# 229-01-79 1:229 ## ÉDITORIAUX ### La question de la messe par Jean Madiran SANS DOUTE n'avions-nous pas apporté une attention suffisante à une fabuleuse assertion de Dom Oury, moine de Solesmes : -- *Ce sont les tenants de la messe de saint Pie V qui, par leur insolence, l'ont fait interdire.* Nous trouvions cette assertion sans fondement et d'une portée purement mythologique. Mais sans fondement ne veut pas dire sans importance. Et l'im­portance de l'assertion romanesque vient du crédit qui est le sien à divers niveaux administratifs, dans les bureaux des conférences épiscopales ou de la curie ro­maine. Elle résume la doctrine de gouvernement qui, implicite, indiscernable, fuyante, impalpable, fut souve­raine pendant le règne de Paul VI et le demeure encore en certaines zones d'ailleurs étendues, voire élevées, de l'administration ecclésiastique. Je ne soupçonne point Dom Oury d'avoir inspiré cette doctrine de gouverne­ment. 2:229 Simplement, il lui a donné une expression écrite, publique, saisissable : c'est à ce titre que nous nous en saisissons après l'avoir trop négligée. « *Une erreur et un mensonge qu'on ne prend pas la peine de démasquer,* disait Maurras, *acquièrent peu à peu l'autorité du vrai. *» Prenons donc la peine. Prenons la peine d'écarter quel­ques méprises. Ce ne sera peut-être pas peine perdue, en un moment où ces méprises pourraient faire obstacle aux réconciliations devenues possibles ([^1]). #### I. -- Les deux énoncés de l'assertion fantastique La fabuleuse assertion sur laquelle l'administration ecclésiastique fonde sa doctrine de gouvernement, Dom Oury en a donné deux expressions parfaitement cohérentes et concordantes. La plus récente figure dans l'agression non provoquée du magazine hebdomadaire *Famille chrétienne* contre « les tenants de la messe de saint Pie V » : « Ce sont les tenants de la messe de saint Pie V qui par leur attitude contraignent le pape à refuser de maintenir encore dans la pratique, en certains cas, la célébration publique de la messe de saint Pie V. » ([^2]) 3:229 Le même Dom Oury s'exprimait de manière plus déve­loppée, mais identique, dans son livre sur la messe : « Pourquoi n'a-t-on pas admis la coexistence des deux rites dans l'Église et cette forme parti­culière de pluralisme qui en vaut bien une autre ? La réponse n'est pas difficile à trouver : si les requêtes en faveur de la messe de saint Pie V n'avaient pas dès l'origine revêtu la forme d'une condamnation doctrinale sans appel du nouvel Ordo missae, la situation aurait été tout autre, le climat de la discussion transformé. Dès lors que les demandes, -- pour ne pas dire les mises en demeure, -- étaient liées de par la volonté de leurs auteurs à une mise en question de l'ortho­doxie de la liturgie rénovée de l'Église romaine, rien ne pouvait aboutir ; les tenants de la messe de saint Pie V se sont placés dans une position intenable, ils ont en quelque sorte scié la branche sur laquelle ils prenaient appui. S'ils refusent l'Ordo missae, affirment-ils, ce n'est pas « pour des motifs de convenances ou de préférences personnelles, mais pour des motifs de foi ». Autrement dit, ils réclament la messe de saint Pie V en récusant le magistère de l'Église tel qu'il s'exprime aujourd'hui par l'organe de Paul VI. Comment dans ces conditions faire droit à leur requête ? » ([^3]) 4:229 Nous nous étions contenté de répondre : -- Cela revient à dire que si tout le monde avait docile­ment abandonné la messe de saint Pie V, on aurait distribué les autorisations d'autant plus volontiers qu'il n'y aurait eu personne pour les utiliser. Réponse qui aurait dû suffire à écarter l'assertion fantastique : mais qui laissait subsister des imputations fausses, dont il est devenu nécessaire de faire justice. Pour faire court et pour répondre à Dom Oury dans sa langue, nous disons comme lui : *la messe de saint Pie V.* Il s'agit en réalité du *missel* de saint Pie V. Le missel est de lui ; la messe n'est pas de lui. Ce missel contient la messe *dite de* saint Pie V, qui est *la messe romaine traditionnelle* codifiée mais non inventée par saint Pie V. Afin d'éviter toute confusion, depuis 1970 nous précisons habituellement *la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V.* Quand nous disons *la messe traditionnelle,* sans autre précision, nous entendons aussi par là les autres rites traditionnels latins que sont le rite dominicain, le rite lyonnais, le rite ambrosien, et qui méritent d'être conservés et vénérés avec la même piété dans l'Église latine. En revanche, il est exact de dire : *la messe de Paul VI,* puisqu'il s'agit d'une messe nouvelle dont Paul VI est l'inventeur. 5:229 #### II. -- Une erreur de chronologie qui est une erreur sur le fond Au Vatican, à qui les interroge sur la question, et sans doute même si c'est le pape qui les interroge, les fonc­tionnaires montiniens déclarent : -- *La messe de saint Pie V, on peut l'accorder à ceux qui la réclament, Paul VI y était prêt, mais ce sont eux qui l'ont rendu impossible, parce qu'ils en font un drapeau.* On ne voit pas en quoi il serait blâmable que des catholiques aient l'amour et la fierté de la sainte messe au point d'en faire un drapeau. Mais on comprend ce qu'un tel langage, même s'il s'exprime mal, entend signifier : exactement ce que dit Dom Oury. A savoir. On aurait pu admettre « la coexistence des deux rites ». Mais dès l'origine les tenants de la messe de saint Pie V l'ont rendue inacceptable par l'insolence, l'arbitraire et l'outrance guer­rière de leurs réclamations. Or cela est historiquement faux. Cela est même histori­quement impossible. La messe traditionnelle a été interdite, c'est bien évident, *avant* qu'il y ait eu des requêtes contre son interdiction. Quand commencent les requêtes, c'est forcément parce qu'elle est déjà interdite. Elle est interdite pour tous les motifs que l'on voudra, sauf celui de l'incon­venance de requêtes qui n'ont pas encore eu lieu. Ce point n'est pas de simple, chronologie. Il est fonda­mental. A lire Dom Oury et à écouter les fonctionnaires montiniens du Vatican, on finirait par croire que les choses se seraient passées en trois temps : 1) promulgation d'une nouvelle messe, facultative : elle vient coexister avec l'ancienne ; 2) réclamations insolentes contre la nouvelle ; 3) pour réprimer cette insolence, suppression de l'ancienne. Mais cela est une fausse histoire. 6:229 La « coexistence des deux rites » n'a été admise par Paul VI à aucun moment ; dès l'origine, elle n'a pas été tolérée. Cela peut n'apparaître que malaisément au seul examen des textes officiels, parce qu'ils n'ont jamais décrété en bonne et due forme une abolition du rite traditionnel. La suppression de la messe de saint Pie V a été opérée indirectement, administrativement, par prétérition. Le rite nouveau *s'est substitué* au rite ancien. Il n'est pas venu *s'y ajouter,* facultativement, ce qui eût été « la coexistence ». Il a été décrété et instauré de manière à prendre la place du précédent. Et c'est en cela que consiste le coup de force ; l'arbi­traire ; l'inadmissible. On ne conteste pas le droit théorique du pape d'inaugurer un nouveau rite, si c'est un rite catho­lique de plus. On lui conteste le droit de supprimer le rite traditionnel. #### III. -- La vérité historique Cela compris, la convenance ou l'inconvenance des re­quêtes traditionalistes n'a plus aucune importance : l'im­portant, le scandaleux, l'intolérable est qu'on en soit réduit à présenter des requêtes pour pouvoir conserver la messe de saint Pie V. Que ces requêtes aient été formulées de manière inadmissible (mais je n'en crois rien) et que d'autre part, en fait, elles aient été presque toujours reje­tées, cela n'est plus qu'un aspect secondaire, accidentel de la question. Le point décisif est que l'on ne reconnaissait plus à la messe traditionnelle une existence de plein droit : elle devenait une faveur éventuellement accordée si on la demandait comme il faut, et d'ailleurs seulement « en certains cas », Situation violente, en soi beaucoup plus grave encore que la rédaction plus ou moins équivoque des nouveaux textes liturgiques. 7:229 L'introduction d'un rite médiocre et ambigu était chose mauvaise : moins mauvaise que la suppression (de fait, mais implacable) de tous les rites traditionnels dans l'Église latine : le romain, le domi­nicain, le lyonnais, l'ambrosien. La vérité historique n'est donc pas qu'il y aurait eu des « tenants de la messe de saint Pie V » dont la mauvaise conduite serait venue troubler « la coexistence des deux rites » et l'aurait finalement rendue impossible. La vérité historique est que d'emblée cette coexistence a été écartée par les inventeurs du rite nouveau, conçu et imposé par eux en 1969 pour remplacer tous les rites anciens. #### IV. -- La finalité objective de la nouvelle messe Et cette vérité historique est d'une importance déter­minante. Ce que Dom Oury appelle « la coexistence des deux rites », et qui eût été en réalité la coexistence du rite nouveau avec la pluralité des rites traditionnels, *cette coexistence était et sera toujours l'une des conditions sine qua non de la légitimité d'un rite nouveau.* Un rite catho­lique de plus, ce n'est pas théoriquement impossible, ce n'est pas a priori illicite. Mais un nouveau rite venant du jour au lendemain autoritairement remplacer tous les rites catho­liques, c'est monstrueux. Le plus grave reproche que l'on puisse adresser à la messe nouvelle, le reproche qui ne pardonne pas, c'est *d'avoir pour finalité objective la sup­pression de la messe traditionnelle.* 8:229 #### V. -- Ce qui maintenant est possible On peut lui retirer cette finalité assassine. Il suffit de préciser, ou de reconnaître, en tous cas d'admettre en droit et en fait que ce rite nouveau n'est pas revêtu d'une obligation imposant son usage à l'exclusion de tout autre ([^4]). Cela étant déclaré et respecté, il demeurera dans l'Église d'aujourd'hui toutes sortes de difficultés liturgiques ; il ne demeurera plus d'obstacle insurmontable entre le Saint-Siège et les tenants de la messe de saint Pie V. 9:229 #### VI. -- Précisions complémentaires Attention. Il ne s'agit pas de manigancer une sorte de reconnaissance réciproque des deux messes, une coexistence à égalité, au nom de laquelle, en signe de réconciliation, prêtres et fidèles seraient tenus de passer de l'une à l'autre, un dimanche sur deux, un jour sur deux. Il n'y a aucune symétrie, aucune parité entre les deux messes. La messe nouvelle serait-elle très bonne, géniale, magnifique, elle ne pourrait prétendre, -- *du moins selon les critères catho­liques, --* à une égalité de rang avec la messe traditionnelle codifiée par saint Pie V et dont les éléments les plus anciens remontent peut-être à l'époque apostolique. Même si notre époque arrivait à produire en quelques années une nou­velle messe intégralement catholique et pleinement admi­rable, la messe traditionnelle conserverait forcément, au moins, une inaliénable primauté d'honneur. Qu'elle soit présentement interdite est une abomination insondable : cette abomination ne doit pas être diminuée mais suppri­mée. Elle ne serait que diminuée, et encore fort peu, si « les tenants de la messe de saint Pie V », étant restés bien sages et bien tranquilles, pouvaient commencer à espérer recevoir en échange, selon la fabuleuse mythologie énoncée par Dom Oury, la « faveur » de la messe traditionnelle « en certains cas ». D'autres, un peu plus généreux, vont un peu plus loin, et envisagent de l'accorder habituellement aux prêtres et aux fidèles qui s'engageraient à ne plus cri­tiquer la messe nouvelle et à ne plus la refuser : condition qui serait en elle-même, il faut le dire dès maintenant, à la fois exorbitante et chimérique. 10:229 Si la messe nouvelle n'est plus obligatoire, elle est facultative. Et si elle est facultative, il est contradictoire de l'imposer à qui que ce soit, fût-ce à moitié. On n'empêchera pas non plus de la critiquer. Il n'est pas raisonnable d'imaginer que l'on pourrait inter­dire à une catégorie de fidèles d'avoir et d'exprimer une opinion théologique sur la rédaction des rites nouveaux. Mais cette opinion est trop fortement défavorable. Dom Oury assure qu'elle équivaut à « récuser le magistère de l'Église tel qu'il s'exprime aujourd'hui par l'organe de Paul VI ». Dans le même sens et sur le même sujet, Marcel Clément assure que « le pape est infaillible pour maintenir la foi et les mœurs ». La promulgation de la nouvelle messe par Paul VI étant un acte religieux, appartenant au domaine de la foi, il ne peut être contesté ou récusé au nom de la foi. Ce serait aller contre l'infaillibilité. Marcel Clément et Dom Oury expriment très exactement sur ce point les arguments et injonctions des fonctionnaires montiniens du Vatican. Nous comprenons mieux encore, à cette occasion, pour­quoi les montiniens ont supprimé aussi le catéchisme ro­main. C'est qu'il porte témoignage contre eux. Tout ce que fait le pape « pour maintenir la foi et les mœurs », non, il n'est pas vrai qu'il le fasse de manière infaillible. Le caté­chisme de saint Pie X, transcrivant la définition du pre­mier concile du Vatican, enseigne que « le pape est in­faillible *seulement lorsque,* en sa qualité de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit, pour être tenue par toute l'Église, une doctrine concernant la foi et les mœurs ». Quand le pape rédige et impose un rite nouveau, il n'est pas infaillible. Il peut ne pas en réussir la rédaction, et ce sera au moins un *ratage.* Il peut en imposer à tort l'usage exclusif, et ce sera un *abus de pouvoir.* Nul pape n'est automatiquement garanti contre l'abus de pouvoir et contre le ratage. La suppression de la messe traditionnelle était un abus de pouvoir. Refuser un abus de pouvoir du pape, ce n'a jamais été « récuser le magistère de l'Église ». 11:229 On ne rejette pas l'autorité pontificale. On conteste l'abus que Paul VI en a fait. Et cette nouvelle messe est incertaine, elle est équivoque, elle est un échec : c'est un ratage. Sans parler de la décomposition liturgique généralisée à la­quelle elle a ouvert la voie. Les célébrations grotesques ou immondes que l'on nous fait ne sont pas la messe de Paul VI, mais elles sont issues de la messe de Paul VI. Dénoncer ce ratage intégral n'est pas non plus « récuser le magistère » ni mettre en doute l' « infaillibilité ». Un pape ne peut pas enseigner dogmatiquement l'erreur, c'est entendu, mais il peut fort bien introduire une réforme inutile, manquer une réforme nécessaire, rédiger un texte équivoque, promulguer un décret nocif. Dom Oury, Marcel Clément et les fonctionnaires montiniens professent au contraire que s'agissant de liturgie, un pape ne peut mal faire, ou ne peut gravement mal faire, la foi nous oblige à le croire. Mais ils se trompent. Il y a des précédents. Il y a le précédent de l'Écriture sainte, qui est matière aussi grave que la liturgie. Antoine Barrois l'a raconté à nos lecteurs, je les y renvoie ([^5]) et je résume. Le concile de Trente avait ordonné l'établissement d'une édition re­vue de la Vulgate. Après de longs et nombreux travaux préparatoires, le pape Sixte Quint publie cette édition de la Bible en 1590. Plusieurs Dom Oury et Marcel Clément de l'époque tenaient en substance qu'à cette occasion le pape Sixte Quint jouissait d'une assistance divine particulière, qu'il était infaillible pour maintenir la foi et les mœurs, et que refuser son édition de l'Écriture sainte eût été récuser le magistère de l'Église. Néanmoins plusieurs cardinaux et théologiens la refusèrent. Et point pour des considérations secondaires de sensibilités, d'opi­nions, de préférences personnelles. Mais comme un péril pour la foi. Saint Robert Bellarmin jugeait en cons­cience : 12:229 « Vraiment je ne sais si jamais l'Église courut pareil danger. » Après la mort de Sixte Quint, son édition de la Bible fut arrêtée, retirée du commerce, les exemplaires en furent détruits. En 1592 le pape Clément VIII fit paraître une édition corrigée : c'est l'édition « sixto-clémentine » de la Vulgate. Sur la page de titre figure seul le nom du pape Sixte, parce qu'avant sa mort il avait fini par recon­naître avoir publié un mauvais travail, dangereux pour la foi, qu'il fallait réviser. Finalement subsiste seule, sous son nom, la bonne édition révisée, ce qui était la meilleure manière de supprimer et réparer la mauvaise. Puissent Dom Oury, et Marcel Clément, et d'autres, méditer ce précédent. 13:229 Il n'était pas de soi criminel, ni nécessairement con­traire à la foi catholique, de déclarer dangereuse pour la foi la Bible du pape Sixte Quint. Il n'est pas de soi criminel, il n'est pas nécessairement contraire à la foi de juger dangereuse la messe du pape Paul VI. Ce sont là des accidents toujours possibles dans l'histoire des papes. Et assurément on peut contredire autant qu'on le voudra le Bref examen critique présenté à Paul VI par les cardi­naux Bacci et Ottaviani : mais on ne peut pas prétendre que cette critique est de soi illégitime et qu'elle équivaut à récuser le magistère de l'Église. Le pape peut composer une messe nouvelle ; à deux conditions semble-t-il ; deux conditions qu'il n'est pas au­tomatiquement assuré de remplir. A la condition qu'elle soit intégralement catholique, qu'elle le soit sans équivoque. Et à la condition qu'elle ne soit pas un moyen ou une occa­sion de supprimer les rites traditionnels. Nous ne contes­tons pas ce pouvoir. Cette messe facultative et intégrale­ment catholique peut sans doute être une messe simplifiée, au niveau mental des victimes de l'obscurantisme moderne. Elle peut sans doute aussi être une messe-digest pour une Église yankee, fille plus ou moins émancipée de l'Église latine. On peut rêver. C'est une autre question. Paul VI avait bien révisé l'article 7 du nouvel Ordo, encore qu'il l'ait insuffisamment révisé. J'ignore si ayant sa mort, comme Sixte Quint, il a explicitement demandé que son œuvre soit corrigée et refaite. A l'image de l'édition de Sixte Quint supprimée et réparée par Clément VIII, mais toujours nommée édition sixtine, on pourrait imaginer une messe de Paul VI corrigée et refaite, supprimée et réparée par Jean-Paul II ; et néanmoins toujours nommée messe de Paul VI. Peut-être. Je n'en sais rien. Je n'en suis pas juge. Et ce n'est pas pour cela ou contre cela qu'en 1969 nous sommes entré dans cette bataille. Mais pour le droit de l'Église latine de conserver son missel romain. Jean Madiran. *Ce qu'il faut* (*re*)*lire aujourd'hui :* -- SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR numéro 60 du 15 juillet 1978 *Vers la suppression des faux* *interdits. Il n'y a pas d'autre issue.* -- SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR numéro 63 du 15 décembre 1978 : *Pour comprendre ce qui* *peut se passer.* -- Jean MADIRAN : *La messe. État de la question*. Cin­quième édition mise à jour : une brochure de 80 pages en vente chez DMM. Sur l'affaire de la messe depuis le début *a*) l'essentiel de ce qu'il faut savoir ; *b*) les références pour en savoir davantage ; *c*) les quatre arguments A, B, C et D qui n'ont jamais été réfutés. -- Louis SALLERON : *La nouvelle messe : en quoi elle est équivoque ; en quoi elle favorise l'hérésie ; en quoi elle est un échec*. Suivi de : *Solesmes et la messe*. Une brochure de 64 pages en vente chez DMM. -- Louis SALLERON : *La nouvelle messe*. Un livre de 254 pages, seconde édition, aux Nouvelles Éditions Latines. 14:229 ### Que vont-ils faire pour réparer ? par François Brigneau LES GRANDS CIMETIÈRES que l'actualité découvre se trou­vent aujourd'hui sous la lune vietnamienne. Excep­tions faites de René Andrieu et d'une religieuse en tailleur de chez Chanel, tous les témoignages concordent : la vie dans l'ancienne Indochine française devenue colonie marxiste est effroyable. Chez ce peuple naturellement raf­finé et subtil, l'imbécillité du système communiste ajoute à son horreur. La misère est partout que le soviet policier aggrave et exaspère. Malgré les dangers d'une navigation incertaine sur des raffiots pourris et quoique la terre pro­mise soit celle qu'entourent les barbelés des camps de réfugiés, les gens sont si désespérés qu'ils veulent fuir à tout prix l'amère patrie. Elle est belle, la paix au Viêt-Nam, réclamée et obtenue par M. Mendès-France et ses complices, après vingt années de trahisons, démoralisation, falsifica­tions et saloperies variées. 15:229 Devant cet édifiant spectacle la gauche intellectuelle française se frappe la poitrine de ses petits poings cruels...On l'entend qui murmure : -- *C'est un peu ma faute.* Puis, un ton plus haut : -- *Mais je n'avais pas voulu cela.* Et aussitôt elle essaye de se disculper, de se racheter de ses fautes et de ses crimes, comme si cet aveu faiblement modulé suffisait à les réparer. Avec Jean Daniel elle dit : « *Un jour les Français ont quitté l'Indochine et c'est ce que nous voulions. Un jour les Américains, cessant leurs bombardements, ont quitté le Viêt-Nam et c'est ce que nous voulions* (*...*)*. Cela dit, il est vrai que les révolutionnaires vietnamiens* (*...*) *sont en train d'instaurer dans leur pays un ordre radicalement différent de celui que nous avions cru pouvoir souhaiter. *» ([^6]) Conclusion : -- Cela nous ne l'avons pas voulu. Et comme nous ne l'avons pas voulu, nous sommes donc innocents de l'actuelle tragédie vietnamienne. Facile à dire, camarades ! Plus difficile à faire accroire ! Car les avertissements n'ont pas manqué. Ils annonçaient tous que le vide laissé par les Français et permis par les Américains serait rempli par la barbarie communiste. Vous pouvez ergoter : vous avez les mains sales, vous avez les mains rouges, votre pseudo-innocence est une farce, un mensonge impudent. 16:229 La gauche française et particulièrement la gauche in­tellectuelle ne s'est pas contentée de trahir l'armée fran­çaise et d'intoxiquer le parlement français pour que la France soit amenée à quitter l'Indochine. Elle ne s'est pas contentée d'intriguer et de manifester pour que l'armée américaine soit contrainte -- politique­ment -- de cesser de protéger -- militairement -- le Sud du Nord et les Non-communistes des Communistes. La gauche française et particulièrement la gauche in­tellectuelle française, supérieurement drivée par les agents communistes même quand elle affichait sa méfiance à l'endroit de l'U.R.S.S. et du P.C. de langue française, a été l'âme, le cœur, le sang d'un formidable réseau de soutien, de pressions, d'intox, de renseignements, d'espionnage et d'action dont l'objectif était l'établissement d'un régime communiste « homogène » de Hanoi à Saïgon. D'un régime communiste, sciemment et patiemment voulu par la gauche intellectuelle française, avec tout ce que cela entend depuis 1917 et Lénine : dictature de parti, Guépeou aux yeux bridés, appauvrissement systé­matique du pays, épuration, nivellement, goulag. Tel fut le but patiemment poursuivi par les nom­breuses associations que la gauche intellectuelle monta à cet effet. Citons au hasard et dans le désordre : -- « *Cent artistes pour le Viêt-Nam. *» Soirée de soli­darité avec le Viêt-Cong organisée le 28 juin 1967 au Palais de Chaillot. Barbara, Raymond Devos, Mouloudji, Moustaki, Marie-José Nat, Philippe Noiret étaient sur la scène. Et avaient signé l'appel -- entre autres : Michel Auclair, Hu­gues Auffray, François-Régis Bastide, Jean-Louis Bory, Cos­ta-Gavras, Marguerite Duras, Jean Effel, Graham Greene, Henri Guillemin, Louis Guilloux, Jean Lacouture, Armand Lanoux, Silvia Monfort, Yves Montand, Brice Parain, Michel Piccoli, Serge Reggiani, Claude Roy, Sartre, Haroun Ta­zieff, etc. 17:229 Que vont-ils faire aujourd'hui pour réparer ? M. Lacouture (entre autres) mettra-t-il à la disposition des réfugiés Viets sa belle maison du Lubéron que ses articles, en faveur du Viêt-Cong, lui permirent d'acheter ? -- « *Comité Viêt-Nam national. *» Fondé en automne 66 par le professeur Laurent Schwartz. Dirigé par le professeur Alfred Kastler, Jean-Paul Sartre, Vidal-Naquet, Alain Kri­vine, Jean-Pierre Vivier, Jean-Marie Vincent. Secrétaire général : Nicolas Boulte, ancien président de l'Association des Étudiants Catholiques, fondateur de la Jeunesse Universitaire Chrétienne. Le C.V.N. organisa le 21 février 1968 une journée de solidarité avec le Viêt-Cong. Que va-t-il faire aujourd'hui, pour réparer ? -- « *Juristes pour le Viêt-Nam. *» Association qui or­ganisa en juillet 68 un congrès à Grenoble où il était question, entre autres sujets, de garantir « l'autodétermi­nation des peuples vietnamiens du Sud, à la lumière du nouveau programme du F.L.N ». Dans le comité de pa­tronage on trouvait Pierre Cot, Maurice Duverger, Lyon-Caen, Joe Nordmann. Que vont-ils faire aujourd'hui pour réparer ? -- « *80 prêtres pour le Viêt-Nam. *» Quatre-vingts prêtres et pasteurs français ont signé une lettre destinée à leurs confrères américains pour protester contre « l'anéantisse­ment du peuple vietnamien » par les États-Unis. Les res­ponsables du Comité étaient le R.P. Roquelo et le pasteur Cazalis. 18:229 Que vont-ils faire pour réparer ? Vont-ils écrire une lettre à l'archevêque de Saïgon pour protester contre « l'anéantissement du peuple viêtnamien » ? -- « *Savants français pour le Viêt-Nam. *» Au mois d'octobre 1966 un certain nombre de physiciens et de mathématiciens français ont fait parvenir une lettre ouverte à 3.000 scientifiques américains pour condamner la mission de sauvegarde du Sud Viêt-Nam entreprise par les U.S.A. Parmi les signataires : Kahane, Schwartz, Cohen-Tannovdji, Kastler, Lehman, Jancovici, Meyer, Blum, Schaizman, Messian, Lévy. Que vont-ils faire pour réparer ? -- « *Médecins pour le Viêt-Nam. *» Le 17 juin 1966, 29 médecins et chercheurs condamnent l'intervention améri­caine au Viêt-Nam. Parmi eux : Les professeurs François Jacob, prix Nobel, André Lwoff, prix Nobel, Mathé, Millez, Jacques Monod, prix Nobel, les docteurs Israël-Asselin, Klotz, Sadoun, Terquem, etc. Les signatures étaient rassem­blées par le professeur André Roussel, 11 bis, rue de Milan, Paris IX^e^. Que vont-ils faire pour réparer ? -- « *Mouvement du Milliard pour le Viêt-Nam. *» Créé en 1966 pour soutenir le gouvernement communiste de Hanoï sous couvert de venir en aide aux victimes des bombarde­ments au Nord-Viêt-Nam. Le président était René Guetta. Parmi les membres du comité de patronage on remarquait les RR.PP. Boudoresque, Liran et Liégé, les pasteurs Bosc et Gaillard, le rabbin Eisenberg, Jérôme Lindon, Claude Bourdet, J.-M. Domenach, Jacques Madaule, Vercors, Claude Roy, Édouard Depreux, Marie-Thérèse Eyquem, Georges Fillioud, Léo Hamon, Daniel Mayer, Pierre Juquin, Jean-Louis Bory, Jean-François Revel. 19:229 Que vont-ils faire pour réparer ? -- *Loin du Viêt-Nam.* Le « Mouvement du Milliard » fit réaliser un film à la gloire du Nord communiste luttant pour la conquête du Sud. Travaillèrent à ce film : Chris Marker, Alain Resnais, Agnès Varda, Claude Lelouch, Jean-Luc Godard. La première eut lieu le 10 décembre 1967, au Palais de Chaillot, en présence de M. Mai Van Bo, délégué général de la République démocratique (communiste) du Viêt-Nam en France. La veille Jean Lacouture, du *Monde,* dirigeait une conférence de presse organisée en faveur de ce film. A Bruxelles c'était Jean-François Held, du *Nouvel Observateur,* qui en était chargé, en présence des profes­seurs Block et Gorielly. Que vont-ils faire pour réparer ? Les regrets attristés ne suffisent plus. Ni les bonnes paroles ; ni les protestations de bonne foi. La gauche intel­lectuelle française a tout mis en œuvre pour qu'au Viêt-Nam le Nord communiste envahisse le Sud et y établisse la dictature des Soviets. Elle est responsable, en partie tout au moins, de la misère, des tortures, de l'écrasement du peuple vietnamien. Elle est responsable du terrible exode qui a fait déjà des milliers de victimes. Que va-t-elle faire pour réparer ? François Brigneau. 20:229 ## CHRONIQUES 21:229 ### Pourquoi la Vulgate par Antoine Barrois *Pourquoi la Vulgate ?* Tel est, en substance, le trait d'union des différentes questions, re­marques et objections, par ailleurs sans lien, auxquelles j'entreprends de répondre ici. Le fil conducteur de ma réponse tient en cette simple affirmation : *Pour l'affermisse­ment de notre foi.* Car vraiment je le crois, nous avons tous un besoin vital de l'*Écriture intacte et authentique,* dans *sa version et son interprétation traditionnelles.* Ceci dit, sur quoi je reviendrai en finissant, commençons. Q. -- *Comment osez-vous prétendre que la Vulgate est supérieure aux originaux ?* R. -- Nous ne prétendons rien de tel. 22:229 Mais, premièrement, nous professons avec l'Église que la Vulgate a valeur d'original et qu'elle est absolument exempte de toute erreur en ce qui concerne la foi et les mœurs. Et, deuxièmement, nous faisons remarquer que, si l'Église possède une édition de la Vulgate sur laquelle elle a engagé, en matière de dogme et de morale, son infaillibilité, il n'en va pas de même pour les originaux, même s'il en existe des éditions typiques. Ce qui, à soi seul, rend la question posée beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Q. -- *J'entends dire, ici et là, qu'il est inadmissible de privi­légier la Vulgate comme vous le faites. Pourriez-vous éclai­rer ma lanterne à ce sujet ?* R. -- A cette question, revenue maintes fois lorsque nous commencions notre réédition, je crois avoir répondu assez complètement, ici même, depuis deux ans. Mais il ne me paraît pas inutile d'y revenir brièvement. En effet la Vulgate est aujourd'hui l'objet d'un mépris quasiment universel. La cause en est l'ignorance profonde où sont les catholiques de ce qu'est la Vulgate et de sa place dans l'Église. **1. -- **L'Écriture est un fondement de la confession de la foi, l'Église nous l'enseigne. Depuis le grand assaut des protestants, l'Église a ajouté à cet enseignement la re­connaissance publique et solennelle de l'autorité éminente de la version qu'elle s'était appropriée par un usage sécu­laire et quotidien ; version que le concile de Trente a définie comme la version latine, antique et commune et que l'on appelle communément la Vulgate. 23:229 Il est donc certain que la Vulgate possède de soi un privilège extraordinaire : version de l'Église maîtresse et mère, elle est l'instrument providentiel de la révélation divine au sein de l'humanité. En un sens il en est de la Vulgate comme il en est de Rome. On peut discuter sans fin sur ce qui serait arrivé si le siège de Pierre avait été fixé ailleurs qu'à Rome. Le fait est qu'il fut fixé à Rome. De même, on peut disserter sans fin sur ce qu'il adviendrait si -- ce qu'à Dieu ne plaise -- Rome venait à déchoir. Mais cela ne changerait rien au fait historique et à notre situation présente de catholiques romains. Des spéculations sur ce qui se serait passé ou ce qui se passera « si », l'Ennemi du genre hu­main sait tirer un feu d'artifice éblouissant. Mais ceux qu'il enchante ainsi, demeurent aveugles. **2. -- **Pendant l'interminable et angoissante décadence du Bas-Empire, alors que la doctrine de la primauté romaine se développait et s'affirmait dans les faits, nos Pères s'en tenaient au fait que Pierre avait été crucifié à Rome, et que Rome était la chaire de Pierre. Ils ne se sont pas conduits en visionnaires de l'avenir, ils n'ont pas pro­clamé la nécessité de quitter Rome, l'Empire s'effondrant. Nos Pètes ont travaillé, là où ils étaient, à sauver ce qu'ils pouvaient. Et parmi ce qu'ils ont sauvé et transmis, il y avait la version de l'Écriture que nous appelons la Vulgate. Non point elle seule, car alors la traduction de s. Jérôme ne s'était pas encore imposée à tous, mais elle notamment. Et il faut croire que la gigantesque opération de sauvetage culturel dont l'Église tout entière fut l'ar­tisan, a été favorable à la Vulgate. Car lorsque nous voyons clignoter les premières lueurs d'une renaissance, elle est devenue « la » version commune. 24:229 **3. -- **Au cours du XV^e^ et du XVI^e^ siècle la Vulgate était tombée dans un discrédit presque complet. Cependant, au concile de Trente, l'approbation de l'Église, par le long usage de tant de siècles, prévalut dans l'esprit des Pères sur le discrédit temporaire. C'est que cette approbation implique, le mot latin l'indique, la reconnaissance d'un double état de choses : 1. La Vulgate avait été mise à l'épreuve dans toute l'Église, qui ne l'avait adoptée que progressivement. 2. Elle avait été reconnue bonne par toute l'Église, par les travaux des docteurs et le gouvernement des pasteurs. Les Pères en concluaient qu'elle constituait un rempart à la Parole de Dieu que l'on pouvait opposer sans aucun risque à tous les savants ; aux crachats des novateurs orgueilleux comme aux billevesées des humanistes imprudents. J'ajoute ici que, dans mon esprit, dire de la Vulgate qu'elle est le rempart de l'Écriture n'est pas seulement en donner une image défensive. Car elle évoque aussi le chant retentissant des trompettes au départ d'un puissant Seigneur pour un lointain voyage ; et l'innombrable armée des hérauts qui le précèdent et le suivent, proclamant son passage par toute la terre. Q. -- *Vous parlez tantôt de* « *la Vulgate *» *sans précision, tantôt de* « *version de la Vul­gate *» *et tantôt d'* « *édition de la Vulgate *»*. Pourquoi ? Cette terminologie a-t-elle un fondement ?* R. -- On dit Vulgate par francisation de l'adjectif latin *vulgatus* qui figure dans les décrets du concile de Trente et qui veut dire *courant, répandu, commun*. On aurait pu traduire et dire la *Commune* au lieu de la *Vulgate.* 25:229 (A propos : je rectifie une erreur dans la citation latine du décret *De libris sacris et traditionibus* paru, dans le numéro 227, p. 3, ligne 7, où il faut lire « *in veteri vulgata latina editione *»*.*) On fait aujourd'hui usage du mot Vulgate en un double sens ; il désigne à la fois : -- la version latine, antique et commune telle qu'elle figure dans d'innombrables manuscrits antérieurs au concile de Trente ; manuscrits qui ne sont pas tous complets, qui présentent des variantes parfois sensibles, qui ne sont pas tous également sûrs ; -- l'édition sixto-clémentine de cette version latine antique et commune qui en est une restitution aussi soignée que possible (mais non point irréformable) et qui jusqu'au milieu, au moins, du règne de Paul VI, faisait foi dans l'Église. Pour ma part, j'entends par « Vulgate » et « version de la Vulgate » la version latine, antique et commune, telle qu'elle est reçue dans l'Église, abstraction faite de toute référence à une édition ou à un manuscrit déterminé. La Vulgate se distingue ainsi des originaux et la version de la Vulgate de la version des septante. Par « édition de la Vulgate », j'entends un certain état du texte établi par tel ou tel. L'édition sixto-clémentine de la Vulgate se distingue ainsi de l'édition sixtine ou de l'édition critique de Stuttgart. Mais il faut avoir présent à l'esprit que l'on dit (et je me conforme à l'usage) « l'édition de la Vulgate » pour désigner indistinctement toutes les reproductions, plus ou moins exactes et fidèles, de l'édition sixto-clémentine princeps. Il est vrai que ces reproductions faites par différents éditeurs pontificaux sont supposées donner le texte typique sans aucun changement. Il est non moins vrai qu'elles cons­tituent autant d'éditions au sens contemporain du mot et qu'il est, dans certains cas, nécessaire de préciser à laquelle de ces reproductions (c'est-à-dire éditions) on se réfère. 26:229 C'est ainsi que nous donnons en tête de chacun des volumes de notre réédition l'indication complète des références du texte latin reproduit. Q. -- *Comment peut-on faire de la théologie à notre époque sans se référer aux originaux grecs ?* R. -- En prenant exemple sur saint Thomas d'Aquin (qui travaillait sur la Vulgate). Une précision : notre réédition n'est pas destinée spécifiquement aux gens qui se préoccupent de « faire de la théologie », mais, plus hum­blement, à ceux qui se soucient de conserver leur foi intacte. Q. -- *Je refuse votre bible car vous n'avez pas mis de notes. Ignorez-vous que l'Église interdit de lire une bible sans notes ?* R. -- Avant de répondre en détail aux différents aspects de cette question, il me paraît utile de redire, une fois de plus, ce que l'Église enseigne à ce sujet. Car cela ne se ramène pas à une interdiction de lire une « bible sans notes » point final. En irait-il autrement que l'Église inter­dirait à ses fils la lecture de sa propre version latine officielle qui ne comporte pas de notes. Évidente absurdité ! Ce que l'Église enseigne c'est que nous ne pouvons pas lire l'Écriture sans l'Église. Lire l'Écriture avec l'Église cela suppose un texte garanti par elle et non seulement une interprétation garantie par elle, mais le guide de son enseignement constant. 27:229 En entreprenant de rééditer en même temps le Nouveau Testament dans l'édition de la Vulgate et le Catéchisme du concile de Trente, nous avons rempli ces conditions. Mais, : avec l'aide de Dieu, nous ferons davantage, comme nous l'annonçons plus loin. Ceci dit entrons dans le détail. **1. -- **L'édition sixto-clémentine de la Vulgate ne comporte point de notes. Faut-il préciser que, s'il en avait été autre­ment, nous les aurions éditées avec le texte ? Il est d'usage constant, cela se vérifie aisément, de re­produire le texte latin sixto-clémentin sans notes. Nous avons donc reproduit ce texte comme cela s'est fait couramment. Car, nous avons insisté là-dessus dès notre première annonce, nous rééditons la Vulgate, c'est-à-dire le texte latin. Notre objectif est de remettre en circu­lation la version latine, antique et commune des saintes Écritures. Ce texte est accompagné d'une traduction française en raison de l'ignorance croissante du latin. Mais ce texte français n'est pas donné comme autonome. Il serait plus juste de dire que la raison d'être de cette réédition bilingue est d'offrir une juxta-linéaire qui permet aux catholiques de langue française de se (re)tremper dans le texte commun. (A l'origine les traductions françaises dans les missels pouvaient rendre le même service. Depuis longtemps, il est généralement impossible de passer ainsi du latin au français dans son missel. Pourquoi ? Parce que la traduction française mise en regard du latin *n'est plus* une traduction du texte donné -- celui de la Vulgate pour les textes tirés de l'Écriture sainte. 28:229 Cette incohérence, personne ou pres­que ne la remarque. Elle n'a pas peu contribué pourtant à déshabituer les catholiques de tout recours au latin.) La traduction mise en regard dans notre édition est celle dite de Lemaistre de Sacy, révisée d'après Fillion. Petite anecdote. Une personnalité d'une certaine re­nommée, à qui je présentais naguère mon projet de réé­dition, sursauta au nom de Sacy et me dit, soupçonneux « Mais n'est-ce point là une traduction protestante ? » J'entrepris de lui rappeler que Sacy était janséniste -- ce qui ne parut pas le rassurer ! et lui fis un bref historique de la question ([^7]). En terminant, j'ajoutais que la traduc­tion serait révisée en suivant Fillion. A ce nom son visage s'éclaira : « Ah bon, me dit-il, alors nous dirons que c'est la traduction de Fillion. Je connais bien Fillion. J'ai fait toutes mes études avec. » Ce fut à mon tour d'être interloqué : parce que la traduction dont Fillion se sert c'est, légèrement retouchée, celle de Lemaistre de Sacy. Revenons à nos moutons. Nous rééditons la Vulgate parce qu'elle est le texte commun des Saintes Écritures approuvé dans l'Église par le long usage de tant de siècles. Et que, dans le grand désordre où nous sommes, dont sans doute nous ne mesurons pas l'ampleur, il faut tout faire pour nous nourrir aux sources les plus sûres. **2. --** « L'Église catholique, qui a édifié et conservé pour nous ce monument : la Vulgate, enseigne que l'on ne peut pas lire l'Écriture Sainte sans le guide de son enseignement permanent et de son interprétation traditionnelle. 29:229 Le résu­mé le plus sûr de cette interprétation et de cet enseigne­ment se trouve dans le Catéchisme du concile de Trente. C'est pourquoi nous entreprenons de rééditer ce catéchisme en même temps que la Vulgate. » Ce texte figure en tête de chaque volume de notre réédition. Non, ce n'est pas un habile stratagème pour camoufler quelque vice rédhibitoire de cette entreprise ; ni une utilisation frauduleuse du catéchisme romain à des fins personnelles. Je ne fais là que dire ce qu'enseignent explicitement les auteurs du catéchisme dans leur préface (pp. 13-14 de l'édition d'ITINÉRAIRES-DMM.) *Ainsi lorsque nous aurons expliqué ces quatre points, qui sont comme les lieux communs de la sainte Écriture, il ne manquera presque plus rien au chrétien pour con­naître ce qu'il est obligé de savoir.* Ces quatre points sont, on le sait : Credo, Pater, Com­mandements, Sacrements. Leur connexion avec la sainte Écriture est telle, dit le catéchisme, qu'ils en sont comme les *lieux communs.* *En conséquence, nous croyons devoir avertir les pas­teurs que chaque fois qu'ils auront à mettre en lumière un passage de l'Évangile ou de toute autre partie de l'Écriture Sainte, ils pourront toujours le ramener à l'un de ces quatre points, et y prendre comme à sa source l'explication.* Autrement dit, tout ce qui, dans l'Écriture, touche aux connaissances nécessaires au salut est expliqué dans le catéchisme romain. 30:229 *Par exemple, s'il s'agit d'interpréter l'évangile du pre­mier dimanche de l'Avent : Il y aura des signes dans le soleil et dans la lune* (*Luc. 21, 25*)*, ils trouveront ce qui se rapporte à cette vérité dans l'article du Symbole : Il viendra juger les vivants et les morts.* Rien n'interdit au simple fidèle lecteur de l'Écriture de s'inspirer de cet exemple ; ni de suivre la règle générale énoncée en conclusion : *Ainsi, dans tout son enseignement et ses commentaires, le pasteur pourra prendre et conserver l'habitude de tout ramener à ces quatre points principaux, qui selon nous renferment toute la moelle des Saintes Écritures et même tout le Christianisme.* Remarque : les nouveaux catéchismes vérifient cette règle générale. Pour donner un semblant de cohérence à leur contenu, il faut falsifier les textes de l'Écriture qui leur servent de source. Minimiser (ou passer sous silence) l'enseignement de la Virginité de Marie comporte de tron­quer l'Évangile de l'Annonciation. Encore un mot. La version des Écritures sur laquelle s'appuie, qu'explique et que commente le Catéchisme ro­main, c'est la Vulgate. Ces deux points constituent ma réponse à la question posée. On peut cependant y ajouter ce qui va suivre, qui répond à une autre question sur un sujet proche. Q. -- *Pourquoi n'avez-vous pas mis de notes ?* R. -- Pour plusieurs raisons dont la plus simple est qu'il n'existe pas de « notes communes » de l'Église sur le texte de la Vulgate. 31:229 Ou, si l'on veut, et c'est mon opinion, que ces « notes communes » sont rassemblées dans un ouvrage qui ne se présente pas comme un appareil de notes : le *Catéchisme du concile de Trente.* Et aussi parce qu'à chaque jour suffit sa peine, selon la devise du fondateur de DMM. Mettre sur pied une édition point trop défectueuse, du texte latin surtout, absorbait nos forces (et nos moyens). Et encore parce que je crois, réflexions faites, que les notes et introductions du type de celles qui figurent dans les éditions contemporaines ne correspondent pas aux besoins réels de ceux qui désirent se mettre à la lecture des Saintes Écritures. Nous n'avons pas besoin par-dessus tout d'éclaircisse­ments techniques longs ou brefs. Nous avons besoin d'en­tendre des voix plus chaudes. Nous avons besoin d'appren­dre à aller du catéchisme à l'Écriture et de l'Écriture au catéchisme. Pour cela il nous faut des commentateurs qui, expliquant le texte commun et en éclaircissant le sens, réchauffent nos cœurs et élèvent nos esprits. C'est pourquoi DMM entreprend une publication nou­velle : celle d'une collection qui rassemblera des expli­cations tirées de quelques-uns des plus grands commen­tateurs de la Vulgate ; et cela en édition courante, facile à consulter. Les deux premiers volumes à paraître sont les *Réflexions sur les Quatre Évangiles tirées de Bossuet.* Ces *Réflexions* ont été rassemblées au siècle dernier par Henri Wallon qui les avait extraites de toute l'œuvre de Bossuet. C'est son travail que nous reproduisons quasi­ment sans changement. Ces *Réflexions* sont présentées chapitre par chapitre et verset par verset. Chaque citation comporte sa référence. 32:229 Les textes commentés, ou leur début, sont donnés en italique, après le numéro du verset, dans la traduction française de notre réédition de la Vulgate. Le premier volume contiendra les *Réflexions sur les Évangiles* selon s. Matthieu et selon s. Marc ; le second, celles sur les Évangiles selon s. Luc et s. Jean. Les catholiques qui ne connaissent de Bossuet que quelques morceaux d'éloquence funèbre et son portrait par Hyacinthe Rigaud se font une idée bien fausse de ce génie énergique et chaleureux. Bossuet commentateur de la Vulgate est l'homme de la tradition catholique. Ses maîtres préférés furent les Pères, saint Augustin et saint Jean Chrysostome surtout. La vigueur et la concision de ses développements, l'élévation et le lyrisme de ses méditations, font de lui un commen­tateur particulièrement propre à combattre le rationalisme filandreux de notre temps. (*A suivre.*) Antoine Barrois. 33:229 ### La perte de substance de la France par Louis Salleron QUAND on cherche à comprendre le mal le plus grave dont souffre la France, on arrive à la conclusion que c'est l'épuisement de sa substan­ce. De même qu'un avion tombe lorsqu'il est en perte de vitesse, de même un pays quand il est en perte de substance. Mais qu'est-ce que la substance d'un pays ? On le sent mieux qu'on ne peut l'exprimer. Disons très simplement que c'est l'ensemble des éléments quantitatifs et qualitatifs qui font sa vigueur, et d'abord sa santé, et plus profondé­ment encore, selon un mot à la mode, son identité. Qu'on se reporte à la France du XVIII^e^ siècle. Sa vitalité est alors exceptionnelle. Il faut qu'elle le soit vraiment pour lui permettre de traverser vingt-cinq années de guerre civile et étrangère en se retrouvant à son rang dès 1815. Cependant, invisiblement, elle est déjà touchée dans sa substance. Les millions de morts dont elle a payé la Révolution et l'Empire seront certainement la cause pre­mière d'une évolution démographique telle que la France sera la seule grande nation d'Europe à avoir une popu­lation stagnante pendant cent vingt-cinq ans. 34:229 Les dix ou douze millions d'habitants qu'elle compte en plus à la veille de la guerre de 1940 sont dus uniquement à l'allon­gement de la durée de la vie et à l'immigration. Elle est, en outre, le seul pays à connaître une immigration impor­tante en face d'une émigration dérisoire. Si elle avait connu la même courbe d'évolution que trois pays aussi différents à tous égards que l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie, elle aurait eu quelque 75 millions d'habitants à la veille de la guerre de 1914, sans compter quelques millions d'émigrants. Cette première perte de substance est masquée et, à certains égards, compensée par le rayonnement de sa langue et des idées révolutionnaires. Mais la guerre de 1870 vient lui rappeler sa force exacte. Si l'humiliation de la défaite suscite un patriotisme qui lui donnera la victoire de 1918, c'est grâce à de multiples concours extérieurs et au prix d'une hécatombe qui la laissera épuisée. L'effondrement de 1940 révélera la gravité de sa perte de substance. Dès la fin de la Troisième République, cependant, le péril d'une dénatalité croissante suscite l'ébauche d'une politique familiale qui, systématiquement développée par le régime de Vichy, assurera sous l'occupation une remontée du taux de fécondité que soutiendront et confirmeront la paix revenue, le retour des prisonniers, un niveau de vie rapidement en expansion. La natalité remonte. Mais le ra­lentissement ; puis la stagnation, puis le recul se mani­festent. Avec la généralisation criminelle de la contra­ception et de l'avortement, c'est la chute verticale. Pour nous rassurer, on nous dit que le phénomène est général, de l'Atlantique à l'Oural et aux États-Unis. C'est vrai, mais à des degrés différents où nous figurons dans les plus mal placés, sans modifier les rapports de force d'avant la guerre. Notre situation démographique est aggravée par l'écra­sement de notre paysannerie, écrasement dont se réjouissent également les libéraux et les socialistes pour qui le signe d'un développement économique complet est la réduction de la population active agricole à 4 ou 5 p. 100 de la population active globale. L'industrialisation de la production agricole a été poussée de telle manière qu'elle a ruiné d'innombrables petites exploitations familiales. 35:229 Par millions, les paysans ont dû quitter la terre pour aller s'embaucher dans les usines. Ceux qui sont restés, déçus et se battant pour vivre, sont devenus socialistes ou communistes. Or la paysannerie est une telle réserve de valeurs essentielles à la santé d'un pays que sa quasi-destruction constitue une perte de substance irréparable. Faut-il ajouter qu'on n'y trouve même pas une compensation économique. La balance commerciale agricole est fréquemment déficitaire, l'industrie agro-alimentaire comme aussi bien celle qui fournit les machines et les produits chimiques nécessaires à l'agricul­ture est très souvent étrangère ; bref la source de richesses que constitue notre production agricole n'est pas exploitée. C'est un des plus graves échecs de notre politique d'après-guerre. Ces pertes de substance quantitatives s'inscrivent dans une perte de substance qualitative qui l'accompagne com­me cause et comme effet. La drogue, les suicides, la multi­plication du nombre des malades, des handicapés, des mar­ginaux de toutes espèces, l'immigration, la substitution croissante au mariage de l'union libre et de la « coha­bitation juvénile », la licence sexuelle, une éducation à re­bours, une législation qui, dans tous ses aspects, rend impossible aux parents d'avoir plus d'un ou deux enfants, ruinent la famille traditionnelle qui se voit même prati­quement condamnée par la hiérarchie catholique française soumise au diktat des mass media. L'affaissement spirituel, intellectuel et politique de la France est la marque évi­dente d'une perte de substance généralisée. Là encore on va nous dire qu'il en est de même dans tous les pays de l'Europe. Mais nous répondrons que leur substance n'est pas nécessairement entamée au même degré. Deux exemples montreront ce que nous voulons dire. Prenons l'Allemagne. Tous les symptômes de décadence que nous avons notés pour la France y existent. Ils sont même parfois plus accusés, notamment dans le domaine de la natalité. Mais chacun sait que l'économie allemande est la plus prospère de l'Europe, assurant à la nation une puissance politique qui rend passablement théorique sa dépendance à l'égard de l'Amérique. Bien mieux : alors que l'Allemagne est coupée en deux, chaque Allemagne est le pays le plus vigoureux du camp auquel il appartient. 36:229 La Pologne, de son côté, après des avatars sans nombre depuis deux siècles, d'incroyables saignées démographiques et trente années de domination communiste, manifeste une cohérence et une vitalité que l'élection de Jean-Paul II a rendue sensible au monde entier. On a donc bien l'impression que tant en Allemagne qu'en Pologne la substance nationale, malgré des blessures nombreuses, n'est pas entamée comme chez nous. Pour­quoi ? L'économie joue dans un cas, la religion dans un autre. Est-ce suffisant ? Abstenons-nous d'analyses sans fin. Nous pouvons du moins constater que ni le nombre, ni le régime politique, ni la prospérité économique, ni la foi religieuse ne suffisent, isolément, à définir la substance d'une nation de manière universelle. Alors quoi ? Car si nous parlions de tradition ou de vouloir-vivre collectif, ce serait poser la question en d'autres termes plutôt qu'y répondre. Revenons à la France. Elle s'inquiète aujourd'hui des élections européennes parce qu'elle y voit la menace d'une Europe un peu plus structurée qui assurerait la prédomi­nance allemande et, finalement, l'hégémonie américaine. Fort bien. Mais qui peut croire sérieusement que des moda­lités juridiques de protection de l'indépendance nationale puissent avoir des effets notables, du moins durablement ? L'Allemagne est-elle, dans les faits, beaucoup plus dépen­dante que nous de l'Amérique ? Et si elle concluait demain un pacte de coopération économique renforcée avec l'U.R.S.S., nos vœux seraient-ils comblés ? La substance de la France est très difficile à saisir dans sa complexité. Elle est sui generis, comme l'est la substance de toute nation. Quelle est-elle ? Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a fait que s'affaiblir depuis la Révolution. Certes deux siècles d'idéologie révolutionnaire n'ont pas réussi à détruire complètement l'œuvre réalisée par mille ans de monarchie catholique, mais ils l'ont si durement compro­mise qu'on peut se demander si elle échappera à la des­truction finale. Cependant nous devons nous rappeler, avec Maurras, qu'en politique le désespoir est une sottise abso­lue. En l'espèce les raisons d'un espoir simplement humain ne sont pas inexistantes. 37:229 Il faut bien voir, tout d'abord, que les risques d'une destruction physique, militaire, sont les mêmes pour la France que pour les autres nations d'Europe. Elle n'est pas exposée plus qu'une autre à la bombe atomique ou à l'in­vasion. En conséquence, son redressement ne dépend que d'elle-même. Or les Français commencent à en prendre conscience. On entrevoit l'ébauche d'une résistance pro­fonde à la conjuration des idéologies mortelles qui dé­vorent sa substance. Deux journalistes viennent de mener une enquête sous le titre amusant : « Qui n'est pas de droite ? » Si l'on songe que la (pseudo) légitimité fran­çaise est l'idéologie révolutionnaire qu'incarne la Gauche, à laquelle il faut faire profession d'appartenir pour avoir le droit d'ouvrir la bouche, c'est un signe que se multiplient les écrivains qui refusent cette profession de foi, soit qu'ils mettent la Gauche en accusation, soit qu'ils estiment que la distinction entre la Gauche et la Droite ne signifie plus rien. Même, dans la mesure où le terrorisme intellec­tuel s'active c'est le signe qu'il se heurte au barrage des esprits très nombreux par lesquels il se sent condamné. Derrière la minorité qui ose et peut s'exprimer publique­ment se profile une majorité silencieuse qu'on devine. Dans le secteur spécifiquement religieux, c'est ainsi que l'on dut vite s'apercevoir que tout un peuple chrétien, voire agnostique, soutenait le petit nombre de prêtres et de fidèles qui suivaient Mgr Lefebvre ou occupaient Saint-Nicolas du Chardonnet. Donc cette France qui représente bien la substance française existe. Est-elle en mesure de refaire cette substan­ce dans son intégrité ? Ou bien la paralysie générale qui résulte du mélange d'anarchie et de socialisme où nous vivons doit-elle s'avérer plus puissante que la volonté du petit nombre et la bonne volonté du grand nombre ? C'est ce que l'avenir révélera. Tant le capitalisme libéral que le communisme marxiste se montrent impuissants à faire une civilisation. Ils rejoignent l'idéologie révolutionnaire fran­çaise dans la faillite des utopies humanistes qui préten­daient fonder les assises d'un ordre nouveau. La place est donc libre pour restaurer et pour créer. Ce qui reste de substance française permet de garder l'espérance. « Dieu premier servi » et « politique d'abord » sont les idées mères qui permettront à cette espérance de ne pas être vaine. Louis Salleron. 38:229 ### Une nouvelle pièce au dossier d' « Amnesty » par Hugues Kéraly « UN LEADER *communiste australien a été nommé chef du service de recherches d'Amnesty In­ternational à Londres. Il s'agit du professeur Derek Roebuck, doyen de la faculté de droit de l'Université de Tasmanie* (...) *Le professeur Roebuck avait participé à une conférence organisée par l'association internationale des juristes démocrates, à Moscou, au moment où* Amnesty International *cherchait à aider les dissidents soviétiques. Il passa récemment à la télévision* (australienne) *en même temps que le sénateur Harradine, Tasmanien indépendant, et ne réfuta pas l'affirmation de celui-ci qui l'accusait de n'avoir pas soutenu la cause des dissidents quand il était à Moscou. Le sénateur Harradine a menacé de donner sa démission de membre du groupe parlementaire d'Am­nesty. *» Cette information est extraite du *Daily Telegraph* de Londres, en date du 14 septembre 1978. Elle nous serait passée inaperçue si le magazine *Permanences*, brisant le silence de tous ses confrères, ne l'avait répercutée dans son numéro 154 de novembre 1978 ([^8]). 39:229 Dommage que la rédaction de *Permanences* n'ait pas eu écho de la petite affaire déclenchée en France, cet été, par nos rencontres avec les « disparus » chiliens d'*Am­nesty* ([^9]). Elle aurait pu ajouter à la dépêche du *Daily Telegraph* ce commentaire important : avec la nomination d'un des membres les plus connus du parti communiste australien comme directeur du service de recherches d'*Am­nesty International* à Londres, c'est toute l'information diffusée par cet organisme, dans les capitales du monde entier, qui se trouve à nouveau frappée de suspicion. *Amnesty International* en effet est l'initiative, la chose, d'un avocat britannique. Celle-ci fonctionne sur la base d'une rigoureuse centralisation. Tout document qui porte la signature d'*Amnesty* provient de son « centre de re­cherches » londonien, où les informations sont préalable­ment recueillies et traitées. La « Section Française » elle-même, qui siège et condamne en permanence dans les colonnes de nos quotidiens, se contente de traduire quel que soit le propos les directives ou les communiqués fournis par la maison-mère. Nous en avons eu la preuve formelle, le 31 mai 1978, à 12 h 30, au journal de *France-Culture.* Le rédacteur de cette édition, Daniel Trinquet, m'avait invité à dire quel­ques mots pour ses auditeurs de la façon dont j'avais pu retrouver mes onze disparus chiliens. 40:229 Un représentant de la Section Française d'*Amnesty International* était présent, bien sûr, sans quoi où serait le « débat » ? Daniel Trinquet lui a demandé, bonne question, si les méthodes de travail de son organisme ne pouvaient pas expliquer mes décou­vertes de Santiago. Or voici la réponse de l'intéressé : « *Toute l'information est traitée par le centre de recherches de Londres.* Cette information provient directement des pays concernés, par exemple des familles ou des avocats, des mouvements libéraux, des Églises... Elle est ensuite vérifiée à Londres, c'est-à-dire comparée à d'autres sources c'est une règle fondamentale, à *Amnesty*, de vérifier par recoupements les informa­tions qui nous sont données. » Le représentant d'*Amnesty* ajoutait que, pour son mou­vement, une personne est considérée comme disparue « si des témoins ont pu voir son arrestation, soit par des militaires, soit par des agents en civil, et que le gouverne­ment nie catégoriquement la détenir en prison ». -- Étrange précision : il ne s'agit plus ici de recouper les informations recueillies auprès des intéressés, mais de communiquer des listes de « disparus » au gouvernement d'un pays étranger ; en l'absence de réponse, ces personnes sont aussitôt présentées par *Amnesty* comme enlevées, torturées et/ou assassinées dans les cachots de quelque police secrète... Quoi qu'il en soit, il semble bien qu'aucune de ces deux méthodes n'ait été utilisée dans le cas des derniers « dis­parus » chiliens, puisqu'il me fut possible et presque facile d'avoir de leurs nouvelles auprès des familles, d'Interpol, des rédactions de la presse chilienne, du ministère de l'Intérieur, de la Vicaria épiscopale de Santiago, etc., avant de les visiter eux-mêmes en prison. On a suggéré que peut-être, nous avions eu l'infortune inouïe de découvrir au Chili les onze uniques erreurs des services londoniens d'*Amnesty International*, organisme par ailleurs honorable et bien intentionné. 41:229 Je réponds que cette hypothèse même n'a plus de sens aujourd'hui. Avec la nomination d'un leader communiste à la tête du « service de recherches » où « toute l'information est traitée », la suspicion qui planait déjà sur les propagandes d'*Amnesty* doit changer de registre : de légitime, la voici devenue nécessaire et comme obligatoire pour tous les journalistes professionnels dignes de ce nom. Car, selon un mot prêté à Lénine, et toute l'histoire du communisme en témoigne assez : « Le mensonge n'est pas seulement un moyen qu'il est permis d'employer, c'est le moyen le plus éprouvé de la lutte bolchevique. » Hugues Kéraly. 42:229 ### A propos de « L'Enfant de cœur » par Jean-Pierre Brancourt  IL Y A BIEN LONGTEMPS que des jeunes gens peu scru­puleux pillent les vieilles mondaines fortunées sans que le cours de l'histoire en soit suspendu pour autant. Roger Peyrefitte vient de connaître une pareille mésaventure par la grâce d'un éphèbe de quarante ans son cadet et il ameute à grands cris le demi-monde de ses lecteurs très particuliers. Son héros, Astolphe, est l'un de ces neveux postiches ([^10]) que l'on voit prospérer dans les salons parisiens sur les restes dorés de quelques vieillards précieux. *L'enfant de cœur* est d'abord le bilan catastrophique de cette association contre nature. Le « minet » de Peyre­fitte aurait dû se contenter de vivre, tel une odalisque, dans l'oisiveté -- et dans un palais. Il a eu l'étrange idée de travailler. La débâcle a commencé. Il s'est imaginé doté du génie des affaires et a entrepris de dilapider, par l'achat de différents restaurants, boîtes de nuit et autres établisse­ments spécialisés, une fortune qu'il ne possédait pas. 43:229 *De minimis non curat praetor*... Son génie le conduisit encore à produire une pièce de théâtre médiocre et un spectacle de Sylvie Vartan. L'affection débordante de Peyrefitte l'in­cita à vendre, pour couvrir les dettes de son fringant ami, sa collection de monnaies rares ([^11]), puis sa bibliothèque. Les nerfs délicats de « l'enfant de cœur » n'y résistèrent pas : le 1^er^ février 1977, il avala un tube de binoctal... et se réveilla dans une clinique en proie aux effusions de son tendre financier. Peyrefitte arrache des larmes à son lecteur lorsqu'il évoque la vente de ses statues callipyges, de ses éclairages spéciaux et -- *quousque non descendet !* -- celle des deux Rolls du malheureux Astolphe. La conva­lescence de son compère permit à Peyrefitte d'entrevoir l'ampleur des prodigalités dont il avait à régler le solde. Il faillit même comprendre dans quelle proportion il avait été grugé. A cet égard, le livre présente un tableau pitoyable constamment à la frontière de la comédie. En un mot, l'anecdote en elle-même ne comporte pas beaucoup d'in­térêt, mais elle dissimule, au-delà d'une réalité sordide, un bouleversement total des mœurs. Peyrefitte a besoin d'argent : il veut sauver la fortune qu'il a amassée en racontant, avec une satisfaction obscène, ses expériences personnelles, des *Amitiés particulières* à *Notre* Amour : aussitôt, il se saisit de sa plume et ajoute une pièce à cette véritable « Défense et Illustration de l'homosexualité » que constitue son œuvre. M. Peyrefitte est libre d'introduire dans ses draps roses ([^12]) une guenon -- comme tel chanteur à la mode -- un ours ou une négresse à plateau, il ne l'est pas de se livrer à un prosé­lytisme éhonté. 44:229 Les obsessions de l'auteur émaillent le livre de confidences intimes, souvent grotesques et toujours répugnantes : discours obscènes adressés par téléphone à des inconnues ([^13]), lettres écrites dans les mêmes condi­tions, fétichisme poussant l'auteur à conserver les coussins des fauteuils dans la forme que leur avait donné le séant d'Astolphe ([^14]), statues antiques dont Peyrefitte contemple avec gourmandise le revers ([^15]) ou qu'il embrasse fébrile­ment dans ses moments d'exaltation ([^16])... Un arsenal luxueux complaisamment décrit est consacré à la pratique du vice : de la bimbeloterie amoureuse signée Cartier ([^17]) aux éclairages spéciaux illuminant dans la chambre de Peyrefitte le portrait nu d'Astolphe. L'exhibitionnisme de l'auteur ne connaît pas de limites. Il s'aggrave de la volonté de convaincre que son infirmité est celle d'une élite d'es­thètes situés, par nature, au-dessus de la morale vulgaire. Il n'a pas de mots assez méprisants pour ceux qui res­pectent les préceptes traditionnels qualifiés une fois pour toutes « d'opinion bourgeoise » ([^18]). En revanche, lorsqu'il s'agit des homosexuels mondains, des « artistes » à la mode et du « tout-Paris » avec ses escrocs, ses imposteurs, etc. le vocabulaire qui s'impose est celui de l'altitude : Peyrefitte évoque, sans rire, « les hauteurs où avait plané Legros » ([^19]), et il proclame majestueusement qu' « il faut se mettre une fois pour toutes au-dessus de ce que disent les gens » ([^20]) et de « la morale vulgaire » ([^21]). 45:229 « Je n'étais pas né pour vivre au milieu des brebis. Moi aussi je faisais des ravages dans les champs de la société au nom de l'amour et de la vérité » ([^22]). Le prosé­lytisme infatigable et somptueusement rémunéré de Peyre­fitte a en effet porté ses fruits : il peut se vanter impuné­ment d'avoir détourné à l'âge de 12 ans un enfant, qui aurait pu être son fils, et dont il a fait un inverti. Il peut aussi se flatter d'avoir apporté sa contribution à la disso­lution de la société française. Le monde littéraire, univer­sitaire et artistique du Paris contemporain est aujourd'hui parcouru de ces couples misérables composés d'un homme d'esprit portant en croupe un bouffon minaudant. Marcel Aymé notait déjà, dans *le Confort intellectuel,* en 1947, combien l'inversion sexuelle était considérée comme « une présomption d'intelligence, de talent, voire de génie » par les milieux intellectuels d'une France qui se dissolvait. « *Qui veut faire carrière dans les lettres ou dans les arts fera l'économie de dix ou vingt ans d'efforts et sortira de l'obscurité dès ses premiers balbutiements s'il consent à faire savoir qu'il est pédéraste. *» Roger Peyrefitte n'a pas oublié la leçon. Cette conduite présente, en outre, l'im­mense intérêt de « s'ériger contre l'ordre naturel, donc bourgeois » et de contribuer ainsi au progrès de la Révolution. On peut s'étonner, à ce propos, de l'accueil complaisant réservé par la presse de « droite » au livre de M. Peyrefitte : attachement sentimental à une vision mythique du troi­sième Reich décadent ou, plus banalement, souci de ne pas paraître rétrograde pour des raisons « subalternes » ? Ce silence est inconsciemment complice de l'assaut général lancé contre l'ordre politique et l'autorité. Qu'il le veuille ou non, M. Peyrefitte est le compagnon d'armes de ces auteurs qui, depuis une dizaine d'années, s'acharnent à étendre l'embrasement révolutionnaire aux mœurs et à libérer l'homosexualité de son fardeau de culpabilité : telle est la thèse de Gui Hocquenghem (*Le désir homosexuel,* Paris, 1972 ; *L'après-midi des faunes,* Paris 1974), ou celle de David Cooper (*Mort de la famille,* Paris, Seuil, 1962). 46:229 Pour ces auteurs, comme pour Gilles Deleuze, Félix Guattari ou Aaron Esterson (*L'équilibre mental et la famille,* Paris*,* 1971) qui multiplie les anathèmes contre tous les types de « refoulements » et, en premier lieu, le refoulement sexuel, il faut casser la famille, instrument par excellence du « conditionnement idéologique ». Ce n'est pas un hasard si cette mode à laquelle M. Peyrefitte prête, entre autres, son talent de littérateur, a contaminé tous les domaines de la création artistique. Le « Nouveau Théâtre », par exemple, affecte de prêter à des personnages classiques des goûts et des mœurs homosexuels. Dans la mise en scène de M. Her­mon, qui présente une Phèdre hystérique et rasée, Théra­mène et Hippolyte, enlacés et vêtus uniquement d'un porte-jarretelles, ne laissent aucun doute sur la nature de leurs rapports. Au Théâtre National du Palais de Chaillot, Jean-Pierre Bisson a mis en scène les *Caprices de Marianne* de Musset : les personnages paraissent en proie à une épidémie d'homosexualité. Tous sont atteints : Octave, Coelio, le juge Claudio, les serviteurs. R. Planchon a même attribué ce vice à Orgon lorsqu'il mit en scène *Tartuffe* au T.N.P. Il aurait été dommage de tenir le cinéma à l'écart de ce mouvement hautement civilisateur. On peut se rassurer : ce ne fut pas le cas. Sur ce sujet l'obscène dégouline. On peut recommander à l'attention des amateurs la *Tendresse des loups* de Ulli Lommel, dont l'action se déroule dans l'Allemagne de 1928 : l'intéressant personnage qui en est le héros est un voleur et un escroc ; il assassine les jeunes gens dont il revend la chair au marché noir ; obsédé par sa jeunesse perdue, il se meurt d'amour pour un souteneur. Pour faire bonne mesure, on a ajouté quelques scènes de vampirisme. Le critique cinématographique du *Monde* s'est pâmé d'admiration : « Le spasme de tendresse s'ac­complit dans le sang des gorges déchirées par le baiser de mort » (*sic*). Tel est le cadre dans lequel il faut apprécier le dernier chef-d'œuvre de M. Peyrefitte ; tels sont ses complices. Ce livre n'est pas indifférent ; il n'est pas simplement une fantaisie salace et « délicieusement rétro ». 47:229 Il est blasphématoire dans la mesure où il ose prêter le langage de l'amour à ses pitoyables héros. Il est surtout une insurrection contre l'ordre de Dieu. Jean-Pierre Brancourt. 48:229 ### Le cours des choses par Jacques Perret *Darquier de Pellepoix*. L'émotion soulevée par cette affaire a pleinement satis­fait aux intentions de ses inventeurs. Ce n'est pas dire que les déclarations rappor­tées de ce condamné à mort, réfugié en Espagne et replié aujourd'hui dans les der­niers feux du quatrième âge ou dans ses brouillards, soient un faux. L'émissaire savait bien qu'il n'allait pas chercher là-bas les aveux d'un pénitent pleurnicheur impatient de gémir et crier ses remords, hypocrites ou sincères. Il savait très bien que ce vieux maudit, loin de renier ses convictions et activités de commissaire aux affaires juives, allait saisir l'occasion de renchérir dessus avec les meilleurs accents d'une sincérité fracassante. Si l'envoyé de l'*Express* en a ramené un joli paquet, le patron de son côté n'a pas raté son boum. ([^23]) Telle était la raison de ce petit voyage organisé : rani­mer la haine et réchauffer la passion vindicative dans le cœur volage de ces Français dangereusement oublieux des injures perpétrées en son nom. Plus exactement il s'agissait sous couvert de conscience mondiale d'une opération poli­tique devenue pressante, urgente. Elle répondait tout par­ticulièrement à cette information parue en exclusivité dans ITINÉRAIRES, numéro de novembre ([^24]), à savoir que l'hypo­thèse d'un transfert de Pétain à Douaumont prenait un semblant de consistance et même se propageait de bouche à oreille dans les milieux les plus inattendus. Il semblait au moins qu'on voulût, en haut lieu, tâter l'opinion. Le secret des sondages ayant transpiré ce fut un commence­ment de panique non seulement dans les syndicats et ami­cales de la Résistance mais dans toutes les gauches y compris la droite chiraquienne, autrement dit tout ce qui relève, ou dégouline, ou se nourrit du gaullisme. Mettez-vous à la place de ces gens-là : finie la bonne vie. Pétain à Douaumont c'est de Gaulle au tapis, la démocratie dans la boue, la croix gammée sur les drapeaux de la République, le maréchal Phœnix, le retour de l'Hydre et demain le massacre des Justes. 49:229 Voilà pourquoi au premier vent de cette menace le conseil des grands kadochs et des sages de Sion réunis sous la présidence mystique du Grand Architecte écono­mique trilatéral et financier ont déclenché le signal d'alar­me : dès le lendemain les imprécations de Pellepoix son­naient le tocsin à tous les échos de l'univers démocratique. Et le surlendemain l'ébauche d'un projet de loi était publiée selon laquelle tous les écoliers de la République seraient obligatoirement instruits des méfaits du racisme conjoin­tement à tous les vices de la réaction. 50:229 Autrement dit les leçons de morale abolies depuis soixante ans mais revues et corrigées seraient de nouveau à l'honneur dans les programmes de l'enseignement public. Elles se conforme­raient alors aux travaux et conclusions du comité de répartition du bien et du mal, à savoir : celui-ci tout entier pour la droite et celui-là pour la gauche. \*\*\* *Questionnaires impertinents.* Je ne parle pas des grands interviouveurs télécommis aux sondages profonds des mandataires assermentés de la conscience mondiale ou nationale, mais des préposés ordinaires aux interrogatoires des petites personnes ou même de personnages impliqués dans telle ou telle conjoncture politique, sociale, artistique ou dramatique. Entre autres consignes, les questionneurs sont tenus de ne pas se faire voir : sage précaution s'il ne s'agit que d'assurer leur incognito ou simplement de les maintenir en modestie. Il semble bien qu'en revanche, tous aient convenu de se faire au moins remarquer par l'insi­gnifiance, la bêtise ou la malveillance du questionnaire et dans tous les cas par l'insolence du ton. Ce sont eux dans l'exercice anonyme de leurs fonctions qui nous font le mieux sentir du haut de quel mépris nos âmes sont gou­vernées et jugées par le premier venu des grouillots de la télé. Il y a aussi à leur décharge que toute politesse ne peut aujourd'hui qu'offenser la dignité humaine. Toujours est-il que jamais encore nous n'avons eu la joie de voir la personne interrogée, fût-elle ministre ou délinquant, ba­layeur ou pédégé, congédier le questionneur en lui conseil­lant d'aller se faire polir chez les Chinois ou les Sénégalais. A propos de Sénégalais justement quelques millions de téléspectateurs ont pu suivre cette petite émission qui de loin en loin nous fait assister à l'interrogatoire d'un petit groupe d'écoliers et d'écolières francophones. Là en­core bien sûr le questionneur est invisible et tant mieux pour lui, et sa voix réglée sur le ton réglementaire, qui est celui de la neutralité, revêche et comminatoire. Les ques­tions posées à ces gamins et gamines seront plus ou moins adéquates à leur niveau de connaissances grâce à quoi nous avons parfois des réponses assez drôles. 51:229 Mais ce ne sont là qu'amusettes pour en venir aussitôt à des questions de plus en plus scabreuses pour la joie des téléspectateurs et présumés crétins. Il s'agit probablement de l'aide aux familles dans le processus accéléré du dessalage infantile. Dans la dernière émission il s'agissait de tester, défouler les petits nègres. Ils n'étaient pas sénégalais comme je le disais par erreur mais camerounais, eux aussi bien sûr francophones de naissance. Et là nous avons eu la bonne surprise de voir le questionneur tomber sur un bec. A vous de restituer l'accent noir : -- Et le poussin comment vient-il au monde ? -- Dans un œuf. -- La poule a-t-elle besoin du coq pour faire un œuf ? -- Je ne peux pas vous dire, je ne suis pas la poule. -- Et comment fais-tu pour distinguer une petite fille d'un petit garçon ? -- Le garçon est défini par l'article masculin et la petite fille par l'article féminin. -- Mais si la fille est là pour de vrai comment sais-tu que ce n'est pas un garçon ? -- A son vêtement. -- Et si elle n'a pas de vêtement ? -- La manière de se tenir (il imite en souriant les allures d'une petite minaudière). Mais si elle est là, immobile, sans robe ni chemise ni slip à quoi la reconnais-tu pour fille ? -- A ses chaussures. Arrêt brusqué de l'émission. Et voilà comment l'admi­rable petit camerounais a mis son questionneur en boîte. Dans le cas où celui-ci récidiverait avec des petits congo­lais ou ivoiriens j'ose enfin caresser l'espoir qu'il serait déculotté devant dix millions de téléspectateurs, quitte à laisser paraître son article masculin. 52:229 Punition bien légère et simple avertissement s'il est vrai qu'autrefois à ce genre de malfaiteur public on coupait la langue. \*\*\* *Jardin des Plantes.* Hier soir, songeant à ces deux loups dont je vous disais le mois dernier que l'absence commen­çait à m'inquiéter, je me berçais encore à l'idée d'une escapade. Ils bénéficiaient d'un enclos relativement vaste et spécialement aménagé à leur intention avec tanière sous rocaille de fabrique et cinquante mètres environ de parcours en ligne droite le long d'un grillage à la fois solide et gracieux, bienveillant à tous égards. Tout cela représentait une faveur dans ce jardin surpeuplé où naguère encore les mêmes loups se rongeaient de cafard dans leur va-et-vient perpétuel sur un parcours de six mètres. L'hypothèse d'un changement de résidence était donc à rejeter comme absurde. D'autre part, imaginer qu'à l'approche de l'hiver on ait cru devoir les ramasser dans une cage de la fauverie climatisée insultait à la nature du loup entièrement condi­tionné pour le froid, boréal s'il en fût et trotteur des neiges. Restait alors, en dépit de leur séjour amélioré, l'hypo­thèse d'une évasion. Parqués en bordure du quai Saint-Bernard, un sens unique animé jour et nuit de cette rumeur qui fait croire à la libre circulation des êtres et des choses, nos deux loups auront pu dès le premier jour tirer des plans pour faire la malle. Il y a deux ou trois ans je vous contais déjà une histoire de ce genre et malheu­reusement je ne risquerai pas de me répéter : les gardiens m'ont certifié qu'aucune évasion n'avait eu lieu depuis longtemps. Soit dit en passant j'aurais pu, un quart d'heure plus tard, les contredire. En effet, sortant d'une visite aux invertébrés du vivarium où plusieurs espèces d'orthoptères coureurs, notamment les blattes roses, avaient retenu mon attention, je descendais le petit escalier de pierre quand je surpris au pied de l'avant-dernière marche toute une colonie de blattes roses qui, rasant la contre-marche et colonne par un, se carapatait en douce et sans doute en fraude. 53:229 Je n'y voyais pas en effet cette exaltation brouillonne qui caractérise les permissionnaires impatients de prendre l'air avant de regagner leur pensionnat. Ils me rappelaient en revanche cette façon de marcher à la fois rapide et nonchalante qui est l'allure du fugitif en espace découvert. Mais en l'occurrence il s'agissait d'une évasion collective, un véritable exode. Fallait-il en avertir le surveillant des invertébrés ? J'avoue qu'alors les intérêts du Muséum le cédèrent à l'instinct de complicité. Et peut-être après tout n'était-ce qu'une invasion de cancrelats domestiques tout ce qu'il y a de plus communs et sollicités par la grève des boueux. Encore une affaire à suivre. Revenons à nos loups. Je suis donc allé ce matin aux renseignements. J'étais seul au jardin avec un petit groupe d'enfants piloté par une grande fille brune et gentiment pédagogique. Elle leur expliquait ici le mouflon, là le daim. C'est l'heure où les employés s'activent à tous les soins d'hygiène et de nourriture avant le flot des visiteurs. Si toutes les espèces du monde animal sont ici représentées il n'est pas possible évidemment d'en rassembler toutes les variétés d'autant plus qu'il en reste encore beaucoup à découvrir ; mais quand on pense que chacune de ces bêtes et bestioles a ses exigences écologiques et gastrono­miques personnelles on admire la diligence et l'attention du personnel hospitalier. Il ne s'agit pas en effet de donner à la cigale du Cachemire le foin du bison d'Amérique, pas plus qu'au dromadaire le quartier de bœuf cru attendu par le tigre, ni même de jeter aux phoques un demi-seau de petits poissons pêchés dans les aquariums. Pardonnez-moi ces grosses plaisanteries mais on n'a pas idée des idées qui vous viennent à l'esprit dans un espace zoologique aussi bourré. La première évidemment est d'ouvrir toutes les cages. Mon propos n'est pas d'imaginer ici un tel spectacle au-dessus de mes moyens narratifs. Et viendrait-il à se réaliser qu'il n'apporterait aux points de vue scientifique, moral, social, politique et philosophique, rien de neuf. 54:229 Je suis là ce matin pour me renseigner sur cette affaire évoquée dans le dernier numéro à savoir la disparition des deux loups, des flamants roses et de la tortue géante. Voici le résultat de l'enquête : l'un des deux loups est mort, il avait vingt-sept ans, pour un loup c'est déjà très vieux. Le deuxième est toujours là et si je ne l'ai pas vu c'est qu'il est souvent à dormir dans sa tanière et qu'en général je ne fais plus que passer de loin en loin dans ces parages. Pour ce qui est des flamants roses dont j'avais dit qu'à force de jouer à faire des nœuds avec leur cou ils ne tarderaient pas à mourir asphyxiés, le moment était venu pour eux de changer de pâture. « Et rassurez-vous, m'a-t-on dit, ces torsions et contorsions du cou n'ont d'autre but que faire passer la gamelle. » Cette explication me paraît un peu vulgaire pour cette famille aristocratique autant que hiératique. Je demanderai confirmation au bureau des échassiers phœnicoptéridés. Quant à la tortue géante elle n'était là que pour prendre l'air, et le moment était venu de la ramener sous le toit chaleureux des reptiles et poissons. Précaution paradoxale à première vue mais sachons que les animaux prétendus à sang froid n'en réclament pas moins un minimum de chaleur quand ils sont originaires des pays chauds. Nous avons là un petit climat de synthèse à haute pression : à peine franchi le seuil de ce garage animalier je fais un pas en arrière pour respirer un bon coup et reprendre mon élan. Il s'agit en effet de pénétrer dans une espèce de com­plexe atmosphérique, gélatineux, tiédasse, alourdi à refus de toutes les émanations, expectorations, sueurs et re­mugles paresseusement élaborés par une demi-douzaine de crocodiles au sec ou dormeurs en eau croupie et trois énormes tortues. Pour l'appareil respiratoire d'un homme non prévenu le choc est brutal. Surpris de la sorte alors qu'il vient de fonctionner gaiement sous les frondaisons deux fois séculaires et dispensatrices d'un oxygène inlassa­blement renouvelé par tous les vents de l'histoire, les pou­mons ne fonctionnent plus qu'au dernier ralenti avant l'étouffement. Mais tous les hommes ayant un peu vécu savent bien que l'odorat est le plus veule de tous les sens, respirez à fond et vous serez crocodile. 55:229 Ou alors vous découvrirez enfin tout le côté vraiment sérieux et concret de cette notion d'ambiance aujourd'hui banalisée, affadie par l'usage abusif qui en est fait en société. Aucune ambiance ne se réduit à l'unité. En l'occurrence nous dirons qu'elle se présente comme un composé de trois ambiances très sommairement définies comme suit : 1° L'égyptienne pharaonique des IX^e^ et X^e^ dynasties. Les crocodiles sacrés endormis sur les bords du Nil en décrue. Éclairage à la fois crépusculaire et confiné, vent nul, bouquet olfactif autoritaire principalement fourni par les divers crocos, leurs sécrétions ineffables et l'haleine empyreumatique échappée des narines épanouies à fleur d'eau, toutes effluves se compliquant de sous-entendus mythologiques intraduisibles. 2° La précolombienne subtropicale et fortement palu­dique. Même éclairage, mêmes silence et immobilité. Sur une plage fluviale et néanmoins bétonnée sont avachis une dizaine d'alligators secs et visiblement déchus de leurs fonctions totémiques. Chacun rumine sa vengeance, tous font semblant de dormir et personne pour croire au suspens, lequel d'ailleurs n'est pas nécessaire à la notion d'ambiance. 3° Celle enfin d'un public parisien en exercice de défilé instructif et culturel. A son insu, par la diversité de ses réactions et commentaires, il ajoute à l'ambiance générale ce je ne sais quoi d'acidulé, de primesautier qui le fait indispensable à l'originalité de l'ensemble. A bien réfléchir nous irons jusqu'à dire que tous les bassins de l'Amazone et du Nil seraient-ils en ce lieu réunis, faute d'homme, qui parlerait d'ambiance ? Jacques Perret. 56:229 ### Chateaubriand et « l'invincible silence » par Georges Laffly ● Chateaubriand. *Correspondance générale.* Tome I. (Gallimard.) UNE CORRESPONDANCE peut être plus trompeuse que l'œuvre d'un écrivain. S'il y a un mensonge ou au moins un artifice des livres, raturés, posés à loisir, toute œuvre grande manifeste ce qu'un homme a de plus vrai. Ses lettres qui passent pour moins calculées, donc plus révélatrices, gardent pourtant l'empreinte de toutes les pressions du milieu, du moment. Elles ne sont le portrait que de l'homme social, le moins intéressant. La correspondance générale de Chateaubriand (cette édition est la plus complète à ce jour) n'échappe pas à la règle. Il n'y manque pas sans doute des renseignements précieux, des aveux naïfs, et une simplicité que la pompe offusque quelquefois dans ses livres (à lire ces lettres on ne se douterait pas que les premières armes de sa famille étaient semées de plumes de paon). Mais ne manquent pas non plus certains traits peu aimables, dont on pourrait tirer argument contre l'écrivain. On aurait tort. 57:229 Ce premier volume réunit les lettres de 1789 à 1807, celles que l'on a retrouvées. En arrière plan le boulever­sement total de ces années-là, auquel il ne faut cesser de penser, et qui n'apparaît qu'au détour d'une phrase, ou dans une situation dont nous ne sentons plus assez l'odieux : à son retour en France, en 1800, Chateaubriand est le citoyen Lassagne, et il lui faut faire des pieds et des mains pour être radié de la liste des émigrés. Élisa Bonaparte l'aidera. Il est normal après cela que la reconnais­sance de l'obligé s'exprime par certaines flatteries. On ad­mire qu'elle prenne naturellement le ton de la tradition courtoise. Ce ton vivait encore. Masséna, au siège de Gênes portait, comme un chevalier, un ruban donné par Mme Récamier. On est un peu gêné de lire : « Eh bien ! Madame, pouvez-vous concevoir où toute cette vanterie aboutit ? A vous *supplier* de *supplier* le Premier Consul d'accepter la dédicace de cette seconde édition. » (Il s'agit du *Génie du christianisme.*) Onze ans plus tard, ce sera *De Buona­parte et des Bourbons.* Mais quoi ? Cela prouve seulement que les périodes agitées sont difficiles à passer. Autre trait d'époque. En mai 1803, Chateaubriand écrit à Talleyrand, ministre des Affaires étrangères. Il lui donne du « Citoyen Ministre », mais dans le corps de la lettre il y a aussi « Votre Excellence ». C'est dans la même année qu'il passe, pour les dates, du calendrier républicain au calendrier romain. Période de double *étiquette,* pleine de pièges. Il en est de plus graves. Quand Chateaubriand est à l'ambassade de Rome, Fontanes s'effraye de lui voir écrire que « la poste est sûre » et parler en clair des sujets les plus périlleux. Cela n'empêchait pas la gaîté, les fous rires. Dès son arrivée à Paris, Chateaubriand se lie avec Fontanes, Jou­bert, Chênedollé, Molé. C'est le temps de ses amours avec Pauline de Beaumont. L'*enchanteur,* à ce moment, plein de jeunesse, de feu, d'invention est un *bon garçon,* même Sainte-Beuve le reconnaîtra. On s'amuse de tout, on se donne des surnoms, le *Cerf* (Joubert), le *Loup* (Mme Jou­bert), le *Grand Corbeau* (Chênedollé), et l'auteur inspiré du *Génie du christianisme* est lui-même « le corbeau des Andes qui fait la grimace aux passants ». Il y a dans les lettres de ce moment une plaisanterie sur un cochon que l'on doit tuer et manger ensemble qui revient comme une *scie*. C'est l'écho terni de jeux et de rires incommunicables... 58:229 La littérature semble bien loin. Sans doute, on ne l'oublie pas dans le groupe. On y sent tout de suite la nouveauté du jeune Chateaubriand. Fontanes et Joubert l'aident à se *déhuroniser.* Ils polissent son goût. Quant à lui, il se trompe sur les autres avec l'indifférence du grand homme qui se suffit et pense suffire à tout. Il voit en Fontanes, en Chêne­dollé de grands poètes et celui-ci a d'ailleurs un reflet lunaire et froid de poésie, assez dans le goût de Girodet, auquel Chateaubriand lui-même, jusqu'aux *Martyrs,* ne manque pas de sacrifier. Mais on trouverait le Breton injuste, en lisant ce qu'il dit de Joubert : « un homme rare... qui a autant d'esprit que les plus spirituels et qui a, par-ci, par-là, du génie », si l'on ne faisait réflexion que Joubert alors était *caché.* Même aujourd'hui, malgré les *Carnets,* et malgré des critiques comme Du Bos, il n'est pas mis à son rang. Parenthèse : cette période 1790-1815 est catastro­phique pour le goût, détruit par l'esprit de parti et les convulsions. C'est le moment où Daunou écrit qu' « il ne peut y avoir de génie que dans les âmes républicaines ». Hormis Chateaubriand, bientôt suspect, et au-dessous, Mme de Staël, d'ailleurs étrangère et bientôt exilée, les génies en effet sont souterrains et méconnus du public. Étrangers aussi Joseph de Maistre, Ligne et Constant. Exilé, Rivarol. Chénier a été tué (et on ne le découvrira qu'en 1817) et Chamfort a voulu mourir. Bonald reste provincial et Joubert secret. Sur le devant de la scène, restent les nains. Ne confondons pas indifférence aux contemporains et manque de jugement. Chateaubriand a des côtés de grand critique. On le voit ici avec la lettre (un article, en fait) sur *De la Littérature,* de Mme de Staël. Elle pose la que­relle, toujours vive, fondamentale, de la perfectibilité et de la chute. Corinne s'appuie sur le fait que la perfectibilité a été l'opinion de tous les philosophes éclairés, depuis cinquante ans (ce genre d'argument d'autorité est toujours cher aux esprits libres). Depuis, il y a eu la Terreur, détail que Chateaubriand n'oublie pas. Mme de Staël insinue que seul un régime despotique peut être hostile à l'idée de perfectibilité. Il répond : « Ne pourrait-on pas rétorquer l'argument contre Mme de Staël et lui dire qu'elle a bien l'air de ne pas aimer le gouvernement actuel et de regretter les jours *d'une plus grande liberté ?* Mme de Staël était trop au-dessus de ces moyens pour les employer. 59:229 Elle devrait les laisser à ces hommes qui par esprit de philanthropie, préparent de loin la route de Cayenne à certains auteurs, *si le bon temps revient jamais. *» *Dear Francis* (ils étaient très amis alors, et elle l'appelait ainsi) est féroce, car enfin il attire la suspicion du pouvoir sur la Genevoise. Mais aussi, est-il permis de raisonner comme si les faits n'existaient pas, et d'entretenir les chimères après tant de sang et de crimes. Impudence que nous connaissons toujours. Chateaubriand ne se pose pas, dans cette querelle, en ennemi de la liberté. Il la lie à la religion. Il ne se trompe pas sur ce point, mais peut-être sur l'idée de liberté, qu'il prend au sens de son siècle. Dans cette lettre, il l'emporte aussi facilement quand il s'agit de littérature, de la passion et du Nord (les mots-clés du moment). Ossian, il connaît très bien, il sait aussi que c'est une imposture. Et c'est lui, l'écrivain original, qui défend les classiques : « Si j'allais maintenant, mon cher ami, suivre Mme de Staël dans le siècle de Louis XIV, c'est alors que vous me reprocheriez d'être tout à fait extravagant. J'avoue que, sur ce sujet, je suis d'une superstition ridicule. J'entre dans une sainte colère quand on veut rapprocher les auteurs du XVIII^e^ siècle des écrivains du XVI^e^, : et même à présent que je vous parle, ce seul souvenir est prêt à m'emporter *la raison hors des gonds,* comme dit Blaise Pascal. Il faut que je sois bien séduit par le talent de Mme de Staël pour rester muet dans une pareille cause. » Comme on sait, nos lycées ignorent désormais les grands hommes du XVII^e^. C'est sans doute un effet de la *perfecti­bilité.* Ce volume contient un autre texte célèbre, la lettre à Fontanes sur la campagne romaine, lamentation musicale sur des ruines. Prose superbe, un peu apprêtée pour notre goût (qui préfère le négligé de *la Vie de Rancé*) mais où Chateaubriand est déjà tout entier. Quand il parle des belles Romaines, par exemple : « elles rappellent par leur port et leur démarche les Clélie et les Cornélie ; on croirait voir des statues antiques de Junon ou de Pallas descendues de leur piédestal et se promenant autour de leur temple ». Pourquoi cet attrait des ruines ? On a toujours pleuré la fuite du temps, mais quand du Bellay chante *les Antiquités de Rome,* il en tire une consolation : si cela qui fut si grand est mort, comment ne mourrions-nous pas ? C'est qu'il lui reste des points fixes. 60:229 Il voit qu'Homère dure, il sait que l'Église durera. On se lamente vraiment sur les ruines quand on est saisi par l'esprit historique. Que les civili­sations soient mortelles, c'est Chateaubriand qui le décou­vre, sa génération. Révolution copernicienne pour le temps. Les « lumières » ont montré, cru montrer, que nous sommes excentriques, qu'il n'y a pas de centre en fait, pas plus pour la durée que pour l'espace. Bossuet pense que les civi­lisations qui ont péri sont des éléments d'un grand dessein, et restent pour une part vivantes dans la nôtre, qui garde l'héritage humain. Mais s'il n'y a aucun dessein de Dieu sur l'humanité, s'il y a seulement une succession hasar­deuse de cités, de pensées et de dieux, nous ne sommes rien. Et l'on vient de voir la Révolution détruire l'ancien monde, les institutions les plus vénérables tomber en pous­sière, le roi remplacé par « la nation » et tué, l'Église interdite, le calendrier même changé. C'est parce qu'il a éprouvé une fin du monde que Chateaubriand est aiguillé vers d'autres fins, qui en sont l'image, et pleure sur d'autres poussières. Il en retire une vive sensation du néant. « Je songe à l'invincible silence qui régnera dans trente ans sur les générations qui font tant de bruit aujourd'hui. » La pers­pective commune, c'est le bruit présent. La sienne main­tient toujours à l'horizon, et qui suffit à tout changer, le sentiment de « cet invincible silence ». De là les thèmes si savamment orchestrés, mais qui sont en lui si profonds. C'est un homme frappé, on ne peut l'oublier. Après la mort de Lucile, il écrit à Molé : « La solitude qui se forme autour de moi m'effraye. Le monde n'a plus mes opinions, les cœurs mes sentiments, mon honneur devient une chose de l'autre monde et l'élévation de mes pensées est une rêverie. » Ne parlons pas d'Alceste. Un certain nombre de causes bien réelles font de lui un exilé. Et toute sa vie il sera regardé, cet écrivain si neuf dans son art, comme un reste des anciens âges. Il est très conscient des deux aspects. Il en a joué. Mais il ne jouait pas avec de fausses pièces. Il est dur de vivre en exil dans sa patrie. Cela lui arrache quelques cris impies : « Nous autres, Français, pourquoi serions-nous si attachés à notre sol paternel ? On m'y a pris tout ce que j'avais. On m'aurait arraché la vie comme à tant d'autres si on m'avait trouvé à une certaine époque. » Tous les témoignages nous montrent Chateaubriand généreux, et très insoucieux d'argent. Quand il dit « on m'y a pris tout ce que j'avais », soyez surs qu'il ne pense pas d'abord aux biens matériels Ils ne sont que l'image des réalités qui lui tenaient le plus à cœur. 61:229 Les années de cette correspondance sont celles de ses premiers succès, éclatants, : *Atala, René, le Génie du christianisme.* Il s'impose comme écrivain, mais cela n'est pas suffisant à ses yeux. Si le succès du *Génie* le flatte, c'est qu'il attache à ce livre un rôle social. Il aide à la reconstruction de la France, à la restauration d'une société, en aidant au rétablissement de la religion. Tel est son rôle et sa place, à son estime, dès ce moment-là. Il dédaigne assez les succès seulement littéraires : ils ne doivent être qu'un moyen. Le *Génie* n'est pas encore imprimé qu'il écrit à Mme de Staël : « Résolu que je suis de jeter là le métier d'homme de lettres, du moins pour longtemps, je me hâte de sortir de cette galère où je me suis follement embarqué. » Af­fectation ? De tels dédains lui échappent trop souvent pour qu'on puisse l'admettre. Vraiment, il se sent appelé à un autre théâtre. Cependant, il n'est ambitieux que par fou­cades (d'où ses échecs). On a beaucoup ironisé sur sa religion *décorative*, et même, pour certains, peu sincère. Je croirais que sa foi était plus ferme qu'on ne le dit, mais qu'elle était sans espérance, restant enveloppée dans cette impression de ruine et de décomposition qui était le fond de ses rêveries. Dans son journal, Sismondi, en 1813, relate des propos de Chateaubriand. Il « observait la décadence universelle des Religions tant en Europe qu'en Asie et il comparait ces symptômes de dissolution à ceux du polythéisme au temps de Julien ». Surpris, Sismondi note : « il y a dans tout cela beaucoup d'inconséquence et beaucoup moins de mauvaise foi que je ne l'aurai supposé ». Honnête supposition d'un esprit progressiste : ce qu'il imagine d'abord c'est la mau­vaise foi. Mais faut-il même parler d'inconséquence ? De­vant des assauts inédits, plus puissants que jamais, Cha­teaubriand se troublait. Ce n'est pas un Père de l'Église. Mais c'en est un des fils. Il ne fut pas fidèle seulement par honneur. Sans doute, il lui manquait, et il le sentait, la science et la force d'esprit qu'il aurait fallu pour répondre, et se répondre, à tant de négations nouvelles. D'où ces désespérances, qui convenaient si fort à son humeur. 62:229 Quand il se sent, à Rome, mésestimé, il y va de bon cœur : « ...la religion va au diable. Vous n'avez pas l'idée du scandale des mœurs et de l'incrédulité de ce pays ». Et, à Gueneau : « Ce n'est qu'avec des efforts prodigieux que je parviens à conserver ici un reste de foi. » C'est que le secrétaire d'ambassade a des ennuis avec son chef et avec le Vatican, et qu'il se sent « *le poignard italien* (dirigé par *la philosophie française*) suspendu sur le cœur ». Il ne faisait pas bon chatouiller cet homme sensible qui d'ailleurs, deux ans plus tard, écrira à Mme de Staël, avec la même sincérité : « J'espère que vous avez trouvé comme moi à Rome un grand apaisement de l'âme. » Ne sourions pas. C'est effectivement de ce côté que penche la balance. Tout au long de ces lettres, c'est un chrétien que l'on entend, nourri de la Bible, avec des élans vifs vers Dieu. Il n'apparaît guère, en revanche, comme un défenseur du trône. Il écrit en 1803 : « C'est une erreur (répandue exprès par le jacobinisme) que de croire qu'il y a encore en France un parti populaire attaché à l'ancienne monar­chie. » Il est vrai qu'il plaide pour sa Bretagne et qu'il s'adresse à Élisa Bacciochi. Mais il semble bien qu'à ce moment, il espère voir Bonaparte établir un régime durable et modéré. Un an après, il démissionne à cause de l'assassi­nat du duc d'Enghien. Plus par chevalerie que par monar­chisme. C'est l'homme d'honneur qui est touché, non pas le politique. Il écrira plus tard qu'il avait attrapé le roya­lisme comme une maladie, à Fervacques (auprès de Mme de Custine). Cela est vraisemblable. « Toujours prêt à tout jeter par la fenêtre », dit Sainte-Beuve. C'est cela même : prêt à jeter l'argent, les succès, le bonheur. Incroyablement mobile, et d'une grande aptitude à être déçu. Claquant les portes et ruminant ses mélan­colies, vite épris, vite dépris. On le voit ici avec quelques-unes des « belles dames », la tendre Pauline de Beaumont, l'inquiète Mme de Custine, et déjà entre Nathalie de Noailles. Inconstant, et prêtant à sourire, par ce côté comique qu'ont toujours les cachotteries. Inconséquent, se trompant sur lui-même comme cela nous est si facile, au point d'écrire à Joubert : « Dites encore que je n'ai pas de raison ! J'en ai plus que vous tous. Mais serait-il étonnant que j'en manquasse quelquefois, moi qui suis environné de fous. » On fait la liste : Joubert, Fontanes, Molé, tous indubitable­ment ont plus de raison que Chateaubriand. 63:229 Mais il pense à sa femme ? La raison ne lui manquait pas non plus. C'est plutôt un grain de folie qu'il lui aurait fallu. Cette femme, d'abord insolemment délaissée (il revient en France en 1800, il ne se réunit avec elle qu'en 1804, à son retour de Rome) sut bien obtenir sa reddition, mais près d'elle il fut toujours prisonnier. Au total, un homme *impossible* et très aimable. Les amis ne lui ont jamais manqué. Ils lui répétaient comme Joubert qu'il fallait être *sage.* Il répondait magnifiquement : « Que faire à cela ? Je me contente de tracer fortement les grandes lignes de ma vie. Je serai fidèle jusqu'à la mort à l'honneur, à l'amitié et aux principes de délicatesse en matière d'intérêt. Le reste, je l'abandonne à la Provi­dence. » Eh bien, il a tracé ses grandes lignes bien droites, jusqu'au bout, et la Providence s'est très bien occupée du reste. Georges Laffly. 64:229 ### Félicité de Lamennais d'après sa correspondance par Jacques Vier DANS LE NUMÉRO 1727, (5-11 octobre 1978) de *La Vie,* M. Georges Hourdin, rendant compte d'un livre de M. Xavier Grall, *Stèle pour Lamennais,* s'exprime de la sorte : « Lamennais, le prêtre breton, le prêtre malgré lui, fut ordonné sous la pression de son frère, à Vannes, en 1816, alors qu'il avait trente-quatre ans. En 1817, il écrivit un essai éclatant sur *l'Indifférence en ma­tière de religion* qui fit de lui l'aumônier du roman­tisme. En 1830, il fonda un journal, l'*Avenir*, bref brûlot qui prit le parti de la liberté dans tous les domaines, confiait l'avenir de la religion au peuple et demandait la séparation de l'Église et de l'État. Ce journal fit l'objet d'une condamnation dont les termes, quand nous les relisons aujourd'hui, nous laissent ahuris. En 1834, alors que la papauté, pour des raisons politiques, prenait parti pour un tsar oppresseur et sanglant contre les catholiques polonais, Lamennais, qui venait d'écrire les *Paroles d'un croyant,* fit l'objet d'une seconde condamnation et rompit avec Rome. » L'ignorance de M. Georges Hourdin est vertigineuse. 65:229 1°) Félicité de Lamennais n'est pas un prêtre malgré lui. 2°) Jean de Lamennais n'exerça aucune pression sur son frère pour qu'il entrât dans les ordres. Bien au contraire. 3°) L'expression même dont se sert M. Georges Hour­din semble prouver qu'il n'a jamais tenu entre les mains l'*Essai sur l'indifférence en matière de religion,* qui n'est pas un *essai* au sens contemporain du terme (livre léger et rapide) mais un énorme traité publié en deux fois (1817, 1820). 4°) L'*Avenir* n'était pas un « brûlot » fondé avec des arrière-pensées de guerre civile. Il n'est pas exact que ce journal confiât au peuple les futures destinées de la reli­gion. Directeur-fondateur, Félicité de Lamennais respectait profondément les attributions du Saint-Siège à ce moment-là. 5°) Les termes de l'encyclique *Mirari Vos* (1832), comme plus tard ceux de l'encyclique *Singulari nos* (1834) ne prou­vent qu'une chose, le parfait équilibre, la rigoureuse cons­tance, la limpide netteté de la doctrine vaticane, quant au discernement des dangers doctrinaux, politiques et sociaux issus de la Subversion de 1789. M. Georges Hourdin confond du reste les deux condamnations, les motifs d'ordre poli­tique ayant été soutenus non pas à l'occasion de la deuxième encyclique, mais de la première. Ces motifs poli­tiques ([^25]) ont fait l'objet d'une discussion serrée dans les ouvrages du professeur Louis Le Guillou, de loin notre meilleur mennaisien ([^26]). Inutile de dire que M. Georges Hourdin n'a cure de ces rigoureuses mises au point histo­riques. 6°) Lamennais ne rompit pas avec Rome aussitôt après la condamnation des *Paroles d'un croyant.* Avant comme après le fameux petit livre, il persista à croire que son activité désormais politique et sociale ne l'obligeait pas à la rupture immédiate. Et pourtant il abandonnait progressi­vement l'ensemble des vérités à croire. 66:229 Il serait trop grave que M. Georges Hourdin péchât par dissimulation volontaire de la vérité historique. Il l'ignore béatement. Il suffit d'étudier le tome VI de la magistrale édition de la *Correspondance générale* pour y faire moisson de précisions qui, sur les sujets énumérés, comme sur bien d'autres, réduiraient à néant la diffusion de lieux communs auxquels le modernisme trouve son compte, si le moder­nisme n'avait pas le plus profond mépris pour l'Histoire. Félicité de Lamennais -- *Correspondance générale --* Tome VI, 1834-1835. Textes réu­nis, classés et annotés par Louis Le Guillou, professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Brest. 1977. Librairie Armand Colin. Le 5 novembre 1833, et sans passer par la voie hiérarchique, Lamennais écrivait directement au pape Grégoire XVI pour lui renouveler sa soumission, tout en lui rappelant « qu'il demeurait à l'égard de la puissance spirituelle entièrement libre de ses opinions, de ses paroles et de ses actes dans l'ordre purement temporel ». Or cela ne suffit pas et, sur les instances du cardinal Pacca, Lamennais dut rédiger le 11 décembre une nouvelle formule de soumission : « Je soussigné, suivant la teneur de la formule contenue dans le *Bref* du souverain pontife Grégoire XVI, atteste que je suis uniquement et absolument la doctrine enseignée dans la lettre encyclique du même pontife et que je n'écrirai et n'approuverai rien qui y soit contraire. » La sécheresse et la brièveté mêmes de la rédaction coupaient court aux appréhensions possibles. Non seulement l'évêque de Rennes, Mgr de Lesquen, rendit ses pouvoirs à l'abbé le 15 décembre, mais, le 28 du même mois, le pape lui faisait parvenir sa bénédiction apostolique, pleine d'espoir dans les dons du talent et du savoir que Lamennais saurait désormais employer au service de la doctrine tracée dans l'encyclique. Or, depuis le début de 1833 Lamennais composait les *Paroles d'un croyant* ([^27])*.* 67:229 L'un des indiscutables mérites de la *Correspondance générale* éditée et annotée par le professeur Louis Le Guillou, et tout particulièrement en ce tome VI, est d'abord de révéler l'histoire d'un séisme né aux profondeurs de l'âme et destiné à maintenir dans le ciel de la chrétienté et jusqu'à nos jours encore, un instable équilibre entre la crainte et l'espérance. Grâce à une succession de lettres, les unes déjà connues, les autres -- nom­breuses -- inédites qui sont offertes dans un ordre chronolo­gique impeccable, la tragédie intérieure devient visible et c'est un long pèlerinage dans des catacombes enfin éclairées qui est proposé au lecteur, peu surpris après maints tours et détours, de surgir dans une lumière étrangère à celle qui filtre à travers les vitraux de l'Église. Dès le 1^er^ janvier 1834, Lamen­nais explique à Montalembert, le disciple chéri entre tous mais qui ne va pas cesser de reculer dans l'estime, sinon dans l'affection du maître, qu'après s'être convaincu que sa dernière déclaration équivaut à reconnaître et à entériner la déification du pape, dût-elle le conduire « à de très grands doutes sur plusieurs points du catholicisme » et qui vont s'affermissant de plus en plus, il ne s'est résolu à la signer que « pour obtenir la paix à tout prix ». Et cette paix si chèrement achetée, élar­gissait au lieu d'éteindre le cratère intérieur. Certes, quand il parle de se consacrer désormais à la pure philosophie, à la science, à son pays, à l'humanité, il est sincère mais ces mots pacifiques ne demandent qu'à devenir des tisons. Lamennais ne peut ni se taire ni se distraire. Quand il affirme le contraire à ses correspondants, quand il semble se complaire à des lettres de dépit ou de bouderie, il ne fait que suspendre un instant le travail de sa forge, laquelle flambe toujours, et bientôt assez fort pour qu'il ne soit plus possible de dissimuler son bruit ([^28]). Il ne relève plus du pape mais de Dieu. Désormais les mots dont il use, vagues et déclamatoires chez d'autres, tournent sous sa plume aux explosifs. Mgr de Quélen avait-il d'assez bons yeux ou d'assez bonnes lunettes pour percevoir que dans la phrase suivante : « Voudrait-on qu'étranger à ma patrie, à l'humanité, je demeurasse aussi indifférent à ce qui les inté­resse ? » ([^29]) *patrie* et *humanité* rougeoyaient comme des braises ? Il est certain que Lamennais pourra toujours être soupçonné, sinon accusé de duplicité. Mais ce prêtre ne peut se passer d'église. Nouveau Bramante, nouveau Michel-Ange il préparait au pape une basilique de Saint-Pierre rénovée. On l'a prié de détruire ses plans, il les porte ailleurs, mais il ne reconstruira qu'après avoir démoli. Il se persuade lui-même du caractère rédempteur de son iconoclastie et les choses en sont venues à un point que la rupture avec le Saint-Siège n'était qu'une manière de rester fidèle à soi-même, c'est-à-dire respec­tueux d'une vocation essentiellement militante ([^30]). 68:229 Une objec­tion pourtant ; quand Lamennais annonce à Benoît d'Azy que l'on imprime les *Paroles d'un croyant* et quand il ajoute « La satisfaction de soi-même est préférable à tout. J'aime mieux les tempêtes au dehors qu'au dedans... » ([^31]) voit-il clair en lui-même et un corsaire du for intérieur peut-il ataviquement se résigner aux bonaces ? Qui dira si ce *croyant,* qui soufflette la face des tyrans, ne supplée pas le serviteur des serviteurs de Dieu et, vengeant Boniface VIII, n'accomplit pas un acte pontifical de sa propre autorité ? Il faut voir l'insistance avec laquelle il répète à droite et à gauche un propos qu'aurait tenu le pape à Wiseman : « M. de Lamennais avait conçu un système colossal pour la défense du catholicisme mais les Puissances du Nord en ont été jalouses et j'ai été obligé de le condamner. » ([^32]) Il se figure même, en vertu d'une curieuse autosuggestion, que le pape ne peut condamner un écrit respec­tueux du dogme ([^33]). Ce qui n'est pas sans effrayer, c'est que Lamennais traite d'égal à égal avec Rome ; l'Église ne veut pas être compromise par lui, mais lui ne veut pas être compromis par l'Église. Il a bien promis de ne plus traiter de matières ecclésiastiques, mais il a cru devoir trancher entre l'Église-institution, selon le jargon d'aujourd'hui, et le christianisme. Traiter les souverains et d'abord l'autocrate comme ils le mé­ritent, c'est arracher la religion aux serres de l'aigle ([^34]). De deux choses l'une ; ou bien Lamennais, emporté par la passion, n'a pas pu dans cet Enfer des rois dont les *Paroles d'un croyant* dressent la carte, éviter de mettre en cause les imprudences temporelles de l'Église de son temps, ou bien il a vidé cette Église-là de tout surnaturel et l'a purement et simplement réduite au rang de vassale. Dès lors comment pourrait-on lui reprocher de s'occuper de religion ? A deux ou trois reprises, et il est sincère, il dit son antipathie pour les jésuites ([^35]). Mais pourquoi aux bouillonnements du solfatare ne se mêlerait-il pas une étincelle de casuistique ? 69:229 Il s'étonne de bonne foi que l'on ne le crédite pas d'un feu intérieur. Il a beau dire que son âme « n'est à l'aise que dans les sphères spéculatives » ([^36]), la mystique l'emporte. Mais il se défend mal contre Montalembert qui « toute tête légère » qu'il fût avait bien vu que Lamennais, en disqualifiant l'autorité établie va plus loin que l'Évangile lui-même ([^37]). Bonald devait renchérir : il y a aussi le Décalogue. Le Vicomte allait plus loin encore et rappelait avec le châtiment qu'entraîne le scandale la gravité du péché contre l'Esprit ([^38]). Lamennais se rendit-il compte que sa réplique à *Singulari nos* qu'il crut être la meilleure possible remplaçait l'éruption volcanique par la lumière glacée du sarcasme ([^39]) et finissait par refroidir le jet fulgurant des *Paroles.* Une sorte de porte-à-faux, pénible, à la vérité, s'accentue. Libre à Lamennais d'écrire à la comtesse de Senfft le 20 juillet 1834 : « Pense-t-il \[le pouvoir\] que moi chétif, pleinement soumis à l'ordre religieux, je me croie délié, dans l'ordre temporel des devoirs les plus sacrés parce qu'il se figure que tel est l'intérêt de sa politique ? » On croirait lire du Voltaire. Et puis il n'est pas tout à fait exact que Lamennais ait étendu un manteau sur la nudité de son père ([^40]). Sans doute un chapitre a-t-il été provisoirement supprimé dans les premières éditions des *Paroles.* Mais que dire de cet appen­dice épistolaire ? « Les lignes tracées par Grégoire XVI et qu'on ne prend pas même la peine de lire, sont comme les bandelettes qui enveloppent la momie ; il parle à un monde qui n'existe plus ; sa voix ressemble à l'un de ces bruits vagues qui reten­tissent solitaires dans les tombeaux sacrés des prêtres de Mem­phis. S'il n'y a pas là un dessein de Dieu, bien coupables sont ceux qui ont délié la langue de ce vieillard pour lui faire mau­dire son siècle, qui l'ont poussé dans les routes sépulcrales où il erre comme une ombre tourmentée, tandis qu'au-dessus, à la lumière du jour, le genre humain poursuit la carrière que le doigt divin lui a tracée. » ([^41]) L'excuse ou l'explication des *Paroles* pouvait tenir dans le *Facit indignatio versum* ([^42])*.* Mais les contreforts des préfaces sont inutiles et Lamennais a tort de les prodiguer. La plus mordante ironie peut, avant d'ouvrir une plaie chez l'adversaire, révéler celle dont elle est issue. Le pamphlétaire de bonne foi blesse selon ses propres écor­chures ; mais, sous peine d'évoquer le pire XVIII^e^ siècle, on ne maçonne pas le sarcasme ([^43]). 70:229 Et cependant l'on aurait tort de croire que Lamennais s'ins­talle de plein gré dans l'amertume. S'il a plus que Chateaubriand et plus sincèrement peut-être le goût et le désir des orages, il a, de la meilleure foi du monde, aspiré à la retraite, au calme, à l'obscurité. Son *Esquisse d'une philosophie* ([^44]) est de très longue haleine et il est exact qu'il s'y soit précipité pour y trouver l'oubli, lequel n'est pas venu, même si l'on divertit sa recherche d'une volonté de claustrophobie ([^45]). On l'a comparé à une bête traquée, anxieuse d'un antre qui peut effectivement tourner à la forteresse d'où partent des traits mortels, mais où le fauve lèche le sang des coups reçus. Ce sang ne serait-il pas la plus fidèle image d'une foi qui s'échappe. Il ne faut pas oublier que Lamennais porte seul le poids de cette épreuve-là, peut-être parce qu'il lui arriva parfois d'avoir entrouvert sa blessure a des mains inexpertes. Jean a-t-il trouvé les mots qu'il fallait ? ([^46]) Une maladresse fort explicable de sa part devient aussitôt torture que rien n'apaise. Et que dire des tentatives d'un Combalot ou d'un Bruté de Rémur très vite priés de remballer leurs bistouris ou leurs sédatifs ([^47]). Se figure-t-on ses nouveaux amis ([^48]) en train de le comprendre et David Richard excepté, juste à point survenu pour suppléer Monta­lembert à qui fait cruellement défaut l'autorité dans l'exercice de la remontrance, voit-on l'inénarrable Béranger, pour lequel Lamennais se prodigue vraiment trop ([^49]), nanti de la valise à pansements du bon Samaritain ? Sous des formes différentes le Prométhée de La Chênaie entretient son vautour. Quelques bonnes âmes sacerdotales d'aujourd'hui donnent l'impression de continuer en paix leur ministère en plein sabotage de la liturgie et dans l'abandon des trois quarts du dogme. Mais un Lamennais ! et un Lamennais de 1834 ! « En lui parlant \[au peuple\] de Jésus-Christ, je m'abstiens soigneusement de prononcer un mot qui s'applique au christianisme déterminé par un enseignement dogmatique et positif. » ([^50]) 71:229 Je n'inter­prète pas du tout cette déclaration comme si Lamennais faisait plus ou moins allègrement bon marché de la doctrine, mais comme un aveu de douleur lancinante, profonde, peut-être ingué­rissable. Il y a dans cette correspondance échelonnée sur deux années tragiques une sorte d'ex imo pectore articulé derrière un soupirail de cave, qui pourrait être aussi une grille de confes­sionnal comme si cet indomptable recherchait une oreille compréhensive. Lui-même ne cesse pas de diriger certaines consciences qui lui sont demeurées fidèles comme si, en conseillant autrui, il espérait obtenir l'apaisement pour lui-même ([^51]). Il connaît, il enseigne le premier impératif augustinien ([^52]), mais quelle forme donner au second sinon celle de l'agitation permanente ? Est-il tellement sûr que la reprise de la messe quotidienne ([^53]) soit compatible avec la prédication progressive et humanitaire ? L'amour de la paix dont il fait parade ([^54]) peut-il le conduire à colmater l'imposture ? La douceur de vivre en France, en Italie, ou dans sa Bretagne natale ne lui est pas étrangère ([^55]), mais il ne tergiverse pas à sacrifier son repos et ce qu'il appelle son *bonheur* ([^56]) à la défense de ceux qu'il estime légitimement insurgés contre le pouvoir établi. En somme, à La Chênaie où il peut si tendrement communiquer avec les trépassés ([^57]), il mûrit un nouveau ministère qui va le jeter en plein dans les batailles du siècle. C'est sur les vicissitudes ou plutôt sur les métamorphoses de ce siècle enfin aperçu et scruté dans ses profondeurs qu'il va modeler le nouveau *Credo* qu'il n'essaie même pas d'exposer à Bruté de Rémur, l'évêque de Vincennes, lequel ne peut que s'épouvanter de découvrir un apostat dans son vieil ami. Il se montre plus explicite devant l'abbé Rohrbacher ([^58]), mais encore une fois, et sans revenir à saint Augustin, l'amour qui rayonne dans une vie toute disponible et toute donnée, est-il capable de le ressentir et de le faire partager ? La manière dont il répond à David Richard, qui s'étonnait un peu de tant d'implacables polémiques, ne le range que difficilement parmi les doux appelés à posséder la terre. 72:229 Silvio Pellico était un de ceux-là et Lamennais n'entend pas ressembler à Silvio Pellico ([^59]). Il se savait impétueux, il en convenait jusqu'à remercier Sainte-Beuve, l'éternel bon apôtre, de quelques sages conseils ([^60]). Mais il devait au moins excepter des fonctions sacerdotales qu'en fait il abandonnait, celle d'exorciste. Car le pouvoir d'aujourd'hui incarné par Louis-Philippe et ses ministres réfléchit aussi exactement l'abjection que celui du czar la férocité. Que l'on ne s'étonne pas de voir la *Correspon­dance* continuer la tératologie des *Paroles.* L'actualité n'est pas décadente mais putrescente et la monarchie de Juillet fait fructifier un héritage bi-séculaire de détresses, exactement com­me si le chaos révolutionnaire et impérial n'avait jamais inter­rompu une déplorable continuité dynastique. Le simplisme des *Paroles* était racheté par une somptueuse rhétorique. Mais quand on entend Lamennais entonner la ritournelle de « l'horrible despotisme » qui pèse sur la France ([^61]), on peut se demander si le roi des barricades, troisième successeur, après tout, de la belle brochette de régicides, desquels on aurait mauvaise grâce à excepter Philippe Égalité, ne gouverne pas un peu plus humai­nement que ne l'ont fait Danton, Marat, Robespierre, et que ne l'eût fait son propre père. Tout cela baigne dans le vague, même si la République, épurée des malfaiteurs qui président d'ordinaire à son établissement, devient à la faveur du procès d'Avril ([^62]), l'œuvre infiniment noble des martyrs. Chateau­briand raisonne de même, non pas pour se venger d'évêques gallicans, mais par représailles contre Villèle. Nos deux Bretons finissent par avoir l'amour-propre jacobin. Certes Lamennais parle magnifiquement du *peuple* mais comme d'une réserve de virginité politique et sociale. Sans doute son journal *le Peuple constituant* et son *Projet de Cons­titution* tenteront-ils ([^63]) d'y discerner des cadres. Mais de l'autel où son admiration l'entretient et l'encense, au trottoir où une bourgeoisie, pourtant républicaine, le décime, il n'y aura place que pour un cri d'horreur et de découragement. Le tort de Lamennais, s'en rendit-il jamais compte ? fut de substi­tuer à l'expérience de l'histoire la péremptoire assurance de l'eschatologie. Il est courant de le surprendre, même après sa rupture avec l'Église, en flagrant délit de convenances sacer­dotales. Il prélude à ses futures relations avec George Sand et Daniel Stern en affirmant sa méfiance à l'égard des bas bleus ([^64]). 73:229 Mais il interrompra dans le *Monde* la publication des *Lettres à Marcie* ([^65]) soupçonnées de faire l'apologie du divorce. Et il tentera d'empêcher le départ pour la Suisse de Liszt et de la comtesse d'Agoult ([^66]) toujours au nom de l'indissolubilité matrimoniale. Il a beau ruiner tout pouvoir consécrateur, il n'a de cesse qu'il n'ait investi le peuple du droit divin des rois, même s'il faut au préalable baptiser la Révolution. Ce qui d'ordi­naire se produit dans le sang, mais dans un sang privilégié selon la prophétie de Naigeon, *Et du boyau du dernier prêtre,* *Étranglons le dernier des rois* à la moitié de laquelle ([^67]) il semble que Lamennais souscrive. Le messianisme dévore, en effet, cette correspondance. Il faut voir le jeune et frais *Avenir,* imaginé au lendemain de 1830 par l'équipe de La Chênaie, assombri des couleurs d'un sanglant crépuscule, celui des trônes et des autels pourris. La métaphore est encore ecclésiale dans une lettre à la baronne Cottu ([^68]). Pour « le vaisseau ballotté du genre humain » un port ne peut manquer de s'ouvrir, mais les pilotes sont déconsidérés ([^69]). Dieu fera don de l'institution nouvelle, mais le travail des hommes de bonne volonté consiste à déposséder Rome de l'axe du christianisme et de le planter en pleine fermentation popu­laire. L'absurde XX^e^ siècle sait-il bien qu'il a un précurseur dans Lamennais qui a « décléricalisé » à tour de bras mais pour mieux diviniser ? Il faut nuancer car Lamennais se garde bien, comme un vulgaire Cardonnel, de tuer Dieu à travers son Église ; bien au contraire, des débris de la nef il bâtit, nous le savons, une arche d'alliance nouvelle. Il n'y a pas que du prêtre chez Lamennais, mais du grand prêtre, à la recherche d'un nouveau Saint des Saints. Et dans un passage extraordi­naire, il invente une spirale ([^70]), comme la meilleure façon de suivre Dieu à la trace. Le messianisme hugolien, par exemple, n'attend que cela pour en suivre, ivre de mots, les ténébreux contours. Désormais ce n'est plus le christianisme qui somme l'humanité, mais l'inverse, car Dieu est certainement plus présent au tribunal où l'on juge les insurgés d'Avril que sur la cathèdre vaticane. 74:229 D'Eckstein peut soupirer et mettre ce beau rêve au compte d'une phénoménale ignorance de l'histoire ([^71]) ; des promesses du christianisme un nouvel ordre social naî­tra ([^72]). Il est sûr que Lamennais se complaît dans le message prophétique, et quand il écrit à Coriolis : « Tout s'agite et fermente depuis les montagnes de Syrie jusqu'aux marécages d'Irlande. Mgr d'Astros peut-il suspendre tout cela ? » ([^73]), l'on voit de reste qu'il a quitté le *cursus honorum* traditionnel pour s'attribuer, tel Bonaparte se couronnant lui-même, une pro­motion peu ordinaire au regard de laquelle le cardinalat ne peut que faire sourire. La spirale dévore le passé dont Vitrolles et ses pareils se font une unité factice ([^74]), mais qui dans sa réalité profonde, n'est que mouvement ininterrompu. Fort bien constitué pour posséder le sens de la croissance, instruit, du reste, par saint Paul ([^75]), on dirait que Lamennais, anticipant sur Bernanos, enrage de voir son siècle indifférent à l'évolution inverse, celle des vers dans le cadavre. Un vertige universel nous emporte. Puisque l'autorité régulatrice des croyances n'admet pas d'interprétation progressive ([^76]), il faut conspirer avec le vertige, un peu comme Lamartine se montrera disposé, en 1848, à conspirer avec la foudre. Que la catastrophe soit au bout, Lamennais n'en exclut pas l'hypothèse, mais qui accuserait Noé d'avoir provoqué le déluge ? ([^77]) La nouvelle arche d'al­liance surgit d'abord devant les hommes comme une arche de salut immédiat. Avec de moins en moins d'hésitation, il la salue du nom de République et, d'emblée, confère au vocable toute sa charge spirituelle. Ses intuitions, mais aussi l'étude de l'histoire, car il proteste bien haut qu'il lit attentivement l'histoire ([^78]), le confirment dans une sanctification continue du progrès. Mais où prend-il que le mahométisme et le brah­manisme s'en vont ? ([^79]) Ce qui se précise de plus en plus à ses yeux, c'est que le chemin de la République passe par la Révolution et, une fois de plus, je ne comprends pas que les souvenirs de 93 n'arrêtent pas Lamennais sur cette pente. Il n'a jamais fait la part de la peur, sauf lorsque le retour de l'Empereur terrorisait sa jeunesse, et c'est pourtant la peur qui creuse régulièrement en France au fleuve républicain son lit de boue et de sang. 75:229 Il prophétise sur une anticipation de cadavres qu'il ne voit pas, qu'il refuse de voir, ou plutôt s'il lui arrive d'envisager la destruction possible des rois bourreaux l'on peut se demander jusqu'à quel point il ne fait pas sienne la question de Barnave : « Ce sang est-il si pur ? » Les insurgés d'Avril sont condamnés à des peines de prison, ceux de Juin 48 iront en nombre infiniment plus grand à la fosse commune et Louis-Philippe n'y sera pour rien. Quand on s'affranchit de l'institution ecclésiale pour conquérir la liberté du rêve et des visions, ne devient-on pas responsable du sort de ceux qui prennent un fusil pour les faire passer dans le réel ? C'est pourtant un clerc de l'Église officielle qui meurt sur les barri­cades dans la personne de l'archevêque de Paris. D'un bout à l'autre de cette correspondance du tome VI, c'est le même refrain : « Les peuples croissent dans leur jeune vigueur, tandis que partout leurs tyrans déclinent dans leur vieillesse pourrie », d'où la confusion capiteuse de la Révolution et de la jeunesse, dans une Europe à la veille d'un soulèvement généralisé ([^80]), jusqu'à la chorégraphie grandiose, confiée à Coriolis, de la *pyrrhique des peuples* ([^81])*.* Laquelle devait tout juste introduire à la danse macabre. Les abstractions ne coûtent jamais si cher que lorsque l'on veut les incarner à toute force, dût-on s'y engager intégralement soi-même. En s'efforçant de faire descendre l'Humanité, chair et sang, sur un autel qui n'avait pas été établi pour cela, Lamennais commet une erreur de prêtre. Dieu seul pouvait en apprécier le poids et la portée. La somme de connaissances, la variété prodigieuse de l'information qui, par exemple, conduisent le professeur Le Guillou à reproduire, avec le plus grand nombre possible de lettres ordonnées et classées de Lamennais lui-même, selon un ordre chronologique impeccable, les documents épistolaires issus de la plupart de ses correspondants, depuis la Cour de Rome, jusqu'au plus humble des amis, font de ce tome VI, comme de tous ceux qui l'ont précédé, et de tous ceux qui le suivront, une assise rigoureusement indispensable de l'ouvrage auquel j'ai maintes fois rêvé, mais qui ne saurait être entrepris ni édifié que par une équipe de jeunes historiens des lettres à la tête de laquelle je verrais Louis Le Guillou lui-même et qui serait consacré au *Génie religieux du XIX^e^ siècle.* Entre autres mérites, on y découvrirait, dans une vision d'ensemble et en profondeur, comment se préparait notre pauvre XX^e^ siècle, écartelé sur son déclin entre les Cosaques et le Saint-Esprit. Jacques Vier. 76:229 ### La guerre machinée de 1792 par André Guès LES JACOBINS DE LA PREMIÈRE GÉNÉRATION FONT UN CAS EXEMPLAIRE DE PACIFISTES QUI CHOISISSENT LEUR GUERRE, avec à leur tête Brissot, le non-violent devenu belliqueux ([^82]). Jusqu'à l'automne 1791, ils ont cru que les « idées nouvelles » se répandraient en Europe par la seule force de leur vertu jointe à l'exemple français de « *la plus belle constitution de l'univers *»*.* Les faits n'ont pas corroboré cette prévision optimiste et les tentatives révolu­tionnaires en Belgique autrichienne, dans la Principauté de Liège et à Genève ont échoué : il faut donc exporter la Révolution par les armes, entreprendre « *la guerre de libé­ration des peuples *»*.* Le « groupe de pression » que cons­titue le « *puissant parti *» de l'étranger (MATHIEZ, SOBOUL), y pousse vigoureusement. D'autre part, la mise en route, avec l'élection de la Législative, de cette admirable constitution, pourrait don­ner à penser que la Révolution est terminée. Mais il n'en est rien. L'échec de Varennes a fait naître un parti répu­blicain, encore peu nombreux mais remuant. De plus, une grosse affaire à résoudre est le problème religieux, né de la Constitution civile du clergé dont l'application a fait naître une opposition groupée autour des prêtres « *non­jureurs *», « *réfractaires *» au serment ou « *insermentés *»*.* 77:229 Ces prêtres-là, on essaye bien de les retirer de la circulation par des lois appropriées qui les emprisonnent, mais le roi refuse obstinément de sanctionner ces textes. Sur ce point, capital aux yeux des Jacobins, la situation est bloquée et pour la débloquer il apparaît de plus en plus nécessaire de se débarrasser du personnage qui la bloque, Louis XVI, soit en passant à la République, soit, dans l'esprit de ceux pour qui c'est là un régime inapplicable à « *un si grand Empire *»*,* par un changement de dynastie en faveur d'un prince protestant, Brunswick ou le duc d'York ([^83]). L'une et l'autre solutions réclament ce qu'on appelle maintenant une « situation révolutionnaire » et la guerre paraît bien propre à la créer. Les Jacobins ont cyniquement dévoilé quelle était leur intention machiavélique en faisant la guerre, et les sorbonnards qui ont affecté de n'y voir que le fait des émigrés, du commerce de Bordeaux à relancer, que la Révolution faisait languir, des intrigues d'un mythique *Comité autrichien,* d'une alliance *offensive* austro-prussien­ne, ou plus largement de la décision des rois d'écraser la Révolution par les armes, ont simplement montré leur cécité volontaire, au contraire d'un Taine et même d'un Jaurès (*Histoire socialiste de la Révolution française*)*,* de qui maint historien ultérieur n'a tenu aucun compte. Hérault explique bien la philosophie de l'opération : « *Vous pouvez prendre en état de guerre des mesures que l'état de paix pourrait faire trouver trop sévères. *» Brissot « *Il existe encore de fortes doses de poison dans le sein de la France, et il faut de fortes explosions pour l'expulser. *» On voit poindre la perspective de la Terreur et son méca­nisme est l'inverse de celui que dit l'histoire sorbonnarde, officielle et scolaire : la Terreur n'a pas été l'effet du danger national né de la guerre, c'est la guerre qui fut le produit de l'intention terroriste. Jaurès écrit : « *La guerre permettait aux partis du mouvement d'entraîner les modérés, de les violenter au besoin, car leur tiédeur pour la Révolution serait dénoncée comme une trahison envers la patrie elle-même. *» 78:229 Mais, davantage, Jaurès ajoute : « *La guerre enfin, par l'émotion de l'inconnu et du danger, par la surexcitation de la fierté nationale, raviverait l'énergie du peuple. Il n'était plus possible de la conduire directement, par les seules voies de la politique intérieure, à l'assaut du pouvoir royal... Pour rompre le charme séculaire de la royauté, il faut qu'elle s'abandonne enfin à la Révolution, ou que, par une trahison flagrante contre la patrie, elle suscite contre elle la colère des citoyens déjà enfiévrés par la lutte contre l'étranger. *» Trahison non tellement flagrante, justement, et qui repose entièrement sur l'ambiguïté des mots de patrie, patriote et patriotisme, tantôt entendus dans le sens de la langue, tantôt pris dans leur sens jacobin et entièrement nouveau d'idées nouvelles, d'attaché ou d'attachement à ces idées ([^84]). Sans noter jamais, non plus qu'aucun autre historien, le double sens des mots, Jaurès écrit fort bien que la « *tiédeur pour la Révolution *» sera « *dénoncée comme une trahison envers la patrie *». Cette confusion entre la France et la Révolution donne un sens terrible aux menaces de Guadet contre ceux qui ne se dévouent pas entièrement à celle-ci : « *Marquons d'avance une place aux traîtres, et que cette place soit l'échafaud. *» Brissot : « *Je n'ai qu'une crainte, c'est que nous ne soyons pas trahis. Nous avons besoin de grandes trahisons. *» Davantage encore. Dans l'état actuel des finances (ITI­NÉRAIRES, numéro 193 de mai 1975), de l'armée (ITINÉ­RAIRES, numéro 213 de mai et 215 de juillet-août 1977), de l'administration entièrement nouvelle, non encore rodée, dépassée par les événements et qui va avoir pour tâche supplémentaire les levées d'hommes pour les armées, de­vant l'inébranlable alliance défensive austro-prussienne, ce ne sont pas des victoires qui sont à attendre, mais bien le contraire, et c'est bien le contraire qui se produira. Plus tard, Brissot expliquera : « *C'est l'abolition de la royauté que j'avais en vue en faisant déclarer la guerre. *» Et encore : « *Nous voulions la guerre, nous autres jacobins, parce qu'à coup sûr la paix tuait la République ; parce qu'entreprise à temps, nos premiers revers inévitables... devaient purger à la fois le Sénat, les armées et le Trône. *» Si les Jacobins étaient patriotes, c'est qu'il faut appeler de ce nom le citoyen qui souhaite à son pays des revers militaires et qui y travaille. 79:229 Le mécanisme est simple : pour le populaire, il n'est de défaite qui ne soit due à la trahison. Quels sont les traîtres ? Évidemment ceux qui ne sont pas « patriotes », singulièrement les prêtres réfractaires et le roi qui refuse toujours obstinément de contresigner les décrets que la Législative prend contre eux. La « trahison » de Louis XVI fut simplement de n'être pas jacobin. J'ai dépouillé nombre de textes produits entre le 20 avril et le 10 août 1792, dis­cours à l'Assemblée, arrêtés des assemblées locales, procès-verbaux du Club des jacobins, proclamations des clubs jacobins de province : il n'y est quasiment pas question des mesures à prendre pour parer au danger extérieur, mais seulement des « aristocrates » et du danger qui est à Paris. Sur l'opportunité de la guerre, les Jacobins se divisent en deux groupes fort inégaux, les uns la voulant, et ce sont les Girondins, les autres voulant maintenir une paix provisoire, et c'est le tout petit groupe qui suit Robespierre et Marat. Mais c'est une vue superficielle des choses, car l'un et l'autre des partis sont d'accord sur le fond de la question qui est l'intérêt de la Révolution, non de la France. L'un veut la guerre, et la guerre d'abord malheu­reuse pour faire avancer la Révolution ; l'autre n'en veut pas de crainte qu'elle soit heureuse et que le roi ne profite du prestige de la victoire pour une réaction. Souhait de défaite, crainte de victoire, ils sont anti-patriotiquement d'accord. Son opposition à la guerre vaut à Robespierre cette sanglante accusation de Brissot : « *On a reconnu l'existence du Comité autrichien dans l'opposition d'un certain parti à la guerre offensive. *» On voit surtout comme l'existence est établie du Comité autrichien tirant les ficelles à la Cour, croquemitaine utilisé pour soulever les « patriotes » contre le Trône. L'opposition de Robespierre se manifeste en particulier par trois grands discours aux Jacobins, desquels il ressort qu'il ne veut pas la guerre, du moins pas tout de suite, pas avant que la Révolution soit bien établie ; on pourra alors, on devra même la porter par les armes hors des frontières : « *Oui, domptons nos ennemis du dedans, et ensuite marchons à Léopold, marchons à tous les tyrans de la terre. A cette condition, moi aussi je demande la guerre à grands cris *» (1^er^ décembre 91). 80:229 « *Ren­versons nos ennemis intérieurs et ensuite nos ennemis étrangers *» (30 décembre). Pourquoi ce délai ? Est-ce parce qu'il redoute la défaite de la France ? Sentiment moins patriotique, mais d'un « patriote » jacobin, redoute-t-il l'écrasement de la Révolution par la coalition de l'Europe monarchique ? Au contraire : « *Ah ! que je crains la vic­toire des généraux nommés par la Cour !* » Et encore, le 11 janvier 92 : « *Les victoires de nos généraux seraient plus funestes que nos défaites mêmes. *» Des « *victoires funes­tes *», voilà qui définit bien le patriotisme du « patriote » jacobin. Marat éprouve la même crainte, estimant qu'avec la fâcheuse disposition des Français à s'engouer de n'importe qui, il faut redouter « *que quelqu'un de nos généraux ne soit couronné par la victoire *» (*Ami du peuple,* 24 avril 92). Aux premiers revers, il dit le contraire : « *Il y a plus de six mois que j'avais prédit que nos généraux, tous bons valets de la Cour, trahiraient la nation, qu'ils livreraient nos frontières. Mon espoir est que l'armée ouvrira les yeux et qu'elle sentira que la première chose qu'elle ait à faire, c'est de massacrer ses généraux. *» Mais avant la guerre, son ardeur à n'en point vouloir lui avait fait trouver un argument de bon sens. Il écrivait le 1^er^ décembre 91 : « *C'est une démarche impolitique et désastreuse de pro­voquer une rupture avec quelques petits princes de l'empire parce qu'on aurait bientôt tous les alliés sur les bras. *» Faire la guerre pour « *déjouer les intrigues de quelques milliers d'émigrés *», ce serait « *allumer le flambeau de la guerre pour éteindre un feu d'opéra *». Le tandem Robespierre-Marat ne rallie aucun girondin à sa politique, mais est soutenu par Desmoulins et Merlin (de Thionville) dans leur journal la *Tribune des patriotes,* par Fréron qui, dans l'*Orateur du peuple,* traite les bellicistes de « *scélérats *» et de « *traîtres *», par Prudhomme qui écrit dans les *Révolutions de Paris :* « *Si la France remporte des victoires... *» et « *une armée victorieuse sous des généraux nommés par la Cour *», c'est la liberté qui sera en danger. 81:229 Ainsi l'équipe de Robespierre, en cet hiver 1791-92, préfère la défaite de la France à une victoire qui raffer­mirait la Monarchie, peut-être par l'intermédiaire de quel­que général prompt à défenestrer les jacobinières. Le même esprit animera les Républicains sous le second Empire pendant la guerre d'Italie, puis entre Sadowa et la guerre de 1870 pendant les discussions de la loi Niel et de ses implications budgétaires annuelles, enfin pendant les quel­ques semaines qui s'écouleront de la déclaration de guerre à Sedan. Cet esprit s'exhalera dans le cri victorieux de Jules Favre à l'annonce des premières défaites : « *Les armées de l'Empereur sont battues *» et dans la phrase sacrilège d'Edgar Quinet rentrant en France, écrit-il, « *au bruit joyeux des canons de Sedan *». Au siècle suivant, Charles Braibant expliquera par les mêmes considérations pourquoi la République ne peut pas faire la guerre. Ni sentiment humain, ni constatation des intérêts de son pays ne guidait ce républicain : si la guerre est malheu­reuse, la République succombe ; si elle est heureuse, elle succombe aussi, renversée par le général victorieux (*Un bourgeois sous trois Républiques,* Buchet-Chatel 1961). On ne savait pas que l'un quelconque des Maréchaux de France nés de la guerre victorieuse se fût rendu coupable d'un pareil forfait. André Guès. 82:229 ### L'extrême-onction du *Malade imaginaire* par André Guès SCÈNE II (et post-conciliaire) : le Père MISOTHÉE, ARGAN, BÉLINE, ANGÉLIQUE, LOUISON, BÉRALDE, TOINETTE. MISOTHÉE, *entrant, jovial :* Salut tout le monde et la compagnie ! BÉRALDE, *tout bas :* De mon temps, le prêtre, en entrant dans la chambre du malade, disait : *Pax huic domi.* 83:229 MISOTHÉE : Eh ! vous, là ! qu'est-ce que vous marmonnez ? BÉRALDE : J'appelle la paix sur cette maison. MISOTHÉE : Je comprends, mais nous avons changé tout cela, et nous avons maintenant une religion toute nouvelle. (*Aper­cevant la table préparée.*) Que signifie tout cela ? TOINETTE : J'ai fait ce que ma maîtresse m'a dit de faire. ANGÉLIQUE : Je lui ai dit de faire ce que j'ai appris au catéchisme qu'il fallait faire pour la communion d'un malade. MISOTHÉE : Nous avons changé tout cela. (*Il souffle les cierges.*) Ffft ! Ffft ! (*Il se penche sous le lit, en tire le bassin, y verse l'eau et le buis bénit.*) Tout est sacré et rien n'est sacré. Bien, voilà ! (*Il tire une custode de la poche de sa culotte.*) Ne vous mettez pas à genoux, allons, levez-vous, l'agenouillement n'est pas une attitude liturgique. 84:229 ARGAN, *du fond de son lit, d'une voix éteinte :* Flectamus genua. MISOTHÉE : *donne des coups de pied dans les genoux* Nous avons changé tout cela. TOINETTE : Hou ! Comme vous y allez ! vous m'avez fait mal. MISOTHÉE : Tu n'avais qu'à obéir, carogne ! Allons, qui en veut ? BÉRALDE : Tout de même, la préparation, le jeûne... MISOTHÉE : Nous avons changé tout cela. ANGÉLIQUE : Mon Père, vous avez oublié votre surplis et votre étole. 85:229 MISOTHÉE : Nous avons changé tout cela. Alors personne n'en veut ? Si ça ne vous fait pas de bien, ça ne peut pas vous faire de mal. Bon. (Il s'approche d'Argon gisant les mains jointes.) Tendez la main ! Je vous dis de tendre la main Communiez en adulte. (Il lui saisit une main et la retourne.) Et voilà ! Vous êtes bien obligé de faire comme je veux. Bien, maintenant, causons. ARGAN : Laissez-moi prier le Dieu que j'ai reçu. MISOTHÉE : Vous y croyez donc encore ? Nous avons changé tout cela. *D'après Molière*\ *Pour copie conforme :* André Guès. 86:229 ### Droits de l'homme bon sens et sens chrétien par Paul Bouscaren CE TITRE ÉCLAIRE sans doute assez ce qu'il annonce, où l'on cherche à progresser par des plongées logiques en liaison avec la question suivante : les droits de l'homme sont-ils respectables, ou se moquent-ils des hom­mes, et, en particulier, des chrétiens ? Levons tout de suite l'apparente impertinence de pareille question. Droits de l'homme, s'agit-il de la liberté qui « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », con­formément à la loi « ex­pression de la volonté géné­rale », -- ou s'agit-il, par définition du droit, d'un pouvoir moral selon quoi le respect de soi-même mérite le respect des autres ? L'homme, est-ce à dire l'être humain par définition qui convienne à tous les hu­mains, comme celle du trian­gle à tous les triangles ? Mais aucun triangle ne man­que par son existence théo­rique à son être défini, alors que les êtres humains vivent leur vie, qui ne sait com­ment, du meilleur au pire de ce que peut faire et ne pas faire l'animal capable de raison, mais enfin, un ani­mal, et toujours capable d'en rester là ? 87:229 Et ensuite, où vivons-nous de vie humaine, sinon en société ? Ce qui est, de fait, non en une, mais en plu­sieurs sociétés politiques, de civilisations plus ou moins diverses, etc. ; et, à mesure, les hommes ne sont pas ci­toyens par définition de l'homme spécifique, mais re­lativement à l'homme histo­rique en sa multiplicité ; les hommes en tant que ci­toyens, c'est dire les hommes vivant de leurs morts, la réelle humanité temporelle et non seulement spatiale, faite de plus de morts que de vivants. Quant à l'Évangile de Jé­sus-Christ, c'est bien le salut de tout être humain sans distinction aucune de l'exis­tence terrestre, mais non pas en ce sens qu'il y suffise de l'être humain en tant que tel (ce quiproquo humanita­riste), puisqu'il y faut le Don de Dieu reçu par la foi, et, par suite, un droit propre du chrétien à vivre en chrétien, et non seulement à égalité humaine avec les non-chré­tiens, auxquels convient ce nom négatif, les chrétiens en tant que chrétiens vivant l'humaine vie en la vie di­vine de leur Seigneur. *L'homme fait droit, ignorant tout de nos besoins ?* \*\*\* La foi en Jésus-Christ fai­sait vivre le manant comme son seigneur, dans un uni­vers où rien ne peut enlever à l'humaine créature la dis­position spirituelle de soi-même, à la vie, à la mort, quoi qu'il en aille des contin­gences de ce monde ; réduite désormais à celles-ci, com­ment la vie des hommes ne verserait-elle pas à l'anarchie en s'efforçant, mais en vain, de ne pas être un esclavage ? Dans le royaume de Jésus-Christ, chacun est roi de son âme pour le salut éternel ; en démocratie ainsi appelée, le citoyen est un esclave anarchiste, souverain nomi­nal qui meurt de soif d'une vie disposant d'elle-même. \*\*\* Comme l'individu humain est un animal, son plaisir se trouve à vivre selon sa nature, aussi bien pour sa nature individuelle le plaisir de manger, aussi bien pour sa nature spécifique l'attrait sexuel, ou les inclinations sociales ; mais comme la rai­son fait son être, voilà une nature qui ne peut être per­sonnellement la sienne que selon son universalité à elle, faisant obligation à chacun de se renoncer soi-même pour vivre de vie raisonna­ble. C'est n'y rien entendre, croire que l'homme est rai­sonnable de même sorte qu'il est animal, et faire raillerie qu'on le dise animal raison­nable, déraisonnant de tou­te manière et à toute heure, -- tout volonté de tout ex­cepté de raison, *qu'il ne sait pas qu'il doit vouloir,* et mettre au monde. 88:229 Il est hors de doute pour un catholique, et c'est-à-dire au point de vue de la vérité chrétienne, que le protestan­tisme est une hérésie, une corruption de cette vérité ; mais faut-il en dire autant du démocratisme, du seul fait que l'on peut mettre en parallèle avec l'Évangile les exigences de liberté, d'éga­lité, de fraternité comme on les déclare ? Hypothèse vrai­semblable, peut-être, mais une autre est à examiner ; la démocratie moderne est autre chose que l'hérésie protestante d'où elle vient non pas comme celle-ci cor­ruption, mais corruptrice du christianisme, -- à preuve que c'est aussi bien chez les incroyants que chez les chré­tiens qui se veulent démo­crates et pensent en consé­quence ; non une hérésie, mais, bon gré, mal gré, une mythification temporelle et sociale du salut éternel des âmes par l'Évangile. Ce qu'on appelle démocratie pourrit tout, la vie chré­tienne comme les autres ; et la pensée chrétienne par voie de conséquence, non par principe de foi hérétique. \*\*\* Quant à l'amour plus ou moins grand dû selon la na­ture à des êtres humains, saint Thomas fait remarquer tout d'abord que chez de tels êtres, il peut y avoir une telle distance de la conduite bonne ou mauvaise que diminue ou même s'abolisse l'amitié naturelle (II.II.26, 10). \*\*\* « Si j'avais été anarchiste, socialiste, communiste, mon père aurait trouvé cela tout naturel ; non pas, que je de­vienne fasciste ou raciste. » (Jean d'Ormesson à *France-Inter,* le 25 mars 1976.) L'explication a précédé : on est *libéral*. \*\*\* Les besoins des hommes sont des faits de leur exis­tence qu'il s'agit de consta­ter, les droits de l'homme tiennent à son être raison­nable et libre, qu'il faut res­pecter en les respectant, se­lon qu'ils se concluent de cet être reconnu en toute nais­sance humaine. Ainsi, l'exis­tence des hommes et une certaine idée de leur être, la constatation de fait et les conséquences morales d'une idée de l'homme : voilà qui doit interdire la confusion de nos besoins avec nos droits. 89:229 Confusion entre toutes re­doutable ! Les besoins sont à constater sans acception de personne, ils sont plus ou moins urgents, ils font ou ne font pas droit, si l'on n'abuse pas de ce mot ; les droits sont à respecter com­me la personne même, c'est tout ou rien avec chacun d'eux, léser l'un fait craindre pour tous. Les besoins de chacun demandent à son prochain l'aide qui peut être nécessaire, les droits com­mandent à autrui le respect toujours dû à chaque per­sonne. Il faut en venir à dire que les droits sont la liberté de chacun obligeant la liberté de tous, alors que les besoins concernent la liberté selon qu'elle oblige chacun, en tant même que disposition de soi consciente et responsable. Et c'est dire que les droits sont affaire de justice imperson­nelle, et les besoins, l'affaire de l'amour, chose éminem­ment personnelle. Lisons l'Évangile comme l'Évangile parle, nous y voyons le salut de Dieu ac­cordé aux besoins des hom­mes jusqu'au miracle, le commandement d'aimer les hommes dans leurs besoins jusqu'aux services les plus humbles, à ses dépens, com­me le Christ les a aimés ; nous voyons l'incroyable mensonge de vouloir chré­tienne l'idéologie de la Dé­claration des droits de l'hom­me selon quoi la fraternité humaine, et le bonheur de tous en société, doit couler de source de la reconnais­sance de ces mêmes droits. Ce mensonge contre l'Évangile revient-il à faire du salut de Dieu, et de l'amour mutuel qu'il nous commande, l'art humain de la politique, d'ailleurs indis­pensable à notre condition terrestre ? Il y a une autre ânerie à la croire, la politique selon 1789 est une ante-poli­tique, en ce que, précisément, au lieu de partir de nos be­soins pour une existence sociale où la vie humaine soit accessible à chacun, elle, fait ses principes de droits de l'homme dont la détermina­tion présuppose la réalité concrète de cette même exis­tence sociale. Il n'y a que des individus, mais ils n'existent qu'en société, individus concrets seulement ainsi ; à eux seuls, individus abstraits et irréels, qui n'ont jamais été, qui ne peuvent pas être. Si donc l'individu humain, en tant qu'humain, apparaît comme le sujet de tels ou tels droits, encore faut-il qu'il s'agisse de l'individu concret, donc de l'individu en société, ce qui suppose la société exis­tante, à toutes les conditions requises par l'existence sociale, -- et conditions fai­sant droit à mesure, si l'hu­main fait droit. Mais alors, il y a verbiage sophistique, à parler comme le fait, on ne peut plus net, le Préam­bule à la Déclaration de 1789, des droits de l'homme en tant qu'individu abstrait, puisque c'est à partir de ces droits que l'on prétend dé­finir tout ce que la société politique peut emporter de droits et de devoirs, pour le bonheur de tous. 90:229 Le postulat de droits in­déterminés, au lieu de la constatation des besoins des hommes pour vivre en hom­mes, pareille incompatibilité d'origine entre l'idéologie démocratiste et l'Évangile de Jésus-Christ n'est pas la seu­le ; tant s'en faut, que la charité chrétienne, amour du prochain comme de soi-mê­me en l'amour de Dieu, si elle se doit aux besoins de toute sorte de l'humaine vie, le doit chrétiennement et non à la manière des païens, Dieu sait si l'Évangile y in­siste ! Au point de dire heu­reuse la pauvreté, car elle est, Dieu aidant, richesse di­vine, alors que la richesse nous sera aisément le malheur de nous asservir, aux dépens du service que nous devons à Dieu, chacun à nous-même, et à tous. \*\*\* S'il y a quelque bien commun des hommes ; s'il oblige en conscience leur liberté à vouloir, de cette fin, les moyens nécessaires ; si cela peut être reconnu et consenti par chacun, mais non pas, ces moyens, mis en lumière aux yeux de tous par délibération de tous ; alors, on comprendra l'auto­rité de droit social ; mais elle est incompréhensible comme pie droit d'un homme sur un autre homme, seul imaginable pour l'individualisme de 1789, anti-politique et anti­chrétien sur les trois points du bien commun des hom­mes, soit Dieu, soit l'exis­tence sociale ; de l'obligation pour notre liberté de vouloir l'un et l'autre, et les moyens qui nous font besoin ; de l'incapacité chacunière, et de sauver son âme en Dieu que par Dieu, et de faire vivre la société que par l'autorité obéie d'un sergent de Dieu, comme disait Jeanne d'Arc ; en un mot, l'impossibilité d'être à hauteur, par soi-même, par le seul usage de sa liberté, de la fin commune qui l'oblige. L'impossibilité de fabriquer à volonté volon­tariste l'homme social non plus que l'homme biologi­que, et c'est pourtant la rê­verie démocratique. \*\*\* Rien pour le tyrannicide dans les écrits de saint Tho­mas, selon Mgr Grabmann ; à quoi l'on peut opposer au moins II.II., 42, 2, ad 3 : car si le tyran est un séditieux, il est bon à tuer ! \*\*\* S'il ne faut avoir égard qu'aux personnes, ou si c'est eu égard aux personnes qu'il faut, en définitive, régler sa parole, je comprends Paul VI de parler (et de se taire) d'une façon aussi peu tra­ditionnelle, à des hommes aussi incapables de la tradi­tion chrétienne ; 91:229 la question est de savoir si la vérité du bien commun oblige moins et nécessite moins, lorsque les personnes y sont aveu­gles, ou, au contraire, s'im­pose d'autant plus à ceux qui ont la charge de gouver­ner aux fins du bien com­mun. Cette question peut, et doit, se formuler de la façon suivante : tout gouverne­ment doit-il imiter la nature en sa primauté intraitable du bien commun, ou lui est-il loisible, en cela, de se moquer de la nature, de lui tourner le dos, de l'ignorer comme rien ? Si même on ne calomnie pas d'indifféren­ce au bien, qu'elle fasse lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et ne fasse pas de miracles, pour l'éga­lité des faibles avec les forts, mais la seule merveille cons­tante des milieux intérieurs et extérieurs de toutes les vies, redisons : par la pri­mauté intraitable du bien commun, ici et là, en chaque organisme et dans le monde. \*\*\* Une fois l'autorité disqua­lifiée par ses abus, selon vous, quel droit vous reste-t-il pour la liberté, encore plus abusive, en fait, et quel moyen pour l'empêcher d'a­buser davantage encore ? \*\*\* Depuis cinquante ans et plus que je suis arrivé à l'âge de citoyen, je puis té­moigner que le peuple fran­çais, toujours inondé de mensonges éhontés par ses politiciens, mais aussi touj­ours mis en garde contre la tentation de se laisser tromper, au moins par quel­ques voix parlant net, a été incapable de bon sens, in­capable de distinguer la vé­rité du bobard. Non pas in­capable à la honte de Des­cartes, mais à la honte du bobard démocratique des peuples proclamés majeurs pour le gouvernement d'eux-mêmes. \*\*\* Il y a une bonne raison pour les femmes d'en avoir assez d'une société gouver­née par les hommes, mais la bonne raison à ne pas dire, que, au moins quant à gouverner la société, ce ne sont plus des hommes, étant réduits par eux-mêmes, selon le mot de Pascal, à se pren­dre chacun pour une propo­sition. \*\*\* Racismes de toute sorte, ou réaction de toute part contre la stupidité de l'égali­tarisme, sans vouloir la re­connaître ? \*\*\* 92:229 « Prions pour la sainte Église, afin qu'elle rassem­ble dans l'unité les nations, les races, les classes. » Les nations et les races ont en effet besoin que leur multi­plicité *naturelle* entre dans l'unité de l'Église, mais les classes appartiennent déjà, elles, à l'unité politique na­tionale, -- si du moins on n'accorde pas leur guerre à la Révolution. \*\*\* Contrairement aux autres vertus, la justice veut une rectitude de l'action qui ne tient pas à la manière d'être de celui qui agit mais à ce qu'il fait à l'égard d'autrui ; cette doctrine thomiste (II.II. 57,1) n'éclaire-t-elle pas si­nistrement une conscience moderne bornée à la justice ? La conscience à zéro quant à la dignité personnelle ? \*\*\* Il y a ordre social dans la mesure où les hommes, qui sont en société afin de pouvoir vivre de vie humai­ne, en ont en effet la possi­bilité s'ils en ont la volonté. Il y a ordre social chrétien dans la mesure où leur vie humaine, devant être chré­tienne, trouve dans cet ordre social l'aide qu'elle a besoin d'en recevoir, qu'elle doit donc en recevoir. Il faut en­tendre cela concrètement, quelque distinction abstraite qu'il y ait à faire des hom­mes et de leur société, de l'ordre naturel et de l'ordre surnaturel, celui-ci englobant celui-là selon le Créateur et la foi en sa Révélation, mais celui-là ne laissant pas d'être premier pour la créature se saisissant d'elle-même. \*\*\* Qu'est-ce qu'être pauvre et qu'est-ce qu'être riche ? On doit répondre, certes, se trouver dépourvu, ou, au contraire, surabondamment pourvu de l'argent qu'il faut en société pour acheter les autres biens de ce monde. Mais alors, il faut appliquer aux pauvres ce que l'Évan­gile dit des eunuques : cer­tains le sont de nature, d'au­tres par la main des hom­mes, et d'autres pour le Royaume. Car l'Évangile comme il parle réellement des pauvres et des riches n'autorise absolument pas l'identification révolution­naire de la pauvreté avec l'injustice de la richesse, encore que telle pauvreté puisse être l'injustice de tel­le richesse, -- ou de tel ré­gime de la richesse, soit libéral ou collectiviste. \*\*\* L'amour chrétien, étant tel, à tout homme *fait droit* selon qu'il s'agit d'un autre, mais lui *fait la charité* com­me à un autre lui-même en Dieu, et c'est-à-dire fait son bien à lui-même du bien d'autrui. 93:229 D'où vient que l'on s'offusque de l'expression faire la charité, sinon d'ar­rêter le chrétien à l'homme que l'on veut égal en tout homme selon les droits de l'homme, alors que la chari­té, le véritable amour chré­tien, est le don de Dieu, au­quel il faut répondre par une action où Dieu est en tiers entre l'homme dans le besoin et l'homme qui lui porte secours ? *Qui fait la charité fait venir Dieu au secours de son prochain fau­te d'un droit de cet homme,* voilà précisément ce que l'on ne supporte plus, pauvres paltoquets. \*\*\* La nature n'a rien à ob­jecter à l'Évangile, et l'Évan­gile n'objecte rien à la nature ; malheureusement, pour crier aux paradoxes du Sermon sur la montagne, il y a dans les hommes autre chose que l'homme et le chrétien, et l'on ne veut pas s'en aviser à ses dépens, ... pardon, aux dépens des droits de l'homme. \*\*\* L'Évangile s'adresse à cha­cun pour le salut de lui-même, par le don de lui-même au don de Dieu, que chacun est seul à pouvoir consentir ou refuser. Un oui ou non de l'âme à Dieu que chaque âme doit être, seule à être elle-même en la grâce de Dieu comme elle seule est elle-même en la nature humaine. Non que chacun soit sauvé par lui-même, mais par Dieu en Jésus-Christ. Non que chacun soit seul, ni de source ni de course de sa vie, non plus pour la vie du chrétien que pour la vie de l'homme ; l'absolue nécessité d'être seul soi-même, en soi-même et en Dieu, ne fait aucune opposition à la nécessité de la condition humaine, par nature et ensuite par grâce, de vivre avec les autres sa propre vie, impossible à soi seul. \*\*\* En marge de saint Tho­mas (II.II.61, 4) : la mentalité égalitaire fait voir absence de justice précisément là où il y a exigence de justice pour la mentalité hiérarchi­que traditionnelle. Et ceci, sans commentai­re : les gouvernants ont le pouvoir pour protéger les honnêtes gens des voleurs, ils sont, par suite, tenus à restituer ce qu'ils laissent voler (II.II.62, 7). 94:229 Tout homme est louable de faire, même à titre privé, ce qui est utile au bien com­mun ; or tuer les malfai­teurs a cette utilité, donc... Servir le bien commun est toujours louable, répond saint Thomas (II.II.94, 13) *sous réserve de n'être aux dépens de personne ;* car il faut avoir autorité publique pour juger de ce que le tout exige des parties. \*\*\* Les femmes ne veulent plus être les roses d'un jar­din social où l'homme est le jardinier ; il y perdra la seule poésie à la portée de tous, que pensent-elles y ga­gner ? Ce langage est intolérable aux oreilles modernes, selon que les yeux modernes veu­lent voir un jardin social volontariste, où, en effet, on se moquerait de la femme-rose à la merci de l'homme-jardinier ; mais le jardin social, de même que les autres jardins réels, est un milieu d'existence où les plantes font loi de leur vie au jardi­nier, serviteur de la rose et non pas son tyran, jardinier à son travail et non illusion­niste. Égalité démocratique de la femme avec l'homme, la seconde moitié de l'hu­manité s'enlise à la suite de la première, au nom de la liberté hallucinatoire des unes comme des autres. Hallucination humanita­riste, individualisme ou per­sonnalisme selon quoi l'être humain fait de chacun son tout, et voilà tout ; saint Thomas d'Aquin, au rebours, non seulement pour fonder en vertu de justice sociale (ainsi parle-t-il) ce que nous appelons (et avons tant be­soin de rappeler parmi nous) le civisme ; non seulement à ce propos, mais à celui du péché originel, ou de la peine de mort, ou des châtiments corporels, mutilations com­prises, -- le saint Docteur a pour principe constant de regarder l'homme selon qu'il existe, par nécessité, avant de pouvoir être libre, et c'est-à-dire dans la condition dualiste d'un sujet raison­nable vivant comme membre d'une communauté. Paul Bouscaren. 95:229 ### Quatrième note sur la pastorale par Marcel De Corte Les trois premières notes de Marcel De Corte sur la pastorale ont paru dans nos numéros 222 d'avril, 223 de mai et 224 de juin 1978. DANS nos trois notes précédentes, nous avons mis en relief l'extraordinaire volte-face que le Le concile Vatican II a fait subir à l'Église : au lieu de fonder la pastorale sur la doctrine et le ministère sur le magistère, les évêques du monde entier, à leur quasi-unanimité, avec un aveuglement suprême, ont éri­gé « la pastorale », ou ce qu'ils appellent de ce nom, en fin en soi, indépendamment de son rapport intrinsèque à l'enseignement traditionnel du *dogme --* ce terme a été rayé de leur vocabulaire -- et aux vérités *immuables* dont les catholiques de tous les lieux et de toutes les époques se sont nourris. 96:229 De l'action coupée de la contemplation et qui se prend elle-même comme but, de ce « dynamisme », comme ils disent, qu'ils prétendent insuffler à l'Église « statique » des siècles antérieurs, les nouveaux prêtres, consciemment ou inconsciemment formés, ou plutôt déformés et réformés, à l'école du modernisme et de Blondel, ont eu tôt fait d'extraire une doctrine nouvelle, jamais enseignée sauf au titre d'hérésie, qui se répand aujourd'hui dans la masse moutonnière des fidèles, à la manière d'un tournis, à tra­vers les nouvelles traductions de l'Écriture, les nouvelles messes -- pardon : les « eucharisties » non-propitiatoires -- et les nouveaux catéchismes. Tant il est vrai que le chrétien ne peut se passer de doctrine et que, si la pastorale ne se tire plus de la doctrine, elle sécrétera immédiatement une doctrine insolite, imprégnée elle-même du caractère propre à l'action : la mobilité, le changement, l'évolution cons­tante, et à la limite, lorsqu'elle est amputée de la fin surnaturelle objective qui la régularise, débouchant sur la *révolution permanente*. C'est à quoi nous assistons, avec une sorte d'épouvante sacrée, dans l'Église de Dieu : quels sont les membres du clergé qui s'appuient aujourd'hui, avec une ferme réso­lution surnaturelle, sur les données inébranlables de la foi, la première des vertus théologales, plutôt que sur les cogi­tations subjectives, informes, mais publiquement formulées, que leur inspirent les pastorales qu'ils inventent, soi-disant « pour adapter le message évangélique aux exigences de notre temps », en fait pour maintenir sur les fidèles et répercuter sur les incroyants une puissance qui leur échappe à mesure qu'ils s'obstinent dans leur activisme déboussolé ? Alors que le concile de Trente et Vatican I ont engendré dans leurs siècles respectifs tant de saints, est-il exagéré de soutenir que Vatican II a projeté dans un monde pour­tant déjà peuplé de déglingués depuis sa déchristianisation, un nombre croissant de clercs renégats, apostats, sceptiques, aventureux, délirants, incertains de tout, sauf d'eux-mêmes, qui répandent autour d'eux le trouble qu'ils ressentent, l'universalisent par l'intermédiaire de l'Église catholique dont ils occupent les postes de commande, et le baptisent, « renouveau, printemps » et autres balivernes biscornues ? \*\*\* 97:229 L'Église a voulu et veut encore par la voix de ses chefs se mettre « à l'écoute du monde », recevoir de lui un enseigne­ment au lieu de lui présenter impavidement le sien en invoquant l'assistance surnaturelle de Dieu, déceler en lui « les valeurs positives qu'il contient », adapter sa « pastorale » à leur contenu et montrer qu'en définitive entre les aspirations de ce monde et l'Église il y a concordance, accord, harmonie, voire identité de vues, si bien que ce monde débarrassé de ses éléments né­gatifs et l'Église désobstruée des siens, ne font en définitive plus qu'un. Or ce monde est un « monde cassé », un monde en proie au subjectivisme, un monde où toutes les sociétés qui donnent un sens à la vie humaine (familles, métiers, patries) se dislo­quent, et dont les membres réduits à l'état d'individus, isolés ou empilés en tas et en masses, n'ont plus d'autre ressource que d'imaginer « un homme nouveau », une « société nouvelle », un « monde nouveau », et de les construire dans les nuées sans jamais pouvoir les incarner dans le réel. A un monde cassé ne peut correspondre qu'une Église cassée à son tour par sa « pastorale » d'ouverture et d'adaptation. Comme en témoigne une amère expérience objective, l'Église, par toutes ses fissures et par toutes ses fractures, est « ouverte » à n'im­porte quoi, même à la folie -- pas à la folie de la Croix, bien sûr --, même à l'absurde. \*\*\* Ce n'est ni une conjecture ni un soupçon que d'affirmer que la constitution « pastorale » *l'Église dans* *le monde de ce temps,* votée par 2309 voix contre 75 seulement et promulguée par le pape Paul VI le 7 décembre 1965, a puissamment contri­bué à cette « autodémolition » de l'Église par la primauté obstinément accordée à l'action sur la contemplation. Le résultat le plus clair en est non seulement la rupture de l'Institution ecclésiale avec tout son passé, mais encore la *transformation de l'Évangile livré* *à tous* *les tripatouillages en utopie sociale.* Nul plus que Paul VI n'a contribué à orienter l'Église en ce sens. Parmi d'innombrables textes, citons simplement ces décla­rations péremptoires : « Nous sommes tous, Églises comprises engagés dans la naissance d'un monde nouveau. Dans son amour de l'Homme, Dieu organise les mouvements de l'Histoire pour le progrès de l'humanité et en vue de la terre nouvelle et des cieux nouveaux où la justice sera parfaite. » ([^85]) 98:229 Déjà en l'audience du 2 juillet 1969, il avait formulé, à sa manière insi­nuante, son irréfragable volonté sous une forme interrogative « Le monde entier bouge, le catholicisme ne bouge pas. Com­ment peuvent-ils être d'accord ? Comment le christianisme pourrait-il prétendre avoir aujourd'hui une influence sur la vie ? C'est pour cette raison que l'Église a entrepris des réformes spécialement après le concile. » ([^86]) -- « L'Église, tout en respectant la compétence des États, doit offrir son aide pour promouvoir *un humanisme plénier,* c'est-à-dire *le développe­ment intégral de tout homme et de tous les hommes.* Se plaçant *à l'avant-garde de l'action sociale,* elle doit tendre TOUS *ses efforts* pour appuyer, encourager, pousser les initiatives qui travaillent *à la promotion intégrale de l'homme. *» ([^87]) *--* « Il s'agit de *construire un monde* où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse *vivre une vie pleine­ment humaine,* affranchie des servitudes qui lui viennent des hommes et d'une nature insuffisamment maîtrisée, un monde où la liberté ne soit pas un vain mot et où le pauvre Lazare puisse s'asseoir à la même table que le riche. » ([^88]) Mais nulle part le dessein de la pastorale montinienne n'éclate mieux que dans le message pascal de 1971 qu'il importe de lire et de relire. On ne trouvera aucun texte d'un pape anté­rieur imprégné d'un prophétisme aussi extravagant : « Eh bien, sachez-le, amis qui m'écoutez, nous sommes en mesure aujour­d'hui ([^89]) de vous adresser un message d'espoir. Non seulement la cause de l'homme n'est pas perdue, *mais elle est en situation avantageuse et sûre...* Les grandes idées (vous pouvez y inclure l'Évangile si vous le voulez) qui sont comme les phares du monde moderne ne s'éteindront pas. L'unité du monde se fera. La dignité de la personne humaine sera reconnue réellement et non pas seulement pour la forme... Les injustes inégalités sociales seront supprimées. Les rapports entre les peuples seront fondés sur la paix, la raison et la fraternité... *Il ne s'agit pas d'un songe ou d'une utopie ni d'un mythe : c'est le réalisme évangélique. *» Sans parler ici de la supercherie qui consiste à baptiser carpe le lapin avec une conviction non-pareille, ce texte prend exac­tement le contre-pied de la *Lettre sur le Sillon* de saint Pie X : « Jésus n'a pas annoncé pour la société future la règle d'une félicité idéale, d'où la souffrance serait bannie, mais par Ses leçons et par Ses exemples, il a tracé le chemin du bonheur possible sur terre et du bonheur parfait au ciel : la voie royale de la Croix. 99:229 Ce sont là des enseignements qu'on aurait tort d'appliquer seulement à la vie individuelle, en vue du salut éternel. Ce sont des enseignements éminemment sociaux et ils nous montrent en Notre-Seigneur Jésus-Christ autre chose qu'un humanisme sans consistance et sans autorité. » ([^90]) Toute la pastorale de Paul VI est fondée sur l'illusion que la mission de l'Église est de mettre au service de l'homme les forces surnaturelles qu'elle a reçues de Jésus-Christ afin d'établir une démocratie universelle : « L'Église catholique appelle tous ses fils à entreprendre avec tous les hommes de bonne volonté, de toutes races et de toutes nations, cette Croisade pacifique pour le salut de l'homme » qui ne peut être que « l'établissement d'une communauté mondiale unie et fraternelle » ([^91]). « Il n'y a plus d'isolement permis. L'heure est venue de la grande solidarité des hommes entre eux, pour l'établissement d'une communauté mondiale et fraternelle. » ([^92]) Toutes ces vésanies ont leur source dans la constitution pastorale *Gaudium et Spes,* laquelle, comme les déclarations de Paul VI, diffère profondément et radicalement des enseigne­ments pontificaux et conciliaires que nous connaissons depuis deux mille ans, au point de « ne ressembler à rien », selon l'imprudent aveu du cardinal Garrone lui-même ([^93]). \*\*\* N'allons pas croire que, les événements leur ayant infligé le plus flamboyant des démentis, les augures qui gouvernent l'Église postconciliaire allaient battre leur coulpe et avouer leur étourderie. Ces textes doivent simplement subir une mise au point conformément « à un monde qui évolue et qui change », selon la précaution prise par Paul VI lui-même. On nous le confesse : « Bien des textes du concile, nous dit-on en 1977, sont oubliés, et d'autres nous paraissent déjà dater, en parti­culier ceux qui semblaient les plus neufs, comme la constitution pastorale *Gaudium et Spes* sur l'Église dans le monde de ce temps. » ([^94]) Il ne s'agit point de revenir en arrière, il faut au contraire pousser beaucoup plus loin l'entreprise pastorale. 100:229 Mgr Pézeril nous en avertit : « Le récent synode romain sur la catéchèse révèle un autre aspect de la situation. Dans tous les pays, quels que soient leur système social et leur héritage culturel, *les hommes et les femmes sont soulevés par un même mouvement spirituel.* Animés par le souci du bien de tous, *ils luttent et travaillent pour un monde nouveau.* Ce qui suppose *une rupture.* Une rupture avec quoi ? *Avec le monde que* « *Gaudium et Spes *» *s'était un peu trop hâté de célébrer comme moderne, mais qui craque de toutes parts *» ([^95])*.* La pastorale post-conciliaire se doit donc de poursuivre sur sa lancée et de bâtir la nouvelle société qu'elle s'est assignée comme tâche spécifique. L'avant-propos de *Gaudium et Spes* ne laisse aucun doute sur ce point. Après avoir établi que « la communauté des chrétiens se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » parce qu'elle est composée « d'hommes rassemblés dans le Christ, conduits par l'Esprit Saint dans sa marche vers le Royaume du Père et porteurs d'un message de salut qu'il leur faut proposer à tous » (n. 1), « le deuxième concile du Vatican n'hésite pas à s'adresser mainte­nant, *non plus aux seuls fils de l'Église et à tous ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes *» (n. 2) qui s'in­terrogent sur « l'évolution présente du monde, sur la place et le rôle de l'homme dans l'univers, sur la destinée ultime des choses et de l'humanité » ... « en éclairant ces différents pro­blèmes à la lumière de l'Évangile, *et en mettant à la dispo­sition du genre humain la puissance salvatrice que l'Église, conduite par l'Esprit Saint, reçoit de son Fondateur. C'est en effet l'homme qu'il s'agit de sauver,* LA SOCIÉTÉ HUMAINE QU'IL FAUT RENOUVELER » (n. 3, 1). « Voilà pourquoi, en proclamant la très noble vocation de l'homme et en affirmant qu'un germe divin est déposé en lui, ce saint synode offre au genre humain la collaboration sincère de l'Église pour l'*instauration d'une fraternité universelle* qui réponde à cette vocation. Aucune ambition terrestre ne pousse l'Église ; elle ne vise qu'un seul but : *continuer l'œuvre même du Christ* venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver non pour condamner, pour servir non pour être servi » (n. 3, 2). \*\*\* 101:229 Pour peu qu'on lise attentivement cet exorde, on s'aperçoit qu'il est gros de confusions. En premier lieu, ce n'est pas aux chrétiens de proposer le message du salut *à tous les hommes.* Et pour cause. S'ils le font à leurs enfants, à leurs amis, à leurs connaissances, *à leurs prochains* au sens propre, toujours limités en nombre, ils ont accompli le devoir que leur impose la fidélité au signe du baptême qu'ils ont reçu. C'est à la Hiérarchie de proposer ce message de salut à tous les hommes *et ce message de salut est par essence surnaturel : il transcende complètement l'ordre temporel.* Les passages de l'Évangile sur lesquels s'appuie la dernière phrase du préambule sont clairs et nets : « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que *quiconque croit en lui* ne périsse point, *mais ait la vie éternelle.* Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde, pour condamner le monde, *mais pour que le monde soit sauvé par lui *» (Jn. 3, 16-17). « Vous savez que les chefs des nations leur commandent en maîtres et que les grands exercent leur empire sur elles. *Il n'en sera pas ainsi parmi vous.* Au contraire, celui qui voudra devenir grand, *parmi vous,* se fera votre ser­viteur... C'est ainsi que le Fils de l'homme est venu non pour être servi, *mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup *» (Matt. 20, 26-28) ([^96]). Il n'est nullement question en ces textes de « renouveler *les sociétés humaines *»*.* \*\*\* En second lieu, le prologue de *Gaudium et Spes* évite soi­gneusement -- comme tous les autres actes du concile -- d'em­ployer la terminologie adéquate qui distingue *la grâce* de *la nature.* Ces concepts traditionnels de la théologie sont *délibé­rément* écartés non point parce qu'ils ne s'intègrent plus, comme on le prétend, dans le langage contemporain, mais parce que l'omission *volontaire* de leur distinction évidente à tous les chrétiens que « l'esprit » du concile n'a pas tourneboulés, favorise éminemment la confusion du spirituel et du temporel : si la grâce est distincte de la nature, elle ne peut se substituer à la nature qui incite l'homme à vivre dans des *sociétés hu­maines.* Elle l'aide certes dans la poursuite de la finalité propre à l'homme, animal politique par nature, mais en définitive c'est la nature restaurée par elle qui agit socialement comme nature. 102:229 Il ne s'agit donc pas pour la grâce ou pour l'Église de créer une société humaine nouvelle, de « renouveler la société hu­maine », comme une bonne partie du clergé et de la Hiérarchie, sous l'impulsion de Paul VI, se trouve aujourd'hui engagée en cette voie sans issue où elle perd son ferment surnaturel, il s'agit de la rétablir sur ses fondements naturels, si ceux-ci se trouvent lézardés, et de déceler la cause de leur dégradation afin de la combattre. L'Église comme telle n'a pas de solution à proposer à ce problème, sauf si l'état de la société ne répondant plus ou mal au vœu de la nature vient à s'opposer à la diffusion de son message surnaturel. Ce qu'on appelle « la doctrine sociale de l'Église » n'est que l'explicitation et l'application du principe fondamental de sa théologie : *gratia naturam supponit,* il faut un minimum de vitalité naturelle dans le sarment pour que la grâce surnaturelle, entée sur lui, puisse s'épanouir. \*\*\* On se demande alors, en troisième lieu, ce que signifie la phrase du prologue où grâce et nature s'embrouillent l'une dans l'autre : « un germe divin est déposé en l'homme... pour l'instauration d'une fraternité universelle » qui serait *tout humaine* puisque le monde que l'Église a en vue, en *Gaudium et Spes,* est « celui des hommes » et de « tous les hommes » ... « le monde *marqué par l'effort de l'homme,* ses défaites et ses victoires » (1, 2). Si ce germe divin est la grâce salvatrice, il ne peut être question du monde temporel, mais du Corps Mys­tique de l'Église. Si ce germe divin est plus simplement la vocation que Dieu a déposée en l'homme en le créant de « dominer la terre » et de lui donner tous les fruits qu'elle porte ([^97]), on ne peut oublier, comme l'Église le fait aujour­d'hui, que cette libéralité fut offerte à l'homme *avant la chute et qu'elle lui fut retirée :* « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre au sujet duquel je t'avais donné cet ordre : Tu n'en mangeras pas, le sol est maudit à cause de toi. C'est par un travail pénible que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie... Et Yahweh Dieu le fit sortir du jardin d'Eden ([^98]) pour qu'il cultivât la terre d'où il avait été pris » ([^99]). 103:229 Nulle part dans la Bible il n'est désormais question de l'autorité que l'homme aurait pu exercer sur la nature, sans pro­voquer la rébellion de celle-ci. Il est encore moins question de la possibilité qui serait dévolue à l'homme d'établir une société temporelle planétaire. Le bon sens le proclame : il n'est point de progrès humain qui ne soit accompagné d'une régression correspondante (un clou chasse l'autre, dit le proverbe) et, selon le mot de Chesterton, « le plus grand bonheur pour un grand État est de devenir un petit État ». Aussi est-il étrange de lire dès le début du premier chapitre de *Gaudium et Spes :* « Croyants et incroyants sont généralement d'accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet » (12, 1). Qu'il y ait là une négation implicite du péché originel n'est pas contestable. Il n'est pas vrai que le croyant s'accorde avec l'incroyant sur l'ordination totale de la planète à l'homme. Leur opposition est même radicale. Pour le croyant, tout doit s'ordonner surnaturellement sur terre -- à travers tous les aléas qu'entraînent les suites du péché originel -- *à l'homme surna­turellement racheté par Jésus-Christ, et qui s'offre lui-même surnaturellement à Dieu.* Tout doit s'ordonner sur terre au Corps Mystique du Christ et à l'Église une, sainte, catholique et apostolique dont les chrétiens sont les membres, et, par eux, à leur Tête, à l'unique Médiateur entre l'homme surnaturalisé par la grâce sanctifiante et Dieu. Pour l'incroyant, tout sur terre doit être naturellement ordonné à l'homme sans plus, autrement dit aux individus humains qui éprouvent indistinc­tement tous le désir de posséder toutes choses. L'incroyant nie Dieu par définition (l'incroyance est l'absence de toute croyance religieuse et de toute relation, quelle qu'elle soit, à Dieu, nous disent les dictionnaires), l'incroyant estime que l'homme est la fin dernière de l'homme et que chaque être humain est à lui-même sa propre fin à laquelle tout sur terre doit être subor­donné. C'est toute l'opposition entre le théocentrisme et l'anthropo­centrisme que désavoue cette déclaration fracassante du concile. On sait combien *Gaudium et Spes* a suscité de remous parmi les Pères ([^100]). La phrase que nous venons de citer s'élève en par­ticulier contre la parole du Psalmiste reprise par saint Paul : « La terre est au Seigneur, et tout ce qui la remplit », l'homme inclus ([^101]). Un certain nombre d'évêques demandèrent qu'on ajoutât à cette phrase : « et par l'homme à Dieu ». Rien n'y fit. La bataille avait été longue et dure, mais une fois encore les libéraux, avec l'assistance des Modérateurs -- nous pourrions ajouter « et de Paul VI ! » -- avaient réussi à obtenir ce qu'ils voulaient : 104:229 *tracer un rond-carré, faire coïncider la position théocentrique de l'Église traditionnelle avec l'attitude détermi­nément anthropocentrique du monde moderne.* Ce monstre de la théologie anthropocentrique n'a pas fini de ravager l'Église sous prétexte de pastorale et de « nécessaire accommodation de l'Église aux exigences de l'homme contemporain » pour éviter « le ghetto » dans lequel, paraît-il, les fidèles se sentent enfermés. \*\*\* Un monde marqué par le péché originel, une nature péni­blement restaurée par la grâce ainsi qu'en témoigne la plus rudimentaire expérience de la vie chrétienne, et un monde qui récuse le péché d'Adam et dédaigne le dit formel du Christ : « *Sans moi, vous ne pouvez* RIEN *faire *» ([^102]) ne peuvent avoir le même centre et le même sommet. Le principe de contradiction et le bon sens s'y opposent. Or tout *Gaudium et Spes* est fondé d'un bout à l'autre sur cette incompatibilité radicale que Paul VI, à son discours de clôture du concile du 7 décembre 1965, a inversé en accord et en harmonie : « La religion du Dieu qui s'est fait homme s'est rencontrée avec la religion (car c'en est une) de l'homme qui se fait Dieu. Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait arriver ; mais cela n'a pas eu lieu. » Le pape a renchéri maintes fois sur ce thème. Citons sim­plement dans le même discours : « Ce concile ne donnerait-il pas, en fin de compte, une leçon simple, NEUVE ([^103]) et solen­nelle *pour apprendre à aimer l'homme afin d'aimer Dieu *»*,* « pour connaître Dieu, il faut connaître l'homme ». Ou encore : « En définitive, si l'homme peut à long terme ne rien faire sans l'homme, *on peut avec lui* TOUT *entreprendre et* TOUT *réussir *» ([^104])*.* Et enfin : « Cette attitude -- \[anthropocentrique\] *doit devenir caractéristique* dans l'Église d'aujourd'hui » ([^105]). L'aveu est sans réticence : « Comment l'Église voit-elle le monde d'aujourd'hui ? Cette vision, le concile l'a élargie *jusqu'à modifier d'une façon appréciable le jugement et l'attitude que nous devons avoir devant le monde...* tel qu'il se présente au­jourd'hui à l'Église. » ([^106]) 105:229 « Le mot *nouveauté,* simple, très cher aux hommes d'aujourd'hui, et très utilisé... ce mot nous a été donné comme un ordre, comme un programme... Il répond à la caractéristique de notre temps, tout entier engagé dans une énorme et rapide *transformation *» que l'Église doit rejoindre puisqu'elle est, on l'a vu plus haut, engagée dans un monde qui évolue et qui change ([^107]). L'ordre est donné : il faut qu'il y ait « une osmose » entre l'Église et le monde ([^108]), une interpénétration, une influence réciproque. Comment en serait-il autrement puisqu' « un courant d'amour et d'admiration a débordé du concile *sur le monde humain moderne* dont les valeurs ont été non seulement respectées, mais honorées » ([^109]) ? \*\*\* Nous tenons ici la clef de cette énigmatique adaptation de l'Église au monde moderne en tant que tel, comme il se présente aujourd'hui. C'est que le monde moderne, comme dirait M. de la Palisse, n'est plus le même que ceux qui l'ont précédé, selon nos scru­tateurs des « signes des temps ». Le monde actuel « *multiplie les relations entre les hommes *» et il évolue rapidement vers l'établissement d'une « *communauté de personnes *» avec toutes les conséquences qu'une telle innovation comporte. « *La Révé­lation chrétienne favorise puissamment l'essor de cette communion de personnes entre elles* EN MÊME TEMPS QU'ELLE NOUS CONDUIT A UNE INTELLIGENCE PLUS PÉNÉTRANTE DES LOIS DE LA VIE SOCIALE, *que le Créateur a inscrites dans la nature spiri­tuelle et morale de l'homme. *» ([^110]) La conclusion que *Gaudium et Spes* en tire et que la pastorale nouvelle met en œuvre en dépit de toutes les ruines qu'elle provoque dans l'Église et dans la société est que l'Église et la société moderne vont à la rencontre l'une de l'autre, que leurs finalités sont jumelles, sinon identiques, et que toutes deux doivent amicalement se prêter un mutuel appui dans la réali­sation de leurs projets respectifs et parfaitement semblables : *la convergence de toutes choses vers la personne humaine, mère et maîtresse de la véritable humanité.* La mission de l'Église n'est-elle pas d'assurer le salut personnel de l'homme ? Toute son action n'est-elle pas finalisée par la personne, humaine ? 106:229 Dans cette perspective, il n'est pas étonnant que « le caractère social de l'homme fait apparaître qu'il y a interdépendance entre l'essor de la personne et le développement de la société elle-même. En effet, *la personne humaine* qui, de par sa nature même, a absolument besoin d'une vie sociale, *est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions *» ([^111])*.* D'où la conclusion : « En même temps grandit la conscience de l'éminente dignité de la personne humaine, supérieure à toutes choses et dont les droits et les devoirs sont universels et inviolables... Aussi l'ordre social et son progrès doivent-ils toujours tourner au bien des personnes, puisque l'ordre des choses doit être subordonné à l'ordre des personnes et non l'inverse. » La preuve ? Personne n'imaginerait un seul instant qu'on irait la quérir dans l'Évangile : « Le Seigneur lui-même le suggère lorsqu'il dit : « Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat »... « *Pour y parvenir, il faut travailler au renouvellement des mentalités et entreprendre de vastes transformations sociales. L'Esprit de Dieu qui, par une providence admirable, conduit le cours des temps et rénove la face de la terre,* EST PRÉSENT A CETTE ÉVOLUTION. » ([^112]) Sous des apparences à la fois anodines et décidées, patelines et sèches, ce n'est rien de moins que *la Révolution achevée et parfaite,* une révolution pire que toutes celles qui l'ont précé­dée *et que l'Église conciliaire place avec impudence sous l'em­pire du Saint-Esprit,* qui nous est proposée et imposée par un pape et par des pères conciliaires égarés. En effet, avec toute la tradition du genre humain et des docteurs les plus éminents de l'Église, il est impossible d'avan­cer -- sans l'ombre même d'une preuve ! -- que les sociétés humaines temporelles se composent de personnes et moins encore qu'elles soient subordonnées au bien temporel des personnes qui les composeraient. 107:229 Toutes les sociétés humaines proprement dites, où, en dépit des diverses formes juridiques et constitutionnelles qu'elles peuvent revêtir, l'homme se trouve engagé en vertu de sa naissance et du vœu de sa nature immuablement tendue vers sa fin toujours identique à elle-même, sont composées d'êtres marqués, dès le premier instant de leur existence, par « la lettre sociale » imprimée en eux, non point avec « le fer », mais par une caractéristique essentielle qui les définit comme des « animaux naturellement politiques ». Si haute que soit la personne *dans l'ordre de l'être* ([^113])*,* elle est radicalement subor­donnée *dans l'ordre de l'agir* à la finalité constitutive de la nature qu'elle incarne et qui l'incite, la pousse, la contraint même à exister en société. L'homme est par nature un être voué à vivre en société. Il n'existe comme être humain qu'en société. L'homme seul est une bête ou un dieu, disait Aristote avec une profondeur qu'on n'aura jamais fini de sonder. Si la personne est bien une réalité, c'est une réalité méta­physique dont l'existence diffère selon les différents niveaux *analogiques* où elle se trouve et qui ne jouit pas chez l'homme, de toute évidence, de la pleine spiritualité, de la pleine existence par soi et de la pleine autonomie qui la définissent. D'autre part, il est clair que la personne prise comme telle, c'est-à-dire comme essentiellement et existentiellement distincte de toute autre personne, et dès lors comme incommunicable, ne joue qu'un rôle subordonné dans l'ordre social où elle se trouve insérée dès sa naissance. Ce n'est pas en tant que personne autonome que je me trouve membre de telle famille ou citoyen de telle patrie : je n'ai choisi aucune de ces sociétés pour être. Enfin la personne au sens *métaphysique* du terme ne peut poursuivre que son bien personnel, individué, propre, lequel est *métaphysiquement transcendant :* Dieu lui-même ; *elle peut concevoir* ce bien divin, elle peut éprouver que, sans sa possession, elle ne pourrait s'accomplir pleinement comme personne, mais *elle ne peut l'atteindre* que si Dieu vient *surna­turellement* à sa rencontre. La personne humaine en sa signi­fication stricte appartient à l'ordre métaphysique où elle peut *se représenter* la transcendance divine, mais non participer à la vie intime de Dieu et à sa *présence* surnaturelle où Dieu lui fait la grâce de s'accomplir en son Créateur et en son Sauveur dont elle dépend radicalement. Il suit de là que la personne ne joue, *comme telle,* aucun rôle *dans la vie sociale,* en dépit de l'affirmation indémontrable, indémontrée et dénuée de tout fondement dans l'expérience, que le concile nous présente audacieusement *comme une vérité surnaturelle,* due à la présence de l'Esprit dans l'évolution de l'humanité ([^114]). 108:229 Aucune société *humaine --* nous disons bien humaine -- ne rassemble des personnes de soi incommunicables. Au niveau de la famille, elle groupe un père, une mère, des enfants dont la personne est nativement et naturellement im­prégnée de sociabilité. Au niveau de la cité, elle réunit des citoyens. Sans doute avancera-t-on que ces membres de la famille ou de la cité sont des personnes puisque leurs actions -- et la société résulte des actions humaines -- ne peuvent, semble-t-il, émaner que des personnes, selon l'adage bien connu : actiones sunt suppositorum. Mais il importe ici de ne pas oublier que si la personne humaine est bien, abstraitement parlant, *à l'origine* des sociétés humaines, *elle n'en est pas le principe et la cause essentielle.* Il ne faut pas être grand clerc pour s'apercevoir qu'en matière d'action humaine, émanant d'une nature raison­nable, c'est la fin poursuivie qui est le principe et la cause déterminante. On n'agit, en effet, jamais qu'*en vue d'un bien et d'un bien concret* puisque le bien purement et simplement représenté est comme tel universel et que son concept abstrait ne peut inciter à l'action : *universalia non movent*. Or le bien humain concret ne peut exister sous une certaine amplitude humaine que sous la forme de *bien commun* et sous la modalité de l'accord, de l'entente, de l'amitié même entre les membres d'une société. La famille comporte de soi l'union de ses membres, la cité de même, sinon elles ne sont plus des sociétés que de nom. Il est du reste impossible, rigoureusement impossible, d'échapper à cette finalité du bien commun. L'enfant prodigue qui cède aux « exigences du développement de sa personnalité » et qui abandonne sa famille pour courir le monde, n'est pas moins marqué à jamais du caractère familial jusqu'au fond même de sa « personne » : il est irréductiblement le fils de tel père et de telle mère, et non son propre fils ! L'anarchiste appartient encore par toutes ses racines physiques à la société qu'il ré­prouve et dont il se retire *mentalement *: seul dans un désert social, il ne pourrait même pas assurer sa subsistance maté­rielle sans l'appoint d'autrui et donc sans une relation sociale embryonnaire, mais réelle ! Son plus cher désir est d'entrer en rapport, en rapport social bien sûr, avec d'autres anarchistes. Les *fédérations* anarchistes et les *brigades rouges* en témoignent ! *Il importe donc d'affirmer vigoureusement que la personne humaine en tant que telle n'est pas le principe de la société. Son principe, c'est sa fin irréductiblement inscrite dans sa nature sociale et à quoi elle est complètement subordonnée.* 109:229 C'est en vain qu'elle tente de se soustraire à cette fin : dès le début de son essai, elle ne vise qu'à une seule chose : une autre « société » (mythique) à substituer à la société (réelle). Cette « société » imaginaire qui serait hypothétiquement composée de personnes affectées du caractère d'incommunicabilité est une absurdité flamboyante. Malgré Vatican II et les dernières encycliques pontificales, la personne n'est pas davantage la fin de la société. Comment pourrait-elle l'être puisqu'elle lui est subordonnée et que la fin ultime de notre nature est irréalisable sous forme de bien particulier ? Saint Thomas, docteur de l'Église universelle, l'a répété des centaines de fois : *bonum unius hominis non est ultimus finis* ([^115]), *bonum unius ordinetur ad bonum multitu­dinis*, le bien de la personne humaine en tant que telle est ordonné au bien de la société ([^116]). La raison qu'il avance est d'une évidence solaire : « Le bien commun est toujours et pour tous plus aimable que le bien propre, exactement comme le bien du tout est toujours préférable à la partie que son bien de partie. » ([^117]) Ailleurs saint Thomas est encore plus précis : « Le bien du tout est la fin de chacune des parties qui le composent et *le bien commun est la fin de chacune des per­sonnes-singulières-qui-vivent-dans-la-communauté : Bonum totius est finis cujuslibet partium ejus et bonum commune est finis singularum personarum in communitate* ([^118]). Ou encore « la bonté de chaque partie s'évalue dans la proportion de son union au tout » ([^119]). C'est donc dans la mesure même où « la personne » se voue au tout (et à l'union que le tout exige entre ses membres) qu'elle est digne de respect. On ne conçoit pas qu'un traître à sa patrie soit un homme respectable. A cet égard, il est incompréhensible que le concile se soit égaré à écrire dans un texte de Gaudium et Spes consacré à « la communauté humaine » ([^120]) : « Le concile insiste sur le respect de l'homme : que chacun considère son prochain *sans aucune exception* comme un autre lui-même » ([^121]). 110:229 Toutes les tirades dont les bouches ecclésiastiques nous abreuvent aujourd'hui sur « l'éminente dignité de la personne humaine » sont basées sur ce sophisme que les logiciens ap­pellent *metabasis eis allo genos,* passage d'un genre à un autre ou, vulgairement, mélange des torchons et des serviettes. Il est bien vrai de dire avec saint Thomas que « la personne est ce qu'il y a de plus parfait dans toute la nature » et que « toute sa dignité consiste dans l'intelligence » ([^122]). Cela est vrai dans l'ordre métaphysique qui transcende l'ordre social *et qui n'est point du même genre que ce dernier* puisqu'il est l'objet de l'activité spéculative de l'esprit, toujours affecté d'un caractère abstrait et universel. Ce n'est point vrai (répétons-le, car c'est la clef de l'erreur constamment commise par les « intellectuels » du concile) *dans l'ordre pratique,* dans le domaine de l'action sociale dont l'objet est concret et contingent ([^123]) puisqu'il dépend d'innombrables facteurs parmi lesquels l'expérience du passé seule peut déceler ceux qui se reproduisent la plupart du temps. La société ne juge pas le malfaiteur *en tant que personne --* Dieu seul le peut --, elle le juge *en tant que malfaiteur* dont *les actes* sont en rupture avec la fin suprême que poursuivent les membres d'une cité : leur bien commun qui réside entièrement dans leur union et dans leur action concordante à tous les niveaux, matériels et spirituels, de ce qu'on nomme à bon droit, par dérivation de *civis*, citoyen, la civilisation ou l'ensemble des bonnes mœurs et des phénomènes sociaux, religieux, esthétiques, scientifiques, techniques, relatifs à une grande société. Si, en raison de la subordination de « l'ordre social » à « l'ordre des personnes » ([^124]) que le concile proclame au re­bours de tous les enseignements de ses plus grands docteurs, « la communauté humaine » était astreinte à « l'impérieux devoir de faire de chacun de ses membres le prochain de n'importe quel homme » ([^125]), même de « tous les ennemis » ([^126]), *sa tâche serait irréalisable.* La société ne peut se préoccuper de chaque personne, de *chacun* de ses membres pris en son individualité propre. 111:229 Elle trace les conditions générales qui président à leur bien-vivre, à leur vie selon le bien commun, elle veille à leur maintien et laisse aux familles, aux corps intermédiaires, et surtout à l'Église, le devoir de prendre soin des individus ou des groupes isolés que le malheur a pu frapper. L'État qui préside à « la communauté humaine » n'a pas à pratiquer la charité naturelle (que commandent les liens fami­liaux et professionnels) ni la charité surnaturelle, sous peine de voir ses ressources s'épuiser rapidement par les revendi­cations toujours renouvelées d'un chacun et de se transformer, selon la prédiction de Goethe, « en un immense hôpital où chacun sera l'infirmier de son voisin » et que dirigera une non moins gigantesque administration anonyme et totalitaire. En préconisant à sa pastorale nouvelle de travailler en ce sens « au renouvellement des mentalités et à entreprendre de vastes transformations sociales », l'Église new look, loin de servir les pauvres, contribue à l'asservissement de tous les hommes ; à « la socialisation de toutes choses » dans laquelle s'engagent indistinctement toutes les pseudo-sociétés modernes et « au terme de laquelle », selon la prédiction de Pie XII, « la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réa­lité » ([^127]). La personne elle-même que sa subordination au bien commun de la société laisse évidemment intacte en sa structure naturelle et en son élévation surnaturelle se trouve absorbée, diluée et détruite dans la prodigieuse machine aspirante et foulante de toutes les énergies humaines dont la subordination de la société à la personne provoque la construction toujours « perfectionnée » en raison de son incapacité congénitale à joindre son objectif. \*\*\* Que dire alors de l'invitation lancée « à tous les hommes » par *Gaudium et Spes* de « reconnaître leur égalité fonda­mentale », non sans doute « quant à leur capacité physique, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales », mais quant aux « droits fondamentaux de la personne, qu'elle soit sociale ou culturelle, qu'elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion » ? Toute inégalité est ici « contraire au dessein de Dieu » ([^128]). 112:229 Certes il n'est point de véritable société sans justice et la justice consiste « *en une certaine égalité *» (*in quadam aequa­litate*) ([^129])*,* mais les auteurs de *Gaudium et Spes* ont sans cesse à leur pensée qu'il existe une égalité de nature ou d'essence entre les hommes -- ce qui est vrai, car tous les hommes sont des animaux raisonnables -- et, simultanément, en vertu de l'idéalisme platonicien qui les anime et qui leur fait s'attacher à l'idée abstraite et universelle plutôt qu'à la réalité, ils oublient que ce n'est pas la personne, au sens abstrait et universel qu'elle a au plan spéculatif où elle est l'égale des autres, qui agit en société, mais les citoyens, les membres de la société, les parties du tout social. A cet égard, il importe d'affirmer, au nom de l'expérience, que les citoyens ne collaborent pas tous également, tant s'en faut, même et surtout dans les régimes démocratiques que nous connaissons, au bien commun de la société. Au mieux, ils y contribuent selon une égalité proportionnelle et selon l'activité *sociale* qu'ils déploient en vue de cette fin, les uns plus, les autres moins. Il y a toujours une hiérarchie de parties dans le tout que constitue une société humaine. Une société égalitaire n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais -- toute société humaine est un tissu d'échanges de toute espèce et il n'y a pas d'échanges possibles entre des êtres qui, étant égaux, n'ont rien à échanger puisqu'ils n'ont rien de trop ni rien de trop peu. Une telle « société » ne serait qu'un tas de sable disposé à prendre n'importe quelle forme qu'imprimeraient en lui les inévitables détenteurs du pouvoir. Les parties hiérarchisées de la société véritable ont des droits subjectifs proportionnés à leur fonction respective et à l'accomplissement de leur devoir social. C'est tout : rien de plus et rien de moins. Ce que *Gaudium et Spes* propose donc en exaltant « les droits fondamentaux de la personne » dont chacun jouirait indé­pendamment de toute différence « de sexe, de race, de condition sociale, de langue, de religion », etc. est tout simplement une société ou plutôt *une dissociété individualiste, le contraire d'une société.* Dès que ces droits subjectifs échappent à la finalité du bien commun de l'union sans laquelle il n'est point de société authentique, ils deviennent automatiquement extensibles à l'infini, ainsi que le fait voir la tragique désagrégation de la société moderne qui s'effectue sous leur incessante poussée. De monstrueux égoïsmes individuels et collectifs s'opposent alors les uns aux autres : c'est le règne de l'*homo homini lupus*, de la lutte des classes inséparable de ces prétendus « droits fonda­mentaux de la personne »*.* \*\*\* 113:229 Poursuivant son élan, *Gaudium et Spes* ne pouvait plus envi­sager le bien commun de la société sous la forme de la concorde entre ses membres, c'est-à-dire d'une manière objective comme ensemble de rapports mutuels, durables, organisés, hiérarchisés, institutionnalisés et garantis par les sanctions de la loi. Le bien commun n'est plus pour la déclaration pastorale de l'Église dans le monde de ce temps que « l'ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres d'atteindre une perfection plus totale et plus ai­sée » ([^130]). Qu'est-ce qui détermine cette « perfection » et ses « conditions sociales » sinon les personnes elles-mêmes et leurs groupements ? Nous sommes en plein subjectivisme social et en pleine démocratie politique ([^131]). Mais avant de passer à l'étude de la communauté politique, le concile devait tenter de découvrir les fondements de la société démocratique, la seule valable à son estime. *Il n'a pu le faire qu'en privilégiant l'activité ouvrière et en accordant à l'économie la primauté dans la vie sociale.* Que l'on compare l'assertion relative à « la personne humaine qui, de par sa nature même, est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions » ([^132]) à cette autre : « C'est l'homme qui est l'auteur, le centre et le but de toute la vie économico-sociale » ([^133]), on en sera convaincu ([^134]). Le chapitre III de *Gaudium et Spes* n'est qu'un hymne éperdu à l'activité de l'homme transformatrice de l'univers. Exactement comme dans le marxisme, il appert que pour les pères conci­liaires, ce type d'activité qui fut et qui reste considéré comme inférieur à l'activité spéculative braquée sur la découverte du *vrai* et à l'activité politique de l'homme en vue du *bien commun,* est non seulement caractéristique du monde actuel, mais cons­titue comme une « ébauche du siècle à venir », « de la terre nouvelle et des cieux nouveaux » que nous promet le Christ ([^135]). 114:229 Tout se passe comme si le concile avait voulu battre le mar­xisme sur la ligne d'arrivée de l'activité laborieuse de l'homme où, selon le mot de Simone Weil, « un seul cerveau suffit pour mille bras », et dont l'aboutissement fatal, une fois qu'elle est devenue exclusive, est la « société totalitaire » ([^136]). Aussi voit-on le concile adopter à la quasi unanimité le corollaire marxiste de ce primat de l'activité travailleuse : « Par son action, l'homme ne transforme pas seulement les choses et la société ([^137]), *il se parfait lui-même *» ([^138]), il arrive au plus haut degré dans l'échelle des valeurs et au terme de son évolution. Impossible qu'il en soit autrement. Si l'activité créatrice des techniques de domination de la nature est première, il est clair que l'activité spéculative orientée vers le vrai et l'activité poli­tique qui ont qualifié de tout temps l'homme comme animal rai­sonnable et comme animal vivant en une cité, passent à l'arrière-plan et que l'homme ne peut plus se définir qu'en tant que trans­formateur de toutes choses et donc de soi-même. L'homme est son propre créateur, ainsi que Marx le proclame. « Il apprend bien des choses (sic), il développe ses facultés, *il sort de lui-même et se dépasse *» ([^139]), bref il exerce par son travail sur la nature et sur lui-même le même rôle que la grâce surélévatrice de son être. Et l'on a le toupet, le culot propre aux « intellec­tuels » qui n'ont jamais travaillé de leurs mains et n'aspirent qu'à mener idéologiquement le monde ouvrier, de conclure que c'est là « le dessein et la volonté de Dieu » ([^140]). Or si l'on analyse la finalité de cette activité laborieuse con­sidérée par le concile comme transcendante, on s'aperçoit aussitôt qu'elle n'a d'autre destination que de fournir à l'indi­vidu sa subsistance matérielle et qu'elle se situe au plus bas degré des activités humaines. Tout ce que l'homme transforme dans le monde, il le fait pour sa propre utilité ([^141]). Le *moi* en est le principe, il en est le sujet, il en est aussi la fin : *nos simus fines omnium artificialium*, les objets fabriqués par la technique humaine n'ont d'autre fin que l'homme, non point l'homme en général, -- qui serait bien incapable de les utiliser à son profit puisqu'il n'est qu'un concept ! -- mais l'homme individuel ([^142]). On travaille pour vivre et la vie est radicale­ment individualisée en chaque être humain. L'activité labo­rieuse n'a d'autre visée que *le bien particulier* de l'homme. 115:229 En faire le fondement de la société, et même de la société univer­selle ([^143]), c'est tout bonnement renverser l'ordre des choses qui subordonne le bien particulier au bien commun politique et provoquer la pire des révolutions, celle dont rêvait Marx : l'établissement d'une « société » *où n'existeraient plus que des individus,* autrement dit, *la destruction de toute société,* inévi­tablement précédée d'une période de transition « socialiste » où doit dominer, pour subvertir l'ordre naturel des choses, le Pouvoir de tous les pouvoirs, la Technique de toutes les tech­niques : l'État moderne dont rien ne limite la puissance et l'arbitraire sur les individus qu'il rassemble : *Léviathan.* \*\*\* Si l'activité de l'homme transfiguratrice du monde occupe une place éminente dans les préoccupations des auteurs de *Gaudium et Spes,* c'est non seulement parce qu'une « société » humaine de personnes se prenant elles-mêmes comme principe, sujet et fin de toutes choses ici-bas, ne peut être *imaginée* que sur ce plan « économico-social », mais surtout parce qu'une telle « société » est extensible à l'échelle planétaire. On peut se figurer, en effet, que la division du travail propre à l'activité fabricatrice de l'homme et les échanges qui s'ensui­vent fatalement engendrent une « société de personnes ». En fait, il n'en est rien, le travail humain et le commerce réunis­sent *matériellement* entre eux les personnes qui s'y vouent, ils ne les coordonnent pas *formellement.* A supposer même qu'ils aient tous -- ce qui est douteux au regard de l'observation la plus rudimentaire -- le dessein de servir le bien commun de l'usine et du commerce international qui les rassemblent, ce bien commun sera toujours *essentiellement subordonné à leur bien particulier respectif qui constitue leur fin.* En vertu de la finalité naturelle de l'activité fabricatrice humaine, leur collec­tivité ne sera jamais qu'une sommation d'individus dont l'unité instable, ainsi qu'en témoigne l'expérience, est sans cesse remise en question par des dissentiments et par des mésintelligences. Si la personne était naturellement « le principe, le sujet et la fin » ([^144]) de la société, la société humaine jouirait de l'immuabilité des lois qui gouvernent la nature, ce qui n'est trop visiblement pas le cas. 116:229 Cette fragilité des liens « économico-sociaux » a besoin d'être compensée, faute de caractère institutionnel enraciné dans la nature, par l'emprise croissante de l'État sans société véritable sous-jacente sur les individus qu'il groupe en son sein. L'évolution constante et fatale du libéralisme au socialisme et au communisme que l'histoire moderne atteste n'en est-elle pas la preuve irréfutable ? Il en est de même de la culture que *Gaudium et Spes* subor­donne au développement intégral de la personne, au bien de la communauté (des personnes) et à celui du genre humain tout entier ([^145]). Si la personne comme telle ne peut poursuivre que son bien particulier et incommunicable, quelle est la force qui pourra la contraindre de se subordonner « au bien de la com­munauté et à celui du genre humain », sinon celle d'un État omnipotent -- universel en l'occurrence -- qui distribuera « la culture » (ou ce qu'on peut appeler dérisoirement de ce nom) à ses ressortissants, selon ce que lui, État, et les détenteurs de ses leviers de commande, entendent par culture, c'est-à-dire une idéologie totalitaire de type socialiste ? L'irrévocable tendance de tous les organismes -- ou plutôt de tous les mécanismes -- « culturels » dans tous les États modernes dits « libéraux » au socialisme et au marxisme, le manifeste dans les faits. Mais qui voyait encore *les faits* à Vatican II ? Que dire alors de « la communauté politique » ([^146]) décal­quée de ce schéma « personnaliste et communautaire » ? « Que tous les citoyens se souviennent à la fois du droit et du devoir qu'ils ont d'user de leur libre suffrage en vue du bien com­mun » ([^147]) n'est qu'un propos verbal qu'on ose à peine qualifier de pieux, puisqu'il n'y a plus de bien commun dans une « société » purement humaine de personnes qui poursuivent leur bien particulier. Quel est le « citoyen » contemporain, quel est le clerc laïc ou ecclésiastique qui, en déposant son bulletin dans l'urne électorale, a en vue le bien commun, puis­qu'il n'a pour manifester sa volonté que le canal des partis coalisant des appétits particuliers qui s'ouvre devant lui ? « Qu'il ne soit pas permis aux partis politiques » dont *Gaudium et Spes* préconise « le pluralisme », « de préférer au bien commun leur intérêt propre », est un boniment qui ne veut rien dire, sinon tromper le chaland sur la véritable situation où il se trouve ([^148]) et où il est infailliblement réduit à ramener le bien commun à son bien particulier et au bien du parti auquel il adhère. *Parvus error in initio magnus in fine*. 117:229 Il est donc faux d'affirmer avec *Gaudium et Spes* que « dans le monde entier progresse de plus en plus le sens de l'autonomie comme de la responsabilité » ([^149]) propre à la personne humaine en tant que telle, et que « nous sommes en conséquence les témoins d'un nouvel humanisme où l'homme se définit avant tout par la responsabilité qu'il assume envers ses frères et devant l'histoire » ([^150]). *C'est le contraire qui est vrai :* en deve­nant de plus en plus, dans la « société » industrielle de notre époque, un élément parmi d'autres qui ne subit plus que l'attrac­tion de son bien particulier, *l'homme moderne est de moins en moins autonome à tous les points de vue et de moins en moins responsable.* Qui le nie interpose entre son esprit et la réalité les nuées de l'imaginaire. « Le pur humanisme » auquel le concile se rallie après Renan dans l'*Avenir de la Science,* « c'est-à-dire le culte de tout ce qui est de l'homme » sous tous ses aspects : économiques, culturels, politiques (démocratiques), est en réalité la puissance la plus destructrice de la nature humaine ainsi que le montrent deux siècles de guerres totales et la décadence de la civilisation dans le monde entier. Il n'est rien qui échappe à sa fureur révolutionnaire. \*\*\* Aussi *Gaudium et Spes*, comme « le nouvel humanisme » dont le monde moderne est féru avec lui, adopte-t-il la tactique habituelle du malade qui se prétend bien portant et qui accuse l'homme en bonne santé du trouble dont il est lui-même la proie : *il universalise sa maladie.* Une fois étendue au monde entier, la maladie se mue automatiquement en état physiolo­gique et psychologique le meilleur qui soit. Le principe de la personne « principe, sujet et fin de toutes, les institutions » que *Gaudium et Spes* adopte en le tirant de la primauté (indue) de l'activité ouvrière de l'homme exaltée par le monde moderne, contraint l'Église conciliaire à ce sub­terfuge. Selon la déclaration pastorale de l'Église dans le monde de ce temps, « la famille humaine tout entière parvient à un moment décisif de son évolution ; peu à peu rassemblée, par­tout déjà plus consciente de son unité, elle doit... édifier un monde qui soit vraiment plus humain pour tous et en tout lieu ». ([^151]). Une collectivité d'individus astreints à changer le monde (matériel) par leur travail afin d'assurer leur vie et leur survie terrestres est indéfiniment extensible. Elle se défi­nit, non par la qualité des liens sociaux qui unissent ses mem­bres, mais par le nombre des éléments que requiert la division du travail. 118:229 Ce nombre est en fait celui de tous êtres dont se compose l'humanité : tous les hommes doivent travailler, d'une manière quelconque, pour vivre et pour survivre ([^152]). Il suffit rte les additionner par un acte de l'esprit pour constituer (men­talement) une seule et unique communauté humaine. C'est pourquoi le concile, après avoir conçu la communauté culturelle et la communauté politique sur le seul modèle de la communauté laborieuse composée d'individus qui recherchent nécessairement leur bien particulier, se représente la commu­nauté internationale selon le même archétype : « promouvoir le progrès en tout lieu de la terre » et aussi « prévenir la guerre » qui, « sous toutes ses formes », détruit le monde (maté­riel) que l'homme construit et rompt partout les échanges (matériels) propres à la communauté « économico-sociale » universelle des personnes vers quoi il tend ([^153]). « Pour bâtir la paix, la toute première condition est l'élimination des causes de discordes parmi les hommes, à commencer par les injustices dont la plupart proviennent d'excessives inégalités d'ordre éco­nomique » ainsi que du « retard à y apporter les remèdes nécessaires » ([^154]). Dès lors, si bon nombre de guerres proviennent de l'inégalité économique des individus et des peuples qui les groupent, il faudra, d'une part, les « interdire », « ce qui requiert l'instau­ration d'une autorité publique universelle, susceptible d'assurer à tous la sécurité, le respect de la justice et la garantie de ses droits » ([^155]). Il faudra d'autre part que « dès maintenant la communauté des nations s'organise selon un ordre qui corres­ponde aux tâches actuelles, principalement en ce qui concerne les nombreuses régions souffrant encore d'une disette intolé­rable » ([^156]). La communauté internationale est donc une fois de plus *imaginée* par le concile comme une communauté d'in­dividus associés dans un travail de transformation du monde et dont chacun vise son bien particulier, mais elle est étendue *imaginativement* comme telle aux dimensions de la planète. 119:229 Que ce soit là une chimère, seuls Paul VI et les auteurs de *Gaudium et Spes* peuvent ne pas s'en apercevoir. Comment interdire la guerre sinon en empêchant, au moyen d'une forme quelconque de la guerre, celui qui la fait ? Comment surtout établir ce rond-carré universel qu'est une société œcuménique d'individus ? Cette « refonte des structures *économiques et sociales* auxquelles il est urgent de procéder » ([^157]) est en fait *une révolution* qui substitue à la finalité de *l'animal politique* dont nous savons qu'elle est le bien commun, la finalité de l'animal laborieux exclusivement orientée vers son bien *parti­culier.* Cette révolution recommence sans cesse depuis le XVIII^e^ siècle. \*\*\* Aujourd'hui, comme on vient de le voir et comme les années postconciliaires l'ont prouvé, elle a envahi l'Église de haut en bas et de bas en haut. Ses plus hauts dignitaires partagent l'opinion de l'immense majorité des hommes politiques au-delà ou en deçà du rideau de fer ou du rideau de bambous : l'épa­nouissement plénier de la nature humaine individuelle ne peut s'accomplir que dans une « société de personnes » dont chaque membre sera délivré de la fatalité de la pénurie qui affecte l'existence humaine depuis la fermeture du Paradis terrestre. Une telle « société » ne peut être elle-même, comme nous l'avons montré plus haut, qu' « économico-sociale » et toutes ses super­structures culturelles et politiques ne sont que les projections sur d'autres plans de sa propre structure axée sur la réalisa­tion du bien particulier de tous les individus qu'elle englobe. Le monde entier s'épuise depuis deux siècles dans d'im­menses efforts, le plus souvent sanglants, pour bâtir une telle « société » et pour l'étendre à toute l'humanité. C'est manifes­tement chose impossible parce que contradictoire : on ne fait pas une société humaine authentique, pourvue de ses caractères de durée, de stabilité, d'union, de concorde, d'amitié, *avec des individus dont la définition est d'être séparés les uns des autres, même en les baptisant du nom de personnes puisque le propre de la personne est d'être incommunicable.* Il est de l'essence même des sociétés instituées par la nature, telles la famille, le métier, la cité, et institutionnalisées par l'effort intelligent des hommes, de se perpétuer au-delà des générations successives et de se fixer en des formes dont les variations n'altèrent que très difficilement leur existence et leur résistance aux épreuves du temps. Un tel *fait* se passe de démonstra­tion ([^158]). 120:229 Au contraire les associations qui se créent en vue de transformer mécaniquement la matière indifférenciée du monde en objets *consommables* et toujours *reproductibles* pour assurer la fin particulière de chacun des individus qu'elles rassemblent, est de produire sans cesse en se reproduisant elles-mêmes parce que les biens particuliers qu'elles engendrent sont non seule­ment périssables (puisqu'ils sont à consommer !) mais encore parce qu'ils sont *renouvelables :* pour ne pas provoquer la satiété par leur identité mécanique, ce renouveau doit affecter *constamment* et autant que possible en profondeur les formes de la matière consommable. A l'aube de la « société » de labeur moderne s'inscrit le vers sarcastique du Fabuliste : *Il nous faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde.* Une telle « société » est incapable de s'élever au-dessus du temps. Elle est *historique* de fond en comble. Les dons du passé ne s'accumulent jamais en elle : elle produit pour consommer et elle consomme pour produire dans un cercle vicieux qu'elle essaie de rompre par un dynamisme accru ([^159]), mais qui retour­ne sans cesse à son rythme circulaire. Rompant avec le passé, avec la réalité de l'héritage transmissible, elle fixe pour ainsi dire son mouvement perpétuel *dans le présent* où se manifeste toujours l'acte de consommer ([^160]), et donc l'acte de produire. Elle se précipite dans l'avenir qu'elle s'efforce d'imaginer, *c'est-à-dire de rendre déjà présent,* mais elle en est incapable : *un avenir* *sans passé est par essence imprévisible parce qu'il est toujours nouveau et qu'il apparaît pour* *la première fois.* Cet avenir est donc toujours mythique, utopique, démenti par les faits. On comprend ainsi le goût, la passion que les « socié­tés » axées sur le travail éprouvent pour les idéologies qui évo­quent le Paradis futur -- elles servent à sécuriser l'avenir et à « sauver » l'homme -- et qui relativisent simultanément l'his­toire de l'humanité -- elles servent à donner l'illusion de dominer le passé et à le diriger *mentalement.* L'étalon idéolo­gique par excellence est, on le sait, le marxisme vers lequel, hypnotisée, se tourne l'Église contemporaine. \*\*\* 121:229 Une « société » dont la personne est « le principe, le sujet et la fin », est tout ce qu'on veut sauf une société. Elle est le tonneau des Danaïdes. Sans trêve, elle se construit, se détruit et se reconstruit. Comme dans *Alice au pays des merveilles,* elle est « une grimace de chat, mais il n'y avait pas de chat ». Pour faire exister une grimace de chat sans chat, il faut rien de moins qu'un pouvoir exorbitant, totalitaire : l'État moderne devenu maître à la place de Dieu. Comment les auteurs et les approbateurs de *Gaudium et Spes* n'ont-ils pas vu cela ? \*\*\* Depuis les deux pontificats de Jean XXIII et de Paul VI et depuis l'ouverture de Vatican II qui s'est voulu un concile *pas­toral*, à l'encontre de tous les conciles antérieurs, nous ne cessons pour notre part de nous poser cette question. *Gaudium et Spes* est incontestablement la charte de la pas­toralisation de l'Église. Cette constitution pastorale vise à sceller l'alliance de l'Église et du monde moderne où la personne de l'homme est érigée en « principe, sujet et fin de toutes les institutions », le point d'aboutissement du message évangélique du Christ. Elle approuve cette « société » nouvelle où « *l'homme moderne est en marche vers un développement plus complet de sa personnalité, vers une découverte et une affirmation crois­sante de ses droits *» ([^161]). « *Tout cela correspond à la loi fon­damentale de l'économie chrétienne. *» ([^162]) « C'est pourquoi, *en vertu de l'Évangile qui lui a été confié, l'Église proclame les droits des hommes et tient en grande estime le dynamisme de notre temps* ([^163]) *qui, partout* (sic !), *donne un nouvel élan à ces droits. *» ([^164]) Paul VI l'a dit et redit mille fois : « L'Église croit *très fermement* que la promotion des droits de l'homme *est une requête de l'Évangile* et qu'elle doit *occuper une place centrale dans son ministère *» ([^165]), autrement dit *dans sa pas­torale.* Dès lors, tous ceux qui les promeuvent « apportent par le fait même, et en conformité avec le plan de Dieu, une aide non négligeable à la communauté ecclésiale » ([^166]), à l'Église « sacrement universel de salut » ([^167]) de la personne humaine. 122:229 Le monde moderne où la personne est « le principe, le sujet et la fin de *toutes* les institutions » temporelles, et l'Église qui se préoccupe avant toutes choses du salut spirituel de la per­sonne sont donc, selon la nouvelle pastorale, en plein accord. Jamais, au cours des temps, une telle affinité, une telle sympa­thie, une telle parenté ne se sont présentées. « L'homme nou­veau » que la « société » moderne s'assigne comme fin et « l'homme nouveau » que l'Église réalise ne peuvent pas ne pas se rencontrer et ne pas coexister pacifiquement dans un échange réciproque de leurs apports ([^168]). La « société » moderne est faite pour la personne, elle est faite pour moi, comme « le Fils de Dieu m'a aimé et s'est livré lui-même pour moi » ([^169]). Dès lors, assure *Gaudium et Spes,* « tout ce que nous avons dit sur la dignité de la personne humaine, sur la communauté des hommes, sur le sens profond de l'activité humaine, *consti­tue le fondement du rapport qui existe entre l'Église et le monde, et la base de leur dialogue mutuel *» ([^170]). L'Église et le monde moderne convergent irrésistiblement l'un vers l'autre, comme Teilhard de Chardin, l'expert occulte de Vatican II, l'a montré. Les faits le nient ? Comme Rousseau en son *Contrat social,* l'Église conciliaire « commence par écarter tous les faits ». Mais les faits sont là, têtus, inflexibles. La « société » mo­derne ne peut pas s'apparenter légitimement à l'Église parce qu'elle en est la fille bâtarde. L'Église ne peut pas reconnaître dans ce monde moderne son image et son prolongement parce qu'il en est la caricature et l'homologue artificiel. \*\*\* Nous l'avons dit maintes fois, mais il faut le redire : *l'Église catholique est la seule société véritable composée de personnes qui soit en ce monde et dans l'autre.* Le salut surnaturel de l'homme n'est jamais collectif, il est toujours individuel : tous les sacrements qui nous font participer par l'Église à la vie divine sont reçus personnellement. Les vertus théologales sont des dons que Dieu accorde librement aux personnes qu'il a choisies. L'Église catholique a été divinement instituée par Jésus-Christ pour garder les personnes qu'elle rassemble dans l'unité de foi *intégrale et objective,* indépendante de leurs pré­férences personnelles et arbitraires. Sans cette adhésion *à la totalité de la foi* dont l'Église a le dépôt, il n'est point d'espé­rance ni de charité qui vaillent ([^171]). 123:229 Cette société véritable qu'est l'Église est une société SURNA­TURELLE de personnes élues par Dieu, indépendamment de tous les caractères sociaux qui les pénètrent jusqu'à la racine dans les diverses communautés humaines dont elles font partie dès la naissance et par nature. Elle est la seule qui puisse être com­posée de personnes *parce qu'elle est surnaturelle* et que Dieu lui-même, par Sa grâce, s'introduit en tous ceux qu'il a appelés par leur nom et les fait de la sorte communiquer entre eux en Lui. *Il est impossible d'aimer la personne de son prochain sans aimer d'abord surnaturellement Dieu :* on aime son prochain comme sa propre personne, comme soi-même pour l'amour de Dieu, par amour pour Dieu, sans motif intéressé, parce que la grâce seule peut engendrer et développer en chacun de nous cet amour. On n'aime vraiment la personne d'autrui qu'en Dieu et par Dieu. En dehors de l'ordre surnaturel, comme le dit admi­rablement et profondément Pascal, « on n'aime personne, on n'aime que des qualités ». La personne, répétons-le à satiété, n'appartient *effectivement,* qu'à la catégorie du surnaturel : sa structure métaphysique s'y trouve surélevée par la grâce au niveau même de l'intimité divine où elle atteint sa perfection. Elle ne joue aucun rôle dans les diverses formes naturelles de la vie sociale proprement humaine qui relèvent toutes de l'action. L'être humain vit, *comme personne,* dans le Corps mystique du Christ et dans l'Église, une, sainte, catholique et apostolique, *avec* les autres personnes qui, comme lui, sont rachetées et sauvées et dans lesquelles, comme en lui, Dieu a fait son habitacle ([^172]). Il vit *comme partie* d'une lignée dans une famille où il est père, mère ou enfant, et *comme partie* du tout que la cité constitue dans la société où il poursuit le bien commun, le meilleur de tous les biens temporels et sans quoi les biens particuliers, comme le montrent les faits, deviennent immédiatement aléatoires. Ces deux niveaux ne sont pas opposés : pas plus que la grâce, distincte de la nature, n'est opposée à la nature. *Gratia, perfectio naturae,* la grâce mène la nature à son point de per­fection naturelle en même temps qu'elle la surélève à la vie divine. N'est-il pas vrai qu'une famille profondément chré­tienne ou qu'une société profondément chrétienne sont plus unies et poursuivent mieux que les autres le bien commun ? Il faut avoir le courage de le dire en ce temps où trop de prêtres renoncent à le proclamer parce qu'ils répugnent -- chez cer­tains c'est épidermique -- au surnaturel. 124:229 D'où il suit que la grâce ne peut rendre la personne davan­tage personne dans la vie sociale *puisqu'elle n'existe pas à ce niveau.* Il est donc absolument vain de se fixer comme but, avec *Gaudium et Spes,* de donner plus de force, de consistance et de fraternité, à une « société » *humaine* qui serait composée de personnes, comme le monde moderne tente de le faire depuis sa déchristianisation (Renaissance, Réforme et Révolution) *parce qu'il n'a quoi qu'il fasse, d'autre modèle de ce type de société que l'Église catholique.* Quiconque renonce au christianisme est condamné à le répéter, *mais à l'envers,* avec l'inévitable consé­quence : l'atomisation des sociétés traditionnelles, la disparition de toute société, l'égoïsme individuel et collectif, et la poigne de fer de l'État qui s'efforce de rassembler dans sa geôle aux murs de plus en plus hauts le troupeau dispersé. Nous ne voyons d'autre cause à cet utopisme aveugle du concile que *l'esprit de la démocratie chrétienne* dont la plupart des têtes épiscopales sont infectées, particulièrement celles du pape Paul VI et de son entourage. Comme l'a montré Jean Madiran ([^173]), la démocratie moderne n'a rien à voir avec la démocratie que les siècles antérieurs ont considérée comme un système valable au même titre que les autres systèmes : monarchie et démocratie, selon les temps et les lieux, selon son aptitude de réaliser le bien commun. La première est un régime parmi d'autres. La seconde est *le seul régime qui soit légitime.* Comment ne pas remarquer que le principe de la démocratie moderne : *hors de la démocratie* (individualiste ou collectiviste, c'est du pareil au même), *point de salut temporel pour la personne humaine, est la contrefaçon du dogme catholique : hors l'Église, point de salut éternel pour la personne humaine ?* Ainsi que nous l'avons souligné plus haut, la démocratie et la « société de personnes » qu'elle veut édifier sont des impossibilités que l'expérience manifeste : la démocratie moderne et « la société de personnes » n'existent que dans les esprits, et, dès qu'elles veulent s'incarner dans les faits, la réalité les repousse. Aussi, pour interdire aux hommes de s'en apercevoir, la démocratie n'a d'autre ressource que de se proclamer universelle, *en parodiant l'Église catholique :* si tous les esprits *ont foi* en la démocratie, ils seront incapables de remarquer les faits qui la contredisent. *Ce fidéisme est la falsification hérétique de la foi catholique.* 125:229 La démocratie chrétienne est ainsi doublement irréalisable comme démocratie et comme chrétienne. L'exemple de l'Italie crève les yeux. \*\*\* Conclusion : la pastorale de *Gaudium et Spes* dont l'axe est la volonté montinienne de christianiser « la société démocra­tique de personnes » est un échec dont l'*Église surnaturelle* subit d'ores et déjà toutes les conséquences : à chaque instant Elle risque d'éclater. Quand donc entendrons-nous un pape et des évêques nous redire avec force la parole de saint Jean qui est celle du Christ : « Mes petits enfants, gardez-vous des ido­les » ([^174]) ? Marcel De Corte. 126:229 ### Dans la lumière du Verbe PARCE QUE Dieu est lumière et la deuxième personne de la Très sainte Trinité lumière de lumière, l'œuvre tout entière de la Création et de la Rédemption n'est qu'un chant de lumière, une épopée de la lumière divine. Le Verbe créateur et illuminateur lançant les mondes dans l'espace les pénètre de son essence ; Il se commu­nique à eux dans une surabondance de générosité et d'amour gratuit, les enveloppant d'un manteau de lumière parce que « toute cause crée une ressemblance », et que lorsqu'une cause puissante agit, « elle produit non seule­ment son effet, mais encore la *manière d'être* de celui-ci ». C'est ce que nous enseigne la théologie des grands scolastiques. Saint Thomas et saint Bonaventure l'ont ex­primé dans un vocabulaire somptueux où reviennent des mots riches de sens comme *principe, forme, similitude, cause exemplaire, vestige.* 127:229 De la base jusqu'au sommet de l'échelle des êtres, chaque créature si minime soit-elle, fût-ce l'obscur minerai au fond de la terre, participe à l'être de Dieu qui l' « *actue *» -- sans quoi elle ne serait pas -- et l'investit d'un pouvoir sacré qui est de réfléchir mystérieusement quelque chose de la splendeur divine. Au seuil de la Genèse, la lumière fait son apparition comme l'étrave d'un immense navire séparant le chaos : en elle toutes choses reçoivent l'existence comme un sacre. « *Et Dieu dit :* « *Que la lumière soit. *» *Et la lumière fut. Et Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière* « *jour *» *et les ténèbres* « *nuit *»*. Il y eut un soir et il y eut un matin ; ce fut le premier jour. *» Pureté admirable du récit de la Genèse ! Comparé aux légendes des cosmogonies babyloniennes datant de la même époque, ce récit de la création prouve­rait à lui seul l'inspiration des Écritures. Cette lumière naturelle en quoi toutes choses commencèrent de naître selon un ordre que Dieu trouva bon est le plus pur analogue de la lumière du Verbe en qui toutes choses ont été créées, dans laquelle, nous dit saint Paul, « nous avons la vie, le mouvement et l'être ». (Actes 17 ; 28.) Il est remarquable que saint Paul cite là une proposition de la philosophie stoïcienne. Il déclare devant l'aréopage d'Athènes l'avoir empruntée « à certains de vos poètes ». Que pensaient les adeptes du panthéisme, tel cet Épiménide qui vivait six cents ans avant Jésus-Christ ? Ils concevaient l'univers animé par un feu principal dont les âmes parti­culières se seraient échappées comme les étincelles d'un brasier. Il est émouvant de voir ces mystiques naturelles, sœurs aveugles aux mains tâtonnantes, précéder l'Église et saisir obscurément que nous sommes « de la race de Dieu ». Elles pressentaient donc, sans pouvoir encore exactement le distinguer du monde, ce Dieu que les pères de l'Église, redevables au vocabulaire de Platon, désigneront comme l'UN vers lequel les créatures se dirigent dans un mouvement de reflux. 128:229 Évidemment, saint Paul transpose au plan de la méta­physique chrétienne ce que la proposition stoïcienne purifiée contenait de vrai. C'est la méthode catholique par excellence, celle qui a changé les temples païens en basiliques chré­tiennes et les fêtes du solstice en solennité du Christ-Roi. C'est dans cet esprit qu'il faut lire l'admirable « Hiérar­chie céleste » de Denys l'Aréopagite, où l'illumination de la « Lumière principielle » (« *Archiphôtos *») « descend avec bonté et selon divers modes jusqu'aux objets de la Providence... pour nous convertir à l'UN et à la simplicité déifiante du Père rassembleur ». Cette lumière créatrice que Denys appelle aussi « *Auto­kallopoios *», c'est-à-dire « *qui produit par soi-même toute beauté *», pénètre les mondes de sa présence d'immensité jusqu'en leur essence intime. Elle est le principe orga­nisateur de la beauté naturelle dans l'ordre de la création. Soudain, apparaît dans le texte sacré une dimension nouvelle : « *Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. *» Ô homme, image de Dieu, creusement de l'empreinte divine, vestige naturel de la lumière créatrice, voici ton âme créée non plus seulement à l'*image* mais à la *ressemblance* divine ! Que signifie « ressemblance » par rapport à « image » ? Les Pères ont vu dans ce terme la splendeur d'un ordre nouveau, ineffable, gratuit, imprévisible : *l'élévation à l'ordre surnaturel.* Par le don de la grâce sanctifiante, l'homme est élevé au-dessus de la condition première et devient *participant de la nature divine* (II Pierre, 1 ; 4). La contemplation de ce don ineffable suffirait à la béatitude éternelle de celui qui en est l'objet. 129:229 La Trinité ne dépose pas seulement un manteau de lumière. Elle transfigure l'âme par le rayonnement de sa splendeur intime ; elle s'établit désormais dans le sanctuaire de l'âme. L'âme qui était *image* devient *ressemblance ;* assi­milée au Verbe, elle reçoit le sceau de la Lumière substan­tielle et *devient Dieu par participation.* Transilluminée par le Fils qui est Lumière, elle reflue vers le Père *Lux et fons luminis* (saint Ambroise) et connaît l'étreinte de la troisième personne. Comme la liturgie de l'offertoire parle bien ! « *Ô Dieu qui avez créé admirablement la dignité de la substance humaine* (c'est l'image) *et l'avez restaurée plus admirable­ment encore* (c'est la ressemblance). » L'économie du salut désormais serrée dans le sacramentaire catholique se dé­roule au cours de l'année liturgique comme un immense poème dont le point d'éclosion est Noël. Noël, c'est la naissance de la Lumière, l'aurore dont le mystère pascal provoquera l'explosion et la plénitude. Le cycle de Noël commence au premier dimanche de l'Avent et se termine le 2 février. Entre ces deux dates, un véritable fleuve de lumière : sachons en remonter la source, et recueillons-en quelques effluves pour notre consolation. Voici les deux premières strophes de l'office des Vêpres de la Nativité (au rite monastique) \*\*\* CHRISTE, Redemptor omnium, Ex Patre, Patris Unice, Solus ante principium Natus ineffabiliter. Tu lumen, tu splendor Patris, Tu spes perennis omnium Intende, quas fundunt preces Tui per orbem famuli. CHRIST, notre Rédempteur à tous, Fils unique, seul engendré par le Père, Avant tout commencement Par une ineffable naissance. Ô lumière, ô splendeur du Père, Espoir éternel de tout l'uni­vers. Accueillez les prières que ré­pandent Vos serviteurs dans le monde entier. 130:229 Retenons : « Tu Lumen, tu Splendor Patris », à quoi répond la communion de la messe de minuit : « Dans la splendeur des saints, avant l'aurore, de mon sein je t'ai engendré. » On remarquera la richesse doctrinale des trois messes de Noël. Il faut après les fêtes reprendre et apprendre les oraisons du missel, spécialement les admirables *collectes* et *secrètes.* Et voici ce que dit l'introït du dimanche dans l'octave de Noël. « *Toutes choses s'étant recueillies entre les mains du silence, et le char de la nuit s'étant arrêté au milieu de sa course, c'est alors, Seigneur, que votre Verbe tout-puissant a quitté ses demeures et qu'il est descendu de son trône royal !* » Ce verset de la Sainte Écriture serait resté pour nous sans écho si la liturgie ne l'avait emprunté à son auteur, un grand artiste anonyme du III^e^ siècle avant Jésus-Christ, doublement inspiré par le souffle de la grâce et de la poésie, et ne l'avait serti dans son office de la Nativité, mystère dont le parfum se répand tout au long du mois de janvier. \*\*\* La fête de l'Épiphanie est évidemment une fête de la lumière dans sa manifestation aux hommes. L'épître anticipe sur la gloire des temps futurs en montrant l'Église dans sa phase achevée : le prophète s'adresse à la ville-épouse. « Lève-toi, Jérusalem, et vois : la lumière vient vers toi, et sur toi la gloire de Dieu s'est levée... » L'étoile des mages dont il est question dans l'Évangile représente la lumière de foi qui se transforme en vision (collecte). \*\*\* 131:229 Le 13 janvier, octave de l'Épiphanie, on fête le baptême de Notre-Seigneur ; c'est un mystère liturgique très en honneur dans l'Église grecque. Bien que le Christ Jésus y paraisse adulte, cette fête s'inscrit parfaitement dans le cycle de Noël et de l'Épiphanie, car le baptême est un mystère d'initiation et de lumière. L'antiquité chrétienne l'appelait couramment « illumination », *phôtismos.* *-- *Que demandez-vous à l'Église de Dieu ? -- La foi. -- Que vous donne la foi ? -- La vie éternelle. Notons bien : la foi ne nous donne pas seulement la vie éternelle au sens des joies éternelles du paradis après la mort, mais par l'illumination de l'intelligence, elle nous introduit immédiatement dans la lumière des mystères di­vins. « Celui qui croit en moi *a* la vie éternelle », dit Notre-Seigneur : *habet,* le verbe est au présent (Jean, 6 ; 47). Denys l'Aréopagite témoigne avec éclat de la réalité de l'illumination baptismale. « Le saint sacrement produit en nous la naissance de Dieu. Puisqu'il est le premier intro­ducteur de la lumière et le principe de toute illumination divine, nous avons raison de le célébrer d'après son opéra­tion propre sous le nom *d'illumination. *» (Hiér. Eccl. III, 1.) Pour l'office des matines du 13 janvier, il y a une homélie de saint Grégoire de Naziance pleine de saveur « Je ne puis contenir les élans de ma joie, mais j'ai le cœur ému et transporté : oublieux de ma propre faiblesse, je brûle de m'acquitter de la charge du grand Jean-Baptiste ; et quoique je ne sois pas le précurseur, je viens cependant du désert. Le Christ reçoit donc le sacrement de l'illumination ; ou plutôt c'est lui qui nous illumine de son éclat. 132:229 Le Christ est baptisé ; descendons, nous aussi, avec lui, pour monter également avec lui. Jésus sort de l'eau, tirant en quelque sorte à sa suite et élevant avec lui le monde, jusqu'alors plongé dans l'abîme. Il voit le ciel, non se déchirer, mais s'ouvrir. Le premier Adam l'avait autre­fois fermé pour lui-même et pour nous, comme il s'était vu fermer le Paradis terrestre, dont un glaive de feu défendit l'entrée. » Ailleurs, le grand docteur évoque le mystère baptismal comme l'aboutissement d'une véritable initiation : « Faisons-nous initier au Verbe... Soyez initiés à la grande lumière qui est là-haut. » (P.G. 36, 360.) Le 2 février, fête de la Purification, la fête de Noël épand sa dernière clarté ; nous regardons cette première procession au petit matin de l'an 3. Une jeune maman accompagnée de son époux monte avec son enfant au temple. L'Immaculée-Conception et saint Joseph, lumière des pa­triarches, portent le Verbe de Dieu. Le Père Emmanuel du Mesnil-saint-Loup écrit : « Suivons l'exemple qui nous est donné, mettons-nous à la suite de Jésus et de Marie. Quelle procession ! Il y a ici des lumières, de grandes lumières ! Et des colombes, de belles colombes ! » (Méditations pour tous les jours de l'année liturgique.) « La liturgie processionale de la fête, ponctuée par des chants somptueux, évoque la prophétie de Siméon qui chante la « lumière pour la révélation des gentils », *lumen ad revelationem gentium !* Ainsi Noël annonce Pentecôte : « Je suis la lumière du monde... Je suis venu apporter le feu... » Telle est l'unité des mystères. Chacun réfracte un rayon de l'amour des trois Personnes. \*\*\* 133:229 Dites-moi, maintenant, est-ce que cette doctrine va rester dans les livres ? Est-ce que l'éblouissante lumière, celle du Verbe créateur qui illumine tout homme venant en ce monde, n'aura aucune influence sur nos pauvres vies ? Est-ce que les paroles brûlantes de saint rani ont été prononcées pour des hommes de l'ancien temps ? Celle-ci par exemple. « *Vous étiez jadis ténèbres, main­tenant vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des fils de lumière. *» (Éphésiens, 5 ; 8.) Et celle-ci : « *Lève-toi, toi qui dors, surgis d'entre les morts, et le Christ t'illuminera ! *» (Éphésiens, 5 ; 14.) Et celle-ci : « *Je rends grâces à Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres, qui nous a donné part au sort des saints qui sont dans la lumière et nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour. *» (Colossiens, 1 ; 12.) Est-ce que la vie chrétienne n'est pas essentiellement une vie céleste ? Il suffirait peut-être, la grâce aidant, de regarder de ce côté-là avec persévérance, le visage découvert, pour que, « ayant été pénétrés de la lumière du Verbe, resplendisse dans nos œuvres ce qui par la foi brille dans nos cœurs ». Benedictus. 134:229 ## NOTES CRITIQUES ### Les lettres de prison d'Aldo Moro Dans l'article que nous avons consacré à la mort d'Aldo Moro ([^175]), nous écrivions : « Les écrits d'un *prisonnier* n'ont de signification que si on est sûr qu'il dispose de sa pleine liberté d'écrire. Ceux d'un *otage* n'en ont aucune, en aucun cas. On n'en peut rien retenir, ni contre lui, ni en sa faveur ; à plus forte raison s'ils constituent des messages le concernant et transmis par ses ravisseurs. » C'est bien toujours ce que nous pensons. Mais nous nous placions là dans la perspective du drame lui-même et de l'attitude que doivent avoir ceux à qui il appartient d'essayer de sauver l'otage. Il va de soi par contre que les messa­ges d'un otage peuvent avoir une signification objective, quant aux effets d'une détention et d'un chantage sur une personne déterminée. On n'a pas le droit d'en tirer un jugement moral sur la *victime.* Mais on peut tenter d'analyser le processus physico-psychique dont elle est le *sujet-objet.* Les innombrables procès soviétiques éclairent suffisamment cette distinction. Du 16 mars au 9 avril 1978, jour de son assassinat, Aldo Moro, prisonnier, a écrit de nombreuses lettres -- à ses amis de la Démocratie chrétienne, à sa famille, etc. Combien de let­tres exactement ? Je l'ignore, et je ne sache pas qu'on en ait fait un recueil. Toujours est-il qu'un certain nombre d'entre elles sont publiées dans le petit livre que Leonardo Sciascia vient de consacrer à « L'affaire Aldo Moro » (Grasset). Elles sont extra­ordinaires. Quand on n'en lit qu'une, on doute de son authen­ticité. Mais quand on en a lu plusieurs, on incline à les croire toutes authentiques, non sans se demander si Moro n'était pas drogué ou hypnotisé pour écrire ce qu'il écrit. Enfin, après)mûre réflexion, on fait encore une autre hypothèse que nous allons proposer tout à l'heure. 135:229 En quoi ces lettres sont-elles extraordinaires ? En ceci qu'Aldo Moro, demandant qu'on lui sauve la vie en l'échangeant, comme le demandent les Brigades rouges, contre des « brigadistes » prisonniers, plaide sa cause au nom des droits de la personne humaine en face du pouvoir de l'État. Le texte le plus étonnant est peut-être celui-ci, que nous extrayons d'une lettre à Zaccagnini (un homme de la Démocratie chrétienne) : « Dissipez tout de suite l'image d'un parti uni sur une décision de mort. Rappelez-vous, et que toutes les forces politiques se le rappellent, que la Constitution républicaine, comme premier signe de renouveau, a effacé la peine de mort. Ainsi, mes chers amis, elle serait réintroduite si l'on ne fait rien pour l'empê­cher, si l'on fait en sorte, avec sa propre énergie, son insensi­bilité et son respect aveugle de la raison d'État, qu'elle figure à nouveau, de fait, dans notre système. Voilà, dans l'Italie démo­cratique de 1978, dans l'Italie de Beccaria, comme par les siècles passés, je suis condamné à mort. Que la condamnation soit exécutée, cela dépend de vous. » C'est clair. Mais plus clairement encore le message signifie : « Vous savez que mes ravisseurs me tueront si vous n'en passez pas par leurs conditions. Ce sont des brigands, des irresponsa­bles. Vous, vous êtes des hommes de gouvernement, vous exer­cez le pouvoir, vous êtes pleinement responsables de vos actes. Donc si vous n'acceptez pas le marché des Brigades rouges, vous me condamnez à mort. Vous violez ainsi la Constitution. Au crime contre l'humanité vous ajoutez le crime de forfaiture. » Ce cours de Droit pénal et de Droit constitutionnel donné du fond d'une prison a quelque chose de surréaliste. Il constitue le sommet d'une thèse développée dans toutes les lettres : la raison d'État préférée à la vie d'un homme est un péché contre l'esprit. Des chrétiens qui le commettent sont trois fois coupables, comme hommes, comme démocrates et comme chrétiens. La Démocratie chrétienne se déshonorerait en le commettant ; et elle se suiciderait politiquement. Aldo Moro plaide cette thèse indéfiniment, avec une force, une subtilité, une conviction qui déconcertent. Car si la souf­france est visible dans ses lettres et si le ton est celui d'une grande émotion -- d'autant qu'il met constamment en avant le sort injuste fait à sa famille --, c'est un *principe* qu'il défend beaucoup plus que sa *vie personnelle.* Il n'aurait pas des accents différents s'il s'agissait d'un autre que lui-même. On pense alors à ces accusés des procès soviétiques qui confessent leurs crimes en toute sincérité. Le Parti a toujours raison. Ils se sont trompés, ils ont eu tort, ils sont objectivement criminels et méritent la mort. Cette confession peut être obte­nue sans torture. 136:229 Aldo Moro est sincère et ce qu'il écrit correspond à sa pen­sée. Mais n'a-t-il pas été confirmé dans cette pensée par des conversations avec ses geôliers ? Les Brigades rouges ne l'ont-elles pas accouché d'une pensée profonde qu'il n'aurait pas exprimée aussi lucidement et aussi vigoureusement sans ces conversations ? Telle est l'hypothèse qui vient à l'esprit. Hypo­thèse seulement, fragile si l'on veut, mais que suggèrent toutes les méthodes modernes de formation, de recyclage, de discus­sion « non directive » etc. Il s'agit d'autre chose que le lavage de cerveau où l'épuisement physique entre en jeu. C'est plutôt la conclusion pratique de principes sur lesquels on est d'ac­cord mais dont les conséquences ultimes demeuraient encore dans le brouillard. La « cause » des Brigades rouges rejoignait peut-être dans ses profondeurs celle de la Démocratie chrétien­ne. Il n'est pas exclu que les « brigadistes » s'en soient expli­qués avec Aldo Moro et que celui-ci en ait convenu ; surtout si parmi ces brigadistes, il y a des intellectuels, des agrégés de philosophie, voire des théologiens. Créon, prisonnier d'Anti­gone, se fait Antigone à son tour pour dire le Droit, la Justice, l'Humanité, la Démocratie et l'Évangile à ses amis qui, moins heureux que lui, ont les responsabilités de Créon. \*\*\* Ces réflexions, répétons-le, sont uniquement d'ordre psycho­sociologique. L'affaire Moro est très embrouillée. Nous ne savons rien de ses dessous. Que pouvaient, que devaient faire les diri­geants de la Démocratie chrétienne ? Nous n'avons pas les éléments permettant de trancher avec assurance. Mais, dans la ligne même des « scrupules » d'Aldo Moro (qui est de la famille), un point paraît probable. Si les dirigeants de la D.C. ont refusé de céder au chantage, ce n'est pas seulement pour des raisons de morale politique supérieure, c'est aussi, très vraisembla­blement, parce qu'en échangeant Moro contre des brigadistes prisonniers, ils auraient eu l'air de considérer que la vie d'un puissant valait plus que celle d'un humble. N'oublions pas, en particulier, que les Brigades rouges avaient enlevé Moro en tuant son chauffeur et ses quatre gardes du corps. Ceux-là, on ne pouvait les ressusciter, pas plus qu'on ne pouvait ressusciter tous les policiers, gendarmes, gardiens de prison et autres gens du petit peuple assassinés en grand nombre depuis des mois par les Brigades rouges. Si on avait oublié ce qu'est la justice et ce qu'est l'Évangile, on ne pouvait oublier ce qu'est la Démocratie et ce qu'est l'Égalité. Cette préoccupation semble avoir habité fortement les dirigeants de la Démocratie chrétienne. 137:229 Bref, dans cette ténébreuse affaire on a pu voir ce que devient une société qui se dissout. Belle et tragique leçon de politique -- dont le christianisme ne peut ignorer l'existence, la nature et les lois, s'il veut rester christianisme. Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! Louis Salleron. ### Les outils de Monnerot ● Jules MONNEROT : *Intelligence de la politique*, tomes I et II. Gauthier-Villars, éditeur. Certains faits suffisent à lire l'heure au cadran. Le quasi-silence devant cette œuvre de Monnerot (dans la « grande presse » seul le *Figaro* en a parlé) est significatif. Et ce qui est encore mieux, ce *rejet* est expliqué au tome II, où l'auteur traite de la censure. Certaines idées sont écartées par le corps social soucieux de persister tel qu'il est : « Les sociétés peuvent révé­ler quelque chose, et à l'observateur averti beaucoup d'elles-mêmes, par les idées mêmes qu'elles préfèrent ne pas voir courir. » (II, 199.) Notre société libérale n'échappe pas à cette règle, elle y ajoute son côté burlesque. On voit se lever, intré­pides, contre la censure (de la pornographie, par exemple) ceux-là mêmes qui sont les plus vigilants à empêcher certaines réflexions politiques de se faire connaître. Jules Monnerot sait de quoi il parle. Et nous aussi. Nous savons que tels livres, -- ceux de Madiran, celui de Boutang, -- ne perceront pas certains murs, ne franchiront pas certains seuils. Mais revenons au début. Dans ces deux tomes, l'auteur ne fait que présenter ses outils, et justifier leur choix. Il commence par constater ce qu'il appelle l'*hétérotélie *: en agissant on obtient autre chose que ce que l'on croyait atteindre. On man­que le but, parfois de très loin. C'est vrai pour l'action privée comme pour l'action historique. (Voir les *Lois du tragique*.) Pourquoi cette erreur ? Mauvaise connaissance de la situation réelle, mauvaise évaluation du but, des moyens à employer, méconnaissance aussi de ce qui nous pousse à agir et à choisir le but. 138:229 Toute l'histoire nous prouve, et chaque jour nous rappelle, cet écart entre le but visé et le but atteint, l'intention de départ et le résultat. L'effet tient à la structure psychologique de l'hom­me, qui voit mal le monde extérieur et se voit mal lui-même. Jules Monnerot ne se propose rien de moins que d'élucider cet effet d'hétérotélie : « ce que nous entreprenons ici, espérant que nos échecs et nos erreurs préluderont à des réussites et à des « coups au but » qui seront marqués par d'autres ». Projet fabuleux ? Nous sommes parvenus à éviter l'hétérotélie dans la fabrication technique. On évalue des besoins, on y répond avec exactitude, régulièrement, sans quoi l'industrie péricliterait. Ce qui est possible pour l'économique l'est-il pour l'historique ? A ce sujet, remarque de l'auteur « nos méthodes prospectives jouent sur des modèles, et sur le prolongement de tendances affirmées. Rien n'existe pour évaluer les renver­sements de tendance, les variations épidémiques de la sensi­bilité. Le personnage historique, celui qui est en position d'agir, peut vouloir « faire quelque chose », se donner un but, qu'il atteint ou qu'il manque -- et de toutes façons, il atteindra aussi d'autres buts, non prévus. Mais il peut être aussi l'homme qui se contente de présider aux événements. Ce type est fréquent, et n'est pas le moins honoré (on en a un exemple récent en France) : « Un type sans idées préconçues, qui s'active certes, mais par définition dans le sens des vagues, qui va de fait où le courant le pousse. » La motivation globale de ce type d'homme se ramène à « une volonté d'apparence de puissance ». Pari avantageux : « Ce genre de personnage, commun dans l'histoire, n'est souvent pas reconnu pour ce qu'il est, parce que les histo­riens déduisent à terme échu de ses actes les intentions et les volitions qu'il passe pour avoir réalisées. » Laissons l'hétérotélie, pour en arriver à un de ses cas par­ticuliers : l'énantiodromie. Cas où l'on obtient le contraire de ce qu'on visait, ce qui n'est pas si rare, et d'autant plus inté­ressant qu'on découvre là un fonctionnement psychologique fondamental. Attesté par la langue (les extrêmes se touchent, la mariée est trop belle), détecté par la psychologie, on touche là une pensée *alogique,* J. Monnerot préfère dire *antérieure.* Celle de l'inconscient, où le petit est traduit par le grand, le proche par le lointain, où la même image peut provoquer des réactions opposées (haine ou crainte, par exemple, devant la vision d'un ennemi). Le sacré aussi est ambivalent. Mythes, rêves, rhétorique (« les tropes sont antérieurs au langage ») manifestent cette pensée et l'on sait son poids dans l'action. 139:229 Nota : « La puis­sance de contagion et de suggestion des mass-media peut ainsi provenir d'un appel direct au penser antérieur. » (II, 19.) Nous voici au deuxième tome, et Monnerot montre ses outils : la psychologie de Freud (une part de cette psychologie), la sociologie de Pareto. Et il s'attache à établir la liaison refusée par Durkheim entre psychologie et sociologie. Ainsi va se for­mer la doxanalyse qu'exposeront les tomes suivants. Pourquoi Freud ? Bien évidemment parce qu'il a essayé d'explorer la pensée antérieure, alogique, et qu'il en décrit les trajets principaux. Mais Monnerot emprunte à Freud sans accep­ter sa réduction au sexuel : « Nous ne suivrons certes pas Freud jusque là. Il n'est ni démontré, ni démontrable qu'il n'y a pas d'autre facteur du caractère. » (II. 82.) Et ailleurs : « Ce que Freud a mis le plus en lumière, selon nous, n'est pas le mono­pole de la sexualité -- conception qui n'est pas opérationnelle en sociologie puisqu'il ne peut y avoir *réduction* du social au sexuel... ce que Freud a mis *au contraire* (selon nous) en lu­mière, c'est une *plasticité des pulsions* telle qu'on peut parler de *communicabilité et de continuité des instincts. *» Monnerot accorde que la raison est une transformation de l'énergie des instincts, et c'est beaucoup, déjà. Mais l'essentiel de ce qu'il trie de la psychanalyse ce sont les déguisements, transferts, imitation, censure, tous les moyens de la pensée antérieure qui se manifestent dans la vie sociale. L'autre outil est Pareto. Ce n'est pas la première fois que Monnerot se réfère à l'auteur du *Traité de sociologie générale.* Ici même, il revient sur l'ostracisme dont celui-ci est victime, alors qu'il est un des grands esprits de la période 1900-1920 (Monnerot en cite d'autres, de Mosca à Saussure, de Sorel à Alain. Mais pas Maurras. Serions-nous en présence d'une cen­sure ? Elle se manifeste souvent par l'oubli...) qualifié de cyni­que, de réactionnaire, de fasciste. Le *Traité,* traduit en 1919, n'a pas été réédité depuis (quoiqu'une édition soit en cours chez Droz, je crois) : la « science » aussi connaît ses modes, ses interdits et ses moyens de pression. Pour Monnerot, ce livre est « le meilleur instrument d'optique pour lire les actions historiques » (et efficace pour l'histoire qui s'est faite après sa rédaction, bonne preuve). Pareto, qui voyait les choses « du dehors », est « un ethnographe de sa propre société ». D'où la colère. « Les entomologistes ne sont pas des guêpes. Les insectes n'ont aucun moyen de punir l'entomologiste de son objectivité. Il en va autrement des hommes : ils ont les moyens de punir l'anthropologiste de son attitude inhumaine. » Présentant ses outils, Monnerot entend éviter l'équivoque (et les erreurs qui s'en suivent) de ces hommes des sciences « humaines » qui passent d'un système de références à l'autre sans avertir, avec un vocabulaire à sens variable, ou se réfèrent inconsciemment à un système reçu, admis comme tout naturel (exemple : la psychologie de Durkheim). 140:229 Et ces outils doivent être multiples. Au développement séparé des « sciences humai­nes » (il met toujours les guillemets), il est temps, dit-il, de substituer une convergence des disciplines (psychologies, socio­logie, ethnologie etc.) pour construire « un instrument de lec­ture de l'action historique, donc politique ». La doxanalyse qu'il veut pratiquer ne pourra avoir qu'un rôle consultatif. Elle analyse une situation, évalue des données qu'elle ne choisit pas, et n'a pas à choisir les buts de l'action (mais doit pouvoir décider des moyens). Les sociétés sont des êtres fragiles peu maniables, et « toutes les formules politiques étant entachées d'irrationnel » la première sottise serait de n'en pas tenir compte. Telle est la tâche que se propose cet homme glouton de savoir, intellectuellement si bien armé : elle est immensément ambitieuse, et modeste en même temps. Il s'agit de *lire* l'action historique, non de proposer un texte meilleur, le texte parfait, ou le moyen infaillible de parvenir à la perfection où s'aboli­rait l'histoire. Ce serait d'ailleurs une entreprise vaine puisque nous ne pouvons savoir ce que les hommes désireront demain (ce qu'oublie Marx, par exemple). Et si l'on peut essayer de mieux lire l'histoire, il n'est pas possible de croire à un « texte parfait » à une cité où tout serait réglé selon la raison (Mon­nerot se moque des démocrates qui croient que la démocratie est un système rationnel, et le seul). Il s'agit donc de calculer l'action historique, dans la mesure où elle est calculable. La rigueur scientifique pose ses propres limites. Le premier tome de cette œuvre a pour titre : l'*Anti-Providence.* Et il est vrai que nous pouvons voir (et tenter de réduire) l'hétérotélie. Mais on ne peut songer à mesurer la Pro­vidence et Monnerot, même s'il ne la niait pas comme il fait, ne pourrait songer à la faire entrer dans ses calculs. Pas plus qu'un *surconscient,* tandis que l'inconscient est mieux décela­ble. Cela dit pour mieux situer l'ouvrage n'empêche pas qu'on en admire l'envergure, et ce crépitement de l'esprit qui le parcourt. Georges Laffly. 141:229 ### Deux lectures de Jacques Vier ● Jacques VIER : *Figures de proue et magots de brocante.* Nouvelles Éditions Latines. Une série d'études critiques de Jacques Vier, c'est chaque fois une bonne rencontre. Toujours exactement informé, d'une érudition sûre et qu'on est tenté de croire sans limites, c'est le meilleur des guides : sensible, mais non pas impressionniste, appuyé sur une doctrine sûre, sans être dogmatique. Et il n'ennuie jamais, qualité qui n'est pas commune et qui a son prix. Les magots, ici, sont peu nombreux : Marie-Joseph Chénier, « le frère d'Abel », et qui connaît la gloire puisque son *Chant du départ* est une sorte de second hymne officiel ; Henri Guil­lemin, qui n'a pas gagné en cervelle depuis le temps où Maurras trouvait qu'il n'en avait pas ; et par jugement personnel, sinon pour allonger la liste, j'ajouterai Lamennais, le funeste abbé, avec son orgueil larmoyant, une des figures les plus antipathi­ques du XIX^e^ siècle. (Pour le coup, je ne suis plus sûr que J. Vier soit d'accord.) J'aime mieux aller aux études sur Sainte-Beuve et sur Bau­delaire, où c'est le cadet qui est fondateur de dynastie. Vier parle à merveille de leurs rapports compliqués et de ce que l'auteur des *Fleurs du Mal* doit à *Joseph Delorme* (dette bien payée, puisqu'elle sauve *Delorme* du semi-oubli). Sainte-Beuve n'était pas un poète mort jeune, c'était un poète avorté, un poète sans voix. Quelle gaucherie dans ses vers. On sent pourtant derrière eux une sensibilité mystérieuse, rare, et qui reste inexprimée : c'est la nymphe pleurant sous la dure écorce. On ira droit aussi aux articles sur Péguy, dont l'auteur a raison de penser que les réformes liturgiques l'auraient fait gronder. Rappelons-nous *Ève :* Et ce ne sera pas tous ces caquets bons becs Qui nous remplaceront le triple *Gloria*. Et ce ne sera pas tous leurs salamalecs, Qui nous remplaceront un *Ave, Maria*. 142:229 Et ce ne sera pas ces illustres blancs-becs Qui nous remplaceront le triple *Hosanna.* Et ce ne sera pas tous leurs salamalecs Qui nous remplaceront un *Salve, Regina.* Il y a aussi dans ce livre une pénétrante étude sur Maurras et Bernanos. Étrange querelle, qui semble venir du fond du sang. Bernanos détestait Rome, et n'aurait jamais pu ériger la raison en juge suprême. Les deux hommes vivaient dans des mondes différents. Il est bien clair que Bernanos s'est fait de Maurras un monstre qui semble sorti d'un de ses romans. Et l'auteur de *La Joie* devait pareillement échapper au maître de l'*Action française* (vers qui penche notre critique). A mesure que l'on s'éloigne d'eux, pourtant, ils semblent se rejoindre par ce qu'ils ont de plus haut. L'intelligence et la piété naturelle de Maurras donnent les mêmes leçons que la charité violente de Bernanos, que son sens aigu du passé français. (Leçons peu comprises, occultées.) Un détail pour finir. Dans un colloque universitaire un pro­fesseur se vante de participer chaque 21 janvier, à un repas rituel, où l'on mange de la tête de veau. J. Vier rapporte cela avec un haut-le-cœur. On manquera toujours d'imagination pour imaginer les gouffres de la bassesse. Georges Laffly. Cette série d'études souvent menées à partir d'appréciations sur des thèses récentes, nous fait entrer dans un monde com­plexe, fertile en détails généralement peu connus, même quand les écrivains concernés comptent au nombre des plus grands. Les « figures de proue » tiennent la plus large place, et il n'y a guère de « magots de brocante » qu'à la fin de l'ouvrage, avec deux essais consacrés l'un au caractère décevant de la « Nadja » d'André Breton, l'autre aux états fébriles de l'inou­bliable M. Guillemin. Tout au plus signalerait-on aussi, ren­contrés sur la route des écrivains illustres quelques personna­ges dodelinants et vacillants, appelés parfois à retrouver la station verticale à cause du plomb dont ils sont fondamentale­ment pourvus : Marie-Joseph Chénier, ou encore Béranger loué par Sainte-Beuve et bien d'autres contemporains. Quitte à jouer les tentateurs, je souhaiterais que M. J. Vier réservât un jour une étude spéciale au chansonnier pour expliquer son irritante et inexplicable faveur : le craignait-on ? offrait-il à une épo­que traumatisée par la Révolution et l'Empire, et ayant souvent mauvaise conscience, le réconfort d'une philosophie frileuse et pantouflarde ? 143:229 Ou bien est-ce à cause de l'aigre vivacité de certains rythmes qui font songer à une poésie de caricature et d'imagerie populaire ? Les figures de proue n'ont pas toujours la silhouette hiératique : les accès de sentimentalité de Sainte-Beuve ont leur comique comme, hélas, les frénésies de Berna­nos ; et dans un registre plus discret, les démarches électorales de Baudelaire tenté par l'Académie. Mais l'exploitation des lettres de Lamennais, de Sainte-Beuve et de Baudelaire situe ces auteurs dans un réseau complexe de relations humaines souvent difficiles, surtout dans le milieu littéraire ; et si les correspondances manifestent souvent des humeurs trop spon­tanées, elles aident à se faire une idée précise des caractères et de l'ensemble d'une époque, au sein de laquelle nous consi­dérons trop souvent les grands hommes à l'état isolé. On révisera aussi quelques perspectives : à propos des réticences parfois pudibondes de Sainte-Beuve, justifiées au moins partiel­lement par notre littérature présente, ou sur la critique anti-jacobine des « Dieux ont soif », ou en imaginant Lamennais en face des goulags de la révolution organisée. Les attitudes de tous les auteurs en face de la religion, spécialement pour Péguy et Maurras, restent un des points d'intérêt essentiels de l'œuvre et un souci majeur du critique, et nous aident à explo­rer des domaines particulièrement complexes et délicats. Jean-Baptiste Morvan. Ouvrages de JACQUES VIER précédemment analysés dans ITINÉRAIRES : -- *Littérature à l'emporte-pièce* (5^e^ série), par Jean-Baptiste Morvan, numéro 139, p. 222 et suiv. -- *Gide,* par Jean-Baptiste Morvan, numéro 151, pp. 171 et suiv. -- *Histoire de la littérature française,* XVIII^e^ siècle, tome II, par Jean-Baptiste Morvan, numéro 160, p. 149 et suiv. -- *Littérature à l'emporte-pièce* (6^e^ série), par Jean-Baptiste Morvan, numéro 170, pp. 133 et suiv. -- *Littérature à l'emporte-pièce* (7^e^ série), par Jean-Baptiste Morvan, numéro 191, pp. 96 et suiv. -- *Littérature à l'emporte-pièce* (8^e^ série), par Georges Laffly, numéro 211, p. 113, et par Jean-Baptiste Morvan, numéro 219, pp. 184-185. -- *Le théâtre de Jean Anouilh,* par Jean-Baptiste Morvan, numéro 214, pp. 142 et suiv. 144:229 ### Histoire de saint Pie V Les éditions de Chiré vien­nent de rééditer l'*Histoire de saint Pie V,* publiée en 1884 par le vicomte de Falloux, qui n'avait alors que trente-trois ans. L'auteur est connu sur­tout pour avoir fait voter, en 1850, la loi qui porte son nom sur la liberté de l'enseigne­ment. Avant d'écrire l'*Histoire de saint Pie V,* il avait publié en 1840 une biographie de Louis XVI. En écrivant la vie de saint Pie V, Falloux eut le souci de faire une biographie complète, en même temps qu'une histoire du pontificat ; son livre couvre 492 pages. Les quatre premiers chapi­tres nous racontent la vie de Michel Ghislieri jusqu'à son élection au souverain pontifi­cat : enfant très pieux et pro­digieusement doué, élève des dominicains à douze ans, no­vice à quatorze ans, profès un an plus tard, professeur à moins de vingt ans, prêtre à vingt-quatre, le jeune domini­cain enseigna longtemps la théologie, et il se fit remarquer par la fermeté de sa foi, son austérité et son zèle apostoli­que ; ce qui lui valut, après quelques années de priorat dans deux couvents de son or­dre, d'être nommé inquisiteur à Côme : il déploya dans cet­te charge la fermeté la plus inflexible, ce qui lui attira des animosités. En 1550, il vint à Rome où il fut approuvé par le saint-office, reprit pendant quelques mois ses fonctions en Milanais et fit déposer l'évê­que de Bergame, qui favorisait en sous-main l'hérésie. En 1551, le Père Michel Ghislieri (qu'on appelait le Père Alexan­drin, de sa région d'origine) devenait premier commissai­re du saint-office ; il exerça ses fonctions en collaboration étroite avec le cardinal Caraf­fa. Il y montra autant de cha­rité que de fermeté dans la foi. En 1555, après le bref pontificat de Marcel II (vingt et un jours), le cardinal Ca­rafia devenait pape sous le nom de Pie IV. Il nomma le Père Alexandrin d'abord évê­que de Nepi et Sutri (1555), puis cardinal-prêtre du titre de Sainte-Marie de la Minerve (15 mars 1557) et inquisiteur souverain. Pie IV le nomma évêque de Mondovi, en Pié­mont (1560), mais le rappela à Rome quelques mois plus tard ; il reprit sa charge d'in­quisiteur, pendant que se te­naient les dernières sessions du concile de Trente, dont la clôture fut prononcée le 3 dé­cembre 1563. Le 26 janvier 1564, Pie IV en confirmait les actes, dans un consistoire au­quel participait le cardinal Alexandrin. Quelque temps après, le cardinal eut le cou­rage de s'opposer au pape qui cédait trop facilement aux pressions de souverains laïcs. A demi-disgracié, il résolut de regagner son diocèse. Une gra­ve maladie le retint ; il fit pré­parer son tombeau ; mais il se remit, et Pie IV lui défendit de quitter Rome. 145:229 Le chapitre V du livre nous raconte le conclave de 1566. (L'auteur n'indique pas les da­tes, et c'est bien gênant.) Saint Charles Borromée, neveu de Pie IV et créé par lui cardinal à vingt-trois ans, n'en avait pas vingt-huit lors du conclave ; mais sa sainteté lui donnait une influence considérable. Il chercha d'abord à faire élire le cardinal Morone, mais y renonça sur une objection du cardinal Alexandrin ; il son­gea ensuite au cardinal Sirlet, et enfin proposa à ses collè­gues d'élire le cardinal Ale­xandrin. Après quelques hési­tations, les cardinaux se ral­lièrent unanimement à ce choix. Le récit de Falloux est quelque peu confus : à le lire, on a l'impression que Pie V était déjà proclamé et investi avant le scrutin ! Il était averti de l'intention qu'avaient ses collègues de l'élire, et tenta vainement de s'y opposer. Élu à l'unanimité par vote à bul­letins secrets (et non par ac­clamation, comme l'avait été saint Grégoire VII), le cardinal hésita encore un peu, puis donna son acceptation et choi­sit le nom de Pie V. Six ans de pontificat lui étaient accor­dés par la providence ; on est presque effrayé de l'immen­sité de l'œuvre accomplie en si peu de temps. L'essentiel de cette œuvre, ce fut l'appli­cation des décisions du concile de Trente : « Les Pères ont prononcé ; Pie V vient agir. » Dieu lui accorde pour cette tâche une pléiade de saints. En premier lieu saint Charles Borromée, saint Philip­pe Néri, saint François Borgia, saint Robert Bellarmin, mais combien d'autres ! C'est à la fois par voie d'autorité et par voie de sainteté que la foi est défendue et l'Église réformée. A Rome même, saint Pie V fait régner l'ordre et suppri­me impitoyablement les cau­ses de corruption. Il donne l'exemple de la vie la plus fervente et la plus austère. Il fallut toute l'insistance du sacré-collège pour le décider à donner la pourpre à son petit-neveu Michel Bonnelli, qui reprit le nom de cardinal Alexandrin et fut le fidèle mi­nistre de son grand-oncle. Il fallut, avec autant de sou­plesse que de fermeté, car bien des gouvernements étaient ré­ticents, faire appliquer les dé­crets du concile de Trente. Saint Pie V s'y employa, et il approuva et fit traduire en plusieurs langues le *Catéchisme du concile de Trente* qui venait d'être composé. Dans une douzaine de cha­pitres, Falloux expose les in­terventions de saint Pie V dans les différents pays de l'Euro­pe, à une époque où affaires religieuses et politiques se trouvaient étroitement unies. Un chapitre est consacré à l'action de saint Charles Bor­romée à Milan, que saint Pie V soutint très fermement, al­lant Jusqu'à supprimer l'Ordre des Humiliés après un attentat commis par un religieux de cet Ordre contre le saint ar­chevêque de Milan. Un chapitre est consacré à la vie intérieure de saint Pie V ; son humilité était telle qu'il envisagea un moment d'abdi­quer. Son confesseur et les cardinaux l'en détournèrent. Il donna de multiples exem­ples de désintéressement et de générosité, en même temps que d'une force d'âme peu commu­ne. Il déclara saint Thomas d'Aquin docteur de l'Église et fit publier l'édition complète de ses œuvres (1570). 146:229 Falloux consacre un chapi­tre à la réforme du bréviaire, du missel et de la musique re­ligieuse, en insistant sur ce dernier point. A l'époque où il écrivait, la controverse était vive entre Dom Guéranger et les défenseurs des liturgies gallicanes. Ces dernières, si elles altéraient profondément le temporal et le sanctoral, laissaient du moins intact l'Or­dinaire de la messe. Aussi Fal­loux n'insiste-t-il pas beaucoup sur cette question, si impor­tante pour nous, et ne cite qu'en l'abrégeant la bulle Quo primum. Mais il note avec quelle fermeté saint Pie V s'appliqua à faire disparaître l'usage de donner la commu­nion sous les deux espèces, tant en Bohème que dans le sud de l'Italie ; les prêtres grecs, assez nombreux en Sicile et en Calabre, furent mis dans l'alternative de se plier à l'usage latin ou de regagner l'Orient. Cinq chapitres enfin sont consacrés à la mémorable cam­pagne contre les Turcs dont saint Pie V fut le zélé et in­fatigable organisateur. La me­nace qui pesait sur Chypre et qui se réalisa le 1^er^ juillet 1570 fut l'occasion pour le pape de conclure une ligue avec Venise, l'Espagne, Malte et la Savoie. Saint Pie V confia le comman­dement de sa propre escadre à Marc-Antoine Colonna et le commandement général de la ligue à Don Juan d'Autriche. Entre temps, il avait persuadé l'empereur Maximilien, la Polo­gne et la France d'adhérer à la ligue. La bataille navale de Lé­pante, livrée et gagnée le 7 oc­tobre 1570, sauvait la chrétien­té du péril turc. Saint Pie V n'avait pas négligé la plus puissante des armes, celle de la prière : le Saint-Sacrement avait été exposé pendant qua­rante heures dans les églises de Rome ; il y eut des proces­sions pendant trois jours dans la ville éternelle ; un peu par­tout, on récitait le rosaire pour la victoire de la flotte chré­tienne. Dans la soirée même du 7 octobre, saint Pie V con­naissait par révélation la vic­toire de Lépante ; ce ne fut qu'à la fin du mois qu'un mes­sager vint confirmer la nou­velle ainsi connue surnaturel­lement. Saint Pie V avait dès le 7 octobre adressé au ciel les actions de grâces dues pour cette grande victoire, et la fête du Rosaire de Marie en reste le témoignage perpétuel. Le pa­pe, voulant récompenser les services du commandant de sa propre escadre, décerna le triomphe à Marc-Antoine Co­lonna. Saint Pie V aurait voulu continuer la guerre et refouler les Turcs hors d'Europe ; il multiplia les démarches au­près des États catholiques. Il n'eut pas le temps de les me­ner à bonne fin. Atteint de la maladie de la pierre, il endu­rait de rudes souffrances ; il refusa de se prêter à l'opéra­tion qui, peut-être, eût prolon­gé sa vie de quelques années. Le jour de Pâques, 6 avril 1572, il se leva de son lit de dou­leurs pour donner sa bénédic­tion à la foule. Chose incroya­ble, le 21 avril, il fit à pied le long pèlerinage des sept égli­ses de Rome. Le 30 avril, il reçut à genoux l'extrême-onction. (En écrivant ces mots, nous pensons d'instinct à Hen­ri Charlier qui, lui aussi, eut l'héroïsme de recevoir à ge­noux les derniers sacrements le jour même de sa mort.) Il donna ses dernières instruc­tions et, toujours en prière, ex­pira au soir du 1^er^ mai 1572. 147:229 Pendant quatre jours, son corps resta exposé. Sixte Quint lui fit ériger un tombeau magnifique à Sainte-Marie-Majeure. Sa béatification eut lieu juste un siècle après sa mort, le 1^er^ mai 1672. Falloux ne parle pas de la canonisa­tion, qui eut lieu cinquante ans plus tard, en 1712 ; la fête de saint Pie V se célèbre le 5 mai, premier jour libre après son dies natalis. Falloux don­ne, malheureusement sans ré­férences, un office propre de saint Pie V, dont la structure s'écarte beaucoup de celle de l'office romain. Enfin le livre se termine par divers appen­dices, dont un de vingt-cinq pages sur le massacre de la Saint-Barthélemy, qui eut lieu trois mois et demi après la mort de saint Pie V. Malgré ses longueurs et quel­ques imprécisions, le livre est fort intéressant, et nous ne pouvons qu'en recommander la lecture. Jean Crété. ### Bibliographie #### Bernard Faÿ : Rivarol (Librairie académique Perrin) Rivarol est négligé. Jamais il n'y eut d'édition complète et sérieuse de ses œuvres. Les livres sur lui (Lescure, Le Bre­ton) sont introuvables. La bio­graphie de M. Bernard Faÿ pouvait combler un vide. On le trouvera trop désinvolte à l'égard de la chronologie. Il passe sans façon de 1789 à 1792, puis revient à 89. Or dans une telle crise, les nuances du moment sont capitales, on doit les suivre mois par mois. Dom­mage aussi que les nombreux textes de Rivarol cités ici le soient sans référence. C'est une faute de l'éditeur. Ce livre permet au moins d'approcher ce personnage si mal éclairé, si important. Ri­varol est le meilleur témoin de la Révolution, un des rares hommes qui aient compris ce qui arrivait. Il fut l'historien du présent et reste indispensa­ble. Heureusement, on trouve assez facilement le *Journal po­litique national* -- parfois sous le titre inexact de *Mémoires.* On trouve aussi le *Discours sur l'Universalité de la langue française.* Pour le reste, on n'a que des pages choisies (le choix de Jean Dutourd, au Mer­cure de France, était très bon). 148:229 L'excuse des éditeurs, en de­hors du pillage des papiers de Rivarol par l'abbé Sabatier, c'est que la réputation du cau­seur éclipsa longtemps celle de l'écrivain. Chênedollé nous en a conservé un exemple (voir *Chateaubriand et son groupe littéraire,* de Sainte-Beuve, au tome II). Il justifie le mot du comte de Lauraguais : « un feu d'artifice sur de l'eau ». Éblouissant et froid, en effet, comme le feu d'artifice : suite d'illuminations trop fortes et qui se succèdent trop vite, au­cune chaleur. Nos esprits ne sont plus habitués à ce régime. Nous ne sommes plus assez ci­vilisés. Rivarol est un homme des Lumières (c'est par ce ratio­nalisme qu'il plaisait tant à Rémy de Gourmont). Son iti­néraire n'est pas du tout celui d'un Joseph de Maistre. Il est unique en son temps : sa rai­son, seule, reconnaît ce qui dé­passe la raison. C'est l'événe­ment qui le mène en quelque sorte au-dessus de lui-même, lui donne une nouvelle enver­gure. Ce sceptique ne découvre peut-être pas la foi. Il en ap­prend au moins le respect. Il devine un ordre de pensées supérieures où se marque la trace divine, ordre ignoré du monde douillet de sa jeunes­se. Derrière les préjugés, il voit des raisons cachées. Il met en question les maîtres du temps, Voltaire et Rousseau (« le singe et l'ours », dit Jou­bert). Il admirait le premier, mais il comprend l'insuffisan­ce de l'homme dessiné selon ce modèle étriqué. Il a tou­jours détesté le second, ce méchant sauvage, les troubles et les abîmes où il se com­plaît. « Les États sont des vais­seaux mystérieux, dont les an­cres sont dans les cieux. » Ce­la, il n'aurait su le penser avant la Révolution. Il garde dans ce nouveau domaine le même es­prit, la même raison, mais avec une tout autre force de pénétration. Phénomène que l'on constate dans le *Discours sur l'homme intellectuel et moral.* On s'égare si on voit là un ralliement à la thèse de « la religion bonne pour le peuple ». On se trompe aussi quand on essaie de l'accorder aux idées nouvelles, parée qu'il montre les tares de l'ancien ordre. Il faut viser plus haut pour le comprendre. Le 10 juin 1792, Rivarol quittait Paris où il était cha­que jour plus menacé. Le 17, les sans-culottes pénétraient chez lui en criant : « Où est-il ce grand homme ? On vient le raccourcir. » (Bel exemple de *gaminerie.*) On n'a pas cessé de chercher à *raccourcir* Ri­varol. Il attend encore qu'on lui rende pleine justice. Georges Laffly. 149:229 #### Bernard Gouley Un curé picard en campagne (Fayard) Bernard Gouley est journa­liste. Il a collaboré à l'A.F.P., au *Monde,* à la radio, à la té­lévision. Et conservé assez d'es­prit, malgré ces états de ser­vice, pour nous découvrir en­tre Abbeville et Amiens un coin du pays réel catholique où voici dix ans que l'Esprit du concile est invité, comme on dit, à « repasser ». L'artisan de ce chef-d'œu­vre sociologique s'appelle Phi­lippe Sulmont. Il est curé là-bas de sept paroisses, dont il assure tout à la fois le caté­chisme, les sacrements, l'hu­mour, les potins, la gazette et le conseil en ramassage de champignons ! Son bulletin pa­roissial recueille un tel succès, par delà les quelques centaines d'abonnés locaux, qu'il tire aujourd'hui à plus de 2.000 exemplaires. C'est ce bulletin, heureuse­ment, qui fournit toute la ma­tière du livre de Bernard Gou­ley. L'abbé Sulmont y raconte avec beaucoup de verve, et un vrai talent de moraliste grand siècle, la vie de ses sept villages picards. Il y entretient aussi des rubriques inspirées par l'actualité religieuse, mé­langes de rappels ou de médi­tations sur la pédagogie de la foi et de polémiques revigo­rantes, en forme de billets adressés aux confrères. Ainsi lorsque le 13 décembre 1974, la cathédrale de Reims devait servir de fumoir à je-ne-sais-quel meeting de la jeunesse champenoise, l'abbé Sulmont écrit au curé de la cathédrale : Monsieur l'Archiprêtre, La presse de ces derniers jours signale que vous ne savez plus distinguer la fumée de tabac de celle des encensoirs. Mettez, je vous prie, les quelques grains d'encens ci-joints dans votre pipe, et vous m'en direz des nouvelles. Bien vôtre. (Page 142.) D'un dernier numéro du *Bulletin paroissial de Dom­queur,* qui n'a pas servi au re­cueil de Bernard Gouley, je ne résiste pas à citer encore cette autre rubrique : *de l'usage des parenthèses dans la grammaire du charabia progressiste.* Les parenthèses sont l'auxiliaire indispensable du *pluralisme*. Le rituel pour la célébration du mariage, par exemple, offre un choix de cinq bénédictions nuptia­les qui progressent à partir de la foi catholique jusqu'à l'incroyance parfaite. La cinquième formule de bénédiction permet à elle seule, par un jeu habile de parenthèses, de ser­vir aux mariés une cérémonie vaguement chrétienne ou résolument désacralisée au gré du célébrant. 150:229 Les mariés sont invités à « décou­vrir (dans le Christ) la joie du don total » : les parenthèses indiquent que *dans le Christ* est facultatif. -- Les mariés sont invités à « s'appu­yer sur leur amour (et sur l'amour du Christ) » : les parenthèses indi­quent que les clients peuvent obte­nir un plat assaisonné de l'amour du Christ, s'ils le digèrent et sans supplément. -- Le rituel leur pro­pose enfin de réaliser « leur voca­tion d'hommes (et de chrétiens) ». La vocation chrétienne est mise entre parenthèses. Tous ceux, en effet, qui viennent se marier à l'église sont tenus d'avoir le culte de l'homme ; mais la religion conciliaire respecte les allergies qu'on pourrait avoir à l'égard du Christ. On ne peut être plus aimable et plus compréhensif pour les gens qui veulent se marier à l'église bien que leur foi ne soit pas très vivante. En somme, leur dit-on, laissez mourir votre foi chrétienne, nous nous chargeons du reste. Ces parenthèses perverses vont se loger jusque dans le canon de la Sainte Messe. Les listes des saints y sont reléguées entre pa­renthèses : accessoires facultatifs, les saints pourront être omis par les protestants et les œcuménistes. Il faut féliciter les pasteurs angli­cans qui ont collaboré en 1969 à l'élaboration de ce machin d'avoir fait preuve de tolérance. Avec la nouvelle messe, il pourra exister à l'intérieur du protestantisme une secte catholique à saints amovibles. Je signale au lecteur que cet arsenal de licences eschatolo­giques, signifiées sans aucun doute possible par la disjonc­tion ou les parenthèses, est également en usage dans le nouveau rituel du baptême. -- *Que demandez-vous* (*à l'Église*) *?* Les parrains restent li­bres de déclarer ici : *la foi, l'Esprit, ou...* (*toute autre ré­ponse*)*.* J'ai lu cela de mes propres yeux, sur les livrets ronéotés d'une paroisse bretonne. C'est le baptême sans conditions. Après quoi il ne faut pas s'étonner que de bons prêtres acceptent de baptiser à leur tour, sous condition, des en­fants venus de la nouvelle reli­gion, et Mgr Lefebvre de les confirmer tous, quoi qu'on en dise, dans la seule foi de Jésus-Christ ressuscité. Hugues Kéraly. On peut s'abonner au Bulletin paroissial de Domqueur, publication mensuelle, en écrivant à M. l'Abbé Philippe Sulmont, curé de Domqueur, 80620 Domart. 151:229 #### Yves Denis G.-K. Chesterton : paradoxe et catholicisme (Les Belles Lettres) L'auteur voit très bien qu'il y a « une étroite corrélation du paradoxe et du catholicis­me. Leur mariage n'est pas contre nature. Chesterton n'est pas catholique bien que para­doxal ou vice-versa. Le para­doxe n'est pas l'habile camou­flage d'une vérité sans séduc­tion, la croûte sucrée d'une dragée qui nous trompe sur l'amertume de l'amande qu'elle cache ; le catholicisme n'est pas davantage une musique, triste à force d'être grave, et qui surviendrait pour gêner l'allegretto enjoué du paradoxe. Loin de discorder, tous deux s'harmonisent ; loin de se re­pousser, ils s'appellent. Ils sont tellement prédestinés l'un à l'autre que, plus que d'union voulue, recherchée entre eux, il convient de parler d'unité congénitale. Ils forment une sorte d'organisme spirituel d'un seul tenant, qui définit Chesterton en personne et son univers intérieur ». (Il est très bon qu'Yves De­nis, pour parler de l'auteur d'*Orthodoxie* lui emprunte son art baroque.) Il faut peut-être reconnaître qu'il y a quelque chose de paradoxal dans ce qui est. Ce fil conducteur nous empêchera seul de nous égarer. Chesterton disait que c'est en découvrant l'orthodoxie qu'il avait retrouvé l'émancipation mentale. Le dogme lui avait rendu sa liberté. Yves Denis se dirige avec une grande sagacité sur ces chemins embrouillés et mer­veilleux. Il a un très bon cha­pitre pour montrer qu'à tra­vers Spencer, Th. Huxley et Shaw, les cibles de Chesterton sont la triade des philosophes du soupçon, Marx, Nietzsche, Freud, qu'il flairait plus qu'il ne les connaissait, mais il flai­rait bien. Ce livre fort savant (c'est une thèse) est plein d'a­grément. Georges Laffly. 152:229 #### Bernard Halda Rencontres avec l'écriture (Nauwelaerts) Un titre trop modeste ne doit pas faire illusion : ce n'est pas une série de réflexions sur le style des écrivains que nous offre B. Halda ; du moins les considérations d'esthétique littéraire restent subordonnées à l'intention directrice et pro­fonde, traduite dans la dernière pensée du recueil. « Agir selon la loi, méditer selon l'esprit, espérer selon la grâ­ce ; il n'est pas d'autres moyens, qui associés figurent la perfection, pour manifester son amour au Seigneur. » On a quelque scrupule à citer la conclusion d'une recherche passionnante à suivre dans sa progression, mais il paraît né­cessaire de signaler l'unité spi­rituelle d'un livre qui ne craint pas de revêtir la forme classi­que des pensées et maximes, décriée souvent avec trop de légèreté. Précisément, la lec­ture nous procure un plaisir doux-amer, mêlé d'inquiétude : en un temps où la culture se rétrécit comme une peau de chagrin et se ramène aux faux-semblants d'une tricherie uni­verselle, on se demande avec quelque anxiété si une œuvre qui nous fait souvenir de La Bruyère, de Vauvenargues et de Joubert, qui prouve que l'élégance des formules s'ac­corde fort bien à la densité de la pensée, trouvera l'audien­ce qu'elle mérite. La finesse des analyses d'âme, sous la plume d'un esprit familier des vrais philosophes, pourra-t-elle être appréciée là où rè­gnent l'inflation de la pensée, les clichés repris et radotés d'après Marx et Freud, les exal­tations délirantes ou mornes de leurs héritiers ? Le premier chapitre s'ouvre sur l'examen des faiblesses d'âme, sujet sans doute anachronique pour beau­coup. Mais nous retenons cette pensée « Nous oublions quelle est notre faculté d'ou­blier. » Elle est susceptible d'une double application : en entrant dans le jeu de la con­testation des sottises, nous risquons toujours plus ou moins de perdre la mémoire de la culture authentique, celle qui nous fut dispensée jadis ; mais aussi la maxime nous ré­conforte en nous rappelant que nombre d'élucubrations barbares sont promises à l'ou­bli, même chez leurs adeptes actuels, et les plus fervents. Nous n'aurons donc pas de scrupule à prendre pour thème de méditations un ouvrage qui peut être un livre de chevet, une cure d'âme et une invita­tion spirituelle. (Diffusion : VANDER-OYEZ, 4, rue de Fleurus, F 75006 Paris.) Jean-Baptiste Morvan. 153:229 #### Frédéric Musso Martin est aux Afriques (La Table ronde) Couvert de femmes depuis Drieu, fort buveur depuis He­mingway, en marge de la société depuis Montherlant, Cé­line, tout le monde (avant, il était ambitieux), le héros de roman moderne se perpétue tranquillement. Modèle, il est imité ; imité, il se confirme comme modèle. Cela dit, Martin Malavoine a de bonnes raisons de ne pas se sentir chez lui dans les jour­naux et bars de Paris. Il est exilé. Il ne se détache pas de sa Kabylie. Après un séjour aux Baléares où il aide un lé­gionnaire OAS à raconter son évasion pour le cinéma et la postérité, Malavoine fait le grand saut. Il rejoint sa mon­tagne natale. Il mourra sûre­ment, l'histoire n'enregistrant pas de révolte kabyle triom­phante en 1968, mais il mourra chez lui. Ce retour mythique, la nostalgie du paradis perdu donnent son élan au livre. Il s'achève dans une lumière éclatante. Georges Laffly. #### Aldous Huxley Le sourire de la Joconde (La Table ronde) Sous ce titre sont réunis six courts romans de la jeunesse d'Huxley (les années 20). C'est le moment où il se moque des autres. Ses personnages sont des marionnettes qu'il démo­lit joyeusement. Assez ressem­blantes d'ailleurs pour qu'on les croie vivantes : on les voit saigner sous les coups. Les personnages sympathi­ques sont rares, et toujours victimes des odieux. L'impres­sion d'ensemble : on voit un homme très intelligent se pro­mener dans un monde bouf­fon et absurde, qu'il regarde derrière un masque, et ne tou­che qu'avec des gants asep­tisés. G. L. 154:229 #### Willy de Spens La nuit des longs museaux (La Table ronde) Ce récit est une fable. Les hommes, par goût du confort, refus des corvées et des res­ponsabilités, ont commencé d'employer pour les besognes ingrates des singes, des ours. Puis ils leur ont confié la po­lice. Démission et lâcheté les entraînent. Un jour, les ani­maux prennent le pouvoir, sans opposition, et parquent les hommes dans des camps. L'humeur, amère et vireuse (aurait dit Léon Daudet) de l'auteur faillit dans cette sati­re -- ou ne manque pas la bestialité. Mais le sens de sa fable fait question. Il repous­serait certainement l'interpré­tation stupide où ses animaux seraient l'image des immigrés auxquels nous faisons appel sans mesure. Mais si ces bêtes sont des bêtes, comment leur faire diriger des administra­tions, des banques ? On n'arri­ve pas à y croire. Swift est plus malin. Il nous montre les chevaux régnant de toute éter­nité sur les misérables Yahous, il ne montre pas un renver­sement de pouvoir. Je crois que l'auteur, entraîné par son mépris des hommes, ne s'est pas assez soucié de cet aspect des choses. G. L. #### Roger Trinquier Le temps perdu (Albin Michel) Le colonel Trinquier est né en 1908 d'une famille des Hau­tes-Alpes. C'est toute sa vie qu'il déroule ici, une vie plei­ne d'aventures et d'expérien­ces amères. Il n'est pas bon de naître au déclin d'une na­tion. Officier, Roger Trinquier est nommé en Extrême-Orient à la veille de la guerre. Il sera à Shangaï de 39 à 45 : un ba­taillon y protège la concession française. On trouve là, en ré­duction, tout le drame de cette époque. Ces soldats qui ont, avec tant de difficultés, rempli leur mission, sont à la fin traités en suspects. De dégoût, leur colonel tente de se tuer. 155:229 Après cela, c'est l'Indochine et l'Algérie (avant le Katanga où la France pouvait aussi jouer un rôle bénéfique). Ces deux guerres, si différentes, ont en commun d'avoir été me­nées contre un adversaire de type nouveau : le clandestin animé d'une idéologie, cet ad­versaire étant appuyé, doublé par les mass-media qui se met­tent à son service. L'opinion passe dans le camp adverse. Le colonel fut de ces hom­mes, peu nombreux finalement, qui réussirent à renverser des situations lamentables. Ils au­raient vaincu, si l'État lui-même ne s'était retourné con­tre eux. On appréciera sur de Gaulle, ces deux phrases : « Il voulait le pouvoir sans trop savoir ce qu'il allait en faire. » Et plus loin, parlant de la tournée des popotes, où de Gaulle commence par rassurer l'armée (elle est dans la bonne voie) puis, après que des jour­naux ont rapporté ses propos, change de discours, cette ques­tion : « A qui de Gaulle obéis­sait-il ? » G. L. #### Pierre Daillier Nous étions alors capitaines (N.E.L.) Le titre complet : « Nous étions alors capitaines à l'ar­mée d'Afrique, juin 1940-mai 1943 » explique l'ouvrage. Cette armée, conservée et entretenue dans l'espoir de reprendre la lutte par le géné­ral Weygand, par Noguès, Juin, va soutenir presque seule, après le débarquement allié, la bataille de Tunisie, et la ga­gner. Sans équipement moder­ne, sans moyens. L'auteur a réuni nombre de témoignages sur ces combats inégaux et vainqueurs. Sujet mal connu. Il se trouve que l'armée d'Afrique n'était pas « gaulliste ». Inutile de faire intervenir « la propagan­de de Vichy » pour expliquer cela. Il est juste, mais partiel, de parler du prestige du maré­chal Pétain « auprès des popu­lations indigènes ». Ce pres­tige était grand aussi dans l'armée, et chez les Européens. C'est bien ennuyeux pour les préjugés acquis, mais il se trouve que c'est vrai. G. L. 156:229 ## CORRESPONDANCE ### Lettre sur divers sujets *Extraits de la lettre familière d'un de nos amis :* *...* Sur les dix secrétaires d'État du XX^e^ siècle, il y en a eu trois excellents : Merry del Val, Pacelli et Tardini ; un éphémère (un mois) : Ferrata ; deux insignifiants : Maglione et Cicognani ; et quatre mauvais : Rampolla, Gasparri, Montini ([^176]) et Villot. Ce dernier bat tous les records, et il aura été secrétaire d'État de trois papes, fait sans précédent. Il faut qu'il ait une position très forte ou qu'il se soit rendu indispensable pour que Jean-Paul II, après y avoir mis le temps, se soit cru obligé de le reprendre *ad tempus.* La formule indique une réserve. Reste à savoir ce que durera le *tempus.* Quand on pense que Pie XI, pour­tant perspicace, a mis huit ans à s'apercevoir que Gasparri le trompait ? Espérons que Jean-Paul II aura l'intelligence et le courage de se débarrasser à temps de tout le détestable entourage de Paul VI : Villot, Martin, Baggio, Pignedoli, Casaroli et consorts. Tant qu'il aura ces gens-là autour de lui, il ne pourra quasiment rien faire de bon. Mais il y risque sa vie. Jean Paul I^er^ n'a pas survécu plus de quelques heures à son altercation avec Baggio. 157:229 Pour Jean XXIII, je m'étais demandé s'il était aussi naïf qu'il en avait l'air. Ce que vous dites (*Petite chronique vaticane,* numéro 227) laisse penser qu'il était bien conscient de ce qu'il faisait. Vous faites bien de dire également la vérité sur *La passion de l'abbé Delance.* On peut recevoir l'extrême-onction deux fois (ou davantage) pour la même maladie s'il y a amélioration, rechute, entraînant éloigne­ment et retour du péril de mort ; car l'extrême-onction est liée au péril de mort. Je remarque que Pie XII, Jean XXIII, Paul VI n'ont reçu l'extrême-onction que tout à fait in extremis, dans le coma, et c'est un tort. En outre Paul VI a été privé des prières de l'Église par Villot, qui n'a pas fait sonner *pro Pontifice agonizante...* 158:229 ## DOCUMENTS ### Le cardinal Wojtyla et la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse Le *Courrier de Rome* ([^177])*,* dans son numéro 186 de novembre 1978, paru au mois de décembre, a publié une étude de son collabora­teur habituel « Missus romanus » sur l'intervention faite par le cardinal Wojtyla lors de la 133^e^ congrégation générale de Vatican II, le 22 septembre 1965. Le débat portait sur la déclaration *De libertate religiosa.* L'in­tervention du cardinal Wojtyla figure dans les *Acta synodalia sacrosancti concilii Vaticani II, volumen IV,* pages 11 à 13 (Typis polyglottis vaticanis, 1977). Nous reproduisons ci-après les principaux passages de cet article. Le premier orateur à parler est le cardinal Wojtyla. Il com­mence en déclarant que le schéma *De libertate religiosa *« plaît davantage dans sa rédaction actuelle que dans la précé­dente grâce aux nombreuses corrections qui y ont été faites ». Mais il demande encore « une plus grande clarté de tout le document, dont l'importance est assurément très grande ». Sa première requête est qu'on ne se contente pas de répéter « ce qui est dit dans la législation civile de plusieurs pays et même dans certaines déclarations internationales au sujet de la liberté religieuse », car c'est la position de l'Église, fondée dans sa propre doctrine, que la déclaration conciliaire doit procla­mer. 159:229 Il précise ensuite la manière dont il faut comprendre et exposer cette position et cette doctrine : « 2 La déclaration sur la liberté religieuse, c'est-à-dire sur le droit des personnes et des communautés à la liberté en matière religieuse, concerne, il est vrai, les pouvoirs civils, mais elle concerne premièrement et directement la personne humaine elle-même. Elle en présuppose la signification ethico-sociale et ethico-personnelle. Selon cette signification, elle constitue également le fondement d'un dialogue entre croyants et entre croyants et non croyants. » Ce qui constitue donc le fondement d'une réflexion sur la liberté religieuse, pour celui qui n'était alors que Mgr Wojtyla, c'est la personne humaine, avec tout ce qu'elle implique dans l'ordre moral, tant au plan individuel que communautaire. C'est là un thème sur lequel il médite depuis longtemps, et c'est pour faire face à une pensée, celle du marxisme, pour lequel ce qui prime, c'est la collectivité totalitariste, qu'il est amené à insister sur cette valeur primordiale de la personne humaine. Il n'en fait pas pour autant un absolu. Il veut seulement rappeler la référence prioritaire qu'elle constitue, mais c'est pour la sou­mettre elle-même à Dieu. La suite du texte le montre sans ambi­guïté. Il poursuit immédiatement ainsi : « Dès lors que ce droit de la personne à la liberté en matière religieuse est proclamé par le concile, il faut proclamer éga­lement la responsabilité de la même personne en cette matière, c'est-à-dire dans l'usage de ce droit. Or cette responsabilité est très grande, car la réalité en cause, la religion -- qui est relation à Dieu -- est de la plus haute importance. Et cela en premier lieu par rapport à chaque personne : il est de la plus haute importance pour la personne humaine en tant que telle (de savoir) comment elle aura usé de son droit inné -- « jure nativo » -- à la liberté en matière religieuse, comment elle se sera comportée par rapport à Dieu. En second lieu, l'importance de cette responsabilité personnelle atteint l'or­dre social. En vertu de notre déclaration conciliaire, tout homme doit également pouvoir proclamer non seulement sa liberté, mais également sa responsabilité personnelle en ma­tière religieuse. Non seulement dire « en cette matière je suis libre », mais également « je suis responsable ». C'est là une doctrine fondée dans la tradition vivante de l'Église des confesseurs et des martyrs. La responsabilité est comme le sommet et le complément nécessaire de la liberté. Elle doit être soulignée afin que notre déclaration apparaisse intime­ment personnaliste au sens chrétien, et non pas marquée par le libéralisme ou l'indifférentisme. » 160:229 Par cette dernière affirmation, on voit que Mgr Wojtyla était parfaitement au courant des problèmes soulevés par cette décla­ration. Longtemps professeur de morale, de formation fonciè­rement thomiste et en même temps ayant une connaissance profonde de la pensée contemporaine, aussi prudent et diplo­mate que ferme sur les principes, il cherche une voie et un langage qui lui permettent de se faire entendre dans l'Aula conciliaire. Mais on remarquera la manière attentivement étu­diée dont il s'exprime. Il parle d'un « jus nativum », et non d'un « jus naturale », de la « liberté en matière religieuse », -- et non pas de « liberté religieuse ». Tous ces détails révèlent une pensée longuement mûrie, et pour cause. S'il est d'abord un spirituel et un pasteur, Mgr Wojtyla est aussi un intellectuel qui sent la nécessité du travail à faire à ce niveau pour défendre et répandre la foi dans son pays, face au monde communiste. C'est d'abord dans cette perspective qu'il poursuit sa propre réfle­xion, mais on voit qu'il n'ignore pas la menace du libéralisme, plus propre au monde occidental. C'est pourquoi, il le réaffirme dans ce qu'il ajoute aussitôt, s'il prend la personne humaine comme base de départ dans sa confrontation avec le monde moderne, totalitaire ou libéral, cette personne est pour lui essentiellement religieuse, c'est-à-dire reliée à Dieu : « Les pouvoirs civils doivent respecter la liberté religieuse, aussi bien personnelle que communautaire, d'une manière extrêmement rigoureuse et délicate, également à cause de la responsabilité qui incombe en cette matière à la personne humaine, c'est-à-dire également en raison de la profondeur humaine de la religion elle-même » (« *pro ipsius religionis humana etiam profunditate *»*,* ce qui revient à dire : en rai­son de la dimension religieuse essentielle à la nature humai­ne). A ce point, le discours passe au fondement objectif ultime des droits et des devoirs de l'homme en matière religieuse, car c'est bien la notion de devoir qui est désignée à travers celle de « responsabilité ». Si celle-ci est employée de préfé­rence à celle-là, ce n'est pas, on s'en doute, dans un souci super­ficiel de plaire, mais bien en raison d'un désir profond de se faire écouter et entendre. Mgr Wojtyla enchaînait donc : « Je voudrais encore faire remarquer qu'en soulignant la responsabilité corrélative à la liberté, nous exprimons éga­lement, au moins médiatement, la signification et la force objective de la religion. Le droit (jus), en effet, est subjectif, en ce sens qu'il est un droit du sujet, c'est-à-dire de la per­sonne, bien plus, c'est un droit à la liberté ; mais comme à la liberté est rattachée une si grande responsabilité, et au droit une obligation interne aussi grave, par suite -- bien qu'on se situe dans la perspective du sujet, qui semble en quelque sorte connaturelle à notre schéma -- la valeur objective de la religion apparaît pleinement, valeur qui en dernière analyse découle de la vérité. » 161:229 En remontant ainsi jusqu'aux fondements ultimes de la liberté en matière religieuse, on écarte les dangers de libéra­lisme et d'indifférentisme difficilement évitables dans une per­spective essentiellement subjectiviste et purement humaniste : A partir de là, on comprend la nécessité, et on voit la pos­sibilité, de fixer des limites à la « liberté religieuse » (ayant précisé sa pensée comme il vient de le faire, l'orateur utilise maintenant ce terme) : « 3. En conséquence, je voudrais ajouter encore quelques réflexions au sujet des limites à fixer à la liberté religieuse. A ce sujet, il semble qu'il faille de nouveau invoquer le principe de la loi morale à observer, dont il est suggéré, à la p. 9, aux nn. 15 ss., qu'elle est la norme première réglant l'usage de la liberté religieuse dans la société humaine. Mais elle ne semble pas constituer le fondement de la « déclaration » elle-même aux pp. 5 et 6. Bien plus, il est dit que les limites de l'usage de la liberté religieuse sont déterminées « selon les normes juridiques requises par les nécessités de l'ordre public », et par conséquent selon la loi positive seulement. Pour clarifier cette difficile question, il faut dire que le droit à la liberté religieuse en tant qu'il est naturel (c'est-à-dire fondé dans la loi de la nature et donc dans la loi divine), ne peut se voir fixer des limites que par la loi morale elle-même. La loi humaine positive ne peut ici imposer de limites autrement que sur la base de la loi morale. En d'autres ter­mes, seul un acte moralement mauvais, c'est-à-dire contraire à la loi morale, peut être considéré comme un abus de la liberté religieuse. Je propose donc que dans le texte de la « décla­ration », p. 6, à la fin de la ligne 7, là où on lit : « ...afin qu'en matière religieuse nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience, ni empêché d'agir, dans de justes limites -- « intra debitos fines » -- en privé comme en public », à la place des mots « intra debitos fines » on mette : « à moins qu'il s'agisse d'actes qui soient déjà à un autre titre, com­mandés ou interdits par la loi morale », (comme est comman­dée, par exemple, la restitution obligatoire, ou comme sont interdits la prostitution ou le meurtre sous des prétextes reli­gieux). » 162:229 « Selon le même principe du respect de la loi morale est à revoir également ce qui est dit p. 9, lignes 27 ss., au sujet de la norme juridique et de son pouvoir de limiter (*vi limi­tandi*) l'usage de la liberté religieuse, car cela ne semble pas opportun dans beaucoup d'endroits et peut même donner occasion à beaucoup d'abus contre la véritable liberté reli­gieuse. J'ai terminé. Merci. « *Dixi. Gratias. *» Tous ceux qui ont protesté contre le sens qu'on avait donné au concept de « liberté religieuse » à la suite du concile éprou­veront une immense joie en lisant ces lignes et en constatant que, par la Providence de Dieu, l'évêque qui s'exprimait ainsi le 22 septembre 1965 est maintenant l'évêque de Rome, et de ce fait le successeur de Pierre et le Vicaire du Christ. Est-ce que ce ne sont pas leurs propres perplexités, inquiétudes et protestations qu'ils trouvent exprimées ici ? Sans reprendre dans sa totalité le problème de la « liberté religieuse », nous noterons simplement que dans cette troisième partie de son exposé, Mgr Wojtyla mettait le doigt sur l'un des points, voire même sur le point le plus discutable du texte de la déclaration. Il lui reproche essentiellement deux choses, qui découlent né­cessairement de la perspective subjectiviste stigmatisée au para­graphe précédent, à savoir, premièrement, le manque de réfé­rence à la loi morale comme fondement premier de toute doctrine sur la « liberté religieuse », et, deuxièmement, le recours à la seule loi positive pour fixer les limites pratiques à l'exercice de la liberté religieuse. L'usage social de tout droit devant nécessairement être réglé, là où manque la référence à la norme morale fondamentale, il ne restera plus, pour assurer cette régulation, que la force de la norme juridique positive, c'est-à-dire, concrètement la force des pouvoirs publics. C'est ce que disait explicitement le texte de la « p. 9, lignes 27 ss. » dont l'archevêque de Cracovie demandait la révision « La société civile a le droit de se protéger contre les abus qui peuvent se produire au nom de la liberté religieuse. Il appartient principalement au pouvoir civil d'assurer cette pro­tection, non pas, cependant, d'une manière arbitraire, mais selon les normes juridiques requises par les nécessités de l'or­dre public. » (*Acta Synodalia...,* Vol. IV, Per. IV, Pars I, p. 151.) On comprend la réaction de Mgr Wojtyla devant une telle décla­ration. Elle donnait en effet pratiquement pleins pouvoirs à l'État au nom de l'ordre public, ce qui était inadmissible. C'est contre le même texte que s'était exprimé le *Coetus Internatio­nalis Patrum,* demandant qu'on invoque au moins « non la pré­servation du droit ou de l'ordre, mais le bien commun », ce qui est tout autre chose (R. WILTGEN, *Le Rhin se jette dans le Tibre,* p. 247). 163:229 Or aucune de ces requêtes n'obtint vraiment satisfaction, ce qui situe Mgr Wojtyla dans la catégorie de la minorité non écoutée au concile. En effet, les deux textes dont il demandait la révision sont passés en demeurant pratiquement inchangés dans la déclaration conciliaire. Celui de la p. 6, ligne 7, se retrouve dans le numéro 2, presque à la lettre. Celui de la p. 9, lignes 27 ss se retrouve vers la fin du numéro 3. Les voici l'un et l'autre : *Texte critiqué :* p\. 6 : « ...ut in re religiosa neque aliquis cogatur ad agen­dum contra suam conscien­tiam, neque impediatur, quomi­nus juxta suam conscientiam privatim et publice agat intra debitos fines ». p\. 9 : « Societas civilis jus habet sese protegendi contra abusus, qui haberi possint, in­vocato tituto libertatis religio­sae. Pertinet praecipus ad po­testatem civilem hujusmodi protectionem praestare, non tamen modo arbitrario, sed secundum normas juridicas. » *Texte approuvé :* « N. 2 (...) ut in re religiosa neque aliquis cogatur ad agen­dum contra suam conscien­tiam, neque impediatur, quo­minus juxta suam conscien­tiam agat privatim et publice, vel solus vel aliis consociatus, intra debitos fines. « N. 3 (...) Injuria ergo huma­nae personae et ipsi ordini ho­minibus a Deo statuto fit, si homini denegetur liberum in societate religionis exercitium, justo ordine servato. » Comme on le voit, il n'a été tenu compte d'aucune des réfle­xions de Mgr Wojtyla, sauf peut-être pour faire passer d'une manière plus voilée le principe proposé p. 9, et qui ouvre la porte à tous les totalitarismes d'État. Or ces deux textes sont assurément parmi les plus graves du concile (...). C'est précisément le numéro 2 de la déclaration conciliaire qui contient les affirmations les plus discutables, puisque c'est là que, dans la confusion du for interne et du for externe, en même temps que dans l'absence de distinction entre l'obligation et la prohibition, il est affirmé, non seulement que nul ne peut être forcé d'agir, soit en privé soit en public, ou que nul ne peut être empêché d'agir en privé, ce qui est confor­me à la doctrine traditionnelle, mais encore que nul ne peut être empêché d'agir en public, ce qui est contraire aux ensei­gnements les plus solennels de l'Église (...). A la limite, c'est à une exaltation de l'État comme réalité suprême et ultime que conduiront les principes ici posés. N'est-ce pas lui, en dernière analyse, qui jugera des exigences de « l'ordre public » au nom duquel il sera habilité à réglementer « la liberté religieuse » ? On parle bien d'un « ordre moral objectif » (n° 7) pour fonder ces droits du pouvoir civil. Mais dans quoi se fondera cet ordre lui-même à partir du moment où on ne reconnaît plus à l'État aucun devoir envers la religion en tant que telle et envers la religion révélée en particulier ? 164:229 On le voit, ces réflexions rejoignent pleinement celles de Mgr Wojtyla, avec la différence que celui-ci se limitait à faire remarquer que l'appel à un ordre moral objectif, « suggéré, à la p. 9, aux nn. 15 ss. », restait ensuite sans effet sur l'ensem­ble de la déclaration. A cette intervention orale, l'évêque de Cracovie ajoutait une autre intervention écrite dans laquelle il reprenait et explicitait les mêmes points (*Acta Synodalia*, Vol. cit., pp. 292-293). Et pourtant, le texte a été voté et approuvé, au cours de la séance publique du 7 décembre 1965. Mais on sait que c'est celui des documents conciliaires qui a eu jusqu'au dernier vote le plus grand nombre d'opposants : 70. On est en droit de pen­ser que Mgr Wojtyla fut de ce nombre. Mais là n'est pas la ques­tion. La question, c'est que, notamment sur les points ici souli­gnés, et surtout pour les raisons doctrinales exposées entre autres par celui qui est maintenant le pape Jean-Paul II, la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse continue de poser un grave problème à la conscience chrétienne et au magis­tère de l'Église. L'infaillibilité de ce magistère n'est pas en cause, puisque celui-ci n'a pas voulu engager dans cette décla­ration le degré suprême de son pouvoir d'enseigner. \[Fin de la reproduction des principaux passages de l'article de Missus romanus dans le *Courrier de Rome*, numéro 186 de novembre 1978.\] 165:229 ### L'Union Soviétique et l'eurocommunisme *Léonard Schapiro, professeur à la London School of Economics and Political Sciences et président de l'Institute for the Study of Conflict, est connu dans les pays de langue anglaise comme un des meilleurs spécialis­tes de l'univers soviétique. Ses travaux de­vraient trouver une meilleure audience parmi nous depuis l'apparition d'un nouveau men­suel,* Le monde des conflits, *qui est l'édition française de* « *Conflict Studies *»* : Léonard Schapiro y tient déjà dix-sept grandes pages dans le numéro 1, d'octobre 1978, avec une étude sur l'attitude de l'Union Soviétique face à* « *l'eurocommunisme *»*, sujet qu'au­cun politologue français n'avait directement abordé.* *L'édition française de* « *Conflict Studies *»*,* Le monde des conflits*, est assurée par le Centre d'Archives et de Documentation poli­tique et sociale* (*86, bd Haussmann, 75008 Paris*)*, autrement dit par les éditeurs du bi­mensuel* Est & Ouest*. Voilà une garantie de sérieux documentaire, et de qualité.* 166:229 *Nous reproduisons ci-dessous les conclu­sions de l'article du professeur Schapiro sur* « *L'Union Soviétique et l'eurocommunisme *»*, paru dans le numéro 1 du* Monde des con­fins. -- *C'est un bon esprit d'observation politique qui le fait s'interroger ainsi sur l'autre sens de la relation entre nos partis communistes et Moscou. On aurait trop ten­dance à oublier que, si les grandes gueules sont ici, l'ultima ratio de la puissance reste toujours là-bas.* H. K. Cette étude sur les réactions soviétiques face à l' « Euro­communisme » jusqu'à ce jour entraîne certaines réflexions. Tout d'abord, un examen du système soviétique, au niveau de la prise de décision, éveille un grand doute sur les suggestions fréquentes des commentateurs occidentaux, selon lesquelles la politique soviétique vis-à-vis de l' « Eurocommunisme » révé­lerait un grand désarroi ou de nombreuses divergences entre les dirigeants. Au contraire, cette politique montre une grande cohérence et une réelle continuité. Elle est effectuée sous la direction du Bureau politique, par le plus influent et le plus important département du Comité central : le Département international, qui détermine, de A à Z, la politique à suivre. Bien sûr, le P.C.U.S. a dû accepter un certain degré d'indé­pendance revendiquée par les partis communistes européens, le P.C.F., le P.C.E., le P.C.I. et le P.C.G.B. Dans quelle mesure s'est-il résigné à l'accepter ? Cela est un autre problème. Il n'y a pas de raison de supposer que le P.C.U.S. abandonnera sa politique traditionnelle qui consiste à utiliser tous les moyens clandestins disponibles pour conserver sous son con­trôle, autant qu'il le pourra, les partis insoumis : finances, chantage, scissions provoquées, font partie de ces moyens d'ac­tion. Bien qu'une sûre information sur ces divers moyens fasse souvent défaut, le maintien, par le Département international, d'organisations clandestines dans les ambassades, et les quel­ques renseignements que nous avons sur les finances des partis communistes confirment cette hypothèse. L'expérience a prouvé que, par un moyen ou un autre, l'Union soviétique, jusqu'ici, avait été capable de tenir en laisse les partis occidentaux. Il n'y a aucune raison de supposer qu'il n'en ira pas de même à l'avenir. 167:229 Deuxièmement, il est clair que ce qui gêne le plus les diri­geants soviétiques dans « l'Eurocom­unisme », c'est la critique de leur régime, pour ses pratiques anti-démocratiques. C'est le seul aspect de l' « Eurocommunisme » qui soit capable de conduire à une explosion du côté soviétique. Les autres -- le pluralisme, l'acceptation des principes démocratiques et de défense de la liberté, par exemple -- n'ont jamais donné nais­sance à de sérieux conflits. On peut penser que le P.C.U.S. ne prend pas très au sérieux la conversion des partis occidentaux à la démocratie. Mais critiquer l'Union soviétique, c'est autre chose ! Le soutien communiste, par exemple, a, en certains cas, aidé les dissidents en même temps qu'il a constitué un obstacle aux efforts des dirigeants soviétiques pour minimiser l'impor­tance de cette opposition et obtenir des gouvernements occiden­taux de ne plus l'approuver. Même si les autorités soviétiques peuvent, par la manipulation des médias, réduire la portée de la critique communiste occidentale sur la population du pays, elles ne peuvent pas faire grand'chose pour réduire l'effet de telles critiques auprès des populations de l'Ouest. Il y a aussi, du point de vue soviétique, le danger toujours présent que la critique « eurocommuniste » puisse affaiblir la cohésion du Bloc. Cependant, en ce qui concerne les pays qui le composent, l'Union soviétique ne dispose pas seulement de ses moyens de propagande, mais de possibilités de contrôle qui, finalement, sont les plus efficaces : étranglement politique, coopération du K.G.B. avec les services de sécurité du Bloc, et ultima ratio, l'Armée rouge. La critique « eurocommuniste » des méfaits soviétiques sem­ble si sérieuse aux yeux des Russes, que, si jamais une rupture intervenait entre le P.C.U.S. et un parti communiste occidental, c'est là seulement qu'il faudrait en chercher la raison. Et, comme une rupture réelle entre le P.C.U.S. et un (ou plusieurs) partis occidentaux serait finalement avantageuse pour l'Occi­dent, cela souligne l'importance qu'il y a eu, et qu'il y a encore à affaiblir l'influence soviétique en dévoilant, de façon perma­nente, les pratiques régressives de l'U.R.S.S. Là est la principale réponse à la question souvent posée : la politique occidentale peut-elle faire quelque chose pour accroître les frictions entre l'Union soviétique et les partis communistes occidentaux ? Le moyen le plus efficace, c'est d'exposer impitoyablement la nature répressive du système soviétique en donnant de la publicité aux témoignages, y com­pris ceux des opposants, faisant la preuve de la violation cons­tante des droits de l'homme en Union soviétique et dans les pays de l'Est. Les partis « eurocommunistes » ne peuvent pas ignorer cette évidence. Ils sont obligés de protester contre les persécutions et contre l'intolérance soviétique, car s'ils n'agis­sent pas ainsi, ils perdront le soutien, dans leurs pays, de ceux qu'ils cherchent à enrôler. D'un autre côté, toute l'expérience jusqu'à ce jour, montre que la principale cause -- si ce n'est la seule -- du ressentiment soviétique à l'égard des partis com­munistes occidentaux est leur critique de l'Union soviétique, et le seul facteur concevable qui puisse mener à une véritable rupture de leurs relations. 168:229 Cependant, tout démontre que, contrairement à certaines opinions, une telle rupture est improbable dans un avenir pro­che. En ce qui concerne l'Union soviétique, sa tactique tradi­tionnelle a toujours été de mener plusieurs politiques de front. Quels que puissent être les désavantages que présente pour elle « l'Eurocommunisme » -- et il ne faut pas les exagérer -- les dirigeants russes n'oublieront certainement pas deux choses. Qu'à long terme, les progrès des communistes en Europe occi­dentale ne peuvent que les servir. Et que, même si ces commu­nistes sont parfois insoumis, il y a encore en réserve plusieurs moyens de les contrôler. Du point de vue des « Eurocommunis­tes », une rupture avec le P.C.U.S. pourrait fort bien les laisser isolés et en proie à une révolte gauchiste (stimulée, par exem­ple, par l'organisation de Ponomarev) dans leur propre pays. Ou même, comme on dit que Souslov l'a craint, cette rupture pourrait les faire passer dans la sphère d'influence occidentale. Quoi qu'il en soit, toutes les indications à ce jour montrent qu'aucun parti « eurocommuniste » n'a la moindre intention d'en arriver à une rupture avec le P.C.U.S. Finalement, il semble y avoir peu de vérité dans l'idée que la grande variété de l' « Eurocom­unisme » constituerait un avantage pour l'Ouest. Pourquoi ? Plus cette variété sera grande, et plus la divergence d'avec le modèle soviétique présentée par quelque parti que ce soit sera importante, et plus ses chances électorales s'améliorent. Il faudrait être vraiment naïf après la lecture de Carrillo ou du programme du P.C.G.B., pour croire que la démocratie (la vraie, et non celle des communistes) puisse survivre à une victoire de ces partis. Leurs chefs, ou tout au moins quelques-uns d'entre eux, peuvent être sincères. Mais leurs programmes sont révolution­naires au plein sens du terme. Les principes démocratiques qu'ils affichent sont en contradiction formelle avec leurs objec­tifs et, plus spécialement, avec les méthodes qu'ils utilisent pour les atteindre. \[Fin des conclusions de l'article de Léonard Schapiro, « L'Union Soviétique et l'eurocom­munisme », paru dans le numéro 1 d'octobre 1978 du nouveau mensuel *Le Monde des conflits.*\] 169:229 ## AVIS PRATIQUES ### Annonces et rappels «* Enfants du Mékong *» Sous ce titre, existe une œuvre qui s'occupe de venir en aide aux Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens qui ont pu fuir leur pays envahi par le communisme. Certains ont pu se réfugier en France ; d'autres, plus nombreux, se trouvent dans des camps de réfugiés en Thaïlande. On peut adopter un réfugié en Thaïlande en lui envoyant cin­quante francs par mois : cette somme, très modeste en France, devient importante en Thaïlande, en raison du change et de la modicité du coût de la vie. Voici ce que nous écrit un jeune réfugié laotien : « ...Maintenant j'étudie un petit métier de sculpture ; la prochaine fois, je vous adresse mon travail pour vous faire souvenir. Au Laos, j'avais étudié au lycée technique de Vientiane, section économique. Le niveau d'étude est très bas si on compare à votre pays, parce qu'après la « libération » communiste, le ministère change le program­me ; il n'y a presque plus de cours de français. Ainsi que nous sommes faibles en français. Quelque temps, il em­mène les élèves à travailler, construire les barrages, creuser les canaux et les tombes. Ses travaux sont trop durs pour nous, et il n'y a pas de bons aliments pour nous donner à manger. Pour cela, les élèves de mon lycée deviennent de la maladie béribéri. Je demeurais à l'internat depuis que j'étudiais au Sud. 170:229 C'est ainsi que l'année scolaire 76-77, j'ai été béribéri deux fois. Pour cela, je décidais aller à Thaï­lande en nageant pour traverser le Mékong. Je nageais avec mon copain ; nous arrivons en Thaïlande sans aucun dan­ger. Je suis au camp depuis le 28 août 77. Je ne connais pas ici. Où irai-je ? A France, je n'ai personne... » Pour venir en aide à ces réfugiés, on peut s'adresser à : « Enfants du Mékong, 28, rue de Biberach, Fontbarlettes, 26000 Valence C.C.P. 30.383 -- 11 C. La Source. Jean Crété. ============== fin du numéro 229. [^1]:  -- Mais toujours obstinément différées ou écartées. (Note de 1984.) [^2]:  -- (1). Nous n'incriminons, précisons-le, ni les intentions ni la personne de Dom Oury. Ni sa courtoisie, que nous avons eu l'occasion d'apprécier. Il est parfaitement libre, évidemment, d'avoir quant à lui les opinions théologiques et pastorales qu'il veut. Mais de la part de *Famille chrétienne,* imprimer un tel texte était une agression contre « les tenants de la messe de saint Pie V » qui ne demandaient qu'à rester ses lecteurs bien­veillants : agression pleinement utilisée contre nous par la per­sécution épiscopale (cf. ITINÉRAIRES, numéro 227 de novembre 1978, page 158). -- Cette agression était plus déplorable qu'inat­tendue s'il est vrai que la politique religieuse de *Famille chré­tienne,* journal italien de langue française, est soutenue et orientée depuis le Vatican par Mgr Jacques Martin. Celui-ci a conservé, de son long passage à la section française de la secrétairerie d'État, le goût et les moyens d'intriguer dans les affaires de France. Dans notre numéro 210 de février 1977, nous avons donné pages 29 et 30 un compte rendu suffisamment détaillé de la concertation stratégique qu'il tint à Rome, le 9 avril 1976, avec trois dirigeants de l'Association *Credo*. L'un des trois, l'abbé Dupuy, a depuis lors quitté le mouvement. Mais l'un des deux autres, André Mignot, en est toujours dirigeant national. Il y suit la ligne convenue, notamment en ce qui con­cerne l'ostracisme à l'égard d'ITINÉRAIRES souhaité (ou intimé) par Mgr Martin. De toutes façons le départ du seul abbé Dupuy était une clarification insuffisante, puisque l'Association *Credo* n'a toujours pas désavoué les accords secrets passés lors de cette séance vaticane du 9 avril 1976. [^3]:  -- (2). Dom Oury, *La messe de saint Pie V à Paul VI,* Solesmes 1975, pages 48 et 49. -- Nous citons la seconde édition, dont nous ne pouvons préciser la date exacte, car elle est revêtue comme la première, mais abusivement, d'un « achevé d'impri­mer » du 17 juin 1975. -- On reconnaît cette seconde édition à ce que la note 9 de la page 45 y a été utilement et courtoisement complétée. [^4]:  -- (3). Le rite nouveau a été administrativement imposé depuis 1969-1970 comme s'il était revêtu d'une obligation imposant son usage à l'exclusion de tout autre : mais précisons : *à l'ex­clusion de tout autre rite traditionnel.* Non point à l'exclusion de tout autre rite nouveau, fruit d'une « créativité liturgique » illimitée. La messe de saint Pie V n'ayant pas été abolie par un acte juridique adéquat, son interdiction a été déduite du carac­tère supposé obligatoire de la messe de Paul VI. Mais cette obligation et cette déduction ne sont opposées qu'aux rites traditionnels. Elles n'ont pas été opposées à la prolifération de messes nouvelles, issues sans doute de la messe de Paul VI, mais de plus en plus audacieusement dissemblables. En France, dès le début, c'est une traduction française de la messe de Paul VI qui fut rendue obligatoire par l'ordonnance de l'épisco­pat en date du 12 novembre 1969 : cette traduction n'était déjà plus la même messe que celle de Paul VI en latin publiée à Rome par la constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969. Les messes réellement célébrées par le clergé post­conciliaire sont de plus en plus *différentes* de la messe de Paul VI : on ne leur a pas opposé que celle-ci était obligatoire à l'exclusion de toute autre ; ou bien on ne le leur a opposé que fort rarement, par des remontrances platoniques, restées sans effet. *C'est seulement contre la messe traditionnelle que l'* « *obligation *» *a été imposée par des sanctions canoniques et une répression administrative.* Ce qui confirme de quelle *finalité objective* a été revêtue la messe de Paul VI. Elle n'a été « obligatoire » que contre la messe de saint Pie V. C'est pour­quoi nous avons pu écrire que l' « obligation », que l' « incroya­ble obligation » était en réalité celle de *célébrer la messe n'importe comment, pourvu que ce ne soit pas selon le missel romain traditionnel.* [^5]:  -- (4). Antoine BARROIS : *Jamais l'Église... L'édition sixtine de la Vulgate,* dans ITINÉRAIRES, numéro 209 de janvier 1977. [^6]:  -- (1). *Nouvel Observateur,* numéro 734 du 4 au 10 décembre 1978. [^7]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, n° 212, pp. 118-124 : « Sur une réédition de la Vulgate. » [^8]:  -- (1). *Permanences* est l'organe de l' « Office international des œuvres de formation civique et d'action culturelle selon le droit naturel et chrétien » : 49, rue des Renaudes, 75017 Paris. -- Sur nos sympathies et nos réserves a l'égard de cet organisme on peut consulter, dans le numéro 214 d'ITINÉRAIRES, la chro­nique intitulée « Lausanne 1977 ». [^9]:  -- (2). Voir ITINÉRAIRES, numéros 224 de juin et 225 de juillet-août 1978, mais aussi : *Minute* du 31 mai et du 14 juin 1978, *Le Courrier de Paul Dehème* du 7 et du 8 juin 1978, *L'Aurore* du 13 juin 1978, *Aspects de la France* du 15 juin 1978, *La Presse Française* du 30 juin 1978, *Monde & Vie* du 7 juillet 1978 et *Catacombes* de juillet-août 1978. [^10]:  -- (1). « Mon neveu..., c'était en cette qualité qui ne trompait personne que j'avais présenté Astolphe à Capri. » *L'Enfant de Cœur,* Paris, 1978, p. 296. [^11]:  -- (1). « Si pendant plus de trente ans, grâce à mon travail (sic), j'avais réuni les plus belles pièces d'or représentant les jeunes empereurs romains... n'était-ce pas pour couronner un prince de la jeunesse en qui s'étaient incarnés tous mes rêves. » *L'En­fant de Cœur,* p. 12. [^12]:  -- (2). Aucun détail n'est épargné au lecteur : apparemment, Peyrefitte tient absolument à révéler la couleur de ses draps « Ainsi, dis-je un peu pâle, au milieu de mes draps roses, draps dont j'avais parlé dans *Notre Amour... *» *L'enfant de cœur* p. 17. Il était sans doute également indispensable d'expliquer au lecteur que le lit du cher Astolphe était recouvert de zibeline et que les moquettes de sa chambre en tissu synthétique pouvaient provoquer une sensation de décharge électrique à ceux qui s'em­brassaient là, p. 31. [^13]:  -- (1). *L'enfant de cœur,* p. 265. [^14]:  -- (2). *Op. cit.,* p. 81. [^15]:  -- (3). *Op. cit.,* p. 185. [^16]:  -- (4). *Op. cit.,* p. 141. [^17]:  -- (5). *Op. cit.,* p. 78. [^18]:  -- (6). *Op. cit.,* p. 134. [^19]:  -- (7). *Op. cit.,* p. 363. [^20]:  -- (8). *Op. cit.,* p. 78. [^21]:  -- (9). *Op. cit.,* p. 134. [^22]:  -- (1). *Op. cit.,* p. 324. [^23]: **\*** -- *Ajoutons pour mémoire que les déclarations prêtées à Darquier de Pellepoix ne sont manifestement pas authentiques. Il était visible -- et il est confirmé -- que le texte n'en a pas été soumis à l'auteur avant d'être publié : ce qui est pourtant la règle professionnelle et morale qui s'impose à toute* « *interview *»*. Il est remarquable qu'aucune des per­sonnalités, publications et organisations qui ont à ce sujet tant* « *mora­lisé *»*, et avec tant d'indignation, ne s'est posé la question, morale et critique, de l'authenticité des déclarations, même après qu'elle ait été publiquement contestée. Il fut très vite connu qu'il n'y avait eu ni* VÉRIFTCA­TION *du texte ni* AUTORISATION *de publier un texte vérifié : ce qui annule les prétendues déclarations. La plupart des journalistes qui se sont expri­més sur l'affaire ont bafoué cette déontologie du journalisme dont ils se réclament avec hauteur quand ça les arrange. -- En outre nous savons positivement, pa*r Minute, par Rivarol, par Aspects de la France, *que Darquier de Pellepoix, malade, sénile, incapable de soutenir une conver­sation suivie, a fait l'objet de manœuvres frauduleuses dans cette soi-disant* « *interview *»* : micro dissimulé, bande enregistreuse rendue inau­dible, texte* « *reconstitué *» *hors de son contrôle, etc. Aucun criminel, si odieux soit-il, ne peut être jugé ni même accusé sur de telles fabrications.* *En résumé, un montage ignoble, mais qui n'a été contesté que par des* « *marginaux *»* : il a été admis et exploité, de la droite à la gauche, par la totalité du monde politique en place, par l'unanimité des personnalités installées, par l'intégralité du chobiz intellectuel. C'est un cas exemplaire de la complicité dans le mensonge des quatre états confédérés qui nous dominent. Nous en prenons acte. Et nous reparlerons, s'il plaît à Dieu, de cette domination et de cette complicité. -- J. M.* \[figure en encadré, p. 49 de l'original. [^24]:  -- (1). *Le cours des choses*, pp. 70 et 71. [^25]:  -- (1). C'est-à-dire essentiellement le refus du pape Grégoire XVI de soutenir les catholiques polonais, opprimés par le tsar Nicolas I^er^. [^26]:  -- (2). *L'Évolution de la Pensée religieuse de Félicité* Lamennais, Paris, 1965. *Lamennais devant Dieu,* Paris, 1969. *Correspondance générale de L*. publiée depuis 1971 -- 6 volumes parus jusqu'à présent. [^27]:  -- (1). Publication, le 30-4-34. [^28]:  -- (2). Cf. Lettre à Montalembert, le 23-3-34 -- à Charles de Coux, 26-4-34. [^29]:  -- (3). Lettre du 29-3-34 -- cf. aussi lettre à Charles de Coux du 21.5-34. [^30]:  -- (4). Lettre à Joseph d'Ortigue, 22-4-34. [^31]:  -- (5). Lettre du 29-3-34. [^32]:  -- (6). Lettre à Benoît d'Azy du 6-4-34. [^33]:  -- (7). Lettre à Ange Blaize du 27-4-34. [^34]:  -- (8). Lettre à Sainte-Beuve du 4-5-34. [^35]:  -- (9). Cf. lettre à Montalembert du 12-5-34. Lettre à la baronne de Vaux, 12-12-35. A noter que c'est un jésuite breton qui avait fait la critique la plus approfondie la théologie de Lamennais. Cf. Louis Le GUILLOU, *L'Évolution de la pensée religi­euse de Félicité Lamennais,* Paris, 1965, p. 199. et sq. [^36]:  -- (10). Lettre à Vitrolles, 25-5-34. [^37]:  -- (11). Lettre du 11-6-34. [^38]:  -- (12). Lettre du vicomte de Bonald au comte de Senfft, 29-6-34. [^39]:  -- (13). C'est la préface des *Troisièmes mélanges*, février, 1835. [^40]:  -- (14). Lettre à la comtesse de Senfft, 20-7-34. [^41]:  -- (15). Lettre à la même, 20-8-34. [^42]:  -- (16). Lamennais a donné les trois motifs suivants de cette publication : 1°) La conscience de remplir un devoir. Il ne voit de salut pour le monde que dans l'union de l'ordre, du droit, de la justice et de la liberté. 2°) La nécessité de fixer sa position, qui maintenant aux yeux du public est équivoque et fausse. 3°) Laver son nom dans l'avenir du reproche d'avoir connivé à l'horrible sys­tème de tyrannie qui pèse aujourd'hui partout sur tous les peuples. [^43]:  -- (17). Outre *la* préface des *Troisièmes mélanges,* Lamennais publie aussi, avec une préface de lui, *De la Servitude Volontaire* ou *le Contr'un* d'Estienne de La Boétie. [^44]:  -- (18). Dont la publication s'échelonnera de 1840 à 1846. [^45]:  -- (19). Lettre à la baronne Cottu du 26-3-34. [^46]:  -- (20). Jean de Lamennais avait dans une lettre à Mgr de Lesquen désavoué les *Paroles d'un croyant.* La lettre devait rester secrète. Or l'évêque la répandit. [^47]:  -- (21). Lettre de Lamennais à l'abbé Combalot du 3-6-34 en réponse à celle du 1-6-34. Mémoire particulier pour Sa Sainteté adressé de Rome au pape par Mgr Bruté de Rémur, le 28-2-36. [^48]:  -- (22). Parmi lesquels Charles Didier, Edgar Quinet, François Arago, Raspail et pourquoi, oui pourquoi ? l'horrible Mazzini. [^49]:  -- (23). Cf. notamment sa lettre du 26-7-34. [^50]:  -- (24). Lettre du 29-3-34 à l'archevêque de Paris. [^51]: **24 bis** -- (24 bis) Par exemple la baronne Cottu, la baronne de Vaux, la comtesse de Senfft. [^52]:  -- (25). Cf. entre autres, sa lettre au baron d'Eckstein du 25-5-35. « Il n'est pas ordonné de comprendre mais d'aimer... » [^53]:  -- (26). Dont il parle à Mlle de Lucinière. Cf. lettre du 2-8-34. [^54]: **26 bis** -- (26 bis) A Vitrolles, le 8-5-34. [^55]:  -- (27). Cf. lettres du 24-5-34 à la comtesse de Senfft, du 1-6-34 à Montalembert, du 30-8-34 à la baronne Cottu, etc. [^56]:  -- (28). Cf. lettre à Montalembert du 9-3-35. [^57]:  -- (29). Lettre du 7-11-34 à la baronne Cottu. [^58]:  -- (30). Lettre de mi-septembre 1835. [^59]:  -- (31). Lettre du 21-3-35. [^60]:  -- (32). Lettre du 30.7-34. [^61]:  -- (33). Cf. entre autres nombreuses lettres, la lettre à Montalembert du 19-3-34, à la comtesse de Senfft, le 23-3-34... [^62]:  -- (34). Lamennais devait témoigner en faveur des participants à l'insurrection de Lyon, jugés en avril 1835. [^63]:  -- (35). Au début de la révolution de 1848. [^64]:  -- (36). Cf. lettre à la comtesse de Senfft, 8-6-34. [^65]:  -- (37). Données en feuilleton par George Sand. [^66]:  -- (38). Cf. mon ouvrage La Comtesse d'Agoult et son temps, tome I. [^67]:  -- (39). La seconde évidemment. Cf. lettre à Coriolis, du 21-8-35. [^68]:  -- (40). 26.3-34. [^69]:  -- (41). Lettre à Emmanuel d'Alzon du 28-5-34. [^70]:  -- (42). Lettre à Charles de Coux du 26-4-34. [^71]:  -- (43). Lettre à Mme d'Hautefeuille, 20-5-34. [^72]:  -- (44). Lettre à la comtesse de Senfft du 8-6-34. [^73]:  -- (45). Lettre du 28-4-34. Mgr d'Astros, archevêque de Bordeaux, bientôt cardi­nal, comptait parmi les principaux adversaires de Lamennais. [^74]:  -- (46). Lettre du 10-4-35. [^75]:  -- (47). Lettre à la comtesse de Senfft du 5-7-34. [^76]:  -- (48). Lettre à Ballanche du 6-12-38. [^77]:  -- (49). A Montalembert, 26-7-34. [^78]:  -- (50). A la comtesse de Senfft, 20-8-34. [^79]:  -- (51). A la comtesse de Senfft, 20.8-34. [^80]:  -- (52). A Benoît d'Azy, 7-11-34, à Charles de Coux, 4-2-35, à Montalembert, 22.8-35, etc. [^81]:  -- (53). 29-12-35. [^82]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 217 de novembre 1977. [^83]:  -- (2). ITINÉRAIRES, numéro 165 de juillet-août 1972. [^84]:  -- (3). ITINÉRAIRES, numéro 185 de juillet-août 1974. [^85]:  -- (1). Discours aux Australiens, le 30-11-1970. Cf. *Doc. Cath.,* 3-1-1971, n° 1577. [^86]:  -- (2). *Doc. Cath.,* 3-17 août 1969, n° 1515, p. 704. [^87]:  -- (3). *Doc. Cath.,* 20-12-1970, n° 1576, pp. 1I12 sq. [^88]:  -- (4). P*opulorum progressio,* n° 47. Lazare aura ainsi son paradis sur terre. Le riche également. [^89]:  -- (5). « Aujourd'hui », c'est-à-dire en 1971, avant « la grande crise », au moment où la baudruche milliariste où bon nombre de textes conciliaires se trouvaient enfermés, était gonflée jusqu'à l'explosion. [^90]:  -- (6). En la date du 25 août 1910, n° 42. [^91]:  -- (7). Discours aux Australiens, cf. note 1. [^92]:  -- (8). *Ibid.* [^93]:  -- (9). Le 20-1-1976 dans une conférence au Centre Saint-Louis des Français, cf. *Le Courrier de Rome,* 15-3-1976, n° 155. [^94]:  -- (10). Louis SALLERON, Quand Mgr Poupart parle du concile, dans *La Pensée catholique,* mai-juin 1978, n° 174, p. 83. [^95]:  -- (11). Préface à *Pour une catéchèse d'espérance* des abbés Gervaise et Rouet, Paris, 1978, texte cité par Dominique François dans son article : *Mgr Pézeril situe* « *Gaudium et Spes *»*,* de *La Pensée Catholique,* mai-juin 1978, n° I74, p. 82. [^96]:  -- (12). cf. même texte en Mc, 10, 45. *Parmi vous* oppose évidemment les Apôtres, c'est-à-dire l'Église, au pouvoir temporel qui régit les sociétés humaines. [^97]:  -- (13). Gen., 1, 26-31. [^98]:  -- (14). Où précisément l'homme exerçait sa domination sur la terre. [^99]:  -- (15). Gen, 3, 17, 18, 23. [^100]:  -- (16). Cf. R.M. WILGEN, *Le Rhin se jette dans le Tibre, Le concile inconnu,* Paris, Éd. du Cèdre, 1963, pp. 202 sq. [^101]:  -- (17). 1 Cor. 10, 26, Ps. 24, 1. [^102]:  -- (18). Job. 15, 5. [^103]:  -- (19). *Neuf :* qui vient d'être fait et n'a pas encore servi, qui n'a jamais été utilisé, qui apparaît pour la première fois. Il s'agit donc bien d'une nouvelle religion plus fondée sur « le culte de l'Homme » que sur « le culte de Dieu ». [^104]:  -- (20). Discours à la F.A.O., 19-11-1970. *Doc.* Cath., 7-12-1976, n° 1575, p. 1052. [^105]:  -- (21). Audience du 5-3-1969. *Doc.* Cath., 6-4-1969, n° 1537. [^106]:  -- (22). *Ibid., Appréciable :* assez considérable, important, notable, dont la valeur est essentielle, dont il faut faire grand cas. [^107]:  -- (23). Audience générale du 2-7-1969. *Doc.* Cath., 3-17 août 1969, n° 1545. [^108]:  -- (24). Congrès eucharistique de Pise, 25-6-1965. Cf. *Le Courrier de Rome,* 25-9-1971, n° 86, p. 4. [^109]:  -- (25). Discours de clôture du concile, 7-12-1965. [^110]:  -- (26). Gaudium et *Spes,* 23, 1. [^111]:  -- (27). Ibid., 25, 1. [^112]:  -- (28). Ibid., 26, 1 à 4. La citation de Marc 2, 27 est abusive, c'est le moins qu'on puisse en dire. Car le sabbat est une institution religieuse de l'Ancienne Loi. Il est le jour sacré de la semaine chez le peuple juif où le spirituel ne se distingue pas du temporel et pour qui le Royaume de Dieu est de ce monde. Le Christ n'abroge pas du reste le sabbat comme jour sacré : saint Luc (4, 16) nous dit qu'il assiste ce jour-là aux cérémonies de la Synagogue et qu'il y annonce l'Évangile. Dans la Nouvelle Alliance, le sabbat n'a enfin qu'une signification purement figurative. Le vrai sabbat sera désormais le jour de la Résurrection du Christ consacré exclusivement au surnaturel. [^113]:  -- (29). Cf. S. Théol., 1, qu. 29, 3, C. : « *Persona significat id quod est perfec­tissimum in tota natura, scilicet subsistens in rationali natura. *» [^114]:  -- (30). C'est la thèse même de Teilhard de Chardin dont les pères conciliaires furent pénétrés grâce à l'énorme battage publicitaire effectué autour de son nom lors de leurs assemblées et qui n'est plus aujourd'hui qu'une résurgence déjà oubliée de la gnose éternelle, cette fumeuse et verbale théosophie où l'imagination mythologique se donne libre cours, exactement comme si l'intelligence de ses adeptes était anesthésiée sous l'effet d'une drogue déréistique. [^115]:  -- (31). S. Théol., 1-2, qu. 90, a. 3, ad. 3. [^116]:  -- (32). *Ibid.,* 2-2, qu. 47, a. 11. ad. 3. [^117]:  -- (33). *Ibid.,* 1-2, qu. 90, a. 2, ad. 3. [^118]:  -- (34). *Ibid.,* 2.2, qu. 58, a. 9, ad. 3. C'est le seul endroit à notre connaissance où, à propos d'une question relative à la société, saint Thomas emploie le mot persona. Il précise que persona n'est pas pris ici au sens métaphysique (puisqu'il ajoute *in communitate*) mais au sens du langage courant. [^119]:  -- (35). *Ibid.,* 1-2, qu. 92, 1, ad. 3, cf. 2-2, qu. 47, 10, ad. 2. Cf. pour une vue plus détaillée du problème, notre ouvrage *De la Justice,* Paris, Éd. Dominique Martin Morin, 1974. Citons encore ce texte : « *L'homme tout entier -- donc la personne -- est ordonné comme à sa fin au tout que constitue la communauté dont il est une partie. *» *Totus homo ordinatur ad totum communitatem* (2-2, qu. 65, a. 1, c.). Cf. aussi Jean MADIRAN, *Le Principe de totalité,* Nouvelles Édi­tions Latines, Paris, 1963. [^120]:  -- (36). C'est le titre du chapitre II. Il s'agit ici de 27, 1. [^121]:  -- (37). *Gaudium et Spes,* 27, 1 où il s'agit de l'ordre naturel. [^122]:  -- (38). *S. Théol.,* 1, qu. 29, a. 3, « et ad. 3. [^123]:  -- (39). Son objet est sa fin et sa fin est le bien commun, lequel n'est pas une idée, mais un fait, une réalité qui peut être plus ou moins effective, sans jamais descendre en dessous d'un minimum de cohérence entre les membres de la société sous peine de voir celle-ci disparaître. [^124]:  -- (40). 26, 3. [^125]:  -- (41). 27, 2. -- On y remarquera l'ambiguïté du « nous ». Logiquement, d'après ce qui précède, ce sont « tous les hommes ». [^126]:  -- (42). 28, 3. Sans préciser s'il s'agit de l'ennemi privé (*inimicus*) et non de l'en­nemi public (*hostis*) comme l'Évangile le souligne dans son vocabulaire. [^127]:  -- (43). Radiomessage au Congrès des catholiques autrichiens à Vienne, 14-9-1952, *Acta Apost.* Sedis, XLIV (1952). [^128]:  -- (44). 29, 1. [^129]:  -- (45). S. Théol., 1-2, qu. 114, 1, c ; 2-2, qu. 57, 1, c etc. [^130]:  -- (46). 26, 1, Cf. 74, 1. [^131]:  -- (47). 75, 1 le déduit logiquement de 74, 1 qui reprend la définition de 26, 1 presque en même termes. [^132]:  -- (48). 25, 1. [^133]:  -- (49). 63, I. [^134]:  -- (50). L'expression *vie économico-sociale* renforcée par *toute* en est la preuve. [^135]:  -- (51). 33, 1 sq. et surtout 38, 1 et 39, 1, 2 et 3. On remarquera en 39, 2 la juxtaposition, après « l'ébauche du siècle à venir », de deux opinions contradic­toires : « la distinction soigneuse du progrès terrestre et de la croissance du Règne du Christ », d'une part, et, de l'autre, « l'importance considérable que ce progrès a pour le Royaume de Dieu dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine ». « L'ébauche » ne peut être soigneusement distinguée du tableau achevé, parfois même elle lui est supérieure. C'est toujours sur la confusion qu'en dépit des antinomies qu'elle provoque, on a voulu jouer au concile pour se rapprocher *pastoralement* du monde moderne. [^136]:  -- (52). Cf. aussi le beau livre de Claude POLIN, *L'Esprit totalitaire,* Paris, 1978, où cette thèse -- que tous les faits corroborent -- est brillamment démontrée par le raisonnement. [^137]:  -- (53). Comme si la société pouvait être mise sur le même pied que les choses et devenir malléable à souhait à son tour ! [^138]:  -- (54). 35, 1. [^139]:  -- (55). ibid. [^140]:  -- (56). 35, 2. Cf. 34, 3. [^141]:  -- (57). S. Théol., 2-2, qu. 66, a. 1, c. [^142]:  -- (58). *Contra Gentes,* 1.3, c. 36, cf. également c. 17. [^143]:  -- (59). C'est grâce au travail de l'homme que « se constitue peu à peu une famille humaine et une communauté une au sein de l'univers » (33, 1). Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. [^144]:  -- (60). n. 64 : Le développement économique au service de l'homme. \[manque l'appel de note dans l'original.\] [^145]:  -- (61). 59, 1. [^146]:  -- (62). 73, 1 sq. [^147]:  -- (63). 75, 1. [^148]:  -- (64). 75, 5. [^149]:  -- (65). 55. [^150]:  -- (66). *Ibid*. [^151]:  -- (67). 77, 1. [^152]:  -- (68). Le parasite dépense beaucoup d'énergie pour vivre aux dépens d'autrui : il suffit d'en observer quelques spécimens. [^153]:  -- (69). 84, 3 et sur la guerre 79, 82. [^154]:  -- (70). 83. [^155]:  -- (71). 81, 1. [^156]:  -- (72). 84, 1. [^157]:  -- (73). 86, 7 d. « Cela suppose une *autre mentalité* que nous pouvons également qualifier de nouvelle », profère Paul VI le 5-3-1969. *Doc. Cath.,* 6-4-1969, n° 1537. [^158]:  -- (74). Toujours d'autant mieux établi que la communauté politique est moins vaste. D'où la nécessité d'une pyramide dont de multiples sociétés sous-jacentes forment la base, et la patrie (mot absent de *Gaudium et Spes*) le sommet. [^159]:  -- (75). Et qui peut être, qui est, *momentanément,* bienfaisant pour les individus de plus en plus nombreux qu'elle réunit ; mais sa fin étant le bien particulier périssable, elle est toujours enchaînée à la satisfaction du moment présent. [^160]:  -- (76). On ne consomme pas dans le passé, on ne consomme pas dans l'avenir, c'est trop clair : on consomme *ici et maintenant* parce qu'il faut entretenir l'exis­tence individuelle en chaque instant. [^161]:  -- (77). 41, 1. [^162]:  -- (78). 42, 2. [^163]:  -- (79). Lequel, encore une fois, ne se révèle que dans l'ordre économique et dans « une société » composée d'individus lancés uniquement à la recherche de leur bien (matériel) particulier. Les « droits de l'homme » sont les droits du Moi, os­tensibles ou camouflés. [^164]:  -- (80). 42, 3. Partout ? Demandons : Où ? [^165]:  -- (81). Cf. *Doc. cath.,* 3.1.1971, n^os^ 1577 ; 17.11.1974, n° 1664 ; 7.3.1976, n° 1693, etc. [^166]:  -- (82). 44, 3. [^167]:  -- (83). *Lumen Gentium*, ch. VII, n. 48. [^168]:  -- (84). 22, 1-5. [^169]:  -- (85). Gal. 2, 20. [^170]:  -- (86). 40, 1. [^171]:  -- (87). Cf. notre *Troisième note sur la pastorale,* ITINÉRAIRES, numéro 224 de juin. 1978. [^172]:  -- (88). C'est pourquoi nous devons avoir le péché en horreur car, selon la for­mule incomparable d'un Père de l'Église, « il nous sépare de nous-même et des autres », répétant ainsi en nous le péché originel et nous privant de la grâce sanctifiante. [^173]:  -- (89). *Les deux démocraties,* Paris, 1971. [^174]:  -- (90). 1 Jh. 5, 21. Et surtout de l'idole que les théologiens catholiques modernis­tes adorent -- ou font semblant d'adorer parce qu'elle n'est que leur Moi -- sous le nom de Dieu. Entre l'homme totalitaire et ce théologien -- dont le type est selon nous Paul VI ! --, il y *a identité.* Leur amour de l'humanité, de l'unité de l'humanité, de la personne humaine, est l'alibi de leur inhumanité. Voyez la cruauté de Paul VI et de ses séides vis-à-vis de Mgr Lefebvre. *Homo homini lupus, medicus medico lupior, clericus clerico lupissimus*. Quiconque ne lutte pas pour la personne humaine refuse de lutter pour tous les hommes, pour toute l'hu­manité. Il est au ban de l'humanité. Il est un criminel en droit et en fait. [^175]:  -- (1). *Le tombeau d'Aldo Moro,* ITINÉRAIRES, n° 225, juillet-août 1978. [^176]:  -- (1). Toutefois Montini ne fut jamais « secrétaire d'État » ; il en exerça en partie les attributions (d'ailleurs mal définies) avec le titre de « substitut » puis de « pro-secrétaire d'État ». (Note d'ITINÉRAIRES.) [^177]:  -- (1). Publié à Paris ; nouvelle adresse : 43, rue Lafayette, Paris IXI.