# 215-07-77
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### La présence réelle
Ci-contre, reproduction de la photographie qui a paru en tête de la première page de « L'Osservatore romano » ([^1]).
La légende de cette photographie déclare :
« Le pape, à genoux, adore la présence réelle du Christ en un petit garçon handicapé. »
C'est le numéro 35.497 de « L'Osservatore romano », quotidien de la Cité du Vatican, daté du 19 mai 1977. La reproduction ci-contre est grandeur nature.
L'INTERPRÉTATION LA PLUS BIENVEILLANTE consiste à présumer que l'intention ainsi exprimée dans *L'Osservatore romano* était de souligner, d'une manière frappante et spectaculaire, la réalité de la présence du Christ chez cette catégorie de pauvres, de déshérités, de malheureux que sont les enfants handicapés.
Nous nous en tiendrons à cette interprétation la plus bienveillante.
Nous n'en sortirons pas.
Mais nous dirons que, même dans cette hypothèse, nous sommes en présence d'une affirmation inacceptable.
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Cette affirmation inacceptable rejoint l'article 7 de la nouvelle messe, première version, pour contribuer à estomper, dans le langage et dans les esprits, ce qu'il y a de spécifique dans la présence eucharistique.
Certes, le P. Congar n'aime pas que l'on reparle de l'article 7, version de 1969, il y voit de notre part argutie et vain entêtement, puisque ce « texte a été amélioré dans l'édition promulguée le 26 mars 1970 » ([^2]). Sans examiner ici la question controversée de savoir si cette « amélioration » a constitué une correction suffisante, rappelons que la première version de l'article 7, définissant la messe comme une assemblée du souvenir, conserve toute son actualité, puisque c'est bien à cette version-là que l'épiscopat français renvoie encore et toujours le prêtre dans sa dernière communication officielle à ce sujet : « *Nous invitons les pasteurs à relire les textes majeurs de la réforme* (*liturgique*) *pour y retrouver ses motifs, ses grandes orientations et les directives d'application. *» Comme texte majeur, l'épiscopat indique l'*Institutio generalis* ou présentation générale de la nouvelle messe, où se trouve l'article 7, en spécifiant que c'est à l'édition de 1969 qu'il faut se reporter. Cette injonction a paru dans le *Bulletin officiel de la conférence épiscopale française* le 1^er^ février 1977. Conformons-nous à cette invitation épiscopale plutôt qu'à celle du P. Congar, et relisons donc une fois encore, pour la garder bien présente à l'esprit, la première version de l'article 7 :
« La cène du Seigneur ou messe est la synaxe sacrée ou rassemblement du peuple de Dieu réuni, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. C'est pourquoi s'applique éminemment au rassemblement local de la sainte Église la promesse du Christ : Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux. » ([^3])
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Cette présence du Christ est assurément réelle. En ce sens qu'elle n'est pas irréelle. Mais elle est distincte de la présence eucharistique. Elle en est distincte d'une différence non de degré mais de nature.
Tout l'effort de la religion nouvelle sur ce point consiste, en jouant sur la notion de « présence » et en abusant des termes « présence réelle », à faire oublier la différence de nature entre la présence spirituelle du Christ au milieu de ceux qui le prient, ou en ceux qui souffrent saintement, et sa présence sacramentelle dans l'eucharistie.
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Les termes de « présence réelle » ne peuvent pas être employés légitimement pour désigner la réalité de n'importe quelle sorte de présence. Ils ont un sens usuel reconnu. Ils désignent le résultat de la transsubstantiation. Ce sens usuel n'est pas seulement celui des « spécialistes ». Il est celui de tout le monde, il est reçu, il est admis, il est sans équivoque ; depuis longtemps ; jusque dans le langage courant des profanes, ainsi que l'attestent tous les dictionnaires anciens et récents.
Le Littré définit la présence réelle : « le corps et le sang de Jésus-Christ dans l'eucharistie ». Il cite Bossuet : « Les réformés... nient ordinairement cette présence réelle et substituent en sa place une présence morale, une présence mystique, une présence d'objet et de vertu. »
Le Robert : « La présence réelle : le fait que le Christ soit réellement présent dans l'eucharistie, sous les espèces du pain et du vin, avec son sang, son corps, son âme et sa divinité. »
Si l'antique Littré et le grand Robert doivent être disqualifiés comme antérieurs à mai 68, ou comme antérieurs au concile, prenons le Petit Larousse illustré, édition de 1976 : « Présence réelle : existence réelle du corps et du sang de Jésus-Christ dans l'eucharistie, sous les apparences du pain et du vin. »
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Le Petit Larousse, le grand Robert, l'antique Littré l'attestent donc pareillement. Parler de présence réelle, ce n'est point simplement parler par pléonasme d'une présence qui ne serait pas irréelle. Cette expression a un sens stable et précis. Elle désigne la présence du Corps et du Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ sous les apparences du pain et du vin.
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Il est impossible d'adorer « la présence réelle » de Jésus-Christ en un enfant handicapé. Il n'y a pas, en cet enfant, présence sacramentelle du Corps et du Sang de Notre-Seigneur. Mais en proclamant qu'on adore en lui cette présence, on donne à penser que la présence réelle n'est plus la présence sacramentelle du Corps et du Sang. On donne à penser que toute présence spirituelle du Seigneur est « une » présence « réelle », sans différence de nature d'avec « la présence réelle ». La première version de l'article 7 le donnait à penser, et continue à le donner, l'épiscopat français y renvoie (pour cela ?).
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Depuis sept années maintenant, nous disons et répétons que le dogme catholique de la présence réelle est vidé de sa substance par une imprécision systématique et calculée soit dans l'omission indue, soit dans l'emploi aberrant des termes qui l'expriment.
Face au numéro 35.497 de L'Osservatore romano qui offense la foi, nous protestons ci-après en confessant notre foi catholique et en réitérant nos observations
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Le dogme de la présence réelle n'est plus enseigné par les actuels détenteurs de la succession apostolique. Nous leur demandons depuis sept années s'ils croient encore à ce dogme qu'ils n'enseignent plus. Depuis sept années nous le faisons remarquer : quand ils parlent d'une « présence réelle », c'est d'une présence réelle SYSTÉMATIQUEMENT NON PRÉCISÉE, et, comme pour « le sacrifice », *la précision habituellement omise par eux fait toute la différence entre la foi catholique et l'apostasie immanente dont ils sont soupçonnés.*
Pour la foi catholique, la présence réelle consiste en ceci : l'hostie, après la consécration, est le vrai Corps de Notre-Seigneur ; le vin, après la consécration, est le vrai Sang de Jésus-Christ. Après la consécration, il ne reste rien du pain et du vin, sauf leurs « espèces », leurs apparences, c'est-à-dire leurs qualités sensibles (la forme, la couleur, la saveur). Ce changement miraculeux est la transsubstantiation.
Cela est mystérieux : *mais simple à énoncer.* Depuis sept années nous rappelons à nos évêques qu'il leur est possible à tout moment, sans discours confus, contournés, insaisissables, en termes droits au contraire, et francs, et nets, -- ceux du catéchisme, -- d'affirmer sans équivoque la foi catholique en la présence réelle telle que l'Église l'a définie. Mais cette affirmation est absente du discours que tient la hiérarchie de l'Église conciliaire, absente de sa nouvelle religion, absente de son œcuménisme.
Après sept années maintenant de réclamations, de supplications, de mises en demeure, est-il téméraire de penser que cette absence habituelle est une absence calculée ? Est-il téméraire de remarquer que le numéro 35.4.97 va dans le même sens ?
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Face au numéro 35.497, nous énonçons et professons notre foi dans les vérités dogmatiques qu'enseigne le catéchisme romain. A savoir :
La présence réelle de Notre-Seigneur dans l'eucharistie se produit au moment même où le prêtre, pendant la sainte messe, prononce les paroles de la consécration.
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La consécration est le renouvellement, par le ministère du prêtre, du miracle opéré par Jésus-Christ changeant à la dernière cène le pain et le vin en son Corps et en son Sang. Ce miraculeux changement est appelé par l'Église « transsubstantiation ». Il ne se produit pas sans le ministère du prêtre. Jésus-Christ a institué le sacerdoce pendant la dernière cène, précisément quand il confia aux Apôtres et à leurs successeurs le pouvoir de consacrer l'eucharistie. Pas d'eucharistie sans sacerdoce.
*Sed contra.* Sa Grâce le Docteur Frédérick Donald Coggan, de Cantorbéry, président de l'Église anglicane, a été reçu et embrassé à Rome au printemps. Il a prononcé le 28 avril un discours où il déclarait notamment :
« Sans attendre l'autorisation officielle -- bien que parfois cela se fasse avec l'accord officiel sur le plan local -- des catholiques romains reçoivent le sacrement de la sainte communion des mains d'évêques et de prêtres anglicans, et l'inverse est également vrai. Je crois bien qu'il en sera de plus en plus ainsi, que l'accord officiel soit donné ou non par de plus hautes instances. Le moment -- le temps de Dieu -- n'est-il pas venu de donner cet accord officiel ? Je crois que oui. » ([^4])
Avec ou sans accord officiel, accord local ou accord de plus hautes instances, ce n'est pas « le sacrement de la sainte communion » que l'on reçoit des mains de ministres anglicans, car ils n'ont pas reçu le sacrement de l'ordre, le pain et le vin qu'ils distribuent restent du pain et du vin.
A Rome même, Sa Grâce le Docteur président de l'Église anglicane, par cette bravade et ce défi, démentait la « déclaration commune » rassurante qu'il était en train de signer avec Paul VI et qui serait publiée le lendemain. Le défi, la bravade de proclamer à Rome : -- *Des catholiques reçoivent le sacrement de la sainte communion des mains d'évêques et de prêtres anglicans. Il en sera de plus en plus ainsi, que l'accord officiel soit donné ou non par les plus hautes instances.*
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Accord officiel ou non, le moins que l'on puisse en dire est que les plus hautes instances ne s'opposent pas à ce que les catholiques reçoivent, dans l'erreur et la confusion, une eucharistie consacrée par des ministres incapables de consacrer
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Un grand changement est de plus en plus nécessaire dans le personnel des actuels détenteurs de la succession apostolique. Un changement profond ; un changement radical ; une abjuration de l'apostasie immanente ; un retour réel et actif à la foi catholique. Nous n'avons pas les moyens d'imposer nous-mêmes ce changement, qui aura lieu par voie d'improbable conversion ou par voie d'indispensable relève. Mais nous le réclamons à haute voix. Nous portons témoignage de sa nécessité. Et des raisons de sa nécessité. Parmi lesquelles, le numéro 35.497.
J. M.
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### La religion du cardinal Marty
Sous ce titre vient de paraître un volume de 80 pages écrit par Jean MADIRAN. C'est une riposte nécessaire aux calomnies, persécutions et abus de pouvoir perpétrés par le cardinal-archevêque de Paris, par ses pairs et par ses complices. Et c'est une analyse précise du manquement permanent de l'épiscopat français à l'acte extérieur de la foi. Il faut faire lire ces pages à tous les baptisés, elles les concernent tous. ([^5])
En voici l' « Avertissement ».
La religion du cardinal Marty, archevêque de Paris, est exemplairement celle-là même de l'épiscopat français, résultant *selon ses propres paroles* d'une « option fondamentale » opérée furtivement par « l'Église de France » il y a un demi-siècle, et imposée depuis dix ans au nom de l' « évolution conciliaire » issue de Vatican II.
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Le cardinal Marty a été depuis le concile le chef élu du noyau dirigeant de l'épiscopat français, avec les titres successifs de secrétaire général et de président. Il résume et fait voir en sa personne tout le malheur présent de l'Église de France.
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Le discrédit de l'épiscopat n'est point anecdotique, il n'est point accidentel. Il ne provient pas surtout de ses manifestations intempestives et incompétentes dans le temporel, le politique, le syndical, l'écologique, le biologique, le sexuel. Sans doute il lui revient une responsabilité nationale qui n'est pas légère à porter : la responsabilité épiscopale dans le fait dramatique qu'une partie de l'électorat catholique a basculé à gauche, et pas dans n'importe quelle gauche, mais dans la gauche unie au parti communiste. Cependant la défaillance la plus grave des évêques est leur défaillance religieuse.
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Depuis dix années, le catéchisme qu'ils imposent ne contient plus les trois connaissances nécessaires au salut. Partout en France les familles ont dû organiser le catéchisme catholique en marge de l'épiscopat, et même contre l'épiscopat. Ceux des petits Français qui sont abandonnés au catéchisme officiel *n'y apprennent rien* dans le meilleur des cas ; souvent ils y apprennent des insanités politiques et sexuelles. Depuis dix ans nous réclamons, protestons et luttons contre ce catéchisme vidé de sa substance religieuse et encombré de balivernes qui ne sont pas innocentes. Avec une obstination mortelle, méprisant tous les avertissements, toutes les supplications, toutes les remontrances, l'épiscopat français maintient l'instruction religieuse dans l'état lamentable où il l'a mise.
Après avoir détruit le catéchisme, les évêques français ont détruit la messe. De 1969 à 1976, ils ont enseigné comme « *rappel de foi indispensable *»*,* dans leurs nouveaux missels du dimanche à l'usage des fidèles, qu'à la messe « *il s'agit simplement de faire mémoire *». Cet enseignement blasphématoire a été retiré des missels en 1976, mais subrepticement, et quand le mal était fait en profondeur. Il n'y a eu aucune correction explicite, aucune rétractation, aucune mise au point officielle.
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Ces deux prévarications, celle du catéchisme, celle de la messe, sont proprement religieuses. Elles ne sont pas les seules, elles sont les plus énormes. Elles ne sont pas des malfaçons occasionnelles mais des comportements habituels et opiniâtres. Les évêques sont devenus en France les destructeurs de la foi catholique. C'est la foi catholique elle-même qui aujourd'hui crie à chacun d'eux : -- *Évêque, c'est par toi que je meurs.*
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Situation extraordinaire, situation douloureuse. Le premier point est de la voir telle qu'elle est, en toute clarté. On l'envenime davantage encore quand on en voile artificiellement la gravité radicale.
Nous sommes à genoux devant les successeurs des apôtres, c'est l'agenouillement d'un homme libre, les suppliant et les interpellant pour le salut de leur âme et pour le salut de leur peuple. Qu'ils rendent au peuple chrétien le catéchisme romain et la messe catholique. Tant qu'ils ne l'ont pas fait, ils sont comme morts.
J. M.
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### *Pour un monastère*
*Le Monastère bénédictin Sainte-Madeleine de Bédoin* (*Vaucluse*) *et son Prieur dom Gérard font appel à la générosité des lecteurs d'*ITINÉRAIRES*. Deux mots d'explication :*
*Parti en 1970 de son abbaye de Tournay avec la bénédiction de son Abbé, dom Gérard reçut l'autorisation de poursuivre sa vie monastique selon la Règle de saint Benoît conformément aux vœux de religion qu'il avait émis solennellement le 4 février 1951 à Tournay.*
*L'évolution s'étant substituée à la Règle, les moines, dans leur abbaye, connaissent le même drame de conscience que les catholiques à l'intérieur de l'Église. Cette situation dramatique, Mgr Lefebvre la résume en quelques mots :* « Le coup magistral de Satan est d'être arrivé à jeter dans la désobéissance à toute la Tradition, par obéissance ! »
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*Mû par une certaine pitié sans doute, on permit à dom Gérard de continuer à vivre selon la Règle bénédictine hors du grand courant d'évolution conciliaire, pensant que les faits lui prouveraient la vanité de ses vues. Mais les faits déjouèrent les prévisions : l'abbaye qui avait renoncé à la Tradition ne recrutait pas et perdait ses moines parmi lesquels huit aujourd'hui vivent avec une compagne, tandis que dom Gérard, arrivé seul en 1970, est entouré aujourd'hui d'un groupe stable de jeunes moines comptant un prêtre, deux sous-diacres, sept profès, deux novices et deux postulants.*
*A Rome, en 1971, la Sacrée Congrégation des Religieux lui avait dit : ne cherchez pas à faire entrer votre communauté dans une* « *congrégation *» ; *faites comme saint Benoît : mettez sa Règle en pratique et vous serez bénis.*
*En fait de bénédiction dom Gérard a été rayé de la Congrégation de Subiaco sous prétexte de désobéir à l'orientation nouvelle. Les propriétaires du monastère Sainte-Madeleine, cédant aux pressions ecclésiastiques, ont décidé de ne pas reconduire le bail dont l'échéance en 1980 marquerait la dissolution de la Fondation naissante.*
*C'est pourquoi dom Gérard est décidé à bâtir non loin de son prieuré actuel* (*celui-ci ne peut plus accueillir de postulants*) *un monastère plus grand et situé sur un terrain hors d'atteinte des sectateurs de la nouvelle religion.*
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*Mais il faut des fonds pour* COMMENCER. *Dom Gérard lance un appel. Les frères faisant alterner la prière et le travail* (ORA ET LABORA) *s'emploieront comme tâcherons sur le chantier. La grande prière liturgique de nuit et de jour rejaillira en pluie de grâces sur leurs bienfaiteurs.*
*En gage de reconnaissance et d'union spirituelle, à tous ceux qui offriront deux mille francs dom Gérard fera parvenir une Histoire Sainte font le texte établi par ses soins est illustré par Albert Gérard, ancien élève d'Henri Charlier. Il s'agit d'un grand album de 40 * *60, numéroté et dédicacé en souvenir de l'aumône charitable qui aura servi à sauver et à implanter, solidement cette fois, une communauté contemplative d'hommes vouée à la louange divine et à l'accueil des retraitants désireux de faire halte aux pieds du Seigneur au milieu des combats du siècle.*
*Nous pensons, en faisant parvenir cet appel, renouer avec la tradition des abbayes jadis érigées grâce aux dons de la chrétienté, soucieuse d'ouvrir ainsi une porte de communication avec le ciel.*
*Ut in omnibus glorificetur Deus.*
*C.C.P. du monastère :*
Dom Gérard CALVET -- 5384 54 R Marseille.
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### Luce Quenette

*Nous ne verrons plus Luce Quenette en ce monde, nous ne l'entendrons plus nous donner ses avis d'une sévère tendresse sur notre tenue au combat. Nous ne saurons plus de quel regard elle juge l'événement, l'imprévisible, l'épreuve toujours nouvelle, de plus en plus complexe, des contradictions dans la confusion qui, sous le règne de l'apostasie immanente, sont notre croix quotidienne. Nous n'aurons plus pour les décisions à prendre la lumière de cette intelligence droite et prompte, de cette âme de gouvernement, de ce chef de guerre. Luce Quenette, c'était l'école de guerre chrétienne au temps de la guerre dans l'Église.*
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*Elle est morte le 13 juin 1977, presque au terme de sa soixante-treizième année, ayant véritablement tout donné, tout épuisé de ses forces et de sa vie. En 1971 son médecin lui avait offert le choix : six mois de vie sans intervention, ou bien cinq années au prix d'une intervention chirurgicale qui serait terrible. Elle avait accepté les cinq années de souffrance et d'affaiblissement continuel, et il y en eut six ; pour continuer à guider* «* les siens *» *jusqu'au moment où ils seraient définitivement préparés à poursuivre sans elle* «* les siens *»*, cela désignait toujours ceux de La Péraudière, sa famille spirituelle, l'œuvre qu'elle avait fondée pour l'instruction chrétienne des enfants il y a trente et un ans ; mais de cette œuvre je ne dirai rien aujourd'hui, ce qui devait être dit a été dit par le P. Gérentet, après la messe des funérailles, aux élèves, aux parents, aux maîtres ; aux successeurs de Luce Quenette. Avec eux nous avons vécu ce deuil dans le recueillement...la prière, les larmes silencieuses, la désolation résignée, la soumission aux durs dépouillements de l'espérance théologale ; un deuil familial ; non point public ; le moment n'est pas venu d'en parler ; en parlera la première la* «* Lettre de la Péraudière *»*, qui est une lettre de famille.*
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*Je dirai seulement le deuil public qui est celui d'*ITINÉRAIRES ; *j'y appelle tous ceux de nos lecteurs qui ne connaissaient Luce Quenette que par l'imprimé. Depuis notre premier numéro elle était avec nous, y mettant une intensité d'amitié, que je n'ai découverte que par la suite. Avec* «* les siens *» *elle était venue faire une rapide visite à la direction de la revue, simplement pour s'assurer, en quelque sorte, que nous n'étions pas un rêve ou une illusion, que nous existions bien, et que nous marchions comme nous le disions ; et ils étaient repartis dans leurs monts du lyonnais, nous invitant sans faire de phrases à venir les voir à notre tour. Il m'a fallu une dizaine d'années pour comprendre quel écrivain elle était, quel devoir nous avions de l'imprimer et de la faire connaître au public ; et pour que je l'en persuade. Je ne sais pas si je l'en ai jamais véritablement persuadée ; mais elle consentit à une collaboration régulière quand je lui donnai l'assurance expresse que cette collaboration servait le bien commun intellectuel et moral des lecteurs de la revue. De tous les auteurs qui écrivent ici, elle a été assurément l'un des plus contestés ; ce qui est bien la preuve qu'elle n'écrivait pas pour ne rien dire, et que ce qu'elle disait ne passait pas inaperçu.*
*Après la mort de Claude Franchet qu'elle avait tant aimée à distance, mais la connaissant par Jean des Berquins, dont elle fut la plus exacte lectrice, et la première sans doute à cette profondeur, Luce Quenette m'assurait qu'elle serait la prochaine à venir prendre place sur la stèle où s'inscrivent dans chacun de nos numéros les noies dont nous faisons mémoire. Elle fut plusieurs fois devancée, d'abord par Henri Rambaud.*
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*Elle vécut avec une sensibilité fraternelle, avec une intimité surnaturelle la mort d'Henri Rambaud, et celle du P. Calmel, et celle d'Henri Charlier ; répétant et méditant avec une intensité plus grande chaque fois la parole d'acceptation d'Henri Rambaud :* «* Il est de l'essence des œuvres humaines d'être interrompues. *» *Elle n'a publié qu'un ouvrage en librairie, et seulement à ma demande ; c'est un livre sans équivalent. Il y aura au moins un volume posthume, dont elle avait accepté le projet et dont les textes sont prêts. Je vous propose, pour saluer avec l'affection, l'admiration, la reconnaissance que nous lui devons, l'écrivain qui vient de nous quitter, et pour notre consolation, de rejoindre son cœur et sa pensée en relisant sa méditation des Noces de Cana.*
J. M.
LES SERVITEURS, EUX, LE SAVAIENT*...* (St Jean I. 8.) Voulez-vous que nous nous reposions, que nous dilations notre cœur pour l'Espérance, en méditant, dans les noces de Cana, cette clairvoyance que Dieu donne à ses humbles serviteurs.
« Lui (le maître du festin) ne savait pas d'où venait ce vin. »
Le monde ne sait les *vraies causes* de rien.
« Mais les serviteurs, eux, le savaient bien. »
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Ils savent, eux, parce qu'il leur a été donné de tout voir, et parce qu'ils ont fait fidèlement leur service, accompli fidèlement leur petit rôle.
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Les serviteurs savaient comment les choses s'étaient passées -- c'est-à-dire comment les choses se passent toujours pour des cœurs éclairés : le vin avait manqué. Ils l'avaient dit, qui sait, à deux ou trois dames discrètes. Une Dame en avait pris souci tout de suite. Une Dame avait pris très au sérieux ce que les serviteurs avaient dit -- ou plutôt murmuré, en s'encourageant les uns les autres, dans leur confusion, n'osant pas le dire à leur Maître, au Marié. Cette Dame s'était tout de suite dérangée. Elle ne leur avait rien dit qui ressemblât à : « Débrouillez-vous, qu'y pouvons-nous ? » Pas du tout, Elle était partie tout droit à la table principale. Les serviteurs avaient vu tout cela en détail. Elle était allée vers son Fils -- Elle avait dit quelque chose, très bref, à son oreille : « Ils n'ont plus de vin. » Exactement ce que les serviteurs avaient dit. Il n'y a plus de vin. *Et le Fils avait répondu autre chose que oui -- et autre chose que non*. Elle n'avait point pris l'air déçu. Elle avait gardé son air tranquille -- mais peut-être en plus assuré. -- Cela s'était passé tout bas, comme toute cette affaire, qu'il fallait obligatoirement mener avec discrétion.
Alors, Elle leur avait dit, près d'eux, bas, mais bien articulé, avec un air de grâce et de sûreté : « Faites tout ce qu'Il vous dira ! » Ce qui avait fait dans leur cœur qu'ils étaient prêts à tout -- qu'ils n'auraient jamais eu l'idée de désobéir à une telle Patronne, de critiquer le moindre de ses désirs.
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Et ils étaient restés les yeux fixés sur Lui. Qu'allait-Il leur commander ? Avait-Il des réserves de vin chez lui ? ou de l'argent pour en acheter ?
Il avait dit tout bas, tout bas pour que personne ne sût rien, pour eux seuls -- *parce qu'ils étaient les serviteurs,* ceux qui doivent connaître toutes les difficultés, et toutes les inquiétudes, et tous les arrangements du service : « Remplissez d'eau ces grandes urnes ! »
C'est ainsi qu'ils étaient entrés dans le miracle -- dans l'action, dans la confiance au Maître des Merveilles. Ils n'avaient rien objecté : le « Faites tout ce qu'Il vous dira » leur brûlait le cœur. Rien, rien ne les aurait empêchés d'aller sur la place, puiser de quoi remplir ces urnes -- même le service, même les questions qu'on a pu leur poser -- et qui étaient plaisantes et dangereuses comme celle-ci : « Serait-ce qu'il n'y a plus de vin, pour que vous veniez chercher tant d'eau ? »
Et pour remplir des urnes d'ablution de 60 litres ! Car Il n'a pas indiqué de petites bouteilles ordinaires, pour le vin, des carafes ou des pots -- mais des urnes à bain, à lavages, beaucoup trop grandes, où on n'aurait jamais eu l'idée de mettre de la boisson. C'était des contenants improvisés pour un cadeau du Créateur, pour une surabondance de noces divines, comme ces flots d'un sang divin qui arroserait toute la terre. Ils n'avaient ni ri, ni protesté, ils avaient rempli à bord -- et maintenant ils se demandaient jusqu'à quel point ils avaient eu confiance -- ou curiosité -- ou s'ils étaient médusés par l'impérial commandement de la Dame... « Faites tout ! » ... ils auraient fait tout.
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Quand les urnes furent en rang, bien pleines, l'un d'eux était allé Lui demander, toujours discrètement, ce qu'il allait faire maintenant. Il parlait avec les autres convives -- Il se détourne et sans doute, Il sourit. « Maintenant, dit-Il tout bas, puisez ! » Voilà ! leur travail était déjà fini : il n'y avait plus qu'à puiser. Il avait tout fait. Sans regarder -- sans se déranger. « Maintenant, puisez ! » A cause de l'ordre de la Dame, ils étaient prêts à toutes sortes de choses. Et c'était déjà fait. Leur rôle avait été bien petit, encore qu'utile. Le Maître pouvait sourire en disant : « Puisez, *maintenant ! *» Il ne leur a pas dit : allez et goûtez, voyez que c'est devenu du vin, rendez-vous compte. Ils étaient serviteurs. Il leur a dit avec confiance, ce qui était infiniment honorable pour eux : « puisez et portez au Maître du festin ». Il était sûr d'eux. Il savait qu'ils sauraient tout de suite que c'était du vin (peut-être qu'ils ne savaient pas la qualité de ce vin ; mais il est vrai qu'il y avait le parfum). Il s'est appuyé sur leur foi. Il ne leur a pas dit : Vérifiez, puis portez -- mais : puisez et portez -- sans en boire, pour voir, même une petite goutte. Ils en ont bien assez bu ensuite, quand tout le monde fut servi. Mais, pour ce moment de foi, Il ne leur en fait point goûter, à ses serviteurs, à ses complices, pour ce bon tour. Et avec Lui, ils pensaient à la tête que ferait le Maître du festin. Ce Maître qui était du monde et qui était si peu Maître. Car le Maître du Festin, c'était Lui Seul. Lui qui préparait le Dessert, la Surprise, ce qui ne se fait que dans les dîners organisés par Lui. Les serviteurs étaient, avec Lui, plus maîtres du festin que le Maître du Festin. Et il y avait une Maîtresse du Festin, dont la prière et l'ordre étaient premiers.
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Le maître du festin était le plus benêt, inconscient. Il n'avait rien vu, rien su, rien compris. Seulement, Notre-Seigneur a quand même voulu que ce fût lui qui goûtât avant tous les autres. Parce qu'il avait le titre. Il avait cette dignité reconnue d'organiser (en apparence) les festins, de porter (en apparence) les responsabilités. Jésus reconnaît : « Portez-en au Maître du festin. »
Et Il regardait avec les serviteurs ce qui se passait dans le Maître du festin, pendant qu'il goûtait. C'était un tour que Lui et eux (et Elle) lui avaient joué. Ils n'ont pas attendu longtemps -- à cause du goût du vin -- et parce que c'était un connaisseur de vins, comme il y a dans le monde des gens de métier qui ont étudié quelque spécialité de ce monde -- et qui en gagnent leur vie -- ce qui est bon et légitime, -- s'ils ne se croyaient pas si malins -- et s'ils ne trouvaient pas des plaisanteries pour expliquer ce qu'ils ne comprennent pas.
Tout le monde écoutait le petit discours du maître (apparent) du festin qui tournait sa grande surprise en compliment (très grande surprise, non seulement pour un connaisseur, mais parce que les puissants du monde ont de la peine, parfois, à prix d'argent, à se procurer d'aussi bon vin).
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Comme il avait l'aisance du monde, il a fait un toast réussi -- que les serviteurs entendaient en souriant -- parce qu'eux, et Lui, et Elle savaient le miracle et voyaient l'effet que le miracle fait sur le monde, qui ne sait rien, qui ne s'y attend jamais -- parce qu'il est aveugle.
Eux savaient : « ceux qui avaient puisé l'eau savaient » ; ils savaient le processus qui n'est pas du monde -- dont le monde n'use pas -- mais que les petits serviteurs, les petits échansons, les petits porteurs d'eau -- de Dieu -- savent très bien :
Tout commence par Elle.
Par son intercession
Chronologiquement, dans le temps, tout commence par intercession. C'est quelqu'un qui prie pour quelqu'un. Et c'est toujours Elle -- même quand ce sont les autres Saints. Tout passe par Elle -- qui le prend au sérieux, et puis, aux pieds de son Amour, Elle demande, Elle avance les heures ; alors les serviteurs font quelque chose de petit qu'Il leur ordonne, qui est court, dans leur capacité et soumission, sans proportion avec la Toute Puissance, et cependant en rapport. Et c'est fini -- le Monde pousse des cris.
Les serviteurs connaissent le secret : d'abord Elle, puis leur petit travail, puis la Toute Puissance de Jésus-Christ.
Une union -- une Unité. -- Et ensemble, ils regardent la surprise du Monde.
Luce Quenette.
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## CHRONIQUES
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### Comment Rome a "rougi" de Mgr Lefebvre
par Hugues Kéraly
« *La Princesse Pallavicini vous prie de bien vouloir assister à la conférence que donnera S.E. Mgr Marcel Lefebvre, Supérieur de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X, sur le thème* L'Église depuis le concile, *le lundi 6 juin 1977 a 18 heures 30. *»
FACE AUX FONTAINES de la piazza Navona, à l'heure où les Romains s'affairent à respecter la sieste, je relis l'invitation magique qui fait de moi pour un jour le plus chanceux des journalistes à l'affût dans la ville éternelle : elle va m'ouvrir les portes du palais Rospigliosi, interdit ce soir à la presse, au clergé conciliaire, comme à tous les autres curieux. « *L'invito è strettamente personale. Si prega presentarlo all'ingresso*. » L'avertissement n'a pas dû être ajouté pour la forme, si j'en crois les escouades de carabinieri et de gardes privés qui patrouillaient déjà, vers midi, dans la via XXIV Maggio des Pallavicini... Loin de moi l'idée de faire fortune par un tel moyen, mais il semble hors de doute qu'aujourd'hui, à Rome, ce carton-là vaut plus d'or que tous mes manuscrits.
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Le serveur a un sourire indulgent pour ce client visiblement étranger qui s'attable à quatorze heures sur la plus belle place du centre avec trois kilos de quotidien devant lui. Par déformation professionnelle, j'avais commencé mon enquête au kiosque du coin :
-- *Per favore,* donnez-moi tous les journaux qui parlent de Mgr Lefebvre... Si : *L-e-f-e-b-v-r-e, il vescoso francese.*
*-- Come no, il vescoso ribelle ?*
*-- Si, si.*
*-- Ma, Signore... tutti ? !*
*-- Si, prego.*
Trente secondes plus tard, j'héritais pour un prix très spécial, réservé aux maniaques non dangereux, d'une petite sélection de dix-sept journaux romains. Heureusement, j'avais écarté tous les hebdomadaires et limité ma curiosité, dans les quotidiens, à la grosse artillerie du pousse-au-schisme journalistique : au-dessous de trois colonnes à la une, je pouvais négliger... Tout de même, dix-sept rédactions de presse sur les dents, et depuis plusieurs jours, pour une simple conférence privée -- *una privata esposizione di tesi --* devant les amis d'une vieille dame de l'aristocratie romaine, une offensive comme celle-là ne se déclenche pas sans consignes ni raison. D'autant que les rues de Rome sont bien tranquilles, pour une fois, et la via della Conciliazione couverte jusqu'au Vatican de petites affiches rouges souhaitant la bienvenue à Mgr Lefebvre, en contradiction absolue avec le langage hargneux et vindicatif de (presque) tous les quotidiens.
Trois heures moins le quart. J'ai le temps de me livrer à un rapide classement (sont qualifiés d'*hostiles* à Mgr Lefebvre les journaux qui le présentent au lecteur comme « schismatique » en gros caractères et sans guillemets, pour ne rien dire des épithètes plus convenues mais un peu hors-sujet de « réactionnaire », « fasciste », « nostalgique de l'O.A.S. », etc.) : -- neutralité plutôt bienveillante : *Il Tempo* (centre droit) ; -- sans position apparente : *Il Giornale nuovo, Vita ; --* plutôt hostiles : *Il Giorno, Stampa sera ; --* hostiles : *Il Mattino*, *La Stampa*, *Avanti* (organe du Parti Socialiste), *La Republica ; --* violemment hostiles : *Corriere della sera, Il Messagero, Il Popolo* (organe de la Démocratie Chrétienne), *L'Unità* (organe du Parti Communiste), *La Voce Republicana, Paese sera* (communiste), *Momento-sera...*
27:215
Hors catégorie : *L'Osservatore Romano* du 5 juin, paru le 4 au soir dans les kiosques romains. C'est lui qui semble avoir donné aux éditorialistes de la presse italienne, spécialement de gauche, le signal et la tonalité dominante des hostilités. L'article est signé du cardinal Ugo Poletti, vicaire général du pape pour le diocèse de Rome. Il dispose tous les « arguments » que je viens de lire dans les quotidiens du lundi : Mgr Lefebvre (heureusement pour nous) est un méprisable « obstiné » ; sa conférence constitue « une provocation dans le diocèse même du pape » (traduction des media : « sous les fenêtres du pape ») ; Rome « ensevelira cette déplorable manifestation, comme cent fois au cours de son histoire, dans le détachement d'une sage indifférence » ; il s'agit d'une « offense faite à la foi, à l'Église et à son divin chef Jésus », car ce qui est en question, par-delà le latin et la liturgie, c'est « une mise en doute des vérités fondamentales de notre foi » (sujet, précisément, de la conférence de Mgr Lefebvre). Mais le « présomptueux provocateur » ne manque pas seulement à la foi ; il manque aussi singulièrement de « bon goût » et « d'éducation » : « Son acte, écrit notre vicaire, ferait rougir même ceux qui voudraient conserver pour cet ecclésiastique des sentiments de vénération ; c'est pourquoi le diocèse de Rome s'étonne et s'attriste de l'initiative de petits cercles nostalgiques, prisonniers de traditions habitudinaires, qui n'ont rien à voir avec la fidélité à l'Église ni avec l'orthodoxie de la foi. »
Et toute la presse, toutes les radios de s'exclamer en chœur : « Rome rougit de Mgr Lefebvre. » La seule consigne de *L'Osservatore Romano* qu'on se soit abstenu d'appliquer, parmi les alliés objectifs du Vatican, c'est bien celle du titre : *Un episodio da dimenticare,* « un épisode à oublier » !
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Je mesure une fois de plus l'extraordinaire puissance fabulatrice des media. « *Rome a rougi de Mgr Lefebvre *»*,* mais les Romains qu'on interroge là-dessus, au hasard des rencontres, s'amusent bien à l'idée qu'un évêque français puisse faire scandale en exposant aux amis de la princesse Pallavicini ses opinions sur l'après-concile... « *Rome a rougi de Mgr Lefebvre *»*,* mais les abords du palais Rospigliosi ont attiré cet après-midi une foule de petites gens : bien des curieux sans doute, mais aussi de simples croyants, qui attendent là pour applaudir l'espace d'une seconde le passage motorisé du prélat rebelle... « *Rome a rougi de Mgr Lefebvre *»*,* mais ce lundi 6 juin 1977, le standard de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X à Albano a bien failli sauter, devant l'assaut des Romains qui auront sollicité l'honneur de s'entendre répondre par un familier : « *Scusi*, impossible de parler à Monseigneur pour le moment. » A l'autre bout du fil, on ne prend même plus le temps de noter les messages ; encore moins celui de reconnaître les véritables amis. Louis XIV à Versailles fut souvent plus facile à approcher (il n'avait pas à compter, aussi, avec les journalistes).
A cinq heures, je n'avais pu dénicher un seul Romain rouge ou rougissant dans tout le quartier. Je décide de revenir attendre l'heure H dans un café de la piazza Navona. A une table voisine, sur la terrasse, trois hommes d'âge mûr saluent ponctuellement le passage des clergymnans ou des soutanes au cri d'un « *Lefebvre, ha ha, ecco Lefebvre... *» qui exprime tout le contraire de la honte et de la confusion : juste pour voir si l'autre va hâter le pas, et trahir ses propres dispositions.
On dira que l'anecdote n'a rien de sérieux. Il y a longtemps que l'Italien moyen semble avoir renoncé à l'être. Déjà presque absent à sa propre tragédie politique, il ne va point s'abstraire en outre, par discipline paroissiale, des occasions de plaisanter. Les Romains n'ont pas rougi de voir Paul VI honorer publiquement, à plusieurs reprises, le nouveau maire communiste de la cité ; mais ils ont gardé assez de décence et d'esprit pour ne pas rougir davantage qu'un évêque français resté catholique -- donc anticommuniste -- accepte de venir donner une conférence privée dans la ville du pape...
29:215
Les sueurs froides, la honte, les fulminations et les grincements de dents, c'est bon pour l'entourage de Paul VI. Rome elle-même en ses rues, en ses gens, Rome doucement ironique, déracinée, incroyante, ne partage pas plus l'émotion des derniers confesseurs de la foi catholique, dont le langage lui devient peu à peu inconnu, que les paniques affairistes des prélats du Vatican, qui lui paraissent des entrepreneurs publicitaires et politiques tout comme les autres.
Et sur la piazza Navona, où quelques chiens disputent avec grâce leurs ballons aux enfants, le vent est tiède, sous un soleil disparate et clément. On songe à tout sauf à rougir. Le temps ici paraît toujours suspendu.
\*\*\*
Dix-sept heures trente. Le chauffeur de taxi ne rougit pas, lui non plus, d'entendre l'adresse, et se met en devoir de me faire traverser le centre de Rome plus rapidement que jamais. Via del Corso, il trouve le temps de m'avertir avec une gravité surprenante que « *la fede è una *»*,* si ce n'est pas le cas des opinions humaines et de la politique. Je me garde bien de le relancer, parce que les chauffeurs de taxi italiens sont incapables de défendre un point de vue sans lâcher les mains du volant, quelle que soit l'intensité de la circulation. Mais sa conviction a quelque chose d'émouvant... La foi est une, oui, comme l'Église ; ou plutôt, la nécessaire unité de l'Église n'a de sens qu'au service de la foi : là où le pasteur a gardé la foi de Jésus-Christ, et l'acte extérieur de cette foi, fût-ce contre tous les autres, là est l'Église visible instituée par Dieu en son indissoluble unité. Le premier interlocuteur sérieux rencontré à Rome répondait sans le savoir aux sophismes de *La France Catholique* ou de *L'Homme Nouveau* sur l'unité formelle d'une Église déracinée de son fondement, et l'infaillibilité d'un pape propulsé au-dessus des vérités et des devoirs que nous impose la foi.
30:215
« *La fede è una *»*,* n'est-ce pas toute la raison de notre résistance, et comme la maxime profonde de notre action ? J'ai voulu expliquer la chose à mon chauffeur de taxi, pour bien m'assurer du sens où il recevait l'argument -- *Mgr Lefebvre, contrairement aux accusations qui le projettent aujourd'hui à l'avant-scène de l'actualité, n'a jamais rien ourdi ni comploté contre l'autorité, l'unité et l'obéissance dans l'Église de Dieu ; simplement, il a suivi le jugement de sa conscience chrétienne éclairée par la foi et les grâces propres à son état : refusant de se rallier, lui et les siens, au marécage de l'humanitarisme contemporain ; refusant de se laisser noyer, lui et les siens, dans le torrent de l'autodémolition. Autrement dit, l'évêque* « *rebelle *» *s'est contenté de remplir à sa place, sans publicité ni provocation d'aucune sorte, son devoir de pasteur spirituel : gardien d'un troupeau menacé de toutes parts, il a pris ses dispositions contre le loup ; invité à choisir dans le fatras post-conciliaire du spontanéisme liturgique, il a déclaré qu'il s'en tenait, pour lui-même, pour son œuvre, et dans la soumission à la Rome éternelle, à* « *l'expérience *» *et aux lumières de la tradition.*
Mais à cent kilomètres à l'heure, dans les cahots d'un italien fortement métissé d'espagnol, mon discours ne passait pas la rampe. Nous nous sommes quittés l'un et l'autre presque mécontents d'avoir à ce point raison, dans un contexte si peu propice aux effusions dialectiques, et au triomphe de la vérité.
Via XXIV Maggio, à l'entrée du palais, c'est tout juste si la police ne se précipite pas pour tenir la portière des invités. Quelques mètres plus loin, dans l'allée qui mène à la cour principale où attendent déjà de nombreuses personnes, des reporters visiblement surchargés émargent d'interminables listes de noms. Pour beaucoup, c'est cette opération de pointage qui constitue l'événement véritable de la journée. On veut savoir avec précision qui, dans l'aristocratie romaine, aura osé braver les consignes abstentionnistes du prince Aspreno Colonna, du grand-maître de l'Ordre des Chevaliers de Malte, de celui des Chevaliers du Saint-Sépulcre, etc. : « *Pas un aristocrate, pas un chevalier romain à la conférence organisée par la Pallavicini ! *»
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Comme déjà on s'écrase, dans la cour, nous voilà vite rassurés. Rome compte encore quelques légions de braves, jusque dans l'aristocratie. Sur une liste, je relève dans le désordre un joli bouquet de noms prestigieux : Del Drago, Orsini, Borghese, Ruspoli, Avati, Gaetani, Borromeo, Serlupi, Dominioni, plusieurs Colonna... Quant aux chevaliers, ceux qui sont venus arborent crânement la grande croix de l'Ordre en sautoir sur la cravate, qu'ils prennent le temps de bien faire voir aux photographes massés sous le porche d'entrée. Noblesse oblige. S'ils ont encore l'occasion de la porter demain, ce sera sans déshonneur et dans la liberté.
Dans le salon carré du palais Rospigliosi, trois cent soixante-dix chaises, me dit-on, ont été prévues pour accueillir les invités. Cela suppose déjà un fameux bout de salon, mais par un mystère tout romain, avant dix-huit heures, je compte plusieurs milliers de personnes dans la cour à brandir un carton parfaitement semblable au mien, -- pour découvrir ensuite qu'on a sonorisé la cour, les escaliers, les antichambres et plusieurs salons attenants. Le mystère s'éclaircit : donna Elvina Pallavicini n'a pas lésiné sur les invitations ; elle aura eu la sagesse de prévoir que la personnalité du conférencier n'était pas là pour diminuer le nombre de ses amis.
Chacun donc prend place où il peut. J'aperçois Mgr Ducaud-Bourget, escorté jusqu'au premier rang par le service d'ordre, en raison des quartiers de noblesse qu'il s'est acquis de Laënnec à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. A dix-huit heures zéro trois, quelques archiducs peuvent encore aspirer dans un coin de porte à quelque tabouret. Mais cinq minutes plus tard, fût-on Altesse du sang, il n'y a plus moyen d'entrer. On se retrouve assis sur une marche du grand escalier, sans souci des préséances, à côté de son voisin de boeing ou de palais. Sur la mienne, nous échangeons tour à tour quelques mots d'italien, d'anglais, d'allemand et de français, histoire de lorgner discrètement les noms sur le carton de chacun.
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Dix-huit heures trente. Mgr Lefebvre met tout le monde d'accord en entonnant la salutation angélique en latin. De l'endroit où nous l'interceptons, au bas de ce colossal escalier de marbre truffé de haut-parleurs, l'effet sonore a quelque chose de fantastique et d'assourdissant : la douce voix de Mgr Lefebvre nous foudroie comme un avant-goût des trompettes du Jugement dernier. Je reflue aussitôt vers la cour au milieu de beaucoup d'autres, pour éviter d'expirer dans l'ombre, fût-ce en si belle compagnie. Mais dehors, dans le vacarme des groupes électrogènes de la télévision, l'agitation fébrile du service d'ordre, celle des reporters et des photographes qui ricanent sous les fenêtres du salon en réglant pour la dixième fois leurs inutiles appareils, le discours de Mgr Lefebvre se fait insaisissable, elliptique, lointain...
Je comprends qu'il nous parle de l'unité de l'Église, du sacrifice de la messe, de la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et regrette l'absence de mon chauffeur de taxi ; qu'il dénonce le « pluralisme idéologique », qui a détruit l'esprit missionnaire, parce qu'il ne saurait y avoir pluralisme de la vérité ; le mensonge des « droits de l'homme », qui est à l'origine de tous les désordres contemporains, parce qu'il détourne chacun d'entre nous des devoirs de la charité, et hérisse la société entière contre sa loi fondamentale contenue dans le Décalogue. « La base de toute civilisation chrétienne, c'est le catéchisme ! » Je comprends surtout, si besoin était, que la condamnation sauvage de Mgr Lefebvre est le visage actuel de ce qu'il faut bien nommer avec Jean Madiran une guerre de religion, une guerre d'occupation étrangère dans le temple de notre religion, déclenchée à l'intérieur même de l'Église par ses plus vieux ennemis, pour faire triompher le culte de l'homme extérieur (âme de toutes les innovations introduites depuis le concile) sur la religion du Dieu vivant, seule véritable, parce que seule révélée ; et que cette guerre a comme enjeu final, compte tenu de ce qui est attaqué, la survivance même de la foi catholique dans le peuple de Dieu.
Mais peut-être l'histoire ne retiendra-t-elle de la conférence du 6 juin à Rome que la conclusion de Mgr Lefebvre : « *Je ne veux pas mourir protestant *», qui devait soulever dans l'auditoire un tonnerre d'applaudissements...
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Avec l'incroyable réponse de Paul VI, le surlendemain, -- « *Gare à l'excommunication *», elle suffit parfaitement à définir la position des camps, le mouvement des forces en présence, et l'ordination véritable de notre combat.
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Peu après vingt heures, à l'issue de la conférence, nous dînions entre Français dans une petite trattoria de la via Maggio. Mis en verve par la chaleur de la circonstance, et la montée en masse de ses souvenirs romains, Mgr Ducaud-Bourget me raconte comment, pour quoi, par qui... il a bien failli autrefois devenir évêque !
Dieu soit loué, les conditions posées étaient inacceptables pour un homme comme lui. Nous aurions pu l'avoir contre nous aujourd'hui ; et lui, y perdre à peu près certainement toute chance de devenir ce qu'il est devenu, dans la résistance à l'autodémolition : un leader redoutable, honoré et reconnu comme tel par tout le peuple des catholiques français.
Témoin ce petit incident de « frontière », sur lequel nous devions nous quitter. Au contrôle douanier de Roissy, Mgr Ducaud-Bourget veut présenter son passeport... -- «* Passez, Monseigneur, nous savons qui vous êtes. *» Les policiers en négligeaient de fouiller nos bagages, pour savoir où en était l'occupation de Saint-Nicolas.
La « Résistance », tout de même, ça vous pose un homme.
Hugues Kéraly.
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### La culture qu'on nous prépare...
par Thomas Molnar
IL FAUDRAIT ÉCRIRE « civilisation » terme plus français, mais « culture » convient tout de même mieux car nous avons la « mass-culture » (en américain), le « prolet-kult » (en russe) et la « révolution culturelle » (en chinois). Il s'agit donc de la culture qu'on nous prépare. Qui... « on » ? Traditionnellement, la culture avait deux sources : institutionnelle (académies, universités, beaux-arts, école dramatique, cour de poésie du Midi médiéval, etc.) et spontanée : artistes, poètes, compositeurs ; philosophes, chercheurs, curieux. Malgré les éventuelles tensions entre les deux cultures, elles coexistaient fructueusement, « créativement » comme on dirait aujourd'hui dans l'abracadabra jargonneux. Puis vint, dans les années 50, l'écrivain anglais C.P. Stone avec sa formule, les « deux cultures », l'une scientifique, l'autre littéraire, sœurs qui se détestent ou plutôt qui s'ignorent. Pour produire des hommes « arrondis » (well-rounded men), c'est-à-dire instruits, il fallait que l'école fasse davantage attention à leur harmonie, à leur synthèse. Inutile de dire que l'école n'en a rien fait, elle s'est effondrée dans l'anarchie et dans l'ignorance.
Quel est ce « on » qui nous prépare la culture de demain ? Tout le monde, personne, n'importe qui, je veux dire les héritiers de la culture d'hier, mais qui n'ont retenu de cet héritage que le prestige usurpé. Des gens qui dans des périodes normales seraient engagés dans toutes sortes d'affaires, sans se soucier de la culture.
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Mais la démocratie, la scolarité obligatoire, le gigantesque secteur « tertiaire » de la société de consommation ont jeté, jettent chaque année, des légions de demi -- et quart -- intellectuels sur le marché culturel. Ils s'y créent un coin qu'ils cherchent ensuite à élargir, et recrutent d'autres de la même espèce afin de stabiliser leur propre position, leur propre influence. Le recteur d'une université new-yorkaise m'a dit récemment (il s'agit d'un Français, grand érudit) que son « graduate school » n'est au fond qu'un asile pour femmes divorcées, inemployables autrement.
Autre catégorie des fabricants de culture : les « artistes ». Les académies ayant perdu leur prestige (toute sélection est contraire à l'esprit de la démocratie permissive), leur fonction est prise en charge par les journaux. Celui qui réussit à faire photographier par un collaborateur du *New York Times* le machin (peint, sculpté, barbouillé, craché, fignolé) qu'il expose dans un atelier, est consacré artiste le lendemain lorsque le journal distribue à un demi-million d'exemplaires l'image du machin en question. L'étape suivante pour lui est de convaincre le préposé à l'art d'une entreprise géante (IBM, ITT, Mobiloil, Général Motors), ou d'une municipalité, de lui acheter une fresque, une sculpture en métal ou une autre construction dite « moderne », disons quelque chose comme « Schema 77 » (le chiffre, mobile, peut varier chaque année). De là le chemin est ouvert à la Biennale de Venise ou quelqu'autre équivalent du Prix Nobel.
Troisième catégorie, les Fondations, encore plus représentatives de la culture actuelle que l'enseignement et les arts, car elles combinent « création » et business. Les Fondations disposent de telles sommes annuelles que la tentation est très grande de s'attacher à elles comme bénéficiaire permanent. Il y a par conséquent un « style-fondation » comme il y avait un style baroque ou un style empire : une dose d'avantgardisme politique, une autre de futurisme non-reconnaissable, mais aussi -- entre les lignes ou les formes -- une espèce de respectabilité mal définissable qui sacrifie quand même au bureaucratisme fondationniste, donc à la situation acquise et à la pesanteur institutionnalisée.
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Mais la Fondation est davantage que cela : morceau musical, pièce de théâtre, dissertation, nouvelle. C'est aussi, c'est surtout un sujet au milieu d'une table ronde, un colloque permanent, un symposium marathon avec des participants n'ayant rien à dire mais poussés à le dire quand même pour toucher la prime de présence. « Table ronde » qui se penche sur les problèmes de l'enseignement, de l'enfance négligée, de l'état de l'urbanisme, de la paix dans le monde, du dialogue entre « multinationales » et media, entre les races, les religions. Il n'y a rien de plus superficiel que ces « tables rondes », qui permettent aux organisateurs (payés par les fondations) de vivre dans l'opulence en contrepartie de deux-trois réunions monstres par semestre, et aux participants mobilisés on ne sait où, de déverser une quantité de platitudes sur la tête d'un public distrait et déjà submergé pur d'autres slogans.
Tel est l'arrière-plan de la culture qu'on nous prépare. On pourrait arguer que c'est très bien ainsi, du moins très naturel, car la culture a toujours été l'affaire de petites minorités, d'élites éparpillées ayant besoin d'une espèce de catégorie moyenne pour monnayer la grande culture, la populariser, et en même temps lui servir d'écran protecteur. La nouveauté aujourd'hui c'est que les intermédiaires : a) dictent aux élites ce qu'elles doivent dire et faire, autrement elles se retrouvent hors du jeu, oubliées par le grand public, par les mécènes, par les « jeunes », par les media ; b) deviennent proprement élites, seules visibles, seuls arbitres.
Il se crée ainsi une fausse élite qui a conservé son esprit vulgaire, tentée par le succès à bon marché, adoptant des méthodes publicitaires, ne résistant point à l'adulation. A l'Université de Berkeley, haut lieu de la culture culturante, la faculté de philosophie abrite encore quelques penseurs plus ou moins respectables, mais les professeurs dans le vent ne jurent que par Julia Kristeva, Roland Barthes, et autres lumières de la sémiotique, plus sorbonnique que ne fut jamais invention de Rabelais dans ses moments de rigolades homériques.
37:215
Barthes, Kristeva ne doivent leur impérialisme culturel qu'aux journaux (voir supra) comme *Le Monde* qui reproduisent le discours inaugural de l'un ou la soutenance de thèse de l'autre. Demain un troisième abracadabrant sera à l'honneur car, notez-le, Lévi-Strauss, dieu olympien d'hier, est déjà à peine visible, et Sartre ne fait recette que s'il radote une fois par an devant un étudiant américain en mal de sujet de dissertation.
Ce qui est vraiment inquiétant c'est qu'un Barthes, dont les acrobaties sémiotiques tiennent la scène victorieusement depuis trois-quatre ans, se laisse aller tout naturellement à dire des énormités que seul un dadaïste ivre se permettrait de prononcer, écroulé sous une table de taverne en Afghanistan. C'est au Collège de France, devant des notabilités, que Barthes a dit : le « langage est fasciste », se faisant ainsi fasciste lui-même, soit dit en passant, bien qu'il soit difficile de qualifier son discours confus de « langage ». Le langage est donc fasciste parce que la phrase (ici Michel Foucault, autre fausse lumière, est d'accord) est un réseau de subordination entre sujet, prédicat, compléments. On arrive, j'imagine, à faire des prépositions et conjonctions des gardes-chiourmes, pourquoi pas : des SS de camps de concentration, car les prépositions et conjonctions permettent de relier entre elles les parties de la phrase. Elles perpétuent ainsi le pouvoir réactionnaire des membres (bourgeois ?) de la dite phrase. Je m'arrête, devant le risque d'être nommé à une chaire du Collège de France après ce morceau de « bravoure ».
De même Foucault, une fois de plus, lorsqu'il analyse le « pouvoir ». Celui-ci est pour lui un réseau de gestes, de désirs, de discours, des micro-phénomènes pourrait-on dire, qui donnent leur coloration à une époque. Je veux bien ; mais pourquoi appeler cela « pouvoir » ? Parce que Foucault, grand pourfendeur de la mode, suit cette mode, comme son collègue Barthes, en dénonçant le « pouvoir » (toujours fasciste) dans le sexe, l'enseignement, l'administration de la justice. Il s'enferme dans son propre structuralisme, ce qui nous permet de le soupçonner d'être parfait structuraliste car il ne parvient pas à se détacher de son objet, pour l'étudier du dehors
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De même Alain Krivine, prêchant l'établissement de libres communautés enfantines où le père serait remplacé par un ordinateur ; Christiane Rochefort dénonçant la famille, structure hiérarchisée qui fabrique les individus de la société hiérarchisée ; une littérature « pour dérégler les mécanismes par lesquels l'écriture signifie » ; une autre littérature qui est « explosion libératoire de la folie » ; des jeunes avec « leurs aspirations à une communion cosmique » ; leurs « méfiances envers le langage et l'ordre qu'il cautionne » ; littérature de femmes subissant « la domination mâle dans les interdits qui pèsent sur l'expression de leurs sensations et sur la grammaire même ». Autre genre : A. Toffler avec le choc d'un futur qu'il ne connaît pas mais sur lequel il théorise ; Charles Reich, professeur homosexuel à Yale, voulant faire reverdir l'Amérique à l'aide de la drogue ; ou encore Régis Debray, Gunther Grass, Pasolini -- bref, des « intermédiaires » que notre culture a transformés en « créateurs », en maîtres à penser. Et le contenu de cette création vise, malgré l'impression des « mille fleurs en floraison », toujours le même but : la liquidation de l'*être,* que ce soit la phrase et le langage, la grammaire, la famille, le pouvoir, la pensée dominante d'une époque historique, la littérature, l'Église, le présent, le projet sérieux en vue de l'avenir. Pour en mesurer la signification, imaginons un Foucault ou un Barthes, un Krivine, un Reich attachés à Socrate, à saint Augustin, à Pétrarque, à Newton, mais attachés soit comme journalistes-reporters, soit comme alter ego influençant leurs réflexions. Toute la culture occidentale en aurait été réduite en poussière, que dis-je, étouffée dans l'œuf. Bon, cela aurait donné une autre culture ; justement, celle qui s'épanouit autour de nous, qui ne tolère aucun concept « fixiste », aucune chose et réseau de choses tout de suite dénoncés comme « fascistes ». Le plus grand philosophe de notre temps, *dixit* l'opinion publique des intellectuels dans le vent, Heidegger, condamne la raison comme faculté de représenter les objets car, dit-il, re-présenter (vor-stellen) quelque chose est l'humilier ! Relisez les théologiens à la mode, et vous comprendrez pourquoi ils déconseillent de concevoir l'objet suprême, Dieu. Seul le subjectif surnage à cette liquéfaction universelle.
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Il y a par conséquent deux aspects dans cette culture qu'on nous prépare. L'un a trait aux fabricants de cette culture, des personnes que leur talent confine au travail des intermédiaires, des *middlemen,* des commerçants de la culture. En d'autres temps, suffisamment disciplinés par la pensée des maîtres ainsi que par la structure de la société, ces intermédiaires accompliraient la tâche dont ils possèdent le talent, la confection des phrases, la vulgarisation. Élever cette catégorie au niveau des esprits originaux, c'est la tragédie d'une culture qui s'en meurt.
L'autre aspect, c'est le contenu : le flux, le processus, l'escamotage de l'être, de l'existant, du stable. La victoire d'un Héraclite de bas étage sur la pensée aristocratique d'un Parménide. L'ivresse de la destruction, des mots et des choses, le triomphe de l'impatience, du refus de s'arrêter, d'examiner, de contempler. Il faut être jeune, inculte, athée pour se voir décerner aujourd'hui les titres de sage, de cultivé, de croyant.
Les deux aspects se conditionnent l'un l'autre : seuls des esprits peu faits à la pensée solide parviennent à s'installer dans le flux ; seuls des esprits incultes ne s'aperçoivent pas de leur contradiction qui consiste à user du langage pour le dénoncer, à mépriser le pouvoir pour s'en emparer, bref, à sculpter une statue liquide.
Venons-en au dernier aspect de la culture qu'on nous prépare, où nous attend une consolation. Prenons d'abord le Moyen Age, enfin une certaine image populaire du Moyen Age, comme terme de comparaison. D'après cette image encore imprégnée et de la *République* de Platon et de l'organisation tripartite de la société indo-européenne (*vide* G. Dumezil), il y avait le « paysan-ouvrier-artisan », la classe guerrière y compris le roi, et les clercs. La culture occupe un champ très limité sur cette image, elle est le domaine d'une toute petite partie de la société, tandis que la majorité travaille de ses mains, défend la communauté, construit la cité. La culture souffrait-elle d'être tellement restreinte ? Au contraire.
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Je sais qu'on va m'objecter mon « élitisme » : que faites-vous de cette multitude qui ne savait lire et écrire, pour laquelle il n'y avait pas de musées, de bibliothèques, de tourisme ? Je pourrais répondre que les analphabètes sont aujourd'hui plus nombreux que jamais, que mes étudiants sont plus ignorants et moins curieux que les pèlerins du XVI^e^ siècle, qu'aucun idéal ne les anime, que pour eux le *summum bonum* est de regarder la télévision de 30 à 40 heures par semaine, qu'au lieu de travailler les champs ils croupissent dans la puanteur du métro New-yorkais. Mais passons, ce qui m'intéresse ici est la place relative qu'une société, qu'une culture, fait à la véritable élite intellectuelle et spirituelle. Eh bien, en quelque manière nous sommes de nouveau dans le Moyen Age, mais avec aussi une différence énorme. Nous y sommes revenus car la véritable élite est, comme toujours, extrêmement restreinte, isolée, inconnue du grand public. C'était vrai au Moyen Age, c'est vrai aujourd'hui. Par véritable élite j'entends tout simplement ceux qui, dans l'esprit du Moyen Age, mais aussi de toutes les autres époques, se consacrent entièrement au travail intellectuel. Non pas pour dénoncer les phrases fascistes et les familles structurées, mais pour comprendre toujours davantage les secrets de l'existence. Voilà un gros morceau, mais le lecteur comprend qu'il s'agit du *nervus rerum* de l'intelligence. Or, je puis affirmer -- et pourrais citer des noms, des groupes et des projets -- que l'élite intellectuelle continue à travailler ferme et sereinement dans ces temps de mini-Apocalypse comme elle travaillait au XIX^e^ siècle bourgeois, optimiste et insouciant. Des livres extraordinaires paraissent avec régularité ; des cours éblouissants sont faits par-ci par-là ; des cénacles d'érudits explorent l'histoire, la philosophie, l'art, la science ; des esprits superbes s'inclinent humblement devant Dieu et ses secrets ; des jeunes se mettent à l'école des maîtres avec le seul désir d'apprendre et de savoir davantage ; des réunions internationales s'organisent à seule fin d'échanger des résultats de recherches profondes ; des invitations sont lancées pour profiter de la présence d'un homme sage pendant quelques jours, semaines ou mois. Et tout cela, il est utile aujourd'hui de l'ajouter, parce qu'il y a un langage -- celui de la spéculation philosophique, de l'érudition de toute sorte, de l'art, de la science -- que personne ne songe à contester, à appeler fasciste, à tourmenter.
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Voilà ce qui nous rapproche du Moyen Age ou de l'époque de Périclès (et de tant d'autres) dans le sens du travail des érudits, artistes et savants ainsi que de leur désir d'échanger leurs idées. Maintenant, ce qui nous éloigne si tristement du Moyen Age c'est justement l'existence des *intermédiaires* qui de nos jours faussent l'aspect véritable de la situation. C'est le bruit et la fureur des intermédiaires sortis de leur place qui nous déroutent. Mais tandis qu'ils nous préparent une fausse culture, ils en sapent tout de suite et avec la même rapidité les fondements. La vraie culture reste intangible à travers la continuité des âges.
Thomas Molnar.
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### La jeunesse du monde
par Maurice de Charette
Vient de paraître aux Éditions de la Table ronde le nouveau livre de Michel de Saint Pierre : « Monsieur de Charette, chevalier du roi ». Voici la préface de notre ami et collaborateur Maurice de Charette, intégralement reproduite ici avec la gracieuse autorisation de l'éditeur
MICHEL DE SAINT PIERRE NE VIEILLIT PAS. Lorsque nous nous sommes connus, voici bien des années, nous raffolions des westerns qui nous faisaient crier d'enthousiasme ou d'angoisse selon les dangers courus ou les victoires obtenues par le héros. Nous menions un tel bruit que son épouse avait renoncé à nous accompagner !
Trente ans plus tard, Michel fait preuve de la même jeunesse en écrivant son bel hommage à la Vendée et j'ai senti, tout au long de son texte, qu'il aurait apprécié l'austère privilège de participer à la *grand'guerre,* comme on dit chez nous. Avec quelle joie frémissante il aurait décroché son fusil et sauté à cheval pour participer à un rassemblement de M. de Charette, le fascinant chevalier du Roi.
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Je ne ressens, quant à moi, la nécessité d'aucune réserve dans l'expression de mon admiration pour Charette, car un homme de cette dimension ne répond à aucune des lois de l'hérédité. Il est une exception, une étrange réussite humaine et sa famille n'a aucun droit à prétendre se l'approprier, encore moins à s'imaginer que le même phénomène se reproduira. Autant il peut paraître ridicule de vanter la vertu, le courage ou l'intelligence de l'un des siens, autant ici, je me trouve à l'aise pour écrire que Michel de Saint Pierre est, à ce jour, l'un des auteurs qui auront été le plus loin dans la pénétration de ce caractère exceptionnel, dans la mise en valeur des principales facettes de ce qu'il faut bien appeler du génie. Son étude la plus remarquable porte sans doute sur l'homme avec ses secrets et sa sensibilité pleine de pudeur classique, qui a trop souvent été prise pour de la sécheresse de cœur, orgueilleuse et dominatrice.
Depuis sa jeunesse, Michel *contient* ce livre et je savais bien qu'un jour il l'écrirait, tant il aime l'épopée vendéenne, tant il en admire les hommes. S'il préfère Charette, par une sorte de connivence mystérieuse qui le rend si amical dans sa pénétrante connaissance du personnage, il garde des trésors d'enthousiasme pour le pieux Cathelineau, pour le doux Bonchamps ou pour Monsieur Henri, le bel archange. Mais, derrière les chefs, il écoute l'étrange *sabotement* de tout un peuple, lancé sur les chemins au nom de la fidélité et de l'honneur. Et là, il s'exalte, gagné par l'émotion, devant une telle pureté, une telle altitude d'âme. L'historien le cède à l'homme de cœur, pour chanter l'une des pages les plus nobles de la France chrétienne.
\*\*\*
Dans cette guerre qui fut celle d'un peuple, d'une région entière, il faut s'arrêter un instant au dernier combat de Charette. Ils ne sont plus qu'une trentaine, harassés par dix-sept heures de chasse à vue, mais ils sont encore une micro Vendée qui réunit tous les figurants essentiels. On y trouve un prêtre, l'abbé Remaud ; deux gentilshommes, Messieurs de l'Espinay et de Cornulier ;
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les serviteurs au dévouement très noble, Bossard et Pfieffer ; enfin les paysans fidèles. Le plus jeune a seize ans mais d'autres atteignent la soixantaine. La Vendée entière a délégué ses représentants pour l'hallali...
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Cette Vendée, qui fut si grande, est-elle morte, épuisée par son effort ?... Pas autant que certains le pensent ou l'espèrent et voudraient nous le faire croire. Parmi cent anecdotes que je pourrais citer, il en est une particulièrement significative.
C'était en 1967 ou 1968 ; on m'avait indiqué, en Anjou, un menuisier quelque peu ébéniste, capable de me réparer une table. Je trouvai un homme surchargé de travail et qui m'opposa un refus à peine aimable. Comme j'attendais, cependant, il consentit à noter mon nom, m'assurant qu'il me ferait signe dès qu'il aurait du temps. C'était une fin de non-recevoir et je ne m'y trompai point ; pourtant, je me nommai. Il sursauta !
-- M. de Charette ? de la famille vendéenne ? Ah mais, cela change tout. Parce que moi, Monsieur, JE SUIS DE PAR SOUS STOFFLET. Toute ma famille en fut.
Puis désignant d'un geste large les meubles qui s'entassaient invraisemblablement dans l'atelier, il ajouta :
-- Les Bleus attendront ! apportez-moi votre table. L'accord fut scellé au vin blanc et la table réparée en quelques jours.
\*\*\*
On a dit aussi que la grand'guerre avait été une entreprise de simples, de traditionalistes sclérosés dans un passéisme étroit. Alors, il faut relire le discours prononcé un jour par Charette devant ses officiers :
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« Notre patrie à nous, c'est nos villages, nos autels, nos tombeaux, tout ce que nos pères ont aimé avant nous. Notre patrie, c'est notre Foi, notre terre, notre Roi... Mais leur patrie à eux, qu'est-ce que c'est ? Vous le comprenez, vous ? ... Ils l'ont dans le cerveau ; nous l'avons sous les pieds... Il est vieux comme le diable, le monde qu'ils disent nouveau et qu'ils veulent fonder dans l'absence de Dieu... On nous dit que nous sommes les suppôts des vieilles superstitions ; faut rire ! Mais en face de ces démons qui renaissent de siècle en siècle, sommes une jeunesse, Messieurs ! Sommes la jeunesse de Dieu. La jeunesse de la fidélité ! Et cette jeunesse veut préserver pour elle et pour ses fils, la créance humaine, la liberté de l'homme intérieur... »
Voilà pourquoi ils se battaient, tous, que ce fût exprimé, comme ici, ou seulement senti dans les profondeurs de leur clarté d'âme, de leur élégance chrétienne et de leur grand cœur.
Au jour de son procès, Charette le répétera à ses juges qui demandaient une explication : « Pour mon Dieu, mon Roi et ma Patrie. »
Est-ce démodé ou ridicule ?
\*\*\*
Et pourtant -- il faut le dire et le reconnaître -- la Vendée fut vaincue, submergée par le nombre et la cruauté de ses ennemis. Les armes tombèrent de ses mains glacées sans qu'elle eût même à les rendre. En Anjou comme en Vendée, pendant la « virée de galerne » comme à son dernier terme de Savenay, ce fut la mort. Les vieillards et les femmes, les enfants et les soldats, tous succombèrent. Nous eûmes 350.000 morts dans un pays de 600.000 habitants, ce qui, au niveau de la France actuelle, représenterait environ 30 millions de victimes... Il faut méditer ces chiffres pour bien mesurer l'horreur et la somme de souffrances qu'ils représentent.
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Et ce ne fut pas, trop souvent, la digne mort du soldat, celle qui rend respectable le vainqueur, autant que le vaincu. Ce fut le massacre avec, parfois, la torture. Il existe quelque part, chez nous, une prairie qui verdit au printemps comme toutes les prairies, mais elle porte un nom sinistre qui, en patois, veut dire *le pré de la braille ;* en ce lieu, un jour de février ou mars 1794, environ deux cents paysans -- femmes, vieillards, enfants -- furent horriblement découpés, nez, oreilles, doigts, et les langues arrachées, tandis que l'on entendait leurs cris à plus d'une demi-lieue... Ils braillaient, ces malheureux !
En 1801, Pie VII allait négocier un concordat avec la Révolution et en 1804 couronner Bonaparte qui en était le successeur. Croyant seulement traiter avec un aventurier, comme saint Léon avec Attila, la papauté paraissait légitimer ainsi une philosophie incompatible avec l'Évangile.
\*\*\*
Pourtant, un jour peut-être, la France, fatiguée de tant d'aventures, réveillée du long cauchemar qui la projette depuis deux siècles de constitutions en révolutions, de victoires trop rares en invasions profondes, de conquêtes en empire perdu, d'honneur humilié en amertume stérile, de querelles en rancunes, de frères ennemis en familles disloquées, la France donc, décidera de faire un retour à ses traditions et de se reconnaître à nouveau pour la Fille aînée de l'Église. Et même -- pourquoi pas ? -- elle décidera de revenir à la stabilité que ses rois lui ont donnée pendant près de mille ans. Écoutant saint Pie X, elle entendra Jésus-Christ lui dire :
« Lave-toi des souillures qui t'ont défigurée... et va, Fille aînée de l'Église, nation prédestinée, vase d'élection, va porter, comme par le passé, mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre. »
Ce jour-là, alors oui, vraiment, la Vendée sera apaisée et nos morts pourront enfin s'étendre sous notre terre loyale pour y attendre la Résurrection.
Car alors la plus belle France, la plus douce, celle que nous chérissons, éclairera à nouveau la route des hommes. Sommes la jeunesse du monde, Messieurs !
Maurice de Charette.
© Copyright Table ronde. Reproduction interdite.
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### La politique militaire des Jacobins
par André Guès
LA POLITIQUE DE GUERRE, c'est-à-dire le système d'alliances, la définition des buts, et la conduite de la guerre, qui est la manière de la faire, ne doivent pas être confondues avec la politique militaire qui commence en temps de paix par le recrutement de l'armée et sa mise en état de combattre, pour se poursuivre pendant les hostilités par un effort accru. La politique militaire des Jacobins, déterminée par leur antimilitarisme (ITINÉRAIRES, numéro 213 de mai 77), a consisté avant la guerre dans l'affaiblissement de l'armée de métier, la « ligne », et la création d'une deuxième armée « *qui n'en est pas une *», la garde nationale.
Différent de celui de la ligne, le statut de la garde nationale est même privilégié, nonobstant l'Égalité et la Nuit du 4 août : autre uniforme, prêt de 15 sous par jour alors que le lignard touche les deux-tiers d'un sou, faculté exorbitante de pouvoir rentrer dans ses foyers le 1^er^ décembre de chaque année, même pendant la guerre, en prévenant son commandant de compagnie le 1^er^ octobre, élection des caporaux, sous-officiers et officiers. Cette dernière disposition est source de démagogie et crée une sujétion, peu favorable à la discipline, de supérieur à subordonné. Armée de révolution plus que de guerre, la garde nationale le manifeste aussitôt par ses heurts avec la ligne, ses entreprises à main armée, spontanées ou dirigées par des autorités locales et les clubs, contre les prêtres réfractaires et leurs fidèles,
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les châteaux et les municipalités « aristocrates », même par ses exactions sans intentions politiques contre les populations, par esprit d'indiscipline et goût du pillage. Après les avoir racontées, un historien de la Révolution dans l'Ariège conclut : « *Rien n'égala la turbulence de ces premiers volontaires, mais que ne devons-nous pas leur pardonner pour avoir terrassé l'aristocratie ? *» Ils n'ont pas été pour rien dans le terrorisme qui a sévi avant la Terreur et même avant la guerre (ITINÉRAIRES numéro 170 de février 1973).
Peu brillante à la déclaration de guerre, la situation militaire de la France est rapidement améliorable si l'on veut s'y prendre méthodiquement, mais la méthode n'est pas une qualité révolutionnaire. La ligne, qui s'est montrée indisciplinée, n'est toutefois pas défaillante devant l'ennemi et retrouvera au combat ses qualités traditionnelles, rétablissant en mainte occasion la situation compromise par une débandade de la garde nationale. Les trois quarts de ses officiers ont plus de 25 ans de service, les quatre-cinquièmes ont l'expérience du combat. Pour un effectif théorique de 250.000 hommes, y compris les auxiliaires, elle en compte 183.000. Les bataillons de gardes nationaux dont la levée en 1791 a été lente et difficultueuse, sont en déficit de 15 %, 81.000 hommes pour 98.000. Autrichiens, Prussiens, Hessois et Allemands des « cercles » font ensemble moins de 180-000 hommes ; Sagnac dit même qu'en septembre 92 les ennemis ne seront pas 100.000, émigrés compris, alors que nous avons 264.000 hommes sous les drapeaux pour un « crédit » de 348.000. Et on a le temps de les voir venir : seuls les Autrichiens sont au contact à la frontière belge ; encore sur le pied de paix, ils attendent leurs renforts et l'arrivée des Prussiens, venus du fond des Allemagnes, dont l'avant-garde ne sera en ligne que le 19 août, *quatre mois plus tard.* On voit comme est peu justifiée par la situation militaire la solennelle proclamation de la Législative le 10 juillet : « *Citoyens, la patrie est en danger *»*,* destinée à produire la « *commotion électrique *» conçue pour faire avancer la Révolution, et propre à détériorer la situation militaire par le désordre qu'elle devait susciter.
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La politique militaire à suivre est donc évidente : en première urgence compléter la ligne des 67.000 manquants. Les recrues, entrant dans des corps organisés et commandés, y acquerront discipline et entraînement. En deuxième urgence, s'il le faut absolument, compléter la garde nationale. Quelque mauvaise qu'elle soit, elle commence après quelques mois à avoir de l'entraînement, ses cadres comprennent une certaine proportion d'anciens militaires et la loi a pourvu chaque corps d'un officier d'active pour en diriger l'instruction. Compléter surtout son armement et son équipement, gravement insuffisants. En somme, améliorer ce qui est, et qui suffit : quatre mois ne sont pas de trop, mais peuvent permettre beaucoup d'améliorations.
C'est le contraire que l'on fait. Le 5 mai, la Législative crée 31 bataillons de garde nationale à 800 hommes et porte à ce niveau les bataillons anciens qui n'ont pas encore atteint l'effectif de 575. L'effectif théorique dépasse 400.000 hommes par augmentation de la garde nationale et non de la ligne, de la plus mauvaise armée et non de la meilleure. Le 24 mai, création de 54 compagnies franches à 200 hommes. Le 1^er^ juillet, création de 42 bataillons de gardes nationaux et élévation à 800 des effectifs théoriques des 214 bataillons de la ligne, eux aussi incomplets : le crédit en hommes dépasse 460.000.
Suivent jusqu'à l'automne un certain nombre d'autres levées : 20.000 fédérés à faire passer par Paris avant d'aller aux armées, pour la fête du 14 juillet, et qui y resteront pour le 10 août ; levée spéciale de 30.000 hommes à Paris le 27 août ; levées, par réquisition des commandants d'armée dans le territoire de leur commandement sur avis conforme des commissaires de l'Assemblée (décret du 21 juin 1791 confirmé par celui du 24 juillet 92) ; levées de « *légions franches *»*,* « *chasseurs nationaux *»*,* « *miquelets *»*,* etc. A la différence de la méthode actuelle, il ne s'agit pas de levées par classes d'âge, mais de « volontaires », et d'une extrême lenteur : le ministre répartit le contingent entre les départements au prorata de la population, le département entre les districts et le district entre les communes.
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Les administrations locales attendent que la levée précédente soit, tant bien que mal, terminée pour passer à la suivante : le directoire des Basses-Alpes ne s'occupe que le 24 septembre de la levée ordonnée le 1^er^ juillet. Levées confuses, malaisées à chiffrer en crédits et en résultats, qui paraissent avoir porté sur 275 bataillons aux effectifs théoriques de 220.000 hommes dont 137.000 restent présents le 1^er^ décembre. A cette date, les effectifs théoriques sont de 720.000 hommes, mais il y en a 370.000 sous les armes.
Politique de quantité, non de qualité. Les bataillons de gardes nationaux levés en 91 étaient relativement mal commandés et entraînés, largement déficitaires en équipement et en armement. Il semblait évident que ceux de 92 seraient plus mauvais et plus mal lotis encore. En particulier, les anciens militaires disparaissent de l'encadrement. Il y a comme une loi de décroissance de la valeur des levées avec le temps : celle de 300.000 hommes en mars 93 sera pire que celles de 92 ; quant à la levée en masse, ce sera la chienlit.
A l'automne 92 joue massivement la désertion légale organisée par le statut de la garde nationale ; plus encore les hommes s'en vont avant le 1^er^ décembre, et sans prévenir leur capitaine ! Ils arguent aussi de cet article de leur statut qui fait de la garde nationale une force de défense non utilisable hors des frontières : ils ont été levés, disent-ils, pour défendre « *la patrie en danger *»*,* non pour conquérir la Belgique, le Palatinat, la Savoie et le comté de Nice. La Convention a beau proclamer : « *La loi vous autorise à vous retirer, le cri de la patrie vous le défend *»*,* c'est surestimer l'acuité auditive des jeunes « patriotes ».
Les représentants à l'armée du Midi écrivent à la Convention le 6 octobre : « *Nous devons fixer votre attention sur le décret qui autorise les volontaires à quitter les drapeaux...* (Il s'ensuivrait) *un grand déficit dans l'armée si la Convention ne rappelait pas incessamment aux soldats citoyens l'activité que les circonstances exigent et que la patrie attend. *» Le 15, ceux de l'armée du Nord : « *Un grand nombre des volontaires des bataillons de volontaires nationaux... demandent à quitter l'armée. ...*
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*Votre sagesse vous inspirera, citoyens, la mesure la plus propre à remplir promptement cet important objet. *» Le 29, Dumouriez écrit que la désertion est « *très considérable *»*,* le 30 novembre que son armée diminue de jour en jour « *d'une manière effrayante *»*.* A partir du 1^er^ décembre les départs ont lieu « *par bataillons presque entiers *»*.* Louis-Philippe, qui y était, écrit dans ses mémoires : « *Les corps de volontaires nationaux se désorganisaient à vue d'œil et j'ai eu dans ma division deux bataillons dont l'un était réduit à 42 hommes et l'autre à* 26. » Beurnonville, qui commande l'armée des Ardennes, rend compte de 500 départs quotidiens : « *Si cela continue, je n'arriverai devant Trêves qu'avec les troupes de ligne, les seules qu'on puisse employer en campagne. Malheureusement, elles ne forment que le quart de nos armées. *» Et encore : « *Un tiers de mon armée est en fuite. *» Les représentants Camus et Gossuin, partis le 30 novembre pour l'armée de Dumouriez, écrivent le 4 décembre par courrier extraordinaire : « *Nous avons trouvé dans presque tout notre voyage les routes couvertes de volontaires qui revenaient vers Paris avec armes et bagages. *» Camus revient à la charge le 12 : « *Un grand nombre de volontaires désertent l'armée et reviennent dans leurs foyers, emportant avec eux armes, bagages et leurs redingotes neuves qu'ils se sont fait délivrer, tandis que leurs camarades restent presque nus à leur poste. *» Les représentants dans le Bas-Rhin, la Moselle et la Meurthe, désignés le 22 décembre, écrivent de Nancy le 2 janvier 93 leur « *douleur de voir la grande route sur laquelle ils passèrent presque couverte de volontaires nationaux venant de l'armée de Beurnonville et s'en retournant dans leurs foyers *»*.* Résultat : le 27 décembre, dans cette armée, une compagnie est réduite à un sous-lieutenant et un sergent. Au cours de sa séance continue des 16-17 janvier, la Convention entend ce message : « *Les membres de la Convention commissaires dans la Belgique demandent à être entendus sur leur mission, immédiatement après le jugement de Louis Capet. Ils observent que leur rapport est d'autant plus instant que les besoins de l'armée exigent de grandes mesures ; qu'ils ont rencontré des bataillons, dans leur route, réduits à 60 hommes et des compagnies à 5 et 6 hommes. *»
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Décrétée, leur proposition demeure sans effet pendant encore plus d'un mois. A la fin de janvier, les bataillons de la garde nationale sont tombés, en moyenne, à 2, 300 hommes. L'armée de Belgique, qui était encore de 100.000 hommes à la fin d'octobre, se retrouve deux mois plus tard à 45.000, et la dégringolade n'est pas finie. Entre le 1^er^ décembre et le 1^er^ février, les effectifs tombent de 370 / 400 milliers d'hommes à 228.000, dont environ 150.000 appartenant à la ligne. La garde nationale représente 70.000 hommes, pour un effectif théorique de 415.000 (517 bataillons) : il manque 82 % des « volontaires », 60 à 70 %, déduction faite des pertes au combat, par rapport aux effectifs théoriques. En tenant compte de leur coefficient de remplissage quand ils ont été envoyés aux armées, il apparaît qu'à la fin de janvier 93, plus de la moitié des gardes nationaux a déserté.
C'est dans ces conditions déplorables que la guerre est déclarée au Piémont en septembre 92 -- la patrie est encore en danger, Valmy n'a pas eu lieu -- puis à la Hollande, l'Angleterre et l'Espagne au début de 93. Quelques semaines plus tard un coup d'État, appuyé dans Paris par 100.000 gardes nationaux qui manquent aux armées squelettiques, donnera le pouvoir aux Montagnards. Leur politique militaire ne sera pas différente. Mais il faut déjà signaler un effet sanglant de cette politique de quantité. L'instruction militaire est double : la recrue apprend à ne pas se faire tuer aussi bien qu'à se servir de son arme. Envoyer au feu des soldats peu ou pas instruits, c'est les vouer au massacre : d'où les pertes effroyables des guerres de la Révolution, résultat d'une politique militaire qui n'a pas jusqu'ici intéressé les historiens socialistes et prétendument humanitaires. Sauf Louis Blanc qui, à ce spectacle, entonne un chant de gloire : « *La guerre aura beau moissonner les rangs, un soldat nouveau sera toujours là, prêt à remplacer un soldat mort,* (et que) *la France aura tiré de ses flancs inépuisables... ! *»
André Guès.
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La campagne mondiale\
contre l'Amérique latine
« Les communistes et les révolutionnaires de tout poil savent faire leur propagande et la diversifier à l'infini. L'une des formes de cette propagande consiste à déconsidérer l'adversaire. C'est facile quand celui-ci est loin et ne peut prévoir d'où lui viendra le coup. Il suffit de produire quelques documents établis de façon tendancieuse, voire mensongère et surtout de les faire diffuser par des hommes ou par des moyens que le public ne soupçonne pas. Le Chili en a fait la triste expérience l'autre jour avec le reportage télévisé que tout le monde a pu voir sur Antenne 2. Ce n'est pas la première fois que le Chili et son gouvernement sont agressés en France où les trois quarts pour ne pas dire les neuf dixièmes de ce qui est publié à leur sujet est honteusement mensonger. Mais rarement l'opération a été conduite avec autant de perfidie. J'ai sous les yeux la lettre de protestation que l'ambassade du Chili a fait tenir au responsable de la chaîne. Elle conte par le menu les manœuvres auxquelles ceux qui se sont rendus coupables envers les téléspectateurs français de cette escroquerie intellectuelle ont eu recours pour réussir leur mauvais coup. C'est édifiant. Au demeurant, le Chili n'est pas la seule cible visée par les agents de la subversion qui opèrent en Europe occidentale. Tous les pays d'Amérique latine qui commettent le crime de se défendre contre le communisme ou sa courroie de transmission castriste sont odieusement calomniés. »
Paul DEHÈME, dans son *Courrier quotidien* du 14 juin 1977. ([^6])
### Avertissement
Voici les menteurs, une fois de plus, pris sur le fait. Deux exemples caractéristiques : celui de l'ONU contre le Chili, celui du P. Werenfried contre le Brésil. Nos lecteurs y trouveront, analysé sur pièces, le principe de la calomnie ; et la méthode intellectuelle pour la percer à jour.
Nous ne pouvons le faire dans chaque cas. C'est quasiment chaque jour que la presse écrite et parlée couvre d'ordures les nations catholiques d'Amérique latine. Il n'existe aucun quotidien en France pour y répondre pied à pied, jour après jour, par la vérité. Du moins nos lecteurs auront été avertis. Les deux articles ci-après, celui d'Hugues Kéraly, celui de Julio Fleichman, démontent le mécanisme de l'imposture. Je n'y ajouterai que de brèves observations, pour rappeler la place de ce mécanisme dans une stratégie mondiale.
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La machination est permanente pour faire croire à l'opinion publique qu'il existerait des régimes aussi inhumains ou plus inhumains que l'esclavagisme, communiste, aussi cruels ou plus cruels.
C'est dans ce sens et c'est pour cela que Soljénitsyne avait déclaré :
-- Si le Chili n'existait pas, il leur faudrait l'inventer.
Mais justement ce Chili-là, plus intrinsèquement pervers que l'intrinsèquement pervers, n'existe pas, et ils l'ont inventé. Comme ils ont inventé le Brésil et comme ils ont inventé l'Argentine de leurs propagandes. Aux peuples d'Europe et au monde entier, les communistes veulent faire croire que l'intrinsèquement pervers n'est pas le communisme. Alors il leur faut en inventer un autre à la place. Ce sera donc le catholicisme ; celui qui n'est pas moderne, évolutif et conciliaire.
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Mais quand c'est le catholicisme traditionnel qu'il s'agit de présenter comme l'intrinsèquement pervers, les communistes trouvent sur ce point l'accord et le renfort des francs-maçons, des talmudistes, des modernistes. Sur ce point, oui, leur convergence s'établit ; imparfaite sans doute, mais certaine ; et puissante.
\*\*\*
Cette coalition déjà ancienne reçoit depuis une dizaine d'années le renfort nouveau de l'évolution conciliaire et de la politique montinienne.
C'est un grand changement dans le rapport des forces.
Lorsqu'en 1936, en Espagne, la contre-révolution militaire et catholique entreprend de renverser l'esclavagisme communiste, elle est aussitôt soutenue par l'épiscopat national mais aussi, ouvertement, solennellement, par le pape, qui pourtant est Pie XI.
La contre-révolution militaire et catholique a dû se faire en 1964 au Brésil, en 1973 au Chili, sans l'appui de l'épiscopat local et malgré la politique vaticane. Car maintenant la politique vaticane -- montinienne et conciliaire -- travaille à l'établissement, dans les nations catholiques, de gouvernements qui grosso modo soient du type Salvador Allende, fondés sur la réconciliation politique triangulaire communistes-maçons-catholiques (modernistes), selon l'idéologie qui sous-tend la constitution conciliaire *Gaudium et Spes.* Et c'est pour cette raison que l'installation et le renversement du gouvernement Allende au Chili avaient une portée et une résonance mondiales.
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La politique montinienne a entrepris avec un affreux succès une démolition de l'Espagne catholique, commencée déjà du vivant du général Franco, d'abord en transformant dans un sens post-conciliaire la composition et la mentalité de l'épiscopat espagnol. L'Espagne est livrée aux francs-maçons, le communisme y devient légal, le franquisme y est déjà moralement hors la loi. La même politique montinienne s'emploie à conjurer le monde entier (communistes, maçons et catholiques conciliaires unis dans un même combat) contre le gouvernement catholique du Chili, contre la chrétienté du Brésil ; elle dresse l'épiscopat de ces pays contre ces pays eux-mêmes. Le principal ennemi, aujourd'hui, de tout anti-communisme militant, efficace, cohérent, organisé, c'est la politique vaticane.
\*\*\*
Dans une telle situation, nous exprimons notre solidarité fraternelle et nous adressons notre hommage aux chrétientés d'Amérique latine. Nous l'adressons à nos amis du Chili, dont nous ne connaissons pas le visage, mais dont nous admirons le bon sens catholique, la fidélité catholique, le courage catholique. Nous l'adressons à nos amis inconnus d'Argentine, qui luttent avec un inépuisable héroïsme intellectuel et physique contre les atrocités de la guerre subversive et terroriste déchaînée par le communisme dans leur pays. Nous l'adressons ou plutôt nous le renouvelons à nos amis du Brésil, si chers et si présents à notre cœur, nos amis de Rio, et ceux de Campos, et ceux de Sâo Paulo. Surtout, qu'ils tiennent bon ; surtout, qu'ils ne suivent pas l'exemple de nos misérables gouvernements européens. Qu'ils se disent que la politique montinienne ne durera pas toujours.
57:215
Elle s'appesantit plus immédiatement sur l'Europe, elle en désarme et elle en livre les anciennes nations catholiques à la domination communiste. Mais du Brésil, mais du Chili nous viennent l'exemple et la preuve : la contre-révolution militaire et catholique demeure possible, Dieu aidant, même après la défection ecclésiastique ; et même contre la trahison ecclésiastique. Quelle leçon. Quelle espérance.
J. M.
58:215
### Les droits de l'homme au Chili
*Un procès sans enquête\
sans preuves et sans témoins*
par Hugues Kéraly
VOICI QUATRE ANNÉES consécutives qu'une Révolution sans patrie ni visage précipite le génocide de populations entières à travers l'Afrique, l'Orient, l'Asie, dans le dessein déjà bien avancé de réduire l'univers à l'esclavage d'un parti ; et quatre années consécutives qu'à Santiago du Chili, les dirigeants d'un petit pays resserré entre la mer et la montagne, en paix avec tous ses voisins, sont désignés par l'O.N.U. à la vindicte de l'opinion internationale, et traînés en grande pompe devant le tribunal de l'Histoire.
La dernière condamnation en date -- 9 mars 1977 -- a fait davantage de bruit que les précédentes, ayant été acquise par vingt-six voix (dont celle des États-Unis) contre une (l'Uruguay) et cinq abstentions. Cette fois-ci, tous les grands sont dans le coup. Le texte de leur résolution commune dénonce « la pratique institutionnalisée » de la torture au Chili, et s'engage à examiner les meilleurs moyens de « fournir une assistance monétaire, juridique et financière aux détenus chiliens arbitrairement arrêtés et à leurs familles » ([^7]).
59:215
Le second volet de la motion, à ce qu'on murmure, aurait été introduit sur l'initiative du délégué de Cuba -- oui, Cuba : l'île où le contingent de bagnards et de détenus politiques évolue depuis 1959 entre cinq mille, selon l'aveu officiel, et cinquante mille personnes, d'après l'*International Rescue Committee* de New York, pour une population de huit millions d'habitants. Le régime castriste lui non plus n'a rien à redouter des clairvoyants justiciers de l'O.N.U., qui savent élire leur terrain de chasse en fonction du vent.
Tout de même, en ce qui concerne les prisonniers « politiques » chiliens, la résolution de l'O.N.U. affiche un remarquable retard sur l'actualité. C'est en effet le 17 novembre 1976 que toutes les personnes condamnées au Chili en vertu des dispositions constitutionnelles de « l'état de Siège » devaient être amnistiées par le gouvernement du général Pinochet, à l'exception de deux dirigeants : Luis Corvalan, le secrétaire général du P.C. chilien échangé depuis contre Boukovsky, et l'ancien sénateur communiste Hugo Montes, qui attend toujours la libération du cubain Hubert Matos, détenu depuis dix-huit ans dans les geôles de son camarade Fidel ([^8]).
60:215
Les commissaires de l'O.N.U. sont-ils donc les seuls à ignorer que le délégué de la Croix-Rouge internationale en Amérique latine envisageait dès le mois de décembre 1976 de fermer ses bureaux au Chili, ayant pris acte sur le terrain de « *l'inexistence de prisonniers politiques dans ce pays *» ([^9]) ? Sont-ils les seuls à ne pas voir que la presse en est réduite chez nous à orchestrer le scandale des « disparus » chiliens, sans alléguer bien sûr le moindre cas circonstancié ?
(*Rectification. --* Dans une note de son correspondant américain, *le Monde* du 26 mai 1977 fait état d'un rapport publié le 22 mai par une commission de l'O.E.A., qui citerait le nom de 40 disparus chiliens. L'information fait d'ores et déjà l'objet d'une enquête du ministère de l'Intérieur à Santiago du Chili, qui publiera ses conclusions prochainement. Mais, même en la supposant exacte sans examen, les moralisateurs de la presse française pourraient triompher moins bruyamment, s'ils songeaient à nos 6.000 disparus d'Algérie qui, eux, ne passent pas leur temps à ressusciter pour prendre la parole aux tribunes des congrès et réunions de la gauche dans toutes les grandes capitales européennes. Car s'il est vrai qu'on a dû constater de nombreuses disparitions politiques du Chili depuis septembre 1973, ceux-là, répétons-le, n'ont pas vraiment disparu pour tout le monde : selon notre Président-libéral-avancé, la France à elle seule en aurait accueilli plus de 5.000 ; et le gouvernement chilien, il faut lui rendre également cette justice, vient d'offrir à ces exilés volontaires aujourd'hui démunis de tout la possibilité matérielle d'un rapatriement sur simple demande auprès du consulat.)
61:215
Quant à l'accusation « d'institutionnaliser » la torture, littéralement, elle confine au grotesque, puisque les lois et réglementations chiliennes (comme partout ailleurs) ne prévoient rien de tel : un décret-loi numéro 1.009 du ministère de la Justice, promulgué en 1975, définit des conditions de détention et de jugement tout à fait comparables à celles du système français ; on y relève même ça et là quelques supériorités notables, telle la création d'un corps d'inspecteurs médicaux indépendants de l'administration pénitentiaire qui intervient jour et nuit sur simple requête de l'avocat ou du prévenu jusque dans les locaux de police et de garde-à-vue, ou encore cette obligation faite aux cours d'appel de se prononcer dans les vingt-quatre heures sur les demandes de mise en liberté provisoire... ([^10]) De quoi faire rêver bien des anciens de l'O.A.S., ne pensez-vous pas ? Et je vous épargne ici le cas de ces jeunes solidaristes français auxquels notre Justice vient d'offrir cinq semaines d'hébergement dans les cachots de la bonne Santé, sans instruction ni procès, pour le crime d'avoir voulu déposer une gerbe de fleurs suspecte d'anti-communisme devant les bureaux de l'Aeroflot aux Champs-Élysées ([^11]).
62:215
Mais revenons aux brutalités policières chiliennes dénoncées par l'O.N.U., qui soulèvent à l'examen une redoutable série d'interrogations... Et d'abord qui torture-t-on au Chili, en 1977, si les prisonniers politiques proprement dits ne peuvent plus se compter sur les doigts d'une main ? -- Le communiste Corvalan ? non, nous l'avons vu débarquer à Moscou aussi rose, gonflé et sonore que les grosses huiles du comité d'accueil massées au pied de l'avion. -- Les détenus de droit commun, maquereaux, braqueurs, simples canailles ? c'est peu vraisemblable : cette délinquance vulgaire suscite rarement aujourd'hui la passion vengeresse des polices dans le monde civilisé, les criminels y sont assurés d'une trop grande considération... Alors, où torture-t-on au Chili si ce n'est pas dans les prisons ? Dans les rues, aux abords des universités ? Les correspondants de presse, qui n'y auraient point manqué, ne nous ont jamais rien signalé de tel. -- Au palais de la Moneda, dans le bureau du généralissime Auguste Pinochet ? dans les casernes, les administrations ? la commission des « droits de l'homme » à l'O.N.U. a été expressément invitée par le gouvernement chilien à venir se rendre compte elle-même sur place ; mais cette offre, renouvelée à plusieurs reprises au cours de l'année 1976, s'est trouvée chaque fois *repoussée* en langage diplomatique par les prudents commissaires officiellement chargés de l' « enquête » !
63:215
Oui, voilà comme on prétend écrire l'Histoire, et défendre le droit des gens, dans les organismes internationaux. La République chilienne aura été mise au ban des nations, une fois de plus, contre tous les principes de la justice et de la « démocratie » : au terme d'un procès sans enquête, sans preuves et sans témoins (à quoi il faudrait encore ajouter : sans défense ni jugement). En violation des règles les plus élémentaires du droit public et international, le gouvernement de ce pays n'a pu en effet ni connaître la réalité des chefs d'accusation portés contre lui à l'O.N.U., ni avoir accès aux dossiers de la commission *ad hoc,* ni être admis à présenter ses contre-preuves et ses propres témoignages, sur le terrain des délits présumés... Toutes les rédactions, tous les journalistes sérieux (?) le savent, si personne n'en a parlé, le gouvernement du général Pinochet ayant rendu public ses échanges de lettres avec l'O.N.U., traduits et diffusés par le service de presse des ambassades chiliennes dans le monde entier ([^12]). -- Peine perdue. Un accusé comme celui-là ne saurait rien alléguer de crédible pour sa défense ; il n'est même pas digne d'être entendu au bénéfice du doute par ceux qui le jugent. Comment n'y avoir pas pensé plus tôt ? Les droits du Chili, bien sûr, ça n'existe pas.
\*\*\*
Voici donc les pièces et documents inédits du dossier de l'offensive internationale orchestrée à Genève contre le Chili, avec le consentement et la collaboration active de tous les « grands » qui assassinent aujourd'hui ou laissent assassiner les populations soumises au communisme dans le monde entier.
64:215
Le premier document révèle l'état d'esprit dans lequel le gouvernement chilien aborde le « procès » qui devait aboutir à sa quatrième condamnation : sa volonté d'y faire face honnêtement, scrupuleusement même, dans le respect des normes et du droit que l'O.N.U. se donne pour mission de faire respecter parmi ses États membres. Nous l'extrayons d'une longue et substantielle lettre adressée le 12 avril 1976 par M. Patricio Carvajal Prado, ministre des Affaires Étrangères du Chili, à l'ambassadeur Leopoldo Benitez, président de la commission dite des « droits de l'homme » aux Nations-Unies. On remarquera que c'est l'État chilien, et non l'O.N.U., qui prend ici l'initiative du « dialogue » et de la « concertation » ; oui, le gouvernement du général Pinochet accepte concrètement le principe de l'ouverture d'un procès d'accusation internationale contre son régime et ses fonctionnaires, sans poser d'autre préalable que celui de ses propres droits à présenter une défense. Quelle nation au XX^e^ siècle peut se vanter d'en avoir fait autant ?
12 avril 1976
Monsieur le Président,
En considération du résultat de la 32^e^ session de la Commission des Droits de l'homme, le gouvernement du Chili a estimé opportun de s'adresser à vous afin d'organiser une réunion entre le groupe de travail *ad hoc* de la Commission que vous présidez et les représentants du gouvernement du Chili.
Cette initiative de mon gouvernement s'appuie fondamentalement sur l'esprit constant de collaboration qui anime le Chili vis-à-vis de la mission des organismes internationaux et, de plus, sur le principe du respect dû aux États souverains qui en font partie. C'est dans cet esprit de collaboration et de respect mutuels que le gouvernement du Chili estime qu'il convient d'effectuer une réunion avec le groupe de travail *ad-hoc* dans l'objet de réviser la façon de matérialiser la collaboration offerte par mon gouvernement afin de permettre au groupe d'accomplir avec objectivité la mission dont il a été chargé lors de la prorogation de son mandat par la commission des Droits de l'homme.
(...)
65:215
Dans l'opinion du gouvernement du Chili, un travail de cette nature, pour être réellement utile et atteindre son objectif réel, doit donc consister en une étude de cas *concrets* dont l'existence -- si elle est effective -- constituerait une violation des droits humains fondamentaux des personnes et serait survenue à une date postérieure à celle où fut prorogé le mandat du groupe de travail *ad-hoc* de la Commission des Droits de l'homme des Nations Unies.
Le gouvernement du Chili pense également qu'une procédure adéquate offrant des garanties d'objectivité doit prévoir nécessairement la modification des normes que le groupe de travail s'est données sans l'accord de mon gouvernement.
Les normes dont le gouvernement du Chili recommande l'application à cet effet sont les suivantes, en dehors de celles qui peuvent être mises au point au cours de la réunion :
a\) Chaque cas qui, selon le groupe de travail, mériterait de figurer ou de servir de fondement au rapport, devra être communiqué au gouvernement du Chili de façon que celui-ci puisse être informé de la situation, sans que cela implique que lui soient fournis des antécédents sur la source d'information du groupe ;
b\) Dans chacune de ces situations concrètes, le gouvernement du Chili devra disposer d'un délai raisonnable pour pouvoir donner une réponse au groupe sur l'authenticité du fait et l'explication correspondante ;
c\) La réponse du gouvernement du Chili devra être incluse dans le rapport, si le cas concret dont des antécédents ont été demandés y est inclus ; au cas où, le gouvernement ne donnerait aucune réponse, cette information serait également consignée ;
d\) La modalité de participation du gouvernement devra être convenue pour l'analyse de chaque cas ;
66:215
e\) Le gouvernement du Chili doit avoir la possibilité de formuler des observations globales au rapport ou pré-rapport avant que ceux-ci soient soumis à l'Assemblée Générale ou à la Commission des Droits de l'homme, observations qui devront être incorporées aux textes définitifs.
Comme dans tous les rapports émis sur le Chili ont été abordées des matières qui sont de caractère général, mon gouvernement estime à propos de formuler quelques considérations à ce sujet.
Tout d'abord, il entend que de telles références ne peuvent se faire que si elles sont en relation directe avec de présumées violations des droits spécifiques d'une personne déterminée. Pour cela, en conséquence, il devra être démontré comment telle situation de caractère général relève de la protection adéquate du droit que l'on dit lésé.
Ensuite, pour que soient consignées dans le rapport des informations concernant des situations de caractère général, seules seront utilisées les sources d'information appartenant à des organismes spécialisés des Nations Unies ou au gouvernement du Chili.
Enfin, chaque fois qu'une situation de caractère général sera abordée, cette situation sera présentée dans sa totalité et non pas de façon partielle, afin que soit évitée toute déformation de la réalité nationale chilienne.
(...)
PATRICIO CARVAJAL PRADO\
Ministre des Affaires Étrangères.
\*\*\*
Le mois suivant, sans réponse de l'O.N.U., le gouvernement du général Pinochet avance encore d'un pas dans sa volonté concrète de collaboration avec les représentants de la commission chargée d'instruire le dossier du Chili.
67:215
La lettre que nous reproduisons intégralement ci-dessous est adressée le 26 mai 1976 par M. Sergio Diez Urzua, ambassadeur extraordinaire du Chili auprès des Nations-Unies, au même Leopoldo Benitez, président de la commission des « droits de l'homme » déjà mentionnée. Elle renouvelle l'exigence des garanties de juridiction et de procédure, mais confirme aussi une proposition orale restée jusqu'alors sans réponse : recevoir au Chili une délégation de l'O.N.U., véritable commission d'enquête chargée d'instruire et de vérifier l'acte d'accusation sur des bases directes, incontestables, reconnues ([^13]) ... Quitte à passer pour indélicat, je renouvelle la question, -- quel est le gouvernement dans le monde qui, accusé de violer chez lui les « droits de l'homme » par une coalition de puissances hostiles, pourrait se vanter d'en avoir fait autant ?
26 mai 1976.
Monsieur le Président,
La délégation du Chili qui a pris part aux conversations avec le groupe de travail *ad-hoc,* dépendant de la Commission des Droits de l'homme que vous présidez aux Nations Unies, a estimé opportun de s'adresser à vous, pour que dans l'exercice de vos hautes fonctions, vous vouliez bien intervenir afin que s'établisse dans le plus bref délai un accord entre le groupe de travail *ad-hoc* et le gouvernement du Chili.
Comme nous l'avons fait remarquer au cours de la dernière réunion que nous avons eue avec le groupe de travail, le gouvernement du Chili considère que les conversations sont ouvertes, que les points de divergences ne sont pas inconciliables et qu'une analyse postérieure de ceux-ci peut contribuer à rapprocher nos positions.
68:215
D'ores et déjà, nous pouvons porter à votre connaissance que le gouvernement du Chili est disposé à étudier la proposition du représentant de l'Autriche, M. le Professeur Ermacora, se rapportant à l'interprétation de l'article 4 du Pacte des Droits Civils et Politiques, qui est l'un des deux points de désaccord en matière de juridiction et de procédure
Par la même occasion, nous désirons solliciter du groupe de travail, par votre haute intervention, qu'il soit disposé à accueillir la position du gouvernement du Chili qui ne demande qu'un minimum de garantie concernant la procédure : de connaître, par l'intermédiaire du groupe de travail, les accusations concrètes de violation des droits de l'homme dont sont l'objet les autorités ou les fonctionnaires chiliens, pour qu'ainsi mon gouvernement puisse fournir une réponse ou mener une enquête et corriger ce qui, en définitive, mériterait effectivement de l'être. Mon gouvernement ne peut admettre qu'avec sa collaboration puisse être élaboré un rapport dans lequel figureraient des situations qui ne sont pas spécifiques, sans les renseignements qui s'avèrent nécessaires à l'investigation des faits, et sans compter enfin avec la possibilité d'exercer son légitime droit de défense, qui s'applique non seulement à un État souverain, mais aussi à n'importe quelle personne, dans les normes élémentaires de procédure universellement acceptées.
Comme nous l'avions manifesté au cours de la réunion avec le groupe, le lundi 24 courant, si les deux points précédents trouvent une solution satisfaisante pour les deux parties, on pourrait d'un commun accord désigner un ou deux délégués, des Nations Unies ou du groupe de travail même, si celui-ci le préfère ainsi, afin que l'on procède à la vérification sur le terrain du degré de véridicité des plaintes déposées contre les autorités ou les fonctionnaires chiliens et, également, à la vérification des observations que le gouvernement pourrait formuler dans chaque cas ; tout ceci dans les normes de compétence et de procédure établies par l'accord déjà obtenu, exception faite des points qui sont à l'origine de cette lettre.
69:215
J'ai la certitude, Monsieur le Président, que le gouvernement du Chili est disposé à convenir avec le groupe ou avec les délégués qui éventuellement pourraient être nommés, de la date, du programme d'action et de la façon dont la visite au Chili devra se réaliser, afin que le groupe de travail puisse accomplir sa mission et présenter à l'Assemblée Générale des Nations Unies de septembre prochain un rapport qui contienne des antécédents et des éléments de conviction recueillis au Chili.
Avec l'affection de toujours, etc.
SERGIO DIEZ.
\*\*\*
La première réponse officielle des commissaires de l'O.N.U. se fait attendre jusqu'au 3 juin 1976. Rapprochée des deux lettres qu'on vient de lire, elle est remarquable surtout par sa sécheresse, sa malveillance et sa mauvaise foi. Tout se passe comme si le gouvernement chilien n'avait encore *rien* proposé de concret, à cette date, aux délégués de l'O.N.U. -- et surtout pas l'envoi d'une commission d'enquête au Chili : elle risquerait d'introduire des lumières suspectes dans la belle ordonnance des dossiers de l'accusation. Le commissaire international condescend à entériner le principe d'une réunion d'information bipartite, qui n'aura pas lieu, prend acte au bénéfice du doute des « possibilités de coopération » que le Chili « pourrait désirer offrir » (!) aux enquêteurs de l'O.N.U., et feint avec une superbe arrogance d'ignorer tout le reste... Encore une fois, Allende mort, le Chili, ce que peut bien dire ou vouloir un gouvernement du Chili, ça n'existe pas.
70:215
3 juin 1976.
A Son Excellence Monsieur Abelardo Silva-Davidson,
représentant permanent du Chili au bureau des Nations Unies à Genève,
Excellence ([^14]),
Au cours des réunions qui se sont tenues dans le bureau principal des Nations Unies, entre le 17 et le 25 mai 1976, en réponse à une proposition du ministre des Affaires Étrangères du Chili contenue dans sa lettre en date du 12 avril 1976, les représentants du gouvernement de Votre Excellence ont proposé au groupe de travail *ad-hoc,* au sujet de la situation actuelle des droits de l'homme au Chili, l'organisation de réunions bipartites du groupe et des représentants du gouvernement. Le groupe a manifesté les meilleures dispositions pour rencontrer les représentants du gouvernement du Chili, afin de déterminer les possibilités de coopération que le gouvernement de Votre Excellence pourrait désirer offrir au groupe, en tenant compte du programme de travail et du mandat du groupe.
Comme il a été communiqué aux représentants du gouvernement de Votre Excellence, le groupe réassumera ses activités dans le courant du mois de juillet 1976, et je désirerais informer le gouvernement de Votre Excellence que le groupe serait prêt pour se réunir avec les représentants du gouvernement chilien dans le bureau principal des Nations Unies à New York, le 26 et 27 juillet 1976. S'il y avait quelques points spécifiques que le gouvernement du Chili désirerait aborder à cette occasion, le groupe serait reconnaissant d'en être informé avant la réunion.
Recevez, Monsieur, l'assurance de ma haute considération.
GHULAM ALI ALLANA,\
président du groupe de travail *ad-hoc.*
71:215
Le lendemain, 4 juin 1976, le signataire de cette lettre écrivait à nouveau au représentant du Chili à Genève pour lui rappeler les condamnations antérieures portées par l'O.N.U. contre le régime du général Pinochet, et lui remettre en mémoire tous les considérants. (Ce document est reproduit en annexe à notre article, avec les principaux points de réponse du gouvernement chilien. Il établit clairement que le 4 juin 1976, la fameuse résolution du 9 mars 1977 était *déjà votée* dans l'esprit des commissaires de l'O.N.U. Aussi n'avait-il jamais été question d'offrir un véritable procès public à la question chilienne, et encore moins d'enquêter sur place ; il s'agissait seulement de voir jusqu'où on parviendrait à faire cautionner par les fonctionnaires chiliens un verdict forgé de toutes pièces sous la pression des ennemis de leur régime dans le monde entier.)
\*\*\*
Réponse du ministre des Affaires Étrangères chilien, en date du 2 juillet 1976. Les points numéro 3 et 4 doivent être compris dans le contexte politique général de l'Amérique latine, où le Chili du général Pinochet n'a pas d'ennemi plus déclaré que le gouvernement mexicain, exception faite de celui de Cuba. Vouloir réunir à Mexico une commission d'enquête sur la situation des « droits de l'homme » au Chili, c'est comme si l'on allait juger l'État d'Israël dans la capitale de l'Égypte, ou la Corée du Sud chez les nouveaux maîtres de Phnom-Penh.
2 juillet 1976.
A Monsieur l'Ambassadeur Leopoldo Benitez,
Président de la Commission des Droits de l'homme aux Nations Unies.
72:215
Monsieur le Président,
En ce qui concerne la note adressée à mon gouvernement par Monsieur G. Allana, président du groupe de travail *ad-hoc,* reçue au cours du mois de juin, et dont le but était de connaître la situation actuelle des droits de l'homme au Chili, j'ai l'honneur de faire remarquer à V.E. ce qui suit :
1\. Les dates du 26 et 27 juillet, suggérées par le président du groupe de travail pour la réunion sollicitée par les délégués du gouvernement chilien, nous semblent tardives, du fait que ce groupe doit élaborer un rapport destiné à être soumis à l'Assemblée Générale des Nations Unies au mois de septembre. -- A quoi s'ajoute le fait que le dit rapport doit être connu du gouvernement du Chili avec une anticipation raisonnable, afin de permettre, du moins, que ses observations soient formulées à l'Assemblée Générale. -- Le point de vue de mon gouvernement se trouve confirmé par le fait que le groupe de travail lui-même, dans la note où il demande une information générale sur les droits humains, nous fait savoir que cette information doit lui parvenir, au plus tard, le 5 juillet et que des informations complémentaires peuvent être fournies jusqu'au 5 août, dernière date à laquelle elles pourraient être prises en considération par le groupe de travail en raison de son mandat d'informer l'Assemblée Générale.
2\. Mon gouvernement s'étonne de ce que le groupe de travail s'informe de notre désir d'inclure dans l'ordre du jour quelques points spécifiques et nous demande de les lui communiquer à l'avance. Comme vous le savez, par votre participation personnelle aux conversations du mois de mai et par la lettre que de Washington, immédiatement après la fin des négociations à New York, vous a envoyée notre délégué, Monsieur l'Ambassadeur Sergio Diez, ces points sont suffisamment connus par le groupe. Ce n'est qu'après la solution des problèmes pendants que la pleine collaboration du gouvernement du Chili pourra être assurée.
73:215
3\. Le gouvernement du Chili trouve hautement insatisfaisant que le groupe de travail ait déterminé de se réunir pendant dix jours au Mexique, réservant seulement deux jours pour se réunir ensuite avec les délégués du gouvernement. Cette décision, quel que soit le résultat des conversations de fin juillet, rend impossible, faute de temps, la collaboration effective du Chili, motif pour lequel la réunion à la date proposée nous paraît peu opportune.
4\. Il ne peut échapper à l'attention de V.E. que le fait de choisir le Mexique comme lieu de réunion ne constitue pas une réponse adéquate à l'attitude de collaboration que mon gouvernement est disposé à offrir ; votre gouvernement ([^15]), en effet, non seulement n'entretient pas de relations avec le gouvernement du Chili, mais refuse encore ou retarde leurs visas aux représentants officiels chiliens pour les réunions internationales qui se tiennent sur son territoire. -- Le choix de l'endroit est d'autant plus surprenant si l'on se souvient que, au cours de la réunion de l'Organisation des États Américains à Santiago du Chili, le Mexique fut l'unique absent au rendez-vous des ministres des Affaires Étrangères des pays américains. Pour justifier son absence, ce pays invoqua des considérations d'hostilité à l'égard du Chili. L'attitude du groupe de travail ne répond pas à l'objectivité que nous attendions de lui, car il existe une vingtaine de pays américains où peuvent se rendre non seulement des représentants du gouvernement chilien, mais aussi des délégués d'institutions ou des personnes physiques qui voudraient faire des déclarations et présenter des témoignages au groupe de travail.
5\. Nous sollicitons une fois de plus que V.E., au moment de faire valoir nos points de vue auprès du groupe de travail, attache une particulière importance à la modification des accords qu'il a pris, à l'annulation de sa décision de se réunir au Mexique, à l'anticipation de la date qu'il a proposée pour se réunir avec nos délégués et à l'acceptation des formules de rapprochement et de collaboration contenues dans notre lettre du 12 avril 1976.
74:215
Dans l'attente d'une réponse encourageante, je prie Votre Excellence d'agréer mes salutations distinguées.
PATRICIO CARVAJAL PRADO\
Ministre des Affaires Étrangères du Chili.
\*\*\*
Comme on devait s'y attendre, la protestation du ministre chilien des Affaires Étrangères auprès du président de la commission des « droits de l'homme » à l'O.N.U. restera lettre morte. Son destinataire n'a même pas la courtoisie purement formelle d'en accuser réception : il transmet au grand inquisiteur chargé « d'instruire » le dossier, M. Ali Allana, qui attend lui-même pour répondre le 31 juillet 1976, *retour de Mexico !* Et il faut voir en quels termes... (il y en a six pages, atrocement jubilantes, dont nous ne présentons ici que l'essentiel)
« *Excellence *»*,*
1°) Toute la correspondance concernant le Chili doit être adressée directement au « *groupe de travail *» que j'ai l'avantage de présider aux Nations Unies.
2°) Les dates des 26 et 27 juillet prévues pour la réunion d'information bipartite n'ont pu être modifiées parce qu'elles étaient « *les plus satisfaisantes pour le groupe *»*...* A ce propos, « *le groupe désire signaler que ses activités dans le cadre des Nations Unies ne sauraient être conditionnées par les-nécessités d'organisations régionales* (*sic*) *qui fonctionnent indépendamment de cette organisation *»*.*
75:215
3°) En ce qui concerne l'accès aux dossiers de l'accusation, l'O.N.U. « *attend toujours *» (*?*) du gouvernement chilien « *des garanties sur la sécurité des personnes qui comparaîtraient* (devant la commission bipartite) *en qualité de témoins *» (*...*) « *Le groupe ne saurait non plus souscrire à des limitations dans les méthodes de recherche généralement acceptées* ([^16])
*comme applicables dans les investigations conduites par les organismes internationaux.* »
4°) Enfin, le groupe n'avait « *aucun motif *» pour suspendre les audiences prévues à Mexico, étant donné « *l'importance des témoignages écrits et oraux *» qui devaient être et qui furent effectivement réunis dans ce pays. Et d'ailleurs, la décision de se réunir au Mexique « *avait été adoptée après une étude minutieuse de plusieurs possibilités *»*.*
« *Recevez, Excellence, l'assurance de ma parfaite considération. *»
Vraiment, on n'est pas plus objectif, démocratique et coopérant que cet Ali Allana.
\*\*\*
Réponse de M. Patricio Carvajal Prado, ministre des Affaires Etrangères du Chili, au président du groupe de travail *ad hoc* de la commission des « droits de l'homme » à Genève, le 19 août 1976 :
a\) Le gouvernement du Chili n'a jamais prétendu imposer au travail du groupe des limitations qui ne seraient pas internationalement reconnues dans les documents souscrits par lui-même, dans les pratiques internationales et dans la doctrine universellement acceptée. Tout au contraire, le Chili a seulement aspiré à ce que, face à sa libre décision de collaborer avec les organismes internationaux, ceux-ci lui reconnaissent ses droits inaliénables, la dignité émanant de sa condition d'État souverain, et que lui soient assurées l'objectivité et l'impartialité des mesures prises par ces mêmes organismes. A ces fins, il a demandé à participer à l'élaboration des normes de procédure qui, avec son accord, pourraient rendre possible l'accomplissement de la mission confiée au groupe de travail.
76:215
b\) Vous vous souviendrez certainement que, dès mai 1975, les délégués du gouvernement du Chili demandèrent à être écoutés au sujet de la rédaction des normes de la procédure d'enquête du groupe, en raison de sa condition d'État souverain et aux fins de chercher un accord entre la juridiction nationale et la juridiction internationale qui concourent dans l'analyse des droits de l'homme dans un pays déterminé. Nous réaffirmons qu'aucun texte, qu'aucune pratique internationale, qu'aucun auteur de traité n'a exclu la participation des États souverains dans l'analyse du respect des droits de l'homme sur leur territoire ; aussi mon gouvernement insiste-t-il une fois de plus auprès des représentants de la Communauté internationale sur le fait que la collaboration d'un État souverain exige comme condition préalable et indispensable qu'il prenne part à l'établissement des normes de procédure élémentaires, pétition que tout autre gouvernement aurait formulée dans une situation analogue.
c\) Je me trouve également dans l'obligation de signaler à V.E. que, comme il a été dit en de multiples occasions, mon gouvernement ne prétend pas, et n'a pas davantage prétendu, que le groupe de travail lui communique l'identité des témoins qui comparaissent devant lui, de sorte qu'il peut difficilement être en mesure de requérir que le gouvernement lui offre des garanties relatives à la sécurité de ces personnes. Le Chili exige, cependant, que lui soient communiqués les cas concrets de présumées violations des droits de l'homme, ainsi que les détails qui permettraient de prendre connaissance de chaque situation spécifique précise ; c'est là en effet l'unique façon pour mon gouvernement de démentir une imputation ou de corriger une situation au cas où elle s'avérerait exacte.
77:215
Le dialogue ouvert par le gouvernement du Chili avec ces enquêteurs aveugles et sourds de la commission de Genève devait prendre fin quelques jours plus tard, en impasse, par une dernière tentative du ministre Carvajal Prado pour faire procéder par l'O.N.U. à la « *vérification sur le terrain du degré de véridicité des plaintes déposées contre les autorités et les fonctionnaires chiliens *». (Lettre du 26 août 1976 au président du groupe de travail *ad hoc,* restée sans réponse d'après notre dossier.)
\*\*\*
Pour savoir ce qui s'est passé entre le moment où s'achève notre échange de lettres et le vote du 9 mars 1977 à l'O.N.U., nous avons consulté les rares documents accessibles, à Genève ou Paris, et requis le témoignage de diplomates chiliens. Cette enquête fait ressortir qu'il n'y a rien de décisif à ajouter au dossier présenté dans notre article, sinon pour aggraver encore le cas des commissaires de l'O.N.U.
Le gouvernement du Chili en effet n'a *jamais* pu obtenir communication, selon sa requête du 26 mai 1976 réitérée par écrit le 19, août (et oralement jusqu'en janvier 1977), des accusations concrètes de « *violation des droits de l'homme *» réunies par l'O.N.U. : tout à fait comme si le procureur d'une cour d'assises venait vous accuser de meurtre, en alléguant la sécurité des personnes pour garder top-secret l'identité de la victime ; qui pourrait faire la preuve, dans ces conditions, qu'il n'est pas l'assassin ? Aujourd'hui encore, le président de la commission *ad hoc* maintient son refus d'ouvrir le dossier de l'enquête (?) aux mandataires chiliens, et continue de feindre en public qu'on aurait exigé de lui non des cas concrets, mais l'identité même des témoins ([^17]).
78:215
Au regard du droit, l'accusation internationale portée contre le Chili se limite donc officiellement aux généralités juridiques consignées par M. Ali Allana dans sa lettre du 4 juin 1976 : document reproduit en annexe avec les réponses du gouvernement chilien.
La réunion qui s'est tenue au Mexique en juillet 1976 illustre clairement cette obsession permanente de l'O.N.U. de tenir l'État chilien à l'écart du procès lui-même et de son instruction. Les représentants de Santiago exigeaient, c'est bien le moins, une conférence de travail qui aurait permis d'échanger et de contrôler avec la commission d'enquête un certain nombre d'informations avant le vote du 9 mars 1977. Les délégués de Genève répondent en transportant les assises de leur tribunal sur le territoire d'un pays ouvertement hostile, pour y réunir en l'absence du Chili des « *témoignages écrits et oraux d'une extrême importance *»*,* dont il est exclu d'avance de dévoiler le contenu au principal intéressé. -- De quel côté la « démocratie », et dans quel camp le totalitarisme, s'il vous plait... ?
Enfin, malgré les ouvertures répétées du gouvernement chilien, aucune délégation de l'O.N.U. n'a trouvé possible de se rendre sur place pour vérifier auprès des victimes présumées l'une ou l'autre des informations recueillies en territoire étranger. On alléguait tantôt quelque empêchement de date, tantôt l'insuffisance numérique des commissaires invités, ou encore que le protocole de cette visite et les méthodes de l'enquête elle-même n'avaient pu être étudiés par l'O.N.U. avec tout le soin requis. Jusqu'au mois d'août 1976, chaque proposition des diplomates chiliens se heurte ainsi à une contre-proposition immédiate des commissaires internationaux, comme pour ajouter encore à l'insulte (et surtout, gagner du temps).
79:215
Durant les dernières semaines de cette invraisemblable négociation, le général Pinochet va jusqu'à dépêcher à Genève deux envoyés spéciaux pour inviter expressément de sa part le président de la commission *ad* hoc à venir le rejoindre séance tenante au Chili. En vain : M. Ali Allana, dont le lecteur a pu apprécier l'exquise courtoisie, fait valoir le caractère « indélicat » d'une telle proposition à l'égard des autres membres de son « groupe ». On lui suggère alors d'en désigner lui-même deux représentants, afin de ne pas laisser sans réponse l'ultime offre du chef d'État chilien. Nouveau refus, assorti pour la frime d'une nouvelle contre-proposition...
C'est ainsi que le 26 août 1976, un télégramme du gouvernement chilien met fin en langage diplomatique à l'odieuse comédie. Le Chili, État libre et souverain, n'ira plus désormais s'humilier devant une parodie de Justice qui ne veut connaître que les mensonges de la propagande ennemie.
\*\*\*
Fin mars, après la publication de l'incroyable « verdict », le Chili retirait de Genève sa délégation auprès des Nations-Unies. Un État à ce point bafoué dans ses droits, sa vérité et sa dignité nationale pouvait difficilement faire moins. On se prend tout de même à rêver qu'il aurait pu faire davantage, en révoquant jusque dans son principe toute participation contractuelle du Chili au mensonge des chartes et conventions internationales... Voyez les pays communistes, socialistes, ou en voie de socialisation. Les commissions pour la sauvegarde des « droits de l'homme » ne leur intentent jamais de procès, c'est entendu, puisqu'il n'y a personne dans leur cas pour entériner une condamnation.
80:215
Mais le voudraient-elles un jour qu'elles ne le pourraient pas : la plupart de ces régimes en effet, sincères au moins en cela, n'ont signé aucun accord international pour le respect des « droits de l'homme » sur leurs propres territoires. Même les gouvernements socialistes « à-visage-humain » n'envisagent pas aujourd'hui de pousser l'humanité jusque là
Considérez seulement le cas du Portugal. Voici trois ans que des milliers, des millions de petites gens y sont vendus, spoliés, ruinés par le régime en place : les Portugais de l'extérieur en vertu et au profit d'une « décolonisation » pro-soviétique, ceux de l'intérieur par les méfaits du plan, de la réforme agraire et des nationalisations. Un certain « Mouvement pour la défense des droits des petits et moyens actionnaires des entreprises nationalisées » a voulu récemment faire entendre leur voix auprès de la *Commission européenne des Droits de l'Homme* au Conseil de l'Europe (Strasbourg). Le grand hebdomadaire de Lisbonne, *A Rua,* publie dans son numéro 58 du 12 mai 1977 l'instructive réponse du commissaire européen :
COMMISSION EUROPÉENNE
DES DROITS DE L'HOMME
CONSEIL DE L'EUROPE
Strasbourg
HR. GP/dl
Strasbourg, le 25 avril 1977.
Messieurs,
En réponse à votre lettre du 19 avril 1977 j'ai l'honneur de vous informer que la Commission européenne des Droits de l'Homme n'a pas qualité pour s'occuper de votre cas.
81:215
Pour que ladite Commission puisse examiner une requête émanant d'une personne physique, d'une organisation non gouvernementale ou d'un groupe de particuliers, il faut en effet que l'État visé par cette requête :
1\) ait ratifié la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
2\) ait, en outre, déclaré accepter la compétence de la Commission en matière de recours individuels (article 25 de la Convention), acceptation qui revêt un caractère purement facultatif.
Or, l'État dont vous vous plaignez, le Portugal, ne remplit actuellement aucune de ces conditions. Si elles venaient à se réaliser à son égard, je ne manquerai pas de vous en aviser.
Veuillez agréer, Messieurs, l'assurance de ma considération distinguée.
Pour le Secrétaire de la Commission\
européenne des Droits de l'Homme,\
G. PALMIERI.
*Movimento para defensa*
*dos direitos dos pequenos e*
*médios accionistas das*
*Empresas Nacionalizadas*
Av. Estados Unidos da América, 41-G
P -- LISBONNE 5
Sans traité, point de droits ; sans droits point d'enquête ni scandale, et nul risque de condamnation... N'est-ce pas mieux ainsi ?
\*\*\*
82:215
Revenons sur terre. L'insurrection nationale contre l'implantation du communisme au Chili en septembre 1973 ne s'est pas faite, elle ne pouvait pas se faire dans un tourbillon d'angélisme et de pure persuasion psychologique. Mais, comme Jean-Marc Dufour l'a montré ici même, elle ne s'est pas faite non plus dans un bain de terreur et de sang. Le Chili du général Pinochet aura connu proportionnellement beaucoup moins de brutalité policière, d'emprisonnements et d'exécutions politiques que la France du général de Gaulle au lendemain de la dernière guerre.
Si l'on préfère cette autre comparaison, toujours en valeur relative, il a dû se trouver à peu près autant de monde dans les camps de prisonniers politiques chiliens entre 1973 et 1976 ([^18]) que le gouvernement de notre V^e^ République en dirigeait pour sa part, de 1960 à 1965, sur les divisions politiques de Fresnes ou de la Santé ; et en chiffres absolus, le régime du général Pinochet aura embastillé nettement moins, plutôt moins longtemps, avec ensuite des lois d'amnisties plus rapides et complètes, que la Justice du général de Gaulle au cours de ses derniers mandats. Le Chili était donc condamnable, à la rigueur, au même titre exactement que cette République française des années soixante, ses tribunaux d'exception, ses polices parallèles, son Président.
Telle est la situation que les délégués de l'O.N.U. ont exclu d'aller vérifier ou contester sur place avant le verdict du 9 mars dernier. On comprend pourquoi : la France figure au nombre des puissances instigatrices de la condamnation sauvage du Chili. Une enquête trop précise eut manqué de courtoisie à son égard. Qui sait ? elle aurait peut-être permis au gouvernement chilien de saisir la commission *ad hoc* des Nations-Unies d'une plainte en violation des droits de l'homme contre la France, sans parler des autres pays.
Hugues Kéraly.
83:215
*Post-scriptum. --* Hortensia Bussi de Allende, veuve du président renversé le 11 septembre 1973 à Santiago, parcourt la France avec une poignée d'opposants au régime chilien. Elle y réclame à grands cris la tête du général Pinochet, la rupture immédiate des relations diplomatiques entre la France et le Chili, et l'engagement inconditionnel de notre pays aux côtés des socialistes ou communistes chiliens réfugiés en Europe. François Mitterrand l'a reçue à Nancy le 5 mai 1977, Georges Marchais au comité central du P.C. le 23, Robert Fabre au siège des Radicaux de Gauche et Valéry Giscard d'Estaing à l'Élysée le 26 du même mois, avec des égards réservés selon le protocole aux Chefs d'États : juste avant les ambassadeurs de Tanzanie, de Thaïlande et du Yémen, qui lui présentaient ce jour-là leurs lettres de créance. Mme Allende avait demandé à être entendue par le président de la République pour « *remercier la France, en sa personne, du généreux soutien accordé aux révolutionnaires exilés du Chili, de son attitude à Genève lors du vote des Nations Unies contre la junte militaire au pouvoir, et attirer son attention sur le problème des disparus *» (interview exclusive à T.F. 1, mercredi 25 mai, journal de 20 heures). -- On se souvient que lorsque Andrei Amalrik, à la fin du mois de février, avait lui-même demandé audience à Giscard pour l'intéresser au sort des opposants d'Union soviétique, la réaction de l'Élysée fut notoirement différente ; et toute la presse de s'exclamer que les prétentions de ce petit *zek* échappé du Goulag étaient rien de moins qu'exorbitantes !
Amalrik embarqué au commissariat le plus proche, Mme Allende reçue en grande pompe au nez du corps diplomatique..., nous voilà prévenus qu'au moins du côté des alliances et de la politique étrangère, l'association Mitterrand-Giscard ne risque pas de remettre grand'chose en question dans les affaires de la France.
H. K.
84:215
Triple mensonge sur la deux
Lundi 2 juin 1977, dans son journal de vingt heures, la deuxième chaîne de télévision française a diffusé un reportage d'une douzaine de minutes destiné à entretenir le mythe du « Goulag »... chilien.
Sans entrer dans l'alchimie des choix, silences, coupures, questions, traductions, angles de vues et commentaires fignolés au montage pour les besoins de la démonstration, signalons simplement que le présentateur du film réussissait l'exploit d'y introduire trois mensonges supplémentaires dans les premières secondes de l'émission : 1°) *ce reportage avait été réalisé.* « *clandestinement bien sûr *»*, au Chili,* « *avec tous les risques que cela comporte *»* ;* 2°) *l'ambassadeur du Chili en France, invité à venir donner son avis sur le film, refusait de se déranger ;* 3°) *Antenne 2 n'avait pu obtenir de la* « *Junte *» *chilienne l'autorisation de procéder à des prises de vues.*
L'affabulation rétrospective du tournage « clandestin » est une énormité. Renseignez-vous auprès de n'importe quelle agence de voyage : chacun d'entre nous peut s'envoler quand il veut, bardé de magnétophones et de caméras, en direction du Chili ; il n'y a même pas de visa à solliciter. Les enquêteurs et journalistes français opèrent donc régulièrement, librement, sur tout le territoire du pays.
Renseignement pris, M. Leonidas Irarrazaval, ambassadeur du Chili en France, n'a jamais refusé de répondre sur l'antenne aux accusations du film. Il désirait seulement *voir* ce reportage quelques heures à l'avance de manière à préparer son intervention, comme on demande à prendre connaissance d'un texte avant de formuler ses remarques à l'auteur. Antenne 2 s'est arrangé pour rendre impossible ce simple préalable, et dénoncer ensuite à son public comme un aveu d'impuissance le forfait du diplomate chilien !
Enfin, le 2 juin 1977, le service des relations avec la presse de l'ambassade du Chili n'avait opposé à M. Jean-Pierre Elkabbach, directeur des informations sur la deuxième chaîne, ni au moindre de ses innombrables collaborateurs, aucun refus d'autorisation de tournage.
85:215
Par contre depuis cette date, Elkabbach, tout en écartant d'un geste le droit de réponse des représentants chiliens, aurait formulé le projet d'aller interviewer lui-même à Santiago le général Pinochet.
Celui-ci a maintenant de solides raisons pour flairer le piège, et décliner la proposition.
H. K.
ERRATUM. -- Dans notre article consacré au dernier congrès de Lausanne (numéro 214 de juin 1977), sur la foi d'une information erronée, nous présentions le Dr Julio RETAMAL FAVEREAU, universitaire chilien, aujourd'hui attaché culturel de l'ambassade du Chili en France, comme « *ancien prisonnier politique du régime de Salvador Allende *» (page 44 du numéro). Le Dr RETAMAL FAVEREAU nous signale qu'il n'a fait l'objet d'aucune mesure de détention politique proprement dite sous le gouvernement de M. Allende.
« Je crains, écrit-il avec humour, que votre description de ma personne ne soit pas exacte. Le fait d'avoir participé, comme la quasi totalité du peuple chilien, à des activités politiques anti-allendistes, et d'avoir pris une part active à certaines manifestations qui culminaient en affrontements avec la police, éventuellement suivies d'interpellations et d'interrogatoires prolongés, ne donne pas la qualité de prisonnier politique... Je ne voudrais pas qu'on pense que j'essaie de me faire passer en France pour un martyr ou un héros. »
Nous rectifions volontiers cette erreur, et toutes les autres de même nature qu'on voudrait bien nous signaler.
H. K.
Annexe
Les huit chefs d'accusation dévoilés par l'O.N.U., et les principaux points de réponse du gouvernement chilien.
(*Extraits d'une note numéro 1.102 de la délégation du Chili à Genève, en date du 25 août 1976.*)
86:215
La délégation permanente du Chili auprès du bureau des Nations Unies et des organismes internationaux siégeant à Genève présente ses salutations à Monsieur Ghulam Ali Allana, Président du groupe de travail *ad-hoc* de la Commission des Droits de l'homme des Nations Unies, et a l'honneur de répondre à la lettre qu'il adressait le 4 juin 1976 au gouvernement du Chili.
Dans le but de faciliter la compréhension de cette note, il sera répondu à chacun des points qui ont été évoqués, en reprenant les termes mêmes de la lettre mentionnée ci-dessus.
A\) *L'état de Siège ou d'alerte ne doit pas être utilisé dans le but de violer les droits humains et les libertés fondamentales* (*Art. 4 du Pacte International des droits civils et politiques*)*.*
La disposition mentionnée ci-dessus permet de suspendre la jouissance des droits civiques et politiques dans des situations exceptionnelles qui mettent en danger la vie de la nation ; en ce cas, les restrictions doivent se limiter aux exigences de la situation, ne pas être discriminatoires, ni porter atteinte aux dispositions du Pacte se rapportant à la garantie du droit à la vie, à la prohibition de tortures et autres traitements cruels, inhumains et dégradants, à la prohibition de l'esclavage et du servage, à l'emprisonnement pour dettes, à la non-rétroactivité de la loi pénale, à l'application du principe « pro reo » et à la reconnaissance de la liberté de pensée, de conscience et de religion.
La définition des situations mettant en danger la vie d'une nation est du ressort exclusif de son gouvernement. Nonobstant, mon gouvernement a fait savoir à plusieurs reprises les raisons qui l'on conduit à adopter diverses restrictions autorisées par l'Art. 4. (...)
Il convient de signaler que, durant l'état de Siège, les garanties constitutionnelles prévues dans la Charte Fondamentale ont conservé toute leur vigueur, à la seule exception des points portant sur les facultés concédées au pouvoir exécutif, les dites facultés, par ailleurs, ne limitant les libertés individuelles que dans une certaine mesure, si l'on considère les circonstances très graves qui doivent en justifier l'implantation.
87:215
En effet, comme on l'a déjà vu, ces facultés n'octroient au président de la République que des pouvoirs très spécifiques et les mesures qu'elles autorisent s'appliquent exclusivement pendant la durée du régime d'exception.
Mais, plus encore, le gouvernement a eu particulièrement soin de codifier l'exercice de ces attributions de telle façon qu'il offre aux personnes affectées les plus amples assurances, compte tenu des restrictions qui y sont inhérentes, sur la jouissance de leurs garanties individuelles.
A ces fins, au plan de la législation, ont été dictés le décret-loi n° 1.009, de 1975, et les décrets suprêmes n, 187 et 146, de 1976, des ministères de la Justice et de l'Intérieur respectivement, qui établissent des normes diverses destinées à protéger les droits des détenus en conséquence de l'état de Siège. Nous aurons l'occasion d'analyser ces normes dans le détail, aux points b) et c) de la présente note (...)
Ce qui permet d'apprécier que les régimes d'exception appliqués par le gouvernement sont ceux prévus par notre système juridique pour des situations comme celles qui se sont produites dans le pays ; qu'autant l'état de Siège que celui d'alerte se fondent sur des dispositions expresses de notre Constitution Politique, en vigueur depuis un demi-siècle, lesquelles dispositions précisent les cas où s'en justifie l'application et les effets qui en découlent ; que, dans le cas spécifique de l'état d'alerte, ont été appliquées, de plus, les normes qu'établit sur la matière la loi n° 12.927, sur la Sécurité de l'État, déjà citée, qui date de 1958 ; que, en tout cas, ces deux régimes permettent seulement de restreindre ou de modifier certains droits individuels, sans qu'il soit touché aux autres garanties constitutionnelles, et que, en fait, les autorités nationales les ont appliqués avec modération, en ont atténué lentement mais progressivement la rigueur, ce qui a favorisé le processus de normalisation correspondant. (...)
B\) *Adoption de mesures adéquates afin que soit mis fin à* *la pratique* « *institutionnalisée *» *de la torture et autres formes de traitement ou châtiment cruels, inhumains ou dégradants, en application de l'article 7 du Pacte des Droits Civils et Politiques.*
88:215
A ce propos, le gouvernement du Chili se doit de manifester, une fois de plus, son total désaccord sur les termes utilisés dans la résolution ; en effet, dans chaque appel formulé aux autorités nationales pour qu'il soit mis fin à une situation déterminée, est commise, automatiquement, l'inadmissible légèreté de présupposer implicitement, sans fondement aucun et en dépit de la vérité, l'existence de cette situation dans notre pays
Dans le cas du Chili, ce préjugé est spécialement grave et injuste, car notre législation non seulement s'en tient rigoureusement à ce qui est établi en la matière par le Pacte des Droits Civils et Politiques, mais contient encore de nombreuses dispositions qui ont pour objet, précisément, de prévenir des faits comme ceux qui indirectement lui sont imputés (...)
Notre Constitution politique, en effet, dans le contexte d'un ensemble de normes qui accordent les plus amples garanties aux détenus et aux inculpés, établit expressément dans la partie initiale du second paragraphe de son article 18 que « la torture ne pourra pas être appliquée ».
Cet impératif constitutionnel est complété par diverses normes légales et réglementaires qui ont pour finalité de garantir son accomplissement.
Ainsi, par exemple, le paragraphe final de l'article 18 du décret-loi N° 1.009, du 8 mai 1975, signale la sanction spécifique qui frappe ceux qui contreviennent à ladite norme, en établissant que « l'application de contraintes illégitimes aux détenus sera punie en fonction de l'article 150 du Code pénal, ou 330 du Code de la Justice Militaire, suivant le cas ».
Ces dispositions, à leur tour, signalent la sanction qui frappe, entre autres, ceux qui respectivement « appliqueraient des tortures » à un inculpé ou « useraient à son égard d'une rigueur innécessaire », et le « militaire qui, sous prétexte d'exécuter un ordre supérieur ou dans l'exercice de fonctions militaires, emploierait ou ferait employer, sans raison, des violences non nécessaires à l'exécution des actes qu'il doit accomplir ».
Finalement, il y a lieu de faire remarquer que le décret suprême N° 187, du 30 janvier 1976, du ministère de la Justice, complété par le décret suprême N° 146, du 25 février 1976, du ministère de l'Intérieur, établit diverses normes destinées à garantir les droits des détenus en vertu de l'état de Siège ; ces normes, dans la question qui nous occupe, établissent ce qui suit :
89:215
a\) Les personnes détenues devront être conduites et devront demeurer dans un des trois établissements prévus à cet effet par le décret 146, déjà cité.
b\) Le Service National de la Santé et le Service de Médecine Légale destineront à ces établissements des médecins, qui seront chargés d'examiner de façon permanente les détenus ;
c\) Tout détenu sera examiné par un de ces médecins avant son admission dans l'un de ces établissements. Un examen analogue sera pratiqué au cours de sa permanence et au moment de la sortie ;
d\) Ces médecins établiront, dans chaque cas, un rapport écrit portant sur l'état de santé de la personne examinée, et qui sera remis immédiatement au ministère de la Justice ;
e\) S'il apparaît dans lesdits rapports que le détenu a été l'objet de mauvais traitements ou de contraintes illégitimes, le ministère de la Justice soumettra le cas à l'autorité administrative, institutionnelle ou judiciaire correspondante ;
f\) Le Président de la Cour Suprême et le Ministre de la Justice auront la faculté de se rendre, sans avis préalable, dans n'importe lesquels des lieux de détention, de les inspecter et -- ce qui concerne le point qui nous intéresse -- d' « ordonner l'examen médical immédiat du détenu qui, au cours de la visite d'inspection, manifesterait avoir été l'objet de mauvais traitements ou de contraintes illégitimes durant sa permanence dans le lieu inspecté ».
Il convient de souligner que, depuis que cette norme est en vigueur, en de nombreuses occasions les autorités signalées précédemment ont inspecté les divers établissements de détention, inclusivement la nuit, sans avis préalable, et n'y ont pas constaté d'irrégularités, ainsi qu'en témoignent les déclarations formulées à la fin de ces visites.
g\) Il y est finalement établi que les autorités concernées, dans les cas se rapportant à ce qui est indiqué aux paragraphes précédents e) et f), « ordonneront dans le délai de 48 heures l'instruction du procès correspondant, qui aura pour fondement la plainte déposée par le Président de la Cour Suprême, par le Ministre de la Justice ou par le fonctionnaire désigné par celui-ci, dans le but de découvrir les responsables et de leur appliquer les sanctions appropriées ».
90:215
Sur cette matière, il y a lieu de faire remarquer que, jusqu'au 31 mai 1976, la Justice Militaire aura intenté 153 procès pour divers abus de pouvoir, prononcé 41 condamnations et 62 non-lieux, 50 cas se trouvant en instance de sentence.
Les détenus sont, de plus, visités périodiquement par la CIRC, qui se fait accompagner de ses propres médecins et est autorisée à s'entretenir en privé avec les détenus, à quoi elle procède de façon suivie ; elle informe confidentiellement les autorités respectives du résultat de ses visites, coopérant ainsi au bon traitement auquel toute personne a droit.
Au cours de leur visite au Chili, à l'occasion de l'Assemblée Générale de l'Organisation des États Américains, des autorités et des membres de cette organisation ont visité également les établissements de détention, et ont formulé en dehors du Chili des déclarations publiques, qui corroborent ce que le gouvernement a constamment affirmé quant au bon traitement que reçoivent les détenus.
Comme il peut être apprécié, dans notre pays, la pratique des contraintes illégitimes n'a pas été instituée, comme la résolution paraît le présumer ; ces contraintes n'ont pas davantage été tolérées ; bien au contraire, il existe un ensemble sérieux, complet et cohérent de dispositions destinées à éviter qu'elles ne se produisent et à punir les coupables de n'importe quelle sorte d'abus
Le gouvernement du Chili saisit l'occasion pour réaffirmer sa volonté d'adopter, en accord avec les normes exposées, les mesures destinées, chaque fois que lui sera formulée une plainte concrète et fondée sur cette matière, à mener à fond une enquête sur les faits et, le cas échéant, à châtier les coupables.
C\) *Que soit garanti pleinement le droit de toute personne à la liberté et à la sécurité, en particulier de celles qui ont été détenues sans chefs d'accusation ou se trouvent en prison seulement pour des motifs politiques, en accord avec ce qui est prévu à l'article 9 du Pacte des Droits Civils et Politiques, de même que l'adoption de mesures tendant à éclaircir la situation des personnes disparues.*
91:215
(...) Dans la législation chilienne, c'est à la Charte Fondamentale qu'il revient de garantir les droits individuels dans son Chapitre III, intitulé "Garanties Constitutionnelles", dont plusieurs dispositions contiennent des normes destinées à protéger, précisément, la liberté et la sécurité personnelles.
Tel est le cas, spécifiquement, des articles 13 à 17 qui établissent ce qui suit :
Article 13. -- Personne ne peut être détenu sans l'ordre d'un fonctionnaire public expressément autorisé par la loi et après que cet ordre lui ait été légalement communiqué, à moins d'être surpris en flagrant délit et, dans ce cas, à seule fin d'être traduit devant le tribunal compétent.
Article 14. -- Personne ne peut être détenu, assujetti à un emprisonnement préventif ou emprisonné si ce n'est dans son propre domicile ou dans des établissements publics destinés à cet effet.
Les responsables des établissements pénitentiaires ne peuvent y recevoir personne en qualité de détenu, inculpé ou prisonnier sans que soit porté sur le registre d'écrou l'ordre correspondant, émanant d'une autorité légalement habilitée. Ils peuvent, néanmoins, recevoir dans l'enceinte de la prison, comme détenus, ceux qui y auraient été conduits afin de comparaître devant un juge compétent, mais avec l'obligation d'en informer celui-ci dans les vingt-quatre heures.
Article 15. -- Si l'autorité fait arrêter une personne, elle devra, dans les quarante huit heures suivantes, en informer le juge compétent et mettre le détenu à sa disposition. (...)
Article 16. -- Tout individu se trouvant détenu, inculpé ou emprisonné, dans les cas d'infraction aux dispositions des articles précédents, pourra recourir lui-même, ou par personne interposée, au tribunal correspondant afin de requérir l'application de la loi. Ce tribunal pourra ordonner que l'individu soit conduit en sa présence, cet ordre devant être strictement obéi par tous les responsables des prisons ou lieux de détention.
92:215
Ce tribunal, instruit par les antécédents, décrétera la liberté immédiate, veillera à ce que soient corrigés les manquements à la loi, ou mettra l'individu à la disposition du juge compétent ; il procédera en toute diligence et promptitude à la correction de ces défauts soit directement soit en transmettant la demande à qui de droit.
Article 17. -- Aucune mise au secret ne peut empêcher le fonctionnaire chargé d'une maison d'arrêt de visiter les personnes détenues, inculpées ou incarcérées qui s'y trouvent.
Ce fonctionnaire est tenu, si le prisonnier le demande, de transmettre au juge compétent la copie du décret d'arrestation ; ou de réclamer que ladite copie lui soit remise, ou encore d'établir lui-même un certificat de détention si, au moment de l'arrestation, cette formalité avait été omise.
Ces normes sont réitérées et complétées par de nombreuses dispositions légales et réglementaires qui régularisent dans le détail l'adéquate protection des droits, garantis dans les articles cités. (...)
En accord avec les dispositions précédemment citées, le titre V du livre II, partie 1 du Code de Procédure Pénale, indique la procédure à suivre en cas d'arrestation ou d'emprisonnement arbitraire, en établissant dans son article 306 que « tout individu contre lequel il existe un mandat d'arrêt ou d'emprisonnement procédant d'une autorité qui n'en aurait pas la faculté, ou émis en dehors des cas prévus par la loi, ou en infraction à n'importe laquelle des formalités déterminées dans ce Code, ou dépourvu de fondements ou d'antécédents qui le justifient, pourra, s'il n'a pas déduit les ressources légales, demander sa liberté immédiate ou la correction des défauts dénoncés ».
Cette requête peut être déposée auprès de la Cour d'Appel correspondante par l'intéressé lui-même, ou en son nom par n'importe quelle personne capable de comparaître en jugement, même dépourvue d'un mandat spécial, le Tribunal étant tenu de se prononcer dans les vingt-quatre heures.
93:215
Ainsi se trouve structuré un ensemble cohérent de règles qui garantissent, d'une façon générale, la liberté et la sécurité personnelle de tous les habitants de la République et, en particulier, de ceux qui se trouvent détenus pour l'un ou l'autre des motifs prévus par la Constitution.
Finalement, il convient de souligner que, pour ce qui concerne la liberté des personnes, a été créée, par le décret suprême N° 504 du 30 avril 1975, la commission spéciale de Commutation de Peines. Cette commission, au 30 juin 1976, avait examiné 1.236 requêtes, dont voici le résultat :
-- Requêtes approuvées : 1.044
-- Requêtes repoussées : 121
-- Requêtes passées à la commission ordinaire de consultation : 20
-- Requêtes classées (en attente) : 41
-- Requêtes en consultation : 10
Par conséquent, sur 1.236 demandes présentées à cette commission spéciale, 121 seulement ont été repoussées ; une fois de plus, ceci dément, de façon évidente les accusations sur la façon dont a procédé le gouvernement du Chili, vis-à-vis des personnes condamnées pour délits.
D\) *Personne ne sera déclaré coupable d'un délit pour un acte ou une omission qui n'avait pas de caractère délictueux selon la législation nationale ou internationale en vigueur au moment où il fut commis, en vertu de l'article 15 du Pacte International des Droits Civils et Politiques.*
(...) Le principe de la non-rétroactivité en matière pénale est établi par notre Charte Fondamentale dans le chapitre des "garanties constitutionnelles" qui établit, dans ses articles 11 et 12, que « personne ne peut être condamné sans être jugé légalement et en vertu d'une loi promulguée avant le fait sur lequel porte le jugement » et que « personne ne peut être jugé par des tribunaux spéciaux, mais par le Tribunal que lui assigne la loi, constitué antérieurement au délit ».
94:215
Ces instructions se trouvent corroborées par diverses dispositions légales, parmi lesquelles il convient de souligner l'article 18 du Code Pénal, qui dispose qu' « aucun délit ne sera frappé d'une autre peine que celle signalée par une loi promulguée avec antériorité à sa perpétration ».
Comme il peut être apprécié, le principe de non-rétroactivité en matière pénale est encore plus ample et plus complet que celui contenu dans l'article 15 du Pacte, déjà cité, car non seulement il établit que la configuration du fait délictueux et la peine qui lui est assignée doivent être prévues dans une loi antérieure au fait sur lequel s'exerce le jugement, mais que, de plus, il requiert que le tribunal chargé de juger un délit se trouve déjà constitué par cette loi.
De même, l'article 18 confirme la validité du principe "pro reo" (pro-accusé) en établissant que « si après le délit commis et avant que ne soit prononcée la sentence finale, était promulguée une autre loi qui exempterait tel fait de toute peine ou lui en appliquerait une moins rigoureuse, le jugement devra se conformer à ladite loi ».
(...)
E\) *Aucune Personne ne sera arbitrairement privée de sa nationalité* (*Art. 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme*)*.*
L'article 15 déjà mentionné, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme établit que « toute personne a droit à une nationalité » et que « personne ne sera privé de la sienne arbitrairement », « ni du droit de changer de nationalité ».
De son côté, l'article 6 de la Constitution politique de notre État codifie cette matière en établissant que « la nationalité chilienne se perd :
1\. -- Par nationalisation en pays étranger ;
2\. -- par annulation de la carte de naturalisation, dont il pourra être fait appel dans un délai de dix jours auprès de la Cour Suprême, qui fera fonction de jury ;
3\. -- pour services rendus, durant une guerre, aux ennemis du Chili ou à leurs alliés ;
4\. -- pour atteinte grave, portée de l'étranger, contre les intérêts essentiels de l'État durant les situations d'exception prévues à l'article 72, n° 17, de la Constitution politique » (...)
95:215
L'ensemble des normes exposées ci-dessus et, en particulier, le fait que le plus haut Tribunal de Justice de la République, fondement d'un pouvoir judiciaire indépendant et prestigieux ait été chargé d'accueillir le recours et de se prononcer en dernier ressort sur cette matière, constituent la meilleure garantie de ce qu'aucun Chilien ne sera privé arbitrairement de sa nationalité.
Les dispositions légales que nous venons d'évoquer ont été appliquées seulement à deux personnes, dont la seconde dispose encore du délai prévu pour présenter un recours auprès de la Cour Suprême.
F\) *Droit à la liberté d'association, incluant le droit de former des syndicats et de s'y affilier.* (*Article* *22 du Pacte International des Droits Civils et Politiques.*)
L'article 22 du Pacte International mentionné ci-dessus établit que « toute personne a le droit de s'associer librement à d'autres personnes, le droit de fonder des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts ».
Il établit, également, que « l'exercice de ce droit ne pourra être assujetti qu'aux restrictions légales rendues nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sécurité publique ou de l'ordre public, pour protéger la santé, la morale publique ou les droits et les libertés d'autrui ».
Finalement, cet article envisage quelques restrictions législatives épargnant les garanties prévues par la Convention de l'Organisation Internationale du Travail de 1948, relatives à la liberté syndicale, et à la protection du droit de former des syndicats.
A ce sujet, il doit être très nettement établi que le gouvernement du Chili, malgré la très grave situation d'alerte qu'il a dû affronter depuis septembre 1973, a gardé un respect absolu de l'exercice du droit d'association et de la liberté syndicale, avec les amendements et les limitations transitoires que la situation a rendues inévitables. (...)
96:215
Pour ce qui est de la garantie constitutionnelle, il peut être affirmé catégoriquement que, au Chili, la liberté d'association subsiste pleinement et que, plus encore, elle s'est trouvée renforcée de façon évidente, ce qui n'empêche pas que le gouvernement, dans l'usage des prérogatives que lui octroie la législation en vigueur, ait dissous la Centrale Unique des Travailleurs, organisation à caractère politique, présidée jusqu'en 1973 par un membre du Comité Central du Parti Communiste, qui était, en même temps, ministre du Travail et qui exerçait une véritable dictature syndicale.
Il est opportun de signaler que le gouvernement a reconnu dans toute son ampleur la précieuse collaboration apportée à la solution des divers problèmes nationaux par les organisations communautaires, les associations professionnelles et les autres institutions du même genre, estimant néanmoins que, bien que la situation du pays se trouve pratiquement normalisée, il n'était pas encore opportun d'autoriser sans le réglementer le renouvellement de leurs conseils de direction, motif pour lequel il a dicté le décret-loi N° 349, du 13 mars 1974, qui proroge le mandat des conseils de direction des organisations intermédiaires, c'est-à-dire, des associations de quartiers, centres de mères, groupements communautaires, associations professionnelles, coopératives, fondations, etc. (...)
Au cours du mois de septembre 1973, au moment d'assumer le gouvernement de la Nation, la Junte a assuré aux travailleurs que les avantages d'ordre autant économique que social obtenus jusque là seraient respectés dans leurs aspects substantiels ; cette promesse a été, les faits le démontrent, rigoureusement tenue, bien que la situation chaotique dans laquelle se trouvait le pays à cette époque ait déterminé l'impérieuse nécessité d'établir quelques aménagements d'importance, spécialement dans le domaine du travail. (...)
Entre septembre 1973 et avril 1976 ont été constitués un nombre approximatif de 640 nouveaux groupements syndicaux et six nouvelles fédérations. Le nombre total de syndicats constitués dans le pays en date du 1^er^ juillet 1976 est de 1-849 pour les syndicats industriels et 4-106 pour les syndicats professionnels. (...)
Une information complète à ce sujet peut se trouver dans les « observations du gouvernement du Chili au second rapport de la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme » que le gouvernement a fait parvenir au Secrétariat Général des Nations Unies (OEA-AG-667-76).
97:215
G\) *Que soit garanti le droit aux libertés intellectuelles, prévu à l'article 19 du Pacte International des Droits Civils et Politiques.*
L'article 19 du Pacte des Droits Civils et Politiques établit que « personne ne pourra être inquiété à cause de ses opinions » ; que « toute personne a droit à la liberté d'expression », et que ledit droit « comprend la liberté de chercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées de toute sorte » par n'importe quel moyen. Il ajoute, ensuite, que la loi peut restreindre l'exercice de ce droit dans l'objet d'assurer le respect des droits et la réputation d'autrui ou afin d'assurer la sécurité nationale ainsi que la morale, la santé et l'ordre public.
Notre Constitution Politique, de son côté, établit dans son article 10, § 3, « la liberté d'émettre, sans censure préalable, ses opinions, verbalement ou par écrit, à travers la presse, la radio, la télévision ou de toute autre façon, sans préjudice de la responsabilité vis-à-vis des délits et des abus qui se commettraient dans l'exercice de cette liberté, ainsi qu'il est déterminé par la loi ».
Les circonstances très particulières vécues par notre patrie ont rendu nécessaire la révision de certains aspects de cette liberté.
En effet le décret-loi n° 77 a décrété illicites et dissous les partis politiques qui fomentèrent cette guerre fratricide dans laquelle ils voulaient entraîner le pays, et attribue également un caractère délictueux à l'action de propagande, par la parole, les écrits ou par tout autre moyen, de la doctrine marxiste ou de n'importe quelle autre substantiellement liée a ses principes et à ses objectifs.
Ce faisant, le Chili a mis en vigueur une mesure de précaution consistant a attribuer un caractère de délit *volontaire* à toute action ayant pour but d'organiser, de susciter ou d'inciter à l'organisation des associations illicites signalées dans l'article 1^er^, ainsi qu'à *l'action de propagande* par la parole, les écrits ou tout autre moyen, de la doctrine marxiste ou d'une autre substantiellement liée à ses principes et à ses objectifs. (...)
98:215
Il convient aussi de faire remarquer que, depuis le 11 septembre 1973, le gouvernement n'a exercé qu'en sept occasions les attributions mentionnées précédemment (en une occasion à une revue et en six occasions à un même poste radio-émetteur), et qu'il n'a été sanctionné aucun journaliste pour abus de la liberté de presse, ce qui démontre l'existence de la liberté de presse et d'information qui sont une tradition dans notre pays. (...)
H\) *La liberté des détenus doit être décrétée et il ne doit pas être adopté de mesures ni être intenté de procès à leur encontre sur une base rétroactive.*
Nous avons déjà analysé dans d'autres parties de cette note la politique suivie par le gouvernement du Chili à l'égard des détenus et nous avons fait remarquer ce qui suit :
1\. -- Que le nombre de détenus pour des motifs relatifs à l'état de siège est de 422 au 30 juillet 1976 ; ([^19])
2\. -- que le nombre de grâces accordées à la même date est de 1.044, pour un total de 1-236 recours ;
3\. -- que le nombre de personnes condamnées par le Tribunal Militaire encore détenues est de 351 (sur 708 condamnations)...
Nous avons fait parvenir à l'O.N.U., les listes complètes de personnes qui ont recouvré leur liberté à la suite de dispositions du Président de la République durant les derniers mois de 1976.
En ce qui concerne la rétroactivité de la loi pénale, se référer aux observations formulées dans la lettre c) de la présente note.
99:215
### Le Brésil religieusement calomnié
*Réponse au P. Werenfried*
par Julio Fleichman
JE VIENS DE LIRE, dans l'édition française du bulletin du père Werenfried, *Aide à l'Église en détresse* de mars 1977, la présentation d'un projet « Ama » dont le but est de fournir gratuitement des véhicules automobiles aux évêques et aux prêtres qui travaillent en Amazonie.
Il est clair que cet exposé respire d'un bout à l'autre la bonne volonté et l'esprit de dévouement ; clair aussi que le père Werenfried brûle de voler au secours des pauvres de l'Amazonie, comme de tout le Brésil, et des autres pays. Mais pourquoi fallait-il donc associer à cette entreprise de charité tant d'affirmations contraires à la vérité, et tant d'autres qui auraient mérité sous la plume du père Werenfried beaucoup plus de pondération ?
100:215
Était-il absolument nécessaire, pour impressionner les catholiques français, et leur délier un peu la bourse, d'aller imaginer tout ce mauvais roman, absurde amalgame de demi-vérités, de sentimentalisme à fleur de peau, et de postulats plus que discutables en matière d'économie politique ? Le père Werenfried a peut-être pensé que sans ces arrangements, sa prose risquait de manquer « d'impact » auprès des lecteurs ; qu'il n'aurait pas obtenu d'eux l'envoi des fonds escomptés...
Si tel est bien le cas, le père Werenfried me permettra de lui faire remarquer qu'il eut mieux valu en obtenir moins d'argent, quitte même à renoncer à son projet en Amazonie, plutôt que de payer cette aide d'aussi graves manquements aux devoirs que nous impose à tous le respect de la vérité.
Pour s'en tenir aux arguments principaux du père Werenfried, livrés sous le titre de « *Contrastes honteux *»*,* voici ce qu'on peut lire à propos des Indiens :
« *Des tribus d'Indiens parcourent encore des régions très vastes et pratiquement inhabitées à la recherche de gibier et de plantes comestibles. Des colons blancs pénètrent chez eux. Ils chassent les Indiens et n'hésitent pas à tuer. La faim, la maladie et la peur réduisent ces pauvres primitifs à un état lamentable. *»
Admirable tableau. Nous avons, c'est un fait, des Indiens au Brésil ; ils y constituent, aujourd'hui encore, des peuplades technologiquement arriérées, qui occupent certaines régions sauvages du pays, dont la carte atteste en effet l'étendue. Mais là s'arrête la vérité de la description.
101:215
Car ces tribus ne « parcourent » point de vastes territoires. Elles ne sont pas nomades, ni ne le furent jamais. Et les innombrables photographies d'Indiens brésiliens publiées dans nos journaux montrent des hommes parfaitement robustes et sains, qui sans doute ne vivent pas comme nous, mais trouvent dans les produits de la chasse et de la pêche une nourriture quotidienne visiblement suffisante. Il n'y a de *famine* chez les Indiens du Brésil qu'en cas de calamité naturelle violente et prolongée affectant les régions où ils habitent ; encore faut-il préciser que nos organismes gouvernementaux viennent alors les secourir, comme les sinistrés de n'importe quel autre groupe humain dans tous les pays civilisés. La *maladie* proprement dite ne les atteint, de l'avis des bons anthropologues, que lorsqu'ils commencent à entrer en contact avec les civilisés : elle épargne généralement ceux d'entre eux qui continuent à vivre dans leur habitat d'origine. Quant à la *peur,* le père Werenfried voudra bien m'excuser, il s'agit là d'une information toute gratuite qu'il doit tenir de n'importe qui, sauf des Indiens. Personne ne vit dans un climat de terreur au Brésil, et les Indiens moins que toute autre communauté.
Certes il arrive que les colons blancs pénètrent « *chez eux *»*.* C'est là un problème commun à tous les pays où l'on trouve des tribus de sauvages, un problème qui remonte à la découverte du Brésil en l'an 1500. Des disputes entre colons et Indiens au sujet des terres existent toujours, mais ce n'est pas une raison pour supposer toujours que le colon soit l'envahisseur et l'Indien l'envahi. Il est trop facile de faire de l'Indien le seul « maître de la terre », parce qu'il serait arrivé avant nous, d'Asie, sur le continent américain. Ces peuplades primitives, et souvent décadentes, n'ont pas à proprement parler le moindre droit sur les terres du point de vue *juridique* pour la simple raison qu'elles n'ont pas la moindre idée de ce qu'un tel droit implique et signifie.
102:215
C'est à nous, civilisés, bâtisseurs d'une nation, que revient tout le droit sur le territoire du pays que nous occupons. A nous aussi, cela oui, certainement, de regarder les Indiens comme des êtres humains, fils de Dieu, et, à ce titre, après nous être occupés *d'abord* de les convertir à la foi chrétienne, de les aider du point de vue de la civilisation, en cherchant à les intégrer dans notre communauté nationale, à leur apprendre à travailler comme nous, et se soumettre à tout ce qui fait de nous des citoyens.
Reconnaissons que, dans la mesure où ce but ne saurait être atteint du jour au lendemain, en raison des résistances profondes de la nature indienne, il revient au gouvernement d'un pays de protéger ses Indiens contre tous les abus possibles. Ce qui s'est fait, au Brésil, par trois séries de mesures : premièrement, en donnant aux Indiens le statut de mineur prévu par le Code Civil, qui les fait bénéficier comme nos enfants d'une protection juridique spéciale ; deuxièmement, en leur accordant des privilèges spécifiques comme les droits de récolte, de pêche et de chasse sur les territoires qu'ils occupent (droits que la nation brésilienne leur reconnaît librement, et non parce qu'ils les possèderaient déjà) ; enfin, en créant un service d'État spécialisé, le F.U.N.A.I., qui a pour mission de préparer l'intégration des Indiens dans la communauté nationale et, dans l'immédiat, de protéger leurs réserves. Le père Werenfried paraît ignorer qu'en règle générale, les conflits entre les Indiens et les fermiers ou exploitants n'éclatent pas à la suite d' « *invasions *»*,* mais de contestations sur *les limites* assignées aux réserves par le gouvernement. En cas d'invasion des « *blancs *»*,* chose de plus en plus rare aujourd'hui, la police armée du F.U.N.A.I. intervient aussitôt ; en cas de conflit sur les limites, c'est la Justice qui est saisie de l'affaire, comme dans n'importe quel pays civilisé.
103:215
Il est vrai que bien souvent, j'ai déjà eu l'occasion de le signaler dans ITINÉRAIRES, l'ensemble des mesures énoncées ci-dessus reflète surtout l'intention des dirigeants ; pour comprendre la difficulté de leur application, il faut considérer l'immense étendue des territoires habités par les Indiens : les gardes armés du F.U.N.A.I. ne suffisent pas à les contrôler tous, et de nombreux abus demeurent impunis, y compris chez les Indiens eux-mêmes. Tout cela, mon Dieu, c'est l'histoire même de l'humanité, qui porte en elle les conséquences du péché originel ; c'est le mal dont nous cherchons tous à nous corriger le plus complètement possible. Mais pourquoi rejeter la responsabilité de cet état de fait sur les membres du gouvernement brésilien ? Sur quoi pourrait-on bien se fonder pour accuser le gouvernement brésilien d'avoir sacrifié ses Indiens ? L'œuvre d'évangélisation et de civilisation que les Portugais entreprirent parmi les tribus indiennes, principalement avec l'aide des jésuites entre 1549 et 1741 ([^20]), prouve précisément le contraire. Cette œuvre fut marquée dès l'origine par un trait qui, aujourd'hui encore, au milieu de tant d'imperfections et de faiblesses, en dit long sur l'âme brésilienne : une certaine douceur, une certaine facilité dans l'accueil d'autrui, bref une disposition profonde à l'amitié, qui nous distingue des attitudes plus rigides, plus disciplinées et généralement plus dures qu'on observe parmi les autres puissances. C'est dans ce climat que nous vivons au Brésil, y compris à l'égard des Indiens ; dans ce climat qu'ont œuvré les missionnaires catholiques aussi bien que les agents de l'État, comme ce général Rondon, fondateur au début du siècle du Service de Protection des Indiens qui s'appelle aujourd'hui F.U.N.A.I. ...
104:215
C'est très récemment qu'une mentalité nouvelle s'est infiltrée parmi des « *missionnaires *» qui se disent encore catholiques, mais laissent de côté l'enseignement de la foi, la messe et le catéchisme pour se consacrer à l'anthropologie ; qui se disent préoccupés de sauver la « *culture indigène *»*,* mais ne savent plus rien de la culture occidentale européenne qui est aussi la nôtre, et ne voient pas qu'au Brésil comme en Europe, selon l'expression de Soljénitsyne, « les derniers petits signes de culture chrétienne » sont en train de disparaître l'un après l'autre. Ces clercs prétendument catholiques introduisent dans leurs déclarations quotidiennes une dialectique de « lutte de classes » qui n'avait jamais existé jusqu'ici dans nos relations avec les Indiens. Aujourd'hui, à les en croire, c'est nous qui serions les anthropophages, oui, nous qui mangeons les Indiens. Mais le fait objectif demeure : au Brésil, 477 ans après sa découverte, on trouve encore une population indigène qui vit selon ses lois primitives propres. Est-ce cela que le père Werenfried qualifie de « *contraste honteux *» ? Mais pourquoi alors s'en prendre spécialement au gouvernement militaire qui a repris le pouvoir aux communistes, plutôt qu'à l'ensemble du peuple brésilien tout au long de son histoire ?
Et s'il faut à tout prix s'en prendre aux gouvernants, pourquoi ne pas commencer par ceux qui durant près de dix ans ont ruiné le Brésil, moralement, spirituellement, politiquement, économiquement ? par un Juscelino Kubitschek, un Joâo Goulart ? Comment le révérend père Werenfried peut-il avoir oublié que sous ces deux gouvernements la personnalité la plus influente de tout le Brésil, l' « éminence grise » en titre et en fait, n'était autre que *son ami* Helder Camara...
105:215
Qu'il aille donc demander à Helder Camara ce qu'il a fait en faveur des Indiens, pendant les dix années où le gouvernement du Brésil devait lui reconnaître un si grand pouvoir...
\*\*\*
J'ai annoté dix-neuf falsifications comme celle-là, dans le bulletin du père Werenfried, qui mériteraient chacune plusieurs pages de commentaires et de rectifications. Nous n'en viendrions pas à bout. Et d'ailleurs ce serait bien inutile. Un homme qui entérine sans examen ni raison autant de postulats absolument inacceptables sur les réalités de notre pays n'en mérite pas tant ; un prêtre d'Europe qui vient chez nous s'enquérir auprès du seul Helder Camara de ce qu'il faut penser du Brésil dit assez qui il est, et que rien ne le fera démordre de ses positions.
Nous savons trop bien quant à nous, le crédit qu'on peut accorder aux paroles de Dom Helder : lorsqu'il occupait les fonctions d'évêque auxiliaire à Rio de Janeiro, il fut en quelque sorte l'aumônier de notre Centre Dom Vital. La liste de ses combines politiques, de ses mensonges publics, des multiples faveurs et privilèges obtenus pour ses richissimes amis auprès des groupes bancaires gouvernementaux où il jouissait d'une énorme influence, la protection qu'il parvenait à leur assurer même en cas de poursuites judiciaires pour fraude, -- tout cela est archiconnu au Brésil, et c'est pourquoi chez nous les déclarations d'Helder Camara, contrairement à ce qui se dit en Europe ([^21]), ne sont jamais censurées.
106:215
Car tout le monde sait bien dans notre pays qui est Dom Helder. Dernièrement encore, le 24 avril, le *Jornal do Brasil* publiait deux pages entières, agrémentées de plusieurs photographies, des opinions de Dom Helder sur lui-même, sur le capitalisme et le communisme, les relations entre l'Église et l'État, le coup d'État militaire qui devait nous sauver (et le détrôner) en 1964, etc. J'ai réuni moi-même d'innombrables coupures de presse reproduisant les déclarations arrogantes, insolentes et mensongères d'Helder Camara en 1967, 68, 70, 72, etc. Même sa fameuse interview de juin 1970 à *L'Express,* où il se vante de « respecter ceux qui choisissent la voie de la violence active comme Che Guevarra, et les étudiants qui suivent un tel exemple dans notre pays », précisant qu'il aimait (« je les aime, je les aime ») ces jeunes assassins, et regrettant que les pistolets mitrailleurs coûtent si cher, -- même cette interview fut répercutée par tous les journaux du Brésil, et reproduite intégralement dans une édition du grand quotidien *O Estado de Sâo Paulo...* Et voilà l'homme, fasciste en 1934, marxiste aujourd'hui, que le père Werenfried tient à présenter au lecteur français comme un « *prophète souvent mal compris *»* !*
Il faudrait relever aussi les dizaines d'inexactitudes apparemment moins importantes, mais dont l'accumulation finit par imposer au lecteur une idée injuste et fausse de notre pays. Par exemple, ce cardinal Eugenio Sales que le père Werenfried appelle aussi son ami et décrit comme « *un évêque sans cathédrale *»*,* se trouve incidemment disposer d'une cathédrale flambant neuve dont la masse importante et agressive trêve les yeux de tout un chacun, avenue Chile, à Rio de Janeiro ; il s'agit d'une cathédrale édifiée par les soins de la curie elle-même, dans un goût douteux, qui l'apparente aux temples aztèques de l'Amérique centrale.
107:215
Autre exemple : le bulletin contient une photographie dont la légende nous apprend ceci : « *Dans le voisinage immédiat des habitations de luxe croupissent les pauvres dans les favelas. *» Cette photographie est parfaitement et immédiatement identifiable par n'importe quel habitant de Rio. Les « habitations de luxe » dénoncées par la légende sont de fort modestes appartements de deux ou trois pièces, où vivent des familles de la classe moyenne. La seule vérité de la photo est que ces immeubles se détachent en effet sur un fond de favelas. Oui, nous avons des favelas *à* Rio. Nous avons des pauvres au Brésil. Et il se trouve que la douceur de notre climat permet *à* ces pauvres arrachés aux campagnes (comme il arrive partout dans le monde) par l'attraction des grands ensembles urbains, de se construire des habitations de fortune sur le versant des monts, où ils vivent dans un terrible manque d'hygiène et de confort. Reste à préciser que dans cette ville de six millions d'habitants, la population totale des favelas en représente approximativement un million ; je n'arrive pas à croire que le père Werenfried puisse se représenter sérieusement les cinq autres millions comme autant de « *millionnaires qui dilapident leur fortune dans des palais de conte de fée *»*.* Reste à préciser encore que des milliers d'habitants des favelas ont déjà été relogés par les autorités dans des immeubles neufs de la périphérie, pour ainsi dire gratuitement (principe fort discutable lui aussi), et que malgré cet effort beaucoup d'entre eux, loin d'accepter avec reconnaissance, refusent de quitter les lieux où ils ont leur travail, leurs habitudes, ou même reviennent après quelques temps dans les favelas pour retrouver ces centres de la vie nocturne de Rio qui -- contrairement à ce que croit le père Werenfried -- n'attirent pas seulement les riches. La solution de pareils problèmes, il faut bien le reconnaître, soulève d'énormes difficultés, que le père Werenfried a beau jeu d'ignorer.
108:215
Quant à la photographie de la pauvre femme qui, outre sa pauvreté, présente tous les signes de la dépression, je réponds que ceux qui connaissent les quartiers pauvres de nos villes brésiliennes réalisent aussitôt avec quel soin, dans quelle intention, ce document, contredit par tant d'autres, a dû être choisi par les rédacteurs de *L'Aide à l'Église en détresse*...
Par ailleurs, quand le père Werenfried écrit : «* Le transport des marchandises est une espèce de monopole des propriétaires de camions et des entreprises de transport, qui pratiquent des tarifs exorbitants *», on peut supposer qu'il raisonne ainsi : ces tarifs sont exorbitants soit parce que, dans sa conception morale, les riches sont mauvais et les pauvres bons, soit parce que les riches, non contents de faire payer le coût de ces transports, en retirent également un bénéfice qui leur permet de vivre. Or, le père Werenfried sait bien que son projet « Ama », grâce aux dons déjà recueillis, a permis de racheter à l'Armée suisse des véhicules d'occasion avec lesquels ses compagnons de L'Aide à l'Église en détresse organisent dans le nord du Brésil des services de transport bon marché, ou même gratuits. Vivant lui-même d'une générosité qui ne saurait prendre en considération les problèmes de coûts et de marges bénéficiaires, le père Werenfried pourrait cependant réaliser qu'il n'existe pas beaucoup de pères Werenfried à travers le monde ;
109:215
que les ressources du surplus de l'Armée suisse ne sont pas elles-mêmes illimitées ; et qu'il ne saurait implanter sur de telles bases, à travers tout le Brésil, des moyens de transport populaires et bon marché. Qui pourrait le faire ? Ceux qui luttent pour l'appropriation collective des moyens de production sont en mesure de donner au père Werenfried la réponse qu'il attend.
\*\*\*
Un dernier exemple : «* Les prisons sont peuplées aussi bien de terroristes que d'innocents, tandis que les crimes des puissants ne sont pas toujours punis. *» Voilà une description qui pourrait, sous certains aspects, comme par exemple celui de la proposition finale, s'appliquer à n'importe quel pays, y compris la France, et plus spécialement aux démocraties populaires où le népotisme est roi. Sous d'autres aspects, l'affirmation engage toute la responsabilité du père Werenfried lui-même, et de ceux avec lesquels il a voulu se solidariser. Par exemple, cet « aussi bien » catégorique et diffamatoire, dont le père Werenfried aura peut-être à répondre un jour devant le tribunal du Père céleste et tout-puissant.
Julio Fleichman.
110:215
### Nicée et Vatican II
par Marcel De Corte
RÉSUMÉ -- L'étude qu'on va lire développe une analyse approfondie de l'inoubliable déclaration de Paul VI à Mgr Lefebvre : « *Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important encore que celui de Nicée. *»
Cette allégation n'est en rien conforme à la réalité. -- A la réalité *prise comme telle,* d'abord. Nicée présuppose en effet une philosophie réaliste de l'être, chrétienne en un mot ; Vatican II au contraire, comme les discours de Paul VI dès qu'ils abordent les problèmes de notre temps, laisse constamment affleurer une philosophie de type immanentiste et subjectiviste propre à la révolution des mentalités contemporaines. -- A la réalité *historique* ensuite. Tandis que Nicée rejetait avec force la philosophie « moderne » de l'époque, le néoplatonisme de Plotin et d'Arius, qui prétendaient interpréter le dogme en fonction des échafaudages métaphysiques de l'heure, -- Vatican II, sous la conduite de Paul VI, a eu pour résultat une « évolution conciliaire » qui accepte de formuler la foi dans un langage qui véhicule une philosophie ouvertement ou secrètement hostile aux données objectives de la Révélation ; hostile aussi au réalisme que présupposent les vertus théologales.
111:215
Un nouvel arianisme se diffuse dans toute l'Église « conciliaire ». Il est la cause profonde de son autodémolition.
DANS LA LETTRE qu'il adressait le 29 juin 1976 à Mgr Lefebvre, Paul VI déclare péremptoirement : « Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même (sous certains aspects) plus important encore que celui de Nicée. »
« Affirmation incroyable », note aussitôt Mgr Lefebvre ([^22]). Comment un concile qui s'est voulu lui-même strictement pastoral par la voix de Paul VI et du cardinal Felici, secrétaire de l'assemblée, peut-il être, sous *un aspect quelconque,* « plus important » qu'un concile dogmatique qui devait condamner l'hérésie d'Arius et proclamer le Symbole de Nicée dont chaque catholique connaissait par cœur, naguère encore, tous les articles de foi indispensables au salut ? Le gouvernement de l'Église et son orientation temporelle ne dépendent-ils pas *strictement* des vérités surnaturelles que tout fidèle, si haut placé qu'il soit, doit admettre en pensée et traduire en action pour être sauvé ? Qui dit *dépendance* dit *subordination,* et qui *dit subordination* dit *situation inférieure.*
Comment une affirmation aussi extravagante, aussi contraire au bon sens, a-t-elle pu être proférée ?
\*\*\*
112:215
Pour répondre à cette question, il n'est que de comparer la théologie *doctrinale* de Nicée à la théologie dite *pastorale* de Vatican II, ainsi que leurs conséquences respectives dans la vie de l'Église.
Mais cela ne suffit pas. Toute théologie implique en effet une *philosophie.* Science de Dieu, science de la Révélation, science de la Foi, science des plus hautes *réalités* auxquelles Jésus-Christ a permis à l'esprit humain d'accéder, la théologie présuppose la *philosophie,* science du réel dans toute son amplitude et son universalité. Elle la dépasse certes, mais un peu comme le faîte d'un édifice en dépasse les fondations. Si l'on ignore ce qu'est le réel, on ne parviendra jamais à la connaissance des réalités surnaturelles. *Gratia naturam supponit.* Cette connaissance du réel n'est pas nécessairement savante ou technique. Elle repose sur le *bon sens,* sur cette faculté de distinguer les vessies des lanternes dont tout homme est nanti -- ce qui ne veut pas dire qu'il l'exerce toujours ! -- et dont la foi du charbonnier n'est pas absolument dépourvue.
Or le réel n'est vraiment réel que s'il existe *indépendamment* de l'esprit qui le pense. La vérité résulte de la soumission et de la conformité de l'intelligence à la réalité *extramentale.* Dès qu'un facteur qui provient du sujet connaissant s'introduit dans l'objet connu, ce que nous connaissons de cet objet n'est plus sa réalité prise comme telle, mais sa réalité imprégnée d'une certaine dose de subjectivité, déformée par cette infiltration insolite, et à la limite, cette « *autre-chose-que-l'objet *»*,* à savoir le sujet lui-même, notre *moi.* Nous substituons alors au réel une construction de notre esprit, nous faisons dépendre le réel de notre arbitraire, nous déclarons que le réel est ce que *nous voulons* qu'il soit. La connaissance que nous en avons n'est plus *un acte de notre intelligence* qui s'y est adaptée, mais *un acte de notre volonté* qui l'adapte à ses désirs, le plie à ses exigences, le soumet à nos sentiments et à nos opinions personnelles. La définition que tout homme de bon sens adopte spontanément se trouve inversée : elle n'est plus la conformité du sujet à l'objet, mais l'accord et la cohérence du sujet avec lui-même.
Comment une telle permutation est-elle possible ? C'est bien simple : à cause de la structure complexe de notre faculté humaine de connaissance. Nous ne connaissons pas le réel directement, par intuition, comme les esprits purs, les anges ou Dieu.
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Nous ne le connaissons d'abord que par la connaissance *sensible* que nous en avons. Nous le connaissons ensuite par *l'idée que nous nous en faisons* et que nous tirons par abstraction de sa présence globale. Nous le connaissons enfin par notre jugement qui ne peut déclarer *vraie* cette idée que si nous vérifions à nouveau dans l'existence sensible, ou par la démonstration qui combine entre eux plusieurs jugements vrais pour en tirer d'autres affectés du même indice de vérité. Notre connaissance de Dieu -- notre connaissance naturelle -- n'échappe pas à ce rythme. Elle part de l'existence sensible du mouvement et revient l'éclairer au terme de la démonstration. L'exercice de la faculté intellectuelle de connaître est conditionné chez l'homme par l'irréductible complémentarité de l'âme et du corps qui caractérise sa nature, comme par le laborieux effort auquel notre esprit est astreint en conséquence pour s'élever au niveau des différents paliers du réel, *en commençant par le premier.* Quiconque ne s'appuie par sur ce premier échelon escalade une échelle imaginaire.
La tentation est grande de passer par une voie plus rapide et de court-circuiter les intermédiaires obligatoires de la connaissance, en supprimant le recours initial aux sens et le constat de vérification du jugement et du raisonnement dans l'expérience. L'esprit se trouve alors placé devant la seule idée qu'il se fait du réel sans être asservi, ni en amont ni en aval, à une prétendue connaissance sensible dont il serait tributaire. Il est seul désormais devant lui-même et devant ses propres productions dont le lien vital avec la réalité extérieure s'amenuise au point d'être nul. Il est libre, sans contrainte, sans dépendance à l'égard de quoi que ce soit qui lui vienne de l'extérieur. Il est purement et simplement sa propre *intériorité.* A la *transcendance* de l'objet, il substitue l'*immanence* du sujet.
Dès l'origine de la philosophie, nous nous trouvons en présence de ce subterfuge. Platon représente la tendance à brûler les étapes. Rien n'est plus commode à l'esprit que se placer en face des idées qu'il construit de l'univers : n'est-il pas alors en présence de lui-même et, puisque sa spiritualité translucide ne subit plus les contraintes de l'opaque matière sensible, ne se saisit-il pas directement lui-même dans ses propres productions ?
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Platon n'échappe au subjectivisme qu'en situant dans un autre monde, le vrai monde intelligible, celui des Idées qu'il s'est forgé, et en s'évadant vers ce qu'on pourrait appeler un idéalisme « objectif », décalqué du mode de connaissance propre à l'artiste et à l'artisan qui édifient leurs œuvres en imprimant dans une matière docile et obéissante à leurs vœux les idées factices qu'ils ont élaborées au sein de leur esprit. La politique, cette science et cet art si ardus du contingent, de ce qui peut être ou ne pas être, de ce qui est toujours à la merci de l'événement, ne devient-elle pas alors chose simple ? Il suffit de tracer à l'intérieur de l'esprit le plan de la société idéale, comme l'architecte le fait de la maison, et d'en projeter l'épure, par persuasion ou par force, dans une matière humaine malléable à souhait puisqu'elle est indéterminée, ne possédant pas encore la forme qui la rendra sociale.
Aristote choisit les chemins laborieux de l'expérience, de l'abstraction, du jugement, de la démonstration, et de leur continuelle expertise au contact des données immédiates de l'expérience. Les idées que nous sommes bien obligés de nous faire des choses dans l'une des étapes de la connaissance ne sont plus ici une fin, un objet, mais *un moyen,* un terme quo et non un terme *quod,* comme diront les scolastiques en leur langage succinct. L'intelligence se fait des idées, mais en les tirant du monde sensible indépendant d'elle par le processus de l'abstraction, et, *par* le jugement comme *par* le raisonnement, elle les déclare correspondre à ce qui est, dont la sensation lui révèle l'existence indéniable. Elle voit, elle atteint la réalité *à travers* un outillage logique qui est sien, mais qui, d'un bout à l'autre de son utilisation, est soumis au contrôle des choses qui ne sont pas siennes.
En bref, pour Platon, toute connaissance est connaissance *de soi ;* pour Aristote, toute connaissance est connaissance de *l'autre que soi,* de ce qui ne dépend de soi en aucune manière.
Toute l'histoire de la philosophie est l'histoire de ces deux et de ces deux *seuls* courants : platonisme sous ses formes diverses et aristotélisme ; idéalisme objectif (ou subjectif propre à l'époque moderne) et réalisme ; activité « poétique » ou constructrice d'un monde idéal qui, pareil à tout objet fabriqué par l'homme, dépend de l'homme et lui fait retour comme à sa fin, et activité contemplative qui s'ouvre à l'irradiation des réalités extramentales au moyen de formes logiques dont la nature humaine, âme incarnée dans un corps, lui impose la nécessité.
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Le matérialisme pur n'existe pas : il n'est, comme le montrent ses origines, qu'un avatar de l'idéalisme ; il se construit une idée de la matière et s'y enferme.
\*\*\*
Il faut rappeler ces données élémentaires de la philosophie pour comprendre le gouffre qui sépare Vatican II de Nicée.
Nicée est essentiellement un concile doctrinal qui a mis fin aux infiltrations massives de philosophie néoplatonicienne dans la connaissance de la Révélation : il n'y est parvenu, comme on sait, qu'au terme d'une lutte acharnée de plus d'un siècle. L'arianisme qui véhiculait cette philosophie parut longtemps vainqueur et s'étendit à la quasi-totalité de la chrétienté au point de susciter chez saint Jérôme le cri célèbre : *Ingemuit totus orbis et arianum se esse miratus est,* « l'univers apprit avec stupeur et gémissement qu'il était devenu arien » ([^23]). Le concile de Rimini tenu en 359 éliminait du *Credo* nicéen le mot-clef de la foi catholique orthodoxe proclamée en 325 à Nicée : le fameux *consubstantiel,* qui dressait un obstacle infranchissable devant l'invasion de l'arianisme. Le christianisme était pratiquement remplacé par une religion nouvelle qui en était la négation. Tous les sièges apostoliques ou à peu près sont alors occupés par des hérétiques et le pape Libère lui-même, entraîné par le courant, excommunie Athanase et passe à la subversion. Seuls résistent avec force saint Athanase, saint Hilaire, saint Épiphane et quelques autres, appuyés par le peuple des fidèles « qui conservait avec un zèle remarquable la foi catholique », *qui catholicam fidem egregio studio servabat* ([^24])*.*
Le triomphe des Ariens est dû à la philosophie néoplatonicienne qu'ils professaient et qui est la philosophie « moderne » de l'époque, acceptée par la plupart des membres de l'*intelligentsia* ecclésiastique et partagée par les élites païennes.
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Cette philosophie axée sur un subjectivisme radical -- mais camouflé alors comme aujourd'hui, dont « le *moi* est haïssable » -- qui s'adaptait à merveille aux intelligences que l'inexorable dissolution de la société antique inclinait à se replier sur elles-mêmes et à se fabriquer en esprit un monde idéal, le seul véritable, le seul où l'on pourrait vivre loin des tourbillons des grains de sable humains de la vie présente. « S'échapper hors du monde » est le thème dominant qui court tout au long de la philosophie de Plotin, « se retirer dans le sanctuaire de la vie intérieure » ([^25]), fuir loin du chaos du monde sensible, retrouver dans la paix et le silence du « seul à seul avec Dieu » ([^26]) sa véritable identité, voilà donc la tâche unique de l'âme ici-bas, fondée sur la certitude du principe d'immanence : « Celui qui aura appris à se connaître lui-même, connaîtra en même temps d'où il vient. » ([^27]) Il importe de monter plus haut encore pour s'évader de l'affolante multiplicité du monde sensible. La connaissance de soi par soi implique en effet encore dualité : celle d'un sujet et d'un objet, c'est-à-dire d'un sujet qui se prend lui-même pour objet. Elle présuppose encore une altérité qu'il faut abolir pour se hisser à la hauteur de Dieu, de l'Un ineffable, distinct de tout le reste ([^28]), solitaire en sa totale et parfaite immanence, « le Même » d'une manière absolue, sans coupure entre un soi qui pense et un soi qui est pensé ([^29]). Pour y arriver, il n'est qu'une seule voie : « Retranche tout le reste », ne sois que toi-même, immanence pure, et tu coïncideras avec l'Immanence, retrouvant ton unité dans l'Unité Salvatrice et ton moi identique au Moi divin ([^30]).
On trouverait difficilement dans l'histoire de la pensée philosophique et religieuse un immanentisme et un subjectivisme plus accomplis : « *Être* c'est s'appartenir à soi-même et l'on s'appartient à soi-même quand on se penche vers soi : cette *direction vers soi,* c'est l'intériorité » ([^31]), c'est l'immanence, c'est le sujet qui se prend pour objet, mais qui efface cette dualité par une immanence accrue où il ne fait plus qu'un avec l'Un.
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Mais le système de Plotin n'est pas seulement un système religieux et mystique enraciné dans un immanentisme intégral, il est aussi un système du monde qui divise l'être en trois coupes superposées l'une à l'autre et donc la seconde est postérieure et inférieure à la première, et la troisième à la seconde. Dans le langage technique de l'époque, ces stratifications de l'être sont appelées *hypostases.*
La première est l'Unité substantielle, l'*Un divin,* l'Unité numérique abstraite, pure et simple au-dessus de laquelle aucun nombre n'existe et dont dérivent par voie d'émanation tous les autres nombres. Cette Unité suprême se trouve ici transportée de son état d'abstraction mathématique où elle ne siège que dans la pensée à un état d'Être existant au-delà de toute existence par un processus de réification qui la transmue, d'idée qu'elle était, en réalité
La seconde est l'*Intelligence,* divine à son tour, mais qui, dérivant de l'Un unique, ne peut en être que, l'amoindrissement. Elle est le regard qui émane de l'Un et que l'Un dirige vers soi, provoquant ainsi la naissance du Deux : un sujet pensant et un objet pensé, une pensée et l'ensemble de son contenu : tous les « Intelligibles », les objets de pensée, une *Dyade* selon le vocabulaire du temps. Elle embrasse en son unité dérivée la multiplicité des Idées, des « Intelligibles » qu'elle peut avoir et en constitue l'unité en son unité. Ce dédoublement au sein de l'intelligence est ce qui la différencie de l'Un et la situe en dessous de lui.
La troisième est l'*Ame,* divine également. Elle est née de l'affaiblissement de la seconde hypostase de son état spirituel supérieur dans la matière. Elle rassemble en son unité encore diminuée la multiplicité des êtres sensibles dont se compose l'univers et qui sont le reflet obscurci de la lumière émanant des êtres intelligibles du second degré.
Telle est *la Trinité* dont Plotin fait le pivot de sa spéculation doctrinale. Elle est intimement liée à la mystique religieuse du penseur alexandrin. L'âme individuelle de chacun de nous, ancrée dans la matière, enfermée entre cette « prison » du corps, à la suite d'une « chute » que Plotin n'explique que par « la fascination » exercée sur elle par le monde sensible extérieur à son être, est l'émanation de l'Âme universelle ; au-delà de celle-ci : de l'Intelligence ; et enfin, au-delà de l'Intelligence : de l'Un. Sa destinée est de faire retour à l'Un en passant par les hypostases qui constituent « la réalité » et de se fondre dans l'Un dont elle dérive.
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La structure de « la réalité » répond adéquatement à la structure du *moi*. Elle en est l'extension cosmique, l'universalisation. La « réalité » est le moi dilaté dans l'infini de l'être. Cette philosophie de la Trinité n'est que la traduction en vocabulaire « scientifique » de la destinée mystique de l'âme humaine chez Plotin. A-son tour, elle est marquée du même immanentisme : les trois hypostases du monde plotinien ne sont que des abstractions réifiées, des constructions de l'esprit au sein de l'esprit, sans correspondance avec ce que le droit bon sens nomme le réel. Cette œuvre d'art qui reste immanente à la pensée de l'artiste et que l'artiste substitue à la réalité est le point d'aboutissement des spéculations relatives aux vertus abstraites du Nombre qui courent à travers la pensée initiatique des sectes philosophiques et religieuses et dans l'*intelligentsia* grecque depuis Pythagore jusqu'à Platon. On sait que, pour Platon, la théorie des Idées est inséparable de la théorie des Nombres. Plotin en a fait une métaphysique et une mystique dont le dénominateur commun est un rigoureux immanentisme : la pensée et « le réel » sont identiques.
Nous ne pensons donc pas, avec Bréhier, que « le système des hypostases est tout entier commandé par le système astronomique de l'époque qui s'impose à Plotin » : la terre (l'Âme) située au centre du monde, les sphères des planètes (l'Intelligence), la sphère des étoiles fixes (l'Un) ([^32]).
La théorie des hypostases dont le schéma s'impose alors tyranniquement aux esprits et qui nous paraît extravagante, l'est en effet. Elle « vagabonde hors du réel », elle reste immanente à la pensée qui l'a construite...Elle n'est pas le réel mais l'idée du « réel ». Elle s'inspire directement d'une réflexion sur le nombre considéré comme une abstraction située à l'intérieur de l'esprit et contemplée par lui au sein de sa pure intériorité. L'intelligence, faculté du réel extramental, ne porte ici que sur l'unité abstraite, « la dyade » abstraite, et la suite indéfinie des autres nombres abstraits auxquels « l'un » et « le deux » donnent naissance, c'est-à-dire sur des abstractions qui n'existent comme telles que dans l'esprit et que l'esprit engendre de lui-même en les séparant des réalités objectives et concrètes que nous pouvons énumérer à l'aide de la sensation.
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Il suffit de lire les traités des cinquième et sixième *Ennéades* pour en être convaincu : le nombre abstrait un engendre « la dyade », le nombre *deux,* et celui-ci, avec l'un, la *multiplicité* des autres, mais l'*un* abstrait se transforme dans la pensée immanentiste de Plotin en un être « réel », supérieurement « réel » : *l'Un*, « la dyade » en *une* « réalité substantielle » : *l'Intelligence*, unité des Idées intelligibles, et la multiplicité en une troisième hypostase *l'Ame* qui la réunifie ([^33]). L'Intelligence et l'Ame ainsi hypostasiées en substances séparées émanent de l'Un qui est « l'hypostase se produisant elle-même » par un acte de sa propre volonté ([^34]). « Il y a, nous dit Plotin, dans le cas des nombres, une unité qui reste en elle-même et un être différent de l'unité qui les produit, et le nombre est engendré conformément à cette unité. A *plus forte raison quand il s'agit du principe antérieur aux êtres : l'Un *» ([^35]).
On comprend alors pourquoi l'Un est toujours qualifié d'*inengendré* par Plotin : l'Un n'a rien d'antérieur à lui, non plus que le nombre abstrait *un* n'est précédé d'aucun autre nombre. L'Un précède, engendre et produit l'Intelligence comme le nombre abstrait *un* additionné à lui-même produit le nombre abstrait *deux,* précédant à son tour le multiple *trois* et sa suite dont la réification est l'Âme. Le processus cosmique se passe tout entier à l'intérieur de l'esprit.
On le voit. En dépit d'un langage abscons que l'on retrouve à toutes les périodes de décadence de la société comme si le langagier ne se parlait qu'à lui-même, et qui ne laisse rien à envier, malgré les différences de vocabulaire et de systématisation, à « l'herméneutique » des philosophes modernes et contemporains, ce dont Plotin parle est conforme en son sens cosmique comme en son sens mystique *à l'immanentisme *: le penseur néoplatonicien ne vise pas la réalité extramentale, mais le concept abstrait qu'il s'en forge et qu'il établit en « réalité », en « hypostase ».
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La pensée ne sort jamais ici d'elle-même pour se confronter au terme d'un jugement ou d'un raisonnement avec la réalité extramentale ; elle reste immanente à elle-même et ne contemple que ses propres productions.
Contempler, notons-le immédiatement pour la suite de cet exposé, n'est plus se mettre en présence d'un objet indépendant de l'intelligence pour recevoir dans l'intelligence l'annonce de *ce qu'il est* en tant que réalité distincte, *contempler est agir,* et agir non point au sens moral par des actes vertueux en vue d'un bien, mais *agir* au sens de *faire,* de se construire et de se fabriquer un monde abstrait, idéal, et de persuader autrui que ce monde-là est « la vraie réalité » dont le monde où nous sommes est la caricature. L'activité contemplative de l'esprit fait place à son activité « poétique », fabricatrice, imaginative et créatrice qui envahit tout le champ de la pensée et peuple le monde extérieur, si l'on peut encore ainsi parler, de ses propres constructions. On reconnaît ici l'anticipation de cette exaltation de « la créativité » aux dépens du monde réel et de la société réelle qu'elle doit abolir et remplacer, qui est propre à notre époque. C'est un processus commun à tous les intellectuels déracinés de la réalité, à toutes les périodes de l'histoire.
\*\*\*
Il est maintenant aisé de comprendre le caractère spécifique de l'hérésie d'Arius et de ses sectateurs.
Le mécanisme en est simple, à la portée de quiconque Arius prétend *comprendre ou faire comprendre l'Écriture, non plus dans son sens obvie, dans le sens du réalisme propre au bon sens surélevé par la grâce au niveau du surnaturel, mais selon les requêtes d'une philosophie irréaliste qui substitue les constructions abstraites effectuées par le sujet pensant à la réalité pensée.*
La philosophie de Plotin, répandue dans les milieux intellectuels de l'époque, qui se trouve être « la philosophie moderne » du IV^e^ siècle, fournit à Arius ses schèmes d'explication des dogmes chrétiens et singulièrement du dogme de la Sainte Trinité dont tous les autres sont tributaires. Il suffit de projeter purement et simplement la Trinité des Hypostases plotiniennes dans la matière trinitaire dont l'Écriture n'est en fait que l'exposé ramifié, pour comprendre sans peine ce dogme et le rendre accessible à la raison : la raison dupe d'elle-même, bien sûr !
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Si fragmentaires que soient les textes dont nous disposons concernant l'arianisme, nous savons que la Trinité des Hypostases plotiniennes recouvre exactement pour Arius la Trinité des Personnes divines. Symétrique de l'hérésie de Sabellius qui rassemble en une seule Personne le Père, le Fils et le Saint-Esprit, l'hérésie d'Arius fait émaner la Personne du Fils de la Personne du Père considérée par lui comme la seule qui soit pleinement divine, et la Personne du Saint-Esprit comme s'écoulant à un niveau plus bas de la Personne du Fils. « Les sectateurs d'Arius sont particulièrement connus, écrit saint Augustin, par leur refus erroné d'attribuer au Père, au Fils et au Saint-Esprit une seule et même nature ou substance... Ils affirment au contraire que le Fils est une créature du Père et que l'Esprit Saint est une créature de cette créature. » ([^36]) « Arius croit donc qu'il y a dans la Trinité de l'antérieur et du postérieur, une substance originelle et deux substances dérivées. » ([^37])
Il suit de là que le Fils (et l'Esprit) n'est point *consubstantiel* au Père (*homoousios* en grec), mais simplement *semblable* au Père (en grec *homoiousios*) ([^38])*.* C'est pour ce simple *iota* au sein d'un mot qu'Athanase a été six fois exilé et qu'il fut excommunié par le pape Libère à cause de son intransigeance doctrinale : la consubstantialité des trois Personnes divines est au cœur même du Symbole de Nicée, sommaire parfait et immuable de la foi catholique ([^39]).
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« Le Père n'a pu engendrer le Fils qu'au dehors de lui-même », comme un père selon la nature engendre un fils *substantiellement distinct* de lui, mais « *semblable* à lui comme un fils *ressemble* à son père » ([^40]), ajoutent les Ariens.
C'est exactement la pensée de Plotin pour qui « le Créateur » de l'Intelligence engendre un être semblable à lui : « cet être lui est donc différent » ([^41]). Le Père n'engendre donc pas le Fils de sa propre *substance* et comme éternellement *consubstantiel* à Lui, il le produit « par un acte de sa volonté » ([^42]) comme l'artiste produit volontairement une œuvre différente de lui et inférieure substantiellement *à lui.* « L'Un engendre *parce qu'il le veut *», écrit Plotin ([^43]) et non de sa propre substance. « Il projette *ce qu'il veut* dans les êtres », dans l'hypostase inférieure qu'est l'Intelligence ([^44]). « Étant *semblable à* l'Un, l'Intelligence produit comme lui, en épanchant sa multiple puissance dans l'Ame universelle », la troisième hypostase ([^45]). Il n'est donc point question de trois Personnes égales en nature et de substance divine identique.
L'hérésie d'Arius est bien ainsi le produit d'un remodelage du dogme de la consubstantialité trinitaire dans le moule à trois étages superposés de la Trinité hypostatique plotinienne. Elle résulte d'une rationalisation ou mieux d'une naturalisation, d'une humanisation, du surnaturel, comme toutes les hérésies. Elle évacue totalement le surnaturel *transcendant* au profit d'une interprétation *immanente* et d'une *subjectivité* purement humaine. Elle façonne la lettre et l'esprit obvies de l'Écriture de manière à ce que la Parole de Dieu soit convertie en parole d'homme : la Vérité surnaturelle est rendue ainsi transparente et intelligible à la seule pensée humaine et la religion du Christ est transformée en religion de l'Homme.
« Or c'en est une » -- pour reprendre une phrase désormais historique de Paul VI -- que l'arianisme. C'est une religion de l'Homme qui, en s'élevant par la connaissance de soi à la hauteur de l'hypostase *Intelligence,* unité des intelligibles, domine alors l'univers sensible -- ou troisième hypostase, le règle et le soumet à ses injonctions supérieures.
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C'est une religion de l'Homme majusculaire, divinisé, démiurge et créateur d'un « monde nouveau », analogue, sinon identique à la religion de l'Homme faustien dont Paul VI ne cesse de célébrer lyriquement la gloire ([^46]) et dont la devise : « Au commencement était l'Action », est l'anticipation de l'humanisme intégral qui se répand depuis trois ou quatre siècles jusque dans l'Église catholique d'aujourd'hui.
De fait, lorsqu'on prend pour point de départ de la philosophie la connaissance de soi par soi ou l'intelligence des idées abstraites élaborées par le sujet pensant et dérivées de sa puissance d'expansion, il ne reste plus qu'un seul chemin à prendre : celui de la projection des idées ainsi construites par l'esprit et marquées de son effigie dans le monde extérieur et l'édification d'un autre monde peuplé d'êtres de raison, d'entités logiques qui prennent la place des réalités sensibles où toute connaissance prend sa source. On ne contemple plus une réalité indépendante de la pensée, mais une fabrication de la pensée, une œuvre de la raison qui évince à la fois le réel et son Principe pour lui substituer l'Homme, « maître et possesseur », de tout ce qui est.
Dès lors la Rédemption change complètement d'aspect puisque le Christ n'est plus une Personne vraiment divine, consubstantielle au Père, le salut de l'humanité n'est plus surnaturel, il n'est que l'œuvre de l'Homme qui, par son intelligence naturelle, participe à la divinité. Tout être humain fait partie de l'hypostase *Intelligence* par son sommet. Tout être humain est divin. Une telle religion devait plaire à tout le monde : aux chrétiens de fraîche date et ignorants des profondeurs de l'Écriture, aux esprits superficiels, aux « intellectuels » avides de faux brillant, aux innombrables fidèles des autres religions que le syncrétisme anthropocentrique du temps attirait et qui retrouvaient en elle quelque chose en étroite affinité avec leur propre conception imaginaire du divin : leur *moi* comme en un miroir. Le christianisme se muait avec Arius en un humanisme séduisant, aimable, capable d'attirer tous les hommes, quelles que fussent leurs préférences religieuses, leurs « options », comme on dirait aujourd'hui.
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On s'explique ainsi l'immense, le prodigieux succès de l'arianisme.
Le Symbole de Nicée réagit immédiatement contre ce danger. Il porte des traces évidentes du refus de cette manipulation de la Révélation par le néoplatonisme immanentiste.
Lorsqu'il proclame « Jésus-Christ Fils unique du Père tout-puissant », il rappelle que l'Intelligence est, selon Plotin et Arius, « le rejeton de l'Un », et que « l'Un en est le père » ([^47]). Mais le Père et le Fils sont pour Nicée *consubstantiels*, tandis que la procession de ce « fils », à partir du « père » s'effectue chez Plotin par dénivellation : « Chaque chose reste toujours à sa place propre et la chose engendrée *à un rang inférieur* à celui de son générateur. Le « vrai Dieu de vrai Dieu » ([^48]) de Nicée est une réponse manifeste à cette rationalisation du dogme trinitaire.
Plotin « suppose un centre et autour de ce centre un cercle lumineux qui en rayonne, puis autour de ce cercle un autre cercle également lumineux, *lumière issue de la lumière* (textuellement en grec : *phôs ek phôtos*), et ensuite en dehors de ce cercle, un troisième qui n'est plus un cercle de lumière, mais qui manque de lumière propre et a besoin d'une lumière étrangère » ([^49]). Plotin nous décrit ici en image la Trinité hypostatique de son système. Le Symbole de Nicée reprend textuellement l'expression « Lumière issue de la Lumière », qu'Arius, en bon néoplatonicien, a dû, selon toute probabilité, utiliser dans son interprétation, à trois niveaux distincts et superposés, du dogme trinitaire chrétien : une lumière ne s'affaiblit-elle pas en se propageant au dehors ? Mais le Symbole de Nicée qui emploie, intentionnellement sans doute, la même expression pour la retourner contre les Ariens, déclare avec netteté que la Lumière du Fils est *substantiellement* la même que celle du Père.
125:215
Enfin, lorsque Nicée affirme que le Fils a été engendré, mais qu'il n'a pas été fait et qu'il n'est pas une créature *genitum non factum* (en grec *gennéthenta ou poiêthenta*), c'est manifestement à nouveau pour s'opposer, *expressis verbis*, à l'hérésie arienne qui emprunte à Plotin l'idée que l'Un a engendré *et* fait l'Intelligence comme un père engendre un fils extérieur à lui-même ou comme un artisan fabrique un objet, qui à son tour lui est extérieur. Partout, chez Plotin et sans doute chez son fidèle disciple Arius, le verbe *gennan* (engendrer) accompagne le verbe *poiein* (faire) ou lui est synonyme ([^50]).
Si le Symbole de Nicée emploie l'adjectif célèbre : *homoousion*, « consubstantiel au Père » pour qualifier le Fils de Dieu, alors que ce mot ne se trouve nulle part dans l'Écriture, c'est bien pour s'opposer à l'hérésiarque qui, en usant du terme *homoiousion* (*similem Patri*), s'inspirait directement de Plotin qui souligne « la *similitude* (*homoiotêta*) existant entre l'Intelligence et le Père de l'Intelligence, l'Un, ressemblance pareille à celle de la lumière et du soleil » ([^51]) et qui utilise fréquemment ce terme à propos des relations entre la seconde hypostase et la première en sa Trinité ([^52]).
On le voit par les textes : le concile de Nicée conteste formellement à la philosophie de type immanentiste qui règne à l'époque sur les esprits, et dont Arius est l'adepte, le droit de s'immiscer dans l'explication du donné révélé. Saint Athanase, avec la vigueur de son bon sens surnaturel -- et malgré les influences néoplatoniciennes qu'il subit parfois en son vocabulaire -- appelle ces constructions de l'esprit humain qui refuse de se soumettre à la réalité de la Parole de Dieu, des « inventions », des « élucubrations », des êtres de raison *sine fundamento in re*, sans fondement dans l'Écriture ([^53]). Et il ajoute, avec la même sagesse, que « ce n'est point là la foi de l'Église Catholique, ce n'est point là la foi des Pères ». « Notre-Seigneur, dit-il encore, avec le même puissant instinct du vrai, nous a ordonné d'être baptisés, non point au nom d'un Principe supérieur et d'un Principe inférieur qui en émanerait, mais au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, trois Personnes en un seul Dieu. » ([^54])
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Saint Épiphane est plus dur encore : « Arius n'interprète pas l'Écriture divine *à la lettre* (en grec : *hôs ekhei to theion gramma*)*,* mais *selon les impulsions maladives de sa subjectivité --* pas moyen de traduire autrement l'énergique *hôs autos nosôn --* en proie à la recherche et à la logomachie inutile. » ([^55]) « Lorsque les Ariens citent la parole de Jésus rapportée par Jean (17, 3), dit-il ailleurs : « La vie est de Te connaître, Toi le seul vrai Dieu », ils bondissent de joie comme s'ils avaient enfin découvert dans l'Écriture un texte où le Père seul est déclaré Dieu. » Saint Épiphane leur rétorque alors tout à trac : « Seul le Père, prétendez-vous est véritablement Dieu. Que disons-nous donc du Fils ? N'est-il pas véritablement le Fils de Dieu et donc Dieu lui aussi ? S'il ne l'est pas, vaine est notre foi et vaine notre prédication (*kêrugma*)*.* Saint Jean ne nous enseigne-t-il pas que le Fils est la Lumière véritable et la Lumière véritable n'est-elle pas Dieu selon lui ? » ([^56]) L'Évangile ne doit donc pas être interprété selon un texte privé de son contexte, mais dans l'ensemble de tous ses textes qui se donnent, sous l'inspiration de l'Esprit, les uns aux autres leur vrai sens. Il doit être lu selon son sens littéral avec tout son contexte comme le fera saint Thomas dans la *Chaîne d'Or* et comme le dira la *Somme Théologique :* « Il faut se souvenir que l'auteur de l'Écriture est Dieu et que le sens premier de l'Écriture est le sens littéral, historique », où « les mots employés signifient des réalités » ([^57]). *La Parole de Dieu est réaliste :* les mots et les concepts que ces mots signifient ne renvoient pas à des constructions de l'esprit, mais à des réalités, sinon la foi catholique ne serait que mythologie, œuvre de l'imagination.
Incompatible avec ce réalisme surnaturel, l'hérésie arienne ne peut être que condamnée. Pour elle, la Parole de Dieu ne se réfère pas à des réalités extramentales, mais aux formes *a priori* que la philosophie immanentiste construit et qui imprime leur moule dans l'Écriture pour que celle-ci soit comprise.
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Le concile de Nicée, loin de « s'ouvrir » au monde de l'époque, à son subjectivisme, à son immanentisme, a reconnu solennellement le caractère *objectif* de la Révélation, la nécessité pour le dogme de s'adosser à une philosophie *réaliste* pour laquelle la vérité est conformité de l'esprit à l'être extramental, et l'obligation pour le chrétien de recourir au *bon sens,* tant au point de vue de la connaissance naturelle qu'à celui de la connaissance surnaturelle. Par son refus d'accéder aux « aspirations » des hommes de son temps et singulièrement aux pressions des intellectuels, des clercs, des « experts », des « mandarins » et des « théologiens » en mal de complaisance envers le monde, il a sauvé la foi catholique.
Nicée a montré *définitivement* que la prédication, le « kérygme », la « pastorale » qui ne s'alimente pas jusqu'en ses moindres intentions à la foi théologale *objective* et qui, sous prétexte d'adaptation aux exigences des hommes, recourt aux fallacieux appels à l'*immanence,* ne peut verser que dans l'hérésie.
\*\*\*
C'est précisément ce que nous constatons, avec une sorte d'horreur surnaturelle, depuis Vatican II, dans l'Église : sous l'impulsion d'un groupe de conjurés acquis à l'immanentisme et à la *praxis* propre à la philosophie moderne, une théologie « pastorale » inédite dans l'histoire de l'Église, a relâché jusqu'à la rupture les liens qui l'unissent à la théologie dogmatique dont elle dépend en toutes ses démarches ([^58]).
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En son inspiration et en ses suites, Vatican II opère une révolution copernicienne dans la théologie, parallèle à deux siècles de distance à la révolution kantienne en philosophie : ce n'est plus l'esprit qui gravite autour des choses, ce sont les choses qui gravitent autour de l'esprit humain. Tant dans sa sensibilité que dans son entendement et dans sa raison, la pensée humaine est dotée de structures ou de formes dont les lois *immanentes* s'imposent à la connaissance des choses au moment même où celle-ci s'effectue. L'homme ne découvre donc dans les phénomènes qui se présentent à lui que sa propre *immanence.* La pensée ne dépend plus de la réalité extramentale, mais au contraire, c'est « la réalité extramentale » -- si l'on peut encore ainsi parler -- qui dépend de la pensée et des lois immanentes à la pensée. Connaître, c'est rapporter et soumettre les phénomènes à ces lois *immanentes*, de telle sorte que la vérité n'est plus la conformité de l'intelligence à l'être extramental, mais *la conformité de l'intelligence à elle-même,* ce qui est la définition de l'immanentisme.
La philosophie qui imprègne bon nombre de pages des *Actes* du récent concile n'a plus rien de commun avec le robuste et sain bon sens dont s'inspirent Nicée et la vie catholique jusqu'à ce dernier siècle. A travers d'innombrables canaux dont l'enseignement n'est pas le moindre et dont les institutions dites « démocratiques », qui atomisent la société et incitent chaque citoyen à ne rechercher plus que son bien propre, sont les inépuisables pourvoyeurs, *un immense et profond immanentisme s'est répandu dans* *l'humanité et, à travers elle, dans les membres de l'Église.*
C'est un fait irrécusable que les hommes d'aujourd'hui deviennent de plus en plus *asociaux*, individualistes à outrance, le collectivisme n'étant pour eux qu'un moyen de « réaliser » leur *moi* considéré par eux comme la valeur suprême. Ils ne vivent plus *les uns avec les autres* comme les organes d'un même corps et en vue du bien commun de ce corps. Ils vivent *les uns à côté des autres,* chacun replié sur soi-même et ne disposant pour agir que de leurs exigences, prétentions et revendications *personnelles.*
A la vie sociale réelle qui leur est imposée par la nature même des choses, indépendamment de leurs volontés et de leurs choix, ils ont substitué des mécanismes institutionnels, administratifs et bureaucratiques qui laissent *apparemment* intactes leurs personnes autonomes puisqu'ils en émanent, mais qui, *en fait,* les précipitent dans une machinerie pseudo-communautaire, artificielle, contraignante, asservissante, dont ils ne sont plus que les rouages passifs.
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La « société personnaliste et communautaire » à laquelle ils aspirent dans leur dénuement social et sous la pression de l'immanentisme qui les soûle comme une drogue prétendument salvatrice, se mue peu à peu en ergastule avec une précision croissante et aux applaudissements mêmes de leurs victimes. *Ruunt in servitutem*. Le schème abstrait que chaque *moi* élabore de cette « société nouvelle » en sa conscience et dont il espère que, réalisé, il comblera son vœu d'immanence, dessine déjà sous ses yeux aveugles « la parfaite et définitive fourmilière » que Valery prévoyait. Chacun veut s'appartenir à soi-même, ne dépendre de personne, être entièrement libre, ne souffrir aucune aliénation, ne plus être étranger à soi-même, ne plus être sous la coupe d'un autre, et n'avoir d'autre finalité que le développement intégral de soi.
Cette chimère est commune au libéralisme et au collectivisme, la phase socialiste ou communiste de ce dernier n'étant que l'ultime étape indispensable à l'abolition de toutes les formes aliénantes de la société et à l'épanouissement de chaque *moi*, l'égal désormais et le frère de tous les autres. « Le communisme rendra impossible tout ce qui existe en dehors des individus », prophétise Marx. « Le socialisme donnera à l'individu une entière indépendance à l'égard des autres individus » répercute Kantsky. Et Jaurès de conclure : « Le socialisme, c'est l'individualisme logique et complet. » Entre la société libérale avancée et le socialisme, il n'y a point de différence : l'individu qui construit au sein de sa pensée « la société » où il sera enfin lui-même, en est le principe et il en est aussi la fin. Tout part de l'*immanence* pour aboutir à la parfaite *immanence*.
Telle est la « philosophie » qui se propage aujourd'hui sur la planète. En « s'ouvrant au monde » afin de « rénover » l'Église et le christianisme, Vatican II lui a emprunté ses concepts et ses « aspirations ». Nos contemporains ne sont plus établis en société. Ils sont en *dissociété*. La crise de l'Église universelle est parallèle à la crise sociale universelle. L'influence de la *dissociété* moderne et de l'immanentisme qui la caractérise a été déterminante sur Vatican II.
On s'explique ainsi cette nouveauté absolue dans l'histoire des conciles : un concile qui se dérobe à toute définition dogmatique, à toute dénonciation des erreurs qui affectent notre temps -- le communisme n'y est même pas nommé ! --, à tout anathème et qui réprouve même, par la voix des deux pontifes successifs qui le présidèrent, l'emploi de cette méthode traditionnelle.
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« Arrière les prophètes de malheur -- profère Jean XXIII -- à les entendre la société contemporaine ne serait que ruines et calamités. » ([^59]) « Il importe, ajoute-t-il, que la doctrine soit étudiée et exposée selon les méthodes qu'exige la conjoncture présente. Autre en effet est le dépôt de la Foi, autre le mode suivant lequel il est énoncé. » Or « avec des mots nouveaux, nous pensons traduire, mais en réalité nous introduisons un monde différent... Les mots appartiennent à des systèmes mentaux ; en adoptant les premiers nous acceptons inconsciemment les seconds ; nous croyons dire la même chose avec d'autres mots ; en fait le changement de langage entraîne à notre insu un changement de pensée » ([^60]). Dans une société qui se disloque et qui, pour masquer son effondrement, se qualifie de « société en mutation », comment en serait-il autrement ?
Sans doute les dogmes traditionnels ne sont-ils pas absents de Vatican II. La lecture des *Actes* du concile ne nous montre toutefois leur présence qu'à l'état de références éparses, déjetées. L'ossature ou plutôt le système nerveux de leur ensemble organique n'y apparaît jamais. Au contraire, tout s'est passé au concile comme si le *Credo* des conciles antérieurs et, en particulier celui de Nicée devait être réinterprété en fonction d'un langage nouveau exigé, paraît-il, par le changement des mentalités, et requis pour l'action à mener par l'Église afin de récupérer l'audience qu'elle a perdue dans le monde moderne. En adoptant le langage de « la nouvelle société personnaliste et communautaire » qui s'efforce en vain de naître des ruines de l'ancienne, le concile cédait sur de nombreux points à la tentation de l'*immanentisme* propre à toute société qui se détraque. Le langage ne se réfère plus au réel, mais à des états d'âme subjectifs. Sous les mots communément employés, chacun tente de glisser un sens personnel, un renvoi à peine dissimulé à sa propre immanence et à la « société » dont il rêve pour sortir de cet état intolérable qui répugne à la nature sociale de l'homme.
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Pour échapper à l'angoisse que provoque l'immanentisme, « il ne suffit plus de connaître le monde, comme dit Marx, il faut le changer », il faut *agir.* La « pastorale » adoptée par le concile répond à cette frénésie de l'*action* si caractéristique de notre époque.
Il en résulte un renversement complet dans la hiérarchie des valeurs que l'Église a toujours maintenue jusqu'à présent. A la primauté de l'activité spéculative ou contemplative dans l'ordre surnaturel s'est substituée la primauté de cette activité pratique. Davantage encore : de cette activité pratique érigée en absolu est sortie une nouvelle dogmatique dont l'immanentisme n'a plus rien de commun avec la *fides ex auditu,* avec la foi théologale qui s'impose à nous *de l'extérieur* par les canaux de l'Écriture sainte et de la Tradition.
En effet, le bon sens, confirmé par la philosophie aristotélicienne et thomiste, distingue nettement l'*ordre spéculatif,* qui régit la connaissance des vérités universelles et nécessaires, *de l'ordre pratique* qui porte sur l'action, sur la fin à réaliser ici et maintenant, et donc sur du particulier, du contingent. La métaphysique et la morale sont, *humainement parlant,* différentes l'une de l'autre : la seconde ne découle pas de la première ni la première de la seconde. *Il n'en va pas de même au niveau des connaissances surnaturelles* où l'ordre pratique est rigoureusement subordonné à l'ordre spéculatif et où ce dernier s'étend à l'action *sans changer de nature.* La foi qui est à la source même de toutes nos connaissances surnaturelles appartient d'abord et essentiellement à l'ordre spéculatif parce que son objet est *la vérité* révélée par Dieu, lequel ne peut ni se tromper ni nous tromper, comme disaient les vieux catéchismes. « Par soi, il est certain qu'entre toutes les vertus, la première est la foi. » Il est impossible de bien agir surnaturellement si l'on ne pense pas bien surnaturellement au préalable. La fin ultime, ici-bas, ne peut être d'abord que dans l'intelligence par la foi, et ensuite dans la volonté par l'espérance et par la charité. Il faut se représenter cette fin avant d'agir. La foi a donc, ici-bas, priorité sur toutes les autres vertus surnaturelles ([^61]).
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L'action jaillit donc de la surabondance de la contemplation. Plus on a de foi, plus on agit. Le contemplatif qui soumet son intelligence à la vérité surnaturelle extramentale que nous révèlent l'Écriture sainte et la Tradition, est l'homme d'action par excellence. Un homme d'action qui ne serait pas contemplatif se fourvoierait aussitôt. Il en résulte non seulement que la charité est *inséparable* de la foi, mais aussi qu'elle lui est subordonnée aussi longtemps que la foi n'aura pas fait place à la vision dans l'autre monde où Dieu sera simultanément Lui-même ce qui est vu et ce par quoi Il est vu. Dans la vie future, la foi ne sera plus nécessaire.
C'est pourquoi il ne peut y avoir un concile qui soit pastoral *sans être au préalable intégralement* *dogmatique.* Si l'on définit la pastorale comme la pratique de l'Église et comme l'œuvre que l'Église entreprend pour le salut du monde, on s'aperçoit aussitôt qu'elle a toujours existé depuis les débuts du christianisme au titre de mise en action, dans la vie des fidèles, de l'enseignement des vérités de la foi. La pastorale n'a commencé à prendre un caractère autonome qu'à partir du XVIII^e^ siècle ([^62]), au moment où les vérités de la foi ont été contestées ou même niées par le subjectivisme et par l'immanentisme qui envahissaient les mentalités. Avec Vatican II, cette pastorale a pris le pas sur le dogme et au lieu « d'imprimer dans les esprits les vérités de la foi et de graver dans les cœurs les saines habitudes d'une vie vraiment chrétienne », comme elle l'avait toujours fait et comme le recommandait avec insistance Pie XII au clergé de Rome et du monde en 1948 ([^63]), l'Église a cherché, par un *aggiornamento* sans précédent, à s'adapter à un monde aussi peu soucieux que possible de réalisme et d'objectivité en matière surnaturelle qu'en toute autre matière, et, fatalement, à disposer et accommoder la foi qui se confond avec elle selon le langage, les concepts et les « exigences » de ce monde déboussolé.
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Sans doute, le virage a-t-il été pris avec adresse et la courbe dessinée par le concile n'est-elle perceptible qu'à un regard attentif. On discerne aisément toutefois dans les textes les retouches que des Pères sourcilleux ont apportées à des déclarations qui s'éloignent de la traditionnelle subordination de l'action à la contemplation. Le langage de Vatican II n'a, du reste, rien du langage ferme, précis, au sens indiscutable, des conciles antérieurs. Il est le plus souvent vague, flou, ambigu. Il fait appel au sentiment, à l'affectivité, beaucoup plus qu'au raisonnement logique. Sa signification est voilée par un recours fréquent à une sociologie et à une psychologie « moderne » dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont contestables.
Le mot-clef de la foi catholique objective : *surnaturel* n'apparaît à ma connaissance que *cinq fois* dans les quelque huit cents pages des *Actes* du concile, et le plus souvent dans un sens banal. On le trouve *deux fois* dans les 106 pages de la Constitution *dite dogmatique Lumen gentium* (§ 61 et 69), pas une seule fois dans le *Décret sur la Liturgie* (58 p.), ni dans le *Décret sur l'Œcuménisme* (28 p.), ni dans le *Décret sur l'Église orientale* (21 p.), ni dans la *Constitution dite dogmatique sur la Révélation divine* (27 p.) -- ce qui est tout de même un comble ! -- ni dans le *Décret sur la Charge pastorale des Évêques* (40 p.), ni dans le *Décret* sur *l'Adaptation et le Renouveau de la vie religieuse* (20 p.), ni dans *Gaudium et Spes,* cet énorme fatras de 140 pages, etc.
Il en est de même du mot *nature* et du mot *naturel* qui lui sont corrélatifs : *cinq* exemples seulement et dans la signification la plus ordinaire qui soit. L'*Index* de la traduction française des *Actes,* publiée en 1966 aux Éditions du Cerf ne comporte aucun renvoi à ces vocables de la théologie dogmatique accréditée dans l'Église depuis des siècles. En revanche, on peut y lire le mot *sexe* et le mot *syndicat* dûment à leur place dans l'ordre alphabétique.
Les Pères ont manifestement voulu mettre entre parenthèses la théologie dogmatique traditionnelle de l'Église sur laquelle ils ne s'entendaient pas et dont le réalisme heurtait leur immanentisme, ainsi que les suites du concile le firent bien voir. Ils se sont lancés dans une « Pastorale » qui avait au moins l'apparence de rencontrer leur quasi-unanimité. Rien de tel que l'action pure et simple pour rassembler des hommes dont les convictions sont différentes, sinon opposées : dans le feu de l'action, les divergences s'effacent. Et pourtant, comment agir *chrétiennement* sans la guidance du surnaturel et de la nature ?
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A l'origine de cette pastorale vésanique et sans garde-fou qui se dévalue rapidement sous nos yeux en la pire des politiques révolutionnaires, il n'est pas difficile de découvrir -- répétons-le -- l'impact profond de la philosophie kantienne qui proclame le *primat de la raison pratique* et qui fait de celle-ci la seule voie que l'homme puisse suivre pour atteindre la réalité véritable au-delà des phénomènes. Cette priorité de l'action dans le domaine religieux présuppose de toute évidence *la priorité du sujet* d'où l'action émane, puisque l'activité pratique n'est plus soumise à l'activité spéculative, *à l'objectivité,* à la discipline de la réalité surnaturelle extramentale. Action et immanence vont de pair.
C'est l'influence de Maurice Blondel qui a introduit, à notre sens, l'immanentisme kantien et la primauté de l'action dans la théologie pastorale de Vatican II.
Qu'il nous suffise ici de quelques citations. « Ce n'est point à la spéculation de fournir une réponse au problème actuel qui s'impose à elle. » ([^64]) « La notion d'immanence, c'est l'idée très juste en son fond que rien ne peut entrer dans l'homme qui ne sorte de lui et ne corresponde en quelque façon à un besoin d'expansion. » ([^65]) « A l'abstraite et chimérique *adequatio rei et mentis* se substitue l'*adequatio reatis mentis et vitae. *» ([^66]) « Il faut substituer à la question de l'accord de la pensée avec la réalité le problème de l'adéquation immanente de nous-mêmes avec nous-mêmes. » ([^67]) « Par là, la vérité logique se trouvera définir l'accord de la pensée et de la vie avec elles-mêmes, non plus au sens idéologique, mais au sens concret et selon les requêtes et les créances de la vie intérieure. » ([^68])
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« On ne peut atteindre et définir la transcendance que par l'immanence, l'extériorité que par l'intériorité. » ([^69])
Or cette « réalité » intérieure est « un continu comme un torrent circulatoire... Elle bouge et change sans cesse. Rien d'actuel n'est définitivement acquis ; tout est dans l'inquiétude, en quête de surcroît, en travail de développement » ([^70]). « Pour désigner ce mélange de virtualités obscures, de tendances conscientes, d'anticipations implicites, le mot *action* semble bien choisi, car il comprend à la fois la puissance latente, la réalisation connue, le pressentiment confus de tout ce qui en nous éclaire et aimante le mouvement de la vie. » ([^71]) Il est impossible de comprendre cette action sans l'existence « au fond de ma conscience d'un *moi* qui n'est plus *moi.* Dans mon action, il y a quelque chose que je n'ai pu encore comprendre et égaler » ([^72]). « Dieu agit en cette action. » ([^73]) C'est à partir de ce point central : *le moi,* la personne et ses exigences, que s'ouvrent toutes les perspectives et qu'on peut atteindre Dieu. Tout part du *moi* et tout se rapporte à lui. Une Révélation extérieure est inintelligible à la conscience moderne sans ce désir qui la travaille et qui passe à l'action. Savoir n'est donc pas exigé au préalable. Ce qu'il importe est de faire. Aussi, « l'efficacité de la Rédemption n'est-elle pas subordonnée à la connaissance que nous pouvons en avoir » ([^74]). « L'effort de la volonté pour s'égaler à son propre élan » ([^75]) rend le salut accessible à tous. « Si je parle du surnaturel, c'est encore un cri de la nature, un appel de la conscience morale, une requête de la pensée que je fais entendre. » ([^76])
On pourrait mettre bien des textes de Vatican II en parallèle avec l'immanentisme dont la philosophie de Blondel fait étalage et qui s'est insinué par les canaux de l'enseignement dans de nombreux séminaires. C'était pour tant de clercs une façon d'abandonner la philosophie scolastique « périmée » qui leur suscitait un complexe d'infériorité en présence de leurs homologues laïcs et de présenter une philosophie chrétienne au goût du jour, à laquelle le monde serait favorable.
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La décision de Vatican II de « s'ouvrir au monde », à ses appels, à ses vœux, à ses sollicitations, à ses aspirations, bref à ce qu'il y a de proprement *subjectif* en chacun procède d'une philosophie immanentiste rigoureusement identique, encore que plus fluide, plus influencée par les théories de l'Évolution, à l'immanentisme néoplatonicien et arien que Nicée a proscrit.
Le discours de Paul VI à la deuxième session du concile et la plupart de ses allocutions renforcent notre thèse. « Que le monde le sache : l'Église le regarde avec une admiration sincère, disposée à le servir, à *le mettre en valeur...* L'Église reconnaît et sert le *monde tel qu'il se présente aujourd'hui.* Elle aime le monde d'aujourd'hui et vit, parle et agit pour lui. » Or ce monde a trop visiblement changé et change encore. L'homme contemporain se prend de plus en plus comme le centre de l'univers. Il s'est lancé à la recherche de son être et cette poursuite incessante mobilise toutes choses. Paul VI en conclut que l'Église doit changer à son tour pour rencontrer ce besoin d'immanence jailli de l'homme actuel : « L'Église est entrée dans le mouvement de l'histoire qui évolue et qui change. » ([^77])
Dès lors, « l'Église nous engage à réfléchir sur sa mission dans le monde contemporain, à *une conscience authentique et nouvelle...* Nous éprouvons tous un besoin d'*introspection* et de *dialogue, chacun avec sa propre conscience *» ([^78]), de manière à rencontrer la conscience nouvelle que l'homme actuel a de lui-même et des autres, et à embrasser son immanentisme. Car « c'est la grande et difficile consigne que le concile a donné à l'Église : celle de rétablir le pont entre elle et l'homme d'aujourd'hui » ([^79]).
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« Nous devons donc assurer à la vie de l'Église une *nouvelle* façon de sentir, de vouloir, de se comporter » ([^80]) de manière à rencontrer l'homme contemporain *tel qu'il est*, dans sa volonté « d'être intégral », intégralement lui-même ([^81]). Nous devons nous habituer à penser d'une manière *nouvelle* l'homme, d'une manière *nouvelle* aussi la vie en commun des hommes, les chemins de l'histoire et les destins du monde. » ([^82]) « Beaucoup d'aspects de la vie moderne peuvent être interprétés comme des dispositions providentielles au message évangélique. » ([^83]) « Faire, connaître et avoir plus, pour être plus, telle est l'aspiration des hommes d'aujourd'hui... *Ce désir* -- cet immanentisme ! -- *est légitime. *» (**80**) « Nous sommes tous, *églises comprises*, engagés dans la naissance de ce monde nouveau » ([^84]) qui exige l'attitude immanentiste adoptée par l'homme contemporain. L'Église catholique ne peut pas ne pas « offrir son aide pour promouvoir cet humanisme plénier » ([^85]) maintenant que « grandit *la Conscience* de l'éminente dignité *de la personne humaine supérieure à toutes choses *» ([^86]). « Travailler au renouvellement de la mentalité » des chrétiens en ce sens est la tâche du concile : « L'esprit de Dieu est présent en cette évolution. » ([^87])
« Ainsi notre humanisme se fait christianisme..., si bien que *nous pouvons affirmer que pour connaître* *Dieu, il faut connaître l'homme *» ([^88]), « l'homme tel qu'en réalité il se présente à notre époque, l'homme vivant, *l'homme* TOUT ENTIER OCCUPÉ DE SOI, *l'homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l'intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité.* L'humanisme laïque et profane est apparu dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le concile. *La Religion du Dieu qui s'est fait Homme s'est rencontrée avec la Religion* (*car c'en est une*) *de l'Homme qui se fait Dieu.* Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ?
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Cela pouvait arriver, mais cela n'a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samaritain a été le modèle de la spiritualité du concile. *Une sympathie sans bornes --* sympathie est similitude de sentiments selon les dictionnaires -- l'a envahi *tout entier.* La découverte des *besoins humains* (et ils sont d'autant plus grands que le fils de la Terre se fait plus grand) a absorbé l'attention de notre synode. *Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes et sachez reconnaître notre* NOUVEL HUMANISME. *Nous aussi, plus que quiconque, avons le culte de l'homme...* La religion catholique et la vie *réaffirment ainsi leur* ALLIANCE. La religion catholique est pour l'humanité, elle est, en un sens, la vie de l'humanité. » ([^89])
Que l'on pèse bien les mots et le sens de cette stupéfiante déclaration : *le tout de l'homme concret, de la personne humaine telle qu'elle est en cette fin de siècle est religieux et divin.* Son anthropocentrisme est divin. *Son immanence est divine.* Le subjectif est pour Paul VI l'objectif. Les contradictoires sont vraies en même temps. L'hypostase : *homme, humanité,* l'Intelligence diraient Plotin et Arius, a rejoint, grâce à la révolution montinienne et conciliaire, l'hypostase *Dieu,* l'Un néoplatonicien.
Il est superflu ici d'analyser les autres textes du concile relatifs à la liberté religieuse, au monde moderne, à l'œcuménisme, « tâche primordiale de l'Église, entreprise la plus grande et la plus mystérieuse de son pontificat », déclare Paul VI ([^90]). Il est superflu d'accumuler les citations du pape lui-même. Tous ces textes se ramènent *à la glorification de l'immanence,* sans la moindre contestation possible : « *Par le* SEUL *effort* de son intelligence et de sa volonté, chaque homme peut grandir en humanité, valoir plus, être plus grand. » ([^91]) L'origine est immanence, la fin est immanence.
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La crise arienne recommence. C'est la même tournure d'esprit : les constructions de l'intellect replié sur soi mises à la place de la réalité, les vessies prises pour des lanternes, la même philosophie subjectiviste. Dans les deux cas, il s'agit de suspendre le christianisme, religion du surnaturel objectif qui présuppose le réalisme du bon sens, *à des principes qui sont contraires à son essence.* Mgr Lefebvre l'a bien vu dans son sermon de Lille du 29 août 1976 : « Prenez le schéma *Gaudium et Spes* et vous y trouverez : il faut marier les principes de l'Église avec les conceptions de l'homme moderne », *exactement comme l'arianisme voulait marier le dogme de* la *Sainte Trinité avec les conceptions de l'homme moderne de son époque, avec l'immanentisme néoplatonicien.* Si Vatican II est plus important que Nicée, c'est parce que l'arianisme à peine voilé de Paul VI est plus important que *le donné objectif de la foi.*
Les conséquences sont les mêmes dans les deux cas. L'arianisme ancien s'est largement répandu dans la chrétienté de l'époque parce qu'il consentait à s'ouvrir à « la mutation des esprits » de l'époque et à leur « personnalisme ». « La mutation de notre civilisation entraîne *des changements,* non seulement dans notre comportement extérieur, *mais dans la conception que nous nous faisons tant de la création que du salut apporté par Jésus-Christ *»*,* pontifie l'évêque de Metz ([^92]), en écho du concile et de Paul VI. L'arianisme ancien démolit l'Église du temps et la remplace par une autre. Le nouvel arianisme immanentisme entraîne « l'autodémolition » ([^93]) de l'Église et sa relève par *une autre* Église.
Dans les deux cas, ces *hérésies,* car il faut bien les appeler par leur nom ([^94]) ont recours au pouvoir séculier pour se répandre. L'arianisme reçut l'appui des empereurs romains et des rois barbares.
140:215
Il devint religion d'État. Il se politisa complètement au cours de ses manœuvres pour capter à son profit la puissance séculière. L'immanentisme conciliaire et postconciliaire flatte la démocratie, le Machin onuesque, les organisations (ou désorganisations) internationales, la décolonisation et son double : le néocolonialisme, le marxisme, la révolution, tous les courants idéologiques à la mode. Paul VI leur prodigue mille flatteries. ([^95])
Tout l'arianisme nouveau que Paul VI substitue à la foi traditionnelle ou par lequel il en gauchit le sens, se trouve condensé en ce texte : « L'homme moderne n'en viendra-t-il pas un jour, au fur et à mesure que ses études scientifiques progresseront ([^96]) et découvriront des réalités cachées derrière le visage muet de la matière, à tendre l'oreille vers la voix merveilleuse de l'Esprit qui palpite en elle (*sic*) ? *Ne sera-ce pas la religion de demain ?* Einstein lui-même entrevit la spontanéité (*sic*) d'une *religion de l'univers ?* NE SERA-CE PAS PEUT-ÊTRE MA RELIGION D'AUJOURD'HUI ? » ([^97])
L'amalgame du christianisme et des idéologies qui exercent leur domination sur les esprits est ici patent. Pour que CE CHRISTIANISME NOUVEAU triomphe, il lui faut l'appui de l'homme contemporain, de ses *aspirations* à une « religion » nouvelle. Le mot *aspiration* apparaît *dix-sept* fois dans *Populorum Progressio.*
\*\*\*
Il faut conclure. L'arianisme et son subjectivisme ont paru vaincre pendant près de deux siècles. La crise provoquée par le nouvel arianisme sera longue. Si les institutions de l'Église et *avec elles,* inéluctablement : la Sainte Écriture, la Sainte Messe, les Sacrements, viennent à se transformer en profondeur pour rejoindre le monde, il faudra des décennies pour les rebâtir en leur forme éternelle, et des décennies encore pour ramener à la foi de toujours les fidèles abusés qui titubent au bord de l'hérésie.
141:215
Le cardinal Liénart l'a dit avant de mourir : « *Humainement parlant,* il n'y a plus de salut pour l'Église. » Mais nous savons que ce qui est impossible à l'homme, Dieu peut l'accomplir.
Nous savons aussi, par l'histoire de l'Église, que ceux qui restent *irréductiblement* fidèles ont toujours eu le dernier mot.
Nous abordons une période de cette histoire qui se caractérise par la même crise de civilisation et de société qu'aux débuts de l'ère chrétienne. Les chrétiens des quatre ou cinq premiers siècles ont été tentés par les philosophies immanentes de leur temps, par le syncrétisme, par l'alliance avec les autres religions, par « l'œcuménisme », par le métissage spirituel, comme les chrétiens d'aujourd'hui le sont.
Ils réagirent avec vigueur, malgré leur petit nombre. « Dès que l'on aborde l'étude des autres religions de l'Empire, on est frappé *par le caractère* INTRANSIGEANT *du christianisme,* et cela malgré les efforts déployés par les Apologistes pour le présenter sous l'aspect de quelque philosophie grecque bien raisonnable... » de type néoplatonicien. Ce qui contribua « à la diffusion de la religion nouvelle fut *son exclusivisme,* alors que les cultes à mystères ne s'excluaient nullement et permettaient aux fidèles de se faire initier à plusieurs. *Le* REFUS *des chrétiens de participer à un autre culte,* QUEL QU'IL FUT*,* les persuadait qu'ils détenaient *une vérité certaine,* persuasion qui, du point de vue psychologique, était et DEMEURE*, une supériorité incontestable *» ([^98]).
Il nous reste à imiter ces chrétiens des premiers siècles, d'autant plus que cette « psychologie » s'appuie sur les *réalités objectives de la foi* que Dieu nous communique.
Marcel De Corte,
Professeur émérite\
à l'Université de Liège.
142:215
### La vérité de l'Évangile
*et les équivoques du droit de l'homme à la liberté*
par Paul Bouscaren
ON RESPIRE OU L'ON ÉTOUFFE, et de même on vit libre ou l'on étouffe, mais l'air que l'on respire peut être pollué, la liberté aussi, non seulement comme on la prend, mais dans l'idée même que l'on s'en fait, ou se laisse faire.
En démocratie moderne, la société prétend être libre, parlons bref, par des fins de droit naturel qui sont leurs propres moyens ; en réalité de la nature humaine, ce ne sont pas des fins, et ce ne sont pas des moyens. La fin de l'homme n'est pas d'être libre, et la société de libre association d'individus égaux fait voir de plus en plus inhumainement qu'il ne peut s'agir là que d'un cancer de l'organisme social ancestral, ce que la tradition a de meilleur premier à périr.
Comparez l'Évangile : quelles fins et quels moyens ? Entrer dans la joie éternelle du Royaume de Dieu est la fin ; le moyen, renoncer à tout bien d'ici-bas et à soi-même pour suivre Jésus-Christ dans l'amour de son Père et des hommes. Ici, abstraitement, l'amour qui est fin est aussi moyen ; mais concrètement, quelle vie et quelle vie pour chacun (Jésus-Christ le premier), cet amour qui est la fin et cet amour qui fait moyen, -- jusqu'à la mort sur la croix et jusqu'à gémir : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »
143:215
Oui encore, abstraitement, le christianisme peut être dit l'amour fin et moyen ; concrètement, la vie du chrétien, si elle est telle en tant que chrétienne, est par nature la vie d'un homme, d'un animal raisonnable ; et cette sorte de vie elle-même est par nécessité la vie d'un citoyen, membre d'un corps politique ; et ce corps politique, telle histoire est la sienne, qui en fait tel milieu actuel pour ses membres. D'où a suivi, en logique du bon sens, un christianisme catholique fort peu enclin, (à partir de l'amour moyennant l'amour, essence abstraite convenant aussi bien à des anges), fort peu enclin à une vie chrétienne du chrétien qui ne soit pas indispensablement la vie morale de l'homme et la vie politique du citoyen. Aussi indispensablement morale et politique qu'il l'est à la vie chrétienne d'être la vie d'un homme, et pas davantage quelque chose de secondaire et d'accessoire, comme il semble à certains. Tout au rebours du démocratisme, d'une liberté fin et moyen de la politique soi-disant morale par la réduction du citoyen à l'essence humaine abstraite. Et l'inconcevable catastrophe présente de l'Église, tombée de sa tradition, et de l'Évangile, au réductionnisme du chrétien lui-même à son essence abstraite, voire confondue avec celle de l'homme dans les Déclarations de droits.
Impossible de s'adresser plus que ne le fait l'Évangile à chacun de nous personnellement par opposition à tout ce qui n'est pas lui-même ; mais attention, c'est à lui-même comme appartenant à Dieu et le pauvre de Dieu ; si bien que l'Évangile ne l'oppose pas à tout ce qui n'est pas lui-même sans l'opposer aussi à lui-même, sans exiger le renoncement à lui-même pour suivre Jésus-Christ dans le Royaume de son Père. Non certes que se renoncer soi-même renonce à être soi-même, mais à se vouloir propriétaire de soi-même. Aussi loin que possible de cette vérité de l'Évangile, les droits de l'homme selon 1789 opposent chaque individu à tout ce qui n'est pas lui-même comme le seul propriétaire de lui-même,
144:215
le riche de lui-même, humainement respectable en cela même, sans aucune prescription ni renonciation attentatoires à la dignité de la naissance humaine ; parce que l'Évangile et 1789 ont en ma personne une même matière, je pourrais ne pas voir les deux esprits comme ils sont le oui et le non, et dire amen à des discours qui les confondent ? Libre d'aller à Dieu, droit de coller au diable ?
Il est assez clair que le droit de propriété privée a beau s'étendre à tous aux termes de la loi, sa nature privative sépare chacun de tout autre individu quant à sa propriété ; rien de tel avec un droit au travail et la foule des autres droits ayant pour objet quelque bien commun que rien ne privatise de la sorte. Mais qu'en est-il du droit à la liberté, sinon la même singularité privative encore beaucoup plus marquée, il faut dire jusqu'à l'infini de l'irréductibilité de chaque individu à tous les autres individus ? La liberté de chacun, notre premier bien à tous ? Oui, comme le bien pour chacun d'être soi et non aucun autre ! Un bien que l'on ne peut partager sans l'annuler. Voyez le droit au travail, des lois et règlements peuvent s'y imposer à tous, non seulement sans faire opposition ni au travail ni aux travailleurs, mais au profit manifeste de tous et chacun ; tandis que le droit de chacun à sa liberté regardée ainsi absolument, que peuvent être pour lui les lois et les règlements, que des contraintes, des refus déterminés de la liberté chacunière ? Que dire, avec le principe formel que le droit à cette liberté fonde la souveraineté légitime et absolue sur l'entière vie sociale ?
Objection de conscience, droit à l'erreur, droit à la différence... : il devient de plus en plus manifeste que les droits modernes sont aussi bien, sinon tout d'abord, des droits au refus. Le concile Vatican II a voulu proclamer, non pas le droit humain à la religion, mais le droit moderne à la liberté religieuse ; telle quelle, remarque fantastique !
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Il y aurait contradiction dans les termes à parler d'un droit de mal faire, d'un droit d'abuser de son droit ; or la liberté agit bien ou agit mal, quoi que chacun fasse, ou ne fasse pas, librement ; il y a donc cette équivoque du droit naturel des hommes à la liberté, que les hommes en usent comme ils y ont droit, ou en abusent et rendent impossible d'y voir leur droit. Équivoque désastreuse entre toutes s'il s'agit de la liberté religieuse, mais c'est en vain que Mgr Lefebvre a essayé d'ouvrir les yeux de Paul VI au fait que la dignité de l'homme ne se trouve pas identiquement dans son *droit* et dans sa *liberté ;* redisons-le, c'est fantastique.
La liberté dit le choix personnel entre oui et non, le droit ne peut se dire que du oui quand il faut oui et du non quand il faut non ; même si cette obligation, pour que le droit ne reste pas un mot vide, veut pour son principe la conscience de chacun, obligation il y a, et non le choix volontariste entre oui et non. D'autant que, si agir selon sa conscience est nécessaire pour ne pas agir certainement mal, ce n'est pas suffisant pour agir certainement bien, puisque *agir de façon à faire le bien a d'autres conditions que de s'accorder avec la conscience ;* que penser d'une conscience où cela n'est pas clair, et qui se veut la conscience universelle ? Parler absolument du droit de chacun à sa liberté crève donc de sotte équivoque, et cette équivoque est en train de faire crever un monde moderne qui est moderne surtout par elle, envers et contre toute la tradition humaine, maintenue jusqu'à nos jours par l'Église romaine.
La liberté de l'homme consiste à pouvoir se donner personnellement à Dieu, la liberté du chrétien consiste à le faire, avec la grâce de Dieu. La liberté moderne prétend pouvoir dire non à Dieu, elle oblige à lui dire : « Arrière, Satan ! Pas de liberté pour l'égalité du non avec le oui comme du néant avec l'être ! »
« L'amour ne consiste pas à se regarder l'un l'autre mais à regarder ensemble dans la même direction », Saint-Exupéry le dit contre toute apparence, pourquoi ? Je constate que ce temps fait promettre à l'amour commandé par l'Évangile la concorde et la paix entre les humains, et c'est aussi une étrange lecture de la Bonne Nouvelle, et, derechef, pourquoi ? Je mets en fait que l'homme et la femme dans le mariage s'accordent et se supportent beaucoup plus sûrement par l'amour de leurs enfants que par leur amour mutuel ;
146:215
de même les concitoyens, par l'amour de la patrie ; ce que l'on voudrait cueillir comme le fruit de l'amour mutuel, notre condition terrestre y veut notre union plus haut que nous, un plus haut amour que notre mutuel amour, voire pour que celui-ci ait en lui-même quelque promesse de durée. Qu'il s'agisse de Saint-Exupéry ou de l'Évangile en lecture moderne, on joue sur les mots, à prétendre d'amour mutuel des pauvres humains, en cette vie, ce que l'amour de Dieu nous promet seulement pour le Royaume éternel.
On parle beaucoup d'action évangélique, très peu de ce que, de fait et de droit, il la faille d'abord et surtout, en tout état de cause, contre soi-même et contre le monde, afin d'être à la disposition réelle de Dieu pour ce que Dieu attend réellement de chacun ; alors, action si l'on veut, mais au diable un évangélisme du diable ! Comme disaient les anathèmes traditionnels, et Dieu nous les rende, amen ! Que fut donc l'action évangélique de Jésus-Christ lui-même, -- après, gardons-nous de l'oublier, trente ans de vie obscure à Nazareth, bourgade inconnue ? Visiblement, quels furent les résultats de ce témoignage à la vérité, de ce travail jusqu'à la nuit où nul ne peut travailler ? Que répondre à pareille question, qui ne soit dérisoire, ou ne joue sur les mots, -- sauf à donner foi à toutes les paroles du Sauveur qui en font notre Sauveur par son obéissance à son Père (à partir de son entrée dans le monde, précise l'épître aux Hébreux, 10/5-10), jusqu'à la mort sur la croix, mort que lui impose, non pas son Père, mais le refus des hommes d'obéir à son Père ? Ou cette foi, ou bien le christianisme commence peut-être avec Jésus-Christ, mais si peu que rien. Mais avec cette foi, revenant à notre question, que doit être l'action évangélique de l'Église et de chacun de nous ? Quel sens évangélique attribuer au propos du cardinal Liénart sur son lit de mort : « Humainement, l'Église est perdue » ? Perdue avec son Seigneur sur la croix ? Perdue parce que réduite à l'espérance unique du salut hors de quoi elle se prostitue au monde ? Perdue en recevant l'Esprit de Dieu (Jean, 16/7) ?
147:215
*L'hérésie de l'action :* « Nous referons chrétiens nos frères ! » Les communistes font des communistes, Dieu seul peut faire des chrétiens ; nous n'avons aucun moyen pour cela, -- et, prenons-y garde, même pas les moyens de notre union personnelle à Dieu, qui ne sont que des moyens et non cette union même ; la vie intérieure est un moyen (nécessaire, non suffisant) pour chacun, non pour les autres, de son union à Dieu ; rien de plus que par l'hérésie de l'action humaine, même dans ce cas. Si l'on réfléchit que l'apostolat doit signifier toute action en vue du salut des âmes par Jésus-Christ, ne voir d'action de ce genre qu'extérieure à l'apôtre peut-il aller sans hérésie hurlante ? Notre-Seigneur lui-même, à ce compte, ne nous aurait sauvés qu'en prêchant l'Évangile, non en étant lui-même l'Évangile ?
On ne veut pas la France coupée en deux ; on devrait reconnaître le fait non seulement comme une réalité française, mais y voir le bonheur certain de la réalité française maintenue ; car s'il y a deux France, c'est depuis l'anti-France de « la France mais... » des principes de 1789. De même y a-t-il église contre église depuis l'église conciliaire opposée à l'Église de la tradition, dans l'Église même, par les mêmes principes reçus pour traduction moderne de l'Évangile ; or, s'il était stupidement aveugle de réduire l'humaine société à une table de principes abstraits, que dire de pareille réduction infligée à la Bonne Nouvelle du salut des hommes en l'Homme-Dieu Jésus-Christ ?
Pessimisme, prophètes de malheur, cela se trouve dans l'Évangile, où donc ? Ah ! oui, lorsque Notre-Seigneur annonce à ses apôtres de quelle manière il va être mis fin à sa prédication ; et l'excellent Simon, fils de Jean, que Jésus vient de créer premier pape de son Église, de prendre à partie ce pessimisme et d'en réprimander son Maître ; la réponse de celui-ci renvoie l'optimisme à sa source : le Menteur père du mensonge qui est Satan, et nous arrête aux sentiments des hommes où il faut ceux de Dieu. (Matthieu, 16/21-23.)
Sur quoi, retour à notre titre, en sa juste longueur : très sainte vérité de l'Évangile, très sottes équivoques du droit de l'homme à la liberté.
Paul Bouscaren.
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### La religion démocratique
par Louis Salleron
CHACUN A SES MAROTTES. J'ai les miennes, parmi lesquelles celle-ci qui est maintes fois apparue dans ces chroniques : toute société est soumise aux lois inférieures de la matière et aux lois supérieures de l'esprit ; les lois de la matière sont celles de l'évolution, qui se manifestent essentiellement dans le progrès technique ; les lois de l'esprit sont celles qui, à toute époque, dans toute société, sont reconnues comme normes suprêmes, irréfragables, auxquelles se subordonne l'échelle de normes inférieures.
Toute société, disons-nous. Mais encore ? Eh ! bien, toute société, effectivement, de quelque nature et de quelque dimension qu'elle soit. Plus particulièrement : toute société politique, toute société comprise dans une aire de civilisation. De nos jours : la nation, les « mondes » divers (monde libre, monde communiste, Tiers-Monde, etc.), l'univers entier.
Les lois de l'esprit. C'est-à-dire ? Eh ! bien, ce mélange d'idées et de croyances qui, au-dessus des lois positives, et à des niveaux de plus en plus élevés -- tradition, légitimité, philosophie, religion -- constituent les normes sociales contre lesquelles, tout le temps qu'elles durent, se brisent toutes les oppositions.
149:215
Au sommet, c'est bien de religion qu'il faut parler, car ce seul mot fait comprendre qu'il s'agit de croyance en même temps que d'idée. Ajoutons : en même temps que d'un appareil « sacerdotal » quelconque assez puissant pour imposer la croyance et l'idée. Un exemple, parmi cent autres qu'on peut cueillir tous les matins dans les journaux : le Chili et l'Afrique du Sud n'ont pas été invités au trente-deuxième Salon de l'aéronautique qui s'est tenu en juin au Bourget. Pourquoi ? Parce que ces deux pays sont l'objet d'embargos sur la livraison de matériels aérospatiaux jugés offensifs. Et pourquoi eux, et eux seuls ? Demandez-le à la Sainte Inquisition de la religion moderne. De toute façon, tant qu'il n'y a pas croisade, une inquisition ne peut procéder que de manière parcellaire.
La religion moderne, c'est la religion démocratique, aujourd'hui universelle.
En quoi consiste la religion démocratique ? Dans la substitution de la foi en l'homme à la foi en Dieu. C'est la révolution copernicienne du théocentrisme à l'anthropocentrisme. La vérité ne procède plus de haut en bas, mais de bas en haut. L'immanence succède à la transcendance. La réalité spirituelle n'est que le couronnement de la réalité biologique, dans l'évolution, dans l'histoire, dans l'organisation sociale.
Cependant, dans l'organisation sociale, c'est un fait que le Pouvoir s'exerce de haut en bas. Il faut donc l'accorder à la religion démocratique. Rien de plus facile. Il procédera lui-même de bas en haut, par la révolution, puis par l'électron. Qu'il soit tyrannique est sans importance. Ce qui importe est qu'il confesse son origine, c'est-à-dire le principe de sa légitimité -- son orthodoxie. Si le Pouvoir réfère à Dieu son autorité, s'il se donne pour objectif le bien commun, il est hérétique. La nation hérétique s'excommunie elle-même de la société des nations, ou bien elle est excommuniée.
La religion démocratique est issue de la religion chrétienne sur le tronc de laquelle elle a poussé en deux branches -- la branche maçonnique du monde anglo-saxon, et la branche marxiste du monde communiste.
150:215
Le tronc chrétien se confondait avec l'Église catholique dont la foi vigoureusement proclamée condamnait implicitement ou explicitement le syncrétisme déiste du monde occidental et le matérialisme athée du monde oriental. Mais depuis Vatican II, tout le catholicisme est remis en question. Quel que soit le sens à retenir des textes eu concile, l'interprétation qui en est donnée par la praxis de l'Église post-conciliaire est celle du ralliement à la religion démocratique.
D'où la crise actuelle. Car nous pouvons bien nous dire que le ralliement est superficiel, il est général ; et nous savons que les brûlures ne sont pas tant graves à raison de leur profondeur que de leur étendue. Le corps qui ne peut plus respirer par suffisamment de peau s'asphyxie et meurt.
Les catholiques français se trouvent dans une situation qui leur est un véritable casse-tête. Politiquement coincés entre le libéralisme et le socialisme, ils ne trouvent plus dans les principes traditionnels de leur religion la justification d'une résistance aux forces qui les assaillent. Habitués depuis toujours à l'excommunication civile, ils se retrouvaient du moins dans la communion religieuse. Maintenant, c'est la même excommunication qui les retranche de l'Église et de l'État. Certes il ne tient qu'à eux de vivre en paix avec leur conscience. Ils n'ont qu'à se convertir. De bonnes lectures, une bonne retraite, un bon directeur spirituel les convaincront sans peine que l'orgueil et la désobéissance sont, depuis le paradis terrestre, les vrais péchés contre l'esprit. Repentis, ils bénéficieront d'une tranquillité intérieure qui les ramènera aux douceurs de l'ancien régime, quand régnait l'alliance du trône et de l'autel. Libéraux avancés ou socialistes marxistes, ils auront la double bénédiction de l'Église conciliaire et de la V^e^ République.
Cette paix des surfaces durera bien tout de même un certain temps. Ce ne sont pas les traditionalistes et les intégristes qui risquent de la mettre en péril. L'Histoire, on le sait, ne se déroule que dans un sens. Bien sûr ! Mais la tradition garde ses cheminements souterrains et la vérité subsiste hors du temps. D'où les renaissances qui peuvent avoir la violence et la fraîcheur de l'éternel retour.
151:215
La religion démocratique triomphe. Mais n'expire-t-elle pas en même temps ? En devenant universel son mensonge la tue. N'étant plus soutenue par ce qu'elle prétendait remplacer, elle tombe dans le vide. La mort de Dieu entraîne la mort de l'homme. Le chaos est sous nos yeux.
Il est significatif, et réconfortant, que ceux des jeunes qui s'étaient avancés le plus loin sur les sentiers de la religion, démocratique découvrent avec horreur le gouffre qui est devant eux. Maurice Clavel a poussé le premier cri : *Dieu est Dieu, n... de D...* Maintenant ils sont deux, trois, quatre, cinq... Chaque jour en révèle un nouveau. Philippe Sollers qui chanta la gloire de Mao confesse avec une simplicité qui l'honore : « Je suis de ceux que la lecture de Soljénitsyne a lentement, profondément transformés... » (« Le monde » du 13 mai.) Ce n'est pas Jean Madiran, ce n'est pas Louis Salleron, c'est lui qui écrit : « Le socialisme n'est pas l'alternative du capitalisme, mais sa forme moins réussie, voire tout simplement concentrationnaire », et « nous sommes de plus en plus nombreux à dire, parce que le réel nous y contraint, que le rationalisme et sa pointe systématisée, le marxisme, fonctionnent comme la religion de notre temps ». Eh ! oui, la religion marxiste n'est autre que la religion démocratique poussée à son terme suicidaire.
L'opium des intellectuels et l'opium du peuple.
Mais de quel prix nous faudra-t-il payer la cure de désintoxication ! On tremble rien que d'y penser.
Louis Salleron.
152:215
### CHANTS D'EXIL
« Ils semblent incapables d'apercevoir\
ce qu'il y a de fécond dans une haute tristesse,\
cette tristesse qu'on ne peut pas dire\
et qui n'est que le regret d'une âme exilée,\
mais soulevée de désir\
au point d'en rompre ses amarres. »
André CHARLIER.
NOUS TREMBLIONS, au seuil de notre vie d'homme, d'entendre le témoignage des saints et des martyrs battre le rappel de la seule aventure qui fût digne d'être vécue, désireux de poser nos pas hésitants au-delà des amours humaines, en ces régions où le silence se marie au chant intérieur de l'âme.
Les artistes et les poètes nous guidaient de leurs voix fraternelles, vers les rivages d'éternité que par pudeur, parfois, ils revêtent de parures inattendues.
153:215
Ces chants qui scandèrent notre marche jusqu'au *lieu du tabernacle admirable,* n'ont pas perdu leur saveur. Pour s'être effacés devant les psaumes du sanctuaire ils continuent de vivre à l'ombre de la maison de Dieu comme d'humbles serviteurs, attendant qu'une main amie soulève le voile d'une mystérieuse vocation prophétique.
Honneur donc aux plaintives élégies, aux chants funèbres, aux rites funéraires de l'antiquité où l'on avait coutume, à l'issue d'une sépulture, d'appeler par trois fois l'âme du défunt. On lui souhaitait de vivre heureuse sous la terre. On lui disait : Porte-toi bien, que la terre te soit douce ! Plaignons notre univers déserté des pleureuses.
Honneur à Platon dont la pensée s'élève comme un hymne à la patrie perdue, pressentie et mystérieusement possédée au fond de l'âme.
Honneur à la philosophie qui s'affirme comme un apprentissage de la mort ; et pour laquelle l'âme est dans le corps comme dans une prison.
Honneur au poète anonyme du Haï-Kaï que la grâce a touché pour faire bondir nos cœurs hors des frontières d'exil et qui chante :
*Je m'en vais au pays*
*d'où l'on ne revient pas.*
*et je n'emporterai pas mes pinceaux.*
*Je vais chercher la réponse*
*qui n'est pas dans le chant du rossignol*
*dans le sourire de la femme*
*dans le parfum du Lotus*
\*\*\*
154:215
En climat de chrétienté le poète se retourne un beau jour contre lui-même, interpelle son âme et l'exhorte à mourir avec Jésus-Christ. Ainsi Ronsard, las des beautés qui ne sont pas éternelles :
*Quoi, mon âme, dors-tu engourdie en ta masse ?*
*La trompette a sonné, serre bagage, et va*
*Le chemin déserté que Jésus-Christ trouva,*
*Quand tout mouillé de sang racheta notre race.*
Et son adieu au monde se teinte d'une extrême mélancolie, *sentiment vrai* qui correspond à la vanité des choses de la terre et que nulle musique ne semble avoir jamais égalée :
*Il faut laisser maisons et vergers et jardins,*
*Vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,*
*Et chanter son obsèque en la façon du cygne*
*Qui chante son trépas sur les bords méandrins.*
\*\*\*
Voici l'adieu au monde de Malherbe dans sa sobriété et sa rigueur toute classique :
*N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde,*
*Sa lumière est un verre et sa faveur une onde*
*Que toujours quelque vent empêche de calmer.*
> *Quittons ces vanités*
>
> *Lassons-nous de les suivre*
>
> *C'est Dieu qui nous fait vivre*
>
> *C'est Dieu qu'il faut aimer.*
(Paraphrase du Psaume 45)
155:215
Vers la même époque, Marguerite de Navarre, sœur de François I^er^, écrivait et chantait des poèmes d'une fraîcheur inouïe. Le rythme est celui d'une chanson et l'on songe à Marie Noël ; mais si l'on récite lentement les deux strophes suivantes, on reste frappé par la gravité et l'insistance du propos :
*Je n'ay plus ny Père, ny Mère,*
> *Ny Sœur, ny Frère*
*Sinon Dieu seul, auquel j'espère,*
*Qui sus le Ciel et Terre impère,*
> *Là hault, là bas,*
>
> *Tout par compas ;*
>
> *Compère, Commère,*
>
> *Voici vie prospère*
*J'ay mis du tout en oubliance*
*Le monde et parents et amis,*
*Biens et honneurs en abondance,*
*Je les tiens pour mes ennemis*
> *Fi de tels biens*
>
> *Dont les liens*
*Par Jésus-Christ sont mis à rien,*
*Afin que nous soyons des siens.*
Rien ne me semble plus beau et plus fécond, parmi les chants qui montent de la terre, que ce désespoir raisonnable, ce désenchantement et ce détachement obligé des créatures. L'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ en a fortement marqué l'accent, spécialement dans le livre troisième.
C'est un sentiment chrétien au premier chef. Saint Paul l'appelle la « tristesse selon Dieu » et il en parle comme d'une vertu (2 Cor. 7/10). Elle est le socle de l'espérance théologale. Elle pointe un doigt vers le ciel et y conduit plus que les joies humaines.
156:215
C'est pourquoi les modernistes la haïssent et la persécutent. Le pauvre Verlaine l'a célébrée derrière les barreaux d'une prison, en des vers admirables qui sont dans toutes les mémoires :
*Le ciel est par-dessus le toit*
*Si bleu, si calme*
*Un arbre par-dessus le toit*
*Berce sa palme.*
*Qu'as-tu fait, ô toi que voilà*
*Pleurant sans cesse,*
*Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,*
*De ta jeunesse ?*
L'Ève de Péguy, grande fresque où l'auteur brosse l'histoire du Salut, accuse elle aussi la dure condition des enfants des hommes. Ève, l'ensevelisseuse, évoque l'humanité vouée, comme par état, au déchirement des séparations :
*Et moi je vous salue, ô première mortelle.*
*Vous avez tant baisé les fronts silencieux*
*Et la lèvre et la barbe et les dents et les yeux*
*De vos fils descendus dans cette citadelle.*
Le deuxième vers de ce quatrain, sous l'image admirable du baiser aux morts, marque l'issue tragique de nos amours terrestres, le caractère furtif et impuissant des tendresses d'ici-bas.
\*\*\*
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Quant à Baudelaire, un de nos poètes le plus profondément marqué par le péché originel et la déchéance qu'il entraîne, il a exprimé le cri de l'humanité captive dans un poème extraordinaire intitulé *Les Phares :*
*C'est un cri répété par mille sentinelles*
*Un ordre envoyé par mille porte-voix.*
*C'est un phare allumé sur mille citadelles*
*Un appel des chasseurs perdus dans les grands bois.*
*Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage*
*Que nous puissions rendre de notre dignité*
*Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge*
*Et vient mourir au bord de votre éternité.*
Jamais semble-t-il le lourd sanglot baudelairien, trempé des beautés de la terre, ne s'est trouvé chargé comme aujourd'hui d'impatience, de colère et de sourde tristesse. Fasse le ciel que cette tristesse soit la tristesse selon Dieu, qui fait monter aux yeux les larmes de la pénitence et conduit aux joies de l'éternité.
Benedictus.
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## NOTES CRITIQUES
### La survie soviétique
- Andreï Amalrik : « L'Union soviétique survivra-t-elle en 1984 ? » (Pluriel -- Le livre de poche.)
Sous un titre qui paraît d'autant plus scandaleux que l'opinion française est nourrie dans le respect de « la grande alliée » moscovite, Amalrik donne une analyse de la société soviétique à la fin des années 60. La mort de Staline entraîna une révolution au sommet et révéla le déclin de l'idéologie imposée. Il reste une caste bureaucratique figée qui n'a d'autre but que de perpétuer son pouvoir, avec la crainte que le moindre mouvement le lui fasse perdre. En face, et également passive, se constitue une classe moyenne, où germent des oppositions très minoritaires. Le souci du droit, de « normes écrites » se fait jour. Cependant Amalrik ne table ni sur un progrès lent et naturel des libertés, ni sur une impulsion réformiste lancée par les dirigeants. Les progrès tâtonnants qu'on peut observer sont dus à la décrépitude du régime. Il n'est plus assez fort pour tout empêcher.
Autre point. Le niveau de vie s'améliore lentement. Si ce mouvement était freiné, il y aurait « des explosions d'irritation violente ». Les conséquences seraient redoutables dans un peuple qui identifie liberté et désordre, justice et envie, pour qui le respect de la personne est inconnu. Il n'a connu que le *culte de la personnalité,* qui fut écrasement des individus. De plus « la morale chrétienne avec ses notions de bien et de mal a été extirpée et éliminée de la conscience populaire ; des tentatives ont été faites pour la remplacer par une morale de *classe* que l'on peut formuler approximativement ainsi : est bien tout ce dont le pouvoir a besoin au moment présent ».
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Dans ce sombre tableau, Amalrik sous-estime peut-être la renaissance religieuse que l'on observe, paraît-il, et même la résistance générale des mentalités à la corrosion causée par les institutions. Mais il est mieux placé que nous pour juger ce qui est.
La bureaucratie dirigeante, pense-t-il, sera de plus en plus attaquée par le mouvement constructif (faible) de la classe moyenne et par le mouvement destructif des classes inférieures, à mesure qu'elles découvriront l'impunité. Or, l'U.R.S.S. doit compter avec les nationalismes qui s'affirment en son sein, et elle est menacée par la Chine. Cette menace (encore une possibilité que les Occidentaux, en France particulièrement, rejettent avec indignation) est un souci souvent exprimé par les Soviétiques, et pas seulement par leurs dirigeants. Pour Amalrik la guerre est probable. L'U.R.S.S. s'y trouvera, dit-il, dans la situation où se trouvait la Russie par rapport aux envahisseurs occidentaux. Les difficultés de communication, la lutte avec un ennemi plus endurant, plus nombreux, habile à la guérilla, ces facteurs joueront cette fois contre elle.
S'il survient une défaite grave, l'empire risque de se désintégrer. Les nationalismes transcaucasiens, asiates, exploseront. Le renversement du pouvoir ne laissera sans doute pas place à un régime pluraliste et modéré, mais à une forme quelconque de pouvoir totalitaire, à cause de la situation qu'on a vue plus haut (faiblesse de la classe moyenne, nationalisme profond, rudesse de la population).
Maintenant, pourquoi 1984 ? A cause du sens symbolique pris par cette date depuis le livre d'Orwell, mais cela ne doit pas égarer. Amalrik ne joue nullement au prophète. Il expose, après son analyse, des hypothèses, mais, en historien, il sait qu'il faut s'attendre à l'imprévisible. Et depuis la rédaction de son essai, la situation s'est modifiée, non pas en U.R.S.S. mais, comme le remarque A. Besançon, de notre côté. Une autre question se pose : l'Europe occidentale survivra-t-elle en 1984 ?
La situation était résumée l'an dernier par un diplomate, sous cette forme : ou bien le glacier fondra d'abord, ou bien la marmite explosera la première. Qui succombera le premier : le glacier russe ou la marmite européenne, nous ne pouvons le savoir.
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Certains croient que justement parce qu'elle pense beaucoup à la menace chinoise, l'U.R.S.S. voudra neutraliser l'Europe occidentale, pour être assurée sur ses arrières. Ce sont là des calculs bien difficiles, et, dans mon incompétence, il y a une question que je voudrais poser. Si le comité central ne vise que la conservation du pouvoir, ne doit-il pas craindre des remous en Europe de l'Ouest si d'une manière ou d'une autre (conquête ou plus probablement victoire électorale) ces pays tombaient sous sa coupe ? La France, l'Italie, l'Espagne bientôt sans doute, sont agitées de mouvements contestataires, anarchiques, nihilistes qui menacent de ruiner leurs économies, et qui ont valeur d'exemple. Pouvoir conservateur, le comité doit redouter tout ce qui affaiblit l'autorité, même hors de ses frontières, et il n'a plus assez de force conquérante pour être sûr de réduire le désordre. Il convoite les riches industries de l'Ouest, mais a-t-il besoin de les voir ruinées ? On peut se demander si la situation la plus favorable pour l'U.R.S.S. n'est pas une Europe de l'Ouest productive et prospère pour peu que ses gouvernements soient dociles à son égard. (Encore une fois, c'est un ignorant qui parle.)
La politique française depuis dix-neuf ans répond tout à fait à cette demande. Au point qu'Amalrik, justement, après que le président de la république ait refusé de le recevoir, a parlé de « finlandisation » de la France.
Cette finlandisation s'observe très bien, comme on sait, dans tous les moyens d'information et de communication. Les exemples sont quotidiens, inutile d'insister. Il s'est créé en France une situation où les intellectuels ont tracé eux-mêmes les limites de leur cage. Pas besoin de K.G.B. pour les maintenir dans la docilité. Ils savent d'instinct quels sont les faits qu'il ne faut commenter que les yeux baissés, les livres dont il ne faut pas parler, et ceux pour qui l'encensoir est indispensable. Ce conformisme est d'autant plus puissant que chacun aime à faire croire que son choix est volontaire. Or cette volonté est inclinée par le souci de plaire à des partis puissants (et demain peut-être tout-puissants), par l'intérêt (un livre diffusé par les bibliothèques des mairies communistes ou par les comités d'entreprises de la C.G.T. est assuré d'une large vente ; les jurys littéraires sont orientés comme il faut et le font savoir), par la mode enfin (tout le monde n'aime pas se faire regarder de travers).
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Un double système de tri renforce cette situation : le choix des éditeurs qui savent très bien qu'il faut éditer Marx, sûrement pas Proudhon, et Fourrer, mais pas J. de Maistre ; le chœur des critiques, qui ne tiennent pas à se distinguer.
Cependant l'opposition est permise, à l'intérieur. La pensée marxiste peut être mise en cause, si l'on a fait la preuve qu'on était de la maison ; la nostalgie du Blida des années 30 est bien accueillie si c'est celle de Jean Daniel, etc., de même que la méfiance à l'égard des sociétés techniques a été reçue comme une révélation, quand elle est venue du gauchisme. En somme, la « gauche » tend à occuper tout l'espace. Non sans modifier considérablement les idées, les sentiments ainsi annexés ; mais sous leur forme originelle, ils sont exclus, scandaleux, non-reçus.
Il n'est pas impossible d'être hors de la cage (cette revue en est la preuve), mais cela entraîne des inconvénients. N'empêche, il le faut, et c'est (encore) infiniment plus facile en France que ce ne le fut pour Amalrik en U.R.S.S. Nous pouvons méditer ce très beau passage de sa lettre à Kouznetsov ; nous aurons sans doute de plus en plus besoin de la méditer :
« Vous parlez continuellement de liberté, mais il s'agit toujours de la liberté extérieure, de la liberté autour de vous, et jamais de la liberté intérieure, c'est-à-dire celle qui fait que la force, qui peut agir si puissamment sur l'individu, est incapable de violer son intégrité morale. Or, sans cette liberté, à laquelle est liée la responsabilité, il n'y a pas de vraie liberté extérieure. Peut-être, dans certains pays, la liberté d'exprimer ses pensées est-elle donnée à l'individu aussi facilement que l'air qu'il respire ? Mais là où il n'en va pas ainsi, je pense qu'elle ne résulte que d'une défense obstinée de la liberté intérieure propre à chacun.
Vous écrivez que le K.G.B. soumet les écrivains soviétiques aux persécutions et au chantage. Bien entendu, ces procédés ne peuvent que soulever la réprobation. Mais ceux qu'ont employés les écrivains soviétiques pour s'y opposer sont incompréhensibles. Se dresser contre le K.G.B. c'est terrible, mais en somme, qu'aurait à redouter l'écrivain russe si, avant sa tournée à l'étranger, il se refusait à collaborer avec lui ? Il n'irait pas à l'étranger, ce dont il avait sans doute très envie, mais il n'en demeurerait pas moins un homme honorable.
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En refusant de collaborer, il perdrait une certaine mesure de liberté extérieure, une mesure peut-être considérable -- mais en acquérant une liberté intérieure plus grande. Vous écrivez : on m'interrogeait, on me donnait des ordres, la censure me brimait continuellement, etc. Il me semble que si vous cédiez chaque fois, si vous faisiez ce que dans le fond de votre cœur vous jugiez répréhensible, vous ne méritiez pas un meilleur traitement du K.G.B. ou de la censure. »
Il n'y a évidemment aucun parallèle possible entre la situation de l'écrivain en France et de l'écrivain en U.R.S.S. En France, on ne déporte pas les indociles, on ne les tue pas, on ne les traîne même pas par les cheveux dans une prison (c'est arrivé à Amalrik). Mais il semble bien que la courbe de la liberté qui remonte en U.R.S.S. grâce à l'héroïsme de quelques-uns, chute en France par la veulerie à peu près générale. Et ce qui est menacé précisément, c'est la liberté intérieure, citadelle de toutes les autres. C'est pour cela que ce texte ne doit pas être lu comme s'il décrivait une réalité étrangère, mais en tant qu'il s'adresse directement à nous.
Georges Laffly.
### Église contre bourgeoisie
- Émile Poulat : « Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel » (Casterman.)
Dans *Catholicisme, démocratie et socialisme* dont nous avons parlé ici même ([^99]), Émile Poulat annonçait la publication imminente d'*Église contre bourgeoisie,* qui vient de paraître ([^100]). Sous-titre : *Introduction au devenir du catholicisme actuel.*
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En fait, *Catholicisme, démocratie et socialisme* traitait déjà de la question, mais à partir d'un personnage (Mgr Benigni) et sans sortir ni de la vie et de l'œuvre de ce personnage ni de l'époque où elles se déploient (de Léon XIII à Pie XI). Au contraire, *Église contre bourgeoisie* est un essai personnel sur ce qu'on appelle « la crise actuelle de l'Église ». Après vingt années ou plus d'explorations profondes dans le catholicisme du XIX^e^ siècle et du XX^e^ siècle, Émile Poulat nous propose sinon une explication de tout ce qui se passe sous nos yeux, du moins un fil directeur qui nous permettrait de *comprendre* ou d'*essayer de comprendre.*
D'une lecture difficile, le livre foisonne d'idées. C'est pourquoi nous croyons bon d'en dire tout de suite les deux majeures (telles, au fond, que les révèlent le titre et le sous-titre) :
1\) Depuis la Révolution, c'est contre la *bourgeoisie* que l'Église mène son combat principal. -- La proposition peut paraître étrange. On dira : ce n'est vrai que depuis quelques années, car l'Église a été l'alliée de la bourgeoisie pendant tout le XIX^e^ siècle et la première moitié du XX^e^. Erreur, répond Émile Poulat. Le monde issu de la Révolution, le monde moderne, c'est le monde de la bourgeoisie. L'Église n'a jamais accepté de se réconcilier avec ce monde, celui du progrès, du libéralisme et de la civilisation qui en est issue. Alors pourquoi ne pas dire « Église contre progrès », ou contre libéralisme, ou contre monde moderne ? Parce que tous les mots sont pipés et qu'en fin de compte « bourgeoisie » est peut-être encore le plus clair, en tant qu'il évoque la réalité dominante du monde moderne et qu'il marque une séparation d'avec le milieu populaire consubstantiel à la religion chrétienne.
2\) Ce qui est en train de dévorer le catholicisme, ou du moins ce qui le mine et le menace d'une manière inédite, c'est la *modernité. --* Tout le livre tend à cette conclusion ; mais celle-ci n'apparaît que dans le dernier chapitre, et encore dans les dernières lignes seulement de ce chapitre. A telle enseigne qu'il suffit de les reproduire pour qu'on saisisse en quoi la modernité introduit « au devenir du catholicisme actuel » :
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« Sur l'arbre de l'évolution humaine, un nouveau rameau a surgi, qui diverge de l'homme nouveau prôné par le christianisme. De Pie IX à Paul VI et au P. Thomas \[le prédicateur de Notre-Dame\] l'accord est constant : la crise que nous vivons est d'abord spirituelle. D'un siècle à l'autre, est seulement devenue plus évidente la clé de voûte du nouveau système de valeurs : changement, rationalité, efficacité, avenir, organisation, abondance, la civilisation industrielle repose sur sa volonté de développement. Devant le procès qui lui est intenté, les chrétiens ont à se situer, dans la claire conscience que l'exigence évangélique des béatitudes les met en situation de rupture avec la société où nous vivons. Monde moderne, monde bourgeois, on en revient toujours là quand on veut remonter à l'origine. Du Syllabus à nos jours, la *modernité* n'a fait qu'imposer davantage sa domination. D'autres discours catholiques sur elle peuvent naître : le discours intransigeant n'a pas renoncé à son analyse ; il se trouve seulement affronté à une situation de plus en plus disproportionnée, tandis que, sous nos yeux, se consomme une rupture culturelle. Il y a aujourd'hui, en France, de jeunes prêtres qui n'ont jamais fait un mot de latin.
« Tu as vaincu, Galiléen !... » Tu as vaincu, Modernité, et c'est ce qui te confère la légitimité historique. Tu nous domines et tu nous tiens, tu nous entraînes on ne sait où et c'est pourquoi, invinciblement, on s'interroge tant sur toi, de plus en plus, un peu tout le monde et un peu partout. Minute de consensus. Comme en d'autres circonstances la minute de silence. Terre des hommes. »
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Le livre, disons-nous, est d'une lecture difficile. On ne s'en douterait pas aux deux propositions dont nous faisons le fil directeur de la pensée de l'auteur. C'est que nos deux propositions sont outrageusement simplificatrices. Nous ne les en croyons pas moins exactes. Mais dès qu'on commence à lire le livre, il faut concentrer toute son attention pour le suivre sans en rien perdre. Chaque phrase lue exige d'être relue pour être parfaitement comprise et reliée aux phrases qui la précèdent. Le goût exacerbé d'Émile Poulat pour la précision, la nuance, les distinctions nécessaires ne laisse pas au lecteur le loisir de rêver. Ajoutons que sa réflexion se meut dans un cadre et selon une méthode, voire un vocabulaire, qui déroutent parfois le profane.
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Il est question de « types », de « modèles », de « matrices », etc. Un seul exemple pour nous faire comprendre : « Dès lors, l'analyse se décompose, et, de globale, devient matricielle, par croisement de variables à plusieurs composantes. Le modèle le plus simple peut s'en tenir à quatre combinaisons. On recherchera d'abord ce qui vient de chaque filière, évitant tout amalgame entre sources documentaires ou thèmes traités, et discernant, pour autant qu'il se peut, la part des influences réciproques. On distinguera ensuite, et en permanence, deux niveaux... », etc., etc. Ne nous plaignons pas. Chaque science a ses rigueurs. La sociologie historique a les siennes, et on ne peut qu'en reconnaître la valeur par les travaux d'Émile Poulat.
Ceci dit, la table des matières permet d'entrevoir tant la variété que l'homogénéité de l'ouvrage.
D'abord, neuf « prénotations » : 1. Du changement religieux. -- 2. La religion atavique. -- 3. Engagé dégagé. -- 4. Le catholicisme au pluriel. -- 5. La société parlante. -- 6. La société pensante. -- 7. Religion, économie et société. -- 8. Comprendre autrui. -- 9. Logos et mana.
Ensuite, huit chapitres : Ch. I. *Religion et politique.* -- II*. S'adapter ou pas. --* III*. Ancien Régime et Catholicisme intégral. --* IV. *La démocratie mais chrétienne. --* V. *Un conflit triangulaire. --* VI. *Cheminements de la pensée chrétienne. --* VII. *La guerre des sens. --* VIII. *Le labyrinthe de la modernité.*
Il faudrait prendre chacune de ces prénotations et chacun de ces chapitres pour les analyser et en discuter. Mais c'est impossible. Tout cela est d'une telle densité qu'un livre serait nécessaire. Ce qui ressort nettement, c'est que derrière les variations de la politique vaticane se profile toujours le même catholicisme « intransigeant », qui n'est autre que celui de la foi catholique et qui en fait un bloc irréductible au bloc du monde moderne. (D'où nos deux propositions simplificatrices.)
Dans un livre récent où il s'amuse à collectionner les louanges prodiguées par les évêques français à tous nos régimes successifs ([^101]), Pierre-Marie Dioudonnat exhume un texte caractéristique de Pie XI. Celui-ci, fustigeant (en 1938) les États totalitaires modernes, déclare :
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« Il y a là une grande usurpation, car s'il y a un régime totalitaire -- totalitaire de fait et de droit, c'est le régime de l'Église, parce que l'homme appartient totalement à l'Église, doit lui appartenir, parce que l'homme est la créature du bon Dieu, il est le prix de la Rédemption divine, il est le serviteur de Dieu, destiné à vivre pour Dieu ici-bas, et avec Dieu au ciel » (p. 189). Depuis la guerre, le mot « totalitaire » ne passe plus. Mais que l'Église soit une totalité totalisante, face au monde moderne qui en est une autre, demeure. Si P.-M. Dioudonnat commente parfois de manière désinvolte les palinodies épiscopales de notre histoire nationale, c'est très heureusement qu'il met en épigraphe à son livre le texte de saint Jean : « Donc tu es roi ? lui dit Pilate. -- « Tu le dis ! je suis roi, répondit Jésus, et je suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Jn, XVIII, 37-38). Voilà la racine du catholicisme « intransigeant ». Voilà qui explique l'immuable sous le changement, l'unité sous les variations de la politique vaticane, l'unité même des catholiques à travers leurs querelles.
Une question, cependant, se pose. Quand nous parlons du catholicisme « intransigeant », ne parlons-nous pas au passé ? L'unité de l'Église n'est-elle pas en train d'éclater ? La religion de l'immuable ne devient-elle pas celle du changement ?
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C'est ici qu'entre en jeu la *modernité.* Pourquoi ce mot plutôt qu'un autre ? Parce qu'il est le plus neutre et le plus général, évoquant tout ce qui fait le monde moderne, indépendamment de tout jugement de valeur. Il est donc préférable à « modernisme », « laïcité », « sécularisation » et d'autres mots analogues.
Mais la modernité n'est-elle pas, si l'on peut dire, éternelle ? N'y a-t-il pas eu, à chaque époque, un fait de modernité qui s'opposait au passé ? La querelle des anciens et des modernes n'est-elle pas de tout temps ? Sans doute, mais la coupure n'a jamais été aussi marquée qu'aujourd'hui. Question de degré qui devient question de nature. Saut quantitatif qui devient qualitatif. Non plus évolution accélérée mais mutation brusque et absolue. Notre modernité, « c'est le mode sur lequel la nouvelle société coupe le cordon ombilical qui la relie à son passé et en exorcise les survivances » (p. 247).
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Couronnant les sept précédents, le huitième et dernier chapitre du livre -- *Le labyrinthe de la modernité --* expose admirablement cette éruption du Nouveau Monde dans lequel nous nous retrouvons soudain, sans avoir eu seulement le temps de nous apercevoir que nous avions quitté l'ancien (ou qu'il nous avait quittés).
« Avide, aveugle et, en son fond, *totalitaire *» (p. 248), la modernité est, finalement, le monde du développement économique issu de la science et de ses applications techniques. Ce développement a été à ce point rapide et universel qu'il a envahi toute notre vie privée au même titre que notre vie publique. Au sens où Teilhard parle du *milieu divin,* nous pouvons parler du *milieu moderne* qui est, précisément, le *milieu humain.* « Terre des hommes » dit Poulat. Ce sont les trois derniers mots de son livre. La modernité, c'est l'*humanisme --* l' « hominisme » devenu religion en face du déisme et, plus spécialement, du christianisme, car nous nous retrouvons dans la religion de l'Homme qui se fait dieu, en face de la religion du Dieu qui s'est fait homme.
Ces conclusions, c'est nous qui les tirons, car Émile Poulat s'en tient toujours à son exposé historico-sociologique et chacun peut en tirer les conclusions qu'il veut. De plus, pour étendue que soit son investigation, elle ne constitue pas une synthèse. Ses huit chapitres sont un peu comme les annexes d'un discours qu'il n'a pas écrit et que nous regrettons qu'il n'ait pas écrit. Mais la volonté qu'il a de s'en tenir à l'examen approfondi de chaque point qu'il aborde lui interdit apparemment de présenter une vue globale de l'évolution de l'Église depuis un siècle et demi.
Laissons ces critiques -- qu'il recevrait comme des compliments -- pour arriver aux questions qu'on ne manquera pas de se poser après la lecture de son livre. (On se les posait dès avant, mais on se les pose, après, avec encore plus de force.)
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*Première question*. -- Dans quelle mesure le *milieu moderne* a-t-il remplacé le *milieu chrétien ?*
Depuis quatre siècles ou plus, l'humanisme se répand et prend la place du christianisme. Aujourd'hui sa conquête semble totale. Il y a encore des chrétiens, mais le *milieu moderne* a remplacé le *milieu chrétien*. Le monde moderne n'est plus chrétien et sa victoire est si complète qu'il ne voit même plus un obstacle dans ce qui peut subsister de christianisme ici ou là.
Telle est l'image reçue. Dans la mesure où elle est contestée, c'est à un niveau qui ne l'atteint pas. Il s'agit toujours de reliques du passé, il ne s'agit pas de la réalité vivante et dominante du monde présent. Qui pourrait soutenir que le christianisme *anime* les milieux politiques de droite ou de gauche, les milieux scientifiques, les milieux industriels, les milieux intellectuels ? Il y a des chrétiens partout ; leur christianisme n'est plus le *vinculum substantiale* d'aucune force sociale.
Et pourtant... Pourtant le fait chrétien est encore là. Il est dans les paysages, dans les mentalités, dans les structures sociales, dans le calendrier. Il est dans la religion populaire et dans les saints. Il est dans la maçonnerie qui le ronge et dans le marxisme qui le nie. Bien mieux, chez ceux qui ont été jusqu'au bout de la religion moderne il ressuscite après la descente en enfer. C'est alors Soljénitsyne, et tant d'autres issus des profondeurs du Goulag ; ce sont, chez nous, les jeunes gauchistes qui, avec Clavel, redécouvrent Dieu dans le cadavre de l'Homme.
Alors ? Comment concilier cette contradiction ? Comment apprécier, jauger, mesurer cette disparition du milieu chrétien et, en même temps, sa présence permanente ? Tout instrument d'évaluation nous échappe.
*Deuxième question*. -- La crise actuelle de l'Église n'est-elle qu'une crise d'*adaptation *?
Émile Poulat a un chapitre : « S'adapter ou pas. » Mais de quoi s'agit-il ? Il écrit : « Le catholicisme est-il une religion *évolutive ou absolue *? A cette question, le Syllabus avait répondu sans équivoque dans les limites de son horizon. Nous comprenons maintenant qu'elle reposait sur une autre question : le catholicisme est-il une religion *individuelle ou sociale ?* On allait bientôt découvrir que celle-ci renvoyait à une nouvelle question : le catholicisme est-il une religion *conservatrice ou révolutionnaire ?* » (p. 85)
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Ces questions sont-elles intimement liées ? Ce n'est pas certain ; mais ce qui l'est c'est qu'elles le sont dans la crise actuelle, surtout depuis le concile. Pourrait-on les distinguer ? Nous pensons qu'on le pourrait et qu'il y aurait tout intérêt à le faire. Car les oppositions de l'individuel et du social, du conservateur et du révolutionnaire, sont classiques. Les conflits possibles qu'elles évoquent sont le reflet de courants passagers qui finissent par se résoudre en quelque sorte d'eux-mêmes, comme l'Histoire en témoigne. Tandis que l'opposition de l'évolutif et de l'absolu est nouveau. C'est elle qui est à la racine de la crise actuelle. L'idée que le catholicisme est une religion évolutive est aujourd'hui l'idée dominante, celle qui est au pouvoir. Elle donne son véritable caractère à la crise actuelle, affectant ensemble l'intelligence (philosophie) et la foi (théologie).
*Troisième question*. -- L'Église catholique peut-elle *changer ?*
Cette question est dans le prolongement immédiat de la précédente et en étroite relation avec la première, mais elle a tout de même sa signification propre. Tout dépend du contenu du *changement*. Inhérent au temps, le changement affecte toute la création. L'Église donc change. Mais les changements de l'Église sont superficiels. Ils ne concernent que sa vie institutionnelle, sa vie temporelle. Sa substance est immuable comme la vérité qu'elle incarne. L'Église du Verbe incarné ne peut changer. Telle est la foi catholique, aujourd'hui mise en question. Subtilement. Les novateurs prétendent que la foi est la même, ainsi que l'objet de la foi. Mais ils les détachent de leur expression traditionnelle à un point qui vide de sens leur affirmation, laquelle se fait d'ailleurs de plus en plus molle. Au fond, ils pensent comme Teilhard de Chardin qui disait crûment que la Réforme actuelle, bien plus profonde que celle du XVI^e^ siècle « n'est plus une simple affaire d'institution et de mœurs, mais de Foi ».
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Nous en sommes là, et l'idée se propage rapidement que l'Église peut et doit changer, comme elle est d'ailleurs en train de le faire. Cette idée se fonde parfois sur l'assertion curieuse (émise par Teilhard dès la première guerre) qu'une religion ne vit pas plus de 2 000 ans. (Comme si, pour ces évolutionnistes inconséquents, le temps était homogène et que les millénaires avaient la même durée à toute époque de l'histoire du monde.) Nous serions donc arrivés au terme d'une religion catholique qui aurait fait son temps et nous entrerions dans une nouvelle religion qui serait celle d'un christianisme aussi différent du nôtre que celui-ci était différent du judaïsme dont il est issu. L'équivoque du pontificat de Paul VI laisse se développer cette idée dont nous voyons les effets partout -- dans la théologie, la catéchèse, la liturgie, la morale, etc. Fruit de cette équivoque, la nouvelle messe la propage dans ce qui subsiste du milieu chrétien.
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Le livre d'Émile Poulat nous aidera puissamment à réfléchir à ces questions. Il nous y eût aidé davantage si son auteur avait consenti à sortir des limites historico-sociologiques de son enquête. Mais peut-on faire grief à un homme de science de vouloir rester dans le domaine de sa compétence ? Admirons plutôt tant d'ascèse et de modestie. Il nous apporte des matériaux, avec la garantie de leur qualité et des indications sur la manière de les utiliser. A nous d'en faire, à notre choix, des usines ou des cathédrales.
Louis Salleron.
### La révolution sans visage des media
- Hugues Kéraly : « Les media, le monde et nous. » (Cercle de la Renaissance française.)
Les lecteurs d'ITINÉRAIRES y ont lu (en mars) la parabole de la sole. Elle ouvre plaisamment ce livre grave.
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Il s'agit d'un sujet capital : les « media », comme on dit, constituent l'entreprise la plus efficace de décomposition de l'homme qu'on puisse concevoir. Or, tout le monde est touché, et les moyens de défense passent d'abord par la connaissance de la pression subie. Il s'en faut que nous soyons tous conscients de cette pression, de la déformation insidieuse et de la dépendance qui s'ensuivent. Un tel livre peut nous y aider. Il est donc nécessaire de le lire, et d'en appliquer les leçons.
Kéraly commence par reconnaître trois caractéristiques des grands media : « l'impersonnalité du mode de diffusion, le prestige de l'institution émettrice et une invincible tendance à « moraliser » tous les messages transmis ». Le premier point est complété par ceci : le message est à sens unique. On reçoit (l'image, le texte), on ne renvoie rien. Et s'adressant à un public de masse, sans tenir compte des différences d'âge, de sensibilité, de formation, l'émetteur nous transforme tous en éléments de la masse. Tous égaux devant le petit écran, ou le transistor. Tous dépendants.
Or, Marcel De Corte le notait dans « l'information déformante », et Kéraly reprend le point, cette information massive, obsédante, incontrôlable par les usagers « fabrique avec une facilité déconcertante de faux événements, des réputations, des célébrités, *tout un univers politique et social d'apparences *». Un événement est important dans la mesure où il est diffusé. Des faits capitaux, s'ils ne sont pas retenus, échappent au public, sont comme s'ils n'étaient pas. Et le petit milieu qui est maître de l'ensemble de l'information (il y a *pluralisme* apparent et de plus en plus *univocisme* réel, P. Chaunu s'est expliqué là-dessus) retient beaucoup d'informations : par souci politique, par mode, étant lui-même conformiste, par paresse, par intérêt. Nous sommes donc saturés d'informations qui donnent une image trompeuse de la réalité. Sauf dans les cas où nous touchons du doigt cette réalité (par métier, ou dans une situation géographique et historique donnée) nous ne nous doutons pas de la tromperie. Et même si nous la découvrons sur un point, nous n'osons pas généraliser et nous méfier constamment, ce qui est pourtant la seule règle saine.
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Cet environnement par l'information n'est pas un simple brouillard, qui un jour ou l'autre pourrait se lever. Il a une action. Il diffuse des idées, des sentiments, des mœurs, « ces nouveaux modes de pensée et d'action qu'une révolution sans visage entend imposer aujourd'hui à tout l'univers »
Le livre se termine par un essai plus bref sur Soljénitsyne, tel qu'il est présenté par l'information. On voit ici sur le vif comment une grande voix, une voix unique, est déformée, assourdie, déviée, par des media qui ne pouvaient en aucun cas la transmettre sans la filtrer : sa puissance et la leur ne peuvent cohabiter.
Excellente et claire analyse, ce livre doit être lu et médité. Il aura, espérons-le, pour un certain nombre, la vertu d'un vaccin. Et nul ne peut se passer aujourd'hui d'une telle immunisation, s'il veut garder l'esprit libre.
Georges Laffly.
### Bibliographie
#### Mircea Eliade Forgerons et alchimistes (Flammarion)
Jusqu'au début du XIX^e^ siècle, on a cru que les pierres « poussaient », croissaient comme des embryons au sein de la Terre. On fermait certaines mines pour laisser le temps aux filons minéraux de se régénérer.
Longtemps aussi, la métallurgie a été conçue comme une entreprise sacrée (en Afrique du Nord, les forgerons berbères ont encore un statut à part), qui ne se concevait pas sans un rituel, et une initiation. C'est qu'il s'agissait de transformer la Nature : tirant du minerai le métal, l'homme se substituait au Temps, il activait le mûrissement des substances. Mircea Eliade étudie ces rites, tels qu'on les connaît en Afrique, en Asie. Le lien avec l'alchimie est certain.
173:215
Si les métaux croissent et mûrissent dans la Terre, le terme de leur transformation est de se transformer en or, métal parfait. Et les opérations alchimiques, elles aussi, ont pour but d'activer la Nature ; l'homme y accélère le temps. Cependant l'alchimie avait aussi un autre sens, qui était de transformer le « philosophe » lui-même son action sur la matière n'était que le signe de son exercice spirituel, et l'or la preuve de la conquête de l'immortalité.
Le rationalisme technique ne comprend plus tout cela. Notre métallurgie se moque bien des rites archaïques, et l'alchimie passe pour un des premiers essais, tâtonnants, de chimie. L'homme d'aujourd'hui estime qu'il sait, lui, activer et transformer la Nature. Le gain est certain, par rapport aux anciennes pratiques. La perte ne l'est pas moins, comme le rappelle Eliade dans la conclusion de son essai :
« Pour fournir l'énergie nécessaire aux rêves et aux ambitions du XIX^e^ siècle, le travail a dû être sécularisé. Pour la première fois dans son histoire, l'homme a assuré ce très dur travail « pour faire mieux et plus vite que la Nature », sans plus disposer de la dimension liturgique qui, dans d'autres sociétés, rendait le travail supportable. Et c'est dans le travail définitivement sécularisé, dans le travail à l'état pur, dénombré en heures et en unités d'énergie dépensées, que l'homme éprouve et sent le plus implacablement la durée temporelle, sa lenteur et son poids. »
Georges Laffly.
Ouvrages précédemment recensés de Mircea Eliade :
-- *Fragments d'un journal,* par Georges Laffly, dans ITINÉRAIRES, numéro 179 de janvier 1974, p. 178 et suiv.
-- *Histoire des croyances et des idées religieuses.* Tome I : *De l'âge de la pierre aux mystères d'Éleusis,* par Louis Salleron, dans ITINÉRAIRES, numéro 207 de novembre 1976, p. 148 et suiv.
#### M. C. Meaux Jean Chouan, héros de légende (F. Lanore)
Le breton Jean Cottereau, dit Jean Chouan, combattit et mourut pour Dieu et pour le Roi. Héros de légende, c'est vrai, mais d'une légende que nos haut-parleurs de l'information ne diffusent pas trop.
174:215
C'est pourtant à la mode, les guérilleros paysans révoltés contre un pouvoir sanguinaire. Alors ? Il doit y avoir quelque chose que j'oublie.
G. L.
#### Pierre-Robert Leclercq Avez-vous lu Daradada ? (Pierre Horay)
Un romancier défend le roman contre des pédants roublards. Il a raison, sans doute, mais la seule bonne défense de ce genre littéraire, c'est de l'illustrer. On est sûr que l'auteur s'y emploiera.
G. L.
#### Vladimir Voïnovitch Les aventures singulières du soldat Ivan Tchoukine (Seuil)
Un bidasse soviétique est chargé de garder un avion tombé dans un champ. On est en 1941, la guerre arrive, on l'oublie. Mais Tchoukine ne connaît que la consigne.
Cette farce prodigieuse en apprend mille fois plus sur la société soviétique que les œuvres du « réalisme socialiste » : l'armée, le kolkhoze, l'autodidacte darwinien qui veut créer un hybride de pommes de terre et de tomate, la délation, la police secrète (« l'Institution »), à chaque page on découvre une réalité terrible : mais l'auteur se hâte de nous en faire rire, de peur de nous amener à trembler. Sans doute, quelquefois la truculence n'est pas de très bon goût, et il me semble que l'auteur abuse du procédé qui consiste à faire rêver tel ou tel personnage.
175:215
Mais franchement cela doit-il compter en face des qualités d'invention, de liberté d'esprit, de force satirique que l'on trouve à chaque page ? Je ne crois pas.
Voïnovitch joue à merveille de la bonhomie rusée, de la fausse naïveté. Il fait rire et du même coup, il fait réfléchir. Il montre l'imposture et il est sans haine (sans haine en tous cas pour les marionnettes que l'on voit ici, non responsables). L'histoire de Gladychev et du cheval qui devient homme (et même bon communiste), la discussion entre deux chefs d'équipe où l'un d'eux raconte comment en 1916, il réprimait les émeutes -- dans son esprit, les émeutiers sont devenus des gens qui criaient à bas Staline -- bien d'autres scènes sont inoubliables.
G. L.
#### Pierre de Calan Côme (La Table ronde)
Récit singulier, attachant, auquel on ne peut reprocher qu'un excès de discrétion. Il nous laisse en effet un peu incertains sur la personnalité de celui qui en est l'objet : Côme, novice des trappistes. Mais est-ce un reproche si justement l'auteur a voulu nous laisser sur cette interrogation ?
Côme, nous le connaissons à travers le monologue du Père Abbé de la grande Trappe (celle de Rancé). Il est venu un jour, adolescent, demander à entrer au couvent. Il laissait une famille où il ne se sentait pas à l'aise. Il était sûr de sa vocation. Pourtant deux fois il quittera la Trappe, et y revenant une troisième fois, il mourra en route, dans la neige. Ni sa piété, ni son ardeur ne sont en cause. Son humilité, peut-être ? Ce n'est pas sûr. Le Père Abbé le fera enterrer avec les autres moines.
L'auteur cerne ce personnage avec un art nuancé, précis, délicat, mais il a voulu, semble-t-il, en laisser intact le mystère.
G. L.
176:215
#### Eugène Lapeyre Poésie (Éditions de Chiré)
Une poésie toujours soucieuse d'aller à l'essentiel, et, ce qui est plus rare, décidée à y rester fidèlement attachée : telle est l'œuvre d'Eugène Lapeyre qui se situe aussi près que possible des enseignements théologiques de l'Écriture. Mais s'adonner à la poésie, n'est-ce pas consentir d'une certaine manière au contingent, à l'anecdotique, aux prestiges d'un « divertissement », et finalement à quelque futilité ? Tout chrétien épris de création littéraire s'est posé le problème, ou se le posera. Eugène Lapeyre nous confie ce scrupule, le médite et réintègre la poésie dans le service de la Parole et du Royaume quand il écrit « Et peut-être il fallait ne pas nous laisser prendre... » et les poèmes suivants. L'œuvre humaine est le « palais de sable », comme le dit le titre de la partie lyrique du recueil. L'élévation sans complaisances de l'inspiration commande un style sans fioritures ; lapidaire et didactique, il conserve pourtant le mouvement continu et l'intonation de discrète confidence indispensables au lyrisme et sans doute d'ailleurs à tout langage poétique. Cet aspect est particulièrement original et sensible dans les poèmes en vers de cinq ou même quatre pieds ; ils éveillent dans l'esprit du lecteur comme des réminiscences de très anciens cantiques en même temps qu'ils le captivent par la fermeté d'une pensée toujours attentive à la quête suprême. Ailleurs l'auteur a préféré, avec des mètres plus amples, le vers libre classique en dépit des difficultés qu'il réserve à une méditation suivie : les inversions, inévitables en dépit de la consigne de Banville, une syntaxe parfois tourmentée quoique sans licences. Dans cette inspiration, Dieu est toujours premier servi, l'anecdote est rare : tout au plus quelques évocations du terroir niçois du poète, pour illustrer une solide conviction traditionaliste. Mais presque toujours c'est la Parole divine qui est directement écoutée avec l'intense ferveur d'une foi cherchant à comprendre. Les deux pièces de théâtre qui constituent la seconde partie s'inscrivent dans la même orientation : un « connais-toi toi-même » qui ne s'arrête pas à soi-même.
177:215
Telle est la leçon de « La Joie » ; il en émane un charme étrange, on croit y revoir des ombres de personnages raciniens. Et de fait E. Lapeyre a proclamé son admiration pour le grand tragique en préférant ce qui chez lui permet à la parole poétique d'aller vers le divin. Les personnages semblent incarner les affections, intentions et tentations diverses d'une âme en route vers la « source pure » ; ils font songer aussi à ceux du théâtre ou de la poésie morale médiévale qui représentent les protagonistes du dialogue intérieur, mais avec une grâce plus souple et plus sensible. Le paysage, également symbolique, reste esquissé mais suggestif : la barque, les joncs, le vent, les arbres de la forêt abattus qui symbolisent un dépouillement d'esprit conçu non comme une fin en lui-même, mais comme une étape dans le voyage incertain :
« J'ai longtemps confondu les routes de l'amour -- Avec celles portant jusqu'à vous notre avance », dit le Prince. La tragédie du « Jeune homme riche » aux personnages plus nettement dessinés reprend la tradition ancienne des fictions licites établies sur des épisodes de l'Écriture où certains humains ne sont qu'entrevus, leur destinée ultérieure nous restant inconnue. La construction de la pièce est ingénieusement ordonnée et nous ménage graduellement ce plaisir de découverte qu'un barbarisme commode appelle aujourd'hui le « suspens ». Mais la leçon religieuse, le mystère des desseins divins, les étonnantes surprises offertes par les existences guidées par la providence, s'imposent à tout moment de l'action. L'œuvre d'Eugène Lapeyre est originale, multiple dans ses formes et ses ressources, et sait garder la grâce dans l'austérité ; elle doit être connue, et tout d'abord de ceux qui ont des oreilles pour entendre.
Jean-Baptiste Morvan.
178:215
## CORRESPONDANCE
### Une lettre du cardinal Gouyon
L'archevêque de Rennes, le cardinal Paul Gouyon, n'a pas apprécié l'article d'Hugues Kéraly paru dans notre numéro 213 de mai : *Une église livrée à Bouddha.* Il a écrit au Directeur d'ITINÉRAIRES, avec demande d'insertion, la lettre que l'on va lire ci-après.
L'essentiel de cette lettre consiste à prétendre en substance que le cardinal-archevêque de Rennes n'a aucune responsabilité en ce qui concerne les choses qui ont pu se passer dans une église de son diocèse.
#### Lettre du cardinal Gouyon au Directeur d' « Itinéraires »
Le 31 mai 1977
Monsieur le Directeur d'ITINÉRAIRES
4, rue Garancière
75006 PARIS
*Monsieur le Directeur,*
*On m'a communiqué le numéro 213 du 15 mai 1977 de votre publication* ITINÉRAIRES. *Sous la plume d'un Monsieur Yves* KÉRALY, *j'y lis avec stupeur l'affirmation suivante :*
Rectifions les références inexactes du cardinal-archevêque de Rennes. Le numéro 213 d'ITINÉRAIRES n'est pas « du 15 mai 1977 », il est de « mai 1977 ». Il aura sans doute confondu avec le numéro 48 du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR qui est, lui, du « 15 mai ».
L'article incriminé n'est point « d'un Monsieur Yves Kéraly ». Il est d'Hugues Kéraly.
179:215
« *Lundi 7 mars 1977, en l'église Saint-Germain de Rennes, la plus ancienne et la plus belle de tout son diocèse, Son Éminence Monseigneur le Cardinal* GOUYON *a fait célébrer d'inoubliable manière la mémoire de saint Thomas d'Aquin, docteur de la foi. *»
*Suit un récit de l'événement. Il déclare que la statue de Bouddha a été placée sur l'autel et a été l'objet d'offrandes et de prières, le tout assorti d'une déclaration faite par Monsieur le Curé de la paroisse.*
*L'article continue :* « *Quelle ignoble tranquillité il atteint aujourd'hui dans la consommation de son sacrilège cet évêque qui a proscrit formellement la messe catholique traditionnelle... pour remplacer la croix du maître-autel à Saint-Germain de Rennes par la statue du dieu Bouddha. *»
*Voici la vérité que je vous prie de porter à la connaissance de vos lecteurs :*
*Je n'étais même pas au courant du concert de musique religieuse bouddhique dont parle l'article de Monsieur* KÉRALY. *Je n'en ai appris l'existence que le lendemain par le compte rendu du journal* « *Ouest-France *»*. C'est une contre-vérité de dire que* « *le Cardinal* GOUYON *a fait célébrer d'inoubliable manière *» *la mémoire de saint Thomas et que j'ai* « *remplacé la croix du maître-autel par la statue du dieu Bouddha *»*.*
*Tout le monde sait à Rennes le souci de fidélité aux orientations liturgiques du concile dont témoigne le clergé de Saint-Germain. La bonne foi de Monsieur le Curé a été surprise comme il m'en a lui-même assuré. Car la déclaration que vous en avez reproduite a été faite non pas* après *le concert, mais* avant, *en un moment où Monsieur le Curé ne pouvait savoir ce qui allait se passer.*
L'église Saint-Germain est proche de la Maison de la Culture. C'est pourquoi sa direction, qui s'est toujours conduite avec une parfaite loyauté et une parfaite correction, a demandé à Monsieur le Curé d'autoriser que des concerts religieux soient donnés dans l'église de la paroisse, et c'est pourquoi Monsieur le Curé a donné cette autorisation. En la circonstance, la Maison de la Culture a agi en toute bonne foi. Elle a été aussi surprise que le clergé lui-même de l'allure étrange qu'a prise le concert.
180:215
*Le public a été d'autant plus décontenancé que nul ne comprenait la langue employée et personne n'a pris aucune part aux dialogues et aux chants. Il n'y a eu de la part de l'assistance aucun acte de culte à supposer qu'il y en ait eu de la part des exécutants.*
*D'ailleurs, tout le monde a pu voir que la statue de Bouddha n'était pas sur l'autel mais sur une table en avant de l'autel. Il est encore possible à tous ceux qui ont conservé le numéro d'Ouest-France du 7 mars qui a rendu compte de cette manifestation de le constater. On voit très bien cette table en avant de l'autel dont le dessinateur d'Itinéraires qui a illustré l'article a fait l'économie, puisqu'il a, sans scrupule, placé, lui, la statue de Bouddha sur l'autel.*
*S'il y a eu des assistants à mal se tenir, c'est uniquement à* *la fin de la soirée où, quelques rares personnes, tout au plus, ont allumé une cigarette en s'en allant, ce que nous sommes unanimes à regretter.*
*En ce qui concerne mon attitude* (*dont il est question à la fin de l'article*) *envers ceux qui ont cru devoir refuser l'* « *Ordo Missae *» *du pape Paul VI, elle est de respect pour les personnes* (*que j'ai été toujours prêt à accueillir dans les églises du diocèse si elles acceptaient la liturgie préconisée par le concile*) *mais de fidélité au pape et au concile.*
*Très volontairement, je n'ai pas voulu donner un tour polémique à ma réponse. J'espère en la bonne foi de vos lecteurs. Je leur laisse le soin de juger et du fond de l'affaire et du ton dont je me suis servi pour répondre*
*Je regrette seulement que l'article de Monsieur* KÉRALY *ait été tiré à part et soit devenu un* « *supplément-voltigeur N° 48 *» *qui a été répandu -- sans doute abondamment -- notamment à la sortie de Saint-Nicolas du Chardonnet. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais détromper les lecteurs de ce supplément.*
*Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de ma considération.*
Paul GOUYON
Cardinal-Archevêque de Rennes.
181:215
#### Réponse du Directeur d' « Itinéraires » à l'irresponsable de Rennes
**1. -- **Jusqu'ici les églises d'un diocèse passaient pour être sous la responsabilité de l'évêque. Ce que l'on y fait se fait de par sa volonté ; ou alors contre sa volonté, auquel cas l'évêque le manifeste spontanément par sanctions et réparations. L'évolution conciliaire aura changé tout cela. Dans le cas présent, l'archevêque de Rennes trouve suffisant de faire savoir par ITINÉRAIRES que, contrairement aux apparences et au droit, il n'était « même pas au courant ».
**2. -- **La déclaration du curé de Saint-Germain a été faite avant et non après la cérémonie bouddhiste. Bien. Mais examinons un peu cette déclaration. S'agissant seulement d' « autoriser que des concerts religieux soient donnés dans l'église de la paroisse », chose courante dans l'Église d'avant le concile, pourquoi donc a-t-il éprouvé le besoin de donner, comme motif de son autorisation, le motif conciliaire que voici :
« C'est pour nous une répercussion concrète de l'ouverture de Vatican II d'une part aux religions non chrétiennes, en particulier hindouisme et bouddhisme, d'autre part aux liturgies chrétiennes de diverses confessions. »
On ne voit pas quelle importance subtile le cardinal Gouyon peut bien attacher au fait qu'une telle déclaration ait été prononcée « avant » ou « après ». Son importance obvie consiste en ce que le curé de Saint-Germain, pour justifier l'autorisation donnée aux bouddhistes d'utiliser l'église, a invoqué *Vatican II* et son *ouverture aux religions.* Oui, son ouverture aux *religions* et non pas à la *musique.*
182:215
**3. -- **Déclaration faite à coup sûr après l'événement, celle de Son Excellence Mgr Marcel Riopel, qui est l'évêque auxiliaire et le vicaire général du cardinal Gouyon. Cette déclaration a été confiée à l' « informateur religieux » Jean Bourdarias qui l'a rapportée en ces termes dans le *Figaro* du 21 mars (termes reproduits dans la *Documentation catholique* du 3 avril, en note à la page 313)
« A Rennes Mgr Riopel, vicaire général, nous a précisé qu'il n'y avait jamais eu de « célébration » bouddhiste à Saint-Germain, mais un concert de musique religieuse bouddhiste organisé par la Maison de la Culture. »
L'archevêque de Rennes se tient-il pour également irresponsable des témérités qu'il fait prononcer, ou laisse prononcer, par son vicaire général ?
Le vicaire général affirmait : -- *Il n'y a jamais eu de célébration bouddhiste.*
Aujourd'hui, le cardinal Gouyon se déclare incapable de savoir et de comprendre si oui ou non les moines bouddhistes ont fait un « acte de culte ».
Cette précision, *différente* de l'affirmation de Mgr Riopel, que le cardinal Gouyon publie maintenant dans ITINÉRAIRES, l'a-t-il aussi envoyée au *Figaro* et à la *Documentation catholique ? --* Ou bien la *Documentation catholique* et le *Figaro* devront-ils venir chercher eux-mêmes dans ITINÉRAIRES les rectifications qu'il leur faut désormais apporter à ce qu'ils avaient publié ?
D'autre part, le cardinal Gouyon a-t-il l'intention de demeurer dans l'incertitude où il gît actuellement sur le point essentiel ?
**4. -- **La statue de Bouddha n'était pas directement sur l'autel. Dont acte. Elle était sur une tablette tout contre, juste en avant de l'autel. L'effet de perspective nous a trompés, comme il peut tromper ceux qui feront l'expérience de se reporter sans idée préconçue à la photographie parue dans *Ouest-France.* Mais cette rectification de quelques centimètres change quoi à quoi ?
183:215
**5. -- **Le cardinal Gouyon glisse sur son « attitude » concernant la messe traditionnelle, interdite *de par son autorité* dans toutes les églises de son diocèse. De cela aussi, serait-il « même pas au courant », et irresponsable ?
Eh bien qu'il m'écoute et qu'il m'entende bien. Qu'il prenne donc la *responsabilité,* passive et muette, mais stable, de ne rien faire ou laisser faire dans son diocèse contre la MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE SAINT PIE V. Rien contre les prêtres qui la célèbrent. Rien pour les empêcher de la célébrer dans les églises qui ont été édifiées pour cette célébration. Il ne sera ni le premier ni le seul évêque à consentir cette « tolérance ». Et à lui comme aux autres, nous en saurons gré ; sous la forme discrète d'une « tolérance » réciproque.
**6. -- **L'article d'Hugues Kéraly n'a nullement été « tiré à part ». Il a été reproduit dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, qui n'est pas un tiré à part mais une publication périodique régulièrement inscrite comme telle à la commission paritaire des publications et agences de presse. La lettre du cardinal Gouyon y sera également publiée, cela va de soi et tout le plaisir sera pour nous.
**7. -- **A la sortie de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, on n'a point *répandu,* ni déversé, propagé, disséminé, éparpillé, diffusé ou distribué le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR ni la revue ITINÉRAIRES. Certes, nous sommes à Saint-Nicolas du Chardonnet. Nous avons dit pourquoi et dans quel esprit nous y sommes. Ni dans le chœur, ni à la sacristie : au milieu des fidèles.
184:215
Nous y allons non pour mettre en avant nos personnes ou attirer l'attention sur nos publications, mais pour assister au saint sacrifice de la messe, pour adorer le saint sacrement exposé, pour supplier le Seigneur d'avoir pitié de nous-mêmes, de notre peuple abandonné, de nos évêques qui se perdent. Nous n'y voulons gêner ni déranger personne, et surtout point ceux qui dirigent cette action, c'est la raison d'une discrétion qui n'exprime aucune réserve de principe. On connaît notre position. J'en renouvelle l'énoncé : -- *C'est à l'appel de Mgr Ducaud-Bourget que Saint-Nicolas du Chardonnet a été occupé à partir du premier dimanche de carême afin que soit célébrée à Paris, dans une église, la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. Mgr Ducaud-Bourget, promoteur de cette initiative opportune et bien menée, en a le mérite, l'honneur, la responsabilité, la direction. Il y a gagné une autorité morale très largement accrue qui le désigne à la confiance et à l'affection des catholiques parisiens pour conduire jusqu'au bout cette entreprise, dont la valeur d'exemple et le retentissement naturel et surnaturel grandissent dans l'Église universelle.* Cela dit, il n'y a aucune propagande d'ITINÉRAIRES à l'intérieur ou à la sortie de Saint-Nicolas du Chardonnet. Le cardinal Gouyon se trompe quand il imagine que le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR aurait été « répandu sans doute abondamment notamment à la sortie de Saint-Nicolas ». Il a été envoyé à ses abonnés qui, en qualité et en quantité, se portent suffisamment bien, merci.
**8. -- **La lettre du cardinal Gouyon ne « détrompe » pas nos lecteurs, elle leur confirme ce que nous leur avions dit. Les quelques centimètres de rectification dans la localisation de la statue de Bouddha ne font ni chaud ni froid à personne. L'irresponsabilité invoquée par l'archevêque ne lui sera pas reconnue. Aucune cérémonie réparatrice n'a été ordonnée. Tout cela ne fait qu'ajouter un motif supplémentaire à notre revendication : -- *Nous réclamons d'autres évêques.*
J. M.
185:215
## DOCUMENTS
### L'honneur du Liban
*Le discours d'Hugues Kéraly au meeting du 10 mai*
Le Comité des Étudiants Libanais de Paris, le Comité d'Aide aux chrétiens du Liban, le Comité de Solidarité franco-libanaise et la rédaction du journal *La Cause* (organe des phalangistes libanais à Paris) avaient organisé le mardi 10 mai 1977, à la Faculté de Droit de la rue d'Assas, un grand meeting politique sur la guerre de libération nationale du Liban chrétien
Jean Foyer, ancien garde des sceaux, avait accepté de figurer comme invité d'honneur de cette réunion, et d'y porter son témoignage propre. Mais c'est un véritable tonnerre d'applaudissements qui devait accompagner et conclure la vibrante intervention de notre collaborateur Hugues Kéraly sur les mensonges haineux de la presse française à l'égard des résistants du Liban chrétien, et de leur guerre, qui fut une guerre sainte, une guerre de *libération nationale,* en réponse à une agression étrangère caractérisée.
Voici le texte intégral du discours de notre collaborateur, salué comme « le vrai visage de la France » par la communauté libanaise de Paris, et les très nombreux phalangistes présents à cette manifestation
186:215
Je remercie les étudiants libanais de Paris d'avoir abandonné à un simple journaliste l'honneur, d'ouvrir cette réunion. Honneur difficile à porter devant eux, je l'avoue, sans quelque confusion. Car la presse a joué son rôle dans le drame encore brûlant qui nous rassemble ce soir. Elle y est même intervenue de toutes ses forces. Elle a jeté dans la bataille le formidable écran de ses haines et de ses parti pris. A sa manière, qui est celle des coercitions occultes, de la propagande, du pouvoir sur les esprits, elle a armé la première le bras des agresseurs, et conspiré au génocide du Liban chrétien. C'est à réparer cette monstrueuse insulte, l'insulte faite au Liban par la majorité de mes confrères de la presse française, que je voudrais consacrer mon intervention.
La plupart d'entre vous sont bien placés ici pour le savoir : face aux événements du Liban, le mensonge des puissances qui fabriquent chez nous l'opinion a été immédiat, systématique et complet... Dans cette affaire, on nous aura menti sur tous les plans, avec une mauvaise foi sans faille, due à une longue pratique du genre ; on nous aura menti à jet continu, en répercutant servilement sur les ondes le cri et la propagande des envahisseurs ; on nous aura menti enfin depuis le début, en faisant mine, tout simplement, de se tromper de guerre.
Les Français ont d'abord appris sans trop comprendre que le Liban connaissait une guerre de religion ; comme si, dans ce conflit, la présence des révolutionnaires palestiniens « réfugiés » sur le territoire avait joué le rôle d'un simple détonateur. Oui, voilà ce que beaucoup répètent encore aujourd'hui : une horrible guerre de fanatisme religieux ; des minorités musulmanes oppressées contre les puissants partis chrétiens ; de l'Évangile, contre le Coran. -- Rien n'est plus faux, rien n'est plus odieux que cette orchestration insidieuse du grand tam-tam tribal de la radio-télé, cette invention pure et simple des cannibales de la presse française, et les reporters qui ont pu circuler au Liban le savent mieux que personne... Le Liban est une grande nation profondément pacifique, la plus ancienne peut-être et certainement la plus civilisée de tout son continent. Le Liban est aussi une grande nation chrétienne : la première dans l'histoire, vous le savez, à avoir embrassé la foi de Jésus-Christ.
187:215
Et c'est précisément pour ces raisons, parce que le Liban est une grande Cité pacifique, civilisée et chrétienne au Proche-Orient que les Libanais de toutes races et de toutes confessions, les occidentaux et les orientaux, les majorités chrétiennes et les minorités druzes ou musulmanes, vivent en bonne intelligence jusqu'en 1975 sur tout le territoire du pays. -- Qui pourrait accréditer devant cette assistance la fable d'une guerre de religion au Liban ? Les Feddaynes palestiniens qui ont mis ce beau pays à feu et à sang étaient si peu soucieux en vérité de défendre la leur qu'ils ont renversé à Beyrouth la statue du grand leader musulman RIAD SOLH, pionnier de l'indépendance libanaise. Ils étaient si peu représentatifs de la communauté musulmane installée au Liban qu'un grand nombre de leurs prétendus frères dans la foi ont pris les armes contre eux aux côtés des phalanges chrétiennes de CHAMOUN et de GEMAYEL... ! Et donc, comme tout cela commençait un peu trop à crever nos écrans, il a bien fallu promouvoir un autre mensonge.
On a tout fait alors pour nous convaincre que le Liban entrait dans une sorte de guerre économique, une guerre de classes sociales ennemies s'appliquant à réaliser au pied de la lettre les prophéties de Marx : la lutte à mort entre les oppresseurs accrochés au pouvoir et la masse des opprimés démunis de tout ; en l'espèce, la révolte des Palestiniens misérables contre les riches bourgeois chrétiens des villes... Voilà pourquoi, sans doute, les camps où se retranchaient les pauvres Feddaynes palestiniens après avoir glorieusement assassiné dans la rue femmes et enfants, voilà pourquoi ces camps dits de « réfugiés » se trouvaient militairement mieux défendus -- grâce aux armements et aux conseillers de Moscou -- que le mur de Berlin, ou notre redoutable ligne Maginot ; voilà pourquoi aussi dans l'autre camp -- grâce au blocus occidental -- on en était réduit à se procurer des fusils au marché noir, dont chaque livraison restait suspendue à d'incroyables complicités, et des prouesses de diplomatie typiquement libanaise. -- En vérité, s'il faut vraiment qu'il y ait eu des riches et des pauvres dans cette guerre du Liban, la richesse ne coulait pas du côté des phalanges chrétiennes, mais bien des agresseurs palestiniens : riches des munitions et des armes de Moscou ; riches des trésors de violence et de haine qu'une Révolution sans visage entretient sur tous les points chauds de la planète ; riches des applaudissements fébriles de la grande presse et de l'intelligentsia dans le monde entier ; riches encore, hélas, de la lâcheté et du silence des nations chrétiennes d'Occident !
188:215
On nous a dit et répété enfin que le conflit éclaté au Liban offrait toutes les apparences d'une guerre civile. Et cette fois, nous tenons quelque chose qui ressemble peut-être à une vérité. Encore faut-il s'entendre sur les mots. On ne trouve point dans la réalité sociologique du Liban, à proprement parler, de « droite » et de « gauche », de « conservateurs » et de « progressistes » comme nous l'entendons chez nous : l'indépendance, l'unité politique de ce pays sont trop récentes, trop chèrement acquises pour que les grands partis nationaux puissent s'y payer le luxe d'une dialectique aussi décadente et contraire aux intérêts généraux. Et c'est pourquoi aussi toutes les grandes réformes sociales adoptées au Liban depuis le début des années cinquante ont été préparées et votées sur l'initiative des élites chrétiennes et musulmanes réunies. -- Si donc il y a eu guerre civile au Liban, c'est qu'une agression devait être déclenchée en effet de l'intérieur, sur l'ensemble du territoire national, contre les populations *civiles* libanaises. Mais cette agression, il faut le dire, il faut le crier à la face du inonde, à tous ceux qui aujourd'hui encore ne le savent pas, n'est pas une agression de « classe » ; c'est une agression étrangère caractérisée. -- Guerre civile tant qu'on voudra, mais guerre civile préméditée et entretenue sur le sol du Liban par ceux-là mêmes auxquels le Liban avait offert son hospitalité : les Feddaynes palestiniens ! Non, ce ne sont pas les partis politiques chrétiens, druzes ou musulmans qui portent le déshonneur d'avoir voulu plonger le Liban dans une guerre fratricide, attiser la haine entre ses diverses communautés et appeler ainsi au génocide de tout un peuple. Le Liban est menacé de mort depuis des années par une agression absolument étrangère à toutes les familles politiques et spirituelles du pays : il est menacé sur ses frontières, par la coalition d'un monde arabe acquis aux idéaux de la Révolution ; il est menacé dans ses rues, par la pire vague de terreur et de violence qui se soit abattue sur ce coin du monde depuis plusieurs décennies ; il est menacé dans ses familles, dans ses écoles, ses universités, son administration, dans toutes ses institutions civiles et religieuses, par l'intrusion d'une idéologie de haine et de mort qui fait horreur aux traditions séculaires du Liban.
189:215
Et cette agression qui n'a pas de visage défini porte tout de même un nom : celui du terrorisme international, du socialisme esclavagiste et cannibalier, du communisme intrinsèquement pervers ! Les Palestiniens victimes de sa propagande ne savent probablement pas tous qu'ils font le jeu d'une stratégie d'asservissement universel dont ils seront les premières victimes, mais c'est ainsi. -- Oui, il y a eu bel et bien une invasion étrangère armée au Liban. Oui, il y a eu résistance nationale aux prétentions de l'envahisseur. Mais alors il faut appeler aujourd'hui les choses par leur nom, et honorer les combattants du Liban chrétien comme on honore chez nous les grands martyrs de la Résistance. La résistance héroïque des chrétiens du Liban est une cause sainte s'il en fut c'est une guerre d'identité civique et culturelle, une guerre d'intégrité et de sauvegarde, une guerre de *libération nationale !*
Depuis six mois aujourd'hui, les armes se sont tues au Liban. Il s'en faut de beaucoup que la paix et l'autorité de l'État soient rétablies pour autant sur l'ensemble du territoire. Tant que les puissantes -- organisations pro-communistes du monde arabe continueront d'y imposer leur loi de haine et de violence à toute une partie de la population, le Liban hélas n'a pas le droit de se sentir en paix : il reste un pays menacé de disparition. Mais il faut savoir que les événements de l'année dernière au Liban resteront dans l'histoire comme le premier échec du communisme dans l'invasion de cette partie du monde méditerranéen, plate-forme stratégique pour la domination de l'Europe, et berceau de la Chrétienté ! C'est un devoir pour les chrétiens du monde entier de s'en réjouir hautement, et de puiser enfin dans l'exemple du Liban le courage de se réveiller avant la victoire planétaire des totalitarismes, et l'implantation de l'universel Goulag... Que si nous nous sentons bien loin ici des massacres de l'Angola ou du Liban, gardons vivantes en nos mémoires les déclarations du nouveau leader de la diplomatie américaine : « *Peu importe que l'Afrique entière bascule dans le communisme, si les États-Unis peuvent continuer de commercer avec ce continent. *» Pourquoi les États-Unis d'Amérique appliqueraient-ils demain à l'Europe un point de vue différent ? Et par quel miracle sociologique, par quel renversement de toute son histoire, le communisme intrinsèquement pervers, terroriste, esclavagiste, tribal, cannibalier, changerait-il donc de visage en descendant chez nous ?
190:215
Nous voici bien prévenus : face au progrès du totalitarisme sur tous les continents, les minorités d'hommes libres et lucides ne peuvent plus compter que sur elles-mêmes. C'est un devoir tout spécialement pour le peuple libanais d'en tirer les leçons, de se préparer à défendre chèrement et plus seul que jamais son héroïque victoire de 1976. Car le communisme, lui, ne risque pas de poser les armes.
Le communisme est un système. Il est même le seul système de conquête et de gouvernement politique qui se réduise à cela : une *praxis,* une science pratique de l'asservissement des peuples et des esprits. C'est pourquoi il est vain de lui opposer, avec nos hommes politiques, avec l'O.N.U., des « convictions profondes » sur les droits de l'homme et sa liberté, convictions qu'il sera le premier à applaudir, en attendant le jour de leur imposer silence, comme il le fait partout ailleurs dans le monde, et de nous étrangler.
Le communisme est le système qui, dans l'histoire, a su le mieux organiser le mensonge général sur sa propre finalité, la participation active et constante des futures victimes à la propagande des envahisseurs et des bourreaux : le système qui fait crier à mort, dans nos rues, sur les combattants du Liban chrétien ou le Chili de Pinochet, mais injecte chaque matin du soufre dans les veines de ses propres dissidents, déporte deux millions de personnes à Phnom Penh, et en fusille trois mille à Addis-Abeba, pour se faire la main, avant d'étendre le massacre à toute l'Éthiopie !
Le communisme est le système qui, dans le monde, a su le plus radicalement s'asservir le mensonge des politiques, des journalistes et des intellectuels. Il est le crime incarné de l'abdication des intelligences au XX^e^ siècle, le résultat de leur communion dans le crime...
Et voici qu'on ose accuser notre anti-communisme de manquer de *discernement !* Voici qu'on le qualifie de primaire et de viscéral, qu'on le regarde aujourd'hui jusque dans nos milieux comme une quasi grossièreté... Eh bien, la victoire du Liban chrétien nous débarrasse aujourd'hui de cette accusation. Elle montre qu'on ne s'opposera jamais à l'avance du communisme avec de simples formules électorales, des accords au sommet ou des déclarations de principe ; qu'on ne répond pas par des sermons et des états d'âme au tir des mitrailleuses lourdes et des chars d'assaut !
191:215
Voici que nous entrons dans la période sans doute la plus absurde de toute l'histoire ; voici qu'il est devenu impardonnable pour nos pays de vouloir conserver un seul terroriste en prison -- mais somme toute bien normal, en face, d'y exterminer par millions les nationalistes et les croyants ; excusable, sans importance, de la part des communistes, de réduire en esclavage trois ou quatre pays nouveaux par an, de l'Afrique à l'Asie -- mais tout bonnement criminel pour leurs adversaires politiques d'oser seulement mettre en doute l'honnêteté des accords d'Helsinki ou du programme commun...
Face à tant de bêtise et de collaboration concertée, à tant de lâcheté politique et morale, à toute cette montagne de pourriture intellectualisante, s'il faut encore une formule à l'anti-communisme, si la liberté de dire son nom doit passer par l'insulte, préférons l'insulte à l'indignité *primaire, systématique et viscéral,* oui, c'est notre formule !
Honneur aux morts de l'indépendance libanaise ! Ils ont rouvert les droits de l'Occident à la considération des siècles à venir. Ils intercèdent aujourd'hui auprès du Père céleste et Tout-Puissant, Dieu des armées, pour qu'Il nous envoie sa lumière et sa force.
Honneur aux résistants du Liban chrétien ! Ils ont sauvé des doctrines de mort le cœur historique de notre civilisation, de notre patrimoine spirituel commun. Ils ont montré la voie à suivre aux derniers chrétiens d'Occident. *Hugues Kéraly.*
\[Fin de la reproduction intégrale du discours d'Hugues Kéraly en hommage aux combattants du Liban chrétien.\]
192:215
Le soutien de la revue ITINÉRAIRES aux combattants de la résistance nationale libanaise s'est manifesté dès le mois de janvier 1976 par l'inoubliable témoignage de « Benedictus » sur le premier volontaire français mort au Liban : *Le capitaine Borella* (éditorial du numéro 199). Depuis, nous avons signalé à nos lecteurs l'existence et les activités du COMITÉ D'AIDE AUX CHRÉTIENS DU LIBAN (BP 478, 75830 Paris Cedex 17), fondé l'été dernier par Pierre de Lassus. Voici maintenant l'adresse de l'excellent bulletin mensuel LA CAUSE, dirigé par Nabih Abou Rahal, étudiant et phalangiste chrétien ; ce périodique, qui est comme l'organe de la résistance libanaise à Paris, publie de nombreux témoignages vécus sur la guerre de libération nationale au Liban : « *La Cause *»*, 15, rue d'Ulm, 75005 Paris*
193:215
### « Jésus, connais pas »
Sous ce titre a paru dans « L'Express », numéro 1347 des 2-8 mai 1977, un article d'Alain de Penanster dont voici la reproduction intégrale.
Cet article a pour sous-titre : «* Le succès de la laïcité a dépassé ses objectifs. Trop d'enfants ignorent tout des religions. Et en souffrent culturellement et psychologiquement. *»
Il y aurait matière à beaucoup de commentaires. Nous ne formulerons que de brèves observations, auxquelles ne se limiteront certainement pas les réflexions que pourront faire nos lecteurs.
Ce jour-là, le professeur d'une « école active » emmène ses élèves voir une exposition de primitifs italiens. Il fait remarquer « les lointains bleutés » et « la naissance de la perspective » quand Emmanuel, 7 ans, demande : « Mais qui c'est, la dame avec un bébé sur les bras qu'on voit partout ? Et le bébé, qui c'est ? » Les premières questions sur Marie et Jésus en suscitent d'autres, élémentaires.
Ces élèves viennent pourtant d'un milieu dit « privilégié ». Si certains ignorent tout du christianisme, religion la plus répandue en France, ils ne savent rien non plus du judaïsme et de l'islam. Ni la famille ni l'école ne leur ont fourni ces informations nécessaires à une simple culture générale.
194:215
« Le succès de la laïcité a dépassé ses objectifs », explique Monique Gilbert, qui vient de publier chez Ramsay le livre d'initiation religieuse : « Il était plusieurs Fois ».
Pourquoi ? « Quand l'enseignement français est devenu laïc, les éducateurs pensaient qu'il serait complété par le catéchisme catholique, l'école du dimanche protestante ou le Talmud juif. Mais l'imprégnation religieuse a diminué ; d'où une lacune dans l'éducation. »
\[Le succès de la laïcité a dépassé ses objectifs déclarés. Il atteint des objectifs dont les catholiques ont toujours dit que c'étaient ses objectifs réels (ou si l'on veut la conséquence inévitable de ses objectifs déclarés) : la déchristianisation.\]
Quelles que soient les convictions des parents, l'enfant demande tôt ou tard qu'on lui explique des expressions du langage : « gueule de carême », « Béziers, la Mecque du rugby », « le calvaire des enfants martyrs ». Les parents répondent comme ils peuvent. Combien savent que l'expression « pleurer comme une madeleine » vient des sanglots de Marie-Madeleine aux pieds du Christ ?
L'inconscient collectif de l'Occident reste modelé par les religions judéo-chrétiennes. Quand les enfants n'y ont pas accès, ils se sentent décalés. Déjà, les feuilletons télévisés américains font des allusions à Moïse, aux soldats de Gédéon ou à la pêche miraculeuse, qui semblent hermétiques à beaucoup de jeunes Français. Car ces feuilletons s'adressent à un public protestant auquel la Bible est plus familière.
\[La Bible a toujours été également familière aux enfants élevés dans la religion catholique : c'est « L'Histoire sainte », sous beaucoup de formes, et par exemple sous celle de la Bible de la comtesse de Ségur.\]
Au-delà de l'information sur l'extérieur, la plupart des hommes, un jour ou l'autre, s'interrogent personnellement sur la religion. Selon le psychanalyste Jacques Lacan, « le fait de ne jamais se poser de question religieuse est un signe de grave anomalie psychique ».
195:215
Il s'agit non pas d'adhésion à une Église, mais d'éducation. Monique Gilbert y distingue trois niveaux. D'abord, connaître une des grandes religions, qui peut ouvrir un accès au monde spirituel. Puis, acquérir des rudiments sur les autres religions pratiquées dans notre société. Enfin, pratiquer éventuellement.
« Chez certains parents, la religion a remplacé comme tabou la sexualité, estime Monique Gilbert. Ils hésitent à en parler, par pudeur ou par crainte d'imposer. Comme si l'on pouvait imposer quelque chose aux enfants actuels ! Résultat : des traumatismes pires que ceux du temps de la messe obligatoire. » Il manque un lien social. En mai, la police enregistre des fugues d'enfants élevés dans l'athéisme : c'est la période des communions solennelles, et ils se sentent exclus.
L'information élémentaire sur les autres confessions peut désamorcer rumeurs et haines. Le bruit a longtemps couru que les Juifs célébraient en secret des sacrifices sanglants ou pouvaient attirer des puissances occultes. Un médecin juif qui a en province une clientèle importante dit : « Je crains que certains de mes malades ne me consultent qu'à cause de ma religion, qu'ils croient ésotérique. Ils me prennent pour un sorcier, un super-rebouteux, ça ne me flatte pas. »
Dans une « école active », un élève de 7^e^ a été découvert presque asphyxié dans un recoin. De religion juive, il écoutait à travers une porte le cours facultatif sur le catholicisme, « pour connaître les secrets ».
L'information réciproque a l'avantage d'obliger à réfléchir sur certains épisodes de l'histoire des religions qui peuvent sembler révoltants : le meurtre du Christ, les massacres d' « infidèles » au nom de Dieu, l'Inquisition, les chicanes actuelles sur les sanctuaires de Jérusalem. Les deux millions et demi de musulmans qui habitent la France y forment, numériquement, la deuxième confession. A l'âge impitoyable de l'école, l'ignorance entre religions peut provoquer des blessures durables : « Trabadja la moukère, prie vers là, mec ! Tu vas voir la charcuterie, on va te faire bouffer du cochon ! » A Paris, une enseignante d'école communale proche du Front de Seine a rétabli la paix en improvisant pour tous des cours d'initiation au christianisme et à l'islam. « Deux difficultés : réunir la documentation et répondre aux questions. »
196:215
Les réponses précises sont assez faciles à obtenir de la part des responsables juifs et musulmans, dont les religions sont codifiées, et des protestants, qui ont l'habitude de l'Écriture.
Chez les catholiques, le vieux « catéchisme à l'usage des diocèses de France » n'a pas été réédité. L'enseignement religieux des enfants se fait à partir de brochures variées, selon les âges et les milieux culturels. Pour le compléter, on compte sur les commentaires oraux. « C'est la grande pagaille des catéchismes », disent les traditionalistes. « Le catholicisme n'est pas un code, mais un appel au dépassement », répond l'abbé René Berthier.
Aucun manuel catholique unique ne sera édité immédiatement : on attend le synode de Rome, eu octobre, qui étudiera le problème des catéchismes dans le monde entier. Les psychologues estiment que l'enfance est « spontanément métaphysique ».
A haute voix ou en silence, les enfants interrogent.
© Copyrigth « L'Express ». Reproduction interdite.
\[Fin de la reproduction intégrale de l'article d'Alain de Penanster paru dans l'*Express,* numéro 1347 des 2-8 mai 1977.\]
*L'absence d'éducation religieuse est donc nuisible* « *culturellement *» *et* « *psychologiquement *»*. Il est intéressant que la réalité de ce mal soit constatée d'un point de vue scientiste et rationaliste. Mais un tel mal est sans remède : du moins sans remède* PSYCHOLOGIQUE, *sans remède* CULTUREL ; *sans remède qui soit à la portée de la seule science et de la seule information. Les bienfaits culturels et psychologiques de la religion sont donnés par surcroît. On ne peut les retrouver sans passer d'abord par la conversion et la foi ; la simple* « *information religieuse *» *y sera toujours impuissante.*
*Il est également intéressant de noter que les psychologues* (*modernes*) *viennent de découvrir que* « *l'enfance est spontanément métaphysique *»*. La tradition catholique le savait depuis longtemps, et avec plus de précision, quand elle fixait aux environs ou à partir de sept ans* « *l'âge de raison *»*, -- et la préparation à la première communion.*
197:215
*C'est le catéchisme, spécialement quand il est rédigé à la manière du catéchisme de saint Pie X, qui répond à cette* « *spontanéité métaphysique *» (*et religieuse*) *de l'enfance. L'Église conciliaire l'a abandonné sans le remplacer* (*sinon par des insanités politiques et sexuelles*)*. Elle aboutit à ce résultat qui serait profondément* COMIQUE *s'il n'était, plus profondément encore, désolant : quand on cherche une* « *information élémentaire *» *sur ce que croient les religions, on la trouve facilement auprès des autorités religieuses protestantes, juives, musulmanes ; auprès des autorités catholiques, on ne trouve plus rien.*
J. M.
198:215
## AVIS PRATIQUES
### Informations et commentaires
*Maintenant, on lâche les chiens*
M. l'abbé Charles-Marie Navarre est curé du petit village de Touzac en Charente, dont la population a la particularité de se multiplier par dix sur le coup de dix heures tous les dimanches matin. Chaque jour, il célèbre la messe de son ordination, distribue les sacrements de la sainte Église, veille à la foi des siens, et sillonne les fermes de la paroisse avec des bonbons plein les poches à l'usage des enfants. La nuit, il répond aux coups de fil injurieux des voyous progressistes du coin. Prêtre sans histoire ni compromis, fidèle à la tradition de ses pères et aux enseignements du concile de Trente, l'abbé Navarre est bien, dans le diocèse d'Angoulême, l'homme à abattre en priorité.
Dans la nuit du 13 au 14 avril 1977, vers deux heures du matin, il perçoit des craquements inhabituels qui lui semblent provenir de la salle à manger... « *Je n'ai pas voulu prévenir les gendarmes, pensant que c'était des rats. Et j'allais m'assoupir de nouveau, quand j'ai entendu des bruits plus violents, tout près de moi. On essayait d'enfoncer la porte de ma chambre. Puis on s'est attaqué au mur ! J'ai pris le téléphone, mais, comme la ligne grésillait, en désespoir de cause, j'ai ouvert la fenêtre pour appeler au secours* (*...*) *Ce sont les voisins qui m'ont délivré. Je ne pouvais plus sortir : la porte était complètement faussée.* »
199:215
Le curé de Touzac n'en sait pas davantage, aujourd'hui encore, sur l'identité et le mobile de ses agresseurs. Une voisine témoigne qu'elle a vu quatre hommes prendre la fuite dans une voiture, tous feux éteints. Moi-même, j'ai pu mesurer sur place l'ampleur des dégâts opérés par ces chiens. La tentative d'effraction était bien visible sur la porte et la fenêtre de la façade du presbytère ; mais c'est par l'arrière de la maison qu'elle devait aboutir, où une large baie vitrée fut savamment fracturée ; et au premier étage, le seuil de la chambre à coucher conservait toutes les traces de l'assaut en règle qu'il avait subi : chambranle de travers, planches de porte disjointes et cloison défoncée, jusque dans l'intérieur de la pièce, au niveau de la serrure ! Les visiteurs nocturnes avaient prévu des instruments de chantier pour forcer ce dernier obstacle. Sans l'intervention des voisins, rien ne pouvait les empêcher de faire irruption tous les quatre dans la chambre de l'abbé Navarre.
Dans quel but ? L'enquête de gendarmerie s'enlise toujours, deux mois après, dans le dédale des suppositions. Trois choses néanmoins sont certaines :
1°) M. l'abbé Navarre est connu en Charente comme dans tout le Sud-Ouest pour sa fidélité à la messe catholique traditionnelle et la vigueur de sa résistance à l'évêque du lieu, en dépit de ses soixante et onze ans. Et les hommes de main qui l'ont agressé le 14 avril savaient à qui ils s'en prenaient : ils devaient l'interpeller injurieusement à plusieurs reprises au travers de la porte, en grommelant son nom. Façon comme une autre de se présenter.
2°) Le curé de Touzac est menacé de destitution par l'évêque d'Angoulême, Mgr Georges Roi, depuis plusieurs années, sous les prétextes habituels en pareille occasion.
Mais il vit en paix avec les siens, qui connaissent son courage, sa charité, et aiment à l'entendre parler du Bon Dieu dans ses sermons. Les chacals nocturnes ne venaient pas de la paroisse.
3°) L'hypothèse d'un acte de vandalisme gratuit, ou d'un cambriolage crapuleux, reste également exclue : le commando de la haine est demeuré « une bonne demi-heure au moins » dans la salle à manger du presbytère sans rien déranger, négligeant même un chéquier et le produit des quêtes posés bien en évidence sur le dessus d'un meuble.
200:215
M. l'abbé Navarre a donc été sauvagement attaqué par quatre hommes sans visage, dans la nuit du 13 au 14 avril 1977, en raison de ce qu'il est : pour sa fidélité à la foi du Christ, de son Église, et sa résistance publique comme curé de paroisse à l'autodémolition. Le reste est abandonné à la sagacité du lecteur.
H. K.
On peut encourager et soutenir M. l'abbé Navarre en lui écrivant directement : à Touzac, 16120 Châteauneuf-sur-Charente.
#### Pour un scoutisme catholique
Dans la lettre-circulaire n° 13 du P. Georges Vinson (15 mai 1977), une bonne nouvelle :
Des familles, des jeunes sont intéressés par le scoutisme, et regrettent de ne pouvoir accorder pleine confiance à aucune des associations existantes. Si plusieurs d'entre elles, en effet, peuvent avec raison, dans certaines limites, se proclamer traditionnelles, aucune n'est officiellement, et pratiquement, fidèle à la messe dite de saint Pie V.
Préoccupés par ce problème, les 16 et 17 avril, plus de vingt chefs ou cheftaines se sont réunis au Prieuré N.-D. du Pointet.
Il m'est revenu de signaler les deux points de base, vraiment essentiels, que devrait proclamer l'association à créer, sous peine de perdre sa raison d'être :
1*. Fidélité totale à la messe traditionnelle* dite de saint Pie V. Fidélité qui sera proclamée dans le règlement. Sans rejeter ceux qui, dans leur vie privée et familiale assisteraient à une autre messe, les familles doivent savoir et accepter que, dans toutes leurs activités scoutes, les scouts, les guides, les louveteaux et les louvettes assistent à la messe de saint Pie V, et qu'un enseignement correspondant à ce choix soit donné aux jeunes membres de l'association.
201:215
2\. *Fidélité totale à l'enseignement traditionnel de l'Église.* Enseignement qui sera donné aux jeunes selon un catéchisme traditionnel. Enseignement qui sera nécessairement antilibéral : le libéralisme étant l'hérésie à laquelle doivent faire face les catholiques de nos jours. Enseignement, bien sûr proportionné à l'âge des jeunes. L'étendard de l'antilibéralisme ne sera pas brandi à tort et à travers ; mais les chefs et cheftaines devront prendre un engagement d'honneur à ce sujet.
Telle est donc la position doctrinale de l'Association qui n'est plus à créer ; elle existe, et s'appelle « Association Scoute Notre-Dame de France ».
Si vous êtes intéressés par un scoutisme vraiment catholique, soit pour vos jeunes, soit pour vous-même (si vous désirez lui consacrer un peu de votre temps : il faut des chefs et des cheftaines), vous pouvez prendre contact avec les responsables de l'association, 75, Avenue de Breteuil, 75015 Paris ; ou si vous préférez, avec moi-même.
Des camps de formation, pour chefs et cheftaines (camps séparés, bien sûr) auront lieu du 17 au 22 août, au Prieuré de Chatelperron (03220 Jaligny-sur-Besbre). Les C.P. sont admis. J'en serai l'aumônier.
Renseignements et inscriptions : 75, Avenue de Breteuil.
Quant au P. Vinson lui-même, son adresse est 8, rue Elfe-le-Gallais, 92340 Bourg La Reine.
\*\*\*
Sur un point de doctrine, nous voudrions soumettre une observation au P. Vinson.
Il nous dit :
-- *Le libéralisme est l'hérésie à laquelle doivent faire face les catholiques de nos jours.*
202:215
Telle que nous la comprenons, nous ne pouvons qu'adhérer à l'intention qui s'exprime ainsi. Mais son expression est discutable. Le libéralisme est la seule hérésie de nos jours ? ou la principale ? -- On peut aussi bien dire que c'est le *naturalisme.* Ou encore le *modernisme :* lequel, selon la définition de saint Pie X, est moins « une » hérésie que « le rendez-vous de toutes les hérésies », et bien sûr le libéralisme est présent au rendez-vous. On peut aussi penser que ces hérésies du XIX^e^ et du début du XX^e^ siècle, libéralisme, naturalisme, modernisme, ont encore *progressé* de nos jours dans l'erreur et le mal. C'est pourquoi nous dirions volontiers que l'anti-libéralisme est un nécessaire point de vue sur l'erreur moderne ; mais qu'il n'est pas le seul..
J. M.
#### La religion du cardinal Marty : une réponse ?
Réuni à Paris du 13 au 15 juin, le noyau dirigeant de l'épiscopat, dénommé « conseil permanent », a « stigmatisé la campagne de diffamation contre le cardinal Marty », assure La *Croix* du 18 juin. Il l'a fait en ces termes :
« Une campagne de diffamation se développe contre le cardinal Marty et l'ensemble des évêques. M. Madiran, dans un pamphlet récent, le P. Bruckberger dans *L'Aurore* et, tout dernièrement encore, le 9 juin, n'hésitent pas à recourir à l'insulte.
« Nous dénonçons de telles attitudes. Elles ne méritent aucun crédit de la part des catholiques. La vérité, la justice et le droit le plus élémentaire à la réputation sont bafoués.
« En cette circonstance, nous redisons au cardinal Marty notre profonde estime et notre solidarité fraternelle. »
203:215
Le « pamphlet récent » en question, c'est *La religion du cardinal Marty,* opuscule de 80 pages dont il est question au début du présent numéro.
Comparez le contenu de cet opuscule avec la « réponse » de l'épiscopat.
A propos du cardinal Marty, on a lu dans notre numéro 213 de mai un important « *Entretien avec le cardinal Marty *» (pages 165 et suivantes).
Page 169, une note d'ITINÉRAIRES disait notamment :
« *Le cardinal Marty est peu versé dans les questions religieuses ; il ne semble pas qu'il ait jamais cherché à compenser par un travail acharné la modestie de ses capacités en la matière. *»
Nous avions trouvé plus discret de ne pas insister davantage.
Quelques-uns semblent avoir cru au contraire que nous avions l'intention d'exagérer ou de caricaturer.
Qu'ils reprennent donc point par point les déclarations faites par le cardinal au cours de cet entretien, et attestées par neuf témoins, dont deux professeurs de Faculté.
Par exemple -- on peut le faire comme un concours d'erreurs -- combien d'erreurs dans cette déclaration du cardinal (page 167) :
« *La notion de conflit de devoirs est traditionnelle dans l'Église ; elle existe notamment dans la théologie de saint Alphonse de Liguori, approuvée par le concile de Trente. *»
============== fin du numéro 215.
[^1]: **\*** -- Voir 215-1.jpg
[^2]: -- (1). Congar : *La crise dans l'Église,* 1^e^ éd., p. 29, note 12.
[^3]: -- (2). Pour toute la question de l'article 7, voir le livre de Louis Salleron : *La nouvelle messe,* p. 111 et suiv.
[^4]: -- (3). *Documentation catholique* du 15 mai 1977, p. 462.
[^5]: **\*** -- « La religion du cardinal Marty » est un numéro spécial hors série de notre SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR. C'est seulement aux abonnés parisiens du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR qu'il a été envoyé au titre de leur abonnement.
Ce numéro spécial hors série de 80 pages est en vente à nos bureaux au prix de 10 F. (...) \[figure en encadré, p. 10 de l'original.\]
[^6]: **\*** -- Figure p. 54 dans l'original.
[^7]: -- (1). D'après *Le Monde du 11* mars 1977.
[^8]: -- (2). Sur le commandant Hubert Matos, ancien compagnon. d'armes de Fidel Castro, voir Jean-Marc Dufour : *Tour d'hori*zo*n ibéro-américain*, ITINÉRAIRES numéro 200 de février 1976.
[^9]: -- (1). Par prisonniers *politiques,* le délégué de la Croix-Rouge entend désigner les personnes maintenues en détention en raison d'actions, d'opinions ou d'allégeances politiques jugées subversives par le gouvernement. Il faut en excepter les détenus, éventuellement communistes, qui purgent encore des peines au Chili dans les prisons de droit commun pour terrorisme et crime de sang, comme ceux dont Jean-Marc Dufour avait analysé le cas dans ITINÉRAIRES, numéros 181 de mars 1974 et 188 de décembre 1974.
[^10]: -- (1). Voir le document présenté en annexe de cette chronique. -- Sur la réalité des « tortures » au Chili, voir aussi la note percutante de Jean-Marc Dufour : *Le régime chilien et le respect des droits de l'homme,* ITINÉRAIRES numéro 203 de mai 1976.
[^11]: -- (2). Pour ne pas imiter les procédés de l'O.N.U., précisons que l'affaire remonte au lundi 14 février 1977. Les forces de « l'ordre » devaient intervenir ce jour-là avec une telle violence, comme l'attestent plusieurs photographies mises à la disposition de la justice par les avocats, que leur charge fit voler en éclats une des portes vitrées de l'agence aérienne soviétique. Cette circonstance a permis à l'Aeroflot de se constituer partie civile... contre les porteurs de gerbe ! C'est ainsi que les 13 interpellations opérées par la police sur les lieux du drame se transformaient le surlendemain en 13 inculpations d'anti-communisme caractérisé... Deux de ces inculpés, Alain BOINET et Laurent MARÉCHAUX, n'ont pu obtenir leur mise en liberté provisoire que le 21 mars 1977. Et les treize sont toujours en instance de procès. (A ceux qui n'auraient pas fait d'eux-mêmes le rapprochement, signalons encore que des inculpations comme celle-là sont quotidiennes à Leningrad ou Moscou, Saïgon ou Pékin.)
[^12]: -- (1). *Le Chili auprès des organisations internationales,* brochure diffusée par l'ambassade du Chili en France : 2, avenue de la Motte-Picquet, 75007 Paris.
[^13]: -- (1). On se souvient qu'à l'occasion d'une précédente condamnation du Chili par l'O.N.U. (fin 1975), le général Pinochet proposait déjà qu'une mission vienne enquêter sur son territoire, en même temps que sur celui de l'Union soviétique et de Cuba (condition qui fut jugée inacceptable pour des raisons encore obscures aujourd'hui).
[^14]: -- (1). Comme le savent les lecteurs attentifs d'ITINÉRAIRES, « Excellence » n'est pas un vocatif en français. En bon espagnol mon plus. L'incorrection s'aggrave ici d'une insolence, qui consiste à chuter sur « Monsieur » dans la formule dite de politesse.
[^15]: -- (1). M. Leopoldo Benitez, président de la commission des « Droits de l'Homme » à l'O.N.U., est Mexicain.
[^16]: -- (1). M. Allana fait sans doute allusion ici aux pays socialistes, où l'O.N.U. n'aventure jamais la moindre mission.
[^17]: -- (1). En privé, aux diplomates chiliens, il explique plus simplement que la question des « cas concrets » n'est pas ce qui préoccupe vraiment les commissaires de l'O.N.U. On le croit volontiers.
[^18]: -- (1). Voir les indications chiffrées fournies dans notre annexe.
[^19]: -- (1). Comme nous l'avons indiqué, toutes ces personnes devaient être élargies et amnistiées par le gouvernement du général Pinochet le 17 novembre 1976. (Note d' ITINÉRAIRES.)
[^20]: -- (1). Date d'expulsion des jésuites du Brésil par le marquis de Pombal.
[^21]: -- (1). Ainsi, dans un vaste « dossier religieux » sur *La répression contre l'Église latino-américaine* du bulletin français *A l'écoute du monde* (mai 1977, p. 13) : « Au Brésil, des censures suppriment ou réduisent les moyens d'expression de l'Église. Mgr Helder Camara n'a pas accès à la radio de son propre pays, et les moyens de communication sociale ont interdiction de faire écho à ses paroles ou allusion à sa personne. »
[^22]: -- (1). *Non*, Entretiens de José Hanu avec Mgr Lefebvre, Paris 1977, p. 219. -- Voir l'éditorial de Jean Madiran dans ITINÉRAIRES*,* numéro 197 de novembre 1975 : «* Vatican II plus important que Nicée. *»
[^23]: -- (2). *Adversus Luciferum,* 19.
[^24]: -- (3). Sulpice Sévère, Chronic., 11, 39.
[^25]: -- (4). *Ennéades,* V, 1.6.
[^26]: -- (5). *Ibid.*
[^27]: -- (6). VI, 9, 7.
[^28]: -- (7). V, 4, 1.
[^29]: -- (8). VI, 8, 16 : *Monê en heautôi.*
[^30]: -- (9). Cf. mon livre : *Aristote et Plotin,* Paris, 1938.
[^31]: -- (9 bis) *Enn.,* V, 9, 3.
[^32]: -- (10). Émile Bréhier, *La Philosophie de Plotin,* Paris, 1928, p. 38.
[^33]: -- (11). *Enn.,* V, 5, 5 ; Cf. V, 1, 5 ; V, 4, 1 ; VI, 1, 4 ; VI, 3, 13 ; VI, 6, 9 ; et VI, 6, traité entièrement consacré aux Nombres.
[^34]: -- (12). VI, 8, 13 et 16.
[^35]: -- (13). V, 5, 5.
[^36]: -- (14). *De haeresibus Liber,* ch. XLIX. Cf. *Corpus haereseologicum* de F. Oehler, Berlin, 1866, t. 1, p. 211 et dans le même *Corpus* l'écrit anonyme Praedestinati*,* t. I, p. 252
[^37]: -- (15). Gennadius Massiliensis, *De ecclesiasticis dogmatibus,* ch. IV, Corpus, I, 337
[^38]: -- (16). Philastros, *De haeresibus Liber,* ch. LXV, *Corpus,* 1, 65,
[^39]: -- (17). C'est parce qu'il rappelle trop cette opposition *totale* à l'hérésie que la traduction française du *Credo* a chassé le mot *consubstantiel.*
[^40]: -- (18). *Panaria*, t. II, 2^e^ partie, ch. XV, Corpus, 112, 609.
[^41]: -- (19). *Enn*., VI, 9, 3
[^42]: -- (20). *Panaria*, t. II. 2^e^ partie, ch. XIX, Corpus, 617.
[^43]: -- (21). *Enn*., VI, 8, 13 et 18.
[^44]: -- (22). VI, 8, 9.
[^45]: -- (23). V, 2, 1.
[^46]: -- (23 bis) Discours de Noël 1976.
[^47]: -- (24). V, 8, 1 ; V, 1, 1 et III, 8, 11 où le *Nous* (Intelligence) est dit « Fils du Bien » (*ho toiouton paida gennesas noun*). c'est-à-dire de l'Un.
[^48]: -- (25). V, 2,2. \[manque l'appel de note dans l'original.\]
[^49]: -- (26). IV, 3, 17. Cf. VI, 4, 7.
[^50]: -- (27). Le verbe *poiein* est employé par Plotin pour désigner la production des hypostases par l'Un. Cf. 11I, 8, 4 et passim.
[^51]: -- (28). V, 1, 7.
[^52]: -- (29). VI, 9, 4 ; VI, 9, 8 ; VI, 7, 35 ; V, 6, 5 ; IV, 5, 7 ; VI, 7, 6 ; VI, 9, 11 ; I, 2, 5. Plotin n'emploie *jamais* l'adjectif homoousios (consubstantiel) pour désigner le rapport qui existe entre l'Un et l'Intelligence. Cf. IV, 4, 28.
[^53]: -- (30). *Epistola ad Epict*., dans *Patrologie grecque,* t. XXVI, col. 1056
[^54]: -- (31). *De decreto nicaen.,* ch. 31, *Patr. gr.,* t XXV, col. 474.
[^55]: -- (32). *Panaria, *XXII, p. 631, édition citée plus haut.
[^56]: -- (33). *Ibid., *XXXII, p, 639.
[^57]: -- (34). *S. Th.,* I^a^ Pars, qu. 1, art. 10.
[^58]: -- (35). Cf. l'ouvrage du R.P. Wiltgen (qui reste pour longtemps, avec les déclarations de Mgr Lefebvre, la preuve indubitable de l'*Umwertung,* du renversement des positions chrétiennes à Vatican II), *Le Rhin se jette dans le Tibre,* trad. franç., Paris, Éditions du Cèdre, 1973, p. 16 sq. et la déclaration de Jean XXIII rompant avec toute la tradition de l'Église : « La vie chrétienne n'est pas une collection de coutumes anciennes » (p. 40).
[^59]: -- (36). *Discours d'ouverture,* 11 oct. 1962.
[^60]: -- (37). Michel de Certeau, *Nouveau Monde et Parole de Dieu,* dans *Esprit,* oct. 1967.
[^61]: -- (38). *S. Théol.,* II -- II, qu. 4, art. 7.
[^62]: -- (39). *Encyclopédie de la Foi,* Paris, 1967, tome 3, *sub voce :* « Pastorale ».
[^63]: -- (40). Cf. *Fonctions pastorales et questions actuelles,* dans Utz-Groner, Savignat, *Relations humaines* et Société contemporaine, Synthèse chrétienne et directives de S.S. Pie XII, Fribourg-Paris, 1956, tome III, p. 1376.
[^64]: -- (41). *Le point de départ de la recherche philosophique,* dans *Annales de Philosophie chrétienne,* 1906, p. 249. Cf. l'indispensable et admirable livre du R.P. de Tonquédec, *Immanence.*
[^65]: -- (42). *Bulletin de la Société française de Philosophie,* août 1908, p. 326.
[^66]: -- (43). *Le point de départ...,* p. 235.
[^67]: -- (44). *L'illusion idéaliste*, dans *Revue de Métaphysique et de Morale,* 1898, p. 11.
[^68]: -- (45). *Principes élémentaires d'une logique de la vie morale*, dans *Bibliothèque du Congrès Intern. de Philos.,* 1903, p. 80.
[^69]: -- (46). *Annales de Philos. chr., op. cit.,* p. 237.
[^70]: -- (47). *Soc franc. De Philos., op. cit.,* p. 328.
[^71]: -- (48). *Point de départ...,* p. 234.
[^72]: -- (49). *L'Action,* 1^e^ édition, p. 347. cf. p. 339.
[^73]: -- (50). *Ibid.,* p. 403
[^74]: -- (51). *Rev. du Clergé franç.,* 1902, p. 649.
[^75]: -- (52). *L'Action,* p. 394.
[^76]: -- (53). *Rev. de Mét. et de Mor.,* 1894, p. 7.
[^77]: -- (54). Allocution du 28-9-71.
[^78]: -- (55). Au Congrès « Pour la promotion de l'Homme », le 12-11-76.
[^79]: -- (56). Le 12-7-65.
[^80]: -- (57). Le 6-1-64.
[^81]: -- (58). *Pop. Prog.,* § 14.
[^82]: -- (59). Discours à la Tribune de l'O.N.U.
[^83]: -- (60). Pop. Progr., § 7.
[^84]: -- (61). *Aux Australiens*, 30-9-70.
[^85]: -- (62). Discours de fin d'année 1970 dans *Doc. Cath.,* 20-12-76, n° 1576.
[^86]: -- (63). Gaudium et Spes, § 26.
[^87]: -- (64). Pop. Prog., § 32.
[^88]: -- (65). Le 7-12-65.
[^89]: -- (66). Paul VI renvoie à *Gaudium et Spes :* 42, 3 ; 41 ; 26, 3 26, 30, 38 et 45, qu'il a maintes fois déclaré « le sommet du concile ».
[^90]: -- (67). *Au Secrétariat pour l'Unité,* nov. 76. \[manque l'appel de note dans l'original.\]
[^91]: -- (68). *Pop. Progr.* § 15. *Sed contra :* « Sans moi, vous ne pouvez *rien* faire » (Jhn. 15,5). « Nous avons confiance en l'homme. Nous croyons en ce fond de bonté qui est en chaque cœur » (Paul VI à Sidney, 2-12-1971). *Sed contra :* Marc, 7, 22.
[^92]: -- (69). *Bulletin diocésain,* 1-10-67.
[^93]: -- (70). Allocution du 28-9-71, citée plus haut. \[ ? manque l'appel de note dans l'original.\]
[^94]: -- (71). *Catéchisme du Concile de Trente,* Paris, Éd. ITINÉRAIRES, 1969, p. 94 : « On n'est pas hérétique par le seul fait qu'on pèche contre la Foi, mais parce qu'on s'attache avec opiniâtreté à des opinions mauvaises. » L'histoire de l'Église comporte peu de papes (ou pas du tout) aussi opiniâtres que Paul VI, aussi obstinés à imposer à l'Église une direction qui la mène *manifestement* à l'abîme.
[^95]: -- (72). Dans *La Croix*, 6 avril 65. \[ ? manque l'appel de note dans l'original.\]
[^96]: -- (73). On remarquera que *tous* les mouvements politiques actuels prétendent se rattacher à « la science », à « la technique » qui l'applique.
[^97]: -- (74). *Doc. Cath.,* n° 133, 19 juin 61. C'est « la gnose de Princeton » avant la lettre. Il faudrait une autre étude pour le montrer.
[^98]: -- (75). A. D. NOCK, *Christianisme et Hellénisme,* Paris, 1973, p. 135 et 137 ainsi que pp. 45-47.
[^99]: -- (1). V*.* ITINÉRAIRES, n° 213, mai 1977.
[^100]: -- (2). Casterman 1977, 292 pages.
[^101]: -- (3). *Les ivresses de l'Église de France* (Sagittaire, 1976).