, cette enquête promène le lecteur à travers le monde entier : les Esquimaux et les Zoulous connaissent aussi ce dessin. Et l'on se promène aussi à travers les disciplines les plus diverses : architecture, danse, histoire de l'art, histoire des religions, psychologie, art des jardins. Cela fait un livre passionnant, écrit d'une manière un peu labyrinthique : il y a partout des sentiers qui bifurquent -- mais le sujet l'imposait.
Le labyrinthe a un sens religieux : nos anciennes églises en contenaient. Celui de Notre-Dame de Chartres est célèbre. Ils étaient image du pèlerinage, et leur centre était Jérusalem. On les parcourait à genoux. Ils sont, de même, signes du progrès de l'âme. Le labyrinthe est un chemin qui transforme qui le suit.
Mais on n'en finirait pas.
G. L.
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#### Joseph Valynseele : Les Say et leurs alliances L'étonnante aventure d'une famille cévenole
Ce livre (en vente chez l'auteur : 8, rue Cannebière, Paris XII^e^) nous permet de suivre l'évolution d'une famille notable au cours de deux siècles : Une intéressante famille d'origine cévenole et protestante, dont les membres émigrèrent aux Pays-Bas, puis à Genève après la Révocation de l'Édit de Nantes. Jean-Etienne Say a regagné la France, quand Louis XVI, on l'oublie trop souvent, fit preuve d'un grand libéralisme à l'égard de la religion réformée, et s'efforça d'effacer les conséquences de la politique intransigeante de son aïeul Louis XIV vis-à-vis des huguenots. Jean-Étienne Say est le père de trois fils qui ont illustré leur nom. Jean-Baptiste, l'aîné, est le fondateur de la doctrine du libre-échange. Le second, Jean-Honoré, dit Horace, a été tué en 1799 sous les murs de Saint-Jean d'Acre après avoir brillamment servi dans l'armée. Le troisième, Louis, a fondé la célèbre raffinerie de sucre.
La postérité de Jean-Baptiste et de Louis a essaimé à travers l'Europe et le monde. A la suite de ses alliances, elle s'est imposée non seulement dans l'industrie et le Tout-Paris mais aussi dans les milieux de la politique, des lettres et des arts. Elle a pris place également dans le Gotha, en s'unissant à des maisons ducales et princières.
Le livre de Joseph Valynseele est donc un véritable dictionnaire biographique qui contient 1.500 noms. Il intéressera tous les amateurs de généalogie. Pour réaliser ce dictionnaire l'auteur a effectué un véritable travail de bénédictin et c'est à juste titre qu'André Chamson a pu écrire dans la préface du livre :
« J'ai rarement vu un travail poussé à un tel point de précision et de scrupule. »
Ce n'est pas là le seul intérêt de l'ouvrage. Il comporte des enseignements sociologiques et historiques. L'exemple de la famille Say montre comment s'est constitué le tissu conjonctif qui donne sa vie au corps de la France. Cette ascension extraordinaire d'une famille modeste, grâce au mérite et au labeur de ses membres, illustre la parole de l'Évangile : « L'esprit souffle où il veut. » Cette ascension a valu bien des jalousies à cette puissante dynastie. En témoigne l'anecdote suivante. Une grande dame disait en souriant d'un air pincé à une amie descendant du sucrier Louis Say : « Le sucre ne tache pas... » Le fils de cette amie venait de réaliser une brillante alliance par son mariage. Alors l'amie, blessée dans son amour maternel, de rétorquer : « Il n'y a que le sang qui tache... ». La grande dame avait oublié que l'un de ses aïeux avait voté la mort de Louis XVI...
Sachons gré à l'auteur de nous aider ainsi à mieux connaître notre pays, à ne pas douter de sa vitalité.
Jacques Dinfreville.
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## AVIS PRATIQUES
### Informations et commentaires
#### La presse d'opinion subventionnée par le gouvernement
Le scandale continue (là aussi), et même il se développe (là encore). Le gouvernement subventionne *La Croix* et *L'Humanité.* Et pas qu'un peu. A coups de centaines de millions. Nous avions proposé que ces deux journaux soient obligés de porter la mention, en première page, sous leur titre : « *Journal d'opinion subventionné par le gouvernement. *» Ou à défaut, que l'on décide qu'ils seraient l'un et l'autre « *remboursés par la Sécurité sociale *»*,* mais sur ordonnance médicale, bien entendu (car il faut une ordonnance pour consommer de l'opium, fût-ce l'opium du peuple). Eh bien non. *L'Humanité* et *La Croix* seront subventionnés par le gouvernement, en 1975 plus encore qu'en 1974, *sans aucune obligation d'en avertir leurs lecteurs dans chacun de leurs numéros.* L'ensemble de la classe politique et de la classe journalistique continue à manifester une indifférence complète à l'égard de ce scandale ; en tous cas, à observer un silence complice. C'est que la plupart, en réalité, désirent non point faire cesser le scandale d'une presse qui ose se dire D'OPINION et qui pourtant est SUBVENTIONNÉE PAR LE GOUVERNEMENT, non, ils désirent trouver le moyen d'ÉTENDRE CE SCANDALE JUSQU'A EUX-MÊMES, POUR EN BÉNÉFICIER EUX AUSSI.
Les *Informations politiques et sociales* (bulletin hebdomadaire de documentation politique et sociale publié par le Centre d'Archives, 86 boulevard Haussmann, Paris 8^e^), dans leur numéro 1069 du 19 décembre, ont publié à ce sujet un article dont voici les principaux passages :
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« L'Humanité » va pouvoir ajouter sous son titre la mention : « Quotidien de l'opposition communiste subventionné par le gouvernement ». Selon un décret paru le 12 décembre au « Journal Officiel », l'organe du Parti communiste, ainsi d'ailleurs que deux autres journaux, « Le Quotidien de Paris » et « La Croix », va en effet bénéficier en 1975 d'une « aide exceptionnelle à certains quotidiens d'information », tout comme en 1974.
« L'Humanité »... n'a pas encore daigné porter la bonne nouvelle à la connaissance de ses lecteurs (...) Ce qui passe l'entendement, ce sont les critères retenus, cette année comme l'an passé, pour l'attribution de cette aide : elle est en effet réservée à des quotidiens (alors que tant d'hebdomadaires connaissent de semblables difficultés) : elle est limitée à des quotidiens de Paris (alors qu'en province, des quotidiens socialistes, radicaux, catholiques ou autres sont menacés dans leur existence par une baisse de leurs recettes) ; elle est attribuée enfin exclusivement à des quotidiens parisiens d'opposition (si bien que voici quelques mois le quotidien U.D.R. « La Nation » dut disparaître).
Ces trois critères, quel ministre les a définis ? Quels parlementaires ont eu à les approuver ?
Quels fonctionnaires sont chargés de s'assurer qu'ils sont respectés ? Voilà des questions auxquelles on aimerait recevoir des réponses.
La discrimination dont souffre la presse qui n'obéit pas à ces critères apparaît difficilement admissible. On pense, en particulier, à la presse de province, depuis longtemps en difficulté du fait de la concurrence très vive que lui livrent les journaux d'information à grand tirage, la radio et la télévision, et qui se sent douloureusement lésée. A l'heure de la décentralisation et de la régionalisation, quelle réaffirmation insolente du maintien de la prépondérance parisienne !
Ce qui surprend aussi, c'est la part du lion que « l'Humanité » se taille dans cette manne publique : l'an passé, 200 millions d'anciens francs sont ainsi tombés dans ses caisses. Lénine pronostiquait que le capitalisme paierait lui-même la corde avec laquelle il serait pendu...
(Fin de la citation des « Informations politiques et sociales », numéro 1069 du 19 décembre 1974.)
En vérité, le *Quotidien de Paris,* comme on le sait, ou comme on devrait le savoir, ne compte pas en l'occurrence. Il est sur la liste pour servir d'alibi (mais d'ailleurs quel étrange alibi : il est lui aussi un organe d'extrême-gauche). C'est *La Croix* et c'est *L'Humanité* que le gouvernement de M. Giscard tient à subventionner.
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Point du tout pour les « acheter ».
Pas même pour essayer de les amadouer.
Mais simplement, comme pour tout le reste, par lâcheté intellectuelle et politique.
\*\*\*
Les *Informations politiques et sociales* sont revenues sur ce sujet dans leur numéro 1070 du 26 décembre :
*L'Humanité* du 19 décembre publiait un court article dont l'inspiration évidemment altruiste apparaissait dès le titre : « *Le journal* « LA CROIX » *menacé *». Il s'agissait de la difficulté qu'ont à vivre les journaux d'opinion. Mais pas un mot n'était dit de la subvention accordée par le gouvernement aux journaux en difficulté et dont les seuls bénéficiaires « vivants » sont *La Croix, Le Quotidien de Paris* et... L'*Humanité.*
De cette subvention (quelques deux millions l'an dernier pour le seul quotidien communiste), *L'Humanité* n'a jamais fait mention.
*Le Monde* a protesté le 16 décembre parce que les modalités prévues pour l'application de cette aide exceptionnelle en 1975 (Journal officiel, 12 décembre 1974) entraînent une diminution de la subvention que recevra l'*Humanité*. « *On ne peut s'empêcher de penser qu'il y a dans cette mesure des intentions politiques, malgré la récente décision prise par le gouvernement d'insérer la publicité d'État dans les colonnes de l'Humanité *».
Tiens ! *l'Humanité* ne nous avait rien dit de tel.
Et comme elle doit être efficace, la publicité que le gouvernement et les administrations d'État font passer dans *l'Humanité !* Ou bien alors il faudrait que les électeurs du journal communiste n'ajoutent aucune foi à ce qui se trouve affirmé à longueur de colonnes, à savoir que gouvernement et administrations bradent les intérêts nationaux au profit tantôt des capitalistes, tantôt des sociétés multinationales, tantôt des gouvernements étrangers !
*L'Humanité* pour une fois, n'a pas protesté contre la « discrimination » dont elle aurait été victime. Elle ne le pouvait pas. Pour se plaindre de la diminution de la subvention gouvernementale, il lui aurait fallut admettre que subvention il y avait.
N'avouez jamais !
Mais les communistes ne renoncent pas pour autant à la subvention qu'on veut bien leur donner (et qui ne les engage à aucune reconnaissance). Ils ont entrepris une campagne en faveur de... *La Croix*, autre bénéficiaire de la subvention.
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Charité bien ordonnée ne commence pas toujours par soi-même !
Si la subvention à la *Croix* est améliorée, celle que perçoit *l'Humanité* le sera également. Et *l'Humanité*, qui était vraiment dans un jour de charité, de prendre aussi la défense d'autres quotidiens d'opinion en détresse : *Liberté, l'Écho du Centre, la Marseillaise.*
Vous avez sans doute deviné de quelle opinion sont les journaux dont *l'Humanité* prend ainsi la défense si confraternellement.
(Fin de la citation des « informations politiques et sociales ». numéro 1070 du 26 décembre 1974)
Les journaux dits « d'opinion », et d' « opposition de gauche », comme *La Croix* et *L'Humanité,* subventionnés par le gouvernement...
*L'Humanité* faisant campagne en faveur de *La Croix...*
Le silence de presque tous les autres journaux, parce qu'ils espèrent en obtenir autant...
Jamais, pas même en 1945 ou en 1962, l'imposture n'avait régné à ce point.
J. M.
#### Mort de l'abbé Bourdier
Nous apprenons la mort du saint ermite de Notre-Dame de Vidauban, Monsieur l'abbé Bourdier qui, depuis des années, endurait dans l'allégresse de la Croix un cancer de la tête. Il offrait ses terribles souffrances pour l'Église, pour les enfants. Jusqu'au bout, lucidité, héroïsme, douceur. Nous voulions tous que ses funérailles nous rassemblent avec une messe solennelle comme il la voulait. Au moment où nous nous en inquiétions, nous apprenions que nous avions été trompés et devancés : il a été enterré le plus vite possible, pour éviter le nombre de ses amis fervents. Le testament exigeait la messe de saint Pie V. On la lui a donnée, à la sauvette, sans avertir personne.
Luce Quenette.
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### Annonces et rappels
**1. -- **Pour répondre rapidement à l'offensive contre la messe, nous avons fait un tract de huit pages intitulé : « L'interdiction de la messe traditionnelle est arbitraire et sans valeur. » C'est l'essentiel des pages 164 à 172 de notre numéro de décembre, montrant la nullité de l'ordonnance et du communiqué de novembre 1974. Ce tract est en vente seulement par dizaines. La dizaine : 5 F franco. A commander à « Itinéraires ».
**2. -- **Pour répondre plus à fond, la nouvelle édition de notre brochure : « La messe. État de la question. » Mise à jour janvier 1975 : elle a maintenant 52 pages et elle comporte la réfutation de l'ordonnance et du communiqué. Sur toute l'affaire de la messe depuis le début, cette brochure contient l'essentiel de ce qu'il faut savoir, et les références pour en savoir davantage. Prix inchangé : toujours 3 F franco l'exemplaire. A commander à « Itinéraires ». \[Cf. It. 193-bis\]
**3. -- **Notez, réservez dès maintenant la date du samedi 15 mars 1975. Ce sera le grand rassemblement, à Paris, de tous nos lecteurs et amis de France et de l'étranger. Précisions dans notre prochain numéro.
\*\*\*
Notre numéro 188 (décembre), comme nous l'avions annoncé, a été expédié de manière à parvenir pour Noël à nos abonnés Il est parvenu avant Noël à la plupart de nos abonnés de la région parisienne. Il est parvenu quelques jours plus tard dans le reste de la France.
Le présent numéro 189 (janvier) est prévu pour parvenir à nos abonnés aux environs du 15 janvier.
Nous comptons, à partir de février -- à moins de nouvelles perturbations révolutionnaires ou anarchiques -- reprendre notre rythme de parution habituel : faire paraître chaque numéro *pour* c'est-à-dire *avant* le premier du mois.
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On sait, comme nous l'avons expliqué, qu'en procédant ainsi les abonnés de la région parisienne reçoivent effectivement la revue aux environs du premier ; mais que, même en temps « normal », il y a beaucoup de départements de province où la revue n'arrive que 8 ou 10 jours plus tard, éventuellement davantage. Et ne parlons pas de l'acheminement à l'étranger, qui est encore plus lamentable.
Nos autres expéditions subissent elles aussi de grands retards. Que nos lecteurs veuillent bien s'armer de patience ; et qu'ils nous signalent, mais au bout de *deux mois* seulement, les commandes qui ne leur seraient point parvenues.
Quant aux chèques et virements postaux, ils mettent encore, à l'heure où nous écrivons ces lignes, quinze à vingt jours pour être portés au crédit de notre compte. Nous risquons d'en être asphyxiés. La riposte est que nos abonnés veuillent bien accélérer leurs réabonnments, et même chaque fois qu'ils le peuvent en devancer la date normale. Elle est aussi que, contrairement à nos recommandations précédentes, on nous envoie quand on le peut des chèques bancaires plutôt que postaux.
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Le *Dossier de Saint-Hilaire-le-Vouhis* et *l'Année liturgique* 1975 viennent de paraître. Les expéditions sont en cours. Mais nous constatons que les délais d'acheminement sont forts irréguliers et demeurent parfois très longs.
Beaucoup de lecteurs nous ont demandé l'adresse de l'abbé Jamin pour lui manifester leur sympathie et lui apporter leur soutien. Il importe d'autant plus de le faire que les bureaux du Vatican, par un nouveau scandale dont nous dénoncerons en détail l'ignominie, ont rejeté son recours et l'abandonnent au bon plaisir de son évêché, l'un des plus répugnants de France. Voici donc son adresse : abbé Yves Jamin, Saint-Hilaire-le-Vouhis, 85110 Chantonnay.
Le bureaucrate vatican qui est PERSONNELLEMENT responsable, sous sa propre signature, de l'abandon de l'abbé Jamin à l'arbitraire de son évêque, est le dérisoire cardinal Wright, préfet de la congrégation romaine du clergé. Il s'est hâté de faire PERSONNELLEMENT savoir à l'évêque de Luçon qu'il rejetait le recours de l'abbé Jamin. Mais c'était le 21 octobre. Par la grève des PTT, l'évêque de Luçon fut privé de l'arrivée de la bonne nouvelle jusqu'au 12 décembre.
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Au rejet du recours, -- rejet non motivé bien entendu -- le cardinal Wright a PERSONNELLEMENT ajouté l'injonction à l'abbé Jamin d'*obéir en toutes choses aux ordres de l'évêque.* Dans le cas, cela est un sarcasme d'une méchanceté et d'un cynisme à vomir. Mais du moins, les derniers naïfs auront été détrompés, nul n'ignorera plus désormais quel est, derrière son masque, le vrai visage du cardinal dérisoire.
La riposte ici est celle de la vérité. Pour la défense de l'abbé Jamin, pour la honte des hiérarques prévaricateurs, pour que tous et chacun soient avertis et se tiennent prêts en face de la persécution qui monte, lisez, faites lire, diffusez le *Dossier de Saint-Hilaire-le-Vouhis.* Utilisez ou recopiez le bulletin de commande qui figure parmi les dernières pages du présent numéro.
Luce Quenette.
\[...\]
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### Le calendrier
1\. -- Le calendrier liturgique de toute l'année 1975, du 1^er^ décembre 1974 au 1^er^ décembre 1975, a paru dans notre numéro 186 de septembre-octobre, p. 141-171. Il n'est pas reproduit dans nos numéros successifs. Mais on peut se le procurer sous la forme d'une brochure publiée par nos soins (utiliser ou recopier le bulletin qui figure parmi les dernières pages du présent numéro).
2\. -- Le « calendrier » mentionné au paragraphe ci-dessus est le calendrier sans les notices. Les notices du temporal et du sanctoral été rassemblées pour être consultées à part. Elles vont paraître librairie. Pour tous renseignements à ce sujet : écrire, téléphoner ou aller à DMM, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris. Tél. 288.30.94.
3\. -- Chaque mois dans ITINÉRAIRES, ici à cette place dans cette rubrique du calendrier, paraîtront des notices nouvelles et diverses indications complémentaires qui viendront s'ajouter aux publications mentionnées ci-dessus. On a lu par exemple les règles de préséance dans notre numéro 187 ; dans notre numéro 188 : les solennités transférées ; et dans celui-ci : saint Romuald.
\[...\]
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#### Saint Romuald, abbé 7 février
Saint Romuald, « un des héros de la pénitence », trouve Dieu dans le « cœur à cœur de la contemplation ». Fils spirituel de saint Benoît, il ressent en outre un exceptionnel besoin de solitude et tente de concilier sa pente personnelle avec la règle bénédictine qu'il adapte en faisant place à une vie de pénitence érémitique à côté de la vie en communauté. Déjà, au VII^e^ siècle, saint Colomban avait illustré cette tendance à l'austérité (voir notice sur saint Colomban au 21 novembre).
Notice liturgique
« Romuald, né à Ravenne et fils de Sergius, noble par la naissance, se retira dès sa jeunesse dans le monastère de Classe, proche de la ville, pour y faire pénitence. Les discours d'un saint religieux l'incitèrent fortement à la piété, et à la suite de deux apparitions qu'il eut de saint Appollinaire, pendant la nuit, dans son église, il se fit moine selon la prédiction que lui en avait faite ce serviteur de Dieu. Peu après, il se rendit auprès d'un personnage nommé Marin, célèbre par la sainteté et l'austérité de sa vie, sur les terres des Vénitiens, désirant l'avoir pour maître et pour guide sur le rude chemin qui mène à la perfection.
« Il eut à souffrir les embûches de Satan et l'envie de la part des hommes ; mais il s'en montrait d'autant plus humble, s'exerçant assidûment aux jeûnes et à la prière. Lorsqu'il se livrait à la contemplation des choses célestes, il répandait d'abondantes larmes ; mais il avait toujours le visage si joyeux qu'il réjouissait tous ceux qui le regardaient. Il fut en grand honneur auprès des princes et des rois, et plusieurs sur son conseil, renoncèrent aux attraits du monde et se retirèrent dans la solitude. Désirant ardemment le martyre, il partit pour la Pannonie (Europe centrale), dans l'espoir de l'y rencontrer ; mais une maladie qui le tourmentait à mesure qu'il avançait, et qui le quittait lorsqu'il revenait sur ses pas, l'obligea de s'en retourner.
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« Il accumula les miracles durant sa vie et après sa mort et eut aussi l'esprit de prophétie. Comme le patriarche Jacob, il vit une échelle qui s'élevait de la terre au ciel et par laquelle montaient et descendaient des hommes vêtus de blanc, et il reconnut que cette vision merveilleuse désignait les moines Camaldules dont il a été le fondateur.
« Enfin, après avoir vécu cent vingt ans, et servi Dieu pendant cent ans par la vie la plus austère, il alla au ciel, en l'an 1027. Son corps fut trouvé dans son intégrité, cinq ans après qu'il eut été enseveli, et on le déposa avec honneur dans l'Église de son Ordre à Fabriano. »
Notes complémentaires
La notice liturgique de saint Romuald nous dit qu'il aurait vécu cent vingt ans. Mais actuellement les historiens pensent pouvoir placer sa naissance aux environs de 951, et sa mort le 19 juin 1027. Cet héritier des ducs de Ravenne commença par mener une vie assez mondaine. Pour avoir assisté à un duel de son père avec un parent, il se retira au monastère de Saint-Apollinaire de Classe, en expiation. Plus tard, il en devint abbé et fit adopter des réformes dans son abbaye avant de fonder en Italie plusieurs monastères qui suivaient la règle bénédictine, mais en se pliant à des exigences plus grandes, dans le but d'adapter cette règle aux besoins de solitude de certaines âmes.
Romuald installa le berceau de son Ordre dans une région déserte des Apennins de Toscane, non loin d'Arezzo, le Campo Maldoli, qui accueillit en 1012 ses premiers disciples ou « Camaldules », empruntant leur nom à cet ermitage.
Ce qui distingue cette nouvelle branche bénédictine, c'est l'importance accordée à la vie érémitique qui, en plus de l'austérité, exige une solitude à peu près complète. On voit même certains se condamner à la réclusion totale dans leur cellule, ce sont les « reclus ».
Toujours dans cet esprit, Romuald fonda aussi la communauté du Pereo dans la lagune de Venise, dont les membres vivaient tour à tour dans le monastère et dans des ermitages isolés sur des îles. Cette communauté était presque exclusivement composée d'ermites allemands, souvent des familiers de l'empereur d'Allemagne, qui désiraient s'instruire à cette rude école italienne. Ce sont eux en particulier qui iront évangéliser les peuples slaves.
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Les prescriptions ajoutées par saint Romuald à la règle de saint Benoît pour augmenter la sévérité de ses pratiques et les adapter à la vie des anachorètes ne furent jamais écrites à l'époque. C'est le bienheureux Rodolphe (4^e^ prieur, de Camaldoli, 1082-1106) qui écrivit le premier les observances traditionnelles. Par lui, on sait que les moines étaient tenus à une sévère abstinence, chaque religieux avait une cellule isolée sans cloître. Une église occupait le centre de la solitude où les ermites avaient en commun l'office divin.
Mais cette solitude se fit pesante pour certains Camaldules et les relations qu'ils eurent avec l'extérieur ne pouvaient qu'affaiblir en eux la vie religieuse. La plupart choisirent alors la vie en communauté, revenant à l'ancienne règle bénédictine, et cette vie prit chez eux la place prépondérante. Peu à peu ils, subirent le relâchement propre à la majorité des monastères italiens, comblés de privilèges par le pape et de richesses par les fidèles ; et le relâchement continua à s'accroître.
Alors à côté de l'ermitage s'installa un monastère où l'on menait la vie communautaire. Le service des maisons était confié à des oblats ou convers. Tous pouvaient, même les ermites, se livrer à l'étude et exercer un ministère actif.
Cette austérité jugée trop grande par certains religieux fit que dès 1102, le prieur Rodolphe introduisit les premiers adoucissements dans la règle voulue sévère par Romuald, suivi dans cette voie par les prieurs successifs de Camaldoli.
L'Ordre se développa lentement. Il ne comptait que neuf maisons quand il reçut l'approbation du pape Alexandre II en 1072. Le principal monastère, composé de Saint-Hermitage et de la communauté de Fonte Buono, resta à Camaldoli où résidait le supérieur général. Plus tard d'autres fondations furent rattachées à l'Ordre comme Fonte Avellane, illustré par saint Pierre Damien.
Au XV^e^ siècle pourtant, la vie régulière devenant de plus en plus décadente, une réforme s'imposa. Le plus célèbre réformateur fut Ambroise de Portico, surnommé « le camaldule », général du chapitre de Sainte-Marie de Urano en 1431. Il groupa les monastères en congrégations, avec des constitutions propres à assurer le maintien de la vie régulière et un renouvellement de la discipline. Il s'ensuivit naturellement un redoublement d'activité au service de l'Église.
L'unité de l'Ordre se conserva jusqu'à la fin du XV^e^ siècle, mais à nouveau le besoin de réforme obligea à une scission. De nombreux monastères optèrent pour la vie communautaire, sans que jamais la vie érémitique soit interrompue dans le désert de Camaldoli au monastère du Saint-Hermitage. Ce dernier ne prit aucune part à la réforme et tous ceux qui n'adhérèrent pas à la nouvelle congrégation de Muriano, principal centre de vie communautaire depuis 1476, gardèrent Camaldoli comme supérieur.
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En 1513, le pape Léon X unit ermites et cénobites, partisans de la vie communautaire, en une même congrégation et Camaldoli redevint maison-mère. Mais les besoins différents de ces religieux devaient mener cette union anormale à l'échec.
Dès le XVII^e^ siècle, les Camaldules poursuivirent leur développement dans le monde. Le roi Louis XIII autorisa l'établissement de l'Ordre en France en 1634, les ermitages formant une congrégation distincte appelée Notre-Dame de Consolation. Mais les Camaldules français tombèrent dans le jansénisme.
De nos jours il y a environ trois cents religieux camaldules répartis en six ou sept maisons.
Les Camaldules ont fourni à l'Église nombre de pieux personnages, illustrant par leur vie les paroles de l'Apôtre : « Ceux qui sont à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises. » (Gal. V, 24.) Parmi eux : saint Bruno (1035-1101), apôtre de la Prusse ; le bienheureux Michel de Florence, mort en 1522, ermite de Camaldoli et auteur d'une nouvelle manière de réciter le Rosaire, connue sous le nom de *Corona dominica* ou *Camaldule ;* Grégoire XVI, pape de 1831 à 1846.
============== fin du numéro 189.
[^1]: -- (1). Nous parlons des simples prêtres réguliers et séculiers ; le cas des évêques et des cardinaux, surtout en France et à Rome, est certes beaucoup plus complexe et beaucoup plus troublant.
[^2]: -- (1). Cette version qui fut lancée à la fin du règne de Pie XII, n'est plus aujourd'hui défendue par personne, pas même par la Compagnie de Jésus. -- Pour saisir l'imprudence de cette *refonte* du Psautier, avec abolition du latin biblique, on peut lire dans le *Diction. de Théol. Cathol.* l'article *Versions de la Bible.* Mais qui donc, voici bientôt 30 ans, avait intérêt à conseiller à un grand Pape une « réforme » déjà aussi étrangère à la tradition ?
[^3]: -- (1). *Dans le même sens et la même conception.* (Saint Vincent de Lérins, Commonitorium. Cité au 1^er^ Conc. du Vatican, Constitution *de Fide Catholica,* fin du chap. IV.)
[^4]: -- (1). La scène VII de l'Acte III d'Athalie.
[^5]: -- (1). Sur ce double aspect du mystère unique de l'Église nous nous permettons de renvoyer le bienveillant lecteur au chapitre VII du tome 1^er^ des *Mystères du Royaume de la Grâce* (D.M.M. *éditeur* à Paris), pages 122-127.
[^6]: -- (1). Habitants de Rio.
[^7]: -- (1). Voir : « Comment le Brésil s'est libéré », ITINÉRAIRES, numéro 177 de novembre 1973.
[^8]: -- (2). *Flamengo* contre *Fluminese,* les deux meilleurs clubs de Rio. C'était le 1^er^ septembre, au stade de Maracana, qui peut accueillir 240 000 personnes. On y encourage son équipe au pétard et au tamtam. Les plus sages se contentent de hurler leurs sentiments, le transistor collé à l'oreille pour ne rien perdre des avis du commentateur préféré.
[^9]: -- (1). Il Plano National de Desenvolvimento (1975-1979).
[^10]: -- (1). Voir « Le modèle brésilien de lutte contre l'inflation (1964-1973) » de M. Philippe Aubert, inspecteur des Finances, Notes et Études documentaires, *Documentation Française,* numéros 4049 et 4050 de décembre 1973.
[^11]: -- (1). Mihajlo Mesarovic et Eduard Pestel : *Stratégie pour demain -- Deuxième rapport au Club de Rome,* Seuil, 1974.
[^12]: -- (2). On estime à 150 millions de kw le potentiel hydro-électrique du Brésil. De quoi faire face, pour le moins, à la crise du pétrole (et il y a du pétrole au Brésil, quoiqu'on n'en connaisse pas les réserves exactes).
[^13]: **\*** -- *Sic* \[2002\]
[^14]: -- (1). Cf. : Régis DEBRAY, *La Critique des Armes,* t. 2.
[^15]: -- (2). Pour ceux de mes lecteurs qui savent l'espagnol et qui ont sous la main les œuvres de Romulo Gallegos, le personnage de Justo Rigores, dans le roman *Una Brizna de Paja en el Viento*, est un portrait de Fidel Castro tel qu'il fut décrit à l'auteur par Raul Roa, actuel ministre des Affaires Étrangères de Cuba !
[^16]: -- (1). *Dossier de Saint-Hilaire-le-Vouhis,* 52 pages*,* 3 F franco, à commander à ITINÉRAIRES.
[^17]: **\*** -- Cf. 192-03-75, p. 113 :
NOTE. -- Nous désirons apporter trois rectifications à ce que nous avons écrit dans notre précédent article : La réforme du bréviaire, publié dans ITINÉRAIRES, n° 189 de janvier 1975 : 1° Les Dominicains n'ont pas un sanctoral surchargé (p. 72), mais au contraire un calendrier propre assez sobre. 2° Le congrès eucharistique de 1956 s'est tenu, non à Pise (p. 76), mais à Assise. 3° A l'édition primitive du Bréviaire de Paul VI, qui coûte 60 000 lires ou 560 F (p. 79), s'en ajoute aujourd'hui une seconde au prix de 280 F.
[^18]: -- (1). Significativement, c'est une revue américaine intitulée *The Humanist* qui a publié, en juin dernier, une déclaration en faveur de l'euthanasie. La déclaration est signée de quarante personnalités du monde « de la médecine, de l'enseignement, des affaires et de la vie religieuse ›. Parmi elles, trois prix Nobel dont Jacques Monod. (*Le Monde* du 19 juin 1974.)
[^19]: -- (1). L'édition française dit : « de vos services ». L'édition allemande dit plus exactement : « de vos mérites ».
[^20]: -- (2). Cardinal MINDSZENTY : *Mémoires*, p. 395. (La Table Ronde, 1974.)
[^21]: -- (3). L'édition française dit : « six » jours. Mais c'est une erreur. Le texte allemand dit trois jours. Au demeurant, comme on le voit plus loin dans l'édition française, p. 407, ce fut « du 25 au 28 », donc trois jours.
[^22]: -- (1). *Op. cit.,* p. 398.
[^23]: -- (1). *Op. cit.,* p. 404.
[^24]: -- (2). *Op. cit.,* p. 405.
[^25]: -- (1). Éd de la Table Ronde, 1974.
[^26]: -- (2). La traduction, ici comme en maints autres passages, est mauvaise ; mais on comprend ce que veut dire le cardinal.
[^27]: -- (1). Voir : « Le dossier secret de l'affaire Mindszenty »*,* dans ITINÉRAIRES, numéro 184 de juin 1974, spécialement pages 7. et 8 en ce qui concerne Pézeril.
[^28]: -- (1). *Mémoires,* page 49.
[^29]: -- (2). Page 50.
[^30]: -- (3). Texte cité par Philippe Aziz : *Les criminels de guerre,* page 36.
[^31]: -- (1). Ce n'est sans doute pas sans raison que le poste de premier ministre fut confié au pasteur Tildy, toute sa famille -- rappelle le cardinal -- était communiste.
[^32]: -- (1). Qui sera lui-même pendu plus tard comme « titiste » et « espion », par ses amis.
[^33]: -- (1). *Op. cit.,* page 105.
[^34]: -- (1). *Op. cit.,* page 113.
[^35]: -- (1). Pierre Ordioni : *Le secret de Darlan,* 1940-1942 (Éditions Albatros).
[^36]: -- (1). *La Contre-Offensive,* p. 32.
[^37]: -- (2). *La Contre-Offensive,* p*. 99.*
[^38]: -- (3). *La Contre-Offensive,* p. 58.
[^39]: -- (4). *La Contre-Offensive,* p. 68.
[^40]: -- (5). *Ibid.*
[^41]: -- (6). *Op. cit.,* p. 72.
[^42]: -- (7). *La Contre-Offensive,* p. 146.