# 207-11-76 1:207 NOTRE AMI *Jean-Marc Dufour est mort le 14 octobre, dans sa soixante et unième année, après plusieurs mois de maladie. Sa collaboration à la revue avait commencé en décembre 1964 ; mais c'est surtout à partir de mars 1968 qu'il nous donna avec régularité, principalement sur ce qu'il appelait le monde* « *ibéro-américain *»*, une chro­nique sans équivalent dans la presse française par la richesse des observations, la pénétration des diagnostics, le mouvement du propos. On y a trouvé, mois après mois, une illustration concrète des mécanismes politiques de la subversion, qui nous étaient traduits en langues, en climats, en hommes. Grand voyageur, tempérament aventu­reux et gai, connaisseur toujours curieux de psy­chologies, de cuisines* *et de jardins, ayant le don naturel et le métier du journaliste, il a été toute sa vie un militant de la contre-révolution. Cette fidélité militante qui vient de quitter nos rangs, que Dieu l'accueille dans son éternité pacifiée. Et que Sa miséricorde daigne nous être en aide, dans la tristesse et l'embarras où nous met cette place maintenant vide.* 2:207 ## ÉDITORIAL ### Le concile en question #### I. -- La distinction subtile On nous invite à savoir faire désormais la distinction entre le concile et son interprétation, entre le concile et son application. Nous n'avions pas su faire cette distinc­tion, voyez-vous, nous n'avions pas appris à la faire tout au long de nos dix années d'études et de combats post­conciliaires. Qu'on nous pardonne, cette distinction si ingé­nieuse est un tel tour de force et demande une telle puis­sance intellectuelle que nous n'en avions sans doute pas été capable spontanément. Mais si l'on veut bien nous venir en aide, peut-être finirons-nous par y arriver. Voilà le discours que l'on nous tient, la monition que l'on nous adresse. Il faut qu'enfin nous arrivions à distin­guer entre le concile en lui-même et l'évolution post­conciliaire. Mais nous n'y arriverons pas. Il n'y a aucune chance que nous y arrivions. Car, tout à l'inverse d'y arriver, nous en venons. C'est, par là que nous avions commencé. Si l'on connaissait un peu l'histoire récente et l'état de la question, on saurait que la distinction toute simple et toute naturelle entre le concile et son application, faite dès 1966, n'a pas résisté par la suite à l'épreuve des faits. 3:207 Cette distinction normale ne correspondait pas à la réalité d'une entreprise anormale. La vérité est que le concile a été interprété et appliqué par ceux qui l'avaient fait. Ils l'avaient fait en vue de cette application. Ils l'appliquent comme ils en avaient l'intention. En cela consistent la continuité, la cohérence, l'unité entre « le concile » et « l'application » qui en est le fruit. Reprenons une fois encore l'exemple du latin : il n'est pas le plus important mais il est le plus clair. Le concile avait ordonné que le latin demeure la langue liturgique (dans l'Église latine) ; il avait ajouté que, « toutefois », « on pourra faire une plus large place à la langue du pays ». C'était au moins une imprudence ; ce n'était pas une condamnation du latin. Pourtant, au nom du concile, le latin a été abandonné, tourné en dérision, supprimé par­tout. Pendant dix années Una Voce, entre autres, et nous-même au début, nous avons invoqué le décret du concile, le texte conciliaire. En vain. Et maintenant on vient nous dire : -- Vous accusez le concile, mais vous n'avez donc pas lu les textes conciliaires ; vous ne savez donc pas que le concile a maintenu le latin ? Sans doute, un article du concile a maintenu le latin, nous connaissons cet article, c'est celui que nous avons tant rappelé sans jamais être entendus : car c'est un article sans portée pratique, c'est un texte attrape-nigauds qui n'est pas « le concile » tel qu'il se tapit dans l'intention subreptice de ceux qui l'ont fait pour l'interpréter et qui l'ont interprété pour l'appli­quer. Ils voulaient supprimer le latin. Dans le texte conci­liaire, ils n'ont qu'entr'ouvert la porte à la suppression. Et puis, au nom du « concile » qu'ils avaient fait, ils ont dirigé l' « application » dans le sens qui était le leur ; le sens souhaité, prévu, voulu. La réalité historique du concile -- sa « réalité vivante » -- n'est pas dans le flou des textes conciliaires, mais dans l'intention qui présidait au flou, pour nous flouer. On dit encore : -- *Cette application mauvaise, le pape ne l'a pas voulue, elle s'est faite contre sa volonté.* Mais non. Point du tout. C'est Paul VI qui a donné l'exemple, qui a donné l'impulsion, ici comme ailleurs. 4:207 Dès le 7 mars 1965, il déclarait : « C'est un sacrifice que l'Église accom­plit en renonçant au latin. » Et le 26 novembre 1969 : « Ce n'est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. » Paul VI, qui avait fait le concile, qui avait promulgué la constitution sur la liturgie, en dirigeait ainsi l'application. Le cas du latin, qui est le plus clair, éclaire les autres, qui sont souvent plus obscurs, mais toujours analogues. Assurément, l'évolution conciliaire comporte aussi quel­ques extravagances superfétatoires, quelques excès dans le grotesque et le scandaleux, qui n'ont pas été expressément voulus et qui sont, dans l'Église conciliaire, des manifes­tations d'indiscipline, ou plutôt d'anarchie. Elles ne sont jamais réprimées avec la rigueur que l'on a employée contre Mgr Lefebvre ; elles sont plus ou moins tolérées. Mais les « applications scandaleuses » que l'on nous de­mande de distinguer du « concile » lui-même se limite­raient-elles donc à ces extravagances superfétatoires ? Au contraire, à nos yeux, les « applications » les plus « scan­daleuses » sont celles qui engagent les détenteurs de l'autorité. Le scandale d'un coup d'alcool à boire pendant la messe, un quart d'heure avant de communier, ce n'est pas une manifestation d'indiscipline ou d'anarchie : c'est le quart d'heure de Paul VI ([^1]). Je le leur demande sans malice, je le leur demande fraternellement, je le leur demande aussi doucement, aussi gentiment que possible, je voudrais savoir si Pierre Debray, je voudrais savoir si Marcel Clé­ment, au nom de l'obéissance au pape et au concile telle qu'ils la prônent, trouvent bon et recommandent de boire un coup un quart d'heure avant la communion. J'espère bien qu'ils n'obéissent pas. #### II. -- L'intention du législateur La preuve est faite depuis 1966 ; et c'est une preuve par le fait. Elle s'inscrit dans l'histoire même de la revue ITINÉRAIRES. 5:207 Faut-il le rappeler, nous n'avions attaqué ou refusé aucun décret conciliaire régulièrement promulgué. Nous les avions tous reçus, nous les avions tous acceptés. Certes, leur rédaction nous paraissait incertaine, ambiguë, atypique, polyvalente. Si nous les avons reçus et acceptés, ce ne fut pas en tant qu'équivoques ; ce ne fut pas en tant que susceptibles d'une interprétation moderniste ; mais en tant que susceptibles d'une interprétation catholique, celle qu'invoquent aujourd'hui encore un Marcel Clément, un Pierre Debray, un Michel de Saint Pierre. La distinction entre le concile et son interprétation, nous l'avions faite tout de suite, et nous prenions position en ces termes (dé­cembre 1965) : «* Nous recevons les décisions du concile en con­formité avec les décisions des conciles antérieurs. Si tels ou, tels textes devaient paraître, comme il peut arriver à toute parole humaine, susceptibles de plusieurs interprétations, nous pensons que l'in­terprétation juste est fixée précisément par et dans la conformité avec les précédents conciles et avec l'ensemble de l'enseignement du magistère. Nous croyons à l'Église des papes et des conciles et non point à une Église qui serait celle d'un seul concile. S'il fallait -- comme certains osent le suggé­rer -- interpréter les décisions du concile dans un sens contraire aux enseignements antérieurs de l'Église, nous n'aurions alors aucun motif de rece­voir ces décisions et personne n'aurait le pouvoir de nous les imposer. Par : définition, l'enseignement d'un concile prend place dans le contexte et dans la continuité vivante de tous les conciles. Ceux qui voudraient nous présenter l'enseignement du concile hors de ce contexte et en rupture avec cette continuité nous présenteraient une pure invention de leur esprit, sans aucune autorité. *» C'est alors qu'est intervenue la preuve par le fait : la position dont on vient de lire l'énoncé a été condamnée. 6:207 C'est *pour cela* en effet que la revue ITINÉRAIRES a été condamnée dès juin 1966 : condamnée par l'épiscopat comme *refusant le concile,* comme le refusant *en cela.* Les évêques qui avaient fait le concile, qui interprétaient le concile, qui appliquaient le concile, avaient toujours eu la volonté que l'interprétation moderniste soit l'interprétation obligatoire. Ils avaient toujours eu le dessein d'interpréter la loi conciliaire d'après l'intention du législateur : d'après leur intention. Selon l'exemple et l'impulsion donnés par Paul VI. Quand je parle d'intention « moderniste », je l'entends en un sens aussi large que l'on voudra ; mais en tous cas en ce sens : on ne voulait pas que le concile soit soumis à la règle de la conformité obligatoire avec les en­seignements antérieurs ; on ne voulait pas que ce concile pastoral soit enfermé dans la cohérence et la continuité de tous les conciles ; on ne voulait pas qu'il soit compris et appliqué dans les limites imposées par la tradition. Ce n'était pas un concile comme les autres ; c'était un concile sans précédent ; c'était le concile le plus représentatif, le plus nombreux, le plus universel, le plus démocratique, le plus révolutionnaire qui ait jamais eu lieu. Il fallait qu'il soit désormais *la référence unique ;* il avait mission de *résumer ou remplacer* tout ce qui avait été décrété et enseigné avant lui. Et c'est pourquoi l'*acceptation catho­lique* de ce concile, la nôtre, était pour ceux qui l'avaient fait l'équivalent d'un refus. Au mois de juin 1966, la revue ITINÉRAIRES fut donc condamnée en ces termes révélateurs : « *Une minorité, avec une audace qui s'affirme, conteste, au nom d'une fidélité au passé, les principes du renouveau entrepris. *» Non pas les modalités : mais bien les principes. Voilà comment, dans leur spontanéité moderniste, les auteurs du concile ressentaient notre acceptation du concile. Nous acceptions les textes : mais, en les soumettant à la règle catholique d'une interprétation obligatoirement en conformité avec les enseignements antérieurs, nous al­lions contre l'intention du législateur conciliaire qui avait fait Vatican II. 7:207 Cet épisode, sa leçon, ce débat, nous y avons consacré beaucoup de temps, de travaux, de pages. Le lecteur qui n'a pas la possibilité (ou la patience) de se reporter à une collection complète de la revue ITINÉRAIRES peut en trouver le résumé dans les trois premiers chapitres de *Réclamation au Saint-Père* ([^2])*.* La condamnation d'ITINÉRAIRES en 1966 n'est pas simplement un incident anecdotique ; elle a une signification qui est éclairante, elle explique comment et pourquoi « le concile » a porté des fruits qui ne pa­raissent point forcément annoncés par « les textes » pro­mulgués : c'est que les législateurs en personne ont tou­jours interprété leurs lois conciliaires selon leur intention de législateurs. La preuve était faite dès 1966 que l'in­terprétation catholique des textes du concile, littéralement non impossible, resterait tout au plus une hypothèse d'éco­le, sans portée pratique, au demeurant frappée de suspicion disciplinaire et de relégation sociologique : elle le reste au­jourd'hui, même quand un Michel de Saint Pierre, un Pierre Debray ou un Marcel Clément lui prêtent le concours de leur talent et de leur obstination. Oui, le concile a été interprété et appliqué selon l'in­tention dans laquelle il avait été fait. Ce qui est à rectifier, ce n'est pas seulement l'application. C'est l'intention. La­quelle intention est toujours au pouvoir, présentement, dans l'Église occupée. #### III. -- Du côté de Mgr Lefebvre Depuis le mois de juillet, la presse grosse et grasse, écrite ou parlée, s'est mise à faire beaucoup de bruit autour de Mgr Lefebvre. Cela comportait plusieurs avantages ; mais point celui de l'exactitude ; ni celui de la fertilité spirituelle. En outre, profitant du fait que l'attention des foules était mécaniquement attirée de ce côté, diverses sortes de personnalités, leaders, penseurs et chefs de file se bousculaient sur les écrans de la renommée, multipliant déclarations et initiatives en tous sens, utilisant chacun pour soi l'occasion publicitaire ainsi offerte, approuvant Mgr Lefebvre quelquefois pour ce qu'il avait fait mais plus souvent pour ce qu'il ferait s'il se mettait enfin à suivre les conseils et instructions qu'on lui prodiguait. 8:207 Ce remue-ménage n'avait pas grands inconvénients, sauf celui d'avoir pour résultat (et dans quelques cas pour intention) de li­miter, d'orienter ou d'embarrasser la démarche de Mgr Lefebvre ; d'hypothéquer plus ou moins subtilement sa li­berté d'action ; de peser sur elle par des interventions irres­ponsables. Je dis irresponsables par comparaison avec ce qu'est la responsabilité d'un évêque fondateur comme Mgr Lefebvre. Au contraire, ce à quoi pour notre part nous tenons le plus en cette affaire, c'est à son entière liberté de décision, à son entière liberté d'action. Fort heureuse­ment cette liberté ne se laisse pas impressionner par les remous favorablement ou défavorablement manipulés de l'opinion publique. Le soutenir et l'aider ? Bien sûr. Mais le soutenir, mais l'aider, c'est d'abord connaître : et faire connaître la réalité de sa pensée, de son discours, : de son action : réalité laminée par les journaux, y compris ceux qui sont supposés les moins mauvais. A lire Fabrègues, Mgr Lefebvre voudrait quitter ou même aurait quitté l'Église catholique. A écouter l'abbé Jacques Dupuy, échap­pé d'Écône que je regrette de trouver au poste de délégué général de l'association « Credo », Mgr Lefebvre aurait « cru bon de prendre des positions politiques ». A entendre Pierre Debray, Mgr Lefebvre aurait dessein de créer « une Église d'Action française ». A lire Raymond Bourgine, directeur de *Valeurs actuelles,* Mgr Lefebvre « cède à la tentation politique en dressant l'Église contre le commu­nisme ». A lire Jean Potin dans *La Croix*, Mgr Lefebvre et ses disciples « taisent habilement la condamnation qu'ils portent contre la totalité des orientations données à l'Église par le concile Vatican II ». A lire l'éditorial du *Monde,* Mgr Lefebvre n'aurait « rien appris et tout oublié de ce qui s'est produit depuis le concile de Trente ». Ainsi des com­mentaires sans fondement se substituent arbitrairement à la réalité. 9:207 Là-contre, notre travail est de continuer à re­cueillir et à publier les principaux documents de l'affaire. Les journaux n'en donnent que de brefs extraits, vite éga­rés, vite oubliés. Nous cherchons donc à faire connaître ce que Mgr Lefebvre a dit, à faire lire ce qu'il a écrit, à faire comprendre ce qu'il a décidé ; et non pas à insinuer ce que nous ferions si nous étions à sa place. Telle est notre contribution. Sur ce terrain il n'y a pas grande concurrence. #### IV. -- Le catéchisme Et maintenant, on en revient au catéchisme. Je veux dire que l'attention publique y revient. Pour nous, nous n'avons pas cessé d'y être depuis 1967, quand nous remet­tions en circulation le *Catéchisme de S. Pie X.* Car, dès le lendemain du concile, la première victime de l'esprit nou­veau, après le latin liturgique, fut le catéchisme romain. La falsification de l'Écriture fut introduite dans le caté­chisme avant même de l'être dans la liturgie. La religion nouvelle imposa son nouveau catéchisme : et la messe nouvelle fut celle du catéchisme nouveau. Mais le nouveau catéchisme lui-même n'existe plus. Voici ce qu'on peut lire maintenant dans le *Figaro* (10 octobre) : « Aujourd'hui beaucoup de jeunes chrétiens ne connaissent ni le *catéchisme* de leurs parents ni la *catéchèse* de leurs aînés. Laissés a eux-mêmes, vivant dans une ambiance néo-païenne, ils se laissent attirer par des sectes ou récupérer par des mouvements politiques de libération. » C'est un fruit du concile : du concile entendu connue résumant ou remplaçant toute la doctrine chrétienne. 10:207 La résistance à la décomposition du catéchisme a été très forte. Elle s'affermit et se développe sans cesse. On trouvera ci-après, en annexes, le rappel (résumé) de notre contribution ; annexe I : quant aux principes ; annexe II quant aux instruments de travail. J. M. 11:207 ANNEXE I ### Les trois connaissances nécessaires au salut et les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique Ce texte est bien connu de nos anciens lecteurs. Il résume ce pour quoi nous militons, en matière de catéchisme, depuis 1967. Il ne suffit pas d'avoir des connaissances. Mais il est indispensable d'en avoir certaines. Depuis plus d'un siècle déjà, l'ignorance religieuse était dénoncée par tous les papes comme le plus grand mal du monde moderne. Elle ne fait que croître en notre temps post-conciliaire d'obscu­rantisme spirituel. Le remède direct à l'ignorance religieuse est l'instruction religieuse. Le *catéchisme,* c'est-à-dire l'enseignement qui est donné sous ce nom et qui est contenu dans un livre ainsi dénommé, a pour but de procurer *les connaissances nécessaires au salut.* Selon toute la tradition doctrinale et pédagogique de l'Église, codifiée dans le catéchisme du concile de Trente, il y a *trois* connaissances nécessaires au salut : 12:207 I. -- La connaissance de ce qu'il faut croire : connais­sance qui instruit la vertu théologale de foi et qui est procurée par L'EXPLICATION DU CREDO. II\. -- La connaissance de ce qu'il faut désirer : con­naissance qui instruit la vertu théologale d'espérance et qui est procurée par L'EXPLICATION DU PATER. III\. -- La connaissance de ce qu'il faut faire : con­naissance qui instruit la vertu théologale de charité et qui est procurée par L'EXPLICATION DES COMMANDEMENTS DE DIEU. Mais ces trois connaissances nécessaires au salut de­meurent ordinairement inefficaces sans les sacrements l'explication des sacrements constitue le quatrième point obligatoire de tout catéchisme catholique. Le catéchisme catholique :\ il n'y en à qu'un Donc, tout catéchisme catholique comporte *quatre points obligatoires :* les trois connaissances nécessaires au salut et l'explication des sacrements. On pourrait supposer que nous l'avons inventé ou décrété nous-mêmes : il n'y à quasiment plus, en effet, qu'ITINÉRAIRES pour le rappeler. Mais l'ignorance, l'indifférence religieuse et l'oubli qui règnent aujourd'hui avec arrogance sur un clergé déca­dent ne peuvent changer ni supprimer la vérité : *ce sont la doctrine et la pratique constantes de l'Église* qui imposent les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique. Il n'y à qu'un catéchisme catholique romain, c'est le catéchisme du concile de Trente, promulgué par le pape saint Pie V : aucun concile ni aucun pape n'a ordonné la rédaction d'un catéchisme différent. 13:207 C'est le catéchisme « à l'usage du clergé et des paroisses, des familles et des maisons d'éducation ». Le catéchisme de saint Pie X en est une adaptation authentique à l'usage des enfants. Mais, compte tenu de l'atrophie actuelle des cerveaux abrutis par l'audiovisuel, il peut en beaucoup de cas, aujourd'hui, servir utilement de catéchisme pour adultes. Naturellement, seuls peuvent s'y instruire ceux qui ont l'humilité d'apercevoir qu'ils ne savent pas, et qu'ils ont tout à apprendre : Ce qui s'y oppose le plus directement, c'est l'illusion barbare, méthodiquement infusée aux éco­liers, lycéens et étudiants : qu'ils sauraient tout avant même d'avoir rien appris. A l'explication de textes (Credo, Pater, Commande­ments), l'instruction religieuse ajoute des récits histori­ques : vie de Jésus, vies de saints, histoire sainte, histoire de l'Église. Ce sont en effet, dans l'ordre surnaturel comme dans l'ordre naturel, les deux méthodes fondamentales, univer­selles, complémentaires de l'éducation intellectuelle : a\) expliquer (et faire expliquer) des textes ; b\) raconter (et faire raconter) des histoires. L'explication de la liturgie -- là où la liturgie catho­lique et son calendrier traditionnel ont été conservés -- permet souvent d'unir le récit historique et l'explication de textes. La réalité concrète\ de la vie intérieure Théoriquement, bien sûr, on pourrait enseigner les vérités nécessaires au salut autrement que par une expli­cation du Credo, du. Pater et des Commandements. 14:207 Mais nous n'avons que faire ici d'hypothèses et de possibilités purement théoriques. Il s'agit de savoir ce qui est réellement nécessaire aux enfants dans leur vie surna­turelle de chaque jour. Avec les nouveaux catéchismes, les enfants ne récitent plus le Pater et le Credo. Ou bien, ils récitent un Pater et un Credo qui ne leur ont pas été expliqués. Ils n'apprennent plus à faire leur examen de conscience quotidien : en tous cas, *ils ne le font plus en* *regard des Commandements de Dieu.* Sous le prétexte de rejeter ce qui est « abstrait » et d'enseigner un « comportement religieux concret », les nouveaux catéchismes ont complètement perdu de vue la réalité : à savoir que la vie religieuse quotidienne est fondée d'abord sur la prière de chaque jour et sur l'exa­men de conscience. La prière quotidienne, l'examen de conscience de chaque jour progressent à mesure que progressent l'expli­cation du Credo, l'explication du Pater, l'explication des Commandements de Dieu : telle est la réalité concrète et vivante, telle est la pédagogie catholique. *Rien d'autre ne peut remplacer les Commandements, et le Pater, et le Credo.* Laisser les enfants sans Credo, sans Pater, sans Commandements, -- les laisser sans catéchisme qui les leur explique, -- c'est les condamner à un abandon spirituel épouvantable. Dans cet abandon, spirituellement orphelins, ils deviennent des sauvages. Avec les nouveaux catéchismes, dans le meilleur des cas le Credo, le Pater et les Commandements survivent comme des formules récitées par cœur sans jamais avoir été ex­pliquées. \*\*\* 15:207 L'absurdité la plus criminelle des nouveaux catéchismes est donc de n'avoir plus pris en considération ce fait capital : Credo, Pater et Commandements sont d'une part les textes que l'enfant chrétien utilise quotidiennement, les points fixes de sa vie intérieure ; ils sont d'autre part les textes les plus officiels de l'Église, les plus fondamentaux de la foi chrétienne. Deux motifs impérieux pour lesquels il faudrait de toutes façons les expliquer. Et justement c'est leur explication qui procure, selon la pédagogie tra­ditionnelle de l'Église, les connaissances nécessaires au salut. Rappelons en effet que le Credo, ou « Symbole des Apôtres », est le résumé de la doctrine chrétienne selon les premiers Apôtres. Le Pater et les Commandements sont la prière et la loi révélées par Dieu. C'est de tout cela, pas moins, que l'on a amputé les nouveaux caté­chismes. Non pas inadaptation,\ mais ignorance Les nouveaux catéchismes se prétendent « adaptés ». En réalité ils ne sont adaptés à rien, puisqu'ils ne con­tiennent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; ils ne comportent plus les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique ; ils ne procurent plus l'essen­tiel de l'instruction religieuse ; ils sont des catéchismes d'ignorance. Ne vous laissez pas déconcerter par les discours pédants sur l'*adaptation*. L'adaptation vraie ne demande pas tant de contorsions, de recherches pseudo-scientifiques, de commissions ésoté­riques. La mère de famille parle *spontanément* un langage « adapté » à son petit enfant. Tout enseignement oral, celui du catéchisme comme les autres, est par lui-même, inévi­tablement, et au moins instinctivement, une « adaptation » à ceux qui l'écoutent. 16:207 Les uns sont plus doués que d'autres pour enseigner ; mais c'est affaire aussi d'amour et d'ex­périence ; de prière et de grâce. Et non pas d'une préten­due science psycho-sociologique ou pédagogique qui, telle qu'elle est aujourd'hui, est vaine dans le meilleur des cas, et fausse le plus souvent. L' « adaptation » n'est pas le problème premier ni le problème essentiel. L'enseignement du catéchisme en France ne souffre pas d'abord d'inadaptation, il souffre d'abord d'infidélité et d'ignorance. C'est à l'ignorance et à l'infidélité qu'il faut avant tout porter remède : par une instruction religieuse véritable et vraie, puisée dans un catéchisme que l'on puisse étudier avec une confiance absolue : le catéchisme de saint Pie X. J. M. 17:207 ANNEXE II ### L'arsenal pour le catéchisme 1\. -- Lettres à une mère sur la foi, par le P. Emmanuel. Cet ouvrage est celui que nous proposons et recommandons d'abord, comme indispensable à tous ceux qui ont à enseigner le catéchisme. Bien entendu, ces lettres du P. Emmanuel sont très utiles à toutes les mères chrétiennes à qui elles sont destinées en premier lieu. Mais elles ont en outre une portée universelle. Elles exposent la méthodologie de l'enseignement de la foi, en expliquant et infu­sant l'esprit qui doit l'animer. Aucun « livre du maître » ne peut remplacer ces douze instruc­tions du P. Emmanuel. (DMM éditeurs.) 2\. -- Petit catéchisme de S. Pie X. Une édition manuelle pour les enfants : 96 pages en gros carac­tères, deux couleurs, six photographies. Nous a-t-on assez raconté que le catéchisme de saint Pie X *pour les enfants* n'était pas... pour les enfants ! 18:207 La nécessité d'aller le rechercher quand tout le monde en France l'avait abandonné, l'urgence de le remettre en circulation dès 1967, nous avaient conduit à publier en un seul volume de 400 pages le « petit » et le « grand » catéchisme et leurs compléments. Alors on s'est mis à raconter que ce gros volume de 400 pages n'était « pas pour les enfants ». Bien sûr ! Il était pour les adultes, pour les caté­chistes et... pour les éditeurs. Voici donc maintenant le petit catéchisme : en une édition ma­nuelle tout exprès pour les enfants, et *pour faire la preuve que le catéchisme de saint Pie X pour les enfants est bien effectivement pour les* *enfants.* Le catéchisme de S. Pie X donne de brèves et nettes définitions. Les formules de ces définitions peuvent facilement être apprises par cœur : ainsi on *garde* les points essentiels *fixés* dans la mémoire. Avec le catéchisme de S. Pie X, *on sait immédiatement ce qui est vrai et ce qui est faux.* Il est d'une utilité directe pour *démasquer* instantanément les discours trompeurs des mauvais prêtres sur la messe, sur les sacrements, sur les dogmes, sur le décalogue, etc. Il est par excellence le guide sans équivoque qui énonce les points fixes, les vérités à croire, le *résumé net* de la pensée universelle, permanente et obligatoire de l'Église catholique. C'est pourquoi de grands esprits, qui n'avaient pas dédaigné de s'instruire dans ce « petit catéchisme », y ont trouvé les lumières et les grâces de la conversion. (DMM éditeurs.) \[It. 116-09-67\] 3\. -- Grand catéchisme de S. Pie X. Le « Petit catéchisme » de saint Pie X est directement destiné aux enfants qui n'ont pas encore fait leur première communion solen­nelle. Le « Grand catéchisme » est pour les enfants déjà instruits de ce qu'on apprend dans le petit catéchisme : cela fait très bien un *manuel scolaire pour les plus grandes* *classes.* (En vente chez DMM.) \[It. 116-09-67\] 4\. -- Catéchisme de la famille chrétienne, par le P. Emmanuel. Actuellement épuisé. Réimpression prochaine. Se renseigner chez DMM. 19:207 5\. -- La Bible d'une grand mère, par la com­tesse de Ségur. Tome 1 : Ancien Testament. Tome II : Nouveau Testament. (DMM éditeurs.) 6\. -- Catéchisme des plus petits enfants, par le P. Emmanuel. Destiné non pas aux petits enfants eux-mêmes (il concerne ceux qui ne savent pas encore lire) mais aux mamans. Le but du P. Emmanuel dans cet ouvrage est de « *former la mère chrétienne à la science de première catéchiste de ses enfants *». (DMM éditeurs.) 7\. -- L'explication du Credo par saint Thomas d'Aquin. *La première des trois connaissances nécessaires au salut :* ce qu'il faut croire, vertu théologale de foi. Ce sont des *sermons* de saint Thomas au *peuple chrétien *: ouvrage adéquat à l'*instruction du simple* *fidèle.* (Texte latin et traduction française. Nouvelles Éditions Latines.) 8\. -- L'explication du Pater par saint Thomas d'Aquin. *La seconde des trois connaissances nécessaires au salut :* ce qu'il faut désirer, vertu théologale d'espérance. Comme l'ouvrage précédent, ce sont des *sermons au peuple chré­tien,* convenant à l'instruction du simple fidèle. (Texte latin et traduction française. Nouvelles Éditions Latines.) 20:207 9\. -- L'explication des Commandements par saint Thomas d'Aquin. *La troisième des connaissances nécessaires au salut :* ce qu'il faut faire, vertu théologale de charité. Explication des dix commandements du Décalogue et des deux préceptes de l'amour. Ce sont toujours des sermons de saint Thomas au peuple chrétien : ils conviennent à l'instruction du simple fidèle. (Texte latin et traduction française. Nouvelles Éditions Latines.) 10\. -- Les quatre Opuscules doctrinaux du P. Emmanuel. Quatre opuscules qui viennent s'ajouter aux « Lettres à une mère sur la foi » (ci-dessus, n° 1). Ce sont : *-- Le naturalisme.* *-- Le chrétien du jour et le chrétien de l'Évangile.* *-- Les deux cités.* *-- La grâce de Dieu et l'ingratitude des hommes.* (DMM éditeurs.) 11\. -- Le Rosaire de Notre-Dame par le P. Calmel. Pour joindre la prière de chaque jour au catéchisme quotidien. (DMM éditeurs.) 12\. -- Le catéchisme sans commentaires. Une brochure de 20 pages qui établit, par des exemples caracté­ristiques et fondamentaux, le fait de la falsification de l'Écriture sainte dans les nouveaux manuels de catéchisme. 21:207 Elle donne les textes, les références, les dates sans aucune appréciation, sans aucun commentaire : la simple comparaison, face à face, du texte authentique et des textes altérés. (A commander chez DMM.) \[It. 132-supp. \] 13\. -- Commentaire du communiqué. Le communiqué reproduit et commenté dans cette brochure est celui qu'avait publié en 1968 l'amiral de Penfentenyo sur le nouveau catéchisme. Ce communiqué historique demeure le plus clair, le plus bref et en même temps le plus complet sur la question. Avec fermeté, avec netteté, il déclare l'essentiel de ce qu'il faut savoir. Une brochure de 24 pages. (A commander chez DMM.) \[*Itinéraires*, supplément au n° 125, reproduction des pages 1 à 21 du n° 125-07-68\] 14\. -- Le nouveau catéchisme. Troisième édition : 76 pages (paginées de I à XVII et de 1 à 55). L'étude la plus détaillée, en brochure, sur les omissions, les erreurs et les tromperies du nouveau catéchisme français : des précisions que vous ne trouverez pas ailleurs. (A commander chez DMM.) 15\. -- Le chant grégorien, par Henri et André Charlier. Un livre de doctrine, d'enseignement, de sanctification : le livre d'aujourd'hui pour le combat spirituel de maintenant. Un livre indis­pensable aux familles et aux écoles chrétiennes. Beaucoup ont cru, sans s'y arrêter davantage, que le chant grégo­rien était sympathique sans doute, intéressant, souhaitable, mais secondaire par rapport au drame religieux que nous vivons : alors qu'il est absolument central. 22:207 Henri et André Charlier ne sont pas nés dans une famille chré­tienne. Leur père était un important franc-maçon. Ils sont des conver­tis et des baptisés de l'âge adulte. Ils sont venus *du monde moderne à la foi chrétienne,* contrairement à l'itinéraire de décomposition qui veut nous conduire, évêques en tête, *de la foi chrétienne au monde moderne.* Et personne en notre temps n'a compris, pratiqué et enseigné le chant grégorien comme ils l'ont fait, avec des fruits spirituels aussi manifestes et aussi durables. Ils témoignent d'une chose qu'ils n'ont pas inventée, et ils l'expli­quent : une chose qui appartient à la tradition, à la sagesse, à la pédagogie de l'Église, et que dans l'Église on est en train de mécon­naître et d'oublier. A savoir qu'*en matière d'éducation chrétienne, le grégorien est plus surnaturel, plus simple,* *plus universel, plus popu­laire que tout le reste.* L'ouvrage comporte un chapitre sur la méthode pratique pour en­seigner le chant grégorien aux enfants. (DMM éditeurs.) 16\. -- Sur nos routes d'exil : les Béatitudes par le P. Calmel. Élévations et instructions sur quelques vérités évangéliques : l'es­prit d'enfance et l'esprit évangélique ; la pratique du commandement nouveau ; charité surnaturelle et noblesse humaine ; prudence de la chair et prudence de l'esprit ; charge du temporel et primauté du Royaume de Dieu ; héroïsme et gentillesse ; sens politique et pureté ; réponse intégrale aux iniquités politiques. (Nouvelles Éditions Latines.) 23:207 17\. -- Les mystères du Royaume de la grâce, par le P. Calmel. Tome 1 : *les dogmes*. -- Introduction en sept chapitres aux prin­cipaux mystères de la doctrine chrétienne. Dans une époque d'amoin­drissement de toutes choses, de relativisation universelle, ce *précis de théologie* respecte dans toutes ses pages l'élévation des mystères révélés ; il propose une étude de la doctrine de toujours dans la ligne du combat mené par saint Pie X contre le modernisme. (DMM éditeurs.) 18\. -- Les grandeurs de Jésus-Christ, par le P. Calmel. La doctrine traditionnelle de l'Église. Les sept chapitres de ce petit livre forment le complément du Traité du Verbe incarné qui est la troisième partie de l'ouvrage précédent. (DMM éditeurs.) 19\. -- Les mystères du Royaume de la grâce, par le P. Calmel. Tome II : *le chemin de la sainteté.* -- Face à l'étouffement des âmes par le modernisme -- étouffement qui s'étend très vite et avec une particulière violence -- la perspective véritable de la vie chré­tienne : celle d'un mystère proprement surnaturel, révélé d'en haut, le mystère de notre retour à Dieu dans le Christ, à pas d'amour. (DMM éditeurs.) 20\. -- L'hérésie du XX^e^ siècle, par Jean Madi­ran. Lors de sa publication en 1968, cet ouvrage parut à certains aven­turé ou excessif. A le relire (ou à le lire) aujourd'hui, c'est-à-dire désormais sans étonnement ni scandale, le lecteur y découvre l'explication doctrinale de la crise religieuse que nous vivons. (Nouvelles Éditions Latines.) 24:207 ## CHRONIQUES 25:207 ### L'Église militante *et l'Autre, dite "vivante"* par Gustave Corçâo #### I. -- Le cardinal primat du Brésil embrasse la franc-maçonnerie AUJOURD'HUI nous traiterons de l'athéisme larvé de Salvador ([^3]) et de ce festival, de ces noces de l'Autre église avec la maçonnerie en général et la loge maçonnique Liberté en particulier. Allons d'abord aux faits et aux discours. Voici le texte découvert dans le *Jornal do Brasil* du 12 juin 1976 : UN CARDINAL REÇOIT DES FRANCS-MAÇONS LE TITRE DE « GRAND BIENFAITEUR ». -- Investi solennellement du titre de Grand Bienfaiteur de la grande loge maçonnique Liberté, pour son initiative de rappro­chement entre l'Église et la franc-maçonnerie, le cardinal Abélard Brandâo déclare que par là l'Église « *ne prétend pas prendre racine dans les cadres officiels de la maçonnerie, ni celle-ci pro­fiter de l'occasion pour organiser des services de permanence dans l'institution ecclésiale *»*.* 26:207 « *Il s'agit bien plutôt,* poursuit le cardinal, *de découvrir dans cette confrontation des idées épou­sées par des personnes et des organisations adultes les points de convergence, les éléments de rappro­chement, bref de faire le bilan des pensées com­munes, à l'heure où l'on essaye de dissiper la série d'équivoques historiques qui perturbe toute coexis­tence pacifique entre les humains. *» L'initiative du rapprochement entre la franc-maçonnerie et l'Église dans l'État de Bahia est venue de l'archevêque primat du Brésil, le cardi­nal Abélard Brandâo Vilela, qui préparait des ac­cords en ce sens depuis plus d'un an. Le premier résultat positif fut la célébration solennelle d'une messe, par le cardinal, pour le 40^e^ anniversaire de la grande loge Liberté. L'attribution du titre de Grand Bienfaiteur à Don Abélard est la réponse concrète de la franc-maçonnerie. Dans son discours de remerciement, Don Abé­lard devait déclarer : « *Dans tous les cas où, en raison des exigences mêmes de la loi naturelle ou de positions philosophiques et religieuses différen­tes, nous n'arriverions pas à atteindre l'unanimité des points de vue, que l'on s'en tienne au respect bilatéral, à la capacité de compréhension mutuelle, et de tolérance, et, en toute hypothèse, au désir sincère de coopérer dans la tentative de solution des problèmes du véritable intérêt collectif. *» « *Dans ce paysage spirituel,* ajoute Don Abélard, *je me sens parfaitement à l'aise, comme cardinal archevêque de Sào Salvador de Bahia, membre intégrant de la Conférence Nationale des Évêques du Brésil, uni par les liens de la foi, de la doctrine et de la discipline au chef suprême de l'Église ca­tholique, le Saint-Père glorieusement régnant Paul VI, qui a déjà tant souffert pour la défense des principes de la justice sociale et de la démocratie* (*sic*) *des temps modernes. *» Voilà donc ce reportage du *Jornal do Brasil*, reportage que je crois véridique et honnête, et qui n'a reçu à ce jour aucun démenti, avec les déclarations de l'homme lige, en­vers lesquelles je ne puis nourrir la même considération. 27:207 En effet Don Abélard Brandâo, tenu pour cardinal archevêque de Salvador, et primat du Brésil, cumule dans son discours deux étranges témérités : il parle au nom de l'Église catholique, à l'instant même où il rend publique la rupture que lui dictent ses convictions personnelles, et en même temps au nom de la loge maçonnique dont il interprète les idéaux, pour conclure qu'il s'agit de décou­vrir les points de convergence de « *deux organisations adultes *», en vue d'un rapprochement qui viendrait dissi­per les « *équivoques historiques *»*...* Le lecteur aura remarqué que je parle de Don Abélard Brandâo comme d'un étranger, qui a rompu ostensible­ment toute relation avec les catholiques. Mais, pour la dixième ou centième fois, je précise : ce n'est pas moi -- n'ayant aucune autorité pour cela -- qui en réalité aurais exclu Don Abélard Brandâo de notre communauté catho­lique ; c'est lui-même qui affiche clairement sa rupture avec la pensée et le sentiment de l'Église « du passé » et ses « équivoques ». Cette « Église du passé », que Don Abélard Brandâo met en cause dans plusieurs de ses déclarations, ou dont il dénonce solennellement les équivoques, c'est l'Église qui depuis le XVIII^e^ siècle condamne périodiquement par la voix de ses papes les erreurs et la perversité de la ma­çonnerie. Le premier en date fut Clément XII qui, dans sa Cons­titution Apostolique *In Eminenti* (1738), après quelques mises en garde sur les fausses apparences philanthropiques des sociétés secrètes et de la secte désignée sous le nom de franc-maçonnerie, formule cette énergique condam­nation : 28:207 « Nous interdisons donc formellement, au nom de la sainte obéissance, à tous et à chacun des fidèles de Jésus-Christ, quel que soit leur état, position, condition, classe, rang ou dignité, laïcs ou clercs, séculiers ou réguliers, d'oser, de chercher seu­lement à entrer dans les sociétés de francs-maçons, sous quel­que prétexte ou couleur que ce soit ; de les faire connaître, les soutenir, les recevoir chez soi, leur donner abri ou les cacher quelque part ; d'y être inscrit ou agrégé, d'assister à leurs réu­nions ou leur apporter les moyens de se réunir, de leur fournir quoi que ce soit ; de leur donner conseil, secours ou faveur, ouvertement ou en secret, directement ou indirectement, par soi-même ou par l'intermédiaire d'un autre, de quelque manière que la chose se fasse (...). Et nous ordonnons que l'on s'abstienne rigoureusement de tout contact avec ces sociétés, assemblées, réunions, cabales ou conventicules ; ce, sous peine d'excommu­nication, laquelle sera encourue par le fait même, sans autre forme de procès, et dont nul ne pourra être relevé sinon par Nous, le Pontife régnant, ou par son délégué, excepté à l'article de la mort. » Depuis ce cri d'alarme lancé par Clément XII en 1738*,* et durant plus d'un siècle, de nombreux papes ont renou­velé et renforcé la condamnation de la franc-maçonnerie, devant l'insolence croissante avec laquelle cette secte se dressait contre le christianisme. Citons : Benoît XIV, Pie VII, Pie VIII, Grégoire XVI, Léon XIII. Les nombreuses et énergiques encycliques ou allocu­tions de Pie IX sur le sujet méritent une attention spécia­le : *Qui Pluribus* (1846)*, Quibus Quantisque* (1849)*, Nos cités et Nobiscum* (1849)*, Singulari Quadam* (1854)*, Maxima Quidam Laetitia* (1862)*, Quanto Conficiamur* (1862)*, Mul­tiplicis Inter Machinationes* (1865)*, Apostolicae Sedis* (1869)*, Etsi Multa Luctuosa* (1876)*.* Souvenons-nous que, pendant les années du concile Vatican I (1869*-*1870)*,* les maçons s'organisèrent en anti-concile à Naples, où ils firent ser­ment de combattre l'Église catholique jusqu'à sa destruc­tion. La guerre franco-prussienne interrompit le concile Vatican 1, et plus d'un historien attribue cette catastrophe à des influences maçonniques. 29:207 La sévérité particulière avec laquelle le pape Léon XIII renouvela la condamnation de la franc-maçonnerie n'a donc rien d'étonnant. -- Relisons ce qu'il nous dit des maçons dans la grande encyclique *Humanum Genus :* « Ceux-ci en effet ne se donnent plus la peine aujourd'hui de dissimuler leurs intentions, et rivalisent d'audace entre eux contre l'auguste majesté de Dieu. C'est publiquement, à ciel ouvert, qu'ils entreprennent de détruire la sainte Église... L'in­tention fondamentale, l'esprit de la secte maçonnique fut mis en pleine lumière par la mise en œuvre de ses méthodes d'ac­tion, par la connaissance de ses principes, par l'exposé de ses règles, de ses rites, de ses discours, auxquels s'était joint plus d'une fois le témoignage de ses propres adeptes. » « Quant à vous, frères vénérés... je vous dirai : Arrachez tout d'abord à la maçonnerie le masque dont elle se voile, et faites-la voir telle qu'elle est. Ensuite, instruisez vos fidèles par des discours et des lettres pastorales spécialement consacrées à cette question ; faites-leur connaître les artifices utilisés par ces sectes pour séduire les hommes et les attirer dans leurs rangs ; montrez-leur la perversité de leurs enseignements et l'in­famie de leurs actes. Rappelez-leur qu'en vertu des sentences maintes fois proférées par Nos Prédécesseurs, aucun catholique, s'il veut rester digne de ce nom et consacrer à son salut le soin qu'il mérite, ne peut s'affilier sous quelque prétexte que ce soit à la secte des maçons. Que personne donc ne se laisse abuser par leurs apparences d'honnêteté. Certains en effet pour­raient croire qu'il n'y a rien, dans les projets des francs-maçons, de formellement contraire à la sainteté de la religion et des mœurs. Toutefois, leur principe fondamental, qui est comme l'âme de la secte, étant condamné par la morale, il ne saurait être permis de s'allier avec eux ou de les aider en aucune façon. » Vous avez là, lecteur, un résumé de ce que dit l'Église des sectes maçonniques, et de ce qu'elle continue à dire, puisque les documents cités sont éternels. Aujourd'hui comme hier, et demain comme aujourd'hui, l'Église catho­lique condamne la maçonnerie. Nous ne nous étonnons pas de la déclaration désinvolte du cardinal Don Abélard Brandâo, officiellement considéré comme archevêque primat du Brésil. En matière d' « équi­voques », il est difficile d'en trouver de plus grotesque. 30:207 Nous ne nous en étonnons pas, à cause du nombre des officiels qui sont passés à l'Autre église, comme des officiels qui se font un devoir d'appartenir aux deux, en vertu du dogme contemporain qui veut que tous les camps se valent, et interdit de se battre pour des idées. Ce qui me surprend encore c'est, d'un côté, le sans-gêne incroyable avec lequel l'officiel Don Abélard entraîne dans sa noce maçonnique toute la Conférence Nationale des Évêques du Brésil, et jusqu'à la personne même de Paul VI, et, de l'autre, l'absence de la moindre réaction de vie ou de sensibilité chez les personnes visées. Dans une telle atmosphère un pauvre journaliste galate, sans autre titre que la marque de son baptême, ne peut supporter l'idée que ce soir la nuit tombe, que demain le jour se lève, sans la plus petite réparation à la Majesté de Dieu et au Sang du Christ. Qu'Il reçoive ici la nôtre. #### II. -- L'Église dite « vivante » Les dernières nouvelles arrivées de Suisse, où les « au­torités » ecclésiastiques s'efforcent d'étrangler l'œuvre ca­tholique de Mgr Marcel Lefebvre, et les nouvelles des scandales plus proches de nous, perpétrés par ces mêmes « autorités » de cette même « Église vivante » qui con­damne avec véhémence l'œuvre de Mgr Lefebvre mais ferme les yeux, voire encourage les démarches de réconci­liation avec la maçonnerie entreprises à Salvador par le cardinal Don Abélard Brandâo, comme les remarquables lueurs affichées par Don Evaristo Arns, archevêque de Rio de Janeiro, sur la question du *sexe,* toute cette montagne d'incompréhensibles contresens nous indique que l'heure des grandes douleurs s'approche. 31:207 Hier encore, à la sainte messe, nous entendions l'Apôtre nous parler des douleurs de l'enfantement dans toute la création, mystérieuse conséquence cosmique des désordres engendrés par le péché des anges et le péché d'Adam. Dieu, avec l'aide des anges, de Notre-Dame et de tous les saints, au ciel, au purgatoire, et ici sur la terre, gouverne le monde et travaille à la restauration de l'ordre compromis, par le mal qu'Il permet pour tirer de ces mêmes créatures ca­pables de mal une abondance de bien incomparablement supérieure à celle du mal consenti. La douleur qui trans­perce aujourd'hui la création, nous dit saint Paul, sera à son tour vaincue par une joie merveilleusement dispropor­tionnée. Et l'on comprend les raisons de cette démesure, de cette disproportion infinie entre le bien de la victoire finale et le mal consenti, parce que le bien est à la mesure de l'être, et que le mal n'est que le souvenir du néant ins­crit dans les pores de toute créature composée d'être et de non-être. Mais ici-bas, en cette rapide traversée, les hommes moins attentifs aux dons de Dieu s'enivrent de l'effervescence et des collisions de leurs travaux éphémères, et osent même trouver dans cette effervescence un critère plus sûr que la loi immuable révélée par Dieu. Le même saint Paul, qui exalte tant l'espérance, ne nous conseille pas pour autant ce pacifisme qui fait de la mollesse et de la tolérance les plus grandes vertus du siècle. Tout au contraire, l'Apôtre de la Charité nous incite au combat. On imagine aisément avec quelle profonde émotion ses disciples l'entendirent un jour prononcer ces paroles infinies qui à ce jour nous réchauffent encore le cœur et nous gardent de désespérer : « J'ai combattu le bon com­bat. J'ai gardé la foi. » 32:207 Si l'heure est venue des grandes douleurs, espérons nous aussi contre toute espérance et combattons le bon combat. Nos gémissements ne déplaisent pas au Seigneur, ni nos larmes, si les coups sont durs ; ce qui lui déplaît certainement, c'est notre désertion et nos capitulations, sur­tout lorsque nous osons, pour mieux tromper, les habiller de vertu. \*\*\* Commençons la lutte du jour par le réexamen de la lettre adressée par le cardinal Villot aux présidents des conférences épiscopales du monde entier, lettre partielle­ment reproduite dans le bulletin de la Conférence Natio­nale des Évêques du Brésil du 21 novembre 1975. Nous y voyons que le motif allégué par l'évêque de Lausanne con­tre Mgr Marcel Lefebvre est le suivant : « *On invoque la fidélité à l'Église d'hier pour se démarquer de l'Église d'au­jourd'hui. *» Dans la version française originale publiée in extenso par la revue ITINÉRAIRES (numéro 200 de février 1976), « *l'Église d'aujourd'hui *» est encore appelée « *Église vivante *»*.* Or, qui connaît tant soit peu la doctrine catholique (que la lettre en question qualifie au passage d'immuable) voit bien que cette dichotomie ecclésiologique est hurlante d'hé­térodoxie. Je n'imagine pas qu'un seul des séminaristes qui ont frappé à la porte du séminaire d'Écône ait jamais entendu le maître vénéré parler d' « Église du passé » et d' « Église vivante » pour évoquer la brûlante actualité. La division en trois états formulée par le concile de Trente à propos de la seule et unique Église de Jésus-Christ est celle que depuis toujours nous avons enseignée dans les classes de catéchisme élémentaire ; l'Église triomphante (au ciel), l'Église souffrante (au purgatoire) et l'Église mi­litante (sur la terre). Et le catéchisme du concile de Trente d'ajouter : « L'Église sur terre est appelée *militante* parce qu'elle soutient une guerre permanente contre ses trois ennemis les plus mortels : le monde, la chair et Satan. » 33:207 Ainsi, la dénomination de « vivante » donnée à l'Église militante présente le défaut de taire ce caractère militant pour ne pas désobliger les protestants, les loges maçon­niques et les communistes. En invoquant l'impératif de ré­conciliation (avec tous les ennemis de l'Église, et même les ennemis de l'ordre public), la lettre du cardinal Villot annonce une rupture, une opposition évidente à la pensée du concile de Trente, et de tous les papes jusqu'à Pie XII inclus. En outre, cette « Église vivante » qui prétend exalter l'actualité et la modernité comme critères fondamentaux présente un défaut doctrinal plus sérieux et plus grave que celui de la capitulation. Cette dénomination a l'impiété sidé­rante d'écarter les membres super-vivants de l'Église du ciel qui participent triomphalement au gouvernement du monde, loin des misères et des vicissitudes de la vicariance, puisque là-haut le Roi est assis en personne à la droite du Père, tandis que la Reine, touchée en son cœur par les besognes de Marthe et les afflictions de ses fils, trouve moyen de s'esquiver quelque temps sans désamour de la contemplation de l'Amour, et descend, légère, pour venir joindre ses pleurs à ceux des hommes qu'elle voit pleurer. Cette « Église vivante » qui se glorifie de son actualité et de sa modernité, et qui est pétrie d'extravagances hu­maines, c'est elle qui a pris l'initiative de se couper de la tradition, c'est-à-dire, sur terre, du saint pèlerinage entre les afflictions des hommes et les consolations de Dieu, et, au ciel, du triomphe de l'éternité. C'est elle, cette pseudo « Église vivante », plus brutale et décisive pour la conscience catholique que toutes les extravagances et que tous les scandales, c'est elle, par ses membres et par sa hiérarchie, qui chaque jour publie l'ar­rêt d'essentielle autorité par lequel elle se sépare de l'es­sentielle identité de l'Église Une et Sainte. Et c'est en raison de la fidélité à cette Église toujours identique à celle qui est née de la côte du Christ endormi sur la croix, que nous, les rejetés de l'Autre, la dénonçons comme Autre. 34:207 Tout bien pesé, la malheureuse rédaction de la lettre du cardinal Villot expose par elle-même au monde entier que Mgr Marcel Lefebvre ne poursuit d'autre but que de de­meurer greffé sur la même vigne, de ce même Vigneron qui ne risque pas de l'abandonner. N'est-ce pas lui, le Seigneur, qui nous a promis pour toujours : « Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. » Gustave Corçâo. 35:207 ### Avec Mgr Lefebvre *pourquoi ?* par Paul Bouscaren LOGIQUEMENT, -- d'une part : Vatican II et Paul VI ont jeté le doute sur l'Église d'avant eux, ils n'ont pu le faire sans rendre douteuse leur propre auto­rité ; nous devons toujours croire en l'Église de Jésus-Christ, nous ne pouvons plus y prétendre avec la certitude perdue. La voilà bien, l'Église ouverte au monde et con­forme à ce temps ! D'autre part l'Église d'aujourd'hui ne peut s'inscrire en faux contre l'Église d'hier sans rendre douteux qu'il ait jamais existé une Église de Jésus-Christ ; or la fidélité à Jésus-Christ ne doit pas être douteuse, -- elle ne peut pas l'être dans l'Église des vingt siècles d'hier, -- il faut donc garder la certitude de celle-ci envers et contre vents et marées d'une église d'aujourd'hui, douteuse à mesure elle-même, mais pour la foi qui ne doute pas. « La tradition, c'est-à-dire la suite toujours manifeste de la doctrine laissée et continuée dans l'Église. » (Bossuet.) De fait universel : « Aujourd'hui, la Révolution joue le rôle que joua la Vie Éternelle », qui conteste à André Malraux ses yeux ouverts sur le monde contemporain ? Mais si Mgr Lefebvre le dit de l'Église ouverte à ce monde par Vatican II et Paul VI... Nous disons alors : on ne fait pas difficulté de trouver incompréhensible à l'homme moderne l'homme de jadis comme il était de son temps ; mais n'y aurait-il pas de nos jours un partage d'incompréhension mutuelle entre des contemporains modernes et d'autres dont la mentalité de­meure celle de jadis ? 36:207 D'autant que la mentalité moderne s'estime en mutation quant à l'entière humanité d'avant elle. S'il faut vivre avec son temps, est-ce à entendre au mépris totalitaire d'un tel partage des esprits ? Et si je monde moderne étouffe de pareil totalitarisme, fallait-il que l'Église y verse pour apparaître moderne ? Nous disons aussi : « Les hommes naissent et demeu­rent libres et égaux en droits », qu'est-ce à dire, en logique rigoureuse, et plus encore, peut-être, en psychologie vécue, sinon que pour chacun des hommes tout commence pour lui-même avec lui-même ? Or cela est vrai de son existence individuelle, mais, quant à sa vie humaine, d'une fausseté manifeste ; équivoque radicale, quiproquo ahurissant, mor­telle sophistique de ce qu'on appelle démocratie. Quipro­quo du droit à la liberté en droit de la liberté ; de la liberté selon le droit de chacun au droit selon la liberté de chacun ; du droit qui fait libre à la liberté qui fait droit, comme si la liberté ne pouvait pas s'exercer, en fait, contre tout droit. Ce quiproquo tient à un autre : ma liberté, c'est moi-même, donc, ce ne peut être que moi seul ; qui ne verra, pour peu qu'il y regarde, que moi seul réduit à zéro l'être libre non moins que l'être physique ? Chose remar­quable, c'est au même moment, que cette équivoque méta­physique de l'être comme on peut le dire lui-même, sub­jugue la science avec l'ensemblisme et se voit ouvrir l'Église de l'œcuménisme. Laquelle doit être l'Église à partir de Vatican II comme doit être la France à partir de 1789, ... parce que 1789, c'est la politique enfin morale, impres­criptiblement humaine en tant que c'est une morale, et néanmoins intangible, sans vergogne, à la religion-qui-ne­doit-pas-faire-de-la-politique, en contrebattant cette (faus­se) morale ! Politique morale antichrétieime d'autant que sa liberté individualiste est oui à soi-même, au contraire du non à soi-même exigé par : l'Évangile pour suivre Jésus-Christ. Mais d'abord, politique ou morale naturelle fausse d'autant que, les hommes naissent également sujets de droits, c'est de droit naturel premier ; mais quels droits, et les faut-il égaux pour tous, c'est à la raison d'utilité commune d'en décider, par un droit naturel second indis­pensable aux yeux de saint Thomas (I.II. 94, 5, ad 3). 37:207 Nous insisterons encore : « l'homme passe infiniment l'homme », c'est d'une vérité globale ; en réalité distincte moins flatteuse, l'homme individuel, -- celui de la liberté moderne, -- manque infiniment à l'homme qui doit être selon que la raison fait son être ; il y faut la société avec son héritage immémorial et il faut Dieu. C'est pour­quoi l'Évangile nous ordonne : rendez à César et rendez à Dieu. Nous y sommes attentifs, l'hérésie ne choisit plus, elle modernise, elle démythise, elle fait muer ; de la sorte, la foi en Jésus-Christ tourne au contraire, en liberté volon­tariste de chacun, l'espérance de son Royaume fait place à l'égalité sociale pour ne plus être l'opium du peuple, la charité d'amour du prochain comme soi-même, en l'amour de Dieu, s'identifie avec la fraternité universelle ainsi dite selon que tout autre homme a les mêmes droits qui sont le trésor humain de chacun, la divinité de l'homme. Le fait est que l'on a commencé par dire la société pour l'homme, abruptement, et que nous voilà tombés à l'Église pour l'homme, aussi sec. Bref, le mieux ennemi du bien, où les uns rêvent le mieux, où les autres voient l'ennemi du bien. Jadis, et naguère encore, dans l'Église, mais en opposition au monde moderne, le bien obligeait à combattre le mal comme son contraire ; l'aggiornamento range l'Église avec le monde pour sa guerre au mal qui est le mal parce qu'il empêche le mieux ; ainsi pouvons-nous avoir sous les yeux, dans l'Église catholique, le renversement du bien au mal et du mal au bien inexplicable autrement : l'aggiornamento, c'est l'Église ouverte au mieux idéologique, au mieux volonta­riste, au mieux ennemi du bien. Enfin, et surtout, nous demandons : *Qui n'est pas avec Moi est contre Moi,* -- oui ou non, cette parole de Jésus-Christ fait-elle un partage chrétien du monde où se justifie l'Église du Syllabus ? Oui ou non, l'Église de l'aggiorna­mento s'entend-elle jeter cette parole redoutable par le monde moderne, et se veut-elle avec lui en ses partages pour ne pas lui paraître contre lui ? Défi à quiconque de réfuter la réponse de Mgr Lefebvre parue dans le *Figaro* du 4 août 1976. En particulier, l'au­torité vivante de Paul VI comme elle s'exerce et comme on l'oppose à l'Église d'hier ; c'est encore la liberté moderne, l'individu comme tenant par soi-même, -- alors que le pape d'aujourd'hui ainsi que ses prédécesseurs suppose l'Église de toujours, en Notre-Seigneur toujours vivant. 38:207 Défi à quiconque, hélas ! de justifier Paul VI d'avoir signé et promulgué, pour présenter la nouvelle messe, une *Institutio generalis* résumée par certain article 7 où cette « Cène du Seigneur ou Messe » prenait un tel masque luthérien qu'il fallut refondre l'article, ... mais sans retou­cher en rien le reste ! « L'autodestruction de l'Église », Paul VI l'a dit une seule fois, pour quelle raison ? Il y a ceci, qu'il ne peut être question de voir l'Église qui est l'Église de Notre-Seigneur Jésus-Christ se détruire elle-même ; que reste-t-il alors, sinon l'Église occupée par des suppôts de Satan qui tour­nent contre elle ses fonctions et son autorité ? Mais Paul VI peut-il rendre explicite pareil aveu sans justifier lui-même Mgr Lefebvre ? « Où est Pierre, là est l'Église », puisque le Christ a fondé son Église sur Pierre ; seulement, depuis que Pierre est mort, c'est son successeur qui fait reconnaître l'Église, et il peut y avoir doute sur le successeur de Pierre ; et les chrétiens ne doivent-ils pas ce doute au Seigneur, lorsque les circonstances le justifient ? #### Témoignage anticipé pour Écône 1963-1969 Le progressisme veut dire l'Évangile dans la langue de ce temps ; l'intégrisme constate que cette langue est un chara­bia, où la raison voudrait en­tendre quelque chose pour y aventurer la foi, et non l'y laisser tomber, -- encore que l'aventure consiste désormais partout, science comprise, à laisser choir la raison. Bref, le vif progressisme se jette à l'eau, l'intégrisme a pour rai­son de s'y refuser, qu'il ne s'agit pas d'eau, mais de vase, et nullement de nager, mais de s'enliser. (Service de Criti­que Thomiste, 27/2/63). \*\*\* La paternité selon l'esprit dispense hautement d'être père selon la chair, mais tout le monde a nécessairement un tel père et doit se reconnaître son fils. L'enfant sort du sein de sa mère, il ne sortira point de l'être qu'il y a reçu ; 39:207 faire de l'histoire jusqu'à nos jours un ventre laissé par l'humani­té de demain comme un néant de son être inouï, voilà une hérésie fondamentale : créa­tion, chute et rédemption y sont zéro, d'un coup, avec l'homme d'hier. Mais qui en parle, au Concile ? Eh bien, je le crie : « Au fou, mes Pè­res, au fou ! C'est prendre ce temps bravement, lui faire rai­son pour la santé qu'il porte à l'avenir du monde qu'il aura créé ! » (S.C.T., 16/11/63). \*\*\* Après avoir asphyxié la vie nationale, les contre-vérités modernes ont asphyxié la vie familiale ; et maintenant, les voici à l'assaut de l'Église, et je demande une raison pour ne pas craindre qu'elles ne lui infligent, sinon une impossi­ble mort avant la fin du mon­de, ni peut-être la fin du monde elle-même, du moins un nouveau et un pire siècle de fer. Je crois l'Église indé­fectible, à beau compte de no­tre temps, à la façon de ce barrage qui tient bon, mais les eaux de son lac débordent et ravagent parce que vient s'y abattre une montagne glissant sur la boue. La montagne de l'Église, c'est le monde. (S.C.T., 30/12/63). \*\*\* De même qu'une source est une origine dans le cycle de l'eau, toute naissance prend place dans un cycle de vie où Dieu seul est créateur des au­tres vies, non de la Sienne. Alors, tout au fond et en dé­finitive, c'est la tradition ou la mort. (S.C.T., 2/3/64). \*\*\* Si le monde moderne peut être frappé de surdité religieu­se générale, faudrait-il donc abandonner la thèse de notre nature religieuse ? Ou bien existerait-il dans le monde mo­derne un conditionnement de surdité religieuse, peut-être concerté ? Dans le second cas, une pastorale bien de son temps ne ferait-elle pas des disciples du Christ, de possé­dés qu'elle ne se mettrait pas en peine d'exorciser ? (S.C.T., 13/3/64). \*\*\* L'intolérance et le fanatis­me reprochés à l'Église par le rationalisme, cette incapacité chez celui-ci de distinguer en­tre son opinion incrédule, qui laisse chacun à la liberté cha­cunière, et une foi qui oblige pour soi et pour les autres. (S.C.T., 25/3/4). \*\*\* Vivre, c'est continuer, aimer commence à chaque instant ; des hommes peuvent-ils igno­rer ce mystère de la *transmu­tation* de leur vie en amour, au point de ne rien entendre à une fraternité humaine, puis à une charité chrétienne, qui ne soient faim et soif de *révo­lution ?* Faut-il avouer chez l'homme moderne une misère de la foi, et dans la nature et dans la grâce, qui rende ini­maginable à nos apôtres de l'amour de chercher le prin­temps des âmes, et non les Iles fortunées ? (S.C.T., 14/4/64). \*\*\* 40:207 L'Évangile n'a jamais eu et n'aura jamais sa lumière que pour l'intelligence toute peti­te devant Dieu, riant d'elle-même à la moindre pensée de briller au soleil de Dieu. Je parle de rire, et de rire je crè­ve, en vérité, à voir comme saint Paul parlait de l'intelli­gence grecque, cette Victoire de Samothrace, et comme nos apôtres nous parlent de notre intelligence dénudée, avec sa cellulite. (S.C.T., 8/7/64). \*\*\* Le progressisme, c'est le dog­me transformiste érigé en mo­rale œcuménique ; l'intégris­me, la logique de l'intégrisme, c'est la vie qui se défend se­lon ses formes, -- spécifiques, nombreuses, et toujours nées en quelque milieu indispensa­ble, en quelque patrie. Parlant au Concile, le cardinal Frings a partagé le Concile en droite et gauche ; quiconque a des yeux pour voir, et non seule­ment une bouche pour faire écho, remerciera le Bon Dieu de cette lumière sur l'*aggior­namento :* quoi qu'il en aille du droit de l'Église de se rap­procher du monde pour le mettre en paix, le fait est que l'on en débat forcé ou ravi de se débattre dans la fange idéologique devenue enfin le monde même. (S.C.T., 13/10/ 64). \*\*\* « Des critiques gravement injustes », il le faut bien, pour qu'elles ne retombent pas, gra­vement justifiées, des nou­veaux prêtres sur des évêques inouïs. (S.C.T., 29/10/64). \*\*\* Passe au cardinal Suenens d'être au Concile pour expri­mer l'opinion qui est la sien­ne ; mais calomnier du même coup l'homme et le thomiste que je tiens à être me donne droit et devoir de protester... Le même composé corps et âme peut-il exiger d'une même voix le triomphalisme du coït et le dépouillement de la litur­gie et de l'entière vie ecclésia­le ? Notre retour aux sources mettrait-il donc au rancart les statues de la Vierge pour ren­dre la place aux emblèmes phalliques ? La Bible a cet euphémisme. KEDASCHIM, les saintes, pour : les chiennes. Que le Seigneur soit avec nous ! (S.C.T., 4/11/64). \*\*\* Il y a d'abord deux maniè­res de croire, l'ancienne qui persiste, grâce à Dieu, la mo­derne que l'on entend brailler partout : les uns croient com­me ils sont hommes, les au­tres croient comme ils croient en l'homme. Lorsque l'ho­méopathie de *Pacem in terris* traite le tétanos de la planète à l'argot idéologique d'où il provient... Lorsque, pour la première fois depuis vingt siècles, n'importe quelles a­mours refont à l'Église une virginité... (S.C.T., 1/12/64). \*\*\* 41:207 Un Weygand dit ce que je voudrais mettre dans les âmes de préférence à tout le Conci­le : « Jésus est la lumière, mais de ceux qui regardent ! » (S.C.T., 23/2/65). \*\*\* Il y a quarante ans, aux en­virons de Grasse, j'ai combat­tu en franc-tireur des incen­dies de forêt ; peu s'en fallut, certain jour, que je n'y reste, avec le coup de cognée sur le crâne d'un brave homme furi­bard, criant à l'incendiaire sur le contre-feu qu'il me voyait allumer. Aujourd'hui, je vois là une image prophéti­que de l'incendie que nous avons à combattre sur la mon­tagne de grâce qui est l'Église, à tout risque de nos contre-feux, de leur incompréhensible bon sens. (Ibid.) \*\*\* Qui regarde l'ensemble des changements infligés au peuple chrétien dans une ruée de chauffards, ce n'est pas de comprendre qu'il s'agit, et ce n'est pas des fidèles ; double­ment contraire apparaît le but réel, parfois avoué : non les fidèles, mais les autres, mais le monde ; et que le mon­de soit provoqué le moins pos­sible à se poser des questions sur le christianisme, n'y voyant plus que ses propres manières de parler, d'agir, et de ce qu'il appelle penser. Je ne me mo­que pas en disant : ce qu'il appelle penser ; mais, oui ou non, les experts-conseils de nos évêques savent-ils que la pensée moderne bâtit sur le sable et se perd dans les sa­bles, de son propre aveu, puis­qu'il n'y a pas pour elle de principes évidents et qu'elle accueille l'absurde ? (Ibid.) \*\*\* « Faites ceci en mémoire de moi », Jésus l'a dit à ses Apô­tres, non à l'Assemblée des disciples ; et tout à coup, c'est l'assemblée qui n'arrête pas de nous rameuter, ... à je ne sais quelle transsubstantiation en le Christ qui se ferait d'elle comme assemblée. Aller à la messe était aller au Messie, dé­sormais c'est aller à la masse ; on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l'a mis. (Ibid.) \*\*\* « Côté idées, Jean XXIII a fait la réconciliation entre l'Église et la morale laïque des Droits de l'Homme que pro­clame sa dernière encycli­que. » L'abbé Laurentin était autorisé à parler ainsi par toutes les lignes de *Pacem in terris,* on peut le croire, hélas ! mais à l'exception, brutale comme un coup de couteau, des suivantes : « ...ce sont là des problèmes dont la solu­tion et l'ampleur relèvent de la prudence, régulatrice de toutes les vertus qui ordon­nent la vie individuelle et sociale ». Logiquement, donc, l'abbé dit faux gros comme lui, mais il dit vrai, psychologi­quement, fin comme lui, pour l'univers ; tous les échos en témoignent depuis deux ans. (S.C.T., 18/3/65). \*\*\* 42:207 Mon papier du 18 mars a fait de la peine à un prêtre, il est venu me le dire ; je pouvais bien l'en remercier, non lui être d'aucune consola­tion, puisqu'il se plaignait à son agresseur et n'en démor­dait point, malgré l'évidence des agressions en sens inverse dont témoigne le dit papier. Aussi peu que possible s'agis­sait-il de nous deux, mais d'accorder à ma propre plain­te l'existence de ces deux maux intolérables d'une part, un aggiornamento d'op­position méprisante à l'Église d'hier, -- car, s'il y a ainsi deux églises, il n'y a plus l'Église de Jésus-Christ en qui nous avons cru ; d'autre part, la rénovation liturgique en particulier, dans quel esprit doctrinal, trop souvent sinon toujours ? Un autre évangile, que la foi à l'Évangile ne fe­rait pas recevoir à un sou de bon sens. (S.C.T., 14/4/65). \*\*\* Jésus est le Sauveur du monde, il est notre Paix, il dit : « ...la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ; et heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chiite ! » Jusqu'à nos jours, tel fut le langage chrétien ; maintenant, l'Église parle mo­derne, point de pauvre qui ne tienne déjà sa bonne nouvelle, soit que la pauvreté corporelle le révolte, ou qu'il fasse gloire de sa pauvreté spirituelle, athéisme compris. (S.C.T., 12/5/65). \*\*\* Schismatique, monsieur ? Vous me voyez au désespoir d'assez de hardiesse et d'as­sez de finesse pour en avoir cure ; lorsqu'il n'est plus pos­sible de savoir ce qui empê­che un athée militant, aussi humble à vomir le passé que pour avaler l'avenir à la sau­ce d'aujourd'hui, de se trouver au cœur de l'Église authenti­que, -- celle de demain, -- allez donc discerner en vous-même, catholique pratiquant, douteux à mesure, ce qui vous retranche de l'Église, précisé­ment par collage avec la vieil­le Église de votre jeunesse ? (S.C.T., 28/7/65). \*\*\* « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour con­damner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » : autre chose, une con­damnation judiciaire de la personne, autre chose, une condamnation morale de la conduite, ou doctrinale, de la pensée exprimée. Le Fils de Dieu n'est pas venu pour la première condamnation mais, au contraire, pour que ce qui était perdu reçoive de lui, *par la foi,* le salut. Faire dire au Sauveur qu'il n'est pas venu pour les autres condamna­tions, interdire celles-ci, par suite, à la foi chrétienne, quel contresens inexplicable, sinon par la déraison idéologique d'aujourd'hui ! (S.C.T., 13/12/ 65). \*\*\* Un concile qui s'interdit tout anathème, serait-ce qu'il ne se reconnaît pas le droit de condamner l'erreur, -- *et alors, que devient la conti­nuité de l'Église ?* Et s'il se contente de fermer une porte qu'il pouvait laisser ouverte, n'est-ce pas une porte fermée au Saint-Esprit, -- et *alors, que reste-t-il d'un concile ?* (S.C.T., 21/2/66). \*\*\* 43:207 « La doctrine est plus forte que nous », le Père Pouget l'a dit et n'y mettait aucun hu­mour, ajoutant : « Quand on l'expose bien, elle finit par entrer dans quelques âmes. Les autres, tant pis pour elles. » Je peux apporter ici mon témoignage ; nombreux sont les prêtres que j'ai con­nus d'assez près, je ne me souviens pas d'en avoir enten­du prêcher sottement, comme je les savais parfois capables de sottise en conversation ; mais les nouveaux prêtres, eux, ont plus fort que la doc­trine à nous servir au banquet de la messe, et leurs amuse-gueule m'accablent et me font vomir. (S.C.T., 6/7/66). \*\*\* Nous avons la foi et nous croyons ; nous avons des yeux, nous les ouvrons ; nos oreilles font que nous entendons, et alors nous écoutons ; nous sommes en minorité ou non, nous nous en foutons ; du pas­sé ou non, c'est selon, tonton, tontaine, tonton ; notre auda­ce n'est pas que nous contes­tons, mais nous attestons que nous oyons et voyons ce que font les larrons de ce que, tout rond et pour de bon, nous croyons. Plus on me prêche la lecture moderne de l'Évangile, plus on me donne à en­tendre que, *se faire pareil aux petits enfants,* on doit, désor­mais, s'intéresser comme eux à son caca, oh pardon -- je veux dire : en prendre conscience. (Ibid.) \*\*\* Une défaite du transformis­me est pauvre entre toutes : d'autres conditions du milieu terrestre auraient permis, ja­dis, les mutations postulées, ja­mais constatées ; or, n'avons-nous pas sous les yeux les mé­tamorphoses de l'insecte, ne voyons-nous pas la chenille tourner en bouillie nymphale et celle-ci donner le paillon ? Je dis que l'Évangile est une métamorphose merveilleu­se par le renoncement à soi de la chenille humaine, et que l'on préfère le rêve des transforma­tions progressistes. Renou­veau, chante-t-on ; mais toute vie est un renouveau perpétuel de l'organisme vivant, pour son intégrité, non pour passer à une autre espèce de vie. De sorte qu'il y a preuve et contre-épreuve de la folie mo­derne : elle refuse la méta­morphose divine, elle lui subs­titue la fantasmagorie d'un transformisme terrestre. (S.C.T., 29/8/66). \*\*\* Une pétition témoigne de la confiance de pouvoir être écouté, compris, exaucé ; l'en­semble des faits, non seule­ment interdit un tel témoigna­ge, mais doit faire hurler si on en parle. Néanmoins une pétition aux évêques de l'in­croyable mise à sac de notre culte et de notre sensibilité chrétienne aurait sur-le-champ ma signature pour une dédicace nouvelle et uniforme des églises sous le vocable du CHRIST AUX OUTRAGES. (Ibid.) \*\*\* 44:207 Lisant, ce 20 septembre, la lettre de M. l'abbé Georges de Nantes, je ne vois pas que l'on ait à s'étonner de la sanction qui le frappe ; les faits con­tre lesquels cette lettre s'élève ont beau être énormes, de taille et d'extravagance, ils ne sont pas vraiment de no­toriété publique dans l'Église, pourvu qu'ils y mènent leurs farandoles en monokini d'ag­giornamento, et que pas une bouche d'enfant ne crie : no­tre Mère est nue ! D'un mot, le cher abbé s'en est pris à quelque chose de beaucoup plus lamentable pour l'Église que sa condamnation même ; on pouvait s'attendre à celle-ci, tandis que le reste... Mais le reste aurait tort de le croi­re, il ne nous aura pas, ne se­rait-ce que pour une raison, la voici : qui et comment nous ferait tenir debout une église d'aujourd'hui déblatérant con­tre l'Église d'hier, la foi d'hier, la morale d'hier, le culte d'hier, et nous interdi­sant, de quelle neuve autorité, de la critiquer elle-même, l'église d'aujourd'hui ? Je re­prends le défi narquois de Bo­naparte à la théophilanthropie de son temps : « Que l'évêque de cette église-là se fasse crucifier, et qu'il ressuscite le sur­lendemain ! » Mais en vérité, non : le nouvel évangile est trop bête, pour en croire un, dix, ou des douzaines d'évê­ques ressuscités frais comme l'œil. A quelque chose malheur est bon, disait mon père ; ja­mais les Évangiles n'avaient comblé de leur lumière mes regards d'animal raisonnable comme ils le font depuis que la pastorale teilhardise, im­bécillise, démocratise le salut de Dieu : courage, monsieur l'abbé qui souffrez pour nous : *ils sont pendus aux nues,* nous les aurons ! (S.C.T., 11/10/66). \*\*\* Treizième mensonge du Pay­san de la Garonne : s'étonner que les mots « droite et gau­che » aient pris « un sens religieux » alors que, la gau­che étant ce qu'elle est depuis 1789, et des catholiques ayant décidé de moderniser le chris­tianisme en fonction de l'idéal démocratique, force était bien qu'il y eût désormais un non à cette gauche religieuse com­me il y avait un non à la gau­che politique ; et c'est dire, dans un cas et dans l'autre, toute la réalité de la droite au-delà de la simple santé sociale : un refus de sacrifier l'existence à l'idéologie, un re­fus de se laisser inoculer tou­tes les maladies nécessaires aux expériences des rêveurs de lendemains ; *à chaque jour suffit sa peine.* (S.C.T., 29/11/66.) Seizième mensonge du Pay­san de la Garonne : ne voir à gauche que « les Moutons de Panurge », et personne pour les précipiter à la mer des « lendemains qui chantent », pas, le moindre appareil mon­dial de maçonnerie ou de communisme ; je veux bien que l'on dise aux gens : mé­fiez-vous des pentes qui vous font courir ; mais lorsqu'ils courent comme le fait une fou­le affolée de fausses nouvelles, est-ce le bon moyen d'obtenir le retour à cette tranquillité de l'ordre qui est la seule paix ? (S.C.T., 29/11/66.) \*\*\* 45:207 Si l'Église a pu se tromper depuis 1789, les papes, les évêques, les fidèles, dressés comme un mur devant le mon­de moderne, comme un bar­rage contre le torrent de la Révolution sociale, intellec­tuelle et morale, et impie, qui fait de ce monde un non à toute la tradition humaine et catholique ; ou bien si le *Syl­labus* pouvait raison garder en 1864, mais aujourd'hui c'est *Pacem in terris* qu'il faut en­tendre ; alors, il est vrai que les hommes et les chrétiens sont arrachés maintenant à leur passé par une mutation inouïe ; et telle doit être leur foi sans aucune raison qui puisse convenir à pareille hy­pothèse. Donc, la raison doit se taire pour que la foi nou­velle fasse le saut ; eh bien, ma raison dit zut, et ma foi de toujours préfère la mort au règne de la Bête annoncé par l'Apocalypse ; je viens de di­re : alors, il est vrai..., je re­prends : alors, il est vrai qu'il n'y a plus de vérité. Mais pour qui est-ce vrai ? (S.C.T., 14/4/67.) \*\*\* N'est-il pas contradictoire de tenir ensemble que la foi de l'Église ne peut pas varier, et qu'elle doit varier ? La ré­ponse est non pour qui la foi est, d'une part, celle de l'Église comme elle est née, d'autre part, celle de l'Église après mutation inévitable ; Teilhard le sait, alors que l'Église ne peut, pas le savoir avant sa « mué », -- c'est la qu'il y aurait incohérence ! Mais Teilhard est-il en droit de rai­sonner aussi fort ? Oui, si croire avec l'Église est croire à la vie de l'Église, emportée comme les autres vies, par l'évolution transformiste ; non pas, s'il s'agit encore de croi­re à la Parole de Dieu, qui nous fait vivre de la Vérité re­çue par nous, (évangile du Ver­be à la fin de la messe), et non d'une vérité en devenir par nous, un peu trop moderne pour ne pas nous mentir. (S.C.T., 27/6/67.) \*\*\* « ...Et le chemin s'ouvre devant lui de la liberté ou de la servitude... » Ainsi dit le Concile, et c'est du monde moderne qu'il nous parle : mais quel homme et quel chrétien, jamais, a pu voir, de ses yeux voir, ce qui s'ap­pelle voir, *la liberté comme un chemin ouvert devant sa vie,* et quel chrétien se de­mandera *en quoi ce monde est moderne,* et le verra, comme il est moderne, capable d'une autre liberté que l'impossible liberté moderne, impossible comme elle se rêve et comme il y a une réelle liberté humai­ne ? (S.C.T., 25/9/67.) \*\*\* Le principe même de l'ag­giornamento, d'un renouvelle­ment nécessaire de l'évangéli­sation, parce qu'elle doit être celle du monde moderne, je le regarde quant à l'Évangile et quant à ce monde si nouveau, et le principe m'est un mons­tre grotesque à force de mé­connaissance ; et du don de Dieu à tout homme venant au jour, et d'une modernité par inversion de l'humain. (Ibid.) \*\*\* 46:207 La mentalité, moderne est faite du système passé en na­ture des idées de 1789, huma­nitaires par abstraction, liber­taires, égalitaires ; ces idées imposent de nier tout ce qui s'y oppose, pensée ou réalité ; voilà de quoi il s'agit dans le gâchis actuel de l'Église, et il faut un aveuglement inouï pour nous assurer que cet as­saut n'a rien de systématique, alors que tout le catholicisme est miné, en tant qu'ordre ca­tholique, par la Révolution en tant que désordre de tout l'humain, personnel et social. (Ibid.) \*\*\* Jésus confondait les Juifs par l'autorité divine de son enseignement, et il a dit à ses Apôtres : « Qui vous écoute m'écoute » ; l'Église a donc parlé avec une suprême auto­rité dans un monde gouverné en tout et partout avec auto­rité ; mais le monde moderne a si bien changé cela, tout y est à tel point pourri d'égali­tarisme, et, comme l'on dit, démocratisé, que l'Église tra­ditionnelle y faisait figure de monstre d'avant les hommes ; strictement, puisque l'humain, c'est le moderne, on le croit comme le jour en plein midi. L'aggiornamento par « prise de conscience » de pareil abî­me entre le monde et le salut du monde ; la révolution sœur de toutes les révolutions qui disloque sous nos yeux l'Église de Jésus-Christ afin de « l'ouvrir au monde comme il est », -- monde idéologique, inexistant et incapable d'exis­ter : de sortir du chaos ; le dialogue, c'est-à-dire l'égale absence d'autorité pour la pa­role de Dieu et une parole des hommes sans loi humaine, si­non de liberté pour tous au niveau de chacun, quelque évident soit l'esclavage de pa­reille liberté ; l'Église faite monde moderne au nom de l'Évangile, comme si le Fils de Dieu fait homme avait été païen avec un monde païen pour en être entendu, ou pha­risien pour être Maître et Doc­teur en Israël... On ne me fera pas croire cette église là, impie et homicide comme elle se veut moderne avec les mo­dernes, insensée avec les in­sensés. (Ibid.) \*\*\* *Dieu seul est bon*, ce qu'il y a de meilleur au monde me­nace le pire dès que l'on veut s'y fier comme à Dieu : le mystère du péché originel em­porte au moins ce sens là, et c'est la folie du monde moder­ne de n'en rien savoir ; pas de crime contre l'humanité qu'un alibi humanitaire ne fasse applaudir, voilà ce qu'on appelle le sens de l'histoire, et l'Église ouverte au monde. (Ibid.) \*\*\* « Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête portant deux cornes comme un agneau mais parlant comme un dra­gon » : l'Apocalypse nous an­nonçait-elle que même l'image du Sauveur pourrait faire en­tendre le langage de Satan ? La Révolution excepté quel­ques tabous, au diable une église (aussi bien qu'une droi­te) où pareil chaos mental croit servir la paix ! (Ibid.) \*\*\* 47:207 Sans aucun doute, l'Église d'hier, ouverte aux valeurs de la société traditionnelle, était fermée à mesure à ce que la société moderne veut pour ses valeurs ; pourquoi, sinon par­ce que les valeurs modernes sont la négation expresse, pour être modernes, des va­leurs traditionnelles ? Or cel­les-ci demeurent indispensa­bles à la vie, et les nier, la mort ; l'Église ni le monde n'ont aucun pouvoir de nous faire vivre sans respirer, ou respirer sans air. (Car c'est de quoi il s'agit, sous ce vo­cable moderne de valeurs.) (S.C.T., 8/9/68.) \*\*\* Si le droit humain de la société est démocratique, alors que le droit divin de l'Église est la souveraineté, non du peuple, mais du Christ en l'homme qui est son Vicaire, (discours de Paul VI d'après *Le Figaro* du 14 novembre 1969) ; que devient ici, -- en aussi fondamentale matière que la communauté des hom­mes, -- le principe que la grâce porte la nature à sa per­fection, loin de la mettre au rancart ? Mon Dieu, il devient incohérent avec un pape hom­me moderne : il met ensemble l'existence divine et humaine de l'Église et l'être idéologi­que de la société. (S.C.T., 24/11/69.) Paul Bouscaren. 48:207 ### A propos d'obéissance par Maurice de Charette A MESURE que se déroule tragiquement l'actuel pon­tificat, on est frappé par la ressemblance qui existe entre les deux sombres destinées de Paul VI et de De Gaulle. L'un et l'autre imbus de leur autorité auront cassé, brisé, détruit au nom de leurs charismes, gouvernant comme des prophètes et finalement accumulant des désas­tres autour d'eux. A la perte de l'Empire correspond la destruction de la liturgie. A la perte de l'âme française correspond la ruine de la chrétienté. La politique à l'égard du communisme est la même, sans doute plus par certitude de sa victoire que par conviction. Dans l'un et l'autre cas, on s'entoure de compagnons qui partagent ou acceptent vos vues et l'on récuse les serviteurs loyaux qui entendent conserver la dignité de leurs attitudes. La duplicité de chaque instant est identique dans une semblable volonté de réaliser les objectifs secrets que l'on s'est fixé, malgré les méandres stratégiques que l'on s'impose pour les dissimuler et mé­nager ainsi les étapes nécessaires. Ici et là, on nous offre une justification suprême, une charte de base que l'on interprète au gré des besoins ; l'es­prit de la Résistance fait le pendant aux orientations conciliaires sans que nul n'ait le droit d'émettre un doute sur le bien fondé des applications qui en sont faites. On pourrait continuer sur ce thème, le développer et l'illustrer par de multiples exemples pris dans les actes et les paroles du pape et du général, mais cette triste compi­lation semble inutile tant les faits sont récents et présents à toutes les mémoires... 49:207 Au demeurant, il y a une différence essentielle entre les deux carrières (si l'on veut bien nous permettre ce mot), car de Gaulle est un aventurier qui a réussi, tandis que Paul VI est un pape légitimement élu ; il détient donc *droitement* les privilèges et pouvoirs attachés à sa fonction pontificale et qui découlent des paroles mêmes du Christ. Mais peut-être est-ce justement pour cela que ses actes et ses paroles évoquent tellement le double visage de Janus. Sur une face nous voyons la profession de foi, *Mysterium fidei, Coelibatus sacerdotalis* et bon nombre de discours, spécialement parmi ceux du mercredi. Sur l'autre face, nous trouvons le ravage liturgique, la communion dans la main, le saccage au moins toléré du catéchisme, la mani­pulation des Écritures, la tempête chez les clercs et dans les ordres religieux, pour ne citer que quelques drames parmi les plus marquants. Et l'on voudrait nous faire accepter, au nom de l'obéis­sance due à Pierre, tous les actes accomplis par ou sous ce pontificat sans nous permettre de discuter ni de distin­guer ! Oui, l'obéissance est normale ; oui, elle doit être filiale dans les temps habituels ; mais elle ne saurait être inconditionnelle parce que les pouvoirs de Pierre ne sont pas une fin en soi mais demeurent ordonnés à la Gloire de Dieu et au bien des âmes. S'il advient que Pierre y man­que, l'opposition est un devoir, à l'imitation de saint Paul ainsi qu'il est rapporté dans les Actes des Apôtres au sujet de la circoncision des gentils. Faut-il ajouter que le même saint Paul ne croyait pas bénéficier en cela de droits par­ticuliers mais invitait au contraire chacun de nous à ne pas écouter « même un ange de Dieu » qui prêcherait une autre doctrine. Seul Dieu doit être obéi de façon inconditionnelle ; Seul Il peut exiger qu'Abraham lui sacrifie Isaac, sans com­prendre ni même tenter de comprendre, parce qu'Il est le Tout Puissant et qu'Il ne peut vouloir que notre bien. Mais exiger de nous la même attitude à l'égard du pape, c'est interpréter abusivement le *Tu es Petrus,* c'est tomber dans la papolâtrie la plus ridicule et non pas obéir à la lettre et à l'esprit des textes qui régissent l'infaillibilité et les pouvoirs de Pierre. 50:207 Nous n'avons pas le droit de mettre nos âmes en danger, d'affadir notre pauvre amour de Dieu et notre si médiocre pratique de la vertu ; nous n'avons pas le droit de laisser nos enfants devenir des barbares en les privant du vrai catéchisme ; nous n'avons même pas le droit de laisser faire autour de nous, sans lutter et protester, sous le pré­texte que nous ne serions pas personnellement contaminés. Si cette résistance là doit nous faire accuser de désobéis­sance et nous attirer les foudres d'une épuration, nous savons pouvoir compter sur la protection de saint Athanase et de saint Hilaire, de saint Pie V et de saint Pie X ; et nous glorifions Dieu d'avoir daigné nous éclairer, en le sup­pliant de nous donner Sa force pour les temps de ténèbres. Est-ce donc faire preuve d'orgueil que de s'appuyer sur les Écritures, la Tradition et le Catéchisme ? Non, mille fois non, car ces instruments nous ont été donnés pour éclairer notre route et nous avons deux mille ans d'inter­prétation et d'application constante pour nous épargner les errances. Nous n'inventons rien, nous ne changeons rien. Nous demeurons fermes sur le rivage pendant la tempête. Nous ne refusons pas le mouvement ; nous voulons bien embarquer, mais pas sur un bateau ivre. Et nous sommes aussi fidèles que quiconque au trône de Pierre ; nous ne voulons ni nous séparer de Rome ni mettre en doute l'autorité pontificale. Simplement, nous ne sommes pas tenus par les mesures équivoques ou dou­teuses dont nous constatons qu'elles aboutissent à la désor­ganisation de l'Église et à la dislocation de la Chrétienté. Nous croyons aussi que, si grand, si légitime, si consi­dérable que soit un pouvoir, il n'est jamais absolu et sans limites, sauf encore une fois le pouvoir de Dieu. Nous n'en­trerons pas ici dans les discussions des théologiens concer­nant les fautes ou erreurs possibles des pontifes, et par conséquent les limites morales, intellectuelles ou physiques de l'assistance promise à Pierre par le Christ. Nous dirons seulement que le baptême et le catéchisme nous donnent grâce et connaissance pour assurer notre salut et distin­guer notre devoir. 51:207 Lorsque le Christ a dit « Ce que vous lierez sera lié », il n'a pas permis pour autant à Pierre ni aux Apôtres de tronquer (ou de laisser tronquer) les Écritures, de favoriser (ou de laisser favoriser) l'équivoque et l'hérésie doctrinale, de réduire (ou de laisser réduire) le contenu nécessaire du catéchisme, de jeter au vent (ou de laisser jeter au vent) deux mille ans de tradition liturgique continue en prétendant nous priver de la jouissance pacifique de ses bienfaits spirituels. Dans notre comportement justifié, il n'y a pas schis­me ; il y a au contraire souci d'orthodoxie rigoureuse et soin du salut des âmes. Si nous paraissons désobéir, c'est au nom de la plus sainte obéissance que nous devons à Dieu, Père, Fils et Saint Esprit. \*\*\* Tels sont les motifs qui nous ont amené à écouter Mgr Lefebvre avec respect et pieuse admiration. Cet homme que l'on taxe d'orgueil a déposé sa charge d'archevêque de Dakar, puis sa charge d'évêque de Tulle ; il s'est laissé déposséder de ses fonctions de supérieur général des pères du Saint-Esprit. Quand il ne s'agissait que de sa personne, il a tout accepté avec humilité. Il ne s'est pas battu pour défendre ses postes et les honneurs qu'il avait reçus. Il s'est levé seulement lorsqu'il fut porté atteinte aux droits de Dieu. Il est frappant de constater, à la lecture de ses discours depuis dix ans, tels qu'ils sont reproduits dans *Un Évêque parle* ([^4])*,* que Mgr Lefebvre a commencé par émettre des doutes et des crain­tes ; il a dit sa peine et son angoisse devant certaines déci­sions pastorales du concile, devant certaines ouvertures et certaines omissions. Est-ce sa faute s'il est resté seul ou presque ? Est-ce sa faute si la lâcheté ou la méchanceté des uns, l'ignorance ou la légèreté des autres l'ont isolé ? Devait-il rejeter la vérité doctrinale et l'efficacité pastorale pour rejoindre la majorité ? Il ne le pouvait pas et il a agi selon son devoir d'Apôtre...A mesure que se compliquait l'événement et que s'aggravait le désastre, il a parlé plus fermement, mettant ses actes en harmonie avec ses paroles, sauvant ce qu'il pouvait sauver, maintenant ce qu'il pouvait maintenir, dénonçant ce qu'il devait dénoncer. 52:207 Ce faisant, il n'a pas fondé une quelconque petite église comme on veut l'en accuser ([^5]) ; il n'a recherché pour lui aucun honneur. Il ne s'est pas séparé de Rome même s'il a refusé de sacrifier la gloire de Dieu et le bien des âmes à une notion servile de l'obéis­sance. Mais d'ailleurs, depuis un an que l'on multiplie les avertissements et documents contre lui, qu'il s'agisse de la lettre des trois cardinaux, des lettres du pape ou des divers communiqués du Vatican, on n'a jamais rien opposé à ses prises de positions. Les cardinaux Marty et Renard, pas plus que Nos Seigneurs Etchegaray et Mamie, n'ont rien dit non plus qui éclaire le débat. Seul le discours consisto­rial du mois de mai dernier a tenté de fournir quelques attendus à la condamnation morale qu'il contenait et aux sanctions qu'il annonçait. Il était question d'erreurs doc­trinales, de choix parmi les traditions, de refus des orien­tations conciliaires. On évoquait la suppression définitive et autoritaire de la messe de St-Pie V en se réclamant d'un texte secondaire qui aurait soi-disant suffi à annuler la bulle Quo primum. On restait dans le vague ; on ne se référait à rien de précis ; on ne citait rien, on ne démentait rien, on ne prouvait rien. Sont-ce les mœurs nouvelles que de condamner un ar­chevêque, sans établir la liste de ses erreurs, sans con­fronter ses positions et ses paroles avec la foi et la morale ? Ne sait-on plus, à Rome, rédiger un document quelque peu étayé et suffisamment développé pour éclairer le coupable et ceux qui le suivent ou lui accordent leur confiance ? Ne serait-ce pas plutôt que l'on se « bat les flancs » pour trouver les éléments d'une accusation qui ait, au moins, l'aspect du sérieux ? 53:207 Reste l'argument d'autorité, le *hoc volo, sic jubeo*, mais il paraît un peu court à ceux-là même qui s'en réclament et le discours consistorial le prouve qui tentait de motiver pauvrement l'action entreprise. Il ne suffit pas au pape de dire à un archevêque « silence dans le rang » pas plus que cela ne suffit lorsque nos évêques nous le disent. Maurice de Charette. 54:207 ### Seconde note sur l'hérésie conciliaire *ou hérésie de l'action* par Marcel De Corte IL APPARAÎT DE PLUS EN PLUS, à tout esprit réfléchi, fidèle à la foi catholique, et parce que fidèle à la foi catho­lique, qu'il faut, aujourd'hui plus que jamais, opérer une nette distinction entre l'Église et les clercs qui en sont membres, entre la Hiérarchie et les évêques, *entre la Pa­pauté et le pape.* Sans cette discrimination entre l'essentiel et l'accidentel, entre « l'Église une, sainte, catholique et apostolique » et les hommes qui exercent en elle une fonction ecclésiastique, il est clair que la formule du Concile de Nicée ne correspondrait en aucune manière à la réalité surnaturelle qu'elle signifie. Les preuves en foisonnent dans l'histoire depuis le re­niement de Pierre : le Prince des Apôtres qui avait déjà reçu de Dieu à Césarée de Philippe la mission de répandre et de communiquer Jésus-Christ, s'est au moins temporai­rement séparé de Jésus-Christ et de son Église. A une époque où tous les évêques à une seule exception étaient passés à l'hérésie arienne, à une autre où il y avait deux ou trois papes dont aucun ne l'était effectivement et qui s'excommuniaient réciproquement, à une autre encore où bon nombre de moines et de prêtres étaient perdus de mœurs, l'Église n'en restait pas moins une, sainte, catho­lique et apostolique en quelques représentants de la Hié­rarchie et dans les fidèles qui suivaient leur exemple. 55:207 Nos pères savaient spontanément effectuer la distinc­tion entre l'Église comme Institution et les hommes qui s'y trouvent en place. Ils savaient que *l'Institution seule* a reçu les promesses irrévocables de la vie éternelle de la part de son divin Fondateur puisqu'elle subsistera dans l'autre monde *alors que sera évacuée sa hiérarchie.* Leur foi, leur espérance et leur amour allaient *à l'Institution qui a sa vie propre, indépendante de celle de ses dirigeants,* parfois et même souvent faillibles, qui la régentent. Les sculpteurs des frontons des cathédrales n'hésitaient pas à mettre en enfer dans la scène du Jugement dernier quel­ques personnages mitrés de haut vol. Dante plongeait au plus profond des abîmes infernaux le pape glorieu­sement régnant à l'époque où il écrivait la *Divine Comédie,* et il le nommait en toutes lettres : Boniface VIII, en com­pagnie de quelques-uns de ses prédécesseurs. Ni la Papauté ni l'Épiscopat n'étaient pourtant mis par eux en question. J'entends encore mon père, bon catholique ferme en sa foi, me dire avec à peine un sourire : « Il y a tellement de prêtres dans l'Enfer que les chantres sont obligés de chanter par les soupiraux. » La grand-mère de ma femme, qui, à l'époque, phénomène rare, se rendait tous les jours à la messe, n'enseignait pas moins à ses enfants et à ses petits-enfants qu'il y avait deux sortes de personnes « qu'il ne fallait pas fréquenter de trop près : les prêtres et les gendarmes, de peur de perdre le respect que l'on doit au Sacerdoce et à la Loi ». Entre les hommes contingents qui en font partie et l'Institution nécessaire, nos pères, qu'ils fussent savants ou ignorants en théologie, traçaient d'instinct *une distinc­tion réelle, donnée en acte dans la chose même.* D'ailleurs le sacrement de l'Ordre n'imprime-t-il pas un caractère indélébile en celui qui le reçoit, même s'il en devient in­digne ? Il en était de même pour eux dans la catégorie du profane : le monarque se distinguait de la Monarchie. \*\*\* Nous avons, *par idéalisme,* renversé cette ordonnance parce que nous ne croyons plus assez fermement en cette *réalité* surnaturelle qu'est l'Église, nous revêtons *d'un* ca­ractère idéal, parfaitement imaginaire, la personne du pape, des évêques, des prêtres. 56:207 Nos pères auraient réprouvé ce platonisme à l'envers. Leur attitude d'esprit ne privilégie aucunement la forme au détriment de la matière, ni l'âme au préjudice du corps. Elle souligne simplement une évi­dence qui ne devrait pas heurter un esprit bien fait l'importance essentielle de la grâce surnaturelle dispensée par le sacrement de l'Ordre dans l'Église et la multitude trop visible des obstacles qu'elle rencontre au cours de son incarnation en chacun de ses bénéficiaires, si haut placés qu'ils soient. Les détenteurs du pouvoir de juridic­tion dans l'Église sont faillibles, sauf le pape lui-même lorsqu'il définit *ex cathedra, au nom de l'Église,* la doc­trine à suivre par les fidèles en matière de foi et de mœurs, c'est-à-dire lorsqu'il coïncide pour ainsi dire avec le Christ lui-même, Tête éternelle de l'Église éternelle, à la manière d'un instrument si docile à la main qui le manie qu'il se confond avec elle, en vue de répandre et de protéger le dépôt divin des Vérités révélées. Autrement dit encore, le pape est infaillible lorsqu'il fait corps avec la Papauté, lorsqu'il est pleinement et uni­quement le Vicaire du Christ, porteur non point d'un nom propre, mais d'un nom commun, et dépouillé de sa per­sonne. Ce n'est point l'homme détenteur d'un nom propre, répétons-le, qui parle alors sans possibilité d'errer, c'est le Christ lui-même dont il est le simple instrument anony­me d'exécution. Son *moi* est totalement absorbé dans la seule Personne divine qui s'exprime à travers son canal, son seul canal impersonnel. On se trouve ici hors du temps, au niveau de l'éternel, *et, à ce niveau, le rôle du magistère ne peut jamais être de créer quelque chose de nouveau qui différerait de la Vérité immuable et ferait irruption dans le temps,* ni de provoquer un changement, une « mutation » de l'Église et dans l'Église, comme on dit dans le charabia d'aujourd'hui, mais de *manifester* plus plénièrement pour nous *la seule Vérité inaltérable.* Il n'est rien de proprement temporel qui intervienne à cette sou­veraine et parfaite hauteur. *Stat Crux dum evolvitur orbis.* 57:207 En dehors de ce cas précis du magistère, et surtout dans le ministère, peuvent se glisser, et se glissent en fait, ainsi que l'histoire de l'Église, de la Papauté, de la Hié­rarchie, en témoigne, des possibilités de méprise, d'illusion, de maladresse, d'égarement, voire même d'extravagance, de mensonge et d'aberration. A mesure que l'on descend de l'éternel et du divin dans le temporel et dans l'humain, s'accroît le champ des errances. Sans doute, selon les théo­logiens, une assistance prudentielle spéciale est-elle pro­mise, en ce domaine de la contingence, du temps et des opportunités, aux successeurs des Apôtres. Mais il ne fau­drait tout de même pas confondre spécial et général. Parce qu'il est spécial, un tel secours ne comporte aucun carac­tère de nécessité surnaturelle qui se retrouverait dans tous les cas, et moins encore une note d'authenticité indéniable dans la personne ou dans les actes de cette personne qui en sont l'objet présumé. On peut même se demander si cette « assistance spéciale » dans le gouvernement de l'Église n'est pas une invention de théologiens désireux de conso­lider le pouvoir de la Papauté ébranlé par le protestan­tisme. Car enfin, selon le mot de Mgr Duchesne, il ne manque pas d'exemples dans l'histoire où « la barque de saint Pierre a été gouvernée avec une gaffe ». Être chrétien, ce n'est pas fermer les yeux devant ces faiblesses. L'admirable prône du saint cardinal Mercier que j'entendais chaque année dans mon adolescence ne laissait pas d'affirmer que « l'Église poursuit triomphale­ment sa route vers l'éternité, *malgré les fautes et les dé­faillances de ses chefs *». \*\*\* Nous ne sommes plus ici en effet dans le domaine de la contemplation des vérités nécessaires au salut, mais dans celui de l'action : la personne même de l'auteur y intervient, non point comme cause instrumentale où elle s'efface devant la Parole de Dieu, *mais comme cause se­conde moralement indépendante de la Cause première*. Or la matière morale de l'action ne comporte pour celui qui agit aucune évidence absolue. Elle est une carrière ouverte aux idées fausses et aux décisions fallacieuses. Dieu lui-même ne peut rien changer à cette loi qui régit l'action et dont il est lui-même l'Auteur. 58:207 Toute action est contingente et le contingent est ce qui peut être ou ne pas être, ce qui peut être tel ou ne pas être tel. Le contingent sombrerait dans le nécessaire si l'assistance divine au pape et à la hiérarchie était ici constante et sans défaut. Il arrive même, en certains cas du magistère, attestés historiquement, que Dieu semble abandonner l'Église en la personne de ses dirigeants : l'arianisme et, à des degrés divers, souvent importants, d'autres hérésies, tel le mono­thélisme, en sont la preuve visible. L'assistance spéciale n'est pas dévolue en ce cas à ceux qui exercent officielle­ment le pouvoir dans l'Église, mais à d'autres, par exem­ple au moine Athanase et à saint Hilaire de Poitiers qui sauvèrent l'Église à eux seuls de l'hérésie arienne, alors que rien ne les prédisposait juridiquement à cette tâche et qu'ils n'avaient point de « mandat ». Il y a de toute évidence un *principe de subsidiarité sur­naturelle* qui joue dans l'histoire de l'Église. De même, saint Paul, sans contester le pouvoir souverain de Pierre en matière dogmatique, n'a pas craint de s'opposer à son comportement en matière pastorale. A ce niveau, nous assure saint Thomas, il est l'égal de Pierre. Comme l'his­toire le manifeste, c'est Paul qui avait reçu « l'assistance spéciale » en la matière et non son supérieur hiérarchique à qui cependant elle semblait dévolue. Comme l'écrit le cardinal Journet, « prêcher, enseigner, diriger sont des activités qui apparaissent comme plus connaturelles aux hommes, où ils peuvent prendre une plus large part d'initiative. La rançon d'un tel privilège sera que, dans la mesure même où s'accroît l'importance de leur rôle » (par exemple dans un concile pastoral et dans la direction que lui imprimerait un pape), « *la faillibilité* menacera d'entrer dans le gouvernement de l'Église ». En­core un coup, l'histoire est ici l'institutrice souveraine de la présence ou de l'absence de cette « assistance spéciale », de sa portée et de ses bénéficiaires. *On* *juge l'arbre à ses fruits.* \*\*\* 59:207 Nous en sommes justement là. Il est indubitable, à moins d'être frappé d'une sorte de cécité surnaturelle, que l'Église ; en *la personne de ses chefs et par elles,* il faut le souligner avec vigueur, est en train de s'écrouler. « *L'auto­démolition *» de l'Église postconciliaire manifeste la perti­nence du jugement de Gamaliel : « Si leur entreprise ou leur œuvre vient des hommes et non de Dieu, *elle se dé­truira elle-même *» (Act. V, 38) : personne ne connaît plus les vérités qu'il faut croire parce que le catéchisme des « Gardiens de la foi » ne les enseigne plus formellement : ils se sont mis « à l'écoute du monde » et leur foi s'en ressent -- *fides ex auditu ;* personne ne sait plus si les sacrements qui charrient la grâce sont valides ou non ; personne ne reconnaît la loi qui régit immuablement sa foi immuable, la *lex credendi* dans les quelque cent et trois canons du Saint Sacrifice de la Messe autorisés aujourd'hui en France et ailleurs ; quant à ceux qui trafiquent l'Écriture sainte et la transforment ouvertement en politique révolutionnaire, ils sont légion de bas en haut de l'Église *apparente.* \*\*\* Où trouver l'Église *réelle* en ces temps infortunés où nous sommes ? Dans la *personne* du pape ? On pourrait faire un catalogue impressionnant des déclarations des deux derniers papes qui *contredisent à angle droit* les af­firmations les plus nettes et les plus réitérées des papes antérieurs. Paul VI ne recule même pas devant les démen­tis qu'il s'inflige à lui-même. Je n'en veux ici qu'un seul exemple, de taille gigantesque. En 1965, il déclare à l'écrivain Alberto Cavallari, qui en relate le propos dans *Il Vaticano cambia,* que « le Concile a justement prouvé qu'à côté de la crise de la foi du monde, *il n'y a heureusement pas de crise dans l'Église *». Quelques années plus tard, il vire de bord et c'est sa fameuse « autodémolition de l'Église », mot qui le condamne si le proverbe est vrai que « le poisson pourrit par la tête » ; un peu plus tard encore, il aperçoit que « la fumée de Satan envahit l'Église ». Le 23 juin 1975, c'est de nouveau la volté-face : à l'occasion de la saint Jean-Baptiste et de l'anniversaire de son élection, il déclare aux cardinaux ébaubis qui l'écoutent : « *Un courant de spiri­tualité intense envahit le monde et il faudrait être aveugle pour ne pas le reconnaître. *» Qui dit mieux en fait de palinodie ? On songe invinciblement au mot, joli et affreux, de Catherine Lamb à son ami Lord Byron qui effrayé de ses variations, lui demandait : « Qu'est-ce donc que la vérité pour toi ? » : « C'est ce que je pense au moment où je le dis. » 60:207 « *Il faudrait être aveugle *» pour ne point voir ce qui crève les yeux : *nous sommes en présence d'un esprit typi­quement faux et passionné à la tête de l'Église.* Celle-ci a connu des papes à la chair pervertie et violente. Elle n'en a jamais vu un seul dont la mentalité répugne avec une telle constance et une telle impassibilité *aux évidences.* Si la marque de l'esprit faux est à la fois de ne point respec­ter le principe d'identité et de ne point appréhender les choses telles qu'elles sont (*rem*... *secundum quod in se est*)*,* il faut dire -- car dans le domaine de l'action, c'est la *personne* qui est en jeu -- que Paul VI est atteint de cécité intellectuelle, incurable à son âge. Huit jours après cette stupéfiante assertion du pape, *La Croix* du 30 juin publiait les statistiques du déclin de la spiritualité fran­çaise : « La pratique religieuse diminue régulièrement depuis vingt ans : 35 % de la population baptisée en 1958, 25 % en 1968 ; 22 % en 1971, 14 % en 1975. Le nombre de prêtres ordonnés est en constante régression : 573 en 1963, 170 en 1974. Les entrées au séminaire suivent la même courbe descendante : 917 en 1963, 194 en 1974. » Le sel de la spiritualité ne sale guère davantage dans les autres pays du monde : on vient d'apprendre qu'il y a trois mil­lions en moins de catholiques en Allemagne. \*\*\* Relisons maintenant l'admirable *Vraie Vie Chrétienne* du R.P. A. Gardeil, O.P., parue en 1935. Les idées fausses, nous dit-elle, proviennent de quatre sources. La première procède « d'une surabondance d'imagi­nation », *quae de facili potest formare phantasmata,* d'au­tant plus maîtresse d'erreur, précise Pascal, qu'elle ne l'est pas toujours. On ne peut dénier à Paul VI l'éminente fa­culté de substituer à la réalité objective les constructions de son esprit. Nous venons d'en donner un exemple ty­pique. On pourrait en ajouter d'autres : l'éloge biscornu qu'il fit un jour de l'utopie ou encore son panégyrique de la jeunesse chinoise lors de la révolution culturelle. 61:207 La deuxième dérive « des préjugés de l'éducation et de l'influence du milieu ». On sait que Jean-Baptiste Montini fut éduqué et instruit en vase clos par des précepteurs dans une famille dont la piété était fortement entachée de sentimentalisme et dont les idéaux démocratiques « super­célestes », comme dirait Montaigne, n'étaient un mystère pour personne. On sait que le propre de la démocratie, gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, est de n'exister que verbalement, illusoirement, au sein de « la folle du logis », et d'être le gouvernement d'une mi­norité par cette minorité pour cette minorité, dès qu'elle se traduit dans les faits. L'Italie en est un exemple éclatant depuis que la démocratie chrétienne y détient le pouvoir. Ces conditions ont développé en lui une introversion innée, un manque de contact avec le monde extérieur, une ten­dance à substituer à la réalité les idées qu'il se forge de la réalité. On a conservé de lui une lettre de jeunesse qui le dépeint admirablement : « Je suis convaincu, écrit-il, qu'une pensée de moi, une pensée de mon âme a pour moi plus de valeur que n'importe quoi au monde. » La troisième provient « d'une science imparfaite et qui ne se rend pas compte de ce qui lui manque ». Il suffit de lire les écrits et les allocutions de Paul VI pour cons­tater le caractère amorphe de sa théologie. Visiblement, Paul VI répugne à s'inspirer du thomisme. Sa théologie est plus celle d'un maître de rhétorique qu'une science de Dieu. La quatrième est enfin « la pertinacité, l'entêtement volontaire ». Paul VI, « le petit homme de fer », comme l'appelait sa mère, n'en manque assurément pas. Comme tous les hommes en proie à une idée fixe, à leur idée, il va de l'avant. Il a le tempérament impérieux. Il éprouve « la volupté de commander, doublée lorsqu'on est démo­crate », selon le mot du très socialiste Roger Ikor. Il bri­serait quiconque s'opposerait à ses desseins, sans éprouver la moindre hésitation, le plus bref remords, dans la convic­tion absolue d'avoir raison, en toute bonne conscience. Un esprit boiteux croit toujours marcher droit. \*\*\* 62:207 Comme la plupart des introvertis à l'état quasiment pur, Paul VI se veut homme d'action et homme d'action qui innove, qui refuse les enseignements de l'histoire, qui projette tout à trac dans la réalité la conception qu'il a tournée et retournée en son esprit. Son dessein est indu­bitablement de réconcilier l'Église avec le monde moderne qui l'a reniée et de renouer avec lui des liens temporels analogues à ceux qui existaient antérieurement : à l'alliance du Trône et de l'Autel il pense pouvoir substituer l'alliance de l'Autel et de la Démocratie, de la Liberté, de l'Égalité, de la Fraternité, bref des entités majusculaires qui tourne­boulent les intelligences depuis deux siècles. Au besoin, comme l'observation impartiale de ses *actes* (et de ses absences d'actes) le fait bien voir, il *force* l'Église à le suivre. Jamais, écrit son biographe et ami Jean Guitton, je n'ai entendu un homme s'exprimer avec une telle admira­tion, une telle ferveur, à l'égard du monde moderne. Il suffit du reste de relire son discours de clôture du Concile pour en être convaincu : la religion du Christ et la religion de l'homme, car c'en est une, précise-t-il, s'y sont ren­contrées sans qu'il y ait entre elles le moindre choc, « avec un immense amour de notre part, car nous avons plus que quiconque le culte de l'homme », clama-t-il. Je ne serais pas étonné si son dessein secret était de faire prendre par l'Église le relais des diverses révolutions défaillantes et de donner à leurs slogans qui ont tous échoué une signifi­cation spirituelle. Tout doit céder ou plier devant cette utopie. Comme il est trop clair que le monde et l'homme modernes sont devenus allergiques à la foi chrétienne et se nourrissent de diverses fois de remplacement -- d'ailleurs dérivées d'un christianisme sécularisé, désurnaturalisé --, comme nous vivons, si l'on peut dire, à l'époque « des guerres de suc­cession du Christ », selon l'étincelante et corrosive for­mule de Jules Monnerot, ce n'est pas avec la vigueur de saint Pie X ni avec l'autorité d'un Pie XII, ni même avec une solennité quelconque, que Paul VI rappelle les exi­gences imprescriptibles et immuables de la Vérité révélée, mais à l'occasion, lorsqu'il est impossible de faire autre­ment. Jamais nous ne l'avons entendu rappeler que les vérités dogmatiques doivent être saisies et vécues dans leur correspondance à la réalité révélée *telle qu'elle est et telle qu'elle est transmise indivisiblement par l'Écriture* ET *par la Tradition.* 63:207 Le Concile qu'il a constamment téléguidé dans *sa* direction *à lui* était d'autant plus l'occasion de le faire que tous les Conciles antérieurs ont débuté par ce rappel indispensable *et par la notification précise des erreurs de l'époque qui s'y opposent.* Il a bien prononcé son *Credo* lorsque les colonnes du temple commencèrent à être ébran­lées, mais, nous l'avons souligné dans notre note précé­dente, il l'a fait expressément à titre personnel. Cette impression que le donné de la foi, j'entends le *donné objectif --* j'entends aussi les « théologiens » ac­tuels ricaner : « qu'est-ce qu'un donné objectif ? » -- n'a qu'une importance seconde pour Paul VI en face du grand projet qui est le sien, se confirme lorsque nous constatons *avec effroi --* les mêmes « théologiens » ricanent à nou­veau -- que le catéchisme subit aujourd'hui OFFICIELLE­MENT un gauchissement subjectiviste avoué, prémédité, étalé, et se transforme en manuel de conduite « humani­taire », que la liturgie a lacéré ses fameux « vêtements de soie » sur les conseils insidieux d'un prélat franc-maçon, et que l'Écriture sainte est profanée, sans que ce dérèglement tragique des vérités de la foi suscite en lui autre chose que des protestations sporadiques. \*\*\* Tout cela est dû à un petit groupe, bruyant, « heureu­sement peu nombreux » et, somme toute, sans influence, déclarait-il sans barguigner dans sa récente allocution aux Cardinaux où il condamnait l'attitude de Mgr Lefebvre, seul défenseur de la foi en l'occurrence ! *On reste consterné devant un tel obscurcissement de l'intelligence, faculté du réel, chez un pape.* Paul VI poursuit inflexiblement sa chi­mère. En proie à son idée fixe, « à sa pensée à lui, à la pensée de son âme », il ne voit pas que les journaux, les revues, les livres qui défendent encore aujourd'hui la foi éternelle n'ont plus qu'un nombre infime, d'abonnés et de lecteurs, alors que monte sans cesse la marée des impri­més qui la détruisent, la tronçonnent, la gauchissent ; il ne voit pas que les maisons d'édition traditionalistes dis­paraissent presque toutes devant la pullulation des librai­ries progressistes, souvent richissimes ; il ne voit pas que trous les moyens de communication sont colonisés ou mono­polisés par les modernistes. Est-ce là le fait d'un homme quelque peu sensible à la réalité ? 64:207 « Un petit groupe peu nombreux » ou, comme le dit Louis Salleron, « quelques gamins turbulents »... La chose n'a donc point d'impor­tance... Les larmes en montent aux yeux... Le souci fondamental et premier de la foi *objective* est si peu ancré dans la pensée de Paul VI empêtrée en son utopie, qu'il en vient à des formules d'une effarante audace. Souvenons-nous de sa célèbre apostrophe aux Juifs et aux Musulmans : « Nous avons le même Dieu ». Si nous avons le même Dieu que celui d'Israël et de l'Islam, cela impli­que que nous ne croyons plus au dogme de la Très Sainte Trinité ni à celui de la divinité du Christ ou, à tout le moins que nous devons les mettre en veilleuse à une époque où l'Église aspire à constituer un front commun de toutes les religions pour offrir à Dieu un univers enfin régénéré... Primauté absolue de l'action encore ! Cette ligne de conduite est imperturbablement poursui­vie par Paul VI, non seulement vis-à-vis de toutes les religions du monde auxquelles le pape ouvre fraternelle­ment les bras, mais encore à l'égard du monde si profon­dément imprégné de laïcisme et d'athéisme aujourd'hui. Je suis persuadé que Paul VI estime qu'il n'y a pas d'athées, mais seulement, selon sa propre expression, des « hommes qui croient ne pas croire ». L'Église ouverte à ce monde qui a remplacé par le culte de l'homme, et en définitive par le culte du Moi individuel ou collectif le culte de Dieu, c'est pour lui « l'Église cherchant, j'ose le dire, le *ministère plus que le magistère *» (ce sont ses pro­pres paroles), c'est en fin de compte l'Église au service d'une humanité qui n'accepte plus de son message que son contenu purement humain, énucléé de tout surnaturel. L'action de l'Église dans le monde, imposée par la foi subjective de Paul VI à une hiérarchie pénétrée de la même foi et docile aux ordres du pape, ne peut se déve­lopper, dans une telle intention, que sur un fond de ciel doctrinal de plus en plus évanescent. C'est l'*ama et fac quod vis*, « aime et fais ce que tu veux » de saint Augustin qui se désencadre de la foi immuable, de l'axe qui la guide vers ce qui DOIT être aimé, là où le vouloir coïncide avec le devoir, laissant la place libre à tous les dévergondages de l'esprit et de la volonté que nous voyons s'étaler dans le nouveau catéchisme, la nouvelle « Eucharistie », la nouvelle prédication de l'Évangile. 65:207 Un tel amour, c'est tout simplement « l'imagination au pouvoir », l'imagination qui s'enivre des images qu'elle fabrique et qu'elle introduit dans la réalité de l'Église, non pour la rajeunir, mais pour la détruire. \*\*\* En termes philosophiques, la *praxis,* l'action pour l'ac­tion, l'hérésie de l'action transforme l'Église, sous l'impul­sion de Paul VI, *en une création continue, en nouveautés et en découvertes perpétuelles* qui submergent, diluent et font disparaître à la longue le donné de la foi. « Il faut *créer,* nous assure le pape, toujours dans le même sens » (qu'il assimile subjectivement en sa rêverie à celui de la Tradition), celui de « la rencontre avec les autres fidèles catholiques, avec nos frères encore séparés, avec tous ceux qui croient, avec ceux qui croient ne pas croire, avec le monde présent *tel qu'il se présente *»*.* A la place de l'Église au service de Dieu, à la place de l'Église dont la surabondance de contemplation objective rejaillit en action, à la place de l'Église au service des hommes parce qu'elle est essentiellement et totalement d'abord au service de Dieu, Paul VI a choisi l'Église au service de Dieu *parce qu'elle est d'abord et quasi exclusi­vement au service de l'humanité.* C'est à la lettre « la syn­thèse du Dieu chrétien d'En-haut et du Dieu (sic) marxiste de l'En-avant, le seul Dieu que l'humanité puisse encore adorer », selon la prophétie messianique de Teilhard le gnostique et l'illuminé. Aussi bien les théologiens « en recherche » qui ruinent la foi dans l'esprit des fidèles sous prétexte de la rendre « crédible » à l'esprit moderne, les laïcs, les prêtres, voire les évêques qui se jettent à corps perdu dans les entreprises révolutionnaires de « libération » des peuples « opprimés », n'effraient nullement Paul VI : ils agissent dans le même sens que lui, le sens d'une plus grande ouverture au monde. Seuls les traditionalistes qui s'ac­crochent avec l'énergie de l'indéfectible espérance théolo­gale à l'Église de toujours et qui ne la reconnaissent plus dans l'Église en permanente rupture avec le passé que Paul VI tolère et encourage, sont l'objet de son aversion et de son ressentiment. 66:207 Une mentalité imbibée de praxis, tendue vers le résul­tat de ses efforts, ne peut avoir de scrupules : elle vise avant toute chose l'efficacité, même au prix d'entorses à la vérité, même s'il faut mettre, temporairement selon elle, la vérité sous le boisseau. C'est ce qui se passe sorts nos yeux si nous avons encore la très simple audace de ne point les fermer. \*\*\* L'action pour l'action est en effet le domaine de la subjectivité : elle ne dépend plus que de la personne qui en est la source, *actiones sunt suppositorum*, dit l'adage. Paul VI n'a-t-il pas déclaré que « tout au Concile a été orienté vers l'utilité de l'homme » ? L'utilité ne se définit-elle pas par l'efficacité ? « La pastorale » actuelle ne vise-t-elle pas uniquement -- je dis bien uniquement -- à l'utile et à l'efficace ? C'est pourquoi, entre parenthèses, elle est parfaitement inutile et inefficace. « La pastorale » en question constitue le plus grand danger que l'Église affronte en elle-même depuis ses origines. Étienne Gilson le constate amèrement : « S'il était admis que la pastorale pût impunément se passer de dogmatique, le pire ne serait pas à craindre : il serait déjà arrivé. » « La pastorale » animée de « l'amour de l'humanité » est le type même de l'action subjective qui ne débouche sur rien de concret, sur aucune personne en chair et en os. On ne peut aimer que des êtres pourvus d'un nom propre. Tout autre amour est supercherie, poudre aux yeux qui cache l'effroyable amour qu'on porte à soi-même. « L'humanité » n'a de réalité que dans la pensée qui la pense, il faut le clamer sur les toits. L'aimer équivaut à aimer sa propre pensée, à s'aimer SOI. Un tel amour est sans pitié pour les chrétiens de chair et d'os qui souffrent de voir l'Église chavirer dans le tête-à-queue que le pape lui imprime par force. « Au nom de l'humanité », déclarait Lepelletier de Saint-Fargeau, en requérant la mort du Roi devant la Convention, « je vous conjure d'être inexorables ». 67:207 Muré dans son christianisme qu'il faut bien appeler idéologique et dans son œcuménisme humanitaire, Paul VI ne s'aper­çoit même pas de sa cruauté. Il est convaincu d'être bon. Il en est ainsi de quiconque qui se fie à ses voix inté­rieures, « aux pensées de son âme ». \*\*\* Si nous n'étions pas en proie *à la papolâtrie, la plus perverse des idolâtries* (parce qu'elle est à la fois le men­songe le plus proche et le plus éloigné de la Vérité divine), il y a beau temps que nous nous en serions aperçus. Rien n'est plus néfaste à l'ordre surnaturel comme à l'ordre naturel que « le culte de la personnalité » qui sévit aujourd'hui dans toutes les sociétés en ersatz du respect disparu de l'Institution. Il équivaut à un refus de voir que l'Institution branle *parce que nous ne la soutenons plus* et que nous transmettons l'effort de le faire à un seul homme, détenteur de tous les pouvoirs. Il est le signe de *toutes* les sociétés décadentes. L'histoire est le tombeau des personnalités divinisées : Alexandre, Auguste, Napoléon, Lénine, Staline. Hitler, de Gaulle et, à bien des égards, Mussolini, Roosevelt et Churchill. Son seul avantage est de conforter notre secret égoïsme : il sécurise la subjectivité à laquelle nous nous abandonnons alors que s'écroule l'Église, « colonne et fondement de la Vérité ». Il nous accule, quant à nous, bon gré mal gré, à la dernière des Béatitudes : celle des persécutions. Monsei­gneur Lefebvre en est le premier atteint. Mais il est aussi le premier dans la Hiérarchie à ancrer dans nos âmes l'acte de foi que nous récitions lors de notre première Com­munion solennelle, sans trop savoir alors qu'il implique l'acceptation non seulement du martyre physique, mais aussi du martyre moral, plus douloureux, plus long, plus violent : « Mon Dieu, je crois fermement tout ce que Vous nous avez révélé et que la Sainte Église nous propose à croire parce que Vous êtes la Vérité même et que Vous ne pouvez ni Vous tromper ni nous tromper. » Tout le reste est littérature, et la plus mauvaise de toutes : la littérature ecclésiastique qui profite de l'igno­rance du catéchisme, de la sainte Liturgie, de la sainte Écriture, pour insinuer dans les âmes vacillantes la volonté de puissance des clercs. Relisons l'Évangile : « *Si vous gardez ma doctrine,* vous serez VRAIMENT mes disciples. Et vous connaîtrez la Vérité, ET LA VÉRITÉ VOUS RENDRA LI­BRES », libres à la hauteur du Surnaturel VÉRITABLE, loin des manœuvres, des rubriques et des machinations des hommes. Marcel De Corte. 69:207 ### De Giscard en Giscard par Louis Salleron LE SUCCÈS DU PLAN BARRE est souhaité par tout le monde. Je le souhaite, pour ma part, éperdument. Mais qui y croit ? Pour ma part, je n'y crois pas. MM. Barre et Giscard d'Es­taing ont dit à plusieurs reprises, sous des formes diverses : la réussite de ce plan est entre les mains des Français ; c'est une question de con­fiance. Dans ces conditions... Il est connu que la confiance ne se décrète pas. C'est le chef qui suscite la confiance. S'il la sollicite, il éveille plutôt la méfiance. J'attendais avec curiosité M. Giscard d'Estaing à la télévision. Une fois de plus, il ne m'a pas déçu. Il est de la catégorie des hommes bien élevés qui ne laissent rien apparaître de leurs soucis personnels d'argent, d'amour ou de santé. Chef d'État, M. Giscard d'Estaing est toujours identique à lui-même, parlant avec la même assurance aux Françaises et aux Français, aux dames, aux demoi­selles et aux messieurs, dans une impassibilité qu'il ne nuance d'un sourire ou de quelque gravité qu'à raison de l'attente présumée des téléspectateurs. 70:207 En la circonstance, il fut le parfait acteur qu'il est toujours. La gravité s'imposait ; il fut grave, mais d'une gravité rassurante. Non, les jours du malade ne sont pas en danger ; il faudra seulement de longs soins et de la prudence. Concrètement, qu'a-t-il dit ? Nul ne s'en sou­vient. C'est bien là le drame. Quand on sait que M. Giscard d'Estaing va parler à la télévision, on sait que le spectacle sera de qualité, qu'on sera ébloui par le jeu d'une méca­nique cérébrale et verbale qui n'a jamais de défaillance, mais qu'au total, à travers les mots constamment entendus, -- équilibre budgétaire, exportations, lutte contre les iné­galités, etc., -- tout continuera comme devant, avec sim­plement quelques impôts en plus. Nous avions un chef d'État, grand expert en matière financière. Il s'adjoint maintenant un chef de gouverne­ment, super-grand-expert en matière financière. Si avec cela l'inflation n'est pas jugulée ! Or c'est précisément ce qui inquiète. Tout le monde en effet se rend bien compte que l'inflation n'est pas d'abord un problème de compé­tence mais un problème d'autorité. Certes les solutions techniques peuvent être bonnes ou mauvaises. Justement celles qu'on applique ne sont, dans l'ensemble, pas bonnes. La France vit au-dessus de ses moyens. On le dit et on le répète, -- sans dénoncer la cause. La cause première, c'est l'étatisme qui entraîne un gaspillage insensé des deniers de l'État, l'élargissement accéléré du gouffre de la Sécurité sociale, l'excessive augmentation des salaires dans les secteurs dominés par les centrales syndicales. Reconnais­sons que MM. Giscard d'Estaing et Barre ont fait quelques allusions à ces errements. Mais les allusions sont timides, hésitantes, indirectes. La vérité leur fait peur. Comment dresser contre soi tous les pouvoirs parallèles qui aujour­d'hui paralysent l'État ? 71:207 M. Giscard d'Estaing a contre lui l'opposition ; mais il n'a plus pour lui ceux qui l'ont élu. Une minorité *ne lui pardonne pas et ne lui pardonnera jamais d'avoir porté contre la famille les coups les plus rudes qu'elle ait jamais eu à subir.* La libéralisation du divorce, de la contraception et de l'avortement, si elle correspond à ses idées personnelles et lui assure les bonnes grâces de la franc-maçonnerie, est en opposition radicale avec la morale catholique, tout en s'inscrivant au rebours des nécessités démographiques de la France. Notre pays a sans doute au­jourd'hui le taux de natalité et de fécondité le plus bas de l'Europe, ayant ravi la lanterne rouge à l'Allemagne fédérale. Cela, au moment même où la natalité des pays de l'Est, sauf la Tchécoslovaquie, est en net redresse­ment ([^6]). Attaquée dans ses racines morales et institutionnelles, la famille l'est encore dans ses conditions de vie quoti­dienne. Il suffit de penser au logement, à l'enseignement et aux vacances pour imaginer les problèmes des familles ayant seulement plus de deux enfants. Quant aux ressour­ces financières, n'en parlons pas. A la vérité, les compa­raisons sont difficiles à faire, car la législation fiscale et sociale est tellement compliquée et changeante qu'on s'y noie ; et comme *les statistiques ignorent la famille,* ne connaissant que les individus et les « ménages », -- c'est-à-dire les personnes vivant dans un même logement, -- il est difficile de s'y reconnaître. Chacun sait cependant que les allocations familiales n'ont jamais suivi les salaires dans leur augmentation, ce qui signifie que plus les salaires grimpent, plus s'accentue l'écart entre les ressources des familles et celles des personnes sans enfant, ou n'ayant qu'un ou deux enfants. Une étude de Pierre Longone nous apporte là-dessus quelque lumière ([^7]). L'un des rares indices un peu clair qu'on y trouve est celui de la « con­sommation médicale à âge égal en fonction de la taille du ménage ». 72:207 En prenant l'indice 100 pour l'ensemble des ménages, le recours aux médecins spécialistes, particuliè­rement caractéristique de la facilité de l'existence, est à l'indice 175 pour le chef de ménage marié sans enfant ; 112,9 pour le marié avec 1 enfant ; 105,4 pour le marié avec 2 ou 3 enfants ; 61,3 pour le marié avec 4 ou 5 enfants ; 36,4 pour le marié avec 6 enfants ou plus. M. Giscard d'Estaing se dit très attaché à combattre les iné­galités. Les plus criantes sont celles dont souffrent les familles. Il les ignore. De quel poids pèsent-elles dans les jeux du Pouvoir ? \*\*\* M. Giscard d'Estaing a un défaut ; il est trop « intelli­gent ». Il comprend tout, et est de ce fait porté à croire que personne ne comprend ce qu'il comprend. Plus les problèmes sont compliqués, plus il s'y sent à l'aise. Bien loin de chercher à les simplifier, il les complique encore pour être sûr d'être seul en mesure de les comprendre et de les résoudre. Que les uns le taxent d'atlantisme et les autres de soviétisme ne peut que le ravir. Il sait où il va. Où ? On verra. Il verra. De toute façon il y va. De même, il ne peut qu'être satisfait de tous les points d'interrogation que pose son présidentialisme. La Constitution est vraiment faite pour lui. Un chef d'État, un premier ministre, un parlement. Comment sont répartis les pouvoirs ? Ce n'était pas simple. Ce l'était trop. Il y a maintenant, et de plus en plus, le chef de l'État. Il y a le premier ministre « dans la plénitude de ses attributions ». Il y a M. Guichard. Il y a M. Poniatowski. Il y a toujours le parlement, et il y a de plus en plus les syndicats. Sans parler de M. Mitter­rand, de M. Marchais, de M. Séguy, et de M. Chirac. N'ou­blions pas M. Lecanuet. M. Giscard d'Estaing gouverne-t-il ce réseau de forces concurrentes et divergentes, ou est-il gouverné par elles ? 73:207 Le plan Barre est-il le plan de M. Barre ou celui de M. Giscard d'Estaing ? En quoi consiste-t-il d'ailleurs ? On a beau nous l'avoir présenté et expliqué, il comporte tant de faces et de facettes qu'il nous devient aussi obscur qu'il est certainement lumineux à M. Giscard d'Estaing dont la politique financière ne m'a jamais paru mieux symbolisée que par son emprunt 7 % 1973 qui est à la fois à garantie de change et indexé sur l'or mais d'une manière si incom­préhensible que la plupart y voient davantage un piège qu'une protection. Une chose est claire en cet imbroglio. Le libéralisme avancé de M. Giscard d'Estaing est le socialisme suédois. Convaincu que le socialisme est dans le sens de l'Histoire, il veut vider de sa substance le programme commun de la gauche. Ne pousse-t-il pas ainsi une partie de son électorat dans les bras de M. Mitterrand ? Comme cette évidence ne peut lui échapper, deux hypothèses sont pos­sibles. Ou bien, il pense que M. Mitterrand lui conviendrait parfaitement comme premier ministre en 1978 ; ou bien il pense que, l'événement aidant, la peur lui conservera sa majorité. Un referendum, une dissolution de l'Assem­blée nationale sont toujours possibles. Fragiles calculs, en face de tant d'orages qui s'an­noncent ! \*\*\* Pour le quart d'heure, c'est l'inflation dont il s'agit. Ses causes techniques sont diverses et changeantes. Mais de plus en plus la cause principale est le déséquilibre qui s'accentue, au détriment du second terme, entre le travail et le capital, entre les dépenses de consommation et les dépenses d'investissement, entre l'épargne de précaution et l'épargne de placement. Or j'ai beaucoup examiné le plan Barre, je ne vois rien qui y corrige ce déséquilibre, sinon une légère pression sur la consommation dont la nature déflationniste suscitera de nouveaux problèmes. 74:207 J'espère me tromper et redis tous les vœux que je forme pour le succès de ce plan. Le taux d'inflation est présentement de 4 % en Allemagne. Si, dans un an, il est tombé, comme annoncé, à 6 1/2 % chez nous, nous serons comblés. Louis Salleron. 75:207 ### Bilan de la révolution portugaise *Un livre de Jean-Marc Dufour* par Hugues Kéraly Si vous cherchez à vous documenter dans la presse française sur les réalités toutes crues de la révo­lution installée au Portugal, vous trouverez Jean-Marc Dufour, ou vous ne trouverez rien. Pierre Gaxotte est un de ceux qui en ont fait l'expérience, comme il l'ex­plique dans *Spectacle du monde* de septembre dernier : « Le président portugais a officiellement reconnu les tortures et les traitements inhu­mains auxquels ses compatriotes arrêtés, le plus souvent arbitrairement, ont été soumis (...) Il reste maintenant à découvrir quel jour­nal français, quelle chaîne de radio ou de télévision française a fait connaître cette in­formation au peuple « majeur » qu'est le peuple français. « Je l'ai trouvée, moi, dans une chronique de M. Jean-Marc Dufour, publiée par une re­vue dont les lecteurs ne se comptent pas par dizaines de milliers. » 76:207 (Pour dire les choses plus exactement, Jean-Marc Du­four a publié cette information, et toutes les précisions s'y rapportant, dans la revue ITINÉRAIRES, numéro 202 d'avril 1976, aux pages 69 à 71, et dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR paru le 15 du même mois, -- publications dont les lecteurs se comptent par dizaines de milliers.) Notre collaborateur dresse aujourd'hui le nouveau bilan qu'autorisent deux ans d'enquête, d'analyse et de rigou­reuse observation. Son livre, *Chronique de la révolution portugaise,* 1974-1976, traite d'une période qui forme un tout. S'ouvrant sur la « Révolution des Œillets », il s'achève lorsque le Portugal, avec l'élection de la Première Assem­blée de la République et celle du général Ramalho Eanes à la présidence, trouve des institutions théoriquement défi­nitives. On y trouvera la chronique des six gouvernements pro­visoires qui se sont succédés au cours des deux dernières années. La chronique, et non l'histoire. Pour en écrire l'histoire, il faudra attendre que tous les témoins aient pu parler, et que les archives jusqu'ici tenues secrètes soient publiées. Jean-Marc Dufour rend compte dans cet ouvrage de tout ce que l'on peut connaître aujourd'hui du comporte­ment des hommes affrontés ou entraînés dans cette révo­lution, et c'est une expérience pleine d'enseignements pour l'avenir de l'Europe. Il reproduit nombre de documents publiés à Lisbonne, ignorés chez nous par les puissances fabricatrices d'opinion, relate des conversations particu­lières, et quantité de « choses vues » qui, à l'intérêt d'une chronique politique intelligente et précise, ajoutent la vivacité et parfois l'humour d'un témoignage cueilli sur le vif. 77:207 Comme ce genre de vérités ne trouve pas facilement d'éditeur, la *Chronique de la révolution portugaise* est mise en souscription par l'auteur au prix de 35 F. Nos lecteurs peuvent retenir des exemplaires en écrivant à Jean-Marc Dufour aux bons soins de la revue, qui transmettra. Hugues Kéraly. Nous avons tenu à laisser cet article tel qu'il était, en place dans ce numéro de la revue, le 14 octobre. La mort de notre ami n'empêchera pas l'édition de son livre, qui sera réalisée par Madame Jean-Marc Dufour. 78:207 ### Le cours des choses par Jacques Perret CES TROIS VIEILLES GENS ont au plus l'âge du siècle. Trois indigè­nes du V^e^ arrondissement, quartiers Saint-Victor et Go­belins. Leurs propos enten­dus, au hasard d'une queue ou d'un stationnement de­vant les clous : *Première femme.* Oui monsieur, les printemps aux Gobelins, ce n'est plus croya­ble ; tout le quartier embaumait les acacias. On s'en­dormait, on se réveillait dans l'odeur. On descendait le boulevard en jouant au cerceau dans les fleurs d'acacia. Et pas seulement des moineaux mais des pinsons, et même des chardonnerets qui picoraient dans le crottin. *Deuxième femme : ...* et alors, quelquefois, comme ça, en sortant de l'école, j'allais retrouver ma mère au lavoir, c'était son métier, elle lavait. Ah monsieur, si vous sa­viez ! la gaieté du lavoir ! la gentillesse, les bonnes his­toires, les niches, et les chansons, monsieur, les chansons, y avait des jours, une vraie fête monsieur. Et quand même on travaillait, on se fatiguait, je vous jure, mais c'est ça que je voulais, moi aussi, le lavoir, j'en rêvais. Ma mère bien sûr ne voulait pas, elle avait de l'ambition pour sa fille, la pauvre, c'est normal. Eh bien j'y suis allée quand même, figurez-vous, et c'est elle qui avait retenu ma place. *Un vieil homme :* Ah ? Vous habitez rue Guy de la Brosse ? Vous n'êtes pas vieux dans le quartier bien sûr. Des natifs j'en connais plus. Moi je suis des Fossés Saint-Bernard, et quand j'étais môme, le jeudi, en saison, j'allais par chez vous rue Guy de la Brosse chercher des pissenlits dans les pavés. Ces trois vieilles gens ne sont guère plus âgées que moi et je suis satisfait de les entendre ainsi parler d'un temps et d'une société dont parfois je me soupçonne d'en­joliver les souvenirs que j'en garde. Leurs propos me rassurent. J'admets pourtant qu'ils puissent eux aussi rêver un peu quand ils évoquent leurs sentiments et impressions, mais ils n'ont pas inventé l'odeur des acacias, ni le rire des lavandières, ni le pissenlit des pavés. Leur témoignage authentifie mes collections personnelles. 79:207 Depuis toujours et de génération en génération les vieil­lards sont enclins à célébrer le révolu. « De mon temps c'était pas pareil », formule que nous retrouvons mot pour mot chez les retraités celtibères et hittites. Alors que, tout compte fait, c'était bien pareil à peu de chose près. Bien avant Camulogène et sous Fallières encore les Parisiens ont connu l'odeur des acacias, la fête au lavoir et les bons coins aux pissenlits. Mais aujourd'hui, brusquement, pour la première fois depuis la nuit des temps la rengaine des vieux ne fait plus tellement rire. La voilà tout soudain jus­tifiée, formidablement justifiée. En une génération c'était fait : le chnoque a enfin raison, de son temps c'était pas pareil. Il n'en faut pas moins prévoir que nos gamins devenus croulants feront paradis de leurs enfances pari­siennes sous Giscard. C'est comme ça, : vienne la nuit et le souvenir des chandelles fumeuses nous confondra de nostalgie. Cela dit n'allez pas croire qu'un tel propos dé­nonce l'atrabilaire anxieux, vous seriez dans l'erreur. Puni ou gratifié d'une rallonge de vie, je suis paré pour la traversée des ténèbres. \*\*\* Tous les ans à la rentrée nous lisons dans les journaux qu'un biochimiste italien a donné le jour à un chromosome ou un gène de synthèse. Et nous restons sans nouvelles du petit gégène. Les informations et les enfants prématurés sont fragiles. \*\*\* Avez-vous noté l'impatience retenue des informateurs et l'exaltation à peine contenue des commentateurs à l'idée que Mars est peut-être vivante ? A l'heure où j'écris le symptôme n'est encore qu'une buée, une apparence de res­piration malicieusement équivoque. Mais enfin, peu impor­tent les milliards de millénaires qui feront du protozoaire espéré un citoyen de la démocratie universelle ; le temps ne fait rien à l'affaire si le processus est dans le sac. De toute manière et quel que soit son avenir je me permettrai d'appeler créature cette anguillule martienne. Reste à savoir dans quelle mesure, devenue grande et raisonnable, elle gémira de nostalgie au souvenir d'une enfance vaporeuse dans la féerie des poussières volcaniques. 80:207 Vous n'aurez pas manqué non plus d'apprécier la pru­dence extrême de la science ; en particulier la façon méri­toire dont elle n'a soufflé mot, que je sache, des merveil­leuses perspectives entrevues ; et plus méritoire encore le silence observé, tout de pudeur et de charité, devant la situation pathétique d'une religion soudain menacée de mort subite : la genèse en déroute et les fins dernières en fumée. Il se pourrait en effet qu'un homme de science léniniste ou seulement radical, en fût encore aujourd'hui à se bercer d'un espoir aussi puéril. A tout dire j'imagine volontiers qu'au Vatican, à l'heure où nous sommes, on est plus attentif aux initiatives de Mgr Lefebvre que tracassé par une éventuelle pluralité de mondes habités. \*\*\* Le nom de Mgr Lefebvre m'est venu à l'improviste. Je m'étais bien promis en effet de ne pas parler d'une affaire qui se débattait sur des sommets où ma science n'osait prétendre. Elle échappait à ma courte vue dans les nuées ineffables où j'étais parfois tenté de croire que la sainte colombe avait gagné des hauteurs inaccessibles à nos pas­teurs angéliques aussi bien qu'à nos prophètes aventureux. J'en venais à me demander si mon cas ne frisait pas celui de l'agnostique, c'est vous dire. Mais alors, m'avisant que ces problèmes importants menaçaient tout bonnement de se régler par voie de sondages, pourquoi me refuserais-je d'y aller moi aussi de mon opinion ; quitte à scandaliser la mémoire de Bossuet que ce mot-là remplissait d'une sainte horreur. Voici donc deux ou trois réflexions parmi celles qui me sont venues à propos de l'affaire d'Écône et de ses suites. \*\*\* La messe dominicale télévisée avait lieu à Lantic, dans les Côtes-du-Nord. Une très belle église que dix-huit géné­rations de marins-pécheurs ou guerriers ont imprégnée de leurs prières. On voit même sur les murs ou suspendus dans la nef, une rare quantité d'ex-votos sur le thème classique de la Sainte Vierge auxiliatrice des navires en détresse. Voilà plus qu'il n'en faut, me dis-je, pour entendre parler de la tempête mondaine et de ses vents déchaînés sur la barque de Pierre dont Paul VI tient la barre. 81:207 Quoi qu'il en soit, la vénérable sainteté du lieu a pu s'accommoder d'une messe réformée au minimum, célé­brée en toute piété, valable assurément. Aux chants gré­goriens entonnés par une maîtrise édifiante répondait une foule apparemment familière du latin d'église. Comme toujours l'homélie restait à craindre et je n'avais pas le propre du jour présent à la mémoire. A peine le jeune prédicateur avait-il commencé la lecture de l'évangile que j'ouvris mes oreilles plus grand que d'habitude : le sujet s'annonçait brûlant, je m'appliquerais à ne pas perdre un mot du commentaire. Il s'agissait en effet de l'évangile de saint Marc où Jésus reproche, assez vertement d'ailleurs, aux pharisiens de se prévaloir effrontément de fidélité à certaines traditions comme se laver les mains et nettoyer les pots avant de manger : « Hypocrites ! leur dit-il, vous vous dispensez bien facilement du commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes. » Or, ce même di­manche, à la même heure, à Lille, Mgr Lefebvre célébrait la grand-messe que vous savez. Difficile d'imputer au ha­sard l'opportunité d'une pareille conjoncture. Je n'étais pas à la messe de Lille et, d'après les relations que j'en ai lues, Mgr Lefebvre n'a pas cru bon de rappeler à ce propos les tricheries et malentendus grossiers dont le mot tradition pouvait souffrir de la bouche des tricheurs et dont le pape lui-même a daigné récemment faire usage dans ses remon­trances au fondateur d'Écône. En revanche, que la messe de tradition fût célébrée justement ce dimanche-là ren­forçait le défi à tel point que c'en était me disais-je une aubaine pour la messe télévisée. A condition de ne pas trop se risquer en explications quant à l'absence d'hypocrisie dans la scène, entre autres, du lavement des pieds, le sermonnaire allait, si j'ose dire, jouer sur le velours. Ja­mais homélie n'aurait été aussi efficace et facile pour l'instruction massive d'un immense auditoire. Occasion unique de faire pièce au triomphalisme insolent d'un pasteur moyenâgeux. On mettrait tout bonnement son troupeau dans le cas des Hébreux rembarrés par Jésus. 82:207 Le coup est assez malicieux, généralement efficace, et d'un genre assez banal. Je dois dire que le prédicateur de la messe télévisée en usa aussi honnêtement qu'il se pouvait sans éventer la ruse et qu'il eut au moins le courage de conclure en dénonçant la responsabilité des provocateurs de schisme. Il n'a peut-être pas donné tout ce qu'on attendait de lui. \*\*\* En général, dans les débats et propos suscités ou ranimés par la messe de Lille, ses détracteurs ne traitent pas le sujet. Le vrai pourquoi de la désobéissance n'est pas dit. L'affaire d'Écône ? Une histoire de latin, de sou­tane et de génuflexions, un attachement puéril et déplai­sant aux signes extérieurs de la foi. Ainsi disent et font dire les zélateurs et stratèges de la religion libérée. Ils en viendraient à nous dire l'insignifiance des signes à moins que de signifier l'hypocrisie. Ils doivent pourtant savoir et croire que Jésus est le signe, et que l'Évangile est tissé de signes. Et n'ont-ils pas eux-mêmes assez prouvé l'im­portance des signes qui ne leur plaisaient pas en s'achar­nant à les détruire d'abord. \*\*\* Si le morceau politique introduit dans le sermon de Lille a fait sourciller quelques amis, les ennemis évidem­ment se sont bien régalés. Ils ont pu sans rougir crier au scandale, ricaner ou même s'apitoyer en précisant que la formulation maladroite n'est pas en cause mais l'imperti­nence aujourd'hui d'une telle politique tirée de l'Écriture sainte. Or ils n'ont pas eu de cesse que l'Église enseignante et militante ne devienne elle-même un parti politique dont Paul VI est reconnu pour chef, par intermittence il est vrai. Elle se définit comme parti politique par les structures modifiées de son organisation, par son langage, ses tech­niques de subversion, son idéal d'humanisme intégral et tout ce qu'elle a détruit en faveur du salut de l'homme par l'homme. A noter que l'étiquette catholique, de notoriété mondiale, sera conservée pour autant que la clientèle res­tera sensible à l'ancienneté d'une maison fondée en 0001. 83:207 Pour ma part, la définition un peu naïve et malhabile que Mgr Lefebvre a donnée de sa position politique ne me gêne pas. Je serais plutôt gêné de le savoir habile homme. Cette profession politique n'étant pas contraire aux vérités de la foi, je me permets seulement de la trouver superflue. Une messe pareille aujourd'hui le dispensait de s'expliquer sur ce point. Ce point-là, comme prévu, a soulevé l'indi­gnation de Maurice Clavel qui déclare en conclusion d'un débat télévisé : « Mgr Lefebvre, ce n'est rien ! » Affir­mation qui, bien sûr, ne saurait tomber de la bouche de quelqu'un qui ne serait pas quelque chose. \*\*\* Au cours de son prêche Mgr Lefebvre a carrément rejeté sur le pape la responsabilité d'un schisme éventuel et inventé pour les besoins de la réforme. Avec moins de conviction, m'a-t-il semblé, il se refuse à parler d'hérésie à propos du Saint-Père. On peut y voir comme une brève allusion au pénible différend qui le sépare de l'abbé de Nantes. On n'a pas oublié que celui-ci fut le premier à dénoncer dans certaines paroles et démarches de Paul VI, comme dans certains actes conciliaires, l'hérésie, le schisme et le scandale, patents ou latents. Il n'a pas craint de le crier très fort. Il en a fait le détail, dressé le catalogue et tenté en vain, non sans éclat ni courage, d'en discuter avec le pape. De nombreux sympathisants ayant alors trouvé qu'il allait trop loin se sont détachés de lui, pour le rejoindre bientôt. A son tour il croit bon de tempérer le zèle intégriste, et sa personnalité autant que sa manière lui valent des adversaires, voire des ennemis dans le camp même de la tradition. Je suis de ses amis. Nous le voyons aujourd'hui, sans se dédire mais pressé par les circons­tances, moins tourmenté par les serpents de l'hérésie Paul VI que par le spectre et la hantise d'un schisme saint Pie V si j'ose dire. Il en donne les explications les plus claires et instructives, et me permettra quand même, en toute amitié, de comprendre mieux les raisons de son angoisse que la dureté de son réquisitoire, pourtant moins chargé que celui prononcé contre le pape. Mais je devine en la matière toute la simplesse de ma jugeotte. Mettons les choses au pire et que les présomptions se révèlent entièrement fondées : ici l'hérésie et là le schisme. 84:207 Alternative ou dilemme ? Que l'un et l'autre soient égale­ment irrémissibles et la situation est désespérée. Mais le désespoir n'est pas chrétien et l'éternité de l'Église est de foi. Si nous étions acculés à choisir nous aurions je crois la caution de quelques théologiens éminents sinon pères de l'Église pour nous laisser dire que mieux vaut schisme qu'hérésie. Tout cela bien sûr ne saurait empêcher que nous tous y compris les grondeurs fissions de notre mieux et ne serait-ce que par des vœux secrets pour le succès d'une démarche aussi pieusement téméraire et jusqu'ici tran­quillement poursuivie. Le moins qu'on en puisse attendre n'est-il pas de rabattre un peu l'outrecuidance des pro­phètes mondains et l'insolence de leur caquet. Quant à moi, la notion de pari ne fût-elle pas recommandable en pareille affaire, j'ose parier pour l'évêque indocile, opiniâtre et discrètement impuni par l'impuissance d'un pontife éper­du de contradictions. Ou alors, par la grâce d'un succes­seur éclairé, la réhabilitation du fondateur d'Écône serait proclamée urbi et orbi en toutes pompes romaines. \*\*\* En 1696 M. de Beaupuis, janséniste, âgé de soixante-quinze ans, avait fait à pied le voyage de Beauvais à la Trappe dans le désir d'y embrasser une dernière fois son ancien élève Dom Pierre Le Nain. L'entrevue espérée lui fut assez cruellement refusée au nom de M. de Rancé, le célèbre et vénéré réformateur de la Trappe. Deux mois plus tard, tout ému encore d'un procédé aussi brutal, M. de Tillemont, ami de M. de Beaupuis, se rendit à la Trappe en vue de s'en plaindre et d'en demander hum­blement raison à M. de Rancé lui-même, admiré de tous y compris de Port-Royal. Le Père Abbé lui répondit qu'en l'occurrence il n'avait fait qu'obéir au commandement des autorités souveraines. Pour nous faire une idée de la situation, voici, résumée par Sainte-Beuve, la conduite généralement observée en ce genre d'affaire par M. de Rancé : « Plus on le pourrait confondre avec les jansénistes par la sévérité de sa réforme et de sa morale, plus il tient à se séparer d'eux par sa soumission absolue aux chefs de l'Église, et par son silen­ce. » 85:207 C'est en ce sens et dans ce but qu'il avait écrit en 1678 sa fameuse lettre au maréchal de Bellefonds, une manière de profession faite pour être montrée, et par la­quelle cette ligne de conduite se dessinait manifestement. Tout en y maintenant la voie étroite du salut et de la morale, il rejetait bien loin de lui tout soupçon de senti­ment particulier quant au dogme, déclarant *avoir signé le Formulaire sans restriction et sans réserve et témoignant sa douleur de fils de l'Église d'avoir vu le sein et les en­trailles de cette Mère déchirés par ses propres enfants.* Le parti janséniste avait accusé le coup mais ce fut bien pire à la mort d'Arnauld. Pour toutes condoléances Rancé écrivait ces quelques mots à l'abbé Nicaise : ... Enfin voilà M. Arnauld mort. Après avoir poussé sa carrière le plus loin qu'il a pu, il a fallu qu'elle se soit terminée. Quoi qu'on dise voilà bien des questions finies : son érudition et son autorité étaient d'un grand poids pour son parti. Heureux qui n'en a point d'autre que celui de Jésus-Christ !... L'abbé Nicaise destinataire de ce pli avait répu­tation de divulguer les meilleurs morceaux de son courrier. La réaction fut très vive, injurieuse, parfois menaçante et calomnieuse. Rancé n'en marqua pas plus de chagrin que de surprise, et voici sur le propos quelques réflexions tirées de sa correspondance : Je ne vous dirai rien sur le sujet de M. Arnauld si ce n'est que quand les hommes une fois sont entêtés et qu'ils sont prévenus d'un sentiment, ils ne le quittent jamais ; il faut les laisser dans leur opiniâ­treté ; les choses tombent d'elles-mêmes après s'être soute­nues un certain temps. (...) Je ne vous dirai rien davantage des bruits qui se sont excités contre moi, sinon qu'ils durent toujours, et que, quoi qu'on puisse faire, on ne m'ôtera du cœur ni la charité ni la paix. Il est vrai que, de sa part, toute malveillance est inconcevable. J'aimerais mieux, di­sait Nicole, qu'on me coupât le bras droit que de rien écrire de désavantageux à sa personne et son ouvrage. M. de Tillemont n'avait pas oublié l'aventure de M. de Beaupuis mais le remous consécutif à la mort d'Arnauld en ravivait le souvenir. Il résolut de vider son sac dans une lettre fleuve. En voici des extraits : 86:207 *Il ne s'agit plus, même aujourd'hui, de signature ; tout se réduit à un esprit de cabale. Et qu'est-ce que cette cabale ? C'est qu'on tâche de s'unir ensemble dans l'esprit de charité pour aimer la vérité ; pour la soutenir quand on le peut ; pour gémir au moins quand on la viole, si l'on ne peut pas faire davantage ; pour sentir de même tous les maux et tous les scandales de l'Église. Ainsi ce parti, cette cabale, c'est ce que Jésus-Christ est venu faire dans le monde ; c'est le crime des premiers chrétiens, à qui les payens reprochoient aussi qu'ils s'aimoient les uns les autres. C'est le crime des Athanase, des Chrysostome, de tous ceux qui se sont trouvés unis dans la défense de la Foi, de la discipline et de la morale de l'Église contre les personnes plus puissantes qu'eux dans le siècle. Plût à Dieu qu'un tel esprit de cabale fût plus véritable et plus répandu qu'il n'est ! Jamais homme ne l'eut davantage que M. Arnauld ; car jamais personne ne fut plus sensible à tous les biens et à tous les maux de l'Église, qui que ce soit qu'ils regardassent, connus ou inconnus. Il n'a pas moins été en cela que sur la grâce un vrai disciple de saint Paul, de saint Augustin et de saint Bernard. Pour ce qui est de former des intrigues, Mme de Longueville avoit accoutumé de dire de lui, que si, pour être sauvé, il fallait savoir intriguer et cabaler, elle désespéroit de son salut.* (*...*) *Quand M. Arnauld ou ses amis seroient tombés dans quelques fautes d'imprudence* (*car à qui cela n'arrive-t-il pas*) *la charité couvre bien ces sortes de fautes.* (*...*) *Pen­sez-vous, mon Père, que cela ne se rencontre pas dans ceux qui sont liés ensemble d'un amour particulier pour vous et pour votre Maison ? Car c'est encore une cabale aussi réelle que l'autre, et dont j'avoue que je suis aussi. Je ne sais pourquoi je m'étends sur cela ; car sais par vous-même l'estime que vous faites de M. Arnauld...* (*...*) *Pourquoi donc, mon Père, pardonnez-le moi si je vous le dis, pourquoi vous déclarer contre eux d'une ma­nière aussi publique que si c'étoit par des écrits imprimés ? Car vous savez trop le monde pour ne pas juger de l'effet qu'y feroient vos lettres. Elles ont réjoui les uns, attristé les autres ; et j'ose vous dire qu'elles ont attristé ceux qui vous aiment véritablement, et qui méritent le mieux que vous aimiez. Plaise l'Esprit Saint qui est en vous, qu'elles ne l'aient pas aussi attristé !* Il est certes difficile, nous dit Sainte-Beuve, d'être plus véhément avec douceur et de pénétrer plus au vif sans blesser un adversaire respecté. Qu'a répondu M. de Rancé à cette longue lettre ? *Que tout bien pesé devant Dieu, sa conscience l'engageait à persévérer dans cette conduite jus­qu'à sa mort.* Un point c'est tout. On dit que leur affection mutuelle n'en fut pas altérée. Plus tard, après sa mort, on trouva dans les papiers du Père Abbé un projet de réponse beaucoup plus développé : 87:207 ... *Tout ce que vous me dites sur cela, Monsieur, est une règle générale dont l'application ne me convient point.* (*...*) *Entre beaucoup de raisons qui m'ont empêché de prendre aucune liaison avec les Jansé­nistes, outre mes propres lumières, qui m'en ont toujours éloigné, je vous dirai que, demandant un jour à un ecclé­siastique de mes amis, considérable par l'emploi qu'il avoit dans l'Église, et qui avoit été des plus attachés à leurs intérêts, pourquoi il s'en étoit séparé, il me répondit : Que ceux qui vouloient être la règle des autres dévoient être constants et invariables, et que, si on examinait d'où ils étoffent partis et où ils étoient alors, on trouveroit entre l'un et l'autre une distance infinie ; que dans les commen­cements ils avoient été remplis de desseins et de pensées de réformer le monde, et d'en changer toute la face ; et qu'ayant rencontré des oppositions auxquelles ils ne s'at­tendoient pas, ils avoient pris des voies toutes nouvelles et toutes différentes ; et qu'un homme sage et désintéressé n'avoit garde d'épouser leurs caprices et de s'attacher à leurs imaginations.* Une main heureuse ayant déposé sur ma table un ouvrage important que je n'avais pas lu depuis mes vingt ans, j'en ai tiré hâtivement ces quelques traits pour divertir le lecteur sans le détacher de son intérêt pour ces fièvres récurrentes et endémiques dans l'histoire de l'Église. La grande et longue affaire de Port-Royal n'est certes pas su­perposable en tous points à celle qui nous occupe. Elle est néanmoins comparable en bien des cas et sous bien des aspects, à condition de se mettre d'accord sur la distribution des rôles et prêter éventuellement au titulaire nouveau la place occupée en son temps par un adversaire. La compa­raison des Augustiniens et des Molinistes aux actuels te­nants de la tradition et de la mutation est évidemment boiteuse. Nous devons entre autres observer que les belli­gérants d'aujourd'hui n'ont pas toujours en commun de parler le même langage, de s'estimer mutuellement et de cultiver l'esprit d'austérité, de sacrifice et de méditation ; que si La Trappe représentait l'obéissance aux autorités suprêmes, ce n'était pas précisément pour s'ouvrir au mon­de et y lâcher tous les anges du libéralisme ; 88:207 que si Port-Royal est orgueilleux de sa rébellion, ne pas faire pour autant des pensionnaires d'Écône les héritiers des Petites Écoles, etcetera. Lisez ou relisez Sainte-Beuve, je vous laisse le plaisir d'épuiser le concordant et le discordant de la présente querelle et de l'ancienne. Et si vous dites que ma façon de prendre la religion respire un insupportable parfum d'élitisme, nous en reparlerons. Jacques Perret. 89:207 ### Billets par Gustave Thibon **Concurrence et monopole** 14 mai 1976 J'ai déjà parlé à maintes reprises des bienfaits sociaux qui découlent de l'é­conomie concurrentielle. Une compétition loyale est l'ai­guillon intérieur qui, en sti­mulant chaque individu, fa­vorise la promotion générale. L'étymologie du mot « concurrence » est très éclairante : ce mot signifie « courir ensemble ». Et, dans cette course, chacun va aussi loin qu'il peut et les meilleurs arrivent les premiers. Supprimez cette impul­sion -- et c'est le ralentis­sement qui tourne peu à peu à l'immobilisme. Celui-ci s'installe déjà de tout son nids dans les secteurs de économie que l'esprit de compétition n'irrigue plus. C'est un lieu commun cor­respondant à une triste réa­lité que de dénoncer la rou­tine, la stagnation, l'enlise­ment dans le marécage bu­reaucratique qui paralysent le fonctionnement des mono­poles de l'État. J'ai sous les yeux un document si énorme qu'on le croirait émané de la plume d'un humoriste. Il s'agit d'une lettre adressée par l'Administration française des Postes et Télécommuni­cations à un usager éven­tuel qui sollicitait depuis des années l'installation d'une ligne téléphonique dans sa maison de campagne, -- le raccord ne dépassait pas une centaine de mètres. La dite Administration, après avoir fait longtemps la sour­de oreille aux réclamations réitérées de son malheureux client, finit par répondre ce-ci : « Nous vous invitons à verser la somme de 1.490 F représentant le coût de l'ins­tallation (900 F), plus une avance sur le prix de vos futures communications -- moyennant quoi l'établisse­ment de cette ligne *pourrait être envisagé... *» 90:207 La formule est admirable. On parle au conditionnel (pourrait être) et on ne fixe même pas un délai ! Si l'on tient compte de l'intérêt de l'argent et des dévaluations possibles pendant ce laps de temps indéterminé, le pro­cédé frise de très près l'es­croquerie... Peut-on seulement imagi­ner une réaction analogue dans n'importe quelle entre­prise privée ? Par exemple, que nous répondions à un client qui solliciterait depuis des mois l'envoi d'un lot de couvertures : « Veuillez nous envoyer le montant de cette comman­de, plus une avance sur vos commandes futures -- après quoi la livraison de ces ar­ticles rentrerait peut-être dans l'orbite de nos possibi­lités. » Notre client, suivant son caractère ou son humeur du moment, éclaterait de rire ou piquerait une violente colère et s'adresserait aussi­tôt à un de nos concurrents. Mais il n'y a pas de concur­rents en ce qui concerne le téléphone. Alors il ne reste qu'à renoncer définitivement -- ou bien à payer, puis à attendre en rongeant son frein. Et voilà pourtant ce qu'osent vous proposer les partisans de la nationalisa­tion des entreprises ! Au lieu d'assainir la concurren­ce, c'est-à-dire d'éliminer, par un juste code du mar­ché, les tricheurs et les pa­rasites, ils ne voient pas d'autre remède que de la supprimer. Dans cette pers­pective, l'arbitre, au lieu de faire respecter les règles du jeu, intervient de plus en plus dans le jeu et finit par jouer tout seul. Mais il n'y a pas de règles ni même de jeu quand il ne reste qu'un seul joueur... **La nouvelle éducation** 4 juin 1976 Je livre à votre méditation la phrase suivante que je trouve dans un magazine français consacré à l'éduca­tion : « Parents, laissez-vous guider dans vos achats par vos enfants. Ils choisissent bien à cause de leur excel­lent naturel. » Bravo ! Comme si cet ex­cellent naturel (à supposer qu'il existe chez tous les en­fants) pouvait tenir lieu de bon goût et de sens pratique dans le choix, par exemple, d'un tissu d'ameublement ou d'un appareil électromé­nager et -- pourquoi pas -- fournir aussi l'argent néces­saire à cet achat ? 91:207 C'est là un des nombreux exemples de cette démagogie de la jeunesse et de l'enfan­ce qui se répand, comme une épidémie, dans toutes les couches de la société. Encore quelques efforts dans ce sens et on arrivera à cette conclusion que les enfants possèdent en nais­sant toutes les vertus et tous les talents et que les adultes n'ont rien de mieux à faire que de se mettre à leur école. Que représente alors l'ex­périence de la vie et à quoi bon avancer en âge ? Il fau­drait vite trouver, dans l'in­térêt de l'espèce humaine, une drogue qui arrête la croissance ! Même son de cloche : je lis, dans une circulaire des­tinée aux professeurs de l'enseignement secondaire que les cours dits magis­traux doivent être suppri­més et remplacés par un dialogue où chaque élève parle à tour de rôle et où la tâche du professeur se limite à orienter un peu les débats. Sinon, paraît-il, les élèves se sentent brimés, frustrés, humiliés, etc. Si l'on essayait d'appli­quer les mêmes recettes dans les domaines de la technique, les choses tour­neraient vite assez mal. Imaginez, par exemple, de jeu­nes étudiants en médecine qui, entourant le professeur qui fait devant eux une opération délicate, se met­traient, en vertu de ce grand principe de la participation, à saisir le bistouri et à tail­lader l'un après l'autre dans la chair vive du patient ! Et pourquoi, toujours au nom du même principe, les pas­sagers d'un avion de ligne ne secoueraient-ils pas leur complexe d'infériorité en maniant tour à tour le man­che à balai ? Dans les choses de l'es­prit les sanctions sont moins rapides, ce qui per­met de faire durer la comé­die beaucoup plus long­temps : l'élève qui a perdu son temps à l'école trouve, en rentrant à la maison, la table mise et le lit préparé. Il n'en reste pas moins qu'on ne peut pas indéfiniment marcher sur la tête : le choc en retour de la réalité re­met tôt ou tard l'humanité sur ses pieds -- et Dieu veuille que ce ne soit pas d'une façon trop brutale, c'est-à-dire sous la forme d'une tyrannie dont les jeu­nes, alors vraiment brimés et humiliés, seront les pre­mières victimes. **Sur la tradition** 11 juin 1976 On me reproche -- ou on me loue -- d'être traditio­naliste. Je réponds : qu'est-ce qu'une tradition ? Le mot vient du latin « tradere » : livrer, transmettre. 92:207 Dans ce sens très large, personne n'échappe à la tradition nous sommes tous les héri­tiers d'un immense capital de doctrines, de mœurs et d'usages qui est la base et l'aliment de toute civilisa­tion. Nous pouvons répudier une partie de cet héritage mais ce refus lui-même s'inscrit à la suite d'un cou­rant issu du même héritage. Car il y a une tradition ré­volutionnaire aussi ancienne que la tradition conserva­trice : le mythe de l'anti­culture par exemple dont on nous rebat les oreilles tra­duit, non la négation pure et simple de toute culture, mais le conflit entre deux conceptions de la culture -- phénomène qui se reproduit à chaque tournant de l'his­toire. Jamais d'innovation absolue. Au jeune poète qui lui disait : « je ne veux rien savoir de ce qu'on a dit avant moi », Goethe répon­dit : « si je comprends bien, vous vous suffisez pour être un imbécile ». L'animal seul n'a pas de passé, mais dans un autre sens il n'est que passé puisqu'il répète sans fin les gestes de ses prédé­cesseurs. Il ne s'agit donc pas d'ac­cueillir ou de repousser la tradition, mais de choisir entre les traditions. Quels sont les critères de discerne­ment ? La vendetta fut longtemps en Corse une solide tradi­tion. De même, en Chine, la « réduction » des pieds des petites filles. Ou encore dans certaines régions, la couva­de, curieux usage qui consis­tait en ceci que l'époux se mettait au lit aussitôt après l'accouchement de sa femme et recevait les félicitations et les soins normalement destinés à la maman. Si traditionaliste que je sois, la disparition de ces étranges ou cruelles coutu­mes ne me cause aucun cha­grin. Par contre, je me sens in­vinciblement attaché aux traditions locales concernant la cuisine, le vêtement, les métiers, les arts, les rites sociaux et religieux, etc. qui sont le fruit d'une expérien­ce et d'une sagesse séculai­res et qui donnent au visage du monde habité cette iné­puisable diversité sans la­quelle l'unité n'est qu'uni­formité et abstraction. De telles traditions sont le terrain nourricier où s'en­racine la plante humaine et dont l'érosion laisse celle-ci sans couleur et sans vigueur. Mais l'homme -- Platon le disait déjà -- est une plante enracinée à la fois dans la terre et dans le ciel. Au-dessus de toutes les tra­ditions de temps et de lieux, il y a une sagesse immuable et éternelle, commune aux êtres supérieurs de tous les temps et de tous les lieux et qui, transmise de généra­tion en génération, nous ré­vèle simultanément les li­mites et la misère de l'hom­me et son inépuisable soif d'une perfection qui est au-delà de l'humain. 93:207 Cet héritage sacré de lucidité et d'espérance que le monde moderne, oscillant entre l'utopie et le désespoir, ignore ou repousse, je m'y accroche de tout ce qui en moi refuse le néant et le mensonge. C'est l'étoile fixe dont le reflet dans les eaux du temps devient bouée de sauvetage... Parlera-t-on d'immobilis­me ? Bien sûr la tradition a ses dangers. Il y a la tradi­tion-source et la tradition-gel, la seconde en général succédant à la première dès que se refroidit l'inspiration originelle et que la lettre étouffe l'esprit : on voit alors se figer les rites en forma­lismes, la vertu en moralis­me, l'art en académisme, etc. Ce qui incline à renier la source alors qu'il suffit de briser la glace. Le vrai tra­ditionaliste n'est pas conser­vateur : il sait trop bien que la stérilisation est le procé­dé commun à toutes les fa­brications de conserves. La tradition n'exclut pas la li­berté créatrice : elle la nourrit de toute l'expérience du passé et de l'éternel et elle l'oriente dans le sens d'un perfectionnement. De­puis quand l'étoile polaire entrave-t-elle la marche d'un voyageur ? Vaut-il mieux céder à la fièvre d'un changement sans but et sans garde-fous ? « Mutantur, non in melius, sed in aliud » (on ne cher­che pas ce qui est meilleur, mais ce qui est nouveau), disait le vieux Sénèque. La succession des modes, le culte des « anti », la réfor­mite aiguë (voir par exem­ple la ronde effrénée des lois sur l'enseignement...) vérifient scandaleusement ce diagnostic. En fait l'agita­tion n'est que le revers de l'immobilisme : la feuille morte qui voltige à tous les vents n'a aucune supériorité sur la pierre inerte. Un autre reproche : l'at­tachement stérilisant au pas­sé. Je répondrai que nous ne pouvons plus rien pour le passé et que celui-ci ne m'intéresse qu'en fonction du présent et du futur. Quand je vois pourrir les racines d'un arbre, je pense surtout aux fleurs et aux fruits qui avorteront demain faute de sève. C'est l'avertis­sement que donnait déjà Chateaubriand aux nova­teurs écervelés de son temps « Gardons-nous d'ébranler les colonnes du temple : on peut abattre sur soi l'avenir. » **Les mains et l'esprit** 18 juin 1976 Les Anciens dépréciaient le travail manuel, sans dou­te parce qu'ils le confiaient généralement aux esclaves. 94:207 Sénèque écrit quelque part que la sagesse ne s'abaisse pas jusqu'à diriger l'œuvre des mains. Il aurait pu pen­ser que les innombrables ouvriers qui, sous la direc­tion de Phidias, avaient édi­fié ce prodige de beauté qu'est le Parthénon, avaient rendu à l'Esprit un plus haut témoignage que l'es­saim des sophistes oisifs qui bourdonnait à la même épo­que dans les rues d'Athè­nes. On exalte aujourd'hui ce même travail matériel, mais trop souvent hélas ! non pour sa fécondité intrinsè­que, mais à des fins idéolo­giques et politiques : flatter des travailleurs est encore une façon de les exploiter... Essayons d'y voir clair. J'ai l'humble privilège d'être un travailleur de l'esprit qui a longtemps travaillé de ses mains. Et je récuse la dicho­tomie entre ces deux formes de travail. Car, si l'on peut penser sans bouger les crains, on ne peut pas user de la main sans penser, sauf pour les travaux dégradés en automatismes. Mais cette dégradation est aussi fréquente et plus no-cive dans le domaine de la pensée et de la parole. Com­bien de pseudo-intellectuels programmés par telle ou telle idéologie débitent les idées et les mots suivant un processus aussi mécanique et prévisible que le geste du tisserand poussant sa na­vette ! Avec cette différence aggravante que le manuel, même sans penser, fait œu­vre utile pour le prochain tandis que l'intellectuel, s'il ne pense pas ou s'il pense mal, exerce une influence stérilisante sur la pensée des autres. Faut-il évoquer le laminage des cerveaux par l'information déformée et déformante et les propagan­des ? On nous sature les oreilles du mythe de la créa­tivité alors qu'on rogne jus­qu'au néant le sens criti­que, condition indispensable d'une création intellectuelle authentique. Toute la dignité de l'hom­me est dans la pensée, disait Pascal. Mais les pires me­naces qui pèsent sur l'hom­me sont aussi la pensée. Et c'est là qu'éclate -- en fait, sinon en droit -- là supério­rité du travail des mains sur les tâches de l'esprit. Le travail des mains nous offre l'antidote contre toutes les possibilités de légèreté et d'illusion dont s'accom­pagne l'exercice désincarné de l'intelligence. Tout est possible et tout est permis dans ce domaine ; on peut se tromper soi-même et tromper les autres ; les sanctions de l'erreur et de la malfaçon sont imprécises et lointaines ; aussi voit-on proliférer « la race bavarde des savants d'illusion » dont parlait déjà Platon. Rien de tel pour le labeur matériel : l'œuvre y juge l'ouvrier sans délai et sans appel. 95:207 Et comme il exclut l'illu­sion, le travail des mains laisse aussi très peu de mar­ge à la tentation de la faci­lité, du laisser-aller. On peut toujours se tromper, voire se contredire, dans le do­maine intellectuel et moral ; l'immatérialité y a pour rançon une plasticité indé­finie, ce qui permet impu­nément tous les défis à l'or­dre des choses et au bon sens. Mais la matière, avec ses sanctions brutales et « irréversibles », nous en­seigne impitoyablement le sérieux dans l'action. Un instant d'inattention ou d'é­laboration de quelque chi­mère n'entraînent aucun dommage immédiat pour le philosophe ou le politicien en chambre (aussi s'en don­nent-ils à cœur-joie...), mais la même distraction ou la même poussée de créativité aberrante chez la cuisinière ou l'agriculteur se tradui­sent par le plat immangeable ou la récolte perdue. Et ce n'est pas une pirouette in­tellectuelle ou morale qui réparera le dommage... C'est la grande leçon que les mains donnent à l'esprit. Tout serait sauvé si les hom­mes de pensée apprenaient à obéir librement aux lois du monde invisible avec cet­te attention rigoureuse et ce sens des responsabilités que les lois du monde physique imposent aux travailleurs manuels... **Les paroles et les actes** 25 juin 1976 « Plus que les paroles, ce sont les actes qui rappro­chent les hommes », dit Raoul Vergez. La plupart des conflits qui déchirent l'humanité prennent en effet leur sour­ce dans les idées et dans les mots plus que dans les réa­lités. Pour quelle raison ? Tout simplement parce qu'on peut penser et dire impunément n'importe quoi tandis qu'on ne peut pas faire n'importe quoi sans être immédiate­ment rappelé à l'ordre par le choc en retour des lois naturelles violées. En septembre dernier, j'ai participé pendant une jour­née aux travaux de la ven­dange chez un voisin vigne­ron. Il y avait là quatre ou­vriers agricoles qui, tout en cueillant les raisins, discu­taient à perte de vue sur la politique française. Deux d'entre eux étaient des mili­tants d'extrême-gauche et les deux autres d'une opinion opposée. Ils n'étaient d'ac­cord sur rien et la discus­sion tournait à la dispute. 96:207 Mais pendant ce temps tous accomplissaient les mêmes gestes et aucun n'avait l'idée, pour contredire son cama­rade, de cueillir les feuilles au lieu des raisins. On se querellait sur les mots, mais on s'accordait dans les actes. Et comme je faisais observer cette diffé­rence au plus vieux de ces ouvriers, il me répondit : « chacun dit ce qu'il veut, mais pour le travail, c'est la vigne qui commande ». Et elle commandait à tous la même chose, à savoir de sé­parer les raisins de la sou­che... Et, le soir venu, quand les ouvriers se retrouvaient de­vant la même table, cet ac­cord imposé par un travail commun pesait plus lourd que les divergences idéolo­giques et verbales. Car on ne joue pas avec les choses comme avec les mots. Si, au lieu de vendan­ger, on se dispute sans fin -- comme le font, dans d'au­tres domaines, les ténors de la propagande politique -- sur la meilleure façon de ré­colter le raisin, celui-ci ne proteste pas, ne conteste pas : sa seule réponse est de pourrir sur pied et, si muette qu'elle soit, elle est plus éloquente que tous les discours. Il en va de même dans tous les autres secteurs de l'activité humaine. Quand il s'agit, non plus de parler, mais de faire vraiment quel­que chose, les opinions, peu­vent diverger à l'infini, mais dès qu'on passe à l'appli­cation et qu'on compare les résultats, c'est toujours la meilleure idée qui l'emporte et tout le monde s'incline. Je suppose que les techniciens ont parfois des con­ceptions différentes sur les procédés de fabrication de tel ou tel article, mais dès que l'article est fabriqué, c'est sa qualité qui décide et la discussion n'a plus de sens. Tout au contraire, la pa­role livrée à elle-même rap­proche les hommes en appa­rence et les sépare en réa­lité. Tous les grands chefs politiques nous tiennent des discours merveilleux sur la paix universelle, mais comme ils n'ont pas la même conception de cette paix et qu'ils ne font rien pour éta­blir les bases concrètes d'une vraie concorde, ils arrivent à ce résultat paradoxal d'at­tiser les conflits entre les classes et les nations au nom même de cet idéal pacifique ! Car ils sont les théoriciens et non les ou­vriers de la paix... « Les mots ne guérissent pas les maux » a dit un humoriste. On se délivre d'une maladie par un régi­me et par des remèdes ap­propriés et non par des dis­cours sur la santé. Le meil­leur remède à la confusion et aux conflits engendrés par le verbalisme réside dans l'action et, comme per­sonne ne peut agir seul, dans la participation à une œuvre commune dont les exigences rapprochent les hommes les uns des autres en imposant à tous le même but. Là où règne la colla­boration, la contestation n'a plus de place. 97:207 **Illusion et vérité du dialogue** 9 juillet 1976 Péguy disait que lorsqu'un mot devient à la mode, c'est que la réalité qu'il désigne est en voie de disparition. Faut-il appliquer ce dur diagnostic à la vogue dont jouit actuellement le mot de dialogue ? En fait, on mul­tiplie les consultations, les concertations, les carrefours, les tables rondes, etc., et les incompréhensions, les dis­sensions entre les individus, les groupes, les classes sociales et les nations n'en res­tent pas moins aussi viru­lentes que tenaces. Qu'est-ce que le dialogue ? Le dictionnaire répond : conversation entre deux ou plusieurs personnes. Mais le sens qu'on donne aujour­d'hui à ce mot implique quelque chose de plus : il ne s'agit pas de n'importe quelle conversation (par exemple sur la pluie et le beau temps), mais d'un échange de points de vue en général divergents, dont le but est d'aplanir les diffi­cultés, de dissiper les équi­voques et, à la limite, d'a­boutir à une entente. Tels sont -- ou devraient être -- les dialogues entre les repré­sentants des classes socia­les, des États ou des Égli­ses -- et même à une échel­le plus humble, entre les membres d'une même famil­le ou d'une même entrepri­se... Cela dit, d'où vient que la plupart de ces dialogues res­tent frappés de stérilité et que le flux des paroles échangées par les partenai­res achève de creuser le fossé qu'en principe il de­vrait combler ? « Je discute sans fin avec ma femme, me disait récem­ment un époux d'un couple mal assorti, mais plus on s'explique, moins on se comp­rend. » Cela m'a rappelé mot d'un romancier con­temporain : « il n'y a qu'un moyen de s'entendre : c'est de s'entendre ». Ce qui si­gnifie : si l'on ne se com­prend pas sans parler, tou­tes les paroles ne servent à rien. L'échec du dialogue tient aux raisons suivantes : 1°) L'absence d'attention aux propos des partenaires. Rares sont les hommes qui savent vraiment écouter. 98:207 Dans la plupart des conver­sations, chacun ne prête qu'une oreille distraite aux discours des autres et n'at­tend que l'occasion de pla­cer son mot. Dialogue de sourds qui se réduit à un chassé-croisé de monolo­gues... 2°) L'égoïsme et l'orgueil quand le dialogue porte sur des divergences d'opinion et d'intérêts. On est sûr à prio­ri qu'on a raison et que le prochain a tort ; on dialogue comme on se bat, avec cette différence que les paroles, moins péremptoires que les armes ; ne font ni vainqueurs ni vaincus -- ou plutôt elles ne font que des vaincus, car personne, au terme de ces duels oratoires, n'a avancé d'un seul pas vers la vérité. Dans les discussions politi­ques par exemple, il ne s'agit pas d'échanges, mais d'affrontement ; on riposte aux arguments de l'adver­saire comme on repousse une attaque ennemie ; on cogne (verbalement) « com­me un sourd » -- et le pire de tous les sourds, celui qui ne veut pas entendre... 3°) La méfiance à l'égard de l'interlocuteur. On est in­timement persuadé, non seu­lement qu'il se trompe, mais qu'il n'use du dialogue que pour nous tromper ; on sus­pecte à la fois la vérité et la sincérité de ses argu­ments, on flaire partout la ruse de guerre -- bref, la discussion est dominée par le souci de ne pas « se lais­ser avoir » et non par la recherche d'un terrain d'en­tente. Attitude, hélas ! trop souvent justifiée par la dé­loyauté de l'un, de l'autre ou de l'ensemble des parte­naires, mais qui n'apporte aucune solution aux problè­mes. Est-ce à dire que tous les dialogues sont négatifs ? Pas du tout : il suffit, pour que le dialogue soit fécond, d'é­carter les obstacles que je viens d'énumérer. Ce qui si­gnifie : D'abord savoir écouter. Au lieu de s'enfermer dans sa propre opinion, savoir discerner la part de vérité contenue dans l'opinion des autres. Se persuader que le but du dialogue ne consiste pas uniquement à se défen­dre contre l'interlocuteur, mais à apprendre quelque chose de lui et que les in­formations et les idées qui semblent contredire les nô­tres, le plus souvent, les complètent. Être accueillant et transparent aux propos du prochain. Ensuite passer au crible d'une réflexion objective les arguments partiels et par­tiaux qui nous sont inspirés par nos intérêts de person­ne, de groupe ou de parti. Un dialogue ne doit pas être un duel, mais un effort en commun. Ne pas avoir peur de se laisser convaincre si le partenaire a raison. Dans convaincre, il y a vaincre, disait Alain. Mais il n'est pas de plus belle victoire que d'être vaincu par la vé­rité. 99:207 Enfin, là où l'on se heur­te à la mauvaise foi de l'in­terlocuteur, ne pas le suivre dans cette voie sans issue et lui donner l'exemple de la loyauté. Refuser d'être dupe n'implique pas la né­cessite d'être trompeur. C'est seulement à ce prix que le dialogue cesse d'être un verbiage Inutile ou une manœuvre de guerre froide pour devenir, si j'ose em­ployer un autre mot pros­titué par la mode, effective­ment constructif. **L'ordre et la liberté** 13 août 1976 A la suite d'un article où j'exprimais ma désapproba­tion à l'égard du climat de licence et de violence qui rè­gne de plus en plus en France, un lecteur m'écrit les mots suivants : « Vous, les hommes de droite vous ne changerez jamais : vous préférerez toujours l'ordre à la liberté. » Cet argument étant deve­nu un slogan des milieux de gauche, je me permets d'y répondre publiquement. Je ne préfère pas l'ordre à la liberté, ces deux choses n'en faisant qu'une à mes yeux. Il n'y a pas d'ordre sans liberté : un corps, par exemple est d'autant mieux ordonné que ses organes fonctionnent plus librement, chacun à sa place et dans ses limites. Réciproquement, il n'y a pas de vraie liberté sans ordre : dans un corps déréglé par une grave mala­die, les organes sont gênés dans leurs fonctions, la di­gestion, la respiration ne sont plus « libres ». Et c'est vrai aussi pour la société : imaginez une ville livrée à l'émeute et au pillage par la carence des « forces de l'or­dre » ; chacun y tremble pour ses biens et pour sa vie, n'ose plus sortir ni s'ex­primer -- personne n'est li­bre... Cela étant, voici ma po­sition. Je défends toutes les libertés, à condition qu'elles soient compatibles avec l'or­dre. Une certaine gauche au contraire exalte et revendi­que toutes les libertés, même si elles doivent entraîner le désordre : Brèves dislo­quant l'économie, manifes­tations tournant à l'émeute, agitation universitaire para­lysant les études, publica­tions et spectacles por­nographiques avilissant le sexe, séparatismes provinciaux ébranlant l'unité na­tionale, libération de la con­traception et de l'avortement menaçant la famille et la société, etc. 100:207 Mais qu'arrive-t-il en fait dès que cette subversion amène l'homme de gauche au pouvoir ? Il n'est plus question alors de liberté : c'est l'ordre qui mobilise toutes les préoccupations des nouveaux maîtres et un or­dre plus rigoureux, plus in­humain que le précédent. Où en est, de l'autre côté du ri­deau de fer, la liberté de s'exprimer, de s'associer, dg réagir contre le pouvoir par la grève ou des manifesta­tions, d'enseigner une phi­losophie ou une religion non conformes à l'orthodo­xie régnante ? Peut-on rêver mieux en fait de subordina­tion de la liberté à l'ordre ? Et cela, à l'exception de quelques illuminés sincères qui seront balayés par l'or­dre nouveau, les chefs révo­lutionnaires le savent bien. *Ce qu'ils cherchent, ce n'est pas la liberté, c'est le pou­voir*, -- leur pouvoir. Ils ne font scintiller le mirage d'une liberté impossible que pour mieux étouffer les lib­ertés réelles. La liberté, dans leur bouche, c'est l'app­ât sous lequel se dissimule hameçon du pêcheur, c'est le miroir aux alouettes qui attire les oiseaux dans le champ de tir du chasseur... Écœuré par cette contra­diction entre les promesses et les faits, des hommes de gauche loyaux et lucides clament aujourd'hui leur in­dignation. Parmi eux, Cla­ve, Revel et Étiemble. Ce dernier, après avoir attendu de la révolution russe, puis de la révolution chinoise la réalisation de son idéal socialiste, nous avoue son ul­time déception : « Je ne m'intéresserai plus jamais à cette révolution chinoise dans laquelle j'avais mis mes derniers espoirs... » Est-ce que tant d'expé­riences négatives ne suffisent pas ? Est-ce que, dans nos pays occidentaux, les peu­ples hésiteront longtemps entre les démagogues qui préparent l'esclavage sous le masque trompeur d'une liberté chimérique et ceux qui luttent pour sauver les vraies libertés en les insé­rant dans un ordre confor­me à la nature de l'homme ? Entre ceux qui tendent un piège et ceux qui essayent d'ouvrir une issue ? Il reste cependant encore quelques idéalistes qui es­pèrent obstinément l'impos­sible. Témoin un article ré­cent commentant le livre d'Étiemble et où l'auteur af­firme sa foi dans « le vrai, le chaleureux socialisme des hommes contre le glacial socialisme de la bureaucra­tie ». Je vois là une trans­position de la foi et de l'es­pérance religieuses sur le plan social et politique. Ce­lui qui croit en Dieu ne va-cille pas sous les démentis de l'expérience : les triom­phes apparents du mal ne l'ébranlent pas dans sa con­viction que le bien absolu aura finalement le dernier mot, sinon dans le temps, du moins dans l'éternité. Se­lon le mot de l'Apôtre, « il espère contre l'espoir ». 101:207 C'est pour cela que la foi et l'espérance religieuses sont des vertus surnaturelles. Mais les options sociales et politiques relèvent de la sa­gesse et de l'expérience temporelles et leurs consé­quences, positives ou néga­tives, se vérifient exclusive­ment en ce monde. « Le sa­lut des âmes se fait dans le ciel, celui des cités se fait en ce monde », disait Richelieu. Que dirait-on d'un médecin qui, après avoir constaté cent fois l'effet nocif d'un remède, s'obstinerait à le prescrire sous prétexte qu'il y croit de toute son âme et que rien ne peut altérer sa foi ? Les derniers croyants du socialisme à visage hu­main se comportent pour­tant ainsi à l'égard du corps social. L'instinct surnaturel avorté nourrit les utopies antinaturelles... **La société en question** 20 août 1976 Je cueille dans le dernier quotidien le fait-divers sui­vant. Trois personnes -- deux enfants d'une dizaine d'années et une femme oc­togénaire -- ont été succes­sivement poignardées sans raison apparente, dans une banlieue de Bordeaux, par un adolescent en mobylette. Deux d'entre elles sont dans un état très critique, seule une fillette n'est que légère­ment blessée. L'assassin a été découvert. Il a 17 ans, il appartient à une famille honorable et, mis à part son caractère ren­fermé et taciturne, il n'avait donné jusqu'ici aucun signe de déséquilibre et de cruau­té. Des cas similaires ont été rapportés. Devant chaque crime, la justice cherche le mobile. C'est la voracité sexuelle pour les attentats à la pudeur, la soif de l'ar­gent pour les vols, la ven­geance chez les êtres vindi­catifs, etc. Faut-il réviser cette notion et parler de cri­mes gratuits, commis pour « l'amour de l'art » ? Spi­noza disait que la récompen­se de la vertu est dans la vertu elle-même. Faut-il ren­verser la formule et admet­tre que, dans certains cas, la récompense du crime soit dans le crime lui-même ? Non, cet adolescent avait un mobile. Interrogé, il a donné cette explication à son triple crime : « j'en voulais à la société ». Ce mot est devenu le leit­motiv de tous les êtres inaf­fectifs et par là incapables d'échanges profonds avec leurs semblables. 102:207 Plutôt que de s'avouer leur néant in­térieur, ils rejettent sur la société la cause d'un mal qui est avant tout en eux-mêmes. La société leur tient lieu de bouc émissaire. De même un dyspeptique trop glouton at­tribue volontiers aux seuls aliments l'origine de ses troubles digestifs. Alors que le même plat, ingéré par un convive plus robuste ou plus sobre, « passe » le plus agréablement du monde... Il y a pourtant autre cho­se. *Ce phénomène de trans­fert des responsabilités, aus­si ancien que le mensonge et le péché, se trouve aujour­d'hui généralisé et envenimé par la propagande antiso­ciale qui émane de notre société en décomposition.* Le thème central de l'idéologie révolutionnaire est la mise en accusation des structures sociales à propos des défail­lances et des délits indivi­duels. L'individu le plus ta­ré est toujours innocent, la société est toujours coupa­ble. Dans cette perspective, il est normal qu'on se venge sur cette entité monstrueu­se, quitte à s'attaquer, com­me ce fut le cas pour notre jeune homme, aux plus inof­fensifs de ses membres. Eh bien, oui, la société est en partie responsable de cette atrocité. Mais non pas au sens où l'entendent nos révolutionnaires pour qui l'ordre établi est la cause de tous les maux. Elle est coupable dans la mesure où elle laisse le champ libre à toutes les propagandes de dissolution et de subversion qui, sous le nom de « per­missivité », flattent et en­couragent toute licence et toute révolte, où elle accor­de à l'individu tous les droits sans lui imposer au­cun devoir, où elle cesse d'imposer la discipline inté­rieure par la morale et l'or­dre extérieur par l'autorité politique, bref dans la me­sure où elle est en proie à ce processus d'autodestruc­tion et qui étend ses ravages à tous les niveaux de la com­munauté humaine, depuis le couple et la famille mena­cés par la « libération sexuelle » jusqu'à l'État, dont le pouvoir s'effrite en se dilatant. Tels sont les fruits du « libéralisme avan­cé » qui se résout en recul vers la barbarie... C'est de cette société-là, -- de cette société qui ac­cueille et justifie toutes les aberrations des individus, -- que notre criminel est la victime. Car la haine de la société est encore un phéno­mène social. Ces révoltés croient affirmer leur person­nalité contre la Cité et ses lois ; en réalité ils sont le jouet des éléments les plus troubles de cette société qu'ils détestent... Je n'ignore rien des lacu­nes de l'ordre établi. Il faut travailler à les combler afin d'épuiser la tension entre l'individu et la société. Je sais aussi qu'il existe des êtres incurablement tarés dont on ne peut attendre que du mal : la société com­me la nature a ses plantes vénéneuses. 103:207 Mais le premier devoir d'une civilisation di­gne de ce nom serait de ne pas leur apporter ce fumier d'idéologies et de propagan­des qui favorise leur sinis­tre épanouissement. **Négligence et automatisme** 27 août 1976 La production et la dis­tribution de l'électricité sont en France un monopole de l'État. Je reconnais que, dans l'ensemble, ce monopole fonctionne beaucoup mieux que celui du téléphone dont les lacunes (longueur des dé­lais d'installation, difficultés d'obtenir les communica­tions, montant excessif des taxes, etc.) font le désespoir de mes compatriotes et la risée des autres nations. Il n'en reste pas moins que ce monopole privilégié souffre lui aussi des mêmes carences que les autres or­ganismes d'État dont le dé­faut commun -- j'allais dire le péché originel -- est d'être insuffisamment vivi­fiés par l'exercice de la res­ponsabilité personnelle et d'ignorer la compétition éco­nomique. Voici deux exemples si­gnificatifs de cet état de choses. Il y a quelques années, à la suite d'un accident dû à la foudre, le compteur ins­tallé dans ma maison s'était détraqué et n'indiquait plus la consommation d'électrici­té. Le responsable local mis au courant promit d'envoyer un ouvrier pour réparer le dit compteur. Cet ouvrier se fit attendre plus d'un mois ; après quoi, on me fit payer un forfait, établi d'après la consommation habituelle. A vrai dire, je n'avais pas ex­ploité la situation, mais autres n'auraient peut-être pas laissé échapper une si belle occasion de faire fonc­tionner, à plein rendement et sans frais supplémentai­res, leurs appareils de chauf­fage. Le second exemple date du mois dernier. Rentrant de Belgique, je trouve dans mon courrier qui m'atten­dait à la maison, la facture de l'Électricité de France que je règle aussitôt par chè­que. Or, quinze jours après cet envoi, je reçois une som­mation avec frais m'enjoi­gnant de payer immédiate­ment ma dette sous peine de coupure de courant et de poursuites. 104:207 J'écris aussitôt à l'administration en indi­quant la date de mon règle­ment. Réponse : toutes les factures non payées dans *les sept* jours (y compris les dé­lais postaux) sont triées par l'ordinateur et le mécanisme des sommations se déclenche automatiquement quelques jours après, sans qu'on tien­ne compte des règlements effectués entre-temps. Con­clusion : votre réclamation est irrecevable, c'est l'ordi­nateur qui décide et non les hommes... Imaginons maintenant ce que deviendrait une entre­prise privée si elle s'avisait de pratiquer le même relâ­chement ou la même absen­ce d'égards. Par exemple que les services commerciaux oublient de comptabi­liser une livraison de mar­chandises et, dans l'ignoran­ce de la somme due, récla­ment à l'acheteur un vague chiffre forfaitaire. Ou, en sens inverse, qu'ils engagent des poursuites envers un client qui n'aurait pas ré­glé sa facture dans un délai de sept jours. Telle est la double caren­ce de la centralisation éta­tique : d'un côté -- dans tout ce qui relève de l'ini­tiative et du contrôle indi­viduels -- la négligence et le désordre ; de l'autre, l'or­dre impersonnel et glacé qui émane des ordinateurs -- la précision aveugle des ma­chines greffée sur la défail­lance des hommes : une ar­mure trop rigide sur un corps trop mou... Ce contraste violent entre la démission des individus et la pesanteur anonyme de l'administration centrale nous montre tout le danger de la technocratie -- et j'en­tends par ce mot le gouver­nement, non des techniciens qui restent toujours des hommes, mais de la techni­que elle-même devenue pres­que autonome et toute puis­sante. Mais du même coup, il nous montre aussi dans quel sens doit s'opérer la re­forme de l'économie et de la société : il s'agit avant tout de créer un ordre vivant où chaque individu puisse exer­cer sa liberté et assumer ses responsabilités dans un cli­mat de solidarité organique avec son travail et avec ses semblables. Gustave Thibon. © Copyright Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique). 105:207 ### La Révolution de 89 et les généraux par André Guès LA THÈSE SORBONNARDE sur la promotion des officiers sous la Révolution est illustrée par Bouloiseau (*La Ré­publique jacobine,* Seuil 1972) écrivant qu'elle se fit « *en ne tenant compte* QUE *de leurs talents militaires *»*,* et par Gaston Martin (*Les Jacobins,* P.U.F., 1945) : un « *strict souci des mérites *» préside à l'avancement qui n'est « *conféré* QUE *sur le champ de bataille *»*.* C'est tellement faux que, devant l'abondance des cas contraires, on est obligé de les classer par catégories. Il y a d'abord ceux qui sont faits généraux sans avoir vu le feu et certains ne le verront jamais. Hanriot est fait brigadier pour commander la garde nationale de Paris et la 17^e^ division militaire. Lors de sa promotion de divi­sionnaire, l'état de ses services ne comprend que la men­tion de sa promotion de brigadier, et pour cause. Le bras­seur Santerre est fait général pour mener les « volontaires à 500 francs » terminer la guerre de Vendée. Sépher, Suisse de naissance et d'église, pour conduire l'armée « *de pacification *» en Normandie, le peintre Carteaux pour faire la même chose dans le sud-est, le médecin Doppet pour commander la *Légion des Allobroges,* Westermann en ré­compense d'avoir été berné par Brunswick après Valmy, le chef d'escadron Carlenc est tiré d'un dépôt de l'arrière pour commander en chef l'armée du Rhin et assister de son lit à sa déconfiture, Brune est promu grâce aux obligés qu'il s'est fait en distribuant les chevaux des Tuileries après le 10 août, Parein-Dumesnil est fait brigadier en étant commissaire des guerres et divisionnaire pour le rendement de la commission militaire qu'il préside à Lyon, Rossignol est lui-même étonné d'être fait commandant en chef de l'armée de l'ouest, le représentant Reubell écrit : 106:207 « *Il faut compter pour peu de chose la vie de tant d'hom­mes qu'un général a entre les mains *» pour le faire com­mander en chef, et les soldats chantent : « *Tant que le rossignol chantera, l'armée déroutera. *» On peut citer en­core Ronsin, Vachot, Tudier, Recordon, Dièche, Napper-Tandy, Milfort, Bournet, Maire dit Lemaire et Gauvilliers, tous promus en n'ayant servi qu'à l'intérieur ou venant directement du civil. Des généraux honteusement battus et qui, suivant l'his­toire légendaire de la Révolution, ont été guillotinés, sont récompensés par de l'avancement : Declaye, après une déculottée mémorable à Villers-en-Cauchie, ne s'est acquis de mérite à devenir divisionnaire qu'en présidant aux massacres de Lyon, Santerre est avancé tout juste après la première débandade de ses volontaires, Grignon qui commande une division des *Colonnes infernales* de Turreau et à qui Charette a infligé le 2 février une déroute affolée est fait divisionnaire le 14 avril, après une débâcle de Gigaux à l'armée du Nord le Conseil exécutif confirme son grade qui n'était que provisoire. Soboul écrit (*Les sans-culottes,* Seuil 1970) : « *La Terreur aux armées fut aussi un facteur de victoire... La discipline révolutionnaire s'appliqua à tous avec la même rigueur. *» Inversement des généraux victorieux sont sanctionnés : Montesquiou après avoir pris la Savoie, Kellermann après la reprise de Lyon et sa victoire sur les Piémontais, Hou­chard après avoir battu les Anglais à Hondschoote, Hoche qu'on n'ose pas arrêter au milieu de son armée est envoyé à cet effet commander l'armée d'Italie. Il faut leur ajouter les frères Faucher, Tuncq, Peyre, Beysser, Grouchy, Gan­claux, Laubadére, Chancel, Lespinasse, Servan... Le Comité explique les arrestations de généraux victorieux dans une lettre du 6 octobre 93 aux représentants près l'armée des Alpes, précisément au sujet de Kellermann : « *Les succès ne servent qu'à cacher plus adroitement une trahison. *» Pour les remplacer, on fait appel à des nullités dont une cinquantaine sont promus en sautant des grades. Six conclut en spécialiste de la question (*Dictionnaire des géné­raux de la Révolution,* 2 vol., Saffrey 1934, et sa thèse : 107:207 *Les généraux de la Révolution,* Bordas 1947) : « *L'im­mense majorité des bénéficiaires d'un avancement aussi exceptionnel ne semble pas avoir mérité cette faveur in­signe. *» Certains sont incapables physiquement, ainsi Su­zamicq fait brigadier le lendemain du jour où il a été élu chef de bataillon. Les représentants à l'armée refusent d'entériner cette promotion : il sait à peine écrire et il est presque aveugle. Mais le Comité envoie l'ordre formel, et le destitue deux mois plus tard pour incapacité totale. Plutôt que de donner une liste de noms, je vais ici fournir des témoignages difficilement récusables. Le 18 août 93, la Convention entend lecture d'une lettre des re­présentants à l'armée de l'ouest : « *Tous les jours on accorde des brevets d'adjudants* (adjudants-généraux, ce sont des officiers d'état major) *et de généraux à des hom­mes qui n'ont peut-être jamais monté la garde. *» Leur collègue Pflieger : « *La tête des corps ne sera incessam­ment composée que d'anciens quartiers-maîtres* (ce sont les trésoriers), *maréchaux* (ferrants), *trompettes-majors, maî­tres-tailleurs, musiciens et vieux brigadiers* (grade équi­valent à caporal), *tous gens qui n'ont jamais été en position d'acquérir de vraies connaissances militaires. La plupart de ces hommes joignent à une conduite crapuleuse la présomption et l'entêtement, conséquente de leur igno­rance. Il n'est pas rare de trouver des officiers supérieurs qui ne savent ni lire ni écrire. Tel général a pris sur une carte une rivière pour une route et un vide pour une mon­tagne. *» Gillet écrit de l'armée de Sambre-et-Meuse qu'elle compte « *quinze à dix-huit* (généraux) *qui ne sont pas en état d'être caporal. Schérer* (qui commande la division char­gée d'assiéger les places) *en a six avec lui et beaucoup d'ad­judants-généraux, et il n'y en a pas un qui sache placer un poste *»*.* Le général Krieg qui a 37 ans de service et com­mande la place de Metz écrit au ministre : « *Le cœur me saigne quand je vois des anciens soûlauds, l'incapacité, en­fin tous les défauts, passer comme des éclairs du fond des cabarets, du fond de la fange, à la tête des corps depuis la compagnie jusqu'aux armées de la République. Comment voulez-vous que le soldat ait confiance dans les chefs de cette espèce auxquels, depuis 30 ou 40 ans, on n'a pas osé confier seulement la bourse de l'ordinaire de quatre hom­mes de garde puisqu'ils ont passé tout le temps de leur service soit au cabaret, soit à l'hôpital ou à la prison ? *» 108:207 Ce ne sont pas des choses à dire : Krieg se retrouve à l'Abbaye. Hoche écrit que les généraux ayant « *pour deux sous de talent sont suspectés et dénoncés par ceux qui sont parfaitement incapables *»*.* La théorie officielle, en effet, est qu'il n'est besoin de rien savoir pour être général. Guiter : « *A quoi bon les généraux, les femmes de nos faubourgs en savent autant qu'eux. Des calculs, des combinaisons froides, des redou­tes ? Tout cela est inutile. Les irruptions, l'arme blanche, voilà la seule guerre qui désormais convienne aux Fran­çais. *» Carnot, qui n'a jamais donné d'instructions tac­tiques, était de cet avis, et l'a écrit. Lequinio : « *Ce serait une grande folie de croire qu'il faille avoir des épaulettes et avoir été soldat pour diriger en grand l'armée. *» Dan­ton : « *Un peuple en armes est toujours assez fort pour détruire les automates à qui la discipline tient lieu de force et de vie. *» Hassenfratz, directeur au ministère de la Guerre : « *On trouverait en France cinq millions d'hommes capables de commander les armées, et il ne faut rien savoir pour être général. *» Jean Bon Saint-André : « *Le courage et l'impétuosité des soldats suppléeront aux talents des généraux. *» Le sang des jeunes Français doit fournir leur matière première aux expériences militaires des ignorants, il coulera pour réparer leurs sottises. On a envie de crier que c'en est assez de stupidité, mais il faut écrire que c'en est assez des historiens qui chantent la gloire de ces san­glants crétins. Carrias (*La pensée militaire française,* P.U.F. 1960) écrit que pour le commandement des armées « *Ro­bespierre n'accordait confiance qu'aux vrais sans-culottes sans aucune valeur militaire *». Il y a enfin un genre de promotion « *sur le champ de bataille *» et de désignation en ne tenant compte « *que de la valeur militaire *» qui a échappé à l'attention de Gaston Martin et de Bouloiseau, et il est sinistre. Burcy est tué au combat de Gundershoffen le 26 novembre 93, son cheval abattu, refusant de se rendre, haché à coups de sabre : il était suspendu depuis le 15. Marigny, héros du siège de Mayence, est tué alors qu'il vient d'être destitué, et Gili­bert de même. Il en sera ainsi lors de l'épuration gaullien­ne. Le 12 août 43, une commission *ad hoc* est créée à Alger. Raïssac écrit (*Un combat sans merci. L'affaire Pé­tain-De Gaulle,* Albin Michel 1966) : 109:207 « *Il devait arriver par la suite que des officiers ne pussent se soumettre aux in­vestigations de cet organisme inquisitorial : ils venaient de trouver la mort au combat *». Il y a une tradition jacobine de l'ignoble. André Guès. 110:207 ### Paul Morand par Georges Laffly *Les lignes les plus justes sur Paul Morand sont à mes yeux celles-ci, de Jacques Laurent* (*vers 1950*) : « *Le plus grand succès de cet auteur est en effet d'être piquant -- au sens où on l'entendait autrefois. Il l'est grâce à une Europe insolite, à des liaisons choquantes, à des ententes incongrues, à des unions qui font sauter. Il l'est donc dans la mesure où nous gardons présents comme des faits et des étalons la notion d'une Europe stable, le respect d'une morale droite. J'ai entendu dire par Girau­doux que pour aimer Morand il fallait avoir le goût de la morale et des villages. *» *Dans un monde sans points de repères, le Morand véri­table échappe. On ne voit plus qu'un peintre pittoresque, que d'autres pittoresques, plus violents, plus barbares, font pâlir. Des couleurs plus voyantes, un vacarme plus assour­dissant, paraissent un progrès.* *La veille de la mort de Paul Morand, la télévision dif­fusait un film tiré d'une de ses nouvelles,* Milady. *Malgré le talent de Dufilho, cette passion d'un homme pour une jument et pour l'art équestre paraissait une bouffonnerie. Sans doute, le volume où a paru* Milady *a-t-il pour titre* les Extravagants. *Mais l'extravagance est ici une leçon d'art classique* (*et peut-être même quelque chose de plus*)*. Le difficile, ne cesse de répéter le commandant Gardefort, la vraie haute école, c'est de faire marcher droit un cheval : l'acte le plus simple, parfaitement accompli, est le sommet de l'art* (*leçon mal comprise par Grumbach, l'homme d'af­faires qui a acheté la jument*)*.* 111:207 *Il peut arriver un moment où la civilisation paraisse une extravagance, aux yeux de ceux à qui elle n'a pas été transmise. Ils ne voient plus le sens des règles et des mesures. Paul Morand était un homme d'avant cette rup­ture. La France qu'il aimait surprendra ceux qui se trom­pent sur lui. Il évoque, dans* Milady, *justement :* « *La sévérité de notre race, l'austérité profonde de notre plus riante province, ce goût de l'abstrait qu'on retrouve jusque dans nos jeux...* » *Il voyait bien, dans les années 30, monter d'autres for­mes, d'autres forces, mais il comptait encore sur la solidité d'un vieux fond :* « *Je savais que ce que mon pays possède d'unique, ce sont des vertus si anciennes, si bien dissimu­lées, si orgueilleuses, si pudiques, si anti-modernes, qu'un étranger par sa seule présence, les met en fuite *» (Cham­pions du monde). *Il faut penser à cela avant d'esquisser la courbe de cette œuvre. On peut sans doute y distinguer deux phases. D'abord, le voyageur, avide de voir, de palper cette terre qui tourne si vite. Il pense* « *faire un inventaire naïf des merveilles du monde *»*. C'est l'époque de* Fermé la nuit, Lewis et Irène, Champions du monde, Magie noire, *etc. Il rapporte des images colorées, foudroyantes. Céline dit de lui* « *c'est un satané orfèvre de la langue *»*.* *Spectateur, et plein d'appétit, mais sans optimisme, dans un temps où on en faisait grande consommation. Déjà, en 1917, il écrivait* « *Après le déluge, nous *». *Ses livres four­millent de remarques toujours vraies* (« *la haine, cette for­me moderne de l'enthousiasme *» *;* « *les conflits de race seront les véritables crimes passionnels du XX^e^ siècle *»). *La montée des idéologies, la deuxième guerre mondiale confirmeront cette vue des choses.* « *Voir clair, c'est voir noir *» *dit Valéry*. 112:207 *Un autre Morand paraît, plus en retrait, plus intérieur. Son art devient de plus en plus libre, souple et fort. Il y a quelque chose de concentré et de désinvolte dans sa phrase, comme lorsqu'on parle* « *entre soi *»*. Des livres comme* Tais-toi *ou* Venises *le montrent arrivé à cette parfaite maîtrise qu'il décrivait chez Gardefort. Chardonne écrit dix fois qu'il met Morand à la première place. Être admiré à la fois par Céline et par l'auteur des* Chimériques, *ce n'est pas ordinaire.* *Préoccupé si longtemps par l'épiderme du monde, Paul Morand paraissait exclure le souci du divin. B. Faÿ dans un article des* Écrits de Paris *dit qu'il ne faut pas prendre à la légère l'indication donnée à la fin de* Venises : « *Je serai veillé par cette foi orthodoxe vers quoi Venise m'a conduit, une religion par bonheur immobile, qui parle encore le premier langage des Évangiles. *» *Cet homme qui ne tenait pas en place, c'est de l'immo­bile, de l'immuable qu'il avait besoin, quand il s'agit de l'essentiel. Et il ne le trouvait plus dans la foi romaine...* Georges Laffly. 113:207 ### Sainte Jeanne d'Arc et la prière de Charles VII par Dom Edouard Guillou  Il est, dans les annales humaines, un événement capital, d'une importance telle que tout y conduit, tout en découle : c'est l'incarnation, la passion et la résur­rection du Fils de Dieu. Ce que la foi nous apprend, l'his­toire ne le contredit pas. Subsiste-t-il quelque obscurité ? Le jour où le plan providentiel sera pleinement réalisé, aucun doute ne sera possible. C'était la conviction de Dom Guéranger. Il n'était pas enclin à interpréter arbitrairement les faits, à les utiliser pour une démonstration quelconque. Il savait qu'il n'y a pas meilleur moyen de brouiller la vue. Mais il ne pouvait se retenir de lutter contre le naturalisme dont un historien, le prince de Broglie, était à son époque un distingué représentant. Le naturalisme se heurte à des réalités qui déroutent la raison ; il s'efforce de les expliquer à son aune, de les enfermer dans un système : défense à Dieu d'intervenir dans l'histoire des hommes, du moins avec éclat. Le positivisme du très grand historien que fut Jacques Bainville était autrement intelligent et l'on sait qu'un Auguste Comte admirait les « Considérations » de Bossuet. Les faits sont les faits ; ils doivent être exactement saisis afin d'en discerner l'enchaînement. Or Bainville, passé maître en cet art, avouait que trois destinées lui paraissaient hors série : celles de Napoléon, de Jeanne d'Arc, de Jésus-Christ, par ordre de difficulté. Il s'est attaché avec bonheur à expliquer la première. Mais pour Jeanne d'Arc et a fortiori pour Jésus-Christ, il a laissé tomber la plume. On peut croire un auteur aussi probe et aussi pertinent : Jeanne d'Arc est humainement inexplicable. 114:207 Elle n'a pas seulement inscrit les noms de Jésus et de Marie sur son blanc étendard, elle les a gravés au cœur de notre histoire. Avec elle nous entrons dans un mystère. Martyre ou victime rédemptrice ? L'Église n'a point placé la vierge d'Orléans au nombre des martyres ; Jeanne n'a pas été brûlée vive parce qu'at­tachée à la foi catholique ; cette foi était partagée par ses juges. Ce n'est pas une raison pour ne voir en elle que « la sainte du patriotisme », vertu chrétienne qu'elle a poussée à une perfection héroïque ; encore moins faut-il ne considérer que la pureté et la beauté de sa vie chrétienne. Trop de prédicateurs ou de commentateurs s'arrêtent à l'un ou l'autre de ces aspects, par une singulière myopie. La simple réalité de son supplice devrait ouvrir une plus large et plus profonde perspective : cette entière destruction par le feu n'était-elle pas un holocauste ? Or voulu de Dieu, annoncé par lui, accompli comme un rite par lui figé, cette oblation est un sacrifice, une puissance de rédemption et de salut. Le témoignage de la liturgie L'évangile de la fête de sainte Jeanne d'Arc, emprunté à saint Luc, nous met dans l'atmosphère sacrificielle. Jeanne ne jouit pas, à proprement parler, de la béatitude des persécutés pour le nom du Christ, mais des immolés, des sacrifiés pour la gloire et la manifestation de sa miséricorde. Celui qui veut me suivre, dit l'évangile, doit prendre sa croix. A la différence de celui qui donne sa vie, celui qui refuse de la donner la perdra. 115:207 Si toute la vie de Jeanne est placée sous le signe du sacrifice, sa caractéristique fondamentale doit être l'obéissance, l'entière affirmation d'une dépendance totale à l'égard de Dieu. Cette relation vitale du sacrifice et de l'oblation est oubliée de ces néo-liturges qui accusent la messe traditionnelle d'être trop oblative. Ils montrent par là qu'ils ne comprennent rien à la parole de saint Paul montrant dans l'immolation du Christ la modalité extrême de son obéissance, une oblation rituelle fixée de toute éternité par Dieu : « Il a été obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. » En tant qu'immolation sanglante, l'oblation du Calvaire n'est pas réitérable, mais en tant qu'affirmation de la parfaite dépendance du Fils par rapport à son Père, la messe, indéfiniment, renouvelle le sacrifice du Christ. Elle doit le renouveler car la dépen­dance totale du Fils par rapport à son Père est la seule réalité qui l'en distingue. Elle doit le renouveler car nous avons, par la messe, à participer, génération après géné­ration, à l'oblation du Fils afin d'entrer dans sa filiation divine. L'héroïque obéissance de Jeanne d'Arc Les juges retors de Jeanne lui reprochent, non sans raison apparente, d'avoir désobéi à ses parents, qui ne voulaient pas qu'elle parte... Que répond-elle ? « Si j'avais eu cent pères et cent mères et que j'eusse été fille de roi, je serais partie car c'était la volonté de mon Dieu. » L'obéissance inconditionnelle n'est due, en effet, qu'à Dieu. Or quel fut le premier péché, cause de l'universelle déchéance ? La désobéissance ; autrement dit, l'orgueil. Et que voyons-nous en Marie sinon l'antithèse parfaite de la première femme, parce qu'elle a cru, elle, parce qu'elle a obéi : Fiat mihi secundum verbum tuum. Que voyons-nous en Notre-Seigneur ? L'anéantissement jusqu'à prendre, lui, Dieu, la condition d'homme et de serviteur ; nous voyons l'obéissance jusqu'à la mort et la mort la plus infamante, la plus complète, séparation non seulement de son corps et de son âme, mais de sa chair et de son sang ; d'où son exaltation et sa victoire. Les premiers parents ont cru devenir comme des *dieux,* ils sont descendus au-dessous d'eux-mêmes. 116:207 C'est en faisant tout le contraire d'Ève et d'Adam que Marie, nouvelle Ève et le Christ nouvel Adam, ont restauré l'humanité plus merveilleuse­ment encore qu'elle n'était sortie des mains de Dieu. Jean­ne d'Arc, parce qu'elle était appelée à un rôle rédempteur, ne pouvait être que le rappel vivant de l'obéissance glo­rieuse de Jésus et de Marie. On la voit sans cesse agir « en nom Dieu », et, quoi qu'il lui en coûte, suivre fidèlement les indications de son « Conseil », de « ses Voix ». On voit que c'est Dieu lui-même qui agit au travers d'elle ; au moment de remporter ses plus grandes victoires, il faut subitement que tout paraisse perdu et compromis : à Orléans quand elle est cruellement blessée, à Jargeau quand elle tombe de son échelle, devant Troyes quand le roi, son conseil, l'armée veulent abandonner la partie... Partout la même association de l'obéissance et de l'épreuve, finissant par le supplice du feu. Mais partout aussi le signe que le doigt de Dieu est là, qu'il dirige tout vers un but de rédemption. Elle peut proclamer dans les flammes qui vont dévorer son corps très pur : « Non, mes voix ne m'ont pas trompée ! » Pourtant l'apparence est tout à fait contraire. Elle doit enfin, avant d'expirer et après avoir baisé la croix qu'on lui présente, déclarer, dans un suprême élan d'amour, les deux noms qui disent tout, qui font tout : Jésus, Marie ! Marie Une prophétie courait le pays : « La France perdue par une femme (Isabeau de Bavière) sera sauvée par une vier­ge. » Dès le début de l'épopée johannique, le peuple se la répète. Les ambassadeurs de Venise à la cour du « roi de Bourges » en écrivent à la Sérénissime République, non sans songer à Marie destinée à réparer la faute de la pre­mière femme. Mais comme le Christ est la tête de l'Église, Adam devait être la tête d'Ève ; sans son consentement, la faute de la première femme n'eut point entraîné la déchéance de l'humanité. Si Marie est corédemptrice, c'est en vertu de son association à la rédemption opérée par son Fils. Lui seul. La manière de Dieu ne change pas. Quand il décide de sauver une situation désespérée, il concentre l'attention sur un seul personnage, afin qu'elle ne se dis­perse pas, afin que son intervention éclate à tous les yeux. 117:207 L'homme ou la femme choisis comme instrument, il les fait passer par l'épreuve, les contradictions les plus trou­blantes, les calomnies, les incompréhensions ; il leur de­mande une obéissance inconditionnelle à Lui seul. C'est ainsi qu'il réactualise concrètement, dans les moments les plus graves, la rédemption qui ne cesse jamais de sauver le monde. Jésus Si quelque doute était permis sur le rôle rédempteur et sacrificiel, subordonné, de Jeanne d'Arc, une chose achè­verait de le lever. Folle était l'équipée de la jeune paysanne de Domrémy ; elle n'a que 18 ans, elle ne sait ni a ni b, mais seulement ses prières, elle ne connaît l'art ni de la politique ni des armes. Le dauphin ne peut, sans ridicule, se laisser embarquer à sa suite dans une pareille aventure. Il se cache. Elle le reconnaît. Elle demande à lui parler secrètement. Elle lui rappelle, au nom de Dieu qui a suscité sa prière, ce qu'il lui a été inspiré par lui de lui demander. Elle connaît ce dont il n'a donné connaissance à personne... C'était en l'oratoire de son château de Loches, en la fête de la Toussaint 1428, en la fête par conséquent de tous ces saints de France qui veulent se montrer « bons Français » : sans nul doute, saint Martin, saint Denis, saint Rémy, saint Louis, mais aussi, selon le témoignage de Jean­ne, le grand archange saint Michel, protecteur du royaume, et les saintes Catherine et Marguerite, alors si populaire­ment vénérées. Qu'a-t-il demandé au Seigneur ? On ne nous dit guère que ceci : il a demandé s'il était vraiment le légitime héritier du royaume de Charlemagne et de saint Louis. Elle lui en donne en effet l'assurance ; et dans de telles conditions, le roi ne peut plus douter qu'elle lui parle « en nom Dieu ». Mais il y avait beaucoup plus de choses dans la prière du Roi, telle que Jeanne nous l'a fait con­naître (cf. Quicherat) ; il y avait l'explication de toute la mission qu'elle avait à remplir et qui la constituait vic­time ; par une obéissance jusqu'à la mort et la mort du bûcher de Rouen ; elle avait été choisie, afin d'expier dans son innocence les péchés de tous, causes de la grande pitié qui était au royaume de France. 118:207 Cette prière du Roi, qui ne tendait à rien de moins qu'à replacer le pays dans la mouvance divine, qu'à renouveler l'alliance du Christ et de ses Francs, il faudrait la faire apprendre par cœur aux enfants de nos familles pour réveiller « la foi des anciens jours » et préparer, par l'infaillible chemin du sacrifice préféré à l'esprit de jouissance, les seuls lendemains qui chantent, ... qui chantent « le Cantique de l'Agneau ». La voici : elle dit tout ; tout commentaire nous paraîtra désor­mais superflu : « *Sire, la première requeste que vous feistes à Dieu fut que vous priastes que, se vous n'estiiez vray héritier du royaume de France, que ce fust son plaisir vous oster le courage de le poursuivre, afin que vous ne fussiez plus cause de faire et soutenir la guerre dont il procède tant de maulx, pour recouvrer ledit royaume. La secon­de fut que vous lui priastes que, se les grans adversitez et tribulations que le pouvre peuple de France souffrait et avoit souffert si longtemps procédoient de vostre péché et que vous en fussiez cause : que ce fust son plaisir en relever le peuple, et que vous seul en fussiez pugny et portassiez la pénitence, soit par mort ou autre telle peine qu'il lui plairait. La tierce fut que, se le péché du peuple estoit cause desdictes adversitez, que ce fust son plaisir pardonner audit peuple et appaiser son ire, et mettre le royaulme hors des tribulations es­quelles il estoit, jà avoit douze ans et plus. *» La réponse de Dieu à cette admirable prière qu'il avait inspirée, nous la connaissons : ce fut le rétablissement de la dynastie de saint Louis par le sacrifice d'une victime toute pure : sainte Jeanne d'Arc. Dom Édouard Guillou. 119:207 ## TÉMOIGNAGE ### Les catholiques lyonnais ont répondu à Georges Marchais *le 10 juin 1976* *Le parti communiste et son secrétaire général Georges Marchais tenaient à Lyon, le 10 juin 1976, un meeting auquel ils avaient* INVITÉ *les catho­liques. La* « *coordination lyonnaise des chrétiens en action *» *nous raconte ici comment elle a ré­pondu à cette invitation.* AU POINT DE DÉPART, c'est-à-dire à peine quinze jours avant le meeting, nous n'étions que quelques per­sonnes persuadées qu'il fallait « faire quelque chose » et décidées à mener une action, mais très conscientes de la faiblesse de nos moyens et des difficultés de l'entreprise en même temps que tout à fait perplexes sur le « style » d'action à adopter. Dans un premier temps, nous avons proposé à quelques mouvements catholiques (Una voce, C.R.C., M.J.C.F.) de publier chacun un communiqué de protestation contre cet appel de Marchais aux chrétiens. D'autres mouvements choisirent d'inciter leurs adhérents à écrire au cardinal Renard, multipliant ainsi les lettres que nous avions écri­tes et fait écrire sur le thème : 120:207 que Son Éminence use de son autorité morale pour rappeler, par un communiqué énergique, les condamnations du communisme par l'Église et l'impossibilité pour un chrétien de collaborer à quelque action que ce soit... Peine perdue ! Les réponses du car­dinal à ses correspondants (réponses d'abord manuscrites, puis dactylographiées par son secrétariat, -- ce qui prouve l'abondance des lettres reçues...) contenaient les mêmes affirmations : les chrétiens doivent prendre leurs respon­sabilités en matière politique... Il pense, avec le pape, que le communisme est incompatible avec la foi... et autres variations. Le cardinal promettait, en outre, que son sermon de Pentecôte, à la cathédrale, manifesterait clairement la conduite à tenir. Là encore, grande déception : au milieu d'un sermon sur l'Église, la seule « fermeté » du primat des Gaules fut de rappeler qu'au cours de son histoire, l'Église avait toujours lutté contre les idéologies politiques qui voulaient l'asservir !... Devant ces réponses dilatoires, nous décidâmes alors d'organiser au moins une messe, le 10 en fin d'après-midi, « pour toutes les victimes des persécutions communistes », et nous demandâmes au cardinal Renard de célébrer lui-même cette messe. Il s'y refusa, prétextant quelques ren­dez-vous... (Nous eûmes, par la suite, la preuve qu'il aurait pu être là...) La basilique de Fourvière nous fut accordée pour le seul temps d'une messe basse ! Nous avions pensé prolonger un peu la messe (1/2 h ou 3/4 d'heure) par un chapelet médité et une petite veillée de prière. Cela nous fut aussi refusé : il fallait que la basilique fût fermée à 19 h ! Dans le même temps, deux jeunes chefs scouts de nos amis, qui avaient pris l'initiative d'organiser une veillée de prière, le soir du 10, de 20 h 45 à 21 h 45, se virent refuser trois églises sous des prétextes fallacieux. Seul le curé de la quatrième paroisse accepta spontanément. Le jeudi 3 au soir, nous réunissions quelques amis « tout horizon » (une quinzaine) pour étudier la possibilité d'une action au Palais des Sports. Le résultat fut très décevant : la plupart concluait à l'impossibilité d'une effi­cacité, même modeste, donc l'inutilité de toute action, en soulignant à l'envie les dangers de cette entreprise. Seul un petit noyau de la CRC lyonnaise était décidé à mener une action en toute éventualité. L'on parvint aussi à se mettre d'accord sur la rédaction du tract suivant : 121:207 RÉPONSE DES CHRÉTIENS DE FRANCE\ A GEORGES MARCHAIS Monsieur Marchais, Vous venez ce jeudi lancer à Lyon un appel aux chrétiens de France. Faut-il vraiment que votre Parti ait besoin de nos voix pour que vous les quémandiez de la sorte ! Mais il est vrai qu'en matière d'imposture et de trahison vous êtes un spécialiste. Les chrétiens de France ne sont pas dupes, Monsieur Marchais. L'appel, le seul appel qu'ils puissent entendre est celui de leurs frères des pays de l'Est, du Cambodge et du Vietnam, de Pologne et d'U.R.S.S., où vos pareils sont au pouvoir et les persécutent au nom de la révolution marxiste. A qui ferez-vous croire, Monsieur Marchais, que votre philo­sophie n'est plus matérialiste, athée et « Intrinsèquement per­verse » ? ([^8]). Est bon ce qui est bon pour la révolution, dit votre doctrine. Nous savons bien que si votre main se tend, elle cache votre poing fermé, prêt à nous étouffer dès que vous n'aurez plus besoin de nous... Les chrétiens de France ne sont pas dupes ! Ils refuseront le mensonge. CATHOLIQUES LYONNAIS !\ TOUS A FOURVIÈRE Jeudi 10 juin à 18 h 30\ Messe à l'intention des chrétiens persécutés\ dans les pays marxistes COORDINATION LYONNAISE DES CHRÉTIENS EN ACTION Ce tract, tiré à 10.000 exemplaires fut distribué en par­tie les samedi 5 et dimanche 6 juin, à la sortie des messes de quelques paroisses, avec très peu de diffuseurs (c'était le week-end de Pentecôte !) qui continuèrent les mardi 8 et mercredi 9 sur la voie publique : on leur fit, en général, un accueil sympathique. 122:207 Ce même jeudi 3, nous apprenions la venue à Lyon, pour le 10, de Pierre Debray, dans le dessein de faire pièce... ailleurs, à la conférence de Marchais. Cette initiative nous parut déplorable : il était trop clair que Debray ne réuni­rait au mieux que quelques 200 personnes et surtout en démobiliserait ainsi définitivement un certain nombre, hé­sitant à se joindre à notre action... Nous avons, malgré tout, poursuivi notre projet d'une « action ponctuelle » au Palais des Sports. Les modalités de cette action s'avéraient délicates. Il ne s'agissait pas, évidemment, pour nous, de cautionner par notre présence cette « opération prestige et séduction » du PCF. Nous ne pouvions donc pas assister à toute la conférence pour re­mettre à la fin une protestation que l'on ne nous aurait pas laissé faire puisqu'il ne s'agissait pas d'une conférence contradictoire. Il n'était pas davantage question d'espérer pouvoir interrompre ou boycotter la conférence par un chaut quelconque : nous n'en avions pas les moyens. Il s'agissait beaucoup plus, pour nous, de proclamer, face à l'appareil communiste et aux chrétiens progressistes, un refus inconditionnel et systématique de catholiques cohé­rents avec leur foi. Nous avons donc choisi la *proclamation de notre foi dès le début* de la conférence. La soirée du 10 juin A 18 h 30, à Fourvière, la basilique est pleine (environ 1.100 personnes). Messe recueillie, où le prêtre célébrant prononce une vigoureuse homélie, nourrie de références scripturaires, sur la manière dont les premiers chrétiens accueillaient et honoraient les défenseurs et témoins de la foi. Nous étions nombreux à penser que, si le cardinal pri­mat des Gaules avait bien voulu avoir seulement une ombre d'énergie pour inviter lui-même les catholiques de Lyon à cette messe qu'il aurait pu célébrer dans sa cathédrale, non seulement la cathédrale mais la place Saint Jean auraient sans doute été trop petites pour accueillir les chrétiens ve­nant ainsi, à l'avance, répondre à Marchais par une mani­festation silencieuse et priante... Nous n'étions certes pas aussi nombreux à nous re­trouver au rendez-vous fixé à quelques centaines de mètres du Palais des Sports, une demi-heure avant la conférence. 123:207 *Cinquante-cinq exactement :* des gens influents, les grands de ce monde, les personnalités civiles ou religieuses ? Non, mais seulement « les petits, les obscurs, les sans-grade », ceux mêmes que l'on tourne en dérision, la « poignée » évidemment « négligeable »... Parmi nous, 4 ou 5 person­nes dépassant 50 ans, autant entre 40 et 30 ans, toutes les autres de moins de 30 ans, un jeune scout de moins de 16 ans qui avait tenu à accompagner sa mère... Dans ce grou­pe, 16 étaient membres de la C.R.C., tous les autres tenaient à se réclamer seulement de la foi de leur baptême. Parmi nous aussi, un prêtre de nos amis, dont la présence, de l'avis unanime, nous a été d'un précieux réconfort. Participant, dès le début, à toutes nos délibérations : aucun de nous cependant n'aurait osé lui demander son concours ce soir-là. De son propre aveu, après avoir, longtemps hésité sur le bien-fondé de sa participation à notre action, compte tenu des exigences d'abord spirituelles de son mi­nistère sacerdotal, il a choisi de nous accompagner pour trois motifs, nous a-t-il dit : parce qu'il s'agissait seule­ment d'un témoignage de foi, parce qu'il ne voulait pas abandonner les membres de sa famille (en particulier, sa mère...) et ses amis dans cette action que beaucoup disaient dangereuse, parce qu'enfin il n'avait pas compris l'absence du cardinal à Fourvière... (Cette absence, nous la jugions, quant à nous, tout simplement une sorte d'abandon de poste...) Nous ne faisions pas les fiers en nous approchant, grou­pés, de l'entrée principale du Palais des Sports : pauvre goutte d'eau au milieu de cet océan qui déferlait de tout côté ! Plus de 100 cars avaient amené des militants com­munistes de toutes les régions de France : « Boulogne-Billancourt » avons-nous pu lire sur l'un d'eux ! Le P.C. ne pouvait se permettre une opération manquée : il ne fallait pas que Georges Marchais parlât devant une salle insuffisante... Nous nous sommes retrouvés placés admirablement, au parterre, sur la piste, au 2/3 de l'hémicycle, face à la tribune officielle : les 3/4 du public pourraient ainsi voir et déchiffrer les banderoles que nous avions préparées. Nous occupons à peine trois rangées de chaises. Derrière nous ; dans l'espace laissé libre avant les derniers rangs au fond de l'hémicycle, plusieurs membres du service d'ordre du PC patrouillent sans arrêt. 124:207 A 20 h 55 Georges Marchais fait son entrée, salué par les applaudissements chaleureux d'un public que l'on sent tout acquis : environ 12 000 per­sonnes au maximum, estimons-nous, 9/10 de membres du PC ou de sympathisants actifs, 1/10 de chrétiens progres­sistes et de curieux de tout bord... Quelle impression d'écrasement de voir cette foule, debout, applaudissant son nouveau sauveur ! Nous évoquons la foule païenne des premiers siècles acclamant le César du jour avant les jeux cruels dont les chrétiens feraient les frais... Seuls restés assis pendant ces longues minutes d'applaudissements, nous nous faisons évidemment remarquer. Nos chapelets s'en­roulent autour de nos mains et nous murmurions les pre­miers « ave » à Celle qui est « forte comme une armée rangée en bataille »... Le discours de Marchais est introduit par le secrétaire de la Fédération régionale du PC qui développe pendant 1/4 d'heure les thèmes attendus de « l'heure historique, 40 ans après Thorez, de la collaboration souhaitable entre chrétiens et communistes, dans le respect des convictions religieuses des chrétiens », sauce assaisonnée des citations inévitables (et logiques...) de Vatican II, de la dernière As­semblée plénière de l'Épiscopat français et... du cardinal Renard ! Nous laissons passer, silencieux, cette avalanche de mots (ou maux !) : c'est Marchais que nous avons résolu d'interrompre. Il monte enfin à la tribune. De nou­veau, longs applaudissements : nos cœurs battent fort ! « Mesdames, Messieurs, chers camarades... » Dans le silence soudain creusé par cette adresse, l'un de nos jeunes, père de famille de 27 ans, entonne à pleine voix : « Credo in unum Deum... ». Tous, dressés en même temps, nous con­tinuons avec lui, tandis que, debout sur leur chaise, d'au­tres déploient nos banderoles : « Les catholiques disent NON au communisme » -- « Communisme intrinsèquement pervers » -- « Communisme = mensonge = persécutions = esclavage ». De la foule stupéfaite et silencieuse éclatent d'abord quelques applaudissements : s'attendant si peu à ce que des chrétiens proclament leur foi pour s'opposer à Marchais, elle pense qu'il ne peut s'agir que d'une mani­festation spontanée de soutien de la part de quelques « fanas » ! Les projecteurs, braqués sur la tribune, sont aussitôt dirigés sur nous, délaissant Marchais devant sa forêt de micros. A la vue de nos banderoles et reconnais­sant le chant du Credo, la foule, debout, poings levés et tendus vers nous, siffle et hurle. 125:207 C'est le moment pénible. Le service d'ordre du PC, d'abord surpris, nous encadre rapidement et tente de nous arracher nos banderoles sans qu'aucun coup ne soit porté. Leur première tentative échoue et nous les brandissons de nouveau. Cette fois, ils nous les arrachent avec violence. Le Credo est toujours chanté, bien que couvert par les hurlements de la foule. Nous en sommes à peu près à la moitié. C'est le moment que nous choisissons pour nous retirer en bon ordre. Les membres du service d'ordre veulent nous retenir : « Restez, crient-ils, écoutez Marchais, au lieu de faire votre petit numéro. » Ils nous entourent, évitant que quelques militants excités et fanatiques qui braillent leur haine ne nous molestent. Un grand gaillard, au milieu des plus exaltés, s'approche du prêtre, les mains en avant, crispées, le visage convulsé, et crie : « Je vais me le payer ! » Ils le contiennent, il ne fallait pas, bien sûr, que l'opération « main tendue » comportât des bavures ! Les quelques mètres qui nous séparent du tunnel de la sortie sont pénibles. Aux militants qui nous invitent à rester, nous répondons : « Nous nous sommes adressés à Marchais avant qu'il ne s'adresse à nous parce que nous rejetons absolument le communisme et sa main tendue... » -- « Nous connaissons le commu­nisme, et notre foi ne s'y ralliera jamais... » -- « Pas de société sans Dieu... » -- « Nous n'avons pas de haine con­tre vos personnes, mais contre la doctrine perverse... » Ces réponses sont saluées de sarcasmes. Les journalistes et pho­tographes sont accourus comme une nuée de mouches. Ils nous mitraillent de flashs et nous assaillent de questions : « Quel groupe représentez-vous ? » -- « Aucun : nous sommes des catholiques proclamant notre foi... » Au prê­tre qui nous accompagne : « Votre nom, votre paroisse ? » « De quel groupement êtes-vous ? » -- « Je suis prêtre catholique, c'est tout... Nous ne voulons aucune discussion (mettant la main sur le micro tendu). Nous n'avons aucune déclaration à faire, sinon la proclamation de notre foi... » En approchant du tunnel de sortie, nous chantons le « Christus vincit » et brandissons nos chapelets : aucun ne nous sera arraché. Protection de Notre-Dame. Le cœur serré, qu'éprouvions-nous tous alors ? Une seule expres­sion : nous avions senti l'enfer ! 126:207 Nous voici enfin dehors, mais les grilles extérieures sont fermées et il nous faut longer le Palais pour atteindre l'esplanade devant l'entrée principale. Nous apercevons alors un cordon de « casseurs » du parti, noués en chaîne au coude à coude : poings fermés gantés de cuir, ils : nous barrent le passage. Leurs mines et leurs intentions sont évidentes : ils cherchent l'affrontement. Mais des respon­sables du service d'ordre se précipitent en hurlant : « Ban­de de c... ! Vous ne voyez pas les journalistes et les photo­graphes ? Ils attendent que les choses se gâtent... Écrasez-vous et laissez-les passer ! » A regret, mais *disciplinés*, les bras noués se détachent et nous passons. Cette inter­vention est due aussi à l'un des nôtres, père de famille nombreuse, qui, reconnu par des militants cégétistes de son usine, a facilité notre passage en s'adressant à eux : « Nous ne cherchons aucun affrontement... » Il l'a payé le lendemain : les murs de l'usine partaient « R..., fasciste ! » Des militants nous suivent encore pendant quel­ques mètres essayant d' « accrocher le dialogue ». Peine perdue. Nous décidons de nous retrouver à la veillée de prière organisée par les deux chefs scouts. Nous y arrivons pour assister à la bénédiction du Saint-Sacrement et chanter le Salve Regina final : oui, nous revenions de l'enfer, et nous ne sommes prêts d'oublier ni nos craintes ni la grâce ac­tuelle parfaitement sensible qui nous a soutenus... Nos conclusions Nous les dédions, amicalement, à tous ceux qui ont eu peur de se joindre à nous, ou à tous ceux qui nous ont dé­conseillé toute action, comme ridicule, inutile, pis encore, caution indirecte au camarade Marchais, voire provocation dangereuse ! Bien sûr, chers amis démobilisateurs, si nous avions été au Palais des Sports aussi nombreux à pro­clamer notre foi et à quitter les lieux, que nous étions nom­breux à prier à Fourvière, l'effet d'une telle action eût été, *sur les communistes,* beaucoup plus impressionnant... Mais nous n'avions pas les moyens d'organiser une telle manifes­tation... sans vous ! Alors, nous avons osé braver le ridicule. Il faut savoir que le résultat a été au-delà de nos espoirs. 127:207 Inespérés d'abord, furent les propos de Marchais à notre endroit, le lendemain, dans l'interview de la Télévision. Il parla de nous plusieurs minutes : nous étions des chré­tiens « intolérants », donc intolérables, ceux avec lesquels demain il n'y aura pas de compromis. Dont acte : c'est très exactement ce que nous pensons, et c'est pour cela que nous avons voulu crier, *en acte,* à nos frères endormis, anesthésiés ou déjà complices : Chrétiens, ne « marchez » pas ! Il y a incompatibilité absolue entre notre foi et le communisme intrinsèquement pervers... Presse, radios, télévisions ont donné à notre action une publicité beaucoup plus importante que n'en attendait notre petit nombre. Même les commentaires ironiques ou méprisants sur cette « poignée d'intégristes » faisaient écho à notre action. Notre but était atteint : que ne passât pas inaperçue de l'opinion publique, la réaction consciente de quelques catholiques en ce jour historique du coup d'envoi de l'opération main tendue. La veille, nous avions eu connaissance de la déclaration du Président Ford, s'in­quiétant de voir les catholiques français tomber dans ce piège grossier, et nous savions que la télévision américaine serait présente. Faut-il dénombrer les coups de téléphone enthousiastes reçus le lendemain et les jours suivants... parfois des per­sonnes mêmes qui avaient été réticentes. Nous espérons avoir ainsi contribué à réveiller d'autres énergies, dont nous attendons qu'elles se joignent à nous à l'occasion : la « Coordination lyonnaise des chrétiens en action » ne cher­chera à annexer personne... Nous avons eu, le lendemain aussi, des preuves de la portée de notre action. Un jeune de nos amis se trouvait tout proche de la table de presse. Il a pu nous confirmer que notre Credo avait été parfaitement entendu, nos bande­roles très lisibles, et rapporter, en anecdote, la réaction spontanée d'un journaliste de T.C. : « Eh bien, m.... alors ! Ils sont gonflés : je ne sais pas si nous aurions eu le courage d'en faire autant ! » Plus élevée fut la réaction d'un autre jeune de nos amis qui, volontairement observateur de notre action du haut des gradins du Palais des Sports, nous téléphona le lende­main, bouleversé : « Oui, vous aviez raison... la grâce de Dieu peut tout... J'ai évoqué, en vous voyant, les chrétiens aux bêtes ! » 128:207 Significative aussi la réaction d'une religieuse, ancienne Supérieure générale de sa Congrégation, qui nous téléphona son accord enthousiaste et sa douleur indignée de savoir que Mgr Ancel, présent aux premiers rangs des « officiels », n'était pas sorti avec nous et exposait, de surcroît, l'un de ses livres à la vente de l'entrée ! Que pouvons-nous ajouter ? *Cette action devait être me­née :* elle le fut, non par nos seules forces, mais avec la grâce de Dieu. Puissions-nous nous souvenir et illustrer par notre vie la sagesse politique de sainte Jeanne d'Arc proclamant : « Les hommes d'armes batailleront, mais c'est Dieu qui donnera la victoire ! » Veillons et prions, pour les combats futurs où nous aurons à défendre nos enfants, nos âmes et notre foi. Avec Marie, Mère de Dieu et de l'Église. « Saint Michel Archange, défendez-nous dans le com­bat... » 129:207 ## TEXTE ### Apprendre à voir par Jean Giono Paru cette année, un recueil de chroniques que Giono avait publiées en 1962 et 1963 dans divers quotidiens régionaux. Le livre s'intitule *Les terrasses de l'île d'Elbe,* aux Éditions Galli­mard. En voici un chapitre. (Reproduction in­terdite.) Dans ce texte où tout est dit avec bonheur, deux membres de phrase font exception, -- et c'est la même exception. Vers le début : « l'âme vaut ce que valent les sens qui l'organisent ». A la fin : « ce sont les sens qui rendent heureux ». Non, c'est l'inverse. Nous le savons au moins depuis Platon : ce ne sont pas les sens qui perçoivent, mais l'âme par les sens ; et donc, dans cette mesure, les sens valent ce que vaut l'âme qui les organise. Avec cette rectification qui va de soi, nous pouvons entendre l' « apprendre à voir » de Giono. ([^9]) ON APPREND très soigneusement à compter, et plus soigneusement encore (et dans un sens général) à calculer. Mais personne n'apprend à voir (ou à entendre). Si quelqu'un ne sait pas comp­ter juste, on lui prédit mille morts (qui ne tardent pas à l'accaparer). Mais s'il ne voit pas juste (ou n'entend pas juste) on ne lui prédit rien, alors que des malheurs bien plus grands sont immédiatement son lot. Et no­tamment l'ennui, et sûrement ce qu'on peut appeler de son vrai nom, et qui court les rues : l'imbécillité. 130:207 L'imbécillité, nous dit Littré, est une faiblesse d'es­prit et de corps, une incapacité. C'est bien ce que je veux dire. On peut compter, même calculer juste, et être un imbécile, si en même temps on ne sait voir et entendre juste ; une âme incapable perd sa valeur ; l'âme vaut ce que valent les sens qui l'organisent. On fait ces réflexions en parcourant la France en proie aux bâtisseurs modernes. Il n'y a plus une ville ni un village, ni un hameau d'intact ; parfois même la pleine campagne... Ce sont les horreurs de la paix. De la paix et des mauvaises lois qui supposent du bon goût et de la belle âme aux élus du suffrage universel. Maires et conseils municipaux sont maîtres chez eux ; on en voit les résultats. Il faut dire aussi qu'il est presque dans tous les cas question d'argent, et moins d'argent qu'on économise que d'argent qu'on touche subrepticement. 131:207 Il y a plus. J'ai voulu connaître les origines de cet horrible. Disons tout de suite, par parenthèse, que je sais qu'il y a un problème démographique à résoudre, et qu'il faut loger les gens. Mais qu'on ne me dise pas que c'est le plus important ; le plus important est d'avoir sous nos yeux un monde dont l'aspect ne nous fasse pas vomir. On doit pouvoir construire de belles maisons. Les générations qui nous ont précédés l'ont fait ; sommes-nous donc si imbéciles, si incapables, que nous ne sachions plus le faire... Me voici donc devant une petite ville du Centre-Ouest que je ne nommerai pas -- son architecture est organisée autour de la rigidité protestante -- et dont on voit la beauté disparaître sous des emplâtres. J'ai essayé d'aller au fond des choses. Ce petit bourg s'est trouvé pris, comme tout le monde, par les augmenta­tions de population de la paix ; au surplus, une indus­trie, déplacée de Paris, est venue se fixer dans les environs (il s'agit de quelque chose de puant et qui pollue l'atmosphère, et qui a été accueilli avec des délires de joie par la population tout entière, com­merçante, et même des professions libérales. Vous pensez ! Il s'agissait probablement de cent cinquante à deux cents ouvriers qui allaient manger, boire, aller au cinéma, avoir la migraine, etc. Quel Pérou !). Le maire de cette localité est un imbécile décrit plus haut. Il sait compter juste, il ne sait pas voir (ni en­tendre d'ailleurs). Est venu dans les parages, flairant le vent, un jeune architecte, fraîchement sorti des écoles, soigneusement nanti de projets passe-partout, et riche d'ambition forcenée. Faire fortune, il avait là le pain et le couteau. L'entente entre le maire et l'ar­chitecte fut vite faite. On se mit à bâtir autour du petit bijou du XVII^e^ siècle tous les projets passe-partout. On ne se soucia ni des vents, ni des pluies, ni des gels, ni des chaleurs torrides de l'été. On employa les ma­tériaux que ces sortes d'entreprises emploient à Nancy, à Roubaix, à Brest, à Briançon, et en emploieraient à Chandernagor si elles avaient à le faire, car ce sont des matériaux « de budget ». 132:207 On ne leur demande pas d'être ceux qu'il faut pour construire une maison, mais d'être tarifés en barèmes au mètre cube pour pouvoir cons­truire très vite avec eux des « budgets ». Une fois notre maire et notre architecte d'accord sur les « budgets », qui se mettra en travers ? Le conseil municipal ? Il ne sait généralement que dire amen ; l'ingénieur du génie rural ? comme son nom l'indique, c'est un génie rural ; le préfet ? il n'en a pas le droit ni l'envie, et souvent on n'a pas eu le temps de lui apprendre à voir à lui non plus. A partir de ce moment-là, on fait n'importe quoi. Il ne s'agit pas de faire du raisonnable, il s'agit de faire ce qu'il faut pour que l'architecte s'enrichisse en essayant de laisser un vague raisonnable autour de cet objet principal. L'architecte a introduit dans le circuit des entrepreneurs qui introduisent des fournisseurs, des sociétés anonymes ne tardent pas à apparaître, et voilà constituée une de ces « Grandes Compagnies », une de ces invasions de barbares venus de l'intérieur, sous les pas desquelles l'herbe ne pousse plus. Tout est détruit, rasé, raclé ; quelqu'un s'insurge, défend un bel hôtel, un assemblage de pierres admirable, une porte monu­mentale, on l'abat sous les sarcasmes avec l'arme totale, l'imparable, celle à laquelle le primaire ne résiste pas : la nécessité de marcher avec son temps, et, s'il insiste, avec le mot « progrès » qui est la bombe atomique des raisonnements imbéciles. 133:207 Il y avait d'ailleurs pensé, au « progrès », l'archi­tecte, il avait prévu la « nécessité de marcher avec son temps » : il en avait mis partout. Toutes les pauvretés qui traînent dans une cervelle un peu sale y avaient été employées : le toit à l'envers du Palais de la Défense, les murs de guingois (ce que le primaire ap­pelle folklore), les décrochements pour les décroche­ments (que les Bovary appellent romantiques), les grands blocs, les grands ensembles (qui font Métro­polis et versent de l'an 2000 au cœur des citoyens) ; si bien qu'il y avait par exemple des casernes de six étages sans ascenseurs dans un pays où le terrain se vend 0,50 ancien franc le mètre carré, et qu'on voyait trois cents appartements agglomérés en un seul bloc dans un no man's land d'un kilomètre carré, tout seul, dressant son absurdité face au ciel. Je dois ajouter que tout ça : toits à l'envers, murs de guingois, décroche­ments romantiques, grands ensembles étaient peints en « couleurs fonctionnelles ». Je n'ai jamais su comment fonctionnait une couleur fonctionnelle, grâce à Dieu : et je crois que l'architecte non plus, du moins je l'es­père, ou alors il est encore plus dangereux que ce que je croyais. Bien entendu, autour de la petite bourgade, le pay­sage est admirable : ce sont des bois de chênes couleur de bronze, et comme la nature ne fait jamais de faute de goût, ces forêts sont ancrées dans une terre violette qui recouvre des rochers de pierres brunes. C'est avec ces pierres brunes que les vieilles maisons de la ville sont bâtis, ce qui donne une harmonie très aristocra­tique. Il faudrait des milliards, cent mille artistes, et des tonnes de génie pour créer de toutes pièces une semblable harmonie. Elle était, jusqu'à ces derniers temps, le décor gratuit dans lequel vivaient des gens de condition très modeste. Peut-être ne la voyaient-ils pas, car eux non plus ne savent pas voir, et c'est bien dommage, mais certaines personnes étrangères au pays la voyaient, et pour mieux la goûter arrêtaient leurs automobiles. 134:207 Dès qu'une automobile est arrêtée, elle se met à répandre des sous. On achetait un pâté de grives à la boucherie, un massepain à l'amande à la pâtisse­rie, on buvait un coup au café, quelquefois on dînait à l'auberge, certains y couchaient. Tout ça à cause d'une harmonie, d'une beauté qu'on n'avait même pas besoin d'entretenir, qu'il suffisait de respecter. L'architecte s'en est mêlé. Les beaux quartiers cou­leur de pain brûlé construits au XVII^e^ siècle ont été déclarés « quartiers insalubres ». J'ai eu la curiosité de demander l'âge des gens qui ont été expulsés de ces quartiers insalubres. La moyenne était autour de quatre-vingts ans ; on se demande ce qu'elle aurait été si les quartiers avaient été salubres. Non, mais on a décidé que le mur de béton de dix centimètres d'épais­seur était salubre, et que le mur de pierre de un mètre d'épaisseur était insalubre ; on a décidé que la petite fenêtre était insalubre, que la grande baie (comme ils disent) apportait lumière et santé. Or, le vent de la lande, qui est malin, et qui se fout de l'architecte comme de sa première chemise, traverse les dix centi­mètres de béton et fait les quatre cents coups dans la grande baie ; derrière le béton éclairé par la baie, on crève comme des mouches ; quand on n'y crève pas, on y vit mal : on y a froid l'hiver, chaud l'été, et en toute saison on y est mal à l'aise. Mais on a démoli les « îlots insalubres » et on les a remplacés par « du moderne » ; l'architecte a mis l'argent dans sa poche et le maire qui, bien entendu, n'a jamais touché la moindre commission, a placé sous les yeux de ses électeurs des « monuments électoraux ». Il dira (car il ne sait pas voir) « voilà mon œuvre ». S'il savait voir, il aurait honte, et l'électeur, qui ne sait pas voir, votera encore pour lui (s'il savait voir, il le renverrait à ses chères études). 135:207 Je gémissais en songeant que le pays va perdre en­tièrement son visage, car l'aventure se répète partout (il ne faut que deux crétins aimant l'argent, et Dieu sait...) quand un contremaître, qui n'était pas bête et qui savait voir, mais n'était que contremaître, m'adressa la parole. « Rassurez-vous, me dit-il, nous ne construisons pas des maisons : nous construisons des ruines. Tout ce que vous voyez là va fondre en dix ans sous la pluie comme du sucre dans du café. » Nous n'employons le ciment qu'à doses homéopa­thiques, tout ce qui est cher se pèse à la balance de pharmacie ; ces murailles sont faites de 98 % de sable et d'eau. En pratique, ces constructions pourraient rester un certain temps debout si on ne les habitait pas ; dès qu'on les habite, des pans d'escaliers tombent, des cloisons s'effondrent, des paliers s'affaissent, des balcons se détachent, et surtout les murs maîtres se fendent comme du bois sec. Dans vingt ans, de Paris à Nice et de Nancy à Brest on se promènera dans les « ruines de Rome ». Ce discours ne m'a pas rassuré. Je préférais l'ancien aspect du monde. Les problèmes démographiques que nous avons à résoudre ne sont pas plus compliqués que ceux du même ordre résolus par les siècles qui nous ont précédés. De tout temps on a eu besoin de cons­truire des maisons et de tout temps on l'a fait. Mais le but qu'on se fixait était la maison, et le but qu'on se fixe maintenant est la rentabilité. Ajoutons qu'en deçà du calcul différentiel, en tant qu'elle n'est pas considérée par celui qui l'emploie comme un essai d'analyse des jeux du hasard, la mathématique est génératrice d'orgueil. 136:207 Les maisons d'aujourd'hui sont construites par des orgueilleux, et les pires de tous : les orgueilleux médiocres. Où le brave génie des XVII^e^, XVIII^e^ et même XIX^e^ siècles prenait appui sur le bon sens et consentait à suivre des règles d'or, le médiocre d'aujourd'hui se veut libre de toute contrainte et ne demande qu'à inventer. On voudrait bien qu'il invente ; on n'est pas contre l'invention, on serait plutôt pour, si précisément elle n'était pas médiocre. Revenons à notre propos du début. Ce sont les sens qui rendent heureux, et non l'esprit spéculatif. Voilà les fondements de la culture. Il est nécessaire d'avoir un toit sur la tête, mais pas n'importe quel toit. Ou alors, qu'on ne nous parle plus de bonheur : qu'on compren­ne une fois pour toutes que nos temps ont des fins inhu­maines ; que nous avons lâché la proie pour l'ombre. Les grottes de Lascaux n'étaient pas n'importe quelles grottes. Jean Giono. © Copyright Éditions Gallimard. 137:207 ## NOTES CRITIQUES #### BARRUEL vieil historien de l'actualité *Lors de la réédition des* «* Mémoires *» *de Barruel par la Diffusion de la Pensée française, Henri Charlier avait expli­qué l'importance et l'excellence de cet ouvrage dans ITINÉRAIRES, numéro 193 de mai 1973, pages 118 et suivantes. Je demandais en outre à un historien, André Guès, de nous en parler en historien. Voici son étude.* J. M. En matière de fausses barbes et manteaux couleur de muraille, je suis friand des récits d'espionnage autant que méfiant en histoire à l'endroit des découvreurs de complots. Le propre des complots est le secret : un historien peu consciencieux a tôt fait de remplir les vides de sa documentation par les produits de son esprit partisan ou de son imagination journalistique. Journalistique, dis-je : tel récit d'un complot contre Hitler a été fabriqué sur la table d'un bistrot parisien. Aussi n'ai-je abordé qu'avec la plus grande méfiance les *Mémoi­res pour servir à l'histoire du Jacobinisme* de l'abbé Barruel (réédition en 2 volumes de 529 et 574 pages, Diffusion de la Pensée française, Chiré-en-Montreuil, 86190 Vouillé). Jamais méfiance ne fut plus mal placée : quand Barruel n'a pas le texte de première main, la référence exacte ou la date précise, il le dit. Je connais des historiens, voire réputés, qui n'ont pas ce scrupule. Mais il est bien d'autres faits de Barruel qui me font conclure à la solidité de son œuvre. 138:207 C'est ainsi qu'il cite comme révolutionnaires actifs des per­sonnages alors inconnus ou peu connus dont l'histoire dira plus tard les exploits. Il nomme seulement Alexandre parmi les auteurs du 10 août. C'est effectivement sur sa réputation alors acquise au commandement du bataillon du faubourg Saint-Marceau qu'en juin 93 la Convention élira l'agent de change Alexandre ministre de la Guerre en remplacement de l'incapable Bouchotte. Puis elle se déjugera aussitôt et Alexandre sera dédommagé de sa déconvenue par l'emploi de commissaire des guerres où il friponnera comme pas un. De même Barruel ne fait que citer Gorani parmi les révolution­naires étrangers : cet aventurier italien, d'abord employé par Mirabeau à des missions secrètes, l'est ensuite par les Comités de la Législative, est naturalisé par elle sur proposition de Brissot qui l'utilise comme diplomate à Londres d'où il ren­seigne le roi de Prusse. Revenu à Paris sous la Convention, il flaire le danger où le met sa qualité de « brissotin », se fait confier une mission diplomatique en Suisse et disparaît. Barruel montre que Weishaupt, créateur de la secte des *Illuminés,* fait de la Révolution, pour laquelle il monte son complot, la traduction politique et sociale de l'Évangile trahi par l'Église, nous connaissons maintenant la chanson. Il cite l'abbé Fauchet comme son disciple : parbleu oui, et il s'est manifesté de la sorte sans perdre un instant, ce fut dans on panégyrique des morts du 14 juillet. C'était « *faire de Jésus-Christ le père des Jacobins *»*,* et de Weishaupt celui de tous les catholiques libéraux, démocrates, socialistes et marxistes qui ont depuis lors foisonné. Barruel cite aussi Bonneville comme disciple de Weishaupt, mais je ne vois pas qu'il ait mentionné son association avec Fauchet, ni que leur influence fut consi­dérable en 90-92. Les deux gaillards éditent un journal, la *Bouche de fer,* qui paraît trois fois par semaine sur 16 pages et ont rue du Théâtre-Français une imprimerie bien achalan­dée. Journal et imprimerie sont les supports de leur *Cercle social,* dont le programme est maçonnique. Les séances heb­domadaires de ce club font fureur, réunissant à la fin de 90 jusqu'à 10.000 assistants au Cirque national. Siéyès est mem­bre du comité directeur et on y voit Condorcet, qui collabore au journal, Barère, Desmoulins et l'anglo-américain Payne, un des maîtres à penser des Jacobins. C'est au *Cercle social* que Condorcet prononce le 9 juillet 91 le grand discours cou­vert d'applaudissements où il dévoile ce qu'il dit être depuis toujours : républicain. Barruel cite encore sans beaucoup insister le *statiste* belge Van der Noot, les jacobins mayençais Forster, Wedekind, Stamm et Boemer, celui-ci a été « secrétaire » de Custine, et le général américain Eustace, tous gens dont l'histoire dévoilera les grenouillages dans la Révolution. 139:207 Je tiens Barruel pour un observateur très fin qui a su voir les premiers rudiments, parfois fort minces, de tendances intellectuelles et plus particulièrement politiques, maintenant bien connues et dont nous sommes à même de mesurer les effets. Il signale la prétention aux explications « scientifiques » de la Bible, qui sera une de celles du modernisme. Il distin­gue une théologie nouvelle, naturaliste, qui aboutira au « pro­testantisme libéral » : celui-ci, né en Suisse sous le second Empire, présidera en France à la fondation de la troisième République et de l'instruction publique laïque, républicaine, gratuite et obligatoire. Il cite d'Alembert qui préconise, pour abattre la religion, le mariage des prêtres et l'abolition de la confession, ce sont choses quasiment faites. C'est à peine si les historiens spécialistes peuvent citer avant 1789 le nom de Hertzberg comme celui du premier pangermaniste connu, et combien timide. Barruel montre que les Illuminés des grades intermédiaires étaient instruits d'un programme portant sup­pression des États de l'Allemagne à réunir dans un seul corps de nation. Ce programme était aussi celui des Jacobins (cf. ITINÉRAIRES, juin 74) : on en sait le succès et combien il en a coûté à la France. Barruel prédit que, la Révolution écrasée, complots et conspirations reprendront de plus belle : c'est prévoir plus de la moitié de la Restauration où ce fut un grouillement d'entreprises secrètes imbriquées les unes dans les autres et éclatant à Paris, dans l'ouest, en Alsace ou en Provence ; c'est prévoir le complot permanent de la *Charbon­nerie* à qui la Maçonnerie officielle et officiellement loyaliste servira de paravent comme elle a servi à l'*Illuminisme ;* c'est prévoir les associations républicaines, insurrections à main armée et régicides de la Monarchie de Juillet. Le préfacier de Barruel souligne sa plus vaste et profonde prévision qui tient dans ces phrases : « *La Révolution fran­çaise n'est que l'avant-courriére d'une Révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière. *» *--* « *Bien loin de préparer dans le lointain un avenir heureux, la Révo­lution française n'est encore qu'un essai des forces de la secte ; ses conspirations s'étendent sur l'univers entier. Dût-il lui coûter partout les mêmes crimes, elle les commettra ; elle sera également féroce : il est dans ses projets de l'être partout où le progrès de ses erreurs lui promettra les mêmes succès. *» Pour ce qui est du bonheur promis, je renvoie le lecteur à ce que j'ai écrit de l'*humanitarisme sanglant* (ITINÉRAIRES décem­bre 74), où je suis tombé dans le travers que je reprocherai plus bas à Barruel : de n'y être pas allé assez fort. C'est *san­guinaire* qu'il faut dire, d'une cruauté active qu'explique la nature de l'entreprise, humanitaire qui est non pas de légiférer pour les hommes tels qu'ils sont, mais de transformer l'homme mal fichu que Dieu a fait pour l'adapter à un système abstrait, comme d'un vivant poussé dans une armure plus étroite. 140:207 Coïncidence, alors que je lisais Barruel la plume à la main pendant un séjour en Périgord, j'ai rencontré une prétentieuse bécasse que la formule : « *Demandez l'impossible *»*,* lue sur un mur en mai 68, avait terrassée d'admiration et qui allait tourner le film qu'elle en tirait, pendant huit ans médité. La formule est révolutionnaire. Le révolutionnaire n'est pas com­me le bon chrétien qui doit, en se perfectionnant, tendre à un impossible qu'il n'atteindra que dans son éternité. Seul à être pur, innocent et vertueux, le révolutionnaire attend des autres l'impossible, et comme ils ne le lui fournissent pas, il les tue : ils sont coupables d'être un obstacle au bonheur de l'humanité. Par ces motifs, l'humanitarisme ajoute à la férocité naturelle de l'homme. Les mêmes haines seront l'immanquable produit des recherches, philosophie, politique, dialectique et autres sornettes de l'Utopie sécrétées depuis quelques années, voire par des gens qui se disent catholiques. Il fut un temps où le catéchisme suffisait à protéger le plus sot de semblables sottises. Pour ce qui est de l'état actuel de l'entreprise révolution­naire, il faut citer la fin de la préface de M. Lagrave sur « *les plus cyniques consignes des Illuminés, celles qui veulent cor­rompre l'âme humaine en pervertissant les mœurs, aujourd'hui impudemment appliquées et imposées de force par les gouver­nements qui règnent sur nos vieux pays chrétiens *» et les « *colloques discrets *» où « *les adversaires apparents qui con­trôlent la vie politique du monde se retrouvent fraternellement mêlés sous le signe de la démocratie universelle pour préparer l'avènement du gouvernement mondial *». Colloques pas seule­ment discrets et pas seulement politiques : on pense à l'œcu­ménisme, au MASDU, à l'ONU, à l'impérialisme marxiste avec qui l'occident collabore, à la farce d'Helsinki, à la synarchie, aux gouvernements bourgeois finançant l'*Humanité* et les syn­dicats marxistes, à Kissinger, à la Religion de l'homme, -- serpent qui se mord la queue, symbole du cercle vicieux, à la société libérale avancée comme on le dit du poisson, aussi bien qu'aux silences de nos évêques sur la pilule et l'avorte­ment, à leurs entortillements autour d'*Humanae vitae*. Ainsi Barruel fut un prophète de génie, autrement doué que ces évêques qui, en toute humilité, parlent de leur propre « *pro­phétisme *» pour faire désarmer la France, seule, ce qui inau­gurera immanquablement le désarmement général, sans savoir, ignorants qu'ils sont de l'histoire, que l'expérience a déjà été faite à la fin du second Empire et que son résultat s'appelle Sedan. Barruel est un excellent psychologue. Weishaupt s'en prend à « *l'amour national *», qu'il appelle déjà nationalisme, à rem­placer par « *l'amour général *» : que l'on parvienne à ôter du cœur humain l'amour de la patrie, qui implique celui des compatriotes -- les *prochains* --, et les hommes du monde entier s'aimeront tous les uns les autres. 141:207 Voilà une idée qui n'a plus cessé d'être d'actualité, et l'une de ses dernières expressions, bien frappée, est du R.P. Chenu, qui fut expert au Concile : « *La masse est mon prochain *», embrassement trop vaste pour engager à rien envers le vrai prochain, sauf à la plus furieuse détestation s'il n'est pas du même avis, c'est écrit dans le 5^e^ couplet de la *Marseillaise :* épargnez l'étranger ennemi, tuez le souverain légitime et ses fidèles, qui sont des compatriotes. C'est ce qu'ont constaté Renard, Mauriac, Thi­bon et Maurras. Renard : « *Bienveillant pour l'humanité en général et terrible pour chaque individu. *» Mauriac : « *Le mépris de l'individu va de pair, chez la plupart des révolu­tionnaires, avec le culte de l'homme en général. *» Thibon : « *Sois mon frère, mais de loin. *» Et, comme d'habitude, Maur­ras décortique parfaitement la question dans un paragraphe trop long à citer qu'on trouvera dans *Romantisme et Révolu­tion*, repris dans les *Œuvres capitales.* *Textes politiques.* La fraternité universelle est une hypocrisie fieffée que Barruel a bien vue chez Weishaupt : il « *ne prétend aimer tous les hom­mes également que pour se dispenser d'en aimer un véritable­ment... Il étend le lien pour annuler sa force et son action. Il se dit citoyen de l'Univers pour cesser d'être citoyen dans sa patrie... Il nous dit d'aimer tout d'un pôle à l'autre pour n'ai­mer rien autour de lui. Voilà ce que c'est que nos cosmopoli­tes *». Péguy s'étonnait que la *Ligue des Droits de l'Homme* s'intéressât à tous les opprimés de l'univers, sauf aux Alsaciens et Lorrains sous la botte teutonne : c'étaient les prochains. \*\*\* Tout cela, qui n'est pas rien, est quasiment secondaire à côté du thème que Barruel développe avec unité tout au long des quatre parties de son ouvrage et qui est que la Révolution a été le résultat d'un complot, celui des Illuminés de Weishaupt. Non pas d'un complot visant à déclencher le jour J à l'heure H un mouvement insurrectionnel pour s'emparer du pouvoir, mais à préparer intellectuellement le plus grand nombre possible de gens en place par le moyen d'une société secrète. Gens en place signifie «* favoriser l'avancement *» des adeptes et à l'in­verse exclure les autres. Société secrète signifie à la fois, et sous protection du serment, activités ignorées des autorités non-initiées et buts de l'entreprise dévoilés à l'adepte au fur et à mesure qu'il s'élève dans la hiérarchie, le but final n'étant su que d'un très petit nombre. Pour l'initié primaire, vraiment peu initié, il ne s'agira que d'une entreprise fraternelle et vaguement humanitaire ; pour les hiérarques du sommet, de détruire la religion catholique, puis toutes les autres religions ; d'abattre les trônes, puis toutes les autorités sociales et politi­ques ; d'égaliser, les fortunes, puis de supprimer la propriété. 142:207 *In fine,* l'homme se retrouvera innocent et pur dans cet état de nature dont nul, fût-il le plus docte anthropologue, n'est capable de donner la moindre preuve qu'il a été, et pour cause : il y faut la Genèse. Pour y revenir, il ne faut qu'abolir le péché originel, et l'entreprise est malaisée. C'est probable­ment avec cette intention qu'on n'en parle plus dans l'Église. On attribue à l'autruche un comportement semblable. Je dis attribue, car il est avéré que l'autruche est moins *bête.* Plus un complot est nombreux, étendu et à vue lointaine, plus grand est le risque d'accidents qui le font connaître : fui­tes, correspondances interceptées ou mort accidentelle d'un porteur de documents, aveux d'adeptes repentants ou simple­ment d'un « traître ». Ces accidents, qui caractérisent un com­plot, n'ont pas précédé le soulèvement de la Vendée, et pour cause, mais se trouvent dans le complot de La Rouërie en Bre­tagne, dans ceux du sud-est de part et d'autre du Rhône en 1792, et dans celui qui dénonce Barruel, noué à partir de 1776 environ. Avec, pour cet historien, la circonstance favorisant son travail qu'il l'a publié en 1797. Alors les résultats du complot développés en France depuis le printemps de 89 avaient éclairé nombre d'adeptes sur sa nocivité et excité leur repen­tir : tout naturellement, ils s'en sont ouverts à l'historien de classe internationale dont les travaux étaient notoires en Euro­pe, et leurs aveux lui ont permis de le compléter pour une nouvelle édition. Je fais à Barruel la critique de n'y être pas allé assez fort. Et d'abord à clouer au pilori certains personnages. Il voit Voltaire bon Français encore en 1760 : c'est oublier ses vœux impies pour Frédéric dès le début de la guerre de sept ans (que dans mon étude sur Valmy parue en avril 76 on a trans­formée en guerre de cent ans). Il égratigne à peine Champion de Cicé. Passe pour l'attitude de celui-ci après son retour d'émigration, dont Barruel ne pouvait rien savoir ce qui me permettra de n'en rien dire, renvoyant le lecteur plus curieux à ce que j'en ai écrit dans la *Revue des deux mondes* (mai 72). Mais Barruel a négligé de souligner que Cicé a été rapporteur de la *Déclaration des Droits de l'Homme* dont Pie VI devait dire qu'elle est « *évidemment contraire à la religion *»*,* une évidence dont l'archevêque ne s'est pas aperçu, ce qui fait de lui un précurseur : le contraire de cette évidence est mainte­nant enseigné le plus officiellement du monde. S'il y a une cause de la Révolution qui a échappé aux sor­bonnards, c'est bien l'état intellectuel, moral et spirituel de l'Église en France, triple carence qui fait qu'elle ne s'est pas érigée en barrage. Si les effets ont des causes et si les mêmes causes produisent les mêmes effets, la perspective d'aujour­d'hui est autrement grave : en France, l'Église est passée au service même de la Révolution. A vue humaine donc, cette trahison de la Hiérarchie nous prépare quelque chose auprès de quoi la Révolution de 89 avec ses ruines, ses famines, ses massacres -- 600.000 morts en dix ans -- et ses 25 ans de guerre, n'aura été qu'une chaleur passagère d'énervement. Alors la Compagnie de Jésus a manqué au barrage. Or Barruel mini­mise l'influence fâcheuse de sa dissolution sur les événements, par cet argument qu'avec Jésuites ou sans Jésuites, l'enfer ne prévaudra pas. Hitler non plus n'a pas prévalu *in fine,* mais en attendant qu'il cesse de prévaloir il a fait quelques dégâts. L'erreur de Barruel est profonde à écrire que les lettres de cachet étaient un vice, « *le seul vice réel que l'on pût objecter au gouvernement français *». Encore qu'il le minimise en mon­trant que cette procédure jouait dans l'intérêt des familles, et non pas par caprice mais après enquête, il reste que Barruel a moins bien compris que les Girondins la nécessité des lettres de cachet qui vient de ce que la loi, si prolixe soit-elle, ne peut définir ni prévoir tous les cas. Isnard dit à la Législative le 31 octobre 91 à propos des massacres d'Avignon : « *La colè­re du peuple n'est souvent que le supplément terrible du silence des lois *». En face des carences de la loi, la raison du Prince entouré de ses conseils vaut mieux pour la justice que la colère de qui que ce soit, on sait, au moins depuis Barabbas, ce que vaut la justice populaire, et même, depuis Socrate, celle des assemblées. \*\*\* Il faudrait dire encore comment le complot dénoncé par Barruel se prouve par ses résultats acquis dès les débuts de la Révolution ; étudier si une surestimation de son extension en Belgique, déjà mesurée cependant au printemps de 92, ne fut pas un des motifs de l'inepte changement de front opéré par Dumouriez après Valmy (cf. ITINÉRAIRES avril 76) ; souligner les bons diagnostics de Barruel sur l'autoritarisme des libéraux, sur la *Théophilanthropie,* culte officiel de la République, et sur le loyalisme de la Maçonnerie anglaise ; noter ses vues exactes sur l'utilisation de l'*Illuminisme* par Joseph II, jacobin avant la lettre (cf. ITINÉRAIRES juin 74), et sur les pressions exercées par les tribunes de la Constituante remplies à cet effet (cf. ITINÉRAIRES février 73) ; montrer en Weishaupt un précur­seur de Marx ; analyser enfin tous les bons motifs qu'ont eus les historiens de tradition jacobine de décrier Barruel ou de l'ignorer : on n'en finirait pas de lui tresser une couronne civique ; il faut conclure. Mon lecteur le moins attentif gardera de sa lecture le sou­venir d'allusions continuelles aux événements contemporains. Car c'est un fait, en analysant Barruel on ne peut pas ne pas penser à notre temps, et l'on dirait que ce diable d'homme l'a prédit. 144:207 C'est peut-être facile et comme mécanique : historien, il n'a pas voulu écrire que l'entreprise révolutionnaire est celle du Cornu, mais cela se lit entre les lignes. Si l'on tient pour avéré que les méthodes dudit sont peu nombreuses, continuelles et décrites dans l'Évangile, l'historien qui les présente en n'importe quel siècle le fait aussi, *nolens volens,* pour tous les autres et le nôtre. La destruction des autorités naturelles et surnaturelles remplacées, au bénéfice du Malin, par Staline, les groupes de pression, le Nombre, l'Argent, les technocrates, les mass media, les enquêtes d'opinion ou les oligarques du Parti, est dans son programme. Notre époque voit même s'écrou­ler l'autorité de l'Église où l'on peut tout dire et tout faire, tout comploter de dire et de faire. Sauf la messe de saint Pie V. On jugerait que les arrière-neveux des comploteurs dénoncés par Barruel ont réussi après deux cents ans tout juste à mettre des gens en place au Vatican et dans les évêchés. André Guès. #### Roger GLACHANT Suffren (France-Empire) *Ceux qui ont lu* L'Histoire de l'Inde des Français *vont se jeter sur ce nouveau livre. Ils ne risquent pas d'être déçus. Et les autres, qu'ils se dépêchent de découvrir Glachant.* *C'est un historien, et non pas de ceux qui font des livres d'après d'autres livres. Avec lui, on boit les documents à la source. Mais il a aussi cette qualité très rare de redonner vie aux archives. Il y a là une sorte de magie. De la poussière des papiers, de leur odeur moisie, il fait surgir des êtres vivants, pleins de sang et de contradictions, et dont on peut faire le tour. On ne sait pas tout sur eux, mais sur nos contemporains non plus, n'est-ce pas ?* *Le bailli de Suffren est une figure grande et pittoresque qu'on a plaisir à approcher. Rond comme an tonneau, avec un tempérament de corsaire, capable de battre les Anglais avec des navires en tout point inférieurs et des officiers qui ne peu­vent pas souffrir leur chef* (*mais les marins l'aimaient*)*, Suffren finit couvert d'or et d'honneurs.* 145:207 *Mieux soutenu, il pouvait nous garder l'Inde. C'est ce qu'on appelle un bon sujet. Roger Glachant en tire bon parti et nous donne un portrait éclaboussant de talent et de force* (*sans cacher d'ailleurs les défauts et débor­dements du grand homme*)*. Mais son livre est bien autre chose qu'une biographie épique.* *Le titre complet est d'ailleurs* « *Suffren et le temps de Vergennes *»*. Comment évoquer un homme sans évoquer son temps Pour lui redonner son épaisseur il faut traiter* (*savamment*) *des guerres et de la diplomatie, de l'état de la marine, des que­relles et susceptibilités entre les diverses noblesses. Suffren est d'une extraction assez mince : famille récente. Le cas est fré­quent, mais dans la deuxième moitié du XVIII^e^ siècle, il y a une réaction nobiliaire, qui joue un rôle dans cette histoire. Provençal, le héros est aussi dans une certaine opposition avec les Bretons et Normands de la Royale. Il a fait partie de l'ordre de Malte, qui l'a formé. Il n'est pas inutile d'aller voir ce qu'est l'Ordre, et de parler des Barbaresques.* *C'est tout cela, et bien d'autres choses encore, qui compose une vie, et le portrait doit superposer des fragments, des états, fort différents, qui supposent chez le peintre des connaissances extrêmement variées, la capacité de se placer sous toutes sortes d'angles. Mais à la fin, miracle, tout est en place, tout respire. La ressemblance est là.* *Entre temps, on aura beaucoup appris sur toutes sortes de sujets, on aura eu l'impression de s'éloigner du modèle. Pas du tout, on ne cessait de s'en approcher. Et toutes ces pages sont écrites dans un français clair, naturel, jamais pédant, jamais emprunté* (*Glachant doit être incapable de jargonner, ce qui suppose aujourd'hui une grâce particulière*)*. Il y a ici de la familiarité, de la poésie aussi, quelquefois, et toujours un écri­vain franc.* *Pour donner un aperçu de cet art, je citerai ceci, à propos des pourparlers secrets entre Anglais et* « *colons *» *américains, qui à la fin de leur guerre d'Indépendance, nous laissent tomber.* « *Les Américains étaient, à cette époque, intégralement du même sang que les Anglais et de la même formation antipapiste. Avec ou sans Philosophie, la France restait pour eux la nation immorale et latine, amie des Indiens et qui pendant quelque deux cents ans avait contrecarré les sérieux colons issus de la verte Angleterre. Franklin s'était formé sur les bords de la Tamise, Jefferson n'était autre qu'un parfait gentleman, quoique à idées. Quant à Washington, il avait dans son bagage une vieille affaire de meurtre d'officiers français trahissant en tout cas à notre égard un genre de réflexes qui pouvait bien cons­tituer un élément d'appréciation politique. *» 146:207 *En cette année, du bicentenaire des États-Unis, après tant de discours sucrés, voilà un ton qui rafraîchit. C'est qu'on a là le contraire du langage officiel, un langage sans apprêt, sans préjugé, d'homme qui veut seulement voir ce qui est, et le dire* (*avec une grande sympathie pour les êtres les plus divers, et une solide répugnance pour la bassesse*)*. Parlant au passage d'un historien peu connu, Barbé, notre auteur écrit :* « *le livre de Barbé est excité et excitant, comme peut l'être l'entretien d'un homme qui a bien promené une curiosité non blasée *». *Il mérite tout à fait qu'on lui retourne le compliment.* Georges Laffly. #### Hugues KÉRALY Lettre ouverte au ministre de l'Éducation nationale (Nouvelles Éditions Latines) Les lecteurs d'ITINÉRAIRES connaissent une bonne part de cette lettre : elle fut publiée dans le numéro de juillet-août 1975. Kéraly y rapportait son expérience de professeur de philoso­phie dans un établissement parisien. Sa description, le simple énoncé des faits, de la vie d'une classe, était *effrayante.* Il faut lire et méditer le texte complet qu'il nous donne aujourd'hui. C'est un document nécessaire pour savoir *l'heure qu'il est,* ce qu'est le monde qui se défait autour de nous. Sans doute, tous les parents qui ont des enfants adolescents savent plus ou moins la décadence de l'enseignement. Ils en verront ici le tableau complet, avec ses causes. Ils pourront rêver à ce que représente l'arrivée à l'âge adulte de générations à qui rien n'a été transmis (que le brouhaha, orienté des radios et des télés). De jeunes hommes sans maturité intellectuelle, inca­pables de mémoire et d'attention, prodigieusement vains en même temps, car ignorant tout, ils croient tout savoir et refu­sent d'apprendre. C'est le résultat d'une école « statutairement isolée des réalités économiques et sociales de la nation, anar­chiste, nihilisante et révolutionnée à cœur par des idéologies étrangères ». 147:207 Chaque année, nous fabriquons ainsi un contingent de « bons sauvages », complètement coupés de toute civilisation et qui se croient, par droit de naissance, porteurs de l'harmonie et de la liberté de la cité radieuse de demain. L'enseignement, à force d'expériences et de terrorisme politique, est en miettes, et le reste de la société incapable de suppléer à sa défaillance, étant lui-même fort atteint. Kéraly décrit ces maux avec rigueur et précision. Ajoutons aussi que, si triste que soit le sujet, le spectacle de l'incohé­rence, de la sottise et de la prétention donne aussi une force comique irrésistible à certaines pages. On tremble d'inquiétude, en considérant l'ensemble, mais on éclate de rire souvent, pour­quoi ne pas le dire ? G. L. ### Bibliographie #### I. -- Bertrand de Jouvenel : La civilisation de puissance (Fayard) II. -- Alfred Sauvy : L'économie du diable (Calmann-Lévy) Je rapproche les deux livres de Bertrand de Jouvenel et d'Alfred Sauvy, malgré tout ce qui les différencie, parce qu'ils ont en commun non seulement de traiter de ques­tions économiques mais d'en traiter d'une manière malheu­reusement assez inhabituelle -- en donnant priorité aux réalités physiques, biologi­ques, voire spirituelles sur les réalités financières et moné­taires. Disons qu'ils examinent les problèmes en profondeur, plus sensibles aux causes loin­taines et aux effets lointains qu'aux causes immédiates et aux effets immédiats. Les réflexions de Bertrand de Jouvenel sont si variées qu'on ne peut guère les résu­mer. Au moins peut-on les centrer autour du thème qu'il développe en son chapitre si­xième : « De l'Économie poli­tique à l'Écologie politique ». Ce chapitre est la réédition d'une conférence qu'il pro­nonça à Tokyo en 1957. A l'époque -- moins de vingt ans passés ! -- il « surprit et choqua ». 148:207 Aujourd'hui, la préoccupation écologique est devenue générale. Peu à peu on se rend compte que l'éco­nomie de croissance qui est la racine de la civilisation de puissance ne peut être conçue que dans une référence aux lois les plus générales de la nature et aux finalités de l'homme. Point d'économie sans philosophie. L'intérêt de l'ouvrage de Jouvenel, c'est d'illustrer cette vérité d'appa­rence banale par une foule d'analyses historiques origina­les qui projettent une lumière nouvelle sur le développement économique. Avec Alfred Sauvy, c'est le redoutable problème du chô­mage et de l'inflation qui est abordé. Résumons sa thèse : on fait exactement le contrai­re de ce qu'il faudrait faire. D'un autre, cette affirmation pourrait paraître vanterie ou provocation. Venant d'un hom­me dont les conseils, suivis par Paul Reynaud, ont rétabli en quelques mois, en 1938, une situation catastrophique, on doit prêter l'oreille. Aussi bien, ses démonstrations sont lumineuses. A l'instar du vieux Bastiat, il oppose constam­ment ce qu'on ne voit pas à ce qu'on voit et, à des détails près, emporte la conviction. Mais, de même que le souci premier de Jouvenel est éco­logique, celui de Sauvy est dé­mographique. Ce n'est pas le nombre qui l'obsède, c'est le vieillissement. Le refus de l'en­fant, de la jeunesse, de la vie mène la France, et l'Europe, à la mort. Écrit dans une sé­rénité, scientifique, le livre rend un son désespéré. Pour­rait-on en sortir ? Certaine­ment, et Sauvy indique les re­mèdes à la maladie qui nous ronge. Connaissons-les du moins. Peut-être un jour les hommes courageux se résou­dront-ils à les appliquer. Ils auraient tout le pays avec eux. Louis Salleron. #### Mircea Eliade Histoire des croyances et des idées religieuses Tome I : De l'âge de la pierre aux mystères d'Éleusis (Payot) Au soir d'une vie tout en­tière consacrée à l'étude des faits religieux, Mircea Eliade présente la synthèse de ses immenses connaissances et de ses réflexions dans une monu­mentale « Histoire des croyan­ces et des idées religieuses » qui comportera trois volumes. Le premier, qui vient de pa­raître, va «* De l'âge de la pierre aux mystères d'Éleusis *» (492 pages). 149:207 Le second, sous presse, ira « De Gantama-Bouddha au triomphe du chris­tianisme » et le troisième, en préparation, « De Mohammed aux théologies athéistes con­temporaines ». Le plan est chronologique. Pour une « Histoire » il en serait difficilement autrement. Doit-on y voir, dans l'esprit de l'auteur, l'histoire d'un pro­grès linéaire des croyances et des idées religieuses ? Nous ne le saurons qu'après lecture des trois volumes. Mais ce n'est pas l'impression qu'on retire de la lecture du premier. Le XIX^e^ siècle, évolutionniste et historiciste, nous a tellement imprégnés de l'idée de Pro­grès que nous avons de la pei­ne à dissocier le progrès spi­rituel du progrès technique. Mais le progrès spirituel n'est pas plus inconcevable pour les collectivités que pour les indi­vidus, pour les religions que pour les civilisations, encore doit-il être défini, et nul ne peut a priori le dire linéaire. Bref, avec tout ce que com­portent de relatif les idées de « fait » et « d'objectivité », une histoire des croyances et des idées religieuses peut être objective. Celle-ci l'est. Pour un catholique, la période con­sidérée dans le premier volu­me ne met d'ailleurs pas en cause l'objet propre de sa foi. Certes elle englobe la plus grande partie de l'histoire d'Israël, mais il ne s'agit là tout de même que de l'ancien Testament. Si le christianisme y est, naturellement, intéres­sé, la manière dont en traite Mircea Eliade montre que l'objectivité, telle qu'il la conçoit, n'a pas de quoi cho­quer un croyant, même si son interprétation peut être différente. Est-il possible, cependant, de parler, même en histo­rien, de croyances et d'idées religieuses sans avoir une cer­taine conception de la reli­gion, au sens le plus large du mot ? Nous ne le pensons pas. L'histoire la plus objective, la plus réaliste, la plus attachée aux faits demeure, pour une part, subjective en ce sens qu'elle est la projection d'une intelligence et d'un tempéra­ment. A cet égard, Mircea Elia­de nous donne l'essentiel de sa « philosophie » de l'histoi­re religieuse dans les quatre pages de son Avant-propos. Le premier paragraphe en dit l'essentiel : « Pour l'historien des reli­gions, toute manifestation du sacré est de conséquence ; tout rite, tout mythe, toute croyance ou figure divine re­flète l'expérience du sacré et par conséquent implique les notions d'être, de signification et de vérité. Comme je le re­marquais à une autre occa­sion, « il est difficile d'imagi­ner comment l'esprit humain pourrait fonctionner sans la conviction qu'il y a quelque chose d'irréductiblement réel dans le monde ; et il est im­possible d'imaginer comment la conscience pourrait appa­raître sans conférer une signi­fication aux impulsions et aux expériences de l'homme. La conscience d'un monde réel et significatif est intimement liée à la découverte du sacré. Par l'expérience du sacré, l'esprit humain a saisi la différence entre ce qui se révèle comme étant réel, puissant, riche et significatif, et ce qui est dé­pourvu de ces qualités, c'est-à-dire le flux chaotique et dan­gereux des choses, leurs appa­ritions et disparitions fortui­tes et vides de sens » (*La Nos­talgie des Origines,* 1969, pp. 7 sq.). 150:207 En somme, le « sacré » est un élément dans la struc­ture de la conscience, et non un stade dans l'histoire de cette conscience. Aux niveaux les plus archaïques de cultu­re, *vivre en tant qu'être hu­main* est en soi un *acte reli­gieux,* car l'alimentation, la vie sexuelle et le travail ont une valeur sacramentale. Au­trement dit, être -- ou plutôt devenir -- *un homme* signifie être « religieux » (*ibid.* p. 9). » Voilà qui est fort bien dit, fort bien pensé et, selon nous, fondamentalement vrai. Chez Mircea Eliade, il ne s'agit pas d'une intuition mais de l'abou­tissement d'une longue étude, autrement dit d'une constata­tion, elle-même objective. On comprend ainsi le titre du troisième volume en prépara­tion. L'auteur s'en explique d'ailleurs dans son avant-pro­pos : « La *conscience* de cette unité de l'histoire spirituelle de l'humanité est une décou­verte récente, encore insuffi­samment assimilée. On appréciera son importance pour l'avenir de notre discipline dans le dernier chapitre du troisième tome. C'est toujours dans ce chapitre final, en dis­cutant les crises provoquées par les maîtres du réduction­nisme -- depuis Marx et Nietz­che jusqu'à Freud --, et les contributions apportées par l'anthropologie et la nouvelle herméneutique, qu'on sera à même de juger la seule, mais importante, création religieuse du monde occidental moderne. Il s'agit de l'étape ultime de la désacralisation. Le processus présente un intérêt considéra­ble pour l'historien des reli­gions : il illustre, en effet, le parfait camouflage du « sa­cré », plus précisément son identification avec le « pro­fane » (p. 10). On est heureux de voir un historien donner à l'humanisme contemporain, et notamment au marxisme, sa dimension exacte, celle d'une nouvelle religion. Ces observations prélimi­naires n'ont pour objet que de rendre plus sensible l'intérêt du contenu du premier volu­me. Des paléanthropiens à Dionysos, nous faisons le tour des religions mésopotamien­nes, égyptiennes, hittites, ca­nanéennes, israélites, indien­nes, grecques, iraniennes. Nous apercevons les « mo­ments créateurs des différen­tes traditions », leur évolu­tion, leurs entrecroisements, et toujours « l'unité fondamen­tale des phénomènes reli­gieux » sous la variété et la nouveauté de leurs expressions. Les grandes figures d'Abra­ham, Moïse, Akhénaton, Gan­tama Bouddha, Zarathustra ap­paraissent comme des points lumineux dans cette brume re­ligieuse où se développe l'his­toire de l'humanité. Le volume comporte deux parties. La première est celle du texte proprement dit, ré­parti en quinze chapitres cou­vrant 370 pages. La seconde comprend 125 notes (« État des questions -- Bibliogra­phies critiques ») couvrant 80 pages. Un index et une table des matières suffisamment dé­taillée achèvent de donner au livre son caractère d'instru­ment de travail. Souhaitons que le troisième volume nous donne un index très complet des noms et des matières con­tenus dans les trois volumes. Nous serions ainsi en posses­sion d'une encyclopédie sans égale de l'histoire des reli­gions. L. S. 151:207 #### Robert Debré Ce que je crois (Grasset) A 92 ans, le professeur Ro­bert Debré -- le père de Mi­chel Debré -- publia « L'hon­neur de vivre » ; à 93 ans « Venir au monde » ; à 94 ans (cette année) « Ce que je crois ». Souhaitons-nous pa­reille longévité ou plutôt pa­reille vitalité dans la longévi­té ! Que croit Robert Debré ? Rien. Au plan religieux il est athée. Au plan philosophique, matérialiste. Selon lui, c'est notre code génétique qui nous fait croyant ou incroyant. Si l'on change en cours de vie, c'est que l'environnement nous avait égaré pendant un temps. On retrouve son code. Ceci dit, Robert Debré a « confiance en la vie » et « foi -- car c'est une foi -- en l'es­pérance ». Il espère donc. Il pense que nous sommes dans une « basse époque » dont nous pouvons sortir avec un peu de courage et d'intelligen­ce. Tout son livre respire l'al­légresse. Curieux homme. Il nous fait revivre le XIX^e^ siècle dont il est un témoin prolongé. Ses idées sont celles de 1880. Il croit à l'école laïque, à la Ré­publique, au progrès. Son Dieu est Jules Ferry. Il nous fait revivre la « belle époque » qui, pour lui, est une « haute époque ». En tous cas elle for­mait, dans la grande bourgeoi­sie, des hommes de bonne compagnie. L. S. #### Jean Hani Les métiers de Dieu (Éditions des Trois Mondes) Jean Hani est professeur de langue, et de littérature grec­ques à la Faculté des Lettres d'Amiens. Il est l'un des rares hellénistes que comptent enco­re les pays de langue française infidèles à leur tradition cul­turelle. 152:207 Connu pour ses travaux sur Plutarque, il l'est moins par ses études sur la symboli­que religieuse. Nous voudrions réparer cette injustice à l'occa­sion de la lecture d'un grand petit livre : *Les Métiers de Dieu* dont le sous-titre en dit long : *Préliminaires a une spi­ritualité du travail,* fragment d'un ouvrage plus vaste en préparation sur les rapports de la vie active avec la vie contemplative. Commentant la formule de saint Clément d'Alexandrie « Dieu est en réalité le seul Artisan, *Elnus artifex est Deus *»*,* l'auteur veut nous montrer que tous les métiers sont des imitations, des re­flets, des symboles de l'Acti­vité Divine Créatrice. La ger­be qu'il a nouée de ces ana­logies est drue : le scribe di­vin, le Christ médecin, le Dieu guerrier, le potier divin, le Dieu tisserand, le Dieu archi­tecte et maçon, le fils du char­pentier, le *Pastor et Nauta,* le Dieu pêcheur et le Dieu chas­seur, le jardinier Céleste, le maître de la moisson, le maître de la vigne. Le philosophe et le théologien y trouveront une foule d'exemples concrets qui fleuriront leurs arides exposés de la doctrine classique de l'analogie. Le simple lecteur sera convaincu pour lui-même que son activité profession­nelle qui occupe la majeure partie de son temps peut et doit être envisagée dans sa re­lation à l'éternité Divine et que sa vie active ne prend son sens qu'en s'intégrant dans la vie contemplative qui est vi­sion de Dieu. Ce merveilleux petit livre, nourri de la plus solide érudi­tion, d'une lecture facile, agréable, est peut-être la pier­re d'attente de ce monument qui sera consacré un jour, si Dieu le veut et si nous le vou­lons avec Lui, à la réconcilia­tion de l'Économie et du sur­naturel, à la complémentarité ressuscitée des trois ordres sociaux traditionnels les *bellatores* et les *laboratores,* d'une part, et les *oratores,* de l'autre, et à la sociologie chré­tienne du travail laborieux. Marcel De Corte. #### Gaston Bonheur La croix de ma mère (Julliard) C'est un étonnant mélange d'histoire-fiction et de politi­que-fiction en marge des évé­nements qui marquèrent la fin de l'Algérie Française dans la métropole. Gaston Bonheur a compris que les causes dites perdues sont toujours desti­nées à séduire les lecteurs des époques suivantes. 153:207 On s'inter­roge cependant : est-ce là une libre interprétation romanes­que habituellement permise à l'écrivain ? Est-ce une tenta­tive de récupération anticipée de l'événement, avant que le temps et les souvenirs n'aient mis en lumière son style es­sentiel et son prestige ? Le su­jet est orchestré dans un en­semble de sensualité violente et souvent débridée, de pseu­do-mysticisme cathare, de particularismes occitans, de comique rabelaisien. La fic­tion ainsi traitée peut amener le lecteur à penser que dans les événements réels rien n'é­tait viable, solide, sérieux ; les destinées imaginaires des per­sonnages ne semblent pas ac­céder à une profondeur d'â­me. L'auteur a-t-il craint de révéler des sympathies peu conformistes ? A-t-il voulu composer une conciliation in­térieure unissant dans l'his­toire d'un complot imaginaire le fascisme toujours vivant en certains esprits et la persévé­rance révolutionnaire de quel­ques autres ? Tous sont des « soldats perdus ». Le roman est vigoureux, violent, et haut en couleurs (c'est le moins qu'on puisse dire...) Mais tous ceux qui maintinrent l'idée de l'Algérie Française ne le considéreront pas sans per­plexité, sans une part de dé­ception, et même sans quelque amertume et sans quelque mé­fiance. Jean-Baptiste Morvan. #### André Dhôtel Les disparus (Gallimard) Certains, à propos de ce ro­man, ont reproché à André Dhôtel de traiter toujours le même sujet ; pour ma part, je croirais volontiers qu'ils ont été assez déconcertés, et sans doute par là-même déçus, de retrouver le mystère propre à l'œuvre de Dhôtel associé cette fois à une vision plus ingrate du milieu humain. La campagne sauvage et fores­tière du pays ardennais n'est guère parée ici d'une autre attirance que celle qui émane de la crainte ou de la rêverie tragique. Certains éléments n'ont pas encore reçu du temps le charme indécis que le temps apporte : rien ne s'oppose théoriquement à ce qu'une quête analogue à celle du Grand Meaulnes ne com­mence à un terrain de cam­ping et pourtant le mot lui-même a quelque chose d'in­fertile pour l'esprit amateur de songes. On peut aussi voir dans « Les Disparus » le con­flit de deux types de mystère : la complexité balzacienne des affaires de famille ; avec leurs appétits coupables et leurs se­crets inavouables, d'une part, et l'étrange poésie qui émane de certains lieux. 154:207 Peut-être ces deux ressorts de la curio­sité passionnée ne sont-ils compatibles que dans l'am­biance d'un passé déjà loin­tain. André Dhôtel a joué la difficulté dans la fiction rela­tive à cette famille noble qui perpétue une réputation de grands chasseurs, de cavaliers et de mondains prodigues bien qu'elle n'en ait plus depuis longtemps ni le goût ni les moyens : une fiction qui, en somme, contrarie la fiction traditionnelle d'un type de ro­man qui, dans cette perspec­tive, tourne souvent à la ro­mance. Le lecteur n'est-il pas alors l'enfant à qui on a en­levé sa poupée, ou à qui l'on a dit qu'elle n'était pas si belle, ni telle qu'il l'imagi­nait ? Cependant, à y réfléchir, le roman des « Disparus » présente des sources d'intérêt non négligeables et suggère des interprétations symboli­ques qui peuvent être variées. Cette étrange clairière, d'où émane surtout une sensation de malaise, n'est-elle pas un de ces lieux mythologiques où s'ouvrent les avenues de la Mort ? La poésie ne donne pas seulement accès aux rêves do­rés de l'Amour, elle chante aussi aux frontières de l'au-delà ; mais « ce discours est dur et pénible à entendre ». Les « disparus », ceux dont on parle toujours sans vouloir connaître ce qu'ils sont deve­nus, sont les intercesseurs d'un autre monde, les annonciateurs des départs inévita­bles. Le thème de l'évasion se revêt d'une irritante et énig­matique ambiguïté ; mais il vaut la peine d'entrer dans le jeu, même s'il aboutit à de nouveaux mystères peu pro­pres à nous donner le volup­tueux réconfort des fins de féeries. J.-B. M. #### Charles-Gabriel Richard Mon curé, sa sainte et ses diables (France-Empire) C'est l'histoire d'un village forézien d'avant-guerre, avec toutes les disputes, amours et querelles qu'un curé de cam­pagne peut observer au cours de son ministère. On y trou­vera un mélange aimable de réalisme et de folklore ; mais on sera sans doute plus atten­tif à la fiction de la deuxième partie, composé en forme de fabliau philosophique et chré­tien. Après leur mort, le curé et le maire anticlérical de Sainte-Albane retourneront dans leur village accomplir leur Purgatoire en améliorant la bourgade. Mais comment améliorer ? Les deux défunts au cours de leur mission invi­sible s'efforcent d'apporter l'ordre et de corriger dans les vies quotidiennes ce qui laisse à désirer. 155:207 Ils n'aboutissent qu'à des échecs et reviennent fort humiliés devant saint Pierre : améliorer les hom­mes a un autre sens, le Royau­me n'est pas de ce monde. On lira ces pages avec parfois un pincement au cœur, en substi­tuant aux histoires rustaudes et souvent dramatiques du vil­lage de Sainte-Albane d'autres fort réelles, connues de cha­cun de nous quotidiennement, et non moins amères pour nos bonnes volontés, ou du moins pour ce que nous croyons être nos bonnes volontés. Mais si le conte ne nous épargne pas les réflexions provisoirement pessimistes, l'espérance pour­ra y trouver le moyen de re­paraître dans une perspective plus haute. J.-B. M. #### Michel de Mauny Le pays vannetais (Éditions de la Revue moderne) Nous ne partagerons sans doute pas la sympathie intel­lectuelle que l'auteur, dans les premières pages, semble ma­nifester pour le druidisme : cette matière mal connue a donné lieu à toute une littéra­ture interprétative d'autant plus développée que les bases en sont fort lacunaires ; de plus, tous ceux qui en ont traité paraissent tentés par un certain syncrétisme des cro­yances. Fort peu séduits déjà par l'œcuménisme dans le ca­dre chrétien, nous le sommes moins encore quand il s'exer­ce sur des terrains aussi per­fidement mouvants. Recon­naissons toutefois que l'auteur garde ici une certaine pru­dence. On éprouvera sans ré­ticences le charme qui s'ex­hale de toutes les pages con­sacrées aux châteaux, aux sanctuaires, aux fontaines. Il n'est guère de lieu en pays breton, et tout particulière­ment en pays vannetais, qui par ses édifices, ses pierres, ses inscriptions et ses tradi­tions légendaires, ne propose quelque passionnant mystère. Dans un monde moderne en proie à l'obsession du gigan­tisme urbain, des nations énormes et des étendues géo­graphiques immenses, les pè­lerinages patients et curieux, même restreints à quelques lieues carrées de nos terroirs anciens, nous rendent l'équi­libre souhaitable et offrent à l'imagination des repères à la fois précis et pourvus du charme esthétique que réclame la pensée religieuse elle-même pour vivre pleinement. J.-B. M. 156:207 #### Jean-Marc Varaut La liberté des temps difficiles (La Table ronde) S'il est si souvent question de justice dans ce livre sur la liberté, c'est que l'appareil judiciaire est le dernier bou­clier du citoyen isolé et im­puissant : « Dans notre pays, monarchie mutilée par l'his­toire, le juge répond au vieux cri de détresse et de confian­ce : Ah, si le Roi savait ! Que la justice sache. Que la jus­tice puisse. » Un des chapitres est consa­cré au danger que représen­tent, pour l'autonomie et la vie privée de chacun, les fi­chiers d'ordinateurs : celui de la police judiciaire, celui des pièces d'identité, et « le système central et total basé sur un numéro unique de tou­tes les personnes recensées, et appelé inopportunément Safa­ri ». La technique donne ain­si à l'État un pouvoir terrible : Mais ce n'est pas seulement à cause des progrès scientifi­ques que les temps sont difficiles. C'est aussi à cause de l'empiètement de l'exécutif sur le judiciaire, et du déve­loppement de la violence et de la subversion. Les empiètements de l'exé­cutif sont une conséquence de nos malheurs politiques. M^e^ Varaut, ici, change de robe et dresse un réquisitoire contre les mœurs judiciaires de la V^e^ République. Mais le mal vient de plus loin, puisque l'auteur peut citer ce mot de Faguet : « La subordination de la magistrature au gouver­nement est une des conquêtes de la Révolution ». Quant au troisième point, il est clair que les temps trou­blés favorisent une justice ex­péditive et dévouée au pou­voir. Inquiets du désordre, les citoyens réclament la ferme­té dans le châtiment, sans trop s'occuper des formes. Cette indifférence est dangereuse : on peut être victime de cer­taines méthodes trouvées fort bonnes quand elles visaient des adversaires : « Comment au moment de l'enlèvement de Ben Barka, la Gauche aurait-elle mobilisé une opinion qui l'avait vue satisfaite de l'en­lèvement d'Argoud ? » Il ne faut pas faire d'éco­nomie de justice. C'est une des conclusions qu'on tire de ce livre grave et noble. Georges Laffiv. #### Jacques-François Rolland Le grand capitaine (Grasset) En 1899, le capitaine Vou­let, après avoir conquis Oua­gadougou et l'empire Mossi, un ensemble de huit millions d'hommes, presque sans mo­yens, est chargé d'atteindre le Tchad. 157:207 Une autre mission, celle de Foureau-Lamy, part d'Alger. Voulet a quelques di­zaines d'hommes et un canon, mais c'est un homme d'une énergie extrême, « vrai sur­homme qu'eût aimé Nietzs­che » dit Morand, qui évoque son histoire dans « 1900 ». Une histoire qui finit très mal. Voulet, pour avancer coûte que, coûte malgré sa fai­blesse, détruit et tue tout sur son passage. Il pénètre l'Afri­que comme un couteau de boucher la viande. Paris est alerté ; envoie un détachement pour arrêter Voulet. Celui-ci refuse de se soumettre, tue le colonel Klobb qui lui apporte les ordres du gouvernement français, et veut poursuivre. Mais ses troupes l'abandon­nent, et il est bientôt tué. C'est en lisant Morand que J.-F. Rolland a été intéressé par ce drame. Il en a tiré un récit passionnant, très précis, très complet, auquel on ne peut reprocher que sa techni­que de « grand reportage » : mise en scène, « couleur » etc. Mais on connaît les exi­gences de l'édition actuelle. On imagine bien que l'on s'est empressé de voir là une illustration de la monstruo­sité du colonialisme. L'esprit du temps le veut. Morand terminait ainsi : « 1900, épo­que qui plaignait les forçats et larmoyait sur le sort des criminels, ne trouva pas un mot pour défendre Voulet et Chanoine ». 1976, non plus, et voilà qui montre que nous avons des ressemblances avec « la belle époque ». En réalité, on ne voit pas ce qui dans cette affaire con­damne la colonisation. La France envoie immédiatement Klobb pour mettre fin aux ex­cès de l'implacable Voulet. Le comportement de celui-ci est exceptionnel : on peut lui opposer celui de centaines d'officiers généreux et pacifi­cateurs. Voulet serait plutôt un type d'homme moderne ; sa seule foi et sa seule loi, c'est l'efficacité. On en forme beau­coup sur ce modèle, aujour­d'hui. G. L. #### Paul de Villelume Journal d'une défaite (Fayard) L'auteur était directeur du cabinet militaire de Paul Rey­naud en 1940. Il a vu de près tous les grands du régime, et il a noté tout ce qu'il voyait et entendait. Le résultat est confondant, et en fait, ce jour­nal est le plus terrible réqui­sitoire contre le gouvernement français de cette époque, son irréalisme, son incohérence. Quand on lit ce livre, l'issue paraît inévitable : elle fut ce qu'elle ne pouvait pas ne pas être. 158:207 Il faudrait tout citer. Pro­pos de Daladier le 28 septem­bre 1939 : « La France avait deux buts de guerre : la dé­fense de la Pologne ; la des­truction de l'hitlérisme. Pour restaurer la Pologne, il fau­dra passer la Bérézina. Quant à l'hitlérisme, il sera rempla­cé, si nous le détruisons, par le bolchevisme... à moins que nous ne puissions ramener les Hohenzollern dont l'élimina­tion était le but de la dernière guerre. Nous n'avons plus en réalité qu'un but de guerre, qui s'est substitué aux deux autres : éviter d'avoir à remo­biliser un jour. » C'est tout le temps aussi ef­farant : on ne prend aucune initiative aérienne de crainte de représailles. L'Iran deman­de des canons de 75 de mon­tagne. On les lui refuse parce que la France n'en fabrique que *quatre* par mois, en jan­vier 1940. On compte sur le blocus pour venir à bout d'Hitler. Une extrême frivolité, des querelles de préséances, les intrigues des « égéries », voilà ce qui compose l'ordinaire des jours. On reste accablé. A la dernière page, il est question de Jean Monnet com­me d'un « personnage des plus suspects ». Monnet vient justement de publier ses Mé­moires. On y reviendra. G. L. 159:207 ## DOCUMENTS ### Qu'est-ce qu'une chrétienté *Cet article a paru, signé* « *Benedictus* »*, dans* PRÉSENT, *numéro 12 du 5 juillet 1976 : journal qui se définit comme* « *tribune de liaison et d'informa­tion des comités d'action politique et sociale *»*, et qui est l'organe d'un groupe sympathique et dyna­mique, s'attachant à rénover l'action politique.* (*On peut demander des numéros specimen en écrivant à* PRÉSENT, *B.P. 64, -- 81102 Castres.*) « Qu'est-ce qu'une chrétienté ? » On nous a souvent posé cette question, et je tâcherai d'y répondre ici à l'adresse de ceux et celles qui auront le courage et la lucidité d'entreprendre l'œuvre chère entre toutes : la res­tauration d'un ordre temporel chrétien. La chrétienté ne doit être confondue ni avec l'Évangile, ni avec l'Église. L'Évangile, c'est le message du salut, l'annonce de la Bonne Nouvelle : lorsque la Croix apparaît sur l'horizon de l'histoire, le Royaume se fait proche, et l'humanité cap­tive retrouve le chemin de la délivrance. Puis vient l'Église, instituée par Jésus-Christ. Chargée de répandre l'Évangile, elle nous communique déjà mysté­rieusement les effluves de la vie divine par le canal des sacrements, d'où la célèbre définition de Bossuet : « L'Église, c'est Jésus-Christ répandu et communiqué ». 160:207 Enfin, lorsque le sang des martyrs a suffisamment arrosé la terre, la semence chrétienne commence à germer. Une fleur de civilisation s'épanouit : on voit poindre l'aube d'une chrétienté. Quand nous pensons à la chrétienté, il faut que notre regard, sans quitter les profondeurs de Dieu, « Splendor et Origo », s'abaisse, comme à ras de terre, au niveau des humbles réalités terrestres qui forment la trame des jours : les maisons, les champs, les métiers des hommes... Et même il faut consentir à regarder plus bas : l'histoire humaine mêlée de boue et de sang, la nature et la grâce enchevêtrées, les hommes pécheurs, soumis malaisément aux commandements de Dieu et de l'Église. Cependant une loi de cohérence joue invariablement : sous la lumière de la foi, les cœurs purifiés vont créer des institutions chré­tiennes où la vie de la grâce sera LIBRE de s'épanouir. Alors par le ministère ecclésial, la vie divine coule plus librement dans les canaux de la cité temporelle. Quelque chose de céleste vient toucher la terre. Lentement, très lentement (pensons à la longue remon­tée des âges obscurs), les patries terrestres s'orientent vers leur destinée surnaturelle : on assiste à la naissance d'une civilisation chrétienne. La chrétienté n'est donc pas liée essentiellement aux facteurs historiques qui lui ont donné sa coloration. Elle est la réalisation du plan de Dieu sur toute société natu­relle. Elle est la reconnaissance, par les familles et par les patries, des droits souverains de Dieu sur les lois, les ins­titutions et les mœurs. Alors la cité temporelle prend conscience d'appartenir à un ordre qui la dépasse. Elle enclot et protège un trésor qui la transfigure : le rempart garde la cathédrale et la cathédrale sacralise le rempart. Toute l'existence humaine, purifiée et rythmée par les sacrements, devient elle-même sacrée : la maison devient sanctuaire, la famille prépare le ciel. C'est pourquoi le poète déclare heureux ceux qui sont morts pour les cités charnelles : « Car elles sont l'image et le commencement Et le corps et l'essai de la maison de Dieu. » 161:207 En dehors de cette vision, on ne trouve plus que deux systèmes d'interprétation du monde, tous deux exécrables : le NATURALISME, qui considère l'ordre naturel définitive­ment clos sur lui-même ; système qui enferme l'homme dans une éthique de jouissance et d'assouvissement ; et le SPIRITUALISME DÉSINCARNÉ, pour lequel il n'y a de salut que dans l'évasion hors du temporel, hors de l'ordre de la création telle que Dieu l'a voulue, et ce dérèglement est pire que le précédent, car « qui fait l'ange fait la bête ». La métaphysique du christianisme renvoie dos à dos ces idéologies mutilantes, pour retenir une conception sa­gement réaliste de l'ordre naturel, où les valeurs de créa­tion respectées et intégrées servent de socle à l'érection d'un ordre supérieur. Dans cette perspective, il n'est pas jusqu'à l'ordre poli­tique qui ne reçoive une dignité nouvelle. Témoin l'extra­ordinaire cérémonie du sacre des rois sous l'Ancien Régi­me. Le souverain recevait une grâce qui l'habilitait à gérer droitement les intérêts de ses sujets, en vue d'une fin à la fois naturelle et surnaturelle : la fonction royale était empreinte d'un caractère sacré. La monarchie était une lieutenance : « Le royaume n'est pas à vous, disait sainte Jeanne d'Arc au dauphin, il est à Messire qui vous le cède pour que vous l'ayez en commende. » Il en va de même pour les arts, les lois, la justice, l'enseignement. Il n'y a pas une activité de l'homme, en régime de chrétienté, qui ne soit exprimée en référence à LA ROYAUTÉ SOCIALE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. C'est l'idéal que Pie XI proposait au monde dans sa fameuse encyclique « Quas primas ». La honte du Pontificat actuel est d'avoir substitué à cette haute doctrine une conception libérale et permissive de la société. \*\*\* Pourquoi faut-il, de toutes nos forces, travailler à sau­ver la chrétienté ? Primo, parce que, comme le dit Péguy, « le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel ». On ne sauvera pas le spirituel tout seul. D'ailleurs, le spirituel pur n'existe pas, il est intimement mêlé au temporel, comme l'âme est unie au corps. « Enlevez le prêtre de la paroisse, disait le curé d'Ars, et dans dix ans on y adorera les bêtes. » 162:207 Secundo, parce que très peu d'hommes peuvent se passer d'une institution visible. Les formes de religion populaire sont le dernier refuge de la foi des humbles. C'est pourquoi l'évêque Etchegaray qui s'attaque au sanctuaire de Notre-Dame de la Garde, à Marseille, est un criminel. Les premières victimes de l'abolition des institutions chrétiennes, comme la famille, l'école, la paroisse, ce sont les pauvres. Si l'enseignement scolaire cesse de baigner dans la lumière de la foi, ce qui est son régime normal, l'âme du petit chrétien est atrophiée pour toujours. Non protégée par les lois familiales et matrimoniales, une enfant de treize ans est normalement sans défense. Tertio, parce qu'on ne sauvera pas la France si l'on ne sauve la chrétienté. Ici doit trouver place une saine doctrine du nationalisme. Une nation est un faisceau de fidélité et de traditions. Or selon notre plus ancienne tradition nationale, la France est née aux fonts baptismaux de Reims. Jeanne d'Arc fut envoyée par Dieu au secours d'un ordre politique menacé ; elle s'adressait à ses adver­saires « de par le Roi du ciel », et l'on sait avec quelle profonde vénération elle parlait du « Saint Royaume de France ». Notre nationalisme, qui est culture des valeurs natio­nales, ne doit pas rester fermé sur lui-même : il supporte et préfigure un ordre de réalité supérieur. Il se doit d'inté­grer cette dimension surnaturelle, sous peine d'être infidèle à sa propre loi. S'il est vrai que les nations sont des vaisseaux qui ont leur ancre dans le ciel, il n'est pas étonnant que notre France, depuis deux cents ans, soit partie à la dérive. La France apostate ne peut se relever qu'en retrouvant le sens de sa vocation : \*\*\* Quels sont les ennemis de la chrétienté ? Je répondrai d'une façon générale : c'est d'abord L'IMPIÉTÉ, au sens ancien du mot, c'est-à-dire l'oubli des racines, l'infidélité à l'héritage. Ensuite, plus particulièrement, il y a le communisme et la franc-maçonnerie. \*\*\* 163:207 Que faire pour sauver la Chrétienté ? La prière, l'étude, la conversion de l'esprit et du cœur sont évidemment choses premières. Mais cela ne suffit pas. A la pensée et à la prière il faut joindre l'action vraie, concertée, efficace. Il faut nous faire des âmes guerrières, prêtes au don total de soi et au sacrifice. On ne sauvera pas la chrétienté sans une croisade sanglante où de durs combats seront livrés à la pointe de l'épée. A chacun de forger la sienne. Que le dévot renonce à son angélisme stratosphérique et se souvienne qu'on ne sauvera pas le spirituel si l'on ne sauve en même temps le temporel. Que le religieux s'inspire du discours ardent de saint Bernard intitulé « Éloge de la nouvelle milice », où le Docteur de Cîteaux jetait les bases des grands ordres militaires : « Car, disait-il, la gloire des cités temporelles n'est pas contraire aux biens célestes ; elle en prépare l'avènement, pourvu que nous sachions nous souvenir que les cités terrestres sont seulement la figure de cette cité du ciel qui est notre véritable mère. » Que le maître enseigne les voies claires de l'intelligence sans laquelle nulle tour ne s'élève. Que les familles constituent, au milieu de l'apostasie générale, des îlots de chrétienté, comme autant de fortins inexpugnables, où se brisent les assauts de la révolution. Que le soldat surtout se tienne prêt. Car, disait Péguy, « c'est le soldat qui mesure l'espace de terre où se parle une langue et où vit une civilisation ». Nos frères phalangistes du Liban nous ont montré la voie. Leurs morts intercèdent pour nous. Grâce à eux, le ciel aidant, la paix dans l'âme et le glaive au poing, nous ne forlignerons pas. \[Fin de la reproduction de l'article de « Benedictus » paru dans le journal PRÉSENT, numéro 12 du 5 juillet 1978.\] 164:207 ### La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre *suite de la troisième phase* Nous continuons à publier au fur et à mesure les documents concernant la guerre religieuse faite à Mgr Lefebvre, avec comme précédemment une série de notes documentaires et explicatives. La numérotation des documents ci-après commen­ce au numéro 43, parce qu'ils viennent à la suite des quarante-deux documents précédents, publiés en leur temps dans les numéros successifs d' « Itiné­raires ». Ces documents prennent également place, au fur et à mesure, dans les éditions successives de notre numéro spécial hors série : « La condamna­tion sauvage de Mgr Lefebvre ». \*\*\* *Rappelons, redisons ceci.* 165:207 *La condamnation de Mgr Lefebvre, nous l'ap­pelons* «* sauvage *» *au double sens de cruelle et d'irrégulière.* *Nous l'estimons importante, procurant sur la situation de l'Église une redoutable et irrécusable clarté : car c'est pour être demeuré un évêque in­défectiblement catholique que Mgr Lefebvre a été condamné.* 166:207 ### 43. -- Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre *15 août 1976* A notre vénéré Frère Marcel Lefebvre. En cette fête de l'Assomption de la Très Sainte Vierge Marie, Nous tenons à vous assurer de notre souvenir, accompagné d'une prière spéciale pour une solution positive et prompte de la question qui regarde votre personne et votre activité à l'égard de la sainte Église. Notre souvenir s'exprime en ce souhait fraternel et paternel ([^10]) : que vous vouliez bien considérer, devant le Seigneur et devant l'Église, dans le silence et la respon­sabilité de votre conscience d'évêque, l'insoutenable irré­gularité de votre position présente ([^11]). Elle n'est pas conforme à la vérité et à la justice. Elle s'arroge le droit de déclarer que notre ministère apostolique s'écarte de la règle de la foi, et de juger comme inacceptable l'ensei­gnement d'un concile œcuménique célébré selon une observance parfaite des normes ecclésiastiques : ce sont là des accusations extrêmement graves ([^12]). Votre position n'est pas selon l'Évangile et selon la foi ([^13]). 167:207 Persister dans cette voie serait un grave dommage pour votre personne sacrée et pour ceux qui vous suivraient comme guide, en désobéissance aux lois canoniques. Au lieu de porter remède aux abus que l'on veut corriger ; cela en ajouterait un autre, d'une incalculable gravité. Ayez l'humilité, Frète, et le courage de rompre la chaîne illogique ([^14]), qui vous rend étranger et hostile à l'Église, à cette Église que pourtant vous avez tant servie et que vous désirez aimer et édifier encore. 168:207 Combien d'âmes attendent de vous cet exemple d'héroïque et simple fidélité ! Invoquant l'Esprit Saint et confiant à la très Sainte Vierge Marie cette heure qui est, pour vous et pour nous, grande et amère, nous prions et espérons. Castelgandolfo, 15 août 1976. Paulus P P. VI. 169:207 ### 44. -- Sermon de Mgr Lefebvre *à Lille le 29 août 1976* Mes bien chers frères, Avant de vous adresser quelques mots d'exhortation, je voudrais d'abord dissiper quelques malentendus. Et d'abord au sujet de cette réunion elle-même. Vous pouvez voir par la simplicité de cette cérémonie que nous n'avions point préparé une cérémonie qui aurait réuni une foule comme celle qui se trouve dans cette salle. Nous avions pensé que nous aurions célébré la sainte messe le 29 août comme il était convenu, au milieu de quelques centaines de fidèles de la région de Lille, comme je le fais fréquemment en France, en Europe et même en Amérique, sans histoire. Et voici que tout à coup, cette date du 29 août est devenue, par la presse, par la radio, par la télévision, comme une espèce de manifestation qui ressemblerait, dit-on, à un défi. Eh bien non, cette manifestation n'est pas un défi. Cette manifestation, c'est vous qui l'avez désirée, chers fidèles, chers frères qui êtes venus ici de loin. Pourquoi ? Pour manifester votre foi catholique. Pour manifester votre croyance. Pour manifester votre désir de prier et de vous sanctifier comme l'ont fait vos pères dans la foi, comme l'ont fait des générations et des générations avant vous. Voilà quel est l'objet véritable de cette cérémonie, pendant laquelle nous désirons prier, prier de tout notre cœur, adorer Notre-Seigneur Jésus-Christ qui descendra dans quelques instants sur cet autel et qui renouvellera le sacrifice de la Croix dont nous avons tant besoin. Je voudrais également dissiper un autre malentendu. Et là je, m'excuse, mais je suis obligé de le dire : ce n'est pas moi qui me suis appelé le chef des traditionalistes. Vous savez qui l'a fait il y a peu de temps dans des circonstances tout à fait solennelles et mémorables à Rome ([^15]). 170:207 On a dit que Mgr Lefebvre était le chef des traditionalistes. Je ne veux point être le chef des traditio­nalistes et je ne le suis point. Pourquoi ? Parce que je suis moi aussi un simple catholique. Certes prêtre, certes évêque, mais qui suis dans les mêmes conditions dans lesquelles vous vous trouvez, et qui ai les mêmes réactions devant la destruction de l'Église, devant la destruction de notre foi, devant les ruines qui s'accumulent devant nos yeux. Ayant eu la même réaction j'ai pensé qu'il était de mon devoir de former des prêtres, de former de vrais prêtres dont l'Église a besoin. Ces prêtres je les ai formés dans une « société Saint-Pie X » qui a été reconnue par l'Église. Et je ne faisais que ce que tous les évêques ont fait pendant des siècles et des siècles, je n'ai pas fait autre chose, et ce que j'ai fait pendant trente années de ma vie sacerdotale. Ce qui m'a valu d'être évêque, ce qui m'a valu d'être délégué apostolique en Afrique, ce qui m'a valu d'être membre de la commission centrale pré­conciliaire, ce qui m'a valu d'être assistant au trône pontifical. Que pouvais-je désirer comme preuve que Rome estimait que mon travail était un travail qui était profitable à l'Église et au bien des âmes ? Et voici que je fais la même chose, une œuvre tout à fait semblable à celle que j'ai accomplie pendant trente années, et voici que tout à coup, je suis suspens a divinis, peut-être bientôt excom­munié, séparé de l'Église, renégat, que sais-je ? Est-ce possible ? Est-ce donc que ce que j'ai fait pendant trente ans était susceptible aussi d'une suspense a divinis ? Je pense au contraire que si à ce moment-là j'avais formé des séminaristes comme on les forme maintenant dans les nouveaux séminaires, j'aurais été excommunié. Si j'avais à ce moment-là enseigné le catéchisme qu'on enseigne dans les écoles, on m'aurait dit hérétique. Et si j'avais dit la sainte messe comme on la dit maintenant, on m'aurait dit suspect d'hérésie, on m'aurait dit aussi hors de l'Église. Alors je ne comprends plus. Quelque chose précisément a changé dans l'Église, et c'est à cela que je veux, en venir. J'ajoute une petite parenthèse pour le cher Mgr Ducaud-Bourget qui est ici présent. Il m'a prié, et je le comprends très bien, de dire qu'il était absolument faux qu'il ait été, lui, suspens a divinis et qu'il ait été rayé de l'Ordre de Malte. Il y a beaucoup d'inventions qui sont faites ainsi dans la presse et qui ne correspondent pas du tout à la réalité. Comme on m'a dit aussi que j'allais aller à l'assemblée des évêques de Lourdes, alors que je n'ai jamais eu l'intention d'y aller. 171:207 Mais nous devons justement retourner aux raisons qui nous font prendre notre attitude. Oh ! attitude, extrêmement grave, je le reconnais ; s'opposer aux autorités les plus grandes dans l'Église, être suspens a divinis, pour un évêque c'est une chose grave, une chose très pénible. Comment peut-on supporter une chose comme celle-là, sinon pour des raisons excessivement graves. Eh oui, les raisons de notre attitude et de votre attitude sont des raisons graves : c'est la défense de notre foi, la défense de notre foi. Mais est-ce que les autorités qui se trouvent à Rome mettraient en péril notre foi ? Je ne juge pas ces autorités. Je dirai que je ne veux pas les juger person­nellement. Je voudrais les juger comme le Saint-Office autrefois jugeait un livre, et le mettait à l'index. Rome étudiait le livre, n'avait pas besoin de connaître la personne qui avait écrit ce livre. Il lui suffisait d'étudier ce qu'il y avait dans les propos qui étaient écrits. Et si ces propos étaient contraires à la doctrine de l'Église, ce livre était condamné et mis à l'index, sans avoir besoin d'interpeller la personne. On a dit précisément au concile, certains évêques se sont élevés contre cette procédure en disant : « Il est inadmissible qu'on mette un livre à l'index alors qu'on n'a même pas entendu celui qui l'a écrit. » Mais on a pas besoin de voir quelqu'un qui a écrit un livre, pourvu qu'on ait en main le texte de choses qui sont absolument contraires à la doctrine de l'Église. C'est le livre qui, est condamné parce que ses paroles sont contraires à la doctrine catholique. C'est donc de cette manière que nous devons juger les choses. Nous devons les juger par les faits, comme l'a dit très bien Notre-Seigneur dans l'Évangile que nous lisions il y a peu de temps encore, et à propos précisément de ces loups qui sont couverts de peaux de brebis, il disait : « Nous reconnaîtrons l'arbre à ses fruits. » Eh bien, les fruits sont devant nous. Les fruits sont évidents. Ils sont clairs devant nos yeux. Ces fruits qui viennent du concile, Vatican II et des réformes post­conciliaires sont des fruits amers. Des fruits qui détruisent l'Église. Et lorsqu'on me dit : « Ne touchez pas au concile, ni aux réformes post-conciliaires », alors je réponds, comme le disent ceux qui font les réformes, ce n'est pas moi qui ai fait ces réformes, ceux qui font ces réformes nous disent : « Nous les faisons au nom du concile. Nous avons fait la réforme liturgique au nom du concile. Nous avons fait la réforme des catéchismes au nom du concile. Nous avons fait toutes les réformes au nom du concile. » 172:207 Or ce sont eux les autorités de l'Église. Ce sont eux qui par conséquent interprètent légitimement le concile. Que s'est-il passé dans ce concile ? Nous pouvons le savoir facilement en lisant les livres de ceux qui ont précisément été les instruments de ce changement dans l'Église qui s'est opéré sous nos yeux. Lisez par exemple *L'œcuménisme vu par un franc-maçon,* de Marsaudon ; lisez le livre du sénateur du Doubs, M. Prelot, *Le catholicisme libéral,* écrit en 69 et il vous dira ce qu'est le concile, lui catholique libéral. Il le dit dans les premières pages de son livre : « Nous avons lutté pendant un siècle et demi pour faire prévaloir nos opinions à l'intérieur de l'Église et nous n'y avons pas réussi. Enfin est venu Vatican II et nous avons triomphé. Désormais les thèses et les principes du catholicisme libéral sont définitivement acceptés et officiel­lement par la sainte Église. » Vous croyez que ce n'est pas un témoignage ? Ce n'est pas moi qui dis cela, mais lui le dit, en triomphant, lui le dit en se félicitant. Nous, nous le disons en pleurant. Car qu'ont voulu les catholiques libéraux pendant un siècle et demi ? Marier l'Église et la Révolution. Marier l'Église et la subversion. Marier l'Église et les forces destructrices de la société, de toute société, depuis la société familiale et la société civile, la société religieuse. Et ce mariage de l'Église il est inscrit dans le concile : prenez le schéma Gaudium et Spes et vous y trouverez : il faut marier les principes de l'Église avec les conceptions de l'homme moderne. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Ça veut dire qu'il faut marier l'Église, l'Église catholique, l'Église de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec des principes qui sont contraires à cette Église, qui la minent, qui ont toujours été contre l'Église. Et c'est précisément ce mariage qui a été tenté dans le concile par des hommes d'Église. Et non pas par l'Église. Car jamais l'Église ne peut admettre une chose comme celle-là. Pen­dant un siècle et demi précisément tous les souverains pontifes ont condamné ce catholicisme libéral, ont refusé ce mariage avec les idées de la Révolution, avec les idées de ceux qui ont adoré la déesse raison. Les papes n'ont jamais pu accepter des choses semblables. Et au nom de cette Révolution des prêtres sont montés sur l'échafaud, des religieuses ont également été persécutées et assassinées. Souvenez-vous des pontons de Nantes où étaient amassés tous les prêtres fidèles et on les coulait au large. Voilà ce qu'a fait la Révolution. Eh bien, je vous dis, mes bien chers frères, ce qu'a fait la Révolution n'est rien à côté de ce qu'à fait le concile Vatican II. Rien. 173:207 Il eût mieux valu que les trente et quarante et cinquante mille prêtres qui ont abandonné leur soutane, qui ont abandonné leur serment fait devant Dieu, soient martyrisés, aillent à l'échafaud, ils auraient au moins gagné leur âme. Et maintenant ils risquent de la perdre. On nous dit que parmi ces pauvres prêtres mariés beaucoup déjà sont divorcés, beaucoup ont fait des demandes en nullité de mariage à Rome. Qu'est-ce que ça signifie ces choses-là ? Combien de religieuses ? Vingt mille religieuses aux États-Unis qui ont abandonné leur religion, qui ont abandonné leur congrégation religieuse et leur serment (qu'elles avaient fait d'une manière perpétuelle), rompu ce lien qu'elles avaient avec Notre-Seigneur Jésus-Christ pour courir aussi au mariage. Il aurait mieux valu également qu'elles mon­tent sur l'échafaud. Au moins elles auraient témoigné de leur foi. En définitive, quand un ennemi fait des martyrs de l'Église, il fait ce que l'adage déjà disait dans les pre­miers siècles : *sanguis martyrum semen christianorum, --* le sang des martyrs est une semence de chrétiens -- Et ils le savent bien ceux qui persécutent les chrétiens. Ils ont peur d'en faire des martyrs parce qu'ils savent que le sang des martyrs est une semence de chrétiens. On ne veut plus faire de martyrs et c'est le summum de la victoire du démon de détruire l'Église par obéissance. Détruire l'Église par obéissance. Nous la voyons dé­truire tous les jours sous nos yeux ; les séminaires vides, ce beau séminaire de Lille qui était rempli de séminaristes. Où sont les séminaristes. Qui sont-ils, encore ces sémi­naristes ? Savent-ils qu'ils vont être prêtres ? Savent-ils ce qu'ils vont faire quand ils vont être prêtres ? Ah c'est précisément parce que cette union voulue par ces catho­liques libéraux, voulue entre l'Église et la Révolution et la subversion, est une union adultère de l'Église, adultère. Et, de cette union adultère ne peuvent venir que des bâtards. Et qui sont ces bâtards ? Ce sont nos rites, le rite de la messe est un rite bâtard, les sacrements sont des sacrements bâtards, nous ne savons plus si ce sont des sacrements qui donnent la grâce ou qui ne la donnent pas. Nous ne savons plus si cette messe donne le Corps et le Sang de Notre-Seigneur. Jésus-Christ ou si elle ne les donne pas. Les prêtres qui sortent des séminaires ne savent plus eux-mêmes ce qu'ils sont. C'est le cardinal Cincinatti qui à Rome disait : « Pourquoi n'y a-t-il plus de voca­tions ? Parce que l'Église ne sait plus ce qu'est un prêtre. » Alors comment peut-elle former encore des prêtres si elle ne sait plus ce que c'est qu'un prêtre ? Les prêtres qui sortent des séminaires sont des prêtres bâtards. Ils ne savent pas ce qu'ils sont. Ils ne savent pas qu'ils sont faits pour monter à l'autel pour offrir le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour donner Jésus-Christ aux âmes et appeler les âmes à Jésus-Christ. 174:207 Voilà ce qu'est un prêtre. Et nos jeunes qui sont ici le comprennent bien. Toute leur vie va être consacrée à cela, à aimer, à adorer, à servir Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie, parce qu'ils y croient, à la présence de Notre-Seigneur dans la sainte Eucharistie. Et cette union adultère de l'Église et de la Révolution se concrétise par le dialogue. L'Église, si elle a dialogué, c'est pour convertir. Notre-Seigneur a dit : « Allez, enseignez toutes les nations, convertissez-les. » Mais il n'a pas dit dialoguez avec elles pour ne pas les convertir, pour essayer de nous mettre sur le même pied qu'elles. L'erreur et la vérité ne sont pas compatibles. On doit chercher si on a la charité pour les autres, comme vient de le dire l'Évangile : celui qui a la charité, c'est celui qui sert les autres. Eh bien ceux qui ont la charité doivent donner Notre-Seigneur, doivent donner la richesse qu'ils ont aux autres, et non pas converser avec eux, dialoguer sur un pied d'égalité. La vérité et l'erreur ne sont pas sur un pied d'égalité. Ce serait mettre Dieu et le Diable sur le même pied, puisque le Diable est le père du mensonge, le père de l'erreur. Nous devons par conséquent être missionnaires. Nous devons prêcher l'Évangile, convertir les âmes à Jésus-Christ et non pas dialoguer avec eux en essayant de prendre leurs principes. C'est ce qui nous a fait cette messe bâtarde, ces rites bâtards. Parce qu'on a voulu dia­loguer avec les protestants et que les protestants nous ont dit : « Nous ne voulons pas de votre messe, nous n'en voulons pas parce qu'elle comporte des choses qui sont incompatibles avec notre foi protestante. Alors changez cette messe et nous pourrons prier avec vous. Nous pour­rons faire des intercommunions. Nous pourrons recevoir vos sacrements, vous pourrez venir dans nos églises, nous nous irons dans les vôtres et tout sera fini et nous aurons l'unité. » Nous aurons l'unité dans la confusion, dans la bâtardise. Nous ne voulons pas de cela. Jamais l'Église ne l'a voulu. Nous aimons les protestants, nous voudrions les convertir. Mais c'est ne pas les aimer que de leur faire croire qu'ils ont la même religion que la religion catho­lique. C'est la même chose avec les franc-maçons. On veut maintenant dialoguer avec les francs-maçons. Non seule­ment dialoguer avec eux, mais permettre aux catholiques de faire partie de la franc-maçonnerie. Mais c'est encore un dialogue abominable. Nous savons parfaitement que ces personnes qui dirigent la franc-maçonnerie, au moins les responsables, sont foncièrement contre Notre-Seigneur Jésus-Christ. 175:207 Et ces messes noires qu'ils font, ces messes abominables, sacrilèges, horribles qu'ils font, sont des parodies de la messe de Notre-Seigneur et ils veulent des hosties consacrées, eux, pour faire ces messes noires. Ils savent que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans l'Eucha­ristie, car le diable le sait que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans l'Eucharistie. Ils ne veulent pas des hosties qui viennent de messes dont ils ne savent pas si le Corps de Notre-Seigneur est, là ou pas. Alors dialoguer avec des gens qui veulent la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ une seconde fois, dans la personne de leurs membres, dans la personne de l'Église ? Nous ne pouvons pas admettre ce dialogue. Nous savons ce qu'a valu le premier dialogue d'Ève avec le diable. Elle nous a perdus, elle nous a tous mis en état de péché. Parce quelle a dialogué avec le diable. On ne dialogue pas avec le diable. Et on prêche ceux qui sont sous l'influence du diable afin qu'ils se convertissent, afin qu'ils viennent à Notre-Seigneur Jésus-Christ. On ne dialogue pas avec les communistes. On dia­logue avec les personnes mais on ne dialogue pas avec l'erreur... ([^16]) Mais précisément pourquoi d'une manière vraiment ferme et résolue ne voulons-nous pas accepter cette union adultère de l'Église avec la révolution ? Parce que nous affirmons la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pour­quoi Pierre a-t-il été fait Pierre ? Rappelez-vous l'Évangile. Pierre est devenu Pierre parce qu'il a professé la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et tous les apôtres ont professé aussi cette foi publiquement, après la Pentecôte. Et on les a poursuivis immédiatement. Les princes des prêtres leur ont dit : ne nous parlez plus de ce nom, nous ne voulons plus entendre ce nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et les apôtres ont dit non possumus, -- nous ne pouvons pas ne pas parler de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de notre Roi. Mais vous me direz : « Est-ce possible ? Vous semblez accuser Rome de ne pas croire à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? » Le libéralisme a toujours deux faces : il affirme la vérité, qu'il prétend être « la thèse », et ensuite dans la réalité, dans la pratique, dans « l'hypo­thèse » comme il dit, il agit comme les ennemis, avec les principes des ennemis de l'Église. 176:207 De telle manière qu'on est toujours dans l'incohérence. Eh bien que veut dire la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? C'est que Notre-Seigneur est la seule personne au monde, le seul être hu­main au monde qui a pu dire : « Je suis Dieu. » Et par le fait même qu'il a pu dire « Je suis Dieu », il était le seul Sauveur de l'humanité, il était le seul Prêtre de l'hu­manité, et il était le seul Roi de l'humanité. Par sa nature, non pas par privilège, non par titre, par sa propre nature, parce qu'il était Fils de Dieu. Or maintenant que dit­on : « Il n'y a pas seulement le salut en Jésus-Christ, il y a du salut en dehors de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il n'y a pas seulement le sacerdoce en Notre-Seigneur Jésus-Christ, tous les fidèles sont des prêtres, tout le monde est prêtre. » Alors qu'il faut participer sacramentellement au sacerdoce de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour pouvoir offrir le sacrifice de la messe ; deuxième erreur. Enfin on ne veut plus du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sous prétexte qu'il n'est pas possible. Cela je l'ai entendu de la bouche du nonce de Berne ; je l'ai entendu de la bouche de l'envoyé du Vatican, de la bouche du Père Dhanis, ancien recteur de l'Université grégorienne, qui est venu me demander au nom du Saint-Siège de ne pas faire les ordinations du 29 juin. Il était le 27 juin à Fla­vigny lorsque je prêchais la retraite aux séminaristes. Et lorsqu'il m'a dit : « Pourquoi êtes-vous contre le concile ? » -- « Mais enfin est-il possible d'accepter le concile alors qu'au nom du concile, vous dites qu'il faut détruire tous les États catholiques, il ne faut plus d'États catholiques, donc plus d'États sur lesquels règne Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce n'est plus possible ? Une chose que ce ne soit plus possible, autre chose que nous prenions ça comme principe et que par conséquent nous ne recherchions plus le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Et qu'est-ce que nous disons tous les jours dans notre « Notre Père » ? *Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.* Qu'est-ce que c'est que ce règne ? Tout à l'heure vous avez chanté dans le Gloria « Tu solus Dominus, Tu solus altissimus Jesu Christe », -- vous êtes le seul Très-Haut, vous êtes le seul Seigneur. Nous le chanterions et puis dès que nous serions sortis, nous dirions : Ah non ! il ne faut plus que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne sur nous. Mais enfin vivons-nous dans l'illogisme ? Sommes-nous chrétiens ou non ? Sommes-nous catholiques ou non ? 177:207 Il n'y aura de paix sur cette terre que dans le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les États se débattent, tous les jours vous avez des pages et des pages dans les journaux, à la télévision, à la radio, encore maintenant avec le changement de premier ministre : Qu'allons-nous faire pour que la situation économique se redresse ? Qu'al­lons-nous faire pour que l'argent revienne ? Qu'allons-nous faire pour que les industries soient prospères ? etc. Tous les journaux en sont pleins dans le monde entier. Eh bien même du point de vue économique, il faut que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne. Parce que le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est le règne de ses principes d'amour, justement, des commandements de Dieu, qui mettent de l'équilibre dans la société, qui font régner la justice et la paix dans la société, ce n'est que dans l'ordre, la justice, la paix de la société que l'économie peut régner, que l'économie peut refleurir. On le voit bien. Prenez l'image de la République argentine. Dans quel état était-elle il y a seulement deux, trois mois ? Une anarchie complète, les brigands tuant à droite à gauche, les industries complètement ruinées, les patrons des usines enfermés, et pris en otages, que sais-je ? Une révolution invraisemblable. Dans un pays pourtant si beau, si équilibré, aussi sympa­thique que la République argentine. Une République qui pourrait être d'une prospérité incroyable, avec des ri­chesses extraordinaires. Il y a un gouvernement qui a des principes, qui a une autorité, qui met un peu d'ordre dans les affaires, qui empêche les brigands de tuer les autres, et voilà que l'économie revient, que les ouvriers ont du travail, et qu'ils peuvent rentrer chez eux en sachant qu'ils ne vont pas être assommés par quelqu'un qui voudrait leur faire faire grève alors qu'ils ne désirent pas faire grève ([^17]). Voilà le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous voulons et nous professons notre foi en disant que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu. 178:207 C'est pourquoi nous voulons aussi la messe de saint Pie V. Pourquoi ? Parce que cette messe est la proclamation de la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. La nouvelle messe est une espèce de messe hybride, qui n'est plus hiérarchique, qui est démocratique, où l'assemblée prend plus de place que le prêtre et donc ce n'est plus une messe véritable qui affirme la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car comment Notre-Seigneur Jésus-Christ est-il devenu roi aussi ? Il a affirmé sa royauté par sa croix : *regnavit a ligno Deus.* Jésus-Christ a régné par le bois de la croix. Car il a vaincu le péché, il a vaincu le démon, il a vaincu la mort par sa croix. C'est donc trois victoires magnifiques de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or on nous dira que c'est du « triomphalisme » de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et c'est pourquoi nos ancêtres ont construit ces magnifiques cathédrales. Pourquoi avoir dépensé tant d'argent, des gens qui étaient beaucoup plus pauvres que nous, pourquoi avoir dépensé tant de temps pour faire ces cathédrales magnifiques que nous admirons encore maintenant, même ceux qui ne croient pas ? Pourquoi ? 179:207 A cause de l'autel. A cause de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pour marquer le triomphe de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Eh bien oui, nous voulons professer le triom­phe de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans notre messe et c'est pourquoi nous nous agenouillons. Nous aimons nous agenouiller devant la sainte Eucharistie. Si nous en avions eu le temps, mais je ne veux pas vous retenir trop, nous aurions avec le Saint-Sacrement circulé dans vos rangs pour que vous manifestiez à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à son Eucharistie sainte que vous l'adorez. Seigneur vous êtes notre Dieu, oh Jésus-Christ, nous vous adorons. Nous savons que c'est par vous que nous sommes nés, c'est par vous que nous avons été chrétiens, c'est par vous que nous avons été rachetés, c'est vous qui nous juge­rez à l'heure de notre mort, c'est vous qui nous donnerez la gloire dans le ciel si nous l'avons méritée. Notre-Seigneur est présent, comme il l'était sur la croix, dans la sainte Eucharistie. Voilà ce que nous devons faire, voilà ce que nous devons demander. Nous ne sommes contre personne. Nous ne sommes pas des commandos, nous ne voulons de mal à personne. Nous voulons seulement qu'on nous laisse professer notre foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Alors on nous chasse de nos églises, à cause de cela, on chasse les pauvres prêtres, parce qu'ils disent la messe ancienne par laquelle ont été sanctifiés tous nos saints et nos saintes -- sainte Jeanne d'Arc, le saint Curé d'Ars, la petite Thérèse de l'Enfant Jésus ont été sanctifiés par cette messe et voici que des prêtres sont chassés brutale­ment, cruellement de leur paroisse parce qu'ils disent cette messe qui a sanctifié les saints pendant des siècles. C'est absurde ! Je dirais presque que c'est une histoire de fous ! Nous nous demandons si nous rêvons. Ce n'est pas possible que cette messe soit devenue une espèce d'horreur pour nos évêques et pour ceux qui devraient conserver notre foi. Eh bien ! Nous garderons la messe de saint Pie V parce que la messe de saint Pie V est la messe de vingt siècles. Elle est la messe de toujours, elle n'est pas seule­ment la messe de saint Pie V, et elle représente notre foi, elle est un rempart pour notre foi. Et nous en avons besoin, de ce rempart pour notre foi. 180:207 Alors on nous dira que nous en faisons une question de latin et de soutane. Évidemment, c'est facile de discré­diter ceux avec lesquels on n'est pas d'accord, de cette manière-là. Certes le latin a son importance et quand j'étais en Afrique il était magnifique de voir ces foules africaines qui avaient une langue différente, -- nous avions parfois cinq ou six tribus différentes qui ne se comprenaient pas, -- qui pouvaient assister dans nos églises à la messe et chanter des chants en latin avec une ferveur extraordinaire, extraordinaire. Allez maintenant voir : ils se disputent dans les églises parce qu'on dit la messe dans une langue qui n'est pas la leur ; alors ils ne sont pas contents, Ils demandent qu'il y ait une messe dans leur langue. C'est la confusion totale. Alors qu'autrefois cette unité était parfaite. C'est un exemple. Sans doute, -- vous avez bien vu que nous avons lu en français l'épître et l'évangile, nous n'y voyons absolument aucun inconvénient ; et même si on ajoutait encore quelques prières en français, des prières communes en français, nous n'y verrions aucun inconvé­nient. Mais il nous semble que tout de même le corps de la messe, l'essentiel de la messe qui va de l'offertoire à la communion du prêtre devrait rester dans une langue uni­que afin que tous les hommes de toutes les nations puissent assister à la messe ensemble et se sentir unis dans cette unité de la foi, dans cette unité de la prière. Aussi nous demandons, vraiment nous adressons un appel aux évêques et nous adressons un appel à Rome : qu'ils veuillent bien prendre en considération le désir que nous avons de prier comme nos ancêtres, le désir que nous avons de garder la foi catholique, le désir que nous avons d'adorer Notre-Seigneur Jésus-Christ, de vouloir son règne. C'est ce que j'ai dit au Saint-Père dans ma dernière lettre, -- et je croyais vraiment que c'était la dernière parce que je ne croyais pas que le Saint-Père m'aurait adressé d'autres lettres, -- je lui ai dit ([^18]) : *Très Saint Père rendez-nous le Droit public de l'Église, c'est-à-dire le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; rendez-nous la vraie Bible et non pas une bible œcuménique, mais la vraie Bible telle qu'était la Vulgate autrefois qui a été tant et tant de fois consacrée par dès conciles et par les papes. Rendez-nous la vraie messe, une messe hiérarchique, une messe dogmatique qui défende notre foi et qui était celle de tant et de tant de siècles et qui a sanctifié tant de catholiques. Et enfin rendez-nous notre catéchisme suivant le modèle du caté­chisme du concile de Trente.* Car sans un catéchisme précis, sans une foi précise, que seront nos enfants demain, que seront les générations futures : elles ne connaîtront plus la foi catholique et nous le constatons déjà aujourd'hui. 181:207 Hélas, je n'ai aucune réponse, sinon la suspense a divinis. Et c'est pourquoi je ne considère pas ces peines comme des peines valables. Aussi bien canoniquement que théolo­giquement, je pense en toute sincérité, en toute paix, en toute sérénité, que je ne puis pas contribuer par ces sus­penses, par ces peines qui me sont données et par la fermeture de mes séminaires, par le refus de faire des ordinations, je ne veux pas contribuer à la destruction de l'Église catholique. Je veux qu'à l'heure de ma mort lorsque Notre-Seigneur me demandera : « Qu'as-tu fait de ton épiscopat, qu'as-tu fait de ta grâce épiscopale et sacerdotale », je ne puisse pas entendre de la bouche du Seigneur : « Tu as contribué à détruire l'Église avec les autres. » Mes bien chers frères, je finis et je termine en m'adres­sant à vous, en vous disant : Que devez-vous faire ? Oh je sais bien, beaucoup de groupes nous demandent : « Mon­seigneur, donnez-nous des prêtres, donnez-nous des prêtres, donnez-nous de vrais prêtres. C'est cela dont nous avons besoin. Nous avons la place pour le mettre, nous cons­truirons une petite chapelle, il sera là chez nous, il instruira nos enfants : le vrai catéchisme, la vraie foi. Nous voulons garder la foi comme ont fait les Japonais pendant trois siècles lorsqu'ils n'avaient pas de prêtres. Donnez-nous des prêtres ! » Eh bien, mes bien chers frères, je fais tout mon possible pour vous en préparer et je puis dire que c'est ma grande consolation de sentir dans ces sémina­ristes une foi profonde de vrais prêtres. Ils ont compris ce qu'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ont compris ce qu'est le saint sacrifice de la messe, les sacrements. Ils ont une foi profondément enracinée dans leur cœur. Ils sont, je dirais, mieux que ce que nous pouvions être il y a cin­quante ans dans nos séminaires parce qu'ils vivent dans une situation difficile. Beaucoup entre eux d'ailleurs ont fait des études universitaires. Quand on nous jette à la figure que ces jeunes ne sont pas adaptés et ne sauront pas parler aux générations modernes ! Voilà des jeunes gens qui ont fait trois, cinq, sept années d'université, ne connaissent-ils pas leur génération ? Pourquoi sont-ils donc venus à Écône pour devenir prêtres ? C'est précisément, pour s'adresser à leur génération. Ils les connaissent bien, bien mieux que nous, bien mieux que tous ceux qui nous critiquent. Alors ils seront bien capables de parler le lan­gage qu'il faut pour convertir les âmes. Et c'est pourquoi je suis très heureux de pouvoir vous dire : nous aurons encore vingt-cinq nouvelles recrues cette année au sémi­naire d'Écône, malgré les difficultés ; nous en aurons dix nouvelles dans notre séminaire des États-Unis à Armada ; 182:207 et quatre nouvelles dans notre séminaire de langue alle­mande en Suisse allemande. Par conséquent les jeunes gens, malgré les difficultés qu'on nous fait, comprennent très bien que nous formons de vrais prêtres catholiques. Et c'est pourquoi nous ne sommes pas dans le schisme, nous sommes les continuateurs de l'Église catholique. Ce sont ceux qui font les nouveautés qui partent dans le schisme. Nous, nous continuons la Tradition. Et c'est pourquoi nous devons avoir confiance, nous ne devons pas nous désespérer, même devant la situation actuelle. Nous devons maintenir. Maintenir notre foi, maintenir nos sacrements, appuyés sur vingt siècles de Tradition, appuyés sur vingt siècles de sainteté de l'Église, de foi de l'Église. Nous n'avons pas à craindre. Certains des reporters quel­quefois m'ont demandé : « Monseigneur, vous sentez-vous Isolé ? » Je dis : « Pas du tout, pas du tout. Je ne me sens pas isolé. Je suis avec vingt siècles d'Église et je suis avec tous les saints du ciel et du paradis. » Pourquoi ? Parce qu'ils ont prié comme nous, parce qu'ils se sont sanctifiés comme nous essayons de le faire, avec les mêmes moyens. Je suis persuadé qu'ils se réjouissent de cette assemblée d'aujourd'hui. Ils disent : au moins voilà des catholiques qui prient, qui prient vraiment, qui ont vrai­ment dans leur cœur le désir de la prière, d'honorer Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les saints du ciel se réjouissent, vos saints anges se réjouissent. Alors ne soyons pas déses­pérés, mais rions, prions et sanctifions-nous. Ah, c'est un conseil que je voudrais vous donner : il ne faut pas qu'on puisse dire de nous, de ces catholiques que nous sommes, -- je n'aime pas tellement le terme de « catholiques tra­ditionalistes », étant donné que je ne vois pas ce que peut être un catholique qui n'est pas traditionaliste : l'Église est une tradition ; et ailleurs que seraient les hommes s'ils n'étaient pas dans la tradition ? Mais nous ne pourrions pas vivre ! Nous avons reçu la vie de nos parents, nous avons reçu l'éducation de ceux qui étaient avant nous. Nous sommes une tradition. Le Bon Dieu l'a voulu comme ça. Le Bon Dieu a voulu que les traditions se passent de génération en génération aussi bien pour les choses hu­maines, pour les choses matérielles que pour les choses divines. Par conséquent ne pas être traditionnel, ne pas être traditionaliste, c'est la destruction de soi-même, c'est un suicide. -- Alors nous, sommes des catholiques, nous continuons à demeurer catholiques. Qu'il n'y ait pas de divisions entre nous. Précisément si nous sommes catho­liques, nous sommes dans l'unité de l'Église, l'unité de l'Église qui est dans la foi. Il n'y a d'unité que dans la foi. Alors on nous dit : « Vous devez être avec le pape, le pape est le signe de la foi dans l'Église. » 183:207 Eh oui ! dans la mesure où le pape manifeste son état de successeur de Pierre, dans la mesure où il se fait l'écho de la foi de toujours, dans la mesure où il transmet le trésor qu'il doit transmettre. Car qu'est-ce qu'un pape encore une fois ? C'est celui qui nous donne les trésors de la Tradition et le trésor du dépôt de la foi, et la vie surnaturelle par les sacrements et par le sacrifice de la messe. L'évêque n'est pas autre chose, le prêtre n'est pas autre chose : trans­mettre la Vérité, transmettre la Vie qui ne nous appartient pas. L'épître le disait tout à l'heure. La Vérité ne nous appartient pas, elle n'appartient pas plus au pape qu'à moi. Il est le serviteur de la Vérité comme je dois être le serviteur de la Vérité. Et s'il arrivait que le pape ne fût plus le serviteur de la Vérité, il ne serait plus pape. Ce n'est pas possible. Je ne dis pas qu'il le soit, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Mais je dis : s'il arrivait que ce soit vrai, eh bien nous ne pourrions pas suivre quelqu'un qui nous entraîne dans l'erreur. C'est évident. Or quel est le critère de la Vérité ? On me dit : « Vous jugez le pape. » Mgr Benelli m'a jeté à la figure : « C'est pas vous qui faites la vérité ! » Bien sûr ce n'est pas moi qui fais la vérité, : mais pas le pape non plus. La Vérité c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et donc il faut nous reporter à ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a enseigné, à ce que les apôtres nous ont enseigné, à ce que les Pères de l'Église, à ce que toute l'Église a enseigne pour savoir où est la Vérité. Ce n'est pas moi qui juge le Saint-Père, c'est la Tradition. Un enfant de cinq ans avec son catéchisme peut très bien répondre à son évêque, si son évêque venait à lui dire : « Notre-Seigneur n'est pas présent dans la sainte Eucharistie. » « C'est moi qui suis le témoin de la Vérité », dirait l'évêque. « C'est moi qui suis le témoin de la Vérité. Moi je te dis que Notre-Seigneur n'est pas présent dans la sainte Eucharistie. » Cet enfant avec son catéchisme, il a cinq ans, il lit, il dit : « Mais mon catéchisme dit le contraire. » Alors qui est-ce qui a raison ? C'est l'évêque ou c'est le catéchisme ? C'est le catéchisme, évidemment ! Le catéchisme qui représente la foi de toujours. C'est très simple. C'est enfantin comme raisonnement. Mais nous en sommes là. Si on nous dit aujourd'hui qu'on peut faire des intercommunions avec les protestants, qu'il n'y a plus de différence entre nous et les protestants, eh bien ce n'est pas vrai. Il y a une différence immense. 184:207 C'est pourquoi nous sommes vraiment stupéfait quand nous pensons que l'on a fait bénir par l'archevêque de Cantorbéry, qui n'est pas prêtre (parce que les ordinations anglicanes ne sont pas valides, le pape Léon XIII l'a déclaré officiellement et définitivement, parce qu'il est hérétique, comme le sont tous les anglicans, -- je regrette, on n'aime plus ce nom-là, mais c'est quand même la réalité ; ce n'est pas pour lui donner une insulte, je ne demande que sa conversion), donc il n'est pas prêtre, il est hérétique et on lui demande de bénir la foule des cardinaux et des évêques présents dans l'église de Saint-Paul avec le Saint-Père. Il me semble que c'est là une chose absolument inconcevable ! Je conclus, vous remerciant d'être venus nombreux et vous remerciant aussi de continuer à faire de cette cérémonie une cérémonie profondément pieuse, profon­dément catholique et nous prierons donc ensemble pour que le Bon Dieu nous donne les moyens de résoudre le problème. Ce serait si simple si chaque évêque dans son diocèse mettait à notre disposition, à la disposition des catholiques fidèles, une église eu leur disant : voilà l'église qui est la vôtre. Et ici quand on pense que l'évêque de Lille a donné une église aux musulmans je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas une église pour les catholiques fidèles. Et en définitive, toute la question serait résolue. C'est ce que je demanderai au Saint-Père, si le Saint-Père veut bien me recevoir : Laissez nous faire, Très Saint Père, l'expérience de la Tradition. 185:207 ### 45. -- Le temps des injures *Quelques points de repère seulement, parmi des dizaines et des dizaines :* Jean Potin dans *La Croix* du 17 août : Mgr Lefebvre et ses disciples « mettent en avant les rites de la messe, mais ils taisent habilement la condamnation qu'ils portent contre la totalité des orientations données à l'Église par le concile Vatican II ». Éditorial du *Monde,* 31 août : « une sorte de prélat retour de Coblence », « n'ayant rien appris et tout oublié de ce qui s'est produit depuis le concile de Trente ». Raymond Bourgine, dans *Valeurs actuelles* du 6 sep­tembre : « Pourquoi faut-il que Mgr Lefebvre cède à son tour à la tentation politique en dressant l'Église, par exemple, contre la révolution, contre le communisme ? » Charles Avril, dominicain, en « exclusivité » dans *L'Ex­press* du 6 septembre : « Ignorance totale de l'histoire de l'Église », « esprit étroit et borné », « entêtement de mulet », « absurdité théologique », « sottise politique », « anachronisme sectaire », « inconscience qui laisse pan­tois ». Maurice Clavel, dans *Le Monde,* des 26/27 septembre : « Lefebvre est un rien » ; \[j'ai\] « récemment exécuté Mgr Lefebvre à la télévision » ([^19]). 186:207 ### L'hésitation *La rencontre entre Paul VI et Mgr Lefebvre, le 11 septem­bre 1976, était en tous points imprévue, même pour chacun des deux interlocuteurs.* *Depuis des années, en effet, Mgr Lefebvre demandait et redemandait audience ; depuis des années, Paul VI refusait. Mgr Lefebvre avait émis l'hypothèse que ce long refus était dû à un* « *écran *» *élevé entre Paul VI et lui. Paul VI avait tenu à démentir publiquement cette hypothèse et à déclarer qu'il était personnellement responsable de ce refus, décidé par lui-même en pleine connaissance de cause. Dans sa lettre au cardinal Villot à ce sujet* (*document n° 21*)*, il écrivait de sa main :* « *Nous estimons qu'avant d'être reçu en audience Mgr Lefebvre doit revenir sur sa position inadmissible à l'égard du concile œcuménique Vatican II et des mesu­res que nous avons promulguées et approuvées* (*...*)*. Un réel changement d'attitude est donc nécessaire pour que l'entretien souhaité puisse avoir lieu... *» *C'était assez clair : Mgr Lefebvre devait d'abord revenir sur sa position, changer d'attitude. Ce qui revenait en fait, comme Paul VI le lui faisait dire en substance par Mgr Benelli, à une soumission inconditionnelle. Tel était le préalable à une entrevue.* *Mais l'audience du 11 septembre a eu lieu sans que la con­dition préalable ait été remplie. Ce changement d'attitude de Paul VI est ce que l'événement a comporté de plus important et de moins expliqué.* *Et c'est cela même que l'on a essayé, après coup, de dissi­muler au public. Le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, dans sa* « *réponse *» *du 17 septembre* (*document n° 50*) *a prétendu que Paul VI aurait* « *fait connaître cinq fois qu'il serait très heureux de le recevoir *» *et que* « *les bras du pape sont ouverts *»*. Il s'est efforcé de donner ainsi l'impression que Paul VI désirait rencontrer Mgr Lefebvre et que c'était Mgr Lefebvre qui ne voulait pas rencontrer Paul VI : mais il n'aura pu faire croire cette chanson qu'à ceux qui ne connaissent pas le dossier.* \*\*\* *L'audience du 11 septembre a marqué chez Paul VI une non-cohérence majeure avec son attitude antérieure. Elle révèle chez lui une hésitation. Mais une hésitation* « *pastorale *»*, c'est-à-dire tactique ? ou bien une hésitation plus profonde, plus grave, plus radicale ? Sur le moment rien ne permet d'en mesurer la portée ni d'en présumer la durée.* *Paul VI avait condamné Mgr Lefebvre sans l'entendre. En­suite, il l'a entendu sans lever la condamnation. Cela ne fait pas une paix :* OPUS JUSTITIAE PAX. *Cela fait une sorte de trêve, incertaine, imprécise, instable.* 188:207 ### 46. -- Demande d'audience de Mgr Lefebvre à Paul VI *Le texte de cette lettre n'a pas été publié.* *Nous avons à ce sujet interrogé Mgr Lefebvre qui nous a répondu ceci :* *Celle demande d'audience a été rédigée très rapidement ; je n'en ai pas le double, mais en voici, de mémoire, une repro­duction exacte quant à la substance :* *Très Saint Père, -- Que Votre Sainteté veuille bien agréer l'assurance de ma respectueuse vénération. -- Si dans mes paroles ou mes écrits certaines expressions ont pu déplaire à Votre Sainteté, je le regrette vivement. -- J'espère toujours que Votre Sainteté voudra bien m'accorder une audience. Je L'assure de mes sentiments respectueux et filiaux. -- Marcel Lefebvre, Rome, le 10 septembre 1976.* 189:207 ### 47. -- Communiqué de la salle de presse *11 septembre 1976* S. Exc. Mgr Marcel Lefebvre est venu hier à Castel­gandolfo pour demander une audience au saint-père. Il a été reçu ce matin à 10 h 30. Sa Sainteté, après avoir fait remarquer que les pro­blèmes évoqués ont été et sont toujours suivis par le pape avec l'attention pastorale la plus vive et la plus constante, l'a invité, avec des expressions particulièrement et inten­sément paternelles, à réfléchir sur la situation créée par lui si gravement préjudiciable pour l'Église, ainsi que sur ses responsabilités personnelles à l'égard du groupe de fidèles qui le suivent, de la communauté ecclésiale tout entière, et devant Dieu. 190:207 ### 48. -- Déclarations du directeur de la salle de presse *14 septembre 1976* *Le P. Panciroli, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, a lu le 14 septembre les déclarations sui­vantes, reproduites en italien dans* « *L'Osservatore romano *» *du 15 septembre. Nous suivons la traduction française de la* « *Documentation catholique *»*.* *A la demande qui m'a été faite par un journaliste je suis autorisé à répondre :* Il ne correspond pas à la vérité que Mgr Lefebvre ait signé un document de soumission avant d'être reçu en audience par le saint-père. Avant d'être reçu, il a apporté lui-même à Castelgandolfo une lettre brève dans laquelle il demandait une audience au saint-père en termes cour­tois qui permettaient d'espérer de sa part une soumission possible et toujours souhaitable. *A un autre journaliste, qui demande si l'abbé La Bel­larte ou d'autres personnes ont effectivement préparé cette audience en accord avec le Saint-Siège, je suis autorisé à répondre :* Ni l'abbé La Bellarte ni d'autres n'ont été chargés d'une semblable mission. Il n'y a eu aucune entente préalable, ni directe ni indirecte. Mgr Lefebvre s'est présenté à l'impro­viste devant la résidence pontificale de Castelgandolfo et a demandé une audience par la lettre dont il a été question plus haut. 191:207 Le saint-père a décidé de le recevoir, avant tout parce que, bien que suspens « a divinis », c'était toujours un évêque qui se présentait personnellement à la maison du Père commun, dans des circonstances si particulières ; et ensuite parce que, comme nous l'avons dit précédemment, sa demande audience était formulée de telle manière qu'elle pouvait permettre au pape d'espérer un repentir. *Je profite de cette occasion pour mettre en garde contre les informations qui, dans différents pays, brodent abu­sivement sur ce triste épisode* ([^20])*.* *Dans notre prochain numéro : la suite des documents, et notamment le texte intégral de la conférence de presse de Mgr Lefebvre le 15 septembre, relatant son audience du 11 septembre ; et le texte intégral de la lettre envoyée un mois plus tard par Paul VI à Mgr Lefebvre, le 11 octobre.* 192:207 ## AVIS PRATIQUES ### Informations et commentaires *L'information religieuse au* «* Figaro *» Nous lisons dans la rubrique religieuse du *Figaro,* 8 octobre 1976, trois et \[même\] quatre informations intéressantes, sous la signa­ture de Jean Bourdarias : Le 27 mars 1976, dans sa « Lettre aux amis et bien­faiteurs », Mgr Lefebvre écrivait : « Lorsqu'on apprend à Rome que celui qui a été l'âme de la réforme litur­gique est un franc-maçon, on peut penser qu'il n'est pas le seul. » C'est une information. Elle date de mars. Le *Figaro* la donne seulement en octobre. Poursuivons notre lecture : Cette déclaration qui visait Mgr Bugnini était reprise par le Supplément-Voltigeur de Jean Madiran en date du 15 mai qui citait Tito Casini lequel avait affirmé dans \[son livre\] *Nel fumo di Satana* : « La réforme a été conduite par ce Bugnini qui, finalement, est démas­qué. Il est bien ce qu'on le soupçonnait : un franc-maçon. » C'est une seconde information. Elle est du mois de mai, *Le Figaro* la donne en octobre seulement. Continuons : 193:207 Le 8 juillet, le P. Bruckberger enchaînait : « Un beau jour, Paul VI découvre de manière irréfutable que ce Bugnini de malheur est un franc-maçon. » C'est une troisième information. Elle est de juillet. Et c'est seulement en octobre, elle aussi, que le *Figaro* la fait connaî­tre à ses lecteurs. Pourquoi Jean Bourdarias n'avait-il pas donné ces informa­tions à leur date, en mars, en mai, en juillet ? Pourquoi l'infor­mation religieuse du *Figaro,* qui est un quotidien, avait-elle pris un tel retard ? -- Qu'on ne dise pas que ces trois infor­mations avaient été négligées parce qu'elles étaient négligeables, sans importance, sans intérêt. Elles ne l'étaient pas. La preuve Jean Bourdarias les publie respectivement trois, cinq et six mois après coup. Des informations qui restent d' « actualité trois et six mois après coup, c'est assez rare, cela démontre leur intérêt, leur importance. Alors, pourquoi Bourdarias les avait-il cachées ? \*\*\* C'est qu'il y a une quatrième information. Mgr Bugnini aurait, paraît-il, autorisé un petit bulletin local, reprographié à quelques dizaines d'exemplaires, à décla­rer en style indirect qu'il nie avoir été franc-maçon. Jean Bourdarias suppose que cette quatrième information suffit à démentir les trois premières. Il suppose même qu'elle lui permet d'insinuer contre leurs auteurs l'accusation de « calomnie » : Alors, à ce moment, à ce moment seulement, il publie les trois premières informations, qu'il avait cachées jusque là. Voilà qui est instructif sur le procédé d'information reli­gieuse du *Figaro.* Certaines informations, tant qu'elles lui paraissent contrai­res à son parti, ou du moins à son parti pris, Bourdarias les dissimule à ses lecteurs. Mais il les leur fait connaître aussi­tôt que, par un événement nouveau, elles lui paraissent deve­nir favorables à son parti, ou parti pris. \*\*\* Quant à savoir si le démenti de Mgr Bugnini en style indi­rect et discret suffit à effectivement démentir les témoignages publics portés contre lui par Mgr Lefebvre, par Tito Casini et par le P. Bruckberger, le lecteur appréciera. 194:207 ### Annonces et rappels L'effort pour l'abonnement se poursuit. Il est plus lent ; il est plus difficile, mais aussi il est plus prolongé que nous ne l'avions prévu. Nous arrivons à 714. Merci à tous ceux qui persévèrent. Cette campagne d'abonnements a commencé le 1^er^ novembre 1975. Son objectif était de contrarier le mouvement de recul par lequel, en cinq années (1970-1975) nous avions perdu 2.290 abonnés. Je vous proposais d'en regagner 2.000. Nous n'avions pas l'intention de faire durer cette campagne pendant un an ! C'est à la demande de plusieurs d'entre vous qu'elle a été prolongée. En une année, donc, depuis le 1^er^ novembre 1975, nous avons au total enregistré d'une part 1.439 abonnements nouveaux, d'autre part 725 non-réabonnements. Cela fait donc 714 abonnements de regagnés sur les pertes. J. M. ============== fin du numéro 207. [^1]:  -- C'est-à-dire institué par l'instruction romaine *Immensae caritatis* datée du 29 janvier 1973 et promulguée deux mois plus tard par Paul VI. Les circonstances de sa publication et les prescriptions qu'elle contient sont analysées dans « La dérision », chapitre IV de notre *Réclamation au Saint-Père* (Tome II de *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* Nouvelles Editions Latines 1974). Le scandale de la permission explicitement donnée : 1) aux malades, 2) à ceux qui les soignent, 3) à leurs proches -- c'est-à-dire à tout le monde, car tout le monde a presque toujours parmi ses proches des personnes soit malades, soit soignant des malades, -- la permission, dis-je, de boire de l'alcool *un quart d'heure* avant de communier est l'une de ces hontes (non abolie pourtant, à ma connaissance) dont les apologistes de Paul VI évitent de parler. La honte du *quart d'heure.* Car nous l'avons fait observer s'abstenir d'alcool *pendant une heure,* même un ivrogne en est capable. (Note de 1984.) [^2]:  -- (1). Tome II de *L'Hérésie du XX^e^ siècle* (Nouvelles Éditions Lati­nes). [^3]:  -- (1). Ville et port des États-Unis du Brésil (*Estados unidos do Bra­sil*), capitale de l'État de Bahia. C'est l'ancienne ville de Bahia, encore nommée ainsi, parfois, par les Européens, ancienne capitale du Brésil jusqu'en 1763. L'Archevêque de Salvador est primat du Brésil ; c'est actuellement le cardinal Abélard Brandâo Vilela. (Note d'ITINÉRAIRES.) [^4]:  -- (1). DMM éditeurs, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris. [^5]:  -- (1). On évoque à tort, à propos de Mgr Lefebvre, la « petite église » qui est résultée du refus manifesté par un ou deux évêques et quelques prêtres de résigner leurs charges comme le leur deman­dait Pie VII au moment du Concordat. Le pape commettait sans doute un abus de pouvoir pour complaire à Napoléon, mais il ne réclamait qu'un sacrifice personnel en exigeant ces démissions. Or, justement, Mgr Lefebvre a montré, et nous l'avons rappelé, qu'il était prêt à tous les sacrifices lorsqu'il était seul en cause. Si aujour­d'hui on veut l'abattre, ce n'est pas pour le remplacer mais pour supprimer sa Fraternité et son action en général. C'est donc pour l'Église et pour nous tous qu'il a le devoir de continuer. [^6]:  -- (1). *Population*, juill.-oct. 1976 : « la conjoncture démographique : l'Europe » ; p. 917. [^7]:  -- (2). *Population et sociétés*, n° 93, juillet 1976 : « Familles et ni­veaux de vie ». [^8]:  -- (1). Ce n'est pas seulement « la philosophie » du communisme, c'est LE COMMUNISME en lui-même et tout entier qui, selon l'encycli­que Divini Redemptoris*,* est « intrinsèquement pervers ». (Note d'ITINÉRAIRES.) [^9]: **\*** -- Figure p. 130 dans l'original. [^10]:  -- (1). Les mots « fraternel » et « paternel » ne font pas oublier la réalité : Paul VI a refusé d'entendre Mgr Lefebvre avant de le condamner. Et, dans son discours au consistoire du 24 mai 1976, il a publiquement dénoncé Mgr Lefebvre et ceux qui le suivent comme étant sans âme, sans sincérité et sans bonne foi : voir les notes 4 et 20 au document n° 23. [^11]:  -- (2). Il y eut une irrégularité initiale, cause de toutes les irrégularités subséquentes : l'irrégularité de la procédure par laquelle Mgr Lefebvre a été clandestinement jugé et injuste­ment condamné. [^12]:  -- (3). Paul VI rejette donc ces accusations comme graves et non pas comme *fausses.* Selon l'attitude constante du Saint-Siège en cette affaire, il ne nie pas les tendances libérales et modernistes de son pontificat, il nie que l'on ait le droit de les contester ; il ne prétend pas que le concile n'a pas eu de torts, il affirme que les normes ecclésiastiques ont été obser­vées. C'est l'argument d'autorité, hypertrophié au point de devenir le seul critère du juste et du vrai. Une fois de plus, c'est l'obéissance inconditionnelle au pape et au concile, c'est la soumission servile qui est réclamée. [^13]:  -- (4). La position de Mgr Lefebvre ne serait effectivement pas « selon l'Évangile et selon la foi » s'il s'opposait au principe de l'autorité pontificale et conciliaire. Mais ce n'est pas cela. Il s'oppose à la manière accidentelle (et fautive) dont cette autorité s'exerce depuis une quinzaine d'années. En face de quoi, Paul VI refait ce qu'il avait déjà fait dans son discours consistorial du 24 mai (voir note 15 du document n° 23) : il confond la contestation (de principe) d'une autorité avec la contestation (de fait) de son exercice ; autrement dit, il répond comme si Mgr Lefebvre réclamait une Église sans pape et sans concile, ce qui, en effet, ne serait pas conforme à l'Évangile et à la foi.-- La question soulevée par Mgr Lefebvre, à cet égard, est de savoir si l'autorité elle-même s'exerce « selon ;l'Évangile et selon la foi » dans la manière dont elle conduit l'évolution conciliaire. En raison des circonstances, cette question n'est ni gratuite, ni légère, ni téméraire. Elle ne pourra pas être indéfiniment écartée sans examen. [^14]:  -- (5). Il n'est pas précisé de quelle chaîne ni de quel illogisme il s'agit. [^15]:  -- (1). Voir la note 8 au document n° 23. \[202:206-09-76 [^16]:  -- (2). Ici, deux perturbateurs lancent des interruptions, pro­voquant un moment de brouhaha. L'assemblée, ne sachant comment manifester son sentiment, se met à applaudir Mgr Lefebvre avec énergie. Les perturbateurs sont expulsés. [^17]:  -- (3). Des rhéteurs qui ne savent rien de l'Argentine ont fait mine de se scandaliser d'une telle allusion à un pays supposé « fasciste » : c'était de leur part l'habituelle mise en œuvre du terrorisme intellectuel et de la manipulation psychologi­que. Mais cette manipulation et ce terrorisme n'ont aucun effet sur Mgr Lefebvre et ne l'empêchent pas de dire tout uniment ce qu'il pense, sans s'arrêter à un « qu'en dira-t-on » tendancieusement fabriqué. -- Le redressement économique de l'Ar­gentine depuis que les militaires y ont pris le pouvoir doit bien être une réalité, puisque *L'Express* lui-même en fait état dans son numéro 1.312, paru le 30 août, le lendemain du ser­mon de Lille : « *Le général Videla, porté au pouvoir par un coup d'État, est parvenu in extremis à redresser la situation économique du pays. Avec une inflation de 800 % au cours des douze derniers mois de la présidence d'Isabel Peron, sans moyens de paiement pour rembourser ses dettes à l'étranger, l'Argentine était au bord de la faillite. Grâce à la libération des prix et au blocage des salaires, l'inflation est tombée à moins de 3 % par mois* (*...*). *L'Argentine peut reprendre son déve­loppement sur des bases solides. *» Quant au « coup d'État » des militaires argentins, ce ne fut de leur part ni ambition ni despotisme, ils auraient bien préféré (comme les militaires bré­siliens en 1964) n'avoir pas à intervenir. Mais il n'y avait plus qu'eux. Le *Courrier de Paul Dehème* le précise dans son numé­ro 7.967 du 16 septembre 1976 : « *Les militaires argentins se sont très longtemps refusés à agir et, le 24 mars 1976, quand ils prirent leur décision, le chaos était parvenu à un point tel qu'il leur était impossible de tarder plus longtemps. Je vous rappel­lerai d'ailleurs ce que je vous écrivais le 17 mars, une semaine avant leur prise de pouvoir : Il va devenir inévitable que les forces armées prennent des décisions draconiennes ; quelque. scrupule qu'elles en aient. *» -- En sens contraire, Paul VI a parlé durement de l'Argentine en recevant son ambassadeur c'est la politique montinienne, bien connue, hostile à tous les gouvernements anti-communistes. [^18]:  -- (4). C'est la lettre du 17 juillet 1976 (document n° 33). [^19]:  -- (1). Maurice Clavel a exécuté Mgr Lefebvre ? A la télévision ; c'était du cinéma. [^20]:  -- (1). L'épisode auquel, le P. Panciroli applique la qualifica­tion de « *triste épisode *»*,* quel est-il donc, sinon la réception de Mgr Lefebvre par Paul VI. Le P. Panciroli était peut-être « autorisé » à formuler un tel jugement, mais par qui au juste ?