# 240-02-80 1:240 ## ÉDITORIAUX ### Reconnaître l'état de guerre PERSONNE ne saurait dire combien de temps il fau­dra aux forces communistes pour achever la conquête de l'Afrique et de l'Asie. Leur progres­sion moyenne, depuis 1975, a réduit en esclavage près de trois pays nouveaux par an : ce qui suppose encore quelques septennats de guerres lointaines où nous sen­tir en paix ; mais tout annonce du côté des vainqueurs une volonté de précipiter le mouvement... La certitude, pour l'avenir, c'est que la conclusion des phases asia­tique et africaine du plan de domination communiste ne laisserait à la petite Europe aucun délai, aucune chance supplémentaire de survie. L'aberration, pour le présent, c'est que les gouvernements occidentaux trou­vent à s'entretenir de « détente » avec l'Union sovié­tique quand le Cambodge est rayé de la carte, l'Afgha­nistan annexé, le Pakistan ou la Thaïlande directement menacés. 2:240 Il ne faudrait aucun héroïsme particulier à un gou­vernement français pour reconnaître et dénoncer l'*état de guerre* que l'Union soviétique impose au monde entier depuis plus de trente-cinq ans. Il n'y faudrait qu'un peu de volonté politique. Des hommes de gauche eux-mêmes s'en sont montrés capables, avant que le malheur du gaullisme ne s'abatte sur la France. Non que ce régime ait le monopole de la lâcheté. Mais il a porté à un grand point de perfection le système de po­litique étrangère qui consiste à épouser l'un après l'au­tre tous les mensonges de l'ennemi ; à ne prendre au­cune décision importante susceptible de heurter Mos­cou ; et nous lui devons l'odieux vocabulaire -- « auto­détermination », « non ingérence » -- qui sert de cou­verture à l'indifférence nationale quand le goulag s'abat chaque année sur des millions d'êtres humains. \*\*\* Reconnaître l'état de guerre, c'est d'abord refuser le mensonge que le communisme distille partout sur sa propre réalité. Le refuser chez nous en œuvrant au ré­veil des esprits ; car ce n'est pas la force électorale du Parti mais l'abdication des intelligences politiques qui assure aujourd'hui notre finlandisation croissante, et prépare la vraie victoire, complète, du totalitarisme. Le refuser dans tous les coins du monde dont les commu­nistes viennent à s'emparer. On rougit de rappeler, en 1980, que la première reconnaissance diplomatique du régime des Khmers rouges fut celle du gouvernement français... Comme si Giscard avait pu ignorer en avril 1975 qu'il n'est point sous le ciel de communisme « à visage humain » ; que les terreurs staliniennes n'ont jamais constitué un accident de parcours dans l'histoire de la Révolution. De Lénine à Staline, à Mao, et de ceux-ci à Pol Pot ou Fidel Castro, il n'existe qu'une façon de mettre en œuvre les idéaux communistes. Elle commence par la désagrégation des forces sociales et spirituelles de la nation ; elle finit toujours par l'orga­nisation de la terreur et de la mort. 3:240 Il y a plus qu'une simple relation de stratégie, il y a un lien parfaitement organique entre le communisme et la mort. Qui a été compris par tous les philosophes. Qui est surtout vécu dans leur chair ou dans leur âme par des millions et des millions de victimes, sur ce fond de torpeur épaisse où toute la communauté occidentale se fait complice de leurs bourreaux. Reconnaître l'état de guerre, c'est encore mobiliser dans la direction que cette guerre impose les ressources de notre charité. Cesser d'épuiser nos forces contre des régimes qui se contentent de faire régner chez eux la paix de l'ordre en expédiant les terroristes en prison : l'Afrique du Sud ou le Chili du général Pinochet. En finir une fois pour toutes avec le culte européocentriste des déportations de la deuxième guerre mondiale et le mythe absurde de la renaissance nazie. Notre système audiovisuel et scolaire dresse la France entière à trem­bler trois cent soixante-cinq jours par an devant des catastrophes imaginaires ou révolues. Comme si le mar­tyre des croyants russes, les charniers d'étudiants éthio­piens ou le génocide du peuple khmer étaient indignes d'entrer à part entière dans le champ de nos émotions ; comme si l'on volait quelque chose au souvenir du malheur juif en dénonçant le massacre actuel de peu­ples jaunes ou noirs, musulmans ou chrétiens. -- Il est urgent, quelle que soit la destinée future de l'Occident, de restaurer dès aujourd'hui le droit des peuples non-juifs à notre charité active et d'abord à notre pitié. On n'a rien fait pour celui qui souffre avant de l'avoir aimé. La charité politique des sociétés occidentales aura à rendre compte devant Dieu des priorités ou des exclu­sives qu'elle s'est assignées. Et des torrents de larmes sur les suppliciés des camps nazis ne lèveront pas pour nous une once de la miséricorde divine, si les terreurs bien vivantes des guerres d'expansion communiste se heurtent au cœur de glace de notre société. 4:240 Reconnaître l'état de guerre, enfin, c'est organiser nos forces en fonction du combat. Ici encore, l'Occident doit se garder des illusions qui paralysent. La plus grave d'entre elles consiste à s'obnubiler sur le pro­blème des armements atomiques, qui serait la clé de tout, tandis que l'ennemi conquiert le monde par des voies bien différentes, et parfois très rudimentaires. Tout se passe comme si nous attendions fiévreusement pour crier à la guerre l'annonce radiophonique du pre­mier lancement de fusées. Mais la pelle et la pioche des Khmers rouges ont accumulé beaucoup plus de cadavres au Cambodge que les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki. Et en Afrique, les petites armées cu­baines ou est-allemandes qui s'emparent pour l'U.R.S.S. de l'ancien empire colonial de l'Occident ne manient pratiquement que des armes individuelles. -- Le pro­blème numéro un n'est donc pas de savoir si l'Europe de l'an 2000 disposera d'une dissuasion nucléaire auto­nome, mais si le Giscard des années 80 saura défendre ses alliés d'Afrique contre l'assaut de véritables guer­riers : des Cubains analphabètes, sans quartier, des Prussiens implacables et surentraînés. De tels adver­saires ne relèvent pas des sous-marins atomiques et du feu nucléaire ; ils relèvent de nos régiments de para­chutistes et de la Légion, qui sont les premiers sacrifiés de la réforme gaullienne... Il est grand temps de songer que la troisième guerre mondiale pourrait bien se con­clure par des combats de brousse en Afrique, où elle se conclura nécessairement sans la France et contre elle si nous n'avons pas su la nommer. \*\*\* La défense de l'Occident est plus que jamais affaire de courage et de volonté politiques. Chaque fois qu'il se heurte à la détermination inflexible d'un adversaire occidental, l'impérialisme soviétique ne sait que re­culer : le sauvetage de Berlin-ouest au lendemain de la deuxième guerre mondiale et l'affaire des fusées de Cuba en 1962 sont là pour le prouver ; l'abandon du Vietnam aussi, a contrario, qui consacre une défaite de la seule volonté politique. 5:240 -- Mais personne n'ignore combien le rapport des forces morales, depuis Krouchtchev et Kennedy, a évolué au profit de l'Est. Thomas Molnar rappelait ici même qu'un commissaire du N.K.V.D. avait pu abattre l'ambassadeur américain de Kaboul, avant la première occupation soviétique de l'Afghanistan, sans provoquer autre chose qu'une pro­testation officielle du président Carter. Et le chef d'État français qui se déclare prêt aujourd'hui à défendre la liberté de Berlin dépose des fleurs au mausolée de Lénine lorsqu'il est reçu à Moscou, sans se soucier d'au­cune contradiction... On mesure à ce genre de détails le degré de finlandisation de tout le personnel politique d'Occident. Son anticommunisme même se fait agréable au Kremlin, parce qu'il ne franchit jamais les bornes de la convenance électorale ; il ne passe plus jamais aux actes qui le rendraient efficace et dangereux : en com­mençant par celui qui consisterait à nommer de leur nom les entreprises de l'ennemi. Giscard peut bien lâcher en confidence que la paix du monde lui semble menacée. Tant qu'il ne trouvera pas en lui le simple courage et la volonté politique de *reconnaître l'état de guerre,* aucun redressement moral n'est possible au sein des populations ; aucune sanc­tion, aucune intervention militaire ne peut être envi­sagée ; fût-ce contre des Allemands de l'est ou des Cubains. Et lui, il sera passé en effet à côté de l'histoire où *les* pays du monde libre se préparent à sombrer. Hugues Kéraly. 6:240 ### Le calcul de Jimmy Carter C'EST AU Cachemire, dans la belle capitale pro­vinciale de cette région revendiquée par l'In­de et le Pakistan, que j'ai appris la nouvelle de la prise d'otages à Téhéran. Elle s'étalait de tout son long dans le journal du matin que les hôtels de cette partie du monde mettent obligeamment sous le nez du client dès qu'il ouvre les yeux. Depuis, chaque jour de mon voyage, je me réveille en compagnie journalistique du Chah, de Khomeyni, de Carter, des otages et autres figurants de ce drame que Washington -- à sa manière habituelle -- réussit à transformer en farce. Et où que j'aille, au Népal, à Ceylan, en Birmanie ou à Singapour, ce qui frappe d'abord, à travers articles et éditoriaux, c'est la réaction misérable de la presse : point de texte où n'éclate tour à tour lâcheté, déshonneur, stupidité, conformisme et refus de la réflexion. 7:240 Mais voyons d'abord ce qu'il faut penser de « l'af­faire ». L'attitude de Carter est identique à celle de ses prédécesseurs, qui jaillit des profondeurs de l'idéologie américaine. Ce nouveau conformisme occidental empoi­sonne les rapports entre États en demandant aux plus forts de renoncer à se défendre dans l'intérêt supérieur de « l'humanité » ; il exprime en réalité l'utopie im­patiente de voir régner sur notre planète la République universelle des nations unies. Et c'est d'abord pour ne pas compromettre les chances de cette mondialisation imminente, dans son subconscient, que le président Car­ter ne fait rien pour châtier l'Iran -- comme l'aurait fait l'Angleterre au siècle dernier quand, sûre d'elle-même et dominatrice, elle écrasait allègrement ses rebelles de Chine ou d'Afrique du Sud. Le messianisme insipide des États-Unis veut qu'au contraire Washington ait horreur aujourd'hui de ce genre de brutalité. Les grandes doctrines de Freud, des sociologues américains, et toute une classe politicienne inculte et primitive, ont persuadé nos dirigeants que la maturité de l'espèce humaine ne tolère plus, désor­mais, le recours à la force. Les catholiques conciliaires doivent bien comprendre cette mentalité : moteur idéo­logique de Vatican II qui, lui aussi, pourchasse le « triomphalisme » dans l'Église et témoigne tant de compréhension pour le totalitarisme des musulmans, des marxistes, des avorteurs... Vatican II, à bien des égards, devait être calqué sur l'idéologie américaine, ou plus exactement américaniste, dans le sens où Renan y dénonçait la moderne hérésie. Désarmer l'Occident et les États-Unis, l'Occident par les États-Unis, tel est l'argument, la finalité politique de cette idéologie. Plus on renonce soi-même à « l'arrogance du pouvoir » (Ful­bright), plus on accède à la possibilité de modifier le cours de l'histoire où les grandes puissances cherchaient l'hégémonie. L'Amérique, dans cette perspective, a pour mission de montrer au monde que l'impérialisme n'est pas une fatalité : que l'on peut être à la fois grand et bon, puissant et patient. 8:240 Ce faux christianisme sacrifie avec l'illusion de la vertu la cinquantaine de ressortissants qui devraient être doublement protégés et secourus, comme repré­sentants de leur propre nation ; il sacrifie aussi l'exi­gence du châtiment des coupables, sans laquelle la civilisation ne peut que s'effondrer. C'est dire que les États-Unis encouragent l'anarchie internationale, tout en proclamant qu'ils défendent le droit et le bien de l'humanité. Dans l'affaire des Otages, Khomeyni se con­tente d'agir comme tant d'autres l'ont fait et continue­ront hélas de le faire dans le cours de l'histoire réelle « non réformée ». Les grands criminels, fauteurs d'anar­chie, fauteurs de guerre, sont Carter et ceux qui le sui­vent dans le peuple américain. Mais outre l'utopie il y a la lâcheté, doublée de poses vantardes et ridicules. Jimmy et ses sages, y compris son soi-disant censeur, le graisseux Kissinger, faux bon­homme s'il en fut dans les hautes sphères de Washing­ton, passent leur temps à étaler au grand jour leurs petits « plans » de messies en carton-pâte : non. point pour agir, car on n'agit efficacement dans ces circons­tances qu'en secret, mais uniquement par calcul élec­toral. Les cinquante malheureux otages de l'ambassade américaine de Téhéran, sans le savoir, car eux aussi sont victimes de l'idéologie nationale, auront servi d'en­jeu électoral au pieux Jimmy, qui décidera de résoudre ou non la crise avec l'Iran en fonction de sa quote-part de popularité aux sondages. Car la démocratie améri­caine ne connaît qu'un critère de bon fonctionnement le candidat doit rester la cible numéro un des media, que ce soit comme tueur de jeunes filles, Ted Kennedy, ou champion des droits de l'homme, Jimmy Carter. -- Ce dernier possède le grand avantage de ne pouvoir sortir perdant de l'affaire des otages de Téhéran. Qu'il les rapatrie, au prix de n'importe quelles concessions humiliantes, et il sera l'idole des imbéciles. Qu'il les laisse pourrir, et il « aura fait tout son possible pour résoudre la crise de façon pacifique »... D'une manière ou d'une autre, il obtiendra son Nobel. Il y a déjà autant de mérite que cet autre grand bienfaiteur de l'huma­nité, Kissinger, qui dut partager le sien avec l'assassin Le Duc Tho. \*\*\* 9:240 Venons-en aux commentaires de la presse. Que les chancelleries, un peu partout dans le monde, aient dé­noncé la prise d'otages, rien de plus naturel : il s'agit là de leur propre intérêt, et aussi des avantages qu'elles peuvent retirer de ce geste auprès d'une Amérique re­connaissante. Pure formalité. Mais la presse, dépositaire de l'intelligence du genre humain, de la moralité sécu­lière, de la conscience universelle et cosmique ? Eh bien, la presse en cette affaire s'est montrée aussi servile que par le passé, et dépourvue de la moindre intelli­gence des choses humaines. Elle « condamne », bien entendu, le principe des prises d'otages, mais trouve aussitôt cent raisons, dans les discours du locataire de la Maison blanche, pour proclamer que Jimmy Carter agit avec une modération et une patience infinies, qu'il fait tout pour sauver la vie des otages, etc. Il n'y aura pas eu un seul éditorial pour reconnaître la simple vérité : que le dit Jimmy n'est qu'un calculateur hési­tant et lâche, exclusivement soucieux d'enfoncer un rival d'ailleurs digne de lui, le nommé Teddy. De deux choses l'une : ou bien la presse « indépen­dante » reste à la remorque des Jimmy et veut plaire aux agences internationales, grands césars des moyens de communication, ou bien elle est tellement dénuée de jugement qu'il ne lui vient pas à l'esprit de penser autrement que les communiqués de Washington. Dans les deux cas, cette presse est à l'image de notre monde sur-américanisé, c'est-à-dire écervelé. J'ai parlé de l'affaire des otages de Téhéran avec un Français qui me confiait, ironique : « Washington devrait demander aux Israéliens d'y envoyer un com­mando de parachutistes. » Mais les touristes anglo-saxons que j'ai eu la mauvaise chance de rencontrer sont d'un tout autre avis : « Pauvre Jimmy Carter, il fait de son mieux dans une situation sans issue... 10:240 Ah, ce salopard de Khomeyni, quelle horreur ! » -- Voilà exactement ce que notre Jimmy veut entendre dans la bouche des Américains. Quelle douce musique, pour l'oreille d'un candidat. Thomas Molnar. 11:240 ### Vieux barbares et jeune révolution IL FALLAIT VRAIMENT que notre gauche fut « la plus bête du monde », comme elle dit, pour découvrir la barbarie congénitale de l'Islam avec l'ayatollah Khomeyni et ses cinquante prisonniers. Voici plus d'un millénaire en effet que les pays musulmans pratiquent la capture de l'être humain à des fins d'esclavage, de représailles ou de rançon. Jusqu'à la Révolution fran­çaise, il existait chez nous deux grands ordres religieux, les Trinitaires de saint Jean de Matha et la Merci de saint Pierre Nolasque, exclusivement consacrés au ra­chat des captifs chrétiens en terre musulmane : d'après de bons historiens, l'Europe ne doit pas moins de 900.000 « rédemptions » au dévouement et souvent au martyre des seuls Pères de la Trinité. Mais 900.000 chrétiens arrachés aux fers de l'Islam, de ses harems et de ses galères, voilà qui suppose déjà plusieurs mil­lions d' « otages » à l'actif de cette religion ([^1]). \*\*\* 12:240 La pratique musulmane du rapt et de l'esclavage n'est pas morte avec la découverte des droits de l'hom­me ou du moteur à explosion. On sait que chaque année, sur les chemins de La Mecque, des milliers de jeunes noirs sont vendus par leurs familles ou par leurs maîtres pour subvenir aux dépenses du « pèlerinage ». Ces nouvelles ne font jamais la une de l'actualité, où elles encombreraient inutilement les voies prioritaires de l'œcuménisme et de l'unification utopienne. Mais quand il s'agit de victimes chrétiennes, et françaises, nous ne sommes pas mieux informés... Qui se soucie encore des malheureux « disparus » d'Algérie ? « De novembre 1954 à septembre 1962 -- écrivait le colonel de Blignières ([^2]) --, pendant les huit années de la guerre d'Algérie, de nombreuses disparitions d'Européens ont été constatées. Mais les disparitions, à caractère d'enlè­vement, ont pris des proportions considérables dès le cessez-le-feu du 19 mars 1962. L'indépendance algé­rienne du 1^er^ juillet 1962 n'y a pas mis fin ; elles se sont prolongées jusqu'en septembre. Selon divers témoi­gnages autorisés, provenant souvent d'étrangers ayant vécu cette époque en Algérie, le nombre de disparitions d'Européens après Évian se serait élevé à six mille personnes... » Qui sait combien sont encore en vie, de ceux qu'on appelait improprement les « disparus » d'Algérie, pri­sonniers de l'Islam dans d'anciens départements fran­çais ? Le gouvernement a choisi depuis longtemps de les enterrer, plutôt que de reconnaître devant l'opinion l'atroce marché humain dont fut assorti l'abandon de nos terres d'Algérie. Mais pendant des années, toutes proches de nous, la vieille barbarie musulmane *vendait* aux familles françaises qui en avaient les moyens la survie de leurs parents proprement enlevés. 13:240 On dira que c'était sous De Gaulle. Nos frères algé­riens ne traitent pas pourtant avec plus de douceur les Français de Giscard. Témoin cette information parue dans notre numéro de mars 1976, voici déjà près de quatre ans : *Un État qui prend des otages.* Elle retrouve aujourd'hui une étonnante actualité. « Tant de semaines après le 22 novembre 1975, jour où ils ont été arrêtés à Bône, on ne sait pas quand seront libérés deux ingénieurs français, qui sont gardés au secret à Constantine. On ne sait même pas s'ils le seront jamais. « Le gouvernement algérien les accuse d'espion­nage économique. C'est grotesque. La société qui em­ploie ces ingénieurs, et les a envoyés en Algérie, a protesté. La presse. française a parlé de l'affaire pen­dant quelques jours. Le gouvernement français n'a pas bougé. « Ce n'est pas cette attitude qui surprend. Des milliers de Français ont été enlevés en Algérie entre 58 et 62, et, pour la majorité, après le « cessez-le-feu ». Cela n'a jamais gêné les gouvernements fran­çais qui se sont succédé. Ce qu'il faut noter, c'est qu'on est revenu à un stade bien lointain des relations internationales celui où une frontière nette séparait la Chrétienté du reste du monde. A l'intérieur de cette frontière, malgré les crimes et les exemples de mauvaise foi qu'on peut citer, un certain nombre de règles sont respectées. Au dehors, n'importe quoi est possible. Il arriva ensuite que l'Europe déborda sur le monde ; on put avoir l'illusion que le respect du droit des gens devenait universel. En fait, c'était une question de force. On dira tout le mal qu'on voudra de « la poli­tique de la canonnière » : elle permettait aussi de tirer des pattes d'un despote quelques malheureux. Cette politique, nous en sommes devenus incapables, par manque de force (il ne s'agit pas uniquement de force matérielle) et nous feignons de nous rabattre sur l'O.N.U., sur les colloques et les accords innom­brables. (...) 14:240 « Cela valait d'être remarqué : un État, membre de l'O.N.U., et dont une part de la presse française ne cesse de louer la « maturité » et la « sagesse » prend des otages comme un vulgaire bandit. « A la réflexion, il ne fait que suivre l'exemple de l'U.R.S.S. (avec les Juifs qui voudraient émigrer) et de l'Allemagne de l'Est, quand elle retient les enfants dont les parents se sont enfuis à l'Ouest (ou ont voulu le faire) et qu'elle confie ces enfants à des parents adoptifs politiquement sûrs. « C'est un retour général à la barbarie. » ([^3]) \*\*\* L'affaire des otages de Téhéran est à inscrire dans la ligne des traditions séculaires de l'Islam, qui se complaisent à humilier l'adversaire et faire commerce de tout. Ces cinquante Américains seront vendus d'une manière ou d'une autre à leur gouvernement. Le plus cher qu'il se pourra, si l'honneur des États-Unis ne se décide pas à imposer une autre solution. Mais je ne crois pas que la révolution iranienne soit entrée dans une phase réellement décisive, pour l'Iran, parce qu'elle a exécuté six cent quatre-vingt-quatorze personnes (y compris les droits communs) et fait cin­quante otages un an après l'abdication du Chah... En novembre 1945, quand De Gaulle et les communistes prennent le pouvoir dans des circonstances qu'il faut dire plus ou moins analogues selon le mensonge des journaux, nos tribunaux révolutionnaires commencent par programmer des exécutions politiques au moins cent fois plus nombreuses à travers tout le pays : alors oui, la gauche peut parler de « Libération ». Pour exécuter ses ennemis de classe, un seul Teitgen au ser­vice du Parti vaut mille ayatollahs. -- Tant que des communistes ne remplaceront pas les religieux vieil­lards de l'antique barbarie musulmane à la tête des tribunaux iraniens, ce pays n'aura rien connu encore des malheurs véritables de la Révolution. Et on ne résout rien non plus en dissimulant au monde que, de­puis le départ du Chah, la grande nuit révolutionnaire est inscrite dans le destin de l'Iran. 15:240 La pré-révolution iranienne n'a pour but aujourd'hui que de tester le degré d'anesthésie morale et politique des Américains. Pour nous, elle vérifie une fois de plus le grand discours de Harvard sur le déclin du courage occidental ([^4]). Elle présente aussi l'avantage capital, pour les communistes, de monopoliser l'attention mon­diale sur une opérette orientalo-mystique sans relation apparente avec la stratégie militaire de l'Union sovié­tique : grâce aux otages de Khomeyni, l'invasion de l'Afghanistan n'aura tenu la première page qu'entre Noël et le nouvel an. Et c'est pourquoi aussi les journa­listes du monde entier opèrent librement sur le terri­toire iranien. Mais le jour où le parti communiste Tou­deh y tiendra le pouvoir qu'il reste seul en mesure d'arracher aux ayatollahs, on peut supposer que la télévision nous parlera d'autre chose, faute d'avoir le moindre bout de film à montrer. Ce jour-là, le mensonge communiste qui règne en maître dans l'information aura découvert par le monde d'autres assassins d'opérette ou d'autres vieux barbares fatigués pour distraire du crime essentiel l'attention des gens. Hugues Kéraly. 16:240 ## CHRONIQUES 17:240 ### Le destin français par Louis Salleron PEUT-ON PARLER d'un *destin français *? Je le pense. Tout ce qui vit, tout ce qui existe a un destin. Le sens du mot est extensible, mêlant les idées de né­cessité et de liberté ! Évitons la philosophie, pour le prendre au ras du sentiment commun. Si nous parlons du destin de la France, ou de l'Allemagne, ou de l'Europe, ou de la civilisation occidentale, nous entendons par là l'élan vital, la cohérence, la somme des raisons qui ont fait ce qu'elles sont ces entités collectives, nous permettant d'expliquer leur histoire et peut-être de prévoir sinon leur avenir du moins les conditions sans lesquelles elles ne de­meureraient pas ce qu'elles sont substantiellement depuis un long temps et qu'elles n'ont cessé d'être à travers des changements qui n'affectaient pas leur identité profonde. #### Un destin national Le *destin français* me semble être d'abord *national.* Tautologie, dira-t-on, puisqu'il s'agit d'une nation. Non. La notion de nation n'est pas évidente. Elle est même relativement récente. 18:240 On ne peut fixer sa date de nais­sance, parce qu'elle s'est développée progressivement. Di­sons que c'est au XVI^e^ siècle qu'elle a atteint sa signi­fication moderne et que c'est la Révolution française qui en a fait la catégorie juridique universelle des sociétés civiles organisées en collectivités souveraines. Le *jus gen­tium* est devenu le *droit inter-national*. L'État est le nom juridique de la réalité nationale, mais il ne fait qu'expri­mer le Pouvoir politique de la nation, tant à l'égard des nationaux que dans ses rapports avec les autres nations. *C'est la France qui a inventé la nation.* Le christianisme avait apporté la distinction fonda­mentale du Royaume de Dieu et du royaume de César. Il en est résulté la conception de deux Pouvoirs autonomes, le Pouvoir spirituel et le Pouvoir temporel avec, à leur tête, le pape et l'empereur. Que le pape fût le seul chef suprême du Pouvoir spiri­tuel était la conséquence des paroles du Christ : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église. » L'unité du Pouvoir temporel n'était pas inscrite dans l'Évangile. Elle ne l'était pas non plus dans les faits. Mais Rome où siégeait le successeur de Pierre était aussi la capitale de l'empire. Dans la décadence puis la dissolution de la puis­sance impériale romaine, l'idée resta qu'en face de la cité de Dieu gouvernée par le pape la cité des hommes l'était par l'empereur. Tout Pouvoir temporel était censé relever de l'empereur. Peu à peu cependant s'élabora en France la doctrine selon laquelle le roi de France est « empereur en son royaume ». Ce qui signifiait une double autonomie : l'au­tonomie *temporelle* par rapport au Pouvoir *spirituel*, et l'autonomie du *royaume* par rapport à l'*empire*. Le royaume de France, c'était la nation. C'est en ce sens que *le destin français est un destin national*. La construction de la France a été, au long des siècles, la construction de son unité nationale. « Le sens de cette unité vitale, écrit Paul Valéry dans ses « Regards sur le monde actuel », est extrême en France. » 19:240 Paul Valéry commente cette observation : « Dans les dissensions intérieures aiguës, c'est toujours le parti qui semble en possession de rétablir au plus tôt, et à tout prix, l'unité menacée, qui a toutes les chances de triom­pher. C'est pourquoi l'histoire dramatique de la France se résume mieux que toutes autres en quelques grands noms, noms de personnes, noms de familles, noms d'as­semblées, qui ont particulièrement et énergiquement repré­senté cette tendance essentielle aux moments critiques et dans les périodes de crise ou de réorganisation. Que l'on parle des Capétiens, de Jeanne d'Arc, de Louis XI, d'Henri IV, de Richelieu, de la Convention ou de Napoléon, on désigne toujours une même chose, un symbole de l'iden­tité et de l'unité nationales en acte. » Jusqu'au XIX^e^ siècle le *destin français* se réalise dans la croissance constante de l'*unité* et de la *puissance* de la nation. Après l'aventure napoléonienne, l'*unité* poursuit sa croissance par les moyens artificiels de l'administration, de la centralisation et du socialisme étatique qui dévorent la substance vivante du pays. La *puissance* ne se maintient que par la propagation du *modèle national* qui crée, en Europe, l'Allemagne et l'Italie, et outre-Atlantique toutes les républiques sud-américaines. Par le principe des natio­nalités, puis par le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les guerres successives et surtout les deux der­nières multiplient les nations sur la planète. C'est l'apogée du système national et c'est en même temps sa fin, car la plupart des nouvelles nations sont factices, les réalités sociales qui les sous-tendent étant ethniques, raciales et religieuses, bref étrangères à leur *destin* propre qui ne s'est pas développé historiquement dans la forme de la nation. D'autre part, le formidable progrès technique des dernières décennies, rendant de plus en plus précaire un ordre mon­dial fondé sur la souveraineté des nations, appelle celles-ci à des modes nouveaux de relations qui affectent même les vieilles nations d'Europe. Le *destin français* en est menacé et invite la France à des idées neuves. \*\*\* Ouvrons une parenthèse sur les destins parallèles de la *nation* et de l'*empire*. Si la nation triomphe dès la fin du XVIII^e^ siècle, l'em­pire ne fait que subir un avatar. Sous sa forme chrétienne, il décline constamment pour expirer à la fin en 1914. Mais simultanément il renaît sous la forme capitaliste, qu'on appelle précisément l'impérialisme. 20:240 De soi, la nation tend à la frontière. Elle se « définit » par rapport à d'autres nations. L'empire, par nature, tend à l'univers. La nation, c'est le territoire qui rassemble ceux qui y sont nés. L'empire, c'est le Pouvoir qui va jusqu'au bout de ses capacités. La mer, étant le moyen de communication privilégié pour les grandes distances, c'est l'empire de la mer qui favorise les échanges, puis les implantations lointaines. De fil en aiguille, les pays que borde la mer tentent leur chance aux extrémités du monde. D'où l'empire britanni­que, qui succède à celui de Charles Quint, puis tous les *empires* coloniaux des *nations* européennes. La dernière guerre, par la volonté des nouvelles puis­sances dominantes, les États-Unis et l'U.R.S.S., a détruit tous les empires coloniaux des pays européens. Nous nous trouvons aujourd'hui en présence d'une double réalité mondiale : d'une part, la prépotence des deux *empires* de fait qui enserrent l'Europe à l'Ouest et à l'Est, d'autre part la suprématie de droit des *nations* rassemblées dans l'Organisation des *nations* unies. L'empire soviétique offre cette particularité d'être le prolongement de la nation russe qui, en raison de son étendue, le présageait en quelque sorte. Sa constitution est donc fondamentalement continentale. Mais pour ac­quérir une extension mondiale il a dû, lui aussi, créer une force maritime gigantesque et utiliser son capitalisme éta­tique pour se répandre à l'extérieur. Le résultat de ces contradictions diverses est le désordre universel. \*\*\* Revenons à la France. Sans retracer son histoire depuis Napoléon, on doit constater que la défaite de 1871 fut pour elle un choc terrible parce qu'elle y lut le recul de sa puissance. Mais on doit constater aussi, dans le fil de notre sujet, qu'à travers des crises intérieures très dures l'idée de la re­vanche, c'est-à-dire de la reconstitution de son unité natio­nale, avec la récupération de l'Alsace et de la Lorraine, fut l'idée-force qui lui permit de refaire l'unanimité en 1914 et de gagner la guerre dont elle sortit malheureuse­ment exsangue. 21:240 La diversion coloniale elle-même, pour être de nature impérialiste, avait cette coloration propre de donner des ancêtres gaulois aux peuples d'Asie et d'Afrique où elle portait un nationalisme qui n'aurait plus un jour, pour être logique, qu'à redécouvrir les ancêtres indigènes libérés par la révolution. Après la défaite de 1940, c'est l'unité nationale qu'in­carna le maréchal Pétain, comme après la libération de 1944 c'est encore l'unité nationale qu'incarna je général de Gaulle. Quand, après la traversée du désert, celui-ci revint au pouvoir en 1958, il n'hésita pas, trompant tout le monde et assouvissant des rancunes personnelles contre des populations et une armée qui ne l'avaient pas suivi en 1940, à larguer l'Algérie de la manière la plus radicale afin d'assurer par ce geste les chances de la politique qu'il allait entreprendre. D'une part, en effet, il suscitait chez tous les peuples du Tiers-Monde l'image d'une France qui respectait le nationalisme de tous les pays décolonisés. D'autre part, il favorisait le « lâche soulagement » des Français définitivement libérés d'un fardeau colonial qu'ils ne se sentaient plus la force de porter. Enfin il désarmait son opposition de gauche, notamment communiste, en ins­tallant au pouvoir les éléments algériens les plus révolu­tionnaires. Dans l'idée du général de Gaulle, cette politique avait sans doute un autre objectif, plus honorable et plus favo­rable pour la France. En exaltant l'idée nationale et en l'érigeant en modèle universel, il y trouvait un système de défense contre l'hégémonie des États-Unis et de l'U.R.S.S. Les difficultés impériales dont la France était débar­rassée seraient désormais le lot perpétuel des deux super­puissances. La France, indirectement, ne pourrait qu'en bénéficier. En Europe même, les vieilles nations devenues des démocraties populaires pourraient, un jour ou l'autre, constituer davantage un obstacle qu'un appui à la politique impérialiste de l'U.R.S.S., laquelle rencontrerait par ail­leurs en Asie, sous des aspects ethniques, raciaux ou re­ligieux, des fermentations nationalistes lui créant des dif­ficultés analogues. 22:240 On voit que, même à l'époque contemporaine, le *destin français* s'est poursuivi dans sa ligne historique. Pour être une politique de repli et non plus d'expansion, la politique de « l'hexagone » n'en est pas moins la politique tradition­nelle du « pré carré ». Elle a même marqué -- détail amu­sant et symbolique -- un tout petit point positif en 1945 quand Georges Bidault, ancien professeur d'histoire et de géographie, profita de la défaite de l'axe pour réincorporer Tende et La Brigue au territoire français. L'unité natio­nale, l'identité nationale s'incarnent chez nous dans la terre. Hérité de la romanité plus que de la celtitude, le *jus soli* prime, dans le destin français, le *jus sanguines.* Le règne gaullien fut la dernière *image* du destin français -- national et catholique. \*\*\* Cependant le *destin français* se heurte à de nouveaux obstacles dont on se demande comment il en viendra à bout. Au plan intérieur l'identité et l'unité nationale tendent à la sclérose du fait de l'idéologie socialiste qui détruit peu à peu toutes les communautés naturelles et place l'État bureaucratique en médiateur obligatoire de toutes les rela­tions entre les individus et leurs groupements spontanés ou contractuels. Les provinces, les régions, les ethnies se rebellent même contre la nation. Ce n'est pas nouveau, mais ce qui l'est c'est que les forces nationales qui s'y opposent semblent manquer d'une inspiration propre à les dominer en les ralliant pour quelque entreprise commune qu'on n'aperçoit pas. Au plan extérieur, la carence gouvernementale apparaît plus sensible par les insuffisances que révèle le fait natio­nal érigé en impératif exclusif dans l'organisation du monde à venir. L'interdépendance des réalités économi­ques, que manifeste avec éclat la crise pétrolière, postule des modes de relations supranationales qui transcendent à la fois le protectionnisme et le libéralisme. Quant à la politique de la France en Europe, elle ne peut plus se satisfaire de la double tradition monarchique et républi­caine qui consistait à conjurer la menace impériale pe­sant sur nos frontières par des alliances à l'Est. Car c'est toute l'Europe qui a désormais à se protéger de la menace commune que fait peser sur elle la puissance soviétique de l'Est. 23:240 Le *destin français* se cherche pour devenir vague­ment européen tout en restant farouchement national, ris­quant ainsi perpétuellement de décevoir à la fois l'Est et l'Europe, sans parler de l'Ouest lointain des États-Unis. Les hésitations françaises ne rendent pas inconcevable une sorte d'équilibre qui s'instituerait entre les États-Unis, l'U.R.S.S. et l'Europe sans la France. Que deviendrait celle-ci dans une telle hypothèse ? La France seule n'a plus l'assise démographique, économique et spirituelle qui lui a permis pendant quinze cents ans de prolonger le genre de destin dont l'image nous est habituelle. C'est pour rester elle-même et accomplir son plus profond destin qu'elle doit prendre conscience des révisions auxquelles il lui faut procéder. #### Un destin catholique Si le *destin français* est politiquement un destin *natio­nal,* il est spirituellement un destin *catholique.* Cette affirmation, comme la première, doit être prou­vée ; et elle est, plus encore que la première, difficile à prouver. Nous avons vu que si le destin de toute nation est par définition national, il ne l'est pleinement que pour la France, parce que c'est elle qui a inventé la nation au sens que tout le monde donne à ce mot depuis la Révo­lution française. D'où l'incertitude du destin français à notre époque où le concept et le fait de nation éclatent en quelque sorte au paroxysme du triomphe nationaliste. De même, toutes les nations d'Europe sont chrétiennes et, parmi celles qui sont restées catholiques, certaines, comme l'Italie, l'Autriche ou l'Espagne dans leur contexte social, ou comme la Pologne et l'Irlande par l'unanimité et l'intensité de leur sentiment religieux, ont un destin catholique plus évident que celui de la France. Non seule­ment la Révolution française, anticatholique dans son es­sence, a semé l'humanisme démocratique, nationaliste et anticatholique dans le monde entier, mais dès avant 1789 cet humanisme est un trait visible de son esprit. 24:240 D'autre part, sa politique l'a menée constamment à s'allier avec l'infidèle ou l'hérétique pour se construire en nation face à l'Europe catholique. N'oublions pas qu'elle fut seule absente à la bataille de Lépante, qui sauva l'Europe, le christianisme et le catholicisme. Ce sont là des faits impressionnants. Ils doivent être interprétés. Tout d'abord, ils expriment fondamentalement une résistance à la confusion du temporel et du spirituel. A cet égard, ils ont indirectement servi l'Église aussi bien que l'Empire, en bâtissant la civilisation occidentale sur la distinction du Royaume de Dieu et du royaume de César. Un règne comme celui de saint Louis est à ce point de vue, exemplaire. La chrétienté a laissé à la conscience moderne le refus du totalitarisme, tant clérical que poli­tique. La France y est pour beaucoup. Mais l'humanisme lui-même, laïque ou athée, a com­plété cette action, d'une part en obligeant constamment le christianisme catholique à évoluer dans ses institutions ecclésiales pour s'adapter au déroulement de l'Histoire et à se retremper à ses sources pour accomplir son œuvre évangélique, d'autre part en mettant l'homme en face de ses possibilités et en le stimulant au progrès. Le défi pro­méthéen de l'homme à la nature finit en défi à Dieu et devient satanique, mais il remet du même coup l'homme en face de l'absolu et le contraint, comme on le voit au­jourd'hui, à choisir entre le nihilisme et la transcendance. S'il refuse ordinairement de faire ce choix, il prend du moins conscience de son caractère raisonnable. La vision d'une apocalypse possible rend celle-ci plausible. Celle que propose saint Jean depuis deux mille ans donne à la religion chrétienne en général, et à la catholique en parti­culier, une crédibilité supérieure à toute autre. Là encore, on peut revendiquer pour la France un rôle de pointe, dans l'ambivalence même de sa violence spirituelle. Et puis, il y a les saints. Nous n'entendons pas dire, on s'en doute, que les saints français sont les plus grands ou les plus nombreux. A chaque pays ses saints, connus et inconnus. Mais il y a, dans l'éventail de la sainteté fran­çaise ; une série de figures qui font apparaître une association si étroite entre le destin de la nation et sa fidélité à l'Église que, si l'on peut imaginer une France continuant d'exister sans religion ou dans une religion autre que catholique, il est impossible de concevoir cette existence nouvelle s'inscrivant dans le *destin français.* 25:240 La mutation serait plus grande encore que celle que constitua le pas­sage de la Gaule de Vercingétorix à la Gaule romaine. Aussi bien, la diminution de la France depuis la Révo­lution française correspond exactement à sa rupture avec le catholicisme. Le détriment n'a pas tant été pour celui-ci que pour la France dont le destin se trouvait dévié et altéré. Jeanne d'Arc résume admirablement le *destin catho­lique* de la France dans la distinction qu'elle fait sponta­nément entre son action *religieuse,* son action *patriotique* et son action *politique.* Elle est, au niveau populaire, la contre-partie éclatante de saint Louis au niveau royal. L'un et l'autre pensent et agissent exactement de la même façon dans le refus obstiné de toute confusion entre le spi­rituel et le temporel. Dans le florilège éblouissant des ré­ponses qu'elle fait à ses juges de Rouen, Jeanne d'Arc ne se trompe jamais. Elle n'évite pas les pièges, elle les ignore. « *Interrogée si elle n'a pas dit devant la ville de Paris :* « *Rendez la ville de par Jésus *»*, répondit que non, mais dit :* « *Rendez-la au roi de France *»*.* » Entre l'obéissance à l'Église et l'obéissance à ses voix, entre sa mission nationale et sa mission évangélique, entre son épée et son étendard, elle suit infailliblement le chemin qui mène au sacrifice suprême, gage de la vérité qui l'habite d'une manière privilégiée. *L'instinct patriotique a* com­mandé l'action guerrière de Jeanne ; son sens du *destin national* du royaume lui a dicté le but et la stratégie de sa politique ; ses voix et son catéchisme lui ont enseigné le *destin catholique* de la France qu'elle proclamait dans le sacre de Reims et dans l'invitation faite aux Anglais et à tous les princes de l'Europe de s'unir entre eux et avec les Français pour une croisade qui rendrait le tom­beau du Christ aux chrétiens. On peut se demander si la royauté fait corps avec le destin national et catholique de la France. L'Histoire plaide en faveur de cette thèse. Mais les modalités d'un régime politique peuvent changer. Un destin national et catholique peut s'accomplir à travers une évolution des formes du pouvoir politique. Si l'Église est liée au pouvoir pontifical c'est en vertu de la Révélation, laquelle ne s'étend pas au pouvoir temporel. 26:240 Cependant, il est incon­testable que si la royauté s'est parfaitement accordée au destin national et catholique de la France jusqu'en 1789, depuis cette date le destin français s'inscrit dans des divi­sions et des contradictions dont la France pâtit de plus en plus. On hésite sur l'interprétation à donner de l'histoire du catholicisme dans ses rapports avec une nation. Les com­munautés les plus naturelles et les plus légitimes ne peu­vent pas être assimilées aux personnes individuelles. Elles n'ont pas d'âme à sauver, au sens précis du salut chrétien. La communion des saints et la réversibilité des mérites ne s'appliquent à elles que d'une manière analogique ou indi­recte. Le *destin français,* en tant que spirituellement catho­lique, ne peut donc être référé à des *fins dernières* qui ne concernent pas les collectivités. Pourtant, puisque la réalité sociale de la personne humaine ne peut être dissociée de sa réalité individuelle, le caractère sacré des communautés naturelles les appelle à toutes les formes adéquates de sacralisation *chrétienne.* Le cas de Jeanne d'Arc, pour être situé dans le temps, ne s'en colore pas moins d'une valeur d'éternité par sa per­fection exemplaire. Ne peut-il donc être actualisé en d'au­tres temps sous des formes nouvelles ? Que signifient les messages de Marguerite-Marie ? Com­ment devons-nous comprendre les apparitions et les révé­lations de la rue du Bac, de la Salette et de Lourdes ? Thérèse de Lisieux, « la plus grande sainte des temps modernes », a-t-elle été déclarée patronne secondaire de la France avec Jeanne d'Arc pour nous inviter à voir le destin catholique de la France moderne, non plus dans une sym­biose originelle avec son destin national, mais au contraire dans une activité contemplative destinée à soutenir l'action missionnaire universelle ? Le catholicisme de la *société* française a soulevé par deux fois la pesanteur de la *politique* révolutionnaire dans les deux derniers siècles. La défaite de 1870 suscita une réaction qui faillit restaurer la monarchie traditionnelle. Elle provoqua du moins l'érection de la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre. La défaite de 1040 eut des effets ana­logues, mais sans plus de lendemain que la première fois. 27:240 La contre-réaction, dans les deux cas, fut extrêmement violente. La Troisième République se signala par des me­sures d'un anticatholicisme virulent. La Quatrième et la Cinquième agirent de manière plus hypocrite et plus en profondeur. A la fin du XIX^e^ siècle, la *société catholique* était encore assez consistante pour que le Pouvoir qui la persécutait apparût comme un Pouvoir d'occupation, exer­cé par les quatre États confédérés dénoncés par Maurras le protestant, le franc-maçon, le juif et le métèque. Ces quatre minorités gouvernaient la majorité. Après 1945, les catholiques devinrent une minorité comme les autres ; la plus nombreuse mais la moins influente à cause du passé. Le catholicisme fut insidieusement associé au na­zisme et ce n'est que par le ralliement sans réserve du M.R.P. aux grands principes de la Révolution que les nouveaux États confédérés des francs-maçons, des com­munistes et des juifs, lui firent provisoirement une petite place au gouvernement. L'épiscopat français, convaincu du triomphe définitif de la gauche, se rua vers les idéologies nouvelles, laissant les catholiques incertains de leur Église comme de leur nation. Comme son *destin national,* le *destin catholique* de la France semble être arrivé à expiration avec la fin du deuxième millénaire. Ils sont nés ensemble, ils ont grandi ensemble pendant de longs siècles ; dissociés à partir de 1789, ils ont l'un et l'autre langui jusqu'au moment où le fait national et l'identité de l'Église ont été mis en ques­tion par l'énorme mutation que connaît l'univers entier dans toutes ses composantes. Le *destin français,* privé de la double lumière de la nation et du catholicisme, est entré dans la nuit. Est-ce espérance ou présomption que d'attendre main­tenant le miracle ? Sans miracle, en tout cas, le destin na­tional et catholique de la France aura terminé son histoire -- l'Histoire de France -- avec notre génération. Il faut donc croire au miracle. Louis Salleron. 28:240 ### L'oxymoron et autres considérations par René Perronet L'OXYMORON, figure de style chère à Borgès, est une alliance de mots où l'épithète fait antithèse avec son substantif. Un *silence éloquent,* par exemple. Ou bien, comme j'ai lu sous la plume d'un ecclésiastique, *riche hobereau.* Là, on peut se demander si l'oxymoron est voulu, ou si l'on tombe dans l'impropriété. Ces figures sont difficiles à manier. Un exemple très courant est l'expression : *fossile vi­*vant. Le cœlacanthe est un fossile vivant. C'est un poisson qui a développé des embryons de pattes pour monter sur le continent, puis qui est retourné à la mer, à l'ère secon­daire. On en pêche toujours du côté de Madagascar. La lamproie aussi est un *fossile vivant,* et la blatte, et le varan, ce lézard qui imite si bien le dragon qu'il fait douter de la capacité de merveilleux des contes. C'est-à-dire que ces animaux, bien vivants, et pour certains très répandus -- tout le monde a mangé de la lamproie et écrasé une blatte -- sont en même temps des fossiles. Des êtres d'époques disparues. La contradiction est forte, et l'oxymoron remarquable. Oxymoron ou impro­priété. 29:240 L'alliance de mots expose une contradiction entre les faits et l'idée que nous nous en faisons, l'hypothèse de départ. Cette hypothèse, c'est l'évolution. Les animaux actuels sont le résultat d'une série de transformations, dont les étapes sont marquées par des animaux aujourd'hui disparus, dont nous connaissons l'existence par leurs sque­lettes, ou l'empreinte de ces squelettes dans des terrains très anciens. Ces modèles intermédiaires ont disparu parce qu'ils étaient imparfaits, mal adaptés aux conditions de leur milieu, ou au changement de ces conditions. Ils ont été remplacés par des modèles plus perfectionnés. Ainsi la R16 a-t-elle succédé à la De Dion-Bouton 1908, à travers une série de modèles. On dira que je gauchis la thèse, et que l'idée de pro­grès, patente dans le cas des autos, n'a pas à prendre place dans la succession des formes de vie. C'est pourtant bien ainsi qu'on entend les choses, généralement, et si les savants sont plus circonspects, ils ne transmettent guère leur prudence. Dans les magazines, dans les films, à l'école, c'est toujours la même image qui s'impose, celle d'une trajectoire qui commence à l'amibe pour finir à l'homme, en passant par le singe, second au classement. Idée barbare, qui nous fait oublier que chaque espèce a sa perfection. Il y a celle de l'oursin et celle de l'ours, celle de la baleine et celle de la fourmi. L'inépuisable surabon­dance des formes de la nature, son superflu, sa générosité, disparaissent sous l'étroitesse de ce regard. C'est là qu'il faut revenir aux « fossiles vivants ». Ces être si anciens se sont perpétués, invariables, à travers les ères géologiques. Ils ont subi ces variations du milieu qui expliquent l'apparition de nouvelles espèces. Ils les ont traversées, intacts. Imparfaits, rudimentaires, ils sont à l'origine d'autres formes. Après quoi, il ne leur restait plus qu'à succomber. Ils ne l'ont pas fait. Ces témoins ont tout l'air de témoigner d'abord contre la simplicité et l'insuffisance de nos systèmes. Et c'est même à la faiblesse de nos conceptions qu'ils doivent leur nom : la théorie les désigne comme *fossiles,* l'observation nous les montre *vivants.* Autant que modèles d'oxymoron, les *fossiles vivants* devraient être les emblèmes des limites de notre savoir, et de l'humilité que nous ne montrons pas assez devant la Nature, devant la Création. Humilité plus visible d'ail­leurs chez ceux qui savent beaucoup que chez les profanes (et à laquelle, peut-être, je viens de manquer moi-même). 30:240 #### Changement *Un malheur inconnu glisse parmi les hommes* *Qui les rend ennemis du repos où nous sommes ;* *La plupart de leurs vœux tendent au changement ;* *Et comme s'ils vivaient des misères publiques* *Pour les renouveler ils font tant de pratiques* *Que qui n'a point de peur n'a point de jugement.* (*Malherbe -- Prière pour le roi allant en Limousin*) Ces vers sont exactement le pôle opposé du sentiment courant. Le changement nous paraît bon en soi : tout le monde ou presque le promet. Il est un des déguisements du progrès. Un changement ne peut, à nos yeux, qu'amélio­rer ce qui est. Ce qui veut dire que nous nous sentons en enfer. Notre monde est insupportable et il faut en sortir. Cette impatience naïve d'autre chose, cette aspiration, ce refus, ce sont les signes qui nous décrivent. Persuadés que le mouvement est bon, qu'il nous a tirés déjà du malheur (du Moyen Age, selon la mythologie régnante). Persuadés également que notre monde est un échec, et qu'il faut en inventer un autre. Cette contradiction est bien curieuse : un mélange de présomption et d'angoisse. Personne ne semble penser que si le mouvement nous a conduits au monde actuel, qui est mauvais, il faut peut-être en user avec précaution. On voit très bien comment n'importe quel représentant du monde moderne moquerait Malherbe : Le « repos où nous sommes », quelle attitude conservatrice, quelle peur, quelle résignation. 31:240 Malherbe sortait des guerres de religion. Le changement, c'était une nouvelle foi, la monarchie contestée, une longue et sanglante guerre. Le repos, c'est Henri IV, le rétablisse­ment de la foi catholique, la monarchie légitime et la paix. Montaigne avait conclu de la même façon. Leur amour du repos n'était pas paresse ou timidité ou encore igno­rance. C'était un choix mûri par des hommes qui avaient mesuré les dangers (et qui ne refusaient d'ailleurs pas le changement naturel qui vient du renouvellement des générations). Le retour fut facile alors. On retrouvait la maison commune. L'ordre ancien restait vivant chez tous, et il y avait cette heureuse rencontre : les protestants avaient le roi, et les catholiques la royauté, par le sacre. Il n'en est plus de même. L'accord sur la maison com­mune n'est plus tout naturel. Le plus grand nombre ignore ce qu'elle fut. Que reste-t-il quand il n'y a plus de mai­son ? Camper, errer. On va de changement en changement, toujours déçu, toujours insatisfait. On n'imagine même plus ce que pouvait être le « repos » dont parle Malherbe, l'acceptation de vérités stables. C'est un état maladif, absurde. Une de ses conséquences est de nous faire haïr le présent. On est toujours tendu vers autre chose. Le contraire du changement pour nous, ce n'est pas le repos, c'est le campement où l'on se trouve, où l'on se trouve mal. Cette fuite en avant, loin de nous faire croire que changer est risqué, peut être un mal, nous pousse à croire que notre erreur est de ne pas changer assez hardiment, radicalement. Nous réclamons l'utopie. Et il y a suffisam­ment de gens pour nous assurer qu'il n'y a jamais eu jusqu'ici de repos, de maison, mais que demain peut-être... #### Astrologie Les temps sont bons pour l'astrologie. A mesure que le rationalisme classique s'efface, elle resurgit. On la méprise beaucoup moins qu'au XIX^e^ siècle. On voit de grands esprits s'y intéresser. 32:240 Ainsi on pourrait dire, en employant son propre lan­gage, que les étoiles lui sont favorables, ou que son ciel est propice. Y aurait-il donc un cours des idées, selon le temps, avec des retours et des renaissances ? Et selon quelles lois ? Plutarque, dans la Vie de Sylla, fait cette remarque curieuse : les devins de Toscane « disent qu'entre les autres grandes mutations qui se font à ces passages-là d'un âge en un autre, la science de deviner les choses qui sont à advenir croît en réputation et rencontre en ses prédictions quand il plaît à Dieu envoyer de plus exprès et certains signes, pour pouvoir connaître et prédire les choses futures ; et au contraire en un autre âge, elle vient en mépris et déchet de réputation parce qu'elle est témé­raire, et faut à rencontrer en la plupart de ses pronosti­cations, à cause qu'elle n'a que des moyens obscurs et tout effacés instruments pour connaître ce qui doit adve­nir ». Ainsi, en un temps de repos, il n'y aurait pas de signes. Et en un temps de changements, ils se multiplieraient comme pour aider les hommes -- et ils seraient mieux compris. On peut dire aussi que les signes sont plus nom­breux à mesure qu'on y est plus attentif. Nous sommes alors ramenés à la situation précédente : l'astrologie (entre autres moyens de deviner) est d'autant plus efficace qu'on la prend plus au sérieux. \*\*\* On pourrait décrire en termes d'astrologie un phéno­mène qui va bien au-delà de la mode, qui n'est pas du ressort de l'histoire des idées (dans la faible mesure où cette histoire peut présenter une suite) et qui relève de cette notion floue que l'on appelle « l'esprit du temps ». Le premier exemple qui se présente est l'importance variable que l'on donne à certains personnages histori­ques. Au siècle dernier, on assiste à un lent déclin de Clovis (jusqu'alors héros fondateur) et au surgissement de Vercingétorix, première figure du nationalisme. Si l'on considère les hommes de la révolution française, on les voit tour à tour arriver au premier plan. Daniel Halévy a très bien montré cela dans son *Histoire d'une histoire.* 33:240 Au début du XIX^e^ siècle, ceux qu'on admire ce sont les Girondins. Après eux, il y a eu trop de sang, et la mémoire en est encore fraîche. Si l'on veut que les Français évo­quent cette histoire sans dégoût, il faut masquer l'image de la Terreur. Cinquante ans plus tard, au début de la III, République, le héros c'est Danton. Gambetta a relancé l'idée de la levée en masse et la croyance que l'audace suffit à tout. Lamartine avait écrit *Les Girondins.* Pour Hugo vieux, le grand ancêtre, c'est Danton. Robespierre paraît encore trop implacable, mais il grandit. Bientôt, Clemenceau va dire : « La révolution est un bloc. » Robes­pierre va culminer, avant d'être remplacé par Saint-Just, inévitablement qualifié d' « archange ». Pour Sainte-Beuve, le souvenir de ce jeune homme était souillé par le poème érotique dont il est l'auteur, et par sa dureté. Pour nous (voir le texte de Malraux) ce sont des attraits supplé­mentaires. Il est aisé de répondre qu'il n'y a dans tout cela aucun rapport avec l'astrologie : ce sont les hommes qui pro­jettent tour à tour telle ou telle figure au ciel de leurs pensées. Et les cartes diverses qu'on en peut dresser selon les moments ne font que représenter l'opinion. Mais com­ment dans cette opinion générale tel goût l'emporte-t-il, tel besoin domine, pour s'effacer ensuite ? Nul ne le sait. Napoléon dit qu'il faut obéir à l'esprit du temps, et sans doute il pensait qu'il lui obéissait parfaitement. Mais on peut dire aussi bien qu'il l'incarnait, et que c'est lui, Bonaparte, qui modelait son temps. Il y a quelque chose d'inextricable dans cette correspondance entre un moment et un homme. Ce ne sont pas seulement les hommes qui suivent ce parcours d'ascension et de déclin, d'éclipses et de retours, mais aussi bien les idées, les formes, les époques histo­riques. Nous sommes pleins de dédain ignorant pour notre classicisme. Il devient incompréhensible. Sa langue devient un langue morte, -- ce ne sont pas ses mots qui ne nous disent plus rien, c'est le sens qu'ils portent. Il manque aujourd'hui, pour avoir accès à ce langage, une tenue mo­rale, une certaine fierté (sans elle, comment s'intéresser à *la Princesse de Clèves ?*)*.* D'autres époques se rapprochent, au contraire. Mme Pernoud a pu écrire tout un livre pour montrer que le Moyen Age représentait tout ce que nous aimons : la vie communautaire, le féminisme, l'autonomie locale et le reste. 34:240 Interprétation abusive peut-être, mais le changement d'éclairage est patent. \*\*\* Autre changement dans le ciel. Il y a seulement un demi-siècle, l'Occident avait pleine confiance dans sa civi­lisation, au point d'y voir l'aboutissement de l'histoire du monde. On avait même de savantes explications pour éta­blir que les « sauvages » étaient des « primitifs » : ils représentaient un point de départ de l'évolution qui mène à nos villes et à nos belles machines. Simplement, ces gens-là s'étaient arrêtés, tandis que nous marchions. Lévy-Bruhl faisait des développements sur « la mentalité ma­gique ». Claude Lévi-Strauss établit ensuite que toutes les civili­sations se valent, et que le système de parenté chez les Australiens, si complexe, est un chef-d'œuvre qui vaut bien nos sciences et nos philosophies. Tous égaux comme à l'ONU. Aujourd'hui, l'ex-primitif serait plutôt un modèle, parce qu'il échappe à l'État (nous dit P. Clastres), et à l'économie (selon J. Baudrillart). Nous ferions bien de nous mettre à son école, recommande Mircea Eliade : ses valeurs religieuses peuvent nous enrichir. Et, romancier, Michel Tournier récrit Robinson pour nous montrer le naufragé anglais converti à la vie naturelle par Vendredi. Les causes de ce changement sont claires : montée du Tiers-Monde, dont le poids démographique et économique va grandissant, et usure de l'esprit européen, qui doute de lui-même et constate ses échecs. Mais au début du siècle, quand un tel déclin était évident déjà pour certains esprits, ils se retournaient non pas vers le plus lointain de l'hu­manité, mais vers le passé de l'Europe. Aux « Lumières » déjà clignotantes, on opposait la pensée de saint Thomas, un retour aux sources chrétiennes. Aujourd'hui, la fontaine de jouvence où l'on court se renouveler est à l'autre bout du monde. C'est la deuxième apothéose du bon sau­vage. \*\*\* 35:240 L'Islam peut nous montrer comment une nouvelle forme ascendante tire sa force du fait qu'elle ressemble à certaines tendances présentes dans une réalité donnée, mais qui y paraissent neuves, marginales, étrangères. Pour se développer, elles ont besoin qu'une nouvelle constel­lation domine. Elles la favorisent. En retour, la constel­lation éclaire et renforce les éléments en question : ce qui était périphérique devient central. On explique souvent le réveil actuel de l'Islam par le besoin religieux qui se manifeste un peu partout, coïnci­dant avec une démographie explosive, et la puissance que donne le pétrole aux Arabes du Proche-Orient. Sans doute. Mais si l'Islam séduit, c'est par son caractère propre. Né chez les pillards-marchands d'Arabie, il a été conçu com­me une sorte de *basic-religion,* simplificatrice et robuste. D'où ses succès foudroyants dans l'Orient et le Maghreb (chrétiens, mais perdus de controverses théologiques). D'où son succès depuis un siècle en Afrique noire. L'Islam s'est imposé comme religion à peu près comme l'anglais (et précisément le *basic-english*) s'est imposé comme langue produit d'usage facile et répondant aux premiers besoins. Notre temps est trop marchand pour rester insensible à cet avantage. Il a enfin (mieux qu'avec le protestantisme libé­ral, oublieux de la transcendance) un produit religieux *standard.* Autre correspondance : le regain de l'Islam peut s'ex­pliquer par le fait qu'il est une des grandes incarnations de l'esprit nomade, comme l'est la société occidentale mo­derne. Il s'agit ici d'esprit, et non de mode de vie, évidem­ment. On n'est pas plus nomade au Caire ou à Téhéran qu'à Paris ou New York. Mais nous sommes de « nouveaux nomades » (expression de Spengler), parce que déracinés, par nos grandes villes, nos autos, l'absence de points fixes : changement incessant des modes et des mœurs. Et l'Islam l'est par le souvenir du monde pastoral et le détachement. Il représente une insouciance de la durée qui répond à notre refus de la durée. Courons le risque de paraître encore plus arbitraire. Notre mot assassin vient de la secte des *Haschichins,* man­geurs de haschich et fanatiquement dévoués au maître de leur ordre. Le double progrès, dans nos pays, de la drogue et de l'engagement révolutionnaire total (Bande à Baader, Brigades rouges), ne nous donne pas une mauvaise image de ce que furent les *Haschichins.* 36:240 Après tant de siècles, et si loin de leur terrain d'action, on ne parlera pas de résurgence, mais de la réapparition d'une « figure », d'une constellation de violence et d'extase. René Perronet. 37:240 ### L'Angleterre, la Hollande et la guerre en 1793 par André Guès APRÈS L'EXAMEN des responsabilités dans la guerre déclarée à l'Autriche le 20 avril 1792 et qui a en­traîné la Prusse dans le conflit ([^5]), passons à celles dans la guerre à l'Angleterre et à la Hollande, les deux vont ensemble. Bans l'intervalle a eu lieu le coup du 10 Août et, le 7 septembre, le Conseil exécutif (les ministres) a arrêté que « *le ministre de la Guerre donnera sur-le-champ ordre au général Montesquiou de marcher vers la Savoie *»*.* Cet arrêté est pris « *nonobstant la délibération du... *» et l'espace est demeuré blanc : c'est la délibération qui mande Montesquiou à Paris pour s'expliquer sur sa conduite. Ce que le texte ne dit pas, c'est qu'il est pris aussi « *nonobstant *» la déclaration que « *la patrie est en danger *»*,* à qui il a pour effet de donner un nouvel ennemi. 38:240 Pitt est satisfait de ce qui se passe en France, comme Frédéric-Guillaume, et à quoi il a, comme lui, collaboré. La marine est ruinée, qui était jusqu'alors solide et en plein renouveau. M. Charles Amie (*La flotte de guerre, le port et l'arsenal de Toulon des dernières années de l'ancien régime à 1795,* thèse de Lettres, Toulon 1970) écrit : « *Le bilan de l'œuvre de la Constituante et de la Législative sur la marine est un véritable constat d'échec... une véri­table anarchie aussi bien sur les vaisseaux des escadres que dans l'arsenal. En un mot la Constituante et la Légis­lative léguaient à la Convention une marine complètement désorganisée. *» Le Pacte de Famille (France-Espagne-Naples) qui intéresse au premier chef la Méditerranée occidentale, est rompu. L'émigration, l'inflation, la crise de confiance ont arrêté le commerce. La France est sans alliances et court à sa ruine. De la Révolution, Pitt n'a plus qu'à attendre que les colonies françaises lui tombent dans la main comme fruits mûrs. Pourquoi irait-il faire la guerre ? « *La neutralité,* écrit Albert Sorel, *offre à l'An­gleterre, sans frais ni périls, les mêmes avantages qu'une guerre heureuse contre la France. *» C'est une évidence qui échappe tellement à Brissot, président du Comité diplo­matique de la Législative, qu'il lui suggère d'offrir Calais et Dunkerque à l'Angleterre pour prix d'une neutralité qui est dans sa politique. Glose de Gouverneur Morris, am­bassadeur des États-Unis, à Washington : « *Vous jugerez par ce spécimen de la sagesse et de la vertu de la faction à laquelle il appartient. *» En outre Pitt prépare une ré­forme électorale et, non moins grosse affaire, la réorga­nisation de l'Irlande qui s'agite : il a besoin de la paix pour mener à bien ces deux entreprises dont la deuxième devient urgente : en décembre 92 s'est réuni à Dublin le Comité général des Catholiques qui a voté à l'unanimité ses revendications et les a fait porter au roi. Coalition menaçante, elles ont reçu l'appui de l'Église presbytérien­ne. Deux mois avant que la guerre n'éclate sur le conti­nent, Pitt prophétise quinze ans de paix pour son pays et conclut qu'on peut diminuer le budget militaire. « *Incon­testablement,* dit-il, *il n'y a jamais eu d'époque dans l'his­toire de ce pays où, d'après la situation de l'Europe, nous puissions plus raisonnablement espérer quinze ans de paix que nous ne le pouvons faire en ce moment. *» Lourde erreur d'un homme combien intelligent, qui ne peut ima­giner les Jacobins assez stupides pour faire la guerre dans des conditions si déplorables. La stupidité jacobine se mesure à l'incapacité où est Pitt d'en mesurer la profondeur. 39:240 Talleyrand fait en janvier-février 1792 un séjour à Londres en mission diplomatique. Il y retourne aussitôt la guerre déclarée, précédé par Chauvelin, nouveau ministre de France. Missions officieuses et, en avril, c'est Chauvelin qui a le titre car l'ancien constituant Talleyrand ne peut avoir, d'après la constitution, aucun emploi avant deux ans. Le 25 mai, il obtient du gouvernement anglais une déclaration de neutralité pour laquelle il n'a pas eu besoin d'offrir ce que le Comité diplomatique l'a autorisé à aban­donner : non pas tout de même Calais et Dunkerque, mais Tabago, l'Ile de France et la démolition des installations qui font de Cherbourg un port de guerre. Pitt garantit que l'Angleterre restera neutre tant que la France bornera son ambition aux provinces méridionales de la Belgique. Les événements militaires du printemps et de l'été ne peuvent que le réjouir. Après le 10-août, l'Angleterre rap­pelle son ambassadeur : la démarche n'est pas incorrecte puisqu'il avait été accrédité auprès du roi. Les relations di­plomatiques ne sont pas rompues, Chauvelin, bien qu'il ait été accrédité par Louis XVI, demeure en place, en liaison avec le cabinet anglais, et Maret est même envoyé en mis­sion auprès de Pitt. Burke s'indigne que la politique de non-intervention demeure irrévocable. Le 7 novembre, Gren­ville, le ministre le plus important de Pitt, écrit à son frère. Après avoir décrit l'état de l'Europe, il conclut : « *Nous ne ferons rien. Je suis de plus en plus convaincu que l'on ne peut préserver mon pays de tous les maux qui nous en­vironnent qu'en nous tenant entièrement et complètement à l'écart *», pour donner tous les soins aux affaires inté­rieures que trouble la propagande républicaine, allusion à l'Irlande. L'automne est marqué par deux événements capables d'affecter l'Angleterre : le procès de Louis XVI et la conquê­te de la Belgique par la France. Pendant toute la durée du procès, Pitt est assailli : l'Espagne, les émigrés. Fox, Sheri­dan, Grey, Landsdowne, d'autres parlementaires le pressent d'intervenir d'une façon quelconque. Il s'y refuse obstiné­ment et, loin de penser à une intervention militaire, ne veut même pas entendre parler d'une action diplomatique, si feutrée soit-elle, craignant que les Français susceptibles ne se cabrent et ne prennent pour *casus belli* ce qu'ils juge­raient être une immixtion dans leurs affaires. 40:240 Ce n'est qu'après le 21 janvier que, cédant sans doute aux pres­sions de l'opinion publique, on prie Chauvelin de faire ses bagages et Maret, qui vient de revenir, de ne pas défaire les siens. Mais le cabinet anglais se propose de continuer ses relations avec la France *via* Dumouriez et l'ambassa­deur anglais à La Haye, ce qui est aussi envisagé du côté français. Pendant ce temps, les Jacobins font ce qu'ils peuvent pour inquiéter l'Angleterre par un des endroits qui lui est le plus sensible : la Belgique. Le 16 novembre, une petite division française commandée par l'américain Moult­son occupe Ostende. Le même jour, le Conseil ordonne à Dumouriez de « *prendre les mesures les plus précises et d'employer tous les moyens à sa disposition pour assurer la liberté de la navigation et des transports dans tout le cours de l'Escaut *», ce qui va être exécuté par le même Moultson. Le statut de l'Escaut est réglé par un traité international : la République déchire un « *chiffon de pa­pier *». Non pas décision de circonstance prise pour des raisons stratégiques, comme l'Allemagne en 1914, mais système au nom d'un droit nouveau, celui de la jaco­binière : « *malgré toutes les conventions *», dit l'arrêté du Conseil, qui se dit « *frappé de ces puissantes considé­rations que la nature ne reconnaît pas plus de peuples que d'individus privilégiés et que les droits de l'homme sont imprescriptibles *». Trois jours plus tard la Convention vote le décret pro­mettant secours à tout peuple désireux de recouvrer la liberté : de quoi émouvoir l'Angleterre par les résonnantes que peut avoir cette promesse en Hollande où il y a eu une révolution qui n'est pas si vieille, et bien plus encore en Irlande. Fox, qui n'est pas un ennemi de la Révolution française, en fait la remarque à Chauvelin : « *Une insur­rection de quelque mille hommes en Irlande suffirait donc pour y motiver une intervention ? *» A cette menace s'ajou­te le décret du 15 décembre qui, introduisant les lois fran­çaises en Belgique, transforme l'occupation militaire en annexion de fait. Cependant le cabinet anglais demeure impavide : il espère obtenir par des négociations l'abandon de la Belgique et des visées françaises qui commencent à se préciser sur la Hollande. Et puis, la partie militaire n'est pas jouée et Pitt fait confiance aux puissances continen­tales qui se battent au profit de l'Angleterre : il n'a pas tort puisque sous peu, avant qu'il ait débarqué un homme sur le continent, la France aura perdu la Belgique. 41:240 Et les Jacobins de continuer leur politique de provo­cations. Le ministère prépare un projet de descente en Angleterre, mais avec une marine ruinée, et c'est pour cela que Pitt ne s'inquiète pas. Il est renseigné : deux navires de guerre anglais ont fait à Toulon le 14 janvier 93 une visite de courtoisie qui leur a permis de voir l'état de l'escadre et de l'arsenal. Le 31 décembre, Monge, que le 10-août a fait ministre de la Marine, envoie une circu­laire aux villes maritimes leur annonçant l'exécution du projet avec le concours de « *républicains anglais *»*.* Le lendemain, Kersaint inaugure son grade de vice-amiral -- il est promu ce jour-là -- en faisant à la Convention un discours furieux contre l'Angleterre : en même temps qu'il dénonce l'état déplorable de la marine, il propose de soulever l'Irlande et l'Écosse, de révolutionner l'Angle­terre même, d'armer contre elle des corsaires, de lancer contre son commerce tous les « *écumeurs des mers *» de toutes les nations, d'attaquer Lisbonne son alliée, d'ap­porter aide à Tippou-Sahib aux Indes, avec ce résultat de la paix signée sur les ruines de la Tour de Londres. En terminant, il réclame, pour donner une impulsion au gou­vernement, la création d'un *Comité de défense générale.* Elle est immédiatement votée, il y est élu, et c'est à lui, avec Brissot, que le Comité confie la diplomatie... En raison de l'état de la marine française, l'Angleterre n'a guère de raisons de s'émouvoir des élucubrations de Monge et de Kersaint, je ne les cite que pour montrer l'état d'esprit des Jacobins et leurs responsabilités dans la guerre : ce sont des pièces dans un dossier de mentalité. L'Angleterre est autrement inquiète de ce qui se passe en Belgique, de ce qui se prépare en Hollande : dans cette région, la politique jacobine lui est efficacement contraire, alors que les projets de guerre navale sont rêveries de théoriciens pas très équilibrés. Elle n'a pas grand chose à craindre sur mer, car pour exécuter le projet d'invasion de Monge et le plan de stratégie mondiale de Kersaint, le Comité de défense générale, sur rapport de celui-ci, décide d'armer 30 vaisseaux et 20 frégates. Or la République n'en possède que 22 et 32 respectivement qui soient armés : je laisse aux spécialistes le soin de calculer s'il n'en faudrait pas dix fois plus. 42:240 Au contraire, les entreprises continentales des Français sont couronnées de succès et suivies de résul­tats politiques très positifs. Le Conseil exécutif lambine à appliquer le décret du 15 décembre. Le 8 janvier, sur pro­position de Cambon, le financier qui calcule les bénéfices à tirer du pillage, la Convention somme le Conseil d'y faire diligence : 30 *commissaires nationaux* s'abattent sur la Belgique pour y introduire le régime révolutionnaire. La France porte un dernier coup à l'Angleterre en décidant d'envahir la Hollande, bien que Chauvelin, Noël et Maret aient assuré que la guerre sera inévitable si cette décision est prise. Décision triplement stupide, donc, car l'armée de Dumouriez vient de tomber de 100.000 à 45.000 hommes par l'effet de la désertion, massive dans la garde nationale qui fait les trois quarts de ses effectifs. De plus, en s'avançant, cette armée va laisser derrière elle un pays que les lois de la République mettent en effervescence. Jusqu'alors le gouvernement anglais comptait sur des négociations pour maintenir la paix : le message royal du 21 janvier annonce diminutions des armements et des impôts. La guerre contre l'Angleterre est une catastrophe pour la France, car c'est non seulement un nouveau théâtre d'opérations maritimes qui s'ouvre : c'est un nouvel enne­mi sur le continent, car le roi d'Angleterre l'est aussi du Hanovre. Et, de ses deniers, l'Angleterre va lever des troupes en Allemagne et financer les armements de la coalition. De même que contre l'Autriche l'hiver précédent, cet hiver-ci c'est Brissot qui mène l'action contre l'Angleterre. Le 12 janvier, il présente un rapport à la Convention au nom des Comités réunis de la marine, de défense générale et diplomatique : l'Angleterre, dit-il, n'a ni argent, ni crédit pour emprunter, ni vaisseaux de guerre et est réduite à l'impuissance : c'est dépeindre la situation de la France et inverser le rapport des forces : « *La Répu­blique française ne doit pas craindre de voir le cabinet de Saint-James se joindre à ses ennemis ; il lui est facile d'attaquer la nation anglaise avec avantage et dans pres­que toutes ses possessions. Ce qui est à redouter pour la France, ce n'est pas la guerre, c'est l'incertitude sur la guerre. *» Mandaté par le Comité, le belliqueux pacifiste revient à la charge le 1^er^ février et emporte la décision à l'unanimité de l'Assemblée. 43:240 Mentant effrontément sur les dispositions de Pitt comme sur l'état des forces an­glaises, il cabre la dignité des Augustes de la Convention en dépeignant la « *perfidie *» du cabinet anglais qui vient d'exhaler sa « *douleur *» devant « *l'acte de justice du 21 janvier *». Il annonce de source sûre que la guerre produira la révolution en Angleterre. Il réclame que la déclaration de guerre qui lui sera faite le soit aussi à la Hollande pour cette raison que « *le Stathouder est plutôt le sujet que l'allié du cabinet de Saint-James *». Il faut encore noter, mais cela est presque secondaire dans ce flot d'insanités, quelques arrêtés du Comité de défense et du Conseil exécutif : le 18 janvier, l'ordre à Custine d'occuper Hambourg dont il est bien éloigné de 400 kilomètres en ligne droite, le 1^er^ mars l'embargo mis sur les navires de Hambourg, Lubeck, Brême et autres villes hanséatiques, avec ordre aux vaisseaux de la Répu­blique de « *courir sus *» à ceux de la Hanse -- ce n'est donc pas la guerre aux seuls « tyrans » -- et le 29 janvier celui de « *courir sus *» de même aux vaisseaux russes : le Conseil ne craint pas de donner à la France un ennemi de plus, « *ce n'est qu'un triomphe de plus pour la Liber­té *» dit Barère. Acheté par le sang des Français. Comités, Conseil et Convention connaissent bien l'état déplorable de la marine quand la décision est prise d'en­vahir la Hollande et de déclarer la guerre à l'Angleterre. Brissot sait bien ce qu'il fait quand il raconte l'impuis­sance navale de l'Angleterre et la facilité qu'aura la France à s'emparer de ses possessions. M. Bouloiseau, qui n'est certes pas un historien défavorable (*Le Comité de salut public,* P.U.F. 1962), dit que la Convention a été « *effrayée par la faiblesse de notre flotte *» dévoilée par Kersaint le 1^er^ janvier : le patriotisme n'est pas évident d'une assem­blée qui déclare la guerre *à* la première puissance navale quand son pays est sans alliés et quand elle vient d'être « *effrayée *» d'apprendre l'état de « *faiblesse *» de sa flotte. L'impuissance navale de la France est avérée et le de­meure. Déjà le 18 octobre 92, le Conseil exécutif a pris feu en apprenant qu'il y a cinq vaisseaux russes à Li­vourne, ce qui est bien leur droit et ne constitue pas un *casus belli :* il a ordonné à Truguet, qui commande l'es­cadre de la Méditerranée, de s'en emparer. Ordre malai­sément compatible, vu la faiblesse de son escadre, avec celui d'appuyer une opération de débarquement en Sar­daigne qui lui a été donné le 10 octobre et avec ses occu­pations sur la Riviera au profit de l'aile droite de l'armée d'Italie. 44:240 Le 22 octobre, le Conseil exécutif a appris que ces russes, désarmés, n'ont rien d'offensif : il maintient son ordre. Quatre jours après, il s'aperçoit de l'état de faiblesse de Truguet et décide de « *suspendre* (*l'opération*) *jusqu'à ce que les forces navales françaises en Méditerranée soient assez importantes pour qu'on pût la faire avec succès *». Ce qui ne se produira jamais. Le 25 janvier, le Conseil constate que l'escadre de la Méditerranée, qui ne comprend que 9 vaisseaux, est « *très fatiguée par les tempêtes *», que l'insuccès des levées à Calais et Boulogne fait « *prévoir de grandes difficultés *» pour le recrutement des équipages, que l'état des finances et la rareté du numéraire ne permettent pas d'espérer « *réunir des espèces en assez grande masse pour suffire à la consommation de la guerre maritime en même temps que des armées de terre portées à l'extérieur de la Répu­blique *». Conclusion : « *La prudence prescrit de réserver la plus grande partie de nos moyens pour suivre avec plus de vigueur la guerre sur le continent. *» Il est exclu qu'on entreprenne des opérations navales, et même qu'on défende les colonies ; on se bornera à « *mettre l'Île de France dans un bon état de défense *». Le 31 janvier, le Comité de défense générale approuve le rapport de Brissot concluant à la guerre contre l'An­gleterre et la Hollande, et adopte le projet de décret por­tant déclarations de guerre qui sera soumis à la Convention. Immédiatement après, le procès-verbal porte : « *La dis­cussion s'ouvre et se prolonge sur l'utilité ou les inconvé­nients de s'occuper de la conservation des colonies. *» Faute de moyens, il est décidé d'abandonner la Guade­loupe, la Martinique et Sainte-Lucie pour ne garder que Saint-Domingue où la République entretient quelques forces. Dans le secret des délibérations gouvernementales, on est loin des rodomontades publiques de Brissot devant la Convention. Le même jour, le Conseil ordonne à Truguet de rallier l'Atlantique : cela n'y fera que 25 vaisseaux, et la Méditerranée sera abandonnée aux Anglais. En 1779 il y avait eu 64 vaisseaux à Brest, les autres mers n'étaient pas vides de pavillons blancs et les colonies n'étaient pas abandonnées aux Anglais. 45:240 Le 4 février le Comité de dé­fense générale, craignant un débarquement anglais, décide de rassembler sur les côtes de la Manche une armée de 50.000 hommes : on est loin de la situation d'offensive générale que Brissot décrivait à la Convention trois semaines auparavant. L'attaque de la Hollande relève de la folie collective. La déclaration de la liberté de navigation de l'Escaut, que les traités réservent à la Hollande, appuyée immédiatement par une opération navale, est un *casus belli* que La Haye, pacifique, se refuse à considérer comme tel et les relations diplomatiques avec la France ne sont même pas rompues. En janvier 93, Dumouriez passe trois semaines à Paris. Il explique que l'application des lois révolutionnaires en Belgique met le pays en effervescence et qu'il ne peut s'engager en Hollande avec le danger d'être coupé de ses bases par une révolte générale que font présager les mou­vements partiels qui éclatent ici et là. Il réclame donc la suppression du décret du 15 décembre, au moins son atténuation : refusé. Davantage, la décision d'attaquer la Hollande est prise alors que l'armée qui en a la charge est devenue squelettique et sa logistique lamentable : Dumouriez a remis quatre mémoires là-dessus. Enfin cette guerre est engagée après que le Conseil exécutif l'ait re­fusée le 5 décembre et à nouveau le 13, une semaine après que la Convention ait fait de même, et alors que le Conseil vient de décider, avant toute opération, d'entrer en pour­parlers avec l'Angleterre. Quittant Paris le 29 janvier pour prendre langue avec l'ambassadeur d'Angleterre à La Haye, Dumouriez se dirige sur Anvers à cet effet. C'est le seul résultat des réflexions gouvernementales sur la guerre avec la Hollande qui durent au moins depuis le 7 janvier, jour où le Conseil exécutif a reçu un mémoire des « patriotes » hollandais présenté par De Kock, propo­sant l'invasion de la Hollande, et décidé d'entendre le ban­quier le lendemain. Or, ayant chargé Dumouriez de cette mission diplomatique à La Haye, deux jours après son départ, le Conseil décide que le ministre de la Guerre lui ordonnera d'attaquer Maestricht et Van Loo, le Comité de défense générale entend le rapport de Brissot, l'adopte, adopte le projet de décret portant déclaration de guerre à la Hollande et la Convention, se déjugeant comme le Conseil exécutif, l'adopte. De même que la guerre à l'Au­triche sans attendre le résultat de la Mission de Naillac, on déclare la guerre à la Hollande sans attendre le résultat de celle de Dumouriez. 46:240 Barbaroux écrit de Paris à la municipalité de Mar­seille : « *Dumouriez va se porter à l'instant sur les Pro­vinces-Unies malgré le dénuement de nos armées *»*,* un dénuement qui n'est pas plus ignoré que celui des es­cadres. Et de même qu'on avait déclaré la guerre à l'An­gleterre après les rodomontades de Brissot, pour ensuite abandonner les colonies et se prémunir contre un débar­quement anglais, de même après avoir décrété l'invasion de la Hollande, la Convention décide le lendemain l'envoi de 9 commissaires pour faire mettre les places de guerre de Dunkerque à Besançon « *dans un état de* DÉFENSE *respectable le plus promptement possible *»*.* On a l'im­pression d'une maison de fous. L'Angleterre noue lentement ses alliances, toutes après la déclaration de guerre, et y met près de sept mois : 4 mars « *articles *» avec le Hanovre, 25 mars alliance avec la Russie, 10 avril traité de subsistances avec la Hesse-Cassel, 25 avril avec la Sardaigne, 25 mai alliance avec l'Espagne, 12 juillet avec Naples, 14 juillet traité d'alliance et de subsides avec la Prusse, 30 août avec l'Autriche, 21 septembre traité de subsistances avec le duché de Bade et 26 septembre traité d'alliance avec le Portugal. Si le cabinet avait décidé de faire la guerre à la France, il est probable que tout cela eût été préparé, donc plus vite exécuté après le début des hostilités, et au moins que les traités avec les deux premiers belligérants, Prusse et Au­triche, auraient été conclus avant cette date et non pas six mois après. André Guès. 47:240 ### De la force (suite) par Marcel De Corte De tout ce qui précède, il résulte que la force est en relation intime avec la justice et le bien commun qui en est la fin. On peut même dire qu'elle en est inséparable. Saint Thomas n'isole même pas ici l'ordre surnaturel de l'ordre naturel. Le *martyre* est pour lui un acte de la vertu de force humaine, surélevé par la grâce. Il n'y a donc qu'une seule vertu de force, mais qui se situe, selon les deux finalités qu'elle soutient, sur deux plans verticalement distincts. 48:240 « Dans l'acte de force, il faut considérer deux choses : le bien ([^6]) dans lequel le fort demeure inébranlable, et que la force a pour fin ; et la fermeté qui rend invincible à tout ce qui voudrait détacher de ce bien, et qui constitue l'essence même de la force. Or de même que la force qui est une vertu naturelle rend l'homme fidèle *à la justice humaine* et la lui fait défendre au péril de sa vie, la force, vertu surnaturelle, rend l'hom­me inébranlable dans « *la justice de Dieu* qui est par la foi de Jésus-Christ » (Rom. 3, 22). La foi, à laquelle on reste attaché, est donc la fin de l'acte du martyre ; la force est l'habitus qui produit cet acte. » Sans doute est-ce seulement l'endurance, acte princi­pal de la force, qui fait l'essence du martyre, à l'exclusion de l'attaque qui en est l'acte secondaire ([^7]), mais saint Thomas ne bannit nullement l'emploi de la force offensive, armée de juste colère, dans la défense de la foi, contre les infidèles ou contre les hérétiques par exemple. Avec toute la tradition de l'Église, il la délègue au bras séculier ([^8]). A Pierre, en effet, représentant les évêques et les clercs, il est dit dans saint Matthieu : « Remets ton épée au fourreau » ([^9]). Les gens d'Église peuvent exhorter au combat, il leur est interdit par le droit ecclésiastique et par la coutume d'y participer les armes à la main. « Celui qui appartient à la milice de Dieu ne s'embarrasse pas des affaires du siècle » ([^10]). En ce sens, la vertu de force dont ils font preuve sous son aspect second, dépasse déjà son aspect premier : l'endurance. Si l'Église abandonne les infidèles et les hérétiques au bras séculier, c'est en vertu de la subordination, au titre de moyen, du gouvernement humain au gouvernement divin ([^11]). Dès lors, il en résulte que, si ce moyen offensif, pourvu de la force contraignante de la loi civile s'avère faible ou même fait complètement défaut, comme à l'époque moderne, le dommage infligé au règne de Dieu sera grand. La force divine ne surélevant plus une force humaine défaillante, le dommage occasionné dans la société terrestre ne le sera pas moins. 49:240 Le libéralisme qui honnit la vertu de force et le libé­ralisme religieux qui tolère les pires atteintes aux lois divines se prêtent toujours la main. Il faut avoir le courage de le répéter avec saint Thomas. « La foi est le règne de Dieu dans les esprits. S'il en est, parmi ceux qui s'avisent de le modifier avec prétention tout en y demeurant, com­me le font les hérétiques, ou de le quitter avec ostentation comme font les apostats, il est évident que la société des fidèles dont ils font partie a le droit et le devoir de sévir contre ces gens, soit pour les rappeler à l'ordre, soit même pour les forcer à y rentrer, ou du moins pour les empêcher d'y jeter le trouble. » ([^12]) Comment la vertu de force en son aspect second pourrait-elle encore subsister dans l'Église et dans la société civile, alors que sa fonction pre­mière de résistance à toutes les formes du mal est complè­tement, ou quasi, obnubilée dans les esprits, même chez ceux qui devraient la posséder au plus haut degré ? « Plus d'anathèmes », clamait Jean XXIII le Débonnaire à l'ou­verture de Vatican II. Et les sondages d'opinion font appa­raître que 57 % des Français ne sont pas prêts à mourir pour la Patrie, tandis que, parallèlement, un jeune de 18 à 24 ans sur deux ne répondrait pas à un ordre de mobi­lisation ([^13]). La vertu de force se volatilise sous nos yeux au bénéfice de la violence, de la contrainte, d'un tissu d'obligations et de nécessités pseudo-sociales, dont l'ensemble, sous une forme individuelle ou collective, sporadique ou durable, engendre dans la dissociété que sa disparition a fait naître, une peur diffuse, une appréhension vague, une inquiétude obscure (le plus souvent dissimulées sous une recherche ininterrompue de plaisirs qui déracinent davantage encore l'homme de son contexte humain) dont le faisceau brus­quement braqué provoque la terreur, l'épouvante, la pani­que. C'est vers l'extrême de la crainte et vers l'extrême de l'audace que l'homme contemporain se trouve emporté dans un balancement continu qui va de l'inertie, de la pas­sivité, de l'immobilisme, au trépignement, à l'agitation intense, à l'innovation quoiqu'il puisse en coûter, bref à la *révolution permanente,* pareil à un colloïde, à une gelée qui cumulerait au même moment la stagnation et la frénésie. 50:240 Un chaos fixe, un invariant instable, tel est l'état de l'homme moderne dépourvu de la vertu de force. #### III. -- Transposition de la vertu de force dans le monde d'aujourd'hui Aussi est-ce au-delà de la crainte et de l'audace qu'il faut se placer pour découvrir aujourd'hui les vices opposés à la force. Quand saint Thomas les énumère -- crainte, absence de crainte, audace --, il se trouve dans une société stable, ordonnée, dont le pivot (la justice générale) n'est pas ébranlé ([^14]). La cité médiévale ignore l'individualisme, le personnalisme, le culte du Moi. Saint Thomas pressent néanmoins avec acuité ces désordres modernes. Il sait que « l'ordre, c'est la soumission de l'appétit au gouvernement de la raison », en l'occurrence, de la raison pratique, fina­lisée par le bien commun, et que, « dans les actes humains, *le désordre* est un péché » ([^15]). Il sait que « la crainte procède toujours de l'amour, car on ne craint jamais que ce qui s'oppose à ce qu'on aime », et que « la crainte déréglée par un amour déréglé s'oppose à la force *qui a le même objet *», à savoir, ressassons-le, le bien commun de la patrie ou des groupements naturels et semi-naturels auxquels la destinée et la vocation nous agrègent ([^16]). Il sait que céder à la crainte suprême d'une mort consentie pour que survive la société au-delà de l'éphémère existence individuelle est le désordre, le péché par excellence contre la force. 51:240 Le commettre, c'est opter pour le Moi, pour son bien particulier contre le bien général. « Ni la mort ni rien de ce qui peut affliger un homme mortel ne doit nous faire craindre au point de renoncer à la justice. » ([^17]) On peut sans doute ressentir cette crainte, mais c'est un devoir de la surmonter. Pour d'autres raisons qui se rattachent toujours au dérèglement de l'appétit qui se soustrait à l'ordre de la raison pratique et au bien commun, il en est de même de l'absence de crainte et de l'audace. Ce sont des péchés contre la force. Et l'audace n'est pas toujours un défaut de crainte ! Aristote le remarque : « Les audacieux, pleins d'ardeur lorsqu'il n'y a rien à craindre, ne savent point supporter le *véritable* danger. » ([^18]). Ce sont donc à leur tour des peureux qui pèchent contre la vertu de force et qui se refusent à défendre efficacement le bien commun. On le voit : le péché qui s'oppose le plus à la vertu de force se ramène à une forme quelconque de rébellion contre le bien commun, et celle-ci, en définitive, à l'exal­tation du Moi et de son bien particulier. Si saint Thomas n'en parle pas, c'est que la société de son époque n'était pas rongée par l'égoïsme individuel et collectif. Mais les principes de son analyse sont éternels et projettent leur lumière sur toutes les époques. Dès qu'il y a égoïsme, repli sur soi, poursuite exclusive du bien particulier, aban­don du bien commun, le désordre est hissé à son point culminant et se trouve être le péché le plus typique : « L'absence de crainte s'explique parce que l'on croit im­possibles les maux opposés aux biens que l'on aime, et cette croyance peut provenir de l'orgueil, lequel fait présumer de soi et mépriser les autres -- *ex superbia animi de se praesumentis et alios contemnentis :* la brutalité, bornée elle aussi, se croit au-dessus de tout. » Aussi saint Thomas a-t-il raison de mettre sur le même plan la morgue et la stupidité ([^19]). Toutes deux séparent l'homme qu'elles en­vahissent de la vie sociale véritable. 52:240 On peut en dire autant de l'audace que la raison n'adapte point à sa propre fin : la défense du bien com­mun et le combat contre les ennemis de la société. Elle a pour cause la présomption, fille de l'orgueil qui place celui qui l'éprouve au-dessus de tous les mortels, et l'aveu­gle. Léviathan dont Job nous dit « qu'il regarde en face tout ce qui est élevé et qu'il est le roi des plus fiers ani­maux » ([^20]) est une bête monstrueuse. L'audace qui n'est pas contenue dans la juste mesure dictée par la raison a toujours pour origine un Moi qui place son bien propre au-dessus du bien commun. Elle est un désordre, elle est un péché, comme la crainte et l'absence de crainte. Il suffit de lire attentivement saint Thomas pour en être convaincu. Ainsi, on retrouve aisément à travers le diagnostic tho­miste des vices opposés à la vertu de force leur foyer de naissance et de propagation : le Moi qui s'érige en fin ultime de la vie humaine, tant naturelle et surnaturelle, les « droits de l'homme » envisagés dans toute l'ampleur de leur subjectivité destructrice, l'impatience de la fin et du bien commun qu'impose à l'homme son statut d'animal politique. En suivant la voie ainsi tracée, on remarquera aussitôt que ce n'est plus seulement à la crainte de la mort phy­sique que la vertu de force doit résister de manière à remporter la victoire, ni à l'audace sans règle de l'animalité abandonnée à elle-même qui pénètre sous la forme de l'or­gueil dans l'esprit déboussolé, mais à une inquiétude sourde, généralisée, qui explose en violence d'une manière sporadique ou épidémique, comme en une sorte de recours et de secours à la faiblesse, voire à la lâcheté, qui en est la source profonde. Les cités antiques et les sociétés médiévales ont connu des révoltes, des jacqueries, des soulèvements populaires, de nombreuses guerres entre elles. Elles ignoraient com­plètement le phénomène révolutionnaire et la subversion incessante qui travaille la société moderne et la trans­forme en dissociété, à des degrés divers dont l'ampleur va des conflits entre les partis politiques à la lutte des classes. La persécution qui affecte les chrétiens ne les place plus devant un choix tragique : l'abjuration de leur foi ou la mort. Ce sont les fondements de l'ordre social tant naturel que surnaturel qui aujourd'hui se fissurent, tant sous les poussées extérieures que sous les pressions intérieures. 53:240 La société et l'Église sont menacées d'autodestruction soit par infiltration passive du désordre en leur sein respectif, soit par complaisance active à son égard. C'est une société nouvelle, construite de bas en haut par l'artifice humain et qui fait fi de la nature de l'animal politique comme de l'expérience du passé, que nos contemporains veulent cons­truire depuis deux ou trois siècles. C'est une Église nou­velle que les clercs actuels prétendent édifier : comme Paul VI l'a dit, avec une sorte d'extase : « Le mot *nou­veauté,* simple, très cher aux hommes d'aujourd'hui et très utilisé nous a été donné comme un ordre, comme un pro­gramme » (**15**), alors que saint Thomas nous assure que « *l'affectation des nouveautés qui surprennent toujours davantage est directement l'effet de la vaine gloire *» ([^21]) dont le Moi s'auréole. Le martyre n'est plus tant physique aujourd'hui pour l'immense majorité des chrétiens. *Il est spirituel. Il atteint la raison pratique et la soustrait au bien commun de l'union nécessaire à toute société. Il atteint la foi en l'Église une, sainte, catholique et apostolique. C'est à un reniement des principes sur lesquels s'établissent la société des hom­mes et la société des fidèles que les chrétiens et ceux qui ne le sont plus ou ne le sont pas encore, se trouvent confrontés.* La vertu de force est d'autant plus vitalement indis­pensable à nos contemporains que l'état de dissociété où ils macèrent depuis plusieurs générations *les affaiblit.* Personne n'est plus asthénique et plus impotent que l'hom­me seul, adonné à la drogue de l'individualisme et du per­sonnalisme. Son agrégation à ses semblables ne lui restitue pas la force qui lui manque. Au contraire ! Une addition de faiblesses, loin de constituer une puissance, n'aboutit jamais qu'à une masse dont les meneurs de la subversion connaissent la possibilité de recevoir n'importe quelle forme. C'est là-contre que l'homme et le chrétien doivent aujourd'hui exercer leur vertu de force. 54:240 En effet, dans l'exacte mesure où l'être humain renonce à sa nature d'animal politique finalisée par le bien com­mun, il se sépare de ses semblables : la partie qui se sous­trait au tout n'est plus une partie. Elle n'a plus de nom en aucune langue ou plutôt elle n'est plus qu'un individu, une personne quelconque, sans caractéristique propre, sans caractère, pure puissance, dirait le Philosophe, incapable par elle-même de passer à l'acte, qui ne reçoit sa manière d'être et d'agir que sous l'impulsion de l'extérieur grâce aux techniques de manipulation des manieurs de la foule anonyme où elle se trouve immergée. Le viol des masses par la propagande ou par la publicité est un phénomène de dissociété. Il résulte de la prodigieuse faiblesse de la *nature* politique de l'homme dont l'individualisme et le personnalisme ont altéré la santé et réduit à l'extrême les réactions salvatrices aux atteintes des maux qui peuvent l'affliger. Un tel valétudinaire social ne peut pas ne pas être inquiet, même physiquement en vertu des connexions du spirituel et du charnel. Il est « mal dans sa peau », dit le jargon moderne, parce que sa nature ne répond plus à la norme qui la régit et la dirige vers sa fin. Toute l'astuce du violent -- et le piège qu'il se dresse et où il tombe quand il passe lui-même de son anxiété latente à l'exaltation -- est d'introduire en lui des mécanismes arti­ficiels qui suppléeront à sa nature devenue inconsistante et lui donneront l'*illusion* d'être « bien dans sa peau », dans cette membrane qui l'isole en son individualité, sans qu'il ait la moindre relation *réelle* avec les autres hommes dans la vie concrète de tous les jours. La définition de la vertu comportant les circonstances de lieu, de temps, d'opportunité, d'incarnation dans l'exis­tence concrète et dans les mille et une contingences que charrie le cours de la vie où elle doit *s'exercer en fait,* il n'est pas étonnant que la force n'ait plus seulement à maintenir la volonté humaine dans la ligne du bien com­mun en lui donnant de résister aux grands périls qui peu­vent l'assaillir, singulièrement aux dangers de mort causés par la guerre, et d'attaquer avec bravoure les agressions des sociétés où l'homme se trouve et particulièrement les attaques contre la patrie. Son extension se révèle aujour­d'hui beaucoup plus large. Autre chose en effet est d'af­fronter la mort physique dans un combat contre un adver­saire qui n'en veut qu'à la vie de son antagoniste ou qui exerce sa domination sur lui et sur une cité quelconque, sans porter atteinte à *la nature* même de l'intelligence de l'homme ni à celle de la société, comme c'était le cas jadis ; 55:240 autre chose est de se trouver en face d'un système de pres­sions extérieures et intérieures qui interdisent à la connais­sance et à la volonté humaines d'atteindre les réalités pour quoi elles sont faites, et qui visent simultanément à s'em­parer de l'essence sociale de l'homme telle qu'elle s'épa­nouit dans les communautés naturelles et semi-naturelles où elle prend toute sa vigueur, à la détruire par une série de moyens qui vont de la propagande insinuante et inti­midatrice à la terreur brutale, et à la refondre dans le moule d'une idéologie préfabriquée, prétendument créatrice d'un « homme nouveau » et d'une « société nouvelle », comme c'est le cas depuis deux ou trois siècles. Si l'on ajoute à cette violence larvée ou tangible dont nous avons l'expérience dans la dissociété actuelle, la manœuvre qui s'opère au grand jour dans l'Église catho­lique et qui vise principalement à détourner les âmes du culte de Dieu vers le culte de l'Homme majusculaire -- « tout sur terre doit être ordonné à l'homme comme à son centre et à son sommet », édicte effrontément Vatican II ([^22]) --, est révélatrice. Ce n'est plus seulement le bien commun naturel de l'homme qui se trouve explicitement contesté, mais son bien commun surnaturel ; ce n'est pas davantage sa vie physique qui est désormais en jeu mais sa nature d'animal politique et sa rédemption personnelle. Les énergies religieuses de l'homme privées de leur issue évangélique se rabattent désormais sur la seule fin *effective* qui leur est offerte pratiquement : le Moi. La protestan­tisation accélérée du catholicisme (et de son clergé privé de la vertu de force en sa Hiérarchie) n'a pas d'autre origine. C'est une contestation inspirée du nihilisme dont le Moi est la proie (puisqu'il n'est rien sans ses relations sociales naturelles et surnaturelles) qui sape les murailles de la Cité et de l'Église. L'histoire n'offre à cet égard aucun précédent. Si cette analyse est exacte, *la vertu de force et son application réelle dans tous les domaines : l'intellectuel, le moral, le social, le spirituel et le temporel, revêt actuelle­ment une importance à son tour sans exemple, tant dans la résistance que dans l'attaque qui la caractérisent.* 56:240 Dans le classement des vertus cardinales, elle ne se situe plus immédiatement après la prudence et la justice, et avant la tempérance, mais sous l'attraction de la justice qu'elle entraîne à son tour et par le choix des moyens prudentiels de parvenir à sa fin qu'elle aiguise, *au premier rang*. Saint Thomas s'en est bien aperçu lorsqu'il assigne à la force, à côté de sa finalité propre dont nous avons parlé, une généralité sans faille : le propre de toutes les vertus réelles est la fermeté inébranlable et là où sa vigueur s'affaiblit, toutes les vertus s'affaiblissent réellement. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la situation morale, poli­tique et sociale de l'humanité actuelle pour ne pas en disconvenir : le refus de remonter *à la cause* de cette décadence, l'aveuglement devant ses suites, l'usage de sub­terfuges ou de la violence pour tenter d'y remédier, sont patents. C'est à ce titre que la force est la compagne obligée de toutes les vertus, et que là où la force fait défaut, la déli­quescence morale et politique, l'indifférence religieuse, la recherche éperdue du plaisir pour le plaisir ([^23]) s'installent et se répandent. Elle est éminemment l'amie de la prudence dans l'ordre des moyens. Il faut insister là-dessus, car nous n'avons que trop tendance à transposer *l'agir* humain au plan de la théorie où il se dilue en concepts satisfaisants pour l'es­prit, mais perd sa réalité spécifique *in actu exercito.* La fin de l'action n'est pas une donnée d'avance en quoi la pensée se reposerait : elle est un bien *à réaliser*. Par quoi ? Par une série de moyens adéquats que la prudence organise, met en branle et dirige. Il y a dans la prudence une force qui commande et qui sait (parce qu'elle en a le pouvoir) qu'elle parviendra, *ut in pluribus,* presque toujours, mal­gré la contingence qui affecte toute action, à son but. Com­me le dit l'admirable Bossuet avec une force verbale qui incite déjà à l'action, « la véritable prudence n'est pas seulement considérée, mais *tranchante et résolutive *». 57:240 Car si la prudence a pour objet, selon le même théologien, « de mettre de l'ordre partout », cet ordre ne consiste pas seulement en une ordonnance, en une disposition, et « dans l'accord de la fin avec les moyens » que l'esprit aurait éla­borés ad infra et qui lui demeureraient immanents, mais aussi dans un commandement (*imperium*) qui prescrit à la volonté de le faire passer à l'acte, *et qui présuppose cette force dont nous avons vu qu'elle ne consiste pas seu­lement aujourd'hui à tenir ferme dans les périls corporels, mais à maintenir l'essence de l'homme, et avant tout sa nature d'* «* animal politique *» *tant au plan naturel qu'au plan surnaturel, contre les dangers de plus en plus nom­breux qui la menacent de mort, et à contre-attaquer les ennemis qui pullulent autour d'elle et tentent de l'asservir, de la transformer pour l'anéantir* ([^24]). On peut donc affirmer que la prudence jaillit, comme de sa source même, de la vertu de force qui résiste aux attaques extérieures ou intérieures et qui élimine victo­rieusement les obstacles à la réalisation de la nature de l'homme et au renfort de celle-ci par la grâce divine. La force est conservatrice, tant dans la société civile que dans l'Église, de l'animal politique dont l'incarnation dans l'exis­tence constitue la fin même de toutes les actions morales que la prudence règle en s'inspirant de ses impératifs. Aussi saint Ambroise la proclame-t-il la plus excellente de toutes les vertus : *est fortitudo velut ceteris excelsior.* Il suffit au reste d'observer les conséquences qu'implique, pour la nature humaine et pour les biens les plus précieux auxquels celle-ci est ordonnée, le contraire de la force : *la faiblesse*. (*A suivre*.) Marcel De Corte. 58:240 ### Bereschit par Paul Bouscaren L'Évangile est Règne de Dieu, Don de Dieu, Miséri­corde de Dieu, Salut de Dieu en son Fils Jésus-Christ... Est-ce là un droit de l'homme, du moment que c'est pour tous les hom­mes ? Et s'il n'y a pas là un droit de l'homme, peut-il y avoir, sans abus de lan­gage, des droits de l'homme selon l'Évangile dans les modernes Déclarations ? \*\*\* Religion de l'homme, re­ligion d'égalité de l'adora­teur avec son dieu ; alors, une religion entre les autres, ou plutôt, contre toutes les autres, l'anti-religion ? Et si le christianisme est la reli­gion de Dieu fait homme pour que l'homme, c'est-à-dire chacun des hommes, devienne Dieu par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, la religion de l'homme n'est-elle pas, très précisément, l'anti-christia­nisme ? Ne s'agit-il pas là de nier Dieu et Jésus-Christ par addition incompatible, et, parlant comme l'a fait Paul VI, n'a-t-il pas fait passer l'homme avant Dieu, le fils d'Ève avant le Fils de Marie ? Dieu s'est fait homme réellement, c'est-à-dire l'un de nous, Satan, lui, s'est fait idéologiquement l'Homme, *voilà ce que c'est, la religion de l'homme,* pour laquelle Paul VI dit au concile : « La vieille histoire du Samaritain a été le mo­dèle de la spiritualité du concile. Une sympathie sans bornes l'a envahi tout en­tier. » *Et voilà donc le concile qu'il suffit de nommer ainsi pour mesurer tous les autres à son aune !* \*\*\* 59:240 Le saint sacrifice de la messe ; selon le rite ro­main ; remontant aux ori­gines ; étendu à l'Église en­tière depuis maintenant quatre siècles ; avec la so­lennité, requise à pareil ef­fet, dont témoignent le titre du *Missale romanum* et la bulle de saint Pie V *Quo primum ;* nullement, de la sorte, un rite entre les au­tres de la liturgie ; traité comme il l'a été par Paul VI ; n'y aurait-il eu que ce­la dans l'Église conciliaire, on pourrait dire, et il fau­drait dire, que c'est *l'Église passée de la Tradition* à la *Révolution* et qu'en cela consiste, de fait, l'œcumé­nisme donné par Paul VI pour le mystère de son pon­tificat. \*\*\* La liberté religieuse est bien liberté de l'homme, sans doute, mais liberté de s'unir à Dieu, primo, en tant qu'obligé à Dieu parce qu'il est Dieu ; secundo, se­lon l'obligation de fait à la volonté révélée de Dieu, quant à nous unir à lui en Jésus-Christ ; et alors, com­ment Jean-Paul II a-t-il pu paraître à Giscard d'Estaing « très attaché à ce que cha­que homme et chaque fem­me puisse accéder à la spi­ritualité de son choix » (*France-Inter* 19 heures, 26 octobre 1978 et *Figaro* 27 octobre) ? Est-ce donc cela, cette liberté-là, la foi catho­lique en Pologne ? A égalité en Pologne avec quelle au­tre foi, Seigneur ? \*\*\* « Opus justitiae pax », à la justice de faire la paix, -- quelle justice ? Pas de difficulté à le croire et l'es­pérer de la justice biblique, celle de l'homme juste en ce qu'il ne dérobe pas à Dieu sa propre vie, et, selon la parole de Jésus-Christ, fait toujours ce qui plait à son Père. Pas de difficulté non plus en morale thomis­te, la vertu cardinale de jus­tice inséparable des trois autres vertus cardinales de tempérance, de force, de prudence, et, chrétienne­ment, inspirée de foi, espé­rance et charité, les trois vertus théologales ; la jus­tice ordre de l'âme, rien ne manque pour bien vivre. Mais si l'on entend par la justice, de façon extérieure, *à chacun son droit,* il faut demander aussitôt : quel droit ? Et s'il s'agit de l'idéologie des droits de l'homme, et c'est le cas, au­jourd'hui, même dans l'Église, à preuve *Pacem in ter­ris,* etc., etc., alors, non, alors, c'est la paix impossi­ble au mensonge de justi­ce : nous en faisons l'expé­rience, la double expérience positive et négative, puis­qu'elle reste inutile. \*\*\* 60:240 Comme l'Évangile parle, qui est-ce qui doit l'enten­dre pour son salut, être la bonne terre où pousse et fructifie la semence de la Parole divine ? Non l'Hom­me, mais les hommes ; non les hommes, mais les per­sonnes ; non les personnes, mais chaque personne ; et enfin, non pas même cha­que personne, mais, stricte­ment et sans possibilité d'aucune équivoque, Jac­ques, Jean, Simon, André, Marthe, Marie-Madeleine, etc. Dieu sauve l'humanité de la même manière qu'il l'a créée : la Genèse est création spécifique des plantes et des bêtes, créa­tion personnelle de l'hom­me et de la femme qui sont Adam et Ève. Jésus-Christ est le Bon Pasteur qui ap­pelle ses brebis chacune par son nom ; l'Église n'est pas l'une des sociétés des personnes humaines, elle est l'incomparable Société de Jacques, Jean, Marthe, Marie, etc., qui sont avec Jésus-Christ de l'incompa­rable manière d'être avec lui que lui seul peut don­ner, et qu'il donne à Jac­ques, à Jean, à Marthe, à Marie, etc. \*\*\* La vie traditionnelle, croyant l'ordre et la trans­cendance, n'était pas à l'abri du désordre, mais elle y reconnaissait le désordre, et les conséquences du dé­sordre en étaient, pour ainsi dire, biodégradables ; la vie moderne, se voulant autono­mie et volontarisme, fait du désordre en liberté majo­ritaire le droit, et fait ses conséquences irréparables. \*\*\* Quelle réalité de l'homme individuel, sinon la dualité de la nature humaine dans l'existence, et puisque cette existence est sociale par né­cessité de son milieu pro­pre, la réalité dualiste de la personne en société ? Il faut donc *composer* les exigences d'une part et de l'autre part, nature et exis­tence, personne et société, non les opposer en les *sé­parant* abstraitement. Il y a *incohérence* fondamentale des droits de l'Homme, par abstraction de sa nature, et réglant de la sorte l'exis­tence sociale : même l'es­prit géométrique exige les propriétés du triangle se­lon l'existence, par exemple, d'un espace qui ne soit pas essentiellement courbe ! *Im­piété* du principe de ces droits envers Dieu et envers la patrie : même le Fils de Dieu n'est Dieu qu'en étant Fils, l'homme moderne se fait dieu sans être fils colle de soi-même ; et ce colle de l'impiété ferait une re­ligion entre les religions sans que l'œcuménisme à son endroit fasse un comble de stupidité chez les chré­tiens ? 61:240 L'Évangile s'adresse aux hommes vivant grâce à Dieu et moyennant la société, les droits de l'hom­me prétendent l'homme ab­solu. Être chrétien, c'est être avec Jésus-Christ, l'Évangile dit en quelle sorte concrète d'obéissance, et à la fin du Sermon sur la montagne (Matthieu, 7/15-27), et à la fin de saint Matthieu (28/19-20). Les droits de l'homme, au re­bours, sont le principe d'une dissension incurable et croissante, cancer de la vie sociale en État et en Église. \*\*\* Est-il sérieux, est-il d'une politique réelle, de se dé­clarer en même temps pour la revalorisation du travail manuel et pour la promo­tion sociale de la femme en la libérant des travaux du ménage ? *Si le travail manuel requis par le foyer est un asservissement, que dire de tout autre travail manuel ?* \*\*\* Les trois Personnes di­vines sont incréées, les per­sonnes humaines sont créées en tant même que person­nes ; si la personne créée fait droit, c'est dans un or­dre créé qui n'est pas per­sonnel à chacun en lui-mê­me, mais commun à tous. Dieu seul, *Ipsum Esse Sub­sistens,* est personnel sans aucune restriction ; l'hom­me en est loin, et comme créature, et comme étant telle créature. \*\*\* Quoi qu'il y ait à dire de grand sur l'être de l'hom­me, -- à l'image et à la ressemblance de Dieu, ou quelque autre excellence, -- l'être humain est créé, il est animal, il est social. Créa­ture de Dieu, l'homme ap­partient au pouvoir de Dieu de façon transcendante à son pouvoir sur lui-même, tout personnel et libre que soit celui-ci. Animal, l'être de l'homme ne peut vivre sa vie qu'en condition ani­male, et non angélique, son pouvoir sur lui-même en est conditionné radicale­ment, relativisé bel et bien. Relativisé derechef et condi­tionné par l'existence socia­le, ce bien commun à tous pour être le bien personnel de chacun. Droit de l'hom­me, dès lors, pouvoir d'une vie obligée par création, par nécessité générique, par société indispensable. \*\*\* Créature et créature ani­male, et pouvoir transcen­dant de Dieu, la Genèse bi­blique le dit assez net ; et qu'à l'oublier, c'est la chute originelle, -- donc, l'être humain déchu, outre qu'il soit créature et animal. Quant à l'être social, cela vient plus tard dans là Ge­nèse, mais toute la Bible de l'Ancien Testament ne cesse d'en être le témoigna­ge, surtout à partir de la vocation d'Abraham. 62:240 La phi­losophie, de son côté, défi­nit l'être (humain) par le genre (animal) avant la dif­férence spécifique (raison) ; le fondement avant le faîte ! \*\*\* Pouvoir juridique, pou­voir de droit, qu'est-ce à dire, sinon, avec ou sans la possibilité externe de faire ou ne pas faire, la possibi­lité intérieure, la possibilité en conscience, pour qui est en droit, et qui oblige la conscience d'autrui au res­pect du droit ? Par consé­quent, pouvoir juridique suppose conscience morale, obligation morale, et vie commune avec autrui, lui-même sujet moral. impos­sible d'ailleurs d'avoir sujet moral, obligation morale envers soi-même et envers autrui, sans la libre dispo­sition intérieure de soi-mê­me faisant droit. Ainsi, obli­gation et droit sont insépa­rables par essence, mais l'obligation la première, sans impliquer autrui, à l'instar du droit. \*\*\* La vérité du règne de l'homme sur soi-même est à l'image du règne de Dieu dans le monde, mais celle-ci est première pour que celle-là ait sa réalité secon­de, être dans l'Être, ou, si­non, en idée, réduite à néant comme tout le reste au monde. Ce qui est vrai de l'âme et non du corps doit être vrai de la vie de l'âme dans la mesure où il y a vie de l'âme distincte de la vie du corps ; mais pas davantage sans tenir compte, sans faire compte, des nécessités corporelles, et suivant à la vie corpo­relle, comme le font les né­cessités sociales. Pas de doute que la créature à l'i­mage de Dieu ne doive pas être esclave du péché ; s'a­git-il de servitude corpo­relle ou sociale, ce n'est pas la même évidence, il faut voir ce que peuvent exiger les milieux en cause, dont la seule vie de l'âme, abso­lument, ne dépend pas et qu'elle doit survoler. Car l'âme dans l'homme ainsi que Dieu dans le monde, oui et non ; l'être du monde n'est aucunement l'Être de Dieu, il est entièrement par la libre Volonté de Dieu ; rien de tel chez l'homme (ou hallucination volonta­riste), l'homme est à l'ima­ge de Dieu par son être créé, selon qu'il s'y trouve une vie de l'âme pouvant et de­vant, quant à elle, disposer d'elle-même sans égard qu'au retour d'elle-même à Dieu ; non pas pouvoir et devoir disposer de la sorte de l'humaine vie en son mi­lieu physique et en son mi­lieu social, hors de quoi, et sans égard à quoi, pas de vie humaine ; 63:240 tandis que la création de Dieu n'est pas du tout un milieu de Dieu ; tandis que la créature hu­maine a l'image de Dieu n'est pas le Fils de Dieu, n'est pas Dieu de Dieu. \*\*\* Existence personnelle fait droit personnel, est-ce à dire la vie de la personne à partir d'elle-même, la per­sonne au commencement d'elle-même ? Oui et non, car... BERESCHIT : au com­mencement de tout ce qui a commencé, il y a l'action créatrice de Dieu. De fait théologique, cosmique, social, l'homme n'a rien de lui-même à partir de lui-même, c'est-à-dire lui seul au commencement, sans Dieu, ni sans milieu com­mun, soit du monde, soit de la société. La singularité de la personne exclut toute autre personne, mais il n'est pas contradictoire de vivre personnellement à partir d'autrui et non de soi seul. \*\*\* Le sujet d'une existence qui est la sienne singuliè­rement et incommunicable­ment, il s'agit bien de la personne en tant qu'elle est *individua substantia *; mais ce regard « en tant que » fait abstraction de la nature d'un tel sujet d'existence puisqu'il requiert une na­ture pour y exister, sauf à être Dieu ; s'agissant d'une nature créée, si l'on n'exige pas que ce soit *rationalis naturae*, si l'on se refuse à l'exiger, s'agit-il de la per­sonne humaine, ou de l'in­dividu animal ? \*\*\* Droits de l'homme, droits de tout homme en tant qu'il y a en lui et qu'il y demeure un homme, quoi qu'il fasse ou ne fasse pas de sa vie ; dignité imprescriptible de l'homme en tout homme. Alors que le Décalogue, les commandements de Dieu selon la Bible font défense à l'homme, en fait, d'une dizaine d'actions ou de dé­sirs sans droit et indignes de l'homme, à qui, néan­moins, Dieu juge nécessaire de les interdire expressé­ment. Alors que l'Évangile, et c'est-à-dire l'homme sau­vé par Dieu, n'arrête pas de dire à chacun des hom­mes les conditions de son salut, l'observation des com­mandements, la conversion du cœur et des actes, le re­noncement à tout au monde et à soi-même pour suivre Jésus-Christ, la prière tou­jours et sans jamais se las­ser, les hommes bons ou méchants comme brebis et loups, la croix promise au Sauveur et à ses disciples... Si l'on ne voit pas là deux regards faire deux menta­lités incompatibles, de quel regard sur la vie réelle des hommes est-on capable ? 64:240 Deux regards ont fait deux mentalités, celle de l'homme traditionnel et celle de l'homme moderne ; et alors, parler aux hommes des droits de l'homme... \*\*\* L'homme peut disposer de lui-même, l'homme doit disposer de lui-même, l'homme dispose de lui-même ; personne d'autre ne le peut, ne le doit, ne le fait à sa place ; l'homme a droit de liberté, sa liberté l'oblige, elle fait sa vie res­ponsable autant que sa vie peut et doit être libre. Pou­voir juridique, pouvoir mo­ral, pouvoir responsable. Maître de ma vie, ma vie m'oblige, ma vie me juge : voilà quel homme en moi a des oreilles pour entendre l'Évangile de Jésus-Christ mon Sauveur, parlant com­me il parle pour dire ce qu'il dit ; la liberté arrêtée à son droit par le mensonge des droits de l'homme du langage moderne escamote l'homme devant Dieu au nom de l'homme entre les hommes. La construction est en porte-à-faux dès le départ de la liberté par op­position à la servitude sociale, soit de l'esclave ou du sujet : cette servitude est contrainte extérieure, la liberté doit être regardée au-dedans ; elle n'a pas à être l'indépendance au lieu de la dépendance, si ce n'est l'indépendance à l'endroit du péché, à l'égard de Sa­tan. \*\*\* Seul à pouvoir disposer de son âme, il faut parfait ce pouvoir ? Mais non, il le faut suffisant, vaille que vaille selon la nature en cause, animale et non angé­lique. Responsable sans ex­cuse possible en autrui, seul responsable de sa vie ? Au­tre sophisme, s'agissant de l'animal politique, incapa­ble à soi seul de vivre sa vie. Oui ou non, est-il de la nature de l'individu en tant qu'individu d'être chose se­conde à la nature commune de l'espèce ? \*\*\* L'Église n'est pas une société de personnes en tant que personnes, mais de per­sonnes qui ont choisi d'être avec Jésus-Christ et de le suivre comme Il veut être suivi. Paul Bouscaren. 65:240 ### La poésie liturgique par Édouard Guillou, m. b. LA LITURGIE est le culte public de l'Église. Elle est par le fait même l'expression privilégiée d'une foi vive, exacte et entière qui suscite et entretient son humble et totale dépendance, son espérance et son amour. Et com­me la Trinité Sainte, créatrice des choses visibles et invi­sibles, nous arrache, corps et âme, à l'empire des ténèbres pour nous transférer dans son admirable lumière, l'ex­pression liturgique ne peut que se vouloir aussi belle et aussi entière que possible pour se modeler sur celle des cieux et pour y entraîner tout notre être, spirituel et sensible, individuel et social. Le rite romain primitif, selon l'historien Bishop, était en général dépouillé et comme militaire. Il ne pouvait s'élargir aux dimensions du monde occidental qu'en s'enrichissant, grâce à la poussée du Saint-Esprit, du merveilleux apport symbolique, ailleurs plus développé. Il le fit, tout en gardant son caractère de sobriété. Il est devenu ainsi un trésor d'une inestimable valeur, un héritage si précieux qu'il serait grave d'y tou­cher sans une infinie discrétion. Il ne pourrait recevoir des modifications, fatalement délicates, que pour « un plus grand éclat de vérité » comme disait Dom Guéranger. 66:240 L'office de la messe de la Dédicace des églises est un des exemples les plus frappants de cette harmonieuse compénétration de la théologie et de la poésie, en accord avec l'Écriture Sainte comme avec les besoins de l'homme qui n'est pas qu'esprit. La plupart des textes de notre messe de la Dédicace, y compris l'évangile de Zachée (« Aujourd'hui le salut est entré dans cette maison ») datent de la Dédicace de l'an­tique Panthéon, le 13 mai 609, en une « église de la Bienheureuse Marie toujours Vierge et de tous les Mar­tyrs ». A la place des idoles, on fêtait maintenant ceux qui les ont renversées par leur sang répandu. C'était déjà l'amorce de notre « Toussaint », laquelle est d'origine gallicane et ne remonte qu'au IX^e^ siècle. Tout naturelle­ment, on y faisait référence, comme aujourd'hui, à l'Apo­calypse, à la liturgie de ce Ciel, dont la voûte de « Sainte Marie la Ronde », pareille à un immense dôme, était l'ex­pressive figure. La splendeur de l'édifice appelait un texte grandiose aux larges résonances. L'introït est emprunte au livre de la Genèse, et le génie contemplatif de l'incompa­rable plain-chant invite à l'approfondir : « TERRIBILIS EST LOCUS ISTE. HIC DOMUS DEI EST ET PORTA COELI. » Ceci nous reporte en deçà de la religion mosaïque, à l'ère d'Abraham que l'épître aux Hébreux appelle notre Père dans la foi ; c'est « par la foi », dit-elle, qu'il est demeuré « étranger sur la terre qui lui avait été promise... Car il attendait la Cité aux fondements éternels dont Dieu est le constructeur ». Jacob qui a reçu la bénédiction paternelle à la place de son aîné, fuit la colère d'Ésaü. Il figure par avance l'Église qui a été substituée à la Synagogue et qui est devenue la maison où le Seigneur a choisi de s'arrêter comme autrefois dans celle du publicain Zachée, pécheur méprisé par les Juifs ; ils pensaient, eux, n'avoir pas besoin de miséricorde ! Le soir venu, Jacob s'arrête dans un lieu où il choisit une pierre pour se faire un chevet. Dans son sommeil, il voit partir de cet endroit une échelle qui unit terre et ciel et que les Anges montent et descendent, ainsi que le Seigneur l'a prédit de lui-même à Nathanaël. Au sommet de l'échelle se trouve Dieu qui confirme l'élection reçue du patriarche Isaac, cet Isaac qui figure le Christ dont le Père des cieux a décidé de toute éternité le sacri­fice. Au réveil, Jacob s'écrie, saisi d'une crainte révérencielle : *Terribilis est locus iste...* 67:240 « Ce lieu est redoutable. Là est la maison de Dieu et la porte du Ciel ! » Il dresse alors la pierre sur laquelle il a reposé la tête ; il en fait un monument à la gloire de Dieu et il y verse l'huile qui la consacre pour toujours. La pierre est le symbole classique et universel de la fermeté et de la permanence. C'est ainsi qu'en faisant de l'apôtre Simon le chef de son Église, Notre-Seigneur lui a donné le nom de Pierre ; il n'entendait pas construire sur le sable une demeure à la merci des tempêtes ; il bâtissait quelque chose de solide et de durable, pouvant résister, jusqu'à ce qu'Il revienne, aux assauts des puissances in­fernales. N'est-ce pas, d'ailleurs, à Dieu tout d'abord que l'Écriture Sainte attribue le nom de « Rocher » pour signi­fier sa force et son immutabilité ? En envoyant son Fils dans le monde, il l'a constitué la base de tout par son incarnation. Par la rédemption, le Christ est la pierre angulaire de l'Église, pierre rejetée par des constructeurs qui ont voulu s'en passer, mais si le Seigneur n'édifie lui-même, en vain songerait-on à construire. C'est du Christ seul que dépend la stabilité de l'édifice ; il unit dans sa personne les deux murs de l'Ancien et du Nouveau Tes­tament. Il est la Pierre par excellence et cette Pierre est celle du sacrifice agréé. D'où l'usage de la « pierre d'autel », où ne cesse de se renouveler l'oblation sacrificielle qui joint la terre au Ciel. Comment la liturgie nouvelle peut-elle considérer comme facultative une pierre aussi symbolique ?... Dans cette pierre sont insérées des reliques de martyrs parce qu'ils ont été particulièrement associés à la Passion du Sauveur. Or si le Seigneur se rend présent sur nos autels, n'est-ce donc pas qu'à la messe il veut offrir notre sacrifice en même temps que le sien ? C'est notre devoir premier de nous unir à la Pierre fondamentale par la fermeté d'une foi inchangée, inchangeable, par la résistance aux tenta­tions de ce monde qui passe pour accéder à la Cité perma­nente, pour parvenir à la victoire définitive de l'Église triomphante. Cette Église-là, le Pasteur d'Hermas, vers 140, la com­pare à une grande tour présentement en chantier sur la terre. On y emploie des pierres carrées et polies. Et de même que la pierre ronde ou brute, si on ne la taille, pas, si on ne lui retranche pas son superflu, ne peut entrer dans la construction céleste, de même les hommes, s'ils ne se renoncent pas. 68:240 « Vous êtes les pierres du Temple du Père, préparées pour l'édifice de Dieu, élevées en l'air par la croix de Jésus-Christ », comme par le treuil des carriers, disait saint Clément de Rome, dans la même ligne que saint Ignace d'Antioche. Il faisait écho peu de temps après, à saint Pierre lui-même : « Approchez-vous du Christ, la Pierre vivante... et comme des pierres vivantes, formez vous-mêmes un édifice, un temple spirituel, un sacerdoce saint, pour offrir des sacrifices... agréables à Dieu. » « Vous avez été édifiés, dit saint Paul, sur le fondement des Apôtres et des prophètes, Jésus-Christ étant lui-même la pierre d'angle. » C'est pour rappeler cette vérité que douze piliers des églises consacrées sont marqués d'une croix, devant laquelle, pour la fête de la Dédicace, brûle un cierge. Ces croix, à la Sainte-Chapelle de Paris, par exem­ple, sont, pour plus de clarté encore, portées chacune par l'un des Douze. Même, çà et là, en souvenir du symbole des Apôtres, résumé de la foi chrétienne, à chacun d'eux on attribue l'un des douze articles du Credo baptismal. Saint Paul continue : « C'est dans le Christ que tout édifice bien ordonné s'élève pour former un temple saint ; c'est en lui que vous avez été édifiés pour être, par l'Esprit Saint, une maison où Dieu habite. » En effet, le temple de Dieu par excellence est le Seigneur Jésus en qui habite la plénitude de la Divinité. Il l'a dit lui-même lorsqu'il a déclaré, parlant de son Corps : « Détruisez ce Temple, je le rebâtirai en trois jours. » Aussi la fête de la Dédi­cace est-elle considérée comme une fête du Seigneur. Cette symbolique, si parlante, est pleinement tradition­nelle. On s'en écarte en ne voyant plus l'église que comme le lieu de la réunion des fidèles, peu importe lequel ; en mettant l'accent sur l'assemblée, sur le partage fraternel, fût-ce en mémoire de la Passion du Seigneur. Il faut mettre l'accent sur le Christ, renouvelant son oblation sacrificielle. Certes, le mot « ecclesia » (comme d'ailleurs celui de « synagogue ») vient d'un terme grec qui signifie « assem­blée » ; mais qui nous rassemble sinon le Christ en s'im­molant ? De quel corps social s'agit-il sinon du Corps mystique consacré par le sang du Sauveur ? L'Église est, comme le dit saint Paul, l'Épouse que le Christ a lavée dans son sang. Elle est, par cela même, comme dit l'Apo­calypse, « le tabernacle de Dieu parmi les hommes », l'image terrestre de la Jérusalem d'En Haut. Le vrai nom de l'église matérielle est donc bien « domus Dei », la maison de Dieu, comme ne cesse de le dire et redire l'office de la Dédicace. 69:240 « Toutes les pierres des murs, dit Durand de Mende, polies et carrées, représentent les fidèles », qui « unis comme par le ciment de la charité », de la même foi dans le même bercail, sont appelés à « devenir les pierres vi­vantes de la Jérusalem céleste ». De cette Jérusalem, l'égli­se matérielle comme l'Église spirituelle, est la porte et le vestibule, en attendant le rassemblement et l'ajustement définitifs de ces pierres dans la paix et la victoire coura­geusement obtenues et la vision face à face. C'est à la Jérusalem d'en haut, dans le Christ de gloire, que doit nous faire penser l'église matérielle. C'est là qu'elle a pour mission de nous introduire. De l'église, orientée, nos regards doivent se tourner vers la Cité per­manente et parfaite qui nous est promise. De même, parée comme une épouse pour son époux, et sa lampe allumée à la main, l'Église attend la grande venue, en s'orientant vers le lever de la Lumière qui est le Christ, vainqueur des ténèbres du mal et de l'erreur. C'est de l'Orient que viendra le Seigneur, comme c'est à l'Orient qu'il est monté au Ciel, *ad orientent,* dit l'antienne de communion de l'As­cension. Lorsque le nombre des élus sera complet, il apparaîtra en gloire comme l'Aurore d'un Jour éternel dans l'achèvement de son édifice céleste. De ce Temple éternel, nous serons alors, avec les saints, comme les pierres précieuses, transfigurées, translucides *lapides pretiosi omnes muri tui,* chante l'office de la Dédi­cace. « Lors de la venue du Seigneur, dit saint Paul, votre corps ressuscité revêtira l'immortalité. » Vêtus de robes immaculées, nous serons unis à l'Ange de la Résurrection qui a roulé l'énorme pierre du tombeau et qui s'est assis dessus : ET SEDEBAT SUPER EUM, ALLELUIA, ALLELUIA. Nous serons configurés au Corps de gloire du Christ Jésus. Il semble que rien ne le suggère plus que la féerie multico­lore et scintillante de nos vitraux gothiques, eux-mêmes dans l'esprit de ces mosaïques, de ces fresques, de ces somptueuses draperies, de ces lumières abondantes des édifices antérieurs. La nudité et le dépouillement modernes ne sont absolument pas traditionnels ; 69:240 ils ne peuvent s'au­toriser de l'austérité monastique des églises cisterciennes, car elles étaient construites, fort symboliquement, de pierres bien taillées, apparentes, ou bien redessinées sur l'enduit. Atrium de l'Église triomphante, l'église maté­rielle est donc, après tout, « triomphaliste », et pareil­lement la liturgie qui s'y déroule. Hélas ! faut-il penser que cet air de triomphe ne parle plus à des chrétiens dévirilisés, démobilisés, parce que, pour eux, l'Église de gloire n'est plus l'achèvement d'une Église ici-bas « mi­litante » ? Dieu sait pourtant si plus que jamais il faut combattre ! N'est-il pas significatif qu'en face de l'Église d'aujourd'hui se dresse une autre construction faite celle-là de main d'homme seulement, appelée justement « la maçonnerie ». Ces maçons-là veulent refaire le monde sur l'homme ou sur la foule, non sur l'unique et véritable Dieu. Ils ne cessent, depuis trois siècles, d'ajouter pierre sur pierre à une tour de Babel qui défie les Cieux. En face de ce Goliath moderne, il n'y a que la petite pierre de David, mais nous savons qu'elle abattra le géant de l'orgueil hu­main. Nous en voyons l'assurance, avec une légitime fierté, au-dessus de la grande rose de notre cathédrale des Sacres qui représente l'ancêtre du Christ en face du colosse phi­listin. La victoire est certaine, et elle viendra, complète, définitive, lorsque l'infernale conjuration aura pénétré dans le temple de Dieu ; abomination de la désolation prédite par Daniel, et lorsque cessera le sacrifice... Mais de Daniel nous apprenons aussi quel a été le sort de la statue aperçue par Nabuchodonosor ; elle peut avoir « une tête d'or, la poitrine et les bras d'argent, le ventre et les cuisses d'airain, une partie des pieds est de fer mais l'autre d'argile, une pierre se détachera de la montagne, sans intervention humaine, et frappera la statue à ses pieds de fer et d'argile et la mettra en pièces » faisant s'écrouler toute la construction. « Mais la pierre deviendra une grande montagne et remplira toute la terre. » Elle la reliera définitivement à la Jérusalem d'En Haut. *Lapidem quem reprobaverunt aedificantes, hic factus est in caput anguli.* Telle est la merveille annoncée par le psaume pas­cal 117. De même que pour avoir rejeté le Christ, Jéru­salem a connu la ruine, de même en sera-t-il des nations laïcisées, plus coupables encore. *Dies irae, dies illa !* Alors viendra « le Jour que le Seigneur a fait ». 71:240 Alors sonnera l'instauration du temple où Dieu sera tout en tous, où ceux qui viendront de la grande tribu­lation seront rassemblés dans la gloire, formant vraiment le peuple définitivement élu. Dieu, alors, dit l'épître de la Dédicace, « essuiera toute larme de leurs yeux ; plus de mort, plus de lamentation funèbre, plus de clameur, plus de souffrance à l'avenir. Le monde antérieur aura disparu. Et celui qui était assis sur le trône dit : Voici que je renouvelle toutes choses ». *Ô Jérusalem, cité céleste,* *Bienheureuse vision de Paix* *Construite de pierres vivantes* *Tu montes jusque dans les cieux,* *Entourée comme une épousée* *D'une escorte de milliers d'anges.* *Dot magnifique de l'Épouse* *Nimbée de la gloire de Dieu,* *La grâce de l'Époux jaillit sur toi,* *Ô toi la plus belle des reines* *Unie au Christ notre Prince* *Resplendissante cité du Ciel.* *Flamboyante de pierres précieuses,* *Tes portes sont largement ouvertes,* *C'est par elles que pénètre le mortel* *Qui a suivi la route du bien,* *Qui, porté par l'amour du Christ* *A su endurer toutes les épreuves.* *Taillées par le ciseau divin* *Et frappées de coups répétés* *Par le marteau du Polisseur,* *Les pierres construisent l'édifice* *Et cimentées toutes ensemble* *S'élèvent jusqu'au faîte !* fr. Édouard Guillou m. b. 72:240 ### Le catéchisme du concile de Trente par Jean Crété LE CONCILE DE Trente avait ordonné la rédaction d'un catéchisme complet qui servirait de norme pour la prédication et l'enseignement du catéchisme aux fidèles. Commencée pendant le concile (1562-1563), la ré­daction de ce catéchisme fut poursuivie, après la clôture du concile, par plusieurs théologiens ; elle était achevée à l'avènement de saint Pie V qui l'approuva le 25 septem­bre 1566. Le catéchisme était rédigé en latin, mais saint Pie V ordonna de le publier également en français, en alle­mand et en polonais. Le catéchisme est divisé en quatre parties : explication du Symbole, des sacrements, des com­mandements et du Pater. Nous ne savons quel fut le sort de la première tra­duction française. Il y en eut d'autres par la suite. Au début du XX^e^ siècle, le texte français du catéchisme du concile de Trente était devenu introuvable. Le chanoine Marbeau, curé de Saint-Honoré d'Eylau à Paris, avait entrepris la publication d'une *Bibliothèque de la vraie et solide piété.* Le premier volume en était le *paroissial des fidèles,* missel, vespéral et rituel assez complet, comportant des commen­taires très intéressants et un abrégé de la doctrine chré­tienne. Il publia ensuite des cantiques et chants popu­laires et diverses œuvres de Bossuet, Bourdaloue et saint François de Sales. 73:240 En 1906, le chanoine Marbeau refusa l'évêché de Digne que lui offrait saint Pie X. Le catéchisme du concile de Trente venait de paraître, lorsque saint Pie X nomma impérativement le chanoine Marbeau évêque de Meaux, en remplacement de Mgr Emmanuel de Briey, décédé le 11 décembre 1909. Disciple et vicaire général du cardinal Pie, Mgr Emmanuel de Briey avait été sacré par lui le 9 mai 1880, juste huit jours avant la mort du cardinal. A ce grand évêque, digne du maître qui l'avait formé, saint Pie X voulut donner un successeur capable de continuer son œuvre. Nommé, le 3 février 1910, au siège de Meaux, Mgr Emmanuel Marbeau fut sacré le 3 mai suivant par le cardinal Amette. En septembre 1914, Mgr Marbeau resta à son poste dans les circonstances les plus tragiques et mérita par son courage et son dévouement le surnom glorieux d'*évêque de la Marne.* Il mourut le 31 mai 1921, âgé de 76 ans. Pour la traduction du catéchisme du concile de Trente, Mgr Marbeau s'en était remis à un prêtre, l'abbé Char­pentier, qui ne nous est pas connu autrement. Sa traduc­tion est claire, exacte, complète ; elle parut en 1909. Mgr Marbeau a éliminé du chapitre sur l'Eucharistie le conseil donné aux époux de garder la continence pendant plusieurs jours avant la communion, estimant avec raison que ce conseil (sur lequel les confesseurs prudents avaient tou­jours fait silence) se trouvait abrogé par les décrets de saint Pie X ouvrant à tous les fidèles l'accès à la com­munion quotidienne sans autre condition que l'état de grâce et l'intention droite et pieuse. A la seule exception de cette phrase, la traduction Marbeau-Charpentier repro­duit intégralement le texte latin. A la mort de Mgr Mar­beau, en 1921, l'édition était épuisée. Une réédition, pro­bablement décidée du vivant de l'évêque, fut publiée en 1923. Nous ne savons pas s'il y en eut d'autres dans les quarante ans qui suivirent. Ce qui est sûr, c'est que lorsque parurent les nouveaux catéchismes qui s'écartaient si gravement de l'enseignement de l'Église, le catéchisme du concile de Trente était depuis longtemps introuvable. Sa réédition était une nécessité urgente ; elle fut réalisée dans le numéro 126 d'ITINÉRAIRES, de septembre-octobre 1968, qui reproduisait l'édition de 1923. Les abonnés de l'époque l'eurent donc au titre de leur abonnement, et les non abonnés purent se le procurer à un prix très mo­dique. 74:240 Le numéro 136 d'ITINÉRAIRES étant épuisé, une nouvelle édition devenait nécessaire, et la réédition par DOMINIQUE MARTIN MORIN de la Vulgate accompagnée d'une traduction française classique appelait la réédition du catéchisme officiel de l'Église romaine ; car l'Église de­mande qu'on ne lise pas la Bible sans un commentaire autorisé ; et quel meilleur commentaire pourrait-on trou­ver que le catéchisme du concile de Trente ? Le dogme, la morale sont immuables ; les symboles ont fixé, depuis l'antiquité, les formules de la foi. Le *Pater,* la meilleure des prières, nous a été enseigné par Notre-Seigneur lui-même ; les sacrements ont été institués par lui et ils sont restés immuables dans leur essence, même si certains rites ont pu changer. Notons que le catéchisme du concile de Trente ne décrit en général que les rites latins des sacrements, et bien évidemment tels qu'ils existaient au XVI^e^ siècle. On serait fort mal avisé de s'au­toriser du catéchisme du concile de Trente ou de ce concile même pour contester les modifications apportées par saint Pie X ou Pie XII aux conditions de validité de certains sacrements, notamment du mariage et de l'ordre. Avant le concile de Trente, un mariage comme celui de Roméo et Juliette, mariage clandestin contracté devant un prêtre sans juridiction, était valide, quoique gravement illicite. Le concile de Trente a déclaré nuls les mariages clandes­tins, et les mariages qui ne seraient pas contractés devant le propre curé d'une des parties. Saint Pie X a considé­rablement modifié cette législation : depuis 1907, un curé peut, dans sa paroisse, bénir le mariage des étrangers aussi bien que de ses propres paroissiens. De même, Pie XII a défini que le seul rite essentiel du sacrement de l'ordre est l'imposition des mains ; des esprits obtus ont contesté cette constitution apostolique de Pie XII sous prétexte qu'elle n'est pas conforme au catéchisme du concile de Trente. Eh bien, le catéchisme du concile de Trente a raison, et Pie XII n'a pas tort. Le rite de la porrection du calice et de la patène, déclaré essentiel par les conciles de Florence et de Trente, était devenu tel de par l'institu­tion de l'Église aux alentours du X^e^ siècle. Mais ce que l'Église a institué, elle a le pouvoir de le modifier ou de l'abroger ; et, outre des raisons théologiques et historiques, Pie XII avait, pour réduire le rite essentiel de l'ordination à la seule imposition des mains, une raison pratique impérative : 75:240 c'est qu'en temps de persécution, et surtout dans une prison ou un camp de concentration, il est possible de faire l'imposition des mains, alors que la porrection du calice risque d'être impossible, faute de calice. Le cas s'était produit pendant la guerre de 1939-1945 ; il peut se reproduire. Afin de rendre plus faciles les ordinations clandestines, Pie XII est allé jusqu'à dire : « Nous prescrivons que l'imposition des mains soit phy­sique ; toutefois, pour lever tout doute sur la validité de l'ordination, nous la déclarons valide quand bien même l'imposition des mains ne serait que morale. » Ce qui ouvre la porte à une ordination à travers des barreaux, par exemple. La discipline peut varier, et de fait elle a varié. Pie XII a considérablement réduit les obligations de jeûne et d'abstinence, qui étaient mal observées depuis longtemps ; et il a modifié la loi du jeûne eucharistique, qui était observée mais qui était un obstacle à la communion fré­quente et quotidienne voulue par saint Pie X. Là encore, on serait fort mal avisé de contester, au nom d'une fidélité trop étroite au catéchisme du concile de Trente, les bonnes réformes effectuées par les deux grands papes du XX^e^ siècle, saint Pie X et Pie XII. La discipline n'est pas d'institution divine, encore qu'elle ait généralement un *fondement* dans les préceptes divins. Ainsi l'obligation de faire pénitence est de droit divin ; les *modalités* de cette obligation sont réglées par l'Église et peuvent donc varier suivant les temps. Le dogme et la morale sont immuables et il faut le rappeler fortement à une époque où beaucoup d'esprits sont acquis à l'idée de l'évolution des dogmes et de la morale de situation. La doctrine est toutefois susceptible, non d'une évolution qui en changerait le sens, mais d'un développement homogène, d'une explicitation. Depuis le catéchisme du concile de Trente, trois dogmes ont été so­lennellement promulgués : l'Immaculée-Conception de Marie (1854), l'infaillibilité du pape dans le cas des défi­nitions ex cathedra touchant la foi ou les mœurs (1870), l'Assomption de Marie (1950). Sur ce dernier point, il a fallu ajouter une note au catéchisme de saint Pie X. En dehors de ces définitions, la doctrine a été, sur certains points, explicitée depuis le XVI^e^ siècle. Ainsi, le catéchisme du concile de Trente parle de l'Église triomphante et de l'Église militante, mais non de l'Église souffrante, dont la notion ne s'est introduite que plus tard. 76:240 Les mœurs du XVI^e^ siècle expliquent certains jugements du catéchisme du concile de Trente ; si la rupture des fiançailles est pré­sentée comme un parjure, c'est sans doute qu'à l'époque elles étaient conclues sous la foi du serment, ce qui n'est plus le cas. La distinction entre le prêt à intérêts et l'usure ne s'est introduite qu'au XVIII^e^ siècle, à l'époque où la nécessité d'investir des capitaux importants, avec risque de les perdre en cas de faillite, a justifié un intérêt modéré. De nos jours, un intérêt modéré (celui de la caisse d'épar­gne) n'arrive même pas à compenser la dégradation régu­lière de la monnaie ; la morale n'a pas changé, ne peut changer ; ce sont des circonstances différentes qui ap­pellent une application différente de la morale immuable. La doctrine sociale de l'Église, élaborée au XIX^e^ siècle, n'est que l'application de la morale immuable à un état de choses nouveau. Au contraire, la « morale de situa­tion », très largement admise depuis cinquante ans, dans les milieux d'action catholique, malgré les protestations du magistère, a préparé les esprits à accepter les pires aberrations, telles que la contraception ou l'avortement, qu'on justifie par des « situations de détresse ». Le caté­chisme du concile de Trente est un antidote à ces aberrations. Les rédacteurs du catéchisme du concile de Trente se sont montrés remarquablement prudents à l'égard d'opi­nions considérées alors comme certaines par la plupart des théologiens, mais que les découvertes ou hypothèses scien­tifiques remettaient en question ; ils se gardent bien de dater la création du monde et les événements relatés par les premiers livres de la Bible ; alors que jusqu'au XIX^e^ siècle, la plupart des auteurs d'Histoires saintes commet­tront l'imprudence de dater la création du monde d'environ quatre mille ans avant Jésus-Christ, sans marquer suffi­samment la distinction entre cette hypothèse et la doctrine de foi : s'ils s'étaient inspirés du catéchisme du concile de Trente, ils ne seraient pas tombés dans cette confusion qui s'est avérée très fâcheuse à partir du XVIII^e^ siècle. De même, les rédacteurs du catéchisme du concile de Trente font silence sur les théories de Copernic et de Ptolémée, se gardant, avec grande sagesse, de compromettre la doc­trine dans des hypothèses scientifiques. Si tous les auteurs avaient observé la même discrétion dans les soixante-dix ans qui suivirent, on aurait évité la déplorable affaire Galilée. 77:240 Nous l'avons dit : le catéchisme du concile de Trente, destiné aux catholiques de rite latin, parle peu des rites orientaux ; il mentionne toutefois la formule orientale du baptême, qui est passive ; alors que la formule latine est active ! En revanche, il ne mentionne pas les formules grecques de la confirmation, de la pénitence et de l'ex­trême-onction, qui sont totalement différentes des formules latines. Il est clair que, pour ces sacrements, les deux formules sont valides en n'importe quelle langue et pour tous ; mais l'Église demande que le ministre utilise la formule de son propre rite. Ainsi, un latin qui baptise un enfant oriental utilise la formule latine ; un prêtre orien­tal qui donne l'extrême-onction à un latin emploie la formule orientale. Sauf indult, un prêtre célèbre toujours la messe dans son propre rite, même en présence d'une assistance d'un autre rite ; un prêtre oriental qui célèbre dans une église latine peut donner la communion soit avec des hosties consacrées à sa propre messe ([^25]), soit avec des hosties conservées dans le tabernacle. En ce qui concerne les fidèles, le code de droit canon de 1917 adoucit considérablement la discipline antérieure en principe, chacun doit communier dans son propre rite, mais on peut communier dans n'importe quel rite catho­lique pour simple raison de dévotion, c'est-à-dire pour ne pas manquer une communion qu'on désire faire ; on peut se confesser à un prêtre catholique oriental ayant les pouvoirs. En raison des détestables confusions introduites depuis le dernier concile, nous précisons qu'en Orient la com­munion est normalement donnée sous les deux espèces, si toutefois le prêtre célébrant est assisté d'un diacre ou d'un autre prêtre qui présente le calice aux fidèles ; et, dans ce cas, les fidèles communient debout car, s'ils s'age­nouillaient, le diacre serait obligé de pencher exagérément le calice au risque de répandre le Précieux Sang. Mais nous avons constaté nous-même à Saint-Julien-le-Pauvre, voilà trente ans, que les fidèles se présentaient à genoux lorsque le prêtre célébrant se trouvait seul et ne donnait donc la communion que sous la seule espèce du pain. 78:240 Le catéchisme du concile de Trente rappelle l'obligation pour les prêtres latins d'user de pain azyme et pour les prêtres orientaux d'user de pain fermenté : cette obligation est toujours en vigueur. De même, le catéchisme du concile de Trente rappelle avec beaucoup de force et justifie par plusieurs raisons l'obligation pour les fidèles de rite latin de ne communier que sous la seule espèce du pain. Le catéchisme du concile de Trente s'adresse aux curés et leur trace tout un plan de prédication. Ainsi que nous l'avons dit dans notre *Initiation à la messe* (page 22) ([^26]), de nos jours il est souvent impossible de faire venir les fidèles à l'église pour une instruction en dehors de la messe ; il faut donc profiter du sermon de la messe pour leur dispenser, en l'étalant sur des années, l'ensemble de la doctrine, telle qu'elle est exposée dans le catéchisme du concile de Trente. Nous prenons ici le mot doctrine en son sens le plus large : l'explication du symbole, du Pater, des commandements et des sacrements. Les fidèles adultes feront bien d'étudier eux-mêmes le catéchisme du concile de Trente sans le séparer du caté­chisme de saint Pie X, qui en est l'adaptation la plus autorisée. Il est bon, lorsqu'on étudie le catéchisme du concile de Trente, d'apprendre par cœur le chapitre cor­respondant du catéchisme de saint Pie X : les enfants apprendront le chapitre du petit catéchisme de saint Pie X, fait spécialement pour eux ; les jeunes gens et les adultes apprendront le chapitre du grand catéchisme de saint Pie X, qui est du niveau de ce qu'on appelait « caté­chisme de persévérance », à juste titre, car si l'on veut persévérer, tenir ferme dans la foi et la transmettre à ses enfants, on ne peut s'en tenir à ce qu'on a appris avant douze ans. Seul, le catéchisme du concile de Trente, com­plété par le catéchisme de saint Pie X, permettra aux adultes d'avoir le niveau de connaissances religieuses in­dispensables, surtout à notre époque de perversion de la foi ([^27]). Jean Crété. 79:240 ### Dom Romain Banquet *1840 -- 1929* On nous permettra, au seuil de cette « année saint Benoît », d'évoquer le souvenir d'une grande figure monastique : Dom Romain Banquet, moi­ne bénédictin, abbé de la Congrégation Cassinaise de la primitive observance, fondateur des monastères Saint-Benoît d'En Calcat et Sainte-Scholastique de Dourgne. Dom Romain a œuvré à la même époque et dans le même sens que Dom Paul Delatte à Solesmes. Tous deux ont donné impulsion et vigueur à leur communauté dans un souci de vérité intégrale, dans un esprit d'harmonie, de prière et de paix où se reconnaît l'esprit bénédictin qui est l'esprit même de l'Église. 80:240 Ce qui caractérisa la vie et l'œuvre de Dom Romain fut un attrait profondément marqué pour la *vie intérieure.* Il est curieux de noter avec quelle insistance le fonda­teur d'En Calcat revient sur ce qui sera l'essentiel de sa doctrine en un temps qui n'était certes pas encore celui de *l'humanisme intégral* et dans un institut de vie contem­plative fervente. Mais Dom Romain avait des vues pro­phétiques sur les causes de la décadence monastique au cours des âges. C'est l'absence de la vie intérieure qui est la cause première de la décadence actuelle dans l'Église, dans les monastères, comme dans la société. Lorsque les vérités surnaturelles, lorsque les exigences de la Loi di­vine, lorsque les saintes traditions d'un ordre religieux ne sont plus saisies par l'intime du cœur, sous le rayonne­ment de la foi et dans un humble désir de fidélité et de sainteté, l'âme présomptueuse mêle des vues humaines subjectives au dépôt de la Révélation et aux traditions léguées par les anciens. On remplace peu à peu le contenu surnaturel des vérités de foi, par des notions abstraites et l'on s'étonne, un jour, de ne plus vivre que du parfum d'un vase vide. Ce n'est pas premièrement par manque de courage que l'on a cédé devant la vague de nouveautés, dans les ab­bayes, c'est par manque de vie intérieure. Jamais on n'eût fait accroire aux moines que ces nouveautés venaient de Dieu si leur vie intérieure les avait maintenus dans un contact vivant et surnaturel avec les vérités de foi. Jamais ils n'auraient abandonné le chant grégorien s'ils avaient perçu le rapport entre cet art de prier et la qualité de leur vie spirituelle. Il est bien regrettable que la doctrine de Dom Romain soit aujourd'hui si peu en honneur chez ses propres disciples : ils y trouveraient le remède aux er­reurs qui les menacent et dont la plus grave de toutes est le naturalisme. 81:240 On a parfois confondu l'Ordre bénédictin avec certains de ses aspects non essentiels que la suite des âges lui ont reconnus à juste titre : les services rendus à la société, le goût de l'étude, les œuvres de miséricorde : prédication et enseignement. Dom Romain fut inspiré de proposer à ses moines un retour à l'essence de leur vocation : vie inté­rieure et sainteté. Dans une retraite annuelle prêchée en 1911 aux mo­niales de Sainte-Scholastique de Dourgne, Dom Romain donne d'abord une définition de la vie intérieure : « C'est, leur explique-t-il, l'irradiation de la foi dans toutes les puissances qui nous servent à connaître Dieu, à nous connaître nous-même, à connaître les créatures. Ce n'est plus seulement la foi en général, la foi qui consiste à admettre les différents articles, fondement de notre salut, mais l'irradiation de la foi dans toutes les opérations de notre intelligence, et dans les puissances qui dépendent de l'intelligence. » Il reconnaît à la vie intérieure quatre caractères principaux : elle est surnaturelle, nécessaire, souveraine, indivisible. Cette vie intérieure, dont le recueillement est comme l'ascèse préparatoire, s'avère indispensable à l'épanouissement de la sainteté -- Dom Romain y revient sans cesse :  Notre vocation, c'est la sainteté. La sainteté acquise, réponse nécessaire à l'amour divin, c'est cela qui nous est demandé et que nous devons donner sans limites... Jésus nous attend dans le cénacle de la vie intérieure, qui est « Lui en nous et nous en Lui », nuit et jour en com­pagnie et dans la solitude, au milieu des occu­pations et dans le loisir, à travers les paroles, ou dans le bienheureux silence. S'il reste avec nous et si nous restons avec lui, cela suffit. L'amour est présent. Il règne et il donne sa vie, cette vie est de Dieu et remonte sans cesse à Dieu. Elle reste et se communique. 82:240 Nos monastères doivent être des maisons de sainteté. Jésus veut la sainteté pour les deux familles. Il ne les bénira qu'en proportion de leurs efforts vers ce but. Notre devise est : « Qu'ils soient saints ou qu'ils ne soient pas. » Concrètement, à quelle source le moine devra-t-il ali­menter sa réserve de vie intérieure ? Au Cœur de Jésus. Que le Cœur de Jésus nous donne à chacun le don le plus précieux qu'il soit en son pouvoir de donner, le don de l'amour véritable. Com­prendre ce que c'est que l'amour, nous disposer à aimer. Qu'il nous donne de concentrer dans cet amour pour lui toute notre vie spirituelle. La vie spirituelle est tirée de l'amour que Notre-Seigneur nous porte et de l'amour qu'il attend de nous. Quelle belle vocation et quel moyen Dieu nous donne d'y correspondre par la Règle de saint Benoît et par toute l'ordonnance de notre état monastique. \*\*\* En la nuit de Noël 1926, trois ans avant de mourir, le vieil abbé octogénaire, retiré chez les moniales de Sainte-Scholastique, épancha librement devant elles les secrets de sa vie intérieure. Le texte de cette méditation conservé par des mains pieuses, a gardé toute sa fraîcheur : « Deliciae meae esse cum filiis hominum » (Prov. VIII. 31). Vous entendez bien : « Mes délices sont d'être avec les enfants des hommes. » Celui qui a réalisé cette parole pouvait seul l'expliquer avec vérité, et c'est une vérité de foi. Elle nous révèle les sentiments les plus profonds du cœur adorable de Jésus. « Ses délices » ne sont plus d'être au ciel ; le ciel ne lui suffit pas : 83:240 « Ses délices sont d'être avec les enfants des hom­mes. » Or, nous sommes, nous, les enfants des hommes, nous faisons partie de cette famille qui remonte jusqu'à Adam et Ève. Notre-Seigneur visait donc chacun, chacune de nous. Il n'émettait pas une proposition simplement gé­nérale ; mais une proposition qui, rigoureuse­ment, doit s'appliquer à chacun des membres de la famille humaine ; et une âme qui réflé­chit, qui connaît la valeur des mots, doit se dire : « C'est *moi* qui suis visé par ces paroles de Notre-Seigneur. » Oui, c'est vous, qui que vous soyez, quelle que vous soyez. Il fait « ses délices » d'être avec vous. Je conçois, sans que vous ayez besoin de par­ler, l'étonnement de votre cœur en présence de divins prodiges, dépassant infiniment la portée de notre pauvre raison ! L'âme humaine, si elle suit l'inclination de la raison, ne comprend pas ; elle peut même aller jusqu'à se scandaliser. Ce­pendant, vous êtes enfants de Dieu, et à deux titres. Le premier, c'est votre naissance, nais­sance que vous devez au Seigneur, car vous n'existeriez pas s'il ne l'avait point voulu. Vous lui appartenez encore, à titre infiniment plus élevé, par le baptême et ensuite par la vocation. Notre-Seigneur aurait pu vous laisser ; il vous a appelées, il vous a attirées. N'allez pas vous exclure de cette proposition, mes enfants : voyez au contraire qu'il s'agit bien de vous en parti­culier ; encore une fois, qui que vous soyez, cette parole vous concerne. Et la réciproque : où sont vos délices ? Elles ne peuvent être qu'en Jésus. Il se tient à votre disposition ; il n'entend pas que le service que vous lui rendez soit un esclavage, il n'entend pas non plus que vous le serviez comme des mercenaires. Il veut être servi avec amour. Il veut ce don de votre cœur. 84:240 Voilà, mes enfants, un simple souvenir de la fête de Noël de cette année 1926. Écrivez la pro­position que vous venez d'entendre, en carac­tères d'or, au plus intime de votre âme. Dites-vous : c'est le programme de Jésus dans sa conduite envers moi : « Deliciae meae esse cum filiis hominum*. *» Il m'a fait ses avances, il m'a fourni les moyens nécessaires. Obéissance et amour se confondent. Quelle preuve d'amour m'a-t-il accordée ? « Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis*. *» Il a sacrifié sa volonté, il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la Croix. C'est à ce prix qu'il prend ses délices dans nos âmes. Prenons garde, la vie ne nous est donnée que pour des choses très solennelles et très saintes, la vie ne nous est donnée que pour avancer sans cesse du côté de Dieu. Nous le ferons, si nous comprenons les paroles aux­quelles nous venons de nous arrêter un instant. Les délices de Jésus sont d'être avec nous, mes délices désormais seront d'être avec Jésus. Je n'avais pas compris jusqu'à ce jour ; il me fait la grâce de comprendre maintenant. Eh bien, en conséquence, *rien* ne sera plus *rien* en dehors de Lui ! Je veux lui rendre la réciproque : Ses délices sont d'être avec moi ; je ferai mes délices d'être avec Lui. A de tels accents, si profonds, si simples, si directs, des légions d'âmes ont reconnu leur maître spirituel et se sont mises en toute. Qu'est-ce qui nous empêche de marcher sur leur trace ? Benedictus. 85:240 ## TEXTE ### Parents et enfants par Henri Charlier Ce texte d'Henri Charlier n'est pas un traité en forme. C'est une simple lettre ; et qui date de 1964, c'est-à-dire avant même la fin du concile. HÉLAS NON, ce n'est pas anormal du tout en notre temps que cette incompréhension des enfants vis-à-vis de leurs parents. Les enfants les mieux élevés chez eux trouvent au dehors un monde tellement perverti et si éloigné des principes de la vie chrétienne qu'ils sont tentés d'être « comme les autres ». Et c'est vrai même à l'intérieur des maisons d'éducation chrétienne. (Je connais) une religieuse enseignante dans un institut très vivant où les vrais principes sont aimés et pratiqués. Les internes sont convenables ; les religieuses ont bonne influence sur elles ; mais sur les externes l'influence est contrariée par les familles dont beaucoup sont fort mon­daines. Le rouge est interdit aux internes : celles des internes qui n'ont pas très bon esprit se croient brimées. Et ainsi du reste. 86:240 Un père de famille me disait récemment : « Mon der­nier fils qui a seize ans ! Impossible de nous entendre ! Il y a un fossé entre lui et moi. » Je lui répondis : « L'avez-vous élevé vous-même ? » On confie les enfants dès le début de leur adolescence à des « œuvres » qui ont leur raison d'être dans les milieux déchristianisés, mais qui détruisent les vraies familles chrétiennes. Les prêtres qui s'en occupent sont généralement trop jeunes. Il faut vingt ans au minimum de différence d'âge, c'est la loi de nature entre un père et son fils. Ces jeunes prêtres plus ou moins bien élevés sont portés à donner aux enfants l'orgueil de la vie qui est à leur âge la plus dangereuse des concupiscences. Songez à leurs chants : « Jeunesse, printemps de beauté », etc. Comment maintenir la confiance entre les enfants et les parents : il faut jouer avec eux dès l'enfance. Les enfants se confient plus facilement à ceux qu'ils voient entrer dans le jeu de leurs jeunes imaginations. Charades, déguise­ments, promenades en famille bien concertées, chants en commun, danses. J'ai dansé moi-même jusqu'à soixante ans avec les garçons d'un cercle d'études. Si la vie en famille ne présente pas ce qui est nécessaire à la jeunesse, la jeunesse ne s'y plaît pas. ... Aujourd'hui un vent de folie qui est entièrement diabolique souffle sur la chrétienté. Il ne vous échappe pas que les femmes et les filles ont à choisir entre *Ève* et *Marie* comme modèles. Et qu'en ce moment *Ève* est le modèle généralement suivi. Ne pourriez-vous profiter d'un moment de confiance et d'abandon pour expliquer à votre fille avec exemples à l'appui que *tout aboutit à des croix.* Peut-être a-t-elle eu une indigestion à la suite d'un goûter trop copieux ? 87:240 Des ennuis avec une camarade qu'elle aimait trop passionné­ment ? Je vous donne ces exemples puérils pour vous guider. Vous en trouverez beaucoup d'autres. Mais les actes les plus honorables et les plus légitimes aboutissent tous à la croix (le mariage, les enfants, le travail). Vous en savez sûrement quelque chose. La mort est au bout. La croix est fatale et nécessaire. Le moyen employé par Notre-Seigneur pour arriver à la résurrection est le mo­dèle et l'unique moyen. Or il était aussi un homme comme nous, il a aimé ses amis et même Judas. Il a pleuré sur Jérusalem. La soumission et l'amour de la volonté de Dieu sont donc le vrai ordre à suivre dans la vie. Les enfants qui veulent l'indépendance sont hors de la voie normale. Il faut les habituer à l'obéissance dès la petite enfance pour qu'ils sachent plus tard obéir aux circonstances, aux né­cessités... et aux lois divines. Mais il faut que les parents les y forment dans l'amour. Ce n'est donc pour vous, Madame, qu'une épreuve (une croix) très générale que les difficultés que vous avez avec votre fille aînée. Le père abbé d'un grand monastère me disait il y a quelques années qu'il avait dû prolonger le temps de postulat des candidats à la vie monastique parce que, dans les meilleures familles, les enfants ne savaient plus ce que c'était qu'obéir. Et il ajoutait, chose plus grave encore, que prêchant des retraites à des religieuses, il avait très souvent, en confession, entendu des révoltes contre le principe de l'obéissance religieuse ! Or la pratique de l'obéissance religieuse n'est pas autre chose que l'exercice utile pour se soumettre rapidement et complètement à la volonté divine. Surtout ne vous mettez pas en colère contre votre fille : soyez maîtresse de vous-même. Ne la vexez pas, et priez. La sainteté a toujours le dernier mot. Henri Charlier. 88:240 ## NOTES CRITIQUES ### Sont-ils francs-maçons ? *Motifs et sens d'une question* Nous avons remarqué que l'esprit de la soi-disant nouvelle droite est essentiellement maçonnique : il est anti-dogmatique, c'est-à-dire persuadé qu'il n'existe aucune vérité objective, aucune loi morale qui soient universelles, immuables et s'im­posant avec autorité à la conscience individuelle. L'esprit ma­çonnique, ou esprit de gauche, ou esprit moderne, est celui qui n'accepte « ni Dieu ni maître », à moins de les avoir choisis soi-même. La personne humaine y est constituée en souverain suprême. De telles convictions sont dans l'air du temps. La plupart de nos contemporains les ont reçues sans y prendre garde, à l'école, à la télévision, voire à l'église : ils ne peuvent y échapper sans un rigoureux et persévérant effort de réflexion critique. Il n'est donc pas scandaleux, il n'est pas incompréhensible que des hommes de la fin du XX^e^ siècle aient de telles pensées. Là où commence un inadmissible qui­proquo qui devient vite une imposture, c'est au moment où ces convictions anti-dogmatiques prétendent n'être pas de gauche. Chacun à sa place, s'il vous plaît, sous son propre drapeau et à visage découvert. La philosophie politique et morale de la « nouvelle droite » étant d'essence maçonnique, il était naturel de se demander si ses docteurs et organisateurs sont eux-mêmes francs-maçons. Il est vrai pourtant que les Bourgine, Pauwels, Hersant et Benoist ont combattu le pouvoir culturel de la gauche, qui monopolise aujourd'hui, notamment grâce à la puissance de l'argent, la totalité des grands moyens d'expression, de for­mation et d'information. 89:240 Mais l'ont-ils combattu pour le ren­verser, ou bien pour s'y tailler personnellement une place, être admis à y prendre part ? Leur comportement suscite cette question subsidiaire, il apporte même un commencement de réponse. #### La réponse d'Henry Coston La question posée était donc : -- Oui ou non, Bourgine, Pauwels, Hersant, Benoist sont-ils francs-maçons ? Une première réponse est donnée par Henry Coston, grand spécialiste des sociétés secrètes, connivences discrètes et liai­sons occultes, dans sa revue mensuelle *Lectures françaises,* numéro 272 de décembre 1979 : « A propos de la « Nouvelle Droite », la revue ITINÉRAIRES (n° 236) a posé cette question : « Oui ou non, Pauwels, Hersant, Alain de Benoist, Bour­gine sont-ils francs-maçons ? » Nous doutons que le directeur d'ITINÉRAIRES ait jamais une réponse des intéressés eux-mêmes. Mais ceux des lecteurs de M. Madiran qui possèdent le tome III du *Diction­naire de la politique française* seront renseignés. Aux pages 94 et 563, ils liront que MM. Bourgine et Pauwels sont effectivement des francs-maçons actifs. Mais ils ne trouveront pas, aux pages 61, 348 et 350, que MM. Hersant et A. de Benoist sont affiliés à la maçonnerie, car ils ne l'ont jamais été. Seul lien connu de G.R.E.C.E. avec la franc-maçonnerie (du rite écossais) : la conférence que fit (12 décembre 1972) au G.R.E.C.E. le futur grand chancelier de la Grande Loge de France, avec l'autorisation ex­presse du conseil fédéral de cette obédience (décision du 17 novembre 1972) et en présence d'un de ses hauts dignitaires tout spécialement délégué à cet effet. (Cf. *Bulletin intérieur de la G.L.D.F.,* n° 41, 3^e^ série, 4^e^ trimestre 1972, p. 24.) » Henry Coston nous renvoie avec raison à son *Dictionnai­re* ([^28])*.* Consultons-le ensemble. \*\*\* 90:240 RAYMOND BOURGINE est le directeur de l'hebdomadaire *Va­leurs actuelles* et du mensuel *Spectacle du monde.* Il a fait partie en 1964-1966 du « comité Tixier-Vignancour ». A cause de quoi plusieurs, même parmi nos lecteurs, le tiennent pour un authentique homme de droite. Ils se laissent tromper par des apparences soigneusement entretenues. Pourtant Bourgine fut parfois conduit à se démasquer au contact de certains révéla­teurs efficaces, tel Mgr Lefebvre. Voyez son article « La tra­gédie catholique » paru dans le numéro 2075 de *Valeurs actuelles* (6 au 12 septembre 1976). Tout l'article, d'une irré­cusable saveur maçonnique, est à retenir. Citons-en le sommet : « *Mgr Lefebvre cède, à son tour, à la tentation politique en dressant l'Église, par exemple, contre la révolution, contre le communisme. *» C'est seulement « le démon de la politique », c'est seulement « le piège de la politisation » qui, selon Bour­gine, peuvent amener l'Église à combattre le communisme et la révolution. Pourtant, sans entrer dans une théologie qui lui échappe, il aurait pu penser au moins à la légitime défense. Mais non. Il n'a rien compris au communisme ; ou bien il fait semblant. Il a parfaitement compris en revanche ce qu'exigeait de lui l'appartenance maçonnique. Le *Dictionnaire* de Coston mentionne cette « *appartenance à la franc-maçonnerie *» (tome III, p. 94, col. 2) sans autre précision, comme un fait notoire et non contesté. Il faudrait faire en sorte que cela soit mieux connu des lecteurs de *Valeurs actuelles* et de *Spectacle du monde.* \*\*\* 91:240 LOUIS PAUWELS : « *féru d'occultisme et franc-maçon actif *» nous dit simplement le *Dictionnaire* (tome III, p. 563, col. 1). Nous croyons en savoir un peu plus. Pauwels serait un franc-maçon partiellement marginal, à la Grande Loge Opéra, ayant été refusé à la G.L.N.F. Cette marginalité relative n'a probable­ment pas une importance exagérée. Nous sommes au temps de ce que nous avons nommé le « foisonnement du pluralisme maçonnique » : Pauwels en est. \*\*\* ROBERT HERSANT figure aux tomes I (pp. 534-535), II (pp. 304-305) et III (pp. 348-350) du *Dictionnaire.* Il n'y est pas étiqueté franc-maçon. Mais à soi seul cela ne prouve pas qu'il ne le soit point. Le *Dictionnaire* nous dit autre chose. Il nous rappelle que Robert Hersant fut élu député radical-mendésiste en 1956, réélu député radical en 1958 et en 1962 (etc.). Mais surtout il propose à notre curiosité -- à notre sagacité -- cette phrase mysté­rieuse et à peine croyable : « *Le groupe de presse Hersant eut pour commanditaire le financier judéo-roumain Haïm-David Jaller, dit Albert Igoin, naturalisé français, ancien conseiller du ministre communiste F. Billoux, qui* ([^29]) *contrôlait la* Société parisienne de banque, *et fut arrêté* (*puis relâché*) *par la D.S.T parce que homme d'affaires* (*et agent ?*) *du gouvernement sovié­tique en France. *» Voilà qui nous lancerait plutôt sur une autre piste, encore que l'une n'exclue pas l'autre. Il est dommage que le *Dictionnaire* ne contienne aucune notice sur Albert Igoin, en qui l'on subodore un intéressant personnage de la politique française. -- Nous avons recopié jusqu'à la ponctuation d'Henry Coston : il a un point d'interrogation bien superflu. Serait-il donc possible d'être « homme d'affaires » du gouver­nement soviétique sans être « agent », au sens le plus strict, de ce gouvernement ? Mais peut-être Robert Hersant pourrait-il nous procurer quelque lumière sur cette question. En tout cas, si le *Dictionnaire* est simplement muet sur une éventuelle appartenance de Robert Hersant à la franc-maçon­nerie, en revanche dans le numéro cité de *Lectures françaises* Henry Coston assure qu'il n'a *jamais été affilié.* Je suis tout disposé à en croire sur parole un auteur beaucoup plus compétent que moi en la matière. Je conserve pourtant quelques doutes. En voici le résumé. 92:240 Par une coïncidence qui n'était pas forcément une simple coïncidence, Robert Hersant a imposé au *Figaro* une attitude activement hostile à Mgr Lefebvre au moment précis où toutes les francs-maçonneries, en réponse au discours de Lille, pre­naient et recommandaient cette attitude. En outre, la remise au franc-maçon Pauwels de la direction non seulement du *Figaro-Magazine,* mais encore de tous les « services culturels » du *Figaro,* serait une grande naïveté, une grande sottise de la part d'un homme qui ne serait pas lui-même franc-maçon. Or Hersant ne passe ni pour sot ni pour naïf en affaires. Alors ? Il peut très bien, au demeurant, faire la politique (et l'action culturelle) des francs-maçons sans être lui-même formellement affilié à la franc-maçonnerie. Quoi qu'il en soit, nous espérons que notre question provoquera d'autres réponses, publiques ou privées, qui contribueront à la clarification de cet imbroglio. #### La grande fureur d'Alain de Benoist Alain de Benoist trépigne. Il écrit rageusement au directeur d'ITINÉRAIRES : Monsieur, Une malhonnêteté intellectuelle tout à fait classi­que consiste à poser « publiquement » une question à quelqu'un en se gardant bien de la lui transmettre. On a ensuite beau jeu d'arguer du silence de l'in­téressé... Je constate que vous avez choisi cette méthode pour me demander, dans la revue ITINÉ­RAIRES, que je ne reçois pas, « si je suis franc-maçon » (sic). C'est du moins ce que je suis en droit de présumer à la lecture, hasardeuse, de votre supplément « voltigeur » du 15 novembre dernier (pp. 4-5). Comme, toutefois, je n'ai pas pour habitude de me dérober aux questions, j'ai bien le plaisir de vous faire savoir, « publiquement », que : 1\. Je ne suis pas franc-maçon. 2\. Je n'ai jamais éprouvé de sympathie pour la maçonnerie. 3\. Votre question me paraît si extravagante et cocasse qu'elle révèle, à mon sens, chez son auteur, une constitution mentale fortement perturbée. 93:240 Je vous souhaite donc un prompt rétablissement, et vous prie de croire, Monsieur, en l'expression de mes sentiments distingués, *Alain de Benoist.* Que s'apaise donc l'anxiété d'Alain de Benoist. Nous n'avons pas argué de son silence, ni choisi contre lui aucune méthode assassine. Nous avons dit : -- *Sont-ils francs-maçons ?* Nous avons expliqué : -- *Il risque d'être difficile d'avoir une réponse certaine quant à leur appartenance formelle. Avec les catho­liques c'est différent. Un catholique répond toujours clairement* « *oui *» *à la question :* « *Êtes-vous catholique ? *» *Il ne considère jamais la question comme indiscrète ni la réponse comme facultative. La franc-maçonnerie étant au contraire une société assez... secrète, les francs-maçons ne paraissent pas se croire tenus de répondre à la question :* « *Êtes-vous franc-maçon ? *» *Il semble que l'éthique maçonnique les autorise à cacher et même éventuellement à démentir leur appartenance.* C'est pourquoi la question n'est posée que secondairement à Hersant, Bourgine, Pauwels et Benoist : -- *Êtes-vous* franc-maçon ? Elle est posée principalement à tous ceux qui, comme Henry Coston, pourraient et voudraient nous renseigner sur eux : -- *Sont-ils* francs-maçons ? \*\*\* Il n'est ni cocasse ni extravagant de supposer ou soup­çonner une appartenance maçonnique d'Alain de Benoist. Peut-être en effet n'a-t-il jamais été affilié. Mais sa philosophie, sa politique et sa polémique sont substantiellement maçonni­ques. En voici des exemples. 1° C'est Alain de Benoist qui a ressorti le vieil outrage, la vieille injure : *La droite française est la plus bête du monde : c'est vrai qu'elle l'était, c'est vrai qu'elle le demeure. La droite française est incontestablement la plus bête du monde* ([^30])*.* Cette formule de propagande et de guerre avait cours sous la IV^e^ République. Elle avait été forgée dans les loges maçonniques et mise en circulation par le socialiste franc-maçon Guy Mollet. 94:240 Alain de Benoist reprend à son compte ce cri de guerre avec une lourde insistance. Les francs-maçons reconnaissent et apprécient ce langage. Quand ils entendent ensuite Alain de Benoist protester qu'il n'est pas franc-maçon, ils se disent qu'eux-mêmes, en cas de besoin, pourraient prononcer sem­blable dénégation... 2° Par delà toutes les rhétoriques, *la réalité d'une attitude politique se caractérise par l'identification de l'adversaire principal.* Pour Alain de Benoist, il le dit en propres termes, l' « ad­versaire principal » n'est pas « le communisme », tiens tiens, ni « la subversion », ni même « la gauche » ([^31]). Cette formu­lation à peine nouvelle du *pas d'ennemi* (principal) *à gauche* insinue déjà que l'ennemi est à droite. Alain de Benoist en convient : « *La vieille droite, en France, a de tout temps été réactionnaire. L'esprit réactionnaire est peut-être la chose au monde que j'exècre le plus. *» ([^32]) Il nomme avec une affectation de mépris recouvrant un mensonge calculé « *la droite totalitaire, pétainiste et maurrassienne *», reprenant ainsi la calomnie maçonnique qui présente la droite maurrassienne et pétainiste comme totalitaire. -- Voilà donc en quoi est *nouvelle* sa « nou­velle droite » : c'est celle qui, discrètement ralliée au pas d'ennemi à gauche, désigne la droite comme adversaire prin­cipal. 3° L'adversaire principal, pour la franc-maçonnerie, est l'ancienne tradition chrétienne de la France, qu'il s'agit de recouvrir et remplacer par une nouvelle tradition révolution­naire. Comme cette entreprise dure maintenant depuis deux siècles, il existe désormais deux traditions françaises, encore qu'inégalement françaises et qu'inégalement traditions. Il y a la tradition que résument la fête patronale de la France, le 15 août, avec la procession du vœu de Louis XIII, et la fête nationale de Jeanne d'Arc : la France de l'ordre naturel et de la vocation chrétienne, « travail-famille-patrie ». Et il y a la tradition révolutionnaire du 14 juillet, des « grands ancêtres » de 1789, des « grands principes » de la déclaration des droits de l'homme, « liberté-égalité-fraternité ». Notre ancienne tra­dition nationale et chrétienne se trouve depuis trente-cinq ans recouverte, étouffée, marginalisée sous le raz-de-marée de la démocratie religieuse, libérale et marxiste, qui domine le monde entier ; notre vraie tradition est chassée de partout, même de la plupart des églises. Cette situation inspire à Alain de Benoist une danse du scalp. Il ne dit pas, comme Michel Déon, que Maurras a malheureusement été vaincu par sa faute, pour n'avoir pas compris qu'on n'a aucune chance de succès en France si l'on ne commence par se soumettre à l'invincible puissance juive ([^33]). 95:240 Il ne dit pas non plus qu'il aurait lui-même mieux combattu que Maurras et qu'il va sur le terrain en faire la démonstration. Il déteste cette droite, il se réjouit de la voir assassinée, il crache sur le cadavre, il déclare ne pas même pouvoir « supporter le voisinage, fût-il seulement sémantique » de cette « droite qui n'est pas seulement la plus bête, mais aussi la plus déculturée, la plus niaise », il précise l'objet de sa plus grande exécration : « Les défenseurs du sabre-goupillon, les admirateurs de Capétiens, les partisans de la foi-des-bons-vieux-jours, la *Joan of Arc's bigotry -- and the rest* » ([^34]). Il veut faire croire au public que cette droite traditionnelle est tout à fait morte, l'ayant bien mérité par son indigence intel­lectuelle. Maurras, Massis, Pourrat, les Charlier furent des incul­tes et des ânes, « niais » et « déculturés ». Depuis trente-cinq ans, jusqu'à l'apparition d'Alain de Benoist, toute l'intelligence, toute la culture, toute la pensée était à gauche. Et il est bien vrai que toute la pensée *qui compte* était uniquement à gauche, toute la pensée *qui compte* dans le chobiz intellectuel. Les quatre ou cinq États confédérés qui colonisent la France et gouvernent ses instruments de communication sociale ont rejeté la tradition française dans des catacombes qui ne sont plus physiques (elles l'étaient en 1944-1945 et la suite, au moment des massa­cres, des emprisonnements en masse, des « indignités nationa­les » et du record absolu du nombre des victimes dans une guerre civile en France), -- des catacombes sociologiques et mystiques. Pour supprimer tout à fait jusqu'au souvenir de cette tradition, il ne suffisait pas à la gauche d'écraser la droite traditionnelle : il fallait encore la *remplacer* aux yeux du public, et des jeunes générations, par une *fausse* droite, et ce fut au niveau du pouvoir politique la fausse droite libérale des avorteurs giscardiens ; c'est au niveau culturel la soi-disant nouvelle droite, anti-chrétienne, anti-traditionnelle, anti-natio­nale de Raymond Bourgine, de Louis Pauwels, de Robert Her­sant et d'Alain de Benoist. Ainsi il n'y aura plus en France de droite que d'inspiration maçonnique. La franc-maçonnerie, devenue maîtresse de toute la droite et de toute la gauche, assurera, à la place de l'Église, l'unité morale de la nation ; et de même celle de l'Europe fédérée ; et celle du monde dans la perspective d'un gouvernement mondial. 96:240 Alain de Benoist est-il l'instrument conscient de cette colo­nisation, je n'en sais rien. Mais s'il est aussi innocent qu'il le prétend et aussi intelligent qu'il le fait dire, il va bientôt comprendre quel rôle on lui fait jouer sur l'échiquier, il va rompre sans délai. Cependant, pour le bon renom de cette intelligence et de cette innocence, il commence à se faire tard. Jean Madiran. ### Bibliographie #### André Frossard *L'art de croire *(Grasset) *Sur le Credo, article par article, A. F. bâtit sa profession de foi en poèmes d'amour et d'espérance donne le ton généralement douloureux fait souvent penser aux psaumes. C'est le chant du désir, celui du* maranatha *de l'Apocalypse, qui s'épanche en méditations, en élévations, en prières, en gémissements retenus dans une forme très élaborée où l'élan mystique se dissimule sous une métaphysique volontaire. L'intelligence peut revêtir l'armure de l'ironie dans les chroniques journalistiques qui font écho aux misères quotidiennes de ce monde. Elle ne sait com­ment se fuir dans le soleil des vertus théologales. Dieu rencontré une fois redevient le Dieu caché qui ne se laisse plus entrevoir que par un Credo amoureux. Pour le lecteur il reste un très beau livre.* Louis Salleron. 97:240 #### Jacques Ploncard d'Assac *Le secret des francs-maçons *(Éditions de Chiré) *Première lecture* La première lecture de cet ouvrage est celle qui a été publiée par l'auteur lui-même ; nous l'avons reproduite dans notre numéro 237 de novembre 1979, page 160. *Seconde lecture* En 270 pages, l'auteur nous rappelle ou nous apprend l'essen­tiel de ce qu'il faut savoir de la franc-maçonnerie depuis 1717, année de la fondation à Londres de la Grande Loge d'Angleterre par le protestant français Désaguliers et le Révérend anglais Anderson. La partie historique de l'ouvrage est la plus intéressante. Elle rassemble des informations qu'on n'a pas toujours facilement sous la main. Le XX^e^ siècle et surtout les cinquante dernières années sont l'objet d'un survol un peu trop rapide. Louis Salleron. *Troisième lecture* J'ai déjà montré dans ITI­NÉRAIRES (n° 222, avril 1978, p. 215, n. 3) le triomphalis­me contemporain d'une sec­te largement maîtresse du terrain ; ses membres s'affi­chent, pavoisent, bref mon­trent à tous leur victoire en notre Hexagone résiduel et même dans le monde tout entier. 98:240 Il est donc plus que temps de s'occuper de la maçonnerie et j'ai le plai­sir de signaler le dernier ou­vrage de Ploncard d'Assac. Mais il faut tout d'abord citer le long article qui lui est an­térieur : « La franc-maçonne­rie aujourd'hui ou M. Giscard et ses francs-maçons » paru dans *Lecture et tradition* (Chiré en Montreuil, n° 75 de mars-avril 1979). Un maçon de ma connaissance a fait la fine bouche devant ce travail, déclarant même que Ploncard d'Assac aurait mieux fait de s'occuper un peu plus du gau­chisme impénitent de l'ancien grand maître Zeller... Il n'en reste pas moins que l'au­teur a su restituer l'atmos­phère d'un régime (le nôtre, hélas !) qui pactise naturel­lement avec les fils de Luci­fer pour essayer de survivre et imposer aux Français ses lois impies. Dans la même re­vue (n° 77 de juillet-août 1979), un autre article du mê­me auteur sur Que prépare la franc-maçonnerie ? est à lire car les listes d'audience du frère Zeller sont instructives : le gratin du « Tout-État » fraternise avec la secte. Dans *Le secret des francs-maçons,* Ploncard d'Assac rappelle à grands traits la naissance de la secte, pour autant qu'on puisse savoir ce qui s'est passé au début du XVIII^e^ siècle : la mécanique était déjà montée en 1717 et les maçons eux-mêmes ne sa­vent rien de certain sur les loges antérieures. Pour l'au­teur, à une époque difficile à définir, les loges de tailleurs de pierres auraient pu servir de structures d'accueil à des gens voulant cacher leurs se­crets... Il n'en reste pas moins que les maçons furent bien actifs et qu'ils pouvaient compter parmi eux, au bout de peu d'années, l'empereur élu des Romains, roi de Ger­manie François I^er^ (p. 17 : l'ex-duc de Lorraine n'était pas duc de Toscane, mais bien grand-duc de ce pays ; mari de la fameuse Marie-Thérèse roi de Hongrie, reine de Bohème, archiduchesse d'Autriche, il est père du très laïc Joseph II, de notre Ma­rie Antoinette et de Marie Caroline des Deux Siciles qui fut maçonne puis ennemie de Napoléon I^er^). L'Europe se couvrit de loges où une bon­ne partie de l'élite naturelle vint se détériorer l'esprit à travers des cérémonies initia­tiques qui peuvent paraître stupides mais qui sont tou­jours traumatisantes. Un hom­me, quel qu'il soit, n'a pas été créé et mis au monde pour dire des stupidités, faire n'importe quels gestes et pour répéter périodiquement cette contre-liturgie proprement in­fernale encore que bonasse dans certains de ses aspects (mais le cadavre d'enfant men­tionné par Ploncard d'Assac et d'autres symboles mortuai­res soulignent l'aspect propre­ment bas). Rien que cela mon­tre d'aveuglante façon quel est le fossé qui existe entre la sainte Église de Dieu et la ma­çonnerie, sauf, bien entendu pour quelques clercs plus ou moins bien placés... Nos mots, nos récits, nos prières, nos gestes, nos tra­jets, notre chemin dans la vie n'ont rien à voir avec ceux de la maçonnerie, car notre initiation ne débouche pas sur Lucifer et sur l'Orient éternel, mais bien dans la fournaise de la Sainte Trini­té, le feu de Dieu, le Saint Esprit qui éclairera seul la Jérusalem céleste, dont nos églises, même les plus hum­bles, sont l'image et la préfi­guration ! 99:240 Quels curieux chré­tiens, quels tristes catholiques que ceux qui peuvent aller se perdre dans les méandres des loges, dans un symbolis­me que l'on sait être obses­sionnel (certains maçons ne savent plus parler que de ma­çonnerie !) et véritable singe­rie de l'authentique symbo­lisme chrétien. La maçonne­rie, avec ses rites répétés, sa contre-liturgie, lessive les es­prits, perturbe les conscien­ces, fait dérailler les volontés et occupe progressivement le corps social comme un can­cer implacable. Les papes ont rapidement compris le danger mortel que représen­tait cette secte fondée sur le secret de rituels et de préoc­cupations indicibles, *et qui le sont toujours*, même si cer­tains rituels ont été publiés : car une chose est la calme lecture de ces textes et une autre est de les vivre dans l'ambiance d'une loge. De plus, les maçons eux-mêmes admettent qu'il y a plusieurs hiérarchies parmi eux et qu'il y a toujours des supérieurs pour les contrôler. On a sou­vent ricané des cérémonies sataniques inventées lors de la polémique du XIX^e^ siècle (« le diable dans les loges ! »), mais il n'en reste pas moins que le grand maître du Grand Orient de France s'est avoué fils de Lucifer en un discours fameux, filiation qui ne vien­drait pas à l'esprit d'un ca­tholique authentique ! Je ne pense pas que l'on connaisse par ailleurs de francs-maçons qui soient véritablement de bons catholiques pratiquants ! Certes, tout peut se voir, ne serait-ce que pour donner le change, mais tout maçon d'in­térêt pour la secte est mis dans d'autres organisations se­crètes, plus initiatiques enco­re ; là les gourous s'empressent d'orientaliser les activités men­tales des adeptes... Réincarna­tion, métempsycose et autres fariboles sont des études de mise ; le dédoublement du corps est recherché si l'on en croit de bons auteurs (par ex. Jean-Gaston Bardet, *Mys­tique et magies,* Paris, La pensée universelle, 1974) et c'est là l'ultime et véritable secret maçonnique, car l'hom­me jouissant de telles pro­priétés se pense un dieu ! On est loin de la loge de base du G.O.F., mais l'initia­tion poussée au paroxysme ne peut mener qu'à des folies anti-naturelles et contre tout ce qu'enseigne notre sainte mère l'Église, l'épouse du Christ. Bien entendu, les 32^e^ ou 33^e^ degrés du G.O.F. n'ont nulle certitude d'en ar­river à ces états avancés, qu'ils ne désirent peut-être même pas, mais tout maçon ayant des dispositions doit être expédié vers des occupa­tions proprement anti-chré­tiennes, vers le « royal se­cret » ! La maçonnerie bâtit un monde qui n'est pas le nôtre et dans lequel nous res­pirons de plus en plus difficilement. Qu'elle soit bien vue par le Pouvoir, rien d'é­tonnant à cela, puisqu'ils ré­cusent tous deux Notre-Seigneur Jésus-Christ, même si le chef de l'État s'avoue en fin de compte catholique, mais c'est un catholique (volon­tairement ?) ignorant du b, a, ba de la doctrine de l'Église... Qui la connaît de nos jours cette doctrine, et qui la pra­tique dans les hautes sphères de l'État et du concert des nations ? 100:240 Il est manifeste qu'on y voit plutôt la lente application d'un programme venu dont on ne sait où, en harmonie avec des idées en l'air et préparé des années avant dans les loges, ce qui repose le problème des supé­rieurs inconnus, des groupes internationaux plus ou moins discrets (à ce sujet, voir l'ou­vrage écrit par l'agent secret dominicain Luis M. Gonzales-Mata, *Les vrais maîtres du monde,* Grasset, 1979, qui ap­porte d'utiles renseignements nouveaux sur Bilderberg et Trilatérale) et même du gou­vernement mondial (cf. tra­vaux de Pierre Virion, de Jacques Bordiot, etc. ; on ne peut négliger *Gouvernements invisibles et sociétés secrè­tes* du maçon Serge Hutin, paru en 1971 dans J'ai lu, A 269). Ploncard d'Assac nous mon­tre encore les manœuvres de certains prélats pour dédoua­ner la maçonnerie, contre tout bon sens et les encycli­ques pontificales les plus for­melles. Nous verrons bien dans les mois qui viendront ce que les médias diront de Jean-Paul II et comment il agira contre la maçonnerie. Nul doute que la secte si puis­sante au Vatican ne lui cause pas mal de tracas. Prions pour notre pape... ([^35]) A côté de qualités histori­ques, l'ouvrage de Ploncard d'Assac souffre de quelques petites erreurs, dont certaines sont en provenance du *Louis XV* de Paul del Perugia (cf. ITINÉRAIRES, n° 222, d'avril 1978). P. 37 : lire Louis de Pardaillan de Gondrin ; ibi­dem : ne s'agit-il pas de la duchesse de Bouillon ? (Ber­villon est inconnu.) P. 38 : il ne s'agit pas du *président Maupéou,* mais bien du *chan­celier de Maupéou,* dernier chancelier de France de l'Ancien régime ; Philippe Éga­lité sans tiret. P. 45 : le 2^e^ duc d'Antin, grand maître maçon, n'était pas bâtard ; son père le marquis de Gon­drin de même (c'est sa veuve, la marquise qui se remaria avec le comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et de la marquise de Montes­pan) ; grand-père du grand maître, le 1^er^ duc d'Antin était fils légitime du marquis et de la marquise de Montes­pan. Le prince de Conti ne fut pas maçon ce me semble. P. 56, le *prince* de Saxe est le *duc* de Saxe, électeur du Saint Empire. P. 60, les empereurs élus des Romains, rois de Germanie (vulgairement em­pereurs *d'Allemagne* pour des Français) sont *d'Autriche* tous les deux et ce sont deux fils du maçon François I^er^. 101:240 En 1792 la reine de Portugal était *Marie* 1^e^ Françoise Élisabeth, mais on ne parlait que de Marie. P. 65 : il faut lire le duc de la Rochefoucauld d'An­ville ou d'Enville (mais je ne vois pas de duc de ce nom peu avant 1789 ; il doit s'agir d'un la R., fils d'un duc à brevet d'A. ou d'E. -- d'où nommé la R. d'A. ou d'E. ? -- devenu duc de la Roche­foucauld par sa mère ; il fut membre de l'Académie des sciences, député aux états gé­néraux et massacré en 1792). Il est manifeste qu'une bonne partie de la noblesse de cour fut maçonne, même la prin­cesse de Lamballe, chef du conseil et *surintendante* de la maison de la Reine... et non *surveillante !* Toutes ces er­reurs semblent venir des li­vres consultés par Ploncard d'Assac. P. 92 : *orum pota­blile ?* P. 103 : il ne s'agit pas de Beyle, mais de l'ex­traordinaire et néfaste Pierre Bayle (1647-1706), auteur du *Dictionnaire historique et cri­tique* (1697), véritable pou­drière destinée à tout faire sauter. Dommage que le livre n'ait pas été mieux épluché, ce qui se voit encore dans de nombreuses singularités typo­graphiques, qui n'enlèvent évi­demment rien à l'intérêt de cette mise au point écrite par un spécialiste de notre monde politique. Hervé Pinoteau. 102:240 ## DOCUMENTS ### Collaboration des évêques au génocide cambodgien *Le noyautage communiste des institutions épiscopales françaises s'est développé, surtout depuis une dizaine d'années, sans être contre­carré. Il est maintenant poussé très. loin et fortement établi. C'est ouver­tement que le chef des informations religieuses du journal* « *La Croix *» *se vante d'être un* « *compagnon de route des communistes *»*. C'est ou­vertement que des organisations épiscopales recrutent des hommes et collectent des dons au profit des activités communistes. Voici l'énor­me imposture du* COMITÉ CATHOLIQUE CONTRE LA FAIM ET POUR LE DÉVELOP­PEMENT, *l'abominable CCFD, qui par un abus de confiance systématique détourne l'argent des catholiques et fonctionne en fait comme une cour­roie de transmission du parti com­muniste.* 103:240 L'ÉDITORIAL de notre dernier numéro, janvier 1980, dénonçait sur un plan politique et général le *secours militaire* apporté par l'Occident aux bourreaux du peuple cambodgien. Nous écrivions : « La sinistre trou­vaille, dans le cas du Cambodge, c'est d'avoir décidé l'O.N.U., la Croix-Rouge, l'U.N.I.C.E.F., Giscard et tout le bataclan à assurer eux-mêmes sur notre dos l'intendance d'une armée d'occupation soviétique... sous le prétexte of­ficiel qu'il faut exclure le *politique* de *l'humanitaire !* (*...*) Nos gouvernements ont pris très à cœur tout ce qui peut servir, dans nos richesses, l'effort de guerre de Moscou. Ils mobilisent l'opinion publique, la Marine marchande, les pilotes et les avions de l'armée de l'Air. Ils organisent pour le maintien d'un génocide militaire un secours directement militaire. Ils portent d'urgence le blé et le riz aux deux cent mille barbares en uniforme qui affament les derniers survivants du peuple cambodgien. » C'était justice, de mentionner Giscard et les organi­sations humanitaires internationales comme principaux responsables de cette mobilisation criminelle au service du bourreau. Mais l'accusation reste insuffisante, elle est encore beaucoup trop générale, pour le catholique français qui croirait échapper au satanisme des puissances poli­tiques... en suivant les recommandations de l'épiscopat. -- Un homme qui n'est « ni notre complice ni notre allié », parce qu'il « joue le jeu montinien de l'évolution conci­liaire » ([^36]), Pierre Debray, s'inquiète à juste titre de cet aspect de la question. Or voici que sans employer le mot, cet homme nous met en garde aujourd'hui contre les recom­mandations PRO-SOVIÉTIQUES de l'épiscopat français ; 104:240 voici qu'il nous demande d'ajouter les évêques de France à la liste des personnalités, objectivement criminelles, qui colla­borent de leur autorité au génocide du peuple cambodgien. -- C'est dans le *Courrier Hebdomadaire de Pierre Debray,* numéro 587 du 20 décembre 1979, à la page 2 : Un organisme « patronné » par la conférence épiscopale française rassemble des fonds pour organiser la guerre civile en Amérique latine et surtout pour fournir à l'armée vietnamienne, qui occupe le Cambodge, le ravitaillement en vivres dont elle a besoin pour achever le génocide commencé par ses anciens alliés, les Khmers rouges. Cet organisme s'intitule COMITÉ CATHOLIQUE CONTRE LA FAIM ET POUR LE DÉVELOPPEMENT. Il est en effet patron­né, sans guillemets ni réserve, par l'épiscopat. Et il publie régulièrement des rapports et des comptes, qui ne laissent subsister aucun doute quant à la destination communiste des fonds recueillis sous cette haute recommandation. Pierre Debray s'en indigne dans une longue lettre ou­verte au cardinal Etchegaray, dont les pages essentielles sont reproduites ci-dessous. Nous laissons à l'auteur ses illusions sur la bonne foi fondamentale des évêques, l'igno­rance des crimes commis en leur nom, et leur aptitude à corriger le mal aussitôt qu'ils en sont prévenus... C'est pour l'information des chrétiens, et pour l'histoire, que Pierre Debray s'époumone à leur demander justice dans les paroisses de l'Église de France. H. K. Extraits de la lettre de Pierre DEBRAY au cardinal Etchegaray parue dans le *Courrier Hebdo­madaire de Pierre Debray*, nu­méro 587 du 20 décembre 1979 : Nous sommes contraints de nous poser des questions quand nous découvrons la manière dont les fonds recueillis par le « *Comité Catholique contre la faim et pour le développement *» (CCFD) sont répartis. 105:240 Ce comité se réclame du patronage de l'Assemblée Épiscopale Française, dont vous êtes le Président. Ce qui engage, vous en conviendrez, votre responsabilité person­nelle. Voici le détail de quelques « projets » -- il y en a de 350 à 400 par an -- présentés par les fiches du CCFD, que je vous livre avec toutes les références. -------------------------------- ---------------------------------------------------------------------- 000009577 Mondial 700 000 F  Bourses promotions syndicale, politique : p. 45 0000010477 Mondial 100 000 F  Cours formation de militants engagés : p. 48 0000012277 Mondial 25 000 F  Bourses rencontre de l'AECC : p. 56 0000012977 Mondial 10000 F  Dialogue sensibilisation CFDT : p. 60 200005477 Amér. Lat. 45 000 F  Formation syndicale et politique : p. 139 200006977 Amér. Lat. 20 000 F  Formation dirigeants ouvriers UTAL : p. 143 211001477 Bolivie 50 000 F  Formation cadres syndicaux : p. 158 212004177 Brésil 150 000 F  Éducation ouvrière : p. 163 22400877 Haïti 50 000 F  Formation cadres militants en exil : p. 192 500000777 Europe 45 000 F  Sensibilisation opinion publique pour la Guinée Éq. : p. 230 5190024877 France 20 000 F  Recherche efficacité syndicale : p. 238 53400677 Portugal 25 000 F  Centre information et doc. anti-colonial : p. 244 100009378 Afrique 60 000 F  Colloque resp. synd. France, Afr., P. Arabe : p. 101 109001378 Algérie 10 000 F  Sensibilisation luttes de libération : p. 108 109002978 Algérie 60 000 F  Recyclage initiation planification : p. 109 11000478 Angola 30 000 F  Formation 100 responsables pour luttes de libération : p. 108 12300278 Guinée éq. 40 000 F  Inf et conscientisation en Europe : p. 138 16000578 Sahara 10 000 F  Soutien amis REP. Arabe Sahraouie : p. 191 200005478 Amér. Lat. 20 000 F  Form. SYND. et Pol. de 5 responsables : p. 193 209002478 Argentine 6 000 F  ½ bourse pour réfugiée politique : p. 205 213003178 Chili 45000 F  Édition Fr. bulletin lutte contre dictature : p. 228 213004378 Chili 15 000 F  Formation de 40 cadres syndicaux : p. 232 213004578 Chili 7 500 F  Brochures, affiches, manif. en France : p. 233 21318278 Chili 85 000 F  Formation syndicalistes ruraux : p. 238 234003078 Pérou 25 000 F  Liaison avec les courants pol. pour la libération du peuple : p. 260 300005178 Asie 20 000 F  Information en Europe : p. 214 34000178 Viet-Nam 1 000 000 F  Wagons de voyageurs : p. 32 -------------------------------- ---------------------------------------------------------------------- 106:240 Il ne s'agit là que d'échantillons mais fort intéressants. Ainsi nos dons passent à former des cadres syndicaux, à subvention­ner des colloques, à organiser des révolutions, à soutenir une rébellion contre le Maroc, toutes activités qui n'ont rien à voir de près ou de loin avec la lutte contre la faim et pour le dé­veloppement. Vous remarquerez, Monsieur le Cardinal, que dix mille francs, un million de centimes, servent à la « *sensibilisa­tion *» du peuple algérien, aux « *luttes de libération *». Tout le inonde sait que la presse de ce pays ne cesse de multiplier les appels à la révolte, en particulier contre le président Sadate, coupable du crime de paix. A quoi donc pourra bien être utilisé ce million de centimes ? A offrir à quelques dirigeants un bon repas ? Vous constaterez également, Monsieur le Cardinal, que trente mille francs sont offerts à l'Angola pour former « cent responsables » de luttes de libération. Or, les responsables an­golais imposent, grâce aux mercenaires cubains, une impitoya­ble dictature, de type marxiste, à leur peuple dont une partie continue de résister, aux prix de terribles souffrances. Cet argent est manifestement destiné à chasser les dirigeants chré­tiens (noirs) de la Rhodésie qui s'efforcent de sauver leur pays d'une dictature marxiste. Est-ce l'objectif du Comité Catholique contre la faim et pour le développement ? Il faut que nous le sachions. Je conçois parfaitement que des communistes considèrent que le seul moyen de lutter contre la faim et pour le développe­ment consiste à installer des régimes marxistes, ou, en tout cas, inféodés à Moscou. Peut-être leur objecterais-je que l'Union Soviétique, qui installe à ses frontières une quantité impres­sionnante de missiles atomiques, connaît un déficit de 47 millions de tonnes de blé et que sans l'aide des États-Unis, elle se trouverait réduite sinon à la famine, du moins à la pénurie. Ce qui semble d'autant plus surprenant qu'avant 1914 l'Ukraine était l'un des greniers de l'Europe. Quoi qu'il en soit, si les dirigeants du « *Comité Catholique contre la faim et pour le développement *» raisonnent de la même manière que les com­munistes, j'ai quelque raison d'en conclure qu'ils sont devenus, pour employer le jargon du « parti », ses « alliés objectifs ». Vous remarquerez, Monsieur le Cardinal, qu'ils combattent toutes les dictatures d'Amérique latine, *sauf une*, Cuba. Il existe cependant à Cuba des camps de concentration. Des chrétiens y pourrissent. L'on ne voit pas que les résultats économiques obtenus par Fidel Castro soient particulièrement brillants. Pourquoi combattre les internements arbitraires et les tortures quand il s'agit du Chili et entretenir un pieux silence sur les violations des droits de l'homme commises à Cuba ? Faut-il pen­ser qu'un tortionnaire, s'il est marxiste, devient un « héros du peuple » ? 107:240 J'ai sous les yeux une bande dessinée, destinée aux enfants, qu'édite « *CCFD-Info *» 47 quai des Grands Augustins -- 75006 Paris. Avec l'argent des donateurs, bien sûr. Je vous en adresse la photocopie. Cela s'intitule « *l'espoir de vivre *». La bande dessinée met en scène trois enfants : un petit Français qui n'a « *rien compris *», Pedro du Nicaragua et Vanna du Cambodge. Passons sur le discours de Pedro. Nul ne conteste que Samoza était un dictateur abominable, qui exploitait un pays qu'il tenait pour sa propriété privée. Le personnage, par son sadisme et son avidité ne saurait être défendu. Je me demande seulement si les malheureux habitants du Nicaragua n'ont pas échangé un cheval borgne pour un aveugle. Le régime castriste qui a remplacé la dictature de Samoza se montre, pour l'instant, prudent. Il faut craindre qu'il n'évolue vers une dictature plus cruelle encore, une oppression mieux organisée que celle de Samoza, mais il est toujours permis de rêver. Peut-être existera-t-il un jour un État marxiste respectueux des droits de l'homme. Cela ne s'est jamais vu, jusqu'à présent. Le discours prêté à Vanna, la Cambodgienne relève, lui, de l'imposture la plus abjecte -- je pèse mes mots --. Il ne peut s'expliquer par la naïveté ou l'absence d'information, comme celui de Pedro. Quel tableau idyllique : « *on recommence à jouer, à rire. Il n'y a plus d'hôpital mais on s'organise. On a de la peine mais on croit qu'on peut y arriver. Reconstruire le pays c'est long niais on veut laisser personne de côté. *» Voici, Monsieur le Cardinal, à quoi sert notre argent. A per­suader nos enfants de l'existence du paradis communiste. Et cela sous votre patronage. Sous celui de l'ensemble des évêques. J'ose espérer que vous serez, vous aussi, scandalisé qu'au moyen de slogans simplistes, dont vous ne pouvez que reconnaître qu'ils sont recopiés de « *l'Humanité *», une propagande insi­dieuse, exploitant la générosité des enfants, leur sens de la fraternité, fausse leur jugement. La vérité est toute différente. Le régime des Khmers rouges, pour affreux qu'il ait été, fut soutenu inconditionnellement par les communistes français et leurs alliés aussi longtemps qu'il n'eut pas commis le seul crime impardonnable : choisir Pékin contre Moscou. Il n'est que de relire la collection de « *l'Huma­nité *». Je vous le recommande, Monsieur le Cardinal. Vous constaterez que les pires atrocités de Pol Pot étaient minimisées, justifiées autant que faire se pouvait, excusées. Le Vietnam, allié de l'Union Soviétique, a envahi le Cambodge. Il a broyé les Khmers rouges sous un déluge de fer et de feu. Puis il a installé un « gouvernement fantoche » constitué d'anciens Khmers rouges, ralliés par opportunisme. Un peu comme si, en 1945, les alliés avaient remplacé Hitler par Himmler qui ne demandait que cela. Il existe entre Cambodgiens et Vietnamiens une haine héréditaire qui plonge ses racines dans un ancien passé. Les Khmers, quel que soit leur parti, rouges, blancs ou gris, se savent occupés. Vous n'ignorez pas ce qu'est une occu­pation, Monsieur le Cardinal. 108:240 Cela ne donne pas envie de rire. Même aux enfants. D'autant que nous ne pouvons ignorer, et bien sùr les Cambodgiens la connaissent mieux que nous, l'his­toire de ces deux peuples. Il existe, en Indochine, une sorte de Prusse, un pays peuplé d'hommes travailleurs, courageux, orgueilleux, le Tonkin. Pour une large part christianisé, il est tombé sous le joug communiste. Certains sont partis vers le Sud où ils ont héroïquement combattu. D'autres sont restés et ils ont été encadrés par le Vietminh. Celui-ci a compris qu'il disposait d'un remarquable instrument de conquête. Histori­quement les Tonkinois, qui vivent sur des terres pauvres, n'ont cessé de refouler les autres populations indochinoises et d'abord les Cambodgiens. Du troisième au dix-septième siècle, ils ont guerroyé contre le royaume Champa. Ils l'ont anéanti. La race des Chams a disparu. Puis ils se sont attaqués au Kampuchea-Krom (Cochinchine) peuplé de Cambodgiens. Il ne reste plus en Cochinchine un seul Cambodgien. Maintenant, il s'agit de liquider ce qui reste du Cambodge, en en chassant les popula­tions vers la Thaïlande... Demain qu'adviendra-t-il des Thaïlan­dais ? Telle est la vérité historique : l'exploitation par le com­munisme de l'irrédentisme des Vietnamiens du Nord. Comment toléreriez-vous, Monsieur le Cardinal, que de propos délibéré un organisme que vous patronnez dilapide les dons qu'il reçoit grâce à ce patronage pour mentir aux enfants ? Pas seulement aux enfants. J'ai publié dans le numéro 583 de mon « *Courrier Hebdomadaire *» le fac-similé d'un tract édité par le Comité Catholique contre la faim et pour le déve­loppement qui reprend la même thèse : « *en mai dernier les Vietnamiens ont libéré tout un peuple des sanguinaires Khmers rouges.* « *S'ils n'étaient pas venus nous serions tous morts *» *disent les Cambodgiens *». Quels Cambodgiens ? Les Kollabos décidément manquent d'imagination. La conclusion du tract invite donc les catholiques français à faire parvenir leur aide à l'actuel « gouvernement » cambodgien, à la botte de l'occupant vietnamien. Quel usage serait fait des vivres ainsi collectées ? La réponse est fournie par un économiste, rédacteur du « *Mon­de *» qui ne saurait passer pour un maniaque de l'anti-commu­nisme, M. Pierre Drouin (« *Le Monde *» du 12 décembre) : « *Nous connaissons aujourd'hui une autre sorte de disette que l'on pourrait dire politique et dont le Cambodge est l'exem­ple type. Après la perpétration froide et lucide d'un véritable génocide du fait des Khmers rouges, les survivants se rendent compte -- selon les témoignages les plus dignes de foi -- que le Vietnam se sert de l'alimentation comme d'une arme pour asseoir son pouvoir : cela va de la répartition au compte-gouttes de secours à l'interdiction de l'abattage du bétail et aux retards imposés aux moissons. Comme le disait le Dr Kouchner au retour de Phnom-Penh, où il avait apporté 1000 tonnes de vivres avec l'Ile de Lumière, la disette et le marché noir sont organisés par les Vietnamiens à leur profit, car l'aide internationale est actuellement incontrôlée. *» 109:240 Ne m'objectez pas, Monsieur le Cardinal, que le « *Comité Catholique contre la faim et pour le développement *» a envoyé au Cambodge une délégation conduite par le « docteur » Tardy (docteur en quoi ?). En fait, ces Messieurs permettaient, par leur présence, de cautionner une grossière manœuvre de propagande du parti communiste français, organisée par l'inter­médiaire du « *Secours Populaire *» qu'il contrôle. Je sais ce dont je parle, ayant été, dans ma jeunesse, la victime de ce genre d'opération. L'on ne rencontre que des bureaucrates, gens fort aimables qui vous font connaître la cuisine locale et vous conduisent dans quelques « villages » où ils vous montrent des « réalisations » d'ordinaire remarquables. Dans ces sortes de visites, l'on ne rencontre que des gens heureux, bien nourris, qui célèbrent avec enthousiasme le régime. Tout ceci relève du « cinéma ». Qu'à vingt-cinq ans, j'aie pu m'y laisser prendre, passe encore. A son âge, le « docteur » Tardy paraît sans excuse. Là encore, permettez-moi, Monsieur le Cardinal, une citation, celle du « *bulletin de l'étranger *», publié par « *Le Monde *» daté du 13 décembre : « *Pendant ce temps, manquant de nourriture et de médica­ments, la population Khmère continue de s'étioler. Si certaines organisations humanitaires, par sympathie pour le régime pro-vietnamien de M. Heng Samrin, ou tout simplement par souci d'efficacité -- craignant que toute critique ne durcisse l'attitude de Phnom-Penh et ne gêne encore plus la distribution de l'aide -- affirment que les choses ne vont pas si mal, d'autres infor­mations présentent du Cambodge actuel une image particulière­ment noire.* « *C'est dans ces conditions qu'il faut s'interroger sur ce que devient une aide internationale, certes insuffisante, mais qui, selon divers témoignages, est en partie stockée, voire parfois utilisée pour nourrir l'armée vietnamienne d'occupation. En dépit d'affirmations répétées en provenance de Phnom-Penh, il n'y a guère de contrôle sur la distribution de l'assistance en dehors de la capitale et de quelques rares zones. Qu'il s'agisse d'une volonté délibérée d'utiliser l'arme de la faim pour s'as­surer l'allégeance de l'a population hésitante ou d'une carence d'organisation, la conséquence est la même pour ceux qui meurent de faim.* « *Pourquoi donc, si la situation se normalise, comme le disent Hanoï, Phnom-Penh et leurs partisans, n'est-il pas possible de s'en rendre compte sur place ? Pourquoi, si l'aide est totalement et équitablement distribuée dans tout le pays, son contrôle est-il rendu si difficile ?* 110:240 *Pourquoi, si le nouveau régime a la situation aussi bien en main qu'il l'affirme, n'ouvre-t-il pas ses portes aux observateurs internationaux et interdit-il l'arrivée de l'aide par camions, sous prétexte qu'elle pourrait tomber entre les mains des* « *ennemis *» *? Pourquoi, enfin, si la population est unie derrière M. Heng Samrin et les Vietna­miens, parle-t-on à nouveau de résistance et s'en prend-on avec une violence accrue au prince Sihanouk, comme s'il représen­tait un danger ? *» « *Le Monde *» donne deux explications possibles à l'attitude d'organisations telles que le « *Comité Catholique contre la faim et pour le développement *» : leurs sympathies politiques ou un souci d'efficacité qui les porte à dissimuler la réalité afin de pouvoir faire passer, malgré tout, une certaine aide, tout en sachant que 90 % en seront détournés par le Vietnam. Dans le cas du « *Comité Catholique *», le souci d'efficacité ne joue pas. D'une part, il utilise une partie de l'argent qu'il récolte pour faire la propagande des communistes d'obédience soviéti­que, d'autre part, il ne se contente pas de garder le silence sur une situation que tous les observateurs impartiaux et d'abord les « *médecins sans frontière *» tiennent pour intolérable. Il prend ouvertement, délibérément partie pour les occupants vietnamiens qui, achevant l'œuvre des Khmers rouges, poursui­vent le génocide. A ce niveau, il ne peut plus être question de « souci d'efficacité » mais bel et bien de complicité d'assassi­nat d'un peuple (...). L'un de nos amis vient de recevoir une réponse de l'évêque de Vannes que nous ne saurions accepter. Le tract que j'évoquais tout à l'heure a été édité par la section morbihannaise du comité catholique contre la faim et pour le développement. Alors que le papier à lettre de l'évêque ne donne pour toute adresse qu'une boîte postale, sans doute parce que Monseigneur tient à sa tranquillité et ne souhaite pas qu'on le dérange, il se trouve que cette adresse, si jalousement dissimulée, figure sur le tract du comité catholique, en toutes lettres. Celui-ci est donc domi-cilié à l'évêché. Il convenait donc de demander au propriétaire des lieux ce qu'il en pensait. Il n'en pense rien. Il n'est pas informé. Il ne cherche même pas à l'être. Quoi de plus facile, cependant. Il n'avait même pas besoin de sortir de chez lui. De qui se moque-t-on ? Voici un évêque qui installe dans son évêché le comité catholique contre la faim et pour le développement. Ce qui permet à celui-ci d'en utiliser l'adresse pour gagner la confiance du clergé et des fidèles. Mettez-vous, Monsieur le Cardinal, à la place d'un recteur breton et de son petit peuple. Du moment que les dons parviennent à l'évêché, ils font confiance. Ils réunissent, au prix de durs sacrifices des sommes considérables. Comment pourraient-ils imaginer qu'elles serviront à 90 % au ravitaillement d'une armée d'occupation ? 111:240 Qu'elles sont détournées pour favoriser un génocide ? Imaginons qu'en 1942, l'Église des États-Unis ait quêté pour assurer la survie des juifs d'Europe et que l'argent ait été remis aux S.S. ? Nous serions aujourd'hui accablés de honte. Et pourtant que fait d'autre le *Comité Catholique contre la faim et pour le déve­loppement ?* Nous prévenons l'évêque. Que répond-il ? Qu'il ne veut rien savoir. Certes, il n'approuve ni directement ni indirectement. Mais directement ou indirectement son clergé et son laïcat sont persuadés qu'il approuve. Cette attitude, vous en conviendrez, Monsieur le Cardinal, ne rehausse pas le prestige de l'Épiscopat. Ce qui m'inquiète. Je constate que les chrétiens mettent de plus en plus l'institution en question. Ils travaillent, dans leur coin, sans trop se préoccuper de l'évêque, sinon pour le contester. Cette situation est malsaine. « *Là est l'évêque, là est l'Église *» nous enseigne saint Cyprien, mais où est l'Église quand l'évêque n'est nulle part ? C'est pourquoi, Monsieur le Cardinal, nous avons besoin d'une réponse claire afin que nous sachions là où est l'évêque, le lieu d'où il parle. Il n'y a que deux solutions : -- Ou vous considérez que seuls des régimes marxistes, d'obédience soviétique, peuvent lutter efficacement contre la faim et pour le développement. Vous donnez donc raison au comité catholique que vous patronnez (...). Nous saurons que nos dons sont destinés à promouvoir les régimes marxistes d'obédience soviétique. Nous les refuserons ou nous les accor­derons en toute connaissance de cause. -- Ou vous n'approuvez « *ni directement ni indirectement *» la manière dont le comité catholique contre la faim et pour le développement utilise l'argent qu'il reçoit et la conférence épiscopale lui retire son patronage. Il n'existe aucune échappatoire possible. Que le comité catholique s'intitule « *Comité catholique contre la faim et pour le développement de la révolution communiste, d'obédience soviétique *», je n'y vois pas le moindre inconvénient. Qu'il quête en dehors des églises et même qu'il fasse des dupes, nul ne peut l'empêcher. Mais s'il est patronné par la conférence épiscopale, que celle-ci assume la responsabilité des moyens et des fins. \[Fin des principaux passages de la lettre de Pierre Debray au cardinal Etchegaray parue dans le *Courrier Hebdomadaire de Pierre Debray,* numéro 587 du 20 décembre 1979.\] 112:240 ### Contre l'avortement Une action « ni politique ni religieuse » ■ La plupart de ceux qui ont combattu la légalisation de l'avor­tement se sont manifestés com­me des « sans Dieu ». ■ Pas même des « sans Dieu » par conviction, mais le plus sou­vent des « sans Dieu » par lâ­cheté. Une lâcheté faite surtout de sottise. Des croyants, des chrétiens, qui imaginaient « ha­bile », « efficace », de faire com­me s'ils étaient des incroyants. ■ On va lire ci-dessous ce qui s'est passé à Lyon. En combien de lieux et de circonstances, comme à Lyon, les dirigeants des rassemblements, manifestations et pétitions ont-ils précisé que leur action n'était « ni religieuse ni politique ». Quelle confusion men­tale. Quel aveuglement. C'est comme si l'on prétendait repous­ser l'invasion d'une armée enne­mie en stipulant que l'on s'en tiendra à une action « ni militaire ni nationale »... ■ La légalisation de l'avortement a été une agression religieuse, une agression politique, une en­treprise de POLITIQUE ANTIRELI­GIEUSE. S'opposer à la liberté de l'avor­tement était un devoir POLITIQUE ET RELIGIEUX. ■ Les motifs de s'opposer à l'avortement sont pour tout hom­me des motifs de morale politi­que et de religion naturelle. C'est au regard de la religion naturelle, c'est au regard de la morale poli­tique -- autrement dit c'est au regard du Décalogue que l'avor­tement est en soi, et pour tous, un crime abominable. ■ La « Lettre de la Péraudière », dans son numéro 96 de décembre 1979, raconte ceci : 113:240 Ce mercredi 28 novembre : manifestation lyonnaise de protestation contre reconduction de la loi Veil. Nos quatre jeu­nes professeurs se préparent, emportant mégaphone, brassards et calicots. Le défilé doit partir de Bellecour, le rendez-vous est à 18 h 45, les participants en nombre assez important. Les banderoles sont nombreuses, plusieurs enfants portent des écriteaux du genre : « merci Papa », « merci Maman » etc. il y a même un landau. A leur arrivée, nos gens (assez grands, assez forts) se voient mutés au « service d'ordre » : « Donnez-nous vos calicots, d'au­tres les porteront. » Ils les donnent, prennent la place qui leur est assignée, le cortège s'ébranle. Mais ils sont très étonnés de ne voir, en cours de route que trois sur quatre de leurs pancartes : « Pas une voix aux avorteurs » « Avortement, crime abominable » « Non à la loi scélérate » sont bien en vue, mais il manque celle que nous avions écrite avec le plus de soin, celle à laquelle nous tenions : « Respectons DIEU Créateur » ils ont beau chercher des yeux, elle n'est nulle part et l'un d'eux en voit les montants, bien reconnaissables parce que coupés dans des gaules de noisetier brut, encore vêtu de son écorce, qu'une main négligente a jetés de côté. Et voilà ! Personne n'était responsable de ce mauvais geste. Personne n'en était spécialement scandalisé car, a-t-on répondu : « la manifestation était bien prévue NI RELIGIEUSE NI POLITIQUE. » Et nous, en déclarant DIEU CRÉATEUR, nous avions sans doute enfreint la consigne, nous avions osé nommer DIEU, recon­naître Son œuvre créatrice, proclamer que nous Le respectons.... Que voilà de graves atteintes à la neutralité. Mais ce qu'il faudrait alors leur demander, à ces mangeurs ou porteurs de banderoles, c'est à quoi ils se réfèrent pour se déclarer contre l'avortement. Si ce n'est pas à Dieu Créateur, à qui pensent-ils obéir en protestant, à quel jugement de leur raison ? à quel sentiment ? Il y a tout à craindre qu'ils ne raisonnent pas, qu'ils ne pensent pas et qu'en bons disciples de Jean-Jacques, ils prennent leur sentimentalité pour guide, leur attendrissant succédané de loi naturelle pour motif. Nous avions voulu nous joindre à tous ceux qui, sans mani­fester d'appartenance à une religion, gardaient dans leur cœur un attachement sérieux à *la loi naturelle.* Mais nous avons été trompés et beaucoup d'autres avec nous. 114:240 Nous aurions dû penser qu'il n'y a pas de loi naturelle où Dieu n'est pas reconnu, car Dieu est l'auteur et le centre et la vie de la loi naturelle. Si elle est au cœur de l'homme, c'est qu'Il l'y a mise. Et si l'homme chasse de son cœur le Créateur, il en chasse aussi la loi, il descend au plus bas degré de la sauvagerie pour ne pas dire de l'animalité. On nous dira que nous allons bien loin pour une pancarte perdue. Non, il ne s'agit pas de ce morceau d'étoffe, mais du Saint Nom de Dieu qui n'était nulle part (du moins nulle part vu de nous). Et si nous avions à tout instant vu ou entendu nommer Dieu, nous n'aurions même pas remarqué la disparition de *notre* banderole. Ce nom qui devrait faire trembler les foules, il a été mis de côté, refusé, barré. Nul ne l'a évoqué, nul ne l'a invoqué... et nous voulions éviter à la France le regain de déshonneur que représente cette loi ? Sans demander l'aide du Ciel ? Sans proclamer notre foi ? Cela ne cadre plus ! ON NE NOUS Y REPRENDRA PAS. \[Fin de la reproduction inté­grale du récit paru dans la *Lettre de la* *Péraudière*, numéro 96 de décembre 1979.\] 115:240 ## Informations et commentaires ### Il faut une rupture politique complète avec le criminel lui-même *Sous ce titre, un article de Jean Madiran* dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR du 15 janvier Une nation -- comme toute communauté humaine -- a be­soin d'unité morale. Non d'uniformité. Mais il lui faut sur l'essentiel une commune idée du bien, dans la pluralité des tempéraments, des opinions et des talents. La *pluralité* est un fait bénéfique. Le *pluralisme,* qui tient la balance égale entre le vrai et le faux, le juste et l'injuste, est un système mortel. L'unité morale de la nation française a été brisée à une grande profondeur par l'effort persévérant du chef de l'État lui-même. Il y a dix ans, la France était déjà moralement fort divisée, mais les Français conservaient encore dans l'ensemble une même idée du bien et du mal. La plupart d'entre eux réprou­vaient avec horreur le crime abominable de l'avortement. Il a fallu dix ans au président Giscard pour amener environ la moitié des Français à estimer que ce crime abominable n'est plus un crime, mais une commodité, un recours licite, et même un droit. Une aussi grave déformation de la conscience publique n'a été possible que par la connivence d'un président sans moralité et d'une classe audio-visuelle moralement pourrie. Cette connivence est d'ailleurs le principal ressort moral et politique du septennat giscardien. 116:240 La classe audio-visuelle installée depuis trente-cinq ans aux commandes des mass media est d'opinion plus ou moins gaul­liste ou marxiste, d'affiliation plus ou moins maçonnique ou communiste, elle est unanime dans la revendication et la prati­que d'une complète liberté sexuelle. On sait, ou plutôt on ne sait pas suffisamment que cette classe est recrutée, à de rares exceptions près, dans la lie de la société, parmi les ratés des autres professions, les individus en rupture de famille et de métier, les médiocres aventuriers du nomadisme intellectuel, les gyrovagues sans foi religieuse ni loi morale. Pour donner aisément cours à sa soif de débauche permanente, cette classe audio-visuelle a travaillé sans répit à discréditer l'honnêteté des mœurs en l'appelant « répression sexuelle », « puritanis­me », « pudibonderie ». Par l'histoire, le roman, le spectacle, le commentaire insidieux, elle met en œuvre une constante incitation à la luxure, présentée comme un besoin naturel que l'on doit satisfaire de la même façon que le boire et le manger. Cette classe de déclassés n'avait a priori aucun motif de manifester à Giscard d'Estaing, homme réputé de droite, hau­tain et honnête, une quelconque sympathie. La complicité active que le président Giscard a trouvée dans la classe audio­visuelle était politiquement improbable ; elle a été nouée sur la base canaille d'une camaraderie sexuelle, d'une familiarité impure : un goût commun pour le stupre et la volonté de donner à ce goût force de loi. Il fallait assurément un Giscard pour rendre légale la distri­bution de la pilule contraceptive aux mineures, derrière le dos de leurs parents et au besoin ouvertement contre leur volonté. Ce fut et c'est la plus colossale manœuvre d'incitation de mi­neures à la débauche. Le seul but, le seul résultat de cette législation est de faciliter les entreprises des débauchés. La classe audio-visuelle soutient donc politiquement le président incitateur. L'incitation publique à la luxure, déjà reine à la télévision et inscrite dans la loi, fut étendue à l'école, et souvent introduite au catéchisme. Ce n'était pas assez. Il fallait encore au stupre installé cette affreuse sécurité supplémentaire de l'avortement légalisé. Il est arrivé sans doute dans l'histoire de France que des souverains donnent le détestable exemple du dévergondage. Mais ils n'étaient jamais allés jusqu'à changer la définition du bien et du mal, et jusqu'à inscrire dans la loi que le crime n'est plus un crime. Quelle « convivance » serait encore possible en France si les choses restaient en l'état ? Quelle politique pourrait-on désormais avoir en commun avec l'abominable criminel qui règne et gouverne à l'Élysée ? Appelons les responsables politiques à y penser sérieusement. 117:240 La légalisation de l'avortement -- non plus à titre expéri­mental pour cinq ans, mais maintenant « définitive » -- n'est pas un épisode passager, intérieur aux « consciences » en ce sens qu'il n'aurait aucune conséquence politique, et sur lequel de toute façon la page serait désormais tournée. Il ne suffit pas d'avoir refusé de voter la loi criminelle et de retourner ensuite aux solidarités, promotions et profits de la « majorité présidentielle ». Ce serait camoufler à peine une complicité effective. Il faut une rupture politique complète avec le criminel lui-même. Il faut le dénoncer comme tel. Il faut le chasser. ### Pour le boycott des jeux olympiques de Moscou *L'idée fait son chemin, aidée par les cir­constances. Dans notre numéro de novembre, nous avions reproduit pages 158-159 l'appel lancé en septembre 1979 par le journal* PRÉSENT*. On peut s'y reporter : on le relira utilement. On peut aussi en demander des exemplaires en écrivant à* PRÉSENT*, B.P. 64, 81102 Castres Cedex.* *Commentant l'invasion soviétique de l'Af­ghanistan dans* Minute *du 9 janvier, François Brigneau relance l'appel :* « Entendez-vous la clameur qui monte ? « -- Les communistes, ça suffit. Vive la Russie. A bas les Soviets. Tant que les Bolchos seront au Kremlin, tant qu'ils occuperont la terre russe, l'Europe de l'Est et maintenant l'Afghanistan, pas un boulon, pas une machine, pas un grain de blé, pas un paquet de beurre, pas un athlète pour l'Union soviétique. 118:240 « Partie de Castres, pays du rugby, le mouvement de boycott des Jeux, lancé par nos amis de « Présent » -- un petit groupe, mais dont la foi déplace les montagnes -- gagne toute la France. Il faut pousser, tous ensemble, dans le même sens. Peut-on penser que les Jeux de Berlin auraient eu lieu après l'invasion de la Tchécoslovaquie ? Non. Alors, pourquoi tolérer les Jeux de Moscou après l'invasion de l'Afghanistan ? « Il ne s'agit même plus de politique. Il s'agit de guerre. Il s'agit d'empêcher la guerre qui vient en faisant reculer l'agres­seur. Participer chez lui aux jeux olympiques, c'est accorder la caution d'un certain humanitarisme, d'une certaine fraternité humaine par le sport au pays qui, aujourd'hui même, fait tuer par les autres au Cambodge et qui tue lui-même en Afghanistan. « Pas de jeux olympiques à Moscou ! Car si ce désaveu était donné à l'Union soviétique ; si cet échec lui était imposé, le malheur de l'Afghanistan n'aurait pas été une mauvaise chose pour l'Occident et même pour le monde tout entier. » ============== fin du numéro 240. [^1]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 180 de février 1974 : *Le rachat des captifs* (notes critiques). [^2]:  -- (2). ITINÉRAIRES, numéro 164 de juin 1962 : Les disparus. [^3]:  -- (3). ITINÉRAIRES, numéro 201 de mars 1976 : « Un État qui prend des otages » (informations). [^4]:  -- (4). Alexandre Soljénitsyne : *Le déclin du courage,* Seuil 1978­ [^5]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 238 de décembre 1979. [^6]:  -- (31). 124, 2. Dans le commentaire (p. 61, n. 1) (*La force,* Paris, 1949) qui accompagne sa traduction, le R.P. Folghera estime qu'il s'agit « de la vertu, du devoir » sous ce nom de « bien ». Nous pensons au contraire qu'il s'agit de toutes les vertus en tant qu'elles se rapportent, selon saint Thomas, à la vertu de justice, et du devoir de « défendre la patrie qui est le bien de tous » (123, 5) et dont tous les biens humains dérivent concrètement. C'est en effet le plus haut des biens humains -- le bien commun naturel -- qui rend humainement l'homme inébranlable au plus haut degré, la fin communiquant sa puissance a l'agent qui la vise. *Bonum reipublicae est praecipuum inter bona humana* (124, 5, ad 3). [^7]:  -- (32). 124, 2, ad 3. [^8]:  -- (33). 2-2, 11, 3. [^9]:  -- (34). 26, 52. [^10]:  -- (35). Tim., 2, 4 et 2-2, 40, 2. [^11]:  -- (36). 2-2, 10, 11­ [^12]:  -- (37). Cf. les notes 66 et sq., pp. 284 et sq. de l'édition de la *Somme Théol., La foi*, t. 2, Paris, 1963, par le R.P. Bernard qui ajoute : « Cette conclusion, que saint Thomas énonce avec une belle assurance, étonnera plus d'un parmi nous. Cependant, c'est lui qui est dans le vrai, et nous qui ne sommes plus au niveau du vrai. » [^13]:  -- (38). Cf. le journal *L'Aurore,* 11 octobre 1979, n° 11907. [^14]:  -- (39). 125 ; 1, 2, 3. [^15]:  -- (40). *Ibid.,* 1. [^16]:  -- (41). *Ibid.* [^17]:  -- (42). 126, 1, ad. 2. [^18]:  -- (43). *In III Eth.,* c. 7, n° \[*sic*\] [^19]:  -- (44). 126, 1. [^20]:  -- (45). Audience générale du 11-7-69. *Docum. cath.,* n° 1545, pp. 703 sq. [^21]:  -- (46). 132, 5. [^22]:  -- (47). Constitution *Gaudium et Spes,* ch. 1, n, 12. [^23]:  -- (48). Rappelons que, dans l'aristotélisme thomiste, le plaisir n'est point prohibé, parce qu'il s'ajoute à l'exercice de la vertu qui procure le bonheur, « comme à la jeunesse sa fleur ». Il est un éclat, une redondance qui passe de l'âme au corps. L'homme est irréductiblement un être composé, ni ange, ni bête. [^24]:  -- (49). Nous utilisons ici, en l'amplifiant et en l'orientant d'une façon plus nette, notre étude intitulée : « La vertu de force contre la violence révolutionnaire », parue dans *Force et Violence,* Actes du Congrès de Lausanne VII, avril-mai 1972. [^25]:  -- (1). Mais non la communion au calice. [^26]:  -- (1). Cette brochure est toujours disponible aux bureaux d'ITINÉRAIRES et chez DMM. [^27]:  -- (2). Signalons aussi, comme très utile à l'explication du catéchisme aux enfants, le *Catéchisme de la famille chrétienne,* du Père Emmanuel, édité par DMM. [^28]:  -- (1). Édité chez l'auteur, BP 92-18, 75862 Paris Cedex 18. -- Henry Coston est également le fondateur de la « Librairie française », 27, rue de l'Abbé Grégoire à Paris. Cette librairie a subi quatre attentats terroristes au cours des deux dernières années. Voici le récit du dernier en date (dans *Lectures françaises,* numéro cité, p. 29) : « *Un commando d'une demi-douzaine d'hommes* armés *de barres de fer et de gourdins a attaqué la Librairie française le vendredi 2 novem­bre en fin d'après-midi. Après avoir sauvagement matraqué l'une des personnes présentes dans le magasin, ils s'apprêtaient à frapper l'employé de la librairie lorsque ce dernier, saisissant un fusil de chasse, les mit en joue. Les agresseurs battirent alors en retraite. Mais ils reprirent bientôt l'offensive. C'est alors que, pour se dégager, le jeune libraire, dirigeant son arme vers le sol, tira deux coups de feu, blessant aux jambes deux des agresseurs. Le commando s'enfuit en em­portant ses blessés. C'est la 4^e^ fois que la Librairie française est victime d'in­cendiaires ou de malandrins politiques que la police recherche, paraît-il, vainement... *» [^29]:  -- (2). L'antécédent de ce « *qui *» n'est pas le ministre communiste Billoux, mais Albert Igoin. \[Sur Igoin et Hersant voir aussi It. 241, p. 140.\] [^30]:  -- (3). Déclarations d'Alain de Benoist, dans Harris et Sédouy, *Qui n'est pas de droite ?* Éditions du Seuil 1978, p. 385. -- Cf. aussi Alain de Benoist, *Les idées à l'endroit,* Éditions libres Hallier 1979, p. 78. [^31]:  -- (4). *Les idées à l'endroit,* p. 18. [^32]:  -- (5). Page 74. [^33]:  -- (6). Voir Michel Déon, *Mes arches de Noé,* La Table ronde 1978, p. 88 ; et ITINÉRAIRES, numéro 236 de septembre-octobre 1979, pp. 91-93. [^34]:  -- (7). *Op. cit.* p. 78, reproduisant un article paru dans la revue *Item* en janvier 1976. [^35]:  -- (1). On n'a visiblement pas assez re­marqué qu'une mystique comme Fi­liola (Octavie Valette, morte à 87 ans, le 3 mai 1976) a fait savoir combien l'Église était investie par la maçonne­rie, les plus hauts dignitaires, prélats du Vatican (cardinaux !), étant de la secte. Voir à ce sujet FILIOLA, *Dans la lumière* *de Jésus. Message pour toute âme de bonne volonté,* Vert -- Fontaine, 5 cahiers ronéotypés et le tout réamé­nagé : *Chemin de lumière,* Librairie Téqui (82, rue Bonaparte, 75006 Paris), 1975, surtout pp. 298 ss : « *L'esprit ma­çonnique dans l'Église *». Pour cette âme en directe correspondance avec le ciel, l'Église était infestée d'un mal profond depuis environ 1930, mal atteignant le Vatican... Nous en reve­nons toujours à l'époque de la con­damnation de l'Action française. Le bienheureux père Kolbe ne négligeait pas la lutte anti-maçonnique dès cette époque, étant particulièrement conscient de la nocivité de la secte lucifé­rienne. Je signale que Filiola annon­çait que Paul VI souffrait beaucoup, que ses yeux s'étaient ouverts trop tard, qu'il pouvait tout sauver, mais qu'il se sentait aussi partiellement res­ponsable de l'arrivée de la catastrophe finale. Dans ses prières, la mystique appelait un renouveau et un chef puis­sant et sans peur pour l'Église. [^36]:  -- (1). Jean Madiran : *Changer cet épiscopat,* éditorial du numéro 238 de décem­bre 1979.