# 237-11-79 II:237 ON NOUS DEMANDE : Votre action intellectuelle est-elle donc principalement politique ou principalement religieuse ? NOUS RÉPONDONS : Elle est politique en politique, reli­gieuse en religion, à notre manière, c'est-à-dire comme peut et doit le faire une publi­cation de doctrine, de réflexion, de culture intellectuelle et morale, -- et non comme une feuille de petits échos, racontars, ru­meurs, agitations et affabulations. NOUS FAISONS REMARQUER : Dans le monde actuel, le principal obs­tacle à une juste politique n'est pas un obstacle purement politique. C'est un obstacle religieux. C'est la religion moderne, c'est la démo­cratie religieuse. L'obstacle se situe dans les mentalités que crée cette religion ; et dans les oligarchies et les institutions qu'elle anime. 1:237 ## ÉDITORIAUX ### Soljénitsyne, quelle famille ? SOMMAIRE -- Récit préliminaire. -- Observation I sur le socialisme. -- Observation II sur l'humanisme. -- Observation III sur le pire ennemi. -- Observation annexe sur une catégorie de victimes. -- Observation IV sur les droits de l'homme. -- Observation finale : où est le débat ? #### Récit préliminaire. Nous avions voulu donner à nos lecteurs non pas seu­lement quelques commentaires sur le discours prononcé le 8 juin 1978 à Harvard par Alexandre Soljénitsyne : nous avions voulu leur donner le texte lui-même. Nous l'avions lu dans *L'Express,* numéro 1406 tiré à 650.000 exemplaires, paru le 19 juin, quelle rapidité de traduction, c'était déjà le « texte intégral », encore qu'amputé on ne sait pourquoi des trois premiers alinéas ; traduction Ge­neviève et José Johannet. 2:237 *L'Express* déclarait avoir pu procéder à une telle publication « grâce à Claude Durand, agent mondial d'Alexandre Soljénitsyne » ; il spécifiait que cette publication, « tous droits réservés », était faite « en exclusivité ». Pour obtenir ou acheter les droits de reproduction, nous écrivons donc à *L'Express.* Réponse : « C'est Monsieur Claude Durand qui est habilité à donner l'autorisation de reproduire ce texte et d'en fixer les droits éventuels. » Nous écrivons à M. Claude Durand. Il est effectivement, d'après son papier à lettres, « représentant littéraire de M. Alexandre I. Soljénitsyne c/o YMCA PRESS, 11, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, 75005 Paris ». Il nous répond à son tour : « Je ne puis malheu­reusement répondre directement (?) à votre demande puis­que les droits d'édition et de reproduction dans la presse viennent d'être cédés aux éditions du Seuil auxquelles vous devriez vous adresser. » Nous nous adressons donc. Le directeur des Éditions du Seuil, M. Paul Flamand, répond en personne le 27 septembre 1978 : « Nous ne pouvons pas donner suite à votre demande puisque le texte en question de M. Soljénitsyne va être publié ces jours-ci en volume. » -- « Ces jours-ci » était une forte exagé­ration. Du moins le directeur des Éditions du Seuil est-il très clair : c'est non, il ne veut pas que le texte de Soljé­nitsyne paraisse dans ITINÉRAIRES. Je craignais qu'il ne fixe des droits exorbitants. Pour Soljénitsyne nous étions prêts à tous les sacrifices ; mais nos moyens ne sont pas illimités. La question ne s'est même pas posée. M. Paul Flamand préparait un livre, qu'en 1979 nous avons finale­ment trouvé en librairie ([^1]). La concurrence commerciale que lui faisaient par avance les 650.000 exemplaires de *L'Express* était négligeable. Mais la concurrence commerciale de la revue ITINÉRAIRES n'était pas supportable. M. Flamand pense sans doute que nous tirons à six millions d'exemplaires. 3:237 C'est ainsi que les textes de Soljénitsyne sont em­pêchés de parvenir directement aux esprits qui appar­tiennent à la même famille spirituelle. Car la famille spi­rituelle de Soljénitsyne, ce n'est pas Jean-François Revel et Jimmy Goldsmith, directeurs de *L'Express ;* ce n'est pas non plus Jean Daniel et Claude Perdriel, directeurs du *Nouvel Observateur,* qui de leur côté ont eu le privilège de publier l'autre « avertissement », comme il dit, de Sol­jénitsyne à l'Occident : l'interview qu'il a donnée en février 1979, pour le cinquième anniversaire de son ex­pulsion de Russie, à son compatriote Janis Sapiets. La presse française n'en a cité que quelques membres de phrase, de préférence désarticulés, notamment celui qui dit que le pape Jean-Paul II est un « don de Dieu », celui-ci mécaniquement reproduit à satiété par les apologis­tes ([^2]). 4:237 Je n'ai vu nulle part une version française intégrale de cette interview, sauf dans le *Nouvel Observateur,* nu­méro 749 du 19 mars dernier : « propos recueillis par Janis Sapiets, traduits du russe par G. et J. Johannet, copyright Alexandre Soljénitsyne 1979 » ([^3]). Je n'ai pas cherché cette fois à obtenir l'autorisation d'acheter les droits de reproduire le texte en son entier. Ma tentative précédente m'avait suffisamment instruit. Je serais retombé sur ces bons messieurs Flamand et Durand, ou sur des négociants et intermédiaires analogues. Par eux la propriété littéraire de Soljénitsyne est bien gardée, farouchement réservée, subtilement utilisée. Je n'entreprendrai pas de leur dis­puter un tel privilège, n'ayant aucune chance d'y réussir par mes propres moyens. Mais je constate et je fais cons­tater que dans l'édition et la presse françaises Soljénitsyne est monopolisé en dehors de sa famille ; car enfin sa fa­mille spirituelle ce n'est pas Goldsmith et Daniel, Perdriel et Revel ; ce n'est pas les Éditions du Seuil ; ce n'est pas la gauche récriminante et autodestructrice. Mais bien plu­tôt le catholicisme traditionnel, bénédictin, monacal, gré­gorien : et si ce n'est pas tout à fait sa famille, c'est en tout cas celle qui en France est la moins éloignée de lui. Si cette parenté était une bonne fois reconnue, on n'enten­drait plus parler de Soljénitsyne ; ou l'on n'en entendrait plus parler que dans ITINÉRAIRES ; pour la raison que Soljénitsyne lui-même a dite, concernant la presse, « j'em­ploie le mot presse pour désigner tous les mass me­dia » ([^4]) : « Si on prend la presse occidentale dans son en­semble, on y observe des sympathies dirigées en gros du même côté (celui où souffle le vent du siècle), des jugements maintenus dans certaines limites ac­ceptées par tous, peut-être aussi des intérêts corpo­ratifs communs -- et tout cela a pour résultat non pas une concurrence, mais une certaine unification (...). 5:237 Une opinion ne sera présentée avec un peu de relief et de résonance que si elle n'est pas trop en contradiction avec les idées propres du journal et avec cette tendance générale de la presse. « L'Occident, qui ne possède pas de censure, opère pourtant une sélection pointilleuse en séparant les idées à la mode de celles qui ne le sont pas -- et bien que ces dernières ne tombent sous le coup d'aucune interdiction, elles ne peuvent s'exprimer vrai­ment ni dans la presse périodique, ni par le livre, ni par l'enseignement universitaire. » Soljénitsyne lui-même est l'exception ? Non pas. Plus qu'une exception, c'est un quiproquo. Si le monde culturel occidental avait compris d'emblée que lui arrivait en sa personne un traditionaliste russe, un intégriste russe orthodoxe, on aurait éteint aussitôt les projecteurs. Mais il y eut le malentendu initial. Venant d'URSS, Soljénitsyne ne pouvait pas être autre chose qu'un marxiste repenti et amélioré, un socialiste à visage hu­main : Jean Daniel et le *Nouvel Observateur* l'ont en substance accueilli comme tel, par un manque d'imagi­nation qui fut aussi celui du Nobel. Comment concevoir que le héros de la résistance en URSS, le héros d'une résis­tance forcément supposée démocratique et libéral-socia­liste, était en réalité le poète et le docteur d'une spiritualité réactionnaire ? Quand lui-même le disait on ne le croyait pas, on ne l'entendait pas, comme on a vu Daniel et d'Or­messon physiquement ne pas entendre, nous l'avons ra­conté, ce que Soljénitsyne leur disait le 11 avril 1975 à la télévision ([^5]). Le monde culturel installé n'arrive pas à réaliser que Soljénitsyne est de la même famille spiri­tuelle, ou à peu près (la différence vient seulement de ce qu'il est de tradition russe et non de tradition occiden­tale), -- de la même famille spirituelle que le P. Emma­nuel, qu'Henri Charlier, que Gustave Corçâo, qu'André Charlier, qu'Henri Pourrat, que Luce Quenette, que Ber­nard Bouts, que Marcel De Corte, que Jacques Perret, que Dom Gérard : mais comme cette famille spirituelle-là est bien inconnue du monde culturel installé, on comprend qu'il ne sache pas où et comment situer Soljénitsyne. 6:237 Soljénitsyne, c'est Krouchtchev qui l'a mondialement lancé en 1962. Une erreur de Krouchtchev, si l'on veut ; mais c'est bien Krouchtchev qui autorise, qui ordonne, qui exalte la publication d'*Une journée d'Ivan Dénissovitch.* Édition française en mars 1963 chez Julliard. Les com­munistes du monde entier, comme à Paris ceux de l'heb­domadaire communiste *Les Lettres françaises,* proclament « l'apparition d'un génie dans la lignée de la plus grande littérature russe ». Les difficultés de Soljénitsyne avec l'officielle Union des écrivains soviétiques ne deviennent sérieuses que vers 1966 ; il n'en est exclu qu'en novembre 1969 : à ce moment Aragon, Picasso, Garaudy, Sartre pro­testent contre cette exclusion, et *Les Lettres françaises* publient leur protestation. L'affaire du prix Nobel ne sur­vient qu'en octobre 1970 ; la première édition russe de l'*Archipel du Goulag,* tome I, ne paraît qu'en décembre 1973 à Paris. La grande presse démocratique internatio­nale a donc pendant des années tenu Soljénitsyne pour un communiste officiel puis pour un communiste dissident (à visage démocratiquement humain) : à l'égard d'un personnage ainsi étiqueté, garanti, cautionné, il ne pouvait y avoir ni méfiance ni censure. Il a fallu dix ans aux maîtres des media pour s'aper­cevoir (si même ils s'en sont bien aperçus) qu'ils auraient dû d'emblée traiter Soljénitsyne comme ils ont traité Maurras, les Charlier, Mgr Lefebvre. Il était trop tard pour organiser le silence ; il était bien tard pour lui fabriquer une réputation de raciste médiéval et nazi. Une telle répu­tation, un tel silence auraient suffi pour détourner à tout jamais tous les Jean Daniel de discerner en Soljénitsyne « un homme immense » ([^6]). 7:237 Mais la réputation n'était pas faite, le silence n'était pas installé, un ou deux Jean Daniel avaient eu pendant des années la *permission* in­tellectuelle de s'attacher à Soljénitsyne d'un attachement en partie aveugle et fondé sur un quiproquo, mais c'était un attachement sincère et profond, avec une admiration véritable. Quand le terrorisme intellectuel manipulé par les communistes a voulu supprimer la *permission,* il y a mal réussi. Le mérite de Jean Daniel, qui ne lui sera point ôté, est d'avoir contribué à l'empêcher d'y réussir. Mais quel drôle de corps ce Jean Daniel. Il tire fierté, encore en 1979, d'avoir au mois de janvier 1974 décidé que son antistalinisme allait « *devenir de plus en plus vigilant et militant *»* :* vingt ans après la mort de Staline, il était bien temps ([^7]). Il ne renonce pas à contempler avec mélancolie « le stalinisme dans son aspect le plus noble », car le stalinisme a « un aspect noble », c'est sans doute ce qui le distingue à ses yeux du fascisme ([^8]). Il voit bien que Soljénitsyne lui crée des difficultés ; pas seule­ment extérieures ; des difficultés de conscience. Le « com­bat anti-totalitaire » pour Jean Daniel est essentiellement contre le fachisme assassin, contre le cléricalisme inqui­sitorial, contre le militarisme tortionnaire, contre la ré­pression sexuelle ; il n'est que subsidiairement contre le communisme, dans la mesure où il arrive quelquefois au communisme de devenir un peu « fascisant », selon le mot débile et célèbre du penseur Poniatowski ([^9]). L'anti­communisme de Soljénitsyne risque de « verser dans le soutien indirect au fascisme ou à l'impérialisme » : on aurait dit en effet que « peu lui importait qu'on pût souf­frir dans l'univers sous une autre oppression que celle du communisme ». Jean Daniel présente pudiquement ces hérésies comme le fait pour Soljénitsyne d'avoir « multi­plié les déclarations en tous sens », c'est-à-dire à tort et à travers. L'inquiétant est alors que Soljénitsyne se trouve ainsi « en danger de récupération par nos pires enne­mis » ([^10]), voilà le point essentiel, et c'est pour interdire une telle récupération que Jean Daniel poursuivra son combat en faveur de l' « homme immense ». 8:237 Pourtant quelque chose demeure obscur, c'est l'iden­tité exacte des *pires ennemis*. On comprend qu'en tout cas ce ne sont pas les communistes : en quoi Jean Daniel se sépare ici de Soljénitsyne par une différence qui n'est pas simplement anecdotique ou secondaire, j'y reviendrai. Ce ne sont pas les hitlériens : il n'y en a plus ; ou si l'on tient absolument à en dénicher en France quelques-uns, de toutes façons ils ne sont pas en mesure, ici et mainte­nant, de « récupérer » Soljénitsyne. Ce ne sont pas non plus les « feuilles d'extrême-droite », il les tient pour parfaitement négligeables, il n'a pour elles qu' « indiffé­rence » ([^11]). Alors on se demande quels peuvent bien être ces pires ennemis, plus féroces que les communistes, aux­quels Jean Daniel veut arracher Soljénitsyne ; on n'aper­çoit en définitive que le redoutable Jean d'Ormesson. Que voulez-vous, il faut ce qu'il faut. Et ce qu'il faut par-dessus tout, c'est que les communistes ne soient pas, jamais, en aucun cas, les pires ennemis. \*\*\* Je ne suis pas sûr qu'il y ait eu un profond machia­vélisme dans le refus de nous vendre à nous aussi les droits de reproduction du discours d'Harvard ; je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un dessein en règle de dissimuler au public français les véritables parentés spirituelles de Soljénitsyne. Pour vouloir cacher ces parentés, il faudrait connaître leur existence, leur consistance, leur profondeur. Or justement, on ne les connaît pas, pas plus qu'on n'a saisi la portée véritable de la pensée de Soljénitsyne. Même Jean Daniel, qui est là-dessus, parmi les hommes de gauche en situation, le mieux averti et le plus sensible, ne semble pas en savoir grand chose. Quant à ceux qui ont la charge de vendre les droits de Soljénitsyne, je crois qu'ils n'y comprennent rien. 9:237 Ils sont sans doute de bons marchands de papier ; j'ignore jusqu'à quel point ils savent lire. Les uns et les autres en tout cas, les intellectuels et les négo­ciants, tout se passe comme s'il ne leur était venu à l'esprit aucune des observations que voici. #### Observation I sur le socialisme Dans un monde occidental où même les libéraux de­viennent socialistes, et où ceux qui ne le sont pas encore en fait croient juste, honnête, loyal de rendre théorique­ment hommage au soi-disant idéal généreux du socialisme, on n'entend pas Soljénitsyne, ou bien croit-on obligatoire de feindre qu'on ne l'entend pas, je n'en sais rien, on n'entend pas Soljénitsyne préciser qu'il est absolument contre tout socialisme et contre toutes les nuances du socialisme, il n'y a pas de bons et de mauvais socialismes, c'est le socialisme en lui-même qui est abominable et qui demeure abominable sous toutes ses formes : « Tout socia­lisme, en général comme dans toutes ses nuances, aboutit à l'anéantissement universel de l'essence spirituelle de l'homme et au nivellement de l'humanité dans la mort » ([^12]). Là-dessus Soljénitsyne pense exactement com­me Chafarévitch, dont *Le phénomène socialiste* a été lui aussi publié au Seuil, en 1977, « et personne encore n'a rien trouvé à lui répliquer » ([^13]). Néanmoins socialistes libéraux et libéraux-socialistes en parlent comme s'ils n'avaient pas entendu ce qu'on leur dit, ils déclarent que Soljénitsyne est génialement intéressant, et Chafarévitch aussi, ils s'assurent le monopole commercial de leurs textes, non pour les retirer de la circulation, mais pour les faire circuler. En silence. Sans émotion, sans conster­nation. Et sans en tirer aucune conclusion. 10:237 Qui donc, avant Chafarévitch, avant Soljénitsyne, qui donc en Occident parlait ainsi du socialisme ? Personne. Ni les libéraux, toujours en train de passer au socialisme ; ni les fascistes, toujours rêvant d'être des nationaux-socia­listes ou des euro-socialistes plus socialistes que les socia­listes. Personne sauf l'Église, dont la doctrine sociale condamnait et rejetait toutes les formes existantes ou ima­ginables de socialisme, y compris le socialisme libéral et le socialisme modéré, comme on peut le lire chez Léon XIII, chez Pie XI, chez Pie XII et même encore en 1961 dans l'encyclique *Mater et Magistra* de Jean XXIII. Per­sonne donc sauf l'Église traditionnelle, et Charles Maurras une fois de plus d'accord, comme (presque) toujours, avec la tradition de l'Église. C'est seulement chez les traditio­nalistes, chez les intégristes, chez les maurrassiens que l'on trouve sur le socialisme une position aussi clairement catégorique, aussi nettement motivée, aussi définitivement décidée que celle de Soljénitsyne : #### Observation II sur l'humanisme De même pour l'humanisme. Soljénitsyne ne condamne pas seulement un « faux » humanisme ou « certaines » formes de l'humanisme, il condamne l'humanisme en lui-même. C'est la grande différence qui sépare Soljénitsyne de Jean Daniel et d'Étienne Borne, comme aussi de Jean d'Ormesson, et de toutes les tendances de l'intelligentsia installée, mais aucune ne lui donne acte de cette différence ; de cette opposition. Ils n'en soufflent mot, comme s'ils n'y avaient pas fait attention, ou que ce fût là une : parti­cularité folklorique sans importance. 11:237 Sans importance, ce que Soljénitsyne désigne comme la cause principale de la décomposition actuelle de l'Occident ? L'humanisme « pro­clame et réalise l'autonomie humaine par rapport à toute force placée au-dessus de lui », il est la conception du monde qui considère « l'homme comme centre de ce qui existe » ([^14]) : c'est parler comme Maurras rappelant que « n'étant pas seul au monde, tu ne fais pas la loi du monde, ni seulement ta propre loi », c'est parler comme Corçâo stigmatisant l' « anthropo-ex-centrisme ». Soljénit­syne observe que l'humanisme « a entièrement perdu son héritage chrétien » ([^15]). Il paraissait à peu près acceptable au début de sa carrière historique, il était alors enrichi et corrigé par quelque chose qui lui était étranger mais avec quoi il n'avait pas rompu : « l'héritage du millénaire précédent ». Mais par la suite il s'est « définitivement libéré de l'héritage des siècles chrétiens avec leurs im­menses réserves de pitié et de sacrifice » ([^16]). Sa tendance est de faire de l'homme « la mesure de toutes choses », en vertu d'une « conscience humaine anti-religieuse » ([^17]). Comme Soljénitsyne nous rejetons radicalement l'huma­nisme. Nous disons pour notre part : le christianisme jus­qu'à la fin du Moyen Age n'était pas humaniste ; l'huma­nisme de la Renaissance n'était pas chrétien ; il y eut pourtant au XVI^e^ siècle un humanisme chrétien, mais par simple juxtaposition de l'humanisme nouveau avec un héritage chrétien qui ne fut pas du premier coup entiè­rement dilapidé. François I^er^, Rabelais, Ronsard, Montaigne, oui, cela fait illusion, mais l'assemblage était incohérent. Comme la contradiction dans les termes de Maritain, prô­nant un « humanisme théocentrique » ([^18]). Étienne Borne espère-t-il masquer la contradiction en disant : « huma­nisme christocentrique » ([^19]) ? 12:237 Que Jésus-Christ soit à la fois vrai Dieu et vrai homme, il ne s'ensuit pas qu'un véritable humanisme puisse être en même temps un véri­table christianisme. L'Homme-Dieu déclare à son Père et nous enseigne à déclarer comme lui : « Que votre volonté soit faite et non la mienne » ([^20]). *Fiat voluntas tua* ([^21]). Cette parole est le contraire et l'anéantissement de tout humanisme. #### Observation III sur le pire ennemi Le communisme est «* un ennemi bien pire et autrement plus puissant *» que Hitler. Discernement nécessaire, décisif, que Soljénitsyne a rappelé encore une fois dans son dis­cours d'Harvard ([^22]). Toute l'éducation politique et morale de l'Occident, tout son conformisme culturel, tout son appareil juridique et institutionnel ont été machinés en sens contraire depuis 1945 : il y a un « plus grand crime de l'histoire », mais ce n'est pas celui du communisme lénino-stalinien, c'est celui qui a été commis par Hitler contre les juifs ; le racisme nazi est le pire indépassable, inégalable ; d'ailleurs le racisme est, en France, la seule opinion qui soit interdite et réprimée par la loi ; comme est interdite et réprimée par la loi toute apologie des crimes de guerre, à condition qu'il s'agisse des crimes de guerre nazis ; l'apologie des crimes de guerre communistes a parfaitement droit de cité. On comprend que la seule parole de Soljénitsyne ne puisse arracher d'un seul coup à cet énorme conformisme l'intelligentsia au pouvoir, dans les media et l'enseignement. Mais on pourrait au moins lui donner acte de ce qui est sa position et on ne le fait point. 13:237 Ni Borne, ni d'Ormesson, ni Jean Daniel, ni per­sonne de la grande presse écrite ou télévisée, pas même André Frossard, ne veut avouer au public qu'il existe un auteur sérieux, tant estimé par ailleurs, un « homme im­mense », pour affirmer gravement que le communisme est pire, et même « bien pire » que le nazisme. A la rigueur il est toléré d'insinuer à la sauvette, en incidente, sans insister, que Staline et Hitler sont à peu près aussi épou­vantables l'un que l'autre ; ou que l'on condamne impar­tialement « tous » les totalitarismes, « de gauche comme de droite » : mais en ce cas il est recommandé de glisser sans appuyer et de rapidement parler d'autre chose ; sinon vous serez chassé de partout et jusqu'à votre mort accusé d'avoir voulu « innocenter » et « réhabiliter » ou au moins « banaliser » les crimes de guerre hitlériens. Accu­sation : qui est de fabrication communiste, utilisée déjà en URSS contre Soljénitsyne, et que les libéraux-socia­listes emploient en France comme leur principal système de gouvernement intellectuel : en quoi ils sont les auxi­liaires et les complices du terrorisme intellectuel des com­munistes. La tactique communiste ferait en effet n'importe quoi pour effacer la parole de l'Église qui résonne encore dans les mémoires bien que l'Église elle-même la taise depuis la mort de Pie XII en 1958 : « Le communisme est in­trinsèquement pervers ». La tactique communiste ferait n'importe quoi pour atteindre cet objectif prioritaire : que pour nos consciences le pire soit autre chose que le communisme. Car croire que *le pire est autre chose que le communisme*, c'est, à la longue, l'unique condition nécessaire et suffisante de sa domination. Manœuvrant et mobilisant ici le compréhensible ressentiment juif au service de son terrorisme intellectuel, la tactique commu­niste a imposé à la manière d'un dogme le massacre des juifs par Hitler comme le plus grand crime de l'histoire : le mettre en question, demander si les victimes de l'hitlé­risme étaient donc seulement des juifs, ou si les juifs n'ont pas été persécutés au moins autant par Staline, c'est oser une interrogation qui est tenue pour un blasphème into­lérable ; 14:237 c'est manifester un mauvais esprit qui est interdit de séjour dans la presse, l'édition, l'université, la télévision. Et c'est ainsi que l'Occident est trompé sur son ennemi principal. Son opinion publique est mobilisée tour à tour ou pêle-mêle contre le Sud-Vietnam (jusqu'à ce qu'il ait succombé à l'impérialisme communiste), contre le chah d'Iran, contre le Chili, contre l'Afrique du Sud, contre la Rhodésie ; contre la renaissance du fascisme, contre la survivance du racisme, contre l'intégrisme religieux, contre la répression sexuelle ; elle est ainsi détournée, cette opi­nion captive, de faire attention aux entreprises de son véritable ennemi. Ici encore, la famille spirituelle la plus proche de Sol­jénitsyne, c'est bien la nôtre. Nous disons que le plus grand crime de l'histoire con­temporaine n'est pas celui commis il y a trente-cinq ans par l'hitlérisme contre les juifs (et les chrétiens), mais celui commis en permanence depuis soixante ans par le communisme contre les chrétiens (et les juifs). Nous disons avec la doctrine sociale du catholicisme traditionnel que c'est le communisme qui est « intrinsèquement pervers » et que le premier œcuménisme véritable serait celui de l'alliance temporelle de toutes les croyances et de toutes les incroyances contre le communisme, alliance conclue sur la base de la loi naturelle, comme dès 1937 l'encyclique *Divini Redemptoris* de Pie XI y convoquait le monde en­tier. A la place de quoi l'Occident pratique un œcuménisme anti-fasciste et pro-communiste, judéo-maçonnique et post-conciliaire, libéral-socialiste et humaniste. Ce monde occidental, passablement affreux, n'est pourtant pas aussi affreux que le communisme : mais il y conduit. C'est ce que dit Soljénitsyne. C'est ce que nous disons. Mais nous disons aussi, comme lui, que « pour se dé­fendre il faut être prêt à mourir » ([^23]). Si l'Occident ne *veut* pas voir qu'il y aurait lieu de se défendre contre le communisme, c'est qu'il n'est plus « motivé » pour aucun combat, pour aucun sacrifice. 15:237 Sur *l'esprit de jouissance qui détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié,* le seul homme d'État qui en substance nous ait une fois parlé exactement comme Soljénitsyne, je vous le dis et au de­meurant vous le savez bien, c'est le maréchal Pétain. Continuez à bien le cacher, cela pourrait donner à penser. #### Observation annexe sur une catégorie de victimes Le temps qui passe, la méditation du passé, l'expérience vécue et analysée n'améliorent pas Jean Daniel au-delà de certaines limites finalement assez étroites. Encore en 1979, cinq ans après, il cite avec une intense jubilation cérébrale, « un court texte, à peine une page, mais qui s'installait dans l'irréversible », un texte de *Glucksmann* qu'il avait publié dans le *Nouvel Observateur* du 4 mars 1974 et qui accomplissait un pas décisif vers « une grande révision de nos idées reçues » ([^24]). Le point de départ de cette révolution intellectuelle était d'avoir discerné la vraie *différence fondamentale* entre les camps soviétiques et les camps nazis : « Quelle différence entre les camps soviétiques et les camps nazis ? Pas le nombre des morts ([^25]). Fon­damentalement celle-ci : dans l'empire soviétique, le bourreau et la victime, l'occupant et l'occupé, le tor­tionnaire et le torturé parlent au départ la même langue marxiste. 16:237 Face aux gardiens nazis, les com­munistes authentiques s'entendaient immédiatement entre eux pour résister ; en URSS ils entendaient trop bien leurs bourreaux : la complicité théorique avec le persécuteur brisait la communauté des per­sécutés. » Il est tout de même probable que Jean Daniel et André Glucksmann ne l'ignorent pas tout à fait : les victimes des camps nazis et soviétiques n'étaient pas seulement des communistes, pas seulement des marxistes ; marxistes, communistes n'y étaient même pas les plus nombreux. Et néanmoins eux seuls comptent. Les victimes non marxis­tes ne comptent pas. Du moins, elles ne comptent pas quand on se met à penser, quand on médite le fondamen­tal. Ce qui distingue « fondamentalement » les camps soviétiques des camps nazis, c'est la situation idéologique différente des marxistes dans les uns et dans les autres ! Les autres victimes, je ne dis pas qu'on ne les prenne jamais en considération ; mais la pente habituelle est de ne pas s'y arrêter, les supposant une fois pour toutes dans la catégorie de ceux qui l'avaient bien cherché et qui l'avaient bien mérité, les éternels aristocrates et curés, capitalistes et impérialistes, exploiteurs et privilégiés, n'avons-nous pas l'habitude en France depuis bientôt deux siècles de glorifier les révolutions sans leur reprocher l'exé­cution des Louis XVI et des Marie-Antoinette, des Lavoi­sier et des André Chénier, des Bassompierre et des Bra­sillach, et du menu peuple anonyme qui les suivit jusqu'à la guillotine ou jusqu'au poteau ? Ce ne sont pas des victimes, ce sont des coupables : ce sont des gens « de droite ». 17:237 #### Observation IV sur les droits de l'homme La Déclaration des droits, l'américaine et la française du XVII^e^ siècle, l'universelle de l'ONU au XX^e^ siècle, est partout révérée aujourd'hui comme la loi principale ou unique des hommes en société. A Moscou dans les trois successives constitutions soviétiques, au Vatican depuis l'encyclique *Pacem in terris* de Jean XXIII en 1963 ([^26]), dans tout l'univers de la démocratie occidentale ou orien­tale, libérale ou socialiste, l'accord théorique sur la sou­veraineté des droits de l'homme est explicitement proclamé. C'est la religion commune de ce siècle irréligieux. Seule dissidente, notre famille spirituelle. Et Soljénitsyne. Tandis que la revendication ininterrompue des droits de l'homme est installée maintenant au centre de tout discours politique ou moral, et même de trop d'encycliques pontificales, Soljénitsyne objecte que le « mouvement démo­cratique pour la défense des droits de l'homme... laisse voir son insuffisance d'idées » ([^27]), et que « le moment est venu pour l'Occident de ne plus tant affirmer les droits des gens que leurs devoirs » ([^28]). 18:237 Ce qui manque le plus à l'homme occidental du XX^e^ siècle, ce n'est pas le respect de ses droits fondamentaux ; ce qui lui manque le plus \[et c'est ici l'un des propos les plus profonds de Soljénitsyne\] c'est au contraire de « *limiter lui-même ses exigences et de renoncer à ce qui lui revient de droit *»*.* Renoncer à ce qui revient de droit, c'est en d'autres termes « consentir un sacrifice » : l'esprit de sacrifice, ou « auto­limitation librement consentie » ([^29]), ne peut trouver sa source dans aucune déclaration ou revendication de droits. « Le droit est trop froid et trop formel pour exercer sur la société une influence bénéfique » ([^30]). « En fin de compte, l'Occident a défendu avec succès, et même sura­bondamment, les droits de l'homme, mais l'homme a vu complètement s'étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et \[par suite aussi devant\] la société » ([^31]). J'ai traité ailleurs dans son ensemble la question des droits de l'homme ([^32]), je veux seulement observer ici l'extrême réserve de Soljénitsyne à l'égard des sociétés fondées uniquement sur ces droits. Il leur préfère les sociétés antérieures, pour l'Occident « l'héritage des siècles chrétiens » qui est celui du « millénaire » ayant précédé la prétendue Renaissance du XVI^e^ siècle ([^33]) ; pour la Russie, « il n'est pas possible que les mille cent ans durant lesquels notre peuple a existé sous une forme propre -- que nous n'avons pas encore appris à connaître -- ne pèsent pas plus lourd que les soixante ans au cours desquels les communistes se sont déchaînés » ([^34]). 19:237 -- Sol­jénitsyne irait donc, c'est affreux, jusqu'à préférer le tsarisme au communisme ? -- Soljénitsyne préfère tout plutôt que le pire, tandis que nos mentalités démocratiques n'arrivent pas à réaliser que le communisme est pire, « bien pire » que tout, pire que le nazisme, pire que le servage, pire que le despotisme classique, pire que l'es­clavage. Nous avons été conditionnés jusqu'aux moelles à répondre instinctivement que le communisme, si contes­table soit-il, représente tout de même un progrès par rap­port à l'arbitraire obscurantiste du tsarisme : et ce men­songe fraie la voie à tous les autres. En réalité le commu­nisme est pire que la pire sauvagerie des peuplades les plus barbares d'avant l'ère chrétienne : c'est ce qu'affirme très carrément l'encyclique *Divini Redemptoris* dès son début, et nul n'a assez compris le communisme s'il ne l'a pas compris jusque là. L'histoire de la Russie comporte soixante années, les dernières, de droits de l'homme ins­crits dans la constitution, de droits de l'homme *déclarés,* c'est le régime communiste, et auparavant mille cent années de droits non déclarés : ils étaient beaucoup moins violés. Si ceux qui éditent et publient Soljénitsyne en France étaient capables de lire ce qu'ils éditent et publient, ils cesseraient de nous le présenter comme un militant du mouvement démocratique, socialiste et montinien de dé­fense des droits de l'homme. Bien entendu, mais quelle misère mentale d'avoir à le préciser, Soljénitsyne pas plus que nous n'est contre les droits de l'homme, Soljénitsyne pas plus que nous n'est pour leur abolition ou leur viol. Il faut seulement en donner une formulation qui exprime leur nature exacte et qui manifeste leur véritable fondement, nature et fonde­ment que maltraitent la Déclaration de 1789 et la Décla­ration universelle de l'ONU en 1945 ([^35]). Il faut d'autre part remplacer ou au moins limiter l'esprit démocratique de revendication par l'esprit évangélique de service ; de service public ; d'honneur de servir. 20:237 Déclarer, proclamer les droits de l'homme, en organiser le culte est une chose qui pourrait n'être pas mauvaise s'il s'agissait de ses vrais droits ; mais chose subsidiaire en regard de ce que Soljénitsyne a inoubliablement nommé « *l'éducation vo­lontaire en soi-même d'une autolimitation radieuse *» ([^36]) ; c'est le dessein même et la propre tradition de la réforme intellectuelle et morale selon Péguy et les Charlier, la tradition qu'à son tour, depuis bientôt un quart de siècle, la revue ITINÉRAIRES s'efforce de prolonger, d'expliquer et d'illustrer ([^37]). #### Observation finale : où est le débat ? Chaque fois la gauche française, de Jimmy Goldsmith à Jean Daniel, annonce glorieusement qu'elle inaugure un grand débat sur les idées de Soljénitsyne. En publiant le discours du 8 juin 1978*, L'Express* déclarait : « Le débat ouvert par le discours de Harvard est un débat fondamental, et il aura une suite. » Quel débat, quelle suite ? On n'a rien vu. « Le discours ouvre déjà la controverse... Qu'on partage ou non ses idées, Sol­jénitsyne pose un des débats fondamentaux de notre temps. » ([^38]) Ces proclamations n'avaient qu'une portée publicitaire. Aucun débatteur ou controversiste de *L'Ex­press* ne nous a exposé qu'il approuve -- ou pourquoi il n'approuve pas -- le discernement déterminant de Soljé­nitsyne concernant le communisme désigné comme un ennemi « bien pire » que le nazisme ; ou l'humanisme dénoncé comme la cause de l'autodestruction de l'Occident. 21:237 Mêmes annonces et mêmes abstentions dans le *Nouvel Observateur :* « Fallait-il laisser nos adversaires politiques orchestrer la parole de l'un des plus grands protestataires de ce siècle, alors que c'est justement chez nous, à gauche, que le débat ne doit jamais être clos ? » ([^39]) Il faudrait d'abord l'ouvrir, ce qui n'est encore jamais arrivé. La plus grande audace intellectuelle du *Nouvel Obser­vateur* est d'apercevoir chez Soljénitsyne un « refus de ménager ceux qui, tout en condamnant comme lui le com­munisme soviétique, croient, malgré tout et malgré lui, au socialisme » ([^40])*.* Mais s'agit-il de « ménager », s'agit-il de « croire » encore ou de ne plus « croire », est-ce là un débat ? On ne condamne pas *comme lui* le communisme soviétique, car Soljénitsyne ne condamne pas le commu­nisme soviétique, mais tout communisme, tout socialisme et toute « révolution physique » ([^41]). On ne condamne pas *comme lui* le communisme tant qu'on n'y voit pas « un ennemi bien pire et autrement plus puissant » ([^42]) que le nazisme. On peut en débattre, mais à la condition juste­ment de discuter *cela* et non de passer à côté. On peut débattre avec Soljénitsyne du socialisme, à la condition toutefois d'y voir autre chose que l'objet d'une croyance que l'où conserve malgré tout tandis que Soljénitsyne l'aurait perdue par hasard. Pour Jean Daniel le socialisme c'est surtout « le noble mot de socialis­me » ([^43]). 22:237 Je ne veux certes point insinuer que ce serait pour lui une simple clause de style ou un thème rhéto­rique. Mais enfin c'est un idéal assez vague qui se prête mal au débat et qui surtout se tient d'avance au-dessus et hors de portée de ses éventuelles conclusions. Quelque critique fondée que l'on puisse faire des théories et des régimes socialistes ayant réellement existé jusqu'à ce jour, « un tel procès ne saurait ébranler aucune véritable conviction socialiste » à partir du moment où l'on a compris que « le socialisme est un projet de dépassement, non d'imitation, une création continuée, non un don­né » ([^44]). Bon, mais alors un tel socialisme relève de la catégorie du sentiment religieux. D'autre part, dans le rejet radical de tout socialisme par Soljénitsyne, Jean Daniel n'aperçoit que le résultat d'un phénomène psycho­logique qui « s'est passé à l'Est », « l'association-réflexe : entre les termes *socialisme* et *barbarie *» ([^45]). On ne voit pas quel débat pourrait se nouer entre, d'un côté, une association-réflexe, de l'autre un idéal sentimental. De fait, il n'y en a eu aucun. Jean-Marie Domenach ne fait pas mieux. Il est devenu quelque chose comme le Fabrègues de la gauche catho­lique, d'un métier et d'un tour de main presque aussi ha­biles pour l'esquive et l'escamotage ([^46]). Écoutez-le, il le reconnaît, il y consent, « en 1975 Soljénitsyne portait le coup décisif aux illusions du marxisme » ([^47]) : comme si c'était seulement au marxisme, et comme si au marxisme il avait reproché seulement des illusions. (Et comme si c'était seulement en 1975 qu'il l'avait fait. Si toutes ces approximations inexactes ne sont pas l'œuvre d'un esca­moteur délibéré, alors elles résultent d'une déplorable in­firmité.) Vraiment c'est bien joli : ce que nous retiendrons de Soljénitsyne, quand nous en retiendrons quelque chose, c'est qu'il aura porté un coup décisif aux illusions, seule­ment aux illusions, du marxisme, du seul marxisme. 23:237 Jean Daniel est un peu plus rigoureux, un peu moins évasif quand il déclare vouloir « dénoncer la mort non point de Marx mais d'une partie du message marxiste et de sa cri­minelle utilisation par certains marxistes » ([^48]). Mais il y a un monde, ou plusieurs, il y a une galaxie, il y a presque un infini entre l'attitude intellectuelle qui croit avoir affaire aux *illusions* ou aux *erreurs partielles* du marxisme, et celle de Soljénitsyne qui désigne le *mensonge* comme étant l'essence du communisme. Il faudra bien que la gauche, j'entends la gauche intel­lectuelle, celle qui va de Domenach à d'Ormesson et re­tour, celle qui n'arrête pas de passer du libéralisme au socialisme et inversement, il faudra bien que cette gauche des Revel, des Glucksmann, des Jean Daniel, en vienne à reconnaître clairement ce qui la sépare de Soljénitsyne en quoi elle le récuse, où elle ne le suit pas, et pourquoi. Là serait ce débat fondamental sur Soljénitsyne qu'elle annonce toujours sans y entrer jamais. Ou bien qu'elle nous dise, si elle le croit, qu'elle tient toujours Soljénitsyne pour l'un des siens, et comment dans ce cas elle s'accom­mode des observations ci-dessus et les assimile. Mais cela supposerait que la gauche intellectuelle, détentrice (no­tamment par l'argent) de l'essentiel du pouvoir culturel, soit encore capable d'autre chose que le simple exercice de ce pouvoir ; d'autre chose que la domination pour la seule jouissance de dominer ; qu'elle soit encore capable d'une pensée. Cela paraît douteux quand on la voit invo­quer mais fuir la confrontation avec Soljénitsyne. Je crains de trouver, de Clavel en Lévy, moins une pensée que l'ex­pression coruscante d'une décomposition active de toute pensée, et comme Soljénitsyne le dit d'autre chose, ne pouvoir en attendre « qu'une distraction superflue pour laquelle je n'ai plus assez d'années devant moi » ([^49]). 24:237 La seule issue pour la gauche, si elle veut échapper à la fascination sans cesse renaissante du communisme et à son terrorisme intellectuel, c'est de renoncer radicalement à être de gauche, c'est d'abdiquer la lutte gauche contre droite, c'est de découvrir qu'il n'existe nulle part aucune droite en dehors de celle que la gauche désigne arbitraire­ment, bref, renverser les remparts qu'elle s'est construits et qui lui sont une prison. Mais qui sont aussi les instru­ments de sa prépotence sociologique. Cesser d'être de gauche ce serait en même temps abandonner cette prépo­tence. C'est le prix à payer pour retrouver le fil de sa pensée. La gauche installée ne semble pas encore disposée à payer le prix. Il y a aussi le public de gauche, le publie de simples citoyens qui cherchent et qui s'interrogent, paralysés pour­tant, et déroutés et déviés d'avance par le conditionnement à mépriser ou haïr la droite et le fascisme, et tout ce qui en vient ou est supposé en venir. Peut-être est-il bon que l'édition des textes de Soljénitsyne soit en France mono­polisée par la gauche installée, puissante et riche : ainsi le réflexe conditionné de l'anti-fascisme aveugle ne joue pas contre eux. Ils peuvent dès lors atteindre l'ensemble du petit publie de gauche, des citoyens ordinaires, et leur donner ainsi la chance de rencontrer une fois dans leur vie des vérités tellement tenues captives depuis trente-trois ans, une génération, qu'elles en paraissent insolites, scandaleuses, insupportables, provocantes. Soljénitsyne ou la provocation à la pensée. Une provocation que jusqu'ici les maîtres intellectuels de la gauche installée ont fort bien su repousser. Jean Madiran. En écrivant cet article nous n'avions du texte *PR* (ci-dessus note 3) que la version parue dans le *Nouvel Observateur* du 19 mars 1979, seule publication en langue française. Au mois de septembre ce texte a paru en librairie sous le titre : *Message d'exil.* Interview accordée à la BBC le 3 février 1979 (Éditions du seuil). Le *Nouvel Observateur,* pour une raison inconnue de nous, avait omis de mentionner la date exacte de l'interview et de préciser qu'elle avait été donnée à la BBC. 25:237 -- Mais surtout, nous découvrons que le *Nouvel Observateur* avait pratiqué dans le texte d'importantes coupures, sans en avertir le lecteur, *pas même par des points de suspension*. Les passages supprimés sont dans le livre les pages 15 à 18, les trois quarts de la page 21, les pages 25 à 30 et 40-41. Ce n'est pas rien. Principaux articles publiés par la revue ITINÉRAIRES sur Soljénitsyne : -- Hugues KÉRALY : Soljénitsyne, pour combien de ternes (numéro 182 d'avril 1974, pp. 156 sq.). -- Archiprêtre Alexandre TROUBNIKOFF : L'Archipel Gou-lag (même numéro, pp. 165 sq.). -- Georges LAFFLY : Le témoin solitaire (numéro 194 de juin 1975, pp. 41 sq.). -- Hugues KÉRALY : Leur diversion (même numéro, pp. 43 sq.). -- Jean MADIRAN : Comment Ils arrivent (même numéro, p. 51 sq.). -- Thomas MOLNAR : De Peyrefitte à Soljénitsyne (numéro 202 d'avril 1976, pp. 107 sq.). -- Marcel DE CORTE : Soljénitsyne historien (même numéro, pp. 115 sq.). -- Georges LAFFLY : L'Archipel tome III (numéro 204 de juin 1976, pp. 103 sq.). 26:237 ### L'appel posthume du P. Fessard Gaston FESSARD : *Église de France prends garde de perdre la foi !* Un volume de 320 pages présenté par Henri de Lubac. Post-face de Michel Sales et annexe bio-bibliographique. « Cum permissu superiorum. » « Nous croyons urgent d'appeler aujourd'hui les chrétiens de France et en particulier leurs clercs à une résis­tance spirituelle. » #### Première lecture par Louis Salleron Quand le Père Fessard est mort, le 18 juin 1978, il venait de terminer le livre que publie aujourd'hui le P. de Lubac. C'est, dans le prolongement de l'*Actualité his­torique* dont Jean Madiran et moi-même avons parlé en son temps ([^50]), une mise en garde contre le glissement du catholicisme français au marxisme et au communisme. 27:237 Il s'agit en fait de la décomposition de l'Action catho­lique, devenue une action politique révolutionnaire. Le P. Fessard en fait l'historique et en analyse le processus. Mais ce qui caractérise son livre, c'est la mise en cause de l'épiscopat. En épigraphe de son étude il place une citation de saint Thomas d'Aquin : « Peut-il arriver qu'un sujet soit tenu en conscience de faire des reproches à celui qui est son supérieur ? Réponse : oui, mais avec le respect intime, déférence extérieure et discrétion. » « Cependant, dans le cas d'un péril imminent pour la foi, il y aurait lieu et devoir pour le sujet de s'en prendre aux prélats, et cela même d'une manière publique » (S. Th., 2a 2ae, q. 33, art. 4, ad 2m.). Sereinement mais nettement, il écrit : « Or, il est indéniable que, depuis la fin de Vatican II, l'Église catholique est, particulièrement en France, soumise à une crise profonde de la foi et de la morale, où s'enlise l'auto­rité d'un Épiscopat incapable de la surmonter, gêné qu'il est par ce qu'il appelle sa collégialité et prisonnier des groupes de pression qui peuplent les commissions créées pour la servir. Laissant de côté d'autres aspects, non moins graves, de cette crise, je m'attacherai seulement à mettre en lumière la marxisation progressive des mouve­ments d'action catholique et d'une fraction du clergé, et à montrer pourquoi et comment l'Épiscopat, loin de s'y op­poser, l'a plutôt inconsciemment avalisée en adoptant le langage même de son adversaire » (pp. 43-44). Bourré de citations et de réflexions, le livre est à cet égard un précieux répertoire, mais il est surtout une ana­lyse, savante et subtile, des carences intellectuelles qui expliquent, chez les catholiques, l'invasion marxiste. Mon­trant comment la Commission épiscopale du monde ou­vrier « a entériné le projet socialiste révolutionnaire de l'ACO, qui coïncide pour l'essentiel avec celui du PC », le P. Fessard note : 28:237 « Pareil résultat s'explique assurément par le peu d'intérêt, chez les évêques, pour toute critique intellectuelle » (p. 141). Propos sévère, et pourtant in­dulgent, car faute de critique intellectuelle, un minimum de foi aurait dû suffire aux évêques pour faire barrage au marxisme. Regrettons dans ce livre un certain manque de clarté dans la présentation des documents analysés. Un index des noms et des sujets abordés fait aussi cruellement dé­faut. Mais la qualité de l'ouvrage demeure. Puisse-t-il être lu par ceux qu'il concerne ! Louis Salleron. #### Seconde lecture comparée à la mémoire des faits par Jean Madiran Le grand mérite et la principale utilité de l'ouvrage posthume du P. Fessard est de manifester qu'il y a véri­tablement une *collaboration avec le communisme* de la part des évêques français et de leurs mouvements d'action catholique (l'ACO et la JOC, dit-il ; j'ajouterai le mouve­ment rural et presque tous les autres, et la presse). Sans doute, évêques et mouvements n'adhèrent pas aux théories athées du marxisme : du moins on le suppose, et on l'es­père. Mais Lénine dans ses consignes et Pie XI dans son encyclique *Divini Redemptoris* en étaient bien d'accord : ce n'est pas en leur prêchant une philosophie athée que l'on fait perdre la foi aux chrétiens, c'est en les amenant à pratiquer la soi-disant « lutte de classe » en collaboration avec la praxis communiste. L'épiscopat dans son ensemble et l'Église de France en tant que telle sont en train de « perdre la foi » de cette manière-là. 29:237 Le P. Fessard montre très bien aussi comment les soi-disant « militants ouvriers chrétiens » de l'ACO et de la JOC deviennent en fait des militants communistes ou para communistes, avec un ver­nis de terminologie (faiblement) évangélique et l'appro­bation de l'épiscopat. A ceux qui n'auraient encore rien aperçu de tout cela, ou qui en douteraient encore, le livre du P. Fessard peut rendre quelque service : en les tirant de leur somnambulisme. Mais l'ouvrage comporte une extraordinaire anomalie, que nous dirons, par litote, chronologique ([^51]). 30:237 C'est au cours de l'année 1978, ou au plus tôt à la fin de l'année 1977, que le P. Fessard a cette soudaine révé­lation : il est « *urgent d'appeler aujourd'hui *» les chré­tiens de France à une résistance au communisme. Cette urgence, le P. Fessard ne l'avait pas aperçue plus tôt, et c'est pourquoi il n'avait pas écrit ce livre auparavant. Ose­rais-je remarquer que cet appel, précisément celui-là, à cette résistance-là explicitement nommée ainsi, c'est celui que je lançais il y a vingt-quatre ans, en 1955, dans deux livres qui en même temps faisaient le procès intellectuel non moins explicite de ce que j'appelais la « non-résistance un communisme » ([^52]). J'en avais d'ailleurs parlé avec lui à l'époque. Il ne voyait pas le péril. Pour prendre un exem­ple précis, je me souviens qu'il se refusait à croire qu'un Georges Hourdin pût jouer le rôle dont il se vante main­tenant, et que maintenant le livre posthume du P. Fessard critique sans faiblesse ([^53]). 31:237 Précisons : le P. Fessard avait toujours très bien vu, par analyse philosophique du marxisme-léninisme stali­nien, -- depuis 1960 et son livre *De l'actualité historique,* et même depuis 1945 et son livre *France, prends garde de perdre ta liberté,* et même depuis 1937 et son livre *La main tendue,* -- il avait, dis-je, toujours très bien vu EN QUOI consistait le danger de la praxis communiste et de la collaboration avec elle. 32:237 Ce qu'il n'avait pas vu ou pas voulu croire avant 1978, c'est que ce danger dont il connaissait et exposait très exactement la NATURE n'était plus seule­ment en train de rôder dans la cité, mais était déjà im­planté à l'intérieur de l'Église de France, dans son épisco­pat, dans ses commissions épiscopales et d'abord dans son noyau dirigeant, dans sa presse et dans ses organisations, au point d'anémier et de miner sa foi surnaturelle. Le P. Fessard était davantage préoccupé de montrer, non sans raison, les faiblesses intellectuelles de Maritain en face du communisme, et aussi d'en faire porter, non sans une abusive malignité, la responsabilité à la philosophie de saint Thomas d'Aquin. Il semble n'avoir jamais entendu parler de l'affaire *Pax* en France, du rôle des I.C.I., il ne découvre les Hourdin et les Lacambre que lorsque ceux-ci, s'imaginant assurés depuis le concile d'une victoire défi­nitive et se croyant désormais tout permis, en viennent à raconter eux-mêmes en public quelles étaient leurs pensées cachées et la signification de leurs entreprises à l'intérieur du catholicisme ([^54]). Nous l'avions compris et publié bien avant qu'ils ne s'en confessent. L'anomalie est que le P. Fessard ne se soit aperçu de rien tant qu'il n'y avait pas eu confession. 33:237 Il n'avait pas vu non plus que l'hebdomadaire *Témoi­gnage chrétien,* si cher à son souvenir, était l'organe théo­rique et pratique d'une collaboration en règle avec la praxis communiste. Nous en avions effectué la démons­tration en 1960, par le commentaire ligne à ligne d'un article caractéristique de ce journal. Commentaire que personne n'a contesté, et qui demeure comme repère et comme témoignage ([^55]). Lorsqu'en 1978 le P. Fessard entreprend enfin d'exa­miner au microscope la collaboration de l'épiscopat avec la praxis communiste, il ne remonte pas plus de six années en arrière : jusqu'à une communication épiscopale en date du 1^er^ mai 1972, dont il fait une dissection parfaitement juste ; il montre aussi comment et pourquoi, depuis lors, cette communication catastrophique a été rectifiée en apparence seulement, point du tout en réalité. 34:237 Mais il n'aperçoit nullement que le noyau dirigeant de l'épiscopat s'était activement lancé dans la collaboration avec le parti communiste *déjà sous Pie XII :* au moins depuis la fon­dation de l'ACO en 1950. Il y avait eu en 1949 un décret du saint-office réitérant en substance l'avertissement et la consigne de l'encyclique *Divini Redemptoris :* on ne doit collaborer *en rien* (NULLA IN RE) avec le parti communiste. Le noyau dirigeant de l'épiscopat français décida d' « interpréter » cette inter­diction comme visant seulement l'*adhésion* au parti : les militants chrétiens étaient autorisés et même invités à tout faire avec le parti communiste, sauf adhérer. Ouvertement, dans leurs documents publics, les évêques français ne di­saient pas cela. Ils faisaient écho, mollement, en traînant ostensiblement les pieds, mais tout de même ils faisaient écho aux directives romaines. Leurs consignes de colla­boration étaient des consignes orales, qui venaient contre­dire en secret leurs textes officiels. Nous ne l'avons pas su à l'époque. Nous ne l'avons su qu'en octobre 1963, lorsque Félix Lacambre, ès qualités de secrétaire général de l'ACO, fit devant le centre de coordination des com­munications du concile la déclaration suivante : « En France nous avons la chance inouïe de tra­vailler habituellement avec les évêques. Et c'est un peu grâce à cela que lorsqu'en 1949 un décret du saint-office interdit de collaborer avec les commu­nistes, le texte fut interprété dans son sens le plus restrictif, c'est-à-dire la seule appartenance au parti. » Cette déclaration contenait déjà, et au-delà, tout ce que le P. Fessard analyse comme n'étant apparu au sein de l'épiscopat que dans la période 1972-1978. C'est que, dans la période 1972-1978, les évêques ne cachaient plus leur collaboration avec le communisme. Ils ne la cachaient déjà plus guère en 1968 : j'ai commenté, dans *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* leur proclamation du 20 juin 1968, qui pourtant a échappé elle aussi au P. Fessard ([^56]). 35:237 En 1949-1950, Pie XII régnant et le saint-office fonc­tionnant, les évêques français agissaient en secret. Publiquement, officiellement, leur interprétation du dé­cret du saint-office fut la lettre des cardinaux datée du 8 septembre 1949. Elle ne disait pas ce que dit Félix La­cambre. Elle disait bien qu'il ne fallait pas s'abstenir seu­lement d'adhérer au parti, mais qu'il fallait encore éviter tout ce qui pourrait favoriser sa propagande et ses entre­prises. L'interprétation contraire, l'interprétation dans « le sens le plus restrictif », fut donnée en cachette à ceux qui avaient « la chance inouïe de travailler habituellement avec les évêques ». Les révélations considérables de Félix Lacambre en 1963 ne furent pas négligées. Du moins par nous. Nous avons courtoisement et de plus en plus fermement mis Lacambre en demeure de s'expliquer, et les évêques de démentir. Sans aucun résultat. Il faut dire qu'on nous laissa très seul dans cette interpellation. On ne comprit pas l'importance de ce qui était en cause. Le P. Fessard s'occupait à ce moment du fondement de l'herméneutique selon la 13^e^ règle d'orthodoxie des exercices spirituels ; et de la vision religieuse et cosmique de Teilhard de Char­din ; sujets assurément dignes d'une studieuse attention mais il ne s'aperçut pas que l'*urgence* qui devait lui ap­paraître en 1978 était déjà urgente depuis longtemps en 1963. On découvrait que depuis au moins treize ou qua­torze années, depuis au moins 1949-1950, les « militants chrétiens » recevaient de leurs évêques habituels l'assu­rance qu'en dehors de l'appartenance au parti ils pouvaient faire tout le reste : adhérer aux organisations annexes, participer aux manifestations, voter pour les candidats et enfin collaborer habituellement -- sans adhérer -- avec le parti communiste. A l'époque, en 1963-1964, nous n'étions pas sans soupçonner quelque peu Félix Lacambre d'avoir plus ou moins inventé ou trafiqué cette fameuse « inter­prétation dans le sens le plus restrictif ». 36:237 Quand on relit aujourd'hui les pièces et documents de cet épisode, on voit bien que le ténébreux Lacambre, qui par ailleurs a beaucoup menti par omission, ne mentait pas sur ce point. Le noyau dirigeant de l'épiscopat donnait en secret, en 1949-1950, les consignes qu'il donnera de plus en plus ouvertement en 1968 et les années suivantes ([^57]). Ainsi l'ouvrage du P. Fessard manque fortement de perspective historique. Il ignore le débat et le combat qui furent permanents à l'intérieur du catholicisme français dans les années cinquante et soixante : le débat intellectuel, le combat spirituel qu'au nom de la *résistance au commu­nisme* nous avons mené sans trêve contre ceux que nous incriminions de *non-résistance au communisme.* La colla­boration devenue habituelle des organisations catholiques avec la praxis communiste, -- l'information religieuse du journal *La Croix* dirigée par un « compagnon de route des communistes », -- et tous autres phénomènes analogues ou connexes ne résultent pas d'une mutation soudaine qui se serait produite aux années 1972-1978. Le mal n'est pas récent. Son implantation est ancienne : au moins trente ans, au moins une génération. Si le P. Fessard était encore vivant, je lui dirais ici, à cette place, pour quelle raison, selon moi, il a été distrait pendant trente ans. \*\*\* 37:237 Le positif, le fort de l'ouvrage, est de mettre très clai­rement en relief que ce qui est « intrinsèquement pervers » dans le communisme, c'est sa praxis ([^58]). Un tel discer­nement, pourtant facilité et guidé par l'encyclique *Divini Redemptoris,* est néanmoins très rare. Chez le P. Fessard, ce discernement s'appuie davantage sur une forte analyse théorique du marxisme-léninisme que sur une connais­sance concrète des mœurs communistes. Nous-même disons équivalemment : ce qui est intrinsèquement pervers dans le communisme, c'est *la réalité sociologique du parti com­muniste,* son comportement, sa méthode de combat que nous avons appelée « pratique de la dialectique » et sa méthode de commandement que nous avons nommée « technique de l'esclavage » ([^59]). Le P. Fessard ne pousse pas l'analyse jusque là, il l'arrête au niveau du langage, qui d'ailleurs est effectivement le premier instrument de la praxis communiste. A ce niveau déjà son analyse est con­cluante : le langage communiste est menteur essentielle­ment, l'essentiel du communisme c'est le mensonge ([^60]). Et dans la mesure très large où les militants de l'ACO et de la JOC ont adopté ce qu'ils prennent pour le « langage ouvrier », mais qui est en réalité le langage communiste, leur langage est devenu menteur : menteur par son essence et non par leur intention. De même le langage des évêques qui cautionnent et adoptent le langage de l'ACO. Les obser­vations du P. Fessard sur tous ces points sont puissantes, elles seront décisives pour quiconque saura les lire. 38:237 Mais qui le saura ? C'est difficile. La rédaction en est souvent confuse, embrouillée. Ce n'est pas un ouvrage d'initiation ; ni de mise en garde comme il voudrait l'être : il faut déjà connaître passablement la question pour pou­voir saisir la grande pertinence des critiques du P. Fessard. Le livre passera probablement au-dessus de la tête des évêques. Mais il portera, aujourd'hui et demain, témoi­gnage contre leur ignorance et contre leur perversité. Jean Madiran. 39:237 ## CHRONIQUES 40:237 ### Troisième périple sabbatique par Thomas Molnar #### I. -- Bilan pour la prochaine décennie *J'ai profité deux fois déjà de mon congé* « *sabbatique *» ([^61]) *pour faire le tour du monde en commençant par le continent africain : de là, je partais visiter ensuite un grand nombre de pays asiatiques, pour terminer par l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Cet itinéraire me paraît tellement instructif que j'ai décidé de le suivre une troisième fois, en cette seconde moitié de* 1979*, pour achever la décennie en cours ; avec le sentiment aussi que ce périple sabbatique pourrait bien être la dernière occasion de visiter ces continents. Car si l'utopie libérale conti­nue de rêver d'ouverture et de fraternisation, la réalité d'un peu partout nous dessine un monde qui se referme et se xéno­phobise.* 41:237 AU SEUIL DE MON VOYAGE, je voudrais tenter une sorte de bilan anticipatoire pour la prochaine décennie. Sans tirer de conclusions définitives, bien entendu, puisqu'il s'agit ici de faire le point de nos intuitions sur l'avenir politique du monde avant de les soumettre à de nouvelles vérifications. Un deuxième volet de cette chro­nique tentera au début de l'année prochaine de confirmer ou réfuter les conclusions provisoires du bilan. J'ai donc réuni dans les pages qui suivent des obser­vations forgées au cours des ans à partir d'innombrables données, où les choses vues se mélangent à la lecture et aux conversations. Et je donne rendez-vous en 1980 au lecteur d'ITINÉRAIRES pour confronter lui-même les deux volets de ce bilan, y déceler les concordances et peut-être les contradictions. \*\*\* En dépit de « l'ouverture sur le monde » dont nous croyons jouir en Occident, en dépit aussi de la « mondia­lisation démocratique » que nous promettent l'O.N.U., Washington et les premiers élus de l'assemblée européenne, nos pays se rapetissent et se provincialisent. L'image de la planète que les media présentent à leurs seigneurs et maîtres, le « lecteur-auditeur-téléspectateur », est une image déformée, où tout est revu en fonction d'un raison­nement beaucoup trop cartésien, et corrigé selon les perspectives de l'utopie ; ce qui revient à nous enfermer dans une sorte de ghetto audio-visuel. La vérité est que le contrôle du monde nous échappe de plus en plus, parce que nous sommes incapables de faire entrer dans nos catégories mentales occidentocratiques la masse des évé­nements qui s'enchaînent aujourd'hui indépendamment de nous. Les catégories mentales actuelles de l'Occident ont été créées et façonnées par une véritable religion : non pas le christianisme, est-il besoin de le préciser, mais l'idéolo­gie « *libérale-capitaliste-démocratique *» -- ensemble fort puissant qui avait lancé dans ses temps de gloire le « petit cap de l'Asie » à la conquête des territoires, des peuples, des traditions ancestrales... et des matières premières. Seulement, nous sommes entrés dans un deuxième temps, où la magie des conquêtes occidentales n'a plus valeur de nouveauté ni d'efficacité. 42:237 La religion « *libérale-capitaliste­démocratique *» a vieilli, et elle a mal vieilli. Elle ressemble de plus en plus à ce paganisme du Bas-Empire auquel personne ne croyait vraiment, mais qui réussit à se main­tenir comme religion d'État par sa force d'inertie, le man­que d'audace et d'imagination. C'est une religion agonisante à laquelle se cramponnent, en paroles du moins, les princes qui nous gouvernent, y compris les plus importants de tous : ceux qui nous sermonnent du matin au soir par le biais des media. Mais le « *libéralisme-capitaliste-démo­cratique *» n'inspire plus personne ; il est devenu comme le credo officiel de ces aruspices qui, au témoignage de Cicéron, ne pouvaient se regarder sans rire... Une race, une civilisation, ne peut que mourir lorsqu'elle a perdu la foi. Or, si le *lib-cap-dem* sert encore à quelque chose, c'est à maintenir les intérêts du grand business et de la classe politique, qui mijote dans un pot de plus en plus rétréci. Les grands mouvements dont s'agite actuellement le monde ne sont guère perceptibles dans cette perspective-là. Un des obstacles qui nous empêchent de voir le monde sous ses vraies couleurs est le fait que la religion du *lib-cap-dem* s'incarne aujourd'hui dans la puissance des États-Unis, et qu'elle apparaît ainsi comme une foi à son apogée. Erreur de perspective, comme j'ai essayé de le faire com­prendre dans ma récente étude sur *Le modèle défiguré* ([^62])*.* L'Amérique reste indissolublement attachée à sa religion libérale, oui, mais sans apercevoir que les origines en remontent au siècle « des lumières », c'est-à-dire à l'époque où la vision humaine des choses a été la plus étroite, la plus limitée, la plus déformante. Comme Soljénitsyne et bien d'autres après lui l'ont compris, le monde du XVIII^e^ siècle est aujourd'hui révolu, et avec lui la grandeur de l'Occident rationaliste, individualiste et matérialiste : le produit de ces trois éléments conjugués, au XX^e^ siècle, c'est l'homme-robot, l'homme manipulé, l'homme-masse. La re­ligion du *lib-cap-dem* s'est prolongée un temps dans cette autre religion athée, le marxisme, lequel, tombé entre les mains barbares de Staline, Pol Pot, Kim Il Sung et consorts, a effacé en lui jusqu'aux derniers caractères compatibles avec une religion. 43:237 Comme le remarque G. Vico, qui apparaît chaque jour davantage comme *notre* philosophe précisé­ment parce qu'il se dresse en plein XVIII^e^ siècle contre la philosophie des lumières, la religion et les rites sont à la base des grandes œuvres de l'humanité ; leur éclipse an­nonce la fin d'une civilisation, tandis que surgit ailleurs une autre foi. Cette théorie, nous allons le voir, ne contre­dit point l'enseignement du christianisme. Donc, les deux religions associées, *lib-cap-dem* et mar­xisme, ont fait leur temps ; il n'y a plus que Jimmy Carter et Hans Küng pour y adhérer. La « tumultueuse monoto­nie » du spectacle américain, comme l'appelait Tocqueville, crée l'illusion que la religion de l'Occident se porte bien. Sur l'autre versant du mythe, le spectacle des conquêtes géopolitiques du communisme entretient l'illusion que le marxisme en tant que tel inspire l'histoire des nations nouvelles. La réalité, c'est que *des idéologies nouvelles émergent un peu partout ;* qu'une nouvelle ère commence, comme à la fin du Bas-Empire, lorsque le christianisme a renversé la religiosité sans force du monde romain. Le renversement actuel est difficile à faire comprendre car l'image de ce monde nouveau, telle qu'on nous la présente, reste très caricaturale. Mais tous les commen­cements sont laids, disait Maurras, et la tête d'Idi Amine sur nos écrans lui donne bien raison. Pourtant, certains chefs de tribus germaniques passaient pour aussi peu attrayants, et Attila semait autrement bien la terreur que l'ex clown d'Ouganda. Reste qu'il paraît impossible à l'in­telligentsia occidentale d'inclure dans ses perspectives « *li­bérales-capitalistes-démocratiques *» d'autres réalités que les nôtres (à l'exception du marxisme, qui reste notre petit-neveu dévoyé). Comment d'ailleurs imaginer dans nos salons, chancelleries et autres cénacles intellectuels un monde où ni la science, ni l'organisation, ni l'efficacité in­dustrielle ne feront plus partie des « priorités », comme on dit ? un monde bâti sur rien de moins que l'effondrement de la puissance occidentale ? Une petite anecdote, à titre d'illustration. En Rhodésie, au moment du vote qui opposait les candidatures du blanc Ian Smith et de l'évêque noir Muzorewa, un Noir voulut savoir devant les urnes si le nom de M. Smith pouvait être rajouté en tête de liste sur le bulletin des candidats noirs. 44:237 On lui représenta que c'était tout à fait impossible. Alors, le Noir : -- « *Mais moi je veux voter pour Smith parce que lui au moins c'est un vrai coq. *» Il voulait dire un homme à poigne, qui mérite le respect. (Notons que Mobutu, lui aussi, fait figurer le coq dans son nom congo­lisé : le-coq-dont-les-poules-ont-peur.) Et lorsqu'on fit remarquer à notre Noir qu'il devait voter pour Muzorema, celui-ci riposta avec mépris : -- « *Muzorema, ce n'est pas un coq *»*,* avant de déchirer son bulletin... Un vocabulaire analogue sévit actuellement en Iran ; Khomeiny et les autres ayatollahs sont d'avis qu'il faut obliger les femmes à garder le voile, et usent des mêmes arguments : il n'y a qu'un seul coq dans la basse-cour, un seul étalon pour l'écurie des juments ! On dirait bien que Khomeiny, com­me le Noir de Zimbabwe, n'a guère profité à Neauphle-le-Château des enseignements de Simone de Beauvoir sur le « deuxième sexe ». Ce n'est pas par anti-féminisme ou « chauvinisme mâle », comme on dit aimablement en Amérique, que je rapporte ces histoires apparemment saugrenues ; mais pour faire voir que si le Tiers-Monde ne pense plus aujour­d'hui comme l'Occident, c'est que l'Occident précisément n'est plus le « coq ». Il a perdu le monopole de la vertu de force, et les autres pertes suivent irrémédiablement. Une civilisation ne conserve d'influence économique, cul­turelle, universitaire, qu'aussi longtemps qu'elle possède aux yeux des autres le *pouvoir politique,* et qu'elle impose sa présence avec toute l'énergie requise (ce qui bien sou­vent n'implique pas de déployer une force inhumaine, mais simplement d'être là). *Avec la perte du pouvoir politique, les deux facteurs sociaux les plus puissants, admiration et imitation, cessent aussitôt de jouer.* L'autre leçon qu'il faut tirer de tout cela, c'est l'échec du règne démocratique que le *lib-cap-dem* voulait à toute force implanter dans le Tiers-Monde. Quinze ans à peine après la grande embrassade décolonisatrice, il n'en reste absolument rien. Rappelons pour mémoire que la civili­sation romaine n'a pas disparu avec l'Empire : elle devait survivre par l'Église, qui christianisa et romanisa tous les peuples. La religion *lib-cap-dem* n'aura pas eu cette vertu de transformation et de conversion ; et ses adeptes sont déjà amèrement déçus par le rejet de leur religion chez tous les peuples nés de sa tutelle. 45:237 L'émergence d'une conscience islamique, d'une conscience chinoise, japonaise même après la tentative de Mac-Arthur pour « démocra­tiser » ce peuple, demain d'une conscience amérindienne etc., est l'autre face de ce refus du Tiers-Monde de rester dans l'orbite du modèle occidental. C'est l'illusion de beaucoup de croire que les peuples du Tiers-Monde ne pourraient vivre sans importer nos produits, et donc sans dépendance à l'égard de l'Occident. Les peuples du Tiers-Monde qui ont renoncé au *lib-cap-dem* reviennent très vite à leurs usages ancestraux, c'est-à-dire aux structures sociales et politiques qui étaient les leurs avant la grande aventure occidentale. Comme le montre l'anecdote du Noir rhodésien, le modèle démocratique n'a pas fait souche en profondeur : on continue à admirer, jusqu'à l'idolâtrie, l'élite des riches, des puissants, des fameux. Les gens admirent spontanément ceux qui les dépassent, et rien n'est plus facile à désapprendre que l'éga­litarisme démocratique. N'est-ce pas d'ailleurs parmi les démocrates attitrés que l'on tombe en pâmoison devant la figure des Staline, Mao, Ho Chi Min, etc. ? L'évolution des continents du Tiers-Monde le montre assez : on peut fort bien survivre sans démocratie, et aussi sans consommer cette montagne de produits que l'indus­trie occidentale jette chaque jour dans les bras de popu­lations hébétées par la surabondance. L'ère de la sur­consommation tiendra finalement peu de place dans les annales de la race humaine ; l'immense majorité des hom­mes a toujours vécu au bord de la pénurie. Loin de moi l'idée de faire ici l'éloge de la pénurie. Mais force est de constater que vouloir la consommation à forte dose et grande échelle implique organisation, science, laboratoire et système avancé de production. Conditions rarement réu­nies en dehors des deux derniers siècles de notre histoire en Occident ; et nous pouvons déjà prévoir le moment où l'Occident lui-même, politiquement réduit à sa plus simple expression, aura bien des difficultés à subvenir aux besoins de sa propre population. Quant aux autres peuples, re-structurés après le départ des trop petits « coqs » occidentaux, ils accepteront, ils acceptent déjà en Afrique ou en Orient car on ne leur demande pas leur avis, un régime où des chefs tantôt religieux, tantôt militaires (et toujours un peu tribaux) perpétuent les privilèges de l'ancienne aristocratie, tandis que les masses populaires vivent modestement. 46:237 Les principes du *lib-cap-dem* s'élèvent en vain contre les lois natu­relles de la docilité des masses. Nous avons vu qu'après l'aventure occidentale, les populations du Tiers-Monde ont réussi à enterrer en moins d'une génération le bon vieux temps du *lib-cap-dem.* Rien n'empêcherait d'ailleurs les nouveaux régimes d'engager des mercenaires occidentaux, non plus militaires mais technocrates et scientifiques, pour mener à bien leurs grandes réalisations « au service du peuple », c'est-à-dire du confort et du pouvoir des élites régnantes. Ce mercenariat industriel et technologique que fournit déjà l'Occident aux peuples « en voie de développe­ment » déguise ses véritables intentions sous le vocabulaire de la « coopération » et de l'assistance « généreuse » entre les peuples. En réalité, il ne sert qu'à maintenir au pouvoir un certain nombre d'élites, cheiks d'Arabie ou bureaucrates noirs des pays africains. \*\*\* Le scénario que je décris et que nous chercherons à vérifier ou invalider dans le second volet de cette chronique, contredit sur tous les points la chanson des naïfs qui nous endorment depuis des années avec leurs « trilatérales », leur « Bilderberg » et leurs fameuses « jonctions entre la Chase Manhattan Bank et les nouveaux tsars régnant sur le Kremlin ». Le monde n'avance pas sur le chemin que lui tracent les futurologues et autres « perspectivistes », vers plus de convergence, plus d'ouverture, plus de frater­nité unimondiste. Le monde se dirige vers plus de *socia­lisme,* si nous nous mettons d'accord pour appeler ainsi le repliement qui s'annonce pour chaque peuple de la planète. \*\*\* C'est bien entendu le sort des peuples occidentaux qui nous intéresse le plus directement. Je voudrais formuler à cet égard deux observations sur l'Université et l'Église, institutions de base auxquelles l'Occident doit sa forme et son contenu, c'est-à-dire tout. 47:237 J'ai parlé récemment à Venise devant un auditoire réuni par l'Alliance Française, sur la question universitaire. J'ar­rivais de Padoue, où un vieux serveur de chez Pedrocchio m'avait confié, sur le ton de la résignation : « *Les émeutes étudiantes ? Aujourd'hui tout est calme. Mais demain ?* » Il parlait ainsi d'une des universités les plus anciennes d'Europe, un endroit où les aristotéliciens et les averroïstes s'affrontèrent passionnément ; de nos jours, sur les douze mille étudiants que compte cette université, onze mille en­combrent les bancs et les registres de la faculté de psy­chologie. Il ne me fut pas difficile de dresser le portrait de « l'étudiant » et de l' « universitaire » contemporains, l'un et l'autre produits de cette invention sinistre entre toutes que fut l'instruction publique obligatoire. Car, abstraction faite des mensonges ou des illusions de la classe dominante, de quoi s'agit-il en réalité ? L'immense majorité de ceux qui se pressent dans nos universités sous le nom d'étu­diants (l'Amérique ici encore a donné le mauvais exemple) est une foule non structurée ; et, comme toutes les agglu­tinations massives de cette espèce, elle se montre agitée, mécontente, révolutionnaire. Mais ce n'est là qu'un moindre mal. Pour encadrer cette foule, il a fallu nommer une masse proportionnelle de professeurs, démesurément am­bitieuse et avide de pouvoir. A qui fera-t-on croire en effet que ces dizaines, en Amérique ces centaines de milliers d'enseignants universitaires sont tous à leur poste par pur amour de la science, pure passion d'enseigner la jeunesse, et de jouer les Socrate au profit de leurs Platon en herbe ? Non, la majorité de ces « professeurs » se trouve là pour d'autres raisons, attirés par ce public facile, avide de slogans, d'excitation, d'action. Dans le contexte actuel il semble inévitable que, neuf fois sur dix, le professeur universitaire se fasse démagogue : le « parti » est là, à ses pieds, qui l'attend et le surveille ; derrière lui, tout le prestige (usurpé mais qu'importe) de l'institution ; au-delà, les media prêts à amplifier sa voix et à lui faire écho... Comment résister ? C'est ainsi que devait naître à Padoue le « professeur » Antonio Negri, accusé aujourd'hui d'avoir été l'instigateur du rapt et de l'assassinat d'Aldo Moro ; et Herbert Marcuse, et Foucault, Barthes, Horkheimer, Habermas. 48:237 Aussi longtemps que l'instruction universelle obliga­toire persistera, surtout dans sa conception intellectualiste, l'école et l'université resteront le véritable lieu d'élection des mécontents et des marginaux : un nid de révolution­naires sapant les bases de la société. L'universitaire, plaque tournante de l'intelligentsia massifiée, n'est pas l'ensei­gnant des temps révolus ; il est membre d'un collège de clercs maltournés, d'une église qui a pouvoir sur ses fidèles. Cette église est aujourd'hui le parti communiste. Les clercs-professeurs se donnent rendez-vous à l'ombre de son pou­voir, parce qu'il leur répugne de l'exercer directement ; pour cela, ils ont la conscience trop tendre. Douce servi­tude en vérité, qui leur donne le pouvoir sans y joindre la responsabilité. \*\*\* S'il est vrai que l'Université, pour les raisons susdites, ne remplit plus ses fonctions spécifiques mais des contre-fonctions politisées, n'est-il pas vrai de même que l'Église sociologique ne se trouve plus là où l'on croit la localiser ? Au Moyen Age, comme on sait, l'Église fut également une véritable société, avec ses lois, ses ordonnances, ses écoles, ses tribunaux, ses propriétés, et jusqu'à sa politique étran­gère. « Sociologiquement », pour parler le langage mo­derne, elle était partout. La société ne se concevait pas sans elle. Au XVIII^e^ siècle, l'Église commence à se propulser du centre vers les périphéries. Enfin, depuis le concile, malgré des efforts pathétiques et bien mal conçus ou placés, elle tend à se faire socialement inutile. L'État et la société modernes se sont organisés d'après un schéma essentiellement totalitaire, sans inclure l'Église dans leur calcul ni tenir aucun compte du spirituel. L'État jadis « chrétien » fait voter les lois les plus païennes, sup­plante la charité par le truchement des mesures fiscales, et sécularise l'enseignement des jeunes comme la morale des citoyens. En Suède, modèle occidental par excellence, on encourage l'immoralité des enfants dès les premières années de l'école : c'est pour occuper la pensée des futurs adultes ; ainsi, dans l'État-Providence, ils ne connaîtront plus les passions politiques. Le sexe aura pris toute la place et s'imposera dans les conversations, comme substitut de vie intérieure. Quant à la charité individuelle, dans ce pays, elle est littéralement interdite par l'impôt qui la frappe. 49:237 Les exemples ne manquent nulle part : la société et l'État occidentaux, dans cette dernière phase de la religion libérale, font pire que de se paganiser. Les théories péda­gogiques, les agences du *planned parenthood,* le sexe com­me centre de toute production « artistique » et même publicitaire, imposent *un type de société sans aucune attache avec la religion chrétienne et ses fondements culturels...*L'Église ne s'y trouve tolérée que parce qu'elle est devenue parasitaire : qu'elle ne menace plus les tenants du pouvoir, et se porte même volontaire dans le processus de sa propre destruction. Ainsi dans l'Occident, à moins d'un renouveau mira­culeux, l'Église est-elle condamnée au rôle d'agence para­sociale : un réseau de fonctionnaires en somme, comme le paganisme du Bas-Empire, au service des petites causes et du confort intellectuel... Quel peut être son avenir dans les pays du Tiers-Monde ? D'après ce que j'ai pu constater -- à l'occasion de mes précédents voyages, l'Église doit y remplir les tâches suivantes : lutter partout contre le com­munisme, son rival le plus puissant, qu'elle seule reste capable de contrarier chez ces peuples plus près du senti­ment religieux que notre Occident radicalement désacra­lisé ; affronter également, mais avec d'autres armes, la nouvelle révolution islamique qui est en passe de conqué­rir l'Afrique. Car, n'en doutons pas, grâce à l'implantation en son sein de l'État d'Israël et à la prise de conscience qui s'en est suivie, l'Islam revient en force aujourd'hui. Et pas seulement au Moyen-Orient. Le professeur Jean Brun m'écrit qu'il tient d'un spécialiste le chiffre suivant : en dix ans, dix mille jeunes Parisiens, tous baptisés, se sont convertis à l'Islam. Ce qui se passe, n'est-ce pas, de tout commentaire. Troisième tâche de l'Église dans les pays du Tiers-Monde, le travail proprement missionnaire, l'exaltation des vérités ([^63]) chrétiennes. Car il faut comprendre ceci : le credo *lib-cap-dem* n'étant plus en mesure de se faire des adeptes, une sorte de religiosité douteuse pénètre au­jourd'hui profondément dans la mentalité des peuples et la structure des sociétés. 50:237 Cette religiosité, bien qu'elle contredise les thèses du *lib-cap-dem*, n'en est pas plus près pour autant de dire la vérité sur l'homme. Elle est faite de doses accumulées de chauvinisme, de socialisme, de retour à la nature et à certaines traditions. Je lui donnais le nom, dans un livre récent ([^64]), de « socialisme sans visage » ; à quoi on peut ajouter qu'elle est aussi sans transcendance. L'Église seule serait capable de redon­ner forme intérieure à cette religiosité diffuse. Nous som­mes ici, une fois de plus, devant une situation semblable à celle du Bas-Empire : le christianisme se trouvait as­sailli de l'intérieur par les mythes gnostiques, les cultes mithraciques et orphiques, le manichéisme, tandis qu'à l'extérieur, Rome elle-même succombait aux Germains. La vérité de l'Église surmonta l'une et l'autre de ces menaces. Ceci n'est pas pour dire que les peuples non-occiden­taux se convertiront à la manière des barbares. En dehors du communisme, déjà à son déclin, l'Islam, le confucia­nisme, l'hindouisme, l'animisme semblent au contraire ga­gner en puissance, en rayonnement, en organisation. Mais à mesure que le Tiers-Monde se défait de la religion de d'Occident, celle que nous désignons ici irrespectueusement sous le nom de *lib-cap-dem*, il se défait également de la technologie occidentale et autres articles d'importation fondamentalement étrangers à l'esprit des peuples nou­veaux. La véritable Église n'a rien à craindre de cette évo­lution : son langage restera toujours audible à toutes les nations. 51:237 #### II. -- Premières pages de mon carnet sabbatique *Espagne, juin*. -- Plusieurs amis me racontent à Madrid des histoires qui pourraient figurer dans les annales cri­minelles de la ville de New York. Conséquences pratiques d'une démocratie qui, loin de profiter aux « électeurs », fait l'affaire de la pègre au sens le plus large du mot. Car il ne s'agit pas ici de terroristes basques luttant pour un idéal séparatiste. Il s'agit par exemple de voyous qui agres­sent un industriel sortant un soir de sa voiture, devant l'immeuble où il habite : notre homme est assommé, et les voyous prennent la fuite au volant de la voiture. Seu­lement, l'industriel n'entend pas se laisser faire ; sitôt sur pied, il appelle deux de ses amis, voisins de palier, et comme lui plutôt athlétiques. Les trois hommes se lancent au hasard dans la nuit madrilène. Miracle : à la porte de la troisième boîte de nuit, ils retrouvent la voiture volée ; ayant attendu que les énergumènes en sortent, ils les assomment à leur tour et les conduisent au poste de police. Conseil de l'officier : -- *Laissez-les courir. L'agres­sion n'a pas eu de témoins, les tribunaux sont indulgents, et puis, que voulez-vous, nous sommes en démocratie. Fi­nalement, même s'ils passent quelques semaines en taule, on finira bien par les relâcher : ces hommes vous retrou­veront, et la police ne pourra rien pour vous protéger*. La victime insiste pour porter plainte, et le policier finit par lui dire : -- *Bon. Je vous donne, mais tout à fait entre nous n'est-ce pas, un numéro de téléphone. Vous ferez comme vous l'entendez*... Au téléphone indiqué, une voix distinguée prend rendez-vous. Le lendemain, deux hommes se présentent au domicile de l'industriel. Celui-ci leur ra­conte l'agression dont il a été victime, les craintes de la police, et donne les signalements. Les visiteurs indiquent une somme assez coquette, montant de leur rémunération. Au bout de quelques semaines, comme prévu, les voyous sortent de prison ; nos deux messieurs, qui les attendaient devant la porte, les invitent à monter dans leur voiture. On commence par casser la jambe à l'un des compères, pour finir sur cet avertissement : -- *Si vous vous per­mettez ne serait-ce que de passer un coup de fil à Monsieur Y, on se retrouve et sans plus de question on vous refroi­dit. Compris ?* Une histoire parmi d'autres. Elle ressemble étrange­ment à ce qui se passait il n'y a pas si longtemps au Brésil, où d'anciens policiers prenaient en charge moyen­nant finances la protection des citoyens. On dénonce ces procédés dans la presse de gauche comme un « début de fascisme ». Il faudrait dire : apogée de la démocratie. 52:237 Quand la démocratie a débuté en Espagne sous le sourire du grand fossoyeur national Adolfo Suarez, dans l'éventail politique, il y avait le communiste Santiago Carrillo et le socialiste Felipe Gonzalez. Ce dernier, jeune et inconnu, a été la grande découverte de l'internationale socialiste : de Willy Brand, de Bruno Kreisky, d'Olof Palme. C'était lui, le cheval de bataille contre Carrillo. Mais on ne suscite pas aussi facilement une formation politique contre le vieux parti communiste organisé et discipliné. Et Felipe Gonzalez voit des militants socialistes se dresser contre lui. Il relève le défi et démissionne, per­suadé par ses conseillers allemands et suédois que les socialistes espagnols le suivront, pour former avec lui un parti social-démocrate. Eh bien, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol vote pour le maintien de l'étiquette marxiste et Felipe Gonzalez se retrouve seul. Le P.S.O.E. finira d'ail­leurs par se scinder, la majorité rejoignant le Parti Com­muniste, tandis que la minorité s'effrite aujourd'hui sous la présidence d'un second Felipe Gonzalez, encore moins efficace que le premier. Sous le bon roi Juan Carlos, les communistes espagnols augmentent ainsi chaque jour leur poids électoral. Jusqu'au jour où ils se trouveront assez forts pour proclamer la république... \*\*\* *Afrique du Sud, juillet. --* Chaque fois qu'il m'est donné de la contempler à partir de la baie, la montagne du Cap (Table Mountain) me fait une grande impression. D'abord elle a vu, en 1652, la naissance d'une nation ; c'est donc un monument comme humanisé par le souvenir. Et puis sa forme de bras ouverts et accueillants, ces nuages sur le sommet aplati, qui lui donnent une coloration diffé­rente à chaque heure de la journée. S'il est une montagne familière, qui fait corps avec une ville tout en la proté­geant et l'embellissant, c'est bien celle-là. De là-haut, par beau temps, on voit jusqu'au cap lui-même, jusqu'aux rochers du bout de la péninsule, où se rencontrent l'océan indien et l'océan atlantique. On imagine aisément en cet endroit les galions de Vasco de Gama, essuyant les tem­pêtes qui ont donné son premier nom au Cap. 53:237 Site de toute façon majestueux. Les eaux des deux océans s'y mêlent, la bleue de l'Indien, la presque noire de l'Atlantique ; et le va-et-vient incessant des pétroliers géants sur l'horizon... \*\*\* *Cape Town, juillet. --* Le restaurant La Vita, sous une arcade agréable, est le lieu de rencontre des gourmets lo­caux. Il a pour propriétaire le professeur Christian Bar­nard, l'homme du cœur, dans plusieurs sens du terme, et, paraît-il, excellent homme d'affaires. Nous y dînons entre amis. -- « Mais, s'écrie l'un d'entre nous, n'est-ce pas le Professeur lui-même ? » Barnard vient là en effet, une ou deux soirées par semaine, pour saluer ses clients. Il s'avance vers notre table, serre les mains, prononce quelques paroles aimables de propriétaire. Ce chirurgien qui fait des courbettes devant la clientèle me laisse dans la bouche comme un goût douteux. Mais je lis quelques jours plus tard dans les journaux que Barnard est un grand patriote ; qu'il profite de ses contacts à travers le monde entier pour défendre son pays des accusations que déverse contre lui la bonne conscience universelle. Les journaux anglophones font grand tapage autour de la pièce de M. Adam Small, un « coloured » ([^65]), jouée dans le beau théâtre moderne de l'Université. Le titre est « Viens, sourions ensemble ». Des amis qui n'ont pas vu la pièce, désireux de nous entraîner à leur suite, prétendent qu'il s'agit de tableaux humoristiques : la vie de cette société étrange, vue par un intellectuel qui en subit les étrangetés. M. Small fut professeur de littérature à l'Uni­versité de Cape Town, mais comme il n'était pas nommé « à vie », il la quitta pour se consacrer à la littérature et au journalisme. C'est un des héros de cette presse anglo­phone dont le ton est tel, en général et en particulier, que *Le Monde* en comparaison semble feuille fanatiquement patriote. 54:237 La pièce, jouée devant une salle comble, me déçoit et m'alarme. Elle me déçoit en cela qu'il n'y a pas de pièce, mais une succession de scènes rageuses contre le « Sys­tème » dont se dégage un ennui à dormir debout ; elle m'alarme, parce que le désir de mort occidental est tel qu'il suffit d'un abracadabra triste et plat aux trompettes de la Révolution pour s'assurer l'éloge des journaux, des critiques, du public. Notez que les jeunes acteurs/trom­petteurs de la pièce, une quinzaine, sont pour la plupart des « coloureds » qui ont accompli leurs études dans les universités blanches ; cela ne les empêche pas de dénoncer l'apartheid et les autorités, vulgairement, sans le moindre esprit. Si la révolution du temps de Voltaire s'accompa­gnait d'esprit, d'aphorismes, de traits décochés sur le vif, elle nous ensevelit aujourd'hui sous un amas de stupidités monotones. Et dire que ce Small est critique littéraire... \*\*\* *Sabie Game Park, juillet. --* Impossible de quitter l'Afrique du Sud sans avoir rendu visite aux animaux encore sauvages des « game parks », dont le Kruger, grand comme la Belgique. On me persuade cette fois d'en visiter un autre : le Sabie, géré par une famille sur sa propriété privée. Accueil très gentil ; trois excursions par jour pour « voir les animaux ». Hélas, il n'y a pas de petits béné­fices : tandis que dans le Kruger Park, géré par l'État, le visiteur n'est pas autorisé à quitter sa voiture (moins pour le protéger contre les animaux que pour protéger ceux-ci contre sa curiosité), et qu'il doit réintégrer le camp de huttes avant 18 heures, ici le propriétaire organise des battues dans la brousse et fait visiter « ses » animaux même à neuf heures du soir. Vers 21 heures, justement, nous tombons sur un animal rarissime, un léopard. L'obscurité est totale mais notre land rover dispose de puissants réflecteurs (!) qui inquiètent l'animal. Il nous regarde, comme pour nous implorer de le laisser en paix, puis disparaît parmi les arbres et les hautes herbes. Le lendemain matin nous retrouverons ses traces auprès d'une carcasse de girafe, déjà en décomposition. 55:237 Ces « game parks » dont regorgeait l'Afrique colonisée sont en voie de disparition. Le Noir en effet n'éprouve aucun respect à l'égard des animaux ; il ne voit en eux que nourriture ambulante, et les massacre en grand nombre pour la chair, la peau (ou les défenses d'éléphant). Les guerres aussi, en Angola, en Rhodésie, en Namibie, pro­voquent des ravages parmi les grands fauves : les guéril­leros, pour la plupart habitants des villes, crèvent de peur en traversant ces parcs et lâchent des rafales de mitrail­lettes sur les troupeaux d'éléphants, de girafes, les lions, les hippopotames, les rhinocéros. Pour ma part, je ne connais rien de plus exaltant que de suivre à l'aube les traces des animaux et de les surprendre au bord d'un lac ou d'un cours d'eau, buvant paisiblement, les zèbres à deux pas des lions heureusement rassasiés : images de la Genèse, la vie sortant des mains du Créateur. \*\*\* *Pretoria, juillet. --* Le pays entier ne parle et n'écrit que de l'affaire Rhoodie, secrétaire d'État à l'information jusqu'à une date récente, et objet au moment où j'écris ces lignes d'une demande d'extradition adressée par Pretoria au gouvernement français. J'ai connu Rhoodie à New York. Afrikaner très am­bitieux, il s'ingéniait à créer dans le monde, par des voies clandestines, un courant de propagande favorable à son pays. C'est à cette fin qu'il dépensait ses fonds secrets, achetant tour à tour journaux, journalistes et politiciens en Afrique noire, en Europe, aux U.S.A. Il s'était engagé à fond, et visait toujours très haut. Mais, entouré de com­patriotes rigoureusement calvinistes et sans imagination, poursuivi aussi par ces media anglophones qui détestent les Afrikaners et leur souhaitent tout le mal possible quand bien même cela devrait entraîner l'effondrement général du pays, -- Rhoodie donc s'est fait prendre comme un vulgaire escroc qui aurait abusé des fonds qu'on lui avait confiés pour cette tâche somme toute patriotique. Les Sud-Africains semblent même assez fiers d'avoir ainsi leur propre Watergate, qui les met sur un pied d'égalité avec les merveilleux Américains. Pour un latin, le « crime » de Rhoodie n'en serait pas un : il a agi dans l'intérêt de son pays, pour le défendre et le relever, tandis que les géno-trucideurs de toute espèce sont partout à l'honneur. 56:237 Rarement fonds secrets auront été si bien utilisés, et Pretoria ne craint pas le ridicule, de vouloir juger ce bon serviteur pour la somme de 87.000 rands, un peu plus de 400.000 francs. Mais le purita­nisme n'est pas seulement non-imaginatif, et mesquin, il est surtout stupide. Car Rhoodie, détenu à Aix-en-Pro­vence, est en train de mettre ses menaces à exécution : il fait publier des articles aux Pays-Bas, qui sont autant de batailles perdues d'avance pour Pretoria ; les complicités qu'il y révèle mettent en cause tout le personnel politique de ce pays, déjà « ennemi du genre humain ». \*\*\* *Potchefstroom, août. --* On m'a demandé de donner des cours dans cette petite ville universitaire. Les étudiants n'y sont pas pires qu'ailleurs, dans cet Occident victime de sa propre politique scolaire qui consiste à traîner tout le monde sur les bancs de l'université. Conséquence : des troupeaux de moutons de Panurge, aussi curieux qu'un crocodile des disciplines qu'on leur fait avaler. Seul les intéresse l'emploi auquel le diplôme, pour eux, donne automatiquement droit. Peut-être aussi les sports. Cela dit, j'ai affaire à de braves garçons et filles, beaucoup plus polis et mieux habillés que les étudiants de New York. Ce qui n'est pas très difficile à réaliser. (*A suivre.*) Thomas Molnar. 57:237 ### Lettre du Québec *Réflexion catholique\ sur* «* Les fées ont soif *» par Eugène Lavigne Au début de son éloge des *Deux Royaumes,* recueil d'es­sais composés par Pierre Vadeboncœur ([^66]), mon ami Claude Maisonneuve mentionne une « œuvre » ou une « pièce » jouée l'automne dernier à Montréal. « Mise en pièces » conviendrait mieux, si l'on tient compte de la chronique du théâtre que signe Jean-René Ethier dans le mensuel *Relations* (Montréal, janvier 1979). Il y dépèce, en effet, *Les fées ont soif*, saloperie blasphématoire, dont le secrétaire de la revue, prêtre et jésuite, se force gauchement à prendre la défense par souci de liberté évangélique ! De l'analyse d'Ethier, il reste des *membra disjecta* qui sentent la décomposition, puisqu'on n'y aperçoit ni caractères, ni action, ni style. Des types -- la vierge, la mère de famille, la prostituée -- ne constituent pas des caractères. On ne cons­truit pas un drame ou une intrigue avec des profanations et des polissonneries monologuées. Et comment attribuer le titre d'auteur à qui, pour tout effort, se contente d'offrir à trois actrices l'occasion de débiter les sacrilèges et les obscénités dont se glorifient les « enterrements de vie de garçon » ou les conversations de voyous ? 58:237 Tel a cherché à réduire la portée du scandale en disant qu'on a tout au plus articulé en les stylisant les éructations de tavernes ou même de certains salons. Sophisme étonnant : la seule stylisation du réel obscène et impie tient ici au décor imaginé pour les trois monologues. Courageux et propres, des jeunes gens alertèrent la popula­tion, que des journalistes avaient provoquée en exhibant quel­ques « morceaux choisis », avec l'air d'inviter à la protestation ou même à la censure (le mot fut employé), sans manquer d'émouvoir la curiosité malsaine. Il était facile de prévoir que celle-ci l'emporterait sur celles-là. Car on exploita le refus que le Conseil des arts sut opposer à une demande de subvention effrontément présentée par les organisateurs du spectacle. L'épouvantail de la censure joua son rôle à merveille. Tout lui servit : l'inquisition moyenâgeuse, l'obscurantisme intégriste, voire « l'affaire Galilée », automatiquement sortie des fiches de l'ignorance privée d'étoile. Le scandale était dans l'air. Il éclata sur la scène. Une vingtaine de mille personnes y allèrent s'ébaudir ou s'écœurer, selon les dispositions de leurs viscères. Et dans les quotidiens, « le coin des lecteurs » s'agita d'indignations contradictoires. Le piment de la chamaille, ce fut l'approbation, avec ou sans réserve, que plusieurs prêtres commirent l'indécence de ré­pandre dans la presse et sur les ondes. Les uns s'étaient hâtés d'y « aller voir » ; d'autres sautèrent sur l'occasion pour dégoiser contre les « excès » et les « méfaits » de la dévotion et de la prédication mariales au Québec ! Imaginez ! Surtout après la « démythologisation » farouchement opérée, ici comme ailleurs, par les « experts » et les curés postconciliaires. Avec son vicaire général, devenu depuis lors son auxiliaire, l'archevêque crut bon d'intervenir. Malheureusement sur le ton des pasteurs d'aujourd'hui, plus intéressés à la sociologie et aux « droits de la personne humaine » qu'au salut des âmes par le service exigeant de la vérité. Plus tard, on pria un théologien, d'ailleurs non officiel, d'abstraire du purin auquel s'abreuvent nos « fées » les précipitations corrosives des dogmes ou ruineuses de la morale et de la piété catholiques. De l'énumération des blasphèmes et sarcasmes antireligieux qu'il n'eut aucun mal à détecter, le prêtre couvrit près de vingt pages. Outre l'essentiel de la doctrine concernant l'Incarnation du Fils de Dieu et la maternité virginale de Marie, on y voit bafouées les rigueurs et les délicatesses de la chasteté chré­tienne, avec la grossièreté coutumière, paraît-il, chez les femmes prêtes à concurrencer, par leurs déjections, l'épaisseur des crachats masculins. 59:237 Pour achever le défoulement de son obsession frénétique, Denise Boucher, à la fin, anime la statue qui jusque là « ventriloquait » seulement au nom de la virgi­nité ; puis, l'embouchant d'un langage de lupanar, elle lui impose de participer au viol hurlant de la prostituée. L'action du viol est confiée à un oiseau dont le bec étreint un énorme appendice. Et une note marginale spécifie que cet oiseau a une grande importance dans la symbolique chrétienne ! Femme est l'auteur de cette gargouille immonde. Femme aussi, par malheur, le juge dont la sentence débouta les jeunes protestataires, que ne visait pas « personnellement » le spec­tacle incriminé !!! Comme si tout chrétien ne devait pas normalement avoir envie de vomir en lisant ou en écoutant les blasphèmes et les obscénités que charrie, avec une applica­tion nauséeuse, la « pièce » de Denise Boucher. Selon une spectatrice, quand le rideau tombe, il ne reste à une femme respectable que la dignité de savoir rougir. Hélas ! les divagations impudentes ou captieuses de cer­tains clercs forcent le prêtre normal à une mise au point doctri­nale. On a relevé les atteintes bassement stupides aux dogmes et à la piété catholiques. Voici une réflexion de théologie morale qui non seulement confirme le bien-fondé de l'action intentée contre *Les fées ont soif,* mais peut montrer que cette hideuse bouffonnerie logiquement mène à la faillite du rêve conçu par l'auteur : *l'émancipation de la féminité.* Car tel est *le* thème déroulé en trois variations. Pour être femme, coassent les « fées », il faut avoir joui sexuellement. N'accèdent pas à la plénitude féminine : la vierge (avec ou sans majuscule), la prostituée commerciale, l'épouse froidement contrainte à la fécondité. \*\*\* Or, par la licence inconditionnelle de jouir, ni la femme ni l'homme ne sauraient contribuer à leur plein accomplissement. Même en bonne philosophie naturelle, le plaisir est subordonné à la perfection de l'activité sensible. Chez l'être humain, la perfection de l'activité sexuelle est inséparable de l'amour. Comme l'amour humain transcende et ordonne le sexe, il peut et doit loger dans le cœur (dit la Bible) ou dans le cerveau (disent les neurophysiologues) avant et durant toute expression sexuelle. L'effet de l'amour en acte est la joie. L'effet de l'ex­pression sexuelle de l'amour est le plaisir lié à la joie de la communion conjugale. L'expérience psychosociale corrobore cette élémentaire phi­losophie. Dans le mariage, dès que l'amour cède à l'égoïsme, surgit le risque ou la tentation de chercher pour lui-même le plaisir des sens, aliéné de la joie que procure seule la fidé­lité à l'amour juré. Car, de soi, la communion conjugale est telle qu'une fois réalisée dans la chair, elle *lie* les conjoints jusqu'à la mort. 60:237 D'autant que, pour la femme surtout, la qualité de la jouissance dépend de *l'exclusivité* et de la *continuité* (ensemble) du don de son corps au *seul* et *même* amour partagé de son cœur. Voilà pourquoi la recherche du plaisir génital hors de la communion conjugale amoureusement fidèle con­trarie la nature et entraîne perversion et déséquilibre. Freud a écrit : Nous qualifions de perverse toute activité sexuelle qui, ayant renoncé à la procréation, recherche le plaisir comme un but indépendant de celle-ci... Tout... ce qui sert uniquement à procurer la jouis­sance reçoit la dénomination peu recommandable de « pervers » et est, comme tel, voué au mépris. (*Introduction à la psychanalyse,* Payot, Paris, 1959, p. 340.) Et saint Paul, avant Freud (1 Cor 6 : 18) : l'impudique pèche contre son propre corps. En *le* dénaturant, il *se* déséquilibre. La perversion et le déséquilibre sont entrés dans le monde par l'orgueil égoïste et revendicateur du premier couple. En est affecté d'abord et surtout l'ordre de l'amour humain, exprimé ou non par la copule charnelle. Il s'ensuit que la joie et l'équi­libre de cet amour passent désormais par la Loi nouvelle du Christ Sauveur, qu'on peut ici (pour ne pas répéter l'enseigne­ment bimillénaire de l'Église « hors de laquelle il n'y a pas de salut ») résumer dans la béatitude des cœurs purs (*Mt* 5 : 8). Il y a des degrés dans la pureté du cœur. Les Cœurs de Jésus et de sa Mère la réalisent en plénitude : le premier par nécessité divine, le second par grâce unique, appropriée à sa mission corédemptrice. En nous, la pureté du cœur s'accom­mode des divers états de vie. Elle n'exclut absolument que le désordre ou (selon l'Évangile et l'explication qu'en offre le petit catéchisme) la révolte contre les commandements de l'Amour bienfaisant de Dieu. Dans l'obsession qui caractérise l'appétit effréné de « la jouissance de leur corps », les « fées » assoiffées de déséquilibre et de perversion témoignent de leur mépris pour la béatitude des cœurs purs. Elles se vouent, par le fait même, à la névrose (dont leur obsession constitue déjà un symptôme) et au malheur. Tout à l'opposé de cette désorientation humaine, la virginité consacrée à Dieu, le célibat lucidement choisi ou accepté, le mariage fondé non sur l'érotisme fugace et capricieux, mais sur l'amour de *charité* (qui n'a jamais *raison* de rompre son contrat), répondent à des vocations naturelles et surnaturelles parfaitement compatibles avec la béatitude des cœurs purs. \*\*\* 61:237 Que manque-t-il donc à notre milieu pour prévenir ou exorciser les hallucinations de nos pythonisses maquillées ? Simplement de connaître et d'observer *l'ordre* naturel et sur­naturel qui *s'impose* à l'homme et à la femme dans leurs mu­tuels rapports. Ils sont créés par Dieu (Amour et Vérité) pour pratiquer ensemble, au masculin et au féminin, un même et unique commandement, celui de l'amour adulte : *oblatif,* disent les psychologues, *de charité,* dit la théologie. Or, masculin et féminin se complètent et donc s'entraident parce qu'ils ont une manière *différente* de vivre le *même* commandement de l'amour. Cette différence entraîne une exigence de mutuelle dépendance que le pape Pie XI a très bien exprimée à la suite de saint Paul. Pour le pape des encycliques *Casti Connubii* (mariage) et *Divini illius Magistri* (éducation), l'homme, dans la société, *doit* (et donc peut s'il le veut) assurer, non pas seul, mais pri­mordialement, un ordre de *raison ;* la femme *doit* (mêmement) assurer un ordre de *tendresse.* Sans oublier que tendresse et raison composent et intègrent l'ordre d'un *unique amour* dont le commandement oblige *également* l'homme et la femme. Saint Paul avait indiqué nettement la réciprocité de dépen­dance qui soumet l'homme à la femme et celle-ci à son sem­blable masculin. Dans sa première lettre aux Corinthiens, il écrit (11,11) que « la femme ne va pas sans l'homme, ni l'homme sans la femme » (masculin suppose féminin et réci­proquement), « car si la femme a été tirée de l'homme » (pour être son associée), « l'homme à son tour naît de la femme » (et dépend de sa mère à un *degré* impossible à exagérer, même s'il faut préciser que la *qualité* de l'influence maternelle dépend de la qualité de l'amour rendu à l'épouse par le mari). Et, conclut saint Paul, « tout vient de Dieu ». Cela signifie que, chacun selon sa structure immuable, le masculin et le féminin *partagent* entre eux une dépendance et une primauté non absolues, mais normales, une vocation, une responsabilité plus sexuelles, intimes, affectives et personnelles chez la femme, plus rationnelles (ce qui n'équivaut pas infailli­blement à raisonnables), extérieures, sociales et politiques chez l'homme. Les exceptions confirment, elles ne sauraient infirmer ou bouleverser cet *ordre,* qui est de nature et aussi de rédemp­tion, comme la sainte Famille de Nazareth en donne l'admirable illustration. Ainsi, malgré l'ire aveugle de trop d'hommes et de femmes, nous devons dire que le masculin est au *service raisonné* du féminin sur le plan sexuel, domestique et personnel, tandis que le féminin est au *service oblatif* du masculin sur le plan de l'action extérieure et sociale. Dans *Les fées ont soif* et le fémi­nisme hystérique, on saccage cet ordre, contre lequel rien ne prévaudra jamais. 62:237 Le diable (« diviseur » par définition) pousse masculin et féminin hors de leur « sens » propre, soit par excès, soit par défaut. Il obtient, au Québec qui se veut original et libre, un succès « hénaurme » de singerie et d'es­clavage, exactement semblable à celui qu'il a remporté dans le premier jardin (relire le chapitre 3 de la Genèse). Jugera-t-on malsaine toute revendication féminine au Qué­bec ? Non. Mais les féministes, elles, s'égarent dans un chemin sans issue ; elles se cassent la tête contre un désordre qu'elles durcissent, qu'elles encouragent par leur dérèglement. L'homme *naît* de la femme, dit saint Paul. La psychologie découvre que la *croissance* normale du petit homme, pendant les trois ou quatre premières années de sa vie, tient surtout à l'influence *équilibrée* de sa mère. L'Évangile, enfin, présente dans la sainte Famille de Nazareth le modèle sûrement efficace des rôles masculin et féminin. Là éclatent la subordination sexuelle de l'homme à l'égard de la femme et l'effacement (relatif) de celle-ci devant la responsabilité publique de celui-là. \*\*\* Disons donc aux mères de famille : éduquez vos enfants si bien que les filles aient le goût de ressembler librement à Marie (celle de l'Évangile, non celle des folles « fées »), soit dans sa virginité humble et glorieuse, soit dans sa maternité coré­demptrice ; et que les garçons, par leur respect de la virginité, leur admiration de la maternité, se plaisent à remplir envers l'une et l'autre leur *devoir inaliénable* de protecteurs au foyer, de législateurs et de défenseurs dans la cité. L'accomplissement convenable des deux vocations, mas­culine et féminine, parce qu'il suppose le secours de la grâce, réclame le ministère informé, adulte et inconditionnel du prêtre célibataire, dans un milieu propice à son action sacramentelle et à l'intégrité de sa consécration, bref, à l'ordre que nous venons d'esquisser. On devinera, sous-jacente à nos propos, une « thèse » qui mériterait le développement d'un livre. Les réflexions qui précèdent, forcément sommaires, peuvent cependant aider à faire comprendre que, pour la femme, choisir de se désacra­liser par une quête sans frein de la jouissance, c'est avec certitude non seulement institutionnaliser l'image de la « femme-objet », *chose* des hommes, des autres femmes ou de soi-même, mais plus certainement encore préparer l'élaboration (si l'on peut dire) de la « femme-déchet », *reste* d'une décadence préci­pitée par ce choix. Scandale évident, au double sens du mot : étonnement sensationnel des foules étourdies, qu'ont répercuté outre mesure la presse et les ondes, provocation à l'impiété et à l'impudicité. 63:237 Ce que le respect naturel et surnaturel de soi-même et des autres rend difficile à comprendre, c'est la réaction de gens « cultivés », voire « chrétiens » qui se « scandalisent » (au sens populaire d'étonnement) du refus de subventionner un navet « scandaleux » (au sens théologique de provocation au péché) et protestent contre la censure visant à en interdire la distribution. Car l'impiété et l'impudicité nuisent à l'organisme social mille fois plus gravement que la vente de drogues nocives à l'organisme des individus. Le frein imposé par les gardiens de l'ordre public à une mortelle « liberté d'expression » pseudo-artistique ne devrait donc pas agacer les esprits normaux plus que la réglementation du commerce pharmaceutique...Ajoutons pour finir : un chrétien averti, un prêtre surtout se renieraient eux-mêmes, comme tels, s'ils n'avouaient que leur seule présence, favorable ou non, au spectacle des « fées » (sa perversité étant connue par les journaux) les a chargés d'une faute morale très grave, qui ne peut trouver excuse dans la simple curiosité. \*\*\* Un écho du romantisme dépressif ne cesse de bruire, et même, dans *Les fées ont soif,* il aboie : « Vous les voulez trop purs les heureux que vous faites. » L' « enfant du siècle » qui exhalait cette plainte constatait presque simultanément : *L'hypocrisie est morte : on ne croit plus au prêtre.* *Mais la vertu se meurt : on ne croit plus en Dieu* Pourquoi Musset n'a-t-il pas compris que tout se tient ? Hélas dans *Les fées ont soif*, l'auteur n'a pas plus de clairvoyance ; ses admirateurs et défenseurs lui ressemblent. On leur souhaite l'humble lucidité d'Augustin. Il avait connu la « souillure », que Musset croyait ineffaçable. Il l'avait « lavée » dans « la mer » de la grâce. Et il enseignait qu'à force de tout voir, on finit par tout accepter, et qu'à force de tout accepter, on finit par tout approuver. Le faux droit invoqué de voir, de penser, de dire n'importe quoi devant n'importe qui, inhérent, dit-on, à la « liberté dé­mocratique », un grand pape, Grégoire XVI, l'a qualifié de « délire ». Ce n'est pas par le délire, sexuel ou autre, qu'on coo­père au progrès de la culture, de la morale, de la religion de ses concitoyens. Eugène Lavigne. 64:237 ### Ce petit cap de l'Asie par Louis Salleron CE N'EST PAS 1945 mais 1918 qui a marqué la grande rupture de l'Occident. Et ce ne sont pas les écrivains des trente dernières années mais ceux de l'entre-deux-guerres qui ont compris que le règne de l'Europe était fini, du moins dans la forme historique que nous lui connaissons. Finistère du cap de l'Asie, notre pays a peut-être l'avan­tage d'être plus éloigné de la masse qui glisse lentement de l'Est vers l'Ouest, mais il a l'inconvénient majeur d'être moins sensible à sa menace quand même il n'y voit pas un heureux contrepoids aux dangers que l'Histoire a inscrits dans sa mémoire à la frontière du Rhin. L'Europe, disait Valéry, aspire visiblement à être gou­vernée par une « commission américaine ». Elle y aspire plus encore après cette guerre-ci qu'après la précédente. Dans les ruines, elle n'avait d'ailleurs pas le choix. Au­jourd'hui tout est différent. Ne tentons pas de faire le tableau d'une situation qui est si claire dans sa confusion que chacun la perçoit immédiatement. Étrangement, chaque pays, alors qu'il dépend de plus en plus de tous les autres, tient son propre sort entre ses mains comme il n'en a peut-être jamais eu l'occasion ni le pouvoir. Pourquoi ? Sans doute parce que l'équilibre international est si fragile et le dogme de la non ingérence dans les affaires d'autrui si révéré qu'il peut faire chez lui ce qui lui plaît à condition de respecter certaines règles du jeu qui, étant purement formelles, ne gênent personne. 65:237 Certes les atouts des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Mais peut-on dire que ceux de l'Allemagne, du Japon ou de la Corée du Sud soient, au départ, tellement supérieurs aux nôtres ? Si donc la France est malade, c'est à la France elle-même qu'il appartient de se guérir, et d'abord de diagnostiquer son mal. Or le mal français n'est pas celui que croient apercevoir MM. Giscard d'Estaing et Alain Peyrefitte. S'il est vrai que les nations protestantes ont conquis l'empire du monde du XVIII^e^ siècle à nos jours, les raisons qui ont fait leur succès étaient circonstancielles et n'existent plus aujourd'hui. Les États-Unis, qui ont relayé la Grande-Bretagne, n'ont pas les soubassements politiques de celle-ci. En trente ans leur capitalisme libéral a semé les germes de leur auto-destruc­tion et ils ne gardent leur rang suprême que par la terreur qu'inspire la riposte foudroyante que s'attirerait quicon­que les attaquerait directement. Ailleurs, tout évolue, lentement ou rapidement, selon les lois implacables de la démocratie dont le terme logique, dans un monde fini et complexe, est le socialisme. Certes il y a bien des formes du socialisme, selon les traditions et les tempéraments des peuples, comme selon les chances de l'époque pour chacun d'entre eux. Mais à ce double point de vue tout joue contre la France. Charles Bonnefon, dans son « Histoire d'Allemagne » disait : « Interrogez deux socialistes, l'un allemand, l'autre français, tous deux cultivés, tous deux connaissant la doctrine de leur chapelle. L'un finira toujours par dire « Discipline et obéissance ». L'autre « Liberté et éga­lité » ([^67]). » Ce n'est qu'une des raisons qui expliquent la vigueur actuelle de l'Allemagne et la faiblesse de la France, mais elle est importante. Chez nous le mélange de libéra­lisme et de socialisme cumule les vices des deux idéologies beaucoup plus que leur qualité. Notre liberté n'est que licence asservissante et débilitante ; notre égalité n'est qu'un mythe engendrant à perpétuité des inégalités nouvelles plus accentuées et plus injustes que celles qu'il prétend supprimer. 66:237 Le mal français est d'abord un mal de l'intelligence. Mal curieux car il est inaperçu de ceux qui en sont at­teints et qui sont précisément ceux qui composent la classe intellectuelle -- l'intelligentsia. Ils n'ont que la liberté à la bouche, ils se veulent libres, ils se croient libres et ils ne sont que les esclaves d'un mot et d'une idéologie qui installent, parmi eux-mêmes, le sectarisme et la tyrannie, dans la plus totale indifférence à la vérité et à la réalité. D'où ce conformisme et ce terrorisme qui paralysent à la fois la vie intellectuelle et la vie politique, en dévorant comme un cancer l'énergie vitale de la France. Si le mal français n'est pas perçu dans sa nature par ceux qui en sont la cause, il l'est, pour tous, dans sa conclusion inévitable qui est l'alternative suivante : ou bien une décomposition sociale toujours aggravée qui soumettra la France à la domination, de droit ou de fait, de l'étranger, ou bien une réaction dictatoriale. C'est celle-ci que tout le monde redoute. On ne peut y échapper que par un régime d'autorité, capable des actes de redressement dans le respect des libertés fondamentales. Mais c'est l'autorité dont l'intelligentsia ne veut pas. C'est l'autorité qu'elle dénonce, la confondant à dessein avec la tyrannie, dont elle est le contraire, parce que son dogmatisme, son sectarisme et sa bêtise lui ont fait perdre jusqu'à la notion de justice et de vérité. La situation qui en résulte présentement est aussi bouffonne que tragique. L'inflation, le chômage, l'insécurité accablent le pays. Le gouvernement ne les combat qu'en aggravant les mesures qui en sont la cause. Renforcement de la fiscalité, accroissement des charges sociales, multi­plication des règlements incompréhensibles ou inappli­cables qui suscitent la fraude et l'irritation générale dans une injustice et une inégalité toujours plus sensibles. Des campagnes ridicules déconsidèrent le Pouvoir. On chasse le « gaspi » dans un gaspillage universel. On proclame la lutte pour les économies d'énergie, tandis qu'autos et motos « symboles de la liberté » pétaradent à qui mieux mieux dans les courses et sur les routes. On se garde d'aug­menter le prix du tabac, dont la vente est déficitaire (on se demande par quel miracle !) et qu'on dénonce comme une cause majeure du cancer, parce que ce serait toucher à un élément de l'indice des prix et aux habitués de la gau­loise. 67:237 Tout se fait d'ailleurs à la sauvette, dans une infor­mation incohérente qui annonce et dément n'importe quoi jour après jour. En ce premier jour d'octobre où j'écris, nous avons été informés que le prix des timbres augmen­tait. La lettre passe d' 1,20 à 1,30. C'est tout ce qu'on sait. Si ma lettre pèse 30 grammes, j'ignore son prix d'affran­chissement. Et il faudra que je mette ma ceinture de sécurité pour aller jusqu'à la grand poste obtenir là dessus des renseignements incertains. On définissait na­guère le régime totalitaire comme celui où tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire. Nous n'en sommes pas loin. Le fossé entre le pays légal et le pays réel se creuse et s'élargit chaque jour davantage. L'indifférence, teintée d'exaspération avec laquelle les Français ont suivi la cam­pagne des « quatre grands » pour les élections européennes ne semble pas avoir instruit ceux-ci. Les « présidentielles » sont leur grand souci. Leurs intarissables bavardages n'ont pour objet que de nous faire savoir les combinaisons qu'ils préparent pour en préparer d'autres. Toute la vie politique se résume à la conquête d'un Pouvoir désormais vide de tout contenu. Personne ne semble s'apercevoir que le problème est aujourd'hui de refaire le Pouvoir. Mille ans ont séparé la chute de Rome de celle de Byzance. La seule question qui se pose, dans l'état actuel des choses, est de savoir si Paris sera Rome ou Byzance. Louis Salleron. 68:237 ### Saint François par G. K. Chesterton Il vient de paraître chez DMM un nouvel ouvrage de Chesterton : son *Saint François d'Assise* ([^68]) Comme l'a écrit Hugues Kéraly dans le numéro spécial de la revue ITINÉRAIRES consacré à Chesterton ([^69]) : « Il faut lire le *Saint Thomas* de Chesterton pour entrevoir ce que peut dans l'Église la charité intellectuelle servie par la lumière d'un grand esprit ; et pour comprendre ce que veut l'amour des hommes, la charité tout court, comme la foi l'a toujours compris, son *Saint François d'Assise*. » En voici quelques extraits. **Pour comprendre saint François** Voulez-vous comprendre saint François ? Acceptez de commencer par le commencement : le début de sa vie. 69:237 Quand François dit, dès ce début, qu'il est un troubadour et, par la suite, qu'il est le troubadour d'une histoire d'amour très neuve et très noble, ce n'est pas pure méta­phore, et il se comprend beaucoup mieux que ne le com­prennent nos intellectuels. Il fut, jusque dans ses angoisses extrêmes d'ascète, troubadour. Et il fut amant. Il fut un amant amoureux de Dieu et réellement et véritablement amoureux des hommes -- et peut-être est-ce là une vocation mystique beaucoup plus rare. Mais atten­tion : être amoureux des hommes, c'est quasiment le contraire d'être philanthrope. Ce mot pédant a d'ailleurs, dans son hellénisme, quelque chose d'une caricature de lui-même. Est-ce qu'un philanthrope ne serait pas l'ami des anthropoïdes ? François, lui, n'aimait pas l'humanité, ni le christianisme : il aimait les hommes et le Christ. Dites, si vous y tenez, qu'il était fou et amoureux fou d'un être imaginaire ; mais d'un *être,* pas d'une *idée.* **Saint François l'ascète** Saint François, certes, fut un ascète et austère ; mais point sombre. Tout est là. Désarçonné, glorieusement hu­milié par la vision de son absolue dépendance de l'amour divin, il se livra au jeûne et à l'abstinence aussi furieuse­ment qu'il s'était fait guerrier. Il avait fait faire volte-face à sa monture mais sans marquer d'arrêt et il continuait à charger, plein de fougue. Il ne s'agissait pas de retrancher pour retrancher, ni de se mettre à l'école du stoïcisme et pas davantage de se maîtriser dans le seul dessein de se tenir en main. Il s'agissait de tout mettre en œuvre comme pour servir une passion. Et cela avait bien l'air d'être un plaisir. François dévorait les jeûnes comme d'autres la nourriture. Il courait après la pauvreté comme d'autres se sont rués vers l'or. Cet acharnement passionné, cet appétit for­midable, c'était son défi au monde moderne assoiffé de plaisirs. 70:237 Mais ce n'est pas tout. Ce fait, historiquement incontestable, se doublait d'un autre, également assuré. Cette conduite héroïque -- ou anormale -- du moment où il sortit dans la forêt gelée vêtu de son seul cilice, jusqu'au moment où il fut à sa demande couché sur le sol nu pour y mourir, il est certain qu'elle fut la sienne parce qu'il voulait prouver qu'il n'avait et n'était rien. **Saint François le poète mystique** Ainsi s'élève de ce qui est presque un abîme de néant, la noble Louange que nul ne peut comprendre tant qu'il la confond avec le culte de la nature ou l'optimisme pan­théiste. D'ordinaire, quand nous disons d'un poète qu'il loue la création nous entendons qu'il loue toutes les créa­tures. Mais le poète mystique loue réellement l'acte par lequel toutes choses sont créées. Il chante le moment où l'être succède au néant, et sur lequel se projette l'ombre de ce pont qui donne au prêtre son nom archaïque et mys­térieux. Le mystique qui remonte jusqu'au moment où il n'y a plus que Dieu, rien que Dieu, contemple en quelque sorte ce commencement sans commencement où il n'y avait rien d'autre. Il voit chaque chose et le néant dont elle fut tirée. D'une certaine manière, il souffre et endure l'ironie dévastatrice du Livre de Job ; en un certain sens, il regarde creuser les fondations du monde tandis que le chœur des étoiles chante l'aube naissante et que les fils de Dieu clament leur joie. Ceci explique, si faiblement que ce soit, pourquoi le premier franciscain, dépenaillé et désargenté, sans foyer et apparemment sans espoir, allait son chemin en chantant un cantique digne du chœur des étoiles, fils de Dieu clamant sa joie. 71:237 **Les franciscains** Sauf par choix, nul n'était tenu d'obéir au petit homme à la tunique brune. Et même celui qui l'avait choisi pour chef demeurait relativement libre dans ses rapports avec lui si l'on compare avec ce qui se passait ailleurs. Il devait obéissance mais il était indépendant : il était libre comme l'air, presque follement libre, dans ses rapports avec le reste du monde. Car ce monde de dépendances sociales, professionnelles et familiales était, nous l'avons dit, comme un filet aux mailles serrées. Toute l'idée de saint François était que les petits frères, menu fretin, devaient passer à travers ses mailles. Et, parce qu'ils étaient insaisissables, ils passaient effectivement : ils n'avaient rien par quoi le monde put les attraper. Car c'est surtout par les franges de nos vêtements, par les futilités, que le monde nous saisit. « Un moine ne devrait rien posséder que sa harpe » dira plus tard un franciscain. Il entendait par là, je sup­pose, qu'il devrait s'occuper seulement en bon ménestrel d'aller de châteaux en chaumières pour chanter la joie du Créateur dans sa création et la beauté de la fraternité humaine. Imaginons la vie de cette espèce de vagabond visionnaire, aussitôt nous verrons ce qu'avait de pratique cet ascétisme qui effare les gens soi-disant pratiques. Voya­geur sans bagages, il pouvait aller vite et loin, il demeurait assez mince pour passer à travers les barreaux de toutes les cages. Il débordait et dépassait le monde temporel qui ne savait que faire de lui : c'était là toute l'astuce de cet innocent calcul. On ne peut pas effrayer par la menace de la faim quelqu'un qui ne cherche qu'à jeûner, par la menace de la ruine quelqu'un qui vit de mendicité, par la menace d'une volée de coups quelqu'un qui saute de joie à l'idée d'être battu. Et c'est une tiède consolation que de traiter par le mépris quelqu'un dont toute la dignité tient à un avilissement consenti de plein gré et que lui mettre la corde au cou, c'est risquer de lui mettre une auréole ! 72:237 **Saint François et sainte Claire** Les mystères de la vie de saint François, je l'ai sou­vent remarqué, trouvent leur expression la plus adéquate dans certains actes et certaines attitudes où la parole n'a joué aucun rôle. Pour parler de cet homme et de cette femme, je ne vois pas de meilleur symbole que celui de l'incendie de la maison de Claire tel que la légende popu­laire le rapporte. Une belle nuit les habitants d'Assise, croyant voir la maison de la sainte en flammes, se précipi­tèrent pour combattre le feu. Mais ils trouvèrent tout en paix et ne virent que saint François et sainte Claire, rom­pant le pain et devisant des choses de Dieu, pour une fois réunis. Il n'y a pas d'image plus saisissante de leur passion virginale et désintéressée, que cette colline flamboyante qui les entoure, que cette flamme qui s'alimente de rien, que cet air lui-même en feu. **La charité de saint François** Il honorait tous ses frères humains, c'est-à-dire qu'il les aimait et plus qu'il les respectait. Son ascendant extra­ordinaire venait de son regard. Aucun homme jamais ne vit les yeux bruns et brûlants de François Bernardone se poser sur lui, sans savoir avec certitude qu'un autre hom­me s'intéressait à lui, à sa vie intérieure en ce qu'elle avait d'unique du berceau à la tombe, et que, pape ou mendiant, sultan sous sa tente ou voleur au coin des bois, il était pris au sérieux et non point seulement porté sur les listes de quelque enquêteur laïc ou ecclésiastique. Or cette qualité d'attention, d'ordre moral et religieux, ne peut s'exprimer que par la courtoisie. 73:237 Les paroles n'y suffisent pas car ce n'est pas d'une ardeur abstraite qu'il s'agit. La bienveillance n'y suffit pas davantage car il ne s'agit pas plus d'une pure pitié. Il y faut une certaine élégance qui relève des bons usages. Dans le dépouillement et le dénuement de sa vie limpide saint François n'avait pas abandonné ses usages raffinés, ses manières royales, car il traitait la foule des hommes comme un peuple de rois. Ce qui était en vérité la seule façon d'atteindre chaque homme là où il voulait le toucher. Cela ne s'obtient ni par or ni par argent car n'importe quel voyou peut faire des largesses le mépris au cœur. Cela ne s'obtient ni par attention ni par application, car nombre de philanthropes et de bureaucrates de la bien­faisance ont au cœur un mépris bien plus glacial encore. Ni systèmes, ni méthodes, ni habiletés ne peuvent rendre à un homme qui les a perdus le respect de soi-même et le sentiment de communiquer avec son prochain. Mais un geste le peut. Ce geste saint François savait toujours le faire. On reconnut bientôt qu'il y avait là quelque chose de magique. Mais le charme opérait aussi en un autre sens. Car un geste de saint François était toujours parfaitement naturel et en vérité presque toujours un geste d'excuse. Il faut le voir ainsi, avançant rapidement parmi les hommes, avec une sorte d'impétueuse politesse et fléchissant le genou de telle manière qu'on ne savait si c'était précipitation ou révérence. Le visage ardent sous le capuchon brun était celui d'un homme qui ne cessait d'aller quelque part. On aurait dit qu'il s'apprêtait toujours à suivre un vol d'oiseau autrement que du regard. **Tournons-nous vers saint\ François avec reconnaissance...** Et maintenant tournons-nous vers saint François avec reconnaissance, car c'est l'attitude qui convient. Saint Fran­çois par-dessus tout aimait donner et il pratiquait cons­tamment la meilleure façon de donner qui est de rendre grâces. 74:237 Que Newman, cet autre grand homme, me per­mette d'emprunter le titre fameux de sa *Grammaire de l'assentiment* pour dire que saint François a écrit une grammaire de la gratitude, du remerciement. Car saint François comprenait jusqu'au tréfonds de lui-même le fondement de l'action de grâces ; et ce tréfonds était un abîme sans fond. Il savait que la louange divine repose sur sa base la plus solide quand elle ne repose sur rien. Il savait que nous ne mesurons bien à quel pro­dige nous devons d'exister, que lorsque nous devinons enfin quelle étrange miséricorde nous vaut d'échapper au néant. G. K. Chesterton. Reproduction interdite. Tous droits réservés. 75:237 ### Autour du jubilé par Jean Madiran LE RETENTISSEMENT dans les cœurs du jubilé sacerdotal de Mgr Lefebvre tient à la fois à sa personne et à son œuvre. Bien sûr, l'œuvre est toujours une ex­pression de la personne. Mais, jusque dans les œuvres les meilleures, il arrive que la personne n'ait pas la bonté, la délicatesse, la discrétion, la patience, la bienveillance, l'égalité d'humeur, l'attentive affection que Mgr Lefebvre prodigue inlassablement. Nous honorons et vénérons, par principe et devoir, tous ceux qui maintiennent la messe traditionnelle ; mais pour honorer, aimer et vénérer Mgr Lefebvre, nous n'avons besoin d'aucun effort vertueux. \*\*\* Ceux qui ont tendance à changer d'avis à chaque saison, dérivant à tout vent de doctrine supposée théologique, nous soupçonnent volontiers d'en faire autant et s'interro­gent sur nos positions comme si elles donnaient lieu à interrogation incertaine. Nous ne pouvons évidemment pas réimprimer chaque mois, fût-ce en résumé, tout ce que nous avons affirmé et exposé en deux cent trente six nu­méros d'ITINÉRAIRES. Mais nous ne pouvons pas non plus rester indéfiniment insensible à l'interprétation malveillante qui insinue que nous aurions, entre 1970 et 1979, changé de position sur la messe. 76:237 Non, nos convictions n'ont pas changé, nous en donnons s'il le faut la preuve par le fait à l'interrogation sur la messe, nous répondons en fournis­sant et refournissant, en demandant de lire et de relire ce que nous en avons écrit depuis le début ([^70]). Nous n'avons pas changé non plus d'attitude pratique. Nous l'avons dit plusieurs fois, nous ne pouvons le répéter chaque mois dans chacun de nos numéros, mais répétons-le cette fois encore : -- *Nous éprouvons et nous manifestons une vénération fi­liale, une profonde reconnaissance à Mgr Lefebvre et à son œuvre dans le monde entier ; à Mgr Castro Mayer qui a maintenu la messe traditionnelle dans toute l'étendue de son diocèse ; à Mgr Ducaud-Bourget qui l'assure aux Parisiens ; à tous les prêtres qui maintiennent vivante, en la célébrant, la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne. Mais nous répétons aussi : -- Nous le faisons, bien entendu, comme peut et doit le faire une publication de doctrine, de réflexion, de culture intellec­tuelle et morale, -- et non comme une feuille de petits échos, racontars, rumeurs, agitations et affabulations.* \*\*\* Actes et propos de Mgr Lefebvre sont volontiers quali­fiés de « politiques » par ses adversaires. Politiques au sens péjoratif du terme. Affirmation gratuite ? Oui, le plus souvent. Mais voici qu'Henri Fesquet, dans *Le Monde* du 25 septembre, a produit des pièces à conviction. Soyons donc attentifs : De la piété réelle, mais de type militaire, qui se dégage de la cérémonie, Mgr Lefebvre, dans son homélie, n'a fait, en expert, qu'une bouchée. Après quelques considérations d'ordre théolo­gique sur la messe de toujours, dangereusement mise à mal par celle d'aujourd'hui, qui se serait inspirée de Luther, l'orateur passe d'une voix tranquille et séduisante à des questions pure­ment politiques. 77:237 Le devoir de la France, dit-il, est de se donner « des *chefs catholiques *»*,* de telle sorte que soit écarté le danger communiste qui la menace. Mgr Lefebvre en appelle à une « croisade » pour recréer une chrétienté. « *Dans le Concile, les ennemis de l'Église se sont infil­trés et leur premier objectif a été de détruire la messe. La messe est essentiellement anticommu­niste. Le communisme c'est : tout pour le parti, tout pour la révolution ; la messe c'est : tout pour Dieu. Elle s'oppose au programme du parti, qui est un programme satanique. *» Nous avons enfin là des indications précises. Nous saurons désormais ce que l'on met en cause quand on reproche à Mgr Lefebvre de traiter dans ses sermons des « questions purement politiques ». Ces questions purement politiques sont celles... qui concernent la messe, la chrétienté, le communisme. Dire : « la messe, c'est tout pour Dieu », cela est traiter une « question purement politique », mais oui. Se dresser contre le communisme, *c'est-à-dire contre l'athéisme*, n'a rien de religieux. Vouloir refaire une chrétienté n'est pas chrétien. Bon. Mais alors, demanderez-vous, si tout cela est politique, et même « purement politique », où peut bien être le religieux, le proprement religieux, en quoi consiste-t-il donc ? Eh ! vous ne l'ignorez pas. Le purement religieux, selon l'évolution conciliaire, consiste à s'ouvrir au monde, à faire l'ouverture à gauche, à épouser son temps ; à faire avancer, le processus de démocratisation. Le purement religieux, c'est participer au syndicalisme révolutionnaire et à la lutte de classe. Cela se nomme *esprit évangélique.* Tandis que le terme même de « catholique », et la pré­tention pour des catholiques de se donner des chefs catho­liques, voilà qui est purement politique. Cette inversion systématique paraît tellement arti­ficielle que beaucoup de nos lecteurs estiment qu'elle est un simple truc : un truc grossier, bassement politique, parfaitement malhonnête. Sans doute en est-il bien ainsi chez certains filous de presse, de télévision et d'évêché. Le truc consiste à déclarer : *évangélique* la politique de gauche, et à réputer *politique* la religion traditionnelle. 78:237 Chez les dirigeants communistes, qui depuis Lénine vé­nèrent dans le mensonge leur principale méthode de pro­pagande, et par contagion chez leurs compagnons de route, il peut y avoir en effet truquage délibéré. Mais il me semble que la catégorie Fesquet est une autre catégorie, où ce sont les critères mêmes du discernement spirituel qui ont été modifiés. Je crois qu'en toute sincérité et conviction un Fesquet en est arrivé à ressentir comme *évangélique* le discours para-communiste d'un Helder Camara ou d'un Chenu, et comme *politique* la foi chrétienne de Mgr Le­febvre. D'ailleurs voyez. A l'alinéa précédant immédia­tement le paragraphe que nous avons reproduit, il cite ce passage d'un cantique traditionnel : *Parle, commande, règne,* *De l'univers sois roi.* Il le cite comme pièce à conviction décisive à l'appui de son jugement : « Les cantiques sont à l'image de cette as­semblée passionnée et qui flirte avec les mouve­ments politiques de droite : ils expriment inva­riablement l'autorité, la majesté, le triompha­lisme. » Les paroles citées, examinez-les bien, expriment tout simplement la foi en Dieu. La foi en Dieu telle qu'elle s'est toujours exprimée depuis le centurion de l'Évangile jus­qu'à Pie XII. Et même depuis Abraham : parle, commande, règne, « invariablement ». C'est une évolution très récente de la sensibilité religieuse qui s'agace maintenant de l'ex­pression traditionnelle la plus constante, la plus attestée, la plus sûre de la foi ; et qui la rejette comme triompha­liste, comme autoritaire, comme politique (de droite). Cette évolution religieuse n'est pas une simple astuce tactique, c'est un phénomène profond qui constitue, à notre avis, le contraire exact d'une conversion. \*\*\* 79:237 L'épiscopat français redoute présentement qu'entre lui-même et Mgr Lefebvre, le pape Jean-Paul II prononce un arbitrage finalement trop favorable à Mgr Lefebvre. C'est pourquoi depuis quelques semaines plusieurs évêques ont multiplié les agressions. Caché derrière l'anonymat soi-disant collégial du « conseil permanent », le noyau diri­geant a publié contre Mgr Lefebvre, le 21 septembre, un communiqué qui est tombé dans l'indifférence et le mépris, mais dont il faut retenir pourtant la tromperie maximale, si on ne la relevait point elle pourrait induire en erreur des âmes de bonne foi : « Mgr Lefebvre s'est constitué un groupe de fidèles décidant de sa doctrine et de sa litur­gie. » ([^71]) La vérité est tout à l'opposé. Depuis la fondation d'Écône, Mgr Lefebvre et son « groupe de fidèles » *refusent* au contraire, ils *refusent de décider eux-mêmes* de leur doctrine et de leur liturgie. Ils en « décident » si peu que l'accusation fréquemment portée contre eux est celle de *fixisme,* d'*immobilisme,* de rester immuablement attachés à la religion telle qu'elle était. Ce sont les évêques français qui depuis 1968 se sont mis à décider de leur doctrine, par un nouveau catéchisme, hérétique et falsificateur, obsti­nément maintenu en vigueur bien qu'il n'ait jamais eu l'aval du Saint-Siège ; c'est l'épiscopat français qui, de sa propre autorité en 1969, a décrété obligatoire une nouvelle messe en français, laquelle ne pouvait même pas prétendre être une traduction exacte de la nouvelle messe de Paul VI ; ce sont les évêques français qui ont enseigné dans leur missel des dimanches, de 1969 à 1976, comme « *rappel de foi indispensable *»*,* et jamais rétracté depuis lors, qu'à la messe « *il s'agit simplement de faire mémoire *». Et c'est cet épiscopat-là qui, parlant de Mgr Lefebvre ou encore du MJCF, déplore que l'on ne soit pas « en lien », comme il dit, ou « en communion » avec lui. Comment un catho­lique pourrait-il être en communion avec les responsables du nouveau catéchisme français ? \*\*\* 80:237 Parmi les diverses agressions épiscopales de ces der­niers temps, je suis spécialement sensible, on pouvait s'en douter, à la méchanceté de l'archevêque d'Avignon, Bou­chex Raymond, membre du bureau d'études doctrinales de l'épiscopat français, personnellement co-responsable de l'autodémolition de l'Église en France. Il s'attaque aux « moines de Bédoin » et à leur « projet de construire un monastère sur la commune du Barroux » ([^72]). Son libelle avait paru en juillet dans le bulletin de son diocèse, ce qui était entièrement négligeable dans l'état actuel dudit diocèse et de son ordinaire. Mais ensuite il en a provoqué ou toléré l'insertion dans la *Documentation catholique* ([^73])*,* annonçant ainsi à la France entière, qui n'est pas forcé­ment au courant de sa disqualification, que « les moines de Bédoin n'ont aucun lien de communion avec l'arche­vêque d'Avignon ». Il s'y est exposé. Il l'a cherché. De cet archevêque d'Avignon, nous allons dire quelques mots. Si « les moines de Bédoin » et au demeurant les fidèles exactement informés de la personnalité de l'archevêque Bouchex ne sont pas en communion avec lui, ce n'est point par étourderie ou mauvaise humeur. Ce n'est pas sans raison grave. C'est parce que depuis sept années, depuis le 19 mars 1972, date de sa consécration épiscopale, l'évêque Bouchex a couvert de son autorité le « rappel de foi indispensable » qui prétend qu'à la messe « il s'agit sim­plement de faire mémoire » ; il a couvert de son autorité l'installation tyrannique du nouveau catéchisme français, qui ne contient plus les trois connaissances nécessaires au salut. Ayant fait cela, ne l'ayant pas réparé, il n'a pas eu la sagesse de se tenir coi. Tant pis pour lui. Son nom va commencer à être connu. \*\*\* 81:237 N'étant pas chargé du gouvernement de l'Église de Fiance, nous laissons tranquilles les évêques qui nous laissent tranquilles. Nous appliquons ici le vieil adage *quieta non movere.* Nous laissons tranquilles, quelles qu'aient éventuellement pu être leurs défaillances, les évêques qui ne persécutent pas les prêtres fidèles à la messe traditionnelle. Quand dans un diocèse l'évêque ne s'oppose point par la persécution au témoignage de la foi catholique, à la pratique de la religion catholique et du culte catholique, dans la situation présente nous ne lui en demandons pas davantage. Nous n'avons pas office d'in­quisiteur. Depuis la mort de Paul VI nous avons même laissé passer sans y répondre quelques provocations épis­copales passablement insupportables. Nous avons veillé à ne pas risquer de troubler par avance le climat d'apaise­ment et d'amnistie qui aurait pu normalement marquer le passage d'un règne à un autre. Et puis nous avons bien autre chose à faire que nous consacrer au commen­taire critique de l'inépuisable sottisier d'un épiscopat évo­luteur et mutant. Il faut cependant que ceci soit bien clair chaque fois qu'ils viendront nous attaquer, ils y gagneront le rappel public et précis de leurs prévarications. Accuser les catholiques traditionnels de décider eux-mêmes de leur doctrine et de leur liturgie est une calomnie encore plus inepte que méchante : mais particulièrement intolérable de la part de ceux qui justement prétendent nous imposer une liturgie et une doctrine transformées selon leur arbi­traire. Décréter que « les moines de Bédoin ne peuvent pas assurer le culte pour les catholiques » est une infamie, mais plus encore une imprudence de la part d'un arche­vêque qui lui-même n'assure rien du tout dans son dio­cèse. L'offensive épiscopale contre ceux qui maintiennent la foi et la liturgie traditionnelles, si elle continue à se développer, obtiendra un juste développement de nos ri­postes. Nous ne le souhaitons pas. Mais il faudra bien. \*\*\* Henri Fesquet, même article, croit déceler que « la foule de la porte de Versailles », celle du jubilé de Mgr Lefebvre, est « inconditionnelle pour ses chefs de file ». 82:237 Quels chefs de file ? Sur aucune liste de chefs de file ne figure le nom de Mgr Lefebvre ; il refuse, c'est assez connu, d'être « le chef des traditionalistes ». Si d'ailleurs il existe vraiment des *chefs de file* du catholicisme tradi­tionnel, alors Fesquet en particulier et *Le Monde* en général sont bien défaillants, bien coupables, bien blâmables au regard des tâches d'INFORMATION dont ils se réclament. Ils n'ont pas INFORMÉ le public de la pensée, des tendances, des œuvres, des activités de ces « chefs de file » ; ils taisent habituellement jusqu'à l'existence de leurs livres, de leurs journaux, de leurs personnes. Voilà peut-être une question à leur poser. Mgr Lefebvre est le fondateur et le supérieur d'une congrégation religieuse, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Il est normal que les prêtres qui sont membres de cette congrégation lui consentent l'obéissance due -- et qui d'ailleurs, pour un catholique traditionnel, n'est jamais une obéissance inconditionnelle. Il n'est point répréhensible qu'à cette obéissance conforme à leur état ils ajoutent re­connaissance et affection. Il n'est pas extravagant que tous les fidèles à qui l'œuvre de Mgr Lefebvre a rendu des prêtres, rendu des messes, rendu la religion catholique, aient en retour pour lui des sentiments de gratitude et de dévouement. Je regrette vraiment pour Henri Fesquet que ce do­maine lui soit inconnu, au point qu'il prenne pour une inconditionnalité ce que nous avons au cœur et dans l'esprit à l'égard de Mgr Lefebvre. Ce que nous avons pour lui au cœur et dans l'esprit, c'est une piété filiale. \*\*\* Pour l'épiscopat français, selon sa propre terminologie, toute l'actuelle « évolution conciliaire » est commandée par une « option fondamentale » prise en 1926 avec la condamnation de l'Action française et ultérieurement « authentifiée » par Vatican II. J'ai cité et commenté les textes officiels qui révèlent que cette conception est bien celle qui détermine l'attitude de l'Église de France ([^74]). 83:237 Or cette « option fondamentale » prétendait être une *op­tion missionnaire.* On a vu quelle sorte de « mission » qui ne convertit personne, et qui a diminué de 50 % le nombre des catholiques pratiquants. L'option était en fait une option pour la mission à l'envers. Simultanément, cette option soi-disant missionnaire calomniait et discréditait, en l'accusant de colonialisme, de racisme, d'impérialisme, tout le passé réellement missionnaire de la France. J'ai trouvé naguère chez un brocanteur des environs de Dom­rémy une *Histoire de l'Église à l'usage de la jeunesse* publiée par Alfred Mame et Fils en 1899. Le chapitre sur « les missions catholiques » au XIX^e^ siècle y est illustré par une image qui représente, dit la légende, « *un mission­naire chez les sauvages *»*.* On a voulu nier que ce fussent des sauvages avant leur évangélisation, il ne fallait plus en parler de cette manière ; et nier aussi que ce fût un vrai missionnaire, puisqu'il prétendait évangéliser des sauvages au lieu de démocratiquement se mettre à l'écoute des créativités locales. Il ne fallait plus convertir : et c'est la seule réussite, mais éclatante, de l'évolution conciliaire, qui en effet *déconvertit* à tours de bras avec un succès constant. Eh ! bien, nous avons fêté le jubilé sacerdotal d'un véritable missionnaire, qui a passé sa vie à convertir les sauvages, et qui continue. Les sauvages maintenant sont ici aussi, enfants des anciennes nations chrétiennes tom­bées dans l'apostasie. Nous avions annoncé dans notre lettre au pape de 1972 que se levait « *une génération d'apostats et de sauvages chaque jour mieux préparés à demain s'entretuer aveuglément *»*.* Nous y sommes. Mais le « missionnaire chez les sauvages », aujourd'hui, c'est Mgr Lefebvre qui, au milieu des ruines de la chrétienté, a mis en œuvre la reconquête surnaturelle des âmes. Béni soit Dieu dans ses missionnaires. Jean Madiran. 84:237 ### L'offensive antitrinitaire *du concile de Tolède à Vatican II* par Julio Garrido L'ÉGLISE a toujours soutenu que le dogme trinitaire est « le sommet de la foi », son « dogme des dog­mes », substrat et fondement de toute la doctrine de l'économie du salut, de la création et de la régénération de l'univers. Chaque fois que ce dogme fondamental a été nié, déformé ou minimisé dans l'histoire de l'Église, l'édi­fice chrétien dans son ensemble s'en est trouvé ébranlé ou détruit : on ne pouvait plus parler de Rédemption, ni soutenir l'existence d'une vie essentiellement nouvelle com­muniquée à toute l'Église par l'Esprit. Le christianisme a souffert depuis ses débuts de mul­tiples attaques antitrinitaires : monarchianisme, adoptio­nisme, modalisme, sabelianisme, arianisme, etc. Toutes ces hérésies peuvent être réunies sous la dénomination commune d'*unitarisme*, parce qu'elles ne nient pas l'exis­tence de Dieu, ni d'une Révélation, mais tiennent pour contraire à la raison la formulation orthodoxe du dogme de la Sainte Trinité, voire rejettent franchement l'exis­tence des trois Personnes divines. 85:237 On sait par ailleurs que les juifs et les musulmans, essentiellement unitaristes, considèrent ce dogme catholique comme une absurdité ; en quoi ils sont d'accord avec tous les rationalistes qui voient dans la Trinité une tradition, non seulement confuse, mais même religieusement inutile. L'offensive antichrétienne qui se développe actuelle­ment à l'échelle mondiale revêt elle aussi un caractère nettement antitrinitaire. Cette offensive se présente à nous sous trois formes différentes : *dogmatique, œcuménique* et *liturgique,* avec des conséquences d'ordre proprement religieux, mais aussi, et ce n'est pas négligeable, d'ordre moral et politique. L'analyse de cet aspect des choses peut apporter d'utiles précisions sur la crise religieuse que nous subissons. Car les sentiments antitrinitaires constituent selon nous un facteur essentiel dans le jeu de la subversion mondiale : ce projet d'unification spirituelle de l'humanité sous l'égide d'une « gnose » synarchique capable de « dé­passer » l'antagonisme entre les diverses religions, et même d'effacer toute « contradiction » entre la science et la foi. \*\*\* Sur le plan liturgique, l'offensive antitrinitaire se tra­duit aujourd'hui par la suppression d'un grand nombre de doxologies, invocations ou références à la Sainte Tri­nité, dans le but d'amoindrir les perspectives christolo­giques trinitaires des actes de la foi, et si possible de les éliminer. Le Dieu de la liturgie catholique en effet n'est pas le Dieu de la synagogue, ni celui des philosophes et des savants, mais le Dieu spécifiquement chrétien, le Dieu trine. C'est dans la liturgie post-conciliaire que les chan­gements ayant trait à la Sainte Trinité ont été les plus profonds : le Novus Ordo évacue sans autre forme de procès le *Suscipe Sancta Trinitas,* le *Placeat Tibi,* le *Libera nos quaesumus...* Les références à la Sainte Trinité se réduisent à six dans la partie (officiellement) invariable de la *missa cum populo*, et à trois seulement pour la *sine populo*. Si vous ouvrez votre Missel romain tradi­tionnel, vous ne compterez pas moins de vingt-trois in­vocations trinitaires ([^75]). 86:237 Cet effacement de la Trinité dans le Novus Ordo Missae ne peut évidemment qu'influencer les fidèles, et les éloigner de la tradition patristique qui proclame au premier plan la distinction réelle des Personnes divines, pour affirmer ensuite seulement leur unité. La lutte contre l'arianisme avait entraîné des répercussions sur la liturgie. Et le retour des tentations ariennes que nous observons au­jourd'hui n'est pas étranger à la dégradation du fonda­mental « consubstantiel » en « de même nature » : notre « consubstantiel » rappelait trop l'opposition totale à l'aria­nisme que l'Église avait voulu inscrire dans les mots. Une étape plus dangereuse encore dans le développe­ment de l'offensive antitrinitaire est celle du prétendu œcuménisme. Impatients de proclamer l'union avec les croyants unitaristes, juifs, musulmans ou déistes, les conciliaires s'efforcent de laisser dans l'ombre le dogme de la Sainte Trinité. Ils affirment même très sérieusement « *Nous avons le même Dieu que les unitaristes *»*,* décla­ration finale d'un colloque islamo-chrétien tenu en février 1976 à Tripoli, où « les deux parties affirment leur foi en un Dieu Un et Unique ». On connaît par ailleurs le projet de la fumeuse « Fraternité d'Abraham » qui essaye d'établir à Marseille un centre monothéiste. Dans le même sens, les déclarations de Maximos V, patriarche de l'Église Melkite : « Nous sommes, arabes musulmans et arabes chrétiens, d'une seule race ; nous adorons le même Dieu, nous vénérons les mêmes Prophètes... » ([^76]) Ces énormités théologiques, qui ne sont pas malheureu­sement des faits isolés, finissent par reléguer dans l'esprit des fidèles, comme autant de détails sans importance, les dogmes fondamentaux de l'incarnation, de la rédemption et du retour glorieux de Jésus-Christ. Celui-ci se trouve ramené aux proportions d'un simple prophète, comme disent les musulmans, et fils d'une femme de conduite douteuse, pourquoi pas, si c'est le Talmud juif qui ose l'affirmer ! 87:237 L'œcuménisme, dans son escalade chaque jour plus ambitieuse, ne se contente pas de chercher des rappro­chements avec les adorateurs du Dieu d'Abraham ; il entend parvenir à un véritable supra-confessionalisme, étendu aux hindouistes, bouddhistes, confucianistes, etc. ; ouvrir enfin le fameux « Temple de la Compréhension » où les croyants de toute religion pourront coexister et rendre un culte à la même divinité. Ce super-œcuménisme se donne pour but la formation d'une conscience religieuse universelle : une religion idéale, parce que sans dogmes, rendant hommage à un Dieu également idéal. C'est ce plan qui est à l'origine de l'offensive antitri­nitaire de caractère dogmatique. Sous prétexte de lutter contre l'intransigeance et l'imposition autoritaire des dog­mes, on introduit dans les diverses religions ces autres dogmes (mais indiscutables) du libéralisme, du rationa­lisme et du relativisme. Il ne s'agit en fait que de réveiller la haine contre la religion révélée, la haine de Jésus-Christ, « coupable d'avoir détruit par sa religion la doctrine de l'unité de Dieu, la religion de la nature, en introduisant la Trinité » ([^77]). Les deux offensives, liturgique et œcuménique, sont en réalité autant de tentatives pour faire triompher une révolution idéologique beaucoup plus vaste, qui va au cœur de la question religieuse, mais entraîne aussi des conséquences importantes dans tous les domaines. Un exemple très démonstratif des conséquences proprement historiques de la lutte antitrinitaire, et qui n'a pas été assez mis en évidence par les historiens, nous est fourni par la genèse et le développement de l'islamisation espa­gnole au VIII^e^ siècle. \*\*\* Les historiens, tant chrétiens que musulmans, ont vou­lu présenter l'islamisation de la péninsule ibérique comme une simple conquête militaire obtenue par des forces consi­dérables. Les chrétiens, pour justifier trois ans et demi de déroutes consécutives ; les musulmans, pour tirer de cette rapide victoire une illustration supplémentaire du « miracle » islamique. 88:237 La réalité semble bien différente. La considération sereine des faits, et l'analyse des rares documents dignes de foi qui se rapportent à cette « conquête », permettent de déduire que *l'islamisation de la péninsule ibérique a été fondamentalement la conséquence d'un amoindrisse­ment de la foi trinitaire* dans de larges couches de la population, et du triomphe de conceptions unitaristes très proches de la théologie musulmane. Les circonstances qui devaient rendre possible cette « razzia gigantesque » sur le territoire de la catholique Espagne ont toujours déconcerté les historiens sérieux. Le général Brémond évoquait en 19,50 l'impossibilité mili­taire d'une invasion arabe qui aurait conquis la péninsule en un temps si court ([^78]). Et c'est mon ami Ignacio Olagüe, malheureusement disparu il y a cinq ans, qui devait entre­prendre une vaste étude sur cette prétendue invasion, dont les résultats ont paru en 1969 sous un titre suggestif : *Les arabes n'ont jamais envahi l'Espagne* ([^79])*.* La série des arguments qu'il invoque, des documents qu'il utilise, des monuments qu'il analyse, semble bien donner raison aux lignes générales de sa thèse. L' « invasion » arabe n'a pas été le résultat d'une cascade de victoires militaires glorieuses, mais la conséquence des antagonismes existants dans la péninsule entre les partisans orthodoxes de la Trinité et les continuateurs de l'arianisme qui minimisaient l'importance du dogme. Car les grandes hérésies qui devaient ravager l'Église dans les premiers siècles n'ont pas épargné l'Espagne. Avant même l'arianisme, il semble qu'une partie des peu­ples de la péninsule vivait sous l'influence de reliquats du paganisme, des hérésies en cours, ou encore dans l'indif­férence religieuse. Au IV^e^ siècle, qui a vu définir la doctrine orthodoxe de la Trinité, deux hommes ont joué un rôle important dans l'opposition à ce dogme, Arius en Orient et Priscillien dans la péninsule ibérique. Tous deux furent attirés par les idées rationalistes, et favorisèrent les tenants de l'unicité divine contre le caractère mystérieux et selon eux « irrationnel » de la Trinité. 89:237 Après la mort de Priscillien, ses idées connurent une grande diffusion ; la secte de ses adeptes était sans grande cohésion mais puissante et très appréciée de l'intelligentsia, toujours attirée par le libre examen et par un christianisme réduit au rôle symbolique et moralisant. Les actes du premier concile de Tolède, en 397, constituèrent une véritable déclaration de guerre des trinitaires orthodoxes contre ces hérésies. Cette lutte, qui opposait deux conceptions irréconciliables du monothéisme, allait se prolonger pendant une partie du Moyen Age dans la péninsule ibérique. Pendant le gouvernement arien, qui a duré 82 ans, les pouvoirs pu­blics entretenaient de bonnes relations avec les juifs : il n'y avait pas, entre eux, un fossé aussi large que celui qui séparait les ariens des trinitaires. Le syncrétisme arien, fondé sur la croyance en un Dieu unique, sans dogmes abstraits et mystérieux, favorisait l'épanouissement du plu­ralisme philosophique. Quand, le 6 mai 589, Récadère abjura l'arianisme de­vant le troisième concile de Tolède, les auteurs orthodoxes espagnols succombèrent à la tentation bien compréhen­sible de laisser entendre que tous les habitants de la péninsule avaient renié en même temps leur monothéisme unitaire : ils se libéraient ainsi d'un sentiment de culpa­bilité, pour avoir permis que l'orthodoxie fut mise hors-la-loi dans leur propre pays. Mais les restes de certaines traditions païennes et le développement du prosélytisme juif favorisèrent pendant de longs siècles après Récadère les doctrines unitaires opposées à l'orthodoxie catholique du mystère de la Trinité ; mystère difficile à saisir, qui se présentait comme un défi à la raison et aux principes du libre examen. L'orthodoxie, en perte de vitesse, -- représentée par une hiérarchie ecclésiale souvent indigne, n'a cessé de s'étioler en Espagne pendant tout le vie siècle. Ceux qui défendaient fermement et intégralement les dogmes définis par l'Église en vinrent à ne former qu'une minorité. Quant aux unita­ristes, « œcuméniques » et relativistes avant la lettre, ils ne tenaient pas les musulmans pour des ennemis de la foi. Vitiza, le dernier de nos rois wisigoths, se montra favo­rable aux pré-musulmans, et le syncrétisme arien du vine siècle glissa très facilement vers l'Islam. 90:237 Les diffé­rences entre la croyance unitaire des autochtones et celle des musulmans apparaissaient à tout le monde comme secondaires. Cette crise de la foi ne traduisait pas seule­ment un affrontement entre deux positions théologiques distinctes, mais des divergences de conceptions éthiques et sociales ; les unitaires par exemple admettaient la poly­gamie, tandis que les trinitaires soutenaient une morale sexuelle (théoriquement) plus stricte. Il semble que ces divergences doctrinales et sociologiques n'étaient pas aussi tranchées au commencement qu'elles allaient le devenir. On observait, non seulement dans le peuple mais chez les gens cultivés et même le clergé, une terrible confusion de concepts engendrée par l'ignorance et l'indifférence reli­gieuse ; et aussi une grande variété de positions intermé­diaires. La doctrine de Mahomet, dans sa clarté et sa simplicité, éliminait l'effort nécessaire pour accepter des mys­tères qui dépassent notre entendement, tenus par beaucoup pour des doctrines confuses et « dépassées ». *Cet affron­tement idéologique semble avoir été la cause principale de la pénétration de l'Islam en Espagne,* triomphe final d'un vaste mouvement d'idées subversives ([^80]). Les musulmans d'Orient, quand ils ont eu connaissance des crises religieuses qui ravageaient la péninsule ibérique, ont voulu aider les unitaires contre ceux qu'ils considé­raient comme polythéistes, et tentèrent de faire entrer ces alliés naturels dans la grande communauté musulmane en leur dépêchant des prédicateurs. Cette prédication fut soutenue à certaines périodes par des interventions mili­taires de détachements musulmans, les *razzias,* qui ai­daient les unitaires contre les orthodoxes. Fait caractéris­tique, au commencement de l'influence islamo-unitariste, les orthodoxes utilisaient le mot *hérétiques* pour dénoncer les partisans de l'unicité ; le qualificatif de *musulmans* intervint plus tard. Toutefois, si l'attraction du mono­théisme unitaire continuait d'être forte dans certains mi­lieux chrétiens de la péninsule, la majorité du pays se cantonnait dans une position intermédiaire entre l'unita­risme et le trinitarisme, voire entre le christianisme et l'Islam, la frontière entre les deux religions n'étant pas toujours nette à ses yeux. 91:237 Seuls les « alfaquis », docteurs de la foi, défendaient une orthodoxie musulmane intran­sigeante, tandis que des minorités mozarabes gardiennes de l'orthodoxie catholique affrontaient souvent le martyre pour la foi de Nicée ([^81]). Les tendances syncrétistes issues des premières hérésies avaient créé dans le peuple de la péninsule une sorte de tradition libérale, qui se résumait en une doctrine simple et confortable : il suffisait à chacun de croire en Dieu, de suivre quelques règles plus ou moins arbitraires et de participer aux cérémonies locales sans approfondir leur signification. Cette tournure d'esprit peu soucieuse de théologie pourrait bien être à l'origine de certaines ten­dances qui se sont manifestées tout le long de l'histoire espagnole en opposition avec les thèses et les attitudes officielles du catholicisme. Le clivage entre ce que certains ont appelé « les deux Espagnes » aurait ainsi son com­mencement à l'époque de l'islamisation. Les trinitaires tenaient pour l'intégrité de la foi, l'ima­gerie sacrée, la valeur absolue des enseignements définis par l'Église et la monogamie ; les unitaires et les libéraux se montraient au contraire plus ou moins iconoclastes ou iconophobes, et toujours tolérants envers les déviations de la foi ou la polygamie. Dès la fin du VII^e^ siècle, les uni­taires réduisent pratiquement au silence, du point de vue artistique, les partisans des saintes Images ; d'après les spécialistes, les monuments religieux du IX et X^e^ siècle en font foi, ils relèvent même selon certains auteurs d'une conception iconoclaste ([^82]). Après une longue période de confusion, deux positions extrêmes devaient se déclarer, aussi bien sur le plan doctrinal que sur le plan artistique : les traditionalistes orthodoxes et les unitaires d'inspiration rationaliste, gnostique et critique, sorte de modernisme avant la lettre, opposé à toute expression définitive du dogme. 92:237 On comprend que dans ce climat de désorientation doctrinale, l'Islam avait la partie belle pour développer sa propagande : une foi simple, « rationnelle », une civi­lisation nouvelle et brillante qui s'enrichissait des valeurs culturelles propres à chacun des peuples dominés, une langue sonore et déliée pratiquée dans une vaste portion du monde connu. Tous ces facteurs devaient contribuer, beaucoup plus puissamment que la force militaire, à l'is­lamisation-éclair de la péninsule ibérique. \*\*\* Entre le désordre doctrinal qui, comme nous venons de le voir, a constitué le principal facteur de succès de la domination arabe sur l'Espagne, et la crise religieuse ac­tuelle qui nous fait craindre l'avènement d'une domination totalitaire antichrétienne sur tout l'Occident, on relèvera aisément un certain nombre d'analogies. Pour nous, c'est l'offensive antitrinitaire dont nous indiquions plus haut le triple visage qui se trouve à la racine du déboussolement doctrinal capable de faire perdre aux chrétiens toute volonté de résistance face aux pressions de leurs ennemis. Les deux moments historiques, l'époque prémusulmane dans la péninsule ibérique et celui d'au­jourd'hui, quoique séparés par douze siècles, sont plus proches l'un de l'autre qu'on pourrait le croire au point de vue de l'offensive antitrinitaire (présente d'ailleurs dans les idées de la Réforme et chez les semi-rationalistes catho­liques du siècle dernier). Malgré le caractère relativiste et diffus qui marque, en général, les « recherches théologiques » actuelles à l'intérieur de l'Église, certains auteurs n'hésitent pas à nous présenter des thèses christologiques nettement con­traires au dogme de la Trinité. A. Hulbosch, E. Schille­beckx, Schoonenberg, pour ne citer qu'eux, présentent dans leurs exposés des formulations qui mettent clairement en doute le mystère des trois Personnes de la Sainte Trinité : le Père Menvielle le montre de façon magistrale dans un de ses ouvrages ([^83]), ainsi que Guérard des Lauriers dans son étude sur le gnosticisme de Karl Rahner ([^84]). Mais le plus grave, aujourd'hui, c'est que les plus hautes instances de l'Église romaine donnent l'impression de ne voir aucun inconvénient à ce qu'on minimise ou rejette ainsi le mys­tère fondamental de la Sainte Trinité. 93:237 Dans sa fameuse lettre à Mgr Lefebvre du 29 juin 1975, Paul VI écrit textuellement : « *Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous cer­tains aspects plus important encore que celui de Nicée. *» Ce texte fait bien voir que, dans l'opinion de feu Paul VI, les adaptations humaines et pastorales produites par « l'es­prit du concile » dans un but de sécularisation ont plus d'importance pratique dans l'Église nouvelle qu'un concile dont le but principal avait été d'énoncer et de définir pour toujours le dogme fondamental du christianisme : la Sainte Trinité ([^85]). L'intérêt pour le dogme trinitaire est une bonne pierre de touche, un « test » comme on dit actuellement, pour déceler les tendances fondamentales de la pensée reli­gieuse contemporaine. Il est facile de constater ici la présence de deux pôles d'attraction, deux attitudes men­tales antagoniques, incompatibles, ennemies. La première exprime une religion qui nous est imposée par le pouvoir supérieur de la Révélation et de la Tradition, pouvoir auquel nous nous soumettons en esprit d'humilité pour le salut de nos âmes et le triomphe de l'Église éternelle, malgré les difficultés quotidiennes de la lutte contre l'action du Malin. La seconde attitude considère la religion comme une structure évolutive chargée de collaborer ici-bas au bonheur de l'humanité dans un esprit de paix et d'amour ; tenir compte des divergences doctrinales éventuelles serait introduire la division et nuire au développement d'un pro­jet grandiose : l'unification spirituelle de l'humanité sous le signe de la liberté et de l'hédonisme où se résumera le monde parfait. Il est logique que pour les tenants de cette utopie, le dogme trinitaire paraisse non seulement inutile, mais même gênant et nuisible. Julio Garrido. *Membre de l'Académie Royale\ des Sciences de Madrid, ancien\ directeur de recherches au C.N.R.S.* 94:237 ### Les leçons de l'office et de la messe par Jean Crété L'ÉGLISE a toujours largement utilisé la sainte Écriture dans sa liturgie. Le psautier est l'élément essentiel de l'office divin ; les cent cinquante psaumes sont récités dans la semaine ; les divers chants antiennes, répons, introïts, graduels, alleluia, traits, offer­toires, communions, sont presque toujours extraits de la sainte Écriture. Nous voudrions parler ici des lectures ou leçons d'Écriture sainte utilisées dans le bréviaire et le missel. Le bréviaire romain contient, pour chaque jour de l'année, trois leçons d'Écriture, et il y en a également pour les fêtes ; chaque leçon est suivie d'un répons, généralement inspiré du même livre d'où sont extraites les leçons. ([^86]) 95:237 La répartition actuelle des leçons d'Écriture semble dater du Moyen-Age ; elle est identique dans les bréviaires de saint Pie V, saint Pie X et Jean XXIII. On la retrouve dans le bréviaire monastique, avec cette différence que, de Pâques au premier dimanche de novembre, l'office monastique n'a de leçons d'Écri­ture que le dimanche. ([^87]) A la Septuagésime, on commence à lire la Genèse, premier livre de la Bible ; on en poursuit la lecture jusqu'au quatrième dimanche de carême. Le premier dimanche de carême a tou­tefois des leçons de la seconde épître de saint Paul aux Corin­thiens, qui expriment la pensée directrice de ce temps liturgi­que. Aux féries de carême et des quatre-temps, les leçons sont une homélie sur l'évangile du jour, mais les répons restent empruntés au livre d'Écriture lu le dimanche. On a ainsi le récit de la création (Septuagésime), du déluge (Sexagésime), l'histoire d'Abraham (Quinquagésime), celle d'Isaac et de Jacob (2^e^ dimanche de carême), celle de Joseph (3° dimanche), celle de Moïse (4° dimanche). La liturgie n'a pas retenu les autres livres du Pentateuque, ni les livres de Josué et des Juges, sinon pour quelques épîtres de messes fériales. Les quatre livres des Rois prennent place les premières semaines après la Pentecôte jusqu'à la fin de juillet : de six à onze semaines, suivant la date de Pâques. Dès qu'arrive le premier dimanche d'août (c'est-à-dire le dimanche le plus proche du 1^er^ août, et de même pour les autres mois), on interrompt la lecture des livres des Rois pour aborder les livres sapientiaux : on lit les Proverbes la première semaine d'août, l'Ecclésiaste la deuxième semaine, la Sagesse la troi­sième semaine, des extraits du Cantique des Cantiques pendant l'octave de l'Assomption, l'Ecclésiastique la quatrième semaine et la cinquième lorsqu'elle se présente. En septembre, on lit le livre de Job pendant deux semaines, le livre de Tobie la troi­sième semaine, le livre de Judith la quatrième semaine, et le livre d'Esther s'il y a une cinquième semaine. 96:237 En octobre, on lit les livres des Maccabées, qui terminent l'histoire du peuple élu ; le premier livre des Maccabées est lu pendant trois semaines, et le second pendant une ou deux semaines. En novembre, on commence la lecture des Prophètes ; on lit Ézéchiel la première semaine, éventuellement la deuxième, qui est une semaine intercalaire utilisée seulement quand Noël tombe le lundi. La troisième semaine de novembre, on lit Daniel ; la quatrième et la cinquième semaine, on lit les petits prophètes : Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie et Malachie. Pendant l'Avent, on lit Isaïe. Ce grand prophète est donc lu pendant trois ou quatre semaines, et les leçons d'Écriture des fêtes de Noël et de l'Épiphanie lui sont également empruntées ; Isaïe est, en effet, le prophète de l'avènement du Messie. Jérémie est le prophète de ses souffrances ; aussi est-il lu au temps de la Passion ; et les trois grands jours saints, on chante les Lamentations de Jérémie, si émouvantes, sur une mélodie poi­gnante qui les rend encore plus tragiques. Les leçons du Nouveau Testament sont réservées aux deux temps de joie : au temps de Noël et de l'Épiphanie, on lit les épîtres de saint Paul. On commence l'épître aux Romains le 29 décembre, et on la continue avant et après l'Épiphanie ; dès qu'arrive le dimanche dans l'octave de l'Épiphanie, on commence la première épître aux Corinthiens, en laissant, s'il le faut, ce qui reste de l'épître aux Romains, et on lit la première épître aux Corinthiens toute la semaine. La deuxième semaine après l'Épiphanie, on lit la seconde épître aux Corin­thiens ; la troisième semaine, on lit les épîtres aux Galates et aux Éphésiens ; la quatrième semaine, on lit les épîtres aux Philippiens, aux Colossiens et aux Thessaloniciens (1^e^ et 2^e^). La cinquième semaine, on lit les deux épîtres à Timothée, l'épître à Tite et l'épître à Philémon ; cette dernière, très courte, est lue en son entier. La sixième semaine après l'Épiphanie, dans le cas assez rare où elle se présente, on lit l'épître aux Hébreux. On interrompt la lecture des épîtres de saint Paul dès qu'arrive la Septuagésime. Au temps pascal, on lit les autres écrits du Nouveau Testa­ment. Les Actes des Apôtres sont lus les deux premières semaines après l'octave de Pâques. La troisième semaine, on lit l'Apocalypse de saint Jean ; la quatrième semaine, l'épître de saint Jacques ; la cinquième semaine, les deux épîtres de saint Pierre. Le dimanche dans l'octave de l'Ascension et les deux jours suivants, on lit la première épître de saint Jean ; le mercredi, on lit la seconde, le vendredi, la troisième ; et le samedi, vigile de la Pentecôte, on lit l'épître de saint Jude. 97:237 On ne lit pas l'évangile au bréviaire, mais au troisième noc­turne des dimanches et fêtes les leçons sont une homélie sur l'évangile du jour, qui se trouve ainsi commenté au cours de l'office. Au deuxième nocturne des dimanches et fêtes et pen­dant les octaves, on lit des sermons des Pères de l'Église. Aux fêtes des saints, les leçons du deuxième nocturne sont la « lé­gende » du saint, le mot « légende » devant être pris en son sens étymologique : *legenda,* neutre pluriel : ce qui doit être lu. Bien sûr, l'Église ne se porte pas garante de l'historicité rigoureuse de tous les détails donnés dans les légendes des saints, mais il n'y a pas lieu de les contester sans raison sé­rieuse. Des corrections ont été faites au cours des siècles dans certaines leçons. Saint Pie X avait annoncé une révision des leçons historiques du bréviaire ; on a, dans les leçons de saint Paulin de Nole (22 juin), un exemple de ce qu'il aurait voulu faire. Prévoyant qu'il n'aurait pas le temps de veiller à une révision de toutes les leçons, il se contenta de faire corriger les leçons des fêtes simples, qui sont, pour la plupart, des fêtes de martyrs antiques ; les corrections ainsi faites portent surtout sur les dates des événements. Pour les autres fêtes, il laissa telles quelles les leçons du second nocturne, mais les fit résu­mer dans des leçons contractées qu'il eut tout juste le temps d'approuver moins d'un mois avant sa mort, le 24 juillet 1914. Par un décret général du 28 novembre suivant, Benoît XV introduisit définitivement les leçons contractées dans le bré­viaire romain ; elles ne sont utilisées que pour la mémoire d'une fête empêchée par une fête plus importante. Les leçons con­tractées résument les trois leçons du second nocturne, en élimi­nant les détails jugés légendaires ; elles sont seules en usage dans le bréviaire de Jean XXIII, qui par ailleurs élimine com­plètement les leçons des fêtes simples et bon nombre de ser­mons des Pères de l'Église. On ne peut nier que les leçons des martyrs antiques contiennent des légendes au sens courant du mot ; mais fallait-il pour cela les éliminer ? Les légendes sont un témoignage du culte populaire rendu a ces saints, qui ont fondé l'Église dans leur sang, et elles contiennent une part de vérité historique bien plus importante que les critiques modernes ne sont disposés à l'admettre. On sera donc bien avisé de conserver les leçons dans l'état où les a laissées saint Pie X. \*\*\* La messe comporte, on le sait, l'épître et l'évangile ; les messes des mercredis des quatre-temps, du mercredi de la 4^e^ semaine de carême et du mercredi saint ont deux épîtres ; les messes des samedis des quatre-temps, messes d'ordination, en ont six. 98:237 Ces lectures de la messe sont choisies en fonction de la liturgie du jour. A quelques fêtes, on reprend à l'épître une partie du passage d'Écriture lu au premier nocturne, mais ce n'est pas le cas le plus fréquent. Il y a parfois une corrélation voulue entre l'épître et l'évangile, mais le plus souvent il n'y a pas de rapport bien précis entre l'une et l'autre. Sur les cinquante-deux dimanches, quarante empruntent leur épître à saint Paul. Les dimanches du temps pascal et les premiers après la Pentecôte ont des épîtres de saint Pierre et de saint Jean. Les féries de carême ont des épîtres tirées de l'Ancien Testament. Pour les fêtes, on a choisi des passages de l'Ancien ou du Nouveau Testament s'appliquant au mystère du jour ou au saint. La plupart des saints ont des épîtres et évangiles du commun. Le nombre des saints augmentant, on a, au VII^e^ ou VIII^e^ siècle, composé des messes pour chaque catégorie de saints ; il y a ainsi une messe pour les vigiles d'apôtres, deux pour un martyr pontife, deux pour un martyr non pontife, trois pour plusieurs martyrs, deux pour les martyrs au temps pascal, une messe pour les docteurs de l'Église, deux pour les confesseurs pontifes, deux pour les confesseurs non pontifes, une pour les abbés, deux pour les vierges martyres, deux pour les vierges non martyres, une pour les saintes femmes martyres, une pour les saintes femmes non martyres. Pie XII a ajouté, en 1942, la messe du commun des saints papes. Un certain nombre de saints ont des messes propres, et les messes des communs ont été composées à partir de messes propres anciennes. Le choix des lectures est donc assez im­portant ; les plus usitées ne reviennent pas plus de vingt fois par an ; il n'est donc pas exact de dire qu'on ressasse indéfini­ment les mêmes épîtres et les mêmes évangiles : ce qui fut le prétexte invoqué pour introduire les nouveaux lectionnaires. Les évangiles des dimanches et fêtes ont une importance particulière ; ils marquent fortement la liturgie dominicale ; les fidèles, même illettrés, les connaissaient ; dans les écoles libres, voilà quarante ans, on les apprenait par cœur. Ces passages d'évangile connus de tous tenaient une place privilé­giée dans la catéchèse des fidèles tout autant que dans la liturgie, car l'homélie du dimanche portait bien souvent sur l'évangile du jour. Les évangiles des dimanches et des fêtes chômées sont tirés, en nombre à peu près équivalent, de saint Matthieu, saint Luc et saint Jean. Saint Marc n'est utilisé que pour Pâques, l'As­cension et deux dimanches. 99:237 Une autre série d'évangiles, moins connus des fidèles, mais très importants, se trouve dans les messes fériales de carême. Lorsque la multiplication des fêtes de saints rendit plus rare la célébration des messes des dimanches ordinaires et des féries de carême, l'Église en fit lire l'évangile à la fin de la messe de la fête qui supplantait le dimanche ou la férie ; ainsi ces évan­giles étaient-ils toujours dits. Un point capital de la réforme de saint Pie X, en 1913, a été de rendre aux dimanches la préséance sur la plupart des fêtes et d'autoriser la célébration des messes fériales de carême en l'occurrence des fêtes doubles et doubles majeures. La liturgie de Paul VI fait des leçons d'Écriture une fin en soi ; et l'on peut se demander ce qui peut rester dans l'esprit des fidèles d'un passage biblique entendu une fois tous les trois ans. Dans la liturgie traditionnelle, les lectures ne sont pas un simple enseignement, elles sont fortement orientées sur le mystère ou le saint du jour, elles font partie intégrante du culte rendu à Dieu et à ses saints. C'est dans cet esprit qu'il nous faut les recevoir de l'Église et les utiliser pour la gloire de Dieu et le bien de nos âmes. Jean Crété. 100:237 ### Que votre nom soit sanctifié QUE SAVONS-NOUS de la sainteté de Dieu ? Les grands séraphins eux-mêmes ne peuvent que redire sans cesse, comme dans la vision inaugurale d'Isaïe : « Sanctus, Sanctus, Sanctus ! » ([^88]) La première demande du Pater nous oblige à confesser la sainteté infinie de Dieu comme des créatures faillibles et coupables dont l'amour tremblant ne peut prendre son vol que sur le sol de l'adoration. « Le nom de Dieu est saint et terrible : sanctum et terribile nomen ejus » nous dit l'Écriture ([^89]). 101:237 Qu'est-ce que le nom de Dieu ? Les juifs interdisaient de l'articuler et ne l'écrivaient que sous la forme impro­nonçable des quatre consonnes du tétragramme. Le nom de Dieu, c'est l'irradiation de son essence, ce que Dieu dit de lui, la réfraction de sa plénitude ; quelque chose d'in­communicable, qui se livre cependant. Comme la lumière aveuglante effleure la surface de l'eau, la majesté royale nous oblige à baisser les yeux, et c'est dans la nuit, nous disent les mystiques, que Dieu peut être connu. Cette nuit de la foi ne signifie pas que Dieu soit obscur, car il n'y a pas en lui de ténèbres ([^90]) ; au contraire, la nuit qui s'étend sur le regard de l'âme n'est que l'effet d'une trop vive lumière sur des yeux malades ; elle est l'antichambre de la vision. Il faut con­sentir à la nuit pour apercevoir les étoiles. Saint Thomas enseigne que les anges connaissent les essences sous deux modes bien distincts : la connaissance *matutinale* et la connaissance *vespérale.* Selon le premier mode de connaissance, ils voient l'exis­tence *idéale* que toutes choses ont dans le Verbe (comme une œuvre d'art qui serait connue dans la pensée de l'ar­tiste avant et indépendamment de sa projection au dehors). Selon le second mode, sans cesser de regarder Dieu, ils connaissent d'une « connaissance plongeante » les choses émanées de lui, telles qu'elles apparaissent dans leurs propres natures singulières concrètes. Analogiquement, on peut voir là ce qui distingue con­naissance mystique et connaissance poétique. Toutes deux sont filles du ciel, car les beautés de la terre sont plus du ciel que de la terre. Mais la connaissance poétique descend à l'intérieur des créatures à la rencontre des vestiges de Dieu, et le choc de la rencontre provoque un chant de louange et de jubilation. C'est le cantique des trois enfants dans la fournaise. Tandis que la connaissance mystique pénètre directement, par delà le voile, dans la nuit des sens et la nuit de l'esprit pour adorer en silence « la Beauté qui ferme les lèvres » (sainte Angèle de Foligno). Dieu n'est rien de ce que nous pouvons dire de Lui. C'est ici la « voie de négation ». 102:237 Cette voie austère peut effrayer de prime abord, mais sous la plume d'un Père de l'Église du IV^e^ siècle, elle se transforme en chant mélodieux. *Ô Toi, l'Au-delà de tout !* *N'est-ce pas cela tout ce que l'on peut dire de Toi ? Quelle parole te chantera, Toi qu'aucune voix ne peut dire ? Qui pourrait Te saisir, Toi qui dépasses toute in­telligence ? Tu es l'Inexprimable, Toi qui as créé tout l'ex­primable, Tu es l'Inconnaissable, Toi qui as créé tout le connaissable. Tous les êtres, qu'ils parlent ou ne parlent pas, Te chantent. Tous les êtres, intelligents ou sans in­telligence, Te célèbrent.* *D'un même mouvement, les désirs, les douleurs de tous gravitent autour de Toi. Tout ce qui est Te prie ; vers Toi, tous les êtres doués d'intelligence font monter un hymne de silence. En Toi toutes choses demeurent, et par Toi subsiste l'universel mouvement ; de tous les êtres Tu es la fin, Tu es tout être, et Tu n'en es aucun.* *Tu n'es pas un seul être, Tu n'es pas leur ensemble Tu as tous les noms, comment Te nommerai-je ?* *Toi, le seul qu'on ne peut nommer ! Quel esprit céleste pourra pénétrer les nuées qui dérobent le ciel même ?* *Sois-nous bienveillant,* *Ô Toi, l'Au-delà de tout !* *N'est-ce pas cela tout ce qu'on peut chanter de Toi ?* (*Saint Grégoire de Nazianze.*) La voie négative a toujours été en honneur dans la tradition catholique. Le nom de saint Denis l'aréopagite s'impose parce qu'il est l'auteur le plus cité en théologie mystique. Dans la même ligne, voici ce que dit saint Jean Damascène : 103:237 *De Dieu, il est impossible de dire ce qu'il est en lui-même, et il est plus exact d'en parler par l'exclusion de toutes choses. Il n'est en effet rien de ce qui est. Non qu'il ne soit d'aucune manière, mais parce qu'il est au-dessus de tout ce qui est, et au-dessus de l'être même.* (*Saint Jean Damascène : De la foi orthodoxe.* L. I, 4.) Et voici saint Albert le grand : *Dieu est à la fois innommable et omninommable. Il est innommable, et l'Innommable est le plus beau de tous les noms, car cela le place d'emblée au-dessus de tout ce qu'on pourrait essayer de dire. Tout nom qui voudrait l'exprimer demeure noyé dans l'infini de l'admiration.* *Dieu ne s'y montre que dans l'extase d'un esprit en suspens en face de l'ineffable.* (*Somme théologique,* traité III, Q. 16, rép. 1.) Enfin, ce texte de saint Thomas d'Aquin, peut-être le plus beau de tous : *Quand nous avançons vers Dieu par la voie de l'ex­clusion, nous nions d'abord de lui les choses corporelles, et ensuite les choses intellectuelles elles-mêmes, en la forme où elles sont dans les créatures, comme la bonté et la sagesse. Alors, il ne reste plus dans notre intellect que ceci :* Il est, *et rien de plus. Mais pour finir, ce même être, en la forme où il se trouve dans les créatures, nous le nions de lui, et alors il demeure dans une sorte de nuit d'ignorance, et c'est cette ignorance qui nous unit à Dieu de la façon la plus parfaite, autant qu'il appartient à cette vie.* (*Commentaire sur les Sentences,\ *L. I, Dist. XIII, art. 1, rép. 4.) \*\*\* 104:237 En méditant sur la première demande du Pater, l'âme interroge son Seigneur : « Ô Jésus, vous qui êtes le maître intérieur, apprenez-nous à prier. Quelle lumière vouliez-vous mettre en notre âme lorsque, après avoir invoqué Dieu du très doux nom de père, vous nous avez fait de­mander avant toute autre chose que ce nom soit *sanctifié* N'est-il pas la sainteté même ? Pouvons-nous le rendre plus saint qu'il n'est en lui-même ? » Alors viennent au secours de notre intelligence les beaux commentaires patristiques, celui de sainte Thérèse d'Avila, celui du Catéchisme du Concile de Trente, qui enjoignent de révérer la majesté de Dieu, de ne pas pro­noncer son nom sacré en vain. Viennent également les passages de l'Écriture où il est demandé de « sanctifier Yahweh des armées ». Peut-être est-ce la comparaison de ces textes sacrés qui nous éclai­rera sur l'expression mystérieuse dont Notre-Seigneur a voulu faire la première demande de l'oraison dominicale. Et puisque le nom divin ne se distingue pas de l'essence divine dont il n'est que le rayonnement et la réfraction, nous voici invités à « *sanctifier Dieu *»*.* Deux passages parallèles semblent particulièrement éclairants : « N'appelez pas conjura­tion tout ce que le peuple appelle conjuration. Et ne craignez pas ce qu'il craint et ne vous effrayez pas : Yahweh des armées, voilà celui que vous *sanctifie­rez. *» (Celui qui sera votre crainte révérencielle, votre terreur sacrée.) (Isaïe VIII 12-13.) Alors même que vous souffririez, si c'était pour la justice, heureux seriez-vous. Mais ne craignez pas ce qu'ils craignent et ne vous effrayez pas. Le Seigneur Christ, voilà celui que vous devez *sanctifier* dans vos cœurs. (1 Pierre III 14-15.) Il est manifeste que saint Pierre se réfère au texte d'Isaïe en y faisant deux retouches : Yahweh des armées est identifié au Seigneur Christ, et la *sanctification* doit être avant tout intérieure. 105:237 En français, le mot *saint* et ses composés orientent pres­que toujours vers une signification morale ; or une telle signification est bien rarement exprimée par le terme bi­blique correspondant. Le fond commun réside dans l'affir­mation de la grandeur redoutable de Dieu. Dans de mul­tiples passages de l'Écriture, *sanctifier* s'oppose à *profaner,* qui signifie alors : scandaliser les païens en leur montrant qu'on peut impunément mépriser le culte et la loi du seul vrai Dieu. Jésus a repris une locution courante du langage sémi­tique : sanctifier le nom de Dieu, c'est reconnaître Dieu comme radicalement différent, *habitant une lumière inac­cessible,* d'une essence mystérieuse sur laquelle la créature n'a pas de prise. Un auteur allemand, Rudolf Otto, a écrit un livre fort instructif sur le Sacré, auquel il reconnaît deux caractères en apparence opposés : l'attirance et l'effroi ; le *mysterium fascinans* et le *mysterium tremendum.* La narration de la première apparition de Lourdes faite par sainte Bernadette illustre parfaitement ces deux faces du mystère : « *J'eus peur. Je reculai... Ce n'était pas pourtant une peur comme j'en ai eu d'autres fois, puisque je serais toujours restée pour regarder cela -- aquéro --, au lieu que, lorsqu'on a peur, on s'en va vite. *» (*Cité par Mgr Francis Trochu :\ Sainte Bernadette, la voyante de\ Lourdes,* Emmanuel Vitte, 1953,\ II^e^ partie, ch. I, l'extase, page 82.) \*\*\* Les deux premiers mots du *Notre Père* inclinent l'âme à la confiance et à l'amour. Mais ils sont immédiatement sui­vis par l'attribut essentiel de la sainteté divine ; le dogme de la paternité en reçoit dès lors une lumière éclatante qui le purifie de toute l'imperfection des choses de la terre et le place au sommet de la Trinité. 106:237 Sans l'éclat de la sainteté, que de pensées vulgaires sur Dieu ! Que de noblesse en revanche dans l'invocation si fréquente de Jésus au cours du quatrième évangile : *Pater sancte !* Dans l'admirable architecture du *Notre Père,* le « sanc­tificetur » est une clef de voûte qui soutient tout l'édifice. La première demande rejaillit sur les autres en modifiant leur statut. Toutes sont tributaires du vœu initial qui exige que Dieu soit traité en Dieu, que le Royaume soit désiré comme une réalité céleste qui nous dépasse infiniment, et que les chrétiens, s'adressant à leur Père, prennent d'abord à cœur les intérêts de sa gloire. Benedictus. 107:237 Le P. Bruckberger et l'amiral Auphan ### Rencontre au sommet par Hugues Kéraly L'AMIRAL AUPHAN ET LE PÈRE BRUCK­BERGER, *deux hommes aussi différents l'un de l'autre qu'il est possible d'imaginer au sein d'une religion commune, ont publié leurs mémoires à la fin de l'année dernière. Ils se rencon­trent donc ici sans l'avoir voulu, pour la première fois peut-être de leur existence. Car ces vies bien remplies évoluent dans deux univers que tout semble séparer.* \*\*\* *Celui de l'amiral Auphan est parfaite­ment défini, jusqu'aux plus hautes de ses responsabilités politiques, par les exigen­ces, les vertus, la marque de la vocation militaire. Il ne se reconnaît lui-même pas d'autre mérite que* « *d'avoir obéi *»*, et c'est encore grâce à l'esprit d'obéissance que les cinq cent quatre-vingt-douze pages de* L'honneur de servir *ont vu le jour en li­brairie :* 108:237 « *J'avais commencé à jeter sur le papier -- nous dit l'Avant-propos --, ex­clusivement pour les miens, quelques notes décousues complétant les articles et les livres que j'avais écrits. Des religieux de mes amis m'ont fait un devoir de conscience d'amplifier ces souvenirs et de ra­conter publiquement ma vie. *» *Ces amis furent bien inspirés. La vie de l'amiral Auphan peut être donnée en exemple, par-delà les élèves-officiers, à n'importe quel chrétien qui se destine au service de l'État ; elle réserve en outre bien des découvertes à tous ceux de ma génération, qui n'ont d'abord connu la guerre que par l'école et la télévision -- c'est-à-dire essentiellement par les mensonges de la coalition gaullo-communiste arrivée au pouvoir en 1944.* *A contresens de l'officier que ses amis religieux ont poussé à écrire, voici le franc-tireur dominicain que tous les supérieurs de l'Ordre supplient de bien vouloir se taire, depuis le jour* (*ou presque*) *de sa prise d'habit. C'est son honneur à lui et sa forme de courage, en d'innombrables circonstances, de n'avoir pas obéi ; aujour­d'hui bien sûr plus que jamais, puisque l'instinct d'indiscipline, encouragé par tou­tes les trahisons de l'Ordre, propulse Bruckberger là où le sens de la fidélité suffit à maintenir Auphan : dans la com­munion catholique contre le siècle, le camp des défenseurs de la tradition...* Tu finiras sur l'échafaud *aurait pu s'intituler* « *Tu finiras dans la réaction *»*. Qui sait d'ail­leurs si les deux prophéties ne seront pas équivalentes avant peu ?* 109:237 *La rencontre en ces pages de l'amiral Auphan et du Père Bruckberger, c'est l'ac­célération de la décadence occidentale qui l'a réalisée. Hier, on n'aurait pas fini de souligner l'antagonisme des caractères, des goûts, des engagements politiques ; au­jourd'hui, nous trouvons naturel de célé­brer ensemble les témoignages pleinement catholiques rendus par ces deux hommes à travers leur destin. -- Bruckberger est gaulliste ? Bon. Mais voyez Marcel Clé­ment, qui n'en était pas.* \*\*\* *Ainsi vont les choses, et les gens, dans le combat que nous menons : plus le che­min se resserre, plus l'horizon s'obscurcit, plus notre famille spirituelle s'élague et s'élargit... Elle perd chaque jour des feuilles, des taillis, des ombrages. Il faut voir aussi la qualité des troncs.* Hugues Kéraly. 110:237 ### Tu finiras sur l'échafaud par René Perronet R. L. BRUCKBERGER, o.p. : *Tu finiras sur l'échafaud.* Mémoires. (Flammarion.) LE PÈRE BRUCKBERGER ne manque pas de souffle, mais ce souffle se gonfle en tempête et porte l'Esprit, voilà la première impression qu'on tire de ce volume de sou­venirs, de cet examen de conscience, car c'en est un aussi. Non pas scrupuleux, maladif, ce n'est pas son style, mais net et carré. Les lignes essentielles de cette vie ne sont pas infidèles à la devise qu'il propose : soldat de Dieu, courtisan de Dieu. Même si elles sont brouillées quelquefois. Chez qui ne le furent-elles jamais ? Il a la mémoire heureuse. Il ne s'abîme pas dans le ressasse­ment de ce qui aurait pu être, il ne gratte pas les plaies qu'il montre. Et il s'accepte, il prend son paquet, cette vie, telle qu'elle fut, il la présente avec une sorte de naïveté et je ne sais quoi de faraud, qui ne lui convient pas mal, et qui se révèle déjà dans son titre. « Tu finiras sur l'échafaud », curieux prologue à une vie de moine, c'était le cri de sa mère exaspérée par ses rébellions. Enfant, il exècre l'univers entier, à l'exception de sa grand-mère et de l'église paroissiale. Son père, Autrichien, a été inter­né au début de la guerre de 14 (l'enfant a sept ans) ; sa mère, austère, s'épuise à dompter ce petit fauve ; pour son village d'Auvergne, il est un « Boche ». Le petit Léopold se sent autre. Il sera toujours minoritaire, réfractaire, il sera toujours du côté de l'exception et renâclant à la règle, sauf à celle qu'il choisit et à qui il se donne, quand à treize ans, il se sent appelé. Cette vocation le mène chez les Dominicains. 111:237 C'est un remuant moinillon, plein d'appétit pour les livres, ébloui par la beauté féminine, sanguin, robuste, intrépide -- et fidèle. Au centre de sa foi il y a ce mystère fondamental : « Le plus grand des dons de Dieu est la présence corporelle du Christ dans l'eucharistie et la permanence sacrificielle de la messe à travers le temps. » Il voit très bien que c'est là « le fond de toute la querelle de l'après-concile ». A son entrée dans la vie, le père Bruckberger va s'occuper de la *Revue thomiste.* Il rencontre Jacques Maritain, Raïssa sa femme, puis Bernanos, la grande amitié de sa vie. Il les décrit dans des pages pleines de feu. Il y a des détails terribles sur l'entourage familial de l'auteur de *Monsieur Ouine.* Mais je suis encore plus stupéfait quand je lis que ce grand homme, les siens et Bruckberger faisaient leurs délices à ce moment-là (c'était la guerre d'Espagne) d'un poème d'Eluard sur Guernica, reproduit ici, et qui fait penser, au mieux, à une platée de spaghettis à l'eau. Voilà où mènent les passions politiques. Bernanos admirer cela ! La guerre vient combler ce qu'il y a de belliqueux chez le père Bruck. Il s'engage dans le corps franc de Joseph Darnand, et c'est lui qui accompagnera le chef de la Milice, cinq ans plus tard, au poteau de supplice. Il en parle avec noblesse. Comme on sait, les voies des deux hommes divergèrent vite. Darnand se sent lié au maréchal Pétain, Bruckberger ne pense qu'à continuer la lutte. Il va commencer par une gami­nerie. A Nice, lors d'une conférence de Massis, il bondit sur la scène pour déclamer une phrase de Péguy où il est question de résistance. Les choses deviendront vite plus graves. Ces époques font bientôt basculer la gaminerie dans le sérieux. Le père entre dans un réseau, et s'active, ce qui ne l'empêche pas de tourner *les Anges du péché* et de mener une vie mon­daine. Arrêté par la Gestapo, il sera libéré sur l'intervention de Darnand (ce qu'il n'apprendra que vingt ans plus tard). Et c'est la libération de Paris, dont on a ici un tableau grouillant qui semble très vrai -- sauf l'épisode de la fusillade à Notre-Dame qui reste bien obscur. Pourquoi aurait-on caché les corps des desperados qui tiraient des toits ? C'est aussi l'épuration dont le père est ulcéré. Il revoit Bernanos et malgré son amitié le comprend mal (Bernanos était désespéré, voyant ce que la France allait devenir). En 1948, le père Bruckberger quitte Paris pour le Sahara, renonçant à une passion qui ris­quait fort de le dévoyer, à une vie mondaine qui passe pour scandaleuse. Il va se retrouver au désert. Il a 41 ans. 112:237 La vertu de ce livre est rare. On y trouve d'un bout à l'autre une fierté d'accent qui impose mieux que la sympathie il vous pousse à traiter l'homme selon ce qu'il a de plus haut. René Perronet. 113:237 ### Maritain au moment de Munich par Louis Salleron DANS *Tu périras sur l'échafaud* le P. Bruckberger raconte l'anecdote suivante. C'était au lendemain des accords de Munich. Mari­tain partait pour une tournée de conférences en Amérique. Le P. Bruckberger va le saluer à la gare Saint-Lazare où il le trouve en compagnie d'Olivier Lacombe. « Tout naturellement, écrit-il, j'exhalai ma fureur contre l'accord de Munich. Sur ce quai de gare, il y avait là, avec moi, deux hommes qui étaient mes amis, deux hommes supérieurs par l'intelligence et les qualités du cœur ; tous deux me donnèrent tort, sans la moindre circonstance atténuante. Je ne sais plus lequel des deux eut cette phrase qui sonne encore à mon oreille : « L'hon­neur est une barbarie, comme les courses de taureaux ! » Cependant, quelques jours plus tard, le P. Bruckberger reçoit une lettre de Maritain, écrite sur le bateau qui le menait à New York. « Sorti de Paris, où la passion de l'abdication natio­nale enivrait les plus sages, se trouvant en mer au milieu d'une société internationale, il put mesurer l'effet de consternation ressenti dans le monde entier au fait que la France et l'Angle­terre avaient solennellement renié leur parole. Il eut l'honnêteté et l'humilité -- rares, surtout chez un intellectuel français -- de me l'écrire et de me faire à ce sujet des excuses. » L'anecdote est caractéristique des réactions de Maritain en face de la politique. D'avoir été « munichois » ou « anti-munichois » ne signifie rien, puisque les raisons de l'attitude adoptée par les uns et les autres étaient, de chaque côté, extrêmement diverses et souvent radicalement opposées. Là n'est donc pas la question qui nous intéresse à propos de Maritain. Ce qui nous intéresse, ce sont les raisons de sa réaction première à Munich, puis les raisons de sa réaction seconde. 114:237 Le contexte de l'anecdote permet de penser qu'à la gare Saint-Lazare la querelle était entre une certaine conception de l'honneur, défendue par le P. Bruckberger, et une certaine conception de la paix, défendue par Maritain et Olivier La­combe. Reste à savoir si l'honneur impliquait le refus des accords de Munich et si le pacifisme impliquait leur accepta­tion. C'est précisément le problème politique ; car pour ceux qui ont la responsabilité suprême des décisions politiques, le sens de l'honneur et la volonté de paix impliquent des choix qui, dans l'immédiat, peuvent heurter les sentiments de ceux qui n'ont ni la responsabilité du choix, ni la connaissance des données qui peuvent le motiver. Laissons de côté ce débat en ce qui concerne les accords de Munich. Il est sans intérêt pour la question qui nous occupe. La question qui nous occupe est le changement d'attitude de Maritain et les raisons de ce changement. Or on ne court pas grand risque à dire que ces raisons sont parfaitement clai­res. Tout d'abord, Maritain a dû être frappé par l'attitude du P. Bruckberger pour lequel il a autant d'estime que d'amitié. Ce jeune dominicain thomiste, plein de vie et de foi, est si convaincu d'être dans le vrai qu'il y a là de quoi troubler le sage méditatif qu'il est. Et puis, sur le bateau, il se trouve « au milieu d'une société internationale » dont la « conster­nation » est manifeste. Alors, honnêtement et humblement, il s'avoue à lui-même s'être trompé et il s'en confesse au P. Bruckberger. On mesure, à la rapidité de cette conversion, la solidité des jugements de Maritain sur les faits politiques. Cette anecdote, parmi bien d'autres analogues, ne fait qu'il­lustrer une attitude de fond qui, après la condamnation de l'*Action française,* a été permanente chez Maritain. Sous l'in­fluence de sa femme, puis de l'intelligentsia, puis de l'Amérique, il a découvert sa nature profonde qui était celle d'un idéologue. Il était, en réalité, dans le droit fil de la Révolution française. Ses écrits de jeunesse, tels qu'*Antimoderne* et *Trois Réfor­mateurs*, le gênaient. Il hésitait à les revendiquer ou à les désavouer. Sa profession de foi thomiste et son christianisme inébranlable le mettaient constamment, sans même qu'il s'en doutât, en perpétuelle contradiction avec lui-même. Sa prodi­gieuse agilité intellectuelle lui permettait de s'assurer de son unité intérieure, laquelle était réelle, en tant qu'elle était celle d'une foi catholique qui ne vacilla jamais, mais illusoire au plan métaphysique. 115:237 La nature du politique lui échappait. Certes il en dissertait savamment dans la stratosphère. Mais revenu sur terre il ne savait plus quoi penser. Il devenait comme une feuille au vent et se fiait au sens de l'Histoire qu'indiquait infailliblement la Gauche, laquelle, à l'échelle mondiale, pouvait être soit l'U.R.S.S., soit les U.S.A. Longtemps opposé à Teilhard de Chardin, qui scandalisait son thomisme, il s'en rapprochait insensiblement et eût fini par s'accorder avec lui. Il est dangereux de n'être qu'un intellectuel quand on veut étendre les vérités de la philosophie aux choses de ce monde. Louis Salleron. 116:237 ### L'honneur de servir par René Perronet Paul AUPHAN : *L'honneur de servir.* (France-Empire.) ON IMAGINE MAL, aujourd'hui, ce qu'était une éducation qui trempait l'âme et le corps, comme celle que reçut Paul Auphan dans les écoles chrétiennes où il fut élevé, puis sur le *Borda.* Méditez ses premiers chapitres. Voilà un homme comme on n'en fait plus (ou presque plus). Né à Alès, il eut très tôt la vocation de la mer. Il sortit officier de l'École navale à 20 ans, en 1914. Ses premières armes, il les fait en surveillant la Manche, puis au Levant, où il organise un service de renseignements, apprenant l'arabe, découvrant un monde complexe. Il finit la guerre dans les sous-marins de l'Adriatique. La paix venue, son temps se par­tagera entre des commandements en mer et des postes de plus en plus importants au ministère de la rue Royale. Il y connaît Georges Leygues, grand ministre, dit-il. C'est une période de reconstruction de notre marine, malgré les traque­nards des Anglais. Et c'est à nouveau la guerre. La légèreté, la veulerie attei­gnent chez nous un degré peu croyable. Dans ces mémoires, d'un ton si honnête et si clair, où l'auteur ne vise nullement l'anecdote scandaleuse, il faut noter deux petites histoires. Le 3 septembre 1939, à 17 heures, la France entre en guerre contre l'Allemagne. A partir de cette heure, nos bateaux doivent évi­demment attaquer tout allemand rencontré. Il faut en faire signer l'ordre à temps. L'amiral Le Luc va trouver le chef du gouvernement, Daladier. 117:237 -- Bigre, fit celui-ci en se grattant la tête, vous croyez qu'il faut que je signe ça ? -- C'est une décision politique, M. le Président. -- Écoutez, allez voir Gamelin : c'est lui que ça regarde. L'amiral file à Vincennes. -- Je ne vois pas pourquoi je signerais ce papier, dit Ga­melin. Que l'amiral Darlan fasse ce qu'il voudra, moi, je n'atta­que que demain matin. (C'était façon de parler, comme la suite l'a montré.) L'amiral revient dare-dare à Paris et finit par obtenir le paraphe de Daladier. L'autre histoire est celle-ci : Le 28 mars 1940, grand conseil interallié à Londres (on pense à couper « la route du fer »). Trois jours plus tard, le patron du *Hyde Park Hotel* rapporte aux autorités un papier trouvé dans la chambre de Gamelin. C'est un projet de résolution pour la conférence. L'ennuyeux, c'est que le papier n'a été découvert qu'un jour après et qu'une bonne partie du personnel de l'hôtel est italien. Toutes les chances que le S.R. italien soit au courant. Cela donne la couleur de ces jours. La défaite arrive, mas­sive, totale, si totale qu'elle est difficile à concevoir aujourd'hui (ce qui rend plus facile son escamotage). Sous les ordres de Darlan, l'amiral Auphan va prendre la direction de la marine marchande -- tâche capitale pour le ravitaillement de la France -- puis, quand Darlan est écarté, il devient secrétaire d'État à la Marine. Jusqu'au 17 novembre 1942, l'amiral va faire partie du gouvernement de Vichy. Après cette date, sa fidélité ne se lassera pas. Il conseille au Maréchal, en 43, d'écarter Laval. Le complot échoue. En 44, il est chargé d'or­ganiser une passation paisible des pouvoirs. Il rencontre Juin, mais de Gaulle ne donne aucune suite. Si donc l'amiral s'est écarté du pouvoir de Vichy, il ne l'a nullement renié, pas plus qu'il ne l'a toujours approuvé. Ici, il faut s'arrêter. Cette époque est aujourd'hui la plus obscure de l'histoire. On a refait le passé. La situation doit se comprendre à partir du scénario d'une prise d'otages. Une arme sur la tempe de son prisonnier, le bandit peut exiger ce qu'il veut : refuser, c'est risquer qu'il tue. La France était l'otage de l'Allemagne. Les exigences de celle-ci ne pouvaient être contrariées que de biais. « Intelligence, patience, ténacité, rouerie étaient nos seules armes » dit l'amiral. Elles furent efficaces. Cependant, le jeu était compliqué par certains Fran­çais, qui acquiesçaient trop volontiers aux volontés allemandes. 118:237 Et, qui pis est, ce jeu se menait devant l'opinion, qui en saisis­sait de plus en plus mal les feintes. D'où divorce, aggravé par la propagande alliée et gaulliste. Époque infernale. Ainsi l'amiral Auphan peut-il rencontrer au début de 1944 Roger Seydoux et Pierre-Henri Teitgen (son but, on l'a dit : assurer la paix civile, la transmission du pouvoir sans heurts). A l'été, c'est fini. On ne veut plus le connaître. On le poursuit. Il restera dix ans clandestin, refusant un tribunal de rencontre. L'imposture continue. Aujourd'hui plus que jamais, on voit de hardis gaillards (que risquent-ils ? que savent-ils ?) soutenir qu'il fallait laisser *poloniser* la France. Les Français n'au­raient pas été « égarés ». Ils auraient été massacrés. Ceux qui n'ont pas vécu cette période, quand ils y réflé­chissent éprouvent de l'indignation, de voir que tant d'hommes pareils à l'amiral Auphan ont été exclus, les services qu'ils auraient pu rendre rejetés. Comme si nous étions si riches en hommes de valeur. On ressent aussi une tristesse sans remède en constatant que le mensonge passe pour vérité, que des valeurs, des vertus en sont demeurées suspectes, et comme interdites. De telles ruines ne se relèvent pas. Ces mémoires sont imprégnés d'une pensée chrétienne qui a dirigé et soutenu cette vie. Mais à la foi elle-même, les épreuves n'ont pas manqué, depuis quelques années. Cela assombrit encore un tableau, illuminé pourtant de deux lumières, celle de l'honneur, et celle de l'espoir du salut. René Perronet. 119:237 ## NOTES CRITIQUES ### Lévy : confusion totale Bernard-Henry LÉVY : *Le testament de Dieu* (Grasset). Dans *La barbarie à visage humain,* Bernard-Henry Lévy, sortant des rêves de mai 68, découvrait que la Révolution, faite pour la liberté, mène à la tyrannie et que le Progrès, né des Lumières, n'est que l' « uniforme et linéaire progression vers le Mal ». Désespérant de toute solution politique, sa conclusion était : « Il ne reste que l'éthique et le devoir moral. » Un seul mot d'ordre : « Résister d'où qu'elle vienne à la menace barbare. » Avec *Le testament de Dieu,* Bernard-Henry Lévy franchit une nouvelle étape. Dieu est-il mort ? Sans doute, mais il a laissé un testament : l'ancien Testament. Cherchant à fonder son éthique de résistance, B.-H. Lévy trouve la Bible. Il pour­rait y avoir de plus mauvais choix. Mais outre que son inter­prétation de la Bible est très fantaisiste, elle s'inscrit dans une conception du problème qui révèle des préjugés dont l'idéo­logie est exactement celle qu'il se propose de combattre. L'examen de son vocabulaire est à cet égard probant. Trois mots en témoignent. Le *fascisme.* -- B.-H. Lévy emploie constamment le mot « fascisme » pour désigner le Mal social contre lequel il s'in­surge. Or 1) le fascisme est historiquement postérieur au com­munisme. C'est contre le communisme que le fascisme s'est dressé. 2) Quels que soient les griefs qu'on puisse faire au fascisme -- le seul, l'italien -- qui s'est, à la fin, laissé dominer par le nazisme, il n'a jamais, et de très loin, atteint les hor­reurs du communisme ou du nazisme. 120:237 Son totalitarisme n'a été que nationaliste, sans prétendre à l'universalisme du na­zisme ou du communisme. En employant le mot « fascisme » pour désigner tous les régimes dictatoriaux et, notamment, ceux qui ont eu recours à la dictature pour lutter contre le communisme, on donne virtuellement un brevet de légitimité au communisme. La *Gauche. --* Dans une émission à la radio, sinon (sauf erreur) dans son livre, B. H. Lévy qui condamne tous les « fascismes », qu'ils soient de droite ou de gauche, s'est dit personnellement de Gauche, -- comme une chose allant de soi. Or la Gauche est le nom de l'héritage révolutionnaire. Elle désigne la légitimité du Pouvoir dans la filiation de la Révolution. B.-H. Lévy entend donc se situer dans cette légi­timité historique. C'est son droit. Mais comme par ailleurs il confesse que « le national-socialisme est né rouge et à gauche, comme la plupart d'ailleurs de tous les fascismes de ce siècle » (p. 66), on voit mal comment il peut condamner à la fois le communisme et tous les « fascismes » en se voulant de Gauche. La *démocratie. --* Même confusion autour du mot « démo­cratie ». « Anti-fasciste » et homme « de gauche », B. H. Lévy est « démocrate ». La démocratie est pour lui l'État idéal, c'est-à-dire celui qui existe le moins possible, assurant par son inexistence relative la justice et la liberté. Mais pourquoi appeler démocratie cet État utopique ? Il écrit (c'est moi qui souligne) : « J'entends dire, ici et là, que le combat majeur de la fin du XX^e^ siècle consistera à élargir, à « enrichir » la *démocratie,* à lester de « contenus » et de neuves concrétions ses bourgeoises et formelles et abstraites libertés : il faut oser répondre, forts d'un siècle de *fascismes,* qu'il n'y a jamais eu encore, qu'il n'y aura sans doute jamais de *démocratie* que formelle, de concrète liberté que dans le respect de ses formes abstraites, de *démocratie* élargie qu'autoritaire et *fascisante,* et c'est à ce *fascisme* aussi que j'appelle à résister tous ceux qui sont las des prêcheurs de lumière qui dépècent l'humanité en lui promettant le salut » (p. 38). Allez donc vous recon­naître dans cet entortillement ! Ce qui est sûr, c'est que B.-H. Lévy qui, gauchiste d'origine, s'est débarrassé, grâce à Soljé­nitsyne, du mythe révolutionnaire, nage maintenant dans une confusion totale. Il s'en rend compte. Ne sachant où trouver les principes d'une doctrine politique, il y renonce. Comme il vient de l'anarchisme, il ne peut y retourner. Il se contentera donc d'un État « minimal », sans chercher à le définir ni nous dire en quoi il se distinguerait de l'État *libéral* dont c'est pourtant la formule. « Limiter le Politique pour faire place à l'Éthique » (p. 51), telle est finalement sa ligne de conduite. \*\*\* 121:237 Cette éthique, celle d'une résistance à la menace barbare d'où qu'elle vienne, il la trouve, nous l'avons dit, dans l'an­cien Testament. Pourquoi le seul ancien ? Parce que l'Évangile est une religion de l'*incarnation*, corrompant de ce fait l'absolu de la Résistance et s'ouvrant ainsi aux compromis politiques. Pas de mains sales dans la Résistance ! Où voit-il donc la Résistance dans l'histoire, pleine de fu­reur, de crimes et d'idolâtrie, du peuple hébreu ? Il la voit chez les Prophètes. A bon droit, certes. Mais les prophètes invoquent Iahvé. Croit-il lui-même à Iahvé, à Dieu ? Non. Que Dieu existe ou non, peu importe. Contentons-nous d'appeler Transcendance cette valeur absolue du testament qu'il nous laisse à travers ses prophètes, et faisons-en le « rocher » de notre Résistance. « ...la première expérience de l'homme hé­breu, lisons-nous aux dernières lignes du livre, est celle d'une séparation radicale, d'une étrangeté absolue, de l'absence du Ciel sur la terre et de la terre au Ciel : de l'inexistence radicale de celui qu'il appelle son Seigneur » (p. 274). Cette foi en un Dieu inexistant, B.-H. Lévy l'appelle *mono­théisme.* On se demande pourquoi. En souvenir de Dieu sans doute, et par courtoisie envers ceux qui y croient. Bref, pour se faire comprendre de tout le monde. Mais puisque ce Dieu, cette valeur, cette Transcendance est sans aucune relation avec la *société* des hommes, il n'y a que les *individus* qui peuvent y trouver le principe de leur Résistance -- laquelle est, en fin de compte, résistance au Pouvoir quel qu'il soit, résistance à la Politique, résistance à l'ordre établi qui est nécessairement le désordre établi, avec son cortège d'injustices et ses struc­tures d'asservissement. B.-H. Lévy est effectivement individua­liste, au sens le plus intégral du mot. « L'individualisme (...) est un idéalisme sans métaphysique, un transcendantalisme sans transcendance, l'idéalisme transcendantal d'une Mme qui n'est rien d'autre que l'insondable axiome d'un refus de soumission » (p. 139). On retombe dans l'anarchisme : ni Dieu (inexistant), ni Maître (qui est partout). Tel est ce monothéisme bizarre, sorte d'impératif kantien judaïsé dont B. H. Lévy a peut-être aussi choisi le nom pour l'opposer commodément au polythéisme grec qu'il descend en flammes dans soixante pages aussi brillantes qu'artificielles. Jérusalem contre Athènes. Bien sûr, mais pour convertir Athè­nes et en assimiler les valeurs. L'inscription *Deo ignoto* était une pierre d'attente. Le Nouveau Testament ne l'a pas négligé. \*\*\* 122:237 Ce qui m'a le plus surpris chez B.-H. Lévy, c'est son igno­rance. Le mot peut paraître étrange. Un agrégé de philosophie ! Un normalien ! De fait il sait quantité de choses et il a lu des tonnes de bouquins. Mais il est victime du mal dont souffrent presque fatalement tous les étudiants, à chaque génération. Il ne connaît que l'enseignement de ses maîtres et la littérature de son époque. Avec les « nouveaux philosophes » ses amis il a déjà secoué le fardeau des pontifes du XIX^e^ siècle et de leurs successeurs contemporains. C'est important, et honorable. Mais sur les faits, les idées et les auteurs de l'avant-guerre, de l'occupation et de la libé­ration, il est d'une indigence ou d'un conformisme qui étonne. Écrire, par exemple, que Maurras « se rallia au nazisme faute de mieux » (et donner en référence *Mes idées politiques !*) confond l'imagination. De même, toute la première partie de son livre, consacrée à la politique, est d'une rare vacuité. Il ne connaît pas, notamment, Bertrand de Jouvenel dont les études sur le Pouvoir, la Souveraineté et J. J. Rousseau l'eussent heureusement éclairé. Mais la lacune la plus extraordinaire de son *Testament* concerne Simone Weil. Il ne la cite pas et ne l'a manifestement pas lue. Elle avait tout pour retenir son attention, et d'abord parce que toute son œuvre tourne autour du Mal et de la Révolution qui est *exactement* le centre de la préoccupation de B. H. Lévy. Simone Weil, dis-je, avait tout pour l'attirer. Comme lui, elle est juive. Comme lui, elle est agrégée de philosophie. Comme lui, elle a été révolutionnaire militante pendant toute sa jeunesse. Elle a tâté du travail manuel dans diverses usines. Elle a été dans les brigades internationales pendant la guerre d'Espagne. Sortant de chez elle, Trotski pouvait lui dire un jour (je cite de mémoire) : « Vous pourrez vous vanter que c'est chez vous qu'a été fondée la quatrième Internationale. » Ce sont tout de même des brevets « antifascistes ». Or l'évo­lution de Simone Weil a été, sur l'essentiel, rigoureusement inverse de celle de B. H. Lévy. A vrai dire, son militantisme révolutionnaire avait toujours été anti-progressiste et elle avait toujours eu horreur du « gros animal » qu'incarnaient, à ses yeux, le peuple hébreu, la Rome antique et l'Église catholique. Mais son expérience ouvrière et politique la conduisit pro­gressivement, d'une part à être de plus en plus sensible aux réformes de détail susceptibles de soulager les plus malheureux, d'autre part à porter son besoin de Transcendance au niveau le plus élevé dans la contemplation chrétienne. Convaincue que « le social -- lisez : la société -- est irréductiblement le do­maine du Prince de ce monde », elle ne cherchait plus que l'imitation du Christ, dans une kénose personnelle et le partage vécu du malheur humain. 123:237 A côté d'elle, B.-H. Lévy fait, spiri­tuellement et intellectuellement, pâle figure. Comme il ne man­que lui-même ni de sincérité ni d'intelligence, j'ai peine a croire, s'il la lisait, qu'il ne comprendrait pas que c'est elle qui lui indique la voie à suivre ou que c'est elle qu'il doit démolir. Car Simone Weil c'est B.-H. Lévy lui-même, mais poussé à la *vérité absolue* de la Résistance au *Mal absolu.* B.-H. Lévy se ment à lui-même en substituant à l'idéologie de la Révolution une autre idéologie qu'il masque du nom de Trans­cendance mais qui n'est toujours que la même idéologie de la Révolution puisqu'elle se veut *antinaturelle --* c'est lui qui le dit --, niant ainsi du même coup le *naturel* et le *surnaturel* qu'avait retrouvés, dans leur plénitude, Simone Weil. Au fond sa démarche est assez analogue à celle de Maurice Clavel. Comme Clavel, il s'est débarrassé des « maîtres penseurs », Hegel, Marx, Freud, et comme lui il est remonté à Kant pour opposer l'éthique à la politique. Derrière le fidéisme, Clavel a retrouvé la foi catholique. Lui retrouve un fidéisme juif qu'il ne pousse pas jusqu'à la foi et dont il ne veut pas faire un racisme. Il est donc en l'air. Son débat intérieur est, en réalité, métaphysique et religieux. Il le sait bien mais le nie. Ce débat occulté nous vaut nombre d'intuitions fulgurantes dans un discours incohérent. On lui souhaite de ne pas en rester là. Une retraite d'un an avec Simone Weil lui ferait du bien ; et si c'est le problème religieux qui le hante le plus profondé­ment nous lui recommandons la lecture de l'épître aux Ro­mains ; il y trouvera, notamment au chapitre XI, l'explication du Nouveau Testament, avec ces paroles d'espérance pour tous : « Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéis­sance pour leur faire miséricorde à tous » (XI, 32). Louis Salleron. ### Le trésor de Saint-Denis Blaise de Montesquiou-Fezensac, Danielle Gaborit-Chopin : *Le trésor de Saint-Denis.* Éditions A. et J. Picard, 1973-1978. 1978 restera faste dans l'histoire de l'art. C'est en effet l'année de la fin de publication de l'inventaire du trésor de Saint-Denis et cet événement était attendu depuis longtemps, car tout historien était rebuté par l'étude de telles merveilles dont la description très précise s'étalait sur 860 pages in-folio en parchemin, recouvertes d'une écriture pas toujours lisible du fait du dessin des lettres et de la couleur de l'encre. 124:237 Or, le trésor de l'abbaye de Saint-Denis ne pouvait être que capital pour la compréhension de bien des problèmes qui se posent à l'historien, l'abbaye étant proche de Paris et du pouvoir royal, donc au cœur de notre nation. C'est à Saint-Denis que les rois se faisaient inhumer et c'est dans son trésor qu'étaient conservés les insignes du pouvoir du roi et de la reine, ceux-là mêmes qu'on leur remettait pendant la cérémonie du sacre et du couronnement ([^91]). La réputation de ce trésor était énorme ! On venait le voir de tous les pays et les souverains et autres grands de ce monde se faisaient un devoir d'aller le contempler. Tout Français était d'ailleurs à même de le voir et pendant les heures creuses, quand il n'y avait pas de témoin, il était même possible de toucher aux objets... hélas ! En effet, les bons moines n'étaient pas toujours obnubilés par la nécessité de conserver précieu­sement les objets, placés dans des armoires que l'on ouvrait facilement. 125:237 L'inventaire de 1634, un tableau et d'autres indices montrent que certains objets étaient en triste état. Mais une fois de plus, je crois utile de souligner que les moines, comme les autres Français des anciens temps, n'étaient nullement archéo­logues. Le vieux était souvent fondu et les catastrophes aidant (nécessités d'argent, pillages divers, etc.), une partie du trésor disparaissait ainsi continûment, et sans trop d'éclat. Les moines taillaient hardiment dans les beaux vêtements du sacre pour se procurer des ornements liturgiques violets, semés de fleurs de lis d'or, utilisés lors des fêtes somptueuses que l'abbaye s'of­frait plusieurs fois par an. Il est navrant que les mémoires du dernier organiste de l'abbaye ne soient pas intégralement publiés, car ils nous ont laissé le souvenir de la vie des moines et de la destruction de Saint-Denis par les révolution­naires. Cet organiste, nommé Ferdinand-Albert Gautier ([^92]) fut trente ans en poste, y succédant à son père qui avait exercé vingt-cinq ans ! C'est dire sa science sur l'abbaye et les céré­monies qui s'y déroulaient chaque année, en dehors même des obsèques du roi, de la reine et des princes. Je ne fais qu'évo­quer au passage les cinq fêtes ou fêtes de quinqué (prononcer cuinqué), c'est-à-dire Pâques, Pentecôte, Noël, Saint-Denis et dédicace, où l'on chantait épître et évangile en grec et en latin aux deux jubés, tout comme le jour de l'octave de saint Denis : on venait en foule assister à la messe « en grec ». Faste inouï quand on regarde de près les détails de ces cérémonies ! C'était d'ailleurs le seul endroit en France où l'on utilisait le grec, en mémoire de saint Denis supposé être, à tort, le converti d'Athènes et le Pseudo-Denys des *Noms divins*. A tort, car S. Denis l'Aréopagite, converti par S. Paul (Actes 17, 34) ne pouvait être le premier évêque de Paris, vivant autour de 250, et encore moins le mystique du V^e^ siècle qui nous laissa des écrits en grec ! L'abbaye de Saint-Denis avait mêlé le tout et s'en parait d'une gloire unique dans le monde... A ces fêtes il fallait ajouter les services commémoratifs de Dagobert, de Charles II le Chauve (il fut abbé laïc), de Philippe II Auguste et de S. Louis, ainsi que Noël : c'est alors qu'étaient arborés les ornements violets semés de fleurs de lis d'or. La liturgie et les rages révolutionnaires nous ont privés de vêtements anciens, alors que les Allemands et les Autrichiens conservent encore de magnifiques manteaux des XI^e^ et XII^e^ siècles ([^93]). 126:237 Au même niveau mystique que Reims (cathédrale Notre-Dame et abbaye Saint-Remi) et que Paris (Parlement avec grand-salle et grand-chambre ([^94]), Sainte-Chapelle avec ses pres­tigieuses reliques, cathédrale Notre-Dame), Saint-Denis ne pou­vait être que le réceptacle de merveilles artistiques venant parfois du fond des âges. Son trésor conservait ainsi des pierres antiques et bien des témoins des plus anciennes civilisations. C'était un prodigieux mélange de souvenirs romains, orientaux, mérovingiens, carolingiens et capétiens, entretenant ainsi une ambiance d'incroyable antiquité au dépôt sur lequel veillaient les moines bénédictins, de la congrégation de Saint-Maur depuis 1633. Dans l'église même, étaient conservés l'oriflamme rouge qui mena les Français à la bataille de 1124 à 1415 ([^95]) ainsi que les prestigieuses reliques de la sainte couronne et du saint clou, qui me semblent avoir été prises à Aix-la-Chapelle, quand les Français du roi Lothaire et du duc de France Hugues Capet pillèrent le palais d'Othon Il en l'été 978 ([^96]). Le trône « de Dagobert », les insignes « de Charlemagne » et de « saint Louis », la corne de licorne (sic), les reliques de saint Denis, de saint Benoît et de tant d'autres saints étaient propres à fasciner les foules. Personne n'osait douter de l'authenticité des restes de saint Hippolyte. Ceux-ci faisaient bien du tapage si un pape passant par là émettait quelque réserve critique à leur égard ([^97]) ! Et quelle masse d'or, d'argent, de pierres pré­cieuses ! 127:237 Qu'on en juge : les rois comme leurs administrés savaient se diriger vers le trésor dans les périodes de manque monétaire... Hélas ! Quand la Convention nationale anéantit le trésor en l'an III le poids de l'or représentait près de 111 kg, soit au cours de l'or en mi-mai 1979, plus de 4 200 000 F. Si à cela on ajoute le prix des pierres et du travail, on doit envi­sager des millions supplémentaires ([^98]). Ces merveilles étaient régulièrement recensées par ordre du Roi. On connaît ainsi depuis le siècle dernier quelques inven­taires qui ont été imprimés, allant de 1505 à l'an III, mais l'essentiel document, le monument, restait pratiquement incon­nu. Il existait cependant un grand érudit qui avait décidé d'en venir à bout, le comte Blaise de Montesquiou-Fezensac. Gentil­homme d'illustre famille d'Armagnac, Montesquiou-Fezensac était un modeste qui publia peu, réservant ses forces à l'inven­taire. Il mourut le 3 septembre 1974, mais il avait pu voir le premier volume du *Trésor de Saint-Denis,* consacré au texte même de l'*Inventaire de 1634.* Ayant à faire des recherches sur les insignes du roi de France, intimement liés à l'origine de la fleur de lis (problème fondamental et irritant !), j'avais été obligé de me tourner vers l'inventaire de l'abbaye où ils étaient conservés et je me souviens de mon accablement devant un texte peu clair, rébar­batif et composé en gros, de deux rédactions l'une dans l'autre. En effet, les commissaires de 1634 se promenaient dans Saint-Denis en rapportant tout d'abord ce qu'indiquait l'inventaire précédent (1534), puis leurs propres constatations : descrip­tion nouvelle d'anciens objets (abîmés ou restaurés) ou de nouveaux (ignorés en 1534), ou encore simple constat de man­que, *deffault* se trouvant assez souvent écrit. Autrement dit, d'une façon générale et pour chaque article ou objet, il y a tout d'abord une description de 1534 puis une autre de 1634, l'esti­mation de la valeur faite en premier lieu étant en écus et celle qui suit en livres tournois ! Le lecteur de ces lignes entrevoit tout de suite la complexité d'un tel texte. J'allai voir Montesquiou-Fezensac qu'on m'avait indiqué comme « le spécialiste » du trésor et fus fort courtoisement reçu par cet homme qui m'expliqua en quelques minutes com­ment il fallait s'y prendre pour déchiffrer le monstre... dans l'attente de sa publication qui eut lieu bien des années après. 128:237 Je me lançai donc dans la lecture totale des 860 pages, émergeai plusieurs semaines après de longues séances au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale et ayant enfin compris, sans attendre 1973, un grand nombre de choses in­connues d'érudits comme Perey-Ernst Schramm qui n'avaient jamais consulté le manuscrit ([^99]). C'est dire le temps gagné et la reconnaissance due à Blaise de Montesquiou-Fezensac. Dans les dernières années de son existence il était devenu très fati­gué et il trouva en Mme Gaborit, conservateur au département des objets d'art du Louvre, une excellente collaboratrice qui sut reprendre le flambeau et mener l'œuvre à bonne fin. A elle aussi doit donc aller toute notre reconnaissance. Le tome I reprend donc le texte intégral de l'*Inventaire de 1634* pour suivre les ordres de Louis XIII. Les commissaires se rendirent ainsi à Saint-Denis de nombreux jours de juin et juillet, travaillant des heures durant avec des experts, évaluant ainsi des couronnes et des reliquaires pierre par pierre... Les séances de travail commençaient à cinq heures du matin, car on aimait se lever tôt en ces temps-là ! Les opérations se termi­nèrent en août, ces messieurs ayant passé en revue des cen­taines d'objets. L'inspection s'était faite sous la houlette d'An­toine Nicolay, premier président de la Chambre des comptes comme beaucoup d'autres membres de son illustre maison, honneur de la noblesse de robe ([^100]). Le gros tome II contient les *Documents divers,* c'est-à-dire tous les textes utiles à la connaissance des objets inventoriés en 1634. C'est dire l'ampleur du travail, chaque objet étant ainsi accompagné de tout un dossier de citations allant de la chro­nique médiévale aux inventaires de l'ancien régime, en passant par des comptes (réparations) et des descriptions faites par des érudits ou des voyageurs, émerveillés par toutes ces splendeurs. 129:237 Les deux éditeurs du trésor ont ajouté tout ce qui avait trait aux objets entrés depuis 1634 ; parmi ceux-ci se trouvaient les objets des sacres de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI ainsi que ceux ayant servi aux obsèques des rois, reines, prin­ces et princesses de la branche de Bourbon. Le tome III consacré aux *Planches et notices* donne l'his­toire des objets ainsi que toutes leurs principales représen­tations en 114 planches, formant ainsi une sorte de musée ima­ginaire bien utile. Une abondante bibliographie accompagne chaque notice. Sur le sujet bien spécial qui est le mien, les insignes du pouvoir des souverains, je n'adhère pas à toutes les positions et prudentes des auteurs, mais il y a là une sérieuse base de discussions ultérieures ([^101]). 130:237 J'ai parlé de musée imaginaire à la suite de Mme Gaborit qui qualifie son tome III d'exposition imaginaire. En effet, il serait maintenant difficile de réunir les objets qui figurèrent au trésor de l'abbaye. Les cérémonies qui s'étaient déroulées dans l'église ([^102]), les destructions opérées par les bénédictins ne furent rien à côté de la tornade qui s'abattit sur le sanctuaire de nos rois. La Révolution voulut faire table rase, anéantit les archives, brûla les drapeaux, fondit les insignes, martela les monuments, guillotina, fusilla, noya les citoyens sur une grande échelle... Le roi, la reine et la sœur du roi étant envoyés *ad patres,* le petit roi restant en prison avec sa sœur... il n'y avait plus qu'à déterrer les rois précédents et les envoyer à la fosse commune ! On a souvent conté les scènes atroces du sac de Saint-Denis... ([^103]) Quant au trésor, il fut apporté à Paris en une procession grotesque et sacrilège, puis précipité aux pieds du président de la Convention nationale, Pierre-Antoine Laloy, régicide. C'était le 12 novembre 1793... « Vêtu de la carmagnole de rigueur, avec une large écharpe aux couleurs nationales, le citoyen Poil de la commune « de Franciade (ex-Saint-Denis) » marchait en tête... c'était un ancien bénédictin, le premier prêtre du district qui avait rompu ses vœux et jeté son froc par-dessus les moulins » (Dr Max Billard) ([^104]). A vrai dire, le coquin s'était marié et c'est lui qui harangua les citoyens représentants au milieu de sa délégation en tenue de mascarade, encore que sacrée : chasubles, surplis, dalma­tiques, mitres... ou bonnets rouges ! Le texte du discours était cependant d'un instituteur de Franciade, le citoyen Blanc (sic). En voici quelques lignes : « Un miracle fit voyager de Mont­martre à Saint-Denis la tête du saint que nous vous apportons. Un autre miracle, plus grand, plus authentique, le miracle de la régénération des opinions, vous ramène cette tête à Paris. Une seule différence existe dans cette translation : le saint, dit la légende, baisait respectueusement sa tête à chaque pose » (sic) « et nous n'avons pas été tentés de baiser cette relique puante ; ce crâne et les guenilles sacrées qui l'accompagnent vont, enfin, cesser d'être le ridicule objet de la vénération du peuple et l'aliment de la superstition, du mensonge et du fana­tisme. L'or et l'argent qui les enveloppent vont contribuer à affermir l'empire de la raison et de la liberté... 131:237 Ô vous, instru­ments du fanatisme ! Saints, saintes, bienheureux de toute es­pèce, soyez enfin patriotes, levez-vous en masse ; marchez au secours de la patrie, partez pour la Monnaie, et puissiez-vous, par votre secours, faire en ce monde notre bonheur que vous promettiez pour un autre. Nous vous apportons, citoyens légis­lateurs, toutes les pourritures dorées qui existaient à Franciade »... Et comme il restait encore un autel d'or qu'ils n'avaient pu transporter, Pollart ajoute : « Nous vous prions de donner ordre à la Commission des monuments de nous en débarrasser sans délai, pour que le faste catholique n'offense plus nos yeux républicains. On ne pouvait faire mieux escorter les bienheu­reux que par le maire de notre commune qui, le premier de tous les prêtres du district, a sacrifié à la philosophie les erreurs sacerdotales, en se déprêtrisant et en se mariant... » Après le discours de ce monumental imbécile qui devrait être choisi comme patron par tous les clercs « au foyer » et autres révolutionnaires de notre époque, discours que l'on trouve dans le *Moniteur universel* du 14 novembre 1793, on chanta, on but dans les calices et les ciboires, la jubilation la plus indécente se manifestant parmi les conventionnels et le peuple des tribunes... Elle était belle la France des grands ancêtres ! Le trésor de Saint-Denis (grossi de celui de la Sainte-Cha­pelle), fut trié et largement fondu à la Monnaie. Ainsi périrent des merveilles de l'art français, reliquaires, croix, insignes du pouvoir, vêtements... Il en reste cependant quelques souve­nirs que l'on peut trouver dans la galerie d'Apollon au Louvre, au département des médailles à la Bibliothèque nationale ou même à l'étranger ! Il nous est donc encore possible de contem­pler le trône « de Dagobert », l'épée « de Charlemagne », l'aigle de Suger (une urne de porphyre que le grand abbé de Saint-Denis métamorphosa en y adjoignant un décor d'argent doré et niellé), la coupe « de Chosroês » (la tasse de Salomon des anciens auteurs), etc. Mais la corne de licorne (à vrai dire dent de narval) se voit à Cluny et le vase de Cana (*sic*) a disparu depuis le début du siècle. Sous Louis XVIII, Saint-Denis, qui n'avait plus de moines, essaya de récupérer le trésor ou tout du moins les insignes du pouvoir qui restaient, restaurés ou recomposés par ordre de Napoléon I^er^ en 1804. On fit comprendre au chapitre royal que les temps avaient bien changé. Les insignes qui avaient été entreposés à Notre-Dame sous l'Usurpateur (ses sujets pou­vaient les voir au trésor si l'on en croit un guide imprimé), se virent expédiés au Garde Meuble. Charles X les utilisa ([^105]). 132:237 Louis-Philippe I^er^ se les fit présenter lors de sa prestation de serment comme roi des Français, et Louis-Napoléon, prince-président, les mit au Musée des souverains qui se trouvait au Louvre. La III^e^ République déposa les épaves de nos insignes du pouvoir dans la galerie d'Apollon où leur présentation pour­rait être plus heureuse. Quoi qu'il en soit, tout visiteur de cette galerie aura de quoi nourrir ses réflexions avec les trois tomes du *Trésor de Saint-Denis.* Grâce en soit donc rendue aux deux auteurs. Ils ont bien mérité de l'histoire de l'art et même, j'ose le dire, de la patrie. Hervé Pinoteau. ### Bibliographie #### Abbé Vincent Serralda La philosophie de la personne chez Alcuin (Nouvelles Éditions Latines) *Première lecture* Avec le profond respect dû à la personne de l'abbé Serralda, est-il permis de dire l'étonnement de ce qu'il s'é­tonne d'un certain Alcuin, à la fois si original et en si gros trou de l'histoire, et trou­ver qu'il faut vraiment n'avoir pas peur, pour soupçonner de peur, en l'occurrence, « les théologiens », en bloc ? 133:237 Le di­rai-je tout à trac, il semble que le seul chapitre VI du livre intitulé « La philosophie de la personne chez Alcuin » a de quoi, en effet, rendre étonnant cet étonnement, et que la pensée en cause, criti­quable et critiquée de la sorte, ne peut faire peur qu'à de singuliers disciples de saint Thomas, et de toute façon bien malades. Voyons un peu ça, un tout petit peu, en vérité, juste assez pour ne pas ré­duire à rien le triple travail du diacre carolingien, de l'ab­bé Christophe Colomb, du laï­que et bedeau rouscaillant. L'Introduction résume de façon claire et nette le sys­tème en cause : « L'étude de la Genèse fait affirmer le droit substantiel de l'homme. L'étu­de du Christ fait affirmer le droit de la personne. Elle conduira à confondre la per­sonne et son droit en une seule perfection rigoureuse­ment indivisible. » On nous explique « l'étrange origina­lité d'Alcuin » par les besoins de l'orthodoxie en butte à l'hérésie adoptianiste, d'une part, et, d'autre part, selon les exigences pastorales d'hom­mes qui « baignaient dans la barbarie », ne laissant d'autre ressource à l'éducation que « le droit inné d'un chacun ». Le corps de l'ouvrage, lui, ne cesse guère de rebuter le lecteur par des vices de plu­sieurs sortes, matériels et for­mels, d'argumentation et de doctrine, soit divine ou hu­maine. La plupart des citations sont des phrases tronquées, où, de surcroît, les mots qui intéres­sent la démonstration du mo­ment sont soulignés. L'interprétation des textes allégués en pareille manière semble bien « solliciter » ces pauvres petits, habituellement et fortement, dans le sens du système, et vous provoque au doute par la fréquence même des : manifestement... impos­sible de dire, ou de rappeler plus net que... En particulier, le mot qui revient indéfiniment, et pour cause, le mot clé *potestas ;* s'agit-il bien chaque fois, ain­si que le croit le citateur, du sens : pouvoir juridique ? Même question, a fortiori, quant au sens systématique : pouvoir juridique tenu pour la racine de la personne, en toute personne ? *L'homme à l'image de Dieu,* il y a ce qu'en dit la Genèse, texte et contexte ; il y a ce qu'il est permis d'en inférer quant à la doctrine de l'hom­me ; la lecture et les infé­rences du système, c'est vrai­ment une autre histoire ! Et c'est tout le système en porte-à-faux, à mesure et démesuré­ment. Dieu dans une catégorie où se trouve déjà l'homme, et c'est par le Mystère de la Sain­te Trinité... Un principe de séparation en Dieu pour le même Mystère... Son Alliance fait de Dieu un débiteur de l'homme...Le péché, bien commun de Satan et des hom­mes qui se laissent tenter par lui... Le plus dangereux, la fausse conception de la personne hu­maine, et l'esprit faux de cette erreur : la personne abstraite, l'esprit faux idéologique. Ap­puyons de quelques remar­ques de fond ces critiques mortelles pour le système. 134:237 Dieu est lui-même en l'ab­solue simplicité de Celui qui Est et de Ce qu'il Est ; l'hom­me est lui-même en la dualité de toute créature de celui qui est dans l'existence et de ce qu'il est selon son être spéci­fique ; il y a donc sophisme fondamental à vouloir l'hom­me à l'image de Dieu comme si le sujet humain n'était pas lui-même en deux sens réelle­ment irréductibles, individu composé, intérieur et exté­rieur à lui-même, seigneur et serviteur de lui-même, modèle et ouvrier de lui-même. Dieu est Celui qui Est, l'homme est : deviens ce que tu es. L'individu en tant qu'indi­vidu, c'est un point de vue réel et nécessaire sur l'exis­tence de l'homme ; y vouloir un point de vue suffisant à rendre raison de l'être et de la personne, *summum jus, summa injuria *; en faire un point de vue univoque sur l'homme et sur Dieu (catégo­rie), *eritis sicut dii, scientes bonum et malum.* La matière attire la matière, et l'esprit repousserait l'esprit ? *Anima quodammodo omnia...* « Cet extraordinaire besoin de sor­tir de soi qui est l'amour même » (Charles Maurras). La réduction individualiste de la personne à partir de la foi catholique en Jésus-Christ ? *Et mea omnia tua sunt, et tua mea sunt.* Dire Dieu dit l'indépendan­ce absolue de Celui qui est Dieu sans aucune distinction à faire avec ce que c'est qu'être Dieu ; dire l'homme à l'image de Dieu ne peut parler ainsi, de celui qui est Homme, sans distinction avec ce que c'est qu'être un hom­me. Or le système exposé com­mence par ceci : l'homme à l'image de Dieu ne peut être au pouvoir d'autrui selon sa création ; il lui faut donc pou­voir de droit sur soi ; ce pou­voir juridique est la personne par définition. En inférant de la sorte : a\) On passe de l'Être de Dieu à l'existence individuelle de l'homme, qui n'est pas identiquement l'être de l'hom­me, encore moins l'Être divin. b\) On passe de cette exis­tence individuelle au pouvoir qu'il y faut sans examiner ce que l'être humain admet ou non d'un tel pouvoir, s'il l'as­sure ou non, etc. Comme si le devoir-être emportait l'être en l'homme tout de même qu'en Dieu (selon notre pen­sée), comme si l'image de Dieu faisait un autre Dieu. En définitive, *l'acte* de l'existence individuelle, est se­cond à la *puissance* de l'être spécifique, -- ou bien il s'agit de l'Infini de l'Acte pur, Ip­sum Esse Subsistens, -- ou bien c'est le zéro de raison de l'existence abstraite prise pour l'existence réelle. « C'est en faisant de la théologie qu'il nous a donné une philosophie de l'homme. » En effet : imaginis Dei indi­vidua substantia. Alors que saint Thomas professe : « il­lud autem est unaquaeque res quod operatur operationes il­lius rei : unde illud est ho­mo quod operatur operatio­nes hominis* *» (Ia, 75,4 ; tout l'article est à méditer à l'en­contre du malheureux systè­me) ; donc, rationalis naturae individua substantia. La Personne divine, en Jé­sus-Christ, est antérieure à la nature humaine ; les Trois Personnes de la Sainte Tri­nité sont consubstantielles ; alors que la nature humaine est commune à tous les hom­mes, chacun d'eux est le sujet distinct irremplaçable de son salut, ou de sa perte, pour la vie éternelle ; de là (?) une définition de la personne hu­maine comme le sujet de l'existence individuelle, abs­traction faite de la nature, pour être l'image de Dieu, et pouvoir juridique lui-même à l'image de celui des personnes divines ? 135:237 Mais ce sujet d'exis­tence, abstraction faite de la nature en cause d'existence, il n'y a là qu'une abstraction à quoi ne peut répondre au­cune réalité dont ce serait la définition, -- comme si l'exis­tence créée en tant que créée pouvait être l'image de l'Exis­tence divine en tant que di­vine. Et quant à se sauver, ou se perdre, chacun par soi-même, irremplaçablement, de quoi s'agit-il ? N'est-ce pas d'être avec Jésus-Christ, Dieu fait homme pour le salut des hommes, ou sinon, d'être con­tre lui, et cela peut-il conclure en chaque homme un pouvoir juridique à l'envi du même pouvoir en Dieu ? Ou bien, ne lâchons pas, un pouvoir de se-sauver-ou-se-perdre peut-il faire l'homme à l'image de Dieu sans quelque manichéis­me, et alors, bien plutôt, sans quelque « essentiel inaperçu », ouvrant l'incommunicabilité individuelle de par l'être commun qu'il y faut, et qui, en vérité, fait à mesure, de l'individu, la personne ? Dieu est lui-même en ce sens incommunicable qu'il est im­possible qu'un autre Dieu soit cet autre Dieu lui-même au même sens que Dieu est lui-même ; pareillement, dans la Sainte Trinité, le Père est lui-même, le Fils est lui-même, le Saint-Esprit est lui-même, à la façon incommunicable du Pè­re d'être le Père, du Fils d'être le Fils, du Saint-Esprit d'être le Saint-Esprit. Chacun des hommes, au contraire, est lui-même au même sens qui se retrouve en tous les hom­mes, -- et non chez les ani­maux, lesquels sont pourtant tous des individus au même sens. L'incommunicabilité des personnes humaines leur est commune, elle est donc spéci­fique. Si donc il y a pouvoir juridique, celui de Dieu et des Personnes divines est trans­cendant, celui des hommes est naturel aux hommes en tant qu'hommes ; l'individu est incommunicable de fait, la personne par droit de na­ture commun à tous les hom­mes, et ce droit exige donc une définition spécifique de l'humaine personne. Pouvoir sur soi, ordre du fait ; pouvoir juridique, na­ture faisant droit, sinon le droit se réduit au fait de l'existence individuelle. Per­sona res juris ? Oui, selon la nature capable de droit, à hauteur de droit, d'abord, et ensuite dans la mesure où la personne se tient à cette hau­teur. La définition de Boèce montre la différence de la personne avec l'individu ; il faut cette différence, autre­ment, pouvoir juridique du Créateur, non de la créature ; ou bien, pouvoir de fait égale pouvoir de droit, soit en réa­lité manichéenne, soit par il­lusion idéologique. Chez l'individu animal, pas de conscience d'un moi, pou­voir sur soi nécessité par la nature spécifique ; l'animal dispose de sa nature selon qu'elle dispose de lui au gré des circonstances, en un cer­cle de nécessité. L'individu humain a conscience de soi par opposition à sa nature animale et raisonnable, son pouvoir sur cette nature n'est pas réduit à la nécessité ani­male ; 136:237 sans en être indépen­dant, le sujet domine sa na­ture selon qu'il en dispose sans être nécessité par elle, sans détermination nécessaire de son choix par ses tendan­ces ; mais sa nature fait obli­gation au sujet d'en user di­gnement selon qu'il y voit rai­son personnelle et volonté de Dieu Créateur. Et c'est ainsi que le pouvoir sur soi de tout sujet individuel devient chez l'homme pouvoir de droit par la distinction consciente du sujet d'avec sa nature, par la dignité de sujet d'une telle nature, par obligation à la vo­lonté de Dieu, qui a créé l'homme dans la dualité consciente du sujet d'avec sa na­ture, faisant de l'individu la personne, et la noblesse qui l'oblige. En Dieu, rien ne limite rien, la Trinité ne touche pas à l'Unité. En Jésus-Christ, l'homme ne relativise pas le Dieu. Chez l'homme, au con­traire, ce qu'il a de plus haut doit compter avec ce qu'il est plus bas, pour s'affirmer au-dessus ; ce qui doit gouverner a besoin de ce qu'il doit gou­verner ; l'homme doit satis­faire à l'animal qu'il est, bon gré, mal gré, pour devenir l'homme qu'il ne peut être sans le vouloir. Ainsi, et non autrement, l'homme à l'image de Dieu, l'homme quelconque appelé à suivre l'homme en Jésus-Christ. *Animal rationale, rationalis naturae individua substantia :* ces mots voulant dire ce qu'ils disent, les réalités qu'ils dé­signent dans l'homme n'en impliquent pas d'autres en lui pour embrasser le tout de l'homme en chaque homme. De sorte que l'homme est en effet, défini, soit selon l'es­pèce, soit comme personne. Mais : *persona res juris*, pou­voir juridique substantiel, -- cela peut bien être réalité dans l'homme, mais alors, réalité qui implique une autre réalité de l'homme, pour fonder ce langage, d'une part, et, d'au­tre part, pour en préciser les limites, ... puisqu'il ne s'agit pas de Dieu, mais seulement d'une créature à son image, -- réalité qui, la belle pre­mière, implique une autre réa­lité de la créature en ques­tion. Faute de quoi, vouloir en ces deux assertions des définitions de l'homme, c'est le sophisme extravagant de l'individualisme, reçu, au com­ble de l'extravagance, pour lecture de la Genèse et de l'Évangile. Quand vous dites : Dieu, -- ou : le Fils de Dieu fait hom­me, -- vous devez penser cet être individuel unique en sa réalité à lui pour être lui. Quand vous dites : la person­ne humaine en chacun des hommes, -- pensez-vous : cet être individuel qui est Pierre, qui est Jean, etc., etc., autant de fois, distinctement et in­communicablement, qu'il y a une personne humaine qui est cette personne humaine ? Ou bien avez-vous à l'esprit quel­que idée de la personne hu­maine comme la vérité, aussi éminente qu'il se puisse, selon quoi tout homme est un hom­me, -- et rien de plus, enten­dez, s'il vous plaît : un hom­me, et non pas cet homme-là entre tous, distinctement et incommunicablement ? Auquel cas il y a bien quelque chose en votre esprit, mais qui laisse échapper la réalité en soi de la personne humaine comme elle est chacun de nous en chacun de nous pour chacun de nous, comme chacun de nous est sa personne, est véri­tablement cet homme en per­sonne. 137:237 L'idée de la personne en tant que personne ne ré­pond à la réalité d'aucune personne qu'en saisissant et proposant le tout de la réalité individuelle selon qu'il échap­pe à toute idée humaine (om­ne individuum ineffabile). Ne­mo nisi per amicitiam cognoscitur, saint Augustin n'a rien fait entendre de plus digne de saint Augustin, on n'atteint la personne de personne qu'en allant à elle, parlons familiè­rement, de bonne amitié, car la personne échappe à nos pauvres idées les plus géné­reuses pour elle, qui, réelle­ment, réduisent à rien l'exis­tence que Dieu lui donne d'exister. « Je suis la Vigne, vous les sarments », Notre-Seigneur peut dire ainsi à ses disciples sa Vérité qui est leur vérité, ça ne peut être la vérité de chaque personne en la vérité du pouvoir per­sonnel sur soi que pour le raisonnement qui bannit la raison. Parlons-nous de Dieu, c'est l'Existence absolue qui se suffit de façon transcendante à toute pensée que nous pouvons en former, abstraite ou con­crète ; rien n'est rien d'au­cune manière indépendam­ment de Dieu, il n'y a rien de rien dont Dieu puisse dé­pendre en aucune manière. Parlons-nous de l'homme, rien de plus concret que l'indivi­du, mais l'individu regardé comme la totalité interne de l'existence propre à chacun, mais encore, comme insépara­ble d'un milieu externe de l'existence, qui est commun, et qui est multiple (cosmique, géographique, social et par suite historique...) ; tout au contraire de quel regard con­cret sur l'individu humain, rien de plus abstrait que de s'arrêter au sujet d'une sin­gularité incommunicable à tout autre individu ; rien de plus abstrait, car il y a bien là un aspect de l'homme réel, mais en faire l'homme même en sa réalité même, que reste-t-il de celle-ci, que reste-t-il de celui-là, que nous reste-t-il de l'existence humaine ré­duite à cette idée ? Il nous reste le chaos ap­pelé monde moderne. Paul Bouscaren. *Seconde lecture* Et tout à trac : nos compli­ments et nos respects à l'au­teur de cet ouvrage qui ne craint pas de se dire publi­quement prêtre, homme de Dieu, « mis à part, comme l'écrit saint Paul, pour an­noncer l'Évangile ». L'abbé Serralda renoue avec la tra­dition qui incorpore la scien­ce, la philosophie, l'érudition, dans l'esprit du clerc qui en a la vocation : il contribue ainsi pour sa part à la renais­sance d'une civilisation chré­tienne que ses confrères tentent pour la plupart d'étein­dre au maléfice de l'impur humanisme prôné par Paul VI. 138:237 Le prêtre se veut aujour­d'hui un « homme comme les autres ». On sait pourquoi. « Ils étaient tous égaux », diagnostique George Orwell dans son roman d'anticipation 1984, « mais il y en avait quelques-uns qui étaient plus égaux que les autres ». L'aban­don de la soutane n'est d'ail­leurs que le signe extérieur d'un rejet plus profond, déli­béré : celui du sacrement de l'Ordre dont l'Église catholi­que peut seule conférer la marque indélébile. Le proces­sus de déchristianisation du monde suit là son cours. Mais l'élimination du sacré qui ca­ractérise le monde moderne et qui parvient actuellement à son apogée s'effectue avant tout au sein des âmes. Le pro­fane ne se substitue pas seule­ment au sacré, il se proclame sous d'autres noms le sacré par excellence : « l'éminente dignité de la personne humai­ne » dont les clercs se délec­tent n'est que le masque de « l'éminente dignité » du Moi. On n'évacue pas impunément Dieu : le Dieu qui s'est fait homme pour nous sauver, fait automatiquement place, com­me à l'origine, à l'homme qui se fait dieu par le péché d'Adam et sur la promesse du Prince de ce Monde. Nous ne nous écartons pas ici de la recension du beau livre de l'abbé Serralda. Sa lecture nous confirme dans le jugement que nous avons sou­vent porté dans ITINÉRAIRES sur le sens de la déchristiani­sation du monde et de l'Église. Elle nous fortifie d'autant plus dans la conviction que nous avons exposée : à savoir que cette déchristianisation est due *au christianisme lui-même, à la sécularisation des éléments qui composent son essence surnaturelle,* que l'ou­vrage de l'abbé Serralda n'en parle point. Ce n'est pas un paradoxe. Le mérite de ce livre n'est pas seulement d'avoir comblé une lacune énorme dans l'histoire de la philosophie médiévale en étu­diant un auteur dont le nom est d'autant plus connu que son œuvre est méconnue, mê­me des spécialistes, il est d'amorcer l'étude de la notion de personne dans l'histoire du christianisme et de proje­ter indirectement une certaine lumière, une lumière certaine aussi, sur la crise dans la­quelle sombrent le monde et (en majeure partie) l'Église sous nos yeux. On sait en effet que l'his­toire de la notion de personne dont on nous bat et rebat au­jourd'hui les oreilles, n'a ja­mais été faite. Et l'histoire de son évolution et de sa laïci­sation encore moins. En dé­couvrant l'importance centra­le de la personne dans la phi­losophie -- nous dirions plu­tôt quant à nous : dans la pensée ([^106]) -- d'Alcuin, maî­tre et penseur attitré de Char­lemagne et des élites carolingiennes, inspirateur et insti­gateur de ce qui aurait pu de­venir une première civilisa­tion chrétienne étendue à l'Eu­rope, l'abbé Serralda a dégagé, à la suite de l'auteur qu'il étudie, et pour la première fois, avec une érudition sans défaut, la réalité essentielle qui distingue le christianisme des autres religions : 139:237 le chris­tianisme s'adresse à la per­sonne de l'homme en ce qu'elle a de plus constitutif : l'ineffaçable présence du Créa­teur -- en sa racine même, la découvre par le baptême, par la grâce que ce dernier lui infuse, par la pratique des vertus théologales et des sa­crements, en son être vérita­ble, et lui permet ainsi de s'offrir totalement à Dieu pour son salut éternel. « Celui qui veut me suivre doit renoncer à soi-même », *abnegat seme­tipsum* (Mt, 16, 24). Tout est là. Sans doute la personne est-elle une entité naturelle, mais sa nature est inaccessible aux forces naturelles de l'homme, à son intelligence, à sa volon­té qui ne peuvent l'atteindre qu'à travers le voile apparem­ment transparent, mais en réalité opaque, des facultés sensibles. L'individuel n'est pas objet de science. Il est rigoureusement impossible à l'intelligence humaine, en tant qu'humaine, de connaître au sens propre du terme la per­sonne qui en est le siège, pour la bonne et simple raison que l'intelligence ne connaît la réalité que par opération abs­tractive de son essence (ou de l'un ou l'autre des aspects de celle-ci) et que la personne n'est pas et ne peut pas être objet d'abstraction à peine de s'évanouir. Personne ne se connaît vraiment soi-même. Seule la Révélation découvre la personne à elle-même. La personne appartient concrè­tement parlant -- peut-on par­ler abstraitement de la per­sonne ? -- à la catégorie du surnaturel. Sans Jésus-Christ, je ne me connaîtrais pas moi-même. Je ne m'entrevois com­me personne qu'à mesure de la grâce que je reçois. Et c'est dans l'éternité, dans le Corps Mystique du Christ pleine­ment achevé, que par le Christ, avec le Christ, dans le Christ, je me saisirai comme person­ne en plénitude parce que Dieu sera tout en moi et qu'en moi il n'y aura plus rien qui fasse écran entre Dieu et moi. La vie est en outre chose éminemment personnelle. C'est pourquoi il faut accepter la mort pour vivre réellement. « Il faut que cet être mortel révèle l'immortalité » (1 Cor. 15, 53) par Celui « qui seul possède l'immortalité » (1 Tm. 6, 16). « Je me suis perdue pour me retrouver » chante l'âme de saint Jean de la Croix. C'est tout le mystère de la Croix : la personne se dépouille d'elle-même pour n'être plus, par la grâce qu'el­le reçoit, que créature de Dieu sauvée par Dieu. « Vous n'êtes pas à vous-mêmes » (1 Cor. 6. 19), « mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Cor. 3, 22). L'abbé Serralda montre ad­mirablement comment la no­tion de personne, centrale dans le christianisme, l'est aussi dans la pensée d'Alcuin. Pour le maître de l'École pa­latine, « la personne est une substance spirituelle, au moins en partie, dont l'essence com­porte une maîtrise juridique totale, exclusive, incommuni­cable, immortelle » (p. 343). Le constitutif formel de la personne est la maîtrise de soi. La personne est « un être substantiel, une substance spi­rituelle se possédant à part de tout autre être » (p. 281). « Elle est une souveraine­té parfaitement incommunica­ble » (p. 335), maîtresse du droit qu'elle a sur elle-même : *persona res juris.* Cette con­ception est assurément origi­nale. 140:237 Elle diffère de celle que Boèce a introduite dans la pensée chrétienne : *persona est substantia individua ratio­nalis naturae,* qu'Alcuin igno­re par ailleurs et qui sera re­prise plus tard par l'immense majorité des scolastiques. Aus­si l'abbé Serralda a-t-il raison de lui consacrer une longue étude et d'en suivre tous les prolongements dans les divers domaines de la théologie, de la philosophie, voire même de la métaphysique, de la psy­chologie, de la morale, du droit, de la politique, qui sont inextricablement mêlés les uns aux autres dans la per­spective beaucoup plus prati­que que spéculative, « pasto­rale », dirait-on aujourd'hui, adoptée par Alcuin. Elle s'ex­prime dans un latin qui s'ef­force d'être élégant, vivant, mais qui n'est pas toujours très aisé à comprendre pour le profane. On regrette à cet égard que l'abbé Serralda n'ait pas traduit les très nombreux textes qu'il cite dans le cœur même de son livre. Les histo­riens de la philosophie ne connaissent plus guère, hélas, le latin médiéval, non plus que les gens l'Église ! Il nous est impossible de suivre ici les analyses perspicaces, sou­vent subtiles (à cause même de l'horizon complexe où se meut la pensée d'Alcuin), que l'abbé Serralda effectue avec un rare bonheur d'expression, en les ramenant sans cesse au centre d'où elles rayonnent et qu'elles éclairent alors net­tement. N'ayant fait pour notre part que quelques incursions dans l'histoire de la philosophie médiévale, nous estimons ce­pendant qu'Alcuin fait ici œuvre de novateur, ainsi que le souligne son savant histo­rien, lequel, d'autre part, se borne à nous donner une mo­nographie exhaustive de l'œu­vre de son auteur, sans porter un jugement de valeur sur son contenu, et en se demandant simplement pourquoi la pen­sée d'Alcuin, à peine exprimée, a connu si peu d'audien­ce au Moyen Age même, alors qu'elle constitue manifeste­ment le premier essai de transposition, dans tous les secteurs de la culture de cette époque, de ce qu'il appelle justement « un personnalisme intégral » d'origine nettement chrétienne (p. 349). L'ouvrage de l'abbé Serralda s'en tenant avec rigueur à la seule recherche du principe personnaliste fondamental qui anime d'un bout à l'autre la pensée d'Alcuin -- et cette tâche était déjà énorme ! --, on peut se demander si le philosophe n'a pas le droit de dépasser le point de vue, restreint en apparence, mais riche de substance à réflexion, du médiéviste, et de décou­vrir *les causes* ou *la cause* de cette extraordinaire aventure intellectuelle et spirituelle dont Alcuin fut le héros soli­taire. Si exiguë que soit la place qui nous est ici réser­vée, osons-le ! L'abbé Serralda estime que ce personnalisme d'origine chrétienne a rencontré le tem­pérament individualiste des Francs auxquels la doctrine d'Alcuin s'adressait et qu'il a été inspiré par l'instinct et le sens du droit des individus propre au type britannique dont relève incontestablement le maître de l'École palatine qu'il a minutieusement étudié. 141:237 C'est possible. C'est même certain. Mais le philosophe qui, se penche sur les condi­tions sociales de l'époque d'Al­cuin et qui ne verse pas dans le sociologisme pour la cause, ne peut pas ne pas remarquer que ce personnalisme appa­raît au moment même où la société romaine avec laquelle le christianisme avait déjà noué des liens étroits, s'ef­fondre pour disparaître à ja­mais, abandonnant chacun de ses membres à leur soli­tude individuelle respective. Il ne peut pas ne pas remar­quer que le stade de *civilisa­tion* auquel les Barbares -- les Francs -- qui avaient en­vahi ces ruines n'avait pas encore atteint le niveau de la *Cité* où les rapports sociaux, avec tout ce qu'ils sup­portent et comportent de pos­sibilités de *bien commun* dont l'intelligence au moins en son activité pratique est le pivot, peuvent se développer. Com­me l'enseigne Aristote, « le maître de ceux qui savent », qu'Alcuin ne semble pas con­naître directement dans les textes, cité et civilisation sont non seulement conjointes mais identiques. Là où il n'est oint de cité, de société véritable dont les membres poursuivent le bien commun, il n'y a que barbarie. Et il suffit de consi­dérer la « dissociété » où nous sombrons de jour en jour pour en être convaincu. L'homme seul est une bête ou un dieu. Il se situe au plan animal où, porteur de la vie individuelle, il est chargé par la nature de transmettre celle-ci. La société -- familiale ou tribale -- qu'il crée à cet effet par la conjonction des sexes et par la parenté du sang, est loin encore d'être une société vraiment humaine où l'intelligence et son objet : le bien commun, le vrai uni­versel, sont atteints avec plus ou moins de bonheur. Il faut la réunion des groupements, nés de l'instinct, qu'effectue l'intelligence, pour engendrer une *cité* où la *civilisation* puisse naître et se développer *humainement.* Aussi les Anciens -- et après eux les membres de cette société véri­table, tels les Français en Eu­rope à l'égard de la Monar­chie -- honoraient-ils au plus haut point les fondateurs de la Cité et les Rois qui, en mille ans, firent la France. Nous savons que cette réussite est toujours menacée : depuis le péché originel qui a dévi­talisé la nature de l'homme et singulièrement sa nature sociale, l'éboulement dans la masse indéfiniment plastique ou dans le chaos la guette. Alcuin a cru que le person­nalisme inhérent à la société *surnaturelle* que le Christ a fondée, où Il est tout en cha­cun et en tous, et dont l'Église est la gardienne de la foi *im­muable* qui rassemble les membres de son Corps mysti­que dans l'espace et dans le temps, pouvait constituer le modèle de la société nouvelle à bâtir par Charlemagne sur les débris de la cité antique. En d'autres termes, *il n'a pas distingué avec suffisamment de rigueur la nature qui est mère de la société profane, et la relation surnaturelle de la personne à Dieu révélé qui engendre l'Église militante, souffrante et triomphante.* C'est pourquoi nous pensons, à l'inverse de l'abbé Serralda, qu'Alcuin a frôlé maintes fois le pélagianisme en attribuant en certains passages de son œuvre à la personne humaine comme telle : *res juris,* des droits sur Dieu. 142:237 Cet effort gigantesque d'Al­cuin pour rebâtir une société chrétienne que l'abbé Serral­da vient de souligner admi­rablement devait échouer : la nature de l'homme est sociale, l'Église surnaturelle du Christ est personnaliste ; la société humaine est composée d'êtres sociaux dès leur naissance, la société divine est composée de personnes unies par Dieu et en Dieu, et ici-bas par l'Église qui les maintient au niveau surnaturel que ni le temps ni l'espace ne peuvent diviser. Voilà, selon nous, la raison pour laquelle le chris­tianisme postérieur à Alcuin n'a pas suivi la voie que lui traçait ce grand penseur mé­connu. Le chrétien vit à deux niveaux *distincts et complé­mentaires :* celui de la nature dégradée par le péché ori­ginel où le bien particulier essaie sans cesse de pulvériser le bien commun de la société, celui du surnaturel qui res­taure individuellement la na­ture et lui permet, selon des degrés qui vont de zéro à l'in­fini, de reconstituer les ca­naux sociaux qui, dans l'es­pace et dans le temps, véhi­culent de proche en proche, dans des structures organi­ques analogues à celles d'un corps sain, la Bonne Nouvelle du salut personnel. Prétendre remplacer l'un par l'autre équivaut à les détruire : le social se pulvérise sous les coups de boutoir du personnel dégringolé de ses hauteurs surnaturelles ; le personnel désurnaturalisé vire au sub­jectivisme et à une forme ir­réelle de l'idéologie de rem­placement du christianisme. Toutes les idéologies sociales, du libéralisme au communis­me, sont ainsi des *hérésies chrétiennes* qui essaient vai­nement de suppléer aux forces inconfusibles et annexes de la nature et de la grâce : éri­ger le Moi en dieu par les artifices de la liberté absolue et de l'État absolu, conjugués comme nous le constatons au­jourd'hui dans une moitié du monde, ou ordonnés l'un à l'autre selon un mécanisme rigoureux, comme Marx le promet à l'autre moitié (rem­placer le gouvernement des hommes par la seule adminis­tration des choses distribuées d'après les exigences d'un chacun au terme de l'Histoi­re), telle est leur substance qui caricature le christianis­me. Tel est l'écueil où la pensée d'Alcuin se brise, dès qu'elle est poussée à la limite. La phi­losophie et la théologie ulté­rieures ont refusé de s'enga­ger dans cette voie. Il a fallu la Renaissance (la Rechute, comme disait Chesterton), la Réforme et la Révolution, pour que renaissent dans les mi­lieux déchristianisés, mais conservant en eux l'empreinte du christianisme, et aujour­d'hui dans les milieux dits chrétiens eux-mêmes, le véhé­ment désir, destructeur de toutes les valeurs profanes et sacrées, de faire passer l'or­dre chrétien, désurnaturalisé et devenu désorganisation per­manente, dans une société pro­fane qui se disloque et s'ato­mise en dissociété, afin d'unir les personnes incommunicables qui la « composent », par ce qui ne peut être qu'un ersatz du christianisme hâtivement bap­tisé « humanisme ». De la faillite d'Alcuin à l'épo­que moderne, sauf quelques heureux succès plus ou moins temporaires, la ligne est con­tinue. Décidément, avec Boi­leau, on peut se demander si « le plus sot animal » n'est pas « l'homme ». Son intelli­gence ne peut se maintenir à la hauteur de la contemplation du Vrai et de l'action orientée vers le Bien Commun, que par la grâce. *Gratia perfectio natu­rae.* Mais la grâce perfectionne la nature. Elle ne la remplace pas. Il faut le terrain. La para­bole du Semeur le prouve. Marcel De Corte. 143:237 #### Adam Michnik L'Église et la gauche \[en Pologne\] (Seuil) La visite de Jean-Paul II en Pologne a attiré l'attention des milieux catholiques sur la si­tuation de l'Église dans l'en­semble des pays de l'Est, qui attendent du souverain pontife un virage positif et net de la politique étrangère du Vatican. Il me semble cependant que cette lumière qu'on a subite­ment projetée sur la situation religieuse au-delà du rideau de fer n'est pas encore de nature à faire comprendre aux esprits occidentaux le véritable pro­blème du catholicisme dans les pays satellites. Aussi convient-il d'accueillir avec une parti­culière attention le livre d'Adam Michnik récemment paru aux éditions du Seuil sous le titre *L'Église et la gauche.* Cet ouvrage analyse uniquement la situation polo­naise, mais ceux qui connais­sent l'état des choses et des esprits dans l'Europe de l'Est avant et après 1945 y retrou­veront des similitudes évi­dentes avec plusieurs autres pays où le catholicisme a joué (et continue de jouer) un rôle aussi déterminant. Je pense ici aux pays à ma­jorité catholique : la Hongrie, la Slovaquie, la Croatie, sans parler des fortes minorités ca­tholiques situées en Bohème, en Roumanie, et bien sûr en Ukraine ; mais il faut laisser hors de notre propos les pays incorporés à l'Union Sovié­tique, où la pratique religieuse telle qu'elle survit de nos jours dans les pays satellites reste interdite aux croyants. Adam Michnik est un per­sonnage très sympathique à en juger d'après son livre et le courage dont il fait montre face aux persécutions conti­nuelles des autorités polonai­ses. Il avoue carrément son appartenance à la « gauche » depuis l'âge de raison, cette intelligentsia polonaise moins progressiste que laïciste qui, avant la guerre, désirait ar­demment la modernisation du pays : « modernisation » qui passait à ses yeux par l'émancipation de la tutelle ecclé­siastique, la légalisation du di­vorce, de l'avortement, du mariage civil, etc. Michnik et ses amis trouvèrent dans l'Église catholique un méca­nisme de blocage puissant et absolu ; 144:237 leur politique les con­duisait donc vers les partis de gauche, y compris le parti communiste interdit avant 1945, dans lequel ils ne virent qu'un allié de plus, davantage persécuté, et, partant, davanta­ge sur le droit chemin vers le progrès souhaité. « Nous estimions, écrit Michnik, que malgré tout l'ennemi principal du progrès se situait sur la droite traditionnelle, représen­tée par la hiérarchie catho­lique. » Cette conviction n'a pas changé après 1945, voire après 1948, quand le Kremlin a fina­lement jeté bas le masque de la collaboration et imposé le communisme en Pologne ainsi que dans les autres pays de l'Est. Il était plus facile pour la gauche traditionnelle, écrit encore Michnik, d'accepter la violence quand elle servait une cause aussi indiscutable que la laïcisation de la vie publique. L'auteur de ces lignes a connu la situation qui préva­lait alors dans les pays dont parle Michnik, à travers la Po­logne. Ces pays étaient-ils ré­trogrades et, si oui, l'Église en portait-elle la responsabi­lité ? Réponse difficile à four­nir puisque Michnik lui-mê­me a changé de perspective et écrit aujourd'hui que, pour lui, « la rencontre de la gau­che laïque avec l'Église, avec le christianisme, est une chance immense pour la cul­ture polonaise » (p. 132). Si tel est bien le cas, la condam­nation de l'attitude réaction­naire de l'Église avant 1945 fait figure de jugement incor­rect ou du moins incomplet : si l'on regarde en arrière, il faut au contraire remercier l'Église d'avoir eu une vision plus juste de la situation et de la manière dont elle pou­vait évoluer. Autrement dit, il faut donner raison au cardi­nal Wyszynski, cité par l'au­teur, lorsqu'il déclarait que « la laïcisation est une épu­ration des citoyens catholi­ques ». Il est certain que, sauf la Tchécoslovaquie dominée par les francs-maçons, les pays de l'Europe de l'Est pouvaient passer pour « rétrogrades » ; mais ce jugement est entaché par la vision qu'en avaient Michnik et ses amis, avant de la rectifier. Oui, la structure de ces sociétés était rétrogra­de, et l'Église, institution par­mi les autres, ne voulut pas la révolutionner ; d'ailleurs, étant donné la situation his­torique et géopolitique de ces pays, elle n'en avait pas la possibilité ; et même s'il y avait eu un choix à faire, ce­lui-ci ne passait pas par la « laïcisation » chère aux amis de Michnik, dont beaucoup d'ecclésiastiques avaient com­pris le danger longtemps avant 1945. On peut considé­rer, évidemment, que l'Église de Pologne ou de Hongrie au­rait dû peser de tout son poids, qui fut grand, sur les réformes agraires et autres. Mais c'est oublier les alliés sur lesquels elle aurait pu compter : partis libéraux-pro­gressistes essentiellement liés au statu quo avec certains avantages pour la bourgeoisie, ou encore socialistes « à vi­sage humain », mais sans yeux pour voir à quoi mène leur politique. Aussi le sort terres­tre de l'Église était-il lié à la structure existante, c'est-à-dire semi-féodale. L'encouragement prodigué à une espèce d'hu­manisme chrétien ne pouvait conduire dans les faits qu'à la création d'un parti chré­tien démocrate et au marita­nisme -- qui n'auraient certes pas survécu aux événements de l'après-guerre. 145:237 C'est dire que l'Église ne disposait guère d'un éventail d'options, et que ses mises en garde à la fois contre le national-socialisme et contre le communisme se justifiaient pleinement, au moment de leur promulgation comme à la lumière de ce que nous sa­vons aujourd'hui. Le mérite de Michnik est d'avoir com­pris que bien des événements politiques ont besoin d'un re­cul considérable pour être ju­gés objectivement. Non catho­lique et toujours membre de la « gauche laïque », Michnik sait dire aujourd'hui (p. 170) : « Même si la foi ne conduit pas toujours vers le bien, la persécution de la foi conduit toujours vers le mal. » Cela ne signifie nullement que nous soyons d'accord avec lui sur tous les points, voire même sur l'essentiel. La thèse du livre de Michnik est que la gauche fut aveuglée par la « chance » qui s'offrit à elle lorsque les communistes dé­clarèrent poursuivre la poli­tique de laïcisation qu'elle appelait de tous ses vœux. Or selon le propos de Slonimski, autre membre de l'intelligent­sia progressiste, si l'Église d'avant-guerre était rétrogra­de et les communistes parti­sans des idées de progrès, c'est exactement l'inverse qu'on observe aujourd'hui ; Michnik préconise donc un renversement d'alliance, c'est-à-dire une réconciliation de la gauche avec l'Église pour la défense commune de la Pologne. Bel et bien. Mais il demande également que l'Église se fasse une sorte de gar­dienne des droits des citoyens, un arbitre avant tout tolérant. Tolérant de quoi ? des valeurs incarnées dans la société li­bérale, modernisée selon le modèle de l'Occident. Michnik, il est vrai, demande à cette communauté nationale déso­viétisée de permettre à l'Église de sortir de la sphère de la vie privée pour défendre les principes de l'Évangile lorsque ceux-ci sont violés dans la vie publique. Mais il ne précise point s'il entend aussi autoriser l'Église à s'é­lever contre les lois laïques avortement, contraception, et le reste. C'est, probablement, qu'il n'est pas sûr de lui-même sur ce point : les idéaux po­litiques de ses camarades sont-ils ou ne sont-ils pas les siens ? S'ils le sont, alors, Michnik veut faire jouer à l'Église un rôle de super-Jim­my, protecteur des « droits de l'homme » à l'euthanasie, à l'école athée, à la corruption des jeunes par la drogue et la pornographie ; mais si ces idéaux sont contraires aux principes de l'Évangile, que semble approuver l'auteur, pourquoi alors continue-t-il à se dire de gauche, et pourquoi voit-il dans la rencontre de la gauche laïque avec l'Église « une chance immense pour la culture polonaise » ? Voilà où trébuche la bonne volonté de Michnik et de tous ceux dont l'idéal est la société laïque, avec comme ingrédient une Église partageant cet idéal et lui apportant la cau­tion de l'Évangile. Seulement il faut dire *sic* ou *non :* l'Église n'est pas une institu­tion de la société pluraliste, elle est messagère de la vérité sur l'homme. Nous tombons d'accord avec Michnik qu'il ne faut pas cantonner l'Église clans le strict domaine de la vie privée, mais lui faire pla­ce dans celui de la vie publi­que. 146:237 Michnik lui-même, d'ail­leurs, cite le cardinal Höffner écrivant : « Il existe un cer­tain ordre régissant les rap­ports de coexistence humains, l'ordre que Dieu avait désiré et qui constitue la motivation de l'activité sociale de l'hom­me. » La civilisation propre­ment dite -- lois, institutions, ordre public, État protecteur du bien commun, transactions encouragées en vue de l'em­bellissement et de la tranquil­lité, etc. -- exige que l'Église ne soit pas là pour donner sa caution morale à des va­leurs étrangères à son mes­sage, mais qu'elle dispose au contraire des moyens de créer et maintenir une civilisa­tion chrétienne. Autrement, la « rencontre » célébrée par Michnik aboutit à la subordi­nation de l'Église à la société, nouvelle espèce de césaro-papisme. Ces remarques étant faites, il est certain que Michnik, qui parle pour l'immense ma­jorité de l'intelligentsia polo­naise, apporte une contribu­tion de très grande valeur à l'entente (théorique) de l'Église et de l'État. Entre les lignes, et peut-être à son insu, son ouvrage constitue une réfuta­tion de la thèse sacro-sainte de la séparation des deux pouvoirs -- séparation qui permet aux idéologies les plus néfastes de s'approprier l'État, pour guider la société à par­tir de ce sommet faussement neutre. En outre, l'ouvrage donne entièrement raison à l'Église de Wyszynski, en ci­tant de très nombreux pas­sages des lettres pastorales du cardinal et des évêques réu­nis. La *politique* de l'Église de Pologne est intégralement justifiée de 1945 à nos jours ; et, dans la lumière de cette réhabilitation, on lit non seu­lement le naufrage total et ir­révocable du mensonge insti­tué par le régime marxiste, mais finalement aussi du li­béralisme et autres idéologies à la mode. Il fallait toute l'horreur communiste pour qu'une certaine intelligentsia prenne enfin conscience de ses propres contradictions, et en vienne à faire table rase de ces utopismes dont le cli­mat fut tellement favorable aux « expérimentations » marxistes. Car, il faut y re­venir, la thèse sous-jacente de Michnik est davantage qu'un argument donnant raison à l'Église sur le marxisme, après quoi tout chrétien mar­xiste n'est qu'un imbécile ou un salaud ; c'est surtout une confession que le christianis­me est un protecteur incom­parable des vérités qui jalon­nent l'itinéraire de l'homme et de la société. Churchill, tellement suresti­mé pour sa ligne politique aussi bien que pour son intel­ligence, prononça un jour ce contresens cité à tort et à travers : la démocratie est le meilleur de tous les mauvais systèmes qui dominent le monde. L'ouvrage d'Adam Michnik montre à partir d'une expérience vécue et finalement mise à profit qu'il est quelque chose de supérieur même à la démocratie, toujours et iné­vitablement laïque. Thomas Molnar. 147:237 ## DOCUMENTS ### A propos de la "nouvelle droite" *A droite,* « *depuis trente ans *»*, il n'y a pas eu un seul intellectuel, il n'y a pas eu une seule idée, il y a eu une absence totale de pensée : à cette incroyable imposture de la soi-disant* « *nouvelle droite *»*, nous avons répondu dans notre précédent numé­ro* (*p. 114 et suiv.*) *en nommant surtout des morts, de Maurras aux Charlier, de Massis au P. Calmel.* FRANÇOIS BRIGNEAU *a répondu de son côté en nommant surtout des vivants. Il l'a fait dans son* « JOURNAL DE VACANCES », *à la date du 28 août. A cette date notre précédent numéro était déjà bouclé. Mais il n'est pas trop tard pour* (*re*)*lire ce qu'écrivait Fran­çois Brigneau :* Dans le dernier numéro de « Minute », un lecteur, M. G.C. de Paris, trouve que « Brigneau, vieux lutteur longtemps soli­taire, exhale un peu de rancœur en voyant la publicité qui se fait autour de la nouvelle droite. » J'ai dû mal m'exprimer. Dans rancœur il y a du rance et de l'aigreur. Je ne crois pas être ranci. Je suis rarement aigre. Le grand tam-tam publicitaire qui entoure la « nouvelle droite » ne provoque chez moi ni jalousie, ni dépit. 148:237 Je connais Alain de Benoist depuis quinze ans. Je sais ses mérites. Je n'ai pour lui que de l'estime. A la fin des années cinquante, lorsque Louis Pauwels renonça aux éditoriaux politiques (où il excelle) j'écrivis dans mes souvenirs : « Notre petit groupe n'est pas si nombreux qu'il puisse sans appauvrissement se priver d'un esprit comme le sien. » La maison qu'ils construisent n'est pas la mienne. Je ne m'y trouve pas à mon aise. Mais il me suffit de considérer ceux qui s'emploient à la détruire pour qu'elle me soit précieuse et amie. J'ajouterai que la solitude ne me pèse plus. Le temps est passé où ma vanité souffrait de constater que, même mes amis observaient la consigne de silence que mes ennemis s'appli­quaient à faire suivre autour de moi. Je n'ai plus l'âge des hochets. Donc pas de rancœur, mais une gêne. Cela me gêne et m'attriste de lire sous la plume de Pauwels qu'avant la nou­velle droite, dans ce secteur de l'opinion, il n'y avait rien qui comptât. Ni homme, ni idée, ni courants de pensée, ni organisations ou tentatives d'organisations. C'est aller trop vite en besogne, faire trop radicalement table rase du passé. Même aux moments les plus difficiles de l'après-guerre la droite française n'a jamais manqué de courage, d'intelligences et de talents. Des personnalités éminentes n'ont cessé de l'ex­primer dans sa diversité, ses nuances et même ses oppositions internes. Vingt noms me viennent sur le chaud qui ne méritent pas l'oubli dédaigneux de Pauwels. Je pense à l'indomptable Maurice Bardèche, professeur révoqué, chassé de son logis, condamné à la misère puis à la prison, continuant à s'éditer lui-même pour dénoncer les mensonges de la Victoire et ses tabous. Je pense à René Malliavin, à son équipe des « Écrits de Paris » dont le prodigieux Chouan, Jean Pleyber, bientôt centenaire est toujours au créneau. Je pense à l'école d' « Action française » divisée, déchirée même, mais toujours vivace. Je pense à Pierre Pujo et à la leçon de foi et de fidélité qu'il donne. Je pense à Pierre Boutang et à Jean Madiran qui ne sont pas des esprits négligeables, que je sache. Hanté par l'indispensable réforme intellectuelle, politique et morale, Jean Madiran édite et dirige, depuis un quart de siècle, une grosse revue men­suelle : « Itinéraires ». Elle en est à son 235^e^ numéro. La collection est impressionnante, en volumes et en qualité. Relus aujourd'hui, certains articles sont prophétiques. Que « Le Monde » ignore Madiran, c'est normal. Mais Pauwels ? 149:237 Je pense avec une particulière gratitude à Pierre Gaxotte si vif, si rapide, si français, à la lecture duquel j'ai tant appris, moi, l'autodidacte. Grâce à lui l'Histoire de France a été sauvée des faussaires et des pions. N'est-ce rien ? Je pense à l'amiral Auphan, à Jacques Perret, à Benoist-Méchin, à Jacques Laurent, à Michel Déon, à Jules Monnerot, à Maurice Gaït, au cercle des « Intellectuels indépendants » de notre ami Adam, à Henry Coston (la mémoire), à Ploncard d'Assac, à Louis Salleron, Gustave Thibon ; à Philippe Héduy et à ses tentatives, à Villemarest, à Jean-Marie Le Pen, à Tixier, à Saint Pierre et à tant d'autres de mérites divers, voire contra­riés, si nombreux qu'on ne peut les citer tous, qui ont tant fait, tant donné qu'il est impossible de prétendre, sans se moquer, qu'avant l'arrivée de M. de Plunckett au « Figaro Magazine » la droite, domaine français, était en jachère. Tout cela étant dit, vous pouvez m'en croire, Cher Monsieur G.C., sans exhaler de rancœur. \[Fin de la reproduction d'un chapitre du « Journal de va­cances » de François Brigneau paru dans l'hebdomadaire *Mi­nute*, numéro 906 du 28 août 1979.\] REMARQUE COMPLÉMENTAIRE. -- *L'acharnement de la soi-disant* « *nouvelle droite *» *à faire croire que depuis trente ans il n'y avait aucune pensée à droite, nous craignons d'y voir autre chose qu'une méprise ou qu'un malentendu.* *D'ailleurs, oui ou non, Pauwels, Hersant, Alain de Benoist, Bourgine sont-ils francs-maçons ? -- Difficile d'avoir une réponse certaine quant à leur appartenance for­melle. Avec les catholiques c'est différent. Un catholique répond toujours clairement* « *oui *» *à la question :* « *Êtes-vous catholi­que ? *» *Il ne considère jamais la question comme indiscrète ni la réponse comme fa­cultative. La franc-maçonnerie étant au con­traire une société assez secrète, les francs-maçons, si je comprends bien, ne se croient pas tenus de répondre à la question :* « *Êtes-vous franc-maçon ? *» *Il semble que l'éthique maçonnique les autorise à cacher et même éventuellement à démentir leur appartenance. Alors, Hersant ? Pauwels ? Bourgine ? Alain de Benoist ? Ce qui en tout cas est bien visible chez eux, c'est que leur esprit, leurs doctrines, leurs discours sont maçonniques. Peut-on être d'esprit maçonnique et n'être pas de gauche ?* 150:237 *On est toujours à droite ou à gauche de quelqu'un, dit Monnerot. C'est vrai. La* « *Nouvelle droite *» *peut bien être l'aile droite de la franc-maçonnerie ; elle peut très bien être en discorde plus ou moins réelle avec l'aile gauche de la même ma­çonnerie, ou d'une autre, dans le foisonne­ment actuel du pluralisme maçonnique. Mais en définitive elle n'est pas* L'AILE GAUCHE DE LA DROITE ; *elle est bien plutôt* L'AILE DROITE DE LA GAUCHE, *et ce n'est pas la même chose ; pas du tout.* J. M. 151:237 ### Le crime abominable du législateur ■ Tout « crime », par définition, est « abominable ». Mais ce n'est point par pléonasme que l'Église, traditionnellement, appelle l'avor­tement un « crime abominable ». C'est pour manifester que ce crime-là est encore plus abomi­nable que la plupart des autres. ■ Au contraire, pour ne pas ap­prouver l'avortement en évitant toutefois de combattre la loi qui l'autorise -- et en évitant aussi de désigner les auteurs de la loi comme des criminels abomina­bles -- les habiles de l'Église de France ont inventé de décréter sentencieusement que « l'avorte­ment est toujours un échec ». Ils énoncent ainsi une désappro­bation distinguée et inefficace, qui leur permet de paraître res­ter fidèles à l'Église, tout en res­tant réellement fidèles à leurs compromissions avec la franc-maçonnerie au pouvoir. Ils ont évacué dans les vagues catégo­ries de la réussite et de l'échec ce qui appartient aux fermes caté­gories du devoir et du crime. ■ On nous parle de compréhen­sion des détresses. Mais il ne s'agit pas, en ce moment et à ce niveau, de juger les personnes. Il s'agit du législateur et de sa loi, du licite et de l'illicite ; du bien et du mal. On trouve de réelles détresses, non pas toujours, mais parfois ou souvent, à l'origine de toutes les catégories de crimes. Va-t-on faire une loi permissive pour chacune, et pour que chaque crime soit médicalement programmé dans de bonnes conditions de psycho­logie et d'hygiène ? De la fraude fiscale à l'assassinat des diri­geants politiques, quantité de dé­lits et de crimes ont pour auteurs des personnes réellement mal­heureuses, désemparées, déses­pérées. Le législateur n'est pour autant nullement disposé à léga­liser l'assassinat des législateurs, ni même la fraude fiscale. 152:237 En vérité, ce que l'on veut, ce n'est pas spécialement secourir des détresses ; c'est faire qu'un crime abominable ne soit plus tenu pour criminel. Ce que l'on veut, c'est changer la morale, c'est faire une révolution religieuse. ■ Car notez-le bien : la loi en question n'est pas une loi de « tolérance ». Les lois civiles peuvent pourtant -- à tort ou à raison -- tolérer certains maux pour éviter un mal plus grand. Or ce n'est jamais cet argument-là qui est avancé. Il serait sophis­tique dans ce cas précis. Mais c'est pour une autre raison que les avorteurs ne l'emploient pas. Ils ne demandent pas que l'avor­tement soit toléré comme un mal que provisoirement l'on ne peut éviter. Ils imposent à la conscience publique de croire désor­mais qu'il n'y a RIEN DE CRI­MINEL dans l'avortement. ■ C'est la « philosophie person­nelle » du président de la répu­blique qui nous est ainsi imposée. Avant même son élection à la tête de l'État, nous avions révélé sa vraie pensée, sur laquelle il s'employait à donner le change. Sa pensée est qu'en matière d'avortement « la loi n'a pas à se substituer à l'appréciation per­sonnelle des intéressés » Pensée absurde au demeurant, puisque le principal intéressé, l'enfant, est hors d'état de donner son « appréciation personnelle », et qu'il faut précisément une loi pour le protéger. Mais enfin l'important est de savoir que M. Giscard d'Estaing est personnellement pour la liber­té complète de l'avortement ; pour la liberté complète du crime abo­minable. Nous l'avions fait savoir, avec textes et références, dans notre numéro de janvier 1974 (pp. 181-184). Nous y étions revenu en mai de la même année (p. 20-21). Nos lecteurs étaient avertis. ■ Pourtant le Président de la République donne à croire qu'il est catholique. Il « va à la messe ». Ce qu'il est ou croit être en son âme et conscience, nous ne prétendons certes pas en juger. Mais ce qu'il dit n'est certainement point catholique. Plusieurs fois il s'est déclaré « croyant », et pour désigner sa croyance il s'est proclamé « spi­ritualiste ». Le spiritualisme com­me croyance est sans doute une secte que nous ne connaissons pas. Un chrétien dit : « Je suis chrétien ». Nous en avions fait la remar­que. Le président semble l'avoir entendue. Dans une récente interview, il a déclaré cette fois : « Je suis chrétien », -- mais hélas pour ajouter aussitôt que c'était là sa « philosophie per­sonnelle » et qu'il « ne l'impose en aucune manière dans l'exercice de ses fonctions ». Com­ment ne pas observer que pour un catholique, la foi chrétienne n'est absolument pas une philo­sophie, personnelle ou non. En ces matières, le pauvre président embrouille tout : croyance, phi­losophie, spiritualisme, christia­nisme, etc. S'il est catholique, c'est un catholique radicalement ignorant de son catéchisme. ■ Mais sa « philosophie person­nelle » sur l'avortement, celle-là il cherche bien à « l'imposer dans l'exercice de ses fonctions » Sa philosophie, comme celle, on va le voir, du P. Riquet, est en somme qu'il appartient à cha­cun de se faire sa propre con­ception du bien et du mal. 153:237 Vous pensez que l'avortement est un crime abominable ? C'est votre droit. N'avortez pas. On ne vous y oblige point. Mais n'obli­gez pas les autres à penser comme vous. ■ Depuis huit années que ce so­phisme nous est réitéré sous mille formes diverses, MARCEL CLÉMENT aura été, dans L'HOM­ME NOUVEAU, l'écrivain catho­lique qui l'aura le plus constam­ment mis en pièces, avec la vi­gueur et la clarté qu'il faut. Ci­tons-le une fois encore : Au directeur de « *Paris-Match *» qui lui rappelle que l'Église est intervenue sur la question de l'avortement, et qui lui de­mande « *Comment vous en accommodez-vous en tant que chré­tien ? *»*,* le Président de la République a répondu : « *Il n'y a pas de difficulté. Je suis chrétien et Président d'un État laïc. Sachant ce qu'est la conception fondamentale et la règle de nos institutions, je prends mes décisions dans l'exercice des responsabilités et des attributions qui sont les mien­nes. J'ai ma philosophie personnelle. Il m'arrive de l'exprimer. Mais je ne l'impose en aucune manière dans l'exercice de mes fonctions. J'ai la même position que le général de Gaulle. *» (p. 33). Le Père Riquet, pour défendre la « loi Veil », avait soutenu un point de vue identique, le 11 juin dernier, dans *Le Figaro.* Il disait que le chrétien « éclairé par la foi » avait le devoir de se soumettre à l'interdit porté par l'Église contre l'avortement : « *Mais il ne s'ensuit pas qu'il doive utiliser la loi d'un État laïc pour imposer son comportement à ceux qui ne sont pas d'Église ou qui se font de leur devoir une concep­tion plus ou moins différente. *» Il est regrettable qu'un dominicain ([^107]) tombe dans un sub­jectivisme aussi radical. Mais il faut bien l'avouer : il est plus regrettable encore, du point de vue des conséquences, qu'un Président de la République chrétien se rallie à la même opinion. On est ici au cœur d'un débat qui est non seulement un débat de société ou un débat de civilisation, mais plus encore Il s'agit d'un débat qui engage la dignité de la personne hu­maine dans son fondement. La question est simple. La dignité de la personne humaine et tous les droits qui en découlent, dépendent-ils de l'opinion que s'en font les hommes ou la majorité d'entre eux ? Ou bien la dignité de la personne, son droit de vivre en tant qu'être humain doué de raison, son droit à la justice et au bonheur est-il inscrit *en chacun de nous,* dérivant nécessairement de notre structure intime, découlant réellement de notre être même ? 154:237 En d'autres termes, plus rigoureux encore : *l'enfant qu'une femme porte dans son ventre a-t-il droit à la vie seulement quand sa mère est chrétienne et pense que l'enfant qu'elle porte a droit à la vie ou seulement quand il vient au monde dans une société de chrétiens qui le pensent pareillement ? Ou bien a-t-il droit à la vie simplement en tant qu'il existe comme être humain, qu'il vit dans le corps de sa mère, que son patrimoine génétique est celui d'une personne douée de di­gnité et que si nul ne l'arrache, ou ne l'aspire, hors du sein maternel, il viendra au monde, humain véritable parmi les humains.* Telle est la question ! A cette question, le bon sens, d'une certaine manière, suffit à répondre ! C'est *en lui-même* que l'enfant a le droit à la vie. C'est *en lui-même* qu'il a le droit de naître. Ce n'est pas selon que l'opinion des hommes le lui reconnaît ou le lui dénie... Mais à cette question, l'Église aussi répond. Sa réponse, par la bouche de Jean-Paul II, incontestablement, s'impose aux chrétiens : « *Qui peut nier, aujourd'hui que des individus et des pouvoirs civils violent impunément des droits fonda­mentaux de la personne humaine, tels que le droit de naître. ? *» (D.C. n° 1751, p. 1.) Il faudra bien trancher ! Ou c'est l'enfant conçu qui a droit à la vie, un droit objectif, -- et l'Église se borne à le constater, à le respecter et à le faire respecter. Ou bien le système entier des droits humains n'est qu'une option subjective, variable, contingente, -- et dans ce cas le droit à la vie dépend pure­ment et simplement des « idées » que se forme le plus fort, qu'il s'agisse de la force électorale, de la force du pouvoir ou de celle de l'argent... De fait, on ne peut oublier que les auteurs de la loi Veil n'ont pu imposer leur texte à la France qu'en ayant recours aux voix des députés socialistes et communistes contre lesquels pourtant ils s'étaient fait élire ! Le débat, la chose est claire, dépasse la personne et même il faut le reconnaître, la fonction du Président de la Répu­blique. C'est, en définitive, l'avenir de l'humanité tout entière qui est en jeu. \[Fin de la reproduction d'un passage de l'article de Marcel Clément paru dans *L'Homme nouveau,* numéro 748 du 16 septembre 1979.1 155:237 ■ Oui, c'est bien toute la struc­ture morale et sociale de l'huma­nité qui est en cause. Non seu­lement par l'abomination du cri­me en lui-même. Mais encore par l'universalité mortelle des conséquences qu'auront inévita­blement les faux principes invo­qués pour le permettre. Si les droits et devoirs dépen­dent de l'opinion que s'en fait la conscience de chacun, ce sera peu à peu, c'est déjà trop sou­vent l'anarchie qui s'installe, l'anarchie et la loi de la jungle : tueurs, voleurs, casseurs, vio­leurs, tortionnaires, fraudeurs s'en trouvent innocentés au moins au­tant que les auteurs du crime plus abominable encore qu'est l'avortement. ■ Il n'y a pas au parlement de majorité pour l'avortement. Plus exactement, il n'y a de majorité pour l'avortement qu'avec toutes les voix socialistes et communis­tes. Voici cinq ans, ce sont les communistes, les socialistes et une minorité de giscardiens qui ont voté la giscardienne loi Veil. Normalement, il y avait là un cas de rupture pour la « majorité présidentielle ». Mais personne dans le monde politique n'eut le courage et l'autorité nécessaire pour accomplir cette rupture. ■ Il ne fallait à aucun prix rom­pre cette « majorité présiden­tielle », il ne fallait absolument pas, pour de hautes raisons politiques, rompre avec Giscard ? -- Quelle erreur. Jacques Chirac devait finalement rompre avec Giscard en invoquant des motifs économiques auxquels peu de gens comprirent quelque chose et qu'au demeurant tout le monde a oubliés aujourd'hui. Sa position morale et même politique serait tout autre maintenant s'il avait rompu avec Giscard sur l'avorte­ment, en disant bien haut : « C'est un crime abominable. » ■ Il y a plus abominable encore que de commettre ce crime abo­minable : c'est de faire une loi l'autorisant et le favorisant. Si le président compte une fois encore sur les voix communistes et socialistes, et si celles-ci ac­ceptent une fois encore de venir sauver la loi criminelle, alors les députés et les sénateurs oppo­sés à l'avortement doivent se retirer définitivement de cette majorité présidentielle. Ils doivent l'annoncer. La me­nace suffirait peut-être. L'ayant annoncé, ils doivent s'y tenir. Une abstention, un vote hostile à la sauvette, et le lendemain on se retrouve soutien fidèle de cette majorité, non, cela ne suf­fira point à donner le change. Si l'on ne rompt point là-dessus, on aura été complice du crime abominable. On aura mérité d'être traité comme tel. Je suggère que les petits et grands électeurs le fassent clai­rement savoir à leurs élus. J. M. 156:237 ## Informations et commentaires #### Mgr Lefebvre dément les accusations du P. Guérard Dans notre numéro 234 (p. 247), nous faisions allusion au « dernier en date (12 avril 1979) des insulteurs de Mgr Le­febvre ». Le 12 avril 1979 est en effet la date que porte une atroce lettre ouverte, d'insultes et de calomnies, envoyée à Mgr Le­febvre par le P. Guérard des Lauriers. Cette lettre, entre autres infamies, accusait Mgr Lefebvre d'avoir célébré la nouvelle messe « depuis le début d'avril 1969 jusqu'au 24 décembre 1971 », et notamment « le 5 mai 1969 », « à l'autel où repose la châsse de S. Pie V, en la basilique romaine Sainte-Marie-Majeure ». Odieuse, cette calomnie était d'abord extravagante ; déli­rante. En effet, la nouvelle messe instituée par Paul VI fut « per­mise » à partir de novembre 1969 et « obligatoire » ensuite. Selon le calomniateur délirant, Mgr Lefebvre aurait donc de­vancé de plusieurs mois l' « obligation », il aurait même de­vancé de plusieurs mois la « permission », il aurait célébré la messe nouvelle, le premier de tous, dès avril et mai 1969 ! La lettre immonde du P. Guérard, qui assimile explicitement Mgr Lefebvre à Ponce-Pilate et qui contient toutes sortes d'in­jures d'une grande bassesse, a été répandue par copies dacty­lographiées que se passaient les uns aux autres les amateurs de saletés. Elle n'a pas été imprimée en France, mais en Alle­magne : pour cette raison, c'est en Allemagne que Mgr Lefebvre a répondu. 157:237 Négligeant les insultes personnelles, Mgr Lefebvre a seule­ment relevé la calomnie concernant la messe. Il l'a fait par une lettre parue en français et en allemand dans le bulletin d'information de la Fraternité sacerdotale S. Pie X de langue allemande : *Mitteilungsblatt der Priesterbruderschaft St. Pius X für den deutschen Sprachraum,* numéro 8 d'août 1979. En voici le texte intégral : *Fête de la Pentecôte 3\ juin 1979* *Mes chers amis,* *Vous me demandez de répondre à la lettre du Père Guérard des Lauriers parue dans la revue* « *Einsicht *»*.* *Elle me fait tellement penser à la scène dont a souffert Notre-Seigneur de la part de la soldatesque que je préfère me taire comme le Divin Maître et prier pour ceux qui nous persécutent.* *Toutefois je puis affirmer que je n'ai jamais célébré la nouvelle messe selon le rite introduit en novembre* 1969*, que je l'ai toujours estimée dangereuse et empoi­sonnée par un faux œcuménisme.* *Je pense que cette affirmation et la vie liturgique de nos Séminaires et de nos Prieurés doivent suffire à rassurer ceux qui auraient quelque doute.* *Ne craignons pas les insultes et les ca­lomnies mais seulement de mal agir. Votre tout dévoué in Christo et Maria.* \[Fin de la reproduction inté­grale de la lettre de Mgr Lefebvre parue en français et en allemand dans le numéro 8 d'août 1979 du Mitteilungsblatt der Priesterbruderschaft St. Pius X für den deutschen Spra­chraum, publié à l'adresse : Priorat St. Pius X, 8000 Mün­chen 80, Hohenaschauerstr. 98.\] 158:237 #### A la chapelle du château de Versailles Le seul endroit du château de Versailles qui continue de répondre à sa vocation, c'est la chapelle du roi. Il a fallu des protections vraiment célestes pour la préserver du terro­risme clérical après l'avoir sauvée du vandalisme révolution­naire, mais c'est un fait que chacun de nous peut y suivre au­jourd'hui l'office du dimanche auquel Louis XIV assistait, dans l'admirable abondance de marbre et de lumière réunie en ces lieux, sans oublier les chœurs et la musique composés pour le roi. Cette œuvre est le fruit de nombreux dévouements, qui s'ex­priment depuis deux numéros dans un *Bulletin des Amis de la Chapelle Royale de Versailles* dirigé par Henri Dion. Le nu­méro 2, daté de mars 1979, nous offre un grand article de Dom Édouard Guillou sur la théologie gravée dans les pierres du rez-de-chaussée de la chapelle. « Là se joue -- écrit-il -- le drame de la Passion à laquelle il faut s'associer. Il est conçu dans sa plénitude, unissant donc la Cène à la mort de Notre-Seigneur, c'est-à-dire ce qui s'est réalisé dans l'espace d'un jour : du soir du jeudi-saint à l'ensevelissement du Christ avant les premières ombres de la nuit sabbatique. Cela répond exactement à la règle classique de l'action dramatique. » Tous les paroissiens de la chapelle du château devraient apprendre, sous la plume de Dom Guillou, ce « véritable trésor de la plus haute et de la plus traditionnelle théologie » que révèle en ses moindres détails le chef-d'œuvre d'harmonie et de goût offert à leurs yeux. S'il leur venait ensuite une dis­traction, pendant l'office, ce ne serait pas pour sortir du sujet. (*Bulletin des Amis de la Chapelle Royale de Versailles :* 47 C, rue de la Bonne-Aventure, 78000 Versailles.) #### Pour le boycott des jeux olympiques de Moscou Nos amis du journal PRÉSENT appellent les dirigeants des pays du monde libre à refuser la participation de leurs équipes nationales aux jeux olympiques de Moscou. Voici le texte de cet appel, publié par une édition spéciale du journal PRÉSENT (n° 42 de septembre 1979) : 159:237 *Depuis plus de soixante dix-sept ans, le communisme s'est abattu sur la Russie et sur plus de quarante pays dans le monde. Ce système politique repose sur la dictature d'une classe politico-militaire maintenant son pouvoir par la terreur institutionnalisée, le noyautage et toutes les tech­niques de manipulation des individus et des masses. Partout et toujours le communisme a supprimé les libertés légitimes et fondamentales de l'homme. Partout il a institué l'esclavage et c'est avec effroi aujourd'hui que l'on doit bien constater que plus de 150 millions de personnes ont péri de son fait dans les guerres civiles, les prisons et les camps de concentration. Comment oublier que c'est en Russie soviétique que furent formés à l'école de la terreur léniniste et stalinienne les agents de la Gestapo et les responsables des camps de concentration nazis au temps où l'Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne s'associaient dans le même projet totalitaire. Mais aujourd'hui, si le nazisme ne tue plus, le communisme continue partout son œuvre de mat et de mort. Or, alors que l'on regrette encore l'organisation des Jeux Olympiques à Berlin en 1938, ne voilà-t-il pas que l'on s'apprête à les organiser aujourd'hui dans la capitale du pays soumis au plus féroce des régimes totalitaires* *Les Jeux Olympiques furent un des plus beaux fleurons de la civilisation grecque. Ils incarnaient l'esprit de concorde et d'harmonie qui devait régner entre les cités conscientes de leur haut niveau de civilisation à l'intérieur d'un monde encore barbare. Aujourd'hui c'est dans le régime le plus barbare que l'humanité ait jamais connu qu'ils risquent de se dérouler* *Voilà pourquoi nous demandons aux dirigeants des na­tions encore libres de prendre au plus vite la décision de refuser la participation de leurs équipes nationales à une gigantesque opération de propagande dont le sport ne constitue que l'alibi. Cette mesure ne lèsera en rien les sportifs des nations asservies par le communisme et prou­vera la solidarité des nations encore libres avec le grand peuple russe, première victime du régime soviétique.* (*Centre d'initiatives pour le boycottage international des jeux olympiques de Moscou.* Adresse provisoire au journal PRÉSENT : B.P. 64, 81102 Castres Cedex.) 160:237 #### Sur la franc-maçonnerie Dans ses *Lettres politiques,* Jacques Ploncard d'Assac pré­sente lui-même son dernier livre : « Je viens de publier, aux Éditions de Chiré, un ouvrage de 270 pages, intitulé : LE SECRET DES FRANCS-MAÇONS. J'y étudie ce que j'appellerais « l'autre histoire ». « Il y a deux histoires, di­sait Balzac : l'histoire officielle, menteuse, qu'on ensei­gne... puis *l'histoire secrète,* où sont les véritables causes des événements, l'histoire hon­teuse. » « Depuis deux siècles, une société secrète, la Franc-Ma­çonnerie, joue dans les cou­lisses de l'histoire un rôle oc­culte. Qui est-elle ? Que veut-elle ? « J'ai essayé, dans ces pa­ges, d'apporter une réponse documentée et claire. « On verra dans quelles conditions la Franc-Maçonne­rie révèle son existence, à Londres, en 1717 ; son in­fluence en France au « Siècle des Lumières » ; comment la Révolution de 1789 fut prépa­rée dans les Loges ; l'emprise qu'elle exerça sur le clergé et la noblesse dans l'Avant-Révo­lution ; les dérèglements d'es­prit de l'occultisme mis à la mode dans les Loges. « Nous pénétrerons ensuite dans les mystères des Loges ; nous suivrons les étranges cé­rémonies initiatiques qui s'y déroulent. Nous verrons ce qu'ont révélé les archives maçonniques saisies par le gouvernement du maréchal Pétain, en 1940. « La seconde partie de l'ouvrage montrera, dans le détail, les tentatives de pé­nétration maçonnique dans l'Église et le complot noué autour du concile de Vatican II. « Il n'y a pas une affirma­tion, dans cet ouvrage, qui ne soit appuyée sur une référen­ce. Les faits avancés sont in­discutables. Pourquoi n'étaient-ils pas connus ? « On amuse le public avec les disputes Giscard-Chirac et Mitterrand-Marchais, mais la réalité est ailleurs, dans l'om­bre. Et c'est cela qui est insup­portable : un peuple qui ne voit qu'un pouvoir apparent et qui est mené par un pouvoir oc­culte. « LE SECRET DES FRANCS-MAÇONS sera envoyé, dédicacé et frais de port compris, con­tre 53 F à M. J. Ploncard d'As­sac. B.P. 300.16 -- Paris Cedex 16 -- 75767. Le paiement peut s'effectuer aussi par le C.C.P. Ploncard d'Assac. J. PARIS 15704 34 7. » 161:237 ## NOTE DE GÉRANCE #### Objectif 400 Au mois de mars 1979, le prix de l'abon­nement à ITINÉRAIRES passait à 400 F. Pour ménager une transition, nous avions pendant deux mois accepté qu'il soit, au gré de chacun, « de 365 à 400 F ». Nous précisions : « Étant entendu toutefois que 400 F est le prix véritable et nécessaire ; ce­lui à partir duquel seront calculés les pro­bables 8 à 10 % de plus de l'année pro­chaine » ([^108]). Il est malheureusement d'ores et déjà cer­tain qu'au bout d'un an, en mars 1980, l'aug­mentation des prix de revient aura notable­ment dépassé les 8 à 10 % envisagés. Jusqu'ici, nous avons augmenté le prix de l'abonnement dans la mesure même de la dé­préciation de la monnaie. C'était une augmen­tation nominale, ce n'était pas une augmen­tation réelle. La plupart des traitements et salaires augmentaient eux aussi, nominale­ment, dans les mêmes proportions ou même davantage. 162:237 Nous allons maintenant prendre d'autres dispositions. Nous voulons maintenir à 400 F le prix de l'abonnement. Pour y réussir, il faut le concours de l'en­semble des abonnés de la revue. C'est ce que nous leur proposons sous le titre d' « ob­jectif 400 » : maintenir le prix de l'abonne­ment, le plus longtemps possible, à 400 F seulement. Quatre cents francs, ce sera le « tarif mi­nimum », qui devra demeurer invariable. L'abonné à 400 F sera un abonné à part en­tière, un abonné de plein droit, un abonné comme les autres. Mais cela ne sera possible, bien évidemment, qu'avec le concours massif de tous ceux de nos abonnés qui peuvent payer leur abonne­ment plus de 400 F par an. Au-dessus du « tarif minimum » invariable, il y aura désormais un « tarif normal » variable. Le tarif minimum à 400 F va devenir de plus en plus inférieur au prix de revient. Le « tarif normal » devra, lui, par compen­sation, être supérieur au prix de revient. Il est fixé dès maintenant à 500 F. Si vous êtes très nombreux à l'adopter, il n'aura pas be­soin d'augmenter trop vite. Encore au-dessus demeure la catégorie des « abonnements de soutien ». En ce moment plus que jamais, nous comptons sur eux. \*\*\* Tel est donc le concours que nous demandons à l'ensemble de nos abonnés. Nous avons demandé aussi, par le SUPPLÉ­MENT-VOLTIGEUR du 15 octobre, le concours de tous ceux qui, sans être abonnés à la revue, sont fondamentalement d'accord avec notre action intellectuelle et morale. 163:237 Ceux des abonnés de la revue ITINÉRAIRES qui ne sont pas abonnés au SUPPLÉMENT-VOL­TIGEUR sont invités à se procurer ce numéro-là : le numéro 71 du 15 octobre. Pour le re­cevoir il leur suffira d'en adresser la de­mande, en y joignant une enveloppe timbrée à 1,30 F, aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 40, rue du Mont-Valérien, 92210 Saint Cloud. Ainsi tous pourront participer en connais­sance de cause : -- à la croisade de prière, -- à la campagne de soutien, -- à la souscription nationale dont ce numéro du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR a exposé les raisons et donné le signal. La souscription est jusqu'à Noël. Elle est pour l'association LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES (C.C.P. Paris 19.241.14). Je vous rappelle que LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES organisent et coordonnent tout ce qui concerne la diffusion et la propagande de la revue. En ce moment ils manquent cruel­lement des moyens financiers qui leur sont nécessaires pour poursuivre et développer leur action. Il y a trop peu d'adhérents, trop peu de cotisants, trop peu de souscripteurs. Et pourtant c'est maintenant qu'un effort ex­ceptionnel de propagande est nécessaire, pour ne pas laisser la soi-disant « nouvelle droite » faire croire au public que « depuis trente ans » il n'y a eu aucune pensée en dehors de la pensée de gauche. C'est pourquoi je demande à tous ceux qui sont d'accord avec nous de faire cet automne un versement de Soutien aux LES COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES. J. M :. ============== fin du numéro 237. [^1]:  -- (1). Alexandre Soljénitsyne : *Le déclin du courage, discours de Harvard* 1978*,* traduit du russe par Geneviève et José Jo­hannet, Éditions du Seuil. Nous le désignerons dans nos réfé­rences par le sigle *DH,* cf. ci-après la note 3. [^2]:  -- (2). Pourquoi il l'affirme, comment il l'entend, voilà sur quoi l'on ne nous a donné aucun éclaircissement. Le texte exact et son contexte manifestent que ce « don de Dieu » est moins une affirmation qu'une approximation, faute de trouver les mots qu'il voudrait. La question lui était posée : « Ne voyez-vous pas certaines lueurs annonciatrices d'un réveil religieux en Occi­dent ? » Soljénitsyne répond : « *Oui, je suis de votre avis. En différents endroits, sous différentes formes, on remarque en effet ici et là que la jeunesse contemporaine a un meilleur sens de la vérité que ses maîtres patentés. On dirait qu'elle traverse en plongée l'énorme amas de sottises et que là-bas, de l'autre côté, elle cherche... Au lieu d'être objet de moquerie, la religion éveille à présent chez beaucoup d'entre eux l'intérêt, la sym­pathie, l'adhésion même. *» C'est dans ce contexte qu'il ajoute immédiatement : « *Et puis, bien sûr, on ne peut pas ne pas considérer comme un signe des temps le nouveau pape. C'est... c'est... on ne trouve pas de mots. C'est un don de Dieu. *» (L'en­semble du propos, et au demeurant sa date, montrent que Soljé­nitsyne parle là non point de la personne de Jean-Paul II, ni de ses idées ou des actes de son pontificat, mais du fait que le pape soit un Slave venant d'un pays sous domination commu­niste. C'est cela, pour lui, le « signe des temps » et le « don de Dieu ».) La suite est pour indiquer que malgré cela, « *la situation s'est tellement détériorée, l'Occident est allé si loin dans sa reculade que, pour nous tirer d'affaire, nous, dans notre pays, il est vain en tout cas de compter sur lui *»*.* (*Nouvel Observateur,* numéro 749 du 19 mars 1979, pp. 99 sq.) [^3]:  -- (3). Nous désignerons ces « propos recueillis » par le sigle PR, avec référence aux pages du *Nouvel Observateur,* numéro cité. Pour le discours d'Harvard, désigné par le sigle *DH,* nos références sont aux pages du volume publié par les Éditions du Seuil et mentionné à la note 1. [^4]:  -- (4). *DH* pp. 26 et 29-31. [^5]:  -- (5). ITINÉRAIRES, numéro 194 de juin 1975, pp. 41 à 51. [^6]:  -- (6). Jean Daniel, *L'ère des ruptures,* Grasset 1979, p. 191. [^7]:  -- (7). *Op. cit.,* p. 183. [^8]:  -- (8). *Op. cit.,* p. 226. [^9]:  -- (9). Cf. ITINÉRAIRES, numéro 194 de juin 1975, p. 68. [^10]:  -- (10). Daniel, *op. cit.,* pp. 205-206. [^11]:  -- (11). *Op. cit.,* p. 193. [^12]:  -- (12). *DH* p. 34. [^13]:  -- (13). Ibid. [^14]:  -- (14). *DH* p. 46. [^15]:  -- (15). *DH* p. 51. [^16]:  -- (16). *DH* p. 48. [^17]:  -- (17). *DH* p. 53. [^18]:  -- (18). Cf. ITINÉRAIRES, *Pour saluer Gilson* (III), numéro 234 de juin 1979 : « L'humanisme intégral ». [^19]:  -- (19). Étienne Borne, *La Croix* du 21 avril 1979. [^20]:  -- (20). Mt, XXVI, 39. [^21]:  -- (21). Mt, VI, 10. [^22]:  -- (22). *DH* p. 42. [^23]:  -- (23). *DH* p. 43. [^24]:  -- (24). Daniel, *op. cit.,* p. 196. [^25]:  -- (25). Remarquons-le au passage : ce « pas le nombre des morts » est équivoque et discutable. Il veut dire sans doute que l'horreur des crimes ne réside pas essentiellement dans leur nombre et n'est pas essentiellement modifiée par une variation de ce nombre. Cela est vrai jusqu'à un certain point seulement. Le nombre arrive à faire une différence qui compte quand il est dix ou vingt fois plus élevé dans un cas que dans l'autre ; quand il continue à s'accroître dans un cas, tandis que dans l'autre il ne bouge plus. Les camps nazis ont fait un certain nombre de morts pendant quelques années, puis ils ont été supprimés. Les camps soviétiques ont fonctionné avant les camps nazis, pendant les camps nazis, après les camps nazis, trente ans après encore, ils continuent, ils continueront jusqu'à un terme imprévisible. Ce n'est pas la seule différence, mais c'est tout de même l'une des différences fondamentales entre les uns et les autres. Les camps soviétiques et les camps nazis ne sont pas équivalents. Déjà par le nombre interminable de leurs victimes, les camps soviétiques sont pires, -- « bien pires ». [^26]: **25 bis** -- (25 bis) Le christianisme a toujours considéré que l'homme a des droits. Les papes, en notre siècle Pie XI et surtout Pie XII, ont exposé sur ces droits une doctrine fortement étayée (étayée sur la loi -- morale -- naturelle). Mais l'Église avait toujours rejeté les *Déclarations* modernes des droits, à commencer par celle de 1789. Pie XII, dans son enseignement détaillé sur les droits de l'homme, observait un silence significatif à l'égard de la Déclaration universelle de l'ONU. C'est seulement à partir de Jean XXIII, seulement à partir de son encyclique *Pacem in terris*, que l'on voit le Saint-Siège manifester à ces « Déclara­tions » une estime aussi tardive qu'incroyable. [^27]:  -- (26). *PR* p. 91. [^28]:  -- (27). *DH* p. 23. [^29]:  -- (28). *DH* p. 20. [^30]:  -- (29). *DH* p. 21. [^31]:  -- (30). *DH* pp. 48-49. [^32]:  -- (31). Voir *Les deux démocraties,* un volume aux Nouvelles Éditions Latines. [^33]:  -- (32). *DH* p. 48. [^34]:  -- (33). *PR* p. 108. -- Toutefois il reproche au moyen âge « l'écrasement despotique de la nature physique de l'homme au profit de sa nature spirituelle » (*DH* p. 46). Au moyen âge notre « nature physique » était « livrée à la malédiction », dans l'ère moderne notre « nature spirituelle » est « foulée aux pieds » (*DH* p*.* 56). Soljénitsyne ne précise pas si c'est du moyen âge byzantin qu'il parle en ces termes. [^35]:  -- (34). Cf. note 31. [^36]:  -- (35). *DH* p. 55.. [^37]:  -- (36). Voir (entre cent autres) : *La réforme intellectuelle,* dans ITINÉRAIRES, numéro 216 de septembre-octobre 1977 (numéro spécial sur Henri Charlier) ; *Que faut-il réformer ?* par André Charlier, ITINÉRAIRES, numéro 37 de novembre 1959* ; la Décla­ration fondamentale* de la revue : numéro 28 de décembre 1958*.* [^38]:  -- (37). *L'Express,* numéro 1406 du 19 au 25 juin 197^e^ ; p. 5 et p. 123. [^39]:  -- (38). *Nouvel Observateur,* numéro 749 du 19 mars 1979, p. 80. [^40]:  -- (39). *Ibid..* [^41]:  -- (40). *PR* p. 101 : « Jamais je n'ai appelé à une révolution générale qui serait d'ordre physique. Celles-là \[les révolutions physiques\] causent dans la vie d'un peuple des ruines qui pèsent souvent plus lourd que la victoire remportée. Et puis, nous ne devons pas seulement nous libérer, nous devons aussi nous engager dans la voie de la guérison. *Or les révolutions ne gué­rissent pas. *» (C'est moi qui souligne-) [^42]:  -- (41). *DH* p. 42. [^43]:  -- (42). Daniel, *op. cit.,* p. 312 et passim. [^44]:  -- (43). *Op. cit.,* p. 311. [^45]:  -- (44). *Ibid.* [^46]:  -- (45). Sur cet aspect de Fabrègues, voir ITINÉRAIRES, nu­méro 232 d'avril 1979, p. 97. [^47]:  -- (46). *Le Monde* du 25 avril 1979. [^48]:  -- (47). Daniel, *op. cit.,* p. 311. [^49]:  -- (48). PR p. 80. [^50]: **1** -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 43 de mai 1960 (pp. 120-121), numéro 44 (pp. 64-67), numéro 47 (pp. 74-77), numéro 51 (p. 80), numéro 54 (p. 73), numéro 55 (pp. 85-92). [^51]:  -- (1). Cette anomalie extraordinaire, nous l'inscrivons au comp­te de l'ouvrage et de son auteur parce que nous *supposons* que le texte de ce livre publié au mois d'avril 1979 par les Éditions Julliard est bien le texte écrit par le P. Fessard. Faire autre­ment ne mènerait nulle part : les moyens de vérification nous échappent. Mais ce n'est de notre part rien de plus qu'une inévitable supposition méthodologique. La suspicion demeure légitime. Le manuscrit du P. Fessard a été arrangé par le P. de Lubac qui s'en explique en ces termes (pp. 10-11) : « *Notre rôle, dans cette publication, n'a consisté qu'à relire le manus­crit, à mettre de l'ordre dans quelques pages en choisissant parmi les variantes la dernière en date, à supprimer quelques doublets, à faire aussi de légères retouches de style, sans nous permettre le moindre changement dans la pensée. C'est là beau­coup moins que ce que l'auteur nous aurait demandé s'il avait pu lui-même, comme il le voulait, nous remettre encore le der­nier état de son manuscrit. *» Cette assurance de chirurgien donne froid dans le dos. Surtout si l'on se souvient que le P. de Lubac est un redoutable manipulateur de textes. La démons­tration précise et irréfutée en a été produite par Henri Ram­baud : « *Les habiletés du P. de Lubac *»*,* dans ITINÉRAIRES, nu­méro 114 de juin 1967, et surtout « *Les tricheries du P. de Lubac *»*,* dans ITINÉRAIRES, numéro 168 de décembre 1972. -- De surcroît, au dos du livre du P. Fessard, on nous claironne : « *Cette analyse n'a rien à voir avec des positions intégristes ou traditionalistes. *» Rien à voir, absolument RIEN ? Une exagération aussi démesurée n'augmente pas notre confiance à l'égard des éditeurs. Sur beaucoup de points importants, le P. Fessard avait en effet, on le sait, des idées fort distinctes des « positions intégristes ou traditionalistes ». Mais il est singulièrement effronté de prétendre nier que ce livre-ci con­tient plus d'une vue identique ou analogue aux dites « posi­tions ». Sur la praxis communiste, c'est évident. On remarque en outre la sympathie du P. Fessard pour une partie au moins des attitudes de Mgr Lefebvre (p. 44) ; ou encore sa défense de la primauté nécessaire du doctrinal sur le pastoral, autre­ment dit : « primat de la Révélation du Verbe incarné dans la praxis chrétienne » (p. 135 et p. 211) ; ou encore sa vigou­reuse dénonciation de la « carence épiscopale devant le mar­xisme » (p. 165) et du « déclin des études théologiques qui se camoufle en s'égarant en de nouvelles « recherches », mais est particulièrement sensible dans le domaine de la catéchèse » (p. 166). Affirmer : « *rien à voir *» est une sorte d'escroquerie morale. [^52]:  -- (2). *Ils ne savent pas ce qu'ils font* (Nouvelles Éditions La­tines, mars 1955) ; *Ils ne savent pas ce qu'ils disent* (même éditeur, novembre 1955)*.* [^53]:  -- (3). Georges Hourdin : *La tentation communiste,* Stock 1978 (critiqué dans Fessard notamment pp. 21-24 et pp. 30 sq.). -- C'est le troisième des ouvrages autobiographiques publiés ces temps derniers par Hourdin. Il y a eu auparavant *Pour le concile,* Stock 1977*,* et *Dieu en liberté,* Stock 1973*.* Si j'en avais le temps, je montrerais aisément, il me suffirait d'une centaine de pages, ou peut-être d'une trentaine, que les « attaques » dont Hourdin se plaint de ma part lui en reprochaient *beaucoup moins,* en matière de collaboration avec le communisme, que ce qu'il confesse enfin, en clair, dans ces trois livres. La même remar­que vaut pour l'ouvrage de Félix Lacambre cité à la note 4. -- Je veux simplement rectifier le récit fantaisiste et faux qu'il donne de notre rencontre en 1955 (*Dieu en liberté,* pp. 359-362) : « *Nous avons été attaqués sur nos rapports avec le communis­me* (*...*). *Une première fois, nous avons été attaqués par Jean Madiran, qui a écrit un livre contre les chrétiens dits de gau­che, notamment contre nous. Le livre était intitulé* Ils ne savent pas ce qu'ils font *et dénonçait nos prétendues complicités avec les communistes. Il s'agissait d'une attaque en règle qui a fait un certain bruit* (*...*). *Madiran était, je crois, de bonne foi, il voulait nous éclairer sur notre folle attitude. Dans son livre il dénonçait le déjeuner qui, chaque mardi, depuis presque trente ans. nous réunit à quelques-uns et qui, à cette date, n'avait que douze ans d'âge. Il y voyait un aspect de complot ténébreux. Alors je l'ai invité à un de ces déjeuners pour qu'il se rende compte par lui-même. -- Le déjeuner où Beuve-Méry venait ? -- Et le père Boisselot, et Fumet, et Mme Sauvageot. Le déjeuner a été curieux. Madiran nous parlait beaucoup du pape. Nous répondions en parlant, aussi, de la foi* (*...*). *Madiran a dit :* « *Nous avons au moins une chose en commun, l'eucharistie. *» *Et Fumet, le spirituel, le mystique, s'est écrié, pour une fois d'accord avec moi :* « *C'est de la foutaise ! *» (*...*) *Beuve-Méry, dont la délicatesse ne se fait jamais mieux sentir que lorsque ses amis sont dans le souci, est resté près de moi à discuter vainement avec Madiran pendant une partie de l'après-midi, car jamais les mots ne changent l'opinion de ceux qui prononcent d'autres mots. Madiran a payé sa quote-part, a écrit plus tard un deuxième livre intitulé* Ils ne savent pas ce qu'ils disent, *mais j'étais vacciné contre les attaques. *» Voici mes rectifica­tions : 1. -- Ce n'était pas le déjeuner « où Beuve-Méry ve­nait » : il le présidait. 2. -- Ce n'est pas Hourdin qui m'avait invité, mais Beuve-Méry ; j'ai encore la lettre d'invitation (j'ai d'ailleurs refusé d'être *invité,* d'où la « quote-part »). 3. -- Fu­met a peut-être dit l'étonnant « C'est de la foutaise ! » que rap­porte Hourdin en l'approuvant ; mais j'en doute ; une telle décla­ration sur l'eucharistie m'aurait frappé. 4. -- En revanche, je me rappelle fort bien que ce Stanislas Fumet, dont André Frossard m'a toujours garanti l'évangélique bonté, me cracha au visage dès qu'il me vit : « *Vous autres, catholiques de droite, je vous déteste depuis cinquante ans. *» J'ai déjà rapporté ce mot une fois ou l'autre, sans mentionner son auteur \[Cf. It. 57-11-61 et 89-01-65\]. Puisque cette per­che m'est tendue, je la saisis au passage. 5*. -- *Georges Hourdin ne dit pas un mot de ce qui, mises à part d'inévitables inci­dentes, fit l'essentiel d'une discussion acharnée : mes inter­locuteurs m'avaient *demandé un dialogue,* je venais leur répon­dre que je le voulais public, ils me rétorquaient, les gros malins, qu'ils ne le consentaient que *privé* (et même secret). Nous res­tâmes sur nos positions. En sortant de là, Hourdin s'en alla écrire dans les ICI que j'étais un méchant qui refusait tout dialogue. 6. -- A leur demande, il fut convenu qu'aucun d'entre nous ne raconterait en public cette rencontre. Hourdin a uni­latéralement rompu cet engagement dans son livre, dix-huit ans plus tard. Il est vrai qu'on pourrait soutenir (mais sophis­tiquement) qu'il n'a pas manqué à sa parole, puisqu'il passe sous silence l'objet même de la discussion. 7. -- Sans mention­ner cette rencontre, j'en rédigeai le jour même la substance, sous la forme : « Je sais bien ce qu'ils me répondraient... », elle figure en « postface » dès la deuxième édition d'*Ils ne savent pas ce qu'ils font,* avril 1955, avec la date du déjeuner : 22 mars 1955. On peut s'y reporter. Pour la plus importante de mes rectifications, qui est la cinquième, c'est donc ma mémoire du jour même qui dément ce que la mémoire de Georges Hour­din a élaboré dix-huit ans après. [^54]:  -- (4). Hourdin : ouvrages cités note 3. -- Félix Lacambre : *Lutter et croire,* Cerf 1977, où il se proclame fièrement (pp. 138 sq.) « *sans complexe compagnon de route des commu­nistes *»*.* Le P. Fessard, qui « depuis quelques mois » (seule­ment) se formulait une « prudente interrogation » à ce sujet, découvre cet aveu avec stupeur (Fessard, p. 113). -- Il est vrai que jusqu'alors Félix Lacambre s'en cachait bien. Ou plutôt s'en cachait mal. Mais enfin s'en cachait. Il fut dirigeant de l'ACO depuis 1953, et surtout depuis 1957, jusqu'en 1967. Mgr Guerry, secrétaire du noyau dirigeant de l'épiscopat français (qui était alors dénommé commission permanente de l'assem­blée des cardinaux et archevêques) et grand protecteur de l'ACO m'assurait à l'époque que si Félix Lacambre énonçait tant de sottises et de contre-vérités, inacceptables en doctrine chré­tienne, ce n'était point par méchanceté ou mauvaise volonté, mais par inaptitude intellectuelle, il fallait excuser ce brave garçon et comprendre qu'il n'était pas doué pour écrire. Moyen­nant quoi, quand il quitte l'ACO, il devient rédacteur à *La Croix,* où il est, depuis de nombreuses années maintenant, LE CHEF DES INFORMATIONS RELIGIEUSES. L'unique quotidien catholique de France, le quotidien officiel du catholicisme français, a pour chef de ses informations religieuses un compagnon de route des communistes. Qu'est-ce que le parti communiste pourrait demander de plus. [^55]:  -- (5). Le texte intégral de l'article et son commentaire figurent dans notre « essai sur le communisme »* : La vieillesse du monde,* nouvelle édition DMM, pp. 42 sq. [^56]:  -- (6). Cf. *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* tome I, pp. 271 sq. [^57]:  -- (7). Sur l'affaire des révélations de Félix Lacambre en 1963-1964*,* voir ITINÉRAIRES, principalement : numéro 78 de décem­bre 1963, pp. 209-210 ; numéro 81 de mars 1964, éditorial pp. 10-15 ; numéro 94 de juin 1965, éditorial pp. 17-27 (et spéciale­ment pp. 20-22). -- On y verra aussi, c'est plus anecdotique mais assez significatif, que la réponse de Félix Lacambre à nos in­terpellations fut d'exiger de l'épiscopat la condamnation d'ITI­NÉRAIRES. Il ne l'obtint pas en 1964*-*1965*,* d'où le blâme, mais oui, que pour ce motif explicitement invoqué l'ACO infligea publiquement à l'épiscopat, texte intégral dans *La Croix* du 24 avril 1965. L'ACO renouvela ses exigences jusqu'à ce qu'elle obtînt, comme on le sait, la condamnation d'ITINÉRAIRES en 1966*.* [^58]:  -- (8). Dans la note 95 de sa page 162, le P. Fessard s'étonne que la Déclaration épiscopale du 30 juin 1977*,* parlant du dialogue avec les communistes, ne fasse « aucune mention » de la « formule » : le communisme est intrinsèquement pervers. Ignorait-il donc que cette formule est désastreusement aban­donnée non point par l'épiscopat français depuis 1977*,* mais par le Saint-Siège lui-même depuis la mort de Pie XII en 1958 ? Ou bien est-ce de sa part une manière (discrète au point d'en être implicite) de condamner ce renoncement du Saint-Siège ? [^59]:  -- (9). *Op. cit.,* à la note *5.* [^60]:  -- (10). Voir entre autres ses pages 97-99, 111, 115-118, 144, 252. -- Mensonge aussi les soi-disant instruments scientifiques de l'analyse marxiste : cf. p. 154 et *passim.* [^61]:  -- (1). Les universitaires et chercheurs américains disposent tous les sept ans d'une période de congé supplémentaire, dit *sabbatique,* qu'ils occupent à leur gré -- en général pour se perfectionner. Notre ami Thomas MOLNAR, professeur à l'Uni­versité de Long Island, New York, fait partie de ces privilégiés... dont pour une fois nous profitons. (*Note d'*ITINÉRAIRES.) [^62]:  -- (1). *Le modèle défiguré. L'Amérique de Tocqueville à Carter,* Presses Universitaires de France 1978 (*Note d'*ITINÉRAIRES.) [^63]:  -- (1). Et non des « valeurs », invention de la philosophie alle­mande agnostique, kantienne. [^64]:  -- (1). *Le socialisme sans visage. L'avènement du tiers modèle,* Presses Universitaires de France, collection « Virages », 1976. Ouvrage recensé dans les Notes critiques de notre numéro 212 d'avril 1977. (*Note d'*ITINÉRAIRES.) [^65]:  -- (1). Mélange de Blancs, de Malais et de Hottentots ; ils sont deux millions dans la province du Cap. [^66]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES d'avril 1979, numéro 232, p. 30. L'auteur a reçu, le 6 avril dernier, le grand prix littéraire de la ville de Montréal, à l'unanimité d'un jury qui avait examiné une trentaine d'ouvrages. Maisonneuve a évidemment écrit avant la proclamation de cet honneur, et il ne fut pas membre du jury. [^67]:  -- (1). Cité par René Gonnard dans son *Histoire des doctrines économiques.* [^68]:  -- (1). *Saint François d'Assise,* par G.K. CHESTERTON. -- Nou­velle traduction par Antoine Barrois. -- DMM, 1 volume, 44 F. [^69]:  -- (2). ITINÉRAIRES, numéro 221, mars 1978. -- Le « Saint François » de l'amitié par Hugues Kéraly, pp. 56-60. [^70]:  -- (1). La bibliographie en figure dans notre brochure : La messe, état de la question, 5^e^ édition (DMM). [^71]:  -- (2). Communiqué du « conseil permanent de l'épiscopat », *La Croix* du 22 septembre 1979. [^72]:  -- (3). Concernant ce projet, voir ITINÉRAIRES, numéro 234 de juin 1979, pp. 1 à 5. [^73]:  -- (4). Numéro du 16 septembre, p. 792. [^74]:  -- (5). Voir : « L'option fondamentale de l'évolution conci­liaire » dans notre brochure *La religion du cardinal Marty* (DMM). [^75]:  -- (1). Dans les liturgies orientales, encore aujourd'hui, les doxologies ou déclarations trinitaires sont toujours très nom­breuses : 34 références dans la liturgie de saint Jean Chrysos­tome ; 27 pour la liturgie maronite : 36 dans la seule partie préparatoire de la liturgie éthiopienne. [^76]:  -- (2). Conférence du 13 avril 1978 à Alger, reproduite dans le bulletin de la paroisse grecque catholique de Saint-Julien le Pauvre, octobre 1978. [^77]:  -- (3). On trouvera des détails importants sur cette thèse dans l'ouvrage de l'abbé Barruel : *Mémoires pour servir à l'histoire du* *jacobinisme* (1818). La phrase que nous citons est à la page 431 du premier volume, dans la réédition de 1973. [^78]:  -- (4). *Berbères et arabes,* Payot. [^79]:  -- (5). Flammarion. [^80]:  -- (6). Voir l'*Indiculus luminosus* d'Alvaro de Cordoue dans *La España sagrada* du P. FLORES, Madrid 1748, vol. XI, pages 145-146, et aussi *Epistolario de Alvaro de Cordoba,* C.S.I.C., Ma­drid 1947. [^81]:  -- (7). En opposition souvent avec des évêques Œcuménistes partisans du dialogue islamo-chrétien. Voir A.S. Ruiz, *Obras completas de San Eulogio,* Cordoue 1959. [^82]:  -- (8). Ignacio OLAGÜE, *La revolucion islamica en Occidente,* Madrid 1974 (appendice III : Les témoignages archéologiques). [^83]:  -- (9). Juilo Menvielle : *De la cabala al progresismo,* Buenos Aires 1970. [^84]:  -- (10). *La pensée catholique,* numéro 117 (1968). [^85]:  -- (11). Cf. Jean Madiran : *Vatican II plus important que Nicée,* éditorial d' ITINÉRAIRES, numéro 197 de novembre 1975 ; et Marcel De Corte : *Nicée et Vatican II,* ITINÉRAIRES numéro 215 de juillet-août 1977. [^86]: **\*** -- Leçon : du latin *lectio* (lecture), terme dont se sert la liturgie pour annoncer la lecture (ou le chant) de fragments d'un livre de l'Écriture ou des Pères de l'Église, à la messe et au bréviaire. \[en encadré dans l'original.\] [^87]: **\*** -- Office : au sens général, toute prière publique ou cérémonie qui se fait à l'église. Au sens *strict :* l'ensemble des « heures canoniales contenues dans le bréviaire (matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies), chantées par les fidèles unis aux prêtres, ou récitées par ceux-ci au nom de toute la communauté chrétienne. Chanté au chœur par les religieux des grands ordres : bénédictins, dominicains, cisterciens, etc., l'*office* au sens strict prend journellement plusieurs heures. Récité comme font les prêtres en « disant leur bré­viaire », il dure une heure et demie ou un peu moins. *Petit office :* office de la Sainte Vierge, comportant le même nombre d'heures que l'office canonial, mais notablement plus court et ne variant pas chaque jour. *Office diurne :* les heures canoniques du jour, par opposition à *matines,* office de la nuit. *Office des morts :* l'ensemble formé par vêpres, matines et laudes des défunts. \[en encadré dans l'original.\] [^88]:  -- (1). Isaïe VI, 3. [^89]:  -- (2). Psaume CX. [^90]:  -- (3). I Jean I, 5. [^91]:  -- (1). On manque d'une grande histoire moderne de Saint-Denis. Je me permets de renvoyer à celle de dom Michel FÉLIBIEN, *Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denys en France.--.* Paris, 1706*,* réédité en 1973 dans la même *ville,* avec lettre-préface de M. le duc de Bauffremont, président du Mémorial de France à Saint-Denys (organisme culturel qui entretient la flamme du souvenir, 1, rue Barbet de Jouy, 7500*7* Paris) et une introduction qui est mienne. ITINÉRAIRES en ses numéros 193 et 194 de mai et juin 1975 a donné un excellent article du R.P. dom Édouard GUILLOU, m.b., *Saint-Denis-en-France.* Auteur d'un remarquable *Le roi est mort* (compte rendu dans ITINÉRAIRES, n° 202 d'avril 1976)*,* Alain ERLANDE-BRANDENBURG, conservateur au Musée de Cluny et à celui d'Écouen, vient de publier en 1976* : L'église abbatiale de Saint-Denis,* deux petits livres très bien illustrés, prenant la suite d'une série de guides imprimés qui s'étend sur quatre siècles (t. 1 *Historique et visite,* t. 2 *Les tombeaux royaux,* Éditions de la Tou­relle, Paris). Depuis peu, les Monuments historiques ont transformé une chapelle latérale de Saint-Denis en une sorte de trésor où sont exposés les objets restaurés des obsèques de Louis XVIII (1824). Ayant coopéré à la recherche et à l'identification de ceux-ci, je suis heureux de signaler cette belle présentation qui fait honneur aux services officiels. Voir de Jean FERRY, inspecteur principal des M.H., *Les derniers symboles de la monarchie,* dans *Connaissance des arts,* Paris, n° 317 de juillet I978, pp. 70-71. L'essentiel des insignes exposés (couronne du roi imitant la couronne "de Charlemagne" de 1804*,* sceptre, main de justice, épée... imitant les insignes attribués au même empereur) a été dessiné par le fameux architecte François-Joseph Belanger (le mémoire du travail se trouve aux Archives nationales, 0^3^ 1937-1939 et on régla ce qui était dû à la veuve de l'architecte) qui avait dessiné le sceau de Louis XVIII (Jean STERN, *A l'ombre de* *Sophie Arnould, François-Joseph Belanger, architecte des Menus plaisirs, premier architecte du comte d'Artois,* Paris, 1930*,* t. 2, pp. 316*-*317) et le décor de bien des cérémonies funèbres à Saint-Denis. J'y reviendrai. [^92]:  -- (2). *Recueil d'anecdotes et autres objets curieux relatifs à l'histoire de l'abbaye royale de Saint Denys en France...,* Paris, Bibl. nat., ms fr. 11681 [^93]:  -- (3). On peut admirer à Reims le manteau du sacre de Charles X qui fut fait en 1814*-*1815 pour Louis XVIII*.* On y trouvera aussi le manteau et la tunique du Dauphin Louis-Antoine pour la même cérémonie. J'ai été aussi associé à la mise en ordre des objets exposés à Reims, car ils étaient mêlés avec ceux des obsèques de Louis XVIII ! Cf. Jean FERRY, *Le palais du Tau,* Paris, s.d. (supplément à la revue *Les monuments historiques de la France*) et du même : *Reims. Au palais du Tau : la salle de Charles X,* paru dans *Les monuments historiques de la France,* Paris, n° 4 de 1976, pp. 43-44. [^94]:  -- (4). Sur la grand-salle avec les rois qui y étaient figurés, voir ce que j'en dis dans le commentaire sur l'ouvrage de Servien (ITINÉRAIRES, n° 234 de juin 1979) ; sur elle et la grand-chambre ou chambre dorée où avaient lieu les lits de justice, etc.... voir mon article « Tableaux français sous les premiers Valois » paru dans *Cahiers d'héraldique,* n° 2, édité par le C.N.R.S., 15, quai Anatole France, 75007 Paris. [^95]:  -- (5). Un résumé facile à trouver sur l'histoire de l'oriflamme : mon article *Oriflamme* dans l'*Encyclopaedia universalis.* Thesaurus index. Philippe CONTAMINE a publié « L'oriflamme de Saint-Denis aux XIV^e^ et XV^e^ siècles » dans les *Annales de l'est,* Nancy, n° 3 de 1973, pp. 179-244 ; il y a un tirage à part avec index et table des matières (1975). Il est évident que l'oriflamme Montjoie fut plus d'une fois abîmé, perdu et refait. Il en existait un du temps de l'historien dom Doublet (1625) et au XVIII^e^ siècle, on ne pouvait plus voir qu'une lance abandonnée dans un coin... [^96]:  -- (6). H. PINOTEAU, « L'ancienne couronne française dite "de Charlemagne" », Paris, *Le Vieux Papier,* 1972, p. 1, n. 1. La sainte couronne était une couronne reli­quaire enfermant sous un rubis une épine de la couronne de N.S.J.C. ainsi que d'autres reliques. On ne sait quand cette première épine et ce clou arrivèrent à Saint-Denis où ils apparaissent au XI^e^ siècle. Il y avait deux autres épines de la couronne du Christ à Saint-Denis. Deux épines sur trois semblent repérées. Quant au clou il a pu être sauvé ; on le trouve à Notre-Dame. [^97]:  -- (7). Dom Jacques DOUBLET, *Histoire de l'abbaye de S. Denys en France,* Paris, 1625, p. 327. Les reliques du saint comme les bons moines de Saint-Denis étaient capables de remettre un pape à sa place ; ils n'étaient point papolâtres mais bien catholiques romains. On oublie trop cette distinction en nos jours de disgrâce. Je précise pour les amateurs de faits curieux, que S. Hippolyte, célèbre écrivain qui nous a laissé une anaphore au tardif destin, est le premier des antipapes ! Il mourut martyr en 235, tout comme le pape Pontien. [^98]:  -- (8). L'*Inventaire* de 1505 estime le trésor, métal et pierres, à prés de 200000 écus ce qui reviendrait à environ 70 kg d'or. [^99]:  -- (9). Schramm (1894-1970) était le « pape » de l'insigniologie. Il savait presque tout sur les sacres, couronnements et insignes du pouvoir des souverains de l'Europe, ayant édité un grand nombre d'*ordines* et des livres qui ont fait école. J'ai des lettres de lui dans lesquelles il regrette que son ouvrage sur le roi de France n'ait jamais trouvé un éditeur (*Der König von Frankreich. Das Wesen der Monarchie vom 9. zum 16. Jahrhundert,* 2^e^ éd., Weimar, 1960, *2* vol.), mais les Français sont trop souvent occupés à publier n'importe quoi pour s'attacher à une œuvre fondamentale, encore que difficile à traduire, donc onéreuse. En cas de traduction, j'avais reçu l'autorisation de refondre les deux tomes en un, le second étant fait d'additions. [^100]:  -- (10). La famille des marquis de Nicolay, toujours représentée, s'est distinguée par une dizaine de premiers présidents de la Chambre des comptes, un maréchal de France, des généraux, des évêques... Antoine Nicolay qui déambule dans Saint-Denis avec ses gens et ses experts en 1634 est l'arrière-petit-fils d'Aymard Nicolay, premier président de la Chambre des comptes... qui préside à l'inven­taire de Saint-Denis effectué en 1534 ! On aurait recommencé en 1734 que l'on se serait retrouvé avec un autre Nicolay (l'orthographe change avec le temps), Jean Aymard, marquis de Goussainville, qui abandonne sa charge cette année-là. Il était petit-fils d'Antoine. [^101]:  -- (11). Lors du 10^e^ Congrès international des sciences généalogique et héraldique tenu à Vienne en Autriche, j'ai expliqué le 16 septembre 1970 que la couronne du roi de France, à quatre fleurs de lis et comblée d'une haute tiare, avait une sœur, toute semblable, mais plus petite et sans tiare, destinée à couronner la reine qui n'assumait pas l'aspect pontifical de notre royauté sacrale. Je disais que ces deux couronnes étaient celles que S. Louis donna à Saint-Denis et qu'elles étaient donc celles qui avaient été faites par ordre de Philippe II Auguste, en 1180 selon ma théorie (*Genealogica et heraldica,* recueil du congrès, Vienne, 1972, pp. 721-725, répété dans *Le Vieux papier* en 1972 et à la Société nationale des antiquaires de France, le 12 janvier de cette année-là, cf. *Bulletin de la S.N.A.F.*) Je m'en tiens toujours à cette date de 1180. J'y reviendrai, mais j'avais fait l'erreur de dire que la couronne du roi (ou "de Charlemagne" depuis le XV^e^ s.) avait duré jusqu'à la Révolution, mais sans tiare à partir de 1590, le rubis qui la surmontait ayant été vendu par la Ligue. Pour moi, la couronne de la reine avait été fondue par la Ligue en 1590. On m'a depuis démontré mon erreur : c'est la couronne du roi qui a été fondue en 1590 et celle de la reine a servi de deuxième couronne "de Charlemagne" pour couronner Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI ; elle fut fondue à la Révolution. Cf. pour corriger mon « Ancienne couronne française dite "de Charlemagne" » (évoquée n. 6) les textes suivants : Mme GABORIT-CHOPIN, *Bulletin de la Société nationale des anti­*quaires *de France,* communication du 13 février 1974 ; de la même, « *Les couronnes du sacre des rois et des reines au trésor de Saint-Denis* » dans le *Bulletin mo­numental,* Paris, 1975, pp. 165-174 ; Bernard MOREL, « La couronne royale de France dite "de Charlemagne" » dans le *Bulletin de l'Association française de gemmologie,* Paris, n° 41 de déc. 1974, pp. 10-11 ; du même, « La couronne du sacre des reines de France », *ibidem,* n° 43 de juin 1975, pp. 4-5 ; du même, un historique du « Trésor de l'abbaye royale de Saint-Denis », vu sous l'angle gemmologique, à travers l'œuvre de nos deux auteurs, paraissant dans la *Revue de gemmologie* (suite du *Bulletin* précédent), Paris, n° 55 de juin 1978, etc. M. Morel admet la date de 1180 pour la façon des deux couronnes ; il évalue ainsi le poids du métal précieux du trésor en 1534 : 112 kg d'or, 339 kg de vermeil et 103 kg d'argent ! De son côté, Mme GABORIT-CHOPIN a publié avec Blaise DE MONTESQUIOU-FEZENSAC « Camées et intailles du trésor de Saint-Denis » dans les *Cahiers archéologiques,* Paris, t. 24, 1975, pp. 137-162, de grand intérêt pour les pierres ornant l'actuelle et troisième couronne "de Charlemagne" et l'actuelle main de justice qu'on peut voir au Louvre, en la galerie d'Apollon. [^102]:  -- (12). Les gens des Menus plaisirs ont fait quelques dégâts aux tombeaux lors des obsèques des membres de la famille royale. Pour mémoire, je signale que l'église de l'abbaye vit aussi dix sacres et couronnements de reines de France (le dernier pour Marie de Médicis en 1610), ainsi qu'un grand nombre de prises de couronne par le roi revenant de Reims ou lors des remise et élévation des corps saints (châsses des SS. Denis, Rustique et Éleuthère). [^103]:  -- (13). Tout cela facile à retrouver dans le livre de Jacques SAINT-GERMAIN (dis­paru en mai de cette année), *La seconde mort des rois de France,* Paris, Hachette, 1972.. [^104]:  -- (14). *Les tombeaux des rois sous la Terreur,* Paris, 1907, p. 122. [^105]:  -- (15). Charles X prit le manteau de sacre préparé par Dallemagne pour Louis XVIII (cf. supra n. 3) et se fit faire les autres vêtements qui ont tous disparu depuis : camisole, tunique, dalmatique, chaussures. Il utilisa les insignes "de Charlemagne" disponibles : 1, 2) l'épée et les éperons restaurés en 1804 ; 3) le haut du sceptre de Charles X monté en 1804 sur un morceau de bâton de chantre du XIV^e^ siècle (fragment d'un sceptre royal antérieur ?), un bout de bois et une hampe en cuivre doré faite en 1804 ; 4) la main de justice d'ivoire, faite de travers en 1804 (elle est gauche !), montée sur un nœud comportant l'antique anneau de saint Denis » (XI^e^ s. ?) et une hampe en cuivre doré ; 5) la couronne fermée inventée en 1804, en cuivre doré, mais ornée de pierres antiques et de camées, dont certains viennent du reliquaire du chef de saint Benoît ! J'ai donné l'histoire de cette troisième couronne "de Charlemagne", si curieuse, dans le *Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France,* communi­cation du 12 janvier 1972. C'est avec cet insigne que l'archevêque de Latil couronna Charles X ; on l'avait alors complétée d'une coiffe violette, galonnée d'or, de la même façon que les attaches des éperons. A une exception près (une gouache de Develly), Charles X est toujours représenté avec la couronne de diamants et saphirs faite pour Louis XVIII et rectifiée pour lui ; c'est à la fin de la cérémonie que cette couronne fut remise au roi qui la porta pour sortir de la cathédrale et déjeuner lors du grand festin. Les régimes qui suivirent la monarchie légitime s'acharnèrent à détruire ce magnifique insigne. [^106]:  -- (1). Alcuin ne distingue pas nettement la philosophie -- et même le droit -- ni la morale, de la théologie et des vertus théologales. [^107]:  -- (1). En réalité le P. Riquet n'est pas dominicain, mais jésuite. (Note d' ITINÉRAIRES.) [^108]:  -- (1). Numéro 231 de mars 1979, « Note de gérance » pp. 182-184.