# 217-11-77 1:217 ### Ce que l'on ne vous a pas dit sur la crise du catéchisme Nous réclamons et protestons depuis dix ans contre la désintégration du catéchisme en France. Cette crise du catéchisme, ceux qui la découvrent aujourd'hui et ceux qui en contestent l'existence en ignorent ou en dissimulent les véritables di­mensions. Les voici. **1. -- **Première dimension : *la dimension théologale.* Il ne s'agit pas de méthodes trop audacieuses, de faiblesses accidentelles, d'omissions ou de né­gligences. Le nouveau catéchisme n'est plus catho­lique ; *il ne contient plus les trois connaissances nécessaires au salut ;* c'est un catéchisme sans Pater et sans Credo. **2. **-- Seconde dimension : la dimension hiérarchique. On nous oppose que nous méconnaissons la générosité des catéchistes, que nous faisons des généralisations abusives, que nous sommes mal informés des réalités quotidiennes du grand mou­vement catéchétique. 2:217 Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de cette réalité plus réelle encore, et qui commande les autres : ce que les évêques ensei­gnent et font enseigner, selon leurs documents officiels et impératifs. Il s'agit du *nouveau caté­chisme de l'épiscopat français,* instauré par l'adop­tion du « Fonds obligatoire » en 1966, par sa publi­cation à la fin de l'année 1967, par sa mise en œuvre ininterrompue depuis lors. Aux réclama­tions, l'épiscopat répondit en calomniant les per­sonnes qui les présentaient. Ces calomnies officielles n'ont été ni officiellement retirées ni même regrettées en privé. Signe manifeste de l'obstina­tion fanatique avec laquelle le noyau dirigeant de l'épiscopat entend imposer et maintenir son nou­veau catéchisme. **3. -- **Troisième dimension : la dimension chrono­logique. La crise du catéchisme est devenue dramatique à partir des années 1966-1968. Mais elle n'a pas surgi brusquement. Les catéchismes antérieurs, le catéchisme national de 1947, le caté­chisme national de 1937, qui étaient encore catho­liques, étaient déjà en décomposition. C'est le *re­fus du catéchisme romain* qui, aux années trente, a inauguré la décadence du catéchisme français. Ce refus, prononcé par l'épiscopat français, avait pour origine sa méconnaissance tenace, sa détes­tation intraitable de la personne, de la pensée, de l'œuvre « intégristes » de saint Pie X. 3:217 **4. -- **Quatrième dimension : la dimension scriptu­raire. Il ne s'agit pas de savoir si le nouveau catéchisme de l'épiscopat a eu raison de se vouloir la matière, sa nouveauté est d'avoir imposé com­me obligatoires des *versions falsifiées* de l'Écriture. **5. -- **Cinquième dimension : *la dimension d'occul­tation.* Les catéchismes existent. On l'a caché, on le cache. C'est dès 1967 que la revue ITINÉRAIRES a réédité le *catéchisme de saint Pie X.* Qui vous l'a dit ? Qui vous a dit qu'il s'agit d'un catéchisme *pour les enfants ?* On vous a dit le contraire, par­fois jusque parmi les fidèles de saint Pie X. On fait croire au public que les vrais catéchismes sont introuvables, qu'ils ont disparu, qu'il n'existe plus d'autres catéchismes que les catéchismes nou­veaux. Ne vous laissez pas faire. Informez-vous. Réfléchissez. Réagissez. Apprenez à mieux con­naître la nécessité, les raisons, la grandeur du catéchisme romain. \*\*\* Sur ces cinq dimensions de la crise du caté­chisme français, vous trouverez aux pages sui­vantes la documentation et les explications indis­pensables. Faites-les connaître à ceux qui en ont besoin. J. M. 4:217 ### I. -- La dimension théologale *Il ne s'agit pas de méthodes trop audacieuses, de fai­blesses accidentelles, d'omissions ou de négligences. Le nouveau catéchisme n'est plus catholique ;* IL NE CONTIENT PLUS LES TROIS CONNAISSANCES NÉCESSAIRES AU SALUT ; *c'est un catéchisme sans Pater et sans Credo.* #### 1. -- Réclamation au Saint-Père « Rendez-nous le catéchisme romain : celui qui, selon la pratique millénaire de l'Église, canonisée dans le caté­chisme du concile de Trente, enseigne les trois connais­sances nécessaires au salut (et la doctrine des sacrements sans lesquels ces trois connaissances resteraient ordi­nairement inefficaces). Les nouveaux catéchismes officiels n'enseignent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; prêtres et évêques en viennent, comme on le cons­tate en les interrogeant, à ne même plus savoir quelles sont donc ces trois-là. Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davan­tage sous votre pontificat, privés de l'enseignement ecclé­siastique des trois connaissances nécessaires au salut, il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous rendre le catéchisme romain, nous le rendiez. Nous vous le réclamons. » 5:217 « Et puis, surtout, laissez venir jusqu'à vous la dé­tresse spirituelle des petits enfants. « Les enfants chrétiens ne sont plus éduqués, mais avilis par les méthodes, les pratiques, les idéologies qui pré­valent le plus souvent, désormais, dans la société ecclé­siastique. Les innovations qui s'y imposent en se récla­mant à tort ou à raison du dernier concile et du pape actuel, -- et qui consistent, en résumé, à sans cesse retar­der et diminuer l'instruction des vérités révélées, à sans cesse avancer et augmenter la révélation de la sexualité et de ses sortilèges, -- font lever dans le monde entier une génération d'apostats et de sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s'entretuer aveuglément. » Extraits de la lettre de Jean Madiran à Paul VI, dans le volume : *Réclamation au Saint-Père,* tome II de *L'Hérésie du XX^e^ siècle.* (Nouvelles Éditions Latines.) #### 2. -- Communiqué de l'amiral de Penfentenyo Texte intégral du communiqué publié par l'amiral de Penfentenyo en 1965 : Toute la doctrine chrétienne se ramène à quatre points principaux : 1\. -- Le Credo. II\. -- Le Pater. III\. -- Le Décalogue. IV\. -- Les sept Sacrements. L'explication de ces quatre points constitue en tout temps et en tout lieu le « fonds obligatoire » de tout catéchisme catholique. Tel est le contenu impératif du Catéchisme du Concile de Trente, qui est le seul catéchisme romain, les Conciles suivants, pas plus Vatican II que Vatican I, n'ayant or­donné la rédaction d'un nouveau catéchisme. 6:217 Nous prenons acte du fait que l'explication de ces quatre points est désormais absente du nouveau « fonds obligatoire » du catéchisme français. En conséquence, nous appelons l'ensemble des fidèles à « exiger » des autorités religieuses le rétablissement de ces quatre points à tous les niveaux du catéchisme et de l'enseignement catholique. Nous invitons les parents et tuteurs, premiers respon­sables, à prendre toutes mesures pour que l'enseignement de ces quatre points soit assuré aux enfants dont ils ont la responsabilité, et à notifier leur décision aux éducateurs. Extrait de la brochure : *Commentaire du communiqué,* publiée par la revue ITINÉRAIRES. #### 3. -- Les trois connaissances nécessaires au salut et le catéchisme sans Pater ni Credo Après « Dieu sans Dieu » inventé par Bonhoeffer et Robinson, nous avons maintenant le « catéchisme sans catéchisme » inventé par le national-catéchisme français. Par ce nouveau catéchisme, les enfants seront privés du *Pater* et du *Credo :* ils en seront privés au moins jus­qu'à l'âge de onze ans. Après onze ans, on les leur rendra peut-être ; mais point avant. Comment cela se fait-il donc ? Voici comment cela se fait. \*\*\* Le *catéchisme,* c'est-à-dire l'enseignement qui est donné sous ce nom et qui est contenu dans un livre ainsi dénom­mé, a pour but de procurer *les connaissances qui sont nécessaires au salut.* 7:217 TROIS CONNAISSANCES, selon saint Thomas, SONT NÉCES­SAIRES AU SALUT (« Tria sunt homini necessaria ad salu­tem, etc. » ; début du Prologue de son ouvrage *In duo præcepta caritatis et in decem legis præcepta expositio,* dont on peut trouver commodément le texte (latin) au tome II des *Opuscula theologica* de l'édition Marietti, Tu­rin 1954, page 245) ; trois connaissances : 1\. -- la connaissance de ce qu'il faut croire ; 2\. -- la connaissance de ce qu'il faut désirer ; 3\. -- la connaissance de ce qu'il faut faire. Ces trois connaissances nécessaires déterminent trois parties indispensables du catéchisme. La quatrième partie concerne les sacrements. *La doctrine chrétienne* se résume en ces quatre parties. \*\*\* Les trois premières pourraient en théorie être ensei­gnées de bien des manières différentes ; mais il se trouve que leur contenu est rassemblé en *trois textes inspirés.* Il se trouve en outre que la plupart des enfants baptisés arri­vent normalement au catéchisme en *sachant par cœur* ces trois textes. Il se trouve enfin qu'ils en font un *usage quotidien.* Ce sont le Credo, le Pater et les Commandements. Le Credo sous sa forme la plus simple : le Symbole des Apôtres ; le Pater qui est la prière composée et prescrite par Notre-Seigneur ; les Commandements de Dieu, ou Décalogue, qui sont la loi révélée sur le Sinaï que le Christ est venu non pas abolir mais accomplir. Si bien que les trois premières parties du catéchisme s'établissent et se distribuent de la manière suivante : 1\. -- Explication du Credo, ou ce qu'il faut croire (ver­tu théologale de foi). 2\. -- Explication du Pater, ou ce qu'il faut désirer (vertu théologale d'espérance). 3\. -- Explication des Commandements, ou ce qu'il faut faire (vertu théologale de charité). 8:217 A quoi vient s'ajouter la quatrième partie : 4\. -- Explication des sacrements. \*\*\* Une telle composition du catéchisme est expliquée en quelques mots dans la Préface du Catéchisme du Concile de Trente : « C'est avec une profonde sagesse que nos Pères ont ramené toute la doctrine et toute la science du salut à quatre points principaux qui sont le Symbole des Apô­tres, les Sacrements, le Décalogue et l'Oraison dominicale. En effet, tout ce que nous devons croire et connaître de Dieu, de la création et du gouvernement du monde, de la rédemption du genre humain, de la récompense des bons et de la punition des méchants, tout cela est contenu dans le *Symbole*. Quant aux signes et aux moyens que Dieu nous donne pour obtenir sa grâce, nous les trouvons dans les *sept Sacrements.* Les préceptes divins qui ont tous pour fin la charité sont inscrits dans le *Décalogue.* Enfin tout ce que nous pouvons désirer, espérer ou demander pour notre bien est renfermé dans l'*Oraison dominicale.* Ainsi lorsque nous aurons expliqué ces quatre articles, qui sont comme les lieux communs de la sainte Écriture, il ne manquera presque plus rien au chrétien pour connaître ce qu'il est obligé de savoir. En conséquence, nous croyons devoir avertir les Pas­teurs que chaque fois qu'ils auront à mettre en lumière un passage de l'Évangile ou de toute autre partie de l'Écriture sainte, ils pourront toujours le ramener à l'un de ces quatre points et y prendre comme à sa source l'explication désirée. » 9:217 Il est odieux de prétendre que ces connaissances néces­saires au salut ne sont pas « accessibles » aux « enfants de neuf à onze ans ». Personne n'en sait rien. Personne ne peut l'affirmer avec une certitude rationnelle ou expéri­mentale. Il n'existe aucun instrument scientifique permet­tant de mesurer la foi dans l'âme des enfants. La seule chose que l'on puisse savoir à coup sûr, c'est qu'il est toujours criminel de leur refuser la vérité surnaturelle. En avertissement à son catéchisme du diocèse de Meaux, publié en 1686, Bossuet déclarait : « Si vous trouvez dans ce catéchisme des choses qui semblent surpasser la capacité des enfants, vous ne devez pas pour cela vous lasser de les leur faire apprendre, parce que l'expérience fait voir que, pourvu que ces choses leur soient expliquées en termes courts et précis, quoique ces termes ne soient pas toujours entendus d'abord, peu à peu en les méditant, on en acquiert l'intel­ligence ; joint que, regardant au salut de tous, nous avons mieux aimé que les moins avancés et les moins capables trouvassent des choses qu'ils n'entendissent pas, que de priver les autres de ce qu'ils seraient capables d'enten­dre. » Aux quatre points principaux, aux quatre parties essentielles du catéchisme, on ajoutait, bien entendu, l'Ave Maria, des récits d' « Histoire sainte » et de « Vie de Jésus », et des explications de textes liturgiques préparant la messe du dimanche suivant. Et bien entendu, la personnalité du catéchiste, et d'abord son esprit de foi, jouait et jouera toujours un rôle essentiel dans la mise en œuvre d'un tel enseignement, qui n'a pas pour but de procurer un savoir naturel par une pédagogie naturelle, mais de faire grandir, par une péda­gogie surnaturelle, les vertus surnaturelles infuses de foi, d'espérance et de charité. Et bien entendu encore, l'ordre de succession des quatre parties indispensables n'est pas fixe. Les quatre parties ne sont pas non plus limitatives. Ce qui est certain, c'est qu'il les faut toutes les quatre, et qu'elles constituent le véritable « fonds obligatoire » de tout catéchisme catho­lique en tout temps et en tout lieu. 10:217 Le plan du *Catéchisme du Concile de Trente* est le suivant : I. -- Symbole des Apôtres. II\. -- Sacrements. III\. -- Décalogue. IV\. -- Oraison dominicale. Le Catéchisme du Concile de Trente est un catéchisme « pour adultes » : « à l'usage du clergé et des fidèles, des paroisses, des familles et des maisons d'éducation ». Il est le seul catéchisme romain qui soit en vigueur. Les Conciles suivants, Vatican I et Vatican II, n'ont pas ordonné la rédaction d'un autre catéchisme. Le *Catéchisme de S. Pie X* est une adaptation, à l'usage des enfants, du Catéchisme du Concile de Trente. Il com­porte notamment un « Petit catéchisme » et un « Grand catéchisme ». Ce « Grand catéchisme » peut très bien servir aussi, aujourd'hui, de catéchisme pour adultes. Que tous les parents commencent par le connaître parfaitement, et ils seront déjà solidement en mesure de faire face à leurs responsabilités présentes. Voici le plan du « Grand catéchisme » de saint Pie X : I. -- Le Symbole des Apôtres. II\. -- La prière : Pater, Ave, invocation des saints. III\. -- Les Commandements de Dieu et de l'Église. IV\. -- Les Sacrements. A quoi vient s'ajouter une V^e^ partie : Les principales vertus et autres choses qu'un chrétien doit savoir. \*\*\* Donc, les trois connaissances nécessaires au salut sont données par la triple explication du Credo, du Pater et des Commandements. Un tel catéchisme n'est point « abstrait » au sens péjoratif du terme. Il est fondé sur l'une des plus anciennes, des plus fécondes, des plus permanentes mé­thodes pédagogiques : *l'explication de textes.* 11:217 Et cette ex­plication concerne les textes que le petit chrétien doit utiliser chaque jour : le Credo et le Pater dans sa prière, les Commandements dans son examen de conscience. ......... Nous l'avons dit : théoriquement, on pourrait enseigner les vérités nécessaires au salut autrement que par une explication du Credo, du Pater, des Commandements. Mais nous n'avons que faire ici d'hypothèses et de possi­bilités théoriques. Il s'agit de savoir ce qui est réellement nécessaire aux enfants dans leur vie surnaturelle de chaque jour. Avec le nouveau national-catéchisme français, jusqu'à onze ans au moins *les enfants ne réciteront plus le Pater et le Credo.* Ou bien, ils *réciteront un Pater et un Credo qui ne leur auront été expliqués d'aucune manière.* Abîmés, à ce qu'il paraît, dans de hautes spéculations tirées des derniers progrès de la science pédagogique, nos évêques ONT PERDU DE VUE CETTE HUMBLE RÉALITÉ. Nous savons bien, nous comprenons bien, on nous l'a assez dit, que le grand dessein, selon les déclarations officielles de 1966, est de faire « bénéficier » le catéchisme de « tous les progrès de la pédagogie » intervenus ces derniers temps dans « toutes les matières profanes ». Car telle fut bien, normale à première vue, fort étrange à la réflexion, l'intention déclarée ([^1]) : « *La pédagogie a évolué considérablement et très heu­reusement depuis des années. Il était normal que l'ensei­gnement du comportement religieux bénéficiât de tous ces progrès de la pédagogie dans toutes les matières profanes. *» 12:217 Un optimisme aussi assuré concernant les progrès de la pédagogie contemporaine est tout à fait bizarre : bizarre au moment où cette pédagogie, de plus en plus apte peut-être à former en série des techniciens, est en pleine déconfiture, en crise généralisée, *partout où il s'agit de transmettre un patrimoine intellectuel et moral.* L' « évo­lution de la pédagogie », ces dernières années, « dans toutes les matières profanes », est en réalité une décom­position générale qui en arrive maintenant à son dernier stade, comme on peut le voir aux RÉSULTATS pédagogiques obtenus présentement dans la désintégration des lycées et des Facultés... D'autre part, il y aurait certainement lieu d'examiner avec plus de circonspection si les progrès (supposés ou réels) des pédagogies profanes doivent être mécaniquement transposés ou servilement copiés dans le domaine de la pédagogie surnaturelle. On peut en discuter. On en discutera. Mais en attendant il faut immédiatement constater que l'adoption et la mise en œuvre de ces « pro­grès » dans le catéchisme ont eu pour premier résultat de *faire oublier la réalité même qui est en question,* la réalité de l'enfant et de sa vie religieuse quotidienne. Le « comportement religieux » que l'on entend « en­seigner » demeure constitué entre autres, jusqu'à nouvel ordre, par la prière de chaque jour et par la pratique de l'examen de conscience : et c'est cela, pas moins, que l'on a complètement perdu de vue dans le nouveau caté­chisme, qui se promène au niveau des nuées stratosphé­riques. Les enfants réciteront toujours (du moins on le sup­pose) le Pater et le Credo : mais le catéchisme ne les leur explique plus. Ils feront toujours leur examen de conscience : mais le Décalogue ne leur est plus expliqué au catéchisme. Du moins, jusqu'à l'âge de onze ans accomplis. Un tel chef-d'œuvre d'irréalisme est assuré de demeu­rer, exemplaire, dans la petite histoire de l'Église. Et aussi, malheureusement, dans la grande histoire, si les respon­sables s'obstinent à vouloir faire les malins. Extraits de la brochure de Jean Madiran : *Le nouveau catéchisme, publiée* par la revue ITINÉRAIRES. 13:217 ### II. -- La dimension hiérarchique *On nous oppose que nous méconnaissons la générosité des catéchistes, que nous faisons des généralisations abu­sives, que nous sommes mal informés des réalités quoti­diennes du grand mouvement catéchétique. Il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de cette réalité plus réelle encore, et qui commande les autres : ce que les évêques ensei­gnent et font enseigner, selon leurs documents officiels et impératifs. Il s'agit du* NOUVEAU CATÉCHISME DE L'ÉPIS­COPAT FRANÇAIS, *instauré par l'adoption du* « *Fonds obli­gatoire *» *en 1966, par sa publication à la fin de l'année 1967, par sa mise en œuvre ininterrompue depuis lors. Aux réclamations, l'épiscopat répondit en calomniant les personnes qui les présentaient. Ces calomnies officielles n'ont été ni officiellement retirées ni même regrettées en privé. Signe manifeste de l'obstination fanatique avec laquelle le noyau dirigeant de l'épiscopat entend imposer et maintenir son nouveau catéchisme.* #### 1. -- Lettre de l'abbé Berto au cardinal Joseph Lefebvre président de la conférence épiscopale ... La détresse, le désarroi, ou la révolte où se trouvent jetés des dizaines de milliers de catholiques par la publi­cation des premiers nouveaux *catéchismes,* accompagnée de la prétention exorbitante, et d'une tyrannie à la lettre sans exemple dans l'Église, de les rendre obligatoires, réclament de moi que je me joigne à ceux qui ne s'accom­modent pas d'une pareille iniquité. Je m'adresse à Votre Éminence Révérendissime, parce que c'est Elle qui, par deux actes publics, s'est Elle-même constituée le janissaire de l'oppression. 14:217 Votre Éminence a blâmé les écrivains qui, dès les pre­mières semaines de la présente année, ont exprimé contre le *Fonds national obligatoire* ([^2]) des griefs non négligeables. Elle les a blâmés calomnieusement et en mauvais français, en écrivant qu' « *on a voulu ignorer délibérément* etc. » ([^3]). (...) *Délibérément ?* DEUX hommes seulement, à l'époque où fut publiée la première note de Votre Éminence, avaient hautement parlé contre le *Fonds national obligatoire :* MM. Salleron et Madiran. Non pas dix, ni cinq, ni trois deux ; ces deux-là. Qu'ils aient « voulu ignorer délibéré­ment », comme dit Votre Éminence, ou « voulu délibéré­ment ignorer », comme dit la grammaire, est une accusation grave à leur encontre. « *On *» est un subterfuge de casuis­tique qui ne peut laisser en paix qu'une conscience archi­épiscopale ; sous ce pronom couard, les noms propres étaient très lisibles. D'autre part il apparaissait à la pre­mière inspection des textes que MM. Salleron et Madiran avaient lu le *Fonds national obligatoire,* en avaient perçu la portée et les intentions prétendument pédagogiques, et, loin d'avoir « voulu ignorer délibérément » ou « voulu délibérément ignorer » ce qu'ils critiquaient, parlaient en pleine connaissance de cause ([^4]). 15:217 Une grave ac­cusation démontrée fausse est une grave calomnie, et le calomniateur est obligé à réparation. Nous n'avons point vu que Votre Éminence Révérendissime se soit acquittée de ce devoir de *justice.* MM. Salleron et Ma­diran ne m'ont pas chargé de les défendre, ils sont de taille à le faire eux-mêmes, s'ils le jugent à propos. Cela aussi n'est donc dit qu'en passant, mettons, pour le repos de ma propre conscience, et parce que le saint Évangile déclare « bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice » ......... Éminentissime Seigneur, j'ai fait toute ma vie le caté­chisme, à la seule exception de mes années d'enseignement au Grand Séminaire ; je l'ai fait comme vicaire de paroisse, je l'ai fait comme aumônier de pensionnat, je le fais encore tous les jours ouvrables, et depuis vingt-trois ans, à des enfants privés de famille. Je l'ai fait à des enfants de tous les âges, de toutes les couches sociales, surtout des plus humbles et des plus ignorantes. Et je dis que prétendre que les enfants de neuf à onze ans ne sont susceptibles que du long verbiage qu'on leur inflige accompagné, dans un encadrement entre filets maigres, d'un « par cœur » (d'ailleurs difforme et véreux) qui tiendrait sur le seul, recto d'une feuille de format commercial, c'est une imposture éhontée. 16:217 Extraits de la lettre de l'abbé Berto au car­dinal Joseph Lefebvre, président de la confé­rence épiscopale française. Cette lettre, datée de septembre 1968, a paru dans la revue ITI­NÉRAIRES, numéro 127 de novembre 1968. #### 2. -- Le Père Bruckberger Demain va s'ouvrir à Rome un synode, réunissant des délégations épiscopales du monde entier. Le thème de ce nouveau synode est la catéchèse, c'est-à-dire l'enseignement élémentaire de la foi catholique, particulièrement aux en­fants. Ceux des évêques français qui assisteront à ce synode ont déjà fait savoir qu'ils seraient là surtout pour écouter et se taire. Auraient-ils honte d'eux-mêmes ? On le souhaiterait, car, depuis dix ans que leur nouveau catéchisme est ensei­gné, ils n'ont pas lieu d'être fiers. On voudrait espérer que, dans cette assemblée épiscopale, une voix s'élève pour mettre en accusation le nouveau catéchisme français et pour sommer les responsables de s'expliquer sur la nou­velle religion enseignée aux enfants de France sous l'égide d'une hiérarchie devenue pratiquement moderniste. A l'époque de la parution du nouveau catéchisme fran­çais, en 1968, Jean Madiran dans « Itinéraires », Louis Salleron dans « Le Monde », « Le Courrier de Rome » en ont dénoncé l'imposture. Car c'est une imposture que d'enseigner un catéchisme d'où le récit de la Genèse sur la chute originelle est proscrit comme inaccessible aux enfants ; où le récit de l'Annonciation dans l'Évangile de Luc est cité, mais amputé de parties essentielles ; où le texte de saint Paul sur le péché originel est délibérément tronqué ; où ces moignons de textes sacrés sont réputés « obligatoires », exclusifs de la version authentique et complète. 17:217 C'est une imposture que d'enseigner un catéchisme, où il n'est plus que vaguement question du péché, soit origi­nel, soit actuel, et où on ne le définit jamais ; où il n'est jamais dit que Jésus-Christ possède de plein droit la nature divine aussi bien que la nature humaine, où il n'est pas dit que Marie est demeurée vierge dans et après sa mater­nité et qu'elle est véritablement mère de Dieu ; où les anges, dont les visitations remplissent l'Écriture et la vie des saints, sont ignorés ; où le caractère sacrificiel de la messe et la présence réelle du Christ dans le sacrement après la messe, sont passés sous silence ; où ne sont évoqués ni le Purgatoire ni l'Enfer dont le Christ parle si claire­ment dans l'Évangile, et avec une telle insistance : « C'est là qu'il y aura pleurs et grincements de dents. » C'est une imposture que d'enseigner un catéchisme où le corps des vérités traditionnelles est désintégré au profit d'une vague idéologie humanitaire et sentimentale, dont peuvent s'accommoder des intelligences abâtardies, mais qui ennuie jusqu'à l'écœurement les enfants de France. Ce catéchisme est une marchandise avariée que notre épisco­pat national a l'effronterie de passer en contrebande, sous le pavillon de la foi catholique. Extrait de l'article du P. Bruckberger paru dans *L'Aurore* du 29 septembre 1977. 18:217 ### III. -- La dimension chronologique *La crise du catéchisme est devenue dramatique à partir des années 1966-1968. Mais elle n'a pas surgi brusquement. Les catéchismes antérieurs, le catéchisme national de 1947, le catéchisme national de 1937, qui étaient encore catholiques, étaient déjà en décomposition. C'est le* REFUS DU CATÉCHISME ROMAIN *qui, aux années trente, a inauguré la décadence du catéchisme français. Ce refus, prononcé par l'épiscopat français, avait pour origine sa méconnais­sance tenace, sa détestation intraitable de la personne, de la pensée, de l'œuvre* « *intégristes *» *de saint Pie X.* L'évêque étant docteur de la foi pour son église diocé­saine, chaque diocèse de France avait son catéchisme jus­qu'en 1937. Ces catéchismes diocésains s'inspiraient plus ou moins directement, plus ou moins heureusement du Catéchisme du Concile de Trente. Littéralement, ils étaient plus ou moins différents les uns des autres. Inconvénient pratique pour les enfants qui changeaient de diocèse pen­dant leurs années de catéchisme ; inconvénient qui pré­occupe l'épiscopat français « aux environs de l'année 1930 » ([^5]), en raison de la mobilité croissante de la popu­lation. Cette préoccupation avait été celle de saint Pie X un quart de siècle plus tôt. En rendant obligatoire dans les diocèses de la Province de Rome le catéchisme qui porte son nom, il exprimait le vœu, il formulait l'espoir que les évêques du monde entier, ou au moins ceux d'Italie, l'adop­teraient chacun pour sa part : « Nous avons confiance que les autres diocèses voudront aussi l'adopter *pour arriver ainsi à ce texte unique, au moins pour toute l'Italie, qui est dans le désir de tous *» ([^6])*.* Un quart de siècle plus tard, on commença en France à prendre réellement en consi­dération ce désir et ce besoin. 19:217 Je connais personnellement l'un des experts qui fut alors consulté ([^7]). Je tiens de sa bouche que par lui au moins (et peut-être par d'autres) fut donné l'avis suivant : -- *Si l'on renonce au catéchisme diocésain, il faut alors adopter en France le catéchisme romain : le Caté­chisme de S. Pie X.* Cette solution fut écartée. L'opposition à la mémoire de Pie X était très puissante dans certains milieux diri­geants de l'Église de France (cette opposition n'a d'ailleurs fait qu'y grandir depuis la canonisation...). Et puis, on voulait un catéchisme « français ». On eut donc le « Caté­chisme à l'usage des diocèses de France », publié en 1937. Repoussant un projet qui se présentait (déjà) comme « plus évangélique » que l'enseignement traditionnel, le Cardinal Verdier avait déclaré : « Ce que nous voulons, c'est le catéchisme de l'Église : dogme, morale, sacre­ments » ([^8]). -- En quoi il se trompait, non quant à l'in­tention ni quant à la doctrine, mais quant à la « pédago­gie » précisément ; quant à la pédagogie de l'Église. Le catéchisme de l'Église romaine n'est pas ainsi composé. Le Catéchisme du Concile de Trente ne connaît pas ces trois parties-là, « dogme, morale, sacrements », mais les quatre que nous avons dites. Le Catéchisme romain de saint Pie X est lui aussi fondé principalement sur l'explication du Credo, du Pater et des Commandements. En France, au lieu de faire aux enfants une *explication de textes* concer­nant les trois textes religieux les plus officiels, si l'on peut dire, et en même temps les plus quotidiens et les plus familiers, on allait se mettre à leur enseigner «* le dogme *» et « *la morale *»*,* comme à des élèves de philosophie ou à des étudiants en théologie. C'était passer du concret vécu à un intellectualisme excessif et prématuré. 20:217 Les partisans d'un catéchisme « plus évangélique » pouvaient alors reprocher avec raison à ce catéchisme français d'être trop « abstrait ». Plus « abstrait » à vrai dire par son plan, par son orientation, par sa présentation que par son contenu : mais il était en marche vers l'abstraction trop intellectuelle, *il était en train de perdre le contact avec le concret vécu du Credo, du Pater, du Décalogue.* On voulut remédier à cette « abstraction » excessive dans l'édition « revue et corrigée » de 1947 ([^9]) mais on était déjà très enfoncé dans ce verbalisme et ce verbiage qui sont la maladie actuelle des clercs (des clercs laïques et ecclésiastiques). On ne revint pas au concret de la vie religieuse quotidienne. On se contenta de *changer les mots.* A la place de « dogme », on écrivit : « Les vérités que Jésus-Christ nous a enseignées » ; à la place de « sacrements » : « Les secours que Jésus-Christ nous a préparés » ; à la place de « morale » : « Les comman­dements que Jésus-Christ nous a donnés ». Dans ce caté­chisme de 1947, on expliquait encore les Commandements ; les articles du Credo étaient cités davantage comme orne­ment épigraphique que comme texte à expliquer point par point ; et le Pater était expédié avec *huit lignes* de paraphrase pour toute explication. Le refus initial avait ainsi progressivement porté ses conséquences -- les conséquences visibles et les consé­quences mystérieuses -- jusqu'à l'état de confusion der­nière et de dernier dénuement où nous voilà aujourd'hui. Entre 1930 et 1937, l'occasion s'était offerte d'adopter en France le catéchisme romain. L'épiscopat français ne le voulut point. Depuis ce refus, la décadence de notre caté­chisme national a été incessante et uniformément accélérée. \*\*\* 21:217 Ce n'est donc point le catéchisme français de 1947 (ni celui de 1937) que nous réclamons ou que nous regrettons. Sans doute, il était encore un catéchisme catholique, alors que nous en arrivons maintenant à un quelque chose qui n'est ni catholique, ni catéchisme. Mais le catéchisme que nous réclamons, c'est le catéchisme romain. Nous le récla­mons pour trois motifs : 1° son contenu doctrinal authen­tique ; 2° le réalisme surnaturel de sa pédagogie ; 3° l'au­torité du magistère qui le garantit et le propose. Ce caté­chisme romain est celui qui *n'était plus employé en France depuis plusieurs générations.* Extrait de la brochure de Jean Madiran : *Le nouveau catéchisme,* publiée par la revue ITINÉRAIRES. 22:217 ### IV. -- La dimension scripturaire *Il ne s'agit pas de savoir si le nouveau catéchisme de l'épiscopat a eu raison de se vouloir plus biblique et plus évangélique que les autres catéchismes, et s'il y est réelle­ment parvenu. Discussions oiseuses qui sont des diver­sions. Car, en la matière, sa nouveauté est d'avoir imposé comme obligatoires des* VERSIONS FALSIFIÉES *de l'Écriture.* \[Cf. Jean Madiran : *Le catéchisme sans commentaires,* It. 132-supp, avril 69.\] 29:217 Cette brochure avait paru en 1969. Sa se­conde édition, en 1972, comportait une « Pré­face à l'édition de 1972 » dont voici la repro­duction intégrale : A l'automne 1972, nous rééditons ce fascicule d'avril 1969, donc après plus de trois ans, sans y changer un mot. Car ce fascicule, dans ce qu'il expose, marque un point de départ ; un point d'origine ; un commencement. Avec le nouveau catéchisme rendu « obligatoire » à la rentrée scolaire 1968-1969, c'était la première fois que l'autorité épiscopale prétendait imposer un changement non pas même de *l'interprétation* traditionnelle mais bien *du texte* de l'Écriture. Depuis lors, l'altération de l'Écriture sainte, dans les versions « obligatoires » du nouveau catéchisme et de la nouvelle liturgie, a poursuivi son cours. Il ne s'agissait donc pas d'une maladresse, d'une malfaçon, d'une distrac­tion. Il s'agissait du début d'une entreprise de falsification générale. C'est pourquoi il est important de bien marquer quand, comment, par qui les choses commencèrent : ce fut avec le Fonds obligatoire de 1966, ce fut avec les nou­veaux catéchismes de 1968, soi-disant conciliaires et bibli­ques. Les trois exemples que nous décrivons « sans com­mentaires » ne sont pas les seuls en 1966-1968 : à cette époque, parmi les premiers, ils sont les plus caractéris­tiques. 30:217 Les évêques français ont été informés de nos réclama­tions, qui d'ailleurs sont publiques et connues. Au demeu­rant, ils ne devraient avoir besoin de personne pour aper­cevoir la trahison de l'Écriture. C'est *sciemment* qu'ils persévèrent dans cette prévarication et ce blasphème ; c'est *personnellement* que chaque évêque est responsable des versions falsifiées de l'Écriture imposées dans les caté­chismes et les liturgies de son diocèse. Personnellement responsables, sciemment prévaricateurs, ils agissent le plus souvent, sans doute, par faiblesse plutôt que par malice : ils n'osent pas enfreindre les oukases diaboliques du *parti dominant* dans l'Église. Ce parti actuellement dominant est celui de la soumission au monde moderne, de la collabo­ration avec le communisme, de l'apostasie immanente. Il tient presque tous les postes de commandement et il règne, sur les lâches, par l'intimidation. On remarquera que, pour montrer l'altération de l'Écriture, nous comparons les versions falsifiées aux versions correspondantes de la *Bible de Jérusalem,* qui était la plus répandue avant le début des falsifications. Ce n'est point pour la recommander. Ni en recommander aucune autre parmi les modernes. Les traductions françaises faites au XX^e^ siècle ne sont pas bonnes ; mais, avant 1966, elles n'étaient tout de même ni falsificatrices ni blasphématoires. Déjà Péguy, il y a soixante ans, protestait contre « *un faiblissement perpétuel *» et un constant « *fléchissement *» dans toutes les « traductions des Évangiles en français », « et en général dans tous les textes liturgiques dans les catéchismes et dans les livres de messe à deux colonnes ». Ce fléchissement, ce faiblissement des traductions fran­çaises était le fruit de la fadeur spirituelle, de la médio­crité. Depuis 1966, c'est autre chose, c'est l'imposture et c'est la falsification : elles sont l'énorme et provocante signature de Satan, visible au cœur du nouveau catéchisme et de la nouvelle liturgie. Nul ne pourra dire qu'auront manqué les signes les plus manifestes et les plus décisifs. \[Fin de la reproduction intégrale de la Pré­face à l'édition de 1972 de la brochure : *Le catéchisme sans commentaires.*\] 31:217 ### V. -- La dimension d'occultation *Les catéchismes existent. On l'a caché, on le cache. C'est dès 1967 que la revue* ITINÉRAIRES *a réédité le* CATÉCHISME DE SAINT PIE X. *Qui vous l'a dit ? Qui vous a dit qu'il s'agit d'un catéchisme* POUR LES ENFANTS ? *On vous a dit le contraire, parfois jusque parmi les fidèles de saint Pie X. On fait croire au public que les vrais catéchismes sont introuvables, qu'ils ont disparu, qu'il n'existe plus d'autres catéchismes que les catéchismes nouveaux. Ne vous laissez pas faire. Informez-vous. Réflé­chissez...Réagissez. Apprenez à mieux connaître la néces­sité, les raisons, la grandeur du catéchisme romain.* #### 1. -- Les catéchismes existent \[cf. l'Arsenal, It. 146-09-70, pp. 223 sv.\] 36:217 #### 2. -- Nécessité, raisons et grandeur du catéchisme *Voici encore\ ce que l'on ne vous dit pas* Toute pensée et toute action, à moins de n'être qu'op­portunisme et comédie, se règlent sur des principes im­muables, s'inspirent de leur vérité, s'éclairent à leur lumière. **I** Les principes les plus fondamentaux, les plus indis­pensables, sont contenus dans *la loi de Dieu,* révélée aux hommes par Dieu lui-même. Y croire est un don de Dieu qui s'appelle la foi. Mais y croire globalement ne suffit pas. Il faut encore apprendre à connaître le contenu de la foi par l'étude et la méditation. La loi de Dieu se lit dans l'Écriture sainte, que l'on appelle couramment *l'Évangile,* par une manière de parler qui consiste à nommer « la partie pour le tout ». Les qua­tre évangiles ne sont qu'une partie de l'Écriture, qui com­prend l'Ancien et le Nouveau Testament. Disons néan­moins « l'Évangile » en ce sens usuel et large, pour désigner l'ensemble de « la bonne nouvelle » révélée par Dieu : cette bonne nouvelle est l'annonce d'un salut éternel pour les hommes et des moyens qui leur sont offerts pour parvenir à ce salut. 37:217 Tous les actes et toutes les pensées de la vie de chaque jour, pour n'être pas finalement stériles, s'inspirent de l'espérance de ce salut surnaturel et se règlent sur les conditions à remplir pour être sauvé. Le résumé de ces vérités essentielles est contenu dans le catéchisme. **II** Car le véritable Évangile, le seul, est celui de Jésus-Christ, transmis, présenté, interprété par l'Église qu'il a fondée pour cela. Ce n'est pas l'évangile réformable, mutant, délirant des évêques prévaricateurs, des mauvais prêtres suant la luxure et l'ambition, des faux experts en exégèse portés sur je pavois des journaux et des radio-télés. Personne, fût-il évêque, ne peut lire l'Évangile sans connaître le catéchisme. Personne, fût-il hiérarque dans l'Église, ne peut lire l'Évangile sans l'Église : sans le guide de l'enseignement permanent et universel de l'Église, résumé dans le catéchisme romain. L'Évangile n'est pas livré à l'interprétation de chacun selon son humeur ou ses lumières propres. Il n'est pas livré non plus aux inventions subjectives, arbitraires et provisoires d'hommes d'Église qui veulent « s'ouvrir au monde » et « construire le socialisme ». Le catéchisme romain est l'indispensable vade-mecum de chaque chré­tien, son point fixe au milieu du déluge universel de la subversion, de l'apostasie, de la décomposition. **III** Il faut *apprendre :* apprendre ce que l'Église en tant que telle a toujours enseigné. 38:217 Il ne s'agit pas de l'inventer. Il ne s'agit pas de le « réformer ». Il s'agit de le retrouver, de le garder, de le maintenir, de le cultiver, de le transmettre. C'est la seule assurance sur l'avenir. C'est le seul avenir que nous puissions connaître en toute certitude. Ce que l'Église a toujours enseigné, c'est à coup sûr ce que, à travers et au-delà de ses propres crises, même effroyables, elle enseignera toujours. **IV** Ce que l'Église a toujours enseigné, il s'agit de mieux l'apprendre. Il ne s'agit pas de le perfectionner, mais de nous perfectionner nous-mêmes en l'apprenant. « *Il y a des gens qui veulent perfectionner le christia­nisme, disait Péguy. C'est un peu comme si l'on voulait perfectionner le nord, la direction du nord. Le malin qui voudrait perfectionner le nord. Le gros malin. *» « Il ne s'agit pas de perfectionner. Il s'agit de tenir, de garder le point fixe. » « Le nord est naturellement fixe ; le christianisme est naturellement et surnaturellement fixe. Ainsi les points fixes ont été donnés une fois pour toutes dans l'un et l'autre monde, dans le monde naturel et dans le monde surnaturel, dans le monde physique et dans le monde mystique. Et tout le travail, tout l'effort est ensuite de les garder, de les tenir. Loin de les améliorer au contraire. » **V** Il faut apprendre -- il faut rapprendre le catéchisme, pour acquérir ou pour ranimer *les connaissances néces­saires* au salut, et pour en vivre. 39:217 Il faut l'apprendre, ou le rapprendre, pour être en mesure de *ne pas se laisser tromper* par les fariboles tristes des prêtres recyclés, par les sournoiseries brutales des mauvais prêtres frais émoulus, par les mises en scène des prêtres saltimbanques de la radio-télé. Il faut l'apprendre pour être capable de *reconnaître* les prêtres fidèles, les aider et les défendre. **VI** Il faut l'apprendre parce que le catéchisme est la base, le centre, le guide non seulement pour l'unique né­cessaire qui est surnaturel, mais encore pour le surcroît temporel. Le catéchisme est évidemment le seul principe sûr d'un choix réfléchi et responsable entre les messes de plus en plus fondamentalement différentes qui nous sont proposées dans les églises ou hors des églises. Mais le catéchisme est aussi le guide, le centre, la base de toute éducation intellectuelle et morale, de toute formation civique, de toute action culturelle, de toute activité sociale. Car c'est dans le catéchisme catholique romain que se trouve l'énoncé certain de la *loi naturelle* et son explication : c'est dans le catéchisme que se trou­vent l'énoncé et l'explication du Décalogue, qui est lui-même le résumé de la loi naturelle. Ce qui stérilise actuellement et dégrade l'action publi­que des baptisés, leur action familiale, leur action sociale, leur action scolaire, leur action civique tout autant que leur vie spirituelle, c'est leur méconnaissance du caté­chisme. 40:217 Cette méconnaissance était déjà grave, mais moins rapidement ruineuse, tant qu'ils étaient encore instincti­vement imprégnés du catéchisme catholique ; tant que le catéchisme catholique romain, même plus ou moins mé­connu, existait inchangé dans chaque paroisse, rappelé dans chaque sermon, impéré dans chaque confessionnal ; tant qu'un épiscopat prévaricateur n'avait pas commis le crime d'installer un nouveau catéchisme à la place du catéchisme romain. Aujourd'hui, cette méconnaissance est mortelle parce que le vrai catéchisme n'est plus à portée de la main : il faut le retrouver, il faut le recon­quérir, à contre-courant. **VII** A contre-courant de l'ignorance religieuse qui grandit chaque jour, encouragée par le naufrage intellectuel et moral du clergé et de l'épiscopat. Nous vivons la plus grande régression spirituelle de l'histoire. Nous sombrons dans l'obscurantisme. Il existe un remède à l'ignorance religieuse. Un remède exactement ajusté : il faut *apprendre*. -- Apprendre quoi ? -- Répétons-le : apprendre ce que l'Église en tant que telle a toujours enseigné. Et que donc elle enseignera toujours. C'est-à-dire le catéchisme romain. *Pour com­prendre l'Évangile, il faut apprendre le catéchisme*. Extrait d'ITINÉRAIRES, numéro spécial hors série 186 bis, paru en octobre 1974. 41:217 ## CHRONIQUES 42:217 ### Salariat et politique par Louis Salleron Y A-T-IL une relation entre l'extension du salariat et le régime politique ? Autrement dit, le plus ou moins grand nombre de salariés dans la société économique trouve-t-il une correspondance dans telle ou telle forme de la société politique ? C'est une question très compliquée qui, à notre avis, ne comporte pas de réponse absolue. Elle ne peut être, en effet, isolée d'un grand nombre d'autres questions qui n'ont pas moins d'impor­tance. Voyons d'abord les chiffres, pour la France. Après ceux de 1954, 1962 et 1968, le recensement de 1975 commence à nous permettre de mesurer l'évolution des catégories socioprofessionnelles de notre pays. Une présen­tation résumée, sous le titre « Une société de salariés ? » vient d'ers être faite par M. Michel Lévy dans le n° 105, (sept. 197 ;7) du bulletin « Population et Sociétés ». Les chiffres et les tableaux qu'il nous fournit suggèrent de multiples réflexions. Notons d'abord que la population *active* (des deux sexes) est passée, en milliers, de 19 185 en 1954 à 21 775 en 1975. Par rapport à la population *totale* le pourcentage, dans le même temps, baisse de 44,8 à 41,4 (principalement par suite du vieillissement de la population et la baisse de l'âge moyen de la retraite). La population totale est, en effet, passée de 42 777 en 1954 à 52 599 en 1975. 43:217 La proportion de *salariés* dans la population active est passée, dans le même temps, de 63,7. % en 1954 à 71,8 en 1962, 76,5 en 1968 et 82,7 en 1975. Ce qui signifie, bien entendu, une diminution corrélative des activités indépen­dantes. La diminution la plus notable est celle des agricul­teurs exploitants qui, en chiffres absolus (en milliers), passe de 2 320 en 1954, à 1 852 en 1962, 1 528 en 1968 et 1084 en 1975. Diminution moindre, mais régulière chez les artisans, les pêcheurs et les petits commerçants. Aug­mentation dans les professions libérales (102 en 1954, 134 en 1975) et chez les artistes (29 en 1954, 41 en 1975). La France est donc désormais une nation de salariés pour plus des quatre cinquièmes de sa population active. Est-ce le signe d'une « socialisation » ? Bien évidem­ment, mais au sens le plus général du mot, qui implique simplement une multiplication d'institutions « sociales », où l'*individu* est pris dans le *réseau du collectif organisé.* Société « socialisée », en ce sens, signifie presque identi­quement société « organisée », ou plutôt « organicisée ». Cette socialisation entraîne-t-elle, ou implique-t-elle un type de régime politique déterminé ? Pas nécessairement, si le mot « politique » évoque des images de « socialisme » ou « libéralisme », « gauche » ou « droite », « étatisme » ou « capitalisme ». Pour s'en convaincre, il suffit de savoir qu'en 1974 l'OCDE indiquait comme pourcentage de salariés dans la « population active civile occupée des deux sexes » : 92,0 % au Royaume-Uni, 90,4 aux États-Unis, 84,3 aux Pays-Bas, 84,2 en Allemagne Fédérale, 83,3 en Belgique, 80,8 en France, 71,8 en Italie, 69,4 au Japon et 67,4 en Espagne. (Nous ne connaissons pas les chiffres des pays commu­nistes ou se disant socialistes. Pour les interpréter, il fau­drait d'ailleurs connaître le sens exact donné aux mots et savoir comment sont établies les statistiques.) 44:217 En tous cas, ce qui saute aux yeux à la lecture des chiffres de l'OCDE, c'est qu'il n'y a aucune relation né­cessaire entre régime politique (stricto sensu) et dévelop­pement du salariat. La « socialisation », considérée comme le passage au « socialisme » (marxisme, planification éta­tique, pouvoir soi-disant prolétarien, suppression ou lutte des classes, etc.), n'a aucun rapport avec la « socialisation » considérée comme un accroissement de la complexité sociale avec une interdépendance de plus en plus étroite de tous les facteurs de l'Économie. On pourrait presque dire, à l'inverse, que ce sont les pays les plus « capita­listes » qui comportent le plus grand nombre de salariés. Mais là encore, les pourcentages de l'OCDE suffisent à montrer que leur interprétation ne peut être faite à partir d'une seule donnée. La relation « activités salariées -- activités indépen­dantes » est d'abord fonction du *progrès technique.* Elle accompagne, cause et effet, les relations, semblables mais non identiques : « ville-campagne » « industrie-agricul­ture ». Elle est fonction du *temps.* Un pays dont le déve­loppement économico-technique est plus ancien comporte un nombre de salariés proportionnellement plus élevé qu'un pays dont le développement est plus récent. Elle est, à partir d'un certain développement, fonction de son *terri­toire* (ressources naturelles, situation géographique, etc.). Elle est fonction du *tempérament national,* en englobant dans cette expression l'*histoire,* les *institutions,* le *régime politique concret,* etc. Elle est fonction des *idées* et d'abord de *l'idée suprême* qui domine et inspire toute la vie poli­tique et économique du pays et qui est, selon l'épithète qu'on préfère, une idée *philosophique* ou *religieuse.* Elle est enfin fonction des hommes exceptionnels, des événe­ments imprévus, du hasard, du mystère dans lequel baigne la vie des sociétés et des civilisations, comme la vie des individus. Qu'on reprenne les chiffres de l'OCDE, on verra assez aisément les facteurs qui expliquent la hiérarchie parfois inattendue des pays à salariat important. Pour nous en tenir à la seule Europe, le fait le plus massif est la coupure entre le nord et le sud, entre (en gros) les pays protes­tants et les pays catholiques. 45:217 D'où l'attrait que nous savons d'hommes comme Giscard d'Estaing et Alain Peyrefitte pour le « modèle » protestant. Quant à l'ensemble des pays, on constate qu'il n'y a aucune relation entre le déve­loppement du salariat et le socialisme. L'alternance fonc­tionne, ce qui signifie, d'une part, que le *régime* socialiste proprement dit n'existe pas, et d'autre part que le *gou­vernement* peut être soit socialiste, soit non-socialiste (sous des noms divers). Aux États-Unis, l'alternance est entre « démocrates » et « républicains » excluant tout gouver­nement « socialiste », « social-démocrate » ou « travail­liste ». L'augmentation du nombre des salariés qui pourrait être, abstraitement, considéré comme une *prolétarisation* conduisant au socialisme peut donc se révéler un *embour­geoisement* constituant un obstacle non seulement à un régime mais même à un gouvernement socialiste. Mais ce n'est pas le seul revenu moyen qui en décide. Il y faut les *institutions* et les *idées.* *Quid* alors pour la France de demain ? et pour l'Italie, l'Espagne, le Portugal, voire l'Allemagne ? Dans son petit livre sur « La Droite et la Gauche » ([^10]), Jean Madiran écrit : « Nous sommes gouvernés sous la V^e^ République de telle façon que la gauche socialo-communiste aura la majorité : elle l'aura cette année, ou bien elle l'aura plus tard, mais elle l'aura, logiquement, mécaniquement, en quelque sorte automatiquement, si aucun facteur impré­visible, homme ou événement, ne vient modifier les don­nées de notre situation » (p. 100). On ne saurait mieux dire. Mais c'est la fin de la phrase qui importe. Le désespoir, en politique, est une sottise absolue. Avec l'œcuménisme et l'ouverture au monde, le Concile a fait virer « l'Église de France » au protestantisme dans le domaine religieux, mais au socialisme marxiste dans le domaine politique, économique et social. La réaction à ce double attentat contre la vérité du christianisme et contre la vérité du pays réel est partout sensible. 46:217 Cependant elle est désordonnée et comme paralysée par un sentiment d'impuissance face à un destin qui paraît inexorable. Une volonté ferme in­fléchit ou renverse le cours du destin. Cette volonté, dif­fuse et invisible, peut se manifester demain, sans qu'on sache comment, ni pourquoi, ni par qui. -- Quel était l'état de la France quand Jeanne d'Arc avait quinze ans ? Louis Salleron. 47:217 ### Ce que j'ai vu en France par Thomas Molnar J'AI PRIS, il y a des années, la mauvaise habitude de commenter la situation en France après le séjour que j'y fais chaque été. La brièveté de ces passages m'interdit d'en dresser un tableau général ; ainsi je dis tout de suite ce qui m'intéresse surtout et sur quoi je concentre mon attention : la situation politique, religieuse, la véritable opinion de la jeunesse et non pas ce qu'en écrivent et disent les media, enfin le degré d'américani­sation dans la société et la mentalité françaises. Voilà un programme déjà bien chargé ! Cette fois-ci je fus aidé dans ces « recherches » par l'entretien qui eut lieu entre le président Giscard et cinq lycéens lyonnais, à la télévision. Je n'en étais pas le témoin oculaire mais, ayant lu la presque totalité des propos échangés, c'est comme si. La première chose remarquable est le fait même que l'entretien ait eu lieu, et que ce n'était pas « saint Louis jugeant sous le chêne de Vincennes », mais un exercice de démocratie, c'est-à-dire de création d'une fausse égalité, d'un « dialogue », si l'on veut. Technique typiquement américaine qui consiste à mettre en avant des situations « humaines » (*human touch,* chaque président connaît cet art dès sa candidature à la Maison Blanche) contraires à la hiérarchie véritable et aux rapports de forces réels. 48:217 Bon, dira-t-on, c'est l'évidence même. Il reste qu'à la longue l'impression pénètre dans l'opinion publique que les hié­rarques sont des copains, que la politique se fait au su de tous, et qu'il suffit d'être « concerné » pour avoir voix au chapitre. C'est lorsqu'on diffuse en direct les séances du Congrès à Washington, lorsque la séance est ouverte à tout je monde, que la politique véritable se fait encore plus secrète qu'auparavant : il y aura alors deux séances, l'une faite de copinage, l'autre de délibérations sérieuses. Le « peuple » n'a rien gagné à l'abolition du secret ! Justement, une des questions étudiantes portait sur le mensonge dans la politique : peut-on gouverner sans men­tir ? Ce qui est intéressant n'est pas tant la réponse de Giscard (« il ne faut pas mentir, mais on ne peut pas dire toujours la vérité »), que l'*utopisation,* si l'on peut dire, de ces jeunes gens. Dans la « petite politique » quotidienne, en famille, en classe, parmi les copains, la tentation du mensonge est, après tout, identique à celle de l'Élysée, des Nations Unies, du marché commun ; pourquoi tracer un cercle magique autour de la *politique* seule, comme si d'autres règles pouvaient s'y appliquer ? La raison se trouve dans le lavage du cerveau : la poli­tique c'est le Mal, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme, l'inégalité, les institutions, l'impérialisme. En face de la politique (haïssable ensemble avec l'État, les classes sociales, le salariat, la guerre, les tribunaux -- et, pourquoi pas ? le clergé), il y a l'Utopie, le pays de cocagne, la fraternité, la fête permanente, le culte de Mao ou, que sais-je, du Soleil. Une autre remarque des étudiants a d'ailleurs bien précisé cet état d'esprit : « Nous ne voulons plus, comme nos parents, être abrutis par le travail. Nous voudrions pouvoir exercer des activités créatrices, faire autre chose. Comment faire comprendre que, pour nous, le travail n'est plus sacré ? » Notons qu'en même temps que le travail est ainsi « désacralisé » par les jeunes de Lyon, ces mêmes jeunes exigent l'abolition du chômage (le chômage est entretenu par le système capitaliste, disait une lycéenne), le bien-être de tous, et, semble-t-il, une situation générale assez pros­père pour promouvoir la « créativité » de certains. 49:217 Une fois de plus, c'est presque copié de la littérature utopique de deux millénaires, littérature que ces étudiants ne con­naissent point mais dont ils reprennent spontanément le programme absurde, capricieux et somme toute criminel par la déification de l'impossible et de l'immoral. Le style actuel de cet hédonisme vient en droite ligne de l'Amérique où le puritain dévergondé, encore en 1960 jusqu'au cou dans l'éthique du travail, s'est recyclé vers 1970 sous l'influence des hippies et de Charles Reich avec son « *Gree­ning of America *». La nouvelle éthique porte la guerre au travail, aux institutions ; je connais des gens dans les grandes villes américaines -- ce ne sont pas des miséreux mais, horribile dictu ! des salariés -- dont le plaisir est de voler dans les magasins, sans avoir besoin de la marchan­dise ainsi « confisquée » à la classe possédante. Les « jeunes » n'aiment donc pas le travail et « n'ont que dégoût devant la politique ». Ils cherchent la vérité, la sincérité et la créativité, formule aussi creuse que celle de leurs ancêtres jacobins, débouchant sur le même régime despotique et mensonger. M. Giscard a joué évidemment le jeu, conscient peut-être qu'il prenait ainsi de l'avance sur son collègue de Washington qui n'a pas, jusqu'ici du moins, dialogué avec des lycéens. On peut parier qu'en­vieux, Jimmy Carter se rendra bientôt dans une classe élémentaire afin de s'enquérir du désir de ses futurs votants. Apparemment sincère, Giscard a dit son horreur de l'apartheid (mais non du génocide au Cambodge) ; ajou­tons à son honneur qu'il qualifia la société complètement égalitaire -- que ses interlocuteurs lui demandaient de promouvoir -- de société morte, de société en atonie. Qu'en dira M. Mitterrand ? Mais laissons là Mitterrand et Giscard, pour revenir à la mentalité des jeunes en France, anno Domini 1977. A mon avis, s'ils ont posé des questions passablement inin­telligentes ce n'est pas en raison de leur jeunesse, ni parce qu'ils cherchaient de grandes phrases à la hauteur de l'occasion -- mais parce que l'ambiance est pénétrée, sur­saturée d'un irréalisme de commande, d'un utopisme corrompu. 50:217 Le plus triste de l'affaire est que ces jeunes se voulaient « non-conformistes », indépendants, originaux ; or, il est écœurant de voir à quel point ils singeaient les slogans du jour. « Ne croyez-vous pas, demanda une jeune fille, qu'il faudrait, dans les lycées, une information poli­tique pour que nous puissions voter en connaissance de cause ? » M. Giscard devait répondre en se référant aux cours de civisme, qui ne riment à rien. Mais l'exaspérant c'est l'esprit déjà bureaucratisé de cette jeune lycéenne qui, tout en éprouvant du dégoût devant la politique, veut ap­prendre à bien voter. On s'imagine sans peine quel genre de cours le lui apprendrait, et quels en seraient les maîtres. Dans les écoles américaines, chaque fois que la société invente une mode, une méthode, une technique nouvelle, le premier souci des enseignants est d'en faire un cours régulier -- au détriment évidemment des disciplines sé­rieuses et formatrices. (Les deux cours les plus récemment enseignés en tant que disciplines menant au diplôme d'étu­des sont : a) comment se comporter devant les êtres extra­terrestres lorsqu'on les rencontrera, et b) un cours sur la mort, c'est-à-dire un semestre passé à visiter les morgues, à s'entretenir avec médecins et curés sur les derniers propos des mourants, et à rédiger sa propre notice nécrologique telle qu'on voudrait la voir publiée dans le journal local.). Non, les questions posées à M. Giscard ne furent point tirées au hasard d'un chapeau imaginaire, elles reflètent bel et bien le nouveau conformisme bêtifiant. Un jeune homme prétendit avoir lu *Démocratie française,* l'ouvrage du président, pour lui reprocher le peu d'exaltation qu'il y trouvait. « Considérez-vous, a-t-il demandé à M. Giscard, qu'une telle, société fera le bonheur des jeunes ? » Ici, il fallait faire attention et à la question, et à la réponse ! Le « bonheur des jeunes » ! Ces jeunes ont déjà avalé leur position « privilégiée », ils ont le culte d'eux-mêmes, ils pensent vraiment comme la pire des élites. Pourquoi pas, tant qu'on y est, le « bonheur des seigneurs », des noirs, des barbus, des philatélistes, des pédérastes ? 51:217 En tout état de cause, les « jeunes » croient évidemment que c'est leur état et leur fin d'être jeune, comme on est beau, médecin, manchot ou comme on pèse 80 kg. En outre, ils sont créa­teurs, ils n'aiment pas travailler, et méprisent la politique tout en appelant l'abondance. Un tableau pitoyable d'in­compréhension. Mais le président, que leur répondit-il ? Évidemment, M. Giscard se sentit flatté par l'allusion à son livre. Comme ce n'est pas lui qui en parlait le pre­mier -- et qu'il faut être poli, n'est-ce pas ? et répondre à la question posée -- M. Giscard se montra satisfait de ce qu'un terme dont il réclame dans l'ouvrage la quasi-paternité connaisse déjà une carrière fulgurante. Il paraît que le terme est repris par les hommes politiques du monde entier -- qui en sont redevables au président de la République française. Il s'agit, tenez-vous bien, du terme *pluralisme *!!! Jimmy Carter et tous les politiciens amé­ricains doivent bien s'amuser -- car « pluralisme » est *le* mot qui ne quitte jamais la bouche d'un personnage de la vie publique aux USA. Pluralisme des croyances, des op­tions, des races, des minorités, des religions, des méthodes, des écoles, des manières de voir, des choix politiques, des conceptions morales -- l'Amérique entière se conjugue au pluriel. Mais plaisanterie à part, est-ce bien le « pluralisme » qu'offre M. Giscard aux jeunes Français qui se veulent -- et *le* veulent -- créateurs ? Au moment même où le « pluralisme » de l'enseignement est remis en question par les « pluralistes » de gauche ? Au moment où le pro­gramme commun *dépluralise* les entreprises ? Au moment où les maisons d'édition passent sous le contrôle de quel­ques géants colonisateurs, et sont mises au pas ? En cette fin du vingtième siècle où « pluralisme » n'exprime aucune pluralité, mais simplement une idéologie de plus dont la *signification* est exactement celle-ci : comme il n'existe aucune vérité, la seule vérité est cette déclaration elle-même. Je doute que ce pluralisme puisse exalter, rendre heureux, transformer en créateurs les *jeunes.* Cependant, n'imitons pas les media, ne falsifions pas la réalité. Les jeunes interlocuteurs sincères du président également sincère ne sont pas les seuls jeunes de France. J'ai rencontré pendant mon bref séjour deux autres groupes de jeunes, tout aussi représentatifs que ceux choisis pour le petit écran. 52:217 Le premier groupe n'est pas un groupe constitué, ce sont des jeunes gens, une quinzaine, qui m'ont fait l'hon­neur de vouloir dîner avec moi à deux reprises en vue d'un échange d'idées. Parmi eux des étudiants de la Rue d'Ulm, des maîtres assistants, de jeunes éditeurs, journalistes, voire de futurs politiciens déjà actifs dans ce métier. Le sen­timent que j'ai retiré de nos conversations est d'abord celui de leur lucidité, de leur réalisme, leur exacte mesure des choses. Point de panique devant l'avenir, point d'utopisme non plus. Mais je veux surtout rapporter ici ce que l'un d'eux m'a très clairement expliqué. A l'École Normale, a-t-il dit, le marxisme est une idée morte. En deuxième, troi­sième année on y est devenu indifférent ; ceux qui intè­grent en sont agacés. Tous ont déjà pesé le peu de savoir philosophique véritable de leurs maîtres marxistes et néo-marxistes, y compris des plus grands noms. Le désir de connaître n'a été que momentanément interrompu par mai 1968 et les bouleversements qui s'ensuivirent ; l'éru­dition est à nouveau entrée dans les mœurs. Notre commune conclusion avec ce jeune ami était que, la politique étant toujours en retard sur le cheminement de l'esprit, les partis marxistes pourraient encore l'em­porter en 1978, malgré l'agonie de leur doctrine ; mais qu'aux élections suivantes -- si élection il y a -- les nou­velles modes de pensée auront fait leur temps, même en politique. 1978 pourrait donc bien être la dernière chance des partis se réclamant de Marx. L'autre groupe, je l'ai rencontré à Saint-Nicolas du Chardonnet. C'étaient des jeunes, par définition, membres du service d'ordre. Comme à Écône il y a deux ans, ce qui m'a surtout frappé -- en comparaison des mensonges de la presse -- c'était que rien en eux n'était frappant ! A l'instar des séminaristes de Mgr Lefebvre, les jeunes gens protégeant l'église sont comme tout le inonde : ce ne sont pas des exaltés, des conspirateurs, des néo-gnostiques, ou autres graines d'hérésie. 53:217 Ce n'est pas eux qu'on pour­rait persuader de prêter serment à une profession de foi anti-pontificale... Mais justement, le *normal* est devenu à tel point inhabituel, voire suspect, qu'il suffit de quelques vociférations dans la presse de gauche, reprises en refrain par des évêques, pour rejeter ces jeunes gens derrière un mur invisible, dans un ghetto. Donc, en cet été 1977, la France « jeune » n'est point aussi déprimante à observer qu'on voudrait le dire. J'avoue mon alarme devant les groupes amorphes de jeunes en *blue jean,* où les jeunes filles de 13 à 15 ans tirent de grandes bouffées de cigarette et les garçons adoptent l'allure déhanchée des Noirs new-yorkais. C'est le signe des liens familiaux relâchés -- et même où ils ne le sont pas, l'école et l'église apportent un supplément inquiétant d'am­biguïté qui désaxe jeunes et adultes à la fois. Il reste que la France tient encore bon. Et c'est cet « encore » involon­tairement glissé sous ma plume qui me trouble... \*\*\* *La politique qu'on nous prépare ?* Attention au terme « politique » : on peut préparer, à la rigueur, une culture ou une religion, car il s'agit de projets à longue échéance. En outre, il n'est guère trop difficile de se constituer en secte religieuse ou en groupe littéraire, artistique. Préparer une politique, c'est autre chose, car son cadre doit être au moins une communauté déjà existante, ou une nation. Dès qu'on « prépare » une politique, il faut tenir compte des circonstances, des résistances, de l'appétit et de l'intérêt d'une multitude déjà organisée, structurée. C'est ainsi qu'il y a divergence entre, d'un côté, la poli­tique qui *se prépare* et vis-à-vis de laquelle nous sommes plus ou moins impuissants, et, de l'autre, la politique *pré­parée* par certaines personnes selon leur appréhension de la réalité. Or, cette divergence s'agrandit chaque jour dans le monde entier, à quelques exceptions près (12, selon le calcul d'un Raymond Aron) le grand problème politique est de savoir comment se débarrasser de la démocratie, système imposé par la colonisation ou par une classe (bour­geoise, libérale) en contact idéologique avec l'Occident. 54:217 Nous sommes alors témoins de toutes sortes de contorsions pour élaborer une formule inédite qui sauvegarderait les aspects positifs (non nécessairement démocratiques) des régimes occidentaux, mais sous le contrôle d'un nouveau type d'autorité. Cependant, le grand problème politique dans d'autres parties du monde sera au contraire de se débarrasser du communisme, système imposé par la con­quête militaire. Dans ces pays, les contorsions sont encore plus subtiles et les formules nouvelles encore plus tour­mentées. Des deux volontés politiques : se débarrasser de la démocratie (Chili, Argentine, Brésil, Portugal, etc.) ou du communisme (les satellites de l'Europe de l'Est) -- naî­tront probablement les régimes originaux du siècle, n'imi­tant ni ce modèle ni l'autre. Cet engendrement est postulé par la nécessité où se trouve l'homme de la fin du XX^e^ siècle de vivre dans des États forts, membre d'une société beau­coup moins « pluraliste » que la nôtre, et davantage enrégi­mentée, bureaucratisée. Voilà un tableau sans grand attrait, mais qui semble être le prix à payer pour deux siècles d'illusions et de projets utopiques, comme celui qui veut des individus autonomes dans un État exclusivement pro­tecteur de nos droits, libertés et dévergondages. Sur ce thème on pourrait dire encore pas mal de choses, et je l'ai tenté dans un ouvrage récent ([^11]). Cependant, ce qui nous intéresse ici n'est pas l'évolution probable de la politique, c'est la politique telle qu'on la prépare, sans égard aux nécessités du siècle, sans s'arrêter aux données réelles. Où se trouvent les laboratoires et officines amé­nagés par les prophètes de la politique chimérique ? Bien entendu, ils ne se trouvent pas dans les pays en train de travailler à la construction de régimes nouveaux, mais dans les douze pays mentionnés plus haut : les douze pays encore démocratiques, mais qui en effet ne sont plus guère que des laboratoires, puissants par les moyens finan­ciers dont ils disposent et par l'irresponsabilité des « théo­riciens » engagés dans l'expérimentation. 55:217 Les idées saugre­nues ne sont pas concoctées en Angola ou aux Seychelles, mais à Paris, à Rome, à Stockholm, à New York. Elles n'y sont pas le fait du personnel politique officiel, lequel, au contraire, sécrète uniquement des permutations d'idées désincarnées qui recouvrent la réalité d'une lourde cara­pace. Ainsi le président Giscard vient de proposer comme une nouveauté révolutionnaire le « pluralisme » -- dont meurent justement les peuples, assoiffés non pas d'une nième variante de relativisme et de la permissivité, mais d'une ligne de conduite moins floue de la part de leurs dirigeants. Cette politique qu'on nous prépare est donc sécrétée par la couche irresponsable de l'intelligentsia, dont les conseils ne sont pas forcément suivis tout de suite, mais dont les idées absurdes gagnent quand même droit de cité dans cette zone indécise installée entre le régime concret et le régime utopien que celui-ci devrait, selon les magiciens de la politique, concurrencer puis rattraper. L'essentiel de la politique dans les pays occidentaux se ramène donc à une fuite en avant du régime et de ses institutions, sous la houlette des magiciens -- sorte de clergé nouveau -- qui préparent le prochain tournant sur le chemin de l'utopie. Dès que le régime -- c'est-à-dire l'arrière-garde -- apparaît au tournant, hors d'haleine mais fier aussi du progrès réa­lisé, les magiciens, plusieurs kilomètres en avant, font en­tendre leur mépris pour la lenteur des retardataires et sonnent un nouveau ralliement. Et ceci indéfiniment : à peine le programme des magiciens est-il réalisé, que ceux-ci poussent déjà à l'adoption d'un programme encore plus ultra, encore plus éloigné du bon sens, et, dirais-je, des tensions admissibles par le réel. Ce luxe d'absurdités n'est point permis aux régimes et sociétés où le problème central et vital est l'édification d'un État. Il n'est possible que dans les sociétés en état de corruption avancée et qui ont déjà perdus le sens des mots, des objets, partant des institutions. Ces sociétés se transforment en laboratoire, mais l'expérimentation n'est guère ouverte à toutes les conclusions, elle est à sens unique. 56:217 Tout a commencé avec le refrain de la « société sans classe », la « société fraternelle », puis vint « la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme », « le socialisme à visage humain », et autres variantes de la même utopie. Cela se poursuivit exactement jusqu'en mai 1968. Cette année et cette date auraient dû faire réfléchir les gens les « jeunes » du mai 68 étaient totalement démunis d'au­cun programme positif, comme le constatait avec dépit un J.-M. Domenach, peu après. D'autre part, les troupes soviétiques ont mis fin au « socialisme à visage humain » en occupant Prague et en y installant des chefs absolument sans visage, ou plutôt à visage de robot. Deux échecs im­menses de la rencontre expérimentation-politique, et qui nous rappellent l'échec, il y a un siècle, de l'expérience Bakounine/Netchaev. Il est vrai que certains hommes -- Dieu soit loué -- ont bien conclu à l'absurdité de l'expérimentation des ma­giciens, phénomène d'autant plus significatif que ces hom­mes avaient appartenu à l'élite des magiciens. Je pense à Maurice Clavel, mais pas seulement à lui, et à d'autres hommes, partout dans le monde. D'ailleurs, le processus de désintoxication continue ; j'en veux pour preuve la conversion récente de Philippe Sollers sous l'influence de Soljénitsyne, le plus réaliste de nos contemporains. Il reste que ceux qui nous préparent une nouvelle politique, les utopiens installés à l'intérieur de la Cité, intra muros, n'ont aucune difficulté à recruter des appren­tis-magiciens. Pour chaque Clavel on trouvera une légion de Francesco-Berardi, dit « Biffo ». Ce Biffo expliquait aux journalistes, en juillet 1977 : « Le mouvement (de Bolo­gne) est né parallèlement dans des groupes de femmes, d'homosexuels, de militants, de jeunes travailleurs, d'in­diens métropolitains ; ils veulent transformer la vie quo­tidienne, collectiviser la vie personnelle, ils cherchent la provocation linguistique. » On peut rêver que le papier sur lequel s'accumulent ces insanités se déchire sous leur poids, mais enfin voilà ce qui se dit et s'écrit aujourd'hui. Ici, deux remarques s'imposent. 57:217 a\) Je sais que si j'étais moi-même magicien, écrivant à l'intention d'autres magiciens, je devrais procéder devant de telles énormités à une analyse socio-psycho-linguistique de la situation que crée en Italie la convergence entre les démo-chrétiens et les communistes. Brutalement, les jeunes marxistes, marxoïdes, marxissimes, para-marxistes, ainsi que leurs troupes auxiliaires : les femmes, les pédérastes, les prêtres en rupture de vœux se sont vus marginalisés, privés de plate-forme -- et de moyens de chantage. Nous devrions, rédacteurs et amis d'ITINÉRAIRES, nous réjouir de la confusion semée dans les milieux de la gauche ita­lienne et qui aura, a déjà, des répercussions en France et ailleurs. Et pourtant, notre contentement serait déplacé, car : b\) La dégénérescence du vocabulaire politique signale celle de la politique elle-même. Ainsi ceux qui nous « pré­parent » l'utopie ne restent pas confinés dans le ridicule -- comme ce serait le cas dans une société saine gouvernée par un régime ferme ; ils dressent leurs tentes de nomades au milieu de la Cité dont ils polluent tous les rouages. Quel­qu'un l'autre jour comparait la culture et le langage de Jaurès à ceux de nos magiciens, pour montrer la décadence du style politique de gauche. Il aurait pu ajouter quelque commentaire au sujet du déjeuner offert par M. Giscard aux intellectuels « représentatifs », la clique à Barthes (comme on dit « bande à Baader »). Oui, dira-t-on, mais c'est là le domaine de la culture. Hélas, il faut donner raison à Antonio Gramsci -- et déjà à Saint-Simon, cent ans avant le marxiste italien : l'infiltration des marginaux dans la politique moderne se réalise par le canal de la vie culturelle. Si un régime nouveau et révolutionnaire cherche à se faire accepter, écrivait Saint-Simon, il lui faut recourir à la flatterie à l'égard des artistes, des écrivains, des poètes. C'était vrai en 1830 aussi bien que pendant la période qui a précédé la prise de pouvoir d'Allende au Chili. Et cela restera vrai aussi longtemps que la société industrielle-démocratique avec sa mauvaise conscience à l'égard des façonneurs du verbe. 58:217 Tout ce qui précède indique que nos sociétés (libérales, capitalistes, démocratiques, industrielles) sécrètent l'uto­pisme à la manière d'une glande. Elles créent également les circuits par lesquels l'utopisme pénètre dans le corps social et politique, et avant tout dans l'enseignement, voire dans les Églises. Or, le propre de l'utopisme est de postuler deux *états* antagonistes : celui qui *est,* par définition mau­vais, insupportable, et celui qui *sera,* par définition excel­lent. Le premier état est mesuré à l'aune du second, il reste donc toujours condamné, malgré ses progrès inces­sants vers l'état utopien. Ainsi l'utopisme et ses représen­tants ne peuvent jamais se dire satisfaits ; ils agissent à l'intérieur des institutions moins comme un ferment que comme des termites. Le ferment aide le corps où il se trouve à épanouir ses potentialités ; les termites détruisent la charpente d'une maison -- et s'en nourrissent. L'utopien, lui aussi, cherche moins à réformer, à corriger les institu­tions qu'à les démanteler, à les abolir. Tout ce qu'il pour­rait construire à leur place, il le démolirait de même. Mais justement, il ne construit point, comme on peut le voir aux expressions qu'il emploie : il se propose de « trans­former la vie quotidienne », de « collectiviser la vie per­sonnelle », de lancer des « provocations linguistiques », de promouvoir un régime socialiste « à visage humain », de marier l'œillet à un poing serré. Sartre préconise une société où tous les hommes seront « transparents », où ils aboliront le secret de la vie privée S. de Beauvoir abonde dans le même sens lorsque dans son journal de Chine elle dit son ravissement des casseurs de pierre le long des routes, qui chantent (obligatoirement, hélas), et des ou­vriers d'usine récitant leurs poèmes (dont on connaît l'au­teur) pendant la pause du midi. Mais tous ces projets de « société », comment se tra­duisent-ils dans la réalité ? Qu'y retrouve-t-on de la fra­ternité, collectivité, intimité et transparence que prônent les magiciens ? A ce propos, on me permettra de rapporter un petit épisode de rien, caractéristique et révélateur. Il y a cinq ou six ans j'ai reçu une lettre d'un Monsieur G.S., d'Allemagne, m'annonçant qu'il allait m'expédier par la poste deux de mes propres ouvrages (traduits en allemand) et me priant de les lui retourner, avec une dédicace. Les frais de renvoi seraient payés par G.S. lui-même au moyen d'un mandat international. 59:217 Bien entendu, j'ai donné satis­faction à mon correspondant inconnu. Or, dans sa lettre de remerciement, G.S. me faisait savoir son amertume de ce que Mme de Beauvoir, à qui il avait pareillement envoyé deux ouvrages (d'elle-même), ne les ait point retournés, non plus qu'un deuxième paquet contenant les mêmes livres que G.S. s'était de nouveau procurés ! Deux fois deux livres, payés, postés et accompagnés d'une demande modeste -- sans un mot de réponse ! Alors, cette société fraternelle, ce socialisme à visage humain, ces manifestes en faveur des persécutés, ces ou­vriers chinois cassant la pierre, chantant, cet homme non plus privé mais transparent -- comment faut-il donc les comprendre, lorsqu'on néglige de répondre à la simple re­quête d'un de nos prochains, requête humainement et in­tellectuellement respectable, modeste ? Je crains que cette réponse ne soit à l'image de la société que voudrait édifier Mme de Beauvoir, à l'image de la politique qu'elle nous prépare en compagnie d'autres magiciens tout aussi chari­tables. Mettons les choses au clair : il ne s'agit pas, pour notre part, de souligner une nième fois le dévergondage in­tellectuel et moral de l'intelligentsia qui nous gouverne, ses contradictions, ses non-sequitur, sa vanité, son inhuma­nité ; il s'agit plutôt de montrer que ce sont toujours eux qui déterminent les « projets de société » et fixent leurs utopies grotesques à l'horizon de nos cauchemars. Et de prendre conscience du fait que ces utopies ne sont pas d'innocentes plaisanteries de salon ou de café ; elles pénè­trent, par osmose, dans la politique. Qui niera qu'il y ait corrélation entre les projets utopiens et la réalité de nos régimes, lorsque l'on constate le chemin parcouru depuis le début du siècle, ou même depuis 1945 ? Prenons l'exemple d'outre-Manche, chez les Britanniques sobres et réalistes leur régime social est calqué aujourd'hui sur la termitière proposée par Sidney, Béatrice Webb et les « Fabiens » groupés autour de ce couple. Et si la France de demain était calquée sur l'utopie suggérée par le couple Sartre-Beauvoir, ces autres « collectiviseurs de la vie personnelle » et « provocateurs linguistiques » ? Thomas Molnar. 60:217 ### Le Vatican contre les droits du Brésil par Julio Fleichman LE PAPE PAUL VI recevait en audience officielle, le 4 juillet, le nouvel ambassadeur du Brésil récemment accrédité auprès du Saint-Siège. Sa Sainteté devait déclarer, dans son discours d'accueil, que « la recherche de l'efficacité et la préoccupation d'assurer l'ordre public ne devaient pas aboutir à des situations arbitraires ou de violation des droits inaliénables de la personne humaine ». Un peu plus loin dans ce même discours, le pape manifes­tait sa solidarité aux évêques brésiliens en reprenant à son compte les accusations qu'insinuait déjà contre notre gou­vernement le manifeste de la C.N.B.B. ([^12]) du 16 novembre 1976. C'est ce manifeste que le cardinal Scherer, de Porto Alegre, mais aussi d'autres évêques, avaient refusé de signer, comme nous l'avons vu dans un article précé­dent ([^13]) ; ce manifeste qui fut connu et diffusé en Europe, dans des traductions françaises et italiennes, avant même d'être rendu public chez nous ! 61:217 Mais revenons au discours qui nous intéresse ici, celui du pape. Si par « violation des droits de l'homme » Paul VI entend faire allusion aux quelques mauvais coups don­nés par la police brésilienne à des assassins, pour obtenir d'eux les renseignements indispensables à la destruction des organisations criminelles ou subversives, Sa Sainteté assume une grave responsabilité : ce qu'elle recommande aux autorités de notre pays, c'est une moindre « efficacité » dans la répression du crime, et une préoccupation moins grande de ce qu'exige l'ordre public. Car, nous vou­drions bien le rappeler, en Italie pas davantage qu'au Brésil ou qu'en n'importe quel pays du monde, on n'a encore découvert de méthodes plus délicates pour « per­suader » les criminels. Et, toujours dans cette première hypothèse, la protection assurée par ces méthodes est celle dont bénéficient le pape lui-même, aussi bien que les évêques, dans le monde entier. Cependant, si Paul VI nous parle de « violation des droits de l'homme » pour insinuer après tant d'autres que les dirigeants du Brésil pratiquent des « tortures » inadmissibles contre les agents de la subversion commu­niste, il vient tout bonnement se ranger du côté de ceux qui mènent la campagne de diffamation du Brésil depuis le soulèvement militaire de 1964 qui a chassé les com­munistes installés au gouvernement. Cette campagne commence à porter les fruits de la patience et de la ténacité qui animent leurs auteurs. Elle vise, non à réduire l'éner­gie, mais bien à paralyser le combat des soldats brésiliens contre les pires monstres que le monde ait porté : les serviteurs de l'idéologie que Pie XI a nommée « impie, athée, intrinsèquement perverse ». Nous soupçonnions déjà, par beaucoup d'autres signes, que le Saint-Père était, (dans la meilleure hypothèse) la victime des organisations secrètes qui fabriquent l' « opi­nion publique » internationale, comme l'I.D.U.C. Effecti­vement, on sait, on voit que ceux qui manœuvrent les moyens de communication y fixent les thèmes qui devront être l'objet de nos préoccupations, aussi bien que leur opportunité et leur priorité sur tous les autres. 62:217 Serait-ce pour leur obéir que la voix du pape régnant n'aura jamais voulu s'élever contre les attentats, les meur­tres, les enlèvements perpétrés par la subversion ? que nous n'avons jamais entendu de sa part le moindre mot de pitié pour les victimes de ces crimes, les orphelins, les veuves de ces soldats et policiers morts dans l'héroïque ac­complissement de leur devoir ? Nos clameurs contre la férocité de ceux qui entretien­nent chaque jour sur notre sol une véritable guerre se heurtent au mur d'insensibilité de ceux qui, comme le pape, n'ont d'yeux et d'oreilles que pour ce que la presse internationale désigne à leur exécration, et mènent le inonde à sa perte en se fermant les yeux. Nous avons déjà vu une situation pareille lorsque le dirigeant catholique du Vietnam-Sud, Ngo Dim Diem, à la suite d'une campagne comme celle des « droits de l'homme » menée par la grande presse occidentale, fut abandonné en 1963 par Paul VI mal­gré l'avis contraire des évêques du pays. Julio Fleichman. ### Tour d'horizon ibéro-américain ARGENTINE Les Argentins, grâce à Dieu encore dirigés par leurs militaires, sont en train de gagner, lentement mais sûrement, la bataille contre les organisations d'as­sassins terroristes « entraî­nés à Cuba ». Lentement mais sûrement, ils gagnent aussi la bataille contre l'in­flation (elle avait presque at­teint 800 %) : ils rétablis­sent patiemment l'ordre, après le chaos économique où sombre tout pays qui a eu le malheur de tomber en­tre les mains des commu­nistes, comme ce fut le cas de l'Argentine au temps de Peron. 63:217 Le général Lanusse, responsable d'avoir confié une Argentine prospère et développée à un gouverne­ment de niveau intellectuel, moral et politique assez bas, comme celui de Peron, a été arrêté par les nouveaux di­rigeants, avec plusieurs de ses anciens collaborateurs, sous l'accusation de complicité dans de scandaleuses escroqueries : ce grand « justicier » utilisait l'ar­gent volé dans les ban­ques par les terroristes pour porter remède à l'inflation qu'il avait lui-même provo­quée. Contradictions socia­listes, qui ne font pas bron­cher leur idéal socialiste. Pour nous, Brésiliens, l'ar­restation de Lanusse a une signification plus spéciale. Nous y voyons un témoi­gnage de la fermeté des di­rigeants argentins, qui n'ont pas craint d'imposer silence au profit de l'État à leur « esprit de corps » militaire -- comme nos généraux le firent aussi ; -- en outre, les Brésiliens voient puni l'insolent général qui les visita comme président de l'Argentine en 1973, se per­mettant au nom de la « dé­mocratie » des insinuations contre leur système de gou­vernement, et trichant avec le protocole, auquel il devait fournir une fausse copie de son discours. Nous avons pu lire dans les journaux que des évê­ques argentins « condam­nent les groupes terroris­tes ». Mais ce serait trop beau : dans la suite du texte, notre espoir est vite déçu. En effet, de nos jours, il semble impossible à la ma­jorité des ecclésiastiques de condamner les pires assas­sins que le monde ait connu sans porter, en même temps et sous le même rapport, une autre condamnation. Non contre le libéralisme ou les libéraux, mais contre ce que ces ecclésiastiques nom­ment le « capitalisme » (qui n'a jamais existé comme philosophie, mais simple­ment comme critère d'orga­nisation économique). Ainsi par exemple un des évêques cités, Mgr Steban Hesayen, de Viedma, déclare : « Une certaine partie de la jeu­nesse a pris le chemin de la violence ; nous devons cher­cher les causes de cette at­titude erronée chez les adul­tes. » Et encore : « La ma­nière d'abolir la violence et les luttes ne consiste pas à réprimer mais à chercher les causes qui provoquent cet état de choses. » Le même verbiage est repris par l'é­vêque de Neuquen, le fa­meux Jaime de Nevares, qui appelle les Argentins à s'unir « pour éliminer les causes où s'enracinent la subversion et ses conséquen­ces, qui causent de grands préjudices au pays ». 64:217 On di­rait qu'il n'y a plus de cri­minels (ou qu'ils sont tous « de droite », comme disent les journaux). Voudrait-on vraiment, éliminer les *cau­ses* du mal ? Pour des évê­ques c'est surprenant Quant aux agents de tous ces crimes, personne n'en souffle mot. Surtout, comme on le voit, pas de répression. Il faut analyser les causes. Le pire est que, lorsqu'on les laisse analyser les « cau­ses », on s'aperçoit aussitôt que la responsabilité des cri­mes et des violences, c'est nous, adultes ou gens « de droite », qui la portons. Ne croyez pas que je plaisante. Nous avons bien vu sa sain­teté Paul VI, aussi bien que d'innombrables cardinaux, évêques et conférences épis­copales, déclarer, écrire et clamer en faveur de ces « désespérés », qui n'arri­vent à commettre de tels excès, de tels crimes, que poussés par nos injustices et nos répressions. Par contre l'indifférence du milieu ecclésiastique pour les victimes des assassins communistes, leurs enfants et leurs veuves... est ahu­rissante. Ils rejettent l'évi­dence, sympathisent avec le mal ; et surtout, ils nous détestent. Ils détestent tous ceux qui combattent réelle­ment le communisme. Et lorsque des évêques vien­nent nous parler « d'u­nir » les Argentins, nous savons déjà fort bien ce que cela veut dire : ils ne de­mandent pas que les mons­truosités, comme l'assassinat du professeur Sacheri, soient fermement réprimées, mais qu'au contraire le gouver­nement abandonne toute idée de répression, et se mette à étudier les « causes » de la violence pour éviter au pays de grands préjudices ». Ils ne savent plus penser qu'en termes de donnés éco­nomiques. Nous autres, nous attendons ardemment l'ac­complissement de la promes­se : *Verumtamen oculis tuis considerabis et retributio­nem peccatorum videbis.* (Psaume 90.) CHILI M. Giscard d'Estaing a re­çu à l'Élysée Mme Hortensia Busi de Allende, veuve de l'ex-président communiste du Chili. Cette réception dont le président français honora les communistes chi­liens eut lieu le 25 mai 1977. Mais, dès le 1^er^ mai, Mme Allende avait déjà été dis­tinguée pour le Prix Lénine de la Paix, honneur annoncé au monde entier par la télé­vision soviétique et publié dans toute la grande presse internationale. 65:217 Mme Allende nous donne un bel exemple de ce qu'est, pour un communiste, la discipline du parti. J'ai en effet sous les yeux les coupures de presse du 15 septembre 1973, trois jours après le renversement du régime. Ré­fugiée à l'ambassade du Mexique, Mme Allende dé­voilait par téléphone aux journalistes mexicains que son mari s'était suicidé avec la mitraillette dont Fidel Castro lui avait fait cadeau en 1972, ajoutant : « Il a préféré mourir que de tra­hir ses principes. » Elle leur disait aussi son intention de s'exiler au Mexique. Mais, ce même jour, une autre dame communiste, Indira Gandhi, aujourd'hui écartée du pouvoir et accusée de corruption, déclarait au su­jet de la mort du président chilien : « les photographies montrent clairement qu'il ne s'agit pas d'un suicide », ajoutant que le coup d'État au Chili fut fomenté par des « éléments étrangers ». Or, les photographies en question avaient été distri­buées à la presse par les actuels dirigeants du pays, qui ne se seraient évidem­ment pas exposés à un tel ridicule. Mme Gandhi, donc, mentait purement et simple­ment en taxant sur l'imbécillité des lecteurs. Comme on s'en aperçut par la suite, les déclarations d'Indira Gandhi s'alignaient sur les consignes du Parti ; c'est ainsi qu'à Paris, Mme Allende n'hésita pas à pro­clamer que son mari avait été assassiné. A ce genre de personne, qui ne recule pas devant l'exploitation idéolo­gique du cadavre de son propre mari, le président de la République Française rend les honneurs officiels ; et il fournit en pierres les mains de ceux qui se dé­chaînent contre les soldats chiliens, coupables d'avoir sauvé leur pays de l'esclava­ge communiste. Rappelons-nous aussi que Giscard de­vait se refuser à recevoir Bukovsky et Amalrik. Mais s'il est une chose bien pire pour le Chili, com­me pour nous autres au Brésil, c'est la connivence des évêques avec les com­munistes. Cette alliance est gérée spécialement par le cardinal Silva Henriquez, ami d'Allende et de Fidel Castro, qui fit célébrer un Te Deum en sa cathédrale de Santiago pour fêter l'ac­cession du socialisme au Chili, et se déroba ensuite pour mieux briser les résis­tances qui s'élevaient contre les nouveaux dirigeants. 66:217 Je recommande vivement la lecture du manifeste des évêques chiliens, intégrale­ment publié dans *La Docu­mentation Catholique* (nu­méro 1685 de novembre 1975) sous le titre « Évangile et Paix », à ceux qui voudraient se faire une idée de la bassesse, la perfidie, l'impiété atteintes par ces hiérarques, Silva Henriquez en tête. Ce document se dé­finit comme *pacifiste* (ce qui le sépare aussitôt de la pen­sée catholique) et veut re­pousser en même temps « la violence subversive et la violence établie ». Repousser la violence, oui, mais pour­quoi cette recommandation vient-elle seulement *après* la chute d'Allende ? Le docu­ment nous recommande aussi d'entretenir des senti­ments « délicats » envers les communistes, « qui se trouvent aujourd'hui vain­cus et souffrants ». Nous qui pensions qu'ils devraient, au contraire, être punis pour leurs crimes, nous voici in­formés par les évêques chi­liens qu'il s'agit d'hommes de bien. En effet, au paragra­phe 10, les évêques posent la question : « Sommes-nous marxistes ? » Nous ne pou­vons pas transcrire ici, tout ce passage, mais on voit bien à sa lecture que le commu­nisme est compris par ces ecclésiastiques comme une simple erreur intellectuelle, et que c'est à ce titre, dans cette mesure seulement, que le chrétien doit s'y opposer. Leur rejet du communisme (le rejettent-ils vraiment ?) ne revêt aucune dimension morale. Celle-ci n'apparaît que dans le paragraphe sui­vant : « Nous n'approuvons pas n'importe quel antimar­xisme. » Ici, nous compre­nons bien que les évêques condamnent avec force tout anti-marxisme qui ne soit pas, comme le leur, limité aux simples « erreurs » de la théorie. Et ils ajoutent : « La passion (*sic*) anti-mar­xiste favorise le marxisme, puisqu'elle suppose que la lutte contre le marxisme consiste essentiellement à lutter contre les marxistes. C'est une erreur. La vérita­ble lutte contre le marxisme consiste à éliminer les cau­ses qui engendrent le mar­xisme... » Une fois de plus, les ecclésiastiques viennent nous dire qu'il faut éliminer les « causes ». Et si nous leur demandons quelles sont ces causes, on nous appren­dra qu'elles se ramènent es­sentiellement à l'injustice de nos répressions, car « la pas­sion anti-marxiste favorise le marxisme ». Or, les évêques qui nous tiennent ce discours ont osé envoyer au gouvernement actuel de leur pays un do­cument intitulé « Notre vie nationale », que les jour­naux signalent comme la plus dure critique portée par l'Église contre le gou­vernement chilien. (L' « Église », pour eux, c'est Silva Henriquez et Cie.) 67:217 Ceux qui célébraient des « Te Deum » à la gloire d'Allende exhor­tent dans ce document le gouvernement du général Pinochet à « respecter les droits de l'homme », ajou­tant que ce « respect » ne sera effectif qu'avec l'acces­sion des masses au suffrage universel (qui apporta Al­lende), aux partis politiques, à la liberté d'expression, etc. Mais de quel droit ces évêques exigent-ils toutes ces choses comme si c'était l'Église elle-même qui nous les prêchait ? Le ministre de la Justice du Chili, Renato Damilano, put déclarer alors en toute vérité : « Nos évêques com­plotent comme autant de politiciens marxistes ou d'in­nocents affairistes, ambi­tieux, mal intentionnés, ai­gris, et abandonnent leur ministère sacré. » Ce à quoi les évêques répondirent par une note officielle où ils se déclaraient terriblement froissés ; ils dirigèrent leur plainte au président de la République, lequel malheu­reusement les écouta, ce qui eut pour conséquence la dé­mission du ministre. C'est à la suite de tout cela que le doyen des évê­ques chiliens, Mgr Auguste Salinas, fit cette déclaration publique : « Les pressions de l'Église sur le gouverne­ment du pays en des affai­res autres que la doctrine religieuse causent des pro­blèmes », ajoutant que « l'Église ne doit pas se mêler à la politique des par­tis », ce qui est, comme nous le savons, la position traditionnelle et orthodoxe de la véritable Église. Mais le cardinal Silva Henriquez n'avait pas dit la même chose lorsqu'il réclamait du gouvernement le rétablisse­ment du « pluralisme » des partis politiques au Chili, ce « pluralisme qui existe par­tout, déclare-t-il, dans la na­ture, dans l'homme, dans la société ». Entre-temps, un profes­seur d'économie à l'Univer­sité Catholique de Santiago, M. José Piñeta Etchenique, achevait ses calculs sur l'es­timation du coût total de « l'expérience » socialiste d'Allende au Chili entre 1970 et 1973 : 11,6 billions de dollars de préjudice pour l'économie chilienne. Ce qui équivaut à plus d'un an du Produit National Brut *total* du Chili en valeur corrigée, et à plus du triple de l'ac­tuelle dette extérieure du pays. Il ajoutait que si le Chili arrive à maintenir son taux actuel de croissance économique (en moyenne 3,7 %) ; c'est seulement en 1983 que les pays aura fini de compenser les pertes ac­cumulées sous Allende. 68:217 Ces déclarations furent publiées dans les journaux du 21 mai 1977. D'autre part, le jour­nal chilien *La tercera de la Hora* publie de longues lis­tes de personnes nominale­ment citées comme « dispa­rues » dans les déclarations diffamatoires de l'extérieur, mais qui se portent bien au Chili, habitent une adresse connue, et se rendent à leur travail chaque jour que Dieu fait. Ces listes entièrement fabriquées sont celles de l'O.N.U. et d'Amnesty Inter­national, dont les services à la cause communiste méri­tent d'être étudiés et dénon­cés sérieusement. BOLIVIE Les évêques boliviens, dans la foulée des organi­sations épiscopales latino-américaines, nous parlent eux aussi des « droits de l'homme », du « pluralis­me », etc. Le gouvernement bolivien serait-il anti-com­muniste ? C'est en effet le cas. Cela nous explique la nature des récentes déclara­tions à la presse de l'épisco­pat bolivien. La Bolivie pré­sente néanmoins une parti­cularité : l'épiscopat y a voulu ouvrir un front « œcu­ménique », et renforcer ses rangs par l'admission d'un contingent de luthériens et de méthodistes. Une « As­semblée Permanente des Droits de l'Homme » fut ainsi créée, dont la charte fondamentale est la « Dé­claration Universelle des Droits de l'Homme de l'O.N.U. », suivie des « normes des Évangiles » et des « do­cuments pontificaux ». COLOMBIE Le cardinal primat de Co­lombie, Mgr Anibal Muñoz Duque, dénonce publique­ment l'existence d'une infil­tration communiste inter­nationale dans les milieux ecclésiastiques et dans l'Église (nous supposons que cette distinction signifie parmi les évêques et à Ro­me), ainsi que dans l'armée des différents pays. Son Ex­cellence s'éloigne ainsi du président de la CNBB brési­lienne, Aloisio Lorscheider, qui nie l'existence d'un seul évêque marxiste au Brésil, -- affirmation à laquelle il faut croire sans autres preu­ves simplement parce que lui, Aloisio, le veut ainsi. 69:217 PÉROU Nous avons déjà com­menté ici les changements survenus au Pérou, où un gouvernement d'extrême-gauche fut remplacé par des militaires ; ceux-ci, s'a­percevant peu à peu qu'on les avait trompés, se tour­nèrent vers le monde occi­dental. Et aujourd'hui, pour la première fois, on lit dans la presse que les évêques péruviens commencent à s'en prendre au gouvernement de leur pays, chose qu'ils n'avaient jamais faite du temps où la gauche était chez eux au pouvoir. Au­jourd'hui, cinq évêques pé­ruviens demandent, lisons-nous dans les journaux du 14 juillet, « la fin de la ré­pression ». Ceux-là aussi s'alignent sur leurs confrè­res, qui ne souffrent pas de voir réprimer des gens de gauche. Et ils ne cachent point leur jeu. Les évêques de Cuzco, Sicuani, Ayaviri, Puno et Juli dénoncent « la violence de la répression, la volonté de terroriser la po­pulation, le système écono­mique, social et politique qui ne s'avise pas des intérêts de la majorité et du fait qu'une minorité privilégiée décharge tout le poids de la crise économique sur le dos des masses populaires ». Tout cela restait mystérieu­sement invisible au temps du Pérou marxiste. Mais maintenant cela se voit. Il paraît même qu'on ne voit plus que cela. Du moment qu'il s'agit d'évêques... ESPAGNE La revue *Iglesia-Mundo* a fait connaître en de poi­gnants éditoriaux la voix des Espagnols qui pleurent la perte de leur pays. « Le mar­xisme a vaincu », dit l'un d'eux en commentant les élections espagnoles qui ont donné une victoire apparen­te au parti « centriste » -- l'U.C.D. --, en réalité nette­ment minoritaire devant la masse des votes communis­tes et socialistes ; d'autre part, comme les membres de l'U.C.D. sont des hommes de mentalité moderne, ils ne peuvent faire autre chose que de préparer le chemin au socialisme. Curieuse ré­plique préparée au Démon par des catholiques progres­sistes, dits démocrates-chré­tiens, pour qu'il la lance sur la face du Christ ! L'article « Le Marxisme a vaincu » signale : 70:217 « Il se peut que la déroute des démocrates-chrétiens aux élections vienne sur­prendre les Italiens ; mais chez nous, devant l'engage­ment des chrétiens qui se disent démocrates et qui sont en réalité socialistes, il était facile de prévoir que la masse des électeurs in­clinerait résolument vers les socialistes sans aucune coloration chrétienne. » Le principal éditorial, in­titulé « Les larmes de saint Pierre », pleure la mort de l'Espagne catholique qui, après s'être élevée aux som­mets de la chrétienté, tombe subitement dans le renie­ment, l'indifférentisme et le marxisme par les soins du suffrage universel, et le vote populaire. Vote populaire, suffrage universel, écrit l'édi­torialiste, tout comme celui par lequel les Juifs ont sa­crifié le Christ et demandé la libération de Barabbas. Après avoir évoqué la per­plexité suscitée par ce phéno­mène, l'auteur ajoute : « Une chose est certaine on a cru que le niveau de vie qui avait supplanté la pau­vreté et la misère en Espa­gne, lui procurant un singu­lier bien-être, était la princi­pale défense contre le com­munisme... Il n'en est rien... Le désarmement idéologique et moral de l'Espagne est aujourd'hui évident : sou­mis depuis 1959 à des plans de développement économi­que et matériel constants, le peuple espagnol a négligé son niveau spirituel, avec les désastreuses conséquences que l'on sait. » Comme pour confirmer ces paroles, un correspondant de presse brésilien en Espa­gne explique que « le Parti Socialiste Ouvrier espagnol s'engage déjà sur la route finale pour assumer le gou­vernement du pays. Ce n'est plus qu'une question de temps, quatre années tout au plus... Adolfo Suarez, qui surgit comme une personna­lité capable de grouper les Espagnols, a déjà perdu son charisme et son charme pendant le long et suffocant été de cette année ». Si vite ? Si ostensible­ment ? Mais comment se fait-il que ces évêques qui aiment à étudier les « cau­ses » n'en aperçoivent au­cune ici ? Comment nous ex­pliquer qu'ils n'aient pas prêté la moindre attention à la folie de ces Espagnols qui rêvaient, avec des « ré­formes économiques », d'im­muniser un pays contre le communisme ? J. F. 71:217 ### Une affaire nationale par Michel de Saint Pierre Texte de l'allocution prononcée le 1^er^ mai 1977 par Michel de saint Pierre à l'occasion du congrès de l'Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain (A.D.M.P.). Ce texte a déjà été publié par *Aspects de la France* du 19 mai 1977. L'AMIRAL AUPHAN, dans une lettre où il demandait audience à l'actuel président de la République, rappelait que « *l'affaire Pétain est une affaire nationale *»*.* C'est ainsi que nous la considérions -- que nous l'avons toujours considérée... Et cette affirmation de l'amiral Auphan est si juste que trente ans après le verdict de la Haute-Cour, le 15 août 1976, la télévision française a diffusé des images émouvantes, déchirantes, terribles, touchant la captivité à l'île d'Yeu du plus « vieux prisonnier du monde » -- des images qui ont fait monter en moi, je l'avoue, un mélange de honte et de colère. J'avais déjà connu ces sentiments, trente ans plus tôt, au cours d'un certain été où se déroula le plus honteux, le plus scandaleux procès de l'histoire -- celui du maréchal de France Philippe Pétain. Ce procès dont un témoin hautement qualifié, le commandant Loustaunau-Lacau, avait déclaré au cours de sa déposition : 72:217 « Je ne dois rien au maréchal Pétain, mais cela ne m'empêche pas d'être écœuré par le spectacle de ceux qui, dans cette salle, essaient de refiler à un vieillard presque centenaire l'ardoise de toutes leurs erreurs ! » On ne saurait mieux dire. Et voici donc que trente ans après, le peuple français se trouvait -- le 15 août 1976 -- en face de l'insupportable vérité : à l'île d'Yeu, dans la sinistre citadelle de la Pierre Levée, pendant cinq ans, un vieil homme plus chargé de gloire qu'aucun autre -- héros national -- subissait le sort abject d'un vulgaire prisonnier, et se fondait peu à peu dans la nuit de l'esprit, avant que son corps malheureux allât se fondre dans la nuit de la terre. Et le peuple français réagit vigoureusement aux images dont il est question. Dieu sait qu'il a des travers -- et même des défauts capitaux, ce peuple français... Mais il n'aime pas que l'on souille ses gloires. Il n'aime pas que les coupables se déchargent sur l'innocence. Il n'aime pas que l'on persécute la vertu. Il n'aime pas que l'on prétende jeter à la poubelle de l'histoire les lauriers d'or. Et il n'aime pas, ce peuple français, que l'on marty­rise un vieillard. Trente ans plus tôt, nous savons bien que si la Haute-Cour -- qui n'eut de « haute » que le nom -- avait soumis son verdict infâme au jugement du peuple, le peuple fran­çais aurait acquitté Pétain ; qu'il lui aurait rendu non pas son honneur, puisqu'il n'est au pouvoir de personne d'y toucher, mais les honneurs dus au suprême courage et au suprême sacrifice. Or vous le savez : on se garda bien de recourir au jugement du peuple. Dans notre pays républi­cain, le peuple n'a jamais été souverain qu'en principe. Et ce principe-là, on s'est appuyé si fort sur lui qu'il a bien fini par fléchir. Il me souvient, à ce sujet, du procès de Louis XVI -- car nous pouvons nous plaire à ces rappro­chements pathétiques : 73:217 Louis XVI avait été jugé par la Convention -- et con­damné par elle à mort. Les avocats du Roi, et surtout Malesherbes, voulurent alors que ce jugement inique fût soumis au peuple de France. Et la Convention, qui invo­quait à tout propos le « peuple souverain » -- comme de­vaient le faire si volontiers nos rhéteurs de l'Épuration 1944-1945 -- refusa. Et la mort du Roi, l'assassinat du Roi entraîna le soulèvement de tout l'Ouest -- sans parler de l'indignation presque générale des campagnes françaises. La vérité nous oblige à dire, en tant qu'historien, que le peuple de France n'aurait condamné ni Louis XVI, ni le maréchal Pétain. \*\*\* Relisant ces jours-ci l'admirable livre de Jacques Isorni « Souffrance et mort du maréchal », j'évoquais les temps odieux de l'Épuration qui a suivi la libération de notre territoire, après le départ de l'occupant nazi. Je me sou­venais de ces juges avec ou sans toge qui prétendaient assigner devant le Tribunal de France tous ceux qui leur déplaisaient ; je me rappelais cette atroce confusion entre les justes châtiments et les règlements de compte. Et de cette mêlée sans honneur, de ces aboiements de chiens, de ces délations baveuses, de ce scandale au pire sens du mot, surgissait une figure qui s'élevait devant moi au-dessus de toutes les autres et suffisait à elle seule, dans sa pureté, dans son silence, à racheter le reste : la figure du maréchal Pétain, parlant à ses juges « en souverain » selon le mot d'Isorni, et disant en souriant du général de Gaulle, son successeur à la tête de l'État français et le principal responsable de son procès : -- Il a si bien com­menté mes victoires ! Dans son allocution du 23 juillet 1976, prononcée à l'île d'Yeu sur la tombe du Maréchal, mon ami fraternel Jean Borotra soulignait qu'entre le 8 et le 11 novembre 1942, le Maréchal aurait pu gagner par avion l'Algérie et faire rentrer lui-même la France et son Empire dans la guerre aux côtés des Alliés. Il serait devenu pour la deuxième fois un héros national. Il ne partit pas, « non qu'il eût peur de l'avion ni qu'il fût sénile comme on s'est complu bassement à le dire » -- mais parce qu'il redoutait les représailles effroyables d'Hitler contre le peuple français, et contre nos prisonniers de guerre. 74:217 Pour la deuxième fois, ajoutait Jean Borotra, le Maré­chal sacrifiait sa gloire personnelle à la France. Et voici une chose étrange : en 1947, le général de Gaulle, au cours d'un entretien avec le colonel Rémy, lui dit : « *Je ne comprendrai jamais pourquoi le Maréchal n'est pas parti pour Alger en novembre 1942. *» De Gaulle conclut alors sur ces paroles rêveuses : « *Nous, mon pauvre Rémi, nous n'aurions pas pesé lourd dans la balance ! *» Je ne veux pas contrister ici les partisans et admirateurs du général de Gaulle, et je respecte leur fidélité. Je désire également, de toutes mes forces, la réconciliation des Fran­çais. Mais comment oublier les responsabilités écrasantes du général dans le procès Pétain ? Il ne comprenait pas, a-t-il dit, que le Maréchal fût resté. Entre les deux hommes, il y a donc ce fossé qui devient un abîme : L'un reste avec le peuple français, en sacrifiant sa gloire, -- et l'autre ne comprend pas. Nous sommes aujourd'hui nombreux à penser -- oui, nous sommes une foule à penser que nul n'a mieux et davantage servi la France, que le maréchal Philippe Pétain. Ses adversaires allemands, d'ailleurs, ne s'y sont pas trompés. Otto Abetz affirmait qu'il avait dupé les Allemands. Goebbels, qui connaissait aussi la question, abondait dans ce sens. Hitler lui-même reconnaissait en Pétain un ennemi redoutable entre tous. Mais la Haute-Cour avait oublié cela. Et de l'autre côté de l'Histoire, combien des Résistants authentiques -- je ne parle pas de ceux qui usurpent les médailles ou les titres, ni des délateurs, ni des assassins -- oui, combien de vrais Résistants n'ont-ils pas rendu hom­mage au Maréchal ? 75:217 La revue *Monde et Vie* -- j'ai entre les mains son numéro du 5 mars 1976 -- a rappelé à ce sujet quelques éloquentes citations. C'est ainsi que le chef de la Résistance en Alsace-Lor­raine, le Dr Bareiss, déclarait un jour : « Toute l'Alsace a estimé que l'armistice était dû uni­quement au maréchal Pétain et à la mise en valeur de tout son passé de glorieux soldat. *Il a évité à la France de devenir un immense camp de concentration... *» La Haute-Cour avait-elle oublié cela ? Le colonel Rémy, qui m'honore de son amitié, a écrit de son côté : « Il n'est pas simple de protéger contre le pire un pays qui subit l'inexorable joug de l'occupation. *J'ai de bonnes raisons d'être convaincu que, sans l'action du maréchal Pétain, la France aurait connu, avant d'être libérée, le sort de la Pologne. *» Et Rémy nous conseillait de lire à ce sujet Saint-Exu­péry et d'Estienne d'Orves -- l'un et l'autre dévoués à la France jusqu'au sacrifice suprême que l'on sait. Nous pourrions, mes chers amis, continuer ces citations jusqu'à l'aube. Je veux les clore, en ce qui me concerne, sur les pages étonnantes écrites par Sophie Daria en février 1977. Sophie Daria dont le propre père a été déporté à Buchenwald, où il est mort. Sophie Daria dont le jeune frère, engagé volon­taire dans les forces de Libération, est tombé en Alsace... Je pense -- nous pensons tous -- qu'elle a le droit de témoigner. Elle le fait : « Je puis attester, écrit-elle, que pendant toutes ces années jusqu'à son arrestation en 1943, *je n'ai jamais en­tendu mon père critiquer l'action du maréchal Pétain.* Au contraire, il nous disait que l'Armistice avait sauvé l'avenir du monde libre. « Son respect était égal *pour ceux qu'il considérait com­me ses chefs :* l'un à Londres nous rappelait que la Libé­ration du territoire approchait ; l'autre, otage de l'occu­pant, vivait sur notre sol avec nous *et nous protégeait comme il le pouvait. *» 76:217 Mais la Haute-Cour, sans entendre cette sorte de voix d'autant plus émouvante qu'elle surgit du camp de la mort, la Haute-Cour a condamné... De tels témoignages, mes chers amis, ne nous mettent-ils pas en mémoire le dernier message que le Maréchal adressa aux Français, avant d'être arraché par les Alle­mands à son poste de vieille sentinelle inébranlable : « En certaines circonstances, disait le Maréchal, mes paroles ou mes actes ont pu vous surprendre. Sachez qu'ils m'ont fait plus de mal que vous n'en avez vous-mêmes ressenti. *J'ai souffert pour vous, avec vous, mais je n'ai jamais cessé de m'élever de toutes mes forces contre ce qui vous menaçait. *» Écoutez bien, mes chers amis. Voici encore des mots qu'il nous faut retenir. Et davantage : que nous devons faire retentir aux oreilles de nos enfants -- oui, dans l'âme de ceux qui nous suivent, car nous sommes au cœur du problème : « *J'ai écarté de vous,* concluait le Maréchal, des périls certains. Il y en a eu, hélas, auxquels je n'ai pu vous soustraire. *Ma conscience m'est témoin que nul, à quelque camp qu'il appartienne, ne pourra là-dessus me contre­dire. *» Pour la réconciliation J'ai parlé de réconciliation. Mais nous avons devant nous des gens qui ne veulent pas se réconcilier avec les fidèles du maréchal Pétain. Tout dernièrement, les jour­naux se sont faits l'écho de je ne sais quelle haine qui depuis trente ans résiste à la justice et à l'amour. Des associations se réclamant de la Résistance affirment que notre programme d'aujourd'hui constitue une « manifes­tation d'apologie des crimes et délits de collaboration... ». 77:217 Alors, moi, je leur dis : *Halte là !* La Résistance ne leur appartient pas. Elle n'appartient à personne d'autre qu'à l'Histoire. Or le vieux Maréchal que nous vénérons confiait un jour à Jacques Isorni, après sa condamnation : -- « *Résistant ? Je l'ai été plus que n'importe qui !* Beaucoup plus que certains sur les champs de bataille. C'est tous les jours, à chaque minute, que je devais résister. Je devais même résister à quelques Français... Je me suis occupé de la France dans les conditions les plus difficiles qu'ait jamais connues un chef d'État. On l'oublie mainte­nant. On s'apercevra un jour, pourtant, combien ma poli­tique était audacieuse ! » La Résistance est une affaire que je connais. C'est pourquoi j'interdis à quiconque de l'annexer. Et surtout aux communistes qui ont attendu certain jour de l'an 1941 -- je veux dire : la rupture de l'alliance entre la Russie soviétique et l'Allemagne nazie -- pour se soulever contre l'occupant. Avant de vous quitter, mes chers amis, je veux répéter ce que j'ai dit au sujet de ma Résistance -- et qui m'en­gage irréversiblement. Celui qui m'a conduit à entrer dans la Résistance, je l'affirme de toutes mes forces, c'est le maréchal Pétain -- lorsque après l'armistice de 1940, se penchant sur la France, il lui parlait avec la douceur et la sévérité d'un père. Il disait : « *On a voulu non pas servir, mais se servir. *» Il disait encore : « *Je fais à la France le don de ma per­sonne pour atténuer ses malheurs. *» Voilà ce qui a retenti en moi. Car je pensais : « Quoi que tu fasses, tu ne pourras jamais approcher le sacrifice du vieil homme. » Je pensais : « Il se donne à la France. Alors, qu'est-ce que nous attendons ? » Ce que nous voulons Mes chers amis, notre tâche ne fait que commencer. Ce que nous voulons ? Nous voulons que le maréchal Pétain soit non pas « réhabilité » (cela supposerait qu'il ait été coupable) mais bien exactement justifié ; honoré comme il le mérite par la justice des hommes et par la reconnaissance de la Nation ; célébré dans les manuels d'Histoire. Nous voulons enfin que son corps repose à Douaumont, parmi ses soldats, comme lui-même le voulait. 78:217 Alors -- mais alors seulement -- nos cœurs seront heureux. Et ce qu'on peut appeler la *conscience française,* qui veille encore dans des millions de cœurs, pourra se dire apaisée. Et maintenant, je veux m'engager *plus avant.* Souvent j'ai dit n'avoir jamais cru qu'une décoration pût donner à quelqu'un le droit de hausser le ton, ni qu'elle l'élevât au-dessus des autres. C'est pourquoi je n'ai jamais fait tinter mes médailles. Mais aujourd'hui, placé devant le devoir sacré du témoignage, je voudrais simplement rap­peler d'où je viens -- et qui je suis. J'ai la Médaille militaire et la Croix de Guerre pour faits de Résistance, et la Rosette de la Résistance française. Oh ! je le sais bien : ces modestes décorations, je les partage avec des milliers d'autres. Mais elles forment au­jourd'hui le meilleur de ce que je puisse donner. J'aime­rais mieux les jeter que de ne pouvoir les dédier à qui je veux. Et je veux les offrir, devant vous, en hommage très respectueux, à la mémoire de Monsieur le Maréchal Pétain, vainqueur de Verdun, héroïque résistant de la métropole, et deux fois sauveur de la Patrie. Michel de Saint Pierre. 79:217 ### Hommage à l'abbé Lhuillier par Jacques Perret et Jean-Louis Perret AGÉ de 84 ans il est mort cet été à Moulins où son ami le Dr Perrin lui avait offert une retraite à demi campagnarde aux abords de la ville. Adroit de ses mains, habile à travailler la terre, soigner les plantes et les animaux domestiques, il recherchait dans la fatigue du corps une condition favorable à la prière et à la médi­tation. S'il avait dû prendre avec les tribulations du siècle ses distances matérielles, un courrier substantiel le tenait au courant des dernières inventions de l'Église en recher­che. Il célébrait, bien sûr, tous les matins la messe tra­ditionnelle dans une pièce aménagée à cet effet, toutes portes ouvertes. Il était, que je sache, dans la région, le seul prêtre à refuser les caprices du vent quand il s'agit de vérités immuables. Les derniers fidèles n'auront plus sa consolation. Et alors, si j'ose dire, où diable faudra-t-il que leurs enfants aillent chercher leur catéchisme ? Tous ceux qui ont connu l'abbé Lhuillier vous diront d'abord qu'il avait l'humeur parfois difficile et le rire tou­jours facile, mais qu'il était parmi nos prêtres réfractaires, un des plus solides et des plus modestes. Le caractère, et Dieu sait s'il en avait, n'est pas incompatible avec la mo­destie. 80:217 Et Dieu merci toutes les fortes personnalités ne revendiquent pas en toutes circonstances la première place au premier rang. Conscient de ses limites l'abbé Lhuillier n'eut donc pas la prétention ni même la tentation de jouer un rôle historique dans la résistance active et organisée. Il n'en prit pas moins, dans la mesure de ses moyens et les possibilités de son état, quelques initiatives hardies au secours des militants traqués de l'Algérie française. Il estimait bien sûr indécent que l'immense majorité de ses confrères signassent toutes pétitions au bénéfice des terro­ristes musulmans pour refuser systématiquement toute signature au bénéfice des défenseurs de nos foyers catho­liques africains. Sans qu'il fût question pour lui de pratiquer la mitraillette ni le plastic, il n'était pas homme à faire de la vertu de prudence usage de douillette. Il a donc tout simplement couru les risques de la charité quand la fortune des vaincus frappait à sa porte. Quoi qu'il en soit, en toutes circonstances, payant ou non de sa personne physique il était là, parmi nous, avec nous, pour l'honneur du nom catholique et français. Sa fidélité implacable aux serments prêtés, l'inamovible sérénité de sa foi, le tout providen­tiellement servi par une taille et une carrure impression­nantes, faisait penser à ces pyramides géodésiques érigées dans nos forêts à l'intention des voyageurs égarés. De souche artésienne, cadet d'une famille nombreuse durement éprouvée par la guerre de Quatorze, il avait combattu dans l'infanterie pendant quatre ans. Déjà l'en­gagement qu'il méditait au service de Dieu lui faisait devoir de veiller au salut temporel du plus beau royaume sous le ciel. Une fois déposées les armes et se croyant appelé à la vie monastique il choisirait la Trappe. Au bout de quatre ans le choix de cette discipline se révélerait une erreur sans ébranler pour autant sa vocation. Il en trouva le bon usage en passant du régulier au séculier. Parmi les paroisses dont il fut curé celle de Vivières dans le Soisson­nais bénéficiait de son ministère quand survint le coup de mai 40. Je n'aurai pas l'impertinence de rappeler au lecteur que l'église de Vivières est dépositaire des plus importantes reliques de sainte Clotilde grâce à qui la France est née chrétienne. La châsse contient plusieurs os longs et quelques phalanges. A leur toucher quelqu'un que je connais fut guéri d'un mal incurable. 81:217 L'offensive éclair tournant à l'invasion le curé sentait tout naturellement sur ses larges épaules s'alourdir le trésor dont il était gardien : assurément et cette fois encore le vœu ni la leçon de Tolbiac ne serait à la merci d'un quelconque Sedan, mais plaise à Dieu que le culte des reliques fasse toujours ici-bas l'humble témoignage de notre foi. C'est pourquoi, comme jadis devant la menace des pillards normands que Louis Le Gros s'évertuait à contenir, les moines de l'abbaye de sainte Geneviève trans­portèrent à marche forcée la châsse très précieuse en lieu sûr, notre vaillant curé de Vivières se chargea de convoyer les saintes reliques dans le flot de l'exode. Arrivé non sans peine jusqu'à la maison de son frère dans un village breton dont le nom m'échappe, il y dépose en mains sûres le précieux bagage et s'en retourne à Vivières heureux de son voyage : les reliques seront bien gardées, à l'abri des profanations toujours à craindre quel que soit l'envahis­seur. Et nous avons constaté, depuis, que même en temps de paix nous n'avions besoin de personne pour pratiquer le sacrilège libérateur, logistique et forain sur les marchés aux puces où reliquaires, ostensoirs et tabernacles se pro­posaient à la décoration des studios grand standing et fermettes aménagées. Bientôt les Allemands arrivent dans le village, s'arrê­tent, occupent, réquisitionnent. Un officier s'installe chez le frère gardien, au rez-de-chaussée. Il a l'air convenable. Tout va bien. L'été se passe, l'automne s'avance, le temps fraîchit, on commence à parler de chauffage et c'est alors que la situation devient critique : la châsse est en effet planquée dans le poêle de la salle à manger. Malheureu­sement j'ai peu de précisions sur la suite des événements. Il y a une douzaine d'années que l'abbé Lhuillier m'avait ra­conté cette histoire mais en quelques mots seulement et je comptais bien, le visitant cet hiver, au coin du feu précisé­ment, et les pieds sur les chenets de sa cheminée bour­bonnaise, lui demander le récit complet de cette aventure miraculeuse. 82:217 Partie remise, je patienterai jusqu'aux re­trouvailles éternelles. En attendant, si j'ai bien dans l'œil les mesures approximatives de la châsse, j'ignore tout de son poêle tutélaire et quel qu'il fût il me laisse perplexe au point de vue de sa capacité. N'empêche que la châsse était bel et bien dedans. Le Godin classique, vertical et cylin­drique, est à rejeter. Mais peut-être une espèce de Mirus, un grand modèle peu courant : une fois ôtée la plaque de tôle encastrée sous le rabattant de fonte émaillée, il pouvait à la rigueur offrir un volume adéquat à l'extraordinaire objet dont il assumerait la cache. Cela dit je ne saurais donc avancer avec certitude aucun détail sur le déroulement de l'aventure, aucun trait significatif d'une atmosphère de cohabitation où l'un des partenaires était seul averti de la présence d'un objet d'art et de piété dont il était gardien et dont la divulgation pouvait avoir des conséquences très fâcheuses dans l'ordre temporel immédiat sans parler des réactions imprévisibles dans le surnaturel. Et cette châsse enchâssée dans un appareil de chauffage se trouvait là, si j'ose dire, comme une machine infernale à la merci d'un hôte soupçonneux ou simplement excédé, indigné d'une situation qui le laissait, lui le vainqueur, grelottant de froid. De toute manière on n'irait pas demander à un officier présumé vandale et luthérien de se reconnaître sensible aux ineffables calories dispensées par de saintes reliques et de s'en réchauffer du même coup le cœur et les membres. Sachant tout de même l'heureuse conclusion de cette affaire je me demande ce qu'il faut admirer le plus, de la docilité de l'intrus ou de l'astuce du gardien qui réussit à le persuader que le poêle n'était pas en état de marche sous peine de mettre le feu à la maison. Pour le reste on ne peut qu'imaginer la condition du gardien, son inquiétude secrète et sans répit, les chapelets égrenés dans une ferveur intense mais l'oreille nuit et jour aux aguets d'un bruit de ferraillement qui pouvait à tout mo­ment dénoncer la perquisition du poêle. Peut-être alors a-t-il rêvé d'une bonne surprise : par la grâce de sainte Clotilde elle-même, l'ennemi découvrant si j'ose dire le pot aux roses, aurait tout bonnement fait paraître sa joie dans un sourire angélique, requis sur-le-champ dans sa compa­gnie trois volontaires en tenue dont un caporal et catho­liques de préférence pour le transport décent de sa trou­vaille en l'église du lieu où le curé prévenu aurait décidé du cérémonial d'accueil ; après quoi ayant préparé lui-même le petit bois pour allumer le poêle il eût convié son hôte à déguster en paix un verre de schnaps en mémoire d'une sainte reine vénérée dans toute la chrétienté. N'en parlons plus. Tout s'est passé ni vu ni connu sans gloire ni scandale. 83:217 La châsse introuvable est revenue à Vivièrès. Ce fut en 45 le premier souci de l'abbé Lhuillier son curé. Il avait conçu le projet d'un retour un peu triomphal, au moins solennel, processionnel, de village en village, in hymnis et canticis à travers la Normandie, la Picardie et l'Artois. Je ne pense pas vous étonner en disant que l'autorité diocé­saine fit savoir au curé qu'une telle manifestation n'était pas souhaitable. « J'ai compris, me dira-t-il, qu'on jugeait peu souhaitable, en pleine épuration, de rappeler aux Français, fidèles ou renégats, qu'ils étaient tous enfants de sainte Clotilde. » Mais qu'à cela ne tienne, l'abbé ne demanda pas la permission de s'en aller tout seul en voiturette retrouver la châsse et la ramener dans son église. « Nous avons fait là tous les deux la reine et moi un beau voyage », me disait-il de sa voix très douce, timide, un peu rêveuse. Il passait facilement de l'extrême douceur à la juste colère et n'avait de la timidité que les apparences : ce n'était en général qu'un effet de sa modestie mais en cas de nécessité un stratagème innocent dont il usait avec une surprenante efficacité. Foncièrement loyal, incorruptible, rétif à toute complaisance mais quand même attentif à parer les coups, flairer les pièges, il se faisait devoir et joie de tromper le malin. J'ai dit qu'il était rieur. Mais il riait de telle façon et à tels propos que c'en était comme pour d'autres les larmes, un don du ciel. J'en viens à l'époque où j'ignorais son existence. C'était dans les années soixante, au plus bouillant de la frénésie gaulliste et la répression des menées françaises en terri­toire français battait son plein. Toutes les églises chré­tiennes larmoyaient sur le sort de l'Islam et cotisaient pour sa victoire. 84:217 L'abbé Lhuillier comptait encore parmi les vicaires de Saint-Germain-l'Auxerrois. Bientôt vicaire à l'oreille un peu fendue pour cause d'anachronisme entêté, convaincu de fidélité abusive à sa religion natale et soli­daire en cela de tous ceux qui combattaient pour le nom français de l'Algérie. Il fallait pourtant bien que ce doux vieillard et innocent rieur fût toléré au bénéfice de l'âge et dans une paroisse qui déjà s'évertuait à courir plus vite que le vent. Au presbytère mitoyen il disposait d'un lo­gement de fonction. Par chance il aurait pour voisin l'abbé Riardant, seul de la paroisse à lui témoigner de la sym­pathie. Lui-même d'ailleurs n'en pouvait plus d'étouffe­ment. Il dit aujourd'hui sa messe de toujours à Sainte-Germaine des Halles. C'est un lieu privilégié de prière et de paix. Les conditions propres au combat clandestin ne per­mettaient pas de mettre au service des militants activistes une institution comparable à l'Ordre hospitalier au service des croisés. Il faut bien dire aussi que tout le monde chez nous n'était pas croisé. La prospection et distribution des locaux de sûreté à usage de planque, repos, conciliabule, soins chirurgicaux, dépôt de matériel, imprimerie de for­tune et entrevues familiales, ne pouvaient utilement s'exer­cer que par initiatives individuelles secrètes, étanches, sans bavures. Mais il n'est confidence qui ne trouve sa fuite et les détenteurs de fines adresses eurent bientôt fait, fût-ce à leur insu, de constituer réseaux. Il arriva même à quelques-uns de s'égarer dans la notoriété pu­blique. On ne saura jamais quel fut le premier visiteur à esti­mer cette chambre d'ecclésiastique en tant que refuge éventuel. Pour commencer bien sûr les coordonnées de l'abbé Lhuillier furent jalousement retenues dans le secret des initiés. Tels étaient malheureusement les avantages de ce réduit qu'ils forceraient la renommée. Il se laissa réputer, sous le manteau, comme l'abri le plus sûr dans la ville et de manteau en manteau se propageait la trouvaille. 85:217 Non seulement le réduit se recommandait d'un secret ana­logue à celui du confessionnal mais il bénéficiait, en tant que mitoyen de l'église, de ce droit d'asile un peu surfait mais dont le mépris est toujours très mal vu par le peuple. Tout cela renforcé par le fait que le presbytère était celui de la paroisse des rois de France : quel argousin, quelle barbouze eût osé en forcer la porte. Enfin, comble de garantie, les premiers fugitifs hébergés avaient décrit, défini l'abbé Lhuillier comme l'hôte le plus vigilant, le plus discret, le plus silencieux, le plus complice et attentionné de tout Paris. Malheureusement, passer du murmure au cantique c'est le propre des louanges. La Pégi n'était pas loin, étant de la paroisse. Il pouvait arriver que les oreilles traînantes eussent vent de quelques bruits suspects et que les fins museaux reniflant sur le parvis distinguassent dans les effluves d'encens quelque odeur de mèche lente. Déjà seul parmi ses confrères à porter la soutane l'abbé Lhuillier se laissait facilement repérer des porteurs de messages et postulants au recueil. Lui-même d'ailleurs les distinguait sans peine à leur maintien un peu trop édifiant. Les rendez-vous en effet se donnaient dans l'église même. Il était convenu, le premier contact étant pris, que le visi­teur désirait s'instruire, au niveau culturel, des choses intéressantes à voir dans cette église. L'abbé me raconta qu'un matin, ayant repéré deux fonctionnaires en mission de surveillance et qui jouaient les touristes, il se fit une joie de les inviter à se joindre au client qui s'intéressait aux vitraux. Ils emboîtèrent le pas. Le guide en était à l'explication des verrières du XV^e^ siècle et des roses du transept. On peut dire que la police en apprit de belles ce jour-là sur l'affaire de saint Thomas et le couronnement de la Vierge. Il fallut encore quelques semaines pour justifier la descente. Elle fut exécutée je crois avec les précautions convenables à la capture d'un gibier aussi rare et peu dangereux. C'est en riant que chez lui l'abbé reçut les inspecteurs et les accompagna dans leur perquisition qui ne donna rien. Il n'en fut pas moins arrêté. L'abbé Riardant qui le vit passer sur le palier me dira que son cher voisin avait la bouche fendue jusqu'aux oreilles. Un de ses codé­tenus vous présentera tout à l'heure l'abbé Lhuillier dans sa prison. 86:217 Le dimanche qui suivit l'arrestation le curé de Saint-Germain l'Auxerrois ne craignit pas de désavouer publi­quement et de charger son vicaire. Comme on dit : il faut le faire ! Si folle audace qu'on vit plusieurs fidèles courber le dos et se signer furtivement. Or un mois plus tard on apprenait la relaxation du prisonnier sur ordonnance de non-lieu. On peut toujours supposer que, faute de preuves et d'aveux mais sans être dupe, le magistrat instructeur se félicita d'avoir pu sans offenser la justice épargner à l'Église de France un petit scandale, et l'encourager de la sorte à poursuivre le bon combat à la rescousse des égorgeurs de chrétiens. Quoi qu'il en fût, le beau vieillard, tout nimbé d'innocence et rayonnant d'impénitence, regagna son domicile au pres­bytère avec tant de modestie et de majesté que l'accueil fut célébré dans le silencieux respect du non-lieu. C'est alors seulement que j'ai connu l'abbé Lhuillier. Tout intrus qu'il était maintenant il pouvait encore ici ou là, dans une chapelle des bas-côtés, dire sa messe à des heures variables. Ainsi les fidèles marginaux avaient-ils une chance d'assister à l'office que réclamait leur âme demeurée. Mais enfin soyons juste et disons qu'à part ça l'attitude à son égard adoptée par le clergé du lieu était celle de la plus attentive et profonde indifférence. Mieux encore, en dépit de son ministère à la fois triomphaliste et furtif, précaire et licite, l'abbé disposait encore de son logement au presbytère. Et ce n'était là, bon gré mal gré, qu'un charitable effet de la juridiction épiscopale. Maintes fois, après sa messe, j'allais le retrouver chez lui dans ce petit logement où tout conspirait à sanctifier le refuge des comploteurs anciens. Devant un café au lait de sa confec­tion nous discutions, et parfois très gaiement, des mer­veilles et misères de l'ouverture au monde. Je ne l'ai d'ailleurs jamais entendu se plaindre de ses confrères im­médiats. Il ne témoignait à leur égard que d'une pitié très sincère. Il ne manifestait indignation et consternation que devant les aberrations de la hiérarchie jusqu'au moment où le rire venait en quelque sorte illuminer par avance le triomphe inéluctable du bon sens et de la vérité. 87:217 Bientôt l'abbé trouverait à s'employer utilement à l'au­mônerie de l'hôpital Laënnec où fonctionnait en titre Mgr Ducaud-Bourget. Bien des lecteurs ont assisté à leurs messes dans cette belle et grande chapelle où fréquentait Mme de la Sablière, fameuse libertine enfin touchée par les grâces du troisième âge. Belle et grande chapelle où nous voyons toute la majesté de l'ordre classique s'exprimer dans la parfaite économie des moyens. C'est là dira-t-on plus tard que battue en brèche la tradition dans ses pre­miers sursauts connut ses beaux dimanches. Ils ont duré jusqu'au jour où l'administration hospitalière aiguillonnée par l'évêché décida de fermer la chapelle au public : la surabondance des fidèles nuisait paraît-il aux intérêts des malades. Beaucoup d'entre eux en effet assistaient aux offices. C'est alors que l'abbé Lhuillier fut courtoisement invité à prendre ses dispositions pour vider dans les meilleurs délais les lieux qu'il occupait au presbytère. Irréprochable avertissement : « Toutes choses égales par ailleurs, disait l'abbé, je reconnais de bon cœur la longanimité de mon évêque, sur ce point ; elle ne pouvait s'éterniser. Dans la paroisse des rois de France ma place doit revenir à quelque jeune et brillant vicaire, fort civil et dégourdi, homme de progrès, belge ou hollandais. » Cherchant un toit il s'en fut à l'abbaye de Flavigny dans l'intention de seconder l'abbé Coache qui avait de grands et beaux projets. Il y partagerait son temps entre le service religieux et le potager. L'expérience ne fut pas malheureuse mais au bout d'un an la sagesse lui conseilla d'accepter la retraite que lui offrait le Dr Perrin. « C'est bien là, disait-il, que j'aurai vécu les jours les plus heureux de ma vie, travaillant la terre et célébrant le Bon Dieu. » Si le bonheur n'est pas de ce monde il n'est pas impie de l'entrevoir et le ressentir au seuil de la mort. Jacques Perret. 88:217 NOUS ÉTIONS cinq ou six cents prisonniers à Fresnes pendant les années 1962-63 et tous logés dans les mêmes cellules où nous avaient précédés une ving­taine d'années plus tôt les premiers épurés du général de Gaulle. Des graffiti encore intacts authentifiaient ce tissu cellulaire commun. Mais nous n'étions pas de la même étoffe, ce dont témoignaient à l'occasion de très vieux matons en fin de carrière. A les entendre évoquer les sou­venirs entre deux tours de clé notre clientèle n'était en rien comparable en nombre ni qualité. Point d'hommes politiques, artistes en renom, amiraux sous l'uniforme ou académiciens en activité. C'est vrai qu'ils tardaient encore à nous rejoindre, nous n'avions à offrir qu'une tranche de société des plus modestes et pour tout dire fâcheusement inadéquate à l'énormité du travail entrepris mais cela est une autre histoire. Tellement modeste en vérité que l'appa­rition soudaine d'un prêtre dans nos rangs d'étudiants, légionnaires, petits fonctionnaires de Bab-el-Oued, sous-off et marginaux divers n'était pas de nature à passer inaper­çue. Il n'en fut rien pourtant ; l'arrivée de l'abbé Marcel Lhuillier parmi nous et sa présence elle-même en se pro­longeant sans concurrence notable furent un chef-d'œuvre de discrétion, il est probable que la soutane dont on l'avait privé eût changé bien des choses. Je restai quant à moi plusieurs jours avant d'apprendre qu'on l'avait bouclé dans une cellule du dernier étage toute proche de celle où je faisais gamelle et illusions communes avec le jeune Jean-Jacques Dupont, fils de Jacques et Hélène, frère de Clau­dine et tous trois plus ou moins longtemps emprisonnés avant lui pour le même motif. Gamelle délicieusement frustre, illusions exquises, le gentil Jean-Jacques est mort voici longtemps et le père Lhuillier quelques mois à peine. Qui se rappelle aujourd'hui son passage à Fresnes, si rare contribution dans son genre à la cause de l'Algérie Fran­çaise ? Mais je n'en profiterai pas pour forcer la note. 89:217 Donc, on l'avait dépouillé au greffe de sa longue cape de laine noire et de sa soutane, déloyale mais efficace prévention des effets bœufs ou dopants et dans tous les cas imprévisibles d'un curé OAS en tenue réglementaire sur des paroissiens en autoclave toujours prompts à s'agiter. Mais le bruit courut bientôt, puis la certitude s'installa que le père Jaouen n'était pas étranger à cette confiscation : on supposa sans doute avec légèreté que la direction prise de court avait fait appel aux conseils d'un homme de l'art pour résoudre le cas vestimentaire particulier d'un ecclé­siastique délinquant. Le père Jaouen était aumônier de la prison, nous lui prêtions beaucoup car il s'était fait con­naître auprès de nous par des paroles écœurantes avant de se consacrer dans l'exclusive et l'ostentation aux détenus de droit commun lesquels il est vrai n'avaient que du sang de rentières sur les mains. La population pénitentiaire étant à prendre dans son tout ou à laisser de même, je suppose que l'administration lui demanda de choisir puis­qu'il partit peu après en secouant ses sandales. On sait qu'il milite depuis lors pour la rédemption sociale des loubards à casier et drogués durs à bord d'un grand voilier débordant jusqu'aux sabords de subventions humanitaires et bénédictions épiscopales. Les malédictions du père Jaouen proférées à notre encontre en ces temps de malheur et sa participation effective ou non à la confiscation des vêtements sacerdotaux du détenu Lhuillier seront sûre­ment jugées comme tout le reste en temps et hauts lieux, de même une éventuelle et plus maligne connivence dans l'interdiction longtemps faite à son confrère de dire la messe, invraisemblable brimade. Tout banalisé qu'il était dans son complet de ville improvisé, l'abbé n'en avait pas moins l'air de ce qu'il était, soit très curé et avant même de l'avoir surpris en oraison ou dans son bréviaire pendant la promenade. Bien plus que la digne raideur du maintien, non exempte d'ail­leurs d'un soupçon d'onctuosité, c'est la sainte gaieté de tous instants et circonstances qui trahissait ici le séditieux d'exception. Elle tranchait sur la nôtre, profane mais aussi passablement inquiète et crispée. C'était, nous disait-il, la joie de renouer avec de chers souvenirs : il avait déjà fait quatre ans de cellule dans sa jeunesse, à la Trappe. 90:217 L'abbé en imposait aussi par la taille qu'il avait belle, l'ample voix et le regard volontiers sévère sous le casque épais de cheveux blancs. Pour l'âge nous y étions moins sensibles. L'intérêt que nous portions en général au très grand ou très jeune âge avait fini par s'émousser eu égard au nom­bre des ayants-droit et je n'ai pas souvenir que nous fussions alors simplement étonnés des 17 ans de Jean-Jacques, mais je répare cette injustice aussi souvent que je pense à lui, c'est dire, honnêtement, assez souvent. L'abbé Lhuillier avait quand même une majestueuse façon d'être septuagénaire et là-dessus Jean-Jacques aurait sûre­ment plus long à en dire car je les laissai bientôt en tête à tête pour m'embarquer vers l'île de Ré. Dans ses rapports avec l'administration, voire même avec nous, il jouait avec bonheur d'une infime surdité dont nous sûmes vite qu'elle tournait à l'infirmité grave dans le cabinet du juge d'ins­truction. A ce propos nous n'en sûmes guère plus que le magistrat. L'abbé était discret, je l'ai dit et nous n'eûmes droit qu'aux circonstances mêmes de son arrestation, sé­quence allègre dans le frais de l'église Saint-Germain-l'Au­xerrois sa paroisse. Flics en planque dans les confession­naux, sommations feutrées, course-poursuite entre les rangées de chaises et détalage heureux de complices par la sacristie, il est permis de broder. Scandale et soulage­ment au sein de l'équipe pastorale. La police fit chou blanc mais pinça quand même l'abbé et à entendre son curé elle avait de bonnes raisons pour cela. Révélons aujour­d'hui qu'elle avait mis en effet la main sur l'homme-clé de l'organisation secrète et bien plus encore mais laissons cela. Bien sûr les occasions n'avaient pas manqué à l'abbé Lhuillier de prendre la fuite et nous sentions bien que la soutane avait fait empêchement, sans doute son arrestation n'était-elle pas au petit nombre des circonstances graves où le vêtement de l'ordre tolère le désordre d'une fuite. J'évoque ce détail car à cette même époque je rencontrai pour la première fois de ma vie un prêtre officiellement et délibérément en civil. C'était le père Leclerc, un dominicain et notre nouvel aumônier venu faire la tournée des cellules pour nous expliquer sur un ton cocasse les graves raisons de sa fuite à lui vers le monde. 91:217 L'extrême nouveauté du complet-veston exigeait encore des explications et que le stylo me rentre dans la gorge si le père Leclerc ne passa pas les trois minutes de sa visite charitable à démontrer que le port de la robe blanche n'était décidément pas compatible avec l'exercice du scooter. Une semaine plus tard *Paris-Match* circulait sur les coursives. On y voyait le père Leclerc, cachottier cumulard dans sa version au­mônier des artistes, pleine page couleur en grande tenue dominicaine flottant au vent du Père Lachaise et pronon­çant l'adieu funèbre à Édith Piaf devant un parterre de cabots larmoyants. Était-il quand même monté jusque là-haut en scooter ? Nous n'eûmes jamais l'occasion de le lui demander. Et pendant ce temps-là, on fusillait Bastien-Thiry. C'est fortuitement que j'évoque ici tant de soutanes. Confisquées, jetées par-dessus les moulins ou scandaleuse­ment patriotiques elles tiennent beaucoup de place dans les souvenirs que nous avons gardés de cette époque. Peut-être l'abbé Davezies préférait-il enfiler la sienne pour porter plus impunément les valises d'armes destinées à tuer les sales petits chrétiens de France ou d'Algérie. L'abbé de Nantes, lui, avait un surplis par-dessus pour tonner en chaire contre l'imposture gaulliste et la trahison d'Évian, si fort que la police vint perquisitionner jusque dans la sacristie et que son évêque le chassa de sa paroisse. Tant de belles voix laïques ou consacrées choisissaient alors le silence ou le chuchotement, n'oublions pas s'il vous plaît l'abbé Lhuillier ni l'abbé de Nantes, ils nous ont fait beaucoup de bien. Mais finissons-en avec la soutane, l'abbé ne retrouva la sienne qu'en sortant de prison quelques mois plus tard et pour ne plus jamais la quitter. Il avait enfin entre-temps obtenu de pouvoir dire la messe dans sa cellule. Nous fûmes autorisés à tour de rôle, Jean-Jacques et moi, à venir la lui servir. J'ai quelques belles images dans l'œil, encore fraîches, un peu faciles sans doute, mais émouvantes, de consécrations dans l'encadrement de la lucarne barreautée nous avait amenés là, du moins dans ces moments sachions-nous en bénir l'aubaine. 92:217 L'abbé fut libéré. Jean-Jacques aussi, quelques années plus tard. L'abbé le maria, baptisa ses enfants et l'enterra. Il m'a marié de même et quelques-uns de mes enfants ont reçu de lui le baptême. J'en ai donc assez dit, nous nous aimions bien. Il était de ces vivants qui nous rendent plus anxieux du Bon Dieu, le voilà de ces morts qui nous aideront à Le mériter. Jean-Louis Perret. 93:217 ### Notre-Dame de la Garde *Ça continue* par Hugues Kéraly QUESTION AU PÈRE BLANC, nouveau « recteur » de la basilique Notre-Dame de la Garde à Marseille, dans *France-catholique-Ecclesia* du 10 juin 1977, page 11 : « -- Pourquoi avez-vous supprimé les gros cierges à cinquante francs ? » Réponse du bon père : « -- *Seuls les plus pauvres les achetaient.* » Sic. L'Église conciliaire entend ne pas laisser gâcher l'argent des pauvres pour la seule gloire de Dieu. Et cela même, l'Évangile l'avait bien prévu : voyez la sainte femme de Béthanie, avec sa livre de parfum très précieux répandu sur les pieds de Notre-Seigneur, et les exclamations fausse­ment indignées de tous les Judas de l'entourage (Matth., 26, 6-13 ; Marc, 14, 3-9 ; Joan., 12,1-11). De quelque façon qu'on l'entende, la réponse du père Blanc n'est pas chré­tienne. Mais, dans sa logique de classe absurde ou méprisante, elle nous explique peut-être bien des choses. Imaginez un instant que le journaliste ait poussé l'interrogation plus loin. Est-ce que nous aurions pu lire : -- Père Blanc, pourquoi donc vouloir reconstruire la brûlerie des cierges hors de la basilique ? 94:217 -- *C'est que seuls les plus pauvres l'utilisaient.* *--* Et réunir les ex-voto dans un musée ? -- *Il n'y avait guère que les plus pauvres à vouloir en placer de nouveaux.* *-- *Transformer la crypte en centre de médiation « monothéiste » ? -- *Hélas, les plus pauvres seuls y descendaient prier.* *--* Recevoir dans l'Église des couples de divorcés ? -- *Mais voyons, à part les plus pauvres, qui croit encore aujourd'hui au mariage chrétien ?* Et cetera ? Hugues Kéraly. L' « *Association des amis de Notre-Dame de la Garde* (110, rue Paradis, 13006 Marseille), qui a tenu une conférence de presse et une grande réunion publique à Paris le 26 sep­tembre dernier, poursuit son valeureux combat contre les mani­gances post-conciliaires de Mgr Etchegaray et de sa nouvelle équipe « pastorale » installée dans la basilique. Voir à ce sujet les informations précises parues dans notre numéro 205 de juillet-août 1976 (pages 167 à 171), et le témoi­gnage de Me Daniel Tarasconi, dans notre numéro 212 d'avril 1977 (pages 173 à 179). 95:217 ### L'Étoile du Jour *Aventures de mer... et autres* par Bernard Bouts *A l'invisible\ et toujours présente\ Denise* *La navigation à voile est un art ; la peinture en est un autre. Voici des his­toires vécues et racontées par un homme qui a intimement associé ces deux formes de l'Aventure.* Bernard BOUTS a été l'élève d'Henri Charlier, en son atelier du Mesnil-Saint-Loup, pendant dix ans (dessin, peinture, sculpture), comme il l'a raconté dans notre précédent numéro (numéro 216 de sep­tembre-octobre). Il a vécu en Argentine de 1942 à 1961, puis sur les côtes du Brésil, toujours à bord de son bateau. Il a finalement installé son atelier dans une maison tranquille d'un vieux quartier de Rio de Janeiro (rua Cosme Velho 412, C 17). Ses œuvres ont été exposées dans les galeries Wildenstein de Paris, Buenos Aires, New York, ainsi qu'à la galerie Chelsea de Sâo Paulo ; mais il n'a jamais participé aux « biennales » ni aux salons officiels. Nous arrivons au port sur les ailes d'un Sud-Ouest, vent bas ; la Baie de Tous les Saints ([^14]) est agitée. Je dis à l'homme de barre : « Laissez porter... la barre encore un peu à gauche. » Les autres parent la grosse ancre. « Encore un peu à gauche. » On file les deux écoutes de la grand'voile. « L'ÉTOILE DU JOUR » est maintenant à l'abri du grand môle. 96:217 A l'abri des vagues mais non du vent, et nous filons entre les bateaux pour atteindre notre place habituelle, tout au fond. « La barre à droite toute ! Amenez les deux focs ! » On file l'écoute de misaine, on borde celles de la grand'voile. Peu à peu, le bateau s'immobilise. Au coup de cloche, l'ancre tombe... Il y a plus de vingt ans que nous faisons ce métier, dont dix à bord de « l'ÉTOILE », qui est à la fois mon domicile, mon atelier, notre refuge... Je livre ces pages de journal à la méditation de mes jeunes camarades, ils sont nombreux, je sais, qui rêvent d'une vie semblable. Je serai franc, et ne dissimulerai pas les mauvais moments, tant dans la vie du peintre que dans celle du navigateur ; sans prétendre que l'histoire toujours recommence, je crois qu'ils pourront en tirer quelques enseignements. \*\*\* 97:217 La croisière, il y en a de plusieurs sortes : pour les uns c'est un moyen de transport ; pour les autres, un amusement, une aventure ou une échappatoire aux bruits de la ville, un repos ou une façon de s'instruire. Car la navigation est une science très vaste. Quant à nous, nous naviguons pour acquérir des connaissances, certainement, par amour de la « civilisation maritime », mais aussi pour nous assurer une certaine liberté et trouver un cadre propice au travail du peintre. On pourrait s'imaginer que manœuvrer un pesant voi­lier de charge, d'aspect rustique, n'est pas bien sorcier. Tandis qu'un petit bateau requiert beaucoup de connais­sances. Or, c'est le contraire : un yacht moderne de six ou huit mètres se conduit comme une bicyclette. Sans doute il ne gagnera pas de régates, mais le néophyte ap­prendra très vite à s'en servir. Sa manœuvre est aisée, il vire de bord tout seul. Dès que vous aurez appris à ne pas tomber à l'eau, à éviter les autres bateaux et les écueils, vous en saurez assez pour vous amuser. Par contre un bateau comme « L'ÉTOILE DU JOUR » offre une belle occasion de s'instruire, surtout si vous avez un peu d'eau salée dans les veines et beaucoup de patience... Il faut tout connaître de l'instrument qu'on a sous les pieds. Non seulement pour rester maître de la situation dans les moments difficiles, mais aussi pour lui faire rendre son maximum en toutes circonstances, connaître ses possibili­tés et ses défauts, prévoir ses réactions, selon le vent, l'état de la mer et les courants. Un bateau comme celui-là se gouverne moins au gouvernail qu'au moyen des voiles ; elles doivent avoir une forme parfaite (il y a bien des manières de changer la forme des voiles, outre celle qui consiste à les retailler), et c'est nécessaire sous peine de voir le navire faire des extravagances. Voici donc, sans ordre ni date, les points saillants, si toutefois on peut en trouver dans une navigation ordinaire et somme toute monotone. Ce qui n'est pas « ordinaire » c'est justement cette goélette, naviguant encore à une époque où tout se transporte au moteur. C'est aussi l'équi­page composé de quelques amis plutôt pittoresques. Ils étaient deux, trois, parfois quatre, selon les occasions, plus un ou deux matelots salariés. En tout, d'habitude, six personnes ; mais il nous est arrivé de naviguer à deux et alors, on ne chômait pas. 98:217 Nous aimions cette vie errante, bien qu'à vrai dire nos voyages se soient toujours limités à la côte atlantique de l'Amérique du Sud, depuis l'Amazonie jusqu'à la Patagonie. ESTRELA DO DIA, « l'Étoile du Jour », notre bateau, c'est Vénus, la plus grande et la plus belle des planètes solaires ; on la voit parfois en plein midi à côté du soleil. Quand je l'ai achetée elle avait quatorze ans d'âge. Ce n'est pas vieux pour une construction aussi robuste. Il y a dix ans à peine, six ou sept de ces goélettes navi­guaient encore sur les côtes du Brésil, ainsi qu'un grand nombre de *saveiros,* voiliers plus petits et d'une tout autre forme qui, eux, ne quittaient guère la Baie de Tous les Saints ; ils servaient aux marchés et aux transports entre les îles de la baie et la ville de Salvador. Parmi les goé­lettes, qu'on appelait aussi *escunas,* traduction de l'anglais « schooner », ou « iates », il y avait l'ÉLISABETH, la plus grande. Nous en reparlerons. Elle transportait de la poudre pour les pétards et fusées, du Nord au Sud du Brésil ; le « Chevalier de la Lune », *Cavaleiro da Lua,* qui faisait plutôt la ligne des Guyanes ; le *Rei do Mar* (roi de la mer), le plus petit de tous ; *Flor de Natal* (fleur de Noël), le « Cygne » (*Cisne*)*,* qui navigue encore à l'heure où j'écris, ainsi que *Palma Santa* (la Sainte Palme). L'ÉTOILE DU JOUR mesurait vingt-six mètres hors tout, six mètres de large au niveau du pont, un mètre seulement de tirant d'eau lorsqu'elle n'avait ni lest ni charge. Avec nous, elle a toujours très bien navigué sans lest et ce faible tirant d'eau nous a permis d'entrer dans des rivières très charmantes, très abritées, mais peu profondes. Ses membrures, son bordage, son pont, ses mâts, étaient en *sucupira* ou en *jitaïpeba,* que les spécialistes appellent le *teck américain,* malgré leur densité de 1,40, ou 1,50 (le vrai teck de Birmanie est léger). Le bordé avait, selon les virures, deux à trois pouces d'épaisseur. Les mâts por­taient 350 m^2^ de voilure ; nous fîmes réduire quelque peu cette surface pour pouvoir naviguer dans le Sud. 99:217 Sur le pont, à l'avant, une cabine à deux couchettes et un réduit contenant un réservoir d'eau avec réchaud à pétrole, pour la douche. A l'arrière une cabine plus grande, divisée en deux : la cuisine ou « carré », où l'on pouvait dîner à cinq aisément, six en se serrant, et la chambre de navigation ou chambre à cartes. Tout à fait à l'arrière, une barre de gouvernail qui pou­vait avoir dans les 2,50 m de long : (elle était entièrement sculptée et dorée à la feuille) et une belle roue soigneuse­ment vernie. Il y avait donc une roue *et* une barre ; nous nous en sommes toujours très bien trouvés. Vue de profil, l'ÉTOILE DU JOUR, avec sa coque noire, son pavois blanc, ses élancements superbes, sa voilure imposante, était magnifique. La cale, très spacieuse, comportait, à l'avant, une soute à chaînes, une soute à voiles et à filins, deux réservoirs d'eau, une quantité de poulies de rechange (dont quelques-unes, sculptées à la main, d'un seul morceau, étaient de véritables pièces de musée) et une douche. Au milieu, une sorte de carré avec quatre couchettes, des placards, une grosse table sous laquelle je rangeais mes tubes et usten­siles de peinture dans huit tiroirs, une armoire à outils, des casiers pour les tableaux et une petite bibliothèque. A l'arrière, la cambuse où l'on gardait les vivres, et deux autres réservoirs d'eau. Par la suite, peu à peu, j'avais décoré toute la cale de sculptures en bas relief gravées au burin, polychromées. Il y avait aussi quelques objets anciens dont une petite croix coloniale en argent fixée sur, l'hiloire et, incrustée dans le vieux bois, une grosse topaze qui brillait là comme l'œil intérieur de la Conscience. \*\*\* 100:217 Nous devions embarquer le 13 janvier, en plein été de l'hémisphère Sud, pour appareiller sous peu. J'avais convaincu sans peine trois bons amis, tous rompus à la pratique de la voile : Francisco Quintas, photographe de son métier mais aussi constructeur de bateaux, toujours enthousiaste ; Alvaro Reis, d'une grande endurance et d'humeur toujours égale ; et José Silva Lima, le plus jeune, qui dormait tout le temps mais se réveillait en un clin d'œil quand on avait besoin de lui... Je leur dis : « Vogue la galère ! Nous irons avec le vent, sans but, vers le Sud, vers le Nord, peu importe. » De fait, par la suite, nous avons mouillé à 105 endroits différents : baies, criques, plages, îles, embouchures de rivières, sans compter les ports. Il avait fallu d'abord franchir les obstacles adminis­tratifs. En voici un échantillon : 1° -- Un bateau enregistré à la charge ne pouvait pas passer à la plaisance. 2° -- Selon une loi datant de 1880, un bateau de plaisance n'avait pas le droit de sortir de la baie ! 3° -- Il fallait un premier et un second cuisinier, plus six matelots de pont. 4° -- L'ancien propriétaire ne s'était pas acquitté de toutes les taxes. 5° -- Le canot et la chaloupe devaient être peints en jaune et non en blanc... etc. C'est Alvaro qui fit la plupart de ces démarches, dans de très vieux bureaux, auprès de personnes incompétentes ou vénales, dissimulées derrière des piles de papiers et d'énormes livres. D'ailleurs, en ce temps-là, au Brésil, être ou ne pas être en règle avec les pouvoirs publics dépendait beaucoup plus de la bonne ou mauvaise volonté du fonctionnaire que de la vérité et de la justice. Nous ne voulions, bien sûr, qu'un seul marin-cuisinier. Encore n'était-il pas facile d'embar­quer un matelot dans une entreprise « si nouvelle ». Plu­sieurs garçons s'étaient présentés mais ils ne furent pas acceptés. J'allai donc avec un ami, un soir, dans un certain bar, à mi-pente entre la ville basse et la ville haute de Salvador, pour y rencontrer un certain Napoléon dont on nous avait dit du bien. \*\*\* Ce Napoléon-ci n'était pas empereur. 101:217 C'était un autre aventurier, dont nous n'avons jamais bien su qui il était ni d'où il venait. Il s'appelait Napoléon comme on s'appelle Pierre ou Paul, car, au Brésil, on donne aux enfants les noms les plus étonnants et, dans l'usage courant, le nom de famille est oublié. Il pérorait au milieu d'un nombreux auditoire, dans la salle enfumée d'un bistrot dont les yeux, je veux dire les fenêtres, étaient largement ouvertes sur la chaude nuit de la Baie. C'était un blanc, de 30 à 35 ans, d'un type nettement anglo-saxon. Ayant retiré sa chemise pour exhiber un torse d'athlète, entièrement tatoué « en cinq couleurs », comme l'annonçait la publicité d'une boutique du port de Santos où un vieux Japonais opérait à l'aiguille élec­trique, procédé plutôt cuisant, paraît-il. Sur le dos de Napoléon s'étalait un énorme papillon, dans les bleus, avec des points jaunes, rouges, verts et noirs. Sur sa poitrine, la « Tour Eiffel », on se demande pourquoi, encadrée d'un pavillon brésilien et d'un pavillon anglais. Sur ses bras, deux grands serpents boas enlaçaient des noms de femmes (allégorie judicieuse) et des sirènes aux bustes avantageux. -- « Encore un cruzeiro, disait-il, et je retire mon pantalon ! » Il retira son pantalon : ses jambes étaient couvertes de dentelles du haut en bas, à la manière des anciens gauchos, dentelles tatouées, bien entendu. Mon ami me glissa à l'oreille : « Il a l'air un peu cinglé mais il ne l'est pas du tout : c'est un homme habile, ancien cuisinier à bord d'un vapeur qui a fait naufrage je ne sais où... » -- « Encore un cruzeiro criait Napoléon, et je retire mon caleçon ! » ......... Moi-même je ne pouvais m'empêcher de rire. Quel numéro ! Tout de même, embarquer ça sur l'ÉTOILE... Instinctivement, je regardais dans la salle pour essayer d'y trouver quelque type plus attrayant. 102:217 L'homme rhabillé, mon ami lui fit signe pour l'inviter à prendre un bock avec nous. Napoléon savait déjà que nous cherchions un « marin-cuisinier » et avions pensé à lui : -- Voilà l'histoire, dit-il : Vos Excellences savent que j'ai toujours navigué, depuis même avant ma naissance. Mais les navires où j'embarque ne vont jamais où je veux... -- Et où voulez-vous aller ? lui dis-je. -- Revoir ma terre natale. -- Et où est-ce votre terre natale ? Je m'attendais à ce qu'il me dise Hambourg, le Havre ou le Nord de l'Italie... -- Mes parents étaient écossais ; mais je suis né, de justesse, en terre brésilienne ; ce qui fait que je suis Brésilien... -- Où ça donc, *de justesse,* dit mon ami, qui devinait presque, à Fernando de Noronha ? -- Non, Senhor, hélas ! Je suis né sur les îles « Martin Vaz ». Le steamer, venant d'Europe, où se trouvaient mon père et ma mère, enceinte, a fait naufrage sur ces îles. Pres­que tout le monde a été noyé ou mangé par les requins, sauf ma mère, deux autres passagères et quatre matelots. C'est là que je suis né, sur une étroite plate-forme du rocher... ([^15]) Nous doutions fort de la véracité de cette histoire, sa­chant combien les îles Martin Vaz sont inaccessibles. Mal­gré tout, l'idée d'une traversée de ce genre ne nous déplai­sait pas. -- Alors, lui dis-je, si nous allions à Martin Vaz, vous viendriez avec nous ? -- Certainement, je ne me le ferais pas répéter deux fois ! -- Venez donc demain faire un tour à bord... 103:217 Je racontai l'histoire aux amis, en glissant un peu sur les tatouages, mais nous restions perplexes : une plate-forme dans le bas des Martin Vaz, impossible. Il doit confondre avec Trindade. Et puis quel intérêt trouve-t-il à voir cette « terre natale » ? -- Quel intérêt ? Mais après tout, si ça lui fait plaisir, que nous importe ? Nous aurons sans doute le vent par le travers, à cette époque, et ensuite nous redescendrons vers Rio. Pour moi, vogue la galère ! Va pour le Sud-Est ! Le lendemain tout fut décidé en moins d'une heure, c'est-à-dire assez vite pour le Brésil ; mais il fut impossible de faire admettre son erreur à Napoléon. -- Non, non, les messieurs, répétait-il, pas Trindade, Martin Vaz ; ma défunte mère me l'a raconté bien des fois : un rocher à pic, mais il y a une plate-forme où nous avons été portés comme par miracle, et la chaloupe s'est brisée. Le steamer avait coulé, il y avait beaucoup de requins. Ma mère et les autres sont restés là deux jours. C'est le premier jour que je suis né, et puis un bateau de pêche nous a sauvés. Tout, dans cette histoire, nous paraissait invraisem­blable. Nous ouvrions de grands yeux pour mieux entendre. Et si pourtant c'était vrai ? Si vraiment il était né en cet endroit et dans ces circonstances ? Le soir même, Napoléon était installé devant sa cuisine, l'air satisfait, et l'ÉTOILE DU JOUR glissait sans bruit vers la sortie de la baie. \*\*\* Nous avons d'abord navigué plus d'un an sans moteur. Par la suite, pour nous promener entre les îles au Sud de Rio où il y a souvent des calmes prolongés, nous avons fait adapter un bon moteur Diesel, neuf, réellement auxi­liaire car notre peu de tirant d'eau faisait « boué de l'air » à l'hélice. Nous l'appelions *la mécanique.* Nous n'avons jamais eu pour lui une réelle sympathie. En cas de mauvais temps il ne servait à rien et par beau temps nous n'en avions besoin que dans de rares occasions et même... Mais n'anticipons pas. 104:217 Donc, à la sortie de Bahia, après avoir passé au vent arrière le feu blanc et rouge de *Ponta da Barra,* poussés par la brise de nuit qu'on appelle *Terral,* nous nous sommes trouvés dans cette dernière zone Sud des alizés qui souf­flent constamment, non pas du Sud-Est, comme disent les livres, mais du Nord-Est ou de l'Est, et l'ÉTOILE a com­mencé à tailler sa route à l'allure de sept à huit nœuds, pendant quatre jours, jusqu'à voir monter à l'horizon le « Pic Désiré » qui, avec ses 600 mètres, est la partie la plus haute de Trindade. Nous ne nous y sommes pas arrêtés, nous avons conti­nué jusqu'aux îles de Martin Vaz, tant Napoléon avait, hâte de voir sa *terre natale.* Nous en avons fait deux fois le tour puis nous som­mes passés entre les îles. Elles sont inaccessibles : malgré nos bonnes jumelles nous n'avons pu voir aucune plage, aucune plate-forme. Il n'y a là que des rochers coiffés de quelques broussailles, qui tombent presque à la verticale dans une eau incroyablement claire et lumineuse. Vers le soir la brise tomba subitement, laissant une petite houle. Nous n'aimions guère passer la nuit si près de ces dangers ; nous avons paré la chaloupe sur ses bossoirs pour le cas où il faudrait remorquer. On dîna paisiblement et la nuit vint d'un coup, comme toujours sous les tropiques. Après le dîner, nous étions assis, à bavarder, sur la grande écoutille, quand l'un d'entre nous aperçut quelque chose de blanc, non loin, sur l'eau. C'était Napoléon avec notre chaloupe, qui ramait doucement vers les îles ! Appels, hurlements, sonneries de trompe (une trompe marine que nous appelions Pututu), tout fut en vain. Napoléon fit le sourd. La nuit était si calme que nous entendions le ressac au pied des rochers. « Il est fou ! disions-nous ; où va-t-il ? il veut se faire écraser... ? » 105:217 C'était à n'y rien comprendre. Comment Napoléon avait-il pu mettre la chaloupe à l'eau sans attirer l'attention ? Nous restions là, stupidement accoudés au garde-corps, écarquillant les yeux dans la nuit mais nous ne voyions plus rien. Le temps passait, Napoléon ne revenait pas. J'allai me coucher, non sans avoir recommandé de laisser quelqu'un veiller toute la nuit pour qu'à la moindre brise nous puis­sions nous éloigner, quitte à revenir au jour chercher notre cuisinier et la chaloupe. C'est Alvaro qui resta le dernier sur le pont. Peu à peu la houle calmait. On n'entendait plus le ressac, mais Alvaro voyait bien, ou devinait que le bateau, presque immobile, s'était quand même un peu rapproché et il se disait : « Si cet animal ne revient pas à temps nous n'aurons même pas la chaloupe pour nous remorquer. » Il est revenu. Tard. Sur tous les voiliers le *mestre* ([^16]) ne dort que d'un œil : j'étais sur le pont avant lui. Je le vis qui chuchotait avec Alvaro mais je ne lui dis pas un mot. Ils hissèrent la chaloupe sur ses bossoirs et Napoléon alla dans sa cabine « pour se changer ». Qu'on me par­donne mais je crus voir, à la lueur des étoiles, qu'il avait engraissé ; je me demandai s'il n'avait pas deux douzaines de langoustes sous sa vareuse. On a parfois de ces illu­sions ? Cependant, le lendemain, Alvaro me confessa avoir eu la même impression. Au petit déjeuner tout le monde le pressa de questions : « Qu'est-ce qui t'a pris ? Qu'est-ce que tu as vu ? T'es pas un peu cinglé ? » -- Je suis un sentimental, répondit-il. J'ai retrouvé la plate-forme où je suis né ; la marée étant basse, j'ai eu du mal à l'atteindre mais j'ai pu toucher la pierre. C'est tout ce que je voulais. Je suis un sentimental... Ne m'en demandez pas plus, je ne sais rien. \*\*\* 106:217 Longtemps après nous avons su qu'un hélicoptère de la marine, venu de Trindade, avait atterri sur le haut de la plus grande des Iles. Il y avait trouvé un câble d'acier, tout rouillé, qui descendait jusqu'à l'eau en suivant les anfractuosités. Qui donc avait pu monter ce câble énor­me ? L'hélicoptère crut apercevoir aussi une épave à une assez grande profondeur, entre l'île principale et l'îlot voisin. Un fait est certain : Napoléon a débarqué, sous un prétexte quelconque, deux jours après notre entrée dans la baie de Guanabara. L'année suivante l'un de nos amis l'a retrouvé dans l'État de Rio Grande do Sul, installé dans une belle maison, et propriétaire de deux bateaux de pêche. (*A suivre*.) Bernard Bouts. 107:217 ### Le mime par Georges Laffly IL N'Y A PLUS AUJOURD'HUI de règles reconnues, admises par tous, sans même y penser, pour les relations entre les hommes. Ce qu'on appelle coutumes, usages, est méprisé comme préjugé, même si on continue de les pratiquer. A chacun d'inventer sa voie, de se montrer res­ponsable, actif, adulte. En fait, cela favorise une attitude toute passive d'imitation. La raison en est simple. La rupture ou l'affaiblissement des rapports admis, des anciens cercles sociaux, le fait que l'on n'admet plus d'obéir à des lois parce qu'elles sont sacrées, de suivre des com­portements parce que leur ancienneté au moins les rend respectables, ont eu pour effet d'isoler les hommes. Ils se sentent perdus et cherchent à quoi se raccrocher. Or, le développement du système de l'information, en même temps qu'il les invite à rompre avec ce qui se faisait et à être eux-mêmes, propose massivement de nouveaux modèles de rapports entre hommes, de nouveaux usages. Essayons de voir comment fonctionnent ces modèles. \*\*\* Il n'y a pas de gloire comparable à celle des acteurs (des chanteurs, des champions). A défaut de rejoindre leur groupe, on rêve de les rencontrer, de les toucher. On ar­rache des lambeaux de leurs vêtements. Leur image est épinglée au mur. Ils apparaissent dans les éclairs des photos, une légende les environne. Cette légende est souvent celle du misérable à qui la chance a souri et qui se re­trouve, sans efforts, vivant dans un palais. 108:217 Ils sont la richesse et la séduction. Méprisés autrefois, ils incarnent l'image la plus parfaite de la réussite. Ce rôle privilégié éclaire l'importance du spectacle dans notre société. Non plus divertissement mais rouage essentiel de sa vie, parce qu'il règle, ordonne, les comportements (sans compter que nous y passons un temps considérable). Une société de mimes fait le triomphe des mimes ; c'est qu'ils lui sont nécessaires. Le public est formé de spectateurs isolés, qui cherchent avidement dans les mots et les images qu'on leur offre les modèles dont ils ont besoin et qui ne leur sont plus fournis ailleurs. Le spectacle les donne. Il indique le ton juste de l'amour, de l'amitié, de tous les rapports avec les autres. Le ton juste *dans l'instant,* ce qui se fait. Grâce à quoi on n'est plus perdu. L'angoisse et la frivolité s'unissent pour assurer une domestication à laquelle on ne rêve même pas d'échapper. Car la dernière idée qu'aurait le spectateur serait de se fier à lui-même, de suivre sa nature. Il a trop besoin d'être conforté, d'être sûr que sa manière d'agir sera admise : il lui faut donc se rallier à l'une de celles qui existent et qui sont reconnues. Quand on ne sait comment saluer, répondre à une injure ou parler à une dame, on se conforme à ce que fait le voisin. Ici, le voisin le plus proche n'est pas celui qui habite à côté, c'est celui que l'on a vu dans des films, dont la presse rapporte les gestes, le personnage avec lequel on vit, de loin, dans l'intimité. Il représente ce qu'on admire (puisqu'il est admiré partout), et le copier, c'est en somme être soi-même, puisqu'on le voit comme une image agran­die, *révélée,* de ce qu'on est. Le modèle que l'on mime est admiré comme l'inter­médiaire par qui nous arrivent comportements et attitudes. De façon plus obscure, il est secrètement chéri parce qu'il est chargé de nous représenter dans la vie parfaite, mytho­logique, du spectacle. Pas question de le jalouser. Il est notre *délégué* à la face lumineuse et publique de la vie. 109:217 Dans un troisième mouvement, il redevient notre sem­blable : nous savons bien qu'il mime ses rôles, qu'il n'est pas vraiment le héros transfiguré que nous voyons sur l'écran. Il a ses faiblesses, ses ennuis. Et c'est à cela aussi que sert le rappel de ses origines humbles. Il n'a pas toujours appartenu à la face lumineuse, il a vécu dans l'ombre lui aussi (cet aristocrate est né roturier comme moi, et donc je peux aussi, ou j'aurais pu, sortir de l'ano­nymat). Ce va-et-vient entre la magnification et le caractère commun est nécessaire à l'efficacité du mime. On ne peut s'identifier qu'à ce qui reste proche, on n'a envie de le faire qu'avec ce qui est assez distant pour devenir prestigieux. La situation du mime-imitateur est une aggravation de celle du spectateur : le voilà doublement passif. Non seu­lement un autre agit pour lui, combat ou aime, mais cet autre l'habite. De ce modèle on reflète le vocabulaire, la coiffure, la façon de fumer ou le goût de la moto. Et cela peut mener plus loin : la conduite conjugale, le goût de la bagarre, les opinions politiques peuvent déteindre éga­lement. Une diversité persiste dans la mesure où il y a plusieurs modèles. Cet Olympe provisoire comporte suffisamment de personnages différents pour que chacun y trouve la pano­plie qui lui convient. Inversement, le besoin d'un modèle nouveau se faisant sentir, on trouvera toujours quelqu'un pour en fixer l'image magnifiée, et pour le représenter sur le modèle des Parlements, l'opinion se voit imposer des catégories, mais il arrive qu'elle en sécrète une, inat­tendue, d'où naîtra une délégation inédite. \*\*\* Le premier moteur du mimétisme est l'angoisse. On veut être reconnu et accepté par les autres, montrer que l'on n'est pas sauvagement différent ou hostile. Mais l'on ne sait plus ce qui est licite et illicite, ce qui sera admis et ce qui sera refoulé. L'issue, puisqu'il n'y a plus de règles du jeu, est dans l'imitation d'un modèle dont le succès même prouve qu'il est acceptable. Le suivre, c'est prouver sa bonne volonté, c'est peut-être le rejoindre dans la réussite. 110:217 Un dîner réunissait, en octobre 76, une douzaine de sosies de Johnny Halliday. Ils s'habillent comme lui, chantent comme lui. Au moins trois d'entre eux, selon l'*Express,* rêvent de le supplanter. Nul doute que dans leur bourgade ils n'en soient les substituts fêtés et enviés. On l'a dit, la force du système tient à la variété des modèles. Le Don Juan et le comique, le mauvais garçon et le bon, la coquette et le bas-bleu peuvent trouver leur archétype. L'information (dans la catégorie spectacles) est un grand magasin qui offre toutes les tailles et des tissus pour tous les goûts. Chacun des modèles offerts se crée son parc d'imitateurs, plus ou moins vaste selon que la variété est plus ou moins demandée. Il y a même un modèle du marginal qui refuse l'ensemble des modèles admis. On dit que la génétique permettrait de fabriquer à des millions d'exemplaires un individu donné, doté de carac­tères particulièrement adaptés à telle ou telle besogne. L'information, de façon moins parfaite et par une action qui reste extérieure, aboutit à une *standardisation* non négligeable. L'inconvénient du système est que l'individu qui ne se rattache pas à un des modèles admis, privé des signes de reconnaissance et des mots de passe à quoi se recon­naissent les diverses tribus, est rejeté. Le résultat de l'in­vitation à l'originalité (c'est de là qu'on était parti) est l'imitation intensive, et finalement l'exclusion des originaux. \*\*\* A côté de l'angoisse, la frivolité joue aussi sa partie. On s'ennuie d'être soi-même, c'est-à-dire un modèle insi­gnifiant, puisqu'il n'est pas imité. En même temps, on se voit offrir toutes sortes de personnages d'emprunt. Pour­quoi ne pas satisfaire une fantaisie, pourquoi ne pas se déguiser ? La pente est d'autant plus facile à suivre qu'on sait à peine qu'on imite. On est presque de bonne foi en croyant être proche d'un modèle, et en accentuant la fa­culté d'identification propre à tout bon spectateur. Et ce peut être un bon moyen d'être reconnu, admis par les autres. \*\*\* 111:217 Il y a des modèles au sens supérieur : le père, le saint, le héros, mais on le voit par cette énumération, ils appar­tiennent au monde ancien. Ils ne sont pas choisis, mais reçus naturellement (modèle commun du père) ou élus par une vocation particulière, et dans ce cas on ne choisit pas, on est choisi, comme le mot le dit. Ce monde-là ne visait pas à la disponibilité et à l'in­vention. Mais il leur fermait moins les portes, au bout du compte, que la société qui, exigeant de rompre avec les modèles passés et les usages anciens, n'arrive qu'à multi­plier les copies. Tant est fort le besoin d'être conforme, tant on a peur d'être isolé. La crainte d'être original et sans lien avec ce qui est connu est antique. « Soit dit en passant, écrit Mircea Elia­de, chez les « primitifs » non seulement les rituels sont leur modèle mythique, mais n'importe quelle action hu­maine acquiert son efficacité dans la mesure où elle *répète* exactement une action accomplie au commencement des temps par un dieu, un héros ou un ancêtre. » La similitude est flagrante avec ce qu'on vient d'essayer de décrire. Dans les sociétés archaïques, chaque homme recommence les gestes du fondateur, car c'est seulement de cette façon qu'il obtiendra la réussite de son action, qu'il soit question de labour, de danse ou de l'allumage du feu. Non pas qu'il s'agisse d'appliquer une recette, mais de conserver le caractère sacré empreint dans les gestes tels qu'ils furent accomplis à l'origine. Agir autrement, c'est perdre le contact avec le fondateur, c'est ne plus être un homme. Dans notre société, la répétition joue le même rôle de garantie contre l'échec, et contre la perte d'humanité. Seulement le modèle n'est pas le héros ou l'ancêtre immé­morial. Il est au contraire le personnage le plus « mo­derne », celui que l'information, en l'élisant, a désigné comme représentant qualifié de ce qui se fait, ou de ce qui va se faire. En suivant ce modèle, on est sûr de n'être pas attardé, réfractaire à l'innovation. 112:217 La différence entre les deux attitudes, celle du « pri­mitif » et celle de l'homme d'aujourd'hui, est la différence entre les sociétés qui placent l'âge d'or à l'origine et celles qui le promettent dans l'avenir. Dans ces dernières, il y a une avant-garde, qui est, son nom l'indique, un peu plus proche de l'âge de perfection que le reste des hommes c'est elle qui peut montrer la voie et qu'il faut imiter. On a vu cet été ce qu'est une « idole » (et « l'idole » est exactement ce que nous avons appelé un modèle). Elvis Presley, chanteur qui semblait un peu oublié, meurt à 42 ans, et tout l'Occident tombe en pâmoison -- sans comp­ter, derrière le rideau de fer, les amateurs de musique clandestine. On peut penser à la mort de Rudolf Valentino, à celle de Luis Mariano. Mais pour eux, le culte était essentiellement féminin. Ils étaient les princes charmants et inaccessibles qui consolent d'une réalité médiocre. Ils servaient de machines à évasion. Aux obsèques de Presley, il y a autant d'hommes que de femmes. Ce n'est pas un rêve qui trépasse, c'est un des signes d'identité d'une géné­ration qui disparaît. Voilà pourquoi l'hystérie se déclenche. Presley fut le premier à chanter en uniforme de lou­bard (blouson de cuir, pattes sur les joues) et qui hurla ses airs avec une sonorisation de meeting. C'est par lui que le tour de chant évolua vers la « manif », avec bris de sièges et assaut de la scène. Ce n'est pas dans la chanson qu'il apportait un style, c'est dans la manière de vivre. Plus exactement, c'est par lui que la chanson se révéla le grand moyen de communication sociale, agent de diffusion d'un langage, d'une attitude, de mœurs. A partir de ce moment, c'est la chanson qui donne les mots de passe, le ton de l'époque. Et ce n'est pas un hasard si cela coïncide avec une baisse importante de l'accord sur « ce qui se fait », sur les usages quotidiens. 113:217 Presley a incarné (le coup d'incarner est magique, comme dit Céline) cette nouveauté d'une génération pénétrée de l'idée de son auto­nomie et de sa nouveauté. Être jeune, cela devenait une patrie, avec son langage, ses règles de savoir-vivre (assez élémentaires), ses vêtements, ses marchandises (car du coup naissait un marché, ce qui faisait passer sur le reste). Elvis Presley devint un modèle et un point de rallie­ment. On a pu le dire dans divers journaux : des jeunes gens (ils sont quadragénaires aujourd'hui) se sentaient unis à travers lui. Dans un monde mouvant et émietté, où les anciens points de repère ne sont plus vus, d'autres balises surgissent. On a biffé les héros et les saints, et l'on a comme piliers de la communauté ceux qui en représen­tent la sensibilité, les jeux (puis le temps passant, la nos­talgie d'une jeunesse). Le chanteur assure une part de la cohésion sociale. C'est ce que montre la déclaration du président Carter : « La mort d'Elvis Presley prive notre pays d'une part de lui-même. » On se souvient que faisant son service en Allemagne Presley avait fait accepter l'armée à des milliers de ses contemporains : s'il y allait, c'est qu'il était *convenable* d'y aller. Modèle d'une génération, il servit d'exemple civique. Et Carter n'hésite pas à voir dans le chanteur un agent d'intégration raciale : « Sa musique et sa personnalité qui fusionnent les styles du folklore blanc et du rythme noir ont radicalement changé l'aspect de la culture populaire américaine. » Voilà le roi du rock transformé en père fondateur. On croit rêver, et l'on s'irrite parce qu'on oublie la différence entre l'idole (le modèle), et l'homme célèbre. Il ne s'agit pas de talent, il s'agit d'une sensibilité qui se fixe sur une image. L'idole n'est *rien,* et c'est parce qu'elle n'est rien qu'elle peut devenir tout. C'est à cause de son impersonnalité qu'on peut en faire un miroir où tous se reconnaîtront. Disques, radio, télé, continuent de fabriquer de tels modèles par qui toute une génération se sent représentée. Ce sont les pro­totypes, qui seront suivis de millions de numéros de série. Georges Laffly. 114:217 ### Billets par Gustave Thibon Il y a savoir et savoir 3 juin 1977 Talleyrand étant ministre, un de ses amis lui recom­manda un jeune homme qui sollicitait un emploi dans la diplomatie. « Prenez-le sans crainte, Monseigneur, lui écrivait-il, vous en serez sa­tisfait : ce jeune homme sait tout. » Talleyrand reçut le postulant, s'entretint une heure avec lui, puis écrivit à son ami : « Vous aviez raison. Ce jeune homme sait tout ; malheureusement, il ne sait que cela. » Ces mots sont plus ac­tuels que jamais : ils nous montrent l'abîme qui sépa­re le théoricien désincarné de l'homme d'action et d'expérience. Le savoir pui­sé dans les livres repré­sente bien peu de chose s'il n'est pas sans cesse com­plété, vérifié ou corrigé par celui qu'on tire du contact personnel avec la réalité. La langue allemande a deux mots bien différents pour désigner ces deux as­pects du savoir : *wissen* et *erleben.* L'un concerne la connaissance purement in­tellectuelle et l'autre la connaissance vécue. Regardons autour de nous et nous trouverons sans pei­ne des exemples qui nous feront saisir cette différence. Telle jeune fille, qui aura suivi des cours ménagers et saura par cœur les meilleu­res recettes de cuisine, se montrera incapable de con­fectionner un plat vraiment savoureux, tandis que sa mère, qui n'a jamais ouvert un livre de cuisine, prépa­rera sans réfléchir des mets succulents. 115:217 J'ai connu un jeune éru­dit qui avait rédigé une thè­se remarquable sur l'Amour à travers les âges. Or, ce jeune homme, qui n'ignorait rien de toutes les subtilités de la littérature amoureuse, était l'être le plus embarras­sé, le plus décontenancé qu'on puisse rêver, le plus incapable d'amorcer « un brin de cour » dès qu'il se trouvait en présence d'une jeune fille. Il savait tout et ne pouvait rien. J'ai connu aussi un émi­nent professeur qui avait écrit un gros ouvrage sur l'éducation et qui ne com­prenait absolument rien aux réactions de ses propres en­fants. Alors que tant de pè­res de famille élèvent admi­rablement les leurs sans avoir jamais étudié la psy­chologie de l'enfant ni les techniques de l'éducation. Combien d'étudiants en médecine, enfouis dans leurs livres, connaissent sur le bout du doigt les symptômes de toutes les maladies et se trouvent désarmés devant un malade en chair et en os. Une des grandes faibles­ses du monde moderne, c'est de subir trop exclusivement l'influence de ceux qui ne possèdent que ce côté théo­rique du savoir, c'est-à-dire les savants et les profes­seurs. « Celui qui le sait, le fait, disait un humoriste ; celui qui ne le sait pas, l'en­seigne. » Le savoir théorique est toujours utile, mais il n'est jamais suffisant. Réduit à lui-même, il provoque un complexe de présomption et d'impuissance qui est sou­vent plus nuisible que l'igno­rance. Pour ne citer qu'un seul exemple, évoquons le dirigisme économique dont les règlements, élaborés par des théoriciens en chambre, perturbent gravement les mécanismes concrets de la production et de la consom­mation. Le savoir abstrait ne met en jeu que les facultés céré­brales ; le vrai savoir con­cerne l'homme tout entier : il implique l'intuition, la sympathie, la finesse, le sens pratique, l'instinct créateur, etc. c'est-à-dire un ensem­ble de qualités qui nous sont données d'abord par la na­ture et qui ne se développent ensuite qu'à l'école de la vie et de l'expérience. Sans lui, la science théorique demeure superficielle et stérile, car la valeur profonde d'un hom­me se mesure au résultat de ses actions et non à l'éten­due de ses connaissances. 116:217 La matière et l'esprit 10 juin 1977 Les hommes diffèrent les uns des autres par la race, la nationalité, la classe sociale, les opinions politiques, etc. Cette diversité -- qui par elle-même est un bien comme celle des organes et des fonctions dans un corps vivant -- tourne trop sou­vent, par l'effet de l'égoïsme et de l'orgueil, à la sépa­ration et au conflit. L'his­toire regorge du récit de ces luttes entre les races, les na­tions, les classes et les par­tis. La division entre les tra­vailleurs manuels et les tra­vailleurs intellectuels, sans avoir donné lieu aux mêmes violences, est également un facteur de séparation très important. Trop souvent ces deux groupes restent isolés l'un de l'autre et se méconnais­sent réciproquement. Beaucoup d'intellectuels considèrent les manuels comme des éléments infé­rieurs de la hiérarchie sociale. Et les manuels réagissent soit en contestant la valeur ou la difficulté du travail intellectuel (tu te la coules douce, me disait un jour un camarade d'enfance, ouvrier agricole : tu travailles sans quitter ta chaise...), soit en voulant à tout prix orienter leurs enfants vers des fonc­tions intellectuelles qu'ils considèrent comme une pro­motion sociale absolue. L'optique faussée d'une certaine opinion publique a longtemps entretenu cet état d'esprit. Je me souviens d'un instituteur d'une commune rurale qui disait aux plus intelligents de ses élèves : « vous, vous ne resterez pas des paysans comme vos pa­rents ». Et aux autres : « vous méritez bien de res­ter des paysans ». Comme si le métier d'agriculteur n'exigeait pas au moins au­tant d'intelligence et de sa­gacité que celui d'employé ou de fonctionnaire. En réalité, rien n'est plus factice et plus arbitraire que cette opposition entre les deux grandes branches de l'activité humaine. Le travail manuel, qui consiste à transformer la matière pour l'adapter aux besoins et aux goûts de l'homme, est toujours inspi­ré et guidé par l'intelligen­ce : les mains exécutent, mais l'esprit commande. 117:217 Réciproquement, il n'exis­te pas d'activité intellectuel­le à l'état pur. Les travaux de l'esprit comportent tou­jours un côté matériel -- ne serait-ce que le dressage des automatismes de la mé­moire -- et il arrive souvent que celui-ci l'emporte sur le côté spirituel. Il y a plus d'esprit, dans le sens d'ac­tivité spontanée et créatrice, chez tel artisan attentif à améliorer sans cesse sa pro­duction matérielle que chez tel professeur qui répète mécaniquement les mêmes leçons pendant des années... « Il n'y a pas de sot mé­tier » dit la sagesse popu­laire. Loin de s'opposer les travaux du corps et les tra­vaux de l'esprit se complè­tent et ils sont égaux en dignité. Ce qui mérite d'être loué ou méprisé, ce n'est pas la nature du travail auquel on se livre, c'est la bonne ou la mauvaise qualité de ce travail. La mode et le bon sens 1^er^ juillet 1977 Descartes affirmait que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. Et nous disons tous spon­tanément devant une action extravagante : « Cela n'a pas de sens commun. » Les philosophes voient d'ailleurs dans le « consentement uni­versel » un argument en fa­veur de la vérité et du bien : ils parlent d'une sagesse et d'une morale éternelles qui sont communes à tous les âges et à tous les peuples... Mais l'argument contraire surgit aussitôt dans toute sa force. Les hommes de toutes les époques et de toutes les nations n'ont-ils pas fait preuve d'un manque affligeant de bon sens en acceptant comme des vérités indiscutables les opinions les plus erronées ou comme règles de conduite les cou­tumes les plus absurdes et parfois les plus immorales ? Il suffit, pour s'en con­vaincre, d'évoquer la masse innombrable de supersti­tions et de préjugés qui ont défiguré le visage des socié­tés, depuis les idolâtries, les sacrifices humains et l'escla­vage dans le monde antique jusqu'aux grands dérègle­ments collectifs du monde moderne causés par les pas­sions politiques, la lutte des classes, l'adoration stupide des vedettes du cinéma et du sport, etc. 118:217 Et que dire de certaines modes vestimentaires ou médicales qui sévissent dans chaque génération et font ensuite hausser les épaules à la génération suivante ? Il y a 60 ans la mode féminine voulait que les petites chi­noises se compriment les pieds jusqu'à l'écrasement des os et que les européen­nes se sanglent la taille dans des corsets jusqu'à perdre le souffle et portent sur leur tête un assemblage de fleurs et de plumes qui les faisait ressembler à des jardins exotiques ambulants. Et quant à la mode médicale, je me souviens de l'époque où l'usage de l'huile de foie de morue était imposé com­me un dogme religieux et où l'on gavait les malheu­reux enfants de ce produit aussi répugnant qu'indiges­te... Aujourd'hui, nous avons eu les talons-aiguilles qui gênent la marche et trouent les parquets et nous nous gorgeons sans raison de vi­tamines, d'antibiotiques et de tranquillisants. Que devient dans tout ce­la ce fameux bon sens qui, selon Descartes, serait dé­volu à la majorité des hom­mes ? Il faut distinguer. Tout homme possède en vertu de son origine divine, une cer­taine inclination vers la vé­rité et vers le bien. Il n'en est pas moins sujet, à cause de sa faiblesse et de ses pas­sions démesurément exploi­tées par les propagandes, à l'erreur et au mal. Disons qu'il est doué de bon sens en tant que créature de Dieu et qu'il est capable de n'im­porte quelle folie en tant qu'élément de la foule. De même, il possède un fonds de santé physique par sa na­ture, mais il peut toujours tomber malade par débilité ou par contagion. Il y a des épidémies de l'esprit comme du corps. Ce qui n'empêche pas que la santé soit l'état normal de l'esprit comme du corps... Le dirigisme des loisirs 8 juillet 1977 J'écris ce billet d'Améri­que où je suis depuis quel­ques jours. J'ai rencontré hier un éminent personnage qui m'a confié qu'un des problèmes majeurs de notre époque était celui de l'organisation des loisirs. 119:217 Les horaires de travail, m'a-t-il dit, sont de moins en moins étendus et, grâce aux progrès des tech­niques, ils diminueront en­core dans l'avenir. Mais la question qui se pose est celle de l'emploi de ces loi­sirs. Les hommes ne savent que faire de ces heures li­bres : ils s'ennuient ou bien ils essayent de tuer le temps par des distractions super­ficielles, stériles et souvent malsaines, comme les jeux de hasard, la boisson, l'éro­tisme, des lectures ou des spectacles abrutissants, etc. Cet état de choses inquiè­te les autorités du pays. Il faut, pensent-elles, organiser les loisirs comme on orga­nise le travail. Et l'on m'a soumis tout un programme de loisirs dirigés et codi­fiés : horaires sportifs, spec­tacles gratuits, voyages col­lectifs et accompagnés, etc. J'ai répondu en rappelant la définition du mot loisir dans l'excellent dictionnaire de Littré : état dans lequel il est permis de faire ce qu'on veut, du latin licere, avoir la permission de. -- C'est dans ce sens que le loisir se distingue du tra­vail : l'activité du travailleur est soumise à un horaire fixe et s'exerce toujours dans la même direction tandis que, dans le loisir, l'homme est libre de choisir l'activité qui lui convient. Il en résulte que le loisir organisé, orienté, minuté ne mérite plus le nom de loisir. Nous souffrons déjà du di­rigisme de la production et voici que nous marchons à grands pas vers le dirigisme de la fantaisie et de l'éva­sion. Quelle place va-t-il donc rester à la liberté dans notre existence ? Le spectacle de ces foules « conditionnées », qui se ruent vers les mêmes lieux de repos ou de plaisir, qui adorent les mêmes idoles du cinéma et du sport, qui se laissent guider par la mode dans tous leurs divertisse­ments, montre que cette évolution a largement com­mencé. Il ne manque que l'intervention massive de l'État dans la « programma­tion » des loisirs pour cou­ronner le tableau. On a dit beaucoup de mal du travail à la chaîne. Mais que faut-il penser du loisir à la chaîne ? La vraie solution n'est pas dans le dirigisme des loisirs, mais dans l'éducation de la liberté. L'augmentation de la durée des loisirs est à la fois une promesse et une menace. Une promesse de libération et une menace d'esclavage. 120:217 Si nous ne sa­vons pas utiliser nos loisirs pour le plus grand bien de notre corps (détente physi­que, sport sainement prati­qué, reprise de contact avec la nature, etc.) et de notre esprit (lectures, spectacles, voyages enrichissants), la ci­vilisation des loisirs risque de devenir une civilisation de l'ennui, du désœuvrement et de tous les faux-fuyants qu'emploient les hommes pour échapper à l'ennui, c'est-à-dire pour tuer ce temps qu'ils sont incapables de remplir. Il faut donc apprendre à choisir, parmi les mille pos­sibilités qui nous sont offer­tes, celles qui répondent le mieux aux vraies exigences de notre nature. Celui qui n'est pas capable d'inventer son propre bonheur, n'est pas digne d'avoir des loisirs. Le temps libre est un appel à la liberté créatrice. Gustave Thibon. © Copyright Lovinfosse, Waasmunster (Belgique). 121:217 ### Le pacifisme jacobin *Le pacifiste choisit sa guerre* par André Guès Le « patriote » jacobin est « citoyen du monde » (cf. ITINÉRAIRES, numéro 185 de juillet-août 1974) et, à ce titre, pacifiste. Déjà en 1782 les loges s'abste­naient dans la souscription nationale pour la marine (ITINÉRAIRES, numéro 210 de février 1977). En 87, d'Epré­mesnil, le parlementaire qui voulait « débourbonnailler » la France, obtenait des notables le refus des moyens financiers nécessaires à une expédition militaire qui eût contre­carré les entreprises anglo-prussiennes en Hollande : la seule menace d'une concentration de troupes françaises à Givet, avouera Brunswick, l'eût obligé à faire demi-tour. On songe à l'inertie française en 1866 pendant la cam­pagne de Sadowa, en 1936 devant la remilitarisation de la Rhénanie. En 1789, les « patriotes » ne s'émeuvent pas de l'aide militaire apportée par la Prusse aux Belges, sujets liégeois et autrichien révoltés, dans un territoire que la politique des « limites naturelles » va bientôt considérer comme chasse gardée de la France. Au printemps de 90, Pitt envenime une lointaine et petite affaire coloniale avec l'Espagne pour sonder le nouveau régime français. Madrid en effet demande l'aide de la France conformément au « pacte de famille », et le gouvernement réclame des crédits à la Constituante pour armer une escadre. 122:217 Contre l'avis des députés de droite Martineau -- « *Les Anglais sont les ennemis les plus dangereux de la France *» -- et Cazalès -- « *Ce ne sont pas les Russes, les Allemands, les Anglais que j'aime, ce sont les Français... le sang d'un de mes concitoyens m'est plus précieux que celui de tous les peuples de l'univers *» *--* tous deux hués, c'est une débauche d'humanitarisme et de pacifisme que vient à point soutenir le prussien Ana­charsis Clootz qui se proclame « *l'orateur du Genre hu­main *»*.* La Constituante « *déclare la paix au monde *»*.* Pitt, qui ne songeait nullement à faire la guerre, et qu'un peu de fermeté diplomatique appuyée par l'armement os­tensible d'une escadre eût fait mollir, est enchanté du résultat de son coup de sonde qui montre la rupture de fait du « pacte de famille » entre les Bourbons de France, d'Espagne et de Naples, ce qui assure à l'Angleterre la supériorité navale. C'est ce que M. Vovelle (*La chute de la Monarchie,* Seuil 1972) appelle « *une attitude conforme à la fois aux principes et à un réalisme bien compris *» conforme, certes, aux principes pacifistes, mais « *réalis­me *» qui faisait choir les « patriotes » dans le piège tendu par Pitt. En mai 91 encore, une adresse des républicains hollan­dais est fraîchement accueillie aux Jacobins : « *M. le Prési­dent a répondu que, malgré l'intérêt bien sincère que nous prenions à la cause des patriotes hollandais, nous n'irions point faire des croisades contre la Hollande et la Prusse et que nous nous contentions de faire des vœux pour la liberté universelle et le vrai bonheur de tout le genre humain. *» Soudain, dès la réunion de la Législative à l'automne de 91, tout est changé et les Jacobins entreprennent une campagne de propagande belliciste sous la conduite de Brissot : « *Le moment est venu d'une nouvelle croisade*, dit-il, *c'est une croisade de la liberté universelle. *» Brissot est un personnage important : président du Comité diplo­matique de l'Assemblée, il exerce en fait, vu les habitudes prises, les fonctions de ministre des Affaires étrangères. 123:217 Or Brissot est *quaker* sinon à la lettre, du moins par son engouement pour la doctrine des *quakers,* et jusqu'à sa mort ne cessera d'écrire en leur faveur. Leur cause, écri­vait-il, lui « *paraît celle de la saine morale et de la liberté *»*.* Et, par moralisme justement, le *quaker* est un pacifiste sans compromission, la guerre lui fait horreur, il refuse de porter les armes. Voilà donc le pacifiste Brissot qui pousse à la guerre, et à la guerre offensive, voire à la guerre mondiale puisqu'il s'agit de « *la liberté universelle *»*.* Voilà cet objecteur de conscience qui, s'il ne se met pas dans le cas de porter un fusil plus grand que lui -- c'est un nabot --, du moins le distribue « *cordialement *» à ses compa­triotes qu'il pousse à l'hécatombe. Le cas n'est pas rare du pacifiste doctrinaire qui devient belliciste et l'on connaît maintenant sa chanson. Il est en effet exceptionnel que le pacifisme soit ce qu'il dit être une irréfragable position de doctrine. Il est quasiment tou­jours une position politique de circonstance, une manœuvre de tactique politique liée à une conjoncture de temps et de lieu, et si la conjoncture change, le pacifiste d'hier ou d'ici devient aujourd'hui ou là le plus ardent belliciste (cf. ITI­NÉRAIRES, numéro 167 de novembre 1972). C'est par anglo­philie que les loges refusèrent en 1782 de participer à la souscription nationale pour la marine. C'est par prussolâtrie (ITINÉRAIRES, numéro 184 de juin 1974) que les « patrio­tes » ont laissé la Prusse agir en Hollande et dans les Pays-Bas autrichiens. En juin 1790, au moment de la que­relle anglo-espagnole, la « cavalerie de Saint-Georges » a donné à plein, les agents anglais Eliott et Miles sont en rapport avec Lafayette, Mirabeau, Lebrun-Tondu, le futur ministre des Relations extérieures de la République, Talley­rand et Pétion, ils sont introduits au Club des Jacobins, à la Constituante, à son Comité diplomatique, et distribuent l'argent par l'intermédiaire du banquier suisse Perrégaux. M. Orieux (*Talleyrand,* Flammarion 1970), s'appuyant sur la correspondance de Miles et celle de Simolin, agent « *d'une activité diabolique *» de Catherine II, dit que ces sources ne laissent aucune illusion sur la « *vertu républi­caine *» qui règne à la Constituante : «* Si l'on jette la pierre à Tallegrand, prenons garde : il faut lapider toute la bande. *» Et pourquoi prendre garde, toucher au Jacobin serait-il sacrilège ? 124:217 En tête de son ouvrage sur *La violence dans le monde* (Calmann-Lévy 1972), M. Hacker a mis un certain nombre d'aphorismes, dont celui-ci : « *Prêcher et imposer à autrui la non-violence sans réserve, c'est dissimuler notre propre agression, c'est préparer l'emploi de la violence en la légi­timant d'avance comme une contre-violence. *» Mon incom­pétence m'interdit la discussion, mais l'histoire montre que le passage du pacifisme au bellicisme est souvent un phé­nomène autre que psychologique : purement politique. Le premier congrès international de la *Ligue de la paix* à Genève en septembre 1867 se donna par acclamations comme président d'honneur Garibaldi, venu entre deux expéditions militaires y faire applaudir la guerre contre le Pape. C'est que le nom complet de la ligue était « *de la paix et de la liberté *»*,* de sorte que les considérations de la doctrine pacifiste ne pesaient guère contre les intérêts politiques qui veulent l'unité italienne réalisée *manu mili­tari* contre l'État le moins libéral du monde. L'histoire jusqu'à ce jour corrobore l'analyse politique du pacifisme. M. Fabre-Luce (*Vingt-cinq années de liberté, II L'épreuve* (*1939-1946*)*,* Julliard 1963) constate avec hu­mour \[au sujet\] du professeur Matignon que « *la guerre sainte, à la condition qu'elle soit islamique, l'enthousiasme presque autant que la non-violence *»*.* M. Dutourd (*Le fond et la forme,* Gallimard 1958) a relevé chez Paulhan une longue liste : « *J'ai cru parfois rencontrer des objecteurs de conscience. C'était, vers 1914, Romain Rolland* (*et les disciples de Romain Rolland*) ; *un peu plus tard André Chamson* (*et ses disciples*) ; *plus tard encore André Malraux, Jean Prévost. Malheureusement, ils ont tous cessé assez vite d'être objecteurs de conscience. André Chamson est devenu colonel. André Malraux a pris part depuis vingt-cinq ans à toutes les guerres qui se sont offertes. Jean Prévost est mort en héros dans les combats du Vercors. Quant à Ro­main Rolland, il a vivement engagé le Président Daladier, dès 1938, à déclarer la guerre.* 125:217 *Et je ne dis rien à mes amis d'Espagne, anarchistes, qui se sont battus avec rage dans la guerre civile. Alors je me demande s'il existe de véri­tables objecteurs de conscience. Je suppose plutôt que l'objecteur de conscience n'est pas un homme qui refuse de se battre. C'est un homme qui veut choisir sa guerre : qui attend une guerre qui lui convienne. *» Certes, mais en attendant *sa* guerre, il oppose à *toute* guerre des raisons de conscience et de doctrine religieuse ou philosophique. Or Paulhan est demeuré en dessous de la vérité pour ce qui concerne Rolland. Car cet homme, quand en 1914 la France fut attaquée, se sentit apatride et se retira « *au-dessus de la mêlée *»*.* Mais il s'était choisi une patrie quand il écrivait en février 1931 dans la *Nouvelle Revue mon­diale :* « *Si l'U.R.S.S. est menacée, quels que soient ses ennemis, je me range à ses côtés. *» Son pacifisme doctrinal ne tenait plus devant l'intérêt du régime politique qui lui avait fait choisir sa patrie, démarche jacobine. Il n'y eut pas de problème moral pour cette « grande conscience » à abandonner son pacifisme, contrairement à Simone Weil et à... *Messieurs du Canard* (Victor Snell, Stock 1973), joyeux compagnons qui ont montré un niveau de moralité plus élevé que celui de Romain Rolland. Quand en 1936 la guerre civile éclate en Espagne, l'équipe du *Canard enchaîné,* pacifiste et démocrate, est déchirée entre sa détestation de la guerre et sa haine du fascisme : « *Messieurs du Canard tournent dans le plus vicieux des cercles et ce n'est pas le Juliénas ou le Noilly-Pratt qui leur fera trouver la tangente. *» Ennemis des fascismes, ils ne veulent cependant pas, pour les abattre, de la guerre à laquelle ils sont tout aussi opposés. Simone Weil était d'un pacifisme absolu en même temps que d'un anti-patriotisme convaincu, les deux vont ensemble. Au début de 1938 en­core, elle souhaitait le désarmement unilatéral de la France devant l'Allemagne, pensant que cela n'augmenterait pas le risque de guerre, mais seulement celui de la défaite de son pays en cas de guerre. Elle était indifférente à cette pers­pective, la patrie étant une « *notion périmée *»*,* et ne voyant aucun inconvénient à une hégémonie du totalitarisme hi­tlérien, moins dommageable que celle du totalitarisme sta­linien. 126:217 Quand l'occupation de la Tchécoslovaquie lui eût ouvert les yeux, elle souffrit, écrit sa biographe S. Pétre­ment (2 vol. Fayard 1973), « *d'un remords cruel au sou­venir du pacifisme radical qu'elle avait longtemps soute­nu *»* :* ce n'était pas une « grande conscience », mais une honnête fille. Je ne me suis pas laissé entraîner dans une digression oiseuse loin du Jacobin, le pacifiste qui choisit sa guerre. Car il y a encore des pacifistes : ils sont du même tonneau que Brissot. André Guès. 127:217 ### Brillantes monstruosités *à la une de* «* L'Osservatore romano *» par Gustave Corçâo LE 3 mars 1977, *L'Osservatore Romano* publiait sous le titre de « Tradizione cattolica e tradizionalismo » un article signé Raniero Cantalamessa qui mérite toute notre attention ; non certes par sa valeur propre, car elle est plus que médiocre, mais par son sujet et la position d'éditorial qu'il occupe en première page de l'or­gane officieux du Saint-Siège, ce qui nous autorise à penser que cet article ne reflète pas seulement les opinions per­sonnelles de M. Cantalamessa. L'auteur s'identifie lui-même dès les premières lignes en citant une phrase de l' « Introduction au christianis­me » de Joseph Ratzinger, disciple de Karl Rahner et compagnon de Hans Küng. Cette citation d'un goût douteux commence à la manière d'un slogan publicitaire : « Per­sonne aujourd'hui n'achète tradition, mais progrès ration­nel. » Elle poursuit sur ces graves considérations : « La tradition apparaît aujourd'hui comme un élément dépassé par les événements ; le progrès au contraire s'avance com­me une authentique promesse insérée dans l'être, vu que personne ne se sent chez lui dans le cercle de la tradition et du passé, mais dans l'atmosphère du progrès et de l'avenir. » 128:217 Je m'arrête ici, parce qu'il m'est impossible de prendre au sérieux une affirmation aussi rapide et sotte que celle-là, qui prétend faire partager aux hommes de toute une génération la stupide position où s'envase le modernisme. Nous savons bien que, psychologiquement, la répulsion du passé est un signe d'aigreur, de culpabilité, de ressenti­ment, et qu'elle dissimule mal un profond rejet du qua­trième commandement. Ce que l'on a dit de la démocratie, redisons-le ici encore plus fermement : « Le progressisme est le meurtre du père. » Aucun profit spirituel ou doctrinal à retirer jusqu'à présent de ces confrontations puériles entre les formes les plus grossières du « traditionalisme » et celles d'un pro­gressisme qui, lui, n'en connaît pas de plus hautes. Une seule chose peut-être à noter, à titre d'information : nous savons maintenant qui est le sieur Cantalamessa, et nous voici déjà écœurés d'apercevoir le cercle à l'intérieur duquel il croit mouvoir une pensée. Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es. Ne nous étonnons donc pas de la simplicité avec laquelle un aussi bon gobeur que ce Cantalamessa digère les paroles de Ratzinger. « Parfaitement juste me semble (*verissima me pare*) l'observation générale émise par Ratzinger : l'homme moderne ne veut plus de la tradition, il veut le progrès ; c'est là un donné des faits. » Ici, l'éditorialiste de *L'Osservatore Romano* laisse bien paraître son critère, exclusivement pragmatique, de la vérité ; il nous annonce déjà que la vérité ontologique d'un Pie XII, Pie X, Pie V, se trouve aujourd'hui surpassée par la vérité du fait ; à partir de quoi nous avisons sans peine la troisième étape de l'évolution : la vérité de la *praxis.* Qu'il le veuille ou non, qu'il persiste ou non à servir cette bannière, M. Cantalamessa peut bien intercaler ça et là dans son texte quelques citations classiques : par cette phrase écrite de sa main, *quod scripsi, scripsi,* comme Pilate, il renie ouvertement tout le réalisme de la tradition philosophique tant de fois et si puissamment recommandé par le magistère de l'Église. 129:217 La suite de l'article, d'un style tortueux, parsemée de phrases qui pourraient passer pour orthodoxes sans l'équi­voque et l'ambiguïté de tout le contexte, cherche à prendre position sur les concepts de tradition et de progrès. A un endroit, posant sa voix pour la hisser au ton majeur catho­lique, l'éditorialiste de *L'Osservatore Romano* exprime une idée particulièrement intéressante au regard des consé­quences contradictoires qui en découlent. En voici la trans­cription littérale : « Devant cette crise de conscience, un salu­taire et calme ré-examen de ce qu'ils entendent par tradition s'impose aux catholiques. La tra­dition serait-elle, comme quelques-uns le pen­sent, l'antithèse du progrès rationnel ? Et le progrès lui-même, l'antithèse de la tradition, le tombeau de toutes les valeurs acquises, comme d'autres le croient ? Telle est la question centrale que nous formulons, en limitant toutefois ici sa portée à la vie de l'Église. Car il est incontes­table que, ces derniers temps, une crise du tra­ditionalisme a surgi dans l'Église. Ceux qui ont fait leur théologie avant le concile Vatican II, et continué ensuite de la pratiquer, sont à même de mesurer l'énorme changement (*cambiamento enorme*) qui est intervenu. » Cette « énorme » distance que M. Cantalamessa avoue avoir constatée entre, pour tout dire, la théologie de Pie XII, et la théologie enseignée pendant et depuis le concile, ne pouvait évidemment qu'obliger la conscience chrétienne au plus grave des choix. Le nôtre, nous l'avons déjà fait, et fait connaître à d'innombrables reprises. Si l'on veut nous imposer comme un fait le changement de la doctrine, ipso facto nous est imposée aussi la nécessité du choix. Or, nous ne connaissons aucun mot, aucun enseignement du dépôt sacré qui nous recommande un changement de la doctrine au seul constat de fait d'un changement des mœurs. Tout le grand chœur de la Révélation et de la tradition apostolique, tout ce grand chœur qui chante aujourd'hui dans les cieux et dont les paroles sont le ferment de notre espérance théologale, tout le chœur de la communion des saints, et la voix même du Verbe incar­né, tout ce qui vient de Dieu proclame que nous devons garder Ses paroles, et nous méfier spécialement des temps où, fatigués, dégoûtés de la saine doctrine, de faux pro­phètes aux oreilles chatouilleuses tenteront de nous incul­quer fables et nouveautés. 130:217 Pour moi, sans hésitation, je m'en tiens avec la grâce de Dieu à l'identité de l'Église *Unam* et *Sanctam.* Le pro­blème en effet se situe au-dessus et au-delà du binôme tradition-progrès, sur le plan de l'unité essentielle de l'être même de l'Église. « Les sursauts des incorrigibles traditiona­listes -- poursuit notre éditorial --, comme celui, bien connu, qui troubla l'an passé la vie de l'Église, ne sont que des épisodes ; ils restent sans signification du point de vue de l'enracine­ment culturel (*sic*) et de leur force d'attraction (re-sic). Car les épisodes de cette crise du tra­ditionalisme, comme celui de Mgr Lefebvre, don­nent à la crise elle-même une confirmation plu­tôt qu'un démenti. » Nous débouchons ici sur un semblant d'explication, quant à l'insolite présence de M. Cantalamessa à la une de *L'Osservatore Romano.* L'objectif visé se fait même lim­pide, clair comme le jour : Mgr Lefebvre n'est plus traité en première page de *L'Osservatore Romano* comme un rebelle et un indiscipliné ; il est dénoncé à l'opinion inter­nationale comme un extrémiste qui s'attache résolument à l'Église immuable, refusant de faire sa cour au progrès (mais quel progrès ?) et aux mutations de ce monde. \*\*\* L'apparition soudaine de « l'affaire Lefebvre » comme illustration épisodique, voire « non significative », de la crise traditionaliste, nous pousse irrésistiblement à croire que l'objectif principal de la publication de l'article en question ne résidait donc point dans les élucubrations de Joseph Ratzinger autour d'un slogan ridicule, et moins encore dans le problème métaphysique de la vérité onto­logique *ormai* dépassée par les faits et par la *praxis.* 131:217 Il n'est pas nécessaire d'être doué d'une grande sub­tilité pour percevoir que Cantalamessa, Ratzinger, vérité ontologique, slogans publicitaires, citations de Garaudy ou d'Origène sont autant de prétextes pour la publication officielle, la diffusion officielle de deux idées. La première est celle qui entend prêcher par-dessus les toits la supé­riorité des idées nouvelles « tournées vers l'avenir » sur les anciennes « tournées vers le passé », et ceci sans dissi­muler, bien au contraire, l'ÉNORME DIFFÉRENCE qui sépare, de ceux d'avant le concile, les milieux ecclésiastiques d'au­jourd'hui. La deuxième, qui apparaît plus évidente encore dans la suite de l'article, vise à détrôner « l'affaire Le­febvre ». Devant l'impasse créée par une suspension *a divinis* qui, voulant empêcher Mgr Lefebvre de célébrer dans l'Église d'aujourd'hui la messe consacrée par l'Église de toujours, ne lui interdisait en fait que de célébrer la messe nouvelle dont il ne voulait pas, -- devant cette situation donc sans issue (hormis l'inconcevable excom­munication), surgit l'idée de pousser l'encombrante affaire vers l'oubli par des manœuvres de minimisation. C'est pourquoi l'éditorialiste de *L'Osservatore Romano* insiste, d'une manière aussi pesante, sur le caractère épisodique et comme superficiel de toute l'affaire. La classification de Mgr Lefebvre comme traditionaliste borné, obtus et obstiné équivaudrait au coup de grâce destiné à en finir avec l'inconfortable situation créée par sa résistance. Les deux idées énoncées ci-dessus reposent sur un postulat, ou vérité axiomatique, ou mieux encore, pour M. Cantalamessa, sur un fait indubitable. Lui et ses au­teurs, partisans ou mandataires, paraissent assurément convaincus que l'humanité d'aujourd'hui, dans son écra­sante majorité, tient réellement la tradition pour dépassée, et adhère de toutes ses forces au « progrès tournés vers l'avenir ». Or cette conviction, sauf votre respect, est tout bonnement inepte, grossière et sans fondement. 132:217 Il n'est pas besoin d'être grand clerc ni spécialement malin, mais seulement de garder les yeux ouverts sur le visage réel des choses, et la réelle souffrance des âmes, pour compren­dre que l'avenir, vu du rez-de-chaussée de l'histoire, offre à l'homme moderne fort peu d'attraits, contre beaucoup de sombres perspectives. Deux sortes d'ombres, au moins, planent en permanence sur l'avenir immédiat de toute l'humanité contemporaine. La première est consacrée depuis longtemps par un modèle de syllogisme : *tout homme est mortel ; or Cantalamessa est un homme ; donc Cantalamessa est mortel.* La se­conde menace qui pèse sur l'avenir de notre civilisation saute aux yeux : l'homme moderne paraît furieuse­ment engagé dans la destruction de tout, et spécia­lement des plus hautes valeurs spirituelles, au nom des plus bas appétits de la matière. Jamais l'apologie du futur, et le mépris du passé, ne furent plus absurdes et moins de mise qu'aujourd'hui. La tradition, comme valeur culturelle, est déjà en soi une valeur supérieure à celle du progrès. Mais quand il s'agit de la tradition religieuse, dont l'objet principal est la garde constante, fidèle, coura­geuse, ferme, amoureuse même, du dépôt sacré d'où nous vient le salut, nous pouvons dire que la plus grande impiété que l'homme puisse commettre en cette vallée de larmes, c'est de remettre cette valeur en question, car c'est refuser le sang du Fils, et la miséricorde du Père. Si maintenant nous prenons au sérieux l'idée fonda­mentale de l'article, que la vérité ontologique sur laquelle reposaient encore toutes les ratiocinations du concile de Trente est aujourd'hui dépassée, nous voici en mesure d'affirmer à haute et intelligible voix que la publication de cet article à la une de *L'Osservatore Romano* n'implique en aucune manière que son auteur soit encore catholique, ni qu'il raisonne le moins, du monde en fonction du dépôt sacré. Inutile par contre de chercher à suivre (c'est-à-dire de prendre au sérieux comme hypothèse de travail) la philosophie présumée de l'auteur et de ceux qu'il cite ; même ainsi, nous ne parviendrions pas à déterminer la position atteinte aujourd'hui par *L'Osservatore Romano,* dans l'ignorance où nous sommes des lois du mouvement progressiste, qui peut être parabolique, hyperbolique, ou même synodal. 133:217 Mais tout ce qui apparaît dans notre échantillon nous porte à croire que *L'Osservatore Romano* s'est déjà suffi­samment réformé, déformé, transformé ou adultéré pour mieux traduire désormais la pensée de l'Autre église que l'enseignement éternel de l'Épouse du Christ. Nos commentaires, on le voit, s'enracinent tous dans l'idée d'un refus catégorique des mutations imposées de la sorte à la conscience chrétienne, et ne cachent pas leur principal objectif : celui de démontrer qu'en réalité cet article, le journal qui l'accueille, les autorités qui l'encou­ragent, n'expriment plus les paroles de la Vérité première, et ne se sentent plus liés au dépôt sacré, incompatible avec toute philosophie évolutionniste et relativisante. Ces considérations s'adressent aux catholiques qui sui­vent encore les principes immuables de leur religion, sans le moindre espoir de convaincre ceux qui s'obstinent à ne pas voir. Ceci dit, venons-en à la suite de notre article, où M. Cantalamessa fait tout pour nous convaincre qu'effecti­vement, il ne pense plus comme pensaient hier encore Pie XII ou Pie X, et Pie V avant-hier, pour ne pas remonter jusqu'à saint Thomas, saint Augustin, saint Paul et Notre-Seigneur Jésus-Christ. Pour moi, je m'en avoue bien assez convaincu. Mais voyons un peu dans le texte ce qui fonde cette conviction. Après de longues considérations oscillantes et équivoques sur le conflit tradition-progrès, assorties du minuscule et dérisoire recours au mot de « traditiona­liste » pour expliquer la mystérieuse résistance de Mgr Lefebvre, l'auteur en vient à esquisser une ébauche histo­rique de la pensée et de la vie de l'Église : 134:217 « La tradition catholique fut codifiée dogma­tiquement au concile de Trente, quand toute la théologie de l'Église RAISONNAIT ENCORE en fonc­tion du schéma métaphysique : *verum est ens,* autrement dit quand le primat REVENAIT à la vérité, et à la vérité ontologique ; cela n'a rien d'étonnant si l'on considère que le concile de Trente avait en vue une fonction particulière de la tradition : *celle d'être la source et le dépôt de la vérité.* (Denz., § 1501 ; doctrine reprise par le concile Vatican I, *ibid.,* § 3006.) D'où la for­mule post tridentine classique, qui définit l'Écriture et la tradition comme les deux sources de la Révélation. » Notons dès à présent que l'auteur, non seulement ne mentionne pas, mais semble même ignorer les distinctions théologiques que recouvre le mot tradition. Nous y revien­drons. Voici d'abord la suite du texte : « La tradition -- dans la formule post triden­tine -- est davantage vue en fonction de la vérité ou de la doctrine qu'en fonction, globa­lement, de la vie de l'Église. » Nous voici devant un de ces mots magiques propres aux esprits modernes, qui veulent opposer la Vie à la Vérité, parce que l'idée même de vérité leur suggère aussi­tôt quelque chose de figé et de cadavérique. Je recommande vivement à ce propos la lecture du lumineux article de Louis Salleron, « L'Église dite *vivante *»*,* dans ITINÉRAIRES numéro 210 de février 1977. Cette formule d'Église « vi­vante » utilisée par les modernistes entend suggérer par corrélation l'idée d'une Église morte : celle de Pie XII, précisément, Pie X, Pie V, saint Thomas, saint Augustin, saint Paul et Notre-Seigneur Jésus-Christ. L'auteur nous livre ensuite un aperçu historique de l'évolution de la pensée (chrétienne ?) sur les trois « véri­tés » : *verum est ens, verum est factum* et *verum est faciendum.* Dès le début de ce prétendu résumé, où il cite J.-B. Vico, Bonald, de Maistre, Lamennais et Marx, Cantalamessa déclare : « Le concept catholique de tradi­tion, à vrai dire, s'est adapté sans difficulté à ce nouveau climat culturel. » 135:217 On a envie ici de lui demander : -- Qu'est-ce que cela signifie quand vous écrivez *a dir vero ? Plus* loin, à la charnière de sa rétrospective d'histoire culturelle, Cantalamessa nous sert cette époustouflante question : « *Si la tradition avait toute sa place quand le primat allait à la vérité -- et indirectement au passé* (*sic*) *--, quelle utilité* (*sic*) *pourrait-elle avoir maintenant que ce primat est conféré à la* praxis, *et partant au futur ?* » Ayant lâché cette brillante monstruosité, l'auteur fonce se mettre à l'abri du bon vieux moyen terme, recours chéri de tous les médiocres qui croient ainsi se donner des allures de prudence : « Nous nous trouvons donc face à deux dangers (...) Le premier est le refus total du NOUVEAU PRINCIPE DE LA VÉRITÉ définie comme *praxis,* assorti de l'inévitable retour à une conception de la tradition définie comme traditionalisme. C'est le cas de Mgr Lefebvre, et il est significatif que, chez lui, la composante traditiona­liste et antiprogressiste se développe parallèlement à une composante anti-marxiste. La tradition est vue ici comme fidélité au passé, et plutôt au passé chronologique et mé­canique que proprement théologique, ce qui risque d'effa­cer la distinction entre Tradition apostolique et tradition ecclésiastique. Le risque évident est de réduire la foi à une archéologie. » Parvenu au second danger, par lequel il prétend équili­brer toutes ces extravagances et obscénités, le très évidem­ment progressiste Cantalamessa ébauche une vague cri­tique du progressisme en ces termes : « L'autre n'est pas moins grave, quoique l'on y relève une argumentation plus intelligente... » Non ! A cet égard, sauf votre respect, je proclame par-dessus les toits, aux cieux, aux arbres, au vent, que le « progressisme » dit catholique est stupide avant toute autre chose. D'où l'on peut conclure que le plus amer grief qu'ils font à Mgr Lefebvre, c'est justement de n'avoir pas adhéré à la bannière de *l'universelle stupidité.* Gustave Corçâo. (*Traduit du portugais par Hugues Kéraly.*) 136:217 ### A la recherche du concile par Louis Salleron RÉSUMÉ. -- Ceux qui combattent la subversion dans l'Église sont toujours accusés d'être « *contre LE Concile *»*. Vatican II, pour les novateurs, est un bloc qui doit être accepté comme tel, sans distinguer ni dans les textes, ni dans l'usage qui en est fait. S'appuyant sur le témoignage* (*involontaire*) *du cardinal Garrone et sur celui* (*volon­taire*) *de Dom Nau, cet article montre toutes les distinc­tions qu'il y a lieu de faire dans le Concile et dans l'aprés-Concile, si on ne veut pas bâtir sur Vatican II une* « *Église conciliaire *» *en rupture radicale avec l'* « *Église catholi­que *»*.* COMME IL CONVIENT à un bon catholique post-conci­liaire, je suis « en recherche ». Et l'objet de ma recherche est particulièrement digne de considé­ration : je suis, en effet, à la recherche du Concile. A lire la littérature religieuse, officielle ou officieuse, il apparaît que les catholiques sont divisés en deux catégo­ries : ceux qui « acceptent » le Concile et ceux qui le « refusent », ou encore ceux qui « obéissent » au Concile et ceux qui lui « désobéissent », -- ou d'autres formu­lations de la même opposition. Alors je m'interroge : suis-je de ceux qui acceptent ou de ceux qui refusent ? de ceux qui obéissent ou de ceux qui désobéissent ? Je ne vois pas très clair dans ces questions. Comme je me sens catholique de la tête aux pieds -- ce qui ne veut pas dire, évidemment, bon catholique et bon chrétien --, je me dis qu'il y a, dans cette manière de poser les questions, en attendant d'y ré­pondre, quelque équivoque. D'où ma recherche. Qu'est-ce donc que « le Concile » pour qu'on entre immédiatement dans des discussions sans fin quand on en parle ? 137:217 Deux « pistes de réflexion » s'ouvrent devant moi. Je les propose à l'attention du lecteur qui serait, par hy­pothèse, « en recherche » comme moi-même. #### *La piste* «* Figaro *» Dans un « point de vue » qu'a publié *Le Figaro* du 1^er^ juillet 1977, j'ai fait écho à un communiqué de l'as­sociation « Credo », que préside Michel de Saint Pierre, et qui suggère l'envoi d'un légat du Pape en France pour en­quêter sur l'état d'anarchie où se trouve le catholicisme français. Suggérant quelques points sur lesquels pourrait porter l'enquête d'un légat pontifical, je mentionnais la question du Concile dans les lignes suivantes : On dit : « Le Concile », et derrière ce mot on fait un « amalgame » permanent entre les diffé­rents textes conciliaires, entre le Concile, le Pape et les évêques, entre le Concile, les réfor­mes post-conciliaires et « l'esprit conciliaire », etc. Que si vous tentez d'établir quelques dis­tinctions évidentes entre ces divers éléments, vous êtes aussitôt accusé d'être « contre le Concile », et bien sûr contre le pape, contre les évê­ques, contre l'Église, donc rebelle, révolté, schis­matique, etc. Or, prenons un seul exemple. Le 20 janvier 1976, S.E. le cardinal Garrone a fait une confé­rence à Saint-Louis des Français, à Rome, où il a parlé du Concile. Voici, textuelles, quelques-unes de ses paroles : « Malgré l'originalité pro­fonde de la pensée, *Lumen gentium* ressemblait à d'autres textes conciliaires classiques. Gaudium et spes ne ressemble à rien. » Le cardinal préci­sait : « C'est un essai », et il répétait comme pour bien souligner la différence avec *Lumen gentium :* « C'est un essai. » C'était le bon sens même. Mais imaginez les mêmes paroles dans la bouche d'un conférencier traditionaliste, ou dans celle de Mgr Lefebvre, elles devenaient le signe du « refus » du concile. 138:217 Quand on se rappelle qu'il y a seize docu­ments conciliaires dont seulement deux consti­tutions dogmatiques (Lumen gentium et Dei Verbum), deux autres constitutions non dogma­tiques, neuf décrets et trois déclarations, qui, de bonne foi, pourrait donner la même valeur et la même portée à des textes aussi différents ? On ne peut vraiment pas dire que ces lignes soient obscures. Elles sont, bien au contraire, d'une parfaite clarté et expriment le vœu, toujours aussi clair, que soient rendus également clairs les mots « le Concile » quand on en use et en abuse pour classer en bons et en méchants ceux qui censément l'accepteraient ou le refuseraient, lui obéiraient ou lui désobéiraient, etc. Quelle ne fut pas ma surprise quand je lus, dans *Le Figaro* du 11 juillet, le texte suivant, publié sous le titre : « Le cardinal Garrone répond à Louis Salleron », avec ce sous-titre assorti de guillemets : « On a faussé radica­lement ma pensée » (c'est moi qui souligne dans le texte du cardinal) : « J'ai été très surpris de trouver mon nom dans *Le Figaro* mêlé à *une interprétation de* *la valeur du concile* diamétralement opposée à tout ce que j'ai pensé, dit, écrit depuis dix ans. « S'il s'agissait de ma personne, je me tairais, comme je l'ai fait dans une récente affaire, mal­gré les mensonges, demi-mensonges, insultes dont j'ai pu être l'objet. Mais il s'agit ici du *Concile* et je ne peux pas paraître couvrir des erreurs ou leur fournir des prétextes. « On a évoqué un mot d'une conférence faite par moi à Saint-Louis des Français et dont j'ai voulu pour la circonstance revoir l'enregistre­ment. « S'il s'agit de la constitution pastorale « Gau­dium et Spes » (L'Église dans le monde de ce temps), je n'ai rien dit qui soit en désaccord avec l'analyse plus approfondie que j'ai présen­tée dans les « mélanges charue » de l'université de Louvain ou dans la préface que j'ai donnée de la même constitution aux Éditions Saint-Paul... 139:217 Sans parler d'innombrables allusions et conférences. Il s'agit bien d'une *constitution *: le titre dit bien ce qu'il veut dire, et l'addition de « pastorale » ne fait qu'en préciser le point d'application. Ce titre, *le Concile* l'a expressé­ment voulu, après en avoir discuté : il a main­tenu « Gaudium et Spes » le caractère d'une *authentique constitution*. « Comme déjà la *constitution* sur l'Église (« Lumen gentium ») en son ordre, ce document se présentait sous un jour assez nouveau pour qu'on ait dû « tâtonner » et chercher la route : me faire dire pour autant de ce texte « qu'il ne ressemble à rien », sans donner le contexte de ces mots et leurs compléments, c'est une contre­vérité pénible. Comment peut-on pour échapper aux exigen­ces de ce document et d'autres, exploiter le mot « pastorale » ? Là encore, que de fois n'ai-je pas dans des livres ou des articles, protesté contre un tel abus... Qui oserait penser qu'en demandant un *Concile* « pastoral » Jean XXIII donnait par avance permission de se soustraire à son *ensei­gnement ?* S'efforcer de mettre la *doctrine* en état de répondre à sa destination divine qui est de nourrir le fidèle -- c'est ce que signifie le mot « *pastoral *» -- ce n'est pas renoncer à la *doctrine*, c'est en dégager *le vrai sens.* « Je ne suis pas disposé à chercher des que­relles ni à soupçonner quiconque de mauvaise foi, mais je tiens à dire qu'on a en fait *faussé radicalement ma pensée* pour pouvoir *accuser ou dévaloriser un Concile,* et encore, paradoxale­ment, sur un point où mes responsabilités dans *le Concile* ont été particulièrement précises. Je devais le dire pour que vos lecteurs ne soient pas induits en erreur et ne prennent pas mon silence pour un aveu. J'ai déjà écrit. Je continue­rai de le faire, non pour laisser croire que ce *Concile* n'est pas un *concile*, mais pour défendre la thèse opposée qui est celle du bon sens. » Gabriel-Marie GARRONE. 140:217 Je précise que mon texte et celui du cardinal Garrone sont reproduits ici *in extenso.* Dans le texte du cardinal, j'ai respecté les majuscules et les minuscules, les points de suspension, et les possibles erreurs typographiques de détail. J'ignore ce que sont les « mélanges charue » de l'Université de Louvain. Je ne sais à quelle « récente af­faire » fait allusion le cardinal en parlant de « mensonges, demi-mensonges, insultes » dont il a pu être l'objet. Tout cela est sans importance. Venons-en à ce qui importe. Tout d'abord, à propos de « Gaudium et spes », le cardinal écrit imperturbablement : « ...me faire dire pour autant de ce texte « qu'il ne ressemble à rien », sans donner le contexte de ces mots et leurs compléments, c'est une contre-vérité pénible. » J'en ai eu le souffle coupé. Comme bon nombre de lecteurs du « Figaro » auraient pu n'avoir lu que le texte du cardinal ou avoir oublié le mien, j'ai dû faire une rectification que *Le Figaro* a insérée le 13 juillet sous le titre « A propos d'une conférence du cardinal Garrone ». Les lecteurs du journal ont ainsi pu comparer le texte du cardinal avec ce que j'avais écrit. J'ajoutais : « En fait de vérité et de contre-vérité, le lec­teur jugera. Si cependant le cardinal ou votre journal désirait des additions au « contexte » des mots et à leurs « compléments » je suis tout prêt à les fournir. » *Le Figaro* s'en chargea lui-même : « Nous avons retrouvé, écrit-il, la phrase complète grâce à la bande enregistrée à Rome le 20 janvier 1976 par les services culturels du père de la Brosse. La voici : « *Gaudium et spes* ne ressemble à rien : en partie parce que c'est un essai ; c'est un essai (*mezza voce*)*,* mais aussi parce que, vraiment, il représentait, de la part du Concile, une volonté de rejoindre la réalité des choses et de la vie et d'inviter tout l'ensemble de l'Église à tâcher de remettre les réalités de la foi au contact de ce qu'il y avait de plus concret et de plus vivant dans le monde d'aujourd'hui. » 141:217 Cette addition, on s'en doute, me combla d'aise. Elle confirmait que ma citation des paroles du cardinal prove­nait d'une *bande enregistrée,* non pas celle du père de la Brosse, mais une autre, qui naturellement ne pouvait être différente. (Il y eut de nombreux enregistrements. La con­férence était publique et plus d'une religieuse était là avec son magnétophone afin de pouvoir faire bénéficier sa com­munauté de la bonne parole du cardinal.) Je ne pouvais tout citer. Je m'étais borné à l'essentiel sans le déformer, car la déformation eût consisté à faire dire uniquement au cardinal Garrone que *Gaudium et spes* « ne ressemble à rien », ce qu'il a dit effectivement, mais par opposition à *Lumen gentium* qui « ressemblait à d'autres textes conci­liaires classiques » -- comme je l'ai précisé. La longue phrase qui suit « *Gaudium et spes* ne ressemble à rien », n'ajoute, ni ne retranche à « c'est un essai », deux fois proféré, qui exprime parfaitement la pensée du cardinal. Il y a, certes, « en partie parce que », mais cet « en partie parce que » ne diminue pas le jugement « c'est un essai » ; et si j'avais reproduit la phrase entière, j'aurais dû repro­duire aussi ces phrases suivantes qui ne font qu'accentuer le caractère *sui generis* de *Gaudium et spes* par rapport à « d'autres textes conciliaires classiques ». Je n'ai pas l'ha­bitude de falsifier, déformer ou présenter sous un éclairage faux les citations que je fais. Quiconque comparera la manière dont j'ai cité le cardinal Garrone et celle dont il m'a cité aura du mal à m'accuser de contre-vérité et à voir en lui un champion de la vérité. Mais tout cela encore n'est que broutille. L'essentiel est ailleurs. Dans mon article, j'avais loué, implicitement mais clairement, le cardinal Garrone d'avoir opéré une distinc­tion, évidente mais importante, entre deux textes du Concile auxquels il est manifestement impossible d'attribuer la même valeur doctrinale. Bref, sur un point précis, il commençait à opérer une rupture de l' « amalgame » conciliaire. C'était là rendre un précieux service à l'Église et à la Vérité. Or, comme honteux et repentant de son audace, il écrit au « Figaro. » pour justifier l'amalgame et présen­ter « le Concile » comme un bloc où rien ne doit être distingué. L'amalgame lui devient à ce point consubstan­tiel qu'il ne me nomme jamais mais me noie dans un « ON » anonyme (qu'il charge de tous les péchés d'Israël) et que sa réponse au *Figaro* répond à tout, sauf à ce que j'avais écrit. 142:217 Non seulement « on » a « faussé radi­calement » sa pensée, mais encore « pour pouvoir accuser ou dévaloriser un Concile ». La phrase finale est le bouquet de ce feu d'artifice. Le cardinal a déjà écrit. Il continuera de le faire « non pour laisser croire que ce Concile n'est pas un concile, mais pour défendre la thèse opposée qui est celle du bon sens ». J'aurais donc, moi (si je dois m'in­clure dans le « on »), écrit pour affirmer, ou suggérer, ou plus modestement « laisser croire » que « ce Concile n'est pas un concile » ! Que le cardinal relise mon texte ! Ma requête est d'une clarté parfaite. Je demande qu'on ne dise pas toujours « le Concile » pour bloquer derrière cette expression magique des éléments différents qu'il importe de différencier et de distinguer pour que le catholicisme ne sombre pas, par en haut dans la tyrannie (à base de mensonge) et, par en bas, dans l'idolâtrie (à base de consentement au mensonge). Chose amusante : le cardinal Garrone qui, dans sa conférence de Rome, avait fait spontanément la distinction entre *Lumen gentium* « qui ressemblait à d'autres textes conciliaires classiques » et *Gaudium et spes* qui « ne res­semble à rien » et est « un essai », refait, non moins spon­tanément, dans sa « réponse » au *Figaro* une distinction entre *Gaudium et spes* et le plus grand nombre des autres textes conciliaires. Il tient à souligner que c'est une « *cons­titution *», qui a bien « *le caractère d'une authentique constitution *». Donc, à ses yeux, une *constitution* conci­liaire se distingue d'un autre texte conciliaire qui n'est pas une constitution. Relisons tout le passage : « Il s'agit bien d'une constitution : le titre dit bien ce qu'il veut dire, et l'*addition* de « pastorale » ne fait qu'en préciser le point d'application. *Ce titre, le Concile l'a expressément voulu,* après en avoir discuté : il a maintenu (à ?) « Gaudium et Spes » *le caractère d'une authentique constitution. *» On lit et on relit ; c'est bien le mot « constitution » qui est en question, et non l'*addition* de l'épithète « pasto­rale ». Le Concile, qui en a discuté, a voulu que « Gaudium et Spes » soit une *constitution* et non autre chose, parce qu'elle a «* le caractère d'une authentique constitution *». 143:217 Si ce texte n'avait pas été une constitution, qu'eût-il été ? Un décret, ou une déclaration. Ou alors il n'eût rien été du tout. Il n'eût pas été un texte conciliaire. Mais c'est du *titre* que le Concile a discuté. Vu le « caractère » du document, le Concile a voulu le ranger parmi les *consti­tutions*. Du même coup donc, le Concile a manifesté qu'une constitution a une valeur, ou une importance, ou une signification, autre qu'un décret ou une déclaration. C'est donc le Concile qui, dans le simple choix du titre qu'il donne aux divers documents sur lesquels il porte son vote, *établit entre eux des distinctions.* Comme le Concile, le cardinal tient à souligner la distinction qu'il y a entre une « constitution » et un texte qui n'est pas une consti­tution. C'est le mouvement spontané de sa pensée, parce que c'est celui du bon sens. Cède-t-il à ce mouvement spon­tané « pour pouvoir accuser ou dévaloriser un Concile » ? Ou bien estime-t-il qu'il est très important de faire des distinctions de cette sorte, mais à condition de n'en tirer aucune conséquence ? Alors à quoi servent-elles ? On est dans l'incohérence pure. #### *La piste d'* « *Esprit et Vie *» Ma seconde piste est celle d'*Esprit et Vie* (*L'ami du clergé*) qui publie, dans son numéro 30, du 20 juillet 1977, un article de Dom Paul Nau o.s.b. sur « *L'autorité du Concile Vatican II *». C'est un long et savant article, qui contient tellement de choses, présentées avec tellement de nuances (légitimes), qu'il n'est pas question de le résumer ici. Je n'en retiendrai que ce qui concerne précisément mon propos : les *distinc­tions* qu'il importe de faire quand on parle du Concile. Très opportunément, Dom Nau commence par rappeler que le Concile lui-même s'est prononcé à ce sujet dans sa notification du 16 novembre 1964. Quoique j'aie déjà, en ce qui me concerne, reproduit plusieurs fois le texte de cette notification, je le publie de nouveau ici, tel qu'il figure dans l'article de Dom Nau et tel qu'on le trouve à la fin de la Constitution *Lumen gentium* dans les éditions du Centurion : 144:217 On a demandé quelle devait être la *quali­fication théologique* de la doctrine exposée dans le schéma sur l'Église, et soumise au vote. A cette question, la Commission doctrinale a donné la réponse suivante : « Comme il est évident de soi, un texte de Concile doit toujours être interprété suivant les règles générales que tous connaissent. A ce pro­pos la Commission doctrinale renvoie à sa dé­claration du 6 mars 1964, dont nous transcri­vons ici le texte : « Compte tenu de l'usage des Conciles et du but pastoral du Concile actuel, celui-ci ne défi­nit comme devant être tenus par l'Église que les seuls points concernant la foi et les mœurs qu'il aura clairement déclarés tels. « Quant aux autres points proposés par le Concile, en tant qu'ils sont l'enseignement du Magistère suprême de l'Église, tous et chacun des fidèles doivent les recevoir et les entendre selon l'esprit du Concile lui-même qui ressort soit de la matière traitée, soit de la manière dont il s'exprime, selon les normes de l'inter­prétation théologique. » Quel que soit le sens précis qu'il faille attribuer à tel ou tel mot de cette déclaration, le sens général de la déclaration elle-même est parfaitement clair -- rejoignant le simple bon sens et le catéchisme élémentaire. En un mot, il faut *distinguer* dans les actes du Concile. Selon la « matière » dont ils traitent et la « manière » dont ils s'expriment, ils requièrent de notre part un genre d'adhé­sion différent qui peut être celui de la foi, ou de l'obéis­sance, ou de la docilité (pour reprendre trois vocables uti­lisés par Dom Nau et sans entrer à ce sujet dans des com­mentaires qui nous mèneraient trop loin). 145:217 Parlant de la « manière » dont s'exprime le Concile, Dom Nau note qu'elle « apparaît déjà dans le titre donné aux documents : un *Décret* n'est pas une *Constitution,* ni une *Déclaration* un Décret. Une constitution contient plus généralement un enseignement, un Décret des prescriptions pratiques. Une Déclaration enfin n'engage pas l'autorité du Concile autant qu'une Constitution ou un Décret ». *Distinctions,* donc. Dom Nau ajoute aussitôt : « Ces indications générales appellent pourtant des nuances. » *Nouvelles distinctions,* donc. Distinctions, sous-distinctions, nuances dans les distinc­tions et les sous-distinctions. N'entrons pas dans les exemples que nous en donne Dom Nau et bornons-nous à reproduire maintenant, *in extenso,* sa brève « Conclusion » : Notre propos n'étant pas de donner un com­mentaire des textes du Concile, nous ne pouvons entrer dans plus de détails. Ce que nous avons pu lire dans la communication du 16 novembre suffira à montrer combien se trompent ceux qui, considérant le Concile comme un tout mono­lithe, ou bien le rejettent en bloc, sous prétexte qu'il ne contient pas de définitions, ou bien se réclament de son « esprit », non pas tel qu'il ressort des textes, mais tels qu'ils le souhaitent ou l'imaginent en s'appuyant sur des positions que le Concile a justement refusé d'intégrer. Sous le couvert de cet « esprit », ces derniers se livrent aux fantaisies les plus contraires à ce que le Concile a déclaré ou prescrit. Une lecture attentive de la réponse faite aux Pères par le Secrétaire du Concile aurait évité bien des con­fusions et des erreurs. Voilà ce que pense Dom Nau de « L'autorité du Concile Vatican II »*.* #### *Un constat* En ce qui concerne les *textes* du Concile Vatican II, ce qu'on vient de lire suffit amplement à dresser le *cons­tat* suivant : *le Concile n'est pas un bloc, il n'est pas un monolithe. Les textes divers dont il est composé, tant par leur genre littéraire que par leur contenu, imposent des distinctions nombreuses à faire dans la nature et le degré d'adhésion qu'ils requièrent de la part des fidèles.* 146:217 Les faits recensés dans le présent article pour établir ce *constat* sont, rappelons-les : 1\) Le *bon sens,* ou si l'on préfère *l'évidence. --* J'en ai à peine parlé tant cela va de soi. Qui lirait d'un même œil la Constitution dogmatique *Dei Verbum* sur « la Révé­lation divine » et le Décret *Inter mirifica* sur « les moyens de communication sociale » ? 2\) La *Notification* du 16 novembre 1964 -- texte émi­nemment officiel, inséré dans les Actes du Concile -- qui précise que les divers textes du Concile n'ont pas tous la même portée et qu'ils appellent en conséquence des inter­prétations de nature différente. 3\) Le *témoignage du Cardinal Garrone* qui, tout en tenant à professer -- pourquoi ? Dieu seul le sait -- qu'il ne connaît que « le Concile » (considéré comme un bloc monolithique), confesse cependant la vérité, l'évidence et le bon sens dans l'expression spontanée de sa pensée -- soit qu'il *distingue* entre la valeur d'une Constitution dog­matique comme « Lumen gentium » et celle d'une Cons­titution pastorale comme « Gaudium et spes » (« un es­sai »), soit qu'il *distingue* entre les textes conciliaires qui sont des « constitutions » et ceux qui n'en sont pas. (La première distinction est dans sa conférence de Saint-Louis des Français, la seconde dans sa « réponse » au *Figaro*.) 4\) Le *témoignage de Dom Nau* dont l'article d'*Esprit et Vie* est exclusivement consacré aux *distinctions* qu'il y a lieu de faire quand on invoque « l'autorité du Concile Vatican II ». Ces deux témoignages suffisent. Si je les ai retenus plutôt que d'autres, c'est parce que l'un et l'autre traitent uniquement de l'objet de ma recherche. Ils sont, d'autre part, significatifs dans leur différence. Car celui du cardinal Garrone, à travers ses embarras et ses contradictions, se lit en positif et en négatif, tandis que celui de Dom Nau est purement positif. Le premier a le clair-obscur d'un Rembrandt, le second la lumière d'un Vermeer. Le témoi­gnage est le même. 147:217 Trouverait-on d'ailleurs des témoignages contraires ? Je ne le pense pas. Certes le témoignage *implicite* du con­traire est partout. C'est celui des Bureaux et de tous ceux qui y sont asservis. Mais je n'ai jamais lu : « Le Concile est un bloc », comme Clemenceau disait : « La Révolution est un bloc. » La Révolution conciliaire est en permanence la Révolution de l'*équivoque.* « Vous refusez le Concile. » Cela suffit. Dès l'instant que vous n'êtes pas d'accord avec le dernier ukase en date, vous êtes « contre le Concile ». Inutile d'aller plus loin. #### *Étapes à parcourir* Quand on est « en recherche », il est rare, à en juger par tout ce que nous lisons, qu'on trouve quoi que ce soit. Je suis donc heureux, et fier, m'étant mis à la recherche du Concile, d'avoir trouvé quelque chose. On me dira que j'ai découvert le soleil à midi. Je le sais bien. Mais il faut procéder par étapes. La première était plus qu'aisée. Cher­cher ce qui est trouvé d'avance n'est évidemment qu'un jeu d'enfant. Tout de même, il n'est pas mauvais de commencer par le commencement. Surtout quand il s'agit du plus im­portant. Car « le Concile », ce sont d'abord les *textes* du Concile. Rappeler, *à partir des textes,* que « le Concile » n'est pas un bloc, est essentiel. Car tout le reste s'en déduit. Le rassemblement que j'ai fait de quelques documents ma­jeurs évitera à d'autres de les rechercher. C'est donc un service que je leur rends. Restent les autres étapes. Restent les *distinctions* à faire entre les *textes* conciliaires, les *réformes* qui en sont issues, et les *pratiques* qui sont issues des réformes. (Par exem­ple l'évolution de la Constitution sur la sainte Liturgie *Sacrosanctum concilium* à la Constitution apostolique *Mis­sale Romanum,* à diverses allocutions du Pape sur ce sujet, au texte latin de la Nouvelle Messe, aux textes divers de l'*Institutio generalis,* à la traduction en français du texte latin de la Nouvelle Messe, à la prolifération des prières eucharistiques, aux commentaires officiels français de la nature et de la liturgie de la Nouvelle Messe, à la pratique de la Nouvelle Messe, etc., etc.) 148:217 Restent enfin les *distinctions* à faire entre les *textes* conciliaires, l'*esprit* conciliaire, les *orientations* post-conci­liaires, l'*Église* conciliaire, etc. Tant d'étapes... Aurai-je le courage de m'y aventurer un jour, *à la recherche de ce mystère :* « *le Concile *»* ?* A la mi-août, le porte-parole du Vatican, Don Pier Fran­co Pastore, sous-directeur de la salle de presse du Saint-Siège, a annoncé au monde que Paul VI rompait le dia­logue avec Mgr Lefebvre parce que, notamment, celui-ci a poursuivi ses activités publiques « en opposition aux *principes* du *Concile *»*.* Il y a donc aussi des *principes* du Concile. Quels sont-ils ? Où sont-ils consignés ? Dans les *textes* du Concile ? ou ailleurs ? « Vous ne voulez pas comprendre, nous dira-t-on, que ce Concile est différent des autres parce que c'est un Concile *pastoral. *» Bon. Va pour un concile pastoral. Pour­quoi pas ? Mais alors qu'est-ce qu'un concile pastoral ? En quoi Vatican II est-il un concile pastoral ? « On vous l'a dit cent fois. » Certes, je le reconnais. Jean XXIII d'abord. Puis Paul VI. Et beaucoup d'autres. Les plus hautes auto­rités du Magistère nous ont dit et répété qu'il fallait rece­voir ce Concile comme un concile pastoral, comme le Concile pastoral par excellence. Je ne demande pas mieux pour ma part. Seulement, je suis bien obligé d'établir ici un nouveau *constat :* c'est que, depuis que nous baignons dans le pastoral nous baignons dans l'anarchie, au plan des idées comme au plan des faits ([^17]). 149:217 A cet égard, je dois signaler la pente glissante sur la­quelle Dom Nau s'est engagé, à la suite du P. Le Guillou. Pour faire comprendre le caractère pastoral de Vatican II, celui-ci écrit : « *Pour le monde moderne, le Concile sera sans doute le pendant de ce que, pour le monde antique, avait été l'assemblée de Jérusalem à l'aurore de l'expansion ecclésiale. Sous nos yeux, l'Église termine, en effet, sa première implantation dans l'ensemble du monde ; elle achève son premier tour de tous les problèmes humains. Et voilà que déjà l'Esprit la débarrasse de ce qui entrave sa marche pour que, légère et disponible, elle se porte à la rencontre de l'humanité en pleine transformation... *» Au point de vue psycho-sociologique on peut trouver une ressemblance, bien légère à la vérité, entre l'assemblée de Jérusalem (Actes, 15, 1-33) et Vatican II. Mais sur le fond la différence est totale. Outre que la question qu'il s'agissait de régler à Jérusalem était tout à fait précise -- les coutumes juives à imposer ou non aux païens baptisés -- le problème « théologique » dont cette question était l'enjeu n'était ni plus ni moins que le christianisme lui-même. L'*ancienne alliance* continuait-elle ou l'Église nais­sante était-elle celle de la *nouvelle et éternelle alliance ?* Le Concile de Jérusalem trancha. En réglant une question de rites, il proclamait la religion une, sainte, catholique et apostolique, instituée par Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, pour le salut de tous les hommes. Comparer Vatican II à Jérusalem I (s'il doit y avoir jamais un Jérusalem II), c'est engager les esprits à penser que nous vivons aujourd'hui une *mutation* de même nature que celle qu'a constituée la fondation du christianisme. Telle n'est certainement pas la pensée du P. Le Guillou, ni celle de Dom Nau. Mais l'imprudente (et inexacte) com­paraison qu'ils font ne peut que porter à insinuer et pro­pager cette pensée *qui est celle de beaucoup.* Avec Teilhard de Chardin, en effet, beaucoup professent que la Réforme actuelle « n'est plus une simple affaire d'institution et de mœurs, *mais de Foi... *» ([^18])*.* 150:217 L'*équivoque* entretenue par ceux qui invoquent à per­pétuité « *le Concile *» et son caractère « *pastoral *» vient de là. Jamais ils ne disent : « Le Concile Vatican II a créé, entre le *catholicisme traditionnel* et le *Nouveau Christia­nisme* une rupture historique de même nature que celle qu'a créée l'assemblée de Jérusalem (ou les apôtres, ou Jésus lui-même) entre l'*Ancienne Alliance* et la *Nouvelle et Éternelle Alliance *»*,* mais ils le laissent entendre. C'est par la révolution des rites que l'assemblée de Jérusalem a *proclamé* la nouvelle Foi. C'est par la révolution des rites que les interprètes de « l'esprit conciliaire » veulent *insi­nuer,* par la *praxis,* une Foi nouvelle qui serait, selon eux, celle du *Concile pastoral* Vatican II. Il faudrait donc suivre, étape par étape, le chemine­ment de cette subversion radicale -- *à la recherche du Concile,* tel qu'il est dans sa vérité et son authenticité. C'est un travail à décourager les plus courageux. Y fau­drait-il un Vatican III ? Je ne le pense pas pour ma part. Je pense, pour beaucoup de raisons, que c'est une ency­clique qu'il faudrait, une belle encyclique de lumière et de simplicité souveraine. Je me forge même pour mon plaisir les premiers mots qui en fourniraient le thème et le titre *Novum et aeternum Testamentum.* Louis Salleron. P.S. -- Cet article était terminé quand a paru le n° 1726 de *La Documentation catholique* (4-18 sept. 1977) où l'on eut lire la « Déclaration sur la promotion humaine et le salut chrétien » de la Commission théologique internatio­nale. Cette Déclaration est présentée en une quarantaine de lignes par K. Lehmann « président de la sous-commis­sion ». Celui-ci nous explique que la Commission « a centré son attention sur les questions fondamentales concernant le rapport entre le progrès humain et le salut chrétien. Elle réalisait ainsi le projet déjà lointain de poursuivre l'effort de recherche de *Gaudium et Spes *»*. --* Ainsi donc, de même que le cardinal Garrone disait spontanément que *Gaudium et Spes* est « un essai », K. Lehmann nous dit que c'est un « effort de recherche ». L'évidence impose les mots les plus simples et les plus vrais dès qu'on ne consi­dère pas comme un devoir sacré d'ériger « LE Concile » en un bloc monolithique. L. S. 151:217 ### Les martyrs de Lyon *semence féconde de l'Église de France* par Alexandre Troubnikoff *L'histoire des martyrs de Lyon, dont nous fêtons cette année le dix-huitième centenaire, nous est connue avec un certain luxe de détails par la lettre que saint Irénée adressa en 177 aux églises d'Asie et de Phrygie. Les auteurs chrétiens se contentent d'ordinaire de citer ce document, véritable perle de la littérature chrétienne au II^e^ siècle, dont il semble que nous ne possédions à ce jour aucune exégèse complète et approfondie.* *Celle que nous publions ici est le fruit des patientes recherches d'un éminent collaborateur d'ITINÉRAIRES, le Père Alexandre Troubnilcoff, qui se passionne depuis tou­jours pour l'histoire des saints de France communs à l'Orient et à l'Occident. Comme il n'a rien négligé, des ressources de la foi, de l'histoire et de l'archéologie, pour nous introduire aux beautés spirituelles du texte, c'est toute l'aurore du christianisme en Gaule qui se trouve embrassée dans la première partie de cette chronique.* (*Les fêtes de saints indiquées dans l'article renvoient au calendrier julien en usage dans l'Église orthodoxe.*) H. K. 152:217 Ce travail est dédié à NN. SS. Mgr Nathanael Lvov Mgr Jean Maximovitch Mgr Antony Bartachevitch successivement Ordinaires du diocèse d'Europe Occiden­tale de l'Église Orthodoxe Russe Hors Frontières, qui tous ont encouragé la recherche et la glorification des saints de France communs à l'Orient et l'Occident, ainsi qu'à M. Amable Audin, directeur des fouilles et conservateur du Musée Archéologique de Lyon inventeur de l'amphi­théâtre des trois Gaules, et à la mémoire de M. Pradel, qui, comme maire de Lyon, a grandement soutenu M. Audin dans ses travaux. A. T. Le Père Alexandre TROUBNIKOFF, archiprêtre de l'Église orthodoxe russe hors frontières, est supérieur de la paroisse de la Résurrection de Notre-Seigneur à Meudon, et directeur du « Centre orthodoxe d'information », 46, rue Abel Vacher, 92190 Meudon. Le Père TROUBNIKOFF est l'auteur de trois ouvrages : -- *Proche-Orient, berceau de l'orthodoxie*, -- en russe : un volume de 351 pages 19,5 14. Éditions de la Représentation des émigrés russes en Amérique, Madrid, 1964. -- *Commentaires sur la divine liturgie*, en français : un volume de 64 pages 24 15. Éditions du Centre orthodoxe d'information, Meudon, 1971. -- *Commentaires sur les sacrements*, en français : un volume de 64 pages 24 15. Éditions de l'Action orthodoxe, Genève, 1973. \[Voir aussi fichiers Table et Auteurs.doc\] « *Notre nombre s'accroît à mesure qu'on nous moissonne. *» Tertullien (*Apologétique*)*.* Le dimanche 18 mai 1975, les habitants des quartiers lyonnais de la Croix Rousse virent arriver des cars et des voitures aux immatriculations variées, ame­nant à l'amphithéâtre des trois Gaules récemment dégagé S. Exc. Mgr Antony, archevêque orthodoxe de Genève et d'Europe occidentale, 4 prêtres, 4 diacres, et près de 150 pèlerins venus de Belgique, de diverses régions de France et de Suisse. Tous se groupèrent autour d'un lutrin amené pour la circonstance et un office fut célébré à la mémoire des martyrs, durant lequel un chœur français et un chœur russe alternèrent leurs chants. 153:217 Pour la première fois depuis des siècles, les martyrs chrétiens qui ont souffert pour la foi à Lyon en 177 étaient ainsi honorés, sur le lieu même de leur victorieux combat. Les pèlerins avaient été instruits des actes des martyrs lyonnais, ainsi que des circonstances de la découverte de l'amphithéâtre par deux exposés, l'un de moi-même et l'autre de M. Amable Audin, directeur des fouilles archéo­logiques de Lyon et conservateur du musée archéologique, qui donna sans se lasser des explications sur les lieux et le déroulement de la persécution ([^19]). La place des martyrs dans l'Église est primordiale. Dès les premières années de son existence terrestre, l'Église notre Mère fut fière de ceux qui avaient subi le martyre ([^20]) à cause de leur fidélité à la foi. 154:217 Et l'office qui leur est consacré les désigne comme autant d' « étoiles éclatantes... éclairant l'univers d'une lumière divine... et nous libérant des investigations démoniaques ». La mort des justes étant précieuse aux yeux de Dieu (Ps. 115, 6), l'Église fait appel à leur intercession : « Ô glorieux martyrs, animés de pensées viriles, vous qui supportâtes les souffrances et passâtes à travers l'eau et le feu pour acquérir le royaume céleste, élevez pour nous des supplications. » (Matines de l'office aux martyrs.) Lors du sacrement du mariage, durant la procession autour du lutrin, il est fait appel à l'intercession des saints martyrs qui « ont combattu vaillamment ». L'office des funérailles proclame que « les généreux martyrs, dans les demeures célestes Te supplient sans cesse, ô Christ, d'accorder les biens éternels à ce fidèle que tu as enlevé de ce monde ». (1^er^ tropaire de la 1^e^ ode.) Le 1^er^ tropaire de la 3^e^ ode se réfère aussi aux martyrs : « Tes martyrs, ô Donateur de Vie, ont combattu ainsi qu'il convenait, et ornés de la couronne de la victoire, ils ac­cordent sans cesse la purification éternelle à celui qui est mort dans la foi. » Dans la 5^e^ ode, il est dit que « les martyrs sont une offrande sacrée et, comme les prémices de la nature humaine, offerte à Dieu glorifiée, ils nous accordent toujours leur intercession pour notre salut ». Nous trouvons encore les martyrs mentionnés dans la 8^e^ prière du soir : « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, par l'intercession des lumineux et glorieux martyrs... déli­vrez-moi... des tentations diaboliques. » 155:217 Durant les offices du Carême Pascal des Églises d'Orient, les martyrs sont maintes fois évoqués : « Respirant une seule espérance, contemplant une unique vision, ô martyrs souffrants, vous avez trouvé dans la mort le chemin de la vie... » Ainsi que l'explique l'archiprêtre A. Schmemann ([^21]), entre tous les saints, seuls les martyrs sont invoqués et chantés par des hymnes spéciales chaque jour du Carême. Car les martyrs sont précisément ceux qui ont préféré le Christ à toute chose de ce monde, y compris la vie même, et qui se réjouissent dans le Christ au point de dire, comme saint Ignace d'Antioche mourant : « Mainte­nant je commence à vivre. » Ils sont les témoins du Royau­me de Dieu, parce que seuls ceux qui l'ont vu et y ont goûté sont capables de ce renoncement suprême. Ces quelques références sont importantes, car « l'Or­thodoxie a fait peu de déclarations explicites au sujet de l'Eucharistie et des autres sacrements, au sujet de l'autre monde, de la Mère de Dieu, des Saints et des fidèles dé­funts ; la croyance sur ces points est presque entièrement contenue dans les prières et les hymnes des offices qui tous expriment (...) les vérités de la foi » ([^22]). Nous avons donc au ciel des défenseurs et des avocats puissants, plaidant la cause des vivants, pauvres pécheurs. La place des persécutions dans l'économie divine a été décrite par saint Cyprien, mort lui-même martyr en 258 dans sa ville de Carthage. Dans sa lettre à l'évêque de Rome Lucius, saint Cyprien écrit ([^23]) : 156:217 « Pourquoi soudain, chez vous, s'est élevée la persé­cution, pourquoi la puissance séculaire s'est tout à coup déchaînée contre l'Église du Christ, contre l'évêque Cor­neille, le bienheureux martyr, et contre vous tous ? C'était afin que le Seigneur, pour confondre les hérétiques et les rabattre, fît voir quelle était son Église, quel était son évêque, unique et choisi par une disposition divine, quels étaient les prêtres revêtus de la dignité sacerdotale, unis à l'évêque, quel était le vrai corps du peuple fidèle du Christ, uni par le lien de la charité divine, quels étaient ceux que l'ennemi tourmentait, et au contraire ceux qu'il épargnait, comme lui appartenant. L'adversaire du Christ ne poursuit et n'attaque que le camp du Christ et ses soldats. Les hérétiques sont à terre et à lui : il passe et les dédaigne. Il cherche à faire tomber ceux qu'il voit debout. » Pour le saint évêque, le sacrifice de la vie en témoignage de foi a la valeur d'une célébration des divins mystères. En effet, dans sa longue lettre LXXVI à « ...ses collègues, dans le sacerdoce, et aux diacres et aux frères qui sont dans la mine », il écrit : « Ne croyez point non plus, frères très chers, souffrir dans votre foi ou dans votre piété, parce que les prêtres de Dieu n'ont pas la possibilité d'y célébrer et d'y offrir les divins mystères. Vous célébrez et vous offrez à Dieu un sacrifice à la fois précieux et glo­rieux... » Lorsque les « torturés » sont restés debout plus forts que ceux qui les torturaient, « les ongles de fer ont eu beau frapper et déchirer : les membres frappés et dé­chirés les ont vaincus ». (Lettre X, 2/2.) La force de ces sacrifiés est telle que « l'ennemi qui s'était élancé contre le camp du Christ pour s'en emparer, n'ayant devant lui que des jeunes recrues sans expérience, fut repoussé aussi vigoureusement qu'il avait attaqué ». (Lettre LX, 2/2.) La jeune Église a vaincu l'orgueilleuse Rome, ainsi que les forces du mal qui s'efforçaient de l'écraser en utilisant la puissance de l'État païen. Les martyrs sans armes ont vaincu le monde. Devant cette victoire, saint Cyprien s'est écrié : « Combien est agréable aux yeux de Dieu la fidélité au serment et le dévouement de ses sol­dats ! » (Lettre X, 2/3.) « Heureuse notre Église qu'illu­mine ainsi l'éclat de la divine bonté que décore le sang glorieux des martyrs immolés... » (Lettre X, 5/2.) 157:217 Ces réflexions du saint évêque gardent toute leur va­leur. Elles s'appliquent aussi bien à l'évêque de Lyon saint Pothin, mort le 2 juin 177 dans la prison lyonnaise du fait des sévices subis, et aux martyrs lyonnais succom­bés dans l'arène, qu'à tous les martyrs à travers tous les siècles. Et comment ne pas songer à nos martyrs d'aujour­d'hui qui, dans les pays communistes, triomphent des puis­sances de l'État et affirment l'Église dans leur sang. \*\*\* #### L'Empire Romain aux I^er^ et II^e^ siècles Les persécutions religieuses étant chose courante de nos jours, pour mieux comprendre celles qui eurent lieu sous l'Empire Romain, il importe de connaître ce qu'elles étaient et le cadre dans lequel elles se déroulaient. Il faut d'abord constater qu'une très profonde évo­lution de la situation religieuse des Romains ([^24]) s'était déjà manifestée durant les dernières années de la Répu­blique. Cette évolution s'exprimait par une nette décadence de la religion traditionnelle. C'est ainsi que la fonction de flamine de Jupiter resta vacante durant 75 ans, personne ne voulant accepter cette charge particulièrement hono­rifique, mais qui entraînait de très nombreuses prohibitions rituelles. Au culte romain primitif, agraire et familial, étaient venues s'ajouter les divinités protectrices des cités. Au fur et à mesure de ses conquêtes, Rome, se gardant bien d'abolir aucun « dieu » ni aucune « divinité », ajouta les religions des peuples conquis au Panthéon de ses anciens dieux. 158:217 Des philosophes comme Cicéron ou Poseidonios parlent d'un salut après la mort. La suppression des fron­tières, alors que l'Empire s'étendait de l'océan à l'Euphrate et comptait des millions de sujets, multiplia les occasions de contacts, la libre circulation des idées. Aux éléments religieux d'origine étrusque et grecque vinrent s'ajouter des croyances mystiques orientales, dans une sorte de mélange et d'interpénétration des croyances. Cela d'autant plus qu'une tendance au mysticisme se faisait jour dans la population, principalement chez le petit peuple de Rome. Tout en manifestant un « œcuménisme » d'après lequel toute croyance contient sa part de vérité, l'Empereur Au­guste qui cherchait à consolider la famille et à moraliser le peuple, et aussi à donner une unité religieuse à l'im­mense Empire, introduisit un culte inspiré d'Orient, celui de la personne impériale. Ce culte, officiel et formaliste, fut déclaré obligatoire pour tous. « L'observance de ce culte est comprise dans les devoirs du bon citoyen (...) Y manquer serait une faute contre l'État. » Et les Romains, quoique croyant peu à l'existence réelle des dieux, au nom de la bienséance et de la tradition, observeront rigoureusement les rites du culte officiel. Des jeux sanglants hérités des ancêtres étrusques, et désignés sous le nom de munus avaient la sinistre fonction de fléchir, par des morts d'hommes, le courroux des immor­tels. « Le sang répandu sur la terre calmait le dieu... au fond du ciel. » Ainsi, à la naissance de l'ère chrétienne, la situation religieuse de l'Empire Romain se caractérise par un syn­crétisme, un mélange de religions et de croyances païennes. Face à ces religions d'origine et de contenu variés, mais toutes tolérantes les unes envers les autres, où l'observance même hypocrite du culte officiel est un « devoir de bon citoyen », se dresse un monothéisme rigoureux et intran­sigeant. Ce monothéisme était, au premier siècle, princi­palement représenté par le judaïsme. Mais après la prise de Jérusalem par les Romains, et surtout après le désastre et la dispersion qui découla de la révolte juive d'Eléazar et de Simon, dit Bar Cocheba, en 132, le judaïsme perdit sa force de prosélytisme. 159:217 Les chrétiens, dès le milieu du premier siècle, pénètrent dans le monde romain. Abominant toute religion autre que celle du Christ, s'interdisant de participer aux sacri­fices et aux autres formes de cultes païens, dont le culte impérial, ils sont dès le début considérés comme de mau­vais citoyens, des citoyens au loyalisme douteux, et comme une menace pour l'ordre social. D'abord confondus avec les Juifs, les chrétiens très tôt s'en distinguent aux yeux de tous. Le christianisme naissant se développe rapidement. En moins d'un siècle, grâce à son organisation interne, à ses dogmes bien définis et à sa morale claire, il compte des adeptes dans toutes les classes sociales et même à la cour de l'Empereur. La monarchie impériale, constituée par la reconnais­sance du titre d'Imperator à vie à Jules César en 46 avant notre ère, avait succédé à cinq siècles de République. D'après Mommsen ([^25]) cette monarchie n'était pas un des­potisme oriental de droit divin, mais une monarchie telle que Caius Gracchus désirait la former, telle que Périclès et Cromwell la fondèrent : la représentation de la nation par l'homme en qui elle met sa confiance suprême et illimitée. Or, la nation était représentée par le Sénat, source légitime de l'autorité impériale ([^26]). C'est le Sénat qui conférait à l'Empereur l'inviolabilité, le droit de veto, la plénitude de la puissance militaire et judiciaire ; c'est lui qui le nommait Grand Pontife. Ainsi le Souverain Pontife possédait-il une série de pouvoirs administratifs. Dans le domaine religieux, il avait le droit d'édit, le droit de consultation, le pouvoir de réglementer l'interprétation du droit religieux ([^27]). 160:217 En fait, comme il n'y avait aucune règle jouant auto­matiquement, sans compétition ni vote, pour désigner l'homme en qui la nation devait mettre sa confiance su­prême et illimitée, les successions étaient exposées à beau­coup de hasards. Il s'en suivit qu'au cours des deux pre­miers siècles, la succession fut assurée soit par le prince régnant qui s'arrangeait pour laisser le trône à son fils naturel ou adoptif, soit par l'armée qui poussait sur le trône vaquant un de ses chefs, jouissant de sa faveur. A certains égards, le Souverain Pontife sur lequel l'Em­pire mettait sa confiance suprême et illimitée régnait sur une nation qui se désagrégeait, un Empire à l'intérieur duquel « la morale, la religion et la littérature tombaient en ruines sans violences extérieures, mais sous l'effort de sa décadence intérieure (...) Il restait de nobles vestiges (...), une ample moisson de grandeur et de gloire, mais peu de vigueur (...) C'était un monde vieux (...), et César ne pouvait le rajeunir ». (Mommsen.) Un examen de la situation de la famille romaine à l'apogée de l'Empire aide à comprendre cette ruine et cette décadence ([^28]). Dès la fin de la République, les principes sur lesquels reposait la famille patriarcale de la vieille Rome se désa­grègent, tombent en désuétude, ne sont plus que « des réminiscences, pour ainsi dire, archéologiques » ([^29]). En effet, au cours des deux premiers siècles de l'ère chrétienne, on assiste à la proclamation de l'égalité des droits de la femme et de ceux du mari, à la reconnaissance des droits des enfants nés hors mariage, à l'émancipation de l'enfant. L'autorité paternelle disparaît : 161:217 « Renonçant à diriger leurs enfants, ils \[les Romains\] se laissèrent gou­verner par eux, et se flattèrent de remplir leur devoir en se saignant aux quatre veines pour subvenir aux fantaisies de leur progéniture. Ils ne réussirent qu'à susciter après eux des oisifs et des gaspilleurs... » ([^30]) Les nouvelles conceptions du mariage romain propagent féminisme et démoralisation. Les Romaines éludent les de­voirs de la maternité, prétendent « vivre leur vie », au prix de trahisons ou d'abandons, cherchent à ressembler aux hommes dans tous les domaines. « Il en est, parmi elles, qui se plongent avec volupté dans les dossiers des procès, ou qui se passionnent de politique... Il y en a qui préfèrent aux combinaisons des diplomates et aux exercices de la stratégie, la conquête de la renommée littéraire. » Juvénal décrit celles « qui se mêlent aux parties de chasse des hommes... épieu en main et sein découvert, transpercent les sangliers... celles qui assistent en habits masculins aux courses des chars... celles qui se passionnent pour l'escrime et pour la lutte... ». Le fémi­nisme triomphant de l'époque impériale fit que, « en co­piant les hommes de trop près, la Romaine finit par en contracter les vices plus vite que la nature ne lui concédait d'en empaumer la forcé » (Juvénat). Mari et épouse peu­vent se répudier l'un l'autre. Les divorces deviennent à Rome chose courante ([^31]). Quant aux enfants, l'habitude est prise de les confier à un pédagogue, pour les familles riches, ou de les envoyer dans une des nombreuses écoles privées. Or la profession de pédagogue et maître d'école était notoirement décriée et, semble-t-il, non sans raisons. La jeunesse était gâtée et l'on était loin « des siècles austères de la République, lorsque Caton l'Ancien revendiquait pour lui seul la for­mation de son fils ». 162:217 Un autre élément contribue à caractériser la société et la décadence romaine, les Jeux. Les mœurs ont amené le peuple romain à se préoccuper surtout de deux choses : son ravitaillement et ses spectacles, ce qui peut s'exprimer par le vers de Juvénal : *panem et circenses.* J. Carcopino, interrogeant les calendriers, constate : « il n'y a guère d'année romaine, qui, pour un jour ouvrable, n'ait com­porté un ou deux jours fériés » ([^32]). « L'assistance aux jeux était liée à une étiquette stricte. On y exprimait sa fidélité à la dynastie ainsi qu'au groupe professionnel dont on faisait partie sous le patronage de tel dieu ou telle déesse. » ([^33]) Ce trait est important car il explique, dans une certaine mesure, l'animosité portée contre les chrétiens et l'accusation d'impiété dont ils furent souvent l'objet. En effet, n'est-ce pas manifester son opposition à l'Empereur que de refuser par principe d'assister aux jeux qu'il organise ? N'est-ce pas montrer son impiété que de refuser de se lever pour acclamer la procession inaugurale des statues des divinités ? Les tueries qui se déroulaient dans les amphithéâtres étaient des « fêtes célébrées joyeusement par la cité tout entière..., visions de cauchemar... dont pour rien au monde le peuple ne voulait se priver » ([^34]). Certes Hadrien, Titus, Trajan, et Marc-Aurèle, ce dernier surtout, ont cherché à humaniser ces jeux d'amphithéâtre. « Mais dans cette lutte engagée contre des spectacles où l'homme, suivant le mot de Sénèque, se repaissait du sang de l'homme, la philosophie eut le dessous. » ([^35]) Présentant son chapitre sur les jeux, J. Carcopino écrivait : « Pour l'honneur des Romains, nous voudrions arracher, du livre de leur his­toire, ce feuillet où se brouille, taché d'un sang indélébile, l'image de la civilisation dont ils ont créé les vocables significatifs et propagé la vivante réalité. » ([^36]) 163:217 Cette décadence romaine n'était pas un fait original et local. On sait la grande influence que le monde hellénistique et l'esprit grec avaient sur le monde antique et sur la vie culturelle romaine. Or, à l'époque hellénistique, de grandes transformations dans les mœurs se manifestèrent malgré la réaction des philosophes, surtout des stoïciens ([^37]). La famille comme institution ferme, le mariage orienté vers la procréation et l'éducation, l'autorité du père, ont fait place au relâchement. « Il semble très normal aux hommes de chercher diverses satisfactions auprès d'autres femmes ; la prostitution s'étale au grand jour... Le monde grec manifeste une large tolérance vis-à-vis de la pédérastie... L'autorité paternelle est plus facilement méconnue, l'infi­délité conjugale et les unions libres plus aisément admises. » Dans le domaine religieux, les croyances anciennes ont encore beaucoup de force et d'influence, et les dieux de la cité, les ancêtres et les vivants forment une vaste réalité, mais là aussi un relâchement se manifeste. Et le relâ­chement des cultes traditionnels va de pair avec un regain des pratiques superstitieuses. En même temps des cultes orientaux se développent : orphisme, mystères d'Éleusis, culte d'Isis et Osiris ainsi que celui d'Adonis, celui de Cybèle et Athis, enfin celui de Mithra contre lequel l'Église aura à lutter jusqu'au IV^e^ siècle. \*\*\* #### La pénétration du Christianisme dans l'Empire Romain ([^38]) Au II^e^ siècle, Tertullien a pu écrire : « Nous ne som­mes que d'hier et nous remplissons tout. » Et deux siècles plus tard, le bienheureux Augustin constatait : « Si l'on croit qu'il n'y a pas eu de miracles ce seul grand miracle me suffit, que le monde se soit converti sans miracles. » (*Cité de Dieu, *XXII, 5.) 164:217 Certes le monde antique était travaillé comme nous l'avons vu par une évolution religieuse et morale, certes la suppression des frontières permettait la libre circulation des hommes et des idées à travers l'immense Empire, mais comment ne pas être frappé par cette diffusion du chris­tianisme en regard des faibles moyens employés pour le diffuser ? Les Actes des Apôtres et les Épîtres sont les premiers documents qui nous montrent comment, partie de Jéru­salem, la nouvelle foi gagna Rome. Contrairement à une opinion répandue, ce ne sont pas seulement les esclaves ou le bas peuple qui y adhèrent mais aussi des personnes et des familles de haut rang. A Chypre, le proconsul Serge Paul, « homme sage et prudent », embrassa la foi, et il admirait la doctrine du Seigneur. (*Actes *XIII, 4-12.) A Antioche : « Les gentils... embrassèrent la foi. Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans tout le pays. » (*Actes *XIII, 48-49.) A Thessalonique : « Quelques-uns d'entre eux \[des Juifs\] crurent et se joignirent à Paul et à Sillas, comme aussi une grande multitude de Grecs craignant Dieu, et plusieurs femmes de qualité. » (*Actes *XVII, 1-4.) A Bérée, des Juifs, « et beaucoup de femmes grecques de qualité et un assez grand nombre d'hommes, crurent en Jésus-Christ ». (*Actes *XVII, 11-12.) Enfin à Athènes, après la prédication de Paul : « Au milieu de l'aréopage... quelques-uns... se joignirent à lui, et embrassèrent la foi, entre lesquels fut Denis, Sénateur de l'Aréopage, une femme nommée Damaris et d'autres avec eux. » (*Actes *XVII, 22-34.) 165:217 D'Athènes, le christianisme s'implante à Corinthe où Crispe, chef d'une synagogue, crut aussi le Seigneur avec toute sa famille ; et plusieurs autres Corinthiens, ayant entendu Paul, crurent et furent baptisés (*Actes *XVII, 8) ainsi qu'un Juif nommé Apollon, originaire d'Alexandrie, homme éloquent et fort habile dans les écritures. (*Actes *XVIII, 24.) Et nous arrivons à Rome où « Paul demeura deux ans entiers dans un logis qu'il avait loué, où il recevait tous ceux qui venaient le voir, prêchant le royaume de Dieu... avec toute liberté, sans que personne l'en empêchât ». (*Actes *XXVIII, 30-31.) La foi y était déjà, puisque dans l'épître de saint Paul aux Romains, vers l'an 59, il rendait grâces à Dieu pour eux tous « de ce qu'on parle de notre foi dans le monde » (*Rom.* I, 8) et les assurait qu'il avait « grand désir » de les voir (*Rom.* I, II). Le texte le plus ancien attestant la présence de chrétiens à Rome est de Suétone : Claude (l'Empereur) « chassa de Rome des Juifs qui excitaient des troubles à l'instigation d'un certain Chrestos ». Ce qui est d'ailleurs confirmé par les Actes des Apôtres... « Ayant trouvé un Juif nommé Aquilas... qui était nou­vellement venu d'Italie avec Priscille sa femme, parce que l'Empereur Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome... » (*Actes *XVII, 2.) Toujours de Claude, qui régna de 41 à 54, nous avons une lettre adressée aux Juifs d'Alexandrie leur annonçant son intention de réprimer sévèrement la propagande « sub­versive » des chrétiens. A la fin du I^er^ siècle, la Chrétienté romaine est déjà bien ancrée ; elle a de nombreuses, hautes et puissantes relations. Saint Ignace, second évêque d'Antioche appelé aussi « Théophore », martyrisé à Rome sous Trajan vers 107, y est conduit « enchaîné à dix léopards » (les soldats qui le gardent). Au cours de son voyage, il écrit aux Romains qu'il s'y rend pour être livré aux bêtes et leur demande de s'abstenir de toute intervention en sa faveur. « Car il vous est facile à vous, de faire ce que vous voulez... Je ne vous demande qu'une chose : c'est de laisser offrir à Dieu la libation de mon sang... » ([^39]) 166:217 C'est qu'en effet, nous savons que les Chrétiens se trouvent jusque dans la maison de César (*Philip.,* IV, 22). Aristobule, petit-fils d'Hérode et de Narcisse ([^40]), un affranchi impérial (sous Claude), comptèrent eux aussi des chrétiens dans leur entourage, ainsi que l'affirme saint Paul : « Saluez ceux qui sont de la famille d'Aristobule... Saluez ceux de la maison de Narcisse qui sont nos frères dans le Seigneur » (*Rom*., XVI, 11). Sous Domitien (81-96), un cousin de l'Empereur, le consul Flavius Clément, est chrétien ainsi que ses enfants. Est chrétienne aussi la famille illustre et sénatoriale des Acidii Glabriones. Un autre sénateur chrétien, Acilius Glabriou, est mis à mort sous Domitien. Des hommes « éloquents et fort habiles dans les écri­tures », comme Apollon ou saint Denis, ont, dès la fin du I^er^ siècle, pris le stylet pour rédiger soit des traités commentant la foi « orthodoxe » c'est-à-dire la vraie foi face au judaïsme, soit des apologies défendant les chrétiens et leur foi contre les accusations des autorités et les philosophes. Les noms de tous ces auteurs ne nous sont pas parvenus, mais leurs écrits ont été cités comme référence par d'autres parfaitement connus et que l'Église considère comme saints et docteurs. 167:217 Parmi les premiers écrits ([^41]) nous trouvons *Les Odes de Salomon* rédigées à la fin du I^er^ siècle. L'auteur inconnu y présente la Nativité de Notre-Seigneur, une description de la descente aux enfers du Christ ressuscité ([^42]), des allusions au baptême chrétien et des indications sur l'as­cétisme. Le Didaché ou doctrine des 12 apôtres a été écrit à la fin du I^er^ siècle, entre 70 et 90. Selon certains sa rédaction doit être reportée à la première moitié du II^e^ siècle. L'ou­vrage comporte : Un enseignement moral (l'amour de Dieu ; la fuite des vices, la charité envers les proches, la participation active à la vie de la communauté, le travail, etc.) et une instruction liturgique (prières eucharistiques, rite du baptême, jeûne du mercredi et du vendredi et des ordonnances disciplinaires). Encore d'un auteur inconnu : *La lettre à Barnabé,* rédi­gée vers 120-130. Cette lettre combat les Juifs qui s'atta­chent à l'observance des rites, alors que le véritable temple est dans l'âme du baptisé. On y trouve aussi une descrip­tion du baptême chrétien et une allusion (une des plus anciennes) à la célébration du dimanche, jour de la résur­rection qui remplace le sabbat des Juifs. De la même époque (140-155) nous avons ([^43]) *Le Pasteur* rédigé par saint Hermas, frère du pape Pie I^er^ (140-155). L'ouvrage d'Hermas a joui d'une très grande autorité, au point qu'il fut parfois rangé au nombre des livres de l'Écriture. Il traite de la moralité et de la péni­tence. Il comporte d'abord une vision : la construction d'une tour par des anges. La tour symbolise l'Église et les baptisés. Au cours de la construction apparaît un monstre qui menace de détruire la tour et un jeune homme qui enseigne par des préceptes. Ceux-ci, au nombre de douze, forment un code moral, recommandant au pécheur les vertus et les bonnes œuvres qu'il faut pratiquer pour que la pénitence soit efficace. 168:217 *Le Pasteur* d'Hermas s'impose aussi par ses *Simili­tudes :* La vraie cité, la vraie patrie de l'homme est le ciel. De nombreuses allégories et des symboles variés le dé­montrent. Un maître d'œuvre vient éprouver les pierres « et en rejette quelques-unes pour être retaillées ». Très importante est l'*Épître aux Corinthiens* de saint Clément de Rome. Saint Clément fut le 3^e^ évêque de Rome de 89 à 97, ou selon d'autres, de 92 à 101. Il mourut martyr à Chersonèse (en Crimée) où il avait été déporté. Sa fête est le 8 décembre. Quoique beaucoup d'écrits lui soient attribués, *L'Épître aux Corinthiens* est le seul au­thentique. Composée dans les dernières années du I^er^ siècle, elle avait pour but de rétablir la paix et la concorde dans l'Église de Corinthe où les fidèles s'étaient soulevés contre leur hiérarchie religieuse et l'avaient destituée. Après un prologue exposant les vertus chrétiennes et insistant sur l'obligation de les pratiquer, saint Clément développe ce qu'est l'Église, explique le rôle et la place de l'évêque, souligne le danger de créer des schismes et dicte la ligne de conduite à suivre : faire pénitence. Toujours de la même époque, nous avons 7 lettres de saint Ignace d'Antioche, dit Ignace le Théophore (fête le 2 janvier et translation de ses reliques à Rome le 11 fé­vrier). Ces lettres écrites durant son voyage d'Antioche à Rome où il était destiné aux bêtes sont adressées aux Éphésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Romains, aux Philadelphiens, aux Smyrniotes et à saint Polycarpe de Smyrne. A saint Polycarpe, saint Ignace donne des conseils d'ordre pastoral. Quant aux lettres aux diverses Églises, elles contiennent de nombreux enseignements doctrinaux sur la hiérarchie (surtout concernant l'évêque), les hérésies et les hérétiques, la vie spirituelle et l'union au Christ par l'Eucharistie. 169:217 Enfin, au milieu du II^e^ siècle, nous avons une épître aux Philippiens de saint Polycarpe de Smyrne martyrisé vers 155-156 (fête le 5 mars). D'après le témoignage de saint Irénée, qui fut son disciple, saint Polycarpe a connu saint Jean, qui l'a sacré évêque de Smyrne. En cette qua­lité, saint Polycarpe fit un voyage à Rome pour discuter avec le pape Anicet de la date de Pâques, objet de désaccord entre l'Orient et l'Occident. Quant à l'épître, elle traite des vertus chrétiennes. La littérature chrétienne des deux premiers siècles comporte encore de nombreux autres textes : les Actes des martyrs, de Polycarpe de Smyrne, de Ptolémée et Lucius, de saint Justin et ses compagnons, de Carpus, Papylus et Agathonice (fête le 26 octobre), et surtout des martyrs de Lyon ; des poésies, telles que l'on en trouve en particulier dans les épitaphes, et la célèbre prière du soir, invariablement chantée encore de nos jours dans les églises orthodoxes : « lumière radieuse de la gloire... » S'y ajoutent une littérature populaire et des romans religieux. Cette litté­rature est appelée « apocryphe » parce que l'Église ne lui reconnaît pas de valeur théologique ou sacramentelle. Ce sont des œuvres d'imagination, pleines de merveilleux, souvent abusivement attribuées à un apôtre ou à quelque illustre personnage. Tels quels, ces textes nous fournissent des renseignements précieux sur les courants de pensée, les coutumes et les tendances de l'époque. Ces œuvres eu­rent une très grande influence sur l'art religieux byzantin et médiéval, et les artistes y cherchèrent des sujets pour leurs compositions artistiques. C'est de cette littérature qu'est venu l'usage en Occident de la crèche avec l'âne et le bœuf, les noms des Mages désignés en Occident comme « rois »*,* etc. Citons parmi les apocryphes : L'Évangile de Pierre, le proto-évangile de Jacques, les Actes de Pierre, le Martyr de saint Pierre... Enfin, dès le II^e^ siècle, apparurent les Apologistes. Ces derniers étaient des écrivains et philosophes chrétiens qui cherchèrent à défendre leurs coreligionnaires devant les autorités et les philosophes païens en démontrant la valeur de la foi chrétienne. Pour ce faire, les uns réfutaient les accusations d'immoralité et d'infamie -- ce sont les apo­logistes proprement dits --, les autres s'engageaient dans la controverse en attaquant le paganisme ou encore, en établissant que le Christianisme est, non seulement pur de tout crime, mais aussi conforme à la raison. 170:217 C'est ainsi qu'un Athénien, Quadratus, adressait à l'Em­pereur Adrien (117-138) un discours dans lequel il pré­senta une apologie de la foi chrétienne. L'historien Eusèbe nous en a conservé quelques pages. Un autre philosophe athénien, Aristide (117-161) ([^44]), converti au Christ, a écrit pour l'Empereur Adrien une apologie du Christianis­me, montrant que les chrétiens ne sont pas des criminels à persécuter, mais des hommes droits, priant pour leurs ennemis et faisant le bien. Citons encore Ariston de Pella, qui rédigea vers 140 une apologie contre les Juifs. Cette apologie nous est connue grâce à des auteurs plus tardifs, comme Évargue (V^e^ siècle). Les écrits de tous ces auteurs sont dirigés contre le paganisme ou les Juifs. Or, dès le II^e^ siècle, apparurent des sectes et des hérésies appelées gnostiques. C'est pourquoi les apologistes de la seconde moitié du II^e^ et du III^e^ siècle se sont attaqués à la gnose ou fausse science, contre quoi déjà saint Paul mettait en garde son disciple Timothée (I. *Tim*. VI, 20). Citons saint Théophile, évêque d'Antioche, mort vers 181, qui a développé le sens de la Trinité et commenté les Écritures, saint Justin, mort vers 165, dont deux ouvrages nous sont parvenus. Dans l'un, il étudie le mystère du Christ et dans l'autre, développe une apologie du christia­nisme. Cette œuvre avait été présentée à l'Empereur Anto­nin le Pieux. De la fin du II^e^ siècle nous avons une suppli­que ([^45]) au sujet des chrétiens présentée à l'Empereur Marc Aurèle et un ouvrage sur la résurrection des morts : le meilleur traité sur ce sujet, paru dans l'ancienne Église. 171:217 Mais la première place revient à saint Irénée de Lyon ([^46]) qui a exercé une très grande influence aussi bien de son vivant que dans les siècles suivants. Son *Exposé et réfu­tation de la fausse gnose* (en 5 livres) tua l'hérésie. Dans sa *Prédication apostolique,* il expose encore le mystère de la Trinité et du Christ. On ne peut que s'émerveiller de la floraison de cette littérature chrétienne, surtout si l'on considère l'ambiance environnante dans laquelle se manifester chrétien signifiait, tôt ou tard, le martyre. Il est vrai que plus on persécute l'Église plus s'affer­missent les courages. L'histoire de l'Église contemporaine le prouve aussi. Cette pénétration de la foi chrétienne dans les milieux romains et ce développement de l'Église sont d'autant plus merveilleux que, dès la Pentecôte, c'est-à-dire dès la fon­dation de l'Église, trois obstacles majeurs se sont dressés pour s'opposer à la pénétration et au développement de la nouvelle foi. Le flot des religions orientales avait pénétré dans Rome. L'esprit « œcuménique » né de l'indifférence vis-à-vis de la religion traditionnelle des Romains et de la curiosité vis-à-vis des religions nouvelles aurait dû, semble-t-il, pousser l'Empire à considérer les disciples du Christ d'une manière aussi tolérante que les disciples de n'importe quel dieu du Panthéon, importé à la suite d'une conquête. Mais ce serait oublier l'institution du culte impérial. Nous avons vu que le fait de rendre hommage à la statue de l'Empe­reur exprimait la fidélité à l'Empire et à son chef. Or le Christianisme n'a rien de commun avec le paganisme. Il n'admet aucun partage avec aucune autre foi, aucun autre culte, fût-ce celui de l'Empereur. 172:217 Abominant toute religion autre que la sienne, le chrétien s'interdit de participer aux sacrifices, y compris ceux ren­dus au culte impérial, et apparaît comme un citoyen au loyalisme douteux, menaçant pour l'ordre social. Or, à une époque où la succession au trône impérial était souvent assurée par des mouvements populaires, des fractions de la cour impériale et de l'armée, un loyalisme douteux se rapprochait du crime de lèse-majesté. De plus, en mépri­sant les dieux on se classait dans le rang des athées. « Jure par la fortune de César, crie : à bas les athées ! Jure et je te mets en liberté... », disait le proconsul de Smyrne au nom prédestiné d'Hérode à Polycarpe, évêque de Smyrne, mort martyr en 156. Enfin, une barricade d'austérité s'élevait entre les chré­tiens et la masse des Romains, car les chrétiens n'admet­taient aucune transaction avec l'immoralité des mœurs. Aussi les fonctionnaires chargés de la police et du maintien de l'ordre social ne pouvaient-ils que se méfier des tenants de la nouvelle religion. Cela d'autant plus que la police, gardienne de l'ordre, a à connaître des discussions qui ont lieu dans les synagogues et apprend que des réunions nocturnes, suivies d'agapes, s'y tiennent. On entend dire que, dans leurs réunions, les chrétiens utilisent des expressions comme celle-ci : « Prenez, mangez, ceci est mon corps... ceci est mon sang. » Et de là, on en vient aux accusations de cannibalisme ! La police sait que les chré­tiens se traitent de frères et sœurs, et, dans une société profondément travaillée par le vice et divers cultes orien­taux luxurieux, on reporte sur les chrétiens les luxures et les débordements que l'on pratique. Tous ces « on dit » se répandent largement, ce qui pousse Tacite à estimer que les chrétiens forment une « secte abjecte ». Pour Pline c'est une « superstition abjecte, contagieuse ». L'opposition au christianisme et la méfiance vis-à-vis des chrétiens furent partagées par les quatre Antonins (Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux et Marc Aurèle), « tous souverains d'une intelligence hors ligne et d'une égale ap­titude aux affaires... gouvernant avec une modération, jusque là sans exemples dans le monde civilisé... » (Allard). 173:217 Sous leur règne, l'Empire a connu ([^47]) près d'un siècle d'une prospérité telle que le monde depuis cette heureuse époque n'en a jamais retrouvé le secret. Et pour ces Empereurs, les chrétiens sont des « pauvres illuminés ». ([^48]) Ils ne peuvent rester entièrement insensibles aux apologies et thèses que leur présentent, dès le début du II^e^ siècle, non plus des pauvres pêcheurs ou des publicains, orientaux originaires de la Palestine dernièrement con­quise, mais des philosophes et écrivains de renom. Marc Aurèle, d'une culture étendue, aussi bien philosophique que juridique, qui a exprimé avec une grande hauteur de pensée et une sincérité émouvante ses sentiments, mépri­sait les chrétiens : pour lui, la philosophie doit se fonder sur l'intelligence des choses, être raisonnable, grave, digne... Et, chose extraordinaire, l'admirable empereur, le premier de tous les Césars, a persécuté jusqu'à la mort des chré­tiens gaulois (C. Jullian). Ces sages empereurs se borneront à imposer des formes plus précises dans les procédures criminelles engagées contre les chrétiens, mais qui ne seront pas toujours strictement suivies, surtout dans les provinces éloignées du centre. Les intrigues des judaïsants ont été pour beaucoup dans l'opprobre dont furent victimes les chrétiens. Les. *Actes des Apôtres* montrent les Juifs semant adroitement le mensonge et la calomnie. Et l'*Épître aux Galates* cons­titue une vigoureuse réaction chrétienne. Nombreux et influents à Rome, les Juifs concouraient à confirmer les calomnies. L'Empereur Claude, répondant à une plainte des Juifs d'Alexandrie, promet de mettre de l'ordre dans le milieu monothéiste. Il faut réaliser qu'en face du monde païen, les Juifs, monothéistes, voyaient dans les chrétiens mono­théistes comme eux, mais aussi adeptes du Christ, ceux qui apportent le trouble dans la bergerie. Jouissant d'un statut spécial, les fidèles d'Israël eurent grand soin de se différencier des chrétiens, contre lesquels ils témoignèrent souvent au cours des procès. 174:217 C'est ainsi qu'on peut lire dans la lettre ([^49]) de « l'Église de Dieu, établie à Smyrne, à l'Église de Dieu établie à Philomélion ([^50]) et à toutes celles qui, établies en tout lieu, font partie de l'Église Sainte et Catholique » : « Après qu'un héraut ait proclamé à trois reprises que Polycarpe (évêque nonagénaire de Smyrne) s'est avoué chrétien, la foule des païens et les Juifs résidant à Smyrne ne put contenir sa colère... *Au feu donc*, cria-t-on de toutes parts. » On lit plus loin que le saint évêque ayant été tué par le glaive, car le feu l'épargnait, les chrétiens s'apprêtaient à emporter le corps du martyr, mais Nicétas, père d'Hérode, « sur l'instigation des Juifs qui montaient la garde auprès du bûcher », intervint pour qu'on ne donnât pas le corps. Et « le centurion, voyant l'animosité des Juifs, fit placer le corps au milieu du feu et le fit brûler... ». Cette animosité ne cessa pas avec la paix de Constantin le Grand. En « Arabie Heureuse », le roi Al-Hadhâd se convertit au christianisme à la suite d'une mission envoyée par Constance II, fils de Constantin le Grand. L'Église s'y développa rapidement. Mais, vers la fin du V^e^ siècle, le roi Assad Abou-Karel se convertit au judaïsme et un de ses successeurs, Domnus (en gréco-romain), Masrouq (en sy­rien), ou encore Dhou-Nonâs (pour les Arabes), qui régna de 515 à 524, déclencha contre les chrétiens une terrible persécution qui dura 4 ans (de 519 à 523) ; plus de 470 martyrs, hommes, femmes et enfants, libres et esclaves, moururent dans des supplices horribles, payant de leur sang leur refus de se convertir au judaïsme ([^51]). 175:217 Enfin, le troisième obstacle que devait surmonter l'Église chrétienne fut l'opposition des masses populaires. Lors de chaque calamité, chaque fois qu'un danger extérieur me­naçait la paix, la non participation à une fête locale dédiée aux dieux indignait la masse populaire qui s'élevait contre les chrétiens « athées », car pour elle, l'athéisme attirait la colère des dieux d'où venaient les inondations, les pestes, les invasions ! La faute en retombait toujours sur les chrétiens. Telles furent les causes des persécutions. (*A suivre*.) Alexandre Troubnikoff. 176:217 ### A propos d'une falsification de l'Écriture *Les anciennes versions orientales\ de saint Paul, 1 Thess., IV, 4* par Gérard Garitte LES LECTEURS d'ITINÉRAIRES connaissent ([^52]), de ce ver­set de saint Paul, la traduction fausse et tendancieuse, et tendancieusement fausse, qui a été imposée à tous les catholiques de langue française par le lection­naire vernaculaire, approuvé par nos évêques et confirmé par le Saint-Siège : cette « traduction » est la suivante : « (La volonté de Dieu), *c'est que chacun de vous sache prendre femme pour vivre dans la sainteté et le respect. *» La Vulgate latine, parfaitement fidèle au texte grec original, dit tout autre chose : « (*Haec est enim voluntas Dei*) *ut sciat unusquisque vestrum vas suum possidere in sanctificatione et honore. *» 177:217 Il est intéressant de voir comment les anciennes tra­ductions orientales du Nouveau Testament ont rendu ce verset ; nous examinerons ici successivement la traduction syriaque, la traduction copte, la traduction arménienne et la traduction géorgienne ([^53]). Nous présentons les textes en une traduction latine strictement littérale et qui respecte l'ordre des mots des textes originaux. 1\. La TRADUCTION SYRIAQUE (ou Peschittâ) ; elle date du IV^e^-V^e^ siècle ; nous citons 1 *Thess.*, IV, 4 d'après l'édition de Londres, 1816, p. 432 : «* et sciat unusquisque vestrum possidere vas suum in sanctitate et in honore *». 2\. La VERSION COPTE (dialecte sahidique) ; elle date du IV^e^ siècle au plus tard ; nous traduisons le texte de l'édi­tion de G.W. HORNER, *The Coptic Version of the New Tes­tament in the Southern Dialect,* vol. V, Oxford, 1920, p. 392 : « *ut unusquisque vestrum discat possidere vas suum in sanctificatione et honore *»*.* Observons ici que le traducteur copte, pour «* vas suum *», dit «* son skeuos *», employant, dans le copte même, le mot grec *skeuos,* « vase » de l'original grec. 3\. La VERSION ARMÉNIENNE ; elle a été faite au début du V^e^ siècle ; nous traduisons le texte arménien tel qu'il se lit dans l'édition de la Bible par J. ZOHRAB, vol. IV, Venise, Saint-Lazare, 1805, p. 495 : «* scire unumquemque vestrum suum vas possidere sanctitate et honore *». 178:217 4\. La VERSION GÉORGIENNE ; elle remonte, elle aussi, au V^e^ siècle. La première édition critique des épîtres de saint Paul en géorgien vient d'être publiée à Tiflis : Kh. DZOTSÉ­NIDZÉ et K. DANÉLIA, *Pavleni. Les versions géorgiennes des épîtres de saint Paul* (titre en géorgien) (collection *Travaux de la chaire d'ancien géorgien,* 16), Tiflis, Université, 1974. Le texte qui nous intéresse se lit à la p. 326 de cette édition : «* scire unumquemque vestrum sui ipsius vas possidere sanctitate et honore *». **Conclusions** Ces versions remontent toutes à l'antiquité, et à la période d'unité catholique des Églises orientales ; elles fournissent des données précieuses non seulement pour *la* critique textuelle, mais aussi pour l'interprétation du texte grec original du Nouveau Testament. Car les auteurs de ces traductions avaient, certes plus que tous les « experts » réunis des C.N.P.L. et C.I.F.T., le sens du grec et le sens de la doctrine chrétienne. On retiendra, à propos du verset de saint Paul en question, les points suivants : 1° Aucune des anciennes versions ici examinées ne rend le grec TO EAUTOU SKEUOS KTASTHAI par « prendre femme » ; toutes disent « garder son vase (c'est-à-dire son corps) ». 2° Aucune d'elles non plus n'ajoute, devant « dans la sainteté et l'honneur », les mots « pour vivre », comme fait le lectionnaire « vernac » ; elles confirment que cette addition est une « tricherie sans prétexte et sans excuse », comme dit justement J. Madiran (dans ITINÉRAIRES, n° 157, p. 288), tricherie qui fausse entièrement le sens de la phrase de saint Paul. 179:217 Sans doute faut-il, pour juger les travaux de « vernacu­larisation » des livres liturgiques, tenir compte de l'igno­rance de la plupart des « vernacularisateurs » de service. Mais quand leur ignorance a pour effet de produire, com­me par hasard, des altérations de nature à justifier les plans des « assassins de la foi », des fossoyeurs de la tradition et des saccageurs de la liturgie, on doit penser que cette ignorance n'est pas seule en cause et qu'elle s'allie à une volonté hypocrite de falsification. Gérard Garitte. *Professeur à l'Université catholique de Louvain* Cette honteuse falsification, y compris la « tricherie sans prétexte et sans excuse », l'incroyable adjonction des mots « *pour vivre *»*,* se retrouve identiquement dans la fameuse « TOB », la soi-disant « traduction œcuménique de la Bible », *Nouveau Testament,* éd. du Cerf 1972. (Note d'ITINÉRAIRES.) 180:217 ### L'eau bénite par Jean Crété PARMI LES SACRAMENTAUX institués par l'Église pour la sanc­tification des fidèles, il en est un *très employé : l'eau bénite. A de très rares exceptions près, toute bénédic­tion d'un objet ou d'une personne comporte une aspersion d'eau bénite. Remarquons toutefois que la bénédiction est valide, même si l'eau bénite n'atteint pas physiquement la personne ou l'ob­jet. Pour la confection de l'eau bénite, le prêtre revêt le surplis et l'étole violette. Après le verset* Adjutorium, *le prêtre exorcise d'abord le sel, et ensuite l'eau. Les deux exorcismes insistent sur la protection contre les embûches du démon, mais deman­dent aussi la santé de l'âme et du corps. Après ce double exorcisme, on verse le sel dans l'eau, par trois fois, en forme de croix, en demandant que ce mélange de sel et d'eau se fasse au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Suit une longue oraison qui insiste encore sur l'effet principal de l'eau bénite la mise en fuite du démon. Voici la rubrique du rituel romain placée après le rite de confection de l'eau bénite :* « *Après quoi, les fidèles peuvent prendre de cette eau bénite dans de petits récipients et l'emporter avec eux pour en asperger les malades, les maisons, les champs, les vignes et les autres objets, et pour en avoir chez eux dans leurs chambres, afin de les asperger chaque jour et plus souvent. *» *Les prêtres ont donc la grave obligation de mettre de l'eau bénite à la disposition des fidèles.* 180:217 *C'est la coutume universelle de se signer avec de l'eau bénite en entrant dans une église, et il n'est pas défendu de le faire aussi en sortant. Dans les maisons religieuses, la coutume est de disposer un bénitier rempli d'eau bénite à l'entrée de toutes les salles communes et dans chaque chambre. Il est significa­tif que la subversion des séminaires ait commencé, vers 1944, par la campagne contre l'eau bénite : des séminaristes ont refusé l'eau bénite, enlevé ou détruit les bénitiers, et les supérieurs ont cédé. Devenus prêtres, ces séminaristes ont laissé vides les béni­tiers de leur église, quand ils n'ont pas trompé les fidèles en y versant de l'eau ordinaire.* *L'Église prévoit pour chaque dimanche une solennelle asper­sion d'eau bénite avant la grand'messe. Cette aspersion est un rite propre au dimanche ; on ne la fait jamais en semaine, pas même aux fêtes d'obligation. Le prêtre, revêtu de l'aube, de l'étole et de la chape, s'agenouille au pied de l'autel et entonne* Asperges me. *Le chœur continue cette antienne, extraite du psaume 50 : Vous m'aspergerez, Seigneur, de l'hysope, et je serai purifié ; vous me laverez, et je deviendrai plus blanc que la neige. Suit le premier verset du même psaume :* Miserere mei, Deus, *avec le* Gloria Patri (*sauf les dimanches de la Pas­sion et des Rameaux*)*, puis on répète l'antienne. Pendant ce chant, le prêtre se touche le front avec l'aspersoir, asperge l'au­tel et les servants de messe, puis descend jusqu'au fond de l'église en aspergeant les fidèles ; ceux-ci font le signe de croix en recevant l'eau bénite ; et ceux qui ne se sentent pas touchés par l'eau ne doivent pas se troubler : ils reçoivent tout autant les grâces de ce sacramental auquel l'Église attache une très grande importance. Ce sont avant tout des grâces de purifica­tion de nos péchés qui nous sont alors données ; certes, il ne faut pas attribuer à l'aspersion d'eau bénite l'efficacité propre au sacrement de pénitence ; après un péché mortel certain, il n'est pas permis de communier sans se confesser ; mais, même après la confession, que de souillures encore dans nos âmes : péchés véniels, traces laissées par les péchés mortels pardon­nés, inclinations au péché... L'eau bénite nous aide à nous puri­fier plus complètement et à opérer un vigoureux redressement moral au seuil de la messe dominicale.* 182:217 *Au temps pascal, l'Asperges me est remplacé par le* Vidi aquam*, extrait d'une vision du prophète Ézéchiel :* « *J'ai vu l'eau sortant du côté droit du temple et tous ceux à qui cette eau parvenait étaient sauvés et disaient : alleluia, alleluia. *» *Suit le premier verset du psaume 117* Confitemini Domino, *le psaume pascal par excellence. En temps pascal, on se sert, en guise d'eau bénite, d'eau baptismale bénie le samedi saint et mise à part avant l'infusion des saintes huiles. Cette eau n'est pas salée et se conserve mieux que l'eau bénite ordinaire.* *L'aspersion dominicale est toujours suivie des versets* Osten­de... Domine, exaudi, Dominus vobiscum, *et de l'oraison* Exaudi nos, *dans laquelle on demande à Dieu d'envoyer son saint ange pour garder, réconforter, protéger, visiter et défendre tous les fidèles rassemblés en cette église. La liturgie établit donc un lien étroit entre l'eau bénite et les anges : on attend de ce sacra­mental qu'il écarte l'influence des mauvais anges et qu'il attire la protection des bons anges. Les séminaristes qui ont reçu l'ordre mineur d'exorciste sont chargés de porter et de distri­buer l'eau bénite.* *Remarquons que l'eau bénite et quelques autres sacramen­taux peuvent être accordés même aux païens qui le désirent ou l'acceptent, en vue de les préparer, au moins de loin, à la con­version. Dieu donne à tous les hommes la grâce actuelle médicinale, car* « *il veut que tous les hommes soient sauvés et par­viennent à la connaissance de la vérité *». *Il est donc normal que l'Église accorde aux non baptisés des sacramentaux dont l'effet propre est de produire la grâce actuelle médicinale. Nous avons souvent vu des non catholiques prendre de l'eau bénite et se signer en entrant dans une église ou venir asperger le cercueil d'un défunt. En revanche, nous étions, étant enfant de chœur voilà quelque quarante-cinq ans, très impressionné de voir quelques hommes s'écarter du bénitier, aux enterrements, et déposer sur le cercueil une petite fleur rouge, manifestant ainsi publiquement leur hostilité à la religion.* 183:217 *Lorsque dix ans plus tard nous fûmes témoin de l'acharnement de certains sémi­naristes contre l'eau bénite, il nous était impossible de ne pas faire le rapprochement. L'eau bénite est un signe de contradic­tion. Aussi devons-nous faire un bon et fréquent usage de l'eau bénite pour nous-mêmes, notre prochain, nos objets et nos dé­funts. Tout signe de croix sur nous-même avec de l'eau bénite comporte une indulgence de cent jours, applicable aux défunts. Faisons-le donc souvent et pieusement, pour la gloire de Dieu, notre sanctification et le soulagement des âmes du purgatoire.* Jean Crété. 184:217 ### Pourquoi la tolérance ne peut tolérer la tradition par Paul Bouscaren L'ÉGLISE OUVERTE AU MONDE, l'Église de Paul VI, qui tolère tant de choses, ne peut-elle tolérer Mgr Lefebvre ? On pose la question en ces termes, sans plus de souci qu'à l'ordinaire d'examiner ce qu'em­portent les termes employés ; la tolérance de l'Église de Paul VI refusée à Mgr Lefebvre, demandons quelle tolé­rance il faut pour justifier un tel refus. Et alors, tout de suite, est-il possible que la pensée ne bute pas sur la contrariété entre l'Église tolérante d'aujourd'hui et l'Église intolérante d'hier ? Or, c'est de celle-ci, précisément, que Mgr Lefebvre se réclame ; et alors, derechef... Et alors, M. Jean Guitton est là pour nous mettre en lumière, en éclair, la réponse positive que nous n'atten­dions pas. M. Jean Guitton tient à honneur d'appartenir à l'Université française, pour sa tolérance, et il a précisé : « La tolérance, qui est l'intolérance de l'intolérance. » Que nous faut-il de plus ? Si l'Église a pu passer de l'intolérance à la tolérance qui est l'intolérance de l'intolérance, com­ment Paul VI ne devrait-il pas refuser, à l'intolérance où veut rester Mgr Lefebvre, la tolérance qu'il accorde, (fasciné ou horrifié, n'importe), à toutes sortes de comporte­ments modernes « pelotant ès raisons divines », dirait Montaigne ? La question, posée par le refus de Paul VI, éclairée par son ami Jean Guitton, se ramène donc à celle-ci : l'Église de Jésus-Christ a-t-elle dû passer, de son intolérance traditionnelle, à la moderne tolérance qui est l'intolérance de l'intolérance ? 185:217 1°) En d'autres termes, l'intolérance était-elle un fait contraire au droit, de la part de l'Église aussi bien que de quiconque veut se montrer juste envers tous les hom­mes, selon qu'ils sont tous des hommes ? 2°) Quel droit de tout homme ? La liberté d'exprimer son opinion même lorsqu'elle ne peut être partagée par celui qui doit néanmoins, et en ce sens, user de tolérance en laissant cette liberté ? 3°) L'opinion d'autrui que l'on ne partage pas, ne peut-il pas y avoir d'autre raison de lui refuser la tolérance ? La seule intolérance peut-elle être intolérable ? Le fait humain de l'opinion chacunière ne vient-il pas d'un chacun qui est aussi, et au contraire, le même être chez tous, avec les mêmes conditions d'existence, physique et sociale ? Si l'opinion que je ne partage pas s'arrête absurdement à elle-même en tant qu'opinion, pour le droit social de s'ex­primer, lui être tolérant sans autre forme de procès ne s'en impose-t-il pas la myopie hallucinatoire ? 4°) Il y a un droit absolu de s'exprimer selon son opinion, en ce sens qu'on ne doit pas être forcé à parler contre son opinion ; mais attention, le droit même de s'exprimer a pour principe le besoin social de s'exprimer, qui n'est pas un besoin d'exprimer toutes ses opinions, qui ne peut pas en faire droit : ce besoin social particulier ne peut se moquer du besoin social en son entier, lequel exige de satisfaire, pour soi-même et pour les autres, contem­porains et à venir, à toutes les conditions de l'existence sociale, -- et non pas la seule liberté chacunière. On dit que le droit de l'un cesse où commence le droit de l'autre ; mais chacun a droit à la société comme à sa vie elle-même, qu'il ne peut vivre qu'en société ; il n'y a donc aucun droit de personne à l'encontre du droit de tous à toutes les conditions de l'existence sociale. Ici comme partout, le fait humain de la liberté, incontestable et incontestablement de dignité humaine, ne dit pas du tout à mesure quel exercice de la liberté sera de droit humain à respecter dans la vie sociale, indispensable à la vie de tous et de chacun. 186:217 Le droit naturel de l'homme à la liberté n'est un droit *de* la liberté individuelle en exercice que par la réduction nominaliste de la nature à l'individu, qui em­porte réduction du droit au fait, vide le mot *droit* de sa signification, fait patauger la bonne volonté moderne dans le bourbier moderne de la liberté moderne, et s'inquiète d'avoir à s'inquiéter pour un monde moderne éblouissant Paul VI, le premier pape homme moderne. 5°) Intolérance de l'intolérance, ne pas supporter qu'on ne supporte pas son prochain ? Peut-être, d'individu à individu, qui sont tous et ne sont que des hommes ; mais il y a aussi, derechef, que leur vie individuelle et humaine est celle de membres du corps social, et cela ne se peut sans exiger d'agir et d'être traités comme tels, -- ce que ne font pas les principes absolus de liberté et d'égalité, de tolérance à la suite. 6°) « Le Décalogue est la première Déclaration des droits de l'homme », -- à cela près de lui intimer ses devoirs, qui commencent par ses devoirs envers Dieu, et qui sont tous des devoirs envers Dieu (Eccle., 12/13). A cela près que le Décalogue est *la loi qui fait droit* pour la réelle condition humaine, alors que la moderne Déclaration est l'idéologie *des droits individuels qui font la loi,* autant que faire se peut sans toucher à la liberté de chacun. Bref, l'utopique volontarisme des hommes au lieu de la Volonté créatrice de Dieu, qui fait loi en faisant être. D'où suit, selon le Décalogue, un ordre social dont les hommes sont les serviteurs, chacun pour tous et tous pour chacun ; alors que les droits modernes, regardant les hommes selon que leurs droits les font possesseurs et maîtres, concluent de la souveraineté de leur liberté un corollaire de tolérance mutuelle des innombrables seigneurs et pairs. 7°) Il y a la nature humaine avec sa liberté (a), il y a l'usage de la liberté par la vie individuelle (b), il y a la société indispensable à cette vie (c) ; la tolérance regarde (a + b), il faut considérer (a + b + c). 187:217 A tout moment de l'histoire, il n'y a de réalité sociale, soit des nations ou de l'Église, que dans les personnes qui en sont les membres ; non pas, et mille fois non, les personnes en tant que liberté chacunière, mais selon que la nature humaine a besoin de la société et inclination à la société, et selon que la société, de part et d'autre, humainement ou divinement, a fait de ces personnes ses membres, à la mesure de leur consentement, et non pas, c'est le quiproquo idéologique, par la rêverie d'un contrat volontariste. 8°) « La tolérance, qui est l'intolérance de l'intolé­rance » : s'agit-il des individus en tant qu'individus, c'est incohérent : quelle autorité, pour un refus de *tolérer* quoi que ce soit chez les autres ? S'agit-il du point de vue social, on doit s'aviser d'une tolérance conditionnelle, né­cessaire ici et non là, tout autre chose qu'intolérance de l'intolérance dans l'absolu d'un droit de tout homme. 9°) Parlerait-on de « tolérances grammaticales » pour tous les usages de fait chez n'importe quels usagers de la langue ? 10°) S'il faut, aux hommes en société, un gouvernement qui gouverne, « la tolérance qui est l'intolérance de l'into­lérance », et : « il est interdit d'interdire », ou : la tolé­rance qui laisse les bêtes en liberté ? 11°) Croyons-en le Robert et tous les dictionnaires (qui s'en lèchent les babines), tolérant et dogmatique sont des antonymes ; Vatican II pastoral et non dogmatique, ça veut dire le concile de la tolérance, premier du genre. 12°) Aucun chrétien n'est Jésus-Christ, mais l'Église n'est rien si elle n'est pas Jésus-Christ. Or Jésus-Christ dit : « Qui n'est pas avec Moi est contre Moi. » Au rebours de la tolérance, qui dit : « Qui n'est pas avec moi n'est pas contre moi pour autant. » Paul Bouscaren. 188:217 ### Pasteurs indignes JEAN MADIRAN VIENT DE POSER PUBLIQUEMENT une question brûlante au sujet de « La religion du cardinal Mar­ty » ([^54]) et de « L'affaire Elchinger » ([^55]). On aperçoit de plus en plus souvent un doute tragique se lever dans l'esprit des catholiques. Il n'est pas rare que certains d'entre eux osent le formuler et nous demandent froidement si un évêque hérétique conserve son pouvoir de juridiction. La question est brève, la réponse, on le devine, sera grosse de conséquences. Pour débroussailler cette question délicate il est né­cessaire avant tout de distinguer soigneusement *caractère* (sacerdotal ou épiscopal) et *juridiction.* Disons tout de suite que l'on peut perdre la juridiction tandis que le caractère demeure. 189:217 -- Le « caractère » est une marque ineffaçable. Im­primé dans l'âme par le sacrement de l'ordre, il perdure même chez les damnés, nous dit saint Thomas. Le « carac­tère » donne un certain pouvoir sur les choses sacrées et permet au prêtre catholique de consacrer l'hostie indé­pendamment de la dignité de sa vie morale, ou de l'étendue de sa science. On dira alors qu'il agit comme *cause instru­mentale.* *-- *Le pouvoir de *juridiction,* au contraire, agit comme *cause seconde,* un peu comme un ambassadeur vis-à-vis de son prince ; il peut trahir son mandat. En ce cas, sa fonction est usurpée et ne peut se réclamer du droit. Or l'Église est une société plus organique que la nation. Le pouvoir de juridiction d'un évêque cesse a fortiori dès que le hiérarque tombe dans l'hérésie. Car, cela est évident, un hérétique ne peut enseigner la foi ni gouverner l'Église dans le sens de la foi. Comment pourrait-il gouverner l'Église, celui qui est sorti de l'Église ? Comment pourrait-il *communiquer* la foi, celui qui a *perdu* la foi ? ([^56]) La question est plus épineuse lorsque le prélat héré­tique s'avance masqué sous des dehors patelins et s'accom­pagne de déclarations pieuses. C'est le cas de l'évêque moderniste. Cependant, grâce à une série d'actes caracté­risés et bien observés, l'hérésie reste identifiable et permet d'établir un constat prudent ([^57]). Il faut alors prendre une attitude ferme sans attendre que l'hérésie se déclare franchement, chose qui n'arrive jamais dans le cas d'un moderniste, celui-ci étant, selon l'heureuse formule du Père Calmel, *un hérétique doublé d'un traître,* c'est-à-dire un homme qui ayant perdu la foi, reste dans l'Église afin d'y répandre ses idées. 190:217 En prudence surnaturelle, trois devoirs s'imposent à l'âme fidèle dans le cas d'un prélat hérétique : -- continuer de prier pour le hiérarque et révérer le caractère sacré qui subsiste en lui : veiller à ce que le mépris encouru par sa *conduite* ne rejaillisse sur sa *fonction ;* *-- *éviter rapport, fréquentation, et a fortiori allégeance (II Jean I, 10), ceci en règle générale ; mais on pourra visiter un évêque hérétique, *remoto scandalo*, pour tâcher de le ramener à la foi ; -- refuser obéissance au prélat hérétique, même lors­qu'il ordonne une chose bonne ou indifférente. On pourra faire la chose bonne mais non en vertu de l'obéissance, sinon on reconnaîtrait qu'on reste soumis à la juridiction d'un hérétique ce qui, on l'a vu, est contradictoire. L'histoire de l'Église montre qu'une telle attitude n'est pas aisée. Au XVI^e^ siècle les catholiques suédois sous le règne de Gustave Vasa, et les catholiques anglais, sous la régence de Lord Seymour, ont, dans leur ensemble, basculé dans le schisme et l'hérésie. Non soutenue, la masse flanche. Ce qui a fait défaut dans les chrétientés scandinaves ou anglo-saxonnes, au niveau spirituel, c'est le jugement prudentiel et la décision rapide que dicte à l'âme vigilante un sûr instinct de la foi. Au niveau du caractère, ce qui a dominé, c'est la peur de la solitude, la paresse et le conformisme. Au niveau social, c'est la lâcheté de ceux qui étaient les chefs naturels de la chrétienté, la démission de ceux qui avaient charge d'âme. N'imitons pas ces archétypes ténébreux d'une apostasie dont nous voyons se reproduire sous nos yeux les pro­dromes à une échelle infiniment plus vaste. 191:217 L'ampleur de la catastrophe requiert de nous une résistance humble, lucide, joyeuse, infatigable. C'est le bon combat dont parle saint Paul dans la deuxième Épître à Timothée (IV, 7) : «* Bonum certamen certavi. *» Mais le texte original porte en grec : «* ton kalon agôna *», c'est-à-dire : « le *beau* combat ». L'idée qui se fait jour s'enrichit d'une nuance admirative. Le combat de la foi livré pour Dieu s'éclaire, dès ici-bas, de la beauté même de Celui qui en est le principe et l'achèvement. A un journaliste qui lui demandait s'il ne se sentait pas seul dans sa lutte contre la subversion Mgr Lefebvre ré­pondit, le *visage* illuminé : « Je ne suis pas seul. Je suis avec l'Église du ciel, avec tous les saints du ciel. » Si toutes choses sont frappées d'un rayon de la lumière divine, pour­quoi nos batailles ne seraient-elle pas, elles aussi, illumi­nées des splendeurs d'une victoire dont le Seigneur nous promet les fruits savoureux ? « A celui qui vaincra, je donnerai à manger le fruit de l'arbre de vie qui est dans le Paradis de Dieu. » Benedictus. 192:217 ## DOCUMENTS ## Le dossier Saventhem *CE dossier dévoile et manifeste les véritables sentiments de la secré­tairerie d'État et de la congréga­tion romaine du culte divin. Pour quel­ques lecteurs ce sera une fulgurante révélation. Pour d'autres, une confirma­tion de ce qu'ils avaient déjà plus ou moins discerné.* \*\*\* *Quatorze documents. Douze sont ici rendus publics pour la première fois. Deux seulement ne sont pas inédits, le document n° 5 et le document n° 8* (*qui sont des communiqués à la presse*)*, mais il était utile, pour une meilleure compré­hension, de les faire figurer à leur place dans cet ensemble.* *Toute cette correspondance concerne principalement la messe catholique.* 193:217 *Éric de Saventhem est le président de la Fédération internationale* UNA VOCE. *Nous avons pour lui estime, respect et affection. Nous sommes avec lui en communion pleine et certaine dans la foi catholique. Nous ne sommes pas toujours de son avis. Nous ne croyons pas que l'attachement indéfectible à la religion traditionnelle puisse comporter un risque sérieux de schisme ; de vrai schisme. Nous trouvons en outre que, dans sa cor­respondance avec le Vatican, qui a raison de s'exprimer d'une manière courtoise et déférente, ses réclamations sont parfois trop modérées, ses concessions parfois excessives.* *Le dossier n'en est que plus saisissant.* *Oui, il n'en est que plus saisissant de voir avec quelle brutalité, avec quelle insolence, avec quel mépris le Vatican rejette cet interlocuteur conciliant. Sa­venthem demandait simplement que la messe traditionnelle soit autorisée au mi­lieu du foisonnement illimité des célé­brations nouvelles. Mais le Vatican ac­tuel, avec une violence extraordinaire, impose de croire que les célébrations nouvelles d'une part, la messe tradition­nelle d'autre part, sont radicalement in­compatibles ; sans paraître apercevoir que cette prétention est un aveu, et une disqualification*. *Ainsi se vérifie sur le terrain, dans les faits, le diagnostic énoncé par Alexis Curvers* (ITINÉRAIRES, numéro 213 de mai 1977) : 194:217 Mgr Lefebvre a demandé au pape : « Lais­sez-nous faire l'expérience de la tradition, au même titre que toutes les autres expériences que le pluralisme autorise maintenant dans l'Église. » Dialectiquement, l'argument est d'une lo­gique irréfutable. Métaphysiquement, il se détruit lui-même ; car ni la tradition ne peut s'accommoder du pluralisme qui par définition la conteste, ni le pluralisme ne peut s'étendre à la tradition qui par nécessité de nature le rejette. Aussi la réponse du pape ne saurait-elle être favorable sans être à son tour dialecti­quement satisfaisante et métaphysiquement absurde. S'il consentait à maintenir la tradi­tion au sein du pluralisme, ce ne serait plus ni l'un ni l'autre. Force lui est de choisir entre le feu qui s'éteint dans l'eau et l'eau qui s'évapore sous l'action du feu. *Dans l'actuel* « *pluralisme *» *liturgique, toutes les célébrations, en fait, sont ad­mises, toutes sauf la messe traditionnelle. D'où l'idée que cette messe traditionnelle pourrait ou devrait bénéficier elle aussi de l'anarchie générale. Mais tel n'est pas le pluralisme post-conciliaire, qui est plu­raliste par accident et anti-traditionnel par essence. Ce qui lui est essentiel, ce qui lui est le plus essentiel n'est pas d'ad­mettre une diversité indéfinie de célé­brations, c'est d'en exclure une en parti­culier.* 195:217 *Les sectateurs de la nouvelle religion trouvent leur unité non point dans une messe identique pour eux tous, puisque par définition ils admettent une pluralité* (*créative*) *de messes en continuelle évo­lution* (*créatrice*) ; *ils trouvent leur unité dans leur commune exclusion d'une seule et même messe, la messe catho­lique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V.* \*\*\* *Si les réclamations concrètes d'Éric de Saventhem ne nous paraissent pas tou­jours suffisantes, en revanche les ana­lyses sur lesquelles il fonde ses démar­ches, les observations et les remarques par lesquelles il les explique ont souvent un grand poids et méritent d'être médi­tées ; ses avertissements aussi.* *A tous points de vue, la lecture atten­tive de ce dossier est extrêmement ins­tructive.* Jean Madiran. 196:217 ### 1. -- Double lettre d'Éric M. de Saventhem au cardinal Villot *14 janvier / 25 février 1976* C'est à propos de la lettre du cardinal Villot du 11 octobre 1975 que le président de Saventhem s'adresse à son auteur. Cette lettre du cardinal Vil­lot a été envoyée à Mgr Coffy président de la com­mission épiscopale française de liturgie. Elle a été publiée dans la *Documentation catholique du 16* novembre. Elle est commentée, à sa place chronologique, dans la brochure : *La messe, état de la ques­tion* ([^58])*.* La lettre du président de Saventhem est du 14 janvier 1976. Cependant il ne l'a envoyée, avec une lettre de présentation, que le 25 février 1976. 25 février 1976 Monsieur le Cardinal, La lettre ci-jointe a été écrite il y a quelques semaines. Depuis, j'ai hésité de l'envoyer à Votre Éminence. Je ne pouvais être que trop conscient de ses faiblesses : son style laborieux et sa longueur que je regrette (le français n'est pas ma langue maternelle). En plus, comment m'as­surer que la lettre ne soit transmise pour réponse au Dicastère compétent, sans avoir été lue par Votre Émi­nence ? 197:217 Pourtant, puisque c'est de votre lettre à Mgr Coffy qu'il s'agit, j'espère que Votre Éminence consentira à étudier la mienne et à y répondre personnellement. Dans le désir pressant et, je crois, justifié de faire valoir, au niveau de vos propres réflexions, la nécessité de surmonter le « cre­dibility-gap » qui s'est ouvert entre la hiérarchie et une partie non négligeable du peuplé fidèle, je me sens finale­ment porté vers cette tentative peut-être audacieuse d'éta­blir avec Votre Éminence un contact direct. Qu'Elle veuille lui réserver un accueil bienveillant et me croire, avec l'assurance de ma respectueuse révérence, uni à Votre Émi­nence in Christo. Dr. Éric M. de Saventhem. Président 14 janvier 1976 Monsieur le Cardinal, La lettre que Votre Éminence a adressée à Mgr Coffy à la date du 11 octobre 1975 a été publiée par la DOCUMEN­TATION CATHOLIQUE dans son numéro du 16 novembre suivant. Depuis, on lui a attribué partout une signification qui dépasse de beaucoup son contexte, c'est-à-dire les remerciements du Saint-Père à Mgr Coffy, qui lui avait offert un exemplaire de l'édition française du nouveau mis­sel romain en un seul volume. En dehors du fait que la lettre n'émanait pas de la Congrégation compétente en matière de liturgie, mais de la Secrétairerie d'État, sous votre signature, c'était avant tout son sujet principal qui a incité les commentateurs -- en France et ailleurs -- à en souligner l'importance : l'élimination totale, du culte public de l'Église, de cette formé de la messe qui a été la norme bénie de la célébration du Sacrifice Eucharistique pendant tant de siècles. Une lettre pontificale qui traité explicitement de cette question brûlante est évidemment d'un très grand poids : il faut l'étudier soigneusement avec la plus grande attention, et des catholiques loyaux ne devraient pas hésiter à l'approuver sans réserve, s*i ce n'est pour raisons graves et contraignantes*. Dans un passage admirable, la Constitution conciliaire SACROSANCTUM CONCILIUM a défini la liturgie comme étant « le sommet auquel tend l'action de l'Église, et en même temps la source de laquelle émané toute sa forcé » (SC, n 10). S'adressant pour la première fois au Consilium, le Saint-Père souligna qu'en matière liturgique, « il ne doit pas exister la moindre opposition entre le présent et le passé » (Allocution du 24 octobre 1964). 198:217 C'est pourquoi la Constitution décréta : « Il n'y aura \[pas\] d'innovations, à moins que l'utilité réelle et certaine de l'Église l'exige » (SC, n 23). Sans aucun doute la promulgation d'un Missale Romanum entièrement rénové constitue la plus importante mesure de la récente réforme. C'était donc là, plus que partout ailleurs, que s'imposait la plus stricte observance des lois propres de l'Église, relatives à l'introduction des changements et à l'interdiction de ce qui a été commandé ou permis antérieurement. Et c'était là, plus que partout ailleurs, qu'il fallait démontrer hors de tout doute, que « vera et certa utilitas Ecclesiae id exigeat » -- autrement dit : que ces changements ou interdictions se sont imposés *comme le seul moyen pour pourvoir à l'utilité réelle et certaine de l'Église.* Comme le disait encore le Souverain Pontife : là où cette consigne est enfreinte « il ne faudrait plus parler de rénovation mais plutôt de destruction de la Sainte Liturgie ». Comme Votre Éminence ne le sait que trop, le nouveau Missale Romanum ainsi que les règlements curiaux et épiscopaux qui concernent son usage, ont fait, dès le dé­part, l'objet d'amères controverses. Pour de multiples rai­sons, d'inégale valeur sur le plan objectif, toutes pourtant ressenties comme contraignantes sur le plan subjectif, un nombre croissant de prêtres et de fidèles, particulièrement en Europe et en Amérique du Nord, ont trouvé nécessaire de s'opposer à leurs chefs ecclésiastiques en refusant d'ac­cepter le nouveau Missale Romanum comme un succédané valable de l'ancien et en faisant valoir, comme une pré­rogative inaliénable dans une société religieuse équitable­ment ordonnée, leur droit de continuer à utiliser l'ancien missel pour la célébration de la Sainte Messe. Dans ce conflit, la position de la Fédération Internationale UNA VOCE a été clairement exprimée en 1971 dans une rédaction révisée de l'Article 2 de ses Statuts, définissant l'objet de notre mouvement : -- *Œuvrer à la restauration organique de la liturgie con­formément à sa nature et à la Tradition de l'Église ;* *-- Assurer, comme l'une des formes de la célébration eu­charistique reconnues et honorées dans la vie liturgi­que universelle, le maintien de la messe romaine codi­fiée par Saint Pie V ;* *-- Sauvegarder et restaurer l'usage du latin, du chant grégorien et de la polyphonie sacrée dans la liturgie de l'Église catholique romaine ;* 199:217 -- *Encourager la création d'une véritable musique sacrée moderne sur textes latins ;* *-- Aider les membres du mouvement et, par leur aposto­lat, tous les fidèles, à mieux comprendre la liturgie catholique en tant qu'action sacrée, et à y participer pleinement.* Cet article résume les principes majeurs qui doivent guider nos associations-membres dans leur apostolat tou­jours plus difficile, par lequel elles tentent de contribuer, à travers l'escalade de l'indiscipline et des déviations doc­trinales, à la sauvegarde de l'héritage liturgique de l'Église. Car là aussi, « il s'agit de valeurs expérimentées, éprouvées, garanties de diverses façons par les enseignements et directives de l'autorité ecclésiastique, par la vie des saints, par le "sensus fidelium". Quel riche et précieux patrimoine qu'une certaine mentalité conformiste, iconoclaste, sécu­larisante et désacralisante risque aujourd'hui d'ébranler et de perdre ! Il est facile d'enlever, de supprimer, mais il n'est pas facile de remplacer, dans la mesure du moins où l'on cherche et veut vraiment, non un changement quel­conque, mais un changement qui ait une valeur authen­tique ». (Allocution de s.s. Paul VI, à Venise, le 16 sep­tembre 1972.) C'est à la lumière de ces principes que j'ai étudié, avec la plus grande attention, la lettre de Votre Éminence à Mgr Coffy, et que j'ai formulé les observations suivantes, en me tenant strictement à son contenu plutôt juridique et disciplinaire. #### 1. Thèse de canonistes laissée sans réfutation A la date de la lettre à Mgr Coffy, Votre Éminence devait être au courant des arguments avancés par des canonistes, surtout en France, qui soutenaient la thèse sui­vante : la Constitution Apostolique MISSALE ROMANUM est *lex dubia,* donc *lex nulla.* Cette thèse s'appuyait sur le fait indiscutable que tout un paragraphe a été interpolé après que le document original eût été signé par Sa Sainteté et publié dans l'Editio Typica originale de l'Ordo Missae réformé. Tout cela a été exposé publiquement aussitôt que l'interpolation devint flagrante dans une seconde édition de cette Editio Typica, en l'été de 1969. A ma connaissance, aucune explication n'a jamais été fournie par la Congré­gation compétente sur cette singularité sans précédent. 200:217 Les doutes soulevés par cette affaire ont été laissés à couvert depuis plus de six ans. Puisque votre lettre à Mgr Coffy représente la première intervention directe de la Secrétairerie d'État dans les controverses relatives au nouveau Missale Romanum, n'était-on pas en droit de s'at­tendre à ce qu'elle fît la lumière sur cet incident mystérieux et troublant ? #### 2. « ...*Quiddam nunc cogere et efficere placet* » Une question semblable se pose au sujet d'une autre irrégularité relative à la Constitution Apostolique. Il s'agit du fait également indiscutable que nombre de traductions officielles ont gravement falsifié le texte latin que voici : « Ad extremum, ex iis quae hactenus de novo Missali Romano exposuimus quiddam nunc cogere et efficere placet. » Le sens exact de cette phrase est : « Finalement, à la suite de ce que Nous avons dit jusqu'à présent au sujet du nouveau Missale Romanum, Nous souhaitons main­tenant faire un résumé et tirer une conclusion. » Au lieu de cela, les traductions française, italienne et anglaise (et probablement beaucoup d'autres) disent en substance : « En conclusion, Nous souhaitons donner stricte force de loi (forza di legge, force of law) à tout ce que Nous avons exposé au sujet du nouveau missel romain. » Une fois de plus, il n'y a eu aucune explication ni rectification officielle, de ce qui apparaît à première vue falsification déli­bérée et concertée d'un texte papal d'importance majeure. Une fois de plus, Votre Éminence n'en parle point dans votre lettre à Mgr Coffy, bien que vous ne puissiez ignorer que c'était en France que l'on avait d'abord attiré l'atten­tion sur cette irrégularité, et qu'elle causa des graves inquiétudes surtout parmi les catholiques français. #### 3. *Proposé avec espoir, non imposé avec rigidité* La plupart des gens, y compris évêques et prêtres au­ront lu la Constitution MISSALE ROMANUM non dans la ver­sion authentique en latin mais dans l'une des traductions officielles. Or, la phrase citée ci-dessus est d'une importance primordiale pour l'exacte compréhension des intentions du Pape quant à l'usage du nouveau missel. Quiconque lit cette phrase dans une des traductions vernaculaires qui en faussent le sens, attribuera à la Constitution une portée légale toute différente de celle qui semble ressortir assez clairement du texte latin. 201:217 En effet, dans la version latine authentique, deux passages seulement de la Constitution revêtent stricte force de loi : premièrement, « statuimus » que, en addition à l'ancien Canon Romain, il y aura doré­navant trois nouvelles Prières Eucharistiques, et que toutes seront enrichies d'un plus grand nombre de Pré­faces ; secondement, « iussimus » que, dans les quatre Prières Eucharistiques les mêmes paroles seront utilisées pour la Consécration (avec précision de ces paroles). En ce qui concerne l'ensemble du missel, le Saint-Père, en tant que législateur, ne conclut la Constitution par au­cun terme susceptible de rendre illicite, après la fin de la vacatio legis, l'usage de tout autre missel, même très vénérable, ou de toute autre coutume, même immémoriale. Bien au contraire, le texte renvoie encore à QUO PRIMUM : « Lorsque Notre prédécesseur Saint Pie V a publié la première édition de Missale Romanum, il l'a présentée au peuple chrétien tant comme un instrument d'unité litur­gique que comme un témoignage de la véracité et de la dévotion du culte ecclésiastique. » Et le Pape Paul VI continue : « Il n'en va pas autrement pour Nous-même bien qu'en vertu des décisions du II^e^ Concile du Vatican, Nous avions admis de légitimes variations et adaptations, Nous espérons néanmoins que ce nouveau missel sera accepté par les fidèles comme une aide pour témoigner de leur foi et pour renforcer l'unité mutuelle de tous... » C'est là le résumé du législateur et sa conclusion -- le passage falsifié dont il a été question ci-dessus en constitue en fait l'introduction immédiate. Ainsi la Constitution ne répond-elle pas seulement au souci pastoral primordial du Concile, mais elle respecte aussi sa déclaration solennelle « Sanctam matrem Ecclesiam omnes ritus legitime agnitos aequo iure atque aequo honore habere » (SC, n 4), ainsi que cette autre déclaration selon laquelle l'Église, dans le culte public, ne veut pas imposer « rigidam unius tenoris for­mam » (SC, n 37). #### 4. *Une distinction nécessaire* Dans la lettre adressée par Votre Éminence à Mgr Coffy, une position clé est réservée à l'affirmation suivante « Par la Constitution MISSALE ROMANUM, le Pape prescrit, comme vous le savez, que le nouveau missel doit remplacer l'ancien, nonobstant les constitutions et ordonnances apos­toliques de ses prédécesseurs, y compris par conséquent toutes les dispositions figurant dans la Constitution QUO PRIMUM. » Puisque j'ai cherché en vain une telle assertion dans le texte latin de la Constitution, je dois présumer que Votre Éminence s'appuyait au texte de la traduction française et à sa version inexacte de la phrase qui com­mence par « Ad extremum ». 202:217 Si, en faisant cette présomp­tion, je me trompe, je prie respectueusement Votre Émi­nence de m'indiquer dans quels passages du texte latin de la Constitution il serait décrété, avec *stricte force de loi,* que « le nouveau missel doit remplacer l'ancien ». J'ajouterais que je suis pleinement conscient du poids canonique de l'avant-dernier paragraphe de la Constitution qui débute ainsi : « Nostra haec autem statuta et praes­cripta. » Mais pour comprendre comme il faut ce passage, il est nécessaire d'identifier ce que, précisément, la Cons­titution ordonne et prescrit. J'ai indiqué ci-dessus (§ 3) les deux règlements spécifiques inclus sans aucun doute dans cette catégorie. On doit en ajouter un autre : il ressort clairement de l'ensemble du texte de la Constitution qu'elle entend établir le missel rénové comme une norme égale pour la célébration de la Sainte Messe. Mais nulle part, à ma connaissance, la Constitution ne dit que la messe doive dorénavant (soit, selon le passage interpolé, à partir du 30 novembre 1969) être célébrée exclusivement selon les modalités prescrites dans le nouveau missel. Par consé­quent la formule « non obstantibus » ne supprime pas, comme il est dit dans votre lettre à Mgr Coffy, « *toutes* les dispositions figurant dans la Constitution QUO PRIMUM ». Elle n'en abroge que celles qui, dans la célébration de la messe, interdisaient l'usage de tout missel autre que celui que promulgue ou ceux que reconnaît QUO PRIMUM. #### 5. *Deux Constitutions qui font pendant* Il s'ensuit qu'on doive aussi s'interroger sur cette autre déclaration de Votre Éminence : « Nul ne peut donc, en France ni ailleurs, se prévaloir d'un Indult qui aurait été concédé par QUO PRIMUM et qui permettrait de conserver l'ancien missel. » Deux questions se posent ici : 1) Est-ce que oui ou non QUO PRIMUM accordait à perpétuité à tous les prêtres du rite latin le privilège de célébrer la messe selon le missel de saint Pie V ? 2) Est-ce que ce privilège -- au cas où son existence est admise -- peut encore être invoqué actuellement, en dépit du dernier paragraphe de la Constitution MISSALE ROMANUM ? En ce qui concerne le premier point, quoique Votre Emmenée se réfère à ce privilège ou Indult au mode conditionnel, il semblerait bien que Rome soit maintenant prête à reconnaître son existence. Quant au second point, votre lettre soutient que, puisque la Constitution MISSALE ROMANUM a abrogé « toutes les dispositions figurant dans QUO PRIMUM, nul ne peut *donc* invoquer cet Indult ». 203:217 Pourtant, comme j'ai essayé de le montrer, la Cons­titution QUO PRIMUM n'a été mise de côté que partiellement, c'est-à-dire dans la mesure où elle constitue un empêche­ment à admettre aucun nouveau missel pour la célébration de la messe. Une abrogation partielle de cette nature n'af­fecte pas ledit Indult. Saint Pie V lui-même ne pensait pas qu'une véritable unité liturgique requît obligatoire­ment que toutes messes publiques, sans exception, fussent dites conformément au missel revu par lui. La Constitution du pape Paul VI entendait faire pendant à QUO PRIMUM (comme le rappelle votre lettre à Mgr Coffy). Sa Sainteté, dans le passage cité ci-dessus (§ 4) confirme que Son intention en tant que pasteur et législateur suprême, est identique, pour l'essentiel, à celle de Son prédécesseur. Ceci pourtant avec une différence importante : le Concile de Trente avait demandé au Saint-Siège de restaurer l'or­dre dans la liturgie en imposant l'uniformité des rubriques, autant qu'il serait nécessaire pour assurer et défendre l'uni­té de la doctrine. Quatre cents ans plus tard, et grâce précisément à cette uniformité du culte, l'on a pu croire l'unité de doctrine si solidement établie que le II^e^ Concile du Vatican s'est senti enclin à recommander un assouplis­sement des rubriques, afin de mieux acheminer les fidèles vers cette « pleine, consciente et active (actuosa) participa­tion aux actions liturgiques telle que la demande la nature même de la liturgie et selon le droit et le devoir qui appartiennent, en vertu du baptême, au peuple chrétien » (SC, n 14). #### 6. *Un incompréhensible règlement* On ne peut sérieusement soutenir qu'avec l'ancien Ordo Missae une telle participation était impossible. On ne peut davantage affirmer que les nouvelles formes de la messe soient les seules capables d'améliorer cette participation. En effet, depuis l'introduction de la nouvelle messe, avec ses multiples variantes, dans la vie liturgique des paroisses, nous avons dû constater une chute sans précédent de la pratique religieuse : dans certains pays, c'est une véritable catastrophe. On ne peut plus nier que la réforme liturgique en est une des causes principales. L'Année Sainte vient de le prouver en démontrant « la puissance du catholicisme populaire, profondément opposé aux tendances pluralistes, critiques et modernisantes, qui caractérisent de plus en plus l'intelligentsia chrétienne de l'Occident » (KIPA, 29. 12. 1975). 204:217 Malgré tout cela, la NOTIFICATIO de la SCCD ([^59]) du 29 octobre 1974 a tenté à nouveau de restreindre l'usage de l'ancien missel aux prêtres âgés ou infirmes, et de couper les fidèles de ses bienfaits spirituels, interdisant aux ordi­naires d'autoriser cet usage pour les messes cum populo. Plutôt devraient-ils veiller à de que l'Ordo Missae du nou­veau missel « recte accipiatur, nonobstant la raison de n'importe quelle coutume, même immémoriale ». La lettre de Votre Éminence à Mgr Coffy réaffirme ces sévères res­trictions, mais rien, dans votre texte, n'explique comment une coutume immémoriale peut être abrogée par un simple décret administratif. Votre lettre ne fournit pas plus de réponse à ceux qui, dans l'usage qu'ils font de l'ancien Ordo Missae, se réfèrent non à une coutume immémoriale mais à un privilège spécial accordé par QUO PRIMUM et non révoqué par MISSALE ROMANUM. Mais le plus troublant de tout, c'est que Votre Éminence réitère, sans un mot d'explication ou de justification, cette ordonnance absolument incompréhensible qui interdirait dorénavant aux fidèles de participer à toute messe célébrée selon le vieux missel. A la suite du clair enseignement du Concile de Trente, le II^e^ Concile du Vatican et MYSTERIUM FIDEI insistent encore sur le caractère public et social de toute messe, même célébrée sine populo. Ne serait-ce pas une dérision envers les deux Conciles et l'Encyclique de Paul VI que, fort de cet enseignement, l'on ordonne main­tenant aux prêtres de dire leurs messes seuls s'ils suivent toujours l'ancien missel ? Est-ce que Rome considérerait de telles messes comme une sorte de maladie contagieuse dont il faudrait protéger les fidèles par un cordon sanitaire de règlements administratifs ? #### 7. *Le culte authentique de l'Église* Cela m'amène au paragraphe cinq de la lettre de Votre Éminence à Mgr Coffy : « Comme dit la Constitution MISSALE ROMANUM, c'est dans le nouveau missel romain, et nulle part ailleurs, que les catholiques de rite romain doivent chercher le signe et l'instrument de l'unité mu­tuelle de tous : tous doivent le considérer comme le témoin du culte authentique de l'Église. » 205:217 Prise à la lettre, cette déclaration condamnerait toutes célébrations qui ne se conforment pas, dans tous les détails, avec ce qui est consigné dans le missel romain rénové. Leur énumération même incomplète fait une liste impressionnante, sans tenir compte de pratiques teintées par la désobéissance : -- La plupart des messes célébrées conformément aux éditions vernaculaires nationales du nouveau missel romain : presque toutes ces éditions s'éloignent, plus ou moins, de l'original latin ; -- Toutes les messes qui utilisent d'autres Prières Eucha­ristiques que celles contenues dans l'édition, typique du nouveau missel ; -- La plupart des messes célébrées conformément à des règlements épiscopaux pour les messes avec groupes particuliers : ces règlements dépassent, presque par­tout, les normes édictées par la SCCD ; -- La plupart des messes célébrées conformément au Di­rectoire pour les messes avec les enfants. Je m'attends à ce que Votre Éminence me renvoie à la mention explicite que fait la Constitution Apostolique MISSALE ROMANUM des « variations et adaptations légiti­mes » : toutes ces déviations des nouvelles normes ayant été approuvées par l'autorité, elles devraient être considérées comme incorporées dans les éditions approuvées du nou­veau missel, grâce à la clause n° 6 de l'INSTITUTIO GENE­RALIS et à sa note 11, qui ne cesse d'être allongée. (Je note en parenthèse qu'aucune allusion ne se trouve, ni dans cette note ni dans votre lettre à Mgr Coffy, à l'Indult ac­cordé aux évêques de l'Angleterre et du Pays de Galles.) Or, si toutes ces célébrations forment partie intégrante du « culte authentique de l'Église », -- bien qu'elles s'égarent, dans une mesure plus ou moins importante, des textes et rubriques de l'Édition Typique du nouveau Missale Roma­num, présenté par Votre Éminence comme la *norme exclu­sive de ce culte, --* alors le bannissement du seul rite tri­dentin revêt une signification terrible ; placé désormais hors du cadre du culte authentique de l'Église, ce rite véné­rable semble être frappé d'un anathème subreptice, comme si l'Église post-conciliaire voulait rejeter, avec le rite, les doctrines dont il fut l'expression sublime et incontestée, pendant tant de siècles ! Devant cette interprétation, qui ne paraît guère forcée, l'opposition à toute loi ou tout décret tendant à imposer ledit bannissement ne serait que légitime. 206:217 #### 8. *Une nouveauté sans précédent* Contrairement au ferme espoir exprimé par le Saint-Père, la promulgation du missel romain réformé n'a pas mis fin aux expériences et aux innovations dans la célé­bration de la messe, que ce soit avec ou sans approbation ou tolérance de la part des autorités ecclésiastiques compé­tentes. Bien plus, le nouveau missel, en faisant intervenir parmi ses principes constitutifs le « choix », l' « adap­tation », et les « projections œcuméniques », n'a fait qu'encourager cette spontanéité débordante que les auto­rités déplorent fréquemment, mais que logiquement elles ne peuvent guère restreindre. Dans la pratique de la litur­gie de l'Église, le nouveau missel a totalement manqué son objectif : au lieu d'agir comme un signe, un instrument de l' « unité mutuelle de tous », il a favorisé et accéléré l'émiettement progressif de cette unité. Or, ce processus a reçu des encouragements directs de Rome : NOTITIAE, dans un article éditorial « Sic decies, sic vicies », parla de la nécessité de « rénovation continuelle » ; Mgr Bugnini demanda que « les formes de la liturgie ro­maine soient adaptées, voire incarnées, dans les coutumes et la mentalité de chaque Église », et il insista sur le « besoin constant d'une adaptation fondamentale et vitale au sein de chaque assemblée en prière : des Églises vi­vantes dans une seule Église » (NOTITIAE, n° 92, p. 126). En définitive, les normes du culte authentique de l'Église seront ainsi laissées à être déterminées par ce que chaque « assemblée en prière » ou celui qui la préside considère comme convenant le mieux à ses propres besoins spirituels. A cette règle générale, la lettre de Votre Éminence n'imposerait qu'une seule restriction : nulle assem­blée ne peut choisir, comme convenant le mieux à ses besoins spirituels, la messe selon l'ancien missel romain. Parmi les innombrables manières différentes de célébrer légalement la messe aujourd'hui, une seule serait marquée de prohibition formelle et répétée : celle de l'ancien missel romain. Votre Éminence n'admettra-t-elle pas que cela constitue, en soi, une nouveauté sans précédent dans l'his­toire de la législation ecclésiale en matière de liturgie ? Un rite dont les racines remontent aux premiers temps de la chrétienté et qui, dans sa présente forme, a été promulgué par un pape canonisé et confirmé comme norme principale du culte eucharistique authentique du rite romain par vingt-six de ses successeurs nonobstant quelques modestes changements : comment pourrait-on interdire totalement son usage public, au point où même ceux qui ont été ordonnés pour sa célébration, ou imprégnés de sa profonde spiritualité, seraient commandés à la rejeter entièrement et à jamais, sous la menace de sanctions toujours plus sévères ? 207:217 Ne serait-ce pas une violation flagrante du principe décrété par le Concile, à savoir qu'aucune nouveauté ne doit être introduite, à moins que « vera et certa utilitas Ecclesiae id exigeat » ? Qui pourra nier sérieusement que tous ordonnances et règlements visant à cette totale sup­pression de l'ancien ordinaire de la messe soient entachés d'un défaut constitutionnel majeur, puisqu'ils sont in­compatibles avec cette norme fondamentale établie par le Concile lui-même pour l'œuvre de réforme liturgique ? #### 9. *Un signe de force* Votre Éminence rappelle à Mgr Coffy que la NOTIFICATIO du 29 octobre 1974 a interdit aux ordinaires locaux d'ac­corder aux prêtres âgés ou infirmes l'autorisation d'utiliser l'ancien missel pour des messes cum populo. Dans l'en­semble de la législation postconciliaire en matière de li­turgie, il est difficile de trouver un autre exemple de pa­reille amputation des droits et responsabilités de l'évêque résidentiel, « organisateur et gardien de toute la vie litur­gique dans l'Église qui lui est confiée » (CHRISTUS DOMINUS n 15). N'est-on pas ainsi amené à supposer que si les ordinaires locaux avaient été laissés libres de décider en cette délicate matière, conformément à leur sagesse pas­torale, nombre d'entre eux auraient autorisé la survivance de l'ancien missel, comme alternative toujours légale de la célébration eucharistique, *pourvu que, dans chaque paroisse, des messes fussent également célébrées selon le nouveau missel à cadence régulière ?* « En face de problèmes liturgiques semblables, l'Église anglicane décida avec sagesse de laisser coexister pacifique­ment le prayer book de 1662 et les pitoyables nouveaux offices (séries 2 et 3). Ce serait un signe de force, non de faiblesse, que les évêques de l'Église catholique romaine soient aussi tolérants » (Éditorial de THE ECONOMIST, du 29 novembre 1975). Comme le prouve ce commentaire, Rome force les évêques à agir d'une façon qui ne peut guère leur faire honneur. « Il y a quatre cents ans, les prêtres catholiques romains d'Angleterre qui célébraient en latin la messe tridentine furent sévèrement persécutés par les fonctionnaires anglicans ; aujourd'hui les prêtres catholiques romains qui célèbrent cette même messe dans cette même langue encourent des punitions (un peu moins sévères peut-être) de la part des fonctionnaires de l'Église catholique romaine d'Angleterre. 208:217 Il y a là un curieux man­que de logique. Bien pire, il semble y avoir retour à une dure intolérance qui contredit violemment la timide fleu­raison de charité et de compréhension qu'on appelle œcuménisme » (Troisième article de tête dans THE DAILY TELE­GRAPH, du 21 novembre 1975). Il est possible que Votre Éminence n'ait pas été suffi­samment mise au courant du dommage qui est ainsi porté à la paix intérieure de l'Église et à sa réputation extérieure. Au lieu d'apaiser une situation déjà tendue, votre lettre à Mgr Coffy n'a fait que l'aggraver en soutenant, avec tout le poids de votre haute fonction, la NOTIFICATIO péremp­toire d'octobre 1974. L'autorité morale de cette dernière n'a pu, d'ailleurs, en être renforcée : aucune loi, papale ou épiscopale, qui manque à la fois, de façon si flagrante, et de logique et de charité, ne peut susciter ni le consen­tement intérieur ni l'obéissance extérieure des fidèles. #### 10. *Nouvelles scissions douloureuses* Pour les autorités romaines, ce manque de logique et de charité est peut-être plus apparent que réel. En décidant d'imposer la suppression globale de l'ancien missel romain, le Vatican s'est peut-être laissé inspirer par des considé­rations qui, de son point de vue, rendent à sa législation et logique et charité. *Mais jusqu'à ce jour, personne n'a exposé ces considérations aux fidèles.* Les évêques pré­tendent que la question ne relève plus de leur compétence, toute disposition qui laisserait survivre l'ancien missel ayant été « rendue juridiquement impossible par Rome ». Et de Rome l'on n'a eu, au cours de ces six ans, qu'une seule et même réponse : « Voici nos directives, -- obéissez à vos évêques. » Officieusement on a laissé dire que la solution anglicane -- à savoir la coexistence pacifique des deux missels -- n'est devenue impossible qu'au moment où, parmi ceux qui plaidèrent pour la survivance de l'ancien missel, quelques-uns lancèrent contre le missel nou­veau l'accusation d'hérésie. Mais qu'a-t-on fait depuis lors pour ces autres catholiques loyaux, infiniment plus nom­breux, qui réclament l'ancienne messe « pour des raisons de sincère dévotion », comme il est dit dans l'Indult an­glais ? Et comment ne pas voir qu'en décrétant que l'ancien Ordo de la messe ne fera plus partie du « culte authentique de l'Église », le Vatican lui-même nourrit le soupçon que la conception de la messe entérinée et propagée dans le nouveau missel se distingue de la conception tradition­nelle non seulement dans ses éléments extérieurs, mais dans son essence doctrinale ? 209:217 Six années durant, les autorités romaines ont été litté­ralement inondées par des plaidoyers fervents, demandant qu'elles reconsidèrent et adoucissent leurs directives, inex­plicablement unilatérales, concernant cette question vitale. Des mouvements comme UNA VOCE ont proposé, à plusieurs reprises, d'envoyer à Rome des représentants qualifiés, pour en discuter sérieusement avec de hauts fonctionnaires de la SCCD. A toutes ces requêtes et propositions, Rome n'a fait que la sourde oreille. Les conséquences n'en sont que trop prévisibles : des prêtres et fidèles loyaux, pro­fondément troublés dans leur conscience, vont se grouper dans de nouvelles communautés de base, pour y maintenir cette partie de notre héritage liturgique qui, seule au milieu d'innombrables « variations et adaptations légitimes », se trouve frappée par l'interdiction hiérarchique. Il y aura même des réactions schismatiques, jusqu'au départ formel de l'Église institutionnelle. De l'aliénation spirituelle qu'une pastorale déficiente en charité et logique n'a pas su sou­lager par des mesures appropriées, naîtront de nouvelles scissions dans le peule de Dieu. Et elles seront d'autant plus douloureuses puisqu'elles vont éloigner du corps ec­clésial non les sceptiques et les contestataires, mais des gens qui croient, qui prient, et qui souffrent. Devant ces sombres perspectives, j'ose m'adresser à Votre Éminence avec un appel pressant. Vous rappelez aux catholiques du rite romain qu'ils doivent accepter le nou­veau missel comme « signe et instrument de l'unité mu­tuelle de tous ». Pour qu'il puisse remplir ce rôle unifica­teur, n'aurait-on pas dû s'inspirer, dans les décrets d'ap­plication, du souci pastoral qui imprègne la Constitution Apostolique MISSALE ROMANUM ? *Les coutumes sacrées peuvent disparaître, mais elles ne doivent jamais être sup­primées*. Au lieu donc de pousser à la suppression pro­gressive de l'ancien missel, il aurait fallu lui conserver une place d'honneur, à côté du nouveau. Cela n'aurait pas empêché l'introduction de ce dernier dans les messes de paroisse, comme le démontre l'expérience de l'Allemagne. Par contre, au lieu de le placer en opposition avec la tra­dition multiséculaire, le nouveau missel aurait pu être présenté, avec plus de crédibilité, comme sa continuation. Certes, les rites réformés n'auraient pas, pour autant, échappé à la critique légitime et nécessaire. Mais si, dans les décrets réglant leur introduction, il était explicitement confirmé que le missel traditionnel fait toujours partie de la vie liturgique officielle de l'Église, ceux-là mêmes que l'imposition implacable des rites rénovés pousse aujour­d'hui à la défiance ouverte n'auraient pas pu ou voulu re­jeter entièrement la réforme de la Messe de Paul VI. 210:217 A propos des nouvelles Prières Eucharistiques pour les messes avec les enfants, une lettre de la Secrétairerie d'État (Prot. n. 272908) a suffi pour assouplir une régle­mentation jugée après coup trop restrictive. De la même manière, une lettre de Votre Emmenée, allant dans le sens de ce que je viens d'exposer, devrait suffire pour rendre, aux décrets concernant l'introduction du nouveau missel, la charité et la logique qui leur manquent. Il y a un an, le Cardinal Knox m'écrivait que les évê­ques, « convaincus que la réforme apportera une abon­dance de grâces »*,* ne pourraient pas permettre qu'une porte soit laissée ouverte à ceux qui voudraient l'ignorer. C'est une affirmation soutenable quand on parle, comme le faisait Son Éminence, des principes généraux formulés par la Constitution conciliaire. Mais ici, il s'agit des pro­blèmes relatifs à leur application concrète. Or, le Synode des Évêques de 1967 avait réservé une réception tellement tiède (pour ne pas parler d'un véritable rejet) à la nouvelle messe, qu'il semble pour le moins téméraire d'affirmer en 1975 que son imposition globale, exclusive et forcée serait réclamée par l'Épiscopat lui-même. Il y a d'autres manières, plus souples, pour s'assurer que les fidèles puissent recevoir les bienfaits spirituels que l'on espère voir découler de l'in­troduction des formes nouvelles offertes par le missel ré­formé. Évidemment, il était difficile pour la SCCD d'évaluer objectivement des propositions allant à l'encontre de la politique répressive quelle avait poursuivie en la matière pendant six ans. Aujourd'hui les résultats de cette politique ne peuvent plus être ignorés. Justifient-ils qu'on la main­tienne toujours, et à tout prix ? Est-ce que « vera et certa utilitas Ecclesiae id exiget » ? Nous ne le croyons pas -- nous ne pouvons le croire. Ces deux questions, et notre réponse, résument en quelque sorte les préoccupations que j'ai essayé d'exposer à Votre Éminence dans cette lettre laborieuse et trop longue, pour laquelle je demande encore Votre indulgence. Tout de même, j'espère sincèrement qu'elle puisse servir comme base d'un dialogue franc, et donc fructueux. Pour le faciliter, je me rendrais volontiers à Rome si Votre Éminence consentait à me recevoir en audience. Je me permets de le demander respectueusement et avec insis­tance. 211:217 En attendant, Votre Éminence m'accordera que jusqu'à présent rien ne nous a été dit pour justifier une réglemen­tation qui, en interdisant ce qui a été prescrit avec bonheur pendant des siècles, et en imposant ce qui n'a pas encore fait ses preuves, tend à adapter la liturgie non « ad pristi­nam sanctorum Patrum normam » mais aux modes éphé­mères du moment. Daigne, Monsieur le Cardinal, Votre Éminence agréer l'hommage de mon profond respect en Notre-Seigneur. Dr. Éric M. de Saventhem. *Président\ Fédération Internationale\ UNA VOCE* 212:217 ### 2. -- Lettre du cardinal Villot à Éric M. de Saventhem *6 avril 1976* Monsieur le Président, Vous avez pensé devoir me communiquer un certain nombre d'observations au sujet de la lettre que, au nom du Saint-Père, j'ai adressée le 11 octobre 1975 à Monsei­gneur Robert Coffy, Président de la Commission épiscopale française de Liturgie et de Pastorale sacramentelle. J'ai pris connaissance de ces remarques, auxquelles il sera ultérieurement donné réponse. Croyez, Monsieur le Président, à mes sentiments dé­voués en N.-S. J. Card. Villot. 213:217 ### 3. -- Lettre d'Éric M. de Saventhem au cardinal Villot *12 avril 1976* Monsieur le Cardinal, En accusant réception de ma lettre du 14 janvier 1976, Votre Éminence discerne très justement que c'était un sens de devoir qui m'avait amené à vous écrire. Ayant pris personnellement connaissance du contenu de ma lettre, ce dont je vous remercie vivement, Votre Éminence comprendra sans doute que c'est par ce même sens de devoir que j'ose vous implorer de ne pas trop tarder à me faire parvenir votre réponse détaillée et soucieuse de la gravité des problèmes soulevés. En me tenant personnellement à la disposition de Votre Éminence, je La prie de bien vouloir agréer l'assurance de mon profond respect en N.-S. Dr. Éric M. de Saventhem. 214:217 ### 4. -- Lettre du cardinal Knox à Éric M. de Saventhem *5 mai 1976* Le cardinal James R. Knox a écrit cette lettre en qualité de préfet de la congrégation romaine du culte (*sacra congregatio pro sacramentis et culte divino*)*.* Monsieur le Président, Vos deux lettres des 14 janvier et 25 février 1976 nous ont été transmises par la Secrétairerie d'État, et nous avons lu avec attention l'exposé de vos arguments et de vos requêtes, ainsi que votre opinion sur le Missel Romain promulgué par le Pape PAUL VI et plus généralement sur l'ensemble de la réforme liturgique décrétée par le II^e^ Concile du Vatican. Partant de la lettre adressée par Son Éminence le Car­dinal VILLOT à Monseigneur COFFY le 11 octobre 1975, vos critiques et objections n'apportent aucun argument substan­tiellement nouveau à ceux que vous aviez déjà exposés en cette matière et auxquels nos Dicastères ont déjà répondu. C'est pourquoi nous n'avons rien à ajouter aux réponses fournies précédemment. Il nous paraît cependant nécessaire d'attirer votre attention sur un seul point, d'une extrême gravité : à sa­voir qu'il est téméraire, pour un catholique romain, de critiquer systématiquement l'autorité du Pape et de se soustraire a ses décisions, promulguées par lui-même ou par ses mandataires légitimes. Or, c'est précisément le cas de la Constitution Apostolique « Missale Romanum » du 3 avril 1969, dont vous contestez certains passages et qui, au plan juridique, est reconnue de la même valeur et de la même portée que la Constitution Apostolique « Quo primum » de S. PIE V. 215:217 Quant à la lettre que vous analysez, adressée par le Secrétaire d'État de la part du Pape a l'Archevêque res­ponsable de la Liturgie en France, je peux vous assurer qu'elle exprime très exactement la pensée de PAUL VI. Aussi ai-je été surpris et profondément peiné en lisant ce que vous osez écrire : que la « Notificatio » de la S. Con­grégation pour le Culte Divin (octobre 1974), renforcée par la lettre du Cardinal VILLOT (octobre 1975), « ne peut susciter ni le consentement intérieur ni l'obéissance exté­rieure des fidèles » (n° 9 de votre lettre, p. 16). L'obéissance de tels « fidèles » se limite-t-elle aux seules lois qui leur conviennent ? Et la preuve de l'authentique fidélité a l'Église n'est-elle pas une humble obéissance à son chef ? En priant Dieu de vous éclairer sur ce devoir fonda­mental de tout fidèle de l'Église catholique et en me re­commandant aussi à votre intercession avec ceux qui nous aident, je vous renouvelle, Monsieur le Président, l'assu­rance de mes sentiments dévoués en Notre-Seigneur. James R. Card. Knox. Préfet 216:217 ### 5. -- Communiqué d'Éric M. de Saventhem *3 août 1976* Communiqué donné à la presse, le 3 août 1976, par le président de la Fédération internationale UNA VOCE. Les mesures prises récemment contre Son Excellence l'Archevêque Marcel Lefebvre et les nouveaux prêtres qu'il avait ordonnés il y a un mois ont provoqué partout cons­ternation, étonnement, et même indignation. Bien que re­connues comme étant formellement « légitimes », ces mesures sont néanmoins considérées comme matérielle­ment « injustes » : les infractions qu'elles devraient punir ressortent directement de cette injustice qu'avait commise Rome elle-même quand elle avait décrété, en violation de normes élémentaires du droit, la dissolution de la Confra­ternité Sacerdotale de Saint Pie X et de son séminaire à Écône. Chacun sait que pour la formation des prêtres, Écône ne s'inspire pas de *priorités théologiques et pastorales de son propre choix,* mais des directives qui, il y a dix ans, furent encore obligatoires pour tous les séminaires catho­liques. Ces directives se basent sur la doctrine catholique du sacerdoce sacramentel, qui a été explicitement réaffir­mée par Vatican II. Aussi, et jusqu'à la démonstration du contraire, devait-on présumer en faveur d'Écône que son œuvre soit « au service du vrai et certain bien de l'Église », et c'était l'affaire de ses détracteurs d'apporter, d'une manière convaincante, la preuve contraire. A cette obligation l'on n'a jamais répondu, ni au cours de la procédure engagée contre Écône, ni depuis. L'on s'est contenté, en effet, de démontrer que les mesures prises contre le séminaire quant à leur forme et contenu n'excé­daient pas le pouvoir disciplinaire du Saint-Siège. En vertu d'avoir été approuvées par le Saint-Père, elles revêtent, d'ailleurs, le caractère des jugements de la Cour suprême, contre lesquels il n'y a pas de recours. 217:217 C'était d'autant plus grave que l'archevêque s'est vu défendre, pendant que la procédure était en cours, toute rencontre personnelle avec le Pape. Si l'on croyait devoir refuser une « audience » puisqu'elle pouvait être mal com­prise comme signe de faveur, il devenait alors impératif de *citer l'archevêque à comparaître* pour audition person­nelle devant le Pape, son juge. Que cela aussi n'ait pas été fait équivaut au refus du droit d'audition, dont chaque accusé peut se réclamer. Ainsi, déjà les mesures prises contre Écône en mai 1975 sont entachées par l'arbitraire. Ceci s'applique encore plus à l'ordre donné en octobre 1975 par le Cardinal Secrétaire d'État par lequel il interdisait à tous les évêques diocésains de régulariser, par voie d'incardination et délivrance de lettres dimissoriales, la situation canonique des sémina­ristes d'Écône. Par là l'archevêque et les ordinands dûment préparés furent écartés dans un état d'urgence, donnant lieu à la « légitime défense ». Rome devait escompter que Mgr Lefebvre entamerait ce chemin, nonobstant les sanc­tions qui menaceraient lui-même et les nouveaux prêtres. Tous ceux qui connaissent l'archevêque auront la certitude qu'il agissait dans la conviction de rendre service au bien commun de l'Église. Est-ce que, à la base du drame d'Écô­ne, il y a autre chose que la tragédie de maladresses hu­maines ou d'un conflit d'autorité extrêmement complexe ? Il est difficile de ne pas ressentir l'appréhension qu'il y avait également de la provocation destinée à conduire à la « schismatisation » de l'archevêque et de tous ceux qui lui sont fidèles. La « suspensio a divinis » par laquelle l'archevêque lui-même vient d'être frappé semble aller dans la même direction. Elle est présentée comme « punition adéquate » pour le « scandale » qu'il aurait causé par le fait que, étant évêque, il rejette radicalement les réformes post­conciliaires, réformes qui n'obligent qu'en discipline. Puis­qu'en même temps le scandale, bien plus grave, des évê­ques qui, un peu partout, tolèrent ou même fomentent l'obscurcissement ou le reniement des doctrines concernant la foi ou les mœurs, fixées par le magistère, continue à rester impuni la sanction sévère contre Mgr Lefebvre *viole le principe d'égalité devant la loi.* Ceci d'autant plus puisque, pour être en « communion » avec le Pape, la conformité extérieure en matière de discipline paraît désor­mais plus essentielle pour Rome que l'union intérieure dans la foi, -- en d'autres termes : que le critère décisif n'est plus la fidélité à la foi mais la loyauté à la « ligne du parti ». 218:217 Dans sa dernière lettre au Pape, datée du 22 juin, Mgr Lefebvre avait demandé « de nous permettre un dia­logue avec des envoyés choisis par Votre Sainteté parmi les cardinaux que nous connaissons depuis longtemps et, la grâce de Dieu aidant, il ne fait pas de doute que les difficultés s'aplaniront ». *Il ne peut pas être toléré* que Rome ait passé cette proposition sous silence et n'ait mis l'archevêque, d'une facon ultimative, que devant l'alter­native suivante : ou bien de témoigner, en renonçant aux ordinations et en acceptant le nouveau rite de la messe, de sa « prompte soumission à toutes les réformes liturgi­ques, disciplinaires et pastorales » de ces dernières années, ou bien de se voir infliger la suspension et même l'excom­munication. Pour la vie ordonnée de l'Église l'exercice des pouvoirs pontificaux de la juridiction suprême au service de la sau­vegarde et de l'approfondissement de l'union dans la foi et la charité est de la plus haute importance. C'est pourquoi même l'apparence d'un abus de cette plena potestas dans le sens d'une « *justice de parti *» doit être évitée avec soin. Afin d'y contribuer, de notre mieux, le télégramme suivant a été envoyé ce jour même à S.S. Pape Paul VI à Castel­gandolfo : « Vu graves défauts légaux dans procédure contre Écône et Mgr Lefebvre maintien des sanctions récentes ne peut que porter préjudice grave à confiance due au primat pontifical de juridiction. En toute révérence sup­plions donc Votre Sainteté de constituer commission de ré­conciliation selon proposition faite par Mgr Lefebvre le 22 juin. En même temps prions que par voie de dispense pon­tificale la « suspensio a divims » infligée à Mgr Lefebvre et aux prêtres ordonnés à Écône le 29 juin soit levée pour la durée des conversations de réconciliation. » 219:217 ### 6. -- Lettre d'Éric M. de Saventhem au cardinal Villot *15 août 1976* Monsieur le Cardinal, Dans sa lettre N. 302.424 du 6 avril dernier, Votre Éminence me disait que : « réponse sera donnée ultérieu­rement » aux remarques que je lui avais soumises à propos de la Lettre Pontificale du 11 octobre 1975, adressée sous sa signature à Mgr Coffy. Depuis ce 6 avril, aucune réponse émanant de la Secré­tairerie d'État ne m'est parvenue. Par contre, le 5 mai dernier, Son Éminence le Cardinal Knox m'a écrit une lettre dont je vous joins une photocopie. Elle a trait à ma correspondance avec vous-même. Donc, sans que le Cardinal Knox ne le dise clairement, je crois devoir y trouver la réponse que Votre Éminence m'avait promise. S'il en est ainsi, je dois avouer à Votre Éminence ma très profonde déception. Comme vous pouvez le constater vous-même, le Cardinal Knox s'est dérobé à toute réponse détaillée et précise par la simple affirmation que ma lettre du 14 janvier n'apportait « aucun argument substantielle­ment nouveau » à ceux auxquels ses dicastères auraient déjà répondu. Cette affirmation est, malheureusement, inexacte : d'abord parce que la majorité des remarques, questions et propositions contenues dans ma lettre du 14 janvier ne paraissaient pas dans ma correspondance avec les dicastères du Cardinal Knox. Ensuite, parce que les « réponses » fournies précédemment par ces dicastères ne furent en réalité que des fins de non-recevoir mal dégui­sées. 220:217 Par surcroît, le Cardinal Knox se lance à notre égard dans des accusations injurieuses et démunies de tout fon­dement. Ainsi, n'ayant demandé qu'une chose : que la lumière soit faite sur certaines irrégularités qui avaient entouré la promulgation et quelques-unes des traductions officielles de la Constitution Apostolique du 3 avril 1969, je me vois accusé par le Cardinal Knox de « contester » certains passages de ladite Constitution. Sans apporter la moindre preuve, le Cardinal nous reproche de « critiquer systématiquement l'autorité du Pape ». Avec l'aide d'une citation mutilée de ma lettre, le Cardinal Knox en arrive même à mettre en doute toute notre fidélité à l'Église. C'est le procès d'intention, dans sa forme la plus classique. Or, dans une lettre précédente, datée du 2 janvier 1975, le Cardinal Knox m'avait écrit ceci : « Je ne prétends pas que tout soit parfait dans la liturgie rénovée. Je suis tou­jours prêt à examiner comme il se doit des suggestions spécifiques et des commentaires soumis en bonne foi et basés sur des arguments raisonnables. » Je ne pense pas que Votre Éminence nierait que les suggestions et commen­taires contenus dans ma lettre du 14 janvier ne reposent sur des arguments raisonnables. Si donc aucun d'eux n'a été jugé digne d'être examiné comme il se doit par la Congrégation du Cardinal Knox, ce fait ne s'explique que dans l'hypothèse où, aux yeux de son Préfet, ils ne furent pas « soumis en bonne foi ». Cette hypothèse, nous la trouvons confirmée par la lettre du 5 mai dernier. Dans cette lettre, le Cardinal Knox n'admet, comme « preuve de l'authentique fidélité à l'Église » que « l'humble obéis­sance à son chef ». Cette humble obéissance exige évidem­ment que l'on se soumette incondition­nellement à toutes les décisions promulguées en matière liturgique par le Pontife régnant ou par ses mandataires légitimes, -- no­nobstant la reconnaissance que tout n'est pas parfait dans la liturgie rénovée. Ceux qui oseraient critiquer ces décisions, -- même quand, aux yeux d'observateurs neutres, elles manquent de façon flagrante et de logique et de charité, -- témoigneraient, par le seul fait de leur réticence, d'un défaut de « fidélité authentique à l'Église ». Leurs suggestions et commentaires ne seraient donc pas « sou­mis en bonne foi », et par conséquent ne mériteraient point d'être examinés comme il se doit. C'est la formule classique de la « loi des suspects ». Dans sa lettre du 5 mai, le Préfet de la Sainte Congré­gation pour les Sacrements et le Culte Divin s'est montré, une nouvelle fois, décidé à se boucher les oreilles et à rejeter toute critique, pour raisonnable qu'elle soit. Pire encore, il veut fermer les yeux à toute évidence, si flagrante soit-elle, et ce dans la mesure où elle pourrait contrarier ou démentir les espoirs utopiques grâce auxquels les diri­geants de son dicastère, notamment Mgr Bugnini, avaient obtenu l'approbation du Saint-Père pour les différentes étapes de la réforme liturgique. 221:217 C'est un constat douloureux mais désormais incontestable : en matière de législation li­turgique récente, la SCSCD ([^60]) exige des catholiques loyaux, non pas une soumission avertie digne de fils de l'Église, mais une obéissance aveugle d'esclaves. Cette exigence est exorbitante, contraire à la dignité des fidèles et à celle reconnue à tout homme, et de ce fait ne peut qu'être nui­sible à l'Église. Elle corrode la confiance due au plein pou­voir disciplinaire du Saint-Siège et par là provoque la défiance ouverte comme seul moyen d'une auto-défense rendue légitime par l'emploi nocif de ce même pouvoir. De ce constat, auquel nous étions arrivés il y a déjà plus d'une année, la lettre du 5 mai ne peut que confirmer le bien-fondé. C'était précisément pour sortir de cette im­passe que je me suis adressé le 14 janvier à Votre Éminence, comme signataire de la très importante Lettre Pon­tificale à Mgr Coffy. J'avais espéré qu'à la Secrétairerie d'État l'on se montrerait sensible à la nécessité vitale et urgente d'un dialogue sérieux, honnête, patient et plein de charité avec ceux qui, partant non d'espoirs utopiques mais de la réalité incontestable de la décomposition rapide du culte divin, cherchent à en endiguer le progrès désas­treux. Parmi ces derniers, la Fédération Internationale UNA VOCE occupe, depuis sa fondation en 1965, une position-clé. Quelques rares exceptions mises à part, elle a su éviter jusqu'à présent toute radicalisation irrémédiable parmi ses associations-membres et leurs adhérents, et cela malgré le silence, l'indifférence, le mépris même qu'avaient re­cueillis ses diverses initiatives auprès des instances hié­rarchiques de l'Église. Soit dit en toute simplicité : cette patience disciplinée était en bonne partie due à mon in­fluence personnelle. Gardant en dépit de toute expérience l'espoir de susciter, au niveau du gouvernement central de l'Église, une meilleure compréhension des tensions qui, à la suite de la réforme liturgique, déchirent le corps ecclésial, je me suis efforcé à calmer les esprits, conseiller la modération, et tenir à l'écart les excités. 222:217 Fin septembre, la Fédération tiendra son Assemblée générale biennale. Nous allons y re-préciser, à l'intention de toutes nos associations-membres, les principes qui doivent guider notre future action. Dans mon rapport moral, je dois relater aux délégués comment toutes mes tentatives d'entrer en dialogue avec la Congrégation pour le Culte Divin se sont soldées par un échec brutal. La réaction des délégués n'est que trop prévisible : il sera proposé, primo, de publier, sous forme de livre blanc, toute ma correspondance avec la Curie romaine (laquelle j'ai, jusqu'à présent, gardée par-devers moi), et, secundo, de donner à notre mouvement des orientations nouvelles. Si l'on veut éviter que le mouvement UNA VOCE ne glisse vers des positions jugées extrêmes, il faut qu'à notre Assemblée générale je puisse donner aux délégués la certitude que, dans l'avenir, leurs demandes raisonnables seront accueil­lies par la Curie romaine avec respect et compréhension. Parmi ces demandes il y en a une dont l'acceptation aurait une portée pacifique bien au-delà des rangs de notre mou­vement, et qui mériterait donc d'un traitement prioritaire. Comme Votre Éminence ne le sait que trop bien, cette de­mande vise la restauration, dans le cadre du « culte au­thentique de l'Église », des formes préconciliaires pour la célébration de la Sainte Messe et des autres rites sacra­mentels, en complément des formes rénovées. Il serait tragique que cette demande soit rejetée comme un « retour en arrière ». Puisqu'au contraire ce serait un pas en avant, par rapport à la politique actuelle de la SCSCD, il pourrait y avoir plusieurs solutions pour la ma­nière précise de cette restauration. Ce qui importe pour l'instant, ce qui est urgent, c'est que nous ayons la certi­tude que Rome se mettra sincèrement à la recherche d'une solution convenable et qu'à cette recherche nous serons appelés à apporter notre propre collaboration. Le trouble est profond et grave dans l'Église. Les révé­lations de la Conférence Épiscopale des États-Unis et les récents sondages d'opinion effectués en France (pour ne nommer que ces deux pays) indiquent une chute presque verticale de la pratique religieuse, notamment de la participation aux offices cultuels. En même temps, la lecture de la presse internationale de toute tendance a certainement permis à Votre Éminence de mesurer le retentissement mondial de ce qu'on est convenu d'appeler « l'affaire d'Écône » (dont deux exemples ci-joints). Désormais, per­sonne ne peut honnêtement considérer comme une petite poignée de « nostalgiques » les millions de catholiques pra­tiquants qui avouent ne pas pouvoir trouver dans les formes renouvelées de la liturgie « le soutien et la nourri­ture auxquels ils aspirent » *et auxquels ils ont droit.* Et personne ne peut honnêtement prétendre que la suppres­sion de facto ou de jure des rites préconciliaires soit né­cessaire pour le véritable bien de l'Église et pour son unité. 223:217 C'est dans le contexte de ces révélations et de ce reten­tissement que se déroulera notre prochaine Assemblée gé­nérale. Il y aura tendance au raidissement des positions, comme le démontrent plusieurs motions qui ont déjà été déposées formellement. Pour que je puisse de nouveau jouer un rôle pacificateur et donc constructif, il serait nécessaire que je sois autorisé de faire aux délégués les trois annonces que voici : -- Rome envisage, dans un avenir prochain, de réviser sa récente législation liturgique et de reconnaître aux rites préconciliaires le droit de co-existence pacifique à côté des rites rénovés. -- Comme mesure provisoire et à titre d'expérience, l'usage des rites préconciliaires sera reconnu, a prêtres du pre­mier dimanche d'Avent prochain, aux prêtres qui, pour des raisons pastorales et dans le cadre des normes de l'Instructio « Actio pastoralis Ecclesiae », veulent les utiliser dans des célébrations avec groupes particuliers de laïcs fidèlement soumis dans la foi au magistère du Pape Paul VI. -- A partir de la même date sera levée la restriction im­posée aux prêtres âgés ou infirmes de n'utiliser l'ancien Missale Romanum que pour des messes célébrées « sine populo ». J'atteste à Votre Éminence que ces trois propositions lui sont soumises en bonne foi et qu'elles sont inspirées par la seule fidélité authentique à l'Église. Elles ne doivent donc en aucune façon être assimilées à une « contestation » des actes du Siège Apostolique et encore moins à une « critique systématique de l'autorité du Pape ». C'est pour­quoi j'espère fermement que Votre Éminence saura les examiner comme il se doit et que le résultat de cet exa­men nous sera favorable. Pour que je puisse en tenir comte dans mon rapport moral, il faudrait que je reçoive la réponse de Votre Éminence avant le 20 septembre. En recommandant cette lettre et son haut destinataire à l'intercession de la Bienheureuse Mère de Dieu, dont l'Église célèbre aujourd'hui la glorieuse Assomption, je prie Votre Éminence de daigner agréer l'hommage de mon profond respect en Nôtre Seigneur. Dr. Éric M. de Saventhem. Président Fédération Internationale UNA VOCE *Copie à S.E. le cardinal Knox* 224:217 ### 7. -- Lettre de Mgr Marcel Lefebvre à Éric M. de Saventhem *17 septembre 1976* Monsieur le Président, J'ai lu avec un grand intérêt l'extrait de votre dernière lettre à S.E. le Cardinal Secrétaire d'État, avec les trois requêtes que vous lui aviez soumis. Je vous félicite de cette initiative et je souhaite de tout mon cœur qu'elle soit accueillie à Rome avec compréhension. En effet : s'il fallait dénoncer les rites rénovés comme des rites « bâtards », s'il fallait dire du nouveau rite de la Sainte Messe qu'il est « le symbole d'une foi nouvelle, d'une foi moderniste », une des raisons principales en était la rigueur avec laquelle l'on tentait de proscrire les rites anciens. Cette rigueur ne s'explique que dans l'hypothèse qu'avec ces rites vénérables on voulait également chasser de l'Église les doctrines dont ils sont l'expression. Si la proscription de nos anciens rites était levée, il serait permis d'y voir un signe que Rome ne veut pas nous imposer, par le truchement d'une lex orandi entièrement remaniée, une nouvelle loi de la foi. Et si désormais ces rites vénérables retrouvaient, dans la liturgie vécue de l'Église, les droits et honneurs qui leurs sont dus, ce serait un témoignage impressionnant que l'Église dite « conci­liaire » nous laisse professer la même foi et puiser dans les mêmes sources sacramentelles que l'Église de toujours. Certes, les rites rénovés posent des problèmes même s'ils ne sont offerts à l'Église qu'à titre d'expérience. De ces problèmes, pour graves qu'ils soient, l'on devrait pourtant pouvoir discuter calmement avec les autorités compéten­tes, sans se voir accusé à chaque instant d'un manque de fidélité authentique à l'Église. 225:217 Quant à l'œuvre de formation sacerdotale que nous entreprenons dans nos séminaires, elle est toute centrée, comme vous le savez bien sur le mystère inépuisable de la Sainte Messe. C'est pourquoi nous devons garder, pour la célébration de la Messe, le Missel ancien qui nous semble permettre, au célébrant comme à l'assemblée, une participation plus intense à ce mystère. Il en est de même pour les autres rites sacramentels : nous sommes persuadés que leurs formes anciennes expriment mieux que les nouvelles les richesses de leur contenu dogmatique et qu'elles sont donc d'une plus grande efficacité évangélique et pastorale. Pour l'Église universelle je souhaite, comme vous, la coexistence paisible des rites pré- et postconciliaires. Qu'on laisse alors les prêtres et les fidèles choisir à quelle « fa­mille de rite » ils préfèrent adhérer. Qu'on attende ensuite que le cours du temps fasse connaître le jugement de Dieu sur leurs valeurs respectives de vérité et d'efficacité salutaire pour l'Église catholique et pour toute la Chré­tienté. Veuillez agréer, je vous prie, l'expression de mes sen­timents respectueux et cordialement dévoués in Xto et Maria. Marcel Lefebvre. 226:217 ### 8. -- Résolution de la Fédération internationale  « Una Voce » *26 septembre 1976* Résolution adoptée par la sixième assemblée gé­nérale de la Fédération internationale UNA VOCE qui s'est tenue à Londres le 25 et le 26 septembre 1976. Devant la nécessité de répondre à l'attente de nombreux fidèles et de mettre fin au désarroi d'un très grand nombre d'entre eux, la Fédération internationale UNA VOCE, à l'issue de sa 6^e^ assemblée générale, demande instamment le main­tien ou la restauration, dans la liturgie latine, des rites traditionnels romains, afin qu'ils soient toujours honorés et puissent être universellement mis en pratique. Dans le ferme espoir d'une prochaine réconciliation si ardemment attendue entre le Saint-Père et son frère dans l'épiscopat, S. Exc. Mgr Marcel Lefebvre, la Fédération in­ternationale UNA VOCE redouble de prières et d'efforts pour que l'Église, dans une saine pluralité de vie spirituelle, retrouve l'unité de la foi, dans la justice et la charité. Les délégués des associations-membres de la Fédération, réunis à Londres les 25 et 26 septembre 1976, ont fait leurs les trois requêtes déjà soumises par leur président, Monsieur le Dr. Éric M. de Saventhem, a S.E. le Cardinal Villot, à savoir : 227:217 -- *Que soit entreprise, dans un avenir prochain, une révi­sion de la récente législation liturgique au cours de laquelle sera reconnu, aux rites préconciliaires, le droit de coexistence* pacifique *à côté des rites rénovés.* *-- Comme mesure provisoire et à titre d'expérience, que l'usage des rites préconciliaires soit reconnu, à partir du premier dimanche d'Avent prochain, aux prêtres qui, pour des raisons pastorales et dans le cadre des normes de l'Instructio* « *Actio Pastoralis Ecclesiae *», *veulent les utiliser dans des célébrations avec groupes particuliers de laïcs fidèlement soumis dans la foi au magistère de Paul VI.* *-- Qu'à partir de la même date soit levée la restriction imposée aux prêtres âgés ou infirmes de n'utiliser l'ancien Missale Romanum que pour des messes célébrées* « *sine populo *». Les délégués sollicitent de la bienveillance du Cardinal Secrétaire d'État une entrevue pour leur Président dans le plus proche avenir. 228:217 ### 9. -- Note sur une audience de Mgr Benelli 15 octobre 1976 Vendredi, 15 octobre 1976, M. et Mme de Saventhem furent reçus à la Secrétairerie d'État par Son Excellence Mgr Giovanni Benelli, Substitut. L'audience dura plus de trois heures. Dans la correspondance qui a suivi cet entretien, l'on retrouvera certains points majeurs soulevés par Mgr Be­nelli au cours de l'audience. Aussi, puis-je me borner ici à y ajouter trois autres, qui se sont inscrits inoubliable­ment dans notre souvenir. 1\. Me référant à mon Communiqué de Presse du 3 août 1976 (Document n° 5), je demandai à Mgr Benelli si, pour renouer le dialogue avec Mgr Lefebvre, le Saint-Siège ne pouvait pas ressusciter la Commission Cardinalice ad hoc, en en changeant la composition selon le désir exprimé par Mgr Lefebvre dans sa lettre au Souverain Pontife datée le 22 juin 1976. La réponse de Mgr Benelli fut des plus sèches : -- « *Il n'y a rien à discuter. *» 2\. Toutefois, à plusieurs reprises, Son Excellence le Substitut souligna la grande admiration qu'il avait, et qu'il garderait toujours, pour Mgr Lefebvre, « cet homme de Dieu, cet homme de l'Église, cet homme de prière, ce missionnaire géant ». 3\. Tout à la fin de l'audience, quand nous étions déjà debout pour prendre congé, ma femme s'adressa une dernière fois à Mgr Benelli : -- « Monseigneur, avant de nous séparer, me permettez-vous de vous poser une question, à laquelle je vou­drais que la réponse de Votre Excellence soit *oui ou non ? *» 229:217 -- « Allez-y, Madame. » -- « Sa Sainteté le Pape a-t-il *formellement interdit* l'an­cienne Messe -- *oui* ou *non*, Monseigneur ? » Après la plus brève hésitation, Mgr Benelli répondit : « *Il veut* que la nouvelle messe soit célébrée. » Et ma femme de conclure, en souriant, les larmes aux yeux : « Merci, Monseigneur, de cette réponse, -- elle est exactement celle à laquelle je me suis attendue. » 230:217 ### 10. -- Lettre d'Éric M. de Saventhem à Mgr Benelli *26 octobre 1976* Monseigneur Excellentissime, Après l'entrevue que Votre Excellence a bien voulu nous accorder, mon épouse et moi tenons à La remercier de la générosité avec laquelle Elle s'est mise à notre dispo­sition pendant plus de trois heures. Nous ne croyons pas nous leurrer si nous y voyons une indication de l'impor­tance que revêt, aux yeux du Vatican, le témoignage que depuis plus de 10 ans notre mouvement porte contre le désordre liturgique de l'après-concile, désordre que le Saint-Père lui-même a évoqué avec tant d'amertume au cours du Consistoire du 24 mai dernier. Votre Excellence nous a vivement exhortés à nous rallier, en conscience, aux formes renouvelées du culte public de l'Église, promulguées au cours de ces dernières années par « le Siège Apostolique et les Conférences Épis­copales, sous l'autorité du Saint-Père, voulue par le Christ ». Vous nous avez rappelé les paroles du Seigneur : « Tout ce que tu auras lié sur terre sera lié dans le Ciel », « Pais mes brebis », « Affermis tes frères », et vous avez insisté sur ce que, pour gouverner l'Église, le Christ avait donné à Pierre et à ses successeurs un « charisme » qui devrait être considéré comme un don unique et indivisible. Bien que la notion d'irréformabilité ne s'attache qu'aux définitions promulguées « ex cathedra » en matière de foi et des mœurs, l'assentiment dû aux actes du Souverain Pontife devrait s'exprimer également dans une humble obéissance aux actes qui ne concernent que la discipline ou d'autres aspects non-doctrinaux du gouvernement de l'Église. Car, disiez-vous, là aussi c'est le même « charis­me » unique et indivisible qui garantit que tous ces actes ne puissent être ordonnés qu'au vrai et certain bien de l'Église. 231:217 Par conséquent, vous considériez comme témé­raires et irréconciliables avec une ecclésiologie non-faussée toutes réclamations ou initiatives qui impliqueraient que l'utilité de tel ou tel acte de gouvernement dûment pro­mulgué par le Saint-Père régnant ou sous son autorité puisse être soumis à discussion ou contesté. Nous avons cru devoir exprimer à Votre Excellence notre inquiétude devant une telle interprétation de la promesse faite à Pierre et à ses successeurs. A notre hum­ble avis, l'assistance de l'Esprit Saint dont jouissent les Papes et les Conciles ne doit pas être assimilée à un « cha­risme », don personnel dont les impulsions n'engagent que celui qui en est l'objet immédiat. Il est vrai que la Cons­titution conciliaire sur la Révélation Divine parle du « cha­risme certain de la vérité », octroyé aux évêques grâce à la succession apostolique (Dei Verbum, n 8). Mais là, il ne s'agit que du don nécessaire pour que les évêques, quand ils interprètent et annoncent la Révélation conformément à la Tradition de l'Église, puissent garder intact *le dépôt de la foi.* L'Église n'a jamais enseigné, croyons-nous, que dans les actes concernant la discipline ou le gouvernement ecclésial, papes ou évêques soient protégés contre toute erreur de jugement ou contre toute défaillance de la volonté. En dehors du « charisme certain de la vérité », la no­tion même qu'une inspiration charismatique soit attri­buable à tous les actes du gouvernement pontifical nous semble extrêmement dangereuse : ne donnerait-elle pas à chaque pape un pouvoir absolu sur toutes les institutions de l'Église, sans égard à ce qui a été décrété par ses pré­décesseurs qui, pourtant, avaient agi sous la même impul­sion charismatique ? Ainsi, les rites liturgiques, les règles des ordres monastiques, les structures mêmes de la hié­rarchie ecclésiale, ainsi que tout le droit positif de l'Église, ne seraient-ils pas à tout moment livrés à l'empiètement d'un pape régnant, sans que celui-ci doive se soucier du fait qu'un ou plusieurs de ses prédécesseurs les avaient confirmés même de la façon la plus solennelle ? Vous n'aviez posé qu'une, seule condition : que soit laissé intact ce que la Tradition bimillénaire de l'Église comporte de fondamental et d'immuable. Mais sur cela, à savoir sur la définition de ce qui dans la Tradition est fondamental et immuable, ce serait de nouveau le pape régnant qui, grâce à son « charisme », aurait, lui seul, le dernier mot. 232:217 Une telle conception du pouvoir conféré par le Christ à Son Vicaire nous semble difficilement conciliable avec l'enseignement constant de l'Église, à savoir : pour que ses actes puissent engager la vraie obéissance des fidèles, le pape régnant doit ordonner l'exercice de son autorité suprême vers une conformité organique avec les actes de ses prédécesseurs. En plus, considérer cette autorité comme découlant d'un « charisme » nous paraît d'autant plus périlleux puisque par là on risquerait de favoriser une nouvelle forme du « conciliarisme » : l'Esprit même ayant soumis les charismatiques à l'autorité des apôtres (LG, n° 7), ce serait sous l'autorité des évêques, en tant que suc­cesseurs des apôtres, que le gouvernement « charisma­tique » des papes s'exercerait ! Avions-nous mal saisi la pensée de Votre Excellence ? Toujours est-il qu'en se référant à la nature « charisma­tique » du pouvoir conféré à Pierre et à ses successeurs, Votre Excellence a jugé inadmissibles les requêtes que j'avais soumises au Cardinal Secrétaire d'État dans ma lettre du 15 août 1976. D'après vous, la demande pour le maintien des rites sacramentels préconciliaires reflète « une autre ecclésiologie », -- une ecclésiologie faussée, qui prétendrait que ces rites, fixés à un moment déterminé de l'histoire, soient les seuls à exprimer convenablement la doctrine sacramentelle de l'Église, et que ni pape ni concile n'aurait le droit d'y toucher ou de les faire rem­placer par des rites rénovés. S'il en était ainsi, comment aurais-je pu me limiter à demander que l'Église reconnaisse, aux rites pré-conci­liaires, « le droit de *coexistence pacifique à côté des rites rénovés *»* ?* Je me permets de rappeler à Votre Excellence le dernier paragraphe de la lettre que m'avait adressée Son Excellence Mgr Lefebvre le 17 septembre dernier et que vous aviez lue en notre présence : « Pour l'Église universelle je souhaite, comme vous, la co-existence pai­sible des rites pré- et post-conciliaires. Qu'on laisse alors les prêtres et les fidèles choisir à quelle « famille de rite » ils préfèrent adhérer. Qu'on attende ensuite que le cours du temps fasse connaître le jugement de Dieu sur leurs valeurs respectives de vérité et d'efficacité salutaire pour l'Église catholique et pour toute la Chrétienté. » L'Église n'a-t-elle pas toujours admis et même favorisé une saine pluralité de vie spirituelle ? Comment donc peut-on rejeter nos requêtes comme si, en demandant le maintien des rites anciens « *à côté des rites rénovés *»*,* nous faisions de la liturgie un champ de bataille contre le Concile et refusions l'ensemble de la réforme liturgique promulgué par le Saint-Père ? 233:217 Pour ce qui est de la Messe dite de saint Pie V j'avais attiré l'attention de Votre Excellence sur le fait suivant : ceux qui, pour des raisons légitimes, demandent son main­tien « *comme l'une des formes de la célébration eucharis­tique reconnues et honorées dans la vie liturgique uni­verselle *» (Art. 2 des Statuts de la Fédération Internatio­nale UNA VOCE), sont également ceux qui, en pleine conformité avec les normes fixées parle Concile Vatican II, désirent que « dans les Rites latins soit maintenu l'usage de la langue latine » (SC, n 36, § 1). Aussi la restauration de l'ancien rite pourrait-elle être limitée aux Messes célébrées en latin. Le seul règlement qui s'y oppose se trouve dans le troisième alinéa du numéro 2 de la Notificatio du 14 juin 1971 : « A die quo populares huiusmodi interpretationes, in celebrationes lingua verna­cula peragendas assumi debebunt, tum iis etiam qui lingua latina uti pergunt, instaurata tantum Missae (et Liturgiae Horarum) forma adhibenda erit. » Cette Notificatio a été approuvée par le Saint-Père. Mais puisque Sa Sainteté dans sa grande bonté et sa sagesse a souvent consenti à faire une concession sur tel ou tel oint disciplinaire ou litur­gique (cf. Déclaration du Cardinal Gut reproduite dans le *Linzer Kirchenblatt* du 20 juillet 1969), nous ne voyons pas comment la demande de supprimer cet alinéa pourrait être considérée comme un acte de rébellion, ou comme témoignant d'une conception de l'Église et de la Tradition gravement erronée. Votre Excellence nous a priés avec insistance de joindre nos efforts à ceux du Saint-Siège pour redresser les abus par lesquels le culte public de l'Église est de plus en plus défigure sur le plan de la pratique comme sur celui de l'enseignement. Vous vous êtes déclaré prêt à instituer, avec des représentants qualifiés de notre mouvement, un dia­logue sérieux et vous ajoutiez : « à condition que vous acceptiez d'abord la nouvelle Messe ». Cette demande nous a beaucoup frappés : même une lecture superficielle des lettres que j'avais adressées à Leurs Éminences les Car­dinaux Villot et Knox aurait dû rassurer Votre Excellence sur ce point. Ainsi, dans ma lettre au Cardinal Secrétaire d'État du 14 janvier dernier, je disais ceci : « N'est-on pas ainsi amené à supposer que si les ordinaires locaux avaient été laissés libres de décider en cette délicate matière, nombre d'entre eux auraient autorisé la survivance de l'ancien missel, comme alternative toujours le ale de la célébration eucharistique, *pourvu que, dans chaque pa­roisse, des messes fussent également célébrées selon le nou­veau missel, à cadence régulière ? *» Entre temps, j'ai appris à Rome que, en effet, depuis la promulgation du nouveau « Missale Romanum », bon nombre d'évêques ont déjà adressé au Saint-Siège des pétitions allant dans ce sens. 234:217 Et dans la même lettre j'écrivais encore : « Les coutumes sacrées peuvent disparaître, mais elles ne doi­vent jamais être supprimées. Au lieu donc de pousser à la suppression progressive de l'ancien missel, il aurait fallu lui conserver une place d'honneur, *à côté du nou­veau.* Cela n'aurait pas empêché l'introduction de ce dernier dans les messes de paroisse, comme le démontre l'expérience de l'Allemagne. Par contre, au lieu de le placer en opposition avec la tradition multiséculaire, *le nouveau Missel aurait pu être présenté, avec plus de crédibilité, comme sa continuation*. Certes, les rites réformés n'auraient pas, pour autant, échappé à la critique légitime et né­cessaire. Mais si, dans les décrets réglant leur introduction, il était explicitement confirmé que le missel traditionnel fait toujours partie de la vie liturgique officielle de l'Église, ceux-là mêmes que l'imposition implacable des rites rénovés pousse aujourd'hui à la défiance ouverte n'auraient pas pu ou voulu rejeter entièrement la réforme de la Messe de Paul VI. » A vrai dire, il n'était même pas nécessaire que cette confirmation soit explicite : il aurait suffi de supprimer ce troisième alinéa du numéro 2 de la Notificatio du 14 juin 1971, cité plus haut. C'est en effet, ce qu'ont fait, de façon indirecte, les évêques de la Suisse par leur résolution du 5 mars dernier, insistant que l'usage du nouveau Missel *est désormais obligatoire pour toutes les Messes célébrées en langue vernaculaire.* Plus récemment encore, des évêques anglais se sont prononcés, publiquement ainsi que dans des lettres adressées au Saint-Siège, en faveur de la pré­servation de la Messe tridentine en latin « comme alter­native légitime et généralement utilisable à côté de l'Ordo Missae réformé ». Leur proposition rejoint, presque lit­téralement, la demande réitérée à maintes reprises au cours des sept années passées par la Fédération Interna­tionale UNA VOCE et inscrite dans ses statuts depuis 1971. Cette coïncidence n'est nullement fortuite : elle met en évidence le fait que, jusqu'à présent, notre mouvement a scrupuleusement respecté les limites imposées à son apos­tolat par une adhésion filiale, dans la foi, au magistère et au gouvernement du Pape Paul VI. C'est là un aspect que je me permets de souligner. Il serait évidemment difficile pour le Saint-Siège de prendre en considération des requêtes jaillissant d'un esprit de révolte, qu'elle soit réelle ou apparente, contre l'autorité pastorale du Souverain Pontife régnant. C'est pourquoi j'ai toujours insisté pour que le mouvement UNA VOCE préserve une indépendance totale afin de pouvoir offrir au Saint-Siège des interlocuteurs acceptables. 235:217 A ma stupéfaction, ni feu le Cardinal Tabera, ni S.E. le Cardinal Knox n'ont apprécié l'intérêt qu'ils pourraient et même devraient avoir en instituant un dialogue avec des représentants qualifiés nommés par notre Fédération. Maintenant, un dialogue nous est offert par Votre Ex­cellence, -- dialogue limité à un seul sujet : la lutte contre les abus liturgiques. Je vous remercie sincèrement de cette proposition et j'attends avec le plus grand respect les précisions que Votre Excellence voudra bien me faire parvenir à Sa meilleure convenance. Si Votre Excellence le désire, je me rendrai volontiers à Rome pour des discussions pré­liminaires avec ceux vers lesquels vous me dirigeriez. Daigne Votre Excellence agréer, avec mes remercie­ments, l'assurance de ma respectueuse révérence en N.-S. Dr Éric M. de Saventhem. 236:217 ### 11. -- Lettre de Mgr Benelli à Éric M. de Saventhem *24 novembre 1976* Monsieur le Président, J'ai bien reçu votre longue lettre du 26 octobre dernier. Je l'ai lue avec peine. Vous reprenez sans cesse les mêmes arguments pour vous soustraire, en fait, à ce qui est clai­rement voulu par l'Église et par le Saint-Père lui-même l'adoption loyale et confiante, par tous les fidèles de rite romain, du rituel rénové sous son autorité et en application des orientations fixées par le Concile. Le Souverain Pontife a estimé, pour de graves raisons dont il est seul juge, qu'il ne devait pas surseoir davantage à l'obligation de cette adoption, et que les coutumes contraires ne devaient pas être invoquées dans ce cas précis. Quel est donc le véritable motif de l'obstination à exiger le maintien de l'ancien rite, quand le nouveau, célébré selon les normes établies, permet une célébration digne et fina­lement très traditionnelle du sacrifice du Christ ? Vous insistez sur le fait qu'il ne s'agit aucunement d'un refus de la réforme liturgique et encore moins du Concile Vatican II ; je le souhaite, mais je constate que la référence que vous citez prouve chaque jour le contraire. En tout cas, la volonté du Saint-Père, qui a pour mission de guider l'ensemble du Peuple de Dieu, est manifeste. Je dois donc constater avec amertume que, après les quelque trois heures et demie durant lesquelles j'ai es­sayé de clarifier les choses avec vous, vous n'avez pas encore compris ou admis que l'obéissance habituelle au Pape, même lorsqu'il ne parle pas « ex cathedra », est, comme elle a toujours été, un devoir élémentaire pour tous les fils de l'Église. Je ne puis reprendre le dialogue sur ce point : je vous invite seulement à bien vouloir con­sulter, en toute humilité et sérénité, un bon catéchisme, approuvé par l'autorité ecclésiastique légitime. 237:217 Je précise aussi, contrairement à ce que vous affirmez, que je n'ai pas offert un dialogue particulier à l'Association « Una Voce » : cette Association n'est pas reconnue par le Saint-Siège, et pas davantage, me semble-t-il, par l'épis­copat ; en outre, si mes informations sont exactes, elle n'accepte pas dans leur totalité -- malgré ce qu'elle pro­clame -- le magistère ordinaire du Souverain Pontife ni les directives de l'épiscopat, en ce qui concerne du moins les instructions en matière liturgique. Pour ma part, j'ai dit et je répète mon grand regret de voir cette dispersion des énergies et des efforts que vous entretenez ou accentuez. Avec tous vos sympathi­sants, -- je ne veux pas douter de leur bonne volonté, de leur souci de la foi et de leur recherche d'une prière litur­gique qui soit digne, -- vous devriez agir en union véritable avec le Pape et les évêques : d'abord pour adhérer person­nellement aux normes liturgiques conciliaires et post-conci­liaires ; ensuite pour les mettre en application autant qu'il dépend de vous, en recherchant les merveilleuses possibilités de la liturgie rénovée, même pour le chant solennel et le répertoire grégorien. Les négligences, les réductions ou les abus qui sont à déplorer dans le domaine discipli­naire et liturgique, et contre lesquels on s'emploie par ailleurs, pourraient être ainsi peu à peu atténués. Mais en maintenant la position que vous adoptez actuellement, vous vous placez en marge, si ce n'est en état de refus, et vous perdez la capacité d'aider positivement à cette œuvre de renouveau authentique. J'espérais, j'ose encore espérer que vous saisissez ici la responsabilité qui est la vôtre. En regrettant d'avoir dû faire cette mise au point, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'assurance de mes sentiments dévoués en N.-S. G. Benelli Subst. 238:217 ### 12. -- Lettre d'Éric M. de Saventhem à Mgr Benelli *6 janvier 1977* Monseigneur Excellentissime, Votre lettre du 24 novembre m'est parvenue par la Nonciature. Je vous en remercie. Rappelant le devoir élémentaire de l'obéissance au ma­gistère ordinaire du Pape, -- en l'occurrence : à sa « vo­lonté manifeste », -- Votre Excellence exige d'abord « l'adoption loyale et confiante du rituel rénové » de la Messe. Ensuite, en nous exhortant d'agir en union véritable avec le Pape et les évêques, vous nous appelez, pour autant qu'elle dépend de nous, à l'application des normes litur­giques conciliaires et post-conciliaires, en recherchant « les merveilleuses possibilités de la liturgie rénovée, même pour le chant solennel et le répertoire grégorien ». Ainsi, pensez-vous, les négligences, réductions ou abus qui sont à déplo­rer dans le domaine disciplinaire et liturgique, « pour­raient être peu à peu atténués ». Quant à notre position actuelle, en particulier notre demande de co-existence pai­sible entre rites pré- et post-conciliaires, Votre Excellence n'y voit qu'une « obstination », par laquelle nous nous laçons « en marge, si ce n'est en état de refus », et qui, à votre grand regret, nous fait perdre la capacité d'aider positivement à « l'œuvre de renouveau authentique ». Au moment même où j'ai reçu votre lettre, celle que Sa Sainteté Paul VI avait adressée à Mgr Lefebvre venait d'être rendue publique. Puisque j'y avais retrouvé tous les arguments développés par Votre Excellence au cours de notre long entretien du 15 octobre, je me crois autorisé de rédiger ma réponse en fonction de ces deux textes qui, d'ailleurs, se complètent. 239:217 #### I Malgré les récents contacts personnels, aucune amélio­ration de la compréhension mutuelle entre le Saint-Siège et l'aile conservatrice du peuple de Dieu ne peut être cons­tatée. Cet échec est d'autant plus tragique puisqu'il y avait, au départ, un point commun : le Siège Apostolique admet et déplore les déviations graves dans la foi et la pratique sacramentelle, comme nous l'avions fait depuis des années. C'est quand nous passons à l'analyse des causes de la crise, et à l'esquisse des remèdes, que nos vues et nos voies se séparent. Aux yeux du Saint-Siège, l'anarchie contemporaine dans la liturgie, l'enseignement et la catéchèse, ne saurait nulle­ment être attribuée au Concile Vatican II lui-même, ni aux réformes qui en sont légitimement issues. Plutôt serait-elle la conséquence d'un manque de fidélité authentique à leur endroit. Et pour expliquer ce manque de fidélité, l'on en renvoie à une cause extérieure : l'immense muta­tion du monde aujourd'hui qui « affecte les croyants au plus profond d'eux-mêmes et rend plus nécessaire encore le souci apostolique de ceux qui sont loin ». En d'autres termes : face à l'immense mutation du monde moderne, il serait illusoire d'espérer que les croyants, prêtres et fidèles, « affectés au plus profond d'eux-mêmes », respectent encore les normes édictées par l'autorité. En plus, éloignés de l'Église institutionnelle par la poussée de cette immense mutation, ces chrétiens fe­raient désormais partie de ceux « qui sont loin ». Ils au­raient donc droit au « souci apostolique », ce qui exclurait, évidemment, toute tentative d'obtenir par des mesures disciplinaires une fidélité dont ils se sentent incapables ou dispensés. Malgré le respect dû aux auteurs de ce diagnostic, il nous est impossible de nous y rallier. Quand on parle de la mutation du monde moderne comme si elle devait iné­luctablement provoquer une crise de la foi, l'on ne voit de la religion que sa dimension sociologique. L'assentiment aux vérités de la foi serait alors conditionné par leur con­cordance avec la culture ambiante, et la vertu théologale de l'Espérance devrait céder la place à la technique de l'adaptation. Nous savons bien que de telles conceptions trouvent des adeptes parmi les théologiens contemporains, mais nous sommes profondément troublés d'en rencontrer l'écho dans une lettre pontificale. 240:217 En plus, si l'on attribue la crise intérieure de l'Église à la mutation du monde extérieur, comment nier que « l'ou­verture au monde » prêchée par le Concile et promue par les réformes post-conciliaires y ait été un facteur déter­minant ? Quant à l'anarchie liturgique, l'évidence même la lie directement à la réforme post-conciliaire. Ceux qui mé­prisent les nouvelles normes liturgiques agissent pour la plupart avec la meilleure conscience du monde. Ils se réclament, avec assurance, de ce que le Souverain Pontife lui-même a défini comme le principe-clé du renouveau « Que les hommes de notre époque soient capables d'ex­primer vraiment et efficacement leurs sentiments dans la liturgie » (Allocution du 10 avril 1970). A côté de cette exigence prioritaire, la sauvegarde de l'héritage liturgique de l'Église latine ne trouve sa place qu'au second plan on le conservera « tant que possible », comme le disait encore le Saint-Père. Il en est de même, aujourd'hui, avec l'observance des normes liturgiques édictées par la hié­rarchie : on ne les respecte qu' « autant que possible », à savoir : pour autant qu'on n'y voit pas des obstacles à « l'expression vraie et efficace des sentiments de l'homme moderne ». C'est là le nœud du problème, Excellence. Dès que l'on postule, comme principe-clé de la réforme, que la liturgie doit permettre aux hommes de notre époque d'y exprimer vraiment et efficacement « leurs sentiments », la forme de chaque célébration se trouve inéluctablement livrée à la créativité spontanée ou manipulée des participants. Fon­dé sur ce principe, aucun rituel ne peut subsister, ni aucune obligation de se tenir à telle ou telle loi cadre. C'est ce principe même, avec l'inversion des priorités conciliaires qu'il implique, qui est à la base de l'anarchie liturgique contemporaine, dont dépérit l'Église. #### II Je veux bien croire que le Saint-Siège s'inquiète sincè­rement devant les abus, les scandales, les sacrilèges incon­testables dans la Messe. Il serait d'ailleurs énorme qu'il ne le fasse pas. Mais je ne peux pas accepter ce que Votre Excellence nous propose comme l'unique remède « l'adoption loyale et confiante du rituel rénové ». Le nouveau Missel Romain lui-même incarne et applique ce principe d'adaptation aux « sentiments » des hommes de notre époque qui doivent pouvoir « s'y retrouver », comme on dit aujourd'hui. En tant que rituel, le nouveau rite de la Messe est donc livré à l'autodestruction, par laquelle il a d'ailleurs été frappé dès sa parution. 241:217 Certes, le rituel rénové permet, comme le souligne Votre Excellence, « une célébration digne et finalement très tra­ditionnelle du Sacrifice du Christ » quand le nouveau rite est célébré « selon les normes établies ». Mais les « normes établies » comprennent celles des Messes « avec enfants » ou « avec groupes particuliers ». Au niveau national, les « normes établies » couvrent l'emploi de textes verna­culaires peu conformes à ceux de l'édition typique. Ainsi, sans la moindre infraction aux « normes établies », le rituel rénové « permet » également des célébrations qui non seulement s'éloignent, de façon éclatante, de toute la tra­dition liturgique de l'Église, mais qui vont directement à l'encontre de tous les principes théologiques et ecclésiolo­giques rappelés par la Constitution « Sacrosanctum Concilium ». Votre Excellence nous concède que nous avons « le souci de la foi », et que nous cherchons « une prière liturgique qui soit digne ». C'est précisément pourquoi nous ne pouvons pas nous contenter, comme vous le voudriez, d'œuvrer pour une application plus fidèle des normes liturgiques post-conciliaires, grâce à laquelle les abus seraient « peu à peu atténués ». Je vous avoue, Monsei­gneur, que ce passage dans votre lettre nous a profon­dément choqué. Quand il s'agit de « pratiques erronées, dommageables, voire scandaleuses et parfois même sacri­lèges », il est nettement inadmissible, et pour l'autorité ecclésiastique, et pour les fidèles avertis, de se résigner à une simple « atténuation », de surcroît graduelle, car « *la participation aux sacrements qui inclut le danger d'aberra­tion dans la foi, de scandale et d'indifférentisme, est in­terdite par la loi divine* » (Orientalium Ecclesiarum, n. 26). En plus, l'expérience journalière de la liturgie rénovée (au niveau paroissial ou communautaire) nous prouve que ce sont précisément les nouvelles normes qui favorisent de telles pratiques : imbu de l'esprit de « permissivité », le nouveau rituel a effacé la ligne de démarcation qui laisse­rait apparaître clairement leur caractère abusif. Voilà pourquoi nous nous « obstinons » à exiger le maintien des anciens rites, et surtout de l'ancien rite de la Messe : l'Église en a essentiellement besoin comme de points de repère. Ce sont là des rites, et des rituels, avec lesquels personne n'ose prendre de libertés. Quand nous voyons utilisé l'ancien Missale Romanum, nous avons enfin la pleine certitude que la célébration de la Messe se dérou­lera dans une authentique fidélité à des normes établies par l'Église. Ainsi, loin d'être un signe de rébellion, notre « obstination » n'est qu'un témoignage de notre sens ec­clésial. 242:217 Et nous nous demandons pourquoi le « souci apostolique » ne s'incline pas vers nous : sommes-nous défia trop « loin » pour en bénéficier, ou ne le sommes-nous pas encore suffisamment ? #### III Vous m'écriviez que le Souverain Pontife a estimé, pour de graves raisons dont il est seul juge, qu'il ne devait pas surseoir davantage à l'obligation de l'adoption, par tous les fidèles de rite romain, du rituel réforme de la Messe. Dans la lettre du Pape à Mgr Lefebvre, ces graves raisons se trouvent explicitées : si des exceptions à cette adoption ne peuvent plus être tolérées, c'est d'abord en vue du « bien spirituel et de l'unité de l'entière communauté ec­clésiale » et, ensuite, « parce que, dans votre cas, l'ancien rite est en fait l'expression d'une ecclésiologie faussée, un terrain de lutte contre le Concile et ses réformes ». Au cours de notre entretien du 15 octobre, Votre Excellence avait déjà lancé ces mêmes accusations, presque textuelle­ment, contre la grande foule des sympathisants d'UNA VOCE. En guise de réponse très partielle, je me permets de toucher deux aspects seulement. Premièrement : dans la demande pour le maintien des anciens rites comme dans les œuvres de Mgr Lefebvre, le souci apostolique devrait surtout reconnaître l'expression d'une authentique « aspiration à la sainteté », nourrie de la spiritualité traditionnelle de l'Église catholique. Pour autant que cette aspiration s'en tienne, dans la liturgie, la formation des prêtres, la catéchèse et l'apostolat, aux formes et normes recommandées ou même imposées par la Hiérarchie jusqu'à la veille du Concile Vatican II, l'on ne peut comprendre qu'elle soit « l'expression d'une ecclé­siologie faussée » qu'en supposant que l'Église dite conci­liaire professe une ecclésiologie toute nouvelle et toute différente de celle du pré-Concile. Supposition qui, malheu­reusement, n'est point gratuite, comme le démontrent en­tr'autres les récentes paroles de S.E. le Cardinal Koenig, que voici : « Il n'y a plus ni église enseignante, ni église enseignée, ni celle qui commande, ni celle qui obéit. Prêtres et laïques, marques d'une vraie égalité et d'une dignité commune, ne font qu'une organique unité. » (Wiener Kirchenzeitung, 24 octobre 1976.) 243:217 Secondement : six ans après la fin des travaux du « Concilium », l'anarchie liturgique prouve par son exis­tente même l'inefficacité des moyens employés jusqu'à présent pour l'endiguer. Parmi les causes majeures de la désacralisation dans la pratique, contre laquelle le Saint-Père « ne cesse d'élever la voix », il faut citer en premier lieu les écrits et les paroles de ceux qui justifient cette même désacralisation dans la théorie comme une prolon­gation logique des lignes directrices élaborées par ledit Consilium. Bien sûr : on leur objecte qu'ils ont tort de couvrir du nom de « conciliaires » des interprétations aussi erronées. Mais quand, en même temps, les rituels anciens qui ont protégé des siècles durant l'ordre sacramentel de l'Église contre toute tentative de profanation, se trouvent proscrits avec une rigueur sans précédent au nom du « bien spirituel de l'Église », les « assassins de la litur­gie » doivent se croire subrepticement encouragés. De plus, en dépit de tout reproche, on les laisse occuper, presque partout, les postes-clés dans les différents organis­mes de la pastorale liturgique, eux-mêmes un fruit du Concile. Grâce à ces positions ils peuvent disséminer leurs théories meurtrières par voie officielle, -- dans les livres de catéchèse, dans les feuilles à l'usage paroissial, dans les cours de recyclage ou de formation permanente, dans les facultés et séminaires. Il ne serait que trop facile, Excel­lence, de vous en citer des dizaines de cas, preuves à l'appui. Si donc on veut parler de la liturgie, de la Messe, comme « terrain de lutte », il faut en accuser d'abord et surtout ceux qui y mènent, depuis plus de 15 ans, une guerre clandestine contre la foi : les « professionnels de la re­cherche », oligarchie quasiment plénipotente promue au pouvoir par les deux courants-force de l'élan post-conci­liaire, le « ressourcement » et la « collégialité ». C'est le « retour aux sources » qui a exigé et justifié que tout soit remis en question, -- des Saintes Écritures jusqu'aux dogmes définis, de la Tradition (avec T majuscule) jus­qu'aux traditions. Cette oligarchie ne reconnaît, ne connaît même pas, ni abus, ni excès, ni scandale, ni sacrilège : tout est « recherche » et donc légitime. Et puisque ces « chercheurs » professionnels façonnent la volonté collé­giale des Conférences Épiscopales, il n'y a rien qui s'oppose, au plan paroissial, diocésain et national, à la destruction qu'ils engendrent, très scientifiquement d'ailleurs, surtout dans le domaine liturgique. Rien, dis-je, sauf l'infaillibilité passive du « sensus fidei » du peuple de Dieu. 244:217 Voilà, Monseigneur, ce qu'ont vécu, depuis le Concile, les gens simples qui composent ce peuple de Dieu. Assu­rément, la crise de la liturgie, de la Messe, précède et trans­cende de loin le conflit entre Rome et Monseigneur Le­febvre. Même si l'Archevêque allait se conformer aux de­mandes contenues dans la lettre pontificale du 11 octobre, cela ne résoudrait point la crise liturgique dont souffre depuis le Concile la grande majorité des catholiques dé­semparés. Pour eux, comme l'écrivait récemment encore M. Jean Guitton, « la vérité c'est l'identité des rites, la communion avec les parents morts, le sacré ». Or, n'est-ce pas au nom du Concile précisément qu'il était jugé néces­saire de briser l'identité des rites, dans l'espace comme dans le temps ? Et n'est-ce pas Rome elle-même qui pense et qui dit que « dans la nouvelle messe, c'est le Concile qui est en feu » ? A la suite de quoi il n'y a rien de sur­prenant si une forte majorité de catholiques en France comme probablement ailleurs) ne croit plus, aujourd'hui, que le Concile Vatican II, au total, ait fait plus de bien que de mal à l'Église. Et ce serait une erreur tragique que de n'y voir qu'une manifestation de quelques difficultés psychologiques, dues à un manque de souplesse pédagogique dans l'introduction de changements si radicaux. Le malaise est beaucoup plus profond. Les gens se sentent atteints « au plus profond Feux-mêmes » par les silences intentionnels des rites rénovés qu'aucune « richesse de textes scripturaires » ne peut compenser. Sans qu'il y ait besoin de les en convaincre, les fidèles trouvent la cause prochaine de la crise dans le Concile. Et cela non seulement par le simple procédé de juger l'arbre à ses fruits, -- jugement prématuré, si vous voulez, -- mais surtout parce que c'est toujours le Concile, ou plus exactement son esprit, sa logique, et finalement ses orientations, auxquels on les renvoie comme point de repère. #### IV Votre Excellence nous exhorte à faire confiance à nos pasteurs légitimes, au Pape d'abord, et aux évêques qui lui sont unis. Nous y sommes tout prêts, Monseigneur, nous le ferons joyeusement et de plein cœur, dès que nous verrons Sa Sainteté se lever comme le vrai chef du peuple de Dieu, précisément sur ce « terrain de lutte » qu'est devenue la Sainte Liturgie. Ce qu'exigent l'amour de la vérité, l'amour de l'Église, l'amour de la paix, le « souci apostolique », c'est que le Pape lui-même prenne l'initia­tive pour rendre, au culte public de l'Église, son caractère essentiel : «* actio praecellenter sacra *», comme le définis­saient encore les Pères du Concile. 245:217 Parce que les catholiques loyaux attribuent les abus généralisés premièrement à la forfaiture de leurs évêques, leur désaffection ne s'étend pas, jusqu'à présent, au Saint-Siège. Mais le temps presse, Monseigneur. La misère, le désespoir même de tant de fidèles vont se transformer, soit en rébellion, soit en indifférence, si Rome ne signifie pas, dans l'avenir immédiat, sa détermination de redresser et les complaisances des Conférences épiscopales, et les usurpations de leurs fonctionnaires « chercheurs ». Votre Excellence nous a dit que le Saint-Siège s'y em­ploie déjà bien plus assidûment que nous ne le savons. Mais ces efforts resteront vains si Rome continue à mé­priser les besoins vitaux de ceux qui, dans cet engagement, sont ses alliés naturels. Les catholiques loyaux ne peuvent juger de la sincérité du Saint-Siège qu'en fonction de mesures concrètes, prises publiquement, qui leur assurent dans la profession, la célébration et la transmission de la foi, le soutien et la nourriture spirituels auxquels ils ont droit. Si, donc, Rome maintient le refus qu'elle oppose à nos justes revendications, elle risque d'aliéner, de façon irréparable, l'affection profonde que nous gardons tous pour Celui « qui a pour mission de guider l'ensemble du Peuple de Dieu ». #### V Que Votre Excellence veuille donc apercevoir, dans notre « obstination », le signe même de cette affection toute loyale. Et qu'elle veuille comprendre notre stupéfaction en nous voyant refusé, de nouveau, tout dialogue soutenu avec les instances romaines. L'audience du 15 octobre avait laissé ma femme comme moi-même très sincèrement sous l'impression que Votre Excellence était prête à en entre­tenir dès à présent la possibilité, pourvu que ce dialogue soit limité au seul sujet de la lutte contre les abus litur­giques contemporains. Votre mise au point nous apprend que nous vous avions mal compris, ce qui ne peut guère atténuer notre amertume. Pourtant, voyant combien Votre Excellence regrette la « dispersion des énergies et des efforts » qu'elle croit devoir nous reprocher, je me permets de proposer, comme premier pas pour y mettre fin, une mesure concrète contre laquelle les obstacles cités dans votre lettre ne sauraient pas être invoqués : *Que l'on appelle, comme membre du nouveau Conseil Pontifical pour les laïcs, une ou plusieurs personnalités qui y puissent faire valoir les justes expectations de l'aile conservatrice de l'Église.* 246:217 Expressément mandaté de « favoriser *de sa propre initiative* la participation active des laïcs en ce qui concer­ne (entre autres) le *domaine liturgique *»*,* ce nouveau Conseil Pontifical s'offre tout naturellement comme « lieu de dia­logue » aussi avec ceux dont l'humble aspiration à la sainteté ne peut pas trouver, dans la liturgie rénovée, la nourriture et le soutien spirituels dont ils ont besoin. Pour certains, Monseigneur, il y va autant de leur équilibre spirituel que de leur vertu : l'étroitesse des cœurs, l'avi­dité malsaine du miraculeux, la crédulité et le pharisaïsme ne sont que de trop réelles tentations quand l'on se voit ou se croit injustement privé de la sollicitude de ses pasteurs ! Dans le ferme espoir que cette suggestion précise sera accueillie avec une bienveillante compréhension, je me tiens à la disposition de Votre Excellence pour lui sou­mettre, à l'occurrence, les noms de plusieurs hommes et femmes dont la compétence comme la fidélité à l'Église et au Pape régnant satisferont à toute exigence authen­tique. Entre-temps, le Conseil de notre Fédération sera chargé de rédiger, à l'attention du Cardinal-Président du nouveau Conseil Pontifical pour les laïcs, deux rapports préparatoires, dont j'enverrai copie à Votre Excellence, avant de les communiquer à nos membres et à la presse. Sincèrement reconnaissant de votre patience, de nou­veau mise à l'épreuve par cette très longue lettre, je prie Votre Excellence de bien vouloir croire à notre dévouement profondément respectueux en Notre-Seigneur. Dr. Éric M. de Saventhem. Président 247:217 ### 13. -- Le document du mépris 16 février 1977 Voici la fin de non-recevoir, en forme d'affront calculé, que la secrétairerie d'État a fait tenir officiellement, par le nonce apostolique, au président de la Fédération internationale UNA VOCE SECRÉTAIRERIE D'ÉTAT N. 321.651 Du Vatican, le 16 février 1977 La Secrétairerie d'État vous fait savoir que Monseigneur le Substitut a bien reçu votre lettre du 6 janvier. 248:217 ### 14. -- Lettre d'Éric M. de. Saventhem à Mgr Benelli *3 mars 1977* Monseigneur Excellentissime, Rentrant chez moi de l'étranger, j'ai trouvé parmi mon courrier la feuille ci-jointe : papier en tête de la Secrétai­rerie d'État, datée le 16 février 1977, et portant le numéro N. 321.651. Dépourvu de toute indication qu'il me soit destiné, cet étrange écrit devrait tout de même servir, paraît-il, comme réponse ou plutôt comme refus de réponse à ma lettre du 6 Janvier. Ne portant ni adresse ni signature, cette feuille reflète un tel mépris de ceux dont j'étais le porte-parole auprès de Votre Excellence, et de moi-même, comme fils fidèles de l'Église, que je me dois d'en refuser l'accep­tation : il me serait répugnant d'incorporer dans le dossier de ma correspondance officielle avec la Curie Romaine un document si singulièrement inconvenant. Aurais-je tort, Excellence, de vous croire en plein accord avec ce senti­ment ? Si la Secrétairerie d'État ne peut pas ou ne veut pas donner une réponse détaillée à ma lettre du 6 janvier 1977, ou si pour une quelconque raison l'on désire mettre fin à notre correspondance, qu'on me le fasse savoir clairement par une lettre qui me soit proprement adressée et qui porte la signature d'un membre responsable de ce Dicastère. Je prie Votre Excellence de bien vouloir agréer l'assu­rance de mon très respectueux dévouement en N.-S. Dr. Éric M. de Saventhem. *Président* *Cette lettre n'a reçu aucune réponse. Le docu­ment méprisant du 16 février 1977 est bien le dernier mot de l'actuelle secrétairerie d'État.* 249:217 ## AVIS PRATIQUES ### Informations L'abbé Louis Coache écrit dans *Le combat de la foi catho­lique,* numéro 40 : « L'OCCUPATION D'UNE SECONDE ÉGLISE. -- De toutes parts les fidèles nous pressent de mettre à exécution notre projet. Il est certain que ni Saint-Nicolas ni Wagram ne peuvent suffire ; et la foule des catholiques avides de prédication et de sacre­ments authentiques, heureux de retrouver du surnaturel (et non pas une religion de l'homme, toute centrée sur le monde), cette foule, dis-je, se multipliant au fur et à mesure que lui sont offerts de nouveaux aliments spirituels, viendra remplir une nouvelle église. « LE PROJET TIENT DONC. Mais Mgr Ducaud-Bourget m'a for­tement déconseillé de le mettre à exécution immédiatement. Quand on fait la guerre, il faut savoir écouter l'avis de ses alliés ; je m'incline donc pour le moment, d'autant plus que le procès de Saint-Nicolas se trouve maintenant en cassation et que, d'autre part, il y a peut-être espérance d'arrangement sur le plan local. Ne pouvant en dire plus, et loin d'abandonner, je remets donc la réalisation au début du printemps si d'ici là une solution n'est pas intervenue. En attendant, nos fidèles de la région parisienne jouissent des deux centres de Mgr Ducaud-Bourget ! Bien sûr, si le cher Monseigneur perdait Saint-Nicolas sans contre-partie, il ne faudrait pas longtemps pour prendre une église, et quelque chose de bien ! ...... « LE PÈLERINAGE DE PENTECÔTE. -- Le dernier *Combat de la foi* avait annoncé un *pèlerinage à Rome.* J'ai songé tout de suite à réaliser une entente entre responsables des différentes familles « traditionalistes » (se trouvant à l'unisson sur l'essen­tiel, la messe de toujours), entente éminemment souhaitable et seul moyen d'entraîner de grandes foules. 250:217 Mgr Ducaud-Bourget, le R.P. Barbara et moi-même avons donc réuni une dizaine de directeurs et « chefs de file » -- auxquels M. Madiran avait bien voulu se joindre comme ami et pour information -- près d'Écône d'abord et puis, un mois après, à Paris. L'accord de tous était donné, le comité d'organisation mis sur pied avec le secrétariat, le programme bien précisé. Malheureusement pour le projet, le lendemain Mgr Ducaud-Bourget, ayant réfléchi, envoyait sa désapprobation qui visait le but essentiel (après la prière) du pèlerinage : l'occupation de Saint-Pierre toute la journée de la Pentecôte. Simple secrétaire de ce comité je me suis donc incliné, pour le bien général, et j'ai abandonné un projet qui avait perdu sa forme primitive et sa « force de frappe » ; le comité directeur, aux dernières nouvelles, a renon­cé au pèlerinage purement et simplement. Tout compte fait, la sagesse de Mgr Ducaud-Bourget semble plus raisonnable que notre impétuosité ! C'est pourquoi le *Combat de la foi* ne se décourage pas pour autant. J'organise donc un grand pèleri­nage à Lourdes pour la Pentecôte. « Qui m'aime me suive » pourrais-je annoncer ! Mais surtout, que ceux qui aiment l'Église et la Sainte Vierge accourent ! Prenant à ma charge organisa­tion et responsabilité, j'invite cependant tous nos amis et res­ponsables de bulletins, de centres ou de mouvements à l'annon­cer et à venir. Qu'ils fassent ce que leur cœur et leur conscience leur dira. Secrétariat : Mme Buisson, 5, rue Léon-Cogniet, Paris XVII^e^ ; tél. : 227.00.30. Secrétaire générale : Mlle Aliette Bou­vattier (écrire même adresse). On peut s'inscrire dès mainte­nant ; les exercices du pèlerinage se dérouleront du 13 mai midi au 15 midi. » ============== fin du numéro 217. [^1]:  -- (1). *Documentation catholique* du 20 novembre 1966, notam­ment col. 1991. [^2]:  -- (1). « *Fonds obligatoire à l'usage des auteurs d'adaptations. Catéchisme français du cours moyen. *» Ordinairement dénom­mé, en abrégé, par la « Commission épiscopale de l'enseigne­ment religieux » : « *Fonds Obligatoire du Catéchisme national du cours moyen *»*. -- *Les nouveaux catéchismes mis entre les mains des enfants sont revêtus d'un « *Visa de conformité au Fonds Obligatoire du Catéchisme national du cours moyen, délivré par la commission épiscopale de l'Enseignement reli­gieux *»*.* [^3]:  -- (2). « On veut ignorer délibérément que ce programme ne représente pas la totalité de l'enseignement donné aux enfants de France, mais seulement une étape qui sera suivie du caté­chisme pour les classes ultérieures. » (Communiqué du cardi­nal Lefebvre daté du 28 février 1968 ; publié dans *Le journal la croix* du 1^er^ mars ; et dans la *Documentation catholique* du 17 mars, col. 576.) [^4]:  -- (3). Comparons les textes accusés et le texte accusateur : -- M. Madiran (21 janvier 1968). « *Avec le cours moyen, il s'agit de l'étape intermédiaire du catéchisme,* etc. » M. Madi­ran donne la citation du texte lui-même du « Fonds obligatoire » exposant le système et la division des « étapes de l'enseigne­ment religieux ». -- M. Salleron (20 février 1968) : « *L'enseignement du caté­chisme étant prévu pour six ans, il y aura un cycle correspondant aux classes de 10^e^ et de 9^e^, un second aux classes de 8^e^ et, 7^e^, et un troisième aux classes de 6^e^ et 5^e^. Le* « *Fonds obliga­toire *» *qui vient de paraître correspond au cycle intermé­diaire* (*8^e^ et 7^E^*) *concernant les enfants d'une dizaine d'an­nées. *» *-- *Le cardinal Lefebvre (28 février 1968) : « *On veut igno­rer délibérément que ce programme ne représente pas la tota­lité de l'enseignement donné aux enfants de France, mais seu­lement une étape,* etc. » [^5]:  -- (1). Selon le témoignage du Chanoine André Boyer dans la revue *Catéchèse,* numéro 29, p. 401. [^6]:  -- (2). Lettre de saint Pie X au Cardinal Pierre Respighi, 14 juin 1904. [^7]:  -- (3). C'était l'abbé Berto. [^8]:  -- (4). Mot attesté par le Chanoine André Boyer, *loc. cit.,* p. 402. [^9]:  -- (1). « Catéchisme à l'usage des diocèses de France », « édi­tion revue et corrigée 1947 », Éditions Tardy 1947, imprimatur de « Joseph Lefebvre, archevêque de Bourges ». [^10]:  -- (1). Nouvelles éditions latines, 1977. [^11]:  -- (1). *Le socialisme sans visage,* aux presses Universitaires de France (voir ITINÉRAIRES, numéro 212 d'avril 1977). [^12]:  -- (1). C.N.B.B. : conférence nationale des évêques brésiliens. (*Note de la rédaction.*) [^13]:  -- (2). « *A propos des Indiens du Brésil *»*,* ITINÉRAIRES numéro 213 de mai 1977. [^14]:  -- (1). *Bahia de Todos os Santos,* au Brésil, ainsi nommée parce qu'elle fut « découverte » par Cabral le jour de la Toussaint de l'an 1500. (Note d'ITINÉRAIRES.) [^15]:  -- (1). Les îles « Martin Vaz » sont quatre ou cinq îlots qui tombent à pic dans la mer, à 26 milles de Trindade (ne pas confondre avec la Trinidad des Antilles), distante de 600 milles de la côte, à peu près sur le même parallèle que la ville de Victoria, dans l'État de Espirito Santo. (*Note de l'auteur.*) [^16]:  -- (1). Au Brésil on n'emploie guère le mot « capitaine » que dans les clubs nautiques plus ou moins snobs. On dit plutôt Commandant quand il s'agit d'un grand navire mais pour les petits caboteurs, pêcheurs, surtout voiliers, on dit « mestre ». (*Note de l'auteur.*) [^17]:  -- (1). Cf. mon article « L'aventure pastorale » dans le n° 214, juin 1977, d'ITINÉRAIRES. [^18]:  -- (2). Cf. mon article « De l'affaire d'Écône à l'Église conci­liaire » dans le n° 209, janvier 1977, d'ITINÉRAIRES. [^19]:  -- (1). *Le Progrès*, quotidien de Lyon, a fait état de ces conféren­ces et du pèlerinage dans ses éditions du 16 et du 19 mai 1975. [^20]:  -- (2). Comme de nos jours, le terme de martyr est couram­ment appliqué à tous ceux qui souffrent ou subissent des pei­nes physiques (enfants martyrs du fait de la cruauté d'indignes parents, athlètes martyrs du fait de l'effort fourni pour se dis­tinguer, travailleurs martyrs des conditions atmosphériques, conjoint martyr du caractère acariâtre de l'autre) nous rappe­lons que le dictionnaire définit le martyr comme « celui qui a souffert des tourments ou de la mort pour soutenir la vérité de la religion chrétienne. Par extension se dit de tous ceux qui souffrent ou meurent pour quelque chose qu'ils prisent plus que la vie ». [^21]:  -- (3). *Le Grand Carême dans l'Église orthodoxe,* Alexandre SCHMEMANN, Vol. 13 de la collection Spiritualité orientale, Édit. pro-manuscripto de l'Abbaye de Bellefontaine, 1974. [^22]:  -- (4). Mgr WARE : *Orthodoxie, Église des Sept Conciles,* chez Desclée, p. 280. Cet ouvrage est, pour l'heure, le meilleur sur l'Orthodoxie. [^23]:  -- (5). Les textes de saint Cyprien sont pris dans sa *Correspon­dance* éditée à Paris en 1925 par la Sté d'édition Les Belles Let­tres sous le patronage de l'ass. Guillaume Budé ; les « pour­quoi » se trouvent dans la lettre LXI - 3/1 émanant de « Cyprien et ses collègues » du Concile de Carthage, automne 253. [^24]:  -- (6). Les Dieux des Romains, par V. BASANOFF, collection Mythes et Religions, P.U.F., Paris, 1942. -- *La conquête romai­ne, par* PIGANIOL, collection Peuples et Civilisations, P.U.F. -- *L'Empire Romain,* par ALBERTINI, même collection, volume IV. [^25]:  -- (7). Th. MOMMSEN : *Histoire romaine,* Flammarion, tome VII, Livre V. [^26]:  -- (8). Pierre GAXOTTE : « Les années heureuses de la Gaule Romaine », article paru dans *Historama*, n° 283, pages 110 à 117. [^27]:  -- (9). Léon Homo : *Les institutions politiques romaines de la Cité à l'État,* Coll. Évolution de l'Humanité, Albin Michel, Paris, 1933. [^28]:  -- (10). J. CARCOPINO : *La vie quotidienne à Rome à l'apogée de l'Empire,* Hachette, Paris, 1942. [^29]:  -- (11). J. CARCOPINO, *op. cit.,* pp. 97 et suivantes. [^30]:  -- (12). CARCOPINO, op. cit., pages 100 et 112 à 114. [^31]:  -- (13). A l'heure où nous rédigeons ce chapitre, comment ne pas faire un rapprochement des mœurs romaines, telles qu'elles sont décrites par J. Carcopino et furent objets de satires de Martial et Juvénal, avec les dernières décisions législatives françaises, et les mœurs de ce dernier quart de siècle : la pilule, la libération de l'avortement et de la contraception... [^32]:  -- (14). J. CARCOPINO, op. cit., pages 235 à 238. [^33]:  -- (15). *Ibid.,* pp. 240-241. [^34]:  -- (16). CARCOPINO, op. cit., pp. 282-283. [^35]:  -- (17). *Ibid.,* p. 285. [^36]:  -- (18). *Ibid.,* p. 268. [^37]:  -- (19). *Introduction à la Bible,* édition nouvelle, tome III : Introduction critique au Nouveau Testament, Vol. I « Au seuil de l'ère chrétienne. » Sous la direction de A. George et P. Gre­lot, Desclée, Paris, 1976. [^38]:  -- (20). A consulter sur ce sujet : Jean RIVIÈRE : *La propa­gation du Christianisme dans les trois premiers siècles,* Bloud et Cie, Paris, 1908. -- Albert DUFOURQ : *Histoire de la fondation de l'Église, Le Christianisme primitif,* Édit. Bloud, 1909. [^39]:  -- (21). Lettre aux Romains de saint Ignace d'Antioche. Les lettres de saint Ignace ont paru dans plusieurs éditions : Col­lection Ictys, *Littératures Chrétiennes,* textes établis et présen­tés par A. HAMMAN, O.F.M., 2^e^ volume, L'Empire et la Croix, Édit. de Paris, 1957 ; dans *Sources Chrétiennes,* Vol. 10 de la collec­tion, et aux Éditions Ouvrières, collection Église d'hier et d'au­jourd'hui, Paris, 1956. [^40]:  -- (22). Narcisse était affranchi et favori de l'Empereur Claude, immensément riche ; il finit par être exilé et se tua de déses­poir en l'an 54. [^41]:  -- (23). Les textes de la littérature chrétienne des premiers siècles ont été publiés dans la collection Ictys dirigée par le père A. Hamman, O.F.M., et certains dans la collection *Sources Chrétiennes,* Édit. du Cerf, Paris. [^42]:  -- (24). Pour l'Église Orthodoxe l'icône canonique de la résur­rection de N.S est celle qui représente le Christ délivrant les morts de l'enfer. Une étude sur « L'Icône de la descente aux limbes » avec plusieurs dessins a paru dans le *Journal de l'Icône face à notre temps,* périodique bimestriel, Paris, n° 3, mars-avril 1976. [^43]:  -- (25). Pour ces 4 ouvrages, voir : *Naissance des Lettres Chré­tiennes,* Collection Ictys, Vol. I, Paris, 1957, ou : *Les Pères apos­toliques,* volumes 10, 11, 12, aux Éditions A. Picard, Paris, 1926. [^44]:  -- (26). Aristide, mort martyr selon la tradition sous Antonin le Pieux, est un saint dont la fête se célèbre le 3 septembre. [^45]:  -- (27). Cette supplique a paru dans la collection *Sources Chré­tiennes,* 10° volume (op. cit.). [^46]:  -- (28). *La vie de St Irénée, second évêque de Lyon, docteur de l'Église et martyr,* chez F. Barois, rue de la Harpe, 1723 ; *St Irénée* par A. DUFOURQ, V. Lecoffe, Paris, 1926 ; *St Irénée et l'éloquence Chrétienne dans la Gaule,* par l'abbé FRAPPEL, A. Bray, Paris, 1861. [^47]:  -- (29). *L. Homo : Les institutions politiques romaines, De la Cite à l'État, op. cit.* [^48]:  -- (30). DUFOURQ, *op. cit.* [^49]:  -- (31). Nous citons d'après le texte présenté par le père Adal­bert HAMMAN, O.F.M., dans *L'Empire et la Croix,* Vol. 2 de la collection Ictys ; Littératures Chrétiennes. L'authenticité de cette lettre est incontestable. [^50]:  -- (32). Ville d'Asie Mineure à l'Est de Smyrne. [^51]:  -- (33). « Les martyrs arabes de l'Yemen », article de P.K. Méda­war paru dans *Le Lieu,* revue du Patriarcat Grec-Melkite Catholique, Beyrouth, 1972, I, pp. 61 à 65. [^52]:  -- (1). Voir notamment J. MADIRAN, *Une autre falsification de l'Écriture,* dans ITINÉRAIRES, n° 157 (nov. 1971), pp. 286-290. J. Madiran a fait allusion, dans sa *Lettre à Paul VI,* à « l'effron­terie libertine qui fait liturgiquement proclamer, en l'attribuant à saint Paul, que, pour vivre saintement il faut prendre fem­me » ; voir J. MADIRAN, *Réclamation au Saint-Père,* vol. II de *L'hérésie du XX^e^ siècle,* Nouv. Éd. Latines, 1974, pp. 13, 26-28. [^53]:  -- (2). Sur ces anciennes traductions du Nouveau Testament, on trouvera plus de renseignements dans les ouvrages suivants : M.-J. LAGRANGE et St. LYONNET, *Critique textuelle,* II (*Études bibliques. Introduction à l'étude du Nouveau Testament,* 2^e^ par­tie) Gabalda, 1935, pp. 516-528 ; A. VÖÖBUS, *Early Versions of the New Testament. Manuscript Studies,* Stockholm, 1954, pp. 67-241. [^54]:  -- (1). *La religion du cardinal Marty :* ITINÉRAIRES, numéro spécial hors série avril-juin 1977. \[voir aussi Table 1-338 et fichier Auteurs.\] [^55]:  -- (2). *L'affaire Elchinger :* ITINÉRAIRES, numéro spécial hors série, mai 1977. [^56]:  -- (3). Le cas du pasteur indigne n'est pas nouveau dans l'Église. Au début de son pontificat, saint Pie X déposa plusieurs évê­ques dont les mœurs troubles et de graves déviations doctri­nales entachaient le ministère : Mgr Le Nordez, évêque de Digne ; Mgr Geay, évêque de Laval ; Mgr Lacroix, évêque de Tarentaise. [^57]:  -- (4). Par exemple lorsqu'un évêque, dûment averti, laisse en place un prêtre sacrilège, ou lorsqu'il continue d'user d'une formule de confirmation gravement douteuse, après avoir été averti par des hommes de saine doctrine. [^58]:  -- (1). Jean MADIRAN : *La messe, état de la question,* 80 pages. 6 F, en vente aux bureaux d'ITINÉRAIRES. [^59]:  -- (1). SCCD = sacrée congrégation du culte divin. Son titre complet est : *sacra congregatio pro sacramentis et culte divino.* [^60]:  -- (1). SCSCD = s*acra congregalio pro sacramentis et cultu divino*, c'est-à-dire la congrégation romaine chargée du culte et des sacrements.