# 239-01-80 1:239 ### Les Albums de Mathias *Pourquoi les* «* Albums de Mathias *»* ?* Pour aider à transmettre aux petits catholiques fran­çais *la culture chrétienne de tradition française qui s'éva­nouit sous nos yeux.* Absente de la télévision, cette culture disparaît silencieusement des manuels scolaires comme des livres et journaux de « distraction ». Pour autant qu'il dépend de nous et selon nos moyens nous entreprenons là-contre une œuvre de résistance. Des récits d'histoire sainte, des poésies et des lectures profanes et religieuses, des contes et des légendes, des extraits de vies de héros, de saints et de martyrs, seront ainsi publiés, année après année, avec la grâce de Dieu, dans les ALBUMS DE MATHIAS. *Pourquoi le patronage de saint Mathias ?* Parce qu'il a été un apôtre de remplacement. Précisé­ment parce qu'il a remplacé un traître. Saint Mathias a été associé aux Onze parce que Judas Iscariote avait livré le Fils de l'Homme. 2:239 Ils méritent aussi le nom de traîtres ceux qui devraient transmettre aux petits catholiques français la culture dont ils sont les héritiers et qui les livrent à l'humanisme mo­derne, à cette fausse culture sans Dieu ni patrie, sans fa­mille spirituelle ni intellectuelle, dont l'unique programme tient en ces mots d'Henri Charlier : « Il fallait empêcher les enfants de jeter des bouquets dans l'éternité. » A notre place d'éditeurs et selon nos moyens, nous résistons à cette trahison, à ce détournement d'héritage ; en remplacement. On ne sait rien de saint Mathias. Rien au point que, dans son office, la liturgie ne donne pas à lire, comme pour les autres apôtres, l'abrégé historique de sa vie. Aussi le travail accompli pour l'établissement des albums placés sous la protection de saint Mathias demeurera anonyme et caché. A l'abri de son nom et à l'exemple de son œuvre. *Quelques renseignements pratiques.* ■ Pour quels âges ? Selon la maturité des enfants, leur niveau scolaire, leur famille : de huit à onze ans -- de la classe de huitième à celle de sixième. Remarques : Les ALBUMS DE MATHIAS ont pour objet d'aider à trans­mettre une culture. Ils s'adressent donc à des enfants qui savent (vraiment) lire et écrire, qui apprennent (par cœur) le catéchisme et ne passent pas deux heures par jour devant la télévision. Pour ces derniers, il y a certes quel­que chose à faire, mais qui ne relève pas de notre travail, ni sans doute d'aucuns livres. Ceci dit, si ceux-là mêmes y mordent, tant mieux. Mais sans l'appui d'un membre au moins de leur famille, il est peu probable qu'ils y arrivent ou qu'ils persévèrent. 3:239 Une bonne part de la transmission de la culture fran­çaise chrétienne dépend présentement des grands-parents. Ils ont reçu cette culture avant le grand effondrement de la dernière guerre. Avant que la France ne soit quasiment plus qu'un pays de vaincus, livrés à la collaboration forcée avec les communistes. C'est pourquoi, en un sens, les ALBUMS DE MATHIAS sont aussi destinés aux grands-parents, pour les aider dans la tâche essentielle de transmettre à leurs petits-enfants la part du patrimoine qu'ils détiennent. Pour que leurs petits-enfants apprennent d'eux « à jeter des bouquets dans l'éternité ». ■ Présentation. Les ALBUMS DE MATHIAS sont composés en gros carac­tères. Texte et décorations sont imprimés en deux cou­leurs sur papier très fort. Les ALBUMS DE MATHIAS sont brochés ; ils ont en principe quarante-huit pages. ■ Publication. Les ALBUMS DE MATHIAS seront publiés par série de qua­tre brochures qui paraîtront, à la grâce de Dieu, dans le courant de chaque année scolaire, entre la Toussaint et la Pentecôte. ■ Abonnement. Les ALBUMS DE MATHIAS ne sont pas vendus séparé­ment ; ils ne sont pas vendus en librairie. Les ALBUMS DE MATHIAS sont fournis exclusivement sur abonnement à adresser directement à DMM. Ces abonne­ments portent obligatoirement sur une série complète. 4:239 *Contenu de la première série* (*année scolaire 1979-1980*)*.* Elle comprendra outre l'*Histoire d'Abraham* déjà parue : -- *Paraboles et miracles de Notre-Seigneur.* Racontés par la Comtesse de Ségur : Le semeur -- l'ivraie et le bon grain -- le filet et les poissons -- le bon Pasteur et la drachme perdue -- l'enfant prodigue -- l'économe infidèle -- les noces de Cana -- la pêche mira­culeuse -- le lépreux -- le paralytique -- la multiplication des pains -- la résurrection de Lazare (Septuagésime 80). -- *Poésies profanes et religieuses.* Il y a « J'aime l'âne si doux » et « Maître corbeau sur un arbre perché ». Il y a le « Chant de la Vierge Marie » de Marie Noël et « L'Assomption » d'Anne de Marquets. Il y a la « Berceuse des Croisades » de Loys Labèque et « Le vent » de Verhaeren. Il y a « L'enfant Honneur » de Brasillach et « Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie » de Verlaine. Et encore vingt-six autres, certains sévères ou solennels, d'autres calmes ou familiers (Pâques 80). -- *Un recueil de lectures brèves.* Dans le même esprit que le recueil de poésies, une quinzaine de lectures de Fénelon à Daudet, de la Chanson de Roland à Gaspard des Montagnes (Pentecôte 80). D M M. L'abonnement à la première série de quatre cahiers des ALBUMS DE MATHIAS (année scolaire 1979-1980) est de 96 F (ou abonnement de soutien : 250 F). Ni vendus en librairie, ni vendus séparément, les ALBUMS DE MATHIAS sont à commander uniquement chez DMM : Domi­nique Martin Morin, 96 rue Michel-Ange, 75016 Paris ; tél. (1) 651.30.94. 5:239 ## ÉDITORIAL ### Le secours militaire par Hugues Kéraly ON CROIT VENIR EN AIDE aux rescapés du génocide cambodgien en acheminant des vivres, par milliers de tonnes, dans un pays occupé. Bel élan de générosité impavide, qui ne s'émeut point de savoir le destinataire hors d'état de réceptionner. La seule crainte avouée des promoteurs de l'opération, Croix-Rouge et U.N.I.C.E.F., est que l'armée d'occupa­tion vietnamienne ne prélève au passage quelque tribut de guerre pour subvenir à ses propres besoins... Laisser percer la triste certitude, ce serait à coup sûr décou­rager les dons. La destination véritable des Secours est pourtant facile à deviner. Dans ce Cambodge entièrement dévasté, le ravitaillement des forces communistes vietnamiennes pose un problème permanent. L'Union soviétique, qui fournit déjà les armes et l'encadrement militaire, se vante d'avoir livré 70.000 tonnes de riz et 50.000 tonnes de blé, en 1979, à la « République populaire du Kampu­chéa ». 6:239 L'effort semble important, il le resterait encore avec des chiffres réels diminués de moitié, si l'on songe à la situation pitoyable de l'agriculture soviétique, et aux millions de tonnes de céréales importées chaque année d'Amérique pour restreindre les effets de la pé­nurie socialiste dans les États du même nom. Ce n'est pourtant rien d'autre, de la part du Kremlin, qu'un effort de guerre : il signifie ceci, que le blé vendu par le Canada et les États-Unis participe aujourd'hui à l'en­gagement militaire de Moscou dans les pays du sud-est asiatique. A qui fera-t-on croire en effet que les dirigeants de l'Union soviétique, brusquement convertis à la religion de saint Martin, auraient sacrifié une par­tie de ce dont ils manquent le plus pour sauver de la famine les dernières populations civiles du Cambodge ? L'illusion de l'aide occidentale, pour rester dans l'hypothèse la plus bienveillante, est que le communis­me finira par s'humaniser devant la générosité de nos intentions : les commissaires vietnamiens ne pourront pas confisquer pour eux-mêmes, en totalité, des dons « purement humanitaires » livrés sans aucune condi­tion ; ils ne peuvent pas vouloir la disparition défi­nitive au Cambodge du peuple khmer... Mais au nom de quelle morale une armée d'occupation communiste se priverait-elle d'accaparer nos envois ? et comment pour­rait-elle bien vouloir, tout d'un coup, simplement parce que nous le lui demandons, le contraire de ce qu'elle fait ? Pour respecter même partiellement l'in­tention du donateur, le Vietnam devrait rationner et affaiblir ses troupes fixées au Cambodge -- deux cent mille hommes --, puis leur imposer de nourrir pater­nellement deux millions de vaincus exsangues qui lui feront aussitôt deux millions de résistants. La suppo­sition hélas ne tient pas. Chasser le *politique* de l'*humanitaire,* selon le leit­motiv de M. François-Poncet aux conférences interna­tionales, voilà bien le pire service que la communauté internationale pouvait rendre aux survivants du génocide cambodgien. S'il s'agissait seulement de ne point mesurer les secours d'urgence aux fautes passées de la victime, bien sûr, nous sommes depuis toujours de cette religion-là : 7:239 les Khmers rouges échoués à la fron­tière thaïlandaise ont les mêmes droits en charité que la famille innocente, ou les bandes faméliques de na­tionalistes serei ; ce sont eux aussi que nous voulons sauver. Mais M. François-Poncet nous demande tout autre chose. Il demande de fermer généreusement les yeux sur la politique actuelle du bourreau. Il demande de tenir pour circonstance finalement négligeable que la distribution du pain aux victimes soit confiée à la justice du bourreau... Chasser le politique de l'humanitaire, dans le cas du Cambodge, c'est mépriser la réalité des souffrances hu­maines, en rêvant une occupation pacifique de ce ter­ritoire par deux cent mille disciples de saint Vincent de Paul qui seraient nés Vietnamiens. -- Tant que les maîtres du Cambodge resteront communistes, et puis­samment armés, la famine sera entretenue par la force des armes pour servir les intérêts de leur politique. Et l'on continuera de confisquer les faucilles, avant la récolte, aux paysans qui tiennent encore debout. Les politiciens d'Occident ne peuvent rien com­prendre à cette politique, parce qu'ils interprètent d'ins­tinct l'invasion du Cambodge comme une tentative de *colonisation.* Mais il ne s'agit pas, dans la stratégie de Hanoï imposée par Moscou, d'enrichir l'économie viet­namienne ; il s'agit d'anéantir l'influence politique et militaire de Pékin à travers le sud-est asiatique : de renforcer l'encerclement de la Chine, en unissant contre elle Vietnam, Laos, Cambodge -- et bientôt la Thaï­lande qui ne pourra plus échapper. Les populations civiles du Cambodge, c'est-à-dire ce qu'il en reste, n'of­frent aucune utilité politique ou militaire dans ce plan ; elles maintiennent au contraire tous les dangers potentiels d'une hostilité séculaire à l'égard des pays voisins ; et elles encombrent de leur misère présente un nouveau champ de manœuvre viet essentiel à la politique du Kremlin. 8:239 Il est atroce et cependant remarquable, si l'on s'atta­che aux froides motivations du crime, que les deux empires du communisme dans le monde se trouvent l'un après l'autre d'accord pour ne laisser au Cambodge aucune solution de vie. Le gouvernement de Pékin avait « objectivement » intérêt à provoquer puis soute­nir comme il l'a fait le génocide du peuple khmer pour établir sa propre fourmilière, impénétrable et mena­çante, au cœur des visées asiatiques de Moscou. L'Union soviétique n'a pas moins intérêt à ce que le génocide du Cambodge soit mené à son terme, s'il s'agit d'offrir à « l'allié » vietnamien le moyen de péné­trer et d'unifier pour elle, contre la Chine, toute la péninsule indochinoise. Voyez la carte. Ce n'est pas la sécheresse ou la fièvre, ni l'aptitude à l'esclavage, c'est la carte ici qui décide de la vie des gens. -- L'Occident du moins n'a jamais entrepris de ravitailler les batail­lons khmers rouges, lorsqu'ils remaniaient chez eux la carte d'Indochine selon les vues de Pékin... Pourquoi la Croix-Rouge et l'U.N.I.C.E.F. aident-elles aujourd'hui les Viets à accomplir, dans le sang du même peuple, les desseins de Moscou ? La réponse de fond pourrait bien tenir en deux chiffres. Ils montrent que l'Union Soviétique, cette an­née plus que jamais, aura besoin pour continuer à nous battre de toute notre coopération. C'est le bilan des deux dernières récoltes de céréales en U.R.S.S. : 237 millions de tonnes en 1978, production record du plan quinquennal, et pourtant très au-dessous des besoins de l'Union ; 180 millions de tonnes pour 1979, en raison (officiellement) des « conditions climatiques »... Iné­puisables, les Américains ont consenti à multiplier par quatre le volume de leurs livraisons de céréales prévu dans les accords initiaux ; soit 25 millions de tonnes, qui comblent un petit tiers seulement du dernier dé­ficit alimentaire de l'Union. -- On devine par là ce qui va manquer le plus aux jeunes Soviétiques durant l'an­née des Jeux : non pas l'accès des stades, mais du pain dans les boulangeries. On comprend aussi que le poids de l'intendance militaire, sur les théâtres d'opérations extérieures de Moscou, se fasse vraiment difficile à supporter. 9:239 La sinistre trouvaille, dans le cas du Cambodge, c'est d'avoir décidé l'O.N.U., la Croix-Rouge, 1'U.N.I.C.E.F., Giscard et tout le bataclan à assurer eux-mêmes sur notre dos l'intendance d'une armée d'occupation sovié­tique... sous le prétexte officiel qu'il faut exclure le politique de l'humanitaire ! Soljénitsyne avait prévu avant d'être banni ce développement de l'inconscience criminelle et suicidaire en Occident ; il avait annoncé à la face du monde cette ahurissante escalade du pire. Il criait, et Jean Daniel alors se demandait pourquoi : *-- Nous savons bien maintenant que le salut temporel de nos peuples ne* *viendra pas d'Occident... Au moins, lorsqu'on nous enterre tout vifs, n'envoyez pas des pelles.* Nous n'avons pas renoncé à envoyer les pelles. Nous avons même fait davantage, laissant loin derrière les prévisions les plus optimistes du Plan. Nos gouverne­ments ont pris très à cœur tout ce qui peut servir, dans nos richesses, l'effort de guerre de Moscou. Ils mobilisent l'opinion publique, la Marine marchande, les pilotes et les avions de l'Armée de l'Air. Ils organisent pour le maintien d'un génocide militaire un secours directement militaire. Ils portent d'urgence le blé et le riz aux deux cent mille barbares en uniforme qui af­fament les derniers survivants du peuple cambodgien. Hugues Kéraly. La question du Président Valéry Giscard d'Estaing s'auto-interroge, à propos du Cambodge, dans son entretien télévisé du 27 novembre : 1979 : « Peut-on sauver un peuple de la mort par des solutions militaires ? » 10:239 Fameuse question, vraiment fonda­mentale, mais comment faut-il l'entendre ? Vue du côté cambodgien, qui heureusement ne regarde pas la télé­vision, elle équivaut à se demander si l'on peut sauver l'équipage d'un navire en détresse par des solutions mari­times (?), combattre une épidémie de choléra par des solutions médicales (?), arrêter le bras de l'assassin par des solutions policières (?), et cetera. Le Président quant à lui répond par la négative, pour s'accorder sans doute au sentiment général que l'invasion vietnamienne n'a rien résolu. (Évidemment, qui pouvait croire aux intentions pacifiques de communistes vietna­miens entraînés par Moscou ?) Il suggère ensuite un Cam­bodge « *neutre, indépendant, qui choisisse librement ses dirigeants *», selon « *les principes que la communauté internationale affiche à tout propos dans d'autres régions du monde *», et passe lui-même à un autre sujet... Voilà ce qui s'appelle expédier la question. Mais suggérer à des paysans sans terres, qui n'ont qu'une baïonnette sur le ventre et un pied dans la tombe pour résumer leur rapport avec la communauté internationale, leur susurrer cour­toisement au passage d'adresser une dernière invocation avant de disparaître aux grands principes éternels de l'O.N.U., c'est vraiment ajouter au culte de l'impuissance l'injure de la dérision. -- Le chef suprême des armées françaises n'a pas compétence pour envisager dans votre cas des « solutions militaires ». Relisez les sages principes de la communauté internationale avant de mourir idiots. Une autre réponse de l'interview du 27 novembre mé­rite ici d'être relevée, car elle épuise (malheureusement) la doctrine présidentielle sur le sujet qui nous intéresse. C'est à propos de l'Afrique : « *Vous parlez de notre pré­sence militaire. Elle n'est jamais que temporaire : elle n'a aucune vocation à rester permanente. Elle ne s'exerce jamais contre le vœu des gouvernements en place. *» Le gouvernement en place au Cambodge s'appelle « Répu­blique populaire du Kampuchéa », il est chasse gardée de l'Union soviétique, et Giscard comme bien on pense ne dégaine que sur invitation... 11:239 Ce n'est donc pas la France qui sauvera du massacre les survivants du génocide cam­bodgien. Ce n'est pas elle qui leur portera, selon une for­mule de Jean Madiran, « LE SECOURS ESSENTIEL DU SOLDAT, QUI EST L'UNIQUE MOYEN TEMPOREL DE DÉFENDRE LES PAU­VRES ET LES MALHEUREUX CONTRE LEURS BOURREAUX » ([^1]). Nous savions d'ailleurs depuis le mois de juillet 1979 que l'armée française, présente aujourd'hui par son maté­riel et ses pilotes dans « l'opération survie » des forces d'occupation vietnamienne au Cambodge, ne consacrerait pas un homme, pas une heure de mer ou de vol, à soulager l'immense détresse des victimes de guerre dans le sud-est asiatique. -- Elle aurait pu cependant le faire sans aucun esprit de provocation, sans rien renier de la (fausse) neu­tralité présidentielle. Elle aurait pu, elle aurait dû porter tous les moyens de notre Marine au secours immédiat des malheureux qui s'échappaient par la mer. Les *boat-peuple,* dans les eaux internationales de la mer de Chine, ils étaient bien n'est-ce pas à qui voulait les prendre ? Ils avaient rejoint la seule forme de communauté internatio­nale encore ouverte à leur malheur, c'est-à-dire les pirates, la tempête, la mort... avec une chance sur mille que ce soit plutôt la grâce d'un bateau américain ou français. Et beau­coup d'entre eux, nous le savons, appellent encore « au secours » en français : ce sont des instituteurs français qui leur ont dit comment ces deux mots-là se prononçaient. Au lieu de cela, nous avons fait admettre à Genève le sinistre moratoire de juillet 1979. Je dis nous, car ce fut en effet une proposition française. Elle demandait aux gouvernements communistes du Vietnam, du Laos et du Cambodge de contenir et planifier eux-mêmes, par un sys­tème de camps, l'exode des populations... Giscard n'avait pas supporté la vue trop misérable sur son écran de télévision des réfugiés tout provisoires de la mer de Chine. 12:239 Il préférait se faire l'allié objectif des assassins de Hanoi, pour régler avec plus de décence, de cadence et d'hygiène le problème de leur disparition. Un égal souci de renta­bilité propre préside à la loi sur l'avortement. H. K. 13:239 ## CHRONIQUES 14:239 ### La drôle de paix par Louis Salleron 1940-1980. Un bel anniversaire de chiffres ronds. Il y a 40 ans, c'était la drôle de guerre. Aujourd'hui, c'est la drôle de paix. Acceptons l'augure logique de la compa­raison. Car si la drôle de guerre ne fut que le prélude de la plus effroyable des guerres, la drôle de paix nous an­noncerait donc la plus merveilleuse des paix. Ce n'est malheureusement pas le rapprochement qui vient à l'esprit. On pense davantage, et plus raisonnable­ment, à l'inconscience des Français pour qui les faits comptent moins que les rêves et l'idéologie. A cet égard l'hiver 79-80 ressemble bien à l'hiver 39-40. A court, moyen et long terme, les menaces les plus terrifiantes pèsent sur notre existence collective et indivi­duelle. Nous n'y croyons pas. Elles ont la consistance de l'évidence. Nous en déduisons leur caractère irréel. « Tout ce qui est excessif est insignifiant. » La France, l'Europe, la Civilisation ne peuvent périr. Politiquement, nous cumulons les vices de la V^e^, de la IV^e^ et de la III^e^ République. De la V^e^ par la fragilité d'un Pouvoir exécutif qui ne se maintient, impuissant, que par la crainte d'un pouvoir pire. De la IV^e^ par la rivalité des partis dont les surenchères démagogiques détournent les esprits de la considération des vrais problèmes. De la III^e^ enfin, par le retour en force de l'idéologie démocratique sous la houlette de la Gauche que tiennent fermement les mains associées des frères ennemis, maçons et commu­nistes. 15:239 Après l'assaut de l'ambassade américaine à Téhéran et la prise en otages de ses membres, on s'attendait à une double protestation : celle des États qui composent l'O.N.U. et celle des États musulmans. La protestation eût été platonique mais eût du moins affirmé l'existence d'un Droit international. Il ne se passa rien, et chaque pays n'eut qu'un souci : tirer son épingle du jeu. En France, on hésita quelque temps à découvrir où étaient le Droit et la Justice. M. Marchais voulut bien nous le dire. Certes, la violation d'une ambassade et la prise de son personnel en otages étaient condamnables, mais une révolution populaire contre l'impérialisme américain qui avait fait cause commune avec le chah s'expliquait si bien qu'on ne pouvait que la trouver légitime. Ce fut vite l'opinion commune, plus ou moins nettement affichée. Répondant, à la radio, à des questions sur la crise iranienne, M. Couve de Murville, justement soucieux de ne pas voir la France se fourrer dans ce guêpier par des initiatives intempes­tives, déclara qu'il ne s'agissait pas d'une affaire inter­nationale et que la révolution iranienne était une révo­lution intérieure comme la Révolution française. Parbleu ! Les données de la politique étrangère étayent l'idéolo­gie. M. Kissinger n'avait pas besoin de nous informer que le parapluie américain est trop petit pour abriter l'Europe. Nous le savions. Dans ces conditions, c'est encore le parti communiste qui donne le la en France. Il n'y a qu'un danger : le néo-nazisme, c'est-à-dire l'Allemagne, c'est-à-dire l'Europe germano-américaine. La France s'iden­tifie donc au parti communiste, soutenu ou non par ce qui reste du gaullisme pur et dur. Ce n'est pas pour autant la mort de l'Europe, mais celle-ci sera l'Europe de l'Oural à l'Atlantique où la détente sera devenue la paix. Fort bien ; mais s'imagine-t-on que cette Europe fasse peur à l'Allemagne, seule partenaire que reconnaissent tant l'U.R.S.S. que les États-Unis ? Notre espoir serait-il alors que la France, la France seule, entre en guerre avec l'Alle­magne, l'U.R.S.S., la Grande-Bretagne et les États-Unis ? 16:239 Laissons ces chimères qui, à la limite, seraient pres­que rassurantes, (en ce sens qu'elles restent dans le champ de l'imaginable). Ce qu'a d'accablant la situation présente est d'un autre ordre. Nous sentons qu'au-delà du militaire, de l'économique et du politique, ce qui nous menace est la nécessité de l'évolution, jusqu'à son terme (imprévisible dans sa nature), de la *religion de l'imposture* que pro­fessent unanimement nos contemporains. La foi au « sens de l'Histoire » qu'avaient un moment oblitérée la guerre et ses suites a resurgi brutalement dans le paradoxe sui­vant : puisqu'il est manifeste que nous courons à la catastrophe, ce ne peut être une catastrophe mais une mutation brusque qui sera, bien au contraire de ce que nous craignons, une « anastrophe », la merveilleuse éclo­sion d'un homme nouveau dans un monde nouveau -- bref le paradis communiste et libéral, l'humanisme in­tégral, le triomphe de la matière pure devenue esprit pur. Telle est l'eschatologie commune des grands prêtres qui nous gouvernent. Marx et Teilhard sont oubliés à force d'être devenus notre conscience collective. « Quand Dieu veut faire voir qu'un ouvrage est tout dans sa main, Il réduit tout à l'impuissance. Puis Il agit. » Ce mot de Bossuet que cite le P. Bruckberger dans sa « Lettre à Jean-Paul II pape de l'an 2000 » (Stock) est notre ultime recours, à nous, catholiques traditionalistes. Il hante -- le mot ou l'idée -- les meilleurs esprits, dès le lendemain de la Révolution française. Dans une conférence au XI^e^ congrès de l'Association Saint Benoît patron de l'Europe, à Bruxelles, le 28 octobre 1979, Mgr Graber cite des propos de Donoso-Cortès qui, pour être bien plus que centenaires, sont singulièrement actuels. « Je tiens pour révélé, écrit-il à Montalembert, que le mal triomphe conti­nuellement sur le bien ici-bas, et qu'il faut que la victoire finale sur le mal soit réservée à une intervention d'en haut, à Dieu en personne pour ainsi dire. Il n'y a donc pas de période historique qui ne finira pas par une catastrophe, et cela inéluctablement. » Donoso-Cortès dit ailleurs : « Oui, la société européenne meurt : les extrémités sont froides, le cœur le sera bientôt. Elle a été empoisonnée. Si l'homme vit de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, l'homme meurt de toute parole qui sort de la bouche des philosophes. Les individus peuvent encore se sauver, mais la société est perdue. Non qu'elle ne puisse pas être sau­vée, mais elle ne veut pas être sauvée, elle ne veut pas revenir à l'Église qui seule connaît le principe de l'ordre et les remèdes salutaires. » 17:239 On dira peut-être que si Donoso-Cortès tenait ces pro­pos dans la première moitié du XIX^e^ siècle, c'est assez rassurant puisque la catastrophe annoncée ne s'est pas produite. Nous répondrons qu'au contraire elle se déroule en continuité, chaque étape de son déroulement étant mar­quée par un « accident » plus grave. Ce que nous sommes fondés à nous demander maintenant c'est si, après les guerres de 1914-1918 et 1939-1945, un nouveau conflit ne rayerait pas tout simplement l'Europe de la carte du monde, soit dans ce qui lui reste de sa tradition spirituelle, soit dans son existence même en cas de guerre nucléaire. Plus proche de nous, Simone Weil a multiplié les ré­flexions sur le passage obligatoire de notre civilisation par la catastrophe avant sa renaissance (éventuelle). Citons seulement deux textes de « La pesanteur et la grâce » : « Le totalitarisme moderne est au totalitarisme catho­lique du XI^e^ siècle ce qu'est l'esprit laïque et franc-maçon à l'humanisme de la Renaissance. L'humanité se dégrade à chaque oscillation. Jusqu'où cela ira-t-il ? » « Après l'écroulement de notre civilisation, de deux choses l'une : ou elle périra tout entière comme les civi­lisations antiques, ou elle s'adaptera à un monde décen­tralisé. « Il dépend de nous, non pas de briser la centralisation (car elle fait automatiquement boule de neige jusqu'à la catastrophe), mais de préparer l'avenir. » Simone Weil parle ici de la centralisation, qui paraît être d'un autre ordre. Mais c'est qu'elle identifie finale­ment la centralisation et le socialisme, lequel mène à la perte de toutes les libertés y compris la liberté spirituelle. Elle dit d'ailleurs : « Notre époque a détruit la hiérarchie intérieure. Comment laisserait-elle subsister la hiérarchie sociale qui n'en est qu'une image grossière ? » Reste l'Église. Reste, ou plutôt -- restait, au temps de Donoso-Cortès. Là encore il y a eu dégradation progressive jusqu'à cette sorte de ralliement absolu au monde que fut Vatican II, du moins interprété contre la Tradition comme il l'a été entre les mains des novateurs qui, à son occasion, s'emparèrent de « l'appareil » de l'Église. 18:239 Y a-t-il quelque chose de changé depuis l'avènement de Jean-Paul II ? J'en suis pour ma part convaincu mal­gré quelques apparences contraires. Le fantastique sillage qu'ont créé dans les foules ses divers voyages, comme la mobilisation contre lui de tous les modernistes et pro­gressistes, m'en sont une preuve qui m'est d'ailleurs assez claire dans ses actes et dans ses paroles. Dans l'entrecroisement des « signes des temps » qu'on peut lire différemment depuis deux siècles il semble que la catastrophe absolue n'apparaisse pas comme fatale pour notre génération. Le duel du Bien et du Mal continue et nous échapperons peut-être à la victoire universelle, en toute hypothèse provisoire, du Mal. Je m'accroche à cette espérance, car je ne pense pas que l'attente de la Parousie doive nous conduire à l'indifférentisme en ce qui concerne ses préliminaires. Louis Salleron. 19:239 ### Le cours des choses par Jacques Perret J'apprends que depuis 1848 le sceau de la Répu­blique nous représente la Liberté assise. Parlons-en un peu avant qu'elle ne se couche et s'endorme. La personnalisation iconogra­phique de la Liberté n'est apparue qu'avec la Révolu­tion en même temps que se propageait l'usage des ma­juscules pour caractériser les notions exquises enfin banalisées dans la pratique populaire à la ville comme aux champs. Des observateurs tendancieux ont alors pré­tendu que la liberté se respirait sous le ciel de France et depuis belle lurette aussi naturellement que l'oxygène. Il va de soi qu'aujourd'hui un tel propos est tout de suite entendu comme une grosse plaisanterie, autant dire que Louis XIV était PSU. L'image alors convenue pour personnifier la Liberté est toujours en vigueur. Elle est reconnaissable à son drapé romain et d'abord à son bonnet rouge. En cas d'image non coloriée le dit bonnet se reconnaîtra au seul repli de l'étoffe sur le haut de la coiffe. Telle était chez les Phry­giens d'abord qui peuplaient la Jordanie, chez les Romains ensuite et chez nous enfin la coiffure traditionnelle des esclaves ou des serfs affranchis. Quand elle vint à resurgir en France à grand flafla comme symbole de la liberté brandi à bout de pique par les égorgeurs d'otages et mas­sacreurs de prisonniers, il y avait, soit dit en confidence, beau temps que le servage n'avait plus chez nous d'autre méchanceté que la garantie de l'emploi. Enfin, s'il vous plaît, rappelons-nous que le royaume de France qui d'ail­leurs dans toute l'Europe et au-delà se nommait volontiers « le royaume », sans plus, comme étant le royaume par excellence, et qu'en outre il était réputé, craint ou envié, pour sa population d'hommes libres. Mais ces choses-là ne sont pas racontables aux écoliers. Avec trois heures d'histoire par semaine ils en sont encore, à l'âge où nous savions déjà le principal de notre histoire, à s'entendre rabâcher l'interminable évolution de l'espèce humaine. « Tous les ans c'est pareil et j'en ai marre de leurs histoires de singes », me dit un enfant de douze ans. 20:239 Il va de soi dans ces conditions qu'à seize ans ils auront tout juste appris que leur patrie, dans le cas où ce mot-là est encore prononcé, est née le 14 juillet 89 et du même coup la liberté, l'égalité, la fraternité, le vin rouge, le suffrage universel, le chocolat aux noisettes et l'élec­tricité. Dans sa campagne électorale Giscard nous avait promis de s'évertuer à « faire passer dans les actes la belle devise de la révolution ». Il n'arrête pas en effet de s'évertuer à tenir sa promesse. Commissionnaire de luxe et camelot distingué, la bouche en suçoir, la joue clapoteuse et la mèche en diadème adhérent comme le croissant de Diane aplati sur le mont Chauve, il articule son compliment démocratique. Ainsi le vent de la Liberté va-t-il souffler par sa bouche dans les plis de tous les drapeaux de l'uni­vers démocratique, y compris les nations avancées dans l'expérience de la liberté militaire et férulaire, y compris les républiques primesautières de l'Afrique, y compris bien sûr la démocratie impériale, enfant noire et chérie du général de Gaulle et si touchante par son respect des libertés anthropophages. Et partout bien sûr il ne peut s'agir que d'une armée foncièrement républicaine, exclu­sivement consacrée à la défense des libertés publiques et licences présidentielles. Nous voyons alors que sur le front de ces troupes diversement colorées mais rompues à toutes les cadences mécaniques de la discipline libérée, c'est bel et bien sous les traits de Valéry la Liberté elle-même et majusculaire qui passe la revue : cette Liberté, enfant prodige, née coiffée un 14 juillet, certifiée pubère un 21 janvier dans le sang du despote et librement incarnée au­jourd'hui dans la personne d'un aristoploutocrate auréolé de tous les gadgets de la panoplie franc-mac. N'oublions pas de signaler le modeste attribut dont il se munit traditionnellement quand il s'agit d'honorer ou inaugurer quelque haut lieu ou monument commémo­ratif : la gerbe. Depuis la nuit des temps la gerbe assume une quantité de symboles sinon de pouvoirs. Reçue des mains de Giscard et quelle que soit l'occasion, mausolée, cénotaphe ou momie, la gerbe ne peut que baptiser ou confirmer la mémoire du récipiendaire dans la foi démo­cratique et libérale avancée. 21:239 Ainsi procéda-t-il non sans pompe et quelques murmures de par le monde, au mau­solée de Lénine à Moscou. En présence du Praesidium suprême la momie reçut la gerbe et Kroutchev lui-même n'en croyait pas ses narines : la terrible dépouille s'em­baumait soudain de tous les parfums méconnus de l'Union des Républiques socialistes et libérales *avancées.* Pour ce prodige, dit-on, la république française fut secrètement ré­compensée, il y avait de quoi. Les italiques ne sont pas de trop pour rappeler à quel point c'est très important, l'*avancée*. On observe en effet dans tous les discours, les écrits et les tableaux dont elle fait motif que la Liberté se veut de préférence en marche. Elle avance et par là signifierait que son destin est de fuir sans répit quelque chose ou de courir après. C'est pourquoi en 48 la décision de s'asseoir dans le sceau de la République aurait dû plonger les populations dans une inquiétude immense. Or tout le monde apparemment s'en est foutu. Mais quoi qu'il en soit un apaisement nous viendrait bientôt avec la figurine postale et monétaire que Roty le graveur nous donnerait à lécher ou palper : une semeuse en marche dont le bonnet proclamait l'identité. Nous fû­mes heureux de savoir qu'elle ne poursuivait ni ne fuyait personne. Nous en sommes toujours là sans même plus discuter sur le pataquès ou la malice des semailles à contre-vent ni sur le chiendent qui va germer sur ses pas. Et pour ce qui est de la monnaie il faut bien dire que la tradition numismatique est bafouée dans la mesure où l'image solitaire et verticale contrevient aux disciplines ornementales réclamées par le rond toujours soucieux de son équilibre. Soit dit en passant il faut bien constater que la décadence des arts comme le pourrissement des mœurs coïncide avec le triomphe de la démocratie. Ce triomphe étant celui d'un cancer généralisé nous l'avons charitablement affublé d'un nom grec. Pour en finir je reviens à la société libérale avancée, ritournelle de Giscard. Je commence à le soupçonner de se méprendre assez fâcheusement sur le sens du participe passé en lui prêtant valeur de participe présent. Car enfin si la société libérale est avancée il n'est plus besoin d'en formuler le vœu, c'est chose faite, n'en parlons plus, restons-en là, un pas de plus et c'est l'abîme. \*\*\* 22:239 *Le million du troisième.* Joyeux anniversaire à tous ceux qui fêteront la vénalité de leur naissance. Jacques Perret. 23:239 ### Mes carnets sabbatiques *suite* par Thomas Molnar *Mombasa, Kenya, octobre.* -- Il est certain que l'attitude des Noirs, dans les pays indépendants de l'Afrique, leur démarche, leur débit, sont plus agréables à contempler qu'en Afrique du Sud, où les manières naviguent souvent entre la sournoiserie et la fausse humilité. La liberté, et ce n'est pas un slogan, confère aux hommes une espèce de certitude d'être que la prospérité elle-même reste inca­pable de leur procurer. Les Noirs en Afrique du Sud sont certes mieux assurés de leur pain quotidien, et davantage, que dans les économies fragiles qui sévissent ailleurs sur le continent ; mais ils le payent chaque jour d'une humi­liation intolérable. A Mombasa, sur l'Océan Indien, la présence anglaise n'est déjà plus qu'un souvenir : souvenir effacé même des façades et des murs qu'on ne badigeonne plus, et qui, s'ils ne s'écroulent pas, composent pour le visiteur un paysage de vérole urbaine. Mombasa, malgré ses beaux bâtiments, offre le visage pitoyable des anciennes villes coloniales laissées en héritage à des hommes rebelles à l'urbanisation. Dans les banlieues par contre, si le mot convient à ces cases dressées parmi les palmiers, la vie semble normale, les gens évoluant dans leur milieu. 24:239 On peut prévoir que dans un proche avenir, à l'exception de la capitale où séjournent et transitent les étrangers, les villes du Kenya souffriront d'un tel délabrement qu'il ne restera plus qu'à les abandonner aux bons soins de la brousse ; et leurs ruines, pour les touristes du troisième millénaire, ne vaudront même pas le détour. Je me trouvais au Kenya, à Nairobi, en janvier 1964, peu de temps après la proclamation de l'indépendance par le prince Philippe. Les Indiens transplantés ici par le colonisateur britannique, et que l'organisation secrète noire des Mau-Mau commençait déjà à décimer, pliaient tous bagage -- on les comprend -- pour regagner leur mère patrie. Or voici qu'aujourd'hui, quinze ans plus tard, je retrouve ces Indiens presque partout dans le commerce, tandis que les postes administratifs sont occupés par les Noirs. Les Indiens au Kenya tiennent le haut du pavé ; ils sont riches, et d'ailleurs bons gérants de l'économie. C'est presque du néo-colonialisme. Il est vrai qu'il en va de même dans le système de la séparation des races : les In­diens d'Afrique du Sud, transplantés eux aussi par les Anglais, vivent dans une belle prospérité, avec une quan­tité appréciable d'économies en or, et des domestiques noirs pour tenir leur maison. \*\*\* *Alexandrie, octobre. --* Je n'avais pas eu l'occasion de me rendre dans cette ville au cours de mes précédents voyages ; il s'imposait donc de la visiter, cette fois-ci, avant de rejoindre Le Caire. Je m'étais dit : j'y retrouverai bien quelque trace d'Alexandre, des Ptolémides, de Cléopâtre, du Mousaion, d'Athanase. Eh bien, non. Alexandrie est une grosse bourgade poussiéreuse, sale, arabisée dans la pire acception du terme : bakchich, flatterie, vente de tout et n'importe quoi à chaque coin de rue ; et délabre­ment général, y compris dans l'hôtel « de luxe » où l'on m'avait recommandé de loger. Au musée, le gardien écarte un rideau devant quelques pierres entassées qui ne pré­sentent pour moi aucun intérêt... et tend aussitôt la main. Je fais celui qui ne comprend pas. 25:239 Le soir, à la télévision, grand défilé militaire pour com­mémorer la victoire (?) de la guerre du Kippour en 1973. Rien n'y manque : Sadate, les uniformes, les discours, les bataillons en ordre impeccable, tandis que des formations de Mirages et de Phantoms évoluent dans le ciel. Coût : la bagatelle de 50 millions de dollars. Tout le personnel de l'hôtel s'est réuni avec les clients devant le récepteur du salon, et chacun admire à grands cris la puissance militaire de l'Égypte. Mais en parcourant le pays, on voit bien que la misère est partout, et le sous-développement profond, indéracinable. Je crains qu'à part les nouveaux « pachas » de la bourgeoisie enrichie par les subventions arabes et américaines, le peuple égyptien ne reste condamné à la misère et au mécontentement. Cette situation risque-t-elle de donner un nouvel essor au nasserisme, au khoménisme ? Pour l'instant, on semble heureux de la paix avec Israël ; et même flatté, sauf dans quelques milieux plus méfiants, de l'afflux des hommes d'affaires américains (parmi les­quels figurent de nombreux juifs), voire israéliens. Le traité de Camp David garantit à ces derniers le droit, paraît-il, d'établir des entreprises en Égypte. -- Ne se souvient-on pas d'une histoire semblable avec Joseph, fils de Jacob, invitant tous les siens à le rejoindre auprès du pharaon ? \*\*\* *Nicosie, octobre. --* Les tortures infligées par les Turcs ont toujours été d'un grand raffinement. Cela se vérifie encore à Chypre, où le coup d'État avorté d'un certain Samson, chypriote nationaliste grec, eut pour résultat l'in­vasion de l'île par l'armée turque : prétendument, pour protéger les turco-chypriotes, habitants paisibles depuis des siècles de l'île d'Aphrodite. Depuis 1974, la torture consiste en ceci que les Grecs, brutalement repoussés par l'occupant jusque dans la partie méridionale de l'État, se trouvent parfois à quelques centaines de mètres de leurs anciens villages qu'ils contemplent tristement. La ca­pitale, Nicosie, est elle-même coupée en deux comme un second Berlin, les rues les plus actives débouchant sur des barrières de sacs de sable : la nouvelle « frontière ». Il n'est pas question qu'Ankara ordonne l'évacuation de la zone turque, qui doit devenir un État séparé, mais tou­jours placé sous la férule de la Turquie. Les Grecs conti­nueront à protester auprès des instances internationales ; ils continueront à réclamer en vain leurs quelque 2.000 disparus. 26:239 En attendant, les chypriotes grecs s'installent dans un provisoire dont ils savent bien qu'il va s'éterniser. Il y a ainsi des peuples qu'aucune catastrophe n'accule au déses­poir, des peuples qui rebondissent chaque fois que le destin les frappe. C'est le cas des Chinois d'Indonésie, massacrés en grand nombre après le coup d'État avorté des maoïstes en 1966 : le lendemain même, on les voyait revendre aux passants le bois de leurs maisons incendiées. C'est égale­ment le cas des Grecs de Chypre : ayant perdu avec l'oc­cupation turque 70 % du produit national brut, ils n'en sont que plus fiévreusement engagés dans la reconstruction de l'industrie, de l'hôtellerie, des exportations. Dans le nord de l'île, l'armée turque s'emploie à semer la désolation. Les terres grecques abandonnées à la hâte sont occupées à présent par quelque trente mille paysans d'Anatolie et les familles des soldats. Mais le travail ne reprend guère, et la pénurie règne partout. Les étrangers restés dans le nord viennent faire à Nicosie leurs achats de denrées. On connaît l'histoire de ce prince allemand, Alfred zur Lippe, commissaire onusien pour les réfugiés, qui rentrait chaque jour de la zone turque avec sa voiture chargée de paquets ; sa femme de chambre voulut, par cu­riosité, en ouvrir quelques-uns : elle y découvrit des icônes de grande valeur, ainsi que d'autres objets de culte. Les Turcs les avaient raflés et revendus au prince, lequel les revendait à son tour à des antiquaires ou de riches collec­tionneurs. Voilà le travail de l'O.N.U. A part cela, j'ai entrevu à Nicosie quelques jeunes gens arborant le casque bleu de l'Organisation ; c'était, je crois, des Finlandais. Leur activité ? Personne en mesure de me renseigner là-dessus ; de l'avis général, ils ne remplissent strictement aucune fonction. La seule utilité visible de ces marion­nettes, c'est la plus grande gloire du Dr Kurt Waldheim. \*\*\* 27:239 *Paphos, octobre. --* Lieu chargé d'histoire et de mythologie. Aphrodite y est sortie des ondes ([^2]) ; saint Paul y fut flagellé avant de convertir le gouverneur romain ; les Lusignan y régnèrent pendant trois siècles ; on y visite, dans la riche et très ancienne villa de Dionysos, des mo­saïques impressionnantes... Mais c'est plutôt du guide, des guides, que je voudrais parler. Jadis, cette profession exigeait des diplômes sérieux, des connaissances appro­fondies et étendues. Je ne dis point que les guides cultivés n'existent plus ; j'en ai suivi, au merveilleux musée du Caire, qui racontaient l'origine et la constitution des objets d'art d'une façon tout à fait compétente, et dans un français, un allemand impeccable. D'ailleurs, chaque fois que l'occasion m'en est offerte, je me mets à la remorque d'un guide parlant l'une ou l'autre de ces lan­gues, pour m'assurer ainsi le plus possible qu'on ne me racontera pas de choses superficielles, voire de pures et simples bêtises. Car, pour la gent touristique surabondante des Américains, les guides anglophones descendent à un niveau d'explication incroyablement élémentaire -- vous racontant l'histoire d'Aphrodite au Roc de Petra, et celle de chaque mosaïque dans la villa de Dionysos, de la légende de Narcisse à la signification du symbole « pois­son » chez les chrétiens de l'Antiquité. Le résultat n'est pas seulement qu'on n'a rien appris de toute une journée qui, le matin, se promettait tellement instructive : on passe son temps à s'impatienter. La voix doucereuse et faussement bonhomme de notre guide (c'était une femme) avait le don de m'exaspérer chaque fois que celle-ci nous invitait à « lui poser des questions ». A bout de nerfs, j'ai fini par lui lancer : *Je connais toutes les réponses !* ... regrettant aussitôt ce sursaut d'arrogance. \*\*\* *Amman, Jordanie, novembre. --* Toutes les grandes villes arabes se ressemblent : absence totale d'urbanisme, baraques entassées à la va-comme-je-te-pousse, routes poussiéreuses, circulation de tous les diables, appels des voix gutturales. 28:239 Ici, aucune trace de l'état de guerre larvée avec Israël. L'O.L.P. se fait toute petite depuis le « sep­tembre noir » où le roi Hussein, excédé, lança contre l'or­ganisation palestinienne ses troupes bien entraînées par les soins de l'Anglais Glubb Pacha. Mais j'avise, sur une boîte d'allumettes, une petite carte de Jordanie et des pays voisins : le dessinateur a laissé *en vide* le côté où se trouve Israël, comme si le pays n'existait pas ; et Jérusalem nous est indiquée comme faisant toujours partie de la Jordanie. Pays auquel M. Begin se réfère, quant à lui, sous le nom de Judée et Samarie... On mesure à ce genre de détails les chances qui restent ouvertes à des négociations pour la paix, fussent-elles limitées à une simple définition de fron­tière. Les premières réactions américaines à la visite de Jean-Paul II aux États-Unis me parviennent par le courrier. Des amis jubilent de ce que le pape se soit montré si ferme, notamment sur les questions de morale chrétienne et de discipline ecclésiastique. Même les magazines dont l'idéologie se trouve aux antipodes du christianisme se sont, pour la plupart, honorablement conduits. Il faut comprendre que le souverain pontife a fait l'effet d'une formidable « nouveauté » aux U.S.A., d'un produit encore jamais vu, comme Soljénitsyne avant lui. Au début, dans ces cas-là, l'Amérique reste toujours confondue : mais comment peut-on être un moraliste autoritaire, aujourd'hui ? Comment peut-on se dire porte-parole d'un magis­tère inébranlable, au XX^e^ siècle, sur le sol américain ? L'Amérique s'incline donc devant tant de hauts faits, comme elle s'est inclinée devant le premier pas sur la lune, le champion mondial de boxe ou les exploits de Borg. -- Le désenchantement du réveil n'en sera que plus bru­tal : demain, on n'aura pas assez de mépris pour cet homme, et slave par-dessus le marché, qui n'a rien com­pris à son siècle, ni au pluralisme, ni à la loi universelle du changement. Il reste que des millions d'Américains auront été se­coués jusqu'aux racines. Je les connais. Je sais l'horreur quotidienne, voilée de pudeur anglo-saxonne, que leur ins­pire la Sodome et Gomorrhe où leur pays est en train de sombrer ; leur désarroi indicible devant l'ivresse de la mère, l'Église, depuis deux décennies ; la difficulté du choix entre une foi bafouée par les clercs eux-mêmes et les pressions douceâtres, lucifériennes, du milieu ambiant de l'*american way of life* qui cherche à les corrompre de toutes parts. 29:239 A tous ceux-là, et ce sont les seuls qui comp­tent, Jean-Paul II a offert une occasion suprême de se réaffirmer dans la foi... Prêtres bafoués pour leur fidélité à la véritable Église, religieuses traînées dans la boue parce qu'elles résistent aux folies du siècle, laïcs méprisés parce qu'ils disent non aux religions nouvelles, -- voilà ceux que le pape a rappelés chez nous du bord de l'abîme. Thomas Molnar. 30:239 ### Pages de l'autre année par Alexis Curvers *Amnesty International* vient enfin de nous donner la preuve décisive de son impartialité, en publiant la liste des journalistes actuellement emprisonnés dans le monde entier pour raisons politiques. Par un communiqué fai­sant écho à cette publication, la presse du 20 décembre 1978 nous informe que la liste comprend 279 noms, statis­tiquement relevés dans 39 pays différents. Argentine, Brésil, Chili, Indonésie, Uruguay, Afrique du Sud et Sin­gapour ; le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé. Le lecteur se demandera si par hasard ce négligeable reste ne compterait pas l'un ou l'autre pays communiste sous-entendu. Rien ne permet de le supposer. Ce n'est pas la faute d'*Amnesty International* si dans aucun des pays communistes d'Europe, d'Asie, d'Afrique ni d'Amérique ne se trouve aucun journaliste en prison, aucun du moins dont le sort mérite l'attention de la grande presse. Une telle exception paraît d'ailleurs peu vraisemblable, puis­que, dans ces heureux pays où il faut être communiste pour être journaliste, l'aspirant journaliste qui ne serait pas communiste serait en prison, ou pis encore, avant même que soit sèche l'encre de son premier article. \*\*\* 31:239 Un millier de personnes qui n'étaient pas toutes com­plètement folles, adeptes d'une secte dont le chef les a réduites en esclavage, se laissent enfin persuader par lui d'absorber du cyanure et de mourir ensemble après une atroce agonie de plusieurs minutes, les plus valides ayant commencé par administrer le poison à leurs petits enfants et aux vieillards qui hésitaient. Cela se passe en 1978 de l'ère chrétienne. N'empêche qu'il y a des gens qui continuent à ne pas croire au diable, ou du moins à dire sinon même à croire qu'ils n'y croient pas. Et le plus fort est que c'est au nom de la raison que ces soi-disant rationalistes dérai­sonnent de la sorte. Flaubert se montrait je ne dis pas plus chrétien mais plus intelligent, qui devant certaines horreurs humainement inexplicables concluait à l'exis­tence et à l'activité d'une « Providence du mal », autre­ment dit du diable. Si nos contemporains s'entêtent, au mépris de l'évi­dence, à ne pas voir la main du diable dans les événements qu'il machine le plus ouvertement, c'est tant ils ont peur d'avoir conséquemment à reconnaître l'existence d'une *Providence du bien,* autrement dit de Dieu, *unique objet de leur ressentiment.* \*\*\* Toutes les histoires d'enfants martyrs se ressemblent. Elles sont une des hontes permanentes de l'humanité, non seulement dans le chef des parents monstrueux, mais dans le chef des proches, des voisins, des gens en place, quelquefois des autorités qui n'interviennent pas. En géné­ral, ces témoins muets et complices commencent à feindre l'indignation au moment où il ne leur est plus possible de feindre l'ignorance, c'est-à-dire quand l'enfant est mort. Le silence avait pourtant été rompu en temps utile par deux femmes de la région liégeoise qui, en août 77, eurent l'extraordinaire courage de porter plainte contre un hom­me de leur propre famille, signalant qu'elles avaient re­marqué sur le corps de sa petite fille, alors âgée de quinze mois, de nombreuses traces de coups et de brûlures. La petite fille s'appelait Cindy ; on se demande quel malin génie inflige souvent de ces prénoms de rêve à des enfants qui ne viennent au monde que pour s'y trouver en enfer. 32:239 L'enquête policière suivit son cours : elle le suivit, c'est le cas de le dire, quand il s'agissait plutôt de le remonter. Elle aboutit à un procès verbal statuant que « rien ne permet d'affirmer que l'enfant est battue ». Tout permit donc d'affirmer qu'elle ne l'était pas. Elle l'était si peu qu'elle attendit jusqu'au 3 janvier 78 pour mourir, vingt minutes après avoir reçu un coup seulement un peu plus violent que les autres. C'est alors que l'appareil judiciaire s'émut enfin, mis en branle par un médecin qui, à la vue du petit cadavre, exigea l'autop­sie. Deux jours après, l'infanticide était sous les verrous. Condamné à quatre ans de prison, il estima tout à fait décent de demander à recomparaître devant la cour d'appel. Celle-ci, contre toute espérance, porta la peine à cinq ans, qui est le maximum indulgemment prévu par la loi en pareil cas. L'arrêt date du 13 décembre 78. D'ici quelques mois, compte tenu de la prison préventive et de sa bonne conduite, le bourreau d'enfant a toutes les chances de recouvrer la liberté, notamment celle de procréer de plus belle et tout à son aise. Bien entendu, les défenseurs de l'intéressant person­nage n'ont pas manqué de bons arguments : lui-même est à plaindre pour avoir eu une enfance traumatisante, les torts sont du côté de la « société », etc. Aussi n'est-il pas condamné pour assassinat ni cruauté contre nature, mais simplement pour « coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Il me semble qu'en l'occurrence l'intention de donner la mort, et de la donner vite, serait au contraire à plaider comme circonstance atténuante. \*\*\* L'homme est décidément plus fort que la nature et que Dieu son auteur. D'une main il tue artificiellement des enfants qui demandaient à naître, de l'autre il procrée arti­ficiellement des enfants qui ne le demandaient pas. Mais le comble est de faire, d'une seule main, les deux à la fois. Le gynécologue et le biologiste anglais « pionniers du bébé-éprouvette », comme dit la presse, exposent devant une assemblée savante, à Londres, le 26 janvier 79, les résultats de leurs travaux. 33:239 Ils ont effectué jusqu'à présent trente-deux implanta­tions d'ovules fécondés en laboratoire, dont quatre seule­ment ont réussi. De ces quatre grossesses, deux seulement ont été menées à terme. Pourquoi les deux autres ont-elles échoué ? L'A.F.P. (Londres, 27 janvier) répond qu'elles « ont été interrompues volontairement : l'une à la onzième semaine, du fait d'un déséquilibre chromosomique, l'autre à la vingtième semaine, pour une raison indéterminée ». C'est donc tout simple. Vous voulez un bébé ? on vous le fabrique. Vous n'en voulez plus ? on vous le supprime, fût-ce au bout du cinquième mois de grossesse, voire sans raison déterminée ; il suffira de changer d'avis. Un qui doit bien rire, c'est le diable. \*\*\* Le nouveau Parlement de Strasbourg débute par un coup de maître. Chérie des dieux, et forte du suffrage des démocrates-chrétiens, Mme Simone Veil était évidem­ment la personne qualifiée entre toutes pour présider à l'avortement de l'Europe. \*\*\* « La civilisation n'est plus à inventer », disait le grand Pie X. Mais elle est toujours à réaliser. Saint Pie X ajoutait par pléonasme que la civilisation n'est autre que la civilisation chrétienne. Et c'est bien surtout en tant qu'elle est chrétienne qu'elle n'est plus à inventer. Mais c'est donc aussi en tant que telle, qu'elle est à réaliser. La réalisation n'en a jamais été parfaite, il s'en faut de beaucoup. En tout temps et en tout lieu, on voit la civilisation, fût-elle chrétienne de nom, se défaire à me­sure que défaille le christianisme qui en est le suprême ressort. A plus forte raison retombe-t-elle dans la barbarie quand elle répudie même le nom, les principes et l'idéal chrétiens. 34:239 Que Pie X ait dit vrai, les prétendues civilisations non chrétiennes (y compris celle qui se donne actuellement pour la nôtre) en fournissent définitivement chaque jour la preuve *a contrario.* \*\*\* En ce début de janvier 79, ô surprise trois fois heu­reuse ! trois théâtres de Bruxelles en même temps jouent Molière : *Tartuffe, les Femmes savantes* et *l'École des maris,* sans compter *l'École des pères* d'Anouilh en com­plément de programme et, dans un quatrième théâtre, *Ondine* de Giraudoux. Mais la surprise plus heureuse en­core, et vraiment inespérée, est que l'interprétation de ces œuvres est digne de leur qualité, dans le respect des au­teurs et des textes. Est-ce coïncidence miraculeuse, ou ac­cord tacite ? Les metteurs en scène ont bien voulu, cette fois, faire leur métier : ni strip-tease, ni inventions gro­tesques, ni parodies sacrilèges, ni propagande marxiste n'ont agrémenté les spectacles ; ni même cris d'animaux ni langage inarticulé, comme un critique se plaît à le noter : « ...Délicieuse soirée, au long de laquelle, sans jamais entendre un seul moment de déclamation, on ne perd pas un vers de Molière, et ceci aussi est à souligner, à une époque où l'on passe sans vergogne de merveilleux textes à la moulinette. » (Jolie phrase, à condition de réta­blir *cela* au lieu de *ceci,* qui est, dans ce cas, un anglicisme.) Car, nouvelle surprise, faisant manifestement écho aux applaudissements d'un public ravi qui depuis longtemps ne s'était plus trouvé à pareille fête, les critiques ne ta­rissent pas d'éloges. L'un d'eux ne craint pas de manger le morceau : « On sait qu'il est de mode aujourd'hui de *dépoussiérer* les classiques. (...) On peut donc s'attendre à rencontrer Shakespeare sur des échafaudages tubulaires, Racine dans les cris de guerre d'une tribu hottentote et Molière en bleu de mécano. Et si le génie qui accouche de ces trucs-là porte un nom qui se termine en *sky* ou en *skov* ou en *tchef,* c'est dans la poche. Dans la poche des contribuables s'entend... » (Cette fois, la phrase est par­faite, à condition que *dépoussiérer* ait valeur d'euphé­misme. 35:239 Les classiques sont par eux-mêmes d'un éclat que ne ternit aucune poussière. Les metteurs en scène mar­xistes parlent plutôt de les *actualiser,* autre euphémisme qui signifie : les accommoder à la sauce marxiste. L'ex­cuse de ces vandales est que, le marxisme étant congéni­talement impuissant à produire aucune œuvre d'art pré­sentable -- sauf, croient-ils, les tartines de l'assommant Brecht, qu'ils nous servent au naturel, sans irrévérence ni retouches --, force leur est bien de se rabattre sur les classiques et de les profaner à leur aise, jusqu'à les traîner dans la boue pour s'en faire des complices, agents comme eux de la subversion.) Mais le plus curieux est que ces critiques aient tardé si longtemps à nous dire ce qu'ils avaient sur le cœur, toutes les fois qu'on leur a montré « Shakespeare sur des échafaudages tubulaires, Racine dans les cris de guerre d'une tribu hottentote, Molière en bleu de mécano », etc. Réprimant leur dégoût, leur indignation (et les nôtres), ils voyaient là des *expériences enrichissantes,* des *approches nouvelles,* des *adaptations révélatrices,* etc. Qu'attendaient-ils pour être sincères ? Sans doute ne fallut-il que la soudaine réaction de quatre directeurs, payée de retour par l'enthousiasme du public, pour enfin permettre à la critique de saluer la re­naissance d'un théâtre honnête. Et nous touchons ici aux servitudes plutôt qu'à la grandeur du métier de jour­naliste. Et encore ce brusque retour à l'ordre des choses n'est-il pas trop beau pour durer ? Il n'est que trop certain que les fauteurs de désordre s'en irritent et, dans l'ombre des coulisses où les voici momentanément éclipsés, fourbissent et rechargent leurs armes destructrices. \*\*\* Avril 1979. -- Honneur à la télévision portugaise, pour n'avoir pas dissimulé ni falsifié les résultats d'un « son­dage d'opinion » effectué par elle dans les rues de Lis­bonne et de Porto. Sur quelque deux cents personnes à qui les enquêteurs ont demandé ce qu'elles pensent maintenant de la « révolution des œillets » (25 avril 1974) et de ses suites, une douzaine seulement dit n'en penser que du bien. 36:239 La plupart des autres ont fait une réponse prudem­ment évasive : « Je ne pense rien et je ne connais rien à la politique. Ce que je voudrais, c'est de pouvoir gagner ma vie, et cela devient de plus en plus difficile... » Une ré­ponse pourtant rend un son moins voilé : « Compte tenu de l'état dans lequel se trouve aujourd'hui le pays, ce n'est pas un, mais trois ou quatre Salazar qu'il faudrait inventer pour le remettre debout. » Il n'est pas jusqu'à M. Mario Soares qui n'avoue avec une humilité digne d'estime : « Nous, les socialistes, nous ne sommes pas faits pour gérer la crise et l'austérité ; notre rôle, c'est de partager d'une manière équitable les fruits de la prospérité. » Peut-être les socialistes ont-ils encore à comprendre, sinon à reconnaître, que cet équitable partage des fruits d'une prospérité qu'ils ne ménagent pas plus qu'ils ne l'ont créée entraîne immanquablement une crise tellement aggravée que la dictature communiste reste finalement seule capable de la gérer par la terreur. Terreur dont les socialistes sont d'ailleurs les premières victimes, après en avoir été les préparateurs les plus utiles, volontaires ou non. Le plus beau est que cette expérience mille fois répétée ne les instruit jamais. Les commentateurs et journalistes bien pensants qui nous peignent les présents malheurs du Portugal n'en rejettent la responsabilité que sur Salazar, lequel précisément les avait conjurés. Et à peine ont-ils versé un pleur de crocodile sur les œillets pourrissants de Lisbonne qu'ils courent s'enivrer du parfum des œillets de Téhéran ou d'ailleurs, en pleine floraison comme on sait. \*\*\* C'est folie que d'exciter la colère du peuple, fût-ce pour la plus juste des causes. Car le peuple dans sa colère se laisse toujours entraîner à servir une cause plus injuste que celle dent il avait sujet de se plaindre. La cause qui triomphe dans les révolutions n'est jamais la bonne cause dont elles se réclamaient dans leurs commencements, et dont les partisans, chaque fois qu'elles réussissent, n'ont bientôt plus que leurs yeux pour pleurer, sinon pour enfin les ouvrir sur le mal qu'elles ont fait. \*\*\* 37:239 L'Occident et singulièrement les Américains distribuent au monde, avec une égale générosité, plus d'argent, d'ar­mements et de matériel qu'il n'en faut pour tenir le com­munisme en échec, et plus qu'il ne faut d'idées fausses ou perverses pour lui assurer la victoire. Alexis Curvers. 38:239 ### L'art de voir par Bernard Bouts DE TOUTES FAÇONS, mettant les choses au mieux, le nombre de personnes capables d'apprécier et de ju­ger sainement les tableaux, sans se laisser influencer par la mode ou la publicité, est extrêmement réduit. Peu d'amateurs savent regarder : ils ont les yeux ouverts et pourtant ne voient pas ; c'est qu'ils cherchent à romantiser ou analyser sentimentalement. On parle beaucoup trop devant un tableau ou un paysage. Certains regardent avec leur estomac, selon l'état de leur digestion : « Ah, monsieur, me disait une dame, votre tableau (celui qu'elle m'avait acheté) plusse que je le regarde et plusse qu'il est beau. » -- « Non, Madame, le tableau ne change pas, c'est vous qui changez. » D'au­tres regardent avec leur nombril, avec leur rhumatisme ou malgré leurs durillons. Beaucoup d'autres avec les mains ; d'autres, tel mon chien, « jointes » les oreilles. La plupart comparent avec leurs souvenirs, leur petite culture, leurs habitudes et tout cela est fort bon, mais c'est passer à côté de la question. 39:239 Bien peu acceptent de se laisser pénétrer, savent in­cliner la tête pour changer l'angle de vue ; augmenter la profondeur de champ -- en diaphragmant -- se reculer à la bonne distance et, surtout, ne pas parler. Enfin quel­ques visiteurs ne regardent pas du tout. Cela paraît in­croyable et pourtant c'est fréquent, surtout parmi les jeunes gens : ils entrent, passent, sans les voir, devant dix ou douze tableaux dont, quelquefois, un grand, tout neuf, tout ruisselant d'or et vont droit se laisser tomber dans un fauteuil. Quand ils sont en groupe, trois, quatre, cinq, ils parlent entre eux, généralement pour se plaindre de la « Société » qui les empêche de se « réaliser ». De toutes façons, très rares, extrêmement rares sont les visiteurs qui posent une question pertinente hors des chemins battus du lieu commun. L'artiste est sensé ne rien savoir, c'est l'étalon reproducteur inconscient. Il ne peut ni opiner, ni éclairer : il ne peut et ne doit qu'être jugé. Situation pénible entre toutes dont mon tempérament a du mal à s'accommoder. D'ailleurs il en est de même pour la navigation : la plupart des visiteurs font abstraction complète de leur ignorance, donnent leur avis et même leurs conseils, mais, tout comme pour les tableaux il y en a aussi qui, ne voyant rien, ne s'intéressent à rien, qu'au bar et au whisky. J'ai entendu, à bord du fameux *Pamir*, une petite fille deman­der à son père : « A quoi servent les mâts ? » et le père, reniflant bruyamment : « Où as-tu vu des mâts ? » (*sic*). Comme si l'on disait, dans l'atelier d'un peintre : « Où voyez-vous des tableaux ? » Mais je conviens que l'attitude à prendre, dans un atelier comme à bord d'un bateau, si l'on ne sait pas ce que c'est qu'un mât ou un tableau, n'est pas facile. A lire tout cela on pourrait croire que personne ne sait regarder ; que le visuel, le voyant, le visionneur, l'humain à deux yeux -- je n'ose parler du troisième -- n'existe pas. C'est presque vrai à notre époque malgré tout le tapage que l'on fait autour des méthodes « audio-visuel­les », les « vidéo-tapes », les « cinémasscope », les « télé­visions ». Au contraire, il semblerait que le premier coup, la première tape donnée à l'art de voir a été l'art de lire. Plus les images sont devenues mouvantes, moins le peuple a su voir. Cela va de pair avec la vitesse et la presse-à-vivre. Même les connaisseurs ne sont pas toujours pa­tients ; ils sont pressés de voir ou pressés de ne plus voir, comme aux défilés de modes. 40:239 Il y a des exceptions. Ce sont les esprits contemplatifs, non gênés par des habitudes intellectuelles. En toute ma vie j'en ai connu une dizaine. Il est vrai que le cercle de mes relations n'a jamais été très vaste. Si je fréquen­tais plus assidûment les musées, peut-être verrais-je d'au­tres visionneurs ; mais les musées ne m'attirent que dans le cas précis d'une certaine œuvre à examiner. Le musée, en général, m'attriste. Je lui préfère la chose qu'il faut, à la place qui lui était destinée. Revenons au jugement. Juger, c'est choisir. Pour choi­sir il faut un certain appareil de connaissances, des con­cepts longuement médités. Le public ne peut guère juger, il opine. C'est normal. Encore faut-il prendre la peine de regarder, comme j'ai dit. J'ai l'habitude de mettre au pied de mon lit mes deux ou trois tableaux en train. En m'éveillant, je les regarde du coin de l'œil. Toute la journée, je m'occupe d'autre chose mais ils me regardent et je le sens. Le soir je les vois sous un autre éclairage. Je les aperçois la nuit si je me réveille et c'est ainsi que je découvre peu à peu ce qui leur manque ou ce qu'ils ont de trop. Je n'aime guère la coutume de quelques peintres, dont Picasso, d'écouter simplement la critique de leur cuisi­nière sous prétexte d'âme pure et d'œil neuf. Il est pro­bable que la cuisinière flattait Picasso. Il aimait à être flatté. Et puis l'opinion de cette femme simple, comme celle des petits enfants, n'a en cette matière qu'une valeur très superficielle et momentanée. Leur impulsion les con­duit vers les couleurs fortes ; ne leur en demandez pas plus. Combien de mamans m'ont dit avec orgueil : « Mon fils est génial ! Non seulement il peint depuis l'âge de deux minutes sans jamais avoir appris mais il sait juger à dix mètres les meilleurs maîtres. » Oui, oui Madame, eh bien qu'il apprenne... On en est venu à croire que l'art populaire est celui que peut faire n'importe qui, sans étudier, d'abord parce qu'on n'a pas appris à voir, comme j'ai dit ; ensuite par une sorte de snobisme du dilettantisme. Il existe aujour­d'hui des écoles où l'on enseigne à peindre ou sculpter « populairement ». Au contraire, l'art très savant des peuples dits « primitifs », africains ou américains précolom­biens, n'était sûrement pas fait par des débutants. On ne joue pas de la flûte sans apprendre, même seul, et le pre­mier venu ne sera pas capable de juger de la qualité d'un acier trempé, d'un beau cuir ou d'un seul trait de dessin bien « tendu ». 41:239 On dirait que le fin du fin serait d'être maladroit. Au­trement dit, que le concept est indifférent pourvu que le résultat soit maladroit. Confusion entre maladresse et spontanéité. Ainsi quand les visiteurs tombent en extase devant un tableau, ou au contraire le négligent, je n'y prête qu'une médiocre attention. Les mêmes personnes, demain, diront tout le contraire ou même jureront que ce tableau-ci se trouvait là. Bien rares sont ceux qui font preuve de mé­moire visuelle. Il arrive aussi que des amateurs s'éprennent d'un tableau, reviennent le voir, le connaissent dans les moindres détails et l'expliquent. Leur explication n'est pas toujours la mienne. C'est pourquoi beaucoup de pein­tres se disent incompris. On reste, en général, tout seul à se débattre, tout seul dans l'élaboration et dans la con­clusion. Il faudrait s'y faire et ne rien dire. Mais à peine ai-je parlé de la boucler qu'il me vient l'envie d'en rajouter : aux heures de quart, à la barre ou aux bossoirs, on remue des idées, chose impossible de­vant un chevalet. Devant un chevalet on ne ressasse pas, on peint. Je ferais peut-être mieux de m'en tenir là mais voilà que Joâo, ou Francisco ou Arquimedes, viennent me trouver alors que, couché sur le pont, je regarde la pointe des mâts décrire des cercles dans le ciel. Ils me posent des questions : « Pourquoi appelez-vous la Renaissance : la Rechute ? Pourquoi préférez-vous le XII^e^ siècle au XIII^e^ et le XIII^e^ au XIV^e^ ? Pourquoi la Vénus de Milo vous laisse-t-elle froid ? » Mais, voyons : vous entrez dans une cathédrale. Cela vous produit un certain effet. Ne cherchez pas à expliquer. Asseyez-vous, restez debout ou agenouillez-vous et faites votre prière. C'est fait pour ça. Vous ne savez pas prier ? La cathédrale le fera pour vous. Vous ne voulez ni prier, ni qu'on prie pour vous ? Sortez, entrez au bistrot. Chaque chose à sa place. Cependant, à force de voir, et de voir bien, comparer les œuvres, on arrive à se faire une petite idée sans façon ; on arrive à goûter, c'est-à-dire à participer. Alors peu à peu on aide à construire une civilisation. Laroussement parlant : « l'ensemble des caractères pro­pres ». 42:239 C'est bien cela : propres. Mais cela prend parfois beaucoup de temps, beaucoup de siècles car il est plus facile de défaire que de faire. Un incendie est vite allumé. Évidemment les œuvres humaines sont périssables, mais on ne peut pas faire qu'elles n'aient pas existé. Encore un mystère : je crois que rien de l'œuvre humaine, en bien ou en mal, ne passera. Rien n'est indifférent. Rien n'est néant. Le néant n'existe pas. En recopiant le Petit Larousse j'ai oublié la moitié de la phrase. Voici la définition entière : « Ensemble des caractères propres à la vie intellectuelle, artistique, mo­rale et matérielle d'un pays ou d'une société. » J'aurais ajouté : religieuse et officielle ; officiel pris dans son sens vrai, *oficio,* comme nous disons, le métier. Peut-être que le dictionnaire, limité par l'espace, inclut la vie reli­gieuse dans la vie intellectuelle (j'aurais tendance à faire le contraire) et la vie des « oficios » dans la matérielle, c'est à voir ; de toutes façons je n'aurai certainement au­cune difficulté à convaincre mes lecteurs bénévoles de ce qu'un vrai homme de métier vaut autant et plus qu'un pur intellectuel. La vie intellectuelle sans métier, c'est moins que rien. Quant à la vie religieuse, le Moyen Age en avait beau­coup et nous en avons peu. Nous en concluons que nous sommés plus civilisés que lui. A la vérité c'est le système féodal qui nous embête. Si nous étions des hommes de métier, tailleurs de pierre ou architectes, nous verrions la chose sous un autre angle : la « nuit » du Moyen Age s'éclairerait par la logique de la corporation, instituée de l'intérieur, par ceux qui sont dedans, indispensable pour la protection de l'œuvre et de l'œuvrier. La nuit, c'est nous. 43:239 #### Lieux communs Je n'ai pas fait beaucoup d'expositions dans ma vie. Une dizaine en comptant bien et, malgré que je n'aie ja­mais participé aux biennales et salons officiels, j'en ai vu assez pour savoir que ce monde où fourmillent pêle-mêle les « artistes », leurs croupiers et leurs courtiers est conti­nuellement en guerre. Intrigues, coups bas, fausses ami­tiés, on peut tout voir et il me semble que le mieux qu'on puisse faire est de s'en retirer. Fermer l'écoutille. Évidem­ment cela oblige à une vie plus modeste. Il s'agit de savoir si l'on veut de l'argent, ou la liberté, car les deux ne sont pas aisément conciliables. Combien de fois des peintres m'ont dit : « Mon cher, j'ai une exposition dans un mois, et pas un tableau. » C'est une imposture, mais il y a pire : j'ai vu deux dames de la société, à Rio, qui « produisaient » quarante-cinq ta­bleaux « naïfs » par jour. Incroyable mais vrai. Elles fai­saient deux à trois expositions par mois, dans des clubs (pour ne payer ni pourcentage ni impôts) et trouvaient encore le temps de briller dans les salons... Le lieu commun le plus fréquent est : « Combien de temps vous faut-il pour peindre un tableau ? » et ils ajoutent : « en moyenne ». Les Impressionnistes reve­naient, dit-on, plusieurs jours au même endroit, à la même heure, à condition que le ciel soit le même. Quelques-uns « brossent » une toile en une heure. Les mêmes peuvent tripoter une nature morte pendant des mois dans leur atelier. On considère qu'un fresquiste peint, à peu près, un mètre carré par jour, selon l'état du mortier ; mais de combien d'études, de dessins préalables, de croquis, de documents et de calques est-il entouré ? Une aquarelle se fait parfois en quelques minutes. Certains tableaux de­mandent une longue préparation technique. Il y a des délais de séchages qui vont de quarante-huit heures à quinze jours. On profite de ces délais pour entreprendre un autre travail. Mais la difficulté est justement de passer de l'un à l'autre. J'ai l'habitude de prendre note du tra­vail qui reste à faire. Même, je dicte à un dictaphone toutes mes idées au sujet d'un tableau, tout le travail fait et ce que je compte faire car il m'arrive de le laisser de côté plusieurs mois, un an... D'autres sont exécutés en deux heures, pour ne parler que de la partie matérielle : la période de maturation est très variable ; les études préliminaires sont toujours lon­gues, de huit jours à plusieurs semaines. 44:239 Quand un tableau est-il terminé ? En gros on pourrait répondre « quand on ne peut plus rien changer sans qu'il devienne autre », comme Valéry disait du vers. Mais on peut toujours remanier un tableau. La difficulté est de savoir à quel moment il atteint son point de perfection. De fait il ne l'atteint jamais si on le compare à la pensée, mais si l'on craint de l'abîmer, il faut savoir s'arrêter. Je préfère souvent faire ce qu'on appelle une « répli­que » c'est-à-dire reprendre la même composition, presque le même dessin, et peindre un second tableau que l'on comparera au premier. Je viens justement de peindre quatre tableaux sur le même dessin, ou presque, et qui sont inséparables. Je les appelle « Continuum de Jonas ». Nous ne parlerons pas des lieux communs des critiques et des galeries. Alors là ! ce serait par tonnes !... Comment « classer un peintre », comment « noter » ; et tout ce qui tourne autour des « phases », des « chromatismes », des « complémentaires », des « contrastes », sans compter l'argot culinaire appliqué à la peinture : « Quel jus ! » s'écriait Malraux, qui n'était pas du tout snob, à propos de Chagall. Il suffit. #### Papiers J'entends dire, un peu partout, que tout est beau. Par exemple une tête de veau à l'étalage du boucher. Bien sûr. La boîte à ordures aussi est belle. Mettons. Enfin il y a des ordures plus belles que d'autres ; c'est à cela que je voulais en venir. J'aime les beaux papiers. J'ai dessiné sur du papier d'emballage, sur du papier de journal, même, mais enfin j'ai acheté autrefois mille feuilles de papier pur fil à la main : j'en ai encore. Et alors, je vous le demande, où, n'en quel pays trouverai-je l'artisan cultivé, l'amateur ca­pable de reconnaître au tact un vélin d'un vergé, et capable d'en fabriquer ? Où est-il, au centre de la France, peut-être ? Oui, il y en a encore. Au sud de l'Italie ? En Espagne ?... 45:239 Eh bien je l'ai trouvé à Long Island, New York. Mon ami Edgar Dupray m'avait donné rendez-vous dans le bas de Water Street, si je ne me trompe, sur ce quai où les anciens voiliers venaient autrefois passer leur beaupré, serrés les uns contre les autres. Vous avez sans doute rêvé, vous aussi, sur les vieux quais des deux mondes ; tous ont des souvenirs à conter. Edgar me conduisit très loin, dans une des rues de Long Island où les maisons sont entourées d'un terrain assez grand par derrière, et ravagé par la marmaille de­vant. Quand j'entrai dans la salle un peu sombre, je crus avoir devant moi le tableau de Gauguin représentant « la famille Chufenaker ». Monsieur, la tête penchée, la bar­biche bien soignée, les mains croisées ; Madame vêtue d'une grande robe noire ; les enfants, beaux petits diables blonds. Authentique descendant des premiers colons, ce *yankee* faisait du papier avec du lin qu'il cultivait dans son jardin et aussi de vieux draps que lui donnaient des dames de la société. Lorsque ces draps avaient de belles initiales brodées, il les découpait, les mettait sous verre et les accrochait à ses murs. Mais ses papiers ! Depuis les plus épais, feutrés, ve­loutés, satinés, jusqu'au « pelure » le plus délicat : blanc, thé, ivoire ou cendre. (Non pas cendré, c'est autre chose.) Il nous montra aussi des « pur coton » et des « pure soie ». Comme bien on pense, j'étais enthousiasmé et je ne le dissimulais pas. Du coup sa femme se mit à pleurer ; et plus j'étais enthousiasmé, plus elle pleurait. Après la visite de sa « galerie », il nous montra son « atelier », dans la cave. Les quelques outils simples, les cuves et les pilons : « J'ai un peu de pâte ici, me dit-il ; voulez-vous que je vous fasse une feuille pour vous ? » Je lui demandai une feuille d'un format peu commun : en­viron huit pouces de haut par cinquante de long, soit vingt centimètres par un mètre vingt-sept. « C'est toujours un plaisir de faire une feuille nouvelle, dit-il, et une surprise car jamais elles ne sont tout à fait pareilles. 46:239 -- Comme pour les tableaux, lui dis-je ? -- Avez-vous remarqué combien ce qui nous semblait difficile au début devient simple avec l'habitude ? -- Oui, je me demande souvent comment j'avais pu trouver des complications là où tout semble simple. Pour­tant, nous nous créons toujours de nouveaux problèmes... -- Oh là là, on n'en voit jamais le bout. Si le public savait ce que c'est d'être papetier ! Voici un papier, dit-il, d'une couleur indéfinissable, il faudrait lui trouver un nom. » C'était plus rose que saumon et moins rouge que lie-de-vin. A ce moment un enfant entra comme un bolide, l'air d'un jeune dieu viking : « Ah, dit-il, ce papier Grand Mother, c'est pour écrire des contes de fées ? » et il s'en­vola, non sans avoir chipé une tartine de pâté que l'on venait de préparer pour nous. Son père riait sous cape : « Grand Mother's paper ! De fait, j'y ai mis un peu de laine d'une robe de Bonne Maman pour lui donner la couleur. Il n'est donc pas tout à fait pur fil. J'ai aussi cette pâte, faite ce matin-même, avec une autre robe de Grand Mère, une verte. » Ce fut une nouvelle feuille, vert pâle, comme un blanc dans l'ombre d'une lumière jaune à travers des arbres. Vous voyez ce que je veux dire. Nous l'appelâmes « vin vert ». Les deux feuilles étaient impeccables, d'un grain assez varié mais pas trop, les bords agréablement déchiquetés. Je lui demandai : « Y a-t-il des modes dans le papier ? » -- Non, très peu. Il y a surtout de l'ignorance, mais j'ai de bons clients. Tous des amis. -- Quels sont vos meilleurs clients ? -- Des Japonais. Ils ont besoin de très beaux papiers pour faire des copies de manuscrits anciens ou des textes estampés (!). Mais j'ai aussi des clients parmi des artistes et des éditeurs français, américains, allemands, suédois, anglais ; d'ailleurs je n'arrive jamais à fournir les quan­tités demandées. » 47:239 Je lui achetai aussi quelques feuilles de papier blanc pour la gravure, il n'en demandait que deux dollars ! Je n'ai jamais osé les salir ; elles attendent, sans jaunir, dans des cartons. \*\*\* Dans ma vie, à part quelques centaines de croquis sur papier d'emballage, papiers de boucherie, j'ai fait environ 1500 dessins sur Vergé de Montval. J'ai « plastifié » ceux qui me restent. Cela ne se voit pas mais une personne avertie le sent au doigt. Ils sont ainsi, je crois, à l'abri de l'humidité. Toutes mes gravures sur bois ont été tirées « au pouce » sur du papier « Lana » assez épais ou du « Fabrians 100 % cotone ». Enfin j'ai fait quelques dizaines d'épreu­ves de petites dimensions, sur différents papiers du Japon ou de Chine. Quant aux deux fameuses feuilles de Long Island, j'ai voulu faire du beau travail : deux gravures, tirage unique chacune. La verte est restée à New York. L'autre, la « Grand Mother », après avoir dormi longtemps, pliée en accordéon, dans un carton, est maintenant étalée entre deux plaques de cristal, dans mon atelier. Dois-je avouer que j'ai oublié le nom de ce merveilleux artiste ? Il était président de la « Société des amis du Papier et des Arts Graphiques » qui a son siège en France... \*\*\* Il se fait tard. Dans le jour et dans la vie. Je ne vous demande pas de troquer l'auto pour un tilbury, ni la montre pour un sablier, ni le sextant pour un astrolabe, ni la bicyclette pour un âne ! Les anciens ne naviguaient pas si mal avec l'astrolabe ; le vélo, dame, c'est bien pratique, mais l'âne est très charmant à Saint-Usage. Et laissez-moi continuer quelque temps encore ma vie sans radio, sans télévision, sans journaux -- il y a trente ans que je n'ai pas lu un journal -- en compagnie du beau bois, du beau cuir, du beau papier... Il est minuit, je vais fermer l'écoutille. 48:239 #### Marines On n'attend pas. Ce sont les événements qui nous at­tendent aux coins de la vie ; aux tournants des trente, des quarante, des cinquante... Je veux dire que dans le ciel rose de l'avenir nous ne prévoyons rien, nous ne savons pas ce qui va nous arriver, nous ne sommes pas sûrs d'exécuter nos plans mais nous conservons toujours l'espoir de réaliser des merveilles. Je pensais à cela ce soir en regardant quelques-unes de ces « marines » que je domine à peine après m'y être essayé des années. Pourquoi étais-je incapable de les peindre à trente ans ? Ça a l'air si facile. A bien peser les événements, la succession des progrès, je vois que rien n'indiquait le chemin qui, finalement, a été choisi. J'avais abandonné, bien des années auparavant, l'essai de renouveau du paysage, sous des prétextes boliviens, un peu à la manière des miniatures persanes, parce que je trouvais l'expérience suffisante avec cette trentaine de ta­bleaux -- dont je n'ai plus un seul -- et je ne voyais pas la possibilité d'un développement. Ils eurent du succès auprès d'un certain public, chez Wildenstein, à Paris, en 1953, mais aucun parmi les critiques d'art. Ils n'y virent rien de nouveau... Maintenant, après vingt ans, voici la mode des « ingé­nus » qui se disent « primitifs ». Ils prétendent faire la même chose mais ils passent, à mon avis, complètement à côté des perspectives et des ombres portées. Ils n'arrivent qu'à une peinture descriptive, pseudo enfantine, faute d'avoir bien posé le problème. A cette époque-là, 1953, je ne pensais pas aux marines, et plus je naviguais moins j'y pensais. On ne peut donc pas dire que j'attendais (ou que je m'attendais à) ce qui allait venir. De même je ne sais rien de l'évolution qui viendra demain, après-demain, dans ma peinture. Je sais seulement que cette manière et ce « sujet » sont loin d'être épuisés. 49:239 « En somme, dit le spectateur, ce sont des Aurores, des Matinées, des Soirées et des Nocturnes. » Oui, mais avant tout des études de quelques fous jouant les uns avec les autres par juxtaposition et par superposition. Il ne s'agit pas du tout d'Impressionnisme, c'est même le contraire ; j'ai essayé de montrer ce qu'il y a de permanent, constant, durable, dans des fantasmagories de nuages, fugitifs par nature. Techniquement c'est le contraire aussi : il faut savoir attendre parce que le tableau se fait en trois ou quatre fois avec de longues périodes de séchage. Il faut d'abord les tons que j'appelle « de soutien » et il faut dès ce moment avoir une vision très nette, une certitude, de ce qu'on mettra par-dessus ou à côté. Ces tons de soutien sont comme le subconscient du tableau, par exemple une tache jaune, entourée de noir, avec des vides gris. Une fois secs, mais pas encore durs, on les recouvre d'autres taches : par exemple un autre jaune sur le jaune et un vert sur le noir. Cela fait donc deux tons en dessous et deux par-dessus, avec quelques nuances. On peut revenir ainsi trois, et quatre fois mais si l'on s'en tient à deux, le tableau risque de rester pauvre. On profite, bien entendu, de ce que certaines couleurs sont transparentes, d'autres opa­ques. J'ai peint quelques tableaux à l'huile, et d'autres, à la détrempe. Il faut essayer les couleurs à part, car il est impossible de réparer. Elles doivent être bien pensées et posées lentement. Les détails, les petites figures ont leur place préparée dans l'ombre, dans la lumière, selon qu'on a besoin de rapprocher, éloigner, séparer, lier, etc. Il va de soi que le tableau, la composition, l'orchestration se suffisent à eux-mêmes. A trois mètres, à deux mètres, parfois moins, on ne voit même pas les figures et cependant je crois qu'on ne peut pas les supprimer tout à fait. Si les tons de sou­tien ont complètement disparu sous les couvertes, leur présence est nécessaire : ainsi les notes finales ont aussi leur utilité, non seulement pour donner une échelle, comme nous avons dit, mais pour situer, pour typifier le tableau. Ne pas les mettre équivaudrait à un mépris du spectateur, qui jamais ne se contentera d'un éclat sans cause et sans effet­. 50:239 Un éclat de lumière, un éclat de verre, un éclat de bombe, le soleil qui éclate. Nous avons choisi le soleil et, au cas où il y aurait doute, soit sur la rythmique de la forme et de la couleur, soit sur le motif de cette lumière, le spectateur se rapproche et alors il aperçoit le canot, les trois pêcheurs, le voilier, la maison qui donnent au tableau sa définition. J'ai fait quelques exceptions, il fau­drait en parler à part. Nous sommes donc loin des « aplat » genre signali­sation pour chemin de fer. J'ai vu ça, il y a bien longtemps, dans une fabrique de verre : à l'extrémité d'un long tunnel on allumait un signal rouge, de surface et d'intensité données. Simultanément une lumière blanche et une verte, ou bleue. On procédait à des essais enregistrés par des appareils placés à 100 ou 200 mètres et plus. Cette fa­brique avait 8000 échantillons de verres de couleurs, mais si proches les uns des autres que les différences n'étaient pas toujours perceptibles à l'œil humain. C'était passionnant comme recherche dans un domaine défini mais éloigné de celui qui m'occupe. Ce dont nous avons parlé ne touche qu'à une faible partie des études de la couleur que peut et doit faire un peintre ; mais je sais que les avis ou conseils ne servent à rien. La plupart des artistes débutants ne visent qu'à faire vite, exposer le plus tôt possible et se contentent de balbutiements, généralement sans concept à la base et sans métier. Ils ne croient qu'à la spontanéité ; le génie sort tout seul, sans métier, sans pensée, sans savoir, ni conscience ni intelligence. Leurs pauvres connaissances sont faibles et fausses. Ils en arrivent à tout voir à l'en­vers. Mon ami Alvaro disait plaisamment : « Le futur peintre ferait bien de commencer par peindre convenablement le mur de sa chambre en blanc, au pinceau, sans faire d'em­pâtements ni d'embus ni des gouttes par terre ; puis laver le pinceau de façon qu'il ait l'air neuf. » Ce serait déjà un premier contact avec la nature des choses, béaba d'une prise de conscience. Vous riez ? Riez si vous voulez mais voyez que l'orage est là et la grande écoutille est restée bouche bée ; n'allons-nous pas la fermer ? Bernard Bouts. 51:239 ### Contre la TOB pour la Vulgate *en relisant "Itinéraires"* par Antoine Barrois EN RELISANT, ou en lisant, d'anciens numéros d'ITINÉ­RAIRES, il y a matière à découvertes. Inutile d'es­sayer d'en donner un aperçu : elles peuvent toucher à toute l'actualité tant profane que religieuse de ces vingt-cinq dernières années. Les découvertes dont je fais part ici ont été faites lors d'un survol systématique pour me remettre en mémoire ce que j'appellerais la trajectoire de la revue. Belle tra­jectoire en vérité, aussi conforme que possible aux données du lancement, -- Dieu veuille que cela puisse durer. Ces découvertes ont trait à la Tob et à la Vulgate : il s'agit de textes publiés il y a douze et quinze ans. Ces textes n'ont pas été cités dans « La détestable Tob », « Pour honorer saint Jérôme », « Pour ne plus ignorer ce qu'est la Vulgate » et « Pourquoi la Vulgate » car je ne les connaissais pas. Ce que je regrette vivement, surtout en ce qui concerne la Vulgate. 52:239 Contre la Tob... Texte publié sous le titre : L'équivoque de la « tra­duction œcuménique », alors que le premier volume de la détestable Tob venait de paraître (n° 115 -- juillet-août 1967 -- pp. 281 à 283). Nous vivons au milieu d'un déferlement universel de trom­peries illimitées. Elles commencent toutes par des équivoques dont il faut bien penser qu'elles étaient calculées, quand on voit ce qui vient ensuite. A propos de la « traduction œcuménique » de l'Épître aux Romains, l'abbé Pierre Mamie ([^3]) a présenté dans la revue *Nova et Vetera* (numéro 1 de 1967) des observations dont nous extrayons les remarques suivantes : Une équivoque risque de surgir qui me paraît grave : par son premier volume (l'Épître aux Romains), présenté sous le patronage des auto­rités ecclésiastiques des deux confessions, la Traduction œcuménique de la Bible est sortie de la sphère purement scientifique pour être immédiatement diffusée dans le grand public. Aux yeux de l'opinion, cette traduction peut donc paraître comme couverte par l'autorité du Magistère. Anonymement, sans qu'il y ait eu faute de personne, on se sent dépassé par les faits et l'événement. La Bible est plus qu'un texte, elle est un sens. La Traduction œcuménique aura donc décidé de ce sens, ou au moins proposé un sens, mais elle juxtapose, sans se prononcer sur leur autorité, des interprétations de catholiques et de protestants. Et elle renonce pratiquement à dé­gager le « sensus plenior » ([^4]). 53:239 L'Église, considérée ici comme magistère, pourrait opter pour cette traduction, y choisir des variantes ou des gloses, dégager dans le texte ou dans les notes le « sensus plenior » puis publier une édition munie de l'Imprimatur et enfin pourvoir à sa diffusion sous son autorité. De fait, je crains que les choses n'aillent pas dans ce sens : l'opinion chrétienne (c'est là ma question) ne va-t-elle pas penser, trop sponta­nément sans doute, que la principale charge du magistère, celle de présenter et d'expliquer le message biblique, est confiée à une commission œcuménique ? Que donc, on lira mieux la Bible avec les yeux d'une commission œcuménique qu'avec les yeux de l'Église ? Qu'en sera-t-il de l'interprétation de quel­ques textes, qui sont des textes décisifs et déter­minants (kékharitôménè, Tu es Pierre, Ceci est mon sang... en mémoire de moi, etc.), où pour­tant l'accord sur la traduction même paraît aisé ? Dans ces cas, pour être fidèle à elle-même, la Traduction œcuménique ne pourra présenter qu'un sens minimum. Si donc l'on juxtapose des interprétations de catholiques et de protes­tants sur des points où toute la foi est engagée, est-on sûr du choix de fidèles ? N'est-ce pas causer de la confusion ou la maintenir ? N'est-ce pas surtout laisser volontairement dans l'om­bre ce qui, pour nous, doit toujours être mis en lumière ? Ne devrait-on pas dire plus clairement que cette Traduction est un travail de recherches et de préparation que les autorités ecclésias­tiques considèrent comme utile et fructueux, mais dont la publication et la diffusion n'est pas couverte par leur autorité. 54:239 Ne devrait-on pas rappeler que le fidèle ne peut découvrir le « sensus plenior » -- le sens qui se trouve au cœur même du texte -- qu'avec les yeux de l'Église, dont le regard embrasse l'Écriture dans son ensemble et dans son con­texte vécu et vivant ? (...) Et enfin, n'est-il pas toujours vrai que Celui qui « veut que tous les hommes soient sauvés et viennent la connaissance de la vérité », a confié à son Église la mission de prêcher à tous les peuples la plénitude du message révélé ? (...) ([^5]) ... pour la Vulgate Texte extrait d'un magistral article de Dom J. de Monléon paru sous le titre : « Suite à Jonas » (n° 90 -- février 1965 -- p. 110 à 126) dont on ne saurait trop recom­mander la lecture à tous ceux que le scientisme en matière de lecture de la Sainte Écriture a éblouis ou seulement contaminés, -- ils sont légion. Cet article était une réponse (scientifique) à un expert ridicule qui se gaussait des travaux de Dom de Monléon sur le livre de Jonas. Expliquant ce qu'il fallait penser de « l'opposition » établie par le ridicule expert entre le texte hébreu et le texte latin, Dom de Monléon célébrait la version latine, antique et commune ainsi que son principal auteur, le Docteur très grand, saint Jérôme. 55:239 Sans doute il est de bon ton aujourd'hui d'af­ficher pour la Vulgate le plus profond mépris, et d'invoquer à tout propos contre elle -- *verita­tem hebraicam --* la vérité du texte hébreu. Heureusement elle a les reins solides, couverte qu'elle est par le décret du Concile de Tren­te ([^6]) ; parla bulle de Clément VII, du 9 no­vembre 1592, interdisant d'y changer, ajouter ou retrancher la moindre particule ; par de mul­tiples documents postérieurs, tous trop formels pour que nous puissions hésiter un instant sur son droit absolu de priorité. En appeler de la Vulgate à la *vérité hébraïque* est une de ces vastes duperies dont la haute critique est coutumière. Car c'est justement cette « vérité hébraïque » que saint Jérôme a entendu rétablir en elle, au-dessus de toutes les tra­ductions de la Bible plus ou moins altérées, qui circulaient de son temps. L'Église d'ailleurs -- il faut le reconnaître -- a toujours admis que ce travail n'était pas à l'abri de tout reproche, et souhaité qu'il fût amendé, en utilisant les autres versions de l'Écriture et les leçons des Pères. Tel qu'il est cependant, on est en droit d'assurer, non seulement qu'il ne renferme au­cune erreur touchant la foi ou les mœurs, mais encore qu'il est substantiellement la reproduc­tion la plus fidèle du texte original inspiré. Génie littéraire hors classe, saint Jérôme a employé toutes les ressources de son intelligence et de sa volonté à restituer la Parole de Dieu dans sa teneur authentique. Bien qu'il eût déjà une solide connaissance de l'hébreu, quand il reçut de saint Damase la mission de revoir toute la Bible, il ne s'en remit pas à son propre jugement ; mais il se fit expliquer, mot par mot, le sens exact des textes sacrés par les Rabbins les plus réputés, et qui, d'ailleurs, nous ap­prend-il, faisaient payer fort cher leurs leçons. Il tenait à fournir aux apologistes de son temps une œuvre sûre, afin qu'on ne pût les arrêter à tout propos dans les discussions, en disant : « Ce passage n'est pas dans l'hébreu », comme les Juifs le faisaient constamment. 56:239 Il avait à sa disposition des documents de première valeur, qui ont disparu depuis ; en particulier, le rouleau de la Synagogue de Bethléem, qu'il avait copié de sa main ; et les célèbres « Hexaples », où Origène avait repro­duit, sur six colonnes parallèles, le texte hébreu et les cinq principales traductions grecques qui en existaient alors ; œuvre gigantesque de cri­tique et d'érudition, dont la perte est considérée aujourd'hui encore, par les vrais savants, com­me irréparable ([^7]). Ceux qui invoquent la « vérité hébraïque » raisonnent comme si nous possédions encore aujourd'hui les manuscrits originaux de Moïse et des Prophètes. Mais il n'est pas permis d'igno­rer que la seule version de l'Écriture conservée par les Juifs est celle dite : des Massorètes, qui ne remonte pas au-delà du VI^e^ siècle. Elle est par conséquent postérieure, et à celle des Sep­tante, et à la Vulgate. Elle ne s'impose donc pas par son ancienneté ; elle ne s'impose pas non plus par la qualité de sa rédaction : car les Rabbins qui l'exécutèrent étaient loin d'avoir des méthodes critiques comparables à celles de saint Jérôme, qui se montre déjà un maître en la matière. Eux cherchaient seulement à éta­blir une leçon uniforme, pour fixer par écrit les fameux points-voyelles que l'on se transmettait jusque là uniquement par tradition orale. Mais surtout -- et c'est là ce qui enlève à leur tra­vail la valeur absolue qu'on voudrait lui don­ner -- chaque fois qu'ils le pouvaient sans faire violence au texte, ils s'attachaient à effacer tout ce qui risquait de tourner à la glorification de Jésus-Christ. Saint Jérôme nous avertit que telle était déjà leur pratique de son temps. Ainsi il nous les montre en Isaïe II, éliminant discrètement l'épithète de « Très Haut » (*excelsus, BAMA*)*,* que le Prophète attribue au Messie : 57:239 « Comprenant, dit-il, que cette prédiction avait trait à Jésus-Christ, ils ont interprété un mot équivoque dans son sens le plus défavorable, pour paraître n'attacher aucun prix au Christ, bien loin de le louer... Ils ont profité de l'ambiguïté du mot, pour en détour­ner le sens au profit de leur impiété, ne voulant rien dire de glorieux sur le Christ, en qui ils ne croyaient pas ([^8]). » Telle qu'elle est néanmoins, cette version constitue un document infiniment précieux, dont les souverains pontifes, bien avant l'encyclique *Divino Afflante,* ont souvent recommandé l'étude soigneuse. Mais, remarquons-le bien, toujours dans le dessein de justifier, de confirmer la doctrine catholique, de mieux dégager et expli­quer le sens exact des Saintes Lettres, et non pour contredire ou invalider la Vulgate, qui reste, encore de nos jours, l'expression la plus adéquate de la Parole de Dieu. En outre, il faut souligner que saint Jérôme est un maître de la langue latine. Considéré du seul point de vue littéraire, sa traduction est un chef-d'œuvre. Claudel la mettait au-dessus des poèmes d'Homère. Le Père Lagrange la tenait pour l'une des plus admirables performances de l'esprit humain ([^9]). Des pages comme le ma­riage de Rébecca, les altercations de Moïse avec le Pharaon, la scène du Sinaï, l'histoire de Jo­seph et celle de David, la prière d'Esther -- immortalisée par Racine -- le psaume : *In exitu,* l'épisode des trois Hébreux dans la four­naise, les doléances d'Isaïe et d'Ézéchiel sur la chute de Lucifer : (d'où Bossuet a tiré son célèbre : « Comment êtes-vous tombé, bel astre du matin ? »)... -- et combien d'autres, placent d'emblée leur auteur au rang des plus grands noms de la littérature universelle, qu'ils s'ap­pellent Virgile, Dante, Shakespeare, Gœthe, Cor­neille ou Bossuet. De plus, grâce à sa haute intelligence, sa soif de vérité intégrale, sa capacité prodigieuse de travail, saint Jérôme avait réussi à s'assimiler parfaitement le génie de la langue hébraïque, « cette langue, pleine de pouvoir, qui dit tou­jours davantage qu'elle ne dit, qui atteint et dépasse les limites de l'expression ; qui aspire sans cesse à l'inexprimable » ([^10]). 58:239 A cause de cette richesse et de cette profondeur, « la signi­fication des mots hébreux, dit saint Robert Bel­larmin, ne saurait être réduite à ce qu'énoncent les dictionnaires, et il faut avoir plus de con­fiance dans saint Jérôme que dans aucun dic­tionnaire » ([^11]). Tout en suivant de très près le manuscrit de Bethléem, qui lui servait de base, le Saint Doc­teur s'est appliqué à rendre exactement la pen­sée de l'écrivain sacré, plutôt qu'à faire une traduction littérale et servile. Mises à côté de son œuvre, celles des hébraïsants modernes font modestement figure de devoirs d'écoliers. On y trouve un mot à mot honnête mais laborieux, sans style et sans noblesse, et l'on y chercherait vainement le souffle de génie qui anime aussi bien la Vulgate que -- disent les gens compé­tents -- le texte des Hébreux. Par-dessus tout, ce qui confère à la version de saint Jérôme une valeur inimitable et irrem­plaçable, c'est que son auteur était un Maître de vie spirituelle initié aux plus hauts états de la contemplation. Au titre et grâce au cha­risme qu'il avait évidemment reçu de Dieu pour exécuter cette œuvre capitale, il a réussi à trans­poser en latin toute la substance théologique et mystique que contenait le Livre inspiré. C'est vraiment le Saint-Esprit qui nous parle à tra­vers son texte : celui-ci se trouve être ainsi l'expression adéquate du Verbe de Dieu, la base sur laquelle reposent immuablement la foi, la doctrine et la piété chrétiennes, l'instrument providentiel qui a permis à la Révélation de se répandre à travers le monde entier. Les lecteurs que ces questions intéressent pourront utilement se reporter à deux autres textes de Dom de Monléon : sa « Préface au livre de Jonas ou la critique de la critique » (n° 62 -- avril 1962 -- p. 151 à 173) et son article « Jonas fin » (n° 107 -- novembre 1966 p. 100 à 118) qui constitue la fin de sa réponse à l'exégète bouffi de scientisme dont nous avons parlé plus haut. 59:239 En guise de conclusion je citerai un passage de ce dernier article : « Quand on assiste aujourd'hui à l'abandon général de l'explication traditionnelle, substantielle et vivifiante de l'Écriture, telle qu'on l'enseignait jadis, pour lui substituer des commentaires exclusivement critiques, scientifiques, et soigneusement expurgés de tout ferment surnaturel, comment ne pas évoquer la détresse du prophète Élie, quand il voyait le peuple saint délaisser en masse la foi de ses pères, et courir aux autels de Baal, dressés alors jusque dans le sanctuaire du Dieu vivant. » Antoine Barrois. 60:239 ### Attention aux mauvais livres pour les enfants par France Beaucoudray VOS ENFANTS ont sans doute reçu des livres pour Noël. Avez-vous pensé à les lire ? Ce serait plus prudent. Voici quelques titres parus ré­cemment et dont le contenu est, plus ou moins, sub­versif. D'abord il y a « *Les gnomes *»*,* paru chez Albin Michel fin novembre. C'est un très beau livre. L'illustrateur a beau­coup de talent, la couverture attire l'œil, le sujet intéresse. Le ton cependant ne convient pas et la conclusion est fausse. Il s'agit d'expliquer au lecteur que le monde in­visible existe. Il s'agit même de le prouver. Pour ce faire l'auteur étudie les gnomes comme un ethnographe une race nouvellement découverte. Cela donne lieu à une suite d'affirmations qui seraient cocasses si elles ne s'adressaient pas à un enfant, incapable de se défendre. Le sujet est donc traité comme une étude approfondie : diversité des races, mœurs, coutumes, art, habitat, ennemis, etc. L'ou­vrage est conclu par un vieux gnome à barbe blanche, qui vient nous donner des leçons de sagesse. Nous devrions réhabiliter l'instinct nous dit-il, retrouver une autre har­monie, ne pas nous occuper de politique. 61:239 Vous aviez compris bien sûr que le gnome est un modèle pour le petit lecteur de 8 à 10 ans. Tout cela donne l'impression que les monstres noc­turnes existent vraiment. Il faut en tenir compte dit l'au­teur, être gentils avec les esprits de la maison qui se cachent dans les murs. D'ailleurs, maltraités, ils se fâchent et se vengent. C'est un livre qui peut marquer car il est très convain­cant. J'en suis sortie dans un malaise étrange. *Il n'en faut parfois pas plus pour que naisse une vocation d'oc­cultiste.* Nous voilà avertis. Nous sommes espionnés par toutes sortes d'êtres bons ou méchants. Le réalisme de certains petits monstres crochus, velus, méchants impres­sionne. Oui l'auteur a du talent ! \*\*\* « *Alexis *» paru chez Magnard, est d'un tout autre style. C'est une sorte de monologue enfantin sur la maladie, le rêve, la vie. Alexis infirme des deux jambes bavarde avec son lecteur, il espère que celui-ci ne l'oubliera pas. Si vous avez ce livre, gardez-le. Lisez le de bout en bout. Et puisque l'auteur veut tellement enseigner, enseignez derrière elle. Ces leçons discrètes portent sur toutes les choses de la vie. Alexis ne croit pas en Dieu. Son royaume intérieur est uniquement sentimental et féerique. Et vous aurez beau jeu de montrer ce qui manque à cet enfant plein de charme. Les images parlent au cœur... il y a de grandes chances pour que le lecteur de 6 à 12 ans qui a reçu ce livre pour Noël ne veuille plus s'en séparer. \*\*\* 62:239 Chez Nathan vient de naître la « collection du Dragon rose ». Traduites de l'anglais ses histoires nous viennent d'Amérique et sont destinées aux lecteurs débutants. Les images sont humoristiques, sentimentales, proches du style dessin animé. Six titres sont parus déjà, dont deux ne conviennent pas. D'abord il y a « *Bonobaine *»*.* Une de­moiselle dragon tout en ne l'étant pas puisqu'elle est bonne et qu'elle a le cœur tendre. La rose enfant a des angoisses. Qui est-elle ? Son entourage l'observe. Elle fait partie des bons et des courageux, c'est donc là sa race. L'histoire a peut-être réconforté des enfants complexés d'Amérique. Plus réalistes les enfants de France vont com­prendre que l'on est ce que l'on fait. Ils sauront aussi dès 6 ou 7 ans que l'on est ce que les autres disent. Ils ap­prendront enfin que le dragon n'est plus le symbole du Mal. Cela fait beaucoup de choses pour un seul et très petit livre. « *Virevolette *», toujours chez Nathan, dans la même collection, offre à peu près le même thème. Cette fois c'est un mignon cheval ailé qui est à la recherche de lui-même. Il fait successivement les travaux des fourmis, des abeilles, des papillons. Comme il n'y arrive pas c'est qu'il n'est ni papillon ni abeille ni fourmi. Dans le miroir d'une fontaine on lui fait découvrir qu'il est un cheval minuscule. Ensuite on lui trouve une fonction. Et Virevolette arrive au som­met du bonheur. Comme dans l'histoire de Bonobaine on se détermine ici par l'extérieur, et l'on n'est que si l'on réussit son travail. Bien sûr les enfants n'iront pas cher­cher si loin, mais ils garderont l'image dans leur esprit. Pour ces deux histoires il faut absolument raconter les choses autrement. S'il a lu ces contes, demandez à l'enfant ce qu'il a compris, ce qu'il en a retenu. Faites-lui bien comprendre un petit enfant n'est pas sans âme comme le cheval-fée. A nous, c'est Dieu qui parle. Expliquez-lui que malade ou infirme il serait toujours « lui », d'une autre façon. A 6 ou 7 ans on devient elfe, cheval, indien au gré des lectures. L'enfant marche à tous les coups. 63:239 *Lisez les livres offerts à vos enfants pour Noël.* Plus ils sont petits et plus c'est nécessaire. La dernière mode littéraire est aux bonnes sorcières, aux monstres con­vertis. Il convient d'ouvrir l'œil quand le dragon devient nounou. France Beaucoudray­. 64:239 ### L'anarchie élémentaire par Paul Bouscaren Chacun de nous est li­bre par la disposition de soi, non selon ce qu'il est de commune naissance humaine, mais selon *celui qu'il est* entre les hommes. C'est à « celui qu'il est » que s'adresse en chacun l'Évangile, selon que « ce qu'il est » appartient à Dieu, et doit faire retour à Dieu par « celui qu'il est ». De façon analogue, la liberté de droit devrait se dire selon notre appar­tenance naturelle à la société, il y a incohérence de l'idéologie humanitariste à fonder la société sur un droit de chacun que « celui qu'il est » dispose en sou­verain propriétaire de « ce qu'il est ». \*\*\* Les droits de l'Homme, c'est le droit de chacun ; et le droit de chacun, c'est le devoir des autres. L'Évangile parle au rebours, deux fois au rebours, puisque non seulement il s'adresse à chacun selon son *obliga­tion* à Dieu et au prochain comme à soi-même, mais il s'agit d'obéir aux *comman­dements* du Seigneur. Il ne reste rien de l'Évangile tra­duit en droits de l'homme ; qui ne le voyait pas se vou­lant chrétien doit enfin le sentir avec horreur d'un « droit à l'avortement » ; et s'il n'y a même pas ce partage, la preuve redouble que les droits de l'homme réduisent à rien l'Évangile. \*\*\* 65:239 On a plein la bouche de l'Homme, qui, précisément, ne remplit pas la bouche, parlant des hommes : l'Homme n'est aucun des hommes, ce n'en est qu'une partie ; définissante autant qu'il plaira, mais les hom­mes ont à vivre. \*\*\* L'homme des droits de l'Homme, c'est l'homme en société avec les hommes, bien ; sa liberté face au pouvoir, attention ! source du pouvoir, aïe ! l'individu assez riche de soi-même pour faire dire à un Jaurès, et réciter avec enthousias­me par mon instituteur de 1916, « ce premier devoir de l'homme » (dans l'hypothè­se d'une révélation surnatu­relle) « considérer Dieu comme un égal avec qui l'on discute ». \*\*\* Bergson rêve de l'homme cessant d'être un loup pour l'homme en devenant un dieu pour l'homme ; ceci est encore pire, de fait iné­vitable, *homo homini lupus* disant le vrai de l'homme contre lui-même, et non seulement contre les autres ; cela, sans autre mystère (*hic jacet... lupus*) que la mentalité moderne de liber­té propriétaire de l'être, et non seulement de l'action, droit de chacun d'user et d'abuser de soi-même, sous le masque d'hypocrisie in­vraisemblable de ne pas nuire à autrui ; à preuve d'actualité, I.V.G. pour ce que c'est, d'abord, et en­suite, comme en parle notre information gouvernementa­le et journalistique. \*\*\* Les droits de l'Homme veulent le droit de chacun de même que l'Évangile commande la charité envers tous et chacun, à cela près qu'*aimer le prochain com­me soi-même nous met en guerre contre nous-même,* alors que *les droits de l'homme en chacun le met­tent en guerre contre les autres ;* logiquement, puis­que l'amour se donne, tan­dis que le droit... Les droits de l'Homme disent tout être humain propriétaire de lui-même et de tout ce qui fait l'objet de son droit ; injus­tement dépossédé à mesure qu'il ne peut en jouir, en état de légitime défense, et de juste guerre à la socié­té ; oui ou non 2 Sans la société, la vie de l'homme ne pourrait être que celle d'une bête ou celle d'un dieu ; Aristote le voyait, non l'humanitarisme des droits individuels, mais ce­lui-ci fait voir, à qui ne se crève pas les yeux, les réel­les bêtes qu'il fait en faisant ses dieux idéologiques. \*\*\* 66:239 Les droits de l'homme, égaux pour tous selon la naissance de tous, c'est compter pour rien la vie de chacun et de son père ; au salut par les droits de l'homme suffit la commune naissance humaine, délibé­rément exclusive de la nais­sance familiale et sociale de la société traditionnelle ; or, qu'en est-il du salut par l'Évangile, sinon d'exiger une nouvelle naissance, et la vie responsable de cha­cun le juge de chacun pour entrer ou non dans le Royau­me de Dieu ? L'idéologie des droits de l'homme est donc au rebours, du même coup et avec autant de violence, de l'humanité traditionnelle et de l'Évangile. Cela n'est-il pas à considérer un peu plus, et beaucoup plus, que l' « inégalité génétique » opposée depuis quelque temps à l'égalitarisme ? \*\*\* Tout *droit* est un *pouvoir* dont l'*exercice* comporte des *obligations* envers Dieu, en­vers soi-même, envers la société, envers les autres per­sonnes ; regarder un droit comme la liberté sans autre obligation qu'à l'égale liber­té d'autrui, c'est l'idéologie des droits de l'homme, et ce cancer de la société mo­derne : L'ANARCHIE ÉLÉMEN­TAIRE. \*\*\* Que suppose l'égalité des hommes, sinon l'égalité de chacun avec « l'homme », et c'est-à-dire, en chacun, l'homme accompli ? \*\*\* « Si l'on se représente tout un peuple s'occupant de politique... » : il y aura un siècle dans dix ans que Fustel de Coulanges pei­gnait ce tableau de la réalité démocratique, les hommes étant ce qu'ils sont, et les Français les Gaulois qu'ils demeurent ; je voudrais bien qu'il semble bon à ITI­NÉRAIRES de remettre ce ta­bleau terrible, cette page vengeresse, sous les yeux de ses lecteurs, même pério­diquement ([^12]), -- avec quel­ques questions du genre : pareille politique de pour­rissement ne s'étend-elle pas, de nos jours radiopho­niques et télévisuels, à tout ce qui arrive aux hommes, à peine arrivé, à tout ce qui leur passe par la tête « dans le sens de l'histoi­re », c'est-à-dire de leur li­bération de toute contrain­te, c'est-à-dire de toute des­truction sociale ? \*\*\* 67:239 Est-ce un progrès chré­tien, si l'Église est passée de se compromettre avec les pouvoirs (établis) à se com­promettre avec les (pou­voirs) révolutionnaires ? \*\*\* « ...Les problèmes de la faim dans le monde... ce n'est pas son affaire de les résoudre, ni sa mission, ce peut être sa tentation » : dixit le Père Bruckberger de l'Église (*Figaro magazi­ne,* 3 février). Oui et non, il est urgent de distinguer ! Ce n'est pas pour l'Église mission de *justice moderne*, et ce peut être, pour elle entre beaucoup d'autres, la tentation moderne ; mais c'est pour elle, et pour tous à la mesure de chacun, *mission de charité*. Jésus a refusé à Satan de transfor­mer les pierres du désert en pain, mais n'a-t-il pas multiplié les pains dans le désert pour que la foule ne soit pas affamée ? N'a-t-il pas multiplié les miracles de miséricorde, et ses saints ne l'ont-ils pas obtenu de lui à toutes les époques, celle-ci comprise ? \*\*\* La foi en l'homme vient de l'homme, y voir une re­ligion fait équivoque radi­cale avec la foi en Dieu par le don de Dieu. La foi reli­gieuse pense atteindre une réalité surnaturelle, un au­tre monde, que celui de la raison, mais encore dans la ligne de la raison par le rapport de la raison à la réalité du monde ; ce qu'on appelle la foi en l'homme regarde l'homme absolu­ment, et non en relation au monde, soit visible ou invi­sible, naturel ou surnaturel ; qu'il y ait ou non réalité de l'invisible et foi religieu­se pour y relier, l'homme de pareille foi en l'homme est l'homme par lui-même, c'est-à-dire par sa volonté propre, par sa liberté, par son autonomie ; pareille foi en l'homme est donc en équivoque radicale avec la foi religieuse, de toute la distance de notre volonté à notre raison, bien plus : de *toute la distance de notre raison comme elle est réa­liste, comme elle se voit dans le monde, à notre vo­lonté se voulant volontaris­te, et son propre monde*. Deux textes font ici la lu­mière ; d'une part, ces li­gnes entre autres de Claude Bernard en sa célèbre « In­troduction... ». « ...L'ex­périmentateur pose des questions à la nature ; mais, dès qu'elle parle, il doit se taire ; il doit cons­tater ce qu'elle répond, l'écouter jusqu'au bout, et, dans tous les cas, se sou­mettre à ses décisions » (VI) ; d'autre part, le récit biblique de la tentation : « ...Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y tou­cherez pas, sous peine de mort. -- ... Pas du tout ! 68:239 Vous ne mourrez pas !... Vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, ayant à votre discrétion le bien et le mal. » (Genèse, 3/3-5.) Foi religieuse, l'être rai­sonnable relié au monde invisible comme au monde visible ; foi en l'homme, c'est l'homme absolu, c'est-à-dire délié de tout ce qui n'est pas lui seul. \*\*\* D'abord la vérité ou d'abord la liberté ? D'une part, la liberté c'est pour chacun sa liberté, c'est lui-même, alors que la vérité, c'est la vérité pour tous ; d'autre part, la vérité ne peut être que la vérité, alors que la liberté peut être le mensonge, comme il se voit de reste, et comme on l'ex­plique sans peine. \*\*\* Dieu est Dieu, l'homme est sa créature, voilà le dua­lisme ordonné, par la foi transcendantale, de l'Évangile et de la mentalité tra­ditionnelle ; avec la menta­lité moderne, tous les hom­mes sont l'homme, il y a ce monisme immanent, mais de plus, émietté, il suffit à rendre impossible toute union naturelle, et c'est pour prétendre à unir l'hu­manité entière. \*\*\* Les droits de l'homme en tout homme, quoi de mal en cette règle ? D'être règle suprême unique. Alors que l'Évangile n'arrête pas d'être dualiste : il y a le com­mandement premier et le plus grand, il faut à la suite le second, qui est sembla­ble ; l'un et l'autre nous commandent d'aimer, cela fait deux en chacun ; ren­dre à César et rendre à Dieu ; la foi et ses fruits dans la vie ; les obligations et, si l'on veut, la perfec­tion ; simplicité de la co­lombe et prudence du ser­pent ; la parole de Dieu comme une semence et la terre de notre vie ; autrui et le prochain ; les amis et les ennemis ; les bons et les méchants ; agir selon l'en­seignement autorisé, non suivant les mauvais exem­ples des autorités ; le monde que Dieu aime et veut sau­ver, et le monde qui hait le Sauveur, pour lequel Jésus ne prie pas et dont les siens ne sont pas ; la terre et le ciel ; c'est la foi qui sauve, mais la foi en Jésus-Christ qui met avec Jésus-Christ : personnel à chacun, le salut des hommes est en leur Sauveur à tous, c'est chacun avec Jésus-Christ... Règle unique, monisme d'a­néantissement de l'humani­té, l'histoire en témoigne de reste : la fraternité ou la mort, le droit au bonheur et la Terreur, la libération des hommes et le goulag... 69:239 Le monisme de la règle uni­que précipite au totalitaris­me, et l'équivoque irrémé­diable passe enfin de l'en­semblisme politique à l'en­semblisme axiomatique au­quel on veut tout soumettre moyennant ordinateurs gros ou menus. Paul Bouscaren. 70:239 ### La force, vertu bafouée par Marcel De Corte #### I. -- La force dans un monde sans justice et sans prudence Parmi les vertus cardinales qui sont comme les char­nières sur lesquelles s'articulent toutes les activités pro­prement humaines dirigées vers le bien, la force n'est pas mieux lotie aujourd'hui que la prudence et la justice -- non plus que la tempérance, comme nous le verrons plus tard ([^13]). 71:239 Son sort est même pire. A la différence de la prudence ravalée au rôle chétif d'attention précautionneuse dans la conduite automobile ou dans les passages cloutés, mais qui garde encore quelque chose -- infime -- de son statut originel et de ses fonctions de conseil, de jugement et de commandement, à la différence de la justice naguère encore axée sur le bien commun des hommes en société, et main­tenant de plus en plus centrée sur le bien de l'individu et des individus coalisés en groupes de toute espèce, se gon­flant jusqu'à l'éclatement grenouiller, *la force n'existe plus comme vertu tendue vers le bien.* Pur et simple principe d'action physique ou psychique, elle n'intervient plus dans la conduite humaine que sous la forme de la violence, ou de l'apathie, qui l'avilit au rang des bêtes. Privée du nécessaire soutien de la prudence et de la justice, elle n'est plus une vertu morale ni une vertu cardinale. Elle n'est plus une vertu morale, au sens exact du terme, c'est-à-dire une vertu qui *transcende* l'individu et le dirige vers le bien commun de la Cité et le bien commun de l'univers qui est Dieu. La poursuite de ces biens perfectionne pourtant, par rejaillissement, l'individu lui-même, d'une façon naturelle en le faisant participer de la sorte à tous les autres biens inclus dans ce bien terrestre ultime, que la société véhicule dans l'espace et dans le temps, ou d'une façon surnaturelle en lui octroyant, selon son zèle à aimer Dieu par-dessus toutes choses, la réception de la vie divine dans le Corps Mystique du Christ qu'est l'Église. Elle n'est plus un des moteurs du quadrige des vertus cardinales. Elle s'érige, comme en témoigne une trop amère expérience, en principe de brutalité animale ou d'intimidation mécanique qui tue ce qui reste encore de vie sociétaire dans un monde atomisé, ainsi que dans l'Église en proie au délire « communautaire ». A la racine de cette dégradation de la vertu de force en « volonté de puissance » dont Nietzsche célébrait la présence encore embryonnaire dans le monde de son temps et dont il ne prévoyait pas qu'elle allait sécréter autour d'elle, pour soutenir son triomphe, une énorme carapace bureaucratique qui réduirait à l'impuissance tous ceux qui en subiraient les pressions anonymes, il y a la lente et aujourd'hui diluvienne mutation des sociétés humaines en *dissociétés* sous la poussée de l'individualisme, lui-même issu d'un christianisme *désurnaturalisé,* laïcisé, am­puté de son essentielle relation à Dieu Créateur de l'univers et Sauveur des hommes. 72:239 Les étapes historiques de ce processus sont connues : l'humanisme de la Renaissance, le refus opposé par la Réforme à l'existence d'une Église dépositaire de la Révé­lation, et l'écroulement de la société d'Ancien Régime sous les coups de boutoir d'un libéralisme politique, économique et social dont l'ultime aboutissement n'est et ne peut être que « la parfaite et définitive fourmilière » dont Paul Valéry eut la prescience et vers laquelle nous nous diri­geons en aveugles. On ne le soulignera jamais assez : nous avons progres­sivement perdu, depuis près de quatre siècles, la notion de *bien commun,* pivot de la justice générale qui ordonne les membres d'une société à leur ensemble, comme les parties au tout ou comme les musiciens les plus divers à leur orchestre, et qui, par la justice distributive qui en dérive immédiatement, assigne aux citoyens leur place dans la communauté selon les services qu'ils lui rendent, de manière à y faire régner l'union, l'entente, l'harmonie et l'amitié. Dans ce tout, toutes les parties sont des parties, elles sont toutes en ce sens égales et répondent à l'obligation fondamentale de la justice qui veut l'égalité, mais cette égalité est d'ordre géométrique, comme on disait jadis, elle est proportionnelle à la diversité et à la hié­rarchie des fonctions réellement assumées et complémen­taires les unes des autres. Il ne reste plus à l'époque mo­derne que la justice commutative régie par l'égalité arithmétique et par la loi du donnant-donnant qui domine les échanges économiques, lesquels aboutissent tous in­distinctement, en vertu de leur finalité essentielle, au consommateur en chair et en os, à l'individu seul capable, en définitive, d'absorber les biens matériels cédés moyen­nant leur contrepartie. Le temps vient, s'il n'est déjà venu, où la planète deviendra le siège d'une immense société anonyme de redistribution des biens matériels produits par l'humanité pour sa subsistance physique *liée au corps* et, par conséquent, *individualisée.* Cette « société » rassem­blera en son sein des êtres humains conformes à la défi­nition de l'individu *séparé de ses semblables : ab omni di­visum.* Ce sera la mort de toute société véritable. Comment un tel avenir, un tel présent, est-il possible ? A cette question, il n'est qu'une seule réponse : une civilisation telle que la nôtre, qui a essaimé sur toute la surface du globe terrestre au point d'en réunir toutes les nations dans des formes politiques, économiques et sociales très apparentées en dépit de leurs divergences, de leurs oppositions et de leurs conflits, voire de leur guerre froide, ne se débarrasse pas aisément du christianisme qui a pré­sidé à sa naissance, malgré la séparation de l'Église et de l'État, de l'athéisme même ou de l'indifférence religieuse qu'elle professe. 73:239 A la société composée de micro-sociétés les plus diver­ses et en dernière analyse d'*êtres naturellement sociaux* de leur naissance à leur mort -- une famille par exemple, ou un peuple, n'est pas, sauf quantitativement, composé d'individus, mais d'un père, d'une mère, d'enfants, de Fran­çais, de Belges, etc. --, le christianisme a superposé (au sens strict du terme : en hauteur) un type de société uni­que, inédit, *composée de personnes,* abstraction réellement faite, en fonction de leur finalité surnaturelle où « il n'y a plus ni Grec ni Juif » selon saint Paul, de leurs carac­téristiques sociales. On entre un à un, *personnellement,* dans l'Église, par le baptême, mise à part toute apparte­nance à une collectivité quelconque et, si l'on est sauvé -- toujours personnellement --, c'est dans le Christ Lui-même qui sera « tout en tous », articulant toutes les personnes les unes aux autres dans son Corps Mystique achevé que sera l'Église triomphante, et, anticipativement, d'une manière à la fois plus secrète et pourtant visible, dans l'Église militante, ici-bas, par la grâce, le *Credo,* les Sacrements, et le Saint Sacrifice de la Messe. Ces deux sociétés sont chacune parfaites dans leur ordre, mais la différence essentielle de leurs structures ne les empêche pas de se prêter un mutuel appui, la société de nature répandant par ses milliers de canaux le Message évangélique dont l'Église est la gardienne, et la grâce que diffuse l'Institution ecclésiale consolidant la nature sociale de l'homme. Les nombreux tiraillements entre l'Église et l'État qui eurent leur paroxysme au Moyen Age lors des luttes du Sacerdoce et de l'Empire, n'altèrent pas cette constatation : ce furent des conflits de frontière, violents mais accidentels, et non des négations réciproques de leurs essences respectives. Il n'y a pas d'autre cause à l'appa­rition des sociétés laïques de personnes à l'époque mo­derne -- lesquelles sont en fait des dissociétés -- que la perte du sens du surnaturel dans l'âme des hommes et la substitution de l'anthropocentrisme au théocentrisme que l'âge chrétien et même l'âge païen avaient professé, avec son inévitable conséquence : 74:239 la désurnaturalisation de la personne humaine, son érection en principe et en fin de tous les actes de l'homme et la glorification du bien indi­viduel auquel tout l'ordre social doit désormais se sou­mettre puisqu'il n'est plus qu'une construction artificielle, une œuvre de l'homme -- individuel, il n'y en a pas d'au­tre -- qui fonctionnera comme une machine à l'avantage de l'homme. Qui ne voit dans cette primauté accordée de nos jours à la société économique qui gravite autour des individus ou des groupes d'individus et qui absorbe en elle tout le social et le politique nécessaires à la vie pro­prement humaine, une projection dans le seul plan ter­restre de la société ecclésiale de personnes, mais séculari­sée et composée d'éléments qui n'aspirent individuelle­ment qu'à leur bien propre ? Dans une telle ambiance, il n'y a plus la moindre place pour la justice générale et la suprématie du bien commun, ni pour la justice distributive, *ni pour la vertu de force qui maintiendrait fermement l'ordre social autour de son axe.* La dévaluation de la vertu de justice entraîne celle de la vertu de force et elle est due elle-même au dépérisse­ment de la foi surnaturelle en Dieu Créateur de l'univers et Sauveur de l'humanité, Bien Commun de tout ce qui est, de tout ce qui pense et désire. Il n'est plus alors, répétons-le inlassablement, c'est la clef de l'histoire moderne, que la personne humaine qui, abandonnée à elle-même, veut son propre bien particulier, rompra du coup son allé­geance à la primauté du bien commun des sociétés natu­relles et semi-naturelles dont elle est membre par le destin de la naissance ou de la vocation, et tentera invincible­ment, sans jamais y parvenir, de bâtir artificiellement une « société nouvelle » *sur le modèle, le seul modèle qu'elle possède,* mais dont elle refuse la transcendance surnatu­relle : l'Institution ecclésiale. Elle ne dispose plus de la vertu de force pour y parvenir. Elle n'en a plus que la caricature : la violence révolutionnaire. C'est pourquoi nous sommes entrés dans une ère de révolution permanente qui vise à l'instauration d'un im­possible communisme -- lequel, si l'on veut bien ouvrir les yeux, n'existe nulle part, sauf sous sa dénomination verbale --, où l'État devient maître à la place de Dieu. Pascal l'a dit nettement : « La force sans la justice est tyrannique. » Le malheur est que cette tyrannie est au­jourd'hui sans visage, indolore, omniprésente, qu'elle ne suscite plus que des révoltes ou des bouleversements qui l'accroissent. Sa contrainte universelle la fait même aimer de tous. 75:239 La prudence qui concerne la délibération, le choix et la commande des moyens effectifs destinés à la réalisation du bien commun, source de tous les autres biens, disparaît avec la méconnaissance de la justice générale. N'étant plus réalisatrice du bien commun, elle n'est plus, du coup, réa­liste, entraînant de ce fait une altération profonde et pa­rallèle à celle que nous avons soulignée à propos des rapports entre la justice et la force, dans la force elle-même. La force indispensable à la prudence pour réaliser le bien commun de l'union, toujours précaire ici-bas depuis le péché originel, n'a plus de raison d'être objective qui la justifie en la finalisant. Elle reflue vers le *moi,* sans autre fin qui la dépasse et la règle. Elle n'a plus d'autre fin que l'expansion indéfinie de la personne humaine -- d'où le mythe du progrès --, de la classe, des groupements d'in­dividus, qui se déploient sans limites, annihilant par la violence tout ce qui s'oppose à leur expansion. Aimer le bien commun d'où la prudence reçoit son élan et sa direc­tion et qui lui permet d'adhérer *avec force* aux moyens de le réaliser sûrement, devient incompréhensible et inu­tile. La prudence « la plus parfaite de toutes », comme l'écrit saint Thomas, autrement dit, *la prudence politique ordonnée au bien commun de l'union par la vertu de jus­tice,* et à laquelle « il appartient de gouverner et de commander » ([^14]), de faire appel *à la force* tant l'entreprise est hérissée d'impédiments de toute espèce, au point d'exi­ger, s'il le faut et comme nous allons le voir, de la part du citoyen le sacrifice de sa vie pour y parvenir, sera rem­placée par la réglementation paperassière doublée de la contrainte policière. Elle n'a dès lors plus besoin de la force réglée par la raison pour maintenir les hommes dans l'ordre et l'obser­vance du bien commun, en mobilisant leurs facultés de résistance contre les maux qui assaillent toutes les socié­tés temporelles. Il lui suffit de leur *promettre la satisfaction de leurs besoins matériels,* inséparables de leur *moi* res­pectif lancé à la poursuite de son bien particulier. L'idéo­logie « libérale » le fait en édifiant « la société de consom­mation » et la « société permissive », l'idéologie commu­niste par « la société totalitaire » et la perspective d'un nouveau Paradis terrestre où les désirs de chacun et de tous seront saturés. 76:239 Dans les deux cas, nous assistons à la chute verticale des vertus de justice et de prudence ainsi que de la force sans laquelle leur fin ne serait jamais réalisée. Parce qu'il n'y a plus de bien commun, il n'y a plus de société, mais une dissociété grouillante ou stagnante selon les cas, *re*­*couverte du voile du rêve ou de l'utopie.* Ne nous y trom­pons pas en effet : « la société de consommation » ou le Paradis terrestre communiste sont beaucoup moins matérialistes qu'on pourrait le croire. L'avidité du moi consommateur ou du moi qui sera le seul dieu du nouvel Eden *est une construction mentale.* Elle se projette sans cesse dans un avenir qui n'existe que dans l'esprit. Elle n'est jamais satisfaite, elle n'est jamais réalisée, elle n'est jamais réelle, elle périt à chaque instant pour renaître l'instant suivant, et ainsi de suite, elle est *imaginaire,* elle est un pur devenir et non de l'être. Elle ne se main­tient dans l'existence figurative qu'à l'aide d'un matraquage publicitaire, d'un étalage provoquant, d'une propagande déchaînée, *dont l'ubiquité singe l'omniprésence du réel,* prend sa place, l'évacue et s'offre à la pensée comme l'existence véritable. Parfois *L'imagination qui dresse son orgie* *Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin,* mais le plus souvent l'esprit mystifié s'abandonne à son propre mensonge, le nourrit de ses leurres et boucle le moi, ou le moi multiplié, sur lui-même, tirant tout de soi et rapportant tout à soi. Comment, dans une telle atmosphère, y aurait-il encore une large ouverture pour le réalisme inhérent à la vertu de force qui « supporte et repousse les assauts et les périls extrêmes dans lesquels il est le plus difficile de rester ferme » ([^15]) ? 77:239 La force inclut la résistance à un monde extérieur ennemi ou à un autrui antagoniste qui attaque l'être humain *en sa réalité propre,* en ce qui le définit essentiellement dans l'ordre de l'action, en sa qua­lité d' « animal politique », membre d'une cité ou d'un tout qui le fait *être.* Une fois coupée du bien commun con­ducteur de tous les autres biens réels dont nous jouissons tant selon la nature que selon la grâce, la personne hu­maine retombée sur son vide intérieur n'a plus d'autre ressource que se livrer à ses songes. Nul ne résiste en ce cas aux séductions de la folle du logis, ameutée au surplus par l'envie, phénomène mental lui aussi, qui les intensifie. Le *moi* exacerbé en face d'un monde social qui ne lui communique plus son dynamisme attractif efficace ne peut plus, encore un coup, que substi­tuer à la vertu de force la véhémence de ses passions pures, toujours internes, telles la fureur, la jalousie, la convoitise, la haine, qui se couvrent du manteau des idéo­logies sociales fabricatrices des « îles bienheureuses » pour voiler leurs méfaits destructeurs. La manipulation des faibles par les fanatiques, les durs, les fourbes, les machia­véliens, n'est plus alors qu'une technique, un usinage en série. Simone Weil le remarque : l'esclavage moderne parvient même à se faire aimer de ceux qui le subissent. Comment en serait-il autrement pour tous ceux qui ne puisent plus leur force dans les vertus de justice et de prudent en relation immédiate à la plus solide et la plus humaine des fins que l'homme, animal politique, peut réaliser ici-bas : le bien commun ([^16]) ? Le *moi* a beau se réfugier dans un groupe pour récupérer une apparence de puissance : rien n'est plus malléable que la masse. S'il est vrai que la banqueroute -- ou plus exactement la faillite frauduleuse -- de la justice générale et de la prudence à l'époque moderne et leur remplacement par des ersatz trop connus provoquent la disparition de la vertu de force qu'elles alimentaient, l'inverse est plus vrai encore, dans l'ordre concret des choses. Il n'est point de prudence, de rectitude de la raison pratique en sa finalité, en ses délibérations, en ses choix et en ses injonctions, sans la vertu de force qui la fait passer à l'acte, l'ajuste à la réalité, écarte ses altérations toujours possibles en ce bas monde sous l'influence des intérêts immédiats, des avantages temporels, bref de tout ce dont la subjectivité humaine est avide. 78:239 Il n'est point de justice générale, impé­ratrice de toutes les vertus, sans la vertu de force, sans l'autorité raisonnable de la loi et de ses gardiens qui oriente, par une saine discipline, tous les actes humains vers leur fin ultime ici-bas : le bien commun de l'union, voie de tous les biens. « La force a une utilité générale qui est de maintenir l'ordre tout entier de la justice », professe saint Thomas avec le bon sens ([^17]). Il appartient en effet à la vertu humaine que l'homme soit bon et que ses œuvres soient conformes à sa définition d'animal politique, autrement dit à la raison, laquelle ne se développe que dans la vie sociale. Mais pour y parvenir, trois conditions sont requises. La raison elle-même doit être rectifiée, c'est le fait des vertus intellectuelles dont la prudence est la principale en matière d'action ; la recti­tude de la raison doit imprégner les relations humaines, c'est le fait de la justice ; les obstacles à cette pénétration de la prudence et de la justice doivent être supprimés. Or deux choses empêchent la volonté de suivre la droite rai­son. La première est l'appât d'un bien délectable qui incite à un acte en désaccord avec la droite raison : la tempé­rance doit le vaincre ([^18]). La seconde est la répulsion qu'éprouve la volonté à vouloir ce qui est raisonnable mais difficile, et ici doit intervenir la force d'âme pour résister aux traverses qui l'inclinent à l'inertie, de même que la force physique surmonte et renverse les obstacles matériels. Il s'en suit que la force est non seulement une vertu requise pour que l'homme soit selon la raison, mais qu'elle occupe le troisième rang dans la hiérarchie des vertus, immédiatement après la prudence, perfection de la raison, et de la justice générale (et spéciale) qui la réalise en société selon l'ordre dicté par la dite raison. Conserver la bonne disposition des parties dans un tout, lesquelles sont toujours tentées de s'en séparer à cause des passions qui assaillent l'humaine faiblesse, appartient *par excel­lence* à la force. Pour accomplir ce qui doit être et être fait, il faut toujours *en premier lieu* du courage. 79:239 Dès lors, si l'ordre de préséance des vertus cardinales est bien : pru­dence, justice, force, tempérance, et le cortège des autres vertus ([^19]), *dans la pratique,* sans laquelle il n'est ni vertu, ni bien commun ou particulier, la force est la condition de toute vertu et de tout bien, « puisqu'il est essentiel à la vertu d'agir de façon ferme et victorieuse, particuliè­rement lorsqu'il s'agit de supporter et de repousser les assauts et les périls extrêmes dans lesquels il est le plus difficile de rester ferme », ainsi que nous l'avons vu plus haut. « C'est là que se trouve la matière, l'objet spécifique de la force. » ([^20]) Toute vertu fait appel à la force, et la force est proprement elle-même en présence du danger et des maux temporels qui détournent l'homme de l'exercice des vertus cardinales dont la prudence et la justice sont les foyers. #### II. -- Nature de la vertu de force Vertu générale ou pour mieux dire caractère, modalité et principe d'action de toute vertu, la force est également une vertu spéciale en raison de sa finalité propre : écarter les obstacles qui empêchent la volonté d'obéir à la raison pratique en ses deux fonctions essentielles de prudence et de justice. Devant un mal *difficile à vaincre,* tout hom­me en effet éprouve de la crainte. Il recule devant certaines souffrances, de dures épreuves, les grands malheurs, les graves maladies, la mort, qui le frappent parce qu'il ap­partient au genre animal dont c'est le lot indéniable. L'Acte pur qui est Dieu ne pâtit en rien, il ne subit aucune passion, il n'est en rien en état de réceptivité. En dehors de Dieu, tout être est capable de pâtir et pâtit en fait, même les Anges. 80:239 L'homme se situe à cet égard au dernier degré de l'aptitude à recevoir des impressions puisque son âme reçoit tout du dehors par l'intermédiaire du corps. Lorsqu'il se trouve en présence d'un objet qui l'inquiète, le menace, le met en danger, la perception sensible qu'il en a reflue vers son âme qui tend alors, soit à y résister, soit à lui livrer combat *de toutes ses forces,* comme dit admi­rablement la formule populaire. Un mal qui est ardu vaut qu'on l'évite puisqu'il se comporte comme une puissance de répulsion, et c'est là l'office de la crainte, mais il mérite aussi qu'on l'affronte puisqu'il offre l'occasion de le vaincre et de s'en libérer : c'est la fonction de l'audace. Ces deux passions, dites de l'*irascible* par les Anciens ([^21]), l'animal les ressent instinctivement. Elles ont en lui leur siège dans l'appétit sensible. Elles lui sont naturelles. Chez l'homme, ces mouvements qui répondent à la nécessité organique de maintenir son être dans l'existence ne sont pas davan­tage bons ou mauvais ; ils deviennent bons pour lui s'ils sont réglés par la raison, ils sont mauvais s'ils échappent au gouvernement de celle-ci ([^22]). Craindre sans raison, se précipiter dans le danger sans en mesurer les risques ne sont pas le fait de l'homme digne de ce nom, pourvu d'in­telligence et de volonté. Comme saint Thomas l'écrit avec une admirable clarté, « la vertu de force a pour fonction d'écarter l'obstacle qui empêche la volonté d'obéir à la raison. Or reculer devant une difficulté, c'est le propre de la crainte qui fait battre en retraite *devant un mal difficile à vaincre.* La force a donc pour objet principal *la crainte* des difficultés, suscep­tible d'empêcher la volonté d'être fidèle à la raison. 81:239 D'au­tre part, il faut non seulement soutenir fermement les chocs des difficultés en réprimant la crainte, mais aussi les attaquer avec modération (*moderate*)*,* lorsqu'il faut en venir à bout pour assurer l'avenir, ce qui est évidemment la fonction de l'*audace.* La force a bien donc pour objet à la fois la crainte et l'audace, l'une pour la modérer, l'autre pour la réprimer » (**22**). Saint Thomas conclut de là, à la suite d'Aristote, que la force a pour objet essentiel le plus grand danger que l'homme puisse courir et qui l'atteint précisément là où il existe comme homme : à la jointure de l'âme et du corps, c'est-à-dire le péril de mort ([^23]). 82:239 Sans doute, ajoutent-ils, la force se révèle nécessaire en face de moindres dangers, mais elle ne l'est que sous un certain rapport (*secundum quid*) ([^24]). La preuve qu'ils en donnent est simple : il faut réserver le nom de force à la vertu qui attache la volonté humaine au bien de la raison pratique, « parce que celui qui est capable de tenir ferme contre un plus grand mal tiendra ferme également contre un moindre, alors que la réciproque n'est pas vraie. Il est en effet essentiel à la vertu d'être égale à son objet jusqu'à l'extrême limite de celui-ci. Or le plus terrible des maux corporels, c'est la mort qui enlève tous les biens... La vertu de force a donc bien pour objet la crainte des dangers de mort » (*timores periculorum mortis*) ([^25]). Toute force se trouve ainsi en présence de la mort. Toute force consiste essentiellement, pour l'homme qui pratique cette vertu, à être en état, par une préparation matérielle et morale adéquate, de s'exposer à la mort *propter aliquod bonum consequendum,* en vue d'un cer­tain bien. Et ce bien dont la mort est l'effet direct n'est autre pour le Philosophe comme pour saint Thomas que la défense de la patrie qui est le bien commun de tous les citoyens engagés dans une juste guerre ([^26]). Plus précisément encore, « la force se manifeste au plus haut degré et en sa pure essence dans les surprises qui entraî­nent le danger de mort. Pour posséder cette vertu en toute sa plénitude, il faut avoir pu se préparer, par une longue méditation antérieure, à sacrifier tous ses biens particuliers et, en premier lieu, sa vie personnelle, au bien de tous qui l'emporte, pour toute âme noble, sur le bien indivi­duel » ([^27]), c'est-à-dire au bien commun. Saint Thomas y insiste. Il semblerait, nous dit-il, que la vertu de force tourne autour du bien de la personne humaine (*circa personam hominis*), de son être subjectif qu'il s'agirait de préserver des menaces de mort, et non autour des réalités objectives (*res*) auxquelles l'homme est astreint de par sa nature d'animal politique et commis par là-même à leur protection. 83:239 Rien n'est plus faux. *Homo non exponit personam suam mortis periculis nisi propter justitiam conservandam :* « L'homme n'expose sa vie per­sonnelle que pour la justice » ([^28]). Aussi nous dit-il plus nettement encore que « la force a une utilité générale qui est de maintenir *l'ordre de la justice tout entier*. C'est pourquoi, remarque Aristote, les justes et les forts sont les plus aimés, parce qu'ils sont les plus utiles dans la paix et dans la guerre » ([^29]). La fonction propre de la vertu est en effet de conserver le bien de la raison. Son objet spécificateur est la sauvegarde, la protection et la garantie du droit que toute institution sociale assure par définition, et qui n'est pas en premier lieu le bien de la personne, mais le bien commun de l'union, vérité pratique par ex­cellence, fin ultime de l'homme pris comme tel, dont la justice est inséparable ([^30]). « Ni la mort, ni rien de ce qui peut affliger un homme mortel, ne doit nous faire craindre au point de renoncer à la justice. » ([^31]) Pour saint Thomas, il s'agit là d'une sorte de réflexe humain, de la réaction naturelle de la raison pratique, guide de toutes nos actions, en présence des maux et des dangers qui peuvent affecter la société dont l'homme fait partie et sans laquelle il ne serait rien : « Le bien social, le bien de la vertu politique ([^32]), principe de toutes les autres, et qu'on nomme la justice, est proportionné à la nature humaine (*commensuratum naturae humanae*). Les païens eux-mêmes endurèrent de grandes souffrances plu­tôt que de trahir leur patrie. La volonté humaine peut donc s'y porter sans le secours de la grâce sanctifiante, mais non point sans l'aide de Dieu, origine de toute ten­dance au bien » ([^33]). Tel membre du corps se sacrifiera « volontiers » par exemple pour préserver le salut de l'en­semble dont il fait partie. Cette adhésion directe au bien du tout est comme le premier principe de l'ordre pratique, « principe évident par lui-même » ([^34]). 84:239 Dès que l'homme applique à son action sa raison pratique orientée consti­tutivement vers le bien et qu'il y dirige son attention, il s'aperçoit, dans une certitude irréfutable, que, sans sa collaboration au bien commun de l'union et sans son apport, si minime soit-il, aux bienfaits de la civilisation de la société où il vit, il est incapable de vivre en homme. Aux époques où Aristote et saint Thomas rappelaient cette vérité de bon sens, la société n'était pas ébranlée *de l'intérieur* par le nihilisme conscient ou inconscient que cultivent ses membres et qui consiste toujours en la subor­dination, par tous les moyens imaginables, du bien com­mun au bien particulier, et des exigences essentielles de la vie sociale aux revendications et aux prétendus droits de la personne humaine. Ses assises restaient solides seul son sommet, le pouvoir, oscillait sous la pression de factions rivales qui voulaient le conquérir, jamais toutefois afin d'y substituer une *autre* société construite artificielle­ment par eux à leur seul profit. Aussi la société, la patrie, n'était-elle attaquée que *du dehors,* par *l'étranger,* par celui qui, ne faisant point partie de la société assiégée, prétendait la détruire pour en annexer les membres, en tout ou en partie, à la sienne. C'est un fait confirmé par l'histoire que les nations antérieures au XVI^e^ siècle ne craignaient que les autres nations, et que les guerres civiles qui parfois les déchirèrent furent des guerres déclenchées par des volontés de puissance personnelles. L'exemple le plus typique est celui des guerres civiles qui sévirent sous la République et sous l'Empire à Rome. Jamais la Répu­blique ni l'Empire ne furent contestés comme tels. Il en est de même des révoltes nombreuses qui éclatèrent au Moyen Age. Il faut attendre la Réforme pour que les guerres civiles religieuses évoluent en guerres civiles poli­tiques provoquées par la personne humaine désintégrée de son contexte social et n'ayant plus comme fin que d'ins­taurer le Paradis sur terre. C'était donc la crainte de l'ennemi extérieur qui était alors la plus importante. La force consiste dès lors beau­coup plus à réprimer la crainte qu'à modérer l'audace, et « c'est plus difficile, parce que le danger, objet commun de l'audace et de la crainte, tend de lui-même à modérer la seconde et à augmenter la première » ([^35]). 85:239 La vertu de force se définissant en son essence par son degré supérieur, se trouvera ainsi dans l'acte de supporter le danger en chassant la crainte, plutôt que dans l'acte de ramener l'audace à sa juste mesure. Se tenir immobile au milieu du danger exige une force plus grande. Ce n'est qu'en ap­parence que l'assaillant joue le rôle du plus fort, car il faut à celui qui lui résiste une force plus considérable pour refouler cette attaque : le péril où il se trouve est pour lui imminent, tandis qu'il paraît plus éloigné pour son adversaire qui s'imagine pouvoir être le vainqueur. Au surplus, « tenir ne va pas sans longueur de temps, attaquer au contraire est souvent l'effet d'un élan instan­tané ». Or il est plus pénible de rester longtemps ferme dans le danger que de se porter tout à trac dans une entre­prise ardue. Celui qui soutient le choc n'éprouve qu'une crainte superficielle bien qu'il ait des motifs présents à son esprit de craindre, tandis que celui qui attaque n'a aucun ou peu de ces motifs, sinon il ne passerait pas à l'offensive et d'audacieux il deviendrait timide. ([^36]) Du fait que l'acte principal de la force soit de résister, il ne faudrait pas conclure qu'il consiste *uniquement* dans la défensive. Un certain libéralisme moderne, sinon un certain christianisme qui s'en inspire jusqu'à l'intoxi­cation, y incite. Supporter les maux qui vous affligent n'intervient pas *comme tel* dans l'exercice de *la vertu* de force. Il faut encore avoir des raisons de le faire. Ce sont elles qui sont déterminantes et qui confèrent à la force la puissance d'endurer l'épreuve. C'est parce que l'âme se cramponne à une réalité plus haute qu'elle-même (dont elle perçoit, par son intelligence pratique, qu'elle trouve en elle sa fin *propre :* le bien commun de la Cité ou le bien universel qui est Dieu) qu'elle peut résister. Sans cette perception intelligente, elle ne pourrait jamais éliminer la crainte puisque le recours à la passion contraire de celle-ci : l'audace, lui est interdit par la peur même qui l'envahit. ([^37]) Il ne lui reste pour résister à la crainte que la raison seule. Endurer le mal par acceptation *pas­sive* n'est ni humain ni chrétien. 86:239 L'endurance implique une puissante activité de l'âme, une compréhension vigou­reuse du bien qu'il faut accomplir malgré tout, une ardente propension à l'atteindre, même au prix de la souffrance physique et de la mort ([^38]), sans le moindre romantisme et parce que la raison commande de le faire. Il suit de là que la vertu de force implique secondai­rement, mais nécessairement, l'attaque. Une certaine tolé­rance toute moderne, qui noue des liens secrets avec la complicité, sinon avec une hypocrisie dérivée d'un pseudo-christianisme, nous porte à l'oublier. Il faut dire au con­traire que, s'il est possible d'attaquer sans résister au mal, toute résistance inclut une réaction à ce mal, et, par voie de conséquence, une attaque : si l'organisme résiste aux microbes, il vise aussi à les éliminer. C'est pourquoi si la vertu de force n'emploie que la raison dans son acte pre­mier de résistance, elle doit, autant que possible, dans son acte deuxième, se rendre victorieuse du mal pour parvenir au bien dont la forme la plus haute qui la définit est, répétons-le sans lassitude, le bien commun. A cette fin qui est vraiment sa fin, comme elle est la fin de toute vertu, elle fait appel, selon la philosophie réaliste du Maître de ceux qui savent, ou du moins de ceux qui s'appliquent à savoir, à une passion que les « modérés » réprouvent : *à la colère.* La colère est privi­légiée entre toutes les passions que les vertus morales utilisent avec mesure, l'homme étant indivisiblement un animal-raisonnable, parce qu'elle permet seule à la force de parvenir *réellement* à son bien. La colère ou « élan contre ce qui fait souffrir » est, en effet, comme le dit Aristote, « la source la plus naturelle de la force et, si la force qui en découle est délibérée et ordonnée à une fin bonne, elle devient une vraie ver­tu » ([^39]). Elle contient en effet en elle presque toutes les passions, non qu'elle en soit le genre vis-à-vis des espèces, ni la cause vis-à-vis des effets, mais en tant qu'elle en est la résultante ([^40]). Nombreuses sont les passions qui débou­chent sur la colère dès qu'elles sont frustrées. 87:239 En ce sens, la raison qui règle et mesure la colère en vue du bien dont la forme la plus haute, condition de toutes les autres et se retrouvant en elles, est le bien commun, dirige presque toutes les passions vers sa fin propre : l'établissement de la justice par la vertu de force dont la colère devient le moyen adéquat de l'aider à cette réalisation. « La colère est l'auxiliaire des forts », écrit Aristote son énergie sert d'appoint à la volonté ferme et constante de rendre à chacun son dû, qui définit la justice. Sans la colère, pénétrée de raison, il n'est pas de justice ni de sanction de l'injustice possibles, ose écrire saint Thomas « La colère voit dans le mal qu'elle désire infliger une juste revanche. Ceux contre qui elle s'insurge sont donc des gens avec qui nous avons des rapports qualifiés par la justice et son contraire : punir en effet, c'est faire justice ; léser quelqu'un, c'est commettre une injustice. Dès lors, tant du côté du motif, à savoir le tort subi de la part des autres, que de la répression de l'injustice commise, la colère s'adresse à ceux qui ont avec nous des rapports de justice et de préjudiciable à celle-ci. » ([^41]) Nous avons complètement perdu ce sens de la juste colère comme indispensable à la vertu de force et à la *réalisation* de la justice. Pour nous, modernes, la colère est une révolte contre le sort qui nous est fait personnelle­ment ou qui est fait à ceux que nous identifions en imagi­nation avec notre moi. Elle éclate alors en violence. Sans doute, saint Thomas nous assure-t-il que « le motif de la colère est toujours quelque chose qui a été fait contre celui qui en est le sujet » ([^42]). Elle est une réaction en face d'un obstacle qui, sous forme d'injure, se dresse devant notre subjectivité et que nous considérons comme une injustice qui nous est faite personnellement, ou à d'autres que nous rassemblés en une sorte de personne collective avec laquelle nous nous confondons. Les exemples en sont innombrables dans la politique actuelle. Mais la juste colère qui alimente la force n'a rien de subjectif, sauf sous son rapport de cause motrice. Or, en matière d'action, ce n'est pas la cause motrice qui commande, mais *la cause finale :* le bien. C'est moins l'injure que nous subissons personnellement qui met en branle la juste colère, que l'obstacle dressé devant le bien *objectif,* devant le bien commun dont la poursuite est inscrite dans la nature de l'homme -- et dans sa nature élevée au surnaturel. 88:239 Comme la force dont nous avons dit avec saint Thomas qu'elle « a une utilité générale qui est de maintenir *l'ordre de la justice tout entier* (*totum justitiae ordinem*) »*,* la juste colère qui en est la servante a pour fin de rétablir intégralement cet ordre, ce qui ne peut se faire que si la raison pratique la dirige vers sa propre fin : le bien commun, origine de tous les autres. Ainsi la juste colère du Christ qui chasse de son fouet les marchands du Temple afin d'en purifier le sanctuaire divin. Ainsi la justice hu­maine qui, naguère encore, frappait de la peine de mort l'auteur d'un meurtre prémédité contre un membre de la société, afin de restaurer l'ordre social perturbé par la présence d'une partie indigne d'être une partie du tout. (*A suivre.*) Marcel De Corte*.* 89:239 ### La vie à Nazareth LE TEMPS qui sépare Noël et Pâques, ces deux grands flambeaux de l'année liturgique, suggère à l'âme un troisième mystère moins éclatant, plus doux et plus protégé du regard des hommes : celui de la *vie cachée* dont saint Luc soulève un coin du voile lorsqu'il écrit : « Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Luc II 52). -- Quelle simplicité et quelle dignité en cette évocation de Jésus grandissant ! Quel profond mystère capable de ravir nos âmes et de les jeter aux pieds de cette famille formée des trois plus grands saints que la terre puisse jamais porter : le Verbe, Deuxième Personne de la Tri­nité, l'Immaculée-Conception, Reine de l'univers, Joseph le juste, Ombre du Père, gardien de la Sainte Famille. Et ces trois besogneux vivaient du salaire d'un artisan de village. Nous aimerions demander aux théologiens et aux exégètes de nous parler de cette famille parfaitement sainte, de cette Trinité en la terre, honneur de notre humanité, et ils se taisent. 90:239 Eh bien, que les docteurs patentés se taisent, -- *taceant doctores.* Ce que nous voulons savoir relève davantage de la contemplation et de la prière que du savoir humain. Cela est d'un autre ordre disait Pascal. « Non, Messieurs, s'écrie saint Vincent de Paul, ni la philosophie, ni la théologie, ni les discours n'opèrent dans les âmes ; il faut que Jésus-Christ s'en mêle avec nous, ou nous avec lui ; que nous opérions en lui, et lui en nous ; que nous parlions comme lui et en son esprit, ainsi que lui-même était en son Père, et prêchait la doctrine qu'il lui avait enseignée ; c'est le langage de l'Écriture sainte. » Tâchons donc de nous approcher doucement du mystère de la *vie cachée ;* prenons place dans un coin de la maison et demeurons immobiles dans la pénombre : « Silence ! Il pleut doucement sur Nazareth. On entend un enfant qui pleure et cette voix de la mère qui le tance. Ce cri du rabot et de la scie dans l'atelier, c'est Joseph, et ce brin de fagot qu'on casse, ce tintement d'un vase heurté, Marie est là. Le matin et le soir et à midi ils prient ensemble, ils chantent quelquefois, ils mangent du même plat à la même table, ils se répartissent les tâches. Ils dorment la même nuit et se réveillent au même rayon. Ils attendent, ils sont absorbés dans la même attention tacite, dans la même sensibilité. Au milieu des hommes, ils existent comme dans le désert. Il y a quelque chose d'éventuel qu'il ne faut pas effaroucher. Ils respirent une atmosphère accessible à Gabriel. » ([^43]) Doit-on ajouter quelque chose à cela ? Parmi les vertus qui régnaient à Nazareth il y a la douceur. Non pas la douceur négative qui n'est qu'une atténuation de la violence mais une qualité de sentiment et d'expression émanée de la douceur même de Dieu. -- *Mon Fils pourquoi nous avez-vous fait cela ?* *Il redescendit avec eux à Nazareth et il leur était soumis.* 91:239 Que se passait-il dans la maison du charpentier ? Quelles conversations, quels événements y étaient habi­tuels ? Frappe-t-on à la porte de la maison du charpentier, nous aimerions nous glisser derrière l'un des clients qui réclame (toujours trop tôt) son essieu de charrette ou son timon qui a besoin d'être renforcé. -- L'enfant qui va ouvrir c'est Iéchouah, le fils de Joseph ; un enfant pareil à tous les autres. Sur ces terres que baigne la Méditerra­née, tous les enfants de 10 à 12 ans se ressemblent. Le même petit corps fin et agile supporte une tête intelligente avec un air grave et des yeux interrogateurs. Nous aime­rions savoir la couleur du jour lorsque, le soir venu, Marie allumait les lampes, geste rituel accompagné d'une béné­diction qui revenait à la mère de famille. La Sainte Vierge prononçait alors le *bérakoth* du soir : « Je te bénis, Éternel mon Dieu et Dieu de mes pères de ce que tu m'as permis de voir le soleil au coucher comme au lever. » Et l'Enfant Jésus s'initiait à la prière de son peuple en regardant la Vierge Marie prononcer les nombreuses bénédictions si belles et si touchantes qui parsemaient la journée des pieux Israélites. Dès que Jésus sut parler il apprit le *schéma,* prière du matin et du soir qu'il récitait tourné vers le Temple, ses petites paumes des mains ouvertes comme le prêtre à l'Autel : « Écoute, ô Israël, ton Dieu est unique !... » Puis lorsqu'il sera devenu jeune homme, Jésus récitera les prières avec Joseph, le front lacé de phylactères, sortes de sachets de cuir contenant des morceaux de parchemin où sont inscrits des versets de la Loi. Les fils d'Israël maté­rialisaient ainsi le commandement qu'il leur était fait d'avoir la loi toujours fixée devant les yeux. Jésus, plus tard, stigmatisera la conduite des Pharisiens qui porteront les phylactères avec ostentation. Le reproche de Jésus concerne l'intention vaniteuse et ostentatoire, non l'usage irréprochable en soi d'introduire des versets de la Torah dans de petites boîtes et de les attacher à son front. Jésus, comme sa Mère, s'est montré zélé observateur de la Loi et des rites de la religion d'Israël. 92:239 C'est une leçon pour nous, à une époque d'intellectua­lisme où les signes sont galvaudés, méprisés, ridiculisés. Les rites et les coutumes sont des programmes spiri­tuels, des pensées en actes infiniment précieuses, venus du fond des âges, qui contribuent à sauver dans l'être humain la conscience de son identité et de sa vocation. Les rites sont des chaînes de piété et d'amour qui nous relient aux ancêtres ; même au plan naturel ils sont sacrés. La moindre coutume léguée par les anciens est un sacrement naturel de la fidélité. C'est pourquoi les peuples chargés d'histoire et menacés dans leur indépendance en usent plus que les autres. Les races fortes ritualisent beaucoup. Dans les civili­sations décadentes, en revanche, le pouvoir de signifier s'atrophie : on tombe très vite dans l'insignifiant. Nous en savons quelque chose. La liturgie familiale, du temps de Jésus, consistait essentiellement en bénédictions. *L'Amida* comprenait 18 bénédictions attribuées à Esdras. Ainsi toute l'existence en Israël baignait dans une atmosphère sacrée ; les moin­dres événements s'accompagnaient de bénédiction. On ne prononçait pas le nom du Très Haut sans ajouter aussitôt : *Qu'il soit béni !* Nous lisons dans une Bérakoth : « Celui qui jouit de quelque chose sans bénir Dieu, c'est comme s'il volait le ciel » -- (Bérakoth 35 B). On peut voir au temps de l'exil, en Daniel VI 11, ce tableau pris sur le vif : « Aussitôt qu'il apprit que le décret (d'interdiction de prier) était signé, il alla à la maison, se mit à la fenêtre qui donnait sur Jérusalem et trois fois par jour il tombait à genoux, priait et rendait grâce à Dieu. » Ainsi faisait Jésus. 93:239 La maison du charpentier se conformait également au rite de la *Mezouzah,* comme toutes les maisons d'Israël. C'était un simple poteau à l'entrée de la maison contenant un verset de la Loi. Par la Mezouzah, la plus pauvre cabane en Israël devenait un sanctuaire du Très Haut. « L'homme, dit Maïmonide, doit remplir rigoureusement cette Loi. Chaque fois qu'il rentre ou qu'il sort de sa maison il rencontre le Nom du Dieu Unique (béni soit-il), se rappelle son amour, se réveille de sa torpeur et se souvient qu'il n'y a rien de vrai et de durable que la connaissance du Créateur de l'univers. » La prière des psaumes tenait une grande place dans la piété juive. Marie, petite pensionnaire au Temple, les avait copiés et appris par cœur. La récitation par cœur appartient à la culture de l'esprit dans toutes les civilisations. A l'école, les enfants grecs apprenaient par cœur les chants de l'Iliade, les petits Israélites les psaumes de David. Lorsque le vendredi soir, début de l'office sabbatique, Marie se rendait avec Joseph à la synagogue, elle apercevait de la tribune des femmes la tête bouclée de son Iéchouah. Sur le retour on faisait les derniers préparatifs permettant de cesser toute activité pendant la journée du lendemain vouée au repos sabba­tique. Et on méditait sur les psaumes qui avaient été ré-cités. Jésus était, de par sa science humaine acquise, a même d'étudier et d'apprendre en toute vérité ce qu'il savait par sa science infuse. Il y a là non pas un paradoxe ou une contradiction mais un grand mystère. Voici ce que la sacrée théologie nous enseigne sur ce point : Jésus était doté en venant au monde de quatre scien­ces pour ainsi dire superposées : -- *L'omniscience divine* capable d'étreindre l'océan in­fini de Dieu, Jésus la possédait comme Verbe mais la ca­pacité créée, donc limitée, de son intelligence *humaine* en était privée. -- *La science de vision* appartenait-elle à la nature humaine de Notre-Seigneur ? -- Oui, l'âme du Christ *viator et comprehensor,* unie hypostatiquement au Verbe, était inondée des splendeurs de la Vision béatifique. Mais cette science de vision échap­pant de par sa hauteur à tout essai de traduction concep­tuelle, laissait l'âme sans force devant le mystère ineffable d'un spectacle intraduisible. 94:239 L'intelligence comme éblouie manquait d'une lumière proportionnée à son mode normal de connaissance. C'est pourquoi le Christ reçut une autre science dite infuse qui lui permettait de pénétrer toutes les essences sans pour autant *brûler* le regard de l'âme : -- *La science infuse,* non péniblement liée au mode de connaissance par abstraction du sensible, mais analogue au mode de connaissance angélique, le Seigneur Jésus, Roi des Anges pouvait-il en être dépourvu ? La science infuse échue au premier homme comme roi de la création, peut-elle être refusée au Christ homme nouveau, roi de la création dans l'ordre naturel et surnaturel ? Cette science infuse, l'âme de Notre-Seigneur lui permettait de savoir tout ce qui était en rapport avec son rôle de Rédempteur, de Roi des hom­mes et des Anges, de Prophète qui scrute et réalise les prophéties, de Souverain Prêtre qui lit dans les âmes, me­surant leur grâce et leur flétrissure ; en bref qui voit, qui juge, qui guérit. En outre, elle lui permettait de se dire à lui-même *qui il était,* sans quoi il y aurait eu entre sa science de vision ineffable et sa science acquise par mode expérimental, un hiatus, un trou psychologique : Jésus n'aurait pu savoir que conjecturalement qu'il était le Fils de Dieu ! -- Enfin *la science acquise* venant compléter et cou­ronner humblement l'âme de Jésus, achevait de configurer le déploiement de son intelligence à notre propre mode de connaître pour le constituer guide et modèle dans notre effort de perfection. C'est pourquoi il est si profondément théologique de parler aux enfants du petit Jésus. Car Jésus a vraiment appris à marcher, tenu sous les aisselles, tour à tour par son père et sa mère, lançant ses petites jambes au hasard et puis avec plus de précision ; il a vraiment appris à parler, depuis sa première parole balbutiée en araméen « Immi !... » (Maman) jusqu'au vocabulaire acquis par désignation des objets « ça ? ça ?... » Lui qui était le Verbe ! Plus tard il sera modèle des apprentis sous le regard émerveillé de saint Joseph. On devine que, par délicatesse envers son père, jamais il n'usa de sa science infuse dans l'apprentissage de son métier. 95:239 Il n'était pas rare à l'époque de voir des maîtres en Israël adonnés à un travail manuel. Rabbi Shammaï était fendeur de bois ; rabbi Hillel, le grand-père de Gamaliel, était charpentier. Mais Jésus ne passa point dans les écoles des scribes, ce qui suscitera l'étonnement de ses auditeurs : « D'où tire-t-il cette science ? N'est-il pas le fils du char­pentier Joseph ? » Jésus a-t-il vraiment appris à prier comme tous les enfants de Palestine ? Oui, il a vraiment appris à prier, à chanter les psaumes. Quelle joie pour sa Mère de voir que « ça rentrait » si bien ! Puis, soudain au-dessus de la joie et de la fierté maternelle, il y eut des moments d'illumination intérieure et de ravissement. Songez que, par tendresse pour sa Mère, Jésus n'a pas voulu seulement épeler à merveille les versets des psaumes. Il chercha également à lui en révéler le sens caché en se permettant alors d'exercer le privilège royal et prophétique de sa science infuse. Imaginons qu'au retour de la Synagogue, Jésus ouvre l'un des rouleaux ; il tombe sur le psaume 100 qui a été chanté peu auparavant et il regarde sa Mère *dont le cœur devient tout brûlant* tandis qu'il lui dévoile le sens des Écritures ! (Luc XXIV, 32.) Jésus chante le premier verset : *misericordiam et ju­dicium cantabo tibi Domine.* « Voici comment je chante, Seigneur, votre Miséricorde et votre Justice ! » Marie chante le deuxième verset : *Psallam et intelligam in via immaculata quando venies ad me !* Et Jésus expli­que : « Ô Mère, lorsque je suis venu à vous, vous chantiez le psaume intérieur avec l'intelligence du Mystère, dans une voie immaculée ! » Et Jésus chante le troisième verset : *Perambulabam in innocentia cordis mei, in medio do­mus meae !* « Je marchais dans l'innocence de mon cœur, au milieu de ma maison ! » « Ma maison c'est Nazareth ; un jour ce sera la Sainte Église que je formerai avec le cœur des saints et mon Père et moi nous y viendrons, comme au jardin de Paradis, à la brise du jour. 96:239 Mais maintenant déjà je marche au milieu de ma maison. C'est-à-dire parmi vous, âmes saintes de mon père et de ma mère qui êtes ma première Église (et jamais, elle n'aura été aussi sainte). Je marche avec vous dans la joie et dans l'innocence de mon Cœur ! Ainsi leur dévoilait-il par les psaumes le mystère de leur propre élévation. Puis doucement, la lumière s'atténuait, le Verbe illu­minateur qui regarde les siècles redevient l'enfant qui interroge, qui apprend, modèle de croissance humaine dans l'humilité et la rigueur de l'Incarnation. Cependant tout gravite autour de lui. Non seulement il est le Verbe qui gouverne le monde, mais l'histoire s'or­ganise en fonction de sa naissance. L'an 50 avant J.-C., Jules César, vainqueur des Gaules, passe le Rubicon. Vers la même époque, Virgile compose la IV^e^ églogue de ses Bucoliques. Il y célèbre un enfant mystérieux dont la naissance doit clore l'âge de fer et ramener l'âge d'or dans le monde entier : « Commence, petit enfant, lui dit-il, à connaître ta mère à son sourire ! » « *Incipe, parve puer, risu cognoscere Matrem ! *» Les critiques se battent les flancs pour savoir de qui parlait le poète. Mais nous savons que le don de prophétie a débordé largement le cadre du peuple élu. Et les vers si célèbres de Charles Péguy remontent dans notre mémoire : *Les rêves de Platon avaient marché pour lui* *Du cachot de Socrate aux prisons de Sicile.* *Les soleils idéaux pour lui seul avaient lui.* *Et pour lui seul chanté le gigantesque Eschyle.* *Et les pas de César avaient marché pour lui,* *Du fin fond de la Gaule aux rives de Memphis.* *Tout homme aboutissait aux pieds du divin fils.* *Et il était venu comme un voleur de nuit.* 97:239 L'intelligence grecque, les conquêtes romaines, tout aboutissait au pied du divin Fils. Le voleur de nuit s'est caché trente ans dans une humble bourgade pour donner un prix infini aux gestes familiers de notre existence, et nous interdire à jamais de penser que notre pauvre vie soit indigne des richesses promises au désir de l'âme. Combien se plaignent de leur cadre de vie et de leurs maigres ressources ! Ont-ils pris modèle sur Dieu ? Un de la Trinité a réclamé en gémissant le lait de sa mère, balbutié, pleuré ; appris à marcher, à parler, à lire, et à écrire. Un de la Trinité a goûté aux saintes affections de la terre : le chaste amour, le respect, la piété, la douceur, la ten­dresse filiale. 98:239 Un de la Trinité a donné l'exemple des vertus ordinaires, de la vie en communauté, du travail bien fait. Or tout cela revêtait une signification et une valeur proprement infinie. L'honneur de l'humanité et le remède aux tentations de la démesure consiste à se reporter fré­quemment en esprit aux jours de la Sainte Famille à Nazareth. Benedictus*.* 99:239 ## TEXTE ### Libéralisme et libertés par Charles Maurras C'est un texte célèbre qui, à l'heure qu'il est, avec le temps qu'il fait, deviendrait vite un texte oublié. Si nous laissions faire. Il date de 1905. Maurras avait trente-sept ans. UN COLLABORATEUR du *Peuple français*, le journal de M. l'abbé Garnier, a reproduit, sous ce titre légè­rement ironique : « C'EST CLAIR », les lignes sui­vantes détachées d'un article de moi : « ...J'ajouterais, pour être absolument clair, que c'est par dévouement aux libertés réelles que nous excluons absolument tout libéralisme : comme c'est par respect et par amour du peuple que nous excluons toute démo­cratie. » 100:239 Là-dessus, mon confrère anonyme ajoute, en termes fort courtois, que ce que je trouve absolument clair lui paraît « malheureusement » bien obscur. Ce malheur est possible, et je le regrette. Je n'imagine pourtant pas que l'on puisse formuler en termes plus nets l'opposition de la doctrine libérale, ou libéralisme, et des libertés réelles, concrètes, pratiques, -- ni qu'on puisse déclarer moins obscurément l'incompatibilité du bien réel du peuple avec la démocratie conçue comme doctrine ou comme insti­tution. Cette antinomie (il est vrai), cette opposition (j'en con­viens), je me contentais de les affirmer : je n'en fournis­sais pas la démonstration. Mais celle-ci a été donnée mille fois par d'autres, par moi-même, et l'on ne peut pas tou­jours se recommencer. Si toutefois cette répétition peut convenir au rédacteur du *Peuple français,* je suis à ses ordres. #### I. -- Le libéralisme Le libéralisme est la doctrine politique qui fait de la Liberté le principe fondamental par rapport auquel tout doit s'organiser en fait, par rapport auquel tout doit se juger en droit. Je dis que le libéralisme supprime donc en fait toutes les libertés. Libéralisme égale despotisme. Je le démontre. En religion Dans l'ordre religieux, la liberté-principe peut tout admettre hors l'aliénation de la liberté, d'elle-même. Un homme qui aliène sa liberté personnelle n'est plus un homme, dit la philosophie libérale. Il a perdu son rang et sa dignité. Mais, objectera-t-on, il fit acte de liberté en immolant sa liberté ? Il n'avait pas ce droit de l'immoler. La liberté, c'est l'intangible. « Pas de liberté contre la liberté. » 101:239 Dès lors, point de vœux monastiques. Dès lors, point de Congrégations. C'est le sophisme protestant des Renouvier et des Buisson. Mais qu'on y prenne garde : ce raisonnement est sophistique parce que le point de départ en est faux : il n'est point vrai que *la* liberté soit un principe fondamental. Mais, si la prémisse était vraie, la conclusion le serait aussi. C'est très logiquement, très ri­goureusement que M. Buisson a déduit la loi de 1901 du principe libéral. Dans le principe libéral, la liberté des ordres religieux serait chose immorale. Dans le principal libéral, cette liberté doit être étouffée. Et voilà donc une première liberté dont la conquête exige au préalable le ren­versement du principe libéral. Si nous nous dévouons à la liberté des congrégations religieuses, liberté définie, *liberté réelle* et pratique, nous devons faire la guerre au libé­ralisme. En économie politique Dans l'ordre économique, la liberté-principe veut que la concurrence des libertés individuelles, d'où le bien doit sortir inévitablement, soit œuvre sacrée. Il n'y a qu'à laisser faire et à laisser passer. Toute intervention de l'État ou de la Société mérite le nom d'attentat et presque de profanation. Le statut du travail doit donc être individuel. Autant par respect pour sa liberté propre que par véné­ration de la mécanique du monde, l'ouvrier doit respecter les injonctions du décret Le Chapelier et s'interdire sévè­rement toute association, corporation, fédération, tout syn­dicat d'ordre professionnel, de nature à troubler le libre jeu de l'offre et de la demande, le libre échange du salaire et du travail. Tant pis si le marchand de travail est un millionnaire maître absolu du choix entre 10.000 ouvriers : liberté, liberté ! La liberté économique aboutit donc, par une déduction rapide, à la célèbre liberté de mourir de faim. J'oserai l'appeler une liberté négative, abstraite ; mieux : une liberté soustraite. Toute liberté réelle, toute liberté pratique, tout pouvoir libre et certain de conserver sa vie, de soutenir sa force, est refusé à l'ouvrier tant qu'on lui refuse la liberté d'association. 102:239 Il a fallu le déclin des idées libérales pour obtenir, dans l'ordre économique, un certain degré de liberté d'as­sociation. Pour étendre cette liberté, pour l'étoffer, pour la nourrir, on devra écraser tout ce qui subsiste du libéralis­me dans les esprits. Êtes-vous dévoués au libéralisme, ou­vriers, ou préférez-vous vos libertés, libertés de fait ? C'est à vous d'opter, mais il faut opter. Il faut « exclure tout libéralisme » ou renoncer à toute liberté effective. En science politique Dans l'ordre politique ([^44]), le libéralisme, exprimé à la première phrase du *Contrat social* et au premier article de la Déclaration des Droits de l'homme, porte que l'hom­me naît libre. Le libéralisme veut dégager l'individu hu­main de ses antécédences ou naturelles ou historiques. Il l'affranchira des liens de famille, des liens corporatifs et de tous les autres liens sociaux ou traditionnels. Seule­ment, comme il faut vivre en société, et que la société exige un gouvernement, le libéralisme établira le gouvernement de la société en accordant un suffrage à chaque liberté et en faisant le compte de ces souverains suffrages. La ma­jorité, exprimant ce que Rousseau appelle la volonté gé­nérale, exprimera ainsi en quelque sorte une liberté géné­rale : la volonté de la majorité devient dès lors un décret-loi contre lequel personne ni rien ne saurait avoir de recours si utile et si raisonnable, ou si précieuse et si sacrée que puisse être cette chose ou cette personne. La liberté-principe établit une règle qui ignore méthodique­ment les forces et les libertés particulières ; elle se vante de créer toute seule la liberté de chacun ; mais, en pra­tique, l'histoire le montre bien, cet individualisme affaiblit les individus. C'est son premier effet. Le second est de tyranniser, sans sortir du « droit » tous les individus n'appartenant pas au parti de la majorité, et ainsi de détruire les derniers refuges des libertés réelles ([^45]). 103:239 Tels sont les deux effets successifs de la Liberté politique (ou volonté du peuple) sous son aspect le plus connu, qui est celui de la « démocratie libérale » ou démocratie fondée sur la Liberté, Liberté fondant son gouvernement. Il y a une autre forme de libéralisme, plus aiguë, plus logique, à laquelle arrivent toujours, quand ils ont persisté dans l'opposition, les partis libéraux : ils se font anar­chistes purs. Le principe libéral, en ce cas, ne détruit pas seulement ces liens de famille, de tradition et de relation, créateurs de forces de résistance et centres de pouvoirs il renverse l'État, il nie la Patrie. Il livre donc l'État à l'arbitraire du désordre et aux coups des révolutions, com­me il ouvre la Patrie aux armes de l'Étranger. Par ce libéralisme absolu, l'homme *né libre* tend à perdre : 1° la liberté d'aller et de venir dans la rue sans être assommé ; 2° son indépendance de citoyen d'une nation déterminée. Telle est la conséquence naturelle du libéralisme non mitigé : il tue la société et, par là même, toutes les libertés contenues dans la société existante. Quant au libéralisme mitigé, s'il laisse subsister la société, il la caporalise sous la moins juste, la plus rude et la moins responsable ([^46]) des dictatures, celle du nombre. Ainsi, libéralisme et despotisme, c'est tout un. Le dévouement aux libertés commande donc le sacrifice de l'idole et de la nuée Liberté. « *Est-ce clair ? *» 104:239 #### II. -- La démocratie La démocratie est le gouvernement du nombre. On appelle encore démocratie l'état social démocra­tique, -- un état égalitaire de la société dans lequel les différences de classes seraient inexistantes ou abolies. On appelle enfin démocratique un ensemble d'idées et un corps d'institutions ou de lois, *tendant* soit au gouver­nement du nombre, soit à l'état égalitaire de la société. Je dis que, par respect et par amour du peuple, nous excluons toute démocratie, sous l'un quelconque des trois aspects précités. Et je le prouve. Le gouvernement du nombre Il faut exclure le *principe* du *gouvernement du nombre,* parce qu'il est absurde dans sa source, incompétent dans son exercice, pernicieux dans ses effets ([^47]). Nous prions nos contradicteurs de prendre garde à ces mots : « principe du gouvernement », surtout à *principe.* Car, si, sous le nom de gouvernement du nombre, vous parlez d'autre chose, si vous donnez au nombre un maître, un souverain, -- loi divine ou humaine, loi abstraite ou vivante ([^48]), -- vous pouvez dire : « J'ai associé le nombre au gouvernement » ; 105:239 vous ne pouvez pas dire que le nom­bre *est* le gouvernement, car ce gouvernement serait gou­verné lui-même, selon votre propre langage, par un maître, par un guide, par une règle autre que lui. Cela peut être mieux, cela peut être pis, c'est tout autre chose, à coup sûr : c'est autre chose qu'un gouvernement ayant son *principe* dans le nombre. Or, c'est de ce dernier que nous voulons parler ; il est le seul en discussion. Donc, nous respectons trop le peuple pour aller lui dire : -- *Il suffit de compter les voix des incompétents, pour résoudre les questions d'intérêt très général qui exi­gent de longues années d'étude, de pratique ou de médi­tation ; il suffit de recueillir et d'additionner les suffrages des premiers venus pour réussir les choix les plus délicats* ([^49])*.* Nous aimons trop le peuple pour aller lui chanter ces choses. L'amour et le respect du peuple nous permettent de proposer au peuple, j'entends par là l'ensemble des citoyens organisés, la gestion des intérêts où il est compé­tent, ses intérêts locaux et professionnels. Le même senti­ment nous oblige à lui refuser la gestion des intérêts géné­raux de la nation, je dis la nation française, parce que ces intérêts sont beaucoup trop complexes pour être également et clairement sensibles à la pensée de tous. Prise en fait, « la démocratie c'est le mal, la démocratie c'est la mort » ([^50]). Le gouvernement du nombre tend à la désorganisation du pays. Il détruit par nécessité tout ce qui le tempère, tout ce qui diffère de soi : religion, famille, traditions, classes, organisations de tout genre ([^51]). 106:239 Toute démocratie isole et étiole l'individu, développe l'État au-delà de la sphère qui est propre à l'État. Mais, dans la sphère où l'État devrait être roi, elle lui enlève le ressort, l'énergie, même l'existence. « Nous n'avons plus d'État, nous n'avons que des administrations. » La forte parole de M. Anatole France se vérifie partout où l'erreur démocratique affecta les institutions et les lois. C'est un fait que la démocratie corrompt tout. Nous le disons au peuple, parce que cela est. Dire au peuple ce qui n'est pas, serait lui manquer de respect. Lui débiter des fables pernicieuses, c'est tantôt le haïr, tantôt le mal aimer. Profiter, pour lui faire ce mensonge, de la confiance naïve qu'il a voulu placer en vous, c'est abuser de lui, le trahir et vous dégrader vous-même. Voilà pourquoi nous prenons le peuple à témoin de la vivacité de notre haine pour la démocratie et pour ce principe, absolument faux, de la souveraineté du nombre. Notre honneur est en cause, en même temps que la sécurité française et tous les autres biens publics. L'état social démocratique Quant au « fait » de l'état social démocratique, nous le reconnaîtrions s'il s'agissait de la Norvège ou de quelque pauvre canton de la montagne suisse où parfois il subsiste une certaine égalité, une équivalence de conditions entre citoyens. Mais nous sommes en France, dans le riche pays de France, dans un beau vieux pays que différencièrent profondément quatorze siècles d'activité politique, civile, militaire et économique ! Non, cette égalité n'existe pas dans notre pays. Oui, les différences de classes y existent. Non, on ne les y a pas abolies. J'ajoute : -- Ni en France ni dans le reste du monde, c'est-à-dire ni en Amérique ni en Europe, y compris la plus pauvre Suisse, la plus égalitaire Norvège, n'existe une tendance des conditions et des classes à s'égaliser. Les choses, loin de se niveler, se différencient de plus en plus : en premier lieu par l'effet du progrès matériel et financier ; en second lieu par suite des progrès du socia­lisme (doctrine essentiellement aristocratique, en dépit de ses attaches provisoires avec la démocratie, doctrine d'*orga­nisation* ouvrière, comparable au mouvement bourgeois et communaliste des XI^e^ et XII^e^ siècles) ; 107:239 en troisième lieu, par la rencontre des nationalités et des races, qui, loin de fusionner, se heurtent en vue de se subordonner les unes aux autres : la guerre universelle, en désignant de quel côté sont les plus forts, tend à instituer la hiérarchie géné­rale. L'Amérique que l'on nous donne pour le peuple de l'avenir, est précisément un pays très sensible aux néces­sités de l'organisation économique et militaire : la démo­cratie existe bien chez elle, à quelque degré, mais dans le passé : ses premiers colons du XVII^e^ siècle, les transfuges du *May flower,* presque égaux entre eux, furent démo­crates ; ses habitants d'aujourd'hui dédaignent la démo­cratie à peu près dans les termes qu'employait leur Edgar Allan Poe : « En dépit de la voix haute et salutaire des lois de gradation qui pénètrent si vivement toutes choses sur la terre et dans le ciel, des efforts *insensés* furent faits pour établir une démocratie universelle. » Rien ne montre mieux l'échec de ces « efforts insensés » que le caractère de tels mouvements récents qui se présen­tent sous une forme démocratique. Ils n'ont rien de démo­cratique, au fond. Par exemple, le suffrage universel est désiré en Angleterre *pour* éviter le protectionnisme ; dans la monarchie austro-hongroise, *pour* faire prévaloir les aspi­rations de certaines nationalités ; ou *pour* secouer le joug de certaines autres ; en Allemagne, en Belgique, en Russie même, *pour* favoriser un mouvement socialiste ; mais nulle part on ne réclame l'égalité politique en elle-même, comme cela se voyait par toute l'Europe en 1848. L'avenir, comme le progrès, est à l'ordre. Il n'est pas à l'égalité. Si nous persuadions le peuple français des triomphes futurs de la démocratie, nous lui enseignerions une erreur dont il souffrirait par la suite. De plus, nous parlerions contre notre pensée. C'est donc par respect pour le peuple que nous lui disons la vérité toute franche, c'est par amour du peuple que nous lui épargnons les flagor­neries qui le perdraient. 108:239 L'esprit démocratique Le même sentiment nous interdit d'encourager le peuple à considérer comme désirable soit le gouvernement du nombre, soit l'état démocratique de la société. Sans doute, les deux désirs et les deux idées existent de nos jours. Cependant ils n'existent point seuls. D'autres tendances, d'autres désirs, d'autres idées existent et peuvent, bien utilisés, s'opposer à l'effort funeste, empêcher cet effort de se réaliser. C'est à quoi justement nous avons toujours travaillé : l'amour vivant de la patrie peut vaincre le dé­mon de la fausse sagesse individuelle, ou encore le légitime intérêt personnel et professionnel, qui implique l'ordre ma­tériel et la paix sociale, résister aux subversions du génie de l'égalité. Si l'égalité constitutionnelle, qui nous livre à l'Étranger de l'intérieur -- Juif, Protestant, Maçon, Métèque, -- avant de nous livrer à l'Étranger du dehors -- Anglais ou Allemand, -- si cette égalité légale et verbale se déve­loppait librement jusqu'à son terme, elle créerait l'égalité sociale, le nivellement économique, l'universel appauvris­sement. Est-ce donc ce qu'il faut désirer pour le bien de chacun et de tous ? Aucun pays, aucun État ne subsistèrent de ce poison. Mais certains États dépérirent par la vertu de la petite goutte vénéneuse, dont un mot répété infecta les esprits. L'Athènes antique avait des énergies précieuses. La Po­logne moderne fut un peuple plein de vigueur. Athènes, Varsovie, ont été les victimes de l'intoxication démocra­tique. Elle fut à très faible dose, puisque ni les esclaves athéniens, ni les serfs polonais ne possédaient de droits politiques : eh bien ! une simple nuée devenue loi, une fiction constitutionnelle, dont les réalités se jouèrent sou­vent, ont été assez fortes pour livrer à la guerre civile, puis au pouvoir de l'étranger, ces deux races illustres qui valaient mieux que leurs vainqueurs. L'égalité ne peut régner nulle part ; mais son obses­sion, son désir, établissent un esprit politique directement contraire aux besoins vitaux d'un pays : l'esprit démo­cratique tue la discipline militaire et le peuple a besoin d'une armée ; l'esprit démocratique, par l'envie qu'il dis­tille, tue la concorde civile, la cordialité, la paix entre particuliers, et le peuple a besoin de concorde, de paix, de cordialité. *Morbus democraticus !* répétait Summer Maine. 109:239 L'amour et le respect du peuple interdisent donc de lui suggérer le désir de cette maladie. Avec Machiavel et Dante, nous ne conseillerons jamais au peuple de crier « Vive ma mort ! » \*\*\* Le rédacteur du *Peuple français* est-il satisfait ? « Est-ce clair ? » Charles Maurras*.* ® Copyright Nouvelles Éditions Latines. 110:239 ## NOTES CRITIQUES ### La question dynastique en France Guy Augé : *Succession* *de* *France* *et* *règle* *de* *na­tionalité*. Éditions « La Légitimité ». Diffusion D.U.C., 45, rue Rémy Dumoncel, 75014 Paris. *Première* *lecture*\ *par* *Louis* *Salleron* Exposé très fouillé sur la règle de succession monarchique en France. Rappelant les lois fondamentales du royaume, l'au­teur estime que le dépositaire actuel de la royauté légitime est, non pas le Comte de Paris, mais le Duc d'Anjou et de Cadix, chef de la Maison de Bourbon. Nous ne trancherons pas le débat. L'intérêt du livre, malgré sa confusion, est dans sa documentation remarquable qui permet à chacun de reprendre l'étude de la question si ses convictions ou ses intuitions sont différentes de celles de l'auteur. Louis Salleron. 111:239 *Deuxième* *lecture*\ *par* *Hervé* *Pinoteau* En un petit livre très dense, Guy Augé vient de rappeler les principaux points de droit qui désignent le Roi (qu'on me laisse ici le R majuscule) en notre nation mise à mal par la République. On sait que les royalistes français sont divisés sur la question du représentant de l'antique royauté, autrement dit sur le « Roi de droit » ou encore le « prétendant », terme peu français et venu de Grande-Bretagne au XVIII^e^. Une ma­jorité d'entre eux, mais ce terme serait à soigneusement peser, a la réputation de reconnaître l'aîné des princes d'Orléans, donc actuellement le duc d'Orléans qui se titre comte de Paris. Une étude sociologique démontre assez facilement qu'il y a là un conformisme de salon ou de parti qui vient de loin, des royalistes français étant acquis aux Orléans dès avant la mort du comte de Chambord, les plus bruyants d'entre eux ayant même rallié la monarchie tricolore de Louis-Philippe I^er^ roi des Français (l'étude des choix opérés par les pairs de France ou les chevaliers du Saint-Esprit en 1830 étant une des démonstrations de ce que j'avance). C'est dire la difficulté qu'avait le comte de Chambord à faire admettre sa politique par ses amis et par l'Assemblée nationale réunie après le désastre de Sedan. La fermeté du « Roi de droit » Henri V était d'autant plus délicate à mettre en œuvre qu'il n'avait pas d'enfant et que son successeur naturel, don Juan de Bourbon, ex-roi carliste, n'était qu'un prince ultra-libéral et ce à un point tel que les carlistes écœurés avaient proclamé roi son fils aîné, don Carlos VII (duc de Madrid). La paresse intellectuelle des royalistes n'a rien amélioré : l'étude du droit indiquait pourtant quelle était la loi de suc­cession, alors que tous les cours d'histoire du droit dans les facultés de droit et ceux relatifs à l'histoire des institutions dans celles de lettres, prouvent unanimement que notre Cou­ronne était dévolue selon des règles originales. En effet, la Couronne n'est pas la propriété du Roi et des princes de la dynastie capétienne ; ils ne sauraient donc en rien troubler son attribution à l'aîné des mâles issus d'Hugues Capet par mariages canoniquement valables, quelle que soit sa natio­nalité, beaucoup de branches de la maison royale s'étant établies à l'étranger pour le plus grand bien de la France. C'est ainsi que désignations de successeurs, abdications et renonciations étaient nulles, personne n'ayant le droit de toucher à une règle sacro-sainte, car réputée venir de Dieu même, ainsi que l'ex­pliquait le marquis de Torcy, ministre des affaires étrangères de Louis XIV, à l'ambassadeur de Grande-Bretagne. 112:239 Tout le monde sait que le traité de Troyes (1420) qui désignait un Roi autre que le dauphin Charles (VII), avait été récusé par une bonne partie de la nation et que Dieu envoya sainte Jeanne d'Arc pour maintenir le véritable Roi en place. De même, le parlement de Paris avait fait ce qu'il fallait pour ne pas enre­gistrer l'abdication de François I^er^ prisonnier à Madrid (1525) et la renonciation au trône de France faite par Philippe V d'Espagne, tant pour lui que par ses successeurs, à la suite de nos défaites et du traité d'Utrecht (1713), fut toujours tenue pour nulle par les rois de France, l'Assemblée nationale cons­tituante (1789), le comte de Chambord et même des rois d'Es­pagne (Philippe V, Charles III, Charles IV, Alphonse XIII). De même, avaient été anéantis le traité de Montmartre (1662) qui ajoutait les princes de Lorraine comme successibles à la Couronne de France en cas d'extinction des Bourbons (ITINÉ­RAIRES, n° 147, nov. 1970, p. 119-120, n. 25) et l'édit de Marly (1714) qui avait ajouté, pour la même raison, les princes légitimés de Louis XIV dans la dite succession. L'édit de Louis XV (1717) devait tout remettre en place : si l'auguste maison de France ou de Bourbon (les deux termes sont utilisés) venait à s'éteindre, ce serait à la nation de faire choix d'un nouveau Roi, le dernier Capétien n'ayant pas pouvoir de dési­gner un successeur. Les orléanistes fortement troublés par le rappel de ces principes qui sont évidents pour tous les juristes, ne trouvent qu'une chose à dire et c'est que les princes appartiennent totalement à leur royaume ; en allant régner à l'étranger, ils se dénationalisent et perdent ainsi toute vertu pour régner en France. L'ennui pour eux est que nous avons là un argument qui n'est pas juridique, que les Bourbons d'Espagne, Deux Siciles, Parme sont aujourd'hui souvent Français et que l'on trouve des étrangers chez les Orléans : Brésiliens et Espagnols ! Or, l'affaire devient piquante quand on sait que les princes d'Orléans admettent formellement que les princes d'Orléans et Bragance, prétendants au trône du Brésil et donc Brésiliens, peuvent devenir successibles à la Couronne de France en cas d'extinction des Orléans français ! Ce pot aux roses découvert depuis peu d'années, car soigneusement caché par les Orléans tant Français que Brésiliens, est l'une des poudrières qui fait écrouler l'orléanisme... d'ailleurs bien malade. Guy Augé nous remémore tous ces points capitaux pour la compréhension de l'affaire dynastique qui divise les royalistes français. La majorité d'entre eux n'est même plus orléaniste si l'on en croit certains indices. 113:239 Le numéro 155 de la revue *Le monde et la vie* (Paris, avril 1966) montra le duc de Bourbon (l'actuel duc d'Anjou) en couleurs sur sa couverture et l'article de Michel Grey (*Un roi après de Gaulle ? Le comte de Paris ou Louis-Alphonse duc de Bourbon*) fit quelque bruit, ce qui entraîna deux conséquences : 1) le courrier reçu fut un courrier record par rapport à celui de tous les autres sujets plus ou moins brûlants, et 2) les deux tiers des lettres étaient en faveur de la thèse légitimiste... La rédaction n'en revenait pas ! Certes, les Français désirent que le Prince soit avant tout Français pour les gouverner et depuis des siècles ils savent que ce n'est pas en allant au loin qu'on peut être au fait de la question française. Pierre Dubois, Charles V et tant d'autres l'ont dit, un prince doit naître en France et y être éduqué, pour un grand nombre de raisons climatiques, astronomiques (sic) et sociales qui sont en fin de compte issues du bon sens le plus normal, le Roi devant être en symbiose avec son royaume. Mais, la chose est d'importance, notre droit successoral fran­çais, non écrit, coutumier, fondé sur des précédents, n'a jamais privé de la Couronne un prince venu de l'étranger (Henri III était roi de Pologne et Henri IV roi de Navarre quand ils devinrent rois de France). Comme le sentait fort bien Henri V comte de Chambord, il n'est pas possible de changer quoi que ce soit à la règle de succession, alors même que le Roi n'est pas sur son trône, que la nation vit sous un autre régime et qu'elle nie ainsi en bloc la dite règle. Exilé, sans pouvoir, sans enfant, Henri V pardonna aux Orléans tout le mal fait par Louis-Philippe, mais ne voulut jamais qu'ils puissent paraître lui succéder : les témoignages abondent. Il est manifeste qu'Henri V se dit que les Français n'avaient qu'à se débrouiller avec leur régime républicain ; quant aux roya­listes, ils n'avaient qu'à aller vers les Orléans qu'ils aimaient tant. Mais lui, mainteneur des principes, il mourait en les proclamant. Il nous laissa ainsi un drapeau blanc sans tache (c'était l'emblème de la France très chrétienne et royale en 1830) et fit présider ses obsèques par les princes d'Espagne, don Juan (Jean III des légitimistes), don Carlos VII (le duc de Madrid qui fut Charles XI), don Jaime (Jacques I^er^, qui était son filleul)... ce qui entraîna le départ des Orléans et la fureur de quelques royalistes français (ITINÉRAIRES, n° 220, fév. 1978, p. 155). Henri V laissa aussi Frohsdorf et ses souve­nirs historiques à ces mêmes princes d'Espagne qui firent ce qu'ils purent, avec leur génie propre, pour ne pas abandonner les principes et les légitimistes, ce qui ne veut pas dire que la position de ceux-ci fut toujours confortable, loin de là ! On notera que les chefs de la maison de Bourbon conférèrent les ordres royaux à quelques fidèles, le stock des colliers du Saint-Esprit de Frohsdorf servant ainsi de lien émouvant entre le passé et l'avenir. Les orléanistes se sont souvent moqué des malheureux « Blancs d'Espagne » qui suivaient des princes lointains et par trop englués dans des affaires espagnoles. 114:239 C'était facile. Mais, on peut le reconnaître avec Guy Augé, les princes d'Orléans n'ont souvent rien fait pour améliorer leur image de marque et malgré leur incessante activité, leurs mil­liards, leur clientèle, etc. ils en sont au même point que les princes de Bourbon démunis de tout : c'est-à-dire hors du trône. L'actuel « comte de Paris » a tout fait pour écœurer les or­léanistes en leur crachant au visage plus d'une fois qu'il n'avait rien à faire d'eux et l'on sait que ce brillant co-liqui­dateur de l'amiral Darlan ne sait même plus quelle monar­chie présenter aux Français, ses dernières déclarations laissant entendre qu'il est partisan d'un régime (républi­cain ?) où le chef de l'État, non héréditaire, serait choisi parmi les princes d'Orléans, en fonction de ses mérites ap­préciés par le Conseil d'État et la famille réunis... ce qui nous laisserait au niveau de quelque principauté musulmane. Prince non conformiste, n'ayant rien à voir avec la tradition, ami de De Gaulle (mais trompé par lui !), le « comte de Paris » est un excellent agent recruteur de la Légitimité. En comparai­son, le feu duc d'Anjou et de Ségovie, mort en 1975 après une vie bien triste (il était sourd-muet et remarié civilement avec une luthérienne allemande ornée de peu de qualités !), sut faire entendre la véritable voix de la monarchie, rappelant que l'Algérie devait rester française, dans le cadre d'un régime nouveau, que la France devait revenir à Dieu et alla jusqu'à protester publiquement contre l'avortement légal. Le fils aîné que ce Prince eut d'une Française est titré duc d'Anjou et de Cadix. L'Alphonse II des légitimistes (Alphonse XIII son grand-père fut Alphonse I^er^ de l'extinction de la lignée carliste en 1936 jusqu'à sa mort en 1941) se dit modestement chef de la maison de Bourbon, qualité que nul ne peut lui enlever et qu'Henri V arborait avec constance. Très Français de cœur, quoiqu'Espagnol, Mgr le prince Alphonse est président d'hon­neur de l'Institut (culturel) de la maison de Bourbon (prési­dent : M. le duc de Bauffremont, 110 rue de la Boétie, 75008 Paris). Il maintient les traditions de sa maison, préside la messe du 21 janvier à la Chapelle expiatoire, expédie des messages de sympathie aux réunions légitimistes... Ce n'est certes pas grand chose, mais il faut sans doute penser que c'est le maximum possible pour le cousin germain de Jean Charles I^er^ d'Espagne. Je n'en écrirais pas plus quand on voit ce qui se passe actuellement au sud des Pyrénées... On peut compter a priori sur cet aîné des Capétiens pour continuer la tradition de la famille royale, encore qu'on puisse se demander si le mandat de la maison de Bourbon est toujours valable et si Dieu fait encore cas de l'antique loi de succession. Il y a là un problème qui nous dépasse tous entièrement. Certes, la maison de Bourbon n'a pas été très brillante sur la fin du XVIII^e^ siècle et au XIX^e^ : à des titres bien divers Louis XVI (qui capitulait devant tout), Philippe Égalité (qui le fit tuer), Char­les X (qui prépara bien mal son coup de force), Louis-Philippe I^er^ (qui prit sa place), les rois d'Espagne (Charles IV, Ferdinand VII, Isabelle II, Alphonse XIII), François II des Deux Siciles et des ducs de Parme sont loin de soulever l'enthousiasme des royalistes de divers pays ! 115:239 De plus, il est difficile d'évaluer les talents actuels de cette maison puisque nous sommes en république laïque, socialisante et avorteuse. Certains faits peu­vent bien inquiéter les gens de tradition, au point qu'on en vient à redouter que la parole de saint Jean Bosco relativement à François II des Deux Siciles ne soit valable pour toute la maison ([^52]). Il n'en reste pas moins que cette maison incarne une tra­dition politique qui est magnifique, puisqu'elle va du baptême de Clovis à la prise d'Alger. Il est probable que les Français en viendront à penser qu'il faut reprendre cette tradition royale et très chrétienne, ce qui posera le problème de la pérennité du pouvoir et des institutions, donc implicitement celui de la dynastie et de la maison royale. Dans l'attente de la nécessaire restauration qui sera le signal d'une renaissance, on ne voit pas pourquoi on abandonnerait une loi successorale qui a largement fait le bonheur des Français et la gloire de la France, même si son application paraît impossible en 1980. Les Français seront sans doute très malheureux dans les années qui viennent car ce régime et cette civilisation vont crouler dans le chaos. La mort de la France est programmée ; à la sauce européenne ou cambodgienne, je ne sais, mais il viendra sans doute un jour où mes compatriotes reviendront à Dieu, animés par une peur panique. Les églises étaient pleines en ce début d'été quarante où nous étions au fond de l'abîme ! La France récla­mait un chef... Il me semble que tout recommencera dans un contexte dramatique : guerre civile, hordes soviétiques, des­tructions atomiques... Ceux qui auront veillé à entretenir la flamme de la tradition, comme Guy Augé, verront sans doute leurs efforts couronnés de succès. L'ouvrage de cet auteur, la revue dont il est un des animateurs (*La Légitimité,* B.P. 166-09, 75422 Paris Cedex 09) et tant d'autres efforts plus ou moins connus du grand public n'auront pas été vains, puisqu'ils auront sans doute livré un fil d'Ariane au peuple français afin qu'il rompe avec les maléfices qui l'accablent. Je ne souhaite pas le malheur à mon pays, mais il serait bien étonnant que le cirque actuel débouche sur des fanfares d'allégresse ! Dans l'attente des desseins de Dieu sur la France, la maison royale et notre destin, sauvons la tradition, expliquons-la et n'aban­donnons pas la loi de succession qui indique pour l'heure un prince espagnol. C'est l'essentiel à retenir du livre de Guy Augé. Hervé Pinoteau. 116:239 *Troisième* *lecture*\ *par* *Maurice* *de* *Charette* Il peut sembler à beaucoup de gens pressés que les règles de la succession monarchique en France n'ont plus qu'une importance secondaire, purement historique, *les choses étant ce qu'elles sont* selon l'expression chère à De Gaulle. Pourtant, mon ami Guy Augé vient d'y consacrer un ouvrage passionné qui mérite l'attention par sa large documentation (à noter la précieuse bibliographie), ainsi que par son effort d'honnêteté intellectuelle et historique... Il lui arrive bien, ici ou là, de plaider sa thèse un peu vivement, mais la vie demande que l'on prenne parti. J'en ai personnellement trop le goût pour le lui reprocher, même si nous nous trouvons diamétralement opposés dans l'affaire qui nous occupe ici. Tout ce qui touche à la Couronne de France demeurera primordial aussi longtemps, sans doute, que la France existera. De toutes façons, il en sera ainsi tant qu'une légitimité vraie, acceptable et bénéfique pour le pays n'aura pas remplacé l'ancienne et indiscutable légitimité capétienne. Guy Augé a donc raison de traiter son sujet avec gravité. Il a encore raison de dire que le droit successoral domine les personnes des Princes, avec leurs qualités ou leurs défauts (voire leurs tares) ; tout choix entraîne par le fait même l'in­trigue, le marchandage et la rancœur des vaincus, faisant perdre à la monarchie sa qualité primordiale qui réside dans la dévolution indiscutable et pérenne de la couronne. Mieux vaut, à tout prendre, risquer une fois d'avoir Charles VI, même avec Isabeau de Bavière -- comme aimait à le souligner Maurras -- plutôt que de mettre régulièrement le pouvoir aux enchères, ainsi qu'il en va en république. Et pourtant avec des règles aussi certaines que les nôtres, avec des difficultés surmontées, par exemple lorsqu'Henri IV succéda aux Valois, il se trouve que les monarchistes français sont aujourd'hui divisés sur la question du légitime successeur, du Prince sur qui repose le droit. Il s'agit du droit de la France, car Augé a raison de souligner que le Roi appartient au pays et non l'inverse. 117:239 Je n'ai pas la prétention de résumer en quelques lignes une affaire si compliquée, si souvent déformée par les parti pris, mais seulement de rappeler rapidement les faits : En 1700, Louis XIV ayant une succession largement assurée dans sa descendance, accepte pour son petit fils cadet, le Duc d'Anjou, la couronne d'Espagne léguée par le dernier Habs­bourg, Charles II. Mais l'Europe redoute la puissance qui en résultera pour les Bourbons et entame la guerre de succession d'Espagne qui se terminera par les traités d'Utrecht (1713-1715). Le Duc d'Anjou, Philippe V d'Espagne, est contraint de renoncer à sa situation de dynaste français. De leur côté, les Cortès ne veulent pas d'un Roi provisoire et l'obligent à des renonciations solennelles plusieurs fois renouvelées, alors que les puissances européennes voulaient surtout éviter une éven­tuelle réunion des deux couronnes sur la même tête. Il y avait donc, dès l'origine, l'amorce d'une sérieuse diffi­culté. Les renonciations ont-elles été souscrites par contrainte et, en conséquence, sont-elles entachées de nullité ? concer­nent-elles réellement -- et au besoin par delà les textes -- la qualité de dynaste français de Philippe V, ou seulement la possibilité pour lui de réunir les deux couronnes ? Et, de plus, le Duc d'Anjou avait-il le droit de renoncer à toute possibilité de ceindre la couronne de France alors que les Princes sont, nous l'avons dit, au service obligatoire de la France qui n'est nullement leur propriété ? Ils ne peuvent pas répudier le Sacre, pas plus qu'ils ne peuvent se dérober au Sacre. C'est bien ainsi d'ailleurs que tous l'entendirent à l'époque ; d'une part les puissances qui firent la guerre ; d'autre part : Louis XIV et Philippe V lui-même. Lorsque donc, le jeune et frêle Louis XV succédera à son aïeul, étant le dernier repré­sentant des Bourbons de France, on assure que Philippe V s'empressera de faire préparer des relais secrets pour gagner au plus vite Paris en cas que son neveu vînt à mourir. De leur, côté, les Cortès prévoyant le choix que ferait leur Roi, mettront, en place des moyens entre Madrid et la frontière pour le rete­nir... par la persuasion. Mais Louis XV vécut et eut la descen­dance que l'on sait. Deuxième étape, si l'on peut dire, le 13 février 1820, le Duc de Berry est assassiné par Louvel qui veut mettre fin « à la race honnie des Bourbons ». Tandis qu'il agonise sous l'œil déses­péré du vieux Louis XVIII, semblant emporter avec lui tout l'avenir de la Restauration, le Prince murmure à sa femme : « Ménagez-vous pour l'enfant que vous portez ». Tout espoir n'est donc pas perdu et le 20 septembre suivant naîtra l'*Enfant du miracle,* Henri-Dieudonné, qui sera connu sous le nom de Comte de Chambord et que les royalistes appelleront Henri V. 118:239 Enfin, le 24 août 1883, la veille de la Saint-Louis, Henri V meurt sans descendance, ouvrant la crise de succession qui fait l'objet du livre de Guy Augé. Cette fois, le dernier représentant des Bourbons de France est mort ([^53]) et sa disparition entraîne un problème de droit doublé d'un problème passionnel. Si les renonciations d'Utrecht ne sont pas pleinement vala­bles, définitives, indiscutables, c'est à la branche espagnole que semble revenir la couronne, d'autant plus que le vieux droit français refuse à ses princes toute possibilité de renoncer. Par ailleurs, l'aîné des Capétiens ne règne pas en Espagne, étant le fils de Don Carlos qui a été écarté du trône au profit de sa nièce Isabelle II par l'abolition de la loi salique. Il est donc relativement disponible, même s'il a de courageux partisans qui poursuivent la guérilla dans le nord de l'Espagne. Ceux-ci s'inquiéteront d'ailleurs de savoir si le Prince se veut toujours leur Roi et si, dans ces conditions, les sacrifices consentis valent d'être poursuivis. A la question nettement posée, le prétendant carliste répondra : « Espagnol je suis, Espagnol je reste »... Encore une renonciation, et toujours discutable en droit comme en intention ! Quoi qu'il en soit, le prétendant a quelques partisans en France parmi les légitimistes qui le connaissent bien, puisqu'il est neveu d'Henri V (Don Carlos avait épousé la sœur de la Comtesse de Chambord) chez qui il les a souvent rencontrés. Pour compliquer le tout, le Comte de Chambord a fait de son neveu le principal héritier de sa fortune, ce qui ne veut rien dire, tout en pouvant ressembler à une préférence. Mais il y a 183 ans que la branche de Philippe V règne en Espagne, pense et vit à l'heure espagnole ; il est donc infini­ment probable que la branche, demeurée française, des princes d'Orléans aurait succédé sans heurts ni même discussion au Comte de Chambord s'il n'y avait pas eu l'histoire de ses crimes. Les royalistes français gardent le souvenir horrifié de Philippe Égalité, le régicide ; mais peut-être haïssent-ils encore davantage la doctrine libérale et les tripotages bourgeois qui ont permis à Louis-Philippe d'usurper la Couronne en 1830. On pardonne à toute famille d'avoir produit un monstre, mais lorsque la trahison devient une tradition, il en va autrement trop, c'est trop ! 119:239 Tel est le raisonnement que feront bien des royalistes, même parmi la majorité qui ira vers les Princes d'Orléans au nom de ce qu'elle estime être le principe monarchique. « J'ai marché sur mon cœur » dira le général de Charette. Sa mère lui écrira : « Ils ont le droit pour eux, mais qu'ils ne comptent pas sur moi pour occuper mon tabouret à leur Cour ([^54]) ». M. de Puiseux, de son côté, lui affirmera : « Dites-leur que je me battrai même pour eux, sous vos ordres ; mais pour vous, pas pour eux. » Le drame se complique du fait que la France est en républi­que et n'a pas officiellement, organiquement la parole dans ce conflit où les fidélités se heurtent. Pourtant, il demeure incontestable que le consensus politique a reconnu aux Or­léans l'héritage dynastique d'Henri V et a exilé le Comte de Paris à ce titre en 1886. On a beaucoup disputé de savoir si le Comte de Chambord avait ou non reconnu les droits de son cousin Orléans à lui succéder. Guy Augé a raison de noter qu'il n'avait pas à le faire et que sa position à l'égard de ce problème n'avait aucune importance. Pourtant, je puis témoigner qu'il croyait indis­cutablement aux droits du Comte de Paris et que cette opinion fut à la base de sa réconciliation publique avec son cousin-successeur, probablement même la raison profonde qui le fit s'enfermer dans le Drapeau Blanc en 1873, pour ne pas arguer publiquement des divergences de vues avec son *inévi­table* héritier. En juillet 1883 il dira au général de Charette : « J'ai reçu Paris, c'est un brave homme ; si je guéris et que je règne, il sera sur la première marche du trône. » Sans doute, espérait-il le former ! Charette dira plus tard de ce même Prince : « Je lui ai fait gravir marche à marche l'escalier de la légitimité ; j'éprouvais du respect... l'affection est venue ensuite, car il la méritait. » D'autres, enfin, ont considéré que les multiples changements de régimes survenus en France avaient perturbé l'application stricte du droit ancien et qu'il fallait trouver une solution originale bien que capétienne. C'était l'avis du Prince Xavier de Bourbon Parme qui m'a un jour écrit longuement pour m'exposer que la Couronne était en quelque sorte suspendue au-dessus des Princes descendants de Louis XIII, qu'ils soient d'Espagne, de Naples, de Parme ou d'Orléans ; qu'aucun n'avait le Droit pour lui, mais que tous étaient en devoir de répondre à l'appel du pays. Comme descendant de la sœur du Comte de Chambord, il avait certains partisans qui oubliaient la loi salique. Comme chrétien, naturalisé ou reconnu français, pour autant que de besoin, par le Maréchal Pétain (décret paru au Journal Officiel) il se considérait apte à régner en France... comme en Espagne, à Jérusalem ou ailleurs ! Ce n'est pas calomnie de le rappeler. \*\*\* 120:239 Voilà les faits. Il faut maintenant conclure en ce qui me concerne, car je ne prétends pas mettre un terme à une ques­tion qui demeurera ouverte par delà toutes les études qui lui seront consacrées. Utrecht ou pas Utrecht, renonciations ou pas renonciations, déchéance criminelle ou pas des Orléans, qualités, défauts ou tares des Princes en présence, droit écrit ou coutumier, il existe une réalité française qui dépasse toutes les données historico-juridiques. La descendance de Louis XVII est affaire d'historiens ou d'esprits romantiques, voire roma­nesques : la branche d'Espagne est au mieux affaire de puristes ; la branche de Naples ne prétend pas ; la branche de Parme n'a aucun droit ; seule la branche d'Orléans, actuellement re­présentée par le Comte de Paris serait appelée à régner si la France « faisait choix de la Monarchie » selon la formule du Comte de Chambord. N'en déplaise à Guy Augé et à mes amis qui se veulent puristes et se disent légitimistes, il en est ainsi dans la réalité du XX^e^ siècle finissant, et ce n'est même pas un quelconque descendant de Mérovée qui pourrait y rien changer au nom de ses droits, si primordiaux soient-ils. Maurice de Charette. *Quatrième* *lecture* *par*\ *Jean*-*Pierre* *Brancourt* La querelle sur la succession au trône de France et les droits éventuels des Orléans n'est pas neuve : elle a, pour le moins, deux siècles et demi d'âge et remonte aux controverses des jurisconsultes à propos des renonciations d'Utrecht au début du levure siècle. Le livre de Guy Augé, qui fournit du reste une méticuleuse bibliographie sur le sujet, prend ouvertement parti en faveur de ce que l'on appela naguère les « Blancs d'Espagne », mais cette étude renouvelle quelque peu la ques­tion et permet de faire le point à l'heure où les princes d'Or­léans, restés longtemps silencieux, font derechef parler d'eux dans les *media.* 121:239 Le plus neuf de cette contribution est sans doute le ton même avec lequel elle est traitée : les brochures de naguère réglaient des comptes sans aménité ; les royalistes des deux Roses s'y insultaient avec passion et s'accusaient mutuellement des plus noirs desseins, des plus torves manœuvres. Un peu de sérénité ne nuit pas à la bonne tenue d'un dialogue, car, contrairement à ce qu'affirment les conformistes de tout bord, la question n'est pas simple : elle présente des dimensions multiples, où le droit, l'histoire, la politique et le sentiment s'imbriquent étroi­tement. Il est difficile à l'historien du droit de ne pas reconnaître la nullité des renonciations au regard des lois fondamentales de la monarchie française : nos anciens avaient nettement dégagé, au travers de ce que l'on nomme la théorie statutaire, un principe d'indisponibilité de la couronne qui frappait de caducité, en 1420 déjà, « le honteux traité de Troyes », qui interdisait au roi d'abdiquer personnellement ou de changer l'ordre préétabli de succession, et qui empêchait les « princes des fleurs de lys », qualifiés d' « héritiers nécessaires » depuis Jean Juvénal des Ursins, d'abandonner leurs devoirs et leur rang. Les négociateurs français rappelèrent très clairement la chose aux Anglais en 1712-1713. Au demeurant, les partisans de la branche d'Orléans sont devenus conscients de cette diffi­culté et mettent plutôt l'accent, désormais, sur la nationalité des princes : d'où l'axe et l'intitulé de l'étude de Guy Augé. Historiquement, il est certain que la nationalité n'a pu être prise en considération très tôt, faute d'avoir été conceptuelle­ment dégagée ; si l'idée de nation n'a pas attendu la Révolution pour émerger, il serait hâtif de conclure que le statut de la Couronne ait été altéré au nom d'un principe de nationalité avant 1789. Comme le remarque Augé, « *une chose était d'être prince étranger au sang de France, autre chose prince du sang de France parti régner à l'étranger *»*.* Tout au plus est-il permis de noter qu'il y a peu de précédents exactement comparables, dans l'histoire capétienne, avec ce que serait le retour en France d'une branche de la famille royale éloignée pendant près de 280 ans : Henri III était roi élu de Pologne depuis quelques mois seulement à son avènement et Henri IV n'était en Navarre que depuis deux générations... Il est vrai qu'existait, au XVIII^e^ siècle finissant, une tendance à l'exclusion des princes expatriés : mais le fait qu'on ait dû réclamer à ce propos un ajustement des lois fondamentales prouve *a contrario* que tel n'était pas le statut originel de la Maison royale, que la Révo­lution seule a tenté de modifier (cf. p. 49-50). Encore l'Assem­blée constituante, dès septembre 1789, a-t-elle explicitement réservé les droits des Bourbons d'Espagne : 122:239 « Rien n'est préjugé sur l'effet des renonciations dans la race actuellement ré­gnante », texte houleusement débattu, puis inséré tel quel dans la Constitution de 1791 (titre III, chapitre II, section I, art. 1^er^). Le troisième grand point controversé, l'attitude d'Henri V, dernier chef incontestable de la Maison de France -- incontes­table mais pourtant contesté ! --, n'a pas toujours été d'une lumineuse clarté. Ce sont surtout ses fidèles qui ont épousé sans beaucoup de scrupules la cause des Orléans. « Mes amis sont bien bons, mais ils ne comprennent pas », avouait Henri V. Ces légitimistes fusionnistes rallièrent le camp tricolore peut-être de bonne foi, peut-être avec un rien d'opportunisme, peut-être aussi en se laissant manœuvrer par les « habiles » de l'orléanisme pur. Mais l'entourage intime du petit-fils de Charles X fut le plus souvent très hostile à la fusion : la Reine, le confesseur du Prince, son exécuteur testamentaire, des con­seillers écoutés comme Joseph Du Bourg ou Maurice d'Andigné, le général de Cathelineau, d'autres encore, refusèrent d'aban­donner le drapeau blanc et la branche aînée. Augé montre de façon convaincante comment le mot célèbre « les princes d'Orléans sont mes fils » a été abusivement sollicité (pp. 77-81). Au résumé, les positions juridiques des « Blancs d'Espagne » sont fortes. Et l'un des mérites de l'auteur est de prouver la continuité des revendications de la branche « espagnole », non seulement au moment d'Utrecht, mais au long du XIX^e^ siècle, après la mort d'Henri V et de nos jours. Il n'y a jamais eu totale extinction du légitimisme intransigeant, que l'on voit aujourd'hui resurgir à la faveur, et en antidote, du retour en force d'un orléanisme doctrinal dont témoignent assez bien le journal *Royaliste ou* les récents *Mémoires* du Comte de Paris : les « laideurs orléanes » vivifient à elles seules le légitimisme le plus « blanc ». Suffit-il cependant d'avoir le droit historique de son côté pour s'imposer ? Non, assurément, et la destinée du courant légitimiste contemporain l'atteste, car autant paraissent solides les fondements juridiques, autant restent faibles les positions politiques. Il faut un roi aux royalistes, malgré qu'ils en aient les princes d'Orléans ont pu occuper le terrain, en France, parce qu'ils ont, à ce jour, toujours tenu un rôle de prétendants, même si, à certaines générations, l'enthousiasme n'y était guère ; les princes aînés, sollicités par l'Espagne, rejetés par l'aristo­cratie française, méconnus de l'opinion, ont généralement fait montre d'une grande timidité à l'égard de la France : au pire, ils furent indifférents ; au mieux, ils acceptèrent d'entretenir un culte du souvenir dépourvu d'illusions. Jamais ils n'ont vraiment entrepris de se « refranciser » et de s'intéresser directement aux affaires politiques françaises. La faiblesse du légitimisme tient certes un peu aux hommes d'un mouvement qui s'est lentement ankylosé et tari, mais beaucoup à la passi­vité de ses princes. 123:239 Guy Augé s'évertue, avec une touchante bonne volonté, à exhumer les quelques textes de sympathie que les princes de la branche aînée ont bien voulu exprimer aux légitimistes français, mais la moisson reste pauvre. On pourra préférer le silence des uns à la littérature révolution­naire des autres : mais si ceci condamne les Orléans, cela ne suffit pas à replacer le légitimisme sur orbite. Il manque ainsi à cette composante du royalisme contem­porain, plus encore qu'aux autres, une certaine crédibilité. Le légitimisme s'efforce, avec patience et sérieux, de la retrouver ; il lui est difficile d'y parvenir seul. Une sorte de cercle vicieux entrave cette action par ailleurs si respectable : la passivité des princes carlistes naguère, puis de la branche alphonsine, pour d'autres raisons, ensuite, a dissuadé les royalistes traditionalis­tes de s'enrôler derrière le drapeau blanc réputé enseveli avec Henri V ; réciproquement, ce manque d'enthousiasme des royalistes français a retenu les chefs successifs de la Maison de Bourbon de jouer carrément la carte française au risque de ridiculiser le nom prestigieux qu'ils portaient. Manque de militants, manque de chef, conjoncture contraire. La question que pose le livre d'Augé, au-delà des querelles de prétendances, est finalement celle de l'avenir du royalisme français (cf. sa postface). On ne peut l'esquiver. A cet égard, il semble bien que coexistent (douloureusement) deux tendances irréductibles de la sensibilité royaliste. Mieux vaudrait en prendre conscience et l'avouer qu'essayer de s'ex­communier mutuellement du service de la cause catholique et royale, dont les défenseurs ne sont pas si nombreux qu'ils puissent s'ignorer ou s'exclure. On trouverait probablement plus de points communs entre Maurice de Charette et Guy Augé qu'entre Maurice de Charette et Bertrand Renouvin. Ne serait-ce que dans la mesure où peut s'instaurer un dialogue entre les deux premiers parce qu'ils usent d'un même langage et qu'ils s'accordent à reconnaître le principe de légitimité monarchique, avec, sans doute, l'essentiel de son contenu doctrinal même si subsistent d'importantes divergences sur la question du prince. Or, comme le disait Henri V, « la personne n'est rien, le principe est tout ». Que compte la personne d'un prétendant passager ? Le débat s'envenime de ce que les princes concernés incar­nent un principe qu'ils ne défendent pas : ici, par timidité ou inhibition ; là, par conviction politique contraire ; mais de ces deux dangers, on voit aisément quel est le moindre, et où devra se réfugier l'espérance politique. Il est clair que les légitimistes ne demandent pas aux royalistes de rompre avec une fidélité, de se renier eux-mêmes, mais au contraire de retrouver les sources vives de la monarchie française que le tempérament orléaniste est en train de perdre dangereusement. 124:239 Maurras aimait à répéter que la véritable tradition doit être critique. Il faudra s'en souvenir si l'on souhaite que survive aujourd'hui, et que triomphe demain, à l'heure voulue par Dieu, la cause du roi très-chrétien. Jean-Pierre Brancourt. ### Bibliographie #### R.P. Bruckberger *Lettre à Jean-Paul II pape de l'an 2000 *(Stock) Cette lettre du P. Bruckber­ger à Jean-Paul II nous inté­resse à un double point de vue. D'une part, elle est, à la manière libre de son auteur, un excellent tableau de la si­tuation de l'Église en France. D'autre part, nous avons de bonnes raisons d'être assurés qu'elle sera lue par son des­tinataire, auprès de qui elle aura du poids. On ne peut résumer ces quel­que 170 pages qui résument elles-mêmes la longue plainte des traditionalistes français depuis Vatican II. Mais le ton direct ne pourra manquer de frapper le pape. Donnons quel­ques échantillons. Rappelant qu'en 1977 Paul VI n'a cessé de « savonner la tête » de nos évêques lors de leurs visites *ad limina*, il écrit : « A chaque fois, ils sor­taient de l'audience, frais com­me l'œil, débordants d'opti­misme et de satisfaction : « Le pape, disaient-ils, nous a vi­vement encouragés à poursui­vre nos efforts, pour appliquer le concile ! » L'utilisation du dernier concile par l'épiscopat français est une acrobatie in­tellectuelle qui s'apparente à la plus haute voltige. Quand nous leur disions qu'ils lais­saient dénaturer la foi, la li­turgie, le catéchisme, la théo­logie, l'Écriture sainte, ils ré­pondaient invariablement avec une assurance superbe : « Nous sommes dans la ligne du der­nier concile ! C'est vous qui êtes des rebelles et rejetez le concile » (pp. 13-14). « ...Or donc je vous disais que si vous voulez remédier efficacement aux maux de l'Église de France, c'est l'épis­copat français en entier qu'il faudrait changer » (p. 35). « Allez-y hardiment, Très Saint Père ! C'est à vous de nommer les évêques ! » (p. 40). 125:239 « Si, comme le recommande l'Évangile, il nous faut juger l'arbre à ses fruits, en ce qui concerne le sacerdoce catho­lique les fruits du concile sont des fruits amers et empoison­nés (...) On se tromperait fort de les croire (nos évêques) tellement affligés par la crise du sacerdoce et des vocations. Mais on s'explique très bien leur haine pour le séminaire d'Écône et pour Mgr Lefebvre qui, seul contre tous, a pré­tendu maintenir la notion et la nature du sacerdoce sacri­ficateur et hiérarchique. Cer­ tains évêques se fussent très bien accommodés d'un catholicisme sans sacrifice de la messe et sans prêtres... » (p. 63). On voit à ces exemples que Jean-Paul II n'ignorera plus rien de la situation du catholicisme français. Mais il est pro­bable que nos évêques, quand ils prendront contact avec lui, n'afficheront plus à leur sortie la même mine réjouie qu'ils avaient après leurs vi­sites à Paul VI. Louis Salleron. #### Georges Blazynski *Jean-Paul II, un homme de Cracovie *(Stock) Collaborateur à la B.B.C. de­puis 1950, l'auteur, spécialiste des questions slaves, nous fait en 350 pages le récit coloré de la vie de Karol Wojtyla, jusques et y compris son voya­ge en Pologne. Fortement documenté, le li­vre nous aide à comprendre la personnalité du pape que la multiplicité de ses dons na­turels jointe à une foi de charbonnier et à une vitalité prodigieuse offusque d'une certaine manière. Notons pour l'amusement que l'admiration sans bornes qu'il suscita dans tous les milieux où se déploya son activité ne se nuançait, chez certains, que d'une criti­que : ils trouvaient ses sermons trop longs ! L. S. #### Dominique Baudis *La passion des chrétiens du Liban *(France-Empire) Ce ne sont pas les événe­ments actuels que relate l'au­teur mais ceux qui ensanglan­tèrent ou perturbèrent le Li­ban en 1860, en 1914-18 et en 1943, et qui nous permettent de mieux comprendre la situa­tion permanente de ce petit pays, très prospère dans la paix, déchiré quand le Proche-Orient est la proie des rivali­tés internationales. 126:239 Grâce à des témoignages d'époque, le livre est très vi­vant. Ce sont en quelque sorte des reportages rétrospectifs. On eût aimé cependant que les anecdotes rapportées fussent mieux situées dans leur cadre historique -- qui nous échappe un peu. L. S. #### Chanoine Gaston Roussel *L'étrange silence des cathédrales *(Chez l'auteur : 42, route de Versailles, 78560 Le Port-Marly) Depuis le concile, les cathé­drales (et les églises) sont de­venues silencieuses -- en ce sens du moins qu'on n'y en­tend plus le chant grégorien, ni la musique polyphonique, ni les grandes œuvres moder­nes de nos meilleurs organis­tes. Le massacre liturgique a tué la beauté avec la prière. Le bouillant chanoine Roussel, à la chapelle du château de Versailles (rendue au culte par son opiniâtreté) comme dans son église de Port-Royal, joint la parole à l'action pour me­ner son combat exemplaire. On se délectera de son livre où les pages remarquables de sagesse, de science et de poé­sie justifient les colères d'une polémique passionnée. -- Pré­face du bâtonnier André Da­mien, maire de Versailles. Post-face de Maître Jacques Fusil, conseiller à la Cour de Cassation. L. S. #### Rémy *L'entre-deux-guerres *(France-Empire) Partant du « mauvais trai­té » (de 1919), Rémy montre la logique des événements qui se déroulent jusqu'en 1945. Il ne s'agit pas d'un récit conti­nu, mais d'une évocation de faits, de dates et de témoigna­ges qui considérés dans leur actualité d'époque sont d'au­tant plus tragiques, émouvants ou dérisoires qu'ils apparais­sent, avec le recul, comme les moments aveugles d'une même nécessité historique. 127:239 Les Français de la généra­tion de l'auteur retrouveront ces moments successifs tels qu'ils les ont diversement vé­cus et connus. Les jeunes iront de découverte en découverte. La drôle de guerre, notam­ment, qui occupe près des trois quarts du livre se révèle telle qu'elle fut à travers les notes des participants dont Rémy use largement. La poli­tique avait tout pourri. C'était partout le désordre, l'imprépa­ration, les rivalités. La Troisiè­me République entraînait le pays dans sa perte. Reynaud et Daladier plastronnaient pour la galerie. Gamelin atten­dait que les Allemands veuil­lent bien se faire battre selon son plan. L'épisode de Nar­vik -- que nous vivons jour par jour et heure par heure pendant plus de cent pages -- n'aboutit qu'à un échec. Le 10 mai 1940 commençait l'of­fensive hitlérienne. On sait la suite. (On ne sait hélas ! pas la fin.) L. S. #### John Terraine Rémy *Lord Mountbatten *(Presses de la Cité) C'est une biographie à trois voix : celle de Lord Mount­batten lui-même (sur une réali­sation télévisée diffusée en France par TF 1), celle de l'Anglais John Terraine et celle de Rémy (traducteur et annotateur). On sait que Lord Mountbat­ten (nom anglicisé de Batten­berg) était arrière-petit-fils de la reine Victoria, neveu du tsar Nicolas II, cousin des rois Édouard VIII et George VI comme d'une demi-douzaine de rois d'Europe, et oncle du prince Philippe d'Édimbourg et de la reine Elizabeth II. D'une carrière prestigieuse, nous retiendrons que, nommé chef des « Opérations combi­nées », c'est lui qui convain­quit les Américains et les An­glais de débarquer en Norman­die plutôt que dans le Nord de la France. Vice-roi des In­des en 1947, il réussit, aux moindres frais pour l'Angle­terre, le difficile partage en­tre les deux États indépen­dants de l'Inde et du Pakistan et termina sa vie active com­me Premier Lord de la Mer, chef d'État-Major de la Dé­fense. Le 27 août 1979, il tom­bait victime d'un odieux at­tentat qui tuait avec lui ou blessait grièvement plusieurs de ses proches. Ce livre qui nous fait revi­vre de manière passionnante une bonne partie de l'histoire du XX^e^ siècle est illustré d'une vingtaine de photos où l'on voit notamment Lord Mount­batten serrer la main du colo­nel Rémy à Arromanches en 1973 et fleurir la statue de Jeanne d'Arc à Rouen le 21 juin 1975. L S. 128:239 ## DOCUMENTS ### Le cardinal Marty et l'avortement *La* *condamnation* *de* *l'avortement*, *plus* *ferme* *en* *1979* *que* *cinq* *ans* *auparavant*, *prononcée* *par* *l'épiscopat*, *laisse* *pourtant* *subsister* *un* *doute*. *L'archevêque* *de* *Paris*, *cardinal* *Marty*, *se* *comporte* *comme* *si* *cette* *condamnation* *était* *théorique*, *au* *sens* *de* *platonique*, *et* *n'empêchait* *pas* *d'approuver* *d'autre* *part* *la* *criminelle* *loi* *giscardienne*. *Le* « *Courrier* *de* *Pierre* *Debray* », *le* *26* *novembre* *1979*, *a* *relevé* *ceci* : Selon l'archevêque, « *dans les préoccupations actuelles cette loi* (*la loi Veil*) *n'a de sens que si elle est un article temporaire et provisoire d'une loi cadre, d'un grand projet législatif au service d'une politique familiale dans laquelle la femme et l'enfant auront leur véritable place* » (déclaration reproduite dans « *Le Monde* » daté du 20 novembre). Ainsi Mgr Marty se déclare favorable à la reconduction de la loi, certes « *à titre provisoire et temporaire *». Est-il si naïf qu'il ignore qu'une loi, quand elle est entrée dans les mœurs, ne peut plus être abrogée ? D'autant qu'en France rien ne dure plus longtemps que le provisoire et le temporaire. Le cardinal va plus loin. 129:239 Il ose prétendre que la loi peut avoir un sens. Non Monseigneur, l'horreur qu'est le meurtre d'un enfant ne saurait recevoir de sens. Elle relève de l'absurde, de l'abomi­nation, du mal absolu qui est pure négation. Quant à la « loi-cadre », au grand projet législatif, le gouvernement en fera la promesse. Il annoncera qu'il va s'en occuper. Il créera même un groupe de travail. Puis, on n'en parlera plus, sinon lors de la campagne présidentielle quand il s'agira de rameuter nos suffrages. Le cardinal vient de rendre au gouvernement un signalé ser­vice. Il lui fournit la marche à suivre : annoncer la préparation d'un « grand projet » en faveur des familles qui ferait pro­gressivement disparaître cet « échec » qu'est l'avortement. Et passez muscade ! Il faut que le cardinal sache que les catholi­ques ne peuvent plus accepter le double jeu qui consiste à condamner la loi Veil par des « paroles verbales » tout en la soutenant, dans les faits. Les gens de mon âge se font une raison. Ils ne confondent pas l'Église et les gens d'Église. Je crains que parmi les milliers de jeunes qui défilaient le 17 no­vembre, il ne s'en trouve qui claquent la porte pour cause de dégoût. \[Extrait du *Courrier de Pierre Debray,* numéro 584 du 26 no­vembre 1979.\] 130:239 ### Trois nominations *Sous ce titre, Édith Delamare a publié dans l'hebdomadaire* «* Rivarol *»*, numéro du 15 novembre* *1979*, *un* *article* *fortement* *documenté* *qui* *donne à réfléchir. En voici les principaux passages.* Selon la formule consacrée, « Le pape a nommé » trois évêques en France. Le 10 octobre, Jean-Paul II a nommé l'abbé Henri Delrue, évêque-auxiliaire de Mgr Ménager, archevêque de Reims. Le 6 novembre, le pape a érigé le diocèse de Belfort-Montbéliard en divisant le territoire de l'archevêché de Besan­çon. Il a nommé comme premier évêque du nouveau diocèse Mgr Eugène Lecrosnier. Le 10 novembre, on apprenait la nomination au siège d'Orléans de l'abbé Jean-Marie Lustiger. \*\*\* Jusqu'à sa nomination à Reims, l'*abbé Henri Delrue* était vicaire épiscopal pour l'apostolat des laïcs à Lille. 131:239 Il est né à Linselles (Nord), le 10 juillet 1928. Après des études au petit séminaire de Hazebrouck, une licence de théo­logie à la Faculté de théologie de Lille et une licence ès sciences sociales à l'Institut catholique de Paris, il a été ordonné prêtre à Lille le 19 décembre 1953. Vicaire et aumônier de l'Action Catholique Ouvrière (ACO) dans le diocèse d'Annecy, puis aumônier de secteur ACO à Cluses, le Père Delrue était nommé professeur au grand sémi­naire de Lille en 1960, puis vicaire épiscopal pour l'apostolat des laïcs du diocèse de Lille en 1969 et délégué diocésain à la Mission ouvrière. \*\*\* Avant d'être le premier évêque du nouveau diocèse de Belfort-Montbéliard, *Mgr Eugène Decrosnier* était évêque-auxiliaire de Mgr Bontems, archevêque de Chambéry. Mgr Decrosnier est né le 20 avril 1923 à Maupertuis (Man­che). Il a fait ses études, à l'Institution Saint-Lô d'Agneaux, puis au grand séminaire de Coutances. Comme Mgr Delrue, il a obtenu une licence ès sciences sociales à l'Institut catholique de Paris. Ordonné prêtre à Coutances le 20 décembre 1947, il est successivement vicaire à Cherbourg, aumônier diocésain d'Ac­tion Catholique, vicaire général et archidiacre de Cherbourg. Le 24 avril 1969, il est nommé évêque-auxiliaire de Mgr Bontems pour les trois diocèses de Savoie : Chambéry, Mau­rienne, Tarentaise. Mgr Lecrosnier fait partie de la Commission épiscopale du monde ouvrier. \*\*\* L'abbé *Jean-Marie Lustiger* était curé de Sainte-Jeanne de Chantal à Paris, avant sa nomination à Orléans. Le siège d'Orléans était vacant depuis le décès accidentel de Mgr Riobé, survenu approximativement le 15 juillet 1978 et connu le 26. Paul VI mourait le 6 août suivant, puis Jean Paul I^er^ le 29 septembre. Jean-Paul II lui succédait le 16 octobre. Un an plus tard, l'évêché n'avait toujours pas de titulaire et certains diocésains d'Orléans commençaient à s'im­patienter. Le 16 octobre 1979, ils publiaient une déclaration intitulée : « *Pourquoi n'y a-t-il pas encore d'évêque à Or­léans ? *» dans laquelle ils exposaient « *les soucis que leur inspire la vacance prolongée du siège épiscopal *»*.* Cette décla­ration émanait de l' « instance diocésaine de pastorale » com­posée de trois prêtres, deux religieuses et dix-huit laïcs. 132:239 L' « instance diocésaine de pastorale » est un organisme créé par Mgr Riobé. Il comprend des représentants des secteurs pastoraux, des paroisses, des mouvements d'Action Catholique, des communautés, des groupements et des services du diocèse. Son but est d' « *aider l'évêque à formuler des conclusions pra­tiques, afin que la vie et l'activité des chrétiens du diocèse soient plus conformes à l'Évangile *»*.* La déclaration de cet organisme était déposée à la Noncia­ture en décembre 1978. Elle comportait une trentaine de pages et concluait ainsi : estimant que les chrétiens du Loiret « *ont droit à un minimum d'informations, ne serait-ce que sur l'état des consultations préalables... ces mêmes catholiques éprouvent maintenant la fâcheuse impression d'être complètement tenus à l'écart. Les membres de l'instance diocésaine de pastorale estiment donc que ce silence mystérieux est inconciliable avec l'effort entrepris depuis Vatican II pour que les laïcs se sentent concrètement* « *adultes et coresponsables *» *dans l'Église, au titre de leur* « *sacerdoce commun *»*. Aussi en appellent-ils au représentant du pape en France *». La remise de ce factum au Nonce en décembre avait été précédée d'une « consultation diocésaine » lancée à la fin de septembre 1978, deux mois après la mort de Mgr Riobé. Cette consultation avait recueilli les réponses de 450 groupes et de 450 « individus ou couples ». Ayant pour but d' « *éclairer le futur évêque d'Orléans *»*,* la « consultation diocésaine » ne recueillit que ces 900 réponses pour la totalité du vaste diocèse d'Orléans. Dans le bulletin diocésain, le chanoine Grillon projetait un autre éclairage à l'intention du futur évêque en écrivant « *Depuis la mort du Père Riobé, plusieurs prêtres du diocèse ont cessé d'exercer le ministère. Il ne s'agit pas de faire leur procès* *: leur histoire, leurs forces et leur conscience les ont conduits à ce choix. Nous n'avons pas à juger leur décision. Mais ces nouveaux départs s'ajoutent à ceux des dix dernières années. Une telle hémorragie est de nature à décourager ceux qui restent. En 1979, le nombre des prêtres diocésains de moins de quarante ans est inférieur à vingt.* » Cet article du chanoine Grillon, repris par la presse locale, causa une vive émotion dans le diocèse. Il est permis d'en déduire que, depuis plus de dix ans, le diocèse d'Orléans est un champ de ruines, sur lequel grouillent les « communautés de base » (en perte de vitesse partout ailleurs), les groupes, groupements et groupuscules qui ne représentent qu'eux-mêmes, mais sont les seuls à parler haut et fort. Or, il n'y avait probablement pas de « mystère » dans la vacance prolongée du siège d'Orléans. Elle a même une expli­cation simple : c'est que personne n'en voulait. Plus de trente noms ont été avancés, dont ceux de NNSS Gilson et Marcus, auxiliaires de Paris, Frétellière de Bordeaux, Jullien de Beau­vais, etc. jusqu'à l'acceptation de l'abbé Lustiger. 133:239 L'abbé Lustiger est un converti du judaïsme. Il est né le 17 septembre 1926 de parents d'origine polonaise et a été baptisé à Orléans le 29 août 1940 -- à l'âge de 14 ans donc. Sa mère est morte à Auschwitz. Il a fait ses études aux lycées Montaigne de Paris et Pothier d'Orléans. Licencié ès lettres, il a obtenu ses licences en philosophie et en théologie. Il s'est préparé au sacerdoce au séminaire des Carmes. Ordonné prêtre en 1954, il fut prêtre-ouvrier pendant un an dans une usine de Decaze­ville. Aumônier du Centre Richelieu, il a fondé les aumôneries des nouvelles Universités parisiennes (CEP). Les ruines ne l'effraient pas : il suffit de constater l'état actuel de la paroisse Sainte-Jeanne de Chantal à la Porte de Saint-Cloud que son prédécesseur, le chanoine Manceron, lui avait laissée en état florissant en 1969. En conclusion : s'il était exact que deux tendances cons­tituent le noyau dirigeant de l'épiscopat français, la tendance marxiste et la tendance moderniste, nous dirions que les deux premières nominations correspondent à la tendance marxiste et la troisième à la tendance moderniste. \[Fin de la reproduction des principaux passages de l'article « Trois nominations » publié par Édith Delamare dans l'hebdoma­daire Rivarol, numéro du 15 novembre 1979.\] 134:239 ## Informations et commentaires ### Le principal criminel c'est le président Sous ce titre, un article de Jean Madiran dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR numéro 73 : « *Crime plus abominable encore que de commettre un avortement, deux avortements, dix avortements, le crime du président est d'avoir inscrit dans les consciences et dans la loi que ce crime n'est plus un crime. On attend un chef politique capable de mettre ce criminel en accusation, de le dis­qualifier devant l'opinion et de le chasser du pouvoir. *» Le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR n'est pas vendu au numéro. A titre exceptionnel, les abonnés de la revue ITINÉRAIRES qui ne sont pas abonnés au SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR peuvent recevoir ce numéro 73 en envoyant une enveloppe à leur adresse (timbrée à 1,30 ou 1,10 F) aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES, 40, rue du Mont-Valérien, 92210 Saint Cloud. *Dans ce même numéro,* rappel et développement de la question posée au sujet du chef des informations religieuses du journal *La Croix* qui est un « compagnon de route des communistes ». #### Amnesty International et le néo-cléricalisme Dans son numéro du 29 novembre 1979, l'hebdomadaire *Fa­mille chrétienne* se porte garant (p. 9) de l'honorabilité et de l'impartialité d' « Amnesty International ». Citons intégralement ce curieux morceau : 135:239 Nous avons demandé pour vous des rensei­gnements sur « Amnesty International » à une source ecclésiastique des plus informées. Il nous a été répondu que c'était une institution très honorable qui a pour but d'éveiller la conscience humaine au sujet des cas d'em­prisonnements et de tortures dont notre fin de siècle est, hélas ! fertile. Cela contre tous les régimes, qu'ils soient dits « de droite », malheureusement, ou de gauche. « Amnesty », a-t-on précisé, n'est pas orienté et a pu obtenir la libération d'un certain nombre de détenus, lesquels ont été évidemment en trop petit nom­bre pour ce que l'on souhaiterait. Mais que peut-on contre la force aveugle et le fanatis­me ? De là sans doute certains jugements hâ­tifs, selon les idées politiques de chacun, sur cette organisation. Nous n'avons aucune raison de mettre en doute les dires de notre infor­mateur qui déplorait comme nous le faisons que bien des gouvernements oppressifs oppo­sent la sourde oreille aux appels d' « Amnes­ty ». Donc, 1° L'hebdomadaire *Famille chrétienne* ne sait rien d' « Am­nesty International », des débats publics qui ont eu lieu à son sujet, des faits qui ont été produits. 2° Pour en parler malgré son ignorance, l'hebdomadaire *Famille chrétienne* s'en va consulter un « informateur » mys­térieux. 3° Cet informateur est « une source ecclésiastique des plus informées »... et anonyme. Mais qu'est-ce donc qu'une source *ecclésiastique* vient faire ici ? quel est ce nouveau cléricalisme ? on va demander à mon­sieur le curé s'il convient de repeindre la salle à manger ? et quelle peut être l'autorité morale d'une autorité ecclésias­tique qui ne dit pas son nom ? Pour trancher si « Amnesty International » fait le jeu du communisme international, faut-il s'en remettre aveuglément à un jugement ecclésiastique anony­me ? Nos lecteurs savent comment Hugues Kéraly a pris « Amnes­ty International » en flagrant délit de tromperie. Signalons en outre une très bonne fiche de documentation sur « Amnesty International » publiée par la revue *Permanences.* Il ne faudrait pas que l'hebdomadaire *Famille chrétienne* se laisse intoxiquer ou manipuler en douceur par des sous-marins et auxiliaires ecclésiastiques du communisme international. Attention. 136:239 #### « C'est MOI » Dans *Avenir et Tradition* de novembre, bulletin pour les parents qui accompagne le *Patapon* des enfants (publié 53 rue Victor Hugo à Lyon 2°), Mme Louise André-Delastre dénonce une abomination (une de plus) destinée à pervertir les petits enfants : « C'est MOI » des Éditions Magnard (avec son MOI qui barre presque toute la couverture, déjà, d'entrée, c'est très éducatif) : illustré en couleur, le livre prétend faire découvrir (?) son corps à l'enfant. La page qui concerne le sexe est telle que je n'oserais la reproduire ici -- et c'est pour 5-6 ans -- ; elle conduit tout droit à la masturbation. Le chef-d'œuvre débouche, à la dernière page, sur un enfant tout nu « en position » sur une cuvette de W.C. et célébrant... son derrière. Il semble qu'on soit ici devant un dessein systématique de perversion, c'est pourquoi nous n'hésitons pas à dresser le pilori. Les parents sauront qu'ils ont à se méfier de certains éditeurs. Pendant ce temps, le cléricalisme post-conciliaire poursuit son offensive contre *Patapon :* *L'Office de la Brochure à l'église,* œuvre très bienfaisante de diffusion d'opuscules ca­tholiques dans les églises présentait PATAPON depuis sa création dans le diocèse de Nice. Or on nous demande, la mort dans l'âme, d'annuler ce dépôt, MM. les Curés, les uns après les autres, priant les responsables de retirer la revue des casiers. A LYON, la librairie Decitre supprime le dépôt sous le prétexte que « Patapon » ne se vend pas par manque de demandes. Évidem­ment, lorsqu'on ne le présente pas... et, à deux pas, la librairie des Filles de Saint-Paul a tou­jours systématiquement refusé et la revue, et nos publications. Leurs sœurs de Paris (rue du Bac) en font autant, bien que leurs Pères (rue du Four) nous soient très amicaux -- et tant d'autres maisons, dites catholiques, se­raient à citer... ============== fin du numéro 239. [^1]:  -- (1). *Un peuple martyr témoigne contre le mensonge des docteurs,* ITINÉRAIRES, éditorial du numéro 8 de décembre 1956 sur l'invasion de la Hongrie. [^2]:  -- (1). Et le guide hélas vous raconte toute l'histoire de son mariage avec Héphaïste, qu'il appelle le « métallurgiste ». [^3]:  -- (1). L'abbé Pierre Mamie est ultérieurement devenu Mon­seigneur Pierre Mamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. -- Gageons qu'il a mis une grande ardeur à mettre en garde ses diocésains contre la détestable Tob. Et parions que cette ardeur n'a d'égale que sa vigueur dans la persécution d'Écône (note d'A.B.). [^4]:  -- (1). J'entends cette expression, « sensus plenior » dans son acception théologique la plus forte, incontestable ; celle du sens réel, profond, au cœur des mots, celui-là même qui est révélé (note de P. M.). [^5]:  -- (2). A toutes ces questions on sait aujourd'hui quelle réponse il faut apporter. Non seulement la Tob a pratiquement renoncé à dégager le « sensus plenior » mais elle a dans tous les cas laissé tomber au rang d'interprétation possible ce qui est le droit fil de la tradition catholique d'interprétation. Sans parler des falsifications, scandaleuses aussi, du texte lui-même. -- Sans nul doute, Mgr Mamie a au moins absolument déconseillé l'acquisition de la Tob à ses diocésains et interdit son utilisation liturgique ou autre à son clergé (note d'A.B.). [^6]:  -- (1). « La Vulgate doit être tenue pour authentique et personne ne saurait avoir l'audace ou la présomption de la rejeter sous n'importe quel prétexte... » IV^e^ Session, Dz. B. 785. (Cette note ainsi que les cinq suivantes est de Dom de Monléon.) [^7]:  -- (2). Les *Hexaples* furent anéanties vers l'an 600, dans l'incendie de la Bibliothèque de Césarée, où Origène les avait déposées -- antérieurement par conséquent à l'établissement du texte des Massorètes. [^8]:  -- (3). In Isaiam, Pat. Lat. T. XXIV, col. 56. [^9]:  -- (4). Revue biblique, 1911, p. 607. [^10]:  -- (5). A. Chouraqui -- *Les Psaumes -- *Préface -- Paris 1956. [^11]:  -- (6). *Comment. sur le Ps. CXXV,* 4. [^12]:  -- (1). *Réponse d'*ITINÉRAIRES : cette page de Fustel est repro­duite dans l'ouvrage récent de Jean Madiran : *Les deux dé­mocraties*, pp. 186-188. [^13]:  -- (1). Sur la dégradation actuelle de la justice et de la pru­dence, cf. nos études antérieures *De la Justice* et *De la Prudence* parues aux Éditions Dominique Martin Morin à Paris. [^14]:  -- (2). *Somme Théologique* (Sigle S.T.), 2-2, 50, 1 c. *In VI Eth.,* 1.7, n° 1196. [^15]:  -- (3). *S.T.,* 2-2, 123, 2, c. [^16]:  -- (4). *In I Eth.,* 1.2, n° 29 : *Finis politicae est humanum bo­num, id est optimus in rebus humanis.* [^17]:  -- (5). *S.T.,* 2-2, 123, 12, ad 5. [^18]:  -- (6). Cf. *De la Tempérance,* à paraître, si Dieu le veut, en 1980 ou 1981. [^19]:  -- (7). *S.T.,* 2-2, 123, 12, c. [^20]:  -- (8). *S.T.,* 2-2, 123, 2, c. [^21]:  -- (9). Il y a aussi, comme nous le verrons dans *De la Tempé­rance,* une forme de passion de l'appétit sensitif qui consiste à désirer un objet qui convient au corps ou à éprouver à son égard une répugnance s'il ne convient pas, et qu'on appelle le *concupiscible.* Elle porte sur l'agréable ou le pénible. Cf. sur l'irascible, *S.T.,* 1-2, 23, 2 ; *De Ver.,* 26, 4. On lira avec un vif intérêt l'ouvrage de C. Cvinklinski et A. Serralda, *Pavlov, pour un renouveau de la culture,* Paris, chez l'auteur 19, Avenue des Ternes, 1979, qui démontre combien la fonction organique de *défense* (« l'irascible ») est essentielle et primaire dans la vie humaine et (ajoutons-le) à quel point la théorie philosophique de la forme pénétrant jusqu'aux dernières racines de la matière chez le vivant est conforme aux dernières découvertes de la biologie expérimentale. [^22]:  -- (10). *S.T.,* 2-2, 123, 3 ; *In III Eth.,* 1. 14. Il ne faudrait pas se méprendre sur le sens qu'Aristote et saint Thomas attribuent à la modération, à la mesure. *Modéré* ne signifie nullement ici *peu intense, assez faible,* comme on aurait tendance à le croire aujourd'hui. *Mesuré* ne signifie pas davantage *compassé, lent.* La modération n'implique pas non plus l'exclusion totale de la crainte : « Tu trembles carcasse, se murmurait Turenne au plus fort de la bataille, tu tremblerais bien plus si tu savais où je te mène ». La force inclut une certaine peur *dominée* et par là rendue capable, chez celui qui la ressent et la surmonte, de ne point reculer devant ce qu'il y a d'ardu dans son objet, tout en lui maintenant sa grande difficulté. Elle inclut également une audace *maîtrisée,* qui ne fonce pas à l'aveugle dans le danger. La force n'est pas un milieu entre la crainte et l'audace ni un mélange plus ou moins dosé des deux, *dans le même plan qu'elles.* Elle se situe *sur un plan supérieur* où elle con­trôle la réalité concrète de leur objet : l'ardu, pour lui résister, ce qui veut dire qu'elle n'en méconnaît pas le caractère hostile qu'il inspire, et pour en triompher, ce qui veut dire qu'elle en connaît le caractère de grande difficulté et le surplus adéquat qu'il réclame pour être surmonté. La force est une vertu de l'âme. Elle *informe* la crainte et l'audace, comme la forme la matière. Elle en *détermine* donc la qualité et la quantité. Elle les apprécie, les évalue, en marque les limites. Étant leur règle, elle *s'impose* à elles. Dans une hiérarchie, elle occupe donc un degré, une place au-dessus d'elles. On l'a souvent dit, mais notre vision à trois dimensions est faible : elle est un *sommet* entre deux pentes opposées. Telle est la juste mesure, le juste milieu de la vertu : ni trop peu, ni trop. Dans le premier cas, c'est la dégringolade dans le fascisme,. Dans le second, c'est le gel de l'implacable rudesse ; dans les deux, si l'on y prête un peu d'attention, c'est le moi qui s'érige en seul juge de soi-même et des autres, c'est la perte de la finalité *objective* de la vertu, c'est le culte de la subjectivité. La vertu disparaît là où sévit l'individualisme (avec son corollaire immédiat : le collectivisme). [^23]:  -- (11). *S.T.,* 2-2, 123, 4. [^24]:  -- (12). *Ibid.,* ad 1. [^25]:  -- (13). *Ibid.,* conclusion. [^26]:  -- (14). 123, 5. [^27]:  -- (15). *In III Eth.,* c. 6, n° et 123, 9. [^28]:  -- (16). 123, 12, ad 3. [^29]:  -- (17). *Ibid.,* ad 5. In *1 Rhet.,* c.9. [^30]:  -- (18). 124, 1, resp. [^31]:  -- (19). 126, 1, ad 2. [^32]:  -- (20). Au sens élevé du terme, aujourd'hui avili à un point inimaginable : « Tout ça -- tout ce qui est digne de mépris --, c'est de la politique. » Qui parle encore de la *vertu* politique ? [^33]:  -- (21). 136, 3, ad 2. [^34]:  -- (22). 140, 1, ad 3. [^35]:  -- (23). 123, 6. [^36]:  -- (24). *Ibid.,* ad 1 et 3. \[manque l'appel de note dans l'original\] [^37]:  -- (25). 123, 8 et In III Eth., c. 9, n° 5. \[même remarque\] [^38]:  -- (26). Cf. J. PIEPER, *The Four Cardinal Virtues,* University of Notre-Dame Press, 1966, p. 127. [^39]:  -- (27). 123, 10 et *in III Eth.*, c.8, n­° \[*sic*\] [^40]:  -- (28). 1-2, 46, 1. É [^41]:  -- (29). 1-2, 46, 7. [^42]:  -- (30). 1-2, 47, 1. [^43]:  -- (1). Paul Claudel (la Rose et le Rosaire). [^44]:  -- (1). De larges extraits de ce paragraphe et du précédent ont eu l'honneur d'être cités par S. Em. le Cardinal Billot, qui a été appelé « le premier théologien du monde », pages 36 et 37 du tome II de son *Tractatus de Ecclesia Christi : De habitudine Écclesiæ ad civilem societatem.* [^45]:  -- (2). « Verum, quale tandem aenigma quod systema sociale super libertatem, ad libertatem et pro libertate constructum tam evidenter ad despotismum et substractionem omnis realis libertatis ducat ? Cujus novi generis mirum istud est, quod doctrina politica in pura, ut volunt, philosophia fundata, dictaturium numeri, *quà nihil, magis antiphilosophium co­gitatur,* pro summa habeat auctoritate.* *» Cardinal Billot : *Tractatus de Ecclesia Christi,* II. [^46]:  -- (3). Il faut ajouter « la moins philosophique », comme dit le Cardinal Billot, et l'on peut dire aussi : la plus folle. [^47]:  -- (4). Cité par S. Em. le Cardinal Billot (*Tractatus,* p. 37). [^48]:  -- (5). Je destine cette remarque à ceux qui promettent de baptiser la démocratie. Ce baptême n'est pas plus impossible qu'autre chose. Mais l'effet du sacrement sera de déplacer le siège et l'axe du gouvernement *d'une manière aussi radicale qu'un coup d'État ou qu'une Restauration.* Ce ne sera plus la démocratie qui gouvernera : ce sera la loi catholique. Les vertus de ce gouvernement et ses bienfaits seront ceux du catho­licisme, non ceux de la démocratie, dont la nature sera plutôt de les contrarier et de les retarder. Et, toutes choses supposées égales d'ailleurs, on pourra se demander encore si le règne du catholicisme n'aurait pas été obtenu plus vite, à meilleur compte, dans des conditions plus durables, au moyen de la monarchie ou de l'aristocratie. -- Mais la monarchie n'existe plus ! L'aristocratie n'est qu'un nom ? -- Vraiment ? Et votre République théocratique, existe-t-elle ? Le catholicisme des masses, leur conversion, leur disposition à recevoir une loi religieuse, ne sont-ce pas des choses à créer et des simples, possibles, tout comme l'aristocratie ou la monarchie ? [^49]:  -- (6). Cité par S. Em. le Cardinal Billot (*Tractatus,* p. 37). [^50]:  -- (7). Voir *l'Enquête sur la Monarchie.* [^51]:  -- (8). Cité par S. Em. le Cardinal Billot (*Tractatus,* p. 37). [^52]:  -- (1). Appelé à Rome où résidait le roi napolitain exilé, le saint prêtre lui fit savoir qu'il était rayé du registre des rois, pour expier le mal que ses ancêtres avaient fait à l'Église au XVIII^e^ siècle ! Saint Jean Bosco avait aussi prédit qu'Henri V ne monterait pas sur le trône. [^53]:  -- (1). Mise à part une éventuelle et improuvable descendance de Louis XVII qui a pourtant des partisans, davantage d'ailleurs au plan historique qu'au plan politique. [^54]:  -- (1). Elle était fille reconnue du Duc de Berry et avait droit au « tabouret » de duchesse.