# 198-12-75
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## POUR NOS VINGT ANS
Pour le 20^e^ anniversaire de la revue, c'est-à-dire d'ici mars 1976, j'ai demandé une mobilisation générale de nos lecteurs, une mobilisation croissante, « *demain davantage qu'hier *», afin de réaliser deux objectifs nécessaires.
Premièrement, la campagne des deux mille abonnements nouveaux, qui vous a été proposée dans notre précédent numéro. Voici maintenant le second point : nous ouvrons une souscription au profit des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES et de leur œuvre des bourses d'abonnement.
\*\*\*
En effet, l'œuvre des bourses d'abonnement est actuellement compromise par manque de ressources suffisantes.
Déjà, les demandes de bourses totales ne sont plus acceptées. Elles ne sont pas refusées : mais elles sont maintenant inscrites sur une liste d'attente.
Une telle situation ne saurait se prolonger. Elle mettrait en cause, elle aussi, la survie de la revue, sa continuation au-delà de son 20^e^ anniversaire. Une condition essentielle de l'existence d'ITINÉRAIRES est que personne n'en soit privé par manque d'argent : c'est à quoi a répondu jusqu'ici l'œuvre de l'entraide à l'abonnement assumée par les COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES. Aujourd'hui un plus grand effort est devenu nécessaire.
Les COMPAGNONS ont besoin de 110.000 F.
Tel est l'objectif de la souscription ouverte jusqu'au mois de mars 1976.
Les dons sont à adresser directement aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 40, rue du Mont-Valérien, 92210 Saint Cloud ; chèques postaux : Paris 19.241.14.
J. M.
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### La Lettre numéro 9 de Mgr Marcel Lefebvre
La « *Lettre aux Amis et Bienfaiteurs *» *est l'organe officiel de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ; elle est publiée une ou deux fois par an. Dans la Lettre numéro 9, parue à la fin du mois d'octobre, Mgr Marcel Lefebvre a donné une explication complète de son attitude, de sa résolution, de son œuvre. En voici la reproduction intégrale.*
Chers Amis et Bienfaiteurs,
Le moment me semble venu de porter à votre connaissance les derniers événements concernant Écône, et l'attitude qu'en conscience, devant Dieu, nous croyons devoir prendre en ces graves circonstances.
En ce qui concerne le recours auprès de la Signature apostolique : la dernière instance faite par mon avocat auprès des cardinaux qui forment le tribunal afin de connaître exactement quelle fut l'intervention du pape dans le procès qui nous est fait, a été arrêtée dans son cours par une lettre autographe du cardinal Villot au cardinal Staffa, président du tribunal, lui enjoignant d'interdire tout recours.
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Quant à l'audience du Saint Père, elle est également refusée par le cardinal Villot. Je n'aurai d'audience que lorsque mon œuvre aura disparu et que je conformerai ma manière de penser à celle qui règne dans l'Église réformée d'aujourd'hui.
Cependant, l'événement le plus important est sans doute cette lettre signée du Saint Père, présentée comme autographe par le Nonce de Berne, en réalité dactylographiée et qui, sous une forme nouvelle, reprend les arguments ou plutôt les affirmations de la lettre des cardinaux. Je l'ai reçue le 10 juillet dernier. Elle me demande un acte public de soumission « au concile, aux réformes post-conciliaires et aux orientations qui engagent le pape lui-même »*.*
Une deuxième lettre du pape reçue le 10 septembre demande d'urgence la réponse à la première lettre.
Cette fois, sans que je le désire, n'ayant pour but que de servir l'Église dans l'humble et bien consolante tâche de donner de vrais prêtres dévoués à son service, nous étions affrontés aux autorités de l'Église jusqu'à son plus haut sommet ici-bas, le pape. J'ai donc répondu au Saint Père, affirmant notre soumission au successeur de Pierre dans sa fonction essentielle, qui est de nous transmettre fidèlement le dépôt de la foi.
Si l'on considère les faits dans leur aspect purement matériel, il s'agit de peu de chose : la suppression d'une Fraternité à peine née ne comptant que quelques dizaines de membres, la fermeture d'un séminaire, voilà bien peu de chose en réalité, et qui ne mérite pas qu'on s'en préoccupe.
Par contre, si l'on est un instant attentif aux réactions provoquées dans les milieux catholiques et même protestants, orthodoxes, athées, et cela dans le monde entier, aux innombrables articles de la presse mondiale, réactions d'enthousiasme et de véritable espoir, réactions de dépit et d'opposition, réactions de simple curiosité, nous ne pouvons nous empêcher de penser, même si nous le regrettons, qu'Écône pose un problème qui dépasse de beaucoup les dimensions modestes de la Fraternité et du séminaire, problème profond, inéluctable, qu'on ne peut écarter d'un revers de la main, qu'on ne peut résoudre par un ordre formel, de quelque autorité qu'il vienne. Car le problème d'Écône, c'est celui de milliers et de millions de consciences chrétiennes déchirées, divisées, bouleversées depuis dix années par ce dilemme martyrisant : ou obéir au risque de perdre la foi, ou désobéir et garder sa foi intacte ; ou obéir et collaborer à la destruction de l'Église, ou désobéir et travailler à la préservation et la continuation de l'Église ; ou accepter l'Église réformée et libérale, ou maintenir son appartenance à l'Église catholique.
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C'est parce qu'Écône est au cœur de ce problème crucial qui s'est rarement posé aux consciences catholiques avec cette ampleur et avec cette gravité, que tant de regards sont tournés vers cette maison qui a résolument choisi l'option d'appartenance à l'Église de toujours et refuse l'appartenance à l'Église réformée et libérale.
Et voici que l'Église, par ses représentants officiels, prend une position contre cette option d'Écône, condamnant ainsi publiquement la formation traditionnelle du prêtre, *au* nom du concile Vatican II, au nom des réformes postconciliaires et au nom des orientations postconciliaires qui engagent *le* pape.
Comment expliquer cette opposition à la Tradition au nom du concile et de son application ? Peut-on raisonnablement et doit-on réellement s'opposer à un concile et à ses réformes ? Peut-on, au surplus, et doit-on s'opposer aux ordres de la hiérarchie sommant de suivre le concile et toutes les orientations postconciliaires officielles ?
Voilà le grave problème qui, aujourd'hui, après 10 années postconciliaires se pose à notre conscience à l'occasion de la condamnation d'Écône.
Il est impossible de répondre prudemment à ces questions sans faire un rapide exposé de l'histoire du libéralisme et du catholicisme libéral au cours des derniers siècles. On ne peut expliquer le présent que par le passé.
##### Principes du libéralisme
Définissons d'abord en quelques mots le libéralisme dont l'exemple historique le plus typique est le protestantisme. Le libéralisme prétend libérer l'homme de toute contrainte non voulue ou acceptée par lui-même.
*Première libération :* celle qui libère l'intelligence de toute vérité objective imposée. La Vérité doit être acceptée différente selon les individus ou les groupes d'individus, elle est donc nécessairement partagée. La Vérité se fait et se recherche sans fin. Personne ne peut prétendre l'avoir exclusivement et dans son intégralité. On devine combien cela est contraire à Notre-Seigneur Jésus-Christ et à son Église.
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*Deuxième libération :* celle de la foi qui nous impose des dogmes, formulés de façon définitive et auxquels l'intelligence et la volonté doivent se soumettre. Les dogmes, selon le libéral, doivent être soumis au crible de la raison et de la Science et cela d'une manière constante, étant donné les progrès scientifiques. Il est donc impossible d'admettre une vérité révélée définie pour toujours. On remarquera l'opposition de ce principe à la Révélation de Notre-Seigneur et à Son autorité divine.
Enfin, *troisième libération,* celle de la loi. La loi, selon le libéral, limite la liberté et lui impose une contrainte d'abord morale et enfin physique. La loi et ses contraintes vont à l'encontre de la dignité humaine et de la conscience. La conscience est la loi suprême. Le libéral confond Liberté et Licence. Notre-Seigneur Jésus-Christ est la Loi vivante, étant le Verbe de Dieu ; on mesurera encore combien est profonde l'opposition du libéral à Notre-Seigneur.
##### Conséquences du libéralisme
Les principes libéraux ont pour conséquence de détruire la philosophie de l'être et de refuser toute définition des êtres pour s'enfermer dans le nominalisme ou l'existentialisme et l'évolutionnisme. Tout est sujet à la mutation, au changement.
Une deuxième conséquence aussi grave, sinon plus, est la négation du surnaturel, donc du péché originel, de la justification par la grâce, du véritable motif de l'Incarnation, du sacrifice de la Croix, de l'Église, du Sacerdoce. Tout est faussé dans l'œuvre accomplie par Notre-Seigneur ; et cela se traduit par une vision protestante de la Liturgie du Sacrifice de la Messe et des Sacrements qui n'ont plus pour objet l'application de la Rédemption aux âmes, à chaque âme, afin de lui communiquer la grâce de la vie divine et la préparer à la vie : éternelle, par l'appartenance au corps mystique de Notre-Seigneur, mais qui ont désormais pour centre et motif l'appartenance à une communauté humaine de caractère religieux. Toute la Réforme liturgique se ressent de cette orientation.
Autre conséquence : la négation de toute autorité personnelle, participation à l'autorité de Dieu. La dignité humaine demande que l'homme ne soit soumis qu'à ce qu'il consent. Puisqu'une autorité est indispensable pour la vie de la société, il n'acceptera que l'autorité agréée par une majorité, parce qu'elle représente la délégation de l'autorité des individus les plus nombreux à une personne ou un groupe désigné, cette autorité n'étant toujours que déléguée.
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Or ces principes et leurs conséquences, qui exigent la liberté de pensée, la liberté d'enseignement, la liberté de conscience, la liberté de choisir sa religion, ces fausses libertés qui supposent la laïcité de l'État, la séparation de l'Église et de l'État, ont été, depuis le concile de Trente, sans cesse condamnés par les successeurs de Pierre, et d'abord par le concile de Trente lui-même.
##### Condamnation du libéralisme par le magistère de l'Église
C'est l'opposition de l'Église au libéralisme protestant qui a provoqué le concile de Trente, d'où l'importance considérable de ce concile dogmatique pour la lutte contre les erreurs libérales, pour la défense de la Vérité, de la Foi, en particulier par la codification de la Liturgie du Sacrifice de la Messe et des sacrements, par les définitions concernant la justification par la grâce.
Énumérons quelques documents parmi les plus importants qui ont complété cette doctrine du concile de Trente et qui l'ont confirmée :
-- *La Bulle* « *Auctorem fidei *» de Pie VI contre le Concile de Pistoie.
-- *L'encyclique* « *Mirari vos *» de Grégoire XVI contre Lamennais.
-- *L'encyclique* « *Quanta Cura *» *et le Syllabus* de Pie IX.
-- *L'encyclique* « *Immortale Dei *» de Léon XIII condamnant le droit nouveau.
-- *Les actes de saint Pie X* contre le Sillon et le modernisme et spécialement le décret « Lamentabili » et le serment antimoderniste.
-- *L'encyclique* « *Divini Redemporis *» du pape Pie XI contre le communisme.
-- *L'encyclique* « *Humani Generis *» du pape Pie XII. Ainsi le libéralisme et le catholicisme libéral ont toujours été condamnés par les successeurs de Pierre au nom de l'Évangile et de la Tradition apostolique.
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Cette conclusion évidente est d'importance primordiale pour déterminer notre attitude et manifester notre union indéfectible au magistère de l'Église et aux successeurs de Pierre. Personne plus que nous n'est attaché au successeur de Pierre aujourd'hui régnant lorsqu'il se fait écho des Traditions apostoliques et des enseignements de tous ses prédécesseurs. Car c'est la définition même du successeur de Pierre de garder le dépôt et de le transmettre fidèlement. Voici ce que proclame le pape Pie IX à ce sujet dans « Pastor aeternus » :
« *Le Saint-Esprit n'a pas en effet été promis aux successeurs de Pierre pour leur permettre de publier, d'après ses révélations, une doctrine nouvelle, mais de garder saintement et d'exposer fidèlement avec son assistance les révélations transmises par les apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi. *»
##### Influence du libéralisme dans le concile Vatican II
Nous en arrivons maintenant à la question qui nous préoccupe : Comment expliquer que l'on puisse, au nom du concile Vatican II, s'opposer à des Traditions séculaires et apostoliques, mettant ainsi en cause le Sacerdoce catholique lui-même et son acte essentiel, le Saint Sacrifice de la Messe ?
Une grave et tragique équivoque pèse sur le concile Vatican II présenté par les papes eux-mêmes dans des termes qui l'ont favorisée : concile de l' « aggiornamento », de la « mise à jour » de l'Église. Concile pastoral, non dogmatique, comme vient de le nommer à nouveau le pape, il y a un mois.
Cette présentation, dans la situation de l'Église et du monde en 1962, présentait d'immenses dangers auxquels le concile n'a pas réussi à échapper. Il était aisé de traduire ces mots de telle manière que les erreurs libérales s'introduisent largement dans le concile. Une minorité libérale parmi les pères du concile et surtout parmi, les cardinaux fut très active, très organisée, très appuyée par une pléiade de théologiens modernistes et de nombreux Secrétariats. Qu'on songe à la production énorme des imprimés de l'IDOC subventionnée par les conférences épiscopales allemande et hollandaise.
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Ils eurent beau jeu de demander instamment l'adaptation de l'Église à l'homme moderne, c'est-à-dire à l'homme qui veut se libérer de tout, de présenter l'Église comme inadaptée, impuissante, de battre la coulpe sur la poitrine des prédécesseurs. L'Église est présentée comme ; aussi coupable que les protestants et les orthodoxes des divisions d'antan. Elle doit demander pardon aux protestants présents.
L'Église de la Tradition est coupable dans ses richesses, dans son triomphalisme, les pères du concile se sentent coupables d'être hors du monde, de n'être pas du monde ; ils rougissent déjà de leurs insignes épiscopaux, bientôt de leurs soutanes.
Cette ambiance de libération gagnera bientôt tous les domaines et se reflétera dans l'esprit collégial où sera voilée la honte que l'on éprouve d'exercer une autorité personnelle si contraire à l'esprit de l'homme moderne, disons de l'homme libéral. Le pape et les évêques exerceront leur autorité collégialement dans les Synodes, les conférences épiscopales, les conseils presbytéraux. Enfin, l'Église s'ouvre aux principes du monde moderne...
La liturgie sera elle aussi libéralisée, adaptée, soumise aux expérimentations des conférences épiscopales.
La liberté religieuse, l'œcuménisme, la recherche théologique, la révision du droit canon atténueront le triomphalisme d'une Église qui se proclamait seule arche du Salut ! La Vérité se trouve en partage dans toutes les religions, une recherche commune fera avancer la communauté religieuse universelle autour de l'Église.
Les protestants à Genève -- Marsaudon dans son livre *L'œcuménisme vu par un franc-maçon* -- les libéraux comme Fesquet, triomphent. Enfin disparaîtra l'ère des États catholiques. Le droit commun pour toutes les religions : « L'Église libre dans l'État libre », la formule de Lamennais ! Voilà l'Église adaptée au monde moderne ! Le droit public de l'Église et tous les documents cités plus haut deviennent des pièces de musée destinées a des temps révolus ! Lisez au début du schéma sur « L'Église dans le monde » la description des temps modernes en mutation : lisez les conclusions, elles sont du plus pur libéralisme. Lisez le Schéma sur la « Liberté religieuse » et comparez avec l'encyclique « Mirari vos » de Grégoire XVI, avec « Quanta cura » de Pie IX, et vous pourrez constater la contradiction presque mot pour mot.
Dire que les idées libérales n'ont pas influencé le concile Vatican II est nier l'évidence. La critique interne, et la critique externe le prouvent abondamment.
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##### Influence du libéralisme dans des réformes et orientations postconciliaires
Et si nous passons du « concile » aux « réformes » et aux « orientations », la preuve est aveuglante. Or, remarquons bien que dans les lettres de Rome qui nous demandent un acte public de soumission, les trois choses sont présentées toujours comme indissolublement unies. Se trompent donc lourdement ceux qui parlent d'une « mauvaise interprétation » du concile, comme si le concile en lui-même était parfait et ne pouvait être interprété d'après les réformes et orientations.
Les *réformes* et *orientations* officielles postconciliaires manifestent avec plus d'évidence que n'importe quel écrit *l'interprétation officielle et voulue* du concile.
Or, ici, nous n'avons pas besoin de nous étendre : les faits parlent d'eux-mêmes et sont éloquents, hélas bien tristement.
Que reste-t-il d'intact de l'Église pré-conciliaire ? Où n'est pas passée l'autodémolition ? Catéchèse -- séminaires -- congrégations religieuses -- liturgie de la Messe et des sacrements -- constitution de l'Église -- conception du Sacerdoce, les conceptions libérales ont tout ravagé et emmènent l'Église au-delà des conceptions du protestantisme, à la stupéfaction des protestants et à la réprobation des orthodoxes.
Une des constatations les plus effroyables de l'application de ces principes libéraux est l'ouverture à toutes les erreurs et particulièrement à la plus monstrueuse jamais sortie de l'esprit de Satan : le communisme. Le communisme a ses entrées officielles au Vatican et sa révolution mondiale est singulièrement facilitée par la non-résistance officielle de l'Église, bien plus, par des soutiens fréquents à la révolution, malgré les avertissements désespérés des cardinaux qui ont subi les geôles communistes.
Le refus de ce concile pastoral de condamner officiellement le communisme est à lui seul suffisant pour le couvrir de honte devant toute l'histoire, quand on songe aux dizaines de millions de martyrs, aux gens dépersonnalisés scientifiquement dans les hôpitaux psychiatriques, servant de cobayes à toutes les expériences. Et le concile pastoral réunissant 2350 évêques s'est tu, malgré les 450 signatures des pères demandant cette condamnation, que j'ai portées moi-même à Mgr Felici, secrétaire du concile, en compagnie de Mgr Sigaud, archevêque de Diamantina.
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Faut-il pousser plus loin l'analyse pour arriver à la conclusion ? Il me semble que ces lignes suffisent pour que l'on puisse refuser de suivre ce concile, ces réformes, ces orientations en tout ce qu'ils ont de libéral et de néomoderniste.
Nous voulons répondre à l'objection qu'on ne manquera pas de nous faire au sujet de l'obéissance, au sujet de la juridiction de ceux qui veulent nous imposer cette orientation libérale. Nous répondons : Dans l'Église, le droit, la juridiction sont au service de la Foi, finalité première de l'Église. Il n'y a aucun droit, aucune juridiction qui puisse nous imposer une diminution de notre Foi.
Nous acceptons cette juridiction et ce droit quand ils sont au service de la Foi. Mais qui peut juger de cela ? La Tradition, la Foi enseignée depuis 2000 ans. Tout fidèle peut et doit s'opposer à quiconque dans l'Église, touche a sa foi, la foi de l'Église de toujours, appuyé sur le catéchisme de son enfance.
Défendre sa foi est le premier devoir de tout chrétien, à plus forte raison de tout prêtre et de tout évêque. Dans le cas de tout ordre comportant un danger de corruption de la foi et des mœurs, la « désobéissance » est un devoir grave.
C'est parce que nous estimons que toute notre foi est mise en danger par les réformes et les orientations postconciliaires que nous avons le devoir de « désobéir » et de garder les Traditions. C'est le plus grand service que nous pouvons rendre à l'Église catholique, au successeur de erre, au salut des âmes et de notre âme, que de refuser l'Église réformée et libérale, car nous croyons en Notre-Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu fait homme, qui n'est ni libéral, ni réformable.
Autre dernière objection : le concile est un concile comme les autres. Par son œcuménicité et sa convocation, oui ; par son objet, et c'est là l'essentiel, non. Un concile non dogmatique peut ne pas être infaillible ; il ne l'est que dans la reprise de vérités dogmatiques traditionnelles. Comment justifiez-vous votre attitude vis-à-vis du pape ? Nous sommes les plus ardents défenseurs de son autorité comme successeur de Pierre, mais nous réglons notre attitude sur la parole de Pie IX citée plus haut. Nous applaudissons au pape écho de la Tradition et fidèle à la transmission du dépôt de la Foi. Nous acceptons les nouveautés intimement conformes à la Tradition et à la Foi. Nous ne nous sentons pas liés par l'obéissance à des nouveautés qui vont contre la Tradition et menacent notre Foi. Dans ce cas, nous nous rangeons derrière les documents pontificaux cités plus haut.
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Nous ne voyons pas, en conscience, comment un catholique fidèle, prêtre ou évêque, peut avoir une autre attitude vis-à-vis de la crise douloureuse que traverse l'Église. « Nihil innovetur nisi quod traditum est » -- qu'on n'innove rien mais qu'on transmette la Tradition.
Que Jésus et Marie nous aident à demeurer fidèle à nos engagements épiscopaux ! « Ne dites pas vrai ce qui est faux, ne dites pas bon ce qui est mauvais. » Voilà ce que l'on nous a dit à notre sacre.
Marcel Lefebvre.
A ce document, j'ajoute quelques lignes pour vous informer de la vie de l'œuvre.
Nous avons eu 12 départs à la fin de l'année scolaire, dont quelques-uns dus aux attaques réitérées de la hiérarchie. Dix autres sont appelés au service militaire. Nous aurons par contre une rentrée de 25 à Écône et de 5 à Weissbad dans le canton d'Appenzell, de 6 également à Armada aux USA.
D'autre part, nous avons 5 postulants frères et 8 postulantes religieuses. C'est vous dire que la jeunesse, par son sens de la Foi, sait où trouver les sources de grâces nécessaires à sa vocation. Nous préparons l'avenir : aux États-Unis par la construction d'une chapelle à Armada et de 18 chambres pour les séminaristes ; en Angleterre par l'achat d'une maison plus vaste pour les quatre prêtres qui dispensent la vraie doctrine, le vrai sacrifice et les sacrements. En France, nous avons acquis le premier prieuré, à Saint-Michel en Brenne. Ces prieurés, comprenant une maison pour les prêtres et les frères, une autre pour les sœurs et une maison de 25 à 30 chambres pour les exercices spirituels, seront des sources de vie de prière, de sanctification pour les fidèles, pour les prêtres, et des centres missionnaires. En Suisse, à Weissbad, une société Saint-Charles Borromée met des chambres à notre disposition dans un immeuble loué dans lequel des cours privés sont organisés pour les étudiants de langue allemande.
C'est pourquoi nous comptons sur l'appui de vos prières et sur votre générosité afin de poursuivre, malgré les épreuves, cette formation sacerdotale indispensable à la vie de l'Église. Ce n'est pas l'Église ni le successeur de Pierre qui nous frappent, mais des hommes d'Église imbus des erreurs libérales qui occupent des postes élevés de l'Église et profitent de leur pouvoir pour faire disparaître le passé de l'Église et instaurer une nouvelle Église qui n'a plus rien de catholique.
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Il faut donc que nous sauvions la véritable Église et le successeur de Pierre de cet assaut diabolique qui fait songer aux prophéties de l'Apocalypse.
Prions sans cesse la Vierge Marie, saint Joseph, les saints anges, saint Pie X, de nous venir en aide pour que la Foi catholique triomphe des erreurs. Demeurons unis dans cette Foi, évitons la discussion, aimons-nous les uns les autres, prions pour ceux qui nous persécutent et rendons le bien pour le mal.
Et que Dieu vous bénisse.
Renseignements pratiques pour ceux qui désirent contribuer à notre œuvre de formation sacerdotale. Adresse des maisons
Séminaire international Saint Pie X
Écône Tél. 026 / 6-29-27
CH -- 108 RIDDES 6-23-08
Maison Saint Pie X
50, route de la Vignettaz
CH -- 1700 FRIBOURG Tél. 037 / 24-51-91
St. Michael's House
38, Purley Oaks Rond
GB -- SANDERSTEAD / Surrey Tél. (01) 660-7464
St. Joseph's House
2149 Schol Section Road
USA -- ARMADA / Michigan 48005 Tél. (313) 784-9511
Fratemità Sacerdotale San Pio X
via Trilussa 35
1 -- 00041 ALBANO LAZIALE (Roma) Tél. 06 / 9320344
Maison Saint Pie X
36, rue des Carrières
F -- 92150 SURESNES Tél. 506-10-68
Comment nous faire parvenir les dons ?
Du Canada : Chèque bancaire adressé au Séminaire International Saint Pie X (adresse ci-dessus) au nom de Mgr Marcel Lefebvre. Pour tous renseignements : M. l'abbé Henri Saey, 350 Workmann, Montréal. Québec Canada, H 4 « IN 5.
De Belgique : A.S.B.L. « Amis belges de la Fraternité Saint Pie X », Société générale de banque à Bruxelles 210-0076588-08. Chèques post. 0W-0984841-97.
Pour les legs : M^e^ Gérald Wailliez, rue Bodenbroeck 8, 100 Bruxelles.
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De France : De préférence par C.C.P. selon le libellé suivant : Mgr Marcel Lefebvre, C.C.P. La Source 33-127-30 J, soit par chèque bancaire libellé au nom de Mgr Lefebvre.
Pour les legs, s'adresser à l'Économe général, Séminaire Saint Pie X, Écône, CH -- 1908 Riddes.
Vous pouvez adresser toute correspondance au secrétaire de la Maison Saint Pie X, rue des Carrières 36, 92150 Suresnes. Pour les chèques postaux et chèques bancaires, veuillez libeller au nom de Mgr Marcel Lefebvre.
De Suisse : soit par C.C.P. selon le libellé suivant : Séminaire international Saint Pie X, C.C.P. 19-038, Sion, soit par chèque bancaire bu versement à la Société de Banque Suisse, Martigny, pour le compte 632 334 Fraternité Saint Pie X.
Pour les legs : M^e^ Roger Lovey, 39, avenue de la Gare, 1950 Sion, tél. 027 / 22-15-87.
Autres pays : Chèques bancaires comme ci-dessus ou nous demander.
Prix de la pension pour, un séminariste : 66 000 FB ou 6600 FF ou 4000 FS ou 1400 dollars pour une année.
Cette lettre existe en allemand, en anglais, en espagnol, en italien et néerlandais.
\[Fin de la reproduction intégrale de la « Lettre numéro 9 » de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X.\]
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## CHRONIQUES
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### Comment sauver vos quatre sous
par Louis Salleron
PARCE QUE j'ai souvent parlé ici même de l'inflation, certains lecteurs me font l'honneur de me demander comment le Français moyen peut protéger son épargne. Hélas ! Si je le savais, je serais bien le seul en France. L'inflation permet de gagner de l'argent, et même beaucoup d'argent, si on a le goût de « faire de l'argent ». Elle ne permet pas de garder celui qu'on a gagné ou hérité si on exerce normalement une activité normale. Du moins est-ce affaire de pure chance. Au temps lointain -- voilà un demi-siècle -- où j'étais secrétaire de la *Revue universelle,* Jacques Bainville y assurait une chronique financière qui n'était pas le moindre attrait de la revue pour ses abonnés. Elle était pourtant d'une brièveté exemplaire et d'une prudence plus exemplaire encore. En substance, Bainville répétait indéfiniment qu'au long des siècles les deux seules valeurs qui ne risquent pas de s'en aller en fumée sont la terre et l'or (les mines d'or lui paraissant d'ailleurs préférables parce qu'elles assurent en outre un revenu). L'avis n'était pas mauvais. Peut-être demeure-t-il bon, mais les circonstances ont changé. Ce qui rend aujourd'hui impossible toute prévision, c'est que le ressort capitaliste est cassé et que la politique domine de haut les mécanismes économiques. Prenons la terre, et plus généralement l'immobilier. Depuis trente ans, l'épargne y a trouvé son refuge et, dans beaucoup de cas, des gains substantiels. C'est probablement fini. Par la fiscalité et la législation sur la propriété, l'État va, peu à peu, mettre la rente foncière au pas.
L'or, de son côté, qui était resté en retard sur sa valeur de matière première, est maintenant à peu près au niveau de cette valeur (pour autant que l'expression ait un sens). Si l'on ne voit pas qu'il puisse baisser substantiellement, il ne rapporte rien, on ne sait où le garder, et son cours est aux mains des puissants.
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Les mines d'or, plus sensibles encore à la spéculation, ont le risque supplémentaire de troubles politiques en Afrique du Sud. Quant à la fameuse rente Pinay, devenue rente Giscard, indexée sur des pièces qui valent près du double de leur poids d'or, elle est à la merci de n'importe quelle décision gouvernementale.
La Bourse... n'en parlons pas. L'épargnant, qui cherche éperdument à conserver du moins son capital, ne trouve que la Caisse Nationale de l'Énergie qui ne rapporte rien et peut fort bien être affectée par la récession. Les valeurs mobilières sont une loterie. Les obligations vous ruinent.
Bref, le « bon père de famille » est assuré dans tous les cas d'être refait, et cela à proportion qu'il est bon, qu'il est père et que sa famille est plus nombreuse.
Chacun ne peut donc s'en remettre qu'à son propre conseil qui l'incitera à des options différentes selon qu'il a 20, 40 ou 60 ans, selon qu'il peut ou non épargner, selon la nature et l'importance de son patrimoine s'il en a un, selon son genre de métier, etc.
Les jeunes, instinctivement, se sont rués sur l'endettement. Ils ont emprunté pour se loger, s'équiper, acheter ou se faire construire une résidence secondaire. Ils ne risquaient rien. Ils sont le nombre. L'inflation paie leurs dettes pour peu qu'ils aient un emploi. Comme, de plus en plus, les femmes ont aussi un emploi, la situation du couple endetté, avec un enfant ou deux, ou sans enfant, est, dans son genre, idéale. Ils n'ont à craindre que l'effondrement total de la société, ce qui n'est d'ailleurs pas un risque vain.
Si la société tient, c'est-à-dire si nous échappons à la bombe atomique, à l'invasion militaire, à quelque révolution suivie d'une dictature totalitaire, les vingt ou trente années à venir ne peuvent donner lieu qu'aux prévisions de l'extrapolation. Autrement dit les réalités politiques, économiques et sociales du présent inscrivent dans le futur tout le poids de leur nécessité. La socialisation appelle la socialisation, que l'étiquette en soit socialiste, libérale, progressiste ou communiste. La famille est écrasée par l'État, et l'individu ne peut plus se défendre qu'en s'incrustant dans les féodalités sociales -- fonctionnariat, syndicalisme, grand capitalisme, etc. Les sécurités traditionnelles de la famille, de l'entourage, dès notables, des petites communautés disparaissent au bénéfice de la tentaculaire Sécurité Sociale. La capitalisation fait place à la répartition. La productivité du capital baisse d'année en année. C'est bien la socialisation universelle, qui va exiger des sommes toujours croissantes pour payer les salaires, les retraites, les assurances innombrables et les services gratuits de toutes sortes. Ce qui reste de capital personnel sera pompé par l'impôt et l'inflation pour permettre à l'État d'entretenir cette vie artificielle.
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Les trois modèles qui sont devant nous sont ceux que nous avons déjà indiqués : 1) le paradis suédois ([^1]), 2) les démocraties populaires ([^2]), 3) le communisme soviétique. Les variantes correspondront au tempérament de chaque pays -- britannique, allemand, italien, français. Le capitalisme international combiné avec l'étatisme assureront la production et la répartition dans la décadence de populations abruties et béates qui attendront la régénération des grandes invasions.
Telle est la prévision rationnelle. Comme c'est une prévision, et rationnelle, autre chose surviendra probablement. Ce pourrait être une société normale. Même du point de vue le plus concret, le plus opportuniste, le plus « possible », un redressement de type *conservateur* n'est pas à exclure si un homme politique a la force de le concevoir et de le réaliser. En effet, une nouvelle classe moyenne est née dans le salariat. Cette classe est très nombreuse. Elle souhaite *conserver* ce qu'elle a acquis dans ces vingt dernières années : une maison, un train de vie honorable, une famille qu'elle accepterait de trois enfants aussi bien que d'un ou deux, pourvu qu'on le lui permette. Elle tient à la liberté et à la propriété. Elle est écœurée de la pornographie, de la violence et de la démagogie. Elle correspond à *un sens* de l'Histoire qui est le bon mais qu'elle ne peut réaliser à elle seule. Une chance, très faible il est vrai, existe donc de ce côté-là.
Cette chance, pour en revenir à notre sujet, rend rationnelle la défense, pour chacun, de ses quatre sous, selon les lois éternelles de la prudence. Le bout de terre et la maison, les placements où on ne risque pas de trop perdre et où (sait-on jamais) on peut gagner, le recours aux sécurités sociales, peuvent se combiner avec des activités créatrices qui ont seules de quoi donner le goût de vivre.
Si le « mouvement de l'Histoire » nous obsède parce qu'il est en train de détruire notre civilisation, nous ne devons pas oublier qu'il n'est pas linéaire. La nature obéit à une loi d'autorégulation, de perpétuel retour à l'équilibre, qui rend toujours possibles les renaissances. L'Europe (et dans l'Europe la France) est bien placée pour trouver un au-delà du libéralisme et du communisme qui associerait les vertus de la liberté et de la propriété personnelle à celles des concentrations nécessaires dans les moyens de la production et de la répartition. Le fait que les solutions techniques sont à portée de la main devrait favoriser le courage politique. Attendons donc les événements pour savoir ce que l'anarchie actuelle recouvre dans les profondeurs. Le pire n'est pas toujours sûr, même quand il paraît inéluctable.
Louis Salleron.
18:198
### Le cours des choses
par Jacques Parrot
IL EST VRAI que depuis quelque temps je me suis détaché du cours des choses. Il y a des périodes où il se passe de commentaires, quand la mouscaille est assez limpide pour y voir clair. Il y a aussi des moments où la plume, à peine trempée dedans, vous ramène un crapaud à soulever le cœur et on n'ose pas publier son vomi. Il peut arriver enfin qu'à la longue les coups d'épée dans la vase me donnent des crampes, on n'a plus vingt ans.
Pour l'heure néanmoins, j'ai l'impression que le cours des choses est assez bien parti pour délivrer définitivement le nom français du préjuge honorable qui ne répond plus à nos besoins. On pouvait en effet soupçonner qu'en dépit du général de Gaulle il en restait quelques traces. Il ne s'agirait que de parachever son œuvre, en toute modestie et fidélité. Ainsi le gouvernement de la République ne reculera-t-il devant rien, ni la honte bue ni le ridicule, pour nous soustraire à toute velléité d'honneur et autres préoccupations nuisibles ou seulement étrangères à notre idéal de liberté dans le bien-être, ineffable cocon.
\*\*\*
19:198
Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, comme se plaît à le nommer Georges Marchais dans un sourire infiniment subtil, a su tirer de la Constitution plus de pouvoirs que Louis XIV et de Gaulle réunis, sans cesser pour autant d'agir ou même de penser en démocrate. Il n'use en effet de ces pouvoirs que pour témoigner de sa complaisance aux vœux de son peuple et parfois les devancer mais là, vous savez ce que c'est, on croit bien faire et on n'est pas toujours récompensé. De toute façon il a bien compris qu'il fallait tenir la barre l'œil fixé sur le publimètre, et pour ce faire il n'est pas sans talent ni moyens. La publimétrie est en effet une industrie clé en plein essor, pas de chômage, et lui-même, jour et nuit penché sur les variations du compas, se fatigue ; je lui vois souvent les traits tirés, avec deux petites boules dans le bas des joues qui m'inquiètent un peu. Pas de répit dans la manœuvre : barre dessus, barre dessous, arriver, laisser porter, abattre ou lofer, tirer des bords et surtout marcher à la sonde, c'est le destin des d'Estaing. Sauf le respect que je dois au langage de mer il me convient de l'emprunter ici en mémoire de l'amiral qui portait le même nom que notre Valéry. Telle est chez celui-ci la docilité aux coups de sonde qu'il a pu jusqu'ici maintenir son cap entre cinquante-trois et quarante-deux pour cent. C'est un peu tangent mais du train où il va nous dépassons la vitesse de croisière, c'est la course, et avant peu nous toucherons au port. C'est la fin du pauvre type. Je veux dire par là que la société libérale de type avancé ne peut que mourir en accouchant d'une dictature démocratique de type avancé. L'amiral ancien fit une expérience analogue, il en mourut bravement.
\*\*\*
Le matin du 15 octobre, une photo de presse à la une et légendée comme suit :
**Giscard est le premier homme d'État occidental\
à déposer une gerbe au mausolée de Lénine.**
Je vous en prie, du calme. Ni gloria ni haro, pas de commentaires avant les sondages.
Le soir même une première indication nous viendrait de Moscou : un sondage d'ambiance effectué au cœur même du mausolée aurait donné un pourcentage de ricanement et de mépris qui n'a pas été publié.
\*\*\*
L'honneur et la fierté de la patrie sont à la disposition et merci du chef de l'État, nous en savons quelque chose, et d'ailleurs il n'en reste pas lourd. Lui seul, notre chef, peut savoir, et pourquoi pas dans l'exaltation du martyre, tout ce qu'il faut sacrifier pour le niveau de vie, l'expansion et autres valeurs suprêmes.
20:198
Si par hasard vous n'êtes pas d'accord et que vous confessiez quelques valeurs suprêmes diamétralement opposées, passez donc à la révolution, révoltés que vous êtes. Vous y trouverez, nous y trouverons toutes sortes d'ennemis et, sans rien céder bien sûr, une fraternité provisoire dans le combat contre l'ennemi commun que nous n'aurions pas l'imprudence de définir autrement que par le Fric. Évidemment, dès qu'ils verront qu'en fin de compte l'ennemi véritable et historique c'est nous, les choses commenceront à se gâter. Le parti n'est donc pas à conseiller sans beaucoup de réserves, mais quand même on y pense quelquefois. On évoque les effectifs de l'Algérie française, des blancs, des bleus, des francs-macs et des mecs, des moines et des juifs, des nazis, des ligueurs et des huguenots. Il est vrai que l'échec a su nous épargner d'en venir aux mains si nous avions vaincu.
\*\*\*
Vous les avez vu grimper ? Tous, chefs d'État, princes d'Église, ineffables cabots des arts, des chansons et des lettres, héros immaculés et charismatiques vengeurs des humiliés, lapideurs assermentés, gardiens de l'honneur, incorruptibles sacristains des sacrés principes, toute la clique et l'olympe des valeurs occidentales, vous les avez vu se délester de leur mémoire pour se hisser au plus haut de leur conscience et jeter l'anathème sur la justice de Franco ? Oncques vit-on si noble compagnie grimper le cul breneux au mât de cocagne. Dieu me damne si j'ose nommer celui qui décrocha la timbale.
Parmi toutes les grandeurs et éminences appelées à concourir aviez-vous prévu que le seul à faire provocation par sa tenue décente serait le cardinal Alfrink ? J'ai l'oreille encore charmée des propos tenus à l'intention de ses confrères et que je résume ainsi : « Allez donc vous rhabiller !
\*\*\*
L'homme avec lequel nous parlons de ces choses a saisi un bouton de ma veste pour le tripoter dans ses doigts, vieille pratique en voie d'extinction :
-- S'il vous plaît, pendant que j'y pense, une petite question à vous poser. Si je suis indiscret dites-le moi.
21:198
-- Je vous écoute.
-- La réaction ?
-- Et alors ?
-- Pardon, je voulais parler des réactionnaires, indispensables à son existence. Notez que la réaction, je veux bien croire qu'elle existe indépendamment des réactionnaires et au moins par rapport à son contraire, mais alors ce n'est qu'une idée. En revanche le réactionnaire est un être supposé visible, je crois même en connaître quelques-uns mais qui ne suffisent pas, et de loin, à justifier tout le potin qu'on en fait. Alors ? Les autres ? Où sont-ils tous ceux-là qui font trembler l'univers démocratique et gémir le Saint-Siège ? Où sont-ils les enfants de l'hydre, cette progéniture épouvantable, croque-mitaines et pères fouettards ? Où sont-ils avec leurs tentacules et leurs pistolets, leurs otages, leurs grenades et tout le fourbi des motivations historiques authentiquement vécues ?
-- Rassurez-vous, ils sont là. Sans cagoule ni matériel, tout à fait banalisés, nombreux sans doute, inorganisés bien sûr, individuels comme vous et moi, vacant à leurs occupations domestiques et professionnelles, attentifs aux joies de la vie, réactionnaires inconscients, peut-être même incommodés qu'on les prenne pour tels, ignorant leur nombre et leur force ils sont là, dans la foule, foule eux-mêmes. Rassurez-vous ils se mobiliseront tout seuls et se mettront en colère, mais in extremis, à l'heure du ras-le-bol. Cette heure-là malheureusement, je l'avoue, est un sujet d'inquiétude. Je me suis laissé dire en effet que la capacité du récipient, dans ces cas-là, avait tendance à croître au fur et à mesure des versements et qu'ainsi l'heure du ras-le-bol et du débordement se trouvait parfois reconduite à l'infini. Autre inconvénient à signaler : en général, par nature ou éducation, le réactionnaire a toujours montré plus d'aptitude à bien mourir qu'à bien tuer. Il y a là je crois une part de légende, mais de toute façon l'apprentissage est bientôt fait et en plus il faudra bien qu'un jour, avec ou sans bobo, la nécessité change de camp.
\*\*\*
*Contribution à l'étude des techniques du graffiti. -- Généralités sur les supports. Observations sur le bullaire du métro* (notes à main levée).
De toutes manières et en toutes circonstances, aux yeux du quidam comme aux yeux de l'érudit, la notation manuscrite, en marge ou en surcharge, aura tendance à l'emporter sur le thème imprimé, qu'il soit livresque ou placardé.
22:198
Nous ne parlons pas en effet du graffiti de l'espèce courante qui se pratique sur toutes surfaces planes et franches telles que murs et trottoirs, affranchi de tout préalable ou faire-valoir et que nous appelons graffiti autonome. Nous traiterons ici de l'utilisation parasitaire de l'iconographie du métro quand le motif commercial est détourné au profit de tout autre intérêt, politique ou porno. Celui-ci bien entendu échappe à notre compétence, occupons-nous de celui-là. Dans le métro comme ailleurs le rayonnement du message dépendra de l'emplacement et du support. Il tombe sous le sens que les couloirs ont beaucoup moins d'efficacité que les stations. Les voyageurs en attente sur le quai sont généralement disponibles pour déchiffrer, analyser plus ou moins, toute remarque dessinée ou scripturaire, et d'autant plus attrayante qu'habilement introduite et manifestement étrangère ou hostile aux intentions de l'affiche.
Je m'embarque à Jussieu. Vous me direz que la station est trop bien choisie pour faire exemple. Son environnement est en effet celui d'une population intermittente mais universitaire, effervescente et graphomane ; je n'y peux rien c'est mon quartier. Sur le quai, direction Auteuil, et notez au passage que la jeunesse des beaux quartiers est ainsi privilégiée d'une ligne directe qui la fait déferler tous les matins à pleines rames au plus épais, au plus mélangé d'une intelligentsia laborieuse et démocratique, à la fois primesautière et diversement conditionnée. Sur le quai donc, où j'attends, une grande affiche m'invitait à partager le bonheur de ces deux couples en tandem, pédalant sur la grand'route. Nous les voyons de face, en gros plan. L'une des jeunes filles a tendu le bras pour offrir au couple voisin deux tablettes de gomme à mâcher, objet de la réclame. Ils sont tous les quatre épanouis dans cette joie triomphante et purissime consécutive au privilège d'être publiée. Béatitude éphémère hélas. Tracé au crayon feutre et jeté dans le ciel bleu, sans indication d'origine buccale, comme une voix tombée des nues, cet avertissement pathétique :
FONCEZ ! LE VIEUX MONDE EST DERRIÈRE VOUS...
J'entends venir la rame. Dernier coup d'œil sur l'écriture désordonnée qui peut vouloir suggérer la frayeur et le tremblement du scripteur lui-même, ou dénoncer tout simplement une scolarité interrompue. D'autre part, si l'inventeur est sans doute un professionnel du slogan haute-culture premier choix, il a tort de croire que l'inscription manuscrite, fût-elle comme suspendue dans l'azur, pourrait se lire et entendre indépendamment d'un prétexte plus ou moins adéquat à son dessein.
23:198
Je m'engouffre en effet dans le wagon avec l'idée que le vieux monde, lui, continue de se marrer doucement. Puis, m'avisant que nos cyclistes eux aussi se fendaient la poire, je me dis que l'avertissement leur est passé inaperçu ; ou alors qu'il a provoque une rigolade générale et c'est Cassandre une fois de plus déconfite dans la fatalité du bide. On peut même se demander si le passant ne va pas remâcher inconsciemment la vision d'un chouine-gom assez prestigieux pour déclencher le démarrage d'un vieux monde impatient de partager l'euphorie d'une jeunesse en escapade, et en ce cas nous imaginons tous les distributeurs du métro vidés de leur contenu de chouine-gomme pour le plaisir commun des pétulants sprinters et des vieux routiers. Mais restons-en là, on n'en finirait pas de gloser, de dire des bêtises à propos de sottises. Je retiendrai seulement la forme paniquarde et lyrique du message dont j'avoue reconnaître honnêtement la qualité de frappe. Et m'étonner une fois de plus qu'ils en soient encore à brandir l'épouvantail d'un vieux monde aboulique et flapi pour s'encourager dans la lutte finale. Me voici à Maubert-Mutualité, je pense à autre chose.
Je change à Odéon. Sur le quai Clignancourt, même affiche, avec bulle cette fois issant de la bouche du cycliste à qui la chique est offerte :
JE NE BOUFFE PAS DE L'ANTI-SITUATIONISME.
Indiscutablement l'écriture est d'un illettré, probablement d'un non francophone. Il a trébuché sur l'orthographe du dernier mot, moi aussi d'ailleurs à l'instant, mais il y est revenu trois fois, je comprends ça ; le déchiffrage aussi bien demande un effort mais ça vaut la peine. En revanche nous sommes ici par voie de bulle, en rapport direct avec une marchandise non seulement vantée par l'affiche mais brutalement flétrie par un personnage bien présent, visible et haut en couleurs. Le motif dénigrant est un peu mystérieux, on soupçonne la boutade, voire la calomnie humoristique, on a tort. Il ne s'agit probablement que d'un mot de passe, de ralliement ou d'exhortation à l'agressivité, peu importe, il agira comme un phonème de choc. On ne lui reproche que sa difficulté d'élocution, et le nombre des sifflantes est une faiblesse. Mais peut-être aussi a-t-on idée de nous rendre curieux de l'antisituationisme, impatients de courir au Syndicat faire contrôler notre aptitude au comportement situationniste authentique et de nous mettre à même d'identifier l'anti-situationniste où qu'il se trouve et de taper dessus.
24:198
Nous savons déjà qu'il se régale de chouine-gom, véhicule américain de l'anti-situationnisme. Malheureusement, là encore le cycliste éclatait de rire en fulminant sa bulle. C'est décidément là le point faible de l'affiche. Quand il y a bulle on ne peut pas dissocier l'émission de l'émetteur. En l'occurrence l'hilarité du porte-parole va mettre en doute la gravité de sa déclaration. Ce thème-là me conduit tout de même jusqu'à Étienne-Marcel et je l'abandonne en voyant descendre la petite blonde en djines qui mâchait frénétiquement sa chique à la menthe avec un admirable mépris du danger.
A mon avis et à bien regarder, l'inconvénient majeur, dans ces campagnes de graffitis, ce sont les vices de forme. Je sais bien que les solitaires et les groupuscules incontrôlés pullulent dans ce genre d'activité. Mais il y a des agences, patentées ou marginales, de création axiomatique et c'est à elles que je m'adresse pour leur signaler qu'elles auraient avantage à ne pas lésiner sur la qualité de leur personnel exécutif. Une orthographe bizarre, une syntaxe défectueuse et un graphisme infantile peuvent agacer une clientèle autochtone encore sensibilisée sur l'emploi intérimaire des immigrés dans l'orientation de l'opinion publique. Un autre aspect du problème est la concurrence des graffiteurs hétérophones, à ce point dénués de scrupules que les inscriptions en écriture arabe, chaldéenne, grecque, sanscrite, phénicienne vont empiéter sur des surfaces traditionnellement exploitées par nos graphomanes indigènes. C'est ainsi que nous voyons parfois nos propres martyrs, victimes de la répression patronale ou policière, disparaître et céder le mur aux colonels exotiques fusillés à l'aube d'une rafale de peinture. Tant et si bien que ne sachant plus où donner de la vengeance nous courrons de manif en meeting sans savoir pour qui ni pour quoi nous crierons à mort ou gueulerons nos vivats. Certes les appels et injonctions en caractères hébreux ou runiques ont peu d'effet sur la conscience politique des passants. Ils ne pourront qu'y flairer avec sympathie une dynamique révolutionnaire ou même situationniste. L'irritation instinctive provoquée à la longue par des signaux hermétiques serait immédiatement refoulée comme un renvoi de racisme.
Renseignements pris, le situationnisme est une espèce de marxisme de type avancé, fort suspect au marxisme orthodoxe, moins bête que le libéralisme, plus intelligent même que le type avancé de celui-ci.
25:198
De toute façon la République française ne peut faillir à sa réputation de terre d'asile, refuge du pécheur, planque bénie des tueurs incompris, « le sanctuaire de la révolution » disait l'un d'eux.
« Le cul-de-sac de l'Europe, disait en 1920 M. Seignobos professeur d'histoire à la Sorbonne et patriote compliqué d'un parpaillot, et nous constaterons, messieurs, qu'il s'en dégage, à certains moments de notre histoire, comme une odeur de croupi. » Il n'avait pas tort mais nous savons pourrir aussi par nos propres moyens. En tous cas si par hasard nous venions à reverdir nous n'aurions à remercier personne.
\*\*\*
Il y a quelques années on a pu s'indigner que les citoyens français en état de rébellion avouée contre les agissements de la République et pour le seul bien de leur patrie ne fussent pas admis à bénéficier du droit d'asile dans leur propre pays. Dire que la prison est le plus sûr des asiles ou que la mort est le refuge par excellence est un argument spécieux. Mieux vaut arguer de la raison d'État. Beaucoup d'entre eux ont préféré s'en remettre à l'hospitalité des nations limitrophes. Beaucoup d'autres ont choisi de rester en France et d'y persévérer dans une activité surnommée activisme, avec plus ou moins de bonheur. Flânant l'autre jour le long d'un mur couvert et recouvert d'affichettes et inscriptions léninistes, trotskistes, maoïstes, gaullistes, situationnistes, palestiniennes, allendistes etcetera, j'ai découvert sous un feuilleté de placards que le vent et la pluie achevaient de décoller, un vieux graffiti en palimpseste, à peine lisible : O.A.S. VAINCRA. Émouvante relique. Les temps ont bien changé depuis que l'univers civilisé s'époumonait à vitupérer nos sanglants épurateurs, et vingt ans plus tard le scandale renouvelé de nos tribunaux expéditifs.
Notez bien qu'en homme sensé je reconnais à tout ordre établi, que je le serve ou le combatte, le droit à la répression, tempérée ou non de clémence, A l'occasion je pourrais même lui concéder, par faiblesse ou mansuétude extrême, le droit à l'oubli quand il joue les moralistes. Mais, le cas échéant, que les voisins nous foutent la paix.
Seule m'émeut aujourd'hui la grande voix de celui qui déplore urbi et orbi, car j'imagine enfin quelle fut sa douleur quand naguère il s'évertuait à déplorer en silence.
Jacques Perret.
26:198
### Le ravitaillement de l'Europe à la merci de l'ennemi
par Jean-Marc Dufour
Au cours des dernières années, se sont produits un certain nombre d'événements qui, isolés, n'ont guère d'importance, mais dont la récapitulation ne laisse pas d'être inquiétante. C'est cette récapitulation que nous allons tenter.
A. -- Le cas du canal de Suez
Le canal de Suez vient d'être réouvert à la navigation. Tout le monde se félicite de la diminution de la tension dans cette partie du globe. On peut penser que ledit canal restera sous contrôle occidental. Du moins, tant que les conditions politiques resteront ce qu'elles sont en Égypte, pays qui ne nous a pas habitués à beaucoup de stabilité.
Là, pourtant, n'est pas la question. Personne ne semble avoir prêté attention aux événements qui se sont déroulés à l'autre extrémité de ce boyau qui se nomme Mer Rouge. Un fait qui aurait dû émouvoir est passé inaperçu : la rupture des relations diplomatiques entre l'Éthiopie et Israël : La fin de la plus vieille alliance du monde -- l'alliance des descendants du roi Salomon avec ceux de la reine de Saba -- n'a frappé l'imagination de personne. Il y avait cependant là un signe que nos ancêtres auraient su déchiffrer.
27:198
Depuis, la révolution a éclaté en Éthiopie. Résultat : à l'heure actuelle, les deux rives du détroit de Bab el-Mandeb, Aden et la rive érythréenne ainsi que l'arrière-pays éthiopien sont, aux mains des marxistes. Une telle situation annule tous les effets de la réouverture du canal de Suez.
B. -- les côtes orientales de l'Afrique
Du nord au sud, nous trouvons : la Somalie, le Kenya, la Tanzanie, le Mozambique, l'Afrique du Sud. Tous ces pays, sauf le Kenya et l'Afrique du Sud, sont aujourd'hui affublés de gouvernements marxistes.
Comme il paraît évident que les Occidentaux ne pourront pas faire grand fond sur les Mau-Mau du Kenya, toute cette côte de l'Afrique est virtuellement ou réellement « passée à l'ennemi ».
C. -- Le cas du canal du Mozambique
Le canal du Mozambique se trouve situé entre le Mozambique et Madagascar. Depuis sa dernière révolution, cette île est gouvernée par les éléments marxistes et marxisés de sa population. Son instabilité politique la fait d'ailleurs osciller entre le nationalisme malgache échevelé et le marxisme à la mode locale ou chinoise.
Le Mozambique est aujourd'hui gouverné par le Frelimo, qui regroupe des éléments marxistes soit pro-russes, soit pro-chinois. Il est à penser que la présence des Chinois en Tanzanie voisine offrira à ceux qui se réclament de Pékin la possibilité d'emporter la décision. Quoi qu'il en soit, le Mozambique est, lui aussi, « passé de l'autre côté ».
L'importance du canal du Mozambique apparaîtra clairement lorsque l'on saura que *2 millions de tonnes de pétrole transitent chaque jour par le Canal du Mozambique : cela représente 65 % des approvisionnements de l'Europe en pétrole.*
Il ne faut pas oublier que 62 % des réserves mondiales de pétrole actuellement connues se trouvent centrées autour du golfe Persique ; le passage normal des tankers qui font le trajet entre le golfe et l'Europe s'effectue par le canal du Mozambique.
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D. -- Le cas de l'Afrique du Sud
L'Afrique du Sud est présentement le seul relais « fiable » sur cette route du pétrole et, de plus, le seul relais qui puisse offrir une aide technique moderne. C'est pourquoi il est évident que les efforts des mouvements subversifs vont converger vers elle. La récente décision du Président de la République française de suspendre les livraisons d'armes à l'Afrique du Sud fait partie de la politique de Gribouille. Pour être poli.
E. -- Les côtes occidentales de l'Afrique
L'imbrication des pays francophones, anglophones, ou des anciennes colonies portugaises et espagnoles complique sérieusement les données politiques du problème. Le point critique se trouve de toute évidence à la hauteur de l'extrême pointe occidentale de l'Afrique -- malheureusement occupée par les deux Guinées, l'ex-française et l'ex-portugaise, toutes deux sous régime marxiste. Les Iles du Cap Vert situées au large de la Guinée portugaise n'échappent pas à cette contagion. Leur représentant à la dernière conférence des pays « non-alignés », a manifesté le désir. de son gouvernement de s'affranchir des bases américaines qui s'y trouvent.
F. -- Le cas du Sahara espagnol
Au Sahara espagnol les forces en présence sont au nombre de quatre. D'une part la puissance tutrice : l'Espagne. Madrid est décidé à passer la main, moyennant indemnisation il est vrai. La seule question qui se pose est de savoir lequel des héritiers possibles l'emportera.
Les autochtones, ou Sarahouis, sont travaillés par un « mouvement de libération » : le Front Polisario, autrement dit le « Front Populaire de Libération de la Seguià-el-Hamra et du Rio de Oro ». Le qualificatif de « populaire » indique clairement l'inspiration de ce Front. Il existerait un second mouvement de libération : le P.U.N.S Le silence qui l'entoure n'a pas permis d'éclaircir la signification de ses initiales.
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Le deuxième héritier est le Maroc.
Le troisième héritier est l'Algérie. Non directement, mais au travers du Front Polisario, dont elle manœuvrerait les dirigeants.
Il semblait bien, il y a quelques semaines, que la question était réglée et que les négociations entre le roi du Maroc et M. José Solis Ruiz, ministre espagnol du Mouvement, avaient résolu le problème : le Maroc devenait souverain du Sahara Espagnol. Tout a été remis en question :
-- A Madrid. Il serait intéressant de savoir si le fait que José Solis Ruiz soit membre de la Phalange n'a pas influencé les décisions du Prince Juan Carlos.
-- Aux Nations Unies. Personne n'avait demandé aux Nations Unies d'intervenir ; mais l'Algérie, se sentant lésée, a soulevé le lièvre. M. Kurt Waldheim, secrétaire général et membre distingué de l'Internationale Socialiste, est donc parti en mission. Tout est à craindre.
En effet, si la solution algérienne triomphait, cela reviendrait à dire que l'Union Soviétique, qui a déjà ses bases en Méditerranée et dans l'Océan Indien, aurait « une fenêtre sur l'Atlantique ». Une de plus. Car, ni la Guinée, ni les Iles du Cap-Vert, ni demain l'Angola n'auraient le cœur de lui refuser « des facilités portuaires ».
G. -- Le cas du Portugal
La révolution portugaise a eu, entre autres conséquences, celle de faire passer sous régime « socialiste » le port de Lisbonne. Dans ce port, se trouvent les chantiers navals de la Lisnave, -- les seuls chantiers d'Europe à pouvoir recevoir les super-pétroliers de 300.000 tonnes.
La même révolution touche également les îles des Açores, où est située la base aérienne américaine de Lattes. L'importance de cette base peut être facilement indiquée : sans elle, les avions militaires américains n'auraient pu fournir pendant la guerre du Kippour le matériel militaire dont Israël avait un urgent besoin. Que les Américains perdent cette base, ils seront contraints, en cas de conflit au Moyen Orient, de recourir aux techniques compliquées du ravitaillement en vol, ou de s'abstenir de toute intervention.
30:198
J'ajouterai que la région maritime qui s'étend entre le Portugal, les Açores, la côte saharienne et les îles du Cap Vert, voit passer :
1\. -- tous les navires qui, après avoir emprunté le canal du Mozambique et contourné le Cap de Bonne Espérance, font route vers les ports européens ;
2\. -- tous les navires qui relient l'Europe à l'Amérique du Sud ;
3\. -- tous les navires qui relient l'Afrique noire à l'Europe.
Conclusion
Elle est si évidente qu'il semble inutile de la rédiger longuement. En cas de tension diplomatique, les « difficultés de parcours » pour les navires transportant 80 % du ravitaillement de l'Europe risquent de paralyser celle-ci. En cas de conflit, la « zone des convois » -- qui a épuisé les marines alliées alors qu'il ne s'agissait que de protéger la marine marchande dans l'Atlantique Nord -- s'étendra, cette fois, à la moitié du monde connu.
Jean-Marc Dufour.
### Tour d'horizon ibéro-américain
#### Le Portugal toujours sous la botte
Le gouvernement Azevedo fait chaque jour un peu plus la preuve de son manque d'autorité ; le Parti communiste continue à jouer sur deux tableaux : conservant un poste dans le gouvernement, il s'associe dans la rue aux manifestations des groupes gauchistes et à celles du S.U.V. (Soldats Unis Vaincront). La preuve la plus manifeste de cette incapacité gouvernementale -- au sens juridique du terme -- a été donnée par l'affaire des troubles de Porto.
31:198
Rappelons brièvement les faits. Le nouveau général commandant la Zone Nord du Portugal avait décidé de dissoudre l'École du Train-Auto, qu'il estimait être un foyer d'agitation. Les militaires de cette formation refusèrent la décision et se réfugièrent dans la caserne du Régiment d'Artillerie Lourde de Porto, l'un des mieux armés du pays. Les « populares » (c'est-à-dire les cellules communistes et gauchistes) se groupèrent autour de la caserne. Ils voulaient « défendre » les soldats mutins et leur apporter le secours de leur sympathie. Un premier temps, on parla d'utiliser, contre eux, de l'aviation ! Ce projet fut vite abandonné. Vint le général Fabiao, chef d'État Major de l'Armée, qui aussitôt céda tout ce que les mutins voulurent, mettant ainsi en évidence : 1. -- sa sympathie pour les rebelles ; 2. -- Son opposition à la politique officiellement gouvernementale et son désaveu du général commandant la Zone Nord. Costa Gomes et Spinola n'avaient pas fait mieux aux derniers jours du caetanisme.
Aussi, des bruits de coup d'État circulent-ils constamment dans Lisbonne. Pour les uns, ce seront les communistes avec Vasco Gonçalves ; pour les autres, « la droite » -- mais avec qui ?
Le 26 du mois d'octobre, le premier ministre s'est rendu justement à Porto et y a prononcé un discours. Cette manifestation est instructive à bien des égards.
D'abord, par le nombre impressionnant des auditeurs venus à appel du Parti Socialiste, du Parti Populaire Démocratique, et comprenant aussi tout ce que Porto compte d'adversaires du Communisme. Ils ne cachèrent pas leurs opinions. Les slogans les plus répétés furent « Cunhal à la porte », « La faucille et le marteau dans la tête à Otelo ; et lorsque le premier ministre déclara : « Il faut que tous les Portugais m'aident », la foule répondit : « A bas le communisme ! ».
On se souvient peut-être que le Parti Socialiste avait violemment protesté lorsque, le 1^er^ mai, les communistes de l'Intersyndical lui avaient interdit l'accès de la tribune officielle. Bon. A Porto, le maire est socialiste. Or, il se produisit avec le C.D.S. (Centre de Démocratie Sociale) exactement la même manœuvre que le 1^er^ Mai à Lisbonne. Les bons apôtres socialistes, partisans du pluralisme, respectueux de la diversité, mirent tout rondement à la porte les représentants du C.D.S. -- groupement qui a le malheur d'être aujourd'hui le plus « à droite » de l'éventail politique officiel portugais.
Ce n'est pas tout. Dans l'après-midi, l'ineffable Mario Soares tint une conférence de presse. Tout le monde sait que le principal effort du Parti Communiste -- pour l'instant -- consiste à mener une violente campagne pour faire exclure le P.P.D. du gouvernement.
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Il faut bien dire que le P.P.D. en fait tout autant. Mario Soares en vint à donner son avis sur la manifestation au cours de laquelle le Parti Communiste avait été hué par une foule unanime. Voici textuellement ses propos :
« La manifestation d'aujourd'hui ne peut donner au public l'impression qu'elle était dirigée contre le P.C. : en aucune manière. Il s'agissait d'une manifestation véritablement unitaire d'appui au VI^e^ Gouvernement Provisoire ; *le Parti Socialiste ne s'associe, pas au P.P.D. pour marginaliser le P.C., pas plus qu'il ne s'allie au P.C. pour marginaliser le P.P.D. *»
Il est bien évident que, dans la presse, la dernière partie de la phrase disparut.
On en est là. Le même Mario Soares, interviewé par un journal du soir parisien, et à qui l'on demandait ce que devenait l'affaire de *Republica,* le grand scandale des mois creux de l'été, répondit tout simplement que *Republica* n'avait pas tellement d'importance. On finit par se dire que, le jour où Mario Soares se balancera au bout d'une corde venue de Moscou, une sorte d'affreuse justice sera faite : il n'est pas permis d'être aussi bête, il n'est pas permis de se jouer autant de la crédulité publique.
Pour terminer, une simple dépêche publiée par le *Diario de Noticias :*
*Bonn -- Le film* « *Viva Portugal *» *réalisé par une équipe franco-allemande et qui relate l'évolution du processus révolutionnaire portugais dans le sein de l'armée, a été projeté en fin de semaine devant les délégués de comités de soldats français et nord-américains se trouvant en République Fédérale Allemande. La réunion, qui occupa la fin de la semaine, servit à un échange d'informations sur l'action des* « *comités *»*, les délégués s'engageant à se prêter un appui mutuel.*
#### Amérique latine
Argentine :\
les forces de la subversion.
Après 33 jours d'absence pour raison de maladie, Isabelle Peron a repris sa charge de présidente de la République. La situation politique est restée la même au cours de l'intérim. Les assassinats ont continué à ensanglanter Buenos Aires et les principales villes. Les guérilleros se sont livrés à quelques actions dont l'audace a stupéfié les militaires argentins : ainsi l'attaque de la garnison de Formosa, à la frontière du Paraguay.
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Je ne reviendrai pas sur les origines de la situation actuelle dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises. Quelques précisions seulement sur les forces de la subversion.
Il existe deux groupes importants de guérilleros : l'E.R.P. et les « montoneros ». L'E.R.P. (Ejercito Revolucionario del Pueblo) est une organisation gauchiste se situant entre les castristes-guévaristes et les communistes prochinois. Elle a recruté principalement dans le Nord du pays, s'appuyant sur un groupe marxiste paysan pré-existant dans les provinces de Santiago del Estero et de Tucuman. Cette dernière province se trouve être en proie à une grave crise économique : la culture du sucre a été développée de façon hasardeuse et les cultivateurs « marginaux » se trouvent acculés à la faillite.
On estime que l'E.R.P. compte environ 7.000 hommes dans ses groupes de combat et environ 20.000 dans ses réseaux de soutien.
Les « montoneros » sont issus directement des jeunesses péronistes. Cette fraction du justicialisme avait pris au sérieux les déclarations aberrantes de Peron quant à sa vocation révolutionnaire. Elle se trouva, au retour du Général, devant un vieillard cacochyme et encore plus velléitaire qu'auparavant. Déçue, elle rompit avec le péronisme officiel. La mort de Peron et l'arrivée à la présidence d'Isabelle Peron, flanquée du « mage » Lopez Rega, précipita son mouvement vers l'opposition armée.
Les groupes de combat des « montoneros » comptent, estime-t-on, environ 20.000 personnes ; les réseaux de soutien, 50.000.
L'argent ne manque à aucune des deux organisations : les méthodes pour s'en procurer sont directement empruntées au folklore du Chicago d'Al Capone : enlèvements et rançons. Pour un enlèvement datant de quelques mois (celui de deux dirigeants de la firme « Bunge y Born »), les « montoneros » ont reçu récemment une rançon de 60.000.000 de dollars.
Il n'y a donc, pour eux, aucune impossibilité matérielle à se doter du meilleur matériel de guerre. Et c'est ainsi que les sources officielles confirment que les guérilleros de la région de Tucuman disposent d'hélicoptères.
Cette dernière information doit être examinée de près. Il semble (je dis bien : il semble) impossible que ces hélicoptères aient transité normalement par le port de Buenos Aires. Ils sont donc probablement venus d'un pays limitrophe. Ni le Chili, ni le Brésil, ni le Paraguay, ni la Bolivie actuelle ne peuvent être soupçonnés de se livrer à ce trafic. Reste un seul pays ayant des frontières communes avec l'Argentine, qui ait pu livrer le matériel : le Pérou.
Dès lors, la visite de Raul Castro, commandant en. chef de l'armée cubaine, lors de la dernière fête nationale péruvienne, reçoit un tout autre éclairage.
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Le Mexique de la vertu.
Le Mexique et son président, M. Etcheverria se sont livrés à une série d'attaques venimeuses contre l'Espagne à propos de l'exécution des cinq terroristes. J'examinerai une autre fois les raisons profondes de ce prurit de vertu ; j'aborderai ici un autre aspect de la politique mexicaine.
M. Etcheverria arrivant au bout de son mandat présidentiel, les Mexicains sont invités à lui donner un successeur. Cette désignation se déroule d'après des règles curieuses et qu'il convient de rappeler.
Il existe au Mexique, pas depuis longtemps, plusieurs partis politiques. Les uns, de gauche ; un seul de droite (le P.A.N. Partido de Accion Nacional) ; et un parti particulier : le P.R.I. (Partido Revolucionario Institutional).
Quelles que soient les élections, il est convenu à l'avance que le candidat du P.R.I. sera élu. Si, par hasard, l'opposition de droite obtient trop de voix et, par exemple, trop de sièges à la chambre des députés, par décision autoritaire quelques-uns de ses sièges lui sont retirés et distribués, au nom du respect des droits des minorités, aux groupuscules de gauche qui, eux, n'ont pas trouvé d'électeurs. La majorité de l'assemblée appartient au P.R.I.... par droit de conquête.
Le P.R.I. a en effet été formé par les survivants de la révolution mexicaine pour contrôler le pays et perpétuer leur domination. Tout fonctionnaire doit être du P.R.I., -- sa cotisation est d'ailleurs retenue d'office --, tout militaire aussi ; le P.R.I. surveille les syndicats officialisés, le P.R.I. contrôle les Banques. Le gouvernement est une émanation du P.R.I. et le gouvernement a le monopole de la livraison de papier aux divers organes de presse. On se demande, après inventaire, comment il peut y avoir un Mexicain qui ose respirer sans en demander l'autorisation au P.R.I. En fait, ils la demandent.
La désignation du nouveau candidat présidentiel (on pourrait dire du nouveau président, puisqu'il ne peut être qu'élu) obéit aux prescriptions d'un rituel précis et mystérieux. C'est le rituel du « tapado », du « caché » ou du « masqué ». Pendant des mois, la désignation du candidat donnera lieu à des négociations secrètes et acharnées entre : la maçonnerie, les anciens présidents de la république, le président en exercice, les hautes autorités du P.R.I. Durant cette période, le candidat est dénommé « el tapado ».
Puis, un jour, la section du P.R.I. de Romorantin de Guadalajara, proclamera que « Tartempion » est son candidat. Immédiatement, tous les Romorantins mexicains découvriront en même temps les vertus éminentes de Tartempion (le plus patriote, le plus vertueux, le plus révolutionnaire, le plus intelligent... en un mot el mejor). Et, par miracle, ce Tartempion-là est justement « el tapado ». Merveilleuse conjonction de la sagesse des augures et de l'intuition du peuple. Il sera élu, ne vous inquiétez pas. Il est déjà élu.
C'est là ce que l'on nomme un pays profondément démocratique.
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Les finances et la politique.
Quel scandale agita tous les secteurs de la gauche pensante et de la gauche ignare, lorsqu'il fut annoncé que, peut-être, la C.I.A. aurait fourni 8 millions de dollars aux contre-révolutionnaires chiliens.
Depuis, nous avons mieux ; et un silence presque complet étend son manteau protecteur sur le nouveau loup timidement sorti du bois.
Il s'agit du Portugal.
Nous avons appris coup sur coup que :
a\) Le parti communiste portugais était largement subventionné par Moscou. On s'en doutait. Mais, cette fois-ci, Moscou est pris la main dans le sac : l'argent transitait par la Belgique et le transitaire s'est fait coincer.
b\) Le parti socialiste portugais était largement subventionné par la C.I.A. On s'en doutait. Mais, cette fois-ci, c'est quasi officiel.
J'attends avec impatience les manifestations de réprobation auxquelles ne manqueront pas de se livrer tous ceux (Mitterrand, Marchais, Defferre, Séguy, etc., etc.) qui ont stigmatisé l'aide hypothétique de la C.I.A. aux contre révolutionnaires chiliens.
J.-M. D.
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### La difficulté d'être "de droite"
par Thomas Molnar
A MESURE QUE, malgré les victoires gauchistes depuis 1968, victoires sur lesquelles nous reviendrons, être de droite devient de plus en plus respectable, les difficultés que cela entraîne se multiplient. Les difficultés de définition, d'abord. La chose elle-même est ou bien évidente après deux minutes de réflexion, ou bien confuse après mille heures ; mais les définitions varient d'un pays à l'autre, d'une famille d'esprit à l'autre.
Il y a en France (et peut-être en Belgique) des hommes de droite ; mais en Allemagne et dans les pays anglo-saxons ce terme fait froncer les sourcils, car on ne comprend chez ces nations que le mot « conservateur » ; en Italie, le terme possède une résonnante fasciste, en Espagne on parle de franquisme ou de phalangisme. Ajoutons à ces étiquettes le « traditionalisme » qui a cours dans les milieux catholiques, et, bien entendu, le « libéralisme » qui dénote davantage qu'une pensée économique : tout un courant charriant une vision du monde que certains appellent « idéologie », d'autres « philosophie ».
Ce n'est pas tout. Les victoires gauchistes auxquelles il a été fait allusion plus haut ne profitent pas nécessairement toutes à la gauche. Les nouveaux régimes en Afrique, en Amérique latine et en Asie, mais aussi ceux, si différents pourtant, comme le Portugal, l'Inde, ou le Chili, sont-ils clairement de gauche (avec leur nationalisme, mépris et refus des partis, appel à une conscience historique au-dessus des classes sociales) ou clairement de droite (« socialisme », collectivisations, « participation », institutions liquidées) ? On est en pleine confusion des théories et des termes politiques articulés préalablement. Les écrivains contribuent à cette même confusion. M. Kuehnelt-Leddihn, aristocrate autrichien, publie un livre aux États-Unis où sous le titre de *Leftism* (« idéologie de gauche ») il ramène à un même commun dénominateur Hitler, Marx -- et le Marquis de Sade !
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Un politologue allemand, M. Armin Mohler, se demande s'il y a un « marxisme de droite » et prône l'indéfinissabilité (le barbarisme convient au sujet) du conservatisme. Il dénonce un certain nombre de ses collègues (dont moi-même) qui, dit-il, pensent qu'une connaissance véritable est possible et affublent leur propre réflexion du label « philosophie ». On pourrait multiplier ici les citations...
Alors, tandis qu'être de gauche signifie la contestation de ce qui *est* en vue de créer un idéal utopique que contredit la structure de l'être -- être de droite est par nature multiple car on peut être partisan de maintes *manières* d'être. Et justement, on n'est pas forcément d'accord avec toutes. Plus concrètement, je m'aperçois qu'il m'est personnellement de plus en plus difficile d'être « libéral » ou même « conservateur », tandis que le « traditionalisme » ne trouve en mon esprit aucun désir d'opposition. Cependant, il est un fait que la plupart des hommes de droite se disent « libéraux », peut-être parce que le terme est beaucoup moins controversé que les autres étiquettes. Si d'une part nous vivons dans l'ombre de la terminologie marxiste (d'ailleurs chaque jour plus saugrenue, on n'a qu'à lire les élucubrations de Vasto Gonçalves, ex-premier ministre à Lisbonne), il n'est pas moins vrai que nos habitudes de pensée nous lient au libéralisme anglo-saxon, et depuis 1945 américain. Je ne ferai pas ici la critique du libéralisme, plutôt de l'attitude de l'esprit qui s'y rattache et qui consiste à dire que constater le déclin du libéralisme équivaut à un défaitisme et à des épousailles entre le parleur et le socialisme. On rencontre pas mal de gens sérieux qui ne distinguent guère entre le libéralisme et l'Évangile, et davantage de gens aux yeux de qui un monde non-libéral est la fin du monde.
Or, il faut être très prudent avec ce genre de déclarations. Un économiste libéral comme Wilhelm Roepke (mort en 1966) était en même temps un penseur sérieux qui savait nuancer ses jugements sur les mérites du capitalisme et de l'esprit d'entreprise. Par contre, on connaît un grand nombre de libéraux-conservateurs aux États-Unis qui ne comprennent que le côté dollar des rapports humains et trouent pouvoir transformer l'histoire (tel Marx) en une série de transactions entre objets -- objets demandés et offerts -- selon la loi d'un économisme élaboré au 18^e^ siècle. Je connais plusieurs douzaines d'économistes américains qui souscrivent à une proposition comme celle-ci : si, dans une municipalité, il ne se trouve pas assez d'habitants pour cotiser pour l'achat et l'entretien d'un terrain qu'ils transformeraient en un parc (privé), les administrateurs de la dite municipalité doivent transformer ce terrain en quelque chose de rentable, notamment un *parking*. Qu'en diraient Le Nôtre et les autres architectes-jardiniers ; que deviendrait la civilisation qui, des jardins chinois jusqu'aux merveilles de Grenade, a tant bénéficié de cet art ?
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Mais il ne s'agit pas seulement de considérations esthétiques. Ces mêmes économistes (et je cite toujours des libéraux de bonne foi et de haut standing) sont d'avis que les citoyens désapprouvant la pornographie publiquement étalée n'ont pas le droit, après la consultation qui leur donne numériquement tort, d'assaillir les pornographes, ils ne peuvent que faire sécession et quitter la cité, s'installant ailleurs. On voit quels ravages ce légalisme peut faire dans les esprits qui se mettent à douter du bien-fondé d'une civilisation chrétienne ou simplement de la loi naturelle responsable de la cohésion sociale.
Je ne dis pas que tous les libéraux sont à tel point robotisés, car grâce à Dieu le libéralisme n'est pas la seule influence qui s'exerce sur eux. Je dis seulement que le libéralisme, comme toute idéologie, tend à confisquer l'être humain pour ses propres buts et à escamoter ses autres aspirations naturelles, sans parler des surnaturelles. En tout état de cause, l'homme de droite peut utiliser les *attitudes* apprises pendant l'ère du libéralisme lorsqu'il s'agit de combattre les tendances collectivistes, mais il ne doit pas faire cause commune avec la *pensée* libérale qui est réductionniste, indifférentiste et provocatrice de besoins profonds que le socialisme vient faussement combler.
Mais il y a davantage. Le libéralisme se manifeste aujourd'hui par deux phénomènes : les tentatives de sauver, ici et là, quelques parcelles provisoires pour la libre entreprise dans l'océan envahissant du social-bureaucratisme ; ensuite, les exhortations commodes car sans conséquence pour la conservation de ce libéralisme (et c'est cela, le sens du terme « conservatisme » qui ne ressemble guère à la « tradition ») contre ce même envahissement. Il y a ici un chantage subtil : les libéraux, poussés par la nécessité, s'accommodent nolens volens des régimes et gouvernements sociaux-bureaucratiques ; simultanément, ils prêchent la fidélité à la philosophie libérale. Mais une idéologie n'a de valeur (si valeur il y a) que dans la mesure de son utilisation ; dès qu'on ne pratique guère le libéralisme que comme une politique d'arrière-garde, à quoi bon insister sur les « valeurs » libérales ? Ce problème met l'homme de droite dans l'obligation de ne pas appuyer inconditionnellement le libéralisme -- en même temps qu'il refuse également sa collaboration au socialisme, l'un et l'autre étant destructeurs de la cité et de la raison, son fondement naturel.
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Étant entendu que la réflexion qui consiste à renvoyer dos à dos libéralisme déclinant et social-bureaucratisme naissant est proche de l'esprit de l'homme de droite, la question se pose de savoir si celui-ci est condamné à se retrouver entre deux chaises et à ne plus participer ni à la désagrégation de la société libérale, ni à ce qu'on appelle l' « édification du socialisme » ? La question est d'autant plus sérieuse que ce *provisoire* a toutes les chances de durer le restant du siècle. Même si le terme de « mutation » n'a point de signification dans l'histoire -- car la nature humaine reste toujours la même -- nous sommes certainement témoins d'un changement considérable. Les signes multiples le démontrent à qui consent d'y porter son regard -- et j'appelle, précisément, homme de droite celui qui garde son sang-froid devant ce changement, scrutant le « provisoire » comme on scrute un horizon plus serein.
A ce point de l'analyse l'homme de droite une peut le rester qu'en puisant aux sources de la réflexion chrétienne. Car, en effet, que voit-il à gauche et à droite ? A gauche on édifie des utopies sans se préoccuper le moins du monde de ce qu'elles exigent des hécatombes permanentes et de ce qu'elles sont de toutes manières irréalisables. Comme me disait récemment un homme de gauche français très connu, dans son camp on a la passion du sacrifice et on accepte volontiers d'être dévoré par les révolutions successives. C'est une *idée-pathologie* incurable. A droite on est soit nostalgique, soit libéral, mettant dans l'éloquence ce qu'on n'a pas l'occasion de mettre dans l'action. Alors que reste-t-il pour l'homme de droite qui se trouve au-delà des fausses options actuelles ?
Il ne s'agit point ici de dresser un programme, au contraire, nous avions l'intention de montrer la difficulté d'être de droite. L'homme de droite en tant que chrétien possède la science des perspectives historiques, il sait que l'histoire n'a pas un sens unidirectionnel mais plutôt des tendances qui alternent sans plan préconçu. Il ne perd pas l'espoir lorsqu'il voit telle tendance l'emporter car à côté de sa « science des perspectives », il sait aussi que la providence a toujours besoin de collaborateurs. Or, la providence est supra-historique et ses collaborateurs ne se découragent pas même devant la faillite des tendances favorables. Concrètement, lorsqu'on nous parle de l'inéluctabilité du socialisme, vague de l'avenir, nous pouvons répondre tranquillement qu'en ce qui nous concerne nous préparons dès maintenant *l'après-socialisme.* Mais, dira-t-on, dans ce monde lourd et complexe les systèmes n'auront plus la flexibilité de changer sous le *fiat* d'un homme, bref, l'humanité est entrée dans la période terminale de la collectivisation croissante. Nous reprendrons alors la métaphore bergsonienne du sable et de la main aux doigts écartés. Vue de l'extérieur, du point de vue de la mécanique, la main enfoncée dans le sable présente un système de labyrinthes compliqué qu'une fourmi, par exemple, même douée d'un talent d'ingénieur, ne pourrait s'expliquer.
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Vue de l'intérieur, à la lumière du geste subitement accompli, cette même main dans le sable est le résultat d'une volonté consciente le long de laquelle les grains de sable se sont réarrangés en une configuration que la plus savante des équations ne pourrait comprendre, et à peine recalculer. Ainsi en est-il des changements imposés aux « inévitabilités » historiques : en tant qu'ingénieurs-fourmis, nous en sommes impressionnés jusqu'à en devenir paralysés ; en tant qu'êtres humains agissant comme collaborateurs de la providence, les choses se réarrangent sous notre impulsion comme les grains de sable soudain remués.
Loin de moi l'idée que la distinction droite-gauche a perdu sa validité, je pense seulement qu'avec la nouvelle tendance qui s'impose un peu partout dans le monde -- et que j'appelle, pour ma part, « monolithisme » -- l'homme de droite est obligé de se réorienter partiellement. Et comme on n'invente pas une nouvelle redistribution des cartes idéologique et politique, la période du « provisoire » où nous entrons nous permet de nous détacher des anciennes loyautés n'ayant qu'un sens verbal, terminologique, sans nous attacher aux formules et attitudes nouvelles.
En un certain sens il faut réhabiliter le quotidien, trop longtemps méprisé par les idéologues qui gardent les yeux fixés sur leurs utopies. Le quotidien n'était considéré que comme une étape dans le combat, étape rejetée et bafouée dès qu'elle fut atteinte. Seul le grand dessein et l'objectif final comptaient, car l'histoire, depuis Turgot, Condorcet et Marx, fut jugée trop exaltée pour être simplement celle des hommes. Or, le provisoire de la quotidienneté est ce qui reflète le mieux sur cette terre ce que nous appelons éternité. Les permanences ici-bas, nous l'apprenons davantage chaque jour, sont au fond précaires ; non seulement les civilisations, mais les institutions aussi sont mortelles, du moins ne les reconnaît-on pas après leurs « mutations ». Le quotidien et l'éternel se répondent, comme c'est déjà établi dans la Lettre à Diognète (A.D. 120) où l'auteur invite le chrétien à vivre dans le monde mais l'avertit de ne pas être de ce monde.
Cette attitude n'est pas celle du détachement : la *Lettre à Diognète* note, justement, que les chrétiens sont parmi les meilleurs citoyens, en leur qualité de soldat, d'artisan, d'instituteur ou de ménagère. C'est une attitude libératrice et participante dans le meilleur sens du mot. C'est une attitude qui permet la présence partout et ainsi la formation d'une conscience nouvelle, chrétiennement inspirée. La confusion actuelle neutralise les idéologues car toutes les permutations sont autorisées, aucune n'a de sens.
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Le discours chrétien, telle la lame d'un couteau, peut pénétrer dans la pâte afin de démarquer les choses et les mots. Au niveau de la politique le chrétien est désormais capable de se servir d'arguments « libéraux », « socialistes », « fascistes » et « démocratiques », car dans sa bouche ils ne deviennent pas éléments d'un système, seulement conseils de bon sens. Est-ce du pragmatisme ? Je ne le crois pas, c'est plutôt une attitude à la Soljénitsyne dont le discours ne pourrait être classifié selon les rubriques mentionnées plus haut car il est un recommencement, une sagesse du provisoire et du quotidien. C'est ce qu'il y a de plus « révolutionnaire » aussi : lorsque les grands de ce monde, voire les super-grands, se rendent à Helsinki afin de sceller l'histoire dans un gros document, rien n'est plus explosif que de ne pas tenir compte du discours de Soljénitsyne.
Thomas Molnar.
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### Billets
par Gustave Thibon
#### Le défaitisme idéologique
4 juillet 1975
Je rapporte ici l'essentiel de trois conversations récentes avec trois divers personnages. La première avec un chef d'industrie. Découragé devant l'agitation syndicale qui sévit dans son usine et les tristes résultats de son dernier bilan, il me dit en baissant la tête : les temps de la propriété privée et de la libre entreprise sont bien clos. Nous allons tout droit au collectivisme et à quoi bon lutter plus longtemps contre un courant inévitable ?
La seconde avec un médecin. L'avortement ? me dit-il, mais il est entré, non seulement dans les mœurs, mais dans les lois. Mes confrères qui s'obstinent à le condamner au nom du respect de la vie mènent un combat perdu d'avance. Un peu comme ces avocats qui par respect de la morale chrétienne, refusaient autrefois de plaider les dossiers de divorce. Pour moi, je continue à réprouver l'avortement dans ma conscience, mais que puis-je contre la force des choses ?
La dernière avec un prêtre. Le modernisme, soupire-t-il, a vaincu sur toute la ligne. Les vieilles notions de trinité, de présence réelle, de péché originel et de rédemption, etc. n'ont plus d'impact sur les hommes d'aujourd'hui. Il faut leur parler un nouveau langage adapté à leur mentalité, quitte à voir s'émietter ces dogmes qui furent, pendant vingt siècles, l'armature interne du christianisme.
Je pèse ces paroles et j'en tire la conclusion suivante : ces trois hommes sont atteints de défaitisme en ce qui concerne les possibilités de survie des plus hautes valeurs de notre civilisation.
Qu'est-ce que le défaitisme ? Le mot est récent. Il date de la guerre de 14-18 où, nous apprend le dictionnaire, on qualifiait de défaitistes « ceux qui ne croyaient pas à la victoire ou qui estimaient la défaite moins onéreuse que la continuation de la guerre ».
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Je donne à ce mot un sens infiniment plus large : il désigne pour moi l'attitude de tous ceux qui, par faiblesse ou par omission, contribuent passivement à défaire les liens vitaux qui assurent l'harmonie de l'individu ou de la société. Le toxicomane, par exemple, est un défaitiste : en se livrant à son vice, il défait sa propre personne. L'homme qui ne réagit pas contre le dogme absurde de la lutte des classes est un défaitiste : il laisse se défaire l'unité de la nation. Le chrétien dont la foi se dissout dans un vague œcuménisme humanitaire est un défaitiste : en lui et autour de lui, il laisse se défaire l'unité de la religion symbolisée par la tunique sans couture de l'Évangile...
Le défaitisme est aussi ancien que l'humanité : c'est une tentation normale de désespérer de la victoire quand le combat est trop dur et trop épuisant. Mais il s'y ajoute aujourd'hui un venin idéologique, sécrété précisément par les agents de la subversion, dont l'effet est de paralyser, à leur source même, les réflexes de défense de l'adversaire : l'idée érigée en dogme, que toute résistance est vouée à l'échec, car l'histoire -- entité toute puissante qui remplace Dieu dans la conscience moderne -- travaille dans le sens de la subversion, et il est vain de lutter contre un mouvement irréversible.
Il faut avant tout désamorcer cette arme psychologique -- la plus redoutable de toutes, car celui qui ne croit plus à la possibilité de la victoire est vaincu d'avance. L'histoire n'est pas un engrenage de fatalités : c'est le champ où se déploient et s'affrontent les libertés, et l'avenir n'est pas à ceux qui le prédisent, mais à ceux qui le font. Les exemples du passé sont éloquents. Quand, cent ans à peine après la mort de Mahomet, l'Islam, allant de victoire en victoire, étendait sa domination des confins de l'Inde jusqu'au-delà des Pyrénées et recouvrait plus de la moitié du monde connu, ne semblait-il pas qu'une puissance irrésistible le prédestinait à l'empire de l'univers ? Mais par bonheur, à la suite de quelques hommes -- Charles Martel en France, Pelage en Espagne -- qui ne croyaient pas au sens de l'histoire, le monde chrétien s'est ressaisi et la victoire a changé de camp.
Si différent que soit le monde actuel, le même renversement peut se reproduire. L'histoire prend le sens que lui donnent les hommes : elle ne précède pas la liberté, elle la suit. A cette lumière, le défaitisme apparaît comme un mélange de sottise et de lâcheté. Qu'il s'agisse de morale, de politique ou de religion, il dépend de nous de choisir entre un libre combat par la vérité et pour le bien, premier gage de la victoire, et l'abandon servile à une pseudo-fatalité de l'erreur et du mal, facteur assuré de la défaite.
44:198
#### Naufrage des démocraties
11 juillet 1975
Qu'est-ce qu'une démocratie ? J'ouvre un dictionnaire et j'y trouve la définition suivante : « régime politique où le pouvoir appartient à tous les citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ni de capacité ». Il est évident que cette formule ne peut jamais être appliquée dans son intégrité. Disons que la démocratie, telle qu'elle existe actuellement dans nos pays occidentaux, est le régime qui admet la pluralité des opinions, la liberté d'expression et de propagande et, pour arbitrer ce pluralisme, la soumission à la loi du nombre, c'est-à-dire le recours au suffrage universel qui désigne les détenteurs du pouvoir. Dans ce sens, démocratie s'oppose à totalitarisme.
Or, c'est une évidence aveuglante que tous nos régimes démocratiques, secoués par des querelles partisanes et livrés aux menées des groupes de pression (puissances d'argent, syndicats, mouvements subversifs, etc.) se révèlent de plus en plus incapables de maintenir la cohésion du corps social. Ce n'est partout qu'agitation, contestation, grèves -- et compromis instables entre des éléments dont chacun essaye de tirer tout à soi, sans le moindre souci du bien commun. Bref, un chaos de totalitarismes larvés...
L'exemple du Portugal est significatif. La révolution qui renversa le régime autoritaire instauré par Salazar se fit au nom des libertés démocratiques. Des élections ont eu lieu, qui auraient dû désigner les représentants légaux du pouvoir. Or, que se passe-t-il en fait ? Les forces armées (ce dernier mot dit tout...) continuent à dominer le pays. Quant aux élections, écoutons ce qu'en pense le chef du parti communiste portugais : « les élections nous dit-il, n'ont rien à faire, ou si peu, avec la dynamique révolutionnaire ». Ce qui signifie en clair : la vraie volonté du peuple n'est pas dans le choix de la majorité, mais dans l'esprit et la volonté des chefs révolutionnaires qui, eux, savent mieux que le peuple ce dont le peuple a besoin. De même (l'exemple est à peine forcé), dans une pouponnière, c'est une minorité d'adultes qui décide sans appel de la quantité et de la qualité de la nourriture qui convient aux nourrissons...
Quel mépris du peuple chez ces promoteurs d'une démocratie dite populaire ! Sommes-nous si loin du mot de Napoléon -- qui lui au moins avait la pudeur de ne pas se proclamer démocrate : « les vrais besoins du peuple sont dans le cœur du prince ».
Cette étrange façon d'interpréter la volonté des masses s'accompagne nécessairement de la violence armée (dictature militaire et policière) et de la violence psychologique (information et propagande à sens unique : qu'on songe aux obstacles apportés à la parution du journal socialiste *Republica*...) afin de soumettre l'obscur troupeau majoritaire à l'autorité des nouveaux bergers -- ce qui est la négation pure et simple du principe électoral.
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Devant cette subversion qui ne répugne à aucun moyen pour arriver au pouvoir absolu, que peuvent nos démocraties chancelantes ? Une seule alternative : ou bien rester fidèles à leurs principes libéraux en tolérant les manœuvres des ennemis de la liberté, quitte à succomber sous leurs coups ; ou bien museler l'opposition en mettant en veilleuse ces mêmes principes concernant les libertés d'expression et d'action. C'est à cette deuxième solution qu'ont eu recours, de tout temps, dans les circonstances extrêmes, les démocraties encore vigoureuses : désignation d'un dictateur dans la république romaine ; censure, proclamation de l'état d'urgence ou de siège en période de guerre ou de révolution dans les États modernes. Mais, dans les deux cas, la démocratie n'existe plus, soit qu'elle meure par sa faiblesse soit qu'elle survive en se reniant...
Comment surmonter cette alternative ? La vraie démocratie est celle où les libertés sont non seulement inscrites dans les lois, mais exercées spontanément par l'ensemble des citoyens et des groupes, chacun dans sa sphère propre et dans les limites du bien commun, reconnu et respecté comme tel. Là où ce tissu social reste relativement sain, l'État, garant et arbitre des libertés, n'intervient que pour corriger tout commencement de désordre, à la manière d'un hygiéniste, non d'un chirurgien. Mais quand ce tissu organique est rongé trop profondément par le conflit des passions partisanes et l'indifférence générale au bien public, des mesures plus énergiques sont nécessaires et ce n'est pas l'appel à l'abstraite, à la fragile loi du nombre qui peut suffire à sauver la démocratie et ses libertés. Autant consulter les feuilles d'automne sur le destin de l'arbre qui déjà ne les nourrit plus de sa sève...
Et l'enseignement de l'histoire ne laisse aucune illusion sur ce point. Tous les régimes totalitaires de notre époque se sont emparés du pouvoir sans ou contre le verdict du suffrage universel et tant de démocraties décadentes, soutenues par la majorité électorale, se sont effondrées sous la poussée de la dynamique révolutionnaire...
Le nœud du problème est dans la phrase de saint Thomas, disant que la démocratie est le régime politique qui exige le maximum de vertus. La première de ces vertus consiste à savoir que, comme l'enseigne Aristote, « le bien commun est le plus profond des biens particuliers » et à agir en conséquence. En d'autres termes, la vraie démocratie ne se proclame pas : elle se mérite. Et je préfère ne pas trop m'interroger sur le nombre des nations qui la méritent encore...
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#### La route et les sentiers
14 août 1975
J'habite tout près de Pont-Saint-Esprit, petite ville charmante emplie d'un passé glorieux et « porte triomphale de la terre d'amour », selon Mistral qui désignait par ces mots sa Provence natale.
Sa célébrité moderne est plus suspecte. Il y a eu, voici une vingtaine d'années, la sombre histoire des empoisonnements par le « pain maudit » qui défraya la chronique mondiale. Et aujourd'hui ce sont les embouteillages qui créent un autre genre « d'empoisonnements » et qui arrachent des malédictions aux chauffeurs les plus placides. Pont-Saint-Esprit est en effet je grand carrefour où convergent chaque année des millions de voitures venant des pays du Nord et se dirigeant vers l'Espagne. Les jours de pointe, le spectacle de ces files immobiles sous le dur soleil méridional évoque l'Enfer de Dante ou les plus sinistres imaginations de Kafka.
Ces malheureux, englués sur la route comme des mouches dans le sirop, commencent ainsi les « bonnes vacances » que leur ont sûrement souhaitées au départ leurs parents et leurs amis. Certains étrennent peut-être quelque nouvelle voiture renommée pour ses fulgurantes capacités de dépassement, ce qui ne les empêche pas de stagner interminablement entre une 2 CV et un autobus...
Ce spectacle éveille en moi une question obsédante : pourquoi tant de gens éprouvent-ils le besoin d'aller si loin ? La distance à parcourir ajoute-t-elle quelque chose au charme du voyage ou à la qualité du repos ? Et n'y a-t-il pas, dans des lieux plus abordables, des rivières, des côtes et des montagnes également dignes d'une visite ou propices à un séjour ? Ou bien cède-t-on tout simplement aux impératifs de l'opinion et de la mode qui attachent je ne sais quel prestige social aux voyages lointains et coûteux ? Je laisse aux spécialistes de la psychologie des foules le soin d'analyser cet aspect sociologique du tourisme et son conditionnement publicitaire.
« Vous n'y entendez rien, m'a dit un « vacancier » prêt à rouler vers les plages de la Mer Noire. Ce dont j'ai besoin après une année de travail, « est de dépaysement. Et plus je vais loin, plus je le trouve. La Bulgarie, quel changement d'ambiance et d'habitudes ! »
Je n'ai rien contre la Bulgarie et je la visiterais volontiers si l'occasion s'en présentait. Au même titre que l'Alaska ou la Nouvelle-Zélande. Ce qui m'intéresse ici, c'est le sens du mot : dépaysement, que vous venez de prononcer. Et je vous demande : est-ce nécessairement une question de kilomètres ?
Résidant dans une ferme relativement isolée et jouissant à longueur d'année des avantages de la vie champêtre, je n'ai jamais senti la nécessité de prendre de vraies vacances.
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Mais il m'arrive, comme à tout le monde, d'éprouver le besoin d'échapper au réseau de mes obligations quotidiennes. Alors je me réserve une journée de liberté absolue et je l'emploie, non à courir les routes, mais à m'enfoncer à pied dans les vieux sentiers abandonnés qui sillonnent les vastes maquis du Haut-Languedoc. Même dans les semaines où le tourisme bat son plein, on est sûr de n'y rencontrer personne, à telle enseigne qu'il est prudent de se munir d'une serpe pour s'ouvrir la route parmi des broussailles envahissantes. Après une heure de marche, je me sens plus dépaysé que sur une plage des Caraïbes (avec l'hôtel climatisé attenant...) ou sur un de ces plateaux du Kenya où l'on organise des safaris, -- lieux démesurément éloignés, mais où je retrouverais, sous le masque publicitaire du retour à la nature et à la primitivité, « la face humaine et ses mensonges » comme dit le Poète et, sous d'autres formes, les artifices et les truquages de la civilisation urbaine. Ici, plus un seul bruit d'origine mécanique : rien que le chant des oiseaux et le souffle du vent dans les feuillages. Puis-je rêver une rupture plus totale avec mon ambiance habituelle ? Je n'ai franchi qu'une faible distance dans l'espace, mais j'ai, pour ainsi dire, remonté le cours du temps : je suis plongé dans un monde antérieur à l'homme et à l'histoire...
Je cite un exemple, je ne donne pas une leçon. Ce que je trouve si près, je sais qu'on peut aussi le trouver très loin. Mais à condition de savoir le chercher et l'accueillir, c'est-à-dire de ne pas remplacer l'agitation par une autre agitation, la fièvre du travail par la corvée des vacances et la promiscuité urbaine par l'incorporation dans une nouvelle foule...
Il n'y a de vrai dépaysement qu'à ce prix : ne pas transposer dans nos loisirs tout ce qu'il y a d'artificiel et de contraint dans notre existence professionnelle, retrouver des espaces vierges et un temps rythmé par les astres et non émietté par les horloges. C'est dans ce but que j'invite tous ceux qui partent à ne pas manquer d'ajouter quelques pas dans les sentiers solitaires aux millions de tours de roue sur les routes encombrées, car il y a plus d'enrichissement dans la contemplation d'un brin d'herbe que dans le déroulement de mille bornes kilométriques.
#### Liberté et responsabilité
22 août 1975
Je n'envie pas le sort de nos aïeux, m'a dit un brave homme à qui j'avais donné à lire un ouvrage sur les mœurs de l'Ancien régime. Ils ne choisissaient même pas leur conjoint (le mariage étant presque toujours affaire de convenances familiales) et ils n'avaient pas le droit de s'en séparer ;
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ils ne choisissaient pas davantage leur métier (à de rares exceptions près, depuis le laboureur jusqu'au prince, chacun succédait à son père) et rien ne les protégeait contre « les risques du métier » -- et s'ils commettaient quelque délit, ils voyaient s'abattre sur eux une justice pénale atroce, ignorant les circonstances atténuantes.
J'ai répondu : si l'on entend par liberté un très large éventail de choix, on peut dire que nos aïeux jouissaient d'un minimum de liberté pour un maximum de responsabilités. Mais ne sommes-nous pas tombés dans l'excès contraire à savoir la recherche d'un maximum de liberté pour un minimum de responsabilités ?
Je reprends vos propres exemples.
Les familles n'interviennent pratiquement plus dans la conclusion des mariages et chacun non seulement choisit (ou croit choisir) son conjoint, mais jouit encore, grâce au divorce et au climat de liberté sexuelle qui se répand de plus en plus, de mille facilités pour échapper aux conséquences de son choix.
Dans le domaine social, les revendications en faveur de la promotion, participation, cogestion, coresponsabilité, etc. vont de pair avec le refus des risques et le développement écrasant d'un système de redistribution qui favorise les incapables et les parasites aux dépens de ceux qui, en assumant les plus grandes responsabilités, ont fait le meilleur usage de leur liberté.
S'agit-il d'échec ou de délit ? On en cherche de plus en plus la cause, non au niveau de la volonté consciente et libre, mais dans des entités irresponsables comme la société avec ses contraintes et ses tabous, l'hérédité avec ses tares, la petite enfance avec ses « traumas », l'inconscient avec ses complexes, etc. Aussi le délinquant apparaît-il sous les traits d'un malade ou d'une victime plutôt que sous ceux d'un coupable à châtier ou d'un pécheur à convertir. Parler de péché constitue un anachronisme et quant au mot de culpabilité, on l'associe généralement à la notion de complexe, c'est-à-dire d'un état d'âme morbide qu'il importe de liquider au plus vite...
Il n'est pas question de nier la part d'irresponsabilité contenue dans les comportements anti-sociaux (Socrate disait déjà que tout pécheur est un ignorant) ni de contester les apports récents de sciences comme la psychiatrie, la psychanalyse, la sociologie, etc. Ce que je dénonce, c'est la généralisation de cette mentalité contradictoire qui consiste à réclamer toutes les facilités au nom de la liberté et à éluder toutes les responsabilités au nom du déterminisme. A la limite, on voit se dessiner je ne sais quel type humain caricatural qui serait nanti de tous les droits et dispensé de tous les devoirs : ce type, nous le voyons déjà germer sous nos yeux dans la personne de ces révolutionnaires sous cellophane qui allient l'esprit de revendication le plus virulent au besoin de sécurité le plus amorphe et qui ont sans cesse à la bouche ces deux mots-clefs : « c'est mon droit » devant n'importe quel avantage à obtenir et « ce n'est pas ma faute » dès qu'il s'agit d'une erreur commise ou d'un dommage à réparer...
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Dans cette atmosphère où se combinent la révolte et la démission, il est urgent de rappeler aux hommes que la liberté n'est pas une faculté donnée une fois pour toutes et qu'on peut appliquer à n'importe quoi, mais qu'elle se conquiert chaque jour par l'effort volontaire et la discipline intérieure. C'est en assumant des responsabilités et en étant traité comme responsable par le prochain (avec les risques et les sanctions que cela comporte) que l'individu forge et mérite sa liberté...
Sinon, à force de facilités, de « compréhension » et d'indulgence, nous préparerons l'éclosion d'une génération d'infantiles, -- et je désigne par ce mot ces innombrables adultes, calqués sur le modèle de l'enfant gâté dont on satisfait tous les caprices parce que « cela lui fait tant plaisir » et dont on excuse toutes les fautes parce « qu'il ne l'a pas fait exprès ». Ce qui, évidemment, ne peut pas durer très longtemps et conduit directement à la tyrannie totalitaire qui transforme la société en maison de correction.
#### Le surnaturel et l'antinaturel
29 août 1975
Les hommes de ma génération se souviennent du climat d'angélisme et de puritanisme qui régnait, au début du siècle, dans les milieux catholiques. On flairait je ne sais quel relent de péché dans tous ce qui se rapportait aux choses de la chair et de la matière, et il semblait que le plus sûr moyen de plaire à Dieu était de se détourner de la nature. Cette « morosité » de la religion a largement contribué à miner son influence dans les esprits et c'est également une des causes du trop long retard qu'ont apporté les hommes d'Église à s'occuper des problèmes moraux et sociaux posés par le brusque passage de l'économie de pénurie à l'économie d'abondance.
Aujourd'hui c'est l'abus inverse qui prédomine : la nature n'est pas seulement réhabilitée, mais exaltée jusqu'à l'apothéose et les vieilles notions de péché, de pénitence et de sacrifice sont remplacées par celles de dilatation, d'ouverture, d'épanouissement, etc. On trouve même des théologiens qui, interprétant l'Évangile à travers Freud ou Marx, osent nous dire que la libération de la sexualité et le combat révolutionnaire constituent des moyens privilégiés pour aller à Dieu...
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Un seul exemple : la virulence des controverses actuelles autour du célibat ecclésiastique. Je sais que ce n'est ni un blasphème ni une hérésie que de le mettre en question, au sens d'en peser le pour et le contre. Ce qui m'inquiète, ce n'est pas que le problème soit posé, c'est l'atmosphère passionnelle -- c'est-à-dire troublée et troublante -- où se déroulent les discussions. On n'y pèse pas le pour et le contre : on met les arguments sens dessus dessous ; le blanc d'hier devient le noir d'aujourd'hui et réciproquement...
Voici par exemple la raison qu'on vient de m'alléguer : rien de ce qui est contraire à la nature ne saurait rapprocher de Dieu, or la chasteté absolue est la négation d'un besoin naturel, donc elle n'a pas de valeur religieuse. Réponse si vous entendez par nature l'ensemble des fonctions et des pulsions de la vie animale, reconnaissez que l'homme civilisé -- avec ses techniques, sa culture, ses mœurs, ses institutions, etc. -- passe son temps à contrarier la nature. Pendant que j'écris ces lignes, nos vignerons lancent des fusées anti-grêle dans le ciel lourd de nuages menaçants. Quoi de plus naturel pourtant qu'un orage ? J'ouvre le journal : j'y trouve le récit de la fabuleuse aventure des cosmonautes qui ont foulé le sol lunaire où chaque pas exige un appareillage fantastique et coûte des millions de dollars. A quels besoins naturels, au sens biologique du mot, cela répond-il ? La bonne nature ne nous invite-t-elle pas plutôt à ne pas quitter l'atmosphère terrestre et sa confortable pesanteur ? Et quant au mariage, dont on souhaite étendre les bienfaits au sacerdoce, n'impose-t-il pas lui aussi de redoutables freins aux appétits les plus naturels ? Quoi de plus normal, de plus spontané que de désirer une femme plus jeune et plus belle que celle qu'on a ?
Serrons la question de plus près. Je trouve que c'est faire preuve d'une inconscience comique que de défendre, sur ce seul point, les droits imprescriptibles de la nature alors que, dans tant d'autres domaines, on assiste avec indifférence, sinon avec bienveillance, aux pires attentats contre les lois et les harmonies naturelles.
Quel danger représente, pour l'équilibre et la survie de l'humanité, le célibat de quelques individus, au regard de l'immense vague de pollution et de destruction qui déferle sur la planète ? Les défenseurs de la santé naturelle ont peut-être assez à faire avec l'intoxication physique et morale due à l'air vicié, au bruit, à la chimie alimentaire, au surmenage, etc., pour n'avoir pas à se préoccuper outre mesure des incidences du vœu de chasteté, !
Mieux encore. En ce qui concerne la sexualité elle-même, ne voit-on pas les détracteurs du célibat ecclésiastique revendiquer le droit de cité pour les pires aberrations : homosexualité, sadisme, exhibitionnisme, etc. ? Comme si la débauche, qui dégrade l'individu sans servir l'espèce, était plus conforme à la nature que l'abstention !
La cause est entendue : tous les défis à la nature sont admis, reconnus, encouragés tant qu'il s'agit de notre science, de notre pouvoir, de notre confort, de notre plaisir, voire de nos vices ; seuls sont suspectés ceux qui ont pour objet le surnaturel et le divin. On peut violer la nature autant qu'on veut, on n'a pas le droit de la dépasser. On s'accommode du sacrilège et on se méfie du sacrifice. Ce qui procède du refus ou de l'oubli du surnaturel beaucoup plus que du respect et du zèle pour la nature...
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Au surplus, c'est une constante psychologique et historique que ce naturalisme tourne infailliblement à la ruine de la nature. Dès que l'homme ne sacrifie, ne consacre plus rien à l'auteur de la nature, il se produit en lui je ne sais quel éboulis qui l'entraîne hors de ses limites normales. Le processus est fatal et irréversible. La chasteté est contraignante, marions les prêtres. Le mariage ne l'est pas moins : vive le divorce ! Mais ce dernier ne résout rien non plus, et voici qu'on commence à nous prôner la « sexualité de groupe », mot pédant par lequel on essaye d'avaliser, en lui collant une étiquette sociologique, une débauche déjà bien connue chez les Romains de la décadence...
On revient toujours à la grande parole de Chesterton, si tragiquement vérifiée dans le monde actuel : « Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n'est pas naturel ».
Gustave Thibon.
© Copyrigth Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique)
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### Chroniques de la Barbarie
par Alexis Curvers
DEUX AGRÉGÉS se sont mis ensemble pour publier (dans une collection Université) un livre sur André Breton.
« Toujours, écrivent-ils, un drapeau noir s'est mêlé, dans le cœur du poète, aux reflets du drapeau rouge. » Voilà certes un beau titre de gloire, par lequel ce poète se recommande éminemment à l'attention de la jeunesse et du corps enseignant.
Car l'ouvrage est destiné aux élèves des lycées. Heureux lycéens, dont l'un des critiques les plus chevronnés du *Figaro* (1 2-75), M. Maurice Capelan, ne laisse pas d'envier la fortune :
« Ce qui m'a frappé, tout au long de cet ouvrage, c'est à quel point les adolescents d'aujourd'hui sont intellectuellement armés par leurs maîtres et quelle supériorité doit être la leur sur ceux de 1925 pour comprendre du premier coup un livre d'exégèse aussi touffu, bien qu'il fut écrit clairement et agréablement. Que si, comme on l'entend partout déplorer, ils ne sont pas plus intelligents, mais sont souvent moins cultivés que ceux d'avant-guerre -- l'autre avant-guerre, au début du siècle, ayant marqué la fin de l'humanisme --, ils ont à se colleter, dans tous les domaines, avec des notions plus complexes et plus ardues qu'autrefois. Musset, voire Baudelaire, c'était tout de même moins difficile. »
Je crois bien. Tous donc vite à l'école d'André Breton et de ses exégètes ! « Le dernier mot de son enseignement ? » M. Chapelan espère l'avoir trouvé, et c'est « Ni DIEU NI MAÎTRE » -- notion assurément plus complexe et plus ardue, principe idéal incomparablement plus fécond, plus instructif et, comme on le voit tous les jours, plus salutaire que tout ce qu'avaient à nous offrir Musset, Baudelaire et le facile humanisme d'un passé disgracié.
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Une des conséquences les plus visibles de la loi Weil pour l'avortement, c'est la multiplication des cas d'enfants martyrs. Et pourquoi voulez-vous que des parents indignes respectent les droits et la vie de leur enfant déjà né, alors qu'ils n'auraient rien perdu de leur dignité en le tuant avant sa naissance ?
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Comme si l'usage d'abandonner les chiens pour aller en vacances n'était pas suffisamment infâme, la mode est maintenant d'abandonner aussi les enfants, les vieillards...
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Histoire du XX^e^ siècle, d'après les documents de l'époque (livres, journaux, films, disques, etc.) : « En ce temps toutes les femmes se prostituaient et tous les hommes vivaient le revolver à la main. Il n'était variété de crime individuel ou collectif qui ne servît de modèle à la morale publique. Les maîtres à penser du siècle se recrutaient parmi les chansonniers analphabètes, les histrions exhibitionnistes et les montreurs de lanterne magique. »
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Le moins qu'on puisse dire de Picasso, c'est que la colombe de la paix ne plane pas sur ses dépouilles. Lessives publiques de linge sale, vendettas familiales et para-familiales composent à ce virtuose de la destruction méchante une liturgie funèbre digne de lui et de son génie. La vérité de son œuvre éclate enfin dans les séquelles de son éblouissante carrière. Ce ne sont que grincements de dents, exploits d'huissiers, guerres au couteau, pathétiques et sordides, autour des capitaux fabuleusement amassés par ce communiste roublard. Il laisse après lui des cœurs ulcérés mais sans larmes, et nombre d'enfants orphelins de naissance. Quant à sa peinture, elle n'intéresse déjà plus que les marchands de tableaux, opportunément secondés par M. André Malraux, qui condescend à prendre ce barbouilleur comme brillant second dans la fonction de grand homme et de profond penseur.
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Tout siècle a les grands hommes qu'il peut. De leur côté, les pouvoirs publics lancent dans la bagarre un projet de musée Picasso, nouveau *casus belli.* Ce sera le temple de la laideur canonisée par la sottise.
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René Dumont rapporte que Fidel Castro lui disait en 1960 : « Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir sont venus en janvier et nous ont dit que, débarrassés des maux du capitalisme, nous gérions fort bien notre économie. » On voit la scène : le dictateur félicité par le couple d'augures, et se félicitant lui-même d'avoir reçu des félicitations si autorisées. Il est difficile d'imaginer une plus forte accumulation de ridicule.
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Ce professeur organise un colloque sur les « sondages d'opinion ».
Or l'opinion, les sondages et les colloques sont trois variétés du néant.
L'entreprise du professeur consiste donc à mettre du néant sur un néant produit par le néant.
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Les rhéteurs de la décadence romaine organisaient eux aussi des colloques (*disputationes*)*,* par exemple sur la mouche. Les uns étaient contre la mouche, les autres pour. Ni les uns ni les autres n'avaient jamais regardé une mouche, mais ils savaient tout ce qu'on en avait dit ou écrit avant eux.
Pendant ce temps-là, embusqués aux portes de Rome, les barbares attrapaient les mouches et n'en parlaient pas.
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Le dernier empereur de la Chine, Pu-Yi, né à Pékin en 1906, fut si bien rééduqué par Mao que, devenu communiste, il se laissa dicter avant de mourir une autocritique en forme de mémoires qui paraissent maintenant chez Flammarion.
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Plus heureux, le dernier petit empereur de Rome, l'adolescent Romulus Augustule, à qui Odoacre avait fait grâce de la vie *quia pulcher erat,* alla tranquillement finir ses jours près de Naples, dans l'ancienne villa de Lucullus -- eh oui, de ce fameux Lucullus, grand général, grand lettré et grand gastronome, qui était venu là, cinq siècles auparavant, achever « une carrière fabuleuse d'homme de splendeur et de plaisir », comme dit fort bien Georges Roditi. Tout porte à croire que l'ex-empereur n'y goûta de splendeur et de plaisir qu'à l'état de souvenirs et de vestiges.
Odoacre lui versait une pension annuelle et négligea de le rééduquer. Mais il lui dicta tout de même une lettre de démission, annonçant à l'empereur d'Orient que l'empire d'Occident n'existait plus ; en foi de quoi on expédiait à Byzance, avec la lettre, la pourpre des Césars et les autres insignes d'une toute-puissance désormais sans emploi. Il ne se trouva point de Flammarion pour éditer la lettre. On peut supposer qu'elle a péri mille ans plus tard, dans l'incendie de Constantinople mise à sac par les Turcs.
Cette seconde fin de l'Empire fut plus atroce que la première, en ceci que les jeunes princes de la famille du dernier basileus, et précisément eux aussi *parce qu'ils étaient beaux,* ayant décliné l'honneur d'orner de leur présence le harem de Mahomet II, furent immédiatement massacrés sans qu'il fût question de lettre à écrire, pas plus que de rééducation, d'autocritique ou de retraite napolitaine.
En 1453, la villa de Lucullus avait disparu depuis longtemps, et je ne sais si des archéologues en ont seulement cherché les ruines. Après Romulus Augustule, ce domaine avait eu pour locataire une veuve. C'est chez elle que des Romains pieux, chassés de la Norique par de nouvelles invasions barbares, et n'ayant pas trouve d'autre refuge dans toute l'Italie qu'ils avaient traversée, vinrent mettre en lieu sûr la dépouille et les reliques de saint Séverin, lequel d'ailleurs, dans son ermitage danubien, avait autrefois prédit au jeune Odoacre qu'il serait maître de l'Empire. Le nom de cette veuve chrétienne était *Barbaria,* qui fut chez les derniers Romains un nom fort à la mode.
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*Barbaria* était le nom que les Romains donnaient aussi à la Barbarie en général, quelle qu'en fût la provenance, la nationalité, la langue, la coutume, la position géographique. La Barbaria s'étendit ainsi à toute la surface de la terre, où quelques lambeaux de la *Romania* ne survivaient que d'une vie précaire, à l'état de traces clairsemées.
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Tous les peuples barbares se jalousaient, se guerroyaient, se pourchassaient entre eux, avec plus de fureur encore qu'ils n'en déployaient contre Rome. Cependant, par-dessus leurs querelles, tous ensemble visaient Rome, seul but de leur effort commun, unique objet de leur ressentiment. Après de longs détours, quand ils se furent partagé l'Europe et l'Afrique presque entières, tombant enfin d'accord pour donner l'assaut final, une stratégie nouvelle concilia dans un même dessein les armées et les peuples jusque là séparés qui menaçaient l'Italie à la fois dans le Nord, dans les dernières provinces gallo-romaines et dans la Méditerranée. Jordanes, l'historien des Goths, le dit expressément : *unum corpus effecerunt.* La *Barbaria* fut dès lors invincible, et Rome, d'ailleurs consentante, résignée et complice, acheva de mourir avant même d'être vaincue. Ce fût l'affaire d'un demi-siècle à peine.
Les barbares n'avaient eu besoin de s'allier entre eux par aucun pacte. Une stratégie spirituelle, bien supérieure à celle des champs de bataille, avait d'abord cimenté leur union. Ils la devaient à l'hérésie arienne qu'ils avaient embrassée tous comme un seul homme, trouvant dans cette fausse religion la seule force capable de ruiner l'Empire qui, lui-même arianisant, n'était déjà plus chrétien qu'en apparence.
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Un État, selon Rivarol, est un vaisseau qui a ses ancres dans le ciel. Mais tout aussi bien dans l'enfer, l'ancre étant d'ordre surnaturel dans tous les cas.
Le monde moderne et son Église nouvelle, qu'on prend à tort pour incrédules, croient, s'efforcent ou feignent de croire à la Désincarnation du Verbe. Ce contre-dogme est leur dogme.
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Les athées, quoi qu'ils en disent, croient au diable beaucoup plus fortement que les croyants ne croient en Dieu. Entre les deux partis ainsi opposés le combat est trop inégal pour que l'issue en soit douteuse. Il n'y a toujours que la foi qui sauve.
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Des gens qui croient faiblement en Dieu n'ont évidemment aucune chance de salut, face à des gens qui croient fortement au diable.
Or le diable s'entend beaucoup mieux que Dieu à séduire et à s'attacher des fidèles en grand nombre, qu'il trouve ou qu'il rend assez méchants pour accepter de le servir, assez dévoués pour le servir jusqu'à la mort, assez malins pour ne pas dire ou assez bêtes pour ne pas voir que c'est le diable qu'ils servent.
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La surnaturelle puissance de l'Église éclate encore plus dans le malheur du monde que dans son salut. L'une tient tellement dans ses mains les destinées de l'autre qu'elle ne défaille point sans qu'il se détruise. La déviation du spirituel entraîne la ruine du temporel. Le monde n'a glissé à l'abîme aucune fois depuis deux mille ans, que ce ne fût sur le conseil, à l'exemple et avec la complicité de l'Église. Elle n'a qu'à se laisser corrompre, hier par l'arianisme, aujourd'hui par le marxisme, pour pousser le monde au suicide et lui en fournir l'arme, qui est la même dans les deux cas : la perte de la foi en Dieu.
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Alors comme aujourd'hui, les barbares n'aspiraient qu'à se romaniser, et les Romains qu'à se barbariser. Mais la romanisation des barbares allait d'autant plus mal que la barbarisation des Romains, qu'ils prenaient pour modèles, allait au contraire admirablement vite et bien. Ainsi Rome, plus elle se déromanisait dans le vain espoir d'amadouer les barbares, moins aussi leur donnait-elle de raisons et de moyens d'échapper à la barbarie croissante où elle les entraînait. C'est pourquoi ils la détruisirent, ou plutôt la laissèrent se détruire elle-même, pour la punir non pas de les avoir déçus en étant romaine, mais de les avoir trahis en cessant de l'être. Elle mourut quand ils n'eurent plus rien à attendre d'elle, et ils n'en attendaient rien puisque ce n'était plus elle.
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La scène se passe à Kinshasa, ci-devant Léopoldville. Dans le *Figaro* des 9-10 août 1975, cet a encadré signé H.F..
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« Des Blancs, avec leurs tics, mis à mal par leurs anciens sujets noirs : c'est le thème du spectacle que Mobutu Sese Seko a offert jeudi soir (7 août) à Giscard d'Estaing au théâtre de verdure, où il a entraîné ses invités à l'issue du dîner de gala.
« L'Afrique vivait heureuse lorsque les missionnaires vinrent chasser ses habitants en brandissant la croix, une bouteille de vin de messe à la main. Arès la révolte des spoliés, le roi Baudouin en personne vient leur apporter une fausse indépendance. Arrive alors Mobutu, parfaitement imité par un acteur, qui explique au peuple la nécessité de créer un parti unique pour le sauver.
« Les deux présidents se sont abstenus d'applaudir. »
Ces deux présidents ont bien montré là qu'ils avaient autant de tact l'un que l'autre, ainsi qu'il convient aux chefs des « deux pays francophones les plus grands du monde ». Mais la galanterie française reste inégalable, même au Zaïre. M. Giscard d'Estaing, qui passe pour catholique, par ailleurs grand Européen et grand ami du roi Baudouin, a poussé la délicatesse jusqu'à ne pas demander à son hôte comment diable il se fait que l'ancien Congo belge soit brusquement devenu, sous le nom de Zaïre, la plus belle conquête de la francophonie. Il n'a pas eu non plus l'indiscrétion de chercher à savoir dans quelles conditions « l'Afrique vivait heureuse » avant que les missionnaires vinssent en « chasser » les habitants, tout en leur apprenant le français.
Heureux encore que le roi Baudouin n'ait apporté aux Congolais qu'une fausse indépendance. Que serait-ce, grands dieux ! s'il leur en avait apporté une vraie ?
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Foster Dulles disait, paraît-il, que l'Angleterre a perdu un empire mais n'a pas retrouvé une vocation. Cette lapalissade est vraie de l'Europe en général, laquelle, fille de Rome, n'a jamais eu d'autre vocation que l'Empire. En y renonçant elle s'est dépouillée de sa raison d'être, de sa volonté d'être et de sa seule chance d'être, ainsi que le savent très bien les nouveaux chefs d'empires qui font poussée à la décolonisation, c'est-à-dire au suicide. Par surcroît de malheur, les décolonisés recolonisés n'auront rien gagné à changer d'empire. Tout au contraire. Ainsi l'Europe non seulement ne sert plus à rien, mais contribue par sa déchéance à l'accroissement du mal universel.
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59:198
Cinq ans avant sa mort (donc en 1969), Charles Lindbergh écrivait non sans raison : « Il est fort possible que la seconde guerre mondiale ait marqué le commencement de la fin de notre civilisation occidentale. » Mais :
1\) Cela n'est pas « fort possible », cela est absolument certain.
2\) La dernière guerre n'a pas été le commencement mais la manifestation d'une fin déjà fort avancée, qu'elle a rendue plus proche encore. Le commencement remonte beaucoup plus haut.
3\) Il n'y a pas de civilisation occidentale. Il n'y a que la civilisation tout court, dont l'Occident imparfaitement civilisé est cependant une place maîtresse : naguère le foyer principal, désormais le dernier retranchement.
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On eut vite fait d'apercevoir que la décolonisation ne tendait nullement à civiliser les peuples dits sous-développés, mais bien à sous-développer l'Europe encore civilisée.
Le dessein qui se découvre ensuite est autrement considérable, qui tend aujourd'hui à coloniser l'Europe enfin sous-développée. Et comme les décolonisés d'hier ne sont pas assez développés pour suffire à la tâche, force leur est d'Y employer les dernières ressources que l'Europe ennemie d'elle-même, si décivilisée qu'elle soit, met encore gracieusement à leur disposition. Ainsi l'empire romain est-il mort victime non pas de sa propre impuissance, mais bien de la puissance des moyens, des idées et des armes qu'il était seul en mesure de livrer aux barbares, et dont ils avaient besoin pour faire de lui leur colonie la plus intéressante.
(*A suivre*)
Alexis Curvers.
60:198
### Pius Maurras
par Jean Madiran
Pour la maison de Maurras
Ce texte, qui avait été publié par Dominique Morin, n'est connu que de quelques lecteurs : il n'a jamais paru dans « Itinéraires ». Au demeurant ceux qui le connaissent déjà voudront bien comprendre dans quelle intention il prend place ici et maintenant. Il s'agit de ranimer la mémoire de Charles Maurras en un moment où elle est un peu oubliée : en effet on n'arrive pas à trouver un nombre suffisant de souscripteurs pour sauver sa maison de Martigues conformément à son testament. C'est un devoir, précisément, de piété filiale. Et il y a urgence. Voir les « Informations » dans notre rubrique « Avis pratiques » à la fin du numéro.
J. M.
CHER MAURRAS, cher vieux Maître endormi entre les bras de l'Espérance et de l'Amour, je voudrais parler de vous avec tendresse. en cette heure froide où les ténèbres ont une fois encore envahi le monde nous mesurons mieux ce que nous vous devons et ce qui nous manque dans votre absence. Vous savez que je fus intégralement maurrassien à vingt ans, et même avant, et même après, ne vous querellant en somme que sur Descartes, et cette querelle publique, téméraire, mais juste, avait été l'occasion de notre première rencontre et de votre inoubliable accueil. Je vous devais à peu près tout de la vie de l'esprit, avant d'avoir été conduit au Docteur commun sous votre influence, et d'y avoir été confirmé par vos conseils les plus impérieux. *Si vous êtes catholique, ne le soyez pas à moitié.* Vous m'avez intellectuellement sauvé la vie, il vous est même arrivé sans doute de me sauver la vie physiquement, non point avec l'antique et gros revolver que vous aviez aux saisons lyonnaises dans la poche de votre manteau, mais d'une autre manière, que nous sommes deux ou trois à savoir.
61:198
Je vous dois d'avoir été maurrassien puis d'avoir été quasiment anti-maurrassien, critiquant et rejetant votre physique sociale, votre empirisme organisateur, votre politique d'abord et votre nationalisme intégral avec une ardeur philosophique qui elle aussi m'est venue de vous, ou par vous. Et je pense que dans la critique il ne fallait rien ménager, n'être sensible qu'au Juste et au faux, pour être fidèle à votre exemple, à votre leçon, à votre méthode. Au bout de la critique, et des années, il y avait la découverte que vous aviez dit vrai en affirmant que vous n'étiez pas un philosophe, que vous n'aviez pas atteint la vérité en philosophie, et que le maurrassisme, vous ne saviez pas ce que c'est. Vos formules de combat étaient vraies en situation ; les prendre abstraitement en philosophe était se condamner à les rejeter, et à passer à côté des vérités plus humbles, plus concrètes, que par elles vous nous avez livrées.
Ces armes de la critique, je vous les rends. Vous aviez tort en philosophie, mais vous n'y étiez point. A la place exacte du rempart où vous étiez, vous aviez raison.
Sur les ruines de ce rempart aujourd'hui ravagé, ma pensée revient vers vous, le Vaincu immortel et invulnérable, avec tendresse, avec piété. A l'avant-dernier des congrès d'étudiants d'Action française tenus en votre présence, c'était à Montpellier, on venait d'évoquer la mémoire de Léon Daudet, de Jacques Bainville, de tous vos compagnons disparus, vous vous êtes soudain adressé à notre jeunesse, vous nous avez laissé cette confidence et ce vœu : -- Je ne peux pas vous souhaiter d'avoir plus de courage et plus d'honneur ; je ne peux pas vous souhaiter plus de fidélité et plus d'intelligence qu'ils n'en eurent ; Je vous souhaite seulement d'être plus heureux que nous...
\*\*\*
Les batailles gagnées ont tourné en batailles perdues. Vos batailles les plus graves furent contre l'illusion du Progrès, contre la subversion, contre la démocratie religieuse, dont vous avez défendu l'Église de France aux avant-postes du franc-tireur, et les voici qui sont revenues en force, qui ont tout regagné et au-delà, et notre nouvel état est pire que le précédent. Et vous n'êtes plus là.
62:198
Sans vous, mais avec vous encore, pour l'honneur de l'homme et pour l'honneur de son Créateur, nous refusons le joug des Princes des Nuées qui sont de très réels marchands d'esclaves. On ne nous aura pas vivants.
\*\*\*
Vous l'aviez nommée *la démocratie religieuse.* Non pas une démocratie politique qui serait ordonnée par un esprit chrétien (ce serait fort bien en soi, et selon Pie XII ; et en Suisse vous l'avez trouvé fort bien ; ce serait un régime parmi d'autres, qui conviendrait plus ou moins selon les pays ; et le traditionnel « régime mixte » comporte une part variable de démocratie politique). Mais la démocratie transportée en matière religieuse et morale ; la démocratie s'imposant comme morale universelle et comme religion œcuménique ; comme valeur absolue ; comme critère suprême ; nouvelle et unique loi naturelle et surnaturelle. Une autre religion : une nouvelle religion, totalitaire, théocratique, cléricale, se substituant à la religion du Dieu vivant ; une religion de l'homme ; de l'homme moderne. Vous lui avez barré la route. Saint Pie X a pu dire sans aucun lapsus que vous étiez un beau défenseur de la foi : vous l'étiez négativement, à une certaine place du rempart intellectuel et civique qu'aucun docteur catholique moderne jusqu'ici n'a su tenir comme vous la teniez.
Ce n'était pas la seule place du seul rempart. C'en était une. Parmi autres. Mais celle-là même où la nouvelle religion voulait faire brèche, et où elle l'a fait parce que l'on vous y a finalement laissé trop seul, trop démuni, sans les renforts qu'il fallait. Vous étiez au point décisif de la bataille pendant que d'autres, intérieurement Plus fidèles aux exigences surnaturelles de leur baptême, s'étaient assoupis. Ou laissé circonvenir.
De la bataille, vous avez eu aussi l'ivresse ; et l'intempérance. Pendant que d'autres ne faisaient aucune faute, ne faisant rien.
\*\*\*
Il y avait déjà, elle déborde partout maintenant, la race spirituelle des spectateurs objectifs et des arbitres impartiaux, qui font de tiédeur vertu et déplorent un tel carnage entre gens qui pourtant détiennent tous une part de vérité.
63:198
Que tous, ou presque, détiennent plus ou moins une part de vérité, c'est philosophiquement vrai. Mais voilà : le monde n'est pas une académie de philosophes.
Les philosophes eux-mêmes ne vivent guère en académies et passent plutôt leur temps à se disputer. On peut sans doute imaginer la dispute philosophique selon des règles idéales, la part de vérité à discerner jusque dans l'erreur, la compréhension d'un système de pensée par sympathie interne, la recherche d'une synthèse entre points de vue opposés. Cela est excellent à l'école, à partir du moins d'un certain degré de formation, et pour aider les esprits à se former davantage. C'est aussi l'archétype de ce que l'on appelle aujourd'hui « le » dialogue, qui devrait servir à tout et partout. Je me demande si cela sert autant qu'on le dit à la découverte de la vérité, qui est autre chose que le compromis pour l'action. Le dialogue ainsi conçu, je doute fort qu'il existe autrement qu'intérieur. C'est Platon seul et toujours Platon qui tient la plume pour chacun de ses interlocuteurs : et d'ailleurs sans un Socrate, le dialogue platonicien ne serait même plus une fiction littéraire, mais un médiocre divertissement. Le dialogue, pour Aristote, c'est le laborieux, c'est l'héroïque dialogue intérieur de l'*amicus Plato sed magis amica veritas*. Dans la Somme théologique, toutes les objections ont droit de cité : elles sont entendues non point cependant telles qu'elles se formulent, mais retraduites dans la langue du dialogue intérieur de saint Thomas. S'il s'agit de pensée spéculative, ou à plus forte raison contemplative, le conseil pascalien de demeurer en sa chambre l'emporte sur le conseil eyquémien de frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui. Plus que le dialogue importent alors le silence, la solitude, les veilles studieuses ; l'œuvre à faire ; et le commerce anachronique des grands esprits de tous les temps plutôt que les conciliabules avec les contemporains.
Mais quand on imagine pouvoir, dans la cité, apaiser les affrontements spirituels en leur imposant les règles idéales du dialogue tel qu'il aurait lieu dans la chimérique académie des philosophes, on tombe sous la coupe de tous les brigandages. Ceux qui nous le proposent ont le poignard à la main et font signe déjà par la porte entr'ouverte aux tueurs qu'ils ont recrutés. On s'est toujours battu partout : même physiquement, jusque dans des conciles de la sainte Église ; et lorsqu'elle devient « psychologique », la guerre n'est pas moins militante. La nécessité du rempart augmente encore quand les autorités légitimes s'étiolent, démissionnent ou disparaissent : ce n'est plus aux frontières de la patrie ou de l'Église qu'il faut courir, chaque hameau, chaque foyer, chaque jardin se retranche contre l'invasion des pillards et des marchands d'esclaves. Si l'on est submergé, ce sera sans drapeau blanc.
64:198
Cette leçon-là de Maurras est pour aujourd'hui. Dans le silence du dialogue intérieur, nous pesons la part de vérité, la part de justice de l'ennemi : pour nous en instruire, bien sûr, et pour retourner contre lui, s'il se peut et quand il est licite, jusqu'à ses propres armes. Nous pesons certainement beaucoup mieux cette part de justice et de vérité que ne peuvent faire ceux qui fuient le combat comme ils ont déserté la pensée, du même mouvement dans le vide. Nous faisons des pesées réelles, dans une bataille réelle. Nous ne sommes ni spectateurs ni arbitres dans le combat du Salut.
\*\*\*
La nouvelle religion, merveille, est celle où l'on n'a plus d'ennemis. Le précepte chrétien d'aimer ses ennemis, le plus difficile, devient sans objet, et l'on est assuré de n'y jamais manquer. Combattre selon la justice et dans la charité n'était pas commode. On trouve plus simple, et plus moral, de capituler d'avance.
\*\*\*
Cher Maurras, cher vieux Maître indomptable, vous nous avez enseigné la piété, qui fut l'âme et la raison de vos combats. Je ne parle pas du don surnaturel de piété ; je parle de la vertu naturelle. *L'homme naît débiteur*, tel est l'alpha et l'oméga de votre doctrine modeste. Sauf l'homme moderne qui, renouvelant collectivement le péché d'Adam, croit que tout lui est dû, et institue un culte de l'homme qui est le culte de soi-même.
Le culte de l'homme a toujours existé. Ce fut le culte des morts. Ce fut le culte élevé par la piété filiale. Ce fut le culte rendu à ceux à qui nous devons la vie physique, la vie morale, la vie religieuse ; ceux qui nous ont transmis et appris la loi naturelle, la foi chrétienne et les humbles honneurs des maisons paternelles : fondation solide, fondation irremplaçable de tout édifice habitable en commun. Ce fut le culte des héros et des saints. Ce fut un culte que l'on rendait à plus grand que soi. Avec la nouvelle religion, c'est aujourd'hui le culte impie que l'homme anonyme exige pour lui-même ; et pour lui seul.
65:198
Au carrefour de cette subversion, Maurras apparaît dans sa vraie grandeur. Son combat fut celui de la piété contre l'impiété. Parce qu'il fut pieux, parce qu'il nous a enseigné la piété, c'est notre piété qui fait mémoire de lui, dans l'attente de la Résurrection.
Jean Madiran.
66:198
### Amende honorable L'erreur et la vérité
par Jean-Bertrand Barrère
DÉCIDÉMENT, je ne suis pas un historien impeccable ! Loin de là, et même, comme amateur, je laisse beaucoup à désirer. Depuis que cette revue accepté de publier mes chroniques, ce dont je la remercie, car cela me permet d'*aérer* mes sentiments (anglicisme voulu), j'ai multiplié les erreurs : la reine de Danemark, mentionnée à la fin de ma chronique sur l'*Angleterre à l'heure de la division,* s'appelle Margrethe -- tout le monde aura rectifié -- et non Béatrice, qui est le nom de la princesse de Hollande également venue à Cambridge autrefois. Plus grave : Henriette de France, *Henrietta Maria,* est née en 1609, et non en 1605, comme j'écrivais sur la foi d'un vieux petit Larousse que j'avais sous la main (éd. 1929 : le nouveau a rectifié). J'avais pourtant, à portée pour ainsi dire, mais en me déplaçant, la British Encyclopoedia, à laquelle ayant moi-même collaboré j'aurais pu demander le secours d'une date précise : elle m'aurait détrompé. J'ai enfin écrit -- au fait l'ai-je écrit ? peut-être est-ce une nouvelle erreur ? -- que le pape Paul VI allait recevoir à bras et cœur ouverts un évêque qui partage son attachement à la Tradition, qui sait ? lui remettre la barrette... Si je l'ai dit, je me suis trompé encore : il n'en était rien. Je me méfierai à l'avenir. Je me méfierai du passé, du présent et de l'avenir. Je me méfierai de l'Histoire et de l'Église, de l'Histoire de l'Église et plus encore de l'Église de l'Histoire. Mais comment, à part des détails de dates et de dénominations, savoir où l'on se trompe, n'est-ce pas ? Comment faire le partage de l'erreur et de la vérité, dès que l'interprétation s'en mêle ? Voilà le difficile.
67:198
Ces pensées, que j'avais eues, comme toujours, dès que je me suis relu en imprimé ; ont été réveillées par l'envoi d'un article sur *Bossuet panégyriste d'Henriette de Fran*ce ([^3]) publié par un maître, collègue et ami, René Jasinski, pour en honorer un autre, René Pintard, qui m'arrive de Cambridge, Mass., U.S.A. Je l'ai lu avec la précipitation et l'intérêt qu'on devine. C'est très instructif, d'autant plus que son point de vue est différent du mien. Il pose la question : Bossuet fut-il historien, voire historien prêt à modifier la vérité par l'éloge de circonstance, dans ses *Oraisons funèbres,* et précisément dans celle d'Henriette de France, que j'évoquais naguère ? En gros, l'auteur, qui a écrit de nombreux ouvrages savants et perspicaces sur nos lettres du XVII^e^ siècle, blâme Henriette d'avoir manqué d'adresse à la cour de son royal époux, de l'avoir encouragé dans son absolutisme, bref d'avoir fait preuve d'intransigeance. Sans doute croyait-elle détenir la vérité ? Sa mère l'avait mise en garde, et elle avait cinq ans de moins que je n'ai dit. « Qu'en homme d'Église Bossuet exalte pareille action, rien de plus naturel. Mais c'était méconnaître le caractère de provocation que prenait pour beaucoup d'Anglais ce catholicisme militant. » D'ailleurs, M. Jasinski rend à chacun son dû, il rectifie avec modération et sympathie, et l'on sent qu'il a raison, quand, à côté du sérieux de sa jeunesse, il ajoute au portrait d'Henriette une touche de légèreté, un goût des fêtes, un manque de culture, une passion impatiente d'aider le roi, une combativité, qui viennent contrebalancer la piété résignée de la pénitente de Chaillot. Il n'oublie pas de signaler que Bossuet parle devant Monsieur et Madame, devant l'effigie de la reine morte, dans la chapelle des religieuses de Sainte-Marie où est conservé son cœur meurtri.
« Mais c'est envisager *sub specie æternitatis* un ensemble complexe d'événements, et aussi de tractations. » Et à la fin : « Il s'élevait à l'éternel. » Évidemment, l'archevêque de Condom, s'il n'a pas été ménager de la vérité historique -- sans d'ailleurs jamais être coupable comme moi d'inexactitude -- tendait à un tout autre but, à l'idéalisation, à l'édification : « transfiguration légitime selon la foi, mais qui ne relève pas de l'histoire ». Nous y voilà : il avait l'excuse, n'est-ce pas, de croire, comme Henriette de France, que le catholicisme était la vraie religion. Je répète que l'auteur le dit sans acrimonie, avec justesse. Cela a été un trait de lumière pour moi. Ni l'évêque ni la princesse n'admettaient une autre religion à part entière de pair avec la leur, ni même à part, restreinte pour tout dire. Ils croyaient, dur comme fer -- en bottes, Henriette lève et conduit une armée -- dur comme pierre, à la vérité unique du catholicisme tridentin.
68:198
Et cela me ramène à mon sujet permanent : en somme, le pape Paul VI, en interdisant, en traquant, toute survivance de tridentinisme, messe, missel, traduction, etc., fait rentrer le christianisme catholique, dont il a charge, dans la grande famille du christianisme différencié, à variantes anglicane, luthérienne, calviniste, etc. etc., il le fait rentrer enfin dans l'Histoire, d'où le pape Pie V avait pensé, voulu, l'extraire pour l'élever au perpétuel, pour reprendre en la variant l'expression de notre auteur. C'est cela, n'est-ce pas ? Et nous, nous ancrer, dans la Tradition, forme exaltée de l'Histoire *sub specie æternitatis.* D'où notre erreur, justement condamnée. En ouvrant cette année de la réconciliation, le pape, faisant l'histoire, immergé dans l'histoire contemporaine, a voulu ouvrir largement les portes de sa basilique et de la religion du Christ à tous les hommes de bonne volonté, comme on disait avant lui, pardon, à tous ceux que Dieu aime, comme on dit depuis, c'est-à-dire non seulement aux pentecôtistes, de fait, mais aux socialistes, aux communistes, aux protestants, aux maoïstes, aux musulmans, aux terroristes, aux pompistes, aux jocrisses, aux jeanfoutistes, à tous ceux qui sont en istes, sauf, *sauf*, naturellement, bien entendu, aux perpétuistes, aux traditionalistes, aux intégristes, bref à tous ces témoins attardés d'un passé renié par une Église ardemment tournée vers le présent et, au-delà du présent, vers l'avenir. En bref, ce qui était hier la règle est aujourd'hui la faute, et inversement : c'est pourtant simple. Et il suffisait d'y penser. C'est ce qu'on appelle : tourner casaque.
Ainsi, dans cette perspective de l'Histoire, on comprend que le pape Paul VI ait tenu à recevoir tous ces pèlerins de l'ailleurs, et notamment les derviches-tourneurs, je veux dire les tangueurs-crieurs de la Pentecôte revécue, mais qu'il ait tenu bon à ne pas ouvrir sa porte ni sa fenêtre à un pèlerinage qui osait s'intituler *Credo,* grande erreur, ni à un évêque, ni à des prêtres, qui continuaient en vérité de faire comme si rien ne s'était passé, comme si l'Histoire en train de se faire n'existait pas. C'était, pour reprendre le terme de l'historien, c'était *de la provocation,* un défi, une leçon. Le pape pouvait bien en attendre d'un sergent baptisé président, musulman bon teint, il pouvait, il devait s'entretenir avec lui : entre princes, c'est de l'histoire, cela ne tire pas à conséquence. Mais il ne pouvait pas recevoir un prélat, des prêtres, qui s'acharnaient dans l'erreur de maintenir le perpétuel au présent, ou le présent dans le perpétuel, c'est-à-dire de faire ce qu'on attendait de lui, ce qu'il aurait dû faire, s'il avait été un autre pape, par exemple.
69:198
Évidemment non, car c'était sortir de l'Histoire, pour entrer dans la foi. Si j'ai bien compris, c'était une question d'autorité, et l'autorité, c'est dans l'Histoire qu'elle s'exerce. Il faut donc obéir, pour ne pas désobéir, peu importe pour quoi. Il me semble que mon raisonnement achoppe quelque part, qu'il boîte, pour le dire, comme ma Sainte-Mère l'Église, -- à distinguer de la ville-bataille de ce nom. C'est que l'Histoire n'opère qu'à coup sûr. Elle ne se pique pas d'être morale, n'est-ce pas ? elle se contente de constater après-coup ce qu'au moment il aurait fallu faire, pour que tout n'aille pas plus mal. C'est bien pourquoi on se tourne alors vers la vérité de la Foi, qui transcende celle des faits.
En attendant, nous sommes dans le présent, et si le passé nous donne raison, il est bien difficile de prophétiser le verdict du futur sur ce présent quand il sera devenu passé, J'aurais été mieux avisé de vous parler de l'affaire de Downham Market, une petite bourgade agricole à une heure de voiture de Cambridge où je vais le dimanche à présent à la messe -- tridentine -- depuis que mon vieux père dominicain a subi une amputation. Le curé, Fr. Baker, a tenu bon, mais avec l'offensive généralisée du printemps et de l'été l'évêque a fini par s'intéresser à son cas. Seulement, en ce pays de liberté, il n'y a pas mis la brutalité coutumière aux diocèses du continent, et puis les journaux, et même la télévision, se sont aussi intéressés à lui et au problème que pose sa résistance, en conscience, comme il a dit : l'évêque aussi sur le petit écran a dit qu'il avait une conscience. Nous en sommes là. Mais le public aura peut-être compris, malgré l'orientation moderne du programme, que ce n'était pas seulement une question de latin contre vernaculaire, mais de *la* Messe contre une messe réformée, ambiguë, imposée un peu partout par les évêques à l'exclusion de l'autre sans consultation des laïcs. Un autre évêque interrogé a tiqué sur ce mot « réformée », qui, comme il disait, a des connotations indésirables, surtout en Angleterre. Un psychanalyste juif, a évoqué le besoin de stabilité et le retour au sein maternel. Pourquoi pas ? Le malheur est que c'est du sein même de l'Église que, cette fois, la Réforme s'est développée et imposée.
Cette fois, en somme, pour reprendre les termes de mou débat, c'est l'Histoire qui mascarade sous le visage de la Foi.
Jean-Bertrand Barrère.
70:198
### Amaenitates belgicae
par Marcel De Corte
SOUS CE TITRE, on s'en souvient, Baudelaire consacra aux Belges, par antiphrase, quelques-unes de ses plus acides épigrammes. S'il revenait aujourd'hui parmi nous, ce ne sont plus les bourgeois de mon pays insensibles à la poésie qu'il comblerait de son mépris, mais quelques-uns de ses prêtres dont les vésanies atteignent le comble de la bassesse, de la niaiserie, de l'impudence et du délire.
Voici quatre exemples choisis.
\*\*\*
Dans une chronique qu'il tient à Liège dans un journal socialiste d'un rouge écarlate et qui s'intitule « La Religion dans notre Siècle », un prêtre bien connu pour ses crampons gauchistes, vient de commettre à l'occasion du 15 août un article que Léon Bloy aurait qualifié de fécal. Il y a selon lui une « inflation » du culte marial « qui peut être mortelle ». « Marie croule sous le poids des Oscars », elle est « bien plus regardée et fêtée comme Miss Univers que comme modèle de la libération de la femme ». « On a voulu qu'elle soit le moyen privilégié pour aller à Dieu. A Jésus par Marie ! Comme si, sur le chemin de la foi, il n'y avait pas assez de chicanes pour trouver Dieu : l'Église, la révélation, les sacrements, la morale, les curés, la sainte Vierge. Quel parcours d'obstacles ! »
Je note immédiatement qu'un obstacle est, selon tous les dictionnaires, au sens propre, *ce qui s'oppose* *au passage* et, au sens figuré, *ce qui s'oppose à l'action, à l'obtention d'une résultat.* Pour ce prêtre intellectuellement et spirituellement défroqué, toutes les médiations et, en particulier, Marie, Médiatrice de toutes les grâces, sont des barrières qu'il faut abattre.
71:198
Entre l'homme et Dieu, il n'est donc rien que le *moi* de l'homme, « la conscience humaine tenue pour la plus haute divinité » qui croit trouver Dieu et ne rencontre qu'elle-même, comme l'écrivait Marx. Il n'est pas étonnant que notre « curé » écrive à son tour dans un journal marxiste dont la vitrine s'orne aujourd'hui d'un buste de Voltaire et de ses livres les plus venimeux : « Écrasons l'Infâme ! ». Les abbés Meslier ne se cachent plus. Ils s'exhibent. Ils se pavanent. Tenant leur conscience pour la plus haute divinité, ils l'offrent avec prodigalité à l'admiration éberluée des foules. *Cum permissu superiorum*.
Mais je continue. Quand on s'improvise vidangeur, il faut avoir le nez solide. Notre prestolet, gonflé comme la grenouille de la fable, va donc nous dévoiler « simplement le visage authentique de Marie ». Après nous avoir dit qu'il était « normal » que Marie n'ait rien écrit parce qu' « à cette époque la femme juive ne pensait pas encore à sa promotion » (sic), et ajouté, dans un style prudhommesque, que les apôtres n'en « parlent guère qu'à mi-voix et sur la pointe des pieds » (resic), on devine la présentation qu'il va faire de la Très Sainte Vierge dans un journal vermillonné. Elle est tout bonnement « une fille du peuple avec tout ce que cela peut avoir de péjoratif », « une petite bonne ». Et d'un ton désinvolte d'ajouter : « D'ailleurs les petites bonnes s'appellent toujours Marie... ». « Bref une pauvre gamine d'une famille sans honorabilité » dont « l'accouchement sera difficile » -- notre victimaire immole évidemment l'âne, le bœuf, les bergers, les Anges sur l'autel du laïcisme purpurin -- et dont le gamin fera « une petite fugue », avant de « faire sa vie comme on dit ». « Comme toutes les mamans du monde dont le fils est arrêté, elle vit dans l'angoisse. Comme bien des mamans d'aujourd'hui en Espagne, au Chili, en Argentine... ». Motus, naturellement, sur les mamans de Soviétie, de Chine, de Cuba, du Portugal...
Qui pourra me citer mieux comme perfection de « l'horizontalisme », platitude absolue, absence totale de surnaturel, ignoble transposition du langage évangélique, ouverture au monde abyssal de la bassesse ? Comment un prêtre peut-il s'imaginer un seul instant que sa prose pourra convertir à Dieu un seul de ses lecteurs socialistes incroyants ? Comment peut-il croire qu'un tel langage atteigne en l'un ou l'autre dont la foi n'est point morte les profondeurs de l'âme ? Mystère d'iniquité...
\*\*\*
Je transcris maintenant mot pour mot un journal satirique Belge : *Pan,* intitulé : « Trop poli pour être d'un honnête ».
72:198
Renseignements pris de divers côtés auprès de personnes sérieuses, on m'affirme que la lettre dont il va être question n'est pas un pastiche et que son authenticité ne peut être mise en doute.
Pour la comprendre, il convient d'abord de se remettre en mémoire les vers immortels que Tartuffe adresse à Elmire :
*Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,*
*Madame, et je sais l'art de lever les scrupules,*
*Le ciel défend, de vrai, certains contentements,*
*Mais on trouve avec lui des accommodements.*
*Selon divers besoins, il est une science*
*D'étendre les liens de notre conscience*
*Et de rectifier le mal de l'action*
*Avec la pureté de notre intention.*
*De ces secrets, madame, on saura vous instruire ;*
*Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire.*
*Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi ;*
*Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.*
« Ce type de lettre manquait dans les manuels de correspondance. En annonçant « aux parents, délégués de classes et professeurs du collège Notre-Dame de la Paix à Erpent que le Père -- oh combien ! -- Guy Polis, « chargé de l'animation spirituelle dans le cycle des Humanités », à sa demande quitte la Compagnie de Jésus et n'exerce plus actuellement son Ministère sacerdotal, le R.P. de Marneffe comble donc une lacune : « Ceux et celles qui le connaissent savent qu'il est un homme d'une loyauté extrême, continue le recteur du collège, comme religieux et prêtre, au service du Seigneur et de ceux qu'il rencontrait sur sa route... Un problème pourtant a surgi dans sa vie : il était lié d'amitié à une personne de son âge, sans que cette amitié remette en question sa fidélité aux engagements de sa vie religieuse ; la future naissance d'un enfant a cependant bouleversé toutes les données du problème et les a forcés tous deux à considérer l'avenir sous un angle nouveau, Guy Polis a estimé en toute loyauté devoir apporter son soutien à ceux envers lesquels il avait de nouvelles obligations, en gardant profondément ancré en lui l'espoir qu'un jour l'Église lui permettrait, ainsi qu'à beaucoup d'autres, d'exercer un Sacerdoce auquel il est profondément attaché. » Fin : de citation et de la proclamation des bans.
*Pan* pose alors avec perfidie cette question : « La lettre servira-t-elle de modèle à la supérieure des Chanoinesses de Saint-Augustin de Jupille-lez-Liège pour annoncer le départ d'une révérende future mène ? ». Une caricature accompagne le texte : chambre monacale, lit défait, déshabillés, avec la légende suivante qui vaut son Molière : « Si c'est un petit garçon, nous l'appellerons Ignace ».
73:198
Tartuffe avait l'avantage sur l'auteur, de cette lettre d'être conscient de l'être. Il ignore aujourd'hui qu'il est Tartuffe. Il se proclame d'une « loyauté extrême » envers le Seigneur et envers ses frères, il prononce des vœux solennels de chasteté conformes à la loi à laquelle il a librement adhéré ; « en toute loyauté », il les rompt ; il a le féal culot d'espérer que sa faute -- felix culpa ! -- lui méritera d'être réintégré dans le Sacerdoce qu'il trahit « tout en lui restant profondément attaché ». Son supérieur n'a aucun mot de blâme à son égard. Il le couvre. Plus exactement, il le découvre avec un manque de vergogne qui confond l'imagination. Alors qu'il y a des milliers de chômeurs et que l'agriculture manque de bras, il s'évertuera sans aucun doute à l'aider dans sa « loyauté » seconde et à lui chercher au titre de laïc quelque place bien rémunérée dans l'enseignement catholique. Tout cela par une « charité chrétienne » qui pardonne au pécheur son péché sans qu'il ait la moindre obligation de renoncer à son péché. Je le dis comme je le pense : si l'homme, selon l'admirable formule de Nietzsche, est le seul animal qui puisse faire des promesses, les prêtres qui les trahissent et les supérieurs qui blanchissent publiquement leur parjure sont aujourd'hui dégringolés en dessous de l'animal. Comme l'écrit Molière dans se préface au Tartuffe : « Suivant la louable coutume des faux dévots, ils ont couvert leurs intérêts de la cause de Dieu ». Il nous faut fustiger avec lui « ces faux monnayeurs de dévotion qui veulent attraper les hommes avec une charité sophistiquée et qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices ». On peut revenir à la vertu quand on la méconnaît, jamais quand on s'est joué d'elle.
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On a très peu parlé dans la presse belge, surtout catholique, de l'attribution au Chanoine Raymond Goor en 1974 du Prix Lénine de la Paix. A ma connaissance, l'*Osservatore Romano* de langue française n'en a pas soufflé mot. Chesterton disait volontiers qu'il n'y a plus de censure de la presse, mais une censure par la presse. Tartuffe est descendu jusqu'aux entrailles de l'humanité scribouillarde... Il n'empêche que l'annonce de cet événement qui aurait dû couvrir cinq colonnes de la première page des journaux est un « signe des temps », un vrai, non point de la prétendue action du Christ dans le monde contemporain, mais du. prodigieux avachissement de l'Église catholique actuelle.
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Qu'un prêtre catholique se rende en pèlerinage à Moscou pour recevoir des successeurs fidèles de celui qui persécuta les chrétiens avec une férocité non pareille les roubles dus à son souci, comme il l'avoue lui-même, « de s'engager dans l'*aggiornamento* de son Église », n'a rien d'étonnant. Nous en avons l'aveu : l'ouverture de l'Église au monde solennellement reconnue par Vatican II est l'ouverture de l'Église à la démocratie et à son chaos. Le nom savant dont se masque désormais Babel est le *pluralisme.* Notre chanoine nous le dit : l'*aggiornamento* de l'Église est le pluralisme, « un pluralisme vrai où des partenaires sans abdiquer le moins du monde et en restant pleinement eux-mêmes, participent à une tâche qui dépasse chacun d'eux et exige l'apport de tous pour être réalisée et où ils engagent ainsi un dialogue qui permet, non seulement de mieux se comprendre les uns les autres, mais qui, aussi, contraint chacun à se livrer à une critique serrée de ses propres convictions ». C'est du Rousseau tout craché : chacun reste soi-même, chacun reste libre et, cependant, s'il refuse d'être soi-même, s'il s'incline devant une vérité qui le transcende, il sera forcé dure libre et de s'incorporer à la volonté générale. Le pluralisme n'est qu'une étape qui mène droit au totalitarisme *politique.* Tout est alors en tout : le surnaturel se sécularise sous la « critique serrée » de l'athéisme et l'athéisme revêt un caractère sacré par respect envers la personne qui le professe et « qui reste pleinement elle-même ». Le christianisme et le marxisme n'en font plus qu'un au sein de ce que notre cardinal en mal de rougeole appelait naguère une « unité plurielle ». Décidément, la négation hégélienne du principe d'identité triomphe dans les esprits déboussolés !
La conséquence ne s'en fait pas attendre. Sans parler ici de l'effroyable saccage des vérités les plus élémentaires de la Foi auquel les hiérarques n'opposent que lamentations verbales ou clins d'yeux complices, c'est au nom d'un « pluralisme » fardé d'œcuménisme que des prêtres, disciples du chanoine Goor, poussent à fond le fer de lance communiste dans la plaie ouverte par Vatican II au flanc de l'Église. S'il n'en sort encore que du vent et de l'encre, l'eau et le sang ne se feront pas attendre. Un groupe de clercs du Hainaut et de Liège vient de publier un « appel aux chrétiens de Belgique », où ils dénoncent avec fureur l'attitude de l'archevêque de Braga « qui utilise -- selon *La Cité,* organe démocrate-chrétien à leur dévotion -- le prestige de l'Église auprès de la population portugaise pour faire échec à la révolution inaugurée en 1974 ». « Ce comportement d'un évêque, dit le texte, nous fait honte d'autant plus qu'il n'a rien fait pour que l'esprit du récent concile soit suivi d'effets positifs et concrets dans son pays... Nous appelons tous les catholiques à se joindre à notre protestation... Nous souhaitons que la révolution portugaise chemine dans la liberté et le pluralisme d'opinions, et nous refusons avec force que l'Église confonde la véritable liberté avec ses honteux privilèges d'autrefois... Le silence serait complice, etc. ».
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Ainsi donc ce ne sont pas les braves petits communistes portugais qui empêchent par la force la publication de la presse catholique et qui occupent les postes d'émission où le clergé prodiguait naguère son enseignement, ce sont les catholiques portugais qui, à l'instigation d'un évêque félon, hostile à *l'aggiornamento,* refusent aux communistes la place qui leur est due dans un système « pluraliste » où se déploie leur esprit pacifique et « démocratique ».
Pour en arriver à ce renversement total des faits les plus évidents, il faut être dingue. En transposant un mot de Chesterton, je dirais volontiers que le fou n'est pas celui qui ne voit plus les choses telles qu'elles sont, mais celui qui ne voit plus son *moi* tel qu'il est, coupé de toutes les artères qui le relient à la réalité nourricière. Il n'est même plus un égoïste, un égocentriste, au sens vulgaire, rapportant tout à soi, en le sachant ou en ne le sachant pas. Les prêtres enragés évoluent à l'intérieur de leur *moi* respectif*,* complètement enfermés en leur radicale immanence, destructeurs par là-même de toute réalité extérieure à eux-mêmes, et, par une immédiate compensation qui justifie à leurs yeux leur délire, construisant de toutes pièces en imagination un monde idéal qui devient le seul monde réel, le seul critère de leur jugement, la seule fin de leurs actes. Il faut bien l'avouer : la substitution de la *conscience* à la vertu de prudence dans l'éducation des clercs au ministère sacerdotal n'a pas peu contribué à faire d'eux des invertis mentaux, incapables de percevoir les réalités les plus obvies et qui, ne rencontrant plus l'obstacle et la résistance des faits devant eux, sont alors soulevés par une prodigieuse volonté de puissance.
C'est pourquoi ils sont « démocrates » et, au bout du chemin, lorgnent vers le communisme. Voilà des décennies, en effet, que je m'époumone à dire à tout venant que la démocratie, au sens de 1789 et d'aujourd'hui (qui n'a rien à voir avec la démocratie des Anciens, système aussi valable que l'aristocratie et que la monarchie, *selon* les temps, les lieux et selon telle ou telle mesure) est *une hérésie chrétienne, sortie des entrailles mêmes d'un christianisme laïcisé, transformée en épidémie sociale* et politique, rivale en tant que mystique et religion du surnaturel chrétien. La démonstration en est aisée : le Christ est venu sur terre sauver les âmes *individuelles.* Au plan du salut surnaturel, c'est par sa Médiation et par celle, de l'Église, que le rapport se noue entre la *personne* humaine et Dieu qui lui révèle l'intimité de son Être. Si les vertus *théologales* qui surélèvent l'âme individuelle vers Dieu viennent à se flétrir, le christianisme fermente, entre en décomposition et de sa corruption naît la démocratie individualiste qui, dote la nation -- entité abstraite à ce niveau -- de tous les pouvoirs jadis attribués à la divinité.
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Une telle démocratie ne peut être en son principe, en ses moyens et en ses fins, que *totalitaire* et trouve sa forme achevée dans le communisme. Hugo l'a dit en deux vers flamboyants :
*Nous portons dans nos cœurs le cadavre pourri*
*De la religion qui vivait chez nos pères.*
Les clercs, laïcs ou ecclésiastiques, qu'une solide armature d'une Église vouée à la surnaturalisation de l'existence humaine ne soutient plus, *et qui perdent leur vocation originelle, parce que leur époque les accule à une sainteté qu'ils refusent,* n'ont d'autre ressource que de se vouer corps et âme à la démocratie, caricature terrestre de l'Église, et, par elle, au communisme qui en est l'aboutissement logique et irréversible.
Le chanoine Goor, démocrate à la seconde puissance, démocrate chrétien, *devait* devenir démocrate à la troisième puissance et recevoir le prix Lénine. Ses émules *devaient* contribuer de toutes leurs forces à la victoire du communisme au Portugal. Ils devaient tous manifester publiquement *leur nouvelle foi*, sans la moindre réticence, sans la moindre pudeur. De bas en haut, et au plus haut, l'Église catholique se mue peu à peu en sa contrefaçon. Et suivant une loi implacable, la fausse monnaie chasse la bonne.
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Comme l'annonce un courageux périodique belge *Action des Parents,* trop peu connu en France et même en Belgique ([^4]), une brochure intitulée *Vers la Rénovation de l'Enseignement fondamental* vient d'être distribuée à quelque 30 000 instituteurs chrétiens. C'est un certain C. Mansuet qui par modestie dissimule son titre de Frère des Écoles chrétiennes qui la signe. Il est inspecteur de l'enseignement libre et, comme tel, son. influence est quasi sans bornes aujourd'hui que l'autorité religieuse abdique tous ses pouvoirs, sauf contre ceux qui protestent contre sa veulerie.
Pour comprendre l'action du « Frère » Célestin Mansuet, associée à celle d'autres Frères, mais trois points, qui fourmillent au Ministère de l'Éducation nationale en Belgique, il n'est que de se rapporter à la fusion du christianisme et de sa falsification démocratique, à laquelle nous assistons en ce moment.
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C'est tout naturellement que l'auteur de l'article qui dénonce les vésanies pédagogiques du sieur Mansuet (pur écho de tant d'autres !) nous parle de « l'anathème » lancé par celui-ci contre « l'école traditionnelle ». Au vrai, notre philistin a tout de l'illuminé, du fanatique et de l'hiérophante. Sa brochure n'est qu'une longue diatribe contre « les trois vices fondamentaux » de l'école traditionnelle : « antidémocratique, inefficace et nuisible », combinée avec une confiance massivement irrationnelle en une pédagogie révolutionnaire qui fascine ses victimes en leur promettant la lune, selon la recette bien connue. Suivez le nouveau Duce, le nouveau Führer, le nouveau Vojd, le nouveau Chef de l'Appareil pédagogique et tous les hommes seront également intelligents, puissants, supérieurs ! Demain, bien sûr ! Incontrôlable Demain qui magnétise aujourd'hui les hommes en lieu et place de l'Éternité ! A l'entendre, on se rappelle Trotski, l'inévitable Trotski écrivant en 1924 : « L'homme, dans la société de l'avenir rendue possible par la Révolution mondiale, sera beaucoup plus fort, beaucoup plus perspicace, beaucoup plus fin. Son corps sera plus harmonieux, ses mouvements plus rythmiques, sa voix plus musicale. La moyenne humaine s'élèvera au niveau d'Aristote, de Goethe, de Marx (sic). Et au-dessus de cette crête de montagnes s'élèveront de nouveaux sommets ». Au fou...Au fou ! a-t-on envie de crier. Mais la folie mène aujourd'hui le monde plus que jamais.
« L'enseignement rénové sera donc « démocratique ». Il faut en finir *une fois pour toutes* avec la relation hiérarchique de l'enseignant et de l'enseigné, avec le « magistrocentrisme », avec « les classements » par résultats et « les proclamations qui les accompagnent » et qui font, honte aux traînards, avec « la hantise des échecs et des retards ». « La nocivité de l'école traditionnelle ne se limite pas à la seule déformation intellectuelle, mais elle s'élargit à la personne tout entière, dont elle menace l'équilibre psychologique et moral, quand elle ne la détruit pas par ignorance ou volonté délibérée ». Est-il étonnant qu'après cette tabula rasa l'auteur avoue qu' « on ne sait plus exactement pourquoi on enseigne, *ce* qu'on doit enseigner, *comment* enseigner, *ce qu'il* faut pour bien enseigner » ? Tant mieux ! « Tout le système scolaire était remis en question : les objectifs, les méthodes, le programme et les agents », « une révolution copernicienne est aujourd'hui possible appelée à *révolutionner les structures profondes de notre école fondamentale *». Cette réforme, « c'est l'individuation ». A notre Hume new-look succède un Kant à la sauce marxiste, qui va sauver l'enfant et l'homme en *les* arrachant au péché originel de la Tradition.
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« Les rôles sont inversés... L'école n'est plus le lieu où le maître *veut* et les élèves *doivent*, il (sic) est désormais le lieu où les élèves veulent et où le maître doit ». « L'enfant est le premier responsable de sa culture, de son instruction, de son éducation *a.* « Le point de départ est l'*Enfant* tel qu'il est dans son originalité, dans sa totalité, dans son dynamisme », dans sa créativité.
Nous nous trouvons à nouveau en présence de « l'éminente dignité de la personne humaine », fruit véreux d'un christianisme dégradé, et dont l'exaltation verbale masque mal l'esclavage réel à quoi une telle « pédagogie » aboutit. Car « l'individuation pédagogique » n'est qu'un mot. L'enfant abandonné à ses seules ressources est le plus démuni de tous les êtres de la nature, le plus faible, le plus malléable aux influences du dehors. Puisqu'il n'y aura plus de « maître », on travaillera en « équipe » : les enfants s'enseigneront « les uns les autres ». De l'individualisme on passe, normalement si l'on peut dire, au collectivisme.
Comment l'enfant, ignorant par nature, enseignera-t-il d'autres ignorants par nature, on ne nous révèle pas le secret de cette nouvelle alchimie. Aussi le bout de l'oreille perce-t-il. Puisque l'enfant restera de la sorte toujours enfant -- on ne l'avoue pas, mais on l'espère, on y travaille --, *il sera indéfiniment malléable* et l'homme recevra de la naissance à la mort, par haut-parleur, par petit et par grand écran, une *éducation permanente,* une *information* continue qui le déformera pour toujours et le livrera, proie consentante, non pas même à l'État -- ce serait encore trop beau --, mais à la clique des politico-technocrates qui en détiennent les leviers de commande et dont les nouveaux pédagogues seront les conseillers attitrés. « L'homme », le robot humain sera « sauvé » définitivement et rentrera dans « le paradis terrestre » pour ne jamais plus en sortir. L'enfer, disait Simone Weil, c'est de se croire au Paradis par erreur, sous la férule du Prince de ce monde.
Karl Rogers, père du concept de non-directivité (à la mode dans l'Église actuelle : voyez les pentecôtistes chaleureusement accueillis par Paul VI) ne craint pas de le confesser cyniquement dans son livre *Le développement de la personne,* mangeoire de notre « frère » pédagogue : « Nous savons provoquer les conditions qui amèneront beaucoup d'individus à déclarer vraies des informations contraires au témoignage de leur sens... Par des méthodes de sélection, nous pouvons former un groupe qui céderait presque unanimement à ces pressions conformistes. Nous savons modifier dans une direction déterminée les opinions d'un individu sans que celui-ci se doute jamais des stimuli qui ont provoqué ce changement ».
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Et de citer le Dr Skipper : « Nous pouvons obtenir une sorte de contrôle par lequel les sujets qui sont contrôlés, quoique soumis à un code beaucoup plus impératif que cela ne fut jamais le cas sous l'ancien système autoritaire, néanmoins *se sentiront libres *». On rechute à nouveau ici dans la termitière planifiée de la société communiste, chère aux ecclésiastiques qui ont un *flair* infaillible pour découvrir les sources où s'abreuvera leur volonté de puissance.
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*Brevis conclusio quattuor articulorum *: il faut décidément que l'Église soit une Institution divine pour résister aux gens d'Église.
Marcel De Corte.
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### Jetons des cailloux sur la foire
par Paul Bouscaren
JE NE CHERCHE PAS un langage lapidaire, mais je crois qu'il me faut, pour ma part, lapider à mort la foire aux quiproquos de l'Église ouverte au monde qui est l'anti-monde moderne. Si une vierge trompe son fiancé avec un autre homme, « vous les lapiderez jusqu'à ce que la mort s'ensuive », prononce la Bible (Deutéronome, 22/24).
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Si les hommes se déplacent en marchant sur la terre au lieu de voler dans les airs avec les oiseaux, la raison n'en est pas qu'ils consentent pareil renoncement au bonheur de fouler ensemble le même sol ; c'est assez clair ; alors, pourquoi veut-on voir un sacrifice de notre liberté à une existence sociale où se trouve l'existence humaine par condition sine qua non, et sans laquelle aucune liberté pour les hommes n'est concevable ?
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L'Évangile, c'est la gloire de Jésus-Christ moyennant son obéissance à son Père jusqu'à la mort sur la croix ; tout de même l'Évangile est-il notre libération et notre joie, il n'y a pas d'erreur à en attendre le bonheur des hommes et à leur donner l'Évangile pour tel ; mais le mensonge énorme, aujourd'hui, du bonheur sans la croix, ce qui efface l'Évangile, et, pour effacer l'humain, d'un bonheur sans aucune obéissance.
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Si l'on veut la paix, ce qui s'appelle vouloir, c'est-à-dire prendre les moyens de sa fin, non seulement préparer la paix ne s'oppose pas à préparer la guerre, mais l'Évangile dit assez clair : si tu veux la paix avec Dieu, prépare ta guerre avec le monde.
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Après l'homicide, enseignait Thomas d'Aquin (Contra gentes, III, 122), le crime le plus grave est la contraception ; la pourriture moderne, sous nos yeux, passe de la loi sur la pilule à la loi des ventres libres de tuer qui les gêne.
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C'est l'idéologie de la liberté qui parle de son principe et l'oppose à un principe contraire ; il faut dire, en langage réel : *dans votre société* d'égale liberté pour tous, je vous la demande selon votre principe ; *dans la société véritable* délivrée de pareil principe, je vous refuserai comme aux autres le mensonge. de cette liberté. Dans la pagaille, sauve qui peut ; mais non pas dans l'ordre, -- et que dire, dans l'ordre du salut !
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Il y a un homme évangélique selon que l'homme sauvé en Jésus-Christ peut et doit être fils de Dieu. Il y a un philosophe évangélique si le philosophe est l'homme à son travail d'ouvrier de soi-même ; non point s'il s'agit seulement du penseur. Y a-t-il un citoyen évangélique ? Non, puisque le citoyen n'est pas identiquement l'homme, au contraire de l'aberration moderne, mais l'homme selon qu'il appartient ; à la société temporelle, qui est toujours telle société entre les sociétés des hommes. Et si tout homme a besoin de cette appartenance, le citoyen n'est pas tout l'homme.
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On veut un paradoxe de la guerre, pour la paix : pure jonglerie de mots, qui en dit long sur le pensoir moderne. Car on ne fait pas la guerre pour la paix, une et la même universellement et qui mettrait fin aux cent mille formes de la guerre entre les hommes ; chacun fait la guerre pour avoir *sa* paix, que l'autre ne veut pas lui laisser, qu'il faut donc lui imposer de la sorte, au risque de mourir ; c'est le bon sens, et c'est l'Évangile même, quant à la paix du Christ.
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L'homme a soif d'être heureux, le chrétien cherche son bonheur en Dieu ; n'est-il pas étrange d'avoir à faire observer là, inaperçue, une double différence ?
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Amen proteste de notre foi, très bien, mais notre foi est le don de Dieu ; *ainsi soit-il* convient à notre terrestre pauvreté : « Je crois, Seigneur, venez au secours de mon incrédulité. » (Marc, 9/23). « Les apôtres dirent au Seigneur : Augmentez notre foi. Le Seigneur répondit : Si vous aviez de le foi comme un grain de sénevé... » (Luc ; 17/5).
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Si le plaisir sexuel justifie n'importe quel usage de nous-même, il faut donc la propriété absolue que chacun a de lui-même sous le nom de liberté ; ici et non là se trouve le fléau : dans cette prétention contraire à Dieu et à César, à la création et à l'existence sociale, sans quoi pas d'hédonisme, -- ce rhume des foins, comme dit l'autre, au regard de notre peste liberté.
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Le droit au bonheur a le commun malheur des droits modernes, de n'être vraiment voulu par personne : voulu à ses conditions, voulu dans ses moyens. On veut pour son droit au bonheur le respect d'autrui garanti par l'État (le bon billet...) ; mais on veut de soi-même, ce qui s'appelle vouloir, son plaisir, voilà tout. Et pour cause, puisque l'on ne sait d'autre bonheur que de jouir chacun où il se plait, aussi loin qu'il se puisse d'en croire Barbey d'Aurevilly : « Le plaisir est le bonheur des fous. Le bonheur est le plaisir des sages. »
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« L'enfer, c'est soi-même » on lit cela tout à la fin du livre que le Professeur Pierre P. Grassé a intitulé : « Toi, ce petit dieu » ; et voilà d'un bel et bon humour ; mais le contexte suggère une formule plus exacte : « l'enfer, c'est soi-même à soi seul », cette incroyable stupidité de l'orgueil.
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M. Jean Fourastié croit venue de Dieu la Révélation ; mais comme il la veut compréhensible aux hommes, il la voit différente selon temps et lieux ; « et maintenant, il me semble qu'elle prend de plus en plus la forme de l'information scientifique » (*Figaro*, 27 novembre 1973). Ainsi, la science nous vient par Révélation de Dieu, selon ce membre de l'Institut ? La vérité devrait être assez manifeste, la Révélation vient de Dieu à notre pauvreté réelle en nous et reconnue par nous, alors que, par notre science, ton seulement nous nous enrichissons nous-mêmes, mais aujourd'hui, rien ne fait davantage le riche maudit, incapable d'entrer dans le Royaume.
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« Une France qui épouse tous les changements et une France qui trouve que ça va trop vite, beaucoup trop vite... » (*France-Inter* 13 h, 10 juin 1974). Non, jeune homme : que ça va mal, beaucoup trop mal !
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L'existence individuelle de chaque homme en tant qu'être substantiel, et en tant que vie animale, a pour condition sine qua non les relations qui constituent son milieu physique et biologique ; la vie personnelle de raison, qui est la vie proprement humaine, a pour condition sine qua non les relations constitutives du milieu social ; il est donc aussi illusoire pour les personnes dans la société que pour nos corps dans le cosmos de prétendre à prévaloir de foute la supériorité abstraite de la substance personnelle sur la relations sociale.
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83:198
L'État ne peut se définir que par la société, la société ne peut se définir que par l'homme ; ce n'est pas du tout que l'existence de l'homme soit concevable sans la société, ni la société concevable sans quelque pouvoir, sans quelque forme d'État.
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Oui ou non, les hommes peuvent-ils vivre libres sans consentir aucune contrainte sur leur vie, non seulement de la nécessité cosmique, mais aussi des exigences de l'état social ; qui est l'état humain ? Et c'est-à-dire, prétendre à leur liberté sans obéir à leur Créateur ?
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Plus on s'est rendu incapable de l'absolu moral intérieur à la conscience : ou l'obligation ou le péché, plus on prétend à la prise de conscience d'alternatives extérieures absolues entre le bien et le mal, -- par exemple, quant à la société juste ou injuste. Or ceci est un délire, et sans cela, plus rien d'humain.
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Apologiste de la foi chrétienne, Pascal doit faire état de tout ce qu'on peut y opposer avec le plus de force ; il ne s'agit donc pas de la raison pure, mais de la raison comme son jeu fait obstacle à la foi. Jeu abusif, la foi catholique étant éminemment raisonnable, Pascal veut faire voir à la raison que les hommes la font déraisonner ; il ne s'agit donc pas de la raison comme elle a bien travaillé, mais comme elle a pu dérailler. Voilà ce qu'il faut toujours avoir à l'esprit avec ce penseur chrétien, oui, mais sous quel angle de la pensée qui n'est ni celui de la foi, ni celui de la raison, -- et ne pas en rapprocher un peu vite, entre autres, Simone Weil.
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Aux noces de Cana, explique saint Athanase (Adv. arian. orat. IV, 3, 41), l'homme Jésus refuse un miracle parce que son heure n'est pas venue, c'est le Dieu qui accorde ce miracle à la prière de Marie. Obéir à Dieu le laisse libre, et libre notre prière.
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Je comprends qu'il ne soit jamais question de l'indispensable vérité dans l'erreur à propos du nazisme ou du fascisme, alors même que l'on prétend parler de Salazar ; oui, cela s'explique fort bien, puisque la vérité, en l'occurrence, est l'anti-libéralisme, et qu'il faut un libéral pour mettre Salazar dans le même sac qu'Hitler.
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Un esprit libéral parlera peut-être avec bon sens de la liberté, de ses conditions et de ses limites, personnelles ou même sociales ; mais à quoi bon, si, contre toute apparence, il veut capable d'en juger, et en droit d'en décider, tout comme on doit vivre libre, tout être humain égal à tout être humain, d'abord en cela ?
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84:198
On chante sur tous les tons que rien n'importe autant que l'homme dans aucune profession ; et l'on veut, en même temps, que l'école, au lieu de se tenir à former l'homme, prépare un métier.
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A-t-on jamais examiné si la pratique des mathématiques ne fausse pas inévitablement beaucoup d'esprits ?
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Changer ? Plaise à Dieu ! Même changer pour changer n'est pas notre pire mal ; mais nous changeons en roulant sur la pente des mêmes mensonges, qui n'arrêtent pas de faire boule de neige : plus ça change, et plus c'est la même chose, appelée démocratie, étouffant tout ce qu'il y a d'humain.
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Il n'est pas question pour Jean Anouilh, interrogé sur sa férocité à l'endroit des comédiens, (*France*-*Inter* 13 h., 12 septembre 1974), de revenir à l'excommunication du 17^e^ siècle ; mais c'est, dit-il, un fait à constater, leur état les dispose à tous les emportements de la passion. Ma foi, Bossuet voulait-il dire autre chose, -- conséquence chrétienne en plus, bien entendu ?
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Quels grands événements de l'histoire universelle jusqu'en 1900 ? Quels événements, depuis, d'une importance comparable pour l'ensemble de l'humanité ? Réponse donnée à ces deux questions, que penser de cette première phrase d'un article du *Figaro* (19 septembre) : « Au cours de ces soixante-quinze dernières années, le monde a autant évolué que pendant tout le reste de l'humanité » (sic) ?
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Pourquoi l'inégalité paraît-elle injuste, sinon parce qu'elle semble arbitraire ? Et comment semble-t-elle arbitraire, si ce n'est faute du sens social, que l'on ire voit jamais poser la question de la raison sociale et de la justice sociale d'une inégalité sociale sans quoi pas d'existence sociale, et pas d'existence humaine pour être juste ou injuste ?
\*\*\*
Qu'est-ce que l'injustice, la violence, la guerre, sinon l'homme ? Celui-ci peut-il être le drapeau à lever contre celles-là sans aucune distinction, et à la fois, sans incohérence ?
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Je ne vois aucun avantage pour les hommes à se laisser persuader que, non plus par la science du bien et du mal, mais par leur amour mutuel, ils vont être, enfin, comme des dieux. Quant à donner cela pour la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ, ce mensonge ne serait-il pas l'Antéchrist ?
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85:198
Quiproquo de la justice qui fait la Gauche, à la lumière de la Somme de théologie (I.II. 100, 8, vid. I et ad I) : pas de société des hommes sans leur volonté de justice, on n'en doit pas douter ; mais il faut, bien au contraire, se méfier beaucoup de ce qui se donne pour la justice, à commencer par l'égalité de principe.
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Quiproquo des Béatitudes, les considérant surtout selon l'aspect particulier de la vie que fait regarder chacune, il est vrai, mais sous une lumière toujours la même, et c'est la lumière de l'Évangile, la lumière du salut en Jésus-Christ : heureuse la vie qui obtient le salut ! Notre langage abstrait doit dire : n'importe la condition terrestre des humains, le bonheur se trouve à vivre en grâce avec Dieu.
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Si la vie consiste en l'assimilation à soi, qu'est-ce qu'un aggiornamento d'assimilation du christianisme à ce temps, sinon d'être dévoré par le temps ?
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Les hommes naissent sujets des mille besoins de leur vie naturelle, et, quant à la grâce de Dieu, sujets *sans droits ;* jugeons de là ce qu'il y a réellement d'évangélique dans la Déclaration de 1789 !
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Avoir le discernement des choses qui dépendent de nous d'avec les choses qui ne dépendent pas de nous. Ne pas nous inquiéter de nos besoins en ce monde à la manière des hommes qui ne croient pas en leur Père céleste. Est-ce la leçon des Stoïciens ou celle de l'Évangile qui manque le plus à l'Église de Paul VI, je ne sais, ni sans doute lui-même, mais force est bien de la voir, quant à ces deux leçons, la compagne ubuesque de la démocratie universelle.
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Peut-on être copte ? « ...un pays où, dans les églises coptes, les prêtres parfois affirment que naître et mourir pauvre est un don de Dieu... » A la une du (nouveau) *Figaro* (25 novembre).
Paul Bouscaren.
86:198
### Dom Guéranger docteur de la liturgie
*suite et fin*
par Dom Édouard Guillou
L'ŒCUMÉNISME ACTUEL nous rapproche des protestants ; il nous paraît d'autant plus utile de reproduire les pages, redevenues plus actuelles que damais, que Dom Guéranger consacre à l'hérésie anti-liturgique après avoir jugé les essais malheureux de réforme tentés par Rome au XVI^e^ siècle, et heureusement corrigés par saint Pie V ; après avoir surtout discerné dans les déviations protestantes la pure essence de l'anti-liturgie. Ces pages, extraites du premier volume des *Institutions Liturgiques,* ont été reproduites opportunément dans la *Pensée Catholique* n° 155 (1971) pp. 43 et suivantes ; plusieurs extraits en ont déjà été cités par Louis Salleron dans son article sur *Solesmes et la messe* (ITINÉRAIRES, numéro 196 de septembre-octobre 1975). Nous les compléterons par d'autres réflexions de Dom Guéranger pour achever de mettre en pleine lumière sa pensée.
« Le premier caractère de l'hérésie anti-liturgique est la haine de la Tradition dans les formules du culte divin. On ne saurait contester ce caractère spécial dans tous les hérétiques depuis Vigilance (mais bien plutôt Dormitance, écrivait saint Jérôme) jusqu'à Calvin, et la raison en est facile à expliquer. Tout sectaire voulant introduire une doctrine nouvelle se trouve infailliblement en présence de *la liturgie qui est la tradition à sa plus haute puissance,* et il ne saurait avoir de repos qu'il n'ait déchiré ces pages qui recèlent la foi des siècles passés. En effet, comment le luthéranisme, le calvinisme, l'anglicanisme se sont-ils maintenus dans les masses ? Il n'a fallu pour cela que la substitution de livres nouveaux et de formules nouvelles aux livres et. aux formules anciennes, et tout a été consommé. Rien ne gênait plus les nouveaux docteurs ; ils pouvaient prêcher tout à leur aise : la foi des peuples était désormais sans défense. »
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Ces paroles de Dom Guéranger ont une force extraordinaire. Habitués que nous sommes à la pensée de l'Église, sûrs qu'elle correspond à la réalité de la révélation divine, nous croyons que les paroles de la consécration agissent par leur propre force : vi propria. Mais dès qu'il y a liturgie, il y a expression extérieure de la foi, ou il n'y a pas de liturgie. Il faut donc de toute nécessité, liturgiquement parlant, que les paroles scripturaires qui peuvent hélas être prises dans un sens qui n'est pas le leur, soient entourées d'un écrin protecteur, d'un développement, d'une présentation exacte, et c'est là que l'Église s'exprime, c'est là que se trouve la tradition. Au troisième tome des *Institutions*, Dom Guéranger s'emploie à montrer que cet environnement, divers selon les régions, était trop important pour être confié à la dévotion de chaque célébrant, et que la tendance devait être d'en venir sur un point de telle importance à des formules communes et intouchables. Il cite, p. 39, saint Basile : dans « les paroles d'invocation qui se prononcent quand on offre le pain de l'Eucharistie et le calice de bénédiction, nous ne nous contentons pas de ce que rapporte l'Apôtre ou l'Évangile, mais nous récitons, avant et après, d'autres paroles comme ayant beaucoup d'importance pour le mystère : *tanquam multum habentia momenti ad mysterium *». « Ce passage, dit Dom Guéranger (p. 40-41), est admirable pour prouver l'existence d'une tradition divine et apostolique qui complète l'enseignement des Écritures sur le sacrifice et les sacrements. » (Les « sacrements » parce que Saint Basile parle aussi des immersions baptismales, du renoncement à Satan, et dit très justement : « en quel endroit de l'Écriture trouve-t-on qu'il faut faire cela ? ») On voit l'importance capitale de l'expression de la foi exacte et claire de l'Église par la tradition liturgique, et qu'en s'en prenant à cette tradition, l'hérésie, qui se manifeste en même temps comme antiliturgiste, s'attaque aux fondements même de la foi. Elle écarte ce qui peut gêner la diffusion de l'erreur.
Rien d'étonnant à ce que Dom Guéranger situe à la racine de l'hérésie anti-liturgique, comme la sève même qui la nourrit, comme la plus grave déviation à éviter à tout prix, l'esprit de changement, le décri ou l'insuffisante appréciation de la tradition. Quand, au synode d'octobre 1967, Mgr Dwyer, membre du Consilium, croyait pouvoir dire : « La réforme liturgique est, dans un sens très profond, la clef de l'aggiornamento. Ne vous y trompez pas c'est là que commence la révolution... » parce que « c'est la liturgie qui forme... la mentalité des hommes », il avait raison, mais d'une façon terriblement inquiétante.
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Nous aurons l'occasion d'y revenir. Contentons-nous pour l'instant de bien graver dans nos esprits, qu'à l'inverse de l'esprit de changement et de révolution, « l'antiquité, l'immutabilité des formules de l'autel est la première de leurs qualités ». (*I.L.,* t. II, p. 405) et encore cet axiome admirable (*ibid.,* 3) *:* «* La liturgie est la tradition même à son plus haut degré de puissance et de solennité. *» Le jour où on l'oublie, la porte est ouverte à toutes les erreurs, sur tous *les* plans, doctrinal, moral, et par le fait même, disciplinaire, car la discipline et le droit canon, hors de la vérité traditionnelle qu'ils ont à maintenir, peuvent devenir les instruments de graves et détestables innovations, en même temps que d'injustifiables oppressions.
Le grand bienfait que nous devons à saint Pie V, c'est, dans l'esprit même de l'Église, d'avoir compris l'importance de la fixité et de l'unité. L'anti-traditionalisme protestant l'y contraignait, mais aussi ce fait noté par Dom Guéranger :
« Ce fut après des jours de confusion liturgique, occasionnée par la facilité avec laquelle *les* nouveaux livres pour le service divin se multipliaient, que saint Pie V, par la publication du bréviaire et du missel, Grégoire XIII par l'édition du martyrologe, Clément VIII par celle du pontifical et du cérémonial, Paul V par inauguration du rituel, rétablirent avec un nouvel éclat les sacrés rites, en leur assurant la *stabilité* par *l'uniformité.* Ces rands pontifies remédièrent ainsi (comme dit la constitution *Quod a nobis*) à la perturbation du culte divin qu'on avait à déplorer dans un si grand nombre de lieux, et firent cesser dans le clergé l'ignorance des cérémonies et du rite ecclésiastique qui était cause que d'innombrables ministres des églises s'acquittaient *de leurs fonctions avec indécence et au grand scandale des pieux fidèles. *» (*I.L.,* III p. 9).
Les experts qui font de nos jours tant état de l'avancement des sciences liturgiques, feraient bien de relire ces lignes du savant Bishop (pp. 62-63, *Le génie de la liturgie,* édit. D. Wilmart, l'Art Catholique) :
« *Par bonheur* la nouvelle rédaction des livres romains, effectuée selon le vœu du concile de Trente, avait pour base l'usage existant, sans égards aux délicates recherches archéologiques qui eussent établi si cet usage était l'effet d'influences étrangères et dans quelles proportions il représentait l'authentique tradition romaine. Le procédé était bien d'accord avec le caractère romain. Il est vrai que plusieurs anciens manuscrits de la bibliothèque vaticane furent examinés en vue de la fixation de la lettre du missel publié par saint Pie V ;
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mais, *par bonheur, encore une fois,* ces manuscrits n'étaient pas antérieurs au XI^e^ ou au XII^e^ siècle, et résultaient du fusionnement du missel grégorien, c'est-à-dire du vrai missel romain, avec le recueil compilé en France sur l'ordre de Charlemagne à la fin du VIII^e^ siècle... Par l'action de saint Pie V, et de ses successeurs... un terme fut mis aux entreprises auxquelles avaient été communément sujets les livres liturgiques dans tous les pays d'Europe au cours du Moyen-Age. »
« L'incertitude des livres liturgiques, leur mobilité, leurs variations, les (avaient) privés de cette solidité, de cette gravité, de cette doctrine, et partant, de cette considération que doit réunir un texte qui est appelé à servir de base à une science qui doit nourrir la foi « d'une manne toute céleste » et développer « l'intelligence ». Que pouvait-on aller chercher dans des livres dont rien ne garantissait la *permanence ? *» (*Ibid.* p. 11) Il faut pouvoir s'appuyer sur des textes séculaires et autorisés (*Ibid.* p. 12) non sujets aux caprices de la mode ». (*Ibid.*)
Il faut se souvenir que lorsque l'eau est trouble, cela facilite la pêche des hérétiques. Il faut penser que le démon qui hait la liturgie à cause même de son importance capitale trouve facilement son compte aux innovations et aux multiples diversités. La grande œuvre de saint Pie V, qui a provoqué un surcroît de ferveur, une véritable rénovation, on a vu que dès la fin du XVII^e^ siècle l'esprit d'orgueil et de nouveauté s'est employé à la détruire. Dom Guéranger parle même, à cette occasion d'une véritable « conjuration » (*I.L.,* t. II p. 645). La restauration guérangérienne, complétée par saint Pie X, a été si remarquable, qu'un Jean XXIII, avant le concile, s'en émerveillait. Même des incroyants, des protestants étaient séduits. C'était vraiment trop beau, riche de tant de possibilités et d'avenir pour la gloire de l'unité et de la tradition catholiques qu'il eût été nécessaire d'en avoir une plus claire conscience : « La liturgie est une chose trop excellente dans l'Église pour ne s'être pas trouvée en butte aux attaques de l'hérésie. » (*I.L.,* t. I p. 405). Mais les peuples sont ainsi ; l'ordre rétabli, ils perdent de vue qu'il faut aller vers un approfondissement plutôt que vers le changement. Ils se laissent persuader qu'il y a mieux à faire, sans se rendre compte qu' « il est *essentiel* d'examiner les intentions et les doctrines de ceux qui proposent des changements dans la liturgie et se tenir en garde contre eux, fussent-ils couverts de peaux de brebis et n'eussent-ils ans la bouche que les beaux mots de perfectionnement et le retour à l'antiquité » (*I.L.,* t. II p. 738). Dom Guéranger n'a pas craint de dire à l'archevêque de Reims que l'inviolabilité de la liturgie importe non seulement au dépôt de la foi mais aussi « au maintien de la hiérarchie catholique. »
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Certes la stabilité de la tradition n'est pas à confondre avec l'immobilité totale. La tradition est vivante. Elle ne retourne pas à l'enfance : ce serait du gâtisme et de la régression. « Si l'Église aujourd'hui jugeait à propos de renouveler en entier le corps de la liturgie, *ce qu'elle n'a jamais fait, ayant toujours eu soin de procéder par voie d'addition ou de simple correction,* on peut être assuré à l'avance que les nouveaux livres seraient rédigés dans *l'esprit des anciens. *» (*I.L.,* t. III préf. p. XXX). Elle tiendrait comte de l'acquit traditionnel. « La liturgie, comme la foi chrétienne, appartient à tous les siècles. Tous l'ont professée, tous l'ont ornée de quelque fleur. » (*I.L.,* t. I p. 361) « *Les changements très rares permis par l'indulgence des pontifes romains ont eu peu d'utilité et une courte durée *»*,* constatait Pie VI (*Quod aliquantulum,* mars 1791). Une réforme valable n'est ou ne devrait être concevable que comme un pas « vers la conquête *d'un plus grand éclat de vérité* et d'une plus grande force et douceur d'amour ; car le sentier de l'Église est semblable à *la lumière qui va toujours croissant,* jusqu'à ce qu'elle enfante le jour parfait » (*I.L.,* t. II p. 744). Le Saint-Esprit qui l'assiste depuis le commencement ne peut se contredire ; il n'est pas imaginable que sa lumière finisse par s'accommoder de confusion ni d'ambiguïtés. « A mesure qu'approchera la période finale, disait le cardinal Pie dans son panégyrique de Dom Guéranger, il s'élèvera de faux christs et de faux docteurs, et le pseudo-christianisme sera l'auxiliaire le plus désolant, le préparateur et le pourvoyeur le plus funeste du règne de l'antéchrist... Dom Guéranger savait de quel côté doivent venir et de quel cachet seront marqués les principaux périls des derniers temps. »
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« *Second principe* de la secte anti-liturgiste... : remplacer les formules de style ecclésiastique par les lectures de l'Écriture Sainte... On sait depuis bien des siècles que la référence donnée, par tous les hérétiques, aux Écritures Saintes sur les *définitions* ecclésiastiques (une définition est, de soi, une précision cernant la vérité), n'a pas d'autre raison que la facilité qu'ils ont de faire dire à la parole de Dieu tout ce qu'ils veulent, en la laissant paraître ou en l'arrêtant à propos. » (Sur ce point, il y a lieu de relire le fameux « Fonds obligatoire » du catéchisme moderne.) « Nous verrons ailleurs ce qu'ont fait en ce genre les jansénistes, obligés d'après leur système, à garder, le lien extérieur avec l'Église ; quant aux protestants, ils ont réduit la liturgie tout entière à la lecture de l'Écriture, accompagnée de discours dans lesquels on l'interprète par la raison. »
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C'est le libre arbitre, alors que la liturgie romaine a au contraire le secret de bien comprendre la parole de Dieu. Le résultat, on le connaît ; c'est des pays protestants, attachés à la Bible seule, que sont sortis les rationalismes qui ont évacué l'Écriture, qui l'ont réduite à une parole humaine, soumise aux mêmes règles d'interprétation. Le concile de Trente avait bien prévu ce danger.
... « Dans tous les temps et sous toutes les formes, il en sera de même : point de formules ecclésiastiques ; l'Écriture seule, mais interprétée, mais choisie, mais présentée par celui ou ceux qui trouvent profit à l'innovation. Le piège est dangereux pour les simples, et ce n'est que longtemps après que l'on s'aperçoit que l'on a été trompé et que la parole de Dieu, ce glaive à deux tranchants, comme parle l'Apôtre, a fait de grandes blessures, parce qu'elle était maniée par des fils de perdition. »
A propos du bréviaire de Quignonnez qui eut cours quarante ans dans l'Église et qui se flattait d'avoir multiplié les textes et lectures d'Écriture sainte pour faire mieux connaître la parole divine, Dom Guéranger ne craint pas de rappeler cette chose bien simple que « lire n'est pas prier » (*I.L.,* t. 1 p. 394). Le bréviaire n'est pas fait d'abord pour l'instruction du prêtre, pas plus que son oraison ne doit se changer en préparation de ses homélies. En fait d'instruction et d'exactitude de la pensée, il y aurait intérêt à savoir que l'on ne définit pas avec ce qui a besoin d'être défini et précisé.
Chose qui s'impose aux hérétiques, d'ailleurs puisque *la troisième caractéristique* de l'anti-liturgie est ainsi exprimée par Dom Guéranger : « Voyant que l'Écriture ne se plie pas toujours, comme ils le voudraient, à toutes leurs volontés », ils en viennent à « fabriquer et introduire des formules diverses ».
Ce qui les amène à une « habituelle *contradiction* avec leurs propres principes ». *Quatrième point....* « Ainsi tous les sectaires sans exception commencent par revendiquer les droits de l'antiquité ; ils veulent dégager le christianisme de tout ce que l'erreur et les passions des hommes y ont mêlé de faux et d'indigne de Dieu ; ils ne veulent rien que du primitif, et *prétendent reprendre au berceau l'institution chrétienne.* A cet effet, ils élaguent, ils effacent, ils retranchent ; tout tombe sous leurs coups et lorsqu'on s'attend à voir reparaître dans sa première pureté le culte divin, il se trouve qu'on est encombré de formules nouvelles qui ne datent que de la veille, qui sont incontestablement humaines... Leur affectation à prêcher l'antiquité n'a abouti qu'à les mettre en mesure de battre en brèche tout le passé... Ils étendent leur réprobation aux lectures et aux prières mêmes que l'Église a empruntées à l'Écriture... »
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Par voie de conséquence, *cinquièmement,* « les protestants » qui se sont « séparés de l'unité afin de *croire* moins », « ont taxé de superstition, d'idolâtrie, tout ce qui ne leur semblait pas *rationnel,* restreignant ainsi les expressions de la foi, obstruant par le doute et même la négation, toutes les voies qui ouvrent sur le monde surnaturel (ou celui des mystères). Ainsi plus de sacrements, hors le baptême..., plus de sacramentaux, de bénédictions, d'images, de reliques des saints, de processions, de pèlerinages, etc. Il n'y a plus d'*autel* mais simplement une *table*, plus de *sacrifice,* comme dans toute religion, mais simplement *une cène ;* plus d'*églises*, mais simplement un temple comme chez les Grecs et les Romains -- \[on sait que le Père Antoine va beaucoup plus loin, de nos jours, et que n'importe quel lieu est bon qui réunit entre eux les chrétiens, le Seigneur étant alors Parmi eux, « nouvelle présence réelle »\] -- plus d'architecture religieuse, puisqu'il n'y a plus de mystère ; plus de peinture et de sculpture chrétienne, puisqu'il n'y a plus de religion sensible ; enfin plus de poésie dans un culte qui n'est fécondé ni par l'amour ni par la foi ». A quoi bon élever et décorer des églises si elles ne sont pas, par la présence réelle, la « maison de Dieu » ? -- terme que l'on n'aime plus employer de nos jours, bien qu'il soit éminemment liturgique. -- Et pourquoi avoir des églises pour se réunir seulement, si ne s'y opère pas, comme nulle part ailleurs, le mystère de la messe où c'est le Christ lui-même qui renouvelle son sacrifice ?
Dom Guéranger, expliquant à ses novices les prières et les cérémonies de la messe, leur inculquait fortement qu'elle est « d'abord un sacrifice qui rend gloire à Dieu ». Il développait : « Si le sacrifice de la messe s'éteignait, nous ne tarderions pas à tomber dans l'état dépravé où se trouvaient les peuples souillés par le paganisme, et telle sera l'œuvre de l'Antéchrist : il prendra tous les moyens d'empêcher la célébration de la sainte messe afin que ce grand contre-poids soit abattu et que Dieu mette fin alors à toutes choses, n'ayant plus de raison de les faire subsister. Nous pouvons facilement le comprendre, car depuis le protestantisme, nous voyons beaucoup moins de force au sein des sociétés. Des guerres civiles se sont élevées, portant avec elles la désolation, et cela *uniquement parce que l'intensité du sacrifice de la messe est diminuée.* C'est le commencement de ce qui arrivera lorsque le diable et ses suppôts seront déchaînés par toute la terre, y mettant le trouble et la désolation, ainsi que Daniel nous en avertit... »
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Aussi Dom Guéranger considérait-il d'un mauvais œil le concélébrationnisme prôné par le concile, condamné, de Pistoïe aux premières heures de la Révolution. Et nous assistons, le cœur serré, à la raréfaction des messes dont il est de nos jours la cause, ainsi qu'à ces messes-partages, à ces messes-fêtes où il n'est plus question que de simplement « faire-mémoire ». Dieu veuille que des déluges de sang innocent ne nous ramènent pas au réalisme du sacrifice...
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*Sixièmement*. -- « La suppression des choses mystérieuses dans la liturgie protestante devait produire l'extinction totale de cet esprit de prière qu'on appelle onction dans le catholicisme... La froideur superbe du pharisien, telle est la liturgie protestante. » Rien qui attire le peuple pour le rapprocher de Dieu. D'où le caractère désincarné de cette liturgie, qu'aborde ensuite Dom Guéranger. Notons que cette désincarnation est d'ailleurs la négation même de la liturgie.
7^e^ « Traitant noblement avec Dieu, la liturgie protestante n'a point besoin d'intermédiaires créés. Elle croirait manquer au respect dû à l'Être Souverain en invoquant l'intercession de la sainte Vierge, la protection des Saints. *Elle exclut toute cette idolâtrie papiste* qui demande à la créature ce qu'on ne doit demander u, à Dieu ; elle débarrasse le calendrier de tous ces noms d'hommes « que l'Église romaine inscrit si témérairement à côté du nom de Dieu... »
8^e^ « La réforme liturgique ayant pour une de ses fins principales l'abolition des actes et des formules mystiques -- \[on dit maintenant : magiques\] --, il s'ensuit nécessairement que ses auteurs devaient revendiquer *l'usage de la langue vulgaire dans le culte divin. Aussi est-ce là un des points les plus importants aux yeux des sectaires*. Le culte n'est pas une chose secrète, disent-ils ; il faut que le peuple entende ce qu'il chante. La haine de la langue latine est innée au cœur de tous les ennemis de Rome ; ils voient en elle le lien des catholiques de l'univers, l'arsenal de l'orthodoxie contre toutes les subtilités de l'esprit de secte, l'arme la plus puissante de la papauté. » Il se trouve qu'un pape, Jean VIII, concéda à saint Méthode la langue vulgaire. Mais ce fut, remarque-t-il, après le lui avoir refusé, et en employant « les mêmes textes de l'Écriture... dans des sens contraires » (*I.L.,* t. III p. 108). Alors, dans le grand respect de la papauté qui le caractérise, Dom Guéranger « se met à couvert derrière la grande autorité de Baronius » pour nous rappeler que Jean VIII était sujet à ces « variations », « qui ont motivé sur son caractère les jugements sévères de la postérité » (*Ibid*., p. 106).
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C'est Baronius qui jugeant par ailleurs « l'inconcevable conduite de ce pape à l'égard de Photius » le qualifiait de pape-femme : *Joannem octavum fuisse papam feminam* (note de la page 107)...Quoi qu'il en soit, les résultats sont là, se manifestant à la longue : « Cette désastreuse indulgence » fit que l'Église slavonne des saints Cyrille et Méthode ne fut pas garantie, comme la Pologne restée latine, contre le schisme slave. D'autre part il en est arrivé du slavon comme des autres langues usitées en liturgie après quelques siècles, le service divin cessa d'être célébré dans la langue du peuple, « *parce que la liturgie avait communiqué son immutabilité* à la langue qui d'abord lui avait servi d'interprète... (Ainsi) l'accession à une nouvelle langue liturgique n'occasionne point une dérogation *permanente* au principe, qui exclut du sanctuaire la langue vulgaire » (*Ibid.,* p. 112). « L'immobilité du langage de la prière publique » est un fait général attesté par l'histoire de l'antiquité elle-même, et l'évidente « expression d'une loi de la nature » pour s'accorder « au génie de la religion » (*ibid.,* t. III p. 100). « Au contact des mystères de l'autel, « les langues » deviennent immobiles et impérissables. Les peuples se mêlent, se renouvellent, voient changer leur état politique, émigrent sous d'autres cieux ; la langue liturgique survit à tout et n'accepte point ces révolutions. Consacrée aux secrets de l'éternité, elle n'est plus du temps ; les peuples la vénèrent comme le lien qui les rattache au ciel, comme le voile sacré qui couvre l'objet de leur adoration. Elle est le lien du passé avec le présent, le signe de fraternité qui triomphe de toutes les distances et réunit les peuples les plus dissemblables. » (*Ibid.,* p. 99-100) « Les églises qui pratiquent la même liturgie ont toujours vécu dans une fraternité plus étroite. (*Ibid.* p. 74) « Le latin fut, par les livres liturgiques de Rome, l'instrument de l'unité européenne, unité qui, fut brisée le jour où les sectaires du XVI^e^ siècle crièrent qu'il fallait célébrer l'office divin dans la langue du peuple. » (*Ibid.,* p. 104)
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Revenons à la description de l'hérésie anti-liturgique par Dom Guéranger au livre 1^er^ des *Institutions :* « L'esprit de révolte qui les pousse (les protestants) à confier à l'idiome de chaque peuple, de chaque province, de chaque siècle, la prière universelle, a, du reste, produit ses fruits, et les réformés sont. à même tous les jours de s'apercevoir que les peuples catholiques, en dépit de leurs prières latines, goûtent mieux et accomplissent avec plus de zèle les devoirs du culte que les peuples protestants. »...
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Nous constatons aussi de nos jours, en dépit de la vernacularisation introduite sous prétexte de compréhension, nous constatons comme le directeur de la *Vie Catholique*, Georges Hourdin, au congrès de l'Union catholique internationale de la presse (14-18 juillet 1971) : « La pratique dominicale ne cesse de diminuer. » Le poète Patrice de la Tour du Pin, employé au service des traductions du C.N.P.L., avouait a l'hebdomadaire protestant *Réforme,* du 20 mars 1965, qu' « il est difficile d'exprimer le mystère sous une autre forme (que le latin), d'autant plus que c'est le latin qui a nourri l'Église et qu'il s'est chargé d'une piété séculaire ; il garde une sorte d'ambivalence : celle du mystère latin et du mystère chrétien ». Le Numen, selon l'expression de Jean Guitton, (*La Croix* 10-2-65), a été sacrifié de nos jours au Lumen. Or seulement le latin « préserve le caractère *numineux* du culte divin ». C'est tout à fait l'écho de la pensée de Dom Guéranger, largement exposée dans le tome III des *Institutions*. Les pages merveilleuses qu'a écrites le « liturgiste inégalé » n'ont rien à voir avec je ne sais quel romantisme, bien qu'il y cite Chateaubriand, mais aussi Joseph de Maistre. Rien n'a été écrit de plus fort et de plus concluant. Ce n'est pas d'abord comme signe d'unité, ni même comme instrument d'orthodoxie qu'il célèbre le latin. A fortiori ne veut-il pas consentir à simplement défendre, sur ce point, le concile de Trente, comme s'il s'agissait d'une simple affaire d'obéissance et de discipline. Il reproche même à certains liturgistes de s'être placés à ce point de vue. Lui, il va au fond des choses :
Plusieurs écrivains des XVII^e^ et XVIII^e^ siècles... ont semblé ne regarder l'interdiction des langues vulgaires dans la liturgie que comme un usage ecclésiastique auquel on doit se soumettre, mais non comme une loi fondée sur l'esprit même de l'Église catholique. » (*I.L.,* III p. 54)
Or cette interdiction n'a pas à être justifiée mais enseignée « haut et ferme » comme le fit entre autres le cardinal Bellarmin. Comme le fit aussi « le grand cardinal Bona » qui « soutint toujours en principe la pratique de l'Église comme un point de doctrine qui doit être enseigné par affirmation et non simplement défendu ». (*Ibid.,* p. 55) Dom Guéranger estime le latin, langue sacrée, comme de la nature même de la liturgie, chose sacrée, séparant par le fait même de toute autre action ou parole profane. Il en est de même du chant grégorien, chant propre de l'Église, qui reste de nos jours le seul rempart -- oh ! combien tourné en pratique, le seul véhicule de la langue qui lui est associée. Oui, c'est dans la langue du peuple que l'Église a toujours instruit les peuples, cela est naturel.
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Eh bien, il ne l'est pas moins qu'elle célèbre les mystères dans une langue appropriée, connaturelle aux mystères, parce que là, la liturgie se propose non d'instruire à proprement parler, et directement, mais de « mettre *en communication avec Dieu par l'amour.* Quand (l'Église) a fait naître dans le peule le désir du bien infini, en présence duquel il n'y a plus ni savant ni ignorant, elle remonte comme Moïse sur la Montagne, et sa voix cesse de se faire entendre *aux oreilles* pour ne plus retentir que dans les *cœurs.* Telle est la Religion dans l'Église catholique ; en rapport avec les besoins de l'humanité et avec l'infini, toujours grande et simple, mais trop simple pour être comprise par les esprits qui croient pouvoir raisonner le sentiment » (*Ibid.,* p. 84)
Il faut faire « différence essentielle... entre l'Autel et la Chaire » (*Ibid.,* p. 77). Il est « *dans la nature *» de la langue de l'autel qu'elle soit « mystérieuse... C'est un sentiment qui a fait le tour du monde, parce qu'il est fondé sur la *nature,* que celui qui porte à voiler les choses saintes sous l'ombre de paroles mystérieuses » (*Ibid.,* p. 76). ...Une ombre lumineuse comme celle du Saint-Esprit. « Les croisés de Godefroy de Bouillon, les paysans vendéens qui se levèrent seuls pour la liberté de leur foi, les défenseurs de Saragosse en 1803 n'ouïrent jamais le service divin dans leur langue maternelle ; leur amour pour les mystères, auxquels ils sacrifièrent tout..., en fût-il moins pur et moins ardent ? Veut-on connaître la source de cet amour plus fort que la mort ? Nous le dévoilerons en jetant le défi au rationalisme. C'est que la Vertu de Dieu descend, par l'intermédiaire des paroles saintes, dans les cœurs qu'elle trouve ouverts. L'oreille ne perçoit pas, mais l'âme entend... Dieu a placé dans les mots sacrés une puissance. » (*Ibid.,* pp. *78-*79) Quel dégât a produit de nos jours l'oubli qu'une « matière qui semblait au premier coup d'œil n'intéresser que la discipline » (*Ibid.* p*.* 159) *touchait en réalité de la nature même des mystères sacrés.*
« Avouons-le, écrit Dom Guéranger en terminant ce huitième point de l'hérésie anti-liturgique, c'est un coup de maître du protestantisme d'avoir déclaré la guerre à la langue sainte ; s'il pouvait réussir à la détruire, *son triomphe serait bien avancé.* Offerte aux regards profanes, comme une vierge déshonorée, la liturgie, dès ce moment, a perdu son caractère sacré, et le peuple trouvera bientôt que ce n'est pas trop la peine de se déranger de ses travaux et de ses plaisirs pour aller entendre parler comme on parle sur la place publique. » Offerte aux. regards, comme une vierge déshonorée, on s'est préoccupé (Pâques 1974) de lui offrir un chiche « minimum » intitulé « Jubilate Deo ». Mais on semble mettre sa joie à la faire s'en passer...
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« *Neuvième point.* En ôtant à la liturgie le mystère qui abaisse la raison, le protestantisme n'avait garde d'oublier la conséquence pratique, à savoir l'affranchissement de la fatigue et de la gêne qu'imposent au corps les pratiques de la liturgie papiste. D'abord plus de jeune, plus d'abstinence ; plus de génuflexions dans la prière ; pour le ministre du temple, plus d'offices journaliers à accomplir, plus même de prières canoniales à réciter au nom de l'Église. Telle est une des formes principales de la grande émancipation : diminuer la somme des prières publiques et particulières. » Dom Guéranger note par ailleurs que, si occupé qu'il fût, saint François-Xavier, le grand missionnaire, n'accepta pas de réciter le bréviaire de Quignonnez, approuvé par le pape, et, à la fin de ce chapitre consacré aux essais malheureux, heureusement provisoires, des papes du XVI^e^ siècle, il ne craint pas de conclure : « Ce n'est point réformer la liturgie que de l'abréger : sa longueur n'est point un défaut aux yeux de ceux qui doivent vivre de la prière. » (*I.L.,* I p. 394) Il exprime même une autre pensée qui fera se récrier les modernes abréviateurs, si soucieux de facilité : « Ce n'est pas un mal que les règles du service divin soient nombreuses et compliquées, afin que le clerc apprenne avec quelle diligence il faut accomplir l'œuvre du Seigneur. Toute satire sur les rubriques annonce un homme prévenu ou superficiel... » (*Ibid.*) Il nous faut, je crois, souligner cette épithète inattendue et au fond si juste : *superficiel.* La liturgie, par son caractère sacré même, ne rompt pas seulement avec le profane mais avec la facilité et le refus de l'effort.
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« *Dixième point.* Comme il fallait au protestantisme une règle pour discerner parmi les institutions papistes celles qui pouvaient être les plus hostiles à son principe, il lui a fallu fouiller dans les fondements de l'édifice catholique et trouver la pierre fondamentale qui porte tout »... c'est-à-dire, Mgr Bugnini, la « pierre d'achoppement »... qui n'est point faite pour faire achopper les catholiques fidèles à la tradition. Ce qu'elle est en passe, par un « coup magistral de Satan », de devenir si l'on s'en sert, comme l'a dit Mgr Marcel Lefebvre, pour « jeter dans la désobéissance à toute la tradition par obéissance ». (Exergue de l'ouvrage *Un évêque parle.*) Mais poursuivons :
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« Son instinct (au protestantisme) lui a fait découvrir tout d'abord ce *dogme inconciliable avec toute* innovation : la puissance papale... C'est ici le lieu de rappeler les admirables considérations de Joseph de Maistre dans son livre *Du Pape,* où il montre avec tant de sagacité et de profondeur, qu'en dépit des dissonances qui devraient isoler les unes des autres les diverses sectes séparées, il est une qualité dans laquelle elles se réunissent toutes, celle de non-romaines. Imaginez une innovation quelconque, soit en matière de dogme, soit en matière de discipline, et voyez s'il est possible de l'entreprendre sans encourir, bon gré mal gré, la note de non-romaine, ou si vous voulez de moins romaine, si on manque d'audace. Reste à savoir quel genre de repos pourrait trouver un catholique dans la première ou même dans la seconde de ces deux situations. » Ces fortes paroles achèvent de nous tracer le portrait de Dom Guéranger, ce grand fervent de « la monarchie pontificale », admirateur dans sa jeunesse du Lamennais première manière, anti-gallican décidé comme Joseph de Maistre, et défenseur infatigable de la liturgie romaine qui est « la tradition même ». Certes, il connaissait trop profondément l'histoire, il était trop averti des avantages de toute autorité, pour ne pas l'être aussi de ses non moins graves inconvénients quand au lieu d'être une puissance de libération elle est une puissance d'asservissement. Pour l'Église, quand la situation est grave, rien n'est plus dommageable que le flottement ou le mol exercice de l'autorité. Nous avons vu ce que disait le grand romaniste du « pape-femme » Jean VIII. Il reprochait aussi à Léon X d'avoir tenu « mollement les rênes du gouvernement ». Il écrivait à Mgr d'Astros : « Le souverain Pasteur ne nous apprend-il pas que si le troupeau est ravagé, c'est par la faute du berger ? Et l'apparition de l'ivraie dans le champ du Père de famille n'atteste-t-elle pas la négligence et le sommeil des serviteurs ? Que si ces fortes vérités nous faisaient peur, hâtons-nous de jeter au feu non seulement les Annales de l'Église, mais les écrits des Pères et les enseignements des conciles. » (*Déf. d'Astros,* p. 265.) Mgr Fayet, évêque d'Orléans, est bien mal inspiré de se scandaliser qu'il ait dit de Jules II : « Il n'était pas de la race des hommes par lesquels devait être sauvé Israël ! » (*Déf. Fayet,* III p. 118). Il n'est point rare que des personnes, fort peu attachées à la chaire de Pierre, ou même en prenant à leur aise avec ses plus graves enseignements, s'amusent à ce petit jeu plus ou moins consciemment hypocrite. Il est alors bon de se rappeler qu'aux yeux de Dom Guéranger, Rome est la gardienne, demeurée substantiellement fidèle, de la *tradition :* elle a « puisé souvent les éléments de ses décisions dans la liturgie... Jamais elle n'a réformé la liturgie pour la mettre en accord avec ses déci*sions *» (*Déf. Fayet,* p. 45). C'est en tant que telle qu'il l'admire et la défend avec tant de conviction.
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C'est aussi parce qu'il voit en elle la condition sine qua non de la liberté de l'Église, en face non seulement des pouvoirs séculiers qui mènent le monde et des courants d'idées qu'ils incarnent ou, plus ou moins librement, imposent, mais encore des épiscopats liés de fait à tout ceci, entraînés, -- contaminés, voire asservis sans s'en rendre compte. Ce goût, très vif de la liberté qui caractérise Dom Guéranger, ne fait point de lui un libéral ; il sait que l'autorité se trouve en butte au « principe » même de l'erreur protestante *individualiste* qui, malgré les apparences, est une source de tyrannie parce qu'elle remet au libre arbitre de chacun l'appréciation de la vérité indivise qui libère.
Dans sa conférence du 4 août 1974 aux « Amis de Solesmes » (« Les débuts d'une renaissance monastique » pp. 11 et 12), le R.P. Dom Louis Soltner nous montre le futur abbé rêvant d'acquérir le prieuré sarthois pour en faire « un puissant levier qui remuera la France sans avoir l'air d'y toucher ». Ce sont les expressions du très jeune chanoine : « En tant que Réguliers, les moines seront », dit-il encore, « les *voltigeurs* du Saint-Siège »... « Il faut, écrit-il à Montalembert avec la juvénile franchise d'une lettre privée, il faut aux doctrines catholiques un moyen de se produire et d'échapper à l'*étouffoir* dont les menacent si hautement bon nombre de nos seigneurs (les évêques). On ne peut trouver cet appui que dans le clergé régulier, que son existence indépendante, ses mœurs, ses usages, ses traditions et surtout sa liberté mettent hors de l'action de nos ennemis. C'est pour cela qu'il me semble que dans notre affaire bénédictine, il ne s'agit pas tant d'un monastère à fonder, que de l'opposition catholico-libérale (entendez : de la liberté catholique) sans laquelle l'Église périra chez nous. » Il y a quelque naïveté dans ces lignes, par « méconnaissance de l'état d'esprit qui règne alors au-delà des Alpes »... et qui peut, en d'autres occasions, gagner de façon ou d'autres des monastères (qu'on se souvienne des pages sévères que Dom Guéranger, t. II des *Institutions,* consacre au Cluny de Dom de Vert). Mais cette naïveté n'en est pas une pour l'homme d'action, dont le coup d'œil reste éclairé par les convictions de l'homme de doctrine et de tradition. L'opportunité l'emporte, chez lui, sur l'opportunisme...Guéranger sait que si « l'épiscopat est divin, ceux qui en sont revêtus sont des hommes » (*Déf. d'Astros,* p. 140). Il avance donc sereinement, comme un contemplatif ; respectueux de toute autorité, comme un sage. Mais sans « peur » ni orgueil, car « plus nous serons petits, plus Dieu nous fera grandir ». Il est bien rare qu'il s'abandonne, dans ses écrits publics, si doué qu'il soit pour la controverse, à des pointes acérées.
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Tout de même, il lui échappe parfois quelque flèche caustique qui rend bien le son de sa libre personnalité. A Mgr Fayet, arguant sans cesse contre lui du « catéchisme », il répond (*Déf.,* p. 119) : « Je laisse de côté, Monseigneur, l'autorité de ce fameux catéchisme que vous alléguez sans cesse et dont vous ne citez jamais les pages. je soupçonne fort qu'il n'est pas encore imprimé et je vous avoue que je le regrette peu, parce qu'il est loin d'être exact. »
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*Au onzième point* de l'hérésie anti-liturgique, Dom Guéranger ne manque pas d'exposer que la logique profonde du protestantisme ne s'oppose pas seulement à autorité hiérarchique mais s'attaque « en fait et en principe » au « sacerdoce » lui-même, car « là où il y a un pontife, il y a un autel, et là où il y a un autel il y a un sacrifice et partant un cérémonial mystérieux. Après donc avoir aboli la qualité de pontife suprême, il fallait anéantir le caractère de l'évêque, duquel émane la mystique imposition des mains qui perpétue la hiérarchie sacrée. De là un vaste *presbytérianisme* qui n'est que *la conséquence immédiate* de la suppression du Pontificat romain. Dès lors, il n'y a plus de prêtre proprement dit ; comment la simple élection, sans consécration, ferait-elle un homme sacré ? La réforme de Luther et de Calvin ne connaîtra donc plus que des ministres de Dieu, ou des hommes, comme on voudra. Mais il est impossible d'en rester là. Choisi, installé par des laïques, portant dans le temple la robe d'une certaine magistrature bâtarde, le ministre n'est qu'un laïque revêtu de fonctions accidentelles ; il n'y a donc plus que des laïques dans le protestantisme ; et cela devait être puisqu'il n'y a plus de liturgie ; comme il n'y a plus de liturgie, puisqu'il n'y a plus que des laïques. »
Ce qui ne permet pas à des catholiques d'accepter la définition d' « Eucharistie à Taizé » : « La liturgie est l'œuvre du peuple de Dieu tout entier, en louange et en prière. En effet, le Christ notre Grand Prêtre et Intercesseur, a fait de nous « une royauté de prêtres pour Dieu son Père ». (Apoc. 5,6) La famille du Père est toute entière « un sacerdoce saint en vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus-Christ ». (II Petr. II, 5) Aussi la participation effective de tous à la liturgie est caractéristique du culte divin. »
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Le prêtre, devenu simple président de l'assemblée, c'est la destruction de la liturgie même, sa désacralisation, suite de la déclergification et désacerdotisation. Il n'agit plus « in persona Christi », mais « in nomine Domini » et plus gravement encore : « in nomine populi ».
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Dernière conséquence « et c'est là le *dernier degré de l'abrutissement,* le sacerdoce n'existant plus, puisque la hiérarchie est morte, le prince, seule autorité possible entre laïques, se proclamera chef de la Religion, et l'on verra les plus fiers réformateurs, après avoir secoué le joug spirituel de Rome, reconnaître le souverain temporel pour pontife suprême ». A vrai dire il y a quelque chose de changé sur ce point depuis Dom Guéranger. Le prince, maintenant, le souverain, est censé être le peuple... et l'on sait comment, à la faveur de cette illusion, le pouvoir réel finit par appartenir à « la base », aux groupes de pression. Cette « domination », comme l'autre, plus que l'autre car le prince n'est plus sacré, est « destructrice de la nature même du christianisme... Il y a toute une apostasie dans cette préférence donnée au temporel sur le spirituel en matière de religion ».
« Voilà, dit pour finir Dom Guéranger, les principales maximes de la secte anti-liturgique. *Nous n'avons rien exagéré ;* nous n'avons fait que relever la doctrine cent fois professée dans les écrits de Luther, de Calvin, des Centuriateurs, de Magdebourg, de Hospinius, de Kemnitz, etc. Ces livres sont faciles à consulter, ou, plutôt l'œuvre qui en est sortie est sous les yeux de tout le monde. Nous avons cru qu'il était utile d'en mettre en lumière les principaux traits. *Il y a toujours du profit à connaître l'erreur ; l'enseignement direct est quelquefois moins avantageux et moins facile.* C'est maintenant au logicien catholique de tirer la contradictoire. »
De cette contradictoire, toute la pensée et toute l'œuvre de Dom Guéranger témoigne. On achèvera de le voir en méditant sa conception de la liturgie.
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« La prière est pour l'homme le premier des biens... Mais de nous-mêmes, nous ne savons pas prier comme il faut » ; il est nécessaire que « nous nous adressions à Jésus-Christ et que nous lui disions comme les Apôtres : « Seigneur, apprenez-nous à prier ». Lui seul peut délier la langue des muets, rendre diserte la bouche des enfants, et il fait ce prodige en « envoyant son Esprit de grâce et de prière », qui prend plaisir à aider notre faiblesse, suppléant en nous par des gémissements inénarrables.
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Or, sur cette terre, c'est dans la sainte Église que réside ce divin Esprit... Il est le principe à ses mouvements, il lui impose ses demandes, ses vœux, ses cantiques de louange, son et ses soupirs... La prière de l'Église est donc la plus agréable au cœur de Dieu, et partant, la plus puissante. Heureux donc celui qui prie avec l'Église, qui associe ses vœux particuliers à ceux de cette Épouse chérie de l'Époux et toujours exaucée... La prière faite en union avec l'Église est la lumière de l'intelligence ; elle est aussi par le cœur le foyer de la divine charité. L'âme chrétienne ne se retire pas à l'écart pour converser avec Dieu et louer ses grandeurs et ses miséricordes, parce qu'elle sent bien que la société de l'Épouse du Christ ne l'enlève pas à elle-même... » (En effet « les destinées de l'Église sont les nôtres ; chacune de nos âmes est, de la part de Dieu, l'objet d'une miséricorde, d'une prévenance, semblable à celles dont il use à l'égard de l'Église elle-même. Elle n'est le temple de Dieu que parce qu'elle est composée de pierres vivantes ; elle n'est l'Épouse que parce qu'elle est formée de toutes les âmes qui sont conviées à l'éternelle union. S'il est écrit que le Sauveur « s'est acquis l'Église par son sang », chacun de nous peut dire en parlant de soi-même, comme saint Paul, « le Christ m'a aimé et s'est livré pour moi ») « ...Et quand plusieurs sont rassemblés en son nom, le même Sauveur est au milieu d'eux. L'âme pourra donc converser à l'aise avec son Dieu qui témoigne être si près d'elle ; elle pourra « psalmodier » comme David « en présence des Anges » dont la prière éternelle s'unit dans le temps à la prière de l'Église. »
Le moderne « esprit d'orgueil est ennemi de la prière, parce que, dit-il, la prière n'est pas l'action ; comme si toute œuvre bonne de l'homme n'était pas un don de Dieu, un don qui suppose la demande qu'on a faite et l'action de grâce qu'on en rend »...
Puissent la foi et la munificence des fidèles faire revivre les prodiges de ces siècles passés qui ne furent si grands que parce que les institutions publiques elles-mêmes rendaient hommage à la toute puissance de la prière. Mais cette prière liturgique deviendrait bientôt impuissante si les fidèles la laissaient retentir sans s'y joindre de cœur... Dilatez donc vos cœurs, enfants de l'Église catholique, et venez prier de la prière de votre Mère. Venez par votre adhésion compléter cette harmonie qui charme le cœur de Dieu. Que l'esprit de prière se ranime à sa source naturelle. »
« Assez longtemps, pour remédier à un malaise vaguement senti, on a cherché l'esprit de prière et la prière elle-même dans des méthodes, dans des livres qui renferment, il est vrai, des pensées louables, pieuses même, mais des pensées humaines...
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En proclamant l'incontestable supériorité de la prière liturgique sur la prière individuelle, nous n'allons pas jusqu'à dire qu'on doive abolir les méthodes individuelles ; nous voulons les mettre à leur place... que l'âme, épouse du Christ, prévenue des désirs de l'oraison, ne craigne donc point de se dessécher au bord de ces eaux merveilleuses de la liturgie, qui tantôt murmurent comme le ruisseau, tantôt comme le torrent roulent en grondant, tantôt inondent comme la mer ; qu'elle approche et boive cette eau limpide et pure qui « jaillit jusqu'à la vie éternelle » ; car cette eau émane des « fontaines mêmes du Sauveur », et l'Esprit de Dieu la féconde de sa vertu afin qu'elle soit douce et nourrissante au « cerf altéré », Que l'âme, séduite par les charmes de la contemplation, ne s'effraie point non plus de l'éclat et de l'harmonie des chants de la prière liturgique... » La liturgie tout entière appartient à la poésie et c'est pour cela même que le chant en est le complément » (p. 6 et 1 Fayet). L'âme n'est-elle pas elle-même un instrument d'harmonie sous le toucher divin de cet Esprit qui la possède ? Pour l'homme de contemplation, la prière liturgique est tantôt le principe, tantôt le résultat des visites du Seigneur.
« Mais elle est surtout divine en ce qu'elle est à la fois le lait des enfants et le pain des forts ; en ce que, semblable au pain miraculeux du désert, elle prend à la fois tous les goûts de ceux qui s'en nourrissent. Ceux mêmes qui ne sont pas du nombre des enfants de Dieu, admirent quelquefois en elle cette incommunicable propriété, et conviennent que l'Église catholique seule connaît les mystères de la prière... Jésus-Christ même est le moyen aussi bien que l'objet de la liturgie, et c'est pourquoi l'année ecclésiastique que nous nous proposons de développer dans cet ouvrage, n'est autre que la manifestation de Jésus-Christ et de ses mystères dans l'Église et dans l'âme fidèle. C'est là le cycle divin où rayonnent à leur place toutes les œuvres de Dieu : le septenaire de la création ; la Pâque et la Pentecôte de l'ancien peuple, l'ineffable visite du Verbe incarné, son sacrifice, sa victoire, la descente de son Esprit ; la divine Eucharistie ; les gloires inénarrables de la Mère de Dieu, toujours Vierge ; la splendeur des anges ; les mérites et les triomphes des saints ; en sorte que l'on peut dire qu'il a son point de départ sous la Loi des patriarches, ses progrès sous la Loi écrite, sa consommation toujours croissante sous la Lai d'amour, jusqu'à ce qu'étant enfin complet, il s'évanouisse dans l'éternité, comme la Loi écrite tomba elle-même au jour où l'invincible force du sang de l'Agneau déchira en deux le voile du Temple. »
Le « divin Esprit... a établi la Liturgie comme le centre de ses opérations dans les âmes. La formation du Christ en nous n'est-elle pas le résultat de la communion à ses divins mystères joyeux, douloureux et glorieux ?
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Or, ces mystères passent en nous, s'incorporent à nous chaque année, par l'effet de la grâce spéciale qu'apporte leur communication dans la Liturgie, et l'homme nouveau s'établit insensiblement sur les ruines de l'ancien ».
Cette préface de *L'Année liturgique,* que nous avons ou abrégée, hélas, ou ici et là complétée si l'on peut dire par quelque autre passage de Dom Guéranger, est à lire tout entière, mais on ne doit pas oublier qu'ailleurs, et particulièrement. dans sa « Défense » à l'évêque d'Orléans, des pages non moins belles achèvent de lui donner une force extrême, quand l'éminent controversiste entreprend de montrer la raison du symbolisme liturgique, conséquence du mystère de l'Incarnation.
« Nous ne trouvons point au fond de notre cœur la religion telle que Dieu l'exige, non plus que nous n'y trouvons les vérités qu'il a révélées ; il nous faut le moyen sacré des symboles visibles et par cette voie nous arrivons au Dieu invisible. Nul ne va au Père que par le mystère de l'Incarnation, et nul ne perçoit les fruits célestes de l'Incarnation que par la liturgie instituée par Jésus-Christ et sanctionnée par l'Église. » (*Ibid.,* 82) « D'un côté, (le symbolisme catholique) montre des signes extérieurs et sacrés, institués par Jésus-Christ ou par son Église ; de l'autre, il proclame les mystères divins, cachés et opérant sous ces symboles ; n'a-t-il pas le droit encore une fois de se formuler dans ces paroles de l'Église : visibiliter Deum cognoscimus, ut per hunc in invisibilium amorem repiamur (Préface de Noël) ; par le mystère du Verbe incarné, la lumière nouvelle de votre splendeur a brillé aux yeux de notre âme, de telle sorte que voyant Dieu des yeux du corps, nous sommes entraînés par lui à l'amour des choses invisibles. » (p. 83)
La liturgie traditionnelle, chose vraiment merveilleuse et hélas « abolie », faisait dire, pour la fête du Saint Corps du Christ, célébrant l'incarnation prolongée par la présence réelle, la préface même de Noël. Nous sentions ainsi à quel point, le sacrement des sacrements nous insère dans le réalisme incarnationiste qui distingue, incontestablement, le catholicisme du protestantisme. Nous sentions à quel point le réalisme de la divine présence, fondement lui-même du réalisme du sacrifice rédempteur sacramentellement renouvelé, est au cœur même du catholicisme et l'explication profonde de la liturgie. Dom Guéranger l'a dit dans sa Préface à l'Année Liturgique :
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« Sans doute, le divin Sacrement de l'Eucharistie étant le centre de la Religion, son absence suffirait bien pour rendre raison de ce défaut absolu d'onction qui caractérise tous les produits de la Réforme ; mais la Liturgie est tellement liée à l'Eucharistie dont elle forme la glorieuse auréole, que les Heures Canoniales ont cessé, et devaient cesser en effet partout où le dogme de la Présence réelle était aboli. » -- « La foi chrétienne, dit le grand abbé à Mgr Fayet, repose... tout entière sur le mystère de l'Homme-Dieu, Prêtre selon l'ordre de Melchisédech et Pontife éternel, instituant les rites *extérieurs* en harmonie avec *son incarnation* et laissant à son Église le pouvoir de sanctifier toute créature visible pour élever l'homme jusqu'au Dieu invisible : cette thèse démontrée... la conclusion doit être que la religion chrétienne repose toute entière sur *l'immolation réelle et visible* de l'Agneau de Dieu, à qui seul appartient d'ouvrir par son sang le livre fermé des sept sceaux qui sont les sept sacrements, symboles visibles, et de répandre sur la terre la rosée de cette bénédiction universelle dont l'Église est dispensatrice par la liturgie. D'où nous (sommes) amenés à conclure que la liturgie, qui est le moyen nécessaire de la Religion, est divine ; qu'elle est l'admirable objet de notre foi comme de notre pratique. D'où il suit enfin qu'on ne saurait avoir une trop haute idée de la liturgie, ni la traiter avec trop de respect, ni la garantir de trop de précautions dans les rites dont elle se compose et dans les livres qui la contiennent. » (*Ibid.* p. 85) « Quel est en effet le dogme fondamental du christianisme ? Le Fils de Dieu fait homme, afin de pratiquer dans son corps, aussi bien que dans son âme, les devoirs de la religion envers son Père. Il prie son Père pour nous, et il ne se contente pas de le prier dans le sanctuaire de son âme ; sa voix éclate au dehors, il fléchit les genoux, il se prosterne. S'il offre son sacrifice, un sang véritable s'échappe de ses veines. S'il constitue la commémoration réelle de ce divin sacrifice, c'est son vrai Corps et son vrai Sang qu'il destine à être l'hostie, et il veut que ce vrai Corps et ce vrai Sang soient la pourriture de notre âme. S'il triomphe de la mort, c'est en reprenant son corps, toujours matériel quoique glorieux, afin de rendre par ce moyen le culte extérieur éternel au ciel. S'il nous enseigne à prier, c'est au moyen d'une prière positive, composée de paroles que la langue prononce et qui frappent l'oreille. S'il établit des sacrements pour notre justification et notre progrès dans la justice, c'est au moyen de signes sensibles et tellement indispensables que, sans leur emploi matériel, la grâce qu'ils doivent communiquer n'est pas donnée à l'âme. Instruite à cette divine école, l'Église nous lie par des devoirs de religion extérieure d'une si haute nécessité que quiconque s'en affranchit, sous prétexte de chercher la religion dans son propre cœur, court le risque de sortir de la communion de cette sainte société, et de devenir, sans autre crime, un païen et un publicain. » (*Ibid.,* pp. 59-60)
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« Le Verbe éternel qui était dès le commencement *s'est fait chair,* dans le temps, et il a *habité parmi nous* pour fonder la Religion sur le véritable culte dont les symboles *visibles* contiennent la grâce en même temps qu'ils la signifient. » (*Ibid.,* p. 61)
Et Dom Guéranger de répéter, page 75, ce qu'il disait déjà au tome I p. 17 des *Institutions Liturgiques :*
« La Liturgie est une chose si excellente que, pour en trouver le principe, il faut remonter jusqu'à Dieu ; car Dieu, dans la contemplation de ses perfections infinies, se loue et se glorifie sans cesse, comme il s'aime d'un amour éternel. Toutefois, ces divers actes accomplis dans l'essence divine, n'ont d'expression *visible* et véritablement *liturgique* que du moment où une des trois personnes divines, ayant pris la nature humaine, a pu, dès lors, rendre les devoirs de la religion à la glorieuse Trinité. « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné Son Fils unique » pour l'instruire dans l'accomplissement de l'année liturgique. »
Mgr Fayet croyait devoir se moquer d'une telle altitude. « Vraiment écrivait-il, de voir ainsi considérer la liturgie dans le saint des saints... m'oblige à me voiler la face à l'exemple des chérubins éblouis, sans trop savoir où je suis. »
Vous êtes, Monseigneur, -- avis à vos émules -- vous êtes en plein catholicisme.
Dom Édouard Guillou.
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## NOTES CRITIQUES
### Le tome XV des Œuvres complètes de Léon Bloy
Ce tome XV, composé d'inédits, et qui comporte aussi une bibliographie, couronne l'édition des œuvres complètes de Léon Bloy publiée par le Mercure de France.
« Qui lit encore Bloy ? » me disait un homme de presse, d'ailleurs cultivé et informé. Il y a en effet quelque chose d'antipathique entre l'homme de l'actualité et l'écrivain qui disait : « Quand je veux connaître les dernières nouvelles, je lis saint Paul. » Et au temps de l'information, quoi de plus insupportable ? Il est très vrai aussi que Bloy n'est pas « utilisable », pas « récupérable », et surtout pas par les chrétiens démocrates. Ils ont bien essayé, un temps, mais ils ont renoncé : trop de textes les marquaient au fer rouge. Il est probable que les traditionalistes le comprennent mieux aujourd'hui que de son vivant. Ils sont moins tentés de l'accommoder à des positions conservatrices depuis longtemps emportées, ils sont devenus à leur tour marginaux, presque clandestins. C'est chez eux que Bloy trouve ses vrais lecteurs, à la simple description de ce qui est. L'entrepreneur de démolitions a achevé son ouvrage, aidé d'ailleurs par le siècle. Il ne reste rien, aucun espoir temporel. On attend les cosaques et le Saint-Esprit, c'est-à-dire qu'au milieu des ruines, demeure seule la face inaltérable de Dieu.
Et c'est bien pour cela, je pense, qu'il y a et qu'il y aura encore des lecteurs de Léon Bloy. Il représente une expérience spirituelle qui nous est plus facilement accessible qu'à nos aînés : celle de l'angoisse et des démolitions des temps de chaos, où l'Espérance ne peut s'égarer sur des illusions humaines. Son œuvre nous montre aussi un homme capable de s'élever des abîmes à l'esprit : il y avait en lui, note Jünger, une capacité énorme de haine « comparable à celle de Kniébolo » (Kniébolo représente Hitler dans le langage chiffré du *Journal* de Jünger), et en même temps d'immenses puissances d'amour. Bloy est un guide excellent, aujourd'hui, justement à cause de tout cela, qui le rend capable d'interpréter le tourbillon où nous sommes jetés. Temps de la fin ? Pas nécessairement, et il a été plus prudent qu'on ne le croit à ce sujet.
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Voyant commencer l'horrible épreuve de 1914-1918, il n'en tire pas la conclusion que tout finit, il écrit au contraire à Jeanne Termier que c'est là « une singerie du futur ». Il savait les ressources du Malin et ses ruses quotidiennes comme ses grandes tentations. Que Bloy soit capable de nous parler, de nous instruire de l'essentiel, je n'en doute pas une seconde. Qu'il soit totalement inaccessible à une part de nos « intellectuels », c'est tout aussi sûr. Je le signale ici pour montrer où nous en sommes, où il avait deviné que nous allions.
Parlant ici du « Tableau de la littérature française » (t. III), publié chez Gallimard, où c'est R. Barthes qui traitait de Bloy, j'avais pris note de son incompréhension. C'est la même qu'on retrouve dans un article du *Nouvel* Observateur (6 octobre) qu'il faut citer un peu longuement :
« ...*des universitaires très savants... parlent de la richesse du vocabulaire de Bloy. En fin de compte, c'est peut-être an nom de cela, et de cela seulement, que Bloy mérite aujourd'hui d'être redécouvert. Il n'est donc pas étonnant que ce soit Roland Barthes qui l'ait exhumé du Purgatoire pour le déguster,* dans le texte, *entre Fourier et Sade. Tout le reste, c'est-à-dire les idées, les croyances et l'idéologie de Bloy ne relève que de la curiosité ethnographique. *»
On est frappé par tant de *naïveté*, tant d'assurance. Dans ces textes vidés de tout sens, l'intellectuel d'aujourd'hui veut bien encore trouver quelque splendeur d'ornement. Et sans doute Bloy savait qu'il était grand écrivain, mais pouvait-il imaginer qu'on sépare à ce point son art de ce qu'il exprime, -- et est-ce raisonnablement possible ? Admiration de cuistre. Ou peut-être -- peut-être -- précaution contre ce volcan dont on admire les laves refroidies en voulant se persuader qu'il n'aura plus jamais d'éruption ? Qu'une part de l'intelligentsia sente le passé français et chrétien (car cela va bien au-delà de Bloy) comme une curiosité ethnographique, on le savait. Mais il est nouveau qu'elle se vante de son incompréhension, et se réjouisse de son rôle de bernard-l'hermite.
Georges Laffly.
#### Pierre Gaxotte Les autres et moi (Flammarion)
Les souvenirs de Pierre Gaxotte ont le charme d'une conversation familière. On trouve rarement aujourd'hui ce ton naturel, si alerte, cet art qui paraît si facile (mais, disait le grand Rameau : « il est difficile d'avoir l'air facile »), et rarement aussi cet enjouement qui est une forme de la politesse.
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« Les autres et moi » nous montrent l'auteur arrivant de Lorraine à Paris pour préparer l'École Normale. Il a dix-neuf ans, et l'on est à l'automne de 1914. « La guerre était dans les cœurs et dans les pensées. » On se fait une idée de plus en plus fausse et de plus en plus odieuse de ces années. On ne parle que des profiteurs, du « bourrage de crâne », et de la frivolité de l'arrière. S'il en avait été vraiment ainsi, on se demande comment la France aurait pu tenir au long de cette terrible guerre. En quelques notations, Gaxotte nous ramène à une estimation plus exacte des choses. Lisez ce qu'il écrit de l'été 18, au moment de la dernière offensive allemande.
Tout en préparant l'agrégation, le jeune boursier de la République devint en 1916 secrétaire de Maurras. Quelque temps plus tard, il fut secrétaire de rédaction de l'*Action Française.* Cela nous vaut de malicieuses anecdotes sur le journal, et un admirable portrait de l'auteur d'*Anthinea* « tout brillant de génie ». Mais Gaxotte note aussi sa « manie vénérante », l'expression étant d'ailleurs de Léon Daudet. Les portraits ne manquent pas dans ces pages : Arthème Fayard, Louis Bertrand, André Levinson, Poincaré, net et vivant, à la fois plein d'humour et de sympathie. La guerre finie, voici les premiers temps de l'après-guerre (nous allons jusqu'en 1924, au moment de la création de *Candide*)*,* dans un Paris où les piétons ont encore droit de cité, où l'on joue les drames romantiques et les mélos. Le théâtre tient d'ailleurs une grande place dans ces souvenirs, et là, le tableau a quelque mélancolie : que de feux éteints. Mais dans les arts, dans les lettres, partout des talents nouveaux apparaissent. La France est active, assurée de son avenir. Vraiment, un autre monde. Évoquant ce passé, Pierre Gaxotte ne manque pas de mesurer la distance qui le sépare de notre présent. Sans amertume, au contraire, plein d'ironie pour nos modes, notre manie emphatique et apocalyptique. L'historien qu'il est sait qu'il faut toujours compter avec la bêtise. Mais il faut avouer qu'il y a des moments où elle redouble.
C'est à propos de ses débuts d'historien, justement, qu'il fait cette réflexion Nous donnons de toute décision des explications qui tiennent, des motifs qui s'enchaînent à la façon des syllogismes d'école, exactement comme si l'intelligence et la logique conduisaient le train du monde, non (en règle générale) la sottise, d'erreur, l'imprudence, l'illusion, la vanité, le fanatisme, la légèreté, l'aveuglement, l'entêtement, les faux calculs et les petites vues. »
Il est agréable de rencontrer un esprit sceptique à l'égard de la religion de l'histoire, si puissante aujourd'hui et si sanglante. Ce relativisme, le regard moqueur et indulgent jeté sur le monde, le goût de la clarté suffiraient à nous rappeler que Gaxotte a consacré une bonne partie de sa vie au siècle de Louis XV. En échange, on dirait qu'il lui en a été transmis les qualités les plus solides et les plus aimables.
G. L.
110:198
#### Michel Bassi La République des petits papiers (Grasset)
Ce petit livre sur les cabinets ministériels vise à être amusant, et il l'est. Il est aussi très sérieux, décrivant ces personnages indispensables (paraît-il) de la comédie politique, qui ne sont prévus par aucun texte constitutionnel, qui ne sont mandatés par personne, responsables seulement de leur carrière, et détiennent une partie importante du pouvoir.
Chaque ministre compose son cabinet à sa guise, s'entourant d'amis, de protégés. Il a intérêt à bien choisir les membres de cet état-major puisqu'une bonne part de son action dépendra d'eux : ses relations avec les autres ministères, les administrations, les entreprises avec lesquelles il est amené à traiter, les députés et sénateurs, tout cela, le plus souvent sera le fait des attachés. A eux aussi de composer les discours du ministre, ses articles et même de lui inventer des « mots ».
Michel Bassi nous apprend que ces attachés sont en majorité issus de l'E.N.A. Comme le sont beaucoup de gens à qui ils ont affaire, dans les administrations et les entreprises. La majorité étant la même depuis 1958, la France est en fait gouvernée par un petit milieu qui compte quelques centaines de personnes, et composé de ces gens-là. Les modes et les vues qui y règnent sont déterminantes. Intéressant, n'est-ce pas ?
G. L.
#### Emmanuel Berl Regain au pays d'Auge (Livre de poche)
Pressentir les changements d'une société par le peu qu'on a vu de la vie de trois jeunes gens dans une ferme normande, pendant une après-midi, ce n'est plus de la prospective, cela touche à la voyance, ou au moins à l'art des radiesthésistes qui demandent un objet-témoin, mouchoir ou soulier, pour retrouver un disparu. Parlons, si l'on veut d'un pari.
111:198
Ce pari, Emmanuel Berl vient de le tenter, en publiant « Regain au pays d'Auge ». En panne sur la route de Cabourg avec sa femme, il trouve asile dans une ferme. Il parle. Il écoute. Des traits lui apparaissent, d'un monde nouveau. Une vie allégée par les machines et les installations électro-ménagères, mais aussi par la simplification des mœurs : plus de repas-banquets, des pique-niques. Chez ces jeunes gens peu d'ambition, et surtout pas celle de gagner beaucoup d'argent. Peu de contestation, aussi : on ne compte pas sur un grand bouleversement, on demande à la société de n'être pas trop encombrante. Signe, pense Berl, qu'on va vers une société où la compétition serait moindre, où l'histoire serait moins dramatique, où des communautés restreintes échapperaient au carcan des organisations de masse. Bref, un rêve teinté aux couleurs de l'âge d'or. Même si mes témoins sont minoritaires, écrit Berl, ils représentent peut-être le contre-courant qui triomphera.
Et Dieu, ce Dieu dont il n'ose prononcer le nom ? Il semble bien que cette société à venir en ait au moins l'attente et le désir, au rebours de la nôtre. Curieux livre, curieux chant d'espérance, et bien remarquable.
G. L.
#### Raymond Abellio Les militants (Gallimard)
Je trouve passionnants les Mémoires d'Abellio, dont voici le second tome. D'abord par sa volonté d'unifier sa vie, d'en trouver la ligne unique et sûre malgré tous les accidents et les coups de vent de l'histoire, et par l'intelligence qu'il y déploie. Et aussi peut-être par tout ce qu'il laisse percer malgré lui, et deviner : la part de hasard et d'échecs (mais c'est un mot auquel il ne trouve pas de sens, les « bavures » auxquelles il ne veut pas s'attarder).
L'auteur retrace ici les années qui vont de 1927 à 1939, de son entrée à Polytechnique à la guerre. Pendant cette période il est marxiste, il croit à la révolution, et il joue le rôle de « l'homme de puissance ». Mais déjà, les derniers temps, il s'éloigne de cette position. Il ne va pas tarder à édifier le vaste et curieux système à l'intérieur duquel il réfléchit aujourd'hui, système où se mêlent Husserl, l'ésotérisme, l'astrologie... Abellio est un esprit puissant et puissamment systématique. Pensant que nous sommes à la fin d'un « cycle » dont notre siècle récapitule les étapes, il nous promet, après la guerre du corps (1914-1918) et celle de l'âme (1939-1945) -- guerre des passions qui tiennent au sang et au sol, guerre des races -- une troisième guerre, celle de l'esprit, où le terrorisme jouerait un grand, rôle.
112:198
Peut-être. Mais on est prêt à le suivre lorsqu'il note qu'en Europe, ce terrorisme pourrait se développer à partir de la prolifération d'individus coupés de toute racine, de tout ordre, uniquement animés par la révolte et le sens de la rupture, conduisant à une « exaltation mégalomane de l'impuissance ». Ou quand il prévoit, dans tous les types de société existants, le développement de la police. Il avance même que la « révolution policière » qui répondra au terrorisme généralisé sera « creuset de progrès » comme le fut, longtemps, la guerre. On voit qu'il est autant question, ici, de l'avenir que du passé. C'est qu'il y a du prophète, chez Abellio -- un prophète plus géomètre qu'inspiré, et même tout géomètre.
G. L.
113:198
### Le Chili, Corçâo et nous
Voici donc deux ans que Gustave Corçâo est un collaborateur régulier de la revue ITINÉRAIRES. Sa collaboration a commencé dans notre numéro 177 de novembre 1973, par l'inoubliable récit : « *Comment le Brésil s'est libéré. *»
L'arrivée parmi nous de Gustave Corçâo, nous l'avions saluée en ces termes, rapides mais parfaitement pesés :
« *Écrivain catholique de dimension et de renommée internationales, Gustave Corçâo n'est inconnu qu'en France. Voilà qui va changer : il nous fait l'honneur, il nous fait la joie, il nous apporte le vigoureux renfort de sa collaboration régulière. *»
Depuis ce mois de novembre 1973, ses « Conversations brésiliennes » et ses « Lettres du Brésil » ont fait comprendre et sentir à nos lecteurs pourquoi nous avions parlé d'HONNEUR, pourquoi nous avions parlé de JOIE, pourquoi nous avions parlé de RENFORT.
(Que nos lecteurs, qui aujourd'hui sont dans l'étude et la méditation méthodiques de la grave Lettre numéro 9 de Mgr Lefebvre, veuillent bien noter de se reporter à loisir, sur le même sujet, avec une studieuse attention, aux « Conversations brésiliennes » du numéro 187 de nov. 1974, où Gustave Corçâo définit la situation actuelle comme l'inverse de celle du grand schisme d'Occident : au lieu de deux (ou trois) papes pour une seule Église, c'est maintenant un seul pape pour deux Églises...)
114:198
Je ne sais pas si la revue ITINÉRAIRES a fait connaître Gustave Corçâo en France autant qu'il le faudrait. Je ne sais pas si tous nos lecteurs sont exactement attentifs à tout ce que nous leur donnons à lire d'important. Mais *l'universalité de la langue française --* l'universalité non encore tout à fait détruite d'une langue française non encore tout à fait décomposée -- vient de se vérifier une fois encore, de la manière qu'a racontée Gustave Corçâo le 9 octobre, dans son article du quotidien le *Globo* de Rio de Janeiro, dont voici la traduction intégrale par Hugues Kéraly.
*J. M.*
La semaine dernière nous eûmes la joie de recevoir la visite de deux compagnons de combat, militants de la revue chilienne Tizona ([^5]) dirigée par Juan Antonio Widow. Nos visiteurs, Gonzalo Ibañez et Juan Carlos Ossandon, pleins de jeunesse, de joie et de courage, avaient su la présence à Rio de Jean Madiran et Hugues Kéraly, directeur et secrétaire de la revue française ITINÉRAIRES ; le bruit même leur était venu que toute une caravane de collaborateurs d'ITINÉRAIRES, parmi lesquels l'auteur de ces lignes, devait se rendre au Chili pour la fête de l'Indépendance. Il est tout à fait remarquable que les deux jeunes Chiliens aient découvert seulement aujourd'hui, par ses « Conversations brésiliennes » régulièrement publiées dans la revue française, l'existence du vieux Brésilien entêté qui milite depuis tant d'années dans les plus grands journaux de son pays. Les raisons du phénomène sont assez connues : d'une part, la difficulté à laquelle se heurte la langue portugaise dans l'Amérique de langue espagnole, bien supérieure à celle de la langue espagnole pour le Brésil ; de l'autre, l'universalité de la langue française, et le puissant rayonnement de la revue catholique ITINÉRAIRES. J'insiste sur l'importance de ce fait : -- l'écrivain G.C. est connu au Chili par sa collaboration à la revue ITINÉRAIRES --, non pour vanter les mérites de celui-ci, mais pour faire ressortir l'importance de celle-là dans les échanges catholiques brésilo-chiliens, et réjouir tous ceux qui m'ont aidé à faire venir au Brésil la direction d'ITINÉRAIRES.
115:198
Et je caresse l'espoir de mettre en route pour le Chili une caravane bien réelle et non plus seulement rêvée, avec les Français qui d'une manière ou d'une autre, par les voies naturelles ou surnaturelles, auront contribué à la chute du stupide et inique gouvernement communiste -- ce gouvernement applaudi contre toute décence par le cardinal Raul Silva Henriquez qui aujourd'hui, profitant de l'anniversaire de l'Indépendance du Chili, comme notre Arns ([^6]) fit à l'occasion de celui du Brésil, agresse les dirigeants chiliens dans un discours où l'on peut lire : « Notre devoir d'amour et de justice consiste à reconstruire la société chilienne sur des bases solides, voire définitives, et nous ne pouvons tolérer qu'une génération sente s'éloigner, amère et impuissante, son occasion unique de vivre humainement. »
Le cardinal fait allusion au récent discours du président Augusto Pinochet, où le chef de l'État promit pour toute une « génération » chilienne la vigilance du gouvernement des forces armées. Le cardinal Raul Henriquez a préparé, soutenu et applaudi cette sinistre aventure communiste qui conduisit le Chili à la famine et son pauvre pantin au suicide, mais il a encore l'inexplicable courage de prendre la parole dans une nation qu'il a trahie et ne songe à nouveau qu'à trahir. Plus loin dans son discours, l'inqualifiable prélat s'exclame encore : « Nous n'avons pas le droit de rester les yeux tournés vers le passé, dans l'inutilité absolue de la haine. » Ce que le cardinal veut dire, c'est que nous ne devons pas tirer les leçons des événements, que nous devons rester stupides pour que le mal puisse couvrir sans peine la face de la terre : telle est sa pensée. On trouve une pensée analogue chez le journaliste Tristâo de Athayde, s'il y a une pensée dans ce qu'il écrit.
Par bonheur, le consul honoraire du Chili, Gerardo Roa Arameda, répond à l'article de Tristâo, « La parabole du semeur », par une lettre publiée dans le *Jornal do Brasil* du 20 septembre 1975 : il y pulvérise la puérile qualification de « féroce dictature militaire » utilisée par ce journaliste qui, comme chacun sait, applaudissait avec un frénétique enthousiasme le régime qui menait le Chili à la famine. Pour ma part, j'ajouterais quelque chose à la claire et judicieuse lettre du consul chilien.
116:198
Débordant de la plus juste des colères, acculé par la honte de voir un Brésilien écrire ce qu'écrit Tristâo de Athayde, j'ose déclarer : si quelqu'un veut appeler « dictature militaire » le gouvernement qui a sauvé le Chili, je suis prêt à. proclamer mon ardent désir de voir le monde entier servi par de telles dictatures, du moment que celles-ci s'opposent à l'inhumaine, à la barbare dictature militaire de l'U.R.S.S.
\[Fin de la traduction intégrale, par Hugues Kéraly, de l'article de Gustave Corgâo dans le *Globo* de Rio de Janeiro, 9 octobre 1975.\]
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### Les vraies causes du chômage
*Les causes véritables du chômage, -- celle qui sont les plus fondamentales, celles dont on ne parle jamais, -- les voici énoncées et dénoncées par un article de Maurice Bardèche dans la revue* « *Défense de l'Occident *» *dont il est le directeur* ([^7])*, numéro 131 d'octobre 1975.*
Il faut pourtant dire la vérité sur le chômage. La démagogie commande notre vocabulaire, celui du gouvernement comme celui de l'opposition. Le gouvernement n'ose pas dire les causes véritables du sous-emploi et par conséquent ne peut appliquer les véritables remèdes, l'opposition ne veut pas voir ces causes et pratique la fuite en avant en accusant beaucoup sans rien proposer d'efficace.
\*\*\*
La première vérité qui crève les yeux et qu'on ne dit jamais est la suivante : le chiffre des travailleurs étrangers en France est supérieur à celui des chômeurs et par conséquent le chômage en France est un chômage technique, il n'y aurait pas de chômeurs si les Français acceptaient d'être manœuvres, terrassiers ou éboueurs et si ces emplois étaient convenablement payés.
Où est la cause de cette situation ? Elle est dans notre démagogie scolaire. Il est inutile et stupide que la fréquentation scolaire soit obligatoire jusqu'à seize ans. Cette obligation, qu'on parle de prolonger jusqu'à dix-huit ans, n'est qu'un moyen factice de masquer le sous-emploi réel. Tous les instituteurs, tous les professeurs sont d'accord pour avouer qu'une partie des jeunes de quatorze à seize ans sont incapables de profiter des deux années de scolarité qu'on leur impose et refusent en fait de s'y. soumettre. En revanche, ceux qui sortent de l'école après ces études prolongées ne veulent pas des métiers manuels, dédaignent l'apprentissage et aspirent tous au secteur tertiaire où lis sont plus mal payés que dans les professions techniques et qui ne peut fournir autant d'emplois qu'il y a de demandes.
118:198
La conséquence de ce beau système est double. Nous installons chez nous un prolétariat étranger mal payé, mal logé, mal nourri, inégalement assimilable, dont nous pouvons nous attendre un jour à subir autant d'inconvénients que les États-Unis en ont avec leurs nègres. Et nous promettons aux jeunes de notre pays des emplois que nous ne pouvons pas leur fournir et que nous ne pourrons jamais leur fournir, même après la fin de la crise si elle arrive un jour, car la crise de déflation est en ce moment un excellent prétexte pour dissimuler les résultats des structures aberrantes mises en place depuis trente ans.
La refonte de notre système scolaire est donc la première réforme à longue échéance dans la lutte non pas épisodique mais endémique que nous allons avoir à livrer contre le sous-emploi. Au lieu de dispenser à l'aveuglette un enseignement et par conséquent des promesses auxquelles nous sommes incapables de faire face, il faut d'abord recenser les emplois que notre économie peut offrir et organiser notre enseignement en fonction de ces emplois. Les enfants doivent apprendre à lire, écrire et compter jusqu'à douze ans, ensuite, selon leurs aptitudes, il faut leur donner jusqu'à quatorze ans des connaissances supplémentaires qui les préparent, suivant leurs moyens et leurs goûts, à aborder une certaine gamme de métiers. Cette première orientation ne doit pas se faire au hasard et au gré de la fantaisie, mais elle doit déjà tenir compte des possibilités du marché national de l'emploi. Ensuite, l'enseignement devrait être essentiellement professionnel et technique, aussi bien dans l'enseignement secondaire que dans l'enseignement supérieur, et être complété par des stages pratiques. Les élèves qui sortent de l'enseignement à quatorze ans, seize ans, vingt ans, devraient être assurés d'avoir, non un diplôme qui ne signifie rien sans un poste, mais un emploi dans lequel la demande nationale est certaine et chiffrée. Notre enseignement supérieur qui fabrique principalement des professeurs, des avocats et des médecins, doit être entièrement réorganisé. La mutation commencée depuis quelques années doit être accélérée. L'enseignement a pour objet de fournir à la nation les travailleurs et les spécialistes dont elle a besoin, et non une prétendue *culture* vague, informelle et fantaisiste, dont nous pouvons voir tous les jours sur les générations récentes l'inanité et les dangers. En dehors de la véritable *culture* qui est le sens de la destinée et de la vie, que l'Université est bien incapable d'enseigner, il n'est qu'une sorte de formation de l'esprit, c'est l'apprentissage de la précision, de la méthode, et du bon sens. Or, cette formation, toutes les techniques la donnent : un ébéniste ou un mécanicien l'acquièrent dans la pratique de leur métier beaucoup plus sûrement qu'un latiniste ou un mathématicien.
Quand nous pratiquerons un peu moins la badauderie, le bavardage et la niaiserie, quand nous consommerons autre chose que du vent et des bulles de savon, quand nous proposerons à notre jeunesse des engagements sérieux et sûrs. nous aurons déjà fait un grand pas vers une société, qui ne sera pas une de ces « nouvelle société », dont nos hommes d'État se gargarisent, mais simplement une société mieux organisée, ce qui est déjà beaucoup.
\*\*\*
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La seconde vérité, non moins évidente, mais encore plus difficile à professer que la première, est la suivante : les prestations sociales et les charges qui grèvent les salaires provoquent une fuite systématique devant la création d'emplois et même le maintien des emplois existants.
Là, on touche à l'arche sainte. Tout le monde sait que, lorsqu'on engage un employé ou un ouvrier, il faut payer à l'État plus de cinquante pour cent de son salaire sous le nom de charges sociales et diverses. Tout le monde sait aussi que ces charges grèvent si lourdement les prix que, partout où on le pouvait, on a remplacé la main-d'œuvre par des machines. Là où on ne le peut pas, on préfère payer les tarifs exorbitants des négriers du travail temporaire plutôt que d'accepter les inconvénients des nouvelles créations d'emploi. Les entreprises qui sont sous le contrôle de l'État n'ont pas été moins ardentes que les autres à sacrifier des emplois : le gouvernement qui ne s'occupe pas des détails (de minimis non curat praetor) n'a pas daigné s'aviser qu'il procurerait dix mille places à des chômeurs en rétablissant les contrôleurs d'entrée dans les autobus et dans le métro, mesure problématique, du reste, car nos chômeurs qui crient si fort refuseraient peut-être de les accepter. Néanmoins les syndicats nient ces évidences aveuglantes et repoussent avec hauteur l'affirmation que la hausse des salaires est pour quelque chose dans la hausse des prix. Quant à penser que la hausse continuelle des salaires et des charges est un facteur important du sous-emploi, c'est une opinion tellement hérétique que les syndicats n'ont jamais eu à la réfuter parce que personne n'a osé l'exprimer.
Bien que ces relations de cause à effet soient systématiquement ignorées, beaucoup de gens admettent aujourd'hui qu'il existe un problème de la Sécurité sociale. L'application du ticket modérateur et les tarifs médicaux actuels font qu'il est moins cher aujourd'hui d'aller chez le médecin ou de convoquer le médecin que d'aller au cinéma. Notre beau principe de l'égalité dispense cette facilité aussi généreusement aux riches qu'aux « économiquement faibles » ou aux « vieux », qui ont besoin, eux, de cette disposition. L'indéracinable « petit risque » permet aux gens qui s'ennuient de se distraire à bon marché en dorlotant leur précieuse personne et en se procurant d'inépuisables sujets de conversation. Toute cette machinerie permet aux femmes de rentabiliser leurs « indispositions » et satisfait également les citoyens ingénieux qui ont le goût des mots croisés ou de la pêche à la ligne. Cette importante clientèle électorale s'est opposée jusqu'à présent avec succès à ce qu'on change quoi que ce soit à ses distractions. L'esprit inventif des « ayants-droit » améliore même tous les jours l'usage qu'on peut faire du budget de la Sécurité Sociale à la veille des vacances, on a pu constater que les hôpitaux recevaient chaque jour des arrivages copieux de grands-mères ou de « pépés » qui avaient besoin d'une cure de surveillance pendant le mois d'août. De même, des épidémies de malaises bénins exigeant quinze jours d'arrêt de travail ont ravagé les grands centres à partir du 15 juillet. Grâce à quoi les plages du Languedoc-Roussillon ont reçu un nombre de touristes supérieur de 25 % à celui de l'été précédent, ce qui prouve au moins que les chômeurs savent utiliser leurs loisirs forcés.
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Il n'y aurait qu'à se féliciter de cette habileté de nos concitoyens à tirer parti de nos institutions si cet agréable laisser-aller n'avait pas pour conséquence le taux exagéré des prestations sociales, facteur de hausse à l'intérieur et handicap grave quand il s'agit d'exporter. Au lieu de réduire l'écrasant budget social de la nation, le gouvernement trouve plus habile de l'augmenter. Les techniciens de la « relance » rejoignent ainsi les empereurs romains qui régnaient en distribuant à la plèbe l'allocation journalière qui lui permettait de ne rien faire d'autre que de s'intéresser aux courses et aux jeux du cirque. Il est entendu que les super-profits de la TVA couvrent largement ce train de vie. Mais la TVA, c'est encore notre poche. Finalement les employeurs et le public paient très cher un arrosage permanent et aveugle qui fait la fortune des industriels de la médecine et des grands trusts pharmaceutiques, et qui a pour effet indiscutable de provoquer une fuite systématique devant la main-d'œuvre.
Le pétrole arabe a bon dos. Quand accepterons-nous de nous apercevoir que la hausse de l'énergie n'a été qu'un accélérateur grâce auquel ont été mises en pleine lumière des absurdités de structure qu'une baisse miraculeuse des produits pétroliers ne ferait pas disparaître ? Notre démagogie sociale est *automatiquement* génératrice de chômage. Cette vérité est plus difficile à supporter que les bavardages élégants sur les difficultés temporaires de la « conjoncture ». Et elle exige aussi des remèdes plus courageux et plus efficaces que l'indemnité provisoire de chômage qui a la même vertu curative qu'une paire de pantoufles.
Même si ces mesures sont impopulaires ou difficiles, je crois fermement que la diminution massive des charges qui pèsent sur l'emploi et la « restructuration » de notre aberrante Sécurité Sociale sont une des conditions essentielles de la lutte contre le chômage.
\*\*\*
Il y a, certes, d'autres facteurs de chômage et, par conséquent, d'autres difficultés à résoudre. Deux attitudes, en particulier, sont à raviser. L'une concerne la mobilité de l'emploi que les cadres mis en disponibilité acceptent depuis longtemps, mais à laquelle la plupart des ouvriers sont mal préparés. L'autre est l'idée fausse que le personnel d'une entreprise a un *droit* sur cette entreprise et qu'une expropriation plus ou moins déguisée peut être une solution au chômage, qu'il suffit d'occuper les locaux, de faire gérer l'affaire par les délégués syndicaux et de payer les salaires en dilapidant les stocks ou en exigeant l'aide de l'État : ces fausses solutions syndicales ne sont rien d'autre, en réalité, que les « ateliers nationaux » de 1848 qui ont donné les résultats que l'on connaît.
Nous devons nous persuader dès maintenant que le chômage actuel n'est pas une crise de conjoncture, mais une crise de structure. Il peut être atténué par une reprise économique, du reste incertaine et peut-être partielle. Il est chimérique de penser qu'il disparaîtra. Car il est lié à la démagogie et au rêve prétentieux d'une société de « têtes d'œuf ». Il n'y aura du travail pour tout le monde qu'à la condition que tout le monde ne prétende pas être colonel.
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Il n'y aura du travail pour tout le monde qu'à la condition que les tâches qui constituent ce qu'on a appelé de tout temps le travail soient convenablement rémunérées et qu'elles soient acceptées au même titre que les occupations soi-disant distinguées qui sont celles des « cols blancs » du secteur tertiaire. Cela suppose une autre optique sociale que la nôtre, un autre système de valeur que le libéralisme est bien incapable d'imposer. Le chômage endémique accompagnera inévitablement l'agonie du libéralisme. Il en est aussi inséparable que le banditisme, la pornographie, le chantage et le terrorisme, parce qu'il a comme eux la même source, la démagogie. Seul, un autre régime peut faire disparaître l'avenir de chômage qui nous attend, en donnant à notre peuple une autre âme, d'autres aspirations et d'autres hiérarchies.
\[Fin de la reproduction intégrale de L'article de Maurice Bardèche dans Défense de l'Occident, numéro 131 d'octobre 1975.\]
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## AVIS PRATIQUES
*Informations*
### Pour la maison de Maurras
La maison de Maurras et son jardin, au chemin de Paradis à Martigues, sont menacés d'être mis en vente et de tomber en des mains inconnues. La volonté de Maurras était au contraire que sa maison et son jardin demeurent ouverts à tous ses neveux, « ceux de l'âme » comme « ceux du sang ».
Relisons ce que Maurras, l'homme pieux, l'homme de la piété filiale, « pius Maurras », en écrivait dans la préface de *Sans la muraille des cyprès :*
*Quels neveux ? Ceux de l'âme ou ceux du sang J'ai des uns et des autres* (*...*)*.*
*Aucun petit enfant n'est venu de moi. Ceux de mon frère vivent et déjà ils revivent. Mon rêve habituel ne peut s'empêcher de leur dire quelque chose comme ce que chantait Mistral des aïeux.*
*Eux aussi,*
*Ils vivront*
*Ils tiendront,*
*Ils se défendront à leur tour contre les choses, selon la vieille loi que l'on subit sans la comprendre et sans la discuter. Qu'ils soignent comme moi les arômes de mon jardin ! Qu'ils les respectent mieux que moi ! Qu'ils y laissent grandir la chère essence mystérieuse ! Et puissent mes cyprès, devenus plus grands que des chênes, former dans un bois sacré semi-circulaire l'ombrage qui abrite leurs jeunes filles et leurs jeunes gens ! Rien ne m'est plus doux à considérer d'ensemble, de loin et de haut.*
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*Mais il convient aussi que d'autres hôtes puissent également venir rêver dans ce chœur végétal, embelli par sa vétusté. Je ne descends pas seulement de femmes de Martigues, d'hommes de Roquevaire, d'Auriol, d'Avignon, de La Ciotat, et de ces lointains ancêtres gavots, qui vécurent des siècles sur notre piton des Maurras. D'autres pères et mères, d'autres aïeux et aïeules ont déterminé la règle de ma pensée, sa méthode, son rythme, son élan et ses freins : comment oublier tous ces maîtres qui m'ouvrirent les étendues de l'espace où tournent les idées et qui m'y composèrent mon refuge, mon armement, mon espérance ! Les uns sur les gradins de l'Église de l'Ordre ; les autres dans les cercles de la Poésie ou de la Sagesse ; d'autres me distillant le doux et l'amer des expériences de la Vie ? Que ne dois-je à tous ?*
*Comme, de tous côtés, l'on ose m'assurer que d'autres nouveaux hommes seront aussi redevables en quelque mesure à la trace que je puis laisser, il est difficile de rejeter toute hypothèse de ces neveux spirituels, ils pourront exister et par eux, avec eux, leur propre postérité, naturelle ou mystique.*
*Ce que je laisse n'est rien au prix de ce que j'ai reçu. Mais puisque j'aurai donné de la vie et du mouvement à certains esprits, ceux-là auront un titre à venir dialoguer sous mes arbres pour en goûter l'âpre et chaude salubrité.*
*Aux derniers, comme aux premiers, je veux dire aujourd'hui : qu'ils soient les bienvenus ! Mes cyprès ont été plantés en pensant à eux. Mes successeurs de droit ou de fait sont priés de les accueillir comme leurs frères naturels. Je leur en ferais, au besoin, un devoir, à défaut d'une loi.*
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Pour qu'il puisse en être ainsi, le « Centre Charles Maurras », d'Aix-en-Provence, a créé une société civile, la « S.C.I. Le chemin de Paradis », qui réunit des fonds pouvant être souscrits sous forme d'actions de 240 F chacune, ou sous forme de dons.
Il y a urgence.
Voici la lettre écrite par le « Centre Charles Maurras » :
Maurras disparu, ses volontés furent respectées par sa famille. Son cœur repose devant le Mur des Fastes, tables historiques de l'histoire martégale.
Les inscriptions racontant la vie prestigieuse de son jardin s'offrent toujours à la lecture recueillie du promeneur.
La plaque commémorative du centenaire a été apposée contre. le mur de la demeure, sous la présidence de M. le duc de Lévis Mirepoix, successeur de Charles Maurras à l'Académie française.
La bibliothèque parisienne du maître, reconstituée, a fait l'objet d'un classement méthodique.
Les plus précieuse reliques sont exposées dans un petit musée du souvenir.
Depuis la disparition de l'auteur de « Mon jardin qui s'est souvenu », le nombre des visiteurs français ou étrangers, tant en groupes qu'à titre individuel, déjà considérable durant la détention de l'écrivain, n'a fait que croître.
Enfin la décision de classement de la maison prise par la commission des Monuments historiques sera appliquée incessamment.
Ainsi, depuis quelques trois décennies, la bastide du Chemin de Paradis, édifiée voici trois siècles par les ancêtres de Maurras, et détenue sans interruption par sa famille, perpétue matériellement et moralement la gloire de l'enfant de Martigues.
Aujourd'hui, *tous les amis de Charles Maurras* sont placés devant une situation nouvelle ; une partie de l'hoirie s'étant déterminée à sortir de l'Indivision, il risque de devenir Inévitable *très rapidement*, afin de se conformer à la loi, de procéder à la vente par licitation des meubles et immeubles.
Pour conserver le domaine et l'ouvrir à tous, tout en préservant les intérêts de chacun, une Société civile Immobilière s'est constituée, sous l'égide du Centre Charles Maurras, autour des membres de la famille décidés à continuer de mettre à la disposition du public le patrimoine culturel légué par Charles Maurras.
A l'effet de réaliser cette entreprise dont le caractère d'urgence ne saurait échapper, mille actions de deux cent quarante francs sont proposées à toutes les personnes soucieuses d'empêcher une dispersion préjudiciable à tous les lettrés, et insoutenable pour les dépositaires et les bénéficiaires de la pensée maurassienne.
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D'ores et déjà, les héritiers du sang étrangers à la demande de licitation apportent à la Société la totalité de leurs parts dans l'hoirie.
A l'initiative du Centre Charles Maurras, déjà chargé de recueillir les souscriptions, il est procédé présentement à l'impression, sur beau papier, d'un inédit de Charles Maurras : « Quatre lettres de Martigues », extraites de la correspondance avec Mgr Penon, datées de 1885. Les exemplaires de cette œuvre éditée par la Librairie Plon, d'un tirage limité, seront numérotés et hors commerce.
Ce tirage constitue un témoignage de reconnaissance à l'égard des souscripteurs et sa qualité retiendra l'intérêt des bibliophiles. Dans le cas plus qu'improbable où la somme nécessaire ne serait pas atteinte, les souscripteurs conserveraient le volume, imputé pour une somme de quarante francs, et se verraient remboursés de la différence entre le montant de leur souscription et ces quarante francs.
La relative modicité de l'action correspond au souci d'accepter avec empressement tous les concours, dont il ne faut d'ailleurs pas se dissimuler qu'ils devront être reçus très rapidement.
Ainsi, conformément aux vœux incessamment répétés de Charles Maurras, c'est à Martigues, dans la maison de ses pères, que la pérennité de son souvenir et de son œuvre demeurera, pour les générations à venir, solidement enracinée, réunissant « les neveux de l'âme et ceux du sang ».
\[Fin de la reproduction de la lettre du « Centre Charles Maurras ».\]
Les souscripteurs doivent écrire sans retard à l'adresse suivante :
SCI LE CHEMIN DE PARADIS 8, rue Masseran 75007 Paris.
============== fin du numéro 198.
[^1]: -- (1). V. *Le nouveau totalitarisme*, Fayard, 1975.
[^2]: -- (2). V. *Les normalisés,* Albin-Michel, 1975.
[^3]: -- (1). *Mélanges offerts à M. René Pintard,* Klincksieck, 1975.
[^4]: -- (1). Éditeur : Deproost André, Vlierbeekberg, 69, 1900 Overyse, abonnement de membre *:* 500 frs belges, de soutien : 200 frs belges, compte bancaire : S.B.G. 210-0868633-87.
[^5]: -- (1). Sur Tizona, voir les « Documents » de notre numéro 178 de décembre 1973. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^6]: -- (1). Le cardinal D. Paulo Evaristo Arns, archevêque de Sao Paulo. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^7]: -- (1). *Défense de l'Occident* est publiée à l'adresse : B.P. 97, 75962 Paris Cedex 20.