# 210-02-77 1:210 ### L'affaire Elchinger *L'affaire Elchinger a brusquement rebondi à la fin du mois de décembre 1976, avec un communiqué téméraire de l'évêque de Stras­bourg, qui lui a aussitôt attiré une écrasante lettre ouverte de Louis Salleron.* *Ces nouveaux épisodes occupent ci-après les chapitres X à XIV.* *On n'en comprendrait pas la portée si l'on n'avait pas présent à l'esprit, de manière exacte et complète, l'état de la question. C'est pourquoi les chapitres I à IX reprennent l'affaire depuis le début et en rassemblent toutes les données.* *Dans les pages qu'on va lire, tout ce qui est présentation, explication, commentaire des documents est de notre main et engage, bien entendu, notre seule responsabilité.* Jean Madiran. 2:210 #### I Les deux étendards. De Mgr Lefebvre à Mgr Elchinger C'est sous ce titre qu'a paru l'article initial qui déclenche l'affaire Elchinger. L'article est de Louis SALLERON, dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR numéro 34 du 15 janvier 1976 : Strasbourg. Samedi 13 dé­cembre 1975, 18 h 30. Dans l'église protestante de Saint-Nicolas, -- devenue « Ago­ra (?) de Saint-Nicolas », -- une cérémonie étrange com­mence. Une assemblée semi-cir­culaire (60 à 80 personnes) borde un autel sans croix, -- une table. Qui sont ces hommes, ces femmes, ces enfants ? Des protestants et des catholiques. Ils chan­tent, ils prient, ils font des lectures. Esaïe, 40, 1-5. -- *Dieu ré­conforte : Il va libérer son peuple.* Esaïe, 61, 1-3a. -- *Rempli de l'Esprit Saint le Messie réconforte et libère les op­primés.* Jean 1, 6, 8, 19 s.-- « *Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. *» Deux hommes, assis au premier rang, se lèvent et montent à l'autel où ils se placent face au peuple. Ils sont en civil. L'un est pas­teur, l'autre prêtre catholi­que. Chacun a, en face de soi, une assiette remplie d'hos­ties et un gobelet rempli de vin. « *Rendons grâces à Dieu ! *» « *Hosanna ! Toi seul es saint ! *» Chant. Le prêtre catholique prend son assiette et la pré­sente au peuple : « Voici le mémorial, le signe, le pain partagé pour la communau­té dispersée, que nous man­gerons pour recevoir son Esprit. » A son tour, le pasteur lève son gobelet et présente le vin « qui sera le Vin du Bonheur éternel ». 3:210 Tout le monde récite le « Notre Père ». L'assemblée fait cercle autour de l'autel. Chacun des deux célébrants se communie dans son as­siette et son gobelet. Ensuite ils passent les deux assiet­tes aux assistants, les invi­tant à servir chacun son voisin dans la main. Ils font égaiement circuler les deux gobelets. « Allez en paix ! » Béné­diction-renvoi en commun par les deux concélébrants. Récitation par l'assemblée d'un mini-credo. La cérémo­nie est terminée. On se lève, on se retrouve, on bavarde fraternellement et on s'en va. \*\*\* Célébration sauvage ? Nul­lement. Le prêtre catholique est l'abbé S. ; il appartient à la paroisse de la cathé­drale et il est membre de la commission diocésaine pour les problèmes œcuméniques. S'il est là, c'est nécessaire­ment en plein accord avec son évêque Mgr Elchinger qui, depuis des années, construit l'œcuménisme en Alsace, allant toujours plus loin dans ses réalisations. Cette fois il franchit le pas décisif. Violant la Loi et la Foi de l'Église, il abandon­ne la messe et le sacerdoce pour mettre en place la Re­ligion Nouvelle. Sera-t-il inquiété ? Mais pourquoi le serait-il ? Il sait bien qu'il a l'accord tacite (ou exprès) de la Conféren­ce épiscopale et du cardinal Villot, secrétaire d'État. N'a­git-il pas conformément aux « orientations du Concile » ? \*\*\* Telle est la situation de « l'Église de France ». Mgr Lefebvre est persé­cuté parce qu'il s'obstine à vouloir sauver la messe et le sacerdoce. Mgr Elchinger opère en liberté parce que « l'esprit conciliaire » est un esprit d'adaptation, de mutation, d'innovation, qui permet tout. L'Église est coupée en deux. Où sera-t-elle, que sera-t-elle demain ? \[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Louis Salleron, paru dans le *Supplément-Voltigeur* du 15 janvier 1976.\] 4:210 La « concélébration » du samedi 13 décembre 1975 a été recommencée dans les mêmes conditions le sa­medi 10 janvier 1976, selon l'article du P. Bruckberger dans *L'Aurore* du 22 janvier 1976 : L'Alsace et Strasbourg ont ceci de particulier en France que protestants et catholiques y sont en nom­bre sensiblement égal. C'est le terrain qui semble avoir été choisi pour lancer des concélébrations eucharisti­ques avec, à égalité, un prê­tre catholique et un pasteur protestant. Ce n'est plus de l'œcuménisme, c'est un syn­crétisme, où la nature de la messe catholique se trou­ve complètement évacuée et dissoute. La première de ces con­célébrations a eu lieu dans l'église protestante Saint-Nicolas, à Strasbourg, le sa­medi 13 décembre, à 18 h 30. De telles concélébrations doivent se renouveler en 1976, chaque deuxième sa­medi du mois. Du côté ca­tholique, le célébrant est l'abbé Steyer, membre de la Commission diocésaine pour les problèmes œcuméniques. Il serait invraisemblable que l'évêque du lieu, Mgr El­chinger, ne soit pas au cou­rant. A la concélébration qui eut lieu le samedi 10 jan­vier, les paroles de la consé­cration furent prononcées sur le pain par le pasteur ; sur le vin par le prêtre ca­tholique. Cette concélébra­tion est, pour le moins, un simulacre en lui-même scan­daleux. Pour le pire, elle est consécration valide du vin converti dans le sang du Christ, consécration invalide et donc nulle du pain puis­que le pasteur n'a aucun pouvoir sacerdotal. Le sacri­fice de la messe n'a donc pas eu lieu, et cela est sa­crilège. \[Fin de la citation extraite d'un article du P. Bruckberger paru dans *L'Aurore* du 22 janvier 1976.\] #### II Le communiqué « de Mgr Elchinger » paru dans « La Croix » Dans son numéro du 27 janvier 1976, *La Croix* publie un communiqué de Mgr Elchinger dont voici l'entière reproduction (nous voulons dire l'entière re­production de ce qui a paru dans *La Croix*) : 5:210 *Dans un communiqué da­té du 22 janvier, Mgr El­chinger, évêque de Stras­bourg, répond à des articles récents -- notamment du P. Bruckberger dans* l'Aurore *du 22 janvier -- concernant des* «* eucharisties œcuméni­ques sauvages à Stras­bourg *». « On suggère, dit Mgr El­chinger, que ces célébrations se feraient avec l'accord ou même l'encouragement de l'évêque de Strasbourg qu'on voudrait ainsi rendre responsable de confusionnisme œcuménique de plus en plus poussé. L'évêque de Strasbourg proteste contre de telles in­sinuations. De fait il a eu connaissance d'une célébra­tion concélébrée par un prê­tre catholique et un pasteur protestant et qui a eu lieu dans un temple protestant. Ayant eu connaissance de cette célébration inadmissi­ble, Mgr Elchinger a inter­dit formellement qu'un prê­tre catholique participe à de tels offices. Le mouvement œcuméni­que ne peut progresser que dans la clarté et la fidélité aux directives doctrinales du Saint-Siège et de l'épis­copat. Tout ce qui favoriserait les initiatives fantaisis­tes, le relativisme religieux et les situations ambiguës, ne peut que porter préjudi­ce aux efforts sincères et persévérants faits par l'Église catholique et les autres Églises chrétiennes en vue d'une meilleure compréhen­sion réciproque et d'un rap­prochement progressif. » \[Fin de la reproduction intégrale du texte paru dans *La Croix* du 27 janvier 1976 sous le titre : Mgr Elchinger désapprouve les « eu­charisties œcuméniques sauvages ».\] Il semble bien que *La Croix* n'ait reproduit qu'une partie du communiqué en question. On conçoit mal en effet que ce communiqué puisse *commencer* par les mots : « On suggère que ces célébrations se feraient... », car ces mots supposent une ou plusieurs phrases exposant quelles sont donc « ces célébrations » dont on parle. 6:210 Toutefois, le texte intégral de ce communiqué n'a paru, à notre connaissance, nulle part (et notamment point dans le bulletin diocésain de Mgr Elchinger) ; l'opinion publique n'en a connu que les fragments pu­bliés dans *La Croix.* \*\*\* D'autre part, ce communiqué paru dans *La Croix* comporte deux circonstances suspectes. *Première circonstance suspecte :* Mgr Elchinger était absent pour cause de maladie. Selon les *Dernières nouvelles d'Alsace* en date du 24 janvier, « le 30 décembre 1975 Mgr Elchinger a subi une intervention chirurgicale qui le tiendra indispo­nible jusqu'en mars ». De son côté *L'Église en Alsace,* mensuel qui est le bulletin diocésain officiel de Strasbourg, publie dans son numéro de février une « Lettre du Père évêque », datée du 16 janvier 1976, où l'on peut lire notamment divers détails sur son absence et son indisponibilité : ...Je viens de subir une intervention chirurgicale à la hanche. Cette opération était devenue indispensable, afin que je puisse retrouver toute ma mobilité. Après avoir, comme tous les ans, assuré les offices de Noël à la cathédrale, j'ai pris, le 28 décembre au matin, le train en vue de me rendre à près de 500 km de Strasbourg, afin d'être, par cette distan­ce, assuré de la solitude et du calme nécessaire à un ré­tablissement aussi rapide que possible. Le 30 décem­bre, à 6 h 30 du matin, j'étais sur la table d'opéra­tion. L'intervention a été faite par un spécialiste avec lequel j'ai des rapports d'a­mitié depuis bientôt dix ans. Il m'avait écrit le 18 décembre : « Je vous opé­rerai, comme tous mes ma­lades, avec attention et amour, en suivant le pré­cepte : il n'y a pas de dé­tails dans l'exécution ; tout est important. » 7:210 Dans la cli­nique où je suis, la plupart des patients sont des pay­sans de la montagne (...). ... Cet arrêt de travail me permet de prendre du recul par rapport aux problèmes quotidiens et me procure une « cure de bon sens »... \[Fin de la citation extraite de la *Lettre du Père évêque* du 16 janvier 1976, publiée par Mgr Léon Arthur Elchinger dans le bulletin diocésain de Strasbourg l'*Église en Alsace,* numéro de février 1976.\] Il est possible que cette maladie, cet « arrêt de travail » et cet éloignement des « problèmes quoti­diens » n'aient pas empêché Mgr Elchinger de lire les journaux et de rédiger le communiqué que cite *La Croix.* C'est possible mais point certain. Car il y a une seconde circonstance suspecte. \*\*\* *Seconde circonstance suspecte :* les deux versions du communiqué. Le communiqué « de Mgr Elchinger » est resté in­connu à Strasbourg. On y a connu en revanche *un autre* communiqué, qui est « de l'évêché » et non plus « de l'évêque ». Son dernier alinéa est identique à celui du communiqué de *La Croix ;* le reste est différent. #### III Le communiqué « de l'évêché » publié à Strasbourg Voici ce communiqué en son entier, d'après les *Der­nières nouvelles d'Alsace :* 8:210 L'évêché de Strasbourg nous communique : Un journal parisien (L'Aurore) et la revue Itinéraires mettent Mgr l'évêque de Strasbourg et son action œcuménique en cause à la suite de « messes œcuméniques sauvages » qui seraient célébrées à Stras­bourg et où il y aurait une concélébration intégrale en­tre un prêtre catholique et un pasteur protestant. Une telle concélébration a eu lieu effectivement il y a quelque temps dans une église protestante de Stras­bourg, encouragée par des foyers mixtes. En l'appre­nant, Mgr Elchinger a pro­testé avec fermeté auprès du prêtre catholique qui avait concélébré, car une telle manière d'agir ne peut que nuire à un sain œcumé­nisme. L'évêque de Strasbourg s'est opposé pour sa part à la continuation de telles ex­périences. Le mouvement œcuméni­que ne peut progresser que dans la clarté et la fidélité aux directives doctrinales du Saint-Siège et de l'épis­copat. Tout ce qui favorise­rait les initiatives fantaisis­tes, le relativisme religieux et les situations ambiguës, ne peut que porter préju­dice aux efforts sincères et persévérants faits par l'Église catholique et les autres Églises chrétiennes en vue d'une meilleure compréhen­sion réciproque et d'un rap­prochement progressif. \[Fin de la reproduction intégrale du commu­niqué de l'évêché de Strasbourg publié par les *Dernières nouvelles d'Alsace* du 24 janvier 1976 sous le titre : A propos d'eucharisties œcuméniques sauvages à Strasbourg.\] Il semble que le P. Bruckberger n'ait eu connaissance que de cette seconde version du communiqué. C'est en tout cas celle-là qu'il commente dans *L'Aurore du 29* janvier, en écrivant notamment : ... \[Ce communiqué\] commence sur un mode condi­tionnel, dont un grammai­rien qui fait autorité dit qu'il est employé « pour marquer un fait douteux, éventuel, en particulier lors­qu'on présente ce fait comme un ouï-dire, comme une assertion dont on ne veut pas se porter garant » (Gre­visse). C'est ainsi que le communiqué parle de mes­ses sauvages qui « *seraient* célébrées » et ajoute : 9:210 « Il y *aurait* eu concélébration intégrale entre un prêtre catholique et un pasteur protestant » (...) Une telle introduction est rédigée pour mettre d'emblée le lecteur en garde sur la vé­rité de l'information en cause. ... Après ces phrases con­ditionnelles et ambiguës -- et en complète contradiction avec elles -- le communiqué poursuit : « *Une telle con­célébration a eu lieu effec­tivement, il y a quelque temps, dans une église pro­testante de Strasbourg. *» \[Fin de la citation extraite de l'article du P. Bruckberger dans *L'Aurore* du 29 janvier 1976.\] Puisqu'on n'ose pas nier les faits, on tente de jeter la suspicion sur ceux qui les ont exposés. A remarquer : 1° le communiqué « de l'évêché » parle au conditionnel de « messes œcuméniques sau­vages » ; 2° un article du *Nouvel Alsacien,* cité plus loin, parle de *soi-disant* « *eucharisties sauvages *». Dans les deux cas, « sauvages » est entre guillemets. Et pour­tant ni le P. Bruckberger ni Louis Salleron n'ont parlé de « sauvagerie » en cette affaire. *Au contraire :* Louis Salleron a explicitement précisé qu'il ne s'agissait *nul­lement* d'une célébration *sauvage.* L'article du *Nouvel Alsacien* est dans le numéro du 24 janvier, il est signé « Alsaticus » : A Paris on vient de faire du bruit autour de soi-di­sant « eucharisties sauva­ges » célébrées entre catho­liques et protestants à Stras­bourg. Je ne serais pas éton­né que le « scandale de Strasbourg » alimente des disputes bien orchestrées dans les jours à venir. Renseignements pris à la bonne source, il s'agit de l'une ou l'autre célébration qui sont intervenues dans des groupes œcuméniques dont les prêtres et les pas­teurs ne sont nullement en rupture de ban avec l'auto­rité de leur Église respec­tive. \[Fin de la citation extraite de l'article d'Alsaticus dans *Le Nouvel Alsacien* du 24 janvier 1976.\] 10:210 Donc, « renseignements pris à bonne source », cela a bien eu lieu comme on l'avait dit, et les prêtres cou­pables ne sont « *nullement en rupture de ban *» avec L'autorité diocésaine. #### IV Nos six conclusions de mars 1976 Dans ITINÉRAIRES, numéro 201 de mars 1976, nous avons publié tous les documents que l'on vient de lire et nous en avons tiré six conclusions : **1. -- **Les abominations sacrilèges révélées par Louis Salle­ron ont eu lieu, de manière publique, le 13 décembre 1975. *Elles n'ont soulevé aucune réprobation publique de l'évêché de Strasbourg.* Et d'ailleurs, précise le P. Bruckberger, elles ont été réitérées le 10 janvier. Il y a donc eu l'article de Salleron le 15 janvier, l'article du P. Bruckberger le 22 janvier. C'est seulement *après* ces deux articles qu'on nous assure, selon les versions : -- soit que « ayant eu connaissance de cette célé­bration inadmissible, Mgr Elchinger a interdit formel­lement qu'un prêtre catholique participe à de tels offices » ; -- soit que « en l'apprenant Mgr Elchinger a pro­testé avec fermeté auprès du prêtre catholique qui avait concélébré ». Sans les articles, la réprobation n'aurait pas été con­nue. On peut même dire que tout s'est passé comme si, sans les articles, il n'y aurait pas eu de réprobation. 11:210 **2. -- **Le prêtre coupable est *membre de la* « *commission diocésaine *» *pour les problèmes œcuméniques.* Son œcuménisme n'est donc pas un œcuménisme « sau­vage », comme le prétend après coup l'évêché de Stras­bourg, mais bien un œcuménisme autorisé, un œcu­ménisme officiel, un œcuménisme « diocésain ». Le prêtre coupable est *commissaire à l'œcuménisme* de l'évêché de Strasbourg. **3. -- **Dans son communiqué, l'évêché de Strasbourg ré­prouve ce qu'il appelle les « initiatives fantaisistes », les « situations ambiguës » et autres choses du même genre ; les qualifications (bénignes) d'ambiguïté et de fantaisie sont les mêmes dans le communiqué attribué à Mgr Elchinger en personne. Mais ni l'un ni l'autre communiqué, ni aucune autre communication épisco­pale, ne parle de l'essentiel, à savoir qu'il y a eu *sacri­lège* et *trahison.* **4. -- **Quand il s'agit de prêtres traditionalistes accusés de demeurer fidèles à la tradition catholique, on pré­tend leur imposer : 1° un acte public de soumission in­conditionnelle ; 2° une rétractation en tous points de ce qu'ils ont dit et fait ; 3° une suppression totale de leurs activités. Pour le prêtre coupable de *trahison* et de *sacrilège,* rien de semblable. On ne nous a même pas annoncé qu'il aurait perdu sa fonction et son titre de commissaire diocésain. **5. -- **La responsabilité personnelle de Mgr Elchinger est *au moins* d'avoir nommé un tel commissaire dio­césain à l'œcuménisme, et en outre de n'avoir pas encore, pour autant que l'on sache, retiré sa fonction au fonctionnaire indigne. 12:210 **6. -- **Notre propos n'était pas de mettre Strasbourg en vedette comme si cette ville et ce diocèse avaient été le théâtre d'un sacrilège et d'une trahison sans précé­dent. Des sacrilèges, des trahisons analogues, il s'en produit partout dans l'Église post-conciliaire, et il continuera de s'en produire de plus en plus tant que se prolongera l'actuel collapsus de l'autorité. Nos protes­tations n'y changeraient rien, elles ne sauraient sup­pléer à la carence de l'autorité, et c'est pourquoi ce n'est pas exactement une *protestation* que nous avons fait entendre. L'article de Louis Salleron était simplement *explicatif ;* il montrait que « l'Église est coupée en deux », et qu'il y a « deux étendards », celui de l'Église selon Mgr Elchinger et celui de l'Église selon Mgr Lefebvre. #### V Questions à Strasbourg 15 mai 1976 Article de Jean Madiran dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR numéro 38 du 15 mai 1976 : Mgr Elchinger n'est plus hospitalisé. Il est rentré, depuis plusieurs semaines déjà, dans son évêché de Strasbourg. Et dans son diocèse continuent, comme elles avaient été annoncées, les concélébrations eucharis­tiques associant, de manière blasphématoire et sacrilège, un prêtre catholique et un pasteur protestant. Le bulletin diocésain of­ficiel qui paraît chaque mois n'a toujours rien pu­blié sur cette affaire, pas même l'une ou l'autre ver­sion du fameux « commu­niqué » qui au mois de jan­vier avait été fabriqué pour trompeusement rassurer et démentir mensongèrement. 13:210 Dans sa version parisien­ne, publiée par *La Croix* du 27 janvier, c'était un soi-disant communiqué « de Mgr Elchinger » en date du 22 janvier qui faisait le fa­raud : « *On suggère que ces célé­brations se feraient avec l'accord ou même l'encou­ragement de l'évêque de Strasbourg qu'on voudrait ainsi rendre responsable de confusionnisme œcuménique de plus en plus poussé.* « *L'évêque de Strasbourg proteste contre de telles in­sinuations. De fait il a eu connaissance d'une* \[une seule ?\] *célébration concélé­brée par un prêtre catholi­que et un pasteur protestant et qui a eu lieu dans un temple protestant.* « *Ayant eu connaissance de cette célébration inad­missible, Mgr Elchinger a interdit formellement qu'un prêtre catholique participe à de tels offices. *» Interdit formellement ? On n'en croit rien. Il n'y a nulle part aucune trace d'une telle interdic­tion. Ni aucun effet visible. La « participation » inter­dite se poursuit sans obs­tacle. Dans son autre version, la version alsacienne, le com­muniqué n'était plus « de l'évêque », mais seulement « de l'évêché », il parut dans les *Dernières nouvelles d'Alsace* du 24 janvier : « ...*En l'apprenant, Mgr Elchinger a protesté avec fermeté auprès du prêtre catholique qui avait concé­lébré, car une telle manière d'agir ne peut que nuire à un sain œcuménisme. L'évê­que de Strasbourg s'est op­posé pour sa part à la con­tinuation de telles expérien­ces. *» Elles continuent pourtant, aux dates annoncées, sans avoir besoin de se cacher. Le principal coupable n'est pas n'importe quel prêtre, mais un commissaire diocé­sain à l'œcuménisme, nom­mé à ce poste par Mgr El­chinger et nullement révo­qué. C'est cet Elchinger dont une campagne d'intoxication faisait croire à quelques ni­gauds « de droite » et à quelques naïfs « intégris­tes » qu'il était -- enfin un -- l'évêque de France fidèle à Dieu, à la Foi, à la Pa­trie... Les questions demeurent posées. Oui ou non, Mgr El­chinger a-t-il « interdit » ; oui ou non, a-t-il « protesté avec fermeté » ; oui ou non, a-t-il déclaré que c'est une « célébration inadmis­sible » ? Si c'est « oui », pourquoi tout continue-t-il comme si c'était « non » ? 14:210 Et si c'est « non », qui donc est l'auteur et le responsable du communiqué trompeur, avec ses deux versions éga­lement mensongères ? Pour le moment, Mgr El­chinger ne dit rien. Mais il ne pourra pas indéfiniment nager en silence entre deux eaux. \[Fin de le reproduction intégrale de l'article de Jean Madiran dans le *Supplément-Voltigeur,* numéro 38 du 15 mai 1976.\] #### VI Nouvelles précisions 15 juin 1976 Article de Louis Salleron dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR numéro 39 : En dehors du communi­qué (vaseux) de « l'évêché » de Strasbourg, il n'y a tou­jours aucune position per­sonnelle de Mgr Elchinger sur les « célébrations œcuméniques » qui ont eu lieu dans la capitale de son dio­cèse. Qu'en pense-t-il -- Pourquoi garde-t-il le silen­ce à leur sujet ? Approuve-t-il les prêtres qui s'y ma­nifestent ? En tous cas, rien ne sem­ble gêner les concélébrants catholico-protestants qui continuent comme précé­demment. Ces « célébrations œcuméniques » avaient d'ailleurs commencé plus tôt que nous ne le croyions. Au total, si nous sommes bien informé, celles de l'église Saint-Nico­las ont eu lieu aux dates suivantes : 14 décembre 1974, 15 mars 1975, 10 mai 1975, 10 octobre 1975, 13 décembre 1975, 10 janvier 1976, 14 février 1976, 13 mars 1976, 10 avril 1976, 8 mai 1976 (à suivre). 15:210 Mgr Elchinger est au cou­rant. Il se tait. La Nouvelle Messe œcu­ménique poursuit sa car­rière. \[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Louis Salleron dans le *Supplément-Voltigeur* numéro 39 du 15 juin 1976.\] #### VII Et ça continue 15 juillet 1976 Nouvel article de Louis Salleron dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR : La dernière « célébration œcuménique » de l'église Saint-Nicolas à Strasbourg (pour l'année scolaire 1975-1976) a eu lieu le 12 juin 1976. Intercélébration catholico-protestante et intercommu­nion, comme précédemment. Cette fois, pas de Credo. L'assistance resta assise pendant la « consécration » simultanée du prêtre et du pasteur. La reprise de ces « célé­brations » est prévue pour septembre. Mgr Elchinger demeure silencieux. Certains disent qu'il s'opposerait à la con­tinuation de l' « expérien­ce » à la rentrée. \[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Louis Salleron dans le *Supplément-Voltigeur* numéro 40 du 15 juillet 1976.\] 16:210 #### VIII Deux passages du livre « Les fumées de Satan » Tel était donc l'état de la question. Les célébrations « œcuméniques » de Strasbourg étaient de notoriété publique. Non démenties. Non interdites. Le livre *Les Fumées de Satan,* paru à la fin du mois de novembre 1976, y fit donc deux brèves et vagues allusions. Comme on le sait, ce livre est un recueil de témoi­gnages rassemblés par l'Association Credo ; il est pré­facé par André Mignot, secrétaire général de l'Association, et post-facé par Michel de Saint Pierre, prési­dent de l'Association. La première allusion est à la page 100 : L'évêque de Strasbourg, qui fut pourtant brillant et fort convaincant à la TV. voici quelques mois, se per­met de laisser concélébrer une messe par un prêtre et un pasteur, et nul à Rome n'a froncé le sourcil, que je sache ? La seconde allusion est à la page 236. C'est un autre correspondant de l'Association Credo qui écrit : Croyez-vous vraiment que Mgr Elchinger ignore « les célébrations œcuméniques. » entre les prêtres catholiques et les pasteurs protestants dans son diocèse ? Cela ne mériterait-il pas le (sic) sus­pens (*sic*) *a divinis ?* Ou même l'excommunication ? 17:210 On le voit, ces deux allusions étaient brèves, inci­dentes et fort vagues ; peu au courant de l'état réel de la question, elles mentionnaient en passant un fait de notoriété publique et non contesté. Elles ne précisaient même pas que le prêtre ayant concélébré est un *com­missaire diocésain à l'œcuménisme,* nommé par Mgr Elchinger et non révoqué. #### IX Un communiqué officiel qui fait mine de parler en l'air Comme pour se couvrir, Mgr Elchinger commence par publier un communiqué officiel dans son bulletin diocésain, *L'Église en Alsace,* numéro de janvier 1977, MAIS PARU AVANT NOËL, page 41 : SEMAINE DE L'UNITÉ 77 Je souhaite qu'au cours de la Semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens nos communautés soient in­vitées à prier pour la restau­ration de l'unité complète de l'Église, méditant sur le désir d'unité exprimé par le Seigneur. Il serait souhaitable que catholiques et protestants puissent se réunir pour une liturgie de la Parole, mais je tiens à répéter qu'ouvrir la Table eucharistique et l'ouvrir réciproquement -- desservirait la cause de l'U­nité. J'en suis profondément convaincu. La recherche de l'Unité exige une complète loyauté à toutes les exigences de la vérité. Il faut éviter de faire abstraction des obstacles en­core existants et d'agir « comme si » nous étions au terme de la route. Ce se­rait rendre un très mauvais service à notre marche en avant. *L'évêque de Strasbourg.* \[Fin de la reproduction intégrale du com­muniqué paru entre le 20 et le 25 décembre 1976 dans le bulletin diocésain officiel *L'Église en Alsace,* numéro daté de janvier 1977.\] 18:210 On aura remarqué le second des trois alinéas du communiqué. On aura remarqué aussi le « *je tiens à répéter *», alors que précisément Mgr Elchinger n'avait rien dit officiellement. \*\*\* Le livre *Les Fumées de Satan* était bien connu de l'épiscopat, qui l'avait étudié à fond et l'avait condamné par un communiqué du conseil permanent publié *le 8 décembre 1976.* Quand Mgr Elchinger va brusquement s'indigner de ce livre *le 27 décembre,* ce sera une indignation à re­tardement. Il ne pouvait pas ignorer le contenu du livre. Il ne l'avait peut-être pas lu ? Mais en ce cas il est impossible que la direction de l'épiscopat ne l'ait pas averti qu'il était nommément mis en cause dans l'ouvrage condamné. Quand Mgr Elchinger s'indigne le 27 décembre, il est forcément au courant *depuis un mois au moins.* Mais il n'a pas pu s'indigner plus tôt. Le numéro de décembre 1977 de son bulletin dio­césain était déjà imprimé. Il a donc fallu attendre le numéro de janvier. Pour qu'il y ait eu quelque chose dans le bulletin officiel qui puisse passer pour un désaveu de l'eucha­ristie catholico-protestante. Et pour qu'on ne puisse plus dire qu'il y avait eu un silence absolu. Puis, quand le numéro de janvier du bulletin dio­césain paraît avec le communiqué officiel qu'on vient de lire, -- *un communiqué qui s'abstient de réprouver ce qui se passe dans le diocèse de Strasbourg, et qui fait mine de parler en l'air, --* alors seulement Mgr Elchin­ger se déchaîne contre ses accusateurs : dans un autre communiqué, non officiel celui-là, et mystérieux. 19:210 #### X Un communiqué non officiel qui cherche à cracher le feu Sous le titre : *Vigoureuse réaction de Mgr Elchinger contre* « *Les fumées de Satan *» paraît dans *La Croix* du 29 décembre l'information suivante : Dans un communiqué publié le 27 décembre, Mgr Elchinger, évêque de Stras­bourg, s'élève vivement con­tre « les calomnies » conte­nues dans le livre de Michel de Saint Pierre et André Mignot, *Les Fumées de Sa­tan,* livre déjà dénoncé par le Conseil permanent de l'épiscopat (*la Croix,* 11 dé­cembre). Mgr Elchinger est accusé dans ce livre « d'être com­plice de célébrations œcuméniques répréhensibles et en particulier d'une messe concélébrée par un prêtre catholique et un pasteur protestant ». L'évêque précise qu'une telle concélébration a eu lieu une seule fois et à son insu et souligne qu'il a « désap­prouvé, condamné et inter­dit une telle manière de vi­vre l'œcuménisme » dans un communiqué publié le 22 janvier 1976 et reproduit dans la presse nationale. « La publication de telles accusations est une preuve flagrante du caractère ca­lomniateur et outrancier de beaucoup de pages de ce livre. » L'évêque de Strasbourg, après avoir noté que le P. Bruckberger, qui a soutenu la publication des *Fumées* de Satan, continuait encore à parler récemment « des messes œcuméniques de Mgr Elchinger », estime qu' « on ne combat point pour la vérité par le mensonge ». Il ajoute en conclusion : « On ne témoigne pas de l'esprit de l'Évangile par la délation. On n'aide pas les évêques et les prêtres dans leur difficile ministère en les diffamant et en les pri­vant de la confiance de nombreux fidèles. 20:210 « La tradition de l'Église nous enseigne que Satan travaille là où l'homme sè­me le soupçon et où l'on fomente la division. » \[Fin de la reproduction intégrale de l'infor­mation parue dans *La Croix* du 29 décembre 1976.\] Ce communiqué du 27 décembre 1976 est aussi mys­térieux que le communiqué qu'il allègue du 22 janvier 1976, et pour une raison analogue. Son texte intégral demeure inconnu. On n'en connaît jusqu'à présent que des morceaux, que des fragments, artistement découpés. Étrangeté supplémentaire, le découpage est partout le même, les guillemets s'ouvrent et se ferment aux mêmes endroits, comme si personne n'avait eu en main le texte en son entier. Comparez ce qui a paru dans *La Croix* avec ce qui a paru dans le *Nouvel Alsacien* et dans les *Dernières nouvelles d'Alsace :* le découpage est identique ; on dirait que les journaux n'ont reçu qu'un résumé du communiqué. Dans *Le Nouvel Alsacien* du 28 décembre : STRASBOURG. -- Mgr Léon Arthur Elchinger, évê­que de Strasbourg, a dénon­cé en des termes vifs, les « calomnies » contre l'épis­copat, contenues dans le li­vre « Les fumées de Sa­tan », de Michel de Saint Pierre et André Mignot. Dans un communiqué pu­blié hier, Mgr Elchinger rap­pelle qu'il est accusé, dans cet ouvrage, « d'être com­plice de célébrations œcuméniques répréhensibles et en particulier d'une messe concélébrée par un prêtre catholique et un pasteur protestant ». Mgr Elchinger précise qu'une telle concélébration a eu lieu une seule fois et à son insu et souligne qu'il a « désapprouvé, condamné et interdit une telle manière de vivre l'œcuménisme » dans un communiqué publié le 22 janvier 1976 et reproduit dans la presse nationale. 21:210 « La publication de telles accusations est une preuve flagrante du caractère calomniateur et outrancier de beaucoup de pages de ce livre », écrit encore l'auteur du « Retour de Ponce-Pilate » et de « Je plaide pour l'homme ». L'évêque de Strasbourg, après avoir noté que le père Bruckberger, qui a soutenu la publication des « Fumées de Satan », continuait en­core à parler récemment « des messes œcuméniques de Mgr Elchinger », estime qu' « on ne combat point pour la vérité par le men­songe ». Il ajoute en conclusion : « On ne témoigne pas de l'esprit de l'évangile par la délation ; on n'aide pas les évêques et les prêtres dans leur difficile ministère en les diffamant et en les pri­vant de la confiance de nombreux fidèles. » « La tradition de l'Église nous enseigne que Satan travaille là où l'homme sè­me le soupçon et où l'on fomente la division. » Le Conseil permanent de l'Épiscopat français s'était fermement élevé, il y a quinze jours, contre la pu­blication des « Fumées de Satan ». \[Fin de la reproduction intégrale de l'infor­mation parue dans *Le Nouvel Alsacien* du 28 décembre 1976.\] Dans les *Dernières nouvelles d'Alsace :* *...* Dans son communiqué, l'évêque de Strasbourg dé­nonce « *les calomnies contre l'épiscopat contenues dans le livre* « *Les fumées de Sa­tan *». Aux accusations d'avoir été « *complice de célébrations œcuméniques répréhensibles et en parti­culier d'une messe concélé­brée par un prêtre catholi­que et un pasteur protes­tant *», l'évêque répond qu'une « *telle concélébra­tion a eu lieu une seule fois et à son insu *». Il rappelle qu'il a « *désapprouvé, con­damné et interdit une telle manière de vivre l'œcuménisme dans un communiqué publié le 22 janvier 1976 *». (Voir DNA du 24-12-76.) 22:210 « *La publication de telles accusations est une preuve flagrante du caractère ca­lomniateur et outrancier de beaucoup de pages de ce li­vre *», écrit encore l'évêque de Strasbourg, qui conclut : « *On ne témoigne pas de l'esprit de l'Évangile par la délation. On n'aide pas les évêques et les prêtres dans leur difficile ministère en les diffamant et en les pri­vant de la confiance de nom­breux fidèles. La tradition de l'Église nous enseigne que Satan travaille là où l'homme sème le soupçon et où l'on fomente la divi­sion. *» \[Fin de la citation extraite des *Dernières nouvelles d'Alsace* du 28 décembre 1976.\] Mgr Elchinger se moque du public quand il allègue son « communiqué publié le 22 janvier 1976 et repro­duit dans la presse nationale ». Comme on l'a vu plus haut dans nos chapitres II et III, ce communiqué est resté incertain : on n'en a connu que des fragments, et en deux versions sérieusement différentes. Rien n'en a été officiellement publié dans le bulletin diocésain officiel de Strasbourg : ce qui enlève toute portée pratique aux soi-disant « désappro­bation », « condamnation », « interdiction » que Mgr Elchinger prétend avoir faites par ce communiqué. Les *six conclusions* que nous avons présentés contre ce communiqué, ci-dessus dans notre chapitre IV, de­meurent inébranlées. 23:210 #### XI Communier ensemble à une eucharistie consacrée tantôt par un prêtre et tantôt par un pasteur On a vu plus haut, à la fin de notre chapitre III, la citation d'un article d' « Alsaticus » dans *Le Nouvel Alsacien* qui assurait en janvier 1976, au début de l'af­faire, que les *prêtres et pasteurs* auteurs des concélébrations œcuméniques n'étaient *nullement en rupture de ban avec l'autorité de leur Église respective.* Cette fois-ci c'est un article de Jean-Louis English dans les *Dernières nouvelles d'Alsace* qui donne des assurances analogues. Après avoir mentionné l'épisode de janvier 1976, il continue en ces termes : Il s'ensuivit que les offi­ces œcuméniques pour les ménages mixtes ne sont plus publics, mais se poursui­vent. C'est tantôt un prêtre qui célèbre la messe, tantôt un pasteur qui consacre l'eucharistie, mais la concé­lébration, par l'un du pain, par l'autre du vin, n'a plus été renouvelée. L'un des pasteurs qui s'occupent des foyers mixtes nous a pré­cisé « *qu'il ne s'agissait plus d'être provocant et, en cela, gêner l'évêque de Strasbourg qui a pris des risques en fa­veur de l'œcuménisme *»*.* Un frein dans le rapproche­ment des Églises ? « *Il y a plus de discrétion, mais ce n'est pas le temps de la pause. *» Voilà toutes les informa­tions vérifiables. \[Fin de la citation extraite d'un article de Jean-Louis English paru dans les *Dernières nouvelles d'Alsace* du 28 décembre 1976.\] Ces « informations vérifiables » qui sont données sur place diffèrent notablement de celles qui ont été publiées par *La Croix.* Les offices œcuméniques « ne sont plus publics, mais se poursuivent ». C'est « tantôt un prêtre qui célèbre la messe » et « tantôt un *pasteur qui consacre l'eucharistie *»*.* Lisez bien. Le même article disait quelques lignes plus haut, à propos d' « une célébration eucharistique qui se serait (*sic*) tenue le samedi 10 janvier \[1976\] à l'église Saint-Nicolas » : 24:210 Il s'agissait, en effet, d'un office œcuménique destiné à un groupe de foyers mix­tes alsaciens. Mgr Elchinger, dans un document sur l'hos­pitalité eucharistique, avait autorisé les foyers mixtes à communier ensemble mais sous une eucharistie, soit catholique, soit protestante. On avait, effectivement, été « au-delà » \[Fin de la seconde citation du même article de Jean-Louis English dans les *Dernières nouvelles d'Alsace* du 28 décembre 1978.\] Nous ne connaissons pas ce fameux « document » de Mgr Elchinger « sur l'hospitalité eucharistique ». Si l'on rapproche les deux citations que nous venons de faire du même article, il en ressort que *catholiques et protestants communient ensemble* à une « eucha­ristie » qui est « *consacrée *» *tantôt par un prêtre et tantôt par un pasteur :* mais sans... « concélébration ». Telles sont les « informations vérifiables » qui s'im­priment et se publient sur place. #### XII Lettre ouverte de Louis Salleron à l'évêque de Strasbourg 30 décembre 1976, Monseigneur, Parce que dans *Les fumées de Satan* il est fait allusion aux « messes œcuméniques » de Strasbourg, vous vous en prenez violemment à André Mignot, Mi­chel de Saint Pierre et au Père Bruckberger. Ceux-ci comprendront que je me sente visé comme eux par vos propos, et que j'aie à cœur d'y répondre, puisque j'ai été le premier, sauf erreur, à parler de ces « messes » dont j'ai suivi le déroulement, avec Jean Madiran, dans *Itinéraires* et le *Supplément-Voltigeur*. 25:210 Je laisse de côté le fond du débat, c'est-à-dire le caractère scandaleux -- sacrilège pour un catholique -- d'une « messe » concélébrée par un prêtre catholique et un pasteur protestant. Je m'en tiens aux faits. Si j'en crois le communiqué de l'A.F.P. reproduit par *L'Aurore* du 28 décembre 1976, vous précisez *qu'une telle concélébration* a eu lieu *une seule fois* et *à votre insu.* Voilà qui me plonge dans la stupeur. Pour la seule année scolaire 1975-76 (car il y a eu des pré­cédents), l'église (protestante) de Saint-Nicolas, à Stras­bourg, a été le théâtre de concélébrations catholico-pro­testantes, un samedi par mois, les 13 décembre 1975, 10 janvier, 14 février, 13 mars, 10 avril, 8 mai et 12 juin 1976. Ces concélébrations mensuelles étaient si peu clandestines qu'on les justifiait par le fait qu'elles étaient destinées par priorité aux foyers mixtes et qu'on les distinguait d'autres célébrations œcuméniques, égale­ment mensuelles, mais sans messe, qui avaient lieu à la cathédrale. Vous pouviez d'autant moins ignorer les unes et les autres que l'un des prêtres concélébrants de Saint-Nicolas est « membre de la commission diocésaine pour les problèmes œcuméniques ». Vous auriez, dites-vous, « désapprouvé, condamné et réprouvé une telle manière de vivre l'œcuménisme » dans un communiqué du 22 janvier 1976. Sans grand effet, si l'on en juge par la suite des événements. Mais ce communiqué du 22 janvier est lui-même chargé de mystère. Outre qu'il n'émane pas clairement de vous-même, on en trouve deux versions différentes dans les *Dernières Nouvelles d'Alsace* du 24 janvier et dans *La Croix* du 27 janvier. Je vous donne acte que dans la version de *La Croix,* plus nette que l'autre, il est dit que Mgr Elchinger a « interdit formellement qu'un prêtre catholique participe à de tels offices ». Mais je note : 26:210 1\) Que votre bulletin diocésain *L'Église en Al­sace* n'a pas publié ce communiqué pas plus d'ailleurs qu'il n'a fait mention des concélébrations œcuméniques ; 2\) Que votre interdiction n'ayant pas été respectée, vous n'êtes jamais revenu sur la question. Je vous prie d'agréer, Monseigneur, l'expression de mon profond respect. \[Fin de la reproduction intégrale de la lettre ouverte de Louis Salleron à Mgr Elchinger, parue dans *L'Aurore* du 4 janvier 1977.\] #### XIII Vaines tentatives de réponse à la lettre ouverte de Louis Salleron A la lettre ouverte de Louis Salleron, Mgr Elchinger a répondu par une conversation téléphonique avec Jean Bourdarias, informateur religieux du *Figaro :* M. Louis Salleron publie dans *L'Aurore* une lettre ouverte à l'évêque de Stras­bourg dans laquelle il affir­me, contrairement aux pro­pos tenus par Mgr Elchin­ger, que l'église (protestan­te) Saint-Nicolas de Stras­bourg a été le théâtre de plusieurs concélébrations de décembre 1975 à juin 1976. Mgr Elchinger avait très di­rectement pris à partie les auteurs des *Fumées de Satan* qui parlaient des « messes œcuméniques » de Strasbourg et il avait précisé « *qu'une telle cérémo­nie avait eu lieu une seule fois et à son insu et avait ajouté qu'il interdisait for­mellement qu'un prêtre ca­tholique participe à de tels offices *»*.* 27:210 Mgr Elchinger, que nous avons pu joindre par télé­phone, affirme que les cé­rémonies auxquelles fait al­lusion M. Salleron n'étaient nullement des concélébra­tions, mais des célébrations bien distinctes où le prêtre catholique a communié ses fidèles et le pasteur les siens, où les rubriques ont été scrupuleusement obser­vées. La simultanéité des deux offices a pu laisser croire qu'il s'agissait d'une concélébration et c'est pour­quoi Mgr Elchinger a inter­dit aussi cette pratique qui a cessé en juin 1976. L'évêque de Strasbourg reste cependant très attentif au désir des fidèles désireux de prier avec les « frères séparés ». Dans le dernier numéro d' « Église en Al­sace », il les invite même à se réunir à l'occasion de la semaine pour l'unité pour une liturgie de la parole. Toutefois, écrit Mgr El­chinger, « *je tiens à répéter qu'ouvrir la table eucharisti­que -- et l'ouvrir récipro­quement -- desservirait la cause de l'unité. J'en suis profondément convaincu. La recherche de l'unité,* pour­suit-il, *exige une complète loyauté à toutes les exigen­ces de la vérité. Il faut évi­ter de faire abstraction des obstacles existant encore et de faire* « *comme si *» *nous étions au terme de la route. Ce serait rendre un très mauvais service à notre marche en avant. *» \[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Jean Bourdarias dans le *Figaro* du 5 janvier 1977.\] Puis le lendemain dans *La Croix,* c'est un « commu­niqué du bureau de l'information de l'épiscopat en réponse à M. Salleron » : La controverse se pour­suit au sujet du livre de Mi­chel de Saint Pierre, *les Fu­mées de Satan.* Mis en cause à propos de célébrations œcuméniques, Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg, a fait une mise au point (*la Croix,* 29 décembre). Dans l'*Aurore* du 4 janvier, M. Louis Sal­leron réplique. A la suite de cet article, le P. Fihey, directeur du bureau de l'in­formation de l'Épiscopat, a publié un communiqué. 28:210 M. Salleron précise les dates de « concélébrations catholico-protestantes » qui se seraient déroulées un sa­medi par mois au cours de l'année 1975-1976 à l'église Saint-Nicolas de Strasbourg, et en déduit que l'évêque ne pouvait pas les ignorer. S'il les a désapprouvées, ce serait « sans grand effet », écrit M. Salleron. Le P. Fihey a publié, à la suite de cet article, le communiqué suivant : « Il n'y a eu dans le dio­cèse de Strasbourg à l'église protestante Saint-Nicolas qu'une seule concélébration à la suite de laquelle Mgr Elchinger a fait connaître son désaccord formel. Il y a eu depuis des célébrations parallèles, conformes aux rubriques et prescriptions romaines sans partage de la table eucharistique. Pour éviter des confusions qui demeuraient possibles, l'évê­que de Strasbourg a mis fin à ces célébrations. » Mgr Elchinger vient de manifester, dans *l'Église d'Alsace* de janvier 1977, de manière claire et formelle, sa position dans ce domai­ne : « Il serait souhaitable que catholiques et protes­tants puissent se réunir pour une liturgie de la Parole, mais je tiens à répéter : ouvrir la table eucharisti­que et l'ouvrir réciproque­ment desservirait la cause de l'Unité. » \[Fin de la reproduction intégrale de l'infor­mation parue dans *La Croix* du 8 Janvier 1977.\] Parenthèse explicative. On sera peut-être étonné, comme d'une maladresse, de l'insistance officielle à continuer de faire de la réclame au livre *Les fumées de Satan,* et à faire porter l'accent sur lui dans l'affaire Elchinger, bien que son intervention dans cette affaire ait été incidente et mar­ginale. Le noyau dirigeant de l'épiscopat n'ignore nulle­ment que, loin de discréditer ou de gêner ce livre par la polémique qu'il lance et relance contre lui depuis le début du mois de décembre 1976, il lui procure au con­traire une colossale publicité. Et l'épiscopat n'aime assu­rément pas assurer une telle publicité à Michel de Saint Pierre. 29:210 Mais ce livre est celui de l'Association Credo ; et l'épiscopat doit tenir compte de la tactique actuelle du Vatican à son égard : en accord avec trois des diri­geants de l'Association, inciter discrètement, ou indi­rectement, les mécontentements traditionalistes à se regrouper dans ce mouvement plutôt qu'ailleurs. Nous faisons là référence, notamment, à la concertation stra­tégique qui a eu lieu à Rome, le 9 avril 1976, entre trois dirigeants de l'Association et Mgr Jacques Martin, préfet des palais apostoliques, surnommé « le petit rappor­teur ». Au cours de cette audience vaticane les diri­geants de Credo ont souligné que si leur pèlerinage à Rome de 1975 avait choisi Mgr Lefebvre pour présider aux cérémonies religieuses, c'était avant que sa « situa­tion » ne devienne « délicate ». Quand cette situation s'est « aggravée », après la Déclaration de novembre 1974 publiée en janvier 1975, « il était impossible de revenir en arrière : le pèlerinage était trop proche et l'organisation en était terminée ». Ils ont bien expliqué à Mgr Martin, qui le savait déjà mais qui aimait se l'entendre répéter, que « Mgr Lefebvre n'a jamais fait partie de l'Association Credo » et que « son rôle a pris fin le soir du dernier jour du pèlerinage ». Ils ont ajouté : « C'est si vrai que Mgr Lefebvre se figurait que Credo devait disparaître après le pèlerinage et qu'il s'est étonné à différentes reprises de le voir continuer son activité. » Mais l'Association Credo a continué parce que ses dirigeants ont estimé, voyez-vous, que c'était à eux-mêmes (plutôt qu'à Mgr Lefebvre) que les pèlerins avaient manifesté leur confiance. Mgr Jacques Martin s'est déclaré bien heureux de ces bonnes dispositions qui d'ailleurs ne le surprenaient pas. C'est au cours de cette même audience que l'abbé Jacques Dupuy, délé­gué général de Credo, dénonça Jean Madiran comme l'une des deux éminences grises exerçant une influence épouvantablement intégriste sur Mgr Lefebvre (voir dans *La condamnation sauvage* le document numéro 58 ; dans ITINÉRAIRES, numéro 209 de janvier 1977). La concertation se développa ensuite sur la meilleure ma­nière de procéder pour que les « Silencieux » se déta­chent de Pierre Debray et rejoignent l'Association Credo : « sans publicité ni racolage », bien entendu. 30:210 Mgr Martin assura aux dirigeants de Credo qu'ils avaient là une « mission importante à remplir », et qu'ils devaient la remplir « avec discrétion ». Comme ceux-ci multipliaient simultanément leurs promesses de soumission inconditionnelle à Paul VI, Mgr Martin leur susurra finement qu'un témoignage oral n'est pas aussi satisfaisant qu'un engagement écrit : « Un peu plus tard, quand vous aurez regroupé les anciens Silencieux, ce sera le moment de faire une lettre manuscrite au saint-père. » Mgr Martin leur dit encore : « Il y a des irréductibles, X, Y, et Madiran : ils ne peuvent pas comprendre. Mais vous, continuez à faire le bon travail que vous faites, vous pouvez convaincre les braves gens. » Et autres choses du même genre. Notamment celle-ci, admirable : -- *L'étiquette* « *Mgr Lefebvre *» *vous a nui, mais vous réussirez à vous en défaire rapidement.* A quoi les dirigeants de Credo répondirent non moins admirablement : -- *Ce ne fut qu'un faux pas commis au départ...* Ces trois dirigeants étaient l'abbé Jacques Dupuy, délégué général de l'Association, et deux laïcs dont nous savons le nom. Par eux le Vatican compte contrôler le mouvement. Le président Michel de Saint Pierre, on l'a compris, ne participait pas à cette conférence opération­nelle, dont la portée véritable ne lui a pas été rapportée, ou seulement de manière fort édulcorée, car on ne l'imagine pas du tout donnant son assentiment à des combinaisons de cette catégorie. Fin de la parenthèse. #### XIV Un article du P. Bruckberger 6 janvier 1977 Voici les principaux passages de l'article publié dans *L'Aurore* par le P. Bruckberger à la suite du commu­niqué de Mgr Elchinger : 31:210 Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg, vient de piquer une rogne. Dans un commu­niqué, il me fait l'honneur de me mettre dans le même panier que Michel de Saint Pierre et André Mignot, les auteurs du livre *Les Fu­mées de Satan*. Et tout de suite, l'évêque en vient aux gros mots : « On ne combat point pour la vérité par le mensonge. » Quelle imprudence, Monseigneur ! Êtes-vous si sûr de votre fait pour traiter quelqu'un de menteur ? Si on n'est pas tout à fait sûr de ce qu'on dit, on risque de passer soi-même pour un menteur. Il s'agit toujours des « concélébrations » œcumé­niques de Strasbourg. C'est Louis Salleron qui, le pre­mier, a attaché ce grelot. Je lui ai donc laissé le soin, dans une lettre à l'évêque de Strasbourg publiée ici même, de rétablir la vérité des faits. L'évêque de Strasbourg rappelle son communiqué du 22 janvier 1976 qui se terminait par ces mots : « Le mouvement œcuméni­que ne peut progresser que dans la clarté. » Naïf com­me je suis, je me suis dit : « Bon ! voilà au moins un évêque français qui aime la clarté. Il faut s'attendre de sa part et très prochaine­ment à un mandement, où il définira très clairement la foi de l'Église et la sienne dans l'Eucharistie, où il dira ce qui est essentiel et ce qui est accessoire dans la liturgie, où il établira les li­mites de l'œcuménisme li­turgique... » Alors il se passa une chose extraordi­naire : il ne se passa rien. Les jours, les semaines, les mois passèrent : sur ce pro­blème central du catholicis­me, où il avait été une fois échaudé, l'évêque de Stras­bourg resta muet : pas plus de mandement que de cabri sur la Lune. Je revins à la charge, et dans ma chronique du 26 août 1976, j'écrivais : « Je pose donc une question so­lennelle à l'évêque de Stras­bourg, sans espoir, hélas ! qu'il me soit répondu, tant la clarté dans l'interrogation passe aujourd'hui pour de l'insolence. Pourquoi lui, Mgr Elchinger, qui est fer­me et solide dans sa posi­tion morale vis-à-vis des idéologies politiques, pour­quoi, dis-je, reste-t-il si va­gue, si absent, quand il s'agit d'affirmer sa foi dans le mystère eucharistique, et sa position personnelle quant à la discipline litur­gique qui devrait découler d'une telle foi ? » 32:210 Bien en­tendu, cette question est tombée dans un silence pro­fond et elle s'y est noyée. La relisant à six mois de dis­tance, je la trouve pourtant modérée, polie, et tout à fait normale, adressée à un évê­que. Elle exprime cette exi­gence élémentaire de l'en­fant, dont parle l'Évangile, qui a faim et qui demande à son père du pain ou du poisson. Au lieu de pain, on lui donne un caillou à ron­ger ; au lieu de poisson on lui donne un serpent. L'évêque de Strasbourg se comporte comme les parents du Petit Poucet. Il semble qu'il n'ait plus rien à don­ner à manger à ses enfants, alors il les lâche dans la fo­rêt, à l'aventure. Il nous re­proche de semer derrière nous des petits cailloux blancs pour tenter de nous retrouver. Et il se met car­rément en colère quand il voit que nous ne nous som­mes pas perdus. Je relève dans le journal de Julien Green (*La Bou­teille à la mer*, Plon), à la date du 21 février 1975 : « Il est triste de constater, comme je l'ai fait ces jours-ci, que l'étude de la Réfor­me en Angleterre jette une forte lumière sur le chemi­nement de certains catholi­ques dans l'Église actuelle. La notion de sacrifice dans la messe, la présence réelle comme nous y croyons, deux vérités battues en brè­che, et finalement condam­nées dans *Les Trente-Neuf Articles*. Les jésuites martyrs, ceux qu'on pen­dait, puis dépendait pour les étriper et les écarteler, ont versé leur sang pour *cette messe qu'on cherche à déna­turer.* Julien Green est un paci­fique, il n'a rien d'un con­testataire, il n'est pas da­vantage un esprit borné. Mais étant né protestant, converti au catholicisme, de langue anglaise autant que française, il sait ce dont il parle. Il redit à sa manière ce que je n'ai cessé de dire ici, en citant d'ailleurs le cardinal anglais Heenan qui, à l'automne 1969, affirmait à propos des martyrs an­glais du XVI^e^ siècle : « Ils ont préféré mourir plutôt que de remplacer le sacri­fice de la messe par un ser­vice de communion. » Dans cette affaire, Mgr Elchinger ne risque ni d'être pendu ni d'être étripé, même pas de mourir. Mais il risque de se déshonorer en tant que pasteur s'il continue de se taire, et s'il refuse de ré­pondre clairement sur un sujet si grave aux questions qui lui sont posées. 33:210 Telles sont les mœurs épiscopales actuelles ! Nos Excellences n'éprouvent au­cune timidité à parler de politique, d'économie, de syndicalisme, de la faim dans le monde, de la crise du pétrole, du tiercé, de l'Argentine et du Chili, mais quand on leur demande de s'expliquer sur les mystères de notre religion, dont ils sont les ministres, c'est comme si on leur parlait chinois. Il est peut-être trop tard. Les évêques français nous font l'effet de gens qui ont déjà déposé les armes de lumière, ils se sont rendus. Ils ont déjà donné trop de gages substantiels à cette partie de leur clergé char­gée de démolir l'Église. Ils en sont les prisonniers. A la guerre n'importe quel officier, même un officier supé­rieur, dès qu'il est fait pri­sonnier, perd son comman­dement. Nos évêques se savent prisonniers mais veulent garder leur com­mandement et l'exercer. \[Fin de la reproduction des principaux pas­sages de l'article du Père R.-L. Bruckberger dans *L'Aurore* du 6 janvier 1977.\] 34:210 ## CHRONIQUES 35:210 ### Ce que j'ai (re)vu en France par Gustave Corçào Récit paru à Rio de Janeiro dans « O Globo » et traduit du portugais par Hugues Kéraly. Sur le groupe « Perma­nência » de Rio, voir plus loin la note en tête de l'article de Julio Fleichman. UN SOIR D'OCTOBRE 1976, j'avais eu l'heureuse sur­prise d'une visite de mon neveu, l'ingénieur Marcus, qui vit à Curitiba. De passage à Rio, il était venu reprendre avec son vieil oncle, là où nous l'avions interrompue, la discussion commencée un certain soir des années cinquante dans mon bureau d'ingénieur de la R.C.B. ([^1]). Les années passent, l'histoire des tumultes humains passe, les pontificats passent, -- mais mon neveu Marcus ne passe pas. Dieu soit loué ! Un propos entraînant l'autre, nous en vînmes inévita­blement à l'obsédant sujet ; la Chose. Comme ni lui ni moi cependant ne sommes chosards ([^2]), n'est-ce pas, comme aucun de nous deux ne nourrit le moindre enthousiasme pour la chose appelée « Église post-conciliaire », il est compréhensible et je crois même pardonnable que notre conversation ait commencé par la stupeur plus ou moins indignée où cette horde cancéreuse a le don de nous plonger, avec une certaine exagération. 36:210 Mais bien vite, comme irrésistiblement repris par son goût de louer et de rendre grâces, mon neveu se souvint de Benedictus, du prieuré bénédictin de Curitiba. Et il parla, parla, parla sans fin de Benedictus, -- qui est aujourd'hui en France. Je connaissais déjà l'histoire vécue par Benedictus, après le concile, dans son prieuré, comme je savais aussi les aspects douloureux ou divertissants des heurts qui conduisirent Marcus à rompre ses relations avec ce prieuré où jusqu'à cette rupture, grâce à son habileté légendaire, il apportait réponse à tous les besoins. Le prieur l'appelait même par téléphone pour lui dicter ses ordres, certain de son obéissance et de son infaillible savoir-faire. Mais après la fameuse manifestation des religieux devant l'immeuble du D.O.P.S. ([^3]), à Sâo Paulo, provoquée par la détention du frère Chico, dominicain -- promenade à laquelle par­ticipèrent plusieurs moines bénédictins de Curitiba --, le prieur, livide et tremblant, vit paraître devant lui un Marcus qu'il ne connaissait pas, un Marcus qu'il n'aurait jamais imaginé, et qui lui disait, avec une colère non retenue, ce qu'il pensait de cette conjuration communiste contre son Église, sa famille et sa patrie... La passion de Benedictus, vécue jour après jour, ne connut pas un dénouement aussi explosif, parce qu'il n'était pas simplement, lui, un pieux ingénieur, père de famille, patriote et par-dessus tout catholique ; Benedictus était le moine qui un jour avait chanté : *Suscipe me Domine secundum eloquium tuum et non confundas me ab expectatione mea *; et un moine qui ne poursuivait d'autre désir que l'accomplissement de ce qu'il avait pro­mis ce jour-là. 37:210 Moi, j'écoutais Marcus me parler de cette âme, la plus limpide et pure qu'il ait rencontrée de sa vie, et je me souvenais de la visite qu'en 1966 ou 67 me fit Benedictus. ... Nous avions longuement conversé, lui et moi, et pleuré notre unique douleur. Nous avions prié ensemble au pied du crucifix. Et nous nous embrassions sur le seuil de la porte quand Benedictus, le visage douloureux et sillonné de larmes, me dit : -- « *Et maintenant, je pars à la recherche d'une maison où je puisse vivre ma vocation bénédictine. *» \*\*\* Quand Marcus fut parti, je restai face à moi-même, contemplant le rectangle obscur de la fenêtre qui s'ouvrait sur le monde et sur la nuit, et me murmurais intérieure­ment : -- « Ainsi donc Benedictus, ce soir-là, s'en est allé par ce grand monde, maintenant plongé dans l'obscurité de la nuit, mais tantôt offert au voyage, tantôt prometteur et tantôt adversaire ou même ennemi, à la recherche d'une maison où vivre ce qu'il avait promis à Dieu et à saint Benoît. » Et les nouvelles qui parvenaient jusqu'à nous, avec retard et imprécision, s'enchaînaient dans la même odyssée, dans cette même grande aventure de nostalgie, élevée dans l'âme chrétienne aux dimensions du mystère, depuis les semailles au jour le jour jusqu'à la splendeur de la gloire l'aventure du retour à la maison du Père. Arrivé en France, Benedictus commença par se pré­senter à l'abbaye de T..., où il demeura près d'un an ; mais il dut se résoudre à l'évidence : la dévastation spiri­tuelle qui l'avait obligé à fuir Curitiba le forçait ici à demander au supérieur l'autorisation de s'en aller vivre ailleurs, en ermite. Quelque temps plus tard, il apprit qu'il existait près de Boindé une ancienne maison religieuse avec une petite chapelle, et que le propriétaire du terrain où se trouvaient ces bâtiments désirait les remettre à des religieux. 38:210 Il demanda donc à son supérieur l'autorisation de fonder à cet endroit un prieuré. Et c'est ainsi qu'en 1970 Benedictus fondait le prieuré Sainte-Mane, dont pen­dant un an le prieur fut l'unique moine qui, dans une majestueuse solitude, célébrait l'Office divin, en toutes ses exigences sacrées, comme s'il vivait dans un grand monastère, militant sous la direction d'un sévère abbé. Aujourd'hui que je connais ces lieux, les rigueurs de leur solitude et la sévérité de leurs vents, j'arrive bien à ima­giner la grave beauté de ce simple tableau : dans un couloir obscur et froid s'ouvre la porte d'une unique cel­lule, livrant passage à ce moine qui s'en va tout seul vers la chapelle du monastère pour chanter matines... Le premier dimanche où Benedictus y célébra la messe, l'assistance se composait de deux personnes. Elles étaient trente le dimanche suivant. Aujourd'hui la chapelle est trop petite pour abriter la multitude des fidèles qui vien­nent assister à la sainte messe, célébrée dans un esprit qui rehausse la singularité même du sacerdoce, un esprit qui re-nouvelle vraiment d'une manière non sanglante l'incomparable singularité de la messe que Notre-Seigneur lui-même a célébrée au Calvaire. Le peuple qui vient de si loin pour assister à la messe de ce monastère offrirait, par son recueillement, sa piété, une fameuse leçon à ceux qui ont réformé ou plutôt bouleversé la messe sous l'ins­piration tourneboulante de l'humanisme anthropo-ex-cen­trique, si ces lévites eux-mêmes n'étaient pas tourneboulés. Après les fidèles de la messe dominicale commencèrent à surgir les postulants, qui frappaient à la porte du prieuré Sainte-Mane pour confier leur âme à Dieu, et prêter l'oreille aux paroles d'un véritable père. C'est ici que s'insère la motivation, ou mieux, le ren­forcement de motivation qui me conduisit à une décision accueillie par moi-même avec un certain étonnement. 39:210 Il faut vous dire que quelques années plus tôt, parmi les garçons qui s'en allaient chercher au prieuré Sainte-Mane la direction spirituelle de Benedictus, et l'atmos­phère, la respiration traditionnelle de l'Église de toujours, se détachait, aux yeux de notre cœur, un fils chéri de filleuls très aimés. Un petit-fils. Miguel, qui dans ses lettres ne cesse de répéter qu'il doit aux amis de PERMANÊNCIA ([^4]) la décision, et jusqu'à la formation et l'orientation qui, avec la grâce de Dieu, le conduisirent au prieuré Sainte-Mane. Or, il arriva que le jour de la profession des vœux solennels de notre frère Thomas d'Aquin était annoncé pour le 28 octobre, fête des saints apôtres Jude et Simon. Étonnerai-je le lecteur si je lui avoue que, dans la soirée même où Marcus m'avait quitté après ce long en­tretien, je résolus, sans présumer le moins du monde des moyens, de revoir Benedictus une dernière fois en ce monde, et d'assister à la cérémonie des vœux du frère Thomas d'Aquin ? Mais certainement le plus admirable, et que Dieu en soit loué, ce fut la réaction si compré­hensive de mon entourage et de mes amis. Les obstacles, qui n'étaient pas petits, trouvèrent, par une série de coïncidences, de ces rencontres que nous fabriquent les anges -- *malhas que os an jos tecen --,* des solutions ines­pérées. Le fait est que j'y suis allé et que j'en suis revenu. Mais voici comment cela s'est passé. \*\*\* Quand j'arrivai à Paris, avant même de pouvoir récu­pérer nos bagages, j'avais aperçu de loin mes bons compa­gnons de lutte, Jean Madiran et Hugues Kéraly, qui nous faisaient des signes chaleureux de bienvenue. Et la pensée surgit en moi, irrésistible, qu'il suffisait de revoir ces compagnons du bon combat pour compenser largement toutes les fatigues et les inconvénients d'une aussi longue traversée. 40:210 J'ai déjà exprimé cette conviction, que je ressens plus fortement que jamais : c'est là, dans les villes et les cam­pagnes de la « fille aînée de l'Église », dans cette terre bien-aimée de Dieu, que se trouvent aujourd'hui les plus nombreux, les plus courageux et les plus inlassables com­battants du bon combat. Si le sort de la civilisation est étroitement lié au sort de l'Église militante, on peut dire sans risque d'exagération que c'est en France que se déroule la plus violente et décisive bataille : que se joue la guerre spirituelle provoquée par les puissances qui, s'ap­puyant sur le monde et la chair, veulent engloutir toute trace de civilisation chrétienne et, par-dessus tout, substi­tuer à la sainte religion du Dieu qui se fait homme la religion de l'homme qui se fait Dieu. Les mouvements, les initiatives de groupes et les publications diffusées non seulement en France mais dans le monde entier pour la défense de la foi sont multiples, il est vrai ; mais c'est autour du groupe formé par les amis et collaborateurs d'ITINÉRAIRES que la lutte se con­centre, et que se croisent toutes les variétés du catholicisme traditionnel, ou mieux, du *catholicisme résistant en son identité,* réfractaire à toutes les adultérations fantasques et coupables introduites depuis de nombreuses années par les « infiltrations » en milieux catholiques : celles-là mêmes qui, en ce siècle des grandes duperies, gagnèrent en force avec la catastrophique condamnation de l'Action française, et prirent des proportions de cataclysme pendant et après le concile Vatican II. 41:210 J'insiste sur la revue ITINÉRAIRES parce que, dans notre révision des faits et des valeurs du monde moderne, et par suite dans notre libération de la trame d'équivoques tissée autour d'idées plus humanistes que chrétiennes, -- c'est-à-dire anti-chrétiennes, -- elle a joué un rôle déter­minant, comme il est facile de le constater à travers les innombrables références bibliographiques de mon livre *O Século do Nada.* Ce fut principalement dans la lecture des numéros spéciaux publiés en 1967 et 1968 au sujet du *Paysan de la Garonne* et pour le centenaire de Charles Maurras ([^5]) que j'ai trouvé la stimulation nécessaire pour *étudier ;* à soixante-dix ans, comme je n'avais jamais étudié de ma vie, et pour lire ce qui m'était demeuré inaperçu dans les années où de lourds devoirs d'état m'empê­chaient de consacrer mon temps à l'étude de l'histoire de l'Église, et surtout à la lecture des revues qui s'occupaient de l'histoire récente des luttes de l'Église contre ses « trois mortels ennemis », comme enseigne le concile de Trente. J'ai déjà confessé à travers livres et articles la gratitude que je conserve au grand Maritain, celui qui nous mit sur la voie de saint Thomas, et nous fit connaître les grands théologiens français de sa génération ; et dans mon dernier livre, *O Século do Nada,* j'ai fait voir clairement que je m'écartais du penseur qui en 1936, dans l'Avant-propos de *l'Humanisme intégral,* annonce qu'il s'écarte de saint Thomas. Mais ce que je n'ai pas dit explicitement dans ce livre, je le dis maintenant : je dois beaucoup aux grands collaborateurs d'ITINÉRAIRES aujourd'hui dis­parus -- Henri POURRAT, Joseph HOURS, Georges DUMOU­LIN, Antoine LESTRA, Charles DE KONINCK, Henri BARBÉ, Dom G. AUBOURG, l'abbé V.-A. BERTO, Henri MASSIS, Do­minique MORIN, André CHARLIER, Claude FRANCHET, Henri RAMBAUD, R.-Th. CALMEL ;O. P., Henri CHARLIER et Jean-Marc DUFOUR ; mais parmi les grands vivants qui militent dans cette revue, ma gratitude toute spéciale va à Jean Madiran, qui ne se contente pas de diriger la revue et d'y réunir ses collaborateurs, mais irradie et communique lui-même le goût généreux du bon combat, irradiant et communiquant autour de lui le grand amour qui l'anime : 42:210 l'amour passionné de tous les dons de Dieu, si maltraités en cette saison malheureuse et stupide de l'histoire où les hommes l'Église admirent davantage la montée de l'hom­me sur la lune que la descente du Fils de Dieu sur la terre... Pour notre petite caravane de Brésiliens campée dans un restaurant autour des parents du frère Thomas d'Aquin, le visage de Madiran exprimait la lumière d'une joie profonde ; car il y a « un temps pour chaque chose », et autour de cette table, n'est-ce pas, ce n'était pas le mo­ment de pleurer. Par une série d'associations, la figure de José Antonio Primo de Rivera me revint en mémoire, en même temps que ces mots du grand martyr espagnol, qui expriment le mieux ce que nous autres Brésiliens vîmes dans l'ardent personnage qui suscitait et commandait sur-le-champ les sympathies, les conversations, et jusqu'aux mets et vins de notre déjeuner : Jean Madiran « *vive ardientemente *»*.* Mais outre toutes les activités imposées par le bon combat, et sans compter les livres qu'il a lui-même écrits, -- *L'hérésie du XX^e^ siècle, L'Intégrisme : histoire d'une histoire, On ne se moque pas de Dieu, Brasillach, La vieillesse du monde,* etc., Jean Madiran fait de la revue ITINÉRAIRES un centre vivant de conservation des trésors de l'Église ; il entreprend l'édition du *Catéchisme du concile de Trente,* du *Catéchisme de S. Pie X ;* il fonde aux Nouvelles Éditions Latines toute une collection appelée « Collection Docteur Commun », où furent déjà publiés les précieux commentaires de saint Thomas : *Le Pater et l'Ave, Le Credo, Les Commandements, Les Principes de la réalité naturelle, Préface à la politique.* Ainsi donc, tandis que les hiérarchies dévoyées com­mettent l'horrible impiété de se mouvoir dans la plus totale prétérition de toutes les intentions de l'ÉGLISE, sous prétexte de servir leur « nouvel humanisme », Jean Ma­diran travaille dans un amoureux et véritable esprit *d'obéissance* à la défense du Dépôt Sacré et du salut des âmes. 43:210 Nous avons eu la joie d'assister à une réunion des COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES où, sur la demande de ces amis venus des quatre vents de France, nous prononçâmes quelques mots de remerciement et de soutien. Je fis aussi une conférence, un soir, pour un groupe parisien plus voisin de la revue ([^6]). Et tout cela me conduit à dire que l'approfondissement des relations entre notre groupe de PERMANÊNCIA et le groupe d'ITINÉRAIRES fut pour nous d'un profit tel qu'il suffisait bien à justifier l'expédition de sept Brésiliens en France. \*\*\* Rencontres et conversations fructueuses avec nos com­pagnons de lutte français, collaborateurs ou non d'ITINÉ­RAIRES : Jean Madiran, Hugues Kéraly, Louis Salleron, Pierre Tilloy, Antoine Barrois, Jacques Perret, Annick de Lussy, Jean Beaucoudray (de l'Office international), Marcel De Corte qui vint de Liège à notre rencontre le dernier jour de notre voyage, et avec lequel nous eûmes une cha­leureuse transfusion de joie fraternelle, l'abbé Cotard, Fer­nand Sorlot (directeur des Nouvelles Éditions Latines). Une autre fois, nous évoquerons aussi nos rencontres, à Paris et à Boindé, avec Mgr Marcel Lefebvre. Aujourd'hui, je voudrais transmettre au lecteur quel­que chose du profit, de l'admiration et de l'allégresse que j'ai retirés de ma rencontre avec un personnage anonyme et collectif qui, pour cette double raison, n'éveille pas ha­bituellement mon enthousiasme : je veux parler du « peu­ple de Dieu », de la multitude des vrais fidèles. 44:210 C'était le 20 octobre 1976, dans la grande salle de la Mutualité, à Paris, où se tenait une réunion sous la pré­sidence de Mgr Ducaud-Bourget. On entendit ce soir-là Hugues Kéraly, d'ITINÉRAIRES ; Roland Gaucher, journa­liste et écrivain ; André Figueras, de *Monde et Vie ;* Pierre Arnaud, sociologue ; le père Noël Barbara, de *Forts dans la Foi*, et M. l'abbé Louis Coache du *Combat de la Foi.* L'objectif annoncé pour cette réunion était de rendre un solennel hommage à Mgr Marcel Lefebvre. Et sur les tracts distribués par des jeunes gens à l'entrée de la salle, on pouvait lire en effet cet appel : JUSTICE POUR MONSEIGNEUR LEFEBVRE, et encore : DROIT A LA MESSE. Tous les orateurs présents tinrent un langage catho­lique, ce langage détrôné aujourd'hui par le jargon pri­maire de la révolution, spécialement à travers les docu­ments des conférences épiscopales qui se détachent en bas-relief dans le vacarme mondial des absurdités ; mais ce qui ce soir-là hypnotisait notre attention, c'était cette présence, solide et fervente, de 5.000 personnes de tous les âges et conditions sociales prêtes au combat, unies dans le but de réaffirmer leur rejet commun des entreprises « conci­liaires » par lesquelles l'Église du Christ fut, non pas réformée en ce qu'elle avait de réformable, mais trans­formée, déformée, détournée, et pour tout dire adultérée. Il serait erroné et injuste de penser que ces personnes obéissaient ce soir-là à des consignes, et « suivaient » Mgr Lefebvre. Dans une conférence prononcée le 2 mai 1976 à la Villa Aurore, siège d'un mouvement catholique de sauvegarde de la famille, Mgr Lefebvre lui-même rejette ce titre de *leader* et définit avec exactitude la position de ceux qui le soutiennent. La conférence commence par le récit d'un entretien de Mgr Lefebvre avec Mgr Benelli. Voici ce qu'en rapporte Mgr Lefebvre à ses auditeurs de la Villa Aurore : 45:210 « Au cours de la dernière rencontre que j'eus avec Mgr Benelli -- lequel, comme nous le sa­vons, est le véritable secrétaire particulier du pape, qu'il rencontre régulièrement chaque jour --, il m'interpella en ces termes : -- Vous comprenez, vous et vos adeptes... -- Je n'ai pas d'adeptes, répondis-je, vous vous trompez certainement, et je ne vois pas ce que vous voulez dire. -- Mais tous ceux-là qui vous suivent... -- Il n'y a personne *qui me suive,* ai-je dû insister ; ce qu'il y a, dans le monde entier, ce sont des milliers de prêtres, de fidèles et même d'évêques épouvantés par ce qui arrive actuelle­ment dans l'Église, et qui naturellement souf­frent et réagissent de la même manière que moi, qui sont d'accord avec mes propres réactions. Comme je suis évêque, et directeur d'un sémi­naire, il est naturel que ce séminaire exerce un attrait sur les âmes, et qu'on vienne y chercher un appui pour persévérer. Mais que demain je disparaisse, et ces personnes continueront à nourrir les mêmes convictions dans la foi. Nous nous trouvons dans une situation anormale, à notre époque, et nous devons défendre notre foi d'une manière toute spéciale. Il est illusoire de dire que je suis une espèce de *leader,* et que j'ai des adeptes qui me suivent inconditionnel­lement ; et non moins illusoire de s'imaginer que si je tombais, toute la résistance à la des­truction de l'Église tomberait avec moi... » Mais la plus grande et la plus belle surprise, en ce qui concerne la vigueur et l'expansion de ce mouvement de fidèles qui à temps et à contre-temps veulent garder la foi en ce monde et préparer leur salut dans l'autre, nous l'avons trouvée en assistant à la sainte messe de la salle Wagram. Oui, c'est autour de la messe elle-même que s'organise concrètement la résistance des catholiques fran­çais. Je l'ai vu de mes yeux à la salle Wagram et, avec stupéfaction, j'ai entendu dire que, chaque dimanche, cette salle se voit remplie à cinq reprises de près de 2.000 personnes de tous âges et conditions sociales. 46:210 Pendant la semaine, deux fois par jour, une chapelle annexe offre encore aux catholiques la vraie messe, gardée intacte de toute souillure. Esquissons ici la courte et éloquente his­toire de cette salle Wagram. -- Mgr Ducaud-Bourget, celui qui présidait le 20 octobre la réunion de la Mutualité, se trouvait être plusieurs années auparavant le chapelain de l'Hôpital Laënnec, où il célébrait la sainte messe depuis je ne sais combien de temps, messe qu'il continua tran­quillement de célébrer, en dépit des réformes annoncées pour accommoder la liturgie à la « mentalité contem­poraine ». Sa chapelle, fréquentée simplement par les gens de l'hôpital, fut découverte par des fidèles catholiques qui ne pouvaient en conscience accepter le « nouvel huma­nisme », et commencèrent à l'utiliser. Jour après jour, le nombre des fidèles augmenta, et la direction de l'hôpital se crut obligée d'intervenir. Les fidèles se mirent sur-le-champ à la recherche d'une salle spacieuse, puisque les églises de Paris, comme celles de toute la France, sont aux mains des « humanistes » ou, si l'on préfère, des envahisseurs. A la suite de nombreux épisodes, ils dénichèrent un vaste et vieux cinéma, qui serait sombre et laid s'il n'avait gagné dans l'aventure cette nouvelle et lumineuse signi­fication de catacombe du XX^e^ siècle au centre du monde... Et ces fidèles-là non plus ne sont pas des disciples ou des adeptes de Mgr Ducaud-Bourget ; mais des disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui se réunissent dans un local où, par la grâce de Dieu, ils trouvent les signes de sa présence et de son Sang. Je dois ajouter que rien qu'à Paris et dans sa proche région il existe, le dimanche, 14 messes célébrées selon le rite traditionnel. On nous a dit également qu'à travers le reste de la France il n'y avait pas moins de 400 cha­pelles, ou salles improvisées, où l'on se réunissait pour accomplir le saint précepte. Vu le nombre de fidèles et de messes, cela représente évidemment beaucoup de prêtres courageux prêts à tout affronter pour bien manifester la permanence de leur foi. 47:210 Ces signes de la vitalité française me reviennent comme une obsession à la mémoire, à l'imagination, en cette heure surtout où s'étale avec plus d'évidence l'excessive misère spirituelle de nos évêques, de nos prêtres, de notre pauvre peuple. Gustave Corçâo. 48:210 ### Le rôle de l'armée en Amérique latine par Julio Fleichman Voici parmi nous notre ami Julio Fleichman. Président du groupe Permanência, directeur de la revue Permanência, brésilien de Rio de Janeiro, né à Rio, vivant à Rio où il est avocat. D'une fa­mille de juifs russes émigrés, lui-même converti en 1952 après avoir découvert Kierkegaard, dont il n'eut néanmoins pas un instant le désir d'em­brasser le protestantisme. La religion catholique lui parut « évidemment la seule religion possible ». Il fut baptisé à 24 ans. C'est après sa conversion, c'est au Centro Dom Vital qui à cette époque rassemble les principaux écrivains et intellectuels catholiques, qu'il ren­contre Gustave Corçâo : depuis lors il ne l'a ja­mais quitté et il le seconde dans tous ses combats. En 1963, rupture entre les catholiques brésiliens qui veulent demeurer dans la foi traditionnelle et ceux qui commencent à s'engager dans l'évolution conciliaire, sous l'influence d'Helder Camara et de quelques autres. Gustave Corçâo et ses disciples se séparent du Centro Dom Vital. En 1968, ils fondent avec Alfredo Lage le mouvement Perma­nência, et ce mouvement édite une revue du même nom. (Voir dans ITINÉRAIRES, numéro 199 de janvier 1976, p. 283 et suiv. : « Le septième anniversaire de Permanência ».) 49:210 Le nom de Permanência a été choisi par réfé­rence au chapitre XV de l'évangile de saint Jean : « Manete, DEMEUREZ en moi, et moi en vous... Celui qui manet in me, qui DEMEURE en moi, et en qui je DEMEURE, porte beaucoup de fruit... Si quelqu'un ne DEMEURE pas en moi, il sera jeté dehors... DE­MEUREZ dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, VOUS DEMEUREREZ dans mon amour... » et toute la suite. A cette époque le groupe Permanência ne con­naissait aucun mouvement d'inspiration analogue en Europe ; il entreprit par lui-même de résister à l'évolution conciliaire et notamment de rejeter par une saine critique l'influence du second Mari­tain. Nous n'avons fait la connaissance de Gustave Corçâo, notre éminent collaborateur et ami vénéré, que lors de son voyage en Europe de 1973, où il participa au congrès de Lausanne auquel nous ne participions plus (voir « Le Brésil à Lausanne » dans notre numéro 179). Julio Fleichman est président de Permanência depuis 1969. Nous l'avons connu à Rio pendant l'été 1975. Nous l'avons revu en France au prin­temps 1976. Notre sympathie spirituelle a été im­médiate et entière. Je ne pouvais supposer que la mort inattendue de Jean-Marc Dufour m'amène­rait à lui demander de prendre sa relève... Je crois que nous devons, pour l'avenir temporel du catholicisme, attacher une grande importance aux capacités contre-révolutionnaires des dernières nations catholiques n'ayant pas apostasié : les na­tions d'origine portugaise ou espagnole d'Amérique latine ; et c'est pour cette raison que, depuis des années, nos lecteurs ont été régulièrement informés des aventures et des espérances de ces nations amies. Il fallait donc continuer. Julio Fleichman a bien voulu accepter de nous rendre cet immense service. Qu'il en soit remercié avec toute notre affection. *J. M.* 50:210 JEAN-MARC DUFOUR remplissait avec une grande compétence -- et avec quel éclat ! -- la fonction de commentateur politique pour ce qu'il appelait « le monde ibéro-américain » : il y incluait non seulement l'Amérique latine, mais encore l'Espagne et le Portugal. La place laissée vide par sa mort, la revue ITINÉRAIRES me demande d'en occuper une partie, en donnant réguliè­rement quelques informations et commentaires sur ce qui se passe réellement en Amérique latine. C'est pour moi un honneur que je ne méconnais pas, croyez-le bien, chers amis français. \*\*\* Quelques points préliminaires, une sorte de préambule sur l'armée et la torture, feront l'objet de ce premier article. Malgré la bonne volonté et l'éventuel discernement de nos amis européens, nous savons bien qu'il leur en coûte de croire vraiment à l'existence ou à la survivance de certaines valeurs en Amérique latine. Celle-ci leur paraîtra toujours un continent où les valeurs du christianisme et de la civilisation européenne, qui nous ont formés, se présentent en état de décomposition. Non pas seulement cette décomposition qui sévit partout, actuellement, en Europe comme en Amérique du Nord ; mais autre chose : un certain manque de discipline, de sens de l'organisation, de responsabilité, d'amour du travail, enfin de sérieux. Les Européens s'attendent bien à trouver ici cette décomposition de la chrétienté et de la civilisation qu'ils voient chez eux ; mais ils s'attendent à la trouver ici re­doublée, pour ainsi dire, et aggravée par cette autre forme de décomposition qui depuis longtemps les a habitués à penser à l'Amérique latine comme à un continent où les services publics ne fonctionnent pas, où la santé publique et les conditions d'hygiène sont précaires, où les gouver­nements et les institutions sont toujours au bord d'une révolution, en somme un continent « qu'on ne peut pas prendre trop au sérieux ». Cependant l'attitude change si l'on parle de sujets comme celui de la *torture.* 51:210 Et pour autant que nos amis français soient disposés à croire qu'il s'agit là d'une invention communiste ou pour mieux dire principalement d'une exploitation communiste, on voit bien qu'il reste toujours un doute ou une équivo­que au fond de leur pensée. Ils se disent que finalement, sait-on jamais ce qui se passe réellement au fond des prisons de cette lointaine Amérique latine ? Ainsi voyons-nous par exemple, dans des journaux et revues amis, des allusions à la « montée de la violence » chez nous. Or le problème qui se pose n'est pas celui d'un *surcroît* de violence. En vérité il y a de nos jours trop peu de violence dans la bonne direction, comme l'on peut le cons­tater dans la passivité des Américains et Européens vis-à-vis de ce qui se passe en Angola ou bien devant le chantage au sujet du pétrole. Je dirai donc, pour commencer cet aperçu général sur l'Amérique latine, que nous sommes bien en effet un continent où presque tout fonctionne mal et où nous-mêmes, nous nous attendons toujours à un accident à couleur locale quand les choses s'avèrent mieux réussies. Dans ce manque de discipline généralisé, qui peut expliquer notre pauvreté et notre retard mais, aussi bien, la douceur de notre tempérament et même, qui sait ? une certaine petite sagesse de savoir vivre, il y a une chose, commune à tous les pays d'Amérique latine, qui a toujours bien marché ; et dont la discipline professionnelle fait même la seule chose organisée et efficiente : *les Forces Armées.* 52:210 Tout au long de ces quinze ou vingt dernières années nous avons vu, dans les pays de notre continent, les autres institutions sociales, à commencer par les gouvernements civils, fléchir l'une après l'autre sous le désordre et l'anar­chie, ou mieux, sous l'action d'un communisme plus ou moins déguisé, et ne rester aux hommes responsables et dévoués à leur patrie d'autre issue que celle de confier aux *Forces Armées* la direction du pays. Ce phénomène, qui a existé déjà dans le passé, abou­tissait au bout d'un temps parfois très court, à la resti­tution aux hommes politiques, par les militaires, du gou­vernement qu'on leur avait confié. Et le cycle des gouver­nements ineptes et corrompus recommençait, ce qui tôt ou tard aboutissait de nouveau à une intervention mili­taire. Mais durant ces dernières années les militaires ont compris que les circonstances avaient changé et devant la menace communiste grandissante ils se sont organisés pour pouvoir, le cas échéant, assumer le gouvernement effectif, sans délai prévu pour se retirer. Malgré les risques de cette option, car le pouvoir est un agent dangereux de corruption, nous ne voyons pas d'autre issue aujour­d'hui pour ces pays d'Amérique latine, car ce même spectacle se déroule sous nos yeux depuis vingt ans. Les pays d'Amérique latine qui cherchent à maintenir un « libéralisme démocratique » tombent lentement dans le désordre et l'anarchie, comme la Colombie, ou bien engendrent avec des gouvernements démocrates-chrétiens un climat gauchiste susceptible de faciliter l'avènement d'un candidat communiste du type Allende, comme cela se passe actuellement au Venezuela. Ceux qui se voient forcés à réagir contre l'anarchie, contre la pénétration commu­niste et contre le délabrement économique se tournent vers les *Forces Armées.* C'est ce qui se passe au Brésil, en Bolivie, au Chili, en Uruguay et en Argentine. Il faut excepter le Pérou, où ce sont des militaires de gauche qui détiennent le pouvoir. 53:210 Et dans tous les pays cités ci-dessus, nous avons pu constater que les militaires, qui contrôlent le combat contre la subversion, montrent plus de sensibilité dans leurs façons d'agir, plus d'équilibre et même plus de sentiments de pitié pour ceux qu'ils mettent en déroute que les avocats spécialisés dans la défense des subversifs en matière d'honoraires. Il faut le répéter : ce sont les *Forces Armées* qui dirigent le combat contre la subversion, même quand c'est la police qui exécute. Néanmoins, nous ne pouvons pas ignorer qu'au fond de n'importe quelle prison, fût-elle américaine du nord ou du sud, ou européenne, il soit pratiquement im­possible d'empêcher tout arbitraire. Si l'on ne peut pas penser à une totale absence d'abus, par contre n'oublions pas que personne n'aura intérêt à « torturer » dans le sens que les communistes et ceux de leur bord attribuent à ce mot. Il y aura, bien sûr, des abus, dont les premiers et principaux responsables sont ces mêmes criminels qui prirent l'initiative de perpétrer des actes de guerre contre des innocents sous le seul prétexte invoqué de « *la guer­rilla urbana *». Et il faut nous rappeler que l'on n'a pas encore inventé une méthode d'interrogatoire des malfai­teurs dans laquelle la persuasion et la gentillesse puissent se substituer aux châtiments physiques. Si cette évidence peut pousser quelques policiers, plus rudes voire même déséquilibrés, à des abus, ceux-ci restent en général répri­més par l'autorité. Pourquoi ne le seraient-ils pas ? Pourquoi imaginer qu'il y aurait dans les prisons d'Amérique latine des formes plus terribles d'interroga­toire que dans celles d'Europe ou d'Amérique du Nord ? Il est bien sûr que si nous considérons ces prisons dans la perspective d'un continent sans ordre ni contrôle, irres­ponsable en somme, l'on peut imaginer des cas où les abus policiers ne sont pas réprimés, et où les prisonniers restent à leur merci. Mais comme nous l'avons vu déjà par l'éclatante efficacité de la répression contre-révolution­naire, la seule institution bien organisée dans nos pays est celle des *Forces Armées,* celle justement qui dirige et contrôle tout l'appareil de répression de la subversion orga­nisée. 54:210 S'il en est ainsi nous ne pouvons pas croire que nos militaires aient moins de sensibilité et de formation morale que les dirigeants européens. Bien au contraire, les témoi­gnages que nous avons de leur sensibilité politique : leur hésitation à prendre des attitudes outrées ; leur préoccu­pation (excessive !) de la légalité positive, même après leur intervention (extraordinaire) dans la vie politique du pays ; leur hâte, bien des fois dans le passé, à s'en retour­ner à leurs casernes ; leur répugnance pour les complots politiques ; leur honnêteté personnelle maintenue parmi des traditions de corruption dans les affaires publiques des nombreux mauvais gouvernements qui les ont précédés ; l'attitude humaine et équilibrée que l'on peut constater dans leur façon de conduire les affaires de l'État, -- tout cela est à même de nous donner la conviction que, dans la direction des cadres policiers qui combattent la sub­version, ils se conduisent avec fermeté mais aussi avec modération. Et qu'ils sont les premiers à chercher la correction des abus. Nous oublions trop facilement que les dirigeants mili­taires de nos pays d'Amérique latine, après dix années de gouvernement, rendirent à la vie sociale, politique et économique du Brésil, par exemple, des aspects de régu­larité et de discipline peu habituels chez nous. En vérité, ces campagnes contre la torture (qui visent seulement les pays où les communistes furent expulsés et où on lutte contre la subversion) ont pour véritable objectif de briser l'efficacité de la répression contre la subversion organisée. \*\*\* 55:210 Ce n'est pas sans une certaine mélancolie que j'écris ces lignes. Je n'ignore pas que nous vivons, au Brésil comme dans les autres pays du continent, une espèce d' « intermezzo », une oasis de bonheur relatif qui nous donnera pendant dix, quinze ou vingt ans une ambiance de tranquillité, de prospérité et de développement culturel et économique. Nous savons bien que l'élément principal, indispensable même, pour que ces acquisitions se main­tiennent et se développent, c'est une spiritualité qui nous rapproche de notre Fin dernière par les chemins que Dieu veut bien nous signaler. Cette spiritualité nous manque. Sans elle l'horreur qui nous poussa à agir, en 1964 au Brésil, en 1973 au Chili et en 1976 en Argentine, contre les communistes, contre leurs agents conscients et leurs auxi­liaires inconscients, se ternira et peu à peu s'éteindra notre zèle pour la vie politique. Les infiltrations parmi les « intellectuels » et les évê­ques, le retour à la corruption et au manque de compé­tence, tout cela, malheureusement, commence à poindre déjà parmi nous. Après l'heureuse apogée de 1973, on semble avoir pris le chemin de la descente dans des pays comme le nôtre. Car, il faut bien le dire, ceux qui pour­raient et devraient secourir nos soldats avec une vraie spiritualité, la seule possible, sont ceux-là même de qui nous ne recevons qu'indifférence et hostilité : les évêques. Tout au long de ces dix ou quinze années nous avons vu, avec une infaillible régularité, le même spectacle : dès qu'un gouvernement anarcho-communiste est écarté et qu'arrivent au pouvoir les seuls hommes qui mènent une action efficace contre le communisme, alors se dressent contre eux, invariablement, les conférences épiscopales poussées par une minorité d'évêques hargneux qui sem­blent accomplir des ordres dont l'uniformité nous conduit à conclure qu'ils viennent de Rome. Les conférences épis­copales dans nos pays d'Amérique latine mènent une opposition serrée aux gouvernements du Brésil, du Chili, de l'Uruguay, de l'Argentine, de la Bolivie et du Paraguay. 56:210 En ce qui concerne la conférence épiscopale brésilienne (CNBB), manipulée par une minorité active et maligne, les militaires brésiliens ne reçurent qu'hostilité et lutte ouverte de leur part, ainsi que des tentatives de diffamation à l'ex­térieur, principalement par ces histoires de « tortures » fabriquées par des jeunes communistes brésiliens exilés, que des revues comme la *Documentation Catholique* ou la Radio du Vatican prennent au sérieux. \*\*\* Nous avons eu notre « intermezzo ». Il nous manque, en Amérique latine comme en Europe, en Afrique, en Amérique du Nord et partout ailleurs, l'enseignement et l'exemple de nos pasteurs. L'avenir évidemment nous paraît sombre et le souvenir des temps apocalyptiques nous assaille. \*\*\* J'espère, en de futurs articles, montrer aux lecteurs quelques aspects de la misère qui empoisonne la vie des catholiques, ici, comme partout dans le monde. Néanmoins je voudrais signaler dès maintenant que la conspiration ourdie par les conférences épiscopales -- qui ont forgé une super-conférence appelée CELAM, promoteur actif de la subversion dans tout le continent -- sont non seulement aidées mais aussi orientées et dirigées par des organisations dites « catholiques » françaises et belges. En effet ces catholiques ne cachent pas qu'ils ont une organisation et qu'ils agissent pour renverser l'ordre du continent à travers des organismes du type « pro-socialisme chrétien » ou d'autres. Il y a à Louvain un « Collège pour l'Amérique latine »*,* fondé en 1953 « sous le patronage de l'Université Catholique », comme il est dit dans leur publication Aux Amis d'Amérique Latine, qui ne cache pas ses affinités avec Helder Camara. 57:210 En France, à Orléans, nous savons qu'il existe une organisation semblable. Ainsi qu'à Rome. Heu­reusement les gens de notre police le savent aussi. Et c'est pour cela que parfois un prêtre français, belge ou italien est expulsé d'un des pays de notre continent : parce que dans ces pays, on combat le communisme, ses agents conscients et ses auxiliaires inconscients. Julio Fleichman. 58:210 ### La France et l'Europe par Louis Salleron TANT l'Opposition que la Majorité sont di­visées sur le problème européen. Le pré­texte de la division est l'élection du Par­lement européen. Je dis « prétexte » parce qu'il s'agit d'un prétexte. La question de fond est politique. Elle a un aspect *juridique* et un aspect *historique.* Ces deux aspects se rejoignent dans une *conception générale* de la France et de l'Eu­rope. L'aspect juridique est celui de la *souveraineté* na­tionale. L'aspect historique est celui de la *tradition* française. La conception générale est celle de l'ordre international, et d'abord à son premier niveau qui est celui de l'Europe. L'idée de *souveraineté* est une idée française. Elle a été élaborée par les légistes qui l'ont mise au point au cours des siècles pour affirmer la pleine autonomie du Royaume, puis de la République, face au saint Em­pire dans le domaine temporel, face à l'Église dans les relations du temporel et du spirituel. « Le roi de France est empereur dans son royaume. » 59:210 Cette idée s'est faite, avec le temps, tradition. Elle est devenue une loi fondamentale du royaume, puis de la république. Elle a la force d'une coutume supra-constitutionnelle. Concrètement, l'idée de souveraineté nationale a conduit la France, tout au long de l'Histoire, à une politique anti-européenne. L'Europe, c'était en effet l'unité du pouvoir temporel en symbiose, sans confu­sion, avec l'unité du pouvoir spirituel. « Le Pape et l'Empereur sont tout. » Le Moyen Age exprime parfaitement cette unité eu­ropéenne. A travers les guerres et les rivalités politiques, l'Église assure l'unité spirituelle qui fait de tous les individus et de toutes leurs associations des personnes européennes malgré la variété de leurs allégeances po­litiques. C'est peut-être à l'Université que cette Europe apparaît le mieux. Il n'y a qu'une Université à travers la multiplicité des universités. Maîtres et élèves vont d'une ville à l'autre dans la plus totale liberté. La gloire de l'université parisienne est faite d'un Albert le Grand, allemand, d'un Duns Scot, anglais, et d'un Thomas d'Aquin, italien. Leur nationalité importe peu. Ils en­seignent d'ailleurs dans la même langue, le latin. Ils enseignent à Paris, mais aussi bien dans d'autres pays. A partir du XVI^e^ siècle et de la Réforme, cette unité européenne recule. Elle ne cessera de reculer. La France défait le saint Empire et impose sa langue à l'Europe. Parce que l'Empire s'est réfugié en Autriche, c'est l'Au­triche qui sera sa bête noire. Comme il y a un empereur d'Autriche, et comme l'Autriche est catholique, la France fera l'Allemagne prussienne pour détruire l'Au­triche, à quoi elle parviendra, grâce à la franc-maçon­nerie, en 1918. Cependant, après les guerres de 1870 et de 1914, c'est l'Allemagne qui deviendra la puissance menaçante. 60:210 Alors, comme la France s'alliait autrefois à la Turquie, elle s'alliera désormais à la Russie. Il s'agit de faire l'équilibre européen, entre blocs de nations souveraines d'une force équivalente. Or, de même que la France a mis deux siècles à comprendre que ce n'était plus l'Autriche mais l'Alle­magne qui la menaçait, elle considère maintenant que c'est l'Allemagne qui la menace et non pas l'U.R.S.S. Le fait que l'Allemagne est la nation la plus puissante d'Europe et qu'elle est située au milieu de l'Europe agite l'instinct français dans le sens d'une tradition millénaire. Les Français, ou du moins la moitié d'entre eux, sont contre l'Europe parce qu'ils sont contre l'Al­lemagne. D'où la confusion actuelle. D'une part, il faut fermer les yeux à l'évidence pour ne pas voir que nos petites nations ne font pas le poids entre les deux superpuissances américaine et sovié­tique et qu'en conséquence un ordre européen s'impose. D'autre part, il n'est que trop certain que l'Allemagne est aujourd'hui la plus puissante nation européenne. Alors que faire ? Une moitié de la Majorité et une moitié de l'Opposition s'accordent pour donner plus de consistance à l'Europe. L'autre moitié de la Majorité et l'autre moitié de l'Opposition se dressent contre une Europe qui, à leurs yeux, ne serait que le nom dissimulé de l'Allemagne. On patauge. Le général de Gaulle a tenté de s'opposer aux super­puissances en valorisant à l'extrême l'idée de souve­raineté et d'indépendance nationale. Il pensait, ce fai­sant, créer en Europe de l'Est des forces d'opposition à l'impérialisme soviétique et s'attirer la sympathie des dizaines d'États nés de la dislocation des empires colo­niaux de l'Europe. Il y a partiellement réussi, mais c'était en un sens la politique de la facilité. Le triomphe des petits nationalismes exaspérés est le signe même de sa fin. Il n'est plus qu'un rempart de papier contre les regroupements géographiques plus vastes imposés par les réalités techniques et économiques. 61:210 Le problème n'est pas de faire ou de ne pas faire l'Europe ; il n'est pas d'élire au suffrage universel ou non un Parlement européen ; il n'est pas de s'efforcer de tirer la quintessence du concept de souveraineté nationale pour assurer la survie de la France. Il est d'avoir *un principe supérieur de l'ordre politique* où les personnes individuelles et communautaires puissent respirer et s'épanouir dans les nations et au-delà des nations. Nous avons connu l'Europe de la foi, puis celle des lumières, puis celle du libéralisme technique et éco­nomique. Dégradation perpétuelle qui risque de nous faire déboucher dans l'Europe du matérialisme tota­litaire. Il nous faut retrouver une Europe spirituelle. Ce n'est pas la tâche du Conseil constitutionnel de nous la fournir. Louis Salleron. 62:210 ### Le cours des choses par Jacques Perret *Les grandes heures de la cour du Louvre.* Installation de Malraux dans l'éternité. A l'heure où j'écris tous les Parisiens en sont encore sublimés jusqu'à la moelle des os. Grande première mondiale. Apothéose en noc­turne héroï-funèbre à toutes pompes. Osiris, Ammon et Boudha, Totem, Vichnou, Didon et Saba, supershow, festival et Valalla. Quoique centré sur Isis et Rha le grand esprit de synthèse continue de fonctionner sous le contrôle bienveillant de la garde républicaine, cependant que des faisceaux de lumière as­trale maintiennent en lisière les ténèbres séculaires entas­sées dans la cour du Louvre. Toute la République était là une fois de plus triomphante mais recueillie dans le deuil, la vénération et le ferme propos d'immortaliser Malraux, enfant prodige des neuf muses et du génie de la Bastille. Toute la République était là, son peuple au coude à coude sur trois côtés, le quatrième pour ses barons alignés dans la position rituelle de l'homme debout, les poings fermés selon la statuaire égyptienne. Le grand souffle dé­mocratique passait en majesté dans la cour des rois en laissant derrière lui comme un léger tourbillon libéral qui pieusement dépolluait l'atmosphère. On y respirait ce soir-là tous les parfums mélangés de l'absolu, des beaux arts et de la révolution dont la mémoire du défunt n'arrêterait pas d'enfumer délicieusement les ineffables loisirs de l'hu­manité en marche. Au mitan de la cour, solitaire et lumi­neux à l'intersection de tous les phares de l'éternité, sié­geait l'adorable motif, assis droit et figé dans son mystère, gardien pétrifié de l'énigme, délivré de la parole et du mouvement, satisfait de son état et même un peu rengorgé. Métamorphose des dieux : le héros défunt survivait dans la peau d'un chat divin momifié à la mode égyptienne. On lui devinait quand même un je ne sais quoi d'embarrassé. La foule en effet se croyant interrogée n'arrêtait pas de lui donner ses langues incapables. 63:210 La *Marseillaise,* enfin, largement funèbre, et le refrain lugubrement glorieux. Formez vos bataillons, et rhon rhon peth hipatapon comme il est dit dans le cantique du Chat. Silence. Immobilité. Croirait-on pas que la terre s'est ar­rêtée de tourner. En haut les grands granzancêtres en garniture d'œils-de-bœuf, en bas Giscard et ses ministres, l'académie et les corps diplomatiques tout raidis et hié­ratiques en sous-vêtements de bandelettes, l'œil fixe et l'oreille tendue. On attendait un signe, et soudain : *-- Miaou...* Jailli de l'ombre où le peuple était contenu le message a déchiré le silence et sur le coup, de proche en proche s'improvise et s'amplifie à l'envi un concert de miaulements amoureux comme les toits de Paris n'en ont jamais connu. Ce compte rendu de la cérémonie est garanti à peu près conforme. Seul est inventé le final. J'ai cru devoir en effet rappeler aux Parisiens qu'ils étaient jadis réputés gens d'esprit et de bon sens. \*\*\* En 1933, un quart d'heure d'entrevue avec Malraux, grand homme déjà. L'impression que j'en garde est d'un homme inquiet de corps et d'esprit, débordé par l'abon­dance de ses moyens et sous l'empire d'une fièvre imagi­native ; mais causeur pittoresque et bienveillant à l'égard de l'interlocuteur un peu timide que j'étais. A part cela je ne connais de lui que l'homme public, celui que tout le monde connaît par les images coloriées et diverses qu'il en a répandues. Je ne suis donc pas en mesure de pré­juger de ses réactions en toutes circonstances, temporelles ou posthumes. 64:210 Trépassé, a-t-il jugé bienséant et avantageux de se voir honoré de la sorte ? Je voudrais bien en rejeter l'hypothèse. Aurait-il participé au concert des miaous ? J'aimerais le croire. \*\*\* De cette apothéose en majesté saugrenue on peut donner plusieurs explications. 1° -- Le spectacle a été conçu par un ennemi du défunt et proposé à l'agrément de l'Élysée par un conseilleur perfide. Le génie de Malraux s'étant révélé particulière­ment accessible à la faveur populaire, rien n'était plus facile que de faire admettre aux autorités suprêmes un arrangement scénique bourré de culture où l'illustre mé­moire nous serait cuisinée en civet de chat Pharaon sauce Marseillaise aux aromates bengalis persillés à la mitrail­lette madrilène. « Après ça, monsieur le président, c'est la majorité dans la poche, le septennat dans un fauteuil et l'humanisme pompidolien réduit à pacotille. » Le far­ceur évidemment prévoyait une cérémonie égayée d'une manifestation d'hilarité au moins partielle et suffisante à faire un scandale. Mauvais calcul, non seulement le scan­dale bouffon n'a pas eu lieu, mais le peuple invité au festin culturel en a bavé de naïve exaltation, et nos élites mondiales ont tenu jusqu'au bout comme abîmées dans les mystères de l'au-delà et confondues par les métempsy­coses accordées à la condition surhumaine. \*\*\* 2° -- C'est un coup monté en haut lieu sous couvert des pompes funèbres. Banal s'il en fût mais des plus pho­togéniques le stratagème est toujours en usage dans les milieux de la haute pègre et fort apprécié du public. C'est l'amalgame piégé qui rassemble à la fois les membres de la famille et de la bande rivale, offrant ainsi aux caïds et braqueurs un regroupement de tout repos pour s'entre-tuer dans une ambiance loyalement funèbre. 65:210 En l'occurrence l'opération n'avait pour but qu'obtenir un rassemblement à la fois discret et massif des éléments plus ou moins relâchés de la bandera gaulliste et résistantielle menacée de somnolence et pourrissement. Obtenue par décision unilatérale et sans frais ni réserve, la caution de Malraux, agitateur charismatique, esthète sans-culotte et penseur mondial mais d'abord et surtout inspirateur ministériel, caudataire privilégié, scribe accroupi aux pieds du Pha­raon, pareille aubaine évidemment ne se trouverait pas deux fois. Tous au chat. Il n'y aurait pas d'incidents. A jamais momifié dans le divin matou et promu de ce fait au rang de pièce de musée, le gaullisme enfin se perpétue­rait en vitrine sous protection électronique. Dans sa plé­nitude culturelle et martiale le couple hypostatique du prophète résistant et du brigadier à gidouille apparaîtrait dans la nuit pour la confusion des méchants et l'édification du corps électoral. Effectivement les ennemis, s'il en était, ne se firent pas connaître. S'il est vrai que des ricaneurs de choc, à peine un quarteron, un résidu d'OAS, étaient venus dans l'intention de profaner le spectacle, ils ont dû se contenter de pouffer sous cape. \*\*\* 3° -- Au total, se disait Giscard en praticien de la minute de silence et de son bon usage, au total soirée payante. Mon rallye du chat, ça marche. Malraux comme prévu a mobilisé l'intelligentsia des maquis, un détache­ment de la gauche pensante et le gratin du gaullisme éso­térique. Un joli bouquet ma foi. Ça me fait penser que de Gaulle, un peu ralenti sur la fin, à Colombey, confiait à Malraux les leçons qu'il tirait du comportement de ses chats. 66:210 J'ai idée que ce soir il ne boit pas du lait. Il fait plutôt le gros dos, pas de leçon à recevoir des sphinx. Per­sonnellement, les Égyptiens j'ai rien contre, ils étaient spiritualistes comme moi, à leur façon bien sûr. D'ailleurs je ressemble à Ramsès, tout le monde le dit, et si je vou­lais je me tournerais la mèche en pschent, vous voyez ? Je peux aussi me l'arrondir en croissant de lune, comme Diane. Ou encore j'en ferais un nimbe comme saint Valéry si j'étais vraiment catholique. Tout le monde sait que je vais à la messe en tant que spiritualiste et libéral, et je dois dire que de ce côté-là le clergé y met du sien. Enfin tout bien pesé la mèche est très bien comme elle est, en jugulaire d'une oreille à l'autre mais à l'envers pour faire bisquer le général. Lui et moi on ne pouvait pas se blairer, c'est bien connu. D'après Malraux qui le confessait il n'avait pas tellement l'air de croire en Dieu, moi non plus mais je suis spiritualiste et tout le monde le sait, je l'ai dit plusieurs fois en conclusion de mes exposés éco­nomiques et financiers pour améliorer un peu mes pour­centages à l'IFOP. En tout cas sa majorité je ne l'ai pas reçue par testament bien sûr, mais la bonne soupe elle passait par mézigue. Aujourd'hui, évidemment c'est plus pareil, le mou de veau c'est fini mais tout de même il y a encore du granulé, ça vaut la peine d'en profiter avant le patatras, ils le savent. Enfin c'est pour dire que de Gaulle et sa progéniture politique et immobilière, ça commence à faire un peu tocard et puant sur les bords, et encore c'est peu dire. Ça, ils ne le savent pas. Ils se figurent encore des choses. C'est la fascination d'Ubu : ubi Ubu ibi bene. Mais moi j'ai sondé la gidouille. Écœuré à tel point naguère que j'ai failli mettre un pied dans l'OAS, et une idiotie pareille ce n'est pas bien mon genre. Eux les gaullistes, les héritiers, la confrérie, la bande à papa, ils en sont restés au grand homme eh bien moi je pourrais leur parler du petit monsieur et affreux jojo qui se fourrait dans la peau d'un grand homme pour nous conduire culotte basse et musique en tête dans la mouscaille économique et financière où me voilà, oui ça me démange de leur dire mais franchement c'est trop tard, et il n'y en a plus pour longtemps. 67:210 D'une manière ou d'une autre on va sauter ensemble et ça ils le savent. Et à ce moment-là si Tito ne vient pas me venger on verra un peu qui je suis. On verra le mondain mondialiste et libéral se ramasser à Bilderberg et alors là, garanti, j'obtiendrai pour la France, la France de toujours, celle de Saint-Just, de Ferdinand Lop et de Malraux, un siège de délégué honoraire à la cogestion du Plérome Libéral. En attendant les municipales ne sont pas loin, faut continuer le cinéma du Libérateur, le mémorial de l'Épurateur, les pèlerinages, les hommages, et les petites séances de mythologie promotionnelle comme ce soir ; mais le coup du chat n'est pas à renouveler, on a frôlé la superstition et même la rigolade. La prochaine fois on se réunira au Sacré-Cœur, mais pas de romancier, de Gaulle tout seul, avec son âme bien sûr, et pour la trans­migration je fais venir King Kong. Question d'épater le monde j'ai quand même des références non ? La poignée de main à l'assassin, les câlinettes à Boumedienne, c'est du quotidien, des amusettes. Mais qui c'est qui a déposé une gerbe d'orchidées sur le mausolée de Lénine, et qui la veille balançait une vanne de pommes cuites sur la tombe de Pétain ? Faut le faire, non ? Fin de la minute de silence. \*\*\* 4° -- Il est de notoriété mondiale que la nation fran­çaise est aujourd'hui la plus avancée dans les voies de sa libération. Elle ne sait déjà plus ce que français veut dire. A l'observateur étranger qui, le sachant, lui, et se réjouit d'en savoir davantage, elle se présente comme un ramassis d'enfants trouvés et d'orphelins élevés par des renégats. La petite scène dont vous parlez ne devrait pas vous surprendre. \*\*\* 68:210 Cette dernière explication est un peu sommaire et brutale mais je ne voudrais pas m'y attarder en fantaisie comme je l'ai fait pour les autres. Elles me paraissent truf­fées de partis pris, affublées d'inventions plus ou moins cohérentes et parfois, ce qui est plus grave, inutilement erronées, voire injustes. Ainsi ai-je déprécié le génie de Malraux en n'y voyant que ratatouille d'esthète philoso­phale, rhéteur de barricades et fumiste en tous genres, négligeant tout le bien qu'il nous fit, par exemple en révé­lant que la pensée de saint Thomas pouvait rivaliser avec celle du Pandit Nehru et que l'art de Poussin n'était pas inégal à celui de Chagal. Aussi bien ai-je diminué Giscard dans l'aparté que je lui prête. Il est beaucoup plus sérieux et nocif qu'il n'apparaît ici. Traitant avec légèreté de ce personnage profondément subversif et calculateur illumi­né, je n'ai voulu que m'égayer cinq minutes. Voici Noël et le jour de l'an, il n'est question que de jeux et joujoux, ménageries, pantins, bébés pisseurs, guignols, panoplies et farces-attrapes. \*\*\* *Le Jardin des Plantes. --* Il n'a pas échappé au fléau de la sécheresse. Le soleil à gogo, s'il n'a pas trop ramolli la bosse du dromadaire n'a vraiment réjoui que le cadran solaire de la maison Cuvier. Il a connu en effet à longueur de jour le plein emploi de son ombre, témoigné sans répit de la continuité des heures et, par sa devise, rappelé aux flâneurs que la science est tributaire du temps : *Transibunt et augebitur scientia.* Cette devise comme tant d'autres n'a de mérite que dans sa brièveté. Au demeurant, bavarde elle perdrait son nom. Toujours est-il que souvent la brièveté force l'élégance. Elle arrive même à forcer la conviction, effet dont il faudra se méfier. S'agissant ici de vérité première son cas est peut-être innocent. 69:210 En revanche si la concision suffit à l'affirmation elle s'en tiendra là et se frottera les mains de toute implication et conséquence. On serait tenté de croire qu'une affirmation ainsi pla­cardée à la lumière du soleil est un message heureux. Mais là nous sommes dans le domaine de l'opinion où le deviseur ne daigne. A mon avis, la devise du Mu­séum est un avertisse­ment : sachez au moins, gentils promeneurs, étudiants, amoureux, retraités, bonnes portugaises et vous-mêmes sociologues diplômés et scientifiques chevronnés, que si les heures transibunt la scientia augebitur, et cela dit, libre à vous d'en éprouver de l'inquiétude ou de la satis­faction. J'en viens alors à dénoncer la puérile ambition, en pareille devise, d'un futur grammatical, autoritaire et fol­lement indéterminé qui nous bercerait dans l'inadmissible éternité des heures et l'idiotie d'une science indéfiniment augmentée sans objet. N'empêche que les cadrans solaires et quelle que soit leur devise me retiennent toujours attentif et charmé. Ne serait-ce que deux minutes, le temps qu'ils me dispensent est celui d'un autre temps et d'un autre monde où je suis reçu comme enfant prodigue. Volontiers j'en rapporterais ici quelques scènes et tableaux, mais je crains le tourbillon qui jetterait le désarroi dans le cours des choses. Non, il ne sera pas dit que je prends ma chronique pour un fourre-tout. Nous voici donc rendus au jardin dans son actualité brûlante. Parlant ainsi je ne veux pas dire que les feux et flammes de la politique du changement ont pu s'atta­quer au règne végétal. Il s'agit de la sécheresse, fléau naturel que ne saurait souffrir un peuple libre et assisté. Le jardin des plantes a donc séché lui aussi, et ses bêtes. L'administration du Mu­séum n'étant pas asservie à l'idée de profit elle n'a pas cru devoir, que je sache, envoyer ses bêtes à la boucherie pour encombrer les frigos d'éléphants et hippopotames. 70:210 Par ailleurs, n'étant pas au nombre des bénéficiaires de l'impôt sécheresse, elle pouvait se dispenser de cacher son bétail pour faire croire à son décès. Au demeurant le témoignage d'un nombreux public eût rendu l'opération difficile. Quant au jardin proprement dit je suis témoin de ses douleurs. Au solstice de juin il était déjà flétri, jauni quasiment vidé de ses réserves de sève. L'humidité péniblement recueillie dans les profondeurs du sous-sol n'arrivait plus à se hisser dans les branches. Au fin bout des espèces rares et même tropicales on ne voyait plus que pendouiller des miettes de cigare. Désespérant d'étancher tant de soif l'arrosage se consacrait à la survie du grand parterre et du carré botanique. Partout ailleurs, la chlorophylle, c'était cuit. La verdeur des gazons volup­tueux, c'était du paillasson. Où sont les ombrages d'antan, les fraîcheurs attendues sous les allées séculaires ? Et qui donc a volé la pomme rare pour que soit défolié notre paradis citadin. Or un beau soir la pluie est revenue qui d'extrême justesse a rendu aux arbres et pelouses la force et le goût de reverdir. Stimulé par l'aubaine et mis au défi de rattraper le temps perdu, le végétal moribond se fit une beauté printanière toute fraîche, insolente et même assez glorieuse de moquer ainsi le cycle des saisons. Tant et si bien que l'automne bluffé recula son échéance, remit à quinzaine l'étalage de ses charmes et guetta le moment de sortir ses couleurs. De l'arbre aux quarante écus qui surplombe le bassin des amphibies on vit alors se détacher minutieusement une fortune de louis d'or et l'éléphant de mer affalé sur la margelle somnolait en majesté comme une sirène paresseuse et royalement écaillée. Ce détail suffira pour vous faire une idée de la fête automnale im­provisée in extremis dans le jardin ressuscité. De mémoire d'homme c'était la première fois. 71:210 La mémoire d'homme a bon dos. Il est pourtant vrai que jadis nos bassins d'agrément s'ornaient plus facilement de tritons de bronze que de cétacés vivants. Et les arbres chinois comme les éléphants de mer n'avaient pas encore les moyens d'habiter le cinquième arrondissement. Pour ce qui est de la pluie et du beau temps et des saisons télescopées, il faut bien dire que les chroniqueurs et mé­morialistes ne mentionnaient la situation météo que dans les cas exceptionnels. Il fallait que le soleil le vent ou l'orage eût joué dans la conjoncture historique ou roma­nesque, un rôle important. D'une façon générale nous manquons de renseignements sur l'enfance du Jardin des Plantes. Nous avons les papiers relatifs aux buts de cette fondation, à la surface qu'elle occuperait et quelques té­moignages relatant les remous qu'elle provoqua dans les milieux de la médecine officielle ; mais les documents écrits, peints ou gravés qui nous donneraient quelque idée de sa personne physique font défaut. Mis à part que tous nos espaces verts y compris le square Jules Guesde et les derniers sycomores émergeant d'un pâté de maçonnerie, se réclament des antiquités rustiques et bocagères de Paris, c'est le plus vieux de nos jardins. Né en 1635 d'un terrain vague, d'une intention thérapeutique et d'une fa­veur de Louis XIII, il ne fut d'abord qu'un jardin bota­nique et médicinal. On se garda bien d'y planter des arbres d'ornement. Une culture d'herbes et herbacées pour tisanes et onguents ne font pas un motif qui retienne l'attention des artistes. Les étudiants musards qui des­cendaient de la Montagne n'étaient pas tentés non plus de marauder la menthe ou la verveine et moins encore de prendre des notes pour un journal intime qui nous serait parvenu. Ils dévalaient jusqu'à la Seine pour chercher for­tune, querelles, coups à boire et autres contacts humains dans l'honorable société du quai Saint-Bernard, mariniers morvandiaux, débardeurs de barriques, marchandes de beignets, charretiers criards et moines en commissions de l'abbaye Saint Victor. N'oubliez pas que tout le quartier s'illustrait encore de la célèbre abbaye, haut lieu de la chrétienté. Observez alors que la tour des sciences et la mosquée sont bâties sur ses fondations et ne vous privez pas de ricaner à ces coïncidences. 72:210 Mais notez s'il vous plaît, que nos caves sont ici probablement voûtées de ses matériaux de 3^e^ ou 4^e^ remploi. Et que Louis VI le Gros régnant, vers 1118, Abélard encore intact, avec saint Ber­nard lui-même, déambulaient de conserve dans les couloirs de la station Jussieu où naguère nos piocheurs ont déterré le cloître. Déjà sous Buffon le jardin des plantes faisait large part à la plaisance. On y plantait des arbres décoratifs et pas seulement des espèces rares. Tous ceux que nous voyons aujourd'hui n'ont pas vu passer des jardiniers en bas rouges et sabots, ni le Père Apothicaire allant à la cueillette, ni les pécheresses du Chardonnet en permission de détente, mais quelques-uns sont très vieux quand même. A défaut d'exotisme ou de rareté, leur grand âge, leur belle tenue, la simple raison de leur souche bien gauloise font encore l'agrément du promeneur et l'honneur du jardin. Beaucoup d'entre eux ont même la fierté ou la coquetterie de refuser leur tronc à la plaquette émaillée déclinant leur identité en latin doublé de vernaculaire. Aussi bien une telle étiquette offense-t-elle au public parisien qui sans pouvoir toujours les nommer à coup sûr reconnaît bel et bien comme étant de la famille les châtaigniers, les frênes, les bouleaux et les ormes. Oui, justement, les ormes. Nous en parlerons un peu la prochaine fois, des ormes, et vous verrez qu'il est grand temps de s'en inquiéter. Jacques Perret. 73:210 ### Billets par Gustave Thibon **L'Utopie** 5 novembre 1976 « *Tout bien réel projette du mal : seul le bien imagi­naire n'en projette pas. *» Cette pensée de Simone Weil exprime une vérité profon­de. Le langage courant tra­duit la même idée en disant qu' « il n'y a pas de lumière sans ombre ». Nous pouvons rêver et es­pérer un bonheur absolu ou une perfection sans mélan­ge, mais non les atteindre. La vie réelle est toujours un mélange de biens et de maux et la meilleure chose a son côté négatif. Celui qui part en vacan­ces vers un pays méridional rêve d'un ciel toujours sans nuages, d'une mer tranquil­le où les bains sont un dé­lice, d'aliments nouveaux et savoureux, etc. Et sans doute trouvera-t-il tout cela, mais il connaîtra aussi (et ces choses n'étaient pas pré­vues dans son programme de vacances) les embouteil­lages sur la route, des jours de mauvais temps et peut-être même quelques indi­gestions dues à la cuisine exotique... Les fiancés pensent au mariage comme à une « lu­ne de miel » indéfinie et à leurs enfants futurs comme une joyeuse nichée de pe­tits êtres charmants et af­fectueux. En fait, un peu de noir se mêlera fatalement à ces visions roses. Tous les mariages ne sont pas heu­reux et, même dans les meilleurs, il y a toujours une part de déception et d'épreuves. Et quant aux en­fants, ils apporteront aux parents un cortège de dif­ficultés et de soucis en même temps que de joies... Il en va de même polar toutes les autres circonstan­ces de la vie. 74:210 Pourquoi ce décalage en­tre le désir et le fait ? Tout simplement parce que nos vœux sont indéfinis et nos capacités de réalisation très limitées. Quelle que soit l'orienta­tion que nous donnions à notre vie, elle comportera toujours un mélange de bien et de mal. Aussi la sagesse consiste-t-elle à choisir non seulement le plus grand bien, mais aussi le moindre mal. Et il arrive souvent que la solution la moins mauvaise soit encore la meilleure. Schopenhauer di­sait que les rois qui com­mencent leurs proclamations par ces mots : « nous, par la grâce de Dieu », seraient plus près de la vérité en écrivant : « nous, de deux maux le moindre ». En ef­fet, toute autorité comporte des abus et des injustices, mais le gouvernement le plus imparfait est encore préférable à l'anarchie. La vie terrestre est un chemin imparfait vers la perfection qui nous attend dans l'éternité. Et ce che­min devient vite impratica­ble si nous exigeons de lui la perfection qui est seule­ment dans le but. C'est dans ce sens que Lord Acton di­sait que « la société devient un enfer dans la mesure où l'on veut en faire un para­dis ». Si, en vous mariant, vous rêvez d'une épouse idéale et d'enfants absolu­ment sans défauts, mieux vaut que vous restiez céli­bataire, car vous serez un mauvais mari et un mau­vais père. Et si, dans votre vie professionnelle, vous ne tolérez aucun échec dans vos entreprises ni aucun défaut chez vos collaborateurs, tous vos efforts resteront stéri­les. L'expérience prouve qu'il n'y a pas d'homme plus insupportable que ce­lui qui ne sait rien suppor­ter. Saint Thomas More a dé­crit, dans un ouvrage célè­bre, un État où règnent la justice idéale et le bonheur absolu. Mais il a situé cet État dans l'Ile d'Utopie, ce qui signifie en grec : le pays qui n'est nulle part. Tant que notre voyage terrestre n'est pas achevé, nous de­vons donc tendre vers la perfection, mais ne jamais y prétendre. 75:210 **Les paradis artificiels** 19 novembre 1976 La mort de deux adoles­centes, victimes de la dro­gue -- l'une par une piqûre mal dosée, l'autre, indirec­tement par suicide -- suscite d'abondants commen­taires dans tous les jour­naux français. Un fait re­tient surtout l'attention : c'est que l'usage des stupé­fiants commence à étendre ses ravages dans les couches modestes de la société qui semblaient jusqu'ici épar­gnées par ce fléau. La jeune génération est la plus atteinte, ce qui assom­brit encore le tableau. Un journal a publié les résul­tats d'une enquête menée parmi les camarades des victimes. A la question : Pourquoi vous droguez-vous ? il a été répondu : « Nous n'avons de goût à rien, tout nous laisse indif­férents », ou encore, le mot est d'une jeune fille de 18 ans : « Dans mon état nor­mal, je vois les choses telles qu'elles sont ; une fois dro­guée, je les vois comme je voudrais qu'elles soient. » La pauvre enfant repre­nait mot pour mot à son insu la phrase célèbre de Bossuet : « Le pire dérègle­ment de l'esprit consiste à voir les choses, non comme elles sont, mais comme on voudrait qu'elles soient. » Encore Bossuet parlait-il de l'influence des passions li­vrées à elles-mêmes et non d'un dérèglement artificiel­lement provoqué et entre­tenu... On se drogue parce qu'on s'ennuie. Mais pourquoi s'ennuie-t-on ainsi ? J'ai sous les yeux un article dans lequel il est dit en substance : Comment les jeunes d'aujourd'hui peu­vent-ils et osent-ils s'en­nuyer ? Jamais un aussi lar­ge éventail de possibilités ne s'était offert aux hommes choix plus étendu de la profession grâce à la géné­ralisation et à la facilité des études et, dans l'ordre des distractions, lectures, spec­tacles, télévision, sports, voyages, etc. Et cela parti­culièrement pour les jeunes filles, jadis confinées dans le piano, la broderie, le tri­cot ou les confitures, avec de rares sorties chaperon­nées, et devenues aujour­d'hui aussi libres que les garçons. Puis, évoquant la charmante petite ville médi­terranéenne de Bandol, où se trouvait en vacances le groupe de jeunes intoxiqués dont faisait partie l'une des victimes, l'auteur ajoute N'a-t-on pas autre chose à faire que de se droguer dans ce pays où tout concourt au bonheur des estivants : dou­ceur du climat, beauté des sites, occasion de pratiquer tous les sports terrestres et nautiques, etc. ? 76:210 D'où ce paradoxe : c'est quand les hommes avaient le plus de raisons objecti­ves de s'ennuyer qu'ils s'ac­commodaient le mieux d'une existence apparem­ment insipide et c'est quand ils ont toutes les possibili­tés de se distraire qu'ils s'ennuient le plus. L'explication est simple. Ce qui fait l'ennui, ce n'est pas le manque de nourritu­re, mais l'inappétence. Et ce qui crée l'inappétence, c'est la satiété. L'ennui est com­me une toxine sécrétée par l'abondance mal assimilée. La pire misère de l'hom­me, ce n'est pas de ne rien avoir, mais de ne rien dési­rer. Alors, il cherche un re­mède à l'inappétence, non dans le jeûne qui lui ren­drait le goût des vrais ali­ments, mais dans des exci­tants artificiels dont l'effet s'amortit très vite car, ne correspondant à aucun be­soin naturel, ils aggravent en profondeur le mal qu'ils soulagent en surface -- ce qui appelle l'emploi de mo­yens encore plus frelatés et plus nocifs. Ainsi s'opère « l'escalade » de la fausse évasion, jusqu'au recours à la drogue, terme normal de cette fuite dans l'irréel, où l'homme trouve un dernier refuge contre l'ennui dans la dissolution de sa propre personnalité. Si, selon la forte expression du catéchis­*me, -- la damnation consiste à perdre son âme,* les pa­radis artificiels sont déjà la préfiguration de l'enfer. Trop de bien-être, trop de facilités, trop de loisirs, di­sent les pessimistes pour ex­pliquer cette déchéance. S'il en était vraiment ainsi, je veux dire si l'effort des gé­nérations précédentes qui ont forgé le prodigieux ins­trument de la prospérité ma­térielle devait aboutir à ce legs empoisonné ; si ce qu'on appelle justice et pro­motion sociales, idéal « dé­mocratique » et civilisation des masses consistait à ré­pandre dans toutes les cou­ches de la société des vices réservés jadis aux riches et aux oisifs ; si l'homme n'a­vait le choix qu'entre les tourments de la misère et l'avilissement par l'ennui, -- alors les vues des plus som­bres sur l'avenir de notre civilisation ne seraient que trop justifiées. Je ne pense pas que nous ayons « trop » de bien-être et « trop » de loisirs. Ce qui manque à beaucoup, *c'est le mode d'emploi* de ce bien-être et de ces loisirs. La civilisation moderne cul­tive tous nos désirs, mais elle néglige de nous appren­dre le bon usage des biens que nous désirons. C'est présenter en vrac le néces­saire et le superflu, l'utile et le nuisible, le meilleur et le pire, et de nous laisser la responsabilité du chois. Il s'agit de digérer cette abondance et de mériter cette liberté. 77:210 Or, toute bon­ne digestion implique deux conditions : d'abord *le dis­cernement* qui consiste à ne pas manger n'importe quoi et ensuite *la modération* qui consiste à ne pas trop man­ger. La gloutonnerie aveugle produit le dégoût -- après quoi la maladie et le médecin ne tardent pas à nous imposer un régime incom­parablement plus sévère... Là réside, en effet, le nœud du problème : si nous ne savons pas allier l'abondan­ce extérieure à la discipline intérieure, l'abondance elle-même nous sera ravie car la prospérité économique ne peut subsister et s'accroître que par le travail et les bonnes mœurs. Et quant à la discipline, nous y serons ramenés du dehors par la tyrannie, suite invariable du désordre et de la licence, et qui sera exercée par d'im­pitoyables médecins du corps social, sinon par des chirurgiens sans scrupules qui n'hésiteront pas à nous amputer de ce précieux or­gane dont nous aurons fait un si triste usage : la liberté. **La souffrance est un remède** 26 novembre 1976 *Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance* *Comme un divin remède à nos impuretés.* Ces vers de Baudelaire expriment une vérité amère, mais essentielle. Personne n'aime la souf­france. Et moi, qui écris ces lignes, pas plus que ceux qui les liront. On la redoute plus que jamais dans ce siè­cle qui vit sous le signe du bien-être et de la sécurité. On s'empresse d'avaler un cachet, au moindre commen­cement de douleur physique et, dans l'ordre moral, on constate un refus généralisé des risques et des respon­sabilités. Mais on a beau la fuir, l'heure où elle nous rejoint finit toujours par sonner. Et ce poison apparent con­tient un remède secret. « C'est en souffrant qu'on apprend » affirme un tra­gique grec. Et l'Écriture sainte nous dit : « Celui qui n'a pas souffert, que sait-il ? » Quels sont donc les bien­faits de la souffrance ? 78:210 La souffrance nous révèle nos limites. Limites physi­ques s'il s'agit des souffran­ces du corps, limites mora­les s'il s'agit des douleurs de l'âme ou de l'échec de nos entreprises. Et, par là, elle nous enseigne la modes­tie. Car la santé, le succès, le bonheur sont des flat­teurs : l'homme à qui tout réussit ne voit plus ses fai­blesses et ses lacunes ; il se croit tout permis et tombe facilement dans cette « dé­mesure » qui, selon les anciens Grecs, est la source de tous les péchés. La souffrance, en nous privant des plaisirs super­ficiels qui fascinent si sou­vent les gens heureux, nous aide aussi à découvrir les valeurs profondes qui sont les sources du vrai bonheur la méditation, l'amitié (c'est dans l'épreuve qu'on recon­naît ses vrais amis, disaient les Romains), les vertus mo­rales et religieuses. Elle nous enseigne enfin la compassion à l'égard du prochain. On comprend d'autant mieux la souffran­ce des autres qu'on a connu soi-même des épreuves iden­tiques. Pour citer un exem­ple très banal, je me sou­viens de mon grand-père qui, jusqu'à 60 ans, n'avait jamais eu mal aux dents. Fort de cette immunité, il n'était pas loin de considé­rer ceux qui souffraient de cette affection comme des malades imaginaires. « Mal aux dents, mal d'amour », disait-il en haussant les épaules. Vint enfin le jour où il eut une bonne crise dentaire -- et, à partir de ce moment-là, il cessa de rire des douleurs des au­tres... Telles sont les grâces qui nous viennent par la souf­france. Elle nous rappelle à l'ordre voulu par Dieu et que nous violons trop sou­vent par ignorance et par présomption ; elle exerce une action purgative qui nous débarrasse des élé­ments impurs et superflus de notre existence, et, par là, si nous savons profiter de ses leçons, elle nous con­duit vers une paix et un bonheur supérieurs, ignorés de ceux qui n'ont pas souf­fert. C'est pourquoi, au lieu de la repousser comme un mal, nous devons, quand Dieu nous l'envoie, l'accueillir et l'utiliser comme un remède. On ne refuse pas un remè­de ; on ne le prend pas non plus pour son plaisir : on s'en sert comme d'un moyen pour revenir à la santé. Gustave Thibon. © Copyright Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique). 79:210 ### Des cailloux sur la foire *suite* par Paul Bouscaren Si c'est l'homme qui fait le citoyen, quelle différence restera-t-il entre le citoyen et l'étranger ? Nous en som­mes là. De même, si l'hom­me fait le chrétien, que res­tera-t-il de l'Église ? Le bon sens de saint Thomas pro­fesse calmement : « Dicen­dum quod cum extraneis po­test esse hominum conver­satio dupliciter : uno modo, pacifice ; alio modo, hosti­liter. » (I.II 105,3). \*\*\* « Vous allez compren­dre », nous disait à tout bout de champ ce maçon, à qui nous avions demandé des travaux de longue durée ; et nous pouvions voir à me­sure le travail se faire, com­me il nous l'expliquait ; tan­dis que les incessantes cam­pagnes d'information des princes qui nous gouver­nent (?), s'agit-il de com­prendre au lieu de voir arriver, ou quoi ? \*\*\* Le dialogue a-t-il pour première condition de se reconnaître obligé à la vé­rité ? Oui ou non ? Et si oui, pourquoi ne pas le dire ? \*\*\* Parlant à Jérusalem, le journaliste Elkabbach de­mande à M. Abba Eban si les gouvernants d'Israël usent de la presse et de la radio pour « éduquer le peuple d'Israël dans le sens requis par la paix » (16 mars 1975). 80:210 Éduquer le peu­ple, former l'opinion sous couleur de l'informer, la fabriquer pour que sa sou­veraineté soit comme il faut, selon qui ? Le matraquage enfin reconnu, ... en Israël. \*\*\* *Si quis amat, scit quid haec vox clamat.* Faut-il comprendre que l'expérience commune de l'amour, pre­mier l'amour sexuel, pré­pare à l'amour de Dieu ? Ne serait-ce pas risquer beau­coup d'illusion ? L'Imitation n'avertit-elle pas plutôt, et au contraire, qu'il faut ai­mer Dieu, pour n'être pas sourd au chant de l'amour divin ? \*\*\* « Après les règlements de compte inévitables... » Dixit notre radio (*France-Inter* 9 h, 16 avril 1975), sur l'en­trée des Khmers rouges Pnom-Penh ; qui l'a jamais entendu rien dire de ce genre sur la Grèce des colonels ou sur le Chili de Pinochet ? \*\*\* Si la société existe pour que la vie humaine de cha­cun ait son milieu propre et indispensable, quelle in­justice sociale est la plus énorme, sinon de fermer la société à des innocents, comme le fait la loi Simone Veil, alors surtout qu'il y a tant de scrupule pour la fermer aux criminels ? \*\*\* Le droit suit à la raison, mais nullement à la raison moderne, selon qui chacun a droit du moment qu'il a une raison pour ce qui lui plaît ; la raison exige d'être prudence en pesant les rai­sons pour et contre, avant de faire, d'un motif même incontestable et même in­contestablement élevé, le droit de l'un qui oblige les autres. \*\*\* Les chrétiens étaient des athées pour les païens par leur non à tous les dieux ; aujourd'hui, le christianisme traditionnel de l'Église une, sainte, catholique et aposto­lique, comme il dit non à tous les dieux de l'opinion, est l'athéisme de l'anti-plu­ralisme. \*\*\* 81:210 « Humbles, qu'un saint orgueil fait dédaigner le monde » (Pierre Corneille), et dresse à mesure, aujour­d'hui, contre la fausse église de l'ouverture au monde. L'ancienne et la nouvelle messe, l'une témoin de la tradition de l'Église depuis toujours, l'autre en rupture avec cette tradition : voilà le plein sens d'ancienne et de nouvelle, sans quiproquo ; comparez-les au point de vue de la prière pour tous, selon les trois premières demandes du Pater. \*\*\* La coutume de l'Église a plus d'autorité que ses plus grands Docteurs ; c'est à elle qu'il faut toujours mesurer exactement toutes choses, considérant comme périlleuse toute proposition de nouveauté insoucieuse de cette règle : dixit Beatus Thomas (II.II.10,12). Or cette règle nous a valu la messe de saint Pie V, et c'est au mépris de cette règle qu'il y a la messe de Paul VI. \*\*\* Il est vain de faire grief au communisme de ses actes de guerre, puisque, ainsi d'ailleurs que toute révolution, le communisme est une guerre, déclarée entre toutes avec ses rai­sons et ses buts. Ses raisons n'en font pas une juste guerre, ses buts de guerre sont un état social pire que celui dont s'accommode le capitalisme libéral : voilà où il faut frapper. \*\*\* Pourquoi nous est-il im­possible de rencontrer Dieu en ce monde ? Si Dieu nous était visible en ce monde, nous croirions à lui comme à quelque chose entre les choses, il ne s'agirait donc pas de lui comme il est Dieu ; la foi nous unit à Dieu comme à quelqu'un qui est Dieu. \*\*\* Le salut par l'amour, puisque Dieu est amour, au­tant dire aux hommes d'à présent, qui sont amour de n'importe quoi, que n'im­porte quoi sera leur salut comme n'importe quoi est leur dieu. \*\*\* 82:210 Ce qui concerne le peuple regarde le peuple, est l'af­faire du peuple ; ce principe de la démocratie nous a valu l'esclavage de l'argent, qui nous mène à l'esclavage socialiste. \*\*\* L'ancien athéisme ne croyait pas en Dieu parce que la raison le faisait conclure à ne pas y croire ; l'athéisme contemporain est une incapacité de croire en Dieu selon que la raison s'identifie à la science expé­rimentale, pour qui l'hypo­thèse Dieu n'a pas de sens. \*\*\* Le langage abstrait de 1789 et, depuis, du soi-di­sant régime démocratique, n'avait fait perdre pied aux gens qu'à moitié ; mainte­nant, la débâcle est totale, avec la révolution radio­phonique et télévisuelle, l'incessante ruée, sur chacun des humains, de l'humanité concrète, et la moins humai­nement concrète, à la lueur livide des mêmes abstrac­tions. \*\*\* Il y a une manière inepte de juger l'Église sur l'exemple que doit lui être son Seigneur ; est-il en son pouvoir à elle, comme au sien, à lui, de dormir pen­dant la tempête et de la calmer d'un mot ? de se laisser mettre en croix pour ressusciter trois jours après ? \*\*\* Même l'amour de Dieu ne va pas sans nous séparer de lui, selon qu'il faut l'ai­mer plus que soi-même et par-dessus tout (II-II, qu. 19, art. 10, ad 3). \*\*\* Pas de vie humaine sans la pensée par idées ; pas de vie humaine, à prendre nos idées pour la réalité ; par conséquent, droit naturel primaire et droit naturel second. \*\*\* Nos idées, nos prières même, s'arrêtent à l'infini de la Vérité de Dieu, nous ne devons pas moins à Dieu et à nous-mêmes leur vérité de Dieu en nous. Paul Bouscaren. 83:210 ### Les finances du patriotisme jacobin par André Guès C'EST ENTENDU : la France, et conséquemment le patriotisme français, sont nés aux alentours du 14 juillet 1789, et certains historiens en ont fait des morceaux de bravoure, une plume facile y suffit. Il est moins aisé et plus ennuyeux de scruter les chiffres qui s'inscrivent précisément en faux contre l'ampleur et les vertus du patriotisme jacobin. Domaine connexe à l'activité financière des Assemblées jusqu'à la guerre (ITINÉRAIRES, numéro 193 de mai 1975), les piteux échecs des emprunts, taxe patriotique et sous­cription volontaire, attestent le peu d'efficacité de ce néo-patriotisme. Le 4 août 1789, la Constituante vote un emprunt de 30 millions, dépannage pour quelques jours : en trois semaines il rapporte 2.600.000 livres et peut alors être considéré comme clos. Il est vrai qu'en fixant l'intérêt à 4,5 % quand on trouve sur la place à prêter son argent pour un meilleur loyer, l'Assemblée comptait sur un pa­triotisme que le public n'a pas manifesté. Le jour où il annonce ce pitoyable résultat, Necker récidive en réclamant un emprunt de 80 millions, aussitôt voté : il sera clos le 8 octobre 90, ayant produit 44 millions dont la moitié en effets publics dévalués pris au pair. 84:210 Dans l'intervalle, pressée par le besoin, l'Assemblée décrète le 1^er^ octobre 89 une « *taxe* PATRIOTIQUE » de 25 % du revenu et 2,5 % de la valeur des bijoux, argenterie et numéraire. Confiante dans le patriotisme des citoyens, elle décide qu'il ne sera fait aucun contrôle des déclara­tions. La taxe frappera les revenus de plus de 400 livres ; pour les revenus inférieurs, les déclarants fixeront eux-mêmes leur contribution. Les ouvriers en sont exempts, mais pourront s'inscrire « *pour telle somme modique qu'il leur plaira de désigner *»*.* Le délai des déclarations court jusqu'au 1^er^ janvier 1790 : le contribuable a trois mois pour réfléchir. Il se libèrera en trois termes les 1^er^ avril de 1790, 91 et 92. Il s'ensuit que la taxe est de 8,3 % du revenu annuel. La loi est assortie d'un préambule qui an­nonce la fin du déficit et promet des économies, avec une adjuration à attendrir les pierres qui peint la situation de l'État « *menacé de dissolution *»* :* franchise qui honore le déclarant et mesure sa naïveté, car ce n'est pas au moment où on lance un emprunt qu'il faut alarmer l'opi­nion ; et qui mesure aussi, de son propre aveu, la valeur d'une assemblée qui, en trois mois de gestion, a tout juste été capable de mener l'État à la dissolution. Les économies annoncées sont de 35.814.000 livres pour le der­nier trimestre, équivalant au quart de la dépense annuelle : pure vantardise, mais sans doute pense-t-on ranimer de la sorte la confiance des gogos. La propagande ne chôme pas. Dubois-Crancé déclare à la tribune que payer cette taxe, c'est « *consolider un bonheur qui ne finira qu'avec les siècles *»*,* Panckouke dans la *Gazette nationale* que c'est « *rendre hommage à la patrie et à la liberté *»*.* Enfin, bien que cela s'appelle une taxe, c'est un emprunt : l'article 16 de la loi promet le remboursement. On compte que l'opération rapportera 275 millions en deux ans et demi. Mais à cinq jours de la clôture des déclarations, loin du compte, on décide de donner au patriotisme un délai supplémentaire de deux mois et d'exciter l'honneur des patriotes en publiant la liste des dé­clarations. Peine perdue : quand le délai de grâce est près d'expirer, il faut en venir à la taxation d'office, dé­crétée le 27 mars, et dont Dubois-Crancé, rapporteur du Comité des finances, n'a pas attendu pour faire passer le montant de 275 à 400 millions, quoi qu'il en soit des premiers résultats. 85:210 Les suivants ne corroborent pas davantage cet opti­misme : le 4 juin 1790, les rôles se montent à 70 millions, le 25 à 86 millions, le 18 juillet à 98,5 et plus de 28.000 communes ne se sont pas manifestées. Le 8 août, le rap­porteur constate : « *L'intérêt personnel a parlé avec plus de force que l'intérêt de la patrie. *» Au 1^er^ octobre, le montant des rôles est de 107 millions, dont un tiers devrait être versé depuis le 1^er^ avril : à cette date moins de dix millions étaient dans les caisses et le 31 décembre l'État a touché un peu plus de vingt millions au lieu de la cen­taine attendue. Passons un an : au début de décembre 91 les rôles ne sont encore que de 142 millions, dont 95 devraient être dans les caisses depuis huit mois, alors que le budget de l'année arrêté au 31 décembre accuse à ce titre 49.336.920 livres, rentrées de 90 et 91 cumulées. Le 11 avril 92, à la veille de la guerre, alors que l'opération devrait être close, le montant des rôles n'est que de 153 millions, qui devraient être encaissés depuis le début du mois : à cette date, les versements étaient de 79.304.000 livres. En la suivant jusqu'en 95, cette opération patrio­tique dont on attendait 400 millions en aura rapporté 134 dont pas mal de papiers et, pour finir, d'assignats sans valeur : un fiasco complet. Il faut le rapprocher du succès de la contribution extraordinaire de 100 millions effectuée après les Cent-Jours par l'ordonnance du 15 août. Ils furent répartis aussi équitablement que possible entre les départements en te­nant compte des charges de l'occupation. A l'échelon départemental, un comité taxa chaque contribuable pro­priétaire ou patenté, invité à s'acquitter sous trois mois. Gignoux écrit (*Restaurations,* Robert Laffont, 1947) : « *Le miracle fut que cette contribution, levée dans un désordre complet --* dans un pays pillé par les occupants et ruiné -- *fournit ce qu'on en attendait à sept millions près. *» Miracle du patriotisme sous la Monarchie légitime. Dernière mesure chiffrée du patriotisme en matière de finances : les dons volontaires. Le 29 novembre 1789, Mes­sieurs les députés donnent l'exemple en s'autorisant par décret à remettre au Trésor les boucles en argent de leurs souliers. Six mois plus tard, ces dons patriotiques se mon­tent à 1.042.170 livres, pas même une demi-journée de revenu pour l'État, et le Comité des finances de l'Assemblée se dit « *frappé du peu de secours que peut fournir la faible ressource des dons patriotiques *»*.* 86:210 L'empressement de la franc-maçonnerie n'est pas exemplaire : le 25 mai 90, une circulaire constate que 22 loges sur plus de 600 ont envoyé leur don. La souscription demeurait ouverte. Au bout de dix-huit mois, quand la Législative donne quitus à la caisse des dons, ceux-ci s'élèvent à 5.028.901 livres, dont plus de 350.000 en papiers de valeur douteuse, et dont la moitié seulement est versée, le reste demeurant à l'état d'engagements non tenus. Tels sont les chiffres indiqués par Gomel dans son *Histoire financière de la Législative et de la Convention* (2 vol., Alcan, 1902-1905). Or il est probable que les dons volontaires ont été encore moins élevés. Je tire d'un ouvrage plus récent et plus détaillé (Braesch : *Finances et monnaies révolutionnaires,* 2 vol., Nancy, 1934, Maison du Livre français, 1936), qui donne pour les trois premières années de la Révolution le tableau des recettes mois par mois et par origine, que les dons volontaires se sont élevés en 89 à 340.587 livres, en 90 à 55.128 et qu'il n'y en a pas eu en 91. Total : 395.715 livres. C'est d'autant plus lamentable que la souscription na­tionale et volontaire de 1782 avait payé douze vaisseaux qui, pour le type « 74 » (canons), valaient plus de dix millions, et plus de seize s'ils étaient du type « 110 ». Tant il est vrai que le patriotisme ne date pas de la Révolution et que les « esclaves » des « tyrans » étaient autrement bons patriotes, tout en le disant moins, que les « patriotes » jacobins, que pour être patriote il ne suffit pas d'en brandir l'inscription sur des banderoles dans des manifestations, et même que, plus on proclame de la sorte qu'on l'est, plus on doit être soupçonné de l'être moins. Ce n'est pas tout. Le 10 octobre, au moment du vote final sur la taxe patriotique, Adrien Duport annonçait sa décision de voter contre la *loi :* « *Le désordre et l'état désastreux de nos finances ont été considérés par nos commettants comme le moyen le plus efficace d'assurer la constitution. Adopter le plan du ministre, c'est établir dans les finances un ordre qui nous ôtera ces moyens. *» Pour assurer la Révolution, il faut aux yeux de cet émi­nent « patriote » laisser les finances de la nation dans leur situation catastrophique, menaçant l'État de « *dissolution *»*.* Je ne pense pas qu'on puisse appeler patriote le citoyen qui souhaite la banqueroute de l'État. 87:210 Davantage, quelle est la réaction au discours de Duport ? Car celui-ci n'est pas expulsé sous les huées, blâmé, flétri : non, il s'entend répondre que son opinion n'est pas recevable, qu'elle vient trop tard, puisque le principe de la taxe est acquis depuis dix jours, et qu'elle est contraire au règlement de l'Assem­blée. Non au patriotisme dont elle est férue. Ce discours de Duport va loin : le plan des Girondins contre la Monarchie comportait des défaites dont elle serait responsable : d'où le 10 août ; après quoi Chabot avoue « *Il était entré dans le plan d'insurrection que nous avions dirigé de laisser désorganiser tous les départements. *» Cela implique la notion de « *situation révolutionnaire *» obtenue ici des défaites, du désordre de l'administration et de la banqueroute de l'État, et qui sera découverte par les théo­riciens marxistes de la stratégie révolutionnaire. Cette vieille chose s'appelle en français la politique du pire, et elle n'a rien de patriotique. André Guès. 88:210 ### L'Église « vivante »­ par Louis Salleron DANS le numéro 207 D'ITINÉRAIRES (novembre 1976) Gustave Corçâo traite de *L'Église militante et l'Autre, dite* « *vivante *»*,* à propos de la collation par les francs-maçons brésiliens au cardinal Abélard Bran­dâo Vilela, primat du Brésil, du titre de Grand Bienfaiteur de la grande loge maçonnique Liberté, pour son initiative de rapprochement entre l'Église et la franc-maçonnerie. Le cardinal incarne, non plus l'Église militante, mais l'Autre Église, l'Église « vivante ». Est-ce Gustave Corçâo qui invente cette épithète ? Non. Il se réfère à la lettre du cardinal Villot aux conférences épiscopales, du 27 octobre 1975 (ITINÉRAIRES, n° 200, fé­vrier 1976, p. 139). Dans cette lettre, qui concerne Mgr Lefebvre et le séminaire d'Écône, on peut lire : « *Il n'était pas acceptable que des candidats au sacerdoce soient for­més en réaction contre l'*ÉGLISE VIVANTE, *contre le Pape, contre les Évêques, contre les prêtres avec lesquels ils seraient appelés à collaborer *» (p. 141). Comme l'Église « conciliaire » (Mgr Benelli), l'Église « vivante » est une nouveauté. Mais cette nouveauté fait son chemin. L'expression du cardinal secrétaire d'État est, en effet, devenue celle du pape lui-même qui, dans sa lettre à Mgr Lefebvre du 11 octobre 1976 (ITINÉRAIRES, n° 208, décembre 1976, p. 177), écrit au fondateur du séminaire d'Écône : 89:210 « *Au fond vous entendez, vous-même et ceux qui vous suivent, vous arrêter à un moment déterminé de la vie de l'Église ; vous refusez, par là-même, d'adhérer à l'*ÉGLISE VIVANTE *qui est celle de toujours... *» (p. 186). Bon, dira-t-on, on peut tout de même parler de l'Église « vivante », ou « conciliaire », ou « nouvelle », ou « uni­verselle », sans que ces épithètes engagent nécessairement une doctrine qui romprait avec celle de la Tradition. Sans doute...Mais quand ces épithètes ne sont plus épisodiques, quand on les voit apparaître les unes après les autres et composer un climat de pensée où la doctrine traditionnelle s'évapore peu à peu, quand leur répétition et leur conver­gence signifient une rupture et une volonté de rupture avec un vocabulaire et un enseignement reçus depuis tou­jours, leur importance devient grande. L'Église « vivante »... Fort bien. Tout le monde est d'accord. Mais si l'Église est dite « vivante » par une opposition sous-jacente à une Église qui serait « morte » parce qu'elle est l'Église « du passé » ou l'Église « éter­nelle », on dresse l'oreille. Une philosophie vitaliste et évolutionniste ne pointe-t-elle pas derrière l'épithète d'apparence anodine ? Bon prince, le hasard nous fait, à l'instant même, dé­couvrir une « Église vivante » que nous ignorions, ou que nous avions totalement oubliée. Nous venons, en effet, d'ouvrir le livre de l'archiprêtre Michel Polsky : *Les nouveaux martyrs de la terre russe* ([^7])*.* Dans la notice consacrée à Mgr Nikon, évêque de Bielgorod, fusillé en 1938, nous lisons : « *La vie de l'évêque Nikon à Bielgorod, de même que celle des membres du clergé restés fidèles au Patriarche Tikhon, fut une lente torture morale, pareille à un petit feu qui brûle sans arrêt. C'était l'époque où l'* « ÉGLISE VIVANTE », *libérale-progressiste, essayait de prendre la place de l'Église Orthodoxe et domi­nait partout *» (p. 35). 90:210 Cette « Église vivante », nous la rencontrons souvent dans le livre ; mais deux pages (150-151) y sont consacrées pour nous la présenter dans sa brève histoire. Elle ne dura, en effet, que de 1922 à 1927, année où elle fut rem­placée par l'Église officielle, totalement soumise au Pou­voir soviétique. En 1922 donc, quelques prêtres révolutionnaires « or­ganisèrent une nouvelle administration religieuse qui, avec la collaboration active de la Guépéou, prit tout entre ses mains sous le nom d'ÉGLISE VIVANTE ». En avril 1923, l'*Église vivante* organisa un concile à Moscou. « Dans la cathédrale du Christ-Sauveur, ses dirigeants chantèrent des prières de longue vie au gouvernement athée soviétique et, après avoir diffamé le Patriarche prisonnier (Tikhon), ils le déclarèrent privé de son rang, exclu de la vie monastique, réduit à l'état laïc. « Leur concile annula également les anathèmes lancés par le Patriarche contre les révolutionnaires anti-Dieu. Il fit fermer les couvents et introduire le nouveau style dans le calendrier religieux. Il permit même aux évêques, pour­tant tous moines, de se marier, aux prêtres veufs de se remarier et fit divers autres changements. » Du bagne de Solovki où vingt-quatre d'entre eux étaient en 1926, les évêques orthodoxes dénoncèrent l'*Église vivante* et, plus généralement, tous les réformateurs qui voulaient « imposer aux chrétiens l'idée que le christianisme et le communisme, par des voies différentes, ont le même but et que l'État communiste cherche à réaliser ce que dit l'Évangile », ou bien qui cherchaient à « réviser les dogmes chrétiens, de façon à ce que les rapports entre Dieu et les hommes ne soient plus ceux d'un roi avec ses sujets, mais qu'ils deviennent démocratiques » (p. 150). 91:210 Après 1927, l'*Église vivante* étant devenue l'Église of­ficielle, la vie religieuse se réfugie dans l'*Église des cata­combes,* c'est-à-dire dans les camps du Goulag et dans le maquis généralisé d'une immense population qui refuse l'athéisme totalitaire. \*\*\* Ce n'est évidemment pas en souvenir de l'*Église vivante* de la Révolution russe que le cardinal Villot a repris cette expression, inhabituelle dans l'Église catholique. Mais il est significatif qu'elle lui soit venue spontanément à l'es­prit. Car quel que soit le sens qu'il lui donne, on constate que les théologiens, les prêtres et les laïcs qui professent le modernisme et le progressisme peuvent déployer tran­quillement leurs activités à l'ombre de cette Église « vi­vante », ou « conciliaire », au nom de laquelle sont dénoncés, pourchassés, condamnés, les traditionalistes. L'Église « vivante » permet au cardinal primat du Brésil de devenir Grand Bienfaiteur de la loge maçonnique Liberté parce qu'il a pris l'initiative d'un rapprochement entre l'Église catholique et la franc-maçonnerie ; et au nom de l'Église « vivante » les prêtres catholiques se voient interdire de célébrer la messe de saint Pie V, tandis que le séminaire d'Écône est considéré comme un défi à l'Église « vivante ». Les fidèles, atterrés, se demandent quand l'Église sortira de cette confusion. Louis Salleron. 92:210 ### Sur les variations du clergé catholique par Marcel De Corte RÉSUMÉ. -- *L'âme chrétienne avide d'éternité a vu dans le concile de Trente un rempart qui la préservait contre les varia­tions propres à l'église protestante. Le livre récent de P. M. Dioudonnat,* Les Ivresses de l'Église de France*, nous montre combien nombreuses furent les volte-face des gens d'Église dans leurs rapports avec le temporel. On peut ajouter que leurs palinodies spirituelles ne sont pas moins fréquentes. Ces revirements soigneusement calculés s'expliquent par les mani­pulations que certains clercs font subir à l'Écriture Sainte, au catéchisme et à la messe pour dissimuler leur volonté de puis­sance sous le couvert d'un* «* surnaturel *» *qu'ils ont expressé­ment gauchi.* ON A ÉCRIT des milliers de pages sur le concile de Trente. On ne s'est pas encore assez aperçu qu'il mettait fin, tant au point de vue dogmatique qu'au point de vue juridique, aux hérésies et à l'anarchie qui ne cessèrent de ravager -- sauf quelques brefs répits -- le christianisme depuis la gnose des premiers siècles. On ne s'est pas encore assez aperçu que les mêmes hérésies et la même anarchie se répandent dans l'Église contemporaine dans la mesure où les clercs s'éloignent de l'enseignement et des règles que ses décrets et canons avaient promulgués. Autour de ces pôles : les vérités immuables de la foi et les structures ecclésiales qui participent, par leur assiette consolidée, à la Révélation de l'Éternel, Trente va rayonner désormais sur ce qui reste de la Chrétienté pour en illu­miner les parties enténébrées. 93:210 En fixant la foi et les mœurs des clercs et des fidèles, non seulement il conférait au christianisme sa forme parfaite, mais il l'empêchait de succomber à cet attrait du subjectivisme, des doctrines et des pratiques nouvelles en contradiction avec la Tradition, qui tente sans cesse les âmes mises personnellement par lui en relation avec Dieu. On a dit de lui qu'il avait fait de l'Église une forteresse, un ghetto, une prison. Mais comme en témoignent les in­nombrables conversions qui affluèrent vers elle jusqu'à une date récente et qui se sont subitement taries après Vatican II, cette citadelle ne laissait pas d'être ouverte à toutes les âmes avides d'échapper au devenir de ce bas-monde et de toutes les religions qui s'y laissent entraîner. Trente, c'est l'expérience de la rencontre intérieure et unifiante de la personne avec le Christ qui ne tourne plus en fièvres délirantes ou débilitantes, c'est l'ardeur de la grâce ordonnée à la vie trinitaire de Dieu et à l'incorpo­ration de chacun dans le Corps Mystique du Christ. Le concile de Trente aurait pu prendre comme devise *Stat Crux dum evolvitur Orbis,* le monde a beau changer, la lumière et l'irradiation de la Croix enfoncée dans les cœurs restent toujours identiques à elles-mêmes. Aux hommes en dérive, il a offert jusqu'à nos jours des défi­nitions, des lois, des commandements, des interdits *irré­formables* qui les maintiennent fermement au-dessus de l'histoire et de ses remous, comme des plantes dont les racines sont fixées dans le Ciel. Il n'est rien que l'homme désire davantage qu'échapper au temps et au devenir dont la condition humaine est la proie. La frénésie du nouveau qui l'agite est la contre­façon de son appétit d'éternité. Ce nouveau n'a-t-il pas en effet pour fin l'immuable ? Ce qui vient d'apparaître pour la première fois n'est-il pas voué à disparaître dans un passé qui ne le changera plus ? Le nouveau est condamné à devenir le contraire de ce qu'il est, sa propre caricature : l'inactuel. L'actuel est astreint à ne l'être plus, indéfiniment, pareil à une imitation frauduleuse de ce qui existe hors du temps. Le nouveau est la convoitise dépravée de ce qui ne se trouve point ici-bas. Le Fabuliste l'a bien vu : *Il nous faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde !* Avec Trente, le catholicisme révèle sa vocation d'être l'antithèse de la Réforme, de la déformation, de la trans­formation, de l'évolution et de la Révolution. 94:210 Un théologien asservi à la mode et ricaneur en conséquence dirait qu'il est devenu *statique.* Qualification à quoi il importe d'ap­plaudir, car tout changement procède d'un principe im­muable de changement : *la nature.* Si mon pommier pro­duit chaque année de nouvelles pommes, c'est que sa nature de pommier n'a pas changé. C'est parce qu'il est « statique » que le concile de Trente a diffusé son dyna­misme dans toutes les parties du monde. Sans son noyau dogmatique et institutionnel dur, résistant, infrangible, sans l'inébranlable robustesse de sa doctrine et l'inflexible canalisation de ses efforts, le catholicisme se liquéfiait en bavardages stériles, se fondait dans le protestantisme, écla­tait comme ce dernier en sectes et se mourait comme lui dans l'informe. La puissance d'un levier dépend de la rigidité de son point d'appui. Nous avons perdu le sens de cette évidence : le propre d'un phare est d'être immobile et, s'il changeait constam­ment de place, ce serait la catastrophe pour les navires en mer. On ne répètera jamais assez que le concile de Trente a sauvé la vérité du dogme et la pérennité de l'institution ecclésiastique en proclamant leur caractère *invariable et irrévocable.* Si la nature est le principe immuable du changement, le propre du surnaturel est d'exclure le chan­gement lui-même : un Dieu qui changerait ne serait plus parfait, une Église qui se transformerait perdrait son principe originel d'organisation et d'unité divines. L'immense vague mystique qui souleva le catholicisme après Trente a sa source en ce surnaturel inaltérable, en ce centre institutionnel dont le concile a maintenu la permanence afin que les âmes qu'il éduque et discipline puissent entrer en rapport avec Dieu sans se fourvoyer. Il ne faut guère avoir l'expérience de la foi pour écrire, comme le fait l'évêque de Verdun dans *Le Monde* (17.8.76) que « Vatican II est passé du juridique au mystique, du rationnel au charismatique » : une foi que l'intelligence ne porte plus vers Dieu et que l'Église ne dirige plus est vouée à tous les égarements d'une boussole désaimantée et la mystique qui s'y grefferait ne serait qu'illusion. 95:210 Saint Jean de la Croix qui en savait là-dessus davantage que notre épiscope nous assure que « la droite raison est le temple de Dieu », que « l'âme » en son ascension s'appuie simplement à la doctrine de l'Église et à la foi qu'elle enseigne, et que, dans l'expérience qu'elle peut avoir de Dieu, il n'y a plus de différence « entre ce qui est cru et ce qui est vu », encore qu'obscurément. Tous les saints de l'époque, qui en fut fertile, se nourrissent de l'enseigne­ment et de la théologie du concile de Trente. Lorsque le hiérarque en question prétend au micro de France-Inter du 15 août 1976 que « les intégristes » n'ont pas compris que la théologie antéconciliaire, celle de Trente, était dé­passée, il lève l'ancre de l'Église et de la foi en pleine tempête et les abandonne aux foucades de l'ouragan. Il ferait mieux de nous montrer les germes de sainteté ; de bon sens aussi, que Vatican II a fait croître dans l'Église et dans la hiérarchie actuelles. Ce grand remue-ménage auquel nous assistons depuis lors n'est guère favorable à la régénération du chrétien par la grâce. Pascal nous en avertit : « L'homme nouveau diffère des nouveautés de la terre en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, vieillissent en durant et puis meurent, au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle d'autant plus qu'il dure davantage » et qu'il est invétéré, tant d'une façon visible que d'une façon invisible, dans l'éternel. Qu'on ne vienne pas ici nous sortir la rengaine de la distinction entre « le fond » qu'on juge -- verba­lement -- immuable, et « la forme » qu'il s'agirait sim­plement d'adapter aux exigences du temps présent ! A ce compte, c'est tout le texte et tout le sens historique, fon­dement de tous les autres sens, de l'Évangile, que la fureur de l'*aggiornamento* devrait changer. Imagine-t-on encore aujourd'hui le supplice de la Croix ? Faut-il transposer les paraboles du Christ en allégories industrielles d'aujour­d'hui ? Pour faire connaître l'union du Père et du Fils, peut-on bannir le terme *consubstantiel* sans verser dans l'erreur ? L'introduction dans le langage ecclésiastique actuel de mots tel que *charismatique* ou *kérygme,* inin­telligibles aux fidèles, montre bien que la distinction invo­quée n'est qu'un prétexte, une ruse, une fourberie qui voile un dessein de chambardement radical. On change la forme *parce qu'on veut changer le fond* et on veut changer le fond *parce qu'on refuse d'accepter la substance immua­ble qu'il renferme, parce qu'on n'a plus la foi de toujours.* 96:210 Au reste, la Révélation obéit en la matière aux mêmes lois que la nature et que l'art. « Il y a dans l'art un point de bonté et de maturité comme la nature. » Cette maxime de La Bruyère peut être virée au compte du spirituel. L'intelligence des Mystères se traduit dans des formes accomplies, impeccables, irréprochables. Les modifier sous prétexte d'en rendre le contenu « accessible à l'esprit moderne » serait volontairement en maculer le sens, leur substituer autre chose, les déformer, les *réformer,* et commettre la pire des sottises. Irions-nous changer les cuirasses et les lances que Vélasquez a peintes dans la *Reddition de Breda* en gilets pare-balles et en mitraillettes parce qu'un tel armement est « aujourd'hui périmé » ? La Parole de Dieu, comme la nature et comme l'art, est de tous les temps ! Mais allez faire comprendre des choses aussi simples, aussi évidentes, à la plupart de nos hiérarques ! Ils s'y refusent pour la raison toute nue qu'ils ne croient plus comme on y a cru toujours à la *réalité* dont le langage surnaturel parvenu à son point de bonté et de maturité est le signe. Les modifications qu'ils introduisent dans les signes leur permettent d'altérer la *réalité* à laquelle ceux-ci renvoient, moins pour la rendre intelligible aux autres que pour s'exprimer *à eux-mêmes* ce qu'ils en pensent. Le contenu comme le contenant s'ordonnent dé­sormais à leur Moi souverain. A la limite, ils en arrivent à fabriquer des formules et par là des significations qui conviennent à chaque individu et varient au gré des remous des subjectivités les plus disparates. Les cent trois canons de la messe que dénombre en France le R.P. Auvray, les quelque cent cinquante que le R.P. Bruckberger y découvre un mois après nous montrent où mène cette extravagance. Les formules des vérités de foi et de la liturgie ne se révisent pas plus que la table de multiplication. C'est précisément parce que ces formules restent tou­jours identiques à elles-mêmes que les sujets les plus divers peuvent y puiser ce qui alimente leurs âmes sans que l'ensemble de la Révélation soit mis en cause. La li­berté des enfants de Dieu est là et non dans le « *C'est la volonté du pape *» de Mgr Descamps -- répété par trois fois comme le reniement de saint Pierre -- au cours d'une entrevue télévisée, en Belgique, avec Louis Salleron qui s'inquiétait à bon droit de l'énormité de ce *Diktat.* Chaque fidèle admet la Révélation en bloc, sans en refuser la moindre parcelle, sans en rejeter rien de ce que l'Ecri­ture, la Tradition, l'Église lui ordonnent de croire. 97:210 Chacun prend ce qui lui convient en cette corne inépuisable d'abon­dance. Ou plutôt Dieu offre *à* chacun, par une grâce propre, ajustée à son être, une miette de Sa Substance, en attendant de La lui donner tout entière dans le Royaume. Comme le disaient les vieux mystiques rhénans dans un langage familier dont l'Église actuelle a perdu jusqu'au souvenir, Dieu lui affûte l'appétit pour qu'il désire plus avant tout le reste. Nos hiérarques ne croient plus qu'aux autori­sations particulières qu'ils distribuent libéralement à tout le monde sauf à ceux qui leur demandent avec des larmes de n'en point jouir et de conserver ce qui ne peut changer. La sainte messe qu'ils ont pulvérisée en témoigne. Saint Pie V semble l'avoir prévu puisqu'il appelle la colère du Tout-Puissant contre ceux qui y porteraient atteinte. Le canon immuable de la messe traditionnelle a en effet l'incomparable avantage d'être à la portée d'un chacun. Il ressemble à l'Évangile dont je ne sais quel père capucin disait un jour qu' « il est un râtelier dont le foin est à la hauteur de tous les museaux ». Tout catholique peut le suivre mot à mot, en latin ou en traduction, en son Missel. Tout catholique connaît d'autre part et par cœur le *Confi­teor,* le *Kyrie,* le *Credo,* le *Pater,* l'*Agnus Dei,* et leur sens. Tout catholique fermement attaché à la foi de toujours sait qu'au moment de la Consécration le pain et le vin se changent en Corps et en Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui réitère sur l'autel le Sacrifice de la Croix d'une manière réelle, mais non sanglante. Tout catholique sait qu'il communie avec la Seconde Personne de la Sainte Trinité et qu'il entre ainsi dans l'intimité de Dieu en rece­vant l'hostie. Changer les paroles de la messe équivaut à changer la clef de voûte d'un édifice et d'en provoquer l'écroulement comme l'événement l'a trop fait voir et le fait voir encore. « Le séisme » dans l'Église ne date pas du jour où Mgr Lefebvre a dénoncé publiquement Vatican II, mais de Vatican II lui-même et de l'Église permissive qu'il a instaurée. Parce que l'âme de chaque fidèle est orientée vers Dieu, la messe immuable réalise ici-bas l'union en Dieu de tous ceux qui y prennent part. Chacun y va selon ses dispo­sitions personnelles et selon la grâce de Dieu qui les sou­tient. Les uns s'unissent à Dieu en telle partie de la messe, en telle phrase, en telle formule. Les autres le font en telles autres. Même ceux qui ne sont présents que de corps à la messe y prennent part à une hauteur qui n'est pas nulle. La messe tridentine est la seule qui soit réelle­ment « personnelle et communautaire ». 98:210 Mais pour que l'assistance et la participation à la messe comporte ainsi des *degrés analogiques,* il faut qu'elle reste *toujours la même en sa signification et en ses signes.* Tout changement qu'on y introduit perturbe l'élan accoutumé de l'âme qui s'élève vers Dieu au-dessus des vicissitudes de ce monde. Tout changement brise la cohésion des fidèles. Le seul fait d'avoir permis des canons différents ne peut que disperser l'attention, l'amoindrir, l'éteindre. Parce qu'elle est *toujours la même,* la messe tridentine crée des *habitus,* des qualités stables qui perfectionnent les facultés du fidèle, son être et ses actes. Un exercice physique régu­lièrement répété fortifie le membre qui s'y livre. Une pratique religieuse toujours semblable engage l'action du surnaturel de plus en plus profondément dans l'âme. Dieu ne méprise pas cette loi psychologique qu'il a lui-même créée et que la plus rudimentaire expérience de la vie humaine manifeste au regard le moins averti. L'homme a impérieusement besoin pour vivre, et surtout pour accéder à la vie spirituelle, de toutes ces suppléances terrestres de l'éternité qui s'appellent : identité, permanence, répétitions, redites, antiennes, accumulation d'expressions synonymes, etc. Il faut avoir l'intelligence obturée, comme l'ont tous les furieux de nouveautés, pour contester cette exigence fondamentale. Dès qu'on entre dans le domaine du sacré, on se trouve dans un univers inviolable, intangible, dans une sphère des fixes spirituelle dont on doit bien se garder de troubler l'économie. L'âme de l'homme n'est apaisée que dans la mesure où elle accède à cet ordre éternel qui ne dépend pas d'elle-même. Les rituels invariables des religions le montrent. La sainte liturgie ne fait pas excep­tion. La changer, c'est non seulement porter atteinte à la substance surnaturelle dont elle est la forme parfaite, mais c'est priver l'âme du solide tremplin d'où elle prend son élan vers Dieu. La preuve par contre-partie nous en est donnée sous les yeux : les églises catholiques où se célè­brent aujourd'hui des « Eucharisties » aussi différentes les unes des autres que ne le sont les célébrants eux-mêmes, se vident. *Ecce civitas Sancti facta est deserta* ([^8])*.* \*\*\* 99:210 Je songeais à tout cela en terminant la lecture des *Ivresses de l'Église de France* de Pierre-Marie Dioudonnat. L'auteur s'est borné à rassembler en une véritable antho­logie les variations de la hiérarchie gallicane en matière temporelle depuis deux siècles. J'en suis sorti consterné. Sans doute, le diagnostic de Montherlant sur « le clergé -- un certain clergé qui pullule aujourd'hui -- toujours avide de coller au pouvoir dans l'espoir d'être un jour confondu avec lui », m'était connu depuis longtemps. Ce n'est pas le nombre de ces palinodies qui atterre, mais *leur constance,* seul élément qui relie entre elles tant d'inconstances. Tout se passe comme si la hiérarchie, en ses membres les plus influents, se laissait bénévolement ballotter, corps et âme, par les flux et reflux des sociétés contemporaines et par les courants antagonistes qui les disloquent. Sauf en quelques exceptions qui se condam­nent elles-mêmes au mutisme, nos hiérarques vont tous dans le sens d'une invitation chaleureuse à ruiner -- au nom du Christ ! -- ce qui reste encore de stable dans l'écoulement universel des êtres et des choses. A chaque descente vers l'abîme, ils applaudissent ostensiblement, l'œil braqué vers un avenir dont le moins qu'on puisse dire est qu'il ne comportera aucun lendemain qui chante. Est-il si difficile de voir que les révolutions dont ils sont les premiers thuriféraires, perpétuent et aggravent les maux qu'elles prétendent extirper ? « Ils ne savent pas ce qu'ils font », écrivait d'eux Jean Madiran, voici plus de vingt ans déjà. De cette versatilité aveugle devant les nécessités per­manentes d'un ordre temporel à sauvegarder parce qu'il conditionne -- je ne dis pas : qu'il cause -- les destinées du catholicisme, je ne veux qu'une preuve, et de taille. 100:210 En 1968, le conseil permanent de l'épiscopat constate, en accord « avec l'archevêque de Paris et de nombreux évêques », que « par-delà l'explosion soudaine des contes­tations, il s'agit d'un mouvement de fond d'une ampleur considérable qui appelle à bâtir une société où les rapports humains s'établiront sur un mode *tout différent *». Je ne dirai rien de l'airain sonore et de la cymbale retentissante de cette allégation. Je me borne à remarquer que cette découverte fait entrer les évêques en transes. L'Évangile est mobilisé pour l'accouchement de la nouvelle société « vraiment humaine » qu'ils prophétisent. Le Christ na­guère encore invoqué à l'appui de n'importe quel « ordre établi -- les exemples de P.M. Dioudonnat le montrent -- fait place à un Christ qui libère l'homme de toutes les oppressions temporelles ». Nous n'avons ici que le choix entre les citations.  « L'Évangile doit *toujours* être critique devant l'ordre établi », telle est la sentence de Guy Riobé, évêque d'Or­léans. « La prédication de l'Évangile contient une force spirituelle qui conteste profondément toutes les structures de ce monde, *quelles qu'elles soient *», renchérit Mgr Ancel. Le même évêque d'Orléans, nouvelle Pythie, prophétise, « d'une bouche délirante » comme disait le vieil Héraclite, ce que sera la société future : le lieu du constant épa­nouissement de la *Personne Humaine*, avec les majuscules de rigueur, bref le Paradis terrestre jusqu'ici fermé pour cause de changement de propriétaire. Mais une des cellules pensantes du même Cerveau collégial français proclame : « Nous sommes au moment où, il faut le dire, notre civilisation occidentale est en crise -- où l'on ne sait plus *ce qu'est l'homme*. » Fin des citations. Je demande maintenant au lecteur un moment de réflexion : comment établir de nouveaux *rapports humains*, comment bâtir une société où la personne humaine déve­loppera librement ses possibilités, comment la *personne humaine* pourra-t-elle s'épanouir dans une société, *quelle qu'elle soit*, qu'elle devra contester, *si l'on ne sait plus exactement ce qu'est l'homme ?* Nos guides sont-ils des aveugles ou des farceurs ? Il est vrai qu'on peut toujours cumuler, ironisait Clemenceau. 101:210 Lorsqu'on tourne à tout vent, on finit par perdre la tête. L'instinct de conservation lui-même cesse de se manifester. « La hiérarchie rompt la solidarité qui l'unissait aux puissances de conservation », quelles qu'elles fussent ; « elle adhère au changement », note, laconique, P.M. Diou­donnat. Cela signifie que l'épiscopat -- à part quelques rares exceptions -- s'ampute de la faculté proprement humaine, l'intelligence. Se donner pour objet le changement, c'est se déclarer pour l'inintelligible, c'est avouer qu'on ne dis­pose plus, pour comprendre le devenir perpétuel, que du seul organe capable de le percevoir : la sensation, avec le cortège de passions et de sentiments qui l'entourent et qu'elle provoque, sans pouvoir les contrôler ni les orienter vers une fin spirituelle qui les dépasse. Ce qui tient alors la place de l'intelligence, faculté du réel, de ce qui est, de ce qui est stable, constant, permanent, c'est *l'imagination,* la folle du logis, « la faculté de combiner des images en tableaux ou en successions qui imitent les faits de la nature, mais qui ne représentent rien de réel ni d'existant ». Le moindre choc aveuglément reçu de l'extérieur met l'imagination en branle en n'importe quel sens et, lors­qu'elle prétend appréhender la réalité, elle se révèle des­tructrice de la réalité véritable que ses illusions éliminent. On comprend alors pourquoi toutes les volte-face ec­clésiastiques vont depuis deux siècles *vers la* *Révolution,* vers la transformation de l'ordre naturel des choses. « L'imagination au pouvoir » est la formule révolutionnaire par excellence. A force de tournoyer, la girouette use son axe, s'en détache, s'envole, et l'ouragan l'emporte *vers n'importe quoi.* L'imagination, prétendument créatrice d'un « homme nouveau », d'une « société nouvelle », d'un autre monde que la nature des choses, *ne peut que falsifier le surnaturel* plus réel que toute réalité et *le travestir en mythe justifi­catif* de la fraude. La déformation de l'Évangile en my­thologie est le point de départ et le point d'aboutissement de toutes les variations de l'Église, tant au temporel qu'au spirituel, parce qu'elle en est l'apologie, la seule apologie possible. Si l'on examine en effet les tête-à-queue des gens d'Église au plan politique et social dans les textes irré­futables que P.M. Dioudonnat rassemble, si l'on y ajoute les « mutations » que les mêmes gens d'Église ont fait parallèlement subir à l'Écriture Sainte, au catéchisme et à la messe et dont ITINÉRAIRES rend compte dans chacun de ses numéros, on s'aperçoit aisément que ces virages, retournements, fluctuations, perversions et contre-façons sont dus à leur tour à la prétention des gens d'Église à s'ériger en *seuls* interprètes qualifiés de l'histoire et de son sens. 102:210 Mgr de Salinis, évêque d'Amiens, « royaliste exalté sous la Restauration, libéral prudent et candidat à l'épis­copat sous Louis-Philippe, admirateur du peuple et can­didat à ses suffrages sous la République, panégyriste ef­fronté du pouvoir absolu sous le Second Empire », comme le juge Montalembert qui voit en lui « un de ceux qui ont enseigné à la France à passer de mains en mains telle une prostituée », est l'auteur d'une instruction pastorale parue en 1853. Il y déclare que « les meilleurs catholiques ont de la peine à comprendre qu'il puisse exister pour eux une obligation rigoureuse de se contredire, du soir au lendemain, devant Dieu, en lui demandant l'affermissement des régimes les plus opposés, le triomphe des causes les plus ennemies ». Il *justifie* ses revirements successifs au nom de l'Église « qui bénit et consacre les formes poli­tiques » les plus contradictoires, « les pouvoirs de toute nature et de toute origine » parce « qu'ils passent et que l'Église seule ne passe pas ». L'Église se doit de soutenir tous les régimes qui se succèdent au cours du temps « par­ce qu'il ne dépend pas d'elle de faire revivre ceux qui sont morts » et qui sont, dirait-on aujourd'hui, « balayés par le mouvement de l'histoire ». Au sein d'un monde qui change, l'Église adhère à la dernière phase du changement voulu par Dieu parce qu'elle est « l'ordre divin de ce monde établi par Jésus-Christ ». Épousant les décrets de la providence, elle se plonge dans toutes les phases de l'histoire pour en diriger les méandres. Admirable dialectique : les volte-face de l'évêque ne sont qu'apparentes, en réalité, elles obéissent à l'Église responsable de sa survie et à la volonté de Dieu. De tels garants suffisent. Entre ce type de clerc qui voit la main de la providence dans la succession des régimes où il surnage comme un bouchon, et le type du clerc actuel, surgi dans l'*aggior­namento,* opéré par l'Église lors de Vatican II, il n'y a pas un poil de différence. « Jésus ressuscité est dans l'histoire », enseigne en 1974-75 *Libérations des hommes et salut en Jésus-Christ.* 103:210 La commission épiscopale du monde ouvrier l'avait déjà affirmé solennellement aux fidèles : « Par son esprit, Jésus-Christ ne cesse de multi­plier les signes d'un monde qui se construit et se trans­forme. » Admirons en passant la succession des verbes : si le monde se construit ET se transforme, au lieu de se transformer ET de se construire, il est en chantier perpé­tuel, il est *Révolution permanente.* Les gens d'Église de cet acabit sont marxistes : ils discernent « le mouvement pro­fond de l'histoire », ils perçoivent « les dynamismes pro­fonds » qui animent la société et « qu'il importe de dis­cerner afin d'y communier ». Fin de citation. Ils « commu­nient » à la Révolution parce qu'ils « communient » à Dieu. Décidément, l'horrible blasphème de Nietzsche : « Dieu bouche-trou », n'est pas tellement ici sacrilège. On peut faire servir Dieu à tout -- même à la négation de Dieu : voyez le R.P. Cardonnel -- lorsqu'on plonge Dieu dans le devenir du monde, dans « l'histoire ». Rien n'est plus docile aux passions de l'homme que ce *dieu liquide* dont elles dirigent à leur gré le cours *pour se justifier.* Ce dieu est *l'alibi par excellence.* « Si vous dé­noncez nos palinodies et la dernière de toutes : notre engagement révolutionnaire, vous offensez ce dieu, vous offensez Dieu. » « Il faut veiller à quel niveau, on place l'Absolu », disait au contraire Simone Weil. Entre ce dieu et Dieu, il y a toute la différence qui sépare le mythe du Surnaturel révélé. En d'autres termes, les gens d'Église infidèles à leur vocation surnaturelle sont du côté du vainqueur dont ils épousent la volonté de puissance *parce qu'ils sont eux-mêmes aiguillonnés par la volonté de puissance.* Ne cher­chons pas plus avant la raison pour laquelle l'autorita­risme et l'oppression règnent dans l'Église post-conciliaire *le totalitarisme est la caricature de l'Absolu.* Ces gens d'Église en mal de pouvoir temporel n'avoueront jamais ce qu'ils dissimulent derrière les desseins insondables de la providence ou derrière Jésus-Christ « présent » au centre, plus énigmatique encore, d'un monde qui se fait. Si l'on appelle *mythe,* avec tous les dictionnaires, « un récit fabuleux qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature ou des aspects de la condition humaine », on constatera que le christianisme est en train de devenir un mythe qui n'ose pas dire son nom, et par la volonté de certains hommes d'Église : 104:210 la Révélation surnaturelle se transforme en une véritable mythologie temporelle destinée à justifier le com­portement des clercs qui ont sacrifié les vertus théologales au vertige du pouvoir. \*\*\* J'ai cherché. Je n'ai pas trouvé d'autres explications des faits que celle-là. L'histoire des variations de l'Église catholique se ré­sume en fin de compte dans son revirement *du théocen­trique à l'anthropocentrique,* du service de Dieu au « ser­vice » des hommes, de la primauté du surnaturel à la primauté du temporel, ET DANS LEUR AMALGAME. « Dans ce flot sans honneur de quelque noir mélange », comme dirait Mallarmé, ces gens d'Église se disculpent, mais ils font en même temps dégringoler la réalité du surnaturel dans les marécages de l'imaginaire. Instrument privilégié de-Dieu, le clerc ne peut résister à la tentation de se servir de Dieu comme d'un instrument docile à sa volonté de puissance, qu'en se tournant *par la prière continuelle* vers Dieu : il s'établit alors fermement en son statut d'homme de Dieu au-dessus de l'instabilité de ce monde. Marcel De Corte. 105:210 ### Les vêpres par Jean Crété LES VÊPRES sont la partie de l'office divin la plus connue des fidèles ; elles étaient naguère régulièrement chan­tées, les dimanches et aux fêtes, dans chaque église paroissiale. Elles ont aujourd'hui à peu près disparu. Il y aurait un effort à faire pour rétablir cet office de louan­ges ; c'est le moyen idéal de sanctifier le dimanche après-midi et, pour les simples fidèles, de s'unir à l'office régulièrement récité ou chanté, en leur nom, par les prêtres, diacres, sous-diacres, religieux et religieuses. \*\*\* La présence d'un prêtre n'est pas nécessaire au chant des vêpres. Dans les monastères de moniales, le prêtre n'intervient jamais dans l'office des religieuses, qui est toujours présidé par une religieuse, appelée *hebdomadière,* parce qu'elle préside l'office pendant une semaine entière, des vêpres du samedi à none du samedi suivant. De même, dans les chapitres et dans les monastères d'hommes, l'office est présidé pendant toute une semaine par un chanoine ou un religieux appelé hebdomadier. Un groupe de laïcs est parfaitement fondé à chanter des vêpres dans une église ou ailleurs ; en l'absence de prêtre, un des laïcs préside l'office. \*\*\* La présence d'un prêtre donne toutefois à l'office plus de solennité ; le prêtre qui préside l'office ne doit pas être appelé *célébrant,* mais *officiant ;* en latin ecclésiastique, en effet, le verbe *celebrare,* employé absolument, signifie dire la messe. 106:210 Le prêtre qui préside les vêpres prend le surplis et la *chape* de la couleur du jour ; il ne prend pas l'étole, à moins que le Salut du Saint-Sacrement ne doive suivre ; encore n'est-ce qu'une tolérance : à la cathédrale d'Orléans, voilà trente ans, l'officiant des vêpres ne prenait l'étole que pour le Salut. L'officiant peut être assisté par des acolytes qui portent des flambeaux allumés pour l'entrée, le capitule, l'oraison et la sortie, et par un thuriféraire pour l'encensement qui se fait pendant le chant du *Ma­gnificat ;* et même par des *chapiers,* vêtus comme lui, qui l'assistent à droite et à gauche. Après une brève prière silencieuse à genoux au pied de l'autel, l'officiant se rend au siège, et il y reste pendant toutes les vêpres, sauf pour l'encensement de l'autel, s'il a lieu. Après un *Pater* et un *Ave* à voix basse, les vêpres com­mencent par : *Deus in adjutorium meum intende* (ô Dieu, venez à mon aide) marqué d'un signe de croix ; l'assis­tance répond : *Domine, ad adjuvandum me festina* (Sei­gneur, hâtez-vous de me secourir). Suit un *Gloria Patri,* qu'on retrouvera à la fin de chaque psaume et du Magni­ficat, et on y ajoute : *Alleluia* (remplacé, de la Septua­gésime à Pâques, par : *Laus tibi, Domine, Rex aeternae gloriae*)*.* Viennent ensuite les cinq psaumes, encadrés par leurs antiennes. L'antienne détermine le ton sur lequel sera chanté le psaume ; en outre, elle donne au psaume son sens liturgique. L'antienne est simplement entonnée avant le psaume, aux offices simples et semi-doubles ; elle est chantée entièrement aux offices doubles. Après le psaume, elle est toujours chantée entièrement. Le dimanche, on chante les psaumes 109 *Dixit Domi­nus,* 110 *Confitebor,* 111 *Beatus vir,* 112 *Laudate pueri Dominum* et 113 *In exitu.* Aux fêtes, on retrouve souvent le même schéma avec antiennes propres et un changement pour le 5^e^ psaume, qui est souvent le psaume 116 *Laudate Dominum, omnes gentes,* très court ; ou le psaume 115 *Credidi* (martyrs, Toussaint) ; ou le psaume 131 *Memento* (confesseurs pontifes) ; ou le psaume 137 *Confitebor... quo­niam* (anges) ; ou le psaume 147 *Lauda Jerusalem* (dédi­cace). Certaines fêtes comme Noël, le Saint-Sacrement, le Sacré-Cœur, les apôtres, ont des schémas propres, mais toujours avec le psaume *Dixit Dominus* en premier lieu. 107:210 Aux fêtes de la Sainte Vierge, des vierges et des saintes femmes, le schéma est : psaumes 109 *Dixit Dominus,* 112 *Daudate pueri,* 121 *Laetiatus sum,* 126 *Nisi Dominus,* et 147 *Lauda Jerusalem.* En semaine, chaque jour a sa propre série de psaumes. La psalmodie est une méditation, un chant de louanges prolongé, appuyé sur ces poésies ins­pirées de l'Ancien Testament, auxquelles il est facile de donner un sens chrétien. Les psaumes se chantent assis ; on s'incline aux *Gloria Patri* et aux versets : *Sanctum et terribile nomen ejus, Sit nomen Domini benedictum, sed nomini tuo da gloriam.* L'officiant et les clercs marquent l'inclination en soulevant la barrette. Le geste de se lever et de s'incliner profondément au *Gloria Patri* est propre au cérémonial monastique ; il n'y a pas lieu de l'adopter pour des vêpres romaines. Notons que les vêpres monas­tiques ne comportent que quatre psaumes. Les psaumes sont suivis d'un *capitule,* chanté par l'officiant, et souvent tiré de l'épître du jour ; on répond *Deo gratias.* Dans l'office monastique, le capitule est suivi d'un répons bref. Vient ensuite l'*hymne,* entonnée par l'officiant. Nous espérons consacrer un article entier aux hymnes. Celle des dimanches ordinaires *Lucis Creator op­time* est la première d'une série de six hymnes qui chantent l'œuvre de la création. Ces six hymnes sont attribuées par certains à saint Ambroise, par d'autres à saint Grégoire le Grand. L'Avent, le carême, la Passion, le temps pascal et les fêtes ont leurs hymnes propres. L'hymne est suivie d'un verset. Le *Magnificat,* encadré par son antienne, est le point culminant des vêpres : c'est le cantique d'exultation de la Sainte Vierge au jour de la Visitation ; on le chante debout, en reprenant l'intonation à chaque verset ; on peut le marquer par l'encensement de l'autel, suivi de l'encen­sement de l'officiant, du clergé et des fidèles. Après la répétition de l'antienne, l'officiant chante : *Do­minus vobiscum*, puis l'oraison de la messe, avec la grande conclusion. (Si la personne qui préside les vêpres n'est ni prêtre ni diacre, elle dit : *Domine, exaudi orationem meam.*) Viennent ensuite les mémoires : le dimanche, on fait d'abord mémoire de l'office célébré le lundi ; puis des saints tombant le dimanche ou commémorés le lundi. S'il n'y a pas mémoire d'un double ni d'une octave, on ajoute le suffrage des saints, sauf en Avent et au temps de la Passion. Au temps pascal, le suffrage est remplacé par la mémoire de la croix. 108:210 L'officiant répète *Dominus vobiscum,* et on chante *Benedicamus Domino,* réponse : *Deo gratias,* sur un ton orné, suivant le temps liturgique ou la solennité ; et l'offi­ciant ajoute : *Fidelium animae per misericordiam Dei requiescant in pace.* Réponse : *Amen.* On dit alors un *Pater* à voix basse, puis : *Dominus det nobis suam pacem.* Réponse : *Et vitam aeternam, amen ;* et l'on termine par le chant d'une antienne à la Sainte Vierge, suivant le temps. Il y en a quatre : *Alma,* du 1^er^ dimanche de l'Avent aux vêpres du 2 février ; *Ave Regina,* des complies du 2 février au mercredi saint ; *Regina Coeli,* au temps pascal ; *Salve Regina,* au temps après la Pentecôte. Chaque antienne a deux mélodies : ton simple et ton solennel ; elle est suivie d'un verset et d'une oraison. L'office s'achève par *Divinum auxilium maneat semper vobiscum.* La réponse est : *Amen* dans l'office romain ; *Et cum fratribus nostris absentibus, amen* dans l'office monastique. Tel est l'office des vêpres, jadis si populaire. Souhai­tons-en la renaissance dans nos églises. Et en attendant, utilisons-le pour sanctifier le dimanche qui, tout entier, appartient au Seigneur. Jean Crété. 109:210 ## TEXTE ### Le livre de Louis Salleron sur la nouvelle messe *Il y a un livre sur la nouvelle messe : celui de Louis Salleron. En voici la seconde édition, qui ne change rien au texte de la pre­mière, mais qui y ajoute de nouveaux faits et de nouvelles considé­rations, dans une préface nouvelle et cinq annexes supplémentaires. On y retrouve donc tous les documents essentiels, rassemblés en un seul volume, y compris ceux que tait Dom Oury et ceux qu'esquive le P. Congar* (*comme la première version, promulguée par Paul VI, de l'article 7*)*. Ce livre unique est un livre nécessaire ; indispensable au combat d'aujourd'hui.* *Nous reproduisons ici quelques-uns des principaux passages de la nouvelle préface de Louis Salleron.* *J. M.* VOILA DÉJÀ CINQ ANS qu'a paru la première édition de ce livre. Nous n'avons pas cru devoir en remanier le texte. C'est un témoignage, en effet, que nous avions voulu apporter -- le témoignage d'un laïc qui au moment même où s'effectuait la réforme liturgique, disait les réactions qu'elle provoquait en lui. 110:210 Il nous a donc paru préférable de conserver à ce témoi­gnage son caractère originel et spontané. Ce nous était d'autant plus facile que nos réactions premières n'ont fait que se confirmer avec la suite des années. Cependant, pour le lecteur, l'intérêt du témoignage était peut-être moins grand que celui de la documen­tation rassemblée. Les textes sur *La Nouvelle Messe* sont nombreux et difficiles à retrouver. Dès 1970 il était impossible de les citer tous, moins encore de les reproduire *in extenso.* Nous en avons donné l'essentiel, avec les références permettant d'y accéder. Ce souci d'information exacte a été généralement apprécié. ([^9]) 111:210 Fallait-il alors, dans une nouvelle édition, mettre à jour cette documentation ? Sans doute, mais dans la perspective de l'édition première, qui est de discerner le sens profond de la réforme liturgique. Du coup, notre tâche se réduisait à presque rien. Car tout était joué en 1970. Les textes qui se sont succédé depuis lors ne sont que le débit de la machine bureaucratique. Ils n'ont pas d'intérêt particulier. Point n'était donc besoin de plusieurs chapitres, ni même d'un seul, pour en parler. Quelques lignes, ici même, y suffiront. Tout, en effet, se ramène à la « *Notification de la Congrégation pour le Culte divin sur le Missel romain, la liturgie des Heures et le Calendrier *»*,* du 14 juin 1971 (*D.C.,* n° 1.589, 4 juillet 1971) et à l' « *Ordonnance pour l'usage du Missel de Paul VI *», publiée le 14 novembre 1974 par la conférence épiscopale française (*D.C.,* n° 1665, 1^er^ décembre 1974), « en application » de la Notification (confirmée par une autre « notification » du 28 octobre 1974 -- *D.C.* n° 1.668, 19 janvier 1975). De quoi s'agit-il ? Les *trois articles de l'Ordonnance nous le disent :* « 1. -- A partir du premier dimanche de l'Avent 1974, dans la célébration en français, les traductions contenues dans l'édition officielle en langue française du Missel romain promulgué par Paul VI devront rem­placer toutes traductions provisoires antérieures. « 2. -- Dans le cas où la célébration en latin est prévue, sera seul utilisé le Missel promulgué par le pape Paul VI, sauf dans le cas prévu au paragraphe suivant : 112:210 « 3. -- Aux prêtres "toutefois qui, à cause de leur grand âge ou d'une infirmité, éprouvent de graves dif­ficultés à observer le nouveau rite du Missel romain (...), il est permis, avec le consentement de leur Ordi­naire et uniquement dans la célébration sans le peuple, de conserver en tout ou en partie le Missel romain selon l'édition typique de 1962 avec les modifications intro­duites en 1965 et 1967 " ("Notificatio", 1, 3). » Quoi de changé ? Rien. On remplace (quand on les remplace) de détestables traductions provisoires par de détestables traductions censément définitives et on redit, comme devant, que tout cela est obligatoire. (Cf. la lettre du 11 octobre 1975 du cardinal Villot à Mgr Coffy -- *D.C.* n° 1.686, 16 novembre 1975.) Que devient la messe là-dedans ? Pour le savoir certainement, il faudrait être partout à la fois. Mais des indices nombreux permettent d'avancer les propo­sitions suivantes : -- Dans les *faits,* la Nouvelle Messe est toujours aussi variée et aussi « expérimentale ». Sans parler des extravagances ou des sacrilèges qui frappent cer­tainement d'invalidité un nombre inconnaissable de « célébrations », il suffit de suivre l'émission du « Jour du Seigneur », chaque dimanche, pour se rendre compte que « l'Église de France » se soucie comme d'une guigne, dans le rite qu'elle patronne officiellement, de ses propres prescriptions. La Nouvelle Messe suit son processus normal de dégradation -- que ne fait qu'ag­graver, institutionnellement, le nouveau rite des messes d'enfants (v. Annexe IV). 113:210 -- Dans les *esprits,* le trouble s'accentue. Beaucoup de prêtres qui avaient adopté le nouveau rite sans se poser de questions, s'en posent maintenant, et de plus en plus. Un certain nombre d'entre eux reprennent l'ancien rite. Même évolution chez les fidèles. -- Dans les *bureaux,* la tension s'accroît. En France, le durcissement est notable. Ce ne sont plus seulement les prêtres qui disent la messe de saint Pie V qu'on persécute, mais ceux qui, en règle avec les prescriptions officielles, s'efforcent d'y maintenir la foi catholique. On exige d'eux l'esprit post-conciliaire, c'est-à-dire l'esprit révolutionnaire. ......... Cependant, quels sont, après cinq ans, les *effets* de la Nouvelle Messe ? A-t-elle renouvelé la piété ? A-t-elle rempli les églises qui se vidaient ? Tout le monde sait qu'il n'en est rien. Les chiffres sont difficiles à établir. 114:210 On ne suspectera du moins pas le cardinal Marty d'inventer ceux qu'il a donnés dans une conférence à la retraite des prêtres du diocèse de Paris (10-11 sep­tembre 1975, *D.C.,* n° 1.684, 19 octobre 1975) : « Voici le chiffre global de la pratique religieuse des 1^er^ et 2 mars 1975 : 191.420 pratiquants. Le recensement reli­gieux de 1962 donnait pour Paris-VIII^e^ : 364.261 présents aux messes. Nous constatons donc *une diminution très importante :* 47 %. Précisons que les églises paroissiales accusent une différence de 54 %, alors que les chapelles n'ont que 20 %. » Il est significatif que, dans la chute de la pratique dominicale, les églises paroissiales vien­nent en tête. Ce sont elles qui subissent le plus directe­ment l'action des Bureaux. Que l'avenir nous réserve-t-il ? Nous n'en savons rien. Mais il est évident que le problème de la messe sera d'autant plus difficile à résoudre qu'on attendra davantage. Le nouveau rite opère. *Lex orandi, Lex credendi.* Et il opère d'autant plus que la propagande des Bureaux ne cesse d'en souligner la théologie nou­velle. Si la foi de nombreux prêtres et de nombreux fidèles en soutient l'authenticité catholique, il mène les autres insensiblement au protestantisme. Aussi bien, l'intention des « réformateurs » ne se dissimule même plus. A peine élu à la présidence de la Conférence épiscopale française, en novembre 1975, Mgr Etchega­ray déclarait aux protestants français réunis en assem­blée générale : « ...vous ne pouvez plus *revendiquer le monopole de la Réforme* si vous reconnaissez les sérieux efforts de renouveau biblique, *doctrinal* et pas­toral entrepris par *l'Église du Concile Vatican II* (*...*) Il ne suffit plus de clarifier nos divergences ou de souligner nos convergences : nous devons tendre *coûte que coûte* à une *unité organique* dans une Église res­pectueuse *des valeurs et des traditions particulières... *» 115:210 En avril 1975, la Cité du Vatican était elle-même le théâtre d'un petit événement hautement symbolique. Voici comment le relate « *La Documentation Catho­lique *» (n° 1.678, du 15 juin 1975), d'après l'agence BIP-SNOP : « Les doyens épiscopaliens des États-Unis et du Canada, venus à Rome pour l'Année sainte, ont concélébré l'Eucharistie (*sic*) en la chapelle du collège éthiopien, c'est-à-dire sur le territoire de la Cité du Vatican. C'est, selon toute probabilité, la première célé­bration eucharistique d'une Église de la Réforme qui ait eu lieu au Vatican. Le groupe comptait 75 personnes et était conduit par le doyen de la cathédrale épiscopa­lienne de Washington, le T. Rév. Francis B. Sayre. Il était accompagné par l'archevêque catholique de Was­hington, Mgr William Wakefield Banni, et a été salué chaleureusement par le pape Paul VI, lors de l'audience générale du mercredi 26 avril... » Que des doyens épis­copaliens soient admis par le pape à « concélébrer l'Eucharistie » au Vatican, alors que des prêtres catho­liques se voient interdire, prétendument au nom du pape, de célébrer la messe catholique dans les églises catholiques, a de quoi étonner les simples fidèles. Chaque jour davantage, la Nouvelle Messe s'éloigne du saint *sacrifice* défini par le concile de Trente pour devenir le « *service de communion *» de la Réforme, ou même tout simplement l' « *assemblée célébrante *» tandis que le *prêtre* n'est plus que le *président* de cette assemblée, *ministre* au service de ses frères appelés demain à le désigner eux-mêmes. 116:210 Le caractère évolutif de la réforme liturgique con­duit d'ailleurs, dès maintenant, la messe et le sacerdoce au-delà de la Réforme protestante. Il ne s'agit plus d'œcuménisme chrétien mais de l'amorce de cette Reli­gion nouvelle annoncée par Teilhard de Chardin. Dans la conclusion de notre livre, nous avons cité quelques textes de lui, caractéristiques. Le premier volume de son *Journal* (Fayard 1975), nous en apporte d'autres à foison. Sur le *prêtre :* « Le Prêtre, ce n'est pas celui qui se drape dans les rites, ni se confine dans l'église et l'administration des sacrements, ni s'absorbe dans les œuvres. C'est le *modèle* et le *premier des hommes,* celui qui est le premier à *s'enthousiasmer et à souffrir,* le *premier à attaquer le Réel* pour le faire plier et l'amé­liorer » (p. 200). Sur la *messe :* « Le cercle infini des créatures est l'Hostie totale à consacrer. Le creuset de leurs activités est le calice à sanctifier... » (p. 328). Sur le *christianisme :* « Je pense que le *grand fait religieux actuel* est *l'éveil* d'une *Religion naturelle* qui fait, petit à petit, adorer le *Monde,* et qui est *indispen­sable* à l'Humanité pour qu'elle continue à travailler. Il est donc capital que nous montrions le christianisme comme capable de "diviniser", en quelque sorte, le "nisus" et l' "opus" naturels humains » (p. 220). 117:210 Teilhard écrivait ces phrases pendant la première guerre, entre 1915 et 1919. A l'époque, il ne pouvait les publier. Aujourd'hui, bien loin de faire scandale, elles seraient reçues comme l'expression la plus parfaite de la doctrine catholique, non pas encore la doctrine offi­ciellement enseignée, mais celle qui se répand partout et qui bénéficie, en France du moins, de toute l'influence du Magistère. ......... Mais ce qui nous intrigue, pour la France, c'est l'absence de ce « petit reste » qu'on trouve toujours dans les sociétés qui abdiquent. Comment, dans l'épis­copat français, n'y a-t-il pas 20 évêques, ou 10, ou 5 pour dire « Non ». Pour dire « Non » dans les débats de la conférence épiscopale. Pour dire « Non » dans leur diocèse. Certes nous n'ignorons pas le processus révolutionnaire, si bien analysé par Augustin Cochin. Mais, même dans la Révolution française, il y eut des minorités, des opposants, des hommes qui ne cédèrent pas, fût-ce au prix de leur vie. Dans l'Église de France, rien. Faudrait-il alors trouver l'explication de ce phéno­mène étrange dans quelques lignes qu'écrivait Simone Weil en 1941 : « L'accord entre plusieurs hommes enferme un sentiment de réalité. Il enferme aussi un sentiment de devoir. L'écart, par rapport à cet accord, apparaît com­me péché. Par là *tous* les retournements sont possibles (...) Un état de conformité est une imitation de la grâce » (*Cahiers,* nouvelle édition, T. I, p. 236). 118:210 Ces lignes extraordinaires rendent assez bien compte de la situation actuelle. Elles ont d'ailleurs de quoi nourrir notre espérance. Car si tous les retournements sont possibles au moment de l'accord, ils sont égale­ment possibles *après.* Nombreux, très nombreux même, croyons-nous, étant les évêques « retournés » par leur accord mutuel au sein de la collégialité, ils se « retour­neront » aussi bien quand l'événement les convaincra qu'un état de conformité pouvait n'être qu'une imitation de la grâce. Mais un nouveau retournement ne saurait être différé trop longtemps, car les esprits se durcissent et les institutions se mettent en place. Dans peu d'an­nées, si Rome n'intervient pas, le catholicisme français aura fait place à la Religion nouvelle. Le pivot de cette mutation aura été la Nouvelle Messe. Relisons Maritain, le « bon » Maritain, celui des « Trois Réformateurs ». A la note 20 (p. 260 de l'édi­tion de 1925), il rappelle que Luther procéda prudem­ment pour éviter la révolte des masses, attachées à leur religion. « Par exemple, écrit-il, selon le mot de Melanchthon "le monde était tellement attaché à la messe qu'il semble que rien ne pût l'arracher du cœur des hommes" (*Corp. Reform.,* I, 842). Luther avait donc maintenu la messe dans les formulaires officiels de 1527 et 1528 en Saxe. L'élévation de l'hostie et du calice était conservée. Mais Luther avait supprimé le canon sans en avertir le public. "Le prêtre, disait-il, peut fort bien s'arranger de telle façon que l'homme du peuple ignore toujours le changement opéré et puisse assister à la messe sans trouver de quoi se scandaliser..." Dans son opuscule sur *la célébration de la messe en allemand,* il disait encore : "les prêtres savent les raisons qui leur font un devoir de supprimer le canon" (Luther niait le *sacrifice* de la messe) ; "quant aux laïques, inutile de les entretenir sur ce point". De même Gus­tave Vasa déclare à son peuple : "Nous ne voulons pas d'autre religion que celle que nos ancêtres ont suivie", et, en même temps, il introduisait l'hérésie dans ses États. » 119:210 De nos jours, la situation est différente en un point c'est que les novateurs se vantent de leurs innovations et qu'ils en font un argument auprès d'un public avide de changement. Mais la situation est identique sur le fond : il s'agit toujours de tromper prêtres et laïcs en les assurant que la Nouvelle Messe est bien la messe de toujours, mais plus belle, plus vraie, plus conforme à ce qu'a voulu le Christ, parce que plus proche de la Cène qu'il a lui-même instituée en modèle de ce qui devrait être fait après lui. Parmi les catholiques attachés à leur foi, le plus grand nombre croient qu'il faut accepter la Nouvelle Messe puisqu'elle est imposée par la Hiérarchie. Ils veulent faire confiance au temps et au Saint Esprit pour qu'elle demeure ou redevienne Sacrement de l'unité catholique. Étant donné, pensent-ils, qu'elle s'est substituée à la messe traditionnelle sans heurter plus qu'une minorité de fidèles, c'est forcément qu'elle est catholique ; y toucher maintenant serait provoquer des perturbations infinies. Il y a là une illusion. S'il est vrai que la Nouvelle Messe n'a rencontré qu'une faible opposition, c'est parce que personne n'y a vu que du feu. Les élans révolutionnaires sont toujours ceux d'un aveuglement collectif. Ensuite on se retrouve face à la réalité. Or dans le domaine religieux l'immuable réa­lité est l'intime liaison entre la foi et la liturgie. 120:210 *Lex orandi, lex credendi.* Il faut le répéter indéfiniment. L'intention des novateurs, structurellement intégrée à la Nouvelle Messe, ne sera pas reconvertie en intention authentiquement catholique sans une restauration du rite en harmonie certaine avec le dogme et la tradition. Vouloir lier le sort de la messe à la consolidation de la Nouvelle Messe, c'est vouloir que d'une cause inchangée sortent des effets contraires à ceux qu'elle ne cesse de produire. On s'étonne que les esprits honnêtes puissent être à ce point insensibles à la crise conjointe de la *messe* et du *sacerdoce,* et à l'influence de la doctrine et de la liturgie dans le développement de cette crise. S'imaginent-ils que les désastres vont se transformer en triomphe ? Plus encore peut-être que les théologiens, ce sont les liturgistes eux-mêmes qui portent la responsabilité de la ruine de la liturgie. « Si en une matière quel­conque, écrit Simone Veil, on connaît trop de choses, la connaissance se change en ignorance -- ou il faut s'élever à une autre connaissance » (*op. cit.,* p. 206). Les exégètes auraient dû suffire à illustrer la vérité, de cette réflexion. Les liturgistes ont voulu y ajouter leur cas. Dom Guéranger leur avait pourtant assez dit que la liturgie est « la tradition à sa plus haute puissance ». Mais parce qu'ils connaissaient « trop de choses », ils n'ont eu de cesse qu'ils pussent caser leur science dans la Réforme. Confondant tradition et antiquité, ils ont cru pouvoir rendre la vie à des formes de culte mortes depuis des siècles, arguant que nous serions mal venus de trouver à redire à l'orthodoxie de l'âge d'or de la liturgie. 121:210 Pourquoi donc s'arrêtaient-ils en route ? Les communautés de base qui vont droit à l'Évangile sont fondées à prétendre que le partage du pain et du vin dans une pieuse imitation de la Cène est le parfait retour aux sources -- que trahit tout rite ecclésial. Le monde moderne est celui du viol des foules et du lavage des cerveaux. Quand un Pouvoir, quel qu'il soit, dispose des *mass media,* il peut non seulement faire croire ce qu'il veut mais même rendre l'imagi­naire plus réel que la réalité -- jusqu'à ce que la réalité se venge. Alors que les églises et les séminaires se vident, il n'est question que de « printemps de l'Église » et de « nouvelle Pentecôte ». Alors que Vatican II a inauguré, paraît-il, l'ère du dialogue, du pluralisme et de la liberté, il est entendu que cette ouverture au monde exclut l'univers de la tradition catholique. La soumission aux Bureaux est la forme post-conciliaire de l'obéissance de la foi. Vue dans son ensemble, la situation est pourtant parfaitement claire. Centrée sur la Nouvelle Messe, la Réforme liturgique consiste simplement dans l'aboli­tion de fait du concile de Trente et dans la conversion du catholicisme au protestantisme, sous les espèces de l'œcuménisme. Telle est du moins la première étape, celle à laquelle on est actuellement parvenu, la suivante devant être l'institution de la Religion nouvelle à quoi conduit la révolution permanente qui est l'esprit de la Réforme liturgique. ......... 122:210 L'annonce du concile par le « bon pape Jean » avait suscité une immense espérance dans le monde catho­lique. L'espérance s'est muée en désespoir. Les réformes souhaitées se sont noyées dans le flot révolutionnaire. Maintenant tout est à reprendre à la racine, ce qui ne sera vraisemblablement possible que quand la révolution aura achevé son processus d'autodestruction. On prendra alors conscience du service rendu à l'Église par ceux qui n'auront pas cédé au vertige de la folie et de l'apostasie -- tous ceux, notamment évêques, prêtres et fidèles, qui auront gardé dans son intégrité, barrière à l'hérésie, le rite traditionnel de la messe de saint Pie V. Notre livre n'a d'autre ambition que d'attirer l'at­tention du lecteur sur la gravité du problème. Comme nous l'avons dit au début de cette préface, nous n'avons rien changé au texte de la première édition, mais nous y avons ajouté quelques annexes qui complètent, syn­thétisent ou illustrent nos réflexions antérieures. \[Extraits de la nouvelle préface de Louis Salleron pour la seconde édi­tion de son ouvrage : *La nouvelle messe.*\] 123:210 ## NOTES CRITIQUES ### Question sur le commerce Le vendredi 18 décembre, au « Mammouth » (un ma­gasin de grande surface) de Toulouse, les caissières se sont mises en grève par surprise, et ont délaissé leur caisse. Les clients en ont profité pour remplir leurs paniers et partir sans payer (sauf six, qui ont laissé des chèques). Coût : 150.000 F pour le magasin, en un quart d'heure ce sont surtout les produits chers qui sont partis. Voilà qui révèle une malhonnêteté générale. Une fois que l'on a dit cela, et que l'on a constate l'indulgence éga­lement générale aujourd'hui pour le vol (c'est peut-être un trait de la société d'abondance dont, d'ailleurs, on s'éloigne) on se pose une autre question. Le commerce est fondé sur l'honnêteté, le respect d'un contrat avantageux pour les deux parties. Quand la force règne, pas de commerce. Le plus fort s'empare des mar­chandises. Le monde marchand auquel nous sommes habi­tués depuis des siècles suppose une loi reconnue par tous, la liberté des routes, etc. Il est arrivé qu'en certains cas le marchand soit aussi le plus fort : dans la rencontre de marchands européens avec des peuples exotiques, par exemple. Ce n'était pas la règle. Aujourd'hui n'est-ce pas le commerce qui, sous cer­taines formes, ruine son assise (l'honnêteté par respect du contrat) ? Il y a une façon d'inciter à l'achat qui tend à dépouiller l'acheteur naïf, en le poussant à dépenser plus qu'il ne peut : la publicité, les achats à tempérament, etc. Les ventes en « promotion », le « dumping » sur certains articles finissent par ôter à l'acheteur l'idée qu'il puisse exister un prix *vrai*. Surtout -- et c'est pratiqué constam­ment dans les grands magasins -- tous les moyens psycho­logiques sont employés pour étourdir le public. Étalages ostentatoires, ventes-réclames offrant des « occasions » extraordinaires, lumières et musique insinuante, etc. 124:210 On vise à créer un vertige, un état d'abandon où le portefeuille s'ouvre plus facilement. Comment pourrait-on exiger en même temps que le client montre raison et responsabilité ? Il y a effraction de consciences dont ceux qui les forcent voudraient aussi qu'elles restent intactes. C'est demander un peu trop. On revient à ces exemples où le marchand était aussi l'homme le mieux armé et le plus habile. Quand un tra­fiquant enivrait les Indiens pour leur acheter à vil prix leurs peaux de bête ou leur or, personne n'avait envie de le plaindre s'il se faisait voler sa marchandise par les mêmes Indiens. Georges Laffly. ### Bibliographie #### Serge Bonnet Prières secrètes des Français d'aujourd'hui (Cerf) On ne voit pas du tout ce qu'ajoute l'adjectif « secrètes » au titre de ce livre. Elles ne sont pas du tout secrètes puisqu'il s'agit de textes écrits par des pèlerins dans divers sanctuaires. Elles sont libres, spontanées, naïves. Cela dit, le thème de ce livre est simple. Le père Bonnet a relevé 140.000 prières à Lourdes, La Salette, Domrémy, etc. Il en cite ici, intégralement, de deux à trois mille. Il s'agit d'une entreprise sociologique, si l'on veut, et cela donne le livre le plus bouleversant. 125:210 Je ne suis pas naïf moi-même au point de ne pas savoir que nos docteurs méprisent ce catholicisme-là, et qu'ils se croient bien avancés de le mépriser. Ces prières de demande sont quel­quefois sottes, et d'autres fois haïssables par leur âpreté, le calcul qu'elles révèlent. Il y en a d'aberrantes (qui demandent la victoire du communisme) et de pseudo-savantes, qui rica­nent à la façon des docteurs, sur les pauvres gens qui s'expri­ment avant eux. Et pourtant, de toutes -- oui, même des lazzi des faux savants -- s'élève un chant poignant, vrai, celui de nos misères et de nos insuffisances. N'est-ce pas, *Ce ne sont pas des sots et des sociologues* *qui parleront pour nous le jour du jugement* et ce ne seront pas non plus nos sexologues et nos psychana­lystes. Mais ce seront peut-être ces chrétiens qui écrivent, après avoir allumé un cierge et pris de l'eau bénite (choses qui font lever les yeux au plafond à mon curé, -- au plafond, pas au ciel, il sait très, bien que le ciel n'est qu'un espace inter-planétaire). Et puis, ce que je n'ai pas encore dit, ce que montre ce recueil, c'est le *bon fond* de ce peuple, sa générosité, son endurance, sa piété tenace, irrépressible. Georges Laffly. #### Jean-François De la Genèse à l'Apocalypse (Table ronde) *Première lecture* Ce livre admirable mérite de grands éloges, et ne me laisse pourtant pas satisfait. Je suis sûr que sa lecture est féconde et en même temps je ne peux me dissimuler qu'elle risque d'égarer. Voilà un grand embarras. Commençons par ce qui pa­raît sûr. Nous sommes habi­tués (soumis) à une vision historique que nous appliquons à l'Écriture comme à tout au­tre objet. Elle devient, du coup, un centon de textes d'origines et de genres divers, une suite de documents ar­chéologiques et de récits plus ou moins fabuleux, selon de savants exégètes. A cette Bible mise en miettes, Jean-Fran­çois oppose la lecture d'une Bible réunifiée où, de la Ge­nèse à l'Apocalypse, les mêmes symboles expriment le même sens. Dieu dit toujours la même chose. Et l'on est bien d'accord, n'est-ce pas, sauf si cette proposition nous conduisait à diminuer le fait unique, incomparable, du sa­crifice du Christ. Écartée cet­te hypothèse aberrante, reste qu'il est bien vrai qu'il faut lire les Écritures comme un texte un. 126:210 Que nous dit-il ? que la foi est un mode de connaissance, sans commune mesure avec la connaissance humaine, et que cette connaissance n'est pas spéculation, mais nous fait éprouver des états vécus de plénitude et de privation. Tour à tour, Dieu nous montre sa miséricorde ou sa rigueur, mais sa rigueur ne doit être comprise que comme enseigne­ment. Elle est le moment où un surpas­sement nous est of­fert, qui se traduira par une nouvelle miséricorde. Et pour l'homme de foi, la vie est dans ce mouvement incessant, qui le dépouille sans cesse de ses vues humaines, et sans cesse le ramène vers le Dieu de vérité, dont il obtient cette unification qui est la paix. « Mais l'unification réalisée n'est jamais définitivement ac­quise. Toujours survient une nouvelle dispersion et le re­trait d'une connaissance gracieusement accordée, l'homme ayant tendance à préférer le bonheur sensible et à sortir de la foi. Par un surpassement de sa grandeur, Dieu l'éloi­gne à nouveau, exigeant de lui un dépassement de foi. Il semble avoir varié, or il est immuable ; seul l'homme a changé, redevenu esclave de son jugement naturel et ou­bliant que jamais il ne peut avoir achevé de Le connaî­tre. Retourné à l'humilité, le don miséricordieux lui est restitué, fondé sur une foi re­nouvelée ». Toute la Bible dit cela, et comme « la théologie biblique n'a rien d'une métaphysique abstraite », elle le dit par le récit même. Tout y est sym­bole, les personnages, les ac­tions, les faits historiques, la géographie, la création tout entière. Et il serait facile de se perdre dans cette forêt, à cause des équivalences et des ambivalences de ce langage. Jean-François, quant à lui, dé­ploie dans l'exégèse une scien­ce et une virtuosité bien re­marquables. On aimerait en citer plusieurs exemples ; on se tiendra à celui-ci : « Un lecteur non initié à ces équi­valences ne penserait pas, en voyant l'autorité de Moïse con­testée par l'Hébreu auquel il reproche de frapper son frère (Ex. 2, 13) qu'il ait suscité par là et choisi de subir le même outrage que le Christ. » C'est pourtant, l'interprétation de saint Paul. Moïse a été élevé et sauvé par la fille de Pha­raon « figurant la sagesse ». Mais le don de sagesse auquel l'homme s'arrête devient con­naissance mauvaise. « C'est pourquoi Moïse, selon Paul, abandonne les biens de la sa­gesse déjà accordée, symbo­lisée par les trésors d'Égypte, leur préférant ceux de la mi­séricorde à venir. » Les dogmes, note Jean-Fran­çois, sont l'expression d'une telle lecture savante et auto­risée. Sans doute, et ils ont perpétué la compréhension de la parole divine. Il faut en venir maintenant aux objections. L'auteur, si attentif à la signification des symboles, ne voit pourtant en eux que des supports limités et même incertains, trompeurs. Propres à nous faire perce­voir des réalités supérieures, ils ne constituent qu'un alpha­bet qui n'aurait qu'une valeur arbitraire. 127:210 « Admettre le symbolisme des personnages bibliques, écrit-il, loin de les diminuer, leur donne une véritable di­mension et les rend plus cré­dibles aux esprits exigeants. Leur existence dans le temps, même certaine, est d'inté­rêt mineur ; seuls comptent l'usage qu'en fait la Bible et les états d'être qu'à travers eux elle enseigne. » Jean-François traite de même, d'ailleurs, des notions comme celles de mort et de vie (et de résurrection). J'en­tends bien qu'il est faux de réduire l'Écriture à certaine interprétation littérale, très à la mode, qui la transforme en pamphlet social, fait du Christ un agitateur vaincu etc. Mais il y a autre chose dans la lettre. Quand le chrétien dit à Dieu : « Notre Père », l'idée de paternité temporelle, ma­nifeste, en est enrichie. Le symbolisme n'est possible que s'il existe un réseau univer­sel de correspondances, qui fait que les réalités les plus humbles reflètent une vérité supérieure, ne lui sont pas étrangères. Un événement im­portant -- et tout particuliè­rement ceux que rapporte la Bible, qui portent l'empreinte de Dieu dans l'histoire humai­ne -- aimante autour de lui les figures, les personnes, les détails, de telle manière qu'ils sont tout chargés de sens. Le support symbolique n'est pas un élément de code, ne relève pas d'une algèbre, il est une part de la Création, et si hum­ble soit-il, retient une résonance divine. Que des esprits exigeants (rationalistes) soient insensi­bles à cette richesse de sens, qu'ils la refusent, on n'en dou­te pas. Mais à leur accorder qu'il n'y a dans la Bible que des figures, on risque de l'ap­pauvrir au point d'en faire cette métaphysique abstraite qu'elle n'est pas. Jean-François qui met si bien en garde contre les lec­tures rationalisantes et réduc­trices, n'est-il pas là resté en chemin ? Georges Laffly. *Seconde lecture* M. Jean Chevalier, docteur en théologie et en philoso­phie, qui préface ce livre nous dit que son auteur « a vécu en terre d'Islam, dans l'intimité de milieux musulmans et d'adeptes du soufisme ». Je ne dirai pas que je l'aurais devi­né, car je suis parfaitement ignorant du soufisme. Néan­moins, ce qui est évident, c'est que M. Jean-François baigne dans un ésotérisme de nature typiquement orientale, ou plu­tôt « proche-orientale ». D'où la force et la faiblesse de son livre. 128:210 M. Jean-François nous initie au « langage métaphysique et symbolique de la Bible (sous-titre de son livre). C'est sa force. Lire la Bible de ma­nière littérale ou même « his­torico-critique » est évidem­ment insuffisant. Ce n'a certes pas été le défaut des Pères de l'Église et des théologiens médiévaux. Pour eux, la let­tre tue et l'esprit vivifie. Dans leur lecture spirituelle de la Bible, ils s'en donnent à cœur joie. Mais la faiblesse de Jean-François, à mes yeux du moins, c'est de systématiser le symbolisme d'une manière qui en fait presque un nou­veau rationalisme. « Tous les grands thèmes, écrit son pré­facier, du judaïsme et du chris­tianisme, ainsi que de l'Islam, prennent leur place dans ce vaste ensemble. » sans doute mais, par le fait même, en mi­nimisant singulièrement, pour un chrétien, l'apport de l'Évan­gile. Il n'y a plus d'ancienne et de nouvelle alliance, mais une seule et même éternelle al­liance dont les avatars histori­ques sont sans grande impor­tance. Que deviennent alors les mystères de l'Incarnation et de la Rédemption ? Le mérite du livre de M. Jean-François, c'est de nous rendre très sensibles les ver­tus de la Foi et de l'Espéran­ce. Mais la lumière de la Cha­rité y manque d'éclat. La sain­teté chrétienne, si caractéris­tique du mysticisme chrétien, n'y apparaît guère. Finale­ment, ce symbolisme a quel­que chose d'assez désespérant malgré la valorisation de l'Es­pérance. Le protestantisme s'y trouverait sans doute plus à l'aise que le catholicisme. Louis Salleron. #### Julien Gracq Les eaux étroites (José Corti) Le dernier livre de Gracq est le récit, en soixante dix pages, d'une promenade sur l'Eure, menu affluent de la Loire. Sa beauté, sa gravité, vien­nent du fait que cette prome­nade *récapitule* les images qui ont nourri un esprit : là est peut-être le point central d'où l'on pourrait voir rayonner les autres œuvres de ce rêveur lucide. A deux reprises, Gracq évoque le « chemin de vie » que l'Eure lui représente ; par­cours initiatique qui préfigure l'accomplissement d'une âme, comme dans les religions à mystère. 129:210 « De tels lieux, dit-il, lè­vent, eux, énigmatiquement, un voile sur le futur. » Et il s'agit bien dans ce texte, de l'évocation de promenades qui remontent à l'adolescence, et qu'il n'envisage pas de renou­veler : le temps en est fini. On trouvera dans ces images d'eaux lourdes et noires, de rocs qui surplombent la rive, d'un manoir aperçu, le « cli­mat » de ténèbres vertes, et d'immobilité qui semble par­ticulier à l'auteur, et son souci de description précise, scien­tifique, -- celle qui est propre au géographe. Chez Gracq c'est par cette précision que l'on arrive à la fascination. Se lè­vent en cours de route les fi­gures des grands aînés : Poe, Nerval, Balzac. C'est bien la récapitulation dont on parlait. Il y a autre chose. Il me semble trouver, pour la pre­mière fois dans cette œuvre, une note métaphysique. Il fau­drait citer tout entière la page sur *l'embellie tardive :* « ...le sentiment de joie et de cha­leur, et, davantage encore peut-être, de promesse confuse d'une autre joie encore à ve­nir, qui ne se sépare jamais pour moi de ce que j'appelle, ne trouvant pas d'expression meilleure, *l'embellie tardive --* l'embellie, par exemple, des longues journées de pluie qui laissent filtrer dans le soir avancé, sous le couvercle en­fin soulevé des nuages, un rayon jaune qui semble mira­culeux de limpidité... » Gracq en donne comme exemple pictural la *Vierge au lapin,* du Titien, qui est au Louvre. Il note que son im­pression est « sans doute de nature religieuse : l'image d'une autre vie pressentie qui ne peut se montrer dans tout son éclat qu'au-delà d'un cer­tain « passage obscur », lieu d'exil ou vallée de ténèbres ». Acceptant l'assimilation du cours d'une journée au cours d'une vie, il en tire que cette embellie suggère « une inver­sion du cours du temps ». Peut-on croire que cet ac­cent, tout nouveau, naît seule­ment d'une *contamination* de l'image constante du texte celle du parcours initiatique. Mais déjà celle-ci suggère un autre sens, une direction, au monde visible qui nous est offert. Il me semble que là est l'es­sentiel de ce texte bref, mais très riche. G. L. #### Frédéric Musso L'Algérie des souvenirs (Table ronde) Orléans, Beaugency, Vendô­me, noms qui composent un beau poème, dit Musso. Et nous avons tous dans l'oreille la chanson du dauphin : *Mes amis que reste-t-il* *A ce dauphin si gentil* *Orléans, Beaugency* *Notre-Dame de Cléry* *Vendôme, Vendôme* 130:210 Mais les noms de Boufarik, de Palestro, d'Ampère, même si on est en droit de les trou­ver rugueux résonnent d'une autre façon -- pour moi et pour quelques centaines de milliers d'autres pieds-noirs. Et cette « Algérie des souve­nirs », cet album bien compo­sé, si attachant, curieux, at­tendrissant, nous hésitons presque à l'ouvrir parce qu'il s'agit de bien autre chose que d'attachement, de curiosité ou d'attendrissement. Un de mes amis, mort aujourd'hui, Bar­thélemy Cotto, que nous appe­lions Nino, me disait un jour qu'il ne regardait jamais une photo d'Algérie. Je ne les re­garde pas non plus sans trem­blement. C'est qu'elles ne nous désignent pas seulement une distance dans le temps et dans l'espace, comme pour un Pa­risien des photos du Paris d'hier. Elles rappellent une rupture plus irrémédiable. Le monde qu'elles évoquent n'a pas de suite. Sa tige a été tranchée net. Sur les mêmes lieux, ce qui continue, c'est un autre monde. Nous avons perdu notre om­bre, comme le héros de Cha­misso. Chamisso était émigré, comme on sait, et sa fable ré­vèle son exil, cette forme d'exil pour laquelle il n'y a pas de retour, puisqu'est aboli ce dont on est séparé. Voici pourtant ces fantômes figés, noirs et blancs, qui prou­veraient, à défaut d'autres tra­ces, que ce monde exista, voici ces *épreuves,* quelquefois un peu floues, avec leur air dé­suet, un peu cocasse, et dès que nous les regardons il ne nous est plus possible de re­fermer l'album. Ce sont nos photos d'identité, comme peu­ple (comme communauté par­ticulière, si l'on préfère). On souhaite un grand succès à ce beau livre. G. L. #### Michel Mourlet L'éléphant dans la porcelaine (La Table ronde) Cet ensemble d'études sur le cinéma, la peinture, le roman, bien qu'elles soient réparties sur près de vingt années, mon­tre une unité certaine. Michel Mourlet nage à contre-courant sans essoufflement, sans gri­mace. Il y a de la rigueur dans son élégance. Les noms qui comptent, pour lui, sem­blent être ceux de Valéry et de Nietzsche. Ce qu'il refuse la liquéfaction et l'inversion des valeurs. C'est le souci de l'esprit qui l'amène, dit-il, à la politique. Il ajoute, citant Chaunu, que « le combat ne se gagne pas dans la rue, mais dans les labo­ratoires, les bibliothèques... ». Réforme intellectuelle d'abord. G. L. 131:210 ## DOCUMENTS ### La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre *suite de la publication des documents* *Rappel. --* Mgr Lefebvre a été condamné pour la première fois au printemps de l'année 1975. Cette pre­mière condamnation, depuis lors plusieurs fois confir­mée et aggravée, concernait sa DÉCLARATION, en tous points catholique, du 21 novembre 1974 : et cette DÉCLA­RATION était condamnée, explicitement, « *en tous points *»* !* Cette condamnation, nous l'appelons *sauvage* au double sens du mot : 1° elle est *cruelle,* 2° elle est *irrégulière.* Nous l'estimons importante, procurant sur la si­tuation de l'Église une redoutable et irrécusable clarté car c'est pour être demeuré un évêque indéfectiblement catholique que Mgr Lefebvre a été condamné. 132:210 Pour connaître et faire connaître la vérité, vous avez à votre disposition soit l'édition abrégée soit l'édition complète de « La condamnation sauvage » : -- « LA CONDAMNATION SAUVAGE. ÉDITION ABRÉ­GÉE » : 9 F franco. Dans cette édition, ce n'est évidemment pas le texte des documents cités qui est « abrégé » : on y trouve *le texte intégral* de toutes les lettres de Mgr Lefebvre à Paul VI et de toutes les lettres de Paul VI à Mgr Lefebvre ; ainsi que *le texte intégral* des documents les plus importants. Cette édition est « abrégée » simplement en ce qu'elle se limite aux documents principaux, afin de pou­voir maintenir le prix de 9 F seulement. -- « LA CONDAMNATION SAUVAGE DE MGR LEFEB­VRE. » Édition complète (septième édition) : 50 F. \[...\] 133:210 Dans notre précédent numéro, nous en étions arrivés au document n° 58. On trouvera ci-après les documents n° 61 et n° 62. Pour des raisons techniques, les documents n° 59 et n° 60 ne seront publiés qu'ul­térieurement. 134:210 ### 61. -- Lettre de Mgr Lefebvre à Paul VI *3 décembre 1976* Très Saint Père, Son Excellence Monseigneur le nonce de Berne vient de me remettre la dernière lettre de Votre Sainteté. Oserai-je dire que chacune de ces lettres est comme un glaive qui me transperce, tant je voudrais être en plein accord et en pleine soumission au Vicaire du Christ et au successeur de Pierre, comme je crois l'avoir été tout au cours de ma vie. Mais cette soumission ne peut se faire que dans l'unité de la foi et dans la « Tradition vraie » comme Votre Sainteté le dit dans sa lettre. La Tradition, selon l'enseignement de l'Église, étant la doctrine chrétienne définie pour toujours par le magistère solennel de l'Église, elle comporte un carac­tère d'immutabilité qui oblige à l'assentiment de foi non seulement la génération présente mais les géné­rations futures. Les souverains pontifes, les conciles peuvent expliciter le dépôt, mais doivent le transmettre fidèlement et exactement sans le changer. 135:210 Or comment concilier les affirmations de la décla­ration sur la liberté religieuse avec l'enseignement de la Tradition ? Comment concilier la réforme liturgique avec l'enseignement du concile de Trente et de la Tra­dition ? Concilier la mise en œuvre de l'œcuménisme avec le magistère de l'Église et le droit canon concer­nant les relations de l'Église avec les hérétiques, schis­matiques, athées, incroyants, pécheurs publics ? Les nouvelles orientations de l'Église dans ces do­maines impliquent des principes contraires à l'ensei­gnement solennel et continuel de l'Église, contraires à cette « Tradition vraie » à laquelle Votre Sainteté fait allusion, Tradition immuable parce que définie solen­nellement par l'autorité de vos prédécesseurs et conser­vée intacte par tous les successeurs de Pierre. Appliquer la notion de vie au magistère, à l'Église, ainsi qu'à la Tradition ne permet pas de minimiser la notion d'immutabilité de la foi définie, car alors la foi emprunte son caractère d'immutabilité à Dieu lui-même « immotus in se permanens » tout en étant source de vie comme l'Église et la Tradition. Saint Pie X dans son encyclique « Pascendi Domini gregis » a bien montré le danger des fausses interpré­tations des termes « foi vivante, tradition vivante ». C'est à cette douloureuse constatation d'incompati­bilité entre les principes des orientations nouvelles et la Tradition ou le magistère de l'Église que nous nous heurtons. Qu'on veuille bien nous expliquer comment l'homme peut avoir un droit naturel à l'erreur ? Comment il a un droit naturel à causer le scandale ? comment les pro­testants qui ont assisté à la réforme liturgique peuvent-ils affirmer que la réforme leur permet désormais de célébrer l'Eucharistie selon le nouveau rite ? Comment cette réforme est-elle alors compatible avec les affir­mations et les canons du concile de Trente ? Enfin comment concevoir l'accès à l'Eucharistie de personnes qui n'ont pas notre foi, la levée de l'excommunication pour ceux qui adhèrent à des sectes et organisations qui professent ouvertement le mépris de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de notre sainte religion, cela contraire­ment à la vérité de l'Église et à toute sa Tradition ? 136:210 Y aurait-il une nouvelle conception de l'Église, de sa vérité, de son sacrifice, de son sacerdoce depuis le concile Vatican II ? Voilà ce sur quoi nous avons besoin d'éclaircissements. Le peuple fidèle commence à s'émou­voir et à comprendre qu'il s'agit non plus de détails, mais de ce qui fait sa foi et en conséquence des bases de la civilisation chrétienne. Telles sont brièvement exposées nos préoccupations profondes, auprès desquelles tout le fonctionnement de l'appareil canonique ou administratif n'est rien. S'agis­sant de notre foi, il s'agit de la vie éternelle. Ceci dit, j'accepte tout ce qui dans le concile et les réformes est en pleine concordance avec la Tradition, et l'Œuvre que j'ai fondée le prouve amplement. Notre séminaire répond parfaitement aux désirs exprimés dans le concile et à la « Ratio fundamentalis » de la sacrée congrégation pour l'enseignement catholique. Notre apostolat correspond pleinement au désir d'une meilleure répartition ([^10]) du clergé et au souci expri­mé par le concile au sujet de sa sanctification et de sa vie en communauté. Le succès de nos séminaires auprès de la jeunesse manifeste avec évidence que nous ne sommes pas sclé­rosés, mais parfaitement adaptés aux besoins de l'apos­tolat de notre temps. C'est pourquoi nous conjurons Votre Sainteté de considérer avant tout le grand bien­fait spirituel que les âmes peuvent retirer de notre apostolat sacerdotal et missionnaire qui peut, en colla­boration avec les évêques des diocèses, apporter un vrai renouveau spirituel. Chercher à contraindre notre Œuvre à accepter une nouvelle orientation qui a des effets désastreux dans toute l'Église, c'est l'obliger à disparaître comme tant d'autres séminaires. 137:210 Espérant que Votre Sainteté comprendra à la lec­ture de ces lignes que nous n'avons qu'un but, servir Notre-Seigneur Jésus-Christ, Sa gloire, Son vicaire et procurer le salut des âmes, nous La prions d'agréer nos sentiments respectueux et filiaux in Christo et Maria. Marcel Lefebvre. *ancien archevêque-évêque de Tulle* *Écône, en la Fête de St François Xavier* *le 3 décembre 1976.* 138:210 Situation à la fin de l'année 1976 ### 62. -- Interview de Mgr Lefebvre *10 décembre 1976* *Le 10 décembre 1976, Mgr Lefebvre répond aux questions posées par un journaliste du périodique* « *The Age *» *de Melbourne* (*Austra­lie*)*. -- Cette interview fait le point et résume la situation telle qu'elle est à la fin de l'année 1976.* 1\. -- *Pour quelle raison est arrivée cette mésentente entre vous et le Vatican ?* La mésentente est venue des orientations nouvelles du concile Vatican II et des réformes qui ont suivi. La « liberté religieuse », au nom de laquelle on sup­prime tous les États catholiques, est conçue dans un sens qui est absolument opposé à la doctrine officielle de l'Église catholique. 139:210 L' « Œcuménisme » entraînant la Réforme liturgique est une attitude tout à fait nouvelle de l'Église vis-à-vis des non-catholiques (soit les protestants -- musulmans -- bouddhistes -- et même communistes -- francs-maçons, etc.), manifestement opposée à la doctrine et à la pratique de l'Église catholique pendant des siècles. Enfin l'idée de « Collégialité » mal comprise est en train de briser l'unité de l'Église en constituant des Églises nationales, par la disparition de l'exercice de l'autorité personnelle du pape et des évêques, contrairement à la constitution divine de l'Église. 2\. -- *Voyez-vous une solution dans les circonstances présentes ? et s'il y en a une, laquelle ?* La seule solution est le retour à la doctrine tradition­nelle et à l'expérience salutaire de la tradition selon la sagesse que l'Église a toujours manifestée pour son appli­cation dans l'espace et dans le temps. C'est pourquoi je supplie le pape de nous laisser faire l'expérience de la Tradition. Cette expérience sera un test de ce que la Tradition a un caractère intemporel, adapté à tous temps et à tous lieux. 3\. -- *Croyez-vous que vous pourrez un jour faire reve­nir sur les réformes du concile Vatican II ?* L'expérience de la Tradition séculaire de l'Église of­frira le moyen évident de juger de l'erreur commise par les nouvelles réformes. 4\. -- *Quelle est votre attitude actuelle vis-à-vis du pape Paul VI et de sa décision de vous suspendre* « *a divinis *»* ?* Cette question en pose deux : La première : mon attitude vis-à-vis du pape. Mon attitude a toujours été très respectueuse et défé­rente, très soumise lorsque le pape confirme la Tradition, mais fermement opposée lorsque le pape oriente l'Église dans une voie contraire au magistère de ses prédécesseurs, magistère qui est l'expression d'une foi véritable. En ce cas le pape fait un abus de pouvoir c'est-à-dire s'oppose à la finalité de son autorité qui est de confirmer dans la foi et non d'infirmer la foi des fidèles et des clercs. 140:210 Cela me facilite la réponse à la deuxième partie de votre question concernant ma suspense a divinis. La nullité des sanctions prises à l'égard du séminaire et de moi-même l'est pour deux motifs : le premier est l'illégalité de ces sanctions portées sans aucun jugement par aucun tribunal, donc d'une manière arbitraire et par abus de pouvoir ; le second est le but inadmissible de ces sanctions qui est de nous faire admettre les nouvelles orientations de l'Église depuis Vatican II. 5\. -- *Pensez-vous sérieusement à une excommunication prochaine ?* Sur ce point je n'ai aucun renseignement, mais Louis Veuillot nous dit qu' « il n'y a pas plus sectaire qu'un libéral » ! Alors... 6\. -- *Quels sont vos projets dans l'immédiat ? et vos projets pour l'avenir de votre Société ?* Nos projets sont de continuer l'activité de la Frater­nité sacerdotale saint Pie X, c'est-à-dire la formation sa­cerdotale et le ministère pastoral missionnaire dans les diocèses. 7\. -- *Avez-vous l'intention de sacrer un évêque ? si oui, serait-ce bientôt ?* Je n'ai aucune intention de sacrer un évêque. 141:210 8\. -- *Quelle est l'importance du soutien qui vous est donné à travers le monde, soutien idéologique et* *financier ?* Les derniers mois nous ont manifestement montré que beaucoup de catholiques dans le monde pensent comme nous et estiment que les résultats du concile sont décevants et qu'il est temps de revenir à la Tradition. Financièrement nous arrivons à vivre et même à pro­gresser grâce aux nombreuses personnes qui nous sou­tiennent de tous les pays, mais spécialement de France, Suisse et Allemagne. L'Australie aussi nous envoie régu­lièrement des dons qui aident à payer les pensions des deux séminaristes australiens. 9\. -- *On a dit que votre mouvement est d'extrême-droite et à but politique. Qu'en pensez-vous ?* En ce qui concerne l'accusation d' « extrême-droite » je réponds que si par le terme de « droite » on entend une conception de la société selon l'ordre voulu par Dieu dans l'autorité, la discipline, la justice, on peut dire à juste titre que nous sommes « de droite ». Si cette déno­mination « extrême droite » signifie l'abus d'autorité par une dictature personnelle abusive ou par un parti tyran­nique, évidemment nous n'en sommes pas. Avons-nous un but politique ? Si « politique » signifie une action menée dans la société civile, pour lui donner un pouvoir de notre choix, nous ne faisons pas de politique dans ce sens. Mais nous ne doutons pas que les principes théologiques et moraux de l'Église ont nécessairement une répercussion sur la société qui est créature de Dieu et doit donc obéir à ses lois. C'est en ce sens que, comme les papes l'ont proclamé, nous réprouvons le communisme, le socialisme, la société athée ou laïcisante, nous prêchons le Règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 10\. -- *Quelle est votre réaction devant les relations entre le Vatican et les pays communistes ?* Il suffit de juger par les résultats acquis, soit : l'avance communiste sur tous les fronts, dans le monde entier. Le Vatican aura bien mérité des Soviets pour l'aide extraordi­naire qu'il aura apportée pour leur victoire. Nous verrons peut-être bientôt comment se manifestera la reconnaissance des communistes !... 142:210 11\. -- *Êtes-vous opposé à tout ce qui peut réunir l'Église catholique et les groupes protestants ?* Je ne suis, certes, pas opposé au retour des protestants à l'unité de la foi catholique, mais ne puis accepter un syncrétisme fait de compromis et d'équivoques. Je pense que peu de protestants souhaitent cette dernière solution. 12\. -- *Enfin n'êtes-vous pas fatigué de votre combat ?* Peut-on être fatigué de croire, d'avoir une foi forte et inébranlable en Notre-Seigneur Jésus-Christ, en son Église ? Nous avons la persuasion d'être bien peu de chose au mi­lieu des événements qui font l'histoire de l'Église. Nous souhaitons seulement servir d'instruments à Notre-Seigneur pour la sauvegarde de la foi qu'Il demande de nous et qui est le gage de la vie éternelle. ============== fin du numéro 210. [^1]:  -- (1). Radio Cinefon Brasileira. [^2]:  -- (2). En corçaônien dans le texte. (Note du traducteur.) [^3]:  -- (1). La D.S.T. brésilienne. [^4]:  -- (1). Sur PERMANÊNCIA, voir plus loin la note en tête de l'article de Julio Fleichman. [^5]:  -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 112 d'avril 1967 : *La querelle du Pay­san.* -- Numéro 122 d'avril 1968 : Lorsque Maurras eut les cent ans. [^6]:  -- (1). La substance de cette conférence à un groupe de COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES a paru dans notre numéro précédent Sous le titre *L'anthropo-ex-centrisme.* [^7]:  -- (1). Éditions Resiac (B.P. 6) 53150 Montsurs. -- C.C.P. Rennes 1595-10. -- 39 F, plus port 5,80 F. -- 416 pages avec illustrations et carte des camps de déportation (1976). -- Malgré les témoignages qui se sont multipliés depuis quelques années, ce livre, consacré aux martyrs orthodoxes, doit être lu par tous les catholiques. [^8]:  -- (1). Il ne faut pas avoir le moindre souci de l'expérience -- élé­ment capital de tout gouvernement et du gouvernement de l'Église -- pour oser déclarer, comme le fait Paul VI dans sa lettre du 11 octo­bre à Mgr Lefebvre, que c'est « pour faciliter la prière et la mission de l'Église à travers la variété des temps et des lieux » que la Litur­gie a été changée... Le propre d'un esprit faux est de ne jamais reconnaître ses erreurs. Le *Nouvel Ordo* est « le signe privilégié de l'unité des catholiques » ! Une telle vésanie chez un pape est incro­yable. [^9]: **\*** -- Nous disons à la page précédente que le P. Congar esquive l'article 7. En effet. Il lui consacre, en tout et pour tout, huit lignes (sept lignes et quart) de sa typographie dans une note de la page 29 de son livre sur *La crise dans l'Église.* Les voici intégralement Les opposants à la messe de Paul VI arguent avec entête­ment du n° 7 de l'*Institutio generalis* placée en tête du missel de 1969. Il a été reconnu que ce texte, tout en n'étant absolu­ment pas faux, n'exprimait pas assez nettement ni assez com­plètement ce que l'Église a conscience de faire en célébrant l'Eucharistie. Le texte a été amélioré dans l'édition promulguée le 26 mars 1970. C'est celui-là qui est valable. Ou ne peut rien lui reprocher. » Nous *arguons avec entêtement ?* Aussi longtemps qu'on ne nous fera sur ce point que des réponses aussi pauvres, et aussi dilatoires, il sera bien natu­rel que nous insistions. -- J. M. \[figure en encadré p. 110 dans l'original.\] [^10]: **\*** -- *sic*. Préparation ?