# 212-04-77
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### Les "messes œcuméniques" de Strasbourg
par Louis Salleron
DANS « L'affaire Elchinger » (*Itinéraires*, n° 210, février 1977) Jean Madiran a rassemblé toutes les pièces du dossier concernant les « messes œcuméniques » de Strasbourg ([^1]). Pour les précisions que je veux maintenant apporter sur ces célébrations d'un nouveau genre, je rappellerai qu'après la lettre ouverte que je lui ai adressée par le truchement de l'*Aurore* (4 janvier 1977) Mgr Elchinger a eu une conversation téléphonique avec M. Jean Bourdarias qui a publié, dans le *Figaro* du 5 janvier (A.E. XIII) un article dont voici les deux premiers alinéas :
M. Louis Salleron publie dans l'*Aurore* une lettre ouverte à l'évêque de Strasbourg dans laquelle il affirme, contrairement aux propos tenus par Mgr Elchinger, que l'église (protestante) Saint-Nicolas de Strasbourg a été le théâtre de plusieurs concélébrations de décembre 1975 à juin 1976. Mgr Elchinger avait très directement pris à partie les auteurs des *Fumées de Satan* qui parlaient des « messes œcuméniques » de Strasbourg et il avait précisé « *qu'une telle cérémonie avait eu lieu une seule fois et à son insu et avait ajouté qu'il interdisait formellement qu'un prêtre catholique participe à de tels offices *»*.*
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Mgr Elchinger, que nous avons pu joindre par téléphone, affirme que les cérémonies auxquelles fait allusion M. Salleron n'étaient nullement des concélébrations mais des célébrations bien distinctes où le prêtre catholique a communié ses fidèles et le pasteur les siens, où les rubriques ont été scrupuleusement observées. La simultanéité des deux offices a pu laisser croire qu'il s'agissait d'une concélébration et c'est pourquoi Mgr Elchinger a interdit aussi cette pratique qui a cessé en juin 1976.
Le même jour, *La Croix* (datée du 6 janvier -- A.E. XIII) publiait le communiqué suivant du P. Fihey, directeur du bureau de l'information de l'épiscopat :
« Il n'y a eu dans le diocèse de Strasbourg à l'église protestante Saint-Nicolas qu'une seule concélébration à la suite de laquelle Mgr Elchinger a fait connaître son désaccord formel. Il y a eu depuis des célébrations parallèles, conformes aux rubriques et prescriptions romaines sans partage de la table eucharistique. Pour éviter des confusions qui demeuraient possibles, l'évêque de Strasbourg a mis fin à ces célébrations. »
Je pensais que Mgr Elchinger répondrait à ma lettre, en s'adressant soit à *L'Aurore* soit à moi-même. Rien n'est venu. Le coup de téléphone au *Figaro* et le communiqué du P. Fihey étant de la nature de ces démentis qui équivalent à une confirmation, je n'insistai pas.
J'avais tort. Oralement ou par écrit, certains me posèrent la question : « Mais qu'en est-il exactement ? » Puis *L'Homme nouveau* du 16 janvier consacra une colonne entière de sa revue de presse, sous le titre « la polémique autour des fumées de Satan », à l'affaire des « messes œcuméniques ». La revue de presse, citant L'*Aurore*, *La Croix* et *Le Figaro*, était objective.
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Mais la dernière citation, faisant écho au communiqué de Mgr Elchinger de janvier 1977 (A.E. IX), était suivie de ces lignes du signataire de la revue de presse, « Saint-Gilles » :
Tous les chrétiens, catholiques et protestants, remercient Mgr Elchinger de cette déclaration ferme et paternelle. Elle met un terme à une succession d'inquiétudes qui auront, grâce à la loyauté de tous, contribué à restaurer la paix des âmes.
Je goûtai peu cette conclusion qui ne pouvait que porter les lecteurs de *L'Homme nouveau* à douter de l'exactitude de mes informations. J'écrivis à Marcel Clément pour confirmer ma « lettre ouverte » à Mgr Elchinger (A.E. XII) et y ajouter certaines précisions. La vieille amitié qui me lie à Marcel Clément m'interdisait d'invoquer le droit de réponse pour lui demander de publier ma lettre. Je me contentai de faire appel à sa loyauté. Hélas ! il n'a pas publié ma lettre.
Le 28 janvier *France catholique-Ecclesia* publiait le communiqué de Mgr Elchinger de janvier 1977 (A.E. IX) en le faisant précéder des lignes suivantes :
Il a été fait une mauvaise et pénible querelle à Mgr Elchinger -- à qui certains reprochent surtout (sans le dire) de n'avoir pas été le cheval de Troie de Mgr Lefebvre dans l'Église de France ! *L'Église en Alsace,* à propos de la Semaine de l'Unité 1977, publie le communiqué suivant : (...)
Je fus passablement éberlué à la lecture de ces lignes. J'interrogeai diverses personnes pour savoir à qui ou à quoi elles faisaient allusion en évoquant le rôle de cheval de Troie qu'aurait joué ou dû jouer Mgr Elchinger pour introduire Mgr Lefebvre dans l'Église de France. L'idée est si bouffonne que je n'arrive pas à lui donner un sens. Personne n'a pu me fournir là-dessus la moindre explication. Quant à la « mauvaise et pénible querelle » faite à l'évêque de Strasbourg, elle n'exprime que les sentiments de *France catholique-Ecclesia*.
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Au total ce qui me frappe dans l'attitude de *L'Homme nouveau* et de *France catholique-Ecclesia*, c'est leur complaisance à l'égard de Mgr Elchinger dans une affaire aussi grave. Ces deux publications ne sont ni modernistes ni progressistes. J'y compte des amis. Elles ont souvent d'excellents articles et je fais, quant à moi, mes délices de ceux d'Aimé Michel (dans *F c E*), même si je ne suis pas toujours d'accord avec son américanisme. La quasi-totalité de leurs lecteurs et la plupart de leurs collaborateurs seraient classés parmi les traditionalistes par leurs adversaires. Mais c'est un fait qu'elles traitent plus volontiers des questions morales, sociales et politiques que des questions touchant à la foi, notamment dans ses rapports avec la liturgie. C'est pourquoi Mgr Elchinger, dont la signature apparaît fréquemment dans *F c E*, est un de leurs évêques préférés. Les « messes œcuméniques » de Strasbourg leur paraissent évidemment péché véniel à côté de la messe de saint Pie V qu'on dit à Écône. C'est à des indices de ce genre qu'on mesure la profondeur de la crise actuelle de l'Église.
Quand, dans la traduction française du Credo, le « consubstantiel au Père » fut remplacé par « de même nature que le Père », Étienne Gilson sursauta. Il fit un article cinglant dans la *France catholique* du 2 juillet 1965 -- un article qui ne passerait plus dans *F c E* de 1977 -- parlant d' « avachissement de la pensée théologique ». Y réfléchissant de nouveau en 1967 dans son livre sur *La société de masse et sa culture*, il se fait une raison en se disant que ceux qui favorisent cette « monstruosité théologique » que serait l'abandon de la consubstantialité pensent qu' « *au fond cela n'a pas d'importance *»*.*
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C'est, je crois, l'explication la plus simple et la plus certaine de la « décomposition du catholicisme », stigmatisée par le P. Bouyer. Quand on ne veut plus connaître que la « Foi nue », tout ce qui est formule, forme, loi, rite devient sans importance ou ridicule. « Notre foi, disait Maritain dans *Le Paysan de la Garonne*, ayant ainsi dûment évacué tout objet spécifique, peut devenir enfin ce qu'elle était réellement, une simple aspiration sublimisante (...) Car avec tout ça on est plus chrétien que jamais. *Tout ce monde-là a simplement cessé de croire à la Vérité... *» (pp. 17-18). (Je n'inclus pas, bien sûr, dans « ce monde-là » les rédacteurs de *L'Homme nouveau* et de *F c E*, mais ils cèdent à son ambiance.)
#### Les sept « messes œcuméniques » de 1975-1976
Revenons à nos « messes œcuméniques »
Dans ma lettre ouverte à Mgr Elchinger (A.E. XIII) je disais que, sans parler des années précédentes, l'église (protestante) de Saint-Nicolas, à Strasbourg, avait été le théâtre de concélébrations catholico-protestantes, un samedi par mois, les 13 décembre 1975, 10 janvier, 14 février, 13 mars, 10 avril, 8 mai et 12 juin 1976 -- soit sept concélébrations.
Je le confirme.
Mgr Elchinger n'en reconnaît qu'une et qui aurait eu lieu à son insu.
Comme il ne donne aucune explication à son affirmation, je suis obligé d'en chercher une, ce qui n'est pas facile. Car ou bien c'est lui qui ment, ou moi -- et ce n'est pas moi -- ou bien il se livre à quelque interprétation casuistique, ce que j'incline à penser, mais de quelle façon ?
Voici la piste sur laquelle je m'aventure :
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Deux prêtres ont successivement concélébré avec un pasteur. Le premier, l'abbé St., a concélébré les deux premiers mois ; le second, le père Ch., a concélébré, les cinq mois suivants.
L'abbé St. appartient à la cathédrale de Strasbourg et est membre de la commission diocésaine pour les problèmes œcuméniques. A ce titre, il intéresse particulièrement l'évêque qui, le 22 janvier 1976, semble bien lui avoir interdit de continuer de concélébrer. C'est ce qui résulte, en tous cas, des faits et de communiqués différents et peu clairs publiés à l'époque (A.E. II et III). J'ai rendu compte de la première cérémonie dans le *Supplément-Voltigeur* du 15 janvier 1976 (A.E. I). Rappelons-en la partie centrale :
Deux hommes, assis au premier rang, se lèvent et montent à l'autel où ils se placent face au peuple. Ils sont en civil. L'un est pasteur, l'autre prêtre catholique.
Chacun a, en face de soi, une assiette remplie d'hosties et un gobelet rempli de vin.
« *Rendons grâces à Dieu ! *»
« *Hosanna ! Toi seul es saint ! *»
Chant.
Le prêtre catholique prend son assiette et la présente au peuple : « Voici le mémorial, le signe, le pain partagé pour la communauté dispersée, que nous mangerons pour recevoir son Esprit. »
A son tour, le pasteur lève son gobelet et présente le vin « qui sera le Vin du Bonheur éternel ».
Tout le monde récite le « Notre Père ». L'assemblée fait cercle autour de l'autel. Chacun des deux célébrants se communie dans son assiette et dans son gobelet. Ensuite ils passent les deux assiettes aux assistants, les invitant à servir chacun son voisin dans la main. Ils font également circuler les deux gobelets.
La seconde concélébration, celle du 10 janvier, fut du même genre, à des nuances près -- la liberté et la créativité n'étant pas plus exclues des « messes œcuméniques » que des messes simplement catholiques.
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Si donc Mgr Elchinger ne veut retenir que les concélébrations de *son* commissaire diocésain pour les problèmes œcuméniques, il y en eut *deux* et non pas *une seule* comme il le prétend.
Ces concélébrations ont-elles eu lieu *à son insu ?* Ce serait bien étonnant, pour les raisons que j'ai dites dans ma « lettre ouverte » (A.E. XII). Des messes œcuméniques avaient déjà été célébrées, à des dates diverses, en 1974 et 1975, manifestement pour tâter le terrain. Quand le terrain parut assuré, on passa aux messes régulières : une par mois. Elles furent annoncées et commencèrent en décembre 1975. Rien de clandestin. Dans les feuilles paroissiales on distinguait expressément les cérémonies œcuméniques mensuelles qui avaient lieu à la cathédrale *sans célébration eucharistique* et les cérémonies œcuméniques mensuelles qui avaient lieu *avec célébration eucharistique* à l'église (protestante) de Saint-Nicolas. Ces dernières, ouvertes à tous, étaient organisées en principe pour les foyers mixtes, qui les justifiaient en quelque sorte. Comment ces célébrations auraient-elles été ignorées de l'évêque ? C'est d'autant plus inconcevable que l'officiant catholique était l'abbé St., membre de la commission diocésaine pour les problèmes œcuméniques.
Ce qu'on peut imaginer, c'est que selon le procédé classique, Mgr Elchinger dit à l'abbé St., avant l'ouverture de la série des messes œcuméniques : « Vous savez, l'expérience est risquée. Allez-y ; mais je vous préviens : s'il y a une difficulté, je vous désavoue. » Il y eut une difficulté. L'abbé St. fut désavoué -- mollement, puisque les concélébrations œcuméniques continuèrent. Dans quelles conditions ? L'abbé St. céda la place au père Ch. Les cérémonies, selon les déclarations téléphoniques de Mgr Elchinger à M. Jean Bourdarias (A.E. XIII), « *n'étaient nullement des concélébrations, mais des célébrations bien distinctes où le prêtre catholique a communié ses fidèles et le pasteur les siens, où les rubriques ont été scrupuleusement observées *». Plus précis encore, l'imprudent P. Fihey déclare dans son communiqué (A.E. XIII) : « *Il y a eu, depuis, des célébrations parallèles, conformes aux rubriques et prescriptions romaines. *» (Pauvre P. Fihey ! Que vient-il faire dans cette galère ?)
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En réalité, les concélébrations continuèrent comme devant, à cette différence près que le prêtre et le pasteur prononçaient ensemble les paroles de la consécration (?) sur le pain et le vin, au lieu de les prononcer, l'un sur le pain, l'autre sur le vin. Est-ce cela que Mgr Elchinger appelle des « *célébrations bien distinctes *» et le P. Fihey des « *célébrations parallèles conformes aux rubriques et prescriptions romaines *» ? Bien entendu le prêtre et le pasteur étaient côte à côte derrière l'autel -- la table -- et face au peuple. Prières et chants étaient communs. Les lectures étaient dites, pour l'assemblée commune, par le prêtre, ou le pasteur, ou tel ou tel, catholique ou protestant. Le Credo était plus ou moins fantaisiste, ou bien il n'y avait pas de Credo. Les membres de l'assemblée communiaient d'un côté ou de l'autre « selon leur conscience ». (Et on peut supposer que les couples communiaient ensemble, alternant peut-être, d'un mois à l'autre, dans le choix du côté catholique ou protestant.) L'abbé St., qui n'officiait plus, assistait parfois à tout ou partie de la cérémonie. On le vit une fois aller communier du côté protestant, probablement pour mettre tout le monde à l'aise.
S'il s'agit là de « *célébrations bien distinctes *»*,* on se demande ce que sont des célébrations communes. Et s'il s'agit de « *célébrations parallèles conformes aux rubriques et prescriptions romaines *»*,* on demande à connaître ces rubriques et prescriptions. Jusqu'ici nous connaissions des rubriques et prescriptions pour les concélébrations catholiques, nous n'en connaissions pas pour les concélébrations œcuméniques.
Telle est la valeur exacte des conversations téléphoniques de Mgr Elchinger et des communiqués du P. Fihey.
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#### Un article du pasteur Appia
Ancien observateur du protestantisme à Vatican II, le pasteur Georges Appia est chargé, par la Fédération protestante de France, des relations avec le catholicisme. Dans un article de *Réforme* (15 janvier 1977) -- « Après les déclarations de Monseigneur Elchinger sur l'intercommunion » -- il loue l'évêque de Strasbourg de l'attention pastorale que celui-ci prête au problème des foyers mixtes.
Non seulement il s'est efforcé de comprendre leurs difficultés et parfois leur souffrance, mais il a pris en 1973 pour son diocèse une initiative hardie, acceptant que dans certains cas précis le conjoint protestant puisse participer à l'eucharistie, et même -- plus exceptionnellement -- que la réciproque puisse être autorisée. On sait le nombre et la violence des critiques qu'il s'est attirées en provenance de Rome, de l'épiscopat allemand et de certains de ses collègues français.
Nous connaissions l' « initiative hardie » de Mgr Elchinger, mais nous ignorions les critiques qu'elle lui avait values de la part de Rome, des évêques allemands et de certains évêques français. Critiques nombreuses et violentes, assure le pasteur Appia qui en sait là-dessus plus long que nous. Confessons notre étonnement ; car ce que nous apprenons par *Réforme*, nous aurions dû l'apprendre par la *Documentation catholique*. Et si ces critiques étaient nombreuses et violentes, on se demande comment Mgr Elchinger a pu autoriser les « messes œcuméniques » de 1975-76. Que s'il nous rétorquait qu'il ne les a pas « autorisées », au sens plein du mot, il ne les a pas empêchées, sous les formes successives qu'elles ont revêtues. Il y a là un mystère. Faut-il imaginer que s'il recevait des critiques nombreuses et violentes, il recevait, par d'autres voies, des encouragements précis émanant de puissants personnages romains et parisiens ?
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A la fin de son article, le pasteur Appia pose la question : « quelle peut être l'attitude protestante devant l'éventualité d'une concélébration ? ». Il répond :
Pour nous, la réponse ne sera pas disciplinaire. Disons simplement qu'il est, aujourd'hui, des cas privilégiés. L'accord spirituel de deux groupes ou d'une communauté interconfessionnelle peut être si profond que prêtre, pasteur et fidèles soient amenés à vivre un tel repas, non comme une transgression, mais comme une grâce, un signe prophétique du repas eschatologique où Christ rassemblera ses enfants dans l'Unité du Royaume.
Ces lignes sont parfaitement claires. En ne les situant pas dans une perspective « disciplinaire », le pasteur Appia envisage la possibilité de concélébrations œcuméniques autour de la seule idée du « repas » eucharistique. En laissant même de côté la question des ministères, comment un catholique, prêtre ou fidèle, pourrait-il trouver le sacrement de l'unité dans une cérémonie à laquelle il ne pourrait participer qu'en abandonnant sa foi au sacrifice ? Toute concélébration œcuménique se réduit aujourd'hui à une concélébration protestante.
#### De Mgr Elchinger au professeur Lienhard
Mgr Elchinger s'est expliqué à plusieurs reprises sur l'hospitalité eucharistique (communion du protestant chez les catholiques ou du catholique chez les protestants), l'intercommunion et l'intercélébration.
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Les deux documents principaux sont 1) les directives données par lui aux fidèles du diocèse de Strasbourg à propos de « l'hospitalité eucharistique pour les foyers mixtes » (30 novembre 1972), suivies de réflexions complémentaires (25 janvier 1973) dans la *Documentation catholique*, n° 1626, du 18 février 1973 ; 2) les réponses faites par lui aux questions de Michèle Léonard dans *Michèle Léonard interroge Mgr Léon-Arthur Elchinger* (Le Centurion, 1976).
Dans ses « directives » de 1972, Mgr Elchinger commence par donner la précision suivante pour n'y plus revenir :
Il importe d'abord de ne pas confondre hospitalité eucharistique avec Eucharistie commune ou intercélébration. Cette dernière a lieu lorsque la célébration eucharistique est présidée simultanément par des ministres de plusieurs Églises. Elle ne peut être envisagée ici parce qu'elle suppose un accord sur l'ordination, sur les ministères et sur le sens de leur intervention dans l'Eucharistie. Pour l'instant, un tel accord n'est ni acquis ni admis entre nos Églises. Aussi n'étudions-nous ici que les possibilités de ce qu'on appelle souvent « hospitalité eucharistique », c'est-à-dire l'admission occasionnelle d'un baptisé à l'Eucharistie célébrée par une autre Église que la sienne.
Ces lignes n'ont pas cinq ans. Elles en avaient trois lorsque commença la série mensuelle des sept « messes œcuméniques » de Strasbourg. Qu'on appelle celles-ci « concélébrations » ou « célébrations parallèles », elles sont bien de la nature de ce que Mgr Elchinger considère comme « Eucharistie commune ou intercélébration ». Alors, sa doctrine a-t-elle changé ?
Dans son dialogue avec Michèle Léonard Mgr Elchinger ne parle que de l'hospitalité eucharistique, mais dans des termes où tout est emmêlé :
... il n'y a pas que la présence réelle dans l'Eucharistie ; l'Eucharistie, c'est la célébration d'une communauté, que préside un ministre authentifié par son insertion dans la succession apostolique. Là, il faut voir ce que vaut cette succession apostolique. Mais cette célébration englobe de nombreux éléments.
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Les chrétiens, en communauté, y implorent le pardon, y rendent grâce à Dieu, ils lui rendent gloire, ils écoutent sa Parole, ils partagent avec leurs frères, ils célèbrent le mémorial de la mort et de la résurrection du Christ. Il y a tout cela. Alors, admettons même qu'il n'y ait pas la présence réelle, il y a tout le reste. Et qu'est-ce qui nous dit qu'il n'y a aucune présence du Christ ? qu'est-ce qui nous dit que, puisqu'ils acceptent par la communion que le Christ se saisisse de leur personne et de leur vie pour faire d'eux des membres de son corps, pour les intégrer à sa mission de réconciliation des hommes, qu'est-ce qui dit que rien ne se passe ? Nous ne pouvons pas le dire. C'est pourquoi les catholiques peuvent admettre l'existence de la réciprocité.
Une telle démarche ne saurait être évidemment qu'exceptionnelle, par « épikie ». Envisager des exceptions ne change pas la règle.
Bien mieux, les exceptions, comme chacun sait, confirment la règle. Résumant donc les principes de son attitude, Mgr Elchinger conclut :
Pour donner mes directives, j'ai observé les principes théologiques qui sont ceux des directives romaines. J'en ai simplement tiré, pour des cas exceptionnels, d'autres conclusions, c'est tout.
C'est tout... Commentant les « directives » de 1972, le professeur Lienhard, du Centre luthérien d'études œcuméniques de Strasbourg, se félicite que « pour la première fois en France » un évêque catholique reconnaisse que l'hospitalité eucharistique réciproque « pourrait être un geste vrai et significatif par lequel, sans mettre en question leur appartenance à leurs Églises respectives, les chrétiens catholiques et protestants manifesteraient dans le partage de l'eucharistie qu'ils sont précisément unis en ce Jésus-Christ qui se donne à nous dans la Cène ». Il nous rappelle, à cette occasion, la doctrine luthérienne (*D.C.*, 18 février 1973) :
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Luther a critiqué les abus pratiques et doctrinaux auxquels donnait lieu la sainte Cène au sein de l'Église romaine, notamment la pratique des messes privées, le refus de la communion sous les deux espèces, une certaine conception sacrificielle de la messe. Il n'y reconnaissait plus la Cène instituée par Jésus-Christ. Dans la mesure où les choses ont changé sur ce plan-là, dans l'Église romaine, on ne peut pas déconseiller d'emblée à des chrétiens protestants d'accepter, dans certains cas, l'hospitalité eucharistique catholique. De toute manière, l'attitude protestante ne pourrait être directive. Il s'agit de faire appel au discernement des chrétiens qui devront eux-mêmes prendre la décision s'ils peuvent reconnaître dans la liturgie et la pratique eucharistique d'une communauté donnée la Cène instituée par Jésus-Christ. Par ailleurs, on soulignera que Luther n'a jamais nié que l'Église une de Jésus-Christ était présente aussi, dans certaines conditions, dans l'Église de Rome comme elle l'était dans les Églises séparées de Rome. Sans doute insistait-il sur la purification de l'Église intervenue dans les Églises de la Réforme et qui permettait à l'Église de Jésus-Christ de s'y affirmer davantage que dans l'institution romaine en général. Pourtant, aucune Église ne pouvait, d'après lui, revendiquer le monopole d'être la véritable Église de Jésus-Christ.
Quant à l'admission de chrétiens non-protestants à l'eucharistie célébrée dans une église protestante, elle est possible et pratiquée depuis fort longtemps. Dans la mesure où un chrétien baptisé, membre communiant de son Église, peut entrer dans la démarche de foi sous-jacente à la Cène que nous célébrons, nous l'y admettons.
Le professeur Lienhard ajoute placidement : « Ce qu'il faudra éviter, c'est le confusionnisme. » Avouons qu'il contribue fortement à l'éviter.
#### L'opinion du cardinal Journet
Le cardinal Journet (décédé au printemps 1975) jouit d'un grand crédit dans les milieux catholiques par ailleurs favorables à l'action (dans son ensemble) de Mgr Elchinger.
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Ils prendront donc connaissance avec intérêt d'un texte que nous communique un lecteur. C'est un article consacré à « l'hospitalité eucharistique », daté du 17 janvier 1975, signé Charles Journet, et publié dans le n° 1 de janvier-mars 1975 de la revue *Nova et Vetera*. L'article est très court -- deux pages -- et d'une précision absolue. Le cardinal Journet pose deux questions : un catholique peut-il participer à la cène protestante ? un protestant peut-il participer à l'eucharistie catholique ?
A la première question, après avoir rappelé ce que sont la foi catholique et la foi protestante, il répond :
4\. Impossible pour un catholique de participer à la Cène protestante sans renier *objectivement et ouvertement la foi catholique.*
5\. Peut-il être *subjectivement* de bonne foi ? -- R. Nous nous trouvons en face d'une conscience *objectivement* et *gravement* erronée :
ou bien la responsabilité de l'erreur vient de *lui-même* -- ou bien la responsabilité de l'erreur vient de *ceux qui le conseillent ou l'approuvent.* Dans les deux cas, la foi catholique est, *en matière grave, reniée.*
Pour la deuxième question, le cardinal renvoie au *Directoire œcuménique* (D.C. 1967, col. 1075) et à l'*Instruction sur les cas d'admission* (D.C. 1972, p. 708). Les cas d'admission d'un protestant à l'eucharistie catholique sont exceptionnels.
Les cas exceptionnels envisagés par le *directoire* (D.C. 1967, n° 55) présupposent *toujours* la conformité de la foi à la foi de l'Église.
Et la *note du Secrétariat pour l'unité des chrétiens,* du 17 octobre 1973 (D.C. 1973, p. 1006) a tenu, pour redresser certaines déviations récentes, à la préciser « Cette foi ne se limite pas seulement à *l'affirmation de la* « *présence réelle *» *dans l'Eucharistie,* mais implique la doctrine eucharistique telle que l'enseigne l'Église catholique. »
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Or la foi de l'Église catholique est, qu'au moment de la consécration, le pain, dont ne subsistent que les « espèces » sensibles, est changé par miracle au corps du Christ qui, dans son Eucharistie, est adorable. Mais celui à qui la grâce a été donnée de partager une telle foi n'est déjà plus protestant. Il a tourné le dos à Luther et à Calvin.
Le cardinal Journet ne traite ici que de l'hospitalité eucharistique. A-t-il parlé ailleurs des intercélébrations, ou concélébrations, ou célébrations communes, ou célébrations parallèles ? Nous l'ignorons, mais nous ne le pensons pas. Si, en effet, il ne lui a fallu que deux pages pour régler la question de l'hospitalité eucharistique, deux lignes ou même deux mots lui auraient suffi pour celle des « messes œcuméniques » : inconcevable, et impossible.
#### La protestantisation de l'Église
L'affaire des « messes œcuméniques » de Strasbourg serait incompréhensible si on ne la situait pas dans le mouvement général de protestantisation qui, depuis le concile, affecte l'Église. L'œcuménisme justifie tout. Et comme les conversations « au sommet » iraient difficilement plus loin qu'elles n'ont été et qu'il en résulte un sentiment de piétinement, c'est à la « base » qu'il est demandé d'effectuer la relance. Les foyers mixtes sont tout désignés pour en être la cheville ouvrière ([^2]).
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Qui aurait le cœur d'empêcher ces foyers de communier ensemble dans des célébrations communes ? Va-t-on se laisser arrêter par des broutilles théologiques ou liturgiques alors qu'on a la même foi dans le Seigneur ? La lettre tue et l'esprit vivifie. Accueillons l'Esprit. C'est Taizé, beaucoup plus que Rome, qui est aujourd'hui mère et maîtresse de nos pensées et de nos actions. Mais nous serions mal venus d'opposer Rome à Taizé puisque de Rome pleuvent les bénédictions sur Taizé. Le caractère équivoque de la nouvelle messe favorise la confusion. N'en doutons pas : endoctrinés par les Bureaux, ou terrorisés par eux, un très grand nombre de prêtres et de fidèles considèrent que la célébration de la messe de saint Pie V est une action plus contraire à l'esprit, conciliaire que la célébration de « messes œcuméniques ». Ils absoudraient plus aisément Mgr Elchinger que Mgr Lefebvre. N'oublions pas que c'est au moment même où commençait la série des sept messes œcuméniques de Strasbourg que Mgr Etchegaray, nouvel élu à la présidence de la conférence épiscopale, écrivait aux protestants français réunis en assemblée générale :
...vous ne pouvez plus revendiquer le monopole de la Réforme si vous reconnaissez les sérieux efforts de renouveau biblique, doctrinal et pastoral entrepris par l'Église du Concile Vatican II (...) Il ne suffit plus de clarifier nos divergences ou de souligner nos convergences : nous devons tendre coûte que coûte à une unité organique dans une Église respectueuse des valeurs et des traditions particulières...
Coûte que coûte ? La messe, tout de même, c'est cher. On a beau se faire indulgent, accueillant, compréhensif, on ne peut s'empêcher d'entendre bourdonner en soi le mot terrible de Maritain que nous rappelions plus haut : « Tout ce monde-là a simplement cessé de croire à la Vérité. »
Louis Salleron.
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## ÉDITORIAL
### La pertinacité du cardinal
«* Garant de la foi catholique *»* ?\
Juridiquement exact, mais insuffisant :\
Il est à Paris le mauvais garant de la foi*
Assisté de l'abbé Louis Coache et de plusieurs autres prêtres, Mgr Ducaud-Bourget a fait occuper par les laïcs habituellement rassemblés autour d'eux l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, pour y installer la messe dite de S. Pie V et une adoration permanente du Saint-Sacrement exposé : jusqu'à ce que cette église ou une autre soit enfin laissée aux fidèles de la messe traditionnelle. Antoine Barrois raconte plus loin comment les choses se sont passées ; et il explique pourquoi elles se sont passées ainsi. Mgr Ducaud-Bourget et l'abbé Louis Coache, qui ont pris cette initiative légitime, en ont le mérite, l'honneur, la responsabilité, la direction. Naturellement, nous leur apportons tous notre soutien. Ceux qui le peuvent, par leur présence physique à Saint-Nicolas. Les autres, par leurs prières et (selon leur état) leurs pétitions, réclamations ou manifestations en union avec les prières et réclamations de Paris. ([^3])
*J. M*
ENCORE ET TOUJOURS LE CARDINAL MARTY. Quoi qu'il en soit de ses sentiments intimes, son comportement reste celui d'un ennemi sournois de la foi catholique. Sa malveillance envers la religion traditionnelle, sa dureté de cœur, son ankylose mentale n'ont finalement laissé d'autre issue aux « catholiques dits intégristes », comme il les nomme, rassemblés autour de Mgr Ducaud-Bourget et de l'abbé Coache, que d'occuper l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à partir du dimanche 27 février. La nouvelle religion vide les églises, les offre aux musulmans, ou à des mascarades, pitreries et spectacles variés, mais les refuse au culte catholique romain.
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A Paris et dans la région parisienne, des dizaines de milliers de fidèles assistent chaque dimanche, en divers lieux de fortune, à une vingtaine ou une trentaine de messes arbitrairement déclarées hors la loi -- parce qu'il s'agit de la MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE S. PIE V, la seule messe qui soit, sans équivoque et certainement, une messe catholique. Tous les actuels détenteurs de la succession apostolique, c'est-à-dire tous les évêques et le pape, ont été *ordonnés* pour célébrer cette messe-là ; ils la célébraient plus ou moins bien, mais c'est la seule qu'ils célébraient jusqu'en 1969. L'épiscopat français est coupable d'une trahison manifeste à l'égard de la messe, mais cette trahison faisait suite à une autre, une trahison antérieure, sa trahison à l'égard du catéchisme. Trahison persistante, obstinée, que machina le noyau dirigeant dont le cardinal Marty était en personne le chef visible. Trahison qu'il mit personnellement en œuvre dans son archidiocèse.
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Et voici qu'à l'occasion de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le cardinal-archevêque de Paris parle comme s'il avait encore une quelconque autorité morale parmi les catholiques.
Il faut donc lui rappeler pourquoi et comment il se fait qu'il n'en a plus.
Lui rappeler comment et pourquoi, le concernant, nous ne réclamons rien d'autre que sa rétractation publique ou sa destitution, la première n'excluant pas nécessairement la seconde. Nous les réclamons depuis des années. Cette réclamation est d'une nature telle qu'elle ne se périme point. La nouvelle témérité du cardinal Marty nous incite à la réitérer.
#### I. -- Les requêtes téméraires du cardinal Marty
En ce mois de mars 1977, la témérité nouvelle du cardinal Marty a été de lancer publiquement un « appel » trompeur à Mgr Ducaud-Bourget.
Le P. Hiret, porte-parole de l'archevêché pour les questions juridiques, a bien spécifié et confirmé le sens de cet « appel » (*La Croix* du 2 mars) :
« *Le sens de l'appel du cardinal Marty est de revenir à cet essentiel qu'est la foi catholique.* »
Si Mgr Ducaud-Bourget, si l'abbé Coache, si tous les prêtres et laïcs rassemblés autour d'eux sont invités à *revenir* à cet essentiel qu'est la foi catholique, c'est donc qu'on estime et qu'on prétend qu'ils l'avaient quitté ; qu'ils en étaient partis. Mais comment peut-on partir quand on ne bouge pas ?
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Les catholiques de Saint-Nicolas du Chardonnet demeurent fidèles à tout l'essentiel de ce que l'Église a fait et enseigné avant Vatican II. Ce faisant, ils se sont séparés de la foi selon le cardinal Marty. C'est que, pour le cardinal Marty, *le contenu essentiel de la foi réside maintenant dans les nouveautés de l'évolution conciliaire.* Ces nouveautés occasionnelles sont tenues pour aussi obligatoires et plus intéressantes que les dogmes, selon l'incroyable lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre (29 juin 1975) lui réclamant de reconnaître au concile Vatican II *autant d'autorité et plus d'importance* qu'au concile de Nicée. Nous tenons bien là une articulation décisive de l'évolution conciliaire ; l'une des plus révélatrices (l'autre étant l'article 7), quand on y réfléchit vraiment.
Le communiqué officiel du cardinal Marty et de ses auxiliaires (*La Croix* du 2 mars) a déclaré : « *Entre chrétiens est prioritaire la communion dans la foi *»*.* Il a précisé :
« Il ne s'agit pas d'une querelle à propos du latin. Il ne s'agit pas d'abord de la messe de saint Pie V. Il s'agit de la foi catholique elle-même. Nous demandons à ces catholiques de professer la foi de l'Église, d'accepter l'autorité du concile, de reconnaître la charge doctrinale et pastorale du pape Paul VI, de se vouloir en communion avec leur archevêque et leurs évêques. Entre autres, ils doivent reconnaître que les prières eucharistiques publiées sous l'autorité du saint-père ne sont en aucune manière équivoques ou proches de l'hérésie.
« Ces divers points ont été présentés en plusieurs occasions à M. l'abbé Ducaud-Bourget. Il ne les a jamais acceptés. »
Mgr Ducaud-Bourget n'a « jamais accepté » ces « divers points » : honneur à lui.
Car ces divers points sont truqués.
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Le principal truquage concerne la *profession de foi catholique.* Ce n'est pas Mgr Ducaud-Bourget qui est défaillant sur ce chapitre, c'est le cardinal Marty, de manière habituelle, depuis des années. Nous en avons ici fait et refait la preuve. Nous la produisons à nouveau, en annexe, dans tout son détail.
Ces requêtes de mars 1977, résumons leur supercherie :
1\. -- *Professer la foi de l'Église :* c'est l'épiscopat français qui ne la professe plus, principalement dans ses nouveaux catéchismes qui ne contiennent pas les connaissances nécessaires au salut.
2\. -- *Accepter l'autorité du concile :* quelle autorité ? de quelle nature ? de quel degré ? Cela précisément fait question. Il faut en effet rappeler, contre le cardinal Marty, que ce concile s'étant voulu et proclamé pastoral, non infaillible, il n'a donc pas le même degré d'autorité ni la même sorte d'importance que les conciles dogmatiques qui ont irréformablement défini ou explicité des points de foi. Refuser un concile dogmatique, c'est sortir de la communion catholique (comme le font tous ceux, prêtres et évêques, qui aujourd'hui refusent plus ou moins sournoisement, plus ou moins ouvertement, les définitions dogmatiques du concile de Trente) ; refuser Vatican II, c'est bien ou c'est mal, mais en tout cas ce n'est certainement pas sortir de la communion catholique, quoi qu'en prétendent les tromperies officielles. *Les décisions de Vatican II sont critiquables et réformables.* Il était devenu urgent de les critiquer, il est urgent de les réformer, ou de les abolir, car elles furent déplorables et sont aujourd'hui, dix ans après, jugées à leurs fruits.
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Ne pas accepter les innovations pastorales de Vatican II ne devrait en soi poser aucun problème de *communion dans la foi.* Cela n'en pose que dans la mesure où *une autre foi* s'avance masquée sous le couvert d'innovations proclamées simplement pastorales.
3\. -- *Reconnaître la charge pastorale et doctrinale du pape ? --* On la reconnaît. On ne conteste pas son pouvoir, le cardinal Marty le sait fort bien ; on conteste ses abus de pouvoir. On conteste par exemple son article 7, nous allons y revenir.
4\. -- *Se vouloir en communion avec l'archevêque et les évêques :* tous les catholiques de Saint-Nicolas espèrent et veulent cette communion. A condition pourtant que ce ne soit pas une communion dans n'importe quoi ; une communion dans la nouvelle religion. En communion avec les évêques, *non,* quand eux-mêmes manquent, de manière grave et habituelle, à l'acte extérieur de la foi, qui est justement la « profession de foi ». C'EST NOTRE PROFESSION DE FOI CATHOLIQUE QUI SE HEURTE A L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS ET QUI NOUS SÉPARE DE LUI.
5\. -- *Reconnaître que les prières eucharistiques publiées sous l'autorité du saint-père ne sont en aucune manière équivoques ou proches de l'hérésie :* cette requête est despotique ; elle impose, comme condition obligatoire de la communion catholique, une condition qui ne l'est point. Les prières inventées par Paul VI ne sont revêtues d'aucune garantie d'infaillibilité : pas plus que ne l'était son article 7 première version, dans l'esprit duquel elles ont été fabriquées. Qu'elles soient équivoques, c'est une évidence expérimentalement constatable, puisqu'elles sont acceptées, pour la cène protestante, par des protestants qui demeurent protestants.
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Mgr Ducaud-Bourget l'a pertinemment répondu au cardinal Marty : « Il ne m'est pas possible de signer que la nouvelle messe n'est pas équivoque, puisqu'elle peut être célébrée aussi bien par les protestants de l'Église anglicane et de la Confession d'Augsbourg que par les catholiques, chacun l'entendant dans un sens différent, ce qui est bien conforme à la définition du mot ÉQUIVOQUE. »
#### II. -- Les deux fautes du cardinal contre l'acte extérieur de la foi
Les deux plus grandes fautes connues du cardinal Marty contre la foi concernent l'une le catéchisme, l'autre la messe. Fautes commises avec tout l'épiscopat français, ce qui n'atténue la responsabilité personnelle d'aucun évêque en particulier. La faute contre le catéchisme est la plus radicale. En imposant depuis dix ans bientôt une catéchèse nouvelle qui ne transmet plus les connaissances nécessaires au salut, l'épiscopat français a perdu toute autorité morale en matière religieuse. Il s'est enfoncé dans l'endurcissement en osant enseigner de 1969 à 1976 qu'à la messe *il s'agit simplement de faire mémoire.* Le missel des dimanches, le nouveau missel épiscopal le plus répandu, de par l'autorité du cardinal Marty, dans le diocèse de Paris, était précisément celui qui enseignait comme *rappel de foi* que la messe n'est pas un sacrifice.
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Mais l'épiscopat français, cela aussi nous l'avons prouvé en son temps, manifeste dans ses rapports *doctrinaux* qu'il ne sait plus ce qu'est la doctrine de la foi ([^4]).
La foi est une vertu théologale infuse. Une *vertu,* c'est-à-dire une disposition permanente : disons une seconde nature, au sens où l'on dit que l'habitude en est une. Une vertu *théologale,* c'est-à-dire qui ordonne l'homme à Dieu, qui a Dieu même pour objet et qui repose sur la grâce de Dieu ([^5]). *Infuse,* c'est-à-dire don de Dieu et non résultat de l'effort humain ; donnée surnaturellement, elle grandit de même ; les vertus acquises s'accroissent par nos actes, la vertu infuse s'accroît par l'action de Dieu : mais non pas sans notre consentement ni notre concours ([^6]) : « je crois, mon Dieu, mais je vous demande d'augmenter ma foi ».
Cette vertu théologale infuse a un acte intérieur et un acte extérieur, l'un et l'autre nécessaires au salut éternel ([^7]). L'acte intérieur de la vertu de foi est l'acte de croire ; son acte extérieur est la profession ou confession de foi.
La profession de foi est obligatoire à la manière des préceptes positifs qui *non obligent ad semper etsi semper obligent :* ils obligent toujours mais non pas à tout moment ; ils obligent *pro loco et tempore et secundum alias circumstantias*, à l'endroit qu'il faut, à l'instant voulu, et selon les circonstances ([^8]). L'obligation de confesser la foi chrétienne est comme une dette qui n'est jamais effacée, mais qu'il convient d'honorer quand la situation le réclame ;
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non pas à tort et à travers, indistinctement en tout temps et en tout lieu : *confiteri fidem non semper nec in quolibet loco est de necessitate salutis : sed aliquo modo, et tempore quando scilicet per omissionem huiusmodi confessionis subtraheretur honor debitus Deo vel utilitas proximis impendenda* ([^9])*.* La confession de la foi est obligatoire dans tous les cas où son omission priverait Dieu d'un honneur qui lui est dû, ou frustrerait le prochain d'un bien qu'on doit lui procurer.
Même si les évêques français n'ont pas personnellement rédigé, la plume à la main, le « fonds obligatoire » d'où sont issus les nouveaux catéchismes, ils sont *au moins* coupables, en face d'eux, d'avoir manqué à l'acte extérieur de la foi. Et plus que tout autre le cardinal Marty.
Même si, comme il le semble, le prétendu « rappel de foi » enseignant qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire » a été enfin retiré du nouveau missel des fidèles, il ne l'a été qu'en 1976, et il l'a été subrepticement ; sans explication ni rétractation ([^10]). Ceux qui ont appris dans le missel des évêques un tel « rappel de foi » le conservent en leur âme et conscience, sans s'apercevoir qu'il n'est plus réitéré. Il n'est plus réitéré à la même place, mais le mouvement est lancé. La fausse doctrine reste accréditée et implantée. Le silence des évêques, celui du cardinal Marty plus que tout autre, est un manquement manifeste à l'acte extérieur de la foi.
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Réserve faite de leur situation canonique, que nous n'avons pas autorité pour juger, nous déclarons que nos évêques ont ainsi perdu tout titre moral à notre confiance en matière religieuse. Ils sont frappés de suspicion légitime :
#### III. -- Nouvelles lumières sur la persistance de l'article 7
L' « article 7 », on le sait, est le septième article de l'*Institutio generalis* publiée par Paul VI en 1969 comme « présentation générale » du nouveau missel. Il donnait de la messe une définition qui évacuait le sacrifice, la transsubstantiation, le sacerdoce. Protester que cet article 7 est inacceptable n'était nullement sortir de la communion catholique ni être rebelle au pape : c'était tout simplement dire la vérité. Paul VI en personne le reconnut, il signa et promulgua l'année suivante une nouvelle version, où notamment les articles 7, 48, 55 et 60 avaient été substantiellement corrigés.
Seulement cette correction a été inefficace, et c'est la première version qui reste la bonne dans l'Église postconciliaire.
C'est bien conformément à la première version de l'article 7 que le nouveau missel des évêques français a enseigné pendant six ans, comme rappel de foi, que la messe n'est plus un sacrifice et qu'à la messe il s'agit simplement de faire mémoire. Nous avons dit que ce soi-disant rappel de foi avait été subrepticement retiré en 1976, mais sans rétractation ni explication, ce qui fait que la doctrine de l'article 7 première version court toujours, installée au cœur de l'évolution conciliaire.
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D'ailleurs, de manière explicite, de manière officielle, c'est encore et toujours à la première version de l'article 7 que l'épiscopat continue de se référer aujourd'hui, ignorant la correction de 1970. Le « conseil permanent » (ou noyau dirigeant) de l'épiscopat français a publié le 8 décembre 1976 des « Précisions sur la célébration eucharistique » ([^11]). « *Nous invitons les pasteurs,* y est-il dit, *à relire les textes majeurs de la réforme pour y retrouver ses motifs, ses grandes orientations et les directives d'application. *» Et comme « texte majeur », le noyau dirigeant indique l'*Institutio generalis* ou présentation générale du nouveau missel, mais en spécifiant bien, Louis Salleron l'a remarqué ([^12]), qu'il faut la lire dans son édition de « février 1969 », dans sa première édition, non corrigée. L'article 7 première version demeure ainsi la *grande orientation* de la réforme liturgique selon l'épiscopat français.
#### IV. -- Par omission ou par imprécision l'épiscopat nous ment sur la « présence réelle »
Nous en avons pris acte plusieurs fois : depuis des années, malgré toutes nos réclamations, le cardinal Marty évite de confesser publiquement et précisément la foi catholique en l'eucharistie.
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Il n'est pas le seul ?
Sans doute. Mais cela ne justifie pas son silence.
Mgr Elchinger, lui, de Strasbourg, n'est pas silencieux, mais sa parole ne vaut pas mieux. Il entretient sur la « présence réelle » ([^13]) une équivoque qui est exactement celle de Taizé. Il professe que « les protestants n'ont pas conservé intégralement la réalité propre du mystère eucharistique » ([^14]), ce qui est affirmer qu'ils *ont conservé la réalité propre de ce* *mystère*, quoique non intégralement... Il admire que des protestants aient « une foi extraordinaire » en « la présence réelle obtenue par les paroles de l'institution » ([^15]) : cette « foi extraordinaire » en la présence, Mgr Elchinger de Strasbourg ne s'en aperçoit même pas, se manifeste là où il n'y a justement point présence eucharistique, les « paroles de l'institution » ayant été prononcées par un ministre qui n'a pas reçu le sacrement de l'ordre, et le pain et le vin étant restés du pain et du vin. Nous retrouvons ainsi la doctrine de l'article 7 première version, qui dit qu'à la messe s'applique éminemment la promesse du Christ : là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux. Cette présence promise est véritable. Elle est objet de foi. Mais elle n'est pas la présence eucharistique.
Les termes « présence réelle » ont deux sens, l'un théologique usuel, l'autre disons grammatical.
Au sens théologique usuel, c'est-à-dire consacré par un usage constant jusqu'à ces derniers temps, il s'agit de la doctrine catholique de la transsubstantiation.
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Au sens grammatical, il s'agit quasiment d'un pléonasme. Une « présence » est normalement réelle. Si elle était « irréelle », elle ne serait plus une présence, elle serait une absence ; ou à la rigueur on voudrait parler d'une présence « symbolique » ou « métaphorique » par opposition à « réelle ».
L'équivoque actuelle, celle de la nouvelle religion, celle de Taizé, est de ne pratiquement plus faire de distinction entre le sens grammatical et le sens théologique. C'est-à-dire que cette équivoque consiste à laisser supposer que si l'on professe une présence, c'est une présence réelle, et que si c'est une présence réelle, c'est sans doute la même chose que la présence réelle de la foi catholique.
Alors distinguons et précisons. Nous avons en commun avec la plupart des protestants la foi en la présence spirituelle du Christ annoncée par sa promesse : « Là où vous serez deux ou trois rassemblés en mon nom... » L'article 7 de 1969 ne parle *que* de cette présence spirituelle, en notant seulement qu'à la messe elle se réalise *eminenter*, « éminemment ». Cette présence spirituelle, est *une* présence réelle. Elle n'est pas *la même* que la présence réelle dans l'eucharistie.
Depuis au moins huit années, depuis l'institution d'une nouvelle messe, les évêques français, le cardinal Marty en tête, ont systématiquement refusé de sortir de l'équivoque. Sur l'eucharistie, ils ont systématiquement menti par omission, ou par imprécision calculée. A maintes reprises, et publiquement, nous les en avons accusés en face. Ils ont baissé la tête, ils ont détourné les yeux, ils ont esquivé leur devoir absolu de répondre par une explicite profession de foi catholique, nette et précise sur le point en question.
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Sur le point en question, la foi catholique réclame, impose, formule deux affirmations.
#### V. -- Les deux affirmations de la foi catholique
I. -- La présence réelle.
Pour la foi catholique, la présence réelle consiste en ceci : l'hostie, après la consécration, est le vrai Corps de Notre-Seigneur ; le vin, après la consécration, est le vrai Sang de Jésus-Christ. Après la consécration, il ne reste *rien* du pain et du vin, *sauf* leurs « espèces », leurs apparences, c'est-à-dire leur quantité et leurs qualités sensibles (comme la forme, la couleur, la saveur). Ce changement miraculeux est la transsubstantiation.
Cela est mystérieux : *mais simple.* Il est possible à tout moment, sans discours confus, contournés, insaisissables, en termes droits au contraire, et francs, et nets, -- ceux du catéchisme, -- d'affirmer sans équivoque sa foi catholique en la présence réelle telle que l'Église l'a définie.
II\. -- Le sacrifice
Pour la foi catholique, l'eucharistie, qui est un sacrement, n'est pas seulement un sacrement : elle est aussi un sacrifice ; et ce sacrifice est *substantiellement identique,* quoique de manière non sanglante, au sacrifice de la Croix, avec le même prêtre et la même victime.
Cela aussi est mystérieux : mais cela aussi est *simple.* A tout moment, dans les termes francs et nets qui sont ceux du catéchisme, il est possible d'affirmer sans équivoque sa foi catholique dans le saint sacrifice de la messe tel que l'Église l'a défini.
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Ces deux affirmations sont *absentes* du discours que tient la hiérarchie de l'Église conciliaire, absentes de sa nouvelle religion, absentes de son œcuménisme.
Au lieu de nous dire si on les accepte ou si on les refuse, c'est en *dehors d'elles* que l'on donne des « explications », que l'on propose des « dialogues » et que l'on cherches construire des « accords ».
Le préalable absolu, c'est que l'épiscopat français, c'est qu'à Paris le cardinal Marty *reviennent à l'affirmation explicite,* *qu'ils ont abandonnée, de la foi catholique.*
#### VI. -- Les deux équivoques de la nouvelle religion
Aux deux affirmations catholiques de la transsubstantiation et du saint sacrifice correspondent deux affirmations équivoques :
-- l'affirmation d'une présence réelle qui n'est pas la présence eucharistique ;
-- l'affirmation d'un sacrifice qui n'est pas le saint sacrifice de la messe
I. -- Une autre présence réelle.
C'est la présence spirituelle de Jésus-Christ au milieu de ceux qui sont rassemblés en son nom.
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Cette présence est réelle, elle est vraie, elle est de nature spirituelle, elle est professée par la foi catholique. Mais ce n'est pas seulement cette présence-là qui se réalise à la messe
Pour exprimer la foi catholique, l'affirmation grammaticale d'une présence réelle -- non précisée -- n'est pas suffisante.
II\. -- Un autre sacrifice
1\. -- Il ne suffit pas de dire que la messe est *un* sacrifice ; il ne suffit pas que certains des rites nouveaux comportent ici ou là le mot « sacrifice ».
Car les païens aussi offraient des sacrifices à Dieu. Dire que « la messe est un sacrifice » est vrai, mais n'est pas suffisant pour exprimer la foi catholique.
2\. -- Il ne suffit pas non plus de dire que la messe est *le sacrifice du Nouveau Testament.*
En effet, les protestants croient souvent au « sacrifice du Nouveau Testament » : mais ils sont en désaccord avec la foi catholique sur *ce qu'est* le sacrifice ainsi dénommé.
Dire que la messe « est et reste le sacrifice du Nouveau Testament », cela est vrai : mais cela n'est pas suffisant pour exprimer la foi catholique.
Comme les païens et comme les juifs, nous offrons un sacrifice à Dieu : *mais* c'est le sacrifice du Nouveau Testament.
Comme les protestants, nous offrons à Dieu le sacrifice du Nouveau Testament : *mais* nous l'offrons par le saint sacrifice de la messe qui est substantiellement le même que celui de la Croix, avec le même prêtre et la même victime.
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Il n'est nullement difficile aux évêques français de nous dire si, malgré les apparences contraires, malgré leurs missels et leurs catéchismes nouveaux, ils croient toujours à cela : mais, malgré nos réclamations, ils esquivent la question et ils évitent de le dire. Ils ne l'enseignent plus et ne le font plus enseigner. Ils ont interrompu ou laissé interrompre la transmission des connaissances nécessaires au salut.
Il n'était pas difficile aux promoteurs des rites nouveaux d'inclure (ou de laisser) dans les textes de la messe les affirmations catholiques, simples et nettes, concernant la présence et le sacrifice. Ils les ont atténuées ou supprimées. Nous le faisions observer ici en 1970 et nous ajoutions :
-- *Nous sommes ainsi plongés, pour le moins, dans une énorme et formidable équivoque, contre laquelle nous élevons des réclamations qui ne cesseront pas.*
Elles n'ont pas cessé.
En s'obstinant à n'y point répondre, les évêques français ont perdu, en matière religieuse, toute autorité morale.
#### VII. -- Un acharnement impitoyable ?
Dans son discours initial à l'assemblée plénière de Lourdes, le 25 octobre 1976, le nouveau président de la conférence épiscopale, Mgr Etchegaray de Marseille, a laissé échapper cette plainte :
« Certains nous poursuivent avec un acharnement impitoyable et souvent injuste, qui nous discrédite au lieu de nous aider. » ([^16])
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Il a donc bien senti le *discrédit* abyssal où se trouve l'épiscopat. Mais il l'attribue à l'acharnement supposé impitoyable de quelques méchants. En vérité ce qui discrédite les évêques, ce sont leurs paroles, leurs actes, leurs attitudes, tout leur comportement, et d'abord leur nouveau catéchisme, ou nouvelle catéchèse. S'il y a de notre part un « acharnement », c'est à retrouver, c'est à maintenir, c'est à transmettre sans eux et malgré eux les connaissances nécessaires au salut éternel.
Ces évêques français sont des misérables, et nous le leur avons dit, avec explications et démonstrations, c'est notre premier volume sur *L'Hérésie du XX^e^ siècle.* Mais nous ne nous acharnons pas contre leurs personnes, qui sont assurément pitoyables et que nous tenons bien pour telles. Nous ne pouvons plus croire qu'ils aient encore la foi, nous disait Henri Charlier ; et de fait nous constatons que tout se passe comme s'ils l'avaient perdue peu à peu, insensiblement, sans en avoir conscience. Mais est-il donc possible de perdre la foi par inadvertance ? Henri Charlier nous disait aussi, et nous le croyons comme lui, qu'ils ne sont pas tellement les auteurs mais surtout les victimes d'erreurs et de mensonges qui viennent de loin. Mais quelle épaisseur d'aveuglement, quel endurcissement du cœur, quel isolement dans un monde imaginaire, coupé des réalités naturelles et surnaturelles, ouvert seulement sur l'univers clos de la soi-disant information et de ses mythes idéologiques !
La plainte de Mgr Etchegaray avait en apparence quelque chose d'émouvant. Sur le coup nous avons eu l'intention de lui faire quelque réponse compatissante et mûrement pesée. Mais la suite de son discours ajoutait aussitôt : « Il nous faut beaucoup d'humour devant les reproches contradictoires qui nous sont faits : nos silences mis au compte de la faiblesse ou de la complicité, nos interventions taxées de peur ou de crispation. »
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Ah bon, il ne s'agissait que de cela. Nous allions nous laisser attendrir. Mais cet évêque, comme ses semblables, ne souffre que par l'épiderme de son individualité ; il ne ressent que les reproches qui visent son caractère, le plus ou le moins de crispation ou de peur, de faiblesse ou de complicité dont il pourrait être accusé. Il entend les appréciations sur son *moi* superficiel, sur sa psychologie subjective, il n'entend pas les réclamations qui concernent sa doctrine de la foi.
Écoutez-le : il parle comme s'il y croyait du « renouveau de l'Église sous l'impulsion du concile Vatican II », et même il y croit sans doute, le malheureux, il assure « Nous en sommes à la fois les artisans, les bénéficiaires et les témoins émerveillés. » Il vous le dit, messieurs-dames : émerveillé. Un évêque qui se déclare émerveillé par l'évolution conciliaire, par les nouveaux catéchismes et les rites nouveaux, n'a pas à se demander d'où lui vient le *discrédit* qui est le sien dans le peuple chrétien d'un bout à l'autre de la France et spécialement dans son diocèse de Marseille : il peut être sûr qu'il en est lui-même l'auteur principal. Il fait tout ce qu'il faut, écoutez encore :
« On imagine aisément ce que serait l'Église, prise dans les soubresauts contemporains, si elle n'était pas devenue, grâce à Vatican II, un peuple plus conscient de son unité et de sa mission évangélique, un peuple tout ruisselant de la parole de Dieu. »
Les neuf derniers mots sont une citation du P. Congar, choisie assurément dans le meilleur cru du meilleur millésime. Ce ruissellement, ce doit être aussi ce qu'ils racontent à Paul VI. Il faut bien lui raconter quelque chose de ce genre :
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Car enfin Paul VI, même dans l'hypothèse vraisemblable du « masdu », n'avait pas fait le concile, et la réforme, et l'article 7 et le reste dans l'intention de vider les églises mais au contraire de les remplir. Elles se vident pourtant. Et Mgr Etchegaray préside au désastre avec un émerveillement triomphaliste.
Pourquoi tant parler du successeur Etchegaray à propos du prédécesseur Marty ? Pour montrer que les personnes et leur succession n'ont guère d'importance à l'intérieur du système. C'est au système, non aux personnes, que nous en avons. C'est à leur religion, qui est une autre religion, issue de l'apostasie immanente.
Nos affirmations, nos réclamations, nos accusations ne sont pas gratuites. Nous redonnons aux pages suivantes les faits, les textes, les dates, les preuves. Et toute une bibliographie. Le cardinal Marty, l'épiscopat français n'y ont jamais rien répondu. Ils ne peuvent rien répondre. La seule réponse épiscopale et catholique serait la profession de foi explicite et précise sur le saint sacrifice et sur la présence réelle : la profession de foi que l'évolution conciliaire leur fait obligation d'esquiver.
J. M.
37:212
ANNEXE I
Le vrai suspect à Paris c'est le cardinal
• Janvier 1975
\[cf. It. 191-03-75, pp. 1-7.\]
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ANNEXE II
*La lettre au cardinal Marty*
Cette lettre a été envoyée à son destinataire le 26 janvier 1973. Elle a été publiée dans ITINÉRAIRES, numéro 171 de mars 1973. Elle n'a été suivie ni de réponse ni d'effet. Mais son existence suffit à montrer que, même averti, même accusé, le cardinal Marty a gravement manqué à l'acte extérieur de la foi, qui est aussi obligatoire que l'acte intérieur.
On verra plus loin par les « Explications publiées en même temps », que lorsque j'écrivais cette lettre au cardinal, je venais de découvrir la monstruosité du *Nouveau Missel* dans son édition de 1973. N'étant pas un utilisateur de cette sorte d'ouvrages, j'ignorais encore que le même « rappel de foi » figurait déjà dans l'édition de 1969-1970.
\[cf. It. 171-03-73, pp. 1-3.\]
48:212
ANNEXE III
*Explications publiées en même temps*
*En même temps que la lettre au cardinal Marty étaient publiés, dans le même numéro de mars 1973, les commentaires, les explications et les sommations que voici. Eux aussi restés, jusqu'ici, sans réponse et sans effet. Mais nous entendons les réitérer autant et aussi longtemps qu'il sera nécessaire.*
\[cf. It. 171-03-73, pp. 4-9.\]
56:212
ANNEXE IV
*Bibliographie\
sur le catéchisme et la messe*
*Nos affirmations sur la messe et sur le catéchisme ne sont pas des affirmations gratuites. Elles reposent sur un ensemble de travaux publiés depuis une dizaine d'années : en effet le nouveau catéchisme va sur ses dix ans, la nouvelle messe sur ses huit ans. En matière de catéchisme, notre effort principal a été de mettre ou remettre à la disposition des prêtres et des familles les ouvrages enseignant d'une manière sûre les connaissances nécessaires au salut.*
*Tous les livres, brochures et numéros spéciaux mentionnés dans cette bibliographie sont à commander à* « *Dominique Martin Morin *»*, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris ; téléphone : 288.30.94.*
\[...\]
67:212
## CHRONIQUES
68:212
### Saint-Nicolas occupé
par Antoine Barrois
Saint-Nicolas du Chardonnet est situé en plein cœur du Paris du Moyen Age, non loin de Notre-Dame, de la Sainte Chapelle et de la Sorbonne. Saint Albert le Grand a enseigné place Maubert, à deux pas de Saint-Nicolas. On dit que le nom de Maubert vient de la contraction de « Maître Albert ».
Pourquoi *du Chardonnet ?* Parce que l'église fut construite sur l'emplacement d'une chapelle, dédiée à saint Bernard, « sise dans le clos du Chardonnet près l'abbaye Saint-Victor ». Au Moyen Age on faisait pousser dans ce champ des chardons à foulon, ainsi nommés parce qu'ils servaient à carder la laine.
Dans le courant du XVII^e^ siècle, on commence la construction de l'église actuelle qui, faute de place, est orientée au nord. La façade définitive fut achevée il n'y a pas cinquante ans (vers 1930). L'édifice est de style jésuite.
Le peintre Le Brun, l'un des grands génies français, était paroissien de Saint-Nicolas, où il est enterré ainsi que sa mère. Il a dessiné les sculptures de la porte monumentale qui s'ouvre sur la rue des Bernardins. ([^17])
*A. B.*
L'ÉGLISE SAINT-NICOLAS DU CHARDONNET est occupée depuis la grand messe chantée après l'Angelus de midi, le premier dimanche de Carême. ([^18])
Le dimanche de la Quinquagésime et le mercredi des Cendres, les fidèles qui fréquentent la chapelle Sainte-Germaine et les messes célébrées à la Salle Wagram avaient été priés de se rendre, le plus nombreux possible, à la salle de la Mutualité, pour onze heures et demi, le dimanche suivant.
Considérant que, depuis plusieurs années, notre famille avait constamment bénéficié de la vie liturgique traditionnelle que Mgr Ducaud-Bourget et nombre de prêtres autour de lui ont maintenue à Paris, nous avions décidé de lui apporter notre concours.
Les habitués du Quartier latin et plus précisément de la montagne Sainte-Geneviève savent que l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet jouxte la Mutualité. Nul étonnement donc d'apercevoir, en arrivant, un attroupement à l'angle de la rue Saint-Victor et de la rue des Bernardins, devant Saint-Nicolas.
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Nous connaissions l'église de longue date. On y peut entrer par la rue des Bernardins à l'angle du boulevard Saint-Germain. On est alors à hauteur du maître autel, la chapelle du mariage de la Sainte Vierge à main gauche. En face exactement, une autre chapelle latérale est consacrée au Sacré-Cœur. C'est de cet endroit que nous avons assisté à la cérémonie qui se déroulait alors, puis participé à la grand messe catholique traditionnelle qui a suivi.
Les fidèles venus à l'appel de Mgr Ducaud-Bourget étaient déjà nombreux qui, arrivés à la Mutualité, avaient été renvoyés à Saint-Nicolas. Cette assistance silencieuse remplissait petit à petit l'église où plusieurs ministres officiaient ensemble selon le rite nouveau.
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Aucun remous, ni lors de la récitation du *Je crois en Dieu,* annoncé comme une prière traditionnelle de l'Église, non plus qu'au moment du *Notre-Père,* sauf que celui-ci fut récité, à dix voix contre une, comme il l'était autrefois. A la fin de l'assemblée dominicale qu'il présidait, l'un des officiants proposa aux frères venus là d'exprimer brièvement la raison de leur présence. Un laïc s'acquitta de la chose, avec foi et force, en rappelant notre attachement au rite millénaire de célébration de la messe qui nous vaut d'être chassés des églises, en expliquant pourquoi nous ne participions point aux assemblées nouvelles qui sont ambiguës, et en affirmant que nous étions unis à Mgr Lefebvre dans la foi catholique. Sur quoi on entonna avec une grande vigueur le Salve Regina. Ce chant achevé, quelqu'un de l'assemblée précédente entreprit de faire un compte rendu d'activités qui déclencha quelques rumeurs. La foule était alors considérable.
Comme l'organiste déchaînait le plus violent vacarme à l'aide de son instrument par nature bruyant, le chant du « Catholiques et français toujours » escortait mal à nos oreilles l'entrée en cortège des prêtres catholiques romains qu'on ne voyait pas encore. Ils arrivaient par le bas-côté droit, alors que les autres prêtres regagnaient la sacristie, certains fort troublés. Discret et efficace, le service d'ordre empêcha toute intervention des contestataires, laïcs ou clercs, au moment de l'entrée dans le chœur.
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L'émotion était grande de voir s'avancer, au milieu des fidèles rassemblés, le cortège triomphal. Plusieurs prêtres que nous ne connaissions que de vue, puis M. l'abbé Serralda et M. l'abbé Coache, précédaient M. l'abbé Juan sous-diacre, M. l'abbé de Fommervault diacre, Mgr Ducaud-Bourget célébrant.
Honneur à eux ! Honneur à ces prêtres de Jésus-Christ ! Honneur et gloire dans la vie éternelle ! à ces prêtres qui maintiennent avec un juste éclat et une salutaire dignité, la célébration de la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V.
En un tournemain, le maître autel est préparé pour la sainte messe. L'orgue tonitrue toujours. Au porte-voix, l'abbé Coache entonne un chapelet. La messe commence. Là-haut l'orgue se tait enfin. Le chant du *Kyrie eleison* s'envole, libre, et palpite, sonore, sous les voûtes consacrées.
Quel bonheur et quelle joie poignante. Nous prions dans une église, de la prière de l'Église, avec nos frères dans la foi. Nous prions que Dieu garde sa sainte Église. Qu'Il nous garde, nous autres qui agissons ainsi pour l'honneur de son Nom.
Après l'Évangile, en quelques mots, Mgr Ducaud-Bourget dit que c'est après avoir épuisé tous les recours auprès des autorités religieuses et civiles que l'audace est venue de procéder ainsi pour célébrer enfin la messe dans un lieu consacré. Il souligne que nous défendons l'honneur de Dieu, notre Sauveur et notre Seigneur. Il évoque sa grande joie de chanter la messe dans une église après six années d'exil. Il termine en exhortant les fidèles présents à prier le Saint-Esprit. Plus, il nous supplie de prier le Paraclet de toute notre âme afin qu'Il éclaire les esprits et les cœurs de tous. Puis entonne le Credo.
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Et tous nous chantons. La messe sainte, la messe antique, la messe vénérable, le saint sacrifice de la messe est offert à Dieu, pour son honneur, en un lieu qui lui appartient. Hosanna in excelsis !
La grand messe achevée, après un salut du Saint Sacrement où nous prions pour le pape Paul VI, M. l'abbé Coache annonce que, si les fidèles parisiens la gardent, cette église où la messe vient d'être dite sera désormais notre église. Et ce, tant que des lieux de culte, dignes de Dieu, ne nous auront pas été rendus, à nous qui sommes chassés de nos paroisses.
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C'est donc fait. A Paris, une église est occupée. Elle est certainement occupée par le Christ Jésus, notre Seigneur. Des messes certainement catholiques y sont célébrées. Les prières liturgiques traditionnelles y sont maintenues. Et nous la gardons.
Les vêpres dans l'après-midi, la messe du soir, comme la récitation du chapelet et des litanies, tout cela se passe paisiblement, joyeusement, chrétiennement. Au soir tombé, le chant des complies termine un premier jour et commence une première nuit. D'adoration. Le Christ, notre Sauveur, est adoré en toute vérité et certitude, sous l'apparence d'un peu de pain azyme enchâssé d'or, à l'autel majeur d'une église parisienne. La seconde personne de la Sainte Trinité, la Sagesse incréée, qui s'est livrée pour nous et pour notre salut, qui a tiré la substance de son corps et de son sang des entrailles de la Vierge Marie, est là. Certainement présente, solennellement présente, dans son palais. Qu'Elle occupe. Le Fils de l'Homme, celui-là même qui a marché par les collines de Palestine, que l'on disait être le fils de Joseph le charpentier, qui est mort sur la croix, qui le troisième jour a rebâti le temple de son corps, est là. Certainement présent, majestueusement présent, dans un temple fait de main d'homme. *Le Seigneur du temple est dans le temple du Seigneur.* Et nous l'adorons.
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Quand, en sortant de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, on traverse la place Maubert, on aperçoit, par-dessus les toits, la coupole de l'église Sainte-Geneviève, patronne de Paris.
Cette église n'a point cessé de passer des mains des partisans de l'Adversaire aux mains des enfants de Dieu. Elle est à peine achevée que la Révolution en fait son Panthéon. Rendue au culte par Louis XVIII, Louis-Philippe la prostitue en Temple de la Gloire. Rendue au culte par Napoléon III, la Troisième République s'en empare à l'occasion des funérailles de Victor Hugo. Les régimes qui ont suivi ont conservé le Panthéon dans leur héritage. Mais en vérité, ce lieu est l'église de la patronne des Parisiens. Et l'église Saint-Nicolas est à ses pieds.
Un jour, s'il plaît à Dieu, nous lui rendrons son église Sainte-Geneviève pour qu'Il l'occupe.
Antoine Barrois.
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### Maintenant, c'est du rat que nous descendons
par Hugues Kéraly
« Au commencement était le Rat, et le Rat était comme un sommet de l'Évolution, le Rat était vraiment chez lui dans l'Évolution. Il se trouvait inscrit depuis toujours dans les plans secrets de l'Évolution. Toutes les espèces ultérieures sont sorties de lui, et rien de ce qui a survécu n'a survécu sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des espèces ; et cette lumière brille dans les ténèbres de la soupe primitive, mais les ténèbres ne l'ont pas empêché de croître et de prospérer.
« Il y eut une cellule, envoyée par l'Évolution, qui s'appelait Amibe. Elle apparut comme témoin pour proclamer sa foi en l'Évolution, afin que tous dans la savane crussent ce qu'elle annonçait. Elle-même n'avait encore presque rien d'humain, mais elle devait rendre témoignage à l'humanité.
« L'humanité véritable, c'était le Rat, dont procède tout homme qui vient en ce monde. Le Rat est venu dans notre savane, la savane était comme l'œuvre de ses dents, et la savane ne l'a pas reconnu. Il était là chez lui, et les espèces alors au pouvoir ne l'ont pas reçu, cherchant même toutes les occasions de le dévorer. Mais aux autres bestioles ou animalcules qui le laissaient en paix, le Rat a donné l'assurance de devenir enfants privilégiés de l'Évolution -- oui, tous ceux qui croyaient en ses chances de suivie, et qui ne sont pas nés des mains ni de la volonté d'un dieu, mais de l'Évolution même. ET LE RAT S'EST FAIT HOMME, tout en continuant de prospérer dans nos caves et dans nos égouts ; mais nous avons vu la gloire qu'il tient de l'Évolution des espèces, nous savons aujourd'hui ses trésors de sagesse et d'abnégation. »
(*On répond :* « Rendons grâces à l'Évolution. »)
*Société Libérale Avancée, an III -- Décret conjoint* des *Ministères de l'Éducation et de la Culture sur les prières à réciter en famille, ou après la classe.*
76:212
QUI VOUS A CRÉÉ ? Dans l'Église de Dieu, avec l'apprentissage du signe de la croix, la question des origines est le point d'ancrage initial de toute l'éducation des enfants, et la plus féconde pour l'éveil à la grâce des connaissances nécessaires au salut : le premier pas, la première page du catéchisme, tellement essentielle à tout ce qui va suivre qu'elle commence dès le berceau. Le petit chrétien est celui qui s'instruit dans la foi des parents du mystère de sa propre filiation divine, comme de la vocation qui en découle, avant même de savoir habiller son nounours ou compter jusqu'à trois.
Le parti au pouvoir dans l'Église conciliaire a brisé tout cela. Le Dieu d'Abraham et de Jacob, le Père éternel et tout-puissant qui sort l'humanité du limon de la terre, créant toute âme unique et spirituelle, comme partie prenante de sa divinité, et qui appelle chacun de ses fils à rejoindre le royaume préparé pour lui dans l'éternité -- ce Dieu-là, seul vivant et véritable, n'entre plus dans l'univers mental des nouveaux « catéchismes ». On l'a relégué avec les saints et les anges dans les nuées d'une transcendance proto-historique, étrangère à l'humain, où les plus généreux acceptent de le laisser en paix. Selon la meilleure hypothèse, c'est la Démocratie, l'O.N.U., la F.A.O. et le Tiers-Monde qui occupent aujourd'hui dans le discours clérical la place vacante du Créateur ; selon la pire, Marx, Freud et la révolution sexuelle. Mais dans tous les cas, grâce au collapsus de l'Église enseignante, le chrétien est lâché dans le monde sans avoir eu l'occasion ni les moyens d'apercevoir le mystère central de sa religion : qu'il sort des mains de Dieu, que toute la grandeur de sa foi est d'y faire retour, corps et âme, et toute la malice du monde, de l'en empêcher.
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Le catéchisme libéral avancé est au pouvoir dans l'Église de France depuis bientôt vingt et un ans. Cela signifie qu'une génération entière de croyants sociologiques ne sait plus elle-même spontanément, et n'enseignera pas aux siens, les vérités contenues dans le Credo, le Pater et le décalogue. A commencer par le récit de la Création, et la lumière grandiose du premier matin, sujet d'inépuisables rigolades chez nos nouveaux curés. -- Ce n'est peut-être pas coïncidence, donc, si la Société Libérale Avancée en profite pour consacrer officiellement dans l'État sa réponse à la question des origines. Une réponse qui d'ailleurs n'a rien de « libérale », puisque l'école publique obligatoire prend sur elle d'y mener les enfants, en rang par quatre, dans le cadre de l'égalisation giscardienne des niveaux de connaissance et de culture à travers tout le pays... Question : « Qui vous a *créés 7 *» Réponse : « *L'Évolution, c'est-à-dire : la soupe primitive, l'amibe, notre père le rat, ses héritiers babouins, macaques, gibbons, le cousin gorille, le frère yeti, la station debout, la taille des outils et la découverte du feu. *»
Ceux qui n'auraient pas lu *Paris-Match,* ni *Le Nouvel Obs, Le Point. L'Express, Valeurs actuelles,* ou seulement leur quotidien habituel, et qui en outre se seraient abstenus depuis plusieurs mois de radio et de télévision, pourraient penser que je sollicite et caricature ici à plaisir les positions de la République. Les autres savent hélas que nous n'inventons rien, en pastichant ainsi, sous forme de catéchisme, la lecture désormais officielle de la Genèse en territoire français : pour les princes qui nous gouvernent, et toutes les puissances fabricatrices d'opinion, de la gauche à la « droite », nous sortons du rat, *via* le gorille et sa guenon. Tel est le nouveau fonds patriotique obligatoire, en l'an III de la Société Libérale Avancée.
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Pour les petits privilégiés de l'agglomération parisienne, la cérémonie initiatique a lieu au Musée de l'Homme, premier étage, exposition Coppens sur les origines ([^19]).
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Le visiteur est prévenu d'entrée que le Président de la République, le Ministre de l'Éducation, les Secrétaires d'État à la Culture et aux Universités, le C.N.R.S., l'Institut, le Collège de France, le Muséum National d'Histoire Naturelle, les familles Rothschild, Béraud-Villars et Rohan-Chabot, bref tout ce que la nation et la science comptent comme autorités, apporte son patronage à cette exposition. Mais pour les enfants, répétons-le, le prestige et l'autorité de la découverte ne se discute pas, puisque c'est le professeur d'histoire naturelle qui les y conduit par classes entières, comme à un véritable sacrement. Ce formidable attentat à la foi et à la liberté spirituelle des millions de petits chrétiens, juifs ou musulmans scolarisés par l'État semble n'avoir soulevé l'indignation de personne. -- Mais qu'y faire, si les Églises elles-mêmes ne bronchent point ? si les chroniqueurs et les écrivains religieux se félicitent tout haut de cette nouvelle parenté, qui les libère enfin d'avoir à compter avec le Père céleste et tout-puissant ?
Donc, au Musée de l'Homme, premier étage, à la porte du temple où se trouvent enchâssées les reliques de nos grands ancêtres -- rats, macaques ou gibbons --, un savant dispositif de tableaux majusculaires vient instruire le visiteur des articles de foi et autres préambules catéchétiques imposés par la nouvelle religion.
D'abord le postulat, sans appel, qui consacre définitivement l'hypothèse transformiste, exclut d'avance tout impératif de vérification, et donne au reste force de loi :
« La théorie de l'Évolution relie toute une série de faits certains, et se présente comme si tous les êtres vivants étaient issus d'une immense chaîne de transformations, dans un sens de complication croissante. Après avoir suscité des controverses et des luttes vives, *elle ne peut plus, dans son ensemble, être contestée.*
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Les structures anatomiques humaines et ses composantes physiologiques sont la suite de structures animales analogues. »
Dr Robert GESSAIN, professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, directeur du Laboratoire d'Anthropologie du Musée de l'Homme.
Suit le développement des principales thèses annexes, qui fourniront autant de vues plongeantes sur le long parcours de l'humanité, et comme le plan de toute l'exposition.
« Cette exposition se propose de suivre l'évolution du groupe des primates avec lequel l'homme a été classé, et de raconter l'histoire des 70 derniers millions d'années pour le voir, petit à petit, émerger (...)
« Une préface de 30 millions d'années présente les premiers et par suite les plus primitifs des primates, les prosimiens.
« Une introduction décrit brièvement il y a 30 ou 40 millions d'années les premiers de leurs descendants, souche des simiens de l'ancien monde dont l'homme fait partie du point de vue de la systématique.
« Un premier chapitre, le choix, montre comment dès 30 millions d'années avant nos jours, se différencient les grands groupes de simiens que l'on connaît aujourd'hui, les babouins et les macaques, les gibbons, les chimpanzés et les gorilles, et peut-être les hommes. Ce sont les premiers primates à avoir 32 dents comme homme.
« Un deuxième chapitre, le *redressement,* esquisse la silhouette des tout premiers simiens : la famille des hommes, les hominidés, conquérants de la savane, inventeurs de la marche bipède et utilisateurs possibles des premiers outils, il y a 10 ou 20 millions d'années (*sic :* « 10 *ou* 20 »).
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« Un troisième chapitre montre leurs descendants, les australopithèques, apparaître en Afrique il y a quelque 7 millions d'années, croître en taille et en volume cérébral et commencer a tailler la pierre et l'os vers 3 millions d'années. De l'un d'entre eux naîtra en Afrique vers 4 millions d'années l'homme, le genre Homo, sous les traits d'une première espèce, Homo habilis*,* se distinguant des australopithèques par une station plus droite, une denture plus omnivore et surtout un cerveau beaucoup plus gros.
« Un quatrième chapitre nous fera assister à la sortie du continent africain du genre Homo sous les traits d'une espèce plus évoluée, *Homo erectus*, religieux et inventeur du feu.
« Un cinquième chapitre montre l'apparition de l'espèce *Homo sapiens* que nous sommes aujourd'hui, en passant par le curieux homme de Néandertal, à la fois très proche de nous dans son âge et dans son anatomie, et cependant très particulier. »
(*Signé du même*.)
Enfin, pour les quelques malheureux que la tradition orale ou écrite aurait prévenus dès l'enfance d'une autre idée des origines, on avertit charitablement :
« Définir l'homme sur le plan zoologique, au sein de l'ordre des primates, en tant que forme particulière de ceux-ci ayant conduit à la station érigée, à l'intelligence, au langage et au raisonnement conceptuel, suppose un divorce inéluctable avec les traditions religieuses. Admettre une hominisation des caractères physiques comme étant le support biologique de la conscience et de la réflexion, c'est nécessairement passer par l'abandon du concept de la sublimation de l'homme en tant qu'émanation directe de l'image divine. Considérer l'homme comme une créature exceptionnelle distincte du règne animal est totalement incompatible avec toute possibilité d'une évolution.
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« Un tel dualisme entre les traditions religieuses et les exigences de la méthode scientifique *a cessé désormais d'être le théâtre d'oppositions et de luttes ;* il a toutefois retenti au cours des siècles passés sur le cheminement de la pensée et sur les théories concernant notre évolution. Les idées relatives à l'histoire des ancêtres de l'homme ont traversé plusieurs étapes successives avant de franchir les barrières de l'incrédulité. »
Jean-Louis HEIM, maître-assistant au Laboratoire d'Anthropologie du Muséum National d'Histoire Naturelle. ([^20])
Ayant médité tout cela, y compris l'incroyable mensonge sur le consensus unanime de l'Évolution, le visiteur est enfin admis à la contemplation des vitrines, dont nous n'aurons pas la cruauté de décrire plus avant le contenu. Il s'agit d'une galerie d'ancêtres, ne l'oubliez pas : certaines images, qu'on ne s'étonne point de retrouver vivantes au pavillon des locataires poilus de Vincennes, ou du Jardin des Plantes, frisent ici l'intolérable, même sur le papier. Par ailleurs, la plupart des documents présentés au public, éclats minuscules de mâchoires ou de cailloux, restent suffisamment abstraits pour ne prêter ni aux débordements de l'enthousiasme, ni aux démangeaisons de la critique.
La seule vitrine vraiment courue, quand j'y suis passé, était celle du *Purgatorius,* le fameux petit rat qui fit reculer à lui seul de 50 millions d'années l'enquête sur nos origines. Au passage, je m'empresse de faire observer au lecteur que toutes les datations sont là pour la frime, c'est-à-dire pour la vraisemblance du postulat évolutionniste, et ne reposent sur rien de « scientifiquement » établi : en effet, la seule méthode de datation absolue des restes fossiles est celle qui consiste à mesurer le degré de désintégration des substances radioactives contenues dans les restes de la matière vivante elle-même (carbone 14), ou sur le terrain de sa découverte ;
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or, les possibilités de ce dosage au radio-carbone *s'estompent* au-delà de 30 à 40.000 ans ([^21]) ; l'ensemble des dates indiquées tout à l'heure à propos des grandes étapes de notre « formation » (« *il y a 10 ou 20 millions d'années *», par exemple) doivent donc être tenues pour des extrapolations purement hypothétiques, destinées à faciliter l'intelligence du scénario, et qu'une science moins orgueilleuse n'aurait pas hésité à présenter comme telles. Mais ce n'est là qu'un moindre mensonge. Le plus grave est de nous imposer comme scientifiquement établi, dans un musée national, cette interminable mise en dogmes de... chaînons manquants et de points d'interrogations. Et le plus criminel, le plus lourd aussi de conséquences, d'y aliéner par classes entières l'intelligence et l'imagination des enfants.
Mais revenons à notre père le rat. La vitrine expose 13 éclats d'ivoire isolés, microscopiques, qu'elle nous dit appartenir à 13 dents d'un même animal, de la famille des prosimiens. Or, que nous apprend le catalogue à ce sujet ? Presque rien : que ces restes fossiles ont été découverts en Amérique du Nord, dans le Montana, et que la science les attribue à un animal nommé *Purgatorius* parce qu'ils proviennent d'un gisement au nom prédestiné, la colline du Purgatoire. Nous savons bien, depuis l'os de Cuvier, que c'est la passion et parfois le grand art des meilleurs paléontologues, de nous reconstituer le squelette, la physionomie et jusqu'au menu habituel de n'importe quel individu préhistorique en partant d'un bout de prémolaire ou de métacarpien... Que les dents du *Purgatorius*, donc, aient appartenu en effet à un petit mammifère très ancien, quoi de plus probable ? Que ce mammifère ait fourni à son époque l'équivalent arboricole et insectivore d'un rat d'égout parisien, c'est bien possible, et en tout cas indifférent.
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Que cette préfiguration de toute la famille *rattus* ait vécu il y a 70 millions d'années, c'est déjà de la préhistoire-fiction ; on peut bien s'amuser à l'admettre, sans faire injure à la science ni à la création, à condition de préciser qu'il ne s'agit pas ici de fournir un fait ni une date, mais de fixer une imagination. Cependant, que tous les mammifères connus du monde animal et spécialement humain, de l'orang-outang au poney de Shetland, des Aztèques aux Burgondes, et d'Héraclite à saint Thomas, soient consacrés rejetons de ce primate arboricole à cervelle et dentition de rat, voilà qui passe réellement les bornes de la décence et de la simple courtoisie !
Où s'arrêtera la mégalomanie matérialiste des politiques et des savants ? Qu'ils descendent donc du ver ou du cafard, eux, s'ils ne discernent plus ce qu'est un homme, et tiennent à se faire bêtes absolument. Ne voit-on pas déjà, dans leurs appétits, leurs obsessions, quelques signes avant-coureurs qu'ils sont en train d'y retourner ? Mais qu'on précise bien haut à la face du monde, en ce cas, que nous ne parlons pas pour les mêmes familles : qu'entre leurs « ancêtres » et les nôtres, il y a tout l'abîme qui sépare les merveilles du pont Marie, de la place des Vosges, du chevet de Notre-Dame, et les millions de crottes accumulées chaque jour par des millions de rats, dans le parcours souterrain Élysée-Concorde-Palais de Chaillot... Non qu'on revendiquerait ici une préférence généalogique, plus flatteuse pour l'imagination. C'est une question de foi. Elle ne se discute pas : nous ne pourrions plus seulement respirer hors de cette conviction.
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Néanmoins, dira-t-on, qu'est-ce qui s'oppose dans le principe à la théorie de l'évolution des espèces ? La réponse est facile : tout. La foi et la science. Le bon sens et l'observation. La critique interne et la critique externe. L'appareil scientifique proprement dit a déjà été développé dans ITINÉRAIRES, numéro 165 de juillet-août 1972, pages 1 à 135, à propos du grand livre d'Étienne Gilson sur l'évolution ([^22]).
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Nous sommes revenu nous-même sur la question avec Georges Salet qui, faisant le point des nouveautés introduites depuis vingt ans par la biologie moléculaire, conclut à « l'impossibilité cosmique » de l'apparition au hasard, chez une espèce quelconque, *d'un seul* dispositif nouveau : « Compte tenu de l'extraordinaire complexité moléculaire de la moindre cellule vivante, écrivions-nous, la macro-évolution biologique postulée dans l'hypothèse transformiste aurait eu à peu près autant de chances de se réaliser que M. Dupont en a de toucher le tiercé dans l'ordre, tous les jours et pendant toute sa vie, en prenant à chaque fois un unique billet... C'est vraiment bien peu, pour continuer d'y voir autre chose qu'une fumée ! » ([^23])
Georges Salet est le seul à avoir posé en termes scientifiques la question du temps nécessaire à l'Évolution, et à y porter réponse, en fonction des lois certaines du calcul des probabilités : « La durée des périodes géologiques devrait être multipliée par 10 *suivi de plusieurs centaines ou milliers de zéros,* au moins, pour permettre l'apparition d'un organe nouveau, si modeste soit-il. » ([^24]) Les soixante-dix millions d'années qui, selon le mythe Coppens, sépareraient le Purgatorius de l'homo sapiens, ne présentent pas la moindre apparence de vérité scientifique. Mais voilà que ce mensonge même n'avance à rien, puisque soixante-dix millions d'années, d'après les découvertes de la biologie moléculaire, *ne suffisent pas* au rat pour acquérir un seul des caractères physiologiques nouveaux qui le séparent de la station debout, pour ne rien dire du mystère plus insoluble encore des acquisitions mentales.
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Mais à quoi bon multiplier les questions, quand la République et la Science ont décrété qu'elles ne s'en posaient plus ? Il n'est pas bien difficile d'apercevoir que la paléontologie contemporaine se développe comme une métaphysique à l'envers, qui part du but à atteindre, pour y subordonner tant bien que mal ses microscopiques observations. L'évolution des espèces n'existe que dans la volonté de puissance des chercheurs. Ils s'y donnent à bon compte l'illusion de refaire un monde dont le mystère les irrite, parce qu'il les dépasse. La démonstration de leur incapacité à s'élever au niveau des vrais problèmes de la vie a été faite sur tous les plans de la recherche scientifique : de la biologie, de la géologie, de la philosophie, du calcul mathématique. Elle ne convaincra pas les victimes innombrables de la propagande évolutionniste, fondée sur la plus vieille tentation du monde, qui est de se proclamer Dieu, et aujourd'hui érigée en religion de l'État, à grand renfort de radio-télé.
Le mythe de l'évolution des espèces suit un destin parallèle à celui de l'idéologie communiste. On ne l'empêchera pas de tout dévaster. Car, dans un cas comme dans l'autre, jamais l'histoire des idées n'en avait engendré d'aussi sacrilège, inhumaine, malodorante, et qui progresse dans le monde avec tant de facilité. Tout de même, pour y croire, il faut avoir le cœur bien mal placé.
Hugues Kéraly.
86:212
### La famille-usine
par Louis Salleron
DANS UNE ÉMISSION télévisée, en février dernier, Abellio disait, incidemment, que la société dans laquelle nous vivons est peut-être la plus « pourrie » que l'Histoire ait connue. Il le disait sans provocation, sans pessimisme, sans amertume, comme un fait irrécusable qu'on ne peut qu'enregistrer. Son jugement m'a fait plaisir parce que j'en ai conclu que nous étions très modérés dans les nôtres et qu'on serait mal fondé à nous accuser de voir les choses en noir.
Il serait difficile d'imaginer qu'une société pourrie puisse s'accommoder d'une famille saine. Les apparences ne doivent pas dissimuler la réalité. Tant qu'il y aura des géniteurs et des engendrés et quelques liens de fait ou de sentiment entre les uns et les autres, on pourra toujours plaider que la famille existe et même qu'elle se porte bien. A quoi l'on s'emploie abondamment, sans doute pour conjurer le destin.
On n'en finirait pourtant pas d'accumuler les signes de la dissolution de la famille, à commencer par le plus éclatant d'entre eux qui est la perte de la notion même de famille. L'Église (de France) n'est hélas ! pas en retard dans la course à l'abandon de l'institution familiale, tout en se laissant devancer par « l'aile marchante » des meilleurs de ses enfants. Dans « Spécial-dimanche » du 26 décembre 1976, la fête de « la sainte famille » suggère à Charles Wackenheim les propos suivants :
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« L'épisode de Jésus enfant retrouvé dans le temple annonce un trait de sa personnalité adulte que les évangélistes attestent de plusieurs manières : Jésus marque une indéniable réticence à l'égard de l'institution familiale. -- Alors qu'il exalte la vocation du couple, Jésus multiplie les mises en garde à l'adresse du groupe familial (entendu au sens large alors habituel), sans en excepter sa propre parenté (...). C'est pourquoi il paraît aventureux de parler d'un idéal chrétien de la famille... »
Ne nous aventurons pas...
Dans *Le Figaro* des 12-13 février, M. Jacques Bichot, maître-assistant à l'Université Lyon 1 publie un « Plaidoyer pour une économie de la famille ». Ne vous réjouissez pas trop vite et, si vous n'avez pas le temps de lire l'article, contentez-vous du dessin de Piem qui l'illustre fort bien : une usine, avec le nom de l'entreprise, « MATERNITÉ S. A ».
Mieux vaut lire tout de même :
« Nous ne devons pas hésiter à analyser la fonction parentale en termes de métier et de production. Le père et la mère de famille exercent un véritable métier, assumant plusieurs des fonctions observables au sein des entreprises. Dès la grossesse, le corps maternel effectue un travail, générateur de fatigues et de risques au même titre que celui du compagnon (...)
« Ce travail parental débouche sur une production. Certes il peut sembler curieux d'appeler « produits finis » les jeunes gens et les jeunes filles devenus majeurs, mais telle est bien la réalité (...)
« Autrement dit, les pères et mères de famille contribuent à la production nationale d'une façon comparable à celle de l'entrepreneur qui construit ou rénove une route ou un ouvrage d'art, de l'industriel qui fournit du mobilier à l'administration ou des avions à la défense nationale, etc. : ils travaillent pour un investissement brut bénéficiant directement à l'ensemble de la collectivité.
88:212
« Dans ces conditions, si l'on ne récuse pas le principe selon lequel tout travail utile mérite salaire, les familles françaises qui élèvent des enfants ont droit à une rémunération au titre de fournisseurs de la communauté nationale ; et seul l'État ou une administration très proche de lui, ayant accès aux ressources fiscales ou parafiscales, c'est-à-dire un organisme chargé d'administrer les intérêts d'ensemble de la communauté nationale, est apte à verser le salaire national. »
Familles, je vous aime ! La chaleur de vos instincts entretient le plus froid des monstres froids, l'État votre maître, qui vous paiera le juste salaire de votre travail, si tant est qu'il ne trouve pas plus économique d'importer des adultes tout faits, issus des usines familiales du Tiers-Monde.
Quoi qu'il en soit, le « service public » de la production démographique ne peut ignorer son destin. Largement amorcé par le libéralisme avancé il trouvera son terme infernal dans le communisme après le purgatoire de la nationalisation que lui réserve le programme commun. De l'école à la maternelle, de la maternelle à l'enfant il n'y a qu'un pas à franchir. Et s'il le faut, Léviathan interdira la contraception et l'avortement, car les usines devront fonctionner -- selon le Plan.
C'est ce dont les Français prennent vaguement conscience. Ils se réconfortent comme ils peuvent avec des sondages et des enquêtes où, sans vouloir sauver la famille, cette relique d'un passé mort, ils tiennent à s'assurer qu'elle est indestructible.
En novembre 1976, *Le Nouvel Observateur* a consacré deux numéros au thème « Et la famille, comment ça va ? ». Peu plaisant à lire. C'est qu'il ne faut pas donner l'impression au lecteur, en abordant un tel sujet, qu'on est complètement idiot. La conclusion ; escomptée, nous est donnée par Jean-François. Held « La malade se porte bien. » En effet, « les enquêtes et les sondages donnent des résultats incontestables : la famille grince mais elle n'est pas près de se dissoudre, ni même de se transformer radicalement en qui sait quoi ». -- Allons, tant mieux ?
89:212
Nous ne pouvons pas non plus ne pas dire un mot du Cahier n° 78 (1976) de l'I.N.E.D. (Institut national d'études démographiques) consacré à « La famille après le mariage des enfants ». L'auteur, Louis Roussel, y étudie, en collaboration avec Odile Bourguignon, les « relations entre générations ». C'est un travail hautement scientifique, mené avec la perfection propre à tous les travaux de l'I.N.E.D. Pierre Longone, dans *Population et Sociétés* (n° 98, janvier 1977), l'a présenté sous le titre « La famille résiste ». De son côté, dans *Le Monde* (18 janvier 1977), Jean-Marie Dupont intitule « La famille, valeur refuge ? » un compte rendu où il note que la première impression que l'on tire de la lecture du Cahier de l'I.N.E.D., « c'est bien celle d'une pérennité de l'institution familiale ». Là encore, tant mieux ! Mais nous aurions à faire des réserves sur cette interprétation. On peut aller dans tous les pays du monde, n'importe quelle enquête permettra d'y affirmer que la famille résiste. L'objet de l'étude de M. Roussel n'est pas de tester la persistance de l'institution familiale, et ce qu'on en peut tirer sur cette question est très diversement appréciable. Dans la « vue d'ensemble » qui termine son étude, il écrit : « L'idée de devoir était liée à un système où la famille était perçue comme une institution (...) Il n'est pas besoin de longs développements pour vérifier l'effacement de cette réalité institutionnelle. Si une conclusion s'impose au terme de ce rapport, c'est bien que l'institution ne fonde plus les relations entre générations. L'idée de devoir ne correspond ni aux marques de solidarité des enfants ni à la quête d'affection des parents. C'est toujours d'amour qu'il doit être question » (p. 248). On notera l'ambiguïté de l'observation. Aujourd'hui le mot « amour » couvre tout et d'abord la ruine des institutions. La décomposition du catholicisme est saluée par beaucoup comme le triomphe de l'amour, l'Évangile succédant enfin à l'Église. On peut craindre que le phénomène ne soit le même en ce qui concerne la famille.
90:212
Pour le moment en tous cas, le taux brut de reproduction diminue d'année en année depuis six ans 1971, 1,21 ; 1972, 1,17 ; 1973, 1,11 ; 1974, 1,02 ; 1975, 0,92 ; 1976, 0,89. Nous sommes revenus aux plus bas niveaux de l'entre-deux-guerres ([^25]). Grève ou chômage, la famille-usine est en baisse de production.
Louis Salleron.
91:212
### Léon Daudet censuré
*ou comment on truque un livre*
par Georges Laffly
DANS SON NUMÉRO de mars 1977, ITINÉRAIRES citait des textes de Léon Daudet sur les églises de Paris. Ils sont extraits de *Paris vécu,* un des plus beaux, des plus inspirés de ses livres de souvenirs. Il a été édité chez Gallimard en deux volumes : *Rive droite* en 1929, *Rive gauche* en 1930.
On ne les trouvait plus depuis longtemps. Gallimard a réédité *Paris vécu* en 1969, en un seul volume. Excellente idée, n'est-ce pas ? Mais on éprouve une grande surprise en consultant cette édition.
Nous avons été élevés dans le respect des textes. Une bonne édition d'un livre classique nous fournit aussi les variantes et les repentirs successifs de l'écrivain. Nous sommes au moins en droit d'exiger qu'un livre soit publié tel que l'auteur l'a voulu. Le tronquer, c'est truquer, et le trucage cache certainement une mauvaise passion. Aucune raison avouable ne nous permet de nous substituer à l'auteur et de juger qu'il a été trop long, ou de mauvais goût, ou subversif. Voilà des principes si évidents qu'il semble étrange de les rappeler.
92:212
C'est pourtant le moment. Entre l'édition de Paris vécu en deux volumes, du vivant de Léon Daudet, et la récente réédition en un seul volume, les différences sont considérables.
Le texte primitif comporte environ 730.000 signes. Le texte de la réédition n'en compte plus que 550.000. Différence quantitative importante : 180.000 signes, cela représente la moitié d'un volume ordinaire. Plus de quatre-vingt pages de la revue ITINÉRAIRES. Et *un quart du texte total.*
Cela méritait d'être signalé aux nouveaux lecteurs (ou aux anciens qui auraient oublié le livre). Or rien, ou presque rien, n'avertit de cette suppression.
Il n'y a pas d'avant-propos, ou de note qui la signalerait. Dans le corps du volume, certaines phrases sont bien précédées de points de suspension, mais rien ne nous en indique la raison. Et si l'on regarde de plus près, on s'aperçoit que la plupart des coupures ne sont pas signalées par ces points de suspension.
Certes, quelque chose peut nous alerter. Le volume est présenté sous une « jaquette » qui recouvre la couverture. Au repli de cette jaquette une note présente l'ouvrage.
Elle se termine ainsi : « A l'origine, *Paris vécu* était divisé en deux volumes, l'un consacré à la rive droite, l'autre à la rive gauche. La présente édition les a regroupés en un seul volume. Il a été procédé à quelques coupures de passages qui avaient surtout un intérêt d'actualité. »
Si un lecteur lit cette note, il se réjouit du soin qu'a pris l'éditeur de lui fournir en un seul volume, donc sous une forme plus maniable, moins encombrante, un texte introuvable. Comme il voit sur la couverture la mention « nouvelle édition », il ne s'inquiète pas de ces quelques passages qu'on ne lui fournit plus.
Cette note est d'une modestie exemplaire : « Il a été procédé... » Par qui, on ne nous le dit pas. « Quelques coupures » : belle litote pour définir l'escamotage d'un quart du texte.
93:212
Les passages coupés, affirme l'avertissement anonyme (et extérieur) avaient « surtout un intérêt d'actualité ». Pour peu qu'on s'y arrête, la formule est curieuse, s'agissant d'un livre de souvenirs. Cette « actualité », qui déjà ne devait pas être une « actualité » bien récente au moment où parut le livre, était pour ainsi dire une « actualité rétrospective ». Aujourd'hui le temps a passé et cette « actualité rétrospective » n'a plus d'intérêt pour le lecteur. C'est à peu près ce qu'on peut comprendre, en y mettant de la bonne volonté. Mais comment définir, quand il s'agit de mémoires, ce qui est d'actualité et ce qui est d'un intérêt durable ; ce qui est d'une actualité qui reste actuelle, et ce qui est d'une actualité dépassée.
Lisant des souvenirs, on s'intéresse à l'homme qui les a écrits, et à ce qui lui a paru important. Tout ce qu'il dit compte. Si c'est l'actualité qui m'intéresse, je n'irai pas ouvrir les *Mémoires d'outre-tombe.* Si je les lis, j'accepte que Chateaubriand me parle de Napoléon, de Talleyrand, de Chamfort, mais aussi bien de Guinguené, ou d'un aubergiste allemand, ou de la calèche qui l'emmène à Prague. Et même, c'est plus précisément la calèche ou Guinguené que je vais chercher chez lui : pour Napoléon, les livres ne manquent pas.
Il est clair que si l'on commence à couper dans les souvenirs et les mémoires tout ce qui, une génération après, paraît secondaire, et ne nous semble pas avoir franchi le mur du temps, il y a de beaux massacres en perspective. Mais de quel droit ?
De quel droit, et aussi pourquoi ? Ce troncage n'est-il pas un trucage ?
Or, si l'on confronte les deux éditions, la complète et la partielle, il est clair qu'il ne s'agit pas d'une « toilette » destinée à rendre le livre plus accessible, en le débarrassant de ce qui a vieilli. Il s'agit bien d'une édition *expurgée.* Il est difficile de ne pas voir dans ces suppressions l'exercice d'une censure.
94:212
Cent trois passages ont été supprimés. La plupart du temps, aucune indication typographique ne nous en avertit. Ces coupures vont de quelques lignes à une page ou plus. A plusieurs reprises, de huit à dix pages de texte sont escamotées.
En quelques rares cas, il s'agit du type de coupure annoncé sur la jaquette. Par exemple pages 15 et 16 du tome I, un passage sur les épiceries Daburon et Battendier. Nous avons déjà dit ce qu'il faut penser de telles suppressions. Daudet fait un tableau du Paris qu'il a connu. Battendier y a sa place. Daudet était aussi un gourmet. Couper cette page, c'est supprimer une couleur du portrait.
Mais pour la majorité des coupures, c'est encore plus grave.
1\) La main anonyme a éliminé -- sauf un -- tous les passages où il est question de la mort de Philippe Daudet, de l'accusation d'assassinat portée par son père et du procès qui suivit.
Et par exemple, pages 73 et 74 du tome I. Léon Daudet vient de citer l'hôpital Lariboisière. Il écrit :
« C'est là que le dimanche 25 novembre 1923, -- à la suite d'un extraordinaire pressentiment de ma femme, né de deux lignes du *Petit Parisien* annonçant le « suicide » d'un jeune homme de vingt ans boulevard Magenta, -- je vins, au bras de Maurras, reconnaître le cadavre de mon petit Philippe. Cet enfant, âgé de quatorze ans et demi et enclin à la fugue, nous avait quittés le mardi précédent. Il n'était pas revenu, ce jour là, de l'école Bossuet, où il était demi-pensionnaire et suivait les cours de mon vieux Louis-le-Grand. Le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi s'étaient écoulés dans une angoisse atroce.
95:212
Le dimanche, à la demande de ma femme, notre ami le docteur Lucien Bernard se présenta à Lariboisière, demanda à voir « le jeune désespéré de 20 ans » et reconnut Philippe. Il portait au front, à la tempe droite, une marque rouge et gonflée, comme si un choc violent avait accompagné la détonation. Ce fait ne me frappa que plus tard et à la réflexion. Néanmoins, je remarquai qu'il n'avait, sur sa belle main, longue et fine, aucune trace de déflagration de poudre. Il n'y avait d'ailleurs aucune raison pour que Philippe, enfant gâté et petit roi de la famille, eût pris une résolution désespérée, alors que les fugues antérieures n'avaient donné lieu à aucune remontrance sérieuse, à aucune mesure de coercition. Je suis médecin, et je sais ce qu'est une fugue chez un enfant, un « plantié » comme on dit en Provence, où de telles incartades sont fréquentes. Pendant une semaine, ma femme et moi fûmes dans le noir. Ce fut le numéro épouvantable du *Libertaire* du 1^er^ décembre suivant qui nous éclaira brusquement et nous montra le visage du crime. Ma plainte en assassinat contre X suivit immédiatement. »
J'attendrai longtemps, je pense, qu'on me montre que cette page (d'ailleurs admirable de fermeté, de précision, de tenue) a « surtout un intérêt d'actualité ». Expression idiote, qui se justifie si on édite *France-soir* (ou un quotidien quelconque), mais qui est inadmissible si l'on édite Daudet. C'est le grand drame de sa vie, il est lié à un paysage parisien ; tout l'ouvrage établit ainsi des liens entre tel lieu et tel moment d'une vie. Cette page supprimée est tout le contraire d'un hors-d'œuvre elle est le cœur du livre.
2\) Les coupures visent particulièrement les pages nombreuses consacrées aux Camelots du roi, aux manifestations que Daudet mena avec eux, à leur appui au moment de son élection à la députation, aux défilés de Jeanne d'Arc.
96:212
En même temps disparaissent des pages sur Maurice Pujo, Léon de Montesquiou, Lucien Moreau, etc., c'est-à-dire sur des amis proches, et sur une action politique qui a beaucoup compté dans la vie de Léon Daudet.
Par exemple page 113 du premier tome, cette évocation des débuts de *L'Action française* quotidienne :
« Nous avions exactement 287.000 francs entièrement versés dont 100.000 par ma jeune femme. Mais nous étions riches d'entrain, de bonne volonté, de décision, et d'une amitié réciproque qui ne s'est jamais démentie. Henri Vaugeois était le directeur, plus exactement l'animateur ; j'étais le rédacteur en chef et assidu à ma besogne. Mais c'était Maurras qui menait tout, voyait tout, travaillant dix-huit heures par jour, distribuant à chacun sa besogne, s'efforçant de secouer la pâte molle d'une opinion endormie, abrutie, avachie, claquée, gisante. Boisfleury était secrétaire de la rédaction. Bainville faisait la Chambre. Vesins administrait. Léon de Montesquiou donnait, sur tout, d'excellents conseils, ainsi que notre cher Lucien Moreau, que j'appelais « le grand rectificateur »
« Jamais hommes ne furent plus étroitement liés, plus complètement désintéressés de tout ce qui n'était pas le succès de leur entreprise. *Tantae molis erat...* Aucun confrère ne vint à notre aide. Tous firent la conspiration du silence. C'était mieux ainsi ; ne devant rien à personne, nous avions notre franc parler. Jules Lemaître, qui s'était joint courageusement à nous, en dépit d'objurgations imbéciles de plusieurs de ses amis, nous disait : « Nous crions dans une cave. » Cela dura dix-huit mois, au bout desquels le vent vint dans nos voiles, puis souffla de plus en plus fort.
« Il y avait dans cette vieille maison un antique ascenseur, de type désuet et ficelard, qui bientôt plia sous le poids des Camelots du Roi. Un peu interloqués d'abord, nos bons concierges prirent l'habitude de ces déambulations perpendiculaires.
97:212
Quand nous quittâmes l'immeuble pour le 17 de la rue Caumartin, à la veille de la guerre, trois cents personnes, environ, chaque jour, se servaient de cette vieille caisse d'ascenseur à cardes laquelle, fidèle serviteurs ne rompit pas une seule fois. Nos jeunes gens, Maxime del Sarte, Plateau, Lucien Lacour en tête, s'empilaient dans deux pièces, de telle sorte qu'il n'y avait plus la place d'une aiguille. Cela désolait notre collaborateur Leroy-Fournier, venu de *La Libre parole,* organe mort à coté du nôtre en ce qu'il n'était appuyé d'aucune action.
« Une de mes premières visiteuses fut une dame du monde dans l'embarras qui, nous croyant chargés d'or, me demanda dix-huit cents francs. Je tirai de ma poche et lui remis un écu de cinq francs, qu'elle jeta, avec un geste de colère, dans le feu. Notre entretien en demeura là. A l'aide d'une paire de pincettes, je repris ma thune avec plaisir. Bientôt, Pujo ayant organisé notre petite troupe, l'affaire Thalamas, au quartier latin, puis la lutte pour un cortège public à Jeanne d'Arc, déclenchèrent le mouvement royaliste. Quatre ans auparavant, j'avais dit au duc d'Orléans sceptique : « Monseigneur, ce qu'il nous faut, et ce que nous réaliserons, c'est un boulangisme royal à Paris. » Nous avons tenu parole. »
(N'est-ce pas qu'elle est belle, cette page, pleine de feu et joviale. Eh bien le censeur ne lui a pas fait grâce.)
3\) Dans le tome II, les pages 171-182 disparaissent. Elles sont consacrées à Drumont. Il y est question de Rochefort, de Coppée, du mariage de Mlle de Turenne avec Arthur Meyer. Drumont, n'est-ce pas...
4\) Dans le même volume, coupées également les pages 142-152, sur la Chambre, avec des portraits de Briand, Barrès, Bracke, Daladier.
98:212
5\) Évidemment, pas trace des réflexions jetées au passage sur le mal que la démocratie fait à la France.
6\) Et de même, on escamote des jugements vigoureux (et sévères) sur les cardinaux briandistes, le clergé démocratique, etc. (Le livre est écrit juste après la crise de 1926.)
Qui pourrait croire après cela qu'il ne s'est agi que d'ôter « des passages qui avaient surtout un intérêt d'actualité » ?
Le Léon Daudet que l'on consent à nous laisser lire est un Daudet moins l'A.F., moins Drumont, moins ses idées politiques, moins le drame de la mort de son fils. C'est être modéré que de dire que c'est un Daudet anémié -- et même saigné à blanc.
On voit pourquoi j'ai employé le mot de *censure.*
Il est odieux de brûler les livres. Il y a eu sur ce thème un conte de R. Bradbury qui a eu grand succès, ainsi que le film qu'on en a tiré. Tout le monde vous le dira : supprimer des livres est un acte « fasciste », et impardonnable.
En France, on ne les brûle pas.
Mais il y a les livres qu'on ne réédite pas (ceux de Maurras, par exemple, ceux d'Augustin Cochin -- ou ceux de Sorel, -- et Drieu ?).
Et puis voici les livres que l'on réédite, mais en les censurant, et sans le dire.
Pour *Paris vécu*, la preuve est faite (et on pourrait multiplier les citations), et la responsabilité des éditions Gallimard est évidente. Mais il existe aussi des héritiers de Léon Daudet. Comment ont-ils pu laisser faire ? Pourquoi ne se sont-ils pas opposés à cette charcuterie ? On aimerait bien le savoir.
Georges Laffly.
99:212
### Brésil 1935-1976
*Du Komintern à la C.N.B.B.*
par Gustave Corçâo
Le 27 novembre de chaque année, on commémore au Brésil la répression du putsch organisé en 1935 dans l'armée par les agents du Komintern ; et la nation tout entière rend hommage aux soldats qui ont payé de leur vie, ce jour-là, le droit de faire connaître aux générations nouvelles le vrai visage du communisme.
Les communistes auront donc été vaincus au Brésil, militairement et politiquement, à deux reprises : le 27 novembre 1935, et en mars 1964. Gustave Corçâo, dont le premier article paru dans ITINÉRAIRES nous disait *Comment le Brésil s'est libéré en 1964* (numéro 177 de novembre 1973), raconte ici ce que fut la première irruption officielle du communisme dans son pays.
Et il en esquisse une autre, une troisième, toute récente, qu'il préfère appeler « putsch anti-anticommuniste de 1976 », où l'on voit que la Révolution sans visage est loin d'avoir épuisé au Brésil tous les mensonges de sa propagande, et les ressources de son appareil.
Les deux articles que nous traduisons ici à la suite ont paru dans le journal *O Globo* au mois de novembre dernier.
*H. K.*
J'AI ÉCRIT QUELQUE PART, à propos d'autre chose, que la noblesse, pour la vie des nations, se définissait comme *mémoire*. Le peuple qui ne saurait exalter le souvenir de ses héros, ni reconnaître et regretter les fautes commises dans le passé, s'expose lui-même en permanence aux plus grands périls ; il est sans défense contre l'adversité.
100:212
Cette considération s'applique de manière particulièrement heureuse aux manifestations et cérémonies, aujourd'hui traditionnelles, que nos forces armées organisent chaque année pour réveiller au Brésil le souvenir du putsch communiste de 1935. Cette fois encore, le double objectif de la commémoration aura été clairement défini (instruction n° 129 du ministère des Armées, in *Noticias do Exercito* du 14 novembre 1976) : premièrement, rendre à ceux qui eurent le courage de résister et de défendre la patrie, comme à ceux qui furent lâchement assassinés dans les dortoirs de leurs casernes, l'hommage national qui leur est dû ; deuxièmement, finalité tout aussi urgente et opportune, rappeler aux générations nouvelles, trop souvent abandonnées aux séductions de la plus grande imposture qui soit au siècle, le véritable visage de l' « idéal » communiste.
Ce qui s'est passé en 1935 dans plusieurs unités militaires du Brésil, notamment à Natal, Recife et Rio, présentait en effet un but bien défini : la prise du pouvoir par les agents de l'*Aliança National Libertadora* qui, autour de l'ex-capitaine Luiz Carlos Prestes, avaient décidé l'instauration au Brésil d'un régime communiste.
Ce romantique chevalier de l'Espérance, Prestes, récupéré par les agents communistes, avait accompli son noviciat révolutionnaire en Bolivie, à l'occasion d'un exil forcé, dans les lectures et les leçons d'Astrogildo Pereira. En 1930, Luiz Carlos Prestes fait donc sa profession solennelle de foi marxiste, et complète sa formation par un voyage à Moscou.
101:212
C'est à cette époque qu'Harry Berger, le principal agent du Komintern pour l'Amérique du Sud, entre en contact avec l'ex-capitaine Prestes, et devient le directeur spirituel de la révolution au Brésil. A partir du retentissant meeting de l'*Alianca National Libertadora,* le 30 mars, au théâtre Joâo Caetano, la préparation des plans secrets de l'insurrection, qui devait éclater simultanément dans plusieurs divisions militaires, s'intensifie. Et c'est ainsi qu'à l'aube du 27 novembre 1935, le putsch communiste éclate à Natal, Recife et Rio de Janeiro. Il sera réprimé sans trop de difficultés par les forces restées fidèles dans l'armée. Mais, dès les premiers instants de la rébellion, les militaires convertis à la foi marxiste, qui obéissaient aux directives de la révolution, auront imprimé pour toujours dans la mémoire du Brésil la marque hideuse de leur idéal. Car ces soldats perdus, dociles aux mensonges de la révolution, orgueilleusement enivrés par le mirage d'un monde meilleur, ont commencé leur coup d'État en exterminant de la façon la plus tranquille, scientifique et marxiste qui soit leurs camarades anti-communistes endormis. Oui, vous avez bien lu, en assassinant de leurs mains leurs propres compagnons d'armes -- ceux-là mêmes avec qui ils avaient dîné le soir du 26 novembre, riant sous le même uniforme, saluant sous le même drapeau, frères du même engagement au service de la mère patrie.
Je ne sais si mon lecteur a bien conscience de la fraternité très particulière que la pratique des vertus militaires engendre d'elle-même entre les soldats -- cette communion étroite, presque religieuse, dans le don du sang, et le sentiment partagé d'être toujours de garde. Comme scientifique enseignant, j'ai eu le bonheur de vivre trente-cinq ans dans cette atmosphère, parmi les officiers de l'École Technique de l'Armée, aujourd'hui Institut Militaire d'Engineering. Cette riche expérience humaine, à contre courant de tous les préjugés répandus au Brésil par la campagne « civiliste », en France par l'Affaire Dreyfus, et dans le monde entier par l'anti-militarisme des partis de gauche, me permet de ressentir au plus profond de moi-même l'inexprimable horreur de ces assassinats froidement perpétrés au 3^e^ Régiment d'Infanterie de la *Praia Vermelha,* et à l'École de l'Air du *Campo dos Afonsos.*
102:212
Elle me permet aussi d'imaginer le cauchemar d'une civilisation où plus personne n'aurait immédiatement conscience que le capitaine éveillé qui décharge froidement son revolver sur son frère d'armes, le capitaine endormi, commet un fratricide d'une indicible noirceur ; et que le capitaine qui abat un caporal ou un sergent désarmé commet pire encore, le plus horrible des infanticides ; car pour le véritable officier, comme il en a tant existé, comme il en existe tant encore, les hommes confiés à ses ordres sont autant de fils, pour lesquels le Bon Pasteur est prêt à sacrifier sa vie.
Et ce sont eux, ces assassins, qui prétendent réparer toutes les injustices du monde, et nous en fabriquer un meilleur... Mon Dieu, ne nous abandonnez pas au vertige devant tant de stupide cruauté ; et vous autres, laissez-nous enfin conclure que, si donc nous avons bien compris les ressorts de cet étrange idéalisme, la déesse Révolution révèle et enseigne, comme dogme fondamental : *Article 1. -- L'édification d'un monde nouveau et meilleur passe obligatoirement par la mobilisation des pires scélérats qui y aient vu le jour !*
\*\*\*
Arrivés à ce point, nous serions tenté de conclure que le simple énoncé des faits devrait suffire à discréditer et conjurer l'étrange fascination que l'idéal révolutionnaire continue d'exercer sur les habitants de cette planète -- la seule aussi, sans doute, qui soit habitée par des humains.
103:212
Mais le mystère s'épaissit encore lorsque nous constatons qu'aujourd'hui, ce ne sont plus seulement les belles vertus militaires qui se dégradent, pour nous fabriquer des communistes. Aujourd'hui, la séduction révolutionnaire trouve refuge chez les religieux, et jusqu'au cœur de la hiérarchie catholique.
\*\*\*
En 1935, on pouvait encore admettre que la plupart de nos intellectuels, artistes et militaires ignoraient tout de l'histoire du communisme. Un de mes vieux amis aimait à répéter que le binôme de Newton lui-même avait mis plus de cent ans pour arriver au Brésil. C'est qu'on est lent chez nous, et de nature insouciante. Ce qui explique, en partie, nos ingénuités de 1935. Mais le mystère s'obscurcit, jusqu'à s'enténébrer, quand nous lisons qu'en France, au cœur du monde civilisé, on observait déjà au commencement des années trente, une infiltration accélérée des communistes et des socialistes en milieu catholique.
Et pourtant, depuis les années vingt, et la réforme agraire de Lénine, la pauvre Russie avait payé pour voir. Notre binôme révolutionnaire, la cruauté associée à la bêtise, avait déjà déclenché le plus grand génocide de toute l'histoire humaine. Car le nombre des victimes socio-économiques de la grande famine allait dépasser, on le sait, celui des pertes provoquées en Russie par les deux guerres mondiales. Les catholiques un peu instruits n'ont pas le droit non plus d'ignorer que Pie XI, dès le début de son pontificat, avec l'aide héroïque du père Walsh S.J., et de l'*American Relief Association,* avait mis sur pied un mouvement de secours en faveur des Russes qui tombaient comme des mouches dans les rues de Moscou, et sur toute l'étendue des vingt-deux millions de kilomètres carrés de l'Union ; que des millions de repas purent ainsi être servis aux enfants des familles russes.
104:212
Or, quelle fut alors la réponse du gouvernement soviétique ? Un déchaînement redoublé de la plus cruelle persécution religieuse. Pie XI savait bien, lui, ce qu'était le communisme. En 1937, quand la persécution religieuse atteint en Espagne son point culminant, il publie l'encyclique Divini Redemptoris*,* où le communisme est défini dans les termes les plus sévères : impie, monstrueux, intrinsèquement pervers. Comment expliquer alors que le concile Vatican II ait commencé par récuser tout renouvellement des condamnations antérieures du communisme, et se soit clos sur des déclarations de sympathie et de tolérance envers cette « religion de l'homme qui se fait Dieu » ?
La seule explication que je trouve est celle-ci : la guerre où s'engage aujourd'hui la « religion post-conciliaire » n'est pas dirigée contre le gouvernement brésilien, ni contre les militaires d'aucun pays. Elle est dirigée contre Dieu.
Il n'est donc pas étonnant qu'à l'origine de la nouvelle conspiration communiste au Brésil, au lieu de soldats sans patriotisme, on trouve la C.N.B.B., la conférence nationale des évêques du Brésil, comme il ressort clairement de la déclaration publiée la semaine dernière par cet organisme.
\*\*\*
Mais oui, cher lecteur. Je déclare, en témoignage de protestation véhémente dictée par ma conscience de catholique et de brésilien, que le misérable document publié par ce conglomérat d'évêques mieux connu sous le nom de C.N.B.B. ne parvient pas à nous dissimuler sa véritable intention : *dresser l'opinion du pays contre le gouvernement en place,* et de façon plus générale contre l'esprit de l'insurrection catholique et militaire qui, en 1964, a libéré le Brésil du communisme installé au pouvoir.
105:212
J'ai subi la lecture intégrale de ce long document, paru dans nos quotidiens. Et je demande au lecteur d'y réfléchir avec moi. Ce texte, publié sous la responsabilité explicite des quelques membres permanents, de la « Commission représentative », mais implicitement cautionné par tous les évêques du Brésil solidaires de la C.N.B.B., constitue une indiscutable déclaration de guerre contre le mouvement de 1964 et, nommément, contre le gouvernement actuel de notre pays. Le document commence par énumérer toute une série d'affaires criminelles, découvertes ces derniers temps sur l'énorme superficie de nos huit millions de kilomètres carrés, dans une population de plus de cent millions d'habitants ; comme on pouvait s'y attendre, les rédacteurs ont la malheureuse audace de conclure ici à l'évidence d'une responsabilité systématique et directe de l'État dans chacune de ces affaires.
Pour ma part, je ne conteste à personne le droit de critiquer son gouvernement ; et de le rendre responsable de tel ou tel abus systématique, capable d'engendrer un malaise dans le corps social, voire des désordres préjudiciables au bien commun.
Moi-même, dans le gouvernement actuel, je considère comme lamentable les années d'incurie qui ont eu pour résultat d'abandonner notre économie nationale à l'escalade ruineuse des processus d'inflation. Mais je me garderais bien de formuler cette critique en des termes insinuant, de sa part, une intention délibérée de dévaluer notre monnaie, comme si c'était là une exigence du bien commun. Je reproche aussi à nos gouvernants de ne pas avoir décidé l'expulsion pure et simple de l'évêque Pedro Cassaldaliga, qui prêche ouvertement au Brésil la révolution communiste.
106:212
(Mais, en l'occurrence, j'étends ma critique à la disposition permanente de « conciliation », ou amollissement, dont on semble ici avoir fait un système de gouvernement.)
Tout cela ne m'empêche pas de trouver d'une intolérable insolence, assortie d'une légèreté incroyable, que la C.N.B.B. puisse, dans une déclaration officielle, imputer au gouvernement qui a sauvé le Brésil du communisme, la responsabilité personnelle et directe des assassinats de prêtres ou de laïcs à travers tout le pays. La rédaction même du texte dit assez la véritable raison du mécontentement des grands prêtres de cette « religion de l'homme qui se fait Dieu » : on constate en effet au Brésil, depuis 1964, un anticommunisme réel et systématique de tous les gouvernements. Voilà en vérité ce qui hérisse notre conglomérat d'évêques ouverts et comme d'avance rendus à tous les ennemis de l'Église, et qui ne dissimulent point, quant à eux, leur systématique anti-anticommunisme. Entendraient-ils pour autant servir les intérêts communistes ? Je ne saurais l'affirmer. Car leur objectif est sans doute plus pervers : s'éloigner davantage encore de la tradition catholique, se dresser sur cet accident de l'histoire, comme les prophètes d'un humanisme qui renverse le sang de Notre-Seigneur, et relègue dans les nuages de la transcendance méta-historique une sainte Trinité désormais indifférente au sort des hommes adultes et émancipés.
Mais quoi qu'il en soit des finalités profondes, politiques, métaphysiques ou mystiques, de cette assemblée, l'incroyable impertinence de son accusation n'en est pas diminuée. Il est inepte, il est malhonnête de vouloir attribuer au gouvernement du Brésil la responsabilité première de tous les assassinats, accidents de la route et autres *faits divers* ([^26]) qui font la « une » quotidienne du journal *O Dia.*
107:212
Nous évoquions plus haut les critiques qu'on serait en droit d'adresser aux militaires qui se sont succédés au pouvoir depuis 1964 ; je réalise maintenant que j'ai omis d'y mentionner une faute grave : celle du gouvernement qui, en 1969, soumettait à l'approbation du Congrès le texte de la nouvelle Constitution, destinée à remplacer celle de 1946. On se souvient qu'au cours des discussions et des votes parlementaires sur la Constitution de 1946, les catholiques engagèrent une grande campagne nationale pour imposer aux membres du Congrès la présence du saint nom de Dieu dans la charte des États-Unis du Brésil ; et qu'ils obtinrent en effet l'insertion de la formule proposée : « *Reunidos sob a proteçâo de Deus*... », mais presque immédiatement suivie de cette autre formule, considérée à l'époque comme la plus haute conquête de la sagesse politique : « *Tout pouvoir vient du peuple, et ne pourra être exercé qu'en son nom. *» Or, en 1969, quand l'occasion s'est offerte au gouvernement de corriger dans les textes ce faux principe de la souveraineté populaire, comme il en avait corrigé dans le pays les funestes conséquences, nous dûmes constater la mort dans l'âme que le législateur avait rayé de notre Constitution, non le principe mensonger, mais la grande victoire catholique de 1946, le nom même du Tout-Puissant. A propos de cette Constitution de 1946, j'ai écrit quelque part que le nom de Dieu y entrait par une porte, pour sortir par une autre. En 1969, toute mon attention étant polarisée sur ce qui éclatait dans l'Église, l'exclusion du nom de Dieu dans la V^e^ Constitution des États-Unis du Brésil m'est passée inaperçue. Pour couronner l'impiété collective, il aurait suffi d'ajouter : « Tout pouvoir vient du peuple, au *saint* nom duquel il sera exercé. »
108:212
Or, pour la stupéfaction de celui qui trouverait encore à s'étonner, en matière d'aberrations ecclésiastiques, nous en sommes à constater aujourd'hui : il y a un point sur lequel une assemblée d'évêques aurait pu s'appuyer pour reprocher au gouvernement brésilien l'horrible impiété de cette officialisation de l'athéisme, et lui rappeler ce qu'enseigne la tradition catholique, depuis les paroles du Seigneur devant Pilate (Jean, 19, 11) jusqu'à la 56^e^ proposition du Syllabus -- tout pouvoir vient de Dieu et doit être exercé en son nom --, et c'est sur ce point-là, précisément, que se fonde la C.N.B.B. pour exiger du gouvernement actuel... une plus grande foi en la démocratie !
Les limites de cet article ne permettent pas d'y développer davantage les exigences de la foi chrétienne en matière de philosophie politique ; elles n'interdisent pas cependant d'y relever une dernière aberration du conglomérat épiscopal qui se fait passer pour la hiérarchie : au moment où s'impose de dénoncer l'impiété législative qui place le peuple brésilien tout entier sous la bannière d'un affront personnel à la souveraineté du Créateur, notre conglomérat choisit d'invoquer le principe de la souveraineté populaire ; de réclamer, même, son application illimitée, alléguant que « dans une perspective humaniste et chrétienne, la nation résume toutes les formes d'association du peuple » ; et de formuler en conséquence sa charte du libéralisme avancé, dans les termes précis que le magistère de l'Église a toujours condamnés.
Nous constatons ainsi, une fois de plus, que ce conglomérat pseudo-épiscopal a perdu tout droit de parler au nom de l'Église catholique, qu'il insiste lui-même pour se placer officiellement hors du magistère et de la tradition, et suivre les voies du « nouvel humanisme » anthropocentrique, aux côtés des plus vieux ennemis héréditaires de la sainte Église.
109:212
A noter encore, en cet endroit du manifeste de la C.N.B.B., une allusion au principe de la *Segurança National*, la « sécurité nationale ». On y découvre que ce principe, qui « inspire depuis 1964 faction du gouvernement brésilien », repose sur l'idée que « c'est l'État qui octroie la liberté et les droits de chaque citoyen ». Or, cette conception de la Sécurité nationale n'a plus rien à voir avec le concept élaboré depuis des années à l'École Supérieure de Guerre, qui intègre avec une insistance croissante les exigences les plus authentiques du bien commun, c'est-à-dire de la vie sociale dignement vécue, pour parler le langage de saint Thomas d'Aquin. Si la sécurité nationale est invoquée pour la répression du communisme, ce n'est pas seulement au nom de la sauvegarde du régime et de l'État, mais principalement parce que les hommes qui gouvernent le Brésil depuis 1964, grâce à Dieu, sont encore convaincus que le bien-être et la dignité de la famille brésilienne exigent cette répression.
La revendication de toutes sortes de « libertés », parmi lesquelles celle de pervertir ou d'enlever les enfants -- applaudie par Dom Helder --, officialise sans équivoque le document de la C.N.B.B. du sceau de l'inspiration révolutionnaire. C'est cette constatation qui nous autorise à écrire : la dernière déclaration de nos évêques constitue le *putsch* anti-*anticommuniste* de 1976.
Gustave Corçâo.
110:212
### Pages de journal
par Alexis Curvers
LES MANUSCRITS ENLUMINÉS sont plus beaux que les livres du XVI^e^ siècle, qui eux-mêmes, imprimés sur des presses à bras, sont infiniment plus beaux que tout ce que l'imprimerie mécanique a produit depuis, jusques et y compris nos livres de poche, tirés en cinq minutes à des centaines de milliers d'exemplaires.
On a écrit proportionnellement plus de chefs-d'œuvre, et de plus grands, aux chandelles avec des plumes d'oie, qu'à la lumière électrique avec des stylos à bille.
On voyageait plus intelligemment à pied qu'on ne fait en voiture, et par chemin de fer qu'en avion. De l'*Odyssée* d'Homère à l'*Itinéraire* de Chateaubriand, et des *Voyages* de Jules Verne à notre tourisme industriel, la perte est continue et sensible.
Les cathédrales se construisaient à la main ; les buildings, à la machine.
Et ainsi du reste. Dans tous les genres de création, plus les moyens se perfectionnent, plus se dégradent les fins.
111:212
La faute n'en est pas aux moyens mais à l'homme, qui ne résiste pas à la tentation de médiocrité quand les progrès de la technique lui font illusion sur la difficulté de l'ouvrage. Comme on ne peut changer l'homme, le seul remède sera de lui ôter des mains les instruments de travail qu'il imagine capables de travailler à sa place.
\*\*\*
Le cataclysme est le même dans toutes les villes. Je vois dans la mienne quelques pâtés de maisons s'écrouler chaque jour, sous les coups de ces monstrueux béliers d'acier que des puissances implacables déchaînent sur la terre comme un fléau du ciel. On dirait d'un géant qui s'amuse à détruire au passage toutes les fourmilières qui lui tombent sous le pied, laissant au diable à régler le sort des fourmis dispersées. Les fourmis en panique se rappellent alors combien la vie leur était douce dans leurs cités à jamais disparues, dans les demeures qu'elles s'y étaient bâties si habitables et si belles, sur les seuls conseils de la nature et du ciel.
Nous ne regardions guère, avant le cataclysme, ces maisons d'autrefois qu'une longue habitude nous faisait paraître banales et médiocres. Mais les dernières d'entre elles qui sont encore debout, condamnées à leur tour, nous inspirent des sentiments nouveaux.
112:212
Nous levons vers elles des yeux pleins d'amour, de respect et de deuil, car nous tremblons que ne s'en aille en poussière avec elles tout ce qui reste et jusqu'au souvenir d'un bonheur aboli. Nous les regardons et elles nous regardent silencieusement, n'osant même plus demander grâce, à travers les blessures qui déjà défigurent leurs façades. Nous découvrons que chacune d'elles, fût-ce la plus pauvre, avait ce que n'auront jamais les falaises de béton qui les remplacent : un visage, un visage humain.
\*\*\*
« ...*Et l'histoire sourira de penser que Socrate et Jésus-Christ sont morts pour cette espèce. *» A voir le monde comme il va, cette phrase bouleversante qui termine la *Trahison des clercs* me revient de plus en plus constamment à l'esprit. Mais l'histoire étant l'œuvre des hommes, et les historiens futurs ne pouvant être eux-mêmes que les produits de « cette espèce » pour qui Socrate et Jésus-Christ seraient morts en vain, l'illusion de Benda fut de s'imaginer qu'il y aurait toujours une histoire capable de penser, de sourire -- ou de pleurer.
\*\*\*
Ce qu'ils veulent, c'est qu'il n'y ait plus aucune autorité nulle part, ni en religion, ni en morale, ni en droit, ni dans la famille, ni dans l'enseignement, ni en politique, ni dans l'ordre social, ni dans le langage, ni dans les arts, etc. Quand ils auront supprimé l'autorité partout, ils pourront partout imposer la leur.
113:212
C'est du moins ce qu'ils espèrent, et que déjà ils obtiennent avec un succès croissant. Mais en fin de compte ils ne réussissent jamais qu'à donner le champ libre à quelque Ubu-Roi qui a tôt fait de les mettre à la raison.
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« Honneur des hommes, saint langage ! » disait Valéry. Beau compliment pour le langage.
« Le langage est fasciste », dit M. Roland Barthes. Beau compliment pour le fascisme.
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Évoquant les années 1950 et le règne de Staline, M. Henri Malberg, membre du comité central du parti communiste français, écrit dans *France nouvelle* du 24 janvier 76 (cité par *Le Monde* du 26) :
« Est-ce que nous savions que le socialisme faisait tant de victimes innocentes dans les rangs des peuples soviétiques comme parmi les communistes ? Est-ce que nous savions que les désaccords politiques étaient imputés à crime ? (...) Je réponds sans hésiter : non, nous ne savions pas CELA. »
Le plus fort est que M. Malberg dit vrai : bien que CELA fût alors de notoriété publique, et depuis longtemps, lui et ses amis ne le savaient certainement pas, pour l'excellente raison qu'ils ne voulaient pas le savoir et voulaient ne pas le savoir, étouffant par tous les moyens le témoignage constant des gens qui le savaient.
114:212
Il n'a pas fallu moins d'une vingtaine d'années pour que cette bienheureuse ignorance, que les consignes du Parti rendaient inébranlable, se laissât enfin ébranler, moins par la découverte d'une vérité déjà vieille d'un demi-siècle que par les nouvelles consignes du même Parti.
Et le plus fort est aussi que ces mêmes gens, qui ont mis tant de temps à obtenir la permission de savoir ce que tout le monde savait, sont de ceux qui veulent absolument que Pie XII ait été seul à savoir, pendant la guerre, tout ce qui se passait dans les camps hitlériens et que personne alors ne savait. Autant le « silence » de Pie XII était d'une impardonnable noirceur, autant les longs silences communistes ne respirent qu'innocence et bonne foi.
\*\*\*
Lénine manquait d'optimisme quand il prédisait « Les capitalistes nous vendront la corde pour les pendre. » Expérience faite, il dirait aujourd'hui : « Ils ne nous la vendent pas, ils nous en font cadeau. »
\*\*\*
M. André Amalrik, justement indigné de se voir fermer la porte de l'Élysée, soupçonne le président Giscard d'Estaing d'avoir partie liée avec le « cheval de Troie » que la Russie Soviétique s'emploie et réussit à introduire dans les derniers pays où sa victoire n'est pas encore totale. Propos assurément peu diplomatique. Belle franchise, et grave insolence envers la France.
115:212
Presque en même temps, à Marseille, parlant de l'Espagne et de l'Église, Mgr Lefebvre (annonçant l'intention qu'il a d'ordonner quinze nouveaux prêtres le 29 juin à Écône) disait exactement la même chose que M. Amalrik à Paris : « Le roi Juan Carlos, qui prépare l'accession des socialistes et des communistes au pouvoir dans son pays, est reçu officiellement au Vatican et félicité du travail qu'il fait. Demain, le sang va couler en Espagne, comme en 1936, quand douze mille prêtres et évêques, religieuses et religieux ont été massacrés. »
La coïncidence des deux déclarations n'est pas moins remarquable que la concordance des idées dont s'inspirent le Russe éconduit et le prélat suspendu a divinis, et qui se fondent sur cette loi de l'histoire, absolument universelle et infaillible : que la Subversion n'a pas de meilleurs agents que les défenseurs attitrés de l'ordre qu'elle veut détruire, et qu'elle détruit en effet grâce à eux. C'est une vieille et heureuse tradition révolutionnaire, de confier à des présidents, à des rois, à des papes le soin d'inaugurer (ou de *préparer*, comme dit si bien Mgr Lefebvre) les révolutions qui les renverseront et renverseront le monde avec eux.
Le président Giscard d'Estaing, le roi Juan Carlos, le pape Paul VI auraient tort de prendre la mouche. Ils sont en très bonne compagnie. Ils marchent du même pas et vers le même abîme que, non seulement Louis XVI, mais tous les hommes d'État modernes.
116:212
Les chefs temporels et spirituels de l'Occident ci-devant chrétien ont choisi Kerenski pour modèle. Heureux encore quand ce n'est pas le hideux Sihanouk.
\*\*\*
Tandis que l'Église du Christ voit venir *l'heure et la puissance des ténèbres,* Paul VI parle et s'occupe de « construire le monde ». Plus hardiment encore, Mgr Etchegaray accepte « un monde qui se construit sans Dieu ».
Le recteur de la mosquée de Paris s'inscrit en faux contre ces propos irréligieux et ne dit que la vérité quand il déclare (en février 1977) : « Si le catholicisme traverse à l'heure actuelle une crise, il n'en est pas de même pour l'Islam ; à aucun moment notre religion n'a connu une période aussi triomphale sur les cinq continents. »
-- Comment faites-vous ? devraient demander le pape et Mgr Etchegaray à ce dignitaire musulman.
Et celui-ci n'aurait qu'à leur répondre :
-- C'est bien simple. Nous récitons le Coran sans y changer un mot, nous le psalmodions sans y changer une note ; ni langues vernaculaires ni musiques nouvelles n'en altèrent la pureté première. Nous nous prosternons pour prier chaque jour aux heures prescrites. Nous observons chaque année le jeûne du Ramadan, nous allons une fois au moins dans notre vie en pèlerinage à La Mecque. Nous respectons nos croyances, nos traditions, nos lois, nos rites et nos coutumes. Nous ne transformons pas les mosquées en music-halls.
117:212
Nous vénérons nos saints, nos mystiques, nos penseurs, nos héros légendaires. Nous persistons à croire sans l'ombre d'un doute qu'Allah est Dieu et que Mahomet est son Prophète, et ne cherchons pas de fallacieuse différence entre le Mahomet de l'histoire et le Mahomet de la foi. Nous ne songeons ni à construire le monde après que Dieu l'a créé, ni encore moins à laisser le monde se construire sans Dieu, mais à le convertir. Bref, nous faisons exactement ainsi que vous-mêmes faisiez naguère, et c'est pourquoi nos missionnaires ont dans le monde entier autant de succès que les vôtres en avaient quand leur foi était assez vive et assez sûre d'elle-même pour ne pas se faire grief de son triomphalisme. Et c'est aussi pourquoi, en récompense de notre fidélité, le ciel nous met en mesure de vous vendre notre pétrole à prix d'or.
\*\*\*
« Dieu est mort » : beau cri de guerre d'un siècle qui sent le cadavre et témoigne mieux que tout autre, par sa puanteur même, que l'Éternel est seul vivant.
Alexis Curvers.
118:212
### Sur une réédition de la Vulgate
par Antoine Barrois
LES SPÉCIALISTES, exégètes, critiques, commentateurs et traducteurs dits modernes sont tous du même avis : la traduction établie par saint Jérôme est la meilleure des antiques versions de l'Écriture. Étienne Dhorme, qui est généralement considéré comme le meilleur traducteur en français de l'Ancien Testament à partir de l'hébreu, écrit par exemple : « Tous ceux qui ont confronté le texte de Jérôme avec l'original hébreu rendent hommage à la fidélité et à la vigueur de cette traduction, qui cherche à sauvegarder en latin la physionomie de la langue hébraïque. » ([^27])
Et de même les savants et les chercheurs de tout poil sont unanimes à reconnaître que l'édition de la Vulgate connue sous le nom de « sixto-clémentine » est une très bonne version, si elle n'est pas parfaite. Mais, chrétiens nous le savons, la perfection n'est pas de ce monde : hormis la T.S. Mère de Dieu et Dieu lui-même incarné, les conséquences du péché originel s'étendent à toutes les créatures et à toutes leurs entreprises.
119:212
Les plus grands saints ne sont point des réceptacles parfaitement purs de la Sainte Trinité et leurs œuvres ne sont point sans défauts. On doit admirer la sagesse du concile de Trente qui, déclarant « authentique » la seule Vulgate, n'a pas entendu lui conférer une garantie de perfection critique littérale, mais une garantie absolue de conformité substantielle avec les textes inspirés. Ce qui n'interdit certes pas que l'on cherche à s'approcher de la perfection en matière de conformité littérale. Ce qui ne touche point à la question de savoir la note qu'il conviendrait de donner, le cas échéant, aux versions directement traduites des textes originaux en langue vulgaire. Car le caractère de la Vulgate est autre. Outre le fait qu'elle est une traduction substantiellement conforme à l'original, la Vulgate est un document traditionnel. Ainsi, par l'édification et la conservation de ce monument qu'est la Vulgate, l'Église nous donne à la fois le texte inspiré et l'indication du sens qu'il a traditionnellement reçu.
Nous recevons donc la Vulgate de notre Mère l'Église, non seulement par soumission pleine et joyeuse aux canons du concile de Trente, mais en considération des innombrables générations de catholiques, nos pères dans la foi, qui ont commenté ou entendu commenter, qui ont médité et scruté cette version pour le bien de leur âme. Comme l'atteste Mangenot : « La Vulgate est par excellence la version ecclésiastique de l'Écriture, l'instrument providentiel de la diffusion de la révélation divine au sein de l'humanité, et le véhicule de la pensée du Saint-Esprit à travers le monde entier. »
120:212
Le texte que nous donnons, nous l'avons dit déjà, n'est pas celui d'une édition savante faisant le point des recherches actuelles. Mais le texte d'une édition sûre non savante, d'une édition honnête dont l'ambition n'était que de donner une leçon satisfaisante de la Vulgate. Nous avons publié le texte donné par la Société de saint Jean l'Évangéliste en un volume, Tournai, 1881.
\*\*\*
Comme nous l'avions annoncé nous avons mis une traduction française en regard du texte latin et la traduction retenue est celle dite de Le Maistre de Sacy. Dite, parce que entre la première publication du Nouveau Testament en 1667 et l'achèvement en 1695 de la première édition complète, la traduction a subi de nombreuses modifications, dues à de nombreuses mains. Faites après la mort de Sacy en 1684, certaines retouches sont indétectables. Et savoir qui a traduit quoi et quelle est la version « authentique » était naguère encore un sujet de discussions serrées. Aujourd'hui, à notre connaissance, ce n'en est plus un car les travaux sur la Vulgate n'intéressent plus qu'une poignée de spécialistes. Et quelques chrétiens, convaincus qu'ils doivent tirer profit de ce qui est depuis si longtemps un trésor entre les trésors de l'Église.
121:212
Donc la question du texte de la traduction de Le Maistre de Sacy n'est pas simple. D'autant que cela avait fort mal commencé. Presque aussi mal que la première édition officielle de la Vulgate, due à Sixte Quint. En pleine crise janséniste, Louis-Isaac Le Maistre, plus connu sous le nom de Le Maistre de Sacy, avait établi, avec les solitaires de Port-Royal et notamment Arnauld, une traduction du Nouveau Testament. L'autorisation d'imprimer, refusée à Paris fut accordée à Cambrai, et l'ouvrage parut à Mons en 1667. Il obtint un très grand succès : cinq mille exemplaires en quelques mois et neuf éditions en deux ans. Mais la traduction fut immédiatement attaquée et rapidement condamnée, dès 1668, par Clément IX. Cependant, Sacy, embastillé, avait traduit l'Ancien Testament. Et les éditions du Nouveau Testament se succédaient malgré les condamnations de Rome et de Paris. Mais la première édition complète, dont dérivent toutes les éditions ultérieures, elles-mêmes plus ou moins retouchées, fut revue, nous l'avons dit : par Arnauld, en accord avec Sacy, et sans doute par Du Fossé, Huré et Thouret, après la mort de Sacy. Il en résulte un texte amendé, notablement modifié pour le Nouveau Testament, et qui ne fut point condamné.
Dès les premières années du XVIII^e^ siècle, cette traduction est la plus répandue. Et, à part la condamnation par Clément XI du livre de Quesnel « Abrégé de la morale de l'Évangile » où se trouve attaquée la version de Mons (mais laquelle ?), il n'est plus question d'urger les condamnations antérieures, ni à Rome ni en France. Un simple coup d'œil sur les travaux du temps et les avis des uns et des autres, montre de quelle considération jouissait le travail de Sacy.
C'est de sa traduction que se sert le célèbre commentateur bénédictin de la Bible, Dom Calmet, dans son « Commentaire littéral sur tous les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament » (23 volumes, Paris, 1707-1716) dont il y eut trois éditions françaises complètes entre 1707 et 1726.
122:212
Le texte de Sacy sert également au P. de Carrières, oratorien, pour son « Commentaire littéral, inséré dans la traduction française » (22 volumes, 1701-1717) qui sera constamment réédité ou réutilisé jusqu'à la fin du XIX^e^ siècle.
Bossuet, qui a lui-même traduit l'Écriture Sainte, savait la valeur du travail de Le Maistre de Sacy. Non content d'encourager vivement le P. de Carrières à poursuivre son travail et de le recommander à tous, il indiquait aux religieuses de son diocèse, dans une « Instruction sur la lecture de l'Écriture Sainte » que « la traduction de l'Ancien Testament, attribuée à M. de Sacy, est fort approuvée », et ne citait qu'elle.
D'un tout autre horizon, voici saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Il a beaucoup fréquenté la traduction et les commentaires de l'édition de Le Maistre de Sacy et, aux dires des Montfortains, il se servait sans doute de cette traduction à l'ordinaire. Ce qui paraît en effet fort probable quand on compare les textes. Au début du chapitre 2 de « L'amour de la Sagesse éternelle » par exemple, la traduction du chapitre 24 de l'Ecclésiastique et le commentaire qui suit sont tirés littéralement de Sacy.
Quant aux éditions et rééditions proprement dites, avec ou sans notes, avec ou sans le texte latin, elles n'ont pas cessé de se succéder : dans le courant du XVIII^e^ siècle chez Desprez et divers confrères, avec permission de l'archevêque de Paris et privilège du roi, et par la suite chez Didot ; au XIX^e^ siècle, chez nombre d'éditeurs célèbres : Hachette en 1837 et 1840, Furne en 1846, Garnier en 1875, etc. ; différentes révisions sont entreprises par les abbés Jager, Delaunay, Jacquet entre autres.
123:212
Il faut citer enfin les travaux de Fillion qui propose une traduction de la traduction de Le Maistre de Sacy que nous avons constamment consulté (in : La Sainte Bible commentée d'après les textes originaux, à l'usage des séminaires et du clergé, 8 vol., Paris, 1912). Précisons encore, s'il en est besoin, que, vérifications faites, la traduction dite de Sacy ne figure point au dernier index, publié sous Pie XII.
\*\*\*
Ces questions sont très difficiles, réclament un grand soin, beaucoup de patience, et encore plus d'humilité. L'abbé Chabot, proposant en 1910 une nouvelle traduction des Évangiles d'après la Vulgate, rapporte :
« Un traducteur expérimenté, l'abbé Glaire, écrivait en 1861, à la fin de l'avertissement à sa version du Nouveau Testament : « Les diverses fautes que l'on pourra relever dans notre traduction ne sauraient être d'une grande importance, puisque le Saint-Siège, auquel nous avons cru devoir la soumettre, n'en a permis la publication qu'après un long examen fait par la S. Congrégation de l'Index. » Cependant, dans cette même édition, entre autres défauts, on peut constater que le nom de Mathatha est omis dans la généalogie de Notre-Seigneur (Luc, III, 31) ; les mots « fils de Simon » (Jean, XIII, 2), et les mots « qui cherches-tu ? » (Jean, XX, 15) le sont également ; on lit « la Galilée » au lieu de « la Judée » (Luc, XXIII, 51), « m'a envoyé » au lieu de « l'a envoyé » (Jean, VII, 18), « fils de Dieu » au lieu de « fils de l'homme » (Jean, V, 27). Cela suffit pour nous avertir que, malgré le zèle et l'attention soutenue apportés à ce travail, nous ne devons pas avoir l'illusion de penser qu'il ne nous est échappé aucune imperfection. »
124:212
Nous n'avons pas non plus cette illusion. Mais, redisons-le au risque d'être fastidieux, notre propos est des plus humbles : il s'agit de procurer, selon nos moyens, une édition ordinaire de la Vulgate. Afin que ceux qui en sont privés n'en soient plus privés. Nous n'avons fait que puiser dans les trésors accumulés par nos ancêtres dans la foi, sans chercher à nous singulariser en rien. C'est pour cela que nous n'avons pas voulu choisir parmi les fort savantes révisions de la Vulgate qui n'ont point reçu la garantie d'une autorité incontestée dans l'Église. Ni exhumer une traduction française que l'un ou l'autre déclare remarquable et injustement oubliée.
Reste la question des notes et commentaires. Les fascicules qui paraissent donnent page pour page le texte français et le texte latin avec les passages parallèles, mais ne donnent point de commentaires ni de notes. Or l'Église enseigne que l'on ne peut pas lire l'Écriture Sainte sans le guide de son interprétation traditionnelle et de son enseignement permanent. A défaut d'un commentaire complet, que nous entreprendrons de publier un jour s'il plaît à Dieu, le résumé le plus sûr de cette interprétation et de cet enseignement se trouve dans le catéchisme du concile de Trente.
Enfin l'on n'oubliera pas les précieuses recommandations de Bossuet dans *l'Instruction* dont nous avons déjà parlé : « *La plus utile observation qu'il y ait à* *faire sur la lecture de l'Écriture, est de s'attacher à profiter de ce qui est clair, et de passer ce qui est obscur, en l'adorant ; et soumettant toutes ses pensées au jugement de l'Église. Par ce moyen, on tire autant de profit de ce qu'on n'entend pas que de ce qu'on entend ;* PARCE QU'ON SE NOURRIT DE L'UN, ET ON S'HUMILIE DE L'AUTRE ([^28]). »
Antoine Barrois.
125:212
### Le cours des choses
par Jacques Perret
*Jardin des Plantes* (suite). -- Le nom lui est resté de ses origines. S'il a prévalu sur celui du Muséum, décerné par les beaux esprits de la Convention obsédés de promotion romaine, nous le devons au bon bec des Parisiens. Ils ont retenu d'instinct le bonheur d'expression. Elle se présente en effet comme doublement agreste par l'ambiguïté d'une préposition assez généreuse pour non seulement confirmer un jardin dans sa vocation de terrain planté, mais le combler de toutes les plantes et, de surcroît, faire entendre que les plantes elles-mêmes en jouiront comme d'un jardin. S'il est objecté que ce nom-là ne suffit pas à l'ensemble du nommé, qu'à cela ne tienne, la rhétorique nous dira que la synecdoque est ici patente et valable. Le tout est en effet constitué par les sciences naturelles dont les minéraux, les plantes et les animaux sont les parties. Honneur à celle qui porte le chapeau et n'en parlons plus.
Tous les échantillons bien choisis du règne minéral sont rassemblés et classés dans l'une des grandes galeries qui longent la rue Buffon. Leur conservation ne pose pas de problème. Pour le règne animal c'est une autre affaire. Les représentants des espèces périmées, en leur état plus ou moins fragmentaire ou reconstitué, sont relativement à couvert dans la galerie paléo. C'est une collection réputée très belle, et riche à tel point que le grenier lui-même est bourré d'un ramassis tout à fait sensationnel, unique au monde par la présence de pièces rarissimes et la décomposition avancée des carcasses et carapaces déterrées du jurassique et du pliocène qui en avaient jusqu'ici jalousement assumé la garde. L'entrepôt des reliques est en effet depuis quelques années au péril des intempéries sous un toit crevé.
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Cet ossuaire en soupente, me dit-on, fait un spectacle hallucinant, le cauchemar des conservateurs impuissants. La république hélas n'est pas en moyens ni en devoir de protéger des coccyx d'ichtyosaures quand il faut loger les rois nègres en palais de marbre, assurer le couvert du terrorisme international et pratiquer la dilapidation promotionnelle des deniers publics à tous les niveaux de la conscience démocratique. On ne peut quand même pas, avouons-le, demander à la démocratie galopante et expansive de pourvoir à l'entretien de nos fossiles.
Quant aux modèles vivants du règne animal, ils sont tous, excepté deux nandous, l'éléphant de mer et un lot de volailles hindoues, consignés à vie dans le secteur clos dont l'entrée est payante. En revanche, le règne végétal se laisse voir à l'œil sur toute l'étendue du jardin, mis à part le petit vallon délicieusement romantique où trois mille variétés de la flore alpine sont offertes au promeneur matinal pour 1,50 F. Nous avons là l'espace vert le plus intensément botanique, le plus pittoresque et précieux de tout Paris sinon le plus secret car il est dans son ravin à la merci des regards plongeants. Toujours est-il que par la surface occupée à saturation, le règne végétal n'arrête pas de confirmer l'appellation de Jardin des Plantes. Pour Ce qui est de l'espèce humaine elle y est représentée par le tout venant de ses genres et sous-genres et variétés. L'espèce humaine est le nom qu'elle se donne par fausse modestie. Sans douter en effet qu'elle ne soit bel et bien régnante sur l'univers elle a cru bon de s'en tenir à l'espèce et de laisser les cailloux, les pissenlits et les huîtres se partager les honneurs du règne. L'espèce humaine a le privilège, ici plus qu'ailleurs, d'être objet de curiosité à elle-même aussi bien qu'aux bêtes. La science qui la concerne, l'anthropologie, n'en est pas moins du ressort du Muséum où elle est étudiée et enseignée concurremment à la fac des sciences humaines, sa voisine, et le Musée de l'Homme, pépinière lui-même d'une variété de l'espèce humaine appelée ethnologue et caractérisée par un esprit doctrinaire aliénant.
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Aux heures d'ouverture le Jardin des Plantes est généreusement accessible à tous les ressortissants de l'espèce humaine. Elle peut alors entrer, sortir, aller, venir librement dans les allées à condition de ne pas cueillir de fleurs, ni taquiner les animaux, ni agresser les gardiens, ni dérober des améthystes. Notons au passage qu'elle se laisse ordinairement désigner sous le nom vulgaire mais officiel de public. Nous pouvons faire ici de ce public un classement sommaire en distinguant les transitaires et les habitués si nous mettons à part les membres du personnel ; en tant qu'implantés, si j'ose dire, ils n'appartiennent pas au public. Les transitaires empruntent le jardin parallélépipède par la grande diagonale est-ouest à seule fin généralement de raccourcir le trajet Austerlitz-Jussieu. Les étudiants de Censier ne font que l'écorner par le sud pour se rendre eux aussi à Jussieu où la bouche de métro, face à la tour Zaminski, n'arrête pas d'avaler et régurgiter une espèce humaine où l'étudiant domine. Le reste est fourni par la petite bourgeoisie indigène grossie des nouveaux habitants intéressés par la promotion universitaire du quartier.
Il y a là, pour accueillir la confluence, une petite place, grouillante et volontiers historique pour peu que s'échauffe le social. Ce minuscule agora est à la fois défendu et menacé par un méli-mélo buissonnant de vélos et motos. On se fraye des passages dans l'épaisseur du roncier qui s'appuie et prolifère sur les flancs du parc-auto estudiantin, massif impénétrable avec prolongement tentaculaire jusqu'au carrefour Saint-Bernard. Ainsi borné, le terre-plein, l'espace Jussieu, invite au piétinement, avec ou sans motif plausible. Constamment renouvelé un détachement fait au moins figure, aux heures creuses, de piquet de vigilance en territoire occupé. La caution universitaire, privilège ambigu, est implicite en ce lieu et plus sensible que partout ailleurs sur la voie publique. On y voit aussi bien le discuteur de problèmes et le cancre farouche, le boursier de l'avenue Mozart ou celui du Tibesti, mais n'importe qui, le temps de passer, éprouvera comme un sentiment d'immunité culturelle.
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L'endroit est d'ailleurs assez charmant, il a gardé du temps de la Halle aux Vins un petit côté désuet, bon enfant, peinard mais fragile et déjà snobé, le studio très cher, la mansarde introuvable. On remarquera sur la place un kiosque à journaux très prospère car la jeunesse depuis peu est politisée par devoir. A côté c'est une marchande de marrons, peut-être auvergnate mais assistée d'un protecteur assurément arabe. Trois bancs du type municipal 1880 se proposent au confort du lecteur studieux comme à celui du vagabond fatigué. Enfin l'espace est bordé de quelques arbres. Par leur disposition et par effet d'ambiance on pourrait y voir comme le bois sacré des muses mathématiques et sociologiques. Malheureusement ces arbres-là, fortement ébranchés, sont moins appréciés pour leur feuillage que pour leur tronc. Ils ne sont plus que troncs et ordinairement vêtus, corsetés, placardés d'affiches et affichettes, imprimées ou manuscrites, commerciales, politiques, syndicales, touristiques, revendicatives, alarmistes, vengeresses, et parfois scolaires. Même si la loi autorisait à coller sur tronc, la colle ne tient pas, ou mal, sur l'écorce. L'afficheur sans mandat utilise alors le clou, la punaise, la semence et mieux encore l'agrafeuse en rafale. C'est au mois d'août seulement que les offenses à la qualité de vie et aux lois de l'hygiène publique seront furtivement vengées. Fournis par le chômage et constitués en commandos, se répandront alors dans le quartier les nettoyeurs de graffitis et gratteurs d'affiches, mais aussi les dépouilleurs de troncs d'arbres. Ils nous laisseront le quinconce de Jussieu en tenue d'écorchés vifs, colonnes Morris râpées jusqu'à l'os, poteaux totémiques défaits de leurs placards votifs pour n'en plus témoigner que par les clous, punaises et agrafes dont ils resteront piqués, grêlés, maillés.
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En revanche la timidité de nos étudiants les empêche encore de placarder au Jardin des Plantes le cèdre de Jussieu, ni l'érable de Tournefort, ni le platane hybride de 1735, ni le pin Laricio de Turgot, ni même la tranche de séquoia bimillénaire offerte en 1920 par les anciens combattants californiens. Un je ne sais quoi de tabou protège encore ce jardin. Même en 68, quand nos jeunes gens bousillaient les plates-bandes du Luxembourg, je ne sais quel instinct de primitif, quelle fascination panique, les empêchèrent de profaner ce phylactère de la Nature innocemment coincé entre le foirail des Sciences Humaines et la forteresse des sciences tout court. Il est d'ailleurs à noter que dans ce jardin si recherché par le Tiers-Monde, nos étudiants, fussent-ils vêtus en fantaisie, passent ou séjournent comme placides bourgeois du quartier. Ni chansons ni farces et la blague pour la blague, joujou réactionnaire, terminé. Il convient de se réserver pour les amusements sérieux, et s'il faut décrocher des enseignes ça se fera au plastic.
Dans la population du jardin, on distinguera ai-je dit les transitaires et les habitués. On peut toutefois relever de ces deux catégories et tel est notre cas. Depuis que nous logeons sur ses bords il fait partie de nos itinéraires, plaisance ou labeur. Aujourd'hui nous avons la tour Zaminski dans le dos mais vue sur la crête du labyrinthe et, par vent portant, la voix des fauves et tous les parfums de la chimie expulsés des laboratoires. Quand nous habitions de l'autre côté, rue Buffon, le plus court chemin du métro passait par l'allée transversale ; mille fois parcourue dans les deux sens, à toute heure, en toute saison, bon matin ou soir venu, solitaire ou en famille, et chaque fois la satisfaction de constater la présence du phoque, à l'eau ou à sec. Je pense éléphant de mer et je dis phoque, c'est plus facile pour les enfants et j'ai pris l'habitude. Un soir qu'ayant à sortir et que l'heure approchait de la fermeture j'avais descendu l'escalier en vitesse avec la boîte à ordures et les idées ailleurs, je me retrouvai devant le bassin avec ma boîte pleine et sous le regard inquiet des derniers flâneurs. Ils étaient trois et visiblement s'interrogeaient sur la nature de mes relations avec un amphibie si rare. On entendait au loin crier les zébus, les chacals et les paons.
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Les trois témoins faisaient semblant de m'ignorer. C'est bien l'heure, pensaient-ils, où les grands maniaques vont servir aux monstres captifs des nourritures extravagantes. Ma façon de hausser les épaules en ricanant de moi-même ne les ayant pas convaincus, je me sentais en devoir de leur exposer le processus de l'étourderie quand les gardiens commencèrent à siffler la retraite aux quatre coins du jardin. Sur ce motif on ne peut plus honnête je fis demi-tour avec ma boîte, et d'un air et d'une allure qui pussent laisser derrière moi s'approfondir tous les mystères de la nature aggravés de la nuit tombante et de l'ineptie de ma démarche. L'incident n'était pas quotidien mais tous les soirs quand le sifflet des vigiles annonce l'éjection des êtres humains et du même coup la paix chez les coléoptères et les proboscidiens, c'est le grand moment de ce jardin. La plongée dans les mystères de la nature aux abords du surnaturel mais la tentation du panthéisme est Dieu merci de justesse écartée par l'Angelus de l'hôpital ou celui de Saint-Médard.
Le matin en revanche il m'arrivait souvent de rencontrer l'ânier qui débouchait sur le trottoir pour mener sa bête promener les enfants dans le jardin. Elle sortait d'une écurie, je ne sais où, quelque part dans un racoin d'arrière-cour, et nous attendions tous les trois sur le trottoir que s'interrompe le défilé des voitures automobiles. Je précise automobiles au cas où la présence de l'âne vous donnerait à imaginer deux croquants au bord d'une route parcourue au grand trot par un train de berlines. Le nuage soulevé n'était pas de poussière mais de vapeurs irisées embaumant la fleur de soufre. Nous échangions alors quelques propos et interjections banales sur la condition de l'âne parisien dans le pourrissement de son écologie ; mais visiblement l'ânier s'en fichait, l'âne aussi peut-être. La rue traversée nous prenions congé à l'entrée du jardin où bifurquaient nos itinéraires et je voyais l'ânier retenir la bête qui menaçait de trotter, mise en joie sans doute à l'idée de se renfiler dans les brancards de sa charrette enfantine.
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L'âne a disparu dans les années 60, il n'a pas eu de remplaçant. Amusement trop puéril aux yeux de nos bambins, à cet âge ils donneraient des leçons aux papas entichés de rétro. L'ânier a disparu lui aussi que d'ailleurs je soupçonne de n'avoir été qu'un ânier d'occasion. Il a dû se retirer dans la société sauvage des chômeurs irresponsables, avec les vitriers ambulants et les montreurs d'ours. Quant à l'âne, j'ai caressé l'hypothèse où la direction du Muséum aurait pu se faire un devoir d'honorer sa ménagerie du dernier représentant de l'espèce *asinus parisiensis*. Mais je ne pouvais ignorer qu'il y avait alors dans la rue Monge une boucherie hippophagique fort achalandée par les amateurs de biftec d'âne, confrérie très ancienne et bien sûr, elle aussi, en voie d'extinction.
Cela dit qu'on n'aille pas me soupçonner de tirer à la ligne et noyer le sujet dans l'usage abusif des souvenirs personnels.
-- Jamais, me dites-vous, pareil soupçon ne nous viendrait à l'esprit. Nous craignons seulement le trou de mémoire qui nous priverait de la suite annoncée au dernier numéro.
-- Détrompez-vous. Pas un instant je ne perds de vue les raisons capitales d'un établissement qui par effets conjoints de la faveur populaire et du cours des choses n'arrête pas d'assumer des responsabilités marginales non prévues dans les statuts d'origine. Ne suis-je pas alors autorisé à ouvrir de ces parenthèses dont bien souvent le contenu est plus instructif que le texte courant ? Ne vous aurais-je pas émus tout à l'heure à l'évocation d'un jardin tout rempli des bienfaits de la création et soudain vidé de son espèce humaine ? Ça ne vous rappelle rien ?
-- Non. Dans sa répétition vespérale et quotidienne le rapprochement est non seulement insensé mais le concours de vos ordures ménagères le fait indécent. Ne cherchez pas à souffler plus haut que votre bouche, soit dit honnêtement.
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Votre devoir ici n'est rien que d'honorer le programme impliqué dans la petite parenthèse où, le mois dernier, le sujet en cours fut donné comme étant à suivre. Nous attendons. Il s'agissait des ormes du jardin, de leur maladie inguérissable et de leur fin prochaine, subsidiairement des joueurs de dames accoutumés à leurs ombrages.
-- Je ne m'en dédis pas, à cela près je l'avoue que le sort des ormes étant réglé, je me disposais à vous entretenir des joueurs et du jeu. Malheureusement il se fait tard et le thème est copieux, ce sera pour la prochaine fois, merci de me faire confiance. En dépit de l'apostrophe moqueuse, attendez-moi sous l'orme. La conjoncture électorale, économique, épiscopale, culturelle, écologique et giscardienne serait-elle dramatique, le rendez-vous de l'allée aux dames sera tenu.
\*\*\*
*A part ça rien de bien neuf dans le cours des choses et tout se passe comme prévu du côté Giscard, pilote et président global. S'il commence à donner quelques signes de nervosité, nous les attendions. L'impatience difficilement contenue de sa vocation de despote éclairé en présence des impératifs de la démocratie globale, suffit à expliquer, disons le mot, sa crispation. Elle apparaît non seulement dans le jeu outré de ses lèvres musclées trop attentives à mouler chaque mot, mais dans le regard émincé, soupçonneux, glacé qu'il promène silencieusement sur l'auditoire après chaque phrase pour en contrôler les effets. On en viendrait même à se poser des questions sur l'optimisme guindé, ombrageux de ses propos rituels où nous sont rapportés l'inévitable cordialité de ses échanges de vues avec les grands de ce monde, les résultats positifs de ses entretiens privés dans l'intervalle des bamboulas folkloriques et des petits cadeaux, et le bonheur des contentieux étudiés dans un esprit de compréhension mutuelle, franc et loyal. Pour un peu ces rengaines, articulées comme il est dit, finiraient par nous impressionner.*
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*Ayant confessé une fois pour toutes au seuil de son mandat qu'il était spiritualiste, le président global n'y reviendra pas, non plus que sur les mœurs. Ces questions-là sont définitivement réglées par le décret liminaire de libéralisme global. La grande affaire, la seule qui soit prioritaire et digne du peuple français, n'arrêtons pas de le répéter, c'est la finance, l'économie, le bien-être. Il est suffisamment établi que l'honneur, par exemple, est une notion oppressive qui ne peut qu'empoisonner la qualité de la vie et paralyser le progrès. Que les membres arrachés du commandant Galopin soient jetés aux chacals et que plaise aux Toubous sa mémoire étouffée. La parabole fait règle d'or en tous lieux, tous temps et toutes circonstances.*
Jacques Perret.
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### Billets
par Gustave Thibon
L'hypocrisie de la pauvreté
21 janvier 1977
On vient de faire une enquête sur la fortune des leaders de la politique française. Je constate avec un étonnement mêlé de scepticisme que les plus élevées restent inférieures à celles de tel commerçant ou de tel propriétaire terrien de mon chef-lieu de canton. Par ailleurs -- et les discours nécrologiques en témoignent -- la suprême louange qu'on puisse décerner à un homme politique au soir de sa vie est de déclarer pompeusement : « Il a quitté les affaires publiques aussi pauvre qu'il y était entré. »
Car la pauvreté -- ou du moins l'affectation de la pauvreté -- est devenue furieusement à la mode. Les mieux « nantis » clament leur mépris des biens matériels et se donnent beaucoup de mal pour réduire au minimum l'exhibition des signes extérieurs de richesse. Les temps sont loin où, la mode jouant en sens contraire, les pauvres rougissaient de leur indigence. « Ce ne serait rien d'être pauvre, me disait jadis un aristocrate ruiné, si ça ne coûtait pas si cher de paraître riche. » Aujourd'hui, combien d'élus de la fortune pourraient dire : « Ce ne serait rien d'être riche si ce n'était pas si compliqué de paraître pauvre. » Bref, le riche honteux s'est substitué au pauvre humilié...
Devant cette nouvelle hypocrisie, inspirée par la plus basse démagogie, j'éprouve l'envie de faire une apologie de la richesse. Non pas, certes, de n'importe quelle richesse, mais de celle qui correspond aux qualités de l'homme qu'on appelait jadis « le bon riche ».
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Car s'il y a une richesse illégitime et coupable -- celle du bien mal acquis ou mal employé, il y a aussi une richesse non seulement légitime, mais féconde et bienfaisante : celle de la fortune bien acquise et bien employée.
Comme il y a une bonne pauvreté, issue du détachement ou du malheur, et une mauvaise pauvreté, fruit stérile de l'impéritie ou de la paresse. Ce n'est pas toujours un mérite d'être pauvre, ce n'est pas nécessairement une tare d'être riche.
Cela dit, qu'est-ce qu'un bon riche ?
1) Celui dont les avantages personnels correspondent à une part des services rendus à la collectivité. Nous parlions plus haut de ces hommes politiques qui quittent, la scène publique aussi pauvres qu'ils y étaient entrés. Je m'incline devant leur désintéressement, mais l'essentiel est de savoir comment ils se sont acquittés de leurs fonctions. J'avoue préférer un Richelieu ou un Colbert qui avaient amassé une immense fortune, mais dont l'heureuse gestion du patrimoine national méritait cette récompense, à tel ministre intègre mais incapable qui ruine un pays sans s'enrichir lui-même. Il est vrai qu'on peut allier la cupidité à l'incompétence, -- et certains scandales récents semblent indiquer que ce lamentable cumul n'est pas inconnu de nos jours.
2) Celui qui fait un bon usage des biens acquis par son talent et par son travail : gestion communautaire d'un patrimoine ou d'une entreprise, bienfaisant mécénat, etc.
Je ne prêche pas, comme on dit, pour ma paroisse. Je suis né et je mourrai pauvre et je ne m'en vante pas. Je n'ai pas les qualités requises pour devenir riche et si quelque faveur imméritée du sort m'apportait la fortune, j'ai tout lieu de craindre que je la gèrerais fort mal. Mais je ne vois pas là une supériorité, bien au contraire. A voir, par exemple, comment l'État gère les deniers publics, on aimerait posséder l'art de bien gérer les deniers privés. Hélas, encore une fois, je n'ai pas plus de dispositions pour cela que pour la musique autant vaudrait me faire cadeau d'un piano à queue ou, mieux encore, équiper un aveugle d'un télescope...
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« Il y aura toujours des pauvres parmi vous » dit l'Évangile. Ce qui laisse supposer qu'il y aura aussi toujours des riches. Même les régimes collectivistes ont leurs privilégiés : la situation matérielle d'un membre du Soviet suprême n'a rien de commun avec celle d'un manœuvre d'usine ou d'un kolkhozien. Alors à quoi riment ce discrédit jeté sur la fortune et cette mauvaise conscience qu'on insuffle aux riches ? Simplement à ceci que, le droit à la richesse n'étant plus reconnu, ses détenteurs tendent à en oublier les devoirs, de sorte qu'au lieu d'améliorer le sort des pauvres, on accroît le nombre des mauvais riches...
Le pain et les jeux
28 janvier 1977
Nous lisons, dans la *Documentation Catholique* du 15 août dernier, les textes suivants extraits d'un discours de M. Kasimir Kakol, directeur de l'Office des Cultes en Pologne :
« Pourquoi les églises sont-elles pleines à craquer. Ce n'est là que l'effet de besoins mal assouvis. On va à l'église pour combler un vide de la vie sociale, par manque de bons passe-temps. Si nous donnions aux gens de meilleurs divertissements, ils cesseraient d'aller à l'église... Par conséquent le meilleur champ de bataille pour vaincre l'Église se situe au niveau d'une vie plus aisée et plus confortable. Avec une société de consommation, nous obtiendrons des conditions analogues à celles de l'Occident, qui hâteront le dépérissement de l'Église. »
Voilà un aveu d'importance dont il faut savourer les conséquences. C'est un des dogmes marxistes que la religion est l'opium du peuple, c'est-à-dire le refuge illusoire des démunis et des opprimés. Donnez au peuple le bien-être matériel et tous les divertissements qui en découlent -- du pain et des jeux, disaient les Romains -- et il n'aura plus besoin de la religion. Or notre orateur reconnaît que la société communiste reste impuissante à lui procurer ce pain et ces jeux.
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Mais le communisme n'est pas seulement un système économique, c'est aussi un idéal de paix, de justice, de fraternité qui, dans l'optique de ses prophètes, doit permettre au peuple de supporter les privations du présent dans l'espoir consolateur d'un avenir radieux mythes de « dépérissement de l'État », du « grand soir », de la « Cité future », etc. Alors, comment se fait-il que, dans ce domaine incontrôlable de la foi et de l'espérance, ces pauvres Polonais se tournent vers l'Église catholique et non vers l'Église marxiste et préfèrent la promesse du « siècle à venir », c'est-à-dire l'éternité bienheureuse, à celle des « lendemains qui chantent » ?
Ce sont là deux faits qui consacrent la double faillite de l'idéologie marxiste : sur le plan matériel puisqu'elle est incapable d'assurer la prospérité économique et sur le plan spirituel puisqu'elle échoue à inspirer la foi.
En bonne logique, le militant de l'athéisme qu'est M. Kakol devrait prêcher l'abandon de l'économie socialiste et le retour à la liberté du marché, -- ce qui donnerait beaucoup plus de chance à son pays d'accéder à un niveau de consommation voisin de celui de l'Occident, -- qu'il présente comme un modèle, -- et, toujours de son propre aveu, contribuerait puissamment au dépérissement de la religion. Qui veut la fin devrait vouloir les moyens...
Mais Dieu a la vie plus dure que ne l'imagine notre dirigeant polonais. Dure comme l'éternité qui est un de ses premiers attributs. Cette société de consommation, -- j'entends de la consommation et du divertissement érigés en valeurs suprêmes et capables de détrôner Dieu dans le cœur des hommes, -- nous la connaissons en Occident et nous pouvons la juger à ses fruits. Il est très vrai qu'elle a largement contribué à détourner les âmes des sources divines. Les passe-temps. -- comme s'il s'agissait de tuer le temps au lieu de le remplir, -- ont émoussé en nous le sens de l'éternel. De sorte que l'athéisme, -- pratiqué sinon proclamé, -- a gagné du terrain en Occident alors qu'il en perd chaque jour, malgré les propagandes officielles, dans les États totalitaires. En cela, les propos de M. Kakol rejoignent, avec des jugements de valeurs opposés, les textes célèbres de Pascal sur le divertissement, solvant de la vie intérieure et, du sentiment religieux...
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Faut-il en déduire, comme l'enseigne le marxisme, que la religion n'est que le substitut imaginaire du bien-être matériel absent ? Non, c'est ce bien-être même qui est le substitut de la religion, c'est le large éventail de facilités qu'il nous offre qui nous voile le mystère de notre origine et de notre fin. Un voile impur et fragile qui tôt ou tard se déchire et laisse à nu le vide infini qu'il recouvre. J'insiste sur ce mot-clef : le vide. On va à l'église pour combler un vide, dit M. Kakol. Quel vide ? Ce vide en surface que crée le manque de pain et de jeux ? Mais l'Occident, après une période d'euphorie factice, commence à souffrir d'un autre vide : ce vide en profondeur que laisse dans l'âme l'abondance inassimilée de pain et de jeux et qui se traduit par l'ennui, l'angoisse ou la révolte. Et les meilleurs, déçus par ces nourritures extérieures qui trompent la faim sans l'apaiser, reviennent à la foi religieuse, de sorte que la satiété produit les mêmes effets que la privation.
Cher M. Kakol, Pascal au petit pied et à courte vie, on ne se défait pas si facilement de Dieu. Il nous attend au bout de tous les chemins, et tous les chemins, s'ils ne mènent pas à lui, tournent en impasses. Laissez la foi à votre peuple : il en a besoin pour supporter la pénurie et, si vous arrivez un jour, -- ce dont je doute fort à cause du caractère antiéconomique du collectivisme, -- à lui procurer le bien-être, il en aura besoin davantage encore pour dominer la prospérité.
Gustave Thibon.
© Copyright Henri de Lovinfosse, Waasmunster (Belgique).
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### Des cailloux sur la foire
*suite*
par Paul Bouscaren
« Notre époque est celle du faux, peut-on dire, parce que les objets d'art ne sont pas estimés pour ce qu'ils sont, mais pour ce qu'ils valent. » (*France-Inter,* 9 h., 15 novembre 1975.) Bravo, monsieur, mais il faut constater partout ce que vous voyez dans votre partie : notre époque est celle du faux parce qu'on n'estime plus rien pour ce qu'il est, (on ne prétend plus savoir ça), mais pour son poids de fric, (ça, on le fait savoir aux écoliers beaucoup mieux que l'orthographe).
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Il est bon de rappeler la sentence dualiste de Jésus :
« Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu », encore meilleur d'être et de rendre attentif à ce qui précède (Matthieu, 22/18-20) : et c'est-à-dire comment Jésus éclaire la réalité en cause pour donner à la question de conscience une réponse d'obligation sociale. « Est-il permis ? » Tout beau, messieurs, il s'agit de votre existence comme vous l'avez !
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140:212
« L'éternité est dans la nature de l'amour » a dit Bossuet ; ne faut-il pas entendre : et nulle part ailleurs ? Non certes pour reprocher à ce temps d'être temporel en ses amours, mais d'avoir tant de peine à s'y croire éternel, ou rien.
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Il pleut, il vente, vois comme tombent les belles feuilles mortes ! Mon Dieu ! mon Dieu ! faites tomber pareillement les affreuses feuilles mortes du grand arbre de l'Église !
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Si le plaisir suffit à l'action, pourquoi pas la violence qui plaît ?
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Faits et dits soigneusement ignorés par l'information, -- du genre : « Un nouvel Islam nous menace d'un esclavage à l'antique », signé Charles Maurras, dans *L'Action française* avant 1939 ; et il s'agissait de l'Allemagne nazie.
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Il y a les peines inhérentes à la condition humaine, mais il y a aussi des injustices sociales à réparer ; on doit le voir et le dire, on ne doit pas s'arrêter là, car une des peines inhérentes à la condition humaine tient à l'inévitable imperfection de la nécessaire existence sociale ; chose que la révolution ignore pour être la révolution.
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Mais oui, je suis contre la liberté pour tous, de tomber par la fenêtre en croyant passer la porte, démocratiquement, c'est-à-dire incapables des choix offerts à l'opinion et à l'élection des badauds par le charlatan libéralisme.
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Tous les hommes sont également mes frères selon que j'appartiens, et voilà tout, à l'espèce humaine ; mais, selon cela seul, je n'existe pas, ni, aucun homme n'existe ; les humains n'existent que moyennant d'autres liens fraternels que ceux de l'espèce ; l'égale fraternité humanitariste est hallucinatoire.
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L'humain est dualité ; pour que la vie soit humaine, il faut faire la juste part de chaque élément. Si l'on ne peut y arriver, lequel vaut-il mieux faire trop prévaloir, sinon celui qui doit prévaloir ? Ainsi faisait l'humanité traditionnelle ; la révolution, au contraire.
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Le handicapé dont la réinsertion sociale me semble de beaucoup la plus urgente, pour tout le monde, c'est l'esprit moderne ; je précise : l'esprit handicapé directement quant à la vie sociale en tant que telle, et ce, pour être un pitoyable habitudinaire, un aboulique du vice démocratiste.
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L'adoration en esprit et en vérité, en esprit et en réalité, je la trouve admirablement dans la liturgie traditionnelle ; dans celle de l'aggiornamento, à supposer l'esprit, que reste-t-il de la vérité ?
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Dieu est inconcevable, mais est-il inconcevable que l'inconcevable soit, si l'on ne fait pas équivoque, avec l'Être inconcevable, de ce qui ne peut être conçu sans contradiction et ne peut donc pas être ? Dieu est inconcevable, mais Dieu peut-il être concevable comme le sont les réalités du monde, et n'est-ce pas ce que l'on voudrait en objectant que Dieu est inconcevable ?
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Il est inévitable que la vérité se charge d'erreurs à mesure qu'elle se propage parmi les hommes : la merveille, sinon le miracle, de l'Église catholique, est d'avoir échappé à cette loi de l'histoire depuis le Christ jusqu'à nos jours ; on l'a ouverte au monde, fin immédiate de la merveille ou du miracle, confirmation et de la loi fatale, et de la sainte Église traditionnelle.
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Non seulement le démocratisme fait tendre vers zéro la société, mais c'est en pénétrant, pour le dissoudre en chacun, le gouvernement de soi-même requis par la vie de l'homme et du chrétien.
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142:212
Il arrive à tout le monde de parler comme tout le monde ; ça ne dispense personne d'en reconnaître la sottise, mais c'en est rendu impossible à presque tout le monde.
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Lorsqu'il leur fallait un nègre parmi les Rois mages, où était le racisme blanc de nos pères ? Aujourd'hui, en Afrique, l'Enfant-Jésus de la Crèche est un négrillon, pourquoi ?
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« L'homme vivant est la gloire de Dieu », saint Irénée l'a dit, fort bien ; mais qui est cet homme *vivant,* pour ce Docteur-là, comme il parle de mûrir dans l'Esprit (jusqu'au jugement dernier !), et quel auditeur du pape se posera la question, Paul VI lui-même n'ayant pas un mot dans ce sens (discours du 31 décembre 1975) ?
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L'Évangile s'adresse aux personnes pour leur dire qu'elles appartiennent à Dieu et que leur liberté lui en rendra compte ; cela tourne, en lecture moderne, à un personnalisme selon quoi les personnes sont libres, et c'est-à-dire ne peuvent appartenir qu'à elles-mêmes.
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L'équivoque des « exigences de notre temps » : s'agit-il de ce que nous commandent la raison et la foi, notre temps, soit en bien, soit en mal, étant ce qu'il est, -- ou s'agit-il, notre temps comme il est ayant telles quelles les exigences qu'il a, de se faire une loi d'y satisfaire, puisque c'est notre temps et que tel est son bon plaisir démocratique ?
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Ce qui revient le plus souvent dans le traité de la charité (S. Th. IIa IIae, q. 23-26 et s.), ce que saint Thomas répète à satiété dans les quatre premières Questions, c'est ce que la pastorale d'après concile ignore entièrement et de toute manière : que l'amour chrétien naît et vit de notre communion éternelle en Dieu, de la béatitude où Dieu nous appelle tous en nous donnant de vivre en ce monde.
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143:212
Monsieur de la Palisse le dirait, on ne sauve pas quelqu'un de se noyer en le regardant se débattre sur l'eau et s'y enfoncer ; mais tous les hommes sauvés par Jésus-Christ, est-ce d'autre chose que de leurs péchés, et d'autre sorte qu'en les en arrachant, si bien qu'à parler strict Dieu n'est pas mort pour les pécheurs, mais, selon sa propre parole, pour ses amis (Jean, 15/13) ?
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Rien de plus démocratique, après tout, que la *liberté de l'avortement,* c'est la démocratie elle-même, prise pour la société elle-même au lieu d'un système de gouvernement à juger sur ses faits et gestes, et ce qu'il en revient à la vie sociale.
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Miracle ! A la une du *Figaro,* ce 17 février 1976, le titre que voici : *Mon Dieu, comment sommes-nous tombés si bas ?* Pauvres de nous, pas de miracle : « le dossier noir » est celui du ski français, non pas, qu'allons-nous croire, celui de la nation française...
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Quiproquo de la liberté d'opinion, qui consiste prendre la liberté de formuler son (?) opinion n'ayant aucune liberté d'en former une.
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Quiproquo de la démocratie chrétienne : a priori, pourquoi pas une démocratie chrétienne après la royauté très chrétienne ? Mais a posteriori, c'est de la démocratie selon 1789 qu'il s'agit, et autant vouloir baptiser un israélite pour qui le Christ ne peut pas être le Messie.
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Quiproquo de la misogynie de saint Paul : peut-être, si l'Évangile supportait une lecture égalitaire, mais comme il n'en est rien...
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Quiproquo du bien commun, qu'il faut vouloir, peuple souverain ou roi de droit divin, et que l'on veut définir, selon Rousseau, par la volonté générale, fût-elle destructrice de la vie sociale, et de l'humanité à mesure.
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Quiproquo de l'amour de charité avec « l'action caritative », celle-ci étant de l'ordre des moyens, qui relève de la raison et non du seul amour, tandis que l'amour intérieur, lui, mais lui seul, aime Dieu sans mesure (II.II., 27, 6, ad 3).
Paul Bouscaren.
144:212
### Les hymnes liturgiques
par Jean Crété
Sous sa forme la plus ancienne, l'office divin ne comportait pas d'hymnes. Ainsi en est-il encore pour l'office des morts, celui des jeudi, vendredi, et samedi saints et, dans le Bréviaire romain (mais non dans le Bréviaire monastique) l'office de toute l'octave de Pâques.
La tradition nous enseigne que c'est saint Ambroise qui composa les premières hymnes et les introduisit dans l'office divin. Saint Benoît appelle l'hymne : *ambrosianum.* Le Bréviaire contient au moins cinq hymnes certainement composées par saint Ambroise : *Aeterne rerum Conditor* (l'hymne du chant du coq), des laudes du dimanche en hiver ; *Splendor paternae gloriae,* des laudes du lundi ; les deux *Aeterna Christi munera,* des matines des apôtres et de plusieurs martyrs ; *Jesu corona Virginum,* de laudes et vêpres du commun des vierges. Cette dernière hymne de saint Ambroise est la seule qui figure dans les livres à l'usage des fidèles.
On attribue généralement à saint Ambroise les hymnes des petites heures : *Nunc Sancte nobis Spiritus* (tierce), *Rector potens verax Deus* (sexte), *Rerum Deus tenax vigor* (none), qui comportent chacune deux strophes, plus la doxologie. La doxologie est une strophe finale en l'honneur de la sainte Trinité : on l'a ajoutée au Moyen-Age aux hymnes anciennes qui n'en comportaient pas.
145:212
On attribue parfois à saint Ambroise, mais plus communément à Saint Grégoire le Grand, les Six hymnes de vêpres qui chantent l'œuvre de la création. Parmi les auteurs anciens, citons Sedulius (V^e^ siècle), qui composa en l'honneur de l'Enfant Jésus une longue hymne alphabétique, dont la première moitié : *A solis ortus cardine* se chante aux laudes de Noël, et une partie de la suite : *Hostis Herodes impie* (devenue depuis Urbain VIII *Crudelis Herodes Deum*) aux vêpres de l'Épiphanie. Prudence († 405) a composé les hymnes des saints Innocents, celle des laudes de l'Épiphanie et plusieurs autres ; ses hymnes se reconnaissent du premier coup d'œil aux élisions assez nombreuses et bien placées. Mais qu'une hymne comporte de nombreuses élisions, cela ne veut pas dire qu'elle soit de Prudence ! Des compositeurs modernes ont abusé de l'élision, notamment dans les hymnes du Sacré-Cœur et du nouvel office de l'Assomption. A part les hymnes du Christ-Roi, les compositions modernes sont trop souvent bien médiocres. Grâce à Dieu, le répertoire antique et médiéval est important. Venance Fortunat a composé les hymnes de la sainte Croix et le *O gloriosa Domina,* des laudes de la Sainte Vierge. Saint Rhaban Maur, disciple d'Alcuin, est l'auteur du *Veni Creator,* des hymnes de la Toussaint et de saint Michel. Les auteurs de beaucoup d'hymnes ne nous sont pas connus ; certains sont restés volontairement anonymes. Les hymnes liturgiques sont le patrimoine de l'Église, quels qu'en soient les auteurs.
A l'office des dimanches et des féries, il y a une hymne pour chaque Heure, soit huit en tout. Les hymnes des petites heures et de complies sont invariables (sauf la doxologie qui varie suivant les temps liturgiques et les fêtes, ce qui entraîne un changement de mélodie). Il y a toujours huit hymnes dans l'office, mais aux fêtes, il n'y a généralement que deux ou trois hymnes pour les 1°'e° vêpres, les matines, les laudes et les 2^e^ vêpres : une ou deux hymnes se trouvent répétées. Seules la fête du Rosaire, et en France celle de sainte Jeanne d'Arc, comportent quatre hymnes différentes pour les quatre grandes heures.
146:212
L'hymne prend place à matines, après l'invitatoire et le psaume *Venite exsultemus ;* à laudes, vêpres et complies, après la psalmodie ; aux petites heures, avant la psalmodie. Les hymnes liturgiques n'ont pas été composées selon les règles de la métrique classique. Ce sont, le plus souvent, des hymnes toniques, ayant un rythme assez libre, qui leur donne beaucoup de lyrisme. Aux XVI^e^ et XVII^e^ siècles, cette composition était jugée barbare. Saint Pie V ne céda pas aux pressions des humanistes et respecta le texte des hymnes. Hélas, Urbain VIII, pape de 1623 à 1644, n'eut pas cette sagesse. Urbain VIII était un Barberini : cette famille romaine avait la spécialité de faire remettre des têtes ou des membres aux statues antiques mutilées, ce qui faisait dire aux Romains *Quod non fecerunt Barbari, faciunt Barberini* (ce que n'ont pas fait les barbares, les Barberini le font). Urbain VIII entreprit donc de conformer les hymnes à la métrique classique. Dans certains cas, cela n'entraînait pas de changement, l'auteur antique ayant eu la virtuosité de composer une ou plusieurs strophes à la fois toniques et métriques. Prenons, par exemple, la première strophe du *Veni Creator :*
*Veni, Creator Spiritus,*
*Mentes tuorum visita.*
*Imple superna gratia*
*Quae tu creasti pectora.*
Dans l'intention de saint Rhaban Maur, cette strophe est tonique, c'est-à-dire que l'appui se fait sur les syllabes accentuées. Mais, sans en changer un seul mot, on peut retrouver le rythme classique, avec appui sur les longues. Dans le premier cas, on a un rythme souple ; dans le second, un rythme rigide ; le texte ne change pas. Mais, à la seconde strophe (et dans bien d'autres cas), il a fallu introduire des changements.
*Qui Paraclitus diceris,*
*Donum Dei Altissimi.*
147:212
est devenu, dans le texte d'Urbain VIII
*Qui diceris Paraclitus*
*Altissimi donum Dei.*
Il a fallu changer l'ordre des mots. Et dans bien des cas, il a fallu changer les mots eux-mêmes et recomposer le texte pour retrouver ce fameux appui sur les longues, sans lequel, pour les puristes de la Renaissance, il n'y avait pas de poésie. La plupart des hymnes ont été ainsi retouchées ou recomposées. Urbain VIII a commis là une lourde erreur : à cette opération, les hymnes ont perdu de leur fraîcheur poétique. Et le peuple chrétien, déconcerté de ces changements, a cessé de les chanter. Nous avons là l'exemple d'une réforme liturgique malencontreuse et qui a duré : ce qui prouve bien que le pape n'est nullement infaillible lorsqu'il opère une réforme liturgique. Soyons impartiaux l'opération était malheureuse ; on s'en rend compte lorsqu'on fait la comparaison entre l'antiphonaire monastique qui a gardé le texte ancien des hymnes, et l'antiphonaire romain. Mais, si l'on ne fait pas la comparaison, même retouchées, les hymnes restent belles. Les versificateurs du XVII^e^ siècle, qui ont fait le travail, connaissaient le latin et la métrique ; ils ont fait un travail malheureux, mais ils l'ont fait habilement. Quelques hymnes, très populaires, ont échappé à cette refonte : *Ave maris stella* (d'un auteur inconnu du VII^e^ siècle) ; les hymnes du Saint-Sacrement (de saint Thomas d'Aquin). On n'osa pas les retoucher, par crainte de scandaliser les fidèles.
Un grand nombre d'hymnes comportent pour chaque strophe, quatre vers de huit syllabes chacun ; c'est le mètre le plus ordinaire, celui des doxologies qui varient selon les temps liturgiques et les fêtes. Les deux *Pange lingua* (celui de la sainte Croix, de Saint Rhaban Maur, et celui du Saint-Sacrement, de saint Thomas d'Aquin) comportent six vers de huit syllabes par strophe. C'est également le mètre de la magnifique hymne de la dédicace *Urbs Jerusalem beata* (*Caelestis Urbs Jerusalem*, dans le texte d'Urbain VIII).
148:212
L'hymne de saint Martin *Iste Confessor*, devenue l'hymne du commun des confesseurs, la plus employée des hymnes, comporte trois vers de onze syllabes et un de cinq syllabes par strophe. Plusieurs autres ont été composées sur ce modèle. Le *Sanctorum meritis*, de plusieurs martyrs, (de saint Rhaban Maur), comporte trois vers de douze syllabes et un de huit syllabes par strophe. L'Ave maris stella n'a que six syllabes par vers.
Les hymnes sont faites pour être chantées et il est bien souhaitable qu'elles le soient, même si le reste de l'office n'est que récité. Certaines hymnes n'ont qu'une seule mélodie, d'autres en ont plusieurs. Le *Lucis Creator* optime, des vêpres des dimanches ordinaires, en a trois, et il est bon de varier là où les vêpres sont chantées régulièrement. Ces mélodies sont généralement très belles et assez faciles. Pour les hymnes des petites heures et de complies qui sont invariables, il existe des mélodies pour les différents degrés de fêtes et pour les divers temps liturgiques, ce qui introduit une agréable diversité. Il faut se donner la peine d'apprendre ces diverses mélodies. La psalmodie constitue l'élément le plus important de l'office. L'hymne en est la partie la plus facile à comprendre et la plus agréable à chanter. Elle donne à chaque heure liturgique sa tonalité propre. On peut utiliser les hymnes en dehors de l'office, notamment pour les saluts du Saint-Sacrement. C'est une louable coutume de chanter le *Veni Creator* avant toute action importante (conférence, session, congrès). Les strophes des hymnes doivent naturellement être alternées, de préférence entre voix d'hommes et voix de femmes. Les hymnes, expression de la liturgie de l'Église, sont une louange magnifique à Dieu et à ses saints et un aliment précieux pour la piété des chrétiens.
Jean Crété.
149:212
## DOCUMENTS
### La participation des observateurs protestants à la confection de la nouvelle messe
On sait que six observateurs protestants ([^29]) avaient été invités au Consilium chargé de la réforme liturgique. Le 10 avril 1970, Paul VI avait reçu les cardinaux, évêques, experts et observateurs qui avaient participé à la dernière réunion du *Consilium* et il les avait félicités d'avoir mené à bien leur travail. Le 3 mai la *Documentation catholique* reproduisait le texte de l'allocution pontificale et, comme pour illustrer le sens de la réforme accomplie, elle publiait sur sa couverture la photographie des six observateurs non-catholiques en compagnie du pape ([^30]).
Pour tout le monde, il était évident que la nouvelle messe représentait une étape décisive de l'œcuménisme en marche. Cette évidence fut, dans la suite, confirmée par les nombreux témoignages de protestants qui se félicitaient du nouvel *Ordo Missae,* parce qu'il effaçait ou estompait l'idée de sacrifice. Nous nous trouvions désormais en présence d'un rite équivoque, c'est-à-dire également acceptable, pour des raisons différentes, aux catholiques et aux protestants.
150:212
Le caractère équivoque du rite eut pour résultat de déclencher de nombreuses protestations dans les milieux catholiques. La protestantisation de la liturgie en général et de la liturgie eucharistique en particulier était dénoncée avec vigueur.
Du coup, un certain nombre de partisans de la nouvelle liturgie, au lieu d'en louer le caractère œcuménique, déclaraient qu'elle était typiquement catholique et certains allèrent jusqu'à s'étonner ou feindre de s'étonner qu'on y trouvât une coloration protestante. Ils crurent même devoir arguer que les observateurs du *Consilium* n'avaient été qu'observateurs et qu'ils étaient intégralement étrangers à l'élaboration du nouvel Ordo.
Voici trois documents qui font le point de la question.
*La réponse du Bureau de presse\
du Saint-Siège à des questions\
de Georges Huber*
La *Documentation catholique* du 4 juillet 1976 publie le texte suivant :
Parmi les motifs allégués, du moins en Suisse alémanique, contre l'acceptation du nouvel *Ordo Missae* figure l'objection que six théologiens protestants auraient participé à l'élaboration des nouveaux textes liturgiques compromettant ainsi la pureté de la doctrine catholique traditionnelle. D'où les deux questions respectueuses suivantes :
-- Y eut-il une participation protestante à l'élaboration du nouvel *Ordo Missae ?*
*-- *Dans l'affirmative, quel a été son rôle exact ?
2 février 1976.
151:212
*Réponse.*
A la question du journaliste Georges Huber demandant s'il y a eu une participation de théologiens protestants à la rédaction du texte du nouveau Missel, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège pourrait répondre.
1\. En 1965, certains membres de communautés protestantes ont exprimé le désir de suivre les travaux du Consilium pour l'application de la Constitution sur la liturgie.
2\. En août 1966, six théologiens de différentes dénominations protestantes ont été admis comme simples observateurs.
3\. Les observateurs protestants n'ont pas participé à l'élaboration des textes du nouveau Missel.
25 février 1976.
Tout d'abord, on se demande en quoi le bureau de presse du Saint-Siège s'estime qualifié pour accueillir des questions de ce genre et pour y répondre. Ceci dit, la réponse n° 3 est cousue de fil blanc. Il va de soi que quand des personnalités sont admises comme observateurs dans une commission dont les travaux durent des semaines et des mois, leur participation n'est qu'officieuse. Ils sont muets pendant les séances de la commission. Ils se rattrapent après les séances. Dans le cas du nouveau Missel les observateurs n'ont pas participé *officiellement* à l'élaboration des textes ; ils y ont participé *officieusement,* par des conversations dans les couloirs. C'est toujours ainsi que s'exerce la participation d'observateurs.
*Le témoignage de Mgr Baum*
A plusieurs reprises nos amis anglais -- notamment, si nos souvenirs sont exacts, Michael Davies dans *Christian Order* -- ont cité le témoignage de Mgr Baum sur la part prise par les observateurs protestants aux travaux du Consilium.
152:212
Tout récemment, dans une lettre à Mgr Lefebvre (*Approaches*, novembre 1976), Hamish Fraser rappelle ce témoignage. Voici le texte d'Hamish Fraser :
L'on a prétendu que les Protestants cooptés au *Consilium* responsable de la réforme liturgique étaient là simplement comme « observateurs ». Cependant cette fiction a été démasquée en termes parfaitement clairs par Mgr Banni, directeur de la Commission des affaires œcuméniques des évêques catholiques américains. Dans une interview publiée par les *Detroit News* du 27 juin 1967, Mgr Banni déclarait : « *Ils ne sont pas là simplement en observateurs, mais aussi bien en experts* (as consultants as well), *et ils participent pleinement aux discussions sur le renouveau liturgique catholique. Leur présence ne signifierait pas grand chose s'ils se contentaient d'écouter ; mais ils collaborent* (they contribute). »
Notons que cette déclaration de Mgr Banni est contemporaine des travaux du *Consilium* (1967).
*Le témoignage du Canon Jasper*
Un nouveau témoignage vient d'être fourni par le Canon Jasper -- exactement : The Very Revd. Ronald Jasper, MA. DD. D. Litt.
A une lettre que lui avait adressée Michael Davies il a fait la réponse suivante, le 10 février 1977 :
Cher Monsieur Davies,
Votre lettre a fini par m'atteindre ici où je suis depuis déjà deux ans. Je me sens quelque assurance à répondre à vos questions puisque j'étais l'un des Observateurs en cause.
153:212
Voici quelle était la situation. Les Observateurs recevaient tous les documents, qui leur étaient envoyés comme aux autres membres du Consilium par les rédacteurs des projets des nouveaux rites. Nous assistions ensuite aux débats quand les documents étaient présentés par les experts et débattus par le Consilium, mais les Observateurs n'étaient pas autorisés à participer au débat.
Cependant, l'après-midi, nous avions toujours une réunion informelle avec les Periti qui avaient préparé les projets, et à ces réunions nous étions, bien sûr, autorisés à commenter, critiquer et faire des suggestions. C'était ensuite aux Periti de décider si telle ou telle de nos observations valait d'être retenue quand reprenaient les débats généraux du Consilium. Mais ces réunions informelles se déroulaient dans la plus parfaite liberté (a complete free-for-all) et les échanges de vues y étaient très francs. Ainsi donc, ce que vous a dit votre premier informateur était en substance exact.
Sincèrement vôtre.
Ronald Jasper.
*Les observateurs au concile*
Les trois précédents documents concernent le *Consilium*, c'est-à-dire la commission chargée de la réforme liturgique. Mais on sait qu'il y eut également des observateurs non-catholiques au concile et que leur participation s'y manifesta de la même manière qu'au Consilium : simple assistance aux séances du concile, mais libres discussions en dehors des séances.
L'influence des observateurs fut grande. On l'a dit et redit, ce n'est pas une révélation.
Cependant, dans la matière qui nous occupe, un nouveau témoignage nous est fourni par l'infatigable Michael Davies que nous remercions une fois de plus.
Il s'agit d'un livre publié à Londres en 1974 par l'archdeacon (archidiacre) Bernard Pawley (et sa femme).
154:212
L'archdeacon Pawley était observateur anglican au concile. Titre du livre : *Rome and Canterbury through four centuries* (Rome et Cantorbéry durant quatre siècles). L'auteur souligne que tout le long du concile les observateurs furent l'objet de grandes prévenances et qu'à chaque moment toutes facilités leur étaient procurées pour la communication et l'échange, comme il est aisé d'en trouver des traces dans les documents eux-mêmes (*In the course of the Council itself the fullest courtesies and opportunities for communication and exchange were allowed to the observers at every stage, and traces of the process can be recognised in the documents themselves*) (p. 343). En ce qui concerne la liturgie, voici ce qu'écrit l'archdeacon Pawley :
6\. Le contenu et le résultat du décret sur la réforme de la *Liturgie* ont aussi changé les relations du tout au tout (*out of all recognition*)*.* Car la Liturgie Romaine révisée, bien loin d'être une cause de dissension, ressemble maintenant très étroitement à la Liturgie Anglicane. Elle a aussi démontré la valeur, en certaines circonstances, d'un gouvernement autoritaire. Car au lieu des souffrances et des angoisses liées aux expériences, aux objections, aux contre-objections et à la multitude de révisions parallèles existant au même moment, la nouvelle Liturgie Romaine vint à l'existence simultanément dans le monde entier. Par contre, les laïcs de l'Église catholique romaine, dont certains trouvent les changements trop radicaux et trop soudains, envient le laïcat anglican d'avoir au moins quelque possibilité de dire son mot dans le processus de changement. L'un des faits nouveaux les plus importants est qu'il y a une étroite correspondance et fertilisation mutuelle dans toutes les discussions sur le sujet. Des Anglicans ont été invités à participer au Consilium liturgique.
Le décret du concile ne concernait que les principes, qui correspondent largement à ceux de la Préface de Cranmer au Livre de la Prière Commune (*Book of Common Prayer*)*.* Ce sont :
a\) la traduction des offices liturgiques en langue vulgaire ;
b\) la révision des textes en référence aux modèles scripturaux et patristiques ;
155:212
c\) la fin de la prédominance (*dominance*) du rite romain ;
d\) la « décléricalisation » des rites et l'encouragement à l'active participation des laïcs ;
e\) un rabaissement (*playing down*) de l'influence monastique et un renforcement des liens avec le monde contemporain.
Certaines des remarques faites par des évêques dans les débats sur la réforme du Bréviaire conduisirent l'un des observateurs à noter que « si cela doit continuer ainsi longtemps, ils vont découvrir qu'ils ont inventé le Book of Common Prayer ! ». Mais la nouvelle liturgie, en beaucoup d'endroits, a dépassé la Liturgie de Cranmer, en dépit d'un retard de 400 ans, dans sa modernité. Et il y a des Anglicans qui estiment que l'anglais de Cranmer, pour être un trésor de la littérature de son temps, est presque aussi éloigné des modes contemporains d'expression, et en conséquence aussi inintelligible, que le latin liturgique. La liturgie, de cause de mésentente qu'elle était s'est ainsi transformée en chance de mutuelle stimulation (pp. 348-349).
Tous ces témoignages, dira-t-on peut-être, sont assez inutiles puisqu'ils ne font que rappeler des faits archiconnus et illustrer des évidences solaires. C'est oublier, comme on le voit par la question de Georges Huber, qu'on peut ignorer ou nier les faits et les évidences. A la télévision de Bruxelles, où il dialoguait avec moi le 1^er^ octobre 1976, Mgr Descamps, le visiteur d'Écône, déclarait ne pas apercevoir les différences qui, aux yeux des protestants, existent entre la messe de Paul VI et celle de saint Pie V, leur faisant accepter la nouvelle et refuser l'ancienne. Dom Oury lui-même, le savant Dom Oury ne comprend pas ce qui peut séduire les protestants dans la nouvelle messe qui est, pour lui, la plus pure expression de la liturgie « romaine » (!). C'est à ce titre qu'il s'en fait le chaud défenseur ([^31]). On se demande comment il accueillera les tranquilles assertions de l'archdeacon Pawley, notamment en c) et en e).
156:212
Tout cela pourtant n'est que l'aspect superficiel et le côté anecdotique de la vraie question qui est : peut-on favoriser le retour à l'unité chrétienne par une liturgie œcuménique, c'est-à-dire équivoque et polyvalente ? Peut-on espérer de retrouver cette unité en faisant appel des impuretés de l'Histoire à la pureté de l'Évangile ? Peut-on refaire l'Église en repartant à zéro ? Nous ne le pensons pas et nous nous étonnons que ce soient justement les dévots de l'Histoire et de l'Évolution qui le croient. Une telle illusion mériterait un examen approfondi. Nous n'avons voulu aujourd'hui que rafraîchir la mémoire de quelques-uns, en montrant qu'il est vain de contester l'incontestable.
Louis Salleron.
157:212
## NOTES CRITIQUES
### Réédition de Crétineau-Joly
#### I
CRÉTINEAU-JOLY ? Connais pas. Cherchons donc. Tiens, il est absent du *Dictionnaire des littératures* de Van Thieghem, du *Grand Larousse encyclopédique* et du *Grand dictionnaire universel du XIX^e^ siècle* en 17 volumes de Larousse. De la part de ce dernier, c'est certainement brevet d'excellence, aussi sûr que ce qu'il dit de Barruel : ses *Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme* sont « *remplis d'exagérations et de mensonges *» (ITINÉRAIRES, numéro 207 de novembre 1976) et tous ses ouvrages sont écrits « *avec une partialité révoltante et un esprit de dénigrement qui leur enlève toute autorité *». Or Crétineau-Joly reprend et continue Barruel. Déjà de sérieux efforts étaient faits de son temps pour « baptiser la Révolution ». De nos jours le résultat est acquis, rien de plus catholique que le jacobin de haute époque comme de tradition et Crétineau-Joly est un âne. Il a donc fallu à l'éditeur un beau courage pour rééditer *L'Église romaine en face de la Révolution* que l'on continuera d'entourer du mépris de la conspiration du silence. ([^32])
158:212
Je l'ai lu crayon en main, marquant d'un signet exactement cent passages remarquables : cela fait une statistique. Avec un seul je ne suis pas d'accord. C'est une synthèse, axée sur l'anticatholicisme révolutionnaire, qui commence avec les Jansénistes au début du XVIII^e^ siècle et s'étend jusqu'à 1859. Ainsi bien des faits importants et des caractères généraux de la Révolution sans rapports directs avec l'anticatholicisme sont brièvement indiqués comme secondaires par rapport au sujet, mais l'auteur n'en ignore rien. Et quand il fournit un détail, voire numérique, soyez assuré qu'il est exact.
Quand il donne la nomenclature du ramassis que la Révolution rassemble « *des quatre coins du monde *»*,* c'est allusion à la part active qu'y ont prise les étrangers à titre de « citoyens du monde » et de « martyrs de la liberté ». Il y voit « *des poètes innommés, des comédiens sifflés, des intrigants besogneux *»*,* tous gens compétents à régénérer l'humanité : c'est l'infatuation pathologique des ratés, phénomène inhérent à toutes les révolutions qu'a analysé M. Monnerot (*Sociologie de la Révolution,* Fayard, 1969). Il signale la mésentente des Alliés : mésentente sur les buts de guerre et les plans de campagne encore attisée par l'affaire de Pologne, et qui a bien soulagé les armées de la République. Quand il dit que le 21 janvier 93 il y avait « *cent mille soldats citoyens *» sous les armes dans Paris, c'était 120.879 le 5 janvier ; ils seront 110.000 pour le coup d'État montagnard contre la Gironde, et cela pose la question du balancement des forces entre les armées squelettiques pour la défense de la France et celles de l'intérieur, pour la défense du régime ; l'étude en est édifiante. Il note à Rome sous l'occupation française les voleries du sieur Haller, suisse : c'était le plus grand forban de la jacobinière, ce qui n'est pas peu dire, grâce à qui Pie VI dut payer plusieurs fois le tribut fixé par le traité de Tolentino. Il avait commencé en 93 dans les fournitures à l'armée d'Italie, s'était éclipsé au moment d'être arrêté en emportant sa comptabilité, puis était revenu blanchi reprendre ses fonctions.
Sous la Restauration et Louis-Philippe, Crétineau-Joly dit un mot du libéro-bonapartisme : alliance monstrueuse contre la Monarchie d'ennemis-nés, dont le plus clair résultat fut l'arrivée au pouvoir d'un sous-produit du légendaire empereur, lequel renouvelait dans l'affaire la grande jument de Roland, admirable monture qui n'avait comme défaut que d'être morte. Un mot aussi sur la lâcheté des Seigneurs de la Haute Vente charbonnière s'engageant dédaigneusement juste assez pour que les autres s'engagent à mort dans les complots : « *Ils mourront bien *», sans « donner » ceux qui les ont poussés, protégés par le serinent de la Charbonnerie.
159:212
Il note en passant le vœu sanguinaire des catholiques libéraux, semblable d'ailleurs à celui des libéraux non catholiques, de « *mettre l'Europe à feu et à sang *»*.* L'*Avenir* s'y est distingué. Mickiewicz écrit dans le *Livre des pèlerins polonais,* traduit et préfacé par Montalembert : « *Donnez-nous la guerre générale pour la liberté des peuples, nous vous en supplions, Seigneur. *» Lamennais trouve dans cet ouvrage « *des choses ravissantes *»*,* et des beautés dignes de l'Évangile. Et Lamennais lui-même fait chorus, dont Montalembert écrit que dès 1832, après *Mirari vos :* « *il rêvait la guerre générale qui remettrait les choses en place et lui à la sienne *»*,* boutant le feu à la ville pour faire chauffer son café. Quelques mots de Crétineau-Joly ouvriraient de longs développements.
Une deuxième série de signets concerne des sujets où, comme je l'ai fait pour Barruel, je lui reproche de ne pas y être allé assez fort. Sans doute ne savait-il pas du jacobinisme et de la tradition jacobine tout ce qu'on peut en savoir aujourd'hui, si l'on ne se contente pas de l'histoire sorbonnarde. Tels dont il parle sont encore vivants et il est en outre tenu par les règlements impériaux sur la presse. Pas assez fort sur Hontheim-Febronius qui « *venait très bien à l'heure *»*,* mais l'histoire de l'Église est remplie de tentatives semblables, on les appelle aujourd'hui œcuménisme, et l'on ne s'explique le succès de son pamphlet, qui fit du bruit comme pas un depuis l'*Augustinus,* que par quelque appui de Vienne. Pas assez fort sur Mirabeau chez qui il voit une sorte de conversion : toute verbale car en même temps qu'il conseillait au roi de s'appuyer sur l'armée, il travaillait à la détruire. Pas assez fort sur le césaro-papisme protestant, oubliant que c'est celui aussi des Jacobins essayant avec la constitution civile du clergé une *fusion* entre l'Église et l'État qui ne pouvait être qu'une *confusion ;* sur la délation « *autorisée *»*,* que non, encouragée sinon obligatoire ; sur Bernier, négociateur du Concordat aidant en sous-main les jureurs dans leur « *commerce interlope *»* :* son intervention fut sacrilège ; sur Saint-Simon, Fouriet et Cabet, qui est seulement cité : c'étaient des fous, et il en manque bien d'autres : Flora Tristan, Ganneau, Mickiewicz, Wronski, Towianski, Leroux, Babick, Allix, Borme, Laure Grouvelle, Huber, Raspail, etc., qui eurent des fidèles, furent des maîtres de pensée et d'action, certains le sont encore. Avec le parti républicain des années 1830-1848, on a l'impression d'entrer dans une maison de fous. Pas assez fort non plus sur Montlosier, Michelet, Sue et Quinet, voyant du jésuite partout, et avec lesquels il faut mettre le *Courrier français,* le *Journal des débats,* « *l'article bête *» reconnu tel par la direction du *Constitutionnel,* Louis Blanc, Vaulabelle, Libri, Lacretelle, Villemin, Mignet, Genin...
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Pas assez fort sur Béranger dont la popularité mesure la déchéance intellectuelle ou met la tradition jacobine, sur la Belgiojoso, fausse nonne chez qui on a trouvé, dans un placard, le cadavre d'un de ses amants, sur Ramorino qui finira fusillé sur un champ de bataille de son pays...
Le seul point ou je ne suis pas d'accord avec Crétineau-Joly est son jugement sur Louis-Philippe. Contre lui, il tire grand argument du sac de l'archevêché : or justement c'est l'événement qui lui a permis de se débarrasser du « parti du mouvement », mouvement vers la faillite, la guerre et la Révolution, pour mettre en place la « *manière forte *» et contre-révolutionnaire de Casimir Périer. Tout au long de son règne, mais principalement pendant les grandes crises internationales de 1830-32 et de 1840, il s'est efficacement opposé à la guerre contre toute l'Europe, renouvelée de 1793 et exigée des « patriotes » pour la liberté des peuples contre les traités de 1815, et qui ne pouvait finir que par un désastre. Sans pour autant être « *vassal *» de qui que ce soit : car on compte sous son règne un certain nombre d'expéditions militaires : Portugal, Ancône, Mexique, Maroc, Belgique, Anvers, qui furent autant de succès et dont certaines sont, techniquement parlant, admirables de préparation, de promptitude et d'exécution. Légitimiste autant que qui que ce soit, je reconnais en Louis-Philippe un Père de la Patrie pour avoir préservé mon pays des fureurs sanguinaires des libéraux.
\*\*\*
L'ouvrage est préfacé par Monseigneur Lefebvre qui, en parlant de la Terreur, cite les *Colonnes infernales* de Vendée. C'est preuve d'une science historique peu commune. Car, faites-en l'expérience, à partir du prix de la côtelette, une discussion arrive aisément aux mérites respectifs des différents régimes. Contre la Monarchie, si votre interlocuteur cite la Saint-Barthélemy, c'est un produit lambda de l'école laïque ; le massacre des Vaudois, c'est un spécialiste de l'histoire de Provence ; l'Inquisition, c'est un militant de l'Action Catholique. Les *Colonnes infernales ?* A ce rappel un professeur d'histoire fait un visible effort de mémoire et je n'ai pas la cruauté de le pousser pour voir ce qu'il en sait. Vous pensez : un Oradour de 10.000 kilomètres carrés qui a duré quatre mois et fait de 130 à 150.000 victimes, un *génocide* républicain, cela tombe sous la conspiration du silence des sorbonnards.
André Guès.
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#### II
Le Cercle de la Renaissance française (3, boulevard Saint-Martin, 75003 Paris) entreprend de publier une « Contre-Encyclopédie ». En voici le premier volume : une réédition, préfacée par Mgr Lefebvre, de l'ouvrage magistral de Jacques Crétineau-Joly : *L'Église romaine en face de la Révolution.* Tous ceux qui ont étudié tant soit peu l'histoire de l'Église ont entendu parler de cette œuvre ; bien peu l'ont lue. L'édition originale remonte à 1859, et les rééditions faites par la suite n'étaient pas complètes. Nous avons cette fois une réédition intégrale, en deux volumes, du texte de 1859.
Jacques Crétineau-Joly (1803-1875) était un journaliste et écrivain catholique et légitimiste. En 1846, le cardinal Lambruschini, secrétaire d'État de Grégoire XVI, convoquait Jacques Crétineau-Joly à Rome, et Grégoire XVI lui-même le chargeait de rédiger une « Histoire des sociétés secrètes » à partir de documents recueillis par les archives vaticanes et par le cardinal Bernetti. Ces documents étaient fortement compromettants pour de hautes personnalités alors vivantes ou décédées depuis peu. Crétineau-Joly se heurta à de vives oppositions. En 1848, Pie IX, pour des raisons de prudence, lui demanda de différer toute publication. (A la page VIII de l'Avertissement, les éditeurs attribuent ce contre-ordre à Grégoire XVI : c'est une erreur ; Grégoire XVI était mort en 1846, très peu de temps après avoir chargé Crétineau-Joly de cette publication.) Par la suite, la secrétairerie d'État de Pie IX devait orienter Crétineau-Joly vers la publication d'un ouvrage incomplet : on était soucieux, à la fois de dénoncer les sociétés secrètes, et de ménager les puissants du jour tels que Napoléon III ou de hauts fonctionnaires autrichiens fortement compromis dans les sociétés secrètes. Crétineau-Joly ne put faire ce qu'il voulait : dénoncer nommément les responsables de la révolution qui couvait depuis au moins 1830 dans les États pontificaux et en aurait entraîné la ruine sans les interventions successives de l'Autriche et de la France. Les hommes qui avaient décidé ces interventions étaient loin d'être eux-mêmes purs de toute alliance avec la révolution. C'était le cas de Napoléon III, dont la politique tortueuse prolongea l'existence de l'État pontifical avant d'en provoquer la ruine en 1870. Pie IX était tenu de ménager ce protecteur douteux. Crétineau-Joly, écrivant en France en 1859, était tenu à plus de ménagements encore à l'égard du souverain régnant.
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Il ne put exploiter à fond les documents ; en particulier il ne put dévoiler l'identité des responsables de la « haute vente » révolutionnaire tels que Nubius dont il parle en le désignant sous son nom de guerre. Crétineau-Joly était *mandaté,* au sens le plus fort du mot, par l'autorité pontificale ; et donc contraint d'accepter les restrictions qui lui étaient imposées par ce même pouvoir. Ne pouvant écrire l' « Histoire des sociétés secrètes », il écrivit : « L'Église romaine en face de la Révolution ». C'est une histoire de l'Église de 1775 à 1858. Pendant ces quatre-vingts ans, l'Église a eu à lutter continuellement, contre la révolution. L'auteur nous décrit les étapes de cette lutte que Mgr Lefebvre, dans sa préface, qualifie de victorieuse. L'Église n'a pu vaincre la révolution, *mais elle a lutté,* comme c'était son devoir ; et lutter, c'est vaincre, même si l'ennemi n'est pas écrasé et repart toujours à l'assaut ; la lutte le tient en échec au moins pour l'essentiel. Ce qu'il y a de nouveau aujourd'hui, c'est que les hommes d'Église ont renoncé à lutter et se sont fait bien souvent les complices de la révolution.
Il est donc réconfortant de lire aujourd'hui les étapes de cette lutte menée pendant près d'un siècle (et elle s'est continuée jusque sous Pie XII, avec déjà des faiblesses sous Léon XIII et sous Pie XI), par six papes très différents les uns des autres : Pie VI, Pie VII, Léon XII, Pie VIII, Grégoire XVI et Pie IX. Crétineau-Joly nous fait revivre ces six papes qui tous eurent continuellement à lutter contre la révolution, et dont trois eurent à en souffrir dans leur corps : Pie VI, mort prisonnier du Directoire ; Pie VII, captif de Napoléon ; Pie IX, exilé par la révolution. Toutes les péripéties de ces longues luttes nous sont relatées avec beaucoup de détails très intéressants.
Dans le second volume, il est beaucoup question de la « haute vente ». Sur ce point, nous avons dit pourquoi Crétineau-Joly n'avait pu dire tout ce qu'il savait. Il en dit assez pour nous édifier : il s'agit là du plan, mis au point vers 1830, d'un véritable noyautage de l'Église par les sociétés secrètes. Se rendant compte qu'ils ne pourraient jamais détruire l'Église de l'extérieur, les dirigeants des loges avaient décidé de la miner de l'intérieur, en gagnant à leurs idées des prêtres qui, peu à peu, en arriveraient à occuper des postes importants, y compris le siège pontifical, et infléchiraient alors la religion dans le sens de la révolution. Les auteurs de ce plan diabolique se rendaient compte que son exécution demanderait du temps, « un siècle, peut-être ». On ne peut se dissimuler qu'ils avaient vu juste et que leur plan, vieux de près d'un siècle et demi, est aujourd'hui réalisé :
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l'Église est littéralement occupée par les agents de la révolution, qui travaillent, de l'intérieur, à la démolir. C'est le drame du présent pontificat. La lecture de *L'Église romaine en face de la Révolution* nous convainc que l'affreuse crise dont souffre aujourd'hui l'Église est le résultat d'une conjuration ourdie depuis très longtemps. Elle nous convainc aussi de la nécessite de continuer la lutte et ne nous laisse pas de doute sur son issue. Crétineau-Joly a la foi : il croit à la victoire de l'Église. Jésus l'a promis : les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. La lutte sera longue, dure, difficile, mais l'issue n'est pas douteuse. La victoire qui a vaincu le monde, c'est notre foi. Le Seigneur exige de nous le combat : à son heure, à sa manière, il interviendra et purgera son Église de ce poison infect qui l'intoxiqué. La lecture de « L'Église romaine en face de la Révolution » est instructive et réconfortante. Profitons-en, et armons-nous pour le combat qu'il nous faut continuer, dans la ferme espérance de la victoire qui sera l'œuvre de Dieu.
Jean Crété.
### Le socialisme sans visage
Si elles savent lire, les générations appelées à survivre à nos désordres diront peut-être un jour : *sombre comme un livre de Molnar, au déclin de l'Occident.* La couverture que j'ai sous les yeux, d'un violet crépusculaire métissé d'aurore boréale, sertie de deux rabats noirs, prophétise en effet une naissance affligée de toutes les couleurs de l'enterrement : « LE SOCIALISME SANS VISAGE » (sous-titre « *L'avènement du tiers modèle *») *--* un volume de 192 pages aux Presses Universitaires de France, qui se laissent absorber d'un trait, et vous poursuivent comme un mauvais cauchemar.
« La thèse est que l'Occident, avec les formes politiques engendrées, formulées et pratiquées par lui, est sur la voie d'un déclin rapide. Conjointement, les thèses annexes développent la proposition que le monde non occidental, Tiers-Monde et empire communiste pour utiliser les expressions consacrées, se détache du modèle occidental et s'achemine vers ce que j'appelle le *monolithisme.*
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Il entraîne avec lui l'Occident, et d'ailleurs l'Occident l'y pousse, car nous sommes arrivés au bout des grands principes qui dominent la planète depuis quatre siècles. » (page 18) -- On pourrait croire l'idée reprise des théories désormais classiques de Spengler sur la décadence de l'Occident, si Thomas Molnar ne s'en tenait ici à l'examen des formes proprement politiques de cette évolution, qui n'avaient jamais donné lieu, dans cette perspective, à une étude aussi fouillée.
Il faut prêter attention aux analyses politiques de Molnar, qui ne bouscule un peu les concepts et les choses que par anticipation. Pour ceux qui acceptent de *voir,* la conclusion principale de ce dernier livre sera difficile à récuser... Le monde occidental n'évolue pas, comme tant d'intellectuels en caressent encore l'illusion, vers une convergence des systèmes libéraux et marxistes -- le vieux rêve du « socialisme à visage humain », qui garantirait à tous l'uniformité des pouvoirs et des biens, dans le respect des libertés de la conscience. Notre monde dérive, plutôt qu'il n'évolue, vers un socialisme monolithique et tentaculaire, un socialisme sans visage, sans précédent historique connu, que nous prépare dès aujourd'hui dans la Cité la toute-puissance subversive, inorganique et anticonstitutionnelle des féodalités. Un État « néo-féodal », écrit Thomas Molnar, « c'est-à-dire, dans le langage du XX^e^ siècle, l'État syndical et managerial » (entendez : *technocratique*)*.*
Sa démonstration se fonde, dans les premiers chapitres, sur une analyse assez percutante de l' « usure » imposée par la philosophie moderne à l'État libéral qui, malgré les apparences du bureaucratisme et de la centralisation, ne gouverne plus. Car la réalité du pouvoir a changé de formes et de mains, il faut être sorti de l'E.N.A. pour ne point s'en apercevoir. Ce sont les nouvelles synarchies affairistes et syndicales, les media, les partis qui en détiennent aujourd'hui la meilleure part : non seulement sur les esprits, mais sur ce qu'il reste des institutions sociales, hors desquelles les droits et les libertés de l'individu ne sont plus garantis... L'assaut des néo-féodalités, de groupes de pression sauvages mais assez puissants pour s'introduire partout, a détourné la signification même du gouvernement des hommes et de la loi civile, qui ne sont plus ressentis comme des protections mais comme des menaces, entraînant la fuite des citoyens dans l'incivisme et la marginalité.
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Or le phénomène spectaculaire, et en un sens absolument nouveau, c'est que cette faillite des institutions traditionnelles, du haut en bas de l'échelle sociale, n'a pas engendré dans le monde occidental la naissance d'un ordre nouveau. Qu'il s'agisse de la famille, de l'école, l'Église, l'armée, la police, le parlement, chacune de ces institutions subsiste comme en surface dans le tissu social, et continue même d'y remplir une fonction ; elle y subsiste, non pour réaliser sa fin propre, ou de moins en moins, mais comme courroie de transmission de l'idéologie « libérale-égalitaire » qui rêve de détruire ainsi, à moindres frais, tout l'agencement, toutes les hiérarchies nécessaires à la permanence du lien social, selon l'ordre naturel. L'institution y aliène chaque jour davantage ses raisons d'être, au point de changer de définition.
« En langage philosophique, écrit Molnar, on pourrait dire que *persister dans son être* est devenu une attitude dépassée, et que la tendance actuelle de ces institutions est de se laisser porter par le *devenir.* Dans la réalité quotidienne cela se traduit par une destructuration, par une carence, finalement par une démission de l'autorité qui en garde pourtant assez afin, quel paradoxe ! d'abolir ses propres fonctions. Ainsi l'autorité n'est pas cédée comme cela se passe dans les révolutions, ce qui permet le surgissement d'une autre autorité, d'une autre institution ; l'institution actuelle semble avoir comme tâche primordiale son propre démantèlement, son auto-effritement. » (p. 69)
Le libéralisme a su isoler, désarmer l'individu dans la masse informe d'une société horizontale et dévitalisée ; il a su le livrer aux pressions anonymes du pouvoir culturel, syndical, économique ; mais il n'a pas su engendrer pour lui-même une véritable théorie politique de l'État. Si bien que, dans l'univers social utopique où nous entrons avec lui, le fait même de gouverner est perçu comme une contradiction proche de l'intolérable ; une contradiction tolérée seulement à titre provisoire, contractuel, dans la mesure où le personnel de l'État reste un fidèle serviteur de la religion dominante imposée par les féodalités, et borne toute son ambition à une sorte de gestion égalisatrice des progrès (ou récessions) de l'économie.
Comment le Tiers-Monde « historicisé » par l'Occident perçoit-il ces impasses et ces contradictions ? Sous quels auspices les régimes naissants sont-ils condamnés à réinventer l'État, et la vie sociale, et l'économie, pour y retrouver les forces que l'idéologie libérale-égalitaire leur fait perdre dans les nations industrialisées ? Quel sera le visage du « tiers modèle », un peu partout dans le monde, après l'effondrement de nos démocraties ? -- Le cauchemar annoncé plus haut est dans la réponse que le livre de Molnar apporte à ces questions (pages 97 a 187). Mais nous en avons assez dit pour que chacun choisisse ici librement de s'en abstenir, ou s'en épouvanter.
Hugues Kéraly.
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### Bibliographie
#### Ernst Jünger Graffiti. Frontelières (Éditions Bourgois)
Le double titre correspond à deux œuvres différentes, réunies dans ce volume. Il y a même deux tables des matières, l'une à la p. 197, l'autre à la p. 315. Pourquoi pas ?
Il n'y a pourtant aucun disparate dans cette réunion. Essais, remarques ou maximes prolongent la réflexion de toute une vie, et plus précisément les pistes ouvertes par *le Mur du temps* et *le Cœur aventureux* (celui-ci toujours indisponible, hélas).
C'est pourtant dans une autre œuvre de Jünger, la nouvelle qui a pour titre *Voyage à Godenholm* qu'on trouverait la meilleure clé de ce nouveau livre. On y trouve un vieux sage, Schwarzenberg, dont, il est dit : « Il divisait la science pour se la soumettre, en usant comme d'un arsenal auquel il empruntait tel ou tel instrument selon ses besoins. Un sculpteur qui tire d'un bloc de pierre une tête humaine devait saisir de la même manière, tantôt un maillet, tantôt un ciseau, ou un compas, sans songer aux artisans qui façonnement ces outils. Tel était le rapport de Schwarzenberg avec les sciences du XIX^e^ siècle, dont il faisait grand cas, tout en pensant qu'elles n'étaient pas encore conçues selon leur sens véritable. »
Et, plus loin *:* « Il ne concevait pas l'Histoire, ni les sciences de la nature, ni la cosmogonie comme une évolution telle qu'on se la représente d'ordinaire, sous la forme de droites, de spirales ou de cercles...Il les voyait plutôt comme une série de sections de sphère, appliquées contre des noyaux étrangers au temps et à l'étendue. »
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Dans *Graffiti* ou *Frontalières,* c'est bien un esprit délivré du schéma (du piège) du progrès qui médite sur l'origine, sur la mesure du temps, sur l'énigme de l'être. Et que le mythe y aille, si la raison n'y peut aller. Encore une fois, il serait faux de dire que Jünger méprise ou même néglige la raison, mais il nie qu'elle soit tout l'esprit. Des sentiers abandonnés peuvent aussi nous mener au sommet. Il est très sensible au fait que chaque forme de civilisation, avec ses gains et ses clartés propres, comporte des pertes et des friches équivalentes, et il lui semble que nous sommes à un point où nous devons reconquérir certaines de ces friches.
Dans une remarque sur l'immensité de l'univers, telle que l'établit notre science, il écrit « les dimensions ne sont qu'illusoires ». Léon Bloy le savait. Jünger ajoute : « Dans le monde de Copernic, c'est là une pensée téméraire -- mais seulement en lui. Ailleurs, nous la rencontrons si fréquemment que nous pouvons la considérer comme l'une des marques de peuples et de temps robustes : l'image de l'homme qui défie l'Univers et lui fait contre-poids. Sa valeur, son salut ne sont pas au prix d'une quelconque extension de son pouvoir. Ils sont situés par-delà le temps, tout près, bien qu'aucune année-lumière n'y parvienne. »
Évidemment, quand on parlait plus haut de *mythe,* c'est dans le sens où le mythe lui aussi est expression de la vérité. Autre outil pour un autre but. Quand le rationalisme le nie, il y a un dépérissement. Et il néglige aussi la sagesse. Au contraire « dans les temps de maturité, la force immobile de l'esprit est-elle plus respectée que sa conversion en petite monnaie d'idées ; on fait plus de cas de la sagesse que de toute intelligence, si subtile soit-elle ».
De telles vues supposent que l'on domine l'esprit du temps, qu'on ne s'y laisse pas enfermer. Et c'est bien ce qui fait le grand intérêt des livres de Jünger. Qu'on ne s'y trompe pas. Ces méditations partent le plus souvent d'un objet simple : un jardin, des pierres, le mois de décembre. Elles ont le naturel, la *bonhomie* d'une plante ; tout à coup, des fleurs y flamboient : « En tout lieu où l'on vénère les pères et les ancêtres, l'arbre, lui aussi, est l'objet d'un culte » (*l'arbre*)*.* « Plus que de changer le inonde, il importe d'être changé par lui » (*savant et amateur*).
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Il cite souvent le mot de Nietzsche « le désert s'accroît », ce qu'on constate tous les jours. Mais chacun de ses livres est une source qui ramène au jour les eaux souterraines, oubliées. Autour, la vie peut reprendre.
Et sans doute, il y aurait quelques chicanes à chercher. Mais je ne voudrais pas mériter qu'on m'applique cette note de *Graffiti* (sans doute destinée aux critiques bilieux) : « Il a rencontré un éléphant et dit : « J'ai vu un animal qui a les yeux petits. »
Georges Laffly.
#### Robert de Saint-Jean Moins cinq... (Grasset)
« Moins cinq », avant l'heure dernière, bien sûr. La pensée de la mort et du sort final est présente toujours dans ces chroniques, ces remarques, mais non toujours visible. Anecdotes et rencontres y ont le ton de la conversation : celle d'un esprit libéral, accueillant, toujours curieux de ce monde surprenant, même dans les moments où la surprise est déception. Il m'a toujours semblé que ce genre d'écrits est une des meilleures voies de la littérature française. C'est un grand art de noter ce qui dans l'instant mérite d'être retenu.
On trouvera dans ce volume un ensemble précieux de notes sur Julien Green, à qui l'auteur est lié par une amitié ancienne. Et par exemple, cette note de 1973 : « A vingt ans, me dit Julien Green, je pensais : « je crois », et c'était tout. Mais aujourd'hui que j'arrive près de la sortie, je vis toujours dans l'espoir de contempler un jour la Vérité. »
Les remarques qui ont trait à la politique ont moins d'intérêt. Il s'en dégage une aimable naïveté ; mais quelle importance ? Aucune, n'est-ce pas ? L'important est qu'on se trouve devant un livre de bonne compagnie.
G. L.
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#### Jacques Mercier Vingt siècles d'histoire du Vatican (Lavauzelle)
L'histoire du Vatican, c'est-à-dire l'histoire de Rome et l'histoire de l'Église. Pour les concentrer en un volume -- même s'il s'ait d'un gros volume de 500 pages, il faut un grand art, et la connaissance sérieuse qui seule permet de séparer l'essentiel de l'accessoire.
Le Vatican, c'est d'abord le lieu où repose saint Pierre. Au sens propre, l'Église est bâtie sur lui, et sur le lieu où ses restes furent enfouis. Commence alors cette longue histoire avec ses ombres et ses drames, les papes martyrs et les papes frivoles, les rameaux qui meurent et les nouveaux surgeons. L'Église aussi est un banyan toujours renouvelé, mais la souche centrale est ici. Sans doute on pourra trouver excessive la prudence de l'auteur quand on arrive aux événements contemporains. Le concile, pour lui, ne peut être encore jugé, et il cite le discours de Paul VI, en mai 76, renvoyant dos à dos traditionalistes et progressistes. Nous ne savons que trop que la politique du juste milieu n'est jamais juste. Mais sur tout le reste, quelle belle clarté et sûreté dans l'exposition.
Ce livre n'est pas seulement un livre d'histoire, mais une mine de documentation sur la manière dont le Vatican fonctionne : ses bureaux, sa radio, etc. Cet aspect documentaire n'est pas le moins intéressant d'une œuvre nécessaire.
G. L.
#### Raymond Picard De Racine au Parthénon (Gallimard)
Ce livre est un recueil d'essais, inédits ou parus dans des revues depuis vingt-cinq ans. C'est un hommage des amis et disciples de Raymond Picard, mort il y a presque deux ans.
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Ce professeur était un grand critique et si on ne le sait pas plus, la faute en est au désordre -- récent mais irrémédiable semble-t-il -- qui s'est emparé de nos lettres, où le bruit de la mode fait loi.
Raymond Picard était spécialiste de Racine, à qui un certain nombre des études réunies ici sont consacrées. Lisez-les : il est difficile d'être aussi juste, aussi sensible. L'érudition y est parfaite, bien sûr, mais on y trouve cette qualité très rare : le sens historique, et une autre non moins rare comprendre Racine, le sentir, comme s'il était notre contemporain. Équilibre difficile à tenir. Notre barbarie tient à notre incapacité de sortir de notre temps, de voir les différences de points de vue ; quand nous parlons des classiques, ils nous semblent au mieux des écrivains assez doués qui auraient peut-être pu faire quelque chose s'ils avaient eu le privilège de vivre à notre époque. Ou bien nous les roulons dans des bandelettes, pleins de piété, et leur interdisons de nous parler vraiment. Raymond Picard pratiquait exactement la méthode contraire.
Il éclaire Racine en le replaçant dans les conditions qui furent les siennes. Il lui ôte ses bandelettes. Le chapitre sur Racine courtisan montre très bien que la nomination du poète au rôle d'historiographe fut une promotion. Le beau monde s'étonne qu'un simple faiseur de pièces obtint une charge si glorieuse, que méritait seul un grand seigneur lettré (Mme de Sévigné aurait bien vu là son cousin Rabutin, par exemple). Mais Louis XIV tenait à honorer Racine, et celui-ci était conscient de rehausser, en acceptant, la condition de l'homme de lettres.
Autre exemple à noter rapidement : le jansénisme de Racine. Il est certain, ainsi que sa piété, à la fin de sa vie. Il est nul dans sa jeunesse et dans son théâtre. Le « jansénisme » de Phèdre est une invention. Les messieurs de Port-Royal élevaient les enfants pieusement, mais les Petites écoles n'étaient pas une faculté de théologie. Racine en sortit nourri de grec, et connaissant les auteurs les plus profanes, mais se moquant des querelles et arguties autour de Jansénius.
L'étude sur Racine et le graveur Chauveau pose également une question capitale. Qu'est-ce que cet art classique qui est pour nous le grand fait du siècle ? Picard dit très bien :
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« Par exemple, il serait intéressant d'examiner comment, lors des Fêtes des *Plaisirs de l'Ile enchantée,* en mai 1664, la course des bagues, la musique de Lulli, les ballets, *la Princesse d'Élide* et le Tartuffe de Molière, la mise en scène, les gravures d'Israël Silvestre, etc., pouvaient concourir à un effet commun, bien que ces œuvres nous paraissent aujourd'hui bien hétérogènes. Il n'est pas sûr que cet effet, une fois défini, répondrait à l'idée qu'on se fait communément du classicisme français. »
Car nous avons tendance à confondre, au risque de bien des pertes et des contresens, la signification historique et la signification esthétique du terme. Racine lui-même nous en paraît le représentant parfait. Mais il n'est pas sûr que c'est cela qu'on admirât en lui, et certainement les contemporains ne le voyaient pas comme le centre idéal d'un cercle où ils se seraient tous tenus.
On ne fait qu'aborder ici différents points traités par l'auteur avec un savoir sans défaut et une intelligence *exquise.* Il faut recommander aussi les études sur tragique et comique, sur les poètes religieux du XVII^e^ et sur Georges de la Tour.
La présentation du volume désigne Raymond Picard comme « essayiste » et « polémiste ». Certainement, dans la mesure où ce dernier mot est juste, ce ne fut pas par goût. Il fait allusion au petit essai « Nouvelle critique ou nouvelle imposture » (éd. Pauvert), qu'on aurait aimé retrouver ici.
Picard avait été irrité par le *Racine* de Roland Barthes, et par toute une tendance de la critique contemporaine, de J.-P. Weber à L. Goldman, qui interprète l'œuvre littéraire en fonction du marxisme, de la psychanalyse. C'est-à-dire qu'on oublie le caractère proprement littéraire pour voir dans l'œuvre un ensemble de matériaux analysables par ces « sciences humaines ». Il s'agit toujours d'expliquer un fait artistique par des éléments étrangers (cela a commencé avec Taine, en somme). Mais l'ascension de la noblesse de robe au XVII^e^, ne peut « expliquer » ni *les Pensées,* ni Athalie ; et la cour de Louis XIV n'est pas la horde primitive, etc.
Raymond Picard le fit remarquer avec vivacité. Aujourd'hui, ses adversaires triomphent à l'Université, dignes successeurs de Janotus de Bragmardo.
J'aurais voulu parler aussi du premier livre de R. Picard. C'était un roman, « les Prestiges » (n. r. f.) ; en apparence dans la lignée du roman psychologique, mais avec d'étranges dessous : le jardin où vit Angélique y semble un domaine de fée. Victor, puis Armand, y sont retenus comme par magie, par enchantement (on passe de Constant aux romantiques allemands).
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Mais cette note est déjà bien longue. Il suffisait de dire que *de Racine au Parthénon* est une œuvre de premier rang, solitaire dans le temps où elle paraît.
G. L.
#### Pierre Boulle Histoires perfides (Flammarion)
On ferait grand tort à Pierre Boulle en le considérant en philosophe, et en cherchant a travers la perfidie de ses récits son jugement sur ce monde. Il n'est pas sûr qu'il le trouve aussi férocement absurde qu'il le montre. Son but est tout autre (et beaucoup plus honnête, car l'absurdité et la cruauté ne sont évidentes, dans la morale de ces nouvelles, qu'au prix de mille ruses).
Il s'agit simplement pour lui de monter des piéges, et d'y faire trébucher nos bonnes intentions, nos vœux angéliques. Il a beau situer ses histoires dans un imaginaire royaume de l'Himalaya, c'est bien aujourd'hui et ici qu'elles ont un sens. La plus amusante, et la moins noire nous montre « le palais merveilleux » construit pour les condamnés à mort. Tout y est conçu pour leur assurer luxe, calme et volupté, avant le châtiment. Et l'on a vu très grand, puisque les statistiques annoncent de forts progrès de la criminalité. Le palais achevé, il se trouve que la peine de mort est abolie. Les prévisionnistes et architectes de l'avenir en sont pour leurs frais. Les abattoirs de la Villette nous ont réservé une surprise de ce genre.
Plus sombre, la nouvelle qui a pour thème l'euthanasie : « les limites de l'endurance ». Ou l'étonnante démonstration de l'infirmité humaine qu'est « l'angélique M. Edyh ».
Certainement, Pierre Boulle est perfide. Et roboratif, en même temps. C'est aussi notre meilleur conteur.
G. L.
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## TÉMOIGNAGE
### Pèlerinage national à Notre-Dame de la Garde
*le 8 mai 1977*
*Le dimanche 8 mai est celui de la solennité liturgique -- et de la fête nationale -- de sainte Jeanne d'Arc, patronne secondaire de la France.*
*Nos amis de Marseille invitent ce jour-là tous ceux qui le pourront à venir se joindre à eux en un pèlerinage national à Notre-Dame de la Garde, dont le sanctuaire a été gravement menacé par les manigances post-conciliaires de Mgr Etchegaray, archevêque du lieu et président en exercice du noyau dirigeant de l'épiscopat français.*
*Hugues Kéraly nous avait déjà donné à ce sujet des informations précises dans notre numéro 205 de juillet-août 1976* (*pages 167 à 171*)*.*
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*Mais nous n'avions pas eu l'occasion de parler comme il le méritait du pèlerinage de l'an dernier. Ce fut un pèlerinage provençal. Ce sera cette année un pèlerinage national. Écoutez ce que vous en dit notre dynamique ami Daniel Tarasconi, animateur efficace du mouvement de défense de Notre-Dame de la Garde.*
*J. M.*
I. -- L'année dernière
*Daniel Tarasconi, jeune avocat au barreau de Marseille, est le fondateur de l'* « *Association pour la défense de Notre-Dame de la Garde *»*, récemment transformée en* « *Association des amis de Notre-Dame de la Garde *»*. Le sanctuaire de Notre-Dame de la Garde, il l'a une première fois sauvé des envahisseurs et démolisseurs post-conciliaires. C'est là un titre sérieux à notre attention et a notre soutien.*
*Voici les déclarations orales qu'il a faites à la revue* ITINÉRAIRES. *Il nous rappelle ce qui s'est passé l'année dernière avant de nous parler de ce qui aura lieu cette année.*
L'ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DE NOTRE-DAME DE LA GARDE a permis, par une campagne d'information vigoureuse (121 000 tracts distribués, 7 000 affiches et 29 703 adhésions recueillies), de faire connaître au public les conclusions du rapport pour « une meilleure pastorale à Notre-Dame de la Garde ». Ce rapport avait été demandé par Mgr Etchegaray et il préconisait la création d'un Centre monothéiste ouvert « à toutes les religions monothéistes et abrahamistes, où sans aucun relent de syncrétisme, ni sans récupération malhonnête, des musulmans et des israélites par exemple, se sentiraient à l'aise » : page 33-III du rapport ; plus loin, page III-48, il est précisé que : « la Bible, le Nouveau Testament, le Coran, seraient au cœur de cette chapelle du Livre ».
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Ce document était indéniable. Les technocrates épiscopaux marseillais ont prétendu que les mesures que préconisait le rapport « étaient fantaisistes et n'auraient jamais été appliquées ».
Et dans le même esprit, Mgr Etchegaray n'hésita pas à prétendre que notre Association avait engagé « une campagne malveillante qui trouble et divise » (communiqué du 12 avril 1976). Le 23 avril, Mgr Etchegaray affirmait dans une « LETTRE AUX MARSEILLAIS » que la « Bonne Mère » devait « réprouver une campagne malveillante et mensongère qui a fait croire à certains qu'elle était menacée (!)... C'est ainsi que l'on mine la foi en semant la suspicion à l'intérieur de l'Église ».
Ainsi donc, c'était le fait de dénoncer la création d'un centre monothéiste à Notre-Dame de la Garde qui minait la foi catholique, non le centre monothéiste lui-même !
Ces allégations voulaient faire croire qu'un tel projet n'aurait jamais été réalisé. Elles n'expliquent pas pourquoi des plans de transformation de la crypte, prévoyant justement la création du Centre monothéiste, ont été établis en janvier 1976, soit plus d'un an après que le rapport ait été déposé sur le bureau de Mgr Etchegaray ; qu'une *demande de permis de construire ait été déposée* le 16 mars 1976 ; qu'enfin, le 13 mai 1976, soit un mois après le début de notre campagne d'information, *une facture correspondant* « *aux frais d'enlèvement des échafaudages et matériaux approvisionnés sur le* CHANTIER *de Notre-Dame de la Garde *» ait été adressée aux administrateurs du sanctuaire.
Tous ces documents peuvent être consultés à notre Siège, et jamais aucun « responsable » n'a fourni une explication précise à leur sujet
En réalité, les technocrates épiscopaux sont furieux d'avoir dû reculer devant l'indignation du petit peuple de Dieu ; ils ont donc dû ranger leurs projets dans les cartons.
Le 9 mai 1976, à notre appel, toute la Provence s'était donnée rendez-vous, sur la Colline Sacrée.
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L'Association pour la Défense de Notre-Dame de la Garde avait tenu à renouer avec la tradition interrompue depuis l'arrivée de Mgr Etchegaray à Marseille. Elle avait décidé d'organiser une procession le jour de la sainte Jeanne d'Arc et demandé à « tous les Provençaux désireux de conserver l'intégrité matérielle de ce haut lieu et d'éviter toute atteinte à la foi catholique, de venir témoigner leur amour envers la « Bonne Mère » et la prier avec ferveur ».
La foule des pèlerins était là, malgré une pluie diluvienne, récitant avec foi une première dizaine de chapelet, avant de s'ébranler en chantant « CHEZ NOUS, SOYEZ REINE » Ou « SOYEZ BÉNI SEIGNEUR, EN L'HONNEUR DE LA VIERGE MARIE »...
Aucune manifestation de colère : mais un puissant rassemblement de catholiques au pied de leur « Bonne Mère ».
Aussi ne comprit-on pas bien, l'importance du service d'ordre mis en place autour de la résidence de l'évêque, située au bas de la colline de Notre-Dame de la Garde : plusieurs fourgons remplis de policiers, matraque à la ceinture et boucliers en plexiglas à peine dissimulés ; véhicules-radio disposés aux carrefours des chemins par où arrivaient les pèlerins ; la porte de la résidence de Mgr Etchegaray gardée par plusieurs policiers en faction... D'où les réflexions irrévérencieuses de certains pèlerins facétieux : « Ne craint-il pas qu'un tel déploiement de force ne nuise à son image d'évêque libéral ? »
A l'intérieur de la Basilique, trop petite pour contenir la foule, aucun incident ne put être reproché aux pèlerins malgré les attitudes volontairement provocantes de certains membres du clergé : ce fut un peuple recueilli qui entonna le TANTUM ERGO devant le Très Saint Sacrement exposé.
II\. -- Cette année
La situation est différente cette année. Aucune transformation n'a été réalisée pour le moment, et ce résultat est à mettre à l'actif de l'Association pour la Défense de Notre-Dame de la Garde. Mais les technocrates épiscopaux marseillais n'ont pas renoncé à leur projet.
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Mgr Etchegaray écrivait, le 23 janvier 1977, dans le Bulletin officiel du diocèse de Marseille, un article qui d'ailleurs a été partiellement reproduit par *Le Monde* du 28 janvier, et dont voici : le texte intégral :
Catholiques et musulmans\
à Marseille
Une nonchalante coexistence, qui frôle plus qu'elle ne brasse des hommes de toutes races, fait que les Marseillais, accoutumés à tout voir débarquer sur le quai de leur histoire, ne se rendent même plus compte de ce qui compose la cité. Ainsi, les catholiques pensent-ils aux milliers et milliers de musulmans qu'ils côtoient à longueur de journée ? Le dialogue islamo-chrétien, un des plus importants par la masse de ses partenaires et la qualité de ses valeurs religieuses, n'est pas pour nous une question théorique ou réservée à des colloques d'experts de Cordoue à Tunis, de Tripoli à Vienne : il s'impose sur notre propre terrain de l'existence quotidienne. Qu'en faisons-nous ?
Bien sûr, il faut d'abord pouvoir se rencontrer, le vouloir ; et chez nous cela veut dire rencontrer les travailleurs immigrés, surtout ceux des pays du Maghreb. Où en sommes-nous de cette connaissance patiente, directe, fraternelle de personnes marquées plus que d'autres par de dures conditions de travail, d'habitat, de vie familiale et sociale ? Il nous faut réagir contre une tendance qui chercherait dans nos contacts à faire abstraction de l'Islam, alors que la religion musulmane façonne profondément la vie pratique de tous les jours. Réalisons-nous qu'ils ont quitté une terre où s'enchevêtraient culturel, religieux et politique, pour entrer dans une société sécularisée qui menace maintenant de leur faire perdre toute identité ? Oublions-nous qu'ils considèrent les Occidentaux, qu'on le veuille ou non, comme des chrétiens et qu'ils jugent en référence au christianisme nos modes de comportement et nos modèles de civilisation ?
Le dialogue catholiques-musulmans a été longtemps hypothéqué par des conflits à coloration politique. Aujourd'hui, il risque d'être faussé par manque d'approfondissement religieux et même d'être bloqué du fait d'approximations ou de préjugés réciproques. Le dialogue n'est pas seulement un cri du cœur, mais une démarche de vérité pour rejoindre le meilleur des autres par le meilleur de nous-mêmes. Que faisons-nous pour mieux connaître la foi musulmane sans rien renier de notre foi chrétienne ? Que faisons-nous pour aider les travailleurs immigrés à observer le Coran dans toutes ses implications communautaires ? Pouvons-nous rester impassibles devant les laborieuses recherches de croyants en quête d'espaces de prière qui leur font cruellement défaut ? Quelle serait notre attitude si un de ces lieux rituels était aménagé dans notre voisinage ?
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Au contact de leur piété toute imprégnée du sens d'un Dieu transcendant qui se laisse désigner par les 99 « plus beaux Noms », nous devons accepter que les musulmans viennent stimuler notre relation personnelle au Dieu Vivant. Bien plus, avec les autres « Gens du Livre » que sont les juifs, les trois grandes religions monothéistes n'ont-elles pas à relever le défi du monde contemporain qui s'obstine à se construire sans Dieu ? saurons-nous chercher ensemble les chemins d'une fidélité renouvelée au Dieu qui a parlé aux hommes ?
Comment enfin ne pas citer ce verset coranique qui évoque les relations entre chrétiens et musulmans : « Si Dieu l'avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté ; mais il a voulu vous éprouver par le don qu'il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les actions bonnes. Tous vous retournerez vers Dieu. Alors il vous éclairera au sujet de ce qui vous divise » (Sourate 5,53/48).
Le 23 janvier 1977.
R. ETCHEGARAY.
Quand on lit cela, on comprend qu'il convient de se montrer toujours vigilant ; mais puisque rien n'a été entrepris, nous devons adopter une attitude moins *défensive* que *préventive.*
J'ai donc créé une nouvelle Association : « Les Amis de Notre-Dame de la Garde ». Elle rassemble tous ceux qui entendent mieux faire connaître le sanctuaire de Notre-Dame de la Garde et contribuer ainsi à un accroissement de la piété mariale.
C'est cette association qui organise le pèlerinage national du 8 mai 1977 à 16 heures.
Un manifeste publié par les *Amis de Notre-Dame de la Garde* déclare :
*Si les sanctuaires consacrés à la Mère de Dieu sont menacés, n'est-ce pas parce que depuis plusieurs années un travail diabolique s'est accompli autour de la Personne sacrée de Marie, d'abord pour la rabaisser, ensuite pour la présenter comme un obstacle à la Gloire due à son Divin Fils ?*
*Il est temps de tourner nos regards vers Marie* « *Revêtue de la Puissance Royale *» (*Pie XII*) *et* « *Victorieuse de toutes les Batailles de Dieu *» (*Pie XII 31 octobre 1942*)*.*
*A la suite des fidèles qui depuis huit siècles, ont gravi la Colline sacrée,*
*pour que Notre-Dame de la Garde demeure un lieu de culte catholique et qu'aucun autre nom que celui de son Divin Fils ne soit invoqué dans son sanctuaire,*
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*les* Amis de Notre-Dame de la Garde *invitent tous les Catholiques à participer à leur pèlerinage national le jour de la fête de sainte Jeanne d'Arc, le 8 mai prochain à 16 heures.*
\*\*\*
Le pèlerinage national à Notre-Dame de la Garde aura donc lieu le dimanche 8 mai 1977, à 16 heures.
Les personnes qui le désirent pourront être hébergées et prises en charge dès leur arrivée à Marseille par l' « Association des amis de Notre-Dame de la Garde ». Des services d'autocars sont prévus pour les transports à l'intérieur de Marseille
Les pèlerins arrivant le samedi soir ou le dimanche tôt dans la matinée seront conduits sur leur demande aux lieux de Culte où est célébrée la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de S. Pie V.
Pour tous renseignements complémentaires et pour les inscriptions (et quand il y a lieu les « réservations » de logement et de transport) il faut écrire -- avec une enveloppe timbrée pour la réponse -- à l'Association des amis de Notre-Dame de la Garde, 110, rue Paradis, 13006 Marseille. On peut aussi y téléphoner aux heures de permanence, tous les jours entre 16 et 18 heures. Téléphone : (91) 37-44-37 ou 77-98-49
============== fin du numéro 212.
[^1]: -- (1). Dans la suite de cet article nous ferons référence à ce dossier par les initiales A.E. suivies du numéro du chapitre. Par exemple : A.E. III, A.E. X, etc.
[^2]: -- (2). Ces lignes étaient écrites quand nous avons eu connaissance de la « table ronde » qui a eu lieu, à l'église Saint-Nicolas, le 18 février 1977, à 20 h 30, entre le père René Beaupère (catholique), le doyen André Benoît (protestant) et le groupe des foyers mixtes de Strasbourg sur le thème : « *L'Eucharistie ; Position des Églises... et la base ? *»*.* La table ronde avait été annoncée dans la feuille paroissiale de la cathédrale du 13 février. Une affichette bleue, simultanément, faisait la même annonce pour mieux attirer l'attention des lecteurs distraits de la feuille paroissiale.
[^3]: **\*** -- Cet encadré figure p. 18 dans l'original.
[^4]: -- (1). *Chronique des grandes litanies,* dans ITINÉRAIRES, numéro 135 de juillet-août 1969.
[^5]: -- (2). Cf. saint Thomas, *S. Th., I-II,* qu. 62, art. 1 ; *De virtutibus in communi,* art. 11.
[^6]: -- (3). *S. Th.,* I-II, qu. 112, art 3, et qu. 114 ; *De vint in com.,* art. 10.
[^7]: -- (4). Voir les qu. 2 et 3 dans la II-II de la *S. th.*
[^8]: -- (5). *S. Th.,* I-I I, qu. 71. art. 5, ad 3 ; et II-II, qu. 3, art. 2. 24
[^9]: -- (6). Même art. 2.
[^10]: -- (7). L'évolution conciliaire a supprimé *l'année liturgique,* et l'a remplacée, dans sa liturgie prétendument réformée, par *trois* années successives, l'année A, l'année B, l'année C. Le « rappel de foi » appartenait aux missels de l'année B. Il figurait donc dans le missel 1969-1970 (parce que le nouveau culte commença non par son année A, mais, pour plus de clarté sans doute, par son année B...) ; il figurait à nouveau dans le missel de l'année 1973. Il aurait dû revenir en 1976 et c'est donc en 1976 seulement que l'on a constaté sa disparition subreptice.
[^11]: -- (8). Bulletin officiel de la conférence épiscopale française, numéro 8 du 1^er^ février 1977 : la phrase citée est p. 104. -- *Documentation catholique* du 2 janvier 1977, p. 33 et suiv.
[^12]: -- (9). Note sur « la messe après Lourdes », *Courrier de Rome* numéro 165 de janvier 1977.
[^13]: -- (10). Notamment aux pages 189-197 de son livre : *La liberté d'un évêque* (Éditions du Centurion, 1976).
[^14]: -- (11). Page 194.
[^15]: -- (12). Page 193.
[^16]: -- (13). *Documentation catholique,* n° 1708 du 21 nov. 1976, p. 957.
[^17]: **\*** -- \[p. 72 dans l'original.\]
[^18]: **\*** -- *Il y a deux églises Saint-Nicolas à Paris*
*-- Saint-Nicolas des Champs, 254 rue Saint-Martin, dans le quartier du Temple ;*
*-- Saint-Nicolas du Chardonnet, 30, rue Saint-Victor, dans le quartier Maubert.*
*Elles sont toutes deux sous le patronage de Nicolas, évêque de Myre en Asie Mineure au IV^e^ siècle.* « *Comme il prêchait à Myre la vérité de la foi chrétienne, contrairement à l'édit de Dioclétien et de Maximien, il fut arrêté par les hommes de l'empereur, déporté et jeté en prison. *» *Libéré sous Constantin, il participa au concile de Nicée. Saint Nicolas est le patron des écoliers et écolières, des bateliers, des tonneliers, des voyageurs. Il est aussi le patron de la Russie. -- A. B.* \[figure en encadré, p. 69.\]
[^19]: -- (1). « Les origines de l'homme », exposition réalisée par les Laboratoires d'Anthropologie et de Préhistoire du Musée de l'Homme, sous la direction de M. Yves COPPENS, 25 décembre 1976 -- 15 mars 1977.
[^20]: -- (1). Les trois textes que nous citons ici sont reproduits dans le catalogue de l'exposition, «* Les origines de l'homme *», 4^e^ trimestre 1976, en vente aux comptoirs du Musée de l'Homme à Paris.
[^21]: -- (1). L'aveu est dans le catalogue de l'exposition, *op. cit.*
[^22]: -- (1). *D'Aristote à Darwin et retour. Essai sur quelques constantes de la biophilosophie,* Vrin, 1971.
[^23]: -- (2). « Les hérésies biologiques du transformisme », ITINÉRAIRES, numéro 172 d'avril 1973.
[^24]: -- (3). Georges SALET : *Hasard et certitude,* Téqui-dïffusion, 1972 :
[^25]: -- (1). *Population et Sociétés,* n° 99, février 1977.
[^26]: -- (1). En français dans le texte.
[^27]: -- (1). Étienne DHORME : Introduction, p. XXV, La Bible -- Ancien Testament -- t. I, Paris, 1956.
[^28]: -- (1). Souligné par nous.
[^29]: -- (1). Ces six observateurs, représentant le Conseil œcuménique des Églises, les communautés anglicane et luthérienne et la communauté de Taizé, étaient le Dr. Georges, le Canon Jasper, le Dr. Sephard, le Dr. Konneth, le Dr. Smith et le Fr. Max Thurian.
[^30]: -- (2). Photographie reproduite et discours commenté dans ITINÉRAIRES, numéro 178 de décembre 1973, sous le titre Pourquoi rient-ils ? \[La photo ne figure pas in It. 178-12-78.\]
[^31]: -- (2). Cf. *Solesmes et la messe,* dans ITINÉRAIRES, numéro 196 de septembre-octobre 1975 ; reproduit dans l'annexe V de notre livre *La Nouvelle Messe* (seconde édition, Nouvelles Éditions Latines, 1976).
[^32]: **\*** -- Les Cahiers de la contre-Encyclopédie. *L'Église romaine en face de la Révolution*, par Jacques CRÉTINEAU-JOLY, « Cercle de la Renaissance française », 3, boulevard Saint-Martin, 75003 Paris, 2 vol de 490 et 536 pages, réédition intégrale de l'ouvrage de 1859. \[En encadré dans l'original.\]