# 204-06-76
II:204
Les pages 1 et 2 du présent numéro (ci-contre) sont la reproduction des deux premières pages du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, numéro 38 du 15 mai.
1:204
### Au Vatican jusqu'en 1975 l'animateur principal était un franc-maçon
L'accusation est publique, les témoignages sont de poids. Deux témoignages, portant publiquement la même accusation.
1\. -- Mgr Marcel Lefebvre, dans le numéro 10 de la « Lettre aux amis et bienfaiteurs » qui est en quelque sorte l'organe officiel de sa Fraternité sacerdotale :
« *On apprend à Rome que celui qui a été l'âme de la réforme liturgique est un franc-maçon. *»
2\. -- Au même moment l'écrivain italien Tito Casini, à la page 150 de son livre *Nel Fumo di Satana* paru à Florence au mois d'avril :
« *La réforme a été conduite par ce Bugnini qui finalement est démasqué, il est bien ce que l'on soupçonnait : un franc-maçon. *»
2:204
Hannibal Bugnini a été en effet l'animateur de la réforme liturgique, le metteur en scène des nouveaux rites, le rédacteur en chef de la nouvelle messe. C'est seulement au mois de juillet 1975 qu'on l'a subitement fait disparaître dans une trappe, mais non sans le couvrir d'honneurs. *L'Osservatore romano* du 20 juillet 1975 faisait son éloge en ces termes :
« *Le coordonnateur et l'animateur qui a suscité et su faire converger tant de compétences au service du renouveau liturgique a été Mgr Hannibal Bugnini. D'abord secrétaire du Consilium pour la réforme liturgique, puis secrétaire de la Congrégation romaine du culte divin, il a* DIRIGÉ *le travail des commissions... en donnant à ce travail un* DYNAMISME *tel que la nouvelle liturgie est devenue... et patati et patata. *»
Théoriquement à la tête de la congrégation romaine pour la liturgie se succédaient le cardinal-préfet Gut, le cardinal-préfet Tabera, le cardinal-préfet Knox, provisoires et lamentables potiches : les cardinaux-préfets passaient, mais le secrétaire Bugnini restait. Il DIRIGEAIT, comme dit très bien *L'Osservatore romano.* Il est le principal auteur des rites de la nouvelle messe et des nouveaux sacrements. Mgr Lefebvre et Tito Casini déclarent aujourd'hui : -- *C'était un franc-maçon.*
Mgr Lefebvre dit même davantage, sans se départir de la tranquille fermeté, de la douce sérénité qu'on lui connaît :
-- « *Lorsqu'on apprend à Rome que celui qui a été l'âme de la réforme liturgique est un franc-maçon, on peut penser qu'il n'est pas le seul. Le voile qui couvre la plus grande mystification dont les clercs et les fidèles ont été l'objet commence sans doute à se déchirer. *»
Déchirons-le.
3:204
### Lettre à plusieurs lecteurs
*Le "Voltigeur", qu'en faites-vous donc ?*
par Jean Madiran
FORTIFIONS-NOUS pour les combats en cours et pour les combats imminents. Ayons une vue claire de nos points faibles, afin de les étayer. Armons-nous spirituellement. Après le succès de la souscription, après l'échec de la campagne d'abonnements ([^1]), et après l'examen attentif de l'important courrier reçu à ce sujet, il apparaît que ce qui manque le plus aux lecteurs d'ITINÉRAIRES, c'est d'être des *militants.* Ils n'imaginent même pas les démarches les plus simples, les plus légères, les moins coûteuses en temps, en argent, en efforts. Cela ressort des explications qu'ils nous donnent pour innocenter leur incapacité à recruter des abonnés nouveaux. Toutes leurs explications se ramènent en substance à une seule :
-- *C'est trop difficile et c'est trop cher.*
4:204
La revue, en somme, est hors de portée. Hors de portée des bourses et des intelligences moyennes. Elle est trop difficile à lire, trop savante, trop érudite, trop documentée ; et l'abonnement coûte trop. Tel est l'obstacle, il est insurmontable. Une revue nettement moins chère, avec beaucoup moins de choses à lire, et moins ardues, alors oui, chacun lui *ferait* des dizaines d'abonnés.
Eh bien je n'en crois rien. Je n'en crois rien, je le dis à tous ceux qui me tiennent sous une forme ou sous une autre un tel langage, je n'en crois rien parce qu'ils omettent toujours d'en apporter la preuve. Et pourtant la preuve était facile ; elle était à portée de leur main. Ils n'ont pas fait la preuve. Et ainsi elle se retourne contre eux.
La preuve ? C'est le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR : *huit pages par mois, huit francs par an*. Ceux qui geignent que la revue ITINÉRAIRES est à la fois trop chère et trop difficile à lire, combien d'abonnements ont-ils faits au VOLTIGEUR ? En général, aucun. Je n'arrive pourtant pas à croire qu'ils soient tous indigents au point de ne pas disposer de *huit francs* de temps en temps, ni qu'ils soient entourés d'une indigence intellectuelle telle qu'ils ne connaissent personne autour d'eux qui puisse lire et relire studieusement *huit pages* par mois.
\*\*\*
Ah, bien sûr, je dis : « lire et relire », et je dis : « studieusement ». Car bien entendu, qu'il S'agisse de numéros d'ITINÉRAIRES à quatre cents pages ou de numéros du VOLTIGEUR à quatre pages, ces pages nombreuses ou rares s'adressent toujours, les unes et les autres, aux studieux capables de lire, et relire, et méditer. Quand on n'est pas studieux, même huit pages par mois, c'est trop ; et quand on n'est pas militant, même huit francs par an, c'est trop cher.
A part une petite minorité de quelques centaines, les lecteurs d'ITINÉRAIRES ne sont ni militants ni studieux.
Je les appelle à entreprendre de le devenir.
Je les appelle à ce courage.
\*\*\*
5:204
Le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR est dans sa quatrième année d'existence. Un lecteur d'ITINÉRAIRES ayant accès au plus humble degré de l'esprit militant n'aurait-il pas pu trouver *huit francs par mois* pour abonner au SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, chaque mois, une personne nouvelle ? Soit plus d'une quarantaine en quatre ans. Ou du moins *huit francs par trimestre*, soit, en quatre années, une douzaine d'abonnés. Je n'arrive pas à croire que cela était matériellement, financièrement impossible à la plupart d'entre vous. Mais si cela avait été fait, on le saurait. Le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR serait devenu, comme je vous le proposais, une publication de grande circulation : et par le seul fait de sa grande diffusion, il apporterait à la revue ITINÉRAIRES une aide, un soutien qui rendrait presque superflue tout autre forme d'aide et de soutien. Aujourd'hui, pour chaque abonné à la revue, il y a seulement « trois abonnés et demi » au SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR. Oui : 3,5 (exactement : 3,6) : c'est une moyenne, naturellement. La quasi-totalité des lecteurs d'ITINÉRAIRES n'ont pas un seul abonné au VOLTIGEUR à leur actif. Je sens bien ce qu'il y a de dérisoire à vous parler ici d'esprit militant et de vertu militante. Ce sont de bien grands mots, alors que je vous demande pour commencer des actes très modestes et que je n'arrive pas à les obtenir. Non, ce ne serait pas une prouesse de vertu et d'esprit militants, que chacun de vous recopiât à notre intention son carnet d'adresses (à la machine à écrire, ou en capitales d'imprimerie) pour que nous puissions les « prospecter » en vue d'un éventuel abonnement au VOLTIGEUR. Il n'y a là aucun des obstacles que vous invoquez habituellement : ce n'est ni trop difficile ni trop coûteux ; et n'ayez pas peur : nous ne notons même pas, nous ne saurons plus qui nous a communiqué les adresses, vous ne risquez rien. Depuis bientôt quatre ans qu'existe le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, la quasi-totalité d'entre vous ne l'a pas encore fait. -- Ne le fera donc jamais ?
\*\*\*
6:204
Voilà pourquoi je ne répondrai rien sur le fond aux récriminateurs qui se plaignent de ne pouvoir recruter de nouveaux abonnés parce que la revue est trop chère et trop difficile à lire. Car même s'ils avaient raison, cela n'excuserait pas l'absence d'esprit militant qui les fait s'attarder à cette récrimination *au lieu* de s'employer à nous montrer ce qu'ils sont capables de faire avec une publication ni chère, ni difficile à lire, parfaitement à leur disposition : le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR.
Pour la même raison je ne répondrai rien aux lecteurs qui me disent qu'il faudrait alléger la revue de tout ce qui ne concerne « que » la culture ; ni aux membres voire aux dirigeants de groupes et associations travaillant pour la messe et le catéchisme, qui me notifient qu'ils ont « choisi » de ne pas soutenir la revue ITINÉRAIRES parce qu'elle est encombrée d'études et de considérations de culture générale (la réforme intellectuelle) dont ils n'ont que faire ; dont ils n'ont pas besoin, voyez-vous. Ils réalisent ce que j'avais annoncé, mais hélas ils le réalisent dans nos propres rangs, l'apparition et la prolifération d'un nouveau type de barbare, le *barbare chrétien.* A quoi bon leur répondre celui qui est déjà redevenu un barbare, on ne peut en général plus rien lui expliquer concernant sa barbarie. Mais vous, lecteurs qui n'êtes pas encore redevenus des barbares malgré tout ce qui puissamment vous y pousse, vous qui n'êtes certes pas des militants mais que j'appelle à le devenir (un peu), vous pouvez atteindre ces barbares chrétiens. Ils sont avec vous à la messe ; ils sont avec vous dans les groupes de catéchismes. Ne vous adressez point en eux au barbare, pour leur vanter vainement une revue ITINÉRAIRES qu'ils ne peuvent plus comprendre et qui leur paraît un luxe détestable, adressez-vous seulement au chrétien pour lui proposer ou lui offrir le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, qui n'est, lui, pas du tout « encombré ».
Ceux qui m'écrivent ne pas découvrir dans leur entourage quelqu'un qui soit capable de s'intéresser à ITINÉRAIRES, je leur demanderai s'ils ne vont point à la messe. Car la plupart des fidèles qui, en nombre croissant, assistent chaque dimanche à la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V, ne sont abonnés ni à ITINÉRAIRES ni même au SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR.
7:204
Ils ne les connaissent pas ou, pis encore, ils ne les connaissent que par ouï-dire, et des dires souvent fort peu bienveillants, ce qui est un comble en un tel milieu, mais c'est un fait. (Un fait qui serait moins répandu si vous étiez plus militants.) Ce n'est quand même pas une prouesse extraordinaire de faire un peu lire ces deux publications en prêtant quelques numéros à ceux qui assistent à la messe avec vous. Ce n'est ni trop difficile ni trop cher de leur suggérer ou de leur offrir un abonnement.
Un abonnement au VOLTIGEUR : huit francs par an, huit pages par mois...
Devenez militants : en commençant par l'être un peu. Un tout petit peu. Un tout petit peu plus. « *Demain davantage qu'hier. *»
Ceux d'entre vous qui ont une insurmontable répugnance pour le contenu intellectuellement « trop difficile » et pour le coût financièrement « trop cher » de la revue, *et qui pourtant nous lisent encore parce que c'est notre ligne qu'ils trouvent juste et notre bataille qu'ils sentent nécessaire,* -- qu'ils cessent donc de s'acharner, dans l'inaction, à souhaiter, à réclamer la mutilation d'une revue qui est ce qu'elle est, et qui le restera. Qu'ils rejoignent leur poste : au VOLTIGEUR.
J. M.
8:204
## CHRONIQUES
9:204
### Deux pasteurs
*à l'encontre\
de la pastorale conciliaire\
du cercle carré*
par Gustave Corçâo
APRÈS nos commentaires sur la désolante attitude de presque tous les évêques face à l'expansion communiste, -- qui s'explique davantage par notre faiblesse et notre lâcheté que par sa force et son machiavélisme, -- il serait injuste de ne pas mentionner le nom de deux évêques dont le témoignage a provoqué l'admiration de ceux qui espèrent encore ; et la colère des traîtres. Le premier est D. Francisco Da Silva, archevêque de Braga et, à ce titre, primat du Portugal. Tout le monde se souvient de la manifestation qui s'est déroulée à Braga l'an passé ([^2]), face au palais épiscopal, où des milliers de catholiques portugais décidés à la résistance étaient venus chercher dans les paroles du bon pasteur le soutien et l'encouragement de leur lutte. Don Francisco Da Silva n'a point cherché à se dérober, ni à prêcher la non-violence, au nom de ces principes inventés par ceux qui multiplient les euphémismes, néologismes et autres tours mielleux pour dissimuler leur propre lâcheté, ou le mal qu'ils font avec les choses de Dieu. Comme Mgr Affre, archevêque de Paris, qui offrit sa vie en 1848 pour défendre les siens, Don Francisco est aujourd'hui un des cinq ou six évêques vivants à savoir encore ce que signifie le mot « pastoral », dont la falsification fut peut-être le plus grand scandale jamais perpétré par le concile.
10:204
Il me vient à l'esprit une parole bien connue d'Aristote sur l'impossibilité de penser sans faire de la métaphysique même pour renverser la métaphysique, il faut faire de la métaphysique. Je cite ici de mémoire, certain seulement du contenu de l'idée. Eh bien de même, pour fabriquer un concile qui ne fût pas doctrinal, il fallait admettre d'abord une construction doctrinale capable de se substituer à la doctrine que l'on voulait renverser. En l'espèce, on a commencé par donner au mot pastoral, si bien défini dans l'évangile du Bon Pasteur (Jn., X, 1-16), un sens presque exactement opposé : la connaissance et la garde de la doctrine écrite avec le précieux sang de notre Sauveur furent remplacées par la tolérance, le relâchement et autres perversions mille fois définies et condamnées par la sainte Église -- indifférentisme, latitudinarisme, libéralisme, irénisme -- aujourd'hui érigées en système et louées comme des vertus.
Maintenant, si « pastoral » veut dire ce que Jésus a enseigné et Mgr Affre mis en pratique, je dis et répète que tous les conciles catholiques réunis en vingt siècles d'Église militante furent pastoraux, à l'exception du concile Vatican II, qui ne fut pas un concile catholique pour s'être voulu le cercle carré d'un concile exclusivement pastoral.
L'archevêque primat du Portugal n'a élevé aucune polémique contre les termes utilisés et falsifiés par le concile ; mais sa simple attitude de bon pasteur, debout parmi les siens, enseignant, exemplaire, fut de sa part un démenti vivant et héroïque à l'adultération honteuse du mot qui désigne son plus grand devoir devant Dieu et devant les hommes, : pastoral. Je retranscris ci-dessous, d'après une citation de *L'Ordre* *Français* ([^3]), ce passage de la déclaration de Don Francisco, que j'aurais eu tant de plaisir à lire en portugais : « *Nous refusons une société où les moyens d'information sont manipulés par l'État ou un parti, et deviennent des moyens de lavage de cerveau des citoyens, falsifient la vérité en encourageant le mensonge, la délation, la diffamation, la calomnie* (*...*)*. Le communisme est* L'ENNEMI *de notre religion. Nous ne pouvons croire ses chefs quand ils déclarent respecter nos convictions religieuses, alors que tout dans leurs actes* (*et dans leur histoire*) *démontre le contraire. *»
11:204
La réaction immédiate de l'ennemi montre bien l'indignation furieuse que provoquèrent les paroles de l'archevêque de Braga. Ainsi, le même numéro de *L'Ordre* *Français* nous rapporte un article du journal *La croix*, 13 août 1975, en réponse à l'appel lancé la veille contre le discours de Don Francisco par son confrère *L'Humanité :* « *Nous souscrivons à cet appel, car comment accepter la haine et la violence ? La parole de Mgr Da Silva vient de retentir comme une invitation à la guerre civile... Comment un évêque en est-il arrivé à prononcer un tel discours ? *»
J'interromps la citation pour concéder une certaine raison au scribe de *La croix* quand il s'étonne de rencontrer, de nos jours, un évêque catholique capable de tenir un « tel discours » ou, mieux encore, un évêque catholique capable d'appeler au combat contre les communistes. La marionnette des gauches, par ce qu'elle entend ou ce qu'elle lit, s'imagine qu'il n'y a plus dans le monde un seul prélat capable de risquer sa situation, son gîte, son couvert, et jusqu'à sa douce vie terrestre, pour protéger son troupeau, et renouveler le témoignage de Jésus-Christ.
Mais poursuivons notre lecture de *La croix :* « *Où s'arrêtera maintenant la violence ainsi déchaînée ? En tant que chrétiens et en tant qu'hommes qui réfléchissons aux conséquences de nos actes, nous ne pouvons qu'exprimer notre réprobation à l'égard de propos qui font grandir la haine et sèment la mort. *»
Pour moi, en tant que catholique, et en tant qu'homme à part entière, je ne puis dissimuler la nausée que m'inspirent les anathèmes de ce diminué.
\*\*\*
Le second évêque qui, pour notre réconfort, brise la monotonie de l'universelle médiocrité épiscopale m'est apparu sous les espèces d'un livre qui atteint aujourd'hui sa troisième édition, revue et augmentée. Son titre : *Un évêque parle* ([^4]) de Mgr Marcel Lefebvre, -- l'évêque qui, par dessein de Dieu, et non comme d'autres par goût personnel, vautrés dans leurs berlines épiscopales de sept mètres, se trouve offert en spectacle au monde.
12:204
Dans ce livre capital Mgr Lefebvre, entre autres problèmes très graves, aborde celui de la ténacité singulière avec laquelle la majorité des pères du concile se défendait de prendre en considération non seulement les exigences de la doctrine sacrée, mais jusqu'aux définitions même des mots et tout ceci sous le couvert de la sacro-sainte « pastorale » œcuménique. Mgr Lefebvre évoque aussi dans son livre ce scandale qui crie vers le ciel de la capitulation face au communisme. Mais laissons l'évêque lui-même nous en parler : « ...*J'insisterai sur le fait qu'au concile on n'a jamais voulu donner les définitions exactes des sujets dont on discutait ; et c'est ce refus des définitions, ce refus d'examiner philosophiquement et théologiquement les sujets qui étaient traités qui a fait que nous n'avons pu que* DÉCRIRE *les sujets. *» C'est ce tragique refus d'un comportement catholique, de la part des pères, qui oblige aujourd'hui Mgr Lefebvre à *récuser* les conclusions d'une telle assemblée.
Mgr Lefebvre cependant reconnaît que, parfois, ces mêmes pères conciliaires se montraient impatients d'apporter leurs propres définitions, pour fausser celles que l'Église avait promulguées et utilisées depuis des siècles. Page 155, il donne d'abondants exemples de ces fraudes pratiquées contre l'intégrité de la doctrine catholique et l'identité même de l'Église. Ainsi, les pères conciliaires ont falsifié la définition du mariage, de la collégialité, de l'Église elle-même. En résumé, Mgr Lefebvre dénonce le rejet par le concile des définitions traditionnelles, et la multiplication évolutive des impostures et des ambiguïtés.
Au sujet du comportement des 2.350 pères conciliaires qui se refusèrent à prendre en considération la demande d'une réaffirmation de la condamnation du communisme, demande déjà signée par 450 évêques, Mgr Lefebvre, dans les dernières pages de ce livre catholique, fait voir la gravité de la position spirituelle, théologique (et non simplement politique) où s'engageait ainsi la majorité des évêques.
Ce fait suffit à marquer la solution de continuité qui s'établit aujourd'hui entre la véritable Église du Christ, et cette nouvelle institution qui se présente elle-même comme issue d'une telle rupture.
Gustave Corçâo.
(*traduit du portugais par Hugues Kéraly*)*.*
13:204
### Les plus-values de Giscard
*Qualis artifex !*
par Louis Salleron
CE QUI M'INTÉRESSE DANS VALÉRY GISCARD D'ESTAING, C'EST SON JEU. Au sens où l'on parle du jeu d'un acteur. Il est acteur, et excellent acteur. C'est sa force et sa faiblesse. Sa force, car la télévision favorise le meilleur acteur. Sa faiblesse, parce qu'à la fin l'acteur tue l'homme, qui perd sa « crédibilité ». Aux yeux de beaucoup de ceux qui ont voté pour lui, Giscard n'est plus « crédible ».
Il ne peut pas ne pas le savoir. Apparemment, il n'en est pas troublé ; et je ne serais pas surpris qu'effectivement il n'en soit pas troublé le moins du monde. Pourquoi ?
Parce qu'il pense que quand les électeurs n'ont le choix qu'entre deux candidats qui ne les satisfont ni l'un ni l'autre, ils finissent par voter pour celui qu'ils craignent le moins. D'où son assurance, à la fois feinte et réelle.
Sa conférence de presse de la fin d'avril fut, à cet égard, un régal. Après les élections cantonales, il avait cru devoir accorder son visage et ses propos à la consternation de ses supporters. Erreur ? ou savante tactique pour obliger ses troupes à accepter une discipline ? Toujours est-il qu'à sa conférence de presse il avait retrouvé le ton et les manières de sa campagne présidentielle. La presse elle-même parut séduite. Dans la mesure où l'homme se voulait moins crédible, l'acteur s'imposait aux professionnels du théâtre politique.
14:204
Par exemple : un journaliste lui ayant demandé ce qu'il ferait si les élections législatives amenaient une majorité de gauche, il répondit, brandissant le petit livre qui contenait la loi et les prophètes, qu'il appliquerait la Constitution. Parbleu ! Mais quelle est-elle ? La Constitution, c'était de Gaulle. Aujourd'hui, est-ce de Gaulle ou la Constitution ? Une situation de ce genre fait les délices de Giscard à qui elle assure un triomphe facile. En effet « situation ambiguë + personnage ambigu = réalité claire ». Le théâtre d'ombres devient commedia dell'arte qui se joue dans la rue, comme dans les films italiens. Peut-on nier la crédibilité de la réalité ?
Là où, comme acteur, Giscard force l'admiration c'est dans la question de la taxation des plus-values. A sa conférence -- pardon ! à sa « réunion » de presse, il en parla avec la plus parfaite aisance, pour ne pas dire avec la plus évidente jubilation. « Eh ! bien, quoi ? disait-il en substance, c'est la justice. Pourquoi les gains considérables qui sont réalisés par la vente d'un capital dont la valeur a augmenté ne seraient-ils pas imposés ? Voilà des dizaines et des dizaines d'années que la taxation des plus-values existe en Angleterre et aux États-Unis. Ce ne sont pas des pays socialistes, mais ils ont le sens de la justice. Personne n'y trouve à redire et la taxe est entrée dans les mœurs sans l'ombre d'une difficulté. » A ce raisonnement il n'y aurait rien à répondre si on croyait M. Giscard et son ministre M. Fourcade. *Mais on ne les croit pas. On ne les croit plus.* Plusieurs fois l'un et l'autre ont déclaré que la taxation des plus-values ne visait que les spéculateurs professionnels, ceux qui font un revenu de gains répétés sur des achats et reventes de biens considérés comme du capital. Mais l'énumération des biens visés, comme des biens exemptés, dément cette affirmation. Sans parler de tous les impôts qui *existent déjà sur le capital et sur les plus-values,* l'inflation constitue le plus gigantesque impôt sur le capital qu'on puisse imaginer. Elle enrichit certains ? Sans doute. Mais elle enrichit d'abord et surtout les collectivités privées et publiques. Elle est l'instrument privilégié du transfert des patrimoines personnels et familiaux à l'État et à ses ruineux services.
15:204
M. Giscard d'Estaing qui est *l'homme politique qui a porté les coups les plus durs à la famille* par ses lois sur le divorce, la contraception et l'avortement, entreprend maintenant de la détruire en l'attaquant dans ses biens. Il la pénalise déjà dans ses « revenus » en *augmentant beaucoup plus les salaires que les allocations familiales.* Il s'en prend maintenant à son « capital » -- pauvres éléments de propriété mobilière ou immobilière qui constituaient essentiellement des « souvenirs de famille », souvenirs d'un état appartenant à une civilisation en voie de disparition accélérée. Bien entendu, ce sont les familles dites nombreuses qui seront les plus touchées puisqu'elles sont de plus en plus obligées de vendre pour répartir les miettes du patrimoine entre les enfants.
\*\*\*
Ce qui fait particulièrement ma joie dans le projet Giscard-Fourcade, c'est l'exonération de la taxe pour les obligations ! On croit avoir mal entendu, mal vu, mal lu. Mais non, c'est bien dans le projet. Les obligations, qui perdent, chaque année, une valeur égale au taux de l'inflation, seront exonérées de la taxe sur les plus-values ! Il faut de l'estomac pour annoncer ce cadeau.
\*\*\*
Doit-on croire au cynisme du président de la République ? Je n'y crois pas. Il est obsédé du modèle suédois. Des couples, mariés ou pas, où l'homme et la femme travaillent, et dont l'enfant unique ou les deux enfants seront pris en charge dès leur naissance par une société qui les modèlera à son image, voilà pour lui l'idéal du libéralisme avancé. L'alliance de l'étatisme et du grand capitalisme assurera le plus haut revenu par tête d'habitant avec le maximum d'égalité. Quant à la natalité, le Portugal et l'Afrique y pourvoiront.
Rêveuse bourgeoisie... C'était, avant la guerre, le titre d'un roman de Drieu la Rochelle. Les rêves changent. Les dynasties de la bourgeoisie libérale avancée ne changent guère. Elles savent gérer le quotidien ; c'est leur réalisme, mais qui ne concerne qu'elles. La réalité échappe aux hommes du chiffre et de l'image ; car l'image est celle du rêve, et l'on choisit, parmi les chiffres, celui qui soutient l'image.
16:204
MM\. Giscard d'Estaing et Fourcade connaissent mieux que moi les chiffres qu'ils écartent. Leur en citerai-je un qui, si je me fie au sacro-saint *Monde,* émane de la dernière étude économique de la C.E.E. ? En 1975, les salaires nominaux ont augmenté en France de 21,5 %, en Allemagne de 6 %. Les salariés allemands gagnent-ils moins que les Français ? L'économie allemande est-elle en moins bonne posture que la française ? Le mark allemand est-il moins solide que le franc français ?
Il y a près d'un an que Giscard d'Estaing avait déclaré qu'il jugeait « explicables les craintes que suscitent pour l'Union soviétique des projets d'organisation de défense européenne ». Il avait surpris. A tort. Tout ce qui est compris est bien, disait Oscar Wilde. C'est le drame des hommes très intelligents qu'ils comprennent tout. M. Giscard d'Estaing comprend le communisme soviétique, et il comprend le socialisme français. D'où la taxation des plus-values.
A l'heure où j'écris ces lignes, le projet n'est pas encore entré en discussion à l'Assemblée Nationale. On s'amuserait qu'il échoue par le refus de la Gauche -- au nom de la Liberté et de la Propriété.
Louis Salleron.
17:204
### La nuit vietnamienne
par Jean-Marc Dufour
Il n'est pas trop tard pour parler du Vietnam, d'autant que les témoignages se multiplient sur ce qui s'est passé là-bas, sur les illusions qu'entretenaient, avant la chute de Saïgon, les personnalités les plus diverses, et sur l'affreuse réalité à laquelle elles ont été brutalement confrontées. Pour être complet, il faudrait avoir le temps de retrouver, dans la presse conformiste, toutes les affirmations selon lesquelles : le G.R.P. (mouvement armé du Sud-Vietnam) n'était pas communiste, la « troisième force » aurait un rôle important à jouer, les Nord-Vietnamiens ne voulaient absolument pas « anschlusser » le Sud-Vietnam... Il y aurait une belle collection de sottises et de tartufferies à récolter.
Pour aujourd'hui, je n'ai pas une telle ambition. Je me contenterai de quelques textes, tirés essentiellement du livre de Pierre Darcourt (*Vietnam, qu'as-tu fait de tes fils ?*)*,* d'un article publié à Rome dans la revue *Studi Cattolici* par le Père Piero Gheddo -- que l'on dit être l'un des meilleurs experts du Sud-Est asiatique --, et de la conférence prononcée au *Centre d'Études Politiques et Civiques* par Mgr Seitz, ancien évêque de Kontum.
18:204
*L'effondrement de la* « *troisième force *»
Le mythe de la « troisième force », qui devait venir s'interposer entre la population et les conquérants nordistes, fut le cheval de bataille de la presse et de la diplomatie françaises. Pierre Darcourt rapporte ([^5]) les propos de Mme Ngo-Ba-Thanh, présidente du « *Mouvement des Femmes pour le Droit à la Vie *»*,* et représentante de cette « force » :
« Surtout, vous n'accordez pas assez d'importance et de place à la Troisième Force. Cette force existe, elle jouera, vous le constaterez, un rôle très important dans la politique du pays, dans un avenir très rapproché. Les communistes eux-mêmes reconnaissent qu'ils devront compter avec nous. »
Après ces fiers propos, on peut lire dans *Le Monde* du 30 mai 1975 :
« Un des plus importants mouvements de la Troisième Force vietnamienne s'est dissous et a fusionné avec une organisation contrôlée par le G.R.P. Il s'agit du « Mouvement des Femmes pour le Droit à la Vie » dirigé par Mme Ngo-Ba-Thanh, une juriste arrêtée plusieurs fois sous le régime précédent. Elle a déclaré qu'elle n'était pas communiste, mais que les objectifs du Front de Libération et de son mouvement étaient les mêmes : la seule différence, a-t-elle dit, est tactique. »
Autre personnage prestigieux de cette « force », le Père Chan Tin, rédemptoriste.
« Le Père Chan Tin a toujours déclaré -- même à moi personnellement --, écrit le Père Piero Gheddo, qu'il n'était pas entièrement communiste et qu'il ne désirait ni une victoire ni une dictature communiste. »
Toujours *Le Monde,* mais, cette fois, le 23 mai 1975 :
« Le P. Chan Tin commente ensuite la situation politique... Le religieux se dit « enthousiasmé » par les événements, et son discours montre que certains dirigeants de la troisième force se sont alignés sur les vainqueurs. « La transition est une tactique, dit Chan Tin. L'objectif désirable est la réunification et le socialisme. La réunification est un fait dans les esprits. L'Église a parfaitement sa place dans un communisme vietnamien... »
19:204
Le cas du général Minh, le « gros Minh », espoir du Quai d'Orsay et du gouvernement français, chef supposé d'une force supposée, est assez connu. Je citerai donc simplement le récit que Pierre Darcourt fait de l'atroce scène de sa reddition.
Après que les chars nord-vietnamiens aient renversé les grilles du grand portail, un officier supérieur vietminh arrive dans le bureau où attend Minh :
« -- Mon Général (ong sao), lui dit-il en vietnamien, je vous attendais depuis ce matin pour vous remettre le pouvoir...
« -- Tu oses, réplique sèchement l'officier en tutoyant le Grand Minh, parler de remise du pouvoir. Tu n'es qu'un usurpateur et un fantoche. Tu n'as pas à nous remettre le pouvoir. Nous le prenons les armes à la main. Je te précise que je ne suis pas général mais lieutenant-colonel et commissaire politique. Et à partir de maintenant je t'interdis de t'asseoir. »
Je pense que ce passage suffit.
*Les illusions de l'épiscopat*
Pour ce qui est de l'épiscopat vietnamien, il s'était distingué, depuis toujours, par son refus de prendre parti contre les communistes. Le Père Gheddo cite les propos que lui a tenus Mgr Nguyen Van Binh, archevêque de Saigon, en *décembre 1973 :*
« Nous autres, nous ne désirons en aucune manière une croisade anticommuniste ; ce sentiment, qui était propre aux catholiques fugitifs du Nord-Vietnam dans les années 1944-1945, a aujourd'hui presque complètement disparu. *La guerre a enseigné que rien ne se résout par la violence.* Mais, de même que nous essayons d'abattre jusqu'aux ultimes restes de l'esprit de croisade, nous voudrions également que, de l'autre côté, on n'exalte pas sur un ton belliqueux « la libération du Sud-Vietnam », car les communistes aussi ont un esprit de croisade qu'ils devraient perdre, et vous, en occident, vous pourriez faire pression dans ce sens. Alors, nous pourrions même arriver à nous entendre. »
20:204
C'est moi qui ai souligné la phrase : « La guerre nous a enseigné que rien ne se résout par la violence. » Au moment où la violence communiste a permis aux Vietminh de régner en maîtres absolus à Saïgon, elle prend un goût de fiel et de sang.
Mgr Nguyen Van Binh n'était pas le seul à tenir des discours lénifiants. L'archevêque de Hué, Mgr Kim Diem, a salué ainsi l'entrée des troupes communistes dans la capitale de l'Annam :
« En ce moment de joie et de bonheur, nous sommes prêts à collaborer avec tous les hommes de bonne volonté... »
J'arrête ici la citation : c'est assez. L'archevêque de Hué ! La ville martyre où plus de quatre mille intellectuels ont été froidement massacrés par les Vietminh lorsqu'ils l'occupèrent au moment de la bataille du Tet. L'archevêque de Hué, le Katyn vietnamien ! Et il parle de « moment de joie et de bonheur » lorsque les tueurs reviennent une seconde fois...
*L'inexorable réalité communiste*
J'emprunterai à Mgr Seitz la dernière citation de cet article. Elle illustre parfaitement la manière dont les communistes entendent « la collaboration avec tous les hommes de bonne volonté » dont parlait Mgr Kim Diem.
« Une quinzaine de jours après la prise du pouvoir à Kontum, j'avais adressé une lettre aux Autorités nouvelles pour solliciter une audience, précisant que mon Coadjuteur et moi-même souhaitions saluer les autorités, faire connaissance, éventuellement étudier les modalités d'une collaboration. L'audience fut accordée. Nous avons été introduits auprès du Chef du Comité Révolutionnaire, autorité suprême. Il nous a reçus avec un visage de marbre et, brutalement, nous a dit :
21:204
« Vous avez écrit pour solliciter cette audience : c'était votre devoir ; pour faire connaissance : soyez sans crainte, nous ferons connaissance. Mais vous avez ajouté « pour étudier les modalités de collaboration ». Non ! Une seule Loi, un seul Maître : Nous ! »
*Liberté, liberté chérie...*
Je ne voudrais pas terminer sans porter à la connaissance des lecteurs d'ITINÉRAIRES le statut provisoire de la presse, publié à Saïgon sous la signature du Ministre de l'information (sic) et de la Culture (resic) Luu Huu Phuoc. En voici l'essentiel :
« 1. -- Il est formellement interdit d'inciter le peuple à s'opposer à la politique de paix, d'indépendance, de démocratie, de réconciliation nationale et de réunification de la patrie.
« 2. -- Il est interdit d'inciter le peuple à s'opposer à la Loi de l'État ou à se soulever contre le gouvernement ou contre les forces armées populaires.
« 3. -- Il est interdit formellement de fomenter la haine ou les soupçons entre le peuple du Vietnam, ceux du Cambodge et du Laos, ainsi qu'entre notre peuple et celui des pays socialistes, ou les peuples progressistes du monde entier.
« 4. -- Il est formellement interdit de manifester en accord avec la politique réactionnaire des impérialistes.
« 5. -- Il est interdit de révéler des secrets d'État en matière de Défense nationale, d'économie nationale et de réunions secrètes qui n'ont pas été annoncées par le gouvernement ; de donner des nouvelles touchant les procès en cours d'instruction et les sentences qui n'ont pas été publiées par les tribunaux.
« 6. -- Il est interdit de diffuser des informations sur le système de vie dépravée et sur la littérature obscène, contraires aux bonnes coutumes du peuple. »
22:204
On ne peut rien ajouter à de si édifiantes paroles. C'est là un règlement à appliquer aux amis de la révolution vietminh, de *Libération* à *Hara Kiri.*
Jean-Marc Dufour.
*P.S. -- Note sur le Cambodge*
On écrit beaucoup sur le Cambodge, ces temps-ci, et beaucoup d'inexactitudes.
Dire que le peuple cambodgien est « le descendant des bâtisseurs d'Angkor » est une plaisanterie singulière. Il y a autant de différence entre les deux qu'entre les bâtisseurs de cathédrales et un génial pondeur d'H.L.M.. Dans les deux cas, les uns sont peut-être les grands-pères des autres. Mais ça a bigrement dégénéré dans l'intervalle.
Dire que le peuple cambodgien doit au nouveau régime de ne pas souffrir de la faim est une sornette. Discutant, il y a plusieurs années, avec un jeune khmer marxiste, je lui dis un jour : « Votre pays est le seul pays d'Asie du Sud-Est où personne n'a faim ». Il en convint. Je dois ajouter que le Laos était à peu près dans le même cas.
Parler d'une pensée politique cambodgienne est une vue de l'esprit. La principale caractéristique des Cambodgiens est qu'ils ne brillent pas par l'intelligence. Et comme tous les sots, lorsqu'il se sentent forts, ils deviennent méchants. Ce qui explique en partie ce qui se passe au Cambodge aujourd'hui.
### Tour d'horizon ibéro-américain
##### *Portugal : comment s'en débarrasser ?*
Cela risque de devenir une tradition à Lisbonne : avant chaque élection, le gouvernement publie le « rapport préliminaire sur la tentative de coup d'État » qui l'a précédée. Il en fut ainsi l'an dernier avec le jumelage du 11 mars et des élections à la Constituante ; on recommence aujourd'hui avec le 25 novembre et les élections législatives.
23:204
Une ou deux différences, cependant, entre les deux cuvées. Il y a un an, Spinola -- dénoncé dans le rapport comme complice du « golpe » -- ne dut son salut qu'à la fuite. Depuis, il fait ses sottises à l'étranger. Cette année, Alvaro Cunhal, dont le parti semble fortement compromis, est toujours ministre et réside à Lisbonne.
En outre, la droite, l'an passé, eût été immédiatement coffrée si elle avait tant soit peu mis en doute les résultats de l'enquête : la gauche, aujourd'hui, peut ouvertement protester contre les rapports publiés. Elle ne s'en prive pas. Selon Sa Carneiro, dirigeant du parti centriste P.P.D. :
« Le rapport sur le 11 mars était extrêmement vague, rédigé d'une manière (je parle de mémoire, étant donné que je l'ai lu il y a bien longtemps) très politique, tandis que les rapports préliminaires sur le 25 novembre sont rédigés en style militaire, qui précise les faits et précise les conclusions. »
Alvaro Cunhal, lui, s'indigne : on se permet d'insinuer que le P.C.P. puisse recourir au complot et au coup d'État. Pour lui :
« Dans le 25 novembre, se reflétaient les périls de l'aventure gauchiste, de l'irresponsabilité gauchiste et de la provocation gauchiste. Ces évènements auraient très facilement pu être évités ; et même la scission au sein du M.F.A. aurait peut-être pu être évitée, s'il n'y avait pas eu des pressions des secteurs gauchistes. »
Quant au P.C.P. (Parti Communiste Portugais), blanche colombe et doux agneau :
« Il n'y a pas de jour où nous ne puissions lire dans la presse l'accusation selon laquelle le P.C.P. est un parti de coup d'État (...) Nous ne sommes pas un parti blanquiste. Nous ne sommes pas partisans des coups d'État, mais d'une politique d'intervention des masses, de grande intervention des masses populaires dans la politique nationale et même dans la direction de la vie nationale. »
Ces belles affirmations sont directement contredites par les deux rapports préliminaires sur la tentative de coup d'État du 25 novembre 1975. Dans l'un, on analyse les interventions des membres du P.C.P. auprès des moyens d'information (journaux, radio, télévision) avant et pendant la tentative ; l'autre énumère un certain nombre d'éléments de mobilisation des ouvriers de la « ceinture rouge » de Lisbonne, donne les noms de code employés pour les communications radio entre les militaires mutinés et les commissions ouvrières.
24:204
Alvaro Cunhal aura beau jeu de demander « où » dans ces rapports apparaît le nom du P.C.P. En effet, ce qui apparaît ce sont des commissions ouvrières, manipulées par *l'Intersyndicale* elle-même manipulée par le Parti Communiste. La technique de cloisonnement est parfaite ; les contre-feux, en place. Je pense même que c'est afin de pouvoir, en cas d'échec, rejeter par la suite sur les gauchistes la responsabilité du putsch que les communistes ont accepté, à l'automne passé, de participer à des manifestations eu compagnie de ces derniers. Ce qui avait stupéfait tout le monde...
##### *Les surplus de la révolution*
Cela, c'est du passé. L'avenir est peuplé d'autres problèmes. Le plus brûlant, sans aucun doute, est celui du sort des officiers du M.F.A. Que va faire le gouvernement civil sorti des élections ?
Le P.C.P., par la bouche de Cunhal, reste dans une inquiétante expectative, même en ce qui concerne le poste de Président de la République :
« Je ne veux rien dire sur les militaires, ni pour, ni contre », déclare-t-il dans une interview accordée à *l'Expresso.*
Pour Sa Carneiro (P.P.D.) :
« Il pourra se faire que certains des membres des Forces Armées révèlent des qualités politiques et le désir de s'intégrer à la vie politique. Comme règle, il s'entend que, dans ce cas, ils devront abandonner la vie militaire et opter pour la politique. »
Mario Soares (socialiste) ne veut pas écarter les militaires ; il indique même les places qui peuvent leur revenir :
« Ils sont et seront membres du Conseil de la Révolution ; ils assisteront, comme membres du C.R., le Président de la République et seront garants de la Constitution, de l'indépendance nationale, de la démocratie, du chemin vers le socialisme. »
Une collection de potiches, donc, et réduite ; car, en admettant que le Président de la République soit un général, avec les membres du Conseil de la Révolution, on ne dépasse pas les deux douzaines ! Et les autres ?
25:204
Or, depuis le 25 avril des œillets, les ministères, les cabinets ministériels et autres, les délégations ministérielles et autres sont remplis à ras bord de militaires du M.F.A. « On ne peut plus marcher sur un tapis, me disait un ami portugais, sans voir sortir de dessous un colonel qui vous engueule ! » Lieutenants, capitaines, commandants, colonels se sont sacrifiés à qui mieux mieux pour occuper les postes politiques.
Cela ne pourra pas durer : chaque parti a sa clientèle, il faudra bien la caser. En cas de gouvernement de coalition, cela fera deux, trois, plusieurs clientèles...
Alors, les militaires ? Le retour pur et simple aux casernes s'impose. Sera-t-il possible ? Et surtout, revenus aux casernes, y resteront-ils longtemps ? Paraphrasant un journal cambodgien du temps de Sihanouk, qui écrivait à l'intention des Laotiens : « Nous avons goûté au pudding de la neutralité et nous l'avons trouvé nourrissant », on pourrait dire : les militaires portugais « ont goûté au pudding de la politique ». Soyons-en sûrs, certains l'ont trouvé enivrant.
##### *Les résultats des élections*
Si l'on s'en tient aux chiffres publiés, le « glissement » de l'électorat portugais vers « la droite » est considérable. Le parti le plus à droite, le C.D.S., est celui qui a marqué la progression la plus importante, doublant le chiffre des suffrages obtenus.
Les divers partis de gauche et du centre-gauche ont perdu, en tout, près de dix pour cent de leurs électeurs (exactement 7,51 %). Quelle ne serait pas l'allégresse à l'Élysée si cela se produisait en France !
En revanche, il semble bien que le pays soit parfaitement ingouvernable. Des deux possibilités, -- alliance socialo-communiste, alliance socialo-sociaux démocrates, -- Mario Soares ne veut à aucun prix. Dans un cas les socialistes perdraient leur aile droite ; dans l'autre leur aile gauche. Impossible pour la volaille.
En attendant, la vie politique portugaise est encore paralysée jusqu'à l'élection du nouveau président de la république. De son choix dépendra l'orientation politique de demain. D'autre part, les négociations (disent les uns), les marchandages (disent les autres) vont aller bon train. Les affirmations ont le temps de perdre de leur tranchant.
J. M. D.
26:204
### Le cours des choses
par Jacques Perret
AVANT QUE LE CLERGÉ NE FÛT VENU A RÉSIPISCENCE, au plus chaud des hostilités, la république a toujours honoré de sa présence les funérailles catholiques où le grand Turc et le Shah de Perse déléguaient une ambassade. Depuis le général de Gaulle nos présidents et leurs épouses, quand ils sont en vacances ou en déplacement, ont pris coutume d'assister à la messe du dimanche, avec ou sans photographes, dans les paroisses de leur domicile privé ou résidences officielles. De Gaulle étant lui-même celui qui est, n'avait pas besoin de Dieu mais il en fit raison d'État en se donnant pour Jeanne d'Arc. Pompidou qui n'était encore que premier ministre a bien failli se faire plastiquer par l'O.A.S. en sortant de l'église, mais la religion n'était pas en cause.
Quant à Giscard d'Estaing accordons lui cette originalité, méritoire aux yeux des gogos, d'être aujourd'hui le premier président de la république ayant révélé au cours de sa campagne électorale dans quelle catégorie nous devions le situer parmi les philosophies inscrites au catalogue général des valeurs occidentales. Valeurs, soit dit en passant, dont l'éventail grand ouvert et agité à tous propos ne fait plus qu'un zéphyr à la traîne dans le sillage des ouragans en cours. Toujours est-il que Giscard, une fois son programme exposé nous découvrit en supplément gracieux et sans commentaire, sa position intime dans le secteur si délicat des préoccupations spirituelles, à savoir tout bonnement : le spiritualisme. Le choix est de tout repos, toléré par la gauche, agréé par les banques, rassurant pour la droite et n'engageant à rien. Comme un nimbe volatil, un rond de fumée flottait sur son crâne ; il s'est dissipé sans qu'il fût besoin de le mettre en poche.
27:204
La profession, que je sache, n'a pas été renouvelée. Il ne serait pas constitutionnel de laisser croire aux citoyens que les affaires politiques, intérieures, étrangères, sociales, économiques et financières pussent être à la merci de considérations frisant le surnaturel. Dans le gouvernement de leurs troupeaux nos pasteurs eux-mêmes n'en font plus état qu'avec mille précautions.
Toutefois les agents du pouvoir exécutif ont rarement omis dans leurs discours l'allusion de routine à la défense des valeurs occidentales. Mais la tirade est balancée comme un refrain à forme fixe, on n'y fait pas plus attention qu'aux paroles de la marseillaise.
Il tombe sous le sens que la république en aucun cas ne saurait prendre une décision sous l'influence d'une autorité divine qui ne pourrait être chez nous il faut bien le dire, que le Dieu de Clotilde, aussi périmé que dérisoire mais toujours ambiant et même enclin à se mêler du cours des choses. Prétention de nul effet apparemment. Exemple du jour : avez-vous jamais surpris, venant d'un officiel, civil ou religieux, un geste, un mot laissant supposer que l'honneur français pût se croire obligé ou seulement concerné par la détresse d'une minorité ethnique baptisée par nos aïeux irresponsables ?
\*\*\*
UN AMOUR VICIEUX DE LA PATRIE POUVANT ÊTRE INOCULÉ AUX ENFANTS par l'enseignement prématuré, maladroit ou pernicieux des siècles obscurs, il est prévu que les heures consacrées à l'histoire de France lui seront avant peu retirées au bénéfice des crayons feutres, auxiliaires prodigues et complaisants de la créativité idiotique à l'état jaillissant. L'enseignement de l'histoire ne commencera qu'en classe de sixième et expédié de telle sorte qu'à en juger partialement comme tel est mon devoir et sommairement comme il convient à l'économie de ces chroniques, un bachelier ne saura des anciens régimes que les Cathares, Étienne Marcel, la Saint-Barthélemy et le Parc aux Cerfs. En mettant les choses au mieux il ne saura rien du tout. C'est la formation idéale du révolutionnaire sans bagage, à la disposition du néant.
\*\*\*
28:204
Ces considérations banales me sont imposées par les événements du Levant. C'est d'ailleurs l'effet produit par la plupart des événements. Tout ce qui arrive à présent nous oblige à ressasser nos vérités premières dans l'illusion de colmater les brèches. Vaudrait-il mieux pas que non moins utilement je me préoccupasse du sexe des anges libéraux.
\*\*\*
Si l'héritage historique des croisades est refusé par la république et piétiné par l'Église le souvenir n'est pas mort ; on l'entend parfois remuer dans l'oubliette, il faut serrer le bâillon. Car enfin tout ce qui se passe là-bas, qu'on le veuille ou non, se réfère plus ou moins à saint Bernard, à Godefroy de Bouillon, à saint Louis et autres figurines de vitrail imparfaitement démystifiées. Or, depuis le général de Gaulle, grand écuyer de la contre-chevalerie, la revanche de Poitiers est en bonne voie et nous y voyons tous les paladins de la promotion d'Evian piquer les deux avec les bannerets de l'Énarchie : « Pétrole premier servi ! Mohamed le veult ! »
\*\*\*
La presse écrite ou parlée ne fait mention des carnages perpétrés là-bas que pour nous laisser croire qu'ils sont imputables aux deux camps. C'est un mensonge, un mensonge devenu rituel depuis, répétons-le, que de Gaulle roi des Francs et fondateur d'une certaine France décréta honorable et nécessaire notre soumission à l'Islam. Or d'immémoriale sagesse il convient de faire à son vainqueur hommage des mensonges qui le servent ou le flattent. En retour et à souhaits nous en recevrons cette provende qu'ils appellent koud-piedokiou ; peut-être même une moque de pétrole au bout d'une pincette. En conséquence nous serons tenus d'ignorer que là-bas ce sont bel et bien les petits chrétiens et leurs familles qui par milliers se font égorger, mutiler, fanatiquement souiller par nos amis et alliés les enfants du Prophète. Nous avons déjà connu ça en plus grand.
29:204
On ne saurait trahir en l'occurrence avec plus de lâcheté ni à moindre frais un petit peuple qui se croyait encore sous la vague protection d'une France vaguement sollicitée par les débris d'une conscience chrétienne. Ils n'ont même pas eu les quelques mots de sympathie impuissante et attristée que les Sarrasins eux-mêmes eussent jugés décents. Repliée dans le silence, notre chère patrie. Les Palestiniens eux-mêmes, les Jordaniens, les Irakiens, les Seldjoucides, les Fatimides, les Hittites n'en sont pas revenus, et le Dieu d'Abraham en a grogné dans Jérusalem par solidarité testamentaire.
\*\*\*
OCCIDENTAL BON TEINT, COUVE QUI EST DE MURVILLE COMME DUPONT EST DE L'EURE et Perret de Censier-Daubenton, fut envoyé à Beyrouth en flamme avec sa bouillie pour les chats et mission d'apaiser l'incendie. Le diplomate impec, issu et chevronné de la résistance, la caution morale de la bandera gaulliste, le démocrate chrétien et huguenot de surcroît, ne pouvait qu'aborder sa mission dans la feinte ignorance qu'il débarquait là-bas sur les rivages mêmes du royaume franc. Toute allusion publique à ce fâcheux souvenir eût été de mauvais goût. Quelques jours plus tard, tout baigné de tristesse et de distinction Couve rentrait chez lui avec la figure qu'on lui connaît, toujours la même où qu'il aille et d'où qu'il vienne.
Quelques mois plus tard, entre le vingt-cinquième et le vingt-sixième cessez-le-feu, nous envoyons M. Gorse, négociateur auxiliaire des imbroglios arabiques. Si je ne me trompe il se fit connaître en Algérie. En 1962. Il arrivait après la livraison comme l'envoyé du donneur sur les lieux du traquenard. Quand on est passé par là, il n'est plus d'épreuve qu'on ne surmonte. Néanmoins, partant pour Beyrouth M. Gorse a déclaré loyalement que l'objet de sa mission lui paraissait trop confus pour en conjecturer le résultat. Je ne crois pas que le mot de chrétien fut prononcé, ou alors si bien enveloppé que rien ne pût signaler ce vocable au bon cœur des Français. A l'instant qu'il parlait les musulmans déjà fêtaient la victoire de village en village et de tueries en tueries. On aurait pu au moins prévenir ces malheureux à quel point le nom de phalangiste pouvait les desservir.
\*\*\*
30:204
BELLE OCCASION DE CONDUIRE NOS ENFANTS AU MUSÉE DES MONUMENTS FRANÇAIS QUI SE TROUVE DANS L'AILE GAUCHE DU TROCADÉRO. Ce n'est qu'un musée, un mausolée, mais nous saurons y chercher d'autres leçons qu'objectives et culturelles. Toute l'histoire de France est là taillée dans la pierre. De quoi vraiment s'émouvoir et se féliciter d'être né catholique et français. Les apostats et les renégats eux-mêmes en éprouveraient dit-on un léger pincement de nostalgie. Si le temps vous est mesuré allez tout de suite à la salle numéro sept, plantez-vous cinq minutes devant la carte du royaume franc et voyez un peu le travail : de la Syrie à l'Arabie Pétrée plus de vingt villes fortifiées sans compter les châteaux et les kraks, les villages et leurs églises, les monastères, les commanderies et les sept évêchés. Un coup d'œil enfin sur les maquettes, mesurez-les à l'échelle et soyez-en confondu, et là, sous globe, un chapiteau de la cathédrale de Nazareth, imaginez la cathédrale. Et rappelez-vous qu'aujourd'hui nos prélats tout honteux de nos colons chrétiens et tout enamourés qu'ils sont de la cause arabique ne refusent quand même pas la distinction d'un évêché in partibus infidelium. Bien sûr on ne va pas s'en vanter, ce n'est qu'un moyen discret de s'entretenir en salade œcuménique.
\*\*\*
LES RESCAPÉS DU GÉNOCIDE se pressaient sur les plages mêmes où jadis abordèrent nos chevaliers de fer et de lys tout flambant des lumières de la croix. Celui qui dira nos croisés plus anxieux de rapines et de tapis que du nom de Jésus, anathema sit.
A bout de force et d'espoir mais le visage tourné vers l'Occident, les sinistrés récitaient les prières que nous leur avons apprises. Il a fallu que ce fussent là encore des bateaux américains qui vinssent les recueillir.
\*\*\*
31:204
Pendant que j'y pense, à propos d'Américains. Tous les ouvrages sur saint Louis nous donnent au moins quelques extraits des *Enseignements que fit Monsieur saint Louis à son fils aîné Philippe.* Ils sont généralement reproduits d'après la leçon de Joinville plus ou moins conforme au texte abrégé et établi, de seconde main déjà, par Geoffroy de Beaulieu, biographe et confesseur du roi. Il semblait que jusqu'ici le texte initial se dérobât à nos recherches. Aujourd'hui enfin nous savons que le document de base, conservé par Guillaume de Saint-Pathus, n'était encore que la version d'un manuscrit qui remonte à la fin du XVI^e^ siècle (Fonds français 12814 de la Bibliothèque Nationale) et par lequel nous constatons que sans vouloir le trahir les copies successives n'ont pas seulement abrégé mais plus ou moins modifié l'esprit du texte rédigé par le roi.
A qui devons-nous cette bonne trouvaille ? Quelle que soit la ferveur et l'application avec lesquelles nous cultivons la mémoire du saint roi de siècle en siècle, il faut que ce soit un Américain, M. David O'Connell, qui mettant le nez dans nos histoires y découvre cette lumière qui nous avait échappé.
\*\*\*
DÈS LES PREMIERS MOIS DE SON RÈGNE, ESCORTÉ DE SES CHRONIQUEURS ET PHOTOGRAPHES, GISCARD se fit conduire dans la cellule d'une prison lyonnaise pour serrer la main d'un criminel et lui parler de permission. Quiconque, à ce propos, évoquerait la grâce du bon larron, anathema sit. Il fallait voir en cette poignée de main comme le geste inaugural qui coupe le ruban rose, ultime et fragile interdit. Dès lors en effet se découvrait à nos yeux éblouis la perspective annoncée de la société libérale de type avancé, vulgairement appelée avenue de la dame Tartine. C'est une voie nettement déclive, apparemment tapissée d'une moquette émaillée de primevères et d'ancolies. Elle s'étale et s'enfonce dans la foire touzazimuths et ses perspectives en fuite. Le ciel et ses inquiétudes sont agréablement doublés d'un immense et folichon pavois d'étamines tricolores et d'affichettes porno dans les odeurs mélangées de la mèche lente et de la cantharide. Restons-en là de la description, sauf à dire qu'à l'heure où j'écris les mouvements de cette foule égalitaire et libérée ont déjà fait de l'avenue enchantée une vasière, et qu'en tête de colonne Giscard en a déjà jusqu'aux genoux.
32:204
Ne lui ai-je pas assez dit que le libéralisme est le privilège exclusif des sociétés bien élevées.
\*\*\*
SITUATION DES VALEURS OCCIDENTALES. Parmi celles qui furent honorées chez nous depuis saint Pothin, saint Denis et Clovis, les meilleures ont survécu longtemps, avec des alternatives de faiblesse et de vigueur. En fin de compte elles ont été expulsées de la liste officielle et remplacées par l'avènement de valeurs jusqu'alors tenues pour déraisonnables ou viles et désormais reconnues pour dignes de ce nom, authentiques et d'un placement plus facile : l'égalité entre autres et la lâcheté, le bien-être et l'oubli, la loi du nombre, la foi dans l'homme, la fatalité du progrès, la lâcheté encore.
Les titres abrogés ont tendance à sombrer dans l'oubli des populations heureuses et n'être plus mentionnés que dans les ouvrages de piété ou d'érudition. C'est aussi la coquetterie du chroniqueur léger que d'en rappeler de temps en temps quelques-uns, pour mémoire ; et le plaisir d'entonner entre nous, enfants de la fille aînée, la litanie de nos valeurs immortelles et moribondes : la croix et la bannière, l'héroïsme et la sainteté, le courage et l'honneur, l'esprit de sacrifice, l'exaltation de la pauvreté, la mémoire elle-même, le courage encore.
Il est bien entendu, au demeurant, qu'à la bourse des valeurs il ne faut désespérer ni d'un crac ni d'un boum.
Jacques Perret.
33:204
### Juste dans la pire époque
par Bernard Bouts
IL Y A DE L'ABUS, partout, dans le monde actuel. Tous les abus sans restriction et toutes les fraudes... On le sait, on le dit même, mais en tient-on compte assez ?
Nous n'allons pas remettre sur le tapis roulant les abus et les fraudes de la Radio, de la Télévision, du Cinéma et de la Presse et, d'ailleurs, je dois m'en tenir à ce que j'entends dire car la Radio chez nous n'est guère branchée que sporadiquement pour un déterminé concert en F.M. que j'enregistre sur bande. Le Cinéma : une fois tous les quinze ans. Nous n'avons pas la Télévision. Quant aux journaux je les ignore depuis ma naissance. Enfin les magazines : chez le dentiste c'est-à-dire pas souvent.
Par contre j'assiste, d'assez loin il est vrai, à des fraudes et abus d'un autre genre. En voulez-vous ? En voilà : le « peintre » qui fait faire ses « tableaux » par une dizaine de nègres. Un autre qui peint à reculons ; il s'assied dans un fauteuil confortable ; les cinq pots de couleurs pâteuses sont placés *derrière lui* ainsi que la toile. (Vous me suivez ? c'est un peu acrobatique.) Il tâtonne avec un pinceau et vlan ! sur la toile (sans regarder). Un aide enlève le pot violé, lave le pinceau et on recommence. Quand il n'y a plus de pot la toile est terminée. On l'expose dans une Biennale, on gagne un prix, c'est ce qu'on appelle avoir du pot. Deux femmes « du monde » et son fils (je m'embrouille, c'est compliqué) peignent quarante-cinq tableaux *par jour*. (Mais pas tous les jours.) Des portes et fenêtres dans le genre naïf colonial. Ils font trois expositions par mois dans des hôtels ou dans des clubs et gagnent beaucoup d'argent. Ils ont aussi des théories savantes, des dogmes et des rites ésotériques...
34:204
Vous me direz qu'il y avait mieux autrefois : le type qui dérapait en vélo sur une toile préalablement « giclée de cambouis » dirait Jacques Perret ([^6]), ou bien la douce fille qui peignait à coups de canon (un petit canon). C'est la « peinture involontaire », école reléguée avec les taches et le papier découpés parmi les « ancêtres ».
Je n'invente pas. Ces « artistes » sont connus, je ne les nomme pas crainte de me faire donner sulagueule. Chacun fabrique son école, en petits carrés, en lignes horizontales, en clous, en marron, en mou et même en dégoulinant, (mais le bigotudo qui a fait ça ne savait pas que dans mon quartier une montre se dit dégoulinante). Ce sont les purs, les créateurs, suivis d'une poussière d'admirateurs assez confiants et, bien entendu, de journalistes.
Voulez-vous que nous jetions un coup d'œil sur ce monstre multiple ? Il est partout à la fois, il écrit des livres, il paraphrase n'importe quoi (personne n'y comprend rien mais on fait semblant pour alimenter des bribes de conversation, un verre à la main et la bouche pleine, aux vernissages), il a mille pattes, il fait cocorico et il a le verbe haut mais toujours au présent de l'indicatif : je suis peintre, tu es peintre, il est également peintre, nous sommes un groupe de peintres, êtes-vous aussi des peintres ? Ils sont conciliabularistes. (C'est une importante école de peinture basée sur la dynamogénique de groupe, qui n'expose que dans des gares ou des églises désaffectées.)
C'est navrant : moi qui me réjouissais dans ma jeunesse de voir grandir cette pépinière de barbouilleurs j'en suis à me demander où sont passés les copains. Il n'y a plus de copains ; rien que des marchands. Car c'est un commerce mais ça n'est pas cza.
Écoutez moi bien : c'est un commerce. On peint pour vendre et on vend tout sauf ce qui est « bon » bien entendu parce que le « bon » ne se prostitue pas, n'entourloupette pas, ne chante pas cocorico ; il n'est nulle part, il expose peu, il a le verbe bas et toujours au futur. Il attend.
35:204
Le reste, les pullulants massifiés qui se disent opprimés, (soit comprimés), jouent des coudes pour « arriver ». Ils peignent, disent-ils, pour transmettre un message et ils exposent pour se « réaliser ». « Cza ! Cza ! » disait Gargantua, vous me comprenez cette fois ?
Après, à côté, en plus, qu'y a-t-il donc d'autre ?
La Politique : il s'agit de démolir. Cela remonte à peu près à 1920 mais la technique, revue et fignolée beaucoup plus tard n'a été tout à fait mise au point qu'après la guerre. Il s'agit de démolir par la révolte ou révolution, la vexation, la sexation, la pollution, la contestation, l'abolition, la manipulation et je suis bon. En un mot il s'agit de démolir par la démolition. Pour quoi faire ? Si vous le leur demandez ils n'en savent généralement rien, ils suivent la mode sans même savoir qu'ils démolissent.
Mais il y a Quelqu'un qui sait, qui s'en sert pour des fins inavouables : c'est toujours ça de pris sur l'ennemi. D'autres avouent : « Mais, Bernard, la démolition est l'une de nos meilleures armes, en peinture aussi ! » Cette confidence d'un « ponte » m'arriva dans l'oreille un soir qu'il était « bu ».
On ne s'étonnera donc pas que, dans l'anarchie provoquée où nous nageons, un livre sur l'art culinaire aphrodisiaque ait plus de succès que *L'Art et la Pensée* d'Henri Charlier ([^7]).
Un philosophe m'a dit : « C'est dur à lire. » Bien sûr, c'est pas du même tuyau que l'Arculinérotique !
\*\*\*
Maintenant je vais vous dire en deux mots ce que j'en pense : *L'Art et la Pensée* est un chef-d'œuvre de l'esprit et *Culture, École, Métier* aussi ([^8]).
36:204
Pour qui désire mieux comprendre les choses de l'art, la rythmique libre, la qualité de la forme, l'orchestration de la couleur, et puis : comment juger les grandes époques, comment distinguer les maîtres des rénovateurs, les ressemblances entre l'art religieux païen et l'art chrétien, les différences entre le *sujet* religieux et *l'esprit* religieux, l'inspiration, l'art et l'intelligence, les techniques intellectuelles et les techniques matérielles, la formation et la mission de l'artiste, je ne connais pas un ouvrage, dans tous les temps, qui approche de celui-ci. Et j'en ai lu beaucoup.
Nous observons dans l'histoire de l'art et des civilisations des périodes de progrès et des périodes de retrait. Mais les différents arts ne vont pas toujours ensemble. Il y a parfois décalage d'un siècle ou de plusieurs siècles entre l'évolution de la sculpture et celle de la musique ou de la tapisserie. D'autres fois, au XII^e^ siècle par exemple, tout marche de pair, et comment !
Charlier a choisi, pesé, groupé, jugé en praticien et en maître à penser. C'est bourré d'idées, épluché, composé, il n'y a qu'à se servir. Rien à voir avec les élucubrations psychopathiques des professeurs déconologistes.
Enfin il y a quelque chose de tout à fait impressionnant : c'est que Charlier tombe juste dans la pire époque qu'ait connue la France et le Monde. Il était fait pour construire Chartres ou Vézelay, or le Portail Royal s'est sculpté sans lui, Alors ?
Alors j'ai l'impression qu'il a été « choisi » (un mot qui lui est cher) et taillé pour faire face au Léviathan. Plus encore que son œuvre sculptée (qui est dispersée) son œuvre écrite restera comme un monument. Honneur à ceux qui s'en sont aperçus à temps.
Bernard Bouts.
37:204
### Billets
par Gustave Thibon
##### *Un martyr en chômage*
5 mars 1976
On sait que l'armée française traverse une crise de contestation révolutionnaire. Quelques militaires, convaincus d'indiscipline et de menées subversives, ont été récemment condamnés à des peines d'ailleurs légères.
Jean-Paul Sartre, père et pontife de l'existentialisme athée, philosophe mondialement connu, lauréat du prix Nobel qu'il a refusé (mais ce refus a fait plus de bruit que n'importe quelle acceptation), couvre cette subversion de son illustre patronage. Et comme cette attitude ne lui a attiré jusqu'ici aucun ennui, voici qu'il revendique ouvertement l'honneur d'être inculpé au même titre que les pauvres diables dont il approuve et encourage la révolte.
Rien de nouveau dans ce défi à l'autorité : après les événements de mai 68, Sartre s'était livré aux mêmes provocations en distribuant dans la rue et sous le nez des agents des tracts incendiaires émanant d'un groupement révolutionnaire légalement interdit. Aucune réaction chez les représentants de l'ordre public qui le regardaient faire en souriant...
Sartre commence à s'irriter de cette immunité chronique. Il trouve normal et, soit dit en passant, il met dans ce vœu plus de logique que dans toute sa philosophie -- qu'ayant poussé les militaires à la désobéissance il encoure les mêmes sanctions que ses victimes. Et plus il crie, plus la justice de son pays ait la sourde oreille.
Ce qui signifie qu'on ne le prend pas au sérieux, en d'autres termes qu'on lui applique les principes de sa philosophie du néant et de l'absurde.
38:204
Dans un livre intitulé : *Les mots,* Sartre analyse sa vocation de penseur désincarné. La justice le prend à son propre piège : elle le traite en rassembleur impuissant de mots sans portée. Cet intellectuel en vase clos ne mérite pas d'être arraché à son cabinet de travail, cloche pneumatique qui l'isole du réel, pour être conduit en prison. Son verbiage n'attirera pas le choc en retour de la foi violée ; la justice, par sa non-intervention, octroie à l'hypercérébral l'humiliant privilège du débile mental : celui de l'irresponsabilité et, partant, de l'impunité.
Mais je comprends le vœu profond et peut-être inconscient de Sartre. Une bonne sanction pénale l'arracherait aux *mots* pour le jeter enfin dans les *choses* et transporterait cette plante malsaine, grandie dans les serres idéologiques, dans le plein vent des réalités. Avouons aussi qu'à la limite, rien n'est plus vexant que de se poser en candidat perpétuel au martyre sans jamais rencontrer juge ni bourreau qui daigne s'occuper de vous.
J'entrevois pourtant une issue. Il est des pays, auxquels Sartre n'a jamais ménagé sa sympathie, qui entretiennent de très puissantes armées soumises à une très rigoureuse discipline. Que Sartre fasse quelques pas vers l'Est et qu'il aille y prêcher l'antimilitarisme et l'objection de conscience, il aura toutes les chances d'être pris au sérieux et de recevoir la palme que l'immonde justice bourgeoise lui refuse si obstinément, car là-bas aucun candidat au martyre n'est blackboulé, et il arrive même qu'on soit élu sans faire acte de candidature...
##### *Morale sexuelle et psychologie*
12 mars 1976
Le récent document pontifical sur la morale sexuelle a suscité dans les milieux catholiques français une vague de commentaires critiques et parfois nettement hostiles.
Que reproche-t-on au pape ? De réaffirmer, en y ajoutant à peine quelques nuances, la morale d'autrefois sans tenir compte des progrès de la psychologie moderne. Position archaïque, remarque-t-on, c'est-à-dire erronée, la vérité se mesurant, pour une large fraction de l'opinion, aux connaissances et aux goûts du jour.
39:204
Soit dit en passant, on pourrait aussi se demander ce qui restera de la psychologie d'aujourd'hui dans la psychologie de demain, les sciences de l'homme étant sujettes comme toutes les sciences à des changements d'optique et à des révisions constantes et imprévisibles.
Essayons de comprendre. La sexualité, objet du document pontifical, étant une constante de la nature humaine (ce n'est pas d'hier que Dieu a créé l'homme et la femme...), je ne vois pas en quoi la morale réglant l'exercice de cette faculté pourrait varier essentiellement d'une époque à l'autre.
C'est vrai, répondra-t-on, mais nos aïeux connaissaient moins bien que nous les mécanismes physiologiques et psychologiques de la sexualité : d'où leur morale abrupte et simpliste. Mieux informés, nous devons élaborer une morale adaptée à nos nouvelles connaissances. Exactement comme en médecine : la structure du corps humain n'a pas changé depuis l'aube des âges, mais les progrès récents de la physiologie nous dictent l'emploi de règles d'hygiène et, de remèdes ignores de nos ancêtres.
Faisons la part de vérité contenue dans ces critiques et reconnaissons que la morale d'autrefois -- et particulièrement celle qui est issue du jansénisme -- péchait lourdement par excès de rigorisme et de formalisme ; : sexe transformé en épouvantail, catalogue abstrait des péchés de la chair réduits a leurs composante extérieure sans référence aux pulsions biologiques et à l'amour des âmes, avec tous les dangers de refoulement et de culpabilisation morbide engendrés par la présence obsédante des tabous.
Mais, cela admis, est-ce une raison pour adapter la morale sexuelle, non seulement aux remous des psychologies individuelles, mais aux découvertes vraies ou supposées, -- car beaucoup de ces soi-disant découvertes ne sont qu'une interprétation unilatérale, sinon gratuite, des faits, -- de la science psychologique ? L'essence de la morale n'est-elle pas de nous montrer ce qui doit être et non de légitimer ce qui est ? C'est-à-dire de nous guider vers le but et non de s'appesantir sur les détours et les difficultés du chemin ? Exemples. Certains hommes sont sujets à des accès de violence aveugle : est-ce une raison pour dévaloriser le commandement : tu ne tueras point ? D'autres sont plus ou moins kleptomanes : faut-il pour autant relativiser l'interdiction de voler ? En un mot, la morale nous propose-t-elle un idéal à rejoindre par la liberté ou se réduit-elle à l'observation passive des faits comme pour les phénomènes physiques ?
40:204
Ce qui me choque ici, c'est la confusion des domaines. Que certains progrès de la psychologie nous aident à mieux comprendre tels ou tels comportements interdits par la morale chrétienne, personne ne songe à le nier. Mais la somme de ces défaillances individuelles qui confinent parfois à l'irresponsabilité change-t-elle quelque chose à la loi commune dictée par la nature et par Dieu ? Qui comprend mieux la maladie que le médecin ? Doit-il pour cela mettre sur le même plan la santé et la maladie et renoncer à guérir ?
Cette capitulation de la morale devant la psychologie -- et, je le répète, une psychologie souvent sujette à caution -- est un phénomène inédit dans l'histoire. La morale sexuelle a toujours été largement violée -- et pour des motifs psychologiques qui vont du plus vulgaire appétit de jouissance au plus grand amour -- mais on n'essayait pas de l'adapter aux multiples accrocs qu'on lui faisait. Je viens de lire une biographie de Lope de Vega, illustre dramaturge et prêtre par surcroît, qui vivait dans le siècle d'or de la très catholique Espagne : ce personnage étalait au grand jour des aventures amoureuses qui feraient scandale dans notre époque de plate immoralité où la liberté sexuelle entraîne la mort des grandes passions. Mais encore une fois, on n'érigeait pas en droit ce qui n'existait que trop en fait. Suivant le mot de Luther, on péchait fortement ; on ne mettait pas une psychologie des bas-fonds, braquée sur les déterminismes de l'inconscient et négligeant l'âme et sa liberté, au service du péché.
La psychologie réduite à elle-même, c'est-à-dire sans une vision transcendante de la nature et de la vocation de l'homme et sans la hiérarchie des valeurs qui en découle, s'empêtre dans un maquis de contradictions. On y trouve tout et le contraire de tout, de sorte qu'à la limite s'y vérifie l'affirmation nihiliste de Nietzsche : « Tout est faux, tout est permis... ».
Paul VI a eu le courage de réagir contre ce courant de mort en nous rappelant les lois inamovibles de la morale chrétienne. Ces lois ne sont pas d'hier mais de toujours. Ce sont les étoiles fixes de notre destin qui, au-dessus de nos égarements et de nos chutes, orientent dans le temps notre marche vers l'éternité. Allons-nous les effacer de notre ciel et prendre pour guide, sous prétexte de progrès et de modernisme, une pluie anarchique d'étoiles filantes ?
41:204
##### *L'impossible égalité*
19 mars 1976
Je viens de rencontrer un biologiste. Il me parle des progrès foudroyants de sa science depuis quelques années et en particulier des découvertes établissant que les différences entre les individus sont déterminées dès la conception, que les inégalités procèdent, non du milieu social et culturel, mais de la nature, que celle-ci a créé des forts nés pour commander et des faibles nés pour obéir, etc. -- Là-dessus, il s'indigne contre l'égalitarisme antiscientifique qui sévit dans notre époque, soit dans l'ordre politique (démocratie et loi du nombre), soit dans l'ordre économique (nivellement des revenus par l'impôt), soit dans l'ordre culturel (utopie gauchiste proclamant l'égalité des intelligences et réclamant les mêmes études pour tous) et affirme que l'ordre social doit se calquer sur celui de la nature, car de toute façon, et quels que soient les obstacles et les détours, ce seront toujours les mieux doués qui l'emporteront...
N'étant pas biologiste, je ne me prononce pas sur la part de vérité contenue dans ces propos, mais l'expérience des hommes et de l'histoire semble bien les confirmer, y compris dans les sociétés fondées théoriquement sur l'idéal le plus égalitaire.
Nos démocraties libérales confient à la masse des citoyens, sans distinction ni hiérarchie, le choix des chefs de la Cité : la voix du plus faible vaut celle du plus fort. Mais ceux qui agencent et manipulent les élections comptent rarement parmi les plus faibles ; ce sont des ambitieux habiles qui, une fois arrivés au pouvoir, ne sont plus les égaux de ceux qui les ont élus. Talleyrand définissait cruellement la démocratie formelle, née de l'idéal de 89, comme « l'art d'agiter le peuple avant de s'en servir... »
De même pour les révolutions égalitaires. Si humble que soit leur origine sociale, leurs meneurs -- un Lénine, un Staline par exemple -- appartiennent par nature à l'espèce des forts et, la révolution accomplie, les agitateurs se séparent des agités pour leur imposer une nouvelle tyrannie. Ils « sortent » du peuple par leur origine, mais ils n'en font plus partie par leur destinée.
42:204
Et de même encore pour le collectivisme égalitaire qui vise à l'abolition de la propriété privée. Partout où il passe de la théorie dans les faits, l'inégalité est plus grande entre les technocrates, délégués du pouvoir central qui régissent l'économie, et la masse des exécutants, qu'entre le patron et l'ouvrier dans l'entreprise privée.
Bref, il n'y a pas de société sans hiérarchie et pas de hiérarchie sans une sélection qui consacre certaines inégalités naturelles.
Mais j'entends déjà la question : que devient la justice dans un monde où jouent uniquement des rapports de force ?
Je répondrai que tous les rapports de force ne sont pas des rapports d'antagonisme où le plus fort impose par la violence sa loi au plus faible. Il y a aussi les rapports d'entraide, de collaboration et, au sommet, les rapports gratuits d'amour. Quoi de plus évident que l'inégalité des forces entre l'enfant qui commence à marcher et la mère qui guide ses pas, entre l'exécutant qui utilise une machine et l'ingénieur qui l'a inventée et mise au point, etc. Et c'est l'entrecroisement de ces inégalités qui constitue le tissu social et assure, non seulement la justice au sens strict du mot, où chacun reçoit ce qui lui est dû, mais une solidarité où les plus faibles sont aidés et protégés par les plus forts...
Les meilleures sociétés sont celles où ces rapports de solidarité l'emportent sur les rapports d'antagonisme, c'est-à-dire celles où les lois, les mœurs, le climat moral et culturel fournissent des critères de sélection par lesquels la force, tout en profitant à celui qui la possède, étend ses bienfaits sur tous. Celles, en un mot, qui imposent au plus fort des devoirs qui vont amplement au-delà de ses droits...
On entrevoit ici ce que devrait être le rôle de l'État, gardien du bien public. Non pas d'essayer de faire régner une égalité impossible par l'impôt négatif comme dans les sociétés libérales ou par la tyrannie bureaucratique et policière comme dans les pays totalitaires, mais de coordonner et d'arbitrer les inégalités naturelles en fonction de l'intérêt général. Faute de quoi, une soi-disant justice sociale qui s'exerce au rebours des lois de la vie ne peut qu'aboutir à la pire des injustices : celle où la sélection des forces s'opère au profit des ambitieux sans scrupules, des irresponsables et des parasites.
##### *Le bien et les biens*
26 mars 1976
J'ai reçu hier la visite d'un bon vigneron de ma région. Le hasard a voulu que j'aie sous la main une bouteille d'excellent sauternes dont je me suis empressé de lui offrir un verre.
43:204
« Qu'en dites-vous ? » ai-je demandé. -- « Peuh... me répondit le brave homme après un instant de réflexion, il est presque aussi bon que mon vin blanc de l'année dernière. »
La vérité est que ledit vin, que je connaissais pour l'avoir goûté en son temps, ne supportait même pas la comparaison avec le sauternes. Mais c'était son vin, le produit de sa vigne cultivée toute l'année avec amour. Et j'ai songé aussitôt aux vers qu'écrivait Joachim du Bellay en retrouvant, après un voyage à Rome, son vieux manoir angevin : « *Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux que des palais romains le front audacieux. *»
Car c'était la maison de son enfance et de ses ancêtres : une chose unique et irremplaçable à laquelle il se sentait lié comme l'enfant au père ou le mari à l'épouse. Celui qui aime vraiment une femme, non seulement la trouve plus belle que les autres, mais ne songe même pas à la comparer.
Cela nous fait mesurer l'importance qu'a pour l'homme la possession d'un bien qui lui est propre et auquel il est attaché par les fibres les plus secrètes de son être. C'est d'ailleurs le sens étymologique du mot propriété : un avoir qui porte la marque de l'être, qui est comme le prolongement de notre corps et de notre âme. Que, comme mon vigneron de tout à heure, les possesseurs de tels biens mettent un orgueil naïf à les surestimer, nous avons le droit d'en sourire, mais cela n'en reste pas moins un puissant facteur d'épanouissement individuel et de stabilité sociale.
Par contre le déracinement et l'anonymat de la vie moderne ont largement contribué à faire de la propriété un bien impersonnel et interchangeable. Beaucoup d'hommes ont de l'argent, une voiture, ils louent un appartement dans un immeuble qui ne leur appartient pas, etc., mais aucun lien intime ne les attache à ces choses : les billets de banque leur glissent entre les doigts et ils peuvent changer sans regret de voiture ou de logement...
L'insatisfaction et la fièvre revendicatrice qui agitent notre époque procèdent en grande partie de cette dépersonnalisation du sens de la propriété. Au lieu de mettre sa joie et sa fierté dans ce qu'il a, l'homme est consumé par l'envie de ce qu'ont les autres. Il est normal, en effet, qu'on préfère les produits de son propre jardin aux meilleurs fruits exotiques qu'on trouve sur le marché, ou la maison qu'on a fait bâtir à n'importe quelle habitation ; mais comment préférer un simple sandwich acheté au hasard dans une boutique à un repas fin dans un grand restaurant ou un « trois-pièces-cuisine » dans une H.L.M. inesthétique à une belle villa dans un quartier résidentiel ?
44:204
Le socialisme propose l'abolition de la propriété privée. Je pense au contraire qu'il faudrait la multiplier et l'étendre au plus grand nombre d'hommes possible. La propriété d'une maison, d'un jardin, d'un métier -- de n'importe quel bien qui exige un effort créateur et engage une responsabilité personnelle -- est un facteur permanent d'équilibre et de plénitude.
Le capitalisme des trusts et des monopoles a ébranlé cet équilibre entre l'avoir et l'être et le capitalisme d'État qui fleurit aujourd'hui sous le nom de socialisme pousse jusqu'à ses dernières conséquences ce processus de déshumanisation. Le salut est dans l'évolution vers une forme de propriété où l'avoir et l'être de l'homme se complètent, se fécondent et se perfectionnent l'un par l'autre.
N'oublions pas que le mot « bien » a deux sens, dont l'un sert à désigner la possession d'un objet extérieur et l'autre la participation aux plus hautes valeurs de l'esprit. Le plus grand bienfait d'une vraie civilisation est de mettre le premier au service du second, autrement dit de faire en sorte que le bien (au sens de propriété matérielle) favorise l'épanouissement du bien au sens de vertu et de bonheur...
Gustave Thibon.
© Copyrigth Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique).
45:204
### Le pouvoir de l'information
*Quelques moyens techniques*
par Georges Laffly
Les deux premières parties de cette étude, dont voici la fin, ont paru dans notre numéro 202 d'avril et dans notre numéro 203 de mai.
#### Un nouveau bain social
La conclusion qu'on tire du modèle politique de l'information, c'est qu'on aboutit à la mobilisation constante des citoyens. Cette conclusion s'étend à l'information au sens général. Grands journaux, radios, télévisions ont besoin de retenir l'attention de l'informé, doivent stimuler sans cesse sa curiosité. Et d'abord parce que c'est leur existence même qui est en jeu ; s'ils ne réussissent pas, ils disparaissent. Mais en même temps, l'informé exige sa ration de nouvelles. Il a besoin de garder contact avec les autres, et c'est le dernier moyen qui lui reste. Preuve : une grève des journaux lui fait sentir qu'il manque quelque chose à sa journée. Que serait-ce s'il y avait en même temps grève des radios et des télés ? Il y aurait un manque grave (comme on dit pour les drogués privés de drogue) et une sorte de panique, tant l'information est essentielle à notre vie sociale.
46:204
Elle est plus : une sorte de bain à l'intérieur duquel nous vivons. Nous baignons, oui, à l'intérieur du milieu informant qui remplace le voisinage (certains n'éteignent jamais un poste -- et l'on dit « plongé dans son journal »). Il y a donc une action constante sur les esprits, et son arrêt est considéré comme une gêne. On peut parler aussi d'une intoxication. On peut remarquer encore que c'est l'information qui nous impose sa manière de vivre le temps. Ainsi, les notions de *périmé,* de *dépassé* n'ont-elles pas seulement un sens par rapport à l'idée de progrès, mais en fonction du rythme des publications. Périmée, la nouvelle d'hier, qui ne provoquera plus le sursaut nécessaire à l'achat du journal. On tombe sur la notion capitale d'actualité (et de scoop). Ce qui fera parler, ce qui éveillera l'intérêt, voilà ce qui compte. Publicité récente pour *Paris-Match :* « Tout ce qui est important est dans *Match. *» D'où l'on conclut facilement que ce qui n'est pas dans *Match* n'est pas important. Et que ce qui n'y est plus n'est plus important. On voit où cela mène.
Il n'est pas à la mode, aujourd'hui, de respecter la discipline militaire. On la prétend avilissante. Pourtant, elle laisse le jugement intact. On obéit sans avoir à modifier son esprit. Mais au contraire, on trouve normale la persuasion opérée par l'information, bien plus dommageable à l'autonomie de chacun. Nous voilà dans une société (elle n'est pas encore complètement constituée mais les grandes lignes sont visibles) où devoir et serment sont honnis, et leur contrainte refusée ; mais d'autres contraintes, plus graves, sont mises en place : l'adhésion non contrôlée, l'enthousiasme, la haine. C'est supprimer la volonté, passer de l'obéissance consciente (toujours faillible, douteuse) à l'obéissance inconsciente et réflexe (toujours sûre).
Cette obéissance n'est pas, ne peut être, au service des forces et des principes de l'ancien monde. Tout le paysage a changé. Là on voit le rôle d'éducation, de transformation, des organes informants. Non seulement ils ne se contentent pas de transmettre et diffuser des informations, mais ils revendiquent pour tâche réelle de les filtrer, de les juger et d'imposer ce jugement -- c'est-à-dire, à la fin, de nouvelles normes, un nouveau « ce qui se fait ». Ici pourrait se placer une critique de « l'objectivité » qu'on ne fera qu'esquisser. Cette notion d'objectivité a joué dans les journaux et radios exactement le même rôle que le pluralisme dans l'Église. Tous les deux déclinent aujourd'hui pour la même raison : ils ne sont plus utiles.
47:204
#### L'objectivité
Dans les deux cas, on se réfère à une certaine neutralité. Le journaliste « objectif » est au service de la vérité et respecte son lecteur. La vérité, il cherche à la circonscrire, et à la dire le plus complètement qu'il pourra. Le lecteur est assez grand pour juger seul une fois qu'il possède tous les éléments. Quoi de mieux ? Il y eut ainsi, longtemps, une sorte de doctrine de l'objectivité (au *Monde,* par exemple). Personne n'y regardant de trop près -- ceux qui le faisaient étaient taxés de partialité ou de mauvaise foi -- on ne s'apercevait pas que cette objectivité était bien utile pour introduire des points de vue encore trop minoritaires, ou inacceptables pour beaucoup. Par exemple : le F.L.N., considéré comme une bande de brigands, accédait, *grâce à l'* « *objectivité *»*,* au statut d'interlocuteur représentatif. Les méthodes du terrorisme urbain étaient ressenties, en ces temps lointains, comme une industrialisation de l'assassinat. L'objectivité consistait à en parler sur un ton neutre, détaché, à expliquer « les raisons » (seule forme de lutte possible, etc.) qui ennoblissaient la chose, ce dont elle avait grand besoin. On a pu ainsi disloquer un certain nombre de réflexes patriotiques et moraux.
Ces temps sont loin. Arrive un moment où l'objectivité a plus d'inconvénients que d'avantages. Elle contraindrait à laisser la parole à de mauvaises causes. On découvre soudain qu'elle est presque impossible à pratiquer (il est nécessaire de résumer, il y a un coefficient personnel de l'observateur) et qu'elle pose même un problème moral. Quand certains principes sont en jeu, a-t-on le droit de rester neutre ? C'est douteux. Et voilà qui condamne l'objectivité. Elle a fait son temps. On la rejette, après l'avoir vantée. On prônera plutôt une subjectivité au service des bonnes causes. Reniement apparent, mais continuité réelle. Il s'agit toujours de servir le progrès et d'orienter les esprit : le masque a eu son utilité.
48:204
Cette orientation est revendiquée par exemple quand un cinéaste oppose à la télévision de distraction et de conformisme une télévision qui doit « déranger ». Pour déranger, il faut mettre en question ce qui est généralement admis. On peut se flatter ainsi de servir l'esprit. Critiquer, mettre en question, n'est-ce pas sa fonction propre ? C'est en effet *une* de ses fonctions. Mais la vision « dérangeante » qu'on nous impose a des limites très précises. Beaucoup de thèmes lui restent interdits. On ne mettra jamais en cause ce qui convient à une vision progressiste du monde. On attaquera tout ce qui ne convient pas à cette vision.
Et une autre objection me paraît intéressante. Déranger, mettre en cause, c'est le plus souvent s'attaquer à ce qui inspire respect ou piété. Or, dynamiter le sacré, d'une manière ou d'une autre, c'est profiter d'une énergie donnée d'avance, sans avoir à la créer soi-même. C'est pour cela que la dérision est facile -- et si répandue. Mettre des moustaches à une image de femme, bien ; mettre des moustaches à la Joconde, c'est beaucoup mieux.
#### Impérativement spectaculaire
Publicité et propagande se rejoignent sur bien des points, utilisent les mêmes méthodes, obéissent aux mêmes nécessités. Elles ne sont que des formes particulières de l'information telle que nous la décrivons : elles mobilisent et elles orientent. Comment ? En s'appuyant sur des instincts très généraux, sur des principes, des formules, des mots, qui emportent un large consentement. La publicité jouera sur le goût de la réussite, le désir de beauté, de puissance, etc. La propagande fera appel aux sentiments nobles : liberté, justice, souci du plus faible. Dans les deux cas, toutes les impostures et tricheries sont évidemment pratiquées.
Mais au-delà de ces outils psychologiques, il faut voir autre chose. Par définition, l'information doit être *spectaculaire.* Elle doit étonner, retenir une attention blasée, surmenée. D'où la nécessité de renouveler sans cesse l'intérêt (sans compter qu'il faut suivre le rythme de la publication au quotidien, il faut des nouvelles chaque jour, au bulletin de radio, chaque heure).
49:204
Cela entraîne une accélération du rythme du changement. On se plaint de vivre dans un monde bousculé. C'est l'information qui bouscule, et doit le faire sous peine de mort. Le journal quotidien, si hâtivement fait, paraît figé par rapport à l'information immédiate des radios, et du coup, on le fait passer pour un organe de réflexion, qui permet de prendre ses distances !
Cela implique une forme de vie sociale fondée sur la mode : le renouvellement continuel, le refus d'approfondir, le ridicule pour qui se soucie de ce qui est « dépassé » par l'actualité et qui constitue à la fois un résidu fantomal et le terreau de ce qui est acquis. Péguy l'avait vu : Clio ne révise jamais un procès, elle est accablée sous des procès toujours nouveaux. Tous les à-coups de l'histoire sont sacrés, d'ailleurs, si elle est un mouvement, un progrès. Discuter ce qui fut hier, c'est scier la branche où aujourd'hui est assis.
Revenons au souci du spectaculaire. Le vieux culte romantique de l'exception, du monstre, est devenu une nécessité : la prostituée, le fou, le sadique, voilà les personnages sur lesquels on dirige les projecteurs. Dans la mesure où ils sont *autres,* ils sont intéressants. Et comme il faut renouveler l'attention, on sera obligé d'aller toujours plus loin chercher des exceptions encore plus monstrueuses. Certes, c'est à cause de leur *différence* que ces exceptions valent qu'on s'y arrête. Seulement le fait de les exhiber en spectacle atténue cette différence. Il y a tendance à s'y habituer, voire à les imiter. Même s'il n'y a pas contagion, l'écart est comblé pour une bonne part, et le monstre admis. Jack l'éventreur, à force d'être héros de films et de romans, devient un cas de psychologie à peine moins éloigné que Grandet ou César Birotteau.
Le *spectaculaire* est une nécessité de l'information. Mais le souci d'orienter les esprits utilise cette nécessité pour les besoins de la bonne cause. Déjà, dans la vision romantique, la prostituée au grand cœur n'était pas montrée simplement à titre de particularité, mais en vue d'une réhabilitation.
La bonne cause étant au service des minorités (opprimées par définition) on tentera du mieux qu'on pourra *d'acclimater* ces exceptions, et de les faire passer du statut du spectaculaire au statut de l'intégration.
50:204
Opération achevée avec les homosexuels -- voir la place donnée aux travestis dans les journaux, et dans l'actualité « parisienne » -- et largement en cours avec les prostituées et les criminels de droit commun (du voleur au tueur). Cela ne réussit qu'au détriment de la norme établie, qui en éclate. Mais justement, c'est ce qu'on recherche : l'établissement d'un nouvel ordre.
#### Divers moyens
Ce nouvel ordre, ce nouveau « ce qui se fait » doit s'introduire sans être perçu. Il faut qu'on croie que rien n'a changé quand tout a changé. Des moyens divers concourent à la réussite.
1\) L'idée de bon sens que tout change (« les Anciens sont les Anciens et nous sommes les gens de maintenant », comme dit Molière) ne suffirait pas. Il faut la dramatiser. Aujourd'hui n'est pas hier a toujours été vrai, mais ce qui est vrai pour la première fois dans l'histoire du monde, c'est que notre aujourd'hui est tout à fait inédit, incomparable, et d'un autre ordre. Cela se résume dans l'emploi du mot « mutation ». En conséquence, il serait vain de chercher à ramener notre présent à un modèle quelconque. Tout le passé se trouve annulé, frappé d'inutilité. Nous sommes à un point zéro. A partir de là, il est aisé de faire passer tout ce que l'on veut, de l'assassinat des embryons à celui des vieillards, ou à l'idée que l'homme va enfin commencer sa carrière.
2\) La double utilisation du passé. Si peu de crédit qu'on lui fasse, le passé peut servir soit de repoussoir, soit de modèle (dans les deux cas, il est largement adapté et vu à travers des lunettes). Le passé sert de repoussoir en tant qu'il représente le père du présent. Tout ce qui nous paraît mauvais, tout ce que nous réprouvons autour de nous (et en nous), c'est l'héritage maudit du passé. C'est une façon mélodramatique de voir les choses, mais qu'y faire ? C'est celle qui a cours. Un exemple entre des milliers, cette phrase de M. J. Susini dans la *Chronique sociale de France* (juillet 1969) : « La police traditionnelle gardait l'ordre. Sur elle pesait de tout son poids l'esprit répressif. Sur elle pesait donc le passé. » Déclaration nette et qui réclamerait une analyse à part. Il suffit ici d'en indiquer la voie.
51:204
Plus habilement, on utilise le passé comme modèle pour « justifier » des tendances qui nous paraissent bonnes. L'argument implicite est alors celui-ci : nous avons bien le droit, et nous ne faisons qu'être fidèles à ce qui fut déjà (argument très rassurant). Le libertinage du XVIII^e^ (ou du XVI^e^) sert à conforter la « libération » érotique. Les anciennes révoltes servent encore contre notre ordre. Un vigneron mécontent du pouvoir de Paris se sent frère et fils des Cathares que la télévision lui a montrés.
3\) Le changement du vocabulaire. Procédé marxiste bien connu. Le vocabulaire marxiste imprègne le langage courant : positif, lutte, éveil des masses, libération, etc. Mais l'Église aussi a su utiliser le procédé : la recherche, l'assemblée, le partage, etc. Le changement de vocabulaire donne l'impression qu'on rajeunit une pensée qui resterait la même, débarrassée seulement de sa patine et de sa crasse. Un prêtre, devant moi, parlait de « lourdeur » pour exprimer le péché originel : « C'est la même chose, mais je préfète parler de lourdeur... » C'est qu'en fait, ce n'est pas la même chose, le mot nouveau lui permettait d'introduire de nouvelles idées, de nouvelles analyses, où le péché originel était dilué.
4\) La publicité, la propagande jouent leur rôle de répétition, de « matraquage ». Mais la forme d'action la plus efficace est la plus insidieuse. On s'en défend mal parce qu'aucun signal d'alarme ne nous avertit. Elle consiste à prendre le ton le plus uni, celui de la constatation simple, le ton du « c'est ainsi », « cela va de soi ». On acclimate par ce procédé (qui reproduit le mécanisme extérieur de « l'objectivité ») les principes les plus étranges. Mais cela ne peut avoir lieu que par le prestige de la classe informante. Elle se permet le -- « c'est ainsi » parce qu'elle sait qu'elle a plus de chances d'être admirée que de choquer, et que l'effet le plus probable est la contagion, non la réprobation.
52:204
#### Action des sondages
Il faut faire une place à part au sondage. Il est plus qu'un élément d'observation, un élément de modification. Et, à ce sujet, il faut faire une place à part aux sondages sur les mœurs. On imagine mal l'utilisation de ce procédé dans une société organique, qui vit sur des principes, une foi, une vérité divine. Mais lorsque ces principes ont été écartés, déclarés d'usage exclusivement privé, que reste-t-il ? Des habitudes, la persistance d'attitudes non raisonnées, non comprises. C'est à ce moment que l'information peut jouer son rôle. Lorsqu'il n'y a plus d'organe pour dire le vrai et le juste (et là, le silence de l'Église a eu un effet catastrophique), il reste un éventail de conduites libres, diverses jusqu'à la contradiction. Cela peut se concilier assez longtemps avec la stabilité des mœurs, tant il s'agit d'attitudes enracinées dans un passé immémorial. Mais cette stabilité est fragile.
Il suffit qu'une attitude nouvelle s'affirme avec assez d'éclat, au nom d'un principe admis par tous : la liberté, par exemple, appuyant la revendication du droit à l'avortement. La question est posée pratiquement grâce à un procès, ou à la prise de position publique de la classe informante (les femmes écrivains, avocates, actrices, ou femmes du monde signant le manifeste : « nous avons avorté »). C'est le moment de la propagande. Il est question de liberté et de dignité. Un sondage fait à ce moment (début de la campagne) décèle une vaste résistance. Mais la campagne se poursuit, des drames privés mis en valeur pour attendrir les foules, en même temps que l'on parle de la condition féminine. L'attaque est ardente, le système de l'information la répercute bien. Dans l'exemple choisi, celui de l'avortement, les médecins qui se déclarent hostiles n'obtiennent pas que leur position soit répercutée, ou sont dénigrés (le professeur Lejeune est traité de fasciste).
Après quelques mois d'une telle action, un sondage donnera des résultats bien plus favorables à l'avortement. Parce que beaucoup de ceux qui sont fidèles à l'ancienne attitude ne savent plus très bien pourquoi. Le christianisme où ils baignent encore est très dilué. Et puis l'Église a tellement changé, et dit si souvent que les laïcs doivent décider en adultes, qu'*on peut se demander* si elle est vraiment hostile au droit d'avorter. Et si elle *restera* hostile. La résistance paraît difficile : c'est s'opposer au mouvement général, aux « mutations »...
53:204
Compte aussi le fait que l'on répond à un sondage non exactement ce qu'on pense, mais ce qu'on estime convenable de répondre. On veut éviter d'avoir l'air rétrograde, réactionnaire. Fermé, comme on dit. Ou simplement, ridicule. On cède involontairement à une pression diffuse, et on cède d'autant plus aisément que cela n'engage pas vraiment, qu'une réponse de ce genre n'est ni un serment, ni un acte. Conduite réelle, affirmation de la conduite convenable, ce sont deux choses très différentes. Le second terme correspond (c'est beaucoup, mais ce n'est pas tout) à une allégeance au pacte social. On ne veut pas être séparé de la communauté. Si on croit qu'elle bouge, on se déclare prêt à bouger aussi. Chacun favorise ainsi le mouvement qu'il croit percevoir chez les autres. Mais le sondage, par ses résultats, donnera une réalité au mouvement, et emportera de nouvelles adhésions d'hésitants.
Ainsi, la proportion se renverse, et le changement est acquis, en un minimum de temps (deux ans), si l'on pense à sa gravité, à son importance. L'opinion croit qu'elle a voulu un changement, et qu'on l'a consultée. Elle a été menée sans même s'en douter.
#### Un monde fermé
Tous ces moyens ne peuvent jouer sans s'annuler que parce qu'il y a homogénéité de l'information. Encore improbable il y a peu de temps, elle s'affirme et s'accuse. Pierre Chaunu le constate dans *Histoire et prospective :* « Le milieu d'existence de l'information et le milieu de production de l'information, aboutit à la fabrication d'un produit qui est de plus en plus totalement libéré de son contrôle naturel, soit le contrôle des propriétaires du moyen de production, soit les usagers. La réaction de l'usager suppose qu'il y ait un choix. Or de plus en plus le choix est théorique. »
Chaunu poursuit en comparant le *Monde* et le *Figaro.* Leurs éditoriaux sont différents : le choix existe donc. Mais c'est une apparence. A l'intérieur, 90 % au moins de la rédaction est commune :
54:204
« Sur les choix fondamentaux de civilisation, devant la montée des nouvelles licités, sexualité, contraception, avortement, euthanasie encore en pointillé pour peu de temps, droit de tuer l'enfant et droit de tuer les vieillards, face au néo-eugénisme du plaisir qui prend la suite de l'eugénisme racial et idéologique des années 40, vous cherchez en vain la nuance. Le milieu de l'information fait bloc... Car si le milieu d'existence de l'information reçoit moins facilement aujourd'hui qu'hier les injonctions du dehors, il reçoit plus volontiers aujourd'hui qu'hier les injonctions du dedans. La censure n'a jamais si bien fonctionné que depuis qu'elle a été supprimée. Un peu plus en avant de l'exponentielle qui se dessine depuis 15 ans, l'autocensure efficace à 100 % d'un milieu parfaitement homogénéisé se dessine à l'horizon. »
Or, cette censure efficace à 100 %, cette homogénéité parfaite ne peuvent être obtenues que parce qu'il s'agit, non d'une volonté consciente, imposée par un petit groupe, mais d'un accord sur un nouveau « ce qui se fait », un nouvel ordre des choses, accord qui existe dans le milieu informant malgré toutes les oppositions politiques ou idéologiques, d'ailleurs très réelles. C'est cela qui est neuf.
Ce nouveau « ce qui se fait », qui se propage si rapidement et si efficacement, c'est peut-être, dira-t-on, qu'il était attendu, et qu'il répond, de quelque façon, à notre société. On a essayé de montrer ici qu'il dépend *d'abord* de la puissance des moyens d'information mis au service d'un milieu restreint, et capable d'éliminer ceux qui s'opposent à sa cohérence. Ensuite, la puissance de ces moyens s'affirme d'autant plus qu'ils agissent sur des masses émiettées, éparpillées, sur des masses d'individus solitaires.
Ces individus, de plus, 1°) sont traités en anonymes par ces outils d'information qui s'adressent à des millions d'êtres, et 2°) se modèlent sur ce qu'on leur propose comme modèle, comme référence, et deviennent encore plus anonymes. Ils sont des millions à n'être *personne.*
#### Cohésion
Notre société est sans défense devant cette conquête. Mieux, il semble que l'information soit le dernier instrument de cohésion sociale, quand tous les autres s'affaiblissent.
55:204
La France, c'est de plus en plus l'espace où l'on suit son tiercé avec Zitrone, où l'on chante avec Guy Lux, déballe son linge sale avec Ménie Grégoire, joue avec Bellemare et pense avec le *Monde.* Chaque jour, la cohésion française est réactivée par des moyens de communication : voilà ce qu'ont en commun les habitant de la France, eux qui nient ou oublient tout le reste. « Qu'est-ce qu'un peuple, sinon une assemblée d'hommes unis entre eux par l'amour commun d'un même bien ? » C'est saint Augustin, je crois, qui parle ainsi. Le bien qui nous unit aujourd'hui est éphémère et fragile comme la mode. A la permanence, à la durée, se substitue une cohésion dans l'instant, dans l'actualité, fondée sur une adhésion révocable.
Georges Laffly.
56:204
### Saint Charlemagne
par Antoine Barrois
DES RECHERCHES sur la question du dessin de notre alphabet nous ont amené, par divers chemins, au siècle de Charlemagne et précisément au grand empereur lui-même.
Car cet empereur de chanson et de vitrail, quelqu'un comme l'arrière-grand-père des arrière-grands-parents de tous les petits Français -- et de presque tous les petits Européens -- s'est beaucoup occupé des questions d'écriture, de livres et d'édition.
Il s'est aussi beaucoup occupé des écoliers et la vision merveilleuse d'un empereur qui visitait les écoles et séparait les bons élèves d'avec les mauvais, quels qu'ils fussent, n'est pas près de s'effacer de la mémoire des hommes.
On pratiquait encore, il n'y a pas si longtemps, dans certains collèges, le déjeuner de la Saint-Charlemagne. L'usage en subsiste-t-il encore, nous l'ignorons ; mais il nous semble que l'on devrait le rétablir -- ou l'établir -- là où cela se peut. Déjeunaient ensemble en ce jour, tous les professeurs et ceux des élèves qui avaient eu de bonnes places au premier trimestre, la matière important peu. Il nous souvient qu'on mettait les forts en gymnastique, en chant, en dessin et leurs professeurs à la table d'honneur : celle du directeur. Ces trois disciplines rassemblées comme étant, sans doute, les plus humbles !
C'est ainsi que de recherches en souvenirs nous nous sommes préoccupé de savoir ce qu'il en était de saint Charlemagne.
56:204
« Saint Charlemagne » est introuvable au martyrologe romain. Et pour cause. Charlemagne fut canonisé par un anti-pape. L'empereur à la barbe rousse, Frédéric, qui se prenait pour l'empereur à la barbe fleurie, avait fait élire, contre le pape légitime Alexandre III, deux antipapes ; successivement Victor IV et Pascal III. C'est ce dernier que Frédéric chargea, en 1164, de canoniser Charlemagne ; sans doute pour asseoir le prestige du Saint Empire et, par la même occasion, de la puissante maison de Hohenstauffen.
Quoi qu'il en soit, le bienheureux Charlemagne est patron de nombreuses églises en Allemagne depuis plus de huit siècles. Exactement *était* patron jusqu'à ces derniers temps ; où en est-on aujourd'hui, nous n'en savons rien. Il est sûr cependant que ces églises étaient des temples du Dieu vivant : elles étaient ces lieux terribles et redoutables que célèbre la sainte Église catholique.
Alors, qu'en est-il ? Il en est, nous dit Dom Guéranger, que « le Siège apostolique, sans vouloir approuver une procédure irrégulière, ni la recommencer dans les formes, *puisqu'on ne lui en a pas fait la demande* ([^9])*,* a cru devoir respecter ce culte en tous les lieux où il était établi ». Pourquoi n'en parle-t-on plus en France ? C'est une vieille histoire, et vous la connaissez bien : la Réforme est passée par là. Donc en France, avant la Réforme le « Bienheureux Charlemagne » puisque c'était sous ce titre qu'on le vénérait par égard pour Rome, se trouvait sur le calendrier liturgique de plusieurs diocèses. La Réforme ne pouvait supporter ce prince soumis à l'Église, qui avait puissamment contribué à établir la papauté dans tous ses droits et privilèges, et travaillé énergiquement à étendre le royaume de Dieu sur la terre. Il fallait diminuer son prestige, désacraliser cette image moyenâgeuse, et démystifier cette histoire incroyable. Comme il n'était pas très facile aux tenants de la Réforme ou de son esprit, de faire état contre lui du fait que ce n'était pas Rome qui l'avait canonisé, on s'en prit à sa vie privée.
58:204
Nous ne savons pas ce que dit la recherche historique sur ce point, mais nous pensons que Bossuet n'affirmait pas à la légère dans le *Discours sur l'Histoire universelle* « Les Romains (...) se tournèrent à Charlemagne, qui subjuguait les Saxons, réprimait les Sarrasins, détruisait les hérésies, protégeait les papes, attirait au christianisme les nations infidèles, rétablissait les sciences et la discipline ecclésiastique, assemblait de fameux conciles où sa profonde doctrine était admirée, et faisait ressentir non seulement à la France et à l'Italie, mais à l'Espagne, à l'Angleterre, à la Germanie, et partout, *les effets de sa piété et de sa justice* ([^10])*. *»
Bossuet tenait à ce jugement, puisque ailleurs -- c'est dans le *Sermon sur l'unité de l'Église* --, il affirme « Vaillant, savant, modéré, guerrier sans ambition et *exemplaire dans sa vie* (**Erreur ! Signet non défini.**)*,* je le veux bien dire en passant, malgré les reproches des siècles ignorants, ses conquêtes prodigieuses furent la dilatation du règne de Dieu et *il se montra très chrétien dans toutes ses œuvres* (**Erreur ! Signet non défini.**)*. *»
On ne voit pas que Bossuet ait pu écrire cela et l'enseigner s'il avait eu le moindre doute sur la pureté des mœurs de Charlemagne. Que sa vie matrimoniale soit assez embrouillée à nos yeux, pour ce que nous en savons ou croyons en savoir, est une chose ; mais qui ne permet pas de conclure à l'égarement. Il est d'ailleurs une réflexion que l'on doit faire à ce sujet. Charlemagne, jeune encore, fut obligé, par un pape qui ne régna que trois ans, Étienne IV, de quitter une femme illégitime, prise semble-t-il à l'instigation de sa mère, et de reprendre la légitime. Croit-on vraiment que le pape qui régna ensuite jusqu'à la mort de l'empereur aurait toléré les désordres et les abus que l'on raconte. Comment croire que ce qui lui avait été refusé une fois, et qui devait l'être plus tard à Henri VIII, aurait été accepté par un pape et par un saint pape. Or non seulement cette question n'est pas évoquée par Rome, mais on ne trouve pas même la trace de protestations pontificales contre la prétendue dépravation de la vieillesse de Charles. Au contraire, nous croyons que Rome jamais n'éleva d'objections sérieuses contre le culte qu'on lui rendait.
Le fils de Pépin, le petits-fils de Charles-Martel qui chassa les Sarrasins voyait grand, tranquillement grand. Il aimait les pays du Nord et son cher Aix-la-Chapelle ; mais cela ne l'empêchait point de s'occuper de l'Europe entière. Des marches d'Espagne jusqu'à l'Elbe et de la Calabre jusqu'à la Baltique, il a tracé des routes, jeté des ponts, ouvert des écoles, bâti des monastères et des hôpitaux.
59:204
Et c'est en somme à lui que l'on doit l'instauration du chant grégorien des bouches du Rhône aux bouches du Rhin et de la Vilaine au Danube. Et encore, quoi qu'en ait M. Étiemble, dont l'essai sur l'écriture est principalement une célébration de la nullité de l'Occident, il n'est pas définitivement prouvé que ni Charlemagne, ni son secrétaire-ministre Alcuin ne furent pour rien dans l'établissement de l'écriture carolingienne. Il nous apparaît fort probable que loin d'être un barbare de génie comme on le croit communément aujourd'hui, Charlemagne fut un homme de bon sens, chrétiennement cultivé ; et que l'épouvantable désordre de son temps le conduisit à se préoccuper de faire ce qu'il fallait pour qu'un peu de culture et de bon sens subsistent. Ce qui explique en grande partie son intérêt pour les livres, pour les « éditions » corrigées et bien établies, afin que sous son empire, on puisse travailler convenablement ; que les gens se lisent sûrement et aisément. Ce qui aujourd'hui nous paraît aller de soi était alors un problème d'unification que seule l'autorité pouvait trancher. Le dessin des lettres manuscrites a toujours tendance à varier et, comme le dessin des lettres est parfaitement conventionnel, il est très important d'empêcher ces variations si l'on veut être sûr des textes fondamentaux, religieux et civils. Il est hors de doute que Charlemagne sut être cette autorité nécessaire et que le style qu'il contribua à créer, prodigieuse fusion d'apports extrêmement variés, il put et il sut l'imposer à travers toute l'Europe, créant ainsi la première unité décorative en Occident depuis la chute de l'Empire romain. Les autres arts furent longtemps encore loin de présenter cette universalité. Il est vrai qu'alors tout était à refaire et que l'architecture, par exemple, suppose un capital intellectuel, social et matériel énorme pour se développer et produire des chefs-d'œuvre.
On n'en finirait pas de célébrer cet homme au grand pas calme, formidable cavalier devant l'Éternel, sur l'Elbe aujourd'hui, demain en Calabre, après-demain à Roncevaux. Il n'abandonnait jamais le combat, tranchait ferme et considérait que le bras séculier peut utilement concourir à l'œuvre spirituelle de conversion, s'il est évident, comme ce fut le cas avec les Saxons, que l'idolâtrie et la barbarie conduisent toujours à reprendre la parole donnée avec fourberie.
60:204
La vie de Charlemagne fut certainement douloureuse. Assombrie encore à la fin par la mort successive de deux fils. La dernière strophe de la Chanson de Roland évoque cette dureté de la vie de l'empereur, faite de combats incessants :
« Le jour s'en va, la nuit s'est faite noire. Le roi est couché dans sa chambre voûtée. De par Dieu, saint Gabriel vient lui dire : « Charles, par tout ton empire, lève tes armées ! Par vive force tu iras en la terre de Bire, tu secourras le roi Vivien dans sa cité d'Imphe, où les païens ont mis le siège. Là, les chrétiens t'appellent et te réclament ! » L'empereur voudrait ne pas y aller : « Dieu ! » dit-il « que de peines en ma vie ! » Ses yeux versent des larmes, il tire sa barbe blanche. »
Le temps des batailles, des conquêtes et des luttes achevé, Charlemagne légua le pouvoir impérial à son fils Louis, le 11 septembre 813, et se prépara à la mort. Il est probable que l'empereur passa ses derniers mois à servir les pauvres et à chanter la louange divine, ce qui ne l'empêcha point, selon Éginhard, de continuer à chasser. Le 21 janvier 814 il tomba gravement malade et mourut sept jours plus tard.
Le bienheureux Charlemagne, bâtisseur chrétien de l'Occident, fut enterré dans sa chapelle d'Aix. On inscrivit sur sa tombe : « Sous cette tombe repose le corps de Charles, le grand empereur orthodoxe qui agrandit noblement le royaume des Francs et régna prospère quarante sept ans. Il mourut septuagénaire l'année du Seigneur dans la septième indiction, le cinquième des calendes de février. »
Pourquoi la chrétienté conserva-t-elle de Charles un si grand souvenir ? Parce qu'il fut le premier prince restaurateur de l'ordre après une longue période de décadence et d'anarchie ; parce qu'il rendit à l'Église comme aux états et aux familles la possibilité d'œuvrer ensemble dans la tranquillité à l'accroissement du bien commun temporel et spirituel. Parce que, comme l'écrivait Agobard, archevêque de Lyon au temps de Louis le Débonnaire, en résumant ainsi la doctrine fondamentale des capitulaires :
61:204
« Une seule foi a été enseigné par Dieu, une seule espérance répandue par l'Esprit Saint dans les cœurs des croyants, une seule charité, une seule volonté, un seul désir, une seule prière. Il faut que tous les hommes, différents de nation, de condition, de sexe, nobles ou esclaves, disent ensemble : *Notre Père qui êtes aux cieux... *»
Antoine Barrois.
62:204
### Doutes sur notre liberté
par Paul Bouscaren
A considérer les changements actuels des mœurs et des lois, et surtout les justifications qu'en donne la presse, qu'est-ce donc qu'être libre, en République française 1976 ? La réponse à faire n'est pas aussi difficile, mais peut-être beaucoup plus fuyante qu'il ne semblerait, parlant comme elle parle, et c'est-à-dire :
Être libre, c'est disposer de soi-même, soit pour agir ou ne pas agir, comme on le veut par son propre choix, -- avec la conviction d'exercer le droit naturel et imprescriptible d'être soi-même, à égalité de l'être humain en tous les êtres humains.
*Mais disposer de soi-même, comment cela ?* S'il y a en chacun ce qui dispose et ce dont il est disposé, n'est-on pas soi-même selon le premier plutôt que dans le second ? Mais alors, s'agit-il bien de disposer de soi-même, ou seulement de ce qui, en soi-même, relève de la liberté, celle-ci relevant elle-même de ce qui la rend responsable d'elle-même, pour la conscience morale ?
*Comme l'on veut par son propre choix apparaît à plusieurs niveaux,* si le propre choix s'entend par l'origine intérieure à celui qui fait le choix : car il y a en lui le choix animal des bêtes en liberté, choix de l'homme selon que l'homme est un animal et se veut l'animal qu'il est, mais cela n'est pas humain au sens propre où c'est la raison personnelle de choisir, pour être libre d'autre sorte que les animaux en liberté.
Si disposer de soi-même par son propre choix n'est *rien de moins que le droit d'être soi-même,* il faut donc qu'être soi-même ne se réduise pas à l'existence individuelle de l'animal, et consiste en dignité personnelle de raison s'obligeant elle-même, s'il est vrai que son choix oblige autrui à en respecter le droit.
63:204
La naissance humaine fondement de la démocratie, au sens moderne du seul régime politique digne de l'homme, nous sommes ici au rebours de la vertu selon Aristote et saint Thomas d'Aquin : l'homme accompli selon les exigences de noblesse de sa naissance, noblesse non de fait acquis mais du droit naturel de la raison d'être elle-même par elle-même en chacun. Et voilà bien pourquoi, vers 1935, Paul Valéry pouvait constater devant l'Académie française que le mot de vertu n'a plus de sens.
Mais la liberté peut-elle consister à disposer de soi-même *à soi seul,* ou suppose-t-elle les conditions et les limites de son indispensable *milieu humain,* la société ? Sans aucun doute, nul ne peut être moi-même à ma place, vivre ma vie à ma place, faire mon salut à ma place ; en ce sens là, je suis seul à être moi-même, seul à vivre ma vie, seul à faire mon salut ; mais non pas du tout que je puisse être moi-même à moi seul, vivre ma vie à moi seul, faire mon salut à moi seul ; tel est pourtant le quiproquo, retrouvé partout, de la liberté premier droit de l'homme ; impossible que rien de la vie moderne y échappe.
Il nous faut un catéchisme civique de la liberté ; civique, selon que les humains ne se trouvent jamais qu'en société, en corps social dont ils sont les membres, pour heur et malheur, en milieu de vie humaine aussi indispensable que le milieu physique à la vie corporelle. Et ce milieu social est multiple, et divers selon temps et lieux, -- ce qui distingue aussitôt le citoyen de l'homme, et c'est-à-dire l'homme dans l'existence historique des l'homme par nature d'être.
#### Liberté oblige
C'est le propre de l'être humain d'obliger la vie de chacun de nous à se faire ce qu'il faut pour faire exister cet être en sa noblesse. Cela implique la liberté personnelle, cela n'est pas à dire que chacun se trouve de naissance à ce sommet de l'être humain qu'il faut voir dans la liberté, soit en tant que liberté, soit bien plus encore dans le bon usage d'elle-même et de ses moyens pour que l'homme vive en homme. Mystère si l'on veut, mais en réalité mystère au plein soleil de l'expérience de quiconque essaie de vivre comme il se sent obligé à bien vivre -- absolument -- mais libre s'il le veut, à toutes conditions requises.
64:204
On voit alors de ses yeux la distinction essentielle de la liberté naturelle, obligeant chacun des hommes, avec la liberté sociale en ses différents droits des citoyens, celle-ci condition de celle-là, et obligeant celle-là, imprescriptiblement, au combat civique pour soi-même et pour tous. Qui aime la liberté, c'est-à-dire ses conditions sociales, c'est-à-dire l'ordre ? Qui aime la liberté, l'opposant à l'ordre social ?
Conditions à obtenir : sociales, individuelles, -- première dualité. Deuxième dualité, interférant avec la première : conditions permanentes, ou générales, -- actuelles, ou particulières.
Aujourd'hui : guérir de l'illusion démocratique, de la liberté droit absolu et souverain ; guerre de vie ou de mort contre l'esclavagisme soviétique.
#### L'évangile et nos besoins
Les besoins des hommes sont des faits de leur existence qu'il s'agit de constater, les droits de l'homme tiennent à son être raisonnable et libre, qu'il faut respecter en les respectant, selon qu'ils se concluent de cet être reconnu en toute naissance humaine. Ainsi, existence des hommes et une certaine idée de leur être, constatation de fait et conséquences morales d'une idée de l'homme : voilà qui doit interdire la confusion de nos besoins avec nos droits.
Confusion entre toutes redoutable ! Les besoins sont à constater sans acception de personne, ils sont plus ou moins urgents, ils font ou ne font pas droit si l'on n'abuse pas de ce mot. Les droits sont à respecter comme la personne même, c'est tout ou rien avec chacun d'eux, manquer à l'un fait craindre pour tous. Les besoins de chacun demandent à son prochain l'aide qui peut être indispensable, les droits commandent à autrui le respect toujours dû à chaque personne.
Il faut en venir à dire que les droits sont la liberté de chacun obligeant la liberté de tous, alors que les besoins concernent la liberté selon qu'elle oblige chacun, en tant même que disposition de soi consciente et responsable. Et c'est dire que les droits sont affaire de justice impersonnelle et les besoins l'affaire de l'amour, chose éminemment personnelle.
65:204
Lisons l'Évangile comme l'Évangile parle, nous y voyons le salut de Dieu accordé aux besoins des hommes jusqu'au miracle, le commandement d'aimer les hommes dans leurs besoins jusqu'aux services les plus humbles, à ses dépens, comme le Christ les a aimés ; nous voyons l'incroyable mensonge de vouloir chrétienne l'idéologie de la Déclaration des droits de l'homme, selon quoi la fraternité humaine, le bonheur de tous en société, doivent couler de source de la reconnaissance de ces mêmes droits.
Ce mensonge contre l'Évangile revient-il à faire du salut de Dieu, et de l'amour mutuel qu'il nous commande, l'art humain de la politique, d'ailleurs indispensable à notre condition terrestre ? Il y aurait une autre ânerie à le croire ; la politique selon 1789 est une anti-politique en ce que, précisément, au lieu de partir de nos besoins pour une existence sociale où la vie humaine soit accessible à chacun, elle fait ses principes de droits de l'homme dont la détermination présuppose la réalité concrète de cette même existence sociale.
Ce postulat de droits indéterminés au lieu de la constatation des besoins des hommes pour vivre en hommes, pareille incompatibilité d'origine entre l'idéologie démocratiste et l'Évangile de Jésus-Christ n'est pas la seule ; tant s'en faut que la charité chrétienne, amour du prochain comme de soi-même en Dieu, si elle se doit aux besoins de toute sorte de l'humaine vie, le doit chrétiennement et non à la manière des païens, Dieu sait que l'Évangile y insiste ! Au point de dire heureuse la pauvreté, car elle est, Dieu aidant, richesse divine, alors que la richesse nous sera aisément le malheur de nous asservir aux dépens du service que nous devons à Dieu, -- que nous devons donc chacun à nous-même et à tous.
Paul Bouscaren.
66:204
### Initiation à la messe
*suite*
par Jean Crété
7° L'épître
L'oraison est suivie d'une lecture tirée de l'Ancien Testament ou des livres du Nouveau Testament autres que les évangiles et appelée épître. Elle est annoncée par la formule : *Lectio epistolae..., Lectio Actuum Apostolorum, Lectio libri*..., suivie immédiatement du texte, chanté recto tono ou sur un récitatif simple. A la messe solennelle, ce chant est réservé au sous-diacre. A la messe chantée sans ministres, l'épître peut être chantée par un sous-diacre en surplis, un lecteur (au sens strict), ou le servant de messe s'il en est capable. Sinon, le prêtre la chante lui-même. A la messe basse, rappelons-le, le prêtre est tenu de tout dire lui-même. Les messes des quatre mercredis des quatre-temps, du mercredi de la 4^e^ semaine de carême et du mercredi saint ont deux oraisons (la première précédée de la formule : *Flectamus genua. Levate.*) et deux épîtres. Les samedis des quatre-temps ont six oraisons (dont cinq précédées de *Ftectamus genua*) et six épîtres. Dans ce cas, la ou les cinq premières lectures sont chantées par un lecteur sur le ton de la prophétie ; la dernière seulement est chantée par le sous-diacre.
La tradition romaine a toujours considéré les lectures de la messe (épîtres et évangile) comme étant d'abord un acte de culte, s'adressant à Dieu, comme tout le reste de la messe, et ce n'est que secondairement qu'elles constituent un enseignement donné aux fidèles.
67:204
C'est pourquoi épîtres et évangile ont toujours été chantés en latin. A la messe papale, on les chante en latin et en grec. Le concile de Trente a recommandé aux curés d'en donner ensuite la traduction et l'explication aux fidèles ; cette recommandation, en ce qui concerne l'épître, était restée lettre morte ; il faut avouer que les épîtres, celles de saint Paul surtout, sont très difficiles à comprendre à l'audition et malaisées à expliquer. Pie XII en a autorisé (sans l'imposer) la lecture en français aussitôt après la lecture ou le chant en latin. L'explication ne peut être donnée qu'au cours du sermon, après l'évangile. Nous nous souvenons que, dans notre jeunesse, le curé de notre paroisse avait consacré une année entière à l'explication des épîtres des dimanches et fêtes ; nous avons également gardé le souvenir de deux bons sermons épiscopaux, l'un de Mgr Couroux, évêque d'Orléans de 1927 à 1951, sur l'épître de l'Épiphanie ; l'autre de Mgr Roncalli, le futur Jean XXIII, alors nonce à Paris, sur l'épître de la messe de l'apparition de la Sainte Vierge à Lourdes. A défaut d'explications données par le prêtre, les fidèles auront à cœur d'approfondir, avant ou après la messe, le sens de l'épître du jour ; et, au cours même de la messe, de la suivre des yeux sur leur missel. Notons ici qu'à la messe basse, on ne doit en aucun cas chanter des cantiques ni exécuter des pièces d'orgue pendant toute la durée de l'avant-messe, laquelle doit être dite en entier à haute voix (à l'exception des deux oraisons qui suivent les prières graduelles et du *Munda cor,* qui précède l'évangile). Les fidèles doivent entendre ce que le prêtre dit à haute voix, et avoir la possibilité de répondre, s'ils le veulent. A la fin de l'épître, en répond : *Deo gratias.*
8° Le graduel, l'alleluia, le trait, la prose
L'épître est suivie au moins d'un chant, le plus souvent de deux, exceptionnellement de trois chants. Lorsqu'il y a deux ou six épîtres, chacune est suivie d'un chant.
Sauf au temps pascal, le premier chant qui suit l'épître est le *graduel,* composé de deux versets qui se chantent sur une mélodie ornée, d'exécution souvent assez difficile, mais de grande valeur.
68:204
Citons le graduel *Christus factus est,* du jeudi saint et de l'exaltation de la sainte croix, et le graduel *Haec dies,* de Pâques. Plaçons ici une observation : si on peut chanter le graduel, l'alléluia ou le trait, et la prose, s'il y en a une, on doit les chanter intégralement, sur la mélodie ornée qui est la leur. La seule chose qui dispense de ce chant, c'est l'impossibilité réelle de l'exécuter convenablement. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, on psalmodiera le graduel et les chants qui le suivent, soit recto tono, soit, mieux, sur le ton des psaumes.
On entend parfois des fidèles objecter qu' « il ne faut pas faire attendre le prêtre ». Mais la règle est précisément que le prêtre *doit attendre* et *aller s'asseoir* pendant le graduel et ce qui suit, comme pendant le Kyrie, le Gloria et le Credo. A la grand'messe, pendant toute l'avant-messe, le prêtre attend et s'assoit pendant les chants, l'introït excepté. *C'est seulement à partir de l'offertoire que vaut la règle :* « *on ne doit pas faire attendre le prêtre *»*.* On ne doit pas non plus se laisser détourner de chanter le graduel et ce qui suit par la crainte d'allonger la messe. Sauf en quelques cas exceptionnels, *l'allongement sera de cinq minutes,* et ce n'est pas du temps perdu.
Le graduel est généralement suivi d'un *Alléluia.* Ce mot hébreu signifie : Louons Dieu. On le chante deux fois, sur une mélodie ornée, avec un prolongement sur le dernier *a.* Puis vient un verset, sur une mélodie apparentée, qui se termine par le même prolongement sur les deux ou trois dernières syllabes du texte ; enfin, on répète une fois *Alléluia.* Ce chant est un des plus beaux de la messe ; les mélodies en sont admirables ; il faut faire tous ses efforts pour apprendre à les chanter. Parmi les plus beaux, citons les alleluias *Dominus regnavit,* de Noël ; *Vidimus stellam,* de l'Épiphanie ; *Ascendit* et *Dominus in Sina,* de l'Ascension ; *Caro mea* de la Fête-Dieu ; *Assumpta est,* de l'Assomption ; *Venite ad me,* de la Toussaint ; et celui du 5^e^ dimanche après la Pentecôte, qui fut longtemps l'unique alleluia du 6^e^ mode ; la mélodie en a été reprise pour l'alléluia de saint Benoît, au propre bénédictin, et pour celui du Cœur Immaculé de Marie.
Au temps pascal, à partir du samedi in albis, le graduel est supprimé, et on chante deux alleluias, en signe de joie.
69:204
Au contraire, de la Septuagésime au jeudi saint, et aux messes des morts, l'alléluia est supprimé, et remplacé par le *trait,* chant comportant plusieurs versets, généralement de trois à cinq. Les traits sont faciles à chanter, et il faut prendre le temps de les moduler. Deux sont d'une longueur exceptionnelle : le trait Qui habitat*,* du 1^er^ dimanche de carême, qui reproduit treize versets (sur seize) du psaume 90 ; et le trait *Deus, Deus meus,* des Rameaux qui utilise quatorze versets (sur trente-quatre) du psaume 21. L'exécution de ces traits, en chant modulé, demande une dizaine de minutes, mais ils en valent la peine : ce sont des merveilles de chant grégorien. Heureuses les trop rares paroisses (nous en connaissons deux) où l'on a le bon esprit de les chanter ! L'admirable trait du mercredi des cendres *Domine, non secundum* (qui demande, lui aussi, à être chanté au moins ce jour-là) se répète aux messes des lundis, mercredis et vendredis de carême. Aux autres féries de carême et à celles du temps de la Septuagésime, il n'y a pas de trait, mais seulement le graduel. De même, aux féries d'Avent, on ne reprend pas l'alléluia.
Au Moyen Age s'était introduit le chant de *proses ou séquences* après celui de l'alléluia ou du trait. Il y en avait un grand nombre. Le missel de saint Pie V n'en a retenu que quatre, celles qui étaient le plus répétées : *Victimae Paschali,* de Pâques ; *Veni, Sancte Spiritus,* de la Pentecôte ; *Lauda, Sion, Salvatorem,* de la Fête-Dieu (toutes trois répétées pendant une octave), et *Dies irae,* de la messe des morts. Par la suite, on a réintroduit le *Stabat Mater,* pour les deux fêtes des Sept-Douleurs. Ces cinq proses, aussi belles que faciles à chanter, doivent être, en bonne règle, alternées entre la chorale et toute l'assistance.
Nous avons, dans ce paragraphe, traité surtout du chant de ces pièces qui suivent l'épître, et tenté de réagir contre les habitudes de paresse et de facilité qui portent à les éliminer ou à les expédier. Même à la messe basse, il faut apporter à ces textes toute l'attention qu'ils méritent. De grâce, qu'on forme les enfants de chœur à les lire dans leur paroissien avant d'aller transporter le missel d'autel de droite à gauche ; ils auront largement le temps de faire ce transport pendant que le prêtre récite le *Munda cor.*
9° L'évangile
Vers la fin du dernier chant qui suit l'épître, le prêtre, incliné au milieu de l'autel, récite le *Munda cor,* prière préparatoire à l'évangile, et demande à Dieu la bénédiction.
70:204
A la messe solennelle, c'est le diacre qui récite le *Munda cor,* et demande la bénédiction au prêtre ; et il se rend à gauche du sanctuaire, encadré par deux acolytes portant des flambeaux allumés et accompagné par le thuriféraire portant l'encensoir dans lequel le prêtre a versé l'encens. A la messe chantée sans ministres, les acolytes peuvent se placer à l'extrémité gauche de l'autel, où le missel a été porté pour l'évangile. On ne peut faire les encensements à la messe chantée sans ministres qu'en vertu d'indults, accordés aux diocèses et qui permettent ces encensements, par exemple « aux grandes fêtes » ou « une fois par mois ». Le diacre ou le prêtre chante : *Dominus vobiscum.* Réponse : *Et cum spiritu tuo* ; puis annonce l'évangile : *Initium* ou *Sequentia Sancti Evangelii secundum Matthaeum* ou *Marcum* ou *Lucam* ou *Joannem.* Réponse : *Gloria tibi, Domine.* A l'annonce de l'évangile, tous, prêtre, ministres et fidèles (les acolytes exceptés) se tracent trois petits signes de croix sur le front, les lèvres et le cœur, pour demander à Dieu de graver son évangile dans l'esprit, dans la parole et dans le cœur. Puis, s'il y a lieu, le diacre (ou le prêtre) encense le livre. On voit que l'Église témoigne un grand respect à l'évangile : position debout, annonce solennelle, signes de croix, lumières, éventuellement encens. Il faut se garder d'un excès : nous avons lu, voilà dix ans ou plus : « L'évangile est encensé comme le Saint-Sacrement. » Il y a là un énorme sophisme : le Saint-Sacrement est encensé à genoux, en signe d'ADORATION ; l'évangile est encensé debout en signe de VÉNÉRATION.
Le diacre ou le prêtre chante l'évangile sur un récitatif plus solennel que celui de l'épître ; le graduel romain en indique trois. Après le chant latin de l'évangile, le prêtre ou le diacre peut le répéter en français. A la fin de l'évangile, on répond : *Laus tibi, Christe,* et le prêtre baise l'évangile en disant : *Per evangelica dicta deleantur nostra delicta*. Le chant de l'évangile est donc un sacramental, qui a la vertu d'effacer les péchés véniels ou de nous purifier plus complètement des péchés mortels déjà pardonnés. Comme nous le disions de l'épître, l'évangile est d'abord un acte de culte avant d'être un enseignement. Mais il est aussi un enseignement, auquel il faut attacher la plus grande importance.
71:204
Il faut réprouver l'idolâtrie du « Livre » dans laquelle tombent certains novateurs ; on ADORE le Saint-Sacrement, on VÉNÈRE l'évangile. Il n'en est pas moins vrai que, comme le dit l'Imitation : « La sainte eucharistie et les saintes écritures sont les deux nourritures de mon âme. »
10° Le sermon
A la messe des dimanches et fêtes, l'évangile est normalement suivi d'une instruction donnée aux fidèles par le prêtre célébrant ou un autre prêtre ou un diacre. Tous les avis donnés aux fidèles, y compris les annonces, doivent prendre place à ce moment-là. *Jamais l'Église n'a admis que le prêtre* (ni, à plus forte raison, un laïc) *parle aux fidèles pendant la messe en dehors du sermon.* L'instruction qui suit l'évangile en était primitivement le commentaire appelé homélie ; elle peut toujours l'être. Mais le prêtre, soucieux de la formation doctrinale des fidèles, ne peut s'en tenir à l'homélie sur l'évangile du jour. De nos jours, il est impossible de faire venir les fidèles à l'église pour une instruction en dehors de la messe ; il faut donc profiter du sermon de la messe pour leur dispenser, en l'étalant sur des années, l'ensemble de la doctrine, telle qu'elle est exposée dans le catéchisme du concile de Trente.
En France, ce qu'on appelait le « prône » de la messe avait pris, au XIX^e^ siècle, des proportions exorbitantes annonces, prières, recommandations, sermon, en arrivaient à durer aussi longtemps, voire plus longtemps, que la messe elle-même. C'était un abus, qui devenait intolérable lorsque, pour regagner du temps, le prêtre continuait la messe pendant le chant du Credo. Mieux vaut raccourcir le sermon que de sacrifier le moindre chant de la messe, notamment les chants qui suivent l'épître. Le sermon gagne beaucoup à être court : dix à quinze minutes suffisent amplement ; au-delà, les fidèles n'écoutent plus. Mais, pour préparer un sermon substantiel de dix à quinze minutes il faut des heures de travail ; les fidèles ne s'en rendent pas compte, et trop souvent le prêtre n'a pas le courage de s'y astreindre.
72:204
11° Le Credo
Le dimanche, aux fêtes et octaves du Seigneur, de la Sainte Vierge, des saints anges, de saint Joseph, des apôtres et des docteurs de l'Église, l'avant-messe se termine par le chant du Credo, c'est-à-dire du symbole de Nicée-Constantinople.
Face à l'hérésie d'Arius qui, réduisant le Fils, Jésus-Christ, au rang de créature, détruisait le mystère de la sainte Trinité, les trois cents évêques réunis à Nicée, guidés par le légat du pape, Hosius de Cordoue, et conseillés par le diacre saint Athanase d'Alexandrie, accumulèrent les expressions marquant la divinité de Jésus : « Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non pas fait. » Et ces expressions, les évêques favorables à l'arianisme, dont le chef de file était Eusèbe de Nicomédie, les acceptaient toutes, trouvant toujours moyen d'en éluder le sens propre pour y insinuer l'arianisme. C'est alors qu'Hosius de Cordoue, appuyé par saint Athanase, proposa l'expression : *homoousion tô Patei,* consubstantiel au Père, que le concile adopta malgré la vive opposition d'Eusèbe de Nicomédie et de ses partisans. Le terme sur lequel devait se briser l'hérésie était trouvé. Consubstantiel, cela veut dire que le Fils est, non seulement « de même nature » (deux hommes sont de même nature, ils ne sont pas consubstantiels), mais : la même et unique substance que le Père, ainsi qu'il l'a dit lui-même : *Ego et Pater unum sumus.* « Unum », au neutre, qu'on ne peut traduire en français que par : « Le Père et Moi, nous sommes un seul être. » Pour éviter l'excommunication, Eusèbe de Nicomédie n'eut d'autre ressource que la fourberie : avant de signer le symbole, il ajouta au mot : « homoousion » un iota (i) à peine perceptible qui affadissait ce mot en « homoiousion », de même nature. Sous le couvert de cette falsification, il put rester dans l'Église et continuer à y insinuer l'hérésie ; il fallut, pour en triompher, des luttes interminables et des martyrs. Mais le symbole était là pour témoigner, aux pires moments, de la foi de l'Église. Si nos frères orientaux, séparés de l'Église depuis le X^e^ siècle, ont gardé intact le dépôt de la foi, c'est parce qu'ils se sont accrochés au symbole de Nicée, qu'eux aussi chantent à la messe.
73:204
Le symbole de Nicée s'arrêtait aux mots *Et in Spiritum Sanctum.* Ce fut le premier concile de Constantinople qui ajouta la finale, en affirmant la divinité du Saint-Esprit contre Macedonius. La version latine du symbole n'est pas la traduction étroitement littérale du texte grec. Le grec dit : « nous croyons » et emploie toute une série de participes. Le latin dit « je crois » et emploie des phrases à l'indicatif ; il présente, en outre, trois différences notables :
1° Avant « Lumière de Lumière », les mots : « Deum de Deo », qui ne correspondent à rien dans le grec.
2° Une nuance appréciable dans l'énoncé du mystère de l'Incarnation : le grec dit que le Fils de Dieu s'est incarné du Saint-Esprit *et* de la Vierge Marie, plaçant la Sainte Vierge sur le même plan que le Saint-Esprit et montrant par là qu'elle a consenti librement à l'Incarnation. Le latin dit non pas : *et,* mais : *ex* Maria Virgine, marquant davantage la subordination de la Sainte Vierge au Saint-Esprit dans l'acte même de l'Incarnation ; il y a là deux aspects complémentaires du même mystère.
3° Les Grecs n'ont pas fait de difficultés pour ces nuances ; ils en ont fait beaucoup, en revanche, pour la dernière différence : le mot *Filioque,* ajouté au VI^e^ siècle dans le texte latin pour préciser que le Saint-Esprit procède du Père *et du Fils.* Au concile de Florence enfin, les Grecs acceptèrent cette addition. Hélas, l'union fut éphémère... Notons que les deux textes, le grec et le latin, ont la même valeur dogmatique.
Le Credo de la messe est une solennelle profession de foi. Quelle impression de l'entendre chanter par toute une foule, à Lourdes ou à Rome. Saint Louis était tellement ému par le rappel du mystère de l'Incarnation qu'il s'agenouillait à : *Et incarnatus est...* Cet usage du saint roi s'étendit rapidement et fut adopté par la papauté lors de l'exil d'Avignon. Il faut l'observer pieusement. Le prêtre et les ministres, s'ils sont déjà assis avant *Et incarnatus est...,* s'inclinent simplement ; ils ne vont s'agenouiller qu'aux messes de l'Annonciation et de toute l'octave de Noël.
Le graduel romain ne donne que six mélodies pour le Credo. La seule qui soit populaire est la troisième, composée au XVIII^e^ siècle pour compléter la messe des anges.
74:204
Il serait bon de populariser le Credo I, appelé « authentique », qui est d'une facture bien meilleure, sans, bien entendu, abandonner le Credo III. Il est souhaitable aussi que les chorales apprennent et chantent de temps en temps les quatre autres. En France, nous avons le Credo royal, de la 1^re^ messe de Dumont, qui mérite d'être conservé ou même réintroduit. Ce chant du Credo est un des grands moments de la messe ; il faut toujours en faire un grand acte de foi.
#### IV La messe des fidèles
1° L'offertoire
Après le Credo ou, s'il n'a pas été dit, après l'évangile ou le sermon, le prêtre baise l'autel, se retourne, chante *Dominus vobiscum,* puis : *Oremus.* A ce moment, commence la messe des fidèles ; le prêtre n'attend plus, ne quitte plus l'autel et se consacre entièrement à l'offrande du saint sacrifice. Les moralistes considèrent qu'aux dimanches et fêtes d'obligation, il y a faute grave à arriver après le début de l'offertoire ; cette opinion est d'une extrême indulgence, si l'on réfléchit à l'importance de l'avant-messe et à sa longueur, qui est d'une demi-heure au moins, avec un petit sermon : arriver volontairement avec une demi-heure de retard à une messe qui dure une heure un quart, c'est faire preuve d'un sans-gêne voisin de la grossièreté.
Après *Oremus,* le prêtre lit et le chœur chante l'antienne d'offertoire. C'est un chant généralement très court, d'une mélodie ornée, qui a son importance, puisqu'il nous rappelle, au seuil de l'action sacrée, la pensée liturgique du jour. On fera l'effort de l'apprendre et de le chanter, et on ne cèdera pas à la tentation de le remplacer par une pièce d'orgue, encore moins par un cantique. Rappelons que *les cantiques sont interdits à la grand'messe.* L'offertoire chanté, il reste du temps pour une pièce d'orgue de longueur moyenne. A la messe basse, l'orgue peut jouer pendant tout l'offertoire ; ou bien on peut chanter un cantique en rapport avec ce moment de la messe ou la fête du jour.
75:204
Ayant lu l'offertoire, le prêtre découvre le calice. (En quelques diocèses, le servant sonne la clochette pour marquer le début de la messe des fidèles.) Puis, il fait les gestes d'offrande, accompagnés de prières à voix basse, qui se sont introduites progressivement entre le VIII^e^ et le XI^e^ siècle. On voudra bien en lire le Texte dans le Missel.
*Suscipe, Sancte Pater... :* le prêtre élève la patène sur laquelle est posée l'hostie en la présentant à Dieu par cette prière du vine ou IX^e^ siècle qui exprime les intentions générales pour lesquelles le saint sacrifice est offert.
*Deus qui humanae substantiae...* Le prêtre verse dans le calice une quantité suffisante de vin (en bonne règle, les trois-cinquièmes du contenu de la burette), puis une petite quantité d'eau, qu'il bénit en commençant cette prière qui rappelle le mystère de l'Incarnation et demande « que nous soyons rendus participants de la divinité de celui qui a daigné participer à notre humanité ». L'addition d'eau au vin de la messe est déjà attestée par saint Justin (100-166) ; il se peut qu'elle remonte à Notre-Seigneur lui-même. La quantité d'eau doit être inférieure au cinquième de celle du vin ; c'est dire que, même avec le minimum de vin exigé en cas de pénurie (quinze gouttes), on peut ajouter plus d'une goutte d'eau ; mais une goutte suffit dans tous les cas. Dans cette addition d'eau, on peut voir le symbole de nos petites offrandes unies à la grande offrande du Christ et celui de l'union du Christ et de son Église (saint Cyprien).
*Offerimus tibi...* Le prêtre élève le calice et le présente à Dieu « pour notre salut et celui du monde entier ».
*In spiritu humilitatis...* Le prêtre, incliné au milieu de l'autel, prie Dieu d'agréer, ce sacrifice, en utilisant une prière du prophète Daniel (III, 39-40) qui insiste sur les dispositions intérieures ; privés de tout culte rituel pendant la captivité de Babylone, les Juifs y avaient découvert l'importance du culte en esprit et en vérité.
*Veni, Sanctificator...* Le prêtre demande à Dieu de bénir le sacrifice préparé pour son saint nom.
A la messe solennelle, le prêtre bénit l'encens en invoquant saint Michel, avec des réminiscences de Luc I, 11 ; Éphésiens V, 2 ; et Philippiens, IV, 18. Puis il encense l'hostie et le calice en disant : *Incensum istud...* (réminiscence de l'Apocalypse, VIII, 4). Il encense ensuite la croix et tout l'autel en utilisant trois versets, légèrement adaptés, du psaume 140 : *Dirigatur, Domine, oratio mea...* Enfin il rend l'encensoir au diacre en exprimant un souhait *Accendat in nobis...,* inspiré de Luc XII, 49.
76:204
Après l'encensement ou le *Veni, Sanctificator,* le prêtre vient à l'extrémité droite de l'autel : un servant lui verse un peu d'eau sur les doigts ; un autre (ou le même) lui présente le linge appelé manuterge, et il s'essuie les doigts. Ce faisant, il dit les versets 6 à 12 du psaume 25 : *Lavabo inter innocentes manus meas...,* et y ajoute le *Gloria Patri* (sauf aux messes des morts et du temps de la Passion).
*Suscipe, Sancta Trinitas...* Revenu au milieu de l'autel, le prêtre conclut l'offertoire par cette magnifique prière à la sainte Trinité, qui rappelle le souvenir des mystères de la vie de Notre-Seigneur et invoque l'intercession de la Sainte Vierge et des saints (le mot : *istorum* désigne les saints dont les reliques sont contenues dans l'autel).
Notons que dans les rites dominicains et lyonnais, les prières et les gestes d'offertoire sont notablement différents. Dans le rite dominicain, le vin et l'eau sont versés dans le calice avant la messe, et l'offertoire s'en trouve raccourci d'autant.
*Orate, Fratres...* Ayant baisé l'autel, le prêtre se retourne une dernière fois vers les fidèles, avant le Canon, pour les inviter à la prière ; les mots : *ut meum ac vestrum sacrificium...* ont été ajoutés par Rémi d'Auxerre ( 908). La réponse : *Suscipiat...* assez tardive (elle n'existe pas dans le rite dominicain), marque bien le rôle unique du prêtre dans l'offrande du saint sacrifice.
2° La secrète, la préface et le sanctus
Ces trois prières marquent la transition entre l'offertoire et le Canon.
*La secrète* est une oraison, propre à la messe du jour, qui demande à Dieu d'agréer les offrandes, en y ajoutant souvent une mention du mystère ou du saint du jour. Elle est suivie des mémoires, comme la collecte. Il est probable que cette prière qui, jusqu'au VIII^e^ siècle, était la seule prière sacerdotale d'offertoire, s'intitulait primitivement *oratio super secreta,* prière sur les offrandes mises à part.
77:204
Les offrandes de pain et de vin faites par les fidèles dépassant souvent les besoins, on en mettait à part ce qui était nécessaire au saint sacrifice, et le prêtre les offrait par prière. Le mot : *Secreta,* isolé, est devenu un féminin singulier et a entraîné la récitation à voix basse de ces oraisons, dont la première et la dernière se terminent par la grande conclusion : *Per Dominum...* A la fin de la dernière, le prêtre sort de son silence pour chanter : *Per omnia saecula saeculorum.* Réponse : *Amen.* Cette conclusion amorce le dialogue de la préface, qui se continue par un *Dominus vobiscum,* puis par le *Sursum corda,* réponse : *Habemus ad Dominum,* déjà mentionné au I^er^ siècle dans la Lettre de saint Clément et dans la Didaché. Cette invitation à élever nos cœurs vers Dieu est donc à peu près certainement d'origine apostolique, si elle n'est pas de Notre-Seigneur lui-même. Accueillons-la et répondons-y avec tout l'élan de nos cœurs, au moment on va s'accomplir le saint sacrifice. Celui-ci est une eucharistie, une action de grâces, la seule digne de Dieu. Aussi le prêtre continue-t-il : *Gratias agamus Domino Deo nostro.* Réponse : *Dignum et justum est.* L'ensemble de ce dialogue de la préface était constitué avant le IV^e^ siècle.
Le prêtre chante alors la préface qui, reprenant la dernière réponse des fidèles, commence par : *Vere dignum et justum est...* La préface est ainsi appelée parce qu'elle précède immédiatement le Canon de la messe ; elle rappelle sur un ton lyrique la sainte obligation de louer Dieu pour ses bienfaits, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, en union avec toute la hiérarchie des anges. La préface commune, qui s'en tient à ce schéma, est la plus employée. Dans le haut Moyen Age, il y avait un très grand nombre de préfaces propres (267 dans le sacramentaire léonien, qui est du VI^e^ siècle). Le sacramentaire gélasien (VII^e^ siècle) n'en contenait plus que 54. Dès le VIII^e^ siècle, on n'avait conservé que les dix préfaces propres qui figurent dans le missel de saint Pie V ; à savoir, outre la préface commune, celles de Noël, de l'Épiphanie, du carême, de la croix, de Pâques, de l'Ascension, du Saint-Esprit, de la sainte Trinité, de la Sainte Vierge et des apôtres. Benoît XV a introduit les préfaces de saint Joseph et des défunts ; Pie XI, les préfaces du Christ-Roi et du Sacré-Cœur. La plupart des diocèses de France ont les préfaces de l'Avent, du Saint-Sacrement (il en existe deux), de la dédicace et de tous les saints.
78:204
Depuis le XVI^e^ siècle, la préface de la sainte Trinité (composée au V^e^ siècle) se dit tous les dimanches qui n'ont pas de préface propre.
La préface et son dialogue se chantent sur un récitatif qui en souligne le caractère lyrique. Il en existe trois variantes : 1° le ton férial, usité aux messes des morts, des féries, des fêtes simples et aux messes votives ordinaires ; on prendra bien garde, dans ce cas, de répondre : *Habemus ad Dominum* et : *Dignum et justum est,* avec une seule note sur chaque syllabe ; 2° le ton festival, usité pour les dimanches, les fêtes d'un rite supérieur à simple, et les messes votives pro re gravi ; 3° le *tonus solemnior,* facultatif et d'exécution difficile, pour les grandes fêtes.
Toutes les préfaces se terminent par la mention des anges, au chant desquels nous nous unissons « en disant » (dicentes). Vient alors le chant du ciel, le *Sanctus,* qui se trouve aussi, à cette même place, dans les liturgies orientales. Il est emprunté à la vision d'Isaïe (VI, 3). Le Dieu trois fois saint y est appelé : *Dieu des armées,* ce qui désigne à la fois les armées célestes (les astres, et les anges) et les armées du peuple élu. Le texte liturgique a gardé le mot hébreu : *Sabaoth,* que la Vulgate traduit ici par *exercituum,* ailleurs par : *virtutum.* Le chant d'Isaïe dit simplement : « La terre est pleine de votre gloire » ; la liturgie dit : « le ciel et la terre » ; et le chant s'achève par : *hosanna in excelsis.* Là encore, le mot hébreu, qui est une acclamation enthousiaste, n'a pas été traduit. Comme cette acclamation avait été appliquée à Jésus, lors de son entrée triomphale à Jérusalem, le chant d'Isaïe est aussitôt suivi du chant qui salua cette entrée triomphale : *Benedictus qui venit...* Le graduel romain contient vingt et une mélodies du Sanctus. La plus simple (XVIII, usitée aussi à la messe des morts) est un récitatif qui fait suite à celui de la préface. Les autres sont plus ou moins ornées, splendides, dignes du chant de la cour céleste. La plus belle est peut-être le Sanctus IV, malheureusement peu connu. C'est de tout cœur, avec élan, avec enthousiasme qu'il faut unir nos voix à celle des anges pour acclamer, comme il le mérite, le Dieu trois fois saint et le rédempteur qu'il nous a envoyé. Le servant marque le Sanctus en sonnant trois coups et un roulement.
(*A suivre.*)
Jean Crété.
79:204
### Sur la date de Pâques
par D. Minimus
La date de Pâques à son tour est très directement menacée par le bouleversement destructeur dont la barbarie s'acharne à ne rien laisser debout dans l'Église.
Mais le projet impie est ancien.
Dans les pages que voici, nous reprenons ce que D. Minimus en écrivait ici à différentes époques : en 1960, en 1961, et en 1967.
#### Numéro 42 d'avril 1960
Le cycle des lunaisons fait revenir Pâques très tard cette année ; vous avez dû remarquer que la lune vous accompagnait toute cette grande semaine lorsque vous allez au tombeau dans la nuit du Jeudi saint ou à l'office de la Résurrection.
80:204
Soit qu'habitant un hameau de la montagne vous franchissiez sous la lune les ravins qui mènent à l'église, soit qu'en plaine vous suiviez une allée de sable entre les peupliers, une ruelle entre les vergers, quelque place bordée d'arcades près d'un clocher jauni, même à travers les nuages la lune vous éclaire.
Or elle est un grand témoin. Les lieux saints qui se trouvaient dans les jardins aux abords de Jérusalem sont changés. Ni Jésus, ni la Sainte Vierge ne les reconnaîtraient. Les ruelles de la ville sont à la même place mais les maisons ont été reconstruites combien de fois ? Les Arabes détruisent partout les arbres. Le mont Thabor est-il reconnaissable sinon de loin ? *La seule créature qui soit vraiment identique à ce qu'elle était alors est la lune.* Jésus a jeté ses regards sur elle le soir du Jeudi saint, il l'a vue telle que nous la voyons le soir du Jeudi saint ; et remarquant sa joue légèrement aplatie encore, il se dit : « Demain la lune sera pleine, demain est le jour marqué par le Père. »
Il serait donc bien grave de fixer Pâques à une date déterminée. C'est une idée de citadins qui ne voient jamais la lune, toujours offusquée par les lampes au néon. Les artifices qu'ils inventent leur servent à oublier la Création faite pour « raconter la gloire de Dieu ».
En ces jours la lune que saint François appelait sa sœur doit rappeler non seulement l'éternellement mystérieuse Création, mais la Passion de Celui dont elle pâlissait le visage. Virgile qui vingt ans seulement avant la venue de Notre-Seigneur préparait sa langue à l'Église, parle de « l'amitié silencieuse de la lune ». C'est sous la lumière argentée de sa propre créature que Notre-Seigneur a descendu silencieusement la vallée du Cédron pour rejoindre le lieu de son Agonie.
81:204
#### Numéro 62 d'avril 1962
Pâques est très tard cette année. Le 1^er^ avril tombe à la mi-carême. Peut-être le prochain concile s'occupera-t-il de la date de Pâques. Il est nombre de gens dans les administrations publiques et privées, dont tout le travail se passe assis sur une chaise, qui considèrent comme une offense à la raison qu'un trimestre soit plus court ou plus long que les autres. Assurément il n'y a aucun obstacle dogmatique à ce qu'on choisisse une date fixe dans l'année scolaire pour célébrer la fête de Pâques et donner satisfaction à la population croissante des bureaucrates. Du 22 mars au 25 avril Pâques les a toutes occupées.
Il y eut même dès le second siècle une contestation au sujet de la date de Pâques entre l'Orient et l'Occident. Les successeurs de S. Jean et S. Polycarpe l'avaient toujours célébrée au Vendredi-Saint. Ils s'inclinèrent devant l'évêque de Rome où l'on avait toujours fêté Pâques le dimanche qui suivait le 14 du mois de Nizan. Ce conflit même fait la preuve historique la plus ancienne du consentement des Églises d'Orient à la primauté du successeur de Pierre.
Mais le dogme n'est pas tout. La sueur de sang n'est pas un dogme, c'est un fait. Or c'est un fait que Notre-Seigneur est mort à la pleine lune. Cette lune fait le lien entre l'ancien et le nouveau Testament, entre les Figures et la Réalité, entre les promesses et leur accomplissement. Les Juifs immolaient l'agneau pascal le jour de la pleine lune. Jésus mourut sous le même signe. En se rendant au Cénacle pour y célébrer la Pâque, les apôtres ont vu la lune se lever énorme et rose sur les monts de Moab. Elle était déjà haute lorsqu'avec Jésus ils descendirent à Gethsémani. Et s'il y avait des nuages ils étaient tendus comme un voile d'argent entre la majestueuse créature de Dieu et le Verbe éternel ; la nuit était claire.
82:204
Le lendemain la lune se levait quand les hommes de Joseph d'Arimathie s'approchaient :
*Portant le linceul blanc,*
car la lune retarde sur le jour.
Or cette lune qu'on voudrait évincer de la semaine sainte est le seul témoin de la Passion qui n'ait pas changé. Le temple de Jérusalem est détruit ; les oliviers de Gethsémani étaient des arbres jeunes ou en plein rapport et non des reliques : ils étaient là pour donner des olives. Et puis il est très peu de chrétiens qui peuvent le soir du Jeudi saint descendre la vallée du Cédron. Mais ils peuvent tous, ce soir-là, regarder la lune, se dire : les yeux de Jésus se sont posés sur elle. Il a récité dans son cœur le psaume 149 : « Que le soleil et la lune louent le Seigneur. » Il l'avait créée en effet pour être témoin de son sacrifice.
Mais les gens de nos cités, aveuglés par les lampes au néon, ne voient plus la lune, même à son zénith lorsqu'elle domine les profondes tranchées de leurs rues. Il n'y a plus que les campagnards comme nous pour se rendre compte que l'existence de la lune est aussi mystérieuse aujourd'hui qu'elle l'était pour l'homme de Cro-Magnon qui la regardait monter le soir des bords de la Vézère. Les mesures précises n'y font rien ; la science épaissit le mystère ; elle ne l'éclaire pas ; l'existence est d'un autre ordre, métaphysique.
Cette année, Pâques aura certainement lieu à la pleine lune. Ce flambeau sidéral se voit confier par l'amoureux transi ses enfantins déboires. Il tient compagnie dans sa cellule au prisonnier de droit commun, comme Verlaine, qui expie sa faute devant les hommes :
*Un vaste et tendre*
*Apaisement*
*Semble descendre*
*Du firmament*
*Que l'astre irise...*
83:204
Virgile demandait à « l'amical silence » de la lune un abri pour ses méditations. Il y a un accord moral de la nature et de l'homme car les créatures inanimées suivent comme l'homme une loi très stricte et très mystérieuse.
La science n'aborde cette loi que par le côté quantitatif ; elle oublie généralement que l'interprétation du nombre en est l'élément essentiel ; or c'est là chose spirituelle, impliquant que l'ordre recherché est spirituel.
Les animaux ont aussi leur loi qu'ils suivent obligatoirement et l'homme devrait y trouver des indications sur sa propre nature. Chez les animaux par exemple la génération nécessaire à la continuation de l'espèce est très bien réglée suivant la saison pour la fin qui leur est imposée. Mais par un abus scandaleux l'homme qui est libre, oublie qu'il a mission par le mariage de compléter le nombre des élus.
Les païens le savaient : un chœur d'Œdipe-Roi chante : « Puissé-je toujours conserver dans mes paroles et mes actions l'auguste sainteté dont les lois sublimes résident dans les cieux... » Les Juifs conformément à leur vocation ont sacralisé dans la vérité les intentions des païens et fait une fête religieuse de chaque nouvelle lune. On guettait au couchant la première apparition des deux cornes effilées du mince croissant pour commencer le mois et remercier le Créateur de maintenir l'être du monde. Nous chantons encore à complies le psaume de cette fête : « Pendant les nuits élevez vos mains vers ce qui est saint. » S. François appelait la lune sa sœur. Et nous, en nous rendant la nuit au tombeau du Jeudi saint, nous serons éclairés de la même lumière reflétée qui éclaira Jésus dans la nuit tragique.
84:204
#### Numéro 112 d'avril 1967
Pâques arrive en mars cette année ; la fête de l'Annonciation se trouve donc reportée après le Dimanche de Quasimodo et tombe cette année le 3 avril. Nous voudrions que la fête de la Résurrection ne fasse pas oublier celle de l'Incarnation.
D'anciens martyrologes donnent la date de l'Annonciation comme étant aussi celle de la mort du Sauveur. C'est là sans doute une pieuse induction fondée sur une date erronée de la naissance du Sauveur. Une chronologie plus exacte sans être entièrement sûre place la naissance de Jésus plusieurs années avant notre ère. Beaucoup de savants placent donc sa mort l'an 30, alors qu'il avait environ trente-trois ans. En cette année le Dimanche de la Résurrection, d'après la lune, tombait le 9 avril.
Quelle idée de barbares de vouloir donner à Pâques une date fixe ! de supprimer ainsi le seul témoin réel subsistant de cette mise au tombeau hâtive au lever de la lune de Nizan ! Même dans l'hémisphère sud, où les saisons sont inversées, où Noël arrive aux longs jours de l'été, la pleine lune est fidèle à Pâques, et les chrétiens des antipodes qui vont à l'adoration nocturne du Jeudi saint lèvent la tête vers la même lumière qui éclairait la désolation des apôtres...
D. Minimus.
85:204
## Désormais il se tint à l'écart des assemblées d'évêques
### I. -- Présentation d'un texte de Sulpice Sévère
par Louis Salleron
LA COMMUNION entre évêques a souvent posé des problèmes. Un exemple nous en est donné par la vie de saint Martin telle qu'elle nous est relatée par Sulpice Sévère dans des textes que vient de rééditer l'abbaye de Ligugé ([^11]). Dans son Introduction, Mme Luce Piétri nous explique que « Martin dut accepter, pour obtenir qu'on ne procède point à une persécution sanglante contre les sectateurs espagnols de Priscillien, d'*entrer en communion* ([^12]) avec les évêques présents, au nombre desquels se trouvait Ithace. Pour sauver des vies humaines, il n'avait pas hésité à compromettre aussi le repos de sa conscience déchirée qui lui reprochait toujours d'avoir *communié* avec les coupables » (p. 9).
86:204
Qui était Priscillien ? En quoi consistait son hérésie ? Qui était Ithace ? Peu importe. Il s'agit d'une histoire assez embrouillée qui se place à la fin du IV^e^ siècle et qui met en présence l'évêque Martin et d'autres évêques. Ce qui nous intéresse ici, c'est le problème de « communion » qui se pose à Martin dans ses relations épiscopales, à propos d'une affaire à la fois politique et religieuse.
Contentons-nous de citer les principaux passages du texte de Sulpice Sévère où apparaît l'idée de « communion ».
Louis Salleron.
87:204
### II. -- Sulpice Sévère raconte un épisode de la vie de saint Martin
*La scène se passe à Trèves où réside l'empereur Maxime,* « *très honnête homme *», *mais* « *perverti alors par les conseils de certains évêques *».
« ...Les évêques sentaient bien que ces procédés ne plairaient nullement à Martin. Mais, dans le trouble de leur conscience, ils craignaient surtout que Martin, à son arrivée, ne refusât leur communion ; alors il ne manquerait pas de gens pour suivre son autorité et imiter la fermeté d'un si grand homme. Les évêques s'entendirent donc avec l'empereur : on envoya au devant de Martin des officiers du Maître des Offices, chargés de lui interdire l'accès de la ville, s'il ne déclarait pas qu'il serait *en paix avec les évêques* réunis à Trèves. -- Cette mise en demeure des évêques, Martin l'éluda fort adroitement, en déclarant qu'il viendrait *en paix avec le Christ... *» (p. 85).
88:204
« ...Cependant les évêques, *dont Martin refusait la communion,* s'alarmèrent et coururent ensemble vers l'empereur. Ils se plaignirent d'être condamnés d'avance ; c'en était fait de leur situation à tous, si l'obstination de Theognitus, le seul qui après la sentence les eût condamnés ouvertement, s'armait de l'autorité de Martin... » (p. 86).
« ...Les hérétiques, disait l'empereur, avaient été justement condamnés, d'après la procédure des tribunaux publics, non par les intrigues des évêques ; il n'y avait aucune raison pour condamner *la communion d'Ithace et des autres de son parti ;* si Theognitus s'était séparé de ses collègues, c'était par animosité, non pour un bon motif ; d'ailleurs il était le seul qui eût renoncé provisoirement *à la communion générale ;* les autres n'avaient en rien changé ; bien mieux, *le synode* tenu quelques jours auparavant avait déclaré qu'Ithace n'était pas coupable.
« Comme Martin n'était guère ému de ces raisons, l'empereur fut transporté de colère et, brusquement, disparut à ses yeux. Bientôt, on fit partir les assassins, chargés de frapper ceux pour qui intercédait Martin.
« Dès que Martin apprit cette nouvelle, malgré la nuit venue, il fit irruption au palais. Il promit que si l'on épargnait les Priscillianistes, *il communierait avec les évêques ;* mais il spécifia encore qu'on rappellerait les tribuns déjà envoyés vers les Espagnes pour y dévaster les Églises. Aussitôt, Maxime accorda tout. Le lendemain, avait lieu l'ordination de l'évêque Félix, un homme assurément très saint, vraiment digne d'être fait évêque en de meilleurs temps. Ce jour-là, Martin *entra en communion avec les évêques,* estimant préférable de céder pour une heure, plutôt que d'abandonner des malheureux au glaive suspendu sur leurs têtes. Mais les évêques s'efforcèrent en vain d'obtenir de lui *une signature confirmant la communion :* cette signature, on ne put la lui extorquer.
« Le lendemain, à la hâte, Martin sortit de Trèves. Sur le chemin du retour, il était triste ; il gémissait d'avoir été, même pour une heure, *en communion avec des coupables* (*...*)*.*
89:204
*...* Depuis ce temps-là, Martin évita avec soin de se compromettre *dans la communion du parti d'Ithace.* Dans la suite, s'il mettait plus de temps qu'autrefois à guérir certains énergumènes, si la grâce divine semblait moindre en lui, il nous déclarait souvent, avec des larmes, que depuis *cette malheureuse communion de Trèves,* acceptée par lui un seul instant par nécessité, non en esprit, il sentait en lui une diminution de sa puissance. Il vécut encore seize ans : *désormais, il ne se rendit à aucun synode, il se tint à l'écart de toutes les assemblées d'évêques *» (pp. 86-88).
90:204
### III. -- Remarques et rappels
par Jean Madiran
SAINT MARTIN avait déjà rencontré l'évêque de Poitiers saint Hilaire avant que celui-ci soit exilé en Orient par l'empereur (356). A son retour d'exil (360) saint Martin établit sous sa protection un ermitage près de Poitiers, où d'autres ascètes viennent le retrouver. Ce fut l'origine du monastère de Ligugé, probablement le premier monastère en Gaule. Il est donc fort convenable qu'à Ligugé, quoi qu'il en soit de ce que le monastère est maintenant devenu, on réédite la *Vita Martini* de Sulpice Sévère.
A Ligugé saint Martin n'était pas encore évêque : il deviendra évêque de Tours en 371 (ou 373 ?). Sulpice Sévère fut son ami, son disciple, grand seigneur converti par lui à la vie ascétique. Voir le *Saint Martin* d'Édith Delamare (Mame 1960). L'affaire de Trèves racontée dans le texte de Sulpice, Sévère que l'on vient de lire est étudiée, entre autres, dans Duchesne, *Histoire ancienne de l'Église,* tome II (Paris 1907), chap. XV, et dans Latreille etc., *Histoire du catholicisme en France,* tome I (Spes 1957), pp. 52-54. -- Ithace, évêque d'Ossonova (ou Ossobona) en Espagne, « était un prélat des moins recommandables, mondain, fastueux, impudent, adonné aux plaisirs de la table » (Duchesne). Priscillien était « un riche espagnol qui avait fondé une secte assez mystérieuse », laquelle était probablement de tendance manichéenne et en tous cas avait des « pratiques suspectes : usage de livres apocryphes de la Bible, jeûne du dimanche, prophétisme mystique » (Latreille etc.) ; et aussi, la coutume de recevoir l'eucharistie à l'église sans la consommer.
91:204
Convaincu de doctrines immorales et de maléfices, Priscillien fut condamné à mort par le tribunal impérial et exécuté avec plusieurs de ses disciples. -- L'évêque Theognitus, ou Theognis, est celui qui avait osé excommunier Ithace pourtant soutenu par l'empereur : mais Theognis n'avait pas l'autorité morale de saint Martin, déjà très importante au moment de ces événements (386). -- Saint Sorice, pape de 384 à 399, successeur immédiat de saint Damase, refusa lui aussi sa communion aux évêques groupés autour d'Ithace ; saint Ambroise fit de même. L'évêque de Trèves Félix, ordonné comme on l'a vu par Ithace et les siens (en présence et dans la communion -- regrettée -- de saint Martin) ne fut jamais accepté dans la communion catholique : le pape saint Sorice et saint Ambroise envoyèrent des lettres déclarant qu'il fallait choisir entre la communion de Félix et la leur. -- Ithace sera déposé de l'épiscopat et interné à Naples après la chute de l'empereur Maxime et la restauration de Valentinien II en 388.
La *communion dans la foi,* ou communion ecclésiastique, qui demeure toujours substantiellement identique jusqu'à la fin des siècles, est l'accord dans l'adhésion aux vérités révélées par Dieu, infailliblement définies comme telles par le magistère de l'Église : on ne peut contester ou refuser fût-ce un seul point de cette doctrine révélée sans se séparer de la communion (voir notamment saint Thomas, Sum. theol*.,* II-II, qu. 5, art. 3).
Tout est important et instructif dans cet épisode de la vie de saint Martin. Contre son gré et par nécessité, il entre en communion avec des évêques indignes. Mais cette nécessité n'était sans doute pas aussi absolument nécessaire qu'il l'avait cru sur le moment, puisqu'il en eut du remords toute sa vie. Combien d'évêques aujourd'hui, et de prêtres, et de simples fidèles qui comme saint Martin cèdent à ce que pour une raison ou pour une autre : ils prennent pour une nécessité, et demeurent visiblement dans la communion d'évêques qui, en réalité, sont sortis de la communion catholique. Comme on devrait s'interroger sur les « nécessités » invoquées, qui souvent ne sont pas aussi absolument nécessaires qu'on l'imagine. *Une seule chose est nécessaire...*
Il y aurait à faire mille rapprochements et commentaires.
Il nous suffira que cette profitable lecture, découverte et saisie au vol par Louis Salleron, soit pour nous l'occasion de réitérer notre Notification de 1969. Nous l'avions publiée à la suite des falsifications de l'Écriture introduites dans le nouveau catéchisme et despotiquement imposées au nom de l'autorité épiscopale. Aucune de ces falsifications n'a été rétractée. Cela seul suffirait à maintenir la pleine validité de notre Notification aux évêques de France.
92:204
#### Notification publiée en juin 1969 et ici réitérée en juin 1976
Que n'importe qui s'avise de porter une main téméraire sur le texte de l'Écriture, voulant le modifier au gré de son humeur et en répandre une version arbitraire : son imposture sera promptement dénoncée, et le peuple fidèle défendu contre une telle fabrication, par les autorités qui ont été constituées dans l'Église pour veiller sur l'intégrité de la foi. Voilà du moins la règle : et pendant vingt siècles le fait, dans l'Église, a été conforme à la règle.
\*\*\*
A vrai dire, il n'y a pas d'exemple dans le passé d'une modification du texte de l'Écriture qui ait été entièrement arbitraire. Les divergences dans l'interprétation, dans la traduction, voire dans l'établissement même du texte, se fondaient toujours sur des raisons abondamment exprimées. Pour la première fois dans l'histoire du christianisme, on transforme le texte sacré sans *alléguer aucun motif.* Et l'autorité dans l'Église ne réagit pas : au contraire ce sont les évêques qui ont opéré et qui ont imposé ces transformations.
Pourquoi l'annonce des Béatitudes en saint Matthieu a-t-elle été censurée de manière à en ramener le nombre de huit à cinq, voire à trois ? Pourquoi le récit de l'Annonciation en saint Luc a-t-il été mutilé de tout ce qui concerne la conception virginale de Notre-Seigneur ?
93:204
Pourquoi la doctrine paulinienne du péché originel a-t-elle été défigurée par une falsification radicale du texte de l'Épître aux Romains ? Ces questions sont posées publiquement en France depuis quinze mois. Elles n'ont reçu aucune réponse. Les catholiques se sont brusquement trouvés devant le fait accompli d'une « mutation » de l'Écriture sainte cette « mutation » n'avait pas été annoncée, elle n'a pas été expliquée, personne n'a entrepris de la justifier.
Si l'épiscopat n'a donné aucune justification, c'est donc qu'il estime qu'il n'est pas nécessaire d'en donner. Il entend procéder non par voie de persuasion mais par voie d'autorité. Il édicte, il ordonne, il impose ; il compte visiblement sur l'obéissance pure et simple des prêtres et des fidèles. Il n'a pas seulement « approuvé » les falsifications de l'Écriture ; il s'en est déclaré *l'auteur.* Que l'on consulte en effet le FONDS OBLIGATOIRE du national-catéchisme : le volume porte *un nom d'auteur,* et c'est « l'Assemblée plénière de l'épiscopat de France » (page 1 du volume). Bien entendu, l'Assemblée plénière n'en est pas l'auteur matériellement : mais elle a voulu l'être moralement, elle a pris le FONDS OBLIGATOIRE à son compte, elle l'a fait publier sous son nom. Et nulle part depuis lors on ne nous a dit par quelles considérations on entend autoriser la transformation du texte même de l'Écriture sainte. On veut l'imposer comme allant de soi, et comme suffisamment justifiée par son origine épiscopale.
C'est un défi cynique lancé par l'épiscopat français au clergé et au peuple fidèle : l'épiscopat s'arroge le droit de décider n'importe quoi et affiche la prétention d'être suivi les yeux fermés, -- jusques et y compris dans la falsification de l'Écriture. Une autorité religieuse pourrait-elle trouver le moyen d'aller au-delà dans l'autoritarisme et dans l'arbitraire ? On ne voit pas ce qu'elle pourrait encore inventer. On n'imagine point par quel acte plus impudent elle pourrait signifier qu'elle prétend à un pouvoir sans limite, supérieur à toute règle, à tout droit, à toute loi, à toute vérité.
94:204
L'énormité de ce qui a été fait révèle la profondeur atteinte dans l'Église par la subversion des esprits : elle est à ce point abyssale que la plupart n'osent pas la contempler en face et détournent leur regard. Mais le défi à la fidélité catholique n'en existe pas moins, et nous répétons qu'il est cynique. A ce cynique défi, nous allons maintenant répondre par une *notification publique.* Mais poursuivons-en d'abord l'exposé des motifs.
\*\*\*
L'hypothèse commode était celle d'une erreur matérielle, d'une distraction, d'une inadvertance. Comment s'y attarder encore ? Quinze mois ont passé depuis la première dénonciation publique de la falsification de l'Écriture dans le nouveau catéchisme. On n'a rien corrigé. Au contraire. Les manuels issus du FONDS OBLIGATOIRE ont reproduit les falsifications ; plusieurs fois, ils les ont aggravées, et n'ont pas moins reçu leur « visa de conformité ». Ils n'étaient pas encore imprimés au début de l'année 1968, quand nous avons montré que le texte de l'Écriture sainte avait été tronqué et mutilé dans le FONDS OBLIGATOIRE : on avait alors tout le temps et la pleine possibilité matérielle de procéder aux rectifications nécessaires ; on avait même dit, à voix basse, que l'on n'y manquerait point ; on l'avait dit notamment à Rome. Cela paraissait devoir aller de soi ; cela paraissait acquis d'avance : une falsification de l'Écriture, à peine remarquée, est aussitôt corrigée pour ainsi dire automatiquement. Mais on a maintenu les falsifications ; on les a renforcées ; on leur a donné l' « imprimatur » et le « visa » ; on les a imposées comme unique catéchisme obligatoire en France.
95:204
Quand on retourne par la pensée ce phénomène sous tous ses aspects, quand on en examine les circonstances et le contenu, on s'aperçoit que tout y est résolument perfide, et que l'on ne sait ce qui s'y découvre de plus effroyable, l'audace d'une telle perfidie ou bien l'acharnement à la tenir pour désormais inamovible.
\*\*\*
Le cardinal Renard, primat des Gaules, a donné en avril 1969 son approbation personnelle, entière et publique au nouveau catéchisme ; sans restriction ni réserve ; et donc aux falsifications de l'Écriture qui s'y trouvent contenues. Il l'a fait en remettant en honneur et en vigueur, si l'on peut dire, un texte qui en a toujours été et qui en reste dépourvu : le triste, le misérable communiqué du 28 février 1968. Agissant ainsi, le cardinal Renard a déçu les espoirs, non pas les grands espoirs, mais les espoirs discrets et timides que plusieurs de ceux qui le connaissaient mal ou peu plaçaient encore en sa personne. Il les a déçus définitivement. Car c'est la ligne de démarcation et c'est le point de rupture : quand, par un acte personnel et libre, un prêtre, si haut placé soit-il dans la hiérarchie, couvre, approuve et impose des altérations et falsifications du texte même de l'Écriture sainte, alors, c'est saint Paul qui le dit : *qu'il soit anathème* (Épître aux Galates, I, 7-9). La phrase que le lecteur vient de lire, nous l'avons écrite en conscience et en rigueur de termes, proposition universelle qui ne souffre aucune exception quelle qu'elle soit. Sur des points de la doctrine de la foi absolument certains en eux-mêmes, il peut y avoir une hésitation subjective en raison de la connaissance trop vague ou trop confuse qu'en aurait un fidèle incapable d'apercevoir avec précision et assurance quelle est l'hérésie. Il n'y a aucune hésitation possible ni permise quand le TEXTE LUI-MÊME DE L'ÉCRITURE, CITÉ ENTRE GUILLEMETS ET AVEC LA RÉFÉRENCE CORRESPONDANTE, EST ALTÉRÉ, MUTILÉ, FALSIFIÉ DANS UNE VERSION QUE L'ON PRÉTEND RENDRE DÉSORMAIS OBLIGATOIRE :
96:204
et quand il l'est sans autre explication ni motif allégués qu'un simple *hoc volo, sic jubeo* obstinément répété depuis quinze mois. Naturellement, la falsification de l'Écriture n'est pas un phénomène accidentel et isolé : elle est la manifestation extrême, mais logique et cohérente, de tout un mouvement d'apostasie immanente qui atteint ici son point culminant, irrécusable, clairement visible par tous.
Hérétiques et schismatiques classiques ne sont jamais allés jusque là. Ils ont proposé d'autres interprétations de l'Écriture ; ils ont contesté l'authenticité ou la teneur de certains passages ; ils avaient des raisons pour cela. De mauvaises raisons : mais des raisons auxquelles ils croyaient et qu'ils ne cachaient pas, des arguments qu'ils énonçaient, des justifications qu'ils développaient devant tous et qui leur paraissaient décisives. Au contraire, pour modifier et falsifier le texte de l'Écriture imposé aux enfants du catéchisme par voie d'autorité, *personne* n'a jusqu'ici avancé *un seul* motif. Cela fait quinze mois qu'à toutes les réclamations, supplications, protestations, on voit les responsables opposer un silence imperméable et une absence complète de justification. Ils ont changé le texte de l'Écriture sainte parce qu'ils l'ont changé, point c'est tout ; ils n'ont rien à dire là-dessus, ils ne veulent rien dire, ils ne disent rien, ils sont sourds et muets, mais les falsifications de ces sourds-muets demeurent arbitrairement obligatoires. Ils comptent sur la lâcheté, ils comptent que les catholiques n'auront pas *le courage de la fidélité avec toutes ses conséquences,* qui s'inscrivent dans le passage cité de l'Épître aux Galates :
« Il y a des gens qui vous troublent et qui veulent transformer l'évangile du Christ. Mais si quelqu'un, fût-ce moi-même ou un ange du ciel, vous annonçait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème ! Je l'ai dit et je le redis encore maintenant : si quelqu'un vous annonçait un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème ! »
97:204
Qu'il soit anathème : ce n'est pas un vœu platonique.
Celui qui fait ce que dit saint Paul, il *est* anathème.
Il n'est pas possible aux catholiques d'avoir société avec des falsificateurs manifestes, volontaires et obstinés de l'Écriture sainte.
C'est de quoi nous faisons ci-après notification.
#### Notification publique
Pour notre part en effet, et n'engageant évidemment que nous-mêmes :
Ayant dès janvier 1968 en privé, et dès février 1968 en public, averti les responsables des falsifications, nous les avons vu refuser de les corriger ; nous les avons vu les aggraver au contraire, en passant du FONDS OBLIGATOIRE aux manuels, dans plusieurs cas cités par nos précédents éditoriaux ; nous avons vu ces falsifications maintenues ou aggravées recevoir « visa de conformité » et « imprimatur » ([^13]). Nous avons alors, selon le commandement de saint Paul, interrompu toutes relations publiques ou privées avec les auteurs et les complices de la falsification de l'Écriture. Nous déclarons ici que nous refusons et refuserons de les reprendre aussi longtemps que ces altérations, mutilations et falsifications n'auront pas été corrigées.
98:204
Et aujourd'hui, quinze mois après le premier avertissement public que nous leur avons donné, nous faisons connaître, par la présente notification, cette interruption de toutes relations avec des falsificateurs confirmés.
Telle est notre attitude personnelle dans l'attente du jugement explicite de l'Église sur les falsifications du nouveau catéchisme français : et dans l'espérance de contribuer ainsi à exprimer le besoin, manifester la nécessité et hâter l'heure de ce jugement.
Voilà donc la Notification que nous avons publiée dans notre numéro 134 de juin 1969. Elle peut être relue aujourd'hui ; elle n'a pas été démentie par le comportement ultérieur de l'épiscopat. Elle peut être réitérée, et nous la réitérons. Bien entendu (d'ailleurs les mots et leur contenu le montrent) nous ne prétendons pas faire cette Notification comme la ferait un évêque, -- de Poitiers, de Tours ou de Rome. Nous l'avons faite en 1969 et nous la réitérons en 1976 comme peut la faire un laïc du rang, simple chroniqueur, qui de sa place et sans en sortir refuse la complicité de son silence à la félonie, au parjure, à la désertion. Depuis le mois de juin 1969, les évêques de France en ont fait bien d'autres. L'exposé des motifs de notre Notification devrait aujourd'hui s'augmenter d'autres falsifications de l'Écriture, celles qu'ils ont despotiquement imposées dans leurs nouvelles liturgies. Il devrait s'augmenter de la messe à la française, qui n'est plus un sacrifice, et où « il s'agit simplement de faire mémoire », avec accompagnements de danses érotiques et de chants marxistes. Il devrait s'augmenter de toutes leurs capitulations devant le monde moderne et de toutes leurs trahisons face au communisme. Mais à lui seul leur catéchisme nouveau était une raison suffisante, dès 1969, de leur notifier l'interruption de toutes relations.
Sept années se sont écoulées. Ils se sont chaque année enlisés davantage.
La communion de l'épiscopat français est une communion dans le crime.
J. M.
99:204
## NOTES CRITIQUES
### « Liturgie spontanée »
Nous n'avons pas assez souffert. Ce n'est pas suffisant d'être déchirés et harcelés par ce dilemme de l'obéissance qui est une infidélité et de cette fidélité qui paraît désobéissance. Ce n'est pas assez d'avoir dû choisir, seuls, en jugeant sans l'autorité ordinaire, du parti à prendre. Ce n'est pas assez d'endurer la certitude que l'Église n'est plus gouvernée, mais occupée, et que le pape, parmi tant d'incompréhensibles décisions, faiblesses, bizarreries, libéralisations, faveurs aux barbares, et barbaries aux meilleurs, est l'auteur et le promoteur d'une messe ennemie de la Tradition, amie des hérétiques, mauvaise, dangereuse, mutative, source d'impiété et de paganisme.
Ce n'est pas assez pour tant de pauvres âmes de s'être soumises avec horreur à cette messe qu'elles ont en dégoût, et que, de bonne foi, elles supportent, à jamais privées de paix et de consolation, par peur catholique de ne plus être avec Rome.
Ce n'est pas assez pour nous d'avoir choisi la fidélité à la Rome éternelle, et à la messe vraie, sainte, millénaire et d'être regardés comme rebelles, les pires du troupeau, de voir notre unique évêque menacé d'être déclaré, « par voie de presse », hors de la communion, tandis que tous les évêques prévaricateurs et leurs prêtres apostats vivent en tranquillité. Non, ce n'est pas assez pour les pauvres âmes fidèles. Voici leur nouveau tourment, et combien imprévu. Je cite une lettre, parmi d'autres :
« J'ai souffert beaucoup de la mauvaise Messe, vous me dites de faire tout mon possible pour assister à la bonne, celle de saint Pie V, la traditionnelle. Je continue d'aller à la nouvelle, je n'ai plus le courage. Car on m'a dit que *même les canons de saint Pie V n'étaient pas tous bons, et que de très bons prêtres les critiquent.*
100:204
« S'il en est ainsi, pourquoi s'attacher à quelque chose, on prend ce qu'on peut ! »
Je ne sais si vous sentez le désespoir morne de ces lignes. Tout le désarroi du monde et même le lavage de cerveau soviétique n'atteignent pas la résignation mortelle de cette catholique abandonnée. La dernière raison de résister semble lui être enlevée et, devant le tas de cendres, elle demeure inerte.
Ces plaintes m'obligent à parler du brillant exposé de l'abbé de Nantes dans la C.R.C. de janvier.
Il contient en effet une critique du canon de la Messe qui sanctifie l'Église depuis 2000 ans et que saint Pie V a voulu préserver à jamais. Mes pauvres correspondants « ont entendu dire ». Ils sont bien incapables de discerner dans la conférence de M. l'abbé de Nantes les exactes directives qu'il donne, car l'ensemble est si savant, si disert, si technique que peu de lecteurs ou d'auditeurs ont le temps ou la culture indispensable à ce discernement.
Je le donne ici tel que je l'ai compris.
La réforme de la messe traditionnelle a été faite par Paul VI dans le sens le plus mauvais. Il faut donc préférer la messe traditionnelle.
Mais une réforme peut être envisagée : des auteurs savants la travaillent et la souhaitent, M. l'abbé de Nantes la souhaite avec eux. Il est en effet possible, dit-il, *de critiquer les prières traditionnelles du* CANON DE SAINT PIE V. Suit cette critique libre, hardie, audacieuse, lancée aux âmes fidèles hébétées de surprise, d'indignation, d'inertie ou de douleur.
Je n'entre pas dans la discussion, ni sur la prière « Supra quae », ni sur la prière « Supplices ». Je ne dis rien de l'opinion du néerlandais Danneels et de son compagnon Maertens, ou de Dom Botte. Je cite la conclusion générale sur « la réalité de l'avenir par la main sage et pieuse, ferme et audacieuse d'un saint pape soutenu par un grand concile... Sera-ce, instruit par l'expérience actuelle, *un retour à la messe de saint Pie* *V,* au latin, au secret d'un culte hiératique et sacerdotal ? Sera-ce, mais réussie cette fois, la *grande ouverture à une liturgie spontanée* ([^14])*,* populaire, fraternelle, dans la ligne tout de même des grandes intuitions modernes ? »
Je ne discute pas, j'apporte *la protestation des simples fidèles.* Qui aurait cru possible, légitime, orthodoxe, permis, sous Pie XII et même sous Jean XXIII, de faire publiquement devant l'élite des catholiques la *critique du canon de la messe.*
101:204
Mais cela est possible après Vatican II, il y a liberté de tout juger et de remettre tout en question devant le « peuple de Dieu ».
Que les théologiens et liturgistes aient pu, en tout temps et sous contrôle de l'autorité pontificale, discuter de leurs désirs et de leurs « idées », cela ne nous regarde pas.
Mais tout dans l'Église catholique : la foi, les mœurs, la liturgie est *enfermé sous l'autorité.*
Au temps où l'Église était gouvernée, nul ne pouvait, *légitimement,* écrire en matière de religion sans la permission de l'autorité : c'était le « nihil obstat » et l' « imprimatur » ([^15]).
Le pape vivant ne gouverne plus, c'est lui qui nous enlève la messe et nous laisse privés aussi de l'Écriture et du catéchisme. Sommes-nous, tous, évêque, prêtres, fidèles, libérés par là-même de toute autorité ? A Dieu ne plaise ! Il nous faut *obéir à la Rome éternelle,* dit l'évêque qui refuse la Rome moderniste. Et où est la voix, où sont les ordres de cette Rome éternelle ? Nous le savons : DANS LA TRADITION :
... « dans la foi enseignée depuis 2000 ans. Tout fidèle peut et doit s'opposer à quiconque dans l'Église touche à sa foi, la foi de l'Église de toujours appuyée sur le catéchisme de son enfance... Nous avons tous le devoir de garder les traditions... » ([^16])
Or aucune autorité de la Tradition ne permet aujourd'hui, aujourd'hui surtout, en pleine révolution, en pleine subversion, d'enseigner au peuple catholique autre chose que l'obligation de vénérer et de conserver intacte la sainte messe romaine dont les 2000 ans se dressent, magnifiques et menaçants, contre toute main hardie.
Qu'un pape *saint et sage et gouvernant* vienne et condamne le chaos moderniste installé dans l'Église et le Nouvel Ordo qui en est l'expression, puis, que, *fidèle à la Tradition,* il use de ses droits dans la prudence, nous lui obéirons en fils soumis.
Mais, pour le moment, ce pape n'est pas ; la Tradition ordonne le respect absolu de la messe inchangée, et, souverainement, du canon romain.
Parlant de saint Thomas d'Aquin, par opposition aux « audacieux », un prédicateur du temps de saint Vincent de Paul disait que la science et l'étude ne suffisaient pas pour faire un théologien, mais que, manifestement, il fallait la sainteté afin que le Saint-Esprit l'empêchât de s'égarer en ces hautes et subtiles matières.
102:204
Justement, saint Pie V était théologien, et saint, et pape. Je pense aussi à ces protestants loyaux pour qui la messe de saint Pie V à Écône est une lumière et j'ose presque dire une source de repos spirituel. Elle subsiste donc à leurs yeux cette messe dont « le hiératisme, le sacerdotal, le secret (qui est le mystère) » ne les gêne pas, au contraire ; mais dont ils sentent confusément le besoin, la beauté sacrée, la vie... Et cette beauté vivante, pour eux, est liée à sa pérennité, à ces 2000 ans d'un même rite, des mêmes augustes paroles. Ils ont tant varié, eux, leur libre examen leur donne dégoût de ce monstre indéfinissable (cher aux Pentecôtistes) : une *liturgie spontanée *!
C'est la persécution d'Écône qui m'a fait expérimenter combien l'invariation de la messe romaine était nécessaire et sympathique aux protestants de bonne foi en marche, non vers l'écœurant Taizé, mais, peut-être, l'abjuration.
*La lumière sur la Tradition persécutée*
Dieu tire pour nos âmes le bien du mal. Le catéchisme volé aux enfants nous a fait comprendre son prix. D'où réédition du Catéchisme de saint Pie X ([^17]), du Catéchisme du Père Emmanuel (**17**), du Catéchisme du Concile de Trente ([^18]). Rendons grâce à ITINÉRAIRES qui a compris et réalisé que c'était le temps favorable. Je sais des jeunes et des associations de jeunes qui ne sont contents qu'avec le Catéchisme du concile de Trente. L'Écriture trahie et altérée, ce fut entre autres occasions de lumière, la campagne contre la traduction faussée de l'Épître du dimanche des Rameaux ([^19]) : ce texte aux Philippiens établi maintenant en lettres de feu dans tous les cœurs fidèles. C'est la Bible de la Grand Mère pour les petits et pour les grands ([^20]).
Mais surtout, la messe persécutée nous est apparue ce qu'elle est : le Sacrifice d'un prix infini, le centre et le trésor de la Tradition. Jamais, en temps de paix, nos bienfaiteurs d'ITINÉRAIRES, de FORTS DANS LA FOI, du COURRIER DE ROME n'auraient songé à rédiger, et pour eux-mêmes et pour nos âmes, de telles défenses et illustrations ([^21]).
103:204
En vérité, nous avons vu la gloire de la messe, comme le désirait saint Pie X, comme y travaillait dom Guéranger, et notre cœur en a été fortifié et dilaté : « Dilatasti cor nostrum cum apparebit haec gloria ».
Hélas, la foule immense reste dans l'ignorance, à l'ombre de la mort. Mais « nos qui vivimus », ne nous donnons point de repos pour arracher celui-ci ou celui-là, ces enfants, cette famille, cet ami, ce prêtre à cette mortelle indifférence.
Luce Quenette.
### Le tome IIII de l'Archipel du Goulag
Avec ce troisième volume, Soljénitsyne a complété une de ses œuvres essentielles. Il le dit lui-même : ce qu'il peut dire est insuffisant, il appelle d'autres témoignages. Et sans doute, on ne pourra jamais dire qu'on a épuisé cette histoire qui dure depuis plus de cinquante ans, qui a été vécue par des millions, des dizaines de millions d'êtres. Sans doute aussi Soljénitsyne n'a pas été le premier à témoigner de l'existence de ce continent. Son honneur restera d'avoir été celui qui a réussi à percer le mur du silence. Ses prédécesseurs, qu'il ne faudra jamais oublier, on les avait fait taire, on les avait enterrés (grâce à un système d'information, ici même, qui est d'abord un filtre), on les avait déshonorés. Avec lui, on n'a pas réussi.
Ce troisième volume, aussi nourri que les précédents, reprend certains de leurs thèmes. Son originalité est de traiter des révoltes. Elles furent nombreuses, dans ce monde des camps qui n'existait que pour détruire l'espoir même d'une révolte. Des milliers de héros inconnus sont ici honorés à travers les quelques-uns qui sont nommés. Soljénitsyne, après les révoltes des camps, évoque une révolte « civile », celle de citoyens en principe soumis. Elle eut lieu à Novotcherkassk, le 2 juin 1962. Les habitants, tout d'un coup, n'en peuvent plus. Ils ne sont pas révoltés contre le régime, comment le pourraient-ils, eux qui sont manœuvrés et conditionnés par ce régime. Mais c'est lui, en fait, qu'ils mettent en cause. Et le soviet suprême ne s'y trompe pas. Il les fait mitrailler. Il y en aura de soixante-dix à quatre-vingt tués, dont des femmes et des enfants. Les manifestants étaient sans armes, bien sûr.
104:204
Je ne peux m'empêcher, et les dates elles-mêmes m'y invitent, de comparer ce massacre avec celui de la rue d'Isly, à Alger, le 26 mars 1962. La différence, c'est que c'est seulement aujourd'hui, par Soljénitsyne, que nous avons des renseignements précis sur la tuerie dans le Caucase, tandis que le soir même du 26 mars, les correspondants des journaux à Alger diffusaient la nouvelle dans le monde entier.
Le point commun, dans les deux cas, c'est non seulement le fait matériel (l'armée contre une foule de manifestants sans armes, de suppliants), c'est que les faits ont pu être étouffés en France aussi : les victimes déshonorées (des factieux), les fusilleurs justifiés. Je n'ai certes ici aucune intention polémique. Mais ce qui est doit être dit.
Je relèverai une autre remarque, dans ce livre touffu, bouleversant à chaque page, et plein de réflexions qui méritent d'être longtemps méditées. Soljénitsyne écrit que le tsarisme ne fut pas vaincu en 1917, mais bien auparavant, « du jour où il fut admis, dans la littérature russe, que mettre en scène un personnage de gendarme ou de sergent de ville avec la plus mince parcelle de sympathie, était un trait de flagornerie... du jour où le fait, non seulement de leur serrer la main, non seulement de les connaître, non seulement de leur faire un signe de tête dans la rue, mais même de les effleurer de sa manche en passant sur le trottoir, sembla déjà une honte ».
L'auteur rappelle ce fait, simplement. Il ne dit nullement que la police tsariste méritait un meilleur traitement. Si j'ai bien compris le sens du passage, il se réjouit au contraire, et il pense évidemment que le même traitement pourrait, devrait, être appliqué aux polices soviétiques. Je vois qu'il a raison. En même temps, je regarde ce qui se passe en France. On avance à grands pas dans cette voie de mépris et de haine. Et cela aussi incite à des réflexions, d'autant que Soljénitsyne, dans des pages précises, montre que le tsarisme, malgré sa très mauvaise réputation, était beaucoup plus respectueux des droits individuels, beaucoup plus libéral avec ses prisonniers politiques (en Sibérie, Lénine put écrire des livres, Soljénitsyne non) et beaucoup plus timide (un demi-million de relégués pour tout le XIX^e^ siècle, c'est trop mais ce n'est rien en comparaison avec ce qui suivit) que le régime marxiste-léniniste.
Cette note a le tort de s'égarer, mais les questions que pose ce livre sont présentes, aujourd'hui, partout dans le monde. La descente aux enfers que vient d'écrire Soljénitsyne c'est l'épopée du siècle : épopée du malheur et de la honte. Il ne s'agit pas de livres à garder sur une étagère. Il s'agit de livres faits pour nous changer -- et qui y parviendront, petit-être.
Georges Laffly.
105:204
### Bibliographie
#### Michel Legris Le Monde tel qu'il est (Plon)
Michel Legris a travaillé seize ans au « *Monde *»*,* il en a démissionné en 1972. Il est persuadé que ce journal, intègre et objectif du temps de Beuve-Méry, s'est dégradé depuis, est devenu une caricature de journal sérieux. C'est l'objet de son livre, qui tient du pamphlet, dit-il. Un pamphlet qui donne ses raisons, en de longues et pertinentes analyses : attitude du *Monde* dans l'assassinat de Bernard Cabanes, journaliste de l'AFP ; dans le conflit du journal portugais *Republica ;* dans le récit de l'invasion de Pnom-Penh. Etc..
Sur tous ces points, je crois qu'il est difficile de trouver Michel Legris en défaut. La valeur de son livre tient à ce fait que, pour la première fois, un grand public va avoir la possibilité de vérifier ce que pensaient bien des lecteurs isolés. Il va sans dire que l'influence du *Monde* tel qu'il est continuera de s'exercer aussi fortement sur son docile troupeau. On croit trop facilement à l'esprit critique de ces « lecteurs d'élite ». Il est très rare. Et il est vain de croire aussi que *Le Monde* favorise cet esprit critique, aide à découvrir différents points de vue. Il est plus exact de parler d'une entreprise de persuasion clandestine, s'adressant à un public flatté dans ses vues simplifiées de l'histoire, et souvent incapable de chercher vraiment la vérité. Mais enfin, un coup est porté à une « institution » qui paraissait intangible (il est drôle de penser que la seule chose en France qui semblait hors de la critique, par une censure implicite, était cet organe de presse).
Il est sûr que l'entreprise de Michel Legris réclamait du courage. Il aura le malheur de passer pour réactionnaire, puisque, à ce qu'il dit lui-même, seule la droite s'en prenait au *Monde* et pour des « raisons douteuses ». On serait heureux que par un nouvel effort de courage, il perde ses illusions et s'aperçoive que *Le Monde* fut toujours ce qu'il dénonce aujourd'hui. Qu'il analyse ce qui y fut dit de la guerre d'Algérie, ou du Concile, pour prendre deux exemples. On y retrouve les méthodes qu'il croit d'un usage récent. Avec plus de doigté ? C'est seulement que le public ne s'améliore pas.
G. L.
106:204
#### Jean-Marie Domenach Le sauvage et l'ordinateur (Seuil)
Les essais réunis ici traitent de Marcuse, Lévi-Strauss, Althusser, Deleuze et Guattari (il y a aussi une étude sur l'aliénation et une autre sur les chrétiens et le marxisme). Il s'agit bien, comme le dit l'auteur, de « l'intelligence contemporaine -- celle du moins qui obtient, en France, du succès ». Elle ne semble pourtant pas le satisfaire. Il renvoie dos à dos le *sauvage* (la libération des instincts) et *l'ordinateur* (la mort de l'homme, la suppression du sujet). Et Domenach écrit : « Le temps est revenu de la pensée sérieuse ».
Il évoque Soljénitsyne, il constate que ce sont les rescapés du Goulag qui nous rappellent à la responsabilité, à la personne, à la relation de l'âme à Dieu, dont nos penseurs-à-succès ricanent : « il existe donc, cet homme découronné, en même temps il résiste ».
Alors, pourquoi donner tant d'attention à nos nihilismes ? Par peur du ridicule, peut-être, par peur de n'être pas dans le courant du temps. Et puis Domenach écrit aussi : « Tant que le marxisme est capable d'inspirer le sacrifice de soi pour de justes causes, il est, d'une certaine façon, justifié, même si son incarnation politique, dont rêvent les révolutionnaires d'occident et du Tiers-Monde, est précisément ce qui écrase leurs frères insurgés de l'Est ».
On retombe sur les délices des problèmes insolubles.
G. L.
#### Jean Brun Les vagabonds de l'Occident (Desclée)
Les hommes sont des voyageurs, des pèlerins. Cette vieille image de la condition humaine, Jean Brun la reprend pour en montrer les sens cachés. C'est parce que nous nous sentons incomplets, parce qu'*ici* ne saurait nous apaiser que nous cherchons sans cesse un *là-bas.* Mais si ce *là-bas* peut être la Jérusalem céleste, toutes les erreurs sont possibles, et l'histoire est remplie de ces voyages qui ne mènent nulle part, ou qui mènent au gouffre.
107:204
Un élan porta l'Europe des Croisades vers le Tombeau du Christ. Mais le tombeau était vide, bien sûr, et les Croisés le savaient bien. Ils furent pourtant déçus. La quête du Graal ne peut aboutir en un lieu terrestre, où tout serait donné à tous, et pourtant la tentation existera toujours, de croire à cette solution simple. De même la marche sans fin d'Ahasverus ne peut être arrêtée par la fondation de l'État d'Israël, mais des millions d'errants y croiront.
Vient un moment où le refuge, le terme du voyage, n'est plus situé dans l'espace (comme il l'est encore pour Colomb) mais dans le temps. Cité du Soleil, Utopia, en sont les premiers monuments. Cette tentation là est bien active. Moscou, Pékin, La Havane, sont pour des millions d'insatisfaits, le havre promis, et c'est beaucoup plus vrai, bien sûr, pour les insatisfaits qui ne dépendent pas de ces capitales. Dans l'exaspération de son désir d'être ailleurs, dans l'erreur toujours plus grande sur le but du voyage humain, il ne reste finalement qu'un trait constant : l'homme est mal dans sa peau. Il veut sortir de son moi. Ici prennent place les voyages par le rêve, la folie, la drogue, la vitesse Jean Brun n'a qu'à dresser la liste des tentatives à la mode pour nier l'homme tel qu'il est, et la cité où il vit. L'appétit d'autre chose débouche très vite sur la destruction de ce qui est.
Tous les délires semblent être des issues. C'est dans cette partie du livre qu'on trouve cette remarque bien intéressante : « Jadis, à l'époque de la monarchie de droit divin, la politique était mise en corrélation avec la théologie. Naguère, à partir de Marx, la politique fut mise en corrélation avec l'économie et c'est ainsi que naquit le matérialisme historique. A l'heure actuelle, bien qu'on n'y prenne pas toujours garde, la politique se trouve en relation avec la sexualité » (et Brun cite le courant qui va de Sade à Wilhelm Reich, ainsi que la pornographie de masse de notre société).
Le voyage devient errance éperdue. Jean Brun n'oublie pas, pourtant, que l'image a un sens, que la quête est possible, nécessaire, et comme il l'écrit, que nous attendons que Celui qui en a le pouvoir nous dise : « Viens ».
G. L.
108:204
## AVIS PRATIQUES
### Informations
Du *Journal la croix*, 5 mai 1976 :
« *Le cardinal Wyszynski, primat de Pologne, a fait le 3 mai, au pèlerinage de Czestochowa, une homélie agressive à l'égard des pouvoirs publics. *»
Une homélie agressive à l'égard des pouvoirs publics...
La dictature du Parti communiste, maintenue sur la Pologne par la domination militaire et politique de l'URSS, c'est « les pouvoirs publics ». Et l'agresseur, c'est le cardinal.
N.B. -- A notre connaissance, *Le journal la croix --* journal d'opinion subventionné par le gouvernement -- n'est pas encore publié sous censure communiste.
J. M.
« Un peu comme... »
Dans le bulletin de l'archevêché de Paris *Présence et Dialogue* (n° 183, 8 avril 1976), on peut lire à la page 9, sous la rubrique « Informations du secrétariat de l'épiscopat » :
109:204
« La conférence épiscopale française a décidé de créer un bulletin *où seront publiées officiellement ses différentes décisions.* La parution ne sera pas à date régulière mais sera fonction des textes à promulguer (sic). Le système d'abonnement consistera donc dans une certaine « provision » (50 F présentement) à renouveler quand elle sera épuisée. Chaque diocèse en possédera donc une collection complète, un peu comme il possède la collection des Acta Apostolicae Sedis, actes du Saint-Siège (*sic*).
L'Église nationale de France aura donc son bulletin « officiel », *un peu comme* l'Église de Rome. La « collégialité » l'emporte un peu plus chaque jour, contre les décisions du concile et du pape. C'est ce qu'on appelle l'esprit conciliaire. Si vous n'obéissez pas aux « décisions » « promulguées » par le « *Bulletin officiel de l'Épiscopat *» *--* c'est son titre -- vous désobéissez au pape, au concile et à l'Église, même et surtout si ces « décisions » sont contraires à celles du pape, du concile et de l'Église.
L. S.
Quatre mots
*Madame Pierrard à Bruxelles* accomplit une œuvre de courage, de foi, d'endurance qui me pénètre d'admiration.
Son bulletin : *Foi, Espérance, Charité* déploie une grande énergie chrétienne intelligente. Toutes ses pages sont intéressantes : question doctrinale -- méditation -- biographie vive et brève d'un saint et, depuis quelque temps, une page pour les enfants où elle pratique, chose rare, le langage enjoué et *sérieux* qui leur convient, sans niaiserie (je vous assure que c'est rare). Madame Pierrard organise pour eux de courtes retraites. Et elle travaille à l'acquisition d'une « Maison du bon Dieu » où enfin elle pourra grouper : chapelle, école, retraites, secrétariat.
Mais cette indomptable chrétienne, vif levain, s'épuise à remuer une lourde pâte. Son bulletin intéresse aussi bien les Français et les Suisses que les Belges.
Foi, Espérance, Charité 71, rue des Bégonias, 1170 Bruxelles :
Abonnement : Frs Belges 200 ; soit environ 20 FF. C.C.P. 000.1100.419.5,1.
\*\*\*
110:204
Les Suisses, justement, profiteraient bien d'une bonne alliance avec Madame Pierrard pour leur bulletin nouvellement fondé :
*Tradition -- Informations :* Case Postale 176, 1800 Vevey.
Abonnement : 35 FF.
bulletin qui manquait bien à la fidélité suisse. Mais Écône les soulève et les soutient. Si l'hospitalité suisse est toujours une vertu, en ce qui regarde le grand événement d'Écône c'est une fidélité et une ferveur.
\*\*\*
Après son pieux livret sur la Sainte Vierge, *M. Jacques Rabany* en a publié un autre tout aussi mince et pratique sur la *Sainte Messe,* préfacé par M. l'abbé Coache. Dans chacun de ces livrets, il cite simplement des extraits de tous les bons textes faisant autorité sur le sujet.
C'est une petite anthologie bien adaptée qui nourrit la piété en rassurant la foi : saint Bernard, saint Paul, Pie XII, Tanquerey, saint Laurent Justinien, le concile de Trente, saint Alphonse de Liguori, saint François de Sales, Dom Cabrol et saint Fulgence, beaucoup d'autres, nous expliquent, par exemple, que la Messe est le Sacrifice. Ils s'entendent tous comme contemporains, travaillant ensemble contre les dangers qui nous assiègent, et rejoignent aisément Mgr Marcel Lefebvre, Jean Madiran, le Père Barbara, le Père Vinson, le Père Calmel, etc., dans un concert d'unité qui répond au besoin des âmes : vivre l'actualité de la Tradition.
*La Sainte Vierge. La Sainte Messe.* Ces deux petits livres sont envoyés gratuitement par M. Jacques Rabany, Les Compagnons de Saint Martin et d'Ozanam, 10, place Rabelais, 37000 Tours.
Les gens de cœur savent ce qu'ils ont à faire s'ils veulent aider M. Rabany à tenir le coup.
\*\*\*
Nous recommandons l'ouvrage de *Mme Robert Toussaint :* « *Pour nos petits fils *». C'est une grand-mère admirablement documentée, qui a vécu en réalité et avec intelligence tout ce qu'elle explique à la jeunesse sur le gouvernement du maréchal Pétain, vainqueur de Verdun, vainqueur de Montoire, restaurateur des traditions chrétiennes de la patrie. Trahi, condamné, son œuvre détruite, notre pays livré à la Révolution et à son metteur en scène de Gaulle, voilà ce qu'il faut que nos enfants apprennent pour qu'une élite se lève, reçoive l'héritage de l'honneur, de la ruine temporaire, et du patrimoine sacré qu'on leur laisse ignorer ou qu'on déshonore sous leurs yeux.
*Pour nos petits fils :* 1^er^ tome : 20 F, 2^e^ tome : 20 F, et bientôt les deux tomes en un volume, chez Mme Robert Toussaint, 29, rue Sully, 69006 Lyon.
Luce Quenette.
============== fin du numéro 204.
[^1]: -- (1). Je vous en ai donné les résultats dans notre précédent numéro ITINÉRAIRES, numéro 203 de mai, p. 144 et suiv. -- Les Éditions Saint-Gabriel, en Suisse, ont de leur côté lancé auprès de leur public une campagne de soutien à ITINÉRAIRES par l'abonnement à la revue. Nous leur sommes très reconnaissant de cette généreuse initiative. Elles ont imprimé à leurs frais un dépliant de propagande (on peut leur écrire pour le leur demander : Éditions Saint-Gabriel, à Martigny, Suisse). Leur campagne a commencé au moment où la nôtre s'achevait (mais la nôtre continue, comme nous l'avons dit, au-delà du terme fixé). Nous vous tiendrons au courant dans la rubrique « Annonces et rappels ».
[^2]: -- (1). Le 10 août 1975. (*Note du traducteur*)*.*
[^3]: -- (2). « A travers l'actualité », dans *L'Ordre français,* n° 194 de septembre-octobre 1975. (*Note du traducteur*)*.*
[^4]: -- (1). DMM éditeur, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris.
[^5]: -- (1). Pierre Darcourt : *Vietnam, qu'as-tu fait de tes fils ?* (Éd. de l'Albatros). Cet important ouvrage a déjà fait l'objet d'un compte rendu par Georges Laffly dans ITINÉRAIRES, numéro 200 de février 1976, pages 117 et 118.
[^6]: -- (1). Jacques Perret : *Salades de Saison,* Gallimard, lisez, ça vaut la peine.
[^7]: -- (1). Henri Charlier, *l'Art et la Pensée,* Dominique Martin-Morin Édit.
[^8]: -- (2). Henri Charlier, *Culture, École, Métier,* Nouvelles Éditions Latines,
[^9]: -- (1). Souligné par nous.
[^10]: -- (1). Souligné par nous.
[^11]: -- (1). Supplément à la « Lettre de Ligugé », n° 172-173, juillet-octobre 1975. -- Traductions de Jacques Fontaine et Paul Monceaux. Introduction de Mme Luce Piétri.
[^12]: -- (2). Ici et plus loin dans la reproduction du texte de Sulpice Sévère, c'est nous qui soulignons.
[^13]: -- (1). Voir les textes, les faits, les dates dans notre brochure : *Le catéchisme sans commentaires.* \[ou encore It. 121-03-68.
[^14]: -- (1). Ce n'est pas nous qui soulignons.
[^15]: -- (1). Autrefois, on disait : -- Méfiez-vous, ce « livre de piété » *n'a pas l'imprimatur.* A partir environ de Jean XXIII, on a dit : -- Méfiez-vous, *ce livre a l'imprimatur.* Aujourd'hui, le « service est supprimé », il reste les mises en garde contre l'orthodoxie traditionnelle.
[^16]: -- (2). Mgr Marcel Lefèbvre : Lettre numéro 9.
[^17]: -- (1). Éd. Dominique Martin Morin, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris.
[^18]: -- (2). N° 136 d'ITINÉRAIRES.
[^19]: -- (3). La Bataille du Verset 6, ITINÉRAIRES, numéros 152, 153, 154, 155, 157.,
[^20]: -- (4). Éd. Dominique Martin Morin.
[^21]: -- (5). Voir *La Messe, état de la question.* \[It. 193-bis\]