# 196-09-75
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## Marcel De Corte
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MARCEL DE CORTE *a fêté cette année ses soixante-dix ans. En Belgique universitaire, l'âge de l'éméritat : expression mille fois plus heureuse que* « *retraite* » *pour consacrer la vigueur et la jeunesse intellectuelle de notre éminent ami. Marcel De Corte est associé à la rédaction de la revue* ITINÉRAIRES *depuis le premier numéro, et il sera présent dans les prochains. Ce numéro spécial de la rentrée vient donc manifester, publiquement, l'importance que nous attachons à cette collaboration. Il réunit notre hommage à celui de ses disciples et anciens étudiants. Hommage à l'homme et à l'œuvre, à l'écrivain catholique, au* « *philosophe vivant *»*.*
*Né le 20 avril 1905, dans le Brabant, Marcel De Corte est reçu docteur en philosophie et lettres de l'Université de Bruxelles dès l'âge de vingt-trois ans, avec la plus haute distinction. Lauréat du Concours Universitaire en 1929, il est admis l'année suivante comme élève étranger à l'École Normale Supérieure de Paris. En 1933, agrégé de l'enseignement supérieur de l'Université de Liège, il se consacre tout entier à une carrière universitaire, qui lui méritera en Belgique plusieurs distinctions de* la *Couronne, une avalanche de prix, et des invitations à enseigner dans toutes les grandes universités d'Europe ou d'au-delà. Plus imposante encore que son curriculum vitae, sa bibliographie, établie pour la première fois dans ce numéro, réunit 993 titres, à la mesure de son extraordinaire appétit, dans des domaines aussi divers que ceux de la philologie, l'histoire des idées, la métaphysique, l'économie, le droit ou la morale. Elle témoigne de la vitalité du liseur, du chercheur, du mendiant de la sagesse, qui remet chaque année à l'ouvrage les matières essentielles de son enseignement.*
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*L'homme est un animal* « *intelligent *»*, dit le Philosophe ; ou encore :* « *politique *»*. Pour Marcel De Corte, s'il est vrai que les connaissances et les habitus supérieurs de l'esprit augmentent en nous l'être même, cette définition ne suffit pas. On lui doit d'ajouter :* « *professeur *»*. Philosophe-professeur. Écrivain-professeur. Croyant-professeur. Bref,* animal-professeur. *Car chez lui c'est plus qu'un titre : une différence spécifique, un charisme, une seconde nature, son élément. On l'imagine très bien face aux pires désordres, qui résisterait tranquillement à tout, dans la force de sa méditation intérieure, sauf à la tentation de faire comprendre, si une goutte de disponibilité intellectuelle venait à s'égarer dans les parages. -- J'en eus moi-même le sentiment très vif le 15 mars dernier, à la* « *foire aux livres *» *d'*ITINÉRAIRES*. Venu l'accueillir dans le hall pendant que les organisateurs répartissaient les tables et les tâches de chacun, je m'enquérais de son voyage et de sa santé, sans remarquer que ces choses entraient pour presque rien dans le cercle de ses intérêts.* « *Tout va très bien, répondit-il d'une voix formidable. Mais voyez-vous, je viens de lire... et il y aurait peut-être quelque chose à examiner ensemble dans votre distinction de la morale et de la politique. *» *Ayant dit, il prit une chaise, et dressa dans le hall de la Maison de la Chimie les arcades d'un discours sur la Cité selon Aristote et sa* Politique -- *discours qui me parut d'autant plus magistral qu'il devait, jusque dans la pièce d'à côté, couvrir la voix du patron. Mais je me gardais bien de l'interrompre, songeant que le Docteur commun en avait usé de même, à la table de saint Louis : le roi avait admiré devant tous la puissante distraction du penseur, et voulu qu'on la respectât.*
*La pédagogie de Marcel De Corte, dont quarante-cinq générations d'élèves ont connu l'ascendant, tient en peu de mots. Il est allé à la vérité* « *avec toute son âme *»*, elle le possède plutôt que lui et, de ce mouvement vers l'être, de cet abandon à l'être des facultés spirituelles et cognitives, selon la plus haute vocation de l'intelligence, il résulte que l'homme vraiment n'a peur de rien ni de personne : sa sensibilité reste comme mobilisée en permanence au sommet...*
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*On raconte que, doyen de la faculté des lettres à l'Université de Liège, il promit de jeter lui-même par la fenêtre l'abbé Marc Oraison -- le prêcheur du sexe ; le prêtre qui pose que la terreur et la révolte sont* « *constitutives de l'agir humain *»*, venu pour porter cette bonne nouvelle à ses étudiants. En mai 1968, il donna à nouveau des preuves de sa joyeuse et inébranlable fermeté. Fidèle au poste, il ne modifiait rien de ses programmes d'enseignement. Les émeutiers locaux affluèrent donc à la porte de son amphi, impatients d'aligner sur le cours des choses ce professeur récalcitrant, et les attardés qui l'écoutaient. Comme on l'expliquait, à la même époque, aux enseignants de la Sorbonne :* « *la grève générale, c'est pas facultatif ! *» *Marcel De Corte suspendit sa phrase, et s'avança au devant du groupe :* « *Fort bien, Messieurs, venez par ici. Mais vous voilà prévenus : le premier je l'écrase, le deuxième je l'assomme et le troisième aussi. *» *Notre ami pèse* (*au moins*) *quatre-vingt-quinze kilos. On n'insista pas... Qu'y a-t-il de plus furieusement viscéral que la réaction ? Mais, au cours suivant, les maoïstes firent montre d'une certaine sagesse, occupant l'amphi avant l'heure prévue pour l'arrivée du doyen. Impossible de se faire entendre. Marcel De Corte prit place, croisant les bras :* « *Au moins, vous ne m'empêcherez pas de donner mon cours* mentalement. » *Et pendant plus d'une heure, sans rien demander à personne, de toute sa hauteur, de toutes ses forces, il fit face à la Révolution.*
*Les leçons de Marcel De Corte sont admirables, encore, par leur style. Il a le don des formules pénétrantes, équilibrées, nombreuses. Comme pour vous faciliter la digestion, à la trois centième page de l'analyse.* « *La philosophie a perdu le sens des vérités simples, élémentaires, et s'est enfoncée dans les ténèbres du philosophe lui-même* ([^1])*. *» *-- A propos de la sur-information., par laquelle notre civilisation est en train de perdre son âme :* « *L'homme de la rue a tendance à préférer le pseudo-événement à l'événement authentique parce que le premier répond mieux à la subjectivité de ses désirs ou à ses répulsions* (*...*)*. On fabrique aujourd'hui avec une facilité déconcertante de faux événements, des réputations, des célébrités, tout un univers politique et social d'apparences* (*...*)*. L'amour du prochain concret se dévalue ainsi en amour du lointain abstrait, ce qui est bien la façon la plus hypocrite et la plus odieuse de s'aimer soi-même* ([^2])*... *»
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*Et encore, sur l'inévitable* « *religion de l'État *» *dans les sociétés modernes :* « *L'État ne tolère rien au-dessus de lui. Il insinue son empire jusqu'au plus profond des consciences. Il est une Entité spirituelle et morale sacralisée, un nouveau Léviathan, omniprésent, totalitaire en dépit de son ventre mou, et ses innombrables tentacules bureaucratiques vont saisir le citoyen qui tente vainement d'échapper à son ascendant* ([^3])*. *»
*En bonne philosophie, la forme reste aussi essentielle à la production de l'idée que dans la poésie ou la peinture. Plus une pensée se voudra* conforme à son objet, *moins en effet elle sera pure,* « *idéelle *»*, libre de lâcher les rennes aux mots. La seule création verbale authentiquement autonome est celle des fous ; le sage, lui, préfère le silence à la mécanique du langage, s'il ne peut l'asservir à son dessein. On dit parfois que les mots nous échappent, ou nous résistent, mais c'est une illusion. Seule notre pensée est infirme, et il faut la plier en tous sens jusqu'à l'apparition souvent imprévisible du tour, de la mesure, de la nuance juste que le concept cru, fût-il philosophique, ne renferme jamais. Le discours est beau comme l'art, quand il est vrai : quand il ramène notre esprit au monde, à l'intuition adéquate d'une réalité de l'univers physique ou humain, en dépit de la pauvreté et de l'usure des mots. Dans la formule citée plus haut,* « *l'amour du prochain concret se dévalue ainsi en amour du lointain abstrait *»*, dont la vérité psychologique et morale ne fait pas de doute, on ne peut rien déplacer ni modifier sans affadir ou même détruire le sens. Et il faut une bonne demi-page, pour redire la même chose avec d'autres concepts, et une autre comparaison. Les vérités même les plus partielles sont ainsi, comme des articles de loi : mariées dès leur naissance* (*dans l'esprit*) *à une formulation -- une, indivisible et irréformable dans le domaine et sous le rapport où cette formulation s'est élevée au vrai.*
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*C'est pour cela que tous les grands philosophes de longue française sont, du même mouvement, de bons écrivains. Aucune obscurité logomachique ne vient gâcher aux honnêtes gens la lecture d'un Pascal ou d'un Péguy, où ne s'expriment pas pourtant que des enfantillages. Pour faire de* « *philosophique *» *un synonyme de suspect et de nébuleux, il a fallu toute une subversion, tout un retournement de l'intelligence elle-même. Une nouvelle religion du monde et de l'esprit, où chaque être humain rassemble en lui seul l'univers entier comme sa propre création. Quand plus rien ne lui est* extérieur, *quand toutes les relations de l'homme au monde intelligible sont regardées comme autant d'illusions de notre préhistoire* « *métaphysique *»*, il ne reste que le désert de la conscience, devenue à elle-même, selon le vœu de Marx, sa propre divinité, et la nuit, où toutes les vaches sont noires. Écoutons encore Marcel De Corte :* « *C'est une tentation constante, dont l'histoire de la pensée humaine offre d'innombrables exemples, que d'isoler l'abstraction de la réalité concrète où elle s'achève et où elle inscrit sa pleine valeur existentielle : n'est-elle pas plus accessible et plus accordée à la pensée que cette dure réalité qui résiste sans cesse à l'intelligence ? Un imperceptible changement de sens pour le profane ou pour l'intellectuel lui-même plus satisfait de sa connaissance que soumis à l'objet même de sa connaissance*, *et voici que l'activité théorique de l'esprit, repliée sur soi, se suffit à elle-même et, forte de cette séduisante autonomie, grosse de sa seule vérité* tronquée *et dès lors de son erreur, se réimpose au réel et entre en lutte avec lui* ([^4])*. *»
*C'est le plus grand mérite de Marcel De Corte d'avoir non seulement dit, mais très largement montré la racine intellectuelle de toutes les crises que nous traversons ; elle s'inscrit dans une sorte de déracinement mental généralisé : cet habitus, cette seconde nature comme viscéralement utopique des intelligences contemporaines, qui se privent de l'observation* du *réel pour quoi d'abord elles sont faites. L'irréalisme est devenu notre pain quotidien. C'est lui qui inspire jusqu'aux plus graves décisions des technocrates de l'État, lui qui favorise les concentrations et les monopoles, la course à l'inflation, au gâchis. à la pollution, lui encore qui prépare les voies au socialisme inhumain.*
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*En politique comme en économie, en droit ou en morale, il n'est pas d'attitude plus déformante, plus grosse en catastrophes sociales en tous genres que celle de l'* « *idéologie *»*, libérale ou totalitaire, du système d'idées toutes faites. Et le seul mot de* subversion -- *renverser, mettre à l'envers -- qualifie fort bien, à la fois, le terme et le point de départ de ce type de pensée : un processus d'inversion de l'ordre social, fondé sur une* méconnaissance *systématique des hiérarchies naturelles où s'exprime cet ordre.*
*Oui, dans les idéologies contemporaines, où l'esprit ne fait plus référence qu'à lui-même, ce sont bien les idées qui mènent le monde. Et pour rétablir les premières vérités de l'ordre naturel, pour revenir aux leçons de l'expérience et en redonner le goût, on est obligé d'abord de réduire en poudre ces funestes rêveries de l'intelligentsia et de la technocratie. En ce sens, l'œuvre de Marcel De Corte est dans la lignée des philosophes grecs dont il s'est tant nourri : une œuvre magnifiquement politique d'un bout à l'autre.*
Hugues Kéraly.
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### Pour les "septante" ans de Marcel De Corte
par Thomas Molnar
EN DES TEMPS MEILLEURS le nom de Marcel De Corte serait universellement connu et cité, comme l'est aujourd'hui le nom de Sartre ou de Teilhard. Dans la situation actuelle les écrits du professeur de Liège sont certes admirés et son enseignement écouté dans le plus profond respect -- de l'Italie jusqu'au Brésil -- mais je ne trouve pas la trace de ces écrits et de cet enseignement dans mes textes universitaires et dans la conversation de mes collègues. Signe des temps : les cognoscenti et les futurs cognoscenti doivent découvrir De Corte comme à la fin du douzième siècle on découvrit Aristote et à la fin du dix-neuvième Thomas d'Aquin. Et pour les mêmes raisons : réaction à l'averroïsme, dans le premier cas, réaction contre l'idéalisme (et le positivisme) dans le second. Aujourd'hui toutes les erreurs philosophiques du passé se trouvent réunies comme dans un creuset infernal ; aussi les meilleurs esprits -- également parmi les jeunes -- cherchent-ils en tâtonnant une issue à cette situation intenable. Quels esprits ? Ceux qui se rendent compte qu'il ne s'agit pas que de « doctrines philosophiques abstraites » mais de telle philosophie (publique ou privée), tel discours politique, telle civilisation, tel mode de vie. Il faut dire une chose en faveur des temps présents : il n'a jamais été aussi transparent qu'aujourd'hui que tout se tient : la théologie et l'urbanisme, l'orthographe et la politique.
« Découvrir » le professeur De Corte c'est donc, pour l'étudiant d'aujourd'hui, découvrir le réel. Combien de fois n'ai-je pas regretté que mes étudiants à l'intérieur de l'aire anglo-saxonne ne puissent le lire -- étant donné que, surtout en Amérique, la philosophie de langue française c'est Sartre, Levi-Strauss et -- Lucien Goldmann !
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Ces étudiants sont bien servis lorsqu'ils découvrent (en livre de poche aux librairies, point dans la salle de classe) Chesterton et C.-S. Lewis, anglo-catholiques responsables de plus de conversions au catholicisme qu'on ne pourrait compter ; eh bien, si l'on pouvait leur mettre en main les ouvrages de De Corte, ce trio en deviendrait irrésistible et -- *pace* Karl Rahner -- l'Église américaine en redeviendrait irrésistiblement triomphaliste !
Car, encore une fois, l'effet de la lecture de De Corte est la jonction avec le réel, comme l'effet de la lecture de Chesterton et de C.S. Lewis. Les choses et les rapports entre les choses s'éclairent, le consentement est soudain emporté ; on se dit voilà, c'est ainsi, ça a toujours été ainsi et le restera dans l'éternité. Le secret profond et en même temps public de cette soudaine conviction est la démonstration que le surnaturel existe, ce qui permet de constater que le naturel lui aussi existe et qu'il est transfiguré. Je sais bien : la démarche de l'intellect est le contraire : le naturel d'abord, le surnaturel ensuite est connu. Mais je parle de l'impression qu'ont les lecteurs de De Corte : ayant pataugé dans le marais spéculatif du siècle ils voient s'ouvrir, les nuages ayant été dissipés, le domaine de la surnature ; désormais les choses naturelles s'éclairent les unes après les autres, c'est une série de *eureka !* qui se déclenche.
D'autres, mieux que moi, célèbreront le philosophe De Corte dans ces pages. Mais comme le philosophe est inséparable de l'homme, qu'on me permette de parler de ce dernier. J'ai eu la bonne surprise le 20 avril de cette année de retrouver Marcel De Corte à Rome, à la Rencontre de la Fondation Giacchino Volpe, comme l'an dernier déjà, vers la même époque. Je ne résiste pas à décrire les circonstances. Dimanche ensoleillé, glorieux ; j'arrive à midi à l'hôtel où nous sommes logés, participants au congrès. Je fais ma toilette, puis regarde par ma fenêtre du troisième étage : un admirable petit square triangulaire (contradictio in adjecto) où, sous les arbres feuillus, se trouve la terrasse d'un restaurant. Je distingue à une des tables Monsieur et Madame De Corte en train de déjeuner. Cinq minutes après, je les ai rejoints, et c'est tout de suite la reprise de nos conversations, presque à la même table, de l'an dernier. Mais De Corte m'apprend que ce jour est son « septantième » anniversaire !
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Il y a dans la vie des « moments parfaits », c'en était un. Rome fin avril, dimanche, soleil, ciel bleu, température idéale : c'était le midi célébré par Valéry, par Claudel, où le temps s'arrête, du moins voudrait-on l'arrêter. Nous parlons de tout, de l'année écoulée, des avatars de l'université, de l'Église, du Portugal, du Vietnam. De Corte s'intéresse à tout, observe tout, comprend tout. Je ne le dis pas parce qu'il convient, dans ce numéro d'ITINÉRAIRES, de faire son éloge, mais parce qu'il convient de célébrer les nôtres quand ils le méritent aussi pleinement.
Voici, en effet, quelques traits que j'ai pu observer, traits qui à mes yeux n'appartiennent qu'aux hommes remarquables. Esprit de synthèse : cela débute par l'observation des détails et par leur soigneuse compilation. Mais détails et compilation ne donnent de résultats que si existe préalablement une ligne le long de laquelle tout entrera dans une pensée ordonnée. Lorsque le professeur De Corte fait le résumé des travaux du congrès, on croit voir un puissant cerveau portant son faisceau de lumière sur les points saillants des nombreuses communications, éclairant les unes à l'aide des autres ([^5]).
De Corte est un homme taillé d'un seul bloc, on imagine derrière lui un Rodin intrigué par les possibilités que lui donnera ce modèle. S'il y a dans son passé de penseur des doutes, des failles, des interrogations inquiètes, il les a littéralement broyés depuis longtemps. D'ailleurs, dès le début de sa carrière, carrière qui remonte à 45 ans de professorat, un Maritain, un Gilson parlent de ses ouvrages comme des jalons vers la compréhension d'Aristote, de Plotin. Il avoue avec un brin d'amusement que le doute ne l'a jamais effleuré ; on est tenté d'ajouter, « tant mieux pour le doute » car dans le bras-le-corps qui s'en serait suivi Marcel De Corte l'aurait emporté de toute façon !
Et cependant, malgré cet aspect de roc, c'est un homme d'une sensibilité extraordinaire, très rare ! On a l'impression qu'il ne blesse jamais ses adversaires, qu'il a toujours le propos doux même s'il marque son désaccord. On connaît sur son compte des histoires qui le désignent comme un grand lutteur : contre les clercs dévoyés ou malhonnêtes, les collègues genre faux-jeton, la contestation étudiante. Mais sa charité accompagne ces luttes et les combats sont baignés dans une atmosphère de justice.
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Voilà trois aspects de Marcel De Corte que je croyais devoir noter : puissance intellectuelle, intégrité, charité. Je m'aperçois à quel point les mots sont faibles, voire déroutants, car il est impossible de découper ainsi cet homme chez qui tout se présente d'un seul jet. Quelle idée saintement inspirée de son éditeur de lui confier le travail sur les vertus cardinales ! Un guide pour les temps troubles que nous traversons...
Sa soixante-dixième année accomplie, le professeur De Corte vient de rendre sa retraite (obligatoire) au grand dam de ses étudiants et des étudiants futurs. En ce qui me concerne, je compte le revoir tous les ans à Rome, ville éternelle dont il est le fils spirituel.
Thomas Molnar.
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### Un philosophe vivant
par Louis Salleron
MARCEL DE CORTE, pour moi, c'est avant tout un philosophe vivant. Il me réconcilierait, si c'était possible, avec la philosophie. Ce n'est pas que j'aie rien contre la méditation philosophique ; mais ce que je reproche aux philosophes, ou du moins ce qui nourrit ma méfiance à leur égard, c'est qu'ils ont une tendance invincible à construire leurs idées en système et à voir, dans ce système, la vérité.
En un sens, je reconnais qu'il ne peut en être autrement. Si l'on estime que la vérité n'est pas qu'un mot et si l'on pense l'avoir atteinte ou au moins cernée exactement, on est bien obligé de se rallier à sa propre conviction. La race, nombreuse aussi, des philosophes qui professent que la vérité est inconnaissable et que finalement nul ne peut rien savoir sinon qu'il ne sait rien est la plus insupportable. Il faut donc choisir et, qu'on le veuille ou non, on choisit toujours. Le plus ignare est, en ce point, logé à la même enseigne que le plus savant ; il est l'homme d'une philosophie, fût-elle la plus rudimentaire, la plus confuse, la plus enfouie.
On en revient à l'intuition bergsonienne : grands et petits vivant d'une intuition. Le philosophe est simplement celui qui est assez doué, intellectuellement ou verbalement, pour en parler « toute sa vie » et en faire -- ce que je lui reproche quoique je voie bien qu'il ne peut faire autrement -- un système.
A la limite, on aperçoit ainsi que la philosophie n'est qu'une foi, alors qu'elle se figure être justement le contraire de la foi. Je me félicite d'ailleurs de cette contradiction, où je vois un hommage à la Vérité et une piste pour la découvrir. Mais je m'abstiens de poursuivre là-dessus ma réflexion, car je risquerais à mon tour d'en faire une philosophie, ce qui me laisserait sans recours contre moi-même.
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Je crois que cette méfiance invincible qui me tient à distance de la philosophie provient de Maritain. Il incarne le thomisme. S'il l'incarne légitimement, je suis anti-thomiste de la tête aux pieds. Or je sens bien qu'ici je suis désarmé contre toute critique. Car on me dira : que connaissez-vous du thomisme ? A quoi je ne pourrai que répondre : quasiment rien. Je n'ai certainement pas lu la centième partie de l'œuvre de saint Thomas. On me dira donc : Alors taisez-vous.
En fait, je me tais. Car je ne me souviens pas d'avoir jamais écrit une ligne sur le thomisme. Seulement, si je n'ai lu que des bribes de saint Thomas, je les ai bien lues. Je veux dire que ce que j'ai lu avait toujours trait à des problèmes sur lesquels je m'interrogeais, ce qui me mettait dans un état de réceptivité particulière à l'égard des réponses que je pouvais trouver chez plus savant que moi. Or je n'ai jamais trouvé chez saint Thomas que des réponses d'une merveilleuse intelligence. Il est vrai qu'il s'agissait plutôt de théologie, mais la théologie n'est qu'une réflexion philosophique sur les matières de la foi et cette réflexion compose toute une philosophie. Il ne m'est jamais venu à l'idée de me faire un thomisme de mes rencontres avec saint Thomas, mais j'ai trouvé chez lui une intuition si prodigieuse de l'Être que j'en ai déduit à mon usage personnel une attitude philosophique où je m'assure d'être en parfaite correspondance avec lui. Je peux me tromper. Je suis, par contre, tout à fait sûr que Maritain, qui se croit thomiste, est exactement aux. antipodes de saint Thomas parce qu'il est l'idéalisme personnifié. Et encore, non pas l'idéalisme au sens noble du mot, comme par exemple celui de Platon, mais au sens délavé qui est tout bonnement l'idéologisme. Si je suis donc en défiance à l'égard du thomisme, que dire de ma défiance à l'égard du cartésianisme, du kantisme, de l'hégélianisme et de tous les ismes philosophiques !
Ce qui m'intéresse chez les philosophes, ce ne sont pas leurs systèmes, ce ne sont même pas leurs intuitions centrales (sauf peut-être celle que je prête, à tort ou à raison, à saint Thomas), ce sont leurs intuitions particulières, c'est-à-dire telles ou telles vues pénétrantes sur la réalité. Autrement dit, j'aime les philosophes dans la mesure où ils sont intelligents et pour ce qu'ils ont d'intelligent. Qu'y a-t-il, en somme, d'extraordinaire à ce qu'un esprit, errant sur l'essentiel, révèle ou mette heureusement en lumière des aspects de la vérité ? La philosophie, à cet égard, a toute ma considération, comme la poésie, le roman et toute création verbale.
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Marcel De Corte est philosophe. Je ne sais s'il est d'abord aristotélicien, ou d'abord thomiste. Peu me chaut. Il est d'abord vivant. Quand je commence à le lire -- et je lis tout ce qu'il écrit -- j'ai l'impression de me mettre à table. Le pain, le vin, le fromage. La chance m'ayant donné plus d'une fois d'être effectivement à table en sa compagnie, je sais que ce n'est pas une illusion. Les nourritures terrestres n'épuisent certainement pas le réalisme ontologique, mais elles en font partie. Je sais, grâce à De Corte, que la philosophie peut être vivante et c'est ce dont je lui sais gré.
Comme je l'ai lu bien avant d'avoir le plaisir de déjeuner ou dîner en sa compagnie, je peux me rendre ce témoignage que ce n'est pas sa fourchette qui m'a fait décider de la qualité de sa plume. Ce ne fut pour moi qu'une confirmation.
« Je suis un homme pour qui le monde extérieur existe » disait, je crois, Théophile Gautier. Plus encore que le poète, le philosophe doit être un homme pour qui le monde extérieur existe. Du macrocosme au microcosme le monde extérieur existe pour Marcel De Corte et c'est ce qui fait la puissance et le rayonnement de son monde intérieur. L'au-delà et l'en deçà du visible s'accordent chez lui tout naturellement à la communion universelle au réel. Nul mieux que lui ne fait comprendre à quel point le surnaturel et le naturel s'appellent réciproquement. Cette intuition fondamentale de l'Être est ce qui fait que je l'aime. Elle fait aussi, semble-t-il, qu'il est philosophe. Tant mieux pour lui. Je me contente de l'admirer de loin. Mais je lui suis reconnaissant, devant un bifteck et une bouteille de beaujolais, de me rappeler qu'un philosophe peut être un vivant et qu'il me suffirait, en somme, d'avoir son appétit pour être son égal.
Louis Salleron.
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### Philosophie, religion et politique selon Marcel De Corte
par le Chanoine Raymond Vancourt
ENTRE LA CONCEPTION MODERNE de la « science politique » et celle d'Aristote ([^6]), adoptée avec quelques modifications par saint Thomas ([^7]), des divergences importantes existent. Pour le Stagirite, la doctrine politique est partie intégrante de la philosophie pratique. Elle suppose qu'on ait défini ce qui constitue une vie juste et heureuse, et précisé à quelles conditions elle devient possible. Pas d'opposition entre morale et politique ; et lorsque Aristote présente l'homme comme un « animal politique », il veut dire que nous ne pouvons satisfaire aux exigences de notre nature rationnelle et vivre moralement qu'au sein de la société. -- D'autre part, la politique n'est pas une technique analogue à celle des artisans. Elle ne vise pas à produire des objets utiles, mais à former le caractère des citoyens ; elle a une finalité pédagogique : elle doit contribuer à nous rendre, dans la mesure du possible, bons et heureux.
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-- Enfin la philosophie politique ne procède pas *a priori* ni ne prétend construire de toutes pièces un monde idéal. Elle part des réalités politiques existantes, telles qu'elles sont vécues, et tâche d'en dégager les principes, d'en découvrir la signification. Pour autant, elle est une science, non point au sens moderne de connaissance du quantitatif, et du mesurable, mais au sens aristotélicien de connaissance certaine par les causes. Et cette science est pratique dans la plus forte acception du terme. Il ne s'agit pas à vrai dire de tirer et d'utiliser les conséquences d'un savoir théorique préalable portant sur la nature de la société, mais de construire celle-ci en tenant compte des circonstances complexes, variées, mouvantes, qui se prêtent mal à un traitement mathématique ([^8]). Et notre action doit être guidée par la prudence, « la plus humaine des vertus » ([^9]), à laquelle Aristote accorde un rôle de premier plan, que lui concèdent également tous ceux qui, à des degrés divers, s'inspirent de lui en politique, depuis Cicéron jusqu'à Edmond Burke dans ses *Réflexions sur la Révolution française.*
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D'après Jürgen Habermas, « l'historicisme » a éliminé cette conception de la science politique ; ce que nous mettons sous ce terme n'aurait plus que le nom de commun avec le contenu du célèbre ouvrage d'Aristote. Les « modernes » ont tendance à dissocier la politique et la morale, à considérer la première comme une technique qu'il faut juger sur son efficacité et non à partir d'autres critères. Une fois connues les conditions qui président à l'organisation et à la bonne marche des sociétés, on devrait pouvoir en tirer des règles applicables partout et toujours, un peu à la façon du technicien qui utilise les renseignements fournis par les sciences de la nature pour construire des objets utiles à l'homme.
Ce changement de perspective ne s'est pas fait d'un coup et ceux qui délaissent la conception aristotélicienne ne procèdent pas tous de la même manière ni n'obéissent aux mêmes mobiles. Il semble toutefois qu'on puisse déceler chez eux une orientation commune : le désir, plus ou moins conscient, de constituer la politique en discipline scientifique autonome.
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Chez Aristote, elle faisait partie de la philosophie dont elle était en quelque sorte le sommet ; on l'identifie désormais à l'ensemble des sciences sociales économie politique, sociologie, statistique, etc. ([^10]). -- Il n'est pas question de nier la légitimité de ces disciplines ; on a cependant le droit de se demander si elles se suffisent à elles-mêmes. N'auraient-elles pas besoin de s'appuyer sur une philosophie de « l'homme dans le monde », sans laquelle elles risqueraient de perdre leur signification et leur intérêt ? Marcel De Corte laisse entendre avec raison que même les politiciens les plus « positivistes », les plus terre-à-terre, voire les plus cyniques, s'inspirent peu ou prou d'une anthropologie philosophique. Les divergences entre les politiques s'expliqueraient ainsi finalement par des différences entre les philosophies qui les sous-tendent. Cette thèse, De Corte l'illustre en confrontant Aristote et saint Thomas avec Machiavel. D'après lui, on ne peut comprendre en profondeur *Le Prince,* si on n'a pas découvert la philosophie dont s'inspire le célèbre florentin. -- Point de vue suggestif, et qui permet de mieux percevoir les nombreux et difficiles problèmes que soulève le statut de la doctrine politique.
Que la politique implique une philosophie, il semble impossible de le nier. En effet, de quoi s'agit-il en politique sinon des activités de l'homme en société ? De ces activités, l'expérience nous fait prendre conscience ; et en vertu du principe *operari sequitur esse,* nous pouvons en déduire ce qu'est l'homme. Il apparaît comme un animal, en principe raisonnable et libre, qui, à la différence des êtres inférieurs, doit construire lui-même son mode de vie. Sur ce point, les penseurs se trouvent d'accord. Ils admettent aussi, sans difficulté, qu'à travers nos entreprises les plus diverses, nous cherchons, sans toujours nous en rendre compte, le bonheur, et que nous avons le sentiment plus ou moins confus que nous serons heureux dans la mesure où nous vivrons en être raisonnables et libres, au sein d'une société qui nous le permettra. -- Ces généralités ne prêtent guère à discussion, mais elles nous laissent sur notre faim et ne nous apprennent pas en quoi au juste consiste le bonheur ni à quelles conditions on peut l'atteindre.
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Pas davantage elles ne définissent ce que signifient la raison et la liberté, ni n'indiquent quelles libertés concrètes nous sommes en droit de revendiquer ; toutes questions qu'il faut avoir résolues si on veut organiser convenablement la vie en commun. Dès qu'on cherche à donner à ces problèmes des réponses précises, les opinions divergent et les divergences, on s'en aperçoit aussitôt, sont fondamentalement d'ordre philosophique. En simplifiant on pourrait dire qu'il existe deux types de solution. Tout d'abord celles qui maintiennent l'homme au plan de l'immanence. Le bonheur est alors conçu exclusivement comme un bonheur ici-bas, dans les limites de l'existence terrestre ; la réalisation de la raison et de la liberté n'implique rien d'autre que leur développement « naturel » ; nos activités « humaines, trop humaines », ne débouchent que sur l'homme lui-même. -- Un autre type de solution fait appel à la transcendance. Le bonheur n'est jugé possible que par référence à un Absolu dont nous dépendons et qui nous dépasse infiniment ; la raison et la liberté n'ont de sens que par cet Absolu, vers lequel tend l'élan de notre intelligence et de notre volonté. Dans cette perspective, l'homme n'est plus confiné dans les limites étroites et étouffantes de ce monde ; il n'est plus renfermé sur soi. Le dynamisme spirituel qui le travaille trouve sa finalité dans quelque chose de supérieur ; l'homme, en dernière analyse, se dépasse lui-même pour rejoindre l'Absolu.
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C'est évidemment ce type de solution que choisit De Corte. Thomiste, il adopte une interprétation du monde et de l'homme dans laquelle se marient la pensée d'Aristote et les données de la Révélation chrétienne. Le monde lui apparaît comme un cosmos où les réalités s'étagent selon leur degré de perfection. Chaque catégorie d'être aspire, pour ainsi dire, au niveau immédiatement, supérieur et toutes ensemble tendent vers Dieu, créateur et fin dernière de l'univers. Les êtres, ainsi rattachés à leur source, sont non moins étroitement reliés entre eux et comme soudés les uns aux autres, par le dynamisme qui les oriente vers l'Éternel. Placé ici-bas au sommet de la hiérarchie, l'homme récapitule les degrés de perfection des réalités inférieures ; doué d'intelligence et de volonté, il a conscience du mouvement qui ramène la création vers son Auteur et prend ce mouvement à sa charge. Le bonheur qu'il recherche éperdument, il le trouve en adhérant à celui qui est l'Alpha et l'Oméga. -- Si la raison, dûment interrogée, nous apprend tout cela, elle ne dit pas cependant comment et jusqu'à quel point le besoin de l'Infini qui nous travaille sera satisfait.
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Pour que nous le sachions, il a fallu que Dieu lui-même révèle son intention de nous unir à Lui d'une manière intime, intention qui persiste malgré la chute originelle et qui se réalise par le truchement du Verbe incarné, mort sur la Croix pour notre salut. Le bonheur qui nous est ainsi offert dépasse nos capacités ; il n'en est pas moins, en un sens, dans la ligne de nos désirs. Comme le dit De Corte, après saint Thomas et Péguy, si la grâce est distincte de la nature, loin de l'abolir, elle l'accomplit en s'incarnant en elle ; elle la porte à son point suprême de perfection et de maturité, tout en restant, comme principe de cette transformation, supérieure à la nature ([^11]). De ce point de vue, de même que pour l'aristotélisme chrétien, l'âme et le corps ne font qu'un, de même la grâce et la nature ne font aussi qu'un : « Il n'y a pas d'une part, le surnaturel, et de l'autre le naturel, mais un être humain complet, l'homme baptisé, complètement surnaturel dans la mesure où il réalise en lui les exigences de la Nature et de la Grâce ([^12]). » Le thomiste est, pourrait-on dire, profondément unitaire ; il ne tombe pas dans le péché de l'abstraction, que Hegel et n'a pas tort de considérer comme une faute grave en philosophie et en théologie. Même si l'univers apparaît rempli de scissions et d'oppositions ; même s'il est indispensable de ne pas confondre ce qui doit être distingué, il l'est tout autant de retrouver l'harmonie qui se dissimule aux regards de ceux qui, trop pressés, ne voient que les apparences.
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Mais, dira-t-on, en quoi cette vision chrétienne de l'homme et de l'univers concerne-t-elle la science politique ? peut-elle, doit-elle avoir des répercussions sur l'organisation de la vie en commun ici-bas ? -- On serait tenté de répondre par la négative. Puisque la fin qui nous est proposée est un bonheur ineffable dans l'au-delà, pourquoi s'agiter pour harmoniser les rapports entre les humains en ce monde ? Pourvu que nous fassions notre salut, ce qui se passe sur terre importe peu. Même si nous sommes éprouvés durant notre vie, nos souffrances seront largement compensées par la félicité que le Seigneur prépare pour ses élus. En outre, le bonheur qui nous est promis concerne chacun de nous :
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« La grâce divine est rigoureusement personnelle : *proprias oves vocat nominatim.* Ce n'est pas l'homme en tant qu'appartenant à une société donnée qui se trouve être le récepteur de la grâce, mais l'individu simplement doué de raison et de volonté... C'est la personne qui reçoit la grâce et toutes les richesses *surnaturelles* qu'elle véhicule, qui participe à la société surnaturelle des personnes de la Sainte Trinité et à la vie personnelle du Christ qui lui fait connaître le Père et lui envoie l'Esprit ([^13]). » Il incombe à chacun de faire son acte de foi dans les mystères qui lui sont proposés, d'espérer ce que le Seigneur a promis et de répondre à son amour. -- Qu'est-ce que la politique peut bien avoir à faire dans tout cela ? Que les hommes organisent la société comme ils l'entendent, pourvu qu'ils me laissent libre d'adhérer à la Révélation, libre aussi de vivre en conformité avec ma foi, je n'ai besoin de rien de plus. En d'autres termes, le christianisme, étant donné la fin suprême qu'il attribue à l'existence humaine, nous inviterait plutôt à nous désintéresser de la politique, à viser plus haut que la réalisation de l'ordre, de la paix, de la justice dans les rapports entre les hommes et les États, et à laisser à d'autres le soin de s'en occuper, en veillant seulement qu'ils ne fassent pas obstacle à l'épanouissement de notre vie spirituelle.
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Cette interprétation des rapports entre la vision chrétienne de l'homme et la politique ne satisfait pas le thomiste ; il n'admet pas que le christianisme doive nous détourner des problèmes de la vie en commun et orienter nos activités d'une manière exclusive vers le but transcendant qui nous est proposé. L'aristotélisme chrétien refuse, en effet, de séparer comme au couteau le monde présent et celui de l'au-delà ; il souligne, au contraire, la continuité qui existe entre les deux et en déduit la nécessité d' « informer » notre existence terrestre par le surnaturel. Celui-ci, répétons-le, n'est pas un supplément qui s'ajouterait du dehors à notre nature, il ne fait qu'amener à leur perfection suprême, encore que d'une manière gratuite, la raison et la liberté qui caractérisent l'être humain. On ne doit point, par conséquent, se désintéresser de la construction d'une société où les hommes pourraient vivre en êtres vraiment raisonnables et libres, car une telle existence apparaît comme le soubassement sur lequel repose notre participation à la vie divine (participation, disons-le une fois de plus, à laquelle nous ne pouvons parvenir par nos propres forces).
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C'est pourquoi le souci de notre bonheur dans l'au-delà n'empêche pas de nous préoccuper du bonheur ici-bas et des conditions indispensables à sa réalisation, au premier rang desquelles il faut placer l'ordre et la paix dans la cité. Bref, au lieu d'opposer le monde présent et la vie future, le thomiste les unit étroitement, sans d'ailleurs pour autant les confondre.
Il procède de même quand il s'agit des rapports entre l'individu et la société. Certes, il n'oublie pas que le salut est éminemment personnel et que le Christ a versé son sang pour chacun de nous. Il reconnaît également qu'à certaines époques et dans certains pays la société est organisée de telle sorte que l'individu n'a plus grand chose à en attendre de bon. Replié alors sur lui-même, il serait tenté de ne penser qu'à son salut spirituel et d'assister en spectateur passif au déroulement d'événements en face desquels il se sent impuissant ; il serait même prêt, s'il le faut, à sacrifier sa vie pour répondre aux exigences de sa vocation surnaturelle. Mais il s'agit là de cas extrêmes et leur caractère dramatique ne doit pas nous inciter à opposer l'individu et la société, comme s'il ne pouvait s'agir que de réalités antagonistes. L'aristotélisme chrétien rappelle au contraire que l'homme vit naturellement en société ; partir de l'individu pour reconstruire celle-ci à l'aide de je ne sais quel contrat, ce n'est point faire preuve de réalisme. La société, en un sens, est première, et il découle de cette situation d'importantes conséquences : la personne se forme au sein de la société seulement et grâce à elle. La personne, affirme avec raison De Corte, « est l'effet de l'ordre social établi par la prudence politique. Si la personne est, selon la définition de Boèce, la *substance individuelle d'une nature raisonnable,* elle n'accède jamais à une certaine perfection de la raison que si elle reçoit les bienfaits de l'ordre social auquel se subordonnent ses activités. A supposer que la chose soit possible, une nature raisonnable individuelle qui serait, par hypothèse, isolée de toute relation avec autrui, et donc d'une forme élémentaire de société, ne jouirait même pas du langage. Elle n'entendrait rien. Comment dès lors, sourde et muette, pourrait-elle recevoir et répandre la Parole de Dieu ? Rien ne supplée à la nature politique de l'homme. La lettre sociale est écrite avec du fer au plus profond de son être. Sans elle, la grâce ne pénètre pas. Le Dieu Rédempteur ne renie pas le Dieu Créateur » ([^14]). C'est dire, encore une fois, qu'on ne doit pas opposer l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, car le second perfectionne et consolide le premier.
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Pour De Corte, le bien commun du groupe a besoin de s'adosser « à un Bien commun transcendant et immuable, fin ultime de la vie humaine », si on veut qu'il soit mesuré « à l'aide d'un critère invariable » ([^15]) ; si on veut, en d'autres termes, échapper au relativisme et assigner à la apolitique un but qui puisse vraiment la justifier. La question qui se pose est de savoir s'il n'y aurait pas moyen de la fonder autrement. Quand on examine de près ce problème, on s'aperçoit que le nombre d'hypothèses qu'on peut imaginer s'avère assez restreint. Ou bien, avec le christianisme, on se situe au plan de la religion révélée et on assigne à l'existence humaine une fin surnaturelle, dans l'au-delà ; -- ou bien, on maintient la religion « dans les limites de la raison pure », et l'on conçoit le bonheur de l'homme un peu à la manière de Kant, sous la forme d'une immortalité plus ou moins indéterminée ; ou enfin, on professe franchement l'athéisme. Cette troisième hypothèse permettrait-elle d'asseoir la politique sur une base solide ? Bayle le croit. Il rappelle d'abord qu'en tout état de cause, la politique s'occupe du bonheur que l'homme peut atteindre ici-bas, dans une société où, régneraient l'ordre et la paix. Or, d'après lui, une société composée d'athées aurait un double avantage : d'abord les préoccupations de ses membres ne se porteraient pas sur un au-delà mystérieux et inconnaissable, mais seraient entièrement centrées sur l'aménagement de l'existence terrestre ; en outre, l'ordre et la paix s'établiraient d'autant plus facilement que les esprits ne seraient pas divisés par les querelles religieuses. Nous retrouverons ailleurs la thèse de Bayle. Pour l'instant, retenons les deux premières hypothèses, dont l'une s'appuie sur la révélation et fait appel à la foi, tandis que l'autre repose sur la religion naturelle et la seule raison. Le fond du problème est de savoir s'il y a entre la foi et la raison, entre la nature et la grâce, cette opposition radicale que l'époque moderne (l'*Aufklärung* en particulier) s'est plue à proclamer. De Corte, à juste titre, estime qu'il y a bien plutôt harmonie entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, et que par conséquent, une « politique chrétienne » n'enlève nullement à la politique son fondement rationnel, mais au contraire le suppose et le perfectionne.
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Il ne faut pas non plus opposer morale et politique. Sur ce point le thomiste reprend la thèse d'Aristote, pour qui l'une et l'autre font partie d'une même réalité concrète et ne peuvent être dissociées, comme on l'a dit avec raison, une fois « qu'on s'est permis de séparer abstraitement morale et politique, aucun dieu ne fera plus vivre le cadavre dépecé de la réalité » ([^16]). Il suffit, pour s'en persuader, de réfléchir aux origines de la morale. L'homme, nous l'avons dit, vit naturellement en groupe. Les sociétés, même les plus primitives, impliquent une table des valeurs et des interdits que les individus doivent respecter. Ainsi, au début, règles morales et manières de vivre imposées par la communauté se confondent. La communauté, par les coutumes qu'elle impose, apprend aux individus à ne pas céder sans discrimination aux impulsions de leur sensibilité ; elle crée peu à peu les mœurs, c'est-à-dire une certaine façon de se comporter qui caractérise l'*ethos* du groupe. Lorsque, pour des raisons diverses, des individus en viennent à douter du bien-fondé des manières habituelles d'agir, ils se mettent à recourir à d'autres critères que la tradition, à des critères rationnels, les lois, coutumières ou écrites, leur paraissant justes lorsqu'elles permettent aux hommes, à tons les hommes, de vivre en êtres raisonnables et libres. Mais lorsqu'on croit avoir découvert des lois répondant à cet idéal, on cherche inévitablement à les faire adopter par la société, à les transposer sur le plan politique, à infléchir la législation pour qu'elle devienne conforme aux exigences de la raison. C'est ainsi que s'introduit la distinction entre morale et politique, distinction complexe dont nous ne pouvons présenter ici tous les aspects ([^17]) ; distinction qui n'implique nullement opposition, car en dernière analyse, le rôle de la politique doit être d'éduquer les citoyens pour les habituer à mener une existence morale, c'est-à-dire rationnelle ([^18]).
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Encore une fois, il y aurait beaucoup d'autres aspects à souligner dans les rapports entre la morale et la politique et à leur sujet tous ne sont pas du même avis. Il semble qu'il y ait du moins un point sur lequel les aristotéliciens devraient être d'accord. Comme l'écrit De Corte, « il n'y a, dans l'ordre humain, de morale que rationnelle et cette morale se confond avec la politique ». « Il suffit, pour s'en convaincre, de lire le début et la fin de l'*Éthique à Nicomaque.* Ce traité, abondamment commenté par saint Thomas, n'a rien de « *moral *», il est *politique* d'un bout à l'autre et s'articule directement au traité intitulé *Politique* qui le prolonge. Aristote le dit *expressément* au commencement et en conclusion de son ouvrage. Saint Thomas le suit *sans la moindre réserve.* En dehors des sciences spéculatives et des techniques, il n'y a que la *politique,* fin dernière de la vie *humaine,* si du moins elle reste fidèle à la fonction souveraine : unir les citoyens dans la poursuite d'un bien commun qui fait d'eux des hommes et non des barbares, des animaux grégaires ou des dieux apocryphes, et qui transmet ce simple secret de la vie pleinement humaine à travers l'espace de la Cité au long des générations successives » ([^19]).
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Les considérations que nous venons de faire ne prétendent même pas évoquer tout le contenu des problèmes nombreux et difficile que pose le statut de la politique ; elles nous permettent cependant de conclure que vouloir expliquer celle-ci sans faire appel à la philosophie est une utopie. Marcel De Corte nous a en outre convaincus que l'aristotélisme chrétien, tout en distinguant ce qui ne doit pas être confondu, se garde de durcir les oppositions et retrouve l'unité profonde des divers plans de l'être. Pour autant, il est à même de nous offrir de la réalité politique une synthèse qui tienne compte de ses divers aspects. Machiavel part d'une conception différente de l'homme et. du monde ; quelles en seront les conséquences sur le plan politique ?
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On a beaucoup écrit sur Machiavel depuis la dernière guerre, moins peut-être pour savoir quelle politique il faut suivre... ou ne pas suivre, que pour élucider « ce qu'est la politique, *ce destin de l'homme moderne.* Quelle est la lace de la politique ? Y a-t-il une morale qui s'oppose à la politique ? Pouvons-nous vivre en dehors de la politique ? Que peut-on, que faut-il attendre d'elle ? Une communauté humaine peut-elle en même temps sauvegarder l'ordre et ce qui, pour l'individu, rend la vie digne d'être vécue ? La politique a-t-elle ses lois à elles, comparables à celles de la nature et, à supposer qu'il en soit ainsi, devons-nous apprendre à les connaître pour nous en servir » ([^20]) ? A ces questions, Machiavel apporte des éléments de réponse qu'il n'est pas toujours facile d'interpréter et surtout de coordonner. Pour se retrouver dans ce dédale, De Corte choisit un fil conducteur qui n'est autre « qu'une certaine vision de l'être humain inséré dans le monde », en d'autres termes, l'idée que la Renaissance se faisait plus ou moins explicitement de l'homme et du monde. « Si l'on ne dégage pas cette conception initiale d'où jaillissent toujours les pensées de Machiavel comme d'une source intérieure, il ne reste plus de son œuvre qu'un amas informe de comportements, d'attitudes et d'artifices sans lien et sans unité. La plupart des exégètes de Machiavel et des hommes d'action qui ont voulu conformer leur conduite aux investigations de l'auteur du *Prince* sont tombés dans ce travers ([^21]). »
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La philosophie sous-jacente à la politique de Machiavel, philosophie plutôt vécue qu'élaborée conceptuellement, différait de la vision unitaire présentée par l'aristotélisme chrétien. Au lieu de fondre dans une synthèse harmonieuse les divers aspects du réel, on accentuait leur séparation, on les opposait les uns aux autres. Le monde d'ici-bas perdait peu à peu ses liens organiques avec le monde de l'au-delà et devenait purement profane. A l'intérieur même de l'homme plus d'union étroite entre l'âme et le corps, entre la pensée et la sensibilité ; et pas davantage de relation intime entre la nature et la grâce, la raison et la foi, celle-ci se réduisant à une attitude irrationnelle, sentimentale, affective.
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Dieu, relégué dans un lointain inaccessible, n'imprégnait plus de sa présence efficace et toute-puissante l'univers matériel ni le monde humain. La connaissance scientifique, de type mathématique, commençait à revendiquer la préséance, offrant des possibilités de remodeler l'univers matériel et l'homme dans son existence individuelle et collective ; le processus de sécularisation était en marche. Les croyants, une fois Dieu exclu des réalités de ce monde, se réservaient au plus intime de leur être un réduit, où ils estimaient possible de retrouver Dieu, un Dieu conçu comme tellement transcendant qu'il oubliait que nous-mêmes et le monde vivons de Lui, par Lui, en Lui. -- Bref, la Renaissance perdait de vue l'unité qui relie tous les êtres entre eux et les rattache à leur Source et à leur Fin ; elle multipliait et durcissait les oppositions : l'opposition de l'en deçà et de l'au-delà, de Dieu et du monde, des sciences et de la métaphysique, de la nature et de la grâce, de la raison et de la foi, de l'individu et de la société, de la contemplation et de l'action, de la morale et de la politique, oppositions dont la prolifération et l'accentuation caractérisent la pensée occidentale depuis la Renaissance, comme, Hegel le souligne à juste titre. Cette conception du monde, dont Machiavel comme tous ses contemporains est imprégné, explique, si on en croit De Corte, les particularités de sa doctrine politique.
Qu'elle en éclaire certains aspects, c'est indiscutable. De Corte souligne avec raison le rôle que la mathématisation du réel et le nouveau type de connaissance scientifique qu'elle inaugure jouent dans l'œuvre de Machiavel. Évoquant la célèbre lettre de San-Casciano, il conclut : « Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité les conduites humaines sont considérées comme un système de réflexes mécaniques qui permettent presque toujours d'infaillibles prévisions ([^22]). » Désormais toutes les conduites humaines « doivent être jugées, comptées, pesées, supputées, dénombrées comme des choses » ([^23]). Cette mécanisation de l'homme, qui fait penser à la théorie cartésienne de l'animal-machine, n'est possible que si on sépare l'homme d'une partie de lui-même, la plus importante, celle par laquelle il est à l'image de Dieu ; elle suppose également que l'ère des techniques, mises au service de l'homme et de son action, s'est substituée à l'ère médiévale de la contemplation, orientée et dominée par Dieu ([^24]).
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La clef que nous offre De Corte pour entrer dans le secret de Machiavel permet aussi de mieux comprendre l'attitude religieuse du célèbre florentin assez complexe et quelque peu ambiguë. Machiavel a-t-il été sincèrement catholique en son for intérieur ? Il est difficile d'en juger et le fait qu'il ait reçu les derniers sacrements ne prouve pas grand chose. Peut-être la religion était-elle pour lui quelque chose de strictement individuel, qui, comme tel, ne devait avoir aucune implication dans le domaine politique. Toutefois, cela ne signifiait pas que l'homme politique puisse faire totalement abstraction de la religion. Si la politique a pour but de fonder un État, de le maintenir uni et stable, il est bien évident que la religion peut être à sa manière un facteur d'unité et de stabilité. Machiavel semble l'envisager sous cet angle et, de ce point de vue, ne paraît pas accorder au christianisme un rôle privilégié. Il estimerait plutôt qu'en tournant les préoccupations de l'homme vers l'au-delà et en prêchant la résignation, la doctrine du Christ risque de ne pas susciter des citoyens dynamiques, dévoués corps et âmes à la chose publique. En tous cas, la fonction que Machiavel semble assigner à la religion dans l'État n'est pas, à vrai dire, d'ordre religieux. Si, à certains égards, la religion est indispensable au bon fonctionnement d'un État, elle est, à elle seule, incapable de le fonder et de le faire subsister ([^25]). -- Le fil conducteur que nous offre De Corte permet, dans une certaine mesure, de débrouiller l'écheveau que constitue l'attitude religieuse de Machiavel.
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Fera-t-il parvenir à l'essentiel de sa pensée politique ? Comme le fait remarquer Gerhard Ritter, en deux ouvrages qui constituent un des commentaires les plus clairvoyants de la doctrine de Machiavel ([^26]), celui-ci rêve de ce que serait un État idéal, une société parfaite ; mais il sait aussi qu'étant donné ce qu'est l'homme, on ne peut s'approcher de cet idéal que si on possède la puissance et incontestablement le problème qui obsède le Florentin est celui de la puissance, des moyens de l'acquérir et de la conserver. Sans elle, *on ne peut rien réaliser.*
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La puissance, comme telle, n'est ni bonne ni mauvaise ; elle a un caractère ambivalent : « Servant le bien comme le mal, elle porte l'homme d'action pour s'emparer de lui à la fin, pour l'entraîner, le dominer, le détruire. La puissance fonde tout à la fois création et destruction, bien et mal, ce qui existe de plus bas, ce qu'il y a de plus noble. Sur son plan, la volonté humaine va au-devant de forces surhumaines quelle ne peut pas ne pas déclencher si elle veut être efficace, et qu'elle est incapable de dominer une fois qu'elle les a mises en mouvement. Machiavel a été le premier à découvrir cette nature démoniaque de la politique ([^27]). » La puissance, pour lui, devient bonne ou mauvaise, selon la fin à la réalisation de laquelle elle contribue. Or la puissance devrait servir à créer et à faire subsister un État « valable ». Mais quand un État mérite-t-il ce qualificatif ? -- On répondra -- et légitimement : lorsqu'il rend les gens heureux ici-bas en les faisant vivre dans l'ordre et la paix ; ou si on préfère une autre formule : en les aidant à devenir de plus en plus raisonnables et libres, à vaincre la violence qu'exercent sur eux le monde extérieur et l'animalité qui subsiste en nous. En cela consiste la fin que poursuit la politique, le Bien commun qu'elle ne doit jamais perdre de vue. Si on en croit certains commentateurs, Machiavel ne le perd pas de vue. Il ne mériterait donc point la mauvaise réputation qu'on lui a faite ; loin de prêcher exclusivement le culte de la *virtù,* concentré de force, de violence et de ruse, et tout en déclarant qu'elle est indispensable, il ne la subordonnerait pas moins à la *bontà,* « cette honnêteté du citoyen et presque déjà du bourgeois, dont les livres sur Machiavel d'ordinaire ne soufflent mot » ([^28]). Bref, Machiavel ne serait pas « machiavélique », au sens vulgaire du terme.
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Il n'est pas dans notre propos d'apprécier ici cette réhabilitation de Machiavel, que De Corte n'accepterait sans doute, et avec raison, que sous de multiples réserves. Nous voudrions seulement revenir sur le fil conducteur qu'il nous invite à utiliser pour découvrir le secret de Machiavel.
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Celui-ci, disions-nous, tout comme ses contemporains, durcit les oppositions que l'aristotélisme chrétien était parvenu à surmonter. Parmi ces oppositions, celle de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel occupe une place importante ; le tout est de l'interpréter correctement. Si, en effet, on l'exagère, on risque fort de faire reposer la politique sur une base insuffisante. Certes, le but de la politique est d'organiser la vie en commun ici-bas, dans l'ordre et la paix, de faon à ce que les hommes, devenus raisonnables et libres, soient heureux sur cette terre dans la mesure du possible. Nous admettons également qu'étant donné la part d'animalité qui subsiste dans l'homme, un certain recours à la force s'avère indispensable. Mais tout ceci reconnu, le problème, pour ainsi dire, reste entier. En effet, le bonheur ici-bas, à supposer qu'il soit possible, que vaut-il ? Se suffit-il à lui-même ? Suffit-il pour combler les désirs les plus profonds du cœur humain ? Si la mort est l'anéantissement total et définitif de notre être, l'homme peut-il vraiment être heureux ? Et l'ordre et la paix que la politique tente d'instaurer n'ont-ils d'autre finalité que de permettre aux humains de jouir tranquillement des biens terrestres ? -- Le Christianisme nous apprend que nous sommes destinés à une autre vie, appelés à partager pour l'éternité l'intimité divine. Peut-on faire abstraction du but qui nous est ainsi proposé et qui, seul, donne à l'existence humaine sa pleine signification ? -- Dira-t-on que la politique n'a pas à s'en occuper ; qu'il s'agit là d'une conception particulière que beaucoup d'hommes rejettent ; que la politique doit simplement s'intéresser à l'existence d'ici-bas ; que tout au plus peut-on exiger d'elle qu'elle laisse aux hommes la liberté d'adhérer à la religion de leur choix ? -- Mais raisonner ainsi serait supposer que l'ordre surnaturel n'est qu'un rêve et non l'expression du sens même de notre existence ; ce serait également oublier que la vision et la jouissance de Dieu sont dans la ligne même de nos aspirations les plus profondes ; ce serait enfin méconnaître que le dynamisme qui nous porte vers le vrai, le beau et le bien, dynamisme transcendant toute la réalité politique, ne trouve son aboutissant que dans l'union à l'Absolu. Même s'il n'appartient pas à la politique de promouvoir directement la fin surnaturelle, elle ne peut cependant en faire abstraction, car il n'est pas pour l'homme d'autre fin ultime que celle-là. Si elle en fait abstraction, la politique risque fort de sombrer dans le relativisme et de ne plus même percevoir les conditions d'un bonheur authentique ici-bas ; elle risque aussi d'en arriver à prétendre faire le bonheur de l'homme malgré lui et contre lui.
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L'oubli de notre fin surnaturelle, dont Machiavel, en séparant radicalement la nature et la grâce, se rend coupable, loin de faciliter à la politique la réalisation de sa fin propre, empêche au contraire les hommes d'atteindre ce à quoi ils pourraient espérer en ce monde, et les faits prouvent que la « sécularisation » tant vantée de la politique n'a pas constitué précisément pour l'humanité une réussite. En opposant, comme on cherche à le faire, l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, on bouleverse le plan divin et les conséquences ne peuvent en être que néfastes. Marcel De Corte a eu raison d'insister sur un aspect du problème de la politique, que beaucoup passeraient volontiers sous silence.
Chanoine Raymond Vancourt.
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### Super flumina Babylonis
par Paul Bouscaren
AU POINT où nous en sommes du tohu-bohu des idées, un lecteur demeuré catholique, mais envers et contre quoi, Seigneur, à tout moment et partout ! s'enchante à l'abondance impétueuse de l'exposition thomiste que lui offre M. Marcel De Corte. Il faut s'en féliciter selon l'étymologie : s'en faire un bonheur. Vais-je choquer en disant que cela suppose aussi une critique thomiste de points où le lecteur attentif a cru devoir, *pro modulo suo,* douter ? Lui-même, et du même coup, devait relire son auteur et saint Thomas ; n'est-ce pas à attendre de tous, s'il est parlé ici des dits doutes ? Faisons donc cet essai entre les autres hommages de notre revue au travail de M. Marcel De Corte.
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La vérité massive et péremptoire, ou une vérité inséparable de sa place ? Disons l'une et l'autre, mais chacune avec ses arguments proportionnés ; ce qui impose à la critique un tout autre travail dans le premier cas, (des années d'analyse pour un jour de synthèse, professait Fustel de Coulanges), le second cas ne voulant que le bon sens, (celui dont parle Descartes), pour reconnaître le vrai qu'on nous met sous les yeux.
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De fait psychologique universel, il y a, contrairement au passé, un présent moderne de la foi. Pour nos pères, le monde de la foi enveloppait un monde de la raison qui était celui de l'expérience quotidienne des hommes. Aujourd'hui le monde de la foi doit trouver place dans un monde de la science où l'humaine raison elle-même se regarde comme un produit tardif du cosmos, et qui de toute façon y semble perdu. La raison moderne a besoin d'un travail énorme et sans fin pour ne pas se trouver dans l'impossibilité de croire, avec son temps. Sauf pour la raison à refuser de se vouloir moderne, et imbécillisée par une science que l'on croit la seule science, sans autre fondement, à ce que le postulat matérialiste ; mais raison sauve, alors, à quel prix énorme de volonté vraiment libre contre la commune liberté de refuser la foi !
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L'idéologie démocratique est-elle venue d'une laïcisation du christianisme par la corruption de celui-ci, -- *corruptio optimi pessima,* -- ou s'agit-il d'un naturalisme scientiste parti en guerre contre la foi surnaturelle et s'efforçant de la réduire à soi, du dehors avec la Maçonnerie, du dedans avec le Modernisme ? La Vérité surnaturelle du christianisme se perd-elle et ne peut-elle se perdre que par transposition temporelle de l'orthodoxie catholique en toute sa rigueur, ou s'agit-il là du processus de la catastrophe seulement si le tout ou rien de votre pensée catholique faisait la vie même des gens, chrétiens ou non ?
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« Que de vérités sacrées devenues folles, ou simplement idiotes, dans ces doctrines. » (Robert Kanters, *Figaro littéraire* du 8 mars 1975). Je crois que j'aimerai moins, désormais, le mot de Chesterton, qui aurait dû se tenir à l'abjecte vérité d'un monde moderne plein de vérités chrétiennes devenues idiotes. Assez loin, à ce compte, d'une thèse identifiant le monde moderne avec l'entière vérité chrétienne devenue folle.
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*Corruption moderne de la foi, ou la foi impossible à une raison moderne expérimentale, cette corruption nominaliste de la science, de la société, de la conscience ?*
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-- Donner un sens plus pur aux mots de la tribu.
-- Ne rien boire qu'au verre où tout le monde a bu.
Église d'hier, Église d'aujourd'hui. La même Église, les mêmes évêques, le même pape, au dire de certains qui prétendent être les mêmes catholiques qu'ils étaient ; alors, comment l'étaient-ils ? Comme le poisson de Victor Hugo fera venir de l'eau sur la terre quelque part où il soit posé ? Ou comme l'on sauve sa vie en la perdant à cause du Christ, aujourd'hui autant qu'hier, et même davantage ?
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Oui ou non, faut-il reconnaître, avec Henri Bergson, « la métaphysique naturelle de l'intelligence humaine », commun langage humain d'Aristote, de saint Thomas d'Aquin, de l'Église catholique traditionnelle ? Oui ou non, la science galiléenne parle-t-elle un langage exclusif de toute métaphysique, soit dans ses postulats, soit dans les conséquences de sa logique ? Oui ou non, ce langage scientifique diffuse-t-il une mentalité scientiste, qui fait de l'intelligence humaine, métaphysiquement et religieusement, l'idiote à prévoir, et que nous n'arrêtons plus de voir et d'entendre ? *Nectit, qua valeat trahi, catenam*.
*Raison et foi,* la raison peut et doit voir ce qu'il en est, au besoin avec l'aide de la foi ; *science et foi,* impossible à la science d'en connaître, en tant que science, et incapable de la foi. Oui ou non, -- et c'est-à-dire, la science est-elle, oui ou non, guérie du scientisme, (bien entendu, chez les savants) ?
Quiproquo de la discontinuité de la science avec la foi, qui n'est pas plus celle de la raison dans la foi, avec la science, que l'incapacité de voler d'un lièvre n'empêche un aigle de fondre sur lui. Quiproquo du savant agnostique : s'il avoue ignorer, avoue-t-il que l'ignorance de la science ne sait pas si la raison de l'homme ne peut savoir par la foi ce qu'elle ne peut savoir par la science ? Quiproquo de la science ainsi dite : car on parle bien de la foi, qui croit sur l'autorité de Dieu révélant tout ce qu'elle croit ; mais ce que savent les sciences mathématiques, physiques, biologiques, en quoi est-ce de quoi fonder à les dire la science ? Et les sciences dites humaines, qu'est-ce qui en fait science, et humaine ?
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Au lieu de la piété filiale et patriotique, la contestation, et la revendication des droits méconnus ; au lieu de la conscience morale et de l'examen de conscience afin de confesser les péchés commis par sa faute, par sa très grande faute, la conscience psychologique et la prise de conscience des traumatismes subis, par tous, inévitablement ; bref, quiconque est au monde a de bonnes raisons d'accuser ceux qui l'y ont mis, et lui, non seulement on n'a rien à lui reprocher, mais ses pires écarts de conduite font voir avec quelle violence il a été heurté, déséquilibre, renversé... Rousseauisme, marxisme, freudisme ; néant de la société, néant de la personne, néant de l'être moral ; contre-éducation sur toute la ligne de la vie humaine. Heureuse jeunesse d'autrefois, misérable jeunesse d'à présent ! L'homme biologique est un dynamisme programmé incapable de réalisation que moyennant son milieu, où il puise colossalement plus de matière qu'il n'en possède au départ de la vie ; même nécessité incommensurable du milieu. social pour l'animal raisonnable, -- à cela près que le programme est à la merci de chaque liberté, vraie ou fausse jusqu'au délire. La vie humaine ainsi impossible à vivre par aucun homme qu'il n'ait reçu infiniment plus qu'il ne pourra rendre, la piété mesure donc la réalité de l'humanisme ; et l'impiété moderne, la déchéance moderne.
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*Faut-il voir dans l'Église une société de personnes, au contraire de la société temporelle, -- ou seulement à proportion de l'éternel engagé dans le temps, et c'est-à-dire quoi ?*
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Personne ne peut décider à ma place de mon salut éternel, mais il s'en faut de toute la réalité de l'Église que je sois à même à moi seul d'en décider *positivement, c'est-à-dire par ma vie chrétienne*, personnelle, certes, mais non pas sans être sociale, -- tout de même que ma vie humaine est citoyenne. Quiproquo du salut des hommes : chaque personne décide seule du salut éternel de son être, ou de sa perte éternelle, tandis que le salut ou la perte de son existence temporelle appartient pour chaque individu, non point à sa seule volonté, mais à n'importe quelle volonté, mais à n'importe quel hasard de ce monde, chacun de nous n'étant pour son propre salut qu'un élément du monde parmi les autres. Ainsi, toute cette distance par rapport au choix du souverain absolu de son salut éternel ?
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Attention, tout n'est pas dit par là, mais : qui est ce souverain absolu ? Qui t'a fait roi ? Si chaque personne est seule à décider de son salut éternel, ou de sa perte éternelle, il y a donc cette alternative, et le bon sens de vouloir tomber du bon côté, suivi du bon sens qui demande : à quelles conditions ? Ce qui apparaît alors, c'est la vie chrétienne que doit être la vie des hommes sur la terre ; et du même coup, non plus l'absolue souveraineté de la personne sur son être, mais ce qu'il faut à un bon exercice de cette souveraineté ; qui est, bref, la vie en Église, tout de même que l'homme ne vit humainement que de vie citoyenne. Gare donc au quiproquo du salut des hommes, où chacun de nous décide seul, oui, de son salut éternel, non pas de son salut temporel, mais d'abord, dans l'incapacité entière de vivre seul, aussi bien sa vie chrétienne que sa vie humaine ! Tous biens nous viennent de Dieu, dit saint Augustin, mais il y a les grands biens, les moyens et les petits ; si bien user de sa liberté compte parmi les grands biens que Dieu nous accorde, une liberté dont nous pouvons faire mauvais usage n'est qu'un des biens moyens. A bon entendeur salut ! A droite avec saint Augustin, ou à gauche avec la Déclaration de 1789.
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Le chrétien, c'est l'homme non pour soi, pour son existence temporelle, mais *pour Dieu,* pour être en Dieu éternellement. Les Béatitudes. L'Église, c'est le chrétien non par soi, vivant de sa foi comme la source de sa vie, mais *par Jésus-Christ* répandu et communiqué en son Corps. « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ». Selon Aristote, l'homme sans la société, ou bien vivrait comme une bête -- ne pouvant pas vivre par soi de vie humaine -- ou bien ce serait divinement qu'il vivrait en homme. Il y a donc un plein accord du Philosophe avec la foi catholique en ce point fondamental. L'humanitarisme démocratique se déclare et sévit au contraire, mais est-ce en voulant l'homme pour soi et non pour Dieu, ou n'est-ce pas, de façon plus nette, en la prétention de l'homme par soi, aussi divin que ce puisse être, du moment que la vie de l'homme est liberté ?
Liberté dit l'homme par soi, de même si vous parlez de la personne humaine ? Or il y a bien, chez cette personne en tant que cette personne, un certain pour soi et un certain par soi, mais qui supposent, loin de l'exclure, de subsister par et pour le monde, par et pour la société, par et pour Dieu incomparablement.
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Le monde moderne est pour l'homme par le bon plaisir de l'homme, et c'est-à-dire par la destruction des hommes, lesquels vivent de la société, non la société de leur bon plaisir démocratique, -- et ainsi de tous les besoins de l'humaine vie, que lâche l'Église après l'État, sous le même prétexte de tout faire pour le peuple par le peuple, qui n'en peut mais. Beaux principes, belles fleurs ; mais de quelles plantes s'agit-il ? Ou de quelles fleurs artificielles, pour les funérailles volontaristes de l'humanité ?
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Le christianisme regarde les personnes, il ne réduit pas les hommes à la personne de chacun : la grâce ne supprime pas la nature. Même la Sainte Trinité, si nous n'y voyons que les Personnes, nous en ferons trois dieux ! Alors que « liberté, égalité, fraternité », -- demandons : de qui s'agit-il ? -- prétend constituer la société d'individus, ou de personnes, et ceci n'est pas plus chrétien que cela n'est humain. Car les hommes réels, d'abord, ne se trouvent qu'en société ; ensuite, l'Évangile en tient compte, et non la Révolution humanitariste. Comme il s'agit dans l'Église des personnes humaines (baptisées), la société des chrétiens qu'elle forme se voit dans la société des hommes en chaque pays, elle ne prétend pas être l'unique et véritable société des hommes, prétendue, au contraire, par la démocratie, et rendue à mesure impossible. Que serait l'Église société de personnes, sinon société d'égales libertés, la contradiction démocratique, -- telle que nous la voyons aujourd'hui démolir l'Église ? Sa constitution traditionnelle est fort semblable à celle d'un État monarchique, pourquoi pas, puisque les chrétiens sont des hommes, et si la grâce ne fait pas bon marché de la nature ?
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Soit dans la société politique ou dans l'Église, qui donc est en société, sinon les personnes ? Il est clair que leur volonté personnelle doit consentir à leur vie en société pour que société il y ait, soit la temporelle ou la spirituelle. Mais ce consentement suffit-il, mais est-il créateur de l'une et de l'autre société, comme il l'est de toute sorte d'associations ? Au contraire, c'est l'homme citoyen qui est le fruit de la cité, c'est l'homme chrétien qui est le fils de l'Église en la grâce du Christ. Est-il difficile de s'en tenir à cette dualité du fait social humain ?
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Est-il inévitable d'en équivoquer, soit à partir de la ruche (plus ou moins imaginaire), ou de la Sainte Trinité (mise en concepts théologiques) ?
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Oui ou non, faut-il voir concrètement la vie personnelle de chacun opposée à la vie de tous en société, selon l'opposition (abstraite) d'être une personne avec être en société ? (V. ITINÉRAIRES, n° 181, pages 147-8 et 150). Dites-les individus ou personnes, les êtres humains exigent à mesure la mise à part irréductible de chacun d'eux, tel un tout en soi, alors que la société impose la mise en place de ses membres, comme étant ses membres, dans le tout de son corps ; multiplicité des existences singulières (individus), à égalité de disposition de soi-même (personnes), et, en face, l'unité d'une hiérarchie ; quoi de si opposé ? Sans doute, mais regarder de la sorte voit-il tout ce qu'il faut voir ici, et considérer ? Individu ou personne dit en effet subsistance, qui est l'existence tenue en soi et non dans un autre ; mais ce n'est pas à dire l'existence obtenue sans conditions au dehors d'elle-même, indépendamment d'un milieu des existences. Dès lors, l'individu implique les conditions de son existence, la personne se doit à elle-même les conditions de sa vie, l'existence singulière ne l'est pas au sens absolu d'exclure un commun milieu des existences, -- le monde pour les individus, la société pour les personnes.
D'où vient d'en faire difficulté ? D'abord, de dire une personne de même sorte que l'on dit un homme, alors qu'il s'agit de l'existence et non plus de l'essence, non pas de définir, mais de désigner selon la singularité. Or la singularité des individus faisant *comme un zéro de société,* ce n'est qu'une abstraction, puisque la singularité de chaque individu réel ne lui appartient que moyennant une nature concrète selon quoi les individus *sont ensemble* par leurs besoins, les personnes *sont ensemble* par leur dignité de raison, -- tout autre chose que monades *à mettre ensemble* démocratiquement ou axiomatiquement.
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Il est bien de s'indigner de la théorie, en effet abominable, de l'enfant bon à tuer comme injuste agresseur de la femme qui le porte en son sein, et en souffre, et risque d'en mourir ; mieux vaut pourtant reconnaître la logique de cette théorie, indéniable, mais suivant quelle idée de l'homme, sinon celle d'un sujet personne qui est par là même, tout absolument, le sujet de son droit d'exister ?
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Or la vérité concrète de l'existence humaine étant sociale, un droit tout absolu de chacun à une existence sociale, bien commun de tous, est une contradiction immédiate. Il n'y a de droit tout absolu pour chaque personne humaine qu'à son être, elle seule pouvant en assumer le devoir-être absolu, (Auguste Comte a raison, en ce sens, de réduire chacun au seul droit de faire son devoir) ; l'existence des individus, dépendante, solidaire de leur existence commune en société, ne peut avoir de droit qu'à sa place chacunière, et conditionnée par cette place. Ainsi de la femme et de l'enfant qui vit en elle, pour heur et malheur de l'un et de l'autre. Ainsi de tout ce qu'il peut en coûter à chacun de nous des nécessités inhérentes à la nécessité pour notre nature de vivre en société. Qu'il y ait ou non une vie humaine dans le sein d'une femme en état de grossesse, du moment que n'est pas sa vie à elle la vie d'un corps qui n'est pas son corps, ou bien la femme dispose librement de sa propre vie et de son propre corps en disposant de la vie et du corps de l'enfant elle-même, porte, ou bien cette vie et ce corps disposent d'elle-même, -- et une loi interdisant l'avortement refuse à la femme la liberté. Non moins évidemment refuse-t-elle l'égalité avec l'homme, dont le corps et la vie ne sont en butte à rien de ce genre. La République nous appelle donc à l'avortement, et les petits Français doivent mourir pour elle avant même de naître ; plus ça change, et plus c'est la gueuserie de la gueuse, voilà tout. M. le directeur du *Figaro* parle de se prononcer avec indignation contre un éventuel projet de loi qui rendrait l'avortement obligatoire ; vous voyez bien...
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*Si la prudence est la vertu qui manque le plus à l'inhumanité moderne, faut-il y voir, absolument, la plus humaine des vertus ?*
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« Dicendum quod prudentia est virtus maxime necessaria ad vitam humanam. » (Ia IIae, 57, 5). Est-ce à dire la prudence la plus nécessaire et la plus humaine des vertus ? Dernière phrase du même article de la Somme : « Unde prudentia est virtus necessaria ad bene vivendum. » Ce que conclut en effet l'analyse du saint Docteur, et non qu'il faille voir la prudence au pinacle de l'humain, ... si ce n'est sur l'aile des vertus :
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« respicit enim appetitum tamquam praesupponens rectitudinem appetitus....Et ideo ad prudentiam requiritur moralis virtus, per quam fit appetitus rectos. » (*Ibid.,* art. 4 ; 58, 5 ; 65, 1).
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Du meilleur au pire de la réalité, en nous et hors de nous, la prudence tient compte de tout pour que la vraie vie des hommes ait ses moyens, dans l'existence individuelle, familiale et sociale. Rien de plus contraire à la moderne politique idéologique, à. quoi s'oppose, de propos formé, la politique de l'empirisme organisateur et du « politique d'abord » maurrassien ; mais enfin, il s'agit ici d'un art de vivre français, selon la tradition française qui est chrétienne de fait, il ne s'agit pas formellement de la vertu chrétienne qu'il faut voir dans la prudence politique selon saint Thomas. Si bien que le progressisme fait passer les chrétiens, en leur faisant vomir Maurras au profit de la démocratie en toutes ses révolutions, d'une politique de Jeanne d'Arc sans le cœur de Jeanne d'Arc, il se peut, à une politique de Rousseau avec le cœur de Rousseau, à une politique de Lénine avec le cœur de Lénine, ... et qui se dit avec le cœur de Jésus-Christ !
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La plus humaine des vertus de l'animal social, ne faut-il pas que ce soit la justice aux deux sens indispensables du bien particulier de chacun et du bien commun de la société ? Mais la justice de ce temps consiste à être en guerre contre l'injustice ; et c'est-à-dire contre les hommes à qui elle profite, d'une part, et auxquels on ne doit, d'autre part et en conséquence, que la justice de la guerre, non de la paix, s'ils ne sont pas eux-mêmes (sciant la branche qui les porte) au combat révolutionnaire contre les institutions et les lois. Et alors, sottise ou mauvaise foi, vouloir militer contre l'injustice, où que ce soit dans le monde, *y compris les pays communistes,* engagés tout entiers dans la guerre pour la justice, obligés tout entiers à la seule justice de la guerre, chez eux-mêmes et sur toute la terre ! Ainsi le comprend l'Église ouverte au monde, qui veut le chrétien un militant de la justice frère d'armes du militant communiste, au lieu et place de la guerre au monde, à commencer pour chacun en soi-même, de la traditionnelle Église militante.
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« Sans Dieu, tout est permis » : à parler strict, j'en doute, car « le vrai Dieu ou l'absurdité radicale » s'impose-t-il à la logique, vivre apporte le fait de se sentir obligé à bien vivre, au moins à ceux qui le sentent ; et alors, pourquoi pas ? De toute façon, vivre ne se réduit pas à raisonner ; vivre comme l'on pense doit avoir fait, et ne pas cesser de faire la différence entre penser et vivre. Seulement... « Quamvis menti rationali secundum suam institutionem consideratae peccatum sit contra naturam, tamen secundum quod adhaesit peccato, effectum est ei quasi naturale, ut Augustinus dicit. » (*De Veritate,* 24, 10, ad I). Je ne puis douter, proteste le même Augustin, qu'il soit possible à l'homme, avec la grâce de Dieu, d'obéir à Dieu en se gardant de tout péché ; mais qu'un homme le fasse, je ne le crois pas. En tombera d'accord qui raisonne assez bien et ouvre assez bien les yeux ; mais sans doute demandera-t-il quel miracle de la grâce il ne faudrait pas pour que l'animal raisonnable ait autant de soin pour la santé de son âme que pour la santé de son corps. Tant il est vrai que ce soin-ci répond à un désir plus sensible, très souvent exprimé ; la surprenante réalité n'oblige pas moins à répondre qu'un tel soin ne paraît guère, -- et pour cause, ayant à compter avec d'autres désirs encore plus sensibles, et pire encore, avec les mauvaises habitudes à leur suite. On veut être en bonne santé comme on veut être heureux, pourvu que ça ne dérange pas ; le moyen, avec des désirs à gouverner, avec des habitudes à contrecarrer ? Nous avons de cela une illustration énorme (vous allez rire), c'est la question du pain complet au lieu du pain blanc ; la question de l'alimentation qu'il faut à notre santé ; la question, à la suite, de la culture biologique ; et celle enfin de la médecine naturelle plutôt que chimique ; où voit-on prendre la moindre peine de s'informer, en pareille matière, avec quelque sérieux ? Qui veut être informé, avec la perspective de s'interdire le train ordinaire ? Bref, les gens ne montrent pas plus de raison quant au pain complet pour leur santé qu'ils n'en ont au service de leur foi quant au pain eucharistique. Il s'agit de part et d'autre de l'homme réel, si peu capable de se faire vouloir ce qu'il veut, sa santé ou son salut, sa réelle liberté ; *être libre à condition de se faire vouloir ce qu'on veut,* qui songe à se faire pareille idée de soi-même ?
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*L'Évangile est pour les hommes, pour le salut des hommes, -- est-il donc politique, par nécessité de moyen ?*
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a\) Les hommes, est-ce à dire les personnes, ou leur vie humaine, selon qu'il y a chaque personne irréductiblement à toute autre pour qu'il y ait chaque personne, et que l'humaine vie n'en est pas moins largement commune à tous ?
b\) Le Christ est venu chercher ce qui était perdu : les personnes, ou leur vie humaine -- et alors, les personnes ou leurs sociétés, indispensables à leur vie humaine ?
c\) L'aliénation selon Marx (économique), à la suite de Rousseau (politique), il semble qu'il s'agisse de la personne en toute personne, mais n'est-ce pas la vie humaine identifiée à la vie sociale ?
d\) L'Évangile sauve les personnes, donc toute leur vie, mais selon qu'elle peut et doit être personnelle ; et qui est plusieurs vies, et d'abord vie sociale pour être personnelle. La personne revendique par sa dignité la fin propre, et de la société politique, et de la société religieuse qu'est l'Église visible, dite militante, sur laquelle seule le pape et les évêques ont autorité ; mais il y a quiproquo, de part et d'autre, à s'arrêter à la dignité, alors qu'il s'agit des besoins de la personne *humaine,* des besoins de la vie profane pour la société politique, des besoins de la vie spirituelle pour l'Église. Et il y a un autre quiproquo, à prendre les personnes, en tant que personnes, ou pour les citoyens souverains, ou pour les sujets, d'une existence sociale en réalité par besoin, que ce soit profane ou spirituel.
Qu'est-ce que vivre en chrétien ? Il y a trois réponses concevables, selon la réalité des deux termes en cause homme et chrétien. Ou bien il s'agit de vivre en homme, n'y ayant pour l'homme rien de plus divin, même Dieu aidant. Ou bien la vie éternelle est amour pur immédiat, et ne dépend d'aucune condition humaine. Ou enfin il ne peut être question que de la vie humaine vécue dans la grâce divine par chacun personnellement, d'une manière comparable à ce qu'il en est de notre vie animale en notre vie raisonnable, selon que celle-ci veut être en effet humaine : animale sans aucun doute ni regret, mais au règne de la raison que noblesse oblige. Cette troisième réponse est celle du christianisme traditionnel ; nous avons sous les yeux l'étrange salade des deux premières réponses, touillée par l'antéchrist du modernisme ; philosophiquement, le chien moderne y retourne au vomi rationaliste, il prétend une vie chrétienne d'amour universel à l'instar des citoyens du monde par la raison.
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e\) Soit que vous mangiez ou que vous buviez, faites tout en chrétien : faut-il conclure de là une cuisine chrétienne, un art chrétien des plaisirs de gueule, du moment que le chrétien mange et boit ? Non, sans aucun doute, mais en user chrétiennement, selon le besoin humain, individuel et social.
f\) De même, oui ou non, faut-il parler de politique chrétienne ou seulement d'obligations politiques des chrétiens, du moment qu'il leur faut vivre en société non moins que manger et boire ? Si la politique est l'art de faire vivre ensemble les hommes tels qu'ils sont, pour le besoin qu'ils en ont, l'indispensable et innombrable besoin de vivre avec les hommes pour vivre en homme ; si l'Évangile est surnaturellement au delà, qui nous met en grâce avec Dieu pour vivre en fils de Dieu ; le chrétien ne peut décharger l'homme qu'il est non plus de la politique que de la cuisine, il n'a pas davantage à y prétendre un art évangélique. Car si toute la vie du chrétien doit être chrétienne, c'est pour autant que sa liberté peut et doit en disposer ; car s'il est vrai que la politique, et non pas la cuisine, opère sur les hommes eux-mêmes, il y aurait totalitarisme contradictoire à vouloir chrétienne une action politique imposant à chacun ce qui ne peut être sa vie chrétienne que par son union personnelle avec Dieu. La politique du chrétien doit être chrétienne selon sa fin à lui, chrétien de volonté en cette action comme en toute autre, (finis operantis), elle a pour fin propre de ce genre d'action, (finis operis), non pas de faire vivre chacun en chrétien, -- cette contradiction -- mais d'obtenir que les hommes vivent en citoyens afin de pouvoir vivre humainement leur vie chacunière. La réelle condition humaine est double, personnelle et sociale ; même et surtout la charité chrétienne doit en tenir compte, pour ne pas, répétons-le, verser au totalitarisme. Aussi bien le disciple du Christ ne doit-il pas rendre à César ce qui appartient à César et rendre à Dieu ce qui appartient a Dieu, cette dualité d'obligation n'est-elle pas assez claire, -- surtout si l'on compare ce qu'en dit le Seigneur à ses paroles touchant l'impôt pour le Temple (Matthieu, 17/24-27 et 22/15-22) ? Ainsi, pas de politique chrétienne, à parler net, mais un civisme chrétien ; au rebours de quoi, le citoyen moderne selon la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui parle assez net, elle aussi, parlant de la sorte.
g\) « Cherchez d'abord le Royaume du Père et tout le reste vous sera donné par surcroît » : si l'action politique, ou telle action politique, était recherche du Royaume d'elle-même, et non de par la volonté personnelle du chrétien, comment faudrait-il entendre *d'abord* et *tout le reste ?* Et comment, « perdre sa vie pour la sauver » ?
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h\) Comment le sable des opinions, qui est la politique démocratique, pourrait-il être le Roc de l'Évangile sur lequel nous devons bâtir pour vivre en chrétiens ? La théorie donne la vertu pour le principe de la démocratie ; saint Thomas d'Aquin nie une vertu de l'opinion, puisque celle-ci peut être fausse (Ia IIae, 57, 2, ad 3), puisqu'elle a « droit à l'erreur », dit-on aujourd'hui.
i\) Si la mentalité moderne est incapable de concevoir la liberté personnelle comme obligée, d'obligation divine, à la commune nature humaine en chacun ; obligée, en particulier, à la vie sociale, et par conséquent, obligée à toutes les lois réelles de l'existence sociale ; comment cette mentalité moderne laisserait-elle capable de la communion sans confusion du spirituel avec le temporel un citoyen identifié avec l'homme même, et c'est-à-dire avec sa liberté souveraine, -- rien, rien, rien ne détourne d'y croire depuis qu'on a pu le croire, -- comment ne serait-ce pas réduire le Roc de l'Évangile au sable des opinions ? Mais alors, si Paul VI a dit ce qu'il a dit le 3 juillet 1974 (relevé par Jean Madiran, ITINÉRAIRES n° 186, pages 175-178), n'y est-il pas acculé par la mentalité moderne qui est la sienne ? Comment le chrétien pourrait-il être un citoyen de son temps démocratique, et ne pas y dissoudre l'Évangile, sans « maintenir une ligne de démarcation entre la vie chrétienne et la vie profane », tout au rebours, et pour cause, du règne chrétien d'un saint Louis, chrétien et roi de sa personne en la grâce, et non de sa nature humaine, mais obligée à celle-ci d'obligation commune au Créateur de tous ?
j\) Chacun obligé à la commune nature humaine, voilà bien où le bât blesse, voilà un quiproquo à bien tirer au clair. La nature humaine précède logiquement, et la société politique, et l'Église, qui sont l'une et l'autre de fait historique, et dont l'ordre suppose des individus de cette nature ; oui, sans aucun doute, mais concrètement, mais dans la réalité actuelle, aujourd'hui comme hier, la vie des hommes est à partir de ces deux ordres de fait historique, soit pour naître et pour renaître, soit pour être en effet en condition de vivre humainement et chrétiennement. De la sorte, si la nature humaine fonde un droit naturel primaire, il faut à la vie des hommes un droit naturel second de cette nature en son milieu social, soit le profane ou le spirituel ; et il y a un quiproquo mortel à préférer la perfection abstraite du droit primaire à la nécessité concrète de moyen du droit second. Quel quiproquo, sinon celui de la démocratie rousseauiste, introduit formellement dans la doctrine romaine par *Pacem in terris ?* Un deuxième quiproquo double d'impiété la sottise du premier : au lieu de nous obliger à la nature humaine selon la *loi naturelle,* qui est loi de Dieu Créateur, on nous oblige à un *droit naturel de l'homme* qui n'aurait pas besoin de se fonder ni de se mesurer en lui loi divine ; et encore pis, comme étant pour chacun, à égalité avec tous, le droit premier de sa liberté, *jus utendi et abutendi* quant à soi-même, volontarisme souverain quant à la société.
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Les personnes humaines de part et d'autre, mais, de part et d'autre, *à leur place sociale,* c'est ici que se situe exactement la différence de l'Église avec la société politique : au lieu de la place par la vie naturelle des hommes, à partir de la naissance, donc, de la famille ; la place par vocation de grâce dans la hiérarchie de droit divin, vocation de Dieu dont juge l'Église. « Cessante privilegio patrum, et familiarum ordine praetermisso, eos rectores ecclesia accipit, quos Spiritus Sanctus praeparavit ; ut in populo adoptionis Dei, cujus universitas sacerdotalis atque regalis est, non praerogativa terrenae originis obtineat unctionem, sed dignatio caelestis gratiae gignat antistitem. » (Saint Léon le Grand).
k\) Un ordre social qui est le désordre, cela se dit beaucoup, mais pour dire quoi ? Ordre social doit signifier un ensemble où soit possible, vaille que vaille, la vie en société hors de quoi il n'est pas de vie humaine ; à mesure, il y a ordre social réel, et non le désordre, c'est-à-dire l'absence de l'ordre en cause. Que des injustices y trouvent place, même une place énorme, ce sont des désordres, ce n'est pas plus le désordre social sous le nom de l'ordre social, que les maladies ne sont la désorganisation dans la mort au lieu de l'organisation qui est la vie, pas plus que la pollution de l'air n'en fait pour nous, au lieu de respiration, pure et simple asphyxie. Pareil quiproquo serait inexplicable au moindre sens social, mais il n'en reste rien dans les intelligences. La société, cette justice inconnue.
1\) La primauté du spirituel. quoi qu'en aient dit et en disent toujours, non des adversaires, mais les ennemis de Charles Maurras, n'interdit pas aux chrétiens le dialogue profane, civique, politique, nationaliste, avec leurs concitoyens incroyants ; mais que penser d'un dialogue de l'Église « renoué avec les travailleurs », et c'est-à-dire « le monde ouvrier » (*Figaro,* 2 octobre 1974, page 9), s'agissant de ce que les gens d'Église font entendre à ce monde là, peuvent quant à lui et veulent quant à eux lui faire entendre (ne le sait-on pas de reste ?) et qui, en un mot comme en mille, profane l'Évangile dans l'exacte mesure où l'on prétend par là même renouer le dialogue d'évangélisation ? L'Évangile, relisons les règles d'évangélisation qu'il donne, lui, au dixième chapitre de saint Matthieu, -- avec cette conclusion, de secouer la poussière de ses pieds en quittant ceux qui n'ont pas d'oreilles pour le message du Royaume ; au chapitre douze de saint Luc, revenons à l'apostrophe du Sauveur : « Qui m'a établi pour être juge entre vous et régler vos partages ? »
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m\) Est-ce la réforme des mœurs qu'il faut d'abord à la vie sociale, ou la réforme des institutions ? Alternative abstraite, y répondre est idéologique et illusoire ; la preuve : regardez à la dualité concrète ! Quelle réforme des mœurs faut-il pour *fonder* celle des institutions, et quelle réforme des institutions *obtiendra* celle des mœurs ? Car il faut l'autre à chacune des deux. Il faut rendre à César ce qui est à César et rendre à Dieu ce qui est à Dieu, entendons ici qu'il faut avoir rendu à César ce qui appartient à César et a Dieu ce qui appartient à Dieu.
Paul Bouscaren.
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### Tentative pour un portrait
par Jacques Vier
L'AVENTURE DE MARCEL DE CORTE est celle des grands esprits. Métaphysicien, familier des sommets de la philosophie grecque, exégète de Platon, d'Aristote, de Plotin, commentateur de Saint Jean de la Croix, il passe sans effort aux plus hautes cordillères de la mystique, de la dogmatique, de la morale. C'est dire que la théologie n'a pour lui aucun secret et qu'il partage avec Étienne Gilson la gloire d'avoir illuminé des rayons de l'Aquinate la misère doctrinale du vingtième siècle finissant. Lequel, parce qu'il néglige, conspire ou martyrise ses penseurs et ses prophètes, se traîne dans les décombres. Et, comme il est advenu pour certains privilégiés de l'esprit, au cours des temps écoulés, cet homme de méditations profondes et de spéculations hardies a voulu que sa tour d'ivoire fût accessible et, selon le vœu de Bruyère, il n'a pas craint de se planter en plein carrefour. Ainsi luttaient les sages antiques contre les sophismes des lettrés et les insanités de l'opinion. Ainsi tranchaient les évêques à l'époque où il y avait un épiscopat capable de faire son métier. Ainsi enseignaient les maîtres lorsqu'il existait une Université qui savait en quoi consiste le respect de la jeunesse. Viennent des jours où le clerc doit tout connaître et donner forme guerrière à l'universalité de sa science. Ajoutez une forte poigne, capable de s'abattre sur les carrures les plus avantageuses et de faire rentrer les hurlements dans les gorges les plus enclines aux vacarmes de la mode et de la publicité.
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Les combats de Marcel De Corte sont l'un des rarissimes spectacles capables de rendre moins intolérable la honteuse panique de cette fin de millénaire, et même de la faire admettre à cause de la verte vigueur du châtiment. La bassesse des croupes grandit le mastigophore.
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J'aime Marcel De Corte dans ses livres, je l'aime sur ce pont de vaisseau de guerre, en quoi s'est très vite transformée la revue que Jean Madiran a frétée et armée pour sauvegarder l'honneur de Dieu et de ce qui survit de son Église. Son verbe sonne le rassemblement, sa plume darde comme une lance, qui verse le sang, tout en sachant, comme celle d'Achille, l'étancher, et sa carrière est une succession de campagnes sans quartiers d'hiver. Né pour l'enseignement, il est impossible de le surprendre en flagrant délit de suffisance dogmatique. Sa vivacité est telle qu'il ne lui arrive jamais de s'arrêter, fût-ce l'instant nécessaire pour se gratifier soi-même d'un bref certificat de complaisance ou d'admiration. L'on sait bien que Bloy, Daudet, Drumont ou Bernanos, le temps de choisir un adjectif, de recourir à un artifice de syntaxe ou même de ponctuation, s'encouragent eux-mêmes à persister, sans trop ahaner, dans le dur métier de polémiste. La conviction, chez Marcel De Corte, est à fleur de phrase, le brasier intérieur ne se ralentit jamais ; la paille des mots est aussitôt consumée et l'on ne sait quel archange, de son épée de feu, entretient une combustion permanente. Il faut remonter à Pascal pour l'éclair, à Péguy pour la longue et durable flambée. Le plus fort, c'est que sa formation de philosophe eût suffi, chez Marcel De Corte, à interdire toute adoration du style pour lui-même. Cette prédilection d'artiste résulte du *faire,* qu'il maintient à une place inférieure, dans la mesure où, depuis la Renaissance l'*homo faber* a détrôné l'*homo sapiens,* catastrophe qu'il ne cesse de déplorer. Si lamentable qu'apparaisse l'actualité politique et religieuse, qui trouve en Marcel De Corte un juge que prévient un redoutable procureur, si profonde sa peine de se sentir obligé d'entrer dans une lice aussi répugnante, je ne cesse de découvrir en lui une continuité d'allégresse qui se confond avec le rythme même de la vie. Certes, il n'aime pas notre débâcle, mais il aime l'immensité de la tâche qu'elle lui laisse à accomplir. Il lui sait gré de le contraindre à l'ubiquité, de lui permettre de sortir à chaque coup de la défensive, et de lui offrir la nécessité bienheureuse de l'attaque. Son armement spéculatif, ses réserves bien fournies d'informations et de raisonnements, il les consacre avec enthousiasme au service de Dieu, de l'Église et de la cité.
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Comment fait-il pour discerner, si loin ou si haut qu'il se place, le point faible, l'erreur, la sottise, le scandale sur quoi il se précipite avec une impétuosité qui donne le vertige au lecteur ? Et pour remonter à la même allure faire hommage de sa prise au Très-Haut. C'est exactement le vol de l'aigle, à jamais dessiné par Vigny, l'un de ses poètes préférés :
« Monte aussi vite au Ciel que l'éclair en descend. »
Alors de qui nous parle-t-il ? De quoi nous somme-t-il ?
Première vertu, assez peu prodiguée dans l'arène des grands débats : Marcel De Corte nomme les gens, amis ou ennemis, et d'abord ses maîtres. Prenez le premier sot venu, de préférence choisi dans *l'aggiornamento* de l'Université et de l'Église, et essayez d'imaginer la moue de ce fonctionnaire -- ou factionnaire -- si d'Aristote à Maurras l'on s'avise de se prononcer sur l'armature. Dans un monde devenu chantier et tout enivré de l'être, l'architectonique est méconnue. Contre les Babel branlantes ou déjà enfouies, Marcel De Corte restaure le chœur des vrais bâtisseurs. Si dans leur longue suite la chaîne des Papes, assistés de l'Esprit Saint, maintient l'Église debout, de quelle tendresse va-t-il envelopper le Cœur brûlant et le Pasteur angélique ([^29]) qui, avant les démissions et les chutes, lui offriront l'ultime vision de la triple et souveraine couronne ? Parmi ceux qui, à ses yeux, ont établi le diagnostic le plus sûr et le plus aigu de la mort des cités, la première place revient à Augustin Cochin, qui fit comprendre à jamais comment meurent les sociétés, quand on introduit dans leur trame des organismes construits de toutes pièces et qui ne dépendent que de la volonté de l'homme. Si la Renaissance, ou plutôt la Rechute, commença d'ouvrir les grandes écoles de la Subversion, la philosophie des « lumières » et le *Contrat social* décidèrent de la victoire absolue et sanglante de l'Abstraction sur le Réel.
Parce qu'il est convaincu jusqu'aux moelles des vertus de l'intelligence soumise à Dieu, -- Marcel De Corte ne cesse de faire le total de ses divagations quand elle se mire, s'admire et se complaît en elle-même. Toute sa malfaisance éclate dans la fabrication et le tripotage de l'opinion. Le siècle de l'information déformante ([^30]) est par lui jugé avec la bienfaisante et nécessaire cruauté d'un Dante suppliciant quelques grands pêcheurs.
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Et si ces forbans se recrutent plus haut encore, c'est-à-dire chez les savants et chez tous les Leprince-Ringuet coupables d'avoir perpétré le repli des sciences sur les techniques, le châtiment gagne encore en rigueur. Je n'aurais jamais cru qu'un philosophe fût capable de peupler de tant de victimes, à la manière de Dante, tout un Enfer de la Raison ! L'incandescence de la réflexion fait la poésie. Regardez-vous, misérables esclaves de vos antennes de Télévision : « L'homme est dévoré par les signes et il ne reste rien de la culture de l'humanisme que les structures formelles d'un langage méthodiquement et aveuglément cannibale. »
Bravant son siècle avec une franchise et une crânerie de chevalier, Marcel De Corte prêche l'autorité, la prudence, la justice ([^31]). Ces composantes de la sagesse antique et chrétienne échauffent et exaltent son style dru et cru. Son bon sens relève d'origines paysannes, plus que d'une source cartésienne, et quand je l'entends parler avec une méfiance justifiée de l'homme claquemuré dans son « poêle », je me réjouis de sa joie s'il fait remonter à son terroir son robuste discernement : « Belgae amant scientias grossas atque palpabiles » ([^32]). Aimer l'homme, tel qu'il sortit des mains du Créateur, incarné pour toujours ([^33]), l'homme uni à son Dieu par toute une chaîne de dépendances fécondes, ne serait-ce pas la cause principale de la jubilation de ce cérémoniaire qui a recueilli la liturgie dans son arche au moment où le vaisseau-amiral la jetait par-dessus bord ? Je n'ai pas encore dit que la première fois que je vis et entendis Marcel De Corte c'était dans une conférence sur la *Résurrection des Corps.* Ce cours de théologie semblait susciter la fresque de la Sixtine et l'hymne n'était pas loin de prendre le relais des clausules dogmatiques.
Quand on a si profondément ancré en soi le sens de l'Incarnation, comment ne pas s'efforcer d'arrêter la fin du second millénaire dans sa course éperdue à la termitière marxiste ? Car le communisme est-il autre chose que « l'intellectuel au pouvoir, convaincu d'être à même de convertir en réalité le mythe que son cerveau, déraciné du réel, a fabriqué en un monde dont il est le seul auteur » ([^34]). La hideur et le scandale d'un tel avenir sont insoutenables pour Marcel De Corte.
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Formé par la Sagesse grecque, mûri par la doctrine chrétienne, réintroduit par la Rédemption dans un univers équilibré, hiérarchisé, réconcilié, l'homme du XX^e^ siècle a opté pour le désordre, la sottise, le crime et la mort. Ce naufrage humain laisse déjà inconsolable l'historien de l'humanisme. Mais si le catholique voit sa propre Église s'équiper et s'organiser en vue de survivre en un monde que son Prince aurait achevé de reconquérir à force d'incessantes revanches contre la Résurrection, s'il était possible que la Croix accompagnât dans ses soubresauts le globe déchaîné au lieu de maintenir sa verticalité inébranlable, et que les « actuelles fumées de Satan » fussent le prélude aux illuminations d'une obscène Victoire, comment imaginer le silence et l'immobilité du veilleur ? Il va sans dire que la caution d'un Teilhard de Chardin, loin de le rassurer, précipiterait son impatience. Tel est le combat de tous les instants dans lequel Marcel De Corte s'est jeté dans un élan pour ses frères qui ressort de la valeur de l'enjeu et de la violence des passes d'armes ([^35]). Je ne connais pas de plus dramatique illustration du texte fameux d'Ernest Hello sur le devoir de charité intellectuelle, encore qu'il s'agisse ici de bien davantage encore. Les âmes ont faim et trop de pasteurs corrompent la nourriture. Le naufrage de la liturgie, de la doctrine, de la mystique, de la morale, en un mot qui les résume tous, de la Messe, cette colossale braderie d'un passé qui fut grand et saint, mais surtout salvifique, Marcel De Corte ne se lasse pas d'en divulguer la raison dernière : la substitution de l'homme à son Auteur, du moi individuel au Dieu qui crée, qui sauve, qui inspire, de l'ersatz à la substance, de la parodie à la Vérité, du verbiage au Verbe, de l'histrionisme au Sacré. Et il dit en donnant des noms ; quelques mitres chancellent au gré de ses moulinets et les profanateurs dominicaux sont réduits au silence, si ce laïque se mêle d'emporter la chaire d'assaut. Mais on ne se contente pas de venger les âmes. Surtout importe de les sauver. Marcel De Corte n'ignore pas cette angoisse. Je la sens amère et brûlante dans l'un de ses plus récents articles consacré aux Mémoires du Cardinal Mindszenty, témoignage de Cyrénéen, déjà inscrit au cœur de l'histoire ([^36]). Tout chevalier combat pour ses autels et pour ses foyers.
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Mais si ces autels sont désertés de leurs servants et teints du sang de ceux qui meurent victimes du siècle et d'une Église sécularisée, quelle sera la bataille ?
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Je ne crois pas qu'un Marcel De Corte puisse se complaire dans cette question douloureuse. Au sévère diagnostic de Thomas Molnar traitant du triomphe toujours assuré de la surenchère démagogique, il répondait naguère en affirmant et en prouvant que la Révélation demeurait l'invincible dissolvant de la Révolution ([^37]). Lancés comme autant de limiers sur les pistes de l'Antéchrist, les appels de Marcel De Corte ont d'avance découvert les pieds d'argile du colosse et, avant d'être dévoilée, la statue hideuse porte la trace de ses coups. Car ce chef de croisade est un précurseur.
Jacques Vier.
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### La plus humaine des vertus... ... devenue folle
par Romain Rocherolles
« A peine le temps de déjeuner. Les clients se succèdent à un rythme diabolique. Autrefois, je souffrais encore de ces repas pris au lance-pierre. Aujourd'hui j'ai l'habitude. J'ignore le goût des aliments, comme j'ignore le poids des souffrances que je côtoie. Je ne vois plus en mes clients que des organismes à opérer. Le temps : c'est lui qui me manque. Mon métier est de guérir les douleurs et j'ai oublié jusqu'au son des gémissements. Les choses vont trop vite : je n'ai plus le temps d'entendre pleurer. Quelque chose en moi s'est durci à l'endroit des larmes, et je ne sais plus ce qu'elles signifient.
« Mais mon métier est magnifique et noble. Socialement, je suis un pionnier, un libérateur. Je suis chirurgien. Spécialiste des interruptions de grossesses. »
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Le lecteur comprend que ce récit, s'il est imaginé, n'a rien d'insensé. L'heure viendra -- et nous y sommes -- où ces choses se réaliseront. Aussi bien, regardons la réalité en face. Comment la conscience des hommes a-t-elle pu devenir aussi perverse ? Gageons que cela ne s'est pas fait en quelques mois ni en quelques années, mais que les causes en sont profondes et lointaines.
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Nous ne parlons pas de cette cause de tous nos maux qu'est le refus de Lucifer, le refus de Dieu. Ni d'Ève qui s'est plue à céder aux séductions du Subtil. Ni d'Adam qui a goûté les subtilités de la séductrice. Ces malheurs ont en effet leur remède dans le Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité pour nous, et en lui seul. Mais il ne nous suffit pas d'être sauvés par Dieu, nous voulons encore participer à son œuvre salvatrice.
Dans toute la mesure où nous adorons Dieu pour lui-même, nous associons à l'œuvre de Dieu l'effort de notre *intelligence.* Nous nous permettons d'insister sur ce point parce que cet effort a longtemps été négligé. Il a été décrié comme une curiosité superflue. Il a été qualifié de vain par des esprits qui se croient bien pensants, mais sont fidéistes sans le savoir.
C'est ainsi que de sempiternels pisse-froid ont déblatéré à tort et à travers sur la « petite voix de la conscience ». C'est ainsi que des ecclésiastiques onctueux et ventrus, consultant l'oracle magique de la « conscience universelle », s'abêtissent pitoyablement de jour en jour. Et le peuple chrétien avec eux.
Le mot « conscience » est des plus ambigus, et son utilisation à tout propos, dans le vague, témoigne d'une paresse intellectuelle généralisée. En fait, il a quatre significations : l'acte d'une intelligence éclairée : prendre conscience -- la faculté par laquelle nous nous rendons compte de ce que sont les réalités : l'homme est un animal conscient -- la disposition acquise à l'égard de ce sens des réalités : un homme conscient des problèmes de son temps -- le contenu, ou la matière de la vie psychologique, c'est-à-dire de nos états de conscience, auxquels s'oppose l'inconscient.
Comme tous les mots qui revêtent plusieurs significations, celui-ci est éminemment pratique, mais aussi très dangereux. Pour chacune de ces quatre significations, il y a en effet deux manières d'être « conscient » : la première s'applique au fait qu'une chose est ou n'est pas, et la seconde, au fait qu'elle est moralement bonne ou mauvaise.
Examinons la seconde. Si nous acquérons une certaine disposition morale à juger droitement et sainement, avec l'aide d'une certaine « science » morale, quand nous avons un jugement à porter, nous le faisons « avec notre science », c'est-à-dire en conscience. Le mot est alors employé étymologiquement : « cum scientia », avec la science.
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Mais si nous prenons le mot dans le sens où il désigne notre faculté de saisir les réalités, notre sens du réel, ce ne sera plus la même chose de porter un jugement à l'aide de la seule conscience. Car on n'est plus aidé par la science morale. Toute référence objective est exclue. C'est sur ce genre de confusion que s'est établi le subjectivisme religieux de Luther, celui, philosophique, de Descartes, et celui, moral, de Rousseau.
Or, quand elles sont mises en œuvre sans référence objective, les facultés personnelles dû jugement inclinent plutôt au sentiment qu'à la raison. Rousseau parle de la conscience comme d'un « instinct divin », et sous ces deux mots qui devraient s'exclure mutuellement, il entend nommer le sentiment, l'impression d'être dans le bien.
Il faut comprendre que la morale ecclésiastique contemporaine, ondée sur la seule conscience, doit nécessairement, pour trouver quelque consistance de surface, imposer ses lois de l'extérieur. Car la conscience renfermée sur elle-même n'en impose pas. C'est pour cette raison que nos évêques, par-delà l'appel à la conscience « intime et personnelle », ne connaissent d'autre argument moral que celui de l'obéissance. Cette réduction est grave parce que si, en elles-mêmes, ni l'une ni l'autre ne sont mauvaises, elles deviennent terriblement destructrices quand on les sépare de la véritable intelligence morale qu'est la prudence.
Et c'est le mérite -- un des mérites -- de Marcel De Corte, dans son traité sur la Prudence, d'avoir montré qu'elle est la plus humaine des vertus. Non la conscience, encore moins l'obéissance, mais quelque chose qui commande à toutes les deux : la prudence.
La prudence est la droite raison de ceux qui agissent. Elle consiste à savoir délibérer, juger, et surtout, décider. Elle est mue par cette droiture de la volonté, cette netteté de cœur qui permet d'appliquer les principes moraux aux circonstances les plus particulières, les plus contingentes, les plus délicates.
La prudence exige donc la conscience comme dualité d'appréciation personnelle de ce qu'on doit ou non décider, mais, bien plus que cela, elle est une mise en application de la « science » morale. L'homme prudent agit « cum scientia » ; en conscience, avec la science.
Cela explique que la prudence soit la plus humaine des vertus naturelles. Et aussi la plus chrétienne. Car l'Église, ayant le dépôt du surnaturel, possède d'une manière parfaite la connaissance des vérités naturelles de l'ordre moral. Or la prudence est la vérité morale la plus ignorée des païens, parce qu'elle est la plus intelligente et la plus cachée. Seuls les Grecs, et particulièrement Aristote, ont su la définir.
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La force fut autrefois exaltée par les stoïciens, elle l'est aujourd'hui par les terroristes ; la tempérance le fut par les épicuriens, et l'est maintenant par les pacifistes. Ce n'est pas dire que ces philosophes n'ont voulu, connaître qu'une seule vertu. Bien au contraire, le stoïcisme est séduisant par les éléments de tempérance qu'il met au service de la force. Et l'épicurisme, par les éléments de force qu'il met au service de la tempérance. C'est ainsi qu'ils apparaissent raisonnables. Mais ni l'un ni l'autre n'ont su voir que la coordination et la juste mesure de ces vertus est elle-même une vertu, celle de l'homme prudent.
L'Église, étant maîtresse d'humanité, n'a pas enseigné que la prudence fût une finalité, mais la justice. Et elle met tempérance et force au service de la justice, par la prudence. Cette dernière étant la vertu la plus intelligente, quand on falsifie l'enseignement de l'Église, c'est pour prendre une certaine prudence comme fin. Le propre de l'orgueil est en effet l'amour désordonné de sa propre excellence. L'excellence de l'être prudent sera donc aimée pour elle-même, au lieu d'être ordonnée à la justice et à l'amitié. Et par là, la vertu de prudence est devenue folle.
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Une caractéristique des fous est de détruire le langage. Le terme « conscience » vient alors remplacer le terme « prudence » et permettre toutes -- absolument toutes -- les divagations possibles.
Un autre trait de la folie est la reconstitution imaginaire d'un univers complet qui, par sa cohérence et son ampleur, semble se suffire, mais interdit en fait de rejoindre le réel. Et c'est ce qui devient possible par ce terme de « conscience » dont nous avons vu les multiples significations.
Enfin, le fou singe l'homme normal, en accusant toutefois l'une de ses qualités au détriment des autres, en sorte que le fou semble justifié. Une certaine conscience est, en effet, une qualité, et non des moindres, puisque la plus subtile.
Mais il y a un excès de subtilité qui est le fruit de l'orgueil. Et c'est le péché de l'esprit. L'étude de Marcel De Corte est là pour nous en préserver.
Romain Rocherolles.
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### Sa philosophie économique
par Auguste Francotte
M. Auguste FRANCOTTE, né en 1928, fut l'étudiant du professeur De Corte. Docteur en Droit, candidat en Philosophie, Langues et Littératures orientales, il collabore à diverses revues savantes comme *Phronesis* ou la *Revue philosophique de Louvain.* Administrateur du Comptoir d'Escompte de Belgique, il se spécialise à ses heures perdues dans la pensée de Parménide. Les idées exprimées dans son article engagent, bien entendu, sa seule responsabilité.
La plupart des penseurs traditionalistes de langue française professent, en matière économique, un système d'idées qui nous apparaît passablement romantique.
L'économie de la vieille Europe chrétienne, nous disent-ils, était, au sens le plus fort, une économie naturelle. Des institutions hiérarchiques dont la famille était le modèle faisaient prévaloir l'harmonie des classes et des individus. L'agriculture qui, de toutes les activités économiques, soutient les rapports les plus directs et les plus étroits avec la nature était aussi la plus honorée. Organisée de façon patriarcale, elle était de surcroît l'école même de la religion et de la moralité. Le même principe d'organisation présidait au labeur des artisans puisque les corporations rassemblaient, sous le patronage de leurs saints protecteurs, les maîtres, les compagnons et les apprentis. Les corporations veillaient à la juste rémunération de leurs membres, elles contrôlaient la qualité des biens fabriqués par ceux-ci et prenaient toutes les mesures pour prévenir la surabondance ou l'insuffisance de la production. Grâce à quoi, la communauté était à la fois prémunie contre les conflits sociaux, les oppositions d'intérêt et les crises économiques.
Les funestes doctrines d'Adam Smith et de l'utilitarisme anglais, en préparant l'avènement du marchand, de l'industriel et du banquier ont ruiné cet âge d'or et instauré le désordre que nous connaissons, désordre dont les marques les plus honteuses sont le règne de l'argent, la guerre sociale et la récurrence des crises. Pour remédier à cette situation, la sagesse commande le retour aux mœurs et aux institutions économiques du passé.
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Ce corps d'idées a été introduit par Bonald ([^38]) dans le traditionalisme français. Sauf quelques exceptions -- au premier rang desquelles nous placerons Balzac ([^39]) et notre cher et regretté Daniel Villey ([^40]) -- les représentants de cette école les ont adoptées comme des dogmes. Maurras par exemple les a soutenues avec énergie ([^41]), et il a été suivi par tout le mouvement d'Action Française. L'histoire des idées est une maîtresse d'ironie. Le fondateur du nationalisme intégral s'en doutait-il : la doctrine d'organisation économique qu'il avait héritée de Bonald, celui-ci l'avait puisée chez le Berlinois Adam Müller ([^42]), qui lui-même devait à Luther ([^43]) l'essentiel de ses préjugés et de ses nostalgies.
Nous ne ferons pas la critique de ces élucubrations, si étrangères à la tradition du réalisme catholique. Nous savons que l'âge d'or n'appartient pas à l'histoire mais à la fable. Nous savons que les corporations n'ont jamais encadré qu'une partie très étroite de l'activité économique et que, du XIII^e^ au XIV^e^ siècle, les théologiens et les canonistes n'ont jamais cessé de censurer leur prétention à régenter la production et les prix ([^44]). Nous savons aussi, hélas ! que l'erreur dans les idées ne va jamais sans de graves conséquences dans l'action. M. De Corte a démontré que le Portugal du Dr Caetano n'aurait pas si aisément succombé à la subversion communiste si l'organisation corporative n'avait pas sclérosé de longue date une partie considérable du corps social. On peut d'autre part se demander si le défaut d'audience qui affecte en France le traditionalisme politique ne résulte pas entre autres du fait que ce traditionalisme est lié là des idées économiques dont l'impertinence est flagrante. Dans les pays anglo-saxons en revanche, et plus encore en Allemagne, où le traditionalisme peut se prévaloir d'une doctrine économique parfaitement adaptée à la réalité et conforme aux exigences du droit naturel ([^45]), nous le voyons jouir d'un crédit considérable et souvent décisif.
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L'exemple de S.E. Mgr Höffner, cardinal-achevêque de Cologne, est très éclairant : ce prélat dont l'influence est si grande dans son pays a commencé sa carrière par des travaux de philosophie économique qui font autorité ([^46]).
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Marcel De Corte est belge. Il est fils de cette race solide et vigoureuse qui, au XI^e^ siècle, a fondé le capitalisme moderne et qui, depuis cette lointaine époque n'a, pour ainsi parler, jamais cessé d'exceller dans les activités économiques. La Belgique est aussi un pays où, traditionnellement, les plus grands esprits se sont toujours intéressés aux problèmes moraux que soulèvent ces activités. *Belgae amant scientas grossas atque palpabiles,* disait déjà Henri de Gand. Ajoutons avec M. De Corte qu'ils les aiment avec intelligence comme en témoignent L. De Leys, S.J. (Lessius) à la fin du XVI^e^ siècle, F. Du Bois au XVII^e^ siècle et le grand cardinal Van Roey au début du XX^e^.
Sauf erreur de notre part, la première rencontre de M. De Corte avec les questions de morale économique remonte à 1946, date à laquelle il publie un article *Du vrai et du faux paternalisme* ([^47]), dont le thème révèle l'influence de Bonald mais où perce déjà une puissante originalité. Le sens presque infaillible du réel qui est le trait distinctif du génie de M. De Corte ne pouvait en effet s'accommoder d'une idéologie romantique. Dès 1950, nous le voyons du reste en pleine possession des idées qu'il va développer dans une longue série d'articles de journal et de revue, de cours magistraux et de livres.
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Pour nous borner aux textes fondamentaux, nous citerons le *Cours de philosophie morale* ([^48])*, Économie et morale* ([^49])*, Éléments d'une morale économique* ([^50])*, L'homme contre lui-même* ([^51])*, De la justice* ([^52])*, De la prudence* ([^53]) et *L'économie à l'envers* ([^54]).
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Pour comprendre un grand philosophe, Marcel De Corte nous a jadis enseigné que nous devions d'abord accéder à « l'inexprimable et puissante perception du centre de son système » ([^55]). Dès lors en effet que ce centre est atteint, qu'est retrouvée l'intuition fondamentale à laquelle ce centre correspond, l'unité et les articulations du système deviennent aussitôt intelligibles tout de même que l'anatomie d'un organe dont on a découvert la fonction. Cette méthode dont M. De Corte a si souvent et si heureusement usé dans ses travaux d'historien de la philosophie grecque, nous allons nous efforcer d'en faire l'application à sa pensée économique.
Dans un premier temps, nous devons mettre en lumière les faits qui ont donné le branle à cette pensée. L'histoire des doctrines nous apprend que, de ce point de vue, les philosophes qui ont raisonne sur l'économie sont susceptibles d'être classés en plusieurs catégories. Nous ne retiendrons ici, bien entendu, que celles où l'on rencontre des penseurs ayant des affinités avec M. De Corte. Au reste, depuis la révolution russe, l'économie enfièvre toutes les têtes faibles de la gent philosophique. Cataloguer celles-ci reviendrait à dresser le catalogue complet de la pathologie mentale.
Les anciens -- Xénophon, l'auteur de l'*Eryxias* et, bien entendu Aristote -- ont considéré l'ensemble des activités économiques comme l'exercice d'une fonction dont ils ont défini exactement la nature et dont, à la lumière d'une conception réaliste de l'homme, ils ont marqué la position parmi les diverses fonctions sociales que couronne la politique. De la nature et des statuts de l'économie, ils ont rigoureusement déduit des règles morales.
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Les scolastiques ont abordé les problèmes économiques par la voie de la casuistique la plus minutieuse et la plus fine. Examinant d'abord au regard de la justice les conditions spéciales de moralité auxquelles doivent satisfaire les principaux types de comportement économique -- la vente, le prêt, le louage d'ouvrage, le louage de chose, l'association -- ils ont progressivement abouti à des vues plus générales, notamment une théorie de la valeur très proche de la théorie marginaliste et une doctrine de la liberté du marché qui correspond à celle des ordolibéraux de Fribourg ([^56]).
La plupart des modernes qui philosophent sur l'économie ont d'abord été des spécialistes de la science économique, de l'histoire des faits et de celle des doctrines. Tel est notamment le point de départ des auteurs de l'école de Fribourg, celui d'un Schumpeter, d'un Hayek, d'un D. Villey, voire, pour choisir des auteurs qui n'appartiennent pas à notre famille de pensée, celui d'un Fanfani, d'une Mrs Robinson ou d'un Galbraith. De nos jours, la science apparaît communément comme la voie royale de la philosophie.
La démarche d'un Marcel De Corte est d'un tout autre type. La casuistique a toujours répugné à son puissant tempérament intellectuel, plus enclin à organiser de grandes masses et à orchestrer de grandes symphonies qu'à subtiliser dans des recherches de détail.
La science économique semble l'avoir très tôt déçu, pour ne pas dire agacé par son caractère abstrait, la sécheresse de ses analyses et par l'appareil mathématique auquel elle recourt de plus en plus volontiers. A cet égard, avouons-le, l'attitude de M. De Corte nous a déconcerté plus d'une fois. Si nous ne méconnaissons pas le bien-fondé de certaines de ses critiques, la science économique ne nous paraît pas mériter toutes les rigueurs dont il l'accable. Bien au contraire, pensons-nous, elle pourrait souvent lui apporter des arguments, des nuances, voire des correctifs propres à renforcer finalement les thèses qu'il soutient.
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Marcel De Corte ne semble guère s'être intéressé de fort près à l'histoire des faits économiques. Faut-il regretter cette indifférence ? Des juges plus avertis que nous en décideront. Constatons seulement que notre maître porte sur l'histoire ce vaste regard synoptique qui est, selon Platon, le regard même du philosophe, et qu'il a retenu de cette contemplation une image majestueuse et synthétique, évoquant les vues de Sismondi plutôt que les recherches de détail où se sont illustrés les Boekh, les Roscher et l'école des *Annales.* Cette image est celle d'un contraste. Au commencement était l'économie statique, liée aux mœurs de la vieille Europe catholique et royale. Ensuite, c'est-à-dire à la fin du XVIII^e^ siècle, au moment où s'est effondré l'ancien régime, l'économie est devenue dynamique. La coïncidence des deux révolutions a eu les conséquences les plus fâcheuses, notamment pour l'économie qui, dépourvue de cadre politique et social, s'est développée sans règle ou, ce qui est équivalent, sous l'empire de règles héritées du passé.
Économie statique, économie dynamique, ces concepts nous paraissent relever de la métaphysique plutôt que de l'histoire et ne se charger de contenu que par leur opposition. Ne nous en plaignons pas trop. Cette circonstance nous vaut des descriptions belles, émouvantes, passionnées parfois. Des définitions en bonne forme ne sont pas moins nécessaires. A lire M. De Corte, doit être qualifiée de statique une économie dans laquelle, abstraction faite des accidents tels que la guerre, les épidémies, les intempéries, la quantité des biens et des services produits ne varie pas dans le temps. Est en revanche dynamique une économie qui, en l'absence des mêmes accidents, voit la production augmenter de façon continue.
*Amicus Plato, magis amica veritas.* Cette conception de l'histoire économique, si elle correspond à une intuition profonde de la tendance générale, nous allions dire du *pathos,* des événements, ne laisse pas de heurter notre connaissance des faits. Depuis le XI^e^ siècle au moins, l'économie européenne a peu à peu cessé d'être statique, et le procès a touché de près ou de loin la majeure partie de notre continent à partir du milieu du XVI^e^ siècle. Quant au dynamisme économique, entendu de la façon que nous venons de voir, il n'a jamais existé que pendant des périodes limitées, l'histoire économique se présentant comme un enchaînement inextricable de phases d'expansion et de phases de récession.
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L'histoire des doctrines économiques ne paraît pas avoir retenu davantage Marcel De Corte : en dehors d'Aristote et de Saint Thomas d'Aquin, il n'a guère fréquenté bien assidûment ses prédécesseurs. Osons le déplorer. Pour son bonheur et pour le nôtre, nous aurions aimé voir M. De Corte commenter les philosophes économistes, les géants de la tradition scolastique par exemple, Saint Antonin de Florence et Saint Bernardin de Sienne, Pierre-Jean Olivi, Angelo de Chivasso, les maîtres de Salamanque, notre Lessius, ou encore les nominalistes dont les idées préfigurent sur tant de points le programme étatiste des socialistes contemporains. Nul doute qu'avec l'extraordinaire pénétration et la chaleur d'esprit qui lui sont propres, il n'eût tiré de pareille confrontation de précieux enseignements. Hélas ! M. De Corte avait à peine commencé ses études de philosophie économique qu'il a été requis par la tâche évidemment plus urgente et plus sainte de défendre les vérités du catholicisme. Voilà pourquoi, depuis tant d'années, il consacre plus de temps à des auteurs du dernier ordre qu'il lit par pure bonté ou pour enrichir sa connaissance de la bassesse intellectuelle et morale qu'à des penseurs qui sont ses pairs dans l'intelligence.
Le point de vue d'où Marcel De Corte considère l'économie est tout différent et c'est, en définitive, celui qui correspond le mieux à son génie, celui du moraliste. Et ce moraliste qui, d'un regard d'aigle, a sondé jusqu'aux racines ([^57]) le désordre moral de notre temps serve avec stupeur que l'économie est aujourd'hui devenue une cause spécifique de dislocation sociale et de corruption dans le moment même où ses caractères intrinsèques la disposaient le plus normalement à être un facteur d'unité et de moralisation. Nous touchons ici à l'intuition centrale de Marcel De Corte, et quelques mots d'explication sont indispensables.
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Point n'est besoin d'être spécialiste pour apercevoir que l'économie contemporaine est notamment caractérisée par une extrême division du travail, entre les nations, entre les entreprises et, à l'intérieur de celles-ci, entre les divers agents de la production. Cette division des tâches a pour conséquence d'instaurer entre tous une solidarité objective que les difficultés économiques du moment, disons-le au passage, mettent nettement en évidence. Pour citer deux vers de La Fontaine que M. De Corte allègue volontiers,
Si ton voisin vient à mourir,
C'est sur toi que le fardeau retombe.
Est-il besoin de le souligner, la solidarité de fait que crée l'activité économique est très propre à fonder cette amitié dont Aristote nous enseigne qu'elle est le principe même de la vie sociale. Notre économie est aussi une économie de vastes espaces où se rencontrent une pluralité de producteurs de biens et de services. Cette pluralité engendre, du moins virtuellement, un état de concurrence permanent. Au contraire d'un préjugé aussi absurde que répandu ([^58]), la concurrence stimule les plus hautes vertus humaines. Nous devons la basilique Saint-Pierre à la concurrence de Michel-Ange et de Bramande, le théâtre élisabéthain à celle de Ben Jonson et de Shakespeare et le calcul infinitésimal à celle de Newton et de Leibniz. Nous devons à la concurrence les progrès les plus notables de l'économie. Elle récompense l'intelligence, le courage et le sens de l'honneur. Elle élimine les paresseux, les tricheurs et les chimériques. Partout où elle règne, elle fait passer un grand souffle d'air frais, l'ordre s'instaure et avec l'ordre le bonheur.
L'économie contemporaine, enfin, tend à être une économie d'abondance. Le progrès technique et l'amélioration du rendement agricole et industriel, tous deux favorisés par la division du travail et par la concurrence, permettent la production de biens et de services dont la quantité, la diversité et, dans une mesure moindre, la qualité, vont croissant. Cette circonstance ne peut que faciliter la répartition et réduire les antagonismes entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. En débarrassant les hommes du souci de leur subsistance, elle rend d'autre part moins malaisée, pour ceux qui en ont la vocation, la pratique de la vie contemplative, qui est le genre de vie le plus élevé. Nous ajouterons, par souci de la vérité, qu'une abondance trop grande et trop vite acquise présente aussi des inconvénients : il est toujours dangereux de multiplier les sollicitations du monde.
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Le contraste est évidemment frappant entre les promesses morales de l'économie contemporaine et la réalisation de celles-ci. La claire vision de ce contraste est à l'origine de la réflexion de M. De Corte. La vie économique lui apparaît en effet comme le lieu de conflits permanents, violents ou larvés, et le spectacle qu'elle présente est le plus souvent celui de l'extorsion, de l'écorniflerie et du parasitisme. Mais le moraliste ne peut se borner à la description du mal, il doit découvrir et recommander des remèdes. Ici, nous retrouvons chez Marcel De Corte le disciple fidèle et intelligent d'Aristote. Comme le Stagirite, en effet, c'est de la nature et du statut de la fonction économique, qu'il déduit les règles morales qui doivent présider à celle-ci.
La fonction propre de l'économie est de procurer à chacun des individus que nous sommes -- hommes raisonnables et libres, faits d'esprit et de chair -- les biens matériels nécessaires à leur subsistance ou utiles à leur contentement. La fin de l'économie est donc la satisfaction de ceux qui consomment les biens et c'est par rapport à la consommation qu'elle doit s'ordonner. Une révolution s'impose donc dans la plupart des pays européens où l'économie est dominée de plus en plus étroitement par les producteurs ([^59]). Rassemblés en associations puissantes, groupes financiers, fédérations de patrons, syndicats d'employés ou d'ouvriers, associations d'agriculteurs, ceux-ci profitent de la faiblesse de l'État démocratique, exercent sur lui une influence abusive et mettent son autorité au service de leur égoïsme.
Il importe donc d'abord de restituer l'économie à ses maîtres légitimes, les consommateurs. A ceux-ci et à ceux-ci seuls appartient le droit de décider de la nature, de la quantité et de la qualité des biens et des services produits. A ceux-ci et à ceux-ci seuls appartient le droit de marquer des préférences et d'exprimer des choix. La consommation est affaire strictement privée. Elle échappe à l'empire de l'État comme à celui de toutes les autres puissances.
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Une institution permet seule aux consommateurs d'exercer leur droit, les scolastiques l'avaient compris et Marcel De Corte le proclame avec force, c'est le marché où les consommateurs choisissent librement entre les produits et les services que leur offrent les producteurs. Et afin que cette liberté ne soit pas surprise -- et que d'autre part la justice ne soit pas violée, il faut que le marché soit, pour les producteurs, une sorte de champ clos où ils s'affrontent loyalement, le suffrage des consommateurs devant être décerné aux produits les meilleurs, les plus utiles ou les moins coûteux. Telle est en effet la norme et la fonction de la concurrence. On notera en passant que le marché est sans doute le seul lieu du monde où puisse exister une démocratie directe, et l'on peut s'étonner que les protagonistes de la démocratie économique, aujourd'hui si turbulents, ne s'en soient jamais avisés.
Le marché cependant est une institution délicate. Les vendeurs de biens et de services sont constamment tentés de fausser le fonctionnement par des ententes ou des coalitions, et les acheteurs, on peut le concevoir, pourraient en user de même. Les vendeurs peuvent aussi dérégler le marché par le mensonge ou l'imposture. Ils peuvent surtout, et c'est assurément le danger le plus menaçant, déplacer du marché vers les coulisses de celui-ci le lieu de leurs oppositions, en sorte que l'arbitrage de la concurrence est retiré aux consommateurs pour être déféré à une autorité illégitime.
L'énoncé des périls qui compromettent le fonctionnement du marché amène Marcel De Corte à définir les devoirs de l'État en matière économique. Gardien du bien commun, celui-ci ne peut se désintéresser d'activités où sont engagées la justice et l'ordre même de la société. Lorsqu'il est asservi aux producteurs comme c'est aujourd'hui le cas, l'État multiplie les interventions en faveur de ceux-ci. Il les protège, les cajole et les subventionne. Il pallie leur incompétence et paye l'ardoise de leurs erreurs. Il favorise les intrigues et se plait aux trafics. Il cultive la corruption et nourrit la forfaiture. Plus encore, ces interventions, en mêlant l'État à l'économie, arrachent peu à peu celle-ci au domaine privé qui est naturellement le sien pour la faire tomber dans le domaine public, mettant fin du même coup à la liberté des consommateurs. Ces pratiques sont par surcroît très coûteuses. L'État qui ne produit rien ne peut dépenser que ce qu'il prélève sur le patrimoine des particuliers. Il aggrave et multiplie les impôts, décourageant les citoyens les plus diligents ou les poussant à la fraude.
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Débarrassé de la tutelle des producteurs, l'État se fera une règle de n'intervenir dans l'économie qu'afin d'assurer le bon fonctionnement du marché. D'acteur de la vie économique -- et quel acteur, brouillon, maladroit, vaniteux ! -- il se muera en arbitre ou, pour parler le langage du droit, il deviendra législateur et juge.
Nous abordons ici un aspect de la pensée de M. De Corte sur lequel le juriste de formation traditionaliste que nous sommes peut difficilement donner un assentiment sans réserve. Au cours des cent dernières années, le droit de la plupart des pays industriels -- les États-Unis d'abord, suivis par les pays européens -- s'est enrichi de règles nombreuses, et généralement adéquates, dont l'objet est de prévenir les abus de la concurrence ou l'étouffement de celle-ci. Progressivement affinées par la jurisprudence des tribunaux et par la doctrine juridique, ces règles nous paraissent satisfaire à ce que peut en attendre le philosophe. Tout au plus, pourrait-on les compléter ou les amender en s'inspirant du droit allemand qui est de très loin le plus perfectionné et où se marque l'heureuse influence des ordolibéraux de Fribourg. M. De Corte en revanche appelle de ses vœux la promulgation d'un *code de l'économie* et de tribunaux spéciaux chargés de l'appliquer. Une législation du genre, sans racines historiques, rompant avec les errements et les expériences de plusieurs générations ne pourrait, à notre sens, qu'être une cause de troubles sans fin, comme M. De Corte l'écrit lui-même en termes de feu : « Les régimes fondés sur la lente sédimentation des mœurs, des coutumes et des pratiques communes se sont révélés, au terme d'un non moins lent processus empirique d'organisation et de législation rationnelle, accumulateurs et dispensateurs d'énergies sociales de longue durée » ([^60]). Disons-le ici : Bien plus que d'un code, ce dont une économie de marché a besoin, c'est d'une monnaie neutre, soustraite à l'action de l'État et des groupes, étalon de mesure et moyen d'échange et non plus instrument de politique. Sur ce point aussi nos vues rejoignent l'enseignement des scolastiques ([^61]). La restitution à l'économie de sa fin naturelle suppose, nous l'avons vu, que l'État soit libéré des groupes qui le dominent et le tirent à leurs intérêts. La réforme économique en un mot n'est possible qu'au prix d'une réforme politique.
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Un autre que nous dira sans doute dans ce numéro ce qu'est la pensée politique de M. De Corte et qu'elle est, selon toute apparence, la plus puissante, la plus originale et la plus féconde qui ait vu le jour en Europe depuis la publication de la *Réforme intellectuelle et morale.* Notre tache n'aura pas été vaine si nous avons pu montrer que la pensée économique du maître que nous fêtons n'est pas indigne de sa politique et que « la nature lui a accordé trop de dons pour qu'il ne pût demander la gloire qu'à un seul ».
Auguste Francotte.
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### La critique de l'idéalisme
par Christian Rutten
M. Christian RUTTEN, né en 1931, fut successivement l'élève, l'assistant et le chef de travaux de Marcel De Corte. Docteur en Droit et en Lettres, lauréat du Concours Universitaire, agrégé de l'enseignement supérieur en philosophie, il occupe aujourd'hui la chaire de philosophie et d'histoire de la philosophie à l'Université de Liège. Il est l'auteur de deux ouvrages importants, primés par l'Association des Amis de l'Université de Liège :
-- *Les catégories du monde sensible dans les Ennéades de Plotin,* Les Belles Lettres, Paris, 1961 ;
-- *Essai sur la morale d'Auguste Comte,* Les Belles Lettres, Paris, 1972.
ON SAIT LE RÔLE que joue dans la formation de la pensée de M. De Corte la lecture d'Aristote : la philosophie de M. De Corte est un « aristotélisme chrétien ». Il suffit de se rapporter, sur ce point, au bel ouvrage de M. Danilo Castellano : *L'aristotelismo cristiano di Marcel De Corte* (Firenze, 1975). Peut-être n'est-il pas inutile, en revanche, de souligner ici l'importance d'une autre lecture de M. De Corte. Il s'agit encore, bien entendu, d'un philosophe grec. Mais d'un philosophe qui, au lieu de constituer a proprement parler une *source* de M. De Corte, n'influence ce dernier qu'en suscitant chez lui une vive réaction. Certes, M. Étienne Gilson a déjà dit que l'on découvre ; dans les articles respectivement intitulés *Technique et fondement de la purification plotinienne* ([^62]) et *La dialectique de Plotin et le rythme de la vie spirituelle* ([^63])*,* dont le premier, soit dit en passant, fut publié par M. De Corte à l'âge de vingt-six ans, l'une des plus profondes interprétations du plotinisme ([^64]). Nous voudrions montrer, dans les pages qui suivent, que c'est, de plus, en lisant et en relisant les *Ennéades* que M. De Corte a été amené, semble-t-il, à élaborer sa critique de l'idéalisme et de *l'homo rationalis.*
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Tout se passe comme si une analyse extrêmement minutieuse de la démarche plotinienne avait eu pour effet de rendre M. De Corte attentif à certaines conditions nécessaires de toute démarche philosophique. Tout se passe, en d'autres termes, comme si l'aristotélisme de M. De Corte résultait, pour une large part, du souci d'écarter des impasses que ne put éviter Plotin.
\*\*\*
L'itinéraire spirituel que décrivent et que prônent les *Ennéades* a pour terme une « extase », une indicible union au suprême Principe, lequel est ensemble, pour Plotin, l'Un du *Parménide* de Platon et le Bien de la *République.* Chacun sait le rôle que joue à cet égard, dans le plotinisme, la purification, condition nécessaire et suffisante du salut. Cependant il importe, estime à bon droit M. De Corte, de bien comprendre que la doctrine plotinienne de la purification ne peut être isolée de son contexte, c'est-à-dire de l'ensemble du système plotinien. Or le plotinisme est essentiellement, dans l'interprétation de M. De Corte, « un spiritualisme moniste et panthéiste » ([^65]). Point ne s'agit ici, bien entendu, du panthéisme émanatiste dont témoigne, au dire d'un Zeller, la théorie de la procession des hypostases. L'argumentation du P. Arnou est, sur cet article, absolument incontestable ([^66]). En revanche, n'est-il point vrai que, pour Plotin, « l'intelligence de l'homme est non seulement capable de Dieu, mais encore susceptible de le posséder pleinement par une sorte de droit naturel métaphysiquement fondé en l'être » ?
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Cela n'implique-t-il pas que l'âme « est, quant à l'objet, au même niveau de perfection ontologique que l'Un », et « qu'elle possède, quant au sujet, une puissance d'extension physique, au sens fort du mot, qui la connaturalise à Dieu » ([^67]) ? Dieu n'est pas autre chose, dans cette perspective, que la racine de l'âme. Cette dernière découvre en elle-même, au terme d'un mouvement spirituel dont elle a seule l'initiative, la parfaite transcendance. De là la nature et le but de la *catharsis*. La procession des hypostases est, dans le fait, l'adjonction de l'altérité à la pure simplicité de l'Un. Dès lors, l'âme n'a qu'un moyen de recouvrer, si j'ose dire, son essence divine. C'est, comme le veut Plotin, de tout abandonner ([^68]). Telle que l'entend Plotin, la purification n'est donc pas une « transformation vitale » ([^69]) de l'âme. Celle-ci est rigoureusement impassible. Point de mal, point de vice, qu'elle aurait à extirper de soi-même. Tout le mal est dans ce qui s'ajoute au divin, dans la multiplicité, dans la corporéité, dans la matérialité. Il suffit, pour se purifier, de se *séparer* de tout cela, de le fuir. N'entendons point par là, du reste, que l'âme doit, selon Plotin, détourner d'ici-bas, afin de l'orienter vers le Bien, le mouvement de sa volonté. L'âme plotinienne ne veut jamais le contraire du Bien. Les seules passions, par conséquent, qu'elle ait à vaincre sont les opinions que le corps occasionne en elle. Bref, l'essentiel est pour l'âme de *prendre conscience* de sa nature et de son origine. La purification n'est finalement qu'une « technique philosophique abstraite » ([^70]). Elle consiste tout entière en une simple analyse dialectique ([^71]).
Autrement dit, la purification plotinienne n'a, dans l'interprétation qu'en donne M. De Corte, aucune signification *morale*. Il y a, certes, un ascétisme plotinien. Mais cet ascétisme, remarque M. De Corte, loin d'être exigé par la purification, apparaît plutôt comme la conséquence nécessaire de celle-ci. La raison pour laquelle le sage de Plotin montre une parfaite indifférence à l'égard des biens et des maux n'est-elle point que, grâce à un pur procédé dialectique, il est parvenu à se murer en un pur bonheur intellectuel ([^72]) ?
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Quant à la théorie plotinienne de la vertu, gardons-nous d'y voir une vraie théorie de la valeur éthique. Pas plus que le vice, la vertu ne peut, au gré de Plotin, réellement affecter l'âme. C'est donc, une fois de plus, une *négation* qu'il faut faire intervenir ici. Est pleinement vertueuse, pour Plotin, l'âme qui, ne conformant plus son jugement à celui du corps, renonçant même à tout ce qui la différencie de son origine intelligible, redevient identique à l'Intelligence. Là n'est d'ailleurs pas, nous le savons, le terme du cheminement spirituel qui nous est rescrit. L'Intelligence doit finalement être elle-même délaissée. C'est au-delà de toute intelligibilité qu'est située l'Unité première. C'est, dès lors, au-delà de toute vertu que réside notre salut. On voit que, dans cette optique, les vertus morales ou politiques n'ont aucune importance réelle. Sans doute peuvent-elles témoigner, en un sens, de la nature des vraies vertus, lesquelles sont tout intellectuelles. Elles ne constituent pourtant point de véritables perfections du sujet spirituel ([^73]). Au vrai, le sujet spirituel dont il est question chez Plotin n'est pas appelé à une perfection humaine. Il n'est pas davantage appelé à cette perfection surhumaine à laquelle s'élève, *Deo juvante*, l'élan mystique d'un Jean de la Croix. C'est, on l'a vu, une complète négation de tout qui, pour Plotin, constitue la condition du retour de l'âme à son Dieu. Et M. De Corte de dénoncer, par conséquent, l'*inhumaine grandeur* du sage plotinien ([^74]).
Il est vrai, d'autre part, que, dans l'article intitulé *Technique et fondement de la purification plotinienne*, M. De Corte envisage la doctrine plotinienne de la purification comme dépendant « immédiatement, par voie de filiation logique » de la théorie du composé humain et de la matière exposée dans les *Ennéades* ([^75]). S'il suffit à l'âme plotinienne, comme nous l'avons dit, de prendre conscience, pour se purifier, de sa propre nature et de sa propre origine, c'est que l'âme s'oppose, par essence, à tout ce qui n'est pas elle. La vie de l'âme n'est donc aucunement la vie du corps. Celui-ci n'est, dans le fait, qu'un non-être ajouté à la pureté de notre être. Il est ce dont nous avons à nous purifier. Pour Plotin, nous le savons, point de mal *moral*. En revanche, il existe un mal *métaphysique *: la matière, qui, étant le contraire du Bien, nécessite une purification ([^76]).
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Cependant M. De Corte fait déjà entrevoir, dans le même article de 1931, que telle n'est point, dans sa pensée, l'ultime explication des caractères propres au spiritualisme de Plotin. De même que le dualisme cartésien résulte de « l'intuition irrationnelle et immédiate du *cogito *», de même, dit M. De Corte, Plotin oppose l'un à l'autre le corps et l'âme « parce que tout son système se développe à l'entour d'une intuition fondamentale et directe que l'âme aurait de son insertion dans l'unité de l'Absolu » ([^77]). Dès lors, le dualisme de Plotin est « en raison directe » d'un « but audacieux » ([^78]). Il *résulte,* pour tout dire, d'un *présupposé* plotinien. Or les travaux de M. De Corte sur *La dialectique de Plotin et le rythme de la vie spirituelle,* sur *La tonalité du mysticisme de Plotin* ([^79]) et sur *L'expérience mystique chez Plotin et chez Saint Jean de la Croix* ([^80]) jettent de vives lumières sur la nature de ce présupposé.
Faire résulter le dualisme plotinien d'une intuition que l'âme aurait de son insertion en l'absolu est affirmer, en d'autres mots, que ce dualisme témoigne d' « un sentiment très profond chez Plotin, bien qu'inexprimé, de *l'univocité de l'être *» ([^81]). On trouve du reste toutes les précisions désirables, à cet égard, dans l'article de M. De Corte sur *La tonalité du mysticisme de Plotin.* Il est évident, dit M. De Corte, que le Dieu de Plotin est « aux antipodes de la matérialité ». C'est dans la mesure, par conséquent, où l'âme humaine est divine que son être s'oppose à l'être matériel. De là résulte, en dernière analyse, la division de l'homme « en deux blocs hétérogènes dont l'un est la négation de l'autre » ([^82]). Ce sentiment de l'univocité de l'être explique d'ailleurs, d'après M. De Corte, le gauchissement que Plotin fait subir à la doctrine aristotélicienne, de l'acte et la puissance. Point de réelle discontinuité, dans l'optique plotinienne, entre l'actualité et la potentialité. Celle-ci est comme une ébauche ou une préformation de celle-là ([^83]). Point de réelle discontinuité, dès lors, entre les hypostases, dont chacune est en puissance celle qui la précède. La transcendance n'est, dans cette optique, qu'une forme de l'immanence.
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Certes, il faut ajouter que, dans l'interprétation de M. De Corte, la conception plotinienne de l'univocité de l'être va de pair, quelque paradoxal que cela puisse, paraître, avec une conception de l'équivocité de l'être. Ainsi qu'on l'a vu, la purification plotinienne n'est au fond que la négation du multiple. C'est, sans nul doute, en raison de l'univocité de l'être que cette simple négation nous fait accéder à la transcendance. Il reste que, si rien ne venait contrebalancer, en quelque sorte, la pure univocité, nulle négation ne serait nécessaire. Même la vie parfaite de l'Intelligence implique, d'après Plotin, l'altérité. De là précisément la nécessité d'un ultime abandon, en vue de l'extase. Celle-ci constitue finalement, estime M. De Corte, le refuge d'une pensée « ballottée entre une perception de l'univocité de l'être et une perception de l'équivocité de l'être » ([^84]).
Ne perdons cependant pas de vue qu'il s'agit là, dans le fait, d'une victoire, si j'ose dire, de l'univocité. L'extase plotinienne n'est point, n'en déplaise à de bons exégètes ([^85]), le contact ou l'union de *deux substances.* Elle se définit, au contraire, comme la suppression de toute différence entre l'âme et l'Un, comme « la mise à nu d'une unité indistincte et absolue » ([^86]), comme la complète dissolution de l'équivocité. Or la raison pour laquelle Plotin définit ainsi la fin du voyage spirituel n'est pas difficile à trouver. Rappelons-nous que, chez Plotin, la purification ne se distingue par réellement de la dialectique. Si l'expérience mystique, dans cette perspective, implique l'abolition de la pensée elle-même, elle n'en résulte pas moins du mouvement dialectique de la pensée. C'est ce mouvement qui nécessite l'univocité. Autrement dit, « le concept de la continuité de l'univers en profondeur ([^87]) » commande, d'après M. De Corte, l'ensemble du système plotinien, parce que l'univers n'est, pour Plotin, « que la projection de la fécondité propre à la pensée » ([^88]).
C'est donc, on le voit, *l'idéalisme* de Plotin qui, en toute dernière analyse, explique à la fois, selon cette exégèse, la théorie de la procession des hypostases et la doctrine de la purification. Car Plotin est bien, selon M. De Corte, « le premier défenseur de l'idéalisme absolu » ([^89]).
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Sans doute Platon ne distingue-t-il pas nettement les unes des autres les conditions de l'être et les conditions du savoir. Sans doute Platon est-il, en ce sens, idéaliste. Il n'en est pas moins, en un autre sens, réaliste, dans la mesure où il affirme l'existence objective des Idées. Or Plotin, quant à lui, ne voit plus dans les intelligibles que des actes du sujet spirituel. Il affirme, dans le troisième traité de la première *Ennéade,* traité dont M. De Corte fait, dans son article sur *La dialectique de Plotin et le rythme de la vie spirituelle*, une minutieuse et pénétrante analyse, que la dialectique « possède, en même temps que les théorèmes, les réalités elles-mêmes ». Il ne fait, en d'autres termes, aucune distinction entre l'objet formel *quo* et l'objet formel *quod,* entre le moyen et la fin, entre la recherche et le système qu'elle découvre ([^90]). Supprimant tout lien entre l'intelligence et la réalité objective, il enferme l'intelligence en elle-même. Il la mure « en sa contemplation silencieuse et uniforme, d'où naissent les rapports étroits entre idées et cet immense tissu de relations qu'elles tirent de la substance même de l'esprit. » ([^91])
Là se trouve donc l'origine du dualisme de Plotin. C'est, comme dit M. De Corte, « pour donner à la pensée un libre champ, une pureté absolue, un pouvoir perpétuel de se transcender que Plotin se refuse à la faire dépendre réellement du sensible corporel » ([^92]). Ce dualisme témoigne, en un mot, d'un extraordinaire *orgueil* de l'esprit ([^93]). Telle est, du reste, la raison pour laquelle Plotin va jusqu'à supprimer, dans le fait, ces objets intelligibles dont Platon, pour sa part, affirmait si nettement la transcendance. En identifiant les Idées avec les actes du sujet spirituel, c'est la parfaite autosuffisance de la pensée que Plotin entend préserver. La vérité essentielle n'est pas, pour Plotin, « accord avec autre chose », mais « accord avec soi-même ». Le dualisme plotinien apparaît ainsi comme une conséquence de la théorie plotinienne de la connaissance. La pensée est, au gré de Plotin, totalement « immanente à elle-même » ([^94]). Elle n'a aucune relation réelle à un objet, quel qu'il soit. Dès lors l'âme humaine, en tant qu'intelligente, ne peut avoir de relation réelle au corps humain.
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Il en résulte évidemment que, dans l'itinéraire plotinien de l'âme à Dieu, « rien n'est proprement vécu » ([^95]). Sans doute est-il parfois question dans les *Ennéades* du mouvement amoureux qui porte l'âme vers son Principe. Plotin distingue, on le sait, « l'intelligence sage » de « l'intelligence amoureuse », c'est-à-dire l'intelligence en tant qu'elle « voit ce qui est en elle » de l'intelligence en tant qu'elle « atteint ce qui est au-dessus d'elle par une sorte d'intuition et de perception » ([^96]). N'en inférons pourtant pas qu'Éros est, au gré de Plotin, d'une autre nature que l'intelligence. C'est, en vérité, « par la puissance d'elle-même qui lui permet de penser » que l'intelligence parvient à l'extase. Plotin, note M. De Corte, vise à « intellectualiser le mouvement d'amour qui porte l'âme à l'étreinte exhaustive et vitale de l'Être et de l'Un ». L'amour n'est, dans le plotinisme, que « le moteur de la dialectique intellectuelle » ([^97]). On voit quel lien rattache à la théorie plotinienne de la connaissance l' « amoralisme métaphysique » ([^98]) de Plotin. Une fois supprimée toute distinction entre l'être et la pensée, comment la dialectique pourrait-elle ne pas constituer, en constituant tout l'être, toute la vie morale ?
Mais on voit encore en quel sens précis doit être entendu l'amoralisme métaphysique dont parle M. De Corte. Car c'est finalement sur les ruines de la métaphysique ([^99]) que Plotin fonde sa doctrine du salut. N'oublions pas qu'il n'est point, pour Plotin, de véritable *objet intelligible.* N'oublions pas davantage que le voyage intellectuel dont il s'agit dans les *Ennéades* a pour terme une extase, c'est-à-dire une identification de l'âme à l'unité pure « qui n'est qu'une unité, qui n'unifie plus le multiple » ([^100]). C'est donc à satisfaire son propre besoin d'intelligibilité que doit renoncer, pour demeurer fidèle à elle-même, l'intelligence plotinienne. L'itinéraire métaphysique trouve ainsi son achèvement dans la négation de toute métaphysique.
Quoi d'étonnant, d'autre part, si l'idéalisme absolu de Plotin va de pair avec un « volontarisme absolu » ([^101]).
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Point de réalité objective des essences, pour Plotin, à quoi s'ordonnerait l'exercice de la pensée. A l'autosuffisance du sujet spirituel quant à l'exercice de son activité cognitive correspond dès lors une parfaite autosuffisance du sujet spirituel quant à son vouloir. En quoi peut consister, en effet, l'opération par laquelle la pensée se détruit elle-même, afin de s'identifier pleinement à l'Un qui ne pense pas et qui n'est pas davantage l'objet d'une pensée, sinon en une pure volition, que rien ne spécifie ? De même que Plotin vise à intellectualiser le mouvement amoureux de l'âme, de même Plotin, dans la mesure où son hyperintellectualisme le conduit paradoxalement à un pur « nihilisme intellectuel » ([^102]), ne peut plus conférer à l'intelligence d'autres attributs que les attributs normaux de la volonté. Une étude de la démarche plotinienne fait ainsi apparaître le lien existant entre l'idéalisme et les diverses formes de l'irrationalisme. M. De Corte fait observer, à cet égard, que la pensée de Plotin est, si l'on y regarde bien, « tout imbibée par l'imagination » ([^103]). Certes, il ne s'agit pas ici « d'une imagination grossière qui matérialiserait la pensée en l'attirant par les images ». C'est au contraire l'esprit qui, chez Plotin, « attire à soi l'imagination et s'en imbibe en la spiritualisant ». Mais « cette imagination, même épurée, devance la marche en avant de la pensée, se précipite au-delà de ses frontières et fait maintes fois dévier sa course » ([^104]). De là, estime M. De Corte, le sentiment plotinien de l'univocité de l'être ([^105]) et le gauchissement que Plotin fait par conséquent subir à la doctrine aristotélicienne de l'acte et de la puissance. Plotin *imagine,* à vrai dire, la puissance comme une préfiguration de l'acte. Il *imagine *l'ensemble du réel comme un tout homogène et continu ([^106]). L'affirmation par l'esprit de sa propre autosuffisance ne constitue donc pas elle-même une activité purement spirituelle. « Par une singulière contradiction, qui témoigne de l'invincible unité du composé humain, les facultés qui ont leur point d'attache dans le cors, et que Plotin repousse dans l'ombre de la matière hétérogène à l'esprit, refluent dans l'esprit lui-même... » ([^107]).
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Cependant, l'existence des philosophies idéalistes est un fait qui, en tant que tel, demande encore à être expliqué. Il vaut la peine, à ce propos, de noter que, dès 1931, M. De Corte définit de façon très nette le principe de cette nécessaire explication. « A l'origine de toute philosophie », dit M. De Corte, « il y a une conversion de la pensée vers l'intelligible. Visant à se déployer en sagesse explicative de l'univers, c'est vers un objet qui imprimera en elle sa forme régulatrice qu'elle se tourne pour s'y soumettre. Quelles que soient les modalités et l'essence de cet objet : réel indéfiniment varié, matière, idée, énergie, ou encore elle-même, c'est de lui qu'elle reçoit sa règle et, ses déterminations. Rien ne vaut que par lui, et caque degré de l'ascension vers sa complète possession est lié au progrès de son rayonnement au cœur même de la pensée qui vise à le saisir » ([^108]). Autrement dit, on trouve à l'origine de l'idéalisme plotinien, estime M. De Corte, comme à l'origine, du reste, de toute philosophie, une certaine *expérience.* Et c'est, bien entendu, à préciser, autant que faire se peut, la nature de cette expérience que doit premièrement s'attacher l'historien des idées.
Or nul n'a mieux que M. De Corte aperçu, semble-t-il, l'irréductible originalité de la pensée plotinienne, « cette pensée souple, et pourtant intransigeante, qui nous échappe toujours par quelque côté » ([^109]). Cela n'empêche évidemment pas la démarche de Plotin d'être réellement *apparentée* à d'autres démarches philosophiques. Songeons, à cet égard, au platonisme, que, tout en lui faisant subir un important gauchissement, Plotin reprend cependant « amoureusement » ([^110]). Songeons encore à l'analogie existant entre l' « angélisme » de Plotin et celui de Descartes ([^111]). Dès lors, il est vrai que l'étude de 1935 sur *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix* jette déjà des lumières inattendues sur un type particulier d'expérience philosophique. C'est néanmoins en analysant les démarches respectives d'un Descartes ([^112]) et d'un Platon ([^113]), d'une part, et en élaborant, d'autre part, une *Ontologie de la poésie* ([^114]) que M. De Corte va être amené à découvrir l'origine expérimentale de tout idéalisme.
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S'il n'est pas impossible, en effet, que, dans certaines circonstances, l'intelligence parvienne, comme le dit M. De Corte dans son article sur *L'expérience mystique...,* à avoir « en même temps que l'infraconscience euphorique d'elle-même et de sa liberté, celle de son insertion dans l'immensité divine » ([^115]), c'est que l'intelligence humaine est capable d'une *connaissance poétique.* Celle-ci ne porte, en vérité, ni sur les qualités sensibles du réel ni sur ses déterminations proprement intelligibles. Elle porte sur ce qui, dans le réel, ne peut faire l'objet d'une opération abstractive. Elle porte, en un mot, sur *l'existence* du réel. Point ne s'agit, par conséquent, d'une connaissance de *l'autre en tant qu'autre.* C'est en connaissant sa propre existence que le sujet de la connaissance poétique connaît toute existence. L'expérience de l'existence ne peut être qu'une expérience de la coexistence. Comme cette expérience diffère cependant, en tant qu'expérience, du simple *fait* de la coexistence, on voit pourquoi elle doit bien être poétique. L'activité de l'intelligence ne peut consister, dans l'appréhension de l'existence pure, à former en soi le concept en l'abstrayant du donné sensible. Or l'activité de l'intelligence n'en implique pas moins nécessairement la formation du concept. La connaissance poétique n'est, dès lors, possible que dans la mesure où se trouve liée à la mystérieuse saisie de l'existence dont nous avons parlé la *production* d'une idée. Cette dernière, qui ne manifeste que la spontanéité créatrice de l'esprit, tient en quelque sorte Lieu, dans une expérience dont l'objet n'est pas intelligible, d'intelligibilité objective. C'est justement pourquoi elle demande à être, autant que possible, *réalisée* dans une œuvre. « L'objet poétique », dit à ce propos M. De Corte, « ne sera capté que dans une idée créatrice, et le terme de la connaissance poétique sera une idée implantée dans l'être, mais prégnante par sa source qui est l'esprit de l'exister de *l'autre *» ([^116]).
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Or ceci nous révèle, estime M. De Corte, l'origine secrète du platonisme éternel. Celui-ci, dont le plotinisme constitue « la pointe extrême » ([^117]), résulte, à vrai dire, de la confusion de deux activités spirituelles normalement distinctes. Quel thème de la philosophie platonicienne, en effet, ne se laisse pas ramener « à un aspect d'une activité poétique dévoyée et travestie en activité spéculative » ([^118]) Attribuez à l'activité intellectuelle par quoi nous connaissons l'essence ou, si vous préférez, la nature des choses les caractères de l'expérience poétique. Force vous sera de déclarer que l'esprit humain n'appréhende les intelligibles que dans la mesure où il les produit. Et donc de proclamer, comme font les idéalistes, l'autosuffisance de l'esprit humain, lequel ne pourra pas, dans cette optique, ne pas se prendre pour un dieu. C'est. d'ailleurs à un véritable panthéisme que conduit inévitablement la confusion de l'ordre poétique et de l'ordre théorique. Songeons que, dans l'expérience poétique, la pure existence de l'objet ne se distingue pas de la pure existence du sujet. Quant au dualisme, son origine poétique est, elle aussi, évidente. Il n'est que « la transposition indue, à l'étage de l'anthropologie métaphysique, de la dissociation du *je* et du *moi* qui s'opère dans l'expérience poétique » ([^119]). Une fois le poète déguisé en philosophe, comment veut-on que la définition philosophique de l'homme n'exprime point l'opposition de l'esprit pur, unique objet d'une expérience privilégiée, et de la nature charnelle ?
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Mais la confusion de la poésie et de la philosophie n'a point pour seule conséquence, aux yeux de M. De Corte, l'existence des *théories* idéalistes. Nous avons vu, en effet, que l'idéalisme absolu de Plotin, chez qui la vie de l'intelligence tient lieu de toute vie, va de pair avec un complet amoralisme. D'autre part, il nous est encore apparu qu'à l'hyperintellectualisme plotinien était nécessairement lié un irrationalisme. Or il est vrai que Plotin, dont la sincérité n'est en rien suspecte, semble bien être effectivement parvenu, en ce qui le concerne, à l'inhumaine grandeur à laquelle il nous convie. Cette grondeur, cependant, n'est pas à la portée de tout le monde.
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C'est pourquoi, dans l'Introduction de son *Incarnation de l'Homme,* qui est son premier grand ouvrage de philosophie morale, M. De Corte fait expressément référence à un article de 1938 intitulé *Anthropologie platonicienne et anthropologie aristotélicienne* où il est à tout moment question de Plotin ([^120]). En vérité, M. De Corte ne dénonce rien d'autre, dans *Incarnation de l'Homme* et dans les nombreux autres ouvrages où il critique la civilisation moderne, que les conséquences pratiques d'un idéalisme semblable, dans le fond, à celui de Plotin. « Toutes les distorsions que subit actuellement l'homme » ne peuvent-elles pas, selon M. De Corte, « se résumer en deux mots : rationalisme et irrationalisme » ([^121]) ? La crise morale, dès lors, ne s'explique-t-elle pas par « la rupture d'un état antérieur de cohérence », par la séparation et le conflit de l'esprit et de la vie ([^122]) ? Cette séparation et ce conflit sont, sans aucun doute, l'œuvre d'une raison qui « se replie sur elle-même dans une activité à la fois logique et séparée » ([^123]). De là l'empire, à notre époque, des idéologies. De là la substitution d'une « éthique conceptuelle, représentée » à la vie morale proprement dite ([^124]). Songeons, par exemple, à cet amour abstrait de l'humanité qui, chez nos contemporains, remplace si souvent l'amour effectif du prochain. Mais de là aussi l'empire absolu, dans la vie pratique, de l'instinct, de l'affectivité et de l'imagination. « Que reste-t-il, en effet, à l'homme enseveli dans les profondeurs de sa subjectivité, emmuré dans son rêve idéal, retranché derrière les abstractions de l'humanité, du droit, etc.... réduit à un schème logique », note M. De Corte, « que reste-t-il à un tel homme pour se diriger dans la vie sinon les tentacules de l'instinct et les antennes du sentiment ([^125]) ? » Il faut donc faire à propos des mœurs contemporaines, on le voit, une remarque semblable à celle que nous avons déjà faite à-propos de Plotin. Dès que l'esprit s'isole de la vie, tout se passe comme si cette dernière se vengeait, et usurpait à son tour le rôle normal de l'esprit. En réalité, le rationalisme des modernes engendre, comme l'idéalisme plotinien, son propre contraire.
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Tel étant le diagnostic de M. De Corte, on devine le remède que celui-ci préconise. Certes, M. De Corte « souligne, tout au long de son œuvre », comme le remarque un interprète de sa pensée, « la valeur régénératrice des modestes vertus qui se rattachent à la vie quotidienne, à la famille, au métier, aux échanges immédiats entre les hommes ». Ces vertus sont assurément, pour l'auteur de l'*Essai sur la fin d'une civilisation,* « celles qui, par leur continuité, leur densité existentielle, leur absence d'éclat extérieur et leur caractère toujours contrôlable, échappent le plus au mensonge et à l'illusion » ([^126]). Certes, M. De Corte, qui ne cache point sa sympathie pour *Un philosophe de la fidélité, M. Gabriel Marcel* ([^127]), nous invite, comme fait ce dernier, à redécouvrir, en nous redécouvrant nous-mêmes, l'identité parfaite de l'*esse* et du *cœsse*. Point n'est cependant question, chez M. De Corte, de suppléer, par je ne sais quel « engagement » existentiel, à la connaissance théorique de l'être. Et point davantage de remplacer la métaphysique par l'analyse phénoménologique ([^128]). L'aventure de Plotin ne montre-t-elle pas que la signification de l'existence n'est, au contraire, déchiffrable que par la métaphysique ? C'est, ainsi qu'on l'a vu, de l'acte orgueilleux par lequel l'intelligence se replie sur elle-même, et finit par se détruire elle-même, que résulte le caractère proprement inhumain du plotinisme. Rappelant, dans l'un de ses récents ouvrages, les travaux qu'il a consacrés à la crise de la civilisation contemporaine, M. De Corte peut donc situer la cause de cette crise « dans l'âme même de l'homme, au sommet même de son être, dans sa différence spécifique : l'intelligence » ([^129]). D'où l'unique remède à nos maux actuels. L'essentiel est, tout bien considéré, que l'intelligence renonce à son ivresse poétique, qu'elle renonce à faire, en quelque sorte, abstraction de sa propre nature. L'essentiel est que l'intelligence *revienne à soi*. Il faut, si l'on réfère, qu'en acceptant sa propre dépendance, quant à exercice de sa propre activité, à l'égard des humbles objets physiques, l'intelligente redevienne enfin digne de sa vocation métaphysique. En ce sens, M. De Coite voit dans la réforme intellectuelle, au moment où il trouve *L'Intelligence en péril de mort*, la première condition de la réforme morale.
Christian Rutten.
Professeur à l'Université de Liège.
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### La méditation des Anciens
par André Motte
M. André MOTTE, né en 1937, licencié en Philologie classique, docteur en Philosophie et Lettres, est maître de conférences à l'Université de Liège. Son dernier ouvrage, *Prairies et jardins de la Grèce Antique -- De la religion à la philosophie* (Palais des Académies, Bruxelles, 1973) lui a valu le prix de l'Académie Royale de Belgique et le prix de l'Association des Études grecques.
A parcourir l'imposante bibliographie, jusqu'ici inédite, qui accompagne fort heureusement ce volume d'hommage et dont l'établissement a dû requérir tant de patience et de soin, la place décisive qu'occupe la philosophie grecque dans l'œuvre de M. De Corte n'apparaît pas d'emblée. Moins d'un dixième des titres, en effet, la concernent directement. Le fait, d'autre part, que la grande majorité d'entre eux remontent aux premières années de sa carrière pourrait laisser croire que les études consacrées aux Anciens n'ont été en somme que les gammes par lesquelles le jeune diplômé en philologie classique s'est progressivement forme au métier d'historien de la philosophie et que, devenu le philosophe et le moraliste que l'on sait, il a tôt fait de délaisser.
L'histoire, à vrai dire, offre peu d'exemples de philosophes chez qui une fréquentation directe et assidue des penseurs de la Grèce n'aurait constitué ainsi, dans le cheminement spirituel, qu'une parenthèse sans lendemain. Mais dans le cas de M. De Corte, la continuité est particulièrement manifeste et essentielle. Elle est du reste avouée et c'est à juste titre qu'on a pu qualifier sa philosophie de *néo-aristotélisme* ou bien encore d'*aristotélisme chrétien,* désignant par là les fondations solides d'un édifice qui n'a cessé de s'étendre et dont on n'a pu encore mesurer toute l'ampleur.
Témoignent par priorité du vif intérêt voué par M. De Corte à la philosophie grecque les nombreux et importants travaux qu'il lui a consacrés. Et d'emblée corrigeons ici l'impression trompeuse qu'a pu laisser notre remarque initiale touchant la proportion de ces travaux. Ils représentent à peine, disions-nous, un dixième de l'œuvre. Encore faut-il noter que cette « modeste » partie ne compte pas moins de trois ouvrages et de trente articles, souvent fort copieux.
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Mais le contenu importe plus, en l'occurrence, que la quantité et c'est à faire voir l'intérêt et la portée de ces écrits que nous nous attacherons principalement, distribuant la matière en deux parties qui correspondent à la fois à deux périodes de la production scientifique et à deux objets d'étude distincts, encore qu'étroitement apparentés : « Aristote et Plotin », d'une part, « Mythe et philosophie chez les présocratiques », d'autre part.
Au préalable, reconnaissons que notre titre eût réclamé des développements plus abondants. Car c'est l'œuvre entière qui abonde en références explicites ou implicites aux philosophes anciens. Comment ne pas évoquer, par exemple, les deux traités si denses sur la prudence et la justice, qui ont paru récemment, ici même ([^130]), et qui sans être a proprement parler des travaux d'exégèse, n'en mettent pas moins en œuvre, pour l'essentiel, des matériaux aristotéliciens et thomistes ?
Bref, ce n'est guère que la partie visible d'un iceberg que nous entreprenons d'évoquer. Et la constatation s'impose plus encore si à côté des écrits de M. De Corte, on veut bien considérer un instant son activité d'enseignement. Car l'œuvre accomplie par lui dans le domaine de la philosophie ancienne, c'est aussi d'y avoir initié quelque quarante générations d'étudiants, dirigé d'innombrables thèses et mémoires, formé enfin plusieurs disciples. Tout comme les écrits, les cours manifestaient à la fois une maîtrise assurée des sources et une vision ample des problèmes. Mais plus que les écrits, ils étaient riches de toute la vie que leur communiquait la personnalité chaleureuse du maître.
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Ses enseignements, M. De Corte mettait un point d'honneur à les renouveler sans cesse en sorte que, sous les apparences d'une grande aisance, ils dissimulaient en fait de longs travaux préparatoires. Pour avoir fait longtemps auprès de lui office de « bibliophore », nous voulons témoigner ici de la somme incalculable de lectures qu'il s'est imposées pour la préparation lointaine et prochaine de ses cours, et des notes diverses qu'il a accumulées. Comme son maître Aristote, il mériterait assurément le titre de « liseur » par lequel Platon affectionnait de désigner son disciple.
Nous aurons d'ailleurs à reparler de cette curiosité intellectuelle sans frontières grâce à laquelle M. De Corte s'est familiarisé avec tous les aspects de la culture antique et a pu ainsi, mieux que d'autres, y discerner la place qui revient à la philosophie.
De l'enthousiasme qu'il n'a cessé de nourrir pour cette discipline, on peut citer un aveu particulièrement significatif, puisqu'il est extrait de sa leçon inaugurale du cours d'Histoire de la philosophie ancienne. Le jeune professeur y fait sienne la paraphrase, due à E. Gilson, d'une célèbre comparaison de Bernard de Chartres : « Nous sommes comme des nains assis sur les épaules de géants. Nous voyons donc plus de choses que les Anciens, et de plus lointaines, mais ce n'est ni par l'acuité de notre vue, ni par la hauteur de notre taille, c'est seulement qu'ils nous portent et nous haussent de leur hauteur gigantesque. » ([^131])
Le passé de la philosophie, il est vrai, et son passé antique en particulier, continue de nourrir le présent et il n'est pas rare que des penseurs modernes, lors même qu'ils entendent frayer des voies nouvelles à la philosophie, se réclament explicitement de la réflexion des Anciens.
#### Aristote et Plotin.
Ce titre ne fait que reprendre celui d'un ouvrage de 1935, qui réunit « quatre travaux relatifs à l'interprétation des systèmes aristotélicien et plotinien » ([^132]).
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C'est qu'il est doublement représentatif des études de philosophie ancienne qui jalonnent les premières années de la carrière universitaire de M. De Corte. D'abord, c'est bien à ces deux philosophes qu'est de fait consacrée la plus grande part des recherches entreprises durant la décennie qui précède la guerre. Mais en outre, le rapprochement de ces deux grands noms de la philosophie, si distants cependant par les époques où ils ont vécu et par les itinéraires qu'ils ont suivis, esquisse une typologie par laquelle M. De Corte s'est constamment efforce d'éclairer la genèse et le développement de la pensée philosophique. Cette typologie oppose, en effet, deux attitudes jugées fondamentales : l'une, incarnée par Platon et Plotin, est à base poétique, voire mystique, et tend à la possession de l'objet ; l'autre, que représente exemplairement Aristote, est plus logique et plus scientifique, et aspire quant à elle a la contemplation du vrai ([^133]). C'est cette seconde attitude, faut-il le dire, que M. De Corte s'efforcera lui-même d'épouser dans sa démarche philosophique.
« Le Stagirite est un point de départ qui convient à notre conception de la philosophie ([^134]). » Pour avoir été précoce, l'adhésion aux principes de la philosophie aristotélicienne n'en fut pas moins longuement mûrie et éminemment personnelle. Elle remonte, en effet, dans sa forme native tout au moins, à l'époque où l'étudiant en philologie classique de l'Université libre de Bruxelles consacrait son mémoire à de savantes recherches sur le Corpus d'Aristote ([^135]). Le travail fut assurément fort apprécié car il valut à son auteur le diplôme de docteur avec le plus haut grade et, de surcroît, un premier prix au concours de la Fondation universitaire. Mais certaines positions qu'il défendait ne durent pas combler l'attente de son promoteur, le professeur Eugène Dupréel, auteur d'un célèbre essai de réhabilitation des sophistes. Cette manifestation d'indépendance pesa sans doute sur la carrière du jeune diplômé qui n'eut d'autre ressource, en attendant une bourse d'étude, que de solliciter un emploi de professeur de langues anciennes dans l'enseignement moyen.
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En évoquant ces premières armes, il convient aussi d'insister sur la solide formation philologique que reçut M. De Corte et qui explique sa méthodologie exigeante en matière d'histoire de la philosophie. Attentif, en effet, comme Aristote lui-même, aux problèmes de méthode ([^136]), M. De Corte a veillé constamment à asseoir ses exégèses sur une étude rigoureuse des textes. On chercherait en vain, dans ses travaux historiques, des citations de seconde main. Aussi décisive soit-elle, l'interprétation philosophique des œuvres doit s'appuyer sur une étude philologique et historique préalable. Ces exigences, M. De Corte les a, peut-on dire, poussées à l'extrême à l'occasion de ses recherches sur le difficile *Traité de l'Ame.* Dans le but d'élucider certains problèmes textuels, il entreprit en effet une vaste enquête sur les manuscrits de ce traité entreposés dans les bibliothèques de Paris, Milan, Venise et Rome. Les résultats de cette collation minutieuse sont heureusement consignés dans diverses publications.
Le scrupule du philologue ne se limita pas au texte d'Aristote, mais s'étendit aussi à ses commentateurs anciens. C'est ainsi que l'on doit à M. De Corte une édition critique, précédée d'une étude d'authenticité, du *Commentaire de Jean Philopon sur le Troisième Livre du Traité de l'Ame d'Aristote* ([^137]), « publication d'autant plus intéressante qu'elle révélait aux historiens de la philosophie le texte authentique de la partie la plus importante du commentaire de Philopon ». ([^138])
Dans l'impossibilité de dresser ici un inventaire détaillé des nombreux textes aristotéliciens que M. De Corte a contribué à élucider et qui intéressent les différentes branches de la philosophie, mettons du moins en évidence sa contribution capitale à l'exégèse de la poétique du Stagirite ([^139]), point d'aboutissement des longues méditations vouées au *Traité de l'Ame.* Bien que M. De Corte fût, à l'époque résolument aristotélicien plutôt que disciple de saint Thomas, son ouvrage n'entend pas moins démontrer, contre l'exégèse d'Averroès, la pertinence de l'interprétation thomiste de la théorie aristotélicienne de l'intelligence, interprétation qui sauvegarde « l'unité profonde des fonctions actives et passives de l'esprit dans l'acte d'intellection » ([^140]).
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Dépassant le plan de la psychologie et suivant à nouveau le Docteur Angélique, il défend aussi, non sans audace, la thèse de l'immortalité du *nous.* La seconde partie du travail étudie la fonction intuitive de l'intelligence et ses présupposés gnoséologiques ainsi qu'ontologiques. Elle projette par là une lumière très vive sur le réalisme du Stagirite.
Si les positions défendues dans ce livre n'ont pas toutes rencontre une adhésion unanime, -- le contraire eut d'ailleurs étonné, -- elles ne sont pas de celles que l'on réfute sommairement et il n'est pas de spécialiste qui puisse aujourd'hui les ignorer.
Point d'aboutissement, disions-nous, d'une longue méditation du *De anima,* cet ouvrage fut aussi, et au même titre, un point de départ. Car le *Traité de l'Ame* est une œuvre vraiment cardinale où s'entrecroisent les thèmes essentiels de la philosophie du Stagirite ([^141]) et où se révèlent en pleine lumière les traits distinctifs de l'*homo aristotelicus* « réalisant l'équilibre de l'intellectuel et du vital dans l'unité de l'homme réel » ([^142]). On peut penser aussi que les leçons de gnoséologie qu'elle comprend ont amené son exégète à la conviction que la théorie de la connaissance fournit habituellement des lumières décisives pour l'interprétation des doctrines philosophiques et rend notamment manifeste et intelligible l'existence de ces deux types irréductibles de philosophes que nous évoquions plus haut. De cette découverte, M. De Corte a fait un usage fécond, l'appliquant, avec les nuances requises dans chaque cas, tantôt à ses études de philosophie ancienne ([^143]), tantôt à son interprétation de la philosophie moderne ([^144]), plus tard encore à l'intelligence des origines de la philosophie, sujet dont nous allons reparler.
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Dans les perspectives qu'ouvrait initialement à l'exégète cette intuition centrale, l'idéalisme de Plotin a joué en quelque sorte, face au réalisme d'Aristote, le rôle d'un révélateur. Point n'est ici besoin, après l'analyse si pénétrante de M. Christian Rutten ([^145]), de redire la remarquable contribution de M. De Corte au renouveau des études plotiniennes. Notons seulement que si Plotin a fait l'objet d'études plus abondantes et plus minutieuses que Platon, dont il n'est pourtant qu'un lointain disciple, c'est assurément que sa philosophie marque un point d'aboutissement logique et exemplaire du platonisme et qu'elle permettait dès lors une confrontation plus nette avec les principes de l'aristotélisme. On ne peut nier cependant que le maître de Porphyre, par la noblesse de sa démarche et son penchant mystique, ait exercé sur M. De Corte une séduction certaine. La remarque en appelle une autre, de portée plus générale, qui invite à ne pas voir dans une typologie proposée avec mille réserves et nuances une dichotomie manichéenne qu'il suffirait d'appliquer sommairement à toute l'histoire de la pensée humaine. La critique vigoureuse de l'idéalisme ne signifie aucunement chez M. De Corte une condamnation sans appel des instances poétiques et mystiques de l'esprit humain. Elle proclame seulement la nécessité de ne point confondre leur démarche avec celle de l'intelligence spéculative, propre à l'activité philosophique.
Au reste, « toutes les grandes philosophies se situent au point de jonction de Platon et d'Aristote » ([^146]) et ce qu'on nomme l'*aristotélisme chrétien* n'est rien d'autre qu' « une philosophie qui a su assimiler tous les éléments du platonisme, comme le fit, en un sens, la philosophie aristotélicienne elle-même » ([^147]). Aussi M. De Corte ne pense-t-il nullement que « l'aspect mystique souligné par Platon doive être évacué, mais il doit certainement être bridé et remis à sa vraie place qui est d'ordre propédeutique et dispositif : *sobria ebrietas spiritus *» ([^148])*.*
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Par ces citations que nous pourrions multiplier, on voit que le philosophe n'a nullement à tuer en lui les germes de poésie, mais à en contrôler la croissance. Dans la confrontation qu'il opère sans cesse entre l'essence et l'existence, le. philosophe ne peut dédaigner totalement le secours du poète, cet expérimentateur de l'être, qui se dissimule en lui. Gustave Thibon note avec justesse que chez M. De Corte lui-même, « on sent le poète sous le philosophe comme on voit la circulation du sang sous l'épiderme » ([^149]).
#### Mythe et philosophie chez les présocratiques.
La période troublée de la guerre et de l'après-guerre coïncide avec une pause non certes dans l'intérêt que M. De Corte ne cessera de vouer à la philosophie grecque, mais dans la publication de travaux la concernant. Des tâches plus urgentes requièrent en ces temps difficiles le philosophe engagé. En 1955 cependant, une brillante étude sur *Parménide et la sophistique* ([^150]) inaugure une nouvelle décennie qui, pour n'être pas aussi féconde que la précédente, -- dans le domaine considéré bien entendu, -- n'en sera pas moins marquée par une activité scientifique intense, conduite par un bel enthousiasme pour un nouveau domaine de recherches : les origines de la philosophie grecque. Disons d'emblée que les quatre travaux ([^151]) dont nous ferons ici état ne reflètent que bien imparfaitement les inlassables enquêtes auxquelles l'exploration de ce thème a donné lieu.
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Des études importantes sur Thalès, sur « les origines religieuses de la *physis* grecque » et sur d'autres sujets similaires ont fait l'objet de cours, mais sont restées jusqu'ici inédites. D'autres matériaux accumulés et toujours en friche sont des témoins plus humbles de cette aventure intellectuelle à laquelle nous avons eu la chance, dans sa phase finale, d'être associé.
Aventure ! Le mot n'est pas trop fort pour qui sait les investigations innombrables, et dans les domaines les plus divers de la culture antique, auxquelles M. De Corte, non sans un flair très sûr, s'est laisse entraîner en cette occurrence. Des menues découvertes, souvent inattendues, qui en ont résulté, nous ne pouvons certes songer à rendre compte ici. Bornons-nous à esquisser les grandes lignes d'une exégèse dont les principes essentiels n'ont pas varié par rapport aux précédentes études, mais qui apparaîtra cependant entièrement renouvelée en raison de l'objet différent auquel elle vise à s'adapter.
Il est tentant de se représenter les premiers philosophes de la Grèce sur le modèle de savants positifs et laïcs qui, en rupture avec la *weltanschauung* religieuse de leur temps, s'efforceraient de construire une représentation cohérente de l'univers sur la base d'une investigation méthodique des phénomènes naturels. M. De Corte s'inscrit résolument en faux contre cette interprétation qui pèche gravement par anachronisme. Observant en effet le caractère poétique et religieux des quelques rares fragments attribuables aux Ioniens, caractère qui se vérifie plus nettement encore dans les œuvres de certains de leurs successeurs, il considère dès lors que c'est en termes de continuité plutôt qu'en termes de rupture qu'il convient de concevoir les rapports entre la pensée mythopoétique et la pensée des premiers philosophes grecs. Comme chez les poètes « théologiens » auxquels Aristote lui-même n'hésite pas à les comparer, les représentations que les présocratiques se forgent du monde et du principe divin qui l'anime sont moins le produit d'une intelligence scrutant objectivement le réel que celui d'une imagination érigeant en réalités les symboles qu'elle engendre. Ainsi que Nietzsche le remarque justement à propos de Thalès ([^152]), il est inconcevable que des observations empiriques aient été seules à la base de la « généralisation gigantesque » qui consiste à affirmer que l'eau est principe de toutes choses. C'est bien plutôt parce que l'eau, comme dans les mythologies primitives, est au départ poétisée qu'elle peut incarner aux yeux du philosophe le principe divin unificateur du monde.
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Certes, une activité logique se manifeste aussi dans les systèmes élaborés par les premiers philosophes, mais elle se déploie à l'intérieur même du mythe. Le *logos* demeure prisonnier du *mythos *; l'élan spéculatif avorte en partie, car le concept rationnel n'a pas encore surgi de l'image.
Or, s'il en est bien ainsi, on devine aisément selon quelle méthode il convient de mener l'approche. Sous peine de ne rien comprendre aux reconstructions qu'opèrent nos penseurs, on s'efforcera d'abord de scruter soigneusement la signification des images sur lesquelles ils raisonnent. Pareille entreprise, toujours périlleuse, n'est possible qu'au prix de mille enquêtes visant à recueillir dans la religion, dans l'art et la littérature des faits significatifs et convergents. C'est au prix d'un long travail semblable que M. De Corte réussit à tracer un portrait renouvelé et fortement individualisé des premiers philosophes de l'Ionie.
Suivant une même voie, il explore également la notion de *physis,* commune à tous les philosophes présocratiques et capitale pour l'intelligence de leur pensée. Cette notion, intimement associée à celles de principe, de vie et de mort, s'avère sous-tendue par une expérience où religion et métaphysique se confondent inextricablement. La *physis* évoque invinciblement l'image d'une substance génératrice derrière laquelle se profile encore, comme chez Empédocle, la figure des grandes divinités féminines du panthéon préhellénique.
On voit ainsi comment M. De Corte fut amené à traduire et à préfacer l'ouvrage si suggestif d'Uberto Pestalozza, *L'éternel féminin dans la religion méditerranéenne,* dans lequel il trouvait corroborées ses intuitions majeures.
\*\*\*
Ces trop brèves analyses permettent de dégager quelques conclusions au sujet de la conception globale de la philosophie grecque que nous propose M. De Corte. Le « miracle grec », aime-t-il à répéter, n'est pas un surgissement soudain, au VI^e^ siècle, d'une pensée rationnelle et scientifique qui romprait définitivement avec la tradition mythique. C'est bien plutôt le point de perfection auquel Aristote, au terme d'un long effort commun, réussit à porter la philosophie en « distinguant pour les mieux unir » les diverses activités de l'esprit et en dégageant de ses virtualités latentes le réalisme grec. La philosophie présocratique et platonicienne apparaît dès lors comme une lente préparation de l'aristotélisme où « confluent toutes les traitions de la Sagesse grecque » ([^153]).
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On saisit, d'autre part, pourquoi « l'histoire de la philosophie grecque ne peut en aucune manière s'effectuer en vase clos » ([^154]). Forme achevée de la *paideia*, la philosophie est liée à la fois au génie spéculatif et pratique, poétique et religieux des Grecs. On se gardera, en particulier, de couper la philosophie grecque de ses relations vivantes avec la religion « dont elle ne serait pas plus dissociable que ne l'est par exemple la philosophie du Moyen Age par rapport à la théologie chrétienne » ([^155]).
Abordés dans le cadre de ses recherches sur Aristote, sur Plotin, sur les présocratiques et sur saint Thomas, les problèmes théologiques et religieux n'ont cessé de préoccuper M. De Corte tout au long de sa méditation sur la pensée antique. Il eût été possible sans doute de leur consacrer un chapitre particulier. Nous noterons seulement que c'est par une étude sur la théologie d'Aristote que le jeune diplômé avait inauguré ses publications philosophiques ([^156]) et que c'est en parlant de Dieu que le professeur devait terminer son dernier cours, le 17 avril 1975. Plaise au Ciel que M. De Corte, à présent libéré de ses lourdes tâches d'enseignement, puisse continuer ses travaux d'historien de la philosophie grecque et compléter ainsi une œuvre qui mérite déjà d'être appelée, selon le mot de Thucydide, « une acquisition pour toujours ».
André Motte.
aître de conférences à l'Université de Liège.
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### Du réalisme philosophique à la pédagogie
par Danilo Castellano
M. Danilo CASTELLANO, professeur à la Faculté de Langues et Littératures Étrangères de l'Université de Trieste, est l'auteur d'une thèse intitulée : *L'aristotelismo cristiano di Marcel De Corte* (Firenze, Pucci Cipriani, 1975), qui constitue la première tentative de synthèse de l'œuvre philosophique de notre éminent collaborateur. Faute d'avoir pu encore lire ce monument, qui doit paraître peu avant le présent numéro, nous tenons à rendre ici hommage à l'universitaire italien de l'avoir entrepris, et achevé. -- Les citations extraites des éditions italiennes de Marcel De Corte ont été retraduites de l'italien.
Si nous feuilletons la bibliographie de Marcel De Corte, nous n'y trouvons aucune œuvre proprement pédagogique. La pédagogie, en effet, ne rentre point dans les intérêts du philosophe belge ; en outre, à l'Université de Liège où il enseigne comme professeur titulaire dès 1940, il n'existe pas une tradition semblable à celle qui existait à l'Université de Königsberg au temps d'Emmanuel Kant. Celui-ci, pour se conformer aux règles académiques, avait dû, malgré lui, donner un cours de pédagogie qui fut publié, ensuite, par son disciple Théodore Ring ([^157]).
Le titre, donc, du présent article peut sembler mal choisi. Et cela non seulement parce que, à première vue, il n'apparaît pas être justifié par une production littéraire capable de nous faire cueillir, dans se traits essentiels, la pensée pédagogique de Marcel De Corte, mais aussi à cause de la polémique du thomiste de Liège à l'encontre d'une certaine pédagogie mécaniste qui considère l'homme comme une machine qu'on monte et qu'on démonte à volonté ([^158]).
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Il faut donc, avant tout, préciser que quand nous parlons de la pédagogie de De Corte, nous nous référons à ses réflexions sur la philosophie de l'éducation qui sont éparpillées dans nombre de ses œuvres postérieures à 1942.
Ces réflexions ne pouvaient pas manquer, chez un penseur qui a médité longtemps sur les caractères de la civilisation contemporaine et sur le problème de la « philosophie moderne ». Problème que nous nous contenterons d'esquisser par la suite, afin de pouvoir mieux comprendre les propositions pédagogiques de De Corte. En effet, pour pouvoir bien comprendre un auteur, il faut aussi connaître la pensée de celui contre lequel il polémique.
#### La formation de Marcel De Corte
A la fin du XIX^e^ siècle et surtout au début du XX^e^ la culture positiviste alors en vogue commençait à être contestée. La nouvelle génération intellectuelle, en particulier, se ressentait mal de l'éducation scientiste qu'elle avait reçue, et qui ne lui permettait pas d'atteindre l'absolu. En effet « la science n'atteint l'essence de la nature qu'à un niveau superficiel » ([^159]).
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Si d'un côté, donc, s'était répandue une sorte de scepticisme, de l'autre, à cette époque-là, commençait la décantation des grands systèmes métaphysiques positivistes, tant sur le plan scientifique que sur les plans méthodologiques et épistémologiques, à travers la renaissance d'un spiritualisme aux inspirations les plus variées ([^160]).
Sécretan et Ravaisson, en effet, s'inspiraient de la philosophie spiritualiste de Maine de Biran, c'est-à-dire d'une certaine tradition française d'analyse psychologique qui venait de la pensée de saint Augustin, reprise ensuite par Pascal. Renouvier soutenait une sorte d'intellectualisme volontariste, qui s'efforçait de récupérer une dimension religieuse de la vérité et du monde. Lachelier se préoccupait de renouveler le spiritualisme français par une réflexion sur la pensée de Kant. Boutroux érigeait le concept de liberté en principe métaphysique, dans le sens d'une spontanéité absolue, d'un principe organisateur de l'être. Blondel plaçait au centre de sa réflexion le problème religieux, dans la perspective catholique. Mais la philosophie qui se présentait à cette époque-là comme un système et semblait expliquer tout unitairement était celle d'Henri Bergson. Son plus grand effort a été, peut-être, celui d'élaborer une doctrine vraie de la réalité absolue en opposition (mais aussi en subordination) aux limites gnoséologiques du kantisme et du positivisme. Il n'était pas très important pour les jeunes gens de cette époque -- nous dit Raïssa Maritain -- que « cela eût lieu par l'intuition qui transcende les idées ou par l'intelligence qui les forme ; l'important, l'essentiel, était le résultat possible : rejoindre l'absolu. » ([^161])
Mais bientôt on s'aperçut qu'en raison de ses prémisses métaphysiques, développées surtout dans l'*Évolution Créatrice* de 1907, la logique bergsonienne n'était pas en mesure de définir un rapport de vérité satisfaisant pour la raison. Elle impliquait, en effet, ce qu'on appelle en théologie un « modernisme » ([^162]). Bergson, ainsi que plusieurs philosophes modernes, avait élaboré une métaphysique phénoménologique qui ne permettait pas d'établir la vérité.
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Celle-ci pouvait être cueillie par une sorte de modification affective du sujet. Il en dérivait -- soutient Maritain -- que les dogmes et les vérités religieuses mêmes devenaient des vérités provisoires et que la foi se réduisait à un simple sentiment intérieur qui excluait toute adhésion intellectuelle à la vérité. C'est en cela que réside le caractère moderniste de la philosophie de Bergson ([^163]).
Et c'est dans ce climat de vifs débats culturels que Marcel De Corte se formait. Il lut l'*Évolution Créatrice* à l'âge de seize ans et garda longtemps « une grande admiration pour Bergson », qu'il considère comme un « petit maître » de la philosophie ([^164]). En 1922, sous la direction de son professeur de philosophie ancienne, il entreprit une thèse sur l'évolution de la pensée d'Aristote. Ce fut un travail ambitieux, sans doute, resté inédit, mais qui lui fit lire tout Aristote, avant Saint Thomas \[« sauf ses Commentaires sur Aristote qui sont à mon sens -- c'est lui-même qui nous le dit -- la clef de l'interprétation *vraie* de l'Aristotélisme : on ne les a jamais dépassés »\]. ([^165])
La lecture d'Aristote, les débats qui se sont développés après 1927 autour de la « querelle » soulevée par la notion de « philosophie chrétienne », lesquels culminèrent dans la mémorable dispute du 21 mars 1931 à la *Société française de philosophie,* et encore les réflexions sur l'essence de la poésie, ce furent là les motifs qui l'amenèrent à rencontrer Maritain dans la lecture des *Trois Réformateurs.* Celle-ci lui donna la conviction que « toute la philosophie moderne est un effort contre nature pour réduire la présence solide, dure et résistante des choses que l'intelligence rencontre dans sa recherche à une représentation mentale qui a lieu dans la conscience ». ([^166])
Cette confirmation lui vint, avant tout, de l'approfondissement de la philosophie de Descartes, dont les idées innées -- observe Olgiati -- existent avant la réalité ([^167]). Elles sont en effet elles-mêmes des réalités qui ne peuvent pas expliquer la réalité, puisqu'il faut y voir des formes pures et non pas des idées.
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Il en dérive que « l'intelligence n'est plus faite pour contempler l'ordre de l'univers et pour le comprendre, mais pour le constituer à partir des règles qu'elle a découvertes en se connaissant d'abord elle-même et qu'elle impose ensuite à la réalité. Comprendre, c'est désormais dominer. Descartes -- écrit De Corte -- a formulé, une fois pour toutes, à son sens, la charte nouvelle de la raison : la connaissance que la raison a d'elle-même et de sa méthode de connaître rend l'homme « maître et possesseur de la nature ». ([^168])
En d'autres termes, Descartes -- comme affirme Lasbax -- s'est demandé ce que c'est que l'être, avant de se demander si l'être est. Il a ainsi affirmé un postulat intellectualiste : la justification de l'existence d'une chose sera dorénavant son intelligibilité, c'est-à-dire la clarté avec laquelle elle est conçue ([^169]). Descartes s'est ainsi condamné lui-même à ne pouvoir jamais sortir de l'idée pure pour rendre raison du réel et de la vie, et il a préparé les trois solutions de la philosophie moderne : celle de Berkeley, celle de Kant, et celle de Bergson.
#### Le « modernisme » philosophique
Marcel De Corte eut la confirmation du caractère essentiellement *poïétique* de la philosophie moderne grâce aussi à l'approfondissement de la spéculation de Nietzsche et de Marx : ils sont tous deux, à son sens, des philosophes idéalistes, l'idéalisme étant « un système de pensée qui proclame la primauté de l'intelligence sur la réalité » ([^170]) ; Sciacca nous démontre que c'est là une caractéristique de la philosophie moderne, puisque, à de rares exceptions près, chaque forme d'idéalisme se présentait dans le monde ancien et au Moyen Age comme objective. Celle-ci reconnaissait donc « un objet » qui devait être contemplé, reconnu, et même, si nous voulons, aimé ([^171]).
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L'idéalisme moderne substitue à l'intelligence réelle une intelligence utopique : « loin d'être mesurée par le réel, elle le mesure et, en le mesurant, elle le crée. Le monde donc n'est plus la création de Dieu, mais celle de l'homme et de son savoir » ([^172]) ; il devient ce que je pense du monde ([^173]) ; son histoire, par conséquent, se réduira à l'histoire de la philosophie. Il s'ensuit le rejet (de la part de l'homme) de tous les liens surnaturels et naturels qui l'unissent à ce qui est différent de lui ; le refus de toute subordination ; le subjectivisme et sa conséquence obligée : la négation et la destruction de toutes les structures traditionnelles ([^174]) ; en un mot, le « modernismo » qui, répétons-le, reste pour De Corte la caractéristique de la « philosophie moderne ».
Quand Marcel De Corte parle de « pensée moderne » -- il faut le préciser -- il ne veut point donner et il ne donne point un jugement « historique », c'est-à-dire capable de comprendre toute la réalité de l'époque où nous vivons : il semble, plutôt, qu'on puisse distinguer entre monde moderne et pensée moderne, dont le second terme semblerait mettre en discussion le premier. Le philosophé belge, en tout cas, attribue au terme « moderne » la signification d'une valeur, laquelle se concrétise dans l'attitude de rébellion envers l'ordre incréé des valeurs éternelles et immuables qui sont indépendantes de toute volonté, même d'une volonté divine (p. 4). On peut donc substituer l'idée d' « antimodernisme » qui, du point de vue historique, est née dans ce sens philosophique précis, avec Maritain ([^175]), à celle plus classique, qu'on identifie à son tour avec la notion de « philosophia perennis ».
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Celle-ci, comme écrit Mazzantini, par son caractère de « catholicité naturelle », unit les chrétiens « avec les mahométans et les bouddhistes et même avec les athées, les négateurs et les destructeurs de toute espèce et de tout degré ». ([^176])
La tentative humaine d' « aller au-delà du pouvoir que Dieu assigne à chacune de ses créatures » ([^177]), avec la rupture conséquente de l'ordre, de l'harmonie, de la Loi divine qui -- nous le disons en passant -- amena la conception médiévale du péché à rencontrer la conception grecque de la proportion, cette tentative eut son origine dans la Renaissance et s'est affirmée, selon De Corte, avec la Réforme protestante et avec la Révolution française de 1789.
On peut dire donc que la. pensée moderne est née avec l'âge moderne, quoique ses origines doivent être recherchées dans les conséquences de la crise de la Scholastique, c'est-à-dire dans le renversement opéré par la philosophie de Duns Scot, qui avait attribué à la volonté, donc à la liberté, et peut-être même à la contingence, une primauté sur l'être même. Ces origines doivent être en tout cas recherchées surtout dans les théories du Nominalisme ([^178]).
Mais quelles sont les caractéristiques de la « pensée moderne » ? Raymond Vancourt, dans son livre *Pensée moderne et philosophie chrétienne* de 1957 ([^179]), les synthétise dans les trois points suivants : a) *La tendance à la primauté de la connaissance scientifique.* Celle-ci prit naissance de la crise ouverte par la physique de Galilée et -- comme observe Husserl lui-même -- aboutit non seulement à une interprétation dualiste de l'univers (que l'on pense à Galilée et même à Descartes) mais alla jusqu'à prétendre, avec les successeurs de Galilée, éliminer toute recherche philosophique, afin d'imposer les sciences exactes comme seule façon légitime de connaître. On aboutit ainsi au scientisme qui n'est pas la science mais une idéologie. b) *La réévaluation du changement et de l'évolution.* Les philosophies modernes, en effet, influencées par les découvertes scientifiques, ont réhabilité le devenir.
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Et cela en opposition à la pensée grecque et à la philosophie chrétienne médiévale, qui « penchaient vers une vision du monde où ce qui est stable et éternel prédomine sur ce qui change et qui devient ([^180]) », à cause même du fait que ce qui change et qui devient apparut aux penseurs anciens comme un signe d'imperfection, tandis que l'être vrai est toujours immuable, éternel. Mais, même ici, on a dépassé les conclusions que la science autorisait à tirer en toute logique et l'on a donné naissance à ces philosophies évolutionnistes qui sont proprement une « conception du monde, ce que les Allemands appellent une *Weltanschauung*, c'est-à-dire un interprétation globale de l'univers qui implique des jugements de valeur, des éléments d'ordre affectif et qui ne s'enracine pas seulement dans la raison, mais aussi dans le tempérament et dans l'inconscient » ([^181]). c) *Anthropocentrisme et immanentisme.* C'est Descartes, plutôt que Kant, qui a opéré avec son *Cogito* la véritable révolution copernicienne, même si le premier, comme Nietzsche et Kierkegaard l'ont soutenu, n'a pas poussé trop loin le radicalisme et que son doute a été un artifice ingénieux plutôt qu'une angoisse authentique ([^182]). Il est, en tout cas, le père de l'idéalisme, lequel commence par affirmer que les choses et Dieu existent par nous puisqu'ils sont seulement les créatures de notre pensée, c'est-à-dire qu'ils existent par nous et non pas indépendamment de nous. Notre pensée devient ainsi la source et le fondement de tout.
Si l'on va au fond et que l'on développe toutes les conséquences de cette conception, on arrive bientôt à proclamer que nous ne devons accepter aucune vérité, aucune valeur imposée « de l'extérieur ».
Tout doit dériver de nous ([^183]). L'immanentisme -- observait Maritain en 1922 -- (et l'idéalisme en est l'essence) a amené à considérer la liberté et l'intériorité en opposition au non-moi. Il a revendiqué l'indépendance de la conscience contre la Révélation et la loi morale objective. Il a identifié encore la vérité objective avec la vérité subjective, ayant affirmé qu'elle doit être recherchée uniquement dans l'intériorité de l'être humain. Chaque action, chaque être, chaque norme, chaque enseignement qui vient des autres (de l'objet, de l'autorité humaine, de l'autorité divine), devient un attentat contre l'esprit ([^184]).
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Vouloir donc « imposer des vérités de l'extérieur, signifie ne pas respecter les lois de notre dynamisme intellectuel ; signifie méconnaître l'élément créatif dans notre vie cognitive. De la même façon -- continue Vancourt -- la valeur peut nous attirer seulement dans la mesure où sa présence suscite en nous des retentissements intimes. Si rien ne lui répond dans nos nécessités, dans nos désirs, dans nos tendances, elle nous restera nécessairement étrangère » ([^185]). C'est un point de vue très répandu et dont l'importance n'est pas seulement d'ordre strictement spéculatif, parce qu'il touche aussi la religion, la morale, le droit, la politique, l'éducation, etc.
Nous ne pouvons pas illustrer ici ces conséquences dans tous les secteurs de l'action et de la pensée humaine ([^186]). Il est suffisant, pour le moment, de voir que Marcel De Corte est en polémique avec ce monde moderne (on donne, comme déjà vu, au terme de monde moderne une signification de valeur et non pas de temps) qu'il nous dit, sans demi-mesures, être caractérisé par un phénomène d'aliénation collective et, à proprement parler, de folie ([^187]).
Le motif de cette polémique est évident : les philosophies modernes -- écrivait Eugène Devaud il y a 40 ans -- ont désagrégé la vérité. Des vérités fragmentaires, opposées les unes aux autres, entrent en lutte, et celle-ci est d'autant plus dure que l'adhésion qu'on leur porte est celle de la certitude. En tant que vérités -- concluait le pédagogue catholique -- elles ne se laissent pas vaincre ; en tant que vérités fragmentaires, elles ne peuvent résoudre aucun problème une façon accomplie ([^188]).
Voilà le drame des idéologies modernes en opposition à la philosophie de toujours. C'est un drame qui se trouve partiellement dépassé, mais d'une façon guère heureuse, avec ce qu'on appelle d'un mot politique le *totalitarisme*, défini par Marcel De Corte « la volonté de puissance de la partie qui prétend être tout » ([^189]).
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L'origine de cette idéologie doit être recherchée -- selon le thomiste de Liège -- dans le rationalisme et dans l'individualisme qui ont vicié toute la « philosophie moderne » orientée vers l'immanence définitive ([^190]).
#### L'essence et la fin
En ce qui concerne la pédagogie, les tendances immanentistes ont favorisé et rendu possibles les interminables discussions contemporaines sur les méthodes éducatives : « est-ce que tout doit venir de l'enfant ? est-ce que tout doit être redécouvert par lui ? faut-il lui imposer quelque chose ou bien, au contraire, la lui suggérer seulement afin qu'il s'impose à lui-même, tout seul, la discipline nécessaire ? » ([^191]) Et, à la limite, la science doit-elle être apprise ou inventée ? ([^192]) Certaines pointes extrêmes de « l'éducation active » auraient-elles posé à la base des problèmes de la pédagogie l'idée du connaître comme « faire » et de l'action comme constitutive de la pensée ? ([^193])
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Marcel De Corte soutient que l'éducation et l'instruction des enfants sont abandonnées, selon les méthodes dites « modernes » inspirées par Rousseau, à l'anarchie et même, sous prétexte du primat de l'expérience, au sensualisme et à la stérilisation du cerveau ([^194]).
En effet, si l'éducation est (rarement) un état et (généralement) un processus à travers lequel une personne qui doit être éduquée atteint sa perfection ([^195]), elle suppose, avant tout, une « nature », un ordre objectif qu'on doit respecter et aimer pour être proprement nous-mêmes. La tâche principale de l'éducation, affirme Maritain, est surtout celle de former l'homme ou plutôt de diriger le développement dynamique par lequel l'homme se forme lui-même à être un homme ([^196]). La perfection relative, que l'homme atteint dans l'ordre naturel s'il vit en conformité à la raison droite ([^197]), et la perfection absolue, c'est-à-dire celle qui est conforme à la fin dernière de l'homme et qu'on atteint dans l'ordre surnaturel avec la vision de Dieu dans le ciel, telles sont les fins de l'éducation. Mais à quoi réduit la réalité et surtout la réalité humaine, un certain « activisme » d'inspiration naturaliste, immanentiste, sociologique ou pragmatiste, déjà critiqué, par exemple, non seulement par Devaud et Maritain ([^198]) mais aussi par d'autres penseurs et pédagogistes comme Munoz Alonso ou Giuseppe Catalfamo ? ([^199])
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Avec la disparition de l'idée objective de « nature », donc celle du but universel et certain de l'éducation ou de la nécessité de l'éducation même, disparition qui vient du fait d'avoir conçu la nature comme une réalité bonne impliquant la négation et l'oubli du présent état humain de « nature déchue », la pédagogie de Rousseau, ainsi que celle de bien des pédagogies modernes, devient la mystification de la pédagogie. Celle-ci est constituée par l'*Émile* où les parents sont suffoqués -- dit De Corte -- par des conseils impraticables ([^200]). On ne doit pas oublier, en effet, que certaines méthodes modernes, qui font appel à une prétendue autonomie et liberté sans limites de l'enfant, amoindrissent ou suppriment l'autorité et l'œuvre de l'éducateur, tout en attribuant à l'enfant une primauté exclusive d'initiative et une activité indépendante de toute loi supérieure naturelle et divine dans l'action de son éducation ([^201]).
La caractéristique la plus tragique de la crise absolue du monde moral qui se développe actuellement dans l'histoire -- écrivait De Corte en 1942 -- est sans doute, et en contraste avec le passé, le fait que l'homme ne sait plus où il va ([^202]) et ne connaît point son but. Raison pour laquelle il est dans l'angoisse. Faute d'une certitude sur son propre destin, qui donnait par exemple à l'homme médiéval l'assurance de marcher vers la perfection absolue de sa nature, sur laquelle s'appuyaient la morale et la culture, et dont il se servait comme tremplin pour s'élever à Dieu ([^203]), l'homme moderne tend à identifier toujours plus son être avec ses fonctions ([^204]).
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La fonction implique par elle-même et nécessairement une activité. En effet on ne peut concevoir une seule fonction que l'on exercerait point, ou seulement par intermittence : l'idéal d'une fonction est de fonctionner sans trêve ([^205]). Mais toute fonction -- soutient De Corte -- implique une certaine dose de *matérialité* organique ; en effet, chacune est un moyen en vue d'un but et se manifeste au dehors d'elle-même. On ne pourrait concevoir une fonction autosuffisante, capable d'accomplir un complet retour sur elle-même -- ce qui est le propre seulement de l'esprit pur ([^206]).
Il n'est donc pas juste de parler proprement de « fonction spirituelle ». En effet, lorsque certaines psychologies à prémisse matérialiste emploient le mot de « fonction psychique », elles tendent à confondre l'esprit avec la fonction organique et à esquisser son comportement comme s'il était analogue à cette fonction ([^207]). Mais, comme nous avons déjà dit, la fonction ne fait pas retour *par elle-même* à la fonction, puisque ce qui est un moyen ne peut être un but aussi. La série fonctionnelle et interfonctionnelle, conclut De Corte, est donc dépendante d'un ordre plus profond, lequel n'est plus fonctionnel, et qui règle cette série ([^208]). En d'autres mots, elle est un ordre qui se rapporte à un sujet, à une nature ou substance non fonctionnalisée, mais qui s'exprime ou peut s'exprimer fonctionnellement. Il en dérive que les tentatives si typiquement modernes d' « éducation du sens moral », d' « éducation de l'intelligence », d' « éducation de la volonté », -- soutient le philosophe de Liège -- sont absurdes dès le départ : non seulement elles rendent l'éthique et l'esprit fonctionnels et les soumettent à une méthode de gymnastique matérialiste, mais encore elles ignorent que l'on s'autoéduque. L'ignorance de cette vérité a conduit fatalement à un danger dont nous mesurons l'étendue tant dans le domaine de l'instruction que dans celui de l'éducation ([^209]).
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La capacité de s'autoéduquer implique, en effet, l'activité d'une réalité (l'esprit) qui fuit toute tentative de rationalisation (Freud) et toute réduction quantitative (science positive) : cette capacité, en tant que réalité qui rend possible toute activité humaine émotive ou rationnelle, ne peut être réduite ni à l'une ni à l'autre dimension, puisqu'elle irait ainsi elle-même « se dénaturalisant ». L'idée d'autoéducation, donc, ne peut être réduite à celle d'activité de l'élève qui répond à un simple besoin naturel ou à une exigence psycho-fonctionnelle. Il faut la rapporter à quelque chose de plus profond, c'est-à-dire à la nature ontologique de l'être humain, lequel trouve dans la raison, qui se conforme au but de l'homme et à l'ordre naturel des choses créées, la norme suprême même pour les inclinations et les puissances psychiques inférieures. Donc, il ne faut pas seulement considérer comme injustifiée toute discussion sur l'idée d' « éducation passive » (elle ne peut être telle en effet, et lorsqu'on l'a prétendu, si cela a été prétendu, ce n'était pas de l'éducation), mais il faut considérer comme fausse dans cette perspective la question même du rapport maître-écolier, éducateur-élève.
L'élément essentiel, en effet, dans l'art coopératif de l'éducation, n'est pas la coopération de l'écolier avec le maître, mais plutôt la coopération plus fondamentale de l'homme, écolier ou maître, avec Dieu ([^210]). En d'autres mots l'éducateur ne doit pas imposer et, s'il est vraiment tel, n'impose rien de lui-même, c'est-à-dire de subjectif, d'arbitraire ; il doit plutôt aider l'enfant à devenir pleinement homme, suivant la lumière qui vient constamment de la vérité, laquelle unit celui qui conduit et celui qui est conduit. Mais, d'autre part, l'éducateur ne doit subir aucune imposition subjective et contre nature de la part de l'enfant : on ne doit confondre l'éducation active ou l'école nouvelle ni avec l'éducation du caprice, ni avec l'école du plaisir ([^211]).
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#### La famille et l'école
Toute époque, soutient De Corte, a sa propre conception de l'homme, un idéal de formation humaine, un « type » qu'elle se propose à elle-même comme modèle ([^212]). L'époque moderne vise à la formation de l' « intellectuel », d'un homme « abstrait », c'est-à-dire d'un homme délié de la réalité et de sa propre réalité. Cet homme-là emploie l'intelligence pour « édifier » et pour organiser le monde afin de pouvoir après, en dernière analyse, le dominer. L'intelligence est devenue l'instrument de la « pratique » ; l'homme s'identifie avec ce qu'il a ou avec ce qu'il peut dominer, contrôler, asservir. Si tel est le cas, il s'ensuit que, au point de vue pédagogique, le but de l'éducation, dans l'époque moderne, est devenu la réalisation de cette sagesse dont parlait Descartes. Celui-ci, en opposition à saint Thomas ([^213]) et à la tradition classique, identifie sagesse et science, qui se transforment chez lui en art, conçu à la façon d'Aristote, et qui sert à changer le monde ([^214]).
Il en résulte une vulgarisation générale des connaissances que l'on appelle scientifiques, imposées au genre humain entier par l'instruction obligatoire ; et un déplacement du centre de l'homme de la vie à la connaissance, laquelle « a créé de toutes pièces des personnalités fictives qui menacent de se désagréger devant les résistances que toute expansion humaine rencontre » ([^215]) ; il en dérive encore l'introduction dans la vie d'êtres mal préparés à cause des choix artificiels qu'ils ont faits ([^216]), et la « tendance à faire de l'école une cause totale d'éducation dans l'ordre pratique » ([^217]) et dans ce même domaine la tendance à donner une prééminence à la méthode et au contenu sur le but.
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Au risque de paraître rétrogrades et obtus -- écrit De Corte -- nous voyons dans l'instruction obligatoire et surtout dans les intentions qui l'animent une ruine immense pour le peuple, qu'elle rend impersonnel et dont elle épuise toutes les réserves vitales nécessaires pour le recrutement sain et naturel des classes supérieures ([^218]). La science ne forme pas l'homme. Il y a, au contraire, -- continue le thomiste de Liège -- un autre type de savoir, fait d'intuition vive, de spontanéité créatrice, de communication avec le réel, d'élévation spontanée vers le ciel. L'homme ignorant d'autrefois avait une personnalité plus humaine que le lecteur de *Paris-Soir *: pensons au vide laissé par la disparition de la chanson populaire, des mœurs populaires, du sens perfectionné du métier, du contact avec les mille forces délicates ou violentes qui vibrent dans la nature, de la connaissance des mystères profonds de l'art et de la foi, et de tant d'autres richesses telles que la tendance à la sentence, la formation et l'application des proverbes, l'intuition de ce que l'homme doit ou que l'homme ne doit pas faire, les vertus du silence et de la méditation vis-à-vis de soi-même et du monde, la réflexion sur la sagesse des anciens, la solidité de la tradition, la sobriété, la précision et la saveur incomparable du langage. Jetons un regard -- conclut De Corte -- sur cet abîme et tâchons de combler la profondeur par la lecture, par l'orthographe et par les quatre opérations d'arithmétique qui sont le plus petit dénominateur commun des hommes d'aujourd'hui. Ajoutons-y même les vastes et minutieux programmes encyclopédiques des études littéraires où la suppression d'un iota -- surtout quand il n'est pas grec -- soulève des tempêtes, tout cela choisi, inspecté, étiqueté, contrôlé, visé, enregistré... Rapprochons l'Ossa didactique sur le Pellion pédagogique ; éloignons-nous tristement du golfe toujours retentissant et regrettons l'époque où régnait la docte ignorance ([^219]).
Pourquoi ce pessimisme ? Parce que, selon le philosophe belge, dans notre société de masse créée par le rationalisme moderne ([^220]) l'homme, libéré de l'analphabétisme matériel, est tombé dans un analphabétisme moral. Il a perdu son bon sens et la direction de sa finalité et il court, inconsciemment, vers la ruine totale. Tout cela à cause de la substitution de l'abstrait au concret.
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L'abstrait, avant tout, domine la formation de l'intelligence. Or celle-ci a besoin, pour être telle, d'un milieu convenable où son élan vers les êtres, vers les choses qu'elle aspire naturellement à connaître, soit conforté et fortifié. « Pour (...) découvrir (le réel) il faut que l'esprit soit éduqué à s'orienter vers le réel, et cette éducation est reçue, d'abord et essentiellement, dans ce milieu social original dont tous les autres dérivent et dont nous sommes en train de perdre jusqu'au souvenir : *la famille *». ([^221]) Dans le foyer domestique on démasque aussitôt la vanité et l'erreur, on dévoile immédiatement tout mensonge et toute bravade. Chaque membre doit être lui-même ; personne ne peut tromper, personne ne peut se masquer, comme cela arrive, au contraire, selon Marcel De Corte, dans une société trop vaste où la vérification des déviations mentales devient difficile, sinon impossible. Il en résulte une évasion facile vers l'utopie et l'illusion à laquelle personne ne peut remédier en temps utile. Voilà pourquoi la famille est un cercle où l'intelligence se forme comme *faculté du réel* ([^222]). Dans le sein de la famille chacun apprend à connaître le monde tel qu'il est dans la réalité, à laquelle il doit se conformer.
Mais l'abstrait règle les relations humaines et reste à la base des revendications modernes : le rêve égalitaire qui en dérive, délié de toute idée d'équité et dégagé de tout respect pour les vocations et pour les capacités naturelles, a profondément « déséduqué » l'homme qui considère désormais la famille comme un tombeau pour sa dignité d'homme raisonnable qui (...) \[a\] atteint l'âge mûr ([^223]). Au contraire, le milieu en général et particulièrement le milieu familial revêt une énorme importance dans le travail éducatif. En effet, « les qualités morales de la plus grande partie des hommes dépendent étroitement des coutumes du milieu où ils vivent » ([^224]). Or, dans la famille, l'enfant vit, pendant son premier âge, comme dans un milieu spirituel ([^225]). Et celui-ci est l'instrument nécessaire, indispensable, ainsi que le sein de la mère, pour l'incarnation de toutes les valeurs culturelles et morales ([^226]).
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La famille, en outre, par son organisation naturelle même, par sa structure intime, maintient vif le sens de la transcendance du père. C'est celle-ci qui pourra soutenir l'architecture d'autres transcendances à rebâtir ([^227]), comme celle de la religion ([^228]). L'expérience commune enseigne -- écrivait le P. Donlan en 1952 -- que la famille a une place unique et indispensable dans l'éducation. Si elle ne s'acquitte pas convenablement de ses devoirs éducatifs, le danger qui en dérive pour l'éducation et la formation de l'enfant ne pourra jamais être réparé d'une manière adéquate par l'action de quelqu'un qui se situe hors de la famille ([^229]). Pour ce motif, quand le groupe familial, au lieu de subordonner à lui-même l'enfant, se subordonne lui-même à lui, à son destin individuel, à son avenir ([^230]), cela annonce comme imminente la fin d'une civilisation. C'est ce qui arrive aujourd'hui. Le culte du fils contribue, selon De Corte, à la disparition de la famille. Les parents actuellement se déchargent sur la collectivité de sa formation morale et de la discipline qu'il doit acquérir, de l'enseignement des fins auxquels il doit se soumettre. Mais derrière la frêle ombre du garçon s'élève l'État. Celui-ci s'arroge le droit d'instruire, d'éduquer, de distribuer une vision morale et philosophique du monde, de modeler l'âme et l'intelligence. Le garçon est confié aux mains mécaniques d'une abstraction gigantesque ([^231]) dans le laminoir de laquelle il restera jusqu'à age de seize, dix-huit ans ([^232]).
A notre époque l'on suppose que tout peut être appris sur les bancs de l'école avec les livres et les cahiers. On pense que tous les esprits sont égaux, qu'ils sont faits donc de la même façon, et que l'on doit leur apprendre les mêmes choses avec la même méthode. Rien n'est plus arbitraire. En effet l'esprit humain -- affirme De Corte -- se forme aussi bien au contact d'un champ, d'une cuisine, d'une étable, des outils, c'est-à-dire avec des choses qui résistent à son action et auxquelles il imprime une finalité typiquement humaine, grâce à un mouvement incessant de l'esprit au réel et du réel à l'esprit. « Il se forme sur la terre qu'il doit travailler, dans la maison qu'il doit ranger, dans l'usine, et il s'y forme d'autant plus que cette éducation se transmet non pas comme d'un sac plein de connaissances à un sac vide, mais par l'exemple qui stimule la recherche et l'invention, qui ouvre l'âme et le corps, qui excite la créativité. »
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C'est là -- conclut De Corte la véritable éducation, dans la nature des choses affrontée par la méditation de l'exemple » ([^233]). Il ne vaut rien, à son sens, d'objecter que l'introduction dans l'école des « leçons pratiques » constitue un remède à l'éloignement de l'élève de la réalité de la vie quotidienne. Elles sont souvent la « théorie de la pratique », elles représentent l'intellectualisation du réel grâce à l'application de formules apprises précédemment. Une culture, en effet, comme celle donnée par l'école moderne, liée seulement aux livres et aux appareils de laboratoire, n'est pas du tout une culture, car à la place d'une culture universelle, nous avons une culture encyclopédique. Celle-ci consiste à additionner des notions disparates et successives, au lieu de lier organiquement les notions qui dérivent du réel ([^234]). Le véritable enseignement, la véritable culture, au contraire, « ne consistent pas à faire ingurgiter des connaissances et des recettes de comportement, elle consiste plutôt à révéler la façon dont on connaît et dont on agit. Le véritable maître -- affirme De Corte -- enseigne beaucoup plus par ce qu'il est que par ce qu'il dit : en d'autres mots, afin que l'enseignement soit fructueux, il faut l'exemple incarné et vécu d'un type d'homme » ([^235]).
Il apparaît clairement, après ce que nous venons de dire, qu'il existe aujourd'hui -- selon le philosophe belge -- une tendance à faire de l'école une institution vicariante de la famille et de toute autre réalité éducative. « Cette tendance -- écrit le P. Donlan -- se manifeste de différentes manières. L'école demande à l'élève toujours plus de temps, ce qui est souvent soutenu et encouragé par les parents négligents. L'école -- continue le père dominicain -- est accusée de presque toutes les faillites de ses produits. On la blâme d'une telle façon que toutes les autres forces éducatives en sortent implicitement acquittées. Les enseignants sont appelés « éducateurs » (...). Tout le système de formation à l'enseignement est en train de devenir ésotérique (...). On peut voir un reproche digne et presque tacite cette attitude -- conclut toujours le P. Donlan -- dans le fait que l'encyclique Divini illius Magistri ne traite que vers la fin des écoles et de leur part dans l'éducation (...). » ([^236])
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L'école n'est pas, elle-même, une cause universelle d'éducation : elle n'a ni les moyens, ni l'autorité pour éduquer complètement l'homme ([^237]). En effet, elle n'a pas été instituée principalement comme instrument d'éducation morale, mais plutôt pour éduquer les jeunes gens dans les arts et dans les sciences ([^238]) : tâches dont la famille ne pouvait et ne peut s'acquitter. Il s'ensuit donc que l'école est, avant tout, un instrument de la famille, dont celle-ci se sert pour exercer complètement sa responsabilité d'éducation ; elle doit donc se subordonner aux droits primaires de celle-ci ([^239]). Maritain aussi a insisté longtemps sur le rôle et sur le droit primaire de la famille dans l'éducation des enfants. Dans son essai *Les droits de l'homme et la loi naturelle,* publié en italien dans son livre très discuté et, si nous voulons, assez discutable par bien des aspects, *Cristianesimo e democrazia* ([^240])*,* il soutient que le but de la famille n'est pas seulement celui de produire et d'élever des créatures humaines, mais celui aussi de les préparer à accomplir leur total destin. Il est évident, en effet, et le Pape Pie XI le souligne énergiquement dans son encyclique sur l'éducation, qu'il ne peut y avoir œuvre éducative véritable si celle-ci n'est pas complètement ordonnée aux fins dernières de l'homme ([^241]). Pour ce motif, l'État doit aider la famille à accomplir et à compléter sa mission, mais il ne peut et ne doit pas prétendre d'effacer dans l'enfant sa vocation de créature humaine, pour en faire l'instrument vivant et comme la matière de l'État ([^242]). Pour qu'il y ait donc une véritable éducation, il faut défendre le droit des parents à éduquer leurs enfants au sein de la famille, à cause même de la présence active du père et de la mère dont les enfants les plus petits ont particulièrement besoin ([^243]).
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Nous pouvons conclure donc avec les mots d'Aldo Agazzi qui affirme que « si la famille ne sait ou ne peut éduquer, l'éducation au dehors d'elle n'a que des remèdes inadéquats et insuffisants ». Et il ajoute que « le problème (de l'éducation) ne peut être résolu si l'on pense remplacer la famille et lui enlever les enfants, mais plutôt si l'on donne à la famille les moyens de sa subsistance, de sa sécurité et de son intégrité, et si on l'éduque en même temps à être éducatrice elle-même » ([^244]).
\*\*\*
Nous avons affirmé, au début, que la pédagogie de Marcel De Corte est le fruit de sa longue méditation sur les caractéristiques de la civilisation et de l'homme moderne : elle est donc, pour une bonne part, une œuvre essentiellement polémique. Chaque contestation, toutefois, suppose une doctrine ou une idéologie. « Il est impossible (en effet) de déceler une maladie sans référence à la santé. » ([^245]) Pour mieux comprendre sa pensée pédagogique, il faut donc se rapporter à sa conception anthropologique et, partant, à sa vision métaphysique.
Il nous a offert, toutefois, la vérification de ses conceptions pédagogiques dans la biographie d'un de ses enfants mort à peine sorti de l'adolescence : *Deviens ce que tu es, Léon, notre fils* ([^246]) constitue le témoignage de la mesure et de la façon dont la famille, et surtout la famille catholique, sait former, éduquer, élever, tout en indiquant clairement quel est le bien pour lequel il vaut la peine d'agir, de s'efforcer, de persévérer et, en définitive, de vivre.
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« L'enseignement doit donner un sens de la vie et pas seulement des attitudes pour s'en sortir » ([^247]), a affirmé Devaud. Celui-ci, avec Förster, affirmait que la faiblesse fondamentale de la pédagogie moderne était et reste dans l'incapacité de se rendre compte que la plus grande force éducatrice ne dérive pas des *méthodes,* mais plutôt des *grandes vérités qui sont au-dessus de l'individu* et des *buts suprêmes clairement établis* qui unissent la créature passagère au Créateur éternel, c'est-à-dire à quelque chose qui est au-dessus des frêles et variables opinions humaines. Voilà donc le message pédagogique de De Corte, destiné aux hommes de nos temps difficiles, qui répètent, selon le thomiste de Liège, même sur le plan éducatif, la faute et la tragédie de la « philosophie moderne ». ([^248])
Danilo Castellano.
Professeur à l'Université de Trieste.
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## BIBLIOGRAPHIE
*1928 -- juin 1975*
*Avertissement*
*Notre bibliographie, établie avec l'aimable collaboration de Madame Marcel De Corte, se veut aussi complète que possible. En l'absence de toute nomenclature antérieure et comme, à ce jour, nous n'avons relevé pas moins de* neuf cent quatre-vingt-treize *titres, on peut supposer que l'auteur lui-même aura égaré les sept -- qui font mille.*
*Pour alléger, certains articles de journaux ont été mentionnés* « *en vrac *»*, par année. Mais les études générales -- et particulièrement philosophiques -- sont consignées avec leurs titres complets, ainsi que toutes les références utiles.*
### Textes parus dans « Itinéraires ([^249]
1 -- De l'influence de la civilisation actuelle sur le catholicisme : numéro 3 de mai 1956.
2 -- Grandeur de la contemplation : numéro 5 de juillet-août 1956.
3 -- L'ordre corporatif et les obstacles qu'il rencontre : numéro 11 de mars 1957.
4 -- A propos du « Jésus » de Jean Guitton : numéro 13 de mai 1957.
5 -- Note sur l'anti-cléricalisme des catholiques : numéro 34 de juin 1959.
118:196
6 -- Réflexions sur l'œuvre morale et politique de Charles De Koninck : numéro 66 de septembre-octobre 1962 sur Charles De Koninck.
7 -- La crise des élites : numéro 71 de mars 1963.
8 -- Philosophie du bonheur : numéro 76 de septembre-octobre 1963 sur la primauté de la contemplation.
9 -- Sens commun, métaphysique et théologie : numéro 86 de septembre-octobre 1964 sur le P. Garrigou-Lagrange.
10 -- Considérations très actuelles sur la vie, le caractère et la pensée de saint Pie X : numéro 87 de novembre 1964 sur saint Pie X.
11 -- La religion teilhardienne : numéro 91 de mars 1965 sur Teilhard et la religion.
12 -- Diagnostic du progressisme (I) : numéro 99 de janvier 1966.
13 -- Diagnostic du progressisme (II) : numéro 101 de mars 1966.
14 -- La philosophie dans le monde d'aujourd'hui : numéro 109 de janvier 1967.
15 -- Progressisme et volonté de puissance : numéro 110 de février 1967.
16 -- Le caractère intrinsèquement pervers du communisme : numéro 111 de mars 1967 pour le trentième anniversaire de l'encyclique « Divini Redemptoris ».
17 -- Allocution du 25 avril 1967 à la Mutualité : numéro 114 de juin 1967.
18 -- L'intelligence en péril : numéro 122 d'avril 1968 sur Charles Maurras.
19 -- Supplément à « Saint-Avold » : numéro 123 de mai 1968.
20 -- Réponse au défi américain : numéro 125 de juillet-août 1968.
21 -- Le romantisme de la science : numéro 126 de septembre-octobre 1968 sur la science moderne.
22 -- Telle est la loi : numéro 127 de novembre 1968 sur « Humanae vitae ».
23 -- Court traité d'une trahison : numéro 129 de janvier 1969 consacré à la Note pastorale sur « Humanae vitae ».
24 -- L'homme de Dieu contre Dieu : numéro 130 de février 1961.
25 -- Supplément à l'hérésie des évêques : numéro 131 de mars 1969.
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26 -- La décomposition du catholicisme, : numéro 133 de mai 1969.
27 -- Lettre à Jean Madiran (sur la messe) : numéro 140 de février 1970.
28 -- L'économie à l'envers : numéro 141 de mars 1970.
29 -- C'est pourquoi : numéro 142 d'avril 1970.
30 -- Sartre, philosophe de la contestation : numéro 143 de mai 1970 (note critique).
31 -- La crise intellectuelle du catholicisme français : numéro 148 de décembre 1970.
32 -- Mais c'est l' « américanisme » ! : numéro 151 de mars 1971.
33 -- Note sur la 54^e^ leçon du Cours de Philosophie positive d'Auguste Comte (I) : numéro 152 d'avril 1971.
34 -- Note sur la 54^e^ leçon (II) : numéro 153 de mai 1971.
35 -- Philosophie et théologie à l'envers : numéro 154 de juin 1971.
36 -- La grande hérésie (I) : numéro 159 de janvier 1972.
37 -- La grande hérésie (II) : numéro 160 de février 1972.
38 -- Les cabotins de la liturgie : numéro 163 de mai 1972.
39 -- Le temple écroulé (I) : numéro 164 de juin 1972.
40 -- Le temple écroulé (II) : numéro 165 de juillet-août 1972.
41 -- La communion solennelle, rite de passage ? : numéro 169 de janvier 1973.
42 -- De la justice (I) : numéro 170 de février 1973.
43 -- De la justice (II) : numéro 171 de mars 1973.
44 -- Révolution et contre-révolution : numéro 172 d'avril 1973 (note critique).
45 -- Réponse à l'enquête sur la lettre à Paul VI : numéro 173 de mai 1973.
46 -- Les méditations théologiques du P. Calmai : numéro 177 de novembre 1973.
47 -- La plus humaine des vertus. Court traité de la prudence : numéro 180 de février 1974 pour le septième centenaire de saint Thomas d'Aquin.
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48 -- Court traité de la prudence (II) : numéro 181 de mars 1974.
49 -- Court traité de la prudence (III) : numéro 182 d'avril 1974.
50 -- Histoire et fondement de la notion d'autorité (I) : numéro 183 de mai 1974.
51 -- La notion d'autorité (II) : numéro 184 de juin 1974.
52 -- La notion d'autorité (III) : numéro 185 de juillet-août 1974.
53 -- Dieu et la connaissance : numéro 187 de novembre 1974.
54 -- Carême et carambouillage : numéro 191 de mars 1975.
55 -- Deux formes de l'illuminisme : numéro 192 d'avril 1975 (note critique).
56 -- Une apologie de la vidange : numéro 194 de juin 1975.
### Ouvrages parus en librairie
-- La liberté de l'Esprit dans l'Expérience mystique, Paris, Éditions de la Nouvelle Équipe, 1933, épuisé.
-- La Doctrine de l'Intelligence chez Aristote, préface de M. Étienne Gilson, Paris, J. Vrin, 1934, épuisé.
-- Le Commentaire de Jean Philopon sur le troisième livre du De Anima d'Aristote, Paris, E. Droz et Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, 1935, épuisé.
-- Aristote et Plotin, Études d'Histoire de la Philosophie ancienne, Paris. Desclée de Brouwer & C°, 1935, épuisé.
-- La Philosophie de Gabriel Marcel, Paris, P. Téqui, Collection Cours et Documents, 1938.
-- L'Essence de la Poésie, Étude philosophique de l'Acte poétique, Paris et Bruxelles, Cahiers des Poètes catholiques, 1942. épuisé. -- Incarnation de l'Homme, Psychologie des Mœurs Contemporaines, Paris, Librairie de Médicis, 1942, et Bruxelles, Éditions Universitaires, 1944, épuisé. (Traductions en italien et en espagnol.)
121:196
-- Philosophie des Mœurs contemporaines, Homo Rationalis, Paris, Librairie de Médicis et Bruxelles, Éditions Universitaires, 1944. épuisé.
-- Du fond de l'Abîme. Essai sur la situation morale de notre pays au lendemain de la libération, Paris, Desclée de Brouwer & C°, 1945, épuisé.
-- Essai sur la Fin d'une Civilisation, Paris, Librairie de Médicis, 1949, épuisé. (Traductions en allemand, espagnol et italien.)
-- Mon Pays, où vas-tu ? Histoire et Philosophie de la Crise belge de 1950, Bruxelles, Éditions Universitaires, 1951, épuisé.
-- Deviens ce que tu es, Léon notre fils (en collaboration avec Marie De Corte), Bruxelles, Éditions Universitaires, 20^e^ mille, 1956, réédité aux Nouvelles Éditions Latines, Paris, 1969. (Traduction en espagnol.)
-- J'aime le Canada français, Québec, Les presses Universitaires, Laval, 1960, épuisé.
-- L'homme contre lui-même, neuvième volume de la « Collection Itinéraires », Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1963. (Traduction en italien.)
-- L'éternel féminin dans la religion méditerranéenne, Bruxelles, Latomus, 1965. (Traduit en italien, avec introduction et notes, par U. Pestalozza.)
-- L'intelligence en péril de mort, Club de la Culture Française, Paris, 1969. (Traduction en italien.)
-- La Grande Heresia, Ed. Volpe, Roma, 1971.
-- De la justice, Dominique Martin Morin, Jarzé, 1973.
-- De la prudence. La plus humaine des vertus, Dominique Martin Morin, Jarzé, 1974.
#### En préparation
-- De la force.
-- De la tempérance.
-- La tentation théocratique, ou le nouveau cléricalisme.
-- La mythologie marxiste.
122:196
-- Le traité de l'Ame d'Aristote, Introduction, traduction et notes.
-- La naissance de la pensée grecque.
### Autres publications
1928
-- Note Critique sur l' « Asinaria », Bruxelles, Revue Belge de Philologie et d'Histoire, t. VII, 1928, n° 4.
1930
-- Le pluralisme dans la théologie aristotélicienne, Revue belge de Philologie et d'Histoire, Bruxelles, t. IX, n° 3, pp. 869 à 877.
1931
-- Technique et Fondement de la Purification Plotinienne, Revue d'Histoire de la Philosophie, Paris, janvier-mars 1931, pp. 1 à 33.
-- La Causalité du Premier Moteur dans la Philosophie Aristotélicienne, Revue d'Histoire de la Philosophie, Paris, avril-juin 1931, pp. 1 à 42.
-- De quelques aspects de l'activité philosophique française en 1931, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 20, 7 août 1931, et n° 21, 14 août 1931.
-- Notes sur la spiritualité catholique contemporaine, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles n° 25, 11 septembre 1931, et n° 39, 18 décembre 1931.
1932
-- André Gide et la philosophie de la vie, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 47, 12 février 1932.
-- La philosophie et la science moderne. Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, 29 avril 1932.
-- Notes critiques sur le « De Anima » d'Aristote, Paris, n° 210-211, arvil-juin 1932, pp. 163 à 194, Revue des Études grecques.
-- Philosophie et mystique, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, 1^er^ juillet 1932, n° 15.
-- De l'état actuel de la philosophie. Revue catholique des idées et des Faits, Bruxelles, 26 août 1932, n° 22 et 23.
-- Glose sur un passage du « De Anima », Revue Néoscolastique de Philosophie, Louvain, mai 1932, pp. 239-247.
-- Notes exégétiques sur la Théorie aristotélicienne du Sensus Communis, The New Scholasticism, Baltimore, July 1932, pp. 187-214.
-- La dialectique de Plotin et le rythme de la vie spirituelle, Revue de Philosophie, Paris, n° 4, juillet 1932. pp. 323-367.
-- L'idée dans le thomisme, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 25, septembre 1932.
-- Descartes et la philosophie chrétienne, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 27. 23 septembre 1932.
-- Un dernier sursaut du scientisme, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 29, 7 octobre 1932.
-- Le moralisme sociologique de M. Dupréel, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, octobre 1932.
-- Histoire de la philosophie ancienne, Revue de Philosophie, Paris, n° 6, novembre 1932, pp. 593-608.
123:196
1933
-- Critique de la raison naturelle et de la raison surnaturelle, Revue catholique des Idées et des Faits ; Bruxelles, n° 44, 20 janvier 1933.
-- La Philosophie de Newmann, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles n° 53, 24 mars 1933.
-- Les Intuitions atomistiques, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 13, 23 juin 1933.
-- Esprit, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 27, 29 septembre 1933.
-- Chronique d'histoire de la philosophie ancienne, Revue de Philosophie, Paris, n° 6, novembre 1933, pp. 617-638.
-- Themistius et St Thomas d'Aquin, Revue-Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, Paris, t. VII, pp. 47-84, 1933.
-- Études sur les Manuscrits du Traité de l'Âme d'Aristote, Revue de Philologie, de Littérature et d'Histoire ancienne Bordeaux t. VII, n° 59, avril-juillet et octobre 1933, pp. 141-367.
-- La Tonalité du Mysticisme de Plotin, Bruxelles, Revue Hermès, décembre 1933, pp. 1-15.
1934
-- Métaphysique du monde nouveau, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 45, 2 février 1934.
-- De l'état présent de la Philosophie, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 5, 27 avril 1934
-- Les Origines ravaissoniennes du Bergsonisme, Washington, n° 2, April 1934, The New Scholasticism, pp. 103-151.
-- Rapports entre la Mystique et la Poésie, Revue Hermès Bruxelles, 3 mai 1934, pp. 16-20.
-- Sur quelques livres relatifs à l'Histoire de la Philosophie ancienne, Paris, Revue de Philosophie, 1934, pp. 550-568.
-- Pour l'organisation d'une chrétienté, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 6, 4 mai 1934.
-- Xénophon, M. Delatte et l'Humanisme, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, 8 juin 1934, n° 11.
-- La dernière étape de la philosophie de M. Blondel, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, 24 août 1934 n^os^ 21-22.
-- Un philosophe de la fidélité, M. Gabriel Marcel, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, 21 septembre 1934, n° 26.
-- Le problème philosophique de la Finalité et de l'Évolution, Association des Amis de l'Université, Liège, octobre 1934, pp. 234-257.
-- Réflexions sur Bergson et le bergsonisme, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 37, 7 décembre 1934.
1935
-- Idée sommaire de la Phénoménologie, Revue de philosophie, Paris, janvier 1935, pp. 24-42.
-- Correspondance, Bulletin thomiste, Le Saulchoir n° 5 janvier-mars 1935.
-- La science du caractère et ses applications pratiques, Revue catholique des Idées et des Faits, Bruxelles, n° 2, 5 avril 1935.
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-- Poésie et Métaphysique, Revue de Philosophie, Paris, n° 3, 1936, pp. 189-272.
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-- Réflexions hérétiques sur la question scolaire et le parti catholique, La Terre Wallonne, n°° 201-202, Charleroi, Juin 1936, pp. 1-176.
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-- Réflexions sur l'Humanisme du 17^e^ au 19^e^ siècle, L'Humanisme, n° 50, mars-avril 1936.
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-- L'Église et la Patrie, La Nation Française, Paris, n° 222, 8 Janvier 1960.
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-- Anarchie au Congo Belge, La Nation Française, Paris, n° 245, 15 Juin 1960.
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-- La grands misère du Congo, La Nation Française, n° 256, 31 août 1960.
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Dans La Libre Belgique, Bruxelles, 19 articles.
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-- Tactique et stratégie russes, Défense du Foyer, n° 25-26, février-mars 1961, pp. 115-118, Bruxelles.
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Dans La Nation Française, Paris, 10 articles.
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-- In Memoriam Camille Colruyt, Permanences, Paris, août-septembre 1973, pp. 57-70.
-- Une nouvelle idole : le travail, L'Ordre Français, Paris, février 1973, n° 168, pp. 8-20.
-- Evoluzione et Fondamento della Nozione d'Autorità, Vol. Fondazione Gioacchino Volpe, Autorità e Libertà, Primo Incontro Romano, Rome, Ed. Volpe, 1973, pp. 19-56.
-- Un exemple de mutation : Maredsous en Thélème, Courrier de Rome, n° 113, 15 février 1973, pp. 1-8, Paris.
-- Labor : a new Idol, 1^e^ partie, dans Monday World, Spring 1973, traduction David Levy, pp. 15-17, London.
-- La philosophie est-elle encore utile 7, Propos recueillis par Jacques van der Elst, dans Permanences, n° 100, mai 1973, Bruxelles, pp. 49-59.
-- A la veille des élections, L'Ordre Français, Paris, février 1973, 168.
-- L'État et le dynamisme de l'Économie, Centre d'Études et de Recherches des Cadres, 1^er^ trimestre 1973, Paris.
-- Orientations pour une rénovation de l'Économie, Centre d'Études et de Recherches des Cadres, 3^e^ trimestre, Paris, 1973.
-- Allocution aux pèlerins de Rome, Le Combat de la Foi, Supplément à Forts dans la Foi, n° 28, Paris, 1973.
-- Par-delà le voile, Bulletin Indépendant d'Information catholique, n° 97, septembre 1973, Orbals-Belgique.
-- La virtù della Fortezza contro la violenza rivoluzionaria, Glovani Volpe Editore, Rome, 1973.
-- In Memoriam Louis Jugnet, L'ordre Français, Paris, septembre-octobre 1973, pp. 24-29.
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-- Quand la catholicisme n'est plus un ordre, La Revue Universelle, Paris, avril 1974, n° 1, pp. 59-69.
-- La Septième Centenaire de la mort de Saint Thomas d'Aquin, Courrier de Rome, Paris, mai 1974, n° 130, pp. 1-12.
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-- Le mythe de la lutte des classes, La Revue Universelle, Paris, juillet-août 1974, n° 4, pp. 45-61.
-- Ni pleurer, ni rire, mais comprendre, La Revue Universelle, Paris, n° 5, septembre 1974, pp. 37-46.
-- Descartes et la Morale, L'Ordre Français, Paris, n° 185, pp. 26-36, novembre 1974.
-- Schéma de Pensés et d'Action, Le Billet du Patron, Waasmunster, septembre 1974, pp. 1-4, Les Journées de Waasmunster, Cahier 13.
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-- Considérations sur la réforme des entreprises et de la participation des travailleurs, Les Journées de Waasmunster, Cahier 14, février 1975.
-- Amour et société dans la philosophie politique de Bonald, L'ordre Français, 1^er^ mars 1975, n° 189, pp. 8-34, 11 avril 1975, n° 190, pp. 5-21, Paris.
-- Una Società contro l'Uomo, Linee di una difesa, Fondazione Gioacchino Volpe, Seconde incontro Romano 1974, Ed. Volpe, 1975, Rome.
-- Considérations sur l'ordre économique et social, La Revue Universelle, Paris, mars 1975, n° 9, pp. 428-437.
-- Réflexions sur la nature de la politique, L'Ordre Français, Paris, mai 1975, pp. 4-21.
-- In Memoriam Cardinalis Mindszenty, Revue Universelle des Faits et des Idées, Paris, 1975, n° 11, pp. 12-25.
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### L'essence du politique
Voici un inédit de Marcel De Corte. Ce n'est pas le texte de sa communication (elle aussi encore inédite) au III^e^ congrès de la Fondation Gioacchino Volpe (Rome 1975) : c'est une réflexion sur les travaux et le déroulement de ce congrès, dont parle plus haut Thomas Molnar dans son article.
La Fondation Gioacchino Volpe réunit depuis trois ans à Rome une douzaine de spécialistes de la philosophie politique caractérisés par leur réalisme, ainsi qu'une série d'invités. En 1973, le thème choisi pour les exposés magistraux et pour les débats qui. suivirent fut la *crise de l'autorité,* symptôme visible et signe universel de la maladie qui affecte et qui infecte l'essence de l'homme animal politique. Il était naturel que la rencontre de 1974 fût consacrée à la *crise de la société* et celle de 1975 à la *crise de l'État.* Du phénomène perceptible et observable, manifestant le mal dont souffre l'homme de notre temps, à son syndrome pathologique général et à sa cause la plus profonde, la ligne était toute tracée. Il faut remercier les organisateurs de ces réunions de leur objectivité clinique : ils ont été du signe et de ses manifestations globales à la chose signifiée et à son origine.
Comme nous allons le voir, il serait bon que la rencontre de l'an prochain gravite autour des relations entre l'animal politique et l'animal religieux qu'est l'homme. En définitive, la crise de notre époque se ramène à la confusion du temporel et du spirituel. Dans le mélange, tout s'amoindrit, écrivait Mistral : l'État, gardien du bien humain temporel, s'effondre, et l'Église, dépositaire du bien éternel, s'écroule. L'animal politique est malade, mourant même, parce que l'animal religieux en lui ne vit plus des certitudes surnaturelles qui confirment et revigorent constamment en lui par une sorte d'osmose son essence sociale. L'élément spirituel en l'homme se déspiritualise de plus en plus tout en gardant sa prétention désormais usurpée à la transcendance souveraine et totale sur sa vie temporelle.
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C'est à quoi je songeais en écoutant les communications de mes collègues et en improvisant au petit bonheur, à la demande du président des débats, une intervention qui devait en clôturer l'issue générale, une troisième journée étant spécialement consacrée à la situation critique de l'État italien.
Je ne puis évidemment résumer chacune des riches communications de mes prédécesseurs : Raoul Girardet, Julien Freund, Thomas Molnar, A. James Gregor, Gottfried Eisermann, Juan Beneyto, Sergio Ricossa, ni les autres interventions. Je me bornerai à rassembler en une sorte de synthèse les éléments qu'ils m'ont apportés et sans lesquels je n'aurais jamais pu élaborer mon propre diagnostic. Ceux-ci sont si nombreux, ils bourdonnent tellement en moi comme autant d'abeilles porteuses de miel, qu'au risque de les réduire à une formule, je dois tout de même en distiller le suc.
Mon collègue Juan Beneyto a justement parlé, au début de sa communication, de « la mort de Dieu », thème nietzschéen, marxiste et freudien, propre à notre temps. Il n'est que trop vrai de dire que le Dieu surnaturel révélé par l'Évangile est mort dans l'âme de nos contemporains, voire même s'ils font nominalement partie de l'Église. Mais l'empreinte qu'il a laissée dans l'histoire de l'Europe et, à travers celle-ci, dans l'histoire de la planète, est loin d'être effacée. Au contraire, le creux laisse par la disparition du Transcendant et de l'Infini n'a cessé d'exiger un substitut pour se combler.
On ne se débarrasse pas de Dieu le Père tout puissant, Créateur du Ciel et de la Terre, de toutes choses visibles et invisibles, en un tournemain. Il en est du christianisme comme de la civilisation grecque et latine. On a beau méconnaître Athènes et Rome, voire les honnir, les remplacer par Washington, Moscou et Pékin, il n'est rien, rigoureusement rien qui, dans ce qui représente la modernité par excellence : la technique, ne soit grec par sa source : « l'esprit de l'homme grec intrépide et savant », comme chantait Maurras. Il eût été impossible aux Américains d'atteindre la lune sans le théorème de Pythagore et la géométrie grecque est toujours présente en leurs calculs.
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Il n'est rien, rigoureusement rien dans la prodigieuse prolifération des lois et des règlements que nous connaissons, qui ne soit le rejeton, restitué à l'état sauvage, mais toujours enté sur sa racine, du droit romain. « J'appelle utopie, disait un poète espagnol, ce qui ne s'est point passé au cours de l'histoire de Rome. » Définir l'homme par l'avenir de l'homme, faire du passé table rase, comme on le veut aujourd'hui, n'aboutit jamais qu'à le rendre davantage présent, mais sous forme de caricature de son essence. La technique est l'anamorphose de la science grecque, comme le droit révolutionnaire moderne l'avorton du droit romain. La répudiation du passé transforme celui-ci, de nourriture qu'il était, en poison.
On peut en dire autant du christianisme. Son rejet le rend présent, mais comme élément convulsif, turbulent, perturbateur, révolutionnaire, destructeur. La robe sans couture du Christ devient la tunique de Nessus qui consume l'humanité démente et fait d'elle un Hercule tantôt furieux, tantôt amorphe. Le christianisme est peu à peu remplacé par son image invertie, pervertie, qui en usurpe, en les viciant, tous les attributs.
A mesure que les conférenciers précisaient leurs analyses, pourtant diverses de ton, d'inspiration, d'angles de vision, toutes convergeaient vers un point unique dont je me murmurais la portée en transposant le vers célèbre de Péguy relatif à l'argent déifié :
*L'État devenu maître à la place de Dieu.*
De plus en plus, même dans les sociétés prénommées libres où le Pouvoir se laisse impunément attaquer, où les pires licences se trouvent légalisées sous prétexte de libération totale de la personne humaine à égard de toutes les formes de contrainte, l'État étend sa puissance et devient l'Absolu dont tout dépend dans son être et dans son avoir.
Raoul Girardet le souligne : l'État moderne ne tolère rien au-dessus de lui. Il insinue son empire jusqu'au plus profond des consciences. Il est une Entité spirituelle et morale sacralisée, un nouveau Léviathan, omniprésent, totalitaire en dépit de son ventre mou, et ses innombrables tentacules bureaucratiques vont saisir le citoyen qui tente vainement d'échapper à son ascendant.
Julien Freund ne diffère pas d'opinion. Les nations méridionales sont, nous dit-il, beaucoup plus sensibles au communisme *parce* qu'elles sont catholiques. Retenons une autre formule de l'auteur de *L'essence du Politique,* car elle nous servira plus loin : « La démocratie est la forme que doit prendre l'État lorsqu'il entre en décadence. » L'extension de la démocratie à tous les secteurs des activités humaines devient alors l'alibi de toutes les dictatures.
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Seul le dictateur échappe à la condition égalitaire. On est aussitôt tenté d'ajouter : comme Dieu devant ses créatures. Nous assistons, ajoute-t-il, avec une pénétration non pareille, à la mobilisation de toutes choses par la confusion des essences diverses de l'économique, du social, du professionnel, de l'universitaire, etc. On est derechef tenté de dire que ce syncrétisme prend uniformément une valeur religieuse et qu'il s'agit là d'un existentialisme politique où l'expérience humaine vécue brasse en son psychisme toutes les caractéristiques qui différencient les choses, pour les posséder et les fondre en elle-même en utilisant la toute puissance de l'État. Chacun aspire à être tout et entre en perpétuel conflit avec son voisin. On pourrait appliquer à démocratie le vers admirable de Hugo :
*Je suis tous l'ennemi mystérieux de tout,*
en le retournant par la suite :
*Je suis tout l'ennemi mystérieux de tous.*
Et quand Julien Freund nous assure que nous n'allons pas vers un nouvel État, mais vers une forme politique nouvelle : l'Europe, dont il ne craint pas d'exalter, à l'encontre de tous les masochistes, la vocation planétaire en déclarant très haut que, sans elle, sans son expansion continue, le reste du monde ne serait rien, ne fait-il pas penser que cette conquête s'est d'abord effectuée sous le Signe de la Croix et en vertu de l'œcuménisme inhérent à la religion chrétienne ? « L'Europe, c'est la foi, et la foi c'est l'Europe », proclamait sans ambages Hilaire Belloc.
Lorsque Thomas Molnar nous ouvre les yeux sur la nature de l'État qui nous est de plus en plus contemporain en nous disant qu'elle est de plus en plus militaire et qu'elle est aux mains de ceux qui tiennent l'armée en main, ne nous dessine-t-il pas là l'image renversée de ce qu'on appelait naguère encore « l'Église militante » ? Quand il nous décrit le terrifiant régime monolithique que le nouvel État instaure, n'est-ce point là l'extrême contrefaçon de l'Église qui détient le monopole du salut surnaturel ? Et s'il nous parle de la divinisation dont les nouveaux chefs d'État militaires sont l'objet : Peron, Mao, Khadafi, N'Kruma, Mobutu, etc.... ne nous vient-il pas à l'esprit ne ces nouveaux dieux sont entourés d'un nouveau clergé dont la mission est de veiller à l'adoration des fidèles -- les militants du parti -- et d'assurer leur cohésion dans tous les domaines -- la bureaucratie -- ?
Dès qu'on aborde le problème de l'État moderne, l'observateur est contraint, bon gré mal gré, d'emprunter un vocabulaire religieux au christianisme pour en définir les données.
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S'il en est ainsi, n'est-ce point par ce que le Christianisme a tellement imprégné l'Europe et le monde que son progressif -- et progressiste ! -- effacement fait place au seul concurrent qu'il ait jamais rencontré au cours de son histoire : *l'État ?* Mieux encore, ainsi que nous en sommes les témoins, la « société » dite moderne n'est-elle pas le produit d'un christianisme décomposé, privé de son principe *surnaturel* et projeté dans le temporel ? Ce n'est point par hasard que toutes les « sociétés » contemporaines se veulent démocratiques et que la démocratie s'est apparemment étendue à toute la planète au cours de guerres, européennes d'abord, planétaires ensuite, qui s'appelèrent elles-mêmes des « croisades ». Qu'est-ce que la démocratie sinon l'image -- nous disons bien *l'image* dont le siège est dans l'imagination, dans « la folle du logis » -- strictement caricaturale de la société surnaturelle fondée par le Christ ? Bergson a parfaitement raison lorsqu'il déclare que « la démocratie est d'essence évangélique et qu'elle a pour moteur l'amour ». Seulement cette essence s'est corrompue et son moteur s'est transformé en amour abstrait de l'humanité, voué comme tel, en fonction de l'universalisme propre à toute abstraction, à la haine de tout individu concret, fait de chair et d'âme, qui refuse de s'identifier à ce concept mythique.
Il faut donc dire et redire, car la vérité en éclate, que le Christ n'est pas venu sauver les *sociétés* humaines, mais les *personnes* humaines. Le Christ a fondé cette société surnaturelle *unique* qu'est l'Église catholique, dépositaire de son mandat, société composée strictement de personnes désaffectées de tout indice social, hormis celui d'appartenir au Christ, d'être les membres de son Corps Mystique, communiquant entre elles, malgré le caractère incommunicable propre à la personne, parce que le Christ agit en chacune d'elles, se fait tout en toutes, selon l'expression de l'Apôtre, et confère à l'Église la fonction de garder en sa Vérité cette communication intime de Dieu à l'âme personnelle qui, sans la nécessaire armature sociale et hiérarchique de la dite Église dont le contrôle s'étend au plus profond de l'être, risquerait continuellement de dégénérer en illusion, en fantasmagorie, en mensonge qu'on se fait à soi-même. Une société de personnes n'est possible qu'au niveau surnaturel et dans la sphère d'une Église détentrice des Vérités dogmatiques auxquelles toute expérience vécue de Dieu au sein de l'âme ne peut que se conformer si elle est authentique.
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Mais que cette société de personnes vienne à se laïciser, à se séculariser, à se désurnaturaliser, on a cette impossible et inexistante « société » qu'on appelle « démocratique », formée d'individus purement et simplement juxtaposés et additionnés les uns aux autres, et qui est en fait une *dissociété.* Pour maintenir précairement dans l'existence les « membres » de cette *dissociété, il faut* la poigne puissante de l'État moderne *qui prend la relève* de l'Homme-Dieu, du Dieu incarné pour le salut *surnaturel* des pauvres humains, et qui s'incarne pour ainsi dire en eux, en leurs imaginations, à leur demande enthousiaste, leur promettant le Paradis sur terre. L'État démocratique est fatalement voué à être tout en tous puisqu'il est l'émanation totale de tous. Il est le substitut à la fois bouffon et tragique de l'Église.
Nous assistons à la dernière étape de ce que fut la fatale querelle entre l'Église et l'Empire, avec cette circonstance aggravante qu'après l'usurpation des attributs et des structures de l'Église par l'Empire, nous assistons à l'opération inverse, à la démocratisation de l'Église, à sa tentative désespérée de s'identifier à sa propre caricature pour s'assurer à nouveau le prestige temporel dont son rival l'a dépossédée. Le transfert du sacré qui s'est effectué de l'Église à l'État se réalise en sens inverse, de l'État devenu maître à la place de Dieu à l'Église « humaniste », temporalisée, mondanisée, désacralisée, dégringolée des hauteurs du surnaturel dans la nature sociale de l'homme qu'elle détruit selon les recettes révolutionnaires les plus éprouvées, afin de « témoigner en faveur de l'éminente dignité de la personne humaine ».
Plus précisément, nous assistons aux derniers sursauts d'une Chrétienté qui met longtemps à mourir avant de renaître ici-bas sous une forme impure ou là-haut sous sa forme pure. La *dissociété* moderne, la pseudo-société où nous sommes, l'État artificiel qui la maintient en existence précaire par ses crochets d'acier à mesure que le « personnalisme », rabattu du plan surnaturel au plan naturel, en pulvérise la nature, n'en sont que les sous-produits, la lie.
On comprend alors toute la portée de l'analyse effectuée, par Sergio Ricossa, de *l'État industriel,* forme ultime de la dissociété contemporaine, selon nous. L'État sans société sous-jacente *doit* devenir fatalement un *État industriel* où l'économique évince de plus en plus le politique jusqu'à le dissoudre en lui, où l'État socialise l'économie, où il joue le rôle de pompe aspirante et foulante de la productivité et de la répartition de celle-ci. Il est impossible qu'il en soit autrement.
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L'État né de la décomposition opérée par un christianisme dénaturalisé dans le corps social, ne peut pas ne pas s'approprier les biens matériels nés du dynamisme croissant de l'économie à l'époque moderne. Les deux mouvements se rejoignent, confluent et s'unissent dans un même fleuve dont le débit désordonné et torrentiel emporte sur son passage tout l'acquit de la civilisation, faute d'avoir été ordonné.
En effet, le dynamisme de l'économie contemporaine est la conséquence du christianisme qui a, lentement d'abord, plus rapidement ensuite, d'une manière diluvienne enfin a mesure qu'elle s'éloignait et s'émancipait de sa source, engendré la technique. Si le christianisme promet à la personne son salut surnaturel dans un autre monde, il ne pouvait que favoriser l'invention technique et la croissance de la productivité qui assurent à l'individu sa survie propre et, par elle, celle de l'espèce, *en ce monde-ci.* On ne produit évidemment pas pour produire. On ne produit que pour consommer, plus précisément la finalité de l'économie est biologique : elle permet au consommateur de garantir sa vie contre les aléas de la pénurie et de la famine. L'économie moderne est fille de la Chrétienté médiévale qui a mis l'accent sur le salut surnaturel de la personne, et, du coup, sur son salut matériel en cette vie. L'Antiquité n'a guère connu le progrès technique ni l'accroissement continu des biens matériels. Or, si la fin de l'économie est le consommateur, comme le consommateur peut seul, *par son corps qui l'individualise,* consommer des biens matériels, l'économie a pour fin la vie et la survie *de l'individu.* Elle appartient entièrement au domaine *privé,* tandis que la politique, dont la fin est le bien commun, appartient tout entière au domaine public. Les deux essences de l'économique et du politique diffèrent par leur finalité.
Il s'ensuit que l'État moderne dont la seule fonction est de maintenir dans son orbite les individus qui le composent par des moyens de plus en plus puissants à mesure où la société humaine s'atomise, ne peut pas ne pas s'annexer l'économique et le domaine privé. L'État moderne est entraîné sur la pente de la collectivisation. Le spectacle des États dits libéraux prouve sans contestation possible que ces États sont économiquement et politiquement lus socialistes que libéraux. Le socialisme sous toutes ses formes, rose pâle ou rouge vif, est un dérivé de l'abâtardissement du christianisme et de sa chute dans le temporel que nous observons depuis plusieurs siècles et qui a pris de nos jours une allure accélérée.
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Devant une telle situation qui tend à mécaniser toute la vie humaine en un État-machine dont quelques privilégiés détiennent les leviers de commande, sans pouvoir les maîtriser, on serait tenté de verser dans le désespoir. L'homme ne peut ni vivre, ni mieux vivre, ni survivre en dissociété. Cela est contraire à son essence humaine en ce qu'elle a de plus profond. En tout cas, le mot de Proudhon : « Ma prévision ne va pas au-delà de l'antithèse que nous suggère le présent », est d'une actualité brûlante. Tout est en effet *à l'envers.* Le christianisme devient un humanisme. L'humanisme. devient un « déshumanisme ». Tout ce qui est vie se mue en mécanique. La vie surnaturelle se transforme en « message révolutionnaire ». L'État assume à lui seul les fonctions de la société et de l'individu. L'économie tourne en sens contraire à sa finalité puisque l'État la déroute vers lui. On pourrait multiplier à l'infini les exemples dans tous les domaines.
Que faire ? D'abord, ne jamais, JAMAIS désespérer, même en face du pire des pires. La raison en est éclatante, solaire, éblouissante pour nos yeux de hiboux : la nature des choses ne peut être indéfiniment perturbée, elle finit toujours par avoir le dessus. Même si nous appartenons à des générations sacrifiées, il nous appartient de maintenir la nature des choses, chacun à notre manière, là où nous sommes placés par le destin de la naissance et de la vocation, *en faisant tout notre possible.* Personne ne peut nous ravir cette possibilité-là.
La nature des choses exige la distinction entre la nature et la grâce, entre le temporel et le spirituel, entre l'État et l'Église. Réclamons, requerrons de nos prêtres et de la Hiérarchie, si haut placée qu'elle soit, qu'ils remplissent leur fonction propre, leur fonction SANCTIFICATRICE. Sommons-les d'être des HOMMES DE DIEU, et RIEN D'AUTRE. A une époque où tout est dans tout, où sévissent le totalitarisme ainsi que la révolte individualiste qui l'engendre et le réengendre perpétuellement parce que « la personne humaine » ne se veut plus partie d'un tout social quelconque, il n'y a pas d'autre voie que celle-là : *en sauvant le surnaturel de la corruption, nous sauvons du coup le naturel de la mort.* Rien n'est plus urgent que la restauration de l'Église dans ses limites d'Église et dans sa vocation SANCTIFICATRICE : nous demandons aux prêtres d'être pour nous ce qu'ils ne veulent plus être et ce que Dieu et la nature des choses offensée les forceront d'être : des EXEMPLES DE SAINTETÉ, *comme le Christ,* leur Maître et le nôtre.
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Cette distinction entre les essences et les finalités des activités humaines, dont Julien Freund nous rappelle sans cesse l'importance capitale, doit se prolonger dans l'ordre économique et dans l'ordre politique. Il importe avant toutes choses, dans la mesure du possible et contre l'impossible qui semble nous contraindre à laisser tomber les bras, de restituer à l'État sa fonction politique de gardien du bien commun. Je sais bien que l'État sans société qui nous surplombe de sa masse effrayante n'est plus un État parce qu'il n'y a plus de société et qu'il importe, comme nous le disait Raoul Girardet, de refaire une société avant de clamer à cor et à cri : « Politique d'abord », mais rien n'empêche que nous refassions, chacun pour notre propre compte, dès maintenant, dans chaque geste de la vie quotidienne, cette société sans laquelle nous ne pouvons plus être des hommes. Rien n'empêche que nous commencions à retisser la trame du bien commun en étant tout simplement des socii, des associés aux autres, par un geste de politesse à leur égard par exemple, par un sourire, par le rappel des grandes vérités que la civilisation nous a transmises et en les incarnant dans notre comportement journalier, et par tant d'autres intermédiaires entre le plus humble et le plus noble niveau d'une société digne de ce nom. Toute société se reconstitue, non par décret, moins encore par la terreur, mais d'une manière madréporique : comme font ces animalcules des Océans du Sud qui, petit à petit, s'agrègent, forment des atolls, deviennent des îles humainement habitables. Ainsi l'État se reconstruira-t-il parallèlement, parfois même en devançant la lente croissance de la vie afin de mieux la canaliser et d'en orienter la force, avec toute la prudence, la ferme prudence nécessaire. Le bien commun, le bien public n'est pas une entité abstraite, mais l'intégration d'une multitude fantastique de gestes quotidiens. Il se résume tout entier en une formule dont nous ne finirons jamais d'épuiser le sens : « le bien est tout ce qui unit, le mal -- et en particulier le mal mortel qu'est la pseudo-démocratie née d'un christianisme dégénéré -- est tout ce qui sépare ».
L'État soucieux du bien commun n'a pas, à être à la fois *juge et partie* dans le domaine économique Qui est aussi le domaine privé par excellence. La distinction entre l'essence de l'économique et l'essence du politique est de la plus extrême urgence si nous ne voulons pas que l'État se dégrade en « État industriel ». Elle n'est pas impossible puisque la nature la veut. Et comment la réaliser si l'on ne rappelle pas sans lassitude que la fin de l'économie est le consommateur, non point vache grasse en période d'abondance et vache maigre en période de pénurie, mais être doué de liberté parce que doué de raison, de volonté, de moralité ?
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Cela se peut parce que cela se doit, parce que la nature des choses nous impose de le clamer hautement contre cet « État industriel » qui n'est autre que la superstructure d'une « société de producteurs » à tous les échelons de la hiérarchie, laquelle société, en érigeant comme fin la productivité et les producteurs, fait tourner l'économie à l'envers, a constamment besoin de la puissance accrue de l'État pour la faire graviter autour d'elle, et finit, comme toute chose trop artificielle, trop au rebours de l'ordre de la nature, par périr parce quelle coûte trop cher. Les hommes seront-ils sourds à cette voix de la raison ? S'ils le sont, c'est parce que nous-mêmes nous nous refusons à l'entendre. A nous, dès lors, de porter la responsabilité de la ruine de cette pseudo-civilisation technique dont nous sommes si fiers et qui nous fera périr avec elle si nous ne l'orientons pas vers sa fin naturelle.
Serons-nous même incapables de concilier entre elles les essences différentes du spirituel et du temporel, du politique et de l'économique, alors que nous allions ensemble celles de la douceur et de la fermeté et de tant d'autres encore, toutes aussi différentes, et que la nature nous y presse, selon son vœu, qui est de réaliser l'antique précepte pythagoricien, « l'accord du discordant » ?
Marcel De Corte,
professeur à l'Université de Liège.
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## CHRONIQUES
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### Solesmes et la messe
par Louis Salleron
JEAN MADIRAN m'a fait cadeau d'un petit livre (128 pages) de Dom Guy Oury sur «* La Messe, de S. Pie V à Paul VI *» (Solesmes, 1975).
Je l'ai lu, -- avec mélancolie.
Pourquoi avec mélancolie ? Parce que le Solesmes actuel est bien loin du Solesmes de jadis.
C'est en août 1921 que j'ai connu les bénédictins de Solesmes, à Quarr Abbey, dans l'île de Wight. Je prenais mes vacances à Corves. J'allais avoir 16 ans. Je venais de passer la première partie du baccalauréat. La jeunesse, la liberté, le dépaysement, un examen réussi, une atmosphère d'après-guerre où la victoire faisait croire à la paix perpétuelle, tout contribuait à ma béatitude. Quarr Abbey, près de Ryde, était à une heure ou deux de bicyclette de Corves. Cette année-là, puis l'année suivante, je m'y rendais souvent, avec mon frère et deux camarades de collège retrouvés par hasard.
De 1923 à 1927, le chemin de Quarr devint le chemin de Solesmes, où je me précipitais dès que j'avais une journée ou une semaine de libre. Que d'heures passées en compagnie de Dom Aubourg, de Dom Jamet, de Dom Genestout, -- les jeunes du monastère. Dom de Sainte-Beuve m'initiait aux mystères de la paléographie. Quand Joseph Bonnet était là, je montais à l'orgue. L'esprit de la liturgie me pénétrait à travers les offices, qui ne me semblaient jamais longs. De loin j'admirais les monstres sacrés, l'ancien abbé Dom Delatte, poussé dans sa petite voiture par Dom Blanchon-Lasserve, Dom Mocquereau, Dom Cagin, Dom Heurtebize, tous les vieux et les un peu moins vieux, Dom de Saint-Michel, Dom Gajard, Dom Brunet... Et puis il y avait les frères : le frère Jean-Marie, toujours priant et souriant, que j'imaginais être un saint (il l'était peut-être), le frère Charles, que j'appréciais particulièrement parce que son café au lait du petit déjeuner était toujours chaud, tous les autres...
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Depuis 1927, je ne suis retourné à Solesmes qu'en de rarissimes circonstances. Il y a trois ou quatre lustres j'ai fait la connaissance de Dom Prou, l'abbé actuel, dont j'eus l'occasion d'apprécier la bonté et la simplicité.
Mais il ne s'agit pas de Dom Prou, ni de Dom Oury, ni d'aucun autre. Il s'agit de « Solesmes ». Solesmes, ne sont-ce pas ses moines ? Sans doute. Je ne cherche ni à les disculper, ni à les charger. Mais une institution ne se confond pas purement et simplement avec ses hommes. Il y a eu un Solesmes, qui pour tout le monde est Solesmes, le Solesmes de Dom Guéranger. Il y a aujourd'hui un autre Solesmes qui, physiquement, est la suite du premier, mais qui, doctrinalement, en est presque le contraire. C'est ce nouveau Solesmes qu'exprime si bien le livre de Dom Oury, et qui m'afflige profondément.
« *Depuis six ans déjà, écrit Dom Oury, les controverses se poursuivent autour du Missel de saint Pie V. Les articles et même les ouvrages parus à ce sujet* (*ceux notamment de M. Salleron et de M. da Silveira*) *suffiraient à constituer une petite bibliothèque.*
« *Bien souvent leurs auteurs affirment n'avoir encore reçu aucune réponse pertinente qui réfute vraiment les arguments mis par eux en avant. Aussi a-t-il paru nécessaire, en dehors de tout esprit de polémique, de constituer une petite somme proposant les réponses essentielles que l'on peut apporter à ceux que préoccupe douloureusement ce problème.* » (*p. 1*)*.*
Le livre comporte six chapitres :
I *-- Le nouveau Missel a-t-il été régulièrement promulgué ?*
II *-- Le Missel de saint Pie V est-il réellement abrogé ?*
III *-- L'Ordo Missae de Paul VI, témoignage d'une foi équivoque ?*
IV*. Doctrine traditionnelle et formes liturgiques nouvelles dans l'Ordo Missae.*
V *-- Le nouvel Ordo Missae et l'évolution homogène des rites.*
VI *-- L'Ordo Missae de Paul VI et les frères séparés.*
Sept annexes examinent les points suivants :
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I *-- L'incise* «* Mysterium fidei *» *dans les paroles de la consécration.*
II *--* «* Hoc facite in meam commemorationem *», *simple narration ou célébration de l'Eucharistie.*
III *-- Les Prières eucharistiques des églises protestantes.*
IV *-- L'Introduction à l'* «* Institutio generalis *» *du Missel romain.*
V *-- Quelques affirmations du caractère sacrificiel de la Messe dans les Oraisons du Missel de Paul VI.*
VI *-- L'article de Max Thurian dans* « *La Croix *»*.*
VII *-- L'aspect sacrificiel de l'Eucharistie dans le Missel de Paul VI* (*Cal Knox*)*.*
Commençons par les compliments.
Tout d'abord, cette table des matières montre bien que Dom Oury n'a pas fui le débat mais qu'il s'est, au contraire, appliqué à traiter les questions qui font difficulté dans la Nouvelle Messe.
Ensuite, il est parfaitement irénique et s'abstient d'user d'un ton agressif contre ceux qui ne partagent pas ses idées.
Enfin, il est fort savant. On apprend donc, à le lire, une foule de petites choses qui ne manquent pas d'intérêt en elles-mêmes, quoiqu'elles ne renforcent en rien sa thèse.
Ceci dit, c'est la thèse qui est indéfendable ou du moins infiniment contestable. J'ajoute que, réserve faite de sa bonne foi subjective, elle n'est pas présentée d'une manière objectivement honnête, car elle passe sous silence tout ce qui contribue à la ruiner.
Comment répondre à ce livre ? S'il fallait le faire en détail, ce serait écrire un autre livre, double du sien. Je m'en sens d'autant moins l'envie que, pour l'essentiel, je ne pourrais que reprendre tout ce que j'ai déjà écrit dans « *La Nouvelle Messe *» (Nouvelles Éditions Latines) et dans des dizaines d'articles. Je me bornerai donc à quelques joints, importants ou secondaires, mais où l'on verra bien, je l'espère du moins, ce qui vicie l'argumentation de l'auteur.
\*\*\*
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Souvent je me suis demandé comment Solesmes, dont on aurait été en droit d'espérer l'achèvement de la restauration liturgique commencée par Dom Guéranger et poursuivie par Pie X et Pie XII, s'était effondré avec Vatican II pour, finalement, se mettre à la remorque de la Bureaucratie vaticano-gallicane qui, par le saccage de la liturgie, semble s'être assigné pour mission de détruire l'Église. Dom Oury m'apporte la réponse : « *Puissent ces pages,* écrit-il dans son avant-propos, *être utiles à ceux qui croient que l'Église ne peut pas défaillir dans sa foi et que l'assistance de l'Esprit Saint lui a été promise jusqu'à la consommation des siècles *» ([^250])*.* Où Dom Oury place-t-il donc la foi de l'Église et son infaillibilité ? A le lire attentivement, on voit que sa réponse tient dans une série de propositions qui s'enchaînent les unes aux autres pour constituer une thèse à ses yeux irréfutable.
1°) La liturgie est « norme et expression de la foi » (p. 42). « L'enseignement doctrinal et les formules de la liturgie sont en connexion nécessaire ; étant proclamation de la foi sous forme de louange ou sous forme d'action, la liturgie est l'exercice du magistère de l'Église » (p. 44). Bref, *lex orandi, lex credendi.*
2°) Dans l'ensemble de la liturgie il faut distinguer la liturgie *romaine.* On peut « tenir pour règle que l'autorité doctrinale d'un élément de la liturgie se trouve en dépendance très particulière de l'autorité doctrinale que possède celui qui l'a composé, approuvé et promulgué : d'où la situation privilégiée de la liturgie de l'Église romaine » (p. 42). « ...lorsqu'il s'agit de réalités aussi essentielles, aussi vitales pour l'Église que la célébration de l'Eucharistie, il est impossible d'admettre qu'il se soit glissé dans la liturgie de l'Église romaine des formules d'une théologie imprécise ou équivoque » (p. 42). « De quelque manière que l'on aborde la question, il est clair que la liturgie de l'Église romaine se trouve dans une situation privilégiée par le fait qu'elle est approuvée, promulguée par une autorité qui jouit du charisme de l'infaillibilité dès lors qu'elle donne un enseignement constant (...) la liturgie *légitime* ([^251]) de l'Église romaine est donc garantie de la même manière que l'exercice de son magistère par l'assistance de l'Esprit Saint et aux mêmes conditions pour tout ce qui touche à l'objet même de la foi » (p. 44). Bref, *lex credendi, lex orandi.*
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3°) Dans le cas de la Nouvelle Messe, nous sommes en présence de la liturgie légitime, et régulièrement promulguée, de l'Église romaine. Donc tous les problèmes sont résolus. Il y avait hier la messe de saint Pie V. Il y a aujourd'hui la messe de Paul VI. Un point c'est tout. L'Église ne change pas.
Quel est le point fixe là-dedans ? Manifestement, c'est *Rome.* La foi de l'Église était *romaine,* elle l'est toujours. La foi de Solesmes était *romaine,* elle l'est toujours. C'est ce que j'appelle le nouveau fidéisme. On ne veut plus exercer son intelligence : on « croit ». Le fidéisme de naguère, c'était de croire en Dieu, à Jésus-Christ, aux vérités révélées, sans souci des motifs de crédibilité ou en les tenant pour dérisoires, voire inexistants. Le nouveau fidéisme, c'est de croire à Rome, au Pape, au Saint-Siège, sans autre souci, quant à ce qui en émane, que d'en justifier la forme et le fond. *Roma locuta est, causa finita.* Le « fondamentalisme » passe des textes de l'Écriture Sainte à ceux du Vatican.
En réalité, chaque maillon de la chaîne démonstrative de Dom Oury devrait faire l'objet de distinctions infinies. Quant à la chaîne, elle craque aussitôt qu'on y touche. L'Église elle-même a pris grand soin de définir ce qui est infaillible dans son enseignement. Il y faut le pape ou le concile, avec volonté expresse de promulguer une vérité qui engage l'infaillibilité de l'Église. C'est rarissime. Dans les deux derniers siècles, si nous énumérons l'Immaculée Conception, l'infaillibilité pontificale et l'Assomption, nous en avons peut-être fait le tour. Ensuite nous entrons dans la hiérarchie extrêmeent subtile et délicate des actes du Magistère. Il ne s'agit pas le moins du monde d'en contester la valeur, ni l'obéissance qu'ils requièrent normalement. Mais nous sommes dans le domaine de la Loi, où la conscience et l'intelligence ont une liberté d'exercice qui, pour être elle-même soumise à des règles, n'en est pas moins réelle, sous peine de tomber dans le fidéisme. En dehors de l'objet de foi défini par l'Église, il n'y a pas de critère *absolu* pour détecter la vérité et obliger à l'obéissance. Vouloir *absolutiser* tel ou tel critère pour s'assurer qu'on est dans la foi de l'Église, c'est de l'idolâtrie. Le nouveau fidéisme incline à cet intégrisme idolâtrique. Il est redoutable, car s'il a, aujourd'hui, de quoi « sécuriser » les esprits, il les laisserait sans recours le jour où les formes extérieures de l'Église viendraient à disparaître. Qui nous dit que demain nous n'aurons pas deux papes, ou un pape contesté, ou pas de pape du tout, ou un nouveau système de gouvernement de l'Église ? La « révolution d'octobre » qu'a été Vatican II nous a déjà menés assez loin pour que toutes les hypothèses soient possibles.
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Dom Oury ne jure que par Rome. Son apologie de la Nouvelle Messe ne vise que l'Ordo Missae. Il s'abstient de nous dire ce qu'il pense de la Nouvelle Messe telle qu'elle existe en France et en français, dans les textes et dans la pratique. A l'occasion, il condamne les excès, les abus. Mais la liturgie elle-même ? L'identifie-t-il à la liturgie romaine ? Nos évêques auraient beau jeu de lui dire que tout ce qu'ils éditent, approuvent, protègent ou tolèrent a l'approbation expresse ou tacite de Rome. Pour nous borner aux textes, le P. Renié a fait une étude critique des traductions françaises du Missel et des Lectionnaires ([^252]). Elle est édifiante. Un prêtre français qui, sans la moindre fantaisie de son cru, célèbre la Nouvelle Messe en utilisant les traductions françaises, approuvées par Rome, est-il dans le droit fil de l'obéissance à Rome ? Observe-t-il la *liturgie romaine ?* Et nous, sommes-nous fondés à critiquer les ordonnances, les instructions, les décrets et autres actes de toute nature qui prescrivent ou autorisent l'emploi de ces textes ?
Dom Oury me dirait probablement qu'il faut *distinguer.* C'est bien précisément ce que je pense. Il faut distinguer, ici *comme ailleurs*.
A Solesmes, où l'on célèbre, je crois, la Nouvelle Messe en latin, donne-t-on la communion dans la main ? Si Solesmes, en ce point, se conforme à la liturgie de l'épiscopat français, estime-t-il obéir à Rome, qui l'interdit en Italie ? Et s'il ne s'y conforme pas, n'estime-t-il pas désobéir à Rome, qui autorise l'épiscopat français à déroger, en ce point, à la liturgie « romaine » ?
S'accrocher à la liturgie *romaine*, c'est s'accrocher à quoi quand Rome favorise partout l'éclosion des liturgies nationales dans une conception générale de la liturgie qui veut celle-ci indéfiniment *évolutive*, *adaptative* et *créative *?
Parmi tous les silences de Dom Oury, l'un des plus étonnants concerne les messes d'enfants et les cinq nouvelles prières eucharistiques (trois pour les messes « avec » enfants et deux « de réconciliation »).
Laissons les messes d'enfants, qui ne sont plus que des squelettes de messe -- des squelettes *romains* -- et considérons les prières eucharistiques. Les Conférences épiscopales ont à choisir *une* messe dans chaque catégorie (enfants et réconciliation).
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Comme, bien entendu, ces nouvelles prières seront dites en langue vulgaire, il est précisé que « l'interprétation populaire du texte choisi sera approuvée par les Conférences épiscopales et soumise à cette S. Congrégation du Cuite divins pour confirmation ». Il s'agit, pensera-t-on, du mot latin « interpretatio » qui est rendu habituellement par le mot français « traduction ». Erreur. La suite nous en informe : « L'interprétation populaire (*interpretatio popularis*) du texte choisi peut être faite *avec une* *certaine liberté* afin de répondre pleinement aux exigences et au génie de chaque langue et elle pourra *différer quelque peu* (*aliquantulum differre*) du texte latin, selon ce qui est dit dans les « Praenotanda » des messes avec les enfants, nn. 9-11. Cependant la *structure* (*structura*) de la Prière eucharistique et la *signification* du texte sont à conserver (*sic*), et les formules de consécration qui doivent être les mêmes dans toutes les Prières eucharistiques, sont à interpréter (*interpretandae --* à traduire) *fidèlement et littéralement *»*.*
Qu'est-ce qui a décidé cela ? Le pape. Il l'a décidé (*statuit*) le 26 octobre 1974.
Dom Oury trouvera tout cela dans le n° 101 des *Notitiae*, de janvier 1975, ou à défaut dans l'étude qu'y consacre « La révolution permanente dans la liturgie » (par « Missus Romanus », du Courrier de Rome -- Éd. du Cèdre). Nous en sommes au stade, annoncé par Annibal Bugnini de « l'adaptation ou incarnation de la forme romaine de la liturgie dans les usages et les mentalités de chaque Église ». Comme l'explique la S. Congrégation du culte divin « De nouveaux problèmes surgissent chaque jour qui montrent la *nécessité d'une rénovation continue* (*necesssitatem continuae renovationis*) et en même temps l'importance et l'efficacité de la liturgie dans l'Église. »
Des liturgies *nationales*, en langue *vulgaire* et en *perpétuelle évolution*, mais *approuvées par Rome*, sont-elles ou ne sont-elles pas des expressions de cette *liturgie romaine* que Dom Oury voit comme garante infaillible de la foi de l'Église ?
Dom Oury répondra sans doute qu'il s'en tient au *Missale Romanum*. Mais pourquoi ? Y aurait-il un pape du *Missale Romanum*, qui serait celui de la liturgie *romaine, stable* et *sans bavure,* et un autre pape qui serait celui de la liturgie *pluraliste, évolutive et fantaisiste ?* Si c'est le pape, en tant que pape et évêque de Rome, qui, par lui-même et par ses dicastères, est garant de la liturgie, comment peut-on canoniser la liturgie romaine au détriment des formes variées de la liturgie *universelle ?* Aussi bien l'expression «* liturgie romaine *» avait un sens quand il y avait des liturgies *traditionnelles diverses.* Quel sens peut-elle avoir quand la tradition est remplacée par la volonté populaire (bureaucratique) ratifiée par Rome, selon la loi ou l'esprit du Concile ?
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Positivement, *il n'y a plus de liturgie romaine. La réforme liturgique l'a abolie.* Dans la mesure où Dom Oury voudrait la distinguer du foisonnement anarchique actuel il ne le pourrait qu'en s'attachant à la messe traditionnelle de saint Pie V -- qu'il refuse justement ! Le simple fait que le nouveau Missel « Romain » autorise de nouveaux canons à égalité avec l'antique « canon romain » vide de toute substance l'idée d'une *liturgie romaine* qui subsisterait aujourd'hui *en différence d'autres liturgies.* C'est sa volonté même de considérer comme régulière et obligatoire une législation douteuse émanant de Rome qui conduit Dom Oury à s'enfermer dans une insoluble contradiction. Rome proclame : « Il n'y a plus de liturgie romaine ». Dom Oury déclare : « Au nom de ma fidélité à la liturgie romaine j'embrasse avec joie la décision de Rome ».
Dom Oury ne pourra s'en tirer qu'en distinguant, distinguant, distinguant... Et il aura raison. Mais pourquoi les distinctions, les analyses et les critiques s'arrêteraient-elles à la Nouvelle Messe ?
Parce que, répondra-t-il sans doute, le nouveau missel romain a été régulièrement promulgué.
Je note que l'examen de cette question fait la matière du premier chapitre de son livre. C'est intéressant. Quand l'anarchie commence à se manifester dans une société -- grande ou petite, ecclésiastique ou laïque, -- on commence à disputer de la légitimité, de la légalité, de la validité, de la licéité des textes et des actes. C'est fatal. Avant le Concile, ce qui venait de Rome, bon ou mauvais, agréable ou désagréable, était du moins certain. Aujourd'hui tout est contesté, au nom même du Concile qui se veut pastoral et non doctrinal.
Bornons-nous à la Constitution *Missale Romanum.* Pour Dom Oury, elle est régulièrement promulguée et parfaitement claire.
Voilà ce dont je suis beaucoup moins sûr que lui. Comme nous sommes ici en plein « juridisme » il faudrait des pages et des pages pour examiner la question sous tous ses aspects. Je ne peux que renvoyer à mon livre et à mes articles, à celui notamment que j'ai consacré au « problème de la messe dans la perspective de l'obéissance » ([^253]).
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« Le Jeudi-Saint 1969, écrit Dom Oury, le nouvel « Ordo Missae » étant prêt et le missel sur le point de paraître, le pape Paul VI promulgue l'un et l'autre (le second par anticipation) par la Constitution apostolique « Missale Romanum » (3 avril 1969) » (p. 16). Voilà qui appelle quelques observations.
1\) Promulguer « par anticipation » un texte qui n'existe pas encore -- le *Missale Romanum* sera présenté au pape le 11 mai 1970, c'est-à-dire un an plus tard -- n'est pas banal ! De quoi faire frémir les canonistes.
2\) Il y a eu trois éditions typiques de l'*Ordo Missae* avec notamment, de la première à la seconde, une modification substantielle du texte de la Constitution (addition du paragraphe sur la date d'entrée en vigueur).
3\) Le *titre* de la Constitution est : « Constitutio apostolica qua Missale Romanum (...) *promulgatur *»*,* mais le *texte* même de la Constitution ne *promulgue* rien du tout.
4\) En tête de l'édition typique de l'Ordo Missae, un décret du 6 avril 1969, signé du cardinal Gut, préfet de la Congrégation des rites et président du *Consilium,* et de Mgr Antonelli, secrétaire de la Congrégation, promulgue le nouvel Ordo en ces termes : « Ordine Missae ad normam Constitutionis de sacra liturgia *instaurato*, eodemque a Summo Pontifice Paulo VI per Constitutionem Apostolicam Missale Romanum, die 3 aprilis 1969 *datam, approbato,* haec Sacra Rituum Congregatio *de speciali mandato eiusdem Summi Pontificis* praedictum Ordinem Missae *promulgat... *». Ici*,* c'est le décret du cardinal qui, par mandat spécial du Pape, *promulgue* le nouvel Ordo Missae, *approuvé* par le Pape selon la Constitution qu'il a *donnée* le 3 avril.
5\) En tête de l'édition typique du Missale Romanum (qui inclut l'Ordo Missae) un décret du 26 mars 1970, signé du cardinal Gut et d'A. Bugnini, *promulgue* « la nouvelle édition du Missel Romain » (...novam hanc editionem Missalis Romani (...) *promulgat...*)*.* Dans cette édition figure le texte *corrigé* de l'Institutio generalis, différent donc du texte original des trois premières éditions typiques de l'Ordo Missae (déjà promulgué, selon un autre texte).
6\) On note, curieusement, que dans le Missale Romanum la Constitution apostolique figure à la table des matières sous le titre « *Litterae Apostolicae* Pauli VI, quibus novum Missale Romanum *approbatur *»*,* alors qu'à la table des matières de l'édition typique de l'Ordo Missae elle figure sous son titre de « *Constitutio Apostolica* qua Missale Romanum (...) *promulgatur *»*.*
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7\) De même que le texte de la Constitution apostolique ne *promulgue* rien -- la *promulgation* ne figurant que dans le titre, de même la « Constitution » n'est mentionnée comme telle que dans le titre. Le mot « Constitution » n'apparaît que dans le paragraphe subrepticement ajouté à la seconde édition typique de l'Ordo Missae (« Quae *Constitutione* hac Nostra praescripsimus... »).
Si je donne toutes ces indications fastidieuses, c'est parce que Dom Oury tient à démontrer que le nouveau missel a été « régulièrement promulgué ». Quand, parlant de l'Ordo Missae et du missel, il écrit que « le Pape Paul VI promulgua l'un et l'autre (le second par anticipation) », je suis bien obligé de constater que la formule est inexacte. Mentionnant le décret du 6 avril 1969, il ajoute qu' « un simple décret de la Congrégation des rites aurait suffi à promulguer l'*Ordo Missae *» (p. 18) ; je l'imagine volontiers, sans être canoniste, puisque effectivement le décret du 6 avril 1969 qui promulgue l'Ordo Missae figure en tête dudit Ordo, comme le décret du 26 mars 1970 qui promulgue la nouvelle édition du Missale Romanum figure en tête dudit Missale. Mais alors que ces promulgations diverses, émanant soit (douteusement) du pape, soit de la Congrégation des Rites ou du Culte divin, semblent signifier aux yeux de Dom Oury que le nouvel Ordo Missae est non seulement régulièrement promulgué mais, si je puis dire, archi-promulgué et de manière archi-régulière, l'étant deux ou trois fois plutôt qu'une, j'y vois pour ma part un grand désordre et une grande confusion, car on ne sait plus à la fin non seulement *qui promulgue* et *qui a qualité pour promulguer,* mais même *ce qui est promulgué,* puisqu'il s'agit de textes qui varient d'une édition à l'autre de l'Ordo Missae et pour ce qui concerne les textes de l'Ordo Missae, de la dernière édition de celui-ci à l'édition du Missale Romanum où ils sont incorporés. En fait de promulgation « régulière », on est servi !
Mais, question de promulgation mise à part, que *prescrit* la Constitution Missale Romanum ?
Pour Dom Oury la réponse est simple. Le Nouveau Missel -- « régulièrement promulgué » -- est *obligatoire* et *abroge* de ce fait le Missel de Pie V, ainsi que la Bulle *Quo Primum* en toutes ses dispositions, dont l'indult permanent.
Mais, encore une fois, que *prescrit* la Constitution ? Elle est essentiellement une *présentation du* Nouveau Missel. Vers la fin figure la fameuse phrase : «* Ad extremum, ex iis quae hactenus de novo Missale Romano exposuimus quiddam nunc cogere et efficere placet *» dont la traduction française officielle fit :
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« Pour terminer, *nous voulons donner force de loi* à tout ce que nous avons exposé plus haut sur le nouveau Missel Romain. » Il s'agissait d'ancrer dans l'esprit du lecteur les idées de loi et d'obligation. Les latinistes rectifièrent. Outre qu'on voit mal comment il serait possible de « donner force de loi » à un « exposé », *cogere et efficere* signifiait tout autre chose ([^254]). Dom Oury traduit passablement : « Pour finir, ce que nous avons exposé au sujet du nouveau Missel romain, il nous plaît d'en déduire et d'en tirer au clair un point particulier » (p. 17).
L'avant-dernier paragraphe de la Constitution est celui qui fut *ajouté* dans la seconde édition typique : «* Quae Constitutione hac nostra prescripsimus vigere incipient a die XXX proximi mensis Novembris hoc anno, id est a Dominica I Adventus. *» *--* « Ce que nous avons prescrit par notre Constitution entrera en vigueur le 30 novembre prochain de cette année \[1969\], premier dimanche de l'Avent. » Ce paragraphe additionnel apparut, nous dit Dom Oury, dans les *Acta Apostolicae Sedis* « peu après » la première édition du nouvel Ordo et figura ensuite dans les éditions successives. L'addition, parfaitement irrégulière, pose de nombreux problèmes juridiques (que nous n'examinerons pas). Mais ce qu'on peut se demander c'est à quelle intention elle correspond. Elle fixe une date. Mais cette même date est fixée par le décret du 6 avril du cardinal Gut. Était-ce insuffisant ? Il semble que l'introduction du mot « Constitutione » et sa liaison avec « praescripsimus » ait pour objet d'évoquer confusément et solennellement l'idée d'obligation. La traduction officielle ne se gêna pas pour dire : « *Nous ordonnons* que les prescriptions de cette Constitution... » Dom Oury lui-même traduit (inexactement) : « Cette présente Constitution, *nous prescrivons* qu'*elle* entre en vigueur... »
Quoi qu'il en soit, c'est le dernier paragraphe seul qui nous permet de répondre à la question : que *prescrit* la Constitution ? La réponse est : «* Nostra haec autem statuta et praescripta nunc et in posterum. firma et efficacia esse et fore volumus, non obstantibus,* etc*. *» -- « Nous voulons que ce que nous avons statué et prescrit soit ferme et efficace maintenant et dans l'avenir... »
C'est donc ce que le pape a « *statué et prescrit *» dans la Constitution qui doit être tenu *fermement* et *efficacement.*
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J'ignore si les termes *firma* et *efficacia* ont un sens précis en droit canonique. En tous cas, leur sens général est clair : « Nous voulons qu'on s'en tienne *fermement* et *efficacement* à ce que nous avons *statué* et *prescrit*. »
Qu'est-ce qui est donc statué et prescrit dans la Constitution ? Elle n'est, en effet, nous l'avons dit, dans son ensemble qu'une *présentation* du nouvel Ordo Missae. On ne statue pas, on ne prescrit pas un exposé de présentation (« ex iis quae hactenus de novo Missali Romano *exposuimus*... »). Paul VI statue-t-il qu'il y aura un nouvel Ordo ? même pas. Il se réfère en ce point à la Constitution conciliaire qui, elle, a statué, non pas qu'il y ait un nouvel ordo mais que l'ordo soit révisé. («* *Recens autem concilium (...) *statuens* ut (...) Ordo Missae ita *recognosceretur... *».)
Cependant, à l'intérieur de son exposé, Paul VI statue et prescrit effectivement en deux points ([^255]). D'une part, il décide d'ajouter trois nouveaux canons à la messe : « *Tres novi Canones adderentur statuimus. *» D'autre part, il ordonne que les paroles de la consécration, modifiées, soient identiques dans chaque canon : « *iussimus* verba dominica in qualibet Canonis formula una eademque esse ».
Bref, Paul VI met son sceau sur l'œuvre accomplie en vertu du Concile et y ajoute deux prescriptions personnelles. C'est sur ces deux prescriptions que jouent les notions d'*obligation* et d'*interdiction*. Dans le nouvel Ordo le prêtre est obligé d'utiliser la même formule de consécration quel que soit le canon qu'il choisisse. Il lui est donc interdit d'en utiliser une autre. Quant aux trois nouveaux canons, du fait que le pape a *statué* qu'ils seraient ajoutés au canon romain, ils sont *autorisés*.
Mais, dira-t-on, si le pape a institué le nouveau missel c'est tout de même bien pour qu'il soit utilisé. Certes ! Seulement il faut savoir à quoi nous sommes *tenus*. J'emploie le mot « instituer » à défaut d'autre puisque, on l'a vu, on ne sait même pas s'il s'agit d'une « promulgation ». Sauf le titre de la Constitution, tous les textes démentent que cette constitution « promulgue » le nouvel Ordo. Le texte même publié par la Salle de presse du Saint-Siège pour présenter le nouvel Ordo dit : « Par la Constitution apostolique *Missale Romanum* datée du 3 avril 1969, en la fête du jeudi-saint, le Saint-Père a *approuvé et ordonné la promulgation* du nouveau missel, revu selon les directives du 110 Concile du Vatican » ([^256]). Le texte ne dit même pas que le Saint-Père a approuvé le nouveau missel et ordonné sa promulgation, mais qu'il a approuvé et ordonné la promulgation !
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D'un bout à l'autre de cette affaire de la Nouvelle Messe on est dans le douteux, l'incertain, l'équivoque et l'ambigu. La conclusion juridique normale de cet état de choses est la nullité globale de toute cette pseudo-législation. *Lex dubia, lex nulla*. Concrètement on ne peut aller jusque là, parce que la vie ne le permet pas. Mais il ne faut pas inventer ce qui n'existe pas, ni majorer ce que les textes eux-mêmes nous invitent à minimiser. N'allons pas chercher des obligations et des interdictions là où elles ne sont pas. En ce qui concerne la Constitution *Missale Romanum*, si le pape avait voulu dire : « Le nouvel ordo remplaçant celui de saint Pie V, nous en ordonnons l'usage par tous, en interdisant à qui que ce soit, sauf indult personnel, l'usage de l'ancien », il l'aurait dit. Il ne l'a pas dit. Il n'a même rien dit qui s'en approche. D'autres textes l'ont dit ? Ils l'ont dit abusivement, manquant du fondement juridique leur permettant de le dire.
Sur ce doute général plane un doute supérieur plus grave encore. Dans quelle mesure toute cette législation est-elle en accord avec la Constitution conciliaire sur la liturgie et avec la Tradition ? Ambiguë, elle aussi, dans beaucoup de ses dispositions, la Constitution conciliaire fixe du moins certaines orientations de manière assez claire. La restauration liturgique, selon elle, « doit consister à organiser les textes et les rites de telle façon qu'ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu'ils signifient... » (§ 21). Est-ce que la Nouvelle Messe exprime « avec plus de clarté » que la messe traditionnelle la « réalité sainte » du sacrifice eucharistique ? -- « On ne fera des innovations que si l'utilité de l'Église les exige vraiment et certainement, et après s'être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique... » (§ 23). Les innovations de la Nouvelle Messe sortent-elles « des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique » ? Annibal Bugnini, qui a été l'agent de toute la réforme liturgique, déclarait sans fard, le 4 janvier 1967, -- trois ans après la Constitution conciliaire, qui est du 4 décembre 1963, -- : « Il ne s'agit pas seulement de retouches à une œuvre d'art de grand prix, mais parfois il faut donner *des structures nouvelles à des rites entiers.* Il s'agit bien d'une *restauration fondamentale,* je dirais presque d'une *refonte* et, pour certains points, d'une *véritable nouvelle création *» ([^257]).
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Assez étrangement, Dom Oury cite deux textes de Paul VI où l'on pourrait trouver sa « vraie pensée ». Outre qu'il n'est pas facile de trouver la vraie pensée de Paul VI à travers des textes qui sont souvent dans des directions très différentes, voire opposées, ceux-ci ne me semblent pas aller dans le sens de l'argumentation de Dom Oury :
-- Le 19 novembre 1969 : « Cette réforme imminente répond à un mandat officiel de l'Église ; elle est un *acte d'obéissance... *»
-- Le 26 novembre 1969 : « Nous devons bien voir les motifs pour lesquels ce grave changement a été introduit l'*obéissance au Concile* (...) C'est la volonté du Christ, c'est le souffle de l'Esprit Saint qui appellent l'Église à cette mutation » (p. 24, 25).
D'une part, on voit bien ici que Paul VI ne se veut que l'exécuteur du Concile, ce qui indique nettement la portée et le caractère de la Constitution Missale Romanum. D'autre part, nous sommes obligés de constater qu'il parle de mutation là où le Concile ne veut qu'un *développement organique.*
La Nouvelle Messe, non seulement ne manifeste pas une obéissance *spirituelle* au Concile, mais elle ne manifeste même pas une obéissance *matérielle*. Je n'en veux pour preuve que la question du latin où le Concile est d'une netteté absolue. La Constitution dispose que « *l'usage de la langue latine sera observé dans les rites latins *», quitte à accorder « *une plus large place* aux *langues vulgaires *» (§ 36). Ce qui exclut manifestement le seul usage des langues vulgaires. On sait ce qui est advenu. Paul VI lui-même a déclaré, dans son allocution du 26 novembre 1969 : « Ce n'est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe (...) Nous perdons la langue des siècles chrétiens (...) Il s'agit là d'un sacrifice très lourd. » Il confirme ce sacrifice *liturgique* en ajoutant : « ...le latin ne disparaîtra pas pour autant de notre Église. Il demeurera la noble langue des actes officiels du Siège apostolique ; il restera toujours comme un instrument d'enseignement pour les études ecclésiastiques... ». Je ne pense pas que Dom Oury accorde à ces paroles une valeur supérieure à celle de la Constitution conciliaire, ni qu'il y trouve l'expression suprême de la liturgie *romaine.*
Pour tout le monde hélas ! la Nouvelle Messe est bien une nouvelle messe, ce dont on ne saurait douter s'il s'agit d'une *mutation,* et d'ailleurs là encore la Congrégation du culte divin nous le signifie candidement dans les termes que Paul VI lui empruntait pour son allocution du 26 novembre 1969 :
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« ...les prêtres qui célèbrent en latin (..) peuvent, jusqu'au 28 novembre 1971, utiliser soit le missel romain, soit le nouveau rite (...) S'ils prennent le *missel romain*, ils peuvent etc. (...). S'ils utilisent le nouveau rite, ils doivent, etc. » Le nouveau rite est *devenu* le missel romain, mais c'est un nouveau missel et non le missel *traditionnel* simplement *révisé*.
Pour en finir avec l'aspect *juridique* de la Nouvelle Messe, je rappellerai les propos que me tint le cardinal Ottaviani en réponse à des questions que je lui posais sur la Messe à la Pentecôte 1971 : « *Le rite traditionnel de la Messe selon l'Ordo de saint Pie V n'est pas, que je sache, aboli.* Et par conséquent les ordinaires des lieux, spécialement pour la protection de la pureté et du rite et même de sa compréhension communautaire par l'assemblée, feraient bien, à mon humble avis, d'*encourager la permanence du rite de saint Pie V... *» (*Carrefour*, 9 juin 1971.) Aussi savant juriste qu'éminent théologien, le cardinal Ottaviani a présidé durant de longues années aux destinées du Saint-Office, dans les locaux duquel il me tenait ces propos. Il sait ce que parler veut dire et il a le sens de ses responsabilités. Personne ne contestera que ses paroles ont du poids.
\*\*\*
La critique principale qu'appelle le livre de Dom Oury concerne un point dont il est un peu question à toutes les pages mais qu'il aborde plus précisément dans son troisième chapitre : « *L'Ordo Missae de Paul VI témoigne d'une foi équivoque ? *»
Je ne dirai pas que l'Ordo de Paul VI témoigne d'une foi équivoque parce que l'expression « foi équivoque » risque d'être elle-même équivoque et qu'on peut équivoquer indéfiniment à son sujet ; mais je dis qu'il est un *témoignage équivoque de la foi catholique.*
Dom Oury cite quelques objections qu'on fait à la Nouvelle Messe. Retenons les deux dernières : « Elle est conçue de telle manière qu'elle a pour dessein, en estompant la foi, de favoriser un faux œcuménisme. » « Elle peut être licite et valide, mais l'intention qui a présidé à son élaboration la rend intrinsèquement mauvaise et dangereuse. » Dom Oury ajoute : « *S'il en était réellement ainsi, on comprend que la foi des chrétiens fidèles se soit justement alarmée ; la résistance deviendrait même un devoir *» (p. 39).
Eh ! bien, précisément, même si les deux objections présentées devaient être rédigées un peu différemment, *il en est réellement ainsi.* C'est pourquoi la résistance est un devoir.
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Certes, pour en juger d'après l'Ordo lui-même, il faut être armé d'une doctrine solide et de très vastes connaissances. Ces armes-là, les cardinaux Ottaviani et Bacci les avaient en leur possession quand ils adressèrent à Paul VI leur fameuse lettre dont Dom Oury s'abstient de citer la moindre ligne. Je ne puis reproduire ici en entier ni cette lettre, ni le « bref examen critique » dont elle s'accompagne. J'en rappellerai du moins quelques passages :
« ...le nouvel *Ordo Missae* (...) *s'éloigne de façon impressionnante,* dans l'ensemble comme dans le détail, *de la théologie catholique de la sainte messe* (...)
« Les raisons pastorales avancées pour justifier une si grave rupture, même si elles avaient le droit de subsister en face de raisons doctrinales, ne semblent pas suffisantes. *Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel Ordo Missae,* et en revanche *tant de choses éternelles s'y trouvent reléguées à une place mineure ou à une autre place -- si même elles y trouvent encore une place --* que pourrait se trouver renforcé et changé en certitude le doute, qui malheureusement s'insinue dans de nombreux milieux, selon lequel des vérités, toujours crues par le peuple chrétien, pourraient changer ou être passées sous silence sans qu'il y ait *infidélité au dépôt sacré de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l'éternité *» ([^258]).
Dom Oury qui ne trouve pas de place pour loger ces déclarations, en trouve une pour publier une sorte de vague mise au point postérieure du cardinal Ottaviani. L'authenticité en est ailleurs douteuse. Jean Madiran s'en est déjà expliqué et y reviendra, s'il le juge bon ([^259]). Cependant le grief majeur qu'on doit faire à Dom Oury, c'est le brouillard opaque dans lequel il plonge le scandale de l'*Institutio generalis*.
Le nouvel *Ordo Missae* était précédé d'une « Présentation générale » (*Institutio generalis*) où la messe était définie dans les termes suivants :
« *Art. 17. -- Cena dominica sive Missa est sacra synaxis seu congregatio populi Dei in unum convenientis, sacerdote praeside, ad memoriale Domini celebrandum. Quare de sanctae Ecclesiae locali congregatione eminenta valet promissio Christi. "Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum."* (*Mt. 18, 20.*) »
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« La Cène du Seigneur ou messe est la synaxe sacrée ou rassemblement du peuple de Dieu réuni, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur.
C'est pourquoi s'applique éminemment au rassemblement local de la sainte Église la promesse du Christ : "Là ou deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux." (Mt. 18, 20.) »
Cette définition de la messe, dont la doctrine se retrouvait en maints autres articles, stupéfia les lecteurs catholiques. On était en plein protestantisme. Le pape fit corriger l'article 7 (et un bon nombre d'autres) et fit ajouter à l'*Institutio generalis* un *Proemium* (Préface) qui rappelait la doctrine catholique. Le *Missale Romanum* comporte ce *Proemium* et cette *Institutio rectifiée.* Dom Oury reproduit intégralement (Annexe IV) le *Proemium* afin de bien montrer l'orthodoxie de la Nouvelle Messe. De même, dans sa dernière annexe, il reproduit le texte du n° 55 ^d^ de l'*Institutio generalis* : « Par les paroles et les actions du Christ *s'accomplit le sacrifice que le Christ lui-même institua à la dernière Cène* lorsqu'il offrit son Corps et son Sang sous les espèces du pain et du vin », mais il n'informe pas ses lecteurs que ce texte est la version *corrigée* du texte original qui était : « Par les paroles et les actions du Christ *est représentée la dernière Cène où le Christ Seigneur lui-même institua le sacrement de sa passion et de sa résurrection,* lorsqu'il donna à ses Apôtres, sous les espèces du pain et du vin, son corps et son sang à manger et à boire. » L'article 55 d est d'ailleurs rectifié dans son titre. La version originale est : « Le récit de l'Institution. » La version rectifiée est : « Le récit de l'Institution *et la Consécration. *»
La Préface et la Présentation générale *rectifiée* nous donnent la doctrine, plus ou moins bien exprimée, de la messe catholique. Mais la nouvelle messe elle-même *n'a pas été rectifiée.* Comme les auteurs de la Présentation générale (*Institutio generalis*) sont aussi les auteurs de la Nouvelle Messe, nous savons par eux-mêmes le caractère qu'ils ont voulu lui donner -- ce que les yeux perçants des cardinaux Ottaviani et Bacci avaient bien vu. C'est un rite qui peut être *accepté par les catholiques* mais qui peut être également *accepté par les protestants.* Ceux-ci nous l'ont d'ailleurs confirmé à plusieurs reprises.
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J'ai rapporté ailleurs leurs témoignages -- notamment ceux de Taizé, du professeur Siegvalt, du Consistoire supérieur de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine. Dans *la Croix* du 10 décembre 1969, M. Jean Guitton cite cette observation qu'il a lue « dans une des plus grandes revues protestantes » : « *Les nouvelles prières eucharistiques catholiques ont laissé tomber la fausse perspective d'un sacrifice offert à Dieu. *» Dans *le Monde* du 10 septembre 1970, M. Roger Mehl (protestant), examinant un livre du théologien suédois Vanta, écrit : « Si l'on tient compte de l'*évolution décisive de la liturgie catholique,* de la possibilité de substituer au canon de la messe d'autres prières liturgiques, de l'*effacement de l'idée selon laquelle la messe constituerait un sacrifice,* de la possibilité de communier sous les deux espèces, il n'y a plus de raisons pour les Églises de la Réforme d'interdire à leurs fidèles de prendre part à l'Eucharistie dans l'Église romaine. »
C'est pourquoi la nouvelle messe est *équivoque.* Elle est un *témoignage équivoque de la foi catholique.* Si l'*intention* de l'Église en fait *un rite catholique,* l'*intention* de ses auteurs en fait un *rite œcuménique* à dominante protestante.
A propos des déclarations des protestants relatives à la Nouvelle Messe, Dom Oury, qui semble en être étonné, dit qu' « il serait de bonne méthode d'interroger les intéressés et de leur demander d'expliciter pleinement leur pensée, le sens qu'ils ont entendu donner a leurs déclarations qui ont été ensuite montées en épingles » (p. 94-95). Dom Oury, qui a lu mon livre, y trouvera en le relisant, les questions que j'ai posées à Taizé et la lettre que m'a écrite, en réponse, le prieur Roger Schutz. La réponse était en fait, une absence totale de réponse aux questions posées ([^260]).
Mes questions étaient les suivantes : « *Pourquoi les frères de Taizé qui n'acceptent pas la messe traditionnelle -- celle de saint Pie V -- acceptent-ils la nouvelle messe ? Quelle est, à leurs yeux, la différence substantielle entre les deux messes qui leur permet d'accepter la nouvelle alors qu'ils refusent l'ancienne ? *»
Je le répète : je n'ai pas eu l'ombre d'un commencement de réponse à ces questions simples.
Alors je m'interroge et j'interroge les experts. Comment se fait-il, si les changements de la Nouvelle Messe *sont secondaires pour les catholiques, qu'ils soient essentiels pour les protestants ?*
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« Quand le pape et le prieur de Taizé disent également que d'un Ordo à l'autre la substance de la messe n'a pas changé, cette substance est nécessairement différente dans leur esprit. Car pour le pape, ce qui a été retranché était du superflu -- mais un superflu conforme à la substance de la messe ; tandis que pour le prieur de Taizé c'était aussi du superflu -- mais un superflu qui n'était pas conforme à la substance de la messe. D'où la réflexion du frère Max Thurian que désormais catholiques et protestants peuvent utiliser également les prières du nouvel ordo. Ils le peuvent, en effet, mais pour des raisons inverses. Les catholiques le peuvent parce que le nouvel ordo *conserve* la substance de la messe. Les protestants le peuvent parce que le nouvel ordo *redégage* la substance de la messe. On est donc dans la confusion intégrale » ([^261]).
La confusion intégrale, c'est l'équivoque. Comment Dom Oury peut-il nier que la Nouvelle Messe soit un *témoignage équivoque de la foi catholique ?* Les auteurs de la Nouvelle Messe ont fait un *rite équivoque* et ils l'ont fait à dessein puisqu'il présentent eux-mêmes ce rite dans l'*Institutio generalis* en termes *équivoques.*
La seule thèse que Dom Oury pourrait plaider logiquement c'est l'utilité de l'équivoque. Il pourrait dire qu'un rite commun favorise le retour a l'unité. La *praxis* réussira là où échoue la *théoria.* Personnellement, je n'en crois rien. L'intercélébration et l'intercommunion établies, dans l'équivoque, sur deux objets de foi différents, instituent la division au cœur même du sacrement de l'unité. La voie est sans issue. Elle se révèle d'ailleurs dès maintenant sans issue puisque Rome la refuse. (Comment pourrait-elle l'autoriser ?)
\*\*\*
Il me faudrait, je l'ai dit, un volume pour répondre à toutes les assertions de Dom Oury. Mais je me contenterai des exemples que je viens de donner ; ils me semblent suffisants pour faire comprendre le *quantum mutatus* que je déplore à propos de Solesmes.
De quoi s'agit-il ? De la fidélité à l'Église, au paye et à Rome. Dom Oury estime qu'on ne peut aujourd'hui manifester cette fidélité qu'en suivant la « liturgie romaine », telle qu'elle est imposée par des textes dont il s'évertue à nous démontrer la légalité, sans vouloir considérer les objections faites à cette légalité, ni au point de vue juridique, ni au point de vue théologique.
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Le désastre liturgique dans lequel nous sommes plongés n'est pas pour lui un effet de la réforme mais de la désobéissance à la réforme. Il s'en afflige en passant, mais ce qu'il condamne c'est la résistance à la réforme. Il y voit, quoiqu'il s'exprime avec modération, une révolte contre Rome.
Croit-il donc que la fidélité à l'Église, au pape et à Rome n'ait pas à s'exprimer en certaines circonstances par une résistance dont le seul objet et dont l'effet certain est de servir l'Église, le pape et Rome ?
Puisque Solesmes est en cause, lui rappellerai-je qu'au moment de la « condamnation » de l'Action française, Solesmes fut un pôle de la résistance aux décisions romaines. Pie XI en fut si irrité qu'il envisagea de fermer l'abbaye et d'en disperser les moines en d'autres monastères. C'est pourtant Solesmes qui avait raison, comme Pie XI, qui s'était trompé (et qui avait été trompé), s'en rendit compte plus tard, prenant alors à cœur de préparer la réconciliation que Pie XII mena à bien. Dom Oury estime-t-il que la fidélité résistante de Solesmes ne servit pas l'Église, le pape et Rome ?
Et puisqu'il s'agit de la messe, lui rappellerai-je qu'en 1970 quarante anglais, martyrs de la messe traditionnelle, ont été, après Thomas More et John Fisher, solennellement canonisés à Rome ? A l'automne précédent, le cardinal Heenan avait rendu visite à Paul VI. « Nous avons parlé, dit-il dans une lettre qui fut lue le 16 novembre dans toutes les églises de son diocèse, des martyrs anglais qui ont préféré mourir plutôt que de *remplacer le sacrifice de la messe par un service de communion.* Il était par ailleurs superflu de rappeler au Saint-Siège que nos martyrs avaient aussi donné leur vie pour défendre *l'autorité du Saint-Siège* ([^262]). » Aujourd'hui il ne s'agit pas de martyre et il ne s'agit pas de défendre l'autorité du Saint-Siège contre une autorité temporelle quelconque, mais il s'agit de la défendre contre l'autorité des conférences épiscopales et contre celle de la Bureaucratie qui, à Rome comme en France, ruine l'autorité du pape et des évêques.
Il n'est pas besoin d'informations confidentielles, il suffit de lire les journaux pour constater que le Saint-Siège déploie aujourd'hui des efforts pour dissiper la « fumée de Satan » qui obscurcit la vérité chrétienne dans la liturgie et dans la théologie. La restauration de la messe, notamment, est l'une des préoccupations de l'Église.
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Il n'est qu'à voir le soin avec lequel, chaque fois que des sanctions ou des blâmes interviennent en des circonstances diverses, contre des traditionalistes, il est désormais toujours précisé -- ce qui est nouveau -- que la messe traditionnelle ne les motive en rien. Dom Oury, malgré l'excellence de ses intentions, ne vient certainement pas en aide par son livre aux efforts de Rome et au pape. Il ne fait, malgré qu'il en ait, que porter de l'eau au moulin des démolisseurs de la messe et de la liturgie.
J'avais regretté, lors du lancement de la Nouvelle Messe, que Solesmes ne conservât pas la messe traditionnelle. C'est été un prodigieux rempart contre le déferlement de l'anarchie liturgique ; et les redressements en eussent été facilités. Au moins les braves gens, qui ne font pas le détail, se figuraient-il, quand ils assistaient à de belle cérémonies en latin et en grégorien, que Solesmes maintenait la tradition contre la révolution. Hélas ! nos actes nous suivent. Dom Oury met maintenant l'autorité de son monastère au service de la révolution. Il fait savoir à tous ceux qui font confiance à Solesmes que la Nouvelle Messe, « régulièrement promulguée », est admirable, bien plus belle que la précédente et d'une remarquable orthodoxie. Passant sous silence tout ce qui réduit à néant sa démonstration, il trompe son monde, avec semble-t-il une parfaite bonne conscience. Il se trompe d'ailleurs lui-même en s'abritant derrière le rideau de fumée d'une mythique « liturgie romaine » dont il serait bien en peine de nous dire ce qu'elle peut signifier aujourd'hui. Je déplore tout cela.
Solesmes est-il toujours Solesmes ? On célèbre cette année le centenaire de la mort de Dom Guéranger. A cette occasion, « la Pensée catholique » a réédité, dans son numéro 156, quelques passages des *Institutions liturgiques.* On les relira utilement. Quelques très brefs extraits en indiqueront l'esprit :
« 1°. Le premier caractère de l'hérésie antiliturgiste est *la haine de la Tradition dans les formules du culte divin* (...) Tout sectaire, voulant introduire une doctrine nouvelle, se trouve infailliblement en présence de la liturgie, qui est la tradition à sa plus haute puissance, et il ne saurait avoir de repos qu'il n'ait fait taire cette voix, qu'il n'ait déchiré ces pages qui recèlent la foi des siècles passés (...).
« 2°. C'est (en effet) le second principe de la secte antiliturgiste que de *remplacer les formules de style ecclésiastique par des lectures de l'Écriture sainte* (...) Dans tous les temps, et sous toutes les formes, il en sera de même ; point de formules ecclésiastiques ; l'Écriture seule, mais interprétée, mais choisie, mais présentée par celui ou ceux qui trouvent leur profit à l'innovation (...)
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« 4°. On ne doit pas s'étonner de la contradiction que l'hérésie présente ainsi dans ses œuvres, quand on saura que le quatrième principe ou, si l'on veut, la quatrième nécessité imposée aux sectaires par la nature même de leur état de révolte, est *une habituelle contradiction avec leurs propres principes* (...) Ainsi tous les sectaires, sans exception, commencent par revendiquer les droits de l'antiquité ; ils veulent dégager le christianisme de tout ce que l'erreur et les passions des hommes y ont mêlé de faux et d'indigne de Dieu ; ils ne veulent rien que de primitif, et prétendent reprendre au berceau l'institution chrétienne. A cet effet, ils élaguent, ils effacent, ils retranchent ; tout tombe sous leurs coups, et lorsqu'on s'attend à voir reparaître dans sa première pureté le culte divin, il se trouve qu'on est encombré de formules nouvelles qui ne datent que de la veille, qui sont incontestablement humaines, puisque celui qui les a rédigées vit encore (...)
« 5°. La réforme de la Liturgie étant entreprise par les sectaires dans le même but que la réforme du dogme dont elle est la conséquence, il s'ensuit que, de même que les protestants se sont séparés de l'unité, afin de croire moins, ils se sont trouvés amenés à *retrancher dans le culte toutes les cérémonies, toutes les formules qui expriment des mystères* (...) Il n'y a plus d'autel, mais simplement une *table ;* plus de sacrifice, comme dans toute religion, mais simplement une *cène ;* plus d'église, mais seulement un *temple,* comme chez les Grecs et les Romains ; plus d'architecture religieuse, puisqu'il n'y a plus de mystères ; plus de peinture et de sculpture chrétiennes, puisqu'il n'y a plus de religion sensible ; enfin plus de poésie dans un culte qui n'est fécondé ni par l'amour ni par la foi (...)
« 8°. La réforme liturgique ayant pour une de ses fins principales l'abolition des actes et des formules mystiques, il s'ensuit nécessairement que ses auteurs devaient *revendiquer l'usage de la langue vulgaire dans le service divin.* Aussi est-ce là un des points les plus importants aux yeux des sectaires. Le culte n'est pas une chose secrète, disent-ils ; il faut que le peuple entende ce qu'il chante. La haine de la langue latine est innée au cœur de tous les ennemis de Rome ; ils voient en elle le lien des catholiques dans l'univers, l'arsenal de l'orthodoxie contre toutes les subtilités de l'esprit de secte, l'arme la plus puissante de la papauté (...)
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« 11°. L'hérésie antiliturgique, pour établir à jamais son règne, avait besoin de détruire en fait et en principe tout sacerdoce dans le christianisme (...) Dès lors il n'y a plus de *prêtre* proprement dit (...) La réforme de Luther et de Calvin ne connaîtra donc plus que des *ministres* de Dieu, ou des hommes, comme on voudra (..) choisis, installés par des laïques, portant dans le temple la robe d'une certaine magistrature, bâtarde, le ministre n'est qu'un laïque revêtu de fonctions accidentelles (...) et cela devait être puisqu'il n'y a plus de Liturgie ; comme il n'y a plus de Liturgie puisqu'il n'y a plus que des laïques (...). »
Ainsi parlait Solesmes avant Vatican II, et même avant Vatican l. Beaucoup d'eau, depuis, a coulé sous les ponts du Tibre et sous ceux de la Sarthe...
Louis Salleron.
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L'année liturgique 1976
\[...\]
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## AVIS PRATIQUES
### Informations et commentaires
La persécution sauvage
La persécution sauvage est maintenant générale dans l'Église post-conciliaire. L'Année sainte, tournée en année « de la réconciliation », est celle où l'on voit partout désormais l'autorité hiérarchique exclure, condamner, frapper à coups redoublés les prêtres fidèles. C'est que la « réconciliation » recherchée est avec le monde et avec les puissants de ce monde ; et la condition qu'y mettent ceux-ci est la liquidation sociologique des catholiques qui ne capitulent pas devant la Révolution. Nous avons exposé ce marché au tome premier de *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* chapitre : « La tête des autres. »
\*\*\*
Paul VI a exigé de Mgr Lefebvre un acte public de soumission inconditionnelle et totale au « concile », à ses « réformes », à leur « orientation ». Le débat se situe donc bien où nous avons dit. A un évêque qui déclare :
-- *Je ne me soumets pas à votre modernisme.*
Rome ne répond point :
-- *Mais ce n'est pas du modernisme !*
Rome, aujourd'hui, répond :
-- *Même si c'est du modernisme, vous devez vous soumettre.*
L'étude attentive des documents déjà connus relatifs à cette affaire en laissait prévoir les développements actuels. Tout le débat religieux post-conciliaire, qui était souvent confus, vient d'en recevoir une terrible et souveraine clarté.
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Au centre de ce débat il y a désormais, premièrement, la DÉCLARATION de Mgr Lefebvre, qui est en tous points catholique. Et secondement, la condamnation romaine de cette DÉCLARATION, condamnation qui la rejette « en tous points ».
C'est à partir de là que la clarification s'étend de proche en proche, replaçant chaque chose dans sa lumière véritable. Pour l'information de nos lecteurs et de l'ensemble du public, nous avons publié dans notre numéro 195 le dossier de la condamnation sauvage portée contre Mgr Lefebvre.
D'autres documents sont depuis lors venus à notre connaissance.
On trouvera les uns et les autres dans la brochure que nous venons d'éditer sous le titre : *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre.* (En vente à nos bureaux : 5 F l'exemplaire.)
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Quelques mots sur le cardinal Staffa.
Quand on sut que Mgr Lefebvre présentait un recours devant le « Suprême Tribunal de la Signature Apostolique », le bruit courut que le préfet de ce tribunal, le cardinal Dino Staffa, allait être soudainement destitué, parce qu'il était suspect de sentiments favorables aux « traditionalistes » : Édith Delamare fit écho à ce bruit dans *Rivarol.* Mais il n'y eut aucun besoin de destituer ce malheureux cardinal, « traditionaliste » seulement en mimiques secrètes et en murmures imperceptibles, en fait aussi aligné que les autres cardinaux, aussi soumis finalement au sinistre cardinal Villot. Avec une hâte extraordinaire, la hâte de la frousse, en *cinq jours* seulement, le cardinal Staffa a rejeté le recours de Mgr Lefebvre. Ce recours fut déposé le 5 juin : le rejet est du 10. La vitesse des cours martiales ; la précipitation des tribunaux d'exception ; et sans rien examiner. La sentence de rejet déclare brièvement que, d'après les documents déposés par Mgr Lefebvre (*ex documentis recursui adnexis*), l'acte de Mgr Mamie supprimant le 6 mai la Fraternité sacerdotale « n'est rien d'autre que l'exécution des décisions prises par la commission spéciale des trois cardinaux et approuvées en forme spécifique par le souverain pontife » (*non esse nisi exsecutionem decisionum latarum a Speciali Commissione trium Patrum Cardinalium, et a Summo Pontifice in forma specifica adprobatarum*). Or cela précisément ne ressort pas des documents déposés par Mgr Lefebvre. On n'y aperçoit aucune « approbation pontificale en forme spécifique », le propre de l'approbation mentionnée dans la lettre cardinalice du 6 mai étant justement de n'être pas en forme spécifique.
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Le cardinal Staffa, au nom du Tribunal Suprême, s'est hâté de se déclarer « incompétent » (n'ayant pas compétence pour juger un acte du pape), et donc de rejeter le recours au nom du seul canon 1556 (qui compte cinq mots seulement : *Prima Sedes a nemine judicatur*)*.* Mais où est la preuve qu'il s'agissait bien d'une décision du pape lui-même ?
Le Tribunal aurait dû *au moins* se faire présenter les *actes* (s'ils existent...) instituant une commission ad-hoc opérant par mandat exprès du saint-père et ceux portant approbation pontificale *in forma specifica* des décisions prises par la commission.
Mais le cardinal Staffa savait, ou croyait savoir, d'où sa frousse, que Paul VI avait la passion farouche de liquider Mgr Lefebvre par n'importe quel moyen : cette passion lui était attestée par le sinistre cardinal Villot, tout-puissant secrétaire d'État. Mais une telle attestation privée, même si on la suppose véridique, ne suffisait pas à transformer un *sentiment personnel* de Paul VI en un *acte pontifical* identifiable comme tel, et comme tel couvert par le canon 1556. Dans l'ordre strictement juridique, le cardinal Staffa a commis une forfaiture, et il le sait, en refusant d'examiner les vices de forme qui lui étaient déférés. S'il n'avait pas la force de résister ouvertement aux pressions l'empêchant de défendre la justice et la vérité, il pouvait, il devait au moins se taire, prendre son temps, laisser traîner, comme les tribunaux romains l'ont toujours su faire, attendre trois mois ou trois ans, jusqu'à la fin (maintenant prochaine) du règne actuel ; et procurer, ainsi à Mgr Lefebvre l'appui peu glorieux, mais administrativement utile, d'un recours suspensif non encore rejeté. Le cardinal Staffa n'a même pas été capable de ce médiocre bienfait.
Pour notre part, cependant, si nous tenons pour nulles la sentence de Mgr Mamie et celle des trois cardinaux contre Mgr Lefebvre, ce n'est pas principalement à cause de leurs vices de forme, ni en vertu du caractère provisoirement suspensif des recours formés contre eux. C'est en raison de leur contenu et en raison de leurs auteurs :
1° *en elles-mêmes,* ces sentences sont contraires à la justice et à la vérité ;
2° *en raison de leurs auteurs* elles sont frappées de la même suspicion légitime qui en permanence frappe ceux-ci, persécuteurs de la religion catholique, complices de la nouvelle religion, responsables de l'autodestruction de l'Église.
J. M.
============== fin du numéro 196.
[^1]: -- (1). *L'homme contre lui-même,* neuvième volume de la « Collection Itinéraires** **» aux Nouvelles Éditions Latines**,** Paris**,** 1963**.**
[^2]: -- (1). *L'information déformante,* communication au deuxième Congrès de l'Office international etc**,** Actes du Congrès de Lausanne**,** 1965**.**
[^3]: -- (2). « *L'essence du politique *»*,* texte publié dans ce numéro**.**
[^4]: -- (1). *Philosophie des mœurs contemporaines,* Éditions Universitaires**,** Bruxelles**,** 1944**.**
[^5]: -- (1). Voir le texte de Marcel De Corte publié à la fin du présent numéro : « *L'essence du politique *»*. -- *Réflexion sur les travaux du 3^e^ Congrès de la Fondation G. Volpe. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^6]: -- (1). Sur la politique d'Aristote, cf. Raymond WEIL, *Présentation de la Politique d'Aristote,* Librairie Armand Colin, Collection U, Paris, 1966.
[^7]: -- (2). Hugues KÉRALY, *Saint-Thomas d'Aquin, Préface à la Politique, Avant-Propos, trad. et explication,* Collection Docteur Commun, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1974, 180 pages. Du même auteur, *La science politique selon saint Thomas,* dans ITINÉRAIRES, février 1974, n° 180, pp. 98-112. Sur les différences entre Aristote et Saint Thomas, cf. Jürgen HABERMAS, *Theorie und Praxis,* Luchterhand Verlag, 3° édit., Neuwied und Berlin, 1969, pp. 18-22.
[^8]: -- (1). Sur le « caractère pratique » de la politique, cf. DE CORTE, *Réflexions sur la nature de la politique,* dans *L'ordre français,* Mai 1975, pp. 9 ss. -- De Corte Soutient que « le savoir pratique au sens propre n'a pas besoin d'un savoir spéculatif préalable ».
[^9]: -- (2). Marcel DE CORTE, *De la prudence, la plus humaine des vertus,* édit. Dominique Martin Morin, 1974.
[^10]: -- (1). Il est des exceptions parmi les penseurs « modernes ». Ainsi Éric WEIL, dans *Philosophie politique* (2^e^ édit., Paris, Vrin, 1966, p. 11) déclare d'entrée de jeu : « Le terme *politique* sera pris dans ce livre en son acception antique, aristotélicienne... »
[^11]: -- (1). De CORTE**,** *L'homme contre lui-même,* Nouvelles Éditions Latines**,** Paris**,** 1962**,** p**.** 176**,** note 1**.**
[^12]: -- (2). *Op. cit.,* p. 177.
[^13]: -- (1). *De la prudence,* p. 64.
[^14]: -- (1). DE CORTE**,** *De la prudence*, p. 66.
[^15]: -- (1). *Op. cit.,* p. 67.
[^16]: -- (1). Éric WEIL, *Essais et conférences,* Paris, Plon, 1971, t. II, p. 207.
[^17]: -- (2). E. WEIL dans ses deux ouvrages *Philosophie morale* (Paris, Vrin, 1961) et *Philosophie politique* (2^e^ édit. Paris, Vrin, 1966) résume les grandes lignes du problème de la façon suivante : L'affirmation d'un lien étroit entre morale et politique remonte aux débuts de la réflexion philosophique ; chez les Grecs, morale et politique renvoient l'un à l'autre ; l'individu ne peut agir moralement qu'en se soumettant aux lois et aux institutions de la cité, et l'État grec se donne pour but de former de bons citoyens, de les éduquer de façon à leur permettre d'atteindre le bonheur. -- Affirmer le lien indissoluble entre la morale et la politique, c'est donc reprendre, à la suite de Hegel, une thèse grecque. -- Avec le stoïcisme et le christianisme, la thèse de la supériorité de la politique sur la morale subit une modification. La valeur de l'individu passe au premier plan ; cf. le droit romain et la thèse chrétienne du salut personnel, *mais d'un salut qui est de l'ordre surnaturel. -- *Peu à peu le problème moral va passer au premier, plan et la politique sera envisagée du point de vue de l'individu vivant dans l'État ; il s'agira de fixer des limites à l'arbitraire et de sauvegarder le droit naturel (cf. les diverses théories du droit naturel).
[^18]: -- (1). Les lois créent les mœurs tout autant qu'elles les reflètent. Qu'on pense au problème de l'avortement. Un certain état de fait a donné naissance à la législation nouvelle ; mais cette législation va habituer les gens, qu'on le veuille ou non, à considérer l'avortement comme légitime.
[^19]: -- (2). DE CORTE, « Réflexions sur la nature de la politique », *L'Ordre français*, mai 1975, p. 20. -- Cette page et la suivante mériteraient de longs développements ; elles posent en pleine lumière les problèmes des rapports entre morale et politique, entre morale naturelle et surnaturelle, entre morale individuelle et morale sociale. -- Nous y reviendrons dans une autre occasion.
[^20]: -- (1). Éric WEIL, *Essais et conférences,* t. II, p. 192.
[^21]: -- (2). DE CORTE, *L'homme contre lui-même,* p. 174.
[^22]: -- (1). DE CORTE, *L'homme contre lui-même,* p. 193.
[^23]: -- (2). *Op. cit.,* p. 192.
[^24]: -- (3). Jean-Jacques CHEVALLIER, *Les grandes œuvres politiques de Machiavel à nos jours,* Paris, Librairie Armand Colin ; 1957, p. 8.
[^25]: -- (1). Éric WEIL, *Essais et conférences,* II, p. 200.
[^26]: -- (2). G. RITTER, *Das sittliche Problem der Macht,* Berne, Franeke, 1948 et *Die Dämonie der Macht,* Munich, Oldenbourg, 1949.
[^27]: -- (1). WEIL, *op. cit.,* p. 202. -- Pour Machiavel, la puissance ne serait donc point bonne en elle-même ; il ne faudrait pas la chercher pour elle-même, car elle ne justifie pas tout. -- A cet égard, Ritter ne serait pas d'accord avec ce qu'écrit De Corte, toujours à propos de Machiavel : « Le pouvoir n'est autre chose pour lui que le pouvoir à l'état pur. La puissance n'a d'autre fin que la puissance... On est puissant pour déployer sa puissance » (*L'homme contre lui-même,* p. 191.)
[^28]: -- (2). WEIL, *Essais et conférences,* II, p. 198.
[^29]: -- (1). Saint Pie X et Pie XII.
[^30]: -- (2). Cf. *L'intelligence en péril de mort,* 1969.
[^31]: -- (1). Cf. ITINÉRAIRES, numéros de février, avril, mars, mai et juin 1974 -- Cf. aussi *De la Justice,* 1973.
[^32]: -- (2). ITINÉRAIRES, numéro 191 de mars 1975 : « Carême et carambouillage ».
[^33]: -- (3). *Incarnation de l'homme,* 1943.
[^34]: -- (4). *L'intelligence en péril de mort,* 1969.
[^35]: -- (1). Cf. ITINÉRAIRES, « Philosophie et théologie à l'envers » (juin 1971), « La grande hérésie » (janvier et février 1972), « Les cabotins de la liturgie » (mai 1972)*,* « Le temple écroulé » (juin 1972)*,* « La communion solennelle, rite de passage » (janvier 1973)*,* et combien d'autres encore.
[^36]: -- (2). *Revue Universelle des faits et des idées,* mai 1975*.*
[^37]: -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 190 de février 1974 : « Révolution et Contre-révolution ».
[^38]: -- (1). On trouvera la doctrine économique de Bonald dans les ouvrages que *voici : De la mendicité ; Théorie du pouvoir politique et religieux ; De la famille agricole, de la famille industrielle ; Considérations politiques sur l'argent et le prêt à intérêt ; Sur l'économie politique ; De la richesse des nations.* Ouvrages qui ont été réédités dans les deux premiers volumes des *Œuvres complètes,* Paris, 1859.
[^39]: -- (2). On consultera avec réserve mais non sans profit J. H. Donnard, *La vie économique et les classes sociales dans l'œuvre de Balzac,* Paris, 1961.
[^40]: -- (3). Peu avant son décès, D. Villey avait résumé son système dans un admirable petit ouvrage dont nous ne pouvons assez recommander la lecture : *A la recherche d'une doctrine économique,* Paris, Génin, 1967.
[^41]: -- (4). *La politique naturelle,* préface à *Mes idées politiques,* Paris, 1937.
[^42]: -- (5). *Die Elemente der Staatskunst,* Berlin, 1809 (réédité *à* Vienne en 1922). A propos de Müller, on consultera l'opuscule de G. Polter, *Adam Müllers Kritik am Liberalismus,* Leipzig, 1936.
[^43]: -- (6). Luther a exprimé ses idées économiques dans le *Grand sermon sur l'usure,* dans le *Petit sermon,* dans l'appel *A la noblesse chrétienne de la nation allemande,* dans *Du commerce et de l'usure,* etc. Bonne introduction dans H. Barge, *Luther und der Frühkapitalismus,* Gütersloh, 1951.
[^44]: -- (7). Ce point a été mis en lumière par Mgr J. Höffner, *Wirtschaftsethik und Monopole im fünfzehnten und sechzehnten Jahrhundert,* Iéna, 1941 ; par M. Becher, « La esecuzione della legislatura contro le pratiche monopolistiche delle arti florentine alla metà del secolo quattordicesimo », dans *Archivio storico italiano*, CXVII, 1959, p. 8-28 ; et par R. de Roover, «* La doctrine scolastique en matière de monopole et son application à la politique économique des communes italiennes *», dans *Studi in onore di Amintore Fanfani,* Milan, 1962, I, pp. 162 sv. L'hostilité constante que les théologiens de tradition thomiste ont marquée aux corporations n'a pas empêché Léon XIII et Pie XI de préconiser le rétablissement de celles-ci pour remédier à l'injustice du capitalisme contemporain.
[^45]: -- (8). Nous pensons notamment ici à l'ordolibéralisme de l'école de Fribourg qui, depuis 1948, inspire la politique économique de l'Allemagne de l'Ouest. On trouvera un excellent exposé de la doctrine et une bibliographie détaillée dans F. Bilger, *La pensée économique libérale dans l'Allemagne contemporaine,* Paris, 1964.
[^46]: -- (9). En plus de l'ouvrage cité à la note 7, mentionnons *Statistik und Dynamik in der scholastischen Wirtschaftsethik,* dans *Arbeitsgemeinschaft für Forschung des Landes Nordrheinwestfalen,* Cahier n° 38, Cologne 1955. Citons aussi deux ouvrages proprement magistraux d'un élève de Mgr Höffner, W. Weber : *Wirtschaftsethik am Vorabend des Liberalismus. Höhepunkt und Abschluß der scholastischen Wirtschaftsbetrachtung durch Ludwig Molina s.j.* (1535-1600), Munster, 1959. -- *Geld und Zins in der spanischen Spätscholastik,* Munster, 1962.
[^47]: -- (10). *Bulletin social des industriels,* t. XVIII, n° 129, juillet-août 1946, pp. 266-273.
[^48]: -- (11). Cours polygraphié, Liège, s. d. (vers 1963).
[^49]: -- (12). Cours polygraphié, Liège, s. d. (vers 1966).
[^50]: -- (13). Cours polygraphié, Liège, s. d. (vers 1970). -- *Ces trois cours polycopiés de Marcel De Corte, encore inédits, leur diffusion s'étant limitée au cadre universitaire, ne figurent pas dans notre bibliographie.* (Note de la rédaction.)
[^51]: -- (14). Paris, 1963.
[^52]: -- (15). Dominique Martin Morin, Jarzé, 1973.
[^53]: -- (16). Dominique Martin Morin, Jarzé, 1974.
[^54]: -- (17). Ouvrage inédit, de parution prochaine.
[^55]: -- (18). « La philosophie grecque », dans *Le Flambeau,* Bruxelles, 1937, pp. 296-297.
[^56]: -- (19). Nous ne résistons pas au plaisir de citer ici trois ouvrages fondamentaux pour la connaissance de la philosophie économique des scolastiques : E. Schreiber, *Die volkswirtschaftlichen Anschauungen der Scholastik seit Thomas von Aquin,* Iéna, 1913. -- R. de Roover, *La pensée économique des scolastiques. Doctrines et méthodes,* Montréal-Paris, 1971. -- Du même, *San Bernardino of Siena and Sant'Antonio of Florence. The two Great Economic Thinkers of the Middle Ages,* Boston, 1967. Tous les catholiques traditionalistes qu'intéressent les problèmes économiques devraient méditer ces ouvrages tout de même que les livres de W. Weber cités à la note 9.
[^57]: -- (20). Le Professeur Christian Rutten, l'illustre plotinisant de Liège, a montré que, pour M. De Corte, le désordre moral de notre temps procède d'un égarement intellectuel, égarement dont une exégèse attentive de Plotin a procuré la révélation à notre philosophe lors du début de ses travaux.
[^58]: -- (21). La tradition catholique a toujours préconisé une économie de marché et condamné les monopoles.
[^59]: -- (22). Le lecteur objectera sans doute que selon les circonstances tout homme peut être consommateur ou producteur. Nous le savons. Si nous écrivions en latin scolastique, nous ferions suivre les mots « consommateur » (*emptor*) et « producteur » (*venditor*) de la formule *qualitate qua !*
[^60]: -- (23). *De la justice,* p. 18.
[^61]: -- (24). Voir spécialement W. Weber, *Geld und Zins..., op. cit.,*
[^62]: -- (1). *Revue d'histoire de la philosophie,* janvier-mars 1931, pp. 1-31.
[^63]: -- (2). *Revue de philosophie,* juillet 1932*,* pp. 323-367. Comme le précédent, cet article est reproduit dans *Aristote et Plotin,* Paris, Desclée De Brouwer et Cie, 1935. C'est à cet ouvrage que nous ferons référence.
[^64]: -- (3). E. GILSON, *God and Philosophy, Yale University Press,* 1941, p. 57, n° 10.
[^65]: -- (1). *Aristote et Plotin*, p. 181.
[^66]: -- (2). *Ibid.* Cfr. R*.* ARNOU, *Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin,* Paris, Alcan, 1921, pp. 151 et suiv.
[^67]: -- (1). *Op. cit.,* pp. 179-180.
[^68]: -- (2). Enn., V, 3, 17.
[^69]: -- (3). Aristote et Plotin, p. 182.
[^70]: -- (4). *Op. cit.,* p. 183.
[^71]: -- (5). *Op. cit.,* p. 192.
[^72]: -- (6). *Op. cit.,* p. 195.
[^73]: -- (1). *Op. cit.,* pp. 200-205.
[^74]: -- (2). *Op. cit.,* p. 195.
[^75]: -- (3). *Op. cit.,* p. 225.
[^76]: -- (4). *Op. cit.,.* pp. 205-223.
[^77]: -- (1). *Op. cit.,* pp. 205-206.
[^78]: -- (2). *Op. cit.,* p. 178.
[^79]: -- (3). *Hermès,* Bruxelles, déc. 1933, pp. 1-15.
[^80]: -- (4). *Études Carmélitaines,* 1935, pp. 164-215. Cf. encore *Plotin et la Nuit de l'Esprit,* dans *Études Carmélitaines,* 1938.
[^81]: -- (5). *La tonalité du mysticisme de Plotin*, p. 3 du tiré à part.
[^82]: -- (6). *Op. cit.,* p. 5 du tiré à part.
[^83]: -- (7). *Aristote et* Plotin, pp. 235-237.
[^84]: -- (1). *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* p. 192. 4
[^85]: -- (2). R. ARNOU, *op. cit.,* p. 246 ; J. MARÉCHAL, *Études sur la psychologie des mystiques,* Paris, Desclée De Brouwer, pp. 69-72.
[^86]: -- (3). *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* p. 204.
[^87]: -- (4). *Op. cit.,* p. 192.
[^88]: -- (5). *Aristote et Plotin,* p. 253.
[^89]: -- (1). *Op. cit.,* p. 245.
[^90]: -- (2). M. DE CORTE, *Op. cit.,* p. 232.
[^91]: -- (3). *Op. cit.,* p. 245.
[^92]: -- (4). *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* p. 190.
[^93]: -- (5). *Op. cit.,* p. 211.
[^94]: -- (6). *Op. cit.,* p. 272.
[^95]: -- (1). *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* p. 194.
[^96]: -- (2). *Enn.,* VI, 7, 35.
[^97]: -- (3). *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* pp. 184-185.
[^98]: -- (4). *Op. cit.,* p. 21, 1.
[^99]: -- (5). *La tonalité du mysticisme de Plotin,* p. 3.
[^100]: -- (6). *Aristote et Plotin,* p. 284.
[^101]: -- (7). *La tonalité du mysticisme de Plotin,* p. 10. Cf. *La dialectique de Plotin et le rythme de la vie spirituelle,* pp. 285-286 et *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* p. 187.
[^102]: -- (1). *La tonalité du mysticisme de Plotin,* p. 10.
[^103]: -- (2). *L'expérience mystique chez Plotin et chez St Jean de la Croix,* p. 193.
[^104]: -- (3). *La tonalité du mysticisme de Plotin,* p. 9.
[^105]: -- (4). *L'expérience mystique chez Plotin et chez St Jean de la Croix,* p. 192.
[^106]: -- (5). *Aristote et Plotin,* pp. 236-237.
[^107]: -- (6). *L'expérience mystique chez Plotin et chez St Jean de la Croix,* p. 192.
[^108]: -- (1). *Aristote et Plotin*, p. 177.
[^109]: -- (2). *La tonalité du mysticisme de Plotin*, p. 1.
[^110]: -- (3). *Ibid*.
[^111]: -- (4). *Op. cit.,* p. 2.
[^112]: -- (5). « La dialectique poétique de Descartes », dans *Archives de philosophie,* XIII, 1937, pp. 101-161.
[^113]: -- (6). « La question platonicienne », dans *Revue de philosophie,* novembre-décembre 1938, pp. 501-531. « Anthropologie platonicienne et anthropologie aristotélicienne », dans *Études Carmélitaines* 1938, pp. 54-97.
[^114]: -- (7). *Revue thomiste* 1937 et 1938. Cf. *L'acte poétique,* dans *Annales de l'École des Hautes Études de Gand,* t. III, 1939 ; *L'essence de la poésie,* Bruxelles, 1942, etc. Voir, sur ce point, A. PASTORE, « L'atto poetico secondo Marcel De Corte », dans *Atti dell'Academia Nazionale dei Lincei* Cl. di Sc. Morali, 8a, 1955, pp. 91-103.
[^115]: -- (1). *L'expérience mystique chez Plotin et Saint Jean de la Croix,* p. 214.
[^116]: -- (2). *La question platonicienne,* pp. 526-527.
[^117]: -- (1). *Anthropologie platonicienne et anthropologie aristotélicienne,* p. 89.
[^118]: -- (2). *La question platonicienne,.* p. 528.
[^119]: -- (3). *Anthropologie platonicienne et anthropologie aristotélicienne,* p. 86.
[^120]: -- (1). M. DE CORTE, *Incarnation de l'Homme, Psychologie des mœurs contemporaines,* Paris, Librairie de Médicis, 1942, p. 26.
[^121]: -- (2). *Op. cit.,* p. 36.
[^122]: -- (3). *Op. cit.,* p. 25.
[^123]: -- (4). *Op. cit.,* p. 61.
[^124]: -- (5). *Op. cit.,* p. 84.
[^125]: -- (6). *Op. cit.,* pp. 90-91.
[^126]: -- (1). G. THIBON, « Marcel De Corte, philosophe de l'incarnation », dans *Construire*, août-septembre 1957, p. 404.
[^127]: -- (2). *Revue catholique des Idées et des Faits*, 21 sept. 1934.
[^128]: -- (3). Cf. M. DE CORTE, *La philosophie de Gabriel Marcel,* Paris, Téqui, s. d.
[^129]: -- (4). M. De CORTE, *L'intelligence en péril de mort,* Paris, Éditions du Club de la Culture française, 1969, p. 9.
[^130]: -- (1). *De* la *justice,* ITINÉRAIRES, numéros 170 et 171 (1973), pp. 53-92 et 128-174 ; *Court traité de la prudence,* numéros 180, 181 et 182 (1974), pp. 140-168, 154-176 et 123-143. Ces études ont été en outre publiées en volumes séparés aux éditions Dominique Martin Morin.
[^131]: -- (1). « La philosophie grecque », in *Le Flambeau*, Bruxelles, mars 1936, p. 310.
[^132]: -- (2). *Aristote et Plotin*, Paris, Desclée de Brouwer et Cie, 1935, Préface, p. 9.
[^133]: -- (1). Cette conception de l'histoire de la philosophie est déjà annoncée dans la leçon inaugurale à laquelle nous faisons référence ci-dessus. Les principes en sont à nouveau longuement exposés dans l'important article « Anthropologie platonicienne et anthropologie aristotélicienne », in Études carmélitaines, Paris, 1938, pp. 54-98.
[^134]: -- (2). *La doctrine de l'intelligence chez Aristote*, Paris, Vrin, 1934, introduction, p. 1.
[^135]: -- (3). Un disciple de M. De Corte, M. Paul Moraux, professeur à l'Université de Berlin, s'est illustré par d'importantes publications concernant ces problèmes.
[^136]: -- (1). La doctrine de l'intelligence chez Aristote, pp. 5-13, s'ouvre sur une belle leçon de méthodologie générale et spéciale. Cf. aussi La philosophie ancienne, *loc. cit.,* p. 300.
[^137]: -- (2). Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, 1934.
[^138]: -- (3). G. VERBEKE, « Guillaume de Moerbeke, traducteur de Jean Philopon » in *Revue philosophique de Louvain,* t. 49 (1951), p. 224.
[^139]: -- (4). Ce travail, publié en 1934, a valu à M. De Corte d'être reçu à l'unanimité agrégé de l'enseignement supérieur. L'ouvrage est préfacé par M. Étienne Gilson qui se plaît à rendre hommage à la « solide érudition et à la pénétration remarquable » de son auteur.
[^140]: -- (1). *La doctrine de l'intelligence...,* p. 3.
[^141]: -- (2). M. De Corte le montrera à nouveau, quelques années plus tard, dans son étude sur « La définition aristotélicienne de l'âme », in *Revue thomiste,* t. 45 (1939), pp. 460-508.
[^142]: -- (3). « Anthropologie platonicienne et aristotélicienne », in *op. cit.,* p. 73.
[^143]: -- (4). Outre les nombreux travaux consacrés, dans cette perspective, à Aristote et Plotin, il faut citer aussi l'exégèse profonde du platonisme que développe « La question platonicienne », in *Revue de philosophie,* 1938, pp. 501-531.
[^144]: -- (5). Citons en particulier cette volumineuse étude consacrée à Descartes : « La dialectique poétique de Descartes », in *Archives de philosophie,* t. 13 (1937), pp. 101-161.
[^145]: -- (1). La modestie a retenu M. Ratten de signaler qu'il avait lui-même prolongé brillamment les recherches consacrées par M. De Corte à Plotin. On lira notamment avec profit : *Les catégories du monde sensible dans les Ennéades de Plotin,* Paris, Les Belles Lettres, 1961.
[^146]: -- (2). Introduction de M. DE CORTE à G. Marcel, *Position et approches concrètes du mystère ontologique,* Paris, Vrin, 1949, p. 39, n° 3.
[^147]: -- (3). *Ibidem* (n° 1) : « Une philosophie essentiellement et totalement antiplatonicienne n'existe d'ailleurs probablement pas », note encore M. De Corte.
[^148]: -- (4). « La philosophie grecque », in loc. *cit.,* p. 308.
[^149]: -- (1). G. THIBON, « Marcel De Corte, philosophe de l'incarnation », in *Construire,* n° 8, 1957, p. 405.
[^150]: -- (2). « Parménide et la sophistique », in *Autour d'Aristote, Recueil d'études de philosophie ancienne et médiévale offert à Mgr A. Mansion,* Louvain, 1955, pp. 49-58. Alors qu'il est courant d'opposer l'humanisme des sophistes aux recherches préalables des philosophes présocratiques, M. De Corte montre ici comment la sophistique n'est que le point d'aboutissement logique et la transposition dans l'ordre pratique du rationalisme idéaliste de Parménide.
[^151]: -- (3). « Mythe et philosophie chez Anaximandre », in *Laval théologique, et philosophique,* t. 14 (1958), pp. 9-29 ; « La vision philosophique d'Héraclite », *ibidem*,.t. 16 (1960), pp. 189-236 ; « Anaximène », *ibidem,* t. 18 (1962), pp. 35-58 ; Préface à U. PESTALOZZA, *L'éternel féminin dans la religion méditerranéenne,* Bruxelles, Latomus, 1965, pp. 5-14 (la traduction de cet ouvrage est due à M. De Corte lui-même). A la même école d'exégèse se rattachent l'intéressante étude d'un disciple de M. De Corte : A. FRANCORRE, « Les disertes juments de Parménide », in *Phronesis,* t. 3 (1958), pp. 83-94*,* ainsi que notre ouvrage : *Prairies et jardins de la Grèce antique. De la religion à la philosophie,* Bruxelles, Palais des Académies, 1973.
[^152]: -- (1). *La naissance de la philosophie à l'époque de la tragédie grecque,* Paris, 1938, pp. 42-43.
[^153]: -- (1). *Aristotélisme et christianisme,* in *La philosophie de l'histoire de la philosophie,* Paris, Vrin, 1956.
[^154]: -- (2). Préface à PESTALOZZA, *op. cit.,* p. 6.
[^155]: -- (3). *Ibid.,* p. 6.
[^156]: -- (4). « Le pluralisme dans la théologie aristotélicienne », in *Revue belge de philologie et d'histoire,* t. 9 (1930), pp. 869-877.
[^157]: -- (1). Cf. A. RIGOBELLO, *La pedagogia di Kant e l'indirizzo idealistico,* dans *Questioni di storia della pedagogia,* Brescia, La Scuola, 1963, p. 282.
[^158]: -- (2). Marcel De Corte à propos des prétendues « sciences humaines », qui remontent à une conception rationaliste de l'homme, écrit : « La psychologie, la sociologie, la pédagogie, etc. calquent leurs méthodes sur celles des sciences positives et considèrent l'homme comme un pantin dont elles désarticulent patiemment le système mécanique. Le vivant, l'imprévisible, le merveilleux qu'on découvre à l'œil nu en l'homme, est méconnu au profit d'une sorte de radioscopie dont l'emploi en neutralise la présence. Tous les canaux où l'âme circule sont mis à jour. Mais l'âme elle-même, l'âme qui englobe l'esprit et la vie, s'est évaporée. » (Cf. *L'homme contre lui-même,* Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1962, p. 274).
[^159]: -- (1). Cf. M. De CORTE, *Essai sur la fin d'une civilisation,* Paris, Librairie de Médicis, 1949, p. 45.
[^160]: -- (2). Cf. A. PAVAN, *La formazione del pensiero di J. Maritain,* Padova, Gregoriana, 1967, p. 21.
[^161]: -- (3). Cf. R. MARITAIN, *I grandi amici,* Milano, Vita e Pensiero, 1955, p. 80.
[^162]: -- (4). Cf. A. PAVAN, *op. cit.,* p. 87.
[^163]: -- (1). Cf. J. MARITAIN, *La philosophie bergsonienne,* Paris, Téqui, 1948, p. 167.
[^164]: -- (2). Les mots entre guillemets sont textuels. Ils sont tirés d'une lettre envoyée à l'auteur de ces lignes, le 22 mai 1973.
[^165]: -- (3). *Ibidem.*
[^166]: -- (4). Cf. M. DE CORTE, *La grande eresia,* Roma, Volpe, 1970, p. 20.
[^167]: -- (5). Cf. F. OLGIATI, *I fondamenti della filosofia classica,* Milano, Vita e Pensiero, 1965, p. 58. Sur la « révolution de l'idée », faite par Descartes, on peut voir aussi l'introduction de A. DEL NOCE aux *Meditazioni metafisiche* de R. DESCARTES, Padova, Cedam, 1949.
[^168]: -- (1). Cf. M. DE CORTE, *L'intelligence en péril de mort.* Paris, Collection du Club de la culture française, 1969, pp. 44-45.
[^169]: -- (2). Cf. E. LASBAX, *La hiérarchie dans l'univers chez Spinoza, Pa*ris, Vrin, 1926, p. 58.
[^170]: -- (3). Cf. M. DE CORTE, *L'intelligence en péril de mort,* cit*,* p. 35.
[^171]: -- (4). Cf. M.F. SCIACCA, Studi *sulla filosofia moderna,* Milano, Marzorati, 1968, Introduction.
[^172]: -- (1). Cf. M. DE CORTE, *L'intelligence en péril de mort*, cit.*,* p. 33.
[^173]: -- (2). Cf. 141. DE CORTE, *La grande eresia*, cit.*,* p. 20.
[^174]: -- (3). Cf. *Ibidem,* p. 34.
[^175]: -- (5). Cf. J. MARITAIN, *Antimoderne,* Paris, Desclée, 1922.
Maritain -- il faut le remarquer pour ne pas faire naître des malentendus -- ne fut pas toujours fidèle à cette définition d' « antimodernisme », qu'il déroula non seulement dans l'œuvre citée, mais aussi dans les *Trois Réformateurs.* En effet, pendant les années de la II^e^ guerre mondiale, il identifia l' « antimodernisme » même avec le fascisme et le nazisme (cf. *Cristianesimo e democrazia,* Milano, Comunità, 1950, p. 17). Selon Marcel De Corte, au contraire, le nazisme et le fascisme sont des phénomènes étroitement liés à l'idée « moderne » de l'homme et du monde comme, du reste, la démocratie d'inspiration rousseauiste (cf. *Essai sur la fin d'une civilisation*, cit.*,* pp. 102, 233 et les deux articles du même auteur publiés dans la revue ITINÉRAIRES du mois de février et du mois de mars 1973). On peut voir aussi sur ces mêmes sujets A. DEL NOCE, *I caratteri generali del pensiero politico contemporaneo,* Milano, Giuffré, 1972 et l'article du même philosophe italien paru dans la revue *L'Europa* (Rome) du 15 octobre 1972. Pour une étude sur la vision politique classique, en outre, nous renvoyons à l'œuvre de F. OLGIATI, *Il concetto di giuridicità in San Tommaso d'Aquino,* Milano, Vita e Pensiero, 1951.
[^176]: -- (1). Cf. C. MAZZANTINI, « Il contributo della Grecia alla metafisica classica »*,* dans *Rivista di filosofia neoscolastica,* Milano ; a. 45, 1953, p. 515.
[^177]: -- (2). Cf. M. DE CORTE, *L'homme contre lui-même*, cit.*,* p. 179.
[^178]: -- (3). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo,* Brescia, Marcelliana, 1949, p. 40.
[^179]: -- (4). Paris, Fayard, 1957.
[^180]: -- (1). Cf. *Ibidem*, Traduction italienne, Ed. Paoline, Catania, 1958, p : 33.
[^181]: -- (2). Cf. *Ibidem*, p. 40.
[^182]: -- (3). Cf. *Ibidem*, p. 50.
[^183]: -- (4). Cf. *Ibidem*, p. 59.
[^184]: -- (1). Cf. J. MARITAIN, *Antimoderne*, cit.*,* p. 23.
[^185]: -- (2). Cf. R. VANCOURT, *œuvre citée*, p. 59.
[^186]: -- (3). Je prends la liberté de renvoyer, pour un exposé systématique de la philosophie de notre auteur, à ma thèse *L'aristotelismo cristiano di Marcel De Corte* (Firenze, Pucci Cipriani, 1975), et pour une synthèse de sa pensée à mon article « Introduzione a Marcel De Corte », paru dans *Il* Maestrale (Torino, n° 7, 1971). Pour la philosophie morale et celle de l'histoire on peut voir deux de mes articles publiés dans la revue des études catholiques *Adveniat Regnum* (Roma, n° 3-4, 1970 et n° 1-2, 1971).
[^187]: -- (4). Cf. M. DE CORTE, *L'homme contre lui-même*, cit.*,* pp. 103, 216, 309.
[^188]: -- (5). Cf. E. DEVAUD, *Pour une école active selon l'ordre chrétien,* Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, 1934, trad. italienne, Brescia, La Scuola, 1967, p. 67.
[^189]: -- (1). Cf. M. DE CORTE, *L'homme contre lui-même*, cit.*,* p. 271.
[^190]: -- (2). Cf. sur ce sujet G. BONTADINI, *Dall'attualismo al problematicismo*, Brescia, La Scuola, 1950, et M.F. SCIACCA, *La Filosofia, oggi,* Milano, Marzorati, 1970.
[^191]: -- (3). Cf. R. VANCOURT, œuvre citée, p. 59.
[^192]: -- (4). Cf. J.-J. ROUSSEAU, *Emilio, a cura di* G. Modugno, Firenze, 1926, p. 100.
[^193]: -- (5). Bernardo Razzotti a soutenu que tout « activisme » trouve là son fondement. Il écrit, en effet, dans *Nuova rivista pedagogica* (a. XX, n° 1-2, Rome, février-avril 1970), à la p. 13 : « L'idéalisme considère la réalité comme développement : c'est là l'aspect le plus caractéristique de la pensée moderne ! Si la réalité est en perpétuel devenir, elle peut être connue seulement si l'on reparcourt ou que l'on reconstitue les modalités de son développement par l'expérience. Connaître c'est donc reconstituer la genèse des phénomènes et c'est, par conséquent, agir sur la réalité. Une idée est reconnue comme vraie par ses conséquences pratiques, par les faits particuliers qu'elle suscite dans l'expérience. La connaissance n'est plus considérée comme l'adaptation de l'intelligence aux choses ; la fonction de la connaissance est de permettre l'amélioration des conditions de l'homme dans le monde, elle est de transformer la nature au profit de l'homme. L'action vérifie la validité des idées, tout en tes traduisant en pratique. Par conséquent, le pragmatisme, selon l'orientation de la pensée moderne, tourne son attention au monde. On peut affirmer, donc, qu'à la base de la problématique moderne, on trouve l'idée de la connaissance en tant qu'action et l'idée de l'action en tant qu'élément constitutif de la pensée. Voilà le fondement de l'éducation active ou nouvelle ! » C'est ce qu'affirme M. Razzotti qui, à notre sens, ne met pas en évidence le fait que l'idée d' « activisme » ou, pour être plus précis, l'idée d' « école nouvelle », est polyvalente. Si, en effet, d'un côté il y a des pédagogues dont les propositions sont strictement liées à la « philosophie moderne », par laquelle la culture même devient activité transformatrice, c'est-à-dire pratique (cf., par exemple, sur ce même sujet P. FREIRE, *L'éducation : pratique de la liberté,* Paris, Les Éditions du Cerf, 1973, p. 115), de l'autre, l'idée d' « école nouvelle » peut être strictement liée à celle de philosophie classique et elle s'inscrit principalement dans la tradition catholique (cf., par exemple, E. DEVAUD, *œuvre citée, Le système Decroly et la pédagogie chrétienne,* Fribourg, Librairie de l'Université, 1936 ; et Pie XI, (Enc. *Divini illius Magistri*, 31 décembre 1929, et *L'éducation,* Tournai, Desclée et Cie, n° 3 dans la collection Insegnamenti Pontifici, préparée par les Moines de Solesmes, trad. it., Rome, Ed. Paoline, 1957). Pour une vision d'ensemble sur l' « activisme » cf. aussi A. AGAZZI, «* Scuole nuove e attivismo *» dans *Questioni di storia della pedagogia*, cit.*,* pp. 893-1073 et *L'attivismo pedagogico*, actes de l'assemblée de Scholé, 1955.
[^194]: -- (1). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo,* cité, p. 80.
[^195]: -- (2). Cf. T.C. DONLAN, *Theology and education,* Dubuque, Brown Compagny, 1952, trad. it., Ed. Paoline, 1959, p. 20.
[^196]: -- (3). Cf. J. MARITAIN, *L'educazione al bivio*, Brescia, La Scuola, 1971, p. 14.
[^197]: -- (4). Cf. T.C. DONLAN O.P. *œuvre citée*, p. 38.
[^198]: -- (5). Cf. *œuvre citée*.
[^199]: -- (1). A. Muñoz Alonso a soutenu que l'activisme s'est transformé de méthode en « Système » : il a altéré ainsi le but de l'éducation. Il a insisté sur les fondements spontanés, naturalistes, immanentistes, sociologiques et individualistes, tandis que G. Catalfamo a repris la critique du philosophe espagnol et l'a développée, reliant l'activisme à la « pensée moderne ». (Cf. *L'attivismo pedagogico,* Actes de Scholé, 1955). Pour la connaissance de la pensée pédagogique de A. Mufioz Alonso, cf. aussi *Il magistero come forma di vita,* Brescia, La Scuola, 1961.
[^200]: -- (2). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 90.
[^201]: -- (3). Cf. Pie XI, Enc. *Divini illius Magistri* et *L'éducation*, cit.*,* p. 243.
[^202]: -- (4). Cf. M. DE CORTE*, Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 41.
[^203]: -- (5). Cf. *Ibidem,* pp. 39-40.
Marcel De Corte considère le Moyen Age comme l'époque où la forme la plus cohérente et la plus sublime de l'humanisme s'est manifestée dans l'histoire. En effet, en ce temps-là, on ne conçut pas la tâche humaine au point de vue extérieur, comme l'entreprise de se rendre maître des richesses de l'univers, mais intérieurement, comme la tentative loyale de développer sa propre nature afin d'atteindre l'Infini. Le Moyen Age, malgré la croyance au péché originel, n'a jamais douté de la vigueur de la nature humaine ; ce sera au contraire justement Luther, avec lequel s'ouvre l'époque moderne, qui proclamera le premier que la nature de l'homme est corrompue jusqu'aux os, et qu'elle est d'elle-même incapable d'accomplir son destin (cf. *Ibidem,* p. 39). Cf. aussi, sur ce sujet, le livre de E. GILSON, *L'esprit de la philosophie médiévale,* Paris, Vrin, 1932.
[^204]: -- (1). Cf. *Ibidem,* p. 112.
[^205]: -- (2). Cf. *Ibidem,* p. 112.
[^206]: -- (3). Cf. *Ibidem,* p. 113.
[^207]: -- (4). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 111.
[^208]: -- (5). Cf. *Ibidem,* p. 111.
[^209]: -- (1). Cf. *Ibidem,* p. 113.
L'idée d'autoéducation de Marcel De Corte n'est pas identifiable avec celle proposée et développée par Giovanni Gentile. La divergence paraît évidente surtout si l'on considère les différentes positions spéculatives des deux philosophes. Si l'idéalisme de Gentile, en effet, au point de vue spéculatif, est la tentative de « inveramento » total dans l'immanentisme de la transcendance, au point de vue pédagogique même il ne peut, par sa cohérence intrinsèque, accepter l'idée d'autoéducation dans une perspective spiritualiste. Il devrait, en effet, rouvrir les portes à la métaphysique. Sur ce même sujet on peut voir aussi F. SCHNEIDER, *L'autoeducazione,* Brescia, La Scuola, 1956.
[^210]: -- (2). Cf. T.C. DONLAN, œuvre citée, p. 64.
[^211]: -- (1). Sur ces sujets on peut voir aussi E. DEVAUD, *Pour une école active selon l'ordre chrétien*, cit.
[^212]: -- (2). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 122, et *L'intelligence en péril de mort*, cit.*,* p. 21.
[^213]: -- (3). Cf. SAINT THOMAS, *Summa Theol.,* I-II, q. 57 a. 2 ad 1um.
[^214]: -- (4). Cf. M. DE CORTE, « La dialectique poétique de Descartes » dans *Archives de Philosophie,* v. III, cahier II, Paris, 1937, p. 110.
[^215]: -- (5). Cf. M*.* DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 140.
[^216]: -- (6). Cf. *Ibidem,* pp. 138, 140.
[^217]: -- (7). Cf. T.C. DONLAN, œuvre citée, p. 81.
[^218]: -- (1). Sur ce projet on peut voir M. DE CORTE, *Philosophie des mœurs contemporaines*, cit.*,* et *L'homme contre lui-même*, cit.
[^219]: -- (2). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* pp. 138, 139.
[^220]: -- (3). On peut voir sur ce sujet M. DE CORTE, *Philosophie des mœurs contemporaines*, cit.*,* et *Essai* *sur la fin d'une civilisation*, cit.
[^221]: -- (1). Cf. M. DE CORTE, *L'intelligence en péril de mort*, cit.*,* pp. 70
[^222]: -- (2). Cf. *Ibidem*, p. 71.
[^223]: -- (3). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 22.
[^224]: -- (4). Cf. *Ibidem*, p. 15.
[^225]: -- (5). Cf. SAINT THOMAS, Summa Theol., IIa-IIae, q. 10, a. 12.
[^226]: -- (6). Cf. M. DE CORTE, *Incarnazione dell'uomo*, cit.*,* p. 68.
[^227]: -- (1). Cf. M. DE CORTE, *Essai sur la fin d'une civilisation*, cit.*,* p. 92.
[^228]: -- (2). Cf. *Ibidem,* p. 222.
[^229]: -- (3). Cf. T.C. DONLAN, œuvre citée, pp. 75-76.
[^230]: -- (4). Cf. M. DE CORTE, *L'homme contre lui-même*, cit.*,* p. 291.
[^231]: -- (5). Cf. *Ibidem,* pp. 291-292.
[^232]: -- (6). Cf. *Ibidem,* p. 126.
[^233]: -- (1). Cf. *Ibidem,* p. 127.
[^234]: -- (2). Cf. *Ibidem,* pp. 128-130.
[^235]: -- (3). Cf. *Ibidem,* pp. 128-129.
[^236]: -- (4). Cf. T.C. DONLAN, œuvre citée, p. 81.
[^237]: -- (1). Cf. *Ibidem,* pp. 81-82.
[^238]: -- (2). Cf. *Ibidem,* p. 89.
[^239]: -- (3). Cf. Sur ces sujets SAINT THOMAS, *Summa Theol.,* IIa IIae, q. 102 a. I.
[^240]: -- (4). Cf. édition citée, p. 135.
Nous avons déjà fait allusion à l'infidélité de Maritain envers lui-même. Pour ce motif, du point de vue objectif (et non pas, donc, sur le plan des intentions !) on a pu parler, à bon droit, d'un « premier », d'un « second » et d'un « troisième » Maritain qui, du point de vue théologique et métaphysique, avec ses deux dernières œuvres, serait revenu aux positions qu'il avait atteintes dans la première phase de l'anti-Bergson. En ce qui concerne l'œuvre qu'on vient de citer, on peut observer qu'elle a été contestée par Maritain même dans son livre *Le paysan de la Garonne* (Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, 1966). Selon plusieurs philosophes catholiques toutefois, cette œuvre-ci ne constitue par une rétractation totale du « modernisme » de Maritain (cf., par exemple, sur ce sujet R. GAMERA, *Maritain y Teilhard de Chardin,* Madrid, Speiro, S.A., 1969).
[^241]: -- (5). Cf. Pie XI, Enc. *Divini illius Magistri*, cit.
[^242]: -- (6). Cf. J. MARITAIN, *Cristianesimo e democrazia*, cit., p. 135.
[^243]: -- (1). Cf. Constitution pastorale « *Gaudium et spes *», n° 52.
[^244]: -- (2). Cf. A. AGAZZI, *Problemi e maestri del pensiero e dell'educazione,* III, Brescia, La Scuola, 1969, p. 477.
[^245]: -- (3). Cf. M. DE CORTE, *Essai sur la fin d'une civilisation*, cit., p. 10.
[^246]: -- (4). Bruxelles, 1956.
[^247]: -- (5). Cf. E. DEVAUD, *Pour une école active selon l'ordre chrétien*, cit., p. 37. L'exigence de donner le sens de la vie était saisie aussi par l'ancienne pédagogie grecque, outre naturellement la pédagogie chrétienne. Blättner, en effet, écrit dans les premières pages de sa *Geschichte der Pädagogik* (Heidelberg, 1968) : « L'homme qui, comme *kalôs kai agathôs,* c'est-à-dire beau et bon, présentait une culture complète, devait avoir aussi, sinon une formation philosophique, au moins le sens du mystère, de la vie et de la douleur » : ce que les sciences naturelles et positives ne peuvent pas donner. Pour ce motif, comme écrit le P. Donlan, il faut que la pédagogie, tout en se servant des renseignements scientifiques, sache les considérer à la lumière d'une science plus haute. En effet, si fait défaut la connaissance du but, il est difficile de comprendre à fond les problèmes que l'éducation soulève et que les technologies toutes seules ne peuvent contribuer réellement à résoudre.
[^248]: -- (1). Cf. sur ce sujet *L'éducation des hommes,* actes du congrès de Lausanne (VIII), Paris, 1973, et F. NATTER, *Pédagogie nouvelle et subversion,* Paris, C.E.P.E.C., 1971.
[^249]: **\*** -- Voir aussi Table et Auteurs.doc.
[^250]: -- (1). Page 8. La phrase est équivoque mais, bien sûr, on la comprend dans le bon sens.
[^251]: -- (2). Souligné dans le texte.
[^252]: -- (1). *Missale Romanum et Missel Romain,* par le R.P. J. RENÉ, o. m. (Les éditions du Cèdre, 1975, 112 pages.)
[^253]: -- (1). Dans La *pensée catholique,* n° 153, novembre-décembre 1974.
[^254]: -- (1). V. mon article «* Cogere et efficere *» dans ITINÉRAIRES, n° 193, mai 1975.
[^255]: -- (1). C'est, je crois, l'abbé Dulac qui le premier a attiré l'attention sur cet aspect juridique de la question.
[^256]: -- (2). *Doc. Cath.* n° 1541, 1^er^ juin 1969, p. 517.
[^257]: -- (1). *Doc. Cath.,* n° 1493, 7 mai 1967.
[^258]: -- (1). Dom Oury nous dit que l'Ordo Missae « est passé entre les mains des théologiens de la Congrégation pour la doctrine de la foi avant d'être promulgué » (p. 94). A en juger par la lettre du cardinal Ottaviani leur avis n'a pas dû peser lourd. (On aimerait en connaître le texte).
[^259]: -- (2). Cf. ITINÉRAIRES, supplément au numéro 142 d'avril 1970.
[^260]: -- (1). V. *La Nouvelle Messe,* pp. 119 à 131.
[^261]: -- (1). *Op. cit.,* p. 122-123.
[^262]: -- (1). *Doc. Cath.,* 18 juin 1970.