# 206-09-76
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ROGER-THOMAS
CALMEL
prêtre de l'ordre des frères prêcheurs
Né le 11 mai, baptisé le 13 mai 1914
à Sauveterre-la-Lémance
(Lot-et-Garonne)
mort le 3 mai 1975
en la fête de l'Invention de la Sainte Croix
dans la 38^e^ année
de sa profession religieuse
et la 35^e^ année de son sacerdoce
inhumé le 5 mai 1975
en la fête de saint Pie V
à Saint-Pré du Cœur Immaculé
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### Dix-sept années
par Jean Madiran
MALGRÉ LE TEMPS, prenons le temps. Prenons sur le temps qui s'en va, le temps qui est à l'actualité, aux préoccupations légitimes et aux divertissements. Vous auriez quand même pu choisir un autre moment, nous dira-t-on une fois de plus. Et les mieux informés, les plus malins : C'est pour ne pas prendre position sur l'affaire d'Écône. -- Bien sûr, ce n'est jamais le moment. Il y a toujours des affaires et des questions pressantes. A nous y laisser prendre nous n'aurions jamais le temps du culte des morts. Eh bien non. Nous faisons mémoire de nos morts parce que nous le devons. Nous leur devons cette justice infirme que l'on appelle la piété. Nous devons ce culte à tous ceux par qui nous avons reçu la vie et l'éducation, la foi et la civilisation : les parents, les maîtres, les anciens, les aînés, les héros, les saints. En ce siècle d'impiété filiale, nous le faisons à contre-courant et dans l'incompréhension, même de nos lecteurs. Ce siècle est mauvais d'abord parce qu'il est impie. On ne remontera pas les pentes de ce siècle si l'on ne remonte cette pente de l'impiété, qui est celle de la barbarie.
La civilisation est fondée sur le culte des morts, qui donne sa pleine dimension au premier de ceux des commandements de la loi naturelle qui concernent les obligations envers le prochain. Le culte des morts consiste à garder et à honorer leur mémoire : la mémoire de leur bienfait, la mémoire de son excellence.
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« Nous aussi nous avons le culte de l'homme » : mais celui de la piété filiale, non pas celui de l'impiété moderne. Par cette justice infirme, incapable de donner autant qu'elle a reçu, c'est à nos bienfaiteurs que nous rendons honneur mais c'est à nous que nous rendons service : en nous replaçant dans la réalité de notre situation de débiteurs insolvables. *Homo efficitur debitor.* Et la réalité de notre condition mortelle. La piété est maîtresse de vérité. On n'hérite pas matériellement des trésors spirituels ; on n'en hérite que spirituellement : que par l'esprit de piété. C'est en honorant nos morts que nous recevons quelque chose de leur âme en héritage.
Honorer la mémoire du P. Calmel, c'est nous remémorer son exemple et ses leçons. C'est relire son œuvre. Ceux qui vont relire dans le présent numéro « De l'Église et du pape en tous les temps et en notre temps » y retrouveront les lumières dont nous avons besoin en ce moment. Ainsi la piété nous instruit, chaque jour actuelle. La piété, dit saint Paul, est utile à tout, elle a les promesses de la vie présente et de la vie éternelle (I Tim. 4, 8).
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Et puis, qui le ferait si nous ne le faisions pas ? Deux grands esprits, deux grands serviteurs de la France et de l'Église nous ont quittés en 1975 : le P. Calmel et Henri Charlier. Ils nous ont quittés sans que la presse s'en soit seulement aperçue. Même amie, ou du moins supposée proche, de *L'Homme nouveau* à *Aspects,* en passant par tous les autres hebdomadaires et magazines d'actualités, la presse n'a pas eu un mot. Deux tombeaux ni salués ni seulement annoncés. Un Henri Charlier ? un Père Calmel ? Ils n'existent pas, ils n'ont pas existé. Il serait peut-être excusable que nous en ressentions quelque farouche amertume.
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Mais ce serait une erreur de nous y laisser tristement dérouter. La revue ITINÉRAIRES y trouve au contraire sa fonction et sa raison d'être : par elle ceux qui étaient capables de s'y intéresser auront été avertis de la vie et de la mort, de l'œuvre et de la pensée d'un Père Calmel, d'un Henri Charlier, demeurées encore plus inconnues dans l'Église et le monde modernes que si elles avaient été systématiquement clandestines, secrètes. Être privé à ce point d' « inscription temporelle », comme Péguy l'avait été, être frappé à ce point d'inexistence mondaine, c'est un prodige, bien sûr, c'est une grâce. Essayons de ne pas la laisser passer, essayons de n'en pas mésuser. Son effet en tout cas le plus visible est qu'elle protège notre travail et celui de nos lecteurs. Elle nous aide à être du monde comme n'en étant pas : même un Charlier, même un Père Calmel, la rumeur du monde les ignore. Il est bon qu'il en soit ainsi ; sauf pour ce monde ignorant, qui en meurt.
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Le P. Calmel est venu à ITINÉRAIRES en 1958. Nous avons travaillé ensemble pendant dix-sept années. Son contrat tenait en peu de mots. Je lui avais demandé d'être ; à la revue, un prêtre de l'Ordre de saint Dominique. Il m'avait répondu qu'il ne pouvait ni ne voulait être autre chose. Mais en 1958, nous ne pouvions imaginer où cela nous conduirait.
Il y avait pourtant des difficultés. Elles nous paraissent bénignes aujourd'hui, par comparaison avec celles qui sont venues. Bénignes sans doute, mais déjà de même nature ; ce n'étaient pas des difficultés ordinaires. L'Église était occupée par un parti ennemi, par une puissance étrangère à son être historique : en France du moins, malgré Pie XII, malgré une curie romaine qui avait alors ses Ottaviani et ses Pizzardo, et où le dominicain Philippe, aujourd'hui cardinal, commençait une carrière qui saurait être brillante.
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L'Église de France était occupée et tenue, déjà, par une gauche maçonnique et progressiste que couronnait l'affreux trio Liénart-Feltin-Gerlier. Les dominicains parlaient, écrivaient, s'éditaient partout, pourvu que ce fût à gauche et pour la gauche, toujours couverts par leurs supérieurs locaux ; mais que le dominicain Calmel ait le dessein d'écrire dans ITINÉRAIRES, déjà en 1958, encore sous Pie XII, c'était localement un intolérable scandale, ce n'était pas possible, ce n'était pas permis. Par la suite les dominicains de la tribu Chenu-Congar racontèrent qu'ils avaient été martyrisés sous Pie XII : si peu, en vérité, que leur clan restait le maître en France, où il brimait et persécutait à son gré les dominicains « intégristes », les empêchant d'écrire et de parler. Si bien que les premiers articles du P. Calmel durent paraître dans ITINÉRAIRES sous le pseudonyme de « Roger Thomas ». Il nous fallut aller jusqu'à Rome pour obtenir, au plus haut niveau du gouvernement de l'Ordre dominicain et de la curie romaine, l'autorisation. C'est seulement au mois de mai 1959 qu'il put commencer à signer. Jean XXIII s'installait à peine, Rome croyait pouvoir s'en consoler en chuchotant : « les papes passent, la curie demeure », axiome souvent vérifié dans le passé qui allait être bientôt renversé, mais point tant que le cardinal Tardini serait là. Bref il y avait encore, au début de l'année 1959, des possibilités d'être entendu à Rome. Et l'autorisation donnée au P. Calmel d'écrire autant qu'il le voudrait dans ITINÉRAIRES tombait de si haut que personne, pendant longtemps, n'osa la remettre en question. Jusqu'au moment où ces sortes d'autorisations ayant perdu toute valeur morale, on n'y prêta plus attention.
On y attachait encore quelque importance en 1966, l'autodestruction de la légalité ecclésiastique n'en étant qu'à ses débuts. C'était au lendemain du concile, l'occupant était maître de tout le juridique et de tout l'administratif. Le P. Calmel venait de terminer son grand ouvrage :
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*Théologie de l'histoire,* mais il ne « s'en sentait pas », comme il disait, d'aller demander une autorisation, eu l'occurrence, d'abord, un *imprimi potest* qui lui aurait été refusé. Le temps n'était pas encore de s'en passer. Nous fîmes donc de son livre un numéro spécial de la revue, parfaitement licite, couvert par son autorisation de collaborer à ITINÉRAIRES. Mais ce numéro spécial, à sa demande, figure et figurera dans la liste de ses livres. Comme il se doit.
Avant même le concile, le P. Calmel a été beaucoup persécuté par ses frères dominicains. La persécution fut même physique : principalement par le bruit, qu'il ne supportait pas, et le manque de sommeil. Déjà de faible santé, il en devenait malade à mourir. On l'arrachait à ses persécuteurs avec des certificats médicaux, on l'aidait à trouver des refuges tranquilles. Mais il en restait désolé : « Si je suis devenu dominicain, c'est pour vivre en communauté avec des frères. » Aucune communauté de dominicains ne lui était plus fraternelle ; partout il était traité en ennemi : avec méchanceté, avec acharnement, quelquefois avec une courtoise indifférence, mais en ennemi, toujours. A cette persécution morale et sociale, aucun remède humain. Il la nommait une « relégation sociologique ». Mais il ajoutait : « Les mille conséquences menues et quotidiennes de cette relégation sociologique, qu'est-ce que c'est au prix de l'honneur que nous fait Jésus-Christ de confesser la foi. »
Le concile terminé en décembre 1965, l'épiscopat français avait, en juin 1966, condamné ITINÉRAIRES pour crime d'opposition à l'esprit nouveau. Mais de 1966 à 1969, les évêques demeuraient plus ou moins incertains des véritables intentions de Rome, malgré les encouragements à la subversion qu'ils en recevaient en secret. Que voulait Paul VI, que voulait-il vraiment ?
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Il avait en 1967 institué une « année de la foi » dirigée en propres termes contre « la mentalité post-conciliaire » à laquelle il reprochait de « propager le vain espoir de donner à la religion chrétienne une nouvelle interprétation » ; il avait en 1968 clôturé cette « année de la foi » en prononçant lui-même sa fameuse « profession de foi ». On devait comprendre par la suite qu'il n'entendait point par là stopper l'évolution conciliaire, mais au contraire apaiser les craintes qui auraient pu la ralentir. Sur le moment, beaucoup de dignitaires et supérieurs ecclésiastiques, ne sachant de quel côté le vent soufflait en définitive, hésitaient à s'engager et se retranchaient dans un attentisme prudent, qui ménageait leur carrière en laissant tout aller à vau-l'eau. Du moins le P. Calmel en profita. Dans la confusion, on n'entreprit contre lui rien de décisif. On lui insinua plusieurs fois que son autorisation d'écrire dans ITINÉRAIRES allait être supprimée. « Ne manquez pas, lui disais-je, de faire observer qu'un tiers est en cause. Car c'est moi qui l'ai demandée ; c'est à moi qu'elle a été consentie. » Par un soulagement que la Providence apportait à nos malheurs, il n'y eut pas ou peu de mesures juridico-administratives contre nous tant que la légalité ecclésiastique, n'en étant qu'au début de son autodestruction, gardait quelque autorité morale sur nos consciences. Mais bientôt, en 1968, c'était en France le nouveau catéchisme, et à Rome, en 1969, la nouvelle messe. Qui nous obligeaient à une terrible liberté.
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Du temps de Pie XII on nous accusait volontiers de « papolâtrie », on nous accusait à tort, nous n'étions pas idolâtres. Mais nous étions excessifs et imprudents. Nous avions bien oublié (nous n'aurions pas dû, nous moins que personne) les cruelles leçons de la condamnation de l'Action française. Puisque nous avions la chance d'avoir un Pie XII ! Nous avions cette chance, nous ne l'avons pas méconnue.
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Nous y étions rendus attentifs par l'ardente prédication de Marcel Clément, qui avait beaucoup de bonheur de pensée et d'expression dans l'exposé de la doctrine du pape régnant. Il y mettait pourtant quelque tendance à l'inconditionnalité, avec un enthousiasme qui méprisait les nuances, précisions et limites toujours apportées par l'Église dans son enseignement de l'obéissance. Ces exagérations clémentino-papistes d'ITINÉRAIRES, il y en avait deux qui n'y entraient nullement, Louis Salleron et le P. Calmel, chacun de son côté car ils ne se connaissaient guère. Louis Salleron nous disait : « Vous serez bien attrapés quand vous aurez deux ou trois papes en même temps... » Nous lui répondions que cela n'arrive pas tous les jours. Il nous est arrivé pis. Les deux ou trois papes qui se disputaient jadis le trône de Pierre avaient tous, du moins, la même religion, la même messe, le même catéchisme. Aujourd'hui c'est le pape qui n'a plus la messe du pape. Paul VI est séparé d'avec lui-même. Il a abandonné la messe de son ordination, il interdit la messe qu'il célébrait pendant les premières années de son pontificat. Du temps de Pie XII nous n'imaginions pas la possibilité d'un tel scandale. Marcel Clément après Jean Ousset citait la phrase de saint Pie X : « Il ne saurait y avoir de sainteté là où il y a dissentiment avec le pape. » Le P. Calmel mettait une grande énergie à refuser cette proposition. Et sur ce point l'autorité invoquée n'ébranlait pas sa certitude. Saint Pie X est saint Pie X, il le vénérait de tout cœur, mais là il s'agissait d'une opinion privée qui n'était pas juste. L'histoire de l'Église nous montre des saints canonisés qui furent en dissentiment avec des papes qui n'ont pas été canonisés. Le P. Calmel en appelait aussi à la théologie ; et au bon sens. Saint Pie X en effet, au même endroit de ce discours aux prêtres du 2 décembre 1912, popularisé dans *Pour qu'Il règne* (page 492, note 9), déclarait : « On ne limite pas le champ où le pape peut et doit exercer sa volonté. »
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Si l'on entend que ce champ n'a donc aucune limite, ou seulement la limite que chaque pontife veut bien reconnaître, en l'absence de tout critère objectif, on tombe dans une erreur manifeste, nous disait le P. Calmel. Il disait en vain. L'erreur ne nous était pas évidente. Nous avions Pie XII. Par la suite les événements se chargèrent de mieux nous instruire.
Quand on parlait au P. Calmel d'un cardinal (et c'était avant le cardinalat du P. Philippe), son visage était envahi par une grande compassion : « Le malheureux, disait-il, que n'a-t-il pas dû faire pour y arriver. »
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Mais l'essentiel ne se raconte pas. L'essentiel de ce que nous laisse le P. Calmel est son œuvre publiée ; rien d'autre. Sa personne, il l'a voulu ainsi, s'efface, sauf pour un temps dans quelques souvenirs qui n'appartiennent pas au domaine public. N'appartient pas non plus, ou pas encore, au domaine public, l'histoire des dominicaines enseignantes de Toulouse, congrégation religieuse de vie active à vœux simples qui lui doit beaucoup. Il n'a jamais permis que l'on recueille ses lettres, ses prédications, ses propos. Ce qu'il écrivait pour la publication était toujours extrêmement soigné ; il ne laissait imprimer aucune improvisation oratoire ou épistolaire sans l'avoir revue. Une exception pourtant, de novembre 1971 : « *Utilisez cette lettre comme bon vous semble *»*,* m'écrivait-il. J'utilise donc ; et d'autant mieux que le présent numéro est aussi celui où, comme chaque année, nous publions le calendrier liturgique de l'année prochaine. Il s'agit en effet du calendrier, auquel il était très attentif, ce n'était pas pour lui un détail sans importance :
Ma conviction est que, pour faire un tri dans le nouveau calendrier, il n'existe ni critère, ni autorité ; par suite je le refuse en bloc, je garde l'ancien.
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Accepter par exemple de déplacer la solennité du Christ-Roi au dernier dimanche de l'année, pourquoi alors que je refuse la suppression de l'octave de la Pentecôte. Les dimanches après la Pentecôte ne portent plus ce nom : est-ce que je devrais entrer dans le système qui compte bien (encore pour le moment) à partir de Pentecôte mais qui ne veut plus le déclarer ?
L'ancien calendrier fut élaboré par l'usage et à partir de critères peut-être implicites mais très nets : en particulier, pour le temporal, l'établissement des octaves puis le calcul des dimanches à partir de l'Épiphanie, de la Septuagésime, du Carême, de Pâques et de Pentecôte. Le nouveau calendrier a été fabriqué par des bureaux, sans tenir compte de l'usage, en introduisant des changements que personne ne demandait (sinon une maffia occulte) et enfin sur le critère implicite de légiférer en atténuant le plus possible les marques propres du calendrier catholique : de la sorte le syncrétisme (ou en tous cas l'œcuménisme) sera facilité ; il restera bien des fêtes, -- ou des jours chômés, -- mais il ne sera pas obvie que ce sont des fêtes spécifiquement catholiques. Même pour ce qui est de la semaine, on ne sait plus bien si le grand jour est le dimanche ou le sabbat, puisque la messe du dimanche peut être entendue le jour du sabbat. Il fallait bien faire ce plaisir aux juifs qui manœuvrent les bureaux du Vatican.
Dire : « Les dates peuvent se modifier, les fêtes demeurent » ne signifie rien, lorsque le changement des dates, des oraisons et des lectures des fêtes est commandé par le principe que je disais. Sur la transformation des oraisons (j'entends dans le Missel en latin de Paul VI) les XXX m'ont envoyé les textes parallèles de 5 ou 6. C'est fort éclairant. Si les dates des fêtes sont changées par des chefs qui ne croient plus aux fêtes et qui font changer, en même temps que les dates, les oraisons des fêtes, et leurs lectures, et tout leur contenu, comment les fêtes pourraient-elles demeurer ?
« Je voudrais publier d'une plume de fer sur un papier d'acier » (comme disait Ronsard) que le pape 263° se contredivise aux 262 antérieurs et le concile XXI^e^ se contredivise aux vingt conciles précédents. Et que tous les changements, tous sans exception, tous, du calendrier des fêtes à l'habit religieux et de la garnison des gardes suisses à la mitre des évêques, tous doivent être jugés en tenant compte de cette rupture ou de cette innovation. Pendant une telle période, on s'en tient aux statuts précédents.
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Voilà mes raisons de refuser le nouveau calendrier : 1) il n'y a pas de chef responsable, ou plutôt ils sont deux ou trois sous la même tiare en matière plastique ; 2) il n'y a pas de critères, ou plutôt il y a le critère de faire glisser le calendrier catholique vers un calendrier maçonnique. Le triste Paul VI, en proie à ses noires chimères, nous a gratifiés d'un nouveau calendrier qui, progressivement, se vide de tout catholicisme. L'Église est trahie, voilà tout. Mais un jour l'Église jugera et rétablira sa tradition.
Ceux qui rencontraient le P. Calmel après l'avoir lu étaient d'abord frappés de lui trouver une stature physique si peu en rapport avec son autorité morale. Physiquement il était chétif, d'apparence maladive, et réellement malade bien souvent ; depuis toujours diminué par une insuffisance cardiaque congénitale. Je crois que Pascal, qu'il aimait (qu'il canonisait) l'a beaucoup aidé à vivre clans la pénible compagnie habituelle des faiblesses et des souffrances du corps. Dans ce corps douloureux et faible, quelle âme. Une âme de croisade.
Mais je ne vais pas parler de son âme. Elle est présente dans ses écrits, dressée sur la pointe des pieds, toute de doctrine commune et de prière commune de l'Église, pour grandir dans l'amour de Dieu. La théologie, la liturgie, les constitutions de l'Ordre de saint Dominique ne lui étaient pas un guide ou un règlement, mais une nourriture intérieure. Durant ces journées d'été d'épuisante sécheresse où je regroupe les éléments de ce numéro à sa mémoire, et où il me faut en même temps travailler aux nouvelles éditions de *La condamnation sauvage*, j'ai le sentiment qu'il me détourne de cela pour ceci, qu'il ne veut pas que l'on parle davantage de sa personne.
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Il ne veut que quelques mots paisibles, sans tristesse et sans éclat, de conversation ordinaire, ainsi qu'on le ferait d'un ami qui vient de partir en voyage. Auprès de nous il a rempli sa tâche de frère prêcheur, fils de saint Dominique, disciple de saint Thomas, prêtre de Jésus-Christ, apôtre du Rosaire. Le moindre éloge l'effarouchait. Il n'acceptait que notre affection. Il n'a pas cessé de nous donner la sienne. Nous comptons toujours sur lui.
Jean Madiran.
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### Seul ou presque de son uniforme
par Hugues Kéraly
MON PÈRE, SUR VOTRE TOMBE, *j'arrive essoufflé comme à mon habitude d'avoir à vous rejoindre dans la voie des aînés, mais surtout malheureux, mécontent* (*je devrais dire,* mal-comptant) *du sort où vous m'abandonnez ; et s'il y faut déposer quelque chose, vous le savez maintenant, ce sera un bouquet de larmes... Dieu me pardonne de gémir à ce point contre sa providence, comme si ce n'était pas une grâce de vous avoir connu, mais vous êtes parti trop tôt. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c'était dans la fraîcheur d'un vrai collège chrétien, à Saint-Cloud, nous commencions seulement de réformer le monde. Je vous envahissais de l'impatience et des bruits du dehors, à ma manière, qui consiste à brûler les feux, quelquefois même avant d'avoir l'idée du but. Vous, vous demeuriez aussi indulgent qu'indéracinable, vous étiez tout pétri de douceur et de force ; vous aviez vingt ans, dans votre robe, sauf quand les circonstances imposaient que ce fût vingt siècles ; votre accueil, vos questions, vos paroles, tout en votre personne réveillait l'image de cette Église vivante, aimante et enseignante qu'on chercherait en vain dans les paroisses recyclées.*
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*La preuve tangible que vos articles ne racontaient pas d'histoires, j'ose le dire, c'est en vous d'abord qu'on pouvait la trouver ; car vous étiez tour à tour la lumière, l'amitié et la sagesse, fraternel jusque dans l'explication d'un soubassement deus fois millénaire de notre doctrine sacrée, grave jusque dans la pointe de vos boutades les plus innocemment improvisées. -- Nous achevions d'examiner ensemble soixante pages d'une traduction plutôt difficile, sur les premiers articles du Symbole, j'allais vous quitter, quand soudain, en haut de l'escalier, une interjection qui ne figure pas dans La Bruyère nous a révélé notre amour commun pour l'Espagne, et pour ces choses qui ne se disent bien que dans la langue du Cid, parce que chaque langage, chaque nation ; exprime un reflet privilégié de l'œuvre de Dieu. Et vous me bourriez gentiment les côtes en répétant presque à chaque marche :* hombre... hombre ! *comme s'il était trop évident que nous eussions dû partir de là pour avancer dans le mystère de la sainte Trinité... Heureusement pour moi, qui ne devais pas vous revoir, au mot d'Espagne on ne vous tenait plus. Vous aimiez l'Espagne avec feu, comme un fils de saint Dominique peut l'aimer ; comme chaque catholique, et plus encore chaque catholique français, se doit de l'aimer. -- S'il est vrai qu'ici-bas* « *tout homme a deux patries *»*, la seconde, pour vous, ne pouvait être que l'Espagne : celle de la* Reconquista *et celle de la* Cruzada, *l'Espagne des soldats, des saints et des martyrs, du Cid et de José Antonio ; nation pacifique, mais qui sut défendre, dix siècles, le sol de la chrétienté ; nation civilisée, qui veille comme la plus grande marque d'honneur sur son attachement constitutionnel à la loi de Dieu ; nation chrétienne, et qui garde le courage de tenir tête au monde, entier hurlant sa haine et sa condamnation...*
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*Vous avez aimé l'Espagne, enfin celle que nous avions tous deux derrière nous, et qui surgissait autant des livres que des souvenirs, comme une véritable mère --* una madre de cristiandad -- *parce que vous étiez fier dans votre humilité, intérieur, brûlant comme l'Espagne éternelle, taillé pour la prédication et la conquête. Sans doute, aux heures permises de l'envol, vous rêviez d'une route plus fraternelle et plus lumineuse, plus militaire en un mot, pour les combats du siècle. Mais les temps vous ont contraint de prêcher une tout autre croisade, seul ou presque de votre uniforme, devant la montée dans le temple des barbares chrétiens. L'héroïsme est plus grand lorsqu'il est solitaire. Le vôtre, mon Père, l'aura été doublement, puisque vous aviez à tenir à la fois contre les folies du monde et les phobies de l'Ordre, l'assassinat spirituel et temporel de la chrétienté. -- Pour des milliers de fidèles, au milieu de désordres inouïs, vous êtes devenu et resté, mois après mois, le dernier lien régulier avec l'Église théologienne et enseignante*, *avec la prédication seule véritable, seule libératrice, des mystères du Royaume de la grâce. Si j'arrête ici mon chant* (*c'était votre conception de la prose chrétienne*)*, c'est par auto-censure ; c'est que sur un pareil terrain, pour sa part, mon cœur ne voit pas d'autre issue que de vous canoniser. Priez pour nous.*
Hugues Kéraly.
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### Parmi nous
par Luce Quenette
NOUS L'AVONS TOUJOURS CONNU averti de la mort il vivait de la foi, il vivait dans une fatigue physique continue et souvent extrême. C'est une grâce précieuse que ce monitum incessant. Mais nous étions tant habitués à voir s'élever de cet homme épuisé, un travail régulier, ordonné, paisible. Nous ne pensions pas au prix qu'il coûtait à sa vie fragile. Il a eu l'immense bonheur d'aller jusqu'au bout, de donner à sa mission de Frère prêcheur le couronnement de son dernier livre, l'achèvement soigné de son dernier article pour ITINÉRAIRES. Pour Notre-Seigneur et pour lui, l'œuvre était terminée, et le juste Juge n'avait plus qu'à donner la récompense. Son serviteur avait encore une fois accompli sa mission habituelle de Lorraine et de Paris, il rentrait pour mourir chez les religieuses, dans l'école qu'il aimait, où il était tant aimé et vénéré. Mais pour elles, et pour nous tous, l'œuvre, moins que jamais, ne nous semble achevée : nous pleurons une voix, une plume irremplaçable, et nous répétons la simple et terrible pensée d'Henri Rambaud : « Il est de l'essence des œuvres humaines d'être interrompues. » Nous disons avec ITINÉRAIRES : « Comment ferons-nous sans lui ? »
S'il faut, en le pleurant, l'appeler d'un titre principal à notre désolation, nous le nommons : l'homme de la sainte messe.
C'est lui, le premier, et dans le jaillissement d'une forme parfaite, définitive, qui a *professé* l'absolu attachement à l'unique messe de la seule tradition.
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Chaque jour, quand nous l'avons gardé à la Péraudière, sa messe *pressait,* oserai-je dire, les cœurs, les pensées, les volontés des petits et des grands vers le Rédempteur.
Mais un soir, où la messe était à cinq heures en automne, j'avais parlé à tous les enfants, plus précisément, de *la beauté* du saint sacrifice. Nous l'attendions maintenant à la chapelle. L'ornement était blanc. Le Père était parfois, avant la messe, un peu nerveux à la sacristie, les jours de grande fatigue. Quand il entrait pour le saint sacrifice, c'était l'homme transfiguré. Ce soir-là, pourquoi, avant le premier signe de croix et ce salut dominicain si gracieux à l'autel, se tourna-t-il vers les enfants pour leur dire, avec une expression qui n'était pas de la terre : « *Je viens à vous, sous ces ornements, mes enfants, parce que je ne suis plus moi-même, je suis revêtu de Jésus-Christ, pour Le consacrer dans son sacrifice, en son propre nom. *»
Et il dit la messe. Quand ses mains si distinguées élevèrent la divine hostie, un rayon de notre soleil d'automne (auquel il reprochait parfois, en homme du Midi, plaisamment, sa pâleur) vint éclairer les deux mains aussi blanches que les espèces de la sainte victime. La vision en resta dans les cœurs.
Une autre apparition : le jeudi saint chez nous, où son épuisement devait être extrême, au lavement des pieds des douze (entre sept et dix ans), une joie vive, grave, anima son visage et ses gestes, on l'eût dit plein de vigueur ; il fit le service du Seigneur, comme le Seigneur ; il voulut laver les deux pieds et aussi les mains (ainsi, nous dit-il, doit faire un Frère prêcheur) et, si peu symboliquement, que les serviettes se succédaient, offertes par les acolytes pour cet humble office *réellement* accompli.
Le lendemain, nous le vîmes, et nous ne l'oublierons jamais, au découvrement de la Croix, transfiguré de compassion pour son Sauveur, debout, montrant l'un après l'autre les membres crucifiés. Le lundi de Pâques, il n'avait plus la force de marcher.
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Encore une vision : au chapelet des grands, le soir, à la chapelle, une petite homélie de pure tendresse à la Sainte Vierge : « Voyez mes enfants, le chapelet, c'est surtout un moment que l'âme vient passer avec Elle. »
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En cet avril, le Père Calmel a écrit le devoir des parents envers leurs enfants pour la messe.
En mai il montre l'exacte beauté du canon traditionnel et donc son adéquation parfaite au sacrifice, au sacrement. ([^1])
Puis il est mort.
Ces dernières paroles dans ITINÉRAIRES ont maintenant valeur de « dernières volontés » : Parents, vous ne devez jamais emmener des enfants à une autre messe que la sainte, la vraie, l'inchangée : « Cherchez cette messe, dit le Père Calmel, faudrait-il pour cela se donner bien du mal. Si, malgré tout, vous ne la trouvez pas, priez chez vous, réunissez vous autour du père de famille qui fera la lecture de l'oraison, de l'épître et de l'évangile ; faites la communion de désir... mais n'hésitez pas à vous abstenir des messes nouvelles... Dieu compense, comme Il fit pour tant de familles restées chrétiennes durant les bouleversements révolutionnaires... »
Quant à l'admirable étude sur le « déroulement du canon romain » songez que l'auteur l'a écrit pendant qu'une Notitia (101) de Rome nous faisait cadeau de cinq nouvelles prières eucharistiques, ce qui fait neuf, assorties de cet avertissement : la liturgie est entrée dans « une nécessité de rénovation continue », *necessitatem continuae renovationis*. Cette fois, l'hérésie parle en tranquille dominatrice et, à ceux qui doutent tenacement du virus originel du Nouvel Ordo, se présente l'évidence. Mais voit-on l'évidence ?
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Cependant, à cette évidence d'hérésie, pour toucher les cœurs, le Père Calmel ajoute, comme un testament, le témoignage de l'inégalable orthodoxie du seul canon romain. Nous aurons donc horreur enfin de la messe altérée, nous n'y voudrons pas voir une seule fois nos enfants si nous faisons ce que le Père Calmel demande, ordonne aux prêtres (à défaut des évêques) et aux fidèles, dans la dernière page de son écriture :
« Prendre conscience de la dignité du rite, du formulaire et des attitudes, dire les prières de la messe en état de prière et de prière éclairée. Ce qui nous affermira le plus dans la fidélité à la messe de saint Pie V, ce sera, avec la prière et l'oraison, une considération attentive et en esprit de foi, du canon romain latin. »
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J'ai besoin d'ajouter quelques traits vivants de ce qu'il fut parmi nous.
Nous n'avions pas le courage, quand il nous fut enlevé, de raconter les saillies de *sa gaieté* dans notre maison. Certains de ses très bons amis nous ont avoué qu'ils le connaissaient aimablement sérieux, mais toujours sérieux. Eh bien, nous, hors du ministère où le religieux, prêtre de Jésus-Christ, était un ange de grave piété, nous l'avons connu surtout plaisant.
Installé d'abord dans la maison des grands où, quoique retenus, s'envolent des bruits de leçons, de musique, de ménage, il avait réclamé un séjour de silence : le travail ne lui était possible que dans la retraite. Qu'à cela ne tienne ! Nous préparons pour lui une chambre rustique, dans notre première maison des champs qui sert aujourd'hui d'annexe et de secrétariat, et que les enfants quittent dès 7 h du matin pour la première étude à l'école. Cette chambre est séparée du corps de logis, et si tranquille que, par la fenêtre entrouverte, au printemps, le rossignol y vient faire son nid, couver ses œufs et nourrir ses oisillons. C'est là que le Père, pour de trop brefs séjours, s'installait gaiement.
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C'était, pendant douze heures, une petite thébaïde propre à la méditation et à la rédaction spirituelle. Quelquefois, quand on travaillait au secrétariat, venaient de sa retraite d'étranges bruits de meubles déplacés. Un professeur, inquiet de ces rumeurs de déménagement, frappa un jour à la porte et vit le Père Calmel si fragile, tout rose d'ardeur, poussant vivement une lourde table au milieu de la pièce. « Ne vous inquiétez pas, dit l'homme du Midi, c'est pour ne pas avoir le soleil sur ma page directement. » -- « Mais, Père, il suffit de tirer un peu les rideaux. » Et lui, indigné : « Moi ! que je l'empêche d'entrer, vous n'y pensez pas ! » Une heure après, la table suivait de nouveau les exigences de l'astre.
Le directeur venait chercher le Père à l'heure du repas. Repas commun, bien entendu, professeurs et élèves. Le Père dînait à la maison des grands. C'est là que se déployait cette humeur charmante de gracieuse malice qui, je crois, ne se donnait tout entière qu'au milieu des adolescents. Le visage si intelligent s'animait de pittoresque, on ne pouvait détacher le regard de cette physionomie où se jouaient l'humour, la poésie, et une satire légère, à pointes aiguës cependant, mais si rapides, je devrais dire aériennes, que les victimes n'avaient ni le temps de sentir, ni l'idée de se plaindre.
La poésie chassait la satire, les vers abondaient sur ses lèvres.
*Maintenant que Paris, ses palais et ses marbres*
*Sont bien loin de mes yeux,*
*Maintenant que je suis sous la beauté des arbres...*
car il ne dédaignait pas toujours le lyrisme du père Hugo. Cependant que Sully Prud'homme charmait sa délicatesse :
*Le vase où meurt cette verveine...*
*... n'y touchez pas, il est brisé.*
*Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,*
*Des yeux sans nombre ont vu l'aurore...*
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Et puis, plaisamment, l'air confus, il nous avouait qu' « il avait perdu quelque temps de sa vie de Frère prêcheur, avec les poètes, « leurré, comme Montaigne, par la douceur du sujet », mais qu'il le regrettait sincèrement et ne les fréquentait plus. Nous protestions et nous le mettions insensiblement sur Claudel.
Alors éclatait un conflit épique. Je suis, pour la loyauté de mon esquisse, obligée de dire que Claudel n'est pas notre grand homme, que, comme on l'a dit, les grandes Odes seraient peut-être très belles « traduites en français ». Les yeux du Père étincelaient et il entrait dans la lice avec une fougue qui le retenait parfois sous la petite voûte de la porte d'entrée, comme dans une niche où sa blanche personne citait Violaine ou dona Prouhèze, Turelure ou Pensée avec une telle force de santé morale et de pur lyrisme que M. Claudel s'en trouvait nettoyé, purifié et « déshermétisé ». -- Puis, brusquement, le visage changeait, redevenait grave et le serviteur de Dieu déplorait que ce grand talent qu'il croyait si chrétien se fût gâté d'orgueil, de suffisance, de grossière vanité.
C'était le moment où il prenait envie de parler de l'autre, qu'il aimait sans réserve : Péguy. Mais le visage était pâle, envahi de fatigue et tous ensemble nous le poussions respectueusement à la porte, à la voiture, au repos.
Demain ce serait Péguy.
L'Ève de Péguy, commentée saintement par le Père Calmel ! Nous avons eu cette chance. Là, l'honnêteté, la pureté, la foi de l'auteur mettait en liberté l'admiration de l'artiste Calmel. Jamais lyrisme, je veux dire celui de Péguy, ne convint mieux qu'à cette âme méditative et enflammée d'amour divin, -- mais qu'une pieuse et presque timide réserve retenait dans ses élans inspirés. Le religieux n'osait pas, dans ses propres écrits, laisser chanter ce lyrisme dont brûlait son cœur, et, de plus, il hésitait à s'en croire capable, il doutait d'en avoir le don. Je crois toucher ici à quelque chose de très profond, d'un peu douloureux, d'humble et de simple dans le « métier » d'écrivain du Père Calmel. Le Frère prêcheur avait scrupule d'altérer si peu que ce fût, par un divertissement, la mission du prédicateur.
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Les quelques vers qu'il a donnés sont seulement une mnémonie pratique pour le fidèle. C'est de la même réserve que vient cette absence générale, dans son œuvre, de saillies d'humour, de traits de satire dont brillaient ses entretiens abandonnés, au milieu des jeunes gens.
Ce qu'il interdisait à sa plume, il en jouissait innocemment avec Péguy, -- il allait se promener avec lui dans les chemins infinis de cette Ève interminable. Et ce qu'il en extrayait étincelait de beauté. Son admiration, extrême, n'était cependant pas absolue. Il regrettait que le grand poète chrétien, saisi d'une inspiration authentique, l'eût bercée dans les innombrables quatrains où elle risque, elle si vigoureuse, de se diluer et effacer, et il rêvait, si Dieu lui en laissait le temps, de donner une Ève toute belle, toute Péguy, mais dépouillée des inutiles manies de son génial auteur.
Le combat contre l'horreur de nos jours et la mort ne lui ont pas laissé le temps de cette belle récréation.
Cependant, encore sous la petite voûte de la porte d'entrée, un soir, il traça pour nous le dessin d'ensemble de ce grand poème de misère, d'humilité, de rédemption et d'espérance. Avant goût de l'étude splendide qu'il devait donner dans ITINÉRAIRES : « Ève, poème de chrétienté », en janvier 1973. Nous avons donc eu le bonheur d'en voir l'inspiration sur son visage immédiatement transfiguré. Alors, quand parut cette « Ève, poème de chrétienté », Bernard Giroud se fit le porte-parole de notre admiration. Il y ajouta un compliment particulier que le Père goûta fort. Il s'agissait, en effet, de l'auteur du Soulier de satin. Dans sa conclusion le Père, le comparant à Péguy, prononçait ce jugement sévère, étonnant de pénétration chrétienne : « Au sujet de Claudel qui est ordinairement considéré comme un grand poète chrétien, je ne dirai qu'une chose : sauf meilleur avis, je le tiens pour équivoque et ambigu.
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Je ne suis pas sûr que le dénouement de ses drames et le terme de son œuvre se situent, non pas comme il en a l'intention, au niveau du pur amour de Dieu, mais lamentablement, au niveau de la passion charnelle qui se fait illusion ; la passion dont le dépassement est sans doute rêvé, mais non pas accompli. »
\*\*\*
Il était dominicain jusqu'à la moelle et jusqu'au sang. Sa douleur permanente de la dégradation de son Ordre s'exprimait héroïquement par la résolution de le représenter en lui, pur de tout alliage. Sa messe, avant tout sacrifice essentiel, et bien aimée en tant que telle, était à ses yeux embellie du rite dominicain.
Je l'ai trouvé parfois rayonnant à la sacristie où d'ordinaire, après le saint sacrifice, il rentrait épuisé. Et je lui dis une fois (j'en étais pénétrée) : « Les salutations sont très belles dans la messe des frères prêcheurs. » Triomphant, sans une pensée pour lui-même, qui sous nos yeux les accomplissait à la perfection : « N'est-ce pas, me dit-il, c'est beau, c'est adorant, plus affectueux, plus chaud que le rite romain », et la malice allumait son regard.
C'est cette grâce particulière à l'Ordre de saint Dominique qu'avait sacrifiée pour l'unité de l'Église universelle le Dominicain saint Pie V. Trait léger de renoncement pour un chef de cette taille, mais trait de haute sagesse. Rien de personnel, rien d'original, rien que de traditionnel et millénaire dans cette messe romaine pour toujours dressée contre les manœuvres de l'hérésie. Un simple privilège à l'Ordre deux fois centenaire de saint Dominique, octroyé par son fils sur le trône de saint Pierre. Magnifique perspective, qui l'a mieux comprise que le Père Calmel ! C'est l'immortelle messe romaine qu'il a défendue, c'est sa beauté souveraine qu'il a démontrée, deux fois fidèle au grand pape de Lépante, comme prêtre de la sainte Église, comme héritier légitime des nuances permises aux frères prêcheurs. Ces « nuances » sont toutes de majesté. Un vrai dominicain bénit la table, prononce l'Angelus, se retourne à l'autel, salue dans la vie quotidienne et prend congé avec un léger élargissement de gestes et de paroles.
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C'était frappant chez le Père Calmel -- car son tempérament le portait à une certaine brusquerie et sa fragilité à une certaine impatience. Sans transition, au milieu d'une vivacité, le geste reprenait son onction et sa gracieuse envergure.
Comme rien n'échappe aux jeunes gens, et qu'un professeur, un hôte de marque est passé au crible, mine de rien, par un âge rieur, non pas sans pitié, mais sans indulgence, et comme le Père Calmel, je l'ai dit, aimait les rires autour de la table, on l'amenait gentiment à quereller la Compagnie de Jésus. Il n'en voulait, le saint homme, à aucun jésuite, comme à aucun religieux digne de son nom (rarissimes aujourd'hui, tant chez saint Dominique que chez saint Ignace !) mais le seul nom de jésuite excitait une verve comique, innocente puisqu'il avertissait pour ne point scandaliser qu'elle était partiale quoiqu'irrésistible.
La conversation, un soir, porta sur l'ignorance religieuse et la superstition où certains jésuites et dominicains avaient maintenu, au XIX^e^ siècle, les populations Sud-Américaines, surtout au Chili. « C'étaient tous de grands pécheurs, déclara le Père, mais les jésuites n'avaient qu'à se laisser aller, les dominicains, au contraire, reniaient l'esprit de leur règle ! » Suivit un grand éclat de rire, auquel il se joignit, de bon cœur, sans autre démenti.
\*\*\*
J'ai déjà dit qu'en poète frileux du Midi, il reprochait sa pâleur à notre soleil d'automne et sa douceur à notre soleil de printemps. Un soir clément d'automne, Bernard Giroud l'emmena dans une proche prairie d'où il vit les collines de notre horizon voilées de cette brume dorée qui annonce et retient la fin des beaux jours. Le Père, délicieusement simple, avoua tout ému à son compagnon qu'il ignorait cette beauté-là et en rendait grâce au Créateur de nos pays... de petit Nord.
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Au retour, les deux amis s'entretinrent des légions dont témoigne près de chez nous une voie romaine et je les trouvai tous deux admirant les petits légionnaires de 8 centimètres, décurions, centurions, porte-enseigne, consul, licteurs et dictateur de la collection très soignée qui sert au professeur à faire vivre l'armée romaine dans les leçons d'histoire, car notre temps de destruction, de table rase et de départ à zéro, par une contradiction qui laisse passer l'espoir, réalise des « reconstitutions » militaires étonnantes, tandis que s'empoisonne l'armée de chair et d'os.
Toujours comme poète amoureux du Midi, le Père ne se défendait pas d'affirmer, demi-plaisamment, qu'au-delà d'une certaine latitude nord, il manquait peut-être quelque chose aux cerveaux des humains. Le même professeur d'histoire lui fit connaître le beau livre de Marie-Madeleine Martin : la vie de Otto de Habsbourg. Il le lut passionnément et nous eûmes sur la chrétienté européenne (détruite, indispensable) des conversations que l'amiral Auphan aurait pu présider.
Mais personne n'aurait diminué son joyeux mépris pour les langues d'outre-Rhin et d'outre-Manche. Le « vi faive, vi hapi faive » du Père Calmel est inoubliable, c'était « l'heureux petit nombre : we few, we happy few » de Shakespeare, francisé et dont il se servait sans vergogne à l'occasion.
\*\*\*
Dans notre campagne, deux fois par an, à l'aller et au retour des Saintes Maries de la Mer, vient une roulotte authentique de vrais bohémiens. Une roulotte non motorisée, avec un vrai cheval et, ce qui est plus rare, un cheval aimé, des gosses machurés, leur mère et le patron tresseur de paniers. Pas de chien mais, comme au temps de Philémon et Baucis, une oie gardienne grabotant sur le talus, à deux pas de la maison roulante. Notre connaissance particulière, c'est la femme.
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Brune, grande, musclée, elle va, pieds sales dans d'affreuses savates, de ferme en ferme, vendre des paniers ; ses yeux de braise inspectent tout, les chiens la soupçonnent, les gens aussi. Bref, c'est une poétique créature du passé. Nous l'aimons bien. Nous lui préparons un gros paquet de vêtements : veste pour le mari, tricots pour les petits ; pour elle jupe et surtout souliers. Elle proclame son honnêteté, sa misère, et la plus ferme confiance en Dieu. Nous savons bien que c'est argument ad Péraudière. De temps en temps, nous lui reprochons, sans trop appuyer, quelques chapardages très évidents. Elle connait nos habitudes. Elle sait qu'à la petite maison du secrétariat, il n'y a parfois personne dans le milieu du jour ; c'est ainsi qu'une fois, nous la vîmes chaussée de bonnes pantoufles bien chaudes qu'un étourdi avait oubliées devant la porte de la dite maison.
Or, un bel après-midi d'automne, le Père Calmel entendit des pas furtifs tout contre ses fenêtres. Notre sauvage tâtait doucement le loquet de chaque porte pour « se rendre compte ». Quand elle en fut à la porte du Père qui n'était pas fermée, elle recula, frappée d'une apparition. Nous eûmes double relation de l'événement : le Père la trouva amusante, pittoresque, sympathique, il vit son effroi, en sourit et, gracieux serviteur de Dieu, lui fit bonnement l'exhortation de saint Paul : « Ne dérobez plus, mais occupez-vous à quelque bon ouvrage pour que Dieu vous bénisse. »
Elle s'enfuit jusqu'à l'école et, roulant ses yeux verts épouvantés, raconta sans arrangement qu'elle tâtait les portes, et que, soudain « il est venu un religieux (elle dit un religieux) tout blanc, là, là, à côté... », les yeux continuaient à rouler sans qu'elle osât tourner la tête, comme s'il eût été encore présent, « et il a parlé doucement... et je me suis sauvée ». Tout en elle disait que le Ciel était intervenu dans sa pauvre vie...
Comme il eût voulu prêcher les pauvres ! La première année où il vint pour la Semaine Sainte, il fut pris le soir de Pâques d'une brusque tristesse et nous dit : « Ce n'est pas suffisant, ce que je fais là (il était à bout de forces) je suis frère prêcheur, je devrais au moins aider à confesser dans un village pour les jours saints. »
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Il y avait encore un bon curé qu'il avait vu chez nous et qui l'aurait accueilli. « Mais Père, vous soutenez à peine tous les offices et les confessions ici ! » -- « Je vous dis que je suis frère prêcheur et je dois m'occuper des pauvres gens, *des fidèles de paroisse. *»
L'année suivante, il se résigna tristement : sa faiblesse physique et la nouvelle religion reléguaient le prêtre de la messe parfaite dans les pauvres écoles fidèles. Un soir, nous parlâmes longtemps d'ITINÉRAIRES. Il y avait un jeune prêtre plein d'admiration pour la vigueur doctrinale de ses articles, il s'unit à nous pour lui démontrer que là était l'itinerarium principal de son apostolat, l'appel de sa vocation. Les lecteurs d'ITINÉRAIRES croiront difficilement, tant il l'y ont vu occuper sa place avec autorité, qu'il resta silencieux, attentif, comme hésitant et dit enfin doucement : « Vous croyez ? » On n'en parla plus. ITINÉRAIRES fut jusqu'au bout son champ de bataille, et vinrent les grands travaux des « mystères du royaume de la grâce », mais je suis sûre qu'intérieurement il promit de garder jusqu'à épuisement ce qu'il pourrait de prédication voyageuse aux familles et aux enfants, tant il était persuadé que l'humilité de son père saint Dominique l'exigeait de son fils fidèle.
Cependant, chaque après-midi, quand le directeur le ramenait à la solitude de sa petite maison où l'attendaient ses textes, ses livres, la composition, il en disait quelques mots, puis, muet, évidemment impatient, dès l'arrêt, il bondissait littéralement de la voiture, rejetait d'une main la portière, de l'autre le pan de la cape noire sur l'épaule (geste tout dominicain) puis escaladait les marches rustiques en homme qui rejoint, j'ose cette expression, sa raison d'être sur la terre.
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Une dernière vision : j'ai parlé du lavement des pieds du Jeudi Saint. Après la messe, l'homélie brûlante sur la messe, la procession au reposoir, le dépouillement de l'autel, je vivais sa fatigue, la voiture était prête pour l'emporter : soudain, entouré, tout blanc, des petits apôtres tout blancs et des enfants de chœur, il vint se prosterner avec eux devant le reposoir, la chapelle éclairée par les seuls cierges et la veilleuse près du ciboire. Puis le voilà debout, tourné vers ces enfants, les visages tout à lui et à Jésus dans l'Agonie. Moments si rares sur la terre où les âmes et les corps sont vêtus du royaume des Cieux. Il parlait de son Maître livré, d'une voix très douce, sans fatigue apparente. Avec lui, *tradebat semetipsum.* Les yeux d'enfants, dans ce temps suspendu, disaient : Il nous est bon d'être ici...
Luce Quenette.
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### Frère prêcheur
par Antoine Barrois
LE P. CALMEL EST MORT en la fête de l'Invention de la Sainte-Croix, le samedi 3 mai 1975, premier samedi du mois, vers midi. Sa messe de funérailles a été célébrée, le lundi des Rogations, selon le missel romain de s. Pie V. C'était le 5 mai, jour de la fête de ce saint Pape, son frère dans l'ordre de s. Dominique.
*Advesperascit*
La nuit tombe.
« Alors que le jour penchait vers le soir et que l'abondance du mal glaçant la charité, le rayon de la justice inclinait au couchant, le Père de famille voulut rassembler ses ouvriers de la onzième heure ; pour dégager sa vigne des ronces qui l'avaient envahie et en chasser la multitude funeste des petits renards qui travaillaient à la détruire, il suscita les bataillons des frères prêcheurs et mineurs avec leurs chefs armés pour le combat. »
Cet avertissement, l'un des innombrables donnés jusqu'à ces derniers temps par l'Église enseignante, Grégoire IX le donnait en 1224 dans la bulle de canonisation de s. Dominique. Il y a plus de sept siècles. S. François, que le même pape devait canoniser quatre ans plus tard, était vivant.
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Or, selon Grégoire IX, François et Dominique, ces deux piliers de la catholicité étaient des apôtres de la onzième heure : Aux premières années du treizième siècle Alors que s. Louis et s. Thomas et s. Bonaventure naissaient ; que sainte Élisabeth de Hongrie allait mourir ; que s. Félix de Valois et s. Jean de Matha venaient de mourir ayant fondé l'Ordre des Trinitaires.
Sans doute sommes-nous aujourd'hui à la onzième heure de la onzième heure. En vérité il est très tard. Méditer cela, tout en sachant que pour le Seigneur mille ans sont comme un jour, c'est se préparer à voir clairement un spectacle saisissant : Le passage parmi nous d'un frère prêcheur, d'un Domini canis, courant de toutes ses forces par amour de Dieu.
Courir au XX^e^ siècle de l'élan de s. Dominique est certainement une grande grâce. Qui ne doit pas nous cacher la violence de l'effort : L'Église dira son héroïcité.
Courir comme quelqu'un qui sait une bonne nouvelle et file l'annoncer ; témoigner pour les vérités de la foi le plus parfaitement possible selon son état et travailler jusqu'aux limites des forces humaines à les présenter selon l'élévation de leur transcendance révélée ; n'attendre que l'heure où il plaira au Maître de la course de l'interrompre ; c'est courir d'amour sur le chemin de la sainteté.
Dans la nuit où nous nous enfonçons, ce témoignage du P. Calmel, rendu à Dieu pour son honneur, est éclatant. La profondeur de la détresse et de l'angoisse inséparables d'une épreuve aussi grande que la nôtre ne doit pas nous laisser comme aveugles, incapables de voir le sillage ardent de la flèche lancée par s. Dominique en ses fils. Le trait qui a frappé à mort l'hérésie albigeoise, continue sa course de feu.
*Fortiter*
La division des cœurs et la confusion des esprits sont des croix de ce temps. Il ne nous appartient pas d'en porter d'autres. Il nous revient de les porter dans la paix. Avec courage.
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Le courage des saints s'oppose à toutes les formes de la lâcheté jusqu'à être héroïque. Mais le précepte de courage s'étend à tous les chrétiens sans exception.
La place du courage dans le martyre nous la voyons bien. Sa place dans l'exercice des miséricordes temporelles, nous la voyons bien aussi ; encore que, spontanément, ce sont plutôt aux exemples extraordinaires que nous nous arrêtons. Au lieu de considérer la vie ordinaire et d'y appliquer la vertu du courage quotidien.
Mais ce que réclame aujourd'hui de vertu l'exercice des miséricordes spirituelles, on le dit peu. Le courage intellectuel de celui qui travaille sans cesse, qui approfondit sans relâche ; qui tire sans barguigner les conclusions fermes et pratiques de ce que l'étude et le raisonnement, éclairés par la prière, ont montré ; qui rend publiques ces conclusions, sans hâte comme sans retard, paisiblement, humblement, à sa place et selon son état ; le courage intellectuel et spirituel de celui-là, de ceux-là, à qui Dieu a donné cette charge, cette croix, on y pense peu. On n'en voit guère la place.
L'œuvre du P. Calmel pour la défense et l'illustration de la messe traditionnelle est un exemple de ce courage quotidien, paisible, ordinaire et extraordinaire.
Cela va tout seul quand il s'agit de sa déclaration prompte et définitive publiée à la veille du 1^er^ janvier 1970. Tout le monde convient que déclarer publiquement que l'on tiendra une position exposée est un acte de courage. Mais on ne peut s'arrêter là : si la position est objectivement intenable, la déclaration inconsidérée n'est plus que téméraire.
Il faut essayer de se représenter la détermination et la hardiesse que réclame la mise en œuvre des moyens de tenir une place exposée ; et d'expliquer pourquoi il faut la tenir ; et qu'il n'y en a pas d'autre. Être sûr que ce que l'on pense est juste, c'est une chose ; le montrer, une autre. Travailler quasiment seul, reprendre des questions difficiles tant à bien saisir qu'à bien exposer ;
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livrer, exactement le fruit de ces méditations, de ces études, de ces prières, cela pour n'être pas éclatant ; n'en relève pas moins de la vertu de courage : le courage intellectuel et spirituel de prier ardemment et de travailler sans trêve, quelle que soit la difficulté intellectuelle ou la nuit spirituelle.
On trouvera peut-être que nous faisons la part bien grande à cette vertu. Et certes notre point de vue n'est pas celui que choisirait quelqu'un qui entreprendrait un portrait complet du P. Calmel. Mais c'est en partant de cette articulation cachée que nous pouvons le mieux rendre hommage à celui qui se présentait à nous comme « un modeste répétiteur de théologie ». Nous tenons à dire que son humble courage quotidien, à l'ombre de la mort, pendant les quatre années où nous avons travaillé à le publier, nous a beaucoup éclairés sur ce que c'est que le chemin de la perfection.
Bien sûr le courage du P. Calmel avait pour fondement l'Espérance théologale. Mais ce que nous voudrions dire ici, c'est que son caractère propre tenait à un élan initial jamais perdu.
Le premier élan de vie spirituelle fut donné au P. Calmel, comme à tous les catholiques, par le baptême et la confirmation. Ce premier élan intact fut renforcé lors de son ordination comme lors de ses vœux religieux : renforcé une fois de l'élan de prêtre de Jésus-Christ et l'autre fois de l'élan de fils de s. Dominique.
C'est de cet élan conservé avec vigilance, constamment renforcé par l'oraison et l'étude, que procédait le courage intrépide du P. Calmel. Libre courage du baptisé, courage armé du confirmé, courage ordonné du religieux prêtre.
*Contemplari\
et contemplata aliis tradere*
Le P. Calmel, fils fidèle de s. Dominique, nous a donné par ses écrits une lumière précieuse : Une lumière libératrice et apaisante.
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Que ces temps soient étouffants, presque irrespirables pour les chrétiens ; que nous en soyons, selon son expression, à une répétition générale du temps de l'antéchrist, cela même, nous dit le P. Calmel, ne doit pas nous faire perdre confiance :
« Les derniers jours du monde, pour dangereux qu'ils puissent être et ténébreux et sordides, sont encore des jours de Rédemption ; ces temps demeurent inclus dans la plénitude des temps. Ainsi la plénitude de la lumière et de l'amour qui furent donnés aux hommes une fois pour toutes en Jésus-Christ, cette plénitude ne nous sera jamais plus retirée : de même que le gouvernement de Jésus-Christ ne cessera jamais plus de faire sentir sa souveraineté plénière pour le bien des élus : telles sont les deux vérités que nous devons tenir indéfectiblement lorsque nous relisons les prophéties sur la fin des siècles. »
Les méditations théologiques du P. Calmel sont faites dans la paix, à l'abri du Cœur Divin du Rédempteur et dans le Cœur Immaculé de Notre-Dame.
Elles ont libératrices parce qu'elles portent sur ce qui est ; parce qu'elles sont une manifestation de la vérité. « En théologie nous n'avons pas à réfléchir sur les choses qui, après tout, auraient pu se passer ; mais sur ce qui nous est révélé comme étant arrivé indubitablement. » Nous croyons qu'en célébrant la messe à l'autel et qu'en la célébrant par ses écrits ; qu'en méditant le Rosaire avec nous en compagnie de Notre-Dame ; qu'en nous donnant les méditations théologiques réunies dans ses derniers livres, le P. Calmel a été fidèle à la devise de son ordre Contemplari et contemplata aliis tradere ; contempler et livrer au prochain les fruits de la contemplation.
En un moment critique de la révolution dans l'Église, alors qu'une étape cruciale allait être franchie, qui bouleversait le rite de la Messe, le P. Calmel nous a livré le fruit de ses méditations sur l'acte le plus haut de la contemplation qui n'est autre que la sainte Messe. Ce sommet de son œuvre, Jean Madiran, qui fut son principal éditeur, l'a appelé sa défense et illustration de la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de s. Pie V.
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Défense et illustration dont le secret est exposé, croyons-nous, dans ces quelques lignes tirées du dernier chapitre de son dernier livre. Le Chemin de la Sainteté :
« Contempler et livrer au prochain les fruits de la contemplation, ainsi s'exprime la devise de l'ordre de s. Dominique. Contemplari et contemplata aliis tradere. Qu'est-ce qui est contenu dans le contemplari ? D'abord la foi studieuse et aimante. On ne saurait communiquer la foi révélée, on ne saurait être le moins indigne possible du titre de champion de la foi et vraie lumière du monde si l'on n'avait pris la peine d'étudier les mystères de la foi, de les étudier avec cœur et pour l'amour de Jésus-Christ qui nous a dit les secrets de Dieu. Le contemplari contient en outre, et en même temps, la foi inspirée, la contemplation qui est progressivement donnée par l'Esprit de Dieu à l'âme qui s'est livrée à l'amour et qui porte la croix du Christ. Et le contemplari selon la première, mais surtout selon la seconde acception est exigé à trois titres d'abord au titre général des vertus théologales et de leur croissance ; deuxièmement parce que nous sommes participants du sacerdoce du Christ comme ministres du salut ; enfin parce que nous avons reçu mission pour prêcher les vérités du salut.
« Ce qui spécifie la vie dominicaine c'est la prédication de l'Évangile. L'enseignement savant de la théologie fait partie intégrante de la prédication parce qu'il est tout orienté à exposer et défendre les vérités du salut. Pour le dominicain, la prédication demande à être nourrie de prière contemplative et d'étude ; c'est une prédication qui descend de la contemplation, qui dérive en particulier de l'acte le plus haut de la contemplation qui n'est autre que la sainte Messe. Il ne suffit pas de dire que la prédication dominicaine dérive de la prière et de l'étude ; il faut encore préciser, il faut inclure dans la prière ce qui en est ici-bas la réalisation la plus haute, l'expression qui dépasse toute prière c'est-à-dire le saint sacrifice avec la solennisation liturgique qui est normalement requise.
\*\*\*
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La nuit tombe.
« La multitude funeste des petits renards » est plus acharnée que jamais à détruire la vigne du Père de famille. Que, sur la brèche, Notre-Dame nous donne d'entendre l'écho de ses paroles au-dessus de toute louange, adressées autrefois aux frères prêcheurs :
*Fortiter ! Fortiter ! Viri fortes !*
Antoine Barrois.
#### Les grandeurs de Jésus-Christ
Publié l'année du centenaire de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et dédié à la « Vierge du Carmel, martyre de l'amour miséricordieux et seconde patronne de la France », ce livre est passé presque inaperçu. C'est pourtant un joyau. Les pierres dont il est fait ont une eau très pure et la monture est très délicatement proportionnée. Il a la poésie et il y a la précision du travail exactement conçu et rigoureusement exécuté.
Le P. Calmel traite de Jésus « tel qu'Il est conformément à la doctrine de la foi que l'Église nous transmet infailliblement ». Tel qu'il est selon la doctrine définie à Chalcédoine (chap. I), dans sa *plénitude de grâce* (chap. II) et dans sa *plénitude de sagesse et de science : Jésus Roi* (chap. IV), Prê*tre* (Chap. V), *Rédempteur* (chap. VI) et *Souverain Juge* (chap. VII)*.*
Il faut lire ce livre dans sa perspective de complément au traité *Et Verbum caro factum est* du tome I. -- Les dogmes des Mystères du royaume de la grâce. Cela permettra au lecteur de suivre le dessein de l'auteur qui est de toujours considérer Jésus-Christ à l'intérieur de l'ordre surnaturel le plus sublime : celui de la vie de la Sainte-Trinité et de l'union hypostatique.
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Le Verbe incarné lorsqu'Il parlait aux hommes commençait fréquemment par le mot de conclusion *Amen.* Pourquoi ? parce qu'Il voyait, par la vision béatifique, ce que Dieu est, et ce qu'Il est lui-même ; et qu'Il voyait toutes choses comme un donné indépendant du déroulement dans le temps des discours qu'Il adressait aux hommes. C'est une des façons dont Jésus le fils du charpentier a laissé pressentir sa divinité. Notre Dieu est un Dieu caché. Il est caché, mais Il est Dieu ; Il est Dieu, mais Il est caché. Le voyage de *Dieu caché* parmi nous et pour notre salut a commencé en Palestine lorsque la Sainte Vierge a répondu *fiat* à la parole de l'ange du Seigneur. Et il ne finira que lorsque le Christ reviendra sur la nuée comme Souverain Juge.
Les grandeurs du Roi, du Prêtre, du Rédempteur, du Juge dans la plénitude de grâce, de sagesse et de science sont des grandeurs uniques, cachées aux contemporains du Seigneur par la condition très humble du fils de Joseph le charpentier et cachées à tous les hommes depuis la sainte cène par l'apparence très humble du pain et du vin.
Mais Dieu caché n'est pas Dieu absent. Lors de son voyage historique sur la terre, en Palestine sous Tibère, le Seigneur a établi le sacrement de sa présence parmi nous. Présence cachée mais présence réelle. Le P. Calmel dans un de ses articles (*Itinéraires*, avril 1972, n° 162) a évoqué ces deux royaumes de l'absence que sont, à des titres fort divers, le protestantisme et l'islamisme ; ils ont en commun, si l'on peut dire, l'absence de la présence réelle de notre Seigneur Jésus, le Christ et le Crucifié. Le P. Calmel redoutait plus que tout, d'une angoisse mortelle, une ordonnance du Saint-Sacrifice qui permettait d'en faire autre chose que l'unique sacrifice renouvelé de façon non sanglante, par lequel le Christ se rend réellement présent en tant que crucifié et que ressuscité ; une ordonnance qui permettrait d'établir dans l'Église un « royaume de l'absence » toujours grandissant par ignorance, inattention et impiété.
Nous avons noté ce que dit le P. Calmel du Christ voyageur (*viator*) et des humbles conditions de ce voyage pour le salut des pécheurs. Notons aussi ce qu'il dit du Christ compréhenseur (*comprehensor*)*.* Nous avons évoqué à propos de l'usage du mot *Amen* par le Christ Jésus, la vision béatifique dont Il jouissait.
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Les méditations qui nous sont ici proposées sur la Passion montrent excellemment la frontière entre ce que nous pouvons atteindre et ce que nous ne pouvons pas atteindre de la vie de l'âme de Jésus-Christ à ce moment. « Le bonheur demeure invariable et infini dans la cime de son âme de *comprehensor ;* il en a pleinement conscience (comme *viator*) ; cependant, et c'est ce qui est nouveau dans sa condition de *viator,* il ressent désormais en plénitude, dans une zone de son âme les effets et l'horreur du péché des hommes. » Nous approchons ainsi le mystère d'amour qui nous a racheté. Et nous commençons de prendre une vue juste de la grandeur de ce mystère parce que nous voyons mieux les grandeurs propres à Celui qui nous a racheté.
On pourrait, on peut faire beaucoup d'autres réflexions à partir de ce très petit livre, immense par son sujet. On verra à le lire, à le relire, à le méditer (chapitre par chapitre -- en famille : un chapitre pour une semaine, par exemple), que vraiment le P. Calmel l'a écrit, non point seulement par obéissance au devoir de combattre pour le Christ tel qu'Il est, mais aussi pour la joie intérieure de redire, en communion avec toute l'Église, qui Il est.
A. B.
© Copyright DMM
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### Son dernier livre
par Marcel De Corte
AVANT DE MOURIR, victime, comme tant d'autres, d'une Église qui de Mère et Maîtresse, s'est convertie en marâtre et en esclave du monde, le Père Calmel a pu terminer le tome II des *Mystères du Royaume de la Grâce* qui paraît aux Éditions Dominique Martin Morin sous l'admirable titre : *Les Chemins de la Sainteté.*
Ce livre n'est pas seulement un testament théologique qui, dans l'effroyable décadence de la théologie catholique actuelle, dont Vatican II porte à jamais la flétrissure, nous transmet le trésor du surnaturel, il nous retrace en plus l'itinéraire mystique que le Père Calmel a parcouru et qu'il nous invite avec instance de suivre à notre tour. La personne du Père Calmel en est absente en quelque sorte. Elle disparaît dans la nuée lumineuse de l'Objet divin qu'elle contemple avec amour. Elle s'efface d'autant plus que le Père Calmel est convaincu, avec toute la tradition de l'Église, que la sainteté est la voie commune où chaque chrétien peut et doit s'engager dès son baptême et qu'elle n'est pas un chemin réservé à quelques initiés, possesseurs d'un savoir ésotérique. C'est donc à chacun de nous personnellement que s'adresse ce message d'outre-tombe.
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Comme il est rarissime aujourd'hui d'entendre ce que Rimbaud appelait, en un rare moment de lucidité, « le chant raisonnable des Anges qui s'élève du navire sauveur », la personnalité du Père Calmel, quelque modeste, humble et retenue qu'elle soit, n'en surgit que davantage avec force. Tous ceux qui se sont nourris de ses livres et des articles qu'il publia dans ITINÉRAIRES n'ont point manqué d'apercevoir en lui la présence d'une vigueur intellectuelle et morale *inébranlable* qui s'appuyait sur une foi inflexible en ce Dieu dont le catéchisme de notre enfance nous affirmait naguère avec une intrépidité surnaturelle qu'Il ne peut ni se tromper ni nous tromper. Quel est celui d'entre nous dont le Père Calmel n'a point ragaillardi la faiblesse ? Quelle différence avec la plupart des hiérarques actuels, passés au modernisme, dont l'encyclique *Pascendi* dénonçait le caractère fuyant et obstiné, trop durs pour ce qu'ils ont de mou, secrètement sinon ouvertement rivés, immobiles, à leur moi évasif, ambigu, dégoulinant d'équivoques ! Plus que quiconque en un temps où trop de bouches ecclésiastiques ne s'aperçoivent même plus des contradictions qu'elles profèrent sans vergogne, le Père Calmel aura observé jusqu'à la mort le précepte évangélique : « Que votre parole soit oui, oui ; non, non. » A l'inverse de trop de ses frères en religion, c'était un *homme de caractère*, alors qu'ils sont, eux, des *caractériels*, des êtres en proie à une inadaptation pathologique au surnaturel qui les dispose à l'adaptation au monde et qu'ils maquillent consciemment ou inconsciemment d'un fard évangélique.
Il faut du caractère, du courage, de l'énergie, de la détermination pour enseigner aujourd'hui que « nous sommes prédestinés à devenir conformes au Fils unique » (Rom. VIII, 29) par les trois vertus théologales, les quatre grandes vertus morales infuses et leurs ramifications, ainsi que par les sept dons du Saint-Esprit. « Scolastique que tout cela ! » braillent « les nouveaux prêtres », incapables de se soumettre à cette rude et saine discipline spirituelle qui exige d'eux *l'esprit de pauvreté,* le dépouillement de soi, le renoncement total aux sens, à l'imagination, aux constructions subjectives de l'esprit, à la volonté, propre, à l'ouverture de l'âme *à la seule grâce de Dieu.*
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Le simple bon sens, la raison commune dont sainte Thérèse d'Avila disait à ses moniales que tout ce qui les en écarte les éloigne de Dieu, la faculté de bien juger le proclament comment parvenir à la vie surnaturelle et s'y maintenir sans la foi théologale, l'espérance théologale, la charité théologale, la justice qui nous soumet à Dieu, la force pour vaincre tout ce qui nous sépare de Dieu, la tempérance qui nous soustrait à la pesanteur de la chair, la prudence divine qui nous inspire les moyens de nous hausser au-dessus de notre moi, sans la vertu de religion qui nous fait, rendre à Dieu le culte qu'il lui est dû, sans des dispositions permanentes que Dieu engendre en nous pour nous rendre *dociles* aux impulsions de l'Esprit et nous permettre d'exercer en toute leur plénitude les vertus théologales et les vertus morales ? Il ne faut rien moins que le septénaire divin : sagesse, intelligence, conseil, force, science, crainte, piété, pour nous tenir et nous retenir en Dieu. Les vertus qui ont *directement* Dieu pour objet, les vertus qui ont *indirectement* Dieu pour objet, les dons qui les *stabilisent,* telle est la voie sacrée que l'Amour divin trace devant nous pour nous attirer vers Lui.
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Ces *évidences* ne sont jamais, je dis JAMAIS, rappelées par les hiérarques qui nous asservissent au culte de l'homme, tout simplement parce qu'elles constituent leur condamnation. Pour parvenir à Dieu, il leur faut choisir la voie qui leur plaît et refuser celle que leurs saints ont toujours suivie et que la théologie traditionnelle -- dont ils ne connaissent rigoureusement plus RIEN : il suffit de parler dix minutes avec l'un d'eux pour s'en convaincre -- a tout bonnement balisée. Qu'on me cite un seul hiérarque qui entretient encore ses fidèles de la grâce sanctifiante habituelle et de l'habitation de la Sainte Trinité dans les âmes qui l'ont reçue !
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Qu'on me cite un seul d'entre eux, si *haut placé qu'il soit,* qui se présente à nous comme un héraut de la foi, un *defensor fidei,* sans le moindre mélange de jugements contradictoires, sans balancement, sans recourir sophistiquement, à la manière du cardinal Suenens, à la distinction entre vérités principales et vérités secondaires de la foi, sans invoquer captieusement la démarcation entre le fond et la forme, entre la substance de l'énoncé dogmatique et l'énoncé lui-même, sous prétexte que la foi se termine à la réalité divine et non aux mots qui l'expriment ! Un seul, et qui proclame, hurle, s'il le faut, son refus des équivoques, son attachement inébranlable aux énoncés dogmatiques, son rejet de toutes les déformations et corruptions de la vérité.
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Tout est là, on le sait, mais par crainte du jugement des hommes, *par lâcheté* aussitôt travestie en « audacieuse ouverture aux exigences du monde moderne », on n'ose plus adhérer publiquement aux robustes formulaires de la foi gardés jusqu'à ce jour par l'Église et, lentement, irrésistiblement abandonnés dans la catéchèse et dans la liturgie. La crise de l'Église est très simplement la crise de la foi théologale, principe de toutes les vertus chrétiennes qui, sans elle, deviennent folles. Il n'est pas un seul article de foi, même le premier, la croyance en Dieu, qui ne soit nié aujourd'hui par nos nouveaux prêtres. Je me souviendrai toujours du visage hagard, halluciné, illuminé, de ce jeune séminariste éructant naguère à la télé cette phrase horrible, condensé de toutes les aberrations engendrées par le culte de l'homme qu'on enseigne aujourd'hui dans la plupart des établissements catholiques : « *Dieu Connais-pas. Je ne connais que Jésus-Christ. *» A la même télé, n'a-t-on pas vu récemment deux prêtres célèbres ergoter, tergiverser, ratiociner, sans même rougir de honte, à propos de la résurrection de Notre-Seigneur, au point de persuader leurs auditeurs qu'ils n'avaient plus la moindre raison d'y croire encore ?
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N'est-il pas écrit : « Si le Christ n'est pas ressuscité, vide est notre Foi » (1 Cor. XV, 14). Et le dimanche de la Trinité, à la chapelle Saint-Bernard de Montparnasse, n'a-t-on pas affirmé, au cours de la « Messe », que « la révolte contre Dieu fait partie de la communion au Corps et au Sang de Jésus-Christ » ? Quant aux détournements de sens des termes où la foi s'exprime depuis deux millénaires, ils sont aujourd'hui innombrables. La foi porte aujourd'hui sur *n'importe quoi,* sauf sur ce à quoi le chrétien a toujours cru, sauf sur une réalité surnaturelle *objective,* formulée en des termes qui, dans l'ensemble comme dans le détail, pareils à un chef-d'œuvre pictural que la moindre retouche gâcherait définitivement, ou encore à des bouées lumineuses qui éclairent un chenal dans la nuit et dont le déplacement entraînerait des catastrophes, sont immuables et inaltérables. Elle n'est plus qu'une opinion parmi d'autres, également valables. C'est pourquoi la foi doit désormais admettre « le pluralisme ». C'est pourquoi la nouvelle liturgie qui la manifeste est officiellement le fruit de la collaboration entre diverses confessions, orthodoxie et hétérodoxies « fraternellement » mêlées.
Il suffit de croire *à n'importe quoi* qui jaillisse de la *subjectivité* humaine. On peut être par exemple, avec la permission de l'évêque, catholique et franc-maçon, catholique et socialiste, catholique et communiste, etc. à l'infini. C'est ainsi qu'on entre désormais, tiare, mitre et calotte en tête, dans le Royaume de Dieu. Saint Jean de la Croix a bien eu tort d'écrire : « Pour acquérir la grâce et l'union de l'Ami, l'âme ne peut prendre de meilleure tunique et chemise intérieure pour fondement et principe des autres vêtements de vertus, qu'est la blancheur de la foi », *parce que, sans elle,* comme dit l'Apôtre (Hebr., XI, 6), *il est impossible de plaire à Dieu ;* et avec elle, il est impossible de ne pas Lui plaire, puisque Lui-même dit par un prophète : « *Je vous épouserai en foi *» (Os. II, 20), comme qui dirait : « Si tu veux, ô âme, t'unir avec Moi et M'épouser, tu dois venir intérieurement revêtue de foi » ([^2]).
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La foi n'est-elle pas, selon l'Apôtre, « la substance des choses qu'on espère » et *l'argumentum non apparentium,* « la preuve des choses qu'on ne voit point » (Hebr., XI, 1), ou comme le dit saint Jean de la Croix encore, « le plus proche et le plus proportionné moyen d'unir l'âme à Dieu, attendu que, si grande est la ressemblance entre elle et Dieu qu'il n'y a d'autre différence sinon que Dieu soit vu ou qu'il soit cru » ([^3]).
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C'en est fini de cette candeur, de cette confiance d'enfant en un Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. On est « adulte », que diable ! Oui, que diable. Car il est là. Le Père Calmel ne craint pas d'en dévoiler la présence au sein de ce *modernismus redivivus* qui a envahi toute l'Église.
Si nous voulons faire nos premiers pas sur le chemin de la sainteté, il nous faut donc « résister, forts dans la *foi *» (I Petr., V, 9), au modernisme que la Hiérarchie, fascinée par le monde, laisse distiller, à doses mortelles, clans le Corps Mystique du Christ. A cet égard, rien ne vaut l'attachement au sacrifice de la messe, tel que l'a codifié pour l'éternité saint Pie V et sur lequel la Hiérarchie a osé porter une main sacrilège. « Nous devons être les témoins de la Liturgie catholique traditionnelle, *afin d'être témoins des mystères de la foi *»*,* écrit le Père Calmel. Comme le montre l'expérience, les progrès de la révolution liturgique en cours vont de pair avec la régression de la foi et, par compensation corrélative, avec l'enflure d'un illuminisme « pentecôtiste » qui l'exténue de sa substance *réelle* au bénéfice d'une pseudo-mystique toute subjective, caricature de la voie normale vers la sainteté que le Père Calmel nous retrace à la suite des meilleurs auteurs spirituels.
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On se trouve en présence de la plus atroce contrefaçon de la foi et de la liturgie que mentionne l'histoire de l'Église. Pour résister à son emprise, imposée contre tout droit par les autorités officielles, elles-mêmes manœuvrées par le modernisme, il n'est qu'un redoublement, un accroissement de la foi théologale telle que la transmettent la lecture orthodoxe des Écritures saintes, la messe et le catéchisme traditionnels. On peut chercher d'autres moyens. *On ne les trouvera pas :* la conservation vivante de la foi est à la source de notre destinée surnaturelle.
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Il en est de même de l'espérance théologale et du don de crainte qui la transfigure et la perfectionne. Car il ne suffit pas de maintenir intégralement la foi dans les conditions toujours épuisantes où l'on doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Lorsqu' « on se trouve engagé dans une longue bataille qui menace de tourner en défaite, il faut aussi compter sur la possession éternelle de ce Dieu pour lequel l'âme combat et sur un secours divin en rapport avec cette possession à venir », nous dit justement le Père Calmel qui ajoute : « Plus l'espérance théologale grandit en nous, plus elle nous préserve de toute hésitation dans notre confiance en Dieu et plus aussi elle avive en nous ce sentiment que c'est Dieu seul qui nous donna d'être fidèles à Dieu. » L'espérance de la vision consolide la foi contre les prestiges usurpés de ses caricatures dont la plus courante, la plus insolente, la plus exécrable est la réalisation du Royaume de Dieu sur la terre par « la socialisation de toutes choses », prônée par tant de clercs aux dents longues et à la volonté de puissance affûtée au nom des « exigences de l'Évangile ».
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Il en est de même surtout de la plus pure et de la plus diamantine des vertus chrétiennes : la charité théologale, aujourd'hui avilie et rendue méconnaissable par ce que le Père Calmel nomme, justement encore, « le romantisme du surnaturel », répandu par tonnes d'encre et barils de salive dans toutes l'es églises de la chrétienté (ou de ce qui en reste). Ce surnaturalisme mis à la mode, il y a quelque quarante ans, par Maritain et consorts, « imagine que l'esprit de l'Évangile n'a pas à tenir compte de la nature » et que tous les problèmes de la vie pratique ici-bas sont résolus par la transposition pure et simple des catégories du surnaturel dans l'existence quotidienne. On en arrive partout dans le monde à prôner l'amour du prochain comme remède à toutes les maladies politiques, sociales, économiques dont souffre notre calamiteuse époque, en pardonnant toutes les impostures, les canailleries, les impudicités, les turpitudes qui s'étalent avec effronterie sous nos yeux. Une telle contrefaçon de la charité en arrive même à faciliter discrètement, sinon audacieusement, leur propagation.
Il ne faudrait pas forcer beaucoup le Père Calmel pour qu'il nous révèle l'origine de ce pourrissement de la nature humaine. La démocratie et la liberté dont elle se réclame ne sont-elles pas d'essence évangélique ? N'excusent-elles pas tous les excès ? La mesure de l'amour du prochain qui en est l'âme n'est-elle pas sans mesure comme l'amour de Dieu lui-même ? La confusion de la charité et de la justice ne rend-elle pas le christianisme accessible à l'humanité entière ? N'est-elle pas le plus court moyen de parvenir à Dieu et de secourir le prochain ? Ne nous permet-elle pas de renoncer à la difficile lutte contre nous-mêmes et contre le monde pour suivre un chemin plus facile et plus séduisant ? C'est avec pénétration que le Père Calmel dénonce cette « rouerie quiétiste » qui affadit depuis près de trois siècles le sel de la grâce individuelle et, de proche en proche, s'éparpillant dans le corps de l'Église, puis dans le corps social, a provoqué l'immense catastrophe dont nous sommes les victimes.
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Bossuet l'avait bien vu. Que d'âmes originellement vouées au vrai sacerdoce *surnaturel* n'a-t-on pas trompées par ce que l'évêque de Meaux appelle « les ragoûts de dévotion qui sont à charge de la pureté de la foi » et qui résultent tous de la secrète complaisance qu'on éprouve vis-à-vis de soi-même, dans le retour sur soi qu'on est tenté d'effectuer dans les premières démarches de la vie spirituelle, si bien que tout ce qu'on imagine, conçoit ou désire, revêt fallacieusement une signification surnaturelle, que l'humain devient le divin et dans la plupart des cas, le pire le meilleur. L'âme qui a la foi « ne s'occupe pas à se regarder », nous dit le Père Calmel. « Étant sûre que la semence de la grâce et de la charité vient d'un autre -- de Dieu par son Christ -- et fut déposée en elle par un autre, elle est non moins sûre que le divin Sauveur saura la préserver et la faire fructifier *dum nescit illa* (Marc, IV, 26), *pendant qu'elle-même ne s'en aperçoit pas et ignore de quelle manière *»*.* « Plus une âme sait cela, plus elle est immunisée contre la vaine préoccupation des états d'âme. Selon l'expression du Père Clérissac, cette âme devient libre du *regard réflexe *»*,* de cette loucherie ténébreuse où elle s'illusionne elle-même sur ses seules et falotes clartés, persuadée qu'elles sont des lumières divines.
Que ce pseudo-mysticisme, ce faux chemin de la sainteté soient aujourd'hui communs dans l'Église et dans la Hiérarchie, jusqu'en sa cime, explique ce sentiment *tout subjectif* de nos hiérarques qu'ils ne se trompent jamais et qu'ils ne trompent pas les autres, ainsi que les utopies auxquelles ils s'abandonnent et leur ténacité cruelle à obliger les fidèles à les partager. La vraie mystique, la véritable charité exigent le renoncement à soi-même, *l'entière disponibilité à Dieu, et non au monde.* Le même pseudo-mysticisme qui convainc nos hiérarques d'avoir raison et de poursuivre *en toute bonne conscience* leur « mutation » de l'Église, en dépit de l' « autodestruction » qu'elle provoque, explique le succès de leur entreprise : le bon peuple chrétien, sevré de prédication sur l'authentique vie surnaturelle et sur l'exercice des vertus théologales, n'a d'autre ressource que de se nourrir du simulacre qu'on lui offre. La liturgie au rabais, le saint sacrifice de la messe falsifié, les sacrements étiolés, rabougris, desséchés correspondent à la même dégradation du surnaturel *objectif.*
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Parce qu'on ne ressent plus *subjectivement* soi-même la présence en eux du surnaturel, on leur substitue des *ersatz.* C'est un phénomène courant : les disciples anémiés d'un grand créateur dans l'art versent infailliblement dans la falsification académique.
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La révolution liturgique en cours, opiniâtrement poursuivie au mépris du droit que saint Pie V a octroyé au catholique jusqu'à la fin des temps pour le protéger des équivoques perfides de l'hérésie, en est l'exemple le plus éclatant. Outre sa platitude stylistique et sa cacographie, elle rapproche *subjectivement* catholiques et protestants dans la mesure où elle leur dissimule davantage leurs divergences *objectives.* Tout se passe comme si « la célébration eucharistique » était dorénavant, et dans le meilleur des cas, une assemblée pieuse où chacun, faisant retour sur soi, ressent la présence spirituelle de Dieu. Alors que la vertu de religion est l'extension à Dieu de la vertu morale de justice et que le culte où elle s'exprime est étroitement lié aux trois vertus théologales et ne peut être rendu sans profession de foi, est-on sûr que ce culte, « depuis le bouleversement moderniste des rites de l'Église, a gardé *ordinairement* les garanties *objectives* indispensables pour rester une profession nette de la vraie foi ? » Il faut dire *non,* parce que la réponse dépend uniquement des dispositions subjectives du questionneur et du questionné, et non du texte et des réalités auxquelles les mots employés renvoient. « L'infiltration moderniste dans la liturgie détruit la vraie foi, fausse la charité théologale et ruine la contemplation. Les célébrations nouvelles sont anti-contemplatives et parfois pseudo-mystiques. » Elle supprime la consécration à Dieu sous prétexte de rendre plus accessible à tous le chemin de la sainteté. Depuis cette révolution, la chrétienté n'a connu de saints que ceux qui en étaient devenus les martyrs. Ajoutons l'infâme fourberie qu'il y a à tromper de la sorte catholiques et protestants.
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On n'en finirait pas de signaler les richesses du dernier livre du Père Calmel, témoin irréfutable et invincible de la religion catholique parce qu'il *pratiquait,* à l'encontre de nos hiérarques qui n'en ont que le mot à la bouche, la *vertu d'humilité.* Qu'elles sont belles ces formules qui abondent en son testament spirituel : « L'humilité va de pair avec l'aveu de notre totale dépendance » ; « nous ne devons désirer notre accomplissement qu'en le recevant du Seigneur Dieu » ; « ne pensons pas pour autant que l'apôtre vraiment humble jetterait des perles aux pourceaux sous prétexte qu'ils lui seraient peut-être supérieurs » ; « il n'a pas à perdre le bon sens élémentaire qui l'empêcherait de savoir qu'il y a des indignes » ; « ne pas quitter Dieu en se donnant au prochain » ! Avec quelle force et à la suite des plus grands saints, dénonce-t-il les impostures de la vie spirituelle : « Il reste que le recueillement peut être illusoire et qu'une prétendue oraison laisse l'âme dans une inconscience profonde et une tranquillité effarante sur sa malhonnêteté ; il n'est pas impossible, hélas ! de trouver dans le monde religieux et ecclésiastique où l'oraison est passée en règle, des clercs ou des religieux qui, en apparence, sont des hommes d'oraison, mais *qui, en fait, sont rompus à toutes les astuces de l'égoïsme et de l'ambition et qui n'ont point horreur d'agir comme des lâches*. Ils se donnent pour alibi de ne pas perdre la paix de l'âme ou *de rester dans* « *la sainte obéissance *»*.* C'est là une *attitude morale particulièrement odieuse...* Le danger le plus subtil auquel sont vouées par état les âmes vouées à la perfection, c'est en tout temps, mais surtout *en des temps de persécution feutrée, c'est de se résigner à vivre lâchement sous prétexte de piété ; elles finissent par esquiver le témoignage que le Seigneur attend...* La piété et l'union à Dieu *tournent à la duperie* si elles dispensent de mener le bon combat lorsque *l'honneur de Dieu* est attaqué. » ([^4])
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Nous touchons ici au point le plus sensible et le plus douloureux de la situation actuelle devant lequel la plupart des âmes détournent les yeux par peur d'en admettre le bien fondé resplendissant : *la vertu d'obéissance n'est pas requise lorsque l'honneur de Dieu et la pureté des vertus théologales sont en jeu.* Les théologiens ont tranché unanimement la question : il faut distinguer entre l'homme et la fonction qu'il exerce dans l'Église et, en cas de danger pour la vie spirituelle, obéir à Dieu plutôt qu'à l'homme. Lorsque le vénérable cardinal Mercier, dans un prône qui était jadis lu chaque année dans toutes les chaires de vérité de Belgique, enseignait que l'Église prise comme institution éternelle n'était pas comptable des défaillances de ses chefs, il ranimait une évidence qui, déjà à son époque, disparaissait des mentalités chrétiennes. Le Père Calmel à son tour, parce qu'il a l'esprit surnaturel d'humilité *devant Dieu,* n'hésite pas à écrire « que l'obéissance est toujours limitée, qu'elle est subordonnée aux vertus théologales et ne peut être alléguée pour annuler *l'obligation de confesser la foi *»*.* L'inertie de l'immense majorité des prêtres, des religieux, des religieuses, des évêques (prétendument libérés de la tutelle du pape et des congrégations romaines depuis le récent concile), « devant l'apostasie *organisée *» ou même « complices » de cette apostasie, a sa cause « dans une idée fausse de l'obéissance ». Mais ce qui n'était jadis qu'exception devient aujourd'hui la règle : en se crispant « sur le devoir d'obéir *en l'isolant de la charité, de la prière, de la contemplation *», on ne sait plus que *ce qui* *plaît au Père* (Joh., VIII, 29) « ne peut être limité aux préceptes d'un supérieur, même ecclésiastique ».
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Ayons-donc le très élémentaire courage de convenir avec le Père Calmel, « qu'à moins de nier la distinction du spirituel et du temporel, ce qui serait renverser la révélation de fond en comble, le vicaire du Christ est institué pour régir l'Église catholique par toute la terre et non pour prendre la tête d'un gouvernement mondial », comme il le rêve, comme l'alliance entre toutes les religions qu'il préconise le démontre, comme la liturgie édulcorée qu'il prescrit le confirme, comme les efforts qu'il déploie en vue d'instaurer une démocratie universelle et un humanisme intégral l'attestent avec éclat. Même dans le domaine spirituel qui leur est propre, « il est bien évident que les papes n'ont de pouvoir que pour servir la tradition apostolique et non pour la détruire ou la miner ». Quand un chef avoue « l'autodestruction » d'un corps social dont il a la charge, il en est *toujours* responsable, à un degré qui n'est *jamais* insignifiant, surtout lorsqu'il y a manifeste contradiction entre les paroles qui la déplorent et les actes qui la tolèrent, la couvrent, l'entraînent ou la résistance à toute réaction salutaire qu'il oppose avec entêtement. Le moindre des chrétiens peut s'en apercevoir *s'il a des yeux.* Et il a le devoir de le dire fermement.
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« Et qu'on ne dise pas, ajoute pertinemment le Père Calmel, que, hors d'une déclaration expresse du pape dans chaque cas, le simple chrétien est incapable de juger de la tradition apostolique, car tout bon chrétien qui sait son catéchisme peut juger de ce qui est vérité de foi et de ce qui est apostasie. *Ici le libre examen n'a rien à voir.* Si un pape changeait le rite des sacrements avec le concours d'hérétiques et en vue d'assimiler et de confondre les rites hérétiques vides et les sacrements catholiques efficaces, il n'y aurait pas besoin d'être grand clerc pour voir que ce changement, encore qu'il procédât d'un pape, n'engagerait pas l'obéissance puisqu'il serait en opposition manifeste avec la foi. *Le devoir serait de s'opposer. *» ([^5])
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Il est inutile de commenter à cet égard les paroles d'or du Père Calmel. Il suffit de les citer, de les graver dans son cœur et dans ses actes : « La doctrine du Seigneur sur son Église, la révélation divine sur cette société de grâce, nous enseigne bien clairement qu'elle est une société d'autorité ; *mais là ne se borne pas la doctrine évangélique.* L'autorité est sans doute première, comme la pierre d'angle est première dans un édifice ; mais enfin si l'édifice consistait tout entier dans la pierre d'angle, il n'y aurait pas d'édifice. *Si l'Église n'était qu'autorité, elle ne serait pas Église.* L'Église est avant tout et éternellement charité », amour surnaturel et reçu par lequel nous aimons Dieu comme Dieu s'aime lui-même et non pour nous complaire dans cet état d'âme. Dans son cheminement temporel, l'Église est indivisiblement charité, autorité, humilité. « Les trois ensemble », non leur déformation, si subtilement cachées qu'elles soient dans les replis de la subjectivité.
Il y va de l'honneur chrétien, de la fierté chrétienne, « vertu qui n'est ni petite ni négligeable », puisque le Seigneur lui accorde avec une libéralité infinie la plus haute récompense qui soit : *Confitebor et ego eum coram Patre meo,* et qu'Il châtie sévèrement la lâcheté, le manque de cœur. Reconnaissons avec le Père Calmel que trop d'auteurs et de directeurs spirituels « QUI DISSERTENT SUR LA CHARITÉ, GARDENT LE SILENCE SUR L'HONNEUR ». La force d'âme par laquelle le chrétien lutte contre le mensonge et contre le scandale est trop souvent tenue par eux comme un manque de charité. *Acceptez. Résignez-vous. Cédez. Abdiquez.* Sans doute, la charité est-elle patiente, saint Paul n'a jamais enseigné qu'elle devait absorber l'eau sale des équivoques, des sophismes, des chimères, des erreurs, comme une éponge, ou prendre des vessies pour des lanternes. Plus on avance sur la voie des vertus théologales, des vertus morales infuses et des dons du Saint-Esprit, plus la charité devient clairvoyante et forte, plus elle manifeste sa connexion avec l'honneur chrétien, avec le témoignage de notre dignité d'enfant de Dieu racheté par le Christ : *Empti estis pretio magno* (I Cor., VI, 20). L'honneur chrétien n'est en aucune manière attachement propre, il est attachement à l'honneur de Dieu, à la gloire de Dieu, à la réputation de Dieu, jusqu'au martyre. Il est inséparable de l'humilité. On tombe septante-sept fois sept fois, mais on rebondit *pour l'amour de Dieu.* L'honneur n'est pas le regard sur soi. Il est le regard sur Dieu.
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Ces pages consacrées à l'honneur chrétien : *Et puisqu'il faut mourir, sauvons du moins l'honneur,* sont parmi les dernières que le Père Calmel ait écrites avant d'entrer dans la Maison du Père :
*Et le fils dégénère,*
*Qui survit un moment à l'honneur de son père.*
Le Père Calmel n'a point forligné parce qu'il a suivi impavidement, douloureusement, joyeusement, le chemin de la *rectitude* théologale. Ce petit frère de saint Dominique fait figure de géant à côté des nains spirituels qui, pour se grandir, se hissent et s'agitent sur les tréteaux de la foire aux vanités de ce monde, écoutant sans broncher les accents de l'*Internationale* et reniflant avec délices l'odeur puissante des masses. Dans l'immense désert que nous devons traverser, il nous indique le chemin, il nous verse goutte à goutte l'eau limpide des vertus théologales qui nous empêche de mourir de soif, *il nous met en garde contre les mirages,* contre *cet idéalisme mystique* propre à la réflexion, à la prise de conscience, au retour de l'âme sur elle-même « qui lui donne l'habitude de se regarder sans se détacher » et lui enlève « l'habitude du regard direct sur Dieu et ses mystères », n'apercevant plus « ses propres misères et infirmités dans la lumière de Dieu », et qui, la plupart du temps, comme il est trop manifeste, la livre à la manipulation des psychanalystes ou des techniciens de groupe. « L'acuité du regard qui fait que rien dans la vie intérieure ne se dérobe à la lumière de Dieu », ce ne sont pas ces méthodes nouvelles (qui ravagent actuellement l'Église sans rencontrer le moindre obstacle) qui la forgent, ce sont « les prières, les larmes : les reprises, les contritions, la pénitence, la foi, l'humilité, l'amour ; la confiance, la docilité au Saint-Esprit ». *Dieu premier servi.*
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« Si nous cherchons uniquement à vivre parfaitement dans le Christ par les vertus théologales, *le Seigneur par son Esprit fera les purifications et les nuits qu'Il lui plaira, sans que nous ayons à nous préoccuper *» ([^6]) : vie de prière *dans la foi,* vie de prière accompagnée de la pratique des vertus morales surélevée par la grâce, vie de prière qui prend différentes formes selon les âmes et les états, vie de prière que le Saint-Esprit purifie par l'accueil fait à ses dons. Telle est l'essence de la vie chrétienne : *oportet semper orare.* Il importe d'avoir toujours le regard braqué vers Dieu.
\*\*\*
Rien n'est plus opposé à ce chemin traditionnel de la sainteté que la voie simplifiée, diminuée et facilitée que le catholicisme officiel nous propose aujourd'hui : la charité nous dispense désormais de prier ; il n'est plus question d'oraison, il est inutile de se disposer à l'action du Saint-Esprit, *sauf pour* « *agir *»* ;* la contemplation est bannie, le recueillement est exclu, il s'agit de se dévouer au prochain et aux grandes causes de l'humanité (la suppression des aliénations, la décolonisation, le baiser-lamourette universel, l'étude de la sexualité, la démocratie, bien sûr, et l'O.N.U.), il s'agit de s'immerger « dans les grands mouvements de montée humaine » (socialisme, communisme, mondialisme) qui sont autant de montées vers Dieu, vers « la Christosphère » où l'Homme collectif se confond avec Dieu. On en arrive toujours là : Dieu premier servi ou l'Homme premier servi. Satan est parvenu à dissocier *dans l'Église même* le premier et le deuxième commandement, de manière à les inverser et à supprimer le premier au bénéfice exclusif et monopolistique du second. Si vous pensez que j'exagère, voyez les Carêmes de partage : il n'y est plus question de Dieu. C'est le renversement total de l'enseignement traditionnel de l'Église.
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« *Telle est la dure vérité humaine *»*,* nous dit le Père Calmel, « la redoutable vérité quotidienne » qui nous révèle « la médiocrité dans les gens d'Église, leur indifférence à paître le troupeau du Seigneur, leur inconscience à le livrer aux faux bergers ». *Alors que l'évêque a pour fonction première d'être le defensor fidei, non seulement en paroles, mais en actes, et qu'il doit garder le troupeau du Christ* « *au point d'être prêt à tout instant à livrer sa vie pour le défendre *»*,* il se laisse maintenant pensionner comme un rond-de-cuir et dépersonnaliser par l'appareil collégial que Vatican II, en mal de démocratisation, c'est-à-dire d'avilissement, a dressé autour de lui. Il se décharge ainsi de toute œuvre héroïque de charité, *et de la toute première :* la défense et l'illustration des trois vertus théologales. Il renonce à être le bon pasteur de l'Évangile pour être le *leader* d'une Église socialisée, collectivisée, bureaucratisée, de laquelle tout vestige surnaturel aura été évacué et qui deviendra peu à peu une Église-Humanité où, selon la prophétie de Goethe, chacun sera l'infirmier de son voisin.
Il n'est pas un seul instant question de s'accommoder de cette « dure vérité humaine », de penser et d'agir comme si elle n'existait pas. L'Église s'écroule par pans et morceaux, soit ! A l'allure où les architectes de la ruine qui la dirigent mènent l'entreprise d'autodémolition, il n'en restera *presque plus rien* dans les décennies à venir. Le cardinal Liénart, qui fut l'un d'eux, l'avouait avant de mourir : « Humainement parlant, il n'y a plus de salut pour l'Église. » Reste le surnaturel, c'est-à-dire l'essentiel. Le Père Calmel nous exhorte avec instance de le défendre, mais de le défendre de la façon la plus victorieuse et la plus invincible : en l'incarnant dans notre vie quotidienne, en suivant pas à pas le chemin traditionnel de la sainteté : « la contemplation n'est pas plus réservée aux seuls contemplatifs que la charité elle-même et la foi ; la vie principalement ordonnée à la contemplation, loin d'être l'apanage des seuls esprits métaphysiciens, est ouverte à toute âme qui vit de la grâce et de la charité ». Comment pourrions-nous être entraînés dans l'autodémolition de l'Église, si nous restons suspendus à ce qui en est l'âme et aux fragments toujours vivants de son corps ?
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L'Église se reconstruira par les moyens surnaturels *qui ont fait leurs preuves* et dont le Père Calmel nous rappelle que l'usure de l'histoire et les turpitudes du monde n'en peuvent altérer les inépuisables ressources de vie et de résurrection.
Nous ne saurions rendre un plus grand hommage à sa sainte mémoire qu'en suivant ses traces et particulièrement en restant fidèle à la messe traditionnelle, foyer de la spiritualité.
Marcel De Corte.
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## Textes du P. Calmel
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### Déclaration
Je m'en tiens à la Messe traditionnelle, celle qui fut codifiée, mais non fabriquée, par saint Pie V, au XVI^e^ siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l'ORDO MISSÆ de Paul VI. Pourquoi ? Parce que, en réalité, cet ORDO MISSÆ n'existe pas. Ce qui existe c'est une Révolution liturgique universelle et permanente, prise à son compte ou voulue par le Pape actuel, et qui revêt, pour le quart d'heure, le masque de l'ORDO MISSÆ du 3 avril 1969. C'est le droit de tout prêtre de refuser de porter le masque de cette Révolution liturgique. Et j'estime de mon devoir de prêtre de refuser de célébrer la Messe dans un rite équivoque.
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Si nous acceptons ce rite nouveau, qui favorise la confusion entre la Messe catholique et la Cène protestante -- comme le disent équivalemment deux Cardinaux et comme le démontrent de solides analyses théologiques ([^7]) -- alors nous tomberons sans tarder d'une Messe interchangeable (comme le reconnaît du reste un pasteur protestant) dans une Messe carrément hérétique et donc nulle. Commencée par le Pape, puis abandonnée par lui aux églises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d'Enfer. Comment accepter de nous rendre complices ?
Vous me demanderez : en maintenant, envers et contre tout, la Messe de toujours, avez-vous réfléchi à quoi vous vous exposez ? Certes. Je m'expose, si je peux dire, à persévérer dans la voie de la fidélité à mon sacerdoce, et donc à rendre au Souverain Prêtre, qui est notre Juge Suprême, l'humble témoignage de mon office de prêtre. Je m'expose encore à rassurer des fidèles désemparés, tentés de scepticisme ou de désespoir. Tout prêtre en effet qui s'en tient au rite de la Messe codifié par saint Pie V, le grand Pape dominicain de la Contre-Réforme, permet aux fidèles de participer au Saint Sacrifice *sans équivoque possible *; de communier, *sans risque d'être dupe,* au Verbe de Dieu incarné et immolé, rendu réellement présent sous les saintes espèces.
61:206
En revanche, le prêtre qui se plie au nouveau rite, forgé de toutes pièces par Paul VI*, collabore* pour sa part à instaurer progressivement une Messe mensongère où la présence du Christ ne sera plus véritable, mais sera transformée en un mémorial vide ; par le fait même le Sacrifice de la Croix ne sera plus réellement et sacramentellement offert à Dieu ; enfin la communion ne sera plus qu'un repas religieux où l'on mangera un peu de pain et boira un peu de vin ; rien d'autre ; comme chez les protestants. Ne pas consentir à collaborer à l'instauration révolutionnaire d'une Messe équivoque, orientée vers la destruction de la Messe, ce sera se vouer à quelles mésaventures temporelles, à quels malheurs en ce monde ? Le Seigneur le sait dont *la grâce suffit.* En vérité la grâce du Cœur de Jésus, dérivée jusqu'à nous par le Saint Sacrifice et par les sacrements, suffit toujours. C'est pourquoi le Seigneur nous dit si tranquillement : *celui qui perd sa vie en ce monde à cause de moi la sauve pour la vie éternelle.*
Je reconnais sans hésiter l'autorité du Saint Père. J'affirme cependant que tout Pape, dans l'exercice de son autorité, peut commettre des abus d'autorité. Je soutiens que le Pape Paul VI commet un abus d'autorité d'une gravité exceptionnelle lorsqu'il bâtit un rite nouveau de la Messe sur une définition de la Messe qui a cessé d'être catholique.
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« La Messe, écrit-il dans son ORDO MISSÆ, est le rassemblement du peuple de Dieu, présidé par un prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. » Cette définition insidieuse omet de parti pris ce qui fait catholique la Messe catholique, à jamais irréductible à la Cène protestante. Car dans la Messe catholique il ne s'agit pas de n'importe quel mémorial ; le mémorial est de telle nature qu'il contient réellement le Sacrifice de la Croix, parce que le corps et le sang du Christ sont rendus réellement présents par la vertu de la double consécration. Cela apparaît à ne pouvoir s'y méprendre dans le rite codifié par saint Pie V, mais cela reste flottant et équivoque dans le rite fabriqué par Paul VI.
De même, dans la Messe catholique, le prêtre n'exerce pas une présidence quelconque ; marqué d'un caractère divin qui le met à part pour l'éternité, il est le ministre du Christ qui fait la Messe par lui ; il s'en faut de tout que le prêtre soit assimilable à quelque pasteur, délégué des fidèles pour la bonne tenue de leur assemblée. Cela, qui est tout à fait évident dans le rite de la Messe ordonné par saint Pie V, est dissimulé sinon escamoté dans le rite nouveau.
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La simple honnêteté donc, mais infiniment plus l'honneur sacerdotal, me demandent de ne pas avoir l'impudence de trafiquer la Messe catholique, reçue au jour de l'Ordination. Puisqu'il s'agit d'être loyal, et surtout en une matière d'une gravité divine, il n'y a pas d'autorité au monde, serait-ce une autorité pontificale, qui puisse m'arrêter. Par ailleurs la première preuve de fidélité et d'amour que le prêtre ait à donner à Dieu et aux hommes c'est de garder intact le dépôt infiniment précieux qui lui fut confié lorsque l'évêque lui imposa les mains. C'est d'abord sur cette preuve de fidélité et d'amour que je serai jugé par le Juge Suprême. J'attends en toute confiance de la Vierge Marie, la Mère du Souverain Prêtre, qu'elle m'obtienne de rester fidèle jusqu'à la mort à la Messe catholique, *véritable et sans équivoque.* TUUS SUM EGO, SALVUM ME FAC.
R.-Th. Calmel, o. p.
64:206
### Notes extraites de ses articles
IL NE S'AGIT PAS DE FAIRE MIEUX que le communisme ; le mieux se définit par rapport à un bien, or il n'y a pas de bien dans le communisme. Seulement il y avait du bien, beaucoup de bien, dans le monde sur lequel le communisme s'est abattu. Est-il déraisonnable de penser que si ce bien eût été plus fort le communisme n'eût pas réussi dans son entreprise satanique ? Est-il déraisonnable de penser que l'opposition implacable au communisme doit s'accompagner d'une meilleure intelligence du bien qui était à faire et qui n'a pas été fait ; d'un courage plus soutenu pour accomplir les devoirs qui avaient été négligés ? Il ne s'agit pas de faire mieux que le communisme, mais de faire plus de bien que nous ne serions obligés d'en faire s'il n'y avait pas eu de communisme.
*Politique et vie intérieure* (*fin*)*, numéro 31 de mars 1959.*
65:206
Il importe de savoir que la grandeur du mariage est une grandeur crucifiée, de renoncer à l'impossible alliance entre le laxisme moral et la vie spirituelle, de reconnaître, avec la tradition, que le précepte de l'Apôtre sur l'amour entre les époux inclut l'ascèse et le sacrifice, un renoncement qui atteint la chair et l'esprit. Mais la vie du Seigneur et sa Béatitude se manifestent dans ce renoncement même.
*Au sujet du mariage,* numéro 33 de mai 1959.
Le messianisme de la Rédemption peut échouer en partie à instaurer une cité temporelle conforme au droit naturel, par exemple à cause des persécutions. Cependant il réussit toujours sur quelques points et par quelques essais et fragments, ne serait-ce qu'au niveau de la famille, à susciter un temporel juste et digne du Royaume de Dieu. Lorsqu'il réussit en petit ou en grand à instaurer un temporel juste c'est avant tout parce que de vrais amis de Dieu le veulent et s'y sacrifient, c'est-à-dire parce que des chrétiens préoccupés d'abord du Royaume de Dieu, s'occupent d'un cœur chrétien aux royaumes de la terre.
*Note doctrinale sur le messianisme,* numéro 39 de janvier 1960.
66:206
Il est sûr que depuis une quinzaine d'années un mouvement qui croît toujours s'est développé en France et au dehors pour rendre aux chrétiens le sens du sacré dans le temporel lui-même. On poursuit vaillamment l'étude de la royauté du Christ sur les diverses institutions, son fondement et ses conséquences. Cet effort proprement intellectuel est indispensable et il aidera, si Dieu veut, à redresser les esprits, à déraciner les préjugés et les faux dogmes d'un laïcisme diffus ou doctrinaire. Pourtant les imaginations et les sensibilités ont besoin de purification autant que les intellects. Et si la sensibilité -- j'entends d'abord la sensibilité spirituelle -- n'est pas convertie et purifiée, pour justes que soient les idées elles ne parviendront pas à déterminer un style de vie ; car un style de vie est affaire de sensibilité spirituelle autant que d'idée pure. C'est pourquoi le service que peut nous rendre Péguy est inappréciable pour nous acheminer à sentir chrétiennement au sujet de l'ordre temporel, pour nous permettre de retrouver ainsi des coutumes et des mœurs de chrétienté.
*L'Ève de Péguy,* numéro 51 de mars 1961.
67:206
La religion intérieure que Jésus a fondée est en même temps ecclésiale. Arrachez de l'Évangile (et de saint Paul) ce qui concerne l'eucharistie et le sacerdoce, la prédication assistée par l'Esprit Saint et la hiérarchie qui ne doit pas s'écrouler, supprimez de l'Évangile les passages qui montrent la connexion entre le pain vivant et la vie théologale, entre l'union avec Dieu et les pouvoirs divins de la hiérarchie, bref, essayez de retenir de l'Évangile uniquement ce qui est intérieur en rejetant ce qui est ecclésial et vous laissez échapper même ce qui est intérieur. Votre Évangile n'est plus le véritable. Dans l'Évangile tel qu'il est écrit et que nous le lisons, le règne de Jésus-Christ apparaît en même temps intérieur et ecclésial et intérieur parce qu'il est ecclésial.
*Note doctrinale sur le mystère du Christ-Roi,\
*numéro 56 de septembre-octobre 1961.
Je dis bien que l'abandon est situé au cœur de l'action et de l'entreprise ; même lorsque l'abandon fait consentir à la mort, comme Jeanne sur le bûcher de Rouen et saint Louis sur le lit de cendres de Tunis, même alors il n'est pas démission ; il l'est moins que jamais. Il est adhésion dans la nuit à une volonté divine, pour laquelle on aime mieux souffrir la mort que consentir au reniement. -- *Dios no muere,* Dieu ne meurt pas, murmure paisiblement Garcia Moreno lorsque, frappé à mort par la balle du franc-maçon, il voit sombrer toute espérance dans l'immédiat d'un gouvernement chrétien du Mexique.
*Du véritable abandon,* numéro 64 de juin 1962.
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Il est des époques disgraciées où l'absurdité menace de devenir souveraine, où tout s'acharne contre ceux qui tenaient le remède à nos maux évêques, princes et poètes ; où le désespoir avec son cortège d'horreurs devient la tentation universelle et quotidienne. Si nous vivons en ces jours d'immense infortune, puissions-nous croire que cela aussi est une grâce, bénir Dieu à partir de là, le remercier, ne pas capituler, ne pas renoncer à préparer des jours meilleurs.
*Réflexions sur le malheur,* numéro 69 de janvier 1963.
La compréhension déliquescente et malsaine qui ne veut pas voir qu'il y a méchanceté chez le méchant n'est point charité mais caricature de la charité. On commence par fermer les yeux sur la réalité, ce qui permet sans doute de s'épargner la fatigue de beaucoup d'émotions et de luttes.
69:206
Quand on a décidé que les offenses n'existent pas, quand on a décrété qu'il n'y a pas des iniquités mais seulement des malentendus, par là même on s'économise l'effort qui est indispensable aussi bien pour pardonner les offenses que pour guerroyer contre les iniquités. C'est bien commode. Qui oserait soutenir que c'est évangélique ? L'Évangile n'affirme-t-il pas au contraire, avec toute la netteté désirable, que le conflit du monde contre l'Église procède non pas d'un malentendu mais d'une haine inexpiable ; de même que l'offense d'un frère contre son frère est une terrible réalité et non pas un quiproquo insignifiant. -- Je ne doute pas que Jeanne d'Arc priait pour les Anglais ; mais certainement pas pour qu'ils restent en France... Saint Pie V priait pour les Turcs, mais certainement pas pour qu'ils écrasent les chrétiens à la bataille de Lépante.
*Note sur la prière pour les ennemis,\
*numéro 71 de mars 1963.
Sainte Véronique ne s'est pas enfermée dans sa cellule lorsque les déchaînements des furieux, les perfides et les lâches avançaient vers la consommation de l'iniquité ; elle s'est glissée vers le Seigneur malgré la foule et la soldatesque, elle a essuyé la face divine. C'est peut-être le seul geste que puisse accomplir le chrétien à certaines périodes de l'histoire.
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Qu'il l'accomplisse donc au lieu de rêver de se retirer au désert lorsque sa vocation est de s'avancer audacieusement et de rendre témoignage.
Une telle attitude est possible si nous nous souvenons que l'histoire dure *propter electos ;* si nous considérons par rapport à Jésus-Christ et à l'éternité, et non pas d'abord par rapport à ce monde, la période qui est la nôtre dans l'histoire de ce monde ; si nous savons que, même dans les grands châtiments et même dans l'apostasie générale de la fin des siècles, *le Seigneur vient ;* et rien ni personne ne l'empêchera de rejoindre ses élus.
*Théologie de l'histoire,* numéro 83 de mai 1964.
Le progressisme est un symptôme de dégénérescence de l'esprit. Le plus navrant toutefois c'est qu'il est, plus encore, un symptôme de la corruption de l'âme. Une sorte de lâcheté sournoise, un manque de cœur, qui empêche l'homme de consentir au Seigneur Dieu tel qu'il est, et lui fait inventer des théories fumeuses pour éluder sa lumière sainte. Le progressisme présuppose le refus de la nature humaine telle qu'elle fut créée une fois pour toutes ; il présuppose une inconscience obstinée de notre condition humble et mortelle ; une prétention orgueilleuse d'en finir avec la croix du Christ ;
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une opposition stupide à ce mystère de miséricorde par lequel le Seigneur Dieu est intervenu dans notre histoire, en sachant ce qu'il disait et ce qu'il faisait, en nous invitant à participer aux dons infinis et indépassables qu'il nous a faits dans le Christ, et non pas à les changer. De tous ces refus, de ces racines vénéneuses d'orgueil et de mépris, procèdent les aberrations progressistes ; c'est le cœur qui est gâté, et voilà pourquoi la raison divague.
*Résumé aide-mémoire d'un christianisme sans la foi*,\
numéro 87 de novembre 1964.
Prêcher l'Évangile avec le parti pris de ne pas condamner le monde, c'est prêcher l'Évangile avec le parti pris d'atteindre une humanité qui n'existe pas.
*Simples remarques sur la pastorale,\
*numéro 90 de février 1965.
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Il arrive, et c'est très heureux, que des fidèles écoutant des sermons imprégnés de modernisme ou lisant des écrits pareillement gâtés mettent sous des paroles inacceptables une doctrine à peu près sûre. Mais la *pia interpretatio* ne dure pas indéfiniment ; ou bien les fidèles finissent par se trouver désorientés, mal à l'aise, et ils s'abandonnent au découragement ; ou bien, par un progrès imperceptible, ils en viennent à se laisser gagner aux thèses hérétiques. Petit à petit, mais infailliblement, ils changent de religion.
... L'infiltration moderniste n'est pas une imagination de pourfendeurs d'hérésie. Notre résistance sera d'autant plus efficace que nous viserons au point central, au foyer caché à partir duquel s'organise l'infection, et qui est l'altération totale du surnaturel. Sans doute est-il sage de ne pas sous-estimer les méthodes du modernisme, son art de faire pression et d'intimider, son système d'autorités parallèles, ses connivences avec des forces certainement anti-chrétiennes. Tout cela n'est que trop réel et il importe bien d'en être averti quand on veut mener la lutte. Mais il importe plus encore de nous affermir dans la foi, parce que le mal du modernisme consiste à vider la religion du surnaturel, à la détruire de l'intérieur par l'évacuation de tout surnaturel.
*L'ordre surnaturel,* numéro 94 de juin 1965.
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Dans telle paroisse, dans telle communauté religieuse on introduit un jour après l'autre certains usages très inattendus ; aucun, pris en lui-même, n'est strictement passible d'une interdiction ; à la rigueur il est acceptable. Mais l'addition progressive et savamment orientée de ces nouveaux usages, leur convergence rigoureuse, arrivent infailliblement au terme fixé d'avance et jamais avoué en clair : mettre au premier rang de la liturgie l'humain et le communautaire ; rejeter dans l'ombre (sinon exclure) le divin transcendant.
*Théologie et vie d'oraison,\
*numéro 101 de mars 1966.
Le Seigneur ne peut se donner à une âme s'il ne la trouve désoccupée de soi, vide et accueillante. Par rapport au don qu'il veut faire il n'importe pas, en définitive, que l'on soit pécheur ou juste ; il importe seulement d'être détaché, ouvert et vraiment de *bonne volonté.* Le Seigneur peut atteindre une âme à partir du péché et de la blessure qu'il a faite, à la condition toutefois que l'âme ne colle pas à ce péché mais y trouve l'occasion d'une véritable pauvreté intérieure. De même, et plus encore, le Seigneur peut atteindre une âme dans ses bonnes œuvres elles-mêmes ; il le veut instamment ; mais il faut que l'âme ne soit pas entravée par ses œuvres, suffisante en soi-même et satisfaite ;
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surtout quand il s'agit de cette œuvre bonne entre toutes qui est la prédication et la défense de la vérité divine, il importe que l'âme en soit pauvre et détachée pour que le Seigneur puisse la visiter et l'unir à lui ; et il ne désire rien autant que cela.
*Théologie et vie d'oraison,* même numéro.
Au sujet des amitiés spirituelles qui font notre ravissement dans la vie des saints et des saintes, le plus admirable est peut-être leur caractère de liberté. L'amitié entre l'un et l'autre est intense et cependant légère ; on pourrait dire que l'un *ne tient pas de place* dans le cœur de l'autre ; nul encombrement ; pas la moindre opacité ; la jalousie est impensable. Cette amitié qui vient du Cœur du Christ par le seul chemin de l'âme et de la grâce conduit à un approfondissement de la charité pour le Christ et du zèle pour le salut des âmes.
*Teilhard, l'amour et le féminin,\
*numéro 117 de novembre 1967.
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N'attachez pas d'importance à vos états d'âme. La foi est au-delà et c'est de foi qu'il importe de vivre. La certitude de la foi sur ce que Dieu est, sur ce qu'il fait pour les hommes, se fonde non sur vos états d'âme sujets à variations, mais sur la vérité infaillible de la parole de Dieu.
... Prier non pour se mettre à l'abri de Dieu, mais pour se livrer à sa merci. Ces misères en votre âme qu'il vous arrive d'apercevoir dans un éclair fugitif, c'est dans la prière qu'elles s'éclaireront -- si du moins vous le désirez avec une loyauté totale -- et c'est dans la prière que vous commencerez d'en être purifiés.
*Maximes pour la vie spirituelle\
dans le monde et dans le cloître,\
*numéro 118 de décembre 1967.
Elle se tenait debout au pied de la croix de son Fils, le Fils de Dieu en personne, afin de s'unir plus parfaitement à son sacrifice rédempteur, afin de mériter en lui toute grâce pour les enfants d'adoption. Toute grâce : la grâce pour affronter les tentations et les tribulations qui jalonnent les existences les plus unies, mais aussi la grâce de persévérer, se relever, se sanctifier dans les pires épreuves ; les épreuves de l'épuisement du corps et les épreuves, bien plus noires, de l'agonie de l'âme ; les temps où la cité charnelle devient la proie des envahisseurs et surtout les temps où l'Église de Jésus-Christ doit résister à l'autodestruction.
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En se tenant debout au pied de la croix de son Fils, la Vierge Mère dont l'âme fut déchirée par un glaive de douleur, la divine Vierge qui fut broyée et accablée comme nulle créature ne le sera jamais, nous fait saisir, sans laisser de place à l'hésitation, qu'elle sera capable de soutenir les rachetés lors des épreuves les plus inouïes, par une intercession maternelle toute pure et toute puissante. Elle nous persuade, cette Vierge très douce, *Reine des martyrs,* que la victoire est cachée dans la croix elle-même et qu'elle sera manifestée ; le matin radieux de la résurrection se lèvera bientôt pour le jour sans déclin de l'Église triomphante.
*Notre-Dame du temps de l'Antéchrist,\
*numéro 139 de janvier 1970.
Pour *mes frères laïcs,* que le roi de la Croisade et de la Captivité chez les Sarrazins veuille leur obtenir d'acquiescer à la grande leçon qu'il donnait à son ami des bons et des mauvais jours, le sire de Joinville : accepter les misères du corps et toute sorte de maux temporels plutôt que d'offenser Dieu et de perdre la vie de l'âme. Du jour où un certain nombré de chrétiens dans le peuple de France, un certain nombre de laïcs chrétiens, auront choisi de préférer la lèpre au péché, de ce jour la résistance à l'*apostasie immanente* prendra un essor irrésistible ;
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l'arme redoutable du néo-modernisme : *faire peur, rendre suspect,* se trouvera considérablement émoussée ; le chrétien se moquera d'être rejeté, condamné à une espèce de mort sociologique, pourvu qu'il témoigne de Jésus-Christ, par sa foi, ses mœurs, son non-conformisme à la honte et la stupidité du siècle.
*Notre prière au saint roi,\
*numéro 147 de novembre 1970.
La façon de s'exprimer propre à Vatican II est imprécise, bavarde et même fuyante... Les décrets succèdent aux constitutions et les messages aux déclarations sans donner à l'esprit, sauf exception rarissime, une prise suffisante. Dans l'ensemble vous avez l'impression d'être écrasé sous des piles d'édredons. Mais on ne réfute pas des édredons. Et si l'on veut vous étouffer sous leur entassement, vous tirez votre couteau, vous donnez quelques bons coups en long et en travers et vous faites voler les plumes au vent. En l'occurrence le couteau représente les définitions des Conciles antérieurs à Vatican II.
*Apologie pour l'Église de toujours,\
*numéro 153 de mai 1971.
78:206
Pour une part, mais pour une part seulement, la question de l'autorité du chef visible de l'Église se trouvera résolue si nous savons que dans certains cas l'exercice de son autorité peut être mauvais. Le dogme de foi défini au concile premier du Vatican nous oblige de distinguer l'infaillibilité, laquelle ne fait aucun doute dans certaines conditions données, de l'impeccabilité, laquelle n'est pas un privilège papal ; il peut donc arriver au pape de faillir, non seulement dans l'ordre des mœurs, mais, jusqu'à un certain point, dans l'ordre de la foi elle-même. Or à partir d'une certaine gravité dans les défaillances du pape en tant que gardien de la foi, à partir d'un certain seuil, l'épreuve est à la limite de nos forces. Nous savons, nous savons désormais d'expérience, qu'il ne nous suffit point, pour la supporter sans fléchir, d'avoir une juste notion, une notion chrétienne de l'autorité réservée au pape et de l'obéissance que nous lui devons. La prière seule nous permettra d'accueillir cette épreuve, venue par le chef visible de l'Église, de telle sorte que nous vivrons plus que jamais de la vie de l'Église. Par suite de la défaillance du chef visible, nous sommes obligés, plus que jamais, de nous tenir très proches du chef invisible et victorieux, Notre-Seigneur Jésus-Christ.
*Le modernisme actuel,* numéro 184 de juin 1974.
79:206
### De l'Église et du pape en tous temps et en notre temps
Numéro 173 de mai 1973
101:206
## Réparation publique au canon romain outragé
103:206
### Avertissement
*C'est en décembre 1968 que le P. Calmel écrivit sa première* « *Défense du canon romain *»*. En e*f*fet, avant même la publication du nouvel* « *Ordo missae *»*, le canon romain était officiellement attaqué, trafiqué, déclassé. Il n'était plus que l'une des quatre* « *prières eucharistiques *»*, la moins honorée, la moins recommandée, la moins employée, et dans un texte trafiqué. Mais si l'on a pu organiser dans l'Église cette artificielle péremption du canon romain, c'est bien parce qu'une trop grande partie du clergé, déjà, n'y croyait plus et ne l'aimait pas. Et elle ne l'aimait pas, et elle n'y croyait plus parce qu'elle n'avait pas été instruite. Les laïcs encore moins.*
*Nous tenions par héritage et nous vénérions par habitude des trésors que nous avions négligé d'apprendre à connaître.*
*Les plus savants liturgistes, ceux que l'on prétendait ou qui se prétendaient tels, les bénédictins et dominicains du fameux* « *mouvement liturgique *»*, y sont pour quelque chose, et même pour beaucoup, de Dom Lambert Beauduin à Dom Botte, en passant par les Roguet, Doncœur et Thierry Maertens.*
104:206
*Ils ont mis en circulation quantité de balivernes, garanties par le label de* « *liturgistes de classe *» *ou de* « *liturgistes d'une rare compétence *» *qu'ils se décernaient les uns aux autres et qui font impression sur les innocents. Leur grande érudition livresque était jointe, pour la plupart d'entre eux, à une complète absence de formation du jugement : résultat constant des méthodes intellectuelles modernes, notamment universitaires, dénoncées par Péguy et par Charlier, mais trop souvent adoptées, dès le XIX^e^ siècle, par les instituts catholiques et les séminaires. Par suite leur science était en grande partie une science vaine, inépuisable dans la nomenclature du secondaire et aveugle sur l'essentiel. Pendant cinquante années ils nous ont studieusement préparé la* « *réforme liturgique *» *imposée aujourd'hui par l'évolution conciliaire. Ils sont jugés à leurs fruits.*
*Contre le canon romain en particulier, plusieurs des grands docteurs de ce* « *mouvement liturgique *» *avaient repris en substance les accusations luthériennes. Ils avaient oublié, ou n'avaient jamais connu, entre autres, les réfutations classiques de Bossuet* (*opportunément rééditées cette année par le P. Barbara*)*, réfutations après lesquelles on ne peut raisonnablement plus soupçonner les prières après la consécration, le* « *Supra quae *» *et le* « *Supplices *»*, d'être* « *équivoques *»*,* « *choquantes *» *et* « *trompeuses *»*.*
105:206
*Mais il y a toujours quelque mal averti pour répéter de confiance de telles bévues, croyant s'assurer ainsi une réputation d'esprit libre, ouvert et informé. Patatras, c'est tout le contraire.*
*De 1968 jusqu'à mai 1975, date de son dernier article qui fut encore sur le canon romain, le P. Calmel n'a cessé d'approfondir sa méditation et son apologie : il publia quatre études successives, en 1968, en 1970, en 1971 et en 1975, destinées à la fortification spirituelle, à l'instruction religieuse des prêtres et des laïcs.*
*L'outrage au canon romain appelle une réparation publique. C'est à titre de réparation, et pour prémunir, pour instruire le lecteur contre des propos sophistiquement perfides, que nous reproduisons les quatre études écrites par le P. Calmel à la gloire du canon romain.*
J. M.
106:206
Défense du canon romain
Numéro 128 de décembre 1968
Le canon romain
Numéro 142 d'avril 1970
Apologie pour le canon romain
Numéro 157 de novembre 1971
Le déroulement du canon romain
Numéro 193 de mai 1975
183:206
## BIBLIOGRAPHIE
185:206
### Textes parus dans "Itinéraires"
De septembre-octobre 1958 à mai 1975, le Père Calmel a donné aux lecteurs d'ITINÉRAIRES plus de cent quarante articles principaux : chroniques, éditoriaux ou notes critiques. En voici la liste, avec renvoi au numéro de la revue.
\[Cf. Table et Auteurs.doc\]
191:206
### Ouvrages publiés en volumes
1\. *-- Selon l'Évangile,* Paris, Lethielleux, 1952 (épuisé). Ouvrage traduit en espagnol, Madrid, Studium, 1956.
2*. -- Le Rosaire dans la vie,* Paris, Fleurus, 1958 (épuisé). Ouvrage traduit en italien, Milan, Aneora, 2^e^ édition, 1963.
3*. -- École et sainteté,* Paris, Éditions de l'École, 1958.
4*. -- École chrétienne renouvelée,* Paris, Téqui, 1958.
5\. -- *Sur nos routes d'exil : Les Béatitudes,* Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1960.
192:206
6\. -- *Théologie de l'histoire,* Paris, ITINÉRAIRES, numéro 106 de septembre-octobre 1966 (épuisé). Ce numéro de la revue constitue en réalité un livre que le Père Calmel n'avait pu faire publier autrement. Ouvrage traduit en italien, Turin, Borla, 1967.
7\. *-- Brève apologie pour l'Église de toujours,* Paris, ITINÉRAIRES (supplément), 1971. Cet ouvrage, recueil d'articles revus et corrigés, peut être commandé aux bureaux de la revue.
8\. *-- L'assistance à la Messe,* suivie de l'*Apologie pour le Canon romain,* Paris, ITINÉRAIRES (*supplément*), 1971. A commander aux bureaux de la revue.
9\. -- *Le rosaire de Notre-Dame,* Jarzé, Dominique Martin Morin, 1971.
10\. *-- Ordinaire de la Messe selon le Missel romain de saint Pie V* (choix de la traduction et établissement des notes), Jarzé, Dominique Martin Morin, 1971.
11\. *-- Les mystères du royaume de la grâce*, tome I : *Les dogmes,* Jarzé, Dominique Martin Morin, 1972.
193:206
12\. *-- Les grandeurs de Jésus-Christ,* Jarzé, Dominique Martin Morin, 1973.
13\. *-- Les mystères du royaume de la grâce,* tome II : *Le chemin de la sainteté,* Jarzé, Dominique Martin Morin, 1975.
194:206
## DOCUMENTS
## La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre
*fin de la seconde phase*
Nous continuons à publier au fur et à mesure les documents concernant la guerre religieuse faite à Mgr Lefebvre, avec comme précédemment une série de notes documentaires et explicatives.
La numérotation des documents ci-après commence au numéro 22, parce qu'ils viennent à la suite des vingt et un documents précédents, publiés en leur temps dans les numéros successifs d' « Itinéraires ».
Tous ces documents prennent également place, au fur et à mesure, dans les éditions successives de notre numéro spécial hors série : « La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre ». ([^8])
195:206
*Parmi les documents que nous publions cette fois-ci, le plus important -- d'une importance historique -- est le document n° 33 : la lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI du 17 juillet 1976 :* « QUE VOTRE SAINTETÉ ABANDONNE CETTE NÉFASTE ENTREPRISE DE COMPROMISSION AVEC LES IDÉES DE L'HOMME MODERNE, ENTREPRISE QUI TIRE SON ORIGINE D'UNE ENTENTE SECRÈTE ENTRE DE HAUTS DIGNITAIRES DE L'ÉGLISE ET CEUX DES LOGES MAÇONNIQUES, DÈS AVANT LE CONCILE. »
196:206
### 22. -- Lettre de Mgr Benelli à Mgr Lefebvre
*21 avril 1976*
*Cette lettre est importante parce qu'elle précise* POUR LA PREMIÈRE FOIS PAR ÉCRIT quelles sont LES VÉRITABLES CONDITIONS DE LA SOUMISSION *que l'on veut imposer à Mgr Le febvre.*
*Un point tout à fait capital dans la liste de ces conditions est celui que souligne notre note 3.*
*L'auteur de la lettre, Mgr Benelli, avec le titre de* « *substitut *» *à la secrétairerie d'État du Vatican, en est le personnage le plus considérable après le cardinal Villot.*
Monseigneur,
Il y a maintenant un mois que nous nous sommes rencontrés ([^9]). En vous présentant mes vœux à l'occasion des fêtes pascales, je voudrais vous redire combien je suis heureux de ce que notre rencontre se soit déroulée dans la clarté, et aussi combien se fait chaque jour plus vive l'attente de votre retour à cette communion effective avec le Pape Paul VI, que la célébration de la Résurrection demande et que cet entretien avait laissé espérer.
197:206
Vous vous souvenez certainement, en effet, de la démarche envisagée ([^10]) comme la plus propre pour parvenir à cet heureux résultat. Après avoir réfléchi, seul devant Dieu, vous écririez au Saint-Père pour lui dire votre acceptation du Concile Vatican II et de tous ses documents, affirmer votre plein attachement à la personne de Sa Sainteté Paul VI et à la totalité de son enseignement ([^11]),
198:206
en vous engageant, comme preuve concrète de votre soumission au Successeur de Pierre, à adopter et à faire adopter dans les maisons qui dépendent de vous ([^12]), le Missel qu'il a lui-même promulgué en vertu de sa suprême autorité apostolique ([^13]).
199:206
Comment ne comprendrais-je pas ce qu'une telle démarche peut avoir de coûteux ? Peut-être cela explique-t-il que vous hésitiez encore à franchir le pas. Peut-il cependant exister une autre voie ? Je m'adresse à vous comme un frère, avec espoir et confiance : ce pas est possible ; il faut le faire pour le bien de toute l'Église et de ceux qui nous regardent de l'extérieur, et je désire tout faire pour vous y aider.
Nous avons fêté Pâques il y a quelques jours. Le Christ Sauveur indique la route. Pour s'unir à Lui, il n'y a pas d'autre chemin que de tout remettre entre ses mains ([^14]). Je prie de tout cœur afin que vous y parveniez, et que vous procuriez ainsi, à son Vicaire sur la terre, la joie profonde qu'il attend avec impatience.
Croyez, Monseigneur, à mes sentiments fraternellement dévoués.
J. Benelli.
200:206
### 23. -- Discours de Paul VI au consistoire
*24 mai 1976*
De ce discours nous reproduisons seulement ce qui concerne Mgr Lefebvre, en suivant la traduction française diffusée par la « salle de presse du Saint-Siège ». Cette traduction est visiblement faite sur le texte italien, et non sur le latin qui est en principe le seul officiel : mais c'est un principe que, sans l'abolir, le Vatican laisse tomber en désuétude ([^15]).
... D'un côté, voici ceux qui, sous prétexte d'une plus grande fidélité à l'Église et au Magistère, refusent systématiquement les enseignements du concile lui-même, son application et les réformes qui en dérivent, son application ([^16]) graduelle mise en œuvre par le siège apostolique et les conférences épiscopales, sous notre autorité, voulue par le Christ ([^17]).
201:206
On jette le discrédit sur l'autorité de l'Église au nom d'une Tradition pour laquelle on ne manifeste un respect que matériellement et verbalement ([^18]) ; on éloigne les fidèles des liens d'obéissance au siège de Pierre ([^19]) comme à leurs évêques légitimes ([^20]) ; on refuse l'autorité d'aujourd'hui au nom de celle d'hier ([^21]).
202:206
Et le fait est d'autant plus grave que l'opposition dont nous parlons n'est pas seulement encouragée par certains prêtres, mais dirigée par un évêque ([^22]), qui demeure cependant toujours l'objet de notre respect fraternel, Mgr Marcel Lefebvre ([^23]).
C'est si dur de le constater ! Mais comment ne pas voir dans une telle attitude -- quelles que puissent être les intentions de ces personnes -- le fait de se placer hors de l'obéissance au successeur de Pierre et de la communion avec lui, et donc hors de l'Église ?
203:206
Car telle est bien, malheureusement, la conséquence logique, lorsque l'on soutient qu'il est préférable de désobéir sous prétexte ([^24]) de conserver sa foi intacte, de travailler à sa façon ([^25]) à la préservation de l'Église catholique, alors qu'on lui refuse en même temps une obéissance effective. Et on le dit ouvertement ! On ose affirmer que l'on n'est pas lié par le concile Vatican II ([^26]), que la foi serait également en danger à cause des réformes et des orientations postconciliaires ([^27]), que l'on a le *devoir* de désobéir pour conserver certaines traditions. Quelles traditions ? C'est à ce groupe, et non au pape, et non au collège épiscopal, et non au concile œcuménique qu'il appartiendrait de définir, parmi les innombrables traditions, celles qui doivent être considérées comme normes de foi ! ([^28])
204:206
Comme vous le voyez, frères vénérés, une telle attitude s'érige en juge de cette volonté divine qui a fait de Pierre -- et de ses successeurs légitimes -- le chef de l'Église pour confirmer ses frères dans la foi et paître le troupeau universel, et qui l'a établi garant et gardien du dépôt de la foi ([^29]).
Ceci est d'autant plus grave, en particulier, lorsque l'on introduit la division justement là où « l'amour du Christ nous a rassemblés en un seul corps », c'est-à-dire dans la liturgie et dans le sacrifice eucharistique ([^30]), en refusant le respect dû aux normes fixées en matière liturgique ([^31]).
205:206
C'est au nom de la Tradition que nous demandons à tous nos fils, à toutes les communautés catholiques, de célébrer, dans la dignité et la ferveur, la liturgie rénovée ([^32]) (...).
Plusieurs fois, directement ou par l'intermédiaire de nos collaborateurs et d'autres personnes amies, nous avons appelé l'attention de Mgr Lefebvre sur la gravité de ses attitudes, l'irrégularité de ses principales initiatives actuelles, l'inconsistance et souvent la fausseté des positions doctrinales ([^33]) sur lesquelles il fonde ces attitudes et ces initiatives, et le dommage qui en résulte pour l'Église entière.
206:206
C'est donc avec une profonde amertume, mais aussi avec une paternelle espérance, que nous nous adressons une fois de plus à ce confrère, à ses collaborateurs et à ceux qui se sont laissé entraîner par eux. Oh ! certes, nous croyons que beaucoup de ces fidèles, au moins dans un premier temps, étaient de bonne foi ([^34]) : nous comprenons aussi leur attachement sentimental à des formes de culte et de discipline auxquelles ils étaient habitués ([^35]), qui pendant longtemps ont été pour eux un soutien spirituel et dans lesquelles ils avaient trouvé une nourriture spirituelle.
207:206
Mais nous avons le ferme espoir qu'ils sauront réfléchir avec sérénité ([^36]), sans parti pris, et qu'ils voudront bien admettre qu'ils peuvent trouver aujourd'hui le soutien et la nourriture auxquels ils aspirent dans les formes renouvelées que le concile Vatican II et nous-même avons décrétées comme nécessaires pour le bien de l'Église, pour son progrès dans le monde contemporain, pour son unité. Nous exhortons donc, encore une fois, tous ces frères et fils ([^37]), nous les supplions de prendre conscience des profondes blessures que, autrement, ils causent à l'Église. De nouveau, nous les invitons à penser aux graves avertissements du Christ sur l'unité de l'Église (cf. Jn, 17, 21 sq.) et sur l'obéissance due au pasteur légitime qu'il a mis à la tête du troupeau universel, comme signe de l'obéissance due au Père et au Fils (cf. Lc, 10, 16). Nous les attendons le cœur grand ouvert, les bras prêts à les étreindre : puissent-ils retrouver, dans l'humilité et l'édification, pour la joie du peuple de Dieu, la voie de l'unité et de l'amour ! ([^38])
208:206
### 24. -- Hors de quelle Église ?
*Éditorial du « Supplément-Voltigeur »\
numéro 39 de juin 1976*
Dans son discours au consistoire du 24 mai, où Mgr Lefebvre est plusieurs fois nommé, Paul VI semble trancher et ne tranche pas. Il l'accuse de « se placer hors de l'Église ». Mais hors de laquelle ? Il y en a deux. Et Paul VI n'a pas encore renoncé à être le pape de ces deux Églises simultanément. Dans ces conditions, « hors de l'Église » demeure équivoque et ne tranche rien.
Qu'il y ait présentement deux Églises, avec un seul et même Paul VI à la tête de l'une et de l'autre, nous n'y sommes pour rien, nous ne l'inventons pas, nous constatons qu'il en est ainsi.
Plusieurs épiscopats qui se déclarent en communion avec le pape, et que le pape ne rejette point de sa communion, sont objectivement sortis de la communion catholique.
L'épiscopat hollandais, dans un document officiel, a explicitement mis en doute la conception virginale de Notre-Seigneur, il n'a pas été sommé par le pape de se rétracter ou de se démettre. Il a au contraire répandu dans le monde entier ce « catéchisme hollandais » qui ne contient plus les connaissances nécessaires au salut et qui inspire tous les nouveaux catéchismes. L'épiscopat français depuis 1969 fait subir aux fidèles, comme « rappel de foi », le dogme menteur qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire » : aucune de nos protestations, aucune de nos supplications n'a encore pu l'amener à s'en dédire ou seulement à s'en expliquer.
209:206
C'est au nom du concile, au nom du pape, au nom des évêques en communion avec lui, que depuis dix ans et davantage nous sont autoritairement imposés, sans jamais aucun démenti efficace, tous les discours et toutes les décisions qui installent l'apostasie immanente, l'autodémolition permanente, la capitulation devant le monde, le culte de l'homme, l'ouverture au communisme. Il ne s'agit point là de quelques contestataires marginaux et peu nombreux, comme l'insinue le discours consistorial. Il s'agit de la plupart des actuels détenteurs de la succession apostolique. Légitimes détenteurs ? Oui, mais prévaricateurs, déserteurs, imposteurs. Paul VI reste à leur tête sans les désavouer ni les corriger, il les garde dans sa communion, il préside à cette Église-là aussi.
Mgr Lefebvre n'y est pour rien. Il n'a rien innové, il n'a rien inventé, il n'a rien bouleversé : il a conservé et transmis le dépôt qu'il avait reçu. Il a gardé les promesses de son baptême, la doctrine de son catéchisme, la messe de son ordination, les dogmes définis par les papes et les conciles, la théologie et l'ecclésiologie traditionnelles de l'Église de Rome. Par sa seule existence, par son être même, et sans l'avoir voulu, il est ainsi le témoin d'une crise qui n'est pas la sienne, qui est celle d'un pape incertain à la tête de deux Églises à la fois.
Le cardinal Suenens déclarait en 1969 : « *On peut faire une impressionnante liste de thèses, enseignées à Rome avant-hier et hier comme seules valables, et qui furent éliminées par les pères conciliaires. *» Formidable révolution doctrinale. Le cardinal Suenens s'en réjouissait. La plupart des actuels détenteurs de la succession apostolique pensent et parlent sur ce point comme le cardinal Suenens. Ni lui ni eux n'ont été désavoués. Paul VI reste à leur tête et les garde dans sa communion. Une communion où l'on professe que l'Église, hier et avant-hier, se trompait : mais sur tous les points où ils enseignent que l'Église se trompait, qui ou quoi pourrait alors nous garantir que ce n'est pas eux-mêmes qui, aujourd'hui, se trompent et nous trompent ?
On ne résout rien en assurant que le concile est mal interprété et le pape mal compris. Si le concile a été constamment interprété comme il l'a été, c'est avec le consentement actif ou passif des évêques en communion avec le pape.
210:206
Ainsi s'est constituée une Église conciliaire, différente de l'Église catholique. Et aucun évêque, si scandaleux qu'il ait pu être dans ses excès postconciliaires, n'a reçu de Paul VI les sévérités publiques qu'il réserve au seul Mgr Lefebvre, pour la seule raison que celui-ci reste inébranlablement fidèle à la religion catholique telle qu'elle était jusqu'en 1958.
C'est ici qu'il convient de regarder les choses en face et de les méditer sérieusement.
Si la religion catholique telle qu'elle était en 1958 à la mort de Pie XII comportait des éléments facultatifs, variables, qui (hypothèse de raisonnement) sont devenus anachroniques en 1976, y rester attaché ne constitue tout de même point un crime. L'anachronisme n'est pas un péché tel que nécessairement il vous place « hors de l'Église ». L'anachronisme supposé, le simple anachronisme, est sans commune mesure avec les catéchismes nouveaux, amputés des connaissances nécessaires au salut ; avec les messes à la française, accompagnées de chants marxistes et de danses érotiques ; avec les falsifications de l'Écriture imposées par l'épiscopat, comme celle qui fait liturgiquement proclamer que *pour vivre saintement il faut prendre femme ;* et toutes les infamies analogues dont aucune, depuis dix ans, n'a été ni rétractée par les coupables ni condamnée par l'autorité supérieure. Il y a bien réellement des crimes dans l'Église, ce sont ceux-là, et voici qu'on les estime beaucoup moins criminels que de garder la religion catholique telle qu'elle était en 1958 à la mort de Pie XII. Tout cela compose une nouvelle religion, une autre communauté ecclésiale, qui s'est installée aux postes de commandement dans l'administration ecclésiastique et qui se réclame de la communion de Paul VI avec, c'est le moins qu'on en puisse dire, le consentement de Paul VI.
Mgr Lefebvre « hors de l'Église » ? Hors de celle-là, assurément. Mais il n'est pas croyable que ce puisse être hors de l'Église *catholique* que l'on « se place », sans pourtant avoir bougé, simplement en demeurant dans la religion catholique telle qu'elle était à la mort de Pie XII, en 1958.
\*\*\*
211:206
Il y a deux Églises sous Paul VI. Ne pas voir qu'elles sont deux, ou ne pas voir qu'elles sont étrangères l'une à l'autre, ou ne pas voir que Paul VI jusqu'ici préside à l'une et à l'autre, c'est de l'aveuglement, et dans certains cas peut-être un aveuglement invincible. Mais, l'ayant vu, ne pas le dire serait apporter la complicité de son silence à une anomalie monstrueuse.
Gustave Corçaô dans la revue *Itinéraires* de novembre 1974 puis le P. Bruckberger dans *L'Aurore* du 18 mars 1976 l'ont publiquement remarqué : la crise religieuse n'est plus comme au XVI^e^ siècle d'avoir pour une seule Église deux ou trois papes simultanément ; elle est aujourd'hui d'avoir un seul pape pour deux Églises, la catholique et la post-conciliaire.
Mais l'appartenance simultanée à deux Églises aussi contraires est impossible. Fût-ce comme pape ; et par définition. Il va y avoir, si Paul VI ne se dégage pas, un inévitable choc en retour.
Jean Madiran.
212:206
### 25. -- Lettre de Mgr Benelli au nonce apostolique à Berne
*12 juin 1976*
Lettre officielle de la secrétairerie d'État du Vatican, enregistrée sous le numéro 307.554 et adressée à Mgr Ambrogio Marchioni, nonce à Berne.
Monseigneur,
Au sujet de Monseigneur Marcel Lefebvre, le Souverain Pontife me demande de vous communiquer les trois points suivants, que je vous prie de porter vous-même, dans les meilleurs délais, à la connaissance du prélat, en lui transmettant également la copie de cette lettre :
1° Vous remettrez officiellement à Mgr Lefebvre -- qui semblait absent de Suisse à la date du 24 mai -- le texte latin et sa traduction française de l'allocution que Sa Sainteté a prononcée à l'occasion du récent Consistoire secret des Cardinaux et que tous les Évêques ont déjà eu l'occasion de connaître ([^39]).
213:206
2° Vous devrez en même temps faire savoir à Mgr Marcel Lefebvre que, *de mandato speciali Summi Pontificis*, dans l'état actuel des choses et demeurant fermes les dispositions du canon 2373, 1° du Code de droit canonique ([^40]), il doit rigoureusement s'abstenir de conférer les ordres à partir du moment où il aura reçu la présente injonction.
3° Dans le discours du Consistoire du 24 mai 1976, le Saint-Père a tenu à rappeler lui-même les démarches fraternelles qu'il avait tentées à plusieurs reprises auprès de Mgr Lefebvre ([^41]). Il a redit et il redit aujourd'hui sa disponibilité à accueillir celui-ci, dès qu'il aura donné un témoignage public de son obéissance au Successeur actuel de saint Pierre et de son acceptation du Concile Vatican II.
214:206
Les conditions sont bien connues de Mgr Lefebvre : elles demeurent celles que je lui avais moi-même précisées, au nom de Sa Sainteté, lors de notre entretien du 19 mars et que je lui ai rappelées dans ma lettre du 21 avril dernier ([^42]). Or le Saint-Père a constaté qu'un tel témoignage ne lui était pas encore parvenu, malgré les promesses qui en avaient été faites à plusieurs reprises ([^43]). Le scandale public demeure tel que le Souverain Pontife n'a pas pu attendre davantage pour prendre le Sacré Collège à témoin du maintien de cette attitude non ecclésiale. Et aujourd'hui même, il ne peut attendre davantage. Il adjure donc Mgr Lefebvre de ne pas se durcir dans une position qui le conduirait de plus en plus à une véritable impasse, alors qu'il peut encore, « dans l'humilité et l'édification », faire le geste que Sa Sainteté attend « avec une paternelle espérance ».
Veuillez agréer, Monseigneur, avec mes remerciements pour votre entremise en cette grave circonstance, l'assurance de mon fidèle et cordial dévouement en N.-S.
J. Benelli.
*subst.*
215:206
### 26. -- Lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI
*22 juin 1976*
Cette lettre a été rendue publique, par Mgr Lefebvre, le 12 juillet 1976. Il y a joint une « note préliminaire » que l'on trouvera plus loin, à sa place chronologique (document n° 31).
Très Saint Père,
Que Votre Sainteté veuille bien comprendre la douleur qui m'étreint et ma stupéfaction en entendant d'une part les appels paternels que Votre Sainteté m'adresse et d'autre part la cruauté des coups qui ne cessent de nous frapper dont le dernier atteint surtout mes chers Séminaristes et leurs familles à la veille de leur sacerdoce, auquel ils se sont préparés depuis cinq et sis années.
Votre Sainteté me connaît depuis 1948 et sait parfaitement quelle est la foi que je professe, qui est celle de son « Credo », et connaît également ma profonde soumission au Successeur de Pierre que je renouvelle dans les mains de Votre Sainteté.
Le trouble et la confusion répandus dans l'Église ces dernières années que Votre Sainteté dénonce dans son discours au dernier Consistoire sont précisément la raison des graves réserves que nous faisons sur une adaptation périlleuse de l'Église au monde moderne.
216:206
Mais je suis intimement persuadé être en pleine communion ([^44]) de pensée et de foi avec Votre Sainteté. Je supplie donc Votre Sainteté de nous permettre un dialogue avec des envoyés choisis par Elle parmi les cardinaux qui nous connaissent depuis longtemps ([^45]) et la grâce de Dieu aidant, il ne fait pas de doute que les difficultés s'aplaniront.
Espérant que cette suggestion agréera à Votre Sainteté, je l'assure de mon entière disponibilité, de ma respectueuse et filiale affection in Cbristo et Maria.
Marcel Lefebvre.
217:206
### 27. -- Lettre de Mgr Benelli à Mgr Lefebvre
*25 juin 1976*
Monseigneur,
Le saint-père vient de recevoir votre lettre du 22 juin. Il me charge de vous transmettre sa pensée à ce sujet. Certes, comme je vous l'avais dit moi-même en avril dernier dans une lettre fraternelle, ce qui vous est demandé requiert de votre part une obéissance courageuse, d'autant plus que vous avez volontairement poursuivi votre chemin dans ce qui était manifestement une impasse. Mais vous ne sauriez qualifier de « cruauté » l'attitude du Saint-Siège qui ne fait que prendre acte de votre propre comportement et adopter les mesures que celui-ci appelle.
Le 19 mars, je vous avais dit très franchement ce qui, dans vos jugements négatifs sur le concile, dans vos propos fréquents sur les organismes du Saint-Siège et leurs directives en application du concile, dans votre façon de procéder à l'encontre de la responsabilité des autres évêques dans leurs diocèses respectifs, était inadmissible pour Sa Sainteté, contraire à la communion ecclésiale et dommageable pour l'unité et la paix de l'Église. Il vous était seulement demandé d'admettre clairement votre tort ([^46]) sur ces points nécessaires pour toute âme catholique, après quoi on aurait étudié la façon la meilleure de faire face aux problèmes pendants posés par vos œuvres.
218:206
Or non seulement vous ne l'avez pas fait depuis plus de trois mois, malgré vos promesses, mais vous avez continué dans la même ligne, prenant même de nouvelles initiatives dans plusieurs régions d'Europe et d'Amérique. Ce scandale public ne pouvait qu'attirer l'admonestation publique du saint-père, le 24 mai dernier. Vous avez pu remarquer d'ailleurs que le saint-père s'oppose avec la même fermeté aux abus qui se font dans l'autre sens ([^47]), en marge et à l'encontre du vrai sens conciliaire, et que vous prétendez être à l'origine de votre attitude. Or même après cet appel sévère, mais paternel et ouvert à l'espérance, vous vous obstinez et voulez ordonner des prêtres dans le même esprit, sous votre propre responsabilité, indépendamment des Ordinaires des lieux, dans le cadre d'une Œuvre que l'autorité ecclésiastique compétente a juridiquement suspendue.
219:206
Le saint-père me charge aujourd'hui même de confirmer la mesure qui vous a été intimée en son nom, *de mandato speciali :* vous abstenir actuellement de conférer toute ordination. Ne prenez pas prétexte du désarroi des séminaristes ordinands : c'est justement l'occasion de leur expliquer, ainsi qu'à leurs familles, que vous ne pouvez les ordonner au service de l'Église contre la volonté du Pasteur suprême de l'Église. Il n'y a rien de désespérant dans leur cas : s'ils sont de bonne volonté et sérieusement préparés à un ministère presbytéral dans la fidélité véritable à l'Église conciliaire ([^48]), on se chargera de trouver ensuite la meilleure solution pour eux, mais qu'ils commencent d'abord, eux aussi, par cet acte d'obéissance à l'Église ([^49]). Ils n'ont d'ailleurs pas manqué d'être prévenus à temps. En cas de transgression, ils doivent savoir qu'ils s'exposent à la peine canonique prévue au can. 2374 ([^50]) ; et si, témérairement, ils ne voulaient pas en tenir compte, ils s'exposent à l'irrégularité ([^51]) (cf. can. 985, § 7), tandis que l'Ordinant encourrait la suspension pour un an « ab ordinum collatione », selon le can. 2373, § 1 et 3, même indépendamment du précepte qui lui a été communiqué récemment par l'intermédiaire du nonce apostolique.
220:206
Le Rév. Père Dhanis, consulteur de la congrégation pour la doctrine de la foi et professeur à l'Université pontificale grégorienne, vous portera cette lettre. Encore que tout soit bien clair, il va sans dire qu'il est prêt à donner telle ou telle explication que vous pourriez souhaiter ([^52]).
Veuillez agréer, Monseigneur, l'assurance de ma prière à vos intentions en cette grave circonstance, et de mon dévouement en N.-S.
J. Benelli.
subst.
221:206
### 28. -- Sermon de Mgr Lefebvre
*à la messe d'ordination du 29 juin 1976*
Mes bien chers amis,
Bien chers confrères,
Bien chers frères,
qui êtes venus de tous les pays, de tous les horizons, c'est une joie pour nous de vous accueillir et de vous sentir si près de nous en ce moment si important pour notre Fraternité et aussi pour l'Église. Je pense que si des pèlerins se sont imposé le sacrifice de voyager nuit et jour, de venir de régions très éloignées pour participer à cette cérémonie, c'est qu'ils avaient la conviction qu'ils venaient pour participer à une cérémonie d'Église et participer à une cérémonie qui réjouira leur cœur parce qu'ils auront ainsi la certitude en rentrant chez eux que l'Église catholique continue.
Ah ! je sais bien que les difficultés sont nombreuses dans cette entreprise qu'on nous dit téméraire. On dit que nous sommes dans une impasse. Pourquoi ? Parce que de Rome nous sont parvenus, surtout depuis trois mois, depuis le 19 mars en particulier, fête de saint Joseph, des objurgations, des supplications, des ordres, des menaces, pour nous dire de cesser notre activité, pour nous dire de ne pas faire ces ordinations sacerdotales. Elles ont été pressantes ces derniers jours ; depuis douze jours en particulier, nous ne cessons de recevoir des messages ou des envoyés de Rome nous enjoignant de nous abstenir de faire ces ordinations. Mais si, en toute objectivité, nous cherchons quel est le motif véritable qui anime ceux qui nous demandent de ne pas faire ces ordinations, si nous recherchons le motif profond, nous voyons que c'est parce que nous ordonnons ces prêtres afin qu'ils disent la messe de toujours.
222:206
Et c'est parce que l'on sait que ces prêtres seront fidèles à la messe de l'Église, à la messe de la Tradition, à la messe de toujours, qu'on nous presse de ne pas les ordonner. Et j'en veux pour preuve le fait que six fois depuis trois semaines, six fois, on nous a demandé de rétablir des relations normales avec Rome et de donner pour témoignage de recevoir le rite nouveau et de le célébrer moi-même. On est allé jusqu'à m'envoyer quelqu'un qui m'a offert de concélébrer avec moi dans le rite nouveau afin de manifester que j'acceptais volontiers cette nouvelle liturgie, et que de ce fait tout serait aplani entre nous et Rome. On m'a mis dans les mains un missel nouveau en me disant « voilà la messe que vous devez célébrer et que vous célébrerez désormais dans toutes vos maisons ». On m'a dit également que si en cette date, aujourd'hui, ce 29 juin, devant toute votre assemblée, nous célébrions une messe selon le nouveau rite, tout serait aplani désormais entre nous et Rome.
Ainsi donc il est clair, il est net que c'est sur le problème de la messe que se joue tout le drame entre Écône et Rome.
Est-ce que nous avons tort de nous obstiner à vouloir garder le rite de toujours ? Certes, nous avons prié, nous avons consulté, nous avons réfléchi, nous avons médité pour savoir si vraiment c'est nous qui sommes dans l'erreur, si vraiment nous n'avions pas de raison suffisante de ne pas nous soumettre à ce nouveau rite. Eh bien ! justement, l'insistance que mettent ceux qui sont envoyés de Rome pour nous demander de changer de rite, nous fait réfléchir et nous avons la conviction que précisément le rite nouveau de la messe exprime une nouvelle foi, une foi qui n'est pas la nôtre, une foi qui n'est pas la foi catholique. Cette nouvelle messe est un symbole, est une expression, est une image d'une foi nouvelle, d'une foi moderniste. Car si la Très Sainte Église a voulu garder tout au cours des siècles ce trésor précieux qu'elle nous a donné du rite de la sainte messe qui a été canonisée par saint Pie V, ce n'est pas pour rien. C'est parce que dans cette messe se trouve toute notre foi, toute la foi catholique, la foi dans la Très Sainte Trinité, la foi dans la divinité de Notre-Seigneur
223:206
Jésus-Christ, la foi dans la Rédemption de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la foi dans le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a coulé pour la rédemption de nos péchés, la foi dans la grâce surnaturelle qui nous vient du saint sacrifice de la messe, qui nous vient de la Croix, qui nous vient par tous les sacrements. Voilà ce que nous croyons. Voilà ce que nous croyons en célébrant le saint sacrifice de la messe de toujours. Cela est une leçon de foi et en même temps une source de notre foi, indispensable pour nous en cette époque où notre foi est attaquée de toute part. Nous avons besoin de cette messe véritable, de cette messe de toujours, de ce sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour réellement remplir nos âmes du Saint-Esprit et de la force de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Or il est évident que ce rite nouveau est sous-tendu et si je puis dire suppose une autre conception de la religion catholique. Une autre religion. Ce n'est plus le prêtre qui offre le saint sacrifice de la messe, c'est l'assemblée. Or ceci est tout un programme. Désormais c'est l'assemblée aussi qui remplace l'autorité dans l'Église, c'est l'assemblée épiscopale qui remplace le pouvoir des évêques, c'est le conseil presbytéral qui remplace le pouvoir de l'évêque dans le diocèse, c'est le nombre qui commande désormais dans la sainte Église. Et ceci est exprimé dans la messe précisément parce que l'assemblée remplace le prêtre. A tel point que maintenant beaucoup de prêtres ne veulent plus célébrer la sainte messe quand il n'y a pas d'assemblée. Tout doucement c'est la notion protestante de la messe qui s'introduit dans la sainte Église. Et ceci est conforme à la mentalité de l'homme moderne, à la mentalité de l'homme moderniste, absolument conforme, car c'est l'idéal démocratique qui est fondamentalement l'idée de l'homme moderne, c'est-à-dire que le pouvoir est dans l'assemblée, l'autorité est dans les hommes, dans la masse et non pas en Dieu. Et ceci est très grave parce que nous croyons que Dieu est tout puissant, nous croyons que Dieu a toute autorité, nous croyons que toute autorité vient de Dieu, « omnis potestas a Deo ». Nous ne croyons pas nous que l'autorité vient du peuple, que l'autorité vient de la base. Or c'est cela la mentalité de l'homme moderne.
224:206
Et la nouvelle messe n'en est pas moins l'expression de cette idée que l'autorité se trouve dans la base et non plus en Dieu. Cette messe n'est plus une messe hiérarchique, c'est une messe démocratique. Et ceci est très grave. C'est l'expression de toute une nouvelle idéologie. On a fait entrer l'idéologie de l'homme moderne dans nos rites les plus sacrés. Et c'est ceci qui corrompt actuellement toute l'Église. Par cette idée de pouvoir accordé à la base dans la sainte messe on a détruit le sacerdoce. On détruit le sacerdoce.
Car qu'est-ce que le prêtre, si le prêtre n'a plus un pouvoir personnel ?
Ce pouvoir qui lui est donné par son ordination comme vont le recevoir dans un instant ces futurs prêtres. Ils vont recevoir un caractère, un caractère qui va les mettre au-dessus du peuple de Dieu. Ils ne pourront plus jamais dire, après la cérémonie, ils ne pourront plus jamais dire « nous sommes des hommes comme les autres ». Ce n'est pas vrai. Ils ne seront plus des hommes comme les autres. Ils seront des hommes de Dieu. Ils seront des hommes, je dirais presque, qui participent à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ par son caractère sacerdotal. Car Notre-Seigneur Jésus-Christ est prêtre pour l'éternité, prêtre selon l'ordre de Melchisédech parce qu'il est Jésus-Christ, parce que la divinité du Verbe de Dieu a été infusée dans cette humanité qu'Il a assumée et c'est au moment où Il a assumé cette humanité dans le sein de la Très Sainte Vierge Marie que Jésus est devenu prêtre. La grâce à laquelle ces jeunes prêtres vont participer n'est pas la grâce sanctifiante dont Notre-Seigneur Jésus Christ nous fait participer par la grâce du baptême. C'est la grâce d'union, cette grâce d'union unique à Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est à cette grâce qu'ils vont participer car c'est par sa grâce d'union à la Divinité de Dieu, à la divinité du Verbe que Notre-Seigneur Jésus-Christ est devenu Prêtre, que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Roi, que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Juge, que Notre-Seigneur Jésus-Christ doit être adoré par tous les hommes, par sa grâce d'union, grâce sublime, grâce que jamais aucun être ici-bas n'a pu recevoir. Cette grâce de la divinité même descendant dans une humanité qu'est Notre-Seigneur Jésus-Christ l'oignait en quelque sorte comme l'huile qui descend sur la tête et qui consacre celui qui reçoit cette huile.
225:206
L'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ a été pénétrée par la divinité du Verbe de Dieu. Et c'est ainsi qu'Il a été fait Prêtre, qu'Il a été fait Médiateur entre Dieu et les hommes. Et c'est à cette grâce-là que vont participer ces prêtres, qui les mettra au-dessus du peuple de Dieu. Ils seront aussi, eux, les intermédiaires entre Dieu et le peuple de Dieu. Ils ne seront pas seulement les représentants du peuple de Dieu, ils ne seront pas les mandatés du peuple de Dieu, ils ne seront pas seulement les présidents de l'assemblée. Ils sont prêtres pour l'éternité, marqués de ce caractère pour l'éternité. Et personne n'a le droit de ne pas les respecter, même si eux ne respectaient pas ce caractère. Ils l'ont toujours en eux, ils l'auront toujours en eux.
Voilà ce que nous croyons.
Voilà quelle est notre foi et voilà ce qui constitue notre saint sacrifice de la messe. C'est le prêtre qui offre le saint sacrifice de la messe, et les fidèles participent à cette offrande de tout leur cœur, de toute leur âme, mais ce ne sont pas eux qui offrent le sacrifice de la messe, à preuve que le prêtre, quand il est seul, offre le sacrifice de la messe de la même manière et avec la même valeur que s'il y a mille personnes qui l'entourent. Son sacrifice a une valeur infinie. Le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ offert par le prêtre a une valeur infinie.
Voilà ce que nous croyons et c'est pourquoi nous pensons que nous ne pouvons pas accepter ce rite nouveau qui est l'œuvre d'une autre idéologie, une idéologie nouvelle. On a cru attirer le monde en prenant les idées du monde. On a cru attirer à l'Église les gens qui ne croient pas en prenant les idées de ces personnes qui ne croient pas ; en prenant les idées de l'homme moderne, cet homme moderne qui est un homme libéral, un homme moderniste, qui est un homme qui accepte la pluralité des religions, qui n'accepte plus la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ceci je l'ai entendu par deux fois, par les envoyés du Saint-Siège, qui m'ont dit que la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'était plus possible en notre temps, qu'il fallait accepter définitivement le pluralisme des religions.
226:206
Voilà ce qu'ils m'ont dit : que l'encyclique *Quas Primas*, qui est si belle, sur la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a été écrite par le pape Pie XI, ne le serait plus aujourd'hui par le pape.
Voilà ce que m'ont dit les envoyés officiels du Saint-Siège.
Alors nous ne sommes pas de cette religion. Nous n'acceptons pas cette nouvelle religion.
Nous sommes de la religion de toujours, nous sommes de la religion catholique, nous ne sommes pas de cette religion universelle comme ils l'appellent aujourd'hui. Ce n'est plus la religion catholique. Nous ne sommes pas de cette religion libérale, moderniste, qui a son culte, ses prêtres, sa foi, ses catéchismes, sa bible, sa bible œcuménique. Nous ne les acceptons pas. Nous n'acceptons pas la bible œcuménique. Il n'y a pas de bible œcuménique. Il y a la Bible de Dieu, la Bible de l'Esprit Saint, qui a été écrite sous l'influence de l'Esprit Saint. C'est la parole de Dieu. Nous n'avons pas le droit de la mélanger avec la parole des hommes. Il n'y a pas de bible œcuménique qui puisse exister. Il n'y a qu'une parole, la parole du Saint-Esprit. Nous n'acceptons pas les catéchismes qui n'affirment plus notre Credo. Et ainsi de suite. Nous ne pouvons pas accepter ces choses-là. C'est contraire à notre foi. Nous regrettons infiniment. C'est une douleur immense, immense, pour nous de penser que nous sommes en difficulté avec Rome à cause de notre foi. Comment est-ce possible ? C'est une chose qui dépasse l'imagination, que jamais nous n'aurions pu croire, surtout dans notre enfance, alors que tout était uniforme, que l'Église croyait dans son unité générale la même foi, avait les mêmes sacrements, le même sacrifice de la messe, le même catéchisme. Voici que tout à coup tout cela est dans la division, dans le déchirement.
Je l'ai dit à ceux qui sont venus de Rome, je leur ai dit : Des chrétiens sont déchirés dans leur famille, dans leur foyer, parmi leurs enfants, sont déchirés dans leur cœur à cause de cette division dans l'Église, de cette nouvelle religion que l'on enseigne et que l'on pratique. Des prêtres meurent prématurément, déchirés dans leur cœur et dans leur âme de penser qu'ils ne savent plus que faire.
227:206
Ou se soumettre à l'obéissance et perdre en quelque sorte la foi de leur enfance et de leur jeunesse, et renoncer aux promesses qu'ils ont faites au moment de leur sacerdoce en prêtant le serment anti-moderniste, ou alors avoir l'impression de se séparer de celui qui est notre père, le pape, de celui qui est le représentant de saint Pierre, quel déchirement pour ces prêtres ! Beaucoup de prêtres sont morts prématurément de douleur. Des prêtres maintenant sont chassés de leurs églises, persécutés parce qu'ils disent la messe de toujours. Nous sommes dans une situation vraiment dramatique. Nous avons à choisir entre une apparence, je dirais, d'obéissance, car le saint-père ne peut pas nous demander d'abandonner notre foi, c'est impossible, impossible, l'abandon de notre foi. Eh bien ! nous choisissons de ne pas abandonner notre foi, car en cela nous ne pouvons pas nous tromper : ce que l'Église a enseigné pendant deux mille ans, l'Église ne peut pas être dans l'erreur, c'est absolument impossible, et c'est pourquoi nous sommes attachés à cette Tradition qui s'est exprimée d'une manière admirable, et d'une manière définitive, comme l'a dit si bien le pape saint Pie V, d'une manière définitive dans le saint sacrifice de la messe.
Demain peut-être dans les journaux paraîtra notre condamnation, c'est très possible, à cause de cette ordination d'aujourd'hui ; je serai frappé d'une suspense probablement, ces jeunes prêtres seront frappés d'une irrégularité qui en principe devrait les empêcher de dire la sainte messe. C'est possible.
Eh ! bien je fais appel à saint Pie V.
Saint Pie V qui dans sa Bulle a dit que, à perpétuité, aucun prêtre ne pourra encourir une censure quel qu'il soit, s'il dit cette messe. Et par conséquent cette censure, cette excommunication s'il y en avait une, ces censures s'il y en a seront absolument invalides, contraires à ce que saint Pie V a affirmé solennellement dans sa Bulle, à perpétuité. Jamais en aucun temps on ne pourra infliger une censure à un prêtre, qui dira cette sainte messe. Pourquoi ? Parce que cette messe est canonisée. Il l'a canonisée définitivement. Or un pape ne peut pas enlever une canonisation.
228:206
Le pape peut faire un nouveau rite, mais il ne peut pas enlever une canonisation, il ne peut pas interdire une messe qui est canonisée. Ainsi s'il a canonisé un saint un autre pape ne peut pas venir et dire que ce saint n'est pas canonisé. Ce n'est pas possible. Cette messe a été canonisée par saint Pie V. Et c'est pourquoi nous pouvons la dire en toute tranquillité, en toute sécurité et même être certains qu'en disant cette messe nous professons notre foi, nous entretenons notre foi et nous entretenons la foi des fidèles. C'est la meilleure manière de l'entretenir.
Et c'est pourquoi nous allons procéder dans quelques instants à ces ordinations. Certes nous souhaiterions avoir une bénédiction comme on en avait autrefois du Saint-Siège. On avait des bénédictions venant de Rome pour les nouveaux ordinands. Mais nous pensons que le Bon Dieu est là qui voit toute chose et qui bénit aussi cette cérémonie que nous faisons et qui un jour en tirera les fruits qu'Il désire certainement et nous aidera en tout cas à maintenir notre foi et à maintenir l'Église. Nous le demandons surtout à la Très Sainte Vierge Marie ; et à saint Pierre et saint Paul aujourd'hui. Demandons à la Très Sainte Vierge qui est la mère du sacerdoce de donner à ces jeunes la véritable grâce du sacerdoce, de donner l'Esprit Saint qu'elle a donné par son intermédiaire aux apôtres le jour de la Pentecôte. Nous demandons à saint Pierre et saint Paul de maintenir en nous cette foi dans Pierre. Oh oui ! nous avons la foi dans Pierre, nous avons la foi dans le successeur de Pierre, mais comme le dit très bien le pape Pie IX dans sa constitution dogmatique, le pape a reçu le Saint Esprit non pas pour faire des vérités nouvelles mais pour nous maintenir dans la foi de toujours. Voilà la définition du pape faite au moment du concile du Vatican I par le pape Pie IX. Et c'est pourquoi nous sommes persuadés qu'en maintenant ces traditions nous manifestons notre amour, notre docilité au pape successeur de Pierre.
229:206
### 29. -- La messe catholique
*Article du « Supplément-Voltigeur »\
numéro 40 de juillet 1976*
Dans les jours qui ont précédé les ordinations sacerdotales du 29 juin à Écône, messages et envoyés du Vatican se pressaient autour de Mgr Lefebvre, lui promettant que tout s'arrangerait s'il acceptait le nouveau missel, l'imposait à ses prêtres et concélébrait lui-même publiquement la nouvelle messe avec un représentant de Paul VI. Promesse sans doute trompeuse ; mais significative. C'est donc par artifice que les inquisiteurs officiels, tout au long de l'année 1975, avaient assuré à Mgr Lefebvre que dans la procédure contre lui la liturgie n'était pas en question : en vérité c'est d'elle seule, ou d'elle surtout, qu'il s'agissait ; de la messe de l'article 7, qui doit remplacer la messe traditionnelle.
Un artifice analogue avait fait mine de corriger en 1970 l'article 7 promulgué en 1969. Un même artifice avait, au concile, mis en avant la fameuse « nota praevia explicativa » sur la collégialité. Dans tous ces cas semblables, la suite l'a montré, les faits l'ont prouvé, c'était une tromperie : il s'agissait d'endormir la résistance catholique par des garanties illusoires, simplement verbales, destinées à rester lettre morte. Le procédé a été suffisamment constant pour être percé à jour.
C'est bien la messe de l'article 7 que les détenteurs du pouvoir, ecclésiastique veulent imposer à l'Église : ; c'est bien la messe catholique qu'ils veulent faire progressivement disparaître et qui, de fait, disparaît progressivement.
230:206
En s'aggravant, la situation se clarifie chaque jour davantage. Mgr Lefebvre a discerné qu'en définitive les entreprises contre lui, sous leurs prétextes multiples, ont un but principal : *empêcher que des prêtres soient ordonnés pour célébrer la messe catholique.* Les détenteurs actuels, -- réels détenteurs, mais indignes -- de la succession apostolique ne tolèrent la messe que si elle est d'une manière ou d'une autre la messe de l'article 7. La bataille véritable est celle-là.
Les jeunes prêtres qui ont été ordonnés à Écône le 29 juin commencent leur vie sacerdotale dans la contradiction, dans le mépris, sous les injures ; calomniés et insultés par la presse ; frappés par la persécution administrative. Déjà, ainsi, configurés à Notre-Seigneur.
Ces jeunes prêtres ont été validement ordonnés pour célébrer la messe catholique. Par eux, pour notre salut, la messe catholique continuera. Nous nous agenouillons devant eux, nous baisons leurs mains consacrées, et nous rendons grâce à Dieu.
J. M.
231:206
### 30. -- Sermon de Mgr Lefebvre
*à Genève le 4 juillet 1976*
Bien cher Monsieur l'abbé,
Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,
ce n'est pas dans cette salle des expositions qu'aurait dû avoir lieu votre première messe, pour vous enfant de cette ville, c'est dans une belle et grande église de la belle ville de Genève que vous auriez dû célébrer cette cérémonie si chère au cœur de tous les catholiques de Genève. Mais puisque la Providence en a décidé autrement, voici que vous vous trouvez aujourd'hui devant la foule de vos amis, de vos parents, de ceux qui veulent participer à votre joie, à l'honneur que le Bon Dieu vous a fait d'être son prêtre, prêtre pour l'éternité.
L'histoire de votre vocation est tout un programme. Et je dirai qu'elle est notre programme.
En effet, né de parents protestants de cette ville de Genève, vous avez suivi les enseignements de la religion protestante pendant votre enfance, pendant votre jeunesse ; vous avez, fait d'excellentes études ; vous aviez une profession qui vous permettait d'avoir tout ce que le monde peut espérer ici-bas ; et voici que tout à coup, touché par la grâce du Bon Dieu par l'intermédiaire de la Très Sainte Vierge Marie, vous décidez brusquement, sous l'influence de cette grâce, de vous diriger vers la véritable Église, vers l'Église catholique, et non seulement vous désirez devenir catholique, mais vous désirez devenir prêtre,
232:206
et je vous vois encore arrivant pour la première fois à Écône, et j'avoue que ce n'était pas sans une certaine appréhension que je vous recevais, me demandant si ce passage si rapide de la religion protestante à ce désir de devenir prêtre catholique, n'était pas d'une inspiration qui n'aurait pas de lendemain. Et c'est pourquoi, d'ailleurs, vous êtes resté quelque temps à Écône, afin de réfléchir plus profondément à ce désir qui était en vous, et à cette aspiration que vous aviez pour le sacerdoce. Et nous avons tous admiré votre persévérance, votre volonté d'arriver à ce but, malgré votre âge, -- malgré une certaine lassitude aux études ecclésiastiques, aux études de la philosophie, de la théologie, de l'Écriture Sainte, du droit canon, vous étiez plutôt un scientifique, -- et voici que par la grâce du Bon Dieu, après ces années d'études à Écône, vous avez reçu la grâce de l'ordination sacerdotale. Il me semble qu'il est difficile pour quelqu'un qui n'a pas reçu cette grâce de se rendre compte de ce qu'est la grâce sacerdotale. Comme je vous le disais il y a quelques jours au moment de l'ordination : « vous ne pourrez plus dire que vous êtes un homme comme les autres, ce n'est pas vrai, vous n'êtes plus un homme comme les autres, vous êtes désormais marqué du caractère sacerdotal qui est quelque chose d'ontologique, quelque chose qui marque votre âme et qui la met au-dessus des fidèles ; eh oui ! que vous soyez un saint ou que, ce qu'à Dieu ne plaise, vous soyez comme peut-être, hélas, des prêtres sont, en enfer, ils ont toujours le caractère sacerdotal. Ce caractère sacerdotal vous unit à Notre-Seigneur Jésus-Christ, au sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ d'une manière toute particulière, une participation que les fidèles ne peuvent pas avoir, et c'est ce qui vous permet, qui vous permettra dans quelques instants de prononcer les paroles de la consécration de la sainte messe, et de faire obéir Dieu en quelque sorte à votre ordre, à vos paroles. A vos paroles, Jésus-Christ viendra personnellement, physiquement, substantiellement sous les espèces du pain et du vin, il sera présent sur l'autel, et vous l'adorerez, vous vous agenouillerez pour l'adorer, adorer la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ : c'est cela que le prêtre, quelle réalité extraordinaire, il nous faudra être au ciel, et même au ciel comprendrons-nous ce qu'est le prêtre, n'est-ce pas saint Augustin qui disait : « Si je me trouvais devant un prêtre et un ange, je saluerais d'abord le prêtre, avant l'ange. »
233:206
Ainsi donc vous voici devenu ce prêtre. Et je disais que l'histoire de votre vocation est tout un programme, est notre programme : et cela est profondément vrai, parce que nous avons la foi catholique, nous n'avons pas peur d'affirmer notre foi et je sais que nos amis protestants, qui sont peut-être ici dans cette assemblée, nous approuvent. Nous approuvent : ils ont besoin de sentir auprès d'eux des catholiques qui sont catholiques, et non pas des catholiques qui font mine d'être pleinement d'accord avec eux sur tous les points de la foi. On ne trompe pas ses amis, nous ne pouvons pas tromper nos amis protestants, nous sommes catholiques, nous affirmons notre foi dans la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous affirmons notre foi dans la divinité de la sainte Église catholique, nous pensons que Jésus-Christ est la seule voie, la seule vérité, la seule vie, et qu'on ne peut pas se sauver en dehors de Notre-Seigneur Jésus-Christ et par conséquent en dehors de son épouse mystique la sainte Église catholique. Sans doute, des grâces de Dieu sont distribuées en dehors de l'Église catholique, mais ceux qui se sauvent, même en dehors de l'Église catholique, se sauvent par l'Église catholique, par Notre-Seigneur Jésus-Christ même s'ils ne le savent pas, même s'ils n'en ont pas conscience, parce que c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même qui l'a dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi, -- *nihil potestis facere sine me*. » Vous ne pouvez pas arriver au Père sans passer par moi, vous ne pouvez pas donc arriver à Dieu sans passer par moi. « Lorsque je serai élevé sur la terre » dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est-à-dire qu'il sera sur sa croix, « j'attirerai toutes les âmes à moi ». Notre-Seigneur Jésus-Christ, étant Dieu, seul pouvait dire des choses semblables, aucun homme ici-bas ne peut parler comme Notre-Seigneur Jésus-Christ a parlé, parce que seul il est le Fils de Dieu, il est notre Dieu : « Tu solus altissimus ; tu solus Dominus. » Il est Notre-Seigneur, il est le Très Haut Notre-Seigneur Jésus-Christ.
234:206
Et c'est pour cela qu'Écône subsiste, c'est pour cela qu'Écône existe, parce que nous croyons que ce que les catholiques ont enseigné, ce que les papes ont enseigné, ce que les conciles ont enseigné pendant vingt siècles, il ne nous est pas possible de l'abandonner, il ne nous est pas possible de changer de foi, nous avons notre Credo et nous le garderons jusqu'à notre mort, il n'est pas possible que nous changions de Credo, il n'est pas possible que nous changions le saint sacrifice de la messe, il n'est pas possible que nous changions nos sacrements en en faisant des œuvres humaines, purement humaines, qui ne portent plus la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et c'est parce que, justement, nous sentons et nous avons la conviction que quelque chose s'est passé dans l'Église depuis quinze ans, quelque chose s'est passé dans l'Église qui a fait parvenir jusque dans les plus hauts sommets de l'Église, et dans ceux qui devaient défendre notre foi, un virus, un poison, qui fait qu'ils adorent le veau d'or de ce siècle, qu'ils adorent, en quelque sorte, les erreurs de ce siècle ; pour adopter le monde, on voudrait adopter aussi les erreurs du monde, par l'ouverture au monde on voudrait aussi s'ouvrir aux erreurs du monde, à ces erreurs qui disent par exemple que toutes les religions se valent. Nous ne pouvons pas accepter cela, ces erreurs qui disent que le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ est une chose impossible maintenant et qu'il ne faut plus le rechercher, nous n'acceptons pas cela, même si le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ est difficile, nous le voulons, nous le cherchons, nous le disons tous les jours dans le Notre Père : « Que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Que sa volonté soit faite ici-bas comme elle se fait dans le ciel, imaginez ce que ce serait si vraiment la volonté de Dieu était faite ici-bas comme elle est faite au ciel, mais ce serait un paradis que la terre ! Voilà le règne de Notre-Seigneur que nous recherchons, que nous voulons de toutes nos forces, même si nous n'y arriverons jamais, et parce que le Bon Dieu nous l'a demandé, même si nous devons verser notre sang pour ce règne, nous sommes prêts. Et ce sont ces prêtres que nous formons à Écône, des prêtres qui ont la foi catholique, des prêtres comme on en a formé toujours.
235:206
Est-ce que vous ne pensez pas que c'est une chose inconcevable, incroyable, que, pour prendre mon exemple, comme le vôtre : j'ai bientôt cinquante ans de sacerdoce et trente ans d'épiscopat, par conséquent, j'étais déjà évêque bien avant le concile, j'étais déjà prêtre avant le concile, on m'a donné dans ma carrière sacerdotale et épiscopale la charge de former des prêtres, au début, quand je suis parti en mission au Gabon, j'ai été nommé au séminaire du Gabon, en Afrique équatoriale, et j'ai formé des prêtres, et de ces prêtres, même, est sorti un évêque, et puis, on m'a fait revenir en France, on m'a encore chargé de former des séminaristes dans le séminaire de Mortain chez les pères du Saint-Esprit, puis je suis reparti comme évêque à Dakar, au Sénégal, je me suis encore attaché à former de bons prêtres dont deux sont évêques, et l'un vient d'être nommé cardinal ; et quand j'étais à Mortain en France, j'ai formé des séminaristes dont un est maintenant évêque de Cayenne, j'ai donc parmi mes élèves quatre évêques dont un cardinal. Je forme mes séminaristes d'Écône exactement comme j'ai toujours formé mes séminaristes pendant trente ans, et voici que tout à coup nous sommes condamnés, presque excommuniés, rejetés de l'Église catholique, en désobéissance avec l'Église catholique, parce que j'ai fait la même chose que ce que j'ai fait pendant trente ans. Quelque chose s'est passé dans la sainte Église, ce n'est pas possible, je n'ai pas changé d'un iota la formation de mes séminaristes ; au contraire, j'y ai plutôt ajouté une spiritualité plus profonde, plus forte, parce qu'il me semblait qu'il manquait une certaine formation spirituelle aux jeunes prêtres, précisément parce que beaucoup ont abandonné le sacerdoce, beaucoup hélas ont donné un scandale invraisemblable au monde en abandonnant le sacerdoce, alors il m'a semblé qu'il fallait donner à ces prêtres une formation spirituelle plus profonde, plus forte, courageuse, pour leur permettre d'affronter les difficultés ([^53])... Par conséquent quelque chose s'est passé dans l'Église : l'Église depuis le concile, et déjà un peu avant le concile, à travers le concile, à travers les réformes, a voulu prendre une nouvelle orientation, a voulu avoir ses nouveaux prêtres, a voulu avoir son nouveau sacerdoce, un nouveau type de prêtres, comme on a dit, elle a voulu avoir un nouveau sacrifice de la messe, ou disons plutôt une nouvelle eucharistie, elle a voulu avoir un nouveau catéchisme, elle a voulu avoir de nouveaux séminaires, elle a voulu réformer ses congrégations religieuses.
236:206
Où en sommes-nous maintenant ? Il y a quelques jours, je lisais dans un journal allemand qu'il y avait, depuis quelques années, trois millions de catholiques qui pratiquent en moins, dans l'Allemagne. Le cardinal Marty lui-même, lui qui nous condamne aussi, le cardinal Marty, archevêque de Paris, a dit lui-même qu'il y avait cinquante pour cent de pratique en moins dans son diocèse depuis le concile.
Qui dira que les fruits de ce concile sont des fruits merveilleux de sainteté, de ferveur, d'augmentation de l'Église catholique ?
On a voulu embrasser les erreurs du monde, on a voulu embrasser les erreurs qui nous viennent du libéralisme, et qui nous viennent, hélas, il faut le dire, de ceux qui ont vécu ici il y a quatre siècles, de ces réformateurs qui ont diffusé les idées libérales à travers le monde, et ces idées ont enfin pénétré à l'intérieur de l'Église. Ce monstre qui est à l'intérieur de l'Église, il faudra bien qu'il disparaisse pour que l'Église retrouve sa propre nature, sa propre authenticité, sa propre identité, et c'est ce que nous essayons de faire, et c'est pourquoi nous continuons, et nous ne voulons pas être des démolisseurs de l'Église. Si nous arrêtons, nous aurons la certitude, la conviction que nous détruisons l'Église, comme sont en train de la détruire ceux qui sont pétris de cette idée fausse, aussi nous voulons continuer la construction de l'Église, et nous ne pouvons pas mieux faire pour construire l'Église que de faire ces prêtres, ces jeunes prêtres, et que la grâce du Bon Dieu fasse qu'ils soient de saints prêtres ! qu'ils montrent toujours l'exemple d'une foi catholique profonde, d'une charité immense. Je crois pouvoir dire que c'est nous qui avons la véritable charité envers les protestants, envers tous ceux qui n'ont pas notre foi. Si nous croyons en notre foi catholique, si nous sommes persuadés que le Bon Dieu a vraiment donné ses grâces à l'Église catholique, nous avons le désir de partager nos richesses avec nos amis, les leur donner ; si nous sommes persuadés que nous avons la vérité, nous devons nous efforcer de faire comprendre que cette vérité peut faire du bien aussi à nos amis.
237:206
C'est manquer de charité que de voiler sa vérité, que de voiler les richesses que l'on a à soi et de ne pas en faire profiter ceux qui ne l'ont pas. Pourquoi les missions, pourquoi partir dans ces pays éloignés pour aller convertir les âmes, sinon parce qu'on a la conviction qu'on a la vérité, qu'on veut faire partager les grâces que nous avons reçues à ceux qui ne les ont pas encore reçues. C'est bien Notre-Seigneur qui a dit : « Allez et enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Celui qui croira sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. » Voilà ce que Notre-Seigneur a dit. Forts de ces paroles, nous continuons notre apostolat, nous ne voulons pas arrêter notre apostolat, et nous nous confions dans la Providence : il n'est pas possible que cette situation de l'Église demeure indéfiniment.
Ce matin dans les leçons que nous fait lire la sainte Église, nous lisions l'histoire de Goliath et de David, et je pensais en moi-même : Est-ce que nous ne serions pas le petit David avec sa fronde et ces quelques pierres qu'il est allé chercher dans le torrent pour abattre ce Goliath revêtu d'une armure extraordinaire, avec une épée capable de trancher en deux son ennemi ? Eh bien, qui sait si Écône n'est pas cette petite pierre qui finira par détruire ce Goliath qui croit en lui-même, tandis que David a cru en Dieu, il a invoqué son Dieu avant d'attaquer Goliath, et c'est ce que nous faisons, nous sommes pleins de confiance dans le Bon Dieu, nous prions Dieu de nous aider à abattre ce géant qui croit en lui, qui croit en son armure, qui croit en sa musculature, qui croit en ses armes, c'est-à-dire ces hommes qui croient en eux-mêmes, qui croient en leur science, qui croient que par des moyens humains nous arriverons à convertir le monde... Mais nous, nous mettons notre confiance en Dieu, et nous espérons que ce Goliath qui a pénétré à l'intérieur de l'Église sera un jour abattu, et que l'Église retrouvera vraiment son authenticité, sa vérité telle qu'elle l'a toujours eue, oh ! elle l'a toujours, l'Église, elle ne veut pas périr, et nous espérons, justement, concourir à cette vitalité de l'Église et à cette continuité de l'Église, et je suis bien persuadé que ces jeunes prêtres continueront l'Église,
238:206
c'est ce que nous leur demandons de faire, et nous sommes persuadés qu'avec la grâce du Bon Dieu, et avec le secours de la Très Sainte Vierge Marie, la mère du sacerdoce, ils y arriveront.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
239:206
### 31. -- Lettre du cardinal Baggio
*6 juillet 1976*
Le cardinal Sebastiano Baggio est l'une des personnalités les plus suspectes du Vatican actuel. ([^54])
Il est préfet de la congrégation romaine chargée des évêques : c'est en cette qualité, et par ordre de Paul VI, qu'il écrit cette lettre officielle, sous le numéro 514/77.
Monseigneur,
C'est le saint-père qui me charge de vous adresser cette lettre. Elle veut être avant tout, de la part de Sa Sainteté et au nom de Jésus-Christ, une nouvelle expression du très vif désir, et de l'ardente espérance éprouvée depuis déjà bien longtemps, de vous voir enfin, après une reprise de conscience épiscopale et ecclésiale, revenir sur vos pas et rétablir cette communion que, par votre attitude, vous venez encore de briser plus ouvertement, et précisément en la fête des saints Apôtres Pierre et Paul.
Je ne veux pas toucher ici la question de la non observation des conditions auxquelles doit se tenir un évêque qui procède à l'ordination de sujets qui ne sont pas les siens, non observation pour laquelle le code de droit canonique prévoit lui-même, aux canons 2373, 2374 et 985, n. 7, les sanctions opportunes.
240:206
Il m'incombe par contre, en exécution d'une charge venue de plus haut, de constater que, en passant outre à l'interdiction expresse du saint-père, clairement et légitimement manifestée dans les documents des 12 et 25 juin dernier et avec des interventions fraternelles de personnes qualifiées, vous avez publiquement désobéi à cette interdiction en procédant à l'ordination de plusieurs prêtres et de quelques « sous-diacres » ([^55]).
Aussi, par la présente monition, je vous conjure de changer d'attitude, de demander humblement pardon au saint-père, et de réparer le dommage spirituel infligé aux jeunes ordonnés et le scandale causé au peuple de Dieu.
Je nourris la confiance que vous ne refuserez pas de saisir la main que Sa Sainteté vous tend encore une fois ([^56]).
Si pourtant l'invitation devait s'avérer vaine et si une preuve de résipiscence ne parvenait pas à cette congrégation dans le délai de 10 jours qui suivra le moment où vous recevrez ma lettre ([^57]), il faut que vous sachiez que, en se fondant sur un mandat spécial du souverain pontife, il sera du devoir de ce Dicastère de procéder à votre égard en vous infligeant les peines qui s'imposent, conformément au canon 2331, § 1 ([^58]).
241:206
Je vous prie de croire que c'est avec une grande souffrance que j'ai écrit cette lettre à un confrère dans l'épiscopat, et je vous assure, Monseigneur, de mon respectueux dévouement en N.-S.
Sebastiano card. Baggio.
préfet
242:206
### 32. -- Note préliminaire de Mgr Lefebvre
*12 juillet 1976*
Le 12 juillet 1976, Mgr Lefebvre rend publique, en la communiquant à l'Agence France-Presse, sa troisième lettre à Paul VI (lettre du 22 juin 1976). Il fait précéder cette communication d'une « note préliminaire ».
La lettre qui suit ([^59]) est la troisième du même genre adressée au saint-père depuis un an. Elle lui a été remise par l'intermédiaire de la nonciature de Berne à qui elle était envoyée le 22 juin en réponse à la lettre de S.E. Mgr Benelli que le nonce de Berne me communiquait le 17 juin. Cette lettre du 17 juin ([^60]) m'interdisait de procéder aux ordinations du 29 juin.
Le dimanche 27 juin, un envoyé spécial de la secrétairerie d'État venait me rejoindre à Flavigny-sur-Ozerain en France, alors que je prêchais la retraite aux ordinands. La lettre qu'il me portait de S.E. Mgr Benelli ([^61]) se donnait pour une réponse à la lettre ci-jointe.
243:206
Elle confirme l'interdiction des ordinations et les menaces de sanction, elle ne fait aucune allusion à la possibilité d'un dialogue même par personne entremise.
Ainsi il apparaît impossible d'aborder le problème de fond, qui est l'accord de *l'Église conciliaire,* comme l'appelle S.E. Mgr Benelli lui-même dans sa dernière lettre, et de *l'Église catholique.*
Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas d'un différend entre Mgr Lefebvre et le pape Paul VI. Il s'agit de l'incompatibilité radicale entre *l'Église catholique* et *l'Église conciliaire,* la messe de Paul VI représentant le symbole et le programme de *l'Église conciliaire.*
Marcel Lefebvre.
244:206
### 33. -- Lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI
*17 juillet 1976*
C'est la quatrième lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI ; c'est la première où Mgr Lefebvre « aborde le problème de fond », les trois lettres précédentes ne faisant en substance que demander à être entendu.
Lettre d'une extrême densité : elle dit en résumé tout ce que Mgr Lefebvre aurait dit à Paul VI si Paul VI n'avait, depuis des années, systématiquement refusé de le recevoir et de l'entendre.
Très Saint Père,
Tous les accès permettant de parvenir jusqu'à Votre Sainteté m'étant interdits, que Dieu fasse que cette lettre La rejoigne pour Lui exprimer nos sentiments de profonde vénération, et par la même occasion Lui formuler avec une prière instante l'objet de nos désirs les plus ardents qui, hélas ! semblent être sujet à litige entre le Saint-Siège et de nombreux catholiques fidèles :
245:206
Très Saint Père, daignez manifester votre volonté de voir s'étendre le Règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ en ce monde, en restaurant le Droit public de l'Église,
en rendant à la Liturgie toute sa valeur dogmatique et son expression hiérarchique, selon le rite latin romain consacré par tant de siècles d'usage,
en remettant en honneur la Vulgate,
en redonnant aux catéchismes leur vrai modèle, celui du concile de Trente.
Ce faisant, Votre Sainteté restaurera le sacerdoce catholique et le Règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur les personnes, sur les familles et sur les sociétés civiles.
Elle rendra leur juste conception aux idées falsifiées devenues les idoles de l'homme moderne : la liberté, l'égalité, la fraternité, la démocratie, à l'exemple de ses Prédécesseurs.
Que Votre Sainteté abandonne cette néfaste entreprise de compromission avec les idées de l'homme moderne, entreprise qui tire son origine d'une entente secrète entre de hauts dignitaires de l'Église et ceux des loges maçonniques, dès avant le concile.
246:206
Persévérer dans cette orientation, c'est poursuivre la destruction de l'Église. Votre Sainteté comprendra aisément que nous ne pouvons collaborer à un si funeste dessein, ce que nous ferions si nous consentions à fermer nos séminaires. Que l'Esprit Saint daigne donner à Votre Sainteté les grâces du don de force, afin qu'Elle manifeste par des actes non équivoques qu'Elle est vraiment et authentiquement le Successeur de Pierre proclamant qu'il n'y a de salut qu'en Jésus-Christ et en son épouse mystique, la sainte Église catholique et romaine.
Et que Dieu...
Marcel Lefebvre.
247:206
### Conclusion de la seconde phase
*De juin 1975 à juillet 1976, cette seconde phase a été celle de l'intervention personnelle de Paul VI* ([^62])*. Intervention désastreuse, dévoilant qu'il était engagé* à *fond : jusque là le pire n'était pas absolument sûr.*
*Paul VI a repris à son compte et, en bloc, couvert de son* «* autorité suprême *» *tout ce quai avait été fait en son nom : les injustices commises contre Mgr Lefebvre, mais aussi l'interdiction de la messe traditionnelle et l'obligation de se soumettre à l'évolution conciliaire telle qu'elle est en fait.*
*D'autre part Paul VI n'a voulu prêter aucune attention aux quatre lettres de Mgr Lefebvre. Il a précisé que si, depuis des années, il refuse de le recevoir et de l'entendre, ce n'est pas l'effet d'une intrigue de secrétariat ou d'antichambre, mais bien le résultat de sa propre décision. Que Mgr Lefebvre demande justice au pape* (*lettre du 31 mai 1975*) *ou qu'il s'offre à un dialogue* (*lettre du 22 juin 1976*)*, Paul VI ne repousse même pas ses requêtes, il fait mine de ne pas les avoir aperçues. Il exige avant toute chose qu'on lui demande pardon et que l'on se soumette inconditionnellement.*
248:206
*Les conditions fixées à la soumission de Mgr Lefebvre sont en vérité des conditions serviles. Le* « *plein attachement* » *à la* « *totalité de l'enseignement *» *de Paul VI est une exigence exorbitante, notamment en raison des circonstances : la personne du pontife, ses attitudes suspectes et le caractère singulier des opinions qu'il enseigne.*
*Mais la raison de tout, c'est finalement ce que Mgr Lefebvre appelle* « *l'incompatibilité, radicale entre l'Église catholique et l'Église conciliaire *»*.*
*Cette incompatibilité démasquée et mise en lumière, les conséquences suivent.*
J. M.
249:206
**La troisième phase**
*Tout l'essentiel a maintenant été dit. Par Paul VI dans son discours au consistoire du 24 mai. Par Mgr Lefebvre dans sa lettre à Paul VI du 17 juillet.*
*Désormais, contre Mgr Lefebvre, c'est le temps des injures et des coups.*
\*\*\*
*Assurément, injures et coups avaient commencé avant juillet 1976. Déjà dans sa troisième lettre à Paul VI, le 22 juin, Mgr Lefebvre notait* « *la cruauté des coups qui ne cessent de nous frapper *»*.*
*Mais à partir du mois de juillet, la guerre n'est plus ni masquée ni freinée. La faction qui tient l'Église, militante sous le joug de son occupation étrangère veut une victoire rapide. Elle a besoin d'écraser sans retard toute résistance catholique. Elle s'applique à organiser systématiquement l'intimidation, à intensifier la persécution administrative, à installer la terreur psychologique. Si elle n'y réussit pas, il ne lui restera qu'à favoriser plus activement l'arrivée de gouvernements à participation communiste qui lui tiendront lieu, pour la répression des fidèles, de bras temporel.*
250:206
### 34. -- Les premiers refus de juridiction
*Successivement, et dans les mêmes termes :*
*Mgr Mamie à l'abbé Denis Roch, le 30 juin 1976 :* Je vous refuse le pouvoir qui vous est nécessaire pour donner validement l'absolution des péchés (canon 872), pouvoir qui ne peut vous être accordé que par l'Ordinaire du lieu (canon 874).
*Le père Marty, cardinal-archevêque de Paris, au sujet de Mgr Lefebvre et de ses prêtres, le 3 juillet 1976 :* Je leur refuse la juridiction indispensable à la validité du sacrement de pénitence.
*Mgr Lallïer, évêque de Besançon, au sujet de l'abbé Patrick Michaud, le 11 juillet 1976 :* Je lui refuse la juridiction indispensable à la validité du sacrement de pénitence.
*Faisant du zèle, le zélé Mgr Puech, évêque de Carcassonne, persécuteur des religieuses dominicaines enseignantes de Fanjeaux, étend la privation de juridiction à tout prêtre, d'Écône ou d'ailleurs, qui célèbre la messe traditionnelle* (*8 juillet 1976*) : Chaque évêque de France ou de Belgique accorde habituellement pouvoir de confesser dans son diocèse à tout prêtre, pourvu que celui-ci jouisse déjà de ce pouvoir dans un autre diocèse. Cette disposition ne s'applique plus désormais pour tout prêtre célébrant dans le diocèse de Carcassonne, sans l'autorisation de l'évêque du lieu, la messe selon l'ancien rite dit de saint Pie V : privé de la juridiction indispensable à la validité du sacrement de pénitence, ce prêtre ne peut donc entendre les confessions.
251:206
### 35. -- Communiqué de Mgr Mamie
*30 juin 1976*
*Sauf nécessité de documentation matérielle, à partir de ce communiqué nous ne publions plus les textes de Mgr Mamie.*
*Son communiqué du 30 juin déclare en effet :*
« Personne désormais ne peut plus suivre de bonne foi Mgr Lefebvre. »
*L'insulteur Mamie a pourtant une excuse, non absolutoire, mais peut-être atténuante, espérons-le pour lui.*
*En s'abaissant ainsi jusqu'à l'injure, et l'injure bête, il ne fait en somme que suivre l'exemple du discours consistorial du 24 mai, qui a déclaré sans âme, sans sincérité et sans bonne foi Mgr Lefebvre et ses amis* (*ci-dessus document n° 23*)*.*
252:206
### 36. -- Déclaration de la salle de presse
*1^er^ juillet 1976*
*Le P. Romeo Panciroli, porte-parole de la salle de presse da Saint-Siège, a déclaré le 1^er^ juillet* (*déclaration publiée le 8 juillet dans le bulletin diocésain de Mgr Mamie et reproduite dans la* « *Documentation catholique *» *du 1^er^ août*) :
Selon des informations parvenues de Suisse, Mgr Marcel Lefebvre a effectivement procédé à l'ordination d'un certain nombre de prêtres et de diacres. Selon ces mêmes informations, les candidats seraient dépourvus de lettres dimissoriales de leur Ordinaire ou d'un titre canonique valide.
Dans ce cas, s'appliquent les normes suivantes du Code de droit canonique :
1\. Mgr Lefebvre a encouru automatiquement la suspension pour un an de la collation des ordres, suspension réservée au siège apostolique. (Il en est de même pour les précédentes ordinations qui auraient pu avoir lieu dans les mêmes conditions, avec la circonstance aggravante, dans ce cas, de l'irrégularité liée à une récidive.) Cette suspension s'ajoute à l'interdiction de conférer les ordres prononcée par le saint-père et transgressée par Mgr Lefebvre, mais évidemment toujours valide et active.
253:206
2\. Ceux qui ont été ordonnés sont ipso facto (automatiquement) suspendus de l'ordre reçu et s'ils l'exerçaient seraient dans une situation irrégulière et délictueuse. Les prêtres qui auraient été déjà suspendus pour une précédente promotion irrégulière au diaconat pourraient être punis avec des peines sévères selon les circonstances, en plus du fait de s'être mis dans une situation irrégulière.
3\. Le Saint-Siège examine le cas particulier de la désobéissance formelle de Mgr Lefebvre aux instructions du saint-père qui, par des documents des 12 et 25 juin 1976, lui interdisait expressément de procéder aux ordinations. Même des interventions fraternelles ces derniers jours, mises en œuvre par le saint-père pour faire renoncer Mgr Lefebvre à son projet, n'ont pu empêcher que cette interdiction fût violée.
254:206
### 37. -- Mise au point de "L'Osservatore romano"
*18 juillet 1976*
*Selon les us et coutumes du Vatican, cette note anonyme en page 2 de* « *L'Osservatore romano *» *est une mise au point officieuse, sous le titre :* « *Una doverosa messa a punto *». *Nous suivons la traduction française de la* « *Documentation catholique *»*.*
A propos des récents développements de l'affaire d'Écône, nous avons lu dans la presse que Mgr Marcel Lefebvre risquerait l'excommunication « parce qu'il dit la messe en latin » (sic !). Il s'agit là d'une information tendancieuse et si éloignée de la vérité qu'elle nécessite une mise au point précise.
Sans vouloir traiter à fond la question -- qui va bien plus loin que le problème liturgique, comme l'a dit le saint-père dans son allocution au consistoire, le 24 mai dernier --, il nous faut rappeler que la controverse ne porte nullement sur le latin ni même uniquement sur le rite en lui-même, c'est-à-dire sur l'*Ordo Missae* qui, rénové dans son texte latin, conformément aux indications du II^e^ concile du Vatican, a été successivement traduit dans les différentes langues. Il s'agit de bien autre chose, et beaucoup plus grave : outre le refus d'adopter cet *Ordo,* après sa promulgation régulière et après les opportunes prescriptions publiées à ce sujet par la congrégation romaine compétente, il y a toute une ligne d'orientation et d'action, exprimée dans des convictions et dans des actes, qui représente une opposition constante au magistère du concile et une méconnaissance pratique de l'autorité de Paul VI et de son enseignement.
255:206
Il ne s'agit pas d'opposition à ce qui est nouveau au nom de la saine et authentique Tradition de l'Église -- non seulement celle-ci conserve toute sa valeur, mais c'est en son nom que le même pape a demandé à cette occasion « à tous les fils de l'Église, à toutes les communautés de l'Église, de célébrer avec dignité et ferveur la liturgie rénovée » --, il s'agit d'une opposition au nom d'un mauvais traditionalisme qui est passif, aveuglément fermé -- dirait-on -- aux ferments, aux besoins, aux aspirations qui, de même qu'elles correspondent mieux au climat de notre siècle, reflètent les pulsions innovatrices de ce corps vivant qu'est l'Église catholique ([^63]).
Mais il y a plus. Du plan doctrinal, le conflit s'est fatalement étendu au plan disciplinaire ([^64]). Et ici, la désobéissance de l'évêque a entraîné celle de ses disciples, prêtres et fidèles. Cela est d'autant plus triste que sont publiquement connus, du moins en partie, les efforts réitérés du Saint-Siège ainsi que les nombreuses interventions personnelles et paternelles du souverain pontife pour que cet évêque et ses disciples renoncent à une attitude obstinée qui s'oppose à la toujours nécessaire communion ecclésiale ([^65]).
256:206
S'il n'est pas possible ici de retracer toutes les étapes de cette pénible et vieille affaire, nous pensons qu'il est opportun de citer des passages d'une déclaration publique faite par la conférence épiscopale de Suisse, pays où Mgr Lefebvre a créé ses « fondations » et où il œuvre toujours. Au terme de leur assemblée plénière qui s'est tenue à Einsiedeln du 5 au 7 juillet, les évêques suisses écrivent qu'ils « ont suivi avec une préoccupation croissante les événements d'Écône. Le fondateur d'Écône, Mgr Marcel Lefebvre, a manifesté, d'une manière toujours plus nette, son opposition ouverte au II^e^ concile du Vatican et à l'autorité suprême de l'Église ». Ils rappellent que, « malheureusement, toutes les tentatives (de conciliation) ont été vaines. En effet, Mgr Lefebvre a transgressé, toujours plus, certaines normes fondamentales de l'Église. Les ordinations illicites du 29 juin sont l'expression d'une résistance ouverte contre le pape et l'Église ».
Les évêques font ensuite remarquer très justement que « celui qui, en toute liberté, veut être membre de l'Église catholique romaine, ne peut pas se situer sciemment en opposition avec la foi et la discipline de cette Église et se soustraire à l'autorité du concile et du pape ». Ils ajoutent qu'en refusant manifestement d'obéir à l'autorité suprême de l'Église, on se retranche de soi-même de la communion de l'Église.
Ces remarques rapides sont plus que suffisantes, nous semble-t-il, pour faire au moins entrevoir la dimension et la gravité qu'ont prises -- certainement pas par la faute de l'autorité -- les événements d'Écône. Elles permettent aussi de réfuter certaines affirmations hâtives et superficielles de journalistes.
257:206
### 38. -- Un article de la CRC
*juillet 1976*
*L'article le plus violent et le plus injurieux contre Mgr Lefebvre est malheureusement celui de la* « *Contre-réforme catholique *» (*CRC*)*, numéro 107 paru au début de la seconde quinzaine de juillet.*
*Venant de ce côté, au moment où Mgr Lefebvre est aux prises avec le parti ennemi, cette agression est une sorte de coup de poignard dans le dos.*
*On aurait voulu espérer que si la CRC estimait indispensable de critiquer publiquement Mgr Lefebvre en un pareil moment, elle l'aurait fait avec bienveillance ; ou au moins avec respect ; ou au moins avec modération. Elle y a mis au contraire une ardeur sauvage et une démesure que l'on n'avait pas encore vues.*
*Au mois de juillet personne, pas même au Vatican, n'osait accuser Mgr Lefebvre d'être* « *schismatique *»*.*
*C'est la CRC qui lance l'accusation de* « *schisme *»* : elle sera reprise les jours suivants par la presse libérale, maçonnique et moderniste. Puisque l'origine d'une telle accusation est dans cet article de la CRC, nous le reproduisons intégralement, afin que l'on en puisse connaître l'argumentation.*
258:206
L'Église est Unique, Sainte, Catholique et Apostolique. Je le crois sur la Parole de Dieu, d'une certitude absolue, pour la vie, comme si je voyais l'invisible, par une nuit obscure. Parler, agir à l'encontre, ou même désirer que les choses soient autres, constituerait pour nous une faute, un péché contre l'Église et donc contre le Christ-Dieu, car celui qui blesse l'Épouse atteint du même coup l'Époux. Et cela, aucun prétexte d'amitié ou d'intérêt ne le permet.
Il est contraire à la foi catholique, insultant à la Parole de Dieu, tenant pour vaines ses Promesses, de déclarer : « IL Y A DEUX ÉGLISES » ([^66]). Où voyez-vous deux Églises ? L'Église de Rome, Église historique, hiérarchique, visible, répandue par toute la terre, et... ? et quoi ? et qui ? ([^67]) Ce qui se prétendrait ou qu'on montrerait comme l'Autre Église serait une nouvelle, particulière, et donc une fausse Église, comme Saint Augustin le démontrait déjà aux Donatistes.
259:206
Pour les donatistes d'aujourd'hui ([^68]), la malice de dire qu'il y a deux Églises n'est qu'une manière captieuse, transitoire, d'assurer le passage de l'ancienne et universelle Église à la nouvelle et particulière dont on nous dit qu'elle est aussi vraie, aussi fidèle, en attendant de proclamer qu'en définitive elle demeure la seule Église, seule fidèle, seule sainte, l'Église de Rome n'étant plus rien ([^69]).
Beau travail de schisme assurément que les Modernistes se sont toujours gardés de commettre, préférant investir, envahir, dominer, posséder toute à eux l'Unique et Éternelle Église Romaine sans jamais rompre avec elle ni consentir à en sortir, à vivre à part ! Qui en sort témoigne de son peu de foi et dans la solitude périra.
260:206
Ce que j'ai répété inlassablement depuis vingt ans avec une sorte d'esprit de prévision dont des textes réédités sans cesse, datés, inchangés, témoignent assurément, c'est qu'il y a depuis près d'un siècle un grand combat apocalyptique : DEUX RELIGIONS SE BATTENT DANS L'UNIQUE ÉGLISE ([^70]), se disputant l'intelligence et le cœur des clercs pour escalader la Hiérarchie et atteindre au Pouvoir Suprême, conciliaire, conclaviste, enfin Pontifical, et ainsi se répandre sans obstacle dans tout le peuple fidèle. Ici, la religion de l'Antichrist et son culte de l'Homme, là notre religion chrétienne et son culte de Dieu Seul. L'ancienne et parfaite Religion révélée est aux prises avec la nouvelle religion inventée par les hommes, qui en est la ressemblance blasphématoire. Mais -- et c'est la doctrine fondamentale de notre LIGUE DE CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE -- nous savons que ce cancer qui ronge les cellules et atteint aujourd'hui les organes vitaux du grand Corps catholique ne l'emportera pas ([^71]), que l'organisme luttera, que son Âme incréée, l'Esprit Saint, et son âme créée, la divine Hiérarchie, lui insuffleront de telles énergies, une telle vitalité que, si grands que soient les dégâts individuels, hélas ! si effroyable que soit la grande Apostasie des Princes et des Prêtres, le cancer moderniste-progressiste sera enfin réduit, vaincu, excisé, et l'Église vivra, de nouveau resplendissante de pureté, sanctifiée dans sa Tête et fortifiée dans ses membres, au jour tant espéré de la Paix de l'Église.
261:206
D'où nos vingt ans de bataille, mes dix ans de suspense dans le diocèse de Troyes, la disqualification romaine de 1969... Nous avons suivi les progrès du mal pour le dénoncer et le poursuivre partout où il se fixait ce furent notre critique et notre refus des Actes du Concile pour le poison qu'ils recèlent, nos accusations contre le Pape Paul VI, mon Procès au Saint-Office, en mai 68, où d'accusé je me fis accusateur, notre démarche à Rome même, avec les soixante délégués des 5.000 de la LÉGION ROMAINE, pour remettre au Pape notre LIVRE D'ACCUSATION... Si tous alors s'étaient joints à nous ([^72]) dans notre plainte au Pape au sujet de notre frère dans la foi Paul VI, nous l'aurions emporté sur « l'hérésie, le schisme et le scandale » ainsi dénoncés. Mais on nous a laissés seuls ([^73]). Notre opposition continue, trop mince, trop faible participation à la lutte de la Religion contre l'Hérésie au sein d'une même et unique Église dont le Chef est Paul VI, Homo duplex.
Nous sommes frappés, disqualifiés, diffamés, mais toujours dans l'Église. Et membres de l'Église de toute notre foi, volonté, religion, en communion de charité avec les Pasteurs et les fidèles qui veulent bien nous accepter pour frères.
262:206
Pour notre part, nous n'en avons exclu aucun, non pas même l'Homme d'Iniquité. Si l'Adversaire devenu maître de l'Unique Église parvenait à nous excommunier, nous persisterions à ne vouloir jamais appartenir qu'à elle seule et demeurerions sous le porche, sur le seuil, attendant que le Clavigère Sacré nous en rouvre les portes. Mais sans aller ailleurs, bâtir église contre Église, autel contre Autel ([^74]).
Monseigneur Lefebvre m'a écrit, le 19 mars 1975, une lettre publique dont l'essentiel tenait en ceci, qui a été indéfiniment cité par la presse : « *Sachez que si un Évêque rompt avec Rome ce ne sera pas moi *» (*Un Évêque parle,* édit. 1976, p. 273). Je ne le lui demandais pas ! ([^75]) Et c'est pourtant ce qu'il faisait, lancé sur la pente fatale.
263:206
Celui qui s'est montré indiscutablement le champion de la vraie Religion au Concile, le Premier de la Minorité valeureuse, a choisi depuis 1971 une tout autre attitude que celle de la Contre-Réforme Catholique. D'accord en tout sur le fond, sur la nocivité du Concile, sur l'hérésie du Pape, il a procédé de manière différente ([^76]). Son idée fut de *ne pas heurter de front le Pape* mais de le supposer de notre parti, de *ne pas refuser ouvertement le Concile* mais de le tirer à nous en le distinguant du para-concile et de l'après-concile... Ainsi, *de sauver l'Église en instituant à côté de l'Église officielle plus ou moins gangrenée par l'hérésie, une Église officieuse, discrète, humble, silencieuse, Église fidèle qui maintiendrait la Tradition dans les traditions qui en sont le véhicule ordinaire.* Alors, sans éclats, s'organiserait une Église de suppléance, véritablement catholique et de rite latin inchangé, au sein de l'Église réformée moderniste ([^77]).
L'idée fut reçue avec faveur, avec ferveur, par les traditionalistes de toutes nuances, par la majorité même, à mon corps défendant, des membres de notre Ligue CRC ([^78]).
264:206
C'est dans cette perspective que Mgr Lefebvre fonda la *Fraternité Sacerdotale Saint Pie X* ([^79]) et ouvrit le séminaire d'Écône en 1970, avec des autorisations canoniques qui lui furent machiavéliquement attardées, parfois oralement, temporaires, parcimonieuses, donc révocables et combien périlleuses ! C'était évidemment un piège, un traquenard qui se refermerait, le jour où Paul VI le déciderait, sur ceux qui s'y seraient engagés de confiance.
C'est dans cette même idée que de tous côtés se formèrent des *Associations cultuelles,* gérées de manière autonome et souvent par les laïcs eux-mêmes, pour prier et vivre en paix, à part de l'*Église officielle,* dans la vraie foi et selon le vrai culte immuable, grâce à de vrais prêtres, éprouvés, purs de toute compromission. Ainsi espérait-on survivre, s'étendre et même un jour regagner le peuple fidèle, enfin succéder à l'autre Église ([^80]) en voie de décomposition postconciliaire.
265:206
Le processus des deux Églises parallèles, concurrentes, inconciliables ([^81]), était lancé, sous la fiction transparente de la soumission au Pape, de l'amour et de la vénération pour sa Personne, prisonnière de son entourage ou de son personnage. Ce processus, les passions l'accélérèrent. Pour rehausser l'utilité, et bien plus, la nécessité vitale de cette Église parallèle ([^82]), on accentua la défiance des fidèles envers la *nouvelle Messe,* jusqu'à la déclarer douteuse, injurieuse à Dieu, sacrilège, le plus souvent voire nécessairement invalide et donc idolâtrique ([^83]). On fit de même à propos de la *Confirmation* dont le nouveau rite fut déclaré invalide dès lors qu'on y employait pour matière une autre huile que l'huile d'olive, ou qu'on usait de la nouvelle formule imposée par Rome mais jugée insuffisante à la détermination du Sacrement. Ainsi, pas à pas, la VIE paraissait se retirer de l'Église Officielle postconciliaire et se concentrer dans cette Église des Catacombes, des non-jureurs, autre Église !
266:206
Il est vrai que tout y poussait, avec un véritable esprit de provocation du côté de l'Église officielle. Les exaspérantes innovations, les minuscules scandales quotidiens comme les énormes désordres de l'Établissement clérical, les rebuffades, les mépris furent autant de raisons montées en épingle de rabattre *les vrais catholiques* vers les seules *chapelles fidèles,* de plus en plus séparées.
Mgr Lefebvre, dans la mesure même où il épargnait la Tête, laissait retomber la responsabilité de cette scission sur tout le Corps : ces prêtres ralliés à la nouvelle Messe, ces Évêques opposés à Écône ! Avaient-ils donc la foi ? On commença de la leur dénier, pour conclure tout net qu'ils étaient sortis de l'Église et qu'ils en avaient alors perdu les Pouvoirs. Le jour viendrait où pareil soupçon atteindrait le Pape : n'aurait-il pas perdu la foi, lui aussi ? Ne serait-il pas déchu du Souverain Pontificat ? A-t-il même été régulièrement et validement élu ? N'était-il pas franc-maçon ? Cela expliquerait tout ! Ainsi se trouvait-on amené à évoquer certaine prophétie : « *Rome perdra la foi et deviendra le siège de l'Antéchrist *»* !* Il revenait aux intégristes la dure mission de continuer l'Église, tout simplement, grâce aux jeunes prêtres d'Écône qui assureraient la relève, sous la houlette de Monseigneur. On ne connut plus que lui ([^84]).
Comme il allait de ville en ville, d'Australie au Canada, pour faire connaître son œuvre et encourager les fidèles, on lui demanda les Sacrements. C'est alors qu'insouciant des Saints Canons de l'Église qu'il violait ([^85]), mais en toute tranquillité de conscience, il commença d'agir partout en Évêque sans l'autorisation de personne.
267:206
Et non seulement il confirmait mais il *reconfirmait* les enfants dont les parents doutaient que la Confirmation fût valide ! Il n'en fit pas mystère. Pour satisfaire au besoin des âmes, loi suprême ! Il envoya dès 1971 en Angleterre un prêtre ordonné par lui, qui depuis assure un ministère complet à la chapelle intégriste de Londres sans aucun mandat ni pouvoir de la Hiérarchie locale ni de Rome ! ([^86]) Et il se prépare à distribuer les nouveaux ordonnés du 29 juin dans des maisons achetées en divers points de France et du monde. Il leur conférera les Pouvoirs nécessaires... Il le fait, dit-il, dans la soumission au Pape, fidèle à l'Église de toujours, mais à l'encontre de la Discipline ecclésiastique rendue caduque par l'Apostasie universelle... in partibus infidelium !
Tant que Mgr Lefebvre jouissait des autorisations nécessaires, tant que des Évêques complaisants envoyaient des dimissoriales aux ordinands et que d'autres toléraient l'existence de chapelles sauvages dans leur diocèse, le schisme n'était pas avoué ni consommé ([^87]). Mais il fallait se boucher les yeux et les oreilles pour croire qu'il n'arriverait rien, pour ne pas voir qu'on allait à la catastrophe !
268:206
Dans le sein de l'Église vivait caché à Écône et se développait miraculeusement pour le salut des nations l'embryon d'une nouvelle Église, fille de l'autre, mais plus vraie, plus fidèle. Était-il possible qu'elle naisse et grandisse sans exciter la jalousie de l'Autre ? Quand Mgr Lefebvre commença d'ordonner en nombre diacres et prêtres au titre de sa seule obédience, Rome décida la fermeture d'Écône et l'éradication de l'Œuvre. On cria à l'avortement ! Mais, pour l'Église de Rome, Mère et Maîtresse de toutes les Églises, ce n'est pas une fille qui lui naissait là, ce n'était qu'une tumeur cancéreuse qu'il fallait exciser.
Puisque tout s'était fait apparemment avec une soumission sincère au Pape, dans l'obéissance et muni des autorisations requises, Paul VI retira les autorisations et ordonna au nom de l'obéissance que tout soit défait dans l'instant ! Restait à se soumettre en acceptant la dissolution de la Fraternité et la disparition d'Écône, laissant toute espérance. Ou s'opiniâtrer, continuer les ordinations, les envois en mission, les fondations d'Églises sans l'Église, hors de l'Église, bref, consommer et durcir le schisme ([^88]), comme l'enfant au risque de tuer sa mère doit sortir de son sein et rompre le cordon pour vivre sa vie ! A l'approche de l'orage, certains souhaitaient qu'il éclate, vite, pour que l'excommunication les libère de toute fiction paralysante, les dégage de Rome et leur permette enfin d'être à eux seuls l'Église !
269:206
Dès 1970 j'ai prévu, prévenu, que tout cela aboutirait à un effroyable et inéluctable gâchis ([^89]). Le traditionalisme en sortirait déshonoré, divisé, brisé, anéanti, ou pire, il s'enfoncerait dans la nuit du schisme en trahissant sa foi catholique en pure perte devant Dieu et devant les hommes. Aujourd'hui, je dis : quelle misère ! quel malheur !
Laissons Écône aux illusions dont il s'est nourri. Paul VI a conduit implacablement le jeu, il en a téléguidé tous les pions pour conduire le Traditionalisme, son seul ennemi, à sa condamnation et à sa perte définitive. Comme de Gaulle provoqua les barricades d'Alger pour casser la résistance à sa politique d'abandon ; l'Algérie perdue, la France ne s'en est pas relevée. C'est dans l'intérêt supérieur et souverain de *la Contre-Réforme Catholique* ([^90])*,* c'est-à-dire du combat contre le Modernisme satanique dans l'Église, en son sein et selon le Droit, dans la foi et dans le respect des Saints Canons, que je n'ai pas voulu, malgré les amitiés profondes, malgré la solidarité du combat, recommander ce « putsch » dont le destin m'épouvantait.
270:206
Comment Paul VI a brisé la résistance du seul Évêque qui lui tenait tête, en l'entraînant sur le terrain de l'illégalité où il pouvait le battre et le perdre, je le montrerai dans un mois. Mais, comme dit la sagesse populaire, il ne l'emportera pas en Paradis ! Parce que le voilà plus lié que jamais au PARTI DE L'HÉRÉSIE dont il a été contraint de se faire complice pour ce crime. Et parce que nous sommes encore là, nous que « la condamnation d'Écône » n'a pas atteints ([^91]), nous réclamons de nouveau et plus fort que jamais, CONTRE L'ARBITRAIRE DE PAUL VI SON ARBITRAGE, contre son sectarisme insensé la Justice infaillible de son Magistère sacré. Oui, plus que jamais, pour la Paix de l'Église, dans la Vérité sauvée et la Charité retrouvée, nous demandons : DEMAIN, VATICAN III *!*
271:206
### 39. -- La notification de la suspense a divinis
*22 juillet 1976*
*Lettre du secrétariat de la congrégation pour les évêques, toujours sous la référence 514/76.*
Monseigneur,
Le 6 juillet 1976 (Prot. N. 514/76), le cardinal Sebastiano Baggio vous adressait une monition formelle, aux termes de laquelle vous étiez averti que des peines canoniques vous seraient infligées, si une preuve de résipiscence ne parvenait pas à la congrégation pour les évêques dans le délai de dix jours qui suivrait la réception de la monition.
Attendu que :
-- d'une part, Mgr le nonce apostolique en Suisse atteste que vous avez eu communication, le 11 juillet de la monition formelle du cardinal préfet de cette congrégation, et que vous avez signé un accusé de réception en faisant foi ;
-- et que, d'autre part, le délai fixé de dix jours est à présent écoulé sans que la preuve de résipiscence espérée soit parvenue au siège de cette même congrégation ;
en exécution des instructions laissées par le cardinal Baggio, actuellement absent de Rome, j'ai référé à Sa Sainteté.
272:206
Le saint-père m'a confié qu'il avait reçu, de votre part, une lettre datée du 17 juillet. A ses yeux, elle ne saurait malheureusement être considérée, bien au contraire, comme satisfaisante ; je puis même vous dire qu'Il est très affligé de l'attitude manifestée envers Lui dans cet écrit.
Par conséquent, le souverain pontife Paul VI, en date du 22 juillet 1976 et conformément au canon 2227, § 1, en vertu duquel les peines pouvant être appliquées à un évêque lui sont expressément réservées, vous a infligé la *suspense* « *a divinis *» prévue au canon 2279, § 2, 2°, et a ordonné qu'elle prenne immédiatement effet.
Le soussigné secrétaire de la congrégation pour les évêques a reçu mandat de vous en donner notification par la présente lettre.
Mais c'est, vous le pensez bien, avec une grande douleur que le saint-père s'est résolu à prendre cette mesure disciplinaire, en raison du scandale causé dans le peuple chrétien par votre obstination, après tant d'essais fraternels pour vous détourner de l'impasse où vous vous engagez. Sa Sainteté garde toujours l'espérance que vous voudrez y réfléchir encore, et prie Notre-Seigneur de vous inspirer la décision de renouer au plus tôt votre communion avec Elle.
Fait à Rome, au siège de la congrégation pour les évêques, le 22 juillet 1976.
Signé : illisible.
273:206
### 40. -- Réflexions de Mgr Lefebvre sur la suspense a divinis
*29 juillet 1976*
*Circulaire manuscrite reprographiée, envoyée par Mgr Lefebvre à ses amis en réponse aux lettres reçues depuis l'annonce de la suspense a divinis.*
*Quelques réflexions\
à propos de la* «* suspense a divinis *»
Elle pose un problème grave et fera encore couler des flots d'encre, quand bien même je viendrais à disparaître de la scène de l'Église militante.
En quoi consiste-t-elle en réalité ? Elle me prive du droit inhérent au prêtre et à plus forte raison à l'évêque de célébrer la sainte messe, de conférer les sacrements et de prêcher dans les lieux consacrés, c'est-à-dire qu'il m'est interdit de célébrer la messe nouvelle, de conférer les sacrements nouveaux, de prêcher la nouvelle doctrine.
274:206
Ainsi, parce que je refuse précisément depuis leur institution ces nouveautés on m'interdit désormais officiellement de les utiliser. C'est parce que je refuse la nouvelle messe qu'on me prive de la dire. On peut par là deviner le peu de dommage que me cause cette suspense.
C'est une preuve de plus que cette nouvelle Église qu'ils ont désormais qualifiée eux-mêmes de « conciliaire » se détruit elle-même. C'est S. E. Mgr Benelli, dans sa lettre du 25 juin dernier, qui la désigne ainsi : parlant des séminaristes il écrit : « Il n'y a rien de désespérant dans leur cas : s'ils sont de bonne volonté et sérieusement préparés à un ministère presbytéral dans la fidélité véritable à l'Église conciliaire, on se chargera ensuite de trouver la meilleure solution pour eux, mais qu'ils commencent d'abord, eux aussi, par cet acte d'obéissance à l'Église. »
Quoi de plus clair ! Désormais c'est à l'Église conciliaire qu'il faut obéir et être fidèle, et non plus à l'Église catholique. C'est précisément tout notre problème. Nous sommes « suspens a divinis » par l'Église conciliaire et pour l'Église conciliaire, dont nous ne voulons pas faire partie.
Cette Église conciliaire est une Église schismatique, parce qu'elle rompt avec l'Église catholique de toujours. Elle a ses nouveaux dogmes, son nouveau sacerdoce, ses nouvelles institutions, son nouveau culte, déjà condamnés par l'Église en maints documents officiels et définitifs.
C'est pourquoi les fondateurs de l'Église conciliaire insistent tant sur l'obéissance à l'Église d'aujourd'hui, faisant abstraction de l'Église d'hier, comme si celle-ci n'existait plus.
Cette Église conciliaire est schismatique parce qu'elle a pris pour base de sa mise à jour des principes opposés à ceux de l'Église catholique : ainsi la nouvelle conception de la messe, exprimée dans les numéros 5 de la Préface du Missale romanum et 7 du premier chapitre qui donnent à l'assemblée un rôle sacerdotal qu'elle ne peut avoir ; ainsi également le droit naturel, c'est-à-dire divin, de toute personne et de tout groupe de personnes, à la liberté religieuse. Ce droit à la liberté religieuse est blasphématoire car c'est prêter à Dieu des intentions qui détruisent sa Majesté, sa Gloire, sa Royauté. Ce droit implique la liberté de conscience, la liberté de pensée et toutes les libertés maçonniques.
275:206
L'Église qui affirme de pareilles erreurs est à la fois schismatique et hérétique. Cette Église conciliaire n'est donc pas catholique. Dans la mesure où le pape, les évêques, prêtres ou fidèles adhèrent à cette nouvelle Église, ils se séparent de l'Église catholique. L'Église d'aujourd'hui n'est la véritable Église que dans la mesure où elle continue et fait corps avec l'Église d'hier et de toujours. La norme de la foi catholique c'est la Tradition. La demande de S. E. Mgr Benelli est donc éclairante : soumission à l'Église conciliaire, à l'Église Vatican II, à l'Église schismatique. Pour nous, nous poursuivons dans l'Église catholique, avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l'intercession de la Bienheureuse Vierge Marie.
Marcel Lefebvre.
276:206
### 41. -- Déclaration de Mgr Lefebvre
*2 août / 4 août 1976*
*A partir du 29 juillet, Mgr Lefebvre reçoit les journalistes de la presse écrite ou parlée : Roland Gaucher de* « *Minute *»*, José Hanu de* « *La Voix du Nord *»*, Jean Neuvecelle de* « *France-Soir *» *et plusieurs autres. Ce sont des* « *interviews *»*, c'est-à-dire des conversations, forcément rapportées tantôt en résumé, tantôt en style indirect. Elles ont eu néanmoins le grand avantage de faire connaître à l'ensemble du public quelque chose de la véritable attitude de Mgr Lefebvre et des motifs qui la fondent.*
*Nous ne pouvons reproduire toutes ces* « *interviews *» *qui se répètent plus ou moins. Nous retenons seulement la déclaration faite au* « *Figaro *» *le 2 août, et publiée le 4, parce qu'il s'agit d'une déclaration écrite.*
« *Monseigneur, n'êtes-vous pas au bord du schisme ? *»
C'est la question que se posent beaucoup de catholiques à la lecture des dernières sanctions prises par Rome contre nous ! Les catholiques, pour la plupart, définissent ou imaginent le schisme comme la rupture avec le pape. Ils ne poussent pas plus loin leur investigation. Vous allez rompre avec le pape ou le pape va rompre avec vous, donc vous allez au schisme.
277:206
Pourquoi rompre avec le pape est-ce faire schisme ? Parce que là où est le pape, là est l'Église catholique. C'est donc en réalité s'éloigner de l'Église catholique. Or l'Église catholique c'est une réalité mystique qui existe non seulement dans l'espace, sur la surface de la terre, mais aussi dans le temps et dans l'éternité. Pour que le pape représente l'Église et en soit l'image, il doit non seulement être uni à elle dans l'espace mais aussi dans le temps, l'Église étant essentiellement une tradition vivante.
Dans la mesure où le pape s'éloignerait de cette tradition, il deviendrait schismatique, il romprait avec l'Église. Les théologiens comme saint Bellarmin, Cajetan, le cardinal Journet et bien d'autres, ont étudié cette éventualité. Ce n'est donc pas une chose inconcevable ([^92]).
\*\*\*
Mais, en ce qui nous concerne, c'est le concile Vatican II et ses réformes, ses orientations officielles, qui nous préoccupent plus que l'attitude personnelle du pape, plus difficile à découvrir.
Ce concile représente, tant aux yeux des autorités romaines qu'aux nôtres, une nouvelle Église qu'ils appellent d'ailleurs l'Église conciliaire.
Nous croyons pouvoir affirmer, en nous en tenant à la critique interne et externe de Vatican II, c'est-à-dire en analysant les textes et en étudiant les avenants et aboutissants de ce concile, que celui-ci, tournant le dos à la tradition et rompant avec l'Église du passé, est un concile schismatique. On juge l'arbre à ses fruits. Désormais, toute la grande presse mondiale, américaine et européenne, reconnaît que ce concile est en train de ruiner l'Église catholique à tel point que même les incroyants et les gouvernements laïcs s'en inquiètent.
278:206
Un pacte de non-agression a été conclu entre l'Église et la maçonnerie. C'est ce qu'on a couvert du nom « d'aggiornamento », « d'ouverture au monde », « d'œcuménisme ».
\*\*\*
Désormais, l'Église accepte de n'être plus la seule religion vraie, seule voie de salut éternel. Elle reconnaît les autres religions comme des religions sœurs. Elle reconnaît comme un droit accordé par la nature de la personne humaine, que celle-ci soit libre de choisir sa religion et qu'en conséquence un État catholique n'est plus admissible.
Admis ce nouveau principe, c'est toute la doctrine de l'Église qui doit changer, son culte, son sacerdoce, ses institutions. Car tout jusqu'alors dans l'Église manifestait qu'elle était seule à posséder la Vérité, là Voie et la Vie en N.-S. Jésus-Christ qu'elle détenait en personne dans la sainte Eucharistie, présent grâce à la continuation de son sacrifice. C'est donc un renversement total de la tradition et de l'enseignement de l'Église qui s'est opéré depuis le concile et par le concile.
Tous ceux qui coopèrent à l'application de ce bouleversement, acceptent et adhèrent à cette nouvelle Église conciliaire comme la désigne Son Excellence Mgr Benelli dans la lettre qu'il m'adresse au nom du saint-père, le 25 juin dernier, entrent dans le schisme. L'adoption des thèses libérales par un concile ne peut avoir eu lieu que dans un concile pastoral non infaillible et ne peut s'expliquer sans une secrète et minutieuse préparation que les historiens finiront par découvrir à la grande stupéfaction des catholiques qui confondent l'Église catholique et romaine éternelle avec la Rome humaine et susceptible d'être envahie par des ennemis couverts de pourpre.
Comment pourrions-nous, par une obéissance servile et aveugle, faire le jeu de ces schismatiques qui nous demandent de collaborer à leur entreprise de destruction de l'Église ?
279:206
L'autorité déléguée par Notre-Seigneur au pape, aux évêques et au sacerdoce en général est au service de la foi en sa divinité et de la transmission de sa propre vie divine. Toutes les institutions divines ou ecclésiastiques sont destinées à cette fin. Tout le droit, toutes les lois, n'ont pas d'autre but. Se servir du droit, des institutions, de l'autorité pour anéantir la foi catholique et ne plus communiquer la vie c'est pratiquer l'avortement ou la contraception spirituelle. Qui osera dire qu'un catholique digne de ce nom peut coopérer à ce crime pire que l'avortement corporel ?
C'est pourquoi nous sommes soumis et prêts à accepter tout ce qui est conforme à notre foi catholique, telle qu'elle a été enseignée pendant deux mille ans, mais nous refusons tout ce qui lui est opposé.
\*\*\*
On nous objecte : c'est vous qui jugez de la foi catholique. Mais n'est-ce pas le devoir le plus grave de tout catholique de juger de la foi qui lui est enseignée aujourd'hui par celle qui a été enseignée et crue pendant vingt siècles et qui est inscrite dans des catéchismes officiels comme celui de Trente, de saint Pie X et dans tous les catéchismes d'avant Vatican II. Comment ont agi tous les vrais fidèles face aux hérésies ? Ils ont préféré verser leur sang plutôt que de trahir leur foi.
Que l'hérésie nous vienne de quelque porte-parole que ce soit, aussi élevé en dignité qu'il puisse être, le problème est le même pour le salut de nos âmes. A ce propos il y a chez beaucoup de fidèles catholiques une ignorance grave de la nature et de l'extension de l'infaillibilité du pape. Beaucoup pensent que toute parole sortie de la bouche du pape est infaillible.
D'autre part, il nous apparaît beaucoup plus certain que la foi enseignée par l'Église pendant vingt siècles ne peut contenir d'erreurs, qu'il n'est d'absolue certitude que le pape soit vraiment pape. L'hérésie, le schisme, l'excommunication *ipso facto*, l'invalidité de l'élection sont autant de causes qui, éventuellement, peuvent faire qu'un pape ne l'ait jamais été ou ne le soit plus ([^93]).
280:206
Dans ce cas, évidemment très exceptionnel, l'Église se trouverait dans une situation semblable à celle qu'elle connaît après le décès d'un souverain pontife.
\*\*\*
Car enfin un problème grave se pose à la conscience et à la foi de tous les catholiques depuis le début du pontificat de Paul VI. Comment un pape vrai successeur de Pierre, assuré de l'assistance de l'Esprit Saint, peut-il présider à la destruction de l'Église, la plus profonde et la plus étendue de son histoire en l'espace de si peu de temps ce qu'aucun hérésiarque n'a jamais réussi à faire ?
A cette question il faudra bien répondre un jour. Mais laissant ce problème aux théologiens et aux historiens, la réalité nous contraint à répondre pratiquement selon le conseil de saint Vincent de Lérins : « *Que fera donc le chrétien catholique si quelque parcelle de l'Église vient à se détacher de la communion, de la foi universelle ? Quel autre parti prendre sinon préférer au membre gangrené et corrompu le corps en son ensemble qui est sain ? Et si quelque contagion nouvelle s'efforce d'empoisonner non plus une petite partie de l'Église mais l'Église tout entière à la fois, alors encore son grand souci sera de s'attacher à l'antiquité qui évidemment ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère. *»
281:206
Nous sommes donc bien décidés à continuer notre œuvre de restauration du sacerdoce catholique quoi qu'il arrive, persuadés que nous ne pouvons rendre de meilleur service à l'Église, au pape, aux évêques et aux fidèles. Qu'on nous laisse faire l'expérience de la tradition !
Marcel Lefebvre.
282:206
### 42. -- La supplique des huit
*8 août 1976*
*Huit personnalités : Michel Ciry, Michel Droit, Jean Dutourd, Rémy, Michel de Saint Pierre, Louis Salleron, Henri Sauguet, Gustave Thibon, ont envoyé à la presse le communiqué suivant :*
Un certain nombre de personnalités du monde littéraire et artistique communiquent la lettre suivante qu'elles adressent au pape au sujet de Mgr Lefebvre.
8 août 1976.
Très Saint Père,
Les sanctions qui viennent d'être prises contre Mgr Lefebvre et son séminaire d'Écône ont créé une grande émotion en France. Bien au-delà des traditionalistes proprement dits, c'est la foule immense des catholiques français qui se sont sentis touchés. Depuis des années ils s'inquiètent de l'évolution de leur religion. Ils ne disent rien, n'ayant aucune qualifié pour parler. Simplement, ils s'éloignent. C'est le cardinal Marty lui-même qui nous a récemment révélé que, de 1962 à 1975, la pratique dominicale avait baissé de 54 % dans les paroisses parisiennes. Pourquoi ? Parce que les fidèles ne reconnaissaient plus leur religion dans certaine liturgie et certaine pastorale nouvelles.
283:206
Ils ne la reconnaissent pas davantage dans le catéchisme qu'on enseigne maintenant à leurs enfants, dans le mépris de la morale élémentaire, dans les hérésies professées par des théologiens écoutés, dans la politisation de l'Évangile.
Ils avaient accueilli le concile avec joie parce qu'ils y avaient vu l'annonce d'un rajeunissement, une certaine souplesse apportée à des structures et à des règles que le temps avait peu à peu durcies, un accueil plus fraternel à tous ceux qui cherchent la vérité et la justice sans avoir encore le bénéfice du grand héritage de l'Église. Mais ce qui est advenu n'a pas répondu à leur attente. Ils ont l'impression désormais d'assister au sac de Rome ([^94]). N'est-ce pas vous-même, très Saint Père, qui avez parlé de l'autodémolition de l'Église ? Le fait est qu'en France, cette autodestruction bat son plein -- et nous en sommes les témoins.
De Monseigneur Lefebvre et du séminaire d'Écône ces catholiques du rang connaissaient fort peu de chose. Mais ce qu'ils en apprenaient peu à peu par les journaux, la radio et la télévision leur était plutôt sympathique. Monseigneur Lefebvre avait passé le plus clair de sa vie dans une activité de missionnaire. Il avait été délégué apostolique en Afrique. Votre prédécesseur, le pape Jean XXIII, qui l'estimait beaucoup et l'aimait bien, l'avait nommé membre de la commission centrale de préparation du concile ([^95]). Il avait formé des générations de séminaristes ;
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parmi les prêtres issus de ses séminaires quatre sont devenus évêques et c'est vous-même qui avez fait cardinal l'un d'entre eux, Monseigneur Thiandoum. Comment un tel évêque qui, toute sa vie, a servi l'Église de manière insigne pourrait-il y être soudainement un étranger ? N'est-il pas plutôt l'évêque dont Vatican II semble avoir tracé le portrait : un évêque fort dans la foi, orienté vers la mission, ouvert au monde à évangéliser ? Désolé de la ruine des séminaires français et convaincu que les vocations ne manquaient pas chez les jeunes, il a ouvert un séminaire qui, strictement fidèle aux normes mêmes de Vatican II et de la congrégation de l'éducation catholique, proposait à ceux qui voulaient y entrer une vie de prière, d'étude et de discipline. Aussitôt les candidatures ont afflué et le séminaire s'est rempli. La très grande majorité de ces « catholiques du rang » dont nous parlons savent aujourd'hui tout cela.
L'unité de l'Église est l'argument que nous voyons partout mis en avant pour justifier les mesures sévères prises contre Écône. Mais, très Saint Père, que le petit noyau d'Écône soit écrasé, et la division s'aggrave encore ! Car la division n'est pas entre Monseigneur Lefebvre et les autres évêques français. Elle est au sein même de l'Église hiérarchique, qui laisse impunément se développer tant de rites, de pratiques et d'opinions, qu'on risque d'en voir bientôt tout autant que de prêtres et de communautés. C'est le pullulement de ces petits schismes intérieurs, c'est cette prolifération de religions particulières qui est la marque de l'Église de France -- car nous ne parlons que pour la France. Et la désobéissance à Rome, au pape, au concile éclate dans tout ce qui concerne la liturgie, le sacerdoce, la formation des séminaristes et la foi elle-même. D'étranges messes -- parfois œcuméniques -- et qui n'ont rien à voir avec la messe de Paul VI, sont célébrées un peu partout dans la plus parfaite impunité ([^96]). Toute « célébration eucharistique » serait-elle permise sauf la messe traditionnelle ?
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Toute église pourrait-elle être ouverte aux musulmans, aux israélites, aux bouddhistes, et fermée aux seuls prêtres en soutane ? Tout dialogue serait-il bienvenu avec les francs-maçons, les communistes, les athées, et condamnable avec les traditionalistes ? La hiérarchie, en France, tiendrait-elle davantage à imposer un certain esprit nouveau, qu'à annoncer et à défendre les vérités de la foi ?
Voilà, très Saint Père, ce que finit par se demander le peuple chrétien de la base, que nous évoquons ici. Chaque jour nous apporte les échos -- de plus en plus forts, de plus en plus nombreux -- de sa stupeur et de son angoisse. C'est pourquoi nous nous tournons vers vous, car vers qui un catholique se tournerait-il, sinon vers le pape ([^97]), successeur de Pierre, vicaire de Jésus-Christ ? Nous déposons à vos pieds notre supplique. Quelle supplique ? Celle de l'amour et du pardon. C'est plutôt une plainte, un gémissement que nous espérons faire monter jusqu'à vous. Nous ne sommes pas versés dans le droit canonique et nous ne doutons pas que des condamnations romaines aient des assises juridiques. Mais justement le juridique, le légalisme, le formalisme nous semblaient avoir été bannis, dans ce qu'ils peuvent avoir d'excessif, par Vatican II ([^98]).
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Ce très grave procès fait à Monseigneur Lefebvre et à son séminaire ne pourrait-il être reconsidéré ? L'amour que vous éprouvez pour le peuple chrétien de France ne pourrait-il l'emporter sur une rigueur qui, frappant le plus notoire de nos défenseurs de la Tradition, achèverait de traumatiser irrémédiablement ce peuple ? La charité ne pourrait-elle inspirer la restauration de l'unité dans la vérité unique ? Il nous semble que la messe traditionnelle et le sacerdoce de toujours seraient susceptibles de trouver leur place ([^99]) dans la consolidation et l'extension d'une Église qui n'a jamais cessé de garder ses dogmes et ses formes essentielles, à travers ses adaptations successives aux vicissitudes de l'histoire. Que deviendrait une Église sans prêtres et sans messe ?
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C'est par cet acte de confiance ([^100]), très Saint Père, que nous voulons témoigner de notre fidélité au pontife romain, sûrs que nous sommes d'être entendus par le Père de tous les catholiques, détenteur des pouvoirs qui lui ont été remis dès l'origine par le Fondateur pour conduire l'Église jusqu'à la consommation des siècles.
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## AVIS PRATIQUES
Informations
### Trois notes
par Luce Quenette
Dans *Liturgie spontanée* ([^101])*,* nous déplorions que M. l'abbé de Nantes ait osé attaquer par d'incompréhensibles critiques le canon romain comme « ambigu, équivoque et trompeur si jamais on le prenait au pied de la lettre ».
Dans *Forts dans la Foi* (43)*,* le Père Barbara mène une défense nette, belle, vigoureuse. Lisez cela, non seulement pour être fidèle à la messe, à la seule, mais pour jouir de la messe, pour y être consolé.
Le dernier argument sur ce qui aurait poussé l'abbé de Nantes, à savoir le miroitement d'un épiscopat, nous ne le retiendrons pas. Il n'est pas de la nature de la démonstration. « Questa coda non è di questo gatto » si j'ose ce proverbe italien, et la preuve, c'est que l'auteur attaqué n'a retenu que cette queue, quand nous aurions rendu grâces qu'il reconnût la portée doctrinale et la forte piété de la réfutation.
Lisez ensuite Bossuet sur le même sujet : le canon romain, dans *Forts dans la Foi* (40, 41, 43, 44)*.* Quelle splendeur, quelle lumière ; quelle assurance. Interroger Bossuet, quelle fière idée !
\*\*\*
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Un bruit a couru que le Docteur Doublier Villette avait généreusement aidé à la fondation de nos deux écoles. Lui-même, interpellé par moi, le nie.
Je déclare que nous n'avons rien demandé au Dr Doublier, ni rien reçu de lui.
D'autre part, nous avons l'autorisation de remercier publiquement l'Œuvre Saint François de Sales (21, rue du Cherche-Midi, 6^e^) qui, sans aucune sollicitation de notre part, nous a sept fois aidés, avec autant de discrétion que de confiance. Je peux remercier, mais je n'ai pas la permission de dire de chiffres.
Luce Quenette.
### Le Père Panici
De *Rivarol* du 22 juillet
Le R.P. Paul Panici est décédé le 2 juillet à l'âge de 83 ans. Les notices nécrologiques publiées dans la presse quotidienne ont « oublié » l'intervention courageuse par laquelle il s'illustra lors de la « Libération ». Pourtant cette intervention a retenu l'attention des historiens sérieux et elle n'occupe pas moins de deux pages dans l'*Histoire de la Libération* de Robert Aron.
Prédicateur de Carême à Notre-Dame depuis 1941, le Père Panici dénonça en chaire, le dimanche des Rameaux 1945, « d'innombrables arrestations illégales, bien plus, parfaitement arbitraires, quand ce n'étaient pas de simples vengeances ; d'innombrables emprisonnements tout aussi peu défendables ; des lieux de détention privés, où des hommes sans nulle fonction publique séquestraient des citoyens, la plupart du temps sans cause objective ; des massacres sans jugement, des tortures exercées sur des prisonniers par leurs geôliers irréguliers, exercées même sur des condamnés avant leur exécution : des assassinats de personnes condamnées, acquittées ou graciées par des misérables envahissant les prisons pour assouvir leur vengeance, la délation élevée à la hauteur d'une institution et venant trop souvent de rancune contre des chefs qui, fidèles à leur devoir, avaient empêché le gaspillage, le désordre, les pertes de temps et par là avaient déplu à des inférieurs pleins d'idées fausses. » Et l'orateur sacré de stigmatiser ce « régime d'abattoir ».
290:206
Aussitôt les services du garde des Sceaux, sur l'ordre de Qui vous devinez, enjoignirent à l'archevêché de Paris d'avoir à mettre fin aux sermons du prédicateur. Le cardinal Suhard refusa, mais s'inclina l'année suivante devant la menace du refus de diffuser à la radio le Carême du R.P. Panici.
Et par qui le R.P. Panici fut-il remplacé ? Par un autre jésuite... bien différent de lui : le R.P. Riquet, trop connu pour devoir vous être présenté.
============== fin du numéro 206.
[^1]: -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 192 et numéro 193, avril et mai 1975.
[^2]: -- (1). *Nuit obscure,* livre II, ch. XXI.
[^3]: -- (2). *Montée du Mont Carmel,* livre II, ch. IX.
[^4]: -- (1). Souligné par nous.
[^5]: -- (1). Souligné par nous.
[^6]: -- (1). Souligné par nous.
[^7]: -- (1). Entre autres, *Pensée catholique* n° *122 et Courrier de Rome* depuis le n° 49.
[^8]: **\*** -- Cf. It. 195 et Table.doc
[^9]: -- (1). La rencontre avait eu lieu à Rome, le 19 mars 1976, à l'initiative de Mgr Benelli (qui avait réanimé une demande d'audience de Mgr Lefebvre laissée sans suite l'année précédente).
[^10]: -- (2). « Envisagée » ? Non pas ; imposée, au nom du pape, par Mgr Benelli. Mais il n'avait remis à Mgr Lefebvre aucun document écrit.
[^11]: -- (3). Un pape qui veut ainsi imposer un *plein* attachement à la *totalité* de *son* propre enseignement, cela fait doublement difficulté. 1° Comme on le sait, ou comme on devrait le savoir, la totalité de l'enseignement d'un pape (surtout quand il s'agit d'un pape moderne, parlant beaucoup et souvent) n'engage pas l'autorité pontificale au même degré dans toutes ses parties ; il arrive même que cette autorité ne soit pas du tout engagée, lorsqu'il parle comme docteur privé. Le *plein* attachement à la *totalité* de l'enseignement est une requête exorbitante ; c'est une forme de soumission inconditionnelle. Première anomalie, donc, et majeure. 2° Seconde anomalie, non moins majeure : il s'agit uniquement de l'enseignement de Paul VI tout seul ; de son enseignement personnel. Un chef d'école peut ainsi parler. Un pape ne parle pas ainsi. Tous les documents pontificaux antérieurs à Paul VI l'attestent : ils se réfèrent constamment aux enseignements des prédécesseurs, ils les confirment, les réitèrent, les développent, les appliquent, et. jamais ne cherchent à s'en distinguer individuellement. Supposera-t-on ici une balourdise de Mgr Benelli ? Non pas. Il reproduit fidèlement la pensée de Paul VI. Car c'est la même pensée que Paul VI exprime lui-même dans son discours consistorial du 24 mai 1976, marquant nettement que son propre enseignement a une individualité distincte : « Personne, pensons-nous, ne saurait avoir de doute sur le sens des orientations et des encouragements que, au cours de notre pontificat, nous avons donnés aux pasteurs et au peuple de Dieu, et même au monde entier. Nous sommes reconnaissant à ceux qui ont pris comme programme ces enseignements donnés dans une intention qui était toujours soutenue par une vive espérance, etc. » Là où tous ses prédécesseurs parlaient de l'enseignement des papes, du Saint-Siège ou de l'Église, Paul VI parle de son enseignement personnel. De même que Vatican II nous est présenté comme « le » concile, abstraction faite des conciles antérieurs, de même Paul VI présente son enseignement de manière séparée, particulière : tel qu'on puisse isolément le prendre comme programme ; et il exprime sa reconnaissance à ceux qui l'ont fait. A ceux qui ne l'ont pas fait, il veut l'imposer : la phrase de Mgr Benelli sur le plein attachement à la totalité de l'enseignement de Paul VI est en parfaite cohérence avec le passage cité du discours consistorial.
[^12]: -- (4). Canoniquement, selon la thèse du Saint-Siège, ces maisons n'existent plus et Mgr Lefebvre n'a plus aucun pouvoir pour y faire adopter quoi que ce soit. Mais c'est l'amorce de la transaction proposée : tout s'arrangera, et vos maisons continueront sous votre autorité, si...
[^13]: -- (5). Voici donc l'entrée en scène du nouveau Missel. Jusqu'à cette date, on n'avait rien dit à Mgr Lefebvre de cette adoption obligatoire. Elle constitue la véritable condition. Cette nouvelle messe dont on n'avait soufflé mot dans toute la procédure depuis plus d'une année, c'était par fourberie que l'on n'en parlait point. On la démasque maintenant : elle est bien l'essentiel. -- En outre, il ne s'agit nullement d'une simple « démarche envisagée » ainsi qu'on peut le faire, à titre d'hypothèse, au cours d'un entretien exploratoire et d'un dialogue fraternel ; comme nous l'avons indiqué à la note 2, il s'agit d'une notification des conditions imposées par le pape : cela sera confirmé dans la lettre de Mgr Benelli du 12 juin 1976 (ci-dessous document n° 25).
[^14]: -- (6). Un homme comme Mgr Benelli, compromis jusqu'au cou dans les combinaisons maçonniques et mondaines du Vatican contemporain, venant exhorter un homme tel que Mgr Lefebvre à s'unir au Christ Sauveur en remettant tout entre ses mains ! -- Le jour où Mgr Benelli, repenti de ses actuelles compromissions, voudra s'unir au Christ, c'est lui qui pourra venir auprès de Mgr Lefebvre en apprendre le chemin. D'ici-là, qu'il rengaine son fervorino.
[^15]: -- (1). Texte latin et version italienne dans l*'Osservatore romano* des 24 et 25 mai 1976. Pour paraître aux Acta le texte latin n'a pas été corrigé de ses malfaçons ; sauf de la plus calamiteuse, indiquée ci-dessous à la note 3.
[^16]: -- (2). Cette répétition du mot « application » est bien dans la version italienne comme dans la traduction française.
[^17]: -- (3). Le texte latin parle, lui, non seulement d'application mais de *réforme* des enseignements (*principia*) du concile ; et d'autre part il donne les conférences épiscopales comme d'institution divine, au même titre que l'autorité pontificale. Tout bien pesé, plutôt que d'une double malignité, ce doit être un double exemple de ces malfaçons devenues habituelles, et de plus en plus fréquentes, dans les documents pontificaux depuis 1958. Voici l'incroyable phrase latine : « *Ex altera vero parte consistunt ii qui -- dicentes se profiteri quam maximam fidelitatem erga Ecclesiam et Magisterium -- data opera recusant et repudiant ipsa principia concilii, et consequentem eorum applicationem et reformationem, itemque lentam eorumdem exsecutionem apostolicae sedis opera et conferentiarum episcopalium sub Nostra auctoritate, quae a Christo originem ducunt. *» -- Aux *Acta,* on a simplement mis : *ducit*.
[^18]: -- (4). C'est-à-dire, donc, sans âme et sans sincérité.
[^19]: -- (5). Exemple : quand Paul VI a signé et promulgué la première version de l'article 7, qui faisait de la messe une sorte d'assemblée du souvenir, les catholiques n'ont pas estimé qu'ils étaient tenus, par « obéissance au siège de Pierre », d'accepter comme parole d'Évangile cette défaillance pontificale. Ils continuent et continueront à ne pas se croire tenus d'accepter la messe de l'article 7.
[^20]: -- (6). Si, effectivement, nos évêques en Europe occidentale, n'ont plus aucune autorité morale, ils l'ont bien mérité. La plupart d'entre eux n'ont même plus l'acte extérieur de la foi. On n'est pas tenu d'obéir, ou plutôt on est tenu de ne pas obéir à leurs prévarications. -- Depuis des années nous réclamons en vain du Saint-Siège qu'il rappelle la doctrine catholique qu'*on ne doit pas obéir aux évêques* quand ils imposent l'erreur et l'injustice. On le voit : sur ce point la carence du Saint-Siège s'endurcit.
[^21]: -- (7). En vérité, c'est *l'autorité d'aujourd'hui* qui a pris l'initiative impie d'*aller contre l'autorité d'hier.*
[^22]: -- (8). Mgr Lefebvre est entouré d'affection filiale, de respect et d'admiration ; il a une immense autorité morale sur ceux qui s'opposent à l'évolution conciliaire. Mais il a toujours refusé de *diriger* cette opposition ; il ne « dirige » que la Fraternité sacerdotale saint Pie X qu'il a fondée. On est bien mal renseigné au Vatican. Ou on fait semblant.
[^23]: -- (9). Dire comme on vient de le faire que Mgr Lefebvre n'a pour la Tradition qu'un respect sans âme et sans sincérité (« que matériellement et verbalement »), eh bien croyez-le, c'était l'expression d'un « respect fraternel ».
[^24]: -- (10). *Sous prétexte* en français ; *col pretesto* en italien ; *praetextu* en latin. *Sous prétexte de conserver sa foi intacte.* Paul VI n'a pas dit : dans l'idée, dans l'illusion de conserver sa foi. Il a dit : sous *prétexte.* « Prétexte », en italien et en latin comme en français, cela signifie : *raison alléguée pour dissimuler le véritable motif d'une action.* C'est donc le « respect fraternel » qui continue à s'exprimer.
[^25]: -- (11). Non point à « sa » façon : à la façon traditionnelle de l'Église.
[^26]: -- (12). On ose, nous osons effectivement affirmer n'être pas lié par Vatican II comme par Nicée. On ose refuser, comme on a refusé l'article 7, l'enseignement de Paul VI selon lequel Vatican II aurait autant d'autorité et plus d'importance que Nicée.
[^27]: -- (13). On ose, nous osons effectivement affirmer, il n'y faut pas beaucoup d'audace, que les réformes et orientations postconciliaires organisent l'apostasie immanente.
[^28]: -- (14). Il y aurait donc d'innombrables traditions : et quelques-unes d'entre elles deviendraient de temps en temps normes de foi, sans autre critère que leur désignation par le pape, les évêques, le concile. C'est en effet ainsi que l'on considère les choses dans l'Église depuis 1958. -- Quant au « groupe » visé, qui s'oppose à l'évolution conciliaire, il s'oppose du même coup à cette manière de considérer les choses ; il ne s'occupe aucunement de « définir » des « normes de foi » en allant piocher « parmi les innombrables traditions » : il s'occupe *au contraire* de garder les normes de foi déjà définies par l'Église et aujourd'hui méconnues par les détenteurs de la succession apostolique.
[^29]: -- (15). Mgr Lefebvre est ici accusé de *se faire juge de la volonté divine :* comme s'il contestait le principe de l'autorité pontificale ; alors qu'il récuse, c'est tout autre chose, les actes injustes d'un pontife particulier. Vouloir confondre la seconde attitude avec la première est une injustice de plus.
[^30]: -- (16). Ce qui a introduit la division, c'est la destruction de la messe traditionnelle, la promulgation de l'article 7, la diffusion partout dans l'Église du rite et de la doctrine de cet article. Le présent pontificat en porte la responsabilité.
[^31]: -- (17). On ne peut respecter les normes fixées que si elles sont respectables ; que si elles ne sont pas manifestement méprisables et odieuses. Paul VI a autorisé qu'on *boive de l'alcool un quart d'heure* (*quinze minutes*) *avant de communier* (instruction *Immensae caritatis* du 29 janvier 1973, qui se termine par la mention : « Le souverain pontife Paul VI a daigné approuver cette instruction, la confirmer de son autorité, et a ordonné de la publier »). Cette norme fixée par Paul VI en matière liturgique n'appelle aucun respect. (On en trouvera l'analyse détaillée dans « La dérision », chap. IV de notre ouvrage : *Réclamation au Saint-Père,* tome II de *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* Nouvelles Éditions Latines.)
[^32]: -- (18). Ici tout un passage concernant le remplacement de la messe traditionnelle par la messe de Paul VI, et un autre passage concernant l'ensemble des autres réformes conciliaires. Ces deux passages sont reproduits et commentés dans ITINÉRAIRES, numéro 205 de juillet-août 1976 ; et dans la nouvelle édition de notre numéro spécial : *La messe, état de la question. --* Notons seulement ici le double fait nouveau. Jusqu'à ce discours consistorial du 24 mai 1976, en effet : 1° les lettres de Paul VI à Mgr Lefebvre n'avaient pas mis en cause son attachement à la messe traditionnelle ; 2° Paul VI avait laissé dire, mais n'avait jamais dit lui-même, que la messe nouvelle était obligatoire, la messe traditionnelle interdite ; certes, sa volonté personnelle de détruire la messe traditionnelle ne faisait aucun doute, du moins à nos yeux ; mais il manquait toujours un acte officiel cherchant à donner force de loi à sa volonté. Pour la première fois le 24 mai 1976, Paul VI invoque explicitement, contre la messe traditionnelle, l' « obéissance » à son « autorité suprême ». Cet abus de pouvoir est aussi funeste et a autant d'autorité que sa promulgation de l'article 7 en 1969.
[^33]: -- (19). Nous ne connaissons aucun document, aucune sentence, aucune monition qui ait mis en cause « l'inconsistance et souvent la fausseté des positions doctrinales » de Mgr Lefebvre. -- La seule monition de nature véritablement *doctrinale* qui lui ait été faite, c'est quand Paul VI lui a enjoint d'admettre que Vatican II a autant d'autorité et plus d'importance que Nicée (lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre du 29 juin 1975 ; dans notre brochure *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre,* document n° 14, p. 65). \[Cf. It. 127:200
[^34]: -- (20). Mais maintenant Paul VI, dans sa grande bonté, ne leur reconnaît même plus l'excuse de la bonne foi.
[^35]: -- (21). Il ne s'agit justement ni d'habitude ni d'attachement sentimental. Au moment où Paul VI assure : « nous comprenons », ses paroles montrent qu'il ne comprend pas. Parce que, dans la meilleure hypothèse, il n'a pas voulu ou pas su écouter et entendre avant de condamner. -- Quant à l'hypothèse qui ne serait pas la meilleure, ce serait celle de la dérision, comme pour l'alcool autorisé un quart d'heure avant de communier.
[^36]: -- (22). Les contre-vérités et les injustices de ce discours consistorial sont-elles une incitation efficace à la sérénité ?
[^37]: -- (23). « Frères et fils » publiquement dénoncés par Paul VI comme sans âme, sans sincérité, sans bonne foi.
[^38]: -- (24). Ce n'est certainement point par la soumission aux mensonges et aux injustices de l'évolution conciliaire que peut passer « la voie de l'unité et de l'amour ».
[^39]: -- (1). Remise *officielle* du texte latin *et de sa traduction française :* ce n'est point que Mgr Lefebvre soit suspect de ne pas entendre le latin. C'est l'effet de la tendance à « officialiser » comme « traduction française » une version qui n'est manifestement pas traduite du texte latin, mais de l'italien, lequel est la version originale. Cette nouvelle pratique vaticane, qui est source de malfaçons, de confusion et d'anarchie, s'est progressivement développée et imposée après la mort de Pie XII en 1958.
[^40]: -- (2). Cette référence canonique désigne la suspense pour un an d'administrer le sacrement de l'ordre (suspense réservée au Saint-Siège, encourue ipso facto par celui qui ordonne un prêtre sans l'autorisation de l'Ordinaire de celui-ci : précisément, sans les « lettres dimissoriales » par lesquelles un évêque « renvoie » un de ses diocésains à un autre évêque pour en recevoir le sacrement de l'ordre).
[^41]: -- (3). Il y a eu des démarches de Paul VI, toutes mentionnées dans les pages précédentes : aucune n'était *fraternelle ;* ni paternelle. Il ne suffit pas de dire qu'on l'a fait pour que cela devienne vrai. Paul VI a refusé de prendre en considération la lettre que Mgr Lefebvre lui adressait le 31 mai 1975 ; il a fait comme s'il n'avait pas connu ce recours déposé entre ses mains (document n° 13 de notre numéro spécial : *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre ;* voir note 4 de la page 66). \[Cf. It. 125:200-02-76\]
[^42]: -- (4). Il s'agit donc bien de conditions qui avaient été notifiées par Mgr Benelli au nom de Sa Sainteté. Si l'on se reporte à la lettre de Mgr Benelli du 21 avril (ci-dessus document n° 22), on constate qu'il n'y était pas explicitement question de conditions notifiées au nom du pape, mais d'une « démarche envisagée », ce qui suggérait l'idée d'un entretien amical plutôt que d'un ultimatum. C'est dans des euphémismes de cette sorte que tient tout le caractère « fraternel » des démarches vaticanes auprès de Mgr Lefebvre.
[^43]: -- (5). Mgr Benelli veut parler sans doute des promesses qu'à plusieurs reprises il aura faites lui-même à Paul VI. Mgr Lefebvre, lui, à aucun moment n'a promis d'adopter la messe de l'article 7 ni de professer que Vatican II a autant d'autorité et plus d'importance que Nicée.
[^44]: -- (1). EN COMMUNION. -- Mgr Lefebvre est en communion avec la foi catholique de toujours et avec la doctrine de la foi enseignée par l'Église ; il est en communion, notamment, avec le « Credo » ou « profession de foi » prononcé par Paul VI le 30 juin 1968. -- Reste alors à préciser en quoi et pourquoi donc Paul VI, de son côté, peut ne pas se sentir en communion avec la foi de Mgr Lefebvre : ce n'est évidemment pas à Mgr Lefebvre qu'incombe la charge d'une telle précision.
[^45]: -- (2). Puisque Paul VI a constamment refusé de l'entendre personnellement (voir dans notre numéro spécial sur *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre* la note 3 de la p. 100), Mgr Lefebvre propose que le dialogue ait lieu par l'intermédiaire de cardinaux choisis parmi ceux qui le connaissent depuis longtemps (et non plus dans les conditions scandaleuses de 1975, avec les trois cardinaux au comportement indigne).
[^46]: -- (1). Le « *tort *» qui est celui de Mgr Lefebvre, et qu'il lui est « *seulement demandé d'admettre *»*,* devient ainsi quasiment imperceptible. Il se limite à quelques libres propos, ou propos supposés trop libres ; trop « négatifs » ! Est-ce donc pour cela qu'il est sorti de la « communion » de Paul VI ? On remarque ici, une fois de plus, l'incapacité du Saint-Siège à préciser exactement ce qui est reproché à Mgr Lefebvre. Cette imprécision des griefs contraste avec la précision des « conditions » imposées à sa soumission dans les précédentes lettres de Mgr Benelli (documents n° 22 et 25). -- Il est également remarquable que, dans l'énumération de « ce qui est inadmissible pour Sa Sainteté », Mgr Benelli ne mentionne pas la célébration de la messe traditionnelle. Si cette messe est valablement interdite, pourquoi brusquement se taire sur cette faute grave, la plus grave ?
[^47]: -- (2). Contre-vérité flagrante Dans l'autre sens la « même fermeté » de Paul VI ne demande aucune soumission publique, ne nomme personne, notamment aucun évêque, et n'en déclare aucun « hors de l'Église ».
[^48]: -- (3). On ne leur demandera rien de plus, à ces jeunes séminaristes. Rien de plus que « *la fidélité véritable à l'Église conciliaire *»*.* A l'Église conciliaire ! C'est justement ce qu'ils ne peuvent accorder, ayant donné leur fidélité à l'Église catholique.
[^49]: -- (4). A l'Église ? A l'Église... conciliaire. Voilà sur le vif le drame même de l'occupation de l'Église militante par une puissance qui lui est étrangère. Au nom de l'autorité de l'Église *catholique,* on veut soumettre les catholiques à l'Église *conciliaire.*
[^50]: -- (5). C'est-à-dire la peine de suspense.
[^51]: -- (6). On appelle « irrégularité » l'empêchement canonique perpétuel à la réception et à l'exercice des saints ordres ; cet empêchement ne peut cesser que par dispense (à la différence des empêchements dits simples qui cessent avec leur cause).
[^52]: -- (7). Ce que le P. Dhanis était principalement chargé de porter, ce n'était pas la lettre, ni une éventuelle explication : mais le nouveau Missel, pour concélébrer, au nom de Paul VI, avec Mgr Lefebvre.
[^53]: -- (1). Ici manquent quelques mots sur la bande enregistreuse.
[^54]: **\*** -- Voir It. 181, 183, et 229, p 156.
[^55]: -- (1). Le préfet Baggio écrit « sous-diacres » entre guillemets, parce que le sous-diaconat a été supprimé dans l'Église conciliaire.
[^56]: -- (2). Chaque fois que le Vatican notifie une nouvelle menace ou une nouvelle sanction, il prend bien soin de dire qu'il « tend la main encore une fois ».
[^57]: -- (3). C'est-à-dire à partir du dimanche 11 juillet.
[^58]: -- (4). Le canon mentionné ne précise pas les peines : «* congruis poenis, censuris non exclusis, pro gravitate culpae puniantur *».
[^59]: -- (1). Lettre à Paul VI du 22 juin 1976. Ci-dessus document n° 26.
[^60]: -- (2). Datée du 12 juin, remise le 17. Ci-dessus document n° 25.
[^61]: -- (3). Lettre du 25 juin. Ci-dessus document n° 27.
[^62]: -- (1). Pour la première phase (documents 1 à 12) et pour le début de la seconde phase (documents 13 à 21), voir notre numéro spécial hors série : *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre.*
[^63]: -- (1). La nouvelle religion est donc une religion de ferments, de besoins, d'aspirations, de climat du siècle et de pulsions novatrices. Et le traditionalisme sort de la (nouvelle) communion ecclésiale quand il est aveuglément fermé aux pulsions, au climat et aux ferments. Voilà où en est, à cette heure, le Vatican ! (« ...*un tradizionalismo deteriore, passivo, chiuso ciecamente, -- si direbbe, -- ai fermenti, ai bisogni, alle aspirazioni che, come corrispondorio meglio a1 clima del nostro secolo, cosi riflettono le spinte innovative etc. *»)
[^64]: -- (2). Pour la nouvelle religion conciliaire, le disciplinaire est plus important que le doctrinal. (« *Ma c'è di più : il contrasto dal piano dottrinale si è fatalmente esteso a quello disciplinare... *») C'est l'application inévitable, saisie sur le vif, de l'enseignement de Paul VI selon lequel Vatican II est plus important que Nicée.
[^65]: -- (3). Communion ecclésiale avec les pulsions, le climat ; les ferments, etc.
[^66]: -- (1). Sophisme dont l'énormité massive est sans doute destinée à faire impression sur les étourdis : de fait, Pierre Debray le reprend à son compte dans *Minute* du 4 août, en se confiant à ce qu'il appelle la « sérieuse formation théologique de M. l'Abbé Georges de Nantes ». La naïveté de Pierre Debray est désarmante : faudrait-il donc une « solide formation théologique » pour arriver à savoir qu'il existe une seule Église véritable ? Le sophisme de la CRC n'est pas au niveau de la théologie mais à celui du calembour. Il consiste à feindre de croire qu'en disant « il y a deux Églises », nous professerions qu'il en existe deux vraies. Alors que, au contraire, comme tout le monde le comprend sauf Pierre Debray et son théologien, c'est de notre part une protestation contre la fausse Église qui s'efforce de coloniser l'unique Église catholique. -- Sur l'emploi réel que nous faisons de la formule : « Il y a deux Églises », voir ci-dessus le document n° 24 : « Hors de quelle Église ? »
[^67]: -- (2). Quoi et qui ? Eh bien, la nouvelle religion, la nouvelle communion montinienne, comme on aurait pu le comprendre en lisant... l'abbé de Nantes.
[^68]: -- (3). Il y a donc aujourd'hui des *donatistes...*Comme le montre tout le contexte, ces « donatistes d'aujourd'hui » sont les intégristes qui ont commis l'erreur de suivre Mgr Lefebvre au lieu de s'enrôler chez l'abbé de Nantes. -- Les assimiler aux *donatistes* serait une bien méchante calomnie si son ésotérisme n'en diminuait la portée. Ésotérisme calculé, semble-t-il, tour de charlatanisme pour faire ici encore impression sur les badauds, bouche bée devant tant de supposée « sérieuse formation théologique ».
[^69]: -- (4). Alinéa un peu obscur, comme il arrive au génie tumultueux de l'auteur. Il veut dire que la formule « il y a deux Églises » manifeste, chez nous qui l'employons, une diabolique « malice » : l'intention de constituer une seconde Église, d'abord présentée comme aussi vraie que la vraie, en attendant de proclamer qu'elle est la seule. C'est un nouvel épisode du feuilleton sur le *schisme intégriste* que l'auteur, comme on sait, fait sans cesse rebondir avec une inépuisable imagination. Tant que cette invention romanesque ne visait que nos personnes de chroniqueurs, le dommage n'était pas grand. Mais ici elle vient frapper dans le dos Mgr Lefebvre en un moment décisif : au moment où Paul VI se prépare à faire publier la suspense a divinis.
[^70]: -- (5). Beaucoup d'auteurs ont dit ces choses-là, et depuis beaucoup plus que vingt ans. Malgré quoi, l'abbé de Nantes met une grande et fréquente insistance à se présenter au public comme étant le seul à les avoir dites. On se demande si c'est par manque de culture intellectuelle ou pour une autre raison.
[^71]: -- (6). Avant d'être « la doctrine fondamentale de la Ligue etc. », cela est, ne l'oublions quand même pas, la doctrine commune de l'Église catholique.
[^72]: -- (7). Si, à l'instant déclaré décisif, la CRC n'a pu enrôler dans sa « Légion romaine » que 5.000 personnes et non pas « tous », la faute en est peut-être à la passivité du public ; ou peut-être aux maladresses des enrôleurs ; mais peut-être aussi à personne. Cinq mille « légionnaires », ce n'était pas si mal, pour un tirage de la CRC qui se déclare de 38.000 exemplaires.
[^73]: -- (8). Pourquoi cette solitude (relative) de l'abbé de Nantes ? Pour plusieurs raisons fort simples et bien connues, qui se ramènent en substance à sa trop fréquente *démesure* dans la pensée, dans le langage, dans le comportement. La CRC voudrait que « *tous les chefs de file traditionalistes se rangent comme un seul homme derrière l'abbé de Nantes *»* *: et parmi eux, Mgr Lefebvre, nommément convoqué à l'enrôlement et à la discipline. Faut-il vraiment commenter une telle prétention ?
[^74]: -- (9). Réitération de l'accusation qui vient frapper dans le dos Mgr Lefebvre au moment où il fait face à l'ennemi.
[^75]: -- (10). Mais si, mais si. L'abbé de Nantes le demandait. Il le demandait à la cantonade, mais à propos de Mgr Lefebvre. C'est à propos de Mgr Lefebvre qu'il déclarait : il faut qu'un *évêque rompe sa* communion *avec Paul VI.* Et c'est à cela précisément que Mgr Lefebvre répondait : Si un évêque rompt avec Rome, ce ne sera pas moi. » De fait, LA RUPTURE N'EST PAS VENUE DE MGR LEFEBVRE, COMME L'ABBÉ DE NANTES LE RÉCLAMAIT TÉMÉRAIREMENT ; ELLE EST VENUE DE L'ABUS DE POUVOIR ROMAIN, ET IL EST MIEUX QUE LES CHOSES SE SOIENT AINSI PASSÉES. -- Voici le texte de l'abbé de Nantes, paru dans la CRC numéro 89 de février 1975, page 2, col. 2 : « Il faut qu'un évêque, lui aussi successeur des apôtres, membre de l'Église enseignante, collègue de l'évêque de Rome et comme lui ordonné au bien commun de l'Église, rompe sa communion avec lui tant qu'il n'aura pas fait la preuve de sa fidélité aux charges de son suprême pontificat. »
[^76]: -- (11). Erreur de perspective, assez fréquente chez l'auteur, supposant que l'on se détermine, se situe, se définit par rapport à la CRC : ici, que Mgr Lefebvre donnait à la CRC un accord sur le fond mais choisissait en pratique une tout autre attitude ; en général, que les mouvements des uns et des autres se règlent autour de la CRC comme ceux des étoiles et des planètes autour du soleil.
[^77]: -- (12). Description inexacte, et par moments tendancieuse, de l'attitude de Mgr Lefebvre. Par exemple, tout le monde sait que Mgr Lefebvre met en cause « le concile » et non point simplement quelque « para-concile » ou « après-concile ». Mais surtout, assurer que Mgr Lefebvre a voulu créer une autre Église, une « Église officieuse », une « Église de suppléance », c'est plus qu'un contresens, c'est une invention venimeuse.
[^78]: -- (13). L'idée ne fut pas reçue du tout : telle qu'elle est décrite, elle n'existait pas. -- Mais au passage nous apprenons que, malgré les consignes de leur chef, la majorité des membres de la CRC respectent et suivent Mgr Lefebvre. Malheureuse majorité : ils sont déclarés « donatistes d'aujourd'hui » et « schismatiques ».
[^79]: -- (14). Non, ce n'est pas dans cette perspective. Voir le livre de Mgr Lefebvre : *Un évêque parle* (DMM éditeur).
[^80]: -- (15). Succéder à l'autre Église : cela, c'est l'abbé de Nantes qui l'ajoute, arbitrairement.
[^81]: -- (16). Selon l'abbé de Nantes, ces deux Églises sont 1° celle de Paul VI, 2° celle illégitimement fondée par Mgr Lefebvre et les intégristes. C'est une contre-vérité empoisonnée. -- Il y a deux Églises qui sont : 1° la véritable et unique Église catholique romaine, 2° la nouvelle et fausse Église installée par une faction moderniste à l'intérieur de l'administration ecclésiastique. -- Mgr Lefebvre et les intégristes n'ont créé aucune Église : ils appartiennent à l'Église catholique et ils constatent l'apparition de l'Église nouvelle, qui s'est elle-même donné un nom nouveau, jusque dans les documents officiels du Vatican, le nom d' « Église conciliaire ».
[^82]: -- (17). Ainsi l'abbé de Nantes ne connaît, ne dénonce qu'une seule « Église parallèle ». Et ce n'est pas la dénommée Église conciliaire, sur laquelle il paraît manquer d'information. Il a d'ailleurs, au début de son article, explicitement disculpé les modernistes de tout schisme (donc de toute constitution d'une « Église parallèle »).
[^83]: -- (18). Si la nouvelle messe dont parle ici l'abbé de Nantes est celle de l'Ordo promulgué en 1969, par Paul VI, alors il parle d'un mort ; le débat à son sujet serait purement théorique ; anachronique ; car elle n'est quasiment plus célébrée nulle part, du moins en Europe occidentale. S'il s'agit des nouvelles messes qui existent en fait, les messes issues de l'Ordo de 1969 dans la ligne de l'article 7 première version, l'abbé de Nantes voudrait-il insinuer qu'on ne doit pas même les soupçonner d'être « douteuses » ? -- Nous pensons plutôt que sa plume rapide aura bronché.
[^84]: -- (19). Tout cet alinéa n'est pas seulement inexact. Il est caricatural, s'exprimant à l'égard de Mgr Lefebvre sur un ton de dérision.
[^85]: -- (20). Après l'alinéa de la dérision, l'alinéa du réquisitoire. L'abbé de Nantes croit que Mgr Lefebvre est à terre ; et qu'il n'y a plus qu'à le piétiner.
[^86]: -- (21). Ici, comme il lui arrive parfois, l'abbé de Nantes ne se possède plus, il éructe n'importe quoi, il se frappe lui-même dans une fureur aveugle. Sa phrase en effet se retourne directement contre lui, il suffit d'en changer le nom : *un prêtre qui assure un ministère complet à la chapelle intégriste de Saint-Parres-lès-Vaudes sans aucun mandat ni pouvoir de la hiérarchie locale ni de Rome.*
[^87]: -- (22). Pas encore avoué, pas encore consommé, c'était pourtant le schisme, déjà.
[^88]: -- (23). Consommer et durcir le schisme ! L'affront, l'injure, la calomnie à Mgr Lefebvre, maintenant qu'on le croit abattu...
[^89]: -- (24). A quoi Écône aboutirait, l'abbé de Nantes l'avait prévu dès 1970. Très fort : avant même, donc, la fondation d'Écône ! C'est la manifestation chez lui de ce que, parlant de lui-même, il appelle plus haut avec satisfaction « une sorte d'esprit de prévision ». Il faudrait même dire de prophétie. Mais ses prophéties, il semble que le prophète, à son grand dommage, soit le premier à les oublier. S'il avait prophétisé en 1970, dès avant la fondation d'Écône, qu'Écône sombrerait dans le schisme, il avait par la suite donné l'exemple de la méconnaissance d'un tel avertissement. Car encore en 1975 (soixante-quinze) il déclarait au contraire : « *La résistance d'Écône me paraît sage, prudente, forte. *» En 1975 ! Mais oui. Non seulement il le déclarait mais il l'écrivait ; non seulement il l'écrivait, mais il l'imprimait : circulaire n° 8 « à nos amis » du 11 février 1975. Si « nos amis » sont aussi nombreux aujourd'hui à sombrer dans le « schisme », l'abbé de Nantes n'y est pas pour rien, qui jusqu'en 1975 leur garantissait que cette voie était « sage, prudente, forte ».
[^90]: -- (25). Que l'intérêt de la CRC soit considéré par son chef comme un intérêt *supérieur* et même comme un intérêt *souverain,* on le constate en effet plus d'une fois.
[^91]: -- (26). Étrange illusion. Quand l'abbé de Nantes écrivait ces lignes et quand il les publiait, Mgr Lefebvre n'était même pas encore frappé, lui, de suspense a divinis. Les censures canoniques sont accablantes si elles sont portées contre Mgr Lefebvre ; elles sont nulles seulement si elles visent l'abbé de Nantes. Il y a beaucoup d'abus à donner à croire que la situation juridique de Saint-Parres-lès-Vaudes serait tellement meilleure que celle d'Écône. A moins qu'il n'y ait eu des accommodements ignorés du public ? -- *Nous sommes encore là, nous que la condamnation d'Écône n'a pas atteints :* ou cela ne veut rien dire, ou cela signifie, non sans satisfaction, que ceux d'Écône, eux, ne peuvent plus dire qu'ils sont encore là. Mais ici l'abbé de Nantes prend son désir pour la réalité.
[^92]: -- (1). Sur cette éventualité, et sur les éventualités analogues ou voisines, voir ITINÉRAIRES, numéro 137 de novembre 1969, pages 1 à 17. (Voir aussi, dans le même numéro, les pages 307 à 321.)
[^93]: -- (2). Dans *La Croix* du 6 août, son rédacteur en chef Jean Potin assure que dans ce texte du *Figaro,* dont il donne la référence, Mgr Lefebvre « *met en doute la validité de l'élection du pape *»*.* Question : ce Jean Potin est-il incapable de comprendre ce qu'il lit, ou bien fait-il semblant ? -- Le même Jean Potin, dans *La Croix* du 17 août, prétend que « *Mgr Lefebvre et ses disciples mettent en avant les rites de la messe, mais* ILS TAISENT HABILEMENT *la condamnation qu'ils portent contre la totalité des orientations données à l'Église par le concile Vatican II *». C'est nous qui soulignons les mots : « ils taisent habilement ».
[^94]: -- (1). *Le sac de Rome* est le titre d'un ouvrage de Jean Madiran, annoncé depuis plusieurs années, qui est un des tomes à paraître de *L'Hérésie du XX^e^ siècle.* Un important extrait du *Sac de Rome* a été publié sous ce titre dans ITINÉRAIRES, numéro 155 de juillet-août 1971.
[^95]: -- (2). C'est Pie XII, plus encore que Jean XXIII, qui aimait et estimait Mgr Lefebvre.
[^96]: -- (3). La vérité n'est pas que ces messes n'ont rien à voir avec « la messe de Paul VI ». La vérité est qu'elles en sont issues, avec le consentement de Paul VI, consentement manifesté par la « parfaite impunité » qui leur est accordée.
[^97]: -- (4). Bien sûr. Mais on ne peut ignorer non plus que les démarches semblables ou analogues ont été nombreuses depuis une dizaine d'années ; elles sont restées vaines. D'où la conclusion pratique déjà tirée depuis longtemps : que l'heure n'est plus aux suppliques, mais à la réclamation et à la mise en demeure. Certes, dans le respect dû à la fonction ; et non sans compassion pour son actuel détenteur. Il ne convenait cependant point, nous semble-t-il, d'exagérer les marques de déférence.
[^98]: -- (5). Vatican II et Paul VI ont banni le juridique, le légalisme, le formalisme qui étaient nécessaires dans l'Église à la défense de la foi et au maintien de l'unité. Ils ont en revanche conservé tout le formalisme, le légalisme, le juridique utiles à la persécution de ceux qui s'opposent à l'installation d'une nouvelle religion.
[^99]: -- (6). « Leur » place dans l'Église, c'est toute la place. On ne peut pas faire « leur » place, on ne peut pas donner « une » place à la messe traditionnelle et au sacerdoce de toujours au sein d'un pluralisme où toutes les célébrations sont permises. Quand toutes les célébrations sont permises, ipso facto la messe traditionnelle est exclue, cela se comprend, et nous en vivons tous les jours la vérification pratique. La vraie religion est la seule qui ne puisse accepter la coexistence, sur le même pied et au même titre, avec les « autres » religions. La vérité est la seule qui ne puisse accepter le principe que toutes les opinions se valent et sont également respectables. Le Panthéon moderne, comme celui des Romains, veut bien s'ouvrir à tous les dieux, à la seule condition, inévitable, que tous ces dieux se tolèrent les uns les autres...
[^100]: -- (7). Clause de style qui appartient au genre littéraire de la « supplique ». A condition que l'opinion ne s'y laisse pas tromper, et ne la prenne pas pour une invitation à faire confiance à Paul VI, cette supplique pourra éventuellement avoir été utile, en faisant à nouveau la preuve de l'inutilité actuelle des suppliques de cette sorte. Réclamons de Paul VI, plutôt, cela même que lui réclame Mgr Lefebvre dans sa lettre historique du 17 juillet 1976.
[^101]: -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 204 de juin 1976, « Notes critiques ».