# 191-03-75 II:191 ### *Rappel *le 15 mars à Paris Notre grande réunion, la foire aux livres d'ITINÉRAIRES, se tien­dra donc le samedi 15 mars, de 14 h à 20 h, dans la grande salle de la Maison de la Chimie, 28 bis, rue Saint Dominique à Paris VII^e^. Les auteurs qui écrivent habituellement dans ITINÉRAIRES, et d'autres aussi avec eux, viendront y rencontrer leurs lecteurs, vendre et signer leurs ouvrages. Il y aura l'amiral Auphan et Mgr Ducaud-Bourget ; il y aura le gé­néral Salan ; il y aura Gustave Thibon et le colonel Argoud ; il y aura Jean Ousset et Michel de Saint Pierre ; il y aura le colonel de Bli­gnières et il y aura Louis Salleron ; il y aura Jacques Perret ; il y aura Alexis Curvers ; il y aura le P. Troubnikoff ; et Marcel De Corte ; et le P. de Chivré ; et Roland Gaucher ; Édith Delamare ; Hugues Kéraly ; et d'autres encore, rédacteurs habituels ou amis de l'exté­rieur, et des éditeurs aussi, comme Jean Auguy, DMM, les NEL, tous venus ce jour-là à votre rencontre, parce que cette foire aux livres est une vente de charité. C'est une vente de charité organisée par l'Association des « Com­pagnons d'Itinéraires » au profit de leur œuvre capitale : l'entraide à l'abonnement. Ce ne sera pas un colloque ni un débat. Ce ne sera pas une dis­cussion avec les auteurs amis qui, sans partager toutes nos idées ou défendre toutes nos positions, veulent bien nous faire l'honneur et la charité de venir, au profit de notre entraide à l'abonnement, vendre et signer leur livres. Ce sera une réunion d'amitié. Donc, au samedi 15 mars. Jean Madiran. 1:191 ## ÉDITORIAUX ### Le vrai suspect A Paris, c'est le cardinal LE CARDINAL-ARCHEVÊQUE DE PARIS accepte que les catholiques chantent *l'Internationale*, mais il n'ac­cepte pas qu'ils chantent la messe de saint Pie V. Cela résume tout notre malheur, et toute son indignité. Lui faire honte de cette indignité atténuera un peu le mal­heur où elle nous plonge, en contribuant à détromper ceux qu'il abuse et à éclairer ceux qui veulent s'instruire. Au chapitre de la messe, le cardinal-archevêque de Paris n'a plus la parole, y ayant renoncé quand il aurait dû la prendre. J'entends bien qu'il n'est pas encore déposé. Il reste donc, *salvo meliore judicio,* l'occupant du siège archiépiscopal, et sur ce siège le détenteur de la succession apostolique. Mais s'il n'est pas juridiquement déchu, il l'est moralement, pour la raison suffisante qui vient d'être dite en commençant : il accepte que les catholiques chantent *l'Internationale* mais il n'accepte pas qu'ils chantent la messe de saint Pie V. Le cardinal Marty a perdu toute qualification morale pour parler de la messe catholique parce qu'il a perdu la foi dans le saint sacrifice de la messe : s'il ne l'a pas tout à fait perdue, il la garde coupablement cachée au plus secret de son âme. Depuis 1969, son *Nouveau Missel des diman­ches* inculque au peuple chrétien, comme un « rappel de foi », que la messe n'est plus un sacrifice, et qu'à la nou­velle messe « il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli ». Page 332 de l'édition de 1969-1970. Page 383 de l'édition pour 1973. Si le cardi­nal Marty croit encore que la messe est un sacrifice, c'est en cachette qu'il le croit. S'il a encore l'acte intérieur de la foi, qui est l'acte de croire, en tous cas il n'en a plus l'acte extérieur, qui est de confesser sa foi. Il n'a pas protesté contre la diffusion de ce « rappel de foi » imposteur. 2:191 Il n'a pas ordonné qu'il soit rectifié. Il n'a pas mis en garde les fidèles contre la doctrine de ce *Nouveau Missel* répandu en son nom et de par son autorité. Il n'a pas rendu témoi­gnage à la vérité, il n'a pas enseigné la vraie doctrine, selon laquelle l'eucharistie n'est pas seulement un sacrement : elle est aussi le sacrifice permanent que Jésus-Christ a laissé à son Église afin de s'offrir à Dieu par les mains de ses prêtres. La sainte messe en effet est le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ offert sur les autels sous les apparences du pain et du vin en souvenir du sacrifice de la croix. Le cardinal Marty n'a pas enseigné, contre le trompeur « rappel de foi » de son *Nouveau Missel,* que le sacrifice de la messe est substantiellement le même que celui de la croix en ce que c'est le même Jésus-Christ qui s'est offert sur la croix et qui s'offre par les mains des prêtres, ses ministres, sur les autels ; et qu'entre le sacrifice de la messe et le sacrifice de la croix il y a cette différence et cette relation : sur la croix, Jésus-Christ s'est offert en répandant son sang et en méritant pour nous ; sur les autels, il se sacrifie sans effusion de sang et nous applique les fruits de sa passion et de sa mort. (Catéchisme romain.) Le cardinal Marty se tait là-dessus, il laisse inculquer en son nom, de par son autorité, par son *Nouveau Missel,* qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». Un cardinal, un archevêque aussi criminellement défail­lant n'a plus aucune autorité morale pour parler de la messe catholique. \*\*\* Inconscient de sa déchéance, à moins qu'il n'en soit cyniquement orgueilleux, le cardinal Marty s'est témérai­rement attaqué à « la messe de la salle Wagram ». Ce qu'on appelle « la » messe de la salle Wagram, ce sont les cinq messes qui, chaque dimanche depuis un an, sont célébrées par Mgr Ducaud-Bourget et les prêtres qui l'assistent, pour une communauté de plus de cinq mille âmes. C'est la MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE S. PIE V, celle qui a été chassée de toutes les églises de Paris par le car­dinal Marty. Persécutée par le cardinal indigne, la messe traditionnelle est donc célébrée à Paris dans toutes sortes de chapelles de fortune, les unes modestes, les autres cé­lèbres. Les plus célèbres sont les deux chapelles qui ont été installées dans une salle de réunions publiques, la « salle Wagram ». 3:191 La chapelle la plus grande n'est utilisée que le dimanche matin, on y entre par le numéro 5 de la rue de Montenotte, les messes sont à 8 h 30 (messe basse), à 9 h 25 (grand'messe), à 10 h 30 (messe avec chant de l'ordinaire) et à 11 h 30 (messe basse). La chapelle la plus petite est une chapelle permanente, on y entre par le nu­méro 19 de l'avenue des Ternes, messe à 18 h 30 tous les jours, y compris le dimanche ; en diverses occasions, vê­pres, salut du Saint-Sacrement, récitation du Rosaire ; catéchismes. Tous les jours un prêtre se tient à la disposi­tion des fidèles dans cette chapelle à partir de 16 h 30. Le dernier vendredi de chaque mois, la messe de 18 h 30 est célébrée aux intentions d'ITINÉRAIRES telles qu'elles sont énoncées à la fin de chaque numéro de la revue. Le cardinal Marty a voulu répandre dans l'opinion publique une suspicion a l'égard de ces messes qui sont intégrale­ment catholiques, traditionnelles, latines et grégoriennes selon le Missel romain de saint Pie V. Mais le vrai suspect, le seul suspect en l'occurrence, c'est lui, le cardinal indigne. \*\*\* Le cardinal Marty est l'homme du nouveau catéchisme, celui qui n'enseigne plus les trois connaissances nécessaires au salut : il était secrétaire général du noyau dirigeant de l'épiscopat français quand l'épiscopat français imposa ce catéchisme nouveau, inspiré du catéchisme hollandais, bré­viaire de l'apostasie immanente. Le cardinal Marty est le signataire de l'ordonnance du 12 novembre 1969, l'ordon­nance juridiquement schismatique qui prétendait changer la messe en France de sa propre autorité, sans aucune référence à une législation romaine. Le cardinal Marty a fait liturgiquement proclamer comme parole d'évangile que *la volonté de Dieu est que, pour vivre saintement, chacun sache prendre femme :* c'est par son ordre, c'est de par son autorité que ce mensonge, que ce blasphème a été liturgi­quement proclamé, dans les églises du diocèse de Paris, à toutes les messes vernaculaires du vendredi 27 août 1971, et à toutes celles du vendredi 31 août 1973. Je survole seulement, de sommet en sommet, les exploits principaux. Cet homme qui n'a jamais rétracté aucune des erreurs dogmatiques répandues par son autorité a eu l'audace de vouloir imposer une rétractation à Mgr Ducaud-Bourget. Il a voulu lui faire signer la reconnaissance explicite que « tous les textes écrits et publiés sous l'autorité du Saint-Père ne sont en aucune manière équivoques ou pro­ches de l'hérésie ». 4:191 A la prendre au pied de la lettre, cette fausse universelle négative (en E, disent les logiciens) est une particulière (en O), comme « tout ce qui brille n'est pas or » veut dire que ce qui brille n'est *pas toujours* de l'or et ne veut pas dire *n'est jamais* de l'or ; et ainsi la formule du cardinal Marty signifie que les textes de Paul VI ne sont *pas tous* équivoques. Mais on comprend fort bien que, dans son charabia, le cardinal indigne a voulu au contraire énoncer qu'*ils sont tous exempts d'équivoque.* Mgr Ducaud-Bourget a refusé de signer une telle affir­mation, qui est un mensonge évident. Les faits l'attestent. Deux notamment.  I. -- La première version de l'article 7 du nouvel *Ordo Missae* est bien un « texte écrit et publié sous l'autorité du Saint-Père ». Ce texte était à tel point équivoque que le Saint-Siège en a convenu, et en a publié une seconde version, largement corrigée et complétée ([^1]). Sans examiner si cette seconde version levait suffisamment l'équivoque, rappelons que la première version, signée et promulguée par Paul VI, s'exprimait ainsi : « La cène du Seigneur ou messe est la synaxe sacrée ou rassemblement du peuple de Dieu réuni, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mé­morial du Seigneur. C'est pourquoi s'applique émi­nemment au rassemblement local de la sainte Église la promesse du Christ : Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux (Mt., 18, 20). » La signature et la promulgation par Paul VI, en 1969, de cette première version de l'article 7, sont un fait histo­rique qui interdit à tout jamais de prétendre que *tous les textes écrits et publiés sous l'autorité de Paul VI* ont été exempts d'équivoque. II\. -- La messe de Paul VI est célébrée par des protes­tants qui restent protestants. Elle est célébrée par des ca­tholiques qui déclarent rester catholiques. Si ce n'est pas cela même que l'on appelle une *équivoque,* alors ce mot n'a plus de sens. 5:191 Aucun de ces protestants, aucun de ces catholiques, à notre connaissance, n'a répondu à la question qui est posée aux uns et aux autres depuis cinq ans : -- Pour quelle raison des protestants qui, en conscience et théologiquement, *ne peuvent pas* célébrer la messe ca­tholique traditionnelle selon le Missel romain de saint Pie V, *peuvent-ils* donc célébrer la messe de Paul VI ? \*\*\* Dans le formulaire que le cardinal Marty voulait faire signer à Mgr Ducaud-Bourget, il y avait encore ceci : « Nous reconnaissons l'autorité du pape en ma­tière de foi et de mœurs, ainsi que celle des évêques en communion avec lui. « Nous acceptons l'enseignement du concile Vatican II. » Le cardinal Marty est pour l'obéissance quand ça l'arrange. Il n'est pas pour l'obéissance au pape quand il s'agit de l'encyclique *Humanae vitae.* Il n'est pas pour l'obéissance au concile Vatican II quand celui-ci ordonne : « *L'usage de la langue latine doit être conservé dans les rites latins. *» ([^2]) Comme un poisson dans l'eau, il nage à travers les marécages de l' « évolution conciliaire », selon son expression. Il se sent parfaitement à l'aise dans l'équi­voque généralisée du dernier concile et de l'actuel ponti­ficat. Sous prétexte de pape et de concile, il travaille à imposer une option partisane bien antérieure à Paul VI et à Vatican II, puisqu'il a lui-même avoué que son « option fondamentale » est faite « depuis plus de quarante ans ». C'est l'option de cette révolution culturelle qui, partout dans l'Église, substitue un esprit moderniste a un esprit traditionaliste. C'est l'option du parti qui tient présente­ment l'Église militante sous la botte de son occupation étrangère, et Marty est en France l'homme de ce parti ennemi, caractérisé par les trois notes conjointes : 1\. -- La soumission au monde moderne (souvent ap­pelée ouverture au monde). 2\. -- La collaboration avec le communisme (souvent appelée ouverture à gauche). 3\. -- L'apostasie immanente (souvent appelée ouver­ture d'esprit, ou mentalité évoluée). \*\*\* 6:191 Nous ne devons aucune obéissance au despotisme per­sécuteur du cardinal Marty. Dans la mesure où il n'est plus en communion avec l'Église catholique, nous ne sommes plus en communion avec lui. Il est responsable du « rappel de foi » qui prétend qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». Pour cette raison, le suspect, c'est lui. Il est publiquement accusé, depuis deux ans, *sur sa foi* dans le saint sacrifice de la messe. Et, depuis deux ans, il reste silencieux sur sa foi. J. M. 7:191 ANNEXE I ### Lettre au cardinal-archevêque de Paris président de la conférence épiscopale française Cette lettre a été envoyée à son destinataire le 26 jan­vier 1973. Elle a été publiée dans ITINÉRAIRES, numéro 171 de mars 1973. Elle n'a été suivie ni de réponse ni d'effet. Mais son existence suffit à montrer que, même averti, même accusé, le cardinal Marty a gravement man­qué à l'acte extérieur de la foi, qui est aussi obligatoire que l'acte intérieur. On verra plus loin, à l'Annexe II, par les « Explica­tions publiées en même temps », que lorsque j'écrivais cette lettre au cardinal, je venais de découvrir la mons­truosité du *Nouveau Missel* dans son édition de 1973. N'était pas un utilisateur de cette sorte d'ouvrages, j'igno­rais encore que le même « rappel de foi » figurait déjà dans l'édition de 1969-1970. J. M. *26 janvier 1973.* *Monseigneur le Cardinal,* *Le* « *Nouveau Missel des dimanches *» *que l'épiscopat français a mis en circulation pour l'année 1973 est héréti­que, vous ne pouvez pas l'ignorer, et ses auteurs sont anathèmes : en vertu du premier et du troisième canons du concile de Trente sur le saint sacrifice de la messe. Voici donc venu le temps où, allant jusqu'au bout de son immanente et serpentine apostasie, l'épiscopat français inculque officiellement aux fidèles, dans leur missel même, et au titre de* « RAPPEL DE FOI INDISPENSABLE », *que là messe n'est pas un sacrifice, et qu'à la messe,* « IL S'AGIT SIMPLEMENT DE FAIRE MÉMOIRE DE L'UNIQUE SACRIFICE DÉJA ACCOMPLI ». 8:191 *Ce missel hérétique est épiscopalement approuvé depuis le 10 octobre. Il est répandu chez les libraires et parmi les fidèles, à dizaines ou centaines de milliers d'exemplaires, depuis le mois de novembre. Il y a aujourd'hui 26 jours exactement que je l'ai publiquement mis en accusation. Malgré l'énormité du crime, malgré l'urgence de s'y oppo­ser, aucun pasteur ni aucune commission pastorale n'a prévenu les fidèles contre un missel qui assassine les âmes. L'indifférence ou l'incompétence des évêques, ou les deux à la fois, demeurent entières, inentamées. On peut enseigner en leur nom, comme un dogme, que la messe n'est pas un sacrifice, cela leur paraît un lieu commun sans importance, qui ne suffit pas à les tirer de leur somme somnambulique et post-conciliaire.* *Faisant ou laissant nier de par leur autorité, dans le missel qu'ils procurent aux fidèles, que la messe soit un sacrifice, ils ne sont donc plus catholiques. Qu'ils s'en aillent alors, ou qu'on les chasse ; ou qu'enfin ils se con­vertissent. A commencer par leur président, qui se prétend responsable, vous-même, Monseigneur.* *L'apostasie s'en moque et vous supporte, bien sûr. Accepter sans rien dire la direction spirituelle d'un Père François Marty est même devenu le test certain de l'indif­férentisme religieux.* *Mais la foi réclame votre rétractation publique ou votre destitution.* *Confessez que la messe est, d'une manière non san­glante, le même sacrifice que celui du Calvaire, avec le même prêtre et la même victime ; réprouvez votre missel qui le nie ; ou bien disparaissez.* *Daigne ou ne daigne pas, peu importe désormais, Votre Éminence comprendre qu'il ne m'est plus possible de vous saluer.* Jean Madiran. 9:191 ANNEXE II ### Explications publiées en même temps *En même temps que la lettre au cardinal Marty étaient publiés, dans ce numéro de mars 1973, il y a tout juste deus ans, les commentaires, les explications et les sommations que voici. Eux aussi restés, jusqu'ici, sans réponse et sans effet. Mais nous entendons les réitérer autant et aussi longtemps qu'il sera nécessaire. Pour nous faire taire il faudrait nous tuer.* #### I. -- Témoignage contre un épiscopat et contre une messe Dès 1969, pour la nouvelle messe en français, l'épisco­pat fit établir à l'intention des fidèles un NOUVEAU MISSEL DES DIMANCHES : le missel à fleurs, surnommé *le missel hippie ;* ou missel-agenda, que l'on jette à la fin de l'année. Dès ce premier missel « pour l'année liturgique 1969-1970 », l'épiscopat français inculquait aux fidèles, comme « *rappel de foi *»*,* que la nouvelle messe n'est plus un sacrifice, et qu'à la nouvelle messe « *il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli *»*.* Nous portons témoignage contre cette messe et contre cet épiscopat. La messe française a été imposée par l'ordonnance épiscopale datée du 12 novembre 1969. Nous avions im­médiatement objecté que cette ordonnance était juridi­quement schismatique : sans référence à rien d'autre qu'à leur propre autocratie, « les évêques de France réunis en assemblée plénière » décrétaient la messe française obliga­toire à partir du 1^er^ janvier 1970. C'était interdire du même coup la célébration de la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. 10:191 Nous avons refusé de nous soumettre à cet abus de pou­voir ; on connaît nos raisons. Mais voici une raison sup­plémentaire qui, sans rien changer, aggrave tout : la situation de la messe en France est encore plus pourrie, et depuis plus longtemps, que nous ne le pensions. #### II. -- La découverte En feuilletant au mois de décembre, en feuilletant à peine et du bout des doigts, le NOUVEAU MISSEL DES DIMAN­CHES pour l'année 1973, j'étais tombé sur la page 383. Aussitôt, publiquement, j'avais mis ce missel en accusa­tion : dans le numéro 169 d'ITINÉRAIRES, paru le 1^er^ janvier (pages 212 et suivantes). Notre SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR nu­méro 4, paru le 15 janvier, répercutait l'accusation et la mise en garde : « *Un missel ouvertement hérétique répan­du dans le peuple chrétien par l'épiscopat francophone. *» Les évêques restant immobiles et silencieux, tous sans ex­ception, j'écrivis le 26 janvier une mise en demeure à leur soi-disant président, qui se prétend responsable, le « Père Marty », comme il se fait appeler de bureaux en bistrots. Car dès lors il n'y avait plus d'autre issue : *con­cernant nos évêques, nous ne pouvions déjà plus réclamer que leur rétractation publique ou leur destitution.* C'est alors que je trouvai dans mon courrier une lettre qui disait : -- La même hérésie figurait déjà dans le NOUVEAU MISSEL DES DIMANCHES pour l'année liturgique 1969-1970. Déjà en 1969 ! Découverte capitale. Bien entendu, j'ai vérifié. C'était en sa page 332. Oui, la page 332 du premier NOUVEAU MISSEL DES DIMANCHES, en 1969-1970, disait la même chose, exacte­ment dans les mêmes termes, qu'aujourd'hui les pages 382 et 383 du NOUVEAU MISSEL DES DIMANCHES pour 1973. Ce texte contient certes plus d'une hérésie. Nous n'en retenons qu'une, celle que nous soulignons en gras, sou­lignant aussi qu'il ne s'agit pas d'une incidente anecdo­tique, descriptive ou phénoménologique, mais d'un énoncé en forme, qui se présente et s'affirme comme un *rappel de foi indispensable.* En voici la reproduction intégrale : 11:191 La lecture de l'épître aux Hébreux A des croyants, à des chrétiens qui participent réguliè­rement à l'eucharistie, qui offrent leurs actions, leurs prières pour les intentions les plus louables, l'épître aux Hébreux apporte des **rappels de foi indispensables.** Il ne s'agit pas de marcher vers l'éternité, de plus en plus riches de fidélité, de prières, de mérites. Il s'agit tout au contraire de nous tourner avec foi vers le Christ à partir de notre misère. Il nous connaît, il est associé à notre faiblesse, et il est capable, lui et lui seul, de péné­trer jusqu'au « saint des saints » auprès de Dieu le Père et de nous obtenir le pardon et le salut. Il ne s'agit pas d'ajouter l'une à l'autre des messes, extérieurement et intérieurement si bien célébrées qu'el­les obtiennent de Dieu sa grâce. Il s'agit simplement **de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli,** du sacrifice parfait dans lequel le Christ s'est offert lui-même, et de nous y associer, d'y communier ensemble, en fai­sant nôtre l'oblation qu'il a faite à Dieu de sa propre personne pour notre salut. La prière, la messe, la vie même n'ont de valeur, aux yeux d'un chrétien, que par la foi au Christ et grâce à l'importance unique et définitive de sa mort sur la croix. Je l'ai dit, de ce texte riche en contre-vérités, je n'en retiens qu'une : *l'enseignement dogmatique sur la messe donné aux fidèles, dans leur missel même, par l'épiscopat français depuis 1969.* L'épouvantable endurcissement de nos évêques dans le crime rend fort douteux que leur rétractation éventuelle, d'ailleurs improbable, puisse désormais suffire à éviter leur destitution. #### III. -- Célébrants et pratiquants ne se sont aperçus de rien Ah ! comme Henri Charlier a eu raison de proclamer, parlant des évêques français : -- *Nous ne pouvons plus croire qu'ils aient encore la foi.* Aucun d'entre eux, pas même le bon Mgr Guyot, pas même le zélé Mgr Puech, n'a rien trouvé à redire au nou­veau missel de la nouvelle messe : *il s'agit simplement de faire mémoire.* 12:191 Mais quel abîme, et où les évêques ne sont pas seuls. Aucun des célébrants, aucun des pratiquants du rite vernaculaire, aucun des enthousiastes ni aucun des ralliés, personne, dans ce nouveau missel, *n'a rien aperçu qui lui semble contraire à sa foi.* Personne, rien, depuis 1969. Ou encore, quel autre abîme s'ajoutant au précédent, ceux qui d'aventure ont aperçu quelque chose sont restés silencieux, comme il convient d'être *dans un pays occupé par l'ennemi.* L'Église militante se tait sous la botte, comme un pays occupé. #### IV. -- L'hérésie qui n'est plus moderniste Mais quelle clarté. Sur un point au moins, mais un point décisif, nous voici sortis des défilés crépusculaires du modernisme. On ne nous dit plus que la messe *est* un sacrifice *mais...* On nous dit noir sur blanc qu'elle ne l'est plus du tout. Le modernisme avait toujours quelque interprétation agile, quelque tour de physique amusante ou de théologie relax pour embrouiller le simple fidèle. Seulement l'embrouiller ce n'était pas suffisant, ce n'était pas le faire apostasier. Il fallait donc en venir à lui inculquer ouvertement : -- *Non, la messe n'est pas un sacrifice, c'est une simple commémoraison.* On pouvait hésiter devant la messe française. Un ca­tholique ne peut plus hésiter devant l'aveu officiel, devant le « rappel de foi » épiscopal qu'à la messe française *il s'agit simplement de faire mémoire.* #### V. -- Pour l'évêque Matagrin et quelques autres indiscrets M. Gabriel Matagrin, évêque de Grenoble, fait beaucoup de bruit avec ses opinions sur le communisme. Mais il est victime d'une méprise, qui le gonfle sans mesure. Ce ne sont point, comme il le croit, les opinions du penseur Matagrin, de l'écrivain Matagrin, de l'orateur Matagrin qui font tout ce bruit : ce n'est ni leur densité propre ni le talent de leur auteur qui retient l'attention. Ce qui im­pressionne les gens, c'est qu'ils imaginent que ces opinions sont celles *d'un évêque catholique.* 13:191 Et c'est en quoi ils se trompent. Car c'est en septembre 1969, tout juste à temps, que M. Gabriel Matagrin fut nommé évêque de Grenoble et tout au long de l'année 1970, le missel le plus répandu parmi les fidèles du diocèse, de par l'autorité de l'évêque, fut le *missel hippie,* le missel à fleurs, le missel-agenda, le NOUVEAU MISSEL qui enseignait que la messe n'est plus un sacrifice. L'évêque de Grenoble persévère : si vous allez dans les églises de sa ville épiscopale et de tout son diocèse, vous constaterez qu'en 1973 encore, le missel que l'on y voit le plus souvent dans les mains des fidèles est toujours le NOUVEAU MISSEL, affirmant dogmatiquement qu'à la messe il *s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice.* Telle est la doctrine reçue dans le diocèse de Grenoble, de par la volonté ou la permission de l'ordinaire du lieu. En cela et dans cette mesure, il n'est évidemment plus catholique. Ou il n'est pas évêque, il n'est pas episko­pos, il n'a pas surveillé ce qu'il devait surveiller d'abord. Avant d'aller faire le saltimbanque politique dans les ma­gazines, les radios, les télés et les assemblées, M. Gabriel Matagrin avait le devoir prioritaire d'assurer à ses diocé­sains une messe garantie et surveillée par lui-même. C'était sa charge. Il l'a trahie : par hérésie formelle ? ou par in­différentisme religieux ? Qu'il s'explique. Mais sur la messe et sur le missel. Ce n'est pas sur le communisme qu'il faut interpeller M. Matagrin : mais sur sa qualité d'évêque, sur l'idée qu'il s'en fait, sur son abandon de la foi dans le saint sacrifice. La même interpellation, la même mise en demeure qu'au cardinal Marty. Et qu'à tous les autres : *en commençant par les plus indiscrets,* c'est-à-dire par les évêques qui parlent le plus souvent et le plus fort de tout et de rien, des merveilles du sexe et des merveilles de la bouffe, des merveilles de la technique et des merveilles de la science : il faut les ramener à la messe catholique, il faut leur réclamer la RÉTRACTATION PUBLIQUE de leur missel empoisonné, il faut leur réclamer la PROFESSION SOLENNELLE des canons du concile de Trente sur le saint sacrifice de la messe, il faut ensuite les INVITER AU SILENCE convenant aux évêques-traîtres qui ont tellement trompé, et jusque sur la messe, le peuple chrétien. 14:191 #### VI. -- L'Église de France comme frappée d'interdit Si, dans son actuel collapsus, le Saint-Siège n'avait re­noncé en fait à gouverner l'Église universelle, la question serait certainement posée de savoir combien de temps il sera possible d'attendre encore pour frapper d'interdit une Église qui depuis trois ans déjà inculque au peuple chrétien qu'a la messe *il s'agit simplement de faire mé­moire.* Il n'appartient évidemment pas aux simples fidèles de suppléer à ce collapsus, sinon par la prière. Mais tout baptisé, instruit dans la foi catholique, ne peut plus désormais avoir de relations avec les évêques de France que par voie de réclamation ; de mise en demeure ; de sommation. J. M. 15:191 ANNEXE III ### La première argumentation TOUT ARRIVE DONC. Il y a fallu plus de cinq ans. Soixante-deux mois après coup, le 31 janvier 1975, un évêque français argumente pour la première fois en public sur la messe nouvelle. Cet évêque est même archevêque depuis le 19 juin 1974, promotion récente qui a rétribué ses bons et loyaux services : COFFY Robert, né le 24 octobre 1920 au Biot (Haute-Savoie). C'est un évêque de Paul VI, nommé et consacré en 1967. Il est président de la « commission épiscopale de liturgie et de pastorale sacra­mentelle ». \*\*\* L'argumentation de Mgr Coffy est nulle. Elle ignore l'état de la question avec une superbe tellement entière l'on ne saurait deviner si elle relève de l'amateurisme, de l'indifférentisme religieux ou d'une insolence délibérée. Elle enfonce des portes ouvertes, elle pose finement com­me inédites, et de son cru, des « vraies questions » aux­quelles il est répondu en permanence depuis cinq ans. Il n'y aurait pas lieu d'y arrêter son attention, s'il ne s'agis­sait de la première, et de la seule, argumentation épisco­pale sur la messe. Pour cette unique raison, il n'est pas mutile d'en mesurer le contenu, et le niveau. C'est bien la première. La messe catholique, en effet, a subi ces cinq dernières années le plus grand bouleverse­ment de son histoire, sans qu'une seule explication soit donnée, avant le 31 janvier 1975, par les évêques qui im­posaient ce bouleversement. Ils avaient fait l'ordonnance du 12 novembre 196,9, qui prétendait rendre obligatoire une messe nouvelle, sans commentaire, sans éclaircissement, sans justification ; sans enseigner aucune doctrine sur la messe, ni l'ancienne sur le saint sacrifice, ni la nouvelle selon laquelle il s'agit simplement de faire mémoire ; 16:191 il n'y eut aucun débat, aucune discussion, aucun exposé des motifs rationnellement présenté ; rien que la persécution administrative, dans le silence, jusqu'au 14 novembre 1974, pour une seconde ordonnance semblable à la première et un premier communiqué qui déclarait la cause entendue avant d'avoir été examinée. Quant au cardinal Marty, dans le courant de janvier 1975, il se contenta de rendre public l'ultimatum sournois qu'il avait apporté, le regard torve et le sourire en coin, à Mgr Ducaud-Bourget. C'est le désir d'accabler lui aussi ce même Ducaud-Bourget qui a conduit Mgr Coffy à sortir du silence épis­copal sur la messe : « Mgr Ducaud-Bourget qui, chaque dimanche, à la salle Wagram, proclame son refus de la liturgie restaurée par décision du concile Vatican II. » La liturgie... « restaurée » ? Entendez que la liturgie traditionnelle de l'Église était en ruines aux yeux de Mgr Coffy, tandis que la nouvelle est *restaurée :* les messes de music-hall, les messes-sur­boum, les messes-beuveries, ou fumeries, contre lesquelles il ne dit rien, n'ayant rien à dire. Ordonné prêtre le 28 octobre 1944, il a connu pourtant, autrement que par ouï-dire, on le suppose du moins, la messe catholique tradi­tionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. Cette messe de son ordination sacerdotale, c'est la seule messe contre laquelle il prenne publiquement position. Mais c'est aussi qu'il a, selon toute apparence, perdu la foi. Il a perdu la foi dans le saint sacrifice de la messe comme le cardinal Marty, de la même manière, dans la même mesure, et cela se prouve de la même façon. Il a perdu au moins l'acte extérieur de la foi théologale. Dans son diocèse de Gap, de par son autorité, le *Nouveau Missel* a inculqué au peuple chrétien, comme « rappel de foi », qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». Il n'a pas eu un mot là-contre en qualité d'ordinaire du lieu ; ni en qualité de président de la commission épisco­pale supposée compétente. Ayant lui aussi, sur la messe, renoncé à la parole quand il aurait dû la prendre, il n'a plus moralement voix au chapitre, il a perdu toute auto­rité morale, il est au nombre de ces évêques dont main­tenant la conversion éventuelle, trop tardive pour un peuple qu'ils ont trop longtemps laissé intoxiquer, ne suffirait pas à rendre superflue la déposition. \*\*\* 17:191 C'est dans *Le Figaro* du 31 janvier, partiellement re­produite dans *la Croix* du 1^er^ février, qu'a paru cette pre­mière argumentation épiscopale, cette argumentation jus­qu'à présent unique en faveur de la messe nouvelle. Elle est assise sur sept piliers débiles. **1. **-- « La vraie question est passée sous silence. C'est pourtant celle à laquelle Mgr Ducaud-Bourget, le P. Bruckberger et tous les catholiques ont à répon­dre : croient-ils que la messe de Vatican II, pro­mulguée par le pape Paul VI, est vraiment la mes­se ? » Si la « vraie question » a été « passée sous silence », c'est par Mgr Coffy et par ses pairs. Il a fallu cinq ans pour qu'enfin un évêque français, pour la première fois le 31 janvier 1975, parle en public de cette « vraie ques­tion ». Il n'est pas en avance. Mais ce retard, qui est le sien, n'est pas le nôtre. Car cela fait cinq ans que cette « vraie question », celle-là parmi d'autres tout aussi vraies, a été soulevée par nous ; et que nous y avons répondu : A. -- *Non,* la messe promulguée par le pape Paul VI *n'est pas,* n'est même pas la messe de Vatican II. Elle n'est pas non plus, d'ailleurs, la messe à liturgie variable qui en est plus ou moins issue et qui est ordinairement célébrée en France au nom du concile, du pape et des évêques. B. -- La messe de Paul VI est ce qu'elle est, mais *non,* à coup sûr, elle *n'est pas* la messe traditionnelle de l'Église catholique. **2. -- **Personne ne songe à persécuter des prêtres, mais tous ont le droit de leur demander s'ils ac­ceptent ou non de célébrer la même messe que Paul VI. » Il tombe de la lune, ce président des commissaires liturgiques ; ou il fait semblant. Il n'y a plus à *demander* à nos prêtres s'ils *acceptent ou non :* voila cinq ans qu'ils le disent clairement, c'est *non,* ils n'acceptent pas de célé­brer la messe de Paul VI. 18:191 Et pour cela, ils sont administrativement persécutés depuis cinq ans par les commissaires, surveillants, mou­chards et gorilles de l'épiscopat français. **3. -- **Le président Coffy (président de la commission) approuve le président Marty (président de la con­férence épiscopale) d'avoir exigé de Mgr Ducaud-Bourget la signature d'un formulaire déclarant qu'aucun « texte écrit et publié sous l'autorité du Saint-Père » n'est en aucune manière équivoque. C'est une nouvelle religion, c'est la nouvelle religion des deux présidents, Marty et Coffy : mais ce n'est pas la religion catholique, apostolique et romaine, laquelle n'a jamais comporté la croyance obligatoire qu'aucun texte écrit et publie sous l'autorité du pape ne peut contenir d'équivoque. Cela n'est ni dans le Credo, ni dans le caté­chisme romain, ni dans la définition dogmatique de l'in­faillibilité pontificale. On discute depuis des siècles entre théologiens le point de savoir si les textes écrits et publiés sous l'autorité du pape sont forcément et toujours exempts non pas d'*équi­voque,* mais bien d'*hérésie.* L'opinion la plus probable est celle qui tient pour non absolument impossible la présence d'une hérésie dans un texte « écrit et publié sous l'autorité du pape ». Le III^e^ concile de Constantinople, le pape saint Léon II, et deux siècles plus tard le pape Hadrien II ont bien déclaré hérétiques des textes « écrits et publiés sous l'autorité » du pape Honorius I^er^. Mais enfin la question de l'*hérésie* possible ou non est librement débattue, elle n'est pas de foi définie. En revanche personne, avant les prési­dents Coffy et Marty, n'avait imaginé d'imposer comme obligatoire la croyance qu'un texte écrit et publié sous l'autorité du pape ne peut même pas renfermer la moindre *équivoque.* « est une nouveauté, inventée pour la circons­tance. **4. **-- « Paul VI a promulgué le Nouveau Missel par une constitution apostolique exactement comme l'avait fait saint Pie V en 1570. » C'est une double contre-vérité : A. -- Par la bulle *Quo primum* du 19 juillet 1570, saint Pie V a ramené le rite romain au type exemplaire de son origine : il a codifié la messe en usage, il a unifié les missels en les purifiant de leurs défauts accidentels. Ce n'était pas « exactement » ni même approximativement la même chose que de promulguer une messe nouvelle, fabriquée sous la direction suspecte d'un Bugnini avec la collaboration d'experts huguenots. 19:191 B. -- Par la même bulle, saint Pie V a explicitement stipulé que les rites ayant un usage ininterrompu supérieur à deux cents ans demeureraient autorisés. C'est ainsi que le rite dominicain, le rite ambrosien, le rite lyonnais ont conservé leur existence à côté du rite romain. La consti­tution apostolique de Paul VI promulguant une nouvelle messe a omis de réserver explicitement les droits de la coutume. Il est vrai que, du moins pour un esprit catho­lique, cela va sans dire. Mais cela serait mieux allé en le disant. Et en tous cas cette omission est un second point où, contrairement aux affirmations du président Coffy, Paul VI n'a, ni exactement ni approximativement, fait ha même chose que saint Pie V. **5. **-- « L'indult perpétuel prétendument donné aux prêtres de célébrer selon le rite de saint Pie V n'a jamais existé. » Le président des commissaires liturgiques parle, hypo­thèse bienveillante, de ce qu'il ne connaît pas. (L'autre hypothèse serait qu'il ment avec audace.) L'indult est dans la bulle *Quo primum*, section VIII de la traduction Dulac ([^3]) « En outre, en vertu de l'autorité apostolique, par la teneur des présentes concédons et donnons l'indult sui­vant, et cela, même à perpétuité : Que désormais, pour chanter ou réciter la messe en n'importe quelles églises, on puisse sans aucune réserve suivre ce Missel, avec permission donnée ici et pouvoir d'en faire libre et licite usage, sans aucune espèce de scrupule ou sans qu'on puisse encourir aucunes peines, sentences et censures ; voulant ainsi que les prélats, administrateurs, chanoines, chapelains et tous autres prêtres, séculiers de quelque dénomination soient-ils désignés, ou réguliers de tout ordre, ne soient tenus de célébrer la messe en tout autre forme que celle par Nous ordonnée et qu'ils ne puis­sent, par qui que ce soit, être contraints et forcés à modifier le présent Missel. » 20:191 Dans son commentaire, l'abbé Dulac fait notamment observer : 1. -- « L'importance que le pontife veut attacher à ce privilège est soulignée par le recours à l'*autorité apos­tolique* qu'il invoque avant de le conférer. » 2. -- « Cette faveur est accordée *sans exception* à tous les prêtres, sé­culiers, réguliers, de toutes les églises, à la fois pour les messes chantées et pour les messes récitées. » 3. -- « Au­cun supérieur ne pourra faire échec à ce privilège par aucune sorte de défense, ni au for interne ni au for ex­terne. » 4. -- « Cet indult n'a besoin d'aucun agrément ou visa ou consentement ultérieur. » 5. -- « Il s'agit d'un privilège à perpétuité. » **6. **-- « La langue vivante est devenue la langue habi­tuelle de la liturgie. Le pape s'est exprimé claire­ment à se sujet dans le discours qu'il prononça à l'audience générale du 26 novembre 1969 : « Ce n'est plus le latin mais la langue courante qui sera la langue principale de la messe... » Il n'est pas interdit de célébrer en latin. Cependant, à écouter le pape, on voit bien que ce n'est pas souhaitable dans beaucoup de cas. » Le président Coffy assure qu' « il est vain de dissocier le pape et le concile ». C'est aussi notre avis. Mais quelques faits demeurent inexpliqués. Ils relèvent de la compétence théorique d'un commissaire à la liturgie. Celui-ci vient de rappeler que la langue habituelle de la liturgie, pour la nouvelle religion conciliaire, est la langue vivante, d'ordre du pape. Bien. Mais « le » concile, c'est-à-dire Vatican II, avait décrété comme loi générale de l'Église, à l'article 36 de sa constitution liturgique : « L'usage de la langue latine doit être conservé dans les rites latins. » La nou­velle religion obéit à son concile quand ça l'arrange. Elle se moque de sa propre légalité. Et les commissaires litur­giques ne reconnaissent, en fait, aucune limite à leur ar­bitraire. **7. **-- « Il ne faut pas confondre messe de saint Pie V, latin et grégorien. L'Abbaye de Solesmes célèbre la messe de Paul VI en chants grégoriens. » Que le président se rassure. Et que d'abord il s'instruise. Cela fait cinq ans que nous ne confondons pas le moine et l'habit, les paroles et la chanson : cela fait cinq ans que nous n'allons plus à Solesmes, qui a gardé le grégorien mais abandonné la messe ; abandonné la messe traditionnelle et choisi la messe nouvelle. Solesmes a maintenant son amère rétribution : être cité en exemple par un Robert Coffy. 21:191 Qu'il s'informe donc, cela fait cinq ans que nous disons avec une précision explicitement détaillée : LA MESSE CA­THOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE S. PIE V. Il n'y a aucune confusion. Nous ne confondons pas non plus Mgr Coffy avec un docteur catholique. Car un docteur catholique n'aurait pas donné, cinq ans durant, son approbation tacite au « rappel de foi » qui prétend qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire ». J. M. 22:191 ## CHRONIQUES 23:191 ### Qui gouverne le monde par Louis Salleron C'EST, JE CROIS, DISRAELI qui disait que les peuples seraient bien étonnés s'ils savaient quels sont ceux qui les gouvernent. Sans doute ! Mais Disraeli le savait-il lui-même ? Bien sûr, il avait, sur tel ou tel aspect de la politique, des infor­mations qui demeuraient complètement ignorées du public. Mais au-delà ? C'est un très difficile, très vaste et très curieux pro­blème de savoir qui mène le monde. Car les pouvoirs sociaux sont nombreux et le gouvernement de la société ap­paraît à des niveaux différents et dans une perspective de temps qui peuvent changer du tout au tout la réalité en présence. Ce qu'il y a, à chaque moment, c'est ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Ce qu'on voit, ce sont les pouvoirs recon­nus, et d'abord les pouvoirs politiques. Mais a côté de ces pouvoirs institués, normalement définis par des lois consti­tutionnelles, il y en a d'autres, très importants, qui les inspirent, les influencent, les entravent, les paralysent ou se substituent concrètement à eux. Le pouvoir de l'argent, le pouvoir syndical, le pouvoir communiste, le pouvoir des mass media sont des pouvoirs sociaux particulièrement importants parmi beaucoup d'autres. Quand on parle des pouvoirs inconnus, il faudrait, pour jauger leur puissance exacte, commencer par faire une analyse du Pouvoir, dans la société en général, puis dans telle ou telle société, à tel ou tel moment -- les moments pouvant être envisagés sur des durées très diverses (siècles, décennies, années). 24:191 Il faudrait distinguer les pouvoirs des individus, des petits et grands groupes, des groupes durables ou passagers, etc. Très vite on s'apercevrait de l'extrême complexité du sujet. Il faudrait distinguer les pouvoirs (inconnus ou mal connus) des groupes connus, et ceux des groupes inconnus ou mal connus (soient qu'ils échappent à l'attention, soit qu'ils se dissimulent). Il faudrait distinguer les pouvoirs et les sous-pouvoirs au sein de pouvoirs plus vastes. Il faudrait distinguer les pouvoirs qui poursuivent un but particulier ou s'exercent dans un secteur donné et ceux qui visent au plus haut, c'est-à-dire au gouvernement gé­néral de la société, etc., etc. \*\*\* Procédons à l'inverse. Partons des pouvoirs connus. Quels sont-ils ? Ce sont ceux qui sont prévus et définis, dans leur objet et leurs mécanismes, par la loi -- loi natio­nale, loi internationale, règlements publics, règlements pri­vés, statuts, etc. Les pouvoirs inconnus sont ceux qui se substituent aux pouvoirs connus, quand ceux-ci sont faibles, ou qui les utilisent, par une action occulte. Les pouvoirs inconnus sont donc soit des pouvoirs pa­rallèles aux pouvoirs connus (régulièrement institués), soit des pouvoirs de pression qui, pour atteindre leurs buts propres, se servent des pouvoirs connus. \*\*\* Quand on parle des pouvoirs inconnus qui mènent le monde, on pense d'abord aux sociétés secrètes, que résume le mot de franc-maçonnerie. Ces sociétés existent, bien entendu. Mais pourquoi les appelle-t-on des sociétés secrètes ? On répondra : préci­sément parce qu'elles agissent secrètement. Pourtant le secret n'est pas ce qui les caractérise exclusivement ; car d'innombrables groupes, d'innombrables pouvoirs agissent secrètement. Les sociétés secrètes me semblent se distin­guer des autres groupes qui agissent secrètement par plu­sieurs traits : elles sont durables, elles sont structurées, elles ont une conception globale de l'ordre du monde, elles ont enfin un caractère sacral. Ce caractère sacral me sem­blé être ce qui les définit le plus sûrement. Il se manifeste par une religion, un ésotérisme et des rites. 25:191 Dans le monde entier, les sociétés secrètes pullulent. En Asie elles semblent jouer un grand rôle. Le christia­nisme, naturellement, y est totalement étranger. En Occident, le judéo-christianisme est généralement à la racine de la religion des sociétés secrètes. Cette religion est très variée. Elle va du déisme à l'athéisme en trouvant un certain commun dénominateur dans l'humanisme dé­mocratique. Les colorations religieuses varient selon les pays, les filiations historiques, la nature et la puissance des pouvoirs politiques auxquels elles sont confrontées, etc. Dans les pays traditionnellement catholiques la franc-ma­çonnerie était violemment anti-catholique. Dans les pays traditionnellement protestants, la franc-maçonnerie faisait bon ménage avec le protestantisme. En dehors de cette grande coupure entre la franc-maçonnerie européenne et la franc-maçonnerie anglo-saxonne, il y a rivalité, voire hos­tilité, entre les divers rameaux de la franc-maçonnerie. \*\*\* C'est dans les moments de grande crise, au plan natio­nal ou international, que les pouvoirs inconnus sont soup­çonnés de jouer un grand rôle. Ils le jouent, en effet, mais peut-être moins à ce titre qu'en tant que pouvoirs déjà connus, ou identifiables. Quand un ordre social vacille, ce sont les pouvoirs les plus forts qui se manifestent à son détriment. Seules les apparences des pouvoirs officiels don­nent un caractère plus ou moins secret ou public aux pou­voirs réels qui mènent le jeu, selon que ces apparences sont plus ou moins conservées. Prenons deux exemples. Dans la première guerre, la paix pouvait être faite en 1917. Elle ne le fut qu'à la fin de 1918 parce que la franc-maçonnerie voulait remplacer l'ordre catholique de l'Europe centrale, symbolisé par l'Au­triche, par l'ordre démocratico-maçonnique symbolisé par la Tchécoslovaquie. Peut-on parler de l'action de pouvoirs inconnus ? Ces pouvoirs étaient bien connus, même s'ils se dissimulaient plus ou moins. Dans la dernière guerre, l'Al­lemagne pouvait être vaincue en 1943. C'est Roosevelt qui a voulu prolonger la guerre de deux ans pour amener la Russie soviétique au cœur de l'Europe et l'y installer. Sa politique était avant tout américaine. Qu'elle fût menée avec l'accord de sociétés secrètes, cela va de soi. Mais de couper l'Europe en deux, et l'Allemagne en deux, pouvait. être aussi bien une vue politique, économique ou militaire, d'une Amérique pour qui l'Europe se résume en l'Alle­magne. 26:191 Ce sont là des exemples simples (et simplifiés). Sur l'échiquier international, il est difficile d'imputer aux pou­voirs connus et aux pouvoirs inconnus une politique qui, de toute manière, s'inscrit dans les intérêts et les idéologies des puissances politiques les plus fortes. C'est ce qui nous déroute souvent dans la politique américaine que nous avons toujours tendance à croire influencée exclusivement par des vues capitalistes, alors qu'une certaine tradition démocratique constitue chez elle une inspiration première. Il ne faut pas oublier non plus qu'aux États-Unis comme ailleurs il y a des pouvoirs rivaux et que, connus ou incon­nus, institués ou secrets, ils peuvent l'emporter tour à tour. Une dépêche de l'A.F.P., publiée dans « Le Monde » du 15 novembre 1974, rapporte les propos suivants du général George Brown, chef d'état-major interarmes amé­ricain : « La puissance actuelle du lobby juif est telle que vous ne pourriez le croire. Arrivent les Israéliens de­mandant de l'équipement. Nous disons qu'il est impossible d'obtenir l'appui du Congrès pour un tel programme. Ils répondent : ne vous inquiétez pas du Congrès, nous nous en occuperons. » Ces propos étaient tenus, le 10 octobre, devant les étudiants de l'université de Caroline du Nord. Le général disait encore que « les Juifs possèdent les ban­ques américaines et les journaux ». Il y a donc, aux États-Unis, un pouvoir juif très im­portant. Ce n'est pas un pouvoir légal, un pouvoir institué, mais ce n'est pas davantage un pouvoir inconnu ; c'est même un pouvoir très connu, du moins dans son existence et sa consistance. La preuve, c'est que le général Brown en parle, pour s'en plaindre. Le fait que le 13 novembre, Yas­ser Arafat ait obtenu un triomphe à l'O.N.U. montre que le pouvoir juif n'est pas le seul à New York. Certes l'O.N.U. n'est pas l'Amérique, mais on voit mal comment Yasser Arafat serait arrivé jusque là sans l'appui de quelques pouvoirs opérant dans l'ombre. La rivalité des pouvoirs a donc autant de sens que leur puissance. Ce qui est souvent difficile à discerner c'est leur stratégie, ou leur tactique. Mais toute action, pour être efficace, a toujours une part de secret. \*\*\* 27:191 Si aujourd'hui nous nous demandons qui gouverne le monde, c'est garce que nous avons le sentiment qu'il n'est plus gouverne. Alors nous voulons qu'il le soit de manière occulte, parce que si nous éprouvons une vague crainte à l'idée d'un gouvernement mondial secret, nous éprouvons peut-être, inconsciemment, une crainte plus grande encore à l'idée d'une absence complète de gouvernement, c'est-à-dire à l'idée de l'anarchie mondiale. Une société est en bonne santé quand il y a un consen­sus général sur la religion qui l'anime et que ses organes de gouvernement sont en correspondance avec cette reli­gion. (J'appelle « religion » le principe supérieur auquel est suspendue toute l'organisation de la société.) La reli­gion sociale est une sorte de Loi supra-constitutionnelle qui est à ce point confessée ou acceptée par tous que les individus ou les groupes qui se dressent contre elle sont automatiquement brisés. Une société est malade quand la Loi supra-constitution­nelle n'est plus reconnue par des fractions importantes de la société, ou quand cette Loi elle-même conduit à des contradictions qui obligent à des mensonges énormes pour les dissimuler. Autrement dit, une société est malade quand le Pouvoir politique n'est plus certainement celui qu'on voit mais qu'il est concurrencé par des pouvoirs sociaux permanents d'une importance telle que le Pouvoir politi­que, loin de les intégrer, leur est subordonné au point qu'il peut disparaître un jour à leur profit. La société présente est évidemment très malade, tant dans l'univers entier que dans chaque continent et chaque pays. \*\*\* Ces réflexions me viennent à l'esprit à propos de l'affaire du pétrole. Je ne parle pas, bien entendu, de la campagne menée en France contre les compagnies pétrolières. Elle est claire comme le jour dans ses origines et dans ses fins. Je parle de ce quintuplement soudain du prix du pétrole en 1973 et 1974 et de la crise qu'il a déclenchée. Quelle a été la part des hommes ? Que veulent exactement, aujour­d'hui, les États-Unis et l'U.R.S.S. ? Et dans ces deux pays, qui mène le jeu ? Vue de Sirius, la situation est plus réconfortante. Nous voyons bien, en effet, que deux forces gouvernent le monde : la force de l'esprit et celle de la matière. Nous voyons également que quand la force de l'esprit ne se manifeste plus dans l'ordre social, désagrégé par la force de la ma­tière, elle se retrouve dans son essence comme l'invisible semence des triomphes futurs de la vérité. 28:191 Il est difficile d'échapper à une vue religieuse de l'histoire du monde. Et qu'Israël soit au cœur du conflit des forces universelles n'est pas pour nous détourner d'une telle vue. Alors disons-nous que ceux qui gouvernent le monde sont eux-mêmes gouvernés par plus fort qu'eux. Jusqu'à la fin des temps le blé et l'ivraie pousseront ensemble. L'ennui, c'est de se trouver dans les années où l'ivraie foisonne si durement qu'on se demande si le blé y est encore mêlé. Louis Salleron. 29:191 ### Portraits arabes par Georges Laffly DERRICKS ET MINARETS, chameaux et Cadillacs plaquées or, sable stérile et mines d'huile, les deux légendes arabes se télescopent dans les esprits d'Europe. Et « les émirs » qui règnent sur ce monde participent de cette image brouillée. A juste titre d'ailleurs ; en eux, plus encore que dans les paysages qui les entourent, deux mon­des cohabitent et doivent faire lit commun. Ces cavaliers qui distrayaient leur ennui à chasser la gazelle et l'outarde, en rêvant de chevauchées évanouies, se réveillent maîtres de Wall Street, de la City, des Bourses du vieux monde. Un fils de Kadhafi s'appelle « Glaive de l'Islam ». Le vrai glaive de l'Islam, aujourd'hui, qui passe en sifflant sur la tête des Infidèles, c'est le pétrole épais et noir que sucent les derricks et sans lequel toutes les machines de l'Occident s'arrêteraient de tourner. \*\*\* A tout seigneur, tout honneur. La figure centrale de cette nouvelle puissance c'est le roi d'Arabie Saoudite, Fay­çal. C'est le fils du conquérant Ibn Saoud, descendant des princes de Daraïa qui à force de courage, d'intelligence et de chance (son action se place entre la chute de l'empire turc et le déclin de l'empire britannique) a constitué le royaume d'Arabie. Pourtant au vieux lion, c'est d'abord un fils aîné qui succède, Saoud. Ces peuples du désert passent vite aux extrêmes, de l'endurance la plus austère à la jouis­sance la plus molle. Saoud était un jouisseur. « Il mange, il mange » disait avec dédain le vieux roi son père. Assuré d'une rente énorme par l'Aramco, l'héritier ne s'occupe que de son harem, de feu et de fêtes. 30:191 Une part majeure des importations est constituée par les bijoux, les parfums (de France) et les Cadillacs que le roi distribue à ses favo­rites -- et favoris. Malgré les « royalties » du pétrole et la faible population du royaume, la situation financière se dégrade vite. Chaque fois que les choses vont vraiment mal, Saoud appelle au gouvernement son frère Fayçal. Fayçal, c'est le bédouin maigre, décharné. Son nom signifie « épée ». Il fut un excellent guerrier. C'est lui qui conquit La Mecque, en 1925, sur Hussein, aïeul de l'actuel roi de Jordanie. Un nez en bec d'aigle, des yeux brûlants, la bouche arquée en cimeterre, avec un air de mépris et de passion. Sa passion à lui, c'est la puissance et l'honneur d'Allah. Comment accepter que l'outil mis par Dieu dans les mains des Saoudites soit laissé dans des mains si débiles. D'ailleurs la santé de Saoud se délabre, il est à demi aveugle. Fayçal s'assure la fidélité des principaux per­sonnages de la cour (et d'abord des cinq mille personnes qui lui sont plus ou moins liées par le sang) et des oulé­mas. Et le 2 novembre 64, le palais est encerclé. Fayçal donne le choix à son frère : l'exil ou la mort. L'exil avec le harem et une rente de trois millions de dollars. Saoud s'en va. Cinq ans plus tard, il meurt en Grèce, oublié. L'Aramco se réjouit. Fayçal va sans doute exiger une plus grosse part du gâteau, mais va en finir avec la cor­ruption et le bakchich. Et il va améliorer le sort d'un peuple qui mendie. Mais l'Aramco se trompe. L'ambition de Fayçal va plus loin, beaucoup plus loin. Elle est d'humilier et d'évincer ces étrangers. Le ne sera pas le seul exemple d'une capacité d'adaptation qui fait que jusqu'à maintenant ces coureurs de sable ont su, à chaque tournant, trouver les hommes qui assumeraient le passage à une puissance supérieure. Fayçal commence par remplacer Tariki, ministre du pétrole, par Yamani. La révolution y perd, non la puis­sance arabe. Et cette puissance, c'est la seule pensée du roi. Il va avoir une action « sociale », « émancipatrice ». Non pas pour faire plaisir à l'Occident, dont il se moque, mais parce qu'il veut armer son peuple pour la vie où il entre. Ce réformisme ne va pas très loin, d'ailleurs : la télé est admise (alors que la reproduction de l'image hu­maine est condamnée par le Coran), des femmes musul­manes -- non saoudites -- peuvent travailler dans les bureaux. Les jeunes filles saoudiennes vont à l'école. Pour l'essentiel, l'Islam le plus rigoureux reste la loi. Fayçal est d'une famille wahabite ; un janséniste de Mahomet, en bref. 31:191 Les « concessions » au monde moderne ne sont que des ponts jetés pour permettre à son peuple d'assurer son rôle et de réaliser sa puissance. Fayçal reste un fils du désert. Sa seule fantaisie est de chasser au faucon, ou de passer son après-midi entouré de ses rapaces favoris. C'est ainsi qu'il reçoit ses sujets. Dans ce monde encore féodal, il y a un lien direct entre le roi et ceux qu'il gouverne. Il les accueille et les écoute, même les mendiants. On l'interpelle « Ya, Fayçal », tandis que les faucons royaux, gardés par des Noirs, battent des ailes sur leur perchoir. (Fayçal les a même amenés dans un voyage à Paris. Les oiseaux vivaient au Crillon, où on les nourrissait la nuit, de la viande encore palpitante de moutons égorgés.) Il vit austèrement. Depuis de longues années, il a re­noncé à la polygamie. Sa seule femme est Iffat. Le garage de Saoud était encombré de Cadillacs. Fayçal n'a qu'une Chrysler blanche. Mais ce fils du désert parle parfaitement anglais et français. Mais il a fait son premier tour du monde à 24 ans. A Cardiff, les Anglais lui ont montré leurs charbon­nages, piliers de la puissance britannique. Il a compris la leçon. Il sait que c'est lui, aujourd'hui, qui a la puissance la moitié des réserves mondiales d'énergie. Dans cette âme âpre, profondément religieuse, ce trésor du pétrole est un sine donné par Allah à son peuple. Et lui, Fayçal que peut-il faire pour répondre à ce signe, sinon assurer la puissance de Dieu sur le monde, et faire s'in­cliner les peuples devant l'étendard du Prophète 2 C'est pour cela qu'il ne faut pas prendre à la légère sa phrase sur Jérusalem, où il veut aller prier avant de mourir. Cer­tes, c'est un politique prudent, mais c'est un homme in­flexible, et qui engage sa parole royale. Et Jérusalem, pour lui, c'est une ville sacrée aux mains de l'infidèle, du juif, de l'Occident : tout ce qu'il hait. Fayçal croit dur comme fer à un complot mondial auquel travaillent en commun communistes, francs-maçons et sionistes. Il distribue à ses visiteurs les « Protocoles des sages de Sion », et ses oulémas en ont encore ces temps-ci distribués à Strasbourg, où ils venaient au Conseil de l'Europe. Cet antisionisme se distingue mal de l'antisémi­tisme. Du bout des lèvres, Fayçal accorde que « les juifs qui étaient en Palestine avant 43 peuvent y rester -- mais les autres doivent s'en aller ». Qu'on ne le croie pas beaucoup mieux disposé pour les chrétiens : il veut une mosquée a Rome, il est hors de question qu'une chapelle s'édifie à la Mecque. 32:191 Il s'agirait d'un autre, ces attitudes seraient condam­nées d'une seule voix, mais la puissance vraie intimide. On ne connaît pas de pétition contre des propos de Fayçal, et pourtant nos pétitionnaires ont la signature facile. Dix ans après sa prise de pouvoir, Fayçal tient la dra­gée haute aux « Majors » ; il fixe de sa tête de vieil aigle les pays les plus puissants, et ceux-ci lui font risette ; son rival Nasser est oublié et il est l'homme le plus puissant du monde arabe. Cependant l'âge vient, un ulcère ronge son estomac, (il a été plusieurs fois opéré), et il doit se demander si son œuvre colossale mais fragile lui survivra. Après lui, qui ? La coutume veut que l'héritier soit choi­si parmi les trente-deux fils encore vivants d'Ibn Saoud, et particulièrement parmi les sept enfants dont la mère était une Sudeiri (famille princière elle aussi). Si le poignard ou le poison, dont l'usage n'est pas oublié, ne jouent pas, le mieux placé semble être le prince Fahad ben Abdul Aziz. Il est assez connu en France. D'abord pour avoir honoré de sa prose (dans des communiqués publicitaires) plusieurs de nos grands quotidiens, afin de nous expliquer que la politique saoudite était essentiellement modeste et géné­reuse. Et aussi à la suite d'une tournée assez tapageuse dans les casinos de la Côte, à l'automne. Fahad jetait sur le tapis des monceaux de dollars, jetait des pourboires fabu­leux et avait des caprices de despote. Les Français, qui ont eu le temps d'oublier les princes russes, étaient épatés et furieux. Au retour Fayçal qui déteste le jeu et le bruit -- et puis cela se passait pendant le mois du Ramadan -- a semoncé son frère avec vigueur. Fahad a rejeté la faute sur la presse, maudite invention. Le prince Fahad est un Bédouin du type rond. La cin­quantaine, gros et jovial, d'ailleurs de haute taille, l'œil rusé avec une pointe de férocité, ou peut-être seulement de dédain. Le dédain du nomade pour le sédentaire, allié à celui du parvenu pour le pauvre. Il passe pour être partisan d'une politique « dure » en fait de pétrole. Il n'imagine pas que l'Occident puisse opposer une résistance quelcon­que. Ministre de l'Intérieur, c'est l'homme fort de l'État -- et l'homme d'avenir. La cour groupe d'abord l'essentiel de la tribu familiale, les cousins des cousins et les neveux des neveux, en même temps que leurs familiers et clients. C'est un type de so­ciété dont nous avons des exemples dans notre histoire. Mais l'irruption de la puissance économique introduit des types nouveaux dans ce monde de la puissance guerrière. Et pour commencer, les responsables du pétrole. 33:191 L'Arabie en a connu deux principaux, qui représentent deux mé­thodes, d'ailleurs contradictoires, pour récupérer la richesse découverte et exploitée par des étrangers, et pour faire aboutir le pays à la majorité (avec jeu de mots). Sous Saoud, roi faible, le grand responsable était Ab­dullah Tariki. Né en 1925, fils d'un petit fonctionnaire, il a la chance de grandir avec l'ère du pétrole. A la fin de la seconde guerre mondiale, il est envoyé à l'Université du Caire. Il y obtiendra un diplôme de géologue. Mais aussi, il se lie avec de jeunes Égyptiens hostiles aux An­glais et au roi : les futurs soutiens de Nasser. Dès lors, sa vie est tracée. Il aura la compétence, et il sera animé par la révolte. Il brûle pour la nation arabe, pour la révolution arabe. Après Le Caire, il part pour l'Université du Texas, où il réussira sa maîtrise de géologie en 1947. Les com­pagnies pensent à former des cadres indigènes. Et Tariki suit les cours de formation organisés par la Texas Oil C^ie^ (actionnaire de l'Aramco). Mais la révolte brûle toujours au cœur du jeune Saoudite. Il revient du Nouveau Monde plein d'aigreur envers les Américains : sans doute une de ces vexations, de ces blessures d'amour-propre qui chez un être jeune et orgueilleux, ne guérissent pas. De retour en Arabie, il refuse un emploi de l'Aramco et devient petit fonctionnaire des Mines. A ce sujet aussi, on raconte une histoire. Un jour, un fonctionnaire de la puis­sante compagnie, bien au frais dans sa voiture à air con­ditionné, laissera Tariki rôtir au soleil pendant deux heu­res. Il ne l'oubliera pas. En 57 -- il a 32 ans -- il est devenu directeur général du pétrole et des mines. Et il a un but : briser l'Aramco. Il tentera sa première opération en négociant une conces­sion à un groupe japonais ; excellent contrat pour les Saou­diens : 56 % des bénéfices bruts sont pour eux. Mais Ta­riki s'aperçoit avec rage que l'affaire s'est faite sans en­combre parce que le Nippon, Yamashita, s'est « entendu » avec Kamal Adham, beau-frère de Fayçal, alors premier ministre. Des rêveries « nassériennes » lui reviennent : en finir avec les vieilles familles, faire la révolution. Mais l'adversaire n° 1, c'est encore les pétroliers. Le premier grand coup que leur portera Tariki aura lieu en 1960. Cette année-là -- temps fabuleux -- la Standard Oil décide de baisser les prix de 7,5 %, sans même avertir les États producteurs. Soit trente millions de dollars en moins, pour l'Arabie : fureur de Saoud, qui laisse agir son res­ponsable des pétroles. Tariki, le Cheikh Tariki bouscule Kassem, le schah, les Arabes. Il fonde l'O.P.E.P., pour assurer les bénéfices des producteurs. Un congrès du pé­trole arabe a lieu à Beyrouth. Tariki s'y montre orateur passionné, convaincant. Il accuse les Majors de falsifier les prix, de cacher cinq milliards de dollars de bénéfice en cinq ans. C'est l'ovation. Les Arabes l'embrassent. L'O.P.E.P s'installe à Genève. 34:191 Pour Tariki, c'est un début. Il vise l'arabisation de l'Aramco. Mais il soutient aussi les Saoudiens révolution­naires du Front national de libération. Et en 62, Fayçal appelé par son frère comme premier ministre liquide cet auxiliaire qui veut aller trop loin. Abdullah Tariki est depuis expert pétrolier à l'étranger. Il est à Bagdad. le 1^er^ juin 72, pour la nationalisation de l'Irak Petroleum. Il poursuit son combat « anti-impéria­liste » en conseillant l'Algérie, la Libye, le Koweit. Tariki, c'est le plébéien révolté, qui a une rancune à assouvir, se fait craindre et perd. Yamani, c'est le techno­crate souriant, à l'aise, qui gagne et mène sa vengeance jusqu'au bout. Tariki agite une torche et se fait expulser. On lui substitue un homme qui a des manières, qui parle le même langage que ses interlocuteurs. Il rassure, s'ins­talle dans leur bureau et finit par les mettre à la porte. Deux méthodes. Ahmed Zaki Yamani est un petit homme soigné et co­quet -- il porte des talonnettes pour compenser l'insuffi­sance de sa taille. Il a été élevé dans les universités anglo-saxonnes, qui l'ont formé en gentleman raffiné et maître de soi, sans effacer en lui l'âme conquérante et subtile de l'Oriental. Il habite une aile de l'hôtel le plus moderne de Ryad. Tapis de soie au mur, de haute laine sur le plancher. Une chaîne haute fidélité diffuse la musique de films ré­cents. Ses visiteurs évoquent des silhouettes de jeunes femmes entraperçues. Luxe, calme et volupté au cœur de la ville sinistre qu'est la capitale. Mais dans ce décor vit le négociateur le plus retors et le plus implacable que l'Arabie ait opposé aux grandes compagnies pétrolières. Tariki voulait évincer les compagnies. Yamani veut les dominer. Les dominer chez elles, devenir le maître des majors. Que l'Aramco soit devenue saoudienne n'est qu'un premier pas, pour lui. Il doit compter avec l'adversaire occidental, qui ne veut pas se laisser manger, mais aussi avec la politique arabe qui préférerait du spectaculaire -- du Tariki. Yamani navigue au plus près. En 67, au moment de la guerre des six jours, Nasser pousse au sabotage de la production pétrolière dans tout le Moyen-Orient. Yamani pense que c'est une foucade qui coûte cher. Il feint de suivre, mais après quelques jours, il fait repartir la production « sauf à destination des États ayant commis une agression contre les États arabes » (Grande-Bretagne et U.S.A., selon Nasser). Cela lui coûte peu. L'essentiel du pétrole produit par l'Aramco part pour Extrême-Orient, et le reste en Europe. 35:191 Ainsi, il a su ne pas perdre d'argent, préparer la pro­chaine étape de la puissance financière arabe, sans pour autant mécontenter les susceptibles frères égyptiens et syriens. Et il passe pour un modéré, aux yeux des occi­dentaux. « L'arme du pétrole, dit Yamani, est à manier avec précaution. Sinon on tire en l'air, on rate l'ennemi et la balle vous retombe dessus. » Avec lui, pas de risques. Le jeu de Yamani est exactement le jeu de Fayçal : prendre à l'Occident sa puissance, grâce au pétrole, et vaincre la révolution arabe, irresponsable et incapable de manier « le glaive de l'Islam ». Yamani est l'homme qui convient, assez intelligent, et « sophistiqué », comme disent les Américains, pour faire croire que s'il a l'air d'exiger trop, c'est poussé par les autres Arabes, et pour ne pas passer pour un traître. Il est de ceux qui savent jusqu'où on peut aller trop loin. Peu à peu, il s'approche de son but : atteindre aux sommets mondiaux de décision : « Je veux être au cou­rant de ce qui se passe et avoir mon mot à dire. » A côté de cela, il soigne son image d'homme éclairé, attentif aux besoins du peuple. « Nous investissons pour le bien pu­blic. » Mais nul doute qu'il ne soit bien plus étranger à ce peuple que Fayçal. C'est une vieille vérité : le bourgeois a moins de choses en commun avec le peuple que le féodal. Autour de l'Arabie, un chapelet d'émirats illustre les mêmes contrastes, entre passé et monde moderne, entre appétit naïf et volonté de puissance, entre jouissance im­médiate et conquête de la puissance. Hier, c'étaient des principautés d'opérette, quelques lambeaux de désert, où règne une famille qui domine la tribu par le sabre et la ruse. Aujourd'hui, chacun de ces carrés de sable, parce qu'ils recèlent des centaines de millions de tonnes de pé­trole, représentent la même puissance que Krupp, ou IBM. Par exemple, qu'est-ce que le cheikh Zaïd ben Sultan an Nayane, maître d'Abou-Dhabi et président de la fédé­ration des émirats ? Il y a dix ans, rien, tout juste un frère cadet de l'émir en titre, Chakbout. Jusqu'en 1955, il a alors 35 ans, il vit pauvrement dans une forteresse de terre, dans un village de l'oasis de Bouraïmi. Il a une voi­ture d'avant-guerre, vieille ferraille près de rendre l'âme. La fortune lui fait un premier signe. Abou-Dhabi, dont l'émirat tire son nom, est une île du golfe (si l'on veut être gentil avec les puissances qui montent, il faut dire golfe arabe, soit dit en passant). 36:191 Mais l'émirat a aussi des territoires en terre ferme : essentiellement l'oasis de Bouraïmi, qui groupe plusieurs villages. Et à Bouraïmi, il y a du pétrole. Terre contestée, du coup : L'Arabie (donc l'Aramco) revendique l'exploitation, et les Anglais ap­puient les droits du sultan de Mascate. On essaye d'acheter Zaïd. On lui offre une Cadillac à air conditionné -- premier signe de la chance, première marque d'un « standing » raisonnable. Mais Zaïd est trop fier pour ne pas comprendre le jeu. Cet homme fin, sou­riant, au visage aigu, allongé encore par une barbiche noire, a quelque chose du renard dans sa physionomie. Et autant de ruse que Renart lui-même. Il joue contre l'Aramco. Il joue « l'indépendance », donc sa propre fortune. L'arbitrage, à Londres, se fait contre l'Arabie. Or Chakbout se rend insupportable et à son peuple, et aux compagnies. On commence à exploiter son pétrole -- et à lui verser d'assez gros revenus. Cet homme simple en est resté à l'avarice d'hier. Il joue Har­pagon. Il entasse les lingots d'or sous son lit et les liasses de billets dans ses caves. Au moment où il sera déposé, on découvrira plusieurs mètres cubes de ces papiers manges par les rats, environ deux millions de dollars. Voilà la lutte contre l'inflation. Chakbout ne donne rien à son peu­ple, partant du principe que ces gens n'ayant jamais rien eu, il ne les prive de rien. Sale, pouilleux, repoussant, il ne consent à écorner son trésor que pour se faire amener de jeunes vierges. Il est jaloux, arrogant, méfiant au point de ne pas vouloir signer un document permettant à une banque d'installer une succursale à Abou-Dhabi. Il fuit le Libanais qui l'implore à genoux d'apposer sa marque princière sur le papier. Un agronome vient lui proposer de moderniser les cul­tures à Bouraïmi. Il répond « que pouvez-vous nous ap­prendre que nous ne sachions déjà ». L'histoire veut que Zaïd, présent, écume en silence, et essaye, de ses maigres deniers, d'améliorer les cultures de l'oasis. Il devient ainsi populaire. Et Chakbout est haï. Il touche 100 millions de dollars par an, et les 20.000 habitants de l'émirat n'en ont pas une miette. Il refuse même de faire venir de l'eau à Abou-Dhabi, île où se pressent les manœuvres yéménites et pakistanais qui crèvent de dysenterie. Pourtant sur la conduite d'eau potable, qui ne coûte que 5 millions de dollars, il finit par céder, à condition de traiter non avec un roturier anglais, mais avec un lord. On lui trouve le lord. L'affaire faite, Chakbout se venge en ne payant pas son conseiller anglais, Boustead. Celui-ci réclame, ô honte. Chakbout lui envoie deux esclaves, avec deux sacs de monnaie et un reçu. Boustead signe le reçu, le donne. Les esclaves, alors : « Maintenant, tu nous donnes les sacs, le maître a dit qu'il fallait que nous les rappor­tions. » 37:191 Ce n'est pas malin. Le malheureux est un obstacle à la croissance économique (voir le coup de la banque) et au bonheur du peuple. Il doit disparaître. D'autant qu'il a refusé d'adhérer à l'O.P.E.P. Du coup, un beau jour de 66, Zaïd se présente au palais avec une troupe. Les gardes anglais regardent en l'air. Zaïd trouve son frère et lui propose le marché de Fayçal à Saoud : abdication et exil, ou la mort. Le lendemain, Chakbout part pour Londres dans un avion de la R.A.F. Et depuis, tout va bien. Zaïd ne cesse de construire des écoles, des hôpi­taux et des logements avec l'eau glacée au robinet. Il envoie ses sujets dans les universités les plus célèbres. Il appelle agronomes et experts bancaires. Il adhère à l'O.P.E.P. Son peuple engraisse et sa propre fortune fructifie. Zaïd a su épouser son siècle, et ce n'est pas pour rien qu'on lui a confié la présidence de la fédération des émirats. Il sait toujours se faire photographier avec un bambin dans les bras. Mais il possède aussi une armée de 6 000 hommes (pour 50 000 habitants au total) et une aviation formée de 8 Hunters britanniques et 14 Mirages. Le coup de Zaïd est le type de l'opération qui consiste à remplacer un chef d'État incommode et hostile au pro­grès, donc dangereux (rien de pire que les troubles popu­laires pour l'exploitation du pétrole) par un chef efficace et « moderne ». On en a eu d'autres exemples. Au Qatar, en février 72 le cheikh Khalifa Al Thani qui était premier ministre, renversa son cousin Ahmed qui chassait en Iran. Le premier geste du nouveau cheikh, petit homme ron­douillard à l'œil malin, fut d'augmenter l'armée et les fonctionnaires de 20 %. L'instruction et la médecine sont gra­tuites. On construit des logements populaires et l'on plante des arbres. Le peuple est satisfait et le pétrole coule tran­quillement. Le sultan d'Oman et Mascate, Kabous, a exécuté son coup de Zaïd le 23 juillet 70. Jusque là régnait sur le pays un homme de haute taille, à longue barbe blanche, Saïd ben Teymour, père de Kabous. Il avait grande allure, Saïd. Il était cultive, abonné aux meilleures revues, d'une grande courtoisie. Mais il avait un défaut : il haïssait le monde moderne à un point peu croyable. 38:191 « Je suis à l'avant-garde de la lutte contre le progrès technique. Les savants occidentaux eux-mêmes conviennent que le progrès fera sauter la planète. » Il rêvait pour son peuple d'une vie frugale et rousseauiste, et l'y forait de toutes les manières. Il refusait les écoles. Il interdisait le téléphone, la radio, les autos, le gaz, l'électricité -- et l'al­cool bien sûr. Il interdisait même de chanter en public. C'était peut-être un précurseur, à sa manière : aujourd'hui tous nos journaux sont pleins de récriminations contre la société de consommation, la pollution, et les dangers de la technique. L'ennui, c'est que les Omanis avaient envie de toutes ces choses dangereuses. Saïd ben Teymour était haï. Depuis des années, une partie du pays, le Dhofar était en rébellion (avec appui chinois et russe). Teymour, persuadé de sa sagesse, continuait de tout bloquer. Quand on lui parlait de soins médicaux, il répondait : « Laissez donc à la nature le soin de régler le problème de la surpo­pulation, ce fléau qui se déchaîne partout où vous appa­raissez avec vos médecins, vos infirmiers, vos méthodes aseptiques. » Cela ne pouvait durer. D'autant qu'il y a du pétrole en Oman, et que l'Oman Petroleum avait bien envie de se développer tranquillement, sans guérilla autour des der­ricks. Heureusement, partout en Arabie, le remède est placé à côté du mal. Ici, le remède s'appelait Kabous, propre fils de Teymour. Petit homme sanglé, soigné. Élève à Oxford puis à l'académie militaire de Sandhurst, il a une correction d'allure toute britannique. Ambitieux, sans doute, mais n'ayant peut-être pas l'énergie de son ambition, il fut conseillé par des gens avisés. Le 23 juillet 1970 un com­mando de vingt hommes, commandé par le cheikh Breik pénètre dans le palais. Par un curieux hasard, la garde du sultan, commandée par un Britannique, est au champ de tir. Saïd ben Teymour, homme énergique, prend un revolver et tire sur les agresseurs, puis s'enfuit dans le dédale du palais. Chasse à l'homme. Le vieux sultan finit par être blessé à la cuisse. Il refuse pendant une heure d'abdiquer, et au bord de l'évanouissement, signe enfin. Méprisant, c'est au colonel Turnhill (chef de la garde absente au début) qu'il tend son abdication. Il veut montrer qu'il sait d'où vient le coup. Deux heures plus tard, un avion de la R.A.F. l'évacue sur Londres. Il y mourra deux ans plus tard, amer. Quelques mois auparavant, il avait reçu Benoist-Méchin, et lui avait dit : « Qu'attendre d'un monde qui dresse les fils contre leurs pères ? » (Voir *Destins rompus*, éd. Albin Michel.) Il y eut une grande liesse populaire dans le sultanat quand on apprit la chute du vieil homme. Désormais, les Omanis se gorgent de radio, d'autos et de boîtes de con­serve. Les écoles et les dispensaires s'ouvrent. Kabous s'en­toure de concubines ravissantes, et quand il sort en public, Jette au peuple des pièces de monnaie. La rébellion du Dhofar s'essouffle : on réfère les joies de la société indus­trielle. Et le pétrole jaillit. 39:191 Ainsi partout on voit en place les hommes qui ont compris la situation : pour que l'or et les dollars conti­nuent de pleuvoir, il faut en distribuer une partie à la population, élever son niveau de vie, la chouchouter. C'est peut-être générosité, c'est aussi un calcul sain. Et des in­térêts puissants ont veillé à ce que ce calcul soit bien compris : on n'a pas le loisir de se payer des révolutions dans des pays qui donnent au monde la moitié de son pétrole. Exemple de despote éclairé : le cheik Issa ben Sulman Al Khaîfa, qui dirige Bahrein. Bahrein est une île très riche, très peuplée. Le cheikh, qui a 41 ans, va même plus loin que la plupart de ses pairs. Il ne veut pas d'une prospérité fondée sur le pétrole. Il n'en exporte que 4 mil­lions de tonnes par an. Mais Bahrein possède des usines alimentaires, et autres où l'on raffine l'aluminium d'Aus­tralie. Petit, gros, avec une épaisse moustache noire, le cheikh Issa est un bon vivant. Il accueille volontiers les Occidentaux de Bahrein dans son palais au bord de la mer. Mais les deux vrais plaisirs de cet homme richissime sont de regarder les courses de chevaux arabes, ou d'aller vivre un ou deux jours auprès de ses troupeaux de chameaux, dans les steppes arabiques. Là réapparaît le vieux cœur bédouin, chez un homme qui d'ailleurs montre de grandes qualités de gestionnaire moderne. Sur Doubaï règne le cheikh Rachid Ben Saïd Al Mak­tum. Lui non plus ne veut pas compter sur le pétrole « L'avenir, dit-il, c'est le commerce. Notre rôle est moins la production que le transit. » Il est vrai que la richesse traditionnelle du Doubaï est fondée sur la contrebande de l'or (vers l'Inde en particulier, qui thésaurise beaucoup ce métal). Mais le commerce ce peut être autre chose : et Doubaï est en train de devenir un port immense, un Rot­terdam du Golfe persique. Et celui qui a fait ce choix, c'est cet homme à la barbe poivre et sel, à l'air roublard, qui vit très simplement. Il reçoit ses visiteurs dans un bureau qui ne contient qu'une table écaillée et quelques meubles métalliques. Il parle en fumant une pipe minus­cule, qu'il bourre d'un tabac âcre. La tabatière n'est qu'une vieille boîte de médicaments. La passion du cheikh, ce n'est pas la richesse, c'est le commerce. Mais Doubaï n'en est que plus riche. 40:191 Le Koweït, un peu comme la Pologne selon Ubu, c'est nulle part. C'est un triangle de terre revendiqué par l'Irak et par l'Arabie saoudite, plus deux zones neutres, qui ne sont ni Koweitiennes, ni Saoudites. Là-dessus vivent cinq cent mille Bédouins, plus nombre d'étrangers, dont deux cent mille Palestiniens. Rien de plus fragile, quand par-dessus le marché, ce sol produit des dizaines de millions de tonnes d'or noir. Le cheikh Abdullah al Saliur Al Sabah l'a bien com­pris. Quand il succède à son père, en 1950, il décide d'ou­vrir les vannes du trésor. Très vite, les Koweïti devien­nent fabuleusement riches. Actuellement, un lit d'hôpital pour quatre-vingts habitants, un enseignant pour dix élè­ves, tout le monde ou à peu près est propriétaire -- et tous les travaux ennuyeux faits par des étrangers. Cette prudence a permis au cheikh Abdullah de garder son trône -- et à sa nombreuse famille de se payer mille caprices. Le gaspillage est fabuleux, à tous les échelons de la société, mais dit sagement Abdullah : « Cela fait partie de ce processus qui consiste à apprendre à vivre avec le pétrole. » Autre preuve de prudence : en 56, au moment de l'affaire de Suez, le cheikh disparaît pendant trois se­maines dans une île écartée. Coupé de son gouvernement, coupé de la Grande-Bretagne dont il était un protégé, il n'avait pas de décision à prendre. Cela lui permit de voir où tournait le vent. Depuis, il a choisi une politique d'aide aux Palestiniens. D'abord parce qu'ils constituent plus d'un quart de la po­pulation, et que cette force pourrait être dangereuse, et ensuite parce que cette aide lui donne, et donne aux Koweiti, bonne conscience. Il s'assure contre les risques de l'avenir en faisant des placements à l'étranger. Pays ban­que, dirigé par un banquier avisé, c'est le secret de l'équi­libre du Koweït. \*\*\* Les personnages qu'on vient de voir ont un trait commun. Leur pouvoir vient d'abord de leur appartenance à une famille princière. Même s'ils ont accédé au trône par un coup d'État, ces coups d'État restent des affaires de famille. C'est un monde traditionaliste qui se partage la péninsule arabique. Mouamar Kadhafi, lui, est arrivé au pouvoir par un coup d'État d'un autre style. Ce n'est pas un héritier, c'est un homme du peuple. Officier, il représente un corps qui dans la plupart des pays du Tiers-Monde est un des rares moyens de promotion sociale, et où l'on trouve une volonté politique révolutionnaire. 41:191 A d'autres égards, il ressemble à une image inverse de Fayçal. L'homme jeune et le vieillard, le boursier et le prince ont en commun d'être d'abord des hommes du dé­sert ; et de rêver nuit et jour à la puissance arabe, à l'unité arabe. Mais Fayçal rêve en politique, et Kadhafi en star. D'un côté Richelieu, de l'autre un Buckingham favori des foules. Impossible de s'entendre. Avec sa prestance, son talent oratoire, son air de chat sauvage, un mélange de fougue et d'austérité, Kadhafi s'est imposé. Il est l'idole des jeunes Arabes, du Maroc à Oman. Ils épinglent son portrait au mur comme il épinglait lui-même le portrait de Nasser. Il n'est pas sûr que les Libyens soient tous aus­si enthousiastes. Mais pour beaucoup d'autres il est l'incar­nation du réveil arabe, il est le « Mahdi » l'envoyé céleste qui accomplira les destins. Et Kadhafi lui aussi le croit. Il est né en 1942, à 500 km de Tripoli, dans le désert des Syrtes. C'est un garamante. Cette tribu préféra s'enfon­cer dans le désert plutôt que de reconnaître la loi romaine. Elle produit toujours des réfractaires. Chance pour l'en­fant : à sept ans, il est soigné par des religieuses italiennes. Elles remarquent sa vivacité d'esprit, lui apprennent à lire. Il reste trois ans chez elles. Elles représentent ce qu'il déteste : la croix, et le pays colonisateur, et pourtant sans elles, il ne serait qu'un chamelier dans un bled perdu. Il va au lycée et en 63, il entre à l'académie militaire de Benghazi. Déjà ce jeune homme ardent, impérieux, vo­lubile, inquiète ses maîtres et entraîne ses compagnons. Déjà, il est nassérien : Nasser, l'homme qui va réveiller le géant arabe, lui montre la voie. Un an plus tard, Kadhafi est envoyé en stage à Sandhurst, l'école militaire britan­nique. On connaît l'anecdote célèbre. Un soir, entraîné dans un night-club par d'autres officiers, il voit attablé, jouant gros jeu et perdant, un haut fonctionnaire libyen. Il est fou de colère : « C'est ainsi que se gaspille l'argent de mon pays, tandis que les enfants du peuple mangent des détri­tus. » Et il décide de renverser le roi Idriss. Vraie ou fausse, l'anecdote n'a pas tant d'importance. Depuis l'ado­lescence, Kadhafi voit dans son pays la corruption et la noblesse, depuis l'adolescence, il se sent appelé à une mission. Le roi Idriss est déposé en douceur le 1^er^ septembre 1969, et remplacé par un Conseil de la Révolution, dont l'âme est Kadhafi. Il a vingt-sept ans, et il est le maître d'un pays jusqu'ici à peu près stérile, mais d'où sortent maintenant plus de cent millions de tonnes de pétrole (on ira jusqu'à cent quatre-vingts, puis on restreindra volontai­rement). C'est une arme extraordinaire dans les mains d'un homme qui a un but. 42:191 Pour Kadhafi, toute vérité est dans le Coran. Il faut d'abord ramener la Libye à la vérité, puis unir les Arabes autour du livre. Et le reste du monde comment ne s'incli­nerait-il pas à son tour, pour reconnaître la vraie foi ? Commençons par la Libye. Il chasse les corrompus, il impose la loi musulmane la plus stricte, lui-même ne boit pas, ne fume pas, observe les cinq prières quotidien­nes, redouble de travail pendant le Ramadan -- car au­trement, où serait le mérite ? Mais les peuples sont prompts à applaudir, lents à se transformer. Kadhafi veut tout voir, tout surveiller. Comme Haroun-er-Rachid, il se promène incognito. Un jour, enveloppé dans une djellaba, il se présente dans un hôpital. On le fait attendre. Il entend, à côté, les rires des internes et des infirmières. Il sollicite d'être reçu. On le renvoie à son banc. On s'occupera de lui plus tard. Alors, il soulève son capuchon et montre son visage aux farceurs terrorisés. Il adore ces coups de théâtre. C'est un homme romanesque. Il épousera une infirmière qui lui avoue qu'elle a été payée pour le tuer. L'autre face de ce caractère, c'est qu'il est très impressionnable. Il mettra longtemps à se remettre de la vue d'un accident (ou attentat) qui renverse sous ses yeux une voiture proche, tuant plusieurs de ses gardes. Transformer la Libye, changer ces hommes en un peuple de fer, il s'y acharne. Un peu comme Mussolini s'acharnait à changer ses Italiens en légionnaires romains. Et sans meilleur succès. La « révolution culturelle » dé­clenchée en 73, a pour but d'éliminer les impuretés non islamiques. On brûle des disques, des livres de Sartre (n'exagérons rien, il y en a peu), on casse des bouteilles d'alcool. Et surtout il se crée partout des comités révolu­tionnaires où s'exprime la verbosité naturelle du crû, et où éclatent d'interminables chicayas. Mais quand Kadhafi ouvre des registres de volontaires pour aller libérer la Palestine, il n'y a que deux hommes pour s'inscrire. Deux. Et aucun volontaire pour apprendre à piloter les Mirage. C'est Kadhafi lui-même qui le dit, avec amertume, pour fustiger son peuple. Faire l'unité du monde arabe, second but. Kadhafi la propose à l'Égypte d'abord, puis à la Tunisie, escamote la décision à Djerba, pour se retrouver tout seul trois jours plus tard. Bourguiba s'est repris, ou a retrouvé ses esprits. 43:191 On peut trouver comique cet homme qui apporte une belle corbeille de noces et qui voit s'échapper tour à tour sa fiancée de droite et sa fiancée de gauche. On l'accuse de lé­gèreté, d'instabilité. Pourtant, ce n'est pas exact. Les obstacles qui paraissent grands à Sadate ou à Bourguiba n'existent pas pour Kadhafi. Il voit plus loin. Et il est pressé. Les lois, les règlements, les habitudes à changer, ce n'est rien pour lui. Il a de l'argent, et l'argent permettra tout. Mais il devine avec rage que l'Égypte et la Tunisie sont bourrées de microbes de l'Occident. Ce qu'elles refu­sent, en refusant l'union avec la Libye, c'est de s'astreindre à l'Islam pur. L'Occident, Kadhafi le méprise. « Vous avez abandonné le Christ » dit-il. Lui n'abandonnera pas le Croissant. Il dénonce -- encore un trait commun avec Fayçal -- « la collusion entre le communisme, l'impérialisme et le sio­nisme ». Et partout où il peut, il soutient la lutte contre ce complot de l'erreur. Il aide les Palestiniens. Il aide les musulmans du Népal, des Philippines ! Et il aide aussi les Irlandais. Et comme ses coffres sont immenses, la plupart des terrorismes du monde n'ont pas de soucis financiers. On se tromperait en croyant qu'il veut détruire par anar­chisme, ou pour installer un socialisme marxiste. Il croit vraiment qu'à la fin, le Coran triomphera partout. Ce furieux qui l'an dernier voulait obtenir le renvoi d'un directeur de journal italien -- la Stampa, qui avait publié des plaisanteries à son sujet -- ne voit pas la frontière entre le possible et l'impossible. C'est peut-être la définition du fanatisme. Mais il y a une sorte d'innocence dans ce fana­tisme, et elle explique peut-être que Kadhafi, vivant tou­jours dans son rêve, ait raté jusqu'ici tout ce qu'il a entre­pris -- mis à part son coup d'État. \*\*\* Mystiques ou commerçants, vieux cavaliers féodaux, bourgeois élevés à Harvard, banquiers ou, comme le dicta­teur libyen, prophète en uniforme, les nouveaux maîtres du pétrole ont réagi, chacun à leur manière, devant une situa­tion étonnante : passer du néant à une puissance colos­sale. Situation peut-être moins surprenante pour eux que pour nous. Eux savent que le monde est dans la main de Dieu. Et depuis l'enfance ils sont bercés de ces contes où un génie sort d'une bouteille et se met au service d'un men­diant, d'un pêcheur. Il lui apporte des palais, des armées, organise des fêtes somptueuses. 44:191 Et puis soudain, le génie rentre dans sa bouteille, le palais et les armées s'évanouis­sent et le pêcheur se retrouve près de la barque en bois. On verra si la vie termine ses chapitres comme les contes. Georges Laffly. Une bonne part des informations que contient cet article est tirée du livre de Léonard Mosley : *La guerre du pétrole* (Presses de la Cité). 45:191 ### Le Portugal sous la botte *suite* par Jean-Marc Dufour COMME TOUTES LES RÉVOLUTIONS, la révolution portugaise est une succession de « journées ». Il y a eu le 16 mars : un échec ; le 25 avril : la réussite ; le 28 septembre : la confirmation. Il y a eu aussi le 13 dé­cembre dont on a très peu parlé. Il aurait pu y avoir le 25 janvier. Mais revenons au 13 décembre. Ce jour-là les commandos du Copcon arrêtèrent dix citoyens portugais. Ils en cherchaient douze, mais deux, plus habiles, plus heureux, ou mieux informés, ne cou­chèrent pas chez eux ce soir-là. Ces arrestations ne pré­sentent en soi aucun intérêt. C'est tous les jours que des citoyens portugais se retrouvent en prison. Sans savoir pourquoi. Sans que leurs proches en sachent plus. Sans savoir quand il sera statué sur leur sort -- un des premiers soins de la république « éclairée » de Spinola, Costa Gomes successeur, ayant été de délivrer la justice militaire des ser­vitudes de l'*Habeas Corpus* dont l'avaient empêtrée les gouvernements fascistes de Salazar et de Caetano. C'est ainsi que huit avocats sont en prison sans que cela se sache (la presse est libre, mais muette) et aussi un des anciens membres de la première *Junta de Salvaçao national :* le général Jaime Silverio Marques. Donc, le 14 décembre, rendant compte de ce qui s'était passé la veille, le *Diario de Noticias* titrait massivement en première page : *Sur l'ordre du Copcon Dix capitalistes sur les douze contre lesquels il y avait un mandat d'arrêt* *pour* « *actes de sabotage économique *» *sont à Caxias.* 46:191 Le lendemain, doit-on le dire, un des « criminels » manquant à l'appel vint de lui-même se présenter aux autorités : il fut, lui aussi, mis en prison. Le nombre des dangereux criminels sous les verrous se montait ainsi à onze. Lorsque je parle de dangereux criminels, je n'exa­gère pas, ou du moins je ne fais que refléter les accents enflammés de la presse portugaise : les communiqués of­ficiels précisaient que les arrestations -- effectuées sur un ordre personnel de Vasco Goncalves -- avaient eu lieu « en exécution de principes exprimés dans le programme officiel des hommes qui firent le 25 avril « mesures qui conduisent à un combat efficace contre la corruption et la spéculation ». « Une accusation a déjà été portée, et en partie notifiée, celle de sabotage économique. L'accusation est grave, suffisamment pour que, à l'heure que traverse le pays, on emploie des mesures d'exception. » Je passe sur « l'heure que traverse le pays », c'est là un des poncifs de la presse portugaise ; je suis sûr que, en relisant Eiça de Queiros, on trouverait dans ses romans de la fin du XIX^e^ siècle des « heures traversées par le pays ». A l'époque on en riait. Le Portugal révolutionnaire n'a pas renouvelé son stock de clichés, mais a perdu l'habitude d'en rire. Donc, le coup était fait : les banquiers je les enferme... Erreur, ce n'est pas un Portugais qui a dit ça... Les ban­quiers étaient en prison, le crime était quasi-prouvé -- puisque le président du conseil avait « lui-même » demandé l'arrestation --, lorsque cette si belle pièce montée s'écrou­la presque complètement. Pourquoi, aussi, avait-on confié l'instruction à un magistrat civil ? Et honnête. Et sans am­bitions. Du jour au lendemain, les malfaiteurs, saboteurs, capitalistes, etc. se retrouvèrent en liberté. Les uns sous caution, les autres aussi libres que vous et moi. Remarquez que tout n'a pas été manqué. On avait eu la prudence de faire deux lots, pour deux juges. L'un manqua à tous ses devoirs : il libéra. Le voisin fut plus prudent. La libération des pseudo-saboteurs fut d'autant plus malencontreuse que le gouvernement -- soutenu par « o povo », le peuple -- avait commencé, avant tout jugement, à prendre des mesures de rétorsion à l'égard de ces capi­talistes : « L'emprisonnement des douze administrateurs d'entre­prises décidé par le gouvernement provisoire -- oh Mon­tesquieu, oh séparation des pouvoirs ! -- a été immédiate­ment suivi de mesures de mise sous séquestre de Torralta et d'autres entreprises de ce groupe, dont l'administration a été suspendue, comme nous l'annoncions par ailleurs, jusqu'à ce qu'ait été nommée une commission chargée d'administrer ces sociétés. » 47:191 « Effectivement, selon le décret-loi n° 660/74 du 25 no­vembre 1674, article premier -- les entreprises privées, individuelles ou collectives, qui ne fonctionnent pas et ne sont pas en mesure de contribuer normalement au développement économique du pays ou aux intérêts supérieurs de la collectivité nationale, pourront être aidées par l'État pour l'obtention des moyens financiers indispensables à leur fonctionnement normal et, en cas de nécessité, sujette à une « intervençao » directe de celui-ci dans leur gestion. » (L'*intervençao* ce n'est pas la nationalisation, c'est la mise sous séquestre et la nomination d'un administrateur par l'État ; cela revient en pratique au même.) Cette explication étant donnée, je ne sais ce qu'il faut admirer le plus. La venue au monde quasi-miraculeuse d'un décret-loi du 25 novembre tout neuf pour être appliqué le 13 décembre. La prodigieuse hypocrisie de la rédaction de cet article 1, qui commence par prévoir que l'État peut aider les pauvres entreprises en difficulté, pour finir en organisant la spoliation et le racket ! Dire que l'affaire passa inaperçue serait une grande erreur. L'*Expresso* -- dernier espoir des banquiers encore en liberté -- a consacré une page entière aussi claire qu'un seau de goudron, à « ce que fut (et ne fut pas) le 13 dé­cembre ». Du côté des satellites du Parti Communiste, on pavoisa d'abord, pour s'indigner ensuite (lorsque les in­nocents furent relâchés). Le M.D.P./C.D.E. annonça d'au­tres arrestations toutes proches et se livra à un amalgame merveilleux entre : la lutte contre les monopoles, l'unité syndicale, la présence du M.F.A. à l'Assemblée Consti­tuante et les attaques contre le Parti Socialiste. A la base, les syndicats envoyèrent des motions ap­puyant unanimement l'emprisonnement des banquiers et des capitalistes. Les seuls qui se trouvèrent dans une posi­tion incommode furent les avocats des capitalistes inculpés. Ceux-ci avaient, en effet, choisi des défenseurs dans la gauche extrême sinon l'extrême-gauche du Barreau lis­boète. Entre les camaraderies de parti et leur devoir de défenseurs, les avocats en question choisirent une position de principe, raide et gênée, qui ne fut pas la moindre sour­ce d'amusement dans cette affaire. 48:191 Tous ces aspects secondaires pourraient faire perdre de vue ce qui s'est en réalité joué entre l'arrestation et la libération des « saboteurs-capitalistes ». Les discours d'Al­varo Cunhal le rappellent heureusement. Durant toute cette période, le secrétaire général du P.C. portugais et ministre d'État n'a cessé de dénoncer le grave danger dans lequel se trouvait, d'après lui, l'économie portugaise : « Pour pro­téger l'économie d'un grave collapsus, il n'y a pas d'autre moyen que la nationalisation des banques privées », dé­clarait-il au congrès du P.C. « Il n'y a pas de démocratie politique sans démocratie économique », affirmait de son côté Jose Tengarfinha au congrès du M.D.P. de Porto. « Pas un des grands groupes capitalistes n'a pris une posi­tion de coopération avec la démocratie du 25 avril », reprenait Cunhal. On pourrait multiplier les citations. ##### *L'affaire de l'unité syndicale.* Je l'avais déjà abordée dans le précédent numéro d'ITINÉRAIRES. Je ne reviendrai donc pas longuement sur ce point. La question est de savoir si la loi imposera le syndicat unique. Le Parti Communiste est pour, ses satel­lites -- M.D.P./C.D.E. et l'Intersyndicale -- aussi, bien entendu. Tous les autres partis politiques sont, en principe, contre. Le parti le plus en flèche dans cette bagarre est le Parti socialiste de Mario Soares. Mais il faut bien s'enten­dre sur ce que signifie l'expression « les partis ». Je citerai ici un passage de l'article d'Ismael Medina, publié dans son numéro 302 par l'hebdomadaire espagnol *Indice*. Cet hebdomadaire est un organe de gauche, d'une gauche socialiste bon teint ; sa lecture me laisse rêveur quand je pense aux habituelles récriminations sur la censure qui sévit en Espagne. L'opinion qui s'exprime là est celle d'un homme de gauche et l'observateur dont les propos sont relatés est, lui aussi, un homme de gauche. Jugez : « *Lorsque, il n'y a pas très longtemps, le secrétaire de la II^e^ Internationale socialiste revint du Portugal, il prit un soin spécial à convoquer à Barcelone une réunion de ses pupilles espagnols. Il avait découvert à Lisbonne une vérité amère : il n'existait pas de parti socialiste, il n'existait pas de parti social démocrate, il n'existait pas de parti démo­crate chrétien, ni de parti libéral... De toutes ces présomp­tions de* « *partis *» *il n'existait en réalité que des* « *cama­rillas *» *d'amis, sans crédit populaire ni même bourgeois... Au Portugal, il existait une seule force politique réelle, maîtresse de la situation : le Parti Communiste. *» 49:191 Dès lors, on comprend parfaitement que, pour cette apparence de parti qu'est le Parti Socialiste Portugais, il est vital que le P.C. ne mette pas la main sur le syndicalisme -- ce qui supprimerait, pour les amis de Mario Soares, non pas toute existence réelle, mais tout espoir d'y parvenir un prochain jour. Ce qui est important, dans la bataille qui vient de se livrer, ce qui doit retenir notre attention, ce n'est pas l'exis­tence du parti de ce voyou qu'est Mario Soares -- j'expli­querai un peu plus loin le « pourquoi » de cet adjectif -- mais les positions des divers éléments de pouvoir. On croyait que le *Conseil des 20,* organisme suprême du M.F.A. mis en place après le 28 septembre, s'opposerait à l'imposition de l'unité syndicale. Le Conseil des 20 l'a acceptée « à l'unanimité ». Un ami venu de Lisbonne me dit que cette information pêchée dans la presse portugaise, est fausse, qu'il y en a eu 9 sur 20 pour voter contre, mais qu'ils se sont rallies à la majorité. Et qu'est-ce que cela peut bien faire qu'il y en ait eu 9 ou 8 ou 7, du moment qu'ils ont fini par se rallier aux autres ? Deuxième obstacle : le gouvernement. Là, il y avait des ministres socialistes, deux au moins. Mais l'un était à Bonn et l'autre en Algarve lorsqu'on discutait à Lisbonne. Le gouvernement a adopté le principe de l'unité syndicale. Après quoi, les socialistes ont commencé à se rendre compte du piège dans lequel, par sottise gonflée, ils étaient tombés. Ou bien ils quittent le gouvernement et celui-ci est entièrement dans les mains des communistes. Ou bien ils restent au gouvernement, mais comme ils y sont en minorité, ils ne font que cautionner la politique du Parti Communiste. Quoiqu'ils fassent, ils sont pris. Quant au terme de « voyou » appliqué plus haut à Mario Soares, en voici les explications. 1) Lors de son voyage aux Indes (qu'allait-il y faire ?), Mario Soares a pris un visible plaisir à se flaire photographier, déguisé en mamamouchi, à une soirée donnée en son honneur (*sic*) à Goa. Le reporter qui accompagnait le ministre a constaté avec une visible stupéfaction que les rues de Goa portent encore des noms portugais. Les pierres, souvent, ont plus de mémoire que les gens. Cette mascarade ne serait rien si Soares n'avait profité du voyage pour faire livrer à l'Inde les archives de Goa -- vieilles de plusieurs siècles et qui se trouvent actuellement au Portugal -- et si, par la même occasion, il ne s'était pas empressé de reconnaître la validité des thèses indiennes dans le procès qui opposa autrefois l'Inde et le Portugal devant la Cour de Justice internationale de La Haye, *procès que le Portugal avait gagné.* 50:191 2\) On croirait que, dans le genre, il est impossible de faire mieux. Erreur, profonde erreur. Le même Soares, ou ses services, et cela revient au même, avait eu l'idée de désigner, pour siège du « sommet » concluant la décoloni­sation de l'Angola, la ville de Sagrès. « C'eût été, écrit *Perspectives,* un choix hautement symbolique, puisque c'est de là que le prince Henri le Navigateur organisa, au XV^e^ siècle, les voyages qui amenèrent les premières décou­vertes de l'Afrique par les Portugais. » Ce qui prouverait à soi tout seul le malheur du Portu­gal, c'est que Mario Soares risque bien de devenir -- s'il ne l'est déjà -- le dernier espoir des Portugais non-com­munistes. Des amis revenus du Portugal ces jours-ci me disent, en effet, que l'atmosphère de la rue s'est modifiée presque du tout au tout depuis quinze jours. Alors que l'apathie régnait uniformément, que les bouches cousues et les oreilles bouchées étaient de règle, que la peur suin­tait visiblement des façades, brusquement tout a changé. On dit ce qu'on pense. Et si, souvent, « ce qu'on pense » n'est pas très malin, on a au moins le courage de le dire. L'opposition visible entre le Parti Communiste et les autres partis de la coalition gouvernementale à propos de l'unité syndicale a fait disparaître la crainte révérencielle du Parti Communiste. Le tout, additionné de comportements qui pourraient faire naître de dangereuses illusions. « L'opposition au P.C. semble bien s'être unie, me dit-on ; les socialistes vont aux réunions du P.P.D. et les militants du P.P.D. à celles du Parti Socialiste. » L'enthousiasme de mon interlocuteur était tel que je n'osai pas lui dire que c'est ainsi qu'on se leurre sur la réalité des forces de l'opposition anti-com­muniste. ##### *La* «* constitutionnalisation *» *du M.F.A.* C'est l'autre grand thème de bataille. On en parle moins à l'extérieur mais il est, en définitive aussi important, sinon plus, que l'unité syndicale. Parce que, après tout, la loi peut supprimer ce qui a été décidé par décret ; il n'est pas difficile d'accorder, demain, le droit d'exister aux syndicats qui voudraient se former. 51:191 Il en va tout autrement si, d'une façon ou d'une autre, le Mouvement des Forces Armées devient un organisme constitutionnel. Là il sera malaisé de revenir sur la déci­sion : il est extrêmement compliqué, en effet, d'enlever son assiette et son beurre à un monsieur qui possède pistolets, fusils, canons, chars et autres moyens de dissuasion. Si les Forces Armées entrent dans la Constituante, si le M.F.A. est déclaré institution permanente, qui pourra reprendre aux militaires les os et la viande qu'on leur aura donnés ? La bataille pour ou contre la « constitutionnalisation » du M.F.A. se poursuit actuellement. Sont pour : le M.F.A. (sauf l'aviation semble-t-il), le Parti Communiste, et le M.D.P./C.D.E. ; sont contre : Costa Gomes, Vasco Gonçal­ves (dit-on) et tous les autres partis politiques. Les slogans qui sont affichés lors des campagnes de « esclarecimento do M.F.A. », c'est-à-dire des campagnes où le M.F.A. va porter la lumière aux populations attardées du Nord du Portugal (le plus gros foyer monarchiste du pays), sont significatifs par leur évolution même. Au début, c'était l'éloge de l'union « Povo-M.F.A. » : Peuple et Mou­vement des Forces Armées. Maintenant, une légère addi­tion vient corser le bouillon. « Unidade Povo-M.F.A. contra os Monopolios. » Cela se passe de traduction. Le journal qui publie la photographie du bureau de la réunion et du calicot qui le surmonte, titre, juste au-dessus, un autre article : « Manifestation d'Appui au M.F.A. organisée par le F.S.P. (front socialiste populaire), le M.D.P. (Mouvement Démocratique Portugais), le M.E.S. (Mouvement de la Gau­che Socialiste) et le P.C.P. (Parti Communiste Portu­gais). » Bel assemblage. Parmi ceux qui s'opposent à cette constitutionnalisa­tion, et à la participation du M.F.A. à l'Assemblée Consti­tuante qui devrait être élue le 25 avril au plus tard, l'Ar­mée de l'Air portugaise. Les motifs de cette opposition sont savoureux. Je n'en résumerai que le début : « *Si le M.F.A. occupe un certain nombre de sièges dans l'Assemblée Constituante,* disent les aviateurs, *les mauvaises langues pourront dire que c'est pour renforcer les positions du Parti Communiste et du M.D.P./C.D.F....* » Un avis aussi autorisé rend inutile tout commentaire. ##### *La censure et la justice* Depuis la chute de la « dictature », la presse portugaise est libre. Libre de dire ce qui plaît au gouvernement. Les amendes prononcées -- entre autres, contre la feuille dio­césaine *Leiria* coupable d'avoir demandé à ses lecteurs de dire un chapelet pour le salut du Portugal, ce qui fut con­sidéré comme une « agression idéologique » -- ont mis les journaux survivants au pas. 52:191 Le seul journal de droite -- *Bandarra --* a publié deux numéros, ensuite de quoi son principal rédacteur a disparu dans les prisons portugaises à l'occasion du 28 septembre : la manifestation manquée de la « majorité silencieuse » a au moins servi à rendre si­lencieuse la majorité des Portugais. J'ai publié dans le dernier numéro d'ITINÉRAIRES le compte rendu de la réunion syndicale des typographes lis­boètes refusant d'imprimer le livre de Marcellano Caetano et déclarant que refuser d'imprimer un ouvrage de cette sorte n'était pas de la censure. Ce ne doit pas être non plus de la censure que refuser d'imprimer les livres de Galvao de Melo ou de Sanchez Osorio. Pour mettre la loi en accord avec l'usage, le Conseil des Ministres vient d'approuver une loi de presse qui est actuellement sou­mise au Conseil d'État. Cette loi « prévoit les moyens à employer par l'État pour réprimer les crimes commis au moyen de la presse, et spécialement ceux qui revêtent un caractère particulier de gravité, pour s'opposer au proces­sus de démocratisation en cours ». Là où l'affaire devient exemplaire pour qui sait la cen­sure interne que font peser les typographes dans chaque journal (qu'on se rappelle la note encadrée au beau milieu du dernier discours de Spinola pour expliquer que les ouvriers du *Diario de Noticias* n'étaient pas d'accord avec le Président de la République) c'est lorsqu'on lit le texte suivant : « *Étant donné que la direction tentera toujours de cen­surer ou de retarder la publication de quelque texte, ce seront les travailleurs eux-mêmes qui décideront exclusive­ment de leur publication ; le Conseil de Rédaction devra être appelé à se prononcer sur le texte en cause, et les tra­vailleurs des autres sections* (*typographie, gravure, impres­sion, etc.*) *garantiront l'exécution de la décision prise indé­pendamment de la décision de la direction. *» Comme ajoute l'*Expresso,* d'où est tirée cette informa­tion : « A ce stade de la lutte, les travailleurs du *Jornal de Noticias* ont reçu l'appui (...) des partis et organisations qui suivent : Parti Socialiste (...). » Cela n'empêche pour­tant pas le même Parti Socialiste de se plaindre de la cen­sure dont il est la victime... à la Télévision. Et, puisque j'ai abordé la question des modifications apportées au Code portugais -- afin qu'il puisse être tenu pour l'instrument de cette « légalité révolutionnaire » que les actuels dirigeants lisboètes veulent implanter dans leur pays --, il convient de saluer le projet de loi sur « la répression du banditisme ». 53:191 Sont considérés comme bandits, les délinquants qui ris­quent d'être condamnés à une peine de plus d'un an de prison. Comme me le faisait remarquer un ami portugais, cela comprend tous ceux qui, par malheur, ont involontai­rement tué quelqu'un dans un accident de la route : le code actuel prévoit une peine allant jusqu'à deux ans de prison... Pour ces « bandits », pas de quartier. Ils peuvent être détenus par la police, ou par la gendarmerie, ou par le garde-champêtre, sans qu'il soit nécessaire de les présenter à un juge. Le besoin d'une juridiction nouvelle contre le « bandi­tisme », contre la presse, est particulièrement instructif : puisqu'il faut adopter de nouvelles lois, c'est qu'il n'en existait pas d'équivalentes sous la « dictature ». La police d'alors devait, dans un délai normal, présenter ses prison­niers au juge d'instruction ; il existait de même, on l'a vu, un *Habeas Corpus --* supprimé déjà en ce qui concerne la justice militaire, et en passe de l'être dès qu'il s'agit de « bandits » qui auront eu un accident un peu grave en rentrant chez eux le soir. Le piège, peu à peu, se referme... Jean-Marc Dufour. ● *Voir dans la rubrique* « Documents » : *le livre de Caetano.* #### Petit concours Voici deux articles marqués « A » et « B ». L'un a été publié par le journal communiste *Avan­te *; l'autre, par *Movimiento,* bul­letin du Mouvement des Forces Armées (M.F.A.). QUESTION : lequel de « A ou de B a été publié par *Avante *? le­quel par *Movimiento *? Adresser la réponse à Jean-Marc Dufour, « Itinéraires », 4, rue Ga­rancière, 75006 Paris. Le lecteur qui aura envoyé le premier une réponse exacte re­cevra en prix un timbre de la série émise par les Postes por­tugaises pour commémorer le sou­lèvement du 25 avril, avec le ca­chet spécial. 54:191 Beau cachet : on y voit deux mains précédemment enchaînées, les fers brisés, l'une des mains fait le « V » de la victoire (les doigts sortant du cadre font pen­ser à une paire de cornes, mais ne chicanons pas), l'autre salue en levant le poing : Autour : M.F.A. -- Movimiento des forças ar­madas. C'est tout, mais c'est clair. TEXTE « A » Le 26 avril, le M.F.A. apparut à la lueur du jour, révolution­nant la vie politique et sociale portugaise et offrant au pays un programme révolutionnaire, qui fut largement approuvé par le peuple et auquel il s'est rallié. Le processus révolutionnaire initié le 25 avril ne s'est pas achevé et ne pouvait s'achever par des élections à la Constituan­te. Le programme des M.F.A. est en cela suffisamment clair, qui affirme en son point 3a que « la période *d'exception* se terminera aussitôt que, en accord avec la nouvelle Constitution Politique, seront élus le Président de la Ré­publique et l'Assemblée Législa­tive » ; cela signifie que jusque là *et donc durant toute l'année 1975 la direction du processus relève du M.F.A.* Les actuelles forces *politiques* ne devront pas attribuer aux élec­tions à la Constituante une signi­fication différente de celle qu'elles ont réellement. Ces élections se­ront un acte politique significatif, comme l'un des premiers pas du peuple portugais dans l'appren­tissage de la démocratie, elles ser­viront objectivement à ce que le peuple choisisse les hommes qui formeront la Constituante. Le M.F.A. aurait pu décider de nommer, lui, ces personnes ; il ne l'a pas fait parce qu'il entend que le peuple portugais entre vraiment le plus rapidement pos­sible dans une voie démocratique. Malgré toute notre volonté et notre désir de marcher la plus rapidement possible vers la dé­mocratie, nous ne pouvons con­fondre nos désirs avec la réalité et nous ne pouvons donc préten­dre que les élections servent à dé­finir des lignes politiques qui dif­fèrent des objectifs déterminés dans le programme du M.F.A. ou conduisent à une reformulation du gouvernement, parce que cela, ce sont les attributions du M.F.A. qu'il ne pourra résigner tant que durera le processus révolution­naire sans trahir la responsabi­lité qu'il assume et la confiance que le peuple a placée en lui. Si, à quelque niveau qu'elles se situent, les manœuvres électora­les et la course aux places sont toujours condamnables, dans no­tre cas concret, une politique dans le sens « électoraliste » est le signe d'une incompréhension ou que l'on se trouve en dehors du processus révolutionnaire. Les élections ne vont pas dé­gager des solutions aux grands problèmes nationaux, ces solu­tions pourront être trouvées par la véritable insertion des forces politiques progressistes dans le processus révolutionnaire et par leur collaboration franche et ou­verte avec le M.F.A. pour toutes les mesures de caractère révo­lutionnaire qu'il sera nécessaire de prendre. Dans la phase actuelle de la vie politique portugaise, tous les comportements qui, prétendent à la défense d'intérêts personnels ou partisans au détriment de l'intérêt général et de l'unité des masses travailleuses sont incon­venants et peuvent être nocifs. 55:191 Le M.F.A. a fait le 25 avril pour en finir avec le fascisme et pour apporter à notre peuple la liberté et de meilleures condi­tions de vie et de travail ; pour cela nous combattons ; pour cela nous risquons notre vie et con­tinuerons à la risquer ; et nous ne pouvons oublier que, pour at­teindre les objectifs proposés, il est indispensable de poursuivre le processus révolutionnaire avec une vigueur encore accrue. (...) C'est pourquoi nous ne pouvons accepter que des forces politiques expérimentées ne se rendent pas compte des véritables problèmes nationaux et ne comprennent pas que c'est seulement à travers l'unité des forces progressistes et l'unité du peuple travailleur qu'ils pourront être résolus. (...) \[Fin de la première citation\] TEXTE « B » Dans la situation politique ac­tuelle, le M.F.A. est nécessaire à la défense des libertés, à la pour­suite de la démocratisation et de la décolonisation, à la réalisa­tion des profondes transforma­tions démocratiques imposées par la structure même de la société portugaise et par la gravité des problèmes que nous devons af­fronter. L'alliance des deux composantes « Peuple -- Forces Armées » ne peut prendre fin avec les élec­tions. Elle est essentielle pour la poursuite du processus démocra­tique au-delà des élections. Dans la situation actuelle et dans la situation prévisible à court ter­me, la rupture de cette alliance conduirait, à bref délai, à la ruine des libertés et à l'instau­ration d'une nouvelle dictature. Il est difficile de prévoir com­ment, ultérieurement, se déve­loppera le processus révolution­naire. Une chose, toutefois, est sûre. Dans les circonstances ac­tuelles, seule la réaction aurait intérêt à mettre fin au rôle pro­gressiste joué dans la vie politi­que portugaise par le Mouvement des Forces Armées. Le futur État démocratique portugais doit re­fléter l'originalité du processus révolutionnaire. Les nouvelles ins­titutions démocratiques, le nou­vel état démocratique ne pour­ront ignorer le rôle des Forces Armées. Dans la phase actuelle du processus démocratique, ce rôle doit être non seulement de fait mais reconnu *de jure* (...) Quant à la Constituante, tout marche de telle sorte que seuls les partis y soient représentés. S'il en était ainsi, la Constituan­te ne pourrait se considérer com­me le miroir fidèle des forces motrices du processus révolution­naire, notamment de l'alliance peuple-forces armées. (...) Il se­rait absurde de penser que la nouvelle Constitution puisse être élaborée et approuvée sans que le M.F.A. ait son mot à dire à propos de la structure du nou­vel État portugais. Ce mot est nécessaire et indispensable. Une telle appréciation ne se li­mite, toutefois, pas à l'élabora­tion de la Constitution. Elle vise également le contenu de la Cons­titution elle-même. (...) Le nouvel État démocratique -- non en tant qu'abstraction juridique, mais en tant que réponse, dans la loi fon­damentale du pays, à la situa­tion politique existante à court et à moyen terme -- doit tradui­re, au niveau des organes de l'État, l'intervention des deux composantes du processus révo­lutionnaire : Peuple-Forces Ar­mées. 56:191 L'alliance Peuple-Forces Ar­mées est l'un des caractères les plus originaux du processus de la révolution démocratique portu­gaise. Qui conteste cette alliance, conteste le processus lui-même. Il y en a qui prétendent adap­ter à la réalité du Portugal d'au­jourd'hui -- à la situation chaotique et bouleversée que con­naît le Portugal au sortir d'un demi-siècle de fascisme, à une réalité pleine de particularités et d'originalités -- des schémas qui reproduiraient au Portugal des types d'États et de Sociétés créés ou structurés de façon complè­tement différente. Un tel des­sein correspond, en certains cas, à l'idée de maintenir la domina­tion des monopoles et des lati­fundiaires dans le cadre de l'éco­nomie bourgeoise de type occi­dental ; en d'autres, au fait d'ignorer ou d'oublier que, au Portugal, on ne vit pas encore dans un régime stabilisé, on vit une révolution. Si l'on prétend mouler et dompter le processus révolution­naire au moyen d'une carapace qui ne lui serait pas adaptée, ce ne serait pas le processus révo­lutionnaire qui serait étouffé, mais la carapace qui éclaterait en morceaux. Il est nécessaire de tirer en­seignement des expériences des autres pays. Mais en les soumet­tant à une étude critique. Il faut examiner à chaque instant, avec une extrême attention, chaque fait et chaque expérience, être particulièrement attentif à l'es­prit créateur des masses popu­laires et savoir trouver, à la lu­mière des faits et des expérien­ces, des réponses originales à une situation nouvelle (...) La politique organique de l'État, les structures économi­ques, le processus de développe­ment, le type de gestion, même le style de vie auront les formes que le processus révolutionnaire est en train de déterminer, qui seront, à moyen terme au moins, inséparables du caractère et du développement de l'alliance Peu­ple-Forces Armées, de la dyna­mique de chacune des deux com­posantes et de leur conjonction unitaire. \[Fin de la seconde citation.\] 57:191 ### Conversations brésiliennes par Gustave Corçâo JE VOUS AVAIS PROMIS, dans le numéro de janvier, une longue conversation sur les prouesses de nos trois ar­chevêques au Synode, ou sur les *fioretti* de nos trois mousquetaires ; cependant, en jouant témérairement avec l'énergie des mots, j'ai déraillé et buté contre la Légion et le Vacarme, c'est-à-dire contre le Synode, dont je n'avais pas encore dit un seul mot dans nos entretiens. Or, le défi qu'ils nous lancent, eux, est trop brutal pour n'être pas relevé. Tirant une bissectrice entre Victor Hugo et Tarta­rin de Tarascon, je grogne : -- Eux ! Toujours eux ! \*\*\* Sur ma table de travail préalablement désencombrée de plusieurs couches d'articles et d'études avortés, s'étale, sans modestie, la page entière de l'*Osservatore Romano* où, parmi d'autres pièces du Vacarme, se détache un titre en lettres énormes : DROITS HUMAINS ET RÉCONCILIATION et un sous-titre qui annonce un Message dirigé au Monde par le Pape et les pères synodaux. Dans un cadre mis en relief je lis ces lignes dans l'édition en langue portugaise du 3 novembre, que je traduis mot par mot : « L'Église croit fermement que la promotion des droits humains est une exigence de l'Évangile. » (Message du Synode.) Après cet article du credo progressiste le Message an­noncé commence par ces mots : « Depuis 1971, date du dernier Synode, jusqu'à au­jourd'hui, deux anniversaires d'une particulière importance pour l'Église et pour le monde ont été commémorés : le X^e^ de l'encyclique *Pacem in Terris* du pape Jean XXIII (1963) et le XXV, de la Déclaration des Droits de l'Homme par l'Organisation des Nations Unies (1948). » 58:191 Le Message commencé par ces liaisons dangereuses poursuit et s'élargit par l'affluence de toutes les ambiguïtés qui pleuvent sur la fameuse noosphère inventée par feu le P. Teilhard et dont nous nous emparons pour désigner le dense et compact ensemble de bêtises que Léon Bloy voyait en planisphère. Poursuivant la lecture du Message, nous arrivons, après une discrète allusion à l'image de Dieu, à ces lignes où Messeigneurs les Pères synodaux disent placidement que c'est aujourd'hui (après vingt siècles d'entêtements ou de fausses routes ?) que l'Église a pris une conscience plus profonde de cette vérité. Est-ce donc aujourd'hui, en plein chambardement et à mi-chemin de l'autodémolition de l'Église que les évêques et le Synode découvrent de graves devoirs et des vérités qui sont passés inaperçus aux sages et aux saints ? Et c'est ici que s'insère le texte mis en relief auquel nous avons fait allusion plus haut : « L'Église croit fermement que la promotion des Droits de l'Homme, etc. etc. » Néanmoins je tranquillise mes amis : Dieu a bien voulu m'accorder la grâce de pouvoir lire ces textes sans dom­mages cardiovasculaires. Je ne me vante pas de l'endur­cissement de la peau ; je l'assume comme cuirasse de la Foi. En lisant ces énormités sans sursauter et sans bondir, je me réserve pourtant l'énergie pour les éclats de colère, lorsqu'ils seront exigés par la Charité et la Prudence. De­vant les quelques lignes de ce Message, par exemple, ils sont obligatoires. Je dirai aux pères synodaux, à propos de ces trois ou quatre lignes, qu'ils ont dépassé le niveau déjà trop connu, ils se sont dépassés eux-mêmes. Je leur dirai qu'ils abusent de l'immodestie et de la légèreté quand ils osent dire qu'ils comprennent plus profondément l'afflic­tion des hommes, mieux que l'Église des saints. C'était donc pour rire que Catherine de Sienne disait un jour à Fr. Raymond Capoue que le Seigneur lui avait montré toute la beauté naturelle d'une âme rationnelle Et Catherine d'ajouter ce que je cite de mémoire : « Si vous l'aviez vue, cette beauté, vous n'auriez plus de repos dans l'ardeur pour le salut des âmes. » C'était donc par jeu que saint Dominique de Guzman se flagellait la nuit, rugissant de douleur et d'amour pour les âmes des pé­cheurs ? 59:191 Le salut ? Un des archevêques brésiliens au Synode a explicitement et énergiquement déclaré à nos journalistes qu'on ne doit plus employer ce mot qui éloigne les jeunes et qui décèle une conception dualiste de l'homme. En fait, dans tout ce message que j'ai sous les yeux, le mot salut n'est pas écrit une seule fois, tandis que les termes « droits de l'homme », sans aucune connexion avec les devoirs de l'homme et la loi naturelle sont obsessivement répétés une vingtaine de fois. Et cependant ils osent dire que l'Église, leur Église, témoigne aujourd'hui un intérêt ja­mais vu pour le sort de l'homme. Oui, je répète, leur Église, parce que dans ce texte, comme toujours, ce sont eux qui prennent l'initiative de repousser l'Église de vingt siècles et de nous en inculquer une *autre* d'avant-hier, qui « croit fermement » aux écriteaux de l'O.N.U., signés par tout le monde et très spécialement par le *monde* qui « vous hait parce qu'il M'a haï le premier » (Jean, XV, 18). \*\*\* J'ai dit n'avoir remarqué nulle part, dans ce message, le mot salut grâce auquel l'Église, la nôtre, pendant tant de siècles, garda le beau titre de Maison du Salut, car hors de l'Église pas de salut : « quis negat ? » Cette question posée par Augustin, évêque d'Hippone, nous arrive avec la force et la belle fierté de sa Foi. Qui serait assez audacieux pour nier devant saint Augustin cette vérité de Foi ? Aujourd'hui il s'appelle Légion. Ou Synode si vous pré­férez le langage qui dit oui-oui, non-non. Cependant, pour être plus exact, je dois vous annoncer la parution du mot à l'autre page, page 10, de ce même numéro de l'*Osservatore Romano* en langue portugaise. Je traduis le texte mot à mot : « Mus par la Charité du Christ et inondés par la lumière de l'Évangile nous espérons que l'Église, s'acquittant plus fidèlement de sa tâche d'évangé­lisation, annonce le salut intégral de l'homme, c'est-à-dire sa pleine libération qui doit être commencée d'ores et déjà. » Sang de bon sang ! faut-il donc tout expliquer ? Expli­quons. Nous savons bien que la vie de la grâce est la vie éternelle commencée ici bas ; nous savons aussi, dès l'en­fance, que c'est ici bas qu'avec la grâce de Dieu nous de­vons travailler, nous devons bâtir notre salut. Jamais au grand jamais nous ne dirions que le salut, pour être intégral, doit commencer dans cette vie et que l'Église, pour bien s'acquitter de sa mission doit l'assurer aux fidè­les comme chose due parmi les autres droits de l'homme. Si ce non-sens, avec toutes ses connotations révolution­naires, n'était pas absous par sa stupidité sans bornes, je dirais que les signataires de ce document osent lancer vers Dieu une sommation qui leur paraît permise et fondée sur la Déclaration de l'O.N.U. 60:191 Encore deux mots sur ce salut intégral. Il présente un trait qui mérite une remarque. (Le mot « mérite » a ici, évidemment, un sens strictement grammatical.) Remar­quons donc que -- tandis que la vie éternelle inchoative­ment vécue dans l'obscurité de la Foi ne trouve sa pléni­tude qu'au ciel, dans la lumière de la Gloire -- le « salut intégral » du Synode, au contraire, ne s'intègre que du côté de la terre ; du côté du siècle ; du coté de la chair. Et surtout du côté de la « libération » qui, comme per­sonne ne peut aujourd'hui l'ignorer et donc ne peut suppo­ser que les lecteurs l'ignorent, est un pseudonyme de Révo­lution. On ajoutera que le choix du terme « libération » pour désigner une tendance philocommuniste atteint le comble du cynisme : je n'insiste pas sur ce point qui, dans l'ensemble, me paraît de sixième grandeur. Je me renverse dans ma chaise et je rêve une excursion dans ce monde non-euclidien, ce monde renversé, boule­versé, ou se meuvent ces modernistes. Au plafond de mon bureau je vois un petit lézard qui se promène tranquille­ment. Eux aussi, ils se promènent au plafond d'une Église de cauchemar, sans avoir toutefois la même tranquillité et surtout sans l'innocence de mon petit lézard. Réveillons-nous. Revenons au travail. La feuille de l'*Osservatore* est toujours là, ouverte, offerte, étalée, et mon imagination chavire quand les yeux fatigués survolent, en­core une fois, le millier de petits signes noirs qui four­millent sur le papier. Les voilà les petits signes noirs que ma mère, un jour inoubliable, m'enseigna à aimer. Les voilà, les petites lettres, une des plus belles inventions de l'homme, non plus ordonnées au service des hommes et à la louange de Dieu, mais décomposées, saupoudrées au hasard, répandues dans une couche d'équivoques qui forme l'écorce du brave monde d'aujourd'hui. Tout à l'heure, quand nous nous entretenions des énor­mités qu'ils se permettent de dire à propos des choses qui nous sont si chères, un éclat de colère m'est venu : Se mo­quent-ils de nous ? ou supposent-ils que les habitants de la seule planète vivante soient quelques billions d'ona­gres ? Non ! Ils ne sont pas si malins. D'abord, comme toujours, les rouages de l'amour propre les trompent, les rouent, on dirait même qu'ils se moquent d'eux, c'est-à-dire de leur Moi-extérieur aveuglément penché sur les choses d'en bas. 61:191 Après cela, nourris des équivoques produites par la demi-consciente rouerie de l'amour propre, ces faux ma­lins au service du Malin déversent sur le monde le déluge d'ambiguïtés et d'équivoques qui est un des plus funestes fléaux de notre temps. Tremblons pour toute cette géné­ration qui, gavée de mots pourris, viendra grossir la race des sots qui voient toujours le monde et la vie par l'en dessous des choses. Permettez-moi ici, cher lecteur, de prendre le ton du vétéran qui donne des conseils pour vous mettre en garde contre une des malices les plus empoisonnées de nos jours. Aux jeunes compagnons du bon combat je désirerais trans­mettre ici un programme de lutte qui me paraît un peu négligé : Ce monstre hideux de notre culture, le mauvais usage de la parole, il faut l'attaquer sans trêve, en gros et en détail. Dans l'amas et dans le fourmillement, il faut dénicher les équivoques, les dénoncer, les poursuivre ; il faut crever les ampoules, raser les verrues, faire sauter les appareils, les machines à produire ces monstres et ces infusoires, dragons et puces de notre temps. Il faut taper dessus. Oserai-je parler d'une Croisade ? Mais d'abord il faut bien connaître le camp de l'ennemi, et bien saisir la terrible portée du phénomène pour le haïr avec les dents comme le voulait sainte Catherine de Sienne, et efficace­ment le combattre. Nous pouvons dire que la parole n'a ja­mais été aussi empoisonnée qu'aujourd'hui. Les ambiguïtés foisonnent, les équivoques pullulent, les unes produites par la mollesse, les autres multipliées par la malice. On voit partout des similitudes dangereuses, souvent inaperçues, séparées par des distances millimétriques et cependant abyssales. Et ce sont elles, ces similitudes per­fides, qui poussent les gens amollis par l'atmosphère et abêtis par le vacarme aux « Cursillos de Cristandad », aux rencontres des jeunes, aux communautés de base, etc. Voulez-vous quelques exemples d'équivoques ou de si­militudes dangereuses ? Elles abondent dans cette page de l'*Osservatore.* Prenons pour commencer les mots « droits de l'homme » de l'ONU, solennellement cités ; mots qui sont certainement jugés équivalents, identiques aux ex­pressions employées par Suarez, Vittoria et même saint Thomas. Or, ils s'opposent essentiellement. Ceux-ci sont toujours liés à la loi naturelle et aux commandements de Dieu, tandis que ceux-là expriment la prétention humaine de se passer de Dieu et de *vivere secundum seipsum,* ce qui, pour saint Augustin (Civ. Dei XIV) et pour saint Tho­mas (Ia IIae qu. 72) est le *non serviam* de homme, noyau du péché originel et de tous les péchés du monde. 62:191 D'ail­leurs, le simple mot « homme », qui nous donne un deu­xième exemple, dans la Déclaration de l'ONU, pour sup­porter le pluralisme des signatures ne peut pas signifier la même chose qu'il signifie dans le lexique chrétien. A ces philanthropes du Synode nous rappellerions la sug­gestion de Chesterton : ils devraient dire « les droits de l'anthropoïde ». Que dirai-je du mot « justice » juché entre les sacs et les ballots de l'ONU ? Évidemment, com­me tous les socialistes, les rédacteurs du Message du Synode pensent aux structures spéciales, et non aux *habitus,* aux vertus morales naturelles ou infuses. Et ainsi de suite, mot par mot, nous nous heurtons, nous nous opposons au texte diffusé par les pères du synode. \*\*\* Ah ! mes petits signes noirs tant aimés ! Un souvenir d'enfance me prend à la gorge comme un brusque sanglot. Remercions Dieu du voile qui s'épaissit chaque jour pour couvrir la honte des mots, comme le manteau de la piété filiale recouvrit la nudité de Noé. Je rêve d'une étude, déjà ébauchée à partir de la petite Cendrillon des vertus morales, la Tempérance, pour arriver à des connexions avec l'étude sur l'Ordre de la Charité, déjà publiée en partie. Il m'est facile d'imaginer la gri­mace écœurée d'un nouveau prêtre qui par hasard lit ces lignes ; ou l'étonnement d'un jeune qui s'écrie : -- Tem­pérance ? ! Chez quel antiquaire ce pauvre G.C. a-t-il pu dénicher ce vistemboire ? Je rêve études et batailles. Si encore une fois j'échoue, les unes par ma faute, les autres faute de combattants, je me tournerai vers les progressistes pour leur crier les derniers mots que Notre-Seigneur dit à Judas Iscariote : -- « Ce que vous avez à faire, faites-le vite. » Gustave Corçâo. 63:191 ### L'anticatholicisme jacobin par André Guès SI D'AVENTURE quelque autorité ecclésiastique s'avisait d'enseigner que, sous des apparences de laïcisme et d'opposition à l'Église, la Révolution de 89 fut mue par des principes profondément chrétiens qui s'appellent Liberté, Égalité, Fraternité, ma conviction contraire ne se­rait aucunement ébranlée par cet enseignement, et pour deux raisons : l'une, tirée de la Tradition, est son opposi­tion à l'enseignement de tous les papes jusqu'à Jean XXIII inclusivement, et singulièrement à celui de saint Pie X dans sa *Lettre sur le Sillon ;* l'autre est qu'il contient sur les Immortels principes un jugement qui relève de l'histoire, domaine où la cléricature n'assure compétence ni charisme particuliers. Or ce jugement dénature la célèbre trilogie : il fait de l'égalité la Justice, alors que l'on sait depuis au moins Aristote combien il est injuste de traiter également des hommes naturellement inégaux ; il confond la frater­nité, vague sentiment qui aboutit au massacre, avec la Charité, et pour le prochain, vertu surnaturelle ; enfin il assimile un principe, la liberté, avec ce qui ne peut être qu'une fin. Ces confusions, qui sont *blasphématoires,* n'ont pas cessé de l'être par l'effet magique de Vatican II. Acces­soirement, je crois bien qu'elles ont été dites pour la première fois par l'abbé Claude Fauchet dans son panégy­rique des victimes du Quatorze-Juillet prononcé dans l'église Saint-Paul. Fâcheux précédent : il était un peu fou et finit sous le couperet révolutionnaire. Évêque élu et conventionnel, il avait raté le virage de la Gironde vers la Montagne. Dire que l'opposition de la Révolution à l'Église n'était qu'une apparence dénature de même les événements : ce n'est pas une apparence qui a fait des martyrs reconnus tels et mis sur les autels. Dès les premiers mois, à Nîmes et dans le Comtat, les « papistes » tombaient sous les coups de la terreur de fait. 64:191 La Terreur légale ne fit que conti­nuer : c'est bien comme tels que prêtres, religieuses, vieil­lards, femmes et enfants en nombre ont été guillotinés, pendus, noyés, fusillés, hachés. « *Assassiné en haine de la foi et des dogmes catholiques *» a dit Pie VI de la plus haute des Victimes. « *Soldats du pape qu'un enfant con­duit *» dit Carrier de Monsieur Henri et de ses hommes. Le 2 juin 93, lors de la discussion sur les noms des repré­sentants à proscrire, il y a une hésitation sur Lanjuinais. De la Montagne un mot tombe : « *Catholique *»*,* qui suffit à le mettre hors-la-loi. Être catholique, c'est le crime de l'Ouest : 500.000 victimes, 1.800 agglomérations incendiées. « *Papistes *»*,* rapporte Suchet au représentant Maignet sur le bourg de Bédoin (Vaucluse) où un arbre de la liberté a été abattu et dont les habitants sont suspectés de cacher des prêtres réfractaires : 63 personnes sont exécutées, le village est incendié et l'église effondrée à la mine pendant que les braves de Suchet, 4^e^ de l'Ardèche, tiennent les ha­bitants à distance. Louis de Laincel, venu sur place quel­ques années plus tard, y a recueilli le récit d'un incident de cette journée « patriotique » qui donne à penser que le coup de l'arbre abattu n'était qu'une mise en scène machi­née pour fournir prétexte à traiter révolutionnairement ce nid de « *papistes *»*.* Carrier, après avoir fait noyer 90 prêtres, commente l'événement : « *Préjugés, supersti­tions, fanatisme, tout se dissipe devant le flambeau de la Philosophie *»*.* Pendant la campagne de déchristianisation de l'hiver 93, les représentants en mission rendent comp­te des saturnales organisées dans les églises, des feux de joie allumés sur les places publiques avec leur mobilier : ils soulignent le « *patriotisme *» de ces manifestations où l'obscène le dispute à l'odieux. Cent ans plus tard, ayant relaté quelques cérémonies du genre à Paris, Aulard con­clut : « *Dans ces* GAMINERIES, *je ne vois qu'un sentiment sérieux, le* PATRIOTISME. » Gaminerie, mais patriotique, que de transformer en lupanars les chapelles de Notre-Dame ; que celle de Dagorn à Quimper urinant dans les vases sacrés et compissant les marches de l'autel ; que celle de ce citoyen déféquant sur l'autel d'une église de Provence, si bien que le sobriquet de *cagaire* est demeuré à sa pos­térité. Gaminerie que la mort de 1.900 prêtres au moins, massacrés en groupe, guillotinés, fusillés, pendus, épuisés de misère et de mauvais traitements sur les pontons ou en Guyane, et noyés en Loire, d'après le compte fait par La Gorce. 65:191 Si l'opposition de la Révolution à l'Église ne fut qu'ap­parente, je demande quel sens il faut donner à mainte forte déclaration de révolutionnaires. Isnard réclamait que les prêtres, ces « *pestiférés* »*,* soient envoyés aux « *lazarets de Rome *»*,* et disait : « *La loi, c'est mon Dieu, le seul que je connaisse. *» Le *Père Duchesne :* « *Toi qui, un jour que tu te purgeais, nous as chié en terre la noblesse et les rois, les aristocrates et les calotins... et toi qui es assis à la droite de ton papa Dieu, bon bougre qui voulus naître bâtard à Bethléem pour nous apprendre à nous foutre de la naissance...* » Cerutti : « *De tous les animaux qui ra­vagent un champ, le prêtre qui nous trompe est le plus malfaisant. *» Mirabeau : « *Pour démonarchiser la France, il faut d'abord la décatholiciser. *» Millon de Montherlant : « *La suppression de la dîme tend au renversement de la religion. Ma motion est que la suppression de la dîme soit déclarée pure et simple. *» Ce chrysostome du jacohi­nisme devait avoir lu l'encyclopédiste Naigeon, membre du Club : « *L'intérêt général est que le prêtre soit avili. Pour avilir les prêtres, il faut les appauvrir. *» Clootz se disait « *l'ennemi personnel de Jésus-Christ *»*.* Lacroix : « *La constitution, voilà notre Évangile, la liberté, voilà notre Dieu. *» La Gazette nationale : « *La République ne laissera pas sans vengeance le complot du prêtre-roi, elle qui combat les rois qui n'ont point de tiare. Cette vengeance sera nulle si Rome n'est pas détruite. Il est temps que cette ville disparaisse du globe qu'elle opprime. La Révolution fran­çaise l'a proscrite. *» Barère : « *Vous avez travaillé à ex­tirper les deux plus grandes maladies des nations, le fana­tisme religieux et la superstition royale. *» Laplanche : les cérémonies religieuses sont des « *saturnales *» et « *la théologie passera, la philosophie et la raison resteront *»*.* Vergniaud : le catholicisme est « *la superstition sous la­quelle la France a longtemps gémi *»*.* Mme Roland : une élise est « *le lieu où le peuple imbécile vient saluer sans réflexion un morceau de pain *»*.* Desmoulins : « *Les rois sont mûrs* pour être abattus, *mais le bon Dieu ne l'est pas encore. *» Manuel, plus optimiste : « *La question du clergé est aussi mûre que celle de la royauté. *» Dumont : les prê­tres sont « *des arlequins ou des pierrots vêtus de noir qui nous montraient des marionnettes... Tout ce qu'ils faisaient étaient des singeries pour nous escroquer de l'argent. *» Fouché s'est chargé « *de substituer aux cultes superstitieux et hypocrites auxquels le peuple tient encore malheureu­sement, celui de la République et de la morale naturelle *»*.* Chénier, discours dont la Convention ordonne l'impres­sion : « *Arrachez les fils de la République au joug de la théocratie... Vous saurez fonder, sur les débris des supers­titions détrônées, la seule religion universelle qui n'a ni secrets, ni mystères, dont le seul dogme est l'égalité* etc... » 66:191 Comité central des sociétés populaires de Paris, texte ap­prouvé par la Commune : « *Un républicain n'a d'autre Dieu que la vertu et son pays. *» Conseil général de la Commune, arrêté fermant toutes les églises « *attendu que le peuple de Paris a déclaré qu'il ne reconnaissait pas d'autre culte que celui de la Vérité et de la Rais-on *»*.* Arrêté de Siblot : « *Considérant que dans tous les temps les prêtres ont été le fléau de la société, que dans toutes les parties du globe on trouve les lieux de leur domination souillés de leurs crimes et teints du sang des hommes...* » Robespierre dans son grand discours du 8 mai 94 sur l'Être suprême : « *Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. *» Commission temporaire de défense républi­caine de Lyon : « *Les prêtres ont asservi l'esprit humain sous leurs imbéciles préjugés et, pour comble d'infamie, ont sanctifié par leurs impostures bénites les erreurs dont ils ont enivré les siècles. Il est évident que la Révolution, qui est le triomphe des lumières, ne peut voir qu'avec in­dignation la trop longue agonie de cette poignée de men­teurs. Leur règne expire et fait place au règne de la raison et du bon sens : il est du devoir des patriotes d'en accélérer les progrès et d'insinuer dans l'esprit de leurs concitoyens moins éclairé, les principes réformateurs de la Révolu­tion. *» Le Directoire à Bonaparte : « ...*faire tout ce qui vous paraîtra possible pour détruire le gouvernement pa­pal. *» Voilà des apparences de lutte contre l'Église qui ont la dure consistance de la réalité. La réalité de l'anticatholicisme révolutionnaire est allée jusqu'au GÉNOCIDE des *Colonnes infernales :* 130 à 150.000 morts sans distinction d'âge ni de sexe. L'anticatholicisme autre qu'apparent du Directoire lui a fait prendre en l'an VI, 1.148 arrêtés de déportation contre des prêtres fran­çais, 8.000 d'un seul coup contre des prêtres belges le 14 brumaire VII et au total jusqu'au 18 brumaire 9.952 arrêtés de « guillotine sèche » contre des prêtres. Si ce n'est de l'anticatholicisme, je demande la raison d'être du calendrier républicain obligeant la nature à pleuvoir, venter ou neiger, germer ou fleurir, les hommes à moissonner ou ven­danger exclusivement pendant trente jours et en même temps de Brest au Rhin, de Dunkerque à Bonifacio ; les prénoms ridicules de ce calendrier : fumier, cochon ou séné ; les croix et oratoires abattus au long des chemins ; les « *insignes du fanatisme *» grattés sur les façades ; les noms des saints effaces aux coins des rues, les villages débaptisés comme les hommes et la décision grotesque prise par la Commune de Paris que ses arrêtés seraient traduits en italien par l'ineffable Dorat-Cubières et envoyés au pape pour le convertir. Si ce n'est par anticatholicisme, je de­mande par quelle raison la Convention en terminant ses « travaux » a exclu les prêtres réfractaires de l'amnistie qu'elle décrétait « *sur tous les faits relatifs à la Révolu­tion *»*.* 67:191 De 94 à 98 ont fleuri les religions ridicules : *Être su­prême* de Robespierre, *Thréicie* de Quintus Aucler qui re­nouait « *la chaîne éternelle qui lie notre monde au pied de Jupiter *»*, Culte des Adorateurs* de Daubermesnil, *Culte décadaire, Culte social* de Benoist-Lamothe, *Culte de la Nature* inventé par Bressy pour « *consolider la République *»*, Religion nationale* de Rallier, *Théophilanthropie* de l'obscur Chemin qui, par la grâce de Larevellière-Lépaux obtint protection et subsides du Directoire, à laquelle adhé­rèrent en nombre hommes politiques en vue et défroqués de marque. Il est constant que tels qui y adhérèrent ne croyaient pas plus à Dieu qu'au diable et que tels passèrent aisément d'une religion à l'autre. Ces adhésions, cet appui officiel s'expliquent de reste : ces « *niaiseries philosophi­ques *» nées « *dans la profondeur de l'ineptie *» de leurs auteurs (Royer-Collard aux Cinq-Cents) étaient autant de machines de guerre contre la religion catholique car on ne détruit bien que ce que l'on remplace. Dans le même ordre d'idées il faut noter encore le Comité de Salut public favorisant l'objection de conscience et au-delà même de ce que réclamaient les objec­teurs : privilège exorbitant qui ne pouvait être celui que des anabaptistes. En Vendée la 1^er^ Division des *Colonnes infernales* désobéit à l'ordre général de massacre et d'in­cendie en faveur du village de Moncoutant parce qu'il est peuplé de protestants. La loi prime la « *déprêtrisation *»* :* les prêtres qui n'ont pas prêté le serment légal sont empri­sonnés ou déportés et condamnés à mort s'ils sont trouvés en rupture de ban ; exception est faite pour les prêtres mariés qui peuvent légalement désobéir à la loi, la rupture du célibat effaçant celle du ban et constituant le meilleur brevet de « patriotisme ». \*\*\* Le papier souffre tout, en particulier celui que noircissent les professeurs d'histoire, et beaucoup d'entre eux se sont fait suer à prouver que la Révolution ne fut pas anticatholique, au moins dans l'intention première de ses promoteurs. Trahard écrit : « ...*à aucun degré, ce que nous appelons l'anticléricalisme *» des trois premières as­semblées révolutionnaires « *n'est la négation du christia­nisme.* 68:191 *Au contraire ; si on bouleverse la discipline de l'Église, on respecte son dogme *» *--* on a vu comment par les textes plus haut rapportés -- «* Si les résistances du clergé et du pape imposent aux Assemblées des mesures intolérantes, la tolérance demeure la règle des moins croyants. *» Admirable sophisme d'une règle de tolérance qui se manifeste par une législation intolérante jusqu'au massacre. Retenons aussi que pour Trahard la responsa­bilité de la terreur anticatholique incombe au pape et au clergé. En effet, implicite ou explicite, la conclusion de cette thèse que la Révolution ne fut pas anticatholique est celle-ci : dans la guerre civile de l'ouest, dans la Terreur en ce qu'elle a eu d'anticatholique, l'initiative et consé­quemment la responsabilité incombent à l'Église qui a injustement résisté à la Révolution alors que celle-ci ne lui voulait ni faisait aucun mal, elle n'est donc redevable qu'à elle-même des maux qui l'ont accablée de la part d'un honnête régime qu'elle avait mis en état de légitime défense. Pour Aulard, même les déchristianisateurs de l'hiver 93 n'étaient pas des théoriciens créant les circonstances propres à leur permettre d'appliquer leurs théories, même pas des empiriques profitant des circonstances qu'ils n'a­vaient pas créées. Ils furent antireligieux dans la mesure où la religion leur parut être l'âme de la coalition contre la patrie. Latreille loue Aulard d'avoir reconnu cette vérité que « *rarement les théories sortent tout armées du cerveau des politiques, mais sont plutôt la traduction idéologique des attitudes imposées par les événements *»*.* Il reconnaît cependant que la thèse d'Aulard est erronée : analyse superficielle, rapprochements arbitraires, transformation de l'esprit de certains faits et oubli de certains autres. En somme pour Latreille, la thèse d'Aulard est juste sur l'anticatholicisme tout circonstanciel de la Révolution, mais ne s'applique justement pas aux plus enragés des an­ticatholiques, les déchristianisateurs hébertistes de l'hiver 93. Pour Latreille, Mathiez est autrement profond, car pour celui-ci la Révolution fut religieuse, non pas qu'elle fût elle-même une religion, mais en ce que les révolutionnai­res considéraient qu'il n'y avait pas de « *régénération *» sans union, « *et pas d'union sans une* FUSION *entre la religion et l'État *»*.* J'ai souligné un mot que Soreau re­prend : les révolutionnaires « *ne poursuivaient pas la séparation de l'Église et de l'État mais leur intime fusion *»*.* La fusion de deux objets aussi différents en tout, cela ne peut s'appeler que confusion, et la confusion n'a pas été jusqu'à présent considérée comme un produit de l'intel­ligence la plus déliée non plus que comme la garantie d'une heureuse efficacité. 69:191 Cette fusion devait, dans l'esprit des constituants, être faite par la Constitution civile du Clergé. Or après deux ans d'expérience apparut l'incompatibi­lité entre le catholicisme et le « *patriotisme *» entendu comme « *l'amour exalté de l'institution politique nouvel­le *»*,* d'où cette fureur sacrée contre la religion. Latreille, qui ne souligne pas la sottise d'une fusion entre deux ob­jets aussi différents que l'Église et l'État, m'a paru bien près de donner raison à Mathiez. Toutefois il justifie Ro­me : admirable fut, dit-il, la clairvoyance du pape qui discerna dès le début « *le dessein proprement métaphy­sique caché dans la formule de la Déclaration des droits *»*.* De ce dessein métaphysique provient en effet l'incompatibilité fondamentale et non accidentelle de la Révolution avec la religion. Il reste toutefois, si j'ai bien compris La­treille, que l'intention des Jacobins n'était pas destructrice de la religion, tout en ayant un dessein contraire. Latreille n'a pas davantage montré comme Mathiez brouille à plaisir, confondant antireligieux, antichrétien et anticatholique, Église universelle avec Église nationale et l'Être suprême avec la Sainte-Trinité. Quand Mathiez dit que la Révolution fut religieuse, il faudrait savoir quelle était sa religion, celle du pape ou celle du vicaire savoyard, distinction dont on m'accordera qu'elle a quelque impor­tance et qu'il n'a pas faite. Le résultat de cette multiple indétermination c'est ce que Mathiez n'explique pas : que la Constitution civile fut faite en dehors de tout accord avec le chef de l'Église ; que les Constituants ont voulu créer une Église nationale hors de l'autorité romaine. Ce qui ne s'explique pas davantage, si ce n'est par l'intention non plus anticatholique mais antireligieuse, ce sont les fureurs de l'hiver 93 contre cette Église nationale elle-même bien qu'elle fût toute à la dévotion du pouvoir. La thèse de Mathiez n'explique que la lutte contre les prêtres réfractaires et leurs fidèles, non l'entreprise de déprêtri­sation des jureurs qui s'attaqua aussi aux pasteurs réfor­més et qui atteste l'irréligion militante. Latreille soutient que les entreprises de la Constituante en matière religieuse n'avaient rien d'anticatholique et il les ramène toutes à la situation financière. L'Assemblée a « *cédé à l'attrait d'une solution simple, celle qui consiste à prendre l'argent où il est *»*.* Eh bien non, Latreille s'est trompé, car l'argent dont elle avait besoin, la Constituante l'a refusé, sans examen, de l'Église qui le lui offrait : par deux fois à cinq mois d'intervalle, l'archevêque d'Aix lui proposa que l'Église prenne en charge la dette de l'État par le moyen d'une hypothèque sur ses biens. 70:191 Solution encore plus simple que l'immense entreprise de prise en charge, gardiennage, expertise, vente à tempérament et émission de billets absorbables au fur et à mesure des ventes, mais non acceptable en ce qu'elle aurait laissé intacte l'Église de France. Davantage, l'explication simpliste de Latreille ne vaut que pour la nationalisation des biens, elle n'a rien à voir avec l'interdiction des vœux, la suppression des ordres religieux et jusqu'aux confréries de pénitents, l'élection des curés et des évêques, ni le serment. Nous sommes ici dans le domaine des intentions où les juge­ments sont difficiles, où l'on n'a pas toujours l'aveu cy­nique d'un Montherlant ou d'un Naigeon. Mais quoi, les Constituants ont enlevé à l'Église ses moyens d'activité sociale et de recrutement, détruit les ordres religieux, ôté les curés à la désignation des évêques et les évêques à celle du pape et, ce faisant, ils ne se sont pas aperçus qu'ils s'attaquaient à la structure de l'Église et à sa mission ? Les vues de ces augustes étaient singulièrement bornées. Il faut opposer à Latreille ce que La Fare, évêque de Nancy, dit à la Constituante : « *Je suis loin de croire que vous vouliez entreprendre de détruire la religion ; mais il faut convenir que tout ce que vous avez fait ici paraît bien propre à assurer le succès d'une pareille entreprise *», iro­nique politesse qui se traduit en langue familière : si ce n'est pas de l'anticatholicisme, c'est bien imité. \*\*\* Je crois qu'il faut avoir du bon sens, même en his­toire. Les historiens qui nient les intentions anticatholi­ques des Jacobins ont une vue simpliste. Ils nient la con­vergence en la matière et l'existence même du jansénisme, du gallicanisme, de la philosophie, de l'athéisme du siècle, des sociétés de pensée et de la maçonnerie. Ils sont tombés dans la contradiction. Car dans les causes de la Révolution il n'est historien qui ne signale ces courants de pensée peu catholiques ou anticatholiques et leurs véhicules. Soudain ces causes disparaissent et cessent d'avoir effet dès que l'Assemblée touche aux choses de la religion, c'est-à-dire aux objets où elles devraient apparaître le plus. En som­me, l'anticatholicisme est une cause avérée de la Révo­lution sans avoir ensuite aucun effet sur ses développe­ments. 71:191 Il fallait s'y attendre, Aulard fait un beau cas. de cette contradiction. Étudiant les écrivains qui ont propagé les idées démocratiques, il écrit : « *Les attaques de Voltaire contre la religion chrétienne, son rationalisme militant, l'in­fluence qu'il eut sur la société policée d'alors, au point de la détacher en partie de la religion, voilà sa principale contribution à l'élaboration des idées républicaines : au bruit de ses sarcasmes, l'église chancelle, et le trône avec l'église. *» Et encore : « *Si Diderot, d'Holbach, Helvétius ne demandaient pas la République, ils avaient déconsidéré et affaibli la royauté, soit en l'injuriant, soit en sapant le christianisme. *» Voilà qui est clair, mais cet antichristia­nisme s'efface et disparaît dès que la Révolution commence à s'occuper des choses de la religion. Aulard nous met en présence de causes sans effet, puis d'effets sans causes. Mais qu'est-ce donc que le « patriote » ? C'est un hom­me qui a « des lumières ». D'où lui viennent-elles ? Quelles sont-elles ? Qu'éclairent-elles ? Quelles ténèbres dissipent-elles ? Ces ténèbres, qui les avait répandues, et pourquoi ? Les réponses à ces questions ont un dénominateur com­mun : la religion. Les « lumières », c'est la Philosophie, non celle des saints Bonaventure ou Thomas d'Aquin, mais le matérialisme ou un vague déisme. Leurs sources, ce sont les Encyclopédistes à l'anticatholicisme militant. Ils ont apporté au « patriote » une métaphysique qui n'est pas celle de l'Église, comme Latreille loue Pie VI de l'avoir très bien vu dès le premier texte de la Révolution. Ces lumières dissipent « *l'obscurantisme *» que l'Église a répandu sur le monde pour s'assurer l'empire de l'uni­vers. Rousseau écrit : « *Au point de vue politique, toutes les religions ont leurs défauts ; mais le christianisme ro­main est une religion si évidemment mauvaise que c'est perdre le temps que de s'amuser à le démontrer. *» On a quelques raisons de penser que Robespierre n'avait pas abandonné cette vue de son maître en franchissant le seuil de la Constituante. Car voilà que le « patriote » ainsi fait arrive au pouvoir : il ne lui est pas possible en conscience de laisser subsister, dans la France qu'il « régénère », cette abominable imposture, ce danger politique et social qu'est la religion catholique. Brissot écrivait en 1779 : « *Je vois que les prêtres in­fectent l'esprit de mon père ; dès à présent je dévoue ma plume à cette race maudite. *» Il faut croire que dès les premiers jours de la Révolution il a trahi cet engagement. Voici dans un village de Provence le chirurgien Gourmette qui, revenant de la chasse, rencontre l'évêque de Vence : « *Bientôt,* dit-il en montrant son fusil, *nous ferons une autre chasse *»*,* projet qu'il avait oublié en 91 quand il fut maire de Vence et l'un des plus ardents jacobins du pays. Voici Pierre-Louis Sissous qui avait fait paraître en 1770 un livre antireligieux qui l'avait fait embastiller nul doute que ses opinions avaient beaucoup changé quand il devint juge au tribunal du district de Troyes, puis dé­puté à la Législative. 72:191 De même Condorcet cessa en 1789 de ressentir cette « *haine implacable *» qui l'animait contre la religion catholique et qui lui faisait écrire à Turgot en 1774. « *Le colosse -- l'Église -- est à terre. Il faut achever de l'écraser. *» Mais non pas, et pas plus que les autres, car dans sa cachette de proscrit et avant de s'empoisonner, il écrivit son *Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,* furieux anathème contre l'Église. Nombre d'historiens non défavorables à la Révolution ont constaté qu'elle fut une religion : Quinet, Lavisse, Aulard : « *La République devient une religion, pour laquelle on vit et on meurt, qui va avoir ses martyrs, des autels, ses victimes, son culte. *» Cette observation se re­trouve chez Paul Nicolle, fortement loué par Gaston Mar­tin, et pour la répéter Jacques Godechot s'appuie scienti­fiquement sur la définition que Durkheim a donnée de la religion, il en discerne ainsi dans la Révolution tous les caractères essentiels : « *Force est de constater qu'il a existé dès 1789 une religion révolutionnaire avec ses croyan­ces, son symbolisme, ses cérémonies, ses fêtes et ses chants liturgiques. *» Les faits surabondent : « *Certaines décisions de l'Assemblée constituante furent présentées aux Fran­çais comme de véritables dogmes religieux. La Déclaration des droits de l'homme, notamment, apparut comme un dogme de la religion nouvelle. *» De même la constitution à la première séance de la Législative, son archiviste Camus apparut, marchant à pas comptés, les yeux baissés, entouré de douze vieillards, portant le Livre-Saint comme un prê­tre l'Eucharistie. Acte sacré que le serment civique, et il suffit à rendre français les étrangers. Symbole sacré que la cocarde tricolore, symboles sacrés que les arbres de la liberté -- Bédoin s'en est aperçu -- plantés par dizaines de milliers, le bonnet rouge et la pique, celle-ci en tant qu'instrument du révolutionnaire contre ses concitoyens mal intentionnés à l'endroit de la nouvelle religion ou sim­plement indifférents, voire de foi tiède. Les autels de la patrie, centres des cérémonies de la religion révolutionnaire sont rendus obligatoires dans chaque commune par la loi du 26 juin 92. Brissot : « *Non seulement le peuple doit observer la loi, mais il doit l'adorer. *» Manuel : « *Le pre­mier des cultes, c'est la loi. *» Romme : « *La loi est la re­ligion de l'État. *» On a lu plus haut d'autres textes divi­nisant la loi, la constitution et les Immortels Principes. Dans son rapport à la Convention sur l'établissement du calendrier républicain, le même Romme faisait appel à l'astronomie autant qu'aux « *traditions sacrées de l'Égyp­te *» pour montrer un « *concours de tant de circonstances *» propre à « *imprimer un caractère religieux *» à la date du 22 septembre, premier jour de la République. Que la Ré­volution soit une religion, et cela seul aurait suffi à la faire intolérante pour l'Église catholique. 73:191 Constatation qui permet encore de s'inscrire en faux contre nos professeurs d'histoire affirmant que « c'est l'Église qui a commencé », nombre des émeutes du prin­temps de 89 sont dirigées contre évêques, évêchés et cou­vents, ou avec des clameurs caractéristiques. Lors de l'in­cendie de la papeterie Révillon à Paris, une colonne de manifestants débouche du faubourg Saint Marcel le 27 avril vers 15 heures aux cris de : « *A bas la calotte *» et « *A l'eau les foutus prêtres *». A Lyon une mascarade a lieu le 19 février 1789 : défilé de gens revêtus d'ornements sa­cerdotaux, parodies de cérémonies du culte dans la rue au pied d'une croix, elle préfigure déjà au voisinage de l'archevêché ce qui se passera partout en France l'hiver 93. En Provence, des attentats ont lieu contre les évêques de Toulon, Riez, Cavaillon et Sisteron, à Versailles l'arche­vêque de Paris est attaqué le 15 mai. L'évêque de Couse­rans est obligé de se retirer de l'assemblée du clergé lors de l'élection aux États-Généraux, devant les « *menaces que faisaient chaque jour les habitants de son pays *». A Paris, la maison-mère des Lazaristes, le plus vaste domaine de la capitale, est pillée le 13 juillet. Dans son journal Hardy relève la présence au Palais-Royal ce jour-là de gardes-françaises déserteurs criant « *A bas la calotte *» en brandissant l'épée. \*\*\* Le Père Brückberger nous entraîne avec lui à une hau­teur de vues dont sont bien incapables nos ratiocinants professeurs d'histoire : « *Balzac, qui décela les ressorts les plus profonds de notre histoire politique, a écrit qu'en décapitant Louis XVI, le peuple français avait coupé la tête à tous les pères de famille de France. Je le crois pro­fondément. Je crois que la crise de la famille en France est plus qu'une étape banale dans l'évolution économique et sociologique de notre société moderne. Elle a aussi en France un caractère surnaturel beaucoup plus inquiétant. Balzac eût pu d'ailleurs ajouter qu'en immolant le Roi con­sacré, c'est aussi Dieu qu'on voulait tuer. Le peuple fran­çais reste logique jusque dans ses délires. Quand on relit Saint-Just et le célèbre pamphlet du Marquis de Sade* -- qui fut un distingué jacobin -- *on comprend à quel point le meurtre du Roi fut un* *acte consciemment sacrilège, la profanation volontaire du Sacre de Reims, la messe noire de l'histoire de France, dont nous n'avons pas fini de vivre les ultimes conséquences.* 74:191 *C'est un acte symbolique et théâ­tral, selon le génie de ce peuple, qui domine l'histoire de France, au même titre, bien qu'en sens inverse, que le baptême de Clovis à Reims ou l'aventure triomphale et sa­crificielle de Jeanne d'Arc. Ce n'est pas une société profane qui s'est scellée dans le sang de Louis XVI, c'est une con­tre-Chrétienté : en immolant l'Oint du Seigneur, ce peuple en tant que peuple, abdiquait la haute espérance du Royau­me de Dieu. *» André Guès. 75:191 ### Journal logique par Paul Bouscaren LA MORALE AYANT POUR OBJET l'obligation de bien vivre, ré­ponse essentiellement personnelle au devoir-être de l'être humain spécifique, alors que la politique répond au be­soin du même être de vivre ensemble, et c'est-à-dire la société condition sine qua non de l'existence humaine ; bien vivre sa vie d'homme oblige sans aucun doute les hommes à vivre en­semble, les oblige donc à toutes les conditions de l'existence sociale ; et par là même la politique a place dans la morale ; d'autre part, on accordera sans peine qu'à bien vivre chacun, vivre ensemble est aisé et bénéfique à mesure ; mais enfin, la morale se distingue-t-elle moins de la politique, à bien y re­garder, que la tempérance de l'art culinaire ? Qui se récrie, on lui dira : la morale et la tempérance ne sont-elles pas gouver­nement de soi-même, et voilà tout, alors que la politique ne va pas sans une équivoque des plus communes, entre l'art d'obte­nir que les hommes vivent ensemble, -- et c'est là un objet extérieur à chacun ainsi que l'art d'accommoder la nourriture, -- et l'obligation susdite de se conduire chacun en citoyen, en membre du corps social indispensable à la vie humaine ? Tout acte humain concret dispose bien ou mal de son auteur lui-même, selon que la raison délibérée doit l'orienter à sa fin, et le fait ou ne le fait pas en cet acte là (s. Thomas, I. II 18,9). Il n'y a aucune exception, ni pour le médecin en quelque acte médical que ce soit, ni pour le citoyen en quelque action poli­tique, soit gouvernante ou gouvernée. Mais enfin, tout acte médical, en tant que médical, c'est-à-dire en tant que moyen de procurer la santé, doit être tenu pour moralement bon ; à plus forte raison l'action politique en tant que moyen d'exis­tence du corps social, encore plus indispensable à la vie hu­maine que la santé corporelle. Il y a donc une moralité spéci­fique du médical en tant que médical et du politique en tant que politique, et une possible immoralité de fait d'un réel moyen médical ou politique, même voulu à sa fin de santé corporelle ou d'existence sociale. 76:191 Cela, sans autre mystère que l'ordre de l'obligation pour le sujet moral en tant qu'être qui doit être, (plus précisément : qui se doit d'être), et l'ordre premier de la nécessité des moyens de la santé ou de l'existence sociale ; deux ordres irréductibles l'un à l'autre, inséparables l'un de l'autre, que par un monisme où s'efface l'humain. L'hom­me est liberté, mais n'est-ce pas dans un corps, et le corps est-il libre, et son corps est-il sa liberté ? L'homme est liberté, mais que fait-il de sa liberté ? Que reste-t-il de la liberté hu­maine, et d'aucune réalité humaine, dite dans le langage mo­niste qui est le parler moderne, tantôt idéaliste et tantôt maté­rialiste, jamais capable de notre dualité radicale ? L'homme est liberté dans l'obéissance à Dieu, « sed, dum homo a Deo recessit, incurrit in hoc quod feratur secundum impetum sensualitatis... Et tamen, si consideretur inclinatio sensualitatis prout est in aliis animalibus, sic ordinatur ad bo­num commune, id est ad conservationem naturae in specie vel individuo. Et hoc est etiam in homine, prout sensualitas subditur rationi. Sed fomes dicitur, secundum quod exit rationis ordi­nem. » (S. Thomas, I. II. 91,6). -- Le bien commun, qu'est-ce à dire ? -- La conservation de la nature, soit dans l'espèce ou dans l'individu. -- Mais encore, plus concrètement ? -- Se comporter selon qu'y incline la sensibilité animale à satisfaire aux besoins de la nature animale, par exemple de nourriture chez l'individu, d'union sexuelle pour l'espèce. Na­ture animale fait besoin, y pourvoir est le bien commun des animaux que nous sommes. -- Sans autre mystère ? -- Si, s'agissant de l'animal raisonnable ; chez celui-ci, la raison se doit à elle-même de gouverner l'action requise par le bien commun, ainsi éclairé animalement, non pas humaine­ment. De sorte que cette noblesse de la raison appartient elle-même au bien commun, qui ne serait pas humain sans elle, d'abord, et aussi parce que notre nature raisonnable (et non angélique) a elle-même ses besoins, à quoi il faut pourvoir, -- et pour commencer, le besoin de Dieu, sous peine d'être em­porté par le torrent des désirs. Soulignons aussi le sens donné par ce texte à la politique conservatrice : on parle ainsi par pléonasme, si la politique est au service du bien commun en pourvoyant aux besoins de notre nature, « ad conservationem naturae », -- insistons-y comme il est moderne d'être aveugle : puisque notre nature, soit animale ou raisonnable, a ses besoins auxquels nous ne pouvons pourvoir qu'en société. 77:191 Qu'est-ce que l'égalité des droits de l'homme pour tous les hommes, sinon chaque indivi­du propriétaire de sa vie par lui-même et par lui seul, et c'est-à-dire ce mensonge colossal : la vérité de la vie humaine tout entière et uniquement individuelle, ans rien de familial ni de social, pour faire le réel droit de l'homme familial et social, et non seulement individuel, et pour composer au contrai­re d'une égalité par abstraction ? \*\*\* On devrait voir dans la civilisation, soit identiquement ou par effet propre, l'état de citoyen au sens naturel des termes (civis, civilis, civilisation), et c'est-à-dire l'appartenance à un corps social d'un être. humain, incapable de vie humaine qu'à ce titre de membre d'un tel corps. D'où il suit que la civilisation est de droit humain, et les civilisation des faits constatables, et rien de plus quant à leur diversité, -- mais toujours des faits de ce droit dans la mesure où chaque société, chaque civili­sation, obtient une vie humaine autrement impossible aux enfants des hommes. Que reste-t-il alors, sinon des niveaux de civilisation, qui ne sont jamais le degré zéro, ou un degré né­gatif, qualifiable sauvagerie ou barbarie ; qui ne sont pas da­vantage à égalité du seul fait qu'il y a partout des humains, lesquels vivent eux-mêmes plus ou moins humainement, soit leur vie collective ou leur vie personnelle ? Que reste-t-il d'un prétendu « vernis de civilisation sur la bête humaine » ? Que reste-t-il aujourd'hui, sinon la bêtise, et quelle bêtise, mon Dieu ! en une jeunesse persuadée, (non d'elle-même, mais par toutes les voix du temps), de n'avoir, pour être à la hauteur de sa vie, rien à recevoir des témoins de leur vie passée que sont les citoyens de la société d'hier, où cette jeunesse est née, où elle a grandi, -- comment ? Si l'on a l'évidence d'Aristote, qu'un homme sans la société serait une bête ou un dieu, comment les hommes d'aujourd'hui pourraient-ils n'être ni l'un ni l'autre, et pourtant humains, la société moderne en effet réduite à zéro, et non seulement malade ? Ne suffit-il pas d'ouvrir les yeux pour voir notre existence sociale dans notre société empestée de démocratie égalitaire, de même sorte que l'on voit un homme dans ses maladies ? \*\*\* Si l'être créé n'a de consistance qu'en Dieu, il y a donc cette vérité *métaphysique* du sacrifice ; et vérité que le péché re­double en faisant de cette inconsistance notre mensonge. Mais croyons-en dix mille témoins professant ou non leur foi à l'Évangile, impossible à l'esprit moderne de voir pareille vérité du sacrifice en Jésus-Christ obéissant à son Père jusqu'à la mort sur la croix ; l'esprit moderne serait-il donc le péché contre l'Esprit Saint ? \*\*\* 78:191 Oui ou non, est-il de salut public que l'esprit public ne soit plus incapable (au témoignage quotidien de la radio) de tout autre respect que celui des droits de l'homme selon 1789 ? A l'appui de cette question : Frédéric Le Play donne pour indis­pensables les sept éléments de ce qu'il appelle la constitution essentielle, à commencer par « deux fondements invariables, le respect du Décalogue et le règne de l'autorité paternelle ». \*\*\* Il suffit à l'art d'être le maître de sa matière à toutes fins de l'artiste, il n'y a de prudence, en morale traditionnelle, qu'à bien servir la fin de sa vie par sa vie même (s. Thomas, I. II. 57, 3,4,5) ; faut-il donc s'étonner de l'art moderne, et de la pru­dence ignorée des modernes (quoi de plus commun à nos prin­ces que de faire parade de leurs paris ?) si la liberté moderne a soi-même pour seul maître et pour Dieu ? « Prudentia... res­picit enim appetitum tamquam praesupponens rectitudinem ap­petitus » : de quoi rire, non ? « Bonum autem artificialium non est bonum appetitus humani, sed bonum ipsorum operum artifi-cialum. Et ideo ars non praesupponit appetitum rectum. Et inde est quod magis laudatur artifex qui volens peccat, quam qui pec­cat nolens... » : de quoi être libre, non ? Certes, mais chacun de nous vit-il librement de faire sa vie comme Picasso faisait du Picasso ? -- Il faut de tout pour faire un monde. -- La liberté de n'importe quoi fait le chaos. -- Nous sommes donc au rouet. -- Sans aucun doute, si nous tenons l'égale liberté de chacun pour premier principe de la société ; nullement, les yeux ou­verts à l'obligation de la liberté humaine de se vouloir selon les conditions de l'existence sociale, qui est son existence concrète, osons parler de la sorte, première à tout usage de soi-même. \*\*\* « Jésus-Christ répandu et communiqué », l'Église est donc la Vie de Jésus-Christ dans tous les membres de son Église, en cela même que les hommes sont de tels membres vivant de sa vie ; mais alors, il n'est pas faux de dire que l'Église est Jésus continué, en ce sens qu'après sa vie terrestre en son temps, il y a encore sa vie terrestre dans tous les temps de son Église, en tous ses membres. \*\*\* 79:191 Si, d'une part, les contraires s'appellent en nous, intellec­tuellement et affectivement ; si, d'autre part, ce que nous regar­dons et spécifions scientifiquement peut prendre l'importance qu'il nous plaira ; quelle thèse freudienne en voulait davantage pour snober l'animale liberté moderne ? Paul Bouscaren. 80:191 ### Billets par Gustave Thibon ##### *Liberté et responsabilité* 6 décembre 1974. Je n'envie pas le sort de nos aïeux, m'a dit un brave homme à qui j'avais donné à lire un ouvrage sur les mœurs de l'Ancien régime. Ils ne choisissaient même pas leur conjoint (le mariage étant presque toujours affaire de con­venances familiales) et ils n'avaient pas le droit de s'en séparer ; ils ne choisissaient pas davantage leur métier (à de rares exceptions près, depuis le laboureur jusqu'au prince, chacun succédait à son père) et rien ne les proté­geait contre « les risques du métier » -- et s'ils commet­taient quelque délit, ils voyaient s'abattre sur eux une jus­tice pénale atroce, ignorant les circonstances atténuantes. J'ai répondu : si l'on entend par liberté un très large éventail de choix, on peut dire que nos aïeux jouissaient d'un minimum de liberté pour un maximum de respon­sabilités. Mais ne sommes-nous pas tombés dans l'excès contraire, à savoir la recherche d'un maximum de liberté pour un minimum de responsabilités ? Je reprends vos propres exemples. Les familles n'interviennent pratiquement plus dans la conclusion des mariages et chacun non seulement choisit (ou croit choisir) son conjoint, mais jouit encore, grâce au divorce et au climat de liberté sexuelle qui se répand de plus en plus, de mille facilités pour échapper aux consé­quences de son choix. 81:191 Dans le domaine social, les revendications en faveur de la promotion, participation, cogestion, coresponsabilité, etc., vont de pair avec le refus des risques et le dévelop­pement écrasant d'un système de redistribution qui favo­rise les incapables et les parasites aux dépens de ceux qui, en assumant les plus grandes responsabilités, ont fait le meilleur usage de leur liberté. S'agit-il d'échec ou de délit. On en cherche de plus en plus la cause, non au niveau de la volonté consciente et libre ; mais dans des entités irresponsables comme la société avec ses contraintes et ses tabous, l'hérédité avec ses tares, la petite enfance avec ses « traumas », l'inconscient avec ses complexes, etc. Aussi le délinquant apparaît-il sous les traits d'un malade ou d'une victime plutôt que sous ceux d'un coupable à châtier ou d'un pécheur à convertir. Parler de péché constitue un anachronisme et quant au mot de culpabilité, on l'associe généralement à la notion de com­plexe, c'est-à-dire d'un état d'âme morbide qu'il importe de liquider au plus vite... Il n'est pas question de nier la part d'irresponsabilité contenue dans les comportements anti-sociaux (Socrate disait déjà que tout pécheur est un ignorant) ni de contes­ter les apports récents de sciences comme la psychiatrie, la psychanalyse, la sociologie, etc. Ce que je dénonce, c'est la généralisation de cette mentalité contradictoire qui con­siste à réclamer toutes les facilités au nom de la liberté et à éluder toutes les responsabilités au nom du détermi­nisme. A la limite, on voit se dessiner je ne sais quel type humain caricatural qui serait nanti de tous les droits et dispensé de tous les devoirs : ce type, nous le voyons déjà germer sous nos yeux dans la personne de ces révolution­naires sous cellophane qui allient l'esprit de revendication le plus virulent au besoin de sécurité le plus amorphe et qui ont sans cesse à la bouche ces deux mots-clefs : « c'est mon droit » devant n'importe quel avantage à obtenir et « ce n'est pas ma faute » dès qu'il s'agit d'une erreur commise ou d'un dommage à réparer... Dans cette atmosphère où se combinent la révolte et la démission, il est urgent de rappeler aux hommes que la liberté n'est pas une faculté donnée une fois pour toutes et qu'on peut appliquer à n'importe quoi, mais qu'elle se conquiert chaque jour par l'effort volontaire et la disci­pline intérieure. C'est en assumant des responsabilités et en étant traité comme responsable par le prochain (avec les risques et les sanctions que cela comporte) que l'indi­vidu forge et mérite sa liberté... 82:191 Sinon, à force de facilités, de « compréhension » et d'indulgence, nous préparerons l'éclosion d'une génération d'infantiles -- et je désigne par ce mot ces innombrables adultes, calqués sur le modèle de l'enfant gâté dont on satisfait tous les caprices parce que « cela lui fait tant plaisir » et dont on excuse toutes les fautes parce « qu'il ne l'a pas fait exprès ». Ce qui, évidemment, ne peut pas durer très longtemps et conduit directement à la tyrannie totalitaire qui transforme la société en maison de correc­tion. ##### *Résignation ou révolte ?* 13 décembre 1974. Je rencontre tous les jours, dans les rues de mon vil­lage, cette vieille femme, dont toute la vie n'a été qu'un tissu d'amères épreuves. Née en Allemagne et de souche israélite, elle a travaillé dès l'enfance comme femme de peine. Chassée de son pays par la vague hitlérienne, elle a erré longtemps d'une ville à l'autre pour échouer finale­ment dans le midi de la France après dix années de misère et d'insécurité. Mariée à un ignoble individu, qui l'a bas­sement exploitée, puis abandonnée, elle a dû élever seule ses quatre enfants. Aujourd'hui, presque septuagénaire mais exclue des avantages sociaux par sa qualité d'apatride, elle travaille comme ouvrière agricole ou femme de mé­nage. Rien ne manque, on le voit, à la noirceur du tableau. Eh bien : contre toute attente, cette pauvre femme ne s'es­time pas malheureuse. Aucune trace en elle d'amertume et de ressentiment : dure à la peine, dévouée à ses em­ployeurs, sensible aux rares bons côtés de son existence, elle respire la joie de vivre. Et quand elle évoque ses souf­frances passées, elle conclut par cette banalité qui, dans une telle bouche, prend la couleur d'une révélation : « C'est comme ça, c'est la vie ! » Voici maintenant l'exemple inverse. Il s'agit d'une jeune femme du même village, choyée par ses parents et qui, après une longue scolarité, d'où elle a tiré plus de préten­tions que de culture, s'est essayée dans divers emplois, dont aucun ne l'a satisfaite. Voulant se libérer des contraintes du salariat, elle a épousé un agriculteur, mais les travaux ménagers lui paraissaient encore plus aliénants et indignes du niveau intellectuel qu'elle s'attribue. Bref, le type ac­compli de la névrose d'échec et accusant tout le monde, sauf elle-même, de son dégoût de l'existence... 83:191 A cette insatisfaite chronique, j'ai parlé de la vieille femme qui n'a presque rien et qui est contente de tout. « Mentalité d'esclave, a-t-elle répondu avec mépris, basse résignation à l'injustice et au malheur ; moi, monsieur, je suis de l'espèce des révoltés. » Révoltée, mais contre quoi ? Je sais qu'il y a des rési­gnations de bas niveau qui dégradent l'homme et favori­sent l'oppression. Devant certains abus de pouvoir, qui avilissent ceux qui les subissent autant que ceux qui les exercent, la révolte est le premier des devoirs. C'est à juste titre, par exemple, qu'on a blâmé l'obéissance passive des généraux allemands aux ordres délirants d'Hitler. Aujourd'hui, le vent souffle en sens inverse et la révolte tend à devenir un phénomène constant et universel. Aux inconditionnels de la soumission, succèdent les incondi­tionnels de la contestation. Malaise chez les travailleurs industriels, chez les fonctionnaires, chez les agriculteurs, chez les commerçants, chez les étudiants, chez les soldats, chez les prisonniers, etc. : les journaux nous apportent chaque jour les échos de cette insatisfaction générale. En­core quelques pas dans cette voie et la présence d'un homme content de son sort fera l'effet d'un anachronisme. Je ne nie pas qu'il reste bien des choses à améliorer dans les divers secteurs où s'exerce la contestation. Ce qui m'alarme, ce n'est pas la revendication concernant tel ou tel point précis où il y a effectivement injustice ou aliéna­tion ; c'est un état d'esprit qui repousse, comme une vio­lence imméritée, des obligations et des contraintes qui font partie de la condition humaine. Car, enfin, même dans les meilleures circonstances possibles, l'état du travailleur, de l'étudiant, du soldat, etc., implique toujours une part d'aliénation, dans ce sens qu'il exige des efforts et une continuité qui ne correspondent jamais pleinement à nos désirs spontanés. En dépit des propagandes placées sous le signe de la facilité et de l'euphorie, l'ensemble de la vie n'est pas et ne peut pas être une partie de plaisir... Cette révolte contre la nature des choses atteint parfois les sommets de l'irréalisme. J'ai vu récemment une anima­trice d'un mouvement de libération de la femme qui m'a confié : « Quoi que nous fassions, il restera toujours une injustice dans la condition féminine : pourquoi les hommes sont-ils physiquement mieux doués que nous, plus libres dans le déploiement de leur sexualité, etc. ? » -- J'ai répon­du : « Tout homme que je suis, je me sens souvent frustré de n'être pas un oiseau. Est-il rien de plus humiliant que cette lente démarche du bipède, obligé d'emprunter les sinuosités des chemins alors que le moindre volatile fran­chi en ligne droite ravins et collines ? » 84:191 J'admets qu'il est des conditions de vie et de travail moins intéressantes les unes que les autres. Encore faut-il remarquer que, parmi les hommes placés dans les mêmes conditions d'existence, les uns sont satisfaits et les autres mécontents de leur sort. Ce qui prouve que, sauf dans les circonstances extrêmes, bonheur et malheur dépendent du climat intérieur plus que des vicissitudes de destinée. « A vaisseau brisé, tous vents sont contraires », dit un vieux proverbe. Se croire victime, c'est déjà l'être en réalité, et quand le poison de la révolte a pénétré les couches pro­fondes de l'âme, aucune amélioration venue du dehors ne peut nous rendre la paix perdue au dedans. J'ai souvent observé, à l'appui de cette thèse, que les hommes qui se plaignent le plus de l'aliénation imposée par leur métier, ne réagissent guère mieux quand vient heure de la retraite. Déchargés de toute obligation profes­sionnelle et libres enfin de suivre leur fantaisie, ils traînent dans leur loisir le même ennui et la même morosité que dans leur travail... « Nul n'est content de sa fortune, ni mécontent de son esprit », disait un poète du grand siècle. L'homme en désaccord avec lui-même et qui, suivant la forte expression populaire « se trouve mal dans sa peau » ne se trouvera bien nulle part et, pour éviter l'aveu humiliant de sa misère intérieure, il attribuera au destin ou à la société, la cause de tous les échecs dont il est l'auteur plus encore que la victime. Est-ce une apologie de la résignation à tout prix ? Je n'aime guère ce dernier mot, qui évoque la passivité et le découragement. La règle d'or est de lutter jusqu'à la limite du possible pour soumettre notre destinée à nos vœux et, si les événements déjouent nos efforts, d'avoir assez de domination sur nous-mêmes pour consentir à l'inévitable. Gustave Thibon. © Copyright Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique). 85:191 ### Carême et carambouillage par Marcel De Corte LE CARÊME était naguère encore semblable à toutes les périodes de quarantaine de l'Ancien et du Nouveau Testament, telles les années passées par le peuple de Dieu au désert avant son arrivée dans la Terre Promise, le jeûne de Moïse sur le mont Sinaï avant de recevoir la Loi, la marche d'Élie dans le désert avant de rencontrer Dieu sur le mont Horeb, ou encore la privation volontaire de nourriture à laquelle se soumit le Christ avant sa prédi­cation de l'Évangile. Il était la nécessaire préparation à l'entrée de l'homme dans le domaine du Surnaturel et à sa participation effective à la Résurrection du Christ et à la vie proprement divine. \*\*\* *Préparer* c'est mettre un être ou une chose par un tra­vail préalable -- en l'occurrence par la rupture avec le monde -- à même de remplir sa destination. L'homme est destiné à vivre éternellement avec Dieu dans un autre monde où l'appelle le Christ ressuscité ou sans Dieu dans ce gouffre horrible dans lequel, à jamais coupé de sa Source trans­cendante, il n'a d'autre fin que se contempler soi-même et son néant dans le miroir ténébreux de son immanence. Privation de nourriture qui exténue en l'homme la concupiscence des biens matériels de ce monde pour faire place au don gratuit de l'amour surnaturel de Dieu, le Ca­rême est essentiellement un acte de *conversion* et de ren­versement de la loi de la pesanteur qui le régit : à l'homme horizontal, penché vers la terre, se substitue l'homme vertical tiré en haut vers Dieu par l'imitation de Jésus-Christ. 86:191 Le Carême inverse le mouvement qui attire inlas­sablement l'homme vers lui-même (et qui par conséquent le dresse contre lui-même) pour le tourner vers son origine et le faire redevenir, à la suite du Nouvel Adam, l'ami de Dieu avec qui Dieu partage tout et qui partage à son tour tout ce qu'il a reçu de Dieu avec Dieu. \*\*\* Le Carême a une signification mystique ou il n'est rien. Il introduit à la communion *personnelle* avec Dieu. L'hom­me efface autant que possible en lui tout ce qui le sépare de Dieu et singulièrement ses désirs matériels, pour laisser passer le pur flux de la grâce divine qui le restitue à sa vocation intime : être personnellement sauvé par Dieu, le salut portant essentiellement sur les personnes et non sur les collectivités. Il faut le répéter sans fatigue ni découra­gement, avec. tout l'éclat que communique la force de frap­pe de la seule vérité : la notion de personne est d'origine chrétienne et surnaturelle et elle n'a de sens qu'au niveau de la seule Révélation. *Proprias oves* NOMINATIM *vocat*. « Je connais chacune de mes brebis et chacune d'entre elles me connaît, comme le Père me connaît et comme je con­nais le Père », *dans une relation personnelle*. Sans l'adhé­sion surnaturelle de l'âme au mystère de la Très Sainte Trinité, la personne n'a plus aucune signification, ni dans sa relation à Dieu ni dans sa relation aux autres person­nes. On ne peut aimer surnaturellement, c'est-à-dire réel­lement, le prochain *en personne*, qu'en aimant Dieu en sa vie trinitaire. Le reste est verbiage à l'usage des clercs sa­vants et savantasses qui ne croient plus au surnaturel. En particulier, la fameuse « dignité de la personne humaine » dont on nous assomme aujourd'hui qu'elle est en train de disparaître avec la foi chrétienne qui l'illumine, et qu'on se garde bien de définir autrement que par un appel aux entrailles du lecteur ou de l'auditeur, n'existe qu'au plan de la vie surnaturelle. Il est impossible de l'apercevoir sans avoir d'abord les vertus théologales. L'aspect commu­nautaire de la société chrétienne en est la conséquence et rien que la conséquence. Dieu présent dans chacune des âmes les rassemble entre elles en lui. \*\*\* 87:191 L'Église postconciliaire a changé tout cela. A la manière de Sganarelle, dans le *Médecin imaginaire*, qui plaçait le cœur à droite et le foie à gauche sous la volée des coups de bâton qui lui transmettait une physiologie irréelle mais pro­fitable pour lui, l'Église actuelle -- tiare, mitres, bonnets carrés et bérets alpins en tête -- a fait virer le Carême *de la mystique à la politique* et en a proprement (si l'on peut dire) socialisé l'essence et l'exercice. Le Carême n'est plus la porte d'entrée à la vie surnaturelle, mais la voie au long de laquelle le clerc, et à sa suite, le chrétien grégaire, se transforment en démagogues. Au terme de l'imposture, le Carême n'a plus Dieu pour objet, mais tout simplement l'univers de l'Homme « sous-développé » qu'il s'agit de libérer de toutes les chaînes économiques, sociales et poli­tiques qui lui interdisent d'être un homme. Le Carême s'est radicalement -- je pèse l'adverbe -- *sécularisé*, avec l'as­sentiment enthousiaste (si l'on peut employer ce mot) ou résigné du pape, des évêques, des scribes et des pharisiens, qui sont aujourd'hui *incapables* de définir le sens des mots qu'ils emploient et qui nous dupent en introduisant sous la carapace des termes une signification frauduleuse. Le Carême n'a plus désormais aucune signification religieuse. Il est purement profane. Dans quelques décennies, il sera remplacé par un Mardi Gras continu et par une folie huma­nitaire permanente. La vésanie est universelle. Mais la Belgique, mon pays, naguère encore réputée pour son solide et rude bon sens -- *Belgae amant scientias grossas atque palpabiles*, disait-on au Moyen Age --, est particulièrement touchée. Avec une touchante unanimité, les évêques belges ont décidé qu'il n'y aurait plus désormais un seul « Carême de partage », mais trois. Je rassure immédiatement le lecteur : il ne s'agit point de leur intention de renouer le lien qui rattache le Carême à la vie divine trinitaire. L'innovation se veut délibérément radicale, au sens où Marx prend l'adjectif : qui va jusqu'à la racine, jusqu'au point extrême d'où monte la sève nour­ricière et d'où jaillissent l'être et la vie. C'en est fini, écrit le « Service Formation permanente du Comité des Instituts Missionnaires », sous la responsabilité d'un autre Comité : « Entraide et Fraternité », auquel « le Comité » suprême des évêques de Belgique a délégué le soin de monter l'opé­ration « Carême de Partage », c'en est fini de la « Contre-Réforme », de l'Église « fortement spiritualisée », axée sur son « ordre intérieur », et dont « l'accent est mis sur l'en­seignement d'une doctrine orthodoxe et sur la vie sacra­mentelle ». « Les courants contemporains dans l'Église et dans la société ont apporté une nouvelle conception de l'unité de l'homme, de l'authentique humanité incarnée de Jésus de Nazareth » -- on notera ici que ce n'est plus la divinité qui s'est incarnée en Jésus, mais « l'homme » ! --, « du rapport Église-monde, de la responsabilité collective ». 88:191 Autrement dit, en clair et en bref, le renversement est. total : le Christianisme n'a plus pour fin d'enseigner aux hommes les vérités surnaturelles nécessaires à leur salut et les moyens surnaturels de les y conduire, mais « de déve­lopper intégralement l'homme » et de lui assurer son « bon­heur total, déjà ici sur terre » de manière à ce que « l'hom­me soit pleinement homme, c'est-à-dire que l'homme puisse être homme dans toutes ses dimensions ». Le Carême ne prépare plus à une vie surnaturelle plus profonde et plus intense, mais « à l'épanouissement humain », « à la soli­darité universelle », « à la justice sociale » et, en fin de compte, on s'en doute, à la Révolution contre « les struc­tures » qui « s'opposent à la libération de l'homme ». A cette fin, nos évêques belges courbés sous l'impé­rieuse crosse du cardinal Suenens, primat de Belgique (ami de Don Helder Camara, philofasciste en sa jeunesse comme ce dernier fut en la sienne pionnier de la très anti­communiste Légion de Marie et pourfendeur de l'œcumé­nique Réarmement Moral en son âge adulte, passé à la Subversion au seuil de la vieillesse), ont élaboré une « opé­ration 3 Troncs » afin d'ouvrir le Carême de partage « au pluralisme d'opinions » qui se manifestent au sein du catholicisme actuel et de permettre aux « diverses options » corrélatives de se révéler. Une enveloppe fut déposée l'année dernière sur chaque chaise de toutes les églises de Belgique avec l'avertisse­ment suivant : « Découper selon le pointillé. Glisser dans l'enveloppe la partie utile pour préciser votre choix : 1. Je tiens à ce que mon argent serve à financer *leurs* projets (des peuples sous-développés, pas les projets des « Blancs » oppresseurs, fussent-ils missionnaires) chez eux. 2. Je tiens à ce que mon argent serve à soutenir l'effort de conscien­tisation chez nous. 3. Je tiens à ce que mon argent serve à appuyer l'action des mouvements de libération. » L'enveloppe elle-même ne comportait aucune allusion à Dieu, à la vie surnaturelle et sacramentaire, au saint Sacri­fice de la Messe, mais le texte suivant : « Carême, temps pour modifier ses réactions, ses mentalités... temps de CONVERSION (en capitales dans le texte où nos évêques menteurs, prévaricateurs, en route vers l'apostasie, auraient dû écrire : temps de SUBVERSION, s'ils levaient le masque) pour nous qui sommes artisans d'injustice, chaque fois que nous préférons la loi avant *l'homme,* le profit avant *l'hom­me,* l'argent avant *l'homme,* les règlements avant *l'homme,* le silence avant *l'homme. *» *L'homme,* toujours *l'homme,* jamais défini, substitué sans vergogne à *Dieu.* Avez-vous oublié, évêques, le verset du psaume : *Exsurge, Domine,* *non praevaleat Homo,* que vous lisiez dans vos missels traditionnels au temps du Carême ? 89:191 Des dépliants, publiés eux aussi sous le patronage de l'épiscopat, précisaient l'affectation des sommes recueillies. Le tronc 1 devait aller par exemple à la création de « syndicats de paysans et d'ouvriers », à des « tentatives d'autogestion ». Bâtir des églises, voire des hôpitaux et des écoles, c'est rétrograde ! Le tronc 2 devait aller à « des activités de conscienti­sation chez les sous-développés et chez nous », par exemple contre l'exposition « Brazil-Export » qui eut lieu à Bruxel­les où le Brésil témoignait de son énergique redressement économique dont les classes les plus pauvres ne peuvent que profiter, et qui fut boycottée, chahutée, vilipendée par les chrétiens alliés aux communistes et aux diverses hordes gauchistes dans une intense propagande. Non ! Il faut en­tretenir à tout prix le paupérisme sans lequel aucune Révolution n'est possible. Il faut dresser les Belges contre les Brésiliens et les Belges contre les Belges. Toute lutte de classes est bénéfique et débouche sur la Révolution. Le tronc 3 enfin devait aller aux « mouvements de ré­sistance qui voient le jour, là où des régimes politiques répriment les libertés et le combat pour la justice », par exemple : « aux mouvements de libération des colonies portugaises » et « aux mouvements clandestins dans les pays totalitaires ». Admirons ici un instant la prodigieuse fourberie de ces ecclésiastiques en bonnet rouge : il ne s'agit nullement dans leur pensée de la Hongrie, bien sûr (le pape n'admet-il pas que les nouveaux évêques jurent *fidélité* au régime commu­niste ?), mais de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal (d'hier), du Chili, etc., mais il faut tromper, berner, mys­tifier le donateur. C'est INÉVITABLE : le prêtre qui se dé­tourne de Dieu vers le monde ne peut plus que MENTIR, car le monde est le domaine du Prince du Mensonge. Et le pis est qu'il ne s'aperçoit même plus qu'il ment... Il est passé, sans le savoir, d'une *religion à une autre* qui en est la caricature. \*\*\* Qu'il s'agisse du premier, du second ou du troisième tronc de Carême, l'intention est claire : on financera al­lègrement la Révolution, on confondra pieusement Dieu et César, on amalgamera effrontément la religion et la poli­tique, entendant par politique la seule qui ait les tendresses du clergé postconciliaire : 90:191 « la double révolution structu­relle, révolution structurelle dans les pays riches, révolu­tion structurelle dans les pays en voie de développement », selon la formule du camarade Camara reproduite en capi­tales sur un autre dépliant diffusé avec l'agrément de l'épis­copat, car « ces mouvements pour la liberté sont notre conscience en action ». « Nous excluons les opérations visant uniquement le progrès matériel », clament « les chrétiens camerounais », sur le dit dépliant, et, comme il n'est plus nulle part question de progrès spirituel, que reste-t-il sinon la DESTRUCTION DES DEUX PÔLES DE L'HUMAIN EN L'HOMME. *Habemus confitentem reum :* lorsque le Carê­me a pour fin l'HOMME, il ne peut que TUER physiquement et (ou) moralement. « Le Chanoine Évelette, qui représentait l'Évêque de Liège » au Congrès « Justice et Paix » qui se tint à Liège le 3 avril 1974, affirme même sans barguigner le dogme nouveau : « *Dans tous les efforts de l'homme pour la jus­tice *» *--* la justice révolutionnaire, s'entend, et non point la justice bourgeoise -- « *nous reconnaissons Dieu à l'œu­vre *»*.* On a beau nous chanter que « *la pastorale *» laisse intact le dogme chrétien, tout le dément. « La pastorale » a un dogme qui est *le contraire* du dogme chrétien : « l'aspiration à la libération politique, économique et cul­turelle », elle-même « signe des temps ». Le chanoine Éve­lette, en bon démagogue, le sait très bien : il est rigoureu­sement impossible que l'homme soit politiquement, écono­miquement, culturellement libre. Pour qu'il le soit, il faut ANÉANTIR toute forme de société organisée, afin de créer de toutes pièces, à partir d'une humanité (si l'on peut encore employer ce mot) dénoyautée de son essence immuable, une « société » nouvelle que les chirurgiens de l'âme, de l'in­telligence et de la volonté humaines auront réduite en une mécanique dont ils tiendront les leviers de commande. Je le dis, sans tourner autour du pot, à Messeigneurs les évêques de Belgique : -- En permettant à vos clercs de diriger cette « libéra­tion », vous commettez la plus grande escroquerie maté­rielle et morale de l'histoire de l'Église, auprès de laquelle la prédication des indulgences et ses fructueuses recettes financières n'auront été que friponnerie d'enfant. Vous savez très bien qu'il y aura toujours des chefs et des su­bordonnés, des supérieurs et des inférieurs, ou, dans le langage marxiste que vous affectionnez, des « oppresseurs » et des « opprimés ». Vous savez très bien qu'*il n'y a pas de justice humaine sans société préalable.* Vous savez très bien qu'il n'y a plus aujourd'hui de société digne de ce nom, mais *un amas d'individus atomisés* -- la famille elle-même se défait sous vos yeux sans que vous voliez à son secours ! -- *que des groupes de pression organisés ras­semblent dans leurs mécanismes soigneusement montés.* 91:191 Vous savez très bien qu'à côté du capitalisme d'argent, il existe *un capitalisme d'hommes, ou plutôt d'esclaves,* dont les meneurs du jeu politique, transformant *ces masses en massues,* se servent *pour conquérir le pouvoir.* Vous savez très bien qu'il ne s'agit nullement pour ces groupes de pres­sion d'assurer « le progrès matériel et spirituel » de l'hom­me -- vos prospectus publicitaires de Carême le prouvent -- mais de DÉPLOYER LEUR VOLONTÉ DE PUISSANCE. Vous savez très bien enfin que vos clercs fanatiquement voués à la sécularisation intégrale de l'Évangile, c'est-à-dire *à la totale destruction du surnaturel,* et peut-être se­crètement vous-mêmes, vous aspirez à constituer, avec l'assentiment tacite d'une foule de chrétiens que l'auto­destruction de l'Église a pulvérisés et séparés les uns des autres selon un « pluralisme » dont vous êtes les fauteurs, *un formidable groupe de pression dont vous serez, vous et vos acolytes, les chefs et, disons-le carrément, dans toute la justesse du mot, les oppresseurs,* exactement comme « la nouvelle classe dirigeante » que l'expérience historique nous a fait voir à l'œuvre dans les pays communistes et devant le succès de laquelle vous frétillez de ferveur admi­rative. Si vous ne le savez pas, qu'êtes-vous donc ? En tout cas, vous n'avez même plus le courage de Luther dont vous avez adopté la théologie et la liturgie, qui n'hésita pas à condamner « la lutte des classes » de l'époque. Vous êtes veules, vous et le clergé déboussolé du surnaturel que vous avez enfanté. Vous n'êtes pas des *hommes.* C'est pourquoi vous aspirez tant à « la promotion humaine ». Vous êtes des faibles. C'est pourquoi vous êtes travaillés par la volonté de puissance. Toute dégradation de la mystique en poli­tique sécrète une enivrante volonté de puissance. Le clerc pénètre jusqu'au fond de l'âme d'autrui comme s'il était Dieu, le Dieu surnaturel qu'il renie à son profit. Quelle volupté de mouvoir les ressorts les plus intimes de l'action humaine et de faire prendre conscience aux fidèles qu'ils doivent, *au nom du Christ,* s'engager dans la lutte révolu­tionnaire contre « les structures injustes » fût-ce au prix inévitable du sang humain versé par tous les mouvements de « libération » ! Allons, Messeigneurs, un bon mouve­ment de votre part : libérez-vous de la vieillotte tentation de la sainteté surnaturelle, hissez sur vos autels saint Ca­millo Torrès ! Le denier de votre Carême va susciter d'au­tres nouveaux martyrs morts à leur tour les armes à la main, les armes que vous leur aurez achetées et qui auront servi à tuer leurs frères. 92:191 Vous n'avez certes pas lu *Que faire ?* où Lénine montre que le mouvement prolétarien est par lui-même incapable d'élaborer une doctrine et une stratégie révolutionnaires. « L'histoire de tous les pays atteste que, livrée à ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver par elle-même à la conscience, de classe » et qu'il faut la lui inoculer. « C'est au Parti que revient de donner à la classe ouvrière la cons­cience qu'elle n'a pas spontanément », lisait-on naguère dans *L'Humanité.* Mais votre flair vous dicte la même ligne de conduite. Votre clergé dépourvu de toute intelligence du surnaturel, ambitionne de surclasser l'*intelligentsia* com­muniste et de transformer l'Église en un « Parti » supé­rieur, « véritable moteur de l'Histoire ». C'est ainsi que l'Église retrouvera la puissance qu'elle a perdue en s'op­posant stupidement depuis plus de deux siècles à la Révo­lution. C'est ainsi qu'elle retrouvera la place, la première place qu'elle a perdue dans la société. Votre *intelligentsia* l'avoue. *Entraide et Fraternité,* qui axa tout votre Carême sur « l'homme », le proclame dans un style inimitable qui justifie la formule de Jules Mon­nerot : « La littérature, c'est le surnaturel lorsqu'on n'y croit plus » : « Cette foi extraordinaire dans l'homme et dans ce « plus être » qu'est en lui l'impulsion de Dieu a été une des affirmations radicales de Jésus de Nazareth face au système politico-religieux de son temps. » Vos *intellectuels* qui ressentent en eux, d'une manière « extraordinaire » la foi en l'homme comme un « plus être » dont l'impulsion viendrait de Dieu, ont tout simple­ment foi en eux-mêmes, en leur désir d'être plus, de domi­ner les hommes et de se les assujettir. L'impulsion qu'ils subissent ne vient pas de Dieu, mais de leur moi, la seule idole qui puisse se substituer à Dieu. Avoir foi en l'homme, c'est avoir foi uniquement en soi-même. « L'homme » n'existe pas en dehors de l'esprit qui le pense. Ce qui existe en dehors de nous, c'est Pierre, Paul ou Jacques, pourvus chacun d'une nature humaine plus ou moins parfaite. Aimer. « l'homme », c'est donc aimer son propre esprit, c'est s'aimer soi-même et uniquement soi-même, ainsi qu'en témoignent la plus rudimentaire psychologie et l'observa­tion des amants de l'humanité toujours poussés, par l'irré­sistible force d'un *moi* qui ne tolère aucune limite à son divin pouvoir, à détruire tout ce qui s'oppose à l'expansion de leur volonté de puissance. C'est au nom de l'amour de l'humanité que les crimes les plus horribles contre les hom­mes en chair et en os se commettent depuis deux siècles. Le Christ n'a point ordonné d'aimer *l'homme,* mais il a ordonné *aux hommes* de s'aimer les uns les autres. 93:191 J'ai sous les yeux bon nombre d'écrits émanant d'*Entraide et Fraternité.* Nulle part, cet amour concret pour *le prochain* pourvu d'un nom propre n'apparaît. Tout respire l'amour pour une abstraction, l'amour secret de soi. \*\*\* Comment nos pasteurs ne s'aperçoivent-ils pas de la cor­ruption radicale de l'Évangile que leur nouveau Carême nous propose ? Comment l'approuvent-ils ? Comment incitent-ils à la poursuivre ? Il n'y a qu'une seule réponse : ils sont frappes d'un *aveuglement surnaturel.* Quand on reproduit sur un dépliant cette phrase de Julius Nyerere, président de la Tanzanie et chrétien maoïste : « Le but de l'Église, c'est l'Homme, sa dignité et son droit à s'épa­nouir dans la liberté », on n'en peut plus douter. J'en ai fini, Messeigneurs. Le peuple chrétien dont vous êtes les pasteurs est *surnaturellement sous-développé.* La plupart des membres de votre clergé sont *surnaturellement sous-développés.* S'il vous reste quelque lueur divine en l'âme, hâtez-vous de leur donner cette nourriture spiri­tuelle faute de quoi ils mourront. Partagez-la avec eux. Ce sera votre Carême de partage, le vrai. Sinon nous serons fondés à vous prendre pour ce que vous êtes, hélas, deve­nus. Marcel De Corte. 94:191 ## NOTES CRITIQUES ### Une « situation » de l'Église *Défense de l'Occident,* la revue de Maurice Bardèche, con­sacre à la situation de l'Église catholique trois articles de belle qualité ([^4]). L'avenir de l'Occident et celui du catholicisme sont liés : le processus d'autodissolution du pouvoir spirituel com­porte au moins autant de conséquences pour la civilisation que pour la foi, et plus dramatiques peut-être dans le premier cas, parce qu'irréparables. Chacun à sa manière, Willy-Paul Romain, Serge Thomas et Jean-Paul Roudeau, les trois rédacteurs de ce « Dossier sur l'Église », dressent une sorte de bilan sociologi­que des révolutions post-conciliaires. Leur enquête est sérieuse, critique, bien documentée. En voici quelques exemples, extraits de l'article de Serge Thomas : « *L'Église meurt d'autodissolution, et de l'infirmité crois­sante des États d'Occident. Nivellation progressive de sa struc­ture hiérarchico-liturgique traditionnelle dans l'informe d'une espèce de théophilanthropie qui engendre une masse de pra­tiques fétichistes et contradictoires. L'* « *épuration *» *de la liturgie, la* « *libération *» *d'avec un rite qu'on dit carcéral, le grand défoulement d'un clergé en folie ne conduisent qu'à mille servitudes. Enlevée la soutane, et conjurés les exorcis­mes* « *vieux jeu *»*, ressurgissent en liberté les diables inhibeurs d'avant la catholicité.* « *A trop avoir voulu l'unité à tout prix avec les* « *frères séparés *»*, à s'être ouverte ainsi à tous vents, et à tous plans élargis, jusqu'aux* « *non-croyants *» *même agressivement incro­yants ou mécréants, à s'être voulue plus simple, plus pure, Plus totale,* « *œcuménique sn enfin, c'est-à-dire mondialisée, et non plus catholique vraiment, c'est-à-dire universelle, l'Église s'est close de mille petites clôtures* (*...*) *Et il y a dans les églises nationales les églises diocésaines, et dans les églises diocésai­nes les églises paroissiales : à chaque évêque ses curés, à cha­que curé ses messes, et même, à chaque messe sa part de* « *happening *»*. L'Église s'est tribalisée.* 95:191 « (*...*) *Y a-t-il plus régressif que* Taizé, *et ce* « *concile des jeunes *» *de septembre 1974 qui s'est donné pour objectif* « *le réenfantement du peuple de Dieu *». *A voir le misérable sous-Woodstock que fut cette drôle de manifestation, on préférera au terme de réenfantement celui d'infantilisation. La parole n'est donc plus qu'un babil puéril, à la logorrhée adolescente. Adieu, logos. Adieu chaire, qui portas tant de belles et fortes prédications. D'entre tous les meubles de l'église s'y marquait le plus évidemment la fonction médiatrice du prêtre -- au-dessus des fidèles, au-dessous de Dieu. Supprimer l'usage des chaires, et, bientôt, les chaires mêmes, tellement* « *meubles *» *qu'on les retrouvera déménagées et en morceaux, chez les anti­quaires, c'est mettre Dieu, prêtre et fidèles au même niveau, le plus bas. Ce que signifiait la montée en chaire : monter au plus haut de soi, au haut des Bossuet et Lacordaire, jusqu'à Dieu presque, le Très-Haut. Faire monter sa parole, pour qu'elle retombât du Ciel en Parole. Dans la* chaire, *c'était le Verbe qui se faisait* chair ; *sans la chaire, c'est la chair qui s'impose d'un bavardage terre à terre.* » « (*..*) *L'Église délire, et le sommeil* (*ou la mort ?*) *de sa raison réengendre toute une horde d'obscurantismes paléo­chrétiens. Le dernier cri -- au propre, aussi -- de la théologie progressiste impose qu'on cherche l'Église authentique et* « *pro­fonde *» *dans l'Église d'avant l'Église. Celle-là seule serait pure et vraie qui est l'Église des Catacombes, l'Église* « *under­ground *», *l'Église du* CHRIST-TAUPE. *Prendre exemple sur la communauté chrétienne primitive pour réapprendre l'unité avec les* « *frères séparés *» *-- mais c'est sur un mode quasi fœtal : la religion telle que la* « *revoit et corrige *» *l'intelligentsia moderniste s'enfonce et se fond dans un magma syncrétique qui retrouve le fond des croyances ou religions non-chrétien­nes. L'Église des cavernes. *» « (*...*) *Il faut saisir la dissolution de l'Église comme inté­rieure au procès de dissolution de l'Occident tout entier. Com­prendre que l'autodissolution de l'Europe bourgeoise, précipitée depuis 1945, implique l'autodissolution de la catholicité, acti­vée par Vatican II. Église suicidaire et déjà quasi suicidée : le progressisme n'est pas le fait de marginaux irresponsables, les* « *meneurs *» *sont le gros de l'appareil hiérarchique, depuis le Pape même. Jean XXIII n'eut pas la force physique ni spi­rituelle nécessaire, ni la santé, ni la sainteté de Pie XII pour résister au mouvement morbide et fataliste qui agitait cer­taines des* (*hautes*) *sphères de son Église : ce fut le Concile de l'ambiguïté, d'où tout semblait possible, renouveau comme révolution. Dans des conditions critiques de civilisation, l'ambiguïté profite toujours à la crise et à la subversion. Tout de fait fut interprété et appliqué dans le sens le plus subversif. Et tout est allé de mal en pis : de Jean XXIII à Paul VI, ou de l'équivoque au contradictoire. Drôle de tête à la tête de l'Église : Paul VI est un pape biface, un pape-Janus, qui dit* (*souvent*) *la Tradition et fait* (*toujours*) *la révolution. *» 96:191 Tout cela est aussi bien vu qu'intelligemment exprimé. Pour beaucoup, cette façon de présenter les choses, tranquillement si l'on peut dire, comme un constat, garde toute son utilité elle dresse « l'état de la question », et ce détachement appa­rent du ton ne fait que mieux ressortir l'ampleur objective de la catastrophe. H. K. ### La littérature à l'emporte-pièce (septième série) Les études critiques de M. Jacques Vier s'accompagnent tou­jours d'une méditation sur la critique. On ne s'étonnera pas de trouver en tête de ce nouveau recueil ([^5]) un plaidoyer pour elle, où il évoque les difficultés de ce travail toujours nécessaire quand la matière littéraire présente est déficiente : « Le néant de la critique ne peut que prospérer dans le désert de la créa­tion. » Et tout de suite après une étude sur Molière pour le tricentenaire de sa mort, où les applications de « Don Juan » au XX^e^ siècle ouvrent d'intéressantes et inquiétantes perspecti­ves, un chapitre intitulé « Révolution et Contre-Révolution » met vigoureusement en parallèle la période pré-révolutionnaire de 1789 et les aberrations contemporaines ; cet article évoque, en même temps et en contre-partie, les œuvres salutaires récem­ment publiées, et quelques noms et titres qui nous sont ici fa­miliers. Après un aussi ferme préalable, l'érudit peut consacrer son étude à des sujets apparemment moins actuels, par exemple un triptyque sur Renan ; le lecteur y goûtera particulièrement ce qui concerne l'ironie du grand maître des voluptueuses in­certitudes. Quoi qu'on pense de Renan, l'analyse d'une ironie est toujours profitable, et n'implique nullement le scepticisme ; elle offre en ce moment un certain art du réconfort intellectuel, même si trop d'hommes de plume méritent un traitement plus énergique que les caresses un peu aiguës de la raillerie subtile, même si leur génie rudimentaire leur permet tout juste de la pressentir. 97:191 On ne traite pas les rhinocéros par l'acupuncture... Quand il s'agit de parler des « deux piliers du modernisme », MM. Legaut et Guillemin, le ton ne saurait demeurer dans le registre renanien des appréciations souriantes et allusives ; et pour notre grande satisfaction, il n'y demeure pas. On lira avec un intérêt marqué, souvent passionné, parfois avec des restric­tions que l'auteur a bien prévues, les pages consacrées aux personnalités encore problématiques de Brasillach, Rebatet et Montherlant ; Green, Gabriel Marcel, Péguy lui-même sont l'ob­jet d'études importantes. Patiemment, M. Jacques Vier poursuit la construction d'une œuvre dont les lignes maîtresses appa­raissent assez nettement pour qu'on puisse juger bien modeste le titre de « Littérature à l'emporte-pièce » ; mais ne faut-il pas rappeler que le travail le plus profond n'exclut pas l'humour vivant à l'occasion, et n'endort pas la spontanéité du style ? Jean-Baptiste Morvan. ### Bibliographie #### Jules Monnerot Inquisitions (Corti) Le nouveau livre de Jules Monnerot est un recueil d'études politiques écrites à diverses époques. La politique étant un domaine occupé par les passions et le conformisme, on est tou­jours étonné d'en entendre traiter avec une liberté railleuse qui est le ton même de l'intelligence. Dans deux de ces études (une sur l'historien René Rémond, l'autre sur l'*Avenir de l'Intelligence*) Monnerot traite des intel­lectuels. Ce mot vague, récent, dont Valéry se moquait encore (ou déjà) regroupe tous ceux qui par leur « culture » ont pré­tention d'être guides et juges pour le reste de la population. Cette « culture » peut se réduire à peu de choses, ou représen­ter une grande compétence dans une science qui n'a rien à voir avec la politique, la morale et les domaines annexes, où il s'agit de trancher. Exemple, nos prix Nobel quand ils parlent de l'avortement, ou de la libération de la femme. Ils n'ont sur ces sujets pas plus de lumière qu'un cordonnier ou un vigneron, mais ils apportent tout le poids de leur prestige. 98:191 Monnerot re­marque que la fonction critique nécessaire à la société n'est pas réellement assurée dans ces conditions. Les intellectuels sont au contraire remarquablement moutonniers et sensibles à la puissance. On en a une excellente démonstration avec l'analyse de la droite et de la gauche selon R. Rémond, défini comme un « néo­modéré » « un modéré d'après 1945 ». Cet historien, dans un ouvrage sur *La droite en France* étudie « le passage à droite » de différentes formations politiques. Il parle de droite et de gauche comme s'il s'agissait d'*êtres* et non de *rapports.* « *On n'est pas à droite,* dit Monnerot, *on est à droite de.* Et le titre de l'ouvrage, *La droite en France,* est à lui seul une sug­gestion erronée ; *l'auteur suggère qu'il y a un être là où il n'y a qu'un rapport. *» Et il montre ensuite qu'il y a pression du milieu, et soumission à une idéologie. En toute simplicité, R. Rémond colporte le postulat communiste selon lequel le parti communiste est « la gauche réalisée ». Plus on s'en rapproche, plus on est « à gauche », plus on est éloigné plus on est « à droite ». La puissance de ce parti, la puissance encore plus impressionnante du bloc soviétique et de ses armes nucléaires, l'idée confuse que le P.C.F. « c'est le peuple » concourent à paralyser l'esprit critique. Dans un essai sur la télévision, Monnerot montre que ce moyen très puissant de communication sert à véhiculer le plus facile, le plus lourd, le plus bas des productions psychologi­ques de la société : « c'est un didactisme des parties les plus animales ». Avec cette conséquence : « *par voie de télévision on peut dire que notre société suggère ce qu'elle interdit, et en­seigne ce qu'elle est censée réprouver *». Par la place qu'elle tient dans la vie de la quasi-totalité des gens, la télé est un pouvoir, constate Monnerot, et un pouvoir non constaté, qui n'a pas sa place dans notre ordre social. De même que, dans l'ancien ordre, clergé et noblesse ont été pris de court par la mon­tée du pouvoir économique, qui a fini par détruire cet ancien ordre pour se faire sa place, de même notre société risque d'être prise de court par le pouvoir des « mass-media » et plus particulièrement de la télévision. « Le nouveau pouvoir naît, nous l'avons dit, de manière sauvage ; il n'a pas sa place toute tracée dans un ordre qui ne l'attendait pas. La société se trouve assez vite dans un état inavoué et sans doute inconscient de dyarchie, et ce dédoublement de pouvoir dont l'idée seule est scandaleuse, est censuré par la pensée collective et par ses instances officielles. Dès lors, la solution est impossible parce que le problème est interdit. » 99:191 Et l'on retombe sur le personnel « intellectuel ». La puis­sance de la télévision (et de la radio) est telle qu'elle confère la célébrité à n'importe qui : « A la télévision se créent, *ex nihilo*, des « hommes illustres » que Plutarque n'avait pas pré­vus, et la raison de cette illustration est que, étant seulement apparus, mais à doses massives et massivement répétées, ces télégènes jouissent en somme des effets de la célébrité sans en avoir produit les causes »... Un journaliste hippique, ou scien­tifique, ou une diseuse de mauvaise aventure comme Ménie Grégoire sont très vite illustres : on connaît leur visage, leur voix, les journaux s'intéressent à leurs faits et gestes (la presse écrite n'est plus qu'une servante). Fatalement, par là, ces illus­tres accèdent au rang « d'intellectuels » ; eux aussi sont des guides de la Nation, tout comme les chanteurs de variétés et les comédiens de cinéma. Pouvoir doublement sauvage donc : non reconnu, il est dans les mains d'un personnel sélectionné non pas en fonction de la puissance exercée, mais d'une compétence beaucoup plus restreinte ou d'allégeances politiques. Monnerot traite de bien d'autres sujets, en particulier de la guerre. Cette note n'y peut suffire. Elle n'a d'autre but que d'inciter à la lecture de ce livre, nécessaire pour une bonne hygiène de l'esprit. Georges Laffly. #### Pascal Laîné La Dentellière (Gallimard) En revivant mes souvenirs des entretiens télévisés d'alors, il me semble que le lauréat avait été lui-même un peu sur­pris de son Prix Goncourt. Il paraissait en tout cas peu dis­posé à éclairer les lecteurs sur ses intentions et le verso de la couverture ne leur accorde qu'un message ambigu : « En se tenant à distance l'auteur ne donne pas à croire. Qu'à son tour, le lecteur ne se prenne pas au récit. Ce n'est qu'une histoire, et même son revers : celle d'une fille toute simple, parfumée à l'eau de rose, qui se réfugie dans la fo­lie pour dissimuler une mé­prise. Est-ce là un tableau ? Ou un plaisir qui cache sa couleur. » L'absence finale de point d'interrogation laisse supposer une affirmation. A nous donc de découvrir, d'écrire entre les lignes, entre les pages, ce qui implique que nous nous prendrons au récit, en pensant que la prescription de l'auteur est une coquetterie analogue à celle de l'avis au lecteur de Montaigne. Pour­quoi *la Dentellière* ? Il ne nous déplaît pas de penser à l'avenant visage du célèbre ta­bleau ; mais P. Lainé l'expli­que dans ces lignes : « Par son adoration obstinément ou­vrière la jeune fille faisait en sorte, semblait-il, de dispa­raître dans l'accomplissement de ses besognes. » 100:191 Ainsi se jus­tifie le titre symbolique, et se comprend l'échec de l'idylle. La pauvre « Pomme » est des­tinée, ou prédestinée à figurer dans la catégorie des « Hu­miliés et Offensés », ou, com­me disait pittoresquement le Vautrin de Balzac, « dans la Confrérie des Savates du Bon Dieu ». Malgré des procédés rudimentaires et des situa­tions-clichés, malgré un lan­gage d'une désinvolture sou­vent laborieuse ou d'une in­correction calculée, une tris­tesse d'une densité certaine émane de cette anecdote qui fait penser à une fiction à la Maupassant replacée au temps des kitchenettes, des magazi­nes et des matières plastiques. Des critiques ont voulu y dis­cerner une analyse marxiste, la déception cruciale de Pom­me étant due à une incompa­tibilité de classe ; l'auteur le pense peut-être mais ne le dit pas. Nous sommes tentés de penser que la servitude humi­liée de Pomme met certes en cause la société, mais que les dimensions du procès dépas­sent infiniment les aspects économiques ou sociaux ; et l'on peut s'interroger avec in­quiétude sur la situation psy­chologique et morale de toute une jeunesse à qui on n'aura rien mis dans le cœur et dans le cerveau, dont les qualités essentielles, les vertus atavi­ques qui font les « dentelliè­res » n'auront été payées que de déceptions et de dérisions. Ce mince volume donne à pen­ser ; c'est certainement ce que voulait l'auteur, et il atteint son but. Jean-Baptiste Morvan. #### Dominique Fernandez Porporino ou les mystères de Naples (Grasset) Il existe un moyen assez sub­til pour la subversion intellec­tuelle de « récupérer », com­me on dit, les velléités de réac­tion : il consiste à entonner le dithyrambe des société consi­dérées comme décadentes en exaltant les voluptueux avan­tages des morales permissives auxquelles lesdites sociétés au­raient finalement abouti. Le problème ingénieusement faus­sé se ramène à un choix entre les duretés rationnelles d'un progressisme rigoureux et les qualités esthétiques, la fécon­dité imaginative, l'amoralisme exquis des « fins de siècle ». Nous pensons qu'il s'agit de « fausses fenêtres pour la sy­métrie », comme dit Pascal, et quand on nous invite à pré­férer les déliquescentes sen­suelles et ésotériques du XVIII^e^ siècle finissant aux intentions simplistes du réformisme ré­volutionnaire inspiré des An­glo-Saxons, nous avons l'im­pression d'avoir à opter pour la peste ou pour le choléra. 101:191 Nous subissons avec une go­guenarde indifférence l'apolo­gie musicale des castrats, de leurs singulières amours et de leurs gourmandises pâtissières. Une intention naïvement di­dactique fait défiler dans ces pages, au second plan, un cer­tain nombre de célébrités de l'époque, mobilisées comme pour un film de Cecil B. de Mille. La philosophie du Troi­sième Sexe et de l'Androgyne, dont l'auteur décèle en ce temps-là les prémisses et dont il voit actuellement, avec une ferveur mal contenue, les pro­ches réalisations, laisse aba­sourdis les lecteurs encore pourvus de quelques réactions normales. Tout au plus trou­vera-t-on matière à s'esbaudir dans le comique involontaire de la scène horrifique où le séduisant chanteur asexué est coupé en tranches... Mais je crois que nous n'avons pas de temps à perdre. Au point où nous en sommes, mieux vau­drait relire le « Traité de la Concupiscence » de Bossuet ; nous trouverions dans l'exposé des trois convoitises les plus sûrs instruments d'analyse cri­tique pour toutes les fantasma­gories cyniques d'un illuminis­me aberrant. J.-B. M. #### René-Victor Pilhes L'imprécateur (Seuil) Je rangerais volontiers « L'imprécateur » dans la ca­tégorie des grands canulars littéraires, sans mettre dans le mot aucune intention mépri­sante, en le prenant au sens de Jules Romains quand il imaginait la destruction d'Is­soire ou la création de Do­nogoo-Tonka. A vrai dire, c'est plutôt la destruction de Donogoo : un trust immense, international, symbolisé par son immeuble de verre et d'acier, édifié non loin du Pè­re-Lachaise, s'abattra sous les coups de contestataires obéis­sant à des motifs assez obs­curs à leurs propres conscien­ces, et issus de l'élite dirigean­te de l'entreprise. On nous lais­se entendre que les catastro­phes qui menacent les Ba­bels et les Babylones du siècle présent répondent en fait à des causes plus profondes et plus essentielles. Si la fiction ro­cambolesque et mélodramati­que à laquelle s'est amusé l'au­teur paraît à première vue as­sez voisine de quelque « Fan­tôme de l'Opéra », on est à la réflexion tenté de la rappro­cher davantage de la « Folle de Chaillot » de Giraudoux. Le roman peut-il être une sim­ple fantaisie imaginative, un divertissement de « cadre su­périeur » se plaisant à sou­mettre à une tragédie téné­breuse et macabre quelques personnages sans doute assez semblables à des collègues qu'il connaît bien ? 102:191 Personne ne s'est arrêté à cette rassu­rante hypothèse ; une sorte de menace biblique plane sur l'ensemble et la potion a été apparemment, pour beaucoup, fort désagréable à avaler. C'est un apologue allègre et fébrile, « désobligeant » eût dit Léon Bloy, et où un Villiers de l'Isle-Adam ressuscité retrouverait son esprit sous les terminolo­gies économiques. Le souffle quasi-surnaturel est percepti­ble dans le fait que toute l'ac­tion est d'abord vécue dans un délire accidentel et que les dernières lignes en font pré­sager l'accomplissement. Mais à quoi tend cette féroce analy­se satirique des technocraties ? La prévision d'une destruction apocalyptique nous laisse sur notre faim : quelle autre société l'auteur envisage-t-il ? ou quel supplément d'âme pour­rait actuellement permettre aux modestes titulaires et assu­jettis de cette société de ne pas asservir totalement leur âme à cette féodalité matérialiste, aux féodaux eux-mêmes de donner à leur vie quelque au­tre raison d'être ? J.-B. M. #### Georges Borgeaud Le Voyage à l'étranger (Grasset) Parmi les derniers « prix littéraires », ce roman est peut-être celui où l'on sent que l'au­teur a eu le plus de plaisir à écrire, celui où l'étude patien­te, minutieuse et savourée de l'expression parvient le mieux à la profondeur et à la pléni­tude. Le sujet sans doute s'y prêtait, le caractère du per­sonnage narrateur justifiait cette tendance permanente à l'analyse. C'est sans doute avec raison que l'on a montré l'om­bre de Rousseau sur l'histoi­re de ce jeune Suisse, enfant naturel, un moment tenté par le cloître, puis précepteur dans une famille de la nobles­se belge et fort médiocre édu­cateur comme Rousseau lui-même avoue qu'il le fut dans la réalité. Mais chez Jean No­verraz, une part d'humour épi­curien tempère les déceptions et les froissements ; le repli sur soi-même, l' « introver­sion » des psychologues, re­présente un trait commun à Rousseau et à lui, mais la sin­cérité ne devient jamais un porte-voix de haines ou une justification de vices. Plus in­classable que socialement dé­classé, lui aussi, il n'éprouve pourtant pas le besoin d'adop­ter l'attitude paradoxale d'une revendication de classe. Passé de la Suisse à la Belgique, il revit d'une certaine manière l'odyssée de Jean-Jacques. dans la mesure où ces états reflètent encore l'ambiance des princi­pautés du XVIII^e^ siècle ; nous sommes en 1937, mais la guer­re d'Espagne apparaît comme un événement extérieur et loin­tain. Nous ne le regrettons pas : une sérénité relative, étrangère aux contorsions des tragiques artificiels, une naï­veté consciente et appréciée souvent avec bonhomie, lais­sent une authentique fraîcheur aux impressions pittoresques, aux paysages de l'Ardenne, des plages de Flandre, ainsi qu'aux ressouvenances des si­tes alpestres. 103:191 Le personnage n'apparaît pas toujours com­me un caractère sympathique, le climat d'ensemble suggère cependant une sympathie qui permet de classer l'œuvre dans la catégorie de celles qu'on songerait à relire. J.-B. M. #### Noël Devaux Avec vue sur la zone (Corti) Il faut dire quelques mots de ce recueil de nouvelles étran­ges et insolites, d'abord peut-être parce qu'il ne semble pré­tendre à aucun succès massif et qu'il révèle un souci pri­mordial de composition et de style poétiques. Cet ouvrage, comme ceux de Julien Gracq, indique que certaines person­nalités aspirent à sortir des données confuses et parfois dé­cevantes du surréalisme ori­ginel pour parvenir à une har­monie plus convaincante. Sans doute le climat de ces récits reste toujours au moins pro­che du rêve : nous ne savons pas exactement quand nous sortons du songe, quand nous y rentrons. Les craintes et les hantises du sommeil prennent l'aspect toujours captivant de la réticence et de l'allusion. On sent toujours à travers les magies du rêve que ce rêve est lui-même l'expression d'une âme insatisfaite, et pour des raisons infiniment plus inté­ressantes que les grossières in­terprétations du freudisme ; le rêve n'est pas la compensa­tion, il présente l'insatisfac­tion sous des formes modifiées, transportées, il offre l'image privilégiée d'angoisses com­munes, telles que ce pincement au cœur causé par nos propres ridicules ou par les ridicules d'autrui. La valeur poétique, le charme du recueil est grand. Et ce monde magique ne nous enferme pas : aucun lieu, ni le château ni la zone et ses clo­chards, aucune situation, ni la détresse ni la fête ne sont un univers clos. Le pire lui-même n'y est jamais sûr, un mystère fait pressentir d'autres mystè­res. En lisant ces pages, nous sommes amenés à mesurer combien la notion de rêve a changé de sens, depuis le temps où l'on disait « c'est un rêve ! » pour évoquer de su­prêmes satisfactions. Il est vrai que, malgré cette formule naïve, le rêve n'a jamais été nécessairement poétique ; mais certains l'ont interprété et commenté uniquement de ma­nière à ce que l'âme humaine en fût avilie. « Avec vue sur la zone » restitue à l'esprit, par la reconquête authentique­ment poétique du songe, fût-il étrange et douloureux, une es­pérance de dignité. J.-B. M. 104:191 #### Erlanning Le général Louis de Sol (1761-1836) Louis de Sol de Grisolles est le seul général chouan qui ait participé à toutes les gran­des opérations militaires du Nord de la Loire de 1794 à 1815. Frère d'armes de Ca­doudal, auquel il succédera à la tête de l'armée bretonne, sa biographie est exemplaire à plus d'un titre. De Sol, comme Georges, ne fit rien pour sa gloire. Il fut le soldat de la résistance à la dictature que, tour à tour, la Révolution, le Consulat et l'Empire incarnè­rent à ses yeux. Une vie entiè­re de clandestinité et de sa­crifices, trois chouanneries, dix longues années de persé­cution dans les cachots de l'empereur comme prisonnier de droit commun, tout cela, couronné enfin de l'inévitable ingratitude royale, n'est pas venu à bout de sa fidélité. Louis de Sol a payé très cher de mourir catholique, monar­chiste et breton comme il était né. Son histoire a un autre mé­rite. Loin des considérations trop générales, elle nous intro­duit dans la vie quotidienne, la foi de ces hommes simples et farouches où le jeune officier prit son premier com­mandement -- ceux-là même qui fournirent du début à la fin leurs meilleures troupes aux armées contre-révolutionnai­res : les irréductibles du Mor­bihan. On sait que Napoléon lui-même n'en est pas venu à bout. En 1815, vingt-cinq mil­le de ses hommes restent en­core mobilisés contre l'armée de Bretagne, commandée par le général Sol. Et, au lende­main de Waterloo, celle-ci est la seule que les armées alliées rencontrèrent en pénétrant dans l'intérieur de la France. L'immense matériel militaire de Brest et de Lorient fut ain­si sauvé, parce que les vain­queurs respectaient le territoi­re des chouans. Grâce à eux, les plénipotentiaires français purent négocier sur une posi­tion plus forte. (En vente à la librairie Saint-Hervé, 56230 Questembert.) Hugues Kéraly. 105:191 #### S. Moreau-Rendu Les captifs libérés (Nouvelles Éditions Latines) Si l'on demandait à dix catholiques français de quel pays est saint Jean de Matha, je pense que huit ou neuf d'en­tre eux hésiteraient entre l'Es­pagne et l'Italie. Eh ! bien non ; il est né le 23 juin 1154 à Faucon, c'est-à-dire à deux kilomètres de Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Pro­vence. Rares aussi seraient ceux qui se rappelleraient qu'il fon­da avec saint Félix de Valois, l'Ordre de la Sainte Trinité et de la Rédemption qui fut, avec l'Ordre de la Merci fondé par Raymond de Penafort et Pier­re Nolasque au XIII^e^ siècle, l'in­fatigable « racheteur » de cap­tifs emmenés en esclavage par les musulmans. Jusqu'à la Ré­volution, Trinitaires et Merci­daires rachetèrent, selon Daniel-Rops, plus de 600.000 cap­tifs -- au péril de leur vie, car ils comptèrent des milliers de martyrs. A Paris, les Trinitaires étaient logés du côté de ce qui est aujourd'hui la rue du Som­merard et le musée de Cluny. Leur couvent était dédié à saint Mathurin et on les ap­pelait eux-mêmes les « Mathurins » ou, par altération, les « Mathelins ». C'est l'histoire de ces Ma­thurins de Paris que nous ra­conte Mademoiselle S. Moreau-Rendu dans un livre foison­nant d'anecdotes et de petits faits qui donnent un aspect saisissant de la vie religieuse d'ancien régime. Quand on pense à l'impor­tance du rôle que jouèrent les Trinitaires, à la popularité que connut presque constam­ment leur activité charitable, à la cinquantaine de couvents qu'ils avaient en France à la veille de la Révolution, on s'étonne de l'ignorance épais­se qui entoure leur histoire. Espérons que grâce au livre si vivant et si documenté de S. Moreau-Rendu ils sortiront de l'oubli. Comme catholiques et comme français, nous pou­vons être fiers d'eux. Louis Salleron. Voir *: Le rachat des captifs,* dans ITINÉRAIRES numéro 180 de février 1974, p. 172 #### ­Ariel Alexandre et Jean-Philippe Barde Le temps du bruit (Flammarion) L'augmentation du bruit est un des effets secondaires de la société industrielle et de l'urbanisme. Il était fatal qu'on en vînt à le mettre en accusa­tion comme les autres formes de pollution. On trouvera dans ce livre un dossier sérieux sur les effets du bruit sur le som­meil et sur la santé, ainsi qu'un certain nombre d'aspects particuliers du phénomène les zones de bruit des aéro­ports, le fait que nos maisons nous protègent beaucoup moins contre le bruit qu'il ne serait nécessaire -- et possible. On construit laid, on construit mal. On pourrait faire mieux. 106:191 Les auteurs montrent assez que les solutions supposent d'abord une critique de la société, et un changement. Je ne dis pas qu'ils ont tort, mais je ne crois pas qu'une société socialiste serait là encore le remède miracle. Je regrette qu'une autre face de la ques­tion ne soit pas abordée. Le silence est nécessaire à la vie privée. Un bruit qu'on nous impose est une effraction. Quoi de pire que de subir la télé du voisin ? De ce côté, il y a une notion d'espace privé qui me paraît à établir. Mais il faut dire aussi que cette exi­gence n'est pas générale. Il semble que les jeunes cita­dins, élevés dans le bruit, souf­frent de sa diminution, de son absence (le silence campa­gnard, tout relatif, peut les angoisser). Et les pétarades des motos ne sont pas seule­ment un défi, une façon d'em­bêter les autres, les immobiles. Il s'agit aussi de communier dans le bruit qui devient un lien social nécessaire. mo­tos pétaradantes, ou transis­tor tonitruant, il y a une peur de la solitude (K. Lorenz le montre dans *les Péchés ca­pitaux du monde moderne*). Il y aurait donc dans notre société des exigences contra­dictoires sur ce point -- et au fond, deux types de société, deux types d'hommes. Il n'est pas exclu que bien­tôt, celui qui goûtera le silen­ce ne soit pas seulement tra­qué par le bruit, mais consi­déré comme anormal. Georges Laffly. #### Jacques Benoist-Méchin Destins rompus (Albin Michel) « Celui qu'une disposition du sort -- qu'on ne saurait imputer ni à la justice de Dieu ni au verdict des hommes -- a condamné à n'être tout à fait ni de son temps, ni de son pays, n'a guère d'autre patrie que la route le long de laquelle il chemine ». C'est par cette déclaration mélancolique et fière que commence ce livre. Benoist-Méchin est un excel­lent journaliste, il sait voir et mettre en scène. Historien, il a le sens du passé. Et comme il a de l'intelligence à reven­dre, il comprend les peuples et les êtres les plus divers. On connaît aussi son goût du mon­de arabe. Ce sont toutes ces qualités qu'on retrouve ici, dans une série de chapitres indépendants, mais tous con­sacrés au Proche-Orient, sauf « Les rossignols de Fès », la­mentation sur un monde bu­colique qui meurt. L'auteur tout à la fois en­seigne et fait rêver. On rêvera sur la Turquie où des fouilles près d'Ankara, ont fait décou­vrir sur 25 mètres d'épaisseur, près de 5 000 ans d'histoire. Sur cette terre de batailles, on a trouvé les restes des janis­saires de Bajazet (battus ici par les cavaliers de Tamerlan), puis en creusant, ceux des lé­gionnaires de Pompée. 107:191 Et, plus profond, sous ces couches de guerriers, les corps, conservés, de Galates blancs et blonds, dont le plus petit mesurait 1,96 m, et qui, exposés à l'air tombèrent vite en poussière. On pourra rêver sur le destin de Zénobie, l'orgueilleuse rei­ne de Palmyre ou sur le tom­beau d'Antochius, roi de Co­magène. Mais on trouvera des aspects plus récents de l'his­toire dans le chapitre sur la Cote des convoitises (ancienne côte des pirates, et aujourd'hui hérissée de derricks) ou celui sur la déposition du sultan d'Oman, Saiïd par son fils Ka­bous. Coup d'État opéré pour des raisons économiques et pour favoriser, comme on dit, « l'entrée d'Oman dans le monde moderne ». Le vieux Saïd le jugeait très bien, ce monde moderne. On le consi­dérera peut-être comme un précurseur, dit Benoist-Méchin, et je ne sais s'il y met de l'ironie. Il faut avouer que le vieux genre des récits de voyage se porte bien. G. L. #### Louis Chevalier Histoire anachronique des Français (Plon) A écrire sur les caractères permanents d'un peuple -- ici le peuple français -- on risque de se perdre, de réduire à quelques traits incisifs mais partiaux, ou de s'embrouiller dans un portrait aux éléments contradictoires. Ce sont de ces choses sur lesquelles on s'entend d'autant mieux que l'on passe plus vite. M. Louis Chevalier ne sous-estime pas la difficulté de l'œuvre qu'il a entreprise. Il expose, dans une préface ironique et char­mante que c'est mai 68 qui lui donna le courage de s'y lancer, et de faire, d'un amas de notes recueillies depuis des années, un livre. Devant les braillards, les fanatiques et les sots, il était salutaire de s'occuper d'une œuvre de lon­gue haleine. Et le sujet étant inépuisable, les « insuffisan­ces », les trous, paraîtraient moins dans un temps d'igno­rance et d'inattention. Quand je parle d'insuffisances, je ne fais que me référer à ce que la modestie de l'auteur lui fait dire. En fait, il y a là une érudi­tion immense plus une intelli­gence souple et souriante. L'auteur n'est pas de ceux qui s'accrochent à une hypo­thèse comme un naufragé à une épave. Ses hypothèses, il les présente, les arrange en bouquet, puis il apporte un nouveau texte qui modifie le tableau. On le suit avec plai­sir toujours renouvelé. (Les auteurs n'ont pas de chance. Ils ne peuvent compter que sur les critiques de leur temps, et ceux qui suivront. Il aurait fallu Thibaudet pour bien par­ler de ce livre). 108:191 Nos ancêtres les Gaulois, disons-nous. Disions-nous, plu­tôt, car il y a de plus en plus de gens que cette référence agace. Mais chez ces ancêtres eux-mêmes, M. Chevalier est très porté à distinguer entre les Celtes et un fond plus ancien, formé de Ligures et d'au­tres peuples. Cela explique des contrastes violents : goût de l'aventure, idéalisme, mys­ticisme ce sont des traits cel­tes, sans doute. Mais dès les textes les plus anciens, on trouve le sens pratique, un réalisme terre-à-terre, l'ironie. D'un côté (j'anticipe) les chan­sons de geste, de l'autre les fabliaux. Il y a le cheval des quatre fils Aymon, et il y a le cheval de la ferme. Sur l'au-delà tel que l'imagi­nent les Celtes, Ferdinand Lot écrit : « Ils le conçoivent comme situé dans une île bien loin à l'ouest dans l'océan, île des Bienheureux, terre de la vie ». Au Moyen-Age ce lieu sera nommé Avalon. C'est là que séjourne le roi Arthur de­puis sa mort. Et Lot ajoute : « Le caractère mystique de ce concept sera méconnu des continentaux qui croient à la réalité de cette île, ou de ces îles, tantôt séduisantes, tan­tôt effrayantes, que visita Saint Brendan. Ce concept n'a pas été sans influence sur la croyance à l'existence des ter­res au-delà de l'Atlantique. Pour L. Chevalier, c'est un indice supplémentaire d'une opposition entre deux peuples, deux tempéraments : après bien des générations et des fu­sions, les contrastes demeu­rent. Plus loin, pour montrer la capacité d'assimilation des figures étrangères, il analyse­ra comment saint Martin de Tours, originaire de la Pan­nonie -- un Oriental en som­me. d'un ascétisme farou­che, d'une rigueur de feu, est transformé de son vivant, par son biographe Sulpice Sévère, en un saint bon homme, ras­surant, modéré. Non que Sul­pice Sévère veuille changer son modèle : il le voit ainsi, il ne peut s'empêcher de le modeler selon un type plus perceptible. Mais on n'en finirait pas avec ce livre inépuisable, où l'on tisse des fils entre Au­sone et Descartes, où l'on pour­suit le parallèle entre Ger­main et Gaulois (la forêt op­posée au jardin, et l'ouïe à l'œil, et le temps à l'espace compris d'un seul regard), où l'on croise une foule d'ancê­tres les uns guerriers, les au­tres paysans. Si l'enseignement de l'histoire, au lieu de dé­choir comme il a fait, s'exer­çait de façon sérieuse, il de­vrait être couronné, en « ter­minale », par l'étude de ce livre. G. L. 109:191 ## DOCUMENTS ### Le P. Bruckberger prend position sur la messe Un article important du Père R.-L. Bruckberger dans le *Figaro* du 24 janvier. Important à un double titre. D'abord en raison de la personnalité de l'au­teur. Ensuite parce que c'est la première fois, à notre connaissance, que les arguments des défen­seurs de la messe catholique sont exactement ex­posés dans un journal à gros tirage. Le P. Bruckberger a bien voulu autoriser ITINÉ­RAIRES à reproduire son article. En voici donc les principaux passages. Ce ne sont plus les athées, les anticléricaux, les libre-penseurs, les sans-dieu qui veulent à tout prix dépouiller les fidèles de ce qu'ils ont de plus précieux, ce sont des évêques qui se livrent à ce brigan­dage. De quoi s'agit-il ? Alors que les initiatives liturgiques les plus anarchiques, les plus profanatrices, se multiplient un peu partout dans nos églises, et jusque dans nos plus vénérables cathédrales, avec l'as­sentiment et parfois la participation de certains évêques, il se trou­ve qu'aux yeux des évêques français, un seul rite, une seule liturgie, une seule manière de dire la messe se trouve formellement interdits et pratiquement excommuniés, c'est la messe traditionnelle dite de saint Pie V, qui est la messe célébrée dans l'Église latine depuis quin­ze siècles. C'est ainsi que le cardinal-archevêque de Paris vient de désapprouver la messe de la salle Wagram, célébrée chaque dimanche par Mgr Ducaud-Bourget, selon ce même rite. \[Sur « la messe de la salle Wagram », voir l'édi­torial du présent numéro.\] Nos évêques nous prennent-ils pour des « godillots » ? Nous autres aussi, nous connaissons les textes. Nous savons que le nouveau Missel de Paul VI est simplement autorisé, pas imposé. 110:191 Nous savons que jamais Paul VI n'a interdit la célébration de la messe selon le rite de Pie V. Nous savons que le Concile, en son temps, et le Pape lui-même ont considéré le latin comme la langue officielle de l'Église. Nous savons que le Pape ne cesse de recommander l'usage du latin et du chant grégorien. Nous savons que, lorsqu'il a publié son Mis­sel au XVI^e^ siècle, le Pape Pie V, dans sa Constitution apostolique, a édicté en même temps un indult perpétuel pour chaque prêtre, l'au­torisant, sans restriction de temps, d'espace, à célébrer la messe se­lon ce rite, en le mettant expressément et à perpétuité à l'abri de toute sanction. Nous savons qu'à l'intérieur de l'Église catholique, ce qu'un Pape a établi solennellement, seul un autre Pape peut le dé­faire, en utilisant la même procédure et la même solennité. Et que, pour ce qui concerne le Missel de saint Pie V, il n'y a rien eu de tel et, comme on dit, ce n'est pas demain la veille. Par testament, Georges Pompidou a réclamé des obsèques en la­tin. Comme il était président de la République, on les lui a accordées. Aujourd'hui, un curé peut prêter son église à des musulmans, à des bouddhistes, à des Tibétains, à des Patagons, à des hippies, à des Pa­pous, à des pas-Papous, à des garçons, à des filles, à des ambigus, à des ambivalents, à des ambidextres, à des amphibies, à des ambu­lants, mais si un pauvre prêtre veut y célébrer la messe pour laquelle cette église même a été bâtie -- et pas par les curés, par le peuple -- s'il veut y célébrer, et si le peuple français veut y entendre la même messe qui y a été célébrée pendant des siècles, alors les foudres épis­copales s'abattent sur eux. Et ce sont les mêmes évêques qui nous parlent, avec des bouches dégoulinantes, d'œcuménisme, de pluralisme, de tolérance. Et c'est vrai que, pour tous ceux de l'extérieur, ils sont tout velours. Pour nous seuls, qui sommes leurs frères dans la foi ou le sacerdoce, ils se hérissent d'épines et deviennent impitoyables. Qu'ils se méfient ! Qu'ils se méfient ! Montesquieu disait : « Quand on ne veut que de bons esclaves, on n'obtient que de mauvais sujets ! » Paul VI a solennellement ouvert les portes de l'Année sainte, qu'il a proclamée « année de la réconciliation ». Les nouveaux évêques fran­çais, les nouveaux prêtres sont prêts à se réconcilier avec le Diable, mais avec la plus extrême énergie, la plus inflexible rigueur, ils fer­meront à notre nez les portes de l'Année sainte, ils les tiendront ver­rouillées contre une seule catégorie de parias, les chrétiens et les prêtres qui restent fidèles à l'antique liturgie, ils les rejetteront sans pitié sur le parvis. Saint Thomas d'Aquin nous affirme que l'Eucharistie est le bien commun de l'Église catholique. Quand on détruit ce bien commun, c'est l'Église entière qui se désintègre. Si ce n'est pas cette désintégration que l'on veut, qu'on nous laisse en paix -- et dans nos églises, bâties par le peuple français et qui lui appartiennent à lui autant qu'aux prêtres -- qu'on nous laisse pra­tiquer un rite millénaire où s'est parfaitement exprimée la foi de nos aïeux, la foi catholique, qui n'a pas changé. 111:191 Comme l'écrit Henri Berg­son : « Il n'y a pas de religion sans rites et cérémonies. Ils éma­nent sans doute de la croyance, mais ils réagissent aussitôt sur elle et la consolident. » Quand on les bouleverse, on peut aussi la dé­molir. (Fin de la citation de l'article du Père R.-L. Bruckberger paru dans le « Figaro » du 24 janvier 1975.) Les quatre arguments A, B, C et D qui n'ont jamais été réfutés sont les suivants, rappelons-le en résumé : *Argument A. --* La messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de S. Pie V n'a été abrogée ou interdite par aucun acte du Saint-Siège. *Argument B. --* Au demeurant, elle ne pourrait pas l'être : aucune autorité sur terre ne dispose d'un tel pouvoir. *Argument C. --* Il a été explicitement reconnu par le cardinal-préfet de la congrégation romaine du culte divin qu'en matière de réforme liturgique, Paul VI « a cédé, souvent contre son gré ». *Argument D. --* Les autorités ecclésiastiques qui pré­tendent « obligatoire » le nouveau Missel de Paul VI le prétendent *uniquement contre* la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de S. Pie V. Elles ne le prétendent pas à l'encontre des messes nouvelles qui affirment faire « simplement mémoire » ; elles ne le prétendent pas à l'encontre des messes de music-hall. Cette obligation à éclipses est donc une fausse obli­gation. (Pour le développement de ces quatre arguments, on trouve l'essentiel de ce qu'il faut savoir, et les références pour en savoir davantage, dans notre brochure : « *La messe. État de la question...* ») ([^6]) Ce sont, comme on le voit, les arguments A et D que le P. Bruckberger a. principalement soutenus dans son arti­cle du *Figaro :* non seulement avec son talent habituel, mais encore avec une sérieuse connaissance du dossier. « Nous aussi, nous connaissons les textes », lance-t-il aux évêques prévaricateurs : qui eux, les malheureux, parlent et agissent comme s'ils ne connaissaient rien. 112:191 ### Le pèlerinage à Rome Les lecteurs de la revue ITINÉRAIRES et ceux de son SUPPLÉ­MENT-VOLTIGEUR le savent depuis le début du mois de janvier : Mgr Marcel Lefebvre présidera en personne les cérémonies reli­gieuses du pèlerinage à Rome organisé par l'Association « Cre­do », récemment créée sous la présidence de Michel de Saint Pierre. Le pèlerinage aura lieu -- pour ceux qui utiliseront les « réservations » et les transports collectifs de l'Association -- du vendredi 23 mai 1975, date du départ de France, au lundi 26 mai au soir, date du départ de Rome pour le retour en Fran­ce. Mais bien entendu rien n'empêche les personnes et les grou­pements de toutes nationalités qui désirent se trouver à Rome en même temps que Mgr Lefebvre, d'organiser à leur guise leurs « réservations », leurs transports et leurs horaires. Il est en outre évident -- faut-il le préciser ? -- qu'aucun « droit d'inscription », ni qu'aucune inscription préalable d'aucune sorte, ne seront demandés à ceux qui, venus à Rome par leurs propres moyens, isolément ou en groupes, voudront assister aux cérémonies religieuses célébrées par Mgr Lefebvre. Par tradition et par nature, les cérémonies catholiques sont ou­vertes, sans taxes ni péages, à tous ceux qui désirent y participer dignement. Le comité de patronage du pèlerinage organisé par l'Association « Credo » comprend l'Amiral Auphan, Amédée d'Andi­gné, Pierre d'André, René Bouvier, Georges Daix, A. Dauphin-Meunier, le colonel de Font-Réault, le général Lecomte, Paul Lesourd, le colonel Rémy, Pierre Rougevin-Baville, Louis Salle­ron, Henri Sauguet. L'adhésion d'autres personnalités à ce comité est attendue ou annoncée ; mais nous ne les connais­sons pas encore à l'heure où nous écrivons ces lignes. Les pèlerins qui veulent venir à Rome avec l'Association « Credo » peuvent se renseigner et s'inscrire au siège de l'Association : 20, passage des Récollets, Paris X^e^ (téléphone : 205.80. 59). Le secrétaire général de l'Association est André Mignot ; le trésorier, Mme Patricia de Colombas. 113:191 #### La lettre de Mgr Lefebvre 3 novembre 1974 Lettre adressée par Mgr Marcel Lefebvre, le 3 novembre 1974, à Michel de Saint Pierre, président de l'Association « Cre­do ». Cher Monsieur le Président, Vous me demandez de bien vouloir présider le pèlerinage de « Credo » que vous organisez à l'occasion de l'Année Sainte. Bien volontiers j'accepte votre invitation, persuadé que de nombreux pèlerins répondront à votre appel, afin d'acquérir les indulgences at­tachées aux visites de Sanctuaires vénérés de la Ville Éternelle et aussi dans le but d'exprimer leur attachement à une seule foi, un seul baptême, un seul sacrifice. Que Dieu fasse qu'en cette fête de la Très Sainte Trinité 1975 des pèlerins venus de tous les continents unissent leurs voix et leurs cœurs dans le chant du « Credo » symbole de la Foi et de l'Unité Ca­tholiques. Agréez, cher Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments respectueux et cordialement dévoués en N.-S. et N.-D. #### La lettre de Michel de Saint Pierre 6 janvier 1975 Lettre adressée par Michel de Saint Pierre, le 6 janvier 1975, à l'ensemble de ses amis et lecteurs, en qualité de président de l'Association « Credo ». Mes chers amis, L'Association « CREDO » se propose comme but « de propager et de défendre les vérités contenues dans le symbole de Nicée, et d'en porter publiquement témoignage par tous les moyens et dans toutes circonstances ». 114:191 Ce but figure d'ailleurs en toutes lettres dans l'article 1 de ses statuts, ainsi que la précision suivante : -- Son action sera menée en parfaite communion avec le Souverain Pontife, gardien et défenseur de la Foi Catholique. Pour remplir son rôle, il est évidemment nécessaire que l'associa­tion « CREDO » groupe et unisse dans son sein les diverses ten­dances de ce qu'on a appelé les « catholiques traditionalistes », en France. Dans ces perspectives, je voudrais aujourd'hui insister sur l'ob­jectif le plus proche de « CREDO » : promouvoir un vaste pèlerinage à Rome et au tombeau de Pierre, berceau de notre Foi, à l'occasion de l'Année Sainte. Nous voudrions, par une manifestation grandiose de prières et de fidélité, apporter notre concours à cette belle étape fixée par le Saint Père -- pour l'année 1975 -- dont nous souhaitons qu'elle soit bénie entre toutes. Ensemble, réunis au nom du Christ Sauveur, nous pourrons alors prier pour la sainteté de l'Église et pour la paix du monde -- et nous inviterons les catholiques traditionalistes des autres pays à se join­dre à nous. Monseigneur Marcel Lefebvre a bien voulu accepter de présider les cérémonies religieuses de ce pèlerinage, lui conférant ainsi, par sa vénérable présence, le caractère de fidélité à l'Église que nous voulons-lui donner. Les dates de ce pèlerinage sont d'ores et déjà fixées : Arrivée à Rome le 24 mai dans la matinée. Départ de Rome le 26 mai dans l'après-midi. Venez donc, et venez nombreux, puisque, par la voix du Saint Père, c'est Dieu lui-même qui vous invite à Rome pour l'Année Sainte ! Si vous ne pouvez pas venir -- mais si vos moyens vous permet­tent de nous aider dans notre tâche -- donnez, donnez généreuse­ment pour que de plus pauvres que vous puissent venir... C'est par vous, c'est grâce à vous que nous pourrons ainsi ras­sembler et entraîner vers la lumière de Rome et vers l'écho de la parole divine « ce peuple que Jésus aimait ». La noble ambition de l'Association « Credo », qui est de grouper et unir en son sein les diverses tendances des catholi­ques traditionalistes, suppose sans doute une œuvre de longue haleine. La référence à l'article 1 des statuts de l'Association, qui lui impose de mener son action en parfaite communion avec le souverain Pontife, n'est pas passée inaperçue. Mais quoi qu'il en soit de ces questions complexes et délicates, le pèleri­nage lui-même est un objectif plus immédiat et plus concret ; et la participation au pèlerinage ne comporte pas l'adhésion obligatoire à l'Association et à ses statuts. 115:191 #### Les origines du pèlerinage L'idée du pèlerinage des « traditionalistes » à Rome avait été publiquement lancée en 1969 par une déclaration de laïcs où l'on trouvait déjà, parmi les signataires, plusieurs des per­sonnalités qui organisent ou patronnent le pèlerinage de 1975 : Michel de Saint Pierre, l'amiral Auphan, Louis Salleron. Il y avait aussi l'amiral de Penfentenyo, aujourd'hui décédé, Mau­rice de Charette, etc. Leur déclaration de 1969 proclamait notamment : « *S'il le faut, nous nous lèverons, la croix dans une main et le chapelet dans l'autre, et nous marcherons vers Rome, en procession solennelle et pénitentielle pour en appeler des préva­ricateurs à Notre Saint Père le Pape, Vicaire de Jésus-Christ. *» Par la suite, l'idée d'en appeler à Paul VI s'estompa, ou passa au second plan, dans la pensée que le pèlerinage à Rome de­vait s'adresser essentiellement à Dieu : « Aller tous ensemble demander à Dieu, sur le tombeau de Pierre, que Pierre soit Pierre aujourd'hui encore, pour notre salut et celui du peuple chrétien... » Les deux premiers grands pèlerinages traditionalistes ont été organisés en 1970 et en 1971 sous la direction de Mme Élisabeth Gerstner, qui en était la fondatrice et l'animatrice. Elle fut secondée en France, dès 1970, par l'abbé Coache. Le pèleri­nage de 1970 eut lieu pour la fête des saints apôtres Pierre et Paul ; celui de 1971 eut lieu pour la Pentecôte. Le récit détaillé en a paru, en leur temps, dans ITINÉRAIRES. Le point culminant de l'un et de l'autre fut la veillée de prière, toute la nuit durant, du crépuscule jusqu'à l'aube, sur la place Saint-Pierre. Il y eut par la suite divers épisodes. Nous en retiendrons que Mme Élisabeth Gerstner maintint la coutume, qu'elle avait vou­lue annuelle, du pèlerinage traditionaliste à Rome. Son pèleri­nage prit le nom de Clamor ad cœlum. Pour l'année 1975, elle l'avait prévu de six jours, et lui avait donné pour intention : « *ut annus MCMLXXV vere sanctus sit *». C'est-à-dire : pour que l'Année sainte soit véritablement sainte... Ce pèlerinage *Clamor ad cœlum* avait été de longue date fixé au mois d'avril 1975. Mais à l'annonce que ce pèlerinage de Mgr Lefebvre aurait lieu du 24 au 26 mai, Mme Gerstner décida de se rallier à ces dates, pour être à Rome en même temps. Toutefois son pèlerinage durera six jours comme prévu (et comme on le verra plus loin) : simplement ces six jours se­ront autour des 24-26 mai. 116:191 C'est un exemple qui mérite d'être compris et suivi. Et c'est la solution aux difficultés et divergences éventuelles. Les divers pèlerinages traditionalistes, tout en gardant leur individualité, leur programme, leurs intentions propres, peuvent faire en sorte de se trouver à Rome en même temps que Mgr Lefebvre et d'as­sister aux cérémonies religieuses qu'il célèbrera lui-même. Nous n'avons actuellement en main que le programme du pèlerinage de trois jours et celui du pèlerinage de six jours. Nous les publions l'un et l'autre, en attirant l'attention du lec­teur sur le fait que ces programmes pourront subir d'ici le mois de mai quelques modifications de détail. Le pèlerinage de trois jours 24, 25 et 26 mai Samedi 24 mai : arrivée à Rome « tôt le matin », transport en autocar aux lieux de logement où la messe sera dite. Après-midi : première visite des basiliques jubilaires et cérémonie religieuse au cours de laquelle Mgr Lefebvre prononcera l'ho­mélie. Dimanche 25 mai : le matin messe du pèlerinage pour l'en­semble des pèlerins. L'après-midi : vêpres et adoration du Saint-Sacrement. Lundi 26 mai : le matin, deuxième visite des basiliques ju­bilaires. Départ dans l'après-midi. Renseignements et inscriptions avant le 17 mars à l'Association « Credo », 20, passage des Récollets, 75010 Paris. Télé­phone : 205.80.59. Le pèlerinage de six jours 21 au 26 mai Intention du pèlerinage : *Ut annus MCMLXXV vere sanctus sit : clamamus ad eœlum*. Mercredi 21 mai : arrivée à Rome dans la journée. Réunion à 18 heures Piazza Farnèse, d'où les pèlerins seront conduits à la messe. 117:191 Jeudi 22 mai. Réunion à 8 heures place Saint-Pierre (piazza San Pietro), fontaine à droite, d'où les pèlerins seront conduits à la messe. Visite de la basilique Saint-Pierre. L'après-midi à 17 heures : exercice de la Scala santa, chant du Vulneratus est et du Parce *Domine* sur chaque marche. A 19 heures, Requiem pour tous les défunts privés contre leur gré de funérailles tradi­tionnelles. Vendredi 23 mai. Premières communions et confirmations (inscriptions nécessaires) selon le rite traditionnel. Le nom de l'évêque qui donnera la confirmation et celui de l'église où elle aura lieu ne seront pas publiés à l'avance. L'après-midi : réu­nion Piazza Farnèse à 18 heures pour être conduits au Salut du Saint-Sacrement dans une église. Samedi 24 mai : messe à 8 heures dans le Trastevere ; visite de S. Cecilia et de S. Maria in Trastevere. L'après-midi : visite des basiliques jubilaires avec Mgr Lefebvre. De 22 heures le samedi à 5 heures du matin le dimanche : veillée de prières. Réunion à 21 heures 45 place du Panthéon, d'où les pèlerins seront conduits dans l'église de la veillée où le Saint-Sacrement sera exposé. Dimanche 25 mai : assistance à la messe célébrée par Mgr Lefebvre. Mardi 26 mai : journée à Sienne ; instruction spirituelle sur sainte Catherine de Sienne. Mercredi 27 mai : journée libre ; départ. Le pèlerinage Clamor ad Cœlum peut loger seulement les pèlerins qui s'inscrivent pour toute une semaine à partir du 21 mai, et qui envoient leur inscription avant le 15 mars à Mme Élisabeth Gerstner, 506 Bensberg-Immekeppel, Allemagne occidentale. En territoire occupé Le pèlerinage à Rome est aujourd'hui un pèlerinage en ter­ritoire occupé par l'ennemi. Il importe de s'en souvenir ; d'être sur ses gardes. La « Déclaration » de Mgr Lefebvre ([^7]) avertit tous ceux qui ont encore besoin de l'être : *Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de* *sagesse et de vérité.* 118:191 *Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et* *néo-protes­tante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le* *concile dans toutes les réformes qui en sont issues.* Avec Mgr Lefebvre, et dans le même esprit que lui, on peut aller en pèlerinage à Rome. \*\*\* Y aller pour l'Année sainte ? Oui, pour l'Année sainte. Avec et selon les précisions que donnait Jean Madiran dans notre précédent numéro ([^8]) : Ceux d'entre nous qui iront en pèlerinage à Rome pour l'Année sainte, il faut qu'ils sachent bien que Rome est occupée par l'ennemi, et que l'ennemi entend exploiter la venue des pèlerins du monde entier comme un ralliement en masse à la nouvelle religion, celle du catéchisme apostat et des messes sans foi ni loi. Sans doute il n'est pas négligeable de gagner les indul­gences de l'Année sainte, dont le dispositif a été promul­gué, à ce qu'il semble, de manière légitime et licite. Mais il faut prendre garde de ne consentir, pendant le séjour à Rome et la visite des saintes basiliques, aucune participation à des cérémonies impliquant plus ou moins l'adhésion à la religion nouvelle. J'exprime même l'opinion que cet indispensable refus ne suffirait pas, et qu'il con­viendra, dans les circonstances présentes, d'y ajouter quel­ques actes publics de profession catholique, non équivo­ques, non polyvalents ; je veux dire que le refus de se soumettre à la nouvelle religion ne serait pas suffisamment manifesté, pour les pèlerins de Rome, par une simple et silencieuse abstention. 119:191 L'assistance à la messe tradition­nelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de S. Pie V, et à elle seule, répond adéquatement à la nécessité de ne pas favoriser les ambiguïtés et les sournoiseries our­dies par la nouvelle religion. Quelques bonnes personnes apparemment bien inten­tionnées, mais de courte vue, s'appliquent à consoler les braves gens, dans l'effroyable situation religieuse où nous sommes, en leur faisant croire qu'un redressement est commencé, que Rome reprend les choses en main, qu'il y a eu quelque petite demi-phrase réconfortante dans l'avant-dernier discours pontifical, et autres contes de même fa­rine ; enchevêtrements d'illusions, de faux-semblants, et aussi d'intoxications. Les espoirs nourris de vent n'ont ja­mais conduit qu'au désespoir. La vérité est qu'à Rome l'administration ecclésiastique centrale est tout entière do­minée par un parti étranger à la foi catholique ; et que ce parti est reconnaissable aux trois notes diaboliques qui conjointement le caractérisent : 1. -- la soumission au monde moderne (souvent appelée ouverture au monde) ; 2. -- la collaboration avec le communisme (souvent appe­lée ouverture à gauche) ; 3. -- l'apostasie immanente (sou­vent appelée ouverture d'esprit, ou mentalité évoluée). On peut si l'on veut, pour chaque dignitaire de l'Église de Rome, discuter le point de savoir s'il est complice ou s'il est prisonnier de ce parti. Mais on n'en voit présentement aucun qui ne soit ni l'un ni l'autre. Une Rome moderniste est installée au centre de la Rome éternelle, la réduisant au silence et parlant à sa place ; s'exprimant de préférence par la bouche ou la plume de prélats réputés traditionalistes, pour mieux décourager la fidélité chrétienne... 120:191 #### Mgr Lefebvre ne sera pas étranglé sans bruit au coin d'un bois Édith Delamare l'a fort bien expliqué dans *Rivarol* du 30 janvier : nous irons à Rome autour de Mgr Lefebvre, afin que chacun sache qu'*il ne pourrait être étranglé sans bruit au coin d'un bois, comme au beau temps des Borgia.* Voici les principaux passages de l'article d'Édith Delamare : Le 21 janvier, Michel de Saint Pierre réunissait la presse pour annoncer deux nouvelles d'inégale impor­tance. La première concernait l'annonce d'un pèlerinage à Rome pour l'Année Sainte, présidé par Mgr Marcel Lefebvre. La seconde publiait la naissance de l'associa­tion « Credo ». Envisagée par Michel de Saint Pierre en octobre der­nier (Mgr Lefebvre avait donné son accord le 3 novem­bre), l'annonce du pèlerinage a été retardée par diverses circonstances dont la grève de la poste. Mais les der­niers événements ont donné une coloration inattendue à cette manifestation de piété. L'offensive de l'Épiscopat contre la Messe traditionnelle et le séminaire d'Écône avaient amené la grande presse dans les salons du Lute­tia ce 21 janvier et la question fut posée à Mgr Lefebvre, qui siégeait sur l'estrade au côté de Michel de Saint Pierre : -- Célébrerez-vous la Messe selon le rite de saint Pie V, au cours de ce pèlerinage ? Réponse de Mgr Lefebvre (alliant la simplicité de la colombe à la prudence du serpent) : «* Nous laisserons les prêtres qui viendront avec nous libres de célébrer comme ils ont l'habitude de le faire... *» (...) Il n'empêche que, dans les circonstances présentes, il est heureux que l'association « Credo », présidée par Michel de Saint Pierre, réunisse d'éminentes personnali­tés. Le comité de patronage (en formation) compte, en effet, parmi ses membres l'amiral Auphan, MM. d'Andi­gné, d'André, Dauphin-Meunier, Georges Daix, Paul Le­sourd, Louis Salleron, Henri Sauguet, le général Lecomte, le colonel de Font-Réaulx, le colonel Rémy, etc. (...) Un deuxième pèlerinage est prévu en Terre Sainte en 1976. Cette annonce a été accueillie distraitement par les journalistes présents. Chacun sentait que l'essentiel n'était pas là. L'essentiel, en janvier 1975, c'est l'entrée en lice d'un écrivain de la notoriété de Michel de Saint Pierre. Tant à Paris qu'à Rome, il est bon que certains sachent que Mgr Lefebvre ne pourrait être étranglé sans bruit au coin d'un bois, comme au beau temps des Borgia. (Fin des extraits de l'article d'Édith Dela­mare dans « Rivarol » du 30 janvier 1975.) 121:191 ### Le livre de Caetano publié au Brésil Voici quelques pages du livre publié -- au Brésil -- par le professeur Marcello Caetano sous le titre de *Témoignage.* C'est un bouquin fort volumineux (il correspondrait, en français, à un volume de plus de 300 pages) qui examine presque tous les as­pects de la vie politique portugaise à la veille du coup d'État militaire. Successivement, les problèmes de l'outre-mer, la po­litique intérieure, l'économie et les finances, la situation sociale, la réforme de l'enseignement, les forces armées et enfin la crise sont abordés par le dernier président du conseil « légal » qu'ait connu le Portugal. Je ne ferai pas aujourd'hui une analyse de cet ouvrage ; je me contenterai de traduire et aussi de résumer par moments ce qui a trait aux événements qui précédèrent le soulèvement du 5^e^ Régiment d'Infanterie à Caldas da Rainha le 16 mars 1974. Ce sont les dernières pages du livre -- Marcello Caetano se refu­sant de parler des événements du 25 avril, « car il n'est pas, dit-il, opportun de le faire. » J'ai fait suivre ces textes d'un fragment de l'entretien accor­dé par le « général de brigade » Saraiva de Carvalho à l'heb­domadaire portugais *Expresso ;* il y raconte, lui aussi, les évé­nements précédant immédiatement le 16 mars, mais cette fois, du point de vue des conspirateurs. J.-M. D. *Au début du chapitre consacré à* « *la crise* »*, Caetano expose les pourparlers entamés entre le général Spinola et le Président de la République du Sénégal Léopold Senghor. Notons au passage que ce dernier se flattait d'avoir du sang portugais dans les veines :* Senghor *étant selon lui une déformation de* Senhor. 122:191 « A quelque temps de là, Senghor fit savoir au général Spinola qu'il serait heureux de parler avec lui. L'apprenant, le gouvernement autorisa le général à rencontrer le président du Sénégal ; la rencon­tre eut lieu dans une petite bourgade sénégalaise proche de la frontière portugaise, vers le milieu de 1972. Le général Spinola vint directe­ment à Lisbonne pour rendre compte de ce qui s'était dit. Au cours de l'entrevue, avait été soulevée l'hypothèse d'une entrevue Spinola-Amilcar Cabral pour négocier d'un cessez-le-feu, préliminaire à un accord grâce auquel on espérait que le P.A.I.G.C. en viendrait à col­laborer avec les Portugais pour gouverner le territoire. Je fis observer au général que, pour grand que fut son prestige en Guinée -- et je savais qu'il était énorme --, lorsqu'il s'assiérait devant une table de négociations avec Amilcar Cabral, il ne se trou­verait pas face à un chef de guérilleros quelconque, mais face à l'homme qui représentait tout le mouvement anti-portugais appuyé par les Nations Unies, l'Organisation de l'Unité Africaine et la Presse du Monde entier. Par le fait que nous accepterions de négocier avec lui un armistice (ou un cessez le feu) préliminaire à un accord, nous reconnaîtrions officiellement le parti qu'il dirigeait comme une force belligérante, et nous reconnaîtrions en outre que ce parti contrôlait une importante fraction du territoire. (...) « Nous admettions cependant que les négociations étaient une méthode praticable quant à la Guinée. Mais on ne pouvait oublier que nous avions l'Angola et le Mozambique, avec des centaines de milliers de blancs et des millions de noirs qui seraient touchés par ce préalable et que nous ne pouvions sacrifier de gaieté de cœur. La difficulté du problème guinéen gisait là : il faisait partie d'un problème global plus ample, qui devait être considéré et traité comme un tout, en maintenant la cohérence des principes juridiques et de la politique adoptés. « Ce fut alors que, au cours de la conversation, je prononçai les paroles qui blessèrent la sensibilité du général, disant plus ou moins ceci : -- Pour la défense globale de l'Outremer, il est préférable de quitter la Guinée après une défaite militaire honorable que par un accord négocié avec les terroristes, accord qui ouvrira la porte à d'autres négociations. -- Alors, Votre Excellence préférerait une défaite militaire en Guinée ? s'écria le générai scandalisé. -- Les armées sont faites pour lutter et doivent lutter pour vaincre, mais il n'est pas obligatoire qu'elles vainquent. Si l'Armée portugaise était battue en Guinée après avoir combattu autant qu'elle l'aurait pu, cette défaite nous laisserait intactes les possibilités juridico-politiques de continuer à défendre le reste de l'Outremer. Et le devoir du gouvernement est de défendre tout l'Outremer. C'est là ce que je veux dire. « Le général Spinola ne se rangea pas à l'avis du gouvernement, qui ne traduisait pas seulement mon point de vue, mais celui de toutes les personnes consultées (et elles furent nombreuses) sans exception. 123:191 Il retourna à Bissau profondément affecté et sans cacher sa désillusion. Dans ce petit milieu, la diffusion de la nouvelle fut rapide, avec les amers commentaires à l'avenant. Les militaires ont eu en mains la solution de l'affaire guinéenne, que l'aveuglement des politiciens de Lisbonne n'a pas permis d'exploiter ; les militaires étaient allés aussi loin que possible et, si la guerre continuait, c'était par la faute du gouvernement de Lisbonne, qui en était arrivé au cynisme de désirer une défaite militaire, afin de pouvoir, en toute sécurité, rendre les forces années responsables de l'échec de sa politique ; le Général perdait la face devant le gouvernement séné­galais, cela outrageait les forces armées etc. « C'est dans cet état d'esprit que le général Spinola commença d'écrire son livre. » (...) *Je passe maintenant sur la naissance du* « mouvement des capitaines », *né justement en Guinée, et dont les préoccupations -- apparentes tout au moins -- ont été au début le maintien des prérogatives des officiers d'active, le respect des règles relatives à l'avancement, et la remise à leur place des officiers de réserve ser­vant en situation d'activité. Cette révolte marxisante, puis marxiste, est apparue tenant à la main l'annuaire et le tableau d'avancement.* *Le général Spinola revient de Guinée, reparle à Cae­tano du livre qu'il prépare ; celui-ci lui fait remarquer que sa vue des problèmes d'outre-mer est limitée à la Guinée ; il lui offre d'aller visiter l'Angola et le Mo­zambique, et, ajoute-t-il,* « *A sa place, je ne publierais rien avant ce voyage. *» *On créa pour Spinola le poste de Vice-Chef d'État Major Général et, le lendemain de sa prise de commandement, il rendit visite à Caetano pour se plaindre entre autres, que la Télévision n'ait pas retransmis la cérémonie.* « Alors il m'annonça la publication prochaine de son livre. Je pensais qu'il ne traiterait que de l'exposition et de la défense des thèses fédéralistes ainsi que des moyens de les rendre praticables. Je lui demandai s'il avait obtenu l'autorisation de le publier. Il me répondit que certainement le gouvernement avait confiance en lui... -- Non, mon général, le problème n'est pas d'avoir ou ne pas avoir confiance : c'est d'observer les lois et règlements militaires. Vous venez d'être placé au second poste de la hiérarchie des forces armées, et certainement vous n'allez pas vouloir commencer en com­mettant une infraction à la discipline qui vous enlèverait toute auto­rité pour l'imposer aux autres. Si vous avez quelque objection à sou­mettre votre livre à l'appréciation de vos supérieurs immédiats, je m'offre à le lire, et je peux vous assurer que la lecture en sera faite avec la plus grande ouverture d'esprit. 124:191 « Il me confessa qu'il avait beaucoup réfléchi pour savoir s'il devait ou non me donner à lire le livre. Et qu'il avait conclu par la négative. Parce qu'il soutenait des points de vue qui ne seraient pas acceptés par tout le monde, mais qu'il estimait indispensable de publier. Alors, de deux choses l'une : ou j'admettais que le livre fût publié, et cela me compromettrait ; ou je ne l'admettais pas et -- pensait-il -- il en résulterait de graves inconvénients pour le pays. *Marcello Caetano resta sur ses positions : la loi était la loi. En définitive ce fut Costa Gomes, Chef d'État Major, qui relut le livre de Spinola : il conclut que* « *défendant avec beaucoup de logique une solution équi­librée que nous pouvons situer plus ou moins au milieu des solutions extrêmes...* » *l'auteur du livre rendait en le publiant* « *un brillant service au pays. *» (*sic*)*.* « Le 18 février, je reçus un exemplaire du livre *Portugal e o Futuro* avec une aimable dédicace de son auteur. Je ne pus le lire ce jour là, ni le suivant, où il y eut conseil des ministres. C'est seulement le 20, que, passées les 11 heures du soir, je parvins à en entreprendre la lecture au terme d'une fatigante journée de travail. Je n'abandon­nai pas le volume avant d'être arrivé à la dernière page, au petit matin. Quand je le fermai, j'étais convaincu que le coup d'État mili­taire, dont je pressentais la préparation depuis des mois, était main­tenant inévitable. « Le 21, je convoquai pour le lendemain 22 février, à 11 heures du matin, chez moi, les généraux Costa Gomes et Spinola. « Tous deux vinrent en uniforme. J'eus avec eux une conversation dont je sentis, dès le commencement, qu'elle serait une des plus graves et plus désagréables de ma vie ; il est inutile de la reproduire ici. Il suffit d'en consigner le point fondamental : le livre du général Spinola comprenait une première partie critique qui ne pourrait man­quer d'influer sur les dispositions des Forces Armées quant à la poursuite de la défense de l'Outremer, de peser sur l'opinion publique en traitant de l'orientation de la politique intérieure, et de réduire la maigre marge de manœuvre du gouvernement portugais en politi­que extérieure. Ce n'était pas une thèse mais un manifeste. Sa publi­cation, dans les conditions où elle avait lieu -- venant du Vice-Chef de l'État Major Général, et couverte par le Chef d'État-Major lui-même --, plaçait le gouvernement en situation extrêmement déli­cate : en maintenant la politique suivie jusque là, il laissait flagrant le divorce entre lui et les plus hauts représentants des Forces Armées. Il m'était donc manifestement impossible de continuer à gouverner, avec un corps d'officiers insoumis et des chefs militaires en désaccord. Mais il n'aurait pas été logique que je présentasse ma démission en ce moment-là. Le manifeste lancé, sous le nom de Spinola, par l'État-Major Général, traduisait une intention de coup d'État, et il était alors nécessaire que chacun assumât les responsa­bilités qui lui revenaient, afin de ne pas laisser se dégrader la situa­tion. 125:191 J'avais fait le projet de sortir ce soir-là, le jeudi avant le Car­naval, pour passer les fêtes traditionnelles à l'Hôtel de Buçaco, dans l'espoir de quelque repos tant moral que physique. Eh bien, que Mes­sieurs les généraux profitent de ces quelques jours d'absence pour rencontrer le chef de l'État, lui exposer leurs idées et les sentiments des Forces Armées et pour réclamer le pouvoir pour celles-ci. Tout se passerait entre les plus hauts personnages de l'État et sans obstacle de ma part, puisque je ne répéterais à personne, ce qui s'était dit dans cette conversation. « Cette proposition fut écoutée en silence et sans signe d'assen­timent. Le général Spinola réaffirma qu'il était un militaire discipliné et qu'il ne participait à aucune conspiration ni ne faisait de coups d'État. Le général Costa Gomes me dit de prendre patience, puisqu'il n'y avait d'autre solution que de continuer à faire le sacrifice de rester au gouvernement. Mais, déjà debout, j'insistai : les phrases étaient très aimables, mais ce qui n'était pas douteux c'est que je n'étais plus en état de poursuivre avec l'autorité nécessaire la politi­que conduite jusqu'ici ». *Marcello Caetano recherche alors tous les appuis cons­titutionnels possibles. Il fait réapprouver par l'Assem­blée Nationale la politique faite par le Portugal dans ses provinces d'Outre-mer. Le vote acquis, après qu'il ait prononcé un discours devant l'Assemblée, les lettres d'approbation et d'appui affluent de tout le pays...* *C'est alors qu'il a l'idée de faire également approu­ver sa politique par une réunion des plus hautes auto­rités militaires.* « Ayant mis la main au remaniement ministériel, je voulus en même temps régler au mieux la question militaire. Mon désir était de conserver à leurs postes les généraux Costa Gomes et Spinola, afin d'éviter une recrudescence de l'indiscipline ; mais, pour cela, il était nécessaire qu'il fissent eux mêmes quelque chose qui permit au gouvernement de les maintenir. Le 12 mars, je réunis les minis­tres des départements militaires auxquels j'exposai le plan suivant : le gouvernement avait obtenu de l'Assemblée Nationale la ratification de sa politique d'Outremer, et du Chef de l'État la confirmation de sa confiance ; les organismes constitutionnels compétents avaient défini le chemin à suivre pour tous les Portugais et, spécialement, pour les Forces Armées qui devaient être l'instrument d'exécution de la politique définie par les pouvoirs constitutionnels. « Maintenant, il fallait demander au Chef d'État-Major Général des Forces Armées, accompagné du Vice Chef d'État-Major et de tous les officiers généraux en service dans la Métropole, en présence du Président du Conseil, de dire simplement ceci : que les Forces Armées n'avaient pas de politique particulière, car leur nature et leur éthique se trouvaient dans l'accomplissement des directives tra­cées par les pouvoirs constitués et que le pays pouvait avoir la cer­titude qu'elles se maintiendraient dans cette ligne. 126:191 « Une fois cette déclaration solennelle faite par le général Costa Gomes ayant à ses côtés le général Spinola, rien ne pouvait empê­cher qu'ils fussent maintenus dans leurs charges. « Les ministres consultés furent d'accord et sortirent pour gagner le Cabinet de la Défense Nationale, où le ministre formula au géné­ral Costa Gomes l'invitation dans les termes convenus. A la surprise de tous le Général Costa Gomes refusa purement et simplement de faire cette déclaration. J'ai des renseignements sûrs selon lesquels, au cours de cette réunion, le ministre de la Défense et Costa Gomes parlèrent à peine. Devant ce refus -- avec lequel se solidarisèrent le général Spinola et le contre-amiral Bagulho --, le Chef d'État Major de l'Armée, général Paiva Brandao fut invité à parler en tant que le plus ancien des chefs d'État Major, il accepta immédiatement. Dès lors, l'idée ne rencontra plus de résistance. *Le remplacement de Costa Gomes au poste de chef d'État-Major Général par le général Luz Cunha, com­mandant en chef en Angola, ne fit aucune difficulté mais... :* « Cette nuit-là alors que je me préparais à mettre fin à une jour­née remplie de travail, de préoccupations et d'émotions, je reçus un coup de téléphone du ministre de la Défense m'avisant que dans certaines casernes et à l'Académie Militaire il se passait des choses anormales. Je restai en alerte près du téléphone et, immédiatement, les informations se firent plus fréquentes. Y compris la nouvelle que de la caserne du 5^e^ Régiment d'Infanterie à Caldas da Rainha, une colonne motorisée -- qui comptait certainement sur un appui dans la capitale -- sortait en direction de Lisbonne. Et, vers les trois heures du matin, accompagné par mon aide de camp militaire, je me dirigeai, comme prévu, vers le Quartier Général de la Première Région Aérienne, dans la montagne de Monsanto. C'était là que, en cas d'urgence, je devais réunir les membres du gouvernement pour pren­dre avec eux les mesures nécessaires ; j'y passai le reste de la nuit, en compagnie du ministre de la Marine et du Secrétaire d'État à l'Aviation, en contact avec les ministres de la Défense et de l'Ar­mée qui se trouvaient à Terreiro do Paço. « Du Ministère de l'Armée, on commença les opérations des­tinées à intercepter la colonne de Caldas et à éviter que d'autres la rejoignent. Toutes les unités exécutèrent les ordres du gouverne­ment et la colonne, arrivant à Lisbonne par la Porte de Sacavem et voyant qu'elle ne recevait aucun appui, rebroussa chemin et regagna la caserne de Caldas ; elle y fut encerclée par des troupes fidèles et se rendit sans effusion de sang. (Fin des extraits du livre de Caetano.) 127:191 *Voici maintenant le récit, fait par Otelo Saraiva de Carvalho, des mêmes événements de Caldas da Rainha, et du complot qu'ils recouvraient.* #### Pourquoi la tentative de Caldas a échoué. Expresso. -- *A propos du 16 mars, pourriez-vous nous expliquer ce qui devait réellement se passer à cette date, plus précisément dans la nuit du 13 mars, et qui se produisit seulement dans la nuit du 16 ?* Saraiva de Carvalho. -- Les antécédents du 16 mars sont les résul­tantes de cette même semaine (allusion à une partie de l'interview qui précède celle-ci). Nous eûmes connaissance, par l'aide de camp de notre général Spinola, que, le 14, devait avoir lieu une réunion de généraux à S. Bento ; il nous était demandé d'éviter cette réunion, dont la suite logique serait l'exclusion des généraux Costa Gomes et Spinola. Nous préparâmes un petit plan d'opérations avec cinq unités, essentiellement : les Écoles Pratiques, le 5^e^ R.I. et une unité de parachutistes. Au petit plan d'opération que nous fîmes collabo­rèrent le lieutenant-colonel Garcia dos Santos, le major Casanova, le major Monge, le sous-lieutenant Gerdes, moi, et, sauf erreur, le major Azevedo. Ce plan était passablement insuffisant, la suite l'a démontré. Le 12, je me rendis avec le capitaine Vasco Lourenço chez notre général Spinola, afin de lui demander s'il savait concrètement ce que Marcello Caetano annoncerait à l'Assemblée. Il nous répondit qu'il l'ignorait, mais que peut-être, il allait annoncer sa démission et qu'il était préparé à cela. Le 13 après-midi, nous nous réunîmes avec les officiers des unités que nous avions inclues dans le plan d'opération, pour leur donner des indications sur les missions qu'ils auraient à accomplir. Arrivés à ce point, nous nous rendîmes compte que le plan ne serait pas exécutable, et ce fut moi qui pris la responsabilité de l'aban­donner. Le jour suivant, eut lieu la réunion des généraux, qui se déroula sans le moindre boycott de notre part. Le coup devait avoir lieu dans la nuit du 13 au 14, afin d'éviter cette réunion. Le plan ayant été abandonné, les unités désarmèrent, à l'excep­tion du 5^e^ Régiment d'Infanterie, qui demeura « sur le pied de guerre », et qui vint nous annoncer à Lisbonne que, malgré le retrait des autres, et bien que seuls, ils marchaient. Ce fut le major Casanova qui les reçut ; il tenta de les calmer, leur assurant que, dans peu, nous démarrerions avec le nouveau plan, car nous étions en train d'améliorer celui que nous avions. Il leur demanda d'attendre jusqu'au lundi suivant. Les officiers rentrèrent à Caldas da Rainha mais ne désarmèrent pas. 128:191 Le vendredi 15 au soir, le major Casanova, le major Monge et moi-même nous rencontrâmes ; plus tard, arriva également le capitaine Marques Ramos. Nous nous étions retrouvés afin de mettre au point une réunion pour le lendemain samedi, pour améliorer le plan -- étant donné l'impatience de certaines unités. C'était le cas de celles de Caldas da Rainha, lorsque, de Lamego, nous parvint la nouvelle que l'unité s'était soulevée et était prête à sortir dans la rue. Un grand enthousiasme éclata alors, surtout de la part du major Monge ; il se communiqua à nous trois, et nous fîmes cette folie de Caldas. Le capitaine Ramos partit immédiatement pour Caldas da Rainha, d'où il allait, d'ailleurs, ramener le 5° R.I. Les missions restantes furent réparties entre le major Monge, le major Casanova et moi. Nous nous séparâmes à 9 h 30 du soir et je ne les revis plus jusqu'à l'après-midi du 25 avril, parce que, ce temps durant, ils avaient tous trois été emprisonnés. Nous n'avions aucune liaison les uns avec les autres. De telle sorte que je demeurai dans l'ignorance de ce qu'eux-mêmes étaient en train de faire. Je sus que le major Casanova revint à Lisbonne sans accomplir sa mission ; d'ailleurs, il en alla de même pour moi ([^9]). J'appris plus tard que le major Monge passa la nuit entière à téléphoner à toutes les unités, pour savoir si elles marchaient sur Lisbonne. Aucune ne vint. Elles étaient complètement désarmées et hors d'état d'agir. C'était la fin de semaine. Il y eut une série de contretemps, que je savais d'ailleurs exister. A peine l'unité de Caldas da Rhainha, qui était la seule prête, parvint-elle à sortir. Le major Monge, à 6 h du matin, apprit que le 5^e^ R.I. avançait vers Lisbonne ; désespéré, il alla chez le major Casanova ; il lui demanda de l'accompagner pour aller au de­vant de la colonne, car, étant donné que c'était la seule unité qui était sortie, il fallait lui faire faire demi-tour. Je rentrai à Lisbonne ; il était 5 h et demi du matin. Je passai chez le major Monge ; il y avait déjà trois voitures de la D.G.S., qui étaient arrivés. Je vis aussi les agents de la D.G.S. ; je les vis sortir et se diriger vers la maison du major Monge, Je pris alors la direction de l'Encarnaçao, point d'arrivée où le major Monge devait recevoir les colonnes qui, selon ce qui était convenu, venaient du Nord. Je ne trouvai rien. Là aussi, je vis les voitures de la D.G.S., de la P.S.P. et pensai que l'alarme avait été donnée, et que toute l'affaire était à l'eau. Je restai là jusqu'à 7 h du matin et vis arriver la colonne du 5^e^ B.C., de Cavalerie 7, etc. Je vis se former l'appareil militaire. Je montai alors en voiture et refis le tour complet que j'avais fait à 3 h du matin. Les unités étaient déjà toutes consignées et il me sembla impossible de prendre contact avec elles : par ordre des commandements, on ne répondrait même pas au téléphone. Je rentrai à Lisbonne vers les 11 h ; à l'Encarnaçao, tout était déjà fini. J'appris alors que les majors Monge et Casanova étaient retournés à Caldas et étaient retranchés dans la caserne. 129:191 Pendant que j'étais à l'Encarnaçao, d'accord avec l'actuel major Miquelina Simôes qui m'avait accompagné toute la nuit, il me parut opportun de me rendre compte du dispositif militaire installé pour s'opposer aux colonnes de Caldas. Cela me permit de faire un inven­taire psychologique et du matériel, disons de l'ennemi, qui allait être extrêmement utile pour le plan du 25 avril. (Fin de la citation des déclarations de Sa­raiva de Carvalho à l'*Expresso* de Lisbonne, numéro du 4 janvier 1975.) 130:191 ## AVIS PRATIQUES ### Annonces et rappels ##### *Avis toujours aussi urgent à nos abonnés* La situation ne s'est pas sensiblement améliorée depuis l' « avis urgent » de notre précédent numéro. La défaillance du centre de chèques postaux de Paris continue. On avait annoncé que la situation serait rétablie « en mars ». On an­nonce maintenant qu'elle sera rétablie « fin mars ». Mais ce sera peut-être comme pour le téléphone : une situation jamais rétablie. Nous constatons que l'encaissement des virements postaux demande toujours des délais très variables, souvent égaux ou supérieurs à un mois. En conséquence, nous demandons toujours à nos abonnés : 1°) *D'avancer d'un mois* le versement de leur réabonnement (la date d'échéance de leur abonnement n'en est pas modifiée). 2°) De comprendre que nous-mêmes nous *avançons d'un mois* l'envoi des circulaires de rappel de réabonnement (sans que cela signifie un changement dans la date d'échéance de l'abonnement). 3°) De régler leur réabonnement, chaque fois qu'ils le peuvent, par *chèque bancaire* plutôt que par chèque postal, contrairement à nos précédentes recommandations. ##### *Pour la propagande* Non seulement l'abonnement annuel au SUPPLÉMENT-VOLTI­GEUR est de 8 F seulement (étranger : 10 F), mais encore il y a des prix spéciaux d'abonnement par quantités (prix iden­tiques pour la France et pour l'étranger) 131:191 -- 5 abonnements souscrits en même temps et à la même adresse : 30 F. -- 10 abonnements souscrits en même temps et à la même adresse : 50 F. Cela permet à ceux qui souscrivent ces abonnements par quantités de disposer de plusieurs exemplaires pour les faire circuler autour d'eux et pour amplifier ainsi la résonance et la circulation de nos idées. Le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR dit les mêmes choses qu'ITINÉRAIRES : il les dit courtement, à l'in­tention de ceux qui n'ont pas le temps ou pas le courage de lire la revue. ##### *La Déclaration de Mgr Lefebvre* Pour faciliter la diffusion de la déclaration faite par Mgr Marcel Lefebvre, nous en avons fait un tirage qui la reproduit telle qu'elle a été présentée et publiée dans ITINÉRAIRES de jan­vier 1975. *Les dix exemplaires :* 5 F franco. *Les cent :* 40 F. *Les mille :* 330 F. ##### *Pour répondre sur la messe* **1. -- **Pour répondre rapidement à l'offensive contre la messe, nous avons fait un tract de huit pages intitulé : « *L'inter­diction de la messe traditionnelle est arbitraire et sans valeur. *» C'est l'essentiel des pages 164 à 172 de notre numéro de décem­bre, montrant la nullité de l'ordonnance et du communiqué de novembre 1974. Ce tract est en vente seulement par dizaines. La dizaine : 5 F franco. A commander à « Itinéraires ». **2. -- **Pour répondre plus à fond, la nouvelle édition de notre brochure : « *La messe. État de la question. *» Mise à jour janvier 1975 : elle a maintenant 52 pages et elle comporte la réfutation de l'ordonnance et du communiqué. ([^10]) 132:191 *Sur toute l'affaire de la messe depuis le début, cette brochure contient l'essentiel de ce qu'il faut savoir, et les références pour en savoir davan­tage.* Prix inchangé : toujours 3 F franco l'exemplaire. A com­mander à « Itinéraires ». ##### *L'activité de DMM* *Comme nous l'avions annoncé, les Éditions Dominique Mar­tin Morin ont ouvert un bureau à Paris, auquel nos amis peu­vent se rendre aux jours et heures ouvrables : 96, rue Michel-Ange à Paris XVI^e^* (*téléphone : 288.30.94*)*. Tout le courrier doit leur être envoyé à cette nouvelle adresse.* \*\*\* *Les Éditions Dominique Martin Morin communiquent :* ##### *RAPPELS* En raison de la grève des postes nos annonces de nouveautés ont pu échapper à certains de nos clients ; nous rappelons donc que nous avons mis en vente quatre ouvrages : - en octobre *L'éducation de la pureté,* par Luce Quenette (324 pages -- 42 F). - en novembre *Un évêque parle* -- 2^e^ édition augmentée par Mgr Lefebvre (272 pa­ges -- 34 F). - en décembre *Jean des Berquins,* roman par Cl. Franchet (200 pages -- 35 F). De la prudence -- la plus humaine des vertus, par M. De Corte (80 pages -- 16 F). ##### *TRAVAUX EN COURS* Depuis le mois d'octobre dernier, nous avons mis en souscription deux ouvrages : - Le tome II des *Mystères du royaume de la grâce* par le P. Calmel, intitulé *Le chemin de la sainteté.* (En souscription : 28,00 F + port -- voir ci-dessous.) 133:191 Cet ouvrage devait paraître en janvier 1975. Les grèves postales ont retardé l'acheminement des souscriptions d'une part et des épreu­ves d'imprimerie d'autre part. Ce volume ne paraîtra donc pas avant Pâques. c'est par conséquent jusqu'au 31 mars 1975 que l'on pourra souscrire en toute quantité au prix de 28,00 F l'exemplaire. - Les *Notices du Temporal et du Sanctoral* (Calendrier d'Itiné­raires). Nous avions déjà annoncé en novembre que les Notices ne paraîtraient pas avant mars 1975 à cause du très faible nombre des sous­cripteurs. Nous regrettons d'annoncer aujourd'hui un nouveau report de publication : la sortie est désormais prévue pour mai ou juin 1975. (En souscription : 20,00 F + port -- voir ci-dessous.) La raison de ce report est la même que celle énoncée plus haut. Aggravée par le peu d'intérêt qu'a soulevé l'annonce de cet ouvrage. Il est vrai que ce n'est pas la première fois que nous publions des ouvrages importants, parfois uniques en leur genre, et qu'il nous faut insister pour obtenir que leur soit accordé l'intérêt qu'ils mé­ritent. Nous insistons puisqu'il le faut, sur l'importance de ces deux ouvrages en souscription : *Le chemin de la sainteté,* d'une part et, d'autre part, *Les notices du Sanctoral et du Temporal.* ##### *FRAIS DE PORT* La très forte hausse des prix pratiqués par les P.T.T. nous con­traint à renoncer à l'usage du franco de port que nous pratiquions jusqu'ici pour toutes les commandes accompagnées de leur règle­ment. Désormais nous demandons une participation forfaitaire aux frais de port et d'emballage de 3,00 F pour toutes les commandes ou souscriptions d'un montant inférieur à 30,00 F quel qu'en soit le montant. Pour les commandes ou souscriptions d'un montant supé­rieur à 30,00 F, le franco de port est maintenu en cas de règlement à l'avance. (Fin du communiqué des Éditions Dominique Martin Morin.) ##### *Notre-Dame de Salérans* *Le P. Maurice Avril écrit dans le numéro 35 du bulletin de l'* « *Association Notre-Dame Salérans *»* :* 134:191 Le 4 janvier, le Bon Dieu a rappelé ma mère auprès de Lui ; elle aurait eu 90 ans aujourd'hui. Je viens vous en entretenir pour de multiples raisons. D'abord, c'est ma mère : il n'est rien de plus précieux qu'une mère, il n'est de plus grand chagrin que de la perdre. Beaucoup l'ont connue et appréciée : je leur offre ces dernières images. C'était aussi une bienfaitrice, par sa prière, par sa présence, surtout dans les nombreux jours difficiles, et par son travail : depuis l'exode d'Algérie, elle n'a cessé de broder, et avec quel art, au pro­fit de l'Œuvre. Elle a bien droit à cet hommage. Ses derniers ou­vrages, selon son intention, continueront à servir. Dans le même temps, plusieurs d'entre vous pleuraient au chevet, qui d'une mère, qui d'un époux, qui d'un frère. J'ai associé nos dou­leurs, j'ai associé leur agonie, nous avons prié pour eux tous, nous avons prié pour vous tous, pour tous vos défunts, tous vos malades, tous vos êtres chers étendus sur une croix. Par la grâce de Dieu, la mort de ma mère a été exemplaire, et l'on ne peut désirer mieux. Je glane quelques détails : son fils célé­brait la sainte Messe à son intention depuis près d'un mois. Ô bien­heureuses mamans des prêtres. Les Religieuses l'ont entourée nuit et jour : elles étaient là pour le chapelet, le chapelet quotidien, le chapelet de l'agonie, le chapelet du dernier soupir. Elles étaient là tandis que je donnais l'Extrême Onction, elles répondaient aux priè­res des agonisants. Le surlendemain de Noël, ma mère a connu les angoisses de la mort ; c'était déchirant. Le Bon Dieu lui a donné de ressentir et de comprendre que la mort est le fruit du péché, que les souffrances de l'agonie sont une purification, que Jésus nous fait par là l'honneur de nous associer à son Œuvre rédemptrice. Elle a compris, offert et par conséquent mérité. Elle tombait alors dans un long coma. Pourtant, le lendemain, elle en sortait un ins­tant. Je guettais l'occasion, je venais d'enregistrer le Cantique à Notre-Dame de Salérans. Elle l'a écouté avec joie, sa dernière joie, avec un beau sourire, son dernier sourire ; elle s'est efforcée de le chanter, son dernier chant, son dernier acte humain, son testament : Ô Notre-Dame de Salérans... secourez-nous, priez pour nous ! Ainsi, elle a terminé par une prière à Notre-Dame. Et ce n'est que normal, elle aimait tant la Sainte Vierge, elle répétait souvent « Comme je l'aime, ma mère, je ne peux l'aimer davantage ; comme je voudrais que tout le monde l'aime ! » Et c'est la Sainte Vierge qui est venue la chercher, un samedi, le premier du mois, le pre­mier de l'année. Et ce n'est que normal. Ce n'est pas en vain que l'on demande 50 à 150 fois par jour, tous les jours de sa vie : « Priez pour nous... maintenant et à l'heure de notre mort ! » Ce n'est pas en vain que l'on récite tous les jours de sa vie les litanies de la Sainte Vierge : « Porta coeli, Porte du ciel ! » Je le déclarais récem­ment dans un sermon : « ...pour qui aime Notre-Dame, il n'y a pas de problème, Notre-Dame le prendra avec elle ! » 135:191 Ce n'est pas en vain que l'on a conservé toute sa vie son ruban et sa médaille d'enfant de Marie. C'est ce ruban qu'elle a emporté dans la tombe, comme seul et glorieux signe d'identité. Ses obsèques ont été célé­brées pour la fête du Saint Nom de Jésus. Et ce n'est que normal, elle qui aimait tant Jésus : « Quoi de plus doux, quoi de plus beau que le nom de Jésus ! » s'écriait-elle chaque jour en embrassant le petit Jésus de la sacristie... Oh ! oui, bienheureux ceux qui meurent dans le seigneur : que de grâces, quelle sérénité, quelle consola­tion qu'une telle mort ! Dernière raison : les obsèques ont présenté un véritable docu­mentaire sur les douze années d'activité de l'Œuvre en Métropole. J'énumère les principales catégories de présents : rapatriés de 1962, à qui nous avons fourni toit et pain. Séminaristes de 1963 devenus prêtres. Harkis baptisés, de 63 à 67. Parrains de nos Harkis. Veu­ves de Harkis baptisés. Veuve de mon Harki Emmanuel, baptisé il y a trois ans quelques jours avant Noël. Harkis de nos colonies de vacances, de nos camps, de nos arbres de Noël, de nos visites. Harkis de nos Centres d'Alphabétisation, de toutes nos années d'ur­gence, avec qui nous avons partagé la galette de misère. Harkis fidèles, reconnaissants, venus avec plus de 1000 francs de fleurs. Je dois mentionner aussi les amis et bienfaiteurs qui m'ont aidé pendant ces douze années d'exercice, les anciens moniteurs, tout le corps de nos ouvriers. -- Pour le présent, le cortège comprenait les Religieuses, l'École : professeurs, parents, élèves. -- A tous le plus profond merci, en mon nom et en celui de mes sœurs. L'inhumation s'est faite dans la propriété : nous gardons nos défunts, nous vivons avec eux, comme avec tous nos frères souf­frants du Purgatoire, non moins qu'avec tous nos frères glorieux dans le ciel. Nous prions pour les uns, nous prions les autres. Ils font tous partie du Corps du Christ, de ce Christ présent en nous, et qui est notre vie. -- CE BULLETIN, je dois en urger l'envoi : beaucoup d'entre vous n'ont pas reçu le numéro précédent et s'en plaignent. Le désordre des Postes nous en fournit l'explication. Je rappelle donc, pour ces amis et pour d'éventuels retardataires, que le bulletin en question était consacré au renouvellement annuel des cotisations. Il est en­core temps, il est toujours temps de se mettre en règle avec sa conscience et son amitié. Association Notre-Dame, C.C.P. 4.463.23 Marseille. Merci à nos fidèles adhérents, merci à nos nouveaux adhérents, la famille s'agrandit. J'ai reçu vos adhésions, vos vœux si délicats, vos recommandations de prières, vos intentions de Messe, vos colis, vê­tements, timbres, livres, jouets et gâteries pour nos colis de Noël, etc.... etc. Ces remerciements tiennent lieu de réponse, mon deuil m'ayant privé du plaisir de vous répondre personnellement. 136:191 -- HÔTELLERIE : la Sœur Économe me prie de vous rappeler de ne pas oublier vos draps quand vous venez à Salérans. -- RETRAITES : celle de février est réservée et complète. Autre retraite pour dames et jeunes filles : du 2 au 6 juillet. -- Je parlerai en son temps de celle de la Semaine Sainte. -- LIBRAIRIE : elle prend de plus en plus d'importance dans l'Œuvre. La raison : la campagne du livre a pour but de favoriser l'extension du Royaume de Dieu. C'est un but missionnaire qui nous anime, c'est le désir de procurer au plus grand nombre d'âmes une possibilité de s'instruire, d'approfondir leur foi, de mieux pénétrer le Mystère du Christ, de s'armer pour le combat. Demandez notre liste de livres, visitez notre librairie, commandez. J'ai le plaisir aujourd'hui de vous recommander la plaquette de M. Jacques RABANY : « La Sainte Vierge », préface du P. GUÉRARD des LAURIERS, en vente chez l'auteur, 10, place Rabelais, Tours. Restons très unis par la prière, la fidélité, le combat pour vivre et rayonner la vraie foi. Que Dieu vous bénisse ! (Fin de la reproduction du bulletin du P. Maurice Avril : bulletin numéro 35 de l'Association Notre-Dame Salérans.) \[...\] 138:191 ### Le calendrier 1\. -- Le calendrier liturgique de toute l'année 1975, du 1^er^ dé­cembre 1974 au 1^er^ décembre 1975, a paru dans notre numéro 186 de septembre-octobre, p. 141-171. Il n'est pas reproduit dans nos nu­méros successifs. Mais on peut se le procurer sous la forme d'une brochure : « Année liturgique 1975 ». 2\. -- Le « calendrier » mentionné au paragraphe ci-dessus est le calendrier sans les notices. Les notices du temporal et du sanctoral ont été rassemblées pour être consultées à part. Elles vont paraître en librairie. Pour tous renseignements à ce sujet : écrire, téléphoner ou aller chez DMM, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris. Tél. 288.30.94. 3. -- Chaque mois dans ITINÉRAIRES, ici à cette place dans cette rubrique du calendrier, paraissent des notices nouvelles et diverses indications complémentaires qui viennent s'ajouter aux publications mentionnées ci-dessus. On a lu par exemple les règles de préséance dans notre numéro 187 ; dans notre numéro 188 : les solennités trans­férées ; dans notre numéro 189 : saint Romuald. Dans le présent nu­méro : Patrons principaux et secondaires (voir plus loin page 141). \[...\] 141:191 ### Patrons principaux et secondaires Dès l'antiquité, les communautés chrétiennes ont éprouvé le be­soin de se placer sous le patronage d'un saint. Villes ou villages, diocèses, provinces, régions, nations, congrégations et maisons reli­gieuses ont ainsi adopté un ou plusieurs protecteurs célestes. Assez tardivement, on a fait une distinction entre le « patron principal et le ou les « patrons secondaires ». Il est évident que, dans cette dernière expression, le mot : « secondaire » doit s'entendre unique­ment par opposition à « principal », sans aucune nuance péjorative. Le patron principal est célébré sous le rite double de 1^e^ classe (avec octave commune jusqu'en 1955), et sa solennité est permise le dimanche suivant, s'il est libre. Même les religieux exempts sont tenus de célébrer la fête des patrons principaux du lieu, du diocèse, de la province ou région et de la nation. Tout à fait par exception on a parfois deux patrons principaux. Ainsi l'Amérique latine a deux patronnes principales : Notre-Dame de Guadalupe (12 décembre) et sainte Rose de Lima (30 août). Les rubriques ont longtemps ignoré les patrons secondaires. C'était une coutume, plutôt qu'une règle, de les honorer sous le rite double majeur ; et on ne disait pas le Credo à leur messe. Beaucoup de paroisses en avaient un, parfois deux. Dans notre paroisse d'ori­gine, au XIII^e^ siècle le patron était saint Martin ; au XV^e^ siècle, c'était saint Jean-Baptiste. Au XVII^e^ siècle, on honorait en outre saint Loup de Sens et saint Hubert et saint Éloi. Le 3 juin 1693, une ordonnance de l'archevêque de Sens éliminait les deux derniers. On voit par cet exemple que les patronages s'étaient constitués par dévotion spontanée des fidèles, et que l'autorité devait intervenir pour les limiter. En France, il semble qu'on ait longtemps honoré saint Michel comme patron. A partir du XVII^e^ siècle, c'est la Sainte Vierge qui est vénérée comme patronne de la France ; l'acte solennel de Louis XIII consacra définitivement ce patronage et en fixa la solennité au 15 août. 142:191 Au XX^e^ siècle seulement, un titre patronal secondaire a été attri­bué à deux grandes saintes françaises. Béatifiée en 1909, Jeanne d'Arc fut canonisée en 1920, au lendemain d'une victoire durement acquise il était naturel que la France victorieuse et meurtrie se tour­ne vers cette héroïne nationale devenue une sainte et l'acclame, comme sa patronne, tout en laissant à la Sainte Vierge Marie la pre­mière place que nul n'oserait lui disputer. Sainte Jeanne d'Arc fut donc demandée au Saint-Siège et accordée par lui comme patronne secondaire à la France, sous le rite double de 2° classe, à la date du 30 mai, son « dies natalis », avec solennité permise le deuxième dimanche de mai, qui est le plus proche du 8 mai, jour anniversaire de la délivrance d'Orléans. Dans cette dernière ville, le 8 mai est marqué chaque année par de grandes solennités religieuses, civiles et populaires : tous ceux qui ont assisté une fois à ces fêtes du 8 mai à Orléans ont été frappés par cet élan unanime de toute une popula­tion dans le culte de sa libératrice. Le dimanche suivant, la France entière s'associe à ce culte en honorant sainte Jeanne d'Arc comme patronne secondaire, -- « secondaire » en ce sens qu'elle laisse la première place à Marie. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus n'est pas, comme sainte Jeanne d'Arc une héroïne nationale : mais c'est une grande sainte française contemporaine. Aussi, dans les terribles épreuves de la sombre année 1944, les évêques de France eurent-il la pieuse idée de se tourner vers la « petite Thérèse », et Pie XII, déférant à leur demande, l'accorda à la France comme patronne secondaire au même titre que sainte Jeanne d'Arc. Déjà introduite par Pie XI au calendrier de l'Église uni­verselle à la date du 3 octobre, la fête de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus est désormais en France double de 2^e^ classe à cette même date, avec solennité anticipée permise le dernier dimanche de sep­tembre. Il y a une piété naturelle et une piété surnaturelle. Elles se trouvent étroitement unies dans le culte que nous rendons à nos protectrices, aux patronnes de notre patrie : la Très Sainte Vierge Marie au tout premier rang, au jour de sa gloire céleste ; sainte Jeanne d'Arc et sainte Thérèse de l'Enfant Jésus si différentes l'une de l'autre, et pourtant rapprochées par une affinité mystérieuse, à la seconde place, inférieure à celle de Marie, mais très grande au ciel et dans nos cœurs. Jean Crété. ============== fin du numéro 191. [^1]:  -- (1). Textes dans l'ouvrage de Louis Salleron : *La nouvelle messe* (Nouvelles Éditions Latines, 1970). Pour l'article 7, voir p. 111 et suiv. [^2]: **\*** -- cf. *Itin*. n° 117, p. 87, note 1 : non pas *conservé* mais *observé*. [^3]:  -- (1). « La Bulle *Quo primum *», introduction, traduction, commentaire par l'abbé Raymond Dulac : dans ITINÉRAIRES, numéro 162 d'avril 1972. [^4]:  -- (1). Numéro 124 de novembre-décembre 1974, distribué fin janvier en raison des grèves postales. (*Défense de l'Occident : B.P.* 97, 75962 Paris Cédex 20.) [^5]:  -- (1). Jacques VIER : *La littérature à l'emporte-pièce, septième série* (Éditions du Cèdre). [^6]: **\*** -- It. 193-bis. [^7]:  -- (1). Texte intégral dans ITINÉRAIRES, numéro 189 de janvier 1975. Tiré à part de 4 pages : voir les « Annonces et rappels » dans les « Avis pratiques » du présent numéro. [^8]:  -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 190 de février 1975, page 66 et 67. [^9]:  -- (1). Selon le magazine Brésilien *Manchette,* cette mission consis­tait essentiellement à conduire le général Spinola à Porto. [^10]: **\*** -- Cf. note p. 111.