# 199-01-76 1:199 ### LA CAMPAGNE DU 20^e^ ANNIVERSAIRE Depuis que nous avons invité l'ensemble de nos lecteurs à se mobiliser pour la campagne des 2.000 abonnements nouveaux, nous en avons reçu 71. Soixante et onze en deux mois : à ce rythme, il nous faudrait plus de quatre ans pour atteindre les deux mille... Or c'est pour le 20^e^ anniversaire, c'est-à-dire pour le mois de mars 1976, que nous vous avons proposé l'objectif des 2.000 abon­nements nouveaux. Il est donc urgent de changer de rythme. Nous vous avons proposé en même temps le mot d'ordre : Au­cun collégien, aucun étudiant. Aucun autour de vous qui n'ait son abonnement personnel à la revue. Il en fera ce qu'il voudra. Mais je répète qu'il n'en fera certainement rien si d'abord il n'a pas cet abonnement personnel. \*\*\* Un ami attentif nous écrit : « *Déjà avant votre appel :* « *pour nos 20 ans *»*, je m'étais posé le problème. Je ne compte plus les gens que j'ai entendu dire depuis deux ans :* « *Je ne me suis pas réabonné à* ITINÉRAIRES*, c'est trop cher. *» *Or il s'agit de gens qui ont des situations normales, souvent même de belles situations ; et qui sont abonnés à de nombreux journaux, bulletins et revues. Ils n'ont rien compris à la situation, ni à vos explications répétées. Tous les efforts de persuasion restent vains.* « *Quant aux jeunes étudiants, lycéens et collégiens, en général ils ne sont pas orphelins ; ils ont des parents qui ne sont pas sans moyens et qui, bien souvent, leur donnent assez d'argent de poche pour qu'ils puissent s'abonner à* ITINÉRAIRES. *Ils seraient, plus que leurs aînés, accessibles à la persuasion...* 2:199 « *J'ai bien conscience que la survie d'*ITINÉRAIRES *est en jeu. Mais on se heurte à un mur, le mur de l'incom­préhension de ces traditionalistes qui trouvent* « *trop chère *» *une revue magnifique, irremplaçable, vendue tout juste à son prix de revient. Je ferai ce que je pour­rai... *» Il est bien évident que la revue ITINÉRAIRES est « trop chère » pour tous ceux qui n'en font rien, qui n'y apprennent rien, qui croient tout savoir et avoir tout compris depuis toujours. Ils ne s'apercevront même pas de sa disparition. Mais les autres ? Pourront-ils, voudront-ils se mobiliser comme nous le leur demandons, pour la campagne du 20^e^ anniversaire ? \*\*\* En même temps que nous ouvrions la campagne des 2.000 abon­nements nouveaux à la revue, nous ouvrions une souscription pour les COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES. Nous vous avons annoncé qu'ils ne sont plus en mesure de répondre aux demandes de bourses totales. Les demandes sont désormais inscrites sur une liste d'at­tente : dans l'attente de votre entraide. Les dons sont reçus aux COMPAGNONS, 40, rue du Mont-Valérien, 92210 Saint Cloud ; chè­ques postaux : Paris 19.241.14. Mais je ne vous donne pas encore les premiers résultats de cette souscription : ils sont jusqu'à présent encore plus réduits que ceux de la campagne d'abonnements. J. M. 3:199 ### Le capitaine Borella LE MOIS DE JUILLET dernier, notre monastère recevait la visite du Capitaine Borella et de ses amis. Tout de suite nous sentîmes que cette visite revêtait un caractère exceptionnel. Dominique Borella avait échappé, deux mois aupa­ravant, à l'enfer de Pnom Penh et se trouvait là comme par miracle, un paisible après-midi de dimanche, répon­dant à nos questions avec simplicité. Âgé de 38 ans, il en paraît 25, couvert de cicatrices, le teint basané, les cheveux blonds comme paille, coupés ras, avec une lueur enfantine dans le regard, et parfois, dans un éclair, la détermination implacable d'un hom­me *qui ne revient jamais en arrière.* Au bout de quelques minutes d'entretien, nous ap­prenions que cet ancien officier de Légion continuait à se battre contre le communisme international. « Le communisme nous fait la guerre aux quatre coins du globe. Donc je la lui fais, moi aussi. Je repartirai là-bas. Il y a des maquis déjà organisés. On peut déloger les communistes. C'est possible. » -- Et qu'allez-vous faire pour l'immédiat ? lui de­mandions-nous. -- « Je vais aider les villages chrétiens du Liban où les prêtres font le coup de feu avec les jeunes gens pour défendre leurs églises, leurs écoles et leurs mai­sons contre les terroristes feddaynes. Je pars sur la trace des croisés. » 4:199 Il disait cela d'une voix brève et tranquille comme s'il se fût agi de la chose la plus naturelle du monde. Il nous paraissait heureux et grave. Ainsi jadis, les Chevaliers de Terre Sainte devaient-ils s'en aller sans se retourner, avec l'indulgence plénière et le dédain de la mort. Puis ce fut le moment du départ. Nous nous serrâmes la main, avec un pressentiment. Deux mois plus tard, nous reçûmes la lettre sui­vante : *Marseille ce 6 Octobre 75* *Mon Père,* « *J'ai le regret de vous informer que le Capitaine Dominique Borella a été tué à Beyrouth ces jours derniers.* *Après être passé sa vie durant au travers d'em­bûches multiples, en Indochine, au Congo, en Algérie, au Yémen, au Cambodge, il a fini sa course au Liban où il se battait du côté des phalangistes chrétiens. L'étendard de ceux qui l'ont tué est vraisemblable­ment palestinien, mais je ne crois pas que cela avait grande importance pour lui. Au niveau d'une possi­ble rancune.* *Le Gouvernement libanais demande six millions de francs pour le rapatriement du corps, c'est-à-dire que Dominique restera enterré en terre étrangère. En no­vembre je me rendrai en Lorraine chez sa vieille maman lui ramener quelques affaires que nous avions conservées. Et nous essaierons de ne pas perdre de vue son petit garçon dont ses beaux-parents ont tou­jours eu la garde.* *Je sais qu'il avait gardé de vous, des vôtres et de votre saint lieu le souvenir d'un camp de base, d'un lieu de retraite fondamental et indispensable à la lutte que vous et lui menez à des postes différents.* *Il n'aurait pas dédaigné vous rejoindre un jour car au fond de lui son acharnement à la bataille était sa manière à lui de comprendre Dieu. Mais le destin en a décidé autrement.* 5:199 *Peu choyé par les siens, quelque peu délaissé par les militants de sa cause à son retour dramatique du Cambodge qui l'avait laissé totalement démuni, je suis sûr que si un groupe humain a réussi à retenir son estime au terme de son existence c'est du vôtre dont il s'agit. Il voulait absolument vous revoir après son périple libanais.* *Puissent vos prières lui assurer un séjour paisible et bienheureux dans l'autre royaume où* « *se tien­nent dans l'embrasure des portes des anges avec des épées *» (*José Antonio*)*.* *Je vous prie de croire... etc.* Dominique avait perdu son père très jeune et dès son adolescence il voulut être digne de celui auquel il avait voué un amour et une admiration éperdue. A 18 ans il s'engage dans l'armée comme volontaire pour l'Indochine. A Dien-Bien-Phu il reçoit la médaille militaire. Il est alors le plus jeune médaillé de France. Puis il gagne ses galons de laine, devient sous-officier et quitte l'Indochine en 1956 avec le corps expédition­naire au courage légendaire dans les rangs duquel il s'est couvert de gloire. On le retrouve en pleine guerre d'Algérie, capitaine au 2° R.E.P. Il n'a pas 25 ans. Ascension foudroyante, due à d'extraordinaires états de service qui révèlent un don inné du commandement ; il défie la mort chaque jour avec le courage tranquille des parachutistes de la Légion. Comme tant d'autres, et plus que d'autres, ce cœur pur ignorant le mensonge a pris au sérieux les paroles solennelles tombées de très haut dans le ciel d'Afrique : « L'Algérie doit montrer qu'elle est une terre fran­çaise aujourd'hui et pour toujours ! » (Oran, 6 juin 1958.) « Vous avez à liquider la force rebelle qui veut chasser la France d'Algérie et faire régner sur ce pays sa dictature de misère et de stérilité ! » (29 janvier 1960.) 6:199 « L'indépendance est impossible. Ce serait une sot­tise, une monstruosité ! » (mars 1960.) Le Capitaine Borella prête alors le fameux serment des officiers : défendre coûte que coûte l'Algérie, terre française, contre les reniements de la politique et les hordes du F.L.N. Entré dans l'O.A.S. aux jours sombres de la politique d'abandon, il continuera après l'indépendance, sous tous les horizons, la lutte contre le communisme inter­national. En 1974 il est capitaine de l'Armée républicaine du Cambodge pour 32.000 riels par mois (environ 75 francs). Il se voit confier le commandement et surtout la formation de la 1^e^ Brigade parachutiste cambodgienne. Blessé quatre fois, suivi passionnément par ses troupes, il est décoré, félicité, mais n'a guère le temps de revêtir le somptueux uniforme blanc et or aux réceptions que donne le Prince Maréchal Lon Nol. Pourtant quelques rares fêtes marquent une halte, ô combien brève ! Un de ses guerriers se marie : une photo nous le montre en tenue de campagne aux côtés du jeune couple khmer, tous deux revêtus de leurs habits de soie féeriques. A quelques kilomètres, la ba­taille fait rage. Il retourne au combat. Sur 2.000 hom­mes que comptait la Brigade parachutiste, 1.400 ont été tués ou blessés depuis janvier 1975. En février, les Américains ont cessé d'apporter l'aide promise en armes et en munitions, et c'est la retraite héroïque avec l'ordre donné par le Prince Maréchal de défendre Pnom Penh. Le capitaine Borella défend la ville rue par rue à la grenade et à la mitraillette avec 600 para­chutistes khmers. 7:199 Les Rouges, encadrés par des Nord-Vietnamiens et appuyés par des armes lourdes d'origine russe, défer­lent dans la ville. Le 12 avril, il refuse de partir avec le personnel de l'Ambassade américaine comme on le lui propose. Dans la nuit du 16, après un combat inter­minable, où les Rouges ont poussé devant eux des en­fants de 12 ans, le Capitaine Borella refuse le massacre et décide d'arrêter le combat. A l'aube, un de ses fi­dèles lui apporte un vêtement civil et il se présente à l'Ambassade de France. Là, un journaliste ([^1]) cherche à le repousser *et à le livrer.* Finalement, l'Ambassadeur le fait rapatrier. Il est à Marseille chez ses amis, anciens compagnons d'armes et fidèles entre tous. Le voici, tel que nous l'avons connu, totalement démuni, sans argent, presque honteux d'avoir à emprunter, lui qui avait porté des uniformes prestigieux, la poitrine cons­tellée de décorations. Mais nous n'avons jamais senti en lui l'ombre d'une amertume. Il parlait toujours avec respect de ses compagnons d'armes, prenait la défense des officiers cambodgiens, pauvres et intègres, calomniés par les journalistes, et citait le cas de l'austère général Srai-Ya dormant sur une natte, dans son trou individuel.. L'histoire ne dressera nulle stèle à ce colonial, par­tisan d'une guerre sans haine, qui savait, comme Lyau­tey, voir dans l'adversaire d'aujourd'hui l'ami de de­main. Sans doute, la nuit qui s'est étendue sur son corps le dérobe pour toujours à notre amitié, et il faudrait un miracle pour que son souvenir soit arraché à l'oubli des générations. Mais une autre gloire veille sur lui : ses frères d'armes venus l'accueillir dans une grande lumière qui lui font signe d'entrer dans la Patrie éter­nelle, et voici que sainte Jeanne d'Arc tout armée sur le seuil du Paradis, l'étendard à la main, lui sourit et le salue avec l'épée. Benedictus. 8:199 ## CHRONIQUES 9:199 ### L'affaire de Downham Market par Jean-Bertrand Barrère DOWNHAM MARKET*, dans le Norfolk, à une cinquan­taine de kilomètres au nord de Cambridge, est une petite bourgade agricole qui est tout d'un coup devenue un objet d'attention pour la presse britan­nique l'été dernier. Father Oswald Baker, curé de la pa­roisse depuis vingt-quatre ans, avait des ennuis avec l'au­torité diocésaine, et on parlait pour ou contre son renvoi.* *En effet, ce prêtre très consciencieux et très respecté de ses paroissiens, âgé d'environ la soixantaine, avait reçu le 7 août dernier de Mgr Clark, évêque auxiliaire du dio­cèse de Northampton, une lettre l'avisant qu'en raison d'un remembrement des paroisses la sienne serait désormais desservie par un prêtre de Swaffham, à une vingtaine de kilomètres de là. Sans discuter cette décision inattendue, Fr. Baker demanda s'il pourrait assister ce nouveau prêtre. Il lui fut alors révélé par une deuxième lettre de l'évêché qu'il* y *avait une autre raison,* « *plus personnelle *»* : c'est qu'il continuait, en dépit des instructions générales, de célébrer la* MESSE TRIDENTINE EN LATIN, *privant ainsi ses paroissiens du bénéfice de la* MESSE NORMATIVE EN ANGLAIS, *dite partout ailleurs. Une journée de prières organisée par ses fidèles alerta l'attention de la presse et bientôt de la télévision. Il y eut une correspondance dans le Times, une pétition circula et la chaîne de télévision locale montra des vues de la messe traditionnelle.* 10:199 *Il apparut ainsi, comme je le savais pour m'y être sou­vent rendu, qu'à Downham Market rien n'avait changé en dix ans. Mgr Clark devait le savoir, y étant allé, il avait été prié de célébrer la messe de saint Pie V et, dit-on, s'était exécuté. Mais cette fois, après les premières escar­mouches, il s'en remettait à l'évêque titulaire, Mgr Grant. Celui-ci fit donc savoir à Fr. Baker que la Messe Triden­tine en latin était* « *interdite *»*, à la fois par le pape du fait de la publication du Nouvel Ordo et par l'Instruction des évêques de Grande-Bretagne en date d'avril 1975.* (*On se méprend souvent à ce sujet en France, du fait que Mgr Heenan, archevêque de Westminster, aujourd'hui décédé, a obtenu du Vatican Il y a quelques années une* « *per­mission spéciale *» *pour la célébration de cette Messe à titre* exceptionnel). *A quoi Fr. Baker répondit qu'*en conscience *il n'en pouvait dire une autre. Il lui fut donc de­mandé de se démettre. Il opposa l'inertie. Mgr Grant dési­gna alors deux examinateurs du cas. Les choses en sont là à la Toussaint. Mais Mgr Clark laisse entendre que la question sera réglée pour Noël. Fr. Baker continue.* *La question soumise est de déterminer en quoi sa pré­sence prolongée à Downham Market peut être néfaste à la paroisse. Le maire, non-catholique, et une bonne partie de la paroisse, augmentée des traditionalistes de plus de cent kilomètres à la ronde, souhaitent son maintien. Une délé­gation a été poliment éconduite par l'évêché. Mais, entre temps, une série de la T.V.* (*B.B.C. 1*) Anno Domini, *géné­ralement intéressée aux manifestations plus avancées du sentiment religieux, qui a montré les adeptes du Zen, les Pentecôtistes, Mgr Suenens tout seul, etc., a consacré une séance à la question de la Messe Tridentine et de la Messe Normative, montrant des aperçus des deux, interrogeant diverses personnes, et même évoquant quelques images d'Écône. Il apparut alors clairement aux non-initiés, bien que le programme soit de tendance plutôt progressiste, que la question n'était pas seulement le latin, comme on croyait, mais aussi le changement apporté par un texte neuf, dont d'ailleurs la hiérarchie prétendait qu'il était le même, juste traduit pour une participation plus directe des fidèles. Ainsi on voyait les gestes d'un jésuite en veston qui mimait devant l'appareil l'élévation, tandis que la chasuble de Fr. Baker vue de dos obnubilait les siens, etc.* 11:199 *Mgr Grant parut sur le petit écran pour dire que, lui aussi, avait une conscience. Mgr Worlock, évêque de Portsmouth, assez en vue, expliqua ingénument que la résistance rencontrée avait surpris : on avait escompté une prompte disparition de l'espèce. Il invoqua la supériorité de la nouvelle liturgie, à la portée de l'homme moderne. Il n'hésita pas à arguer même qu'elle remplissait les chapelles catholiques en An­gleterre, quand elle les vide parfois, et que le nombre des vocations et conversions était en progrès, alors que toutes deux sont en notoire diminution.* *L'opinion publique, même parmi les non-catholiques, a vivement réagi. C'est que ce pays, en majorité anglican, -- quand il n'est pas libre-penseur ou indifférent, -- mais traditionnellement ouvert à toutes formes de culte, reste foncièrement attaché à la liberté. On blâme donc la hiérar­chie catholique pour se montrer aussi intransigeante que par le passé, et cela en un moment d'ouverture, remar­que-t-on, et en sens inverse. Cette réaction, pour nous assez paradoxale, n'en reflète pas moins le sens du fair-play, si cher aux Britanniques.* *Pour moi, je vois là un exemple de plus d'une persé­cution qui n'est que trop connue des lecteurs. Que l'ordre soit venu de Rome ou simplement des évêques, il y a plus qu'une simple coïncidence dans les injonctions quasi simul­tanées contre le curé de Riddes au Valais, celui de Franqueville en Normandie, celui de Saint-Hilaire en Vendée, celui de Downham Market en Angleterre. L'année de la réconciliation, si bien nommée, a été évidemment choisie pour balayer dans l'Église les derniers restes de résistance à la Réforme entreprise il y a quelque dix ans sous le couvert de l'autorité romaine. Au surplus, je retrouve dans cet exemple la démarche oblique, et particulièrement dé­plaisante, qui consiste à d'abord prétexter un motif tout autre, -- nouvelles limites de paroisse, honoraires de messe abusifs, publication en revue d'un prétendu* « *manifeste *»*, etc., -- pour en venir au fait, un fait que dix années de pression épiscopale n'ont pu faire admettre à un certain nombre de prêtres et de fidèles :* 12:199 *la proscription de fait, non de droit, de la messe de s. Pie V, celle d'hier, la messe d'ordination du pape, de la plupart des évêques, de nom­breux prêtres, la messe que nous réclamons et que cer­tains prêtres en somme héroïques maintiennent encore vivante contre le vœu supposé ou réel, qui le dira, du pape, de la hiérarchie dans sa totalité. L'Église, par ses évêques, invoque la tradition d'obéissance inqualifiée contre l'obéis­sance à la tradition. Il y a là une rupture extrêmement trou­blante de son histoire, une volte-face qui choque profondé­ment la raison et la foi, et s'il y a une crise de foi dans l'Église, il me semble que c'est d'abord là qu'entre autres il faut en chercher l'origine.* Jean-Bertrand Barrère. 13:199 ### Le socialisme giscardien par Louis Salleron BON NOMBRE DE FRANÇAIS qui ont voté pour Valéry Giscard d'Estaing se demandent aujourd'hui si, tout compte fait, une victoire de François Mitterrand n'eût pas été pré­férable. Elle aurait, en effet, provoqué certainement une accé­lération de l'inflation qui, après un an ou deux, aurait déter­miné une rupture permettant un redressement de la situation sur des bases saines. Autrement dit, nous aurions eu une sorte de réédition de l'expérience du Front populaire dont l'expé­rience financière fut désastreuse ; à l'automne 1938 les finances furent confiées à Paul Reynaud, la confiance revint, ce qui redonna à l'activité économique un élan presque immédiat. On ne peut le savoir, car l'Histoire ne se répète pas, mais ce qui est certain, c'est que notre pays s'enfonce chaque jour dans un socialisme plus étouffant. Les millions et les millions de Français qui en sont les premières victimes ne le savent que trop. Mais on en a des preuves objectives innombrables. La plus curieuse est sans doute l'insistance mise par tous les partis sur le thème de la *liberté.* M. Giscard d'Estaing veut convaincre le pays que sa société « libérale avancée » est la formule moderne de la liberté. M. Mitterrand laisse entendre clairement qu'au sein de l'union de la Gauche ce qui distingue le socialisme, c'est qu'il respecte la liberté. M. Marchais, sans vergogne, prône le parti communiste comme le seul parti de la liberté. Si les chefs de parti se déclarent tous les champions de la liberté, c'est qu'ils se rendent parfaitement compte que les Français commencent à s'épouvanter de la perte accélérée de toutes leurs libertés et à redouter l'installation d'un totali­tarisme qui les réduirait définitivement en esclavage. La cause de cette érosion progressive de la liberté est, bien évidemment, la socialisation des activités et des capitaux -- donc, le socialisme. Mais, Gribouille étant roi dans le do­maine politique, c'est au socialisme que les mêmes partis demandent la solution des maux dont il est cause. 14:199 Dans les partis d'opposition, cette absurdité a du moins la logique de la lutte électorale pour le Pouvoir. Mais quand, du côté de la majorité, le gouvernement se flatte, par la bouche de M. Lecanuet de « vider la gauche de tout son programme » ([^2]), l'illogisme est à son comble. Une autre preuve, non moins curieuse, est le rush vacancier de 1975 et l'accroissement des dépôts dans les caisses d'épargne. Ces deux faits présentent un trait commun tout en étant appa­remment contradictoires entre eux. Le trait commun, c'est qu'ils semblent révéler une grande prospérité, alors que chacun sait que l'économie est en pleine crise. La contradiction, c'est que, pour le plus grand nombre, il faut choisir de dépenser ou d'épargner. Ici, il y a à la fois dépense et épargne, ce qui semblerait indiquer une super-prospérité ; on retrouve le trait commun, mais qui devient plus inexplicable encore. L'expli­cation est à plusieurs étages. Il y a d'abord ce fait massif : la peur de l'avenir. C'est la même raison profonde qui pousse les gens à fuir le présent, la ville, le cauchemar, en les précipitant à la mer et à la campagne, et c'est la même raison qui les pousse à mettre de l'argent de côté pour parer aux prévisibles catastrophes. Mais, dira-t-on, de l'argent, il faut qu'ils en aient. Eh ! bien, justement, l'argent existe dans les *secteurs protégés.* Là où les affaires marchent, il y a de l'ar­gent, et chez les patrons et chez les salariés. Ailleurs, c'est « la ceinture ». Il est bien connu que dans les périodes d'inflation, et surtout quand celle-ci devient galopante, l'argent circule et crée une prospérité factice, limitée aux secteurs les plus inutiles de la société. Quoique nous ne soyons pas dans l'inflation galopante, la division entre secteurs riches et secteurs pauvres s'accroît. Mais même dans le secteur riche on déserte de plus en plus l'essentiel pour le superficiel. A-t-on remarqué ce chiffre incroyable de *sept millions de campeurs* dans les vacanciers de 1975 ? Camper dans la société est aujourd'hui le seul moyen de s'en sortir, en vacances comme dans la vie. Les problèmes de robinet -- pas ceux de l'arithmétique, ceux de la maison -- amènent chez moi de temps en temps un plombier que je connais bien et dont j'ai connu le père. Le type même de l'artisan, aimant son métier, honnête, sympa­thique en diable. Nous bavardons. Il est surchargé de travail. Je lui dis :. « Pourquoi ne prenez-vous pas un compagnon ? » -- « Ah ; non, merci. Je me bats déjà dans ma paperasserie impossible. J'y passe mes soirées. On est toujours embêté et soupçonné de frauder. Si j'ai un salarié, me voilà patron, avec des paperasses supplémentaires et la responsabilité de tous les côtés quoi qu'il arrive. Non, je ne veux travailler que seul. » 15:199 -- « C'est dommage. Du moins votre fils vous succèdera-t-il ? » -- « Hélas ! non. Il a compris et il est déjà entré comme salarié dans une entreprise. Comme cela il sera libre. » Je n'invente pas cette conversation, qui rend compte merveilleusement du processus de socialisation. Pour être *libre,* il faut n'être plus libre mais être le « client » de l'*État,* ou de l'*entreprise* et du *syndicat.* L'individu « indépendant » est sous la dépendance du Léviathan social qui le dévore pour nourrir ses propres clients. Quand tous les indépendants auront disparu, le totali­tarisme sera en place et Léviathan sucera les os de ses esclaves pour s'engraisser lui-même, en s'assurant par des privilèges le concours complice de ses technocrates. Particulièrement visible et sensible au plan financier, le socialisme a des effets beaucoup plus profonds et plus graves au plan social. Il attaque la sève et les racines de la société. Donnons quelques exemples. Au niveau de la démographie nationale, le socialisme étant un système financier de répartition fondé sur la vie active con­duit à la condamnation de la vieillesse et de l'enfance. La vieillesse est donc vouée à une situation de plus en plus misé­rable. Quant à l'enfance, on la limite de plus en plus par la contraception et l'avortement. Au niveau de la famille, l'adaptation au socialisme se fait spontanément. La famille est remplacée par le couple. L'homme et la femme travaillent, chacun de son côté, salariés bien en­tendu. On a un enfant, ou deux, qu'on confie à l'État dès la maternelle. Ainsi, dans l'ensemble, c'est la bonne vie. Au niveau de l'activité économique, ce sont les secteurs de base qui sont les plus touchés, -- la sidérurgie, le textile, les travaux publics, la chimie. Le chiffre d'affaires baisse et l'investissement est très ralenti, ou stoppé. Il est caractéristique que la « relance » se jauge à la vente des automobiles, des appareils de télévision, des réfrigérateurs. Au niveau des structures de l'État, tous les grands corps sont malades : l'Université, la magistrature, l'armée. Ne parlons pas de l'Église. Bref, de tous côtés, le socialisme fait craquer la société. Il *déstructure,* il *déracine,* il *décapitalise,* il fait *exploser* toutes les cellules et tous les noyaux de l'organisme social. Il sème la *ruine* dans le *divertissement.* Nous allons, n'en doutons pas, à la faillite. Ce ne serait pas tellement grave si l'on apercevait un corps de doctrine, un programme et des hommes pour remettre le pays sur ses pieds. Mais l'on n'aperçoit rien. 16:199 La rivalité pour le Pouvoir se tra­duit par une concurrence démagogique dont personne n'est dupe mais qui ne fait qu'accroître le processus de socialisation derrière le drapeau tricolore de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Voilà pour le court terme des années à venir. A plus long terme, c'est l'explosion démographique du Tiers-Monde, son irruption dans un Occident rongé par le refus de la vie, la bombe atomique, *Gaudium et Spes !* Mais il n'est pas interdit de croire aux miracles. Il s'en est produit souvent dans l'Histoire. Et même des miracles chré­tiens. Nous voyons le visible ; nous ne voyons pas l'invisible. Louis Salleron. 17:199 ### L'anarchie dans l'anarchie par Jean-Marc Dufour « Oui, dit Carlos en souriant, ce n'est pas à proprement parler un champ de courses et il est vrai qu'il n'y a pas, à proprement parler, de chevaux de course... Il est vrai égale­ment qu'on ne prend pas de paris... il est vrai enfin qu'il n'y a pas de public... -- Mais alors ? -- On voit entrer les bateaux, Ma­dame... » Eça de Queiroz,\ *Les Maïas* DEPUIS DES MOIS, on assiste à la progression de l'anarchie et à la désintégration de ce qui pouvait subsister d'État au Portugal. Pourtant, jamais les observateurs poli­tiques les plus lucides n'avaient osé prévoir une confirmation aussi éclatante de leurs pronostics. *Il faut bien souligner que la décision du gouvernement Azevedo de se mettre en grève est absolument sans précédent dans toute l'histoire constitu­tionnelle des pays connus, civilisés ou non.* On ne sait ce qui doit l'emporter devant un tel spectacle, de l'hilarité ou de la stupéfaction, -- les deux n'étant, d'ailleurs, pas incompatibles. Cependant, il faut bien voir que cette décision abracada­brante, digne du royaume d'Ubu, n'est qu'une conséquence. La source se trouve dans la nullité des hommes au pouvoir et de leurs conseillers, exploitée par les dirigeants du Parti Com­muniste Portugais -- car, si les militants portugais sont mé­diocres, leurs chefs sont intelligents --, exploitation favorisée par l'attitude équivoque, sinon complice, d'un certain nombre d'amiraux et de généraux M.F.A. : Otelo Saraiva de Carvalho, Fabiao et Rosa Coutinho. 18:199 A l'autre extrémité de l'actualité politique, la révolte des parachutistes de Tancos et leur putsch manqué relèvent de la même médiocrité intellectuelle, mais dans un autre registre. Au premier plan des responsables : Mario Soares. « Soares ? Mario Soares ?, me disait-on à Lisbonne, *son nom ne s'écrit pas comme ça. Il faut écrire So Ares. *» Dans cette nouvelle graphie, « So Ares » signifie « seule­ment des vents », ou « seulement des grimaces », selon qu'on choisit le sens littéral ou le sens figuré. La plaisanterie était vieille et avait déjà été employée, m'assurait-on, pour un autre Soares. Comme il n'y a que le beau qui ne s'abîme pas, elle demeure significative pour celui-ci. Depuis le début du gouvernement (si l'on peut dire) portu­gais actuel, la politique soutenue par Mario Soares a été exac­tement à l'inverse de celle que l'on aurait été en droit d'at­tendre d'un homme politique responsable. Il semblait évident, et le moindre apprenti en science gou­vernementale l'eût saisi, que l'expérience Azevedo n'avait de chances de succès qu'à la condition de présenter un front uni aux manœuvres des perdants, je veux dire : le Parti Commu­niste réduit à la portion congrue, et les militaires d'extrême-extrême-gauche qui voyaient avec consternation se profiler le moment où un peu d'ordre régnerait dans l'armée. Cela impli­quait que le Parti Socialiste chercherait un terrain d'entente durable avec les sociaux démocrates du P.P.D. et les modérés du G.D.S., réservant ses attaques au seul Parti Communiste. Or, c'est presque absolument l'inverse qui s'est produit. Le Parti Socialiste, par la voix de Mario Soares, n'a cessé de chercher querelle à ses alliés au sein du gouvernement. En revanche, il a fait alterner, à l'usage du P.C.P., le sucre et le bâton, avec une tendance marquée à insister sur le sucre. Répondant (en octobre dernier) à Marcel Niedergang, du *Monde,* qui lui demande en toute innocence si : « *Le P.C. reste l'ennemi principal ? *», Mario Soares éclate : « *Pas du tout. Nous n'avons jamais considéré le P.C. comme un ennemi. L'ennemi principal, c'est la droite qui conspire et qui attend. Le P.C. doit être associé au gouvernement, mais il faut le forcer à jouer le jeu de la démocratie. *» Ce qui ne l'empêche pas de déclarer, un mois plus tard : « *Le P.C. mène une politique de coup d'État permanent, une politique de conspiration contre la démocratie pour prendre le pouvoir par la force. Nous ne pouvons nous entendre. *» Il est bien évident qu'un gouvernement soumis aux vapeurs et caprices du chef du Parti Socialiste ne pouvait avoir de bases solides. Les convictions successives de Mario Soares ne firent que miner la pauvre autorité de Pinheiro de Azevedo. Une telle situation n'a pas échappé aux analystes du Parti Communiste, lequel en a joué avec une habileté dont on ne le croyait pas capable. 19:199 Reportons-nous, en effet, au mois de septembre dernier. A cette époque, le Parti Communiste faisait figure de vaincu, de vaincu sur tous les tableaux. Il avait perdu les élections d'aval 75 ; ce n'était pas très grave, car les militaires du M.F.A. n'at­tachaient visiblement aucune importance aux jeux électoraux. Il avait été incapable (et c'était déjà plus grave) de s'opposer au déferlement anti-communiste du Nord du Portugal. Il avait renoncé à tenir une réunion publique à Porto. Alvaro Cunhal, à Alcobaça, avait été assiégé dans la salle où il devait parler. Il avait assisté impuissant (et là, c'était très grave) au limo­geage de Vasco Gonçalves. Celui-ci avait eu, de surcroît, la maladresse de se dévoiler dans ses derniers discours, et d'ap­paraître ouvertement comme « l'homme du P.C ». Un ami résidant au Portugal, après m'avoir rappelé toutes ces défaites du P.C.P., ajoute : « Qui eût pu dire alors que, moins de trois mois plus tard, la possibilité d'un coup d'État mené par ce moribond pourrait être retenue comme une hy­pothèse de travail sérieuse ? » Tout le secret de cette résurrection tient dans l'application « scolaire » de la formule de Lénine enjoignant de frapper sur le maillon le plus faible de la chaîne. Le Parti Communiste n'a pas cherché à développer le nombre de ses électeurs po­tentiels. Il a admis sa défaite d'avril dernier et s'est tourné d'un autre côté. Il n'a pas cherché à s'imposer dans le Nord, et a laissé se refroidir les cendres de ses permanences incendiées. Il a concentré tous ses efforts pour discréditer un peu plus chaque jour le gouvernement Pinheiro de Azevedo, -- ce qui était la tâche la plus aisée. Pour cela, il n'a pas hésité devant la conclusion d'alliances immorales, « de concubinages » diraient les sud-américains. Au sein des S.U.V. (Soldats Unis Vaincront), ses militants ont fraternisé avec les gauchistes et les trotskistes. Les manifes­tations de rue à Lisbonne ont rassemblé les purs et les impurs, -- le seul but visé étant de mettre chaque fois un peu plus en lumière l'inconsistance de l'équipe au pouvoir. C'était facile : chaque décision « énergique » du gouverne­ment était suivie de son annulation. L'exploit le plus réussi fut le siège du Parlement. A peine le gouvernement avait-il décidé de bloquer les salaires, -- la masse salariale a déjà dépassée le Produit National Brut, soit dit en passant --, que les ou­vriers du bâtiment occupaient la rue, assiégeaient l'assemblée et séquestraient le chef du gouvernement qui, avec le bonheur qui l'accompagne, se trouvait justement là. Résultat : les sa­laires furent augmentés de 44 %. 20:199 On ne pourra pas payer ? On ne pourra pas payer. On fabriquera des billets ? Oui, on fabri­quera des billets. On n'en est plus à cela près. Il y a quelques mois, l'agence de nouvelles zurichoise *Inter-Informationen* af­firmait déjà que le gouvernement portugais avait fait imprimer, subrepticement, quelques millions d'escudos de billets... datés de l'ancien régime. Tout cela aurait encore, à la rigueur, pu passer si le gouvernement de Lisbonne avait été en mesure de s'appuyer sur un pouvoir militaire suffisamment fort et fidèle. Or, à l'époque, il n'en était rien. En effet, qui, jusqu'à la fin du mois de novembre 1975, occupait le devant de la scène ? Otelo Saraiva de Carvalho et le Copcon dont il avait le commandement. On savait, certes, qu'il existait, dans le reste du pays, des unités moins touchées par le virus contestataire, mais la force principale de la révolution était néanmoins le Copcon avec, entre autres, le Régiment d'Artillerie Légère de Lisbonne (RALIS), le Régiment d'Infanterie Opérationnel de Queluz (RIOQ), l'École Publique d'Administration Militaire (APAM), le Régiment de Cascais. Depuis le mois d'août 1975, le Copcon avait été amputé de ses Parachutistes et des Fusiliers Marins. Le passage à l'extrême-gauche des parachutistes de la Base-École de Tancos faisait encore pencher la balance en faveur des éléments les plus rouges. Le caractère explosif de la situation était accentué par la personnalité d'Otelo Saraiva de Carvalho, qui commandait à la fois le Copcon et la Région Militaire de Lisbonne. Otelo était certainement le personnage le plus pittoresque du M.F.A., celui dont les propos, -- même s'ils ne brillaient pas par la cohé­rence, -- avaient le plus de saveur et de causticité. Né au Mozambique d'un père portugais et d'une mère in­dienne, Otelo se fit le porte-parole du Frelimo auprès de Spi­nola lors des pourparlers qui allaient aboutir à l'indépendance de ce pays. A l'époque, il semblait être « révolutionnaire anti­spinoliste », mais sans plus. Visiblement, il n'avait eu ni le loisir ni le goût de pousser très loin des études politiques. Un temps, il se dit « social-démocrate », mais je crois qu'il ne savait pas exactement ce que cela voulait dire. Au 28 septembre, au 11 mars, il se trouva, bien sûr, du bon côté : celui des vainqueurs et de la révolution réunis. Dès ce moment-là, il se déclara dégoûté des partis politiques et manifesta son intérêt pour les groupuscules qui travaillaient aux « Comités d'Habi­tants », intérêt partagé par Rosa Coutinho. C'est de là que devait naître l'idée du « Pouvoir Populaire », -- autrement dit, des soviets locaux, mais indépendants des partis. A l'ori­gine, en somme, une idée gauchiste, reprise par certains militaires, puis adoptée par le Parti Communiste qui espère bien coiffer l'opération. 21:199 Après quoi, la grande révélation pour Otelo fut son voyage à Cuba. Le coup de foudre. Le petit Otelo se fit photographier à côté du grand Fidel (il doit bien y avoir 20 centimètres de dénivellation entre les deux) et le portrait des « Doublepatte et Patachon » de la révolution prolétarienne fut abondamment diffusé dans la presse portugaise. En cet automne 1975, il faisait figure de gêneur. Depuis deux mois, il ne perdait pas une occasion de se manifester aux côtés des éléments les plus rouges et, particulièrement, dans les réunions suscitées par les organisations « de front » du P.C.P. C'est ainsi qu'il honora de sa présence une manifestation sur « les problèmes brûlants de la réforme agraire », -- oc­casion pour lui de citer « Che Guevara », « mon idole de jeunesse, mon idole d'aujourd'hui », dans un de ces inou­bliables truismes qui parsèment son œuvre : « Aucune terre sans travailleurs, aucun travailleur sans terre. Guevara « idole de ma jeunesse », voilà qui est amusant juste au moment où Carvalho s'exprimait ainsi, l'hebdoma­daire Expresso de Lisbonne publiait des documents prouvant que, dans sa jeunesse, le lieutenant Otelo Saraiva de Carvalho avait été... instructeur de la Légion Portugaise, organisation salazariste chargée de lutter contre la subversion. Les prises de position d'Otelo devenant insupportables, un comité spécial, composé des trois Chefs d'État-Major des diffé­rentes Armes, du Premier Ministre et de deux représentants du « Groupe des 9 » se réunit à Belem et proposa à Carvalho de choisir entre trois solutions : ou bien, il prenait le pouvoir, ou bien il s'effaçait complètement de la scène politique et militaire, ou bien il acceptait les fonctions honorifiques de Vice-Chef d'État-Major Général (par ironie, cela avait été, justement, le poste de Spinola aux derniers jours du gouver­nement Caetano). Aucune de ces propositions ne convint à Otelo. Au con­traire, il demanda, entre autres : le renforcement du Copcon, le retour sous ses ordres des parachutistes et fusiliers marins détachés en août dernier, afin de pouvoir « combattre les ac­tivités contre-révolutionnaires et appuyer les initiatives de pouvoir populaire ». On en était là lorsque le gouvernement se mit en grève et que les parachutistes de la Base-École de Tancos décidèrent de prendre le pouvoir. A l'heure où j'écris, il est encore impossible de connaître toutes les implications et tous les prolongements du coup d'État manqué du 25 novembre. Pourtant, un certain nombre de points sautent aux yeux. 22:199 D'abord, l'impréparation manifeste des « comploteurs ». On sort de la caserne, on occupe les terrains d'aviation et les stations de radio... Bon. Et puis après ? Après ? Rien. Arrivent les chars « loyalistes ». Ils passent à 500 mètres des barrages installés par le RALIS. Il y a là des engins anti-chars, des canons sans recul. Que font-ils ? Rien. Les unités loyalistes reprennent les bases rebelles. Que se passe-t-il ? Rien. Quoi, le P.C. n'a pas organisé la moindre manifestation de soutien, même un peu loin des trajectoires prévisibles des balles ? Non. Pas de grève ? Non. Mieux : le P.C.P. a désavoué les militaires rebelles... Alors ? Alors, à première vue, il semble que nous nous trouvions, non pas devant un complot, mais devant une manifestation -- d'un caractère un peu particulier, je l'avoue -- de l'anarchie portugaise. Je peux me tromper, mais tout paraît s'être passé comme si les Parachutistes de Tancos, le RALIS et le Régiment de Police Militaire avaient décidé, comme ça, un beau matin, de manifester leur désaccord. « On sort ? » « Oui, on sort. » Et puis après ? Après, on ne sait pas très bien ; on fait la révolution avec le peuple. Mais le peuple n'est pas là... Je me souviens que, le soir des élections, sur le Rossio, au milieu des autos qui cornaient à en perdre le klaxon, j'ai eu la stupéfaction de voir, participant au cortège, une automi­trailleuse, toute seule. Visiblement, un des hommes de son équipage avait dit : « On y va ? » Et les autres avaient répon­du : « On y va. » Le 25 novembre 75, trois régiments « y sont allés ». Trop pour une manifestation ; pas assez pour un coup d'État. Jean-Marc Dufour. ### Tour d'horizon ibéro-américain L'Angola et Cuba On sait que la guerre civile fait rage en Angola. On estime à 20.000 le nombre des morts victimes de l'indépendance. On sait moins que le M.P.L.A. est soutenu en matériel par l'Union Soviétique, alors que les autres mouvements -- le F.N.L.A. et l'Unita -- sont ap­provisionnés par le Zaïre, les États-Unis, la Chine de Pékin et, semble-t-il, occasionnelle­ment et par l'intermédiaire du Zaïre, la France. 23:199 C'est ainsi qu'un blindé de fabrication française a été capturé par le M.P.L.A. Les responsables de ce mouvement firent remorquer l'engin dans les rues de Luanda. On vit donc un blindé, français d'ori­gine (c'était mal), tracté par un autre blindé, lui, de fabri­cation soviétique (là, c'était bien). Ce qu'on sait aussi un peu, c'est que Fidel Castro a en­voyé 3.000 (selon les uns), 6.000 (selon les autres) sol­dats cubains combattre aux côtés du M.P.L.A. Ce qu'il n'avait pas prévu, c'est qu'un certain nombre d'invincibles soldats cubains se feraient tuer, blesser ou capturer. Ce qui s'est produit. Les pertes commencent même à devenir suffisamment im­portantes pour préoccuper sé­rieusement le haut comman­dement cubain. Le Pérou en révolution (suites) Après la chute du Président-Général Alvarado, la révolu­tion péruvienne suit, dit-on, son cours. Un cours mouve­menté, car l'examen des comp­tes a conduit le nouveau Gé­néral-Président à réclamer d'urgence quelques démissions. Cela est d'autant plus farce que la « révolution péruvien­ne » avait été un sursaut de l'honneur et de la probité des chefs militaires, face à la cor­ruption du précédent régime. Parmi les « démissionnés » le ministre de la guerre, le président du conseil présiden­tiel, le directeur des services d'information, ainsi que l'at­taché de presse du général Alvarado, Augusto Zimmer­man, qui : publia il y a quel­ques mois un volume à la louange de « son général ». Pendant ce temps, les mou­vements d'extrême-gauche se réveillent. Il ne se passe pas de semaine sans qu'un minis­tre ne dénonce les sinistres projets des Rouges. Le chef trotskiste Hugo Blanco, qui avait, du temps d'Alvarado, trouvé une sinécure dans un quelconque ministère, reprend son activité politique. L'alliance de fait qui s'est opérée durant le gouvernement Alvarado entre la révolution et la corruption, quel beau su­jet de discours latin ! Mais on ne fait plus de discours latins. Quant au Général ex-Prési­dent, il se plaint, et la presse sud-américaine nous apprend qu'on ne le laisse plus sortir de chez lui. Colombie,\ Terre des Orchidées Les statistiques révèlent qu'il s'est produit, au cours de l'année 1974, 53 enlèvements suivis de séquestration et ex­torsion de rançons dans les principales villes de Colom­bie, soit un par semaine et un en prime. La ville de Medellin doit battre le record du kidnap­ping. Colombie,\ Terre des Orchidées (suite) Le gouvernement colombien a dû procéder à la relève de toutes les unités militaires sta­tionnées dans l'État d'Esme­raldas. 24:199 Comme son nom l'indique, l'État d'Esmeraldas est celui dans lequel se trouve la quasi-totalité des mines d'émerau­des de Colombie. On extrait tous les jours de ces mines pour environ deux à trois mil­lions de pesos colombiens d'émeraudes. En principe, les militaires doivent surveiller les prospecteurs, entre lesquels les règlements de compte sont fréquents et sanglants. Les émeraudes sont -- en théorie --. vendues sous le contrôle de l'État. Sur dénonciation, une com­mission a été envoyée sur place, afin de vérifier s'il était exact que les militaires s'étaient « entendus » avec les contrebandiers. Comme l'an­nonce le communiqué de l'ar­mée (qui n'en dit pas plus) : « La conséquence immédiate a été la relève des compagnies cantonnées dans la zone. » Argentine : ça continue La lecture des articles de la presse sud-américaine re­latifs à la situation en Argen­tine est parfaitement mono­tone. Ce sont les mêmes con­sidérations sur l'acharnement d'Isabel de Peron à rester au pouvoir, sur le désir de l'ar­mée de la voir partir, sur le refus de la même armée d'as­sumer (après le départ d'Isa­bel de Peron) une situation catastrophique. En résumé : tout le monde est d'accord sur le fait que ça ne pourra pas durer, mais personne ne veut prendre la responsabilité de renverser le château de cartes. On tue toujours beaucoup. On en est arrivé au point où, chaque bande ayant son style, on reconnaît les assassins à leur marque de fabrique. Une nouvelle variété de terroris­me : le « terrorisme indus­triel ». Les augmentations de salaires ayant été interdites par le gouvernement, cela consiste pour les ouvriers à enlever le directeur (avec ou sans son état-major) ; le cher homme est alors bien forcé de consentir cette augmentation interdite. Les objets de première né­cessité continuent à faire défaut. Un ami récemment ve­nu de Buenos Aires me disait que les cliniques et hôpitaux prient les malades de se mu­nir de bandes de gaze ou de bandes Velpeau avant de se faire hospitaliser pour une in­tervention chirurgicale. Il n'y a plus d'aspirine. Colombie, Terre des Orchidées\ (autre suite) Un rapport de la police co­lombienne établit que la va­leur des diverses drogues (co­caïne, morphine, L.S.D., has­chich, etc.) saisies par la po­lice colombienne, au prix de revente sur le marché clan­destin des États-Unis, repré­senterait une somme égale à la moitié du budget colom­bien. Le même rapport estime que cette quantité saisie équi­vaut au dixième de la drogue ayant transité par la Colombie. 25:199 Chili : les « humanistes délicats »\ de la gauche La police chilienne a arrêté de nombreuses personnes fai­sant partie du « Front de Li­bération Nationale ». Il s'agit de membres des ex-partis com­muniste, socialiste, Mapu, Gauche Chrétienne, et d'élé­ments de la Démocratie Chré­tienne de gauche. Le Front de Libération Nationale prévoyait « l'assassinat des quatre mem­bres de la Junta, le renverse­ment du gouvernement et l'im­plantation d'une administra­tion marxiste léniniste ». Le mouvement était financé de l'étranger. J.-M. D. 26:199 ### Billets par Gustave Thibon La propriété privée est la sauvegarde de la liberté 5 septembre 1975 La pensée socialiste consi­dère la propriété privée -- et spécialement celle des moyens de production -- comme la source essentielle de l'oppres­sion et de l'esclavage : c'est elle, nous dit-on, qui permet cette « exploitation de l'hom­me par l'homme » qui est le grand péché social et il suffi­ra de l'abolir pour que l'hu­manité soit enfin libre et heu­reuse. Nous ne nions pas que, com­me toutes les autres institu­tions humaines (pouvoir poli­tique, justice, armée et jusqu'à l'Église en tant qu'organisme temporel) la propriété privée ait pu donner lieu, au cours des temps, à de très graves abus. Mais l'abus ne condam­ne pas l'usage et nous affir­mons que ; dans son principe, la propriété privée est le pre­mier fondement de la liberté. Et cela aux deux sens du mot : indépendance à l'égard des pouvoirs extérieurs et faculté d'épanouissement personnel. Nous dirons même que le régime de la propriété privée est favorable non seulement aux détenteurs de la proprié­té, mais aux non-propriétaires eux-mêmes. Aux propriétaires d'abord. L'homme qui possède une maison, des terres, de l'ar­gent, etc. détient du même coup des réserves qui, comme l'a très bien vu Marx, assu­rent son indépendance et font qu'il n'est pas obligé, comme le prolétaire, d'accepter n'im­porte quel travail, sous peine de mourir de faim : il a la faculté d'attendre et de choi­sir. Il peut aussi exercer et cultiver sa liberté en aména­geant sa propriété suivant ses talents et ses préférences : si vous logez dans une caserne ou une chambre d'hôtel, vous ne pouvez rien y changer, mais si vous possédez une maison, vous êtes libre de la meubler et de l'orner comme il vous plaira. 27:199 Outre cela, qui dit proprié­té privée, dit aussi responsa­bilité personnelle. Quand par exemple, une usine est gérée par son propriétaire, le pa­tron est sans cesse rappelé à son intérêt personnel qui ne fait qu'un avec, celui de l'en­treprise. Or, chacun sait que la responsabilité est la meilleure école de la liberté. Mais les non-propriétaires, dira-t-on. Eux aussi sont plus libres sous le régime de la propriété privée. D'abord, par­ce qu'ils ont la possibilité de choisir leur employeur, tan­dis que, dans un système de propriété collective (qui, dans la situation du monde actuel, ne peut être qu'une propriété d'État), ils dépendent d'un patron unique et tout-puissant qui leur dicte ses conditions et qui ne tolère ni résistance ni même dialogue. De plus, un régime de saine concurrence, avec l'émulation et la sélection qui en résultent, facilite leur promotion sociale. Enfin, ils ont toujours la possibilité, par le travail et l'économie, d'ac­céder à leur tour à la pro­priété privée. Tout au contraire, la pro­priété collective régie par l'État défavorise les citoyens libres et actifs au profit de quelques chefs politiques et d'une masse de fonctionnaires irresponsables et parasites. Tout est résumé dans cette phrase admirable de Prou­dhon : « la propriété est la plus grande force révolution­naire qui existe et qui puisse s'opposer au pouvoir ». Il faut prendre ici le mot de révo­lution, non dans le sens d'un bouleversement violent et anarchique, mais dans celui d'un retour à l'ordre naturel des choses qui exige, non pas une égalité chimérique entre les hommes, mais que chacun travaille librement, pour le plus grand bien de tous, à la place qui convient à ses ap­titudes et à ses goûts. Le message et le messager 12 septembre 1975 On parle beaucoup aujour­d'hui -- et spécialement dans les milieux ecclésiastiques -- de la nécessité de moderniser l'enseignement religieux, c'est-à-dire de l'adapter à l'état d'esprit et au langage de notre époque, afin de mieux faire pénétrer dans les masses le message de vérité et d'amour de l'Évangile. Des expressions comme « marcher avec son temps », « être à la page », « avoir le sens de l'histoire », etc. sont révélatrices de cette nouvelle mentalité. Et on in­voque, pour la justifier, le mot célèbre de saint Paul : « se faire tout à tous ». Cette attitude correspond, dans son principe, à une saine réaction contre le jansénisme des générations précédentes. Trop longtemps l'apostolat chrétien s'était borné à l'en­seignement d'une théologie abstraite et d'une morale né­gative. On prêchait l'Évangile sans tenir compte des capacités intellectuelles ni des be­soins affectifs des auditeurs, c'est-à-dire sans se préoccuper d'être compris et suivi. 28:199 Et la religion, ainsi réduite à un ensemble de dogmes obs­curs et de règles rébarbatives, n'avait presque plus aucun lien avec la vie réelle et l'ac­tion. Cela admis, n'est-ce pas de l'excès contraire que nous souffrons aujourd'hui ? Si beaucoup d'anciens prêtres stérilisaient le message faute de savoir l'adapter aux besoins des hommes, est-ce que nos jeunes apôtres, en l'adaptant sans discernement aux goûts de l'époque et de la foule, ne tombent pas, en sens inverse, dans la même erreur -- au­trement dit, en voulant à tout prix plaire à tout le monde, ne cherchent-ils pas incon­sciemment à faire agréer leur propre personne plutôt que la vérité qu'ils ont le devoir de transmettre ? Que signifie en effet le mot de saint Paul ? D'abord qu'il faut que l'apôtre se donne à tous, de toute son âme ; en­suite qu'il doit se mettre à la portée de chacun, lui parler un langage qu'il puisse com­prendre, lui apporter un ali­ment qu'il soit capable de di­gérer. Victor Hugo avait trouvé cette excellente formule : « rendre Dieu respirable aux hommes ». Mais cela ne veut pas dire que, sous prétexte de mieux délivrer le message, il faille adopter toutes les opinions, flatter toutes les passions et renchérir sur le goût -- ou le mauvais goût -- du jour. J'ai entendu récemment un jeune prêtre qualifier les apôtres du Christ de « militants » et présenter la fête de la Tous­saint comme « le meeting cé­leste ». De telles concessions à l'actualité peuvent rendre le messager sympathique, mais aux dépens de la substance et de la vérité du message. En fait, à la sortie de l'Église, j'entendis quelques auditeurs dire en souriant : « Ce curé est un brave homme, il pense tout à fait comme nous », ce qui signifiait qu'il avait con­verti les gens à sa personne, non à ses idées. J'ai parlé du prêtre mais on peut en dire autant de tout homme qui a un message à transmettre. Cet homme, cer­tes, doit savoir plaire pour faire accepter son message, car « on ne prend pas les mouches avec du vinaigre », mais il ne doit pas vouloir plaire jusqu'au point d'altérer et de dénaturer ce message, car ce qui importe pour lui c'est moins d'inspirer une sympathie personnelle que de transmettre une vérité uni­verselle. Il doit même, quand les circonstances l'exigent, se résigner à déplaire comme on déplaît aux enfants en leur donnant le bon pain dont ils ont besoin plutôt que les friandises nuisibles dont ils ont envie. L'exemple du Christ nous montre la voie à suivre. Nul plus que lui ne fut « tout à tous », mais il ne transigea jamais sur la vérité et n'hé­sita pas à s'opposer aux pha­risiens ni même à reprendre ses propres disciples quand ils interprétaient mal son mes­sage. 29:199 L'envie et ses remèdes 19 septembre 1975 L'envie, nous disent les mo­ralistes, est un sentiment de tristesse que nous éprouvons devant les qualités ou les avantages du prochain. Ainsi le pauvre envie le riche, le malade le bien portant, la femme laide la jolie femme. etc. Sous une forme plus grave, c'est le sentiment de joie et de revanche que nous ressen­tons quand le prochain subit des revers ou des malheurs. Les Chinois racontent l'his­toire suivante qui montre à merveille jusqu'à quelle absur­dité peut conduire cette pas­sion : Une fée apparut un jour à un homme qui enviait férocement son voisin et lui dit : « Demande-moi ce que tu voudras et je te l'accorderai aussitôt mais à cette condi­tion : je donnerai le double à ton voisin. » -- L'envieux réfléchit un moment, puis ré­pondit : « Crève-moi un œil. » De tels envieux, par bon­heur, sont rares. Mais rares sont également les hommes qui n'ont jamais éprouvé un peu d'amertume devant la su­périorité ou les succès du prochain. « On est pauvre de tout ce qu'ont les autres », a dit un philosophe. Quels sont les remèdes à cette maladie de l'âme ? D'abord, l'amour bien com­pris de soi-même. Car l'envie ne change rien aux avantages de l'être envié, tandis qu'elle fait souffrir, -- moralement et parfois physiquement, ce­lui qui l'éprouve. « Il en aura la jaunisse » dit le langage populaire en parlant de l'en­vieux. Ensuite, un peu de bon sens et de réflexion. « Si nous con­naissions bien ce que nous désirons, nous désirerions peu de choses avec ardeur », di­sait La Rochefoucauld. L'en­vieux ne voit que le bon côté de ce qu'il envie. Prenons l'exemple du pauvre qui envie le riche. Il voit toutes les pos­sibilités de plaisir et d'éva­sion que procure la fortune ; ce qu'il ignore, ce sont les soucis et les responsabilités qui l'accompagnent, -- ou bien, si le riche ne travaille pas, la satiété et l'ennui qui sont la rançon d'une existence oisive et gavée. De même pour la beauté : combien de fem­mes se sont perdues ou n'ont mené qu'une vie futile et fac­tice en cédant aux facilités et aux tentations qui s'offrent à la beauté : -- « Tout cela ne serait pas arrivé si j'avais été moins jolie », me dit un jour, après plusieurs aventures dé­cevantes, une jeune fille qui avait perdu la tête après avoir été proclamée reine de beau­té... L'on peut en dire autant de tous les autres objets de l'envie. Et enfin, le meilleur des re­mèdes, c'est encore l'amour du prochain et le sentiment de la solidarité entre les hom­mes. Pourquoi pas moi ? pense l'envieux. Mais nul ne peut tout avoir ; l'harmonie de la société, comme celle d'un or­ganisme, exige l'inégalité des membres qui la composent. 30:199 C'est la diversité des parties qui fait la perfection de l'en­semble. Si je me sens lié a cet ensemble, au lieu d'envier mon prochain, je participe­rai à ma façon à sa supério­rité. Celui qui est plus riche que moi, pourra me donner du travail ou me secourir dans ma détresse, celui qui me dé­passe en intelligence m'ap­prendra toujours quelque cho­se et j'aurai plaisir à regarder celui qui est plus beau que moi : Alors, pour reprendre le mot cité plus haut, je me sen­tirai riche, au moins en es­prit, de tout ce qu'ont les autres. L'envieux en rapportant tout à lui-même, se condamne à une souffrance stérile, car l'homme ne vit que de com­munion et d'échanges. Au lieu d'envier les dons des autres, chacun peut faire fructifier au maximum ses dons personnels afin d'assurer son propre bon­heur et de collaborer, par son travail et par son exemple, à celui de la société tout entière. L'automne et le printemps 26 septembre 1975 Parmi les démagogies qui fleurissent à notre époque, celle de la jeunesse est peut-être la plus basse et la plus creuse. Le seul accent avec le­quel certains spécialistes de cette démagogie s'écrient : *Vous, les Jeunes !* me donne envie de fuir pour respirer l'air des solitudes. Jeunesse, dans leur bouche, devient synonyme de perfection ; les jeunes, par le seul fait de leur âge, ont tous les mérites et tous les droits, ils représen­tent le type suprême de l'hu­manité : la nouveauté et le bien s'identifient. La dernière affiche de la propagande anti-alcoolique, étale le visage rayonnant d'un jeune sportif près de la face dégradée d'un vieil ivrogne avec cette lé­gende : alcoolisme = anachron­isme. Là où il faudrait dire : l'alcoolisme est un mal en soi et pour tout le monde, on se contente d'insinuer : si vous buvez, vous retardez, vous êtes vieux-jeu. A ce compte, se rompre les os en conduisant follement une automobile n'est sûrement pas un anachronis­me (l'âge moyen des victimes des accidents de la route prouve au contraire que rien n'est plus « à la page », plus « nouvelle vague »), mais est-ce une raison suffisante pour approuver ce jeu de massacre ? L'idolâtrie de la jeunesse est, paraît-il, inspirée par l'op­timisme. J'y trouve plutôt des raisons de désespérer pour toutes les générations. Pour les jeunes d'abord, car, dans cette perspective ils ne peuvent attendre de l'ave­nir qu'amoindrissement et dé­chéance : chaque jour leur enlève un peu de cette mi­raculeuse perfection du pre­mier âge. Pour leurs aînés ensuite, car, anxieux et incapables de revenir en arrière ils essaye­ront sans fin et sans résultat de ranimer leur jeunesse mor­te et leurs espérances se con­vertiront en nostalgie. La né­vrose du vieillissement, la pro­lifération des adolescents mal liquidés sont la conséquence normale de l'adoration de la jeunesse. 31:199 Les courtisans de la jeu­nesse vous disent que ce qu'ils aiment dans les jeunes, c'est l'avenir qu'ils représentent. Nous sommes bien d'accord. Mais où se situe donc cet ave­nir sinon dans l'époque où, par la force des choses, ils auront déjà perdu leur jeu­nesse ? La jeunesse n'est donc pas une perfection par elle-même ; c'est une promesse. Or, la valeur d'une promesse consiste, non seulement à être faite, mais surtout à être tenue. Notre premier devoir envers les jeunes est donc de les ar­mer pour les combats de de­main plutôt que de nous ex­tasier sur leurs privilèges d'aujourd'hui, -- pauvre avan­tage exclusivement chronolo­gique qui ne peut aller qu'en s'effritant. Et cela, non en jouant avec eux d'égal à égal sur un terrain qui n'est plus le nôtre, mais en leur offrant le modèle de ce qu'ils pour­ront devenir, s'ils sont cou­rageux et fidèles. Socrate ne flattait pas les jeunes Athé­niens : il leur-montrait l'ima­ge d'un homme qui avait su mûrir : au lieu d'encenser leur présent, il orientait leur avenir. On se plaint que les jeunes ne respectent plus leurs aînés. Mais est-il beaucoup de ces aînés qui se respectent eux-mê­mes, c'est-à-dire qui répondent aux exigences de leur âge ? Le vieillissement est ressenti comme une injure imméritée de la destinée ; on étire, on singe la jeunesse au-delà des limites du bon sens et du bon goût ; on la met en conserve comme les petits pois extra­fins qu'on cueille avant l'heure pour les consommer en tout temps. « Qui n'a pas l'esprit de son âge de son âge a tout le malheur. disait un poète. Le seul moyen de rester jeune en vieillissant, c'est de renoncer à le paraître. Femmes ou hommes, maquil­lés de corps ou d'esprit, les transfuges de la vieillesse sont doublement vieux, -- vieux de leur refus d'être ce qu'ils sont, et des vains efforts qu'ils dé­ploient pour redevenir ce qu'ils ne sont plus. A n'ac­corder de valeur qu'au prin­temps, on fausse le rythme des quatre saisons, à commen­cer par le printemps lui-même qu'on fait avorter en l'ado­rant. Les âges de la vie, phases d'un même cycle, ne s'oppo­sent pas, ils se complètent. Ce que, sans savoir peut-être, les jeunes attendent de nous, ce sont les présents et les exem­ples de l'arrière-saison : la saveur des fruits mûrs et la transparence des feuilles et non le masque d'un printemps factice sur le visage fané d'un stérile automne. L'escalade du crime 3 octobre 1975 Les hold-up et les attentats politiques avec prise d'otages se multiplient à une cadence redoutable. J'ai assisté hier à un dialogue sur cette ques­tion brûlante entre un magis­trat de la vieille école et un jeune avocat farci d'humani­tarisme. 32:199 Il faut à tout prix enrayer cette épidémie, disait le pre­mier. Et le seul moyen abso­lument radical serait de dé­créter une fois pour toutes que tout preneur d'otages sera automatiquement abattu par la police, même s'il y a dan­ger pour les otages. On aurait peut-être une ou deux victi­mes la première fois, et en­core n'est-ce pas certain, car si les hors-la loi sont tout à fait capables de tuer, ils ne tiennent pas non plus à tuer pour le plaisir, surtout s'ils sont sûrs d'être exécutés en même temps que leurs victi­mes. Leur comportement n'est qu'une variante odieuse du classique : « la bourse ou la vie ». Le jour où ils auront compris que non seulement ils n'auront pas la bourse mais qu'ils perdront simultanément la vie, ils mettront d'eux-mêmes fin à des exploits aussi peu payants. -- On n'a pas le droit d'ex­poser à la mort des individus innocents, a répondu avec in­dignation le jeune homme. Les otages ne doivent courir aucun risque. -- Éviter tout risque pour les otages, c'est donner toutes les chances aux criminels. Je ne fais pas bon marché de la vie des employés (ou des clients, car eux aussi servent parfois d'otages) des établis­sements financiers, mais n'y a-t-il pas des accidents mortels du travail dans cent au­tres professions : les mineurs, les maçons, les bûcherons, le personnel volant de l'aviation, etc., -- avec cette circonstan­ce négative qu'ils ne prévien­nent pas les accidents ulté­rieurs ? Autre exemple : com­bien de conducteurs prudents sont chaque jour les innocen­tes victimes des chauffards ou des ivrognes ? Va-t-on inter­dire pour cela la circulation automobile ? Non, les dieux de la route continueront a exiger leur lot quotidien de sacrifices humains... -- Il y a cette énorme dif­férence que, dans tous les cas que vous citez, il s'agit d'un comportement involontaire ou d'une aveugle fatalité, tandis que la mort des otages dépend de l'arbitraire d'un tiers responsable -- législateur ou policier. Et quel cynisme d'oser préférer quelques centaines de millions légers à la vie d'un être humain ! -- Je ne suis pas cynique, mais réaliste, c'est-à-dire par­tisan du moindre mal. Il n'y a pas en effet de commune mesure entre une vie humaine et une somme d'argent, si im­portante soit-elle. Et votre rai­sonnement humanitaire est ac­ceptable aussi longtemps que les attentats restent relative­ment peu nombreux. Mais sup­posons qu'encouragés par la faiblesse de la répression, ils se multiplient démesurément (et les statistiques montrent que nous avançons dans ce sens), où trouvera-t-on assez d'argent pour neutraliser les menaces des gangsters ? A la limite -- et sans même parler de l'an­goisse liée à l'insécurité gé­nérale -- quelle est la part du revenu national (exempt de l'impôt qui pèse si lourde­ment sur la majorité des hon­nêtes gens !) qu'on pourra leur attribuer sans faire cra­quer l'économie du pays ? Et quant aux otages enlevés à des fins politiques, suffira-t-il de kidnapper et de menacer de mort un ambassadeur ou un ministre pour obtenir une passation de pouvoir au profit de la faction dont les assassins sont l'instrument ? L'homme qui mise uniquement sur la violence n'entend pas d'autre langage que celui de la vio­lence... 33:199 J'ai écouté cette discussion sans oser prendre parti. Je sais que toute capitulation de­vant la violence ne peut qu'at­tiser la criminalité. Et je sais aussi qu'il est trop facile d'ê­tre intransigeant quand la vie exposée n'est ni la nôtre ni celle d'un être cher. Dans un domaine voisin et malgré le mot de Napoléon affirmant que le chef de guerre qui ne sait pas regarder d'un œil sec un champ de bataille couvert de morts et de blessés risque de faire tuer inutilement des mil­liers d'hommes, je n'envie pas le sort du général qui, pour épargner l'ensemble de son ar­mée, n'hésite pas à livrer au feu un faible contingent de soldats... Où donc est la solution ? Je pense que le dernier risque à courir est d'exposer la vie des otages, depuis l'humble em­ployé de banque jusqu'au grand personnage séquestré par des gangsters. politiques, -- et cela avec une préférence marquée pour le premier, car l'étendue des risques doit être proportionnée à la grandeur des fonctions. Il s'agit avant tout d'adap­ter la dureté des sanctions à la monstruosité des forfaits. La législation de nos pays occidentaux, avec ses formalités et ses lenteurs, joue trop sou­vent en faveur des truands et au détriment de leurs victimes. Qu'un otage soit abattu par un gangster, personne ne le res­suscitera, mais l'assassin, à supposer qu'on parvienne à l'arrêter, aura de longs mois devant lui pour préparer sa défense (il se trouvera tou­jours un avocat évoquant son enfance malheureuse ou trop gâtée, -- le « mal aimé » ou le « trop aimé », -- et le pré­sentant comme une pitoyable victime de la société), puis son recours en grâce, sa libé­ration conditionnelle ou son évasion. Quitte à reprendre le cours de ses exploits, après cette mise à l'ombre et au vert... Je n'ai aucune inclinaison spéciale pour la peine de mort. Mais s'il est un cas où elle doive s'appliquer sans recours et sans délai, c'est bien celle-là. S'il y a un reste d'honneur dans le crime à cause du dan­ger affronté, la prise d'otages, ce combiné odieux de violen­ce et de lâcheté, n'en laisse rien subsister et ne mérite au­cune lueur de pitié. Et je parle ici dans l'intérêt, non seule­ment des honnêtes gens, mais des mauvais garçons de toute espèce, car si l'escalade des crimes se poursuit, la société mortellement menacée finira par réagir avec une rigueur ex­cessive, même en ce qui con­cerne les délits mineurs. Concluons sur une note hu­moristique. Un homme d'affai­res me disait récemment avec un accent plein de mélanco­lie : « Aujourd'hui, cher Mon­sieur, il n'y a plus de moyens honnêtes pour faire fortune. » Le gangster brandissant un re­volver sur des otages extrait, si je puis dire, la quintessence des moyens malhonnêtes. Dans une époque où l'on conteste si violemment la propriété privée et le pouvoir de l'ar­gent, ce serait une étrange contradiction que de ne pas extirper ce surgeon sauvage, pourri et parfaitement anti­social du capitalisme ! 34:199 Progrès et problèmes de la médecine 10 octobre 1975 La médecine a réalisé, de­puis un siècle, des progrès foudroyants. La chirurgie sau­ve chaque jour d'innombra­bles vies, les grandes épidé­mies sont jugulées, la morta­lité infantile est presque réduite à zéro : dans nos pays occidentaux la durée moyenne de l'existence humaine a plus que doublé. On vit plus longtemps qu'au­trefois. Mais, dans l'ensemble, se porte-t-on mieux ? Il est punis d'en douter quand on voit la santé branlante de la plupart de nos contempo­rains : rares sont les hommes qui ne souffrent pas plus ou moins de quelque chose, qui ne consultent pas régulière­ment le médecin, ne prennent pas de remèdes ou ne suivent pas un régime. Les conditions artificielles de la vie moderne (agitation, bruit, confort ex­cessif, etc.) et l'abus de dro­gues de plus en plus compli­quées et dont on ignore les ef­fets lointains, plongent l'hom­me du vingtième siècle dans une sorte d'état intermédiaire entre la santé et la maladie qui exige l'intervention pres­que constante de la médecine. Cette situation est si grave que les médecins organisent des congrès dont le thème est l'étude maladies thérapeu­tiques, c'est-à-dire provoquées par les remèdes. Cet état de choses assure la prospérité de la médecine, mais non le bonheur des hom­mes. Il n'est pas normal que tant d'individus ne puissent pas trouver le sommeil ou sup­porter le plus léger mal de tête sans prendre un cachet... Il faudrait peut-être se con­fier davantage aux réactions naturelles et réserver l'inter­vention médicale pour les cas sérieux. Le vieux notaire de mon village demandait un jour à mon grand'pére : « Com­ment faites-vous pour guérir si vite vos rhumes, alors que les miens n'en finissent pas ? : Réponse : « c'est que vous les soignez si bien, qu'ils n'ont plus envie de s'en aller. Les miens je les expose au vent, au froid, à la pluie ; alors, se voyant si mal reçus, ils s'en vont. » Il y a là quelque exagéra­tion. Mais on exagère aujour­d'hui dans le sens inverse et on se rend malade à force de redouter et de soigner la ma­ladie. N'oublions pas que la pre­mière tâche de la médecine est de prévenir la maladie par l'hygiène. En cela, les anciens Chinois n'étaient pas sots : ils faisaient une rente à leur mé­decin aussi longtemps qu'ils se portaient bien et, quand ils tombaient malades, le médecin devait les soigner gratui­tement. Ce qui supprimait, de la part de celui-ci, toute ten­tation de « cultiver » la ma­ladie ! 35:199 Il n'est pas question de nier ni même de sous-estimer les bienfaits de la médecine. C'est contre l'abus que nous protes­tons. Et tout le monde tom­bera d'accord sur ces deux points : mieux vaut se garder en santé que de guérir d'une maladie et, si l'on a le mal­heur de tomber malade, il est préférable d'être guéri promp­tement que d'être soigné indé­finiment. Celui qui ne sait pas obéir\ ne sait pas commander 17 octobre 1975 On entend souvent dire de celui qui exerce l'autorité « il a bien de la chance ; il commande à tous et il n'obéit à personne ; il n'en fait qu'à sa tête, ses volontés sont des lois, etc. ». Il arrive que ce soit vrai. Mais, dans ce cas, le chef ne mérite pas d'être investi de l'autorité et, en général, il ne la conserve pas longtemps. Le vrai chef est celui qui obéit le plus. Même s'il n'a personne au-dessus de lui, comme le commandant d'un vaisseau en mer ou le patron d'une entreprise privée, il doit se soumettre aux lois que lui impose son métier de chef et renoncer, pour leur obéir, à ses goûts ou à ses caprices personnels. Un bon commandant ne gui­de pas son navire suivant ses fantaisies mais en respectant les lois de la navigation de fa­çon à conduire son navire au port dans les meilleures con­ditions. Sinon il se perd lui-même avec son équipage et ses passagers. De même un bon chef d'entreprise, loin de fai­re tout ce qui lui plait, obéit sans cesse aux lois matérielles et morales qui assurent la prospérité de cette entreprise ; règles de la productivité, hon­nêteté vis-à-vis de ses clients, dévouement envers ses colla­borateurs, etc. S'il ne sait pas se dominer lui-même pour sui­vre ces règles, si ses ordres sont arbitraires et inspirés par ses passions et ses préférences personnelles, la quantité et la qualité de sa production di­minueront, il perdra la con­fiance de ses clients et de ses subordonnés et il ruinera l'en­treprise. Napoléon répondit un jour à quelqu'un qui s'émerveillait devant sa puissance : « Je me déclare le plus esclave des hommes : mon maître, c'est la nature des choses, et ce maître est sans pitié. » Et c'est parce que, entraîné par son ambition démesurée, il ne respecta plus cette autorité in­flexible qu'il vit s'écrouler son empire. C'est dans cette obéissance que réside le fondement de l'autorité. Nul n'a le droit de commander aux autres s'il n'obéit pas lui-même à un commandement supérieur, qui est celui de la nature quand il s'agit de notre action sur les choses et de la justice, et de l'amour dans nos relations avec les hommes. Dans le pre­mier cas, l'autorité a pour principe la compétence tech­nique ; dans le second, elle a pour but le service du pro­chain et le bien commun. 36:199 Et c'est dans la mesure où le chef s'impose par cette double qua­lité, qu'il mérite et qu'il ins­pire la confiance de ses subor­donnés. Dans ce sens, le chef est le serviteur de tous. Ainsi l'obéissance est la loi de tous, -- et du chef par ex­cellence. Car tous ceux qui obéissent n'ont pas besoin de savoir commander mais per­sonne n'est digne de comman­der s'il ne sait pas obéir. L'abus ne condamne pas l'usage 24 octobre 1975 La vertu, disait saint Tho­mas d'Aquin, est un état équi­libré entre deux vices opposés. Ainsi le courage tient le juste milieu entre la lâcheté et la témérité et l'esprit d'écono­mie se situe à égale distance de l'avarice et de la prodiga­lité. Malheureusement, les hom­mes sont toujours tentés de passer d'un extrême à l'autre, plutôt que de garder le juste milieu. Les deux proverbes po­pulaires : « tel père, tel fils » et « à père avare, fils prodi­gue » ne se contredisent pas, car rien ne ressemble plus à un excès que l'excès contraire. Par exemple, l'anarchie engen­dre la tyrannie et la tyrannie provoque l'anarchie, mais ces deux excès ont ceci de com­mun qu'ils sont également op­posés à l'ordre normal de la cité. On n'hésite pas, à cause des abus auxquels ils ont donné lieu, à mettre en question ou à condamner des institutions ou des usages qui sont sains dans leur principe et qui ont fait leur preuve à travers les siècles. Les exemples de cet état d'esprit sont innombrables. L'ivrognerie et l'alcoolisme sont des fléaux sociaux. Cer­tains ne voient qu'un seul re­mède à ce mal : la suppression de toutes les boissons fermen­tées et de tous les spiritueux. En fait, les farouches « abs­tinents » qu'on rencontre dans les pays anglo-saxons ou en Amérique, constituent un type d'humanité presque aussi peu sympathique que les ivrognes. Il y a aussi des mauvais prêtres. Doit-on pour cela re­noncer à toute religion ? Les nations colonisatrices ont commis des erreurs et des abus. Faut-il en tirer cette conséquence que les peuples sous-développés doivent retom­ber dans l'ignorance, la fami­ne et le désordre ou, tout au plus, recevoir une aide maté­rielle à sens unique qui en fera des mendiants et des révoltés ? On ne guérit pas le mal par le pire. L'abus d'une chose bonne en soi et dans ses limi­tes ne doit pas nous conduire à un refus qui, la plupart du temps, est un excès encore plus dangereux. Trop manger, par exemple, cause de nom­breuses maladies, mais ne plus manger du tout les guérit par la mort. Et l'on peut en dire autant de la famille, de la re­ligion, de l'œuvre colonisatri­ce, etc. Les Hindous disaient que l'homme qui passe ainsi d'un extrême à l'autre est en proie à « l'égarement des contrai­res ». 37:199 La clé de la sagesse est dans la mesure et dans l'harmonie. Et c'est en usant correcte­ment de toute chose que nous échapperons à la double ten­tation d'en abuser ou d'en con­damner l'usage. L'indignation masque la peur 31 octobre 1975 On connaît les remous suscités dans toute l'Europe dite libre par la récente exécution de six terroristes espagnols : déchaînement des mass-media, coups de semonce diplomati­que des gouvernements, défi­lés, meetings, mise à sac de plusieurs ambassades, etc. Après quoi, le tapage s'apai­se et je ne doute pas qu'aux prochaines vacances l'Espagne, terre d'élection du tourisme populaire, retrouve, parmi ses visiteurs, un bon nombre de ces adversaires acharnés de la tyrannie franquiste. Car après tout même pour un communis­te bon teint de nos pays occi­dentaux, le tourisme en Espa­gne reste plus agréable et sur­tout moins surveillé qu'au delà du rideau de fer... Faute d'informations sûres, je m'abstiens de prendre posi­tion sur le degré de culpabilité des condamnés. Il reste pour­tant que plusieurs policiers ont été abattus ces derniers mois par des groupes terroristes auxquels ces condamnés ap­partenaient et dont ils approu­vaient l'action, à supposer même, -- ce qui est loin d'être démontré, -- qu'ils n'y aient pas participé directement. La peine de mort est une chose grave. Le meurtre d'un agent de la force publique ne l'est pas moins. Et je dirai même que, dans ce cas, l'honneur des meurtriers consiste à courir le même risque que les victi­mes, c'est-à-dire d'accepter de mourir pour la cause au nom de laquelle ils n'hésitent pas à tuer... On pourra répondre avec Sartre, pontife de l'absurde en philosophie et apologiste de l'anarchie en politique, qui dé­clarait récemment à la télévi­sion : « Je ne vois pas en quoi le meurtre d'un policier espagnol constitue une faute. » Serait-ce donc une action loua­ble ? Aucun gouvernement au monde, soucieux de l'ordre public, ne saurait épouser ce point de vue. Les attentats con­tre la sûreté de l'État sont partout sévèrement réprimés. Quelle est, en Russie soviéti­que par exemple, la sanction de l'assassinat d'un policier ? Dans son livre *Mon pays et le monde,* l'illustre savant Sakharov évalue à plusieurs milliers le nombre d'individus fusillés pour des fautes infini­ment moins graves : vol des biens de l'État ou délinquan­ce économique... On dira qu'en ce qui concer­ne l'Espagne, il s'agit d'abat­tre un régime monstrueux et que tous les moyens sont bons pour en venir à bout comme dans la chasse aux bêtes féro­ces. 38:199 A quoi il est facile de ré­pondre que la dictature fran­quiste reste très modérée par rapport aux régimes totalitai­res et que, vraisemblablement, le triomphe de la subversion plongerait la péninsule dans un torrent de violences auprès duquel les attentats actuels et leur répression feraient figure de gouttes d'eau. -- Les cen­taines de milliers de victimes de la dernière guerre civile sont là pour en témoigner. Alors, que signifie cette in­dignation à sens unique ? On dirait que la conscience uni­verselle, sourdement tourmen­tée par la fièvre de violence qui règne partout, cherche à se délivrer de son malaise en se créant un abcès de fixa­tion... Mais pourquoi l'Espagne est-elle la partie du monde où l'on essaye de provoquer cet ab­cès ? Car enfin les horreurs, les atrocités surabondent dans tant d'autres pays dont les di­rigeants se présentent comme des champions de la démocra­tie et du progrès social. Et la houle de protestation, là où elle existe, ne prend jamais ces allures de tempête... Cela s'explique en partie par l'intoxication due aux pro­pagandes. Mais cette allergie élective relève aussi de causes encore plus misérables. La dic­tature tempérée qui règne en Espagne ne menace personne hors des frontières de ce pays. Aucun danger qu'elle s'étende au reste de l'Europe, soit par les menées subversives de par­tis politiques inspirés et sou­tenus par le franquisme, soit par le déferlement des chars espagnols au-delà des Pyré­nées. En d'autres termes, cette dictature n'est pas un article d'exportation ; elle a déjà as­sez de peine à se défendre con­tre ses ennemis du dedans et du dehors. Alors les protesta­taires peuvent s'en donner à cœur-joie : leurs vociférations sont dans le sens de l'histoire c'est-à-dire du côté du plus fort, dont la raison, disait le fabuliste, est toujours la meil­leure, parce qu'elle peut écra­ser demain ceux qui osent lui résister aujourd'hui. La peur, l'opportunisme, la docilité aux lois du troupeau sont des réactions trop natu­relles. Mais qui donc ose se les avouer comme telles ? On pré­fère se fabriquer une bonne conscience postiche en camou­flant sa lâcheté sous le masque flatteur de la sainte indigna­tion... Gustave Thibon. © Copyrigth Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique) 39:199 ### Chroniques de la Barbarie *suite* par Alexis Curvers Les pédagogues qui réforment et « rénovent » l'ensei­gnement, les animateurs qui régentent la culture, les metteurs en scène qui régissent le spectacle font tous exactement le même travail. L'instruction de la jeunesse, l'orientation des loisirs, l'interprétation des œuvres théâ­trales ne sont pour eux que des moyens de propager leurs idées, ou plutôt les consignes des maîtres invisibles qui les ont mis en place. De là vient que nous avons une jeu­nesse de plus en plus ignare, un public de plus en plus inculte, une critique de plus en plus imbécile, tous trois merveilleusement impréparés à juger par eux-mêmes ce qu'on leur donne en pâture. La scène et la ville, le cénacle et l'école ne sont plus que des tribunes où prôner la Révo­lution, qui détruit en même temps l'enseignement, la cul­ture, le théâtre et le reste. \*\*\* Stendhal écrit dans sa *Vie de Napoléon* (chapitre XVIII, décembre 1796) : « La liberté de la presse régnait alors en France, ce qui veut dire qu'on était libre, autant que l'inex­périence générale permettait de l'être. Les journaux des deux partis déclamaient avec emportement. » Heureuse époque, s'il est vrai que la liberté n'y souf­frait encore que d'un manque d'expérience. Stendhal ne se doutait pas que viendrait un temps où l'expérience de la liberté en consommerait la perte. Aujourd'hui que nous avons des journaux plus libres que jamais, tous récitent avec ou sans emportement la même leçon, la presse radio­phonique et télévisée disputant à l'écrite la palme de la servilité. 40:199 Et cette leçon qu'ils nous serinent sur tous les tons leur est dictée par un seul parti : celui-là qui préci­sément veut la mort de toute liberté. \*\*\* Il existe en Hollande une « vieille église réformée » qui dénonce la télévision comme étant une « invention du dia­ble » et en interdit l'usage à ses fidèles sous peine d'excom­munication. Voilà une église à laquelle je suis fort tenté de me convertir. \*\*\* Les prêtres détruisent la religion comme les politiques la patrie et les pédagogues l'enseignement, par les mêmes moyens, pour les mêmes raisons et dans le même dessein enveloppé du même jargon. \*\*\* Merci à Jean Servais d'avoir sauvé de l'oubli cette ad­mirable déclaration du sage et regretté Joseph Remy, préfet de l'Athénée royal de Liège : « Ici, à l'Athénée, nous ne faisons pas de pédagogie, nous faisons de l'enseignement. » Tous ceux qui préféraient la pédagogie ont maintenant atteint leur but : l'enseignement est mort. \*\*\* Je cite textuellement : « Le XVII^e^ siècle est un siècle tru­qué. L'Énéide est une œuvre ratée. » Un cuistre n'a eu qu'à semer dans les gazettes quelques perles de cet acabit : il est de gauche, sa fortune est faite. \*\*\* Le cardinal de Retz écrit : « Les importants étaient un parti composé de quatre ou cinq mélancoliques, qui avaient l'art de penser creux. » On se demandera comment il se fait que des songe-creux, mélancoliques de surcroît, réussissent à devenir des « importants ». Le phénomène est fort bien expliqué par Joseph Fievée, dans un rapport que Bonaparte l'avait char­gé de faire sur les mouvements de l'opinion parisienne : 41:199 « Pour s'exalter, les hommes n'ont besoin que d'un point de réunion ; quand ils l'ont, ils bravent, ils dominent l'opi­nion publique... *Les héros de ces rassemblements finissent trop souvent par être plus amis de leur système que du genre humain, plus amis du genre humain que de leur patrie.* L'enthousiasme d'un homme peut aisément être combattu, l'enthousiasme qui s'empare d'une réunion d'hommes pour quelque objet que ce soit, brave le ridicule et séduit presque toujours la multitude. » C'est là tout le secret de la « dynamique de groupe ». On sait à quoi elle tend. « L'établissement des clubs en France, disait encore Fievée, a précédé la Révolution de quelques années. » \*\*\* Voltaire aux Encyclopédistes : « Faites un corps, Mes­sieurs, un corps est toujours respectable. Ameutez-vous et vous serez les maîtres. » \*\*\* Le pape a remis le gouvernement de l'Église aux mains des évêques. Les évêques ont remis le gouvernement de leurs diocèses aux mains des conférences épiscopales. Les conférences épiscopales ont remis le gouvernement de leurs provinces aux mains des bureaux (secrétariats, conseils, comités, commissions, groupes, centres, etc.). Les bureaux ont remis le gouvernement de leurs dépar­tements aux mains des communistes. Et les communistes mettent le gouvernement du mon­de, Église comprise, aux mains du diable. \*\*\* Personne ne dit, personne ne demande, personne peut-être ne sait quels sont actuellement, dans l'Église comme dans le monde, les titres, le principe et le fondement de l'autorité, ni encore moins la source dont elle émane. Tout ce qu'on voit, c'est que l'autorité se fait plus arbitraire, que les mesures en sont plus désastreuses et que l'exercice en est plus tyrannique, à mesure que la légitimité en est moins assurée. \*\*\* 42:199 Après Vatican II. -- Dans tous les textes que ce concile a promulgués, on trouve du bon et du mauvais subtilement mélangés. Le bon n'est pas de son invention : c'est ce que l'Église enseignait depuis toujours, et qu'il n'a fait que répéter. Tout ce qu'il a innové de son cru est mauvais, si l'on juge l'arbre a ses fruits. Mais le bon est resté lettre morte, ou plutôt l'est devenu. Le mauvais seul a fait fortune, et tout annonce que cette fortune commence à peine. Le bon n'a guère servi qu'à faire passer le mauvais. On peut conclure que ce concile était de trop dans l'his­toire de l'Église qu'il a mise à mal, pour le malheur du monde qu'il se flattait de convertir en lui prostituant l'Église. \*\*\* *Le Rhin se jette dans le Tibre.* Beau livre assurément, qu'il faut lire, et beau titre -- qui pourtant manque un peu de précision géographique : le Rhin n'a fait que char­rier dans le Tibre les eaux de la Volga. \*\*\* Pour que l'œcuménisme réussisse parfaitement, il faut et il suffit que personne ne croie plus à rien. \*\*\* De Louis Veuillot : On répète volontiers que l'Église doit être de son temps. Sauf respect, c'est au moins une niaiserie. (...) L'Église doit être de son temps, même quand le « temps » veut qu'elle ne soit pas ; et, par une conséquence bien naturelle, Dieu aussi doit être de son temps ; c'est-à-dire que Dieu aussi doit entrer dans le sablier, finir avec l'heure et ne recommencer avec elle que quand la main de l'hom­me daigne le retourner ! En d'autres termes, il n'y a pas d'Église et l'homme crée Dieu. Ces formules caractérisent l'époque qui les admet. Nous traversons véritablement une orgie de sottise. » \*\*\* 43:199 Détruire le christianisme, ce fut toujours l'entreprise des sots. Mais le faire détruire par les curés, c'est à la fois le trait de génie du diable et l'enfance de l'art. \*\*\* Le triomphe du catholicisme progressiste a du moins eu cet avantage, de nous ôter les illusions que nous nous faisions sur les curés. Tant que ces gens-là portaient la soutane et parlaient latin, sévèrement tenus dans le devoir par la hiérarchie, la doctrine, la discipline et les traditions de la feue Église, on pouvait ne pas les croire trop indignes de l'estime dont ils jouissaient dans l'esprit même des mécréants. A présent qu'ils ne craignent plus ni Dieu ni diable, leur nullité minable et agressive éclate aux yeux de tous. N'en doutons pas : Dieu n'a permis leur émanci­pation que pour les réduire à se montrer enfin tels qu'ils sont. Et c'est là une grande grâce. La méchanceté qu'ils ne dissimulent plus est moins à redouter, depuis qu'ils ont licence de nous révéler en même temps à quel point ils sont bêtes. \*\*\* Sont-ce des curés convertis au communisme ? Ou des communistes qui se sont faits curés sur l'ordre du parti ? Dans tous les cas le résultat est le même. \*\*\* L'irréligion est l'opium du peuple. \*\*\* Je me trompais. Le choix n'est pas entre le Christ et Marx, auquel je faisais trop d'honneur. Le choix est en­tre le Christ et le néant, dont Marx ne fut que l'un des prophètes. \*\*\* 44:199 Les marxistes ont bien raison. Oui, cent fois oui, le capitalisme est abominable, immoral, inhumain, diabolique. Et de tous ses forfaits le pire est d'avoir enfanté le mar­xisme qui passe pour son contraire, de l'avoir nourri dans son sein, d'avoir mis en lui ses complaisances et de l'avoir désigné en mourant comme son héritier de prédilection, parce que c'était le seul en qui il trouvât un successeur plus méchant que lui-même. Tel père, tel fils, le père indig­ne dût-il tomber sous les coups du fils rebelle. Jusque dans leurs querelles de famille s'accuse leur entente pro­fonde, et se marque la ressemblance des traits qu'ils tien­nent de leur commun ancêtre en ligne directe, lequel a nom *matérialisme.* \*\*\* Le capitalisme est certainement le système qui procure au genre humain la condition matériellement la plus heu­reuse. Il en résulte une corruption universelle des esprits et des mœurs, dont profite le marxisme pour imposer au genre humain la condition matériellement et moralement la plus malheureuse. \*\*\* Contrairement à ce qu'on a dit, il est parfaitement pos­sible de tromper tout le temps tout le monde, mais à condi­tion de changer de sujet au moment opportun. Il suffit de ne pas laisser refroidir un mensonge avant de passer au mensonge suivant. Ainsi chaque mensonge faisant oublier l'autre, mais chacun s'ajoutant à l'autre sans solution de continuité, on aura finalement trompé tout le monde sur tout. Le grand art est de mentir à une allure assez rapide pour couper le souffle aux défenseurs d'une vérité qu'ils ne réhabiliteront qu'en lui rendant les honneurs funèbres. \*\*\* A la veille de mourir centenaire, Fontenelle disait : « Il est temps que je m'en aille. Je commençais à voir les choses et les gens tels qu'ils sont. » C'était reconnaître qu'il s'était trompé. toute sa vie, et que ses erreurs lui étaient chères au point qu'il avait peur de la vérité plus que de la mort. -- Mais nous-mêmes, la­quelle des deux choisirions-nous ? \*\*\* 45:199 De l'erreur au mensonge et du mensonge au crime, la pente est fatale. Un monde criminel ne cherche d'excuse que dans le mensonge, et le mensonge ne s'innocente que par l'erreur. Mais l'erreur n'est pas invincible, qui se dénonce elle-même par les crimes qu'elle produit. Il fau­drait donc remonter la pente : faire obstacle au crime par la vérité, seule capable de dissiper l'erreur cause première du mal. Tout au rebours le monde moderne, s'entretenant à la fois dans l'erreur, dans le mensonge et dans le crime, appelle « prise de conscience » précisément ce qui est per­te de toute conscience intellectuelle et morale. \*\*\* Cette perte de conscience est la condition première de la subversion. Tout subversif est délibérément inconscient de la réalité qu'il nie, du bien qu'il détruit et du mal qu'il procure. \*\*\* En même temps qu'il révolte et désespère le cœur, parce qu'il est horrible, le spectacle du monde satisfait et rassure la raison, parce qu'il prouve que les cause continuent à produire leurs effets. \*\*\* Le pape ayant rendu aux Turcs les bannières de Lé­pante, on assiste au retour offensif de l'Islam dans l'Eu­rope ci-devant chrétienne. Post hoc, ergo propter hoc : il n'y a que les sots pour ne pas le voir. \*\*\* L'Église militante officielle, l'Église de Paul VI s'étant faite non seulement la complice, mais l'aile marchante du communisme en pays catholiques, ceux qui, parce que chrétiens, ne veulent pas du communisme, et en particu­lier les catholiques fidèles, n'ont pas de devoir plus sacré que de confondre cette Église dépravée et de la combattre sur toute la ligne et par tous les moyens. \*\*\* 46:199 Des parents bouleversés d'apprendre que des enfants à qui ils ont toujours laissé la bride sur le cou s'adonnent à la drogue, à la prostitution, au crime. Des « enseignants » insultés et battus par des élèves qu'ils ont diligemment formés à la théorie et à la pratique révolutionnaires. Un pape versant des larmes sur « l'autodestruction » d'une Église démantelée par lui-même. Un cardinal Suenens rappelant gentiment à l'ordre un prêtre qui le compromet en professant ouvertement tout le contraire du christianisme, et qui brûle les étapes jus­qu'à prêcher cette religion par trop nouvelle dans une école dite encore catholique. Des évêques revendiquant piteusement une parcelle de l'autorité dont ils se sont dépouillés, et tentant de vains efforts pour rattraper le dernier petit bout d'un fil qu'ils ont bénévolement lâché... Tout cela me fait irrésistiblement penser à un passage de Proust que j'ai fini par retrouver dans Sodome et Go­morrhe (II, I) : « La marquise actuelle de Surgis-le-Duc, d'une grande naissance, aurait pu avoir une situation de premier ordre. Un démon de perversité l'avait poussée, dédaignant la si­tuation toute faite, à s'enfuir de la maison conjugale, à vivre de la façon la plus scandaleuse. Puis, le monde dé­daigné par elle à vingt ans, quand il était à ses pieds, lui avait cruellement manqué à trente, quand, depuis dix ans, personne, sauf de rares amies fidèles, ne la saluait plus, et elle avait entrepris de reconquérir laborieusement pièce par pièce ce qu'elle possédait en naissant (aller et retour qui ne sont pas rares). » Aller et retour très communs en effet, et dans tous les domaines. Mais l'aller est aussi prompt que le retour est lent, aléatoire, difficultueux, ridicule et suspect. \*\*\* De certains jansénistes qui, paraît-il, appréciaient fort la bonne cuisine, le P. Rapin se moque en disant : « Ils se traitaient bien, s'étant laissé persuader que ce qui est bon ne doit être que pour des élus comme eux. » C'est aussi pourquoi tant de communistes, au grand étonnement des naïfs, sont les meilleurs clients des palaces et des bons restaurants, choisissent leur champagne, rou­lent en voiture de luxe et vivent somptueusement aux cro­chets de la princesse capitaliste. 47:199 J'ai mis quelque temps à m'apercevoir que, chaque fois qu'une porte où je sonnais m'était ouverte par un domestique en livrée, j'entrais chez des partisans de Lénine ou de Mao, le seul Staline étant un peu passé de mode. Rien d'illogique à cela. Ces privi­légies du régime qu'ils préparent entendent bien profiter des derniers agréments de celui qu'ils détruisent. C'est toujours autant de pris. Les délices de Capoue les consolent de la Sibérie qu'ils redoutent secrètement. Ils croient, eux aussi, à la prédestination. Prédestinés par la grâce de la Révolution, ces élus s'en adjugent provisionnellement les futurs bienfaits, à vrai dire peu certains. Leur matéria­lisme n'est pas moins réaliste qu'historique. Il n'y a d'éton­nant dans tout cela que la bêtise de la princesse, qui n'en sera pas quitte pour avoir payé la note. Toute la gauche fait grand bruit de ce que le gouver­nement Allende, si méchamment renversé par le général Pinochet, était le seul gouvernement marxiste qui ait jamais été démocratiquement élu. C'est reconnaître un peu tard que tous les autres se sont imposés par la force, en lieu et place des gouvernements démocratiquement élus qu'ils n'ont nullement craint de renverser. On les voit en­suite exercer le pouvoir de la même façon qu'ils l'ont usurpé, c'est-à-dire avec assez de force pour empêcher que des élections démocratiques les renversent à leur tour. La gauche pourtant n'a cessé de les soutenir, avec autant de zèle qu'elle en met à plaider maintenant le bon droit du malheureux Allende. Toute révolution commence par des chansons et par des fleurs. La révolution portugaise a commencé par des œillets. Tous les gens de théâtre vous diront que les œillets portent malheur. N'offrez jamais d'œillets à une actrice qui entre en scène, elle serait sûre d'en sortir dans les larmes. C'est précisément ce qui arrive à la révolution portugaise qui fit, comme toutes les autres, des débuts de grande comédienne. Une pluie d'œillets a fondu le fard dont elle avait couvert son visage d'ogresse. Alexis Curvers. 48:199 ### Doctrine conciliaire ? *ou déviation post-conciliaire ?* par Louis Salleron CEUX QUI LUTTENT contre la subversion dans l'Église sont perpétuellement accusés de désobéir au Concile. La querelle ne cesse pas et elle se développe dans la plus parfaite confusion. Du côté des accusés, on peut observer deux tendances principales. Car les uns soutiennent que le Concile ne doit pas être confondu avec l'usage qu'on en fait. Les autres pensent que, puisque les réformes post-conciliaires sont revendiquées par le Magistère comme l'application cor­recte des textes conciliaires, c'est que le Concile est vicié par quelque erreur substantielle, ce qu'on peut admettre puisqu'il ne s'est pas voulu doctrinal mais pastoral. Du côté des accusateurs, la position est plus simple. Comme ce sont eux qui ont présentement le pouvoir dans l'Église, ils ne veulent connaître que le Concile, dont ils se prétendent les interprètes autorisés. S'opposer à eux, c'est désobéir au Concile. Pour mettre quelque clarté dans ce débat, il faut re­garder les choses d'un peu haut en cherchant ce qui est *à la source de la confusion.* Ce qui est à la source de la confusion, c'est *la nature même, sans précédent, de Vatican II.* Vatican II a-t-il été différent des autres conciles œcu­méniques parce qu'il a été *pastoral* au lieu d'être *doctrinal ?* Sans doute ; mais toute la question est de savoir pourquoi cette nouveauté a eu les conséquences que nous observons. 49:199 Dans l'esprit de Jean XXIII, semble-t-il, le Concile de­vait avoir pour objet de *réaffirmer les principales positions doctrinales de l'Église en vue d'enraciner fortement dans la Tradition les progrès apostoliques auxquels il voulait la convier.* Cette hypothèse est d'autant plus vraisemblable que Jean XXIII envisageait une seule session conciliaire, qui aurait duré trois mois d'octobre à Noël et dont l'activité se fût bornée à ratifier, en leur apportant quelques retou­ches de détail, des textes qu'il avait fait soigneusement mettre au point par des commissions nommées par lui. On sait comment, dès le premier jour, à la suite d'une intervention du cardinal Liénart, ce projet fut balayé par les évêques. De nouvelles commissions furent nommées par eux et l'ordre du jour des travaux fut intégralement modifié. Le *souci* de Jean XXIII était donc bien *pastoral*, mais les travaux du Concile devaient être d'ordre *doctrinal*. En lui-même, le pastoral a un fondement doctrinal, et le doctrinal a un but pastoral. Quand Jésus-Christ envoie ses disciples à la conquête des nations, il leur dit : « Allez, *enseignez* toutes les nations, les *baptisant* au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, leur *apprenant à garder* tout ce que je vous ai commandé » (Mt, 28, 19) ; il leur assigne une *mission pastorale* fondée sur un *enseignement* *doctri­nal immuable.* Si, avant Vatican II, tous les conciles sont *doctrinaux* c'est parce que l'Église, étant *apostolique*, c'est-à-dire ayant la mission *pastorale* perpétuelle d'*enseigner* les nations et de leur apprendre à *garder les commandements* du Sei­gneur, elle a, face à son propre développement et à l'évo­lution du monde, à préciser de temps à autre les vérités à croire et les erreurs à éviter. De même a-t-elle, dans la même optique, à aménager ses structures et sa discipline intérieure. 50:199 Si Jean XXIII peut être taxé d'imprudence ([^3]) pour avoir réuni le concile, je ne crois pas que sa propre idée du concile ait été foncièrement différente de l'idée tradi­tionnelle. On le saura mieux quand on connaîtra les textes qu'il avait fait préparer. Mais son tempérament, son attitude constante, sa Constitution « Veterum Sapientia » et jusqu'à l'espèce de panique dont il fut visiblement saisi quand il vit la tournure que prenait le Concile, tendent à prouver que Vatican II ne correspond nullement à ce qu'il avait voulu. On ne saura jamais s'il est vrai que, comme le bruit en a couru, il disait dans son agonie, qui fut terrible : « Fermez ce concile ! Fermez ce concile ! », mais ces mots exprimeraient bien l'angoisse de ses der­nières heures. Toujours est-il qu'avec Paul VI tout changea. Le 7 décembre 1965, veille de la cérémonie de clôture, il pro­nonce devant le Concile un grand discours sur le thème : « *Quelle est la valeur religieuse de notre Concile ? *» ([^4])*.* Cette interrogation rend un son étrange. Peut-on douter de la « valeur religieuse » d'un concile ? Ou bien que signifient ces mots ? Car la « valeur » d'un concile pour­rait éventuellement se mesurer selon divers critères, mais parler de sa valeur « religieuse » semble mettre en cause le crédit qu'un catholique peut lui accorder. En fait, c'est bien de cela qu'il s'agit, puisque tout le discours du pape tend à en justifier le caractère nouveau qui pourrait appa­raître en rupture avec la tradition de l'Église. « Jamais peut-être comme en cette occasion, dit Paul VI, l'Église n'a éprouvé le besoin de connaître, d'approcher, de comprendre, de pénétrer, de servir, d'évangéliser la société qui l'entoure, de la saisir et pour ainsi dire de la poursuivre dans ses rapides et continuelles transformations. « Cette attitude, provoquée par l'éloignement et les ruptures qui séparèrent l'Église de la civilisation profane au cours des siècles derniers, surtout au XIX^e^ et en notre siècle, et toujours inspirée par la mission de salut qui est essentielle à l'Église, a fortement et constamment fait sentir son influence dans le concile : au point de faire naître chez certains le soupçon qu'un excès de tolérance et de considération pour le monde extérieur, l'actualité qui passe, les modes en matière de culture, les besoins contingents, la pensée des autres, aient prévalu chez cer­tains membres du Concile et dans certains de ses actes, au détriment de la fidélité due à la tradition et aux fina­lités de l'orientation religieuse du Concile lui-même. Pour Notre part, Nous n'estimons pas qu'on puisse taxer de pareille déviation ce Concile, en ce qui concerne ses véri­tables et profondes intentions et ses manifestations au­thentiques. 51:199 « Nous voulons plutôt souligner que la règle de notre Concile a été avant tout la *charité.* Et qui pourrait accuser le Concile de manquer d'esprit religieux et de fidélité à L'Évangile pour avoir choisi cette orientation de base, si l'on se rappelle que c'est le Christ lui-même qui nous a appris à regarder l'amour pour nos frères comme le signe distinctif de ses disciples (cf. Jean 13, 35), et si on laisse résonner dans son cœur les paroles de l'apôtre : « *La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consis­te-en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs. épreuves, se garder de toute souillure du monde *» (Jac­ques 1, 27) ou encore celles-ci : « *Qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment pourrait-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ? *» (Jean 4, 20). Ces lignes, comme d'ailleurs tout le discours, ont le ton du plaidoyer. « *Pour notre part *», dit le pape ; « *nous n'estimons pas que... *». Il garantit les « *véritables et profondes intentions *» du Concile, ses « *manifestations authentiques *» (?). Non, il n'y a pas de « *déviation *»*,* etc. Bref, la « valeur religieuse » du Concile est indiscutable. Comment pourrait-il en être autrement puisque sa « rè­gle » a été « *la Charité *»* ?* La « *charité *» *--* c'est le mot-clef du discours. Il ex­plique tout. Les précédents conciles avaient la *foi* pour *règle ;* celui-ci a la *charité.* Les précédents conciles di­saient *ce qu'il faut croire* pour être chrétien ; celui-ci dit *ce qu'il faut faire.* « Non, affirme Paul VI, l'Église n'a pas dévié, mais elle s'est tournée vers l'homme. Et celui qui considère avec attention cet intérêt prépondérant porté par le Con­cile aux valeurs humaines et temporelles ne peut nier d'une part que le motif de cet intérêt se trouve dans *le caractère pastoral que le Concile a voulu et dont il a fait en quelque sorte son programme* et, d'autre part, il devra reconnaître que cette préoccupation elle-même n'est ja­mais dissociée des préoccupations religieuses les plus au­thentiques... » 52:199 On voit ainsi s'établir une double équation, la charité étant au *pastoral* ce que la *foi* est au *doctrinal.* On sait du même coup le risque que peut faire courir aux esprits insuffisamment instruits ou mis en garde la primauté du pastoral. Car la charité, c'est l'amour (chrétien) ; et chacun sait que l'amour (humain) est enfant de Bohême qui n'a jamais, jamais connu de loi. *Ama et fac quod vis.* Simple risque, bien sûr, mais que l'Histoire nous révèle être grand. En l'espèce, le risque est d'autant plus grand que Paul VI, en termes lyriques, dit son optimisme huma­niste. « Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l'homme. » « Au lieu de diagnostics dépri­mants, des remèdes encourageants ; au lieu de présages funestes, des messages de confiance sont partis du Concile vers le monde contemporain : ses valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées ; ses efforts soute­nus, ses aspirations purifiées et bénies. » -- « Mais, vénérables Frères et vous tous, Nos fils ici présents, si nous nous rappelons qu'à travers le visage de tout hom­me -- spécialement lorsque les larmes et les souffrances l'ont rendu plus transparent, -- Nous pouvons et devons reconnaître le visage du Christ (cf. Matt. 25, 40), le Fils de l'homme, et si sur le visage du Christ nous pouvons et devons reconnaître le visage du Père céleste : « *Qui me voit, dit Jésus, voit aussi le Père *» (Jean 14, 9), notre humanisme devient christianisme et notre christianisme se fait théocentrique, si bien que nous pouvons également affirmer : pour connaître Dieu, il faut connaître l'hom­me ». Finalement, ce Concile ne donnerait-il pas « un enseignement simple, neuf et solennel pour apprendre à aimer l'homme afin d'aimer Dieu ? » La « *charité pastorale *» (l'expression est dans le dis­cours) est donc « *l'enseignement* simple, *neuf* et solen­nel » du Concile -- sa *doctrine* propre. Cependant, quand on considère les documents du Concile on s'aperçoit qu'ils sont au nombre de seize : quatre Constitutions, neuf Décrets et trois Déclarations, sans par­ler des messages. Deux Constitutions sont qualifiées « dogmatiques » -- *Lumen Gentium,* sur l'Église, et *Dei Verbum,* sur la Révélation divine -- et une est qualifiée « pastorale » : *Gaudium et spes,* sur l'Église dans le monde de ce temps. La quatrième Constitution, sur la sainte liturgie (*Sacrosanctum concilium*) n'a pas de qua­lificatif. Les Décrets et les Déclarations sont également sans qualificatif. Beaucoup de questions se posent à propos de ces do­cuments. Tout d'abord, à quoi correspondent les trois vocables « Constitution », « Décret » et « Déclaration ». 53:199 Apparemment, il s'agit de degrés relatifs à l'importance des questions traitées. Mais cette importance est, elle-même, déterminée par quoi ? Nous ne pouvons que poser la question. Quand, dans *L'ami du Clergé* du 30 avril 1964, Mgr Noirot écrit que la Constitution liturgique, « malgré son titre de constitution... n'a qu'un caractère disciplinaire. Canoniquement parlant, elle n'a valeur que de décret et les décisions qu'elle renferme ne sont ni infaillibles ni irréformables » ([^5]), nous le croyons sans peine, mais on voit toutes les difficultés que soulèvent les textes du Concile, dès leur seule dénomination. Le discours de Paul VI semble bien ne s'appliquer pleinement qu'à la Constitution *Gaudium et Spes.* Pour le reste, il définit plutôt l'*esprit* du Concile et explique le choix de nombreux sujets traités. Le 12 janvier 1966, Paul VI précisait : « Étant donné son *caractère pastoral,* le concile a évité de prononcer de façon extraordinaire des dogmes dotés de la note d'infaillibilité. » ([^6]) \*\*\* On comprend mieux alors le sens de l'interrogation de Paul VI : « *Quelle est la valeur religieuse de notre Concile ? *» Elle signifie : *tourné vers l'homme, d'un bout à l'autre, notre Concile a-t-il réellement une valeur reli­gieuse ?* Paul VI répond par l'affirmative en expliquant que la considération première de l'homme dans les tra­vaux du Concile est une démarche essentiellement reli­gieuse car par l'homme on accède à Dieu ; un humanisme bien compris mène au christianisme ; il y a dans l'anthro­pologie tous les linéaments de la théologie. Effectivement, amour de Dieu et amour du prochain s'identifient dans l'Évangile. Mais l'Évangile part de l'amour de Dieu. Un docteur de la loi pose à Jésus la question : « Maître, quel est le plus grand commandement dans la loi ? » Jésus lui répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. » C'est là le grand et le premier commandement. Un second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » « De ces deux commandements dépendent la Loi entière et les prophètes » (Mt 22, 36-40). Si les deux commandements sont égaux, le second n'en procède pas moins du premier. 54:199 Comme on ne peut aimer Dieu sans aimer son pro­chain, on ne peut donc aimer son prochain sans aimer Dieu. Paul VI en tire l'argument pastoral : manifestez votre amour du prochain ; ainsi vous manifestez votre amour de Dieu. On voit aussitôt toutes les confusions auxquelles ce renversement de perspective peut mener. Si en effet l'amour du prochain n'est pas compris dans la lumière de l'amour de Dieu, il risque de changer de nature. Tout d'abord, ne pouvant être saisi, à son niveau, que dans le concret de l'action charitable, il élimine ou condamne virtuellement la contemplation, voire la simple prière. En­suite la notion de « prochain » risque de s'altérer pour devenir celle de l'homme abstrait, de l'humanité, du monde. Si l'amour « du prochain » devient l'amour « de l'homme », il tend à se construire en idéologie qui, à mesure qu'elle se précisera et s'amplifiera, prendra tous les traits d'une véritable religion. Sera-ce la religion chré­tienne ? Évidemment pas. Sera-ce une religion en oppo­sition avec le christianisme ou en convergence avec lui ? Historiquement, tous les mouvements humanistes sont nés et se sont développés en opposition avec le christia­nisme, soit sous des formes qu'on peut appeler libérales, soit sous des formes violentes. Au mieux il s'agit d'une laïcisation du christianisme ; au pis il s'agit d'un totali­tarisme radicalement anti-chrétien. L'optimisme illimité de Paul VI voit dans l'humanisme une convergence avec le christianisme, et il voit dans la charité pastorale le gage d'une récupération à venir, dans le christianisme, de l'hu­manisme sous toutes ses formes. La mission qu'il assigne au Concile, c'est en somme de reprendre en sous-œuvre tout l'humanisme contemporain pour en faire un christia­nisme universel. C'est ce qui explique la note *œcumé­nique* du Concile. En première instance toutes les reli­gions chrétiennes doivent s'unir autour de l'Évangile, dans le respect de leurs « valeurs » respectives ([^7]). Ensuite l'union doit se faire avec les religions non-chrétiennes, autour de l'idée de Dieu. Enfin l'union doit englober tous les hommes, autour de l'idée de l'homme lui-même, image de Dieu et image du Christ. 55:199 Cependant il y a les *textes* du Concile, -- ces Constitutions, ces Décrets, ces Déclarations. Les textes sont les textes. Comment les lire, comment les comprendre, com­ment les interpréter sinon comme on lit, comme on com­prend, et comme on interprète tous les textes émanant d'une autorité socialement constituée ? L'Église, en ce domaine, a ses normes propres, écrites et traditionnelles. C'est pourquoi les catholiques sont nombreux à se poser la question : *toutes les réformes qui, depuis la fin du Concile, bouleversent l'Église découlent-elles normalement des textes conciliaires ou en constituent-elles une trahi­son ?* Il est très difficile de répondre tout uniment à une telle question. D'une part, on n'aurait aucune peine à relever toutes les violations expresses des textes conci­liaires que constituent quantité de réformes. D'autre part, le Magistère ne cesse de se réclamer du Concile dans les réformes qu'il poursuit et de déclarer que ceux qui luttent contre la subversion introduite par ces réformes déso­béissent au Concile. *L'autodémolition de l'Église dont a parlé Paul VI est-elle ou n'est-elle pas le fruit du Concile ?* Voilà ce qu'on n'arrive pas à savoir. Pour sauver le Concile, les uns disent que les réformes post-conciliaires sont con­traires à son esprit et souvent à sa lettre ; les autres ad­mettent qu'elles sont conformes à son esprit, sinon tou­jours à sa lettre, mais que, comme il s'agit d'un Concile simplement *pastoral,* il est réformable ; ses intentions « véritables et profondes » étaient authentiquement chré­tiennes, mais elles ont été trahies par des erreurs intellec­tuelles qui, engendrant des méthodes déplorables d'apos­tolat, ont abouti à une fausse *doctrine* généralisée où se corrompt la foi, et la charité elle-même qui devait être le ferment régénérateur de l'Église. Il est assez curieux de constater que, d'une manière générale, tout le monde dit « *Le Concile *»*,* comme s'il s'agissait d'une entité homogène. La variété des textes, de leur nature et de leur importance, inviteraient à faire des distinctions. Quel rapport, par exemple, entre la fondamentale Constitution dogmatique sur la Révélation divine (*Dei Verbum*) et l'insignifiant Décret sur les moyens de communication sociale (*Inter mirifica*) *?* Le fait qu'on dise « Le Concile » a une signification. Ce sont, en effet, les novateurs qui s'abstiennent de faire des distinctions. Mais c'est aussi le Magistère. L'Église officielle dit « le Concile » pour souligner l'unité d'une inspiration à la­quelle on ne saurait toucher. Clemenceau disait : « La Révolution est un bloc. » De même, le Concile, cette « Ré­volution d'octobre », comme l'appelle le P. Congar, est un bloc dont on ne saurait dissocier les éléments. 56:199 Si vous vous mettiez à condamner Marat, ou Robespierre, ou Saint-Just, vous finiriez par condamner la Révolution elle-même. Si de la même façon, vous vouliez ne retenir que certains textes, ou certaines tendances, ou certaines as­pirations du Concile, vous seriez suspect de condamner le Concile lui-même. C'est assez dire que ce qui compte d'abord dans le Concile, c'est l'*orientation d'ensemble* qu'il incarne. Le fait qu'on parle presque indifféremment du *Concile* ou de l'*esprit conciliaire* est révélateur. La lettre tue et l'esprit vivifie. Le *Concile*, c'est essentielle­ment l'*esprit conciliaire* lequel est l'esprit *pastoral* substi­tué à l'esprit *doctrinal*. La *doctrine conciliaire*, c'est que le *pastoral* prime le *doctrinal*, comme la *charité* prime la *foi*. Mais n'est-ce pas là l'interprétation de Paul VI lui-même ? En effet, et c'est ce qui met à la torture les ca­tholiques que navre la « décomposition du catholicisme » (selon l'expression du P. Bouyer). Aussi bien, quand la Hiérarchie lance ses foudres contre ces catholiques, elle les accuse de désobéir au *Pape* et au *Concile*, -- le Concile se confondant avec l'*esprit conciliaire* et avec les *orien­tations* qu'il implique. Dans ces conditions, parler de *déviation post-conciliaire* c'est contester la doctrine conci­liaire et se placer soi-même hors de l'Église. A partir de là, les degrés et les genres de souffrance qu'éprouvent les catholiques fidèles varient à l'infini, selon la culture, le tempérament, la piété et la situation de chacun. Ne retenons que deux cas extrêmes, qui ne compren­nent qu'une minorité, mais dont le poids est lourd parce que son activité intellectuelle ou militante est grande. 1\) Il y a ceux qui ne voient plus la possibilité, soit pour le pape actuel, soit pour son successeur, d'endiguer une subversion de plus en plus généralisée. Ils redoutent donc soit un schisme éclatant entre une Église tradition­nelle et une Église progressiste, soit une décomposition accélérée de l'Église en petites Églises multiples sous une unité de façade de nature plus ou moins œcuménique, à l'image du protestantisme actuel. 2\) Il y a, d'autre part, ceux qui se demandent si, effec­tivement, l'Église ne doit pas faire complètement peau neuve et si ce n'est pas, en réalité, la pensée secrète de Paul VI. Au-delà donc de l'ouverture au monde du type « Humanisme intégral » de Maritain, ce serait l'ouverture au monde du type « Phénomène humain » de Teilhard de Chardin. 57:199 Dans son « journal », dont la librairie Fayard vient de publier le premier tome (1915-1919), Teilhard écrit, parmi beaucoup d'autres phrases semblables : « Je pense que le grand fait religieux actuel est l'éveil d'une RELIGION NATURELLE qui fait, petit à petit, adorer le Monde et qui est INDISPENSABLE à l'Humanité pour qu'elle con­tinue à travailler. Il est donc capital que nous montrions le christianisme comme capable de « diviniser » en quel­que sorte le « nisus » et l' « opus » naturels humains » (p. 220). Les catholiques dont nous parlons sont affolés par des propos de ce genre où ils voient la négation même du christianisme mais qui leur paraissent correspondre à l'évolution post-conciliaire. Alors ils cherchent à se raccrocher au pape. Mais ils n'y parviennent pas. Car s'ils se rassurent à la lecture de sa « profession de foi » et de tant et tant de discours qui la confirment de mille façons, ils lisent aussi maints autres discours de lui qui leur paraissent aller en sens contraire et surtout ils ob­servent l'accord de fond qu'il entend manifester avec le mouvement post-conciliaire. Ils se demandent si la poli­tique du pape a pour objet de reprendre en mains avec prudence et patience une situation dramatiquement anar­chique ou si, au contraire, elle veut favoriser l'évolution post-conciliaire dans le sens où elle est engagée. Résolus à être jusqu'au bout fidèles au pape et à l'Église, ils ne savent plus si leur fidélité doit s'exprimer par l'obéissance ou la résistance à des prescriptions dont les effets désas­treux ne leur sont que trop évidents. \*\*\* Telle est la situation. Si nous l'avons exposée correc­tement, on voit qu'il est inutile d'essayer d'arbitrer entre ce qui serait la véritable *doctrine conciliaire* et la *dévia­tion post-conciliaire*. Nous sommes en présence d'une lame de fond dont il s'agit seulement de savoir à quelles recons­tructions devront donner lieu les ruines qu'elle laissera après son reflux. *Destruam et aedificabo*. On ne peut que redire indéfiniment, platement, banalement, mais véridi­quement : c'est la foi et la charité des saints qui ont toujours sauvé l'Église et qui la sauveront encore. Si les saints sont d'abord les martyrs, ils sont nombreux. Ils nourrissent notre espérance. Louis Salleron. 59:199 ## L'injuste condamnation de l'abbé Coache 61:199 1\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 28 février 1968. 2\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 2 mars 1968. 3\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 7 mars 1968. 4\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 19 mars 1968. 5\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 25 mars 1968. 6\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 4 avril 1968. 7\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 6 avril 1968. 8\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 13 avril 1968. 9\. -- Lettre de l'abbé Coache à S. Em. le pro-préfet du Tribunal du Saint-Office, congrégation pour la doctrine de la foi, 13 avril 1968. 10\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 22 avril 1968. 11\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 29 avril 1968. 12\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 2 mai 1968. 13\. -- Lettre-circulaire de l'abbé Coache, 2 mai 1968. 14\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 9 mai 1968. 15\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 12 juin 1968. 16\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 26 juin 1968. 17\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 3 juillet 1968. 18\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 9 août 1968. 19\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 12 août 1968. 20\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 7 septembre 1968. 21\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 5 décembre 1968. 62:199 22\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 8 décembre 1968. 23\. -- Délégation de Mgr Desmazières, 13 mai 1969. 24\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 13 mai 1969. 25\. -- Accusé de réception présenté à l'abbé Coache, 13 mai 1969. 26\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 15 mai 1969 27\. -- Lettre (non envoyée) au cardinal Wright, 15 mai 1969. 28\. -- Télégramme de la congrégation à Mgr Desmazières. La forfaiture du 6 juin 1969 : Rome rejette un recours non envoyé. 29\. -- Lettre de la congrégation à Mgr Desmazières. Complément de la forfaiture du 6 juin 1969 : Rome déclare avoir « exa­miné » un recours qui n'a pas été envoyé. 30\. -- Déclaration de suspense « ab officio », 12 juin 1969. 31\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 16 juin 1969. 32\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 19 juin 1969. 33\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 25 juin 1969. 34\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 27 juin 1969. 35\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 27 juin 1969. 36\. -- Lettre de l'abbé Coache à Paul VI, 27 juin 1969. 37\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 29 juin 1969. 38\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 1^er^ juillet 1969. 39\. -- Décret de destitution, 4 juillet 1969. 40\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 7 juillet 1969. 41\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 9 juillet 1969. 42\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 22 juillet 1969. 43\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 30 août 1969. 44\. -- Accusé de réception de l'abbé Coache. 45\. -- Entretien à l'évêché de Beauvais, 20 septembre 1969. 46\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 22 septembre 1969. 47\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 24 septembre 1969. 48\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 25 septembre 1969. 49\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 15 octobre 1969. 63:199 50\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 17 novembre 1969. 51\. -- Lettre de Mgr Palazzini à l'abbé Coache, 29 novembre 1969. 52\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 5 janvier 1970. 53\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 13 avril 1970. 54\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 17 juin 1970. 55\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 18 juin 1970. 56\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 18 juin 1971. 57\. -- Lettre du cardinal Wright à l'abbé Coache, 5 juillet 1971. 58\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 19 juillet 1971. 59\. -- Lettre de Mgr Palazzini à l'abbé Coache, 31 juillet 1971. 60\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 23 août 1971. 61\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 24 septembre 1971. 62\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 1^er^ octobre 1971. 63\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright, 7 octobre 1971. 64\. -- Lettre de Mgr Palazzini à l'abbé Coache, 15 octobre 1971. 65\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 8 mars 1972. 66\. -- Lettre du cardinal Seper à Mgr Desmazières, publiée le 11 mars 1972. 67\. -- La réponse de l'abbé Coache, mars-juin 1972. 68\. -- Lettre de l'abbé Coache à la congrégation du clergé, 25 décembre 1972. 69\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 8 août 1972. 70\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 13 août 1973. 71\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 31 août 1973. 72\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache. L'aveu du 7 septembre 1973. 73\. -- Visite de l'abbé Coache à la congrégation du clergé, 11 décembre 1974. 74\. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Villot, 11 décembre 1974. 75\. -- Décret de la commission cardinalice, 10 juin 1975. 76\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 15 juillet 1975. 77\. -- Déclaration de l'abbé Coache, 16 juillet 1975. 78\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 1^er^ août 1975. 79\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 30 août 1975. 64:199 80\. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières, 2 septembre 1975. 81\. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache, 12 septembre 1975. 82\. -- Communiqué de Mgr Desmazières, 13 septembre 1975. 83\. -- Réponse de l'abbé Coache, décembre 1975. *Ces documents nous ont été communiqués, pour publication, par M. l'abbé Coache. Les notes et commentaires engagent la seule responsabilité d'* « *Itinéraires *»*.* 65:199 ### 1. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières évêque de Beauvais **28 février 1968** Monseigneur, Dès aujourd'hui, et pour obtenir plus sûrement votre présence, j'ai l'honneur de vous inviter à venir présider à Montjavoult le 16 juin prochain une Manifestation eu­charistique solennelle que j'organise, quelques jours avant la clôture de l'Année de la Foi. Cette célébration, que je veux situer résolument à l'écart de toute idée de polémique, sera simplement constituée des éléments liturgiques voulus par l'Église pour le di­manche qui suit la Fête-Dieu. A 11 h Messe solennelle. A 15 h Procession du Saint Sacrement autour de la colline. Je songe également à inclure vers 14 h une Conférence sur l'Eucharistie par un prêtre dont je cherche encore le nom et pour qui je demanderai votre agrément. A cette procession solennelle, j'invite mes amis, leur demandant de venir uniquement par dévotion envers l'Eu­charistie, conformément aux exhortations de S.S. Paul VI dans *Mysterium Fidei* et de Vatican II (C.P.E. n° 30-2) : « les curés veilleront... » Dans l'espoir que votre présence effective, Monseigneur, renforce l'unité de l'Église en ces temps difficiles, je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments profondément respectueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. 66:199 ### 2. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache curé de Monjavoult **2 mars 1968** Cher Monsieur le Curé, La grande manifestation eucharistique que vous pro­jetez pour la Fête-Dieu de cette Année de la Foi requerrait normalement la présidence de l'évêque. Et je m'étonne que vous l'ayez organisée avec cette ampleur sans lui en avoir parlé. Vous avez même déjà lancé vos invitations bien au-delà du diocèse et de la France. L'invitation que vous m'adressez à moi-même, bien longtemps, après, revêt elle-même un caractère singulière­ment équivoque. « Vous voulez situer cette célébration, dites-vous, ré­solument à l'écart de toute polémique. » Or le texte de l'invitation officielle, -- celle que vous diffusez partout, et que vous vous êtes bien gardé de me montrer, -- se présente comme la conclusion d'un tract dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est d'un caractère et d'un style essentiellement polémiques. Comment expliquer cette contradiction ? Est-ce une tactique pour tromper votre évêque ? Ou bien votre ré­cent voyage à Rome vous aurait-il redonné le sens de l'Église ? J'aimerais le savoir. Par ailleurs, dans ce tract, vous vous placez résolument derrière ceux que vous appelez les « pionniers, les héros des premières lignes, ou encore soldats retranchés derrière la barricade, mais sans cesse à la peine et *au danger *», au premier rang desquels vous nommez l'Abbé G. de Nan­tes... « recommandant » d'ailleurs « chaleureusement les publications de ce Défenseur de la Foi ». 67:199 Or vous n'êtes pas sans connaître les propos infamants qu'a tenus celui-ci contre le Saint-Père, le concile, et le dernier synode. Pour ma part, je réprouve formellement ces propos. C'est pourquoi, avant de répondre à votre lettre, je vous demande de répondre vous-même clairement à ma question : En désobéissance -- formelle et croissante avec votre évêque depuis plus d'un an, sous prétexte de « défendre la foi » ([^8]), êtes-vous décidé aujourd'hui à la défendre, en union avec votre évêque, ou en vous ralliant à l'Abbé de Nantes ([^9]) ? J'attends donc votre réponse. Et j'espère, cher ami, qu'en ce temps de Carême (Ecce nunc tempus acceptabile !), vous écouterez la voix du Seigneur « in spiritu humilitatis et in animo contrito », et que « vous reviendrez à Lui de tout votre cœur » (Con­vertimini ad Me in todo corde vestro). Je Le prie beaucoup pour vous au pied du Tabernacle. Stéphane Desmazières. 68:199 ### 3. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **7 mars 1968** Monseigneur, C'est dès mon retour de Rome, après avoir pris l'avis de conseillers très avertis, et devant l'ampleur des répon­ses à ma lettre du 11 février (postée en réalité les 15, 16 et 17) que j'ai sollicité l'honneur de vous voir présider à Montjavoult la Célébration, classique mais finalement très solennelle, de la Fête-Dieu. Vous aurez la bonté de me pardonner d'avoir tardé quelques jours à vous inviter. Ma demande, Monseigneur, constitue bien la preuve de mon union avec mon évêque. D'ailleurs, l'évêque ayant fonction et mission de défendre la vraie foi, je n'ai moi-même pas d'autre but et répudie tout ce qui ne serait pas selon la doctrine et la sainte Tradition ; mes écrits d'ail­leurs paraissent au grand jour et je ne cache rien ni de ma foi ni de ma stupéfaction devant les divagations de tout un « esprit post-conciliaire » dénoncé par Paul VI. Pour l'abbé de Nantes, même si l'on fait des réserves sur sa manière ou certains propos, je tiens à manifester à son égard la plus grande charité. Mais il ne peut être question -- ni pensable -- que je me rallie à lui ; il est catholique et l'on ne peut « se rallier » qu'à un hérésiarque ou un schismatique. De toute façon, je n'ai pas à prendre de mots d'ordre de lui. Je résume donc ma position : je suis uni à mon évêque par mon sacerdoce, ma volonté et mon combat pour la foi. Et je repousse toute idée de ralliement à l'abbé de Nantes ou à qui que ce soit. Je déclare être rallié au Siège ;de Pierre, indéfectiblement avec la grâce de Dieu. Veuillez agréer, je vous prie Monseigneur, l'expression de mes sentiments de profond respect en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. 69:199 ### 4. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **19 mars 1968** Monsieur le Curé, Votre lettre, hélas ! malgré vos protestations de révé­rence, ne m'a rien apporté qui soit conforme au « Promit­to » de votre ordination. Malgré tant de démarches ami­cales de vos confrères, vous vous obstinez orgueilleusement dans vos vues personnelles et vous vous coupez de plus en plus de la grande famille sacerdotale. L'œuvre du Christ que vous voulez continuer avec votre évêque et tout le presbyterium, ne peut être accomplie que dans l'obéissance à « ceux que l'Esprit Saint a places pour conduire l'Église de Dieu » ([^10]). Avec la dernière insistance je vous demande donc de ne plus vous écarter de l'union de cœur et d'esprit qui nous rassemble tous dans une même foi et une mission commune sous l'autorité et la conduite de votre évêque ([^11]). Méditez à ce propos les fortes paroles de saint Ignace d'An­tioche : « Je sais que vos presbytes, comme des gens sen­sés en Dieu, se soumettent à l'évêque, non pas à lui, mais au Père de Jésus-Christ, à l'évêque de tous. Par respect pour Celui qui nous a aimés il convient d'obéir sans au­cune hypocrisie, car ce n'est pas l'évêque visible que l'on abuse, mais c'est l'évêque invisible qu'on cherche a trom­per... 70:199 Certains, en effet, parlent toujours de l'évêque, mais font tout en dehors de lui. Ceux-là ne me paraissent pas avoir bonne conscience, car leurs assemblées ne sont pas légitimes ni conformes au commandement du Seigneur. » De cette obéissance je viens vous demander de me donner les preuves. *C'est la dernière fois.* *-- *En désobéissance permanente avec moi depuis deux ans, -- vous vous instituez, sans autre mandat que celui de votre jugement personnel, juge de la foi et de la discipline de l'Église chez les autres. -- Vous en venez à porter des accusations extrême­ment graves d'hérésie, de blasphèmes, de provocations à l'immoralité et vous entretenez une suspicion injurieuse à l'égard de l'autorité légitime qui, selon vous, manque­rait à sa mission et par là favoriserait l'hérésie enfin « dé­clarée ». -- Vous créez ainsi et développez le trouble et l'incer­titude dans les consciences chrétiennes elles-mêmes, tandis que vous entretenez l'indifférence sinon le mépris chez certains à l'égard d'une Église qui, par votre fait, apparaît divisée contre elle-même. -- Vous suscitez enfin la division au sein de l'Église, provoquant ou soutenant la révolte des uns, l'indignation des autres, le scandale de bous. Votre attitude ne peut plus être admise. 1\. *-- Je vous fais donc commandement* d'avoir à cesser toutes vos publications, quelle qu'en soit la forme ([^12]), et toutes ces activités qui ne sont pas conformes à l'amour des âmes et contredisent à l'authentique charité. Quant au rassemblement eucharistique, qui doit réunir vos « amis », même « lointains », pour qu'ils viennent proclamer leur foi en l'Eucharistie, dans le contexte actuel de votre attitude générale, de vos publications, et du tract lui-même, il ne peut apparaître que comme un prétexte à réunir des partisans et a servir votre polémique. Je ne puis admettre qu'on se serve ainsi de l'Eucharistie pour satisfaire ses ambitions personnelles ([^13]). 71:199 Par ailleurs, ce tract, lancé sans consultation ni auto­risation préalables, et la lettre par laquelle, postérieure­ment à sa diffusion, vous m'invitez à venir présider ce rassemblement, nécessitent de ma part que soit définiti­vement levée l'équivoque qu'ils contiennent, et que, depuis plusieurs années, vous entretenez par des protestations de foi, de fidélité et d'obéissance à l'Église, tandis que vos activités de publiciste sont en opposition aux -- directives du concile, de l'épiscopat, et aux ordres de votre évêque ([^14]). 2\. -- En conséquence, *je vous enjoins formellement* d'avoir, sans délai, à décommander cette manifestation par un avis, -- dont vous assurerez vous-même la diffusion auprès de tous ceux que vous y avez conviés, -- et que vous aurez à me soumettre avant qu'il ne soit envoyé et avant toute autre communication de votre part. Et, puisque, chaque année, à cette date de la Fête-Dieu, se déroule à Laillerie, sur le territoire même de votre doyenné, une manifestation eucharistique à laquelle la vôtre semblerait nécessairement s'opposer, c'est moi-même qui vous invite à venir ce jour-là vous unir à vos frères dans le Sacerdoce, pour témoigner avec le peuple chrétien de notre foi commune en l'Eucharistie, « sacrement d'uni­té ». Lors de son assemblée générale le lundi 11 de ce mois, à Beauvais, le Conseil Presbytéral a été averti par mes soins de *cette double décision que je vous impose.* Tous sont profondément peinés de l'attitude d'un de leurs frères dans le Sacerdoce, et *unanimement* vous invitent, de la manière la plus pressante, à rester uni avec eux autour de leur Évêque, et à obéir humblement à cette double décision qu'il vous impose. 72:199 J'espère que, vous rendant compte des conséquences de vos activités répréhensibles, vous accueillerez dans la foi l'appel que je vous adresse et les ordres que je vous donne. J'attends que, par lettre, vous m'assuriez sans délai de votre acquiescement et de votre volonté de rester dé­sormais, DANS LES FAITS, uni à votre évêque. Je continue de prier beaucoup pour vous. Ne prenez pas aveuglément le chemin des égarés... Revenez au Seigneur qui vous appelle par ma voix. Mes bras et mon cœur vous seront toujours paternelle­ment ouverts. Stéphane Desmazières. 73:199 ### 5. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **25 mars 1968** Monseigneur, Avant toutes choses, je désire vous exprimer, très res­pectueusement, ma surprise douloureuse sur un fait qui ne touche pas le fond du débat : avant même d'en référer à l'intéressé, vous avez convoqué sa propre sœur ([^15]) et lui avez communiqué vos décisions. Un tel procédé, un tel moyen de pression, paraissent insupportables. Que vous ayez pu de votre propre chef mêler un membre de ma famille à cette affaire, et avant même de m'avertir, me choque beaucoup, tant du point de vue administratif que familial. Sur ce dernier plan, je tiens à vous dire que mes deux sœurs et moi n'avons jamais rien \[fait\] de caché. Cepen­dant ma sœur aînée, qui m'approuve sur le fond, se trouve écartelée par le courant moderniste de son milieu ; elle est de tempérament anxieux ; elle s'est trouvée, après l'entrevue, complètement démontée, presque malade. Vous avez fait là, Monseigneur, une action regrettable. Votre lettre du 19 mars, et j'en suis très peiné, suspecte une fois de plus mes intentions. Vous m'accusez d'agir par ambition personnelle et de lancer des écrits et des initiatives qui sèment la révolte, dites-vous, le trouble ou la division dans l'Église... Or, si vous aviez connaissance des lettres innombrables que je reçois et des réponses que je fais, vous verriez avec évidence qu'il n'y a, de la part de mes correspondants, pour l'écrasante majorité, que des cris de douleur et de détresse (devant tant d'horreurs pro­férées en chaire, au catéchisme, dans les revues, devant tant d'altérations sournoises ou éhontées de la foi chré­tienne, devant tant de brimades de la part de prêtres en veston qui bafouent la prière, le sacrifice et la vie inté­rieure), et de ma part, que des exhortations à la fermeté dans les convictions, sans doute, mais aussi à la charité, la confiance, et l'union à la Croix de Jésus. Je puis vous affirmer, Monseigneur, en tout état de cause, que je n'ai pas d'autre but, dans ma grande douleur de prêtre, que de soutenir la vraie foi, glorifier Dieu et l'eucharistie. Si vous ne me croyez pas, que puis-je faire sinon souffrir ? Dieu seul pourrait vous confirmer ce que je pense et veux dans mon cœur. Du moins, à soupeser et examiner mes écrits, vous ne pouvez prouver le contraire. 74:199 D'ailleurs, votre Excellence le sait mieux que moi, l'erreur seule est facteur de division. La Vérité ou la grâce de Dieu, dit la théologie, ne troublent jamais, sauf les âmes pécheresses ou égarées. Alors le trouble est bien­faisant. Devant votre ordre, je m'incline, Monseigneur. Je vais rédiger la circulaire destinée à être envoyée à tous mes correspondants pour décommander la Procession. Pour vous montrer ma bonne volonté, car je ne me crois pas obligé à ce détail, je vous la soumettrai avant de la diffuser. En toute loyauté, je tiens cependant, Monseigneur, à bien vous informer. Le projet de la Procession a été dif­fusé partout. *C'est un fait* (et je ne pensais vraiment pas, franchement, que vous interdiriez une Procession du Saint Sacrement le dimanche de la Fête-Dieu et encore moins que vous m'accuseriez de me « servir de l'eucharistie pour satisfaire mes ambitions personnelles » : une telle accu­sation est très grave sous la plume d'un évêque). Devant ce fait, qui existe qu'on le veuille ou non, des milliers de prêtres et fidèles réagissent avec enthousiasme. On m'écrit de partout, même d'Italie, d'Allemagne, etc., que des cars s'organisent..., et même une très haute personnalité ro­maine se trouve pressentie par un correspondant étran­ger... Pour que vous ne me le reprochiez pas, je tiens à vous avertir que, sans doute, vous allez recevoir beaucoup de lettres (pour moi qui en reçois trente par jour, environ, depuis des mois, ce lot va s'accroître encore) ; et je crains que malgré l'annulation de la Cérémonie, et le silence très loyal que je garderai ensuite sur ce point, des milliers de personnes ne se décident à venir quand même, ce qui serait très ennuyeux pour vous et pour moi. 75:199 Aussi, pour vous montrer ma droiture d'intention et vous manifester à quel point je ne cherche pas à satisfaire une ambition quelconque, je vous propose respectueuse­ment, Monseigneur, que soit maintenue la célébration, étant entendu que, ce jour-là, je m'exilerais à 200 km, et, même là où vous voudriez..., je suggère, Monseigneur, que vous veniez alors présider la Cérémonie ou que vous envoyiez l'un de vos délégués pour tenir la place du Curé de Montjavoult. Votre Excellence peut être sûre que depuis huit jours, je prie de mon mieux et ai pris conseil de prêtres et de religieux zélés et vraiment hommes de Dieu. Je vous re­mercie de beaucoup prier pour moi car j'en ai très besoin et suis un pauvre homme. Je ne cherche qu'une seule chose : plaire à Dieu, dans la foi de toujours, dans l'obéis­sance à Sa parole et à Son Église. Je vous prie, Monseigneur, d'agréer l'expression de mon profond respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Abbé Louis Coache. 76:199 ### 6. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **4 avril 1968** Monseigneur, Dans ma lettre du 25 mars j'exprimais l'intention, con­cernant la Célébration du 16 juin prochain, de m'incliner devant votre ordre. Je me déclare prêt, dès que j'aurai connaissance de vos dernières décisions, à rédiger la cir­culaire que vous m'avez demandée. Mais le temps passe et les adhésions affluent. Aussi, afin qu'aucune équivoque ne subsiste, je me permets res­pectueusement de solliciter une réponse : votre Excellence accepte-t-elle la suggestion que j'ai faite ou, au contraire, maintient-elle sa volonté d'interdire le Dimanche de la Fête-Dieu, la Procession du Saint Sacrement à Montja­voult ? Daignez, Monseigneur, agréer l'expression de mes sen­timents très respectueux en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. 77:199 ### 7. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **6 avril 1968** Monsieur le Curé, Ma lettre du 1^er^ mars résumait clairement les griefs que j'avais à vous faire. C'était une « dernière » monition. Elle réclamait un acte d'obéissance « effective » à une double injonction que je vous ai nettement formulée. Votre réponse du 25 mars me montre que rien n'est changé dans votre attitude foncière. Vous persistez en effet à opposer votre subjective et prétentieuse certitude « de plaire à Dieu dans la foi de toujours, dans l'obéissance à Sa Parole et à son Église » à l'humble soumission dans les faits que vous devez aux ordres formels et souvent répétés de votre évêque. Je dois vous faire remarquer que je ne trouve aucun acquiescement dans votre lettre au commandement précis que je vous ai donné « d'avoir à cesser toutes vos publi­cations, quelle qu'en soit la forme, et toutes ces activités qui ne sont pas conformes à l'amour des âmes et con­tredisent à l'authentique charité ». D'autre part, je dois vous faire savoir qu'il ne peut être question pour moi de présider ou faire présider une ma­nifestation dont vous seul, sans autorisation, avez assumé la responsabilité et qui, dans le contexte actuel, comme je vous l'ai marqué, ne peut qu'être réprouvée ([^16]). 78:199 Que si, comme vous croyez devoir le penser, l'annulation de cette manifestation devait entraîner des ennuis pour moi ou pour vous, il vous appartient d'informer vos invités proches et lointains, par un avis pur et simple, sans commentaire d'aucune sorte, que cette procession n'aura pas lieu. Enfin, et je vous prie de faire grand cas de cette ultime et dernière monition, parce qu'il importe de clarifier de façon définitive votre attitude à l'égard de l'autorité dont je suis investi dans ce diocèse, je vous demande de ré­pondre dans un délai de 8 jours par un simple oui ou un simple non aux deux questions suivantes : 1° Êtes-vous prêt à cesser immédiatement toute publi­cation quelle qu'en soit la forme et à arrêter toute diffusion de vos écrits antérieurs, -- soit par vous-même, soit par d'autres ([^17]) ? 2° Êtes-vous disposé à décommander sans délai, pu­rement et simplement, sans commentaire, la manifestation que vous avez organisée de votre propre chef pour le 16 juin prochain, et de me soumettre le texte de cet avis ? C'est un OUI ou un NON sans explication, sans discussion que j'attends de vous, en réponse à chacune de ces deux questions. Si c'est OUI, vous voudrez bien en tirer toutes les conséquences pour votre attitude à venir. Si c'était NON, je me verrai dans la pénible obligation de constater votre contumace et de prendre à votre égard la peine canonique qui s'imposerait. *Beauvais, ce 6 avril 1968* Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais. *De mandato :* > *signature : H. Bourdonnais* > > *chancelier.* 79:199 P.S. : Vous me parlez aussi de votre sœur religieuse. Elle souffre beaucoup en effet de l'attitude de son frère prêtre. Qu'elle soit heureuse de venir s'entretenir avec son évêque, pour trouver auprès de lui consolation et apai­sement, quoi de plus normal ! Vous semblez oublier qu'en vertu de ma charge pastorale, je suis directement respon­sable de son salut autant que du vôtre. Aurais-je donc dû auparavant vous demander la per­mission de la recevoir ([^18]) ? Est-ce là ce que vous appelez un « procédé insupportable » ? Vous voyez, cher Ami, à quel degré d'égarement vous conduit votre aveuglement actuel !... Votre sœur et moi-même partageons la même douleur : notre prière commu­ne, et notre grande affection pour vous, sont nos seuls « moyens de pression ». Nous redoublons de ferveur à cette intention durant cette Semaine Sainte, auprès de Celui qui s'est fait obéis­sant jusqu'à la Croix par amour pour Son Père. Plus que jamais, je vous le redis, mes bras et mon cœur vous restent fraternellement ouverts. 80:199 ### 8. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **13 avril 1968** Monseigneur, Compte tenu du Canon 35 du Code de Droit canonique et de son incidence sur les règles du Droit administratif, processuel et pénal, Compte tenu des certificats médicaux ci-joints et du surmenage concomitant aux obligations de la Semaine Sainte, J'ai l'honneur de vous faire connaître que le délai de huit jours que vous m'avez imparti pour répondre à votre lettre du 6 avril ne pourra courir qu'à partir du dimanche de Pâques. Je pense donc pouvoir vous envoyer ma réponse au plus tard le lundi 22 avril. Votre cœur paternel, Monseigneur, ne pourra que com­prendre cette impossibilité et se réjouir de constater com­bien je désire réfléchir, à tête reposée, et prier avant de vous communiquer ma décision. Je vous remercie de vos prières, l'essentiel n'est-il pas de plaire à Dieu et de lui obéir ? Daigne votre Excellence agréer mes sentiments de pro­fond respect. Abbé Louis Coache. P.S. : 1° Je crois savoir que le Conseil presbytéral n'a pas approuvé vos décisions à l'unanimité (ainsi que vous le soulignez). 81:199 2° Le post-scriptum de votre lettre du 6 avril : « ...qu'elle (votre sœur) soit heureuse de venir s'entretenir avec son évêque pour trouver auprès de lui consolation et apaisement, quoi de plus normal !... Aurais-je donc dû auparavant vous demander la permission de la rece­voir ?... » laisse entendre que ma sœur avait elle-même pris d'une manière ou d'une autre l'initiative d'une ren­contre avec vous, ou tout au moins qu'elle en avait formulé le désir. Je suis douloureusement surpris de constater que sur ces deux points, vos expressions ne paraissent pas exacte­ment conformes aux faits. Abbé L. C. 82:199 ### 9. -- Lettre de l'abbé Coache à Son Em. le pro-préfet du Tribunal du Saint-Office congrégation pour la doctrine de la foi **13 avril 1968\ Samedi-Saint** Éminence Révérendissime, Je soussigné Abbé Louis Coache, prêtre de la Sainte Église Romaine et du diocèse de Beauvais, me déclarant fils soumis du Siège Apostolique et de mon évêque avec qui je me trouve en conflit pour une question de foi et de droit divin, considérant que mon évêque veut m'interdire de dé­fendre la foi et me menace de sanctions canoniques, ai l'honneur, très humblement et respectueusement, de saisir le Saint-Tribunal de la Congrégation pour la Doc­trine de la Foi, conformément aux Canons 247 et 1552 § 1 et § 2, 1°, et suivants, des questions de droit ci-après. 1°) Mes écrits ([^19]) sont-ils ou non contraires à la foi ou à la morale de l'Église catholique ? 2°) Est-il vrai, ou non, que surgissent et apparaissent, depuis plusieurs années, des erreurs, des exagérations, des manières de parler ou de présenter les choses qui attaquent la Foi de l'Église ou favorisent le péché, la déviation doc­trinale ou l'hérésie ? 83:199 Et cela d'une manière extrêmement fréquente et dans tous les domaines : liturgie, prédication, causeries, action catholique, presse catholique, etc. ? 3°) En référence à ce 2°. A -- Les exemples très nombreux donnés dans mes ouvrages sont-ils objectivement conformes, ou non, à la réalité ? B -- Est-il vrai ou non : -- que des revues comme « Formidable » ou « Club-Inter » favorisent le naturalisme et l'immoralité ? -- que des journaux comme « Témoignage Chrétien » et « I.C.I. » affichent une sympathie évidente pour le com­munisme et les croyances non conformes à la vraie foi ou à la morale chrétienne ? -- que des magazines comme « Le Pèlerin » et « La Vie Catholique Illustrée » favorisent la vanité, les modes indécentes, le culte du corps, la sensualité ? Et que ces mêmes journaux paraissent souvent favorables au commu­nisme, prenant parti, par exemple, pour les puissances marxistes qui combattent au Viet-Nam ? -- que « Le Pèlerin » du 14 avril 1968, pour prendre un exemple précis, présente le mariage des prêtres comme une chose très acceptable et même préférable, dans la situation actuelle, au mépris de la volonté de l'Église et de la dernière encyclique du Saint-Père sur le Célibat ? -- que la revue « Panorama » présente constamment la doctrine et les faits de telle façon que la vérité est dé­formée et que les lecteurs se trouvent enclins à perdre la vraie Foi et suivre une fausse morale ? -- que le n° 1182 de cette revue (3-9 avril 1968) expose les questions et résultats d'une enquête de telle façon que la psychologie du lecteur soit fatalement orientée vers l'erreur ? -- que le même numéro paraît très favorable à ces er­reurs, en vertu de sa présentation ? -- que les fiches catéchistiques intitulées : « Vérité et Vie » (1, rue de la Comédie à Strasbourg) « Vivre c'est le Christ » (abbé Berthier, rue de Flo­rus, Paris) « Ensemble » (abbé Dantin, Amiens) présentent une doctrine dégradée, fourmillant d'équivo­ques, non conforme (souvent) à la vraie Foi (tant par les exposés que par les omissions sur des points essentiels), et favorisent un grave relâchement d'ordre moral ? ([^20]) 84:199 4°) Toutes ces erreurs, à base de libéralisme moral et de relativisme doctrinal, peuvent-elles ou non s'identifier, à peu de chose près, aux erreurs du modernisme condam­nées par saint Pie X ? Et la condamnation de saint Pie X est-elle toujours valable ([^21]) ? 5°) De toute façon (et indépendamment de la réponse au 4°), étant reconnu comme légitime et excellent le désir de l'Église d'adapter sa discipline, sa liturgie et l'expres­sion de sa doctrine de telle façon que les hommes con­naissent et vivent mieux l'Évangile, les erreurs nommées au 3°) correspondent-elles à l'es­prit du concile de Vatican II ou plutôt à un esprit « post­conciliaire » dénoncé par S.S. Paul VI ? 6°) Cet esprit « post-conciliaire » qui, sans toujours proférer d'erreurs explicites, méprise les valeurs essen­tielles, se manifeste par tout un courant de phraséologie et d'équivoques et recourt à des méthodes dangereuses comme recyclages et mises en condition, est-il blâmable ou non ? 7°) Combattre cet « esprit post-conciliaire », même s'il se répand par des bouches autorisées ou par des bulletins officiels, est-ce, en soi, s'opposer à la Hiérarchie ? Est-ce, en soi, un péché ? 8°) Étant saufs la charité requise et le devoir de ne pas juger les consciences, est-il vrai ou non qu'un texte doit être jugé dans son objectivité ? Est-il vrai ou non qu'un texte néfaste, servatis servandis, doit être condam­né surtout dans le cas où il peut entraîner les fidèles au relativisme ou au péché ? Ce principe demeure-t-il valable lorsque ces textes sont publiés par milliers ? 85:199 9°) Est-il vrai ou non que, excepté des cas rarissimes, nos évêques vénérés gardent le silence -- pour des raisons que nous ignorons -- sur toutes ces erreurs et abominations (Cf. les Canons 1322 et suivants, 1326 et suivants) ? 10°) Étant reconnu que le droit divin passe avant le droit ecclésiastique, en cas de danger public constitué par des erreurs manifestes et nombreuses, et surtout lorsque des milliers de fidèles souffrent et risquent de perdre la foi, un clerc a-t-il le droit et le devoir de dénoncer l'er­reur et le mal ? 11°) Ce devoir demeure-t-il dans le cas où les supé­rieurs de ce clerc se taisent sur ces erreurs, les âmes étant en péril ? Ce devoir demeure-t-il également dans le cas où ses supérieurs qui se taisent et semblent ainsi approuver l'er­reur, lui interdisent de parler (restant exclus les cas d'in­dignité du dit clerc ou de défauts graves qui viendraient vicier cette prédication) ? 12°) En conséquence des points précédents, mes écrits sont-ils ou non blâmables ? Ces articuli sont soumis à la Sainte Congrégation *en tant que Tribunal* de la foi et des mœurs. Le demandeur soussigné demande respectueusement au Saint Tribunal de « dire le droit » sur les faits Juridiques et les droits à déclarer. Il prie le Saint Tribunal, pour la paix de sa conscience et le bien des âmes, d'éviter toute réponse sim­plement générale ou dilatoire. Il se déclare prêt à se rendre en personne aux pieds de Son Éminence le Cardinal Pro-Préfet ou à lui envoyer tous témoignages ou informations nécessaires, présente à Son Éminence Révérendissime ses sentiments profondément respectueux. Et que Dieu... Louis Coache. 86:199 ### 10. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **22 avril 1968** Monseigneur, Il m'est impossible de cesser de combattre pour la foi sans être persuadé de déplaire à Dieu gravement. Vous ne pouvez m'imposer une attitude qui contredit 20 siècles de Tradition et ma conscience. L'obéissance à la foi et à la morale révélées par Dieu et le Seigneur Jésus et fixée en des textes ineffaçables, doit -- en cas de conflit -- passer avant l'obéissance à des chefs dont le silence, c'est évident, favorise l'erreur. La preuve en est que, chaque semaine, des dizaines d'exemplaires de déviations et de complicités au mal et à l'hérésie nous arrivent de conférences et de journaux ca­tholiques sans que jamais nos évêques vénérés n'élèvent la voix pour condamner ou tout au moins mettre en garde... Cette semaine encore *Le Pèlerin,* la moins nocive de ces revues, affiche avec satisfaction les résultats d'une enquête sur le prêtre : la présentation des faits s'avère très nette­ment en faveur du mariage des prêtres ; et le rédacteur n'a pas un mot de commentaire ou de rectification doctri­nale, ce qui va effrontément contre la Tradition, les don­nées spirituelles millénaires et la récente encyclique de S.S. le Pape Paul VI sur le célibat... Ce numéro a déjà touché un million de lecteurs et la Hiérarchie n'a pas réagi. Il est évident, comme le dit et l'écrit le Saint-Père, qu'un « esprit post-conciliaire » détériore le véritable esprit du concile, esprit de renouveau et d'adaptation sur la base de la Tradition... C'est excessivement grave, car cet esprit révolutionnaire, jamais satisfait, toujours en quête de changement, retourne les cœurs et les mentalités. La Nouvelle Religion, reniant les valeurs essentielles, n'au­ra plus bientôt rien de commun avec la Religion de Notre-Seigneur. Et ceux qui défendent celle-ci contre celle-là se font condamner. 87:199 De toute façon, Monseigneur, le conflit qui nous oppose, touchant la foi et la fidélité au sens religieux de toujours, paraît trop grave pour pouvoir être dirigé par un précepte particulier. Aussi, je vous prie et requiers, saisissant les Tribunaux de la Sainte Église, de bien vouloir, en vertu des canons 218, 247, 1.552 et suivants, transmettre hiérar­chiquement la lettre ci-jointe à la Sacrée Congrégation de la foi, siégeant comme Tribunal, au Palais du Saint-Office ([^22]). Veuillez trouver ci-jointe, Monseigneur, la lettre-circu­laire que je vous soumets avant de l'envoyer à tous mes correspondants. Daignez agréer, Monseigneur, l'expression de mes sen­timents de profond respect. Louis Coache. 88:199 ### 11. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **29 avril 1968** Cher Monsieur le Curé, Je ne peux que prendre acte de votre réponse ; et je transmets à Rome la lettre cachetée comme vous me le demandez. Quant à la circulaire dont vous deviez me soumettre le texte : puisque vous y citez le passage de ma lettre concernant les griefs que je vous adresse, veuillez avoir la loyauté de ne pas omettre le premier de ces griefs, qui est bien le plus grave de tous. Si vous êtes d'accord avec ce que je vous demande, vous pourrez envoyer la circulaire ainsi cor­rigée, et je vous prie de m'en faire l'envoi à moi-même. Et soyez persuadé, cher Monsieur le Curé, que, malgré tout cela, votre évêque continue de vous aimer comme un fils. Stéphane Desmazières. 89:199 ### 12. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **2 mai 1968** Monseigneur, Volontiers je me conforme au désir que vous exprimez de voir mentionné dans ma circulaire d'annulation le 1^er^ grief invoqué par votre lettre du 19 mars : « En désobéis­sance... chez les autres » ; c'est bien ce passage, n'est-ce pas, que vous souhaitez me voir insérer avant l'insertion des autres griefs ? Pour le reste, le texte sera ce que vous avez approuvé. Par ailleurs je suis très sensible au ton fort conciliant de votre dernière lettre et je vous remercie Monseigneur. Sur ce même sujet de la Procession, je voudrais vous parler encore une fois avec une grande franchise. La si­tuation évolue très rapidement et, depuis deux mois, les deux mois de nos tractations épistolaires, un courant ex­trêmement fort déferle de partout en faveur de la Célé­bration du 16 juin. De tous côtés, le bruit s'étant répandu de votre inter­diction et de l'annulation projetée (et c'est la preuve que j'ai parlé de cette annulation), on m'écrit que l'on viendra de toute façon, et en nombre considérable, même d'Amé­rique du Sud... A tel point qu'un Comité International de laïcs s'est fondé, de sa propre autorité, pour suppléer à ma carence et organiser (au sens 1^er^ du mot : mettre en forme) ce mouvement spontané de foule, de façon à éviter tout désordre. Vous sentez bien qu'il m'est difficile, in petto, de les désapprouver. Que faire, Monseigneur ? Je reste prêt à envoyer la circulaire. Mais est-ce psychologique ? N'y aurait-il pas plutôt possibilité de collaboration puisqu'il ne s'agit vrai­ment que de la gloire de Dieu ? Je vous assure que cette foule immense viendra non pas pour manifester mais *uni­quement pour prier* (j'en suis absolument sûr et m'en porte garant), derrière une statue du Sacré-Cœur si on ne peut sortir le Saint Sacrement... 90:199 Votre présence serait merveilleuse ; elle serait un ex­traordinaire facteur d'unité en cette période de division entre catholiques. Alors bien des préjugés tomberaient et, sur la base de la doctrine et dans la prière, une charité effective pourrait s'instaurer entre tendances différentes au sein du renouveau souhaité. Votre présence ne signifierait nullement que l'évêque de Beauvais fait siennes toutes les options des participants (sur les matières libres qui ne sont pas de foi ni d'obli­gation, car sur le fond nous sommes d'accord par principe) ; d'ailleurs il ne devra y avoir aucune étiquette offi­cielle de mouvements quelconques mais simplement pré­sences individuelles... Mais vous aideriez des milliers de fidèles qui souffrent de tant d'erreurs à garder courage et confiance sous l'autorité de leurs pasteurs, ce qu'ils désirent ardemment. En un mot votre présence d'évêque aiderait un vrai renouveau dans la doctrine, la fidélité à l'Église et la charité. Quel bienfait ! Quelle grâce ! Car pour les autres, ceux qui vont de l'avant (et certes nous avons beaucoup à prendre de leur zèle), ils ne pour­raient que considérer avec bienveillance la prière de tant de chrétiens rassemblés dans l'Église et pour l'Église... Monseigneur, vous ne pouvez vous désintéresser d'une foule qui va venir uniquement pour prier et affirmer sa foi. Qu'il ne soit pas dit que l'évêque du lieu, trois fois instamment sollicité, avec respect et affection, a refusé sa présence... On ne pourrait comprendre et ce serait lourd de conséquences. Solennellement je vous demande et sup­plie de venir comme Père d'un peuple qui ne cherche qu'une chose : honorer Dieu *dans la fidélité totale à l'Église catholique romaine.* Je suis prêt, Monseigneur, à aller vous voir, non pas en coupable (malgré mes nombreux défauts et péchés, hélas !) mais comme curé de votre diocèse face à une situation exceptionnelle et désireux de travailler avec son évêque au bien de l'Église et des âmes (allant à Fatima pour le 13 mai je serai absent du 7 au 15). Daignez agréer, Monseigneur, l'expression de mon pro­fond respect et, je le désire de tout mon cœur, mes senti­ments de filiale affection en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. 91:199 PS : Ainsi que vous l'avez sans doute fait vous-même, je pense convenable d'envoyer à Rome les différentes lettres que nous avons échangées récemment ; j'ajouterai égale­ment celle-ci, je ne pense pas que vous y voyez d'inconvé­nient... Si j'ai la joie d'être reçu par vous je vous parlerai volontiers du libelle ([^23]) adressé à la S. Congrégation pour la doctrine de la foi. 92:199 ### 13. -- Lettre-circulaire de l'abbé Coache **2 mai 1968** *La diffusion de cette circulaire, mise sous enveloppes le 16 mai, a d'abord été retardée par la grève des postes. Ensuite il a paru qu'il était trop tard et elle n'a finale­ment pas été envoyée. L'intérêt de ce document est néan­moins de montrer sur quel texte Mgr Desmazières et l'abbé Coache s'étaient mis d'accord.* Mes chers Amis, Cette lettre, avant de vous être envoyée, a dû être sou­mise à Monseigneur Desmazières, Évêque de Beauvais. Son Excellence m'interdit de célébrer, le dimanche de la Fête-Dieu -- soit le 16 juin prochain --, la procession liturgique du Saint Sacrement que j'avais prévue. « En désobéissance permanente avec moi depuis deux ans, (écrit-il) -- vous vous instituez, sans autre mandat que celui de votre jugement personnel, juge de la foi et de la discipline de l'Église chez les autres. « Vous en venez à porter des accusations extrêmement graves d'hérésie, de blasphèmes, de provocations à l'im­moralité et vous entretenez une suspicion injurieuse à l'égard de l'autorité légitime, qui, selon vous, manquerait à sa mission et par là favoriserait l'hérésie enfin « décla­rée ». Vous créez ainsi et développez le trouble et l'incer­titude dans les consciences elles-mêmes, tandis que vous entretenez l'indifférence, sinon le mépris chez certains à l'égard d'une Église qui, par votre fait, apparaît, divisée contre elle-même. Vous suscitez enfin la vision au sein de l'Église, provoquant ou soutenant la révolte des uns, l'indignation des autres, le scandale de tous. 93:199 « ...Quant au rassemblement eucharistique, qui doit réunir vos « amis », même « lointains », pour qu'ils vien­nent proclamer leur foi en l'Eucharistie, dans le contexte actuel de votre attitude générale, de vos publications, et du tract lui-même, il ne peut apparaître que comme un prétexte à réunir des partisans et à servir votre polémique. Je ne puis admettre qu'on se serve ainsi de l'Eucharistie pour satisfaire ses ambitions personnelles. « ...En conséquence, *je vous enjoins formellement* d'avoir, sans délai, à décommander cette manifestation par un avis, -- dont vous assurerez vous-même la diffusion auprès de tous ceux que vous y avez conviés, -- et que vous aurez à me soumettre avant qu'il ne soit envoyé et avant toute autre communication de votre part. » ([^24]) Devant cette interdiction, après avoir beaucoup prié et pris conseil de prêtres et d'amis très avertis, j'ai pensé qu'il était plus parfait de m'incliner, quoique la défense ait concerné un exercice normal, et même obligatoire, du ministère paroissial. Chers Amis, je vous supplie de ne pas être scandalisés de mon attitude que vous pourriez prendre pour un aban­don... Soyez convaincus que je reste fidèle à la foi de tou­jours et au devoir de la promouvoir. Priez pour moi car il y a des heures pénibles, où le sacrifice est préférable. Vous savez que je prie beaucoup pour vous. Offrez bien vous-mêmes en esprit de réparation toutes vos épreuves et plus particulièrement les innombrables sacrifices que vous avez à supporter du fait du modernisme. Restons fermes dans la foi, avec hardiesse et sans dé­faillance ; et soyons sûrs que Notre-Seigneur sauvera Son Église ! Abbé Louis Coache. 94:199 ### 14. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **9 mai 1968** Cher Monsieur le Curé, Vous avez été très touché, dites-vous, du ton de ma lettre. Je vous le répète : quoi qu'il arrive, je vous aimerai toujours comme un fils. Mais que mon attitude ne vous fasse pas illusion sur la vôtre. Depuis deux ans vous êtes en désobéissance permanente avec moi. Et vous me demandez aujourd'hui, après coup, de venir présider une manifestation eucharistique que vous avez organisée, non seulement sans m'en parler, mais en la mettant volontairement dans un contexte d'opposition avec la hiérarchie. Il ne s'agit évidemment pas pour moi, en la circons­tance, de m'opposer à une procession du Saint Sacrement. Mais celle que vous organisez à Montjavoult se présente comme le couronnement d'une campagne de dénigrement contre les évêques de France et le renouveau conciliaire cette campagne que je vous reproche précisément de mener depuis deux ans et qui ne peut pas faire de bien. Le tract d'invitation lui-même, -- que vous vous êtes bien gardé de me montrer, -- révèle vos véritables inten­tions : soulever contre la hiérarchie que vous accusez d'être déficiente toute une armée de « vrais défenseurs de la foi », dont vous recommandez chaleureusement les pu­blications et au premier rang desquels vous citez l'abbé de Nantes, dont tout le monde connaît les propos infa­mants qu'il a prononcés contre le concile et contre le Saint-Père. 95:199 Je ne puis admettre qu'on utilise ainsi à des fins parti­sanes, et qu'on profane de la sorte, le Sacrement par ex­cellence que le Christ nous a laissé, signe de Sa divine Présence parmi nous et de l'unité de Son Église autour de l'évêque. Déjà même, parce que vous saviez que j'étais sur le point d'interdire cette procession et avant que vous l'ayez décommandée, un comité international a pris prudem­ment la relève, d'accord avec vous. Et le tract qu'il s'em­presse de répandre partout pour maintenir cette manifes­tation coûte que coûte et malgré l'interdiction de l'évêque montre de quel esprit il est : on y laisse entendre, pour mieux tromper l'opinion, que l'évêque est de ces « réfor­mateurs » qui suppriment le Culte eucharistique pour le remplacer par le Culte de l'homme. Déjà les lettres d'injures que je reçois de vos amis ré­vèlent le véritable esprit qui les anime. Dans pareil contexte il est de mon devoir d'évêque d'in­terdire ce jour-là à Montjavoult toute procession du Saint-Sacrement, et toute messe hors de l'église paroissiale. Curé de la Paroisse, vous êtes responsable de toutes les conséquences de votre imprudente initiative. Votre tort en définitive n'est pas de vouloir défendre la foi, mais de la défendre mal, et en vous séparant de votre évêque. Plus que jamais, en ce mois de mai, je prie pour vous Celle que nous aimons à appeler la Mère de l'Église qu'Elle veille sur son unité et qu'Elle vous ouvre les yeux ! En Elle je vous redis toute mon affection. Stéphane Desmazières. 96:199 ### 15. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **12 juin 1968** Monseigneur, Veuillez trouver ci-joint la circulaire ([^25]) que j'envoie à mes correspondants. Après réception de votre dernière lettre et précision reçue de votre secrétaire, j'avais fait ronéotyper la circulaire d'annulation ; toutes les envelop­pes étaient prêtes et affranchies. La grève des postes ayant éclaté ce 17 mai, et duré jusqu'à ces jours derniers, j'ai renoncé à envoyer la lettre préparée, devant l'imminence de la célébration. D'ailleurs le Communiqué du Bulletin religieux, qui déforme totalement et injustement ma pensée et mes in­tentions, confirme hélas toute notre peine et nos inquiétu­des. Nous luttons pour défendre la foi, ancrée sur les textes et décisions infaillibles, contre les erreurs insolentes qui l'ébranlent de toutes parts (constatant avec respect et dou­leur que les évêques se taisent). Et ce combat, dans l'amour respectueux des institutions de l'Église, vous le présentez, Monseigneur, comme un combat contre les évêques et l'es­prit conciliaire. D'abord c'est très grave de calomnier ainsi un prêtre ; et puis, en vous disant offensé, n'allez-vous pas faire croire aux fidèles que les évêques approuvent les erreurs que nous combattons et qu'ils font leur un « es­prit post-conciliaire » dénoncé par Paul VI (car il n'est que la caricature de l'esprit conciliaire) ? Cette équivoque est lourde de conséquences. 97:199 Comment pouvez-vous m'accuser, Monseigneur, d'être contre les évêques, alors que je rappelle sans cesse tout ce qui fait l'honneur de l'Église et que je dénonce ce qui l'attaque ? Veuillez agréer, Monseigneur, l'expression de mon pro­fond respect en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. 98:199 ### 16. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **26 juin 1968** Stéphane DESMAZIÈRES évêque de Beauvais, Noyon, Senlis 60 -- Beauvais, le 26 juin 1968. Cher Monsieur le Curé, Je viens de recevoir la réponse de Rome à votre recours. J'ignore totalement ce que vous avez écrit à Rome, mais je sais ce que je suis chargé de vous transmettre ([^26]). La Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi re­connaît qu'il y a aujourd'hui en France « des opinions in­jurieuses contre la foi et des abus de langage » -- ce dont nul ne disconvient. (Et je m'en apercevais également en lisant certaines lettres que je recevais ces jours-ci de vos admirateurs.) 99:199 Mais Elle ajoute aussitôt que vous « devriez considé­rer humblement » que « dans le bon combat de la foi », « ordinem esse servandum » ; que vous devriez ne pas oublier que « Spiritum Sanctum posuisse Episcopos regere Ecclesiam Dei ». Et pour bien montrer qu'une désobéis­sance à l'évêque ne pourra jamais être justifiée par les meilleures intentions et ne pourra que porter de mauvais fruits, Elle conclut ainsi « ita nimirum ut etiam in hac re obtineat illud Evangelii « qui non colligit mecum, disper­git », etiamsi quis optima intentione impellatur ». C'est bien hélas ! ce qui est arrivé, car quelles qu'aient pu être vos intentions, votre désobéissance a fait beaucoup de mal à l'Église. Et la lettre de Rome s'achève ainsi... « Confidit D. Coa­che in posterum Excellentiae Tuae sese docilem esse praes­titurum et ita talenta quae a Domino accepit in bonum Ecclesiae cum foenore esse redditurum. » Je garde la même confiance et j'espère que vos yeux s'ouvriront enfin à la lumière. Tous les prêtres du diocèse attendent avec moi : ils continuent de prier pour vous et de vous aimer comme un frère. Stéphane Desmazières. 100:199 ### 17. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **3 juillet 1968** Monseigneur, Toujours sensible au ton paternel de vos lettres, je vous remercie de la communication que vous venez de me faire, en date du 26 juin, de la « réponse de Rome à mon (vo­tre) recours »*.* Ma supplique au Saint-Siège constituait non pas un re­cours, mais un Libelle, c'est-à-dire que je saisissais la Sa­crée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, non pas à l'administratif mais au judiciaire, et donc en tant que Tri­bunal de la Foi. Ce Libelle ne se situait d'ailleurs pas sur le plan dit « criminel », mais sur le plan contentieux. J'aurais, certes, pu porter plainte contre mon évêque (mais cela aurait été plutôt devant la Sainte Rote), en rai­son de la diffamation dont je suis l'objet de sa part ; en effet, Monseigneur, vous m'accusez publiquement de ré­volte, d'hostilité à la Hiérarchie, de dénigrement, alors que mon attitude, quoique très ferme, est une attitude de souf­france respectueuse devant les erreurs du modernisme et le silence effarant des évêques (les saints en ont dit de plus dures !). Cependant, l'idée ne m'est même pas venue de provoquer un jugement sur ce plan, car je ne cherche pas à défendre ma pauvre personne. Sur le plan contentieux, donc sur la recherche du droit dans le conflit qui m'oppose à vous au sujet de la doctrine, j'ai soumis 12 points à la Sacrée Congrégation. qui doit ainsi trancher en tant que Tribunal et me dire si j'ai raison ou tort. Le sujet est très grave, puisqu'il s'agit de la doc­trine même de l'Église, en elle-même, et dans son appli­cation sur des points particuliers. 101:199 Or, vous me dites avoir reçu la réponse à mon recours. Rome aurait tranché pour une décision à l'administratif, ce qui m'étonne beaucoup car je vois difficilement com­ment un tribunal peut refuser d'instruire une cause aussi importante ; et je ne pense pas que la Sacrée Congrégation puisse s'entacher de déni de justice ([^27]), c'est pourquoi je pense que l'affaire suit son cours canoniquement. Quant à la lettre que vous avez reçue et dont je n'ai pas été invité à prendre connaissance : -- s'il s'agit vraiment d'une réponse officielle de Rome, *donc canonique,* j'ai, Monseigneur, car il s'agit d'un acte public au sens juridique du terme, le droit le plus strict d'en prendre connaissance, étant demandeur en la circons­tance. Comment voulez-vous, d'ailleurs, que je puisse pren­dre au sérieux une réponse que vous me communiquez en la découpant en sept extraits très brefs cités soit dans le texte original, soit a travers votre traduction, et cela dans la trame de votre propre commentaire -- pour objectif que je veuille bien croire celui-ci -- ? -- Si, au contraire, il ne s'agit que d'une lettre qui vous est personnelle, elle n'a donc, Monseigneur, aucune valeur canonique. Dans l'attente d'être éclairé sur ces différents points, je vous prie d'agréer, Monseigneur, l'expression de mes sentiments très respectueux en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. PS : Veuillez trouver en annexe : 1°) Ma dernière circulaire, 2°) Une demande que je vous fais concernant un do­cument arrivé récemment à ma connaissance. 102:199 « ÉGLISE D'ARRAS », dans son n° 8 du 19 avril 1968 et son n° 10 du 17 mai 1968, sous le titre « Réflexions doc­trinales », publie un rapport sur une session de Recyclage (j'ai le texte à votre disposition, Monseigneur). Je lis ceci, entre autres horreurs qui s'étalent en six pages : « La Vérité est une recherche (sic) éclairée par la foi. L'Église est l'humanité entière (sic), le monde entier (sic) en marche vers son accomplissement, son épanouissement en Dieu. Le salut qu'apporte l'Église ne consiste pas seu­lement à échapper à la mort, à la damnation, il ne ressem­ble pas au salut qu'attendent les marxistes, les indiens, les magiciens de la revue « Planète », les fervents de Fatima (sic). « Autrefois, les missionnaires s'en allaient pour bap­tiser et pour sauver, dans l'angoisse de tous ces pauvres hommes qui mourraient sans baptême (c'était l'époque du romantisme -- sic --). Or, les racoleurs de parti sont dé­testables (sic). C'est de l'impérialisme spirituel (sic). « Elle (l'Église) ne dit pas : « Tu dois croire », mais « Jésus est passionnant ». (Je passe d'autres erreurs plus graves, quoique d'expres­sion plus équivoque sur la Résurrection de Jésus.) Je pense qu'il y a dans ces textes des reniements et des hérésies caractérisées, ne serait-ce qu'au sujet de la der­nière phrase citée, qui s'oppose au « Enseignez toutes les nations... Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ». Veuillez me dire, Monseigneur, si oui ou non vous pen­sez de même. C'est-à-dire : pensez-vous, Monseigneur, que ces textes, rapportés sans commentaires et sous le titre « Réflexions doctrinales » constituent ou non des renie­ments et des hérésies ? Je m'adresse ici à l'Évêque Doc­teur en Vérité. 103:199 ### 18. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **9 août 1968** Monseigneur, Très surpris de n'avoir reçu aucune réponse à ma lettre du 3 juillet, je vous demande respectueusement d'avoir la bonté de m'éclairer sur les points que je vous ai soumis. Concernant les RÉFLEXIONS DOCTRINALES de l' « ÉGLI­SE D'ARRAS », le silence d'un évêque à qui s'adresse l'un de ses prêtres pourrait gravement troubler les consciences. Par ailleurs, allant à Rome pendant ces vacances, je serais heureux d'avoir, avant de partir, des éclaircissements sur la lettre que vous avez reçue. Veuillez agréer, Monseigneur, l'expression de mes sen­timents très respectueux en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Abbé Louis Coache. 104:199 ### 19. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **12 août 1968** Cher Monsieur le Curé, Votre lettre du 9 août me rejoint à Lourdes, où je suis pour le Pèlerinage National. Hélas ! elle est loin de m'ap­porter le témoignage de cette obéissance affectueuse que tout prêtre doit à son évêque et que j'attends depuis si longtemps. Par contre, vos protestations de respect se multiplient, comme pour mieux dissimuler cette désobéissance perma­nente et croissante de toute votre attitude. L'obéissance est pourtant la vertu dominante de Jésus tout l'Évangile en est l'illustration. Votre désobéissance à votre évêque ne peut que vous fermer de plus en plus à la grâce divine. Au lieu de m'apporter la seule réponse que j'attends, vous faites habilement diversion, en posant vous-même des questions ! ([^28]) Il y en aurait tellement d'autres auxquelles je serais en droit d'avoir une réponse claire ! Par exemple : 105:199 Vous continuez d'affirmer que vous étiez prêt à dé­commander cette Procession du 16 juin, comme vous m'aviez promis de le faire, mais que les événements vous en ont empêché. Comment pouvez-vous dire cela, « en vérité », alors que la veille encore, vous y invitiez vos confrères avec insistance ? -- Au lendemain du grave scandale que vous avez donné par votre désobéissance publique à votre Évêque, quelle a été votre attitude ? Puisque vous saviez claire­ment quelle était ma pensée, j'avais préféré, pour ma part, imiter la patience du père de l'enfant prodigue, et attendre votre repentir. Comment avez-vous interprété mon geste de bonté ? Est-ce vrai que vous avez déclaré le di­manche suivant que c'était la preuve que votre Évêque vous gardait toute sa confiance ? -- Je n'ai pris aucune sanction contre vous à cette occasion : Est-ce vrai que vous en avez pris contre Mme B..., votre Catéchiste, en la relevant de ses fonctions, à l'étonnement douloureux des parents qui étaient si satis­faits de son dévouement ? -- Est-ce également parce que Monsieur l'Archiprêtre de la Cathédrale a été fidèle à son évêque, que vous me­nacez de lui faire du mal ? « Ou bien, est-ce parce que j'ai été bon envers vous, que votre œil est devenu mauvais ? » Quand vous aurez répondu loyalement à toutes mes questions, et quand j'aurai enfin devant moi un prêtre qui aura à l'égard de son Évêque les sentiments vrais de filial et affectueux respect qu'il lui doit, comme au repré­sentant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, -- je serai heu­reux de le recevoir, comme tous les autres -- et de causer avec lui, en toute confiance, de tout ce qu'il voudra. En attendant, je ne puis que prier pour lui, -- surtout ici à Lourdes --, pour que son cœur s'ouvre enfin, HUM­BLEMENT, à la Lumière de l'Esprit Saint... à l'exemple de la petite Bernadette, si chère au cœur de Notre-Dame... Elle, l'humble servante du Seigneur, la Mère et la plus belle Figure de l'Église. Stéphane Desmazières. 106:199 ### 20. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **7 septembre 1968** Monseigneur, Avec attention j'ai relu notre échange de correspon­dance depuis plusieurs mois et je ne vois pas de questions auxquelles j'ai refusé de répondre. Pour le « Combat de la Foi », j'ai. répondu par une lettre envoyée à la Sacrée-Congrégation pour la doctrine de la foi. Vous me dites avoir reçu une réponse de Rome. J'attends toujours de pouvoir en prendre connaissance. Pour la Procession, après vous avoir réinvité et fait des propositions qui prouvaient mon désintéressement, j'ai d'abord accepté de la décommander. Puis, après les grèves, je vous ai loyalement averti qu'il semblait trop tard, vu les circonstances pour envoyer les lettres d'annulation ; devant Dieu j'atteste qu'elles étaient prêtes à partir le 17 mai -- 1^er^ jour de la grève totale -- et qu'il était bien dans mes intentions de faire cet envoi ce jour-là. Vous avez d'ailleurs reçu, Monseigneur, sur ce sujet, mon Bulletin de juin. Quant, à la Cérémonie vous savez que tout s'est déroulé dans la plus grande ferveur et sans aucune fausse note bien entendu. Vous me posez maintenant, Monseigneur, d'autres questions ; j'y réponds : 1°) J'ai invité mes confrères, en juin, après avoir cons­taté que l'annulation n'était pratiquement plus possible. La Procession devant avoir lieu, liturgiquement, il n'était pas anormal que des prêtres y soient invités, comme je vous avais vous-même invité, Monseigneur, par trois fois. 107:199 2°) Comment ai-je interprété votre geste de bonté ? Laissez-moi d'abord vous répondre, Monseigneur, qu'il n'y a pas eu bonté mais accusations très graves et imméritées, répandues partout et par tous les moyens (depuis *France-Soir* jusqu'à Radio Vatican, sans oublier les pressions exercées sur vos collègues dans l'épiscopat -- témoins les initiatives des évêques de Rouen et de Toulon, par exemple, vis-à-vis de certains de leurs diocésains -- et même sur le maire de Montjavoult), diffamations donc et procédés, dirais-je, déconcertants (vous avez publié partout que j'avais désobéi en n'assistant pas à la procession de Lail­lerie, alors que d'une part vous m'avez seulement conseillé d'y aller et que d'autre part vous avez essayé, par l'en­tremise du doyen, de faire donner plus de relief à cette cérémonie locale dès que vous avez su que j'organisais une grande célébration). Vous savez très bien, Monsei­gneur, que je parle selon l'Évangile et la foi catholique et n'ai jamais eu un seul mot irrespectueux à l'égard de la Hiérarchie. Vous n'avez pas porté de sanction contre moi parce que vous ne pouviez pas en porter. Il est vrai que j'ai déclaré que, étant toujours muni de pouvoirs, je bénéficiais de votre confiance. C'est au moins vrai pour le for externe ; ce doit l'être aussi au for interne car vous agissez évidemment en conscience. 3°) Mme B... a essayé de soulever la population contre moi, sans trop y réussir, heureusement, menant une cam­pagne de diffamation, bravant en outre, apparemment, le passage du Saint-Sacrement sans manifester aucun signe extérieur de dévotion. Je ne pouvais lui garder ma con­fiance. Voilà pourquoi je l'ai relevée de ses fonctions pour le bien des enfants (je suis prêt à tout oublier si elle retrouve une attitude qui permette la collaboration avec son curé pour l'enseignement des enfants). 4°) M. l'Archiprêtre de la Cathédrale a cru pouvoir faire des publications qui atteignent gravement ma répu­tation et surtout désorientent les fidèles. Les réponses que je lui demande de publier n'attaquent personne. Ne sont-elles pas d'ailleurs l'occasion d'un dialogue tant recom­mandé ? Pourquoi ne serait-il pas permis de parler selon la doctrine de l'Église, alors que tant de journaux catho­liques laissent la parole à ceux qui l'insultent ? *Monseigneur, j'ai répondu à vos questions.* Je suis attristé, pour ma part, de constater que vous ne daignez pas répondre aux éclaircissements que je sollicite bien respectueusement et sur des points d'importance. Aussi veuillez avoir la bonté de me dire : -- en quoi mon combat est-il mauvais, c'est-à-dire quels sont les textes ou les actes condamnables ? 108:199 -- Rome a-t-elle envoyé une réponse officielle ? -- Pensez-vous que les textes que je vous ai cités de l'*Église d'Arras* constituent ou non des reniements et des hérésies ? Déjà votre silence m'incitait à penser que Rome m'ap­prouvait. J'en ai maintenant la certitude, après ma visite au Saint-Office. Votre silence m'incite à penser que vous ne réprouvez pas les textes donnés par le Bulletin officiel *Église d'Arras.* J'attends, Monseigneur, que vous me parliez claire­ment. Il ne s'agit plus de mots : « scandale, désobéissance, enfant prodigue, repentir... » ; il s'agit de savoir où *est le mal* et où *réside la volonté de l'Église.* Est est, non non. Le critère c'est la foi, ce sont donc les textes authentiques et la sainte Tradition. Tous les slogans modernistes, les prétendus charités et œcuménismes, qui font fi de la doc­trine, et toutes les expériences qui s'attaquent au sacré et à l'autorité de l'Église, ne sont que des produits de Satan. L'heure est venue de parler clair. Je demeure votre Fils soumis dans la doctrine et j'ose reprendre à mon compte les paroles que Pierre adressait aux autorités religieuses de son temps : « Jugez vous-même et dites-moi s'il faut mieux obéir aux hommes ou à Dieu. » Daignez agréer, Monseigneur, l'expression de mes senti­ments très respectueux. Abbé Louis Coache. *PS. -- Dernière minute :* Mme B... ayant montré, au­jourd'hui 8 septembre, à la fin de la messe dominicale, des signes évidents de bonne volonté, je lui ai immédiate­ment proposé de reprendre sa charge de catéchiste. Sur ce point, je suis très heureux que les choses se soient arrangées. 109:199 ### 21. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **5 décembre 1968** Monseigneur, Votre Excellence pourrait-elle avoir la bienveillance de répondre à mes demandes des 3 juillet et 7 septembre derniers ? Ayant toujours moi-même répondu à vos questions, j'attends respectueusement, Monseigneur, que vous m'éclai­riez, en tant que père et maître de la foi, sur les points que je rappelais en septembre à votre attention : -- Si la réponse de Rome dont vous m'entreteniez le 26 juin est un acte officiel, comme vous sembliez le dire, j'attends, Monseigneur, que vous m'en donniez communi­cation complète. -- Pour le document publié par « Église d'Arras », je voudrais éclairer très prochainement mes amis et je serais navré d'être obligé de leur dire que, sur un sujet d'une telle importance doctrinale, mon évêque, par trois fois sollicité, n'a pas osé se prononcer. A l'heure où le Saint-Père redit son angoisse de voir prêtres et même évêques compromettre la discipline et la foi, je prie humblement votre Excellence de m'aider à ras­surer les fidèles et d'agréer l'expression de mes sentiments profondément respectueux en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. PS. -- Veuillez trouver ci-joint, Monseigneur, le « Com­bat de la Foi » n° 4 bis et le *Vade Mecum* que vous avez dû recevoir déjà. 110:199 ### 22. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **8 décembre 1968** Monsieur le Curé, Ainsi votre audace grandit avec votre désobéissance. Non content de vous faire juge de la foi à la place de votre Évêque et de me braver par votre désobéissance ou­verte, vous venez maintenant vous vanter de votre geste. Bien plus, après avoir menacé l'Archiprêtre de la Cathé­drale, Monsieur l'Abbé Duchenne, d'inonder la ville de Beauvais de vos tracts, s'il « n'obéissait pas » à vos injonc­tions, -- vous tenez parole, et vos tracts ont en effet inondé et souillé notre ville... jusque dans l'église Saint-Étienne, où je prêchais pour les chantiers diocésains. Vous conti­nuez à affirmer que vous signez personnellement tous vos tracts. Ceux-là sont prudemment anonymes... ([^29]) Est-ce pour pouvoir le cas échéant vous en laver les mains ? La Congrégation de la foi, par une lettre de son pré­sident, le Cardinal Seper, adressée à moi-même, vous a enjoint d'avoir à obéir à votre évêque ; parce que dans le combat de la foi, -- qui s'impose à tous, -- on ne peut faire que du mal si on se sépare de son évêque. Or vous vous obstinez à lui désobéir ([^30]). 111:199 Et pendant ce temps-là, pour mieux masquer votre vraie situation et mieux tromper vos lecteurs, vous mul­tipliez selon votre habitude les protestations de respect envers votre évêque et vous recommandez de lui obéir fidè­lement ! Vous allez même jusqu'à vous déclarer couvert et encouragé par le « Saint-Siège ». C'est un comble ! De qui vous moquez-vous ? Mais, on ne se moque pas de Dieu : Deus non irridetur. J'attends toujours votre réponse à ma demande, main­tes fois réitérée : un acte de soumission vraie et filiale à votre évêque, une simple ratification en acte du « Pro­mitto » qu'un jour vous avez prononcé entre les mains de votre évêque. Mes bras vous sont toujours paternellement ouverts, dans la charité du Christ : j'attends de vous le geste d'un fils. Stéphane Desmazières. 112:199 ### 23. -- Délégation de Mgr Desmazières **13 mai 1969** Stéphane DESMAZIÈRES\ Évêque de Beauvais, Noyon, Senlis 60 -- BEAUVAIS, le 13 mai 1969\ 15, rue Jeanne-Hachette donne délégation à Monseigneur BOURDONNAIS, Chancelier, pour donner connaissance à M. l'Abbé COACHE, curé de MONTJAVOULT, des termes de la lettre ([^31]) par laquelle un précepte lui est donné, sous menace de censure « ab officio », s'il n'en accomplit pas les prescriptions. Messieurs François LESIEUR, curé de CHAUMONT-EN-VEXIN et Franck d'AUSSAC, official, étant témoins. Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais 113:199 ### 24. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **13 mai 1969** Monsieur le Curé, Vu votre contumace prolongée depuis un an, je vous enjoins par un précepte particulier et sous menace d'une suspense « ab officio » à courir le samedi 17 mai : 1° d'avoir à cesser immédiatement toutes vos publi­cations sans aucune exception ; 2° d'avoir à annuler, selon la formule ci-jointe, la procession projetée par vous le 8 juin, jour de la Fête-Dieu ; 3° d'avoir à dissoudre le secrétariat que vous avez constitué pour entretenir votre entreprise et lui donner expansion en France et à l'étranger. Les motifs de ce précepte sont les suivants : -- Vous avez tenu pour nulles, en fait, les deux mo­nitions que je vous ai adressées les 19 mars et 6 avril 1968, ainsi que la réprobation publique de vos « agissements » publiée le 22 juin suivant. -- Vous ne vous êtes pas opposé, comme vous en aviez le pouvoir nécessaire et suffisant, à ce qu'un « Comité in­ternational » organise et règle sur le territoire de votre paroisse une manifestation religieuse qui dans le contexte où elle devait se dérouler, constituait pour vos invités et vos adeptes, une adhésion à votre attitude répréhensible. -- Vous avez continué vos publications et renouvelé, en les étendant encore, vos invitations à la procession pré­vue pour le 8 juin prochain. -- Or dans votre « Combat de la Foi » du 19 mars dernier, après avoir porté contre l'épiscopat des accusa­tions infamantes, vous faites de votre solennelle procession une réparation solennelle de « l'hérésie », du « schisme », de la « prévarication collective » dont vous accusez outra­geusement « nos évêques » ([^32]). 114:199 -- Par là, vous conviez, sous le couvert d'une mani­festation religieuse, dont vous profanez le sens profond, tous vos adeptes et des fidèles mal avertis à adhérer a vos jugements injustes et calomnieux. -- Votre attitude constitue donc une conspiration contre l'autorité hiérarchique, une provocation à la désobéissance et une excitation à des préventions contre les évêques et moi-même. Je prie le Seigneur pour que dans l'humilité et devant Dieu, en toute sincérité, vous rentriez dans l'obéissance. Puisse votre réponse affirmative m'être rapportée im­médiatement. Elle ne saurait toutefois être retardée au-delà du samedi 17 mai. Que le Seigneur dont nous allons commémorer la glo­rieuse Ascension vous inspire la solution que j'attends et qui nous réjouira tous. Stéphane Desmazières. P.M.\ Mgr BOURDONNAIS,\ Chancelier 115:199 ### 25. -- Accusé de réception présenté à l'abbé Coache\ le 13 mai 1969 ÉVÊCHÉ DE BEAUVAIS Beauvais, le L'abbé COACHE accuse réception de la lettre de Son Excellence Monseigneur DESMAZIÈRES, évêque de Beauvais. 1\) Il accepte de se soumettre sans délai en tous points à ses prescriptions. 2\) Il demande à réfléchir pendant le temps qui lui est imparti avant de donner une réponse. OBSERVATION. -- M. l'Abbé Coache a refusé de signer cet accusé de réception. 116:199 ### 26. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **15 mai 1969** Excellence, En réponse à votre lettre du 13 mai 1969, en la fête de saint Robert Bellarmain, vaillant défenseur de la foi, (qui ne craignait pas d'écrire, et lui au sujet du Souve­rain Pontife : « Si le pape... porte dommage à l'Église il est permis de lui résister en ne faisant pas ce qu'il or­donne et en empêchant que sa volonté ne triomphe »), et en l'anniversaire des apparitions de Notre-Dame de Fatima, j'ai l'honneur de vous informer de ma décision de faire appel, -- aujourd'hui même, -- de votre menace de censure, appel suspensif en raison du canon 2243 § 2. En effet, je fais appel non seulement de la peine *mais du précepte lui-même,* et ce pour les motifs suivants -- La contumace que vous m'attribuez, et qui se dé­finit canoniquement « le mépris de l'autorité manifesté par une désobéissance... » est *inexistante* du fait même que par quatre ou cinq fois, au moins, -- en particulier cf. mes lettres des 2 mai, 3 juillet, 9 août, 7 septembre, 5 décembre 1968, -- j'ai demandé à Votre Excellence ou bien d'être reçu par elle ou bien de m'éclairer sur des « doutes » extrêmement graves en rapport avec mon « Combat de la Foi », sans que jamais vous n'ayez voulu répondre à mes demandes, ou « dialoguer » comme l'on dit. Ces demandes faites respectueusement, associées à vos refus, forment la preuve de ma bonne volonté et de l'absence canonique de contumace. A elle seule, cette raison fait tomber le bien-fondé de votre sommation et menace de peine. 117:199 -- Quant aux motifs profonds de votre précepte, ils sont manifestement contraires à la vérité, et ce pour la bonne raison que jamais, ni à l'évêché de Beauvais, ni au Saint-Office, une seule phrase de mes écrits n'a pu être jugée comme offensant la foi et la morale ou contraire à la vérité. En réalité, je suis l'offensé quand votre Excel­lence ose parler de « jugements injustes et calomnieux ». Quel mal, par ailleurs, y a-t-il à demander réparation pour tant d'erreurs que le pape dénonce lui-même ? Ainsi, Monseigneur, tombe évidemment et manifeste­ment le chef de vas accusations. A l'heure où tant de prêtres sèment l'erreur ou l'immoralité, la désobéissance à l'Église ou au pape, comment pouvez-vous tenir pour délictueuse (et grave vu la peine projetée) une défense vibrante de la foi et de l'Église et un attachement aux saintes Traditions ? Pour ces deux raisons majeures, et stupéfait qu'un évêque et père puisse songer à frapper un prêtre qui de toutes ses forces -- quoique indigne -- lutte en faveur de la foi et de la sainte Église romaine, en conformité avec tous les textes conciliaires et pontificaux, je fais appel à Rome, Excellence, en toute confiance et sérénité. Que Dieu me soit en aide ! Abbé Louis Coache. 118:199 ### 27. -- Lettre non envoyée au cardinal Wright *L'abbé Louis Coache rédige donc son recours à la congréga­tion romaine du clergé. -- Mais il apprend que le cardinal Wright récemment nommé préfet de la congrégation, n'est pas encore arrivé à Rome. Il décide d'attendre son arrivée pour envoyer sa lettre.* (*A cette époque, le cardinal Wright bénéficiait d'une certaine estime et, d'une certaine confiance, impru­dentes sans doute, mais réelles ; il n'avait pas encore mani­festé ses vraies dimensions de cardinal dérisoire, comme il le fit dans l'affaire Jamin : voir le* « *Dossier de Saint-Hilaire-le-Vouhis *»*.*) *Puis survient la grève des postes italiennes. L'abbé Coache attend encore : si bien qu'à la date du 6 juin 1959, son recours ne sera pas encore parti ; et cet texte-ci ne sera finalement pas envoyé. Mais il est intéressant d'en connaître le contenu et l'argumentation.* **15 mai 1969** Éminence Révérendissime, J'ai l'honneur de m'adresser à votre bienveillance et votre personne, en tant que Préfet de la S. Congrégation du Clergé, pour faire appel d'une menace de censure, in­timée le 13 mai 1969 selon les termes de la lettre ci-jointe transmise par délégation. En vertu du canon 2243 § 2, je pense cet appel sus­pensif. Je fais appel et de la peine et du précepte, et ce pour les motifs suivants : 119:199 -- La contumace que m'attribue Monseigneur l'évêque de Beauvais est inexistante du fait que par quatre ou cinq fois -- par lettres envoyées à mon évêque les 2 mai, 3 juillet, 9 août, 7 septembre, 5 décembre 1968 -- j'ai demandé à Son Excellence ou bien d'être reçu par elle ou bien de m'éclairer sur des points de doctrine extrêmement graves, en rapport avec mon Combat de la Foi. Monseigneur l'évêque de Beauvais n'ayant jamais voulu me recevoir *ni même répondre à mes demandes* (« dia­loguer » comme on dit), il est évident que je ne puis être contumace. A elle seule cette raison fait tomber le bien-fondé de la sommation et de la menace de peine. -- Quant aux préceptes, ils manquent radicalement de fondement. Les motifs invoqués par Son Excellence Mgr l'évêque de Beauvais sont *manifestement* contraires à la Vérité ; en effet : Tous mes écrits ont été déposés entre les mains du « Saint-Office » ; et le Congresso de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi -- m'a dit de vive voix Mgr Paul Philippe -- n'a pas trouvé un seul mot contre la foi et la morale. Si je juge sévèrement un certain nombre d'actes ex­térieurs ou de paroles publiques de nos évêques, c'est parce que ces actes et paroles sont contraires à la sainte doctrine ou aux documents pontificaux ; les fidèles étant scandalisés (théologiquement : portés au mal), il est de droit naturel, divin et même conciliaire (Vatican II) de rétablir la sainte vérité, et publiquement puisque les actes et paroles de nos évêques sont portés par la presse et la radio. Enfin je, suis moi-même gravement offensé par les com­muniqués, publiés partout, de Monseigneur l'évêque de Beauvais. Non seulement il est faux que ma Procession du 8 juin ait été organisée « en réparation de la prévari­cation collective des évêques » (jamais je n'ai écrit cela au sujet de la Procession), non seulement il est faux que je « calomnie les évêques » (la calomnie est un mensonge et je pense que personne ne peut prouver que j'ai menti) et que mes propos contre eux soient « injurieux » (je parle avec netteté mais respect), mais encore lui-même détruit gravement ma réputation par ces fausses accusations ; en outre il m'injurie en me faisant passer pour un révolté, un prêtre dénué de sens sacerdotal ou ecclésial, un prêtre faisant beaucoup de mal et un menteur. En conséquence de ces accusations très graves, je cite par ailleurs mon évêque devant la Sainte Rote Romaine, demandant à ce Saint Tribunal de déférer mon Libelle à la Personne du Souverain Pontife en vertu du canon 1557 § 1 n° 3, puisqu'il s'agit de délits et donc de « matière criminelle » (Can. 1552). 120:199 Cela dit sans aucun esprit d'amertume, Éminence Ré­vérendissime, mais avec la joie d'avoir à souffrir pour Notre-Seigneur Jésus-Christ... A l'heure où tant de prêtres sèment l'erreur, l'immoralité, la désobéissance à l'Église ou au pape, comment un évêque a-t-il pu frapper un prêtre qui, malgré sa grande indignité, lutte de toutes ses forces pour la sauvegarde de la foi et l'attachement à la sainte Église catholique ainsi qu'au bienheureux Siège de Pierre. Daigne Votre Éminence Révérendissime agréer l'ex­pression de mes sentiments profondément respectueux en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et que Dieu... Louis Coache. PS. -- Ayant appris que Votre Éminence ne rejoignait la Ville Éternelle que dans quelques jours, et en raison de la grève des postes italiennes de fin mai, j'ai préféré attendre quelques jours pour poster cette lettre. Je fais connaître à Votre Éminence que le Samedi Saint 1968 j'ai saisi le Saint Tribunal de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d'un Libelle au contentieux afin de connaître mon devoir sur des points très graves de doc­trine touchant mes écrits. Jamais je n'ai reçu la sentence (ou même seulement les conclusions) du Saint Tribunal. 121:199 ### 28. -- Télégramme de la congrégation à Mgr Desmazières La forfaiture du 6 juin 1969 : Rome rejette un recours non envoyé *Le document 28, et le document 29 qui le complète et l'explicite, sont les plus extraordinaires de cette affaire. L'abbé Coache n'a pas encore envoyé son recours ; mais la congrégation romaine du clergé décrète que ce recours est rejeté.* RECURSUS SACERDOTIS COACHE REJECTUS EST SEQUUNTUR LITTERAE PETRUS PALAZZINI A SECRETIS. \[Le recours de l'abbé Coache est rejeté. Lettre suit. (Signé :) Petrus Palazzini, secrétaire.\] 122:199 ### 29. -- Lettre de la congrégation à Mgr Desmazières Complément de la forfaiture du 6 juin 1969 :\ Rome déclare avoir « examiné »\ un recours qui n'a pas été envoyé SACRA CONGREGATIO PRO CLERICIS PROT. 124205 Roma, 6 Junii 1969. Excellentissime Domine, Examini subiecto recursu Reverendi sacerdotis Coache Aloisii, istius dioeceseos, haec Sacra Congregatio respon­dit : « Recursum esse reiciendum ». Velit Excellentia Tua de hac responsione certiorem fa­cere recurrentem, qui pareat praeceptls Ordinarii sui. Dum haec Tecum communico, cuncta fausta Tibi a Domino adprecor ac permanere gaudeo. Excellentiae Tuae Rev.mae addictissimus. P. Palazzini, a Secretis. Excellentissimo ac Rev.mo Domino D.NO STEPHANO DESMAZIÈRES Episcopo BELLOVAGEN. 123:199 \[Excellentissime Seigneur. Ayant examiné le recours de l'abbé Louis Coache, prêtre de votre diocèse, cette sacrée congrégation répond : « Recours à rejeter » ([^33]). Que votre Excellence veuille bien attester cette réponse au plaignant, afin qu'il obéisse aux ordres de son évêque. Et cetera.\] 124:199 ### 30. -- Déclaration de suspense « ab officio » **12 juin 1969** ÉVÊCHÉ DE BEAUVAIS Beauvais, le 12 juin 1989. DÉCLARATION DE SUSPENSE « AB OFFICIO »\ CONCERNANT MONSIEUR L'ABBÉ COACHE,\ CURÉ DE MONTJAVOULT Nous, Stéphane Desmazières, Évêque de Beauvais, Vu notre lettre du 13 mai 1969 lui enjoignant par un précepte particulier et sous menace de suspense « ab officio » d'avoir : 1° à cesser immédiatement toutes ses publications, 2° à dissoudre le secrétariat qu'il a constitué pour as­surer l'expansion de son entreprise, 3° à annuler la procession qu'il avait projetée pour le 8 juin, Vu son refus de se soumettre à ce précepte, Vu le rejet par la Sacrée Congrégation du Clergé du recours qu'il lui a adressé, Vu que, nonobstant ce rejet, il a persisté dans sa dé­sobéissance, particulièrement en maintenant la procession du 8 juin, 125:199 Déclarons que MONSIEUR L'ABBÉ COACHE, CURÉ DE MONJA­VOULT, A ENCOURU LA SUSPENSE « AB OFFICIO ». EN CONSÉQUENCE IL EST PRIVÉ PANS LE DIOCÈSE DE TOUT POUVOIR D'ORDRE, DE JURIDICTION ET D'ADMINISTRATION. Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais. H. Bourdonnais\ Chancelier 126:199 ### 31. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **16 juin 1969** *Cette lettre a été renvoyée à l'évêché pour la raison exposée par le document 32 ci-après.* Monsieur le Curé, Malgré la suspense « ab officio » dont vous êtes l'objet, vous avez continué à célébrer la Sainte Messe à Montja­voult. Bien plus, lorsque le « vicaire-substitut » est venu le dimanche 15 juin assurer le service dominical à l'heure fixée, vous avez à la même heure, célébré la messe dans votre jardin, après en avoir fait l'annonce par la télévision, comme pour mieux opposer « VOTRE » messe à la messe qui était célébrée, au même moment par le « Vicaire-substitut » pour les paroissiens. Vous avez même manifesté ouvertement votre décision de persévérer dans cette façon de faire, invitant à vos prochaines messes, et semant ainsi la division dans le peuple chrétien. Vous avez donc donné un nouveau scandale et perdu aux yeux des paroissiens fidèles toute votre réputation de pasteur. En conséquence, -- après en avoir échangé avec deux examinateurs synodaux en la personne de Messieurs les Chanoines Allée et Delamotte, -- je vous exhorte à donner dans les huit jours votre démission de curé de Montjavoult et de Parnes. 127:199 Je ne puis que supplier le Seigneur qu'Il vous éclaire enfin, et je demeure toujours prêt à accueillir paternelle­ment votre soumission. Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais. Ch. Allée Delamotte H. Bourdonnais *Chancelier.* 128:199 ### 32. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **19 juin 1969** Excellence, Je suis prêt à accepter le processus juridique de dé­mission forcée à condition qu'il soit fait dans les règles. En conséquence, je me permets de vous renvoyer la lettre que vous m'avez fait parvenir lundi dernier, pour les raisons suivantes : Je vous prie, en effet, Monseigneur, et respectueuse­ment, de faire intervenir d'autres témoins, les trois per­sonnes en question étant membres du conseil municipal et choisies comme tels (la preuve en est que ces trois témoins étaient : le maire de la Commune, l'adjoint et un conseiller ! cela ne pouvait être du hasard). D'une part, cette collusion du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir civil paraît absolument inacceptable pour une procédure canonique ; d'autre part, l'intervention de­mandée par l'autorité ecclésiastique de ces trois per­sonnes, par le fait même de leur situation, apparaît com­me un élément très net de la constitution d'un « odium plebis » suscité par l'évêché lui-même contre le curé du lieu depuis quelques semaines. En l'attente, je vous prie d'agréer, Monseigneur, l'ex­pression de mes sentiments respectueux en Notre-Seigneur. Abbé Coache. PS. -- Étant donné les communiqués de presse publiés ces jours-ci avec tant d'équivoques, je me permets, Mon­seigneur, de bien préciser que l'acceptation des règles ca­noniques en question n'équivaut évidemment pas à une acceptation de démission. 129:199 ### 33. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **25 juin 1969** Monsieur le Curé, Après avoir entendu Messieurs les Chanoines Allée et Delamotte, examinateurs synodaux. Considérant que ma lettre du 16 juin -- dont vous m'accusez réception -- a par elle-même valeur juridique sans qu'il soit besoin de témoins, Je juge que les raisons que vous alléguez dans votre réponse du 19 juin ne sont pas valables. En conséquence, je vous exhorte à nouveau à donner spontanément votre démission et à renoncer à votre office curial dans les 7 jours à dater de la notification de la présente, faute de quoi, je porterai au terme du délai fixé un décret vous destituant. Espérant que vous comprendrez enfin que sans l'évêque on ne peut pas mener le Bon Combat de la Foi, je, prie le Seigneur de vous éclairer et attends d'un cœur douloureux l'heure de votre filiale soumission. Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais. Ch. Allée Ch. Delamotte H. Bourdonnais\ C*hancelier.* 130:199 ### 34. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **27 juin 1969** Monseigneur, Votre Excellence trouvera ci-joint une copie de la lettre que je fais parvenir ce jour au Souverain Pontife. L'envoi de cette lettre est tout à fait indépendant des procédures engagées.. Veuillez agréer, Monseigneur, l'expression de mes sen­timents respectueux. L. Coache. 131:199 ### 35. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **27 juin 1969** Éminence Révérendissime, Veuillez trouver ci-joint le double d'une lettre que j'envoie ce jour à M. Léoni, directeur de « Relazioni », afin qu'il la fasse remettre en mains propres au Saint Père. Me confiant en vous dans l'affaire douloureuse que vous connaissez, je me dispose à vous adresser un dossier aussi complet que possible. Dans l'espérance de pouvoir être reçu bientôt par votre Éminence Révérendissime, je la prie d'agréer l'expression de mes sentiments profondément respectueux en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. 132:199 ### 36. -- Lettre de l'abbé Coache à Paul VI **27 juin 1969** Très Saint Père, Très humblement, au sein des épreuves qui me sont imposées par Monseigneur l'évêque de Beauvais, j'ose m'adresser à Votre Sainteté. Ma position est très nette. Depuis plusieurs années, je lutte pour défendre la foi de la sainte Église catholique et vos propres enseignements, Très Saint Père. La S. Con­grégation pour la Doctrine de la Foi, réunie en Congresso, d'une part, et Monseigneur l'évêque, d'autre part, n'ont jamais trouvé une seule phrase à reprendre dans mes écrits sur la foi et la morale. Si je refuse certaines positions de la Hiérarchie, en France, c'est parce qu'elles apparaissent contraires ou dommageables à la foi authentique. Les mises en garde que je me permets de faire sur ces points restent toujours très respectueuses ; si quelque mot a pu être excessif, Votre Sainteté saura me pardonner : c'est par amour de l'Église et pour défendre vos paroles et la Chaire de Pierre. Il vaut mieux plaire à Dieu qu'aux hommes.. Très Saint Père, cette lettre, faite en dehors de la pro­cédure déjà engagée auprès de Son Éminence le Cardinal Préfet de la S. Congrégation du Clergé, a simplement pour but d'exprimer mon attachement au Siège Apostolique et obtenir Votre Bénédiction, au moins in petto. Déjà calomnié par mon évêque (et, à la suite de ses communiqués, par la presse) -- le dossier administratif va le prouver -- vais-je être écarté de ma charge curiale pour avoir voulu rester fidèle au milieu de la dégradation générale de la doctrine, de la morale et de la liturgie ? 133:199 Votre Sainteté ne disait-elle \[pas\], le 23 juin : « ...Notre autre sentiment est celui d'une grande confiance que Nous ne voulons pas refuser aux personnes mêmes d'où pro­viennent les contestations et les déviations... parce que nous voulons admettre qu'il y a dans ces fils de la Sainte Église une rectitude fondamentale d'intention » (cité par « Le Figaro » du 26 juin). Un prêtre qui défend la foi, avec zèle, amour et respect, ne pourrait-il bénéficier au moins de la même confiance ? J'avais demandé à Son Excellence Monseigneur Martin de pouvoir être reçu quelques minutes par Votre Sainteté dans les mois qui venaient, la réponse fut négative. Humblement prosterné aux pieds de Votre Sainteté, j'implore Sa bénédiction et La prie d'agréer l'hommage de mon plus profond respect et de ma soumission totale au Siège de Pierre. Abbé Louis Coache. 134:199 ### 37. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **29 juin 1969** Monseigneur, Par ma lettre du 19 juin, je me déclarais prêt à accep­ter le processus que vous aviez engagé et demandais l'in­tervention d'autres témoins pour l'application du can. 2158. Cette même lettre postulait ipso facto un léger « délai », (prévu aux canons 2159 et 2149). Il n'était pas encore question de « refus de démission » et le can. 2159 ne pou­vait donc s'appliquer. Votre Excellence est d'ailleurs obligée d'admettre, en toute loyauté, que les « raisons » dont parle le can. 2159 doivent être des raisons de fond, et que, en conséquence, les objections de procédure et donc de forme faites le 19 juin ne peuvent *absolument pas* être prises pour une allé­gation de raisons, comme en donne la possibilité le can. 2159. C'est donc au mépris du droit, et de l'évidence, que votre lettre du 25 juin parle de « raisons » alléguées dans ma lettre du 19 juin, et que vous passez incontinent au stade du canon 2160. Par la présente, et malgré la décision importante que je vous communique à la fin de cette lettre, j'expose donc mes raisons, (si votre Excellence, nonobstant le droit, pro­nonçait mon amotion d'autorité, *sans nouvelles exhorta­tions,* le décret serait nécessairement illégal, invalide -- puisque la procédure ad validitatem aurait été gravement violée -- et donc inapplicable ipso facto). Voici donc ces raisons : 135:199 -- Votre Excellence connaît tous mes écrits ; Dieu ai­dant, aucune phrase n'a jamais pu être relevée contre la foi ni la morale. Ces écrits sont, au contraire, totalement en faveur de la doctrine catholique romaine et même selon les textes du dernier concile. -- Votre Excellence a écrit que mes écrits étaient in­jurieux à l'égard de l'épiscopat. Or, je suis toujours resté respectueux, même lorsque j'ai parlé d'hérésie et de pré­varication, citant des faits indéniables, connus et très dom­mageables pour le peuple chrétien. Plusieurs fois, j'ai de­mandé à mon évêque de me répondre sur ces faits très précis et de m'éclairer : je me suis toujours heurté au refus de dialogue. Si j'ai parlé à faux, pourquoi ne m'a-t-on pas éclairé ni écouté ; si j'ai dit la vérité pourquoi me frappe-t-on ? -- Votre Excellence a écrit que la Procession du 8 juin avait été annoncée par moi. « en réparation de la prévarication collective de l'épiscopat », ce qui est *contraire à la vérité.* Une telle accusation enlevait ainsi à la Cérémonie, aux yeux de l'opinion, son caractère de Célébration fer­vente et sereine « en dehors de toute polémique » (cf. « Combat de la Foi », n° 6 et 7). Pourquoi ne pas avoir rectifié dans la presse, et surtout pourquoi me frapper pour une chose que je n'ai ni dite ni écrite ? Je remarque que Votre Excellence, qui a multiplié contre moi les reproches en termes vagues et généraux, n'a jamais pu citer une phrase constituant un délit ; et pour la seule phrase citée, elle se trouve complètement fausse. -- Votre Excellence fait état d'un certain « odium plebis » puisqu'Elle m'écrit que j'ai perdu toute ma répu­tation de pasteur. Or cet « odium plebis » était absolument inexistant jusqu'en fin mai 1969 ; depuis 11 ans je jouis de l'estime et de l'affection de mon petit « peuple chré­tien » ; la réserve ou la froideur qui me sont témoignées depuis un mois par une *fraction minime* de pratiquants l'est, hélas, à la suite des visites, des écrits et paroles de Votre Excellence, par elle-même ou ses représentants. Cet « odium plebis », bien restreint, est monté de toutes pièces et disparaîtra comme par enchantement. D'ailleurs la majorité de la population me reste fidèle et attend avec anxiété ma réhabilitation. -- Quant à la messe célébrée dans mon jardin, elle ne représente certainement pas un « fait nouveau » mais la suite logique d'une situation de fait. Obligé de céder mon église, obligé, par ailleurs, d'assurer la sainte messe pour un groupe important, j'ai opté deux dimanches pour cette solution, annonçant d'ailleurs, le 22, que désormais, pour éviter le spectaculaire, je la dirai dans ma chapelle privée. 136:199 -- Enfin et malgré les reproches de Votre Excellence, je dois souligner combien me paraît injuste le sort fait à un prêtre soucieux de la doctrine et de la Tradition -- même si vous jugez que c'est intempestivement --, à côté de l'indulgence et des appuis témoignés à tant de prêtres qui répandent le scandale par leurs attaques contre l'Église, leurs déviations doctrinales et leurs très graves désobéis­sances liturgiques. *Est-il nécessaire de rappeler* que Votre Excellence, depuis des années, *refuse de me recevoir ?* Ces raisons de fond alléguées, et sans revenir sur la collusion des pouvoirs civil et canonique quand vous m'avez présenté votre première sommation, je veux souligner la conjonction, disons étonnante, de deux procédures : médicinale et vindicative (sinon au sens strict du moins en fait puisque la procédure pour retrait de charge apparaît évi­demment -- in casu -- comme une sanction, et en rapport non avec la paroisse mais avec mon action à l'extérieur). Pratiquement et par rapport au même « délit » : le combat de la foi, l'une exclut l'autre en raison même du but visé ; donc ou bien la suspense est maintenue, mon évêque attend mon « repentir » et ne peut prendre d'autre sanction ; ou bien c'est le retrait de la paroisse qui prime et la suspense disparaît. Cela dit, j'ai donc décidé, et sans attendre un verdict que Votre Excellence semble vouloir malheureusement précipiter (n'avez-vous pas, Monseigneur, déjà précipité les choses en laissant croire à Rome que mon appel était fait par votre intermédiaire et n'avez-vous pas obtenu un télé­gramme pour le rejeter alors qu'il n'avait pas été envoyé -- et je le conserve précieusement afin d'en faire la preuve --), J'AI DONC DÉCIDÉ, dis-je, DE PORTER L'AFFAIRE A ROME. Mais souffrant, et très fatigué par de si grandes épreu­ves, ne pouvant partir pour la Ville Éternelle avant quel­ques jours, je demande en conséquence QUE SOIT DIFFÉRÉE LA PROCÉDURE DIOCÉSAINE PUISQUE LA CAUSE SE TROUVE MAINTENANT REMISE A LA SACRÉE CONGRÉGATION DU CLERGÉ dont j'attends sereinement le jugement. De toute façon, si votre Excellence se décidait contre les saints canons à me retirer ma charge, qu'Elle veuille bien avoir le courage de publier qu'Elle m'a destitué d'au­torité sans laisser croire par une formule quelconque que j'ai donné ma démission (car celle-ci je la refuse par la présente lettre). Je vous fais connaître, Monseigneur, que je communi­que cette lettre -- selon les conseils qui m'ont été donnés -- à la Secrétairerie d'État et à la Sacrée Congrégation du Clergé. 137:199 Je reste toujours très désireux de pouvoir vous ren­contrer filialement et serais si heureux de pouvoir colla­borer avec vous, Monseigneur, dans la meilleure entente à l'avancement du Règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la Vérité de toujours ! Abbé Louis Coache. 138:199 ### 38. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **1^er^ juillet 1969** L'abbé Louis Coache se permet d'envoyer à Son Émi­nence le cardinal préfet de la S. Congrégation du clergé le double de sa lettre à Mgr l'évêque, et se propose de porter personnellement à Rome son recours entre le 7 et le 15 juillet, présente à Son Éminence l'hommage de son profond respect en Notre-Seigneur. Louis Coache. 139:199 ### 39. -- Décret de destitution **4 juillet 1969** ÉVÊCHÉ DE BEAUVAIS Beauvais, le 4 juillet 1969. DÉCRET DE DESTITUTION Vu l'infraction grave commise le 15 juin par Monsieur l'abbé Coache aux obligations à lui imposées par la suspe­nse « ab officio » portée contre lui et rendue publique 14 juin ; Vu le canon 2.147, §§ 1 et 2, n° 3, énumérant les causes justifiant l'invitation à démissionner à lui adressée le 16 juin, conformément au canon 2.158 ; Vu le rejet, en date du 25 juin, des raisons alléguées par lui pour refuser de présenter sa démission sollicitée, et la seconde exhortation comminatoire à lui adressée à la même date, conformément au canon 2.160 ; Vu un second rejet en date du 4 juillet, conformément au canon 2.158, des nouvelles raisons formulées par lui pour légitimer son refus d'obtempérer à l'invitation de démissionner ; en vertu des canons 2.161 et 2.156, Nous déclarons Monsieur l'abbé Coache destitué de sa cure de Montjavoult et Parnes, et tenu de quitter le presbytère de Montjavoult dans les plus brefs délais, ainsi que de remettre au vicaire-économe nommé par Nous, tout ce qui concerne la paroisse de Montjavoult et Parnes. A cet effet, Nous nommons Monsieur l'Abbé Joseph Decaux, jusqu'ici curé de Beaulieu-les-Fontaines, vicaire économe de Montjavoult et Parnes. Fait à Beauvais, le 4 juillet 1969. Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais. H. Bourdonnais\ Chancelier. 140:199 ### 40. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright Cette lettre a été « perdue » par la Sacrée Congrégation du clergé. Cette Congrégation « examine » les recours qui ne lui sont pas envoyés, mais n'a pas connaissance de ceux qui le sont. **7 juillet 1969** Éminence Révérendissime, Par la présente lettre, et bien respectueusement, je vous informe officiellement de ma décision de remettre entre les mains du Saint-Siège l'examen de ma cause, comme l'a fait connaître, d'ailleurs, à Votre Éminence, le double de la lettre que j'envoyais récemment à Monsei­gneur l'évêque de Beauvais. L'affaire, in se, devrait être assez simple puisque selon mes pauvres forces, mais avec ardeur, je combats en fa­veur de la foi, suivant les enseignements des papes et des conciles, y compris les textes du concile Vatican II et les paroles de S.S. Paul VI. Il suffit de lire mes écrits pour me juger. En réalité la cause s'est trouvée compliquée en raison des accusations de Son Excellence Monseigneur Desma­zières (qui ne trouvent, je pense, aucun fondement dans mes écrits et activités), en raison de la censure qui m'a été infligée et des diffamations dont j'ai été l'objet, en raison de l'envoi par la S. Congrégation, sur l'instance de Monseigneur l'évêque de Beauvais, d'un télégramme reje­tant un recours que je n'avais encore envoyé ni à Rome ni à mon évêque (recours qui n'étant pas arrivé n'avait donc pas pu être examiné et qui se trouve toujours dans mon bureau en compagnie du télégramme le rejetant et de la lettre qui a suivi), en raison enfin de la volonté de Monseigneur Desmazières de me destituer contre les règles canoniques... 141:199 Devant la gravité de ces faits et d'autres encore, et avant même d'envoyer mon dossier complet à votre Sacrée Congrégation, j'ai jugé bon de prendre un avocat consis­torial en la personne du Professeur Gianni Torre qui verra quelle procédure il faut employer, administrative ou judiciaire, et quelle haute instance il convient de saisir. Tout pénétré de mon indignité, Éminence, et prêt à reconnaître mes défauts ou mon manquement s'il y en a dans mon style, j'attends avec confiance. réparation et ré­habilitation, non seulement pour moi-mme mais à cause des milliers de fidèles qui me font confiance pour la dé­fense de la doctrine infaillible de la sainte Église romaine et dans la fidélité au Siège de Pierre. Au sein des épreuves qui m'assaillent, car ma répu­tation se trouve gravement outragée, je confie à Votre Éminence que j'offre à Notre-Seigneur ces lourdes croix pour la sauvegarde de l'Église, d'un cœur serein et sans amertume à l'égard de quiconque. Daigne Votre Éminence Révérendissime agréer l'ex­pression de mes, sentiments respectueux et de mon atta­chement total à la sainte Église de Jésus qu'Elle repré­sente pour moi à la tête de cette sainte Congrégation. Et que Dieu... Abbé Louis Coache. 142:199 ### 41. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **9 juillet 1969** Excellence, Vu ma lettre du 29 juin, et, en particulier, l'illégalité de votre décret de destitution pour non-observation du processus rigoureux prescrit par les canons 2157 -- 2161, Vu la gravité des outrages faits depuis le 13 mai à la procédure -- l'affaire inouïe du télégramme ! -- et à la justice -- puisque l'accusation majeure de vos sommations est tout simplement dénuée de fondement car jamais je n'ai écrit que la procession était « organisée en réparation de la prévarication collective des évêques », votre décision du 4 juillet est nécessairement invalide et donc inapplicable. Ma cause est d'ailleurs remise, comme je vous l'ai écrit, Monseigneur, entre les mains du Saint-Siège ; votre Excel­lence ne devait donc pas, décemment, en attendant, prendre de décision. En conséquence, je suis toujours curé de Montjavoult et résidant, bien entendu, au Presbytère. La nomination d'un remplaçant est donc nulle et sans valeur. Je vous prie d'agréer, Monseigneur, mes respectueux sentiments. Abbé Louis Coache. 143:199 ### 42. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **22 juillet 1969** Éminence Révérendissime, Me trouvant en correspondance avec le Professeur G. Torre pour la défense de ma cause, je me tiens prêt à in­former la Sacrée-Congrégation dès que lui-même ou l'un de ses confrères m'aura donné son acquiescement ([^34]). Je présente à Votre Éminence mes respectueux senti­ments en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Abbé Louis Coache. 144:199 ### 43. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **30 août 1969** Monsieur l'Abbé, Quelles que soient vos intentions, la situation dans la­quelle se trouvent actuellement, par votre fait, les deux paroisses de Montjavoult et Parnes, ne peut se prolonger sans un grand dommage pour les fidèles. C'est donc un grave devoir de ma charge d'y pourvoir sans retard. Et je compte sur votre sens pastoral pour accepter mes décisions qui vous seront pénibles, mais qui s'imposent. Je viens de recevoir de Son Éminence le Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation du Clergé une lettre datée du 13 août sous le n° 125 286/1, dans laquelle il m'affirme que malgré vos déclarations contraires, aucune procédure n'a jamais été engagée par vous auprès de cette Sacrée Con­grégation. Vous avez donc à obéir sans tarder au Décret de Desti­tution que j'ai porté à votre endroit le 4 juillet 69 et aux obligations qui en découlent. Vous devez quitter les paroisses de Montjavoult et Parnes pour laisser la place à votre successeur, Monsieur l'abbé Joseph Decaux, que je nomme Curé de ces deux paroisses. Le nouveau Curé viendra prendre possession du pres­bytère le jeudi 11 septembre. Vous avez donc à quitter les lieux le 9 au plus tard. 145:199 J'espère que vous comprendrez les raisons pastorales qui me font agir ; et que je n'aurai pas à recourir aux graves sanctions prévues par le Droit. Et dans cet espoir, veuillez être assuré, Monsieur l'Abbé, de mon sincère dévouement. Stéphane Desmazières\ Évêque de Beauvais. *H. Bourdonnais* *Chancelier* 147:199 ### 44. -- Accusé de réception de l'abbé Coache *A l'accusé de réception de la lettre de Mgr Desmazières* (*do­cument n° 43*)*, l'abbé Coache ajoute les lignes suivantes* Je profite de cet accusé de réception : 1°) Pour rappeler à Monseigneur l'évêque que la pro­cédure engagée pour ma destitution n'a pas été conforme aux canons 2157 et suivants ; le canon 2159 précise bien que l'intéressé doit présenter ses raisons -- qui doivent être des raisons de fond et non de simple procédure -- pour que l'ordinaire « Valide procedat ». En conséquence, je maintiens, et c'est juridiquement évident, que le Décret d'amotion est invalide. S'il avait été valide, d'ailleurs, un recours au Saint-Siège aurait été possible. 2°) Pour confirmer que j'ai bien entamé une procédure de recours contre l'ensemble des actions intentées contre moi, et ce par lettre recommandée auprès de la Congré­gation requise. Pour préciser que l'intention, disons « vindicative » de Monseigneur l'évêque annule ipso facto la procédure « mé­dicinale » et que, en conséquence, je ne suis certainement plus suspens ab *officio* (pour valide qu'ait été cette sus­pense). Cependant, pour éviter tout étonnement, je laisse encore l'église à la disposition du prêtre désigné pour assu­rer le ministère. Redisant à Monseigneur l'évêque la joie que j'aurais de pouvoir l'entretenir du drame actuel de l'Église et des difficultés que cela a entraîné pour moi de sa part, je l'assure de mes sentiments profondément respec­tueux en Notre-Seigneur. Abbé Louis Coache. 147:199 ### 45. -- Entretien à l'évêché de Beauvais **20 septembre 1969** *Au début du mois de septembre 1969, l'abbé Coache apprend que Mgr Desmazières prévoit pour le dimanche 21 l'installation canonique de l'abbé Decaux comme curé de Montjavoult.* *L'abbé Coache se rend à Rome où il est reçu par Mgr Patazzini, secrétaire de la congrégation du clergé,* puis *par le cardinal Wright, préfet. Il obtient d'eux l'assurance que Mgr Desmazières n'a pas le droit d'installer canoniquement un suc­cesseur à la cure de Montjavoult. Sur ses instances, ils télé­phonent à l'évêque de Beauvais, le 18 septembre au soir et le 19 dans la matinée, pour lui rappeler cette impossibilité.* *L'abbé Coache se présente à l'improviste le 20 septembre à l'évêché de Beauvais.* *L'évêque le reçoit en présence de deux vicaires généraux ; il admet qu'il ne pourra pas procéder à l'installation canoni­que le lendemain 21 septembre comme il en avait* l'intention. *Il ira cependant à* *Montjavoult pour* « *le présenter comme pas­teur *»*.* \*\*\* *La cérémonie eut lieu le 21 septembre dans l'après-midi. Il n'y eut d'autre incident qu'une panne de courant, provoquée par l'abbé Coache* (*le courant passant par le compteur du presbytère*) *afin que soit évitée toute sonnerie de cloches.* *Le 23 septembre, l'abbé Coache reçut à Montjavoult* un *coup de téléphone du secrétaire de Mgr Desmazières,* lui *demandant pourquoi l'église avait été privée de courant lors de* la *céré­monie du dimanche après-midi. L'abbé Coache répondit :* « *J'avais coupé moi-même le courant au compteur, pour ne pas être complice d'une telle cérémonie. *» 148:199 ### 46. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **22 septembre 1969** Monseigneur, Veuillez trouver ci-joint copie de la lettre envoyée le 7 juillet à Son Éminence le Cardinal Wright. Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir m'en­voyer de votre côté la lettre, ou du moins sa copie bien entendu, que vous a envoyée le 13 août Son Éminence. Lors de l'entretien que j'ai sollicité samedi dernier, vous avez fait mention, Monseigneur, d'un « interdit » à mon endroit. J'aimerais savoir à quoi correspond sur vos lèvres cette expression ; et s'il s'agissait -- comme vous aviez l'air de l'affirmer -- d'une peine canonique il s'im­pose que vous m'en donniez la preuve ou le document. Il est clair que l'énoncé d'une peine si grave ne peut être pris en considération que sur pièce. Je vous prie d'agréer, Monseigneur, l'expression de mes sentiments bien respectueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. PS. -- Je me permets respectueusement d'attirer votre attention sur un point de pastorale de la plus haute im­portance : M. l'Abbé Decaux, ai-je entendu dire, doit pro­céder à un mariage samedi prochain à Montjavoult. Or, comme l'attestent les documents, ma destitution est inva­lide (nous savons qu'en droit canonique la preuve de l'in­validité d'une procédure s'établit par la simple constatation de la non observance des règles prescrites ad validitatem...). 149:199 En conséquence, vous ai-je dit et écrit, la nomi­nation de l'Abbé Decaux, même comme simple vicaire éco­nome est invalide ; il n'a donc pas les pouvoirs d'assis­tance juridique pour un mariage célébré à Montjavoult. Quoique l'affaire ne m'intéresse pas immédiatement puis­que j'ai accepté de me dessaisir pour le moment de ma charge pastorale -- in exercitu -- je pense de mon devoir, Monseigneur, de vous suggérer respectueusement de don­ner à l'Abbé Decaux délégation pour cet acte précis de son ministère. Il serait trop navrant que les jeunes fiancés soient privés des grâces et du sacrement lui-même dans l'union qu'ils vont contracter. 150:199 ### 47. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **24 septembre 1969** Éminence Révérendissime, Très reconnaissant de l'accueil que Votre Bienveillance m'a réservé jeudi dernier, 18 septembre, avec son Excel­lence Monseigneur Palazzini, extrêmement surpris d'ap­prendre que ma lettre-recours du 7 juillet n'était pas par­venue à Votre Éminence (ce pour quoi je souhaite respec­tueusement que la S. Congrégation fasse des recherches à la Poste Centrale de Rome ou du Vatican)... Sachant par ma visite auprès de Votre S. Congrégation que l'étude de mon recours n'est pratiquement pas com­mencée... Vu, d'une part, la complexité de ma cause quant à la forme (en raison des faits nombreux qui se sont succédé) et, d'autre part, la variété des injures et injustices que j'ai eues à supporter... Vu les différents objets de ma cause (foi, évêques, dis-ci pl ne, conflits de droits...) qui la font ressortir à différents dicastères (administratifs et judiciaires...)... Vu le silence de la Sacrée-Congrégation pour la doc­trine de la foi que j'avais saisie d'un libelle -- en tant que Tribunal -- le Samedi-Saint 1968 (une réponse admi­nistrative ayant -- paraît-il -- été envoyée en juin 1968 à mon évêque qui ne me l'a jamais communiquée, sauf des extraits découpés par lui, cités en langue originale ou dans sa propre traduction, mêlés à ses propres commen­taires)... Vu les influences inexplicables qui obligèrent Son Ex­cellence Monseigneur Palazzini à rejeter par télégramme le 6 juin 1969 un recours qu'il n'avait pas étudié ni même reçu... 151:199 Vu les canons 1557 § 2 et 1569... J'ai l'honneur de prier Votre Éminence Révérendissime de bien vouloir remettre le jugement de ma cause entre les mains du Souverain Pontife, qui décidera par quelle voie (judiciaire ou administrative) et quelle instance (ordi­naire ou extraordinaire) elle doit être jugée. Le Saint-Siège étant en possession de tous mes écrits (envoyés. à la S. Congrégation pour la doctrine de la foi en avril 1968 -- et que néanmoins je suis prêt à envoyer de nouveau --) et de tous les documents de la Cause (en­voyés récemment à mon Avocat Maître Ottaviani), JE DE­MANDE RESPECTUEUSEMENT D'ÊTRE JUGÉ : 1°) sur la conformité de mes écrits à la doctrine de l'Église ; 2°) sur la discipline, c'est-à-dire pratiquement sur les sanctions que j'ai reçues (à mon avis très injustement) et, les offenses que j'ai subies ; et donc à être réhabilité dans mes droits et mon honneur. Tout se tenant sur le fond de cette affaire, je demande respectueusement que ne soient pas dissociés les différents points de ma cause. En effet, les peines et les injures reçues sont toutes conséquentes du combat de la Foi. Très confiant en la Sainte Église Catholique Romaine à laquelle je fais appel en esprit d'affection et d'obéissance, et prêt à accepter le jugement qu'Elle portera (me réser­vant seulement, si l'instance était administrative, de faire appel dans les limites du Droit à la Signature Apostolique) je vous prie, Éminence Révérendissime, d'agréer l'ex­pression de mes sentiments profondément respectueux en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et que Dieu... Abbé Louis Coache. **Pièce jointe :\ explications et précisions complémentaires.** Le dossier de ma correspondance avec Monseigneur l'évêque de Beauvais et les hautes personnalités du Saint-Siège comporte toutes les raisons profondes de ma défense. Rien ne peut être repris dans mes écrits (Dieu aidant) ni pour la foi ni pour la morale. Je me soumets d'ailleurs, en cette matière, au jugement du Saint-Siège, jugement que je requiers respectueusement. 152:199 Si j'accuse les évêques de France de prévarication, de complicité à l'hérésie ou d'hérésie, que le Saint-Siège veuille bien juger, sur les faits cités (publics et notoires), si j'ai dit ou non la vérité. Que le Saint-Siège veuille bien admettre -- ou non -- que ces faits. ; et malheureusement d'autres encore, infestent toute l'Église (en France en par­ticulier) et font un mal considérable aux âmes. Pour les injustices et les injures : blâmes publics, ca­lomnies (par exemple accusations publiques d'orgueil, de révolte, de dommages portés à l'Église ; accusation d'avoir organisé et fait la procession du 8 juin 1969 « en répa­ration de la prévarication collective des évêques », -- ce ;qui n'a jamais été écrit ni proféré par moi-même --, etc.), suspense ab officio, destitution de ma charge de curé -- peine vindicative -- (invalide d'ailleurs par défaut de la procédure requise ad validitatem), nomination d'un « successeur », obtention d'un télégramme du Saint-Siège pour rejeter un recours qui n'avait pas été envoyé ni donc étudié..., calomnies répandues auprès de mes paroissiens par le vicaire-forain..., elles sont juridiquement très graves et portent non seulement à ma personne mais encore à toute la cause de la défense de la foi un préjudice considérable. Pour la célébration de la procession liturgique (le di­manche de la Fête-Dieu) du Saint-Sacrement -- qui s'est déroulée d'ailleurs dans la plus grande ferveur et sans aucune manifestation ni parole déplacées -- même si le Saint-Siège jugeait que ce fut une désobéissance, qu'Il veuille bien considérer que Monseigneur l'évêque de Beau­vais avait été averti par moi-même dès le mois de février de cette célébration (et même invité à la présider) et qu'il attendit les derniers jours pour l'interdire alors que des milliers de fidèles se disposaient à se mettre en route sans qu'on puisse les prévenir facilement du contre-ordre ; et que le Saint-Siège veuille bien aussi remarquer que la sanction (suspense ab officio) et la campagne de calom­nies (orchestrées par la presse, y compris la « Documen­tation Catholique ») apparaissent d'une gravité exception­nelle sans comparaison avec le « délit » : observation « materialiter » d'une fête liturgique obligatoire, dans le but « formaliter » de défendre la foi et l'honneur du Saint-Sacrement actuellement méprisés par la Nouvelle Religion. Le fond de la question est la foi à défendre (conférer mon libelle au Saint-Office du Samedi-Saint 1968). Je de­mande respectueusement que le Saint-Siège porte sur toutes ces questions un jugement de fond et me réhabilite. A l'heure où les prêtres révolutionnaires et hérétiques (niant l'existence des anges, la virginité perpétuelle de la Très Sainte Vierge, la Résurrection de Jésus, etc. etc.) sèment le mal et le désordre, le Saint-Siège en qui je me confie va-t-il me condamner ? ([^35]) 153:199 Il ne me suffit pas que Monseigneur l'évêque de Beau­vais répète sans cesse qu'il m'ouvre les bras paternellement alors qu'il m'écrase d'opprobre... Tourné vers la Sainte Église notre Mère, je Lui demande avec toute mon affection respectueuse : mes écrits sont-ils conformes ou non à sa Doctrine ? Suis-je coupable d'avoir défendu la Foi contre les hérétiques et les « suspects d'hérésie » ? Que Notre-Dame de la Délivrance veuille bien inter­céder auprès de l'Esprit Saint et désormais délivrer les âmes de toute contrainte ! 154:199 ### 48. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **25 septembre 1969** Monsieur l'Abbé, Mon secrétaire m'a rendu compte du coup de téléphone qu'il vous avait donné. J'ai pris acte que c'est volontairement que vous aviez coupé le courant dimanche pour ma venue dans l'église de Montjavoult. Pour le mot « interdit », si c'est celui-là que vous avez entendu et si c'est celui-là que, de fait, j'ai prononcé, c'est sûrement un lapsus linguae. Ce que je dis, c'est que, par ce que vous avez fait le 15 juin, vous avez commis une « irrégularité ». Et vous savez que c'est très grave. Je prie toujours beaucoup pour vous, et je supplie le Seigneur de vous éclairer. Stéphane Desmazières. 155:199 ### 49. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **15 octobre 1969** Monseigneur, Dans l'attente du jugement que doit porter le Saint-Siège à la suite de mon recours du 7 juillet, confirmé de vive voix le 18 septembre auprès de la S. Congrégation du Clergé, et confirmé de nouveau par une lettre-document envoyée le 24 septembre (et cette fois en recommandé avec accusé de réception !), mon appel à Rome constituant une preuve supplémen­taire de ma fidélité à la sainte Église romaine, je me permets de demander à Votre Excellence de bien vouloir autoriser mon « successeur » -- à qui je n'ai encore parlé de rien afin de ne pas le gêner -- à me per­mettre d'utiliser l'église de Montjavoult le dimanche 26 octobre pour célébrer le Christ-Roi, liturgiquement, avec les nombreux fidèles présents. Le seul but de la célé­bration sera de prier et glorifier Dieu... en toute obéissance aux lois de l'Église, et *j'invite très respectueusement Votre Excellence à venir présider ces Cérémonies, ce qui serait pour la plus grande joie de tous.* A l'heure où les évêques ouvrent les églises catholiques même aux protestants ou encore aux orthodoxes, je pense que Votre Excellence ne le refusera pas à un prêtre ca­tholique demandant respectueusement la permission et en faveur d'une foule qui risquerait les intempéries au début de l'hiver, ces chrétiens, je le rappelle, n'ayant d'au­tre désir que de participer à des cérémonies en latin et en grégorien, selon les recommandations urgentes du concile Vatican II et du pape régnant. 156:199 Soit dit sans vouloir faire état du droit que me donne­raient les saints canons (puisque les documents font la preuve que je ne suis pas destitué), mais uniquement comme une demande fidèle faite à Votre Excellence. Il va sans dire qu'un arrangement horaire serait très facile avec la bonne volonté de l'abbé Decaux et la mienne. Pour passer, à un autre sujet, je prends acte, Monsei­gneur, du fait que l'évêque de Beauvais ne m'a envoyé aucun versement concernant le traitement du 1^er^ octobre. Veuillez agréer, Excellence, l'expression de mes sen­timents profondément respectueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. P.S. -- Il convient, je pense, que je verse cette lettre comme les précédentes au dossier de mon affaire. Veuillez trouver ci-joint un versement de 15,00 francs pour les bulletins envoyés. 157:199 ### 50. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **17 novembre 1969** Éminence Révérendissime, Daigne Votre Éminence accepter l'envoi que je lui fais ce jour de mon dernier livre « Vers l'Apostasie Générale » publié au début de ce mois par La Table Ronde. Votre Éminence voudra bien la joindre au dossier con­cernant ma cause ou veiller à ce que ce livre soit ajouté à la somme de mes écrits, selon les dispositions prises par Elle à la suite de ma lettre du 24 septembre. Je me permettrai d'envoyer également à Votre Émi­nence, dès qu'il sera publié -- c'est-à-dire dans une quin­zaine de jours -- le texte exact de la conférence que j'ai donnée à Paris, Salle de la Mutualité le 24 octobre sur le sujet : La Crise tragique de l'Église. J'avais dans mes in­tentions d'envoyer ce texte à Votre Sacrée-Congrégation dès la fin octobre, mais, l'unique exemplaire étant entre les mains de l'imprimeur, j'ai pensé que Votre Éminence -- ou bien la haute autorité chargée d'examiner ma cau­se -- en rendrait connaissance beaucoup plus facilement sur une édition imprimée. Toujours confiant en la bienveillance de Votre Émi­nence Révérendissime, je La prie d'agréer l'expression de mon plus profond respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Louis Coache. 158:199 ### 51. -- Lettre de Mgr Palazzini à l'abbé Coache **29 novembre 1969** *Dans la lettre du 24 septembre 1969* (*ci-dessus document 47*) *l'abbé Coache écrivait au cardinal Wright :* « *J'ai l'honneur de prier Votre Éminence Révérendissime de bien vouloir remettre le jugement de ma cause entre les mains du Souverain Pontife qui décidera par quelle voie* (*judiciaire ou administrative*) *et quelle instance* (*ordinaire ou extraordi­naire*) *elle doit être jugée. *» *Voici la réponse : la cause sera jugée par la congrégation du clergé ; et cette cause sera limitée à l'examen de la procé­dure de destitution.* SACRA CONGREGATIO PRO CLERICIS PROT. 126869/1. Romae, 29 novembris 1969. Reverendissime Domine, Mihi curae est praesentibus litteris Te certiorem facere huic Sacrae Congregationi commissam esse a Secretaria Papali curam prosequendi Tuam instantiam de processu remotionis a paroccia loci v.d. Montjavoult. Quapropter hoc Sacrum Dicasterium, die 20 novem­bris 1969, constituit specialem Commissionem suorum Consultorum pro examine et decisione in casu. 159:199 Haec dum Tecum communico, permaneo. Reverentiae Tuae addictissimus in Domino. P. Palazzini, a Secretis. Rev.do Domino ALOISIO COACHE Parocho loci Montjavoult (Oise) in Gallia. \[Monsieur l'Abbé. Je suis chargé de vous faire savoir que notre Sacrée Congrégation du clergé est chargée par le secré­tariat pontifical d'instruire votre recours contre la procédure de votre destitution de Montjavoult. Nous avons donc institué, le 20 novembre 1969, une commission de consulteurs pour examen et décision. Et cetera :...Signé : P. Palazzini, secrétaire.\] 160:199 ### 52. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **5 janvier 1970** Éminence Révérendissime, Au seuil de cette nouvelle année, j'ai l'honneur de vous présenter mes sentiments de profond respect avec le sou­hait que Notre-Seigneur bénisse votre personne et votre ministère. Je me permets de vous envoyer ci-joint le texte de la conférence donnée à Paris le 24 octobre 1969 (édité seule­ment en fin décembre). Je remercie la Sacrée-Congrégation et plus spécialement son Excellence Monseigneur Palazzini pour la lettre datée du 29 novembre 1969 ; je rappelle respectueusement à la Sainte Congrégation que, par lettre recommandée du 24 septembre, je demandais que soient jugés ma doctrine et mes écrits conjointement aux sanctions portées par Mgr l'évêque de Beauvais puisque ces pénalités ne peuvent s'expliquer que dans le cadre et l'esprit du Combat de la Foi que je mène pour la Sainte Église. Daigne Votre Éminence Révérendissime agréer l'ex­pression de mes sentiments profondément respectueux en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Abbé Louis Coache. 161:199 ### 53. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **13 avril 1970** Monseigneur, Votre Excellence sait que je célèbrerai cette année la Fête-Dieu, solennellement, sur le territoire paroissial de Montjavoult, dans l'enceinte du château de Parnes et j'ai l'honneur de Vous inviter à la présider effectivement. Ce serait pour tous et pour moi (très sincèrement) une joie inestimable ; le prélat espagnol invité s'effacerait, bien sûr, pour la présidence, devant Votre Excellence. M'estimant toujours curé de Montjavoult (puisque la destitution s'est trouvée invalide par inapplication de l'une des procédures nécessaires ad validitatem -- c'est une question de fait et même d'évidence : d'ailleurs un dossier est un instrument « public » --) jusqu'au jugement du Saint-Siège sur l'ensemble de cette affaire comme je l'ai demandé, je ne fais, en organisant cette procession, qu'ap­pliquer mes droits et même mon devoir de curé ; pour ministère ordinaire je m'incline devant une situation de fait et je laisse agir mon confrère. Néanmoins pour éviter une gêne à ce confrère j'ai décidé d'organiser la Procession solennelle sur un terrain privé (les quatre copropriétaires m'ayant chacun en particulier donné leur consentement avec enthousiasme). Ces précisions données à Votre Excellence je me félicite qu'Elle n'ait pas choisi, cette année, avertie depuis bientôt deux mois par le « Combat de la Foi », d'interdire cette Procession traditionnelle et liturgique. Vous avez constaté vous-même, Monseigneur, les deux années précédentes, combien une telle interdiction est dom­mageable à l'Église, au peuple chrétien et à vous-même... 162:199 J'espère toutefois que Votre Excellence ne se ravisera pas ; s'il arrivait qu'Elle exprime cette interdiction (je parle d'interdiction dans la rigueur du terme) soit par lettre recommandée, soit en public -- à Montjavoult par exemple le 23 avril -- je le ferais connaître alors à mes correspondants (par objectivité). Daigne Votre Excellence agréer l'expression de mes respectueux sentiments. Abbé L. Coache. PS. -- Avec tristesse je vous rapporte, Monseigneur, que le 1^er^ Vicaire de la Cathédrale de Dijon, hier dimanche, à refusé de me laisser célébrer la sainte messe « ayant reçu des ordres à ce sujet » ; permettez-moi de protester contre cette injustice navrante : refuser à un prêtre, un dimanche, de célébrer la messe dans une église catholique alors que dans la même ville 200 prêtres révolutionnaires (beaucoup étant là avec leurs femmes !) discutent sur la destruction de l'Église, les journaux de la ville ayant par surcroît, et sur le conseil de l'évêque du lieu (« Faites votre devoir d'informateurs »), donné largement audience à ces renégats ! 163:199 ### 54. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **17 juin 1970** Monsieur l'Abbé, Son Excellence Monseigneur le Nonce Apostolique en France me prie de vous faire savoir de la part du Saint-Siège que c'est « *abusivement *» que vous avez publié que le Saint Père vous recevrait en audience. Il vous sera évi­demment possible d'assister à la messe, « *comme tout le monde *»*,* dans la Basilique Saint Pierre, dans l'après-midi du 29 juin. Son Excellence Monseigneur le Nonce Apostolique vous prie d'avoir l'obligeance de prévenir vous-même les diffé­rents organisateurs nationaux de cette « Marche vers Rome ». Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, l'assurance de mon sincère dévouement dans le Seigneur. Stéphane Desmazières. PS. -- Je vous prie de me répondre par retour du courrier que vous avez bien reçu ma lettre et que vous en transmettez fidèlement le contenu aux intéressés. Ainsi je pourrai rendre compte à Son Excellence Monseigneur le Nonce Apostolique que ma mission a été bien accomplie. 164:199 ### 55. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **18 juin 1970** Excellence, Notre « Marche vers Rome » est essentiellement un Pè­lerinage de prière et de pénitence. Déjà son Excellence Mgr le Nonce Apostolique en Allemagne m'avait fait prévenir que l'audience du Saint-Père se trouvait refusée. Votre lettre me le confirme... d'ailleurs nous n'avions annoncé cette audience que sur la parole d'un personnage important du Saint-Siège qui la tenait comme pratiquement acquise. De toute façon il en sera comme le Bon Dieu voudra ; nous croyions raisonnable que le Saint-Père nous recevrait, fils aimants de la Sainte Église, au moins aussi facilement que les personnalités du monde communiste, sportif ou cinématographique. En réalité, nous avons trop confiance en la Sainte Église pour ne pas penser que notre Pèlerinage ne portera les fruits spirituels que nous recherchons et pour ne pas es­pérer que, finalement, le Souverain Pontife voudra bien tenir compte de notre démarche pénitentielle et filiale. Les organisateurs se trouvent prévenus. Veuillez agréer, Monseigneur, l'expression de mes senti­ments bien respectueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. 165:199 ### 56. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **18 juin 1971** Éminence Révérendissime, Deux années viennent de s'écouler depuis la Procession du Corpus Christi qui à motivé d'abord la menace de sus­pense de Mgr l'évêque de Beauvais, puis la suspense elle-même et enfin le « conatus destitutions ». Votre Éminence se rappelle que la Sacrée-Congrégation, le 6 juin 1969, re­jetait par télégramme mon appel, -- qui n'était pas encore envoyé... -- ; cependant, quel semaines après, Votre bienveillance voulait bien étudier mon recours contre la destitution anti-canonique faite par Mgr l'évêque et lui demandait en conséquence de surseoir à l'installation ca­nonique d'un nouveau curé. Depuis deux années les choses en sont là. Sans doute le silence de Votre Éminence laisse-t-il pressentir mon bon droit ; car enfin, si j'avais fait une faute d'ordre doc­trinal, moral, disciplinaire ou canonique, le Saint-Siège n'aurait pas manqué de la souligner et, par conséquent, de rejeter ma cause en justifiant la conduite de mon évêque ; et t'eût été normal. Mais si le Saint-Siège ne trouve rien à me reprocher au for externe -- car, au for interne et de­vant Dieu, je suis bien misérable ! -- pourquoi n'exerce-t-il pas la justice que tout homme, à fortiori tout chrétien, mieux encore tout prêtre, est en droit d'attendre de la Sainte Église ? Croyez, Éminence, que ces paroles dures que j'écris, je les formule avec sentiments de déférence et de respect, n'ayant que Dieu seul devant les yeux, et, je l'espère, dans mon cœur ! 166:199 Néanmoins, puisque Notre-Seigneur s'est humilié jusqu'à devenir esclave, Lui qui possède la condition divine, ai pensé, dans ma prière, qu'il était bon de faire un acte de bonne volonté. J'apprenais, en effet, récemment, que Votre Éminence souhaitait une réconciliation entre mon évêque et moi-même ; j'estime d'ailleurs que le bien général (que j'essaye de défendre par mon combat contre l'hérésie) ne peut pâtir d'un sacrifice personnel offert pour la même cause. *Je propose* donc à Votre Éminence Révé­rendissime ma démission spontanée et volontaire de curé de Montjavoult et donc -- là aussi résidera le sacrifice ! -- l'abandon de mon presbytère. *En retour,* je demande res­pectueusement au Saint-Siège d'inviter mon évêque à m'ac­cueillir chaque dimanche et chaque fête, en l'église pa­roissiale de Montjavoult (à l'heure qui conviendrait le mieux après entente mutuelle) pour la célébration d'une messe à l'autel majeur et, bien sûr, selon le rite millénaire en présence des fidèles qui ont pris l'habitude de venir à Montjavoult en esprit de foi, de confiance, de charité et de piété. Un curé accueille toujours dans son église, aux heures libres, les confrères désireux de célébrer la sainte messe avec leur assistance ; en la circonstance pourtant, pour éviter toute difficulté et surtout étant donné l'injuste suspicion en laquelle je suis tenu (et sans que jamais elle ait été motivée) c'est au Saint-Siège que je fais la demande de cet accueil en l'église de Montjavoult. Votre Éminence aura donc la bonté de noter que mon offre de démission est conditionnelle (cf. canon 2150 § 3) ; il est bien entendu, si le Saint-Siège l'accepte, que cette démission ne deviendra effective que lorsque Monseigneur l'évêque de Beauvais se sera engagé par écrit à me laisser célébrer la sainte messe -- en présence des fidèles qui désireront y assister -- aux jours et heures que nous au­rons choisis *d'un commun accord.* Il est bien évident aussi, car je n'ai pas démérité, que tous pouvoirs de prêcher et de confesser -- servatis servandis -- me sont laissés sans aucune restriction de délai (sauf, évidemment, les cas pré­vus par les droits pénaux pour crime ou délit). Daigne Votre Éminence Révérendissime, agréer l'ex­pression de mon plus profond respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Louis Coache. 167:199 ### 57. -- Lettre du cardinal Wright à l'abbé Coache **5 juillet 1971** *L'étonnant charabia ci-dessous est une lettre officielle de la sacrée congrégation, enregistrée sous le numéro 13523811.* Cher Monsieur l'Abbé, A propos de Votre lettre, sans date, pervenue à cette Segreterie le 26 juin dernier, au sujet des propositions pour une définitive composition de Votre vertence avec l'Excellentissime Évêque de Beauvais, je me premure de Vous informer que vos propositions seront attentivement examinée par ce Dicastère ensemble avec les documents. dans le dossier. En même temps nous gradirons savoir si vos propo­sitions ont été mise à connaissance de Votre Évêque et quelle a été sa réaction. Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, mes meilleurs veux dans le Christ J. card. Wright. préfet. 168:199 ### 58. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **19 juillet 1971** Éminence Révérendissime Ayant en mains Votre lettre du 5 juillet je m'empresse de Vous répondre et je Vous prie de m'excuser pour l'omis­sion de date à la lettre que Vous avez reçue le 26 juin, LAQUELLE DOIT ÊTRE DATÉE DU 18 JUIN ; en réalité elle a été postée le 22 juin comme en fait foi le récépissé que je garde dans mes dossiers. Votre Bienveillance voudra bien, si Elle le juge bon, faire apposer cette date sur ma corres­pondance. Étant donné le climat de suspicion dont je suis victime de la part de Son Excellence Monseigneur l'Évêque de Beau­vais et les brimades dont je suis l'objet, je ne l'ai pas mis directement au courant de mes propositions. Ma cause se trouvant entre les mains de Votre Éminence révérendis­sime, et non encore jugée, j'ai pensé que Votre Éminence pourrait Elle-même, si Elle le jugeait bon, mettre au cou­rant mon évêque (à. moins que Vous ne me demandiez de le faire moi-même pour faire ensuite connaître à Votre bienveillance les réactions de Monseigneur Desmazières, ce qu'alors je ferais). Exprimant un vœu, dans une lettre jointe, n'ayant pas de rapport avec l'objet de la présente lettre, je prie très respectueusement Votre Éminence révérendissime d'agréer l'expression de mon profond respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Louis Coache. 169:199 ### 59. -- Lettre de Mgr Palazzini à l'abbé Coache **31 juillet 1971** *Cette lettre du secrétaire Palazzini* (*enregistrée à la congré­gation sous le numéro 13560611*) *est un insignifiant bavardage ; sauf en ce qu'il suggère à l'abbé Coache de faire entre les mains de Mgr Desmazières une soumission sans condition.* Reverende Domine, In primis mihi curae est Te certiorem reddere ad hanc Sacrum Congregationem pervenisse litteras Tuas die 19 julii 1971, quibus Reverentia Tua confirmat omnia quae jan expressit litteris diei 18 junii elapsi, de quaestione orta inter Te et Episcopum Bejlovacen. Nunc Tibi notum facio hanc S. Congregationem laeto animo considerasse Reverentiae Tuae desiderium compo­nendi dissidium, ortum abhinc duos annos. Antequam ad argumentum veniamus, censeo mihi Reverentiae Tuae esse significandum, potestatem conse­crandi calices ope Tuae. pietatis ab implls usibus substrac­tos, esse adhuc eplscopls reservatam, sed totam rem pen­dere a S. Congregatlone pro Cultu Divino. Quoad vero quaestionem de qua principaliter agitur, nihil obstat quominus hoc Sacrum Dicasterium patefaciat Exc mo Desmazières propositum Tuum atque quaesita, sed mihi videtur, jam ex nunc, Episcopum Bellovacen, difficulter actepturum esse condiciones a Te positas, cum in loco vulgo dicto Montjavoult, ut Reverentia Tua bene novit, dissensionibus et lurgiis finem non imponeretur. 170:199 Quam ob rem Tibi vellem proponere ut parocciae v.d. Montjavoult et Parnes renunties, nulla apposita condicione, et haec S. Congregatio Episcopo suadebit ut omnes cen­suras et suspensiones tollat et honestae Tuae sustentationi provideat, neque recuset Tecum pacem et fraternitatem instaurare. Haec dum Tibi communico, agnoscens Tuam fidem, doctrinam, pietatem, enixe rogo Reverentiam Tuam ut, juxta effatum in Regula S. Patris Benedicti expressum, « nihil omnino Christo praeponere », velis, quantum in Te est, vulneribus Sanctae Ecclesiae suaviter, propter Chris­ti amorem, mederi, tollendo dissensiones quae coram non credentibus et malis christianis scandalum sapiunt. Expectans, multa cum fiducia, responsum Tuum, omni qua par est reverentia me profiteor. Reverentiae Tuae\ addictissimum in Domino P. Palazzini\ a Secretis. 171:199 ### 60. -- Lettre de l'abbé coache au cardinal Wright **23 août 1971** Éminence Révérendissime Devant Dieu, après la lettre envoyée le 31 juillet par Son Excellence Monseigneur Palazzini, j'ai réfléchi lon­guement et j'ai cherché « le meilleur ». Votre Éminence me permettra de souligner devant Elle le tragique de la situation. Certes, il me serait facile de tout abandonner et donc de renoncer à ma paroisse. Mais ai-je le droit de chercher la facilité ? Une chose très importante est en cause : la fidélité à Dieu et à la foi. Me sacrifier ? S'il n'y avait que moi, oui. Mais la charité -- l'amour de Dieu d'abord, et puis l'amour des âmes -- recommande-t-elle d'abandonner le combat pour la foi, qui constitue un devoir grave, et d'abandonner des milliers de fidèles qui sont la proie de prêtres modernistes et qui, s'ils n'étaient soutenus par notre fidélité, perdraient la foi, pour beau­coup ? Car savez-vous, Éminence révérendissime, qu'en toute région de France on ne peut faire cinq kilomètres à la ronde sans trouver un prêtre qui enseigne la Nouvelle religion de relativité ou de marxisme, un curé qui met en doute les dogmes fondamentaux, ou encore, vendu dans l'église, un journal dit catholique qui prêche une contre-morale et pousse les âmes à la révolte ou aux désordres sexuels ? Votre Éminence révérendissime sait-Elle à quel point l'hérésie et la subversion ont envahi l'Église ? Dieu le sait. Comment nos cœurs de fidèles ne pourraient-ils en frémir, et aurions-nous le droit, nous prêtres, de nous taire ? 172:199 Quel drame, défendre la foi et l'Église avec amour et respect, et paraître désobéissants ! Son Excellence Monsei­gneur Palazzini fait état dans sa lettre de « dissensiones et jurgia » qui tant à Montjavoult que dans l'Église « scan­dalum sapiunt » et dont je serais responsable. Éminence révérendissime, qui est responsable de divisions, celui qui fait le mal ou celui qui prêche la vérité ? Jésus « est venu mettre la division sur la terre » ; Il en a rejeté la faute sur les méchants. La vérité ne délivre-t-elle pas ? Votre Éminence voudra bien excuser ces paroles véhé­mentes ; mais j'irais jusqu'au bout du monde pour dé­fendre Jésus-Christ et la foi séculaire. Est-ce là insoumis­sion ? Est-ce abandonner la voie royale de l'obéissance que de maintenir ce que l'Église a toujours prêché et voulu ? L'Église pourrait-Elle condamner un de ses fils parce qu'il a combattu pour sa Mère livrée à ses ennemis ? et cela même si l'Excellentissime évêque de ce prêtre, laissant faire les prêtres sacrilèges, traite ce fils impétueux de désobéissant ? Éminence Révérendissime, si j'ai mal parlé de la foi ou de l'Église, si mes paroles à l'égard de la sainte Hiérarchie ont été injustes ou irrespectueuses, que le Saint-Siège me condamne ! EN ATTENDANT JE NE CROIS PAS DE MON DEVOIR DE RE­NONCER A MES DROITS, A MA CHARGE DE CURÉ NI A MA PAROISSE. Ma cause est entre les mains du Saint-Siège. Je me permets respectueusement de demander à Votre Éminence révérendissime le résultat de l'étude faite par la Commis­sion à qui Votre Bienveillance a confié la cause et dont fait mention votre lettre du 29 novembre 1969. Daignez, Éminence, vous pencher sur un prêtre qui n'est soutenu par aucun grande ce monde. Je demande humblement que réparation soit faite pour les injures et calomnies proférées contre moi au diocèse de Beauvais, et dont l'écho a été porté dans toute l'Église. Les journaux catholiques continuent de me traiter en révolté et condam­né ; ne pourrais-je obtenir pour le bien commun, de ma Mère la sainte Église que j'aime, réparation et réhabili­tation ? A l'heure où le modernisme, c'est-à-dire le mensonge envahit l'Église, est-ce que les petits et les opprimés, chère Éminence, peuvent encore espérer obtenir justice ? 173:199 J'ose espérer que la confiance avec laquelle j'ai recouru à la Curie romaine dont le sens sacré de la justice est un privilège et une gloire, par tradition séculaire, m'obtiendra réparation contre l'aveuglement et la méchanceté des hommes. En cette confiance, Éminence Révérendissime, je me déclare de la sainte Église et du Siège de Pierre le fils très obéissant. Daignez dans votre bonté agréer mes sentiments de profond respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Louis Coache. 174:199 ### 61. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **24 septembre 1971** Monseigneur, Le 18 juin de cette année, j'avais écrit à Son Éminence le Cardinal Wright, sachant son désir d'un arrangement entre Votre Excellence et moi-même, pour lui proposer ma démission de curé pourvu que je puisse sans difficultés, comme tout prêtre résidant ou de passage célébrer la Messe le dimanche dans l'église de Montjavoult, à l'autel majeur et avec les fidèles désirant y assister -- à l'heure qui sem­blerait la plus convenable après accord --. Son Éminence me répondait quelques jours après qu'il y aurait lieu de connaître d'abord l'avis de l'Excellentissime Évêque de Beauvais ; finalement les choses en sont restées là. Mon offre restait donc sans réponse. Franchement, j'avais espéré que ma proposition -- qui n'allait pas sans la perspective d'un grand détachement matériel et moral -- serait étudiée favorablement. Dans cette pensée, j'avais convoqué les pèlerins à Montjavoult pour le dimanche 31 octobre, à 11 h 1/2 sur la place de l'église, me réservant toute décision le cas échéant pour la célébration de la sainte messe. Puisque ma proposition du 18 juin n'a pas reçu de réponse favorable, je me permets, Monseigneur, réflexion faite, et vu le nombre probable des fidèles, de vous de­mander respectueusement, per modum actus, que ce jour-là, étant donné les intempéries possibles en cette saison, je puisse célébrer dans l'église (quand M. l'Abbé Decaux aura terminé son office). M'étant retiré de l'église par conci­liation il y a deux ans et malgré la permanence théorique de mes droits de curé, je préfère demander votre accord pour cette célébration. 175:199 Si Votre Excellence n'estimait pas devoir donner son acceptation (pour une fois) alors j'en ferai la demande à Son Éminence le Cardinal Wright. S'il arrivait que le préfet de la Sacrée-Congrégation du Clergé refuse (croyant ne pas devoir contrarier votre décision), en ce cas je m'in­clinerais ; et je me contenterais, car il faudrait bien que ces centaines de fidèles aient la sainte messe, de célébrer celle-ci sur la place de l'Église et sous le ciel du Bon Dieu, comme nous pourrons. Si vous saviez, Monseigneur, combien les fidèles se­raient sensibles au geste de bienveillance que je sollicite de votre bonté. A la suite de mes dernières propositions faites à Rome ce serait un nouveau pas vers la conciliation tellement souhaitée par le Saint-Siège. Daignez agréer, Excellence, l'expression de mes senti­ments profondément respectueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. 176:199 ### 62. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **1^er^ octobre 1971** Cher Monsieur l'Abbé, J'ai bien reçu votre lettre du 24 septembre, et je suis fort étonné de la demande que vous m'adressez. Vous savez très bien que depuis le 12 juin 1969 vous êtes l'objet d'une suspense générale « ab officio ». Depuis ce temps j'attends toujours avec patience et douleur la soumission d'un fils. Et vous savez très bien, car je vous l'ai répété à maintes reprises, que vous recevriez alors à l'évêché de Beauvais, l'accueil le plus paternel de votre évêque. Hélas ! au lieu de reconnaître vos erreurs, vous vous êtes obstiné dans vos égarements et votre désobéissance. Plusieurs fois, de façon grave, vous avez enfreint cette suspense d'une manière spectaculaire. Vous avez célébré des offices dans le presbytère de Montjavoult, même les offices de la Semaine Sainte. Vous avez organisé des ras­semblements et des processions, y invitant les fidèles de tous les diocèses de France, et même de l'étranger. Vous vous dites obligé en conscience d'assurer la messe à ces fidèles : alors que c'est vous qui les avez invités et que ces fidèles ne se rassemblent autour de vous que pour mieux se soustraire à l'autorité de la hiérarchie légitime. Vous savez très bien ce que vous avez écrit et publié sur le nouvel Ordo Missae, affirmant qu'il était hérétique et conseillant à vos fidèles de ne pas participer à cette nouvelle liturgie. Vous savez bien ce que vous avez écrit dans votre der­nier numéro du « Combat de la Foi » sur Notre saint père le pape Paul VI : ces propos infamants sont indignes d'un prêtre ;qui fait protestation d'amour envers la Sainte Église. 177:199 Ce que vous écrivez, vous le proclamez dans des confé­rences à travers toute la France. Vous avez annoncé une nouvelle manifestation avec rassemblement sur la place de Montjavoult, pour rallier une fois de plus autour de vous tous ceux qui ne veulent plus obéir à leur évêque et à Notre Saint Père le Pape. Et vous avez l'audace de me « demander respectueuse­ment » de célébrer dans l'église de Montjavoult pour des « centaines de fidèles » la Sainte Messe ! Dans ces conditions, en réponse à votre lettre, je ne puis que vous confirmer ceci : dans la situation où vous vous trouvez actuellement, il vous est interdit d'organiser tous offices religieux, qu'ils soient célébrés par vous-même ou par d'autres, non seulement sur le territoire de Mont­javoult, mais dans quelque point que ce soit du diocèse. En cette époque difficile où Sa Sainteté le Pape Paul VI demande que tous les fidèles de la Sainte Église, unis dans un même Esprit, prient pour le Synode et pour lui-même, je prie moi-même pour que vos yeux s'ouvrent enfin à la lumière : Et sachez que votre évêque a toujours pour vous l'af­fection d'un père, mais d'un père douloureusement meurtri. Stéphane Desmazières.\ Évêque de Beauvais. 178:199 ### 63. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Wright **7 octobre 1971** Éminence Révérendissime, Le 24 septembre dernier, j'avais demandé à Son Excel­lence Mgr l'évêque de Beauvais d'avoir la bonté de me laisser célébrer la sainte messe dans l'église de Montjavoult, un grand nombre de fidèles devant y venir le dernier di­manche d'octobre ; je demandais son agrément pour ce seul dimanche. Un prêtre de passage ne se voit jamais refuser l'église du lieu pour y célébrer non plus qu'un prêtre domicilié en ce lieu. A fortiori, le Saint-Siège ne m'ayant encore envoyé, après plus de deux années, aucune réponse à mon recours, étant donc en situation régulière jusqu'à la décision de Rome (puisque le conatus destitutionis offensait manifes­tement les lois canoniques et annulait ipso facto la sus­pense -- peine médicinale --), je pense avoir droit à l'usage de l'église paroissiale (que je n'ai abandonnée à un prêtre « vicaire économe » que par désir de paix et de conciliation). Or, Son Excellence Monseigneur l'évêque de Beauvais vient de me refuser d'user, pour une fois, et donc per modum actus, son agrément pour ce dimanche 31 octobre, cela par lettre du 1^er^ octobre. 179:199 Je me permets donc respectueusement de solliciter de Votre Bienveillance cette même faveur. Si Votre Éminence Révérendissime ne jugeait pas bon de me l'accorder, je *m'inclinerais* et ne rentrerais pas dans l'église. Alors, mal­gré les intempéries possibles, et vu le nombre des fidèles -- près d'un millier -- je me verrai obligé de célébrer, avec calme et dignité évidemment, sous le ciel du Bon Dieu, d'autant plus que je devrai assurer la sainte messe pour ces fidèles. Daigne. Votre Éminence Révérendissime agréer l'ex­pression de mon plus profond respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Louis Coache. 180:199 ### 64. -- Lettre de Mgr Palazzini à l'abbé Coache **15 octobre 1971** *Nouveau bavardage* insignifiant *du secrétaire Palazzini. Rap­pelons que c'est celui-là même qui avait rejeté* « *après exa­men *»*, le 6 juin 1969, un recours qui n'avait pas encore été envoyé. Ce personnage est* néanmoins *resté en fonctions. Et il distribue des conseils de moralité !* Reverende Domine, Litteras Reverentiae Tuae diei 7 octobris 1971, die tantum 12 eiusdem mensis accepi. Quibus litteris Reve­rentia Tua hanc Sacram Congregationem edocebat, de recusatione Episcopi Bellovacen, facultatis celebrandi Sa­crum per modum actus in ecclesia loci vulgo dicto Mont­javoult, cum ad dictam ecclesiam, die 31 octobris curren­tis, perventuri sint multi fideles (mille circiter). Haec Congregatio, cum causam concursus Christifide­lium in memorato loco penitus ignoret, censet in casu non esse interloquendum, sed manet in votis Reverentiae Tuae scripto datas, litteris diei 31 julii elapsi, scilicet, ut tota quaestio cum Episcopo pacifice componatur. Si Tibi videbitur, hoc Dicasterium nullam habet diffi­cultatem remittendi Exc. mo Desmazières epistolas, quas nuper Tecum communicavimus, ipsi etiam suadendo ut velit modum quaerere et acceptare aptum ad rem, ex aequo et bono, Tecum componendam. 181:199 Bonum Ecclesiae attingitur non semper manifestatio­nibus vel actibus publicis, quae variis in locis, diversimode interpretari possunt, sed fere semper humilibus Deo pre­cibus, sacrificiis, etiam sui ipsius jurium, vel quae talia existimantur, renuntiatione. Optundum sane esset ut Ecclesia, his temporibus, hanc testificationem haberet ! Velit, Reverentia Tua, salutatianes meas accipere, dum omni quo par est obsequio me profiteor. Reverentiae Tuae\ add. mus in Domino P. Palazzini.\ a Secretis. 182:199 ### 65. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **8 mars 1972** Cher Ami Je viens de recevoir à votre sujet une lettre de la S.C. pour la Doctrine de la Foi. Cette lettre m'arrive à la suite de ma visite « ad li­mina ». Bien sûr, à Rome et dans les Congrégations Ro­maines, on m'a parlé de vous ([^36]). Votre cas inspire à tous de très grandes inquiétudes. Vos intentions, au départ, étaient sans doute excel­lentes. Mais comme je vous l'ai dit dès le début ([^37]), on ne défend pas la foi en se séparant de Son Évêque : vous voilà maintenant, vous le savez bien, en opposition avec le Saint-Père Lui-même ! Les maux que vous dénoncez dans l'Église, nous les voyons aussi bien que vous ([^38]). Ne les aggravez pas, en jetant la suspicion sur les Pasteurs Légitimes que le Christ a placés à la tête de Son Église. 183:199 La lettre de la S.C. pour la Doctrine de la Foi paraîtra dans le prochain numéro de Église de Beauvais. Je tiens à vous en avertir. Puisse cette lettre vous ouvrir enfin les yeux ! Vous savez que mes bras vous demeurent toujours grand ouverts, dans le Christ, notre Unique et Commun Pasteur. Stéphane Desmazières. 184:199 ### 66. -- Lettre du cardinal Seper à Mgr Desmazières publiée le 11 mars 1972 *Le Bulletin diocésain* « *Église de Beauvais *»*, numéro du 11 mars 1972, publiait la note suivante de Mgr Desmazières* A la suite de ma visite « ad limina », à Rome, fin janvier et d'un échange épistolaire, voici la lettre que la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi (ancien­nement Saint-Office) a adressée à l'Évêque de Beauvais, pour éclairer l'opinion publique, abusée par l'Abbé COA­CHE, et mettre en garde contre son action et ses écrits. *Cette lettre du cardinal Seper fut reproduite dans* « *La Croix *» *du 14 mars* (*etc.*) SACRA CONGREGATIO PRO DOCTRINA FIDEI Prot N. 955/68 (in responsione fiat mentio bujus numeri) 00193 Romae, le 15 février 1972\ Piazza del S. Uffizio, 11 Excellence, Dans votre lettre du 27 janvier dernier vous invitez cette Congrégation à préciser sa position dans le cas dou­loureux de l'Abbé Louis Coache. Voici notre réponse : 185:199 Le 10 juin 1968, à un premier examen des écrits d'alors de l'Abbé Coache ce Dicastère a retenu qu'il ne s'y trouvait pas de formules contraires à la foi ; d'autre part il a exigé que l'Abbé obéisse à son Évêque. Le 29 mai 1969, cette Congrégation a fait savoir que la réponse de l'année précédente était dépassée depuis les attaques de l'Abbé Coache à l'adresse de l'épiscopat fran­çais et ses consignes de résistance. Dans une lettre du 17 mars 1970 à S. E. le Cardinal Marty cette Congrégation exprime sa très vive inquiétude devant l'évolution de ce prêtre, tant sur le plan de la foi que sur celui de la discipline. De son côté la S. Congrégation pour le Clergé, dans sa lettre N. 128656/1 du 18-3-1970, confirme que l'Abbé Coache reste suspendu, qu'il ne peut pas célébrer les Saints Offices dans sa paroisse ni ailleurs, ni tenir des processions, sans avoir reçu une permission écrite de l'Ordinaire du lieu. Une feuille publiée en 1970 par l'Abbé L. Coache et le P. Philippe Rousseau, comme supplément au N. 11 du « Combat de la Foi » affirme que le nouveau Ordo Missae « apparaît comme teinté d'hérésie, proche de l'hérésie, pro­testant d'esprit et de forme et donc extrêmement dange­reux ». Dans une feuille ultérieure, supplément au « Com­bat de la Foi 16 », il est affirmé que le nouveau « Ordo » est « anathème ». La Congrégation pour la Doctrine de la Foi considère ces expressions doctrinalement fausses et condamnables. Tout en espérant avoir suffisamment précisé la position de ce Dicastère je vous prie, cher Monseigneur, de vouloir agréer l'expression de mes sentiments respectueux et fra­ternels en Notre-Seigneur. François, Cardinal Seper, Préfet. 186:199 ### 67. -- Réponse de l'abbé Coache **mars-juin 1972** *Des diverses versions* (*toutes identiques en substance*) *de* la *réponse faite par l'abbé Coache, nous reproduisons celle qui a paru,* au *titre du droit de réponse, dans* « *La Croix *» (*7 juin*) *et dans la* « *Documentation catholique *» : M. l'abbé Louis Coache, usant de son droit de réponse, nous prie de publier ce qui suit : 1\. Il n'a jamais eu connaissance des documents, décla­rations, et sanctions mentionnés dans cette lettre. Pour le document du 10 juin 1968, il a bien appris son existence par Mgr Desmazières, mais celui-ci ne lui en a envoyé que de très courts extraits, noyés dans ses propres commen­taires. Et encore, ces extraits, phrases hachées, étaient-ils servis tantôt en latin (langue originale), tantôt dans une traduction française, tantôt avec guillemets, tantôt sans guillemets. A plusieurs reprises, mais sans succès, il a demandé à son évêque le texte intégral, afin de connaître la pensée exacte de la Congrégation et de pouvoir en tenir compte. Quant aux autres documents cités dans la lettre du cardinal Seper, il les ignore, purement et simplement ils ne lui ont jamais été signifiés. 2\. La lettre du cardinal présente M. l'abbé Louis Coache comme « suspens » (generaliter) *et avec effet dans toute l'Église !* Il s'agirait alors nécessairement d'une suspense portée par le Saint-Siège et la plus grave de toutes. Or, il n'a été, à Rome, l'objet d'aucune monition cano­nique et la censure ne lui a jamais été notifiée ! 187:199 (On sait qu'en 1969, Mgr Desmazières a suspendu M. l'abbé Louis Coache « ab officio », *pour son diocèse ;* mais il y a eu appel et la peine s'est trouvée annulée par le Droit.) M. l'abbé Louis Coache ignore tout de la lettre du 18 mars 1970. A-t-elle un rapport avec la censure de 1969 ? 3\. L'expression. « anathème » réprouvée par la lettre a pour auteur et signataire un prêtre ami qui regrette qu'un confrère endosse à sa place une condamnation ; il souhai­terait répondre personnellement de ses actes. 4\. La lettre du cardinal Seper ne fait *aucune mention* de la « destitution » de M. l'abbé Louis Coache, tentée par Mgr l'évêque de Beauvais, ce qui confirmerait que le re­cours porté à Rome a été gagné par l'Appelant, ainsi qu'il l'a appris de source absolument sûre quoique privée. On sait que la Secrétairerie d'État a refusé la publi­cation de cette sentence, favorable à M. l'abbé Louis Coache. 5\. Ce dernier n'a eu *connaissance de la lettre du cardi­nal Seper* que *trois jours après* les fidèles de Beauvais, par le bulletin du diocèse. Il n'a reçu *ni texte officiel de Rome, ni même photocopie* par Mgr l'Évêque. 6\. Un doute grave pèse sur l'origine de cette lettre pré­tendue du cardinal Seper, comme l'atteste une dépêche de l'AFP par le texte suivant : « Cité du Vatican. 15 mars (AFP). On refuse mercredi de confirmer ou de démentir à la Congrégation pour la doctrine de la foi que le préfet, le cardinal yougoslave Frajo Seper, ait adressé une lettre à l'évêque de Beauvais, Monseigneur Stéphane Desmazières, au sujet de l'abbé Coache, curé de Montjavoult. » M. l'abbé Louis Coache exprime sa douloureuse surprise de voir l'extrême indulgence des évêques pour tant de prêtres qui dénaturent la foi et se compromettent avec le matérialisme et l'immoralité du monde et de constater, par ailleurs, leur sévérité ; assortie de sanctions, à l'égard de ceux qui ne cherchent qu'à rester *fidèles.* Néanmoins, dans son attachement profond à l'Église qu'il aime et dans l'amour de Jésus crucifié, M. l'abbé Louis Coache se déclare prêt à accepter, si cela devait arriver, une condamnation authentiquement notifiée, convaincu de la valeur du sacrifice et restant sauve son adhésion à la foi de toujours. 188:199 ### 68. -- Lettre de l'abbé Coache à la congrégation du clergé **25 décembre 1972** Excellence Révérendissime Il y a plus de quarante mois que j'ai fait recours filia­lement et canoniquement au Saint-Siège contre les mesures de Son Excellence Monseigneur l'évêque de Beauvais, me­sures très graves qui non seulement nuisent à ma réputa­tion mais surtout au bien commun des fidèles (mesures que j'estime dénuées de toute justification), et plus de trois ans que Votre Excellence m'avertissait de la constitution d'une Commission qui devait statuer en la matière. Depuis, la Sacrée Congrégation ne m'a jamais envoyé les conclusions, quelles qu'elles soient, de la procédure, ni même tenu au courant. Faudrait-il que je fasse comme la veuve de l'Évan­gile et que j'aille tous les jours sonner à la porte de la S. Congrégation : « Monsieur le Juge, défendez-moi contre mon oppresseur ! » ? La sainte Église n'est-elle plus juste ni maternelle ? Et pourtant Elle le demeure puisqu'Elle est sainte et immaculée. Votre Excellence sait bien que je combats pour la foi, avec respect de la sainte Hiérarchie même si certaines expressions paraissent dures (mais n'est-il pas plus dur encore de voir les ennemis installés au sein de l'Église...un évêque d'Orléans demander l'ordination de prêtres « temporaires », mariés ou même de femmes ?). Je demande à être jugé. Il ne suffit pas de me répondre : « obéissez à votre évêque » ! L'objet de mon appel est justement mon conflit avec lui sur *l'essentiel* -- ou sur des actes touchant l'es­sentiel de la Religion --. C'est pourquoi j'ai demandé à Rome de trancher au nom de la vérité et de la justice, pour ma conscience et pour le bien des fidèles. Donc je demande à être jugé. 189:199 Si l'Église, à qui j'ai *donné* ma *vie* et en qui je fais confiance, refuse de me juger et donc de juger un conflit qui touche la foi et la sainte Tradition, je propose au Saint-Siège ce qui suit (et non pas à mon évêque directe­ment puisque mon cas est à Rome pour les raisons que je viens de dire) JE ME DÉCLARE PRÊT A RENONCER A MA PAROISSE, A MON PRESBYTÈRE ET MÊME A TOUTE RÉSIDENCE DANS LA PAROISSE DE MONTJAVOULT. I°) POURVU QUE MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE DE BEAUVAIS 1 -- ne présente pas cette renonciation comme une condamnation du Saint-Siège à mon endroit, cesse toutes difficultés, menaces ou propos déplaisants envers moi ; 2 -- déclare qu'il me conserve (évidemment) les pou­voirs dans son diocèse (qui est mon diocèse de naissance et d'incardination) ; 3 -- me laisse l'usage pacifique, dans son diocèse, pour moi et les fidèles qui désirent spontanément y assister, de la messe de toujours (puisqu'elle n'a jamais été révo­quée expressément par les textes officiels romains et qu'elle n'a pas été l'objet d'une clause excluant toute coutume contraire centenaire ou immémoriale), là où je trouverai une résidence ou bien où je pourrai me présenter pour célébrer, servatis servandis. II°) POURVU ÉGALEMENT QUE LE SAINT-SIÈGE ait la bonté de persuader à Monseigneur l'évêque de Dijon -- de qui dépend la Maison Lacordaire de Flavigny dont je suis administrateur -- de reconnaître les pouvoirs en son dio­cèse de l'abbé Coache qui se trouve en communion avec son évêque (l'évêque de Beauvais) -- moyennant s'il le désire une visite canonique en ce couvent. En terminant ; j'oserais rappeler de nouveau à Votre Excellence la grande misère de l'Église en France : sémi­naires presque vides, où règnent la grande liberté *et* l'im­*moralité,* très nombreux prêtres révolutionnaires ou profa­nateurs du Saint-Sacrement ou perdant la foi (même de bons prêtres, ... qui n'y comprennent plus rien !), jour­naux catholiques scandaleux mettant en doute les vérités les plus essentielles, désorientant les fidèles, semant car­rément l'immoralité (articles en faveur du divorce, des expériences sexuelles, des agissements révolutionnaires, du marxisme) : ces revues sont les instruments d'une « reli­gion » qui n'a plus rien de catholique... 190:199 ET ROME SE TAIT... ET ROME SE TAIT... ET ROME SE TAIT... Ah ! si vous saviez l'écœurement, la déroute des fidèles ! Il suffirait d'un mot du Saint-Siège, publié très haut, pour recommencer à mettre de l'ordre et rendre aux âmes l'oxygène de leur vie spirituelle... QUEL EST L'ÉVÊQUE, QUEL EST LE CARDINAL QUI SAURA, quitte à perdre sa place, ÊTRE HÉROÏQUE, POUR L'HONNEUR DU SEIGNEUR JÉSUS ? Daigne Votre Excellence révérendissime agréer l'hom­mage de mon profond et religieux respect en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Louis Coache. 191:199 ### 69. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **8 août 1972** Monseigneur, Puis-je me permettre de solliciter une faveur de votre bienveillance ? Je viens de me faire faire un cahier, très beau me semble-t-il, et j'aimerais beaucoup qu'il soit consacré par *mon Évêque,* assistant moi-même à cette petite cérémonie. J'ose espérer que malgré les difficultés de ces dernières années Votre Excellence ne me refusera pas cette joie. Si Vous n'êtes pas en vacances en ce moment cela serait-il possible avant le 18 de ce mois car je serai en Bretagne du 20 au 25 pour ma retraite ? Je vous en serais bien reconnaissant. Pour le cas où vous me poseriez quelques questions sur ma demande, je tiens à Vous assurer, Monseigneur, que je n'entends tirer, bien sûr, a fortiori sur le plan public, aucune conclusion de votre agrément. Daigne Votre Excellence, etc. Louis Coache. 192:199 ### 70. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **13 août 1973** Cher ami, Avec quelle joie je me serais empressé d'accéder au désir que vous m'exprimez dans votre lettre du 8 août, si vous y aviez joint le geste que j'attends maintenant depuis plus de quatre ans : votre soumission filiale et con­fiante ([^39]). Comment pouvez-vous faire comme si vous n'aviez pas rompu volontairement depuis ce temps-là la communion avec votre évêque ? J'ai toujours dans les oreilles l'une de vos dernières paroles : « Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes. Mon­seigneur, je ne vous obéirai jamais. » ([^40]) 193:199 Et cependant, je vous l'ai dit plusieurs fois, et je vous le répète encore aujourd'hui : mes bras vous sont toujours paternellement ouverts, car vous demeurez l'un de mes fils bien-aimés dans le Seigneur. Et vous savez bien que je continue de vous porter, douloureusement, dans mon cœur et dans ma prière. Stéphane Desmazières. 194:199 ### 71. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **31 août 1973** Monseigneur, Votre lettre du 13 août m'a d'autant plus peiné que j'avais éprouvé une certaine joie à vous écrire. Très sin­cèrement (me croirez-vous ?) j'espérais, sans que votre agrément vous engage à quoi que ce soit, que ma demande à mon évêque aurait facilité un entretien, un dialogue comme l'on dit maintenant. Montrant avec moi, Monseigneur, une dureté que vous n'auriez pas avec un prêtre défaillant sur la foi ou révo­lutionnaire, vous exigez d'abord une « soumission » (... « filiale et confiante », mais c'est dans ces sentiments que je m'étais adressé à vous ces jours-ci). Aussi je me permets respectueusement, Monseigneur, afin qu'il n'y ait pas d'équivoque possible, de vous de­mander ce que vous entendez par « soumission », c'est-à-dire *quel geste ou quelle déclaration vous attendez de moi.* Ne faisant plus de procession du Saint-Sacrement sur votre territoire, n'y ayant même plus de secrétariat, atten­dant la réponse du Saint-Siège pour le conflit que j'ai porté (selon les Sts Canons) devant sa Juridiction, ayant même accepté, en. attendant le verdict, de laisser le minis­tère à un confrère selon votre volonté, en contradiction sans doute avec le faux esprit du concile (si souvent dé­noncé par le Souverain Pontife) mais en accord total avec la pensée de l'Église et tous les documents authentiques du Siège apostolique et *donc en communion avec mon évêque,* je vous demande, Monseigneur, puisque vos bras (me dites-vous) me sont paternellement ouverts, ce que je dois faire. En quoi d'ailleurs aurais-je pu rompre la communion avec mon évêque ? Il faudrait pour cela hérésie, schisme ou rébellion ; grâce à Dieu ce n'est pas le cas. 195:199 Ma lutte pour l'Église et contre les erreurs est au contraire une preuve de fidélité. Si vous décelez : cependant, Monseigneur, erreurs de ma part, fautes disciplinaires graves ou injures à la Hiérarchie, veuillez me les préciser. Peut-être objec­terez-vous mon attachement à la messe multiséculaire ? mais l'examen des textes officiels et canoniques prouve qu'elle est toujours permise (à tout le moins), et puis serait-il plus grave, disciplinairement, que tant d'abus ou d'expériences tolérés ou même approuvés ? Dans l'attente de la réponse de Votre Excellence, je la prie d'agréer l'expression de mes sentiments bien respec­tueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. P.S. -- Vous m'écrivez avoir dans l'oreille cette phrase : « Monseigneur, je ne vous obéirai jamais. » Je me permets de protester contre une telle citation car je suis sur de n'avoir jamais prononcé ces mots ; c'est impossible. *Ou alors* c'est dans le contexte tellement évident de la conver­sation. « ...*jamais contre la foi, ou contre la volonté de l'Église *»*.* 196:199 ### 72. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **L'aveu du 7 septembre 1973** *Par cette lettre, Mgr Desmazières avoue et déclare explicite­ment, en propres termes, que c'est bien à titre* TOTAL ET INCON­DITIONNEL *qu'il réclame la soumission de l'abbé Coache. La conception et les prétentions de Mgr Desmazières ne sont pas catholiques.* Cher ami, J'ai bien reçu votre lettre du 31 août. Je ne demande qu'à croire à votre bonne volonté, mais je ne trouve guère dans votre lettre de signe de repentir. Vous savez bien ce que je vous ai prescrit en 1969 avec menace de suspense ; et quelle fut, hélas, votre con­duite, et le scandale grave qu'elle a provoqué. Mes préceptes demeurent. Par quels actes comptez-vous me prouver la sincérité de votre obéissance ? Par cette attitude et par vos écrits vous avez fait beau­coup de mal à l'Église. Comment comptez-vous réparer tout cela ? En définitive, ce que j'attends avant tout de vous, c'est le renouvellement du « promitto » de votre ordination, total et inconditionnel. Au seuil de cette Année Sainte, que l'Esprit Saint vous éclaire enfin ! En Lui je vous redis mon sincère et affectueux dévoue­ment. Stéphane Desmazières. 196:199 ### 73. -- Visite de l'abbé Coache à la congrégation du clergé **11 décembre 1974** *A la Congrégation romaine du clergé, le cardinal Wright, préfet, et le secrétaire refusent de recevoir l'abbé Coache. Ils le font recevoir par le P. Mester, chef de section, qui lui annonce que Paul VI a* « *personnellement *» *dessaisi la Congrégation et institué une commission cardinalice pour examiner l'ensemble de l'affaire et prononcer un jugement définitif.* *Depuis 1970, l'abbé Coache avait été informé, à* *plusieurs reprises et de diverses sources, mais toujours oralement et de manière privée, que la commission instituée le 20 novembre 1969 par la Congrégation du clergé* (*voir ci-dessus* le *document n° 51*) *avait dès 1970 émis à l'unanimité un avis favorable en sa faveur et donné entièrement tort à l'évêque de Beauvais ; mais que le cardinal Villot, secrétaire d'État, avait opposé son veto à la publication de cette sentence. Les ukases du cardinal Villot sont, dans la curie romaine, réputés actes* « *personnels *» *du pape : et c'est vrai, au moins en ceci que Paul VI accepte qu'il en soit ainsi. Quoi qu'il en soit, l'affaire était restée pen­dante de 1969 à 1974 ; puis, le 4 novembre 1974, sans que l'on aperçoive le motif d'une décision aussi brusque que tardive, le cardinal Villot, au nom du Saint-Père, institue une commis­sion cardinalice chargée de* « *réexaminer ex novo *» *l'ensemble de l'affaire* (*voir ci-dessous le document* n° 75). 198:199 ### 74. -- Lettre de l'abbé Coache au cardinal Villot **11 décembre 1974** Éminence Révérendissime, Depuis 5 années (et 5 mois) -- et même six ans si l'on tient compte de ma lettre à la Congrégation pour la Doc­trine de la Foi -- j'ai fait appel administrativement au Saint-Siège ; et je ne suis pas jugé. Néanmoins je suis diffamé car mon évêque me traite comme condamné et révolté (alors que je lutte pour la fidélité à la sainte Église !). Avant de publier le dossier très significatif de ma cor­respondance avec des personnalités romaines et son Exc. Mgr l'évêque de Beauvais, je suis venu à Rome pour pro­poser un compromis (dont je pense que Mgr Desmazières serait satisfait) pour le bien de l'évêque et l'apaisement général. Or le Père Mester de la S. C. du Clergé m'annonce que son Dicastère est dessaisi de mon affaire en faveur d'une Commission Cardinalice nommée par le Saint-Père. Il ne peut donc m'entendre. Aussi ne voulant pas courir le risque d'une nouvelle attente interminable (un nouveau quinquennat, chi lo sa ?) je demande respectueusement à Votre Éminence de vouloir bien me recevoir incessamment ou de me faire recevoir par l'un des Emes Cardinaux -- dont j'ignore le nom -- désignés pour la Commission, afin que je puisse présenter ce compromis et donc aider la tâche de ladite Commission ([^41]). 199:199 Je quitte Rome demain soir (plus précisément vendredi matin à la 1^e^ heure) et réside à la Casa Pallotti, via Petti­nari. Daigne Votre Éminence Révérendissime agréer l'hom­mage de mon profond respect et de ma fidélité au Saint-Siège. Abbé Coache. P.S. -- Votre Éminence aura la grande bonté d'excuser le caractère un peu abrupt d'une lettre qu'il m'a fallu rédiger sans perdre une seconde. Elle comprendra ma hâte ; je la remercie pour son indulgence. 200:199 ### 75. -- Décret de la commission cardinalice **10 juin 1975** Le 1^er^ mars 1975 s'est réunie la Commission Cardinalice spéciale que le Saint-Père a nommée, par lettre de la Secrétairerie d'État ([^42]) N. 265.485, du 4 novembre 1974, pour réexaminer « ex novo » et en vue d'une décision définitive la controverse entre Monseigneur l'Évêque de Beauvais et l'Abbé Louis Coache à propos de la destitution dudit Abbé de sa charge de curé de Montjavoult et Parnes. La Commission était composée du Cardinal Gabriel-Marie Garrone, Président, et des Cardinaux Arturo Tabera et Giacomo Violardo. Monseigneur Giuseppe Lobina faisait fonction de notaire. Les Cardinaux membres de la Commission, après avoir noté l'étendue de la compétence conférée à cette dernière, ont procédé à un examen attentif du cas ([^43]) dans tous ses détails et sous tous ses aspects d'ordre canonico-pas­toral, d'après l'abondante documentation ([^44]) entièrement fournie par la S. Congrégation pour le Clergé, laquelle avait instruit la cause de manière exhaustive. 201:199 Après avoir pris dûment acte de la bonne volonté de la susdite S. Congrégation et des efforts déployés par elle pour examiner et résoudre équitablement le différend ; après avoir examiné les actes du procès de destitution, approfondi, les motifs « in iure et in facto », considéré également les écrits subséquents produits par les parties à l'appui de leur position respective et qui éclairent com­plètement les divers aspects de la controverse ; les membres de la Commission cardinalice ont décrété ce qui suit : 1\) La suspense infligée par l'Évêque de Beauvais à l'Abbé Coache pour avoir refusé de se soumettre à l'ordre qui lui était donné de ne pas célébrer la manifestation eucharistique contestataire, est reconnue valide et légitime. 2\) La procédure administrative employée dans le cas par l'Ordinaire pour la destitution de l'Abbé Coache de ses onctions de curé doit être considérée comme légitime et valide, de même que sont légitimes et valides le déroule­ment du procès et la destitution qui s'en est suivie à l'égard du curé de la paroisse ([^45]). 3\) En conséquence, la proposition de compromis pré­sentée par l'Abbé Coache et visant à laisser la paroisse sous certaines conditions -- celles-ci étant par ailleurs en partie inadmissibles -- ne peut être prise en considération. 4\) L'Ordinaire diocésain peut donc procéder, sans plus de façon, à la nomination d'un nouveau titulaire stable de la paroisse de Montjavoult et Parnes. 5\) L'Ordinaire diocésain considérera paternellement et avec bienveillance la situation de l'Abbé Louis Coache, aux termes du Canon 2161, § 2, afin que lui soient assurés un sort équitable et des moyens de subsistance. 202:199 6\) Le présent Décret a valeur définitive, « quibusvis recursu aut appellatione remotis », et, une fois obtenue l'approbation du Saint-Père, il entrera en vigueur immé­diatement au moment de sa notification aux parties. Le Décret ci-dessus a été soumis à la considération de Sa Sainteté le Pape Paul VI, lequel, « re mature perpen­sa », l'a approuve « in omnibus et singulis » en date du 7 juin 1975, donnant ordre de le notifier dès que possible aux parties. Donné au Vatican, le 10 juin 1975 Signé : Gabriel-Marie Card. GARRONE Président de la Commission Traduction certifiée authentique : Mons. Giuseppe Illisible Notaire Rome, le 10 juin 1975. 203:199 ### 76. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **15 juillet 1975** Monseigneur, La Secrétairerie d'État m'a fait notifier le décret porté par la Commission cardinalice chargée de juger ma con­troverse avec vous. 1° Ladite commission déclare valide votre sentence de destitution. J'ai toujours dit que je me soumettrai à la décision du Saint-Siège ; je l'accepte donc juridiquement. Je l'accepte en même temps comme une épreuve car une telle sentence, ne puis-je m'empêcher de penser, s'ins­crit dans le courant qui, surtout depuis six ans en France, supprime tous les prêtres et curés qui rappellent les va­leurs essentielles de la Rédemption mais au contraire pro­tège les confrères qui sèment les profanations, la désobéis­sance à Rome et la détérioration de la foi (il est vrai, Monseigneur, que vous n'avez que faire de mes considé­rations !) ; d'autre part les actes de ce procès manifestent tant d'illégalités et d'arbitraire que l'observateur impartial demeure stupéfait. Je me permets de souligner entre autres irrégularités, morales ou canoniques : Votre tactique constante de ré­pondre à mes lettres de bonne volonté (ou à mes réponses positives et conciliantes) par une fin de non-recevoir dès les premiers mots, la lettre se terminant toujours par « Mes bras vous sont largement ouverts. » Votre refus d'une part de me recevoir malgré mes fréquentes demandes, d'autre part et concomitamment malgré ces refus, votre déclaration de contumace. Votre refus de répondre à plu­sieurs de mes demandes, sur l'orthodoxie de certains do­cuments et sur l'authenticité d'autres. Votre refus de me communiquer la réponse du Saint-Office de 1968 (si c'était une lettre privée, elle n'avait donc pas de valeur canoni­que). 204:199 L'injustice et le caractère injurieux de votre décla­ration que la procession (de 1969) était organisée selon dires « en réparation de la prévarication es évêques ». La forfaiture du télégramme reçu le 6 juin 1969 et reje­tant un recours qui n'était pas encore envoyé. La violation du canon 2.159, canon obligatoire ad validitatem dans un procès de destitution. Vos pressions inadmissibles sur les deux examinateurs synodaux (prouvées par leurs confi­dences à plusieurs témoins). La lettre personnelle reçue par vous du cardinal Seper et publiée ensuite sous la rubrique « Actes du Saint-Siège », lettre contenant d'ail­leurs erreurs et contradictions. La pression exercée sur moi par le moyen de ma propre sœur et votre réponse -- à ma protestation -- mettant l'initiative de sa visite à son compte. Le fait de n'avoir pas été entendu par la Commis­sion cardinalice. L'accusation incessante de désobéissance alors que jamais vous n'avez pu prouver une faute grave de ma part (si l'organisation d'une procession, liturgique et obligatoire, était une faute grave, il faudrait à tout je moins pouvoir prouver quelle faute sur le plan doctrine, morale ou discipline a pu entacher de gravité cette orga­nisation et ce déroulement liturgique -- faute grave bien entendu car une simple incorrection éventuelle ne serait pas suffisante --). Il est clair que ma « désobéissance » fut à vos yeux de réagir contre l' « auto-destruction » et la « fumée de Satan » introduites dans l'Église et de main­tenir au contraire l'essentiel ; une telle attitude n'est pas pardonnable alors que tous les scandales le sont ! La Nou­velle Religion, qui accorde *tout* à l'homme, ne peut sup­porter l'attachement au Christianisme authentique qui préserve les droits de Dieu. Cela dit j'accepte (sans comprendre) la sentence de Rome. 2° Pour la censure : la Commission cardinalice a décidé que votre suspense était valide et légitime. De toute façon c'était une suspense ab officio. Or depuis samedi, cet office a disparu puisque je suis destitué ; je ne puis donc être suspens d'une chose qui n'existe plus. Le bon sens parle de lui-même ; quant au droit il est clair que si tombe l'objet formel de la censure, tombe aussi la censure et donc ce qu'elle pouvait englober. Si vous désirez me suspendre a divinis vous aurez donc la bienveillance de porter un nouveau décret. 205:199 3° Le n° 5 du décret de Rome prévoit que vous me réserviez « paternellement et avec bienveillance » « *un* sort équitable et des moyens de subsistance ». Je suis à votre disposition pour recevoir l'offre d'un bénéfice ou d'un office. Si vous optiez seulement pour une pension je pense que vous prenez une base « équitable » (le SMIG moins si vous voulez mes honoraires de messe). Sur le plan matériel, je vais me trouver obligé de déménager, par votre volonté. IL est clair que la charge vous revient alors de mes frais, faute de quoi je serais obligé de recourir à Rome dans le cadre de ce n° 5 ; je me permettrai donc de vous envoyer la facture du déménageur. Veuillez agréer, Monseigneur, l'expression de mes sen­timents respectueux. Louis Coache. 206:199 ### 77. -- Déclaration de l'abbé Coache **16 juillet 1975** Une commission cardinalice nommée par le Saint-Père et composée des Cardinaux Garrone (Président), Tabera (décédé subitement depuis) et Violardo, vient de rendre son verdict sur le conflit opposant l'abbé Coache à l'Évêque de Beauvais depuis 1969, verdict approuvé par le pape, le 7 juin dernier. La sentence cardinalice donne entièrement raison à Monseigneur Desmazières, évêque de Beauvais, quitte pour lui à « assurer un sort équitable à l'Abbé Coache et des moyens de subsistance ». Je me soumets à la décision romaine concernant ma paroisse et accepte ma destitution. J'observe, d'autre part que, si, la suspense ab officio portée en 1969 vient d'être reconnue valide par le Saint-Siège, cette censure a pris fin le 12 juillet 1975, date de la notification de la sentence ; je ne puis être suspens d'un office qui n'existe plus. Me trouvant donc en situation régulière puisque je me soumets à la mesure disciplinaire de ma destitution, je reçois de bon cœur la croix qui m'est ainsi offerte et je reste étroitement attaché à la Sainte-Église Catholique Romaine, l'aimant intensément même si ses plus hauts mi­nistres m'ont condamné sans m'avoir ni convoqué, ni en­tendu. J'ai été sanctionné pour avoir fait acclamer Notre-Seigneur dans la Sainte-Eucharistie et j'en suis fier ! Nous continuerons de combattre pour l'honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Église sainte et im­maculée. Pendant vingt siècles, Elle a prêché les vérités éternelles, la vertu, la pénitence et la grâce, en un mot le divin Crucifié ; et jamais, nous ne La confondrons avec la Nouvelle Religion qui prône le bonheur terrestre, le plai­sir, la révolution et la liberté de tout faire, qui démolit la messe, le sacerdoce, le catéchisme et tout le surnaturel c'est l'antithèse du Christianisme. 207:199 Dussions-nous mourir ou être écrasés, nous resterons fidèles à la voix authentique de l'Église et de tous les Saints. Déjà des dizaines de milliers de familles fidèles à la Sainte-Tradition tiennent dans la roi et sous une per­sécution larvée. Paris voit, chaque Dimanche, des milliers d'assistants aux messes de Monseigneur Ducaud-Bourget. A Flavigny, notre Maison Lacordaire, centre d'accueil et de retraites spirituelles, reçoit nombreuses les familles tradi­tionalistes de France et de l'Étranger. Toujours à Flavigny, notre séminaire Saint-Curé-d'Ars accueille, dès octobre, des jeunes gens qui se préparent au grand séminaire. Il n'est ni question de schisme, ni d'abandons ; nous tenons, au cœur de l'Église, malgré les calomnies et nous continuons, assez lucides pour ne pas confondre la parole de Dieu avec les équivoques et sensibleries modernistes, assez solides pour ne pas nous émouvoir, outre mesure, devant l'hérésie ou la lâcheté de tant d'évêques, assez ai­mants de Notre-Seigneur et sûrs de Lui pour Le préférer à tout, au sein de son Église. Dieu est le Seigneur. Sa re­ligion est une religion d'amour mais aussi d'obéissance et non de liberté trompeuse. « S'il arrivait, dit saint Paul, qu'un ange du Ciel vous prêche une autre religion... Ne le croyez pas » ! Abbé Louis Coache. 208:199 ### 78. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **1^er^ août 1975** Monsieur l'Abbé, J'ai bien reçu votre lettre du 15 juillet 1975. Vous m'écrivez que vous acceptez « juridiquement » « la décision du Saint-Siège ». Voilà qui paraît clair. Toutefois laissez-moi vous dire mon étonnement en lisant le 2° de votre lettre qui est manifestement en opposition avec le 1° du Décret romain. Vous ajoutez : « je vais me trouver obligé de démé­nager, par votre volonté ». Déménager, sans doute, mais comme tout prêtre du diocèse lorsque l'évêque lui confie un nouveau ministère. 1° La décision de Rome reconnaissant comme valides et légitimes la suspense « ab officio » et votre destitution des cures de Montjavoult et de Parnes, ne vous libère pas des obligations que vous avez envers votre diocèse. Incardiné au diocèse de Beauvais, c'est au diocèse de Beauvais que vous avez à servir, en soumission à votre évêque, comme tous les autres prêtres du diocèse, -- et non pas au diocèse de Dijon, pour lequel vous n'avez reçu aucune mission, et dans lequel vous êtes allé de par votre volonté propre. Prêtre du diocèse de Beauvais, votre devoir est de réintégrer le Presbyterium de Beauvais dont vous vous êtes coupé volontairement depuis 6 ans. 2° Votre « combat pour la foi » en dehors de toute autorité épiscopale, -- ne peut pas être ce « bon » combat recommandé par saint Paul à son disciple. Qui vous a envoyé à Flavigny ? 209:199 De quelle mission avez-vous été investi pour y fonder ces deux établissements : la maison Lacordaire et le petit séminaire (qui va devenir maintenant « pré-grand sémi­naire »), dont vous faites des hauts-lieux de votre propa­gande... ...de cette propagande à laquelle, précisément, depuis 6 ans, je vous ai demandé instamment de renoncer ? L'évêque de Dijon a fait savoir officiellement que vous aviez fait tout cela sans son accord. Avez-vous une autorisation spéciale de Rome ? 3° Le Saint-Siège a parlé. Vous ne pouvez plus être curé de Montjavoult. Mais vous pouvez servir à un autre poste dans le diocèse. Par votre désobéissance grave et publique du dimanche 15 juin 1969, -- puisque vous avez violé de façon spec­taculaire la suspense « ab officio » dont vous veniez d'être frappé, -- vous avez causé un scandale profond dans le cœur des paroissiens fidèles et vous avez perdu auprès d'eux votre réputation de pasteur. Dès ce moment il était évident que vous ne pouviez plus être leur curé. Mais je suis prêt à vous confier un nouveau ministère, à condition, bien entendu, que mettant fin à votre attitude d'insubordination à la hiérarchie légitime de l'Église, vous acceptiez de redire entre mes mains, d'un cœur sincère, le « promitto » de votre ordination, avec tout ce qu'il im­plique, à savoir l'acceptation du concile Vatican II, de la messe selon le nouvel ordo promulgué par le pape Paul VI ([^46]), et la cessation de toutes activités en dehors du dio­cèse, pour lesquelles vous n'avez reçu aucune mission. Et, je vous le redis, parce que c'est la vérité : « mes bras vous sont largement ouverts », comme ceux du père de l'évangile qui attend son fils prodigue, le cœur plein d'amour, et tout prêt à pardonner. Stéphane Desmazières. 210:199 ### 79. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **30 août 1975** Monsieur l'Abbé, N'ayant pas reçu de réponse à ma lettre du 1^er^ août, je me demande si vous l'avez bien reçue. Je vous en envoie une photocopie par lettre recom­mandée. En attendant votre réponse, je vous prie de croire à mes sentiments dévoués en Notre-Seigneur. Stéphane Desmazières. 211:199 ### 80. -- Lettre de l'abbé Coache à Mgr Desmazières **2 septembre 1975** Monseigneur, Le Document romain du 10 juin apparaissait fort clair. Votre lettre cependant, apportant quelques restrictions, je me permets de vous demander respectueusement des éclaircissements afin de pouvoir vous répondre dans la clarté. 1° Même si la suspense a été valide et légitime en son temps, votre Excellence pense-t-elle que, à partir du 12 juillet, date à laquelle mon office a disparu, je suis encore suspens ab officio ? Vous aurez la bonté, Monseigneur, de me répondre par oui ou par non. D'ailleurs une réponse qui n'aurait pas cette netteté, ou l'absence de réponse (surtout de la part de celui qui a porté la suspense), introduirait nécessai­rement, en droit pénal, une interprétation favorable à l'in­téressé (can. 15, 17, 18, 19...). 2° N'ayant jamais quitté le « Presbyterium de Beau­vais » -- si ce n'est, à mon grand regret, par la coupure qu'ont provoquée vos sanctions --, laissant le soin à l'Or­dinaire de Dijon de porter un jugement sur les œuvres installées dans son diocèse, soulignant que mon « Combat » va dans le sens de toute la Tradition, même de Vatican II, des documents pontificaux et des discours de S.S. Paul VI, et contre toute une orchestration qui, elle, accumule les désobéissances, *je prie Votre Excellence de me dire exac­tement et sur quels faits précis je suis canoniquement désobéissant.* 212:199 Quant au Nouvel Ordo, veuillez avoir la bonté de me préciser quel document pontifical authentique l'a *imposé* à l'exclusion de l'Ordo Traditionnel. Pour l'Ordonnance de la conférence épiscopale de novembre 1974, puisqu'elle ne peut avoir valeur obligatoire que si toutes les conditions nécessaires sont assurées, Votre Excellence aura la bien­*veillance* de me communiquer les dates des documents authentiques : approbation officielle des conférences fran­cophones et confirmation officielle par le Saint-Siège, ainsi que de l'approbation authentique et définitive des traduc­tions françaises. Je ne pense pas qu'il y. ait irrévérence à demander respectueusement à son supérieur des éclaircis­sements sur des documents authentiques de la Sainte Église. Dans l'attente, Monseigneur, des éclaircissements filia­lement demandés, je vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments respectueux en Notre-Seigneur. Louis Coache. 213:199 ### 81. -- Lettre de Mgr Desmazières à l'abbé Coache **12 septembre 1975** Monsieur l'Abbé, Le 1^er^ août je vous avais écrit à Montjavoult. N'ayant pas reçu de réponse, un mois après je vous ai envoyé la photocopie de ma première lettre à Flavigny. Je vous y posais une question précise. J'étais prêt à oublier le passé, à vous accorder mon pardon, à vous offrir à nouveau un poste dans le diocèse, ... à condition, bien sûr, que, comme tout prêtre, vous acceptiez de redire entre mes mains le « promitto » de votre ordination, avec tout ce qu'il implique. J'étais en droit d'attendre votre réponse. Vous éludez ma question en me posant à votre tour de prétendues questions... Je vous renouvelle aujourd'hui la mienne : acceptez-vous, oui ou non, d'obéir à votre évêque en cessant vos activités et en acceptant un poste dans le diocèse ? La dernière phrase de votre lettre contenait le mot « filialement ». J'ose espérer que votre réponse sera celle d'un vrai fils. Je vous le dis en vous renouvelant l'assurance de mon affection sincèrement paternelle dans le Christ Jésus. Stéphane Desmazières. P.S. -- Vous lirez dans « Église de Beauvais » la mise au point que, faute d'un changement d'attitude de votre part, je me vois, à mon grand regret, obligé de faire votre sujet. 214:199 ### 82. -- Communiqué de Mgr Desmazières **13 septembre 1975** *Ainsi, Mgr Desmazières a obtenu la victoire. Il l'a obtenue par une série d'actes arbitraires, bafouant les lois en vigueur dans l'Église.* *Mais la victoire ne suffit pas à Mgr Desmazières. Ce qu'il recherche, c'est l'écrasement complet de son ennemi. Il publie donc, en outre, le communiqué que voici :* (*Communiqué paru le 13 septembre 1975 dans le bulletin diocésain officiel* « *Église d'Arras *»* ; reproduit dans la Docu­mentation catholique, numéro 1683 du 5 octobre 1975.*) Une commission cardinalice, nommée spécialement par le Saint-Père, le 4 novembre 1974, et présidée par S. Em. le cardinal Garrone, préfet de la S. congrégation pour l'Enseignement catholique et les séminaires, avait été char­gée d'examiner le cas de l'abbé Louis Coache, en vue d'une décision définitive. A la suite de circonstances douloureuses dont tous se souviennent dans le diocèse, j'avais été amené, en 1969, après plusieurs années de patience, à intervenir au nom de ma responsabilité épiscopale. Depuis plusieurs années, en effet, l'abbé Coache menait à travers la France et jusqu'à l'étranger une *action subver­sive* extrêmement dangereuse, -- jetant systématiquement la suspicion sur les évêques de France ; allant même jusqu'à détourner les fidèles de leur obéir, -- action d'autant plus dangereuse qu'elle se cachait sous des dehors de piété et d'amour de l'Église, -- et qu'elle abusait ainsi un grand nombre de fidèles de bonne volonté. 215:199 Si je suis intervenu, ce n'est donc pas comme l'écrit l'abbé Coache, parce que « il avait fait acclamer Notre-Seigneur dans la sainte Eucharistie », -- mais parce qu'il faisait d'une procession de la Fête-Dieu une manifestation en faveur de ses idées, profanant ainsi le plus grand sa­crement de l'Église. Par une lettre du 13 mai 1969, j'avais donc enjoint à M. l'abbé Coache d'avoir à : Cesser toutes ses publications : dissoudre son se­crétariat : annuler sa procession. Mais, cette fois, avec menace de *suspense ab officio,* à partir du 17 mai s'il n'acceptait pas d'obéir *enfin* à son évêque. On se rappelle la suite : refus d'obéissance, -- « sus­pense »*.* Celle-ci lui fut notifiée le 12 juin. Hélas ! le dimanche 15 juin, l'abbé, après avoir annoncé par la radio qu'il continuerait, malgré la suspense, de célébrer la messe, et y avoir invité tous ses amis, la célèbre en effet dans le jardin de son presbytère, tout contre l'église, à l'heure même où le prêtre envoyé par l'évêque la célèbre dans l'église -- opposant ainsi messe à messe, autel à autel. Cette violation spectaculaire de la suspense dont il vient d'être frappé fait grand scandale. Les paroissiens fidèles, gravement scandalisés en effet par une telle attitude de leur curé, viennent supplier leur évêque de mettre fin à cette situation : l'abbé Coache ne peut plus être leur curé. Je me vois donc amené à engager la procédure de des­titution, conformément aux canons 2.157 à 2.161, et selon le numéro 20 du *Motu proprio* « *Ecclesiae sanctae *»*.* L'abbé Coache est déclaré destitué de sa charge de curé par un décret du 4 juillet qui lui est signifié le 9. Or, on sait que depuis ce temps, l'abbé n'a cessé de contester la légitimité et la validité, -- tout à la fois de la suspense et de la destitution de sa charge de curé. 216:199 La décision de la Commission cardinalice La Commission cardinalice, après avoir examiné l'en­semble des documents, a porté un décret, qui a été approu­vé par le Pape, le 7 juin 1976, et notifié aux intéressés le 12 juillet. Le décret reconnaît comme légitimes et valides les actes de l'évêque. La suspense est donc confirmée, et l'abbé Coache ne peut plus prétendre être curé de Montjavoult. Conséquences de ce décret *-- *J'ai donc nommé M. l'abbé Joseph Decaux curé des deux paroisses de Montjavoult et de Parnes. Après six ans d'attente, il va pouvoir enfin quitter son pauvre loge­ment et prendre possession du presbytère de Montjavoult. Qu'il me soit permis de rendre hommage à sa patience et à son abnégation, ainsi qu'à la fidélité des paroissiens. Quant à M. l'abbé Coache, bien qu'il prétende se soumettre à la décision de Rome, il n'en persévère pas moins dans les activités qui lui ont valu la suspense. Il annonce même qu'il est plus décidé que jamais à poursui­vre ce qu'il appelle son « combat de la foi », sans aucun lien avec la Hiérarchie, et en désobéissance croissante en­vers son évêque. En plus de la « Maison Lacordaire », à Flavigny (Côte-d'Or), dont il a fait, depuis plusieurs années, un haut lieu de sa propagande, il ouvre maintenant, à Flavigny égale­ment, en désaccord avec l'évêque du lieu, Mgr Decourtray, un séminaire dont il se nomme le supérieur ; et pour lequel il fait de la propagande dans toute la France.. \*\*\* Ubi Episcopus, ibi Ecclesia. « Là où est l'évêque, là est l'Église. » C'est autour des évêques, unis au pape, que se bâtit l'unité de l'Église, -- et non autour de prêtres sans mandat qui se font de leur propre autorité juges de la foi. 217:199 Toute désobéissance aux pasteurs légitimes de l'Église -- *de quelque côté qu'elle vienne, --* est une désobéissance à Jésus-Christ et porte atteinte à son Église ([^47]). Stéphane Desmazières. 218:199 ### 83. -- Réponse de l'abbé Coache **décembre 1975** *Aux organes de presse qui ont publié ou évoqué le do­cument 75 ou le document 82, l'abbé Coache a envoyé, en usant du droit reconnu par la loi française, une réponse dont voici le texte* (*paru dans la* Documentation catholique *du 7 décembre 1975*)*.* Ayant fait appel à Rome, à la suite de mes difficultés avec Mgr l'Évêque, ayant perdu le 12 juillet dernier ce procès administratif, j'ai accepté ma destitution, offrant de mon mieux le sacrifice de quitter ma paroisse et mon presbytère. Par ailleurs, même si la suspense ab officio a été valide en son temps, il est clair quelle tombe avec la perte de mon office (ma cure). *Je ne puis être suspens d'un office qui n'existe plus.* Je suis donc en situation ca­nonique régulière. D'ailleurs, le 15 juillet, je me suis remis explicitement à la disposition de Monseigneur. Douloureusement surpris que Mgr l'Évêque profite de sa victoire pour « charger » sur trois pages (et en gros caractères) l'un de ses fils, allant jusqu'à parler de son « action subversive », en capitales, et juger ses intentions (« prétend se soumettre », etc.), j'attends sereinement qu'il applique les dispositions n° 5 du Document pontifical : « L'Ordinaire diocésain considérera paternellement et avec bienveillance la situation de l'abbé Louis Coache, afin que lui soient assurés un sort équitable et des moyens de subsistance. » D'autre part, mon recours au Saint-Siège comportait explicitement -- et a comporté à plusieurs reprises -- une demande de jugement par l'Église du « Combat de la foi ». 219:199 La Commission cardinalice n'en souffle mot. Rome n'a donc pas voulu trancher. Mgr l'Évêque continuant de me reprocher mon « pré­tendu » « Combat de la foi », comme il me l'a écrit, et me jugeant toujours suspens, je me suis permis de lui demander (par lettre recommandée) 1\. S'il me pense toujours suspens ; 2\. Sur quels points précis, à propos du « Combat de la foi », il pense que je suis en désobéissance canonique grave. Monseigneur m'a répondu, le 12 septembre, en refusant de répondre à mes « prétendues questions » (*dixit*)*.* Devant ses accusations renouvelées et dans mon amour de l'Église romaine, j'attends que mon évêque veuille bien me prouver : 1\. Que mes écrits contiennent des erreurs ; 2\. Que j'ai « profané le plus grand sacrement de l'Église », textes ou témoignages à l'appui (l'accusation est douloureuse !) ; 3\. Que je désobéis ou incite à désobéir aux documents authentiques de la Sainte Église ; 4\. Que la messe millénaire (dite de saint Pie V) est strictement interdite par Rome (nom et date du document typique) ([^48]). D'ailleurs, si j'ai opposé « messe à messe », serait-ce alors que la nouvelle n'est plus vraiment la messe catho­lique ? En la période actuelle de confusion intense, la fidélité à la foi et à l'Église est règle première. Il n'y a aucune impertinence à constater, par exemple, que la « Note pastorale » de Lourdes 1968 (n° 16) est en contradiction flagrante avec *Humanae vitae* (n° 14), que l'approbation épiscopale de catéchismes sévèrement blâmés par le pape est une grave désobéissance à l'Église, que la diffusion couverte par l'autorité épiscopale de journaux favorisant le marxisme, le naturalisme et la luxure (car maintenant on présente comme excusables ou même épanouissantes toutes les impuretés) est une insulte à la morale... 220:199 Quand les nouveaux prêtres parlent-ils de la fuite du péché, de la pénitence, de la grâce, de la croix douloureuse du Seigneur, du jugement ? Il est évident que « l'écoute du monde » est une contradiction de l'écoute de Dieu. D'ailleurs, le seul fait qu'on ne porte plus les fidèles à l'adoration, à la piété eucharistique, au détachement des choses d'ici-bas n'est-il pas une preuve lumineuse d'un changement de doctrine ? La destruction du sacerdoce, des congrégations reli­gieuses et du catéchisme, les incessantes profanations eu­charistiques, l'immense désolation du peuple fidèle sont une preuve évidente que l'on a fait fausse route. Ce n'est pas « juger la foi » que de constater les faits qui s'opposent à la foi ! Ne nous scandalisons pas cependant de tant d'hérésies à travers les âges ni de tant d'évêques qui ont fait défec­tion ; mais autour du nôtre, et en le soutenant dans la sainte vérité contre toutes les influences du modernisme, avec lui, rappelant courageusement la sainte vérité de Notre-Seigneur, soyons fidèles à l'Église. « *Ubi Petrus, ibi Ecclesia. Ubi episcopus* (*Petro fidelis*) *ibi Ecclesia *»* :* c'est pourquoi nos évêques ont certainement désapprouvé, au moins de cœur, le « rappel de foi indis­pensable » du Missel des dimanches 1973, p. 383 (à la messe) : « Il s'agit *simplement* de faire mémoire », car c'est la doctrine de Luther. Faisons confiance à la Sainte Église, qui porte sa croix mais triomphera. Abbé Louis Coache. 221:199 ## Tombeau du général Franco 223:199 ### Il est mort trahi *Ce n'est pas le général Franco qui avait pris l'initiative de la contre-révolution catholique et militaire en Espagne. Il en était devenu le chef par accident ; Par nécessité. Par grâce, il n'était pas seulement un chef de guerre : il était un homme d'État ; il était un souverain. C'est la grâce qu'il faut demander* à *Dieu pour chaque contre-révolution ; pour la contre-révolution du Brésil ; pour celle du Chili ; et pour son succes­seur en Espagne. Car s'il suffit de soldats catholiques pour entreprendre une insurrection catholique et militaire contre le communisme, il faut à la contre-révolution, en ce siècle qui se décompose de toutes parts, la grâce exceptionnelle du génie politique d'un Pétain ; d'un Salazar ; d'un Franco.* \*\*\* *Le général Franco n'est pas mort abandonné par les siens, il n'est pas mort renié, condamné, assassiné. Mais il est mort trahi.* *Il était normal, il était juste, il était bon que le représentant d'*ITINÉRAIRES *aux obsèques du général Franco ne soit pas reçu, comme il le marque dans son récit avec une discrétion néanmoins sans ambiguïté, aux funérailles religieuses. La messe de funérailles du général Franco fut vernaculaire, équivoque, moderne, mondaine et désacralisée : la messe nouvelle du nou­veau catéchisme, le rite de la nouvelle religion.* *L'Église d'Espagne a enterré le général Franco sans éloge funèbre, sans hommage, sans remerciement, sans gratitude, sans* RECONNAISSANCE. *L'Église d'Espagne ne reconnaissait plus le général Franco. Mais le peuple espagnol commence à ne plus reconnaître l'Église d'Espagne dans cette Église de trahison : et l'on aura les conséquences.* 224:199 *La faute pourtant vient de plus haut. Depuis 1958, dans le silence croissant de la Rome éternelle occupée par l'ennemi, la Rome néo-moderniste tournait les dispositions salutaires du concordat espagnol et truffait la conférence épiscopale d'évê­ques auxiliaires recyclés, au point d'en faire basculer la majo­rité. Il y eut aussi des âmes de prélats qui basculèrent, sous la pression de la toute-puissante secrétairerie d'État de Sa Sain­teté. Ainsi le règne exemplaire du général Franco, commencé avec l'appui militant d'une Église de croisade, s'est terminé dans la répugnante volte-face d'une trahison ecclésiastique nommée ouverture au monde et démocratisation. S'il est vrai que le concile Vatican II, selon le mot exact de Mgr Lefebvre, s'est couvert de honte devant l'histoire en refusant de condam­ner le communisme, -- plus précisément : en capitulant devant l'exigence communiste, apportée à Rome par les observateurs soviétiques, de ne faire l'objet d'aucune condamnation conci­liaire, -- il est pareillement vrai que l'Église d'Espagne s'est couverte de honte devant l'histoire en passant dans l'opposi­tion : une opposition à Franco qui fut une opposition à la civi­lisation chrétienne, un refus de la cité catholique, en complicité à peine voilée avec les communistes, les socialistes, les francs-maçons, les libéraux, tous les marchands d'esclaves de la démo­cratie dévoreuse.* *On connaît les démêlés politiques du général Franco, après 1958, avec le Saint-Siège et avec son épiscopat. Ni à son épis­copat ni au Saint-Siège il n'a rien concédé de la libéralisation, de la démocratisation, de la socialisation que l'Église occupée lui réclamait. Paradoxe scandaleux et mortel de cette occupa­tion ennemie, qui fait que la décomposition libérale, l'imposture démocratique, la servitude socialiste sont apportées et imposées aux dernières nations chrétiennes par le ministère prévarica­teur de représentants de l'Église catholique. On ne l'avait pas prévu ; ou pas assez. Franco lui-même en aura été surpris et décontenancé. -- J'avais tout prévu, sauf un pape libéral, disait Metternich en 1846 quand le cardinal Mastaï Ferreti fut élu au siège de Pierre. Mais Pie IX, cruellement éclairé par la révolu­tion dans Rome, chassé à Gaëte, se ressaisit très vite et devint le pape de l'Immaculée-Conception et du Syllabus. Voilà bien quinze années au contraire que pour nous cela dure et conti­nue, et que sans rémission, avec un acharnement impitoyable, le libéralisme, le démocratisme, le socialisme dévastateurs nous viennent toujours et encore d'une Rome néo-moderniste campée à l'intérieur des fortifications de la Rome éternelle.* 225:199 *Le général Franco a tenu jusqu'au bout contre cette agression politique on souhaite au jeune roi son successeur le même discernement et la même détermination. Mais le voici intronisé comme le général Franco a été enterré : par la messe nouvelle de la nou­velle religion. Cela n'est pas de bon augure.* *J'ignore pourquoi le général Franco, qui en avait le pouvoir de fait, n'a pas maintenu en Espagne le catéchisme romain et la messe catholique. Peut-être a-t-il cru qu'il n'en avait pas le droit. Peut-être faut-il voir là les limites -- il y en a toujours -- d'un grand homme et d'un grand règne. Peut-être n'était-il pas préparé à combattre cette forme stupéfiante, incroyable, de sub­version. Peut-être est-il peu évitable que des difficultés nou­velles, et d'un caractère inouï, quand elles se présentent à la fin d'un règne, ne trouvent leur réponse qu'avec le règne suivant, si du moins la grâce est donnée d'un autre règne, et d'une suc­cession qui soit fidèle. L'âge finit par compter lui aussi : l'auto­destruction de l'Église, cette réalité inconcevable et pourtant partout présente, nous connaissons bien des personnes de l'âge du général Franco qui se découragent de la regarder en face, qui préfèrent s'abîmer en silence au pied de la croix, dans l'at­tente de la mort miséricordieuse...* *Quoi qu'il en soit, la conviction demeure qu'aucune contre-révolution catholique et militaire ne pourra tenir, ne pourra durer, si elle n'est pas intégralement catholique, refusant de lais­ser entamer ses mœurs, ses doctrines et son âme par les caté­chismes et les rites de la nouvelle religion conciliaire. Cette conviction est confirmée par l'effondrement du Portugal, nation catholique, gouvernement catholique, mais qui n'avait plus du tout la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne du Missel romain. Cette conviction risque d'être confirmée aussi par l'* « *évolution libérale *» *à laquelle on nous promet que l'Es­pagne n'échappera pas : une Espagne giscardienne, en somme, est-ce possible ? Mais est-ce plus impossible qu'une Église libé­rale, démocratique et socialiste ? Dans cette auto-destruction de l'Église, qui culmine avec la décomposition systématique du* *saint sacrifice de la messe, nous voyons la principale menace qui pèse présentement* *sur la succession espagnole, sur la contre-révolution chilienne et sur celle du Brésil.* 226:199 *Du moins le Brésil a-t-il la bénédiction, unique à cette heure, d'un diocèse pleine­ment catholique, d'un évêque assurément catholique, avec lequel tout catholique conscient et conséquent est, comme avec Mgr Lefebvre, en communion entière et certaine. Nous ne chas­sons personne de notre communion ; nous ne rompons de notre initiative la communion avec personne qui se réclame du nom catholique ; mais nous ne pouvons la déclarer certaine dans tous les cas où elle est manifestement douteuse ; où il y a sus­picion qu'elle ne soit plus entière...* \*\*\* *Que le général Franco soit mort trahi, en cela aussi son peuple peut se reconnaître en lui. Les peuples chrétiens sont aujourd'hui abandonnés et livrés au monde moderne, aux mar­chands d'esclaves du monde moderne, au prince de ce monde. Ils sont abandonnés, ils sont livrés par leurs* chefs *politiques et par leurs chefs religieux. Le peuple espagnol, exception pres­que unique à cette heure, n'a pas été trahi par son Caudillo.* *Gardons et honorons la haute mémoire du général Franco, bon serviteur de sa patrie et de la chrétienté. Que sa dépouille mortelle repose en paix au milieu de ceux qui furent tués au combat, dans l'attente de la résurrection éternelle.* Jean Madiran. 227:199 ### Ceux qui pleuraient par Hugues Kéraly Le dimanche 23 novembre 1975, j'assistais à Madrid aux obsèques nationales du général Franco. Mis­sion pleine de gravité, pour mes faibles épaules. j'y représentais tout à la fois la revue ITINÉRAIRES, nos amis brésiliens du groupe PERMANENCIA, et la personne du professeur Gustave Corçâo, instigateur de cette ambassade. Une telle compagnie aurait dû me valoir quelque place aux tribunes officielles, s'il ne s'y était pressé tant de monde plus espagnol ou mieux accrédité, au regard du protocole, que votre serviteur. Mais je ne regrette rien. L'immense, le vibrant hom­mage rendu au chef de l'État espagnol, c'est la foule qui le célébrait. On nous a si souvent menti sur l'Espagne du général Franco que nous avons peine à réaliser l'émotion absolue surgie parmi ce peuple, le 20 novembre, lorsque la nouvelle fut dans la rue : « Franco ha muerto ». Pour chacun, l'événement s'élevait très au-delà de la sphère politique. Il rappelait sur lui toute l'histoire, dont les plus humbles ont recueilli les fruits, de la grandeur et de la prospérité de l'Espagne contemporaine -- nation pacifique, nation civilisée, nation chrétienne. \*\*\* A Madrid, les signes du deuil national, et mieux encore populaire, se dressaient à chaque pas : aux vitrines des magasins, aux kiosques à journaux, jusqu'aux portières de nombreux taxis qui s'étaient chargées de voiles noi­rs. Et un peu partout, aux fenêtres, les couleurs de l'Espagne endeuillée ; car ceux qui possédaient un drapeau avaient tendu à leur balcon, le crêpe agrafé sur l'or, parfois la mantille ou le foulard des maîtres de maison. 228:199 J'ai pu constater, à Tolède, puis Alcala de Henares, que dans cette moisson d'hommages improvisés les petites villes surpassaient la capitale. Le général Franco, ce fut bien l'Espagne, et même pour toute l'Espagne comme l'incarna­tion du sentiment national. Ici, devant ces visages graves, ces rues inhabituellement silencieuses, personne sans se mentir n'en pouvait douter. Le cercueil du général Franco fut porté au Palais Royal, place d'Orient, le 21 novembre, dans une chapelle ardente qui resta ouverte au public jusqu'à l'enterrement. Les rues avoisinantes du vieux Madrid, où l'on diffusait de la musique sacrée, avaient été déclarées par la ville zone interdite à la circulation. Là, dès les premières heures de la matinée, des milliers d'Espagnols sont venus exprimer leur piété nationale et leur reconnaissance à Francisco Franco Bahamonde : au « Caudillo de España », qui leur a assuré trente-cinq ans de paix et de justice sociale ; au « Caudillo de Cristianidad », qui a rendu l'Espagne à sa vocation chrétienne. J'y ai vu des mères avec leur enfant dans les bras, des hommes de tout âge, de toute condition, attendre jusqu'à douze et quatorze heures de suite, dans le froid et dans la nuit, leur tour de s'incliner devant le cercueil. En temps ordinaire, il est assez problématique de faire patienter un Espagnol dans une queue. Ici pourtant, le dernier jour, les files d'attente dépassaient dix-huit kilo­mètres, en rangs silencieux et serrés. De cette foule immense, accourue de partout, seulement 400 à 500 000 personnes ont pu traverser la chapelle ardente, le temps d'un signe de croix, d'un regard, d'un sanglot. Car Franco a été pleuré comme aucun chef d'État en Europe depuis la Révolution. Et pleuré par des paysans et des soldats qui n'avaient pas l'âge d'avoir servi sous ses ordres ; des étudiants, des écoliers même pour qui les années trente ne seront jamais que de l'histoire. On raconte un peu dans toutes les presses du monde que neuf Espagnols sur dix rêvent aujourd'hui d' « accéd­er » à la démocratie mobilisatrice, à la politisation syn­dicale, aux partis. Mais, devant le Palais Royal, le hasard m'a fait côtoyer un homme qui aurait dû représenter tout cela, et dont la présence manifestait presque exactement le contraire. Venu de Barcelone, il attendait là, depuis une dizaine d'heures, pour entrer. Or cet homme était dans sa province l'un des fondateurs de « l'Union démocratique » espagnole. Comme je l'interrogeais, assez intrigué, il me tendit le journal qu'il tenait à la main. Deux colonnes avaient été encadrées de rouge, qui lui semblaient une réponse suffisante. J'y reconnus le testament spirituel du général Franco. 229:199 « *Espagnols,* « *Alors qu'arrive pour moi l'heure de remettre ma vie entre les mains du Très Haut et de comparaître devant son ju­gement sans appel, je demande à Dieu de m'accueillir avec miséricorde auprès de lui, car j'ai voulu vivre et mourir en catholique. J'ai mis mon honneur dans le nom du Christ et ma volonté cons­tante fut* *d'être un fils fidèle de l'Église, au sein de laquelle je vais mourir. Je demande pardon à tous, comme de tout cœur je pardonne à ceux qui se sont dé­clarés mes ennemis, sans que je les aie considérés comme tels. Je crois et je dé­sire n'en avoir pas eu d'autres que ceux qui furent les ennemis de l'Espagne, que j'ai aimée jusqu'au dernier moment et que j'ai promis de servir jusqu'au der­nier souffle de ma vie, maintenant tout proche.* « *Je veux remercier tous ceux qui ont collaboré à la haute réalisation d'une Espagne unie, grande et libre. Pour l'amour que j'ai porté à notre patrie, je vous demande de persévérer dans l'unité et dans la paix, d'entourer le futur roi d'Espagne, don Juan Carlos de Bourbon, de la même affection, la même loyauté que vous m'avez offertes, et de lui prêter à tout moment le même appui, la même collaboration que j'ai reçus de vous.* 230:199 « *N'oubliez pas que les ennemis de l'Espagne et de la civilisation chrétienne sont en éveil. Veillez donc vous aussi et pour cela, subordonnez toute vue person­nelle aux intérêts suprêmes de la patrie et du peuple espagnol. Ne renoncez pas à obtenir pour tous les habitants de l'Es­pagne la culture et la justice sociale, faîtes-en un objectif principal. Maintenez l'unité des terres de l'Espagne, en exal­tant la riche multiplicité de ses régions comme source de la vigueur de l'unité de la patrie.* « *Je voudrais, en ma dernière heure, unir les noms de Dieu et de l'Espagne, et vous serrer tous contre* moi *pour crier ensemble, une dernière fois, à l'ombre de ma mort :* Arriba España ! Viva España ! » Deux jours plus tard, au Valle de los Caidos, j'avais conscience moi aussi de m'incliner devant la tombe du dernier prince catholique à régner en ce siècle. Hugues Kéraly. 231:199 ### Propos et maximes *Extraits des textes et discours\ du général Franco* (traduction H. K.) Si nous sommes catholiques, nous le sommes avec toutes les obligations qui s'y attachent. Pour les nations catholiques, les questions de la foi passent au premier plan des obligations de l'État. Le salut ou la perte des âmes, la renaissance ou la décadence de la foi, l'expan­sion ou la réduction de la foi véritable, sont des problè­mes capitaux devant lesquels on ne peut rester indif­férent. (Madrid, 1953) La « *politique *» que nous autres, hommes mûrs, avions vécue était cette politique des droites et des gauches que certains attardés traînent encore avec eux. Il en est qui, se croyant catholiques, ont recours à cette vieille classification, et disent : c'est que je suis de droite, c'est que nous sommes de droite -- alors que nous devrions dire : nous sommes enfants de Dieu, nous sommes des êtres spirituels, nous avons comme norme la loi de Dieu. Et la loi de Dieu c'est la justice sociale, c'est la fraternité humaine, c'est de considérer nos semblables comme des frères, parce qu'ils sont porteurs de valeurs éternelles, faits à l'image et à la ressemblance de Dieu... Le Mouvement National est venu unir le national avec le social, mais sous l'empire de la spiritualité, de la loi de Dieu. (Séville, 1961) 232:199 La meilleure œuvre du Mouvement n'est pas le bien-être et la richesse qu'il engendre, ni les biens matériels qui se multiplient sous son action, mais précisément d'avoir sauvé l'Espagne du matérialisme athée et d'avoir su unir le spirituel avec le social. Il ne peut y avoir de bien être social s'il ne s'édifie sur les principes de la loi de Dieu, sur les principes de l'Évangile. (Tarragone, 1963) La nation espagnole considère comme une marque d'honneur son attachement à la loi de Dieu, selon la doctrine de la Sainte Église Catholique, Apostolique et Romaine, seule véritable : cette foi, inséparable de la conscience nationale, doit inspirer sa législation. (Principes du Mouvement National, 1967) Au moment où le monde se débat dans la vague d'un matérialisme qui prétend détruire la morale individuelle et familiale au profit d'une jouissance effrénée des biens matériels, et abandonne tout ce qui implique sacrifice et effort personnel, nous proclamons quant à nous, une fois de plus, la suprématie des valeurs spirituelles de l'homme. Notre gouvernement, en accord avec les sentiments catholiques de la quasi totalité des Espagnols, a maintenu invariablement pendant plus de trente-cinq ans son attitude de res­pect et de coopération envers l'Église, lui accordant volontiers des facilités et des aides de toute sorte pour l'accomplissement de sa sainte mission. 233:199 Tout ce que nous avons fait et continuerons à faire au service de l'Église, nous le faisons en accord avec ce que nous dicte notre conscience chrétienne, sans chercher d'applaudissement ni même de reconnaissance. Nous croyons que les relations entre l'Église et l'État doivent se fonder sur l'indépendance des deux pouvoirs suprê­mes, et la reconnaissance de la sphère d'autonomie propre à l'ordre politique. (Madrid, 1972) Tout ceux qui en Europe se sont levés contre nous obéissent à une conspiration maçonnique et gauchiste de la classe politique, en connivence avec la subversion communiste et terroriste dans le domaine social qui, si elles nous font honneur, ne manquent pas, eux, de les avilir. (Madrid, 1^er^ octobre 1975, dans le dernier discours du général Franco) 234:199 ### La guerre civile d'Occident par Maurice Bardèche Dans le déchaînement de la haine et de la bassesse, jamais la presse française, qui s'est pourtant assuré des records, n'avait été aussi loin. *Le Figaro,* aussi ignoble en cette circonstance que *Libération.* La fureur et l'hystérie partout. Cette rage impuissante, voyons-la pour ce qu'elle est : elle est le plus grand hom­mage qui ait été rendu au général Franco, plus éloquente, plus impressionnante dans son déchaînement que tous les panégyriques que la piété peut inspirer. Répétons-le pour ceux qui ne le savent pas ou qui l'ont oublié : la guerre d'Espagne fut la première bataille livrée pour la défense de l'Occident contre la barbarie et l'escla­vage. Elle en fut la plus symbolique parce qu'elle en était la plus *pure :* aucune politique d'hégémonie, aucune annexion ne mêlaient leur poison à l'affrontement de deux conceptions de la vie, de la morale, de la civilisation. La victoire franquiste a assuré la solidité de l'Occident pour quarante ans. Si nous pouvons vivre aujourd'hui, si nous pouvons parler et écrire, si les ennemis les plus acharnés de Franco sont aujourd'hui en liberté au lieu de pourrir dans les camps de Sibérie ou les prisons d'Europe centrale, c'est parce que la victoire de Franco a évité l'encerclement de l'Europe par le bolchevisme. En ce lieu et en ce moment s'est joué le destin de l'Europe : c'est de cela qu'on se souvient. Nous sommes aujourd'hui encore au premier jour de la guerre d'Espagne. C'est ce que nous disent à chaque moment les hurlements de la haine. 235:199 Rappelons-le à ceux qui ne le savent pas, à ceux qui l'ont oublié et à ceux qui n'en ont jamais eu conscience : la guerre civile d'Occident a commencé à l'instant où courut sur les ondes le mot d'ordre fameux qui donna le coup d'arrêt au terrorisme et aux tueurs : « El 17 a las 17. » Nous nous sommes tous engagés à ce moment-là. Et chaque pays depuis ce jour a été partagé en deux camps : ceux qui, pour conserver le mot de démocratie, acceptaient les excès de la liberté, le désordre, l'assassinat, la loi des gangs syndicaux, la terreur, et ceux qui voulaient des gou­vernements de salut public pour assurer aux nations d'Eu­rope l'indépendance, la paix, la vraie liberté. Les choix qui ont été faits ainsi au mois de juillet 1936 ont pesé et continuent de peser sur les destins, sur les carrières, sur l'avenir. A ceux qui les avaient faits ils ont souvent coûté la vie. Beaucoup d'hommes qui ont été assassinés à la « libération » ou condamnés par des cours martiales ne l'ont été qu'en raison de leur attitude au moment de la guerre d'Espagne. Ils s'étaient déclarés à cette époque comme les adversaires de l'ordre « anti-fasciste » qui triompha en France en 1944. On le leur fit payer. Cette guerre symbolique, commencée il y a quarante ans, dure encore aujourd'hui. On se sert contre Franco des mêmes armes destinées à attiser la haine avant qu'on ne sorte les mitraillettes : les injures, les mensonges, le mythe des « atrocités ». On a pu entendre Max Gallo à la télévision déclarer que Franco avait fait tuer deux cent quatre-vingt-seize mille personnes après la guerre civile, chiffre qui ne repose sur aucun document, on a pu voir Jean Daniel assurer dans *Le Nouvel Observateur* que cinq mille civils avaient été exécutés à Grenade en une semaine, neuf mille à Valladolid, ce qui est aussi vraisemblable que de faire passer vingt mille personnes par jour dans des « chambres à gaz » dont on découvre plus tard qu'elles n'ont jamais existé. Les cris de haine déforment aujour­d'hui les visages comme au plus beau temps. On parle de Franco dans les journaux français de 1975 comme on par­lait d'Hitler trente ans plus tôt. Ce qu'on ne lui pardonne pas, c'est le coup d'arrêt qu'il a donné au rêve gauchiste d'une Europe subjuguée, embrigadée et muette sous la terreur. Car cette résolution soudaine, ce coup de rein des peuples pour leur salut, ils sont toujours possibles, on le sait : la guerre d'Espagne est la guerre de demain, elle n'est pas la guerre hier. La défaite de l'Occident en 1945 a pu changer le rapport des forces, les franquistes d'hier ne figurent plus sur les tableaux des statistiques électorales françaises : mais la France profonde, la France muette, celle qui refuse la criminalité, la pornographie, les margoulins et les frau­deurs, celle qui demande la paix sociale, la justice et la sécurité, tout le monde sait qu'elle peut se réveiller brus­quement de son sommeil. La guerre d'Espagne est le suprême recours, la dernière arme de la liberté. Ils le savent tous : et c'est ce qui explique leur haine, dans laquelle il y a d'abord beaucoup de peur. 236:199 Car rien n'est terminé. La succession d'Espagne, quelle qu'elle soit, frappera sans doute les trois coups qui feront lever le rideau du second acte dans la guerre civile d'Occi­dent. Ceux qui parlent avec tant de légèreté de la mort du « dictateur » ne voient pas que la paix qu'il avait donnée à l'Espagne, il l'avait donnée à nous en même temps. Sa disparition ouvre le temps des aventures. Et ce coup de gong nous concerne tous. Comme hier, la guerre d'Espa­gne sera « notre guerre ». A quarante ans de distance, les partenaires ont changé mais les mêmes enjeux sont sur la table. C'est notre liberté et peut-être notre vie qui vont se jouer à nouveau demain en Espagne. L'histoire, dans les mêmes siècles, repasse toujours par les mêmes chemins parce que les forces qui la composent suivent toujours le même cours. Mais la haine aveugle. Ceux qui hurlent leurs cris de mort autour d'un vieil homme qui se bat pour survivre oublient dans leur rage l'état de l'Espagne et la véritable personnalité du général Franco. S'il leur arrive de lire cet article, qu'ils méditent donc ce mot naïf d'un Espagnol, d'un homme de la rue, qui leur montrera l'étendue de leur erreur : « S'ils continuent comme cela (il parlait des attentats et des assassinats de gardes civils) *ils finiront par nous amener une dictature. *» Et c'est bien en effet ce qui pourrait arriver. En fili­grane, dans les journaux les plus ignobles envers Franco, on peut lire cette sourde inquiétude qui contredit toutes leurs affirmations. Parmi toutes les voies d'instauration des régimes autoritaires, la plus sûre, et la seule qui reste en tout cas à notre époque, est celle qui a pour condition et pour plate-forme l'état d'anarchie et de désordre, la guerre civile larvée installée par le terrorisme. Les régimes de salut public ont été l'objet d'un tel bombardement psychologique, on les a entourés de tant de fantômes, on a suscité contre eux tant d'exécration qu'ils ne peuvent appa­raître comme une solution qu'au terme d'une série de catastrophes et d'un état insupportable de chaos : ne nous couvrons pas la tête de cendres quand le destin construit sous nos pieds le tremplin d'un nouveau départ. 237:199 C'est au moment du plus grand désespoir et quand tout paraîtra perdu que s'élèvera l'épée de l'archange ; Cette voie nouvelle du salut public, nous pouvons la lire dès maintenant dans notre présent si nous savons le déchiffrer. C'est du désordre et de l'anarchie du régime d'Allende qu'est né le redressement du Chili. C'est de la folle aventure du Portugal que naîtra demain la réaction qui remettra le pays au travail, qui le fera sortir de la faillite et du chaos : il est clair qu'on attend seulement qu'un chef militaire ait assez d'autorité et de décision pour rallier à lui cette armée aujourd'hui déboussolée. Et demain, en Espagne, ce qui peut arriver, ce n'est probablement pas cette décomposition que souhaitent les ennemis de Franco et que les Espagnols refusent, mais, au contraire, un plé­biscite pour l'ordre et la paix. Quelle que soit l'issue de ces journées incertaines que l'Espagne traverse, on peut rendre dès maintenant sur le général Franco le jugement que portera certainement l'his­toire et que même ses ennemis ne contestent pas : son règne a été le plus grand de l'histoire d'Espagne depuis le règne de Charles Quint. Nous ne commettrons pas l'erreur dans laquelle la plupart s'obstinent de voir en lui un chef « fasciste ». Il ne l'était pas, il ne l'a jamais été. Choisi par accident pour diriger l'Espagne à la suite d'un soulèvement que d'autres que lui avaient préparé et orienté, il ne fut d'abord que le représentant d'une coalition qui comprenait des monarchistes, des conservateurs, des catholiques, des modérés et des phalangistes qui furent les combattants les plus ardents mais qui n'étaient pas majoritaires dans cette association. Il s'est conduit pendant tout son règne comme le représentant loyal de ces groupes très différents qui l'avaient installé au pouvoir. Dans ce régime composite, la phalange a eu sa part, mais les autres aussi avaient droit à leur part. Et ce qu'on a appelé « l'habileté » du général Franco ne fut peut-être en réalité que sa loyauté à l'égard de ces mandataires très divers qui lui avaient fait confiance. Dès le début du régime cette plate-forme composite avait pu être un sujet d'inquiétude. Et il est certain que la politi­que du général Franco a souvent déçu ceux qui souhai­taient en Espagne l'avènement d'un régime « fasciste » fondé sur la justice et sur le socialisme national qu'avait souhaité José Antonio Primo de Rivera. Il n'a jamais eu ni les réactions ni les choix ni les aspirations d'un dictateur plébiscité par un immense élan populaire. Il eut la pru­dence d'un grand « gestionnaire » et le style d'un souverain, non celui d'un « führer ». Mais l'autorité, la prudence, le bon sens sont à eux seuls une telle vertu que les quarante ans du règne de Franco resteront dans l'histoire de l'Espagne comme une grande plaine calme et fertile. Franco a tenu l'Espagne à l'écart de l'histoire. Sur le grand paysage plat de son règne, il n'y a pas un mont : on regarde et nul phare ne domine ce large horizon. Pendant les décades tragiques de l'histoire d'Occident, l'Espagne, assise au bord de la route, soignait ses plaies : exsangue, abandonnée, reprenant ses forces. 238:199 Franco dit non à l'aventure chaque fois que l'aventure frappa à sa porte. Et il accueillit avec réalisme tout ce qui pouvait aider à la convalescence de son pays, ce qui était du destin de l'Espagne, l'ouverture vers le monde arabe, et ce qu'il n'aimait guère mais qui était utile, la réconci­liation avec les États-Unis, le rapprochement avec la France et même la paix avec la Russie soviétique. L'Es­pagne accablée sous les ruines de la guerre fratricide, l'Es­pagne qui n'avait pas connu l'accélération historique des deux guerres mondiales, qui était restée un pays de 1903 avec ses petits ânes, ses ateliers de maréchal-ferrant, ses charrettes, ses paysans assis au pied des oliviers, cette île du 19^e^ siècle amarrée au bord de l'Europe devint peu à peu, sans tapage, sans « miracle espagnol », sans gigantisme, un État moderne mieux équilibré et plus paisible que les États voisins par ce qu'elle avait gardé de son passé, de son immobilisme, de son enracinement profond dans la vie naturelle dont elle n'avait pas été brutalement arrachée. Aujourd'hui, après quarante ans de « franquisme », et non pas de « fascisme », l'Espagne est devenue la dixième puissance industrielle du monde, elle est le sixième pays d'Europe par son produit national brut, elle a une armée de trois cent mille hommes qui peut mettre en ligne qua­rante divisions, elle est un pays de trente-cinq millions d'habitants qui a repris son rang parmi les nations de l'Europe occidentale. Cela ne s'est pas fait tout seul. Franco a su se servir des circonstances. Mais ce bilan du régime de Franco, il est tellement évident, il représente un tel redressement en contraste avec la décadence de l'Espagne depuis deux cents ans que ses adversaires les plus achar­nés ne réussissent pas à cacher une secrète admiration pour l'homme d'État efficace qui peut aujourd'hui le présenter. Pendant ces mêmes quarante ans, les autres pays d'Europe, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie ont perdu leur rang de grande puissance, ils ont connu, quoi qu'ils affirment, une décadence dramatique et probablement défi­nitive. L'Espagne de Franco est, pendant le même temps, devenue leur égale. Le pays, qui naguère n'était qu'un appoint quand les nations voisines jouaient orgueilleuse­ment leur folle destinée, est maintenant un partenaire indispensable. Quand dépasserons-nous le temps des mes­quineries et des haines ? Si nous voulons nous sauver tous de l'esclavage et du chaos, c'est par l'Espagne, aujourd'hui comme hier, que commencera notre salut. Nous sommes toujours en 1936. Maurice Bardèche. 239:199 ### Avec son peuple par Jean-Marc Dufour SUR PEU D'HOMMES la malveillance et la critique systé­matique se seront acharnées avec une telle vigueur que sur le général Don Francisco Franco Bahamonde, caudillo d'Espagne. Rarement aussi, destin humain aura connu une aussi parfaite et constante réussite : de sa jeunesse à sa mort, le général Franco aura mené à terme toutes les tâches qu'il s'était fixées ; officier, commandant en chef, chef d'état-major, le bonheur lui a été fidèle. Peut-être est-ce cette réussite même qui explique la qualité et la persistance des haines soulevées contre lui ? Plus simplement sans doute, le fait que Francisco Franco soit jusqu'à ce jour le seul homme qui ait infligé au commu­nisme une défaite éclatante a sa large part dans le concert de malédictions qui s'élève, aujourd'hui encore, autour de son lit de mort. \*\*\* Rien ne vient mieux contredire la théorie des destinées manifestes que l'histoire de Franco : l'enfant mince et plutôt petit né au Ferrol ne semblait pas destiné à devenir un meneur d'hommes. Le cadet entrant à l'École Mili­taire -- si chétif encore qu'on voulut lui donner un mous­queton au lieu du pesant fusil d'infanterie -- ne laissait pas prévoir le chef des Banderas de la Légion Étrangère espagnole. C'est pourtant ce qu'il devint, au cours d'une carrière militaire à faire rêver tous les sous-lieutenants du monde. Capitaine à 22 ans, commandant à 23, colonel à 32 ans, général à 33 -- c'est-à-dire le plus jeune général d'Europe depuis Bonaparte -- Francisco Franco conquit tous ces grades au feu, au Maroc, à la tête, d'abord, des troupes de « regulares » -- les tirailleurs de l'armée espa­gnole --, puis de la Légion Étrangère qu'il rejoignit dès sa formation. 240:199 Son courage physique ne peut être mis en doute ; mais il y a, chez le jeune colonel de Légion, un autre courage, plus rare certainement -- nous le savons d'amère expé­rience --, celui qui conduit un chef à refuser ce qu'il estime un ordre néfaste. Exemple : l'incident qui l'opposa à Primo de Rivera ; celui-ci voulait évacuer le Maroc devant les attaques d'Abd el-Krim ; lors d'une inspection aux quartiers de la Légion, il fut accueilli par de grandes pancartes portant ces mots : « *La Légion ne recule jamais *»*.* Ensuite se déroula une prise d'armes au cours de laquelle le colo­nel Franco prononça un discours. Primo de Rivera, dic­tateur sans haine, ne lui tint rigueur, dit-on, ni des ins­criptions, ni de son discours. \*\*\* Il ne peut être question de raconter ici la vie de Franco, ni de faire une histoire abrégée de la guerre d'Espagne, ou encore une étude de la politique espagnole depuis 1939. Une année entière d'ITINÉRAIRES n'y suffirait pas. Le *Franco* de Philippe Nourry s'arrête à la prise du pouvoir par son héros : cela occupe 546 pages ; celui de Brian Crozier va plus loin, en 608 pages ; quant à Hugh Thomas, la seule guerre civile lui a demande 697 pages grand for­mat remplies de petits caractères serrés. Je me limiterai donc à quelques points saillants, à quelques aperçus forcé­ment rapides. Devant l'histoire, Francisco Franco restera sans doute comme l'homme des longues patiences. C'est là, certaine­ment, l'un des traits les plus constants de son caractère. Pendant la République, déjà, alors que la politique du Front Populaire heurte la majorité des Espagnols -- deux Espagnols sur trois, rappellera Salvador de Madariaga, avaient voté contre le marxisme, et huit pour un contre une révolution socialiste immédiate --, alors que les officiers sous la houlette de « el director », le général Emilio Mola Vidal, s'organisent pour passer à l'action, le général Franco est le seul à ne pas se laisser gagner par le vertige de la conspiration. Il est certes au courant de ce qui se trame. Personne ne penserait à laisser « sur la touche » le plus brillant officier de l'armée espagnole, celui dont Indalecio Prieto, le chef socialiste, disait qu'il était à ses yeux « l'expression la plus achevée du courage »... Mais Franco, lui, soit qu'il se méfie des enthousiasmes fort peu critiques des conjurés, soit qu'il rêve d'une voie parlemen­taire -- il manqua être le candidat des droites pour Cuenca -- ne s'engage pas. Il attend. 241:199 Il paraît, d'ailleurs, clair que le complot lui déplait, car il est avant tout un homme d'ordre. Lorsqu'il confie à Alejandro Lerroux (l'homme d'État radical) que, au cas où il verrait la patrie en danger d'anarchie, « il mettrait son épée au service de l'ordre, quels qu'en soient les repré­sentants », c'est le plus profond de sa pensée qu'il livre ainsi. Mais, en ces jours de 1936, il est évident, de plus en plus évident, que l'ordre et le Front Populaire sont deux conceptions incompatibles. Dans l'un de ses derniers discours avant le soulèvement, Gil Roblès faisait, devant les Cortès, le bilan de l'anarchie régnante : 160 églises détruites, 251 églises incendiées ou attaquées, 269 personnes assassinées, 1280 blessées, 69 locaux poli­tiques détruits, 113 grèves générales. Pourtant, l'homme d'ordre qu'était Franco ne désespé­rait pas : le 23 juin, moins de trois semaines avant l'écla­tement, il adresse au Président du Conseil une lettre, long cri d'angoisse devant la montée des périls. On n'en tint évidemment aucun compte. De la guerre civile, je ne dirai rien. « Dans les deux camps, écrit Manuel Turion de Lara, il y eut beaucoup plus de héros que de criminels. » Cela doit être vrai. Je n'ajou­terai à cela qu'une autre citation. Elle est de Salvador de Madariaga. Parlant des exécutions de prêtres -- il y en eut dans les deux camps -- il écrit : « Il y a une pro­fonde différence entre les mauvais traitements et les meur­tres (pour détestables qu'ils soient, comme ils le furent) de prêtres pour des raisons politiques bien qu'ils fussent prêtres, et une persécution en masse des prêtres, précisé­ment parce qu'ils le sont, avec interdiction du culte et désacralisation des églises. » \*\*\* La patience de Franco allait encore s'exercer au cours des années qui suivirent la victoire des nationalistes. Le pays était ruiné. La seconde guerre mondiale éclatant, les secours qui eussent pu lui venir de l'étranger étaient stop­pés. Nul ne compatit alors à la grande misère espagnole, personne ne parla des gens qui s'évanouissaient dans les rues. Ce fut aussi l'époque où des centaines de milliers de réfugiés -- Français, Hollandais, Belges, Polonais, Hon­grois, Tchèques, Autrichiens -- arrivèrent dans cette Espagne de la disette. Peu se rendirent compte qu'ils alour­dissaient le fardeau du peuple espagnol. Pour la plupart, ils lui reprochèrent, au contraire, les mesures de sécurité qu'il était obligé de prendre. 242:199 Obligé de prendre, parce qu'il était le plus faible. Pris entre les puissances de l'Axe et les puissances anglo-saxon­nes, le gouvernement espagnol ne pouvait que louvoyer, manœuvrer, selon la consigne de Franco, avec une « habil prudencia ». Manœuvrer pour écarter les demandes alle­mandes : déclaration de guerre à l'Angleterre, action conjointe sur Gibraltar, libre passage des troupes alle­mandes. Tout fut, non point refusé, mais écarté. La décla­ration de guerre à l'Angleterre pourrait intervenir « lorsque les troupes allemandes auraient débarqué en Grande-Bretagne » ; l'attaque sur Gibraltar serait conditionnée par la livraison de canons de 380 millimètres (que les Alle­mands ne possédaient pas) ; le passage des troupes alle­mandes fit l'objet, de la part de la Wehrmacht, de deux plans : entre les deux, Franco avait fait fortifier les passa­ges des Pyrénées. Vint la paix. On eût pu croire que les Alliés, qui avaient par la voix de Churchill offert une part de l'Afrique du Nord -- alors française -- à Franco, pour qu'il empêche le passage des troupes allemandes, auraient quelque recon­naissance envers l'Espagne d'avoir maintenu sa neutralité. Il n'en fut évidemment rien. Les États-Unis reprirent la politique du « gros bâton », qui leur a valu en Amérique Latine une si flatteuse réputation. Le Mexique, à peine remis de son plus récent massacre, se fit le héraut de la vertu. L'Espagne ne fut pas admise aux Nations-Unies. Seule consolation : six pays d'Amérique Latine avaient voté contre la motion d'ostracisme, et douze pays, dont les pays arabes, s'étaient abstenus. C'est alors que l'on put se rendre compte du point auquel le peuple espagnol faisait corps avec le gouverne­ment franquiste. Déjà, pendant la guerre, les Allemands avaient tenté de monter une conjuration pour écarter Ser­rano Suner du pouvoir. Le complot échoua faute de com­ploteurs. Puis, ce fut une tentative d'invasion anti-fran­quiste venant de France ; elle échoua également, les enva­hisseurs étant livrés aux gendarmes espagnols par les paysans eux-mêmes. La leçon ne servira pas. A chaque moment important du franquisme, la gauche internationale, et la moins gauche aussi, enfourcheront leurs vieux chevaux de bataille, en assurant que le peuple espagnol attend sa délivrance. Encore au mois d'octobre dernier, on espérait des manifes­tations après les exécutions de terroristes. La manifesta­tion vint. A la stupéfaction des envoyés spéciaux de la presse mondiale, c'était une manifestation d'appui au géné­ral Franco. 243:199 Les longues patiences, la prudence habile et, pour cou­ronner le tout, l'art des combinaisons subtiles. L'art de ne donner que juste ce qui est nécessaire pour contenter le partenaire, en conservant une marge de manœuvre suffisante pour ne pas se trouver prisonnier de ce que l'on octroie. C'est cet art que Franco utilisera pour gouver­ner une Espagne que l'on disait anarchique et ingouver­nable. Pour lui ? « L'Espagne, estime-t-il, est un pays facile à gouverner. » Facile ou non, il suffit d'être retourné en Espagne après quelques années pour se convaincre que l'Espagne de Franco a été un pays *bien gouverné.* Le décollage éco­nomique qui a eu lieu aux alentours des années 60 a rencontré des obstacles. Quelle économie n'en rencontre pas ? Il semble pourtant que, jusqu'à présent, les soubre­sauts de l'économie espagnole aient été mieux contrôlés que ceux de l'économie Française -- et je ne parle pas de la catastrophe économique permanente qui s'appelle la Grande-Bretagne. Le sort des classes les moins favorisées a reçu une amélioration tellement sensible que, pour les gens qui ont connu l'Espagne d'avant la guerre civile, il s'agit manifestement de deux pays différents. Quant aux sujets de mécontentement, il en subsiste : il y a toujours des sujets de mécontentement. Sur le pro­blème le plus « brûlant », celui des minorités basques et catalanes, je donnerai seulement l'avis du magazine madri­lène de gauche « *Indice *»*,* qui écrit en substance : alors que, dans les autres pays, ce sont les minorités défavorisées qui s'agitent, en Espagne, ce sont les deux provinces les plus riches, les mieux industrialisées, qui réclament leur autonomie -- sinon leur indépendance. Le séparatisme basque est un séparatisme qui se fabrique dans les salons des beaux quartiers de Bilbao... Il faut conclure. Je ne crois pas pouvoir le faire autre­ment qu'en constatant que le succès du général Franco, le bonheur de sa politique, l'absence de troubles réels et profonds durant les trente-six ans de son gouvernement ne peuvent s'expliquer que par un accord secret et complet entre son peuple et lui. L'Espagne a reconnu Franco et s'est reconnue en lui. Même les grandes vengeances d'après la guerre civile font partie de l'hispanisme, de l'être pro­fond de chaque Espagnol. C'est pour cela que toutes les tentatives dirigées de l'étranger pour subvertir le régime (Allemands avec la conspiration Yague, Américains de l'O.S.S. depuis l'Afrique du Nord, Français soutenant, de Toulouse, la tentative d'invasion) furent vouées à l'échec. Avec Franco, l'Espagne a retrouvé sa vocation espa­gnole. Jean-Marc Dufour. 244:199 ### On nous avait menti par Gustave Corçâo Nous réunissons ici plusieurs articles de Gustave Corçâo parus en octobre et en novembre, durant l'agonie du général Franco, dans le quotidien de Rio « O Globo ». Ces articles ont été écrits et publiés en langue portu­gaise. La traduction française en a été faite par Hugues Kéraly. Le titre général et les inter-titres sont de nous. Sans ce témoignage et ces réflexions de Gustave Corçâo, il manquerait quelque chose d'essentiel à notre Tombeau du général Franco. #### I. -- Comment nous avions été trompés Ce fut en cette année 1939 déjà si lointaine que l'ingé­nieur et professeur de télécommunications que j'étais, ayant longtemps cheminé et beaucoup erré, redécouvrit l'adresse perdue de l'Église de son baptême. Et dans les jours mêmes où il ouvrit ses yeux vers le ciel, il devait les ouvrir aussi sur cette terre des hommes dont il n'avait eu cure dans les années passées, l'attention rivée à l'aiguille de son galvanomètre, esclave de la technique, comme il l'a raconté dans son premier livre : *La découverte de* *l'Autre.* En ce temps-là, quand l'ingénieur G.C. ouvrit les yeux sur le spectacle du tapage, et des précipitations des hommes, la guerre juste déchaînée avait comme brutalement sim­plifié le cadre du monde ; il ne restait aucune alternative, aucune hésitation admissible : tous les désirs terrestres, du matin au soir, se concentraient en un unique vouloir -- la déroute d'Hitler et la victoire des « démocraties ». 245:199 Cette même année 1939 le général Franco, dans un communiqué d'un étonnant laconisme, annonçait au monde la fin de la guerre civile espagnole avec l'unique vraie victoire du XX^e^ siècle ; et le pape Pie XII, récemment élu, essayait de réparer la plus funeste erreur de notre temps en suspendant l'excommunication de l'Action Française. Mais l'ingénieur G.C. ignorait solidement toutes ces choses du passé récent, et si par hasard quelqu'un faisait allusion devant lui aux viols de religieuses et au massacre de 15 000 prêtres dans l'Espagne communiste, il était aussitôt repris par les camarades du mouvement liturgique et de la démocratie : Jacques Maritain s'est prononcé une fois pour toutes sur ces évènements, il ne convient pas de revenir là-dessus. Et le général Franco ? Eh bien le géné­ral Franco n'était qu'un horrible « dictateur militaire ». Un « fasciste ». Un abominable « homme de droite ». Cette simplification brutale de tous les critères ter­restres, que recouvrait la plus monstrueuse accumulation d'aveuglements et d'impostures de tous les siècles, n'em­pêcha point l'ingénieur G.C. de se consacrer avec ardeur à l'étude de cette sainte doctrine catholique que Notre-Seigneur Jésus-Christ écrivit de son précieux Sang. Commençant par le petit catéchisme, comme il convenait, l'in­génieur G.C. mettait à profit toutes les minutes disponibles de sa vie chargée de cours et de devoirs d'état pour étudier les docteurs de l'Église et les philosophes de droite philo­sophie. Par un impératif de sa constitution congénitale, sa structure moléculaire d'animal-professeur, G.C., après quelques années de catholicisme, se trouvait déjà contraint à transmettre aux autres, ceux qui surgissaient et se réunis­saient dans les parages, les choses qu'il avait pu découvrir juste au-dessus de la moyenne. Et je professeur G.C., à côté de ses enseignements sur l'électronique des télécommunications, dut organiser un véritable cours de religion à plusieurs niveaux, allant du plus élémentaire catéchisme enseigné dans les paroisses à la théologie pour laïcs du « Centre Dom Vital ». Pendant toutes ces années de guerre et de honteuse victoire, je ne pus aider mes élèves à se libérer des aveuglements apportés par la guerre et son brutal abêtissement. Mais, devant Dieu, je crois que je puis me vanter d'avoir toujours suivi dans toute sa pureté la sainte doctrine catholique. Comme le chien de la R.C.A., Victor, je me suis déjà vanté d'avoir de bonnes oreilles pour la Voix de mon Maître. « My Master's Voice. » Le jour où la France est tombée, mon frère et moi nous pleurâmes comme deux enfants blessés ; mais nous ne savions pas alors que la France avait été trahie par toutes les variétés de la gauche et que le commencement de sa déroute remontait en fait à 1926, avec l'appui que Pie XI avait involontairement apporté à ce qui deviendrait le Front populaire. 246:199 Et nous ne savions pas, entre les dix mille autres choses délibérément, coupablement ignorées, qu'Hilaire Belloc était peut-être le seul Anglais à ne pas admettre que l'Angleterre menât sa lutte en défense de la « démocratie ». -- Non : c'était en défense de la civilisa­tion. Et nous ne savions pas que le général Franco ins­tallait en Espagne le meilleur gouvernement du siècle, et qu'il fut le seul homme qui résista inflexiblement à toutes les grimaces et menaces d'Hitler. Trompés par nos maîtres, trompés par nos compagnons, et surtout trompés par nous-mêmes, qui en cela sommes toujours les premiers, nous n'avons pas trouvé à cette époque le courage de réviser toutes les mystifications amon­celées par les gauches. Il a fallu que nous soyons mis en 1945 devant l'évidence solaire de la stupide et malhonnête victoire des « démocraties » ; il a fallu plus tard que nous soyons giflés par Satan durant le concile et deux pontificats, il a fallu que nous soyons nous-mêmes amenés à refaire au Brésil en 1964 ce que Franco avait fait en 1936, pour que l'écrivain G.C. se sente obligé à la révision et aux rétractations qu'il parvint à donner dans son dernier livre, *Au siècle du néant,* écrit dans ses dernières années de vue. Je rends grâces à genoux de cette occasion que Dieu m'a offerte ; et aujourd'hui, quand s'éteint la lumière de mes yeux, je rends grâces de l'occasion que Dieu me donne de vivre cette nuit obscure davantage tourné vers Lui que vers les sottises du monde. Mais je veux encore ajouter ici une requête qui ne figure point dans ce dernier livre. Lecteur, s'il vous arri­vait jamais de rencontrer dans quelque vieux « papier » une allusion malveillante de ma part au général Franco, barrez-la, raturez-la sans pitié, et s'il y a moyen ajoutez au bas de la page que cette rature exauce la prière d'un auteur profondément vexé d'avoir suivi la torrentielle bêtise du temps. #### II. -- Honneur et gloire à l'Espagne Pour démonter l'enchevêtrement d'équivoques sécrété par les gauches catholiques françaises au sujet de la guerre civile espagnole de 1936, il faut rappeler que la persécution religieuse avait commencé dès 1932, avec une incroyable cruauté. Le grand d'Espagne Donoso-Cortès prophétisait déjà, en 1848, l'année du Manifeste de Marx et Engels « ...*Le caractère historique des Espagnols est l'exagération en tout ; il ne nous reste plus qu'à exagérer le socialisme, mais nous y parviendrons certainement. Et vous verrez alors de quoi sont capables les Espagnols pour une idée bonne ou mauvaise. *» 247:199 La République s'installe en Espagne le 12 avril 1931, plus tranquillement encore que la nôtre en 1889, dont Machado de Assis eut connaissance « en conversant dans la rue des Écoutes ». L'Espagne semblait sortir du rêve des gloires magnifiques pour rejoindre une réalité optimiste dans un siècle libéral et progressiste ; elle semblait prête à une évolution confiante et tranquille. Il y eut jusqu'à un *Te Deum,* musique et feux d'artifice pour célébrer cette jeune République qui reçut dès les premiers jours le sur­nom populaire de *nina bonita,* la « jolie petite fille ». Ce­pendant si quelqu'un avait pu survoler cette année-là les terres d'Espagne, pour scruter et ausculter à l'aide d'un sixième sens les palpitations profondes de l'âme espagnole, il aurait immédiatement compris que tout cela n'était qu'artifice, bonhomie de surface, et que sous ce linceul d'optimisme se préparait une épouvantable tempête de feu et de sang. L'historien Hugh Thomas (*The Spanish Civil War,* Eyre et Spottiswood, Londres 1964) nous décrit la situa­tion de l'Église espagnole en 1931 pour conclure, en termes de sociométrie religieuse, que le catholicisme présente alors dans la péninsule des signes de décadence. Il manque évidemment à cet auteur le sixième sens dont nous parlions ; ce n'est pas en termes de sociométrie qu'il pouvait découvrir, au sein de la décadence religieuse de toute une civilisation libérale, les trésors de sainteté et d'abnégation qui susciteront en Espagne les 15 000 héros proclamés par Pie XI « *martyrs au sens véritable et saint du mot *»*.* Rappelons-nous, avant de poursuivre l'ébauche de la terrible tragédie qui attend l'Espagne, quel peuple fut celui-là. Qui, sinon l'Espagne, a donné au monde un autre monde, un Nouveau Monde dans ce même monde, gloire terrestre par anticipation de tant de gloires célestes ? Qui a doublé, dans le globe, l'espace géographique de la civi­lisation ? Le sol de la Chrétienté ? Et qui, plus que l'Es­pagne, a donné des fils courageux et des filles ardentes, des saints et des saintes plus inconditionnellement saints et saintes ? D'où sortirent les deux glorieux ordres reli­gieux, celui qui devait sanctifier le Moyen-Age à la veille de sa ruine, et celui qui devait combattre les temps moder­nes dès leur orgueilleuse apparition ? 248:199 D'Espagne est sorti Domingos de Guzman, le grand ascète qui se flagellait la nuit, rugissant d'amour et de douleur, pour les pécheurs impénitents ; et dans l'Ordre des Prêcheurs est né le grand « Docte du suprême savoir diurne et communi­cable », saint Thomas d'Aquin, Italien, Espagnol et Fran­çais, gloire de la latinité et lumière de l'Église. De cette même Espagne est parti pour le vaste monde, ancien et nouveau, Ignace de Loyola, soldat du Christ, mobilisé pour affronter ces réformistes et ces contestataires qui ne ju­raient que par les européens de la Renaissance mais se nourrissaient avec le lait du Moyen-Age. Et d'où est sorti cet autre « demi-moine », d'après la comptabilité spirituelle et réformatrice de sainte Thérèse d'Avila, saint Jean de la Croix, qui sut enrichir l'Église -- selon la belle expres­sion de Maritain -- du « suprême savoir nocturne et incommunicable » des ascensions mystiques ? D'où est venue la force de propulsion qui projeta par-dessus les mers et par-dessus la Cordillère des Andes la semence dominicaine, pour qu'elle y germe, s'épanouisse et nous donne une Rose, Rose de Lima, la suave patronne de notre Amérique Latine ? Et qui comme l'Espagne a résisté sept siècles aux inva­sions de l'Islam, défendant pied à pied le sol de la Chré­tienté, et nous léguant pendant cette même guerre la fleur pacifique du plus gracieux amalgame de cultures ? Qui comme l'Espagne ? -- Quelqu'un pourrait-il sérieusement imaginer l'Espagne s'accommodant des modèles de sagesse des années trente ? L'Espagne sans extases, sans rêves de grandeur, sans idéal, sans roi et sans foi ? Or, c'est bien cela qu'imaginaient et voulaient les démons humains et angéliques qui, depuis 1932, commen­cèrent à incendier l'Église, assassiner les prêtres et violer les religieuses. Je serais incapable, en moins de cinq cents ou mille pages, de dresser le tableau exact de ce que fut la persé­cution religieuse en Espagne, dans ses tréfonds de per­versité, dans sa polyédrique hideur, mais je peux men­tionner ici un livre dont les auteurs eurent assez de force, de santé et de vertu pour mener à bien une telle tâche. Je recommande à celui qui voudrait perfectionner un peu ses connaissances sur le socialisme : *Historia de la perse­cucion religiosa en España, 1936-1939,* par Antonio Mon­tero, B.A.C., Madrid 1961. Le 11 juillet 1936, le député Calvo Sotelo dénonçait courageusement devant ses pairs, et devant le monde, les horreurs déjà perpétrées en Espagne. Comme il achevait son intervention, on entendit la voix du député Dolorês Ibarruri, la Passionaria, arrêter que lui, Calvo Sotelo, serait assassiné. Cet événement fut l'étincelle qui mit le feu aux poudres. 249:199 Quelques phalangistes coururent visiter leur chef, José Antonio, alors en prison, et lui dirent *Creemos que llego la hora de* SALTAR -- « Nous pensons que l'heure est arrivée de passer à l'attaque. » José Anto­nio leur répondit, après une courte réflexion : -- « Si vous croyez que l'heure est arrivée, allez-y ! » Ses camarades objectèrent que lui, leur chef tombé aux mains de l'enne­mi, serait la première victime. José Antonio se recueillit une nouvelle fois, et leur dit : -- « Si l'heure est arrivée, lancez-vous. Notre vie sera le prix de la victoire. » Et ce héros, immolé pour la patrie en 1936 ([^49]), fut désigné par le vainqueur de l'insurrection, le généralissime Francisco Franco, comme le symbole de la victoire : il a aujourd'hui son nom dans la principale avenue de Madrid et son tombeau au monumental *Valle de los Caidos.* Le général Franco, qui ne nous a jamais donné de signes visibles de sa propre glorification, nous laisse aujourd'hui un impérissable souvenir, l'exemple de qua­rante ans du meilleur gouvernement du monde en ce siècle. Il nous laisse aussi la perception de ce qui serait la chance de l'Espagne, la chance de l'Europe, la chance du monde. Je crois que dans des pays comme le Brésil ou le Chili, qui sont déterminés à dire *non* au communisme, les hommes aux plus hautes responsabilités doivent revoir avec attention l'histoire des années trente et suivantes, qui illustre avec beaucoup d'à-propos la malignité des gauches et les amollissements du libéralisme face à leurs monstruosités. Nous présentons dans cet article, outre l'hommage dû au général Franco et le *memento* aux glo­rieux martyrs de l'Espagne, un modeste rétroviseur qui pourrait être utile à nos dirigeants. #### III. -- Le nazisme n'était pas le plus grand mal La semaine dernière, sans raison ni dessein apparents, les moyens de communication ont centré plusieurs de leurs programmes sur l'évocation de la figure d'Hitler. 250:199 On parla du nazisme comme d'une monstruosité dominante dans un ton qui rappelait, à ceux qui suivirent avec le plus ardent intérêt cette tragi-comédie des temps moder­nes, la préoccupation obsédante d'il y a trente et quelques années, celle à laquelle je faisais allusion dans le *Siècle du néant* en parlant d'un monde « brutalement simplifié ». Je répète ici, je m'en aperçois, ce que j'écrivais déjà il y a quelques jours. C'est que l'idée est obsédante. La répéti­tion s'impose. A cette époque, il ne s'offrait qu'une direc­tion à tous les désirs de tous les hommes normaux de la planète : la déroute d'Hitler, la victoire des *démocraties.* Le monde entier se laissait enivrer par cette simplification et finit par voir dans la figure d'Hitler, détachée, isolée, domi­nante, l'exemple le plus instructif de la perversité d'un régime où dominait à ce point la figure d'un homme. Tous oubliaient que cette ascension magique d'un homme médio­cre fut précisément l'exemple le plus instructif dans les temps modernes de ce qui peut sortir du suffrage univer­sel. Hitler représente, en notre siècle, l'homme qui obtint le plus grand nombre de votes et le plus fort appui popu­laire pour son ascension. Nous avons connu au Brésil un résultat comparable, toute proportion gardée, de cette équivoque : un fou a été élu par six millions de Brésiliens qui se considéraient comme les hommes les mieux poli­tisés du Brésil, la crème de la *démocratie.* Revenons aux années quarante. Le monde entier conden­sait en Hitler toute la méchanceté à combattre, et ce fut cet état d'obnubilation qui amena des gouvernants expérimentés comme Churchill à négliger de terribles consé­quences au sujet d'un ennemi plus important, plus dange­reux et plus maléfique que le nazisme. Nous savons tous aujourd'hui, sans sous-estimer la cruauté démoniaque d'Hitler et de ses satellites, que ce phénomène présentait une fragilité résidant justement dans la falsification de sa force. La fragilité du phénomène *nazisme* était celle des viscères humains : deux ou trois personnages morts, et tout le système s'écroulait. Le communisme au contraire, qui existait depuis 1917 et se développait sur des racines séculaires, était destiné à être véritablement le fléau de Dieu, comme l'annonça Notre-Dame en juillet de cette même année 1917. Ce fut cette obnubilation, cette concen­tration, cette survalorisation d'Adolf Hitler qui conduisit les peuples de langue anglaise aux sottises des concessions faites à Staline. Le libéralisme s'estime capable de répondre à la tyrannie et aux arrogances d'un régime nazi, mais il ne sait que dire devant un autre régime qui se prétend dictature du *prolé­tariat* et qui revendique pour lui seul la plénitude de la démocratie : la démocratie *populaire.* 251:199 A partir des années quarante, la figure médiocre et méprisable d'Adolf Hitler qu'aujourd'hui, dans mon ima­gination, j'égale à un Helder Camara ou à l'insignifiant Kissinger, pouvait, non par sa force mais par la faiblesse de ses adversaires, produire au firmament de la culture un archétype qui servira de modèle pour tous les jugements simplifiés. C'est ainsi que la figure de Mussolini vint fournir un archétype analogue, affecté de quelques dégradations, et que tout gouvernement autoritaire ou dictatorial surgi en n'importe quel point du globe devait aussitôt être comparé, d'une manière ou d'une autre, à celui des deux dictateurs. Rien d'étonnant dès lors que, dans une atmos­phère aussi brutalement inintelligente, l'apparition de José Antonio Primo de Rivera et plus encore l'*insurrection* du général Franco, le dictateur victorieux, aient été consi­dérées comme un phénomène essentiellement antidémo­cratique, copie conforme du modèle qui avait terrifié l'Europe. Les intellectuels français, catholiques compris, signè­rent des manifestes indignés contre la victoire de Franco, contre le faux bombardement de Guernica, sans un seul mot pour les quinze mille martyres organisés par la bar­barie communiste avec un raffinement de cruauté qui outrepassa toutes les monstruosités du siècle. Le tableau de Picasso sur Guernica fit plus de bruit que l'encyclique du pape et la clameur des évêques espa­gnols. Il est vrai que le général Franco avait bénéficié d'une aide militaire italienne et allemande au début de sa campagne. Il nous faut ici rappeler qu'à cette époque chacun des pays d'Europe négociait des alliances avec tous les autres et que, indubitablement, ce fut l'Union Soviétique qui apporta le plus grand appui au nazisme. Mais ce qu'il convient aujourd'hui d'ajouter bien haut, c'est que le géné­ral Franco fut le seul homme de ce temps à faire face à Hitler en résistant à toutes ses menaces et séductions. S'il y eut quelque profit pour le monde moderne (aujourd'hui je ne sais) dans la défaite d'Hitler, on peut dire que celle-ci n'aurait pas été possible si Franco avait cédé et fermé Gibraltar aux Anglais. A ce sujet, je recommande la lecture des livres sui­vants : -- *The Rise and Fall of the Third Reich,* William L. Shirer, Pan Books L.T.D. -- Londres, 1960. -- *José Antonio Primo de Rivera,* José Alarcâo Judice, Cidadela -- Coimbra, 1972. -- *Inside Adolph Hitler,* Roger Manvell et Heinrich Fraën­kel, Pinnacle Books -- New-York, 1973. 252:199 -- *The Fatal Decisions,* Seymour Freiden et William Richardson, Berkley Pubhshing Corporation -- New York, 1966. Dans ces œuvres le lecteur peut voir, de manière variée et parfois pittoresque, comment Hitler sauta, dansa, chanta, rugit, promit, menaça durant 9 heures, sur tous les tons, face au Caudillo qui d'une voix tranquille, une *monotonous sing-song voice,* impassible, son regard bleu fixé sur le visage trépidant d'Hitler, répétait NON. Un des auteurs cités raconte que plus tard le comte Ciano, suggérant une nou­velle rencontre avec Franco, provoqua le rugissement d'Hitler, qui répondit dans un cri : -- « Je serais plus pressé de me faire arracher trois ou quatre dents que de me retrouver à nouveau devant cet homme. » Voici maintenant l'explication des tentatives actuelles pour réveiller le souvenir d'Hitler : devant la majestueuse agonie de Franco, mystérieusement permise par Dieu afin que de la haute figure de cet homme s'irradie quelque bien pour notre civilisation avilie, la *vermine* des gauches veut à tout prix diminuer l'éclat et la beauté de l'héroïsme. De là leur tentative de parier sur la stupidité humaine, sur la médiocrité d'un monde que domine encore la prodi­gieuse sottise commise en 1940 au nom du mythe de la démocratie, et au détriment du christianisme et de la civilisation. Le monde moderne montre dans l'épouvantable crise spirituelle qui afflige l'Église et avilit les mœurs *le résultat* de tant d'équivoques. Gustave Corçâo. Dernier télégramme\ au général Franco *Lors de la campagne mondiale menée juste avant sa mort contre le général Franco, Gustave Corcâo lui adressa un télégramme qui parut dans* « *O Globo *» *du 2 octobre, précédé du commentaire que voici.* J'ai devant moi des nouvelles qui réclament un commentaire certainement opposé à la tendance d'amollissement et d'avilis­sement du monde entier. 253:199 Je lis : « *L'Espagne fusille cinq des condamnés sous la protestation générale. Paul VI a supplié en vain jusqu'au dernier moment. Cinq pays rappellent leurs ambassadeurs de Madrid. *» Et puis, en première page, le texte du communiqué : « Hier, le gouvernement espagnol a fait passer par les armes cinq guérilleros accusés d'avoir assassiné des policiers. Ces exécutions ont provoqué de violentes manifes­tations de protestation partout dans le monde, et jusqu'au dernier moment le pape Paul VI est resté au téléphone, tentant, sans succès, de parler au généralissime Franco pour qu'il suspende la sentence. La Grande-Bretagne, la Hollande, la Nor­vège et les deux Allemagne ont rappelé leurs ambassadeurs à Madrid qui, en représailles, a également convoqué ses représen­tants en poste dans ces pays. » Mon commentaire pourrait se diviser en trois parties. La première, spontanée et presque instantanée, tient en une lim­pide exclamation : « *Vive l'Espagne ! *» La seconde consiste à interroger sereinement les faits a) Qui sont ces hommes en faveur desquels toutes les rotatives se sont mises en marche, et qui ont hanté sous les coupoles les creuses méditations de nos dirigeants ? b) Qui sont les vic­times de ces hommes sur le sort desquelles personne ne s'est ému ? Réponse à la première question : les condamnés étaient des criminels, homicides ; pour brouiller cette simple classi­fication pénale, qui réduit à néant tout le charabia, on dira que c'était des « libérateurs », tuant au nom d'une cause. La réponse à la seconde question est plus simple : les victimes étaient des policiers, pères de famille, serviteurs d'un devoir difficile et par-dessus tout *innocents.* Le problème ainsi posé, il me semble que la translation du terrain simplement pénal au politique ne vient qu'aggraver le caractère odieux de ces homicides froidement, abstraitement perpétrés contre des hommes simples, fidèles à leur devoir, pères de famille, innocents. L'action des terroristes apparaîtra d'autant plus horrible si l'on observe que la *cause* au nom de laquelle ils assassinent des innocents est en elle-même, comme l'a dit un grand pape, « intrinsèquement perverse » (Pie XI, *Divini Redemptoris,* n. 58). Je m'attarde sur cette partie de mon commentaire et rumine la question : comment expliquer un intérêt aussi pas­sionné pour cinq assassins, et un désintérêt aussi glacial pour leurs victimes innocentes, dont les noms n'apparurent sur aucune des premières pages de nos journaux ? Que le lecteur me permette une insistance toute spéciale sur ce point, où je sollicite le maximum de son attention et de son bon sens. Pour­quoi ? Car, en réalité, ma question ne comporte pas de réponse acceptable ou n'en a que de grotesques. Serait-ce que les vic­times sont particulièrement méprisables, comme policiers et porteurs d'uniformes, tandis qu'au contraire leurs « justiciers » sont des révolutionnaires ? 254:199 Quelqu'un parmi mes lecteurs pourrait-il admettre un seul instant qu'un policier ou un militaire soit « intrinsèquement mauvais » ? Pourrait-il concevoir qu'un monde meilleur soit atteint avec une « libération » promue par des assassins ? Dans toutes ces considérations, qui frôlent le délire, il faut se souvenir que certains des policiers assassinés avaient d'abord été séquestrés, qu'on avait voulu marchander leurs vies et qu'ils furent abattus froidement, les criminels n'ayant pas obtenu du gouvernement espagnol la satisfaction de leurs exigences. Ces informations ont été répandues dans le monde entier et elles auraient dû suffire pour provoquer dans toutes les consciences l'indignation contre les terroristes, assortie d'une pitié particu­lière pour les victimes. Or, si tel a été le cas dans le recoin de quelque conscience catholique qui aura *prié pour les otages,* on n'a vu absolument rien de semblable à l'avalanche de nou­velles que nous lisons aujourd'hui sur les prières organisées partout *pour les criminels.* Résumons maintenant toutes les investigations qui précèdent en une seule et terrible question : quelle étrange inversion des valeurs et critères moraux aura engendré cette race d'indi­vidus qui réagissent de la sorte devant les horreurs contem­poraines ? Quelle épouvantable déformation a-t-elle infesté notre air, pour produire de semblables résultats ? Ceux qui étudient savent que le monde moderne est la triste conséquence, chaque jour plus grave, de l'éloignement de Dieu et de l'exal­tation de l'homme auxquels on assiste depuis quatre siècles. Cette crise a provoqué la subversion de tous les critères de l'homme spirituel au profit de ceux de l'homme extérieur : une âme difforme, capable d'offrir au monde le spectacle de la méchanceté suprême : celui de la fausse bonté. Oui, la *fausse bonté,* voilà l'explication. Quant à moi, qui ne suis pas tout-le-monde, j'envoie au général Franco le télégramme suivant : « *Ardemment solidaire, félicite Votre Excel­lence inébranlable fermeté devant vague capitu­lation universelle. Signé : Gustave Corçâo. *» 255:199 ### NOTES CRITIQUES ### Deux remarques #### I. -- Rejet de l'histoire Nous sommes saturés d'histoire. On prend ici le mot dans un double sens : d'abord la présence, la pression des faits « historiques » sur la vie de chacun, ensuite l'esprit histo­rique qui imprègne notre pensée, et nous fait tout regarder selon le temps et les changements qu'il apporte. L'esprit his­torique ronge l'éternel, la vie. Sans doute, il y a une histoire qui unit, qui nous relie au passé. Mais nous la comprenons, la ressentons, dans un autre sens : sentiments et situations du passé nous deviennent étran­gers, incompréhensibles. A la fin, nous ne voyons que l'absur­dité de cette suite de hasards datés. Et rien n'échappe à ce regard. Philippe Ariès vient d'écrire une excellente histoire de la mort, Robert Aron avait tenté une histoire de Dieu. On ne veut pas dire ici qu'il faut refuser les connaissances qu'ils apportent, mais que, peut-être, ce joug de l'histoire n'est sup­portable que jusqu'à un certain point. Quelques livres lus ou relus récemment montrent le désir de s'en débarrasser. En présageant, par exemple, la fin des temps historiques (dans *le Mur du temps,* par exemple) Ernst Jünger ne fait peut-être qu'indiquer un besoin puissant en Europe : en finir avec l'his­toire, en sortir, oublier ses crimes et ses gloires, ses calculs et ses révolutions, le poids énorme et plus encore, le sentiment de plus en plus aigu du temps (en particulier du temps chan­gement qui fait oublier le temps retour). L'œuvre de Mircea Eliade est elle aussi pleine de méfiance à l'égard de l'histoire. Eliade pense que la bonne voie pour y échapper est de comprendre la leçon des sociétés primitives, a-historiques, de les intégrer à notre société et à notre civili­sation : ce serait une nouvelle renaissance, pense-t-il. Il a même dit que notre souci historique évoquerait, pour un homme des sociétés dites primitives, la situation du noyé qui récapitule son passé au moment de mourir : le souci historique est perçu ainsi comme symptôme de mort. 256:199 Emmanuel Berl fut trop marxiste pour avoir échappé à la fascination de l'histoire. Pourtant il la condamne dans son dernier livre, *Regain en pays d'Auge.* Il la rêve sans drame, endormie, les plus grands changements s'opérant en silence. Et Malraux, dans *Hôtes de passage,* soupçonne que l'histoire qui nous englobe sera bientôt incompréhensible. La Révolution, le Progrès, l'Inconscient, il a vécu cela dans sa jeunesse. Il ne reconnaît plus ces fantômes qui occupent pourtant toute la place. Il trouve ridicules les jeunes gens qui les invoquent comme des divinités dernières. Seulement lui, Malraux, n'in­dique, aucune issue. L'histoire s'aggrave, pénètre plus profon­dément chaque vie en même temps qu'elle perd toute allure rationnelle, toute apparence de « sens ». C'est le drame des années qui viennent. La jeunesse écrasée, assommée d'informa­tions et que l'histoire, justement, a coupée de ses racines les plus directes, de son passé le plus proche, traduit cette inquié­tude par le refus de tout bien social. Pour nier l'histoire, elle rejette toute durée. Solution de panique, mais l'illusion propre à toute jeunesse lui fait croire qu'il y a là un espoir unique, inédit, la chance de l'humanité. Ces réactions sont-elles des prophéties ? Il n'y a aucune raison de le croire. Elles traduisent plutôt une crainte, une saturation. Une limite a été atteinte. Les vieilles formes histo­riques s'effacent -- les monarchies, et les républiques qui en gardaient le reflet (en croyant leur être supérieures) : toutes les sociétés où le pouvoir était limité. Cela ne prouve pas la fin de l'histoire, mais l'avènement d'une histoire plus atroce, impitoyable, sans mesure parce qu'elle est divinisée et ne rencontre plus l'obstacle de la loi divine. Une histoire qui exclut l'éternel. Cela fait peur, d'où le refus. On pourra nier qu'il y ait un lien entre les affirmations, sur des plans différents, d'esprits si divers. Je ne crois pour­tant pas qu'il y ait là seulement le hasard des lectures. #### II. -- Gandhi, inventeur d'une nouvelle guerre La « marche verte » réunissait des centaines de milliers de Marocains qui devaient s'avancer à travers le Sahara espagnol pour reprendre cette terre, marocaine depuis toujours, paraît-il. 257:199 Opération de politique intérieure dont avait bien besoin Hassan II ? Sans doute. Reste que cette opération n'a été pos­sible que parce que le nationalisme est un sentiment vif dans le pays. Parce que ce genre de fièvre est bien éteint chez nous, nous sommes portés à croire qu'elle n'existe pas ailleurs. Nous avons tort. Il n'est pas sûr que la marche verte ait été un échec. Les Marocains n'ont pas franchi les lignes de défense espagnoles, mais la négociation qui a suivi semble avoir fait pencher la balance du côté d'Hassan II et de son peuple. On parle moins d'un scrutin d'auto détermination pour les 60 000 Sahraoui. S'il en est bien ainsi, on aura vu ces jours-ci le succès de la première opération internationale de non-violence. L'ins­pirateur d'Hassan II, ici, a été Gandhi. Faire aboutir une revendication, non par les armes, mais par la simple présence d'une multitude désarmée, unie par une idée commune. Il y a bien agression. On ne négocie pas, on ne discute pas, on ne vote pas, on ne s'en remet pas à l'arbitrage : on avance, tous ensemble, on montre cette force qu'est le nombre. Mais c'est une agression d'un nouveau genre, apte à déconcerter l'esprit guerrier. Des soldats auraient mauvaise mine à tirer sur ces gens désarmés, et s'ils sont contraints à le faire il n'y a là nulle gloire pour eux. Ainsi Gandhi qu'on présente partout, et jusque dans les églises, comme un maître de paix, se trouve-t-il avoir inventé une forme nouvelle de guerre. On le rangerait à côté de Clausewitz, et les conquérants méditeraient ses écrits. La démocratie nous avait donné la nation en armes. Le pacifisme nous fournit la nation désarmée, mais en transes, puissante par son nombre et son fanatisme. L'exemple de la marche verte pourrait en inspirer d'au­tres. Voit-on des millions de Chinois s'avancer vers Irkoutsk ou Vladivostok, des millions d'Arabes s'ébranlant vers Jérusa­lem ? Les Russes tireraient. Les Israéliens tireraient. Bien sûr. La marche n'est pas l'arme absolue. Mais, s'il est probable que personne n'irait rien dire aux Russes, n'arrêterait-on pas Israël ? Ils sont peu nombreux, les hommes qui ont apporté à l'art de la guerre un élément nouveau. Il est bien possible que le nom de Gandhi s'ajoute à cette liste. Georges Laffly. 258:199 ### Double lecture du dernier Michel de Saint Pierre #### I. -- Première lecture J'ignore combien de catégories différentes les spécialistes ont coutume de distinguer parmi les Juifs, mais Michel de Saint Pierre vient d'en découvrir une nouvelle qui, sans rien exclure, dépasse probablement touffes les autres : le Juif dans *la vie* ([^50])*,* ce Juif de chair et d'os qui n'a plus cours à l'O.N.U. -- Juif affectueux, Juif ami, Juif aimant, libéré des pesan­teurs sociologiques et doctrinales, rendu enfin corps et âme à son humanité. Nous savons bien qu'on ne peut sans naïveté faire abstraction ici de l'histoire et de la politique. Ce qui bouscule, ce qui force la sympathie, c'est qu'héritant d'une aussi singulière histoire et affrontés aux pires déchaînements de la politique, les héros de Michel de Saint Pierre trouvent à vivre authentiquement, fraternellement devant nous, avec une fraîcheur, une spontanéité, une droiture vomies du style ordinaire de nos romans. Ce n'est pas maltraiter le mystère de l'âme juive que de l'approcher dans la même lumière et avec la même simplicité dont un La Varende a usé pour l'âme normande. Au contraire. La meilleure façon de nous faire comprendre dans un roman français les Juifs d'aujourd'hui, leurs douleurs, leurs espé­rances, et plus encore leur épopée nationale, est de les racon­ter hardiment, à la française ; d'y apporter les mots et les sentiments qu'un Français digne de ce nom reconnaît juste­ment comme son propre héritage. Pour cela, il fallait un romancier qui ne passe pas son temps à se contempler le nombril. Un romancier généreux, sans préjugés et sans complexes. Michel de Saint Pierre a été cet écrivain. Pour préparer « *Je reviendrai sur les ailes de l'aigle *»*,* il s'est rendu à plusieurs reprises en *Eretz* Israël, sur la terre même du peuple de la Bible, dont il est revenu chargé d'au­tant d'amitiés que de documents historiques et de témoignages. Il a interrogé les lieux, les textes et les gens. Et conformément à son génie propre qui voit d'abord les raisons d'aimer, il en a rapporté une histoire, un roman d'amour. On y suit trois personnages principaux, dont chacun représente une attitude assez distincte face à la vie, une façon différente de pénétrer ensemble dans le même drame, comme en écho à la triple dimension, psychologique, historique et religieuse, de l'ou­vrage. L'un de ces personnages, Bruno, n'est pas Juif. Mais sans lui, le livre perdait pour nous sa meilleure leçon. Car Bruno concrétise le visage que Michel de Saint Pierre tourne en permanence vers la famille juive de son roman : le visage de l'humilité, qui n'est pas objet de jugement. Guy Hueskéral. 259:199 #### II. -- Seconde lecture A une époque ou la théologie est quelque peu délaissée, si ce n'est méprisée, il est assez paradoxal de lire un roman dont le sujet principal est théologique. Il en est ainsi du der­nier livre de Michel de Saint Pierre. En effet, le sujet principal en est le retour des Juifs en Terre Sainte, et la formation de l'État d'Israël. Autour de ce thème se déroule une intrigue romanesque. Comme tous les livres du même auteur, celui-ci est agréable et bien écrit. Les personnages sont dessinés d'une plume alerte, et sont très attachants. Il s'agit incontestablement d'un bon roman. Et pourtant, il nous a laissée sur une impression de gêne, dans la mesure précisément où l'intrigue se déroule à travers les événements historiques des trente dernières années que l'auteur interprète à la lumière de la Bible. Michel de Saint Pierre a subi l'influence des Juifs Israéliens qu'il a rencontrés, et dont il cite quelques noms en tête du livre. En outre, celui-ci est dédié aussi au Père Bruno Hussar et au Pasteur Duvernoy. Or ces derniers sont de chaleureux partisans de la « nouvelle théologie d'Israël » que nous nous sommes efforcée de mettre en lumière pour en montrer le caractère dangereux, à notre avis, pour la foi catholique ([^51]). Nous ne mettons certes pas en cause la foi de l'auteur. Mais il semble bien qu'il ait été entraîné dans une direction dont il ne perçoit pas lui-même les consé­quences. En effet, pour Michel de Saint Pierre, le retour des Juifs en Terre Sainte correspond à la volonté de Dieu et il est comme le signe avant-coureur de l'ère messianique. Cette thèse, cou­rante dans les milieux judéo-chrétiens, n'est, à notre avis, pas aussi évidente qu'il ne paraît. 260:199 D'abord, pour soutenir cette idée, l'auteur n'hésite pas à faire subir nombre de distorsions à l'Écriture. Cela est peut-être permis au romancier, mais cela est assez grave lorsqu'il en tire des conclusions d'ordre théologique. Michel de Saint Pierre a intitulé son livre « Je reviendrai sur les ailes de l'aigle », comme si cette citation de l'Écriture s'appliquait au retour actuel des Juifs. Et il a placé en exergue de son livre une citation d'Isaïe et de Zacharie, sans d'ailleurs y mettre les références précises. Or le titre est emprunté à un passage de l'Exode qui est exactement : « Je vous ai. fait porter sur des ailes d'aigle et amenés vers moi » (Ex., 19, 4). Et voici la suite immédiate de ce verset : « Désormais, si vous m'obéissez et respectez mon alliance, je vous tiendrai pour miens parmi tous les peuples... Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres et une nation consa­crée. » (Ex. 19, 54). Le passage en question se rapporte donc, sans aucun doute possible, à la sortie d'Égypte ; il est lié étroitement à l'alliance que Dieu fait avec son peuple, et par conséquent à l'attitude religieuse du peuple juif. Quant aux passages d'Isaïe et de Zacharie qui évoquent, eux aussi, le retour des Juifs, ils concernent la fin de l'exil à Babylone. L'on sait qu'en 538 avant J.-C. les Juifs sont rentrés dans le pays qu'ils avaient dû quitter en 600. Et dès après leur retour, ils reconstruisaient le Temple qui avait été détruit. Les passages de l'Écriture cités par Michel de Saint Pierre se rapportent donc à des événements qui ont été accomplis. En particulier, le verset de l'Exode est au passé, alors qu'il le déforme en en modifiant le sens. A de nombreuses reprises, dans l'Ancien Testament, Dieu annonce le retour des Juifs dans le pays qu'il leur avait donné. Mais cette annonce est antérieure à l'exil à Babylone. D'autre part, la venue ou le retour des Juifs sont intimement liés à un retour vers Dieu. Depuis la destruction du Temple en 70 après Jésus-Christ et leur dispersion, les Juifs, il est vrai, n'ont cessé d'espérer leur retour dans ce qui fut leur patrie. Et voilà que cette espérance a pris corps. Pour eux, ce retour est l'accomplisse­ment des promesses de Dieu. Bien des chrétiens partagent cette position, et Michel de Saint Pierre est de ceux-là. Or cette conception de « l'histoire sainte » pose un sérieux problème pour les chrétiens, problème qui n'est pas même évoqué dans le roman. En effet, pour les Juifs, dont une grande partie n'a pas reconnu en Jésus le Messie promis par Dieu, tout se passe comme si ce Messie n'était pas venu. Ils se consi­dèrent donc, à juste titre dans leur optique, comme étant restés le peuple choisi par Dieu et bénéficiaire de ses promesses. Pour eux, l'Ancien Testament continue, et rien n'est changé dans l'économie divine. 261:199 Tel ne peut être l'éclairage chrétien de l'histoire sainte. Pour nous, la venue du Messie a bouleversé les perspectives. L'Ancien Testament conserve sa valeur, certes, mais le Nouveau lui donne son sens. En particulier, nous savons que, selon saint Paul, les promesses étaient d'ordre spirituel et non pas tem­porel. La libération des Juifs, libération d'Égypte ou de Baby­lone, était la « figure » de notre libération spirituelle, de la libération du péché. Nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce. Et l'ancienne alliance s'en trouve périmée. Le sacrifice du Calvaire, en accomplissant notre rédemption, a scellé cette nou­velle alliance que nous célébrons à la messe. La nouvelle alliance a remplacé l'ancienne ([^52]). Une « nouvelle théologie » met en cause cette vision de l'histoire du salut, qui est cependant entièrement conforme à l'Écriture et à la Tradition de l'Église. Selon cette nouvelle théologie, l'ancienne alliance continuerait pour le peuple juif comme si rien ne s'était passé ([^53]). Le peuple juif demeurerait donc porteur d'une mission propre. Nous retrouvons explicitement ces thèses dans le roman en question. Il faut qu'Israël « *ne perde jamais -- à aucun moment -- le sou­venir et le sens de sa mission prophétique *» (p. 362). Bien plus : « *Nous croyons de toutes nos forces -- n'est-ce pas notre droit ? -- que le Messie ne viendra nulle part ailleurs qu'ici même. Nous le croyons parce que l'Écriture désigne cent fois Israël comme le cœur des Nations -- et parce que Jésus n'a jamais résilié l'élection divine du peuple juif *» (p. 363). Michel de Saint Pierre met ces mots dans la bouche de « Michel », qui semble bien son propre porte-paroles. Or s'il est vrai que, sous l'Ancien Testament, Israël est le centre de l'humanité (et non pas le cœur des Nations, car il y a dans l'Ancien Testament une opposition Israël-Nations), sous la nou­velle alliance c'est l'Église, nouvel Israël et nouveau peuple de Dieu, qui a pris cette place de « cœur des Nations ». 262:199 Enfin, et surtout, l'élection d'Israël en tant que « peuple de Dieu » a pris fin avec la venue du Messie et le refus de ce Messie par une partie importante de son propre peuple. Tel est le sens incontestable de la parabole des vignerons homicides : « *Le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits *» (Mt, XXI, 44). Pour un chrétien, l'élection de l'Église, nouvel Israël et nouveau peuple de Dieu, remplace l'élection d'Israël qui demeure, évidemment, dans la mesure où elle est un élément du passé, mais dans cette mesure seulement. Car il n'y a pas deux peuples de Dieu comme certains le soutiennent, l'ancien peuple et le nouveau qui chemineraient parallèlement pour se rejoindre à la fin des temps. Il n'y a pas non plus, selon une conception un peu différente, mais fausse, elle aussi, de rupture dans le peuple de Dieu comme s'il en existait désormais deux branches, la juive et la chré­tienne. Il y a un seul peuple de Dieu, qui est l'Église. Ce thème est défendu avec vigueur par tous les Pères de l'Église et constitue sans aucun doute une donnée de la Tradition. Il est d'ailleurs étayé par un texte néo-testamentaire dont une partie est bien connue des chrétiens, mais ceux-ci n'en saisissent pas en géné­ral toute la portée : « *A vous donc, les croyants* (*c'est-à-dire les chré­tiens*)*, l'honneur, mais pour les incrédules* (*c'est-à-dire les juifs*)*, la pierre qu'ont rejetée les cons­tructeurs, celle-là est devenue la tête de l'angle, une pierre d'achoppement et un rocher qui fait tomber. Ils s'y heurtent parce qu'ils ne croient pas à la Parole ; c'est bien à cela qu'ils ont été des­tinés.* *Mais vous* (*les chrétiens*) *vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis... vous qui n'étiez jadis pas un peuple et qui êtes maintenant peuple de Dieu *» (*I^e^ Épître de s. Pierre,* 2, 7-10)*.* Il est tout à fait remarquable que saint Pierre reprenne à peu près les mêmes termes que ceux qui se trouvent précisé­ment dans le passage de l'Exode relatif à l'alliance. Le « royau­me de prêtres », la « nation consacrée », c'est l'Église. 263:199 Appliquer ces caractères à l'Israël actuel c'est non seulement aller contre l'Écriture, mais c'est mettre en cause des bases fondamentales de notre foi catholique. Il est évident que Michel de Saint Pierre n'en a pas eu conscience, il a seulement subi l'influence soit des Juifs eux-mêmes, soit de « judéo-chrétiens » qui, en essayant d'établir une théologie favorable à Israël, retombent en réalité dans une théologie d'Ancien Testament. Toujours dans la même perspective, le héros de Michel de Saint Pierre croit que le retour du Messie aura lieu à Jéru­salem. En réalité, si un passage de l'Écriture va peut-être en ce sens, ce passage est beaucoup trop obscur pour qu'on puisse y trouver une véritable prophétie (Mt, XXIII, 39). Nous n'avons pas le droit de faire dire à l'Écriture ce qu'elle ne dit pas, et encore bien moins de lui faire dire le contraire de ce qu'elle affirme. Nous ne savons ni où, ni quand, le Christ reviendra. Cela aussi est affirmé (Actes, I, 6). Et le Nouveau Testament ne nous donne aucune indication en ce qui concerne le rétablissement d'un État juif. Les Juifs seront libérés le jour où ils reconnaîtront le Messie qui est venu pour les sauver : telle est la seule libération conforme au plan divin. Quant à l'État juif actuel, nous ne savons rien de sa destinée. Est-il conforme au plan de Dieu, est-il lié de quelque façon à l'histoire religieuse de l'humanité ? -- Nous avons d'autant moins le droit de l'affirmer que ce retour des Juifs dans la terre qui fut la leur ne correspond à aucun renouveau religieux. S'il est vrai que les Juifs demeurent aimés de Dieu, « ils sont aussi, selon l'Évangile, ennemis » (Rom. XI, 28), passage supprimé par l'auteur (p. 28). Michel de Saint Pierre condamne fortement, en campant l'un de ses personnages, une certaine forme d'antisémitisme qui a cours chez certains chrétiens (ce en quoi ils s'éloignent de leur propre foi). Et l'on ne peut que le louer de travailler à un rapprochement entre chrétiens et juifs, trop longtemps éloignés les uns des autres par des préjugés qui ont ait bien du mal. Mais cette estime des juifs ne doit pas aller jusqu'à une exaltation mettant en cause notre foi. Le peuple juif a donné naissance au Christ et à sa Sainte Mère, aux Apôtres, aux pre­miers chrétiens. Il constitue « la racine » de l'Église (Rom. XI, 18). Tout cela est vrai. Mais ce qui est vrai aussi, c'est que toute une partie du peuple juif a refusé et refuse encore de reconnaître en Jésus le Messie qui était la véritable promesse. Il ne s'agit pas ici de savoir si ceux-là étaient, ou non, responsables et coupables. Dieu seul sonde les reins et les cours. Mais ce qui est impor­tant pour nous, chrétiens, c'est de croire que c'est l'Église, et l'Église seule, qui est désormais investie d'une mission divine. Quant à l'Israël actuel, le descendant de l'ancien Israël, s'il a encore une mission, c'est celle de reconnaître enfin ce Christ. A nous chrétiens, de l'y aider par une charité vraie. Certes, le roman de Michel de Saint Pierre sera d'une lecture agréable aux juifs, mais si l'on tient que l'Israël actuel reste le peuple de Dieu aussi légitimement que l'Église, on ne voit guère ce qui pourrait lui montrer qu'il est dans l'erreur. Or telle est la véritable charité. Elle ne peut s'éloigner de la vérité. 264:199 En ce sens, nous craignons quelque peu que ce roman ne trompe les juifs. En tout cas, ils y trouveront le reflet de l'amour que leur portent les chrétiens, même si, de notre point de vue, cet amour doit s'exprimer autrement que ne l'a fait l'auteur dans ce qui est, en dépit des réserves que nous faisons du seul point de vue exégétique et théologique, un excellent roman. Denise Judant. ### Bibliographie #### André Malraux Hôtes de passage (Gallimard) Il n'est pas exclu que Mal­raux ait l'ambition de nous donner *les Mémoires d'outre-tombe* du XX^e^ siècle : lui aussi témoin d'un monde disparu, lui aussi voleur de feu et apportant son brandon pour réchauffer les nouvelles générations (son *génie du christianisme* serait *la Métamorphose des Dieux*)*.* Mais quand on sait avec quelle minutie, quel travail fervent, Chateaubriand révisa son texte pendant des années, on regrette l'espèce de hâte que Malraux met à nous livrer son testa­ment. Signe de la différence entre les deux siècles, et que la notion d'art a changé. C'est bien dommage pour nous. *Hôtes de passage,* on le sait, complète le deuxième tome des souvenirs de Malraux, dont le titre général sera *le Miroir des limbes.* Le pre­mier tome, c'était les *Anti­mémoires.* Le second com­prendra *la Tête d'obsidienne, Les chênes qu'on abat, Lazare* et le volume qui vient de paraître. L'histoire, l'art et la mort entremêlent leurs voix, et il y a risque d'injustice à parler de chaque fragment à part : mais c'est l'auteur qui débite ainsi son œuvre. Les *Hôtes de passage* comprennent trois chapitres : un dialogue à Dakar avec Léopold Senghor (avec un retour sur la Grèce) ; une conversation de Malraux et de Georges Salles, conservateur du Lou­vre, avec une voyante, au sujet d'un tissu qui peut-être appar­tint à Alexandre ; 265:199 un dialo­gue de Malraux, en mai 1968, avec Max Torrès, ancien com­muniste espagnol devenu psy­chanalyste et professeur à Berkeley. On peut signaler que Malraux révèle dans une inter­view que ce Max Torrès est une figure composite, mélange de plusieurs personnes réelles. *Le Miroir des Limbes* n'est pas une autobiographie, mais tient pour une part du roman (à preuve : dans les *Antimé­moires* figurait un chapitre repris des *Noyers de l'Alten­bourg,* où l'enfance flamande de Malraux est transposée en enfance alsacienne ; et il y a le chapitre sur Clappicque). Le chapitre qui montre Mal­raux chez la voyante est bien intéressant : d'abord parce qu'il y est question d'Alexan­dre : on retrouve la fascina­tion de Malraux devant les grandes figures de l'histoire -- et ici peut-être la plus grande, la plus accomplie sur le plan temporel. Et aussi parce qu'il trahit une préoc­cupation non pas du surnatu­rel, mais du paranormal, de ce qui est inexplicable ration­nellement. Au passage l'auteur évoque une prémonition dont il fut l'objet (un rêve lui pré­sentant la mort de sa femme et son remariage), et dit que c'est un domaine auquel il a tendance à tourner le dos. Attiré et refusant cette atti­rance. Georges Salles et Malraux vont donc voir une Mme Kho­dari-Pacha (descendante d'Abd ul-Hamid, le sultan rou­ge) avec la photo d'un mor­ceau de tissu trouvé à Bagdad, et qui comprend une tache bizarre. La voyante se met à parler, après avoir expliqué qu'elle a de bons et de mau­vais jours. Comme Victor Hu­go, dit Malraux : il n'écrit pas tous les jours la *Tristesse d'O­lympio*, mais les autres ne l'é­crivent jamais. Mme Khodari-Pacha évoque des batailles avec des éléphants, des trésors abandonnés, un chef aux yeux vairons : Alexandre, sans nul doute, découvrent les deux vi­siteurs, à qui la voyante a annoncé que la tache du tissu était une tache de sang. Il y a de quoi rêver, n'est-ce pas, à penser que quelque part dans le monde, un morceau d'étoffe porte un caillot du sang d'Alexandre ? C'est un des traits de Malraux : il a toujours aimé l'extraordinaire, même sous la forme du pitto­resque. La séance est interrompue par un employé du gaz, dont l'entrée coupe net la commu­nication avec le passé. Il y a là un effet de cocasserie qui est aussi constant dans ces souvenirs : le farfelu y côtoie le grand ; le rêve, les vastes perspectives sont percés, ici et là, par la dérision. N'empê­che, nous avons là une des belles scènes du livre. Et il faut noter encore ceci : la voyante avance par bonds. Elle parle par phrases brèves, suspendues, elle tâtonne. Il y a des *blancs,* comme lorsqu'on se parle à soi-même. Sans prendre cette remarque en mauvaise part, il faut bien dire que cela ressemble de façon frappante à ce que fait Malraux, de plus en plus. Il semble livrer des fragments d'un monologue où les liaisons nous échappent, et où l'on a quelque peine à le suivre. Ce discontinu fait quelquefois bel effet. Il arrive aussi qu'il dé­route. Georges Laffly. 266:199 #### Arthur Koestler Face au néant (Calmann-Lévy) Je dois faire un aveu : il y a bien longtemps que je n'avais pas lu un livre de Koestler. Je ne me rappelais pas qu'il était si ennemi des fanatismes, si éloigné de toute mode. Ce livre-ci, recueil et d'articles et de conférences des années récentes (entre 1968 et 1973) le montre avec les mêmes qualités de curio­sité, d'intelligence, d'aptitude à vulgariser, qu'on aime chez Huxley. Incapable de com­prendre l'Église, cependant. Il la réduit à l'Inquisition (et l'Inquisition vue par les ro­mantiques). Mais sur Gandhi, le réductionnisme, l'immigra­tion en Australie, la psychia­trie, que de pages intéressan­tes. Il y a notamment un très bel essai sur la crise de la jeunesse, comme on dit. Pour Koestler, l'enseignement de la science, et plus précisément la philosophie qu'on en tire, y joue un grand rôle. Car la science actuelle ne conclut pas nécessairement que la vie n'a pas de sens (et il s'attache à dépister les indices qui ou­vriraient des voies bien diffé­rentes). Mais les tendances générales de l'enseignement supérieur, le climat qui y rè­gne, concluent au néant et entraînent des esprits jeunes, malléables. et incertains : « Nous devrions plutôt dire que le *Zeitgeist* a une tendance à se servir des informations pour en tirer des conclusions philosophiquement partiales, une tendance à dévaluer les valeurs et à éliminer toute si­gnification de notre monde ex­térieur et intérieur. Il en ré­sulte un vide existentiel. » Des esprits mûrs peuvent s'en accommoder. Non ceux qu'ils enseignent et qui sont « affamés de sens » comme dit Koestler. Ils se sentent pris au piège et ruent de tous côtés. A leur manière, ils avertis­sent. G. L. #### Yves Guchet Georges Valois (Albatros) Peu de gens, je pense, connaissent encore le nom de Georges Valois. Certains sa­vent, sans plus, qu'il fut un des innombrables transfuges de l'Action française. Yves Gu­chet révèle dans son livre une figure complexe, déroutante et qui inspire une sorte de respect mélancolique. 267:199 D'abord anarchiste, Valois vient à l'A.F., y reste vingt ans, la quitte pour fonder « Le Faisceau » (inspiré des thèses mussoliniennes) puis devient socialiste. Il mourra déporté, en 1945, au camp de Belsen. Cela paraît peu cohé­rent. Pourtant au cours de sa vie, on rencontre deux cons­tantes qui l'expliquent : la haine du pouvoir de l'argent et la haine de la politique (« la politique que nous vou­lons exclure de notre vie » dit-il pendant le temps qu'il est d'Action française). Il a toute sa vie cherché un re­mède aux insuffisances de la démocratie, une issue hors des sempiternels combats en­tre *gauche* et *droite.* Évidem­ment, il n'en est pas sorti. Cet esprit ingénieux a eu pourtant prescience de bien des faits importants de notre monde : l'apparition d'une classe de techniciens qui ne tient ni au prolétariat, ni à la bourgeoi­sie, la nécessité de la décen­tralisation, de l'aménagement du territoire, d'une politique d'urbanisme. En arrière-plan le livre de Guchet est une évocation de tout le débat politique et social entre 1900 et 1950. Cela fait un ensemble plein d'inté­rêt. G. L. #### Rémy Chauvin Les Surdoués (Stock) Les « Surdoués » ce sont les enfants qui ont un Q.I. supérieur à 130 (un enfant normal a un Q.I. égal à 100). Ces exceptions sont mal trai­tées dans notre société qui ne rêve que d'égalité. Qui disait sous la III^e^ République : « ce qu'il nous faut, c'est une bonne moyenne ? » Sous la V^e^, c'est une mauvaise moyenne que l'on cherche à obtenir, mais en tous cas on refuse de sor­tir de l'ordinaire. Aux U.S.A., en U.R.S.S., on dépiste les surdoués, car il s'agit là « d'une ressource na­turelle inexploitée, dont l'im­portance peut être plus gran­de que la bombe atomique ». Les cellules grises sont pro­tégées parce qu'elles peuvent être utiles à l'État. C'est pres­que pire que de les laisser en friche. Sur ce sujet, qui pose mille questions, M. Chauvin a écrit un livre qui excite l'intérêt. G. L. #### Georges Mathieu La réponse de l'abstraction lyrique (La Table ronde) La réponse de l'abstraction lyrique est péremptoire, pér­emptoire et pleine de malice : Mais il faut donner le titre complet de l'ouvrage : 268:199 *La Ré­ponse de l'abstraction lyrique et quelques extrapolations d'ordre esthétique éthique et métaphysique.* On dirait un de ces beaux titres du grand siècle qui tiennent à peine en une page. Le livre réunit vingt et un entretiens entre le pein­tre Mathieu et divers interlo­cuteurs, entretiens qui s'éche­lonnent de 1958 à cette année. L'abstraction lyrique, on le sait, nomme son art. Comme le titre l'indique, il n'est pas seulement question de pein­ture, dans ces pages, mais de toutes les questions qu'un homme d'aujourd'hui peut se poser. Mathieu est peintre d'avant-garde, bien sûr, mais en ajou­tant : « La véritable avant-garde ne fait que continuer de la façon la plus logique, de la façon la plus continue, la vé­ritable tradition. » Souvenez-vous aussi d'Eliot, disant que « rien qui ne soit foncière­ment traditionnel ne peut être vraiment nouveau ». Cela est à noter, l'avant-garde en gé­néral ne parlant que de rup­ture, tandis qu'il est ici ques­tion d'un prolongement, c'est-à-dire d'une rupture, mais qui continue une certaine ligne. Il ne s'agit nullement de croire que le premier homme vient de paraître sur la terre, mais, et c'est plus difficile, d'être l'homme avec qui tout recom­mence, et qui a tout l'héritage de la terre. Pour Mathieu, l'important est une restauration des no­tions « de jeu, de fête et du sacré ». Pour lui, le peintre est un baromètre qui enregis­tre les changements de façon prémonitoire (mais il n'est pas le seul : Mathieu trouve des indices du même ordre dans les récents développements de physique et de la logique de Stéphane Lupasco) Il n'hé­site pas à dire que dans sa peinture le signe précède sa signification -- idée dure à avaler pour un esprit classi­que. Il se déleste, en même temps d'une grande part de l'héritage occidental, d'Aris­tote à Hegel. Il refuse de même l'art tel qu'il est vécu de­puis les Grecs, avec la notion, de perfection et de travail ar­tisanal (mot employé ici avec mépris). La peinture selon Mathieu présente comme traits caractéristiques : a) la vitesse : certaines toiles exécutées en moins d'une minute, et au plus deux ou trois heures, non par goût de l'exploit mais parce que la vitesse entraîne la pla­ce faite « à l'inconnu, à l'i­maginaire, au risque ». b) la non-préméditation. Le peintre devant la toile vierge est dans un état de vacuité. c) l'acte de peindre est l'explosion de forces longtemps concentrées, la libération d'une extase. Quittons ce domaine de l'art. Georges Mathieu, inter­rogé par Georges Suffert sur sa foi, lui répond : « Ce que j'apprécie infiniment dans le catholicisme, c'est l'alliance indispensable de la pompe et du sacré. Les deux actes qui m'apparaissent les plus impor­tants dans l'Église catholique sont le concile de Trente et d'un autre point de vue la bulle *Unigenitus. *» Suffert rétorque : *j'ai l'im­pression que l'Église d'aujour­d'hui se situe aux antipodes de vos vœux.* 269:199 Mathieu : C'est l'abdication et la déchéance. Beaucoup plus par mode que par convic­tion d'ailleurs. La gangrène n'est pas intérieure. La conta­gion se propage grâce à une pollution préalable comme pour le choléra. Comment les fidèles peuvent-ils se fier à des prêtres qui ont honte de leurs vêtements de prêtres, qui ont perdu leur latin et qui font de la messe un *happe­ning ?* Ce qu'il y avait de bien l'Église catholique, c'é­tait la rigidité de ses struc­tures, son respect des formes, l'image immuable qu'elle of­frait : son intransigeance, sa pérennité, son universalité. Tout cela s'est évanoui. G. L. #### Simone Weil Cahiers nouvelle édition (Plon) En 1956, la librairie Plon publia en trois volumes les *Cahiers* de Simone Weil (dont Gustave Thibon, à qui elle les avait donnés en 1942, avait présenté les textes les plus si­gnificatifs dans *La pesanteur et la grâce*)*.* En 1970, Plon a entrepris la réédition, plus complète en­core et revue par Simone Pè­trement et André Weil, de ces *Cahiers.* Le troisième et der­nier tome vient de paraître. On ne saurait recommander la lecture des *Cahiers* à ceux qui ne connaissent pas Simone Weil et qui veulent prendre contact avec sa pensée ; elle y consigne, en effet, sans au­cun ordre, toutes les réflexions que lui suggèrent ses innom­brables lectures, dans un mé­lange déroutant de philoso­phie, de mythologie, de mys­ticisme, d'ésotérisme, de poé­sie et de mathématiques. Par contre, tous ceux qui ont déjà lu plusieurs livres de Simone Weil et qui sont conscients de l'importance croissante qu'on accordera à son extraordi­naire génie ne peuvent se dis­penser d'acquérir cette édi­tion définitive de ses *Cahiers.* Louis Salleron. #### Georges Lefranc Histoire du travail et des travailleurs (Flammarion) Voici, revue et augmentée, la réédition d'un ouvrage qui, publié il y a une vingtaine d'années, s'était tout de suite classé parmi les meilleurs. 270:199 Ses 478 pages constituent une somme à laquelle auront re­cours tous ceux qui s'intéres­sent aux problèmes du travail et des travailleurs. L. S. #### Pierre Teilhard de Chardin Journal Tome I. -- (1915-1919) (Fayard) Le *Journal* inédit à ce jour, de Teilhard de Chardin cou­vre 40 années -- de 1915 à 1955. On en attendait depuis longtemps la publication, qui s'avère difficile. Nicole et Karl Schmitz-Moormann en publient la première partie (26 août 1915 -- 4 janvier 1919). On ne sait si la suite viendra jamais, car les cahiers de 1925 à 1944 sont en Chine, peut-être perdus ou détruits ; et les ca­hiers de 1944 à 1955 sont en la possession de la Compagnie de Jésus qui ne semble pas pressée de les livrer à la pu­blicité. Ce premier tome n'ap­porte pas de révélations sur les idées de Teilhard, mais il est du plus haut intérêt car on s'aperçoit que ces idées sont parfaitement formées dès la première guerre, et la formulation qu'en donne Teil­hard, alors âgé de 35 ans -- est souvent saisissante. Nous aurons vraisemblablement l'oc­casion d'y revenir. L. S. #### Mgr Vernon Johnson Un Seigneur, une Foi (C.L.C. et Éd. du Cèdre) Né en 1886, Mgr Vernon est pasteur anglican. En 1925, il va à Lisieux et y retourne quelques mois plus tard. Il dé­couvre l'Église catholique ro­maine et après des années de réflexion douloureuse se con­vertit au catholicisme romain. Dans ce petit livre il raconte les étapes de sa conversion dé­terminée par la conviction progressivement acquise que l'autorité pontificale est bien d'institution divine. On lit avec mélancolie les raisons qu'il en donne car s'il eût vécu dans l'ère post-conciliaire, Mgr Vernon Johnson ne se fût évidemment pas converti. L. S. 271:199 #### Saint Pie X Écrits doctrinaux (Téqui) C'est une heureuse idée qu'a eue la librairie Téqui de réu­nir en volume les principaux textes doctrinaux de Pie X (dans leur intégralité, en latin et en français). On a ainsi sous la main *Lamentabili, Pascendi, Haerent animo, Quam singulari* etc. Un seul regret : l'impression est dé­testable, ce qui rend la lec­ture pénible. D'autre part, il eût été bon d'indiquer en tête des documents leur nature canonique (encyclique, décret etc.). L. S. #### Pierre Mabille Thérèse de Lisieux (Le Sagittaire) Les éditions du Sagittaire ont réédité en 1975 une « *Thé­rèse de Lisieux *», de Pierre Mabille, qui avait été publiée en 1937 par José Corti. Le livre m'ayant été signalé comme une étude psychanalytique de la sainte, j'ai eu la curiosité de le lire pour voir si J.F. Six s'en était inspiré. Lecture fai­te, je ne le crois pas. Il s'agit d'ailleurs d'autre chose. Si la psychanalyse a sa large place dans le livre -- très court, 106 pages -- de P. Mabille, elle se combine avec des vues scientifiques sur l'hé­rédité et une conception mo­niste du monde qui est à la racine de l'antichristianisme violent de l'auteur (pour qui le dualisme de l'amour surna­turel et de l'amour humain est la source de tous nos maux). Comme Six, Mab le fait de la famille de Thérèse, de son milieu social et du Carmel l'i­mage qu'on devine, mais à la différence de Six, c'est Thérè­se elle-même qui incarne, en victime d'ailleurs innocente, « un christianisme vieilli et pourrissant supporté par une classe bourgeoise qui, elle aussi, atteint au terme de son pouvoir et qui en a la percep­tion inconsciente la plus net­te » (p. 13). Sans parler des sentiments de dégoût qu'un tel livre peut susciter chez un catholique, j'ai éprouvé, en le lisant, l'é­tonnement que me procurent indéfiniment les livres de ce genre, qui se veulent objectifs, scientifiques et intelligents. Je me limiterai là-dessus à deux observations. 272:199 1\) A supposer valables tou­tes les explications biologi­ques et psychanalytiques aux­quelles s'attache l'auteur, com­ment peut-il ne se poser au­cune question sur l'extraordi­naire héroïsme de Thérèse de Lisieux et sur le contenu même de son amour spiri­tuel ? Et si la vie carmélitaine vue à partir du phénomène « bourgeois » lui paraît se réduire a quelque obscur mé­lange de peur, d'infantilisme et de dégénérescence généti­que, comment expliquera-t-il des cas comme ceux d'Élisa­beth de la Trinité, d'Alessan­dra di Rudini, d'Édith Stein et de tant d'autres ? (Sans par­ler de cas analogues, non car­mélitains et même non chré­tiens, comme celui de Simone Weil). Un aveuglement pareil est confondant. 2\) Voir, comme Nietzsche, dans l'idée chrétienne, « la machine infernale d'un néga­tivisme envahissant, l'organi­sation progressive de la des­truction de toute vie aussi bien pour l'individu que pour la collectivité » (p. 71) et fi­nalement la cause de l'agonie actuelle de la civilisation occi­dentale est d'un simplisme dé­sarmant. Où est la science dans des affirmations de ce genre ? Où est l'observation désintéressée ? Pierre Mabille est mort en 1952. Que penserait-il aujour­d'hui ? Faut-il tenir les quel­ques pages signées Radovan Ivsic et datées de juin 1975 (sorte de postface en fin de volume), pour son héritage spirituel ? Leur morne déses­pérance, qui ne trouve un bi­zarre refuge que dans le fou­riérisme, a du moins le mérite de refuser les mille et un ali­bis de l'érotisme contempo­rain. Sans doute J. F. Six tiendra-t-il à répondre à ce livre concurrent du sien. Le « dia­logue des freudiens », après le « dialogue des carmélites », ne manquerait pas de saveur. L. S. #### Victor Franki Le dieu inconscient (Centurion) Connu, paraît-il, dans le monde entier, professeur de neurologie et de psychiatrie à Vienne et aux États-Unis, Victor Franki est un élève de Freud. Contre son maître, il professe qu'il y a un inconscient spirituel, non moins im­portant que l'inconscient sexuel et il en tire une métho­de de soins pour certaines né­vroses. Les cent pages de ce petit livre sont intéressantes. Elles redécouvrent ce que sa­vaient tous ceux qui n'ont pas été abrutis par la psychana­lyse. Parées du prestige de la Science, elles peuvent rendre service aux clercs recyclés et aux communautés religieuses. L. S. 273:199 #### Pierre-Jakez Hélias Le cheval d'orgueil (Plon) Il m'a été donné de con­naître l'auteur ; écrivain bre­ton et bilingue, il ne m'en vou­drait pas, je pense, de rappe­ler ses mérites d'helléniste et de latiniste : ce ne sont pas des éléments négligeables de son talent. Mais l'humanisme risque toujours de s'affadir s'il s'en tient à une humanité li­vresque. Or c'est une œuvre d'humaniste véritable, toujours lié à son terroir, que ces « Mé­moires d'un Breton du Pays Bigouden », écrits dans un style alerte et fort dont on me suggère qu'il est encore plus savoureux pour ceux qui peu­vent retrouver derrière le français les structures, les ca­dences et les formules pro­pres au breton. Et déjà sans doute dans la phrase du grand-père Le Goff, placée en épigraphe : « Trop pauvre que je suis pour acheter un autre cheval, du moins le che­val d'orgueil aura-t-il toujours une stalle dans mon écurie. » Fierté et pauvreté, vitalité sans faille, telles sont les conditions premières du problème de la vie : vertus bretonnes, cer­tes, mais quelque soit le par­ticularisme encore jaloux du Pays Bigouden au sein même de la Bretagne, ne sont-ce pas là aussi les trésors essentiels de l'âme française ? La mi­sère, la « chienne du monde » Pouvait être, en ces temps proches et lointains à la fois, partout présente et menaçante, l'activité constante de l'homme ne laissait pas de place aux déplorations faciles et inutiles. Les sympathies de l'auteur vont sans doute « à gauche », mais il n'y a pas ici de polé­miques grinçantes : trop de choses méritent et attendent d'être contées, manières de vivre, souvenirs d'enfance, portraits multiples de gens très divers en une population pourtant fortement cohérente, légendes, proverbes, bribes de chansons. Ce monde souvent famélique est toujours placé sous le signe de la couleur et du mouvement. La fierté de soi-même y inclut le respect de la fierté d'autrui ; ainsi l'enfant sera tancé pour être allé indiscrètement à la fenê­tre voir arriver des mendiants. Chez l'auteur, cette fierté est toujours attentive aux dévia­tions imposées par un folklo­re, orienté et préfabriqué, à une civilisation rurale dont, avec quelque raison, P. Hélias proclame qu'on ne l'a pas connue et qu'on ne s'est pas soucié de la connaître. Sans l'avoir cherché, il nous donne un exemple de traditionalisme authentique, propre à vous laisser sceptiques quant à un prétendu obscurantisme du passé, générateur de misère totale, matérielle et spirituelle. On sera toujours intéressé, et parfois surpris en voyant ces voisins de la mer priser fort peu le poisson, ignorer les huîtres et mépriser les lan­goustes ; mais de telles anec­dotes sont elles-mêmes matière à réflexion ! 274:199 La gaieté du li­vre trouve sa force dans la vérité et la vie. Dramaturge et poète, Pierre Hélias tient par-dessus tout à la gloire du conteur : il la mérite ample­ment. Jean-Baptiste Morvan. 275:199 ### DOCUMENTS ### L'Italie livrée au communisme Le peuple italien est livré au communisme. Il est livré par la démission, la lâcheté, la trahison des pouvoirs (temporels et spirituels). Car ne pas défendre un peuple contre le communisme, c'est toujours le livrer. Nous reproduisons les principaux passages de l'article par lequel Georges ALBERTINI analyse la situation ita­lienne dans EST ET OUEST, numéro 561 des 16-30 no­vembre 1975. Les progrès du communisme en Italie sont peut-être moins spectaculaires que ceux qu'il a effectués au Portugal entre la chute de Salazar et la chute du général Vasco Gonzalves qui incarnait tous ses espoirs. Mais ils ont une portée infiniment plus grande, ils sont beaucoup plus assurés, et il semble qu'ils seront beaucoup plus difficiles à endiguer -- si même on peut y parvenir. Le fait fondamental est que la défaite électorale de la démo­cratie chrétienne et des partis du centre gauche, lors des élec­tions locales et provinciales du 15 juin 1975, s'est transformée en une véritable déroute cinq mois plus tard. La défaite, en effet, aurait pu avoir un effet tonifiant. Elle aurait pu être un avertissement, et le début d'un renouveau. Or, l'usure et la fai­blesse non seulement de la démocratie chrétienne qui gouverne pratiquement le pays depuis la chute de Mussolini, mais de l'ensemble du système démocratique italien, sont telles qu'en quelques mois tout -- ou presque tout -- s'est effondré (...) #### La conquête des provinces De cette progression du parti communiste, le signe politique le plus visible est le nombre croissant de provinces passées sous son contrôle. 276:199 Cinq, parmi les plus importantes sont main­tenant conquises par le P.C. Dans cinq autres, il partage le pouvoir avec les socialistes. Des neuf qui restent, seules cinq échappent entièrement à son contrôle. En d'autres termes, dans plus de la moitié de l'Italie, les communistes ont gagné des positions de gouvernement. Il faut le remarquer, cette conquête de la province précédant celle de la capitale de l'État, est conforme à toute l'histoire contemporaine de l'Italie. L'unité italienne a été faite par la Maison de Piémont-Sardaigne, partant de Turin en 1815, puis s'installant à Florence en 1860, pour conquérir Rome en 1870. Le fascisme, lui-même, est parti de Milan, a été un mouvement provincial, et puis a marché sur Rome, un peu à la manière des rois de Piémont-Sardaigne cinquante années plus tôt. Le com­munisme à son tour conquiert les provinces, et encercle peu à peu la capitale. Il s'installera à la tête de l'État après avoir fait tomber l'un après l'autre les bastions de ses adversaires dans les diverses régions du pays. Parmi les formes nouvelles de la « voie italienne du socialisme », celle-ci ne manque assurément pas d'originalité, et, répétons-le, elle est dans le droit fil des méthodes italiennes de conquête du pouvoir depuis cent cin­quante ans. #### L'effondrement de l'État Si cette progression du communisme est la plus immédiate­ment perceptible, elle n'est peut-être pas la principale. Ce qui est le plus important, c'est que l'État se décompose, et que le communisme est de plus en plus considéré comme la seule force qui puisse ou empêcher l'effondrement définitif, ou cons­truire un État nouveau sur les ruines de l'ancien. Dans tous les milieux, le communisme progresse. Non pas que les Italiens se convertissent au communisme ni comme doctrine, ni comme système politique. Mais ils constatent qu'il est la seule force qui puisse empêcher l'Italie de sombrer dans un chaos définitif. Certes, le pays est probablement, mieux qu'un autre, capable de fonctionner avec une certaine dose d'anarchie. On peut même dire, sans crainte de se tromper, que n'importe lequel de ses voisins n'aurait pas supporté le quart ou la moitié de l'anarchie italienne sans tomber dans un sanglant chaos -- ce qui a été jusque là, malgré tout, épargné à l'Italie. Mais il y a des limites à tout, et visiblement cette limite est atteinte. Nom­bre d'Italiens, avec leur individualisme fondamental, et leur art suprême de la subtilité politique, ont pu préférer un temps l'anarchie à l'ordre communiste fondé sur la force et la restriction dramatique des libertés. 277:199 Pour autant qu'on puisse le voir, ce temps est dépassé. On ne compte plus ceux, parmi les fonc­tionnaires (y compris ceux de la police qui se font tuer chaque jour inutilement, et ceux de l'armée qui ne peuvent plus accep­ter un pareil désordre), parmi les chefs d'entreprises qui ne peuvent plus diriger leurs affaires ravagées par les grèves, parmi les citoyens de toutes catégories et de toutes opinions, lassés de l'insécurité permanente de la rue -- on ne compte plus ceux qui se résignent au communisme pour sauver le pays et eux-mêmes du chaos. #### Le ralliement des classes moyennes Certes, les comparaisons historiques sont toujours risquées. Mais on ne peut s'empêcher de penser à l'Allemagne d'avant 1933. La démocratie parlementaire était usée et ne fonctionnait plus. Ni les socialistes, ni les catholiques n'y pouvaient plus rien. La crise économique jetait sur le pavé 7 millions de chô­meurs. Une immense vague d'immoralité submergeait trop de milieux dits évolués, et l'on ne peut oublier certains spectacles du Berlin d'avant 1933. Alors la classe moyenne allemande, dans sa quasi-totalité, les chômeurs, nombre de travailleurs inquiets du lendemain, ont basculé vers Hitler. Le national-socialisme est apparu comme la seule force permettant à l'Allemagne de ne pas sombrer dans le chaos, et cela bien que tous ceux qui votèrent pour Hitler fussent bien éloignés des doctrines natio­nales-socialistes. Ce qui s'est passé en Allemagne il y a quarante ans, avec toutes les différences que l'on voudra, est en train de se passer en Italie. Mais le mouvement, là, s'effectue en faveur des com­munistes. On a déjà vu l'amorce de ce mouvement le 15 juin 1975. Il est en train de s'accélérer avec une incroyable rapidité, et l'on serait surpris si l'on citait les noms d'hommes adver­saires résolus du communisme qui concluent, en privé, et la mort dans l'âme, qu'en dehors de lui ils se demandent s'il est encore possible de faire quelque chose. #### Qui peut s'opposer au communisme ? Le fait est que si l'on considère les forces qui pourraient s'opposer à lui, on est frappé de leur inefficacité, ou de leur incapacité à surmonter leurs propres difficultés. 278:199 Le parti socialiste, toujours tenté par les démons du maximalisme, est peut-être le plus « irresponsable » des partis italiens, le plus atteint par cette corruption qui ronge le régime, le plus com­promis avec des groupes qui font régner dans l'État la violence et la brutalité. La démocratie chrétienne ne se remet ni de son échec dans l'affaire du divorce, ni de sa défaite électorale du 15 juin. Elle continue à être rongée par les querelles de per­sonnes. Elle est usée au-delà de l'imaginable. Elle est une force en train de mourir, que seul pourrait sauver un homme jeune et d'envergure. Il existe peut-être. La vérité est qu'on ne le voit pas. Le parti social-démocrate est une grande désillusion, mal­gré d'estimables exceptions individuelles. Quelques-uns des dirigeants réservent peut-être des surprises désagréables à ceux qui leur ont fait confiance. Les petits partis du centre : libéral et républicain où les individualités brillantes ont toujours exis­té, ne comptent à peu près plus comme force politique. La droite n'arrive pas à convaincre qu'elle n'est pas fasciste -- même si tel est le cas -- et en quelque sorte continue à être frappée d'une sorte d'illégitimité politique qui l'empêche -- qu'on le regrette ou non -- de jouer le rôle qu'elle pourrait prétendre jouer. C'est cette espèce de vide politique qui explique l'avance du communisme. Avance que les chefs communistes eux-mêmes trouvent trop rapide, car ils se rendent compte qu'une arrivée prématurée au pouvoir poserait pour eux des problèmes quasi-insolubles. Ils ne souhaitent donc pas gagner trop tôt, et c'est pourquoi M. Aldo Moro bénéficie d'un traitement de faveur. Il durera autant que les communistes y trouveront leur intérêt. Mais d'ores et déjà on peut dire qu'il ne se décide plus rien d'important en Italie sans le consentement ou la neutralité du parti communiste. C'est une originalité supplémentaire dans la définition de la voie italienne du socialisme. Elle passe par la province, nous l'avons vu. Elle investit progressivement, et sans drame, l'État et le gouvernement. #### Peut-on encore empêcher le communisme de gagner ? Telle est la réalité qu'il faut décrire selon ce qu'elle est, même si ce tableau paraît noir. Est-ce à dire que la victoire du communisme est certaine ? D'abord en politique, rien n'est jamais certain. Ensuite, il est sûr que des groupes très différents continuent à résister, s'ef­forcent d'endiguer la vague, et essayent de préparer une contre-offensive. 279:199 Enfin, l'Église, qui joue un rôle si important en Italie, commence à se ressaisir. Elle vient, semble-t-il, de mesurer l'ampleur du danger et l'imminence de la catastrophe. Des voix autorisées s'élèvent pour appeler les catholiques au combat. Il y a plus de dix ans que de pareilles voix n'avaient prononcé des jugements aussi nets. ([^54]) On peut espérer aussi que dans les partis non-communistes, du centre gauche à la droite, des hommes sauront s'unir pour faire face, par-dessus les diver­gences résultant des luttes de ces cinquante dernières années. On veut croire enfin que l'immense majorité des Italiens, qui ne veut ni de l'anarchie, ni du communisme, trouvera le moyen, et surtout le courage, de se faire entendre et de favoriser ainsi une rénovation profonde de la démocratie italienne, ce qui veut dire qu'elle mettra fin au régime des partis, à la féodalisation de l'État, et qu'elle dotera le pays du pouvoir exécutif fort sans lequel la renaissance sera impossible. Ce qui manque actuellement en Italie, où l'intelligence est toujours surabondante, c'est une volonté (mise à part la volonté communiste). Dans le pays où sont nés depuis un siècle et demi, Cavour, Pie XI, Mussolini, Pie XII, de Gasperi, est-ce qu'il est impossible de trouver des hommes qui, unissant le caractère et l'intelligence, pourraient préserver leur pays... ? (Fin de la reproduction des principaux pas­sages de l'article de Georges ALBERTINI dans EST ET OUEST, numéro 561 des 16-30 novembre 1975.) 280:199 ### Formose après la mort du maréchal Tchang Kaï-shek Reproduction intégrale d'un article paru dans les INFORMATIONS POLITIQUES ET SOCIALES, numéro 465 du 22 novembre 1975. Formose est un pays civilisé, dont la santé morale est très supérieure à celle (par exemple) de la France ou de l'Italie d'aujourd'hui ; la rue n'est pas livrée aux pornographes et aux bandits : « Les familles se promènent comme elles se prome­naient en France ou en Italie il y a cinquante ou soixante arts. » Il y a bien des siècles que Taiwan (Formosa, la Belle île des Portugais) est peuplée de Chi­nois. Leur arrivée remonte au Moyen Age. Elle s'est accélérée à l'époque moderne. Malgré l'in­termède japonais de 1895 à 1945, Taïwan est foncièrement une île chinoise, aussi chinoise que la Sicile est italienne. Quand le Maréchal Tchang Kaï-shek y est arrivé en 1949, après la victoire communiste sur le continent, il a installé là la République de Chine, un flot de nou­veaux immigrants l'a accompa­gné, qui a renforcé, s'il était pos­sible, le caractère chinois de l'île, mais sans changer substantiel­lement ce qui existait déjà. Chine elle était, Chine elle est demeu­rée. Mais, dans le monde entier, nombreux étaient ceux qui pen­saient, malgré toutes les appa­rences contraires, que cette Ré­publique de Chine était fragile, qu'elle n'existait qu'en fonction de la puissante personnalité du Maréchal, et qu'à la mort de celui-ci, l'état jugé artificiel qu'il avait créé s'effondrerait parce qu'il n'était pas un véritable État, mais en quelque sorte le prolon­gement de sa propre personna­lité, destiné à disparaître avec elle. Or, que voyons-nous ? Le Maré­chal est mort depuis six mois. sa succession a été assurée sans à coup, et notamment parce qu'il avait doté son pays d'une Constitution et d'institutions so­lides, où tout a fonctionné nor­malement. 281:199 Soit dit en passant, la manière dont le Maréchal a été remplacé dans l'ordre, le calme, la légalité, est le meilleur dé­menti à ceux qui voulaient pré­senter Taiwan comme un pays de dictature, n'existant que par le plaisir et la volonté d'un seul homme. La réalité était bien dif­férente. Taiwan est un État de droit qui ne doit rien aux capri­ces d'un despote, et tout aux principes posés en 1911 par Sun Yat-sen. Mais quand on expliquait cela avant la mort de Tchang Kaï-shek, nombre de sceptiques refu­saient de se rendre à l'évidence. Il le faut bien aujourd'hui. Et dans tous les pays ceux que n'aveu­gle pas la passion se rendent compte que la République de Chi­ne est une réalité politique vi­vante, capable de survivre à son fondateur, capable de se déve­lopper après lui. Le dernier ser­vice que le Maréchal aura rendu à son pays il le lui a rendu après sa mort. C'est à ce mo­ment qu'il aura fait comprendre au monde, en permettant à son pays de lui survivre, qu'il y avait là un corps politique vivant, qu'il n'é­tait pas possible d'ignorer, et dont il fallait bien voir qu'il ne disparaîtrait pas avec celui qui l'a fait ce qu'il est. On est bien loin, par consé­quent, de l'effondrement que des observateurs malveillants, parti­sans, ou superficiels, avaient pré­dit. Non, Taïwan est solide. Avec ses 16 millions d'habi­tants, elle vient au 30 ou 31^e^ rang dans le monde pour la po­pulation. Sa densité, plus de 400 au km^2^ est la plus forte du mon­de. Son agriculture est prospère et elle exporte même du riz, malgré sa faible superficie. Son industrie est florissante, malgré les difficultés causés là comme ailleurs par la crise mondiale, dif­ficultés en voie d'être résorbées. Son commerce se développe constamment -- ce pays de 16 millions d'habitants a un com­merce extérieur qui est le dou­ble de celui de la Chine com­muniste avec ses 700 millions d'habitants, ce qui en dit plus long que tous les discours. Mais ce n'est pas tout, et peut-être même n'est-ce pas le principal. Ce qui frappe à Taiwan, c'est d'abord le progrès de la condition humaine. Qu'il s'agisse du logement, de l'alimentation, du vêtement, de la circulation au­tomobile, de l'état des routes, de la qualité des transports, tout donne l'impression d'un immense progrès. C'est la qualité de la vie qui a changé en vingt ans à Taiwan, et c'est un miracle qui vaut le miracle japonais. D'ail­leurs, après le Japon, Taïwan est le premier pays d'Asie pour le revenu par tête d'habitant. La propreté du pays est exem­plaire. Non seulement la propre­té matérielle (on donne de sévè­res amendes à ceux qui jettent des papiers dans la rue), mais plus encore la propreté morale. Les écoliers, avec quelques élé­ments d'uniforme, vont en classe en ordre, avec des vêtements sans une tache, et un air de gaieté et de santé morale qui ne trompe pas. Là-bas, la pornogra­phie ne s'étale pas comme en Europe. La violence n'est pas la maîtresse des écrans. Les famil­les se promènent comme elles se promenaient en France ou en Italie il y a 50 ou 60 ans. Taïwan est un pays sain, ordonné, qui frappe par sa netteté, une espèce d'oasis de calme, de travail, de paix, au milieu d'un monde en proie à la plus grave des crises morales, où plus rien n'est sa­cré, où les valeurs fondamenta­les sont bafouées. 282:199 Oui, Taiwan donne l'impression d'un pays ci­vilisé, où le travail, la famille et la patrie sont honorés comme il convient. Les esprits forts d'Occident peuvent en rire en grin­çant. Mais c'est à Taiwan plus que dans beaucoup de pays occidentaux que les vraies valeurs de la vie ont gardé leur sens. La santé du peuple fait que Taiwan est un pays solide. C'est aussi un pays défendu, avec une armée bien équipée, avec des hommes qui savent encore ce que veut dire le service du pays. C'est aussi une nation qui a plus de stabilité dans le monde qu'on ne le croit parfois. Elle est au point d'équilibre de ces trois grandes puissances que sont la Chine communiste, l'U.R.S.S. et les États-Unis. La Chine commu­niste n'a pas la possibilité d'an­nexer Taiwan. Les États-Unis ne peuvent l'abandonner. Et la Rus­sie ne peut laisser Pékin s'en emparer. C'est donc dire que plus de 25 ans après sa création, et plus de six mois après la mort de son fondateur, la République de Chi­ne est un pays qui a donné la preuve de sa vitalité, qui s'est développé sans jamais régresser, et qui a vraiment gagné sa place parmi les nations. C'est une réa­lité fondamentale de la géopoli­tique de l'Asie et les puissances, au premier rang les puissances européennes, et parmi elles la France, devraient en prendre une claire conscience. \[Fin de la reproduction intégrale de l'article paru dans les *Informations politiques et sociales*, numéro 465 du 22 novembre 1975.\] 283:199 ### Le septième anniversaire de "Permanence" La revue et le mouvement *Permanence* (« *Permanência *») de nos amis brésiliens ont été fondés à Rio de Janeiro il y a sept ans. Nous reproduisons l'article que Gustave Corçâo a consacré à cet anniversaire dans le quotidien *O Globo*, numéro du 4 octobre 1975. (Traduction Hugues Kéraly.) Voici sept ans, en ce sombre 1968, l'idée nous est venue de fonder un mouvement culturel et religieux. Pour dire mieux nous fûmes alors requis, sollicités, défiés, contraints de fonder ce mouvement : *Permanência.* Je n'entends pas répandre l'idée que nous ayons reçu des appels explicites et nominaux du mon de entier. Mais ici, au Brésil, ces appels existaient, et le lan­cement de la revue fut pour nous un succès surprenant. La même année surgissait à Sâo Paulo notre compagnon de lutte *Hora Presente.* Et peu après, toujours à Sâo Paulo, le S.E.P.E.S., un des mouvements anticommunistes les plus efficaces de toute l'Amé­rique. Le groupe T.F.P., plus ancien, mérite une attention spéciale, pour l'attitude courageuse avec laquelle il fait face aujourd'hui aux plus violentes et répugnantes critiques alimen­tées par le libéralisme de gauche, ([^55]) 284:199 Mais je suis fortement convaincu, après la lecture de l'ar­ticle de Thomas Molnar « Contre-contre-culture », (ITINÉRAIRES numéro 192 d'avril 1975) de ce qu'au-dessus et en deçà de ces appels nationaux il y avait dans le monde entier, en cette tra­gique et répugnante année 1968, une plainte, un gémissement universel, une anxiété spirituelle, qui se sont traduits par l'ap­parition de divers mouvements plus importants ou plus petits que le nôtre, marqués du même caractère fondamental de ri­poste et de témoignage. Dans son article, qui sera publié inté­gralement par Permanência, set-out ([^56]), Thomas Molnar, agrès avoir rapporté quelques cas de prises de position personnelles, dont certaines héroïques, énumère les fondations récentes dont il connaissait alors l'existence. Il commence par Kontinent, cette « magnifique implantation russo-chrétienne dans le ma­rais occidental » : seuls les Soljénitsyne, les Siniavsky, les Maximov osent repousser ces « intellectuels reptiliens » qui avaient voulu faire d'eux les serviteurs du communisme. Il mentionne ensuite la courageuse revue allemande *Zeitbühne* de Willy Schlamm, personnage pittoresque, ancien communiste de Vienne, collaborateur de *Time* et de Life*.* En Italie l'excel­lente revue *Intervento,* à la fois italienne et internationale, diri­gée par Fausto Gianfranceschi ; *La Destra,* tout aussi italienne et internationale. En Californie, U.S.A., le Journal of Christian *Reconstructions* de Rushdoony. Notre compagnon de lutte poursuit l'énumération des signes de réaction à travers le monde entier. Ce qui est arrivé en 1968 à Paris passa toute mesure et se transforma, par la grâce de Dieu, en bienfaits. Nous aussi, au Brésil, nous avons senti vaciller les conquêtes de 64 ; ici aussi on a vu l'obscène, Marche saluée par les intellectuels de gauche. Et encore au Chili, hé­roïquement, en plein gouvernement communiste, surgit la revue *Tizona,* qui riposte. *Permanência* fut fondé ainsi, dans un grand contexte mon­dial, contre la vague d'avilissement humain qui prenait alors des dimensions d'une insupportable insolence. Mais il faut rap­peler que cette vague n'est pas morte, que demain ou après-demain peut renaître un Himalaya de contre-culture, à nous faire regretter 1968, si tous ces petits mais très profonds mou­vements venaient à être dédaignés pour leur petitesse et incom­pris pour leur spiritualité. Deux grandes vagues menacent de submerger ou de détruire toutes les conquêtes de la civilisation. La première est la révolution de caractère temporel, qui a son modèle le plus répandu dans le communisme. Ce torrent ne représente pas seulement une formule socio-économique et un risque d'asservissement politique : il consiste par-dessus tout en une vague de dégradation et d'abêtissement (*estupidificaçâo*)*,* qui peut bien durer un millénaire. 285:199 Le second torrent, beaucoup plus grave que le communisme, mais alimenté par lui, est celui qu'on observe dans l'enceinte même de l'Église. A Permanência nous luttons tous pour un monde meilleur, pour un Brésil plus heureux, mais, principalement, nous luttons pour la restauration de toutes les valeurs chrétiennes ébranlées ou détruites par les soi-disant hommes de progrès. C'est pour cette raison qu'à côté des multiples cours de phi­losophie, histoire de l'Église, civilisation grecque, histoire de l'art et des conférences prononcées au *Forhum,* nous mainte­nons, nous, un cours de religion catholique : il continue celui commencé il y a trente ans au « Centre Dom Vital » où, en quinze ans de permanence, nous avons réuni les amis qui nous entourent encore aujourd'hui, dans l'intimité d'une amitié sur­naturelle. Nos cours de cette année portent sur la théologie de l'amour propre et la quête de la perfection. Qu'ils en rient tout leur saoul, les esprits avancés qui prétendent ne plus connaître aujourd'hui la recherche de la sainteté personnelle mais seulement la « libération » des communautés de base. Cette année, dans notre cours de religion, à dix-huit heures, le lundi, au siège de Permanência, nous abordons un problème d'une importance capitale pour la vie spirituelle, pour la vie humaine dans ce monde et dans l'autre, et pour le sort d'une civilisation encore chrétienne. Permanência fête son septième anniversaire, fidèle à toutes les idées de sa fondation, qui sont celles du souvenir et de la permanence. \[Fin de traduction française intégrale, par Hugues Kéraly de l'article de Gustave Corçâo paru le dans le quotidien *O Globo* de Rio de Janeiro.\] ============== fin du numéro 199. [^1]:  -- (1). Nous savons de quel journal. [^2]:  -- (1). Cf. ITINÉRAIRES, n° 187 de novembre 1974, p. 28. [^3]:  -- (1). Je parle d'imprudence parce que mon sentiment est qu'en fait Jean XXIII, pour finaud qu'il fut, a bel et bien été « roulé » par ceux qui l'entouraient et qui voulaient faire la révolution dans l'Église. Mais qui dit imprudence ne dit pas absence de responsabi­lité. Un chef est responsable de ce qu'il fait et de ce qu'il dit. Or le discours d'ouverture du Concile (11 octobre 1962) -- celui où il est question des « prophètes de malheur », de la présentation différente des vérités traditionnelles, du refus de recourir aux « armes de la sévérité » etc. -- annonce l'esprit conciliaire dont nous ne cessons de subir les effets. Jean Madiran alerta là-dessus l'opinion dès le numéro de décembre 1962 d'*Itinéraires* et y est revenu bien souvent. On a beaucoup dit que l'auteur du discours était Montini. Nous ne le saurons jamais ; cependant la relecture que je viens d'en faire me rend la chose infiniment probable, tant la correspondance est étroite entre ce discours d'ouverture de Jean XXIII et le discours de clôture de Paul VI dont nous allons parler. La différence est surtout dans le ton, précautionneux en 1962, triomphaliste en 1965. [^4]:  -- (2). Texte dans la *Documentation catholique*, n° 1462 du 2 jan­vier 1966. [^5]:  -- (3). Cité par Dom E. GUILLOU dans ITINÉRAIRES, n° 197 de novem­bre 1975, p. 83. [^6]:  -- (4). Id. [^7]:  -- (5). Le 8 novembre 1975, dans une lettre adressée à l'Assemblée du protestantisme français, Mgr Etchegaray, président de la Confé­rence épiscopale, écrit : « Il ne s'agit plus de clarifier nos divergen­ces ou de souligner nos convergences, nous devons tendre coûte que coûte à une unité organique dans unes Église respectueuse des valeurs et des traditions particulières... » [^8]:  -- (1). La « désobéissance formelle et croissante », comme on le verra plus loin, consiste en ce que l'abbé Coache ne s'est pas soumis à l'exorbitante prétention de son évêque, qui entend l'empêcher totalement de parler et d'écrire, quels qu'en soient le sujet, l'occasion et le contenu. [^9]:  -- (2). Noter l'alternative. Ou bien « l'union avec votre évê­que » (en fait, une soumission aveugle), ou bien c'est donc que vous vous ralliez à l'abbé de Nantes. [^10]:  -- (1). Mais point l'obéissance inconditionnelle que réclame Mgr Desmazières, évêque de Beauvais. L'obéissance incondi­tionnelle *n'est pas catholique.* [^11]:  -- (2). Cela présuppose que l'évêque lui-même ne s'écarte pas de la doctrine catholique, Or Mgr Desmazières, on le verra de mieux en mieux, est un adepte du nouveau catéchisme, bientôt de la nouvelle messe, bref de la nouvelle religion. [^12]:  -- (3). On a bien lu le commandement exorbitant : « *cesser toutes vos publications quelle qu'en soit la forme *»*.* Et aussitôt après : « *toutes ces activités... *»*.* Ces activités « qui ne sont pas conformes à l'amour des âmes et contredisent l'authentique charité ». Par exemple : maintenir l'enseignement du caté­chisme romain traditionnel... [^13]:  -- (4). On a bien lu. L'évêque accuse l'abbé Coache de mettre l'eucharistie au service de ses ambitions personnelles. [^14]:  -- (5). Ce sont bien les *activités de publiciste* qui sont princi­palement visées. L'évêque de Beauvais veut, par voie de com­mandement, réduire au silence un auteur sans que, pourtant, ses écrits aient fait l'objet d'aucune condamnation précise. [^15]:  -- (1). La sœur aînée de l'abbé Coache, petite sœur de l'As­somption. [^16]:  -- (1). Si l'on se demande comment il peut se faire qu'un évêque *réprouve* une procession du Saint-Sacrement « simple­ment constituée des éléments liturgiques voulus par l'Église pour le dimanche qui suit la Fête-Dieu », eh ! bien, on aura la réponse : c'est en raison du « contexte actuel ». [^17]:  -- (2). « Cesser toute publication quelle qu'en soit la forme et arrêter toute diffusion de vos écrits antérieurs » : sans autre forme de procès. [^18]:  -- (3). Mgr Desmazières n'a pas accordé une audience sur la demande de la sœur de l'abbé Coache. Il l'a lui-même, de sa propre initiative, convoquée à Beauvais. [^19]:  -- (1). Ceux-ci, livre, brochures et tracts sont envoyés à la S. Congré­gation par envoi séparé. [^20]:  -- (1). Je n'ai cité ici que quelques exemples, et non des plus violents. [^21]:  -- (2). « Ces artisans d'erreurs, écrivait *Pascendi,...* se cachent dans le sein même et au cœur de l'Église... Sous couleur d'amour de l'Église, imprégnés jusqu'aux moelles d'un venin d'erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, ils se posent comme rénovateurs. En phalanges serrées, ils donnent l'assaut à ce qu'il y a de plus sacré dans l'œuvre de Jésus-Christ... Ennemis de l'Église, certes ils le sont, et à dire qu'elle n'en a pas de pires on ne s'écarte pas du vrai... C'est du dedans qu'ils trament sa ruine. Le danger est aujour­d'hui presqu'aux entrailles mêmes et aux veinés de l'Église... Nulle partie de la foi catholique qui reste à l'abri de leur main... Rien de si perfide que leur tactique : amalgamant en eux le rationaliste et le catholique, ils agissent avec un tel raffinement d'habileté qu'ils abusent facilement les esprits mal avertis. » [^22]:  -- (1). Cette lettre est le document n° 9 ci-dessus. Quant à la lettre-circulaire soumise pour correction, son texte corrigé est le document n° 13 ci-après. [^23]:  -- (1). *Libelle* « se dit de tout acte en matière ecclésiastique » (Littré). En procédure ecclésiastique, le terme « libelle » dé­signe la requête introductive d'instance. Il s'agit du document n° 9 ci-dessus. [^24]:  -- (1). Cette lettre de Monseigneur était du 19 mars ; depuis cette date je me trouvais en relation épistolaire avec lui, dans l'espoir d'une solution, concernant la procession. Ma lettre du 2 mai ne vous est envoyée qu'aujourd'hui car une dernière fois j'avais supplié Mgr l'évêque de venir présider la célé­bration du 16 juin. A mon retour de Fatima le 16 et prenant con­naissance de son refus, je devais me résigner à vous envoyer cette circulaire. (Cette note de l'abbé Coache fait partie de la circulaire.) [^25]:  -- (1). Il s'agit d'une circulaire donnant les derniers détails d'organisation pour la cérémonie du 16 juin à Montjavoult. [^26]:  -- (1). « Chargé de transmettre », Mgr Desmazières ne transmet pas et ne transmettra jamais la réponse de la Congrégation romaine. Cette « réponse de Rome à votre recours » restera inconnue. On n'en saura que les quelques mots cités, tantôt en français et tantôt en latin, par l'évêque de Beauvais. [^27]:  -- (1). Mais si, mais si. Il y a eu l'affaire d'Action française, en 1926-1927, première *hora et potestas tenebrarum* selon le mot du cardinal Billot. Mais c'était à l'époque une exception. Depuis le concile, c'est monnaie courante et comportement or­dinaire des cardinaux de curie, aplatis devant le parti au pouvoir qui tient l'Église militante sous la botte de son occu­pation étrangère. [^28]:  -- (1). L'abbé Coache réclame son droit : avoir communication de la réponse de Rome qui lui est destinée. Mgr Desmazières écarte cette réclamation en disant : -- Comment ! Vous osez me poser des questions ! [^29]:  -- (1). Remarque de l'abbé Coache : « La signature n'a pas été imprimée au bas de ce tract, par oubli ; mais le texte montrait avec évidence que j'en étais l'auteur. » [^30]:  -- (2). Mgr Desmazières s'obstine à ne pas faire connaître la réponse de la Congrégation. Il s'obstine à ignorer, contre tout droit, la juste réclamation de l'abbé Coache. Ou *bien,* en. effet, cette lettre du cardinal Seper est effectivement la « réponse de Rome » à la requête introductive d'instance présentée par l'abbé Coache à la Congrégation romaine de la doctrine de la foi (document n° 9 ci-dessus) : et dans ce cas cette « réponse » doit être communiquée intégralement à l'abbé Coache. *Ou bien* la lettre citée du cardinal Seper est une lettre privée que le destinataire, Mgr Desmazières, a le droit de garder pour lui mais alors, dans ce cas, il n'y a pas « réponse de Rome », la plainte déposée par l'abbé Coache n'est pas encore jugée. [^31]:  -- (1). C'est le document 24 ci-après. [^32]:  -- (1). L'abbé Coache proteste qu'il s'agit là du rapprochement abusif de citations éparses, et qu'il n'avait écrit nulle part que *la procession était organisée en réparation de la prévarication des évêques. -- *Quoi qu'il en soit, la prévarication de l'épis­copat français est aujourd'hui un fait bien constaté, irrécusable, massif. Ce n'est pas une accusation portée « outrageusement » : C'est une vérité vérifiable et vérifiée. Une telle situation appelle évidemment (entre autres) des processions réparatrices. [^33]:  -- (1). On peut s'étonner de l'effronterie vaticane. Mais c'est qu'elle pensait n'être pas découverte. L'abbé Coache n'avait pas encore envoyé son recours à *cause de la grève des postes en Italie.* Pour la même raison, les pirates de la congrégation ro­maine n'étaient pas surpris de ne l'avoir point reçu : ils le supposaient parti. Comme de toutes façons ils étaient décidés à donner tort à l'abbé Coache, ils déclarent qu'ils ont *examiné* et *rejeté* un recours... qui n'existe pas encore ! -- Cette circons­tance providentielle révèle *comment on juge* à Rome depuis le concile. C'est un autre aspect de l'occupation étrangère sous la botte de laquelle se trouve aujourd'hui l'Église militante. [^34]:  -- (1). L'avocat G. Torre ayant finalement, par lettre du 28 juillet, refusé d'assister l'abbé Coache, la cause fut confiée en août 1969 à l'avocat Renato Ottaviani (neveu du cardinal). [^35]:  -- (1). Eh bien oui, c'est ce qui finalement se passera. Aucun prêtre révolutionnaire et hérétique ne sera condamné par le Saint-Siège, mais seulement l'abbé Coache. L'Église militante est sous la botte d'une occupation étrangère. Rome même est occupée. [^36]:  -- (1). On comprendra -- et d'ailleurs on sait par ailleurs -- que c'est surtout Mgr Desmazières qui a parlé de l'abbé Coache, pour obtenir qu'enfin il soit écrasé. [^37]:  -- (2). Dès le début, Mgr Desmazières a dit au contraire à l'abbé Coache que ses intentions n'étaient pas « excellentes au départ », mais qu'elles procédaient de l'ambition, etc. [^38]:  -- (3). Mgr Desmazières écrit n'importe quoi (c'est la mode aujourd'hui dans l'Église). Les maux que dénonce l'abbé Coache, c'est la carence -- ou selon les cas, la trahison -- de l'épis­copat en général, de Mgr Desmazières en particulier. Mgr Des­mazières voit cela « aussi bien » que l'abbé Coache ? [^39]:  -- (1). La prétendue soumission « filiale et confiante » que réclame Mgr Desmazières est en réalité une soumission aveu­gle et inconditionnelle. Le simple fait qu'il exige non pas une *correction* éventuelle des écrits de l'abbé Coache, mais la *suppression totale* de tous ses écrits, -- et cela sans qu'il y ait eu examen critique ni jugement doctrinal selon les règles du droit, -- montre de manière évidente que nous sommes en pré­sence d'un intolérable despotisme. [^40]:  -- (2). L'abbé Coache, on le verra plus loin, nie avoir prononcé de telles paroles. Mais prenons la citation telle qu'elle est, telle qu'elle scandalise Mgr Desmazières. Elle le scandalise dans la mesure où il ignore la doctrine chrétienne. La déclaration : « je ne vous obéirai jamais », quand elle est précédée de l'énoncé de son motif : « Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes », signifie manifestement : Je ne vous obéirai jamais *en rien qui soit contraire à la loi de Dieu.* Une telle doctrine, une telle attitude ne sont pas seulement permises : elles sont obligatoires pour un catholique. Elles ne sont plus enseignées ni admises par le parti au pouvoir dans l'Église, qui cherche à nous imposer l'apostasie par la voie de l'obéissance incon­ditionnelle. [^41]:  -- (1). Cette lettre fut déposée le jour même par l'abbé Coache au domicile du cardinal Villot. Elle ne reçut jamais aucune réponse. La commission cardinalice jugera l'abbé Coache sans l'avoir entendu. [^42]:  -- (1). Cette lettre n'est pas connue. [^43]:  -- (2). EXAMEN ATTENTIF : on est désormais dispensé de le croire sur parole, s'agissant des mœurs administratives et ju­diciaires de la Rome post-conciliaire, occupée par l'ennemi. La preuve est faite que l'on déclare aisément y avoir « exa­miné » des recours qui n'ont pas encore été envoyés (ci-dessus documents 28 et 29). -- D'autre part, les cardinaux Garrone et Tabera sont suffisamment connus pour ne mériter aucune con­fiance. [^44]:  -- (3). La commission cardinalice a jugé équitable de ne pas entendre l'abbé Coache avant de le condamner. Elle n'a même pas voulu connaître quel était le « compromis » que l'abbé Coache demandait, dans sa lettre au cardinal Villot (document 74), de pouvoir lui proposer. [^45]:  -- (4). Manifeste contre-vérité. C'est le hoc volo, sic jubeo, substitué à la règle du droit. [^46]:  -- (1). La messe nouvelle *imposée comme obligatoire.* Qu'on ne vienne pas nous dire demain qu'on ne l'avait pas fait. Scripta marrent. [^47]:  -- (1). Non, la doctrine catholique ne dit pas cela. Quand les pasteurs légitimes commandent un péché, le devoir est de ne pas leur obéir. La sentence qui condamnait sainte Jeanne d'Arc était rendue par un pasteur légitime. Le pape Alexandre VI Borgia était un pasteur légitime : mais on ne devait aucune obéissance aux ordres par lesquels il organisait ou favorisait le mensonge, la fornication, l'assassinat. C'était lui aussi un, pasteur légitime, le pape Honorius 1^er^, dont les ordres proté­geaient et propageaient l'hérésie, ce qui lui valut d'être explicitement et nommément condamné comme hérétique par ses successeurs. Les évêques français imposent aujourd'hui *un* catéchisme qui ne contient plus les connaissances nécessaires au salut ; ils imposent comme *rappel de foi* le mensonge selon lequel à la messe *il s'agit simplement de faire mémoire ;* ils pactisent avec les erreurs modernes, libéralisme, socialisme, et avec le communisme intrinsèquement pervers. On n'acceptera jamais de les suivre *en cela,* pas même quand ils obtiennent pour leurs prévarications l'approbation, feinte ou réelle du Saint-Siège. [^48]:  -- (1). A ceux qui prétendent la messe traditionnelle interdite ou abolie, il faut demander non seulement par quel *acte* et à quelle *date,* mais encore en quels *termes.* Car plusieurs ont eu l'effronterie de donner une date, d'indiquer un acte : la cons­titution apostolique *Missale romanum* de 1969, disent-ils. C'est ce qu'a fait Mgr Adam, évêque de Sion, en janvier 1973 ; et c'est ce qu'a fait le cardinal Villot dans sa lettre du 11 octobre 1975. Mais ils n'ont pas pu, et pour cause, *citer en quels termes. -- *Voir notre brochure : *La messe, état de la question.* [^49]:  -- (1). A l'aube du 20 novembre 1936 : trente-neuf ans exactement, jour pour jour, heure pour heure, avant la mort du général Franco. (Note d'ITINÉRAIRES.) [^50]:  -- (1). Michel de Saint Pierre : *Je reviendrai sur les ailes de l'aigle,* roman (Table ronde). [^51]:  -- (1). Nous nous permettons de renvoyer à nos trois ouvrages : *Les deux Israël,* Éditions du Cerf, Paris 1960 ; *Judaïsme et christianisme. Dossier patristique,* Éditions du Cèdre, Paris, 1969 ; *Jalons pour une théologie chrétienne d'Israël,* Éditions du Cèdre, Paris, 1975 *;* ainsi qu'à nos articles parus dans *La Pensée Catholique,* en particulier N° 114, 125, 132, 143, 144, 148 et 150. [^52]:  -- (2). Cf. en particulier le chapitre 8 de l'Épître aux Hébreux. [^53]:  -- (3). Cette thèse sous-tend les « Orientations pastorales de la commission épiscopale française pour le judaïsme », parues en avril 1973. Elle a été aussitôt explicitement combattue par le Cardinal Daniélou : cf. nos *Jalons pour une théologie chrétienne d'Israël*. [^54]:  -- (1). Mais ce sont jugements platoniques et voix suspectes. Nous n'accordons aucun crédit à ces déclarations, aucune confiance à ces gri­maces, faites pour endormir la suspicion légitime que provoque de plus en plus l'exécrable politique vaticane. Pour admettre que l'Église officielle « commence à se ressaisir » en face du communisme, nous attendrons des actes, des faits, des preuves. -- Car jusqu'à preuve du contraire nous resterons persuadés que la politique vati­cane demeure, dans l'illusion et dans le sectarisme, ce qu'elle a été depuis le concile : cette politique consiste à favoriser dans les pays catholiques l'arrivée au pouvoir de gouvernements du type Allende. Le gouvernement Allende au Chili, parce qu'il réunissait des marxis­tes, des francs-maçons et des catholiques, fut le premier -- et jusqu'à présent le seul -- gouvernement véritablement « conciliaire » dans une nation catholique, gouvernement « œcuménique » correspondant aux intentions (mal) cachées derrière *Gaudium et Spes* et aux visées discernables de Paul VI. -- Ce pontife et son prédécesseur immédiat sont *directement* responsables, et ils sont *les plus* responsables, du désarmement intellectuel, moral et politique de l'Italie en face du communisme. La seule chose qui pourrait peut-être sauver, encore maintenant, l'Italie du communisme, ce serait la venue, mais alors sans tarder, d'un autre pape, qui aurait les lumières et la force d'être, comme Pie XII et selon son devoir, un défenseur de la cité. -- Pour cette raison aussi, récitons les oraisons et faisons célébrer les messes votives « pour l'élection d'un souverain pontife ». (Note d'ITINÉRAIRES.) [^55]:  -- (1). Nous étions au Brésil, en août 1975, les invités de Gustave Corçâo et du groupe *Permanence* de Rio de Janeiro. Nous avons éga­lement été reçus à Sâo Paulo, avec beaucoup de chaleur et d'amitié, par le groupe *Hora Presente* qu'anime le professeur Galvâo de Souza ; et par le groupe T.F.P. (« Tradition-Famille-Propriété ») dirigé par le professeur Plinio Correa de Oliveira : ce dernier est à notre con­naissance, aujourd'hui, dans le monde entier, le plus important groupement politique d'action contre-révolutionnaire catholique. -- J.M. [^56]:  -- (1). En anglais dans le texte.