# 243-05-80 1:243 ### Souvenirs sur Paul VI par Louis Salleron En mai 1967, Paul VI recevait en audience des acteurs et des actrices : Claudia Cardinale, etc., et il leur décla­rait : « *Nous faisons en somme le même métier. *» La phrase avait surpris. A ma connaissance elle n'a pas été commentée par Jean Guitton. Je suppose qu'elle était une réminiscence du *Soulier de satin,* version inté­grale, 4^e^ journée, scène IV, où LE ROI dit à L'ACTRICE : « Ne faisons-nous pas le même métier, vous et moi, cha­cun sur son propre théâtre ? » Paul VI avait lu Claudel. A l'époque Louis Salleron en fit deux poèmes réservés à un très petit nombre de connaisseurs avertis. Voici treize ans exactement que je lui demandais l'au­torisation de les publier. Il vient enfin de me la donner. Reproduction interdite sans accord préalable, bien entendu. J. M. 2:243 ### Ballade des métiers Bœuf patient au dur labour Fine fourmi processionale Alouette chantant le jour Dormeuse marmotte hivernale Aragne en toile hexagonale Singe grimpant au cocotier Toute bête du bestiaire L'ennemie et l'auxiliaire Nous faisons le même métier Jongleur, rimeur de calembour Ou bâtisseur de cathédrale Violoniste, clairon, tambour Savetier vendeur de sandale Ou marchand de prose à scandale Potier, charpentier, gargotier Changeur, banquier, Robert Macaire Bonne Presse et premier vicaire Nous faisons le même métier 3:243 La marquise de Pompadour La langoureuse virginale La madone du troubadour La pucelle qu'on dit vénale La belle Claudia Cardinale Le diable dans son bénitier La femme forte du notaire La nièce du protonotaire Nous faisons le même métier ENVOI PRINCE, ou pape au profil altier Brune fillette en mini-jupe Moine priant en son moutier Tout un chacun qu'amour occupe Nous faisons le même métier 4:243 ### Audience mini-publique au Vatican C'était grand ram-dam à Saint-Pierre Paul VI ouvrait le Vatican A la gent susceptible et fière Du cinéma et du can-can. Une brigade de tous sexes Se pressait sous les sun-lights Les camériers étaient perplexes Quelle promotion des laïcs ! Sous les plafonds de Michel-Ange Un grand silence alors se fit Le spectacle était plus qu'étrange Aux habitués du rififi. Puis ce fut parmi les vedettes Un murmure, un rire étouffé « Ah ! s'il nous remettait nos dettes » Disait un grand ébouriffé « J'irais aussitôt à confesse ! » Sur quoi les dames de gloser Se voulant novice ou professe Ou se faire au moins baptiser. Mise en goût par la rime riche Claudia roulait sur ses talons A sa voisine elle fit : « Chiche ! » 5:243 Point n'est question de pantalons Simplement d'un air virginal Elle interpelle un cardinal Disant : « Vous en êtes un autre. » On peut être une âme d'apôtre Et marcher vers les nonante ans, Ces pâquerettes de printemps Qui fleuriraient une écurie Sont chardon vil en la Curie. Mais le vieillard plein d'indulgence Confiant en son intelligence Avec un geste qui bénit Rétorque : « Entier ? ou bien mini ? » La Cardinale n'est point dupe Et tirant en vain sur sa jupe Elle devient rose, pivoine Coquelicot de bel été Dans la houle blonde d'avoine Et la chevelure du blé. Incident clos. Claudia mutine va vers un garde et le lutine. Elle admire fort ses mollets Effectivement rondelets. « Mais je prétends que pour les cuisses » Dit-elle, « je bats tous ces Suisses ». Elle veut qu'on fasse un concours On lui rajuste ses atours En l'invitant à la décence Elle a un regard d'innocence Un regard boudeur et surpris... Mais chacun reprend ses esprits Lollobrigida toujours sage Baisse les yeux sur son corsage : 6:243 Mystérieuse en ses desseins Elle affirme à tous qu'il vaut mieux S'adresser à Dieu qu'à ses saints. Son âme semble dans les cieux Droite et noire sous sa mantille On voit à peine sa cheville. Mais voici qu'un grand brouhaha Annonce à chacun el Papa On applaudit dans un tonnerre C'est l'audience du Saint-Père ...... (Le compte rendu de l'audience a paru dans l'Osservatore romano.) Louis Salleron. 7:243 ## ÉDITORIAL ### La TOB de luxe par Antoine Barrois APRÈS la TOB de poche, voici que paraît la TOB de luxe. Cette troisième version de la TOB est une œuvre européenne : conçue en Suisse, réalisée en Italie et en Espagne, coéditée en France par Alpha et en Belgique par les éditions Érasme. Vendue par des spécialistes de la diffusion d'encyclo­pédies en fascicules, on trouve la TOB de luxe aussi facilement que la TOB de poche. On ne dira pas qu'on a mis la TOB sous le boisseau ! Voici comment cette édition est présentée au verso de la première page de couverture du premier fasci­cule : 8:243 « Traduite dans toutes les langues du monde, la Bible est incontestablement, et de loin, le livre qui, de tous les temps, a été le plus lu. Sa rédaction attribuée à des dizaines d'auteurs s'échelonne sur un millénaire, et relève des genres les plus di­vers : récit historique, code de loi, prédications, prière, poèmes, lettres et nouvelles. « Aujourd'hui, avec la première Traduction Œcuménique Intégrale de la Bible en fascicules, paraît la version la plus fidèle, la plus récente et la plus complète du « Livre des Livres ». « Sa réalisation a nécessité plusieurs années de la collaboration de spécialistes issus de toutes les confessions et de toutes les tendances. Complète, elle intègre jusqu'aux derniers manuscrits de la Mer Morte. Œcuménique, elle est à ce jour, la seule Bible à avoir recueilli l'approbation des ca­tholiques, des protestants et des orthodoxes. « La Traduction Œcuménique Intégrale de la Bible emprunte son illustration aux plus riches miniatures polychromes du Moyen Age et de la Renaissance, ainsi qu'aux œuvres des plus célèbres peintres et maîtres verriers. « Riche de 3.000 merveilleuses reproductions en couleurs, elle constitue l'édition la plus aboutie du Livre des Livres. » Il est clair que ce texte n'a rien d'une présentation savante. Son caractère publicitaire saute aux yeux. Mais tel qu'il est, il constitue l'UNIQUE PRÉSENTATION de la TOB de luxe. Les acheteurs de cette « édition de grand luxe riche­ment illustrée en couleurs » de la « Traduction Œcuménique Intégrale » ne sauront donc rien d'autre au sujet de cette traduction que ce qu'en dit cette vanterie commerciale. Cela déjà est scandaleux. Les détenteurs des droits sur la TOB ne devaient pas accepter que l'unique pré­sentation d'une édition qui utilise leur traduction soit un texte publicitaire ; même par hasard exact, même par extraordinaire intelligible. 9:243 Le respect de la Parole de Dieu, de la Seconde Eucharistie, devrait faire ren­trer sous terre les responsables chrétiens de cette si­tuation affreuse : l'Écriture Sainte, les Testaments de Dieu, livrés aux marchands comme une poudre à laver. Prévaricateurs. \*\*\* Cela dit, publicitaire ou pas, ce texte est exemplai­rement détestable. A ce titre il mérite qu'on s'y arrête. Passons sur le premier paragraphe, qui mériterait pourtant une exégèse des plus scientifiques, et arrêtons-nous au second. « La version la plus fidèle, la plus récente et la plus complète du Livre des Livres. » Bien entendu, cette série d'affirmations est surtout grotesque. La TOB plus fidèle que toutes les versions en langues liturgiques et en langues vulgaires ? Que les versions slavonnes et arméniennes ? Chinoises et javanaises ? Imbécile. La TOB, version la plus récente ? Faux. Il y a au moins une version de la Bible plus récente que la TOB. 10:243 Même les experts et même les éditeurs de la TOB devraient en avoir entendu parler : c'est une version en langue latine. C'est la Néo-Vulgate, promulguée par le pape l'an dernier. La TOB, version la plus complète ? Plus complète que toutes les autres versions qui donc étaient toutes incomplètes ? Insensé. Mais qui s'en apercevra ? \*\*\* Troisième paragraphe, deuxième arrêt. Ce troisième paragraphe contient une version re­marquable de l'argument d'autorité à la sauce moderne, façon démocratie religieuse. Il commence par un hymne au travail. L'homme a marché sur la lune parce que des savants ont beaucoup et longtemps travaillé et qu'ils ont utilisé jusqu'aux dernières techniques. De même, parce que des spécia­listes ont beaucoup et longtemps travaillé et qu'ils ont « intégré jusqu'aux derniers manuscrits », on peut enfin lire la TOB. L'hymne au travail est accompagné de l'hymne à la supra-confessionnalité. Pour mettre au point les labo­ratoires orbitaux, Américains et Soviétiques ont coopé­ré. Pour lutter contre le cancer, des chercheurs de tous les pays se communiquent leurs résultats. Itou pour tra­duire la Bible : les savants plus savants se sont préoc­cupés uniquement de science. Comme les médecins et les ingénieurs ils ont mis leurs divergences de côté. Troisième et dernier hymne : l'hymne au consensus catholiques, protestants et orthodoxes ont approuvé cet­te traduction et, à ce jour, celle-là seulement. Autrement dit elle fait l'unanimité démocratique. Ergo, la TOB fait autorité. \*\*\* 11:243 Il y a là une imposture. Mais l'acheteur moyen, ce­lui que visent les éditeurs, n'a pratiquement aucun moyen de le savoir. Il pensera plus ou moins clairement que cette Bible a reçu l' « imprimatur » des prêtres, des pasteurs et des popes des grades les plus élevés dans leur confession respective. Et dans l'état actuel des choses qui le détrompera ? Reste que cette imposture se répand massivement. Et que dès l'origine les « savants chrétiens » auteurs de la TOB y prêtaient les deux mains. Par leur scien­tisme surtout, qui tendait à donner à l'ordre de la cer­titude scientifique un pouvoir qu'il n'a pas. Les experts les plus savants, les spécialistes les plus érudits, même unanimes, ne sont pas dépositaires ès qualités de l'au­torité dans l'Église catholique ; et pas davantage, leur unanimité supposée, les membres de l'Église enseignée. Ce qui rend vain tout appel à « l'approbation des ca­tholiques ». (Parenthèse : pourquoi, et comment cela se fait-il, la TOB n'est-elle revêtue d'aucune signature autorisant sa publication -- même pas celle d'un quelconque bu­reaucrate du secrétariat romain pour l'Unité ? Certes tout se passe comme si la TOB avait toutes les auto­risations voulues. Le parti au pouvoir dans l'Église, et apparemment dans nombre de confessions protestantes, sait la diffuser. Mais on aimerait savoir quelle est la situation exacte de cette publication dans l'Église ca­tholique.) D'autre part son œcuménicité tant célébrée est au moins douteuse. Sauf fait nouveau, « les orthodoxes » n'ont pas « approuvé » la TOB. La commission théolo­gique orthodoxe, avec force courbettes, il est vrai, a décliné l'honneur de la patronner ([^1]). 12:243 D'ailleurs, ni l'édition dite intégrale, ni l'édition de luxe dont nous parlons ne font mention, parmi les détenteurs des droits, d'une maison d'édition ou d'une société d'études scrip­turaires orthodoxes. \*\*\* Un mot encore : à propos des quatrième et cin­quième paragraphes. La « riche » réalisation de cette TOB de « grand luxe » est une illustration saisissante d'un passage de Péguy que nous avons cité souvent dans cette revue. Il développe cette idée que nous vivons en un temps si barbare que la culture n'a plus de place où passer ; car ceux qui n'ont pas d'argent font de la saleté sous ce prétexte ; et ceux qui en ont font aussi de la saleté, « une contre et autre saleté, sous le nom de luxe ». Tout y est et rien n'y manque : le faux parchemin, le faux gothique, le salmigondis de reproductions et de décorations. A noter que certaines images sont déplai­santes et déplacées : voir, par exemple, les rois de Sodome et de Gomorrhe (volume 1, fasc. 2, p. 30). Mais si le troisième fascicule du volume I vous tombe sous la main, ne résistez pas. Ouvrez-le aux pages 44 et 45. Vous y verrez, juxtaposées et encadrées d'ornements gothiques, une photographie en couleur du puits d'Abra­ham (avec un ciel bien bleu) et une reproduction du Sacrifice d'Abraham (avec un Isaac dodu) par Paolo Caliari, dit Véronèse (cuistres avec ça). C'est du plus ravissant effet. Pauvres de nous. 13:243 « Quand on songe, dit Mgr Lefebvre, à la diffusion massive de Bibles œcuméniques, donc dénaturées, qui est faite par tous ceux qui n'ont pas la foi catholique, on ne peut que souhaiter que le zèle des catholiques pour l'authentique parole de Dieu dépasse celui des non-catholiques. » Antoine Barrois. 14:243 ## CHRONIQUES 15:243 ### Ni à droite ni adroite la nouvelle droite ? par François Brigneau ELLE n'est pas gaie l'histoire que je vais vous racon­ter aujourd'hui. J'y ai laissé quelques illusions encore, quelques espérances. Peut-être que la pu­deur eût exigé le silence. Mais elle paraît si exemplaire des malheurs de notre camp que je ne peux la taire. Vous vous en souvenez peut-être, l'été fut rempli du bruit que faisaient la « Nouvelle Droite », ses artisans, ses partisans et ses détracteurs. Elle venait de quitter les terres ingrates des bulletins ronéotypés et des revues confiden­tielles. En quelques semaines elle avait pris d'assaut et investi le *Figaro-Magazine.* Les voleurs de journaux de 1944 criaient au scandale. On voyait les enfants de Brisson et de Martin-Chauffier errer dans les banlieues, le visage blême, la mine défaite, les membres tordus par l'affliction et tout tremblants de douleur contenue. 16:243 Cette réussite con­férait une autorité, une assurance nouvelle à Alain de Benoist et à ses amis. Ils se sentaient appelés à un destin national et le disaient. Si quelque travers devait les en empêcher ce n'était pas la modestie. \*\*\* J'en avais rencontré un certain nombre dans les an­nées soixante. A *Europe-Action* et au « R.E.L. », groupés autour de Dominique Venner, ils sortaient de la bataille pour l'Algérie française -- leur première bataille perdue. Nous avions plus d'adversaires que d'idées en commun. Dans le militantisme et l'action, parfois en prison, tou­jours pauvres et ardents, sincères, courageux, passionnés, ils se voulaient « les hommes de fer » d'un nationalisme européen révolutionnaire, républicain -- leur maison d'édi­tion s'appelait les Éditions Saint Just -- quoiqu'élitiste, hiérarchisé, païen sur les bords, seul capable de sauver l'Occident du communisme et de la décadence, ces fruits amers de l'arbre du mal qu'ils dénonçaient : le judéo-christianisme. Mes sentiments étaient ailleurs. Je ne suis qu'un hom­me de chair et de rêves. Il me semblait impossible de défendre l'Occident et de refuser le catholicisme : la seule Europe qui ait existé est celle des cathédrales. Du plus loin que je me souvienne j'avais toujours détesté, d'ins­tinct, la Révolution et les Grands Ancêtres. Ma pente était la réaction, la contre-révolution. Je redoute que la restau­ration monarchique ne soit pas possible, mais je la crois souhaitable. Le fascisme, nécessaire à cette opération, ne m'a jamais paru représenter le régime idéal. Enfin c'était à la France que j'étais et suis attaché, pas à l'Europe. A la France qu'on entend battre chez Drumont, Bernanos et Gaxotte, dans certaines pages de Péguy et de Perret, dans la pensée de Maurras. 17:243 Voilà bien des différences qui auraient dû nous séparer. Mais dans le camp retranché, quand on partage le pain, le vin et les chansons, on évite d'approfondir les diver­gences, fussent-elles importantes. Quand il s'agit de défendre, jour après jour, son droit à l'expression et à la vie contre la Démocratie totalitaire, on évite d'évoquer les querelles qui suivront la victoire. L'ennemi ne faisait pas le détail. Nous n'en faisions pas davantage. Il nous rassemblait dans le même opprobre. Nous n'allions pas lui offrir l'avantage supplémentaire de nos divisions. Et puis j'ai toujours nourri l'intime conviction que si la Droite veut peser sur la politique française, par delà les francs-maçonneries blanches et les cercles d'études, elle doit sur­monter ses contradictions dans des entreprises limitées, précises, au coup par coup. Alain de Benoist ne devait pas être loin de cette attitude. Il me dédicaçait son monu­mental *Vu de droite* en ces termes : « *A François Brigneau, en souvenir des souvenirs, -- et de nos éternelles discus­sions. Son ami. *» \*\*\* J'accueillis donc avec sympathie la percée spectaculaire de la « Nouvelle Droite » et l'écrivis. Les lecteurs d'ITINÉ­RAIRES ne l'ont peut-être pas oublié : Jean Madiran eut la gentillesse d'y faire écho. Certes mon propos n'allait pas sans malice ni réserve. Par nature je me méfie instinctivement du « nouveau ». J'ai tendance à n'en pas trouver, je veux dire : d'essentiel, sous le soleil. Ce n'est pas l'appui que j'ai apporté à « Or­dre Nouveau » qui m'aurait fait changer d'avis. On y rencontrait surtout l'expression des désordres anciens. Mais « nouveau », « nouvelle », ce n'étaient là que babioles, on n'allait pas chicaner. Ce qui chiffonnait da­vantage c'était que cette « nouvelle » école de pensée, qui disait si haut l'importance de l'hérédité, de l'héritage et des racines, ne s'en reconnaissait pas. 18:243 Elle prétendait bâtir sur le désert. Non seulement en évitant de saluer les vieux soldats qui, depuis un quart de siècle, se sacrifiaient pour défendre le terrain ravagé sous les bombes, dans une guerre impitoyable, au lance-flammes et au couteau, mais, à l'occasion, en s'en moquant. Le cas échéant, ils recevaient même leur paquet. Revêtus de l'armure étincelante de la nouvelle culture, armés par la lecture rapide, entraînés par l'exercice de la mémoire automatique, d'outrecuidants mirliflores décri­vaient le vide intellectuel qu'ils avaient dû combler et l'indigence de la pensée de Droite depuis une éternité, ou presque. Heureusement cette désolation n'appartenait plus qu'au passé. Ils étaient arrivés. En un tournemain ils al­laient tout remettre à l'endroit. Mais il n'était que temps, etc. Cette superbe, qui devait autant à la jeunesse qu'à la formation intellectuelle accélérée, agaça un peu alentour. Personnellement elle m'amusait. Je me permis pourtant d'en souligner l'injustice et l'excès. Le désert était moins dépeuplé que le prétendait le doyen de Benoist et ses maîtres assistants. Je citais quelques noms. Ce n'étaient pas ceux d'indigents intellectuels. Mon propos irrita. Dans *Éléments --* la revue du G.R.E.C.E. -- une jeune personne qui devait ignorer que de Benoist me considérait comme son « ami » me traita de « rabougri ». Je me remis aux abdominaux. \*\*\* Sur le tapis, je me réconfortai. Ces polémiques appar­tenaient à l'accessoire. Ce qui comptait c'était l'arrivée dans un quotidien et un hebdomadaire de grands tirages, d'une équipe d'hommes différents de ceux qui, jusque là, les occupaient. 19:243 Ces hommes nouveaux nous connaissaient -- « souvenir des souvenirs »... Sans partager nos idées, nos sentiments, nos fidélités, nos humeurs, nos engagements, ils ne les haïssaient pas. Ils ne les méprisaient pas. Ils les avaient compris. Ils les comprenaient encore. Con­trairement aux autres ils avaient pour nous de l'estime et de l'amitié. Nous n'étions plus seuls. Désormais nos prises de positions seraient connues. On parlerait de nos témoignages. Nous cessions d'être des interdits de séjour. Il n'y aurait plus unanimité dans cette haineuse conspi­ration du silence qui poursuit nos travaux et nos jours. Il ne serait plus possible de nous faire des procès d'in­tention sans que le grand public en ait connaissance. C'était le climat de l'indispensable « nouvelle réforme » intellec­tuelle, politique et morale qui s'en trouvait modifié. Hélas ! Comme il est dit dans *Horace :* *Flatteuse illusion, erreur douce et grossière* *Que tu sais peu durer et tôt t'évanouir.* Je dus vite déchanter. Mon optimisme n'était pas de saison, même s'il resserrait ma ceinture musculaire. Très vite M. Pierre Vial, qui dirige avec M. Marmin la revue *Éléments,* déjà citée, allait me montrer ma bévue. \*\*\* On connaît le Parti des Forces Nouvelles. C'est un des mouvements que *Le Monde* classe dans sa catégorie EXTR. DR. Le nombre de ses adhérents est modeste. Mais il a du feu, de l'allant, le goût de l'action, le sens de la mode. Le tintamarre qui entourait la « Nouvelle Droite » l'excita. Il flaira le bon coup. Celui qui attirerait sur lui l'attention des « média ». 20:243 Désireux de profiter de la publicité, il com­mit une imprudence. Il se présenta comme l'expression politique de cette « Nouvelle Droite », laquelle se voulait surtout culturelle. La démarche était cavalière, mais pas tellement abu­sive, compte tenu des liens existant entre le G.R.E.C.E. et certains dirigeants du P.F.N. comme Pascal Gauchon ou Jack Marchal. En tout cas ce n'était pas méchant. Néan­moins les élites de la « Nouvelle Droite » ne l'entendirent pas de cette oreille. Elles s'indignèrent qu'on osât faire l'amalgame et les confondre avec cette piétaille activiste qui, dans l'Université et l'Armée, s'était vigoureusement opposée à la marée rouge gauchiste, acceptant l'affronte­ment physique, parfois à un contre dix : les souvenirs n'arrêtent pas les « hommes de fer ». M. Vial profita d'une conférence de presse pour dé­clarer, sans la moindre gêne, que les membres du G.R.E.C.E. (Groupement de Recherche et d'Études pour la Civilisation Européenne) étaient autorisés à appartenir aux organisations politiques dont ils se sentaient proches : Parti Républicain, U.D.F., R.P.R. et même Parti Socialiste, à l'exception d'une : le P.F.N. Pour la « Nouvelle Droite », l'adhésion au P.F.N., parti qui militait depuis longtemps pour la droite nouvelle, entraînait l'exclusion immédiate et sans appel. Compréhensible chez M. Pierre-Bloch ou chez M. Def­ferre, chez M. de Benoist cet ostracisme donnait à penser. Pour échapper à la tristesse je m'employais à me con­vaincre qu'il s'agissait d'une maladresse, un geste de circonstance, de mauvaise humeur, la méchante réponse trouvée à un méchant problème de personnes. Une fois encore je me trompais. \*\*\* 21:243 Le 9 décembre dernier devait se tenir au Palais des Congrès de la Porte Maillot le quatorzième colloque du GRECE. M. Jean-Marie Le Pen y avait été prié. M. Le Pen est le président du Front National baptisé également EXTR. DR. par *Le Monde,* une organisation con­currente du P.F.N. M. Le Pen a un long passé d'homme de droite. Il faisait déjà partie du service d'ordre sans lequel les réunions que je tins pour l'amnistie, au lendemain de la Libération, en pleine épuration gaulliste, démocrate-chrétienne et coco, n'auraient pu avoir lieu. Pupille de la Nation, officier para en Indochine, puis en Algérie, député de Paris (poujadiste), membre de la commission de l'Armée, secrétaire général du mouvement T.V., fondateur de la SERP (la seule maison de disques engagée à droite) c'est un homme de caractère, parfois de commerce difficile, mais de grand talent et son honneur est fidélité. Par conséquent cette invitation à un colloque de « la Nouvelle Droite » paraissait normale, justifiée, allant de soi. Pourtant le 7 décembre, vers 21 heures, un pli lui est porté par courrier. C'est une lettre de M. Vial. Elle l'in­forme que sa présence n'est pas souhaitée. On lui de­mande de tenir pour nulle et non avenue son invitation. Celle-ci lui a été adressée par erreur. Une erreur d'ailleurs qu'on ne s'explique pas. Car il n'a jamais été dans l'esprit du G.R.E.C.E. de rechercher la participation de M. Le Pen à ses manifestations. Trop marqué, sans doute. Trop engagé. C'est à pleurer... Le 9 décembre le colloque a donc lieu sans M. Le Pen. Vers seize heures une centaine de jeunes gens, certains casqués et armés de barres de fer, essaient d'entrer en force. Ils se réclament d'une « Organisation Juive de Dé­fense ». Sans qu'ils se soient inquiétés de la présence ou de l'absence de M. Le Pen, ils commencent à casser les chaises et à cogner. 22:243 Il y aura de nombreux blessés, dont quatre grièvement. Un des adhérents du G.R.E.C.E., M. Jean-Louis Pesteil, perdra un œil. Un autre, M. Gregory Pons, auteur d'un livre assez bas sur l'extrême droite (*Les rats noirs*) sera durement touché au visage par le jet et l'explosion d'une bouteille. Le *Droit de Vivre* commentera l'affaire sous ce titre : « *La vérité sur les incidents du 9 décembre 1979 provoqués par le G.R.E.C.E. *»*,* ce qui ne surprend personne. Nul n'ignore qu'il y a belle lurette que M. Pierre-Bloch et la vérité font chambre à part. \*\*\* Une polémique s'ensuit. Un « invité » du colloque, M. Godminc, prétend avoir entendu des cris antisémites dans la salle du Palais des Congrès où se tenait le colloque. Deux autres personnes, également invitées, Mme Anna Posner déportée à Auschwitz et M. Pierre Barrucand, médaille de la Résistance, s'inscrivent en faux contre ce témoignage. Ils déclarent n'avoir relevé « *aucun propos pouvant être qualifié de raciste, d'antisémite ou d'antidémocratique* (sic)*. Il n'y a pas eu davantage le moindre relent de néo-nazisme. Cette impression a été partagée par plusieurs auditeurs dont nous connaissons personnellement les convictions solidement républicaines *» ([^2])*.* Je me garderai bien de donner mon sentiment sur cette querelle : j'aurais trop peur que M. Vial me fasse com­prendre que mon avis n'a pas été souhaité. En outre tel n'est pas mon propos. Ce qui me paraît étrange, dans toute cette affaire, c'est qu'à un colloque organisé par la « Nou­velle Droite » en décembre 79, M. Le Pen ait été jugé indésirable alors que Mme Anna Posner, M. Godminc et M. Barrucand ont été facilement admis. 23:243 Mme Posner et M. Barrucand précisant même : «* Nous avons tenu à assis­ter au colloque de G.R.E.C.E. ; nous n'avons eu aucune difficulté à obtenir des invitations, alors que nous avions précisé que nous venions en observateurs sceptiques. *» ([^3]) Il en a été de même pour plusieurs autres auditeurs dont Mme Posner et M. Barrucand garantissent « *per­sonnellement les convictions solidement républicaines *»*.* On sait ce que parler veut dire. Ces « *convictions soli­dement républicaines *» sont généralement celles des francs-maçons. C'est-à-dire des gens que la Droite, la vraie Droite, la Droite d'hier, d'aujourd'hui et de demain n'a cessé de combattre sans merci. Cet aspect de la réalité politique a échappé à M. Vial. Pour lui Mme Posner, M. Godminc. M. Barrucand et les Frères Trois Points avaient leur place, toute leur place, au colloque de la « Nouvelle Droite ». Mais pas M. Le Pen. C'est énorme. Mais c'est ainsi. \*\*\* Il n'y a plus grand chose à ajouter. Sinon ceci : les benêts de mon espèce, qui rêvent toujours de grandes alliances, au souvenir des foules ferventes qui acclamaient le Maréchal, doivent en prendre leur parti. Il n'y a rien à attendre de la « Nouvelle Droite ». Ni un signe d'intelli­gence, ni un geste de reconnaissance, ni une main dans l'adversité. Rien. Au contraire. Elle est prête à nous acca­bler davantage dans l'espoir de se démarquer. C'est la morale de ces deux anecdotes. Bien entendu la Nouvelle Droite ne trompera personne. 24:243 Ni ses adversaires naturels. Ni ceux qui la regardaient avec sympathie avant que ne glissent les masques. Ceux-là se disent : « Pas à droite, pas même adroite la Nouvelle Droite. » Et ils sourient. François Brigneau. 25:243 ### L'inflation désirée par Louis Salleron L'INFLATION se porte bien. En France et partout dans le monde. On sait qu'elle est mauvaise pour la santé des pays, mais c'est une drogue douce qui met du temps à manifester ses effets les plus pernicieux, et comme elle est agréable à beaucoup on ne se hâte point de la combattre. Elle est bien plutôt désirée par les gou­vernements qui trouvent dans ses mécanismes une ma­nière oblique d'augmenter leurs recettes fiscales en même temps que de diminuer leurs dettes à l'égard des épar­gnants. Le seul souci des gouvernements, c'est que les mé­canismes tiennent, car s'ils craquent c'est l'aventure et, pour eux, l'obligation de passer la main. En France, on sent poindre l'inquiétude. Les caisses d'épargne commencent à marquer quelque lassitude, et les soubresauts de l'or attirent l'attention sur la valeur ma­gique d'un métal qui, depuis qu'il est démonétisé, semble être redevenu le seul étalon monétaire de la planète entière. La situation, toutefois, comporte des inconnues nou­velles. De rampante qu'elle était l'inflation devient trot­tante sinon galopante en certains pays voisins, comme l'Angleterre, où elle atteignait 20 p. 100 ces temps-ci. 26:243 L'an­née 1979 a été une année inflationniste, c'est-à-dire mar­quant une augmentation de l'inflation à peu près dans tous les pays de l'économie occidentale. Pour sauver sa monnaie, chaque pays continue de recourir aux remèdes classiques mais à des doses de cheval. Les taux d'intérêt passent à 15, 20, 25 p. 100 et les analystes financiers ne se hasardent plus à faire des prévisions. C'est qu'à un certain degré de dérèglement général, les rapports entre les principaux éléments monétaires et financiers se dérè­glent à leur tour, pouvant aller jusqu'à s'inverser. Les Français perçoivent confusément cette situation. Ils acceptaient la présentation de l'inflation dans les termes simples salaire-coût de production, coût de production-prix de vente, exportation-importation. Ils ont tendance main­tenant à ne plus s'en satisfaire, pressentant qu'il y a autre chose qui est tout bonnement le gaspillage des deniers publics. Ils s'irritent que dans les brillants exposés que leur font le président de la République et le Premier ministre les questions importantes ne soient jamais abordées. On leur parle indéfiniment des « avantages » « consentis » « aux plus défavorisés » en s'abstenant bien de mention­ner que ces « plus défavorisés » sont tels pour avoir été spoliés de leur épargne année après année par l'inflation tandis que la législation familiale était démolie systéma­tiquement par la V^e^ République. Par une ironie dont on se demande si elle est consciente ou inconsciente les princes qui nous gouvernent baptisent l'année 1980 « année du patrimoine », comme ils avaient baptisé l'année passée « année de l'enfance ». Celle-ci fut l'année de l'avortement, celle-là sera l'année de notre dernière chemise. Le patrimoine, c'est en effet le patrimoine « national ». M. Giscard d'Estaing a tenu à nous expliquer que tous les Français en étaient proprié­taires. Il leur appartient donc de le conserver afin de pouvoir en jouir, ce qui suppose beaucoup d'argent qu'ils se feront un plaisir de donner à l'État qui a la charge de l'entretenir. Qu'y a-t-il de plus beau, de plus libéral et de plus avancé que la propriété collective ? Si celle-ci était condamnable quand elle demeurait « personnalisée » aux mains de l'Église, des seigneurs et des rois, elle est hau­tement recommandable quand le Contrat social nous en rend maîtres et légitimes possesseurs à l'égal de la nature. 27:243 D'ailleurs, si l'histoire nous oblige à compter encore dans notre patrimoine tant de cathédrales et de châteaux, nous devons nous consoler en pensant à nos descendants qui trouveront dans leur berceau Beaubourg et la Défense, la Tour Eiffel, la Tour Montparnasse et le Trou des Halles, sans parler, à l'échelon de l'urbanisme, des immenses banlieues d'H.L.M. et de bidonvilles. On n'a jamais que le patrimoine de ses ancêtres. Souhaitons à nos héritiers d'avoir lieu d'être fiers de ce que nous leur léguerons. Il y a quelques mois, je tombai par hasard, à la radio, sur un dialogue entre Michel Debré et Marcel Jullian. Celui-ci se demandait par quel mystère les hommes poli­tiques sont aussi profondément coupés des préoccupations et des problèmes de la grande majorité des Français. Mi­chel Debré niait cette coupure, pensant sans doute à lui-même. Mais Marcel Jullian rétorquait qu'il la constatait partout et qu'au surplus il l'éprouvait lui-même. Elle est, effectivement, manifeste. C'est la campagne pour les élec­tions européennes qui l'a rendue éclatante. Les leaders des grands partis ne pensaient qu'à grignoter quelques voix à leurs concurrents. Ils ne se rendaient pas compte que leurs gains ou leurs pertes n'étaient rien à côté du discrédit qu'ils jetaient en commun sur un système politique qui semblait leur convenir parfaitement alors que le Français moyen le ressentait comme une prison dont il n'y avait décidément pas moyen de sortir. Le « petit écran » de la télévision n'avait pas volé son nom : un écran, irrémé­diablement opaque et parfaitement incassable, entre le petit monde du Pouvoir et la foule de ceux qu'il gouverne. En ce printemps 80, l'illusionnisme officiel continue, plus assuré que jamais de ses effets. Nous apprenons que le peuple français est attaché avant tout aux grandes conquêtes de la Sécurité Sociale et que faire des économies dans cet univers de gâchis serait attenter aux grands principes de la Révolution et aux mânes du général de Gaulle. Alors, en avant les impôts ! En avant les « cotisations sociales » ! Les familles, les indépendants, les classes moyennes sont invités à financer la décadence nationale jusqu'à leur propre disparition finale qui la consacrera. L'inflation est le seul lien qui rattache la France sans voix à la France bavarde. Certes les catastrophes aux­quelles elle peut conduire deviennent sensibles à tous, mais il y a encore une majorité de Français à qui elle procure les mêmes avantages qu'au Pouvoir. Celui-ci es­père donc pouvoir moduler jusqu'aux élections présiden­tielles les craintes et les espoirs dont il a besoin pour survivre. 28:243 Dans ce royaume des ombres, le jeu ne se joue plus à quatre, avec quelques outsiders en réserve, il se joue à deux ; Valéry Giscard d'Estaing et Georges Marchais. Et il continuera de se jouer à deux pendant toute l'année, sauf si le premier prend quelque décision destinée à en interrompre le cours ou que l'imprévisible événement re­mette l'Occident en face de la réalité. L'un et l'autre jouent gagnant, car ils ont pour force l'un et l'autre de jouer la logique pure de leur idéologie personnelle : celle du libéralisme avancé, c'est-à-dire du socialisme, pour le premier, celle du socialisme avancé, c'est-à-dire du communisme, pour le second. Selon ce schéma, Valéry Giscard d'Estaing resterait président de la République parce que les Français ont peur du communisme, mais Georges Marchais gagnerait également parce qu'il incarnerait la tradition républicaine et démocratique, celle de la Révolution, de la Commune et de la Libération. Si donc M. Giscard d'Estaing n'en décide pas autre­ment et si le monde extérieur consent à nous laisser à nos jeux, il suffit que l'inflation ne dépasse pas 15 p. 100 d'ici Noël pour que les deux concurrents gagnent. M. Barre y veillera pendant tout le temps jugé nécessaire. Et ensuite ? Ensuite c'est « la patrie en danger » qui désignera le sauveur. Georges Marchais y compte bien. -- Mais l'avenir n'ap­partient qu'à Dieu. Louis Salleron. 29:243 ### Le cours des choses par Jacques Perret LA MORT n'est sans doute pas contrariée dans l'exercice de ses fonctions par l'abandon des signes exté­rieurs qui rappelaient aux vivants la fatalité de son échéance. C'est un fait que privée de ses illustrations ordinaires la mort n'est plus en moyen de s'affirmer ou­vertement comme nécessité symétrique à la vie. Les mortels occidentaux s'appli­quent en effet, depuis peu, à mitiger, amortir, évincer tout le protocole indécent de la mort. La tête de mort a disparu de notre emblématique épurée. Qui donc aujour­d'hui, serait-il anachorète s'il en reste, oserait méditer, prier devant le crâne décharné d'un *memento-mori ?* Et quel croque-mort serait assez malin pour lui procurer cet objet ? La mort est évacuée de notre quotidien, son image insultait à la vie. Déjà la Renaissance pour justifier son nom invitait les mortels à ne plus s'évertuer que dans le bonheur de vivre. Comme chacun sait l'abondante imagerie des danses macabres est une spécialité du Moyen Age. Elle n'aurait aujourd'hui d'autre mission qu'inculquer aux enfants le dégoût et mépris de ces temps-là, il en va de l'honneur et sécurité de la démocratie. N'empêche que nos enfants ont la tête et le cœur ainsi faits que le Moyen Age est à leur goût le moment privilégié de l'histoire de France. Certains auront la chance d'entendre dire que les hommes en ce temps-là se voulaient éclairés, conditionnés par le surnaturel ; la mort était non seulement acceptée comme le contraire du néant mais comme l'ineffable déga­gement sur nos fins dernières. Rien n'était plus familier que l'image du mortel qui s'en va bras dessus bras dessous avec son squelette à travers les tribulations de sa vie brève. Tout cela bien sûr n'a plus d'intérêt qu'historique, mais la leçon des ilotes enivrées de fables et légendes fait toujours bonne réclame des sociétés affranchies dans le bourbier matérialiste. Ingénieuses en diable elles ont déjà pour le moins convaincu la mort de se présenter en toute modestie et discrétion. C'est un grand succès, pour commencer, que d'avoir obtenu sans difficulté que ses faire-part ne soient plus bordés de noir. 30:243 Ils sont bordés de gris. Le symbole crucial aussi bien s'estompe-t-il en grisaille. Du même coup bien sûr les vivants sont gratifiés d'un regain de vitalité. S'il est encore admis, en secret, comme une servitude inavouable que la vie et la mort ont partie liée, quand la mort se déguise la vie en fait autant et tant qu'à faire déguisons-nous en immortels. Ainsi, enfin, l'horrible noir le cède-t-il au gris sur les enveloppes et avis de décès, l'événement est d'importance. Nous y fêtons comme une étape audacieuse et dynamique dans le processus libérateur de l'humanité. Un restant de ténèbres s'attardait dans le siècle et le voici déjà, passant du noir au gris, sinon dissipé, considérablement allégé. Ajoutez à cela que même en gris, la lettre ou le carton n'est plus encadré comme l'était le noir. On a dû s'aviser qu'un pareil décor suggérait la claustration avilissante et hermétique de l'intéressé dans un quadrilatère infesté de superstition. Les faire-part en effet ne sont plus galonnés aujourd'hui que sur le côté gauche d'un trait de brouillard léger où se respire la sérénité d'un beau matin d'automne. Pour ce qui est de la croix elle est toujours latine et si elle a visiblement tendance à se raccourcir le croisillon n'y voyez pas une référence à la symbolique janséniste, il ne s'agit que d'élégance. Mais le signe alors dans sa pâleur extrême n'est plus que la version évanescente et courtoise d'un supplice ancien plus ou moins mythique et douillette­ment effacé dans la grisaille des temps, tout au bord de l'oubli. On a donc réussi à persuader les gens que toute ex­pression affichée de la mort était traumatisante et pour le moins préjudiciable à leur santé morale. Certains ont pu soupçonner d'obscures manœuvres encouragées en haut lieu à seule fin de camoufler un phénomène dont les impli­cations religieuses disconvenaient gravement au progrès des sociétés libérales si avancées fussent-elles. Vu la con­version de notre Église à l'humanisme démocratique, l'ar­gument n'est plus valable. Il ne s'agirait alors et tout bonnement que de promouvoir le confort des vivants dans l'oubli de la mort. 31:243 Au nom de « la qualité de vie », bienheureuse locution qui passerait en ritournelle par la bouche arrondie de Giscard, nous avons vu en l'espace d'une génération tout le train des pompes funèbres non pas se repeindre en gris mais carrément disparaître. Seule l'importance du défunt peut justifier un semblant de cortège, automobile bien sûr et attentif à se maintenir à la vitesse du flot. C'est la mort expédiée, la vivacité de la circulation en fournit l'excuse ou le prétexte. Dans ces conditions bien sûr inutile de préciser que le véhicule funéraire, même reconnu pour tel, n'a plus droit au coup de chapeau des passants dont Rimbaud ne laissait pas de rigoler. J'ose à peine espérer qu'il reste encore un quadrige ou rien qu'une paire de chevaux à robe sombre dans les écuries Borniol pour satisfaire occasionnellement aux dernières volontés d'un éventuel personnage historique vénéré dans les trois mon­des en tant que prophète et moteur du progrès non-stop, mais secrètement amateur de canulars posthumes. Je crain­drais seulement qu'un valet d'écurie bien intentionné ne s'avisât de les barbouiller en gris. Toujours est-il que le monde officiel, pour peu qu'il y ait cérémonie, se veut toujours en noir, et son parc automobile est noir. Exceptionnelle dans la circulation urbaine la voiture noire dénonce le transport d'un per­sonnage officiel. Tout le restant du flot est bigarré, à com­mencer par les petits fourgons-corbillards hélas reconnais­sables encore à leur carrosserie vaguement fonctionnelle mais pieusement banalisée dans les gris-rose, gris-vert, gris-jaune. Soyons honnêtes : si la notion de deuil accepte aujour­d'hui de s'amadouer en grisaille dans ses versions épisto­laires, elle refuse encore de se déclarer dans la toilette et se voiler de gris. Plutôt arborer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel que le gris toujours équivoque, hypocrite et veule. Ainsi le grand deuil ni le demi n'est-il plus à prendre, ni à porter ni à quitter, fût-ce en gris perle ou souris. Pour ce qui est du noir sa déchéance en toutes choses et circons­tances est un phénomène évidemment imputable à tous les soins exigés par cette qualité de vie à l'idéal de laquelle sont associés le confort des fesses, les bienfaits de l'élec­tronique et les rengaines de l'environnement. Toujours est-il que dans une démocratie à vocation euphorique le noir et les vocations qu'il assume sont de plus en plus anachroniques et indésirables. 32:243 C'est pourquoi tout citoyen convaincu de prédiction ou allusion, proclamée ou clan­destine et relative à notre condition de mortels ou seule­ment à la noirceur de nos lendemains sera livré à la réprobation publique. Il est temps de m'aviser que le thème du noir est un abîme insondable, j'abandonne la partie. Ne voulant que résumer les impressions éprouvées devant la mutation de nos papeteries de deuil, mettons que je me suis rendu aux facilités d'un procès d'intention. \*\*\* Une manchette du *Parisien,* « L'homme artificiel pour l'an 2000 ». Mille mercis de renouveler cette annonce. Elle vient toujours à point pour accomplir et justifier le pro­gramme des tours de Babel en construction. Sur une histoire de poumon greffé on nous rappelle cette aimable hypothèse déjà dogmatisée de l'origine si­miesque de l'homme. Tant qu'à faire et le premier pas étant franchi le processus officiel et bien connu se déroule. On dotera le respectable babouin d'une hérédité assez gé­néreuse autant que dégressive pour nous convaincre d'une présence humaine dans je ne sais quelle amibe ou proto­plasme élaboré au hasard des rencontres chimiques et désireux de se promouvoir dans l'échelle des gènes et gégènes. Si l'accession est un peu lente et laborieuse dans les débuts c'est la loi de l'évolution universellement et uniformément accélérée dans le sens du mieux. Les progrès par exemple accomplis dans les communications et le sani­taire ne peuvent que témoigner à l'évidence des progrès de l'homme en tant qu'*homo faber* aussi bien qu'*homo sa­piens.* Pour ce qui est des communications l'exemple est peut-être mal choisi. Postée aux Gobelins pour le Marais une missive aujourd'hui met facilement deux jours. Sous Louis XV elle arrivait le matin même où elle était postée, il y avait une dizaine de levées par jour. 33:243 Je reconnais d'avance un rien de parti pris dans tous les exemples que je pourrais donner. Pour ce qui est de la morale seul un humaniste humoriste pourrait dire que le mensonge, l'avarice, la bêtise, la cruauté, la superbe et la perfidie sont plus rares qu'au temps d'Assuerus et de Pharamond. Jacques Perret. 34:243 ### Je reviens du Liban *avec le M.J.C.F.* par Jean-Pierre Brancourt Pour la première fois depuis la guerre, un groupe de vingt jeunes français appartenant au Mouvement de la Jeunesse Catholique de France a choisi de passer les fêtes de Pâques sur le front chrétien du Liban : per­sonne ne s'était laissé imposer les slogans de la presse mondiale, mais certaines images flottaient dans les es­prits : guerre civile, guerre religieuse, guerre sociale... guerre en tout cas terminée depuis longtemps grâce à l'in­tervention bienfaisante de la Force de Dissuasion arabe. Dès la sortie de l'aéroport, le groupe s'est trouvé en présence d'une ville occupée. Pour gagner le secteur chré­tien, à l'Est de la ville, il faut en traverser la partie syro-palestinienne que son état de dégradation apparente da­vantage à un terrain vague qu'à un quartier résidentiel. Les innombrables contrôles infligés en quelques kilomètres aux automobilistes dissipent toute ambiguïté : une armée omniprésente tient le territoire et, si les militaires syriens lisent à l'envers les passeports, ils dirigent dans le bon sens les pistolets-mitrailleurs qu'ils braquent sur les voitures. 35:243 La place du Musée où se dresse encore un superbe portique romain constitue la ligne de démarcation entre les deux zones. Le musée archéologique dont les trésors phéniciens, égyptiens, et mésopotamiens témoignaient du croisement, au Liban, des civilisations antiques, est devenu une casemate syrienne. Quant aux bijoux des pharaons, aux *ex-voto* des conquérants grecs, romains ou byzantins, ils circulent quelque part à Damas. La zone chrétienne offre un contraste frappant : la ville est active et propre ; on s'y déplace librement. Les traces des dévastations ne sont pas effacées, mais la vitalité et la ténacité de la population s'imposent à l'évidence des chantiers s'élèvent de toutes parts et l'on implante même des stations balnéaires. Le Mouvement de la Jeunesse Catholique de France a été accueilli selon les meilleures traditions de l'hospi­talité libanaise. Installé à une quinzaine de kilomètres au Nord de Beyrouth, il a pu visiter, au Nord et au Sud, les zones de combat, rencontrer les combattants et vivre avec eux, voir leurs chefs et comprendre ainsi de l'intérieur l'ampleur et les raisons de l'affrontement. #### I La première réalité que l'on perçoive avec clarté, dans ces conditions, est celle de la guerre. Gérard de Nerval avait écrit à propos de Beyrouth, dans son *Voyage en Orient :* « Un paysage plein de fraîcheur, d'ombre et de silence, une vue des Alpes prise du sein d'un lac suisse, voilà Beyrouth par temps calme. » Le temps n'était pas calme dans tous les quartiers de Beyrouth lorsque les étudiants du M.J.C.F. se sont dirigés vers la rue de Damas et le centre de la ville. Des carcasses d'autobus parse­maient les rues proches du front. Les immeubles sinistrés devinrent plus nombreux et bientôt la circulation fut inexistante. Des soldats des Forces Libanaises escortèrent les Français vers les barricades. A une trentaine de mètres des ouvrages défensifs des coups de feu claquèrent et, cet après-midi là, les échanges furent presque continus. 36:243 Un officier expliqua que cette tension était quotidienne. Les soldats étaient souvent très jeunes. Les effectifs qui se trouvaient sur place et qui défendaient la zone Est de Beyrouth étaient composés d'étudiants ou d'adultes qui, depuis le début de la guerre, consacraient la moitié de leur journée à leur vie professionnelle et l'autre à la guerre. Cette armée des Forces Libanaises est le résultat de la combinaison des forces militaires de chaque for­mation politique nationaliste. A l'intérieur des territoires contrôlés par les Forces Libanaises, la population tout entière est en armes, arc-boutée contre la pression étouffante des Syriens et des Palestiniens. Actuellement cet effort a permis de protéger de l'invasion un cinquième du territoire libanais. Les deux tiers du Sud-Liban sont sous le contrôle exclusif des Palestiniens ; quant au dernier tiers, sur la frontière israélienne, il est isolé du reste du pays par la présence intermédiaire des Palestiniens, et, s'il a pu être protégé, c'est par l'initiative d'un officier libanais, patriote, le major Haddad, qui proclama un Liban libre dans la ré­gion. Une zone qui s'étend de Sidon jusqu'au centre de Beyrouth est tout entière sous le contrôle des Syriens et des Palestiniens. La plaine fertile de la Bekaa et la plus grande partie Nord du Liban sont occupées par l'armée syrienne, sous sa seule autorité. Le réduit formé par Bey­routh et sa banlieue, le Metn, le Kesrouan, Byblos, la ville de Bechareh et celle de Zahlé qui sont entourées de forces syriennes, représente le seul territoire libéré de toute pré­sence armée étrangère. La sécurité extérieure est inexistante en raison de l'oc­cupation palestinienne de la région Sud. Depuis que les Palestiniens se sont emparés de ce territoire, la guerre s'y est installée : bombardements et opérations militaires se succèdent. La sécurité extérieure est également compro­mise par l'armée syrienne dont les exactions ont été con­damnées par le Conseil de Sécurité de l'O.N.U., le 6 oc­tobre 1978 ([^4]) ; la politique belliciste de la Syrie à l'égard d'Israël et les préparatifs de guerre élaborés en territoire libanais contribuent à faire peser des menaces incessantes sur le patrimoine du Liban. 37:243 La sécurité des citoyens libanais dans leur propre pays est également précaire partout où sévissent Palestiniens et troupes syriennes. Les uns se sont arrogé le droit d'arrêter les particuliers, de confisquer leurs biens à leur gré et éventuellement de les exécuter sommairement ; les disparitions ne se comptent plus. Les autres arrêtent les pas­sants et les voitures aux barrages et recherchent les mem­bres des partis libanais pour les interpeller et les diriger sur les prisons de Damas. Dans l'ensemble du pays, la justice est paralysée. Une telle situation apparaît à l'évidence après quelques jours d'observation attentive et de cohabitation avec les chrétiens du Liban. Le spectacle offert par Beyrouth est à cet égard édifiant : il n'est pas rare de voir, passée dans la ceinture d'un civil, la crosse impressionnante d'un Colt 45 ou d'un P. 38. Les tirs d'armes automatiques ou de mortiers sont fréquents. Les étudiants du M.J.C.F. ont été confrontés très vite à cet état de fait. Le périple effectué dans les postes du Nord a confirmé cette impression. Le paysage et l'ambiance étaient évidem­ment très différents. Dans la montagne, refuge tradition­nel des chrétiens, au Nord-Est de Byblos, des soldats des Forces Libanaises tiennent des pitons qu'ils ont fortifiés face à l'armée syrienne. La plupart d'entre eux sont des réfugiés qui ont dû quitter leurs villages actuellement aux mains des Syriens. L'accès est difficile et les postes relativement isolés. Les militaires sont en fait des paysans de la région qui n'auraient en aucun cas la possibilité de s'expatrier : leurs familles n'avaient pas quitté la région depuis plusieurs générations. Des positions qu'ils occu­pent, certains peuvent apercevoir leurs villages natals où se trouvent encore leurs parents, sous la domination sy­rienne. La vie est plus âpre qu'à Beyrouth et la forme des combats est différente : accrochages entre patrouilles qui tentent de s'infiltrer, tirs de mortiers, embuscades, opérations que jalonnent des batailles rangées avec les Syriens comme celle de Knatr en février 1980 ou l'ennemi fit intervenir des tanks et perdit néanmoins trois cents hommes pour conquérir un village au fond d'une vallée. Les combattants libanais de la montagne présentèrent aux membres du M.J.C.F. des personnalités hautes en couleur se dessinant sur une toile de fond impression­nante : soldats à la jovialité bruyante et à la barbe épaisse, le revolver à la ceinture et, à la main, un kalach­nikov dont la crosse s'orne d'une image de la Vierge de Fatima, volontaires de quatorze ou quinze ans portant cha­pelet, grenades et poignard, et baisant avec dévotion le Sacré-Cœur du Mouvement. 38:243 Tous, à Beyrouth ou dans la montagne, donnent l'impression de vivre une crise angois­sante et de se savoir mobilisés pour la défense d'un bastion de civilisation. Au-delà des mensonges de la presse internationale, l'histoire même du Liban explique les rai­sons profondes du conflit. #### II Le drame que connaît le Liban trouve son origine d'abord dans des caractères permanents de la réalité géo­graphique, démographique et historique. Le relief du Li­ban a toujours attiré les réfugiés et aussi les conquérants. Le Mont Liban, chaîne de montagne parallèle à la plaine côtière, compte de nombreuses sources et il est traversé par plusieurs fleuves : Nahr Kadicha, Nahr Ibrahim, Nahr El Kalb, Nahr Beyrouth. Parallèlement à la montagne s'étend, à l'Est, la plaine de la Békaa qui est une bande de terres fertiles où coulent l'Oronte et le Litani. Enfin, à l'Est de cette plaine, la chaîne de l'Anti-Liban sépare le Liban de la Syrie. Sur le littoral, l'été est modérément chaud et l'hiver doux. Sur l'ensemble du pays, il pleut abondamment d'octobre à avril à l'exception de l'Anti-Liban, mais au pied de cette chaîne commence bruta­lement le désert de Syrie. Il est évident que la douceur du climat et les possibilités d'irrigation distinguent le Liban du reste de l'Orient : l'Égypte est tributaire des inon­dations du Nil, en Mésopotamie, le Tigre est trop violent et l'Euphrate difficile à utiliser : au Liban, l'eau se pré­sente en sources, en petites rivières, en minces torrents de montagne et surtout en puits. L'eau est au puits fami­lial : il n'est pas indispensable de l'utiliser ou de la discipliner en commun ; elle relève du patrimoine indivi­duel : en phénicien, Beyrouth signifierait « puits ». Une originalité de ce type ne pouvait que susciter les convoi­tises. 39:243 Des invasions diverses ont déferlé sur le territoire à travers l'histoire et les conflits se sont multipliés. Trois fois, dans l'Antiquité, le Liban a connu l'unification : sous Alexandre le Grand, sous la tutelle romaine qui entraîna pour la seconde fois la participation du Liban à la civili­sation gréco-latine, et enfin sous l'impulsion chrétienne. La vision chrétienne de l'univers se renforça au Liban d'un fond de culture gréco-latine. Les Libanais sont fiers d'être les plus vieux chrétiens du monde ([^5]). Cette situation privilégiée explique le sentiment puissamment enraciné dans la population de participer à la communion chrétienne et d'avoir un lien très fort avec l'Occident. Au VII^e^ siècle, ce sont les chrétiens d'Orient qui subirent les pre­miers chocs de la poussée islamique : lorsque les Byzan­tins furent écrasés par les Arabes à la bataille de Yar­mouk, en 646, les Musulmans déferlèrent jusqu'en Cilicie. Vingt millions d'individus habitaient la partie conquise ; parmi eux certains choisirent de s'arabiser, d'autres pré­férèrent combattre mais ils furent vaincus, les derniers se réfugièrent en Arménie ou au Liban et créèrent ainsi, sur la montagne, un foyer national chrétien. C'est à par­tir de ce moment que commence le conflit libanais ; c'est à cette date et en ce lieu qu'il faut chercher la genèse de la nation libanaise : le peuple libanais se définit essentielle­ment comme la survivance de l'Orient chrétien et son histoire est celle de la résistance chrétienne dans les monts du Liban. Cette geste qui se développe du VII^e^ au XIV^e^ siècle sur le Mont Liban et qui est volontairement occultée par l'histoire officielle a pour correspondant en Occident l'épopée de la Reconquête espagnole dont le roi Pélage, retranché lui aussi dans les montagnes, celles de la chaîne Cantabrique, à Covadonga, donne le signal, en 718, et qui s'achèvera en 1492. Pendant cette période, les chrétiens installés sur le Mont Liban se rapprochèrent les uns des autres et, malgré l'existence de tendances religieuses différentes, le combat leur donna une certaine homogénéité. Ils sont même en mesure de mener à l'extérieur des opérations victorieuses. Ils réussirent ainsi à prendre Alep, et, au VIII^e^ siècle, à libérer, pour quelque temps, la région située entre An­tioche et Jérusalem ([^6]). 41:243 Le christianisme libanais connut une véritable résurrection lors des Croisades : les troupes franques furent guidées par des mardaïtes et le gouvernement mis en place fut réellement partagé entre occiden­taux et chrétiens autochtones. Après le départ des croisés et la poussée des mamelouks, l'ensemble du Liban devint arabe et la situation des chrétiens fut de plus en plus pénible : les habitants de la Montagne durent apprendre l'arabe mais, pour conserver le trésor de la culture chré­tienne, les couvents traduisirent les documents en grec et en latin. Le clergé apprit les langues occidentales et s'acharna à maintenir des liens intellectuels étroits avec les missions françaises. En 1516, les Turcs ottomans écra­sèrent les mamelouks dont l'empire s'étendait du Caire à la Syrie. Le Liban tomba entre leurs mains, mais les chrétiens poursuivirent leur résistance et ils appuyèrent les populations arabes contre les Turcs. Ainsi l'identité libanaise fut toujours essentiellement sous-tendue par le christianisme. Le souci permanent des chrétiens d'Orient fut de conserver leur foi malgré les persécutions et le Liban fut pour eux le bastion de la résistance chrétienne. C'est ainsi que la notion de patrie libanaise n'a de signifi­cation que grâce au christianisme libanais. Le recours à la thèse de l'arabisme n'a été qu'un argument circonstanciel pour lutter contre les Turcs à la fin du XIX^e^ siècle. Les conceptions philosophiques de l'Islam sont diamé­tralement opposées à celles du christianisme, en particulier à propos de l'idée de patrie : pour le Musulman, la patrie, c'est la nation musulmane, la Oumma, qui a toujours considéré comme artificielles et provisoires les frontières juridiques des pays ; en outre, le Coran interdit aux Musulmans de se laisser gouverner par des infidèles : tout Musulman pratiquant est dans l'obligation d'arracher aux non-Musulmans un pouvoir qu'ils exerceraient sur lui. Si ce but ne peut pas être obtenu à court terme, il faut prendre des dispositions pour y parvenir. Cet impératif explique l'attrait qu'exercent sur les Musulmans du Liban les États voisins. Il faut chercher dans cette direction les causes profondes et permanentes de la crise libanaise. Il faut également souligner que le malentendu du Pacte national de 1943 repose sur cette divergence définitive : 42:243 la proclamation de cette charte, en novembre 1943, fut la conséquence directe des maladresses du délégué général de De Gaulle qui avait jugé opportun de faire arrêter le président de la République, le président du Conseil et quelques ministres ; le Pacte national était une sorte de contrat entre les représentants des Musulmans et ceux des chrétiens en vue de fonder un État libanais libre et indé­pendant. Les chrétiens s'engageaient à rompre leurs liens avec l'Occident, et, en contrepartie, les Musulmans accep­taient de couper les leurs avec l'Orient. Une phrase du président El Khouri résume la formule : « Le Liban main­tiendra une indépendance totale à l'intérieur de ses fron­tières actuelles et entretiendra une collaboration profonde avec les pays arabes tout en respectant le principe de l'indépendance. » C'était, à première vue, une formule réa­liste ; elle accordait la présidence de la République aux chrétiens maronites, la charge de premier ministre aux Musulmans sunnites et celle de président du pouvoir lé­gislatif aux chiites, mais de 1943 à 1975, les deux com­munautés vécurent sur un qui pro quo, les chrétiens in­terprétant cette convention comme la solution du problème de la coexistence, et les Musulmans l'envisageant comme la première étape de l'insertion du Liban dans le monde arabe. La stabilité du Liban était fragile : il risquait cons­tamment d'être entraîné dans le sillage des États arabes dominants. Les mouvements qui, à partir de 1954, agitèrent le monde arabe, devaient avoir nécessairement des réper­cussions sur l'équilibre du pays. L'avènement de Nasser en 1953, la constitution de la République Arabe Unie, la nationalisation du canal de Suez ressuscitèrent la volonté d'unir la nation arabe. Nasser en devint le symbole. Dès 1958, il fut apparent que l'ambiguïté de 1943 devait en­gendrer le désordre : les mouvements nationaux arabes du Liban, essentiellement sunnites, demandèrent au pré­sident de la République, Camille Chamoun, de rompre les relations diplomatiques avec la France et l'Angleterre. Chamoun, hostile aux ingérences de Nasser dans les mi­lieux politiques sunnites du Liban, refusa : à la suite des élections législatives de 1958, les partisans de Nasser et d'une grande nation arabe déchaînèrent des troubles qui prirent l'ampleur d'une révolution. L'armée, commandée par le général Chehab, s'efforça, pour des raisons confes­sionnelles, de conserver sa neutralité et se contenta de cir­conscrire les zones de violence. 43:243 A partir de 1967, le Liban subit plus fortement que jamais les contrecoups des troubles du Moyen-Orient. Le Liban présentait aux yeux des États arabes un double dé­faut : il était présidé par un chef chrétien et sa constitution était étrangère à la loi coranique ; d'autre part, la Syrie, la Libye, l'Irak considéraient avec hostilité les libertés et le mode de vie des Libanais. En 1948, lorsque fut implanté l'État d'Israël, le Liban avait accueilli géné­reusement les réfugiés palestiniens ; après la défaite de Nasser en 1967, la résistance palestinienne allait devenir sur le sol du Liban un instrument de subversion et d'as­servissement à la nation arabe. Une partie de la minorité musulmane libanaise, sollicitée par la Oumma, encouragea de toutes ses forces les pressions de la Syrie et de l'Égypte en faveur des Palestiniens et c'est ainsi que des Palesti­niens armés surgirent au Liban en 1969 ; ils s'installèrent à proximité de la frontière israélienne et bombardèrent les agglomérations les plus proches attirant ainsi sur les villages libanais la riposte d'Israël. Les agissements des Palestiniens entraînèrent ainsi l'exode de la population du Sud-Liban vers le Nord. Les Palestiniens bénéficiaient de l'appui inconditionnel du parti Baas syrien et de Nasser ; en outre, les Musulmans libanais inféodés à la Oumma applaudissaient aux volontés des pays frères : le Liban dut signer les accords du Caire, en novembre 1969, qui lui fu­rent imposés par les pays arabes. A partir de ce moment, la présence armée des Palestiniens au Liban était reconnue ; les camps de réfugiés devinrent des camps retranchés ; non contents de jouir d'une extra-territorialité de fait, les Palestiniens se manifestèrent sur tout le territoire national, vérifiant l'identité des Libanais dans leur propre pays et procédant même à des arrestations. L'Organisation de Libération de la Palestine enrégimenta des individus de toute origine, Yéménites, Nord-Coréens, révolutionnaires japonais, et même Musulmans libanais. Pour avoir un appui plus ferme, les Palestiniens se lièrent à l'Islam du Liban et chaque fois que le gouvernement du Liban était obligé d'affronter les fedayins, il se heurtait, d'une part, à l'Islam libanais et, d'autre part, aux pays qui, paradoxa­lement, imposaient sur leur territoire les entraves les plus nettes à la liberté d'action des Palestiniens : l'Irak, la Syrie et l'Égypte. Le Liban, menacé à l'extérieur, était écartelé à l'intérieur. 44:243 Il subissait non seulement la loi de l'O.L.P. mais encore celle d'innombrables groupuscules qui agissaient chacun pour leur compte et déclaraient n'être liés ni par les accords avec l'État libanais ni par les engagements souscrits par l'O.L.P. Ces proclamations n'empêchaient pas les dissidents d'exiger la protection de l'O.L.P. ni de mobiliser la solidarité islamo-palestinienne aussitôt qu'ils étaient confrontés au gouvernement libanais ou aux phalanges chrétiennes. Pour donner une image exacte de la situation, il faut enfin rappeler que chaque bande inféodée à un pays-frère vidait ses querelles sur le sol libanais. Le pays « de la fraîcheur, de l'ombre et du silence » devint le théâtre des affrontements entre le Sud-Yémen marxiste et le Nord-Yémen, la Libye et l'Égypte, le Maroc royaliste et l'Algérie pseudo-républicaine, les révo­lutionnaires du Dhofar et les émirs du Golfe, chacun agis­sant par fedayins interposés. Bien entendu, pour les mem­bres de la Grande Nation Arabe, de la Oumma, tous les acteurs du drame faisaient figure de nationalistes et de patriotes. Le terrorisme régnait au Liban. La faiblesse de l'État suscita l'apparition de milices libanaises décidées à empêcher le naufrage du pays : dès 1969, les Phalanges et le Parti National Libéral, fondé par Chamoun en 1960, préparèrent l'armement de la population chrétienne du Liban. La préparation des accords du Sinaï entre l'Égypte et Israël fit monter la tension davantage. L'une des solutions envisagées par l'administration américaine consistait à laisser aux Israéliens le Golan tandis que les Syro-Pales­tiniens se partageraient les dépouilles du Liban. Quant à la Syrie, elle souhaitait faire pression sur les puissances occidentales en favorisant l'effritement de l'ordre au Liban, anarchie éminemment préjudiciable aux intérêts de l'Occident. Le Liban était mûr pour l'éclatement : la moindre étincelle pouvait entraîner un drame. Le 26 février 1975, l'O.L.P. exploita une manifestation de pêcheurs à Sidon et la transforma en émeute : l'événe­ment provoqua le retrait des forces régulières libanaises et l'apparition à leur place de fedayins en uniforme. Le 13 avril, les Palestiniens jugèrent possible de s'em­parer de la capitale à la faveur d'émeutes identiques dans le quartier chrétien d'Ain Remmaneh, ils ouvrirent le feu sur un groupe de fidèles rassemblés devant une église. Le chef local des Phalanges fut tué, mais ce meurtre déclencha une violente riposte et la résistance libanaise à l'invasion étrangère se révéla étonnamment efficace. La guerre commençait et dévoilait son véritable caractère : celui d'un combat acharné contre une agression étrangère. 45:243 A ce moment, le Liban, pour 10.500 Km ^2^, avait un peu plus de trois millions de nationaux. A ce chiffre s'ajou­taient 600.000 Palestiniens fortement armés et bien enca­drés. Pour une population de 54 millions de Français, il faudrait imaginer pour établir un parallèle, 11 millions de Palestiniens installés sur le territoire national. Au bout d'un mois d'affrontement, les Palestiniens étaient en plein désarroi. On recourut alors à des rivalités anciennes qui donnèrent artificiellement une allure de guerre civile à certaines confrontations et qui servirent de prétexte à la presse internationale pour dissimuler la véritable nature de cette « reconquête ». Le politicien druze progressiste Kamal Joumblat prépara une coalition qui unissait les Musulmans et les progressistes libanais et les associait, contre l'armée, aux Palestiniens. Le mou­vement palestinien prit le nom de « Révolution palesti­nienne » et les organisations qui en dépendaient adop­tèrent pour stratégie de soutenir et d'aider par tous les moyens les mouvements de « révolution » ou de « libé­ration ». Au moment précis où les autorités libanaises commençaient à être le plus sérieusement aux prises avec les Palestiniens armés, les Musulmans du Liban déclen­chèrent une crise parallèle en avançant une série de re­vendications égalitaristes qui tendaient à islamiser le Li­ban. Les slogans furent aussitôt repris par les Palestiniens et les extrémistes de gauche. Cette opposition entraîna la désagrégation de l'armée libanaise en 1976 et la constitution des Forces libanaises qui s'opposèrent directement aux milices palestiniennes et progressistes. L'année suivante le sommet arabe décida d'expédier au Liban une force de dissuasion arabe sous le couvert de laquelle la Syrie pénétra au Liban. Cette armée échappait complètement au gouvernement libanais et dé­pendait directement de Damas. Progressivement elle se transforma en une véritable armée d'occupation syrienne. Dans le courant de l'année 1978, la force de dissuasion, sous prétexte de séparer les combattants, occupa les voies de communications et pénétra progressivement les zones chrétiennes. 46:243 Les jeunes chrétiens des Forces libanaises suppléèrent aux carences de l'armée et combattirent un étranger surarmé, dix fois plus nombreux et disposant, grâce aux pays arabes, d'un appui logistique illimité. La résistance des Forces libanaises contraignit les Palesti­niens à se retirer de leurs camps installés au Nord de Beyrouth, et elle put interdire à l'armée syrienne d'envahir certaines zones. Pendant cent jours, en 1978, les troupes syriennes bombardèrent avec des « orgues de Staline », installées sur les tours de la ville, le quartier chrétien d'Aïn Remmaneh, tuant 12.000 personnes et faisant d'in­nombrables blessés mais tous les assauts furent repous­sés et, depuis octobre 1978, le Liban connaît une situation de *statu quo* militaire. Un véritable génocide avait été organisé dans l'indifférence générale de la presse interna­tionale. #### III Le Mouvement de la Jeunesse Catholique de France a eu l'honneur d'être reçu trois fois par le chef du Conseil militaire des Forces libanaises, Béchir Gémayel, par le président du Front Libanais, Pierre Gémayel, et par le chef militaire des Gardiens du Cèdre, Abou Arz. Les étu­diants français ont même participé à une émouvante prise d'armes en l'honneur des martyrs du Liban. La résolution des chefs et leur confiance en l'avenir leur ont paru aussi décisives que celles des combattants. Tous refusent la par­tition et ils estiment qu'aucune solution ne peut être envisagée aussi longtemps qu'une armée de 40.000 Syriens et une force de 600.000 Palestiniens camperont sur le territoire du Liban. L'immobilité relative du front a frappé certains des Français mais les chefs militaires ont montré que des initiatives à l'intérieur de Beyrouth condamne­raient irrémédiablement les villages chrétiens isolés en zone syrienne à être impitoyablement anéantis comme ce fut le cas, par exemple, à Damour où furent massacrés, à la hache, femmes, enfants et nouveau-nés : la presse occidentale n'avait pas jugé bon de rendre compte de cette péripétie. 47:243 La disproportion numérique des combattants, de 1 à 10, serait évidemment inquiétante, mais la volonté de se battre et la certitude de défendre le dos au mur leur civilisation décuplent le potentiel de chaque soldat chré­tien. Les prêtres et les moines témoignent d'une résurrec­tion de la foi chrétienne depuis la guerre : le Liban avait été la Suisse du Moyen-Orient mais aussi le paradis des plaisirs et du jeu. On pouvait craindre qu'une trop large ouverture sur l'Occident n'introduise les germes dissol­vants du libéralisme matérialiste : Béchir Gémayel com­me le Père Naaman et plusieurs membres de l'état-major des Forces libanaises n'ont pas manqué de souligner la purification des mœurs des chrétiens du Liban devant l'épreuve. L'intensité de la foi éclate à travers les pro­cessions qui, dans tous les villages chrétiens ont jalonné la Semaine Sainte malgré les risques qu'impliquaient de telles manifestations. Le 13 avril, cinquième anniversaire du commencement de la guerre, une cérémonie religieuse d'une ampleur considérable réunissait sur le terrain recon­quis de Tall-El-Zatar et à portée de tir des mortiers syriens les principaux chefs militaires des Forces Liba­naises et les familles. Les chrétiens du Liban ont conscience d'être l'avant-poste de la chrétienté. Ils ont montré qu'ils ne se laisseraient pas évincer même lorsque l'am­bassadeur des États-Unis mettait à leur disposition la flotte américaine pour les transformer en Cambodgiens ou en Vietnamiens du Moyen-Orient. Les étudiants du M.J.C.F. ont quitté le Liban avec la certitude que les plus vieux chrétiens du Liban n'abandonneraient pas leur sol ; le Père Naaman l'avait rappelé sobrement en ces jours de fêtes pascales : les chrétiens du Liban ont une supériorité sur le reste du monde : ils savent qu'ils ressusciteront. Jean-Pierre Brancourt. 48:243 ### Ceux qui construisent par Hugues Kéraly C'EST SUR UNE PLACE DE CAROUGE, près Genève, en pays protestant, que s'élève aujourd'hui la pre­mière église paroissiale bâtie depuis le concile par la Tradition. Mgr Lefebvre l'a bénie le 23 mars 1980, pre­mier dimanche de la Passion, sous l'appellation bien mo­deste d' « oratoire » Saint-Joseph : nos amis Genevois ont voulu éviter le grand mot, en dressant de leurs mains un temple à la messe catholique ; mais toute la Suisse déjà honore du nom d'*église* ce que la foi de cette paroisse a bâti pour faire sortir du hangar la liturgie romaine. -- La messe héroïque du hangar reste une souffrance ac­ceptable quand elle éprouve des cœurs formés avant le concile dans les maisons de Dieu ; cette privation se fait beaucoup plus grave dans le cas des enfants, où la beauté absente n'est même pas ressentie. Plus la persécution se prolonge, plus il nous faudra de véritables églises pour y conduire les enfants... C'est pour cette raison que la pre­mière-née genevoise m'est apparue comme la grande nou­velle à porter ce printemps au reste de la famille ; et personne ne se plaindra si le jour de l'inauguration, pour abriter un pareil événement, le vaste toit de l' « oratoire » était vraiment petit. ([^7]) 51:243 Le terrain de l'église de Carouge fut acheté le 1^er^ mai 1978, en la fête de saint Joseph artisan. Il s'élevait là, renforçant la prédestination des lieux dans la communion du saint, un grand atelier de marqueterie et de ferronne­rie (remarquable surtout par sa laideur : il a fallu à l'architecte autant de foi que d'art, pour en intégrer les trois quarts du gros œuvre dans son dessin final). Chacun s'est donc mis à l'ouvrage selon ses capacités sur ce chan­tier audacieux : le seul de tout le canton de Genève où l'on pouvait admirer, à l'heure de la fermeture des bureaux, des hommes d'affaires en salopette pris en main par une aristocratie souveraine d'artisans immigrés. Quand je l'ai visité, en octobre 1979, ils avaient ouvert déjà deux ailes à la façade principale, caissonné des voûtes et des fenêtres en pierre de taille, monté un chœur, des escaliers, une galerie, un baptistère, et les perceuses de saint Joseph résonnaient partout, ponctuées d'engueulades en italien. Mais les plus gros obstacles avaient très largement pré­cédé l'aventure du chantier. Car Genève n'est pas le Valais, le protestantisme détient là sa plus grande puissance et, pour compliquer le tout, le maire de Carouge, architecte de son métier, caressait des plans d'H.L.M. extrêmement fructueuses sur ce même terrain... Je laisse à deviner la suite, et quel haut personnage dans le Ciel finit par impo­ser ses vues. Non sans mal pour la petite armée de ses disciples en salopette, puisque, l'une après l'autre, toutes les autorisations administratives leur étaient refusées. Le conseil de paroisse de l'Oratoire Saint-Joseph a donc trans­piré deux années de suite dans la situation du bricoleur (confirmé) qui remplace sur sa vieille porte la serrure de l'appartement : *un problème par vis,* et qui se multiplie par dix quand le bois a lâché. -- Mais vivent les brico­leurs de la foi qui bâtissent des églises aux enfants. Leur ardeur certainement est plus catholique que celle qui ins­pire à d'autres de brandir la truelle, pour crier aux poux dans l'orthodoxie du chantier voisin. Mgr Lefebvre aime à rappeler aux Suisses que ce sont eux qui, proportionnellement, ont donné aujourd'hui le plus grand nombre de vocations à sa Fraternité : ainsi le jeune curé de notre première église genevoise est-il lui-même le fils d'un pasteur protestant. Les Suisses en effet donnent et se donnent avec générosité dans le combat de la foi : des prêtres pour le saint sacrifice de la messe, et des bras, avec l'église de Carouge, pour en abriter le mystère dignement... 52:243 A l'heure où tant de frères, dans la petite famille française, ne trouvent plus moyen de conti­nuer la lutte sans vitupérer la foi du père et de l'oncle et du cousin, je n'ai pu m'empêcher de trouver consolante la rencontre avec ces paroissiens de Saint-Joseph qui ne tapent joyeusement que sur des clous, et réservent toutes leurs forces pour dresser dans Genève des temples à l'eucharistie. Hugues Kéraly. *Adresse de l'Oratoire Saint-Joseph de Genève :* 9 avenue du Cardinal-Mermillod à Carouge, canton de Genève, Suisse. On peut *se* renseigner sur l'horaire des messes en téléphonant au Prieuré Saint-François-de-Sales de Genève : (022) 93.42.11. 53:243 ### La polémique de Cassiciacum par Jean Madiran *Les trois outrages. -- La sale guerre. -- La conversation sus­pendue avant d'avoir commencé. --* « *Traditionalisme sociolo­gique *»*. -- Réponse musicale à une petite musique. -- Une suite, sans fin : la guerre s'étend. -- Une conclusion à la recherche de n'importe quelle argumentation. -- La réplique que l'on ferait si c'était Barbara. -- Le poignard à coulisse.* CASSICIACUM*,* c'est aussi, ce fut d'abord une polé­mique : « une polémique », dit le P. Guérard, d'une « violence croissante » ([^8]). Non pas crois­sante. D'emblée, par le premier acte de cette polémi­que ([^9]), le P. Guérard lui avait donné un degré de violence qui n'a été par la suite ni dépassé, ni égalé, ni approché. Et toute la suite en est restée gravement hy­pothéquée. 54:243 Dans ce premier acte de la polémique, en effet, le P. Guérard perpétrait trois violences (verbales), trois entre autres, extraordinairement outrageantes : 1) il assimilait le comportement religieux de Mgr Lefebvre à celui de Ponce-Pilate ; 2) il déclarait que Mgr Lefebvre accomplit l'œuvre de Satan ; 3) il accusait Mgr Lefebvre d'être fidèle à la messe par tactique et non par conviction. A ces trois injures affreuses faites publiquement, le 12 avril 1979, par le P. Guérard à Mgr Lefebvre, personne à ma connaissance n'a répondu en faisant au P. Guérard trois, injures du même niveau ; et encore moins, s'il existe, d'un niveau supérieur : il n'y a donc pas eu violence croissante, le P. Guérard reste titulaire du record. TABLE DES SIGLES -- *Abbé O :* l'auteur anonyme de *FS*. -- *CASS I :* premier cahier de Cassiciacum, daté de mai 1979 voir la note I. -- *CASS II :* second cahier de Cassiciacum, daté de novembre 1979 et paru en janvier 1980. -- *CASS SUPP :* supplément anticipé au second cahier de Cassiciacum, paru à l'automne 1979. *--* *EINS :* numéro de février 1980 d'*Einsicht,* périodique publié à Munich ; voir la note 44. Toutes nos citations de ce numéro sont des textes en langue française du P. Gué­rard lui-même. -- *FS :* fascicule de *Forts dans la foi* paru sans date ni nu­méro ; voir la note 72. -- *RES :* résumé de la thèse de Cassiciacum, approuvé et re­commandé par le P. Guérard ; voir la note 1 et la note 7. 55:243 #### Les trois outrages 1° Dix mois après le 12 avril 1979, le P. Guérard a nié avoir accusé Mgr Lefebvre de se conduire « comme Pilate ». Mais en même temps qu'il nie cette injure, le P. Guérard la réitère : « Je n'assimile pas Mgr Lefebvre à Pilate, comme m'en accuse faussement M. Madiran. J'ai écrit et je répète que le comportement de Mgr Lefebvre à l'égard de l'Église qu'il désire sauver aura et a déjà immanquablement le même résultat que le comportement de Pilate qui voulut très probablement sauver Jé­sus. » ([^10]) Il n'y a donc en l'occurrence aucune fausse accusation contre le P. Guérard. Nous prenons acte de ce qu'il écrit, nous entendons les choses comme il les entend : selon lui le comportement de Mgr Lefebvre à l'égard de l'Église est semblable au comportement de Pilate à l'égard de Jésus. C'est bien ce que nous avions compris. Dans sa lettre du 12 avril 1979, le P. Guérard assurait en effet que la paix recherchée par Mgr Lefebvre est « sage comme Pilate voulut l'être ». \*\*\* 56:243 2° Le 12 avril 1979, le P. Guérard accusait Mgr Le­febvre de trahison : « Honnie soit votre paix, écrivait-il, elle est l'œuvre du Traître. » Par la suite, le P. Guérard nie avoir porté une telle accusation, mais il la réitère en même temps qu'il la nie : « Je n'ai jamais dit, ni écrit, ni pensé que Mgr Lefebvre est un traître (...). J'ai écrit et je répète que les Lefebvre et les Coache, les Madiran et les Salleron (etc.) tous font, volens nolens, l'œuvre du Traître, c'est-à-dire de Satan... » ([^11]) \*\*\* 3° Le troisième outrage, qui est le plus violent, de­mande pour être compris de plus amples citations et l'examen du contexte. Dans sa lettre du 12 avril 1979, le P. Guérard accuse calomnieusement Mgr Lefebvre d'avoir célébré la messe nouvelle « depuis le début d'avril 1969 jusqu'au 24 dé­cembre 1971 », et notamment « le 5 mai 1969 » à Sainte-Marie-Majeure. Mgr Lefebvre ne revint, dit-il, à la messe traditionnelle qu'à la suite d'un « incident » survenu à la Noël 1971 et dont nous parlerons plus loin. Nous avons déjà fait observer que cette accusation invoquait une chronologie délirante ([^12]). Dans une seconde lettre à Mgr Lefebvre, datée du 29 juin 1979, le P. Guérard fait ce qu'il appellera ensuite « préciser la portée » de son accusation ([^13]) 57:243 « Vous affirmez n'avoir jamais célébré la messe innovée. J'en rends grâce à Dieu, et j'en suis très heureux. Je maintiens cependant la véracité des faits observés que j'ai relatés, en rectifiant une erreur de date : l'incident de Noël a eu lieu en 1970 et non en 1971. Mais je dois conclure que, célébrant la messe traditionnelle, vous avez accompli les gestes extérieurs qui in­duisaient à penser que vous célébriez la messe innovée. » Le P. Guérard avait donc en avril 1979 lancé une accusation fausse. Il en reconnaît la fausseté en juin. Il n'en exprime aucun regret, ne se croit tenu à aucune ré­paration, ne se reconnaît aucun tort, et conclut que toute la faute en incombe de toutes façons à Mgr Lefebvre. On le constate une fois de plus, le P. Guérard est toujours en train de « conclure » impérieusement, toujours en train d'assener des « conclusions » tirées de raisonnements in­visibles, inexistants ou sollicités. Les commodités qu'il y trouve sont ici des commodités avec la simple morale, pour se dispenser de regretter et de réparer. Et en février 1980 il renouvelle l'expression de ses commodes « conclusions » ([^14]) « ...la question de savoir si Mgr Lefebvre a célébré la dite messe promulguée par le car­dinal Montini le 3 avril 1969. J'ai affirmé qu'il en fut ainsi ; Mgr Lefebvre l'a nié. J'ai déclaré ne pas mettre en doute la loyauté de Mgr Le­febvre, et j'ai reconnu dans la lettre (du 29 juin 1979) que Mgr Lefebvre n'a jamais célébré la dite nouvelle messe. J'ai cependant précisé, dans cette même lettre, et je maintiens, que les observations contenues dans cette lettre sont conformes à la réalité. » Autrement dit, le P. Guérard maintient ses conclusions et son accusation, même si le fait sur lequel elles se fondaient n'a pas existé. Le P. Guérard a cru que Mgr Lefebvre célébrait la nouvelle messe ; que le P. Guérard ait pu le croire, c'est la faute de Mgr Lefebvre, cela est aussi grave que s'il l'avait fait. 58:243 Toutefois la gravité de sa faute n'a sauté aux yeux du P. Guérard que très tardi­vement, seulement après avoir été congédié par Mgr Le­febvre. Depuis 1969 le P. Guérard *croyait* que Mgr Le­febvre avait célébré la nouvelle messe pendant plusieurs mois ; il n'a été détrompé qu'en 1979 : et pourtant cela n'a nullement empêché le P. Guérard de soutenir (au moins apparemment) Mgr Lefebvre ; de le soutenir tant que lui-même était admis à Écône. L'empêchement n'était pas dirimant. Il l'est devenu par opportunité. Mais nous n'en étions encore qu'au prélude du troi­sième outrage, le plus affreux de l'affreuse lettre du 12 avril 1979. Nous y arrivons maintenant : « ...Vous avez continué de célébrer la messe innovée à Fribourg, à Écône. Les premiers es­poirs cependant se concrétisaient : Bernard Tis­sier de Malleray, Paul Aulagnier, Bernard Walz, trois autres. Le 24 décembre, à la fin du repas de midi, un Père dominicain de passage, affec­tueusement, ironisa : « Monseigneur, il est dom­mage que, soutenant la tradition, vous célébriez une dite nouvelle messe qui n'est pas la messe de la tradition. » Cette simple observation mit littéralement le feu aux poudres. Les « six », tout votre vivant espoir, explosèrent. Chacun à sa façon, et tous ensemble, redisant la même chose. L'incident fut très véhément... » Depuis lors le P. Guérard a reconnu que Mgr Lefebvre ne célébrait pas la messe nouvelle. Comment le « domi­nicain de passage » a-t-il pu lui reprocher de la célébrer ? S'il y avait eu à ce sujet un faux semblant, un malen­tendu, il aurait été dissipé d'un mot, sans nul besoin d' « incident très véhément ». Les témoins nommément invoqués sont d'ailleurs unanimes à déclarer que la véhé­mence, l'incident, les propos, leur portée, tout dans cette scène est de l'invention du P. Guérard. Lequel en a ul­térieurement *rectifié*... seulement *la date*, confirmant ainsi qu'il entendait n'en rien rectifier d'autre. 59:243 C'est misérable, mais ce n'est pas le plus affreux. J'ai cité cette forgerie non point pour elle-même, mais parce qu'elle est l'indis­pensable contexte de ce qui vient immédiatement après : « Or, quoi qu'il en soit d'un lien causal qui relève du Saint-Esprit et du for interne, en cette nuit du 24 au 25 décembre 1971, à la messe de minuit, vous avez repris à la très grande joie de tous le rite promulgué par saint Pie V. « Vous avez certainement suivi le Saint-Esprit. Tout s'est passé comme si, hélas, vous aviez suivi vos troupes. Et, depuis lors, vous avez suivi la même tactique. Si vous ne soute­niez la messe traditionnelle, le séminaire d'Écô­ne serait privé de finalité ; et ceux qui vous soutiennent seraient dans l'obligation de vous déserter. » Assurément voilà la plus grande bassesse de la lettre du 12 avril 1979. Le P. Guérard commence par y faire mine de rejeter l'idée que pourtant déjà il insinue : celle du *lien causal*, à savoir que l'incident très véhément était la cause du retour de Mgr Lefebvre au rite de saint Pie V ; il reprend ce rite non par conviction mais pour « sui­vre ses troupes ». L'insinuation une fois glissée, le P. Guérard fait un pas en arrière, un pas d'esquive : « Vous avez certainement suivi le Saint-Esprit. » Et aussitôt après il redouble, il sort de l'insinuation, il affirme : *depuis lors vous avez suivi la même tactique*. Si c'est la *même* tac­tique, précédemment c'était donc déjà une *tactique*. L'al­ternative est tranchée : SUIVRE LE SAINT-ESPRIT n'est pas une « tactique », mais SUIVRE SES TROUPES en est une. Si Mgr Lefebvre *suit la même tactique*, c'est bien que sa tactique unique, identique, invariable est de suivre ses troupes dans la direction qui promet le meilleur rende­ment. Si Mgr Lefebvre avait d'abord, pendant quelque temps, célébré la messe nouvelle avant de revenir à la messe traditionnelle, il n'aurait fait en cela que ce qu'ont fait un temps plus ou moins long la plupart des prêtres qui aujourd'hui s'en tiennent résolument au missel de saint Pie V. 60:243 Le grief du P. Guérard était calomnieux : mais s'il avait été exact, il aurait été sans consistance. Vouloir dénoncer, suspecter, disqualifier tous ceux de nos prêtres qui ont été un moment décontenancés par l'évolution conciliaire et la révolution liturgique, ce serait une mauvaise action ; une injustice ; et d'abord une sottise. Les prêtres qui sont *revenus* à la messe traditionnelle, et ceux qui *reviendront* demain, pour eux nous n'avons et nous n'au­rons au cœur que félicitations et gratitude. Mais enfin Mgr Lefebvre n'est pas *revenu ;* il n'a pas eu à *reprendre* le missel romain. Ce *retour* qu'il n'a pas eu à faire, le P. Guérard l'invente, ce ne serait (presque) rien encore, mais surtout il lui assigne un motif vil, un motif « tactique », un motif lâche et intéressé : « suivre ses troupes », pour qu'elles le « soutiennent » au lieu de le « déserter ». Je l'ai dit et je le répète sans aucunement élever la voix, je le dis comme je le pense, comme je l'ai ressenti, avec une grande tristesse : cela est immonde. Le P. Guérard imagine qu'en cela je suis un « polé­miste » qui « vomit sa bile » par « passion dévoyée », il croit que ma « colère explose » ([^15]). Mais non. C'est ma tristesse qui s'est exprimée alors, brièvement ([^16]), sans s'at­tarder, tellement il était évident, indiscutable, que les in­jures faites par le P. Guérard à Mgr Lefebvre, et surtout cette dernière-là, sont affreuses ; immondes, oui. Ce qui était de ma part discrétion et réserve (je passais rapide­ment, sans m'arrêter, souhaitant n'avoir pas à y revenir), le P. Guérard a cru ou voulu y voir la « mauvaise foi » et le « procédé malhonnête » consistant à « isoler une seule phrase » de sa lettre du 12 avril 1979 pour pouvoir n'y « répondre rien » ([^17]). Eh bien puisqu'il y tient et puisqu'il le faut, la voici copieusement citée, sa lettre honteuse. 61:243 Si on ne l'avait pas citée davantage, c'était par commisération, pour ne pas insister sur l'opprobre de son auteur ; c'était par tendresse pour ce que fut naguère cd vieil homme maintenant trépignant et rageur, aveugle et sourd, il avait autrefois des fulgurations spéculatives, et même contemplatives, il en a quelquefois encore, nous voudrions n'avoir rien d'autre à connaître de lui. Il avait aussi une gentillesse qui me semblait n'être pas seulement mondaine, quand nous parlions de choses légères et poé­tiques en prenant le thé à l'italienne et en buvant du petit vin blanc de Toscane en un premier étage de la piazza s. Anselmo, sur l'Aventin rose et bleu de nos anciens printemps romains. Nous ne voudrions pas qu'il vienne à mourir dans l'état où le voici à cette heure : sans avoir publiquement demandé pardon à Mgr Lefebvre. Prisonnier du ténébreux cauchemar où il se débat en somnambule, le P. Guérard peut-il encore apercevoir cette simple lumière : il a donné un motif bas et vil au retour de Mgr Lefebvre à la messe traditionnelle ; mais ce retour n'a pas eu lieu, puisque Mgr Lefebvre ne l'avait jamais quittée. Un acte qui n'a pas eu lieu n'a donc en aucun motif. De cela au moins le P. Guérard devrait se rétracter ; de cela au moins il devrait demander pardon. #### La sale guerre Voilà donc à quel degré initial de violence injuste la polémique de Cassiciacum s'est établie dès son premier acte, dès l'affreuse lettre du 12 avril 1979. Parmi les jeunes prêtres qui suivent le P. Guérard ou qui se réclament de lui, je n'en ai pas trouvé un seul, mais il est vrai que je ne les connais pas tous, qui à l'époque de la lettre affreuse ne m'ait concédé en privé qu'il en désapprouvait l'injuste violence. Je voudrais être sûr que leur désapprobation était tout à fait sincère : mais com­ment n'être pas frôlé par l'ombre d'un doute, quand on constate que cette désapprobation ne s'exprimait que le moins possible, que le plus bas possible, ces jeunes gens étaient pressés de mettre la lettre du 12 avril entre paren­thèses, comme s'ils en étaient tactiquement gênés beaucoup plus que moralement indignés. 62:243 On se demande parfois s'il n'y aurait point, parmi quelques-uns des meilleurs de cette génération, une certaine absence du côté du cœur. A quoi ils répondent promptement qu'ici le cœur c'est du senti­ment. Mais oui : le sentiment de l'honneur. Dans la polémique de Cassiciacum on aura vu de jeunes prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre ne pas s'embarrasser de ce sentiment-là. Une confrontation publique qui d'emblée accuse Mgr Lefebvre d'avoir le comportement de Pilate, de faire l'œuvre de Satan, et d'être fidèle à la messe par tactique plus que par conviction, ce n'est pas une controverse nor­male ; ce n'est pas un débat critique ; ce n'est pas une saine discussion ; c'est une polémique, et d'emblée une sale polémique, comme on dit une sale guerre. La polémique en effet n'est ni la controverse ni même la satire. La polémique est une guerre. Elle l'est par éty­mologie, elle l'est par métaphore. On ne s'y meurtrit point physiquement, mais moralement. L'esprit, les mœurs, les buts sont ceux d'une guerre. Les moyens seuls diffèrent. Au physique, on fait la guerre pour tuer un ennemi, pour le détruire ou le faire prisonnier, en tout cas pour le neu­traliser. Semblablement la polémique n'est pas pour aver­tir ou convaincre un ami ; elle s'adresse à un adversaire, elle vise à le détruire ou le neutraliser moralement, c'est-à-dire ici à le disqualifier. Bien entendu il est de justes polémiques comme il est de justes guerres : justes dans leurs buts et justes dans leurs moyens. Il est de bons soldats ; il est des chevaliers ; il est aussi des spadassins. Étant bien compris qu'une polémique est, spirituelle­ment, l'analogue d'une guerre, on peut saisir la portée de ces deux remarques : 1) d'emblée, la thèse de Cassiciacum s'est exprimée et affirmée par une *polémique ;* 2) d'emblée, cette polémique a été une *sale* polémique. 63:243 Le P. Guérard proteste que sa lettre du 12 avril 1979 « comporte six pages » et qu'elle « traite de graves ques­tions » ; et qu'au lieu de « répondre » à ces questions, on veut les « enterrer » ([^18]). On peut en effet, en cher­chant bien sous les injures qui d'abord sautent au visage, trouver des questions graves. Mais ce n'étaient pas des questions traitées ; ce n'étaient pas des questions posées ; c'étaient des questions mobilisées et enrégimentées dans un acte polémique ; dans un acte de guerre. On n'est pas tenu de répondre doctrinalement, on n'est pas tenu de répondre pacifiquement à un acte de guerre. En règle générale, on ne peut y répondre adéquatement que par un autre acte de guerre. En février 1980 le P. Guérard ne se comporte pas mieux qu'en avril 1979. Il incrimine Mgr Lefebvre d' « *al­légeance inconditionnelle *»*,* oui, INCONDITIONNELLE, à l'au­torité de Paul VI et il l'accuse de « *passer toute mesure dans la duplicité *» ([^19])*,* pour ne retenir, parmi vingt ou trente autres semblables, que deux expressions caracté­ristiques de la bienveillance du style guérardien. Serait-on tenu de « répondre » à de telles « questions » ? On pour­rait éventuellement faire un débat sur le point de savoir si Mgr Lefebvre fut *trop* ou bien *pas assez* soumis à Paul VI : lui reprocher une allégeance *inconditionnelle* est une hyperbole qui transcende toute qualification intellectuelle. C'est aussi une calomnie évidente : mais maintenant c'est à chaque page, voire à chaque alinéa du P. Guérard qu'on en trouve. Que dire du grief adressé à Mgr Lefebvre de « *passer toute mesure dans la duplicité *»*,* oui, qu'en dire ? Rien assurément. Rien d'autre que d'en confirmer notre constatation : la thèse de Cassiciacum est étouffée sous la polémique de Cassiciacum. Elle n'avait pourtant pas besoin de cette disgrâce supplémentaire. 64:243 #### La conversation suspendue avant d'avoir commencé Cette polémique qui accompagne constamment la thèse l'a d'ailleurs précédée. La parution de *CASS I*, qui est le premier document imprimé exposant la thèse, est datée de mai 1979 (et de fait plus tardive), elle est postérieure à la lettre affreuse du 12 avril 1979. Or l'équipe de Cassiciacum semble avoir méconnu la nature et les conséquences de l'état de guerre créé par la lettre affreuse. A moins qu'il ne faille tenir pour simple clause de style les bons sentiments manifestés parfois : « Nous nous permettrons de relever ici ou là quelques positions ou assertions qui nous pa­raissent erronées : non pas *contre* les œuvres ou les personnes, mais au contraire *pour* *elles,* et *pour le bien commun.* « Ce sera, croyons-nous, le moyen d'une saine émulation intellectuelle, pour le plus grand bien de tous. » ([^20]) La saine émulation intellectuelle est un bon propos. Mais il faut beaucoup d'inconscience, ou une forte aptitude à se moquer du monde, pour présenter les invectives, les injures, les outrages comme invitation à une saine ému­lation. Peut-être convient-il de comprendre que Cassiciacum voudrait mettre à part la lettre initiale du 12 avril, comme un objet marginal, particulier, n'entrant pas en ligne de compte ; et se présenter comme une entreprise purement, innocemment doctrinale, une entreprise d'étude et de science. Mais cela est logiquement et moralement impos­sible, pour deux raisons : 65:243 1\. -- La publication et la diffusion de la thèse de Cassiciacum ont été fortement centrées sur la personne même du P. Guérard. La parution d'une nouvelle revue intitulée *Cahiers de Cassiciacum* a été annoncée par un tract dont le texte fut reproduit dans le premier numéro. On y lisait : « Les Cahiers de Cassiciacum seront aussi, et *d'abord,* une œuvre de piété à l'égard du Révérend Père (Guérard). Et principalement en publiant aussi abondamment que possible ses travaux, anciens ou récents, etc. » ([^21]) Cassiciacum est donc bien une entreprise qui a *d'abord* pour finalité de rendre un culte à la personne du P. Gué­rard, *principalement* en publiant ses écrits. C'est inévita­blement assumer une responsabilité morale, c'est au moins affirmer ou insinuer une solidarité avec la lettre alors toute récente du 12 avril 1979. Sinon, une mise au point explicite était nécessaire. Cassiciacum aurait pu en théo­rie, mais à la condition indispensable de le préciser, mi­liter pour les thèses du P. Guérard tout en se tenant à l'écart de ses actes de guerre. Au contraire, se mettre à rendre un culte public de piété à l'auteur de la lettre du 12 avril, au lendemain même de sa lettre, et sans la désa­vouer, ce n'était pas se situer en dehors de la guerre, c'était se placer (sans l'avoir voulu ?) les armes à la main dans un camp contre l'autre. II\. -- D'autre part, *CASS I* lui-même n'est pas un simple exposé doctrinal, une simple discussion théorique. Il contient lui aussi des actes de guerre. Un exemple suffit à le montrer. 66:243 Dans *CASS I*, le P. Guérard « récuse l'instance » qu'est notre lettre à Paul VI du 27 octobre 1972 ([^22]). Il la trouve « non-cohérente » ([^23]). Il nous reproche d'avoir écrit : « Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe » à celui qui a plus ou moins manigancé (ou subi) leur effacement dans les tourbillons de l'évolution conciliaire. Il dit que notre demande est « nocive parce que vaine » ; et qu'elle est vaine parce que Paul VI y a « répondu d'avance » par le discours qu'il a prononcé « le lundi 24 mai 1976 » ([^24]). Cela n'est encore que méprise, d'une sorte habituelle au P. Guérard qui embrouille à sa convenance, avec un magistral arbitraire, les faits et les dates : Paul VI aurait en 1976 répondu « d'avance » à une demande de 1972. Mais le P. Guérard, après avoir aimablement assuré que notre demande « se néantise dans la dérision », ajoute que dans « la contagion du facilisme qui paralyse l'instinct de la foi et qui pousse à saisir tout prétexte pour capituler devant le dur combat qu'impose souvent la fidé­lité à la messe traditionnelle », notre demande est « par­mi ces prétextes, l'expérience le montre, l'un des plus efficaces » ([^25]). Cette accusation est une agression directe contre plusieurs personnes. Notre lettre à Paul VI du 27 octobre 1972 fut contresignée, mais non pas d'une simple signature, elle fut explicitement approuvée, chacun expo­sant ses motifs, notamment par Marcel De Corte, Maurice de Charette, Louis Salleron, Élisabeth Gerstner, Thomas Molnar, Paul Bouscaren, Bernard Faÿ, Éric M. de Saven­them, l'abbé J.E. des Graviers, Luce Quenette, Alexis Cur­vers, le P. Maurice Avril, Georges Laffly, Henri Rambaud, l'abbé Louis Coache, Jean Crété, Hugues Kéraly, Antoine Barrois, Gustave Corçâo ([^26]) : eux tous sont accusés d'avoir mis en avant l'un *des plus efficaces prétextes pour capituler devant le dur combat qu'impose souvent la fidélité à la messe traditionnelle.* Capituler ! Vraiment ! 67:243 Le P. Guérard assure : « l'expérience le montre ». Quelle expé­rience ? Quand donc avons-nous, les uns ou les autres, renoncé au combat pour la messe, quand donc avons-nous capitulé ? Cette affirmation gratuite, qui contredit l'évi­dence parfaitement connue de tous, n'est pas une objec­tion, une critique, une discussion, elle est un acte de guerre, et de guerre injuste. Que le P. Guérard ait pu, après une longue réflexion, finir par trouver discutable notre lettre à Paul VI, et qu'il ait voulu, six ou sept ans après coup, donner ses raisons, formuler ses objections, cela eût été normal, quoique tar­dif. Qu'il ait par exemple fait remarquer aux signataires que la lettre à Paul VI pouvait, à son avis et contre toute vraisemblance, affaiblir la résistance à la révolution litur­gique, il y avait dix manières de le dire convenablement, honnêtement. A des critiques normalement présentées, Cassiciacum aurait pu demander une réponse normale, relevant de la confrontation amicale, voire de la contro­verse, voire de la « saine émulation intellectuelle » ([^27]). Il s'est passé tout autre chose. Il s'est passé que dès le premier exposé imprimé de la thèse de Cassiciacum, dans cet exposé même, le P. Guérard a prononcé une agression violente en bloc contre une vingtaine d'écrivains, les accusant d'une *capitulation* qu'il prétend montrée par *l'ex­périence,* injure et calomnie qui d'emblée suspendent la conversation avant même qu'elle ait commencé. La violence de cette polémique initiale apparaîtra en­core plus injustifiée si l'on est attentif à une autre consi­dération. L'attitude que « récuse » le P. Guérard dans notre lettre à Paul VI est en substance celle-là même qui fut la sienne encore en 1969 quand il travaillait à la con­fection du *Bref examen critique* présenté à Paul VI. Il lui était licite de changer d'avis et d'attitude ? Assurément. Mais il aurait dû tourner d'abord sa critique contre lui-même. 68:243 Et si l'erreur de cette attitude était aussi gravement coupable qu'il le dit aujourd'hui, il devait, au lieu de nous insulter, nous demander pardon de nous y avoir, par son exemple et son discours, si longtemps incités. \*\*\* Nous n'étions donc pas purement et simplement en pré­sence d'une « étude de science religieuse », comme Cassiciacum l'a feint pour nous reprocher de n'en avoir pas aussitôt annoncé la parution. La thèse a pour auteur ce­lui qui vient de commettre l'agression du 12 avril 1979 contre Mgr Lefebvre. La parution du premier fascicule imprimé de cette thèse est datée de « mai 1979 » ([^28]). Dès le mois de novembre suivant, Cassiciacum nous re­proche en termes violents d'observer un « silence » cou­pable ([^29]) ; la revue ITINÉRAIRES et moi-même sommes nommément accusés de « faire systématiquement le si­lence », d'élever « le mur du silence », de pratiquer un odieux « silence informatif et doctrinal », « c'est donc bien la conspiration du silence, ou au moins la connivence dans le silence » : « On peut donc, en 1979, publier une étude de plus de cent pages du P. Guérard des Lau­riers sur la crise actuelle et en annoncer d'au­tres sans que les lecteurs d'ITINÉRAIRES n'en soient informés. » ([^30]) C'était confondre la revue ITINÉRAIRES avec un journal ou un bulletin « d'information ». C'était aussi bousculer la chronologie d'une manière habituellement guérardienne et caractéristiquement irréelle. De mai à novembre, pour une revue mensuelle comme ITINÉRAIRES qui en outre ne paraît ni en août ni en septembre, il n'y a pas encore eu le temps d'un silence. 69:243 Le P. Guérard a mis plus d'une di­zaine d'années pour échafauder sa thèse sur l'absence habi­tuelle de l'intention de faire le bien. Nous n'aurions même pas une dizaine de mois, même pas une dizaine de se­maines pour reprendre notre respiration devant cette énorme construction ? Dans une revue comme ITINÉRAIRES, qui n'est pas tenue d'informer sur tout, ce serait bien impossible, on prend le temps d'étudier les ouvrages avant d'en parler aux lecteurs, et ce temps, qui est toujours forcément de plusieurs mois -- il faut se procurer l'ou­vrage, il faut le lire, à son tour parmi d'autres, il faut en écrire, il faut insérer dans un numéro, au milieu ou après beaucoup d'autres articles, cet article-là -- ce temps peut normalement prendre plus d'une année avant qu'il y ait lieu de se demander s'il s'agit d'un silence. La *Petite his­toire de France* de Servien, nous en avons parlé dix mois après sa parution ; la réédition de *La démocratie reli­gieuse* de Maurras, un an et demi. Et puis enfin, le silence lui-même est permis, parfois recommandé. Nous aurions bien préféré, par respect pour le passé du P. Guérard, nous en tenir, sur ses dernières productions, simplement au silence. #### « Traditionalisme sociologique » Sans même attendre que se soient écoulés les délais normaux, l'impatience de Cassiciacum a conclu à notre silence, à la culpabilité de ce silence, et en a même fabri­qué les raisons, bien sûr les plus désagréables que l'on puisse imaginer : l' « installation sociologique » qui con­duit notre « traditionalisme installé », selon une « loi sociologique », à faire « systématiquement le silence sur toute une partie de la pensée catholique, précisément sur la partie la plus traditionnelle ». Soupesons bien la den­sité de ce reproche il n'est pas d'avoir occasionnellement fait le silence sur un auteur, sur une thèse. Non : c'est chez nous un système ; nous faisons systématiquement le silence sur la *partie la plus traditionnelle* de la pensée catholique. Du même coup notre traditionalisme devient un simple « traditionalisme sociologique » qui se croit « confortablement installé » ([^31]). 70:243 Ainsi, nous ayant d'abord désigné comme « représen­tant typique » d'un « traditionalisme sociologiquement installé », ce qui est une chose, les jeunes et vieux rédac­teurs de Cassiciacum nous ont ensuite englobé dans le « traditionalisme sociologique », ce qui est autre chose. En effet un traditionalisme authentique peut se trou­ver « sociologiquement installé » ou « confortablement installé », il risque simplement d'être plus ou moins amol­li par ce confort ; amolli mais toujours authentique. Un traditionalisme « sociologique », en revanche, c'est un traditionalisme qui n'est plus ni religieux ni doctrinal et qui, s'il prétend l'être, le feint. Donc, dès l'automne 1979, Cassiciacum nous a fait l'injure, arbitraire et méchante, faite à Mgr Lefebvre par le P. Guérard au printemps. De Mgr Lefebvre il était dit que sa fidélité (ou plutôt son supposé retour) à la messe traditionnelle était l'effet d'une tactique et non d'une conviction ; semblablement, quelques mois plus tard, notre « traditionalisme » est présenté com­me « sociologique » et non pas religieux, et non pas in­tellectuel, et non pas moral. Mgr Lefebvre et nous-même, nous sommes venus à la défense de la tradition catholique comme d'autres entrent dans la franc-maçonnerie : en rai­son des avantages tactiques, stratégiques, sociologiques que nous en attendions. Ce qui prouve en outre notre sottise, car bien sûr si c'est le sociologique et le tactique qui nous animent, c'est la franc-maçonnerie et non la tradition catholique qui aurait pu nous procurer les satis­factions de cette catégorie. Ainsi nous recevons, des mêmes bouches, les mêmes crachats que Mgr Lefebvre. Bon. C'est probablement normal. C'est certainement un honneur. 71:243 #### Réponse musicale à une petite musique Mais enfin les jeunes et vieux rédacteurs de Cassicia­cum ne comprennent-ils vraiment pas la nature, la densité, la portée de leurs injures ? Écoutez la petite musique de chambre dont ils les accompagnent : « Il s'est installé chez plusieurs traditiona­listes, « chefs de file » ou non, un état d'esprit chagrin doublé d'une susceptibilité pathologi­que tendant à rendre impossible la saine cri­tique (sans laquelle il n'y a pas de vraie tradi­tion) des positions du voisin ou du frère de combat. Lorsque l'on s'avise de rejeter -- en disant pourquoi -- telle position soutenue par une « personnalité », on est accusé d'être contre elle, de l'attaquer, voire (nous n'inventons pas) d'attaquer le Christ ! » ([^32]) Au moment où ils faisaient entendre cette plainte doucement élégiaque, les jeunes et vieux rédacteurs de Cassiciacum avaient déjà assimilé le comportement de Mgr Lefebvre à celui de Ponce-Pilate, lui avaient reproché de faire le travail de Satan, l'avaient accusé de défendre la messe traditionnelle par tactique et non par conviction ; ils avaient déjà, dans *CASS I*, prétendu que les signataires de notre lettre à Paul VI du 27 octobre 1972 avaient en cela forgé l'un des plus efficaces prétextes pour capituler dans le combat pour la messe. Et simultanément dans *CASS SUPP* et dans *CASS II* les mêmes rédacteurs rangeaient la revue ITINÉRAIRES et moi-même, et l'abbé Coache, et l'abbé Aulagnier, ils nous rangeaient, dis-je, dans le « tra­ditionalisme sociologique ». 72:243 Telle serait donc la « saine critique » que l'on adresse cordialement au « frère de combat » ? Il faudrait avoir un « esprit chagrin doublé d'une susceptibilité pathologique » pour y voir des injures et des actes de guerre ? \*\*\* Je suis prêt à croire, ou du moins à admettre, que les plus inexpérimentés et le plus distrait des jeunes et vieux rédacteurs de Cassiciacum ne se sont pas bien rendu comp­te de la nature injuste et de la portée guerrière de leurs invectives. Non, je ne vais point « conclure » que ce serait par hypocrisie qu'ils nous ont parlé de saine critique et de saine émulation entre frères de combat ; que ce serait par hypocrisie qu'après nous avoir insultés ils ont réclamé notre bienveillance. Mais enfin qu'ils examinent et qu'ils réfléchissent. Ils ont fait irruption parmi nous en enfon­çant la porte, ils sont entrés casqués et armés, ils ont fait feu dans toutes les directions et pas toujours en l'air, et ils trouvent notre accueil un peu glacial, ils invoquent les lois de l'hospitalité. Certes nous ne leur avons point avancé de sièges ni offert des fruits de notre jardin, et si nous demeurions silencieux, c'était que nous mesurions de l'œil les impacts de leurs balles, que nous ramassions ici ou là un blessé, et que nous nous demandions médi­tativement comment éviter d'avoir à faire usage de nos armes, comment éviter de tirer sur eux à notre tour. Il ne nous appartient évidemment point de pardonner les injures qu'ils ont faites à d'autres qu'à nous-même. De celles qui nous visaient nous leur gardons d'autant moins rancune qu'il ne suffit pas de nous viser pour nous attein­dre. A la seule condition que bien sûr ils cessent le feu, l'état de paix pourrait immédiatement succéder à l'état de guerre. Il faudrait qu'il en soit ainsi. Nous n'y faisons, nous n'y ferons aucun obstacle. Puissent-ils l'entendre comme nous le leur disons. 73:243 Mais l'obstacle existe, je le crains. L'obstacle est dans le miquemac d'engrenages et d'horlogeries de la machine infernale digne du savant Cosinus que Cassiciacum a dé­posée sur la table : la « thèse », qui est sans fondement, mais qui n'est pas sans conséquence. On s'est demandé pourquoi le savant Cosinus condamnait d'avance tout accord de Mgr Lefebvre avec le Saint-Siège, sans attendre de savoir quel serait le contenu de cet accord éventuel. Avant d'accuser Mgr Lefebvre de concessions excessives et de trahison, ne convenait-il pas de connaître et de cons­tater ? On pouvait, si l'on avait cette angoisse, exprimer l'hypothèse ou la crainte d'une duperie, mais non point annoncer la capitulation comme une certitude. C'était le bon sens. Mais là-contre il y a la machine infernale : celle-ci ayant (soi-disant) établi qu'il n'y a plus de pape, tout accord avec le pape, même très favorable et très satisfai­sant en soi, ne pouvait plus être que l'accord avec un non-pape ; et donc un non-accord. Ce n'est pas une méfiance, ce n'est pas une suspicion que le savant Cosinus a mise en circulation, c'est une chose beaucoup plus insurmon­table, c'est une implication logique universellement dévas­tatrice. Qu'il n'y ait formellement plus de pape « n'est pas une simple opinion », c'est un jugement « absolument certain, et on ne peut le nier sans rejeter la doctrine cer­taine de l'Église » ([^33]) ; il faut le reconnaître si l'on veut « rester catholique » ([^34]). Il s'ensuit que Mgr Lefebvre et tous ceux qui ne reconnaissent point qu'il n'y a plus de pape *ne sont plus catholiques :* vus par les lucarnes de la machine infernale, ils sont des apostats. C'est là que tout devient inextricable, et que la bonne volonté, la pa­tience, l'esprit de paix ne peuvent plus grand chose. La machine infernale est trop bien montée, elle ne laisse et ne laissera rien subsister. Mais elle ne repose sur rien. Nous l'avons montré : elle est une forgerie de l'imagination. Tant que les jeunes rédacteurs de Cassiciacum n'auront pas discerné que la thèse du P. Guérard ne repose sur rien, je crains qu'ils s'obstinent dans la même arrogance, la même violence, les mêmes entreprises d'agression. 74:243 Quoi qu'il en soit de ce qui peut advenir, voici ce qui s'est passé, résumons. La polémique de Cassiciacum, s'appuyant sur une thèse radicale, tenue pour condition de l'appartenance catholique, a engagé avec le maximum de violence les hos­tilités contre toutes les écoles et tendances préexistantes de catholiques traditionnels ; elle a inversé la charge de la preuve, proclamant que l'on *n'avait pas réfuté* une thèse présentée comme certaine, comme prouvée et dé­montrée, mais qui n'est qu'une hypothèse gratuite, et in­due ; elle a porté des coups publics aux principales insti­tutions, organisations, expressions de la résistance catho­lique : elle a calomnié Mgr Lefebvre et ébranlé la cohésion de sa Fraternité sacerdotale ; elle a insulté Mgr Ducaud-Bourget et jeté le trouble à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; elle a détourné des vocations d'aller à Écône ou à Bédoin. A un niveau beaucoup plus modeste, elle a voulu affaiblir la revue ITINÉRAIRES en suscitant des « désabonnements massifs » ([^35]). Elle a diffamé aussi l'abbé Coache, son Combat de la foi, ses œuvres de Flavigny. Elle a donné le spectacle de jeunes prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre et qui, se retournant contre lui... Mais je m'arrête dans cette énumération lamentable, je m'arrête précisément au seuil de ce chapitre, je m'arrête avant de passer à l'appel nominal, ils sont six et s'il le faut je les interrogerai un à un en les appelant par leur nom. Ils sont six jeunes garçons ordonnés prêtres par Mgr Lefebvre qui ont publi­quement pris parti, avec quel fracas et quels dégâts, pour la thèse de Cassiciacum, pour la polémique de Cassicia­cum. Je leur demande : allez-vous rester moralement com­plices des trois outrages du P. Guérard à Mgr Lefebvre ? un an de réflexion n'a-t-il pas suffi pour vous décider à vous en désolidariser ? et secondement : 75:243 allez-vous cesser de prétendre que la thèse n'a pas été réfutée ? allez-vous cesser de renverser la charge de la preuve ? allez-vous enfin comprendre, beaux sires logiciens, apprentis théologiens, que la thèse n'est pas prouvée ? #### Une suite sans fin : la guerre s'étend Mais voici que la polémique de Cassiciacum connaît un rebondissement étrange et déplorable avec un fascicule de *Forts dans la foi* paru semble-t-il dans le courant du mois de février ([^36]). Ce fascicule prend le relais des tirs d'artillerie lourde contre les catholiques qui ne tiennent pas pour article de foi l'hypothèse guérardienne d'une va­cance du siège apostolique. En particulier, son intention déclarée, sa conclusion explicite est de dénoncer à l'opinion publique la personne odieuse et méprisable de Dom Gérard, individu malhonnête dont toute l'action ne tend qu'à cher­cher « *une place *» pour lui-même, à « *bénéficier d'une place *»*,* à recueillir « *une reconnaissance canonique et sociologique *», il est bien dit : « *et sociologique *» ([^37])*.* Pour obtenir cette « place » dont il rêve jour et nuit, Dom Gérard a offert en échange sa trahison : c'est pourquoi il travaille machiavéliquement à « l'isolement des catho­liques les plus conséquents » ([^38]), il s'emploie à « faire taire la critique du système montinien » ([^39]) et à « neu­traliser l'éventualité d'une résistance » ([^40]). 76:243 Ainsi la guerre s'étend. Ces outrages énormes, presque aussi énor­mes que ceux faits par le P. Guérard à Mgr Lefebvre, ont toutefois une particularité nouvelle : ils ne sont pas signés d'un nom de personne. Le P. Guérard, lui du moins, n'avait pas mis un masque. Il est des accusations dont la gravité ne permet pas qu'elles soient jetées dans l'ombre par un sycophante clandestin. On dira que le directeur de la publication, le P. Barbara, est personnellement responsable de ces infamies : je l'entends bien ainsi. Responsable de les avoir publiées. Mais je ne le crois pas capable de les avoir lui-même inventées. Au demeurant le style, la ma­nière, les tics, reconnaissables déjà, ne sont pas les siens. Le sycophante clandestin, l'insulteur anonyme, l'of­fenseur masqué, en attendant qu'il sorte de son trou et se fasse connaître, nous le désignerons lui aussi par un sigle : nous l'appellerons l'abbé O. \*\*\* L'abbé O entre en guerre pour défendre, dit-il, le P. Barbara et le P. Guérard contre l'injuste agression que Dom Gérard leur fait subir dans sa note : « La question du pape ». On a lu cette note dans notre numéro de mars, il était devenu nécessaire de la faire connaître au public. Avant qu'elle n'ait paru dans ITINÉRAIRES, l'abbé O prétendait en février qu'elle avait été « largement diffusée par son au­teur au-delà de la clôture de son monastère ». C'est une contre-vérité et un mauvais prétexte. La note de Dom Gérard est de direction spirituelle et de gouvernement, destinée aux membres et amis des communautés dont il est le fondateur. Pour une raison semblablement de di­rection spirituelle et de gouvernement, la *Lettre de la Péraudière,* qui n'est ni un organe d'information ni un magazine ni une « revue de controverse », a reproduit cette note à l'intention des parents d'élèves de l'école du même nom. 77:243 La première méprise de l'abbé O -- qui a bien l'air d'être un controversiste obsessionnel -- fut de considérer la note de nom Gérard comme un texte de controverse diffusé à la cantonade pour réfuter publique­ment les écrits du P. Barbara et du P. Guérard. Non seulement ils n'y sont nommés ni l'un ni l'autre, mais encore l'abbé O démontre que les idées et positions reje­tées par Dom Gérard ne sont littéralement ni celles du P. Guérard ni celles du P. Barbara. Dans ces conditions, pré­tendre que Dom Gérard visait les thèses et arguments du P. Barbara et du P. Guérard est une hypothèse gratuite. -- Mais alors qui visait-il ? -- Eh ! peut-être auriez-vous pu commencer par le lui demander ; par vous en assurer. A mon sens il visait des idées, des propos, des atti­tudes et des rumeurs qui avaient suffisamment pénétré à l'intérieur de la clôture ou dans le cercle des amis du mo­nastère pour qu'il estime devoir faire une mise au point. C'est ainsi que Dom Gérard met en garde contre la mau­vaise idée, qui se répand ici et là, de ne pas prier pour le pape. Or le P. Guérard aussi bien que le P. Barbara de­mandent dans leurs écrits que l'on prie pour le pape. L'abbé O en conclut que Dom Gérard défigure leur pensée, les calomnie, commet contre eux une injuste agression. Il aurait mieux conclu en comprenant que ce n'était donc point des ouvrages de ces deux-là que Dom Gérard avait dessein de parler. Et pourquoi donc en parlerait-il ? Je crois bien que, dans son couvent, occupé à d'autres choses, il ne les a jamais lus. Tout le monde ne peut pas être controversiste à plein temps. Je suis même tout à fait sûr que l'auteur de *RES* avait efficacement réussi, depuis 1978, à dissimuler ce texte à Dom Gérard : c'est moi, il y a quelques jours à peine, qui lui en ai appris l'existence, qu'il ne soupçonnait même pas. La vie monastique n'est pas suspendue aux opuscules et libelles tombés avec la dernière pluie. \*\*\* 78:243 La diffamation des personnes est devenue à Cassicia­cum un rite ordinaire. Le P. Guérard nous y a bien ac­coutumés, nous maudissant en ces termes dont nous ne cessons d'apprécier la grande modération : « J'ai écrit et je répète que les Lefebvre et les Coache, les Madiran et les Salleron, les sous-Madiran à la sauce Ollion et les sous-sous-Madiran à la manière de Pas et compagnie, tous font, volens nolens, l'œuvre du Traître, c'est-à-dire de Satan le père du mensonge, parce qu'ils sont « doubles ». Vae duplici corde. » ([^41]) Mais ce disant, ce faisant, la polémique de Cassiciacum avait oublié Dom Gérard. L'abbé O était spécialement qua­lifié pour réparer cette omission, tout le monde le com­prendra quand il osera, s'il ose, dire son nom. Cependant l'on commence à être immunisé contre la muflerie de la dernière génération de petits anarchistes de droite, moins amusants que leur vénérable modèle et illustre aîné. Le délire guérardien nous afflige sans doute quand nous pen­sons à la dégradation intellectuelle de son auteur ; pour­tant ce délire a d'autre part, en lui-même, l'intensité, la dimension, l'imprévu d'une fusée inter-sidérale qui se serait déréglée : pour du spectacle, c'est du spectacle. L'abbé O, imitateur de moindre métier, s'y efforce et s'y épuise en vain, son délire imprécatoire, moins spontané, plus laborieusement fabriqué, reste très morne. C'est pourquoi ses entassements d'invectives contre Dom Gé­rard n'ont finalement d'importance, désolante et terrible, que pour lui-même, qui ainsi se déconsidère avec un sombre acharnement. Les spectateurs se lassent du tré­pignement monocorde. L'injure est énorme, pourtant moins énorme, nous l'avons dit, que du Guérard : par comparaison cette fois elle paraît faible. Le plus important est ailleurs : dans la seconde méprise. 79:243 #### Une conclusion à la recherche de n'importe quelle argumentation La seconde méprise de l'abbé O (mais ici plus encore que tout à l'heure j'ai bien peur que l'appeler méprise soit une litote excessive) consiste en ceci : il considère, présente et défend *une* thèse, *la* thèse du siège vacant ([^42]), comme s'il n'y en avait qu'une, dont le P. Guérard et le P. Barbara seraient les deux champions, complémentaires et convergents. Voilà une *pia fraus,* un mensonge supposé pieux. Je ne connais encore les théories du P. Barbara sur la vacance du siège que de seconde main, principalement par *FS* et par *CASS I*. Je réparerai cette lacune dès que j'en aurai le loisir, et que les textes les plus récents du P. Barbara sur ce sujet seront enfin en ma possession. En attendant, la connaissance de la thèse Barbara par l'ex­posé qu'en fait l'abbé O nous sera suffisante pour en parler avec l'abbé O. Le P. Barbara, selon l'abbé O, estime que c'est en raison du « schisme du pape » que le pape n'est plus pape. La *conclusion* est donc la même que celle du P. Gué­rard. Mais la *thèse* est différente. Elle est tellement différente qu'elle est dénoncée par le P. Guérard comme la première des trois opinions *con­traires* s'opposant à sa propre thèse ([^43]). Deux thèses qui sont *contraires* ne peuvent sans super­cherie être présentées comme *complémentaires* et comme *convergentes.* 80:243 Le P. Guérard dans *CASS I* démontre en long et en large que cette opinion contraire est à rejeter : *c'est seule­ment l'absence habituelle de l'intention de faire le bien* qui permet de conclure que le pape n'est plus pape ; toute autre argumentation est vaine, absurde, inexistante. La récupération de la thèse Barbara par la thèse de Cassiciacum est une acrobatie logique qui, mieux encore que sa fameuse « certitude probable », justifiera intellec­tuellement le sigle de l'abbé Zéro ([^44]). Le plus grave est que dans cette récupération il ne s'agit plus de logique ni de vérité ; il s'agit de polémique. Deux thèses contraires sont condamnées à ne jamais s'en­tendre en tant que thèses. Elles peuvent se conjuguer dans une même opération de guerre, contre un même ennemi contre Mgr Lefebvre. Elles peuvent se conjuguer dans une même campagne publicitaire, affirmant le siège vacant pour n'importe quelle raison. Si Guérard a raison Barbara a tort : ça ne fait rien, l'abbé O met en avant la thèse Guérard-Barbara. Le siège est vacant, vous dit-on, parce qu'il est noir ; mais si vous protestez qu'au contraire il est blanc, on vous dira qu'il est vacant parce qu'il est blanc. Le sedevacantisme passe d'un contraire à l'autre avec une grande agilité : agilité verbale, allégée par une démission intellectuelle. 81:243 A partir de ce moment, ce ne sont plus les arguments qui déterminent la conclusion. C'est la conclusion qui va chercher n'importe quels arguments. Affirmer le siège vacant devient un mot d'ordre ; un mot de passe ; un signe de reconnaissance ; un slogan. Et finalement une commodité : il n'y a plus de pape, il n'y a plus de problème du pape. Grande est la responsabilité du P. Guérard d'avoir, avec ce qui était son autorité morale, lancé cette idée qui est reçue en elle-même, pour elle-même et pour son impact, indépendamment des obscurités de sa dia­lectique ; idée reçue comme simplificatrice : pour ré­soudre en les supprimant les délicates questions de conscience d'une résistance catholique aux actuels détenteurs de la succession apostolique. Ceux qui adoptent l'idée ne se demandent plus sur quelles preuves elle se fonde les voici à peu près tous maintenant qui, après s'être réclamés de l'*irréfutable* Guérard, sont en train de passer à la thèse *contraire,* donc à la thèse *réfutée* par Guérard, mais cette thèse contraire a un énoncé plus simple, un effet plus immédiat et une vertu supposée intacte. L'af­firmation du siège vacant n'est plus une position doctri­nale, doctrinalement défendue, elle est devenue un cheval de bataille, une attitude de protestation universelle, une réaction anarchiste, -- nourrie certes de toutes les décep­tions, équivoques, anomalies et trahisons qui n'ont pas cessé de nous venir du Saint-Siège depuis la mort de Pie XII en 1958. Ce cheval de bataille, cette protestation anar­chique ne s'encombre plus de théologie, invoquée pour la frime par des apprentis chez qui la pensée se décompose en polémique avant même d'avoir pris le temps de se former. Intellectuellement, spirituellement, ils s'ébrouent com­me des poneys sauvages, ne supportant ni maîtres ni mo­niteurs, sûrs de tout comprendre avant d'avoir rien reçu, fils eux aussi, mais eux sans le savoir, de la révolution culturelle de mai 1968. On les reconnaît de loin à leur assurance d'être la bande des *plus.* 82:243 Quand ils parlent d'eux-mêmes, c'est par l'expression « *les plus *» qu'ils se désignent avec une modeste ostentation. Plus que les autres et surtout plus que leurs aînés, plus que leurs supé­rieurs ecclésiastiques, plus que leurs anciens. Ils sont mal élevés, voilà, non pas toujours pour les manières, ils sont mal élevés pour la noblesse du cœur. Nous sommes, disent-ils modestement, « les catholiques *les plus* consé­quents » ([^45]). Nous sommes « les prêtres *les plus* à même d'élever spirituellement les fidèles », disent-ils avec la même énorme modestie dans le tract qu'ils ont distribué en février, à Saint-Nicolas, contre Mgr Ducaud-Bourget. Nous sommes « la partie *la plus* traditionnelle de la pensée catholique », décrète semblablement Cassiciacum ([^46]). Ils sont « *les plus *» partout, ils sont toujours « *les plus *»*.* Ils le sont par le moyen le plus facile, qui est celui de la surenchère gratuite, donc illimitée. La facilité seule peut satisfaire dans l'instant, mais illusoirement, une impatience qui ne se domine pas. #### La réplique que l'on ferait si c'était Barbara La thèse guérardienne et son contraire, la thèse barba­resque, incompatibles dans l'ordre du vrai, se rejoignent tactiquement au niveau publicitaire et opérationnel, et de bouche à oreille cela donne ce discours simplifié, je ne l'invente pas, je le recopie : -- *Il faut être logique. Ou bien on reconnaît le pape et on se soumet à sa juridiction, ou bien, si on lui résiste publiquement et de manière permanente, c'est qu'on ne le reconnaît plus comme pape. Agir différemment, c'est avoir un comportement à la fois hérétique et schismatique* (sic)*.* 83:243 *Reconnaître une autorité et résister à cette autorité pour ce qui est de son domaine, cela s'appelle faire schis­me. Juger de l'opportunité d'une décision romaine pour s'y soumettre ou de son inopportunité pour lui résister, c'est du gallicanisme. Et le gallicanisme est une hérésie condamnée par l'Église.* « Il faut être logique... » Oui, bien sûr. Mais il ne faut *abuser* de rien ; pas même de la logique. La vie n'est pas illogique, disait Chesterton, et cependant elle est un piège pour les logiciens. Il disait aussi : le délire n'est pas d'avoir perdu la raison, il est d'avoir tout perdu sauf la raison. La sorte de *délire logique* dont le sedevacantisme nous donne aujourd'hui le spectacle illustre à merveille ces deux pensées de Chesterton. « Il faut être logique... », mais la logique géométrique ne s'applique adéquatement qu'aux êtres de raison de l'abstraction euclidienne. Je n'attribue pas au P. Barbara le discours sedevacantiste que je viens de recopier. Le P. Barbara, qui cache (qui cache trop) sa finesse et sa dis­tinction intellectuelle sous une apparente rudesse, ne saurait tomber durablement dans un tel simplisme. Il sait bien au demeurant que la réplique lui viendrait aussitôt : -- Vous-même, qu'avez-vous fait d'autre pendant des années ? Vous reconnaissiez le pape et vous résistiez à son autorité, publiquement, de manière permanente. Si cela était tellement coupable, si de la sorte vous avez été héré­tique et schismatique pendant tant d'années, au lieu de gourmander et d'injurier ceux qui ne vous ont pas suivi dans votre plus récente métamorphose, commencez donc vous aussi par nous demander pardon de nous avoir si longtemps, par votre exemple et par votre prédication, induits à d'aussi graves errements... #### Le poignard à coulisse La polémique sedevacantiste, après nous avoir assuré que pour rester catholique il faut reconnaître que le siège est vacant, ajoute donc maintenant ce corollaire : 84:243 -- *Si vous ne reconnaissez pas la vacance du siège, alors vous devez obéir au pape en tout ce qui est de son domaine, sauf s'il commandait directement un péché. Quand Paul VI interdisait à Mgr Lefebvre de procéder aux ordinations d'Écône, il ne commandait là aucun péché, il fallait se soumettre. Ne pas se soumettre, c'était affirmer en acte que Paul VI n'était plus pape. Ou s'il l'était encore, c'était faire schisme.* Ce discours simplificateur, réductionniste et coagula­teur, tous ceux qui ont un peu d'oreille devraient avant toute explication trouver qu'il sonne faux. S'ils ne le trouvent pas d'emblée, avant même de savoir pourquoi, il est à craindre qu'ils demeurent aussi sourds aux ex­plications. Essayons cependant. Reprenons l'exemple classique du « dépôt ». Si quelqu'un a déposé entre mes mains une somme d'argent ou un objet, je suis moralement tenu de le lui rendre quand il me le réclame. Si une autorité légitime m'ordonne cette restitution, je dois lui obéir. Rendre son dépôt au déposant n'est pas un péché, c'est un dû. Et pourtant. Supposons que le P. Guérard partant en fusée pour la lune ait déposé entre mes mains un poignard à coulisse, arme de précision hautement perfectionnée, dernier mo­dèle avril 1979 réformé février 1980. Quand il redescend (tout arrive) de la lune, il vient normalement me demander son poignard. Mais, hypothèse, j'ai à ce moment la « cer­titude probable » qu'il me le réclame pour aller trans­percer le cœur de son rival le P. Barbara, coupable auteur d'une thèse irréductiblement contraire à la sienne. En une telle circonstance, je ne restitue pas le poignard à coulisse, même si la restitution m'était ordonnée par un juge compétent qui ferait une application aveugle du principe qu'un dépôt doit être restitué au déposant ; un juge qui pourtant ne me commanderait « directement » aucun péché. 85:243 Que l'abbé O, doctus cum libro sans jugeote, consulte et reconsulte donc là-dessus ses manuels et ses diction­naires, ses éléments de philosophie et ses abrégés de théologie, son Maquart et son Bricout, son Dublanchy et son Berthier. Il faut en toutes choses tenir compte autant qu'on le peut de l'*intention,* de la *destination,* de la *finalité.* Quand Paul VI faisait interdiction à Mgr Lefebvre de procéder aux ordinations d'Écône, Mgr Lefebvre aurait assurément dû se soumettre à cette interdiction s'il n'en avait consi­déré que l' « opportunité » ou l' « inopportunité », c'est-à-dire l'apaisement, la confiance, le trouble ou la méfiance, et autres choses semblables, que cette décision pouvait ap­porter dans l'Église : ces choses-là en effet, l'autorité en est juge. Mais l'interdiction avait pour finalité manifeste de contribuer à la disparition de la messe traditionnelle, en tarissant le recrutement de prêtres aptes à la célébrer. Cette mauvaise action du pape n'était pas fondée à requérir l'obéissance. Je ne dis pas que ce soit cette raison qui ait déterminé Mgr Lefebvre ; demandez-le lui si vous voulez le savoir : je dis que cette considération-là entrait normalement, par­mi d'autres, en ligne de compte, et que ce genre de consi­dérations, délicates, difficiles, variables selon les cas, et pourtant décisives, ne sont pas toutes faites d'avance dans les manuels, les dictionnaires, les aide-mémoire et les abrégés de l'abbé O ; ce sont précisément celles qu'ignore la sommaire alternative du sedevacantisme qui vient nous intimer : -- Obéissez au pape, ou déclarez qu'il n'est plus pape. C'est l'un ou c'est l'autre. -- Eh bien non, ce n'est ni l'un ni l'autre. La réalité est passablement plus ardue, diverse, nuancée que les croquis schématiques à deux dimensions tracés sur papier millimétré par des controversistes théoriques et abstracteurs irresponsables. Jean Madiran. 86:243 ### Les "communautés de base" contre la foi par Julio Fleichman NOTRE PRÉCÉDENT ARTICLE montrait que la Conférence Nationale des Évêques du Brésil (C.N.B.B.) affecte l'argent venu d'Allemagne à des projets qui bien souvent, comme à Sâo Felix sur l'Araguaia, ne sont pas tenus ([^47]) ; et qu'il est par contre investi dans les fameuses « Communautés Ecclésiales de Base », organisations mises au point pour noyauter et remplacer peu à peu les pa­roisses catholiques. L'espoir des promoteurs est d'en faire un instrument d'agitation politique et sociale, au service de la gauche bien entendu ; mais le plus tragique ne réside pas là. Car ces organisations sont l'instrument de *toute une activité* « *missionnaire *» *qui décompose et corrompt la foi catholique sous prétexte de lutter contre les injus­tices de la misère :* travail de sape indispensable pour que l'attention et l'énergie des malheureuses victimes, c'est-à-dire l'ensemble du peuple chrétien, se disloquent dans l'activisme temporel. 87:243 On ne garde plus de la foi que quelques mots, à double sens, et vidés chaque jour davantage de leur dimension spirituelle. Ces mots servent à tromper des évêques ingé­nus, parfois récalcitrants devant les manipulations qui les dirigent comme des moutons sous le voile diaphane de l' « unité ». Ils servent aussi à tromper le peuple chrétien lorsque nos autorités nationales, moins ingénues que les évêques, s'efforcent de dénoncer le vrai visage des promo­teurs et des profiteurs de tout le complot. \*\*\* Les « communautés de base », formule où l'influence de la terminologie marxiste se fait déjà visible, sont nées en 1968 comme prolongement direct et fruit principal de la Conférence de Medellin. C'est à ce moment-là en effet que les épiscopats d'Amérique latine engagèrent concrè­tement le combat contre les gouvernements qui s'orga­nisaient pour résister à la nouvelle tactique du mouvement communiste mondial : les « fronts de libération », où surgissait précisément depuis 1967 l'arme du terrorisme urbain, dans le droit fil des décisions moscoutaires du XXII^e^ Congrès... Les dirigeants militaires d'Amérique la­tine -- dirigeants des seules institutions un peu organisées de nos pays, et moins perméables à l'infiltration gauchiste -- commençaient alors à comprendre que l'attaque com­muniste d'une part, et le désordre administratif de l'autre, ne permettraient plus l'organisation d'une défense natio­nale contre les vieilles tactiques de subversion par « noyau­tage » que les révolutionnaires perfectionnent depuis le XVI^e^ siècle. La montée du désordre dans les services publics, l'in­filtration de la gauche au sein du personnel politique et la désinvolture d'une administration corrompue jusqu'à la moelle contraignirent les officiers à prendre le pouvoir, d'abord au Brésil en 1964, et plus tard au Chili, en Uru­guay, en Argentine. La Conférence de Medellin fut en som­me la réponse de la gauche épiscopale latino-américaine le C.E.L.A.M. ([^48]) n'hésita pas, sous la présidence d'un Paul VI malgré tout un peu effrayé, à y prendre des options fondamentales qui allaient se révéler d'un précieux secours pour les mouvements de la gauche communiste. 88:243 C'est en effet à Medellin, Colombie, ville natale de l'assassin com­muniste Camilo Torres, « prêtre » de Jésus-Christ mort lui-même les armes à la main dans un affrontement avec la police, que nos évêques dirigeants et nos évêques dirigés ont approuvé la constitution des « communautés de base », en même temps que les premières ébauches de l'actuelle « théologie de la libération », aile marchante ecclésiastique des fronts de libération communistes. Les évêques d'Amérique latine, ou ceux qui décident à leur place, ont donc arrêté à partir de Medellin que tous les curés de paroisses pousseraient à l'embrigadement des familles, des couples, des jeunes, au sein d'organisations activistes réunies sous d'obscurs prétextes. Il ne fallait pas, bien sûr, que le mot d'ordre des membres du noyau di­rigeant de Medellin apparaisse en pleine lumière comme origine de tout ce mouvement. La plupart des évêques et de leurs curés furent donc manipulés, on pourrait dire drogués, par la puissante orchestration des slogans : « le choix des pauvres » ; « c'est le peuple qui décide » ; « la base contre le sommet » ; « l'Église ouverte au monde » ; « ouverture démocratique » ; « justice », « oppression », « amnistie », « droits-de-l'homme », etc. Ainsi, en bien des endroits, l'association dite familiale engageait ses membres dans des actions collectives de caractère social : nettoyage des taudis, construction de logements, voies d'accès, arrivées d'eau, etc. Dans ces activités, les collectivités de base restent apparemment innocentes, et il n'a pas manqué d'évêques au Brésil pour en faire l'éloge. Mais les féroces activistes qui les com­mandent n'allaient pas se contenter d'un aussi piètre résultat : porter remède à des problèmes matériels locaux ! Et c'est ainsi que les « communautés de base » poussent autant que possible à l'engagement politique « pour la défense du peuple ». L'évêque auxiliaire de Sâo Paulo, Angelico Sandalo, celui qui éprouvait déjà « une joie énorme » de voir ses gens abandonner l'église pour l'agi­tation syndicale, déclare aussi bien : « Nous voyons se multiplier dans nos communautés ecclésiales les personnes qui brûlent de s'engager dans les partis politiques (de gauche) pour lutter, là aussi, et changer la situation du peuple. » ([^49]) 89:243 Certains, moins ingénus, comme D. Vicente Zioni, ar­chevêque de Botucatu, ont rompu le silence pour crier à la veille de la Conférence de Puebla que « le grand péril des communautés de base est celui de la subversion » ([^50]) ; mais cette mise en garde était contestée le jour même, dans la même page du même journal, par l'évêque activiste qui siège à Lins, Pedro Paulo Koop. Ce soi-disant évêque catholique en effet n'hésite pas à nous présenter les communautés de base comme, écou­tez bien, « *un phénomène irréversible, qui survivra avec l'Église, sans l'Église et au besoin contre l'Église *» (au cas où celle-ci « réagirait »). -- L'évêque Sandalo, déjà cité, soutient quant à lui : « Les communautés ont apporté un ferment nouveau à l'Église elle-même et constituent un puissant facteur de politisation. » ([^51]) -- Helder Camara, bien sûr, défend lui aussi les communautés : « A Puebla, la délégation brésilienne combattra pour l'esprit de Me­dellin... Medellin *a montré la voie à suivre* en créant ces communautés de base où les pauvres s'unissent pour éviter que leurs droits soient systématiquement bafoués. » ([^52]) -- Opinion partagée par l'évêque poético-communiste Pe­dro Casaldaliga : « L'Église nouvelle, qui a fait clairement le choix du peuple opprimé, est le grand fruit de Medellin et de Vatican II. Les communautés de base constituent la meilleure expression de cette Église. Ce qui pour cer­tains est subversion, pour nous est libération. » ([^53]) -- L'évêque de Lins enfin, Pedro Paulo Koop, s'extasie lui aussi devant l'Église nouvelle, populaire, qui prend ses distances grâce aux communautés de base avec l'Église « bourgeoise et institutionnalisée » ([^54]). \*\*\* L'organisation des « communautés de base » présente une étrange similitude avec la principale technique pra­tiquée dans les mouvements communistes, qu'on appelle le noyautage : technique de manipulation des groupes par le biais d'un petit noyau central, dont l'efficacité réside principalement dans le secret. 90:243 Tel est le fondement, depuis l'origine, de la maçonnerie et de toutes les sociétés de pensée au XVIII^e^ siècle, que l'Église a condamnées en 1738 et condamne toujours aujourd'hui, sans même parler de leur évidente nocivité, *parce qu'il s'agit de sociétés secrètes.* Comme le souligne fort bien Clément XII dans sa Cons­titution *In Eminenti* de 1738, au sein d'une société civile chrétienne, une société qui se veut « secrète » ne peut être animée que de mauvaises intentions. Et par-delà les intentions mauvaises, il y a la découverte de l'efficacité propre à ce mode d'action dans le contrôle des grandes majorités amorphes et peu éclairées... Le noyautage en effet va bien au-delà d'une simple tactique pour suborner les personnes. Un petit groupe qui agit, comme nous disons en portugais, *de combinaçâo,* cherche non seulement à in­fluencer l'assemblée ou le groupe, mais à lui imposer l'ac­complissement de tâches pratiques. Le « noyau » dirigeant agit comme un système de hiérarchie parallèle, qui se constituera aussi bien au dehors (et à côté) qu'à l'intérieur même du groupe. Sa ligne d'action est orientée avant tout autre chose sur les résultats *pratiques* de l'activité du groupe, qui lui importent beaucoup plus que la conver­sion individuelle de chacun de ses membres. Si le noyautage s'en prend à une institution de caractère natu­rel, ce sera pour la dévier de l'accomplissement de ses fins naturelles. S'il s'en prend à une institution déjà conçue dans une optique révolutionnaire, mais non encore « domp­tée », son génie sera de lever une à une les résistances et les barrières qui s'opposent à ses manipulations. Ce qui caractérise l'action du noyau dirigeant est toujours le dou­ble jeu, le secret de la concertation des membres, et par-dessus tout l'influence sur les résultats pratiques, la « ver­sion » plutôt que les faits, le fruit plutôt que l'arbre. A noter que le vocabulaire du noyautage, spontanément, est aussi celui des ecclésiastiques de gauche. Par exemple : « Dans la conjoncture de Medellin, l'Église, guidée par ce pressentiment, a réuni le peuple de Dieu dispersé pour qu'il se nucléarise (*nucleasse*) en Communautés de Base qui par leur propre densité irradieront des énergies libé­ratrices. » ([^55]) -- Le « pressentiment » auquel ce texte fait allusion est celui de « la recrudescence des régimes autoritaires », que l'auteur qualifie d'oppressifs et d'in­humains. 91:243 Le verbe que nous traduisons ici par « nucléa­riser » est de son invention, comme les « énergies libératrices ». Quant à la conception qu'il se fait de la densité irradiante des groupes ainsi noyautés ou « nucléarisés », elle mérite qu'on s'y arrête un instant. L'activité parallèle de ces noyaux a été mentionnée par Michel Martin dans son analyse des tactiques mises au point pour « dévier » la marche du concile Vatican II ([^56]). Curieusement, on en retrouve quelque chose dans un journal brésilien qui, sans bien comprendre ce qu'il faisait, nous livrait la clé de ce qui s'est passé à Puebla : CONFÉRENCE PARALLÈLE. -- Un fait à ne pas négliger, cependant, est l'influence sur le C.E.L.A.M. d'ailes plus libérales du christianisme, qui se sont réunies à Puebla en une sorte de « con­férence parallèle ». Outre les réunions de « la gauche chrétienne », organisées par le Centre National de Communication Sociale à Puebla, les plus grands théologiens défenseurs de l'en­gagement de l'Église dans les questions sociales sont présents dans la ville ; ceux-ci, par le biais de la presse et même de contacts directs avec les éléments « progressistes » de l'épiscopat, exercent une forte influence sur le déroulement de la réunion du C.E.L.A.M. Parmi ces théologiens présents à Puebla, on relève les noms du franciscain brésilien Leonar­do Boff, auteur du livre *Christ, le Libérateur,* et du jésuite mexicain Luis del Valle, directeur du Centre de réflexion théologique de Mexico. L'évê­que brésilien Moacyr Grechi a avoué récemment dans une réunion avec les journalistes que cer­tains de ces théologiens, comme Boff, font l'ob­jet de discussions dans les assemblées du C.E.L.A.M. (*O Globo,* 5 février 1979.) Le caractère manipulateur des noyaux n'est même plus dissimulé. Nous avons vu que le père Bastos d'Avila pré­sente le noyautage comme irradiant, *par lui-même,* une « énergie libératrice ». 92:243 Mais son compagnon de route idéo­logique, Tristâo de Athayde, évoquant la première conven­tion des « Communautés de base » du Brésil, tenue en 1975 dans la ville de Vitoria sur le thème *Une Église qui naît du peuple,* avait écrit : « Dans cette première réunion, ce n'était pas le peuple lui-même qui organisait le mou­vement. Le mot d'ordre venait d'en haut. » Et, citant la revue du S.E.D.O.C. -- I.D.O.C. ([^57]) : « Ce n'étaient pas les représentants de la base qui faisaient cette découverte ; mais des évêques, des animateurs de pastorale, des théolo­giens, qui avaient opté pour la libération et les commu­nautés ecclésiales de base. » ([^58]) -- Les communautés de base, écrit de son côté *O Globo* ([^59])*,* « ont toujours un coordinateur ». Nos évêques communistes, spécialisés dans l'agitation des Indiens ou la subversion des jeunes, ne cessent de répéter sur tous les tons que le peuple doit « construire son propre destin », qu'il doit « prendre en mains son avenir », et tout le bataclan. Raison pour laquelle ils expulsent les « paternalistes » de leurs réunions popu­laires : les fonctionnaires du gouvernement chargés de protéger les Indiens, les parents qui pourraient aider les jeunes de leur expérience. Mais ces discours grandioses et sublimes de l'épiscopat ne se retournent jamais contre les « coordinateurs ». Ceux-ci ont bien le droit d'être blancs dans les réunions d'indiens, adultes dans les réunions de jeunes, intellectuels dans les réunions d'ouvriers, on ne fera rien pour les expulser. Et ils restent seuls en lice, sans concurrents pour contrarier leurs manœuvres en di­rection des bases. \*\*\* Voilà où réside, si j'ose dire, l'horreur la plus horrible de toute cette noire, sanglante et perverse histoire, qui sera un jour contée en détail et définitivement démasquée. Le pire n'est point l'exploitation des curés et de leurs paroisses, avec la complicité d'un grand nombre d'évêques, pour la subversion politique des fidèles et le détournement des fonds allemands. 93:243 Le pire est que cette marée d'évêques de gauche, d' « agents pastoraux » et de « théologiens de la libération » soient les facteurs suractivés d'une des­truction qui est religieuse avant d'être politique. Un véri­table agent du Démon s'est mis à l'ouvrage dans chacune des paroisses du Brésil. Et on retrouve partout de ces religieuses habillées en hommes, au visage de glace, com­me les auxiliaires féminines des camps de concentration nazies ; et d'autres, pires encore, qui ont l'œil mauvais et la parole doucereuse. Les visages de ces « agents pasto­raux » ont vraiment de quoi effrayer, à cause des âmes qu'ils nous révèlent. -- Mais c'est bien assez de constater ce qu'ils font. Partout, ils jettent le discrédit sur « l'Église du passé », alliée du capitalisme et indifférente au sort des pauvres. Partout, leurs attitudes liturgiques et jusqu'à leurs discours déclarés ont pour fin de mettre en doute d'une manière ou d'une autre la présence réelle, la résur­rection, la majesté de Dieu, ou encore la virginité de Ma­rie : « mère de Jésus », comme ils disent, pour ne pas la reconnaître « Mère de Dieu », et « femme comme n'im­porte quelle autre », selon les déclarations en chaire d'Eduardo Koaik, aujourd'hui évêque auxiliaire de Rio... Les clercs « participants » de ces communautés, le curé, l'évêque, le père coordinateur, dans l'hypothèse la plus bienveillante, apparaissent comme des gens exclusivement préoccupés d'activités sociales, sportives, au point qu'ils ne consentiront même à lire la Bible que dans cet esprit. L'article du *Globo* déjà cité ([^60]) précise à ce sujet : « Dans la pratique, les communautés de base sont des groupes capables de gestes de solidarité envers le prochain, et qui découvrent dans le texte de la Bible *beaucoup plus* qu'une simple réponse à leurs besoins religieux. » Nous pouvons imaginer ce que sont les activités liturgiques de ces groupes « capables de solidarité ». 94:243 Le journaliste du *Globo* expli­que, sans voir le caractère sinistre de cette révélation, que le peuple brésilien est attiré dans les communautés de base parce qu'il trouve à y exprimer son sentiment religieux sous forme de prières et de cantiques ; après quoi, comme nous l'avons vu, il sera détourné de ce qu'il était venu chercher dans le groupe, au profit des « réponses » beau­coup plus importantes que la Bible apporte aux apprentis-révolutionnaires sur tous les chapitres de l'actualité. \*\*\* Pour caractériser « l'après-Puebla », c'est-à-dire la manière dont le noyau dirigeant impose son interprétation des textes à la sottise du clergé sud-américain, je citerai seulement trois informations. La première nous apprend qu'au printemps de l'année dernière, sept cardinaux et une cinquantaine d'évêques se sont réunis *à huis clos* dans les faubourgs de Caracas, au Venezuela. Ce mini-conclave devait « *réaffirmer,* comme tâche prioritaire de l'Église catholique (!), la défense des pauvres, de la famille, de la jeunesse et des vocations sa­cerdotales » ; il décidait « aussi » d'intensifier l'évangé­lisation et de « diffuser largement, dans un langage ac­cessible à tous, les thèmes abordés dans la réunion de Puebla ». Deux évêques furent aussitôt élus par le mini-conclave pour l'application de ce beau programme : le président de la réunion, D. Alfonso Trujillo, Ordinaire de Medellin, et son secrétaire général, D. Antonio Quarracino, évêque d'Avellaneda en Argentine ([^61]). La seconde information dévoile que 230 évêques bré­siliens se sont réunis quant à eux à Itaici, pour « l'appli­cation à la réalité des résolutions de Puebla ». Cette « ré­analyse de la réalité brésilienne », disent nos évêques, est un fruit du nouveau « témoignage que donne l'Église à partir de Puebla », avec « son choix préférentiel en fa­veur des pauvres » ; et ils ajoutent : « Nous devons nous porter maintenant aux drames concrets que vit le peu­ple. » ([^62]) -- Mais un incident alors s'est produit. Le président et le secrétaire du C.E.L.A.M. (noyau des noyaux) firent savoir aux évêques brésiliens réunis à Itaici que « toute rencontre et concertation pastorale, réunion ou cours sur les conclusions de Puebla doit faire l'objet d'une consultation préalable du *collectif* (c'est-à-dire du président et du secrétaire général), qui indiquera les options et l'orientation nécessaire » ([^63]). 95:243 Le *Globo* précise que le noyau épiscopal dirigeant de la rencontre d'Itaici, par la voix du prélat communiste Tomas Balduino et de l'évêque auxiliaire de Sâo Paulo, Mauro Morelli, protesta avec éner­gie contre cet « abus d'autorité » du C.E.L.A.M. ! Ma troisième information est encore tirée du *Globo,* deux jours plus tard : « Contrariant nos prévisions, l'as­semblée de la C.N.B.B. ([^64]) à Itaici n'a pas élaboré de document sur l'application, au Brésil, des conclusions de Puebla. Dans l'idée des évêques brésiliens, ces conclusions doivent être soumises aux bases pour que surgisse de là, dans chaque région, un document-synthèse. » ([^65]) -- Voilà donc ce qui va déterminer, en termes d'action pratique, l'application de Puebla : le travail des « coordinateurs » de nos fameuses communautés, conformément à ce qui pourra être imposé dans chacune d'entre elles, pour que les noyaux de la base entraînent ou trompent démocra­tiquement celui du sommet. Ce « noyau » brésilien, comme on voit, entend se déve­lopper indépendamment de l'influence de l'autre, celui du C.E.L.A.M., qui souhaiterait en somme progresser plus doucement. Les évêques de gauche brésiliens décident donc de leur propre politique et se disent depuis longtemps déjà affranchis de Rome. Ils n'ont d'ailleurs jamais caché leur prétention de montrer la voie au monde entier dans ce qu'ils appellent le « Processus », et que force nous est bien de traduire par trahison. Julio Fleichman. (*traduit du portugais par Hugues Kéraly*)*.* 96:243 ### De la force (V) *suite et fin* par Marcel De Corte LA MAGNIFICENCE, seconde vertu complémentaire de la force, doit, elle aussi, subir une transposition. « Le magnifique a pour fonction de faire grand. Mais tout ce qui est individuel est petit en comparaison du culte divin ou des affaires publiques, ajoute saint Thomas. Ce n'est donc pas lui-même que le magnifique a principale­ment en vue, non pas qu'il dédaigne son bien propre, mais parce qu'il n'y a pas là quelque chose de grand. » ([^66]) Cette vertu « correspond à une perfection spéciale de l'œuvre d'art, à savoir que celle-ci soit grande par la quantité, la richesse ou la destination » ([^67]). « Elle a pour objet la grandeur d'une œuvre d'art, surtout celle qui ma­nifeste l'honneur rendu à Dieu. » Son effet principal est d'ordonner les âmes à la sainteté et à la religion ([^68]). Par son objet, elle tend comme la force à quelque chose de transcendant et de difficile parce qu'elle entraîne de gran­des dépenses ([^69]). Le vice qui lui est opposé est évidem­ment la mesquinerie. 97:243 La transposition de la magnificence est analogue à celle de la magnanimité. Il est clair, en effet, que les moyens financiers de la plupart des hommes qui restent encore attachés au bien commun de la cité et de l'Église n'égalent pas ceux de Laurent le Magnifique, des papes de la Renaissance ou de Louis XIV ! Mais ils peuvent être utilisés, si érodés qu'ils soient par la fiscalité égalisatrice moderne, à l'achat d'objets relativement peu coûteux, ca­pables de faire éprouver une véritable et durable émotion esthétique, au lieu d'être dépensés pour d'horribles quin­cailleries fonctionnelles ou pour les productions d'une mode aussitôt trépassée qu'elle est née. Ainsi s'entretient le goût du beau dans les cercles sociaux restreints, mais vivants, où le magnifique à petite échelle a encore un rayonnement, surtout dans le foyer familial. Alors que le mesquin de l'époque d'Aristote et de saint Thomas est celui qui « entreprend toujours une œuvre petite qui ne lui coûte pas trop » ou bien celui qui « après avoir engagé d'énormes dépenses, fait perdre aux choses, par une cer­taine petitesse, toute leur grandeur et leur beauté » ([^70]), le magnifique d'aujourd'hui achètera un beau meuble, une belle gravure, un beau tapis -- petites choses elles aussi -- pour sauver au moins en espérance l'amour des grandes œuvres belles. A cet égard il faut bien avouer que, dans la plupart des cas, la plupart des hommes d'Église actuels ne gâtent pas les fidèles avec leurs églises qu'ils ont dé­pouillées de toutes leurs pauvres richesses, sous prétexte de « pauvreté évangélique », pour le plus grand profit des antiquaires et des brocanteurs ! Ils portent la mesquinerie à son comble ! Il convient donc de réserver nos modestes magnificences aux prêtres et aux trop rares évêques qui ont gardé l'intense souci de la vérité de la foi et de la splendeur de la liturgie. \*\*\* Des quatre vertus qui gravitent autour de la force comme autour de leur soleil, la *patience* demeure inchan­gée ainsi que la persévérance. « C'est le rôle de la patience, dit saint Augustin, de nous faire supporter les maux sans faiblir et de nous empêcher de nous écarter par faiblesse des biens qui nous conduisent à de plus grands » ([^71]). 98:243 Mais son action s'accentue en un temps où la dissociété s'installe à demeure et où l'autodémolition de l'Église est encore loin d'être contenue et réprimée. Sans être la pre­mière des vertus ([^72]), puisque « les vertus constitutives du bien sont en rapport plus direct avec lui que les vertus purement défensives », elle tient une place extrêmement importante dans l'attitude à prendre devant ces maux qui sont les plus grands de tous puisqu'ils atteignent le bien commun naturel et surnaturel en plein cœur et blessent profondément l'animal politique créé par Dieu et les fils d'Adam rachetés par le Christ. Aussi la vertu de patience ne peut-elle s'exercer, selon saint Thomas, sans le secours de la grâce, car « il faut que le bien en vue duquel on veut vraiment supporter les maux ainsi que la tristesse qu'ils suscitent, soit plus voulu que le bien dont la priva­tion provoque les souffrances que la patience endure » ([^73]). Comment supporter le désastre vers lequel la société et l'Église courent avec entrain, sans le plus haut des biens celui de la grâce ? S'il suffit à la volonté de quelques-uns, armés des moyens adéquats, de se porter à la restauration du bien commun, ce dernier aura lui aussi besoin « d'un secours gratuit de Dieu » ([^74]), et s'il tarde à se rétablir, il faudra plus de patience encore et plus d'assistance divine. Il est curieux de constater que saint Thomas n'oppose pas à la patience une série de vices, comme aux autres vertus. On en comprend maintenant la raison : elle doit être sans limites, ou plus exactement, comme l'affirme saint Thomas après saint Jean Chrysostome, sans autre limite que les injures faites à Dieu. *En ce cas, la patience doit s'insurger contre celui qui fait le mal* (*insiliat in eum qui mala facit*)*.* Les supporter serait le comble de l'im­piété (*injurias auteur Dei patienter sustinere nimis est im­pium*)*.* Il en est de même, selon saint Augustin, du bien public : il est prescrit à la patience de le défendre contre les ennemis ([^75]). \*\*\* 99:243 *La persévérance,* quant à elle, est « une vertu spéciale qui a pour fonction de supporter, autant qu'il est néces­saire, la durée dans les œuvres des vertus précédentes et de toutes les autres » ([^76]). Elle est une vertu qui se greffe sur la force puisqu'elle a pour objet de surmonter le carac­tère ardu des maux qui s'intensifient lorsqu'ils durent ([^77]). C'est pourquoi elle devra se prolonger durant toute la vie humaine : il est dans sa nature de persévérer jusqu'à l'achèvement de l'œuvre (*usque ad finem*)*.* Il faudra com­battre pour la foi, l'espérance et la charité qui ont pour objet la fin dernière de la vie tout entière et qui sont aujourd'hui attaquées plus que jamais. Il faudra lutter contre les ennemis de la société véritable, contre les cari­catures que sont « la société permissive » et « la société totalitaire ». Et sans défaillance, *usque ad finem certami­nis,* jusqu'à l'issue du combat, même si on ne fait que l'entrevoir ([^78]). Faut-il ajouter que la persévérance, en raison de la versatilité constitutive du libre arbitre de l'homme (*cum liberum arbitrium de se sit vertibile*) re­quiert à son tour l'aide de Dieu qui n'est jamais refusée à celui qui l'implore pour une fin conforme à la justice naturelle et surnaturelle ([^79]) ? C'est ainsi que l'homme pourra lutter contre les vices qui sont opposés à la persévérance, contre « la mollesse qui renonce au bien commun de la société et de l'Église en cédant à la tristesse provoquée par la privation de la jouissance » ou en s'abandonnant à la seule jouissance des biens inférieurs ([^80]), et contre l'opiniâtreté des opi­nions subjectives maintenues envers et contre tout sans souci de la souplesse que réclament les moyens de l'action ni de la fermeté qu'exige la poursuite de sa fin objec­tive ([^81]). Les catastrophes qui ébranlent aujourd'hui la société et l'Église n'ont pas d'autre origine que « l'affec­tation des nouveautés » (*praesumptio novitatum*) que char­rient par essence ces opinions. Pour faire montre de leur supériorité (*manifestatis propriae excellentiae*)*,* les occu­pants de la « société » actuelle et de l'Église recherchent obstinément le nouveau parce que le nouveau suscite habi­tuellement l'admiration des hommes (*novitates quas ho­mines solent admirari*) et les hisse au premier plan de l'actualité ([^82]). 100:243 L'homme persévérant n'a pas ce souci d'ouverture au monde et à ses louanges : il s'efforce avec l'Apôtre « de racheter le temps » (*redimere tempus*) et, par un acte de volonté renouvelé, de s'ouvrir à ce qu'il y a d'éternel dans les cieux et sur la terre, car « les jours présents sont mauvais » (*dies mali sunt*) ([^83]). Il est capital de constater que saint Thomas termine son traité *De fortitudine* par deux questions, la première consacrée au don de force, la seconde au décalogue, et toutes deux à la justice divine, tant surnaturelle que natu­relle, comme nous l'avons montré plus haut. Il dépasse les forces humaines de pouvoir achever toute bonne œuvre commencée et d'éviter tout péril menaçant (*quod quidem excedit naturam humanam*)*.* C'est l'œuvre du Saint-Esprit de les soutenir en cette tâche « de manière à faire parve­nir l'homme à la vie éternelle qui est le but de toutes les bonnes œuvres et la délivrance de tous les dangers. De cette issue le Saint-Esprit répand dans l'âme une certaine confiance qui exclut la crainte opposée » ([^84]). Aujourd'hui que se répandent un peu partout une sorte de délire charismatique et un extravagant don des langues contre lesquels saint Paul protestait déjà -- *sobria sit ebrietas Spiritus !* --, il est urgent de rappeler la quatrième béatitude qui correspond au don de force : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. » La Justice dont il est ici question n'est pas l'exigence des biens périssables de ce monde qui hante l'homme moderne, mais l'action aimante de Dieu en vue du salut en N.-S. Jésus-Christ que l'homme reçoit et qui le justifie. Est donc dit *juste* celui qui s'abandonne à la volonté de justice générale de Dieu et à qui Dieu rend la justice distributive selon ses œuvres. 101:243 Le Dieu de la Révélation est désormais par l'incarnation de son Fils le Bien commun universel qui surpasse toute connaissance et la Fin supratranscendante de toute activité proprement chrétienne. « La corrélation entre la justice et la force consiste en ceci que la force a pour objet les difficultés et que c'en est une et immense, non seulement de faire les œuvres de vertu communément appelées œuvres de justice (*opera justitiae*) -- axées sur le Bien commun sur­naturel révélé -- mais encore de le faire avec cet insatiable désir qu'on peut désigner par la faim et la soif de la justice. » ([^85]) Et saint Thomas précise à nouveau : « On peut entendre ici la justice générale qui s'étend aux œuvres de toutes les vertus, et la difficulté qui se ren­contre en toutes est l'objet du don de force. » ([^86]) S'il en est ainsi des relations de la vertu de force avec le don de force du Saint-Esprit, il en sera de même de ses rapports avec les commandements de Dieu formulés dans le décalogue. La loi divine a en effet pour fin l'union de l'homme à Dieu, bien commun surnaturel de tous ceux qu'Il sauve par le don de force, tandis que les lois hu­maines ont pour fin le bien commun temporel et les biens particuliers qui en dérivent, et c'est par rapport à lui comme à eux que la vertu humaine de force est requise. Comme toujours chez saint Thomas, la grâce est la perfec­tion de la nature (*perfectio naturae*)*.* Il y a un combat spirituel (*spiritualiter certando*) à mener pour la conquête de la vie éternelle : le royaume des cieux exige la force, et ce sont les forts qui l'emportent (*regnum caelorum vim patitur, et violenti rapiunt illud*) ([^87])*.* Mais il y a un combat temporel à mener aussi pour l'incarnation des commandements du décalogue « qui sont comme des pre­miers principes évidents par eux-mêmes -- la primauté du bien commun n'est-elle pas éclatante ? -- et qui ont pour objet la justice », ou le devoir de rendre à chacun ce qui lui est dû, et en premier lieu l'union en vue d'une même fin : vivre en société, « devoir qui s'impose à tous ». 102:243 Si le décalogue ne parle pas de la vertu de force, c'est tout sim­plement parce que l'exécution de ses commandements la présuppose avec plus d'évidence manifeste encore que ses prescriptions ([^88]). Les vertus annexes de la force n'ont, comme cette dernière, que la défense et l'illustration du bien commun naturel et surnaturel comme fin. \*\*\* #### VI Conclusion Il faut bien convenir que l'ampleur de cette tâche est immense et qu'en dépit de la violence totalitaire qui la bafoue et de la tolérance libérale qui la vilipende, la vertu de force -- disparue du vocabulaire des hommes politiques et des gens d'Église -- est aujourd'hui la vertu par ex­cellence, sans laquelle le retour à la santé intellectuelle, esthétique, morale, sociale et religieuse de l'homme atta­quée de toutes parts, est rigoureusement impossible. On commence seulement à entrevoir en cette fin de siècle, mal­gré l'optimisme divaguant qui vogue sans gouvernail de *L'Avenir de la Science* de Renan (1849) à *Gaudium et Spes* de Vatican II (1965), que nous entrons dans la phase finale d'une civilisation qui, pour avoir substitué *l'homo laborans* à *l'homo sapiens* et à *l'homo politicus,* et, par la même occasion, tourné le dos à l'enseignement traditionnel de l'Église catholique, est désormais irréversible. Les civilisa­tions, bien sûr, sont mortelles, mais au moins celles que l'Europe a connues et qui se sont succédées au cours de trois millénaires, avaient-elles quelque chose d'humain à transmettre à leurs héritières respectives, si bien que la réalité de l'*homme éternel* ([^89]) persistait à travers leurs ascensions et leurs chutes et au-delà de leur mort. 103:243 Si la « civilisation » industrielle que nous connaissons perdure, à travers des crises successives, dont elle ne se relève que par des guerres inhumaines, que deviendra l'homme en elle, sinon un *animal laborans,* exclu de l'ordre véritable, soumis à des ordinateurs depuis sa naissance jusqu'à sa mort ? Quel sera son legs, si elle vient à disparaître ? La réponse est nette : *néant.* L'homme n'est plus un homme dans la termitière d'une telle « civilisation ». Il n'est même plus relié à ses semblables par de puissants instincts grégaires qui domineraient automatiquement ses activités. Sans doute peut-il être intégré dans une « hié­rarchie », mais celle-ci n'est que dérisoire puisqu'elle est mécanique. Sans doute encore, en théorie tout au moins, car un clou chasse l'autre et il n'est point de progrès dans un sens qui ne soit un recul dans un autre, la technique ne laisse pas de se perfectionner, mais sa complication devient telle que la moindre erreur ou le moindre accident peut, en raison de l'agencement de tous ses innombrables éléments en vue d'un fonctionnement d'ensemble, déchaî­ner des catastrophes : un boulon saute et l'avion explose ! Il n'est pas exagéré de prétendre que plus la technique paraît réunir les hommes, plus elle les entasse dans leur solitude de spécialistes qui s'ignorent les uns des autres. Ajoutons à cela que la finalité de toute activité transfor­matrice de la matière subit la loi imprescriptible de l'éco­nomie : sa destination strictement individuelle ou collec­tive -- ce dernier mot se référant à des individus réduits au même gabarit --, et qu'elle ne peut constituer qu'une dissociété latente : les conflits dits sociaux sont inhérents à toute « civilisation » de type industriel exclusif. Or l'individu n'est rien, en dépit de sa prétention imaginaire (née de sa rupture avec les sociétés organiques) à être tout. Pour agglomérer les individus ainsi isolés les uns des autres, il n'est, pour reprendre ici les conclusions d'Augustin Cochin, plus que jamais valides, que *la socia­lisation de la pensée* par le mythe, c'est-à-dire par un langage dépourvu de toute référence au réel, *la socialisation de la personne* dans l'engrenage d'une collectivité méca­nique et *la socialisation des biens* par la pompe aspirante d'un État totalitaire qui contraint la personne à un esseu­lement accru. 104:243 Les trois activités humaines hiérarchisées le *contempler,* l'*agir* et le *faire* lui-même amputé de sa fin, n'existent plus ou n'ont plus de sens vraiment humain. Il faut donc, dès à présent, avant l'écroulement final et peut-être, s'il plaît à la Providence, pour le pallier, retourner à ce qui est spécifiquement et élémentairement propre à l'homme : à *penser* d'abord, bien penser, n'ad­mettre comme vrai que ce qui est, que les données de l'ex­périence sensible éclairées par les premiers principes de la connaissance, eux-mêmes détenus par le bon sens ; renon­cer aux apparences qui nous ravissent parce qu'elles sont engendrées par l'imagination et parce que nous retrouvons en elles notre Moi illusoirement agrandi ; revenir à la métaphysique naturelle de l'esprit humain. *Agir* ensuite, bien agir, agir en vue du bien, du bien commun de la cité et du bien commun universel qu'est le Dieu de la Révé­lation, deux biens distincts mais inséparables depuis N.-S. Jésus-Christ. *Faire* enfin, fabriquer tous les produits qui sont nécessaires à la vie de l'individu, les améliorer, les rendre accessibles au plus grand nombre, *mais sous la régence du bien commun qui les règle et se subordonne les biens particuliers ainsi créés,* cette primauté du bien commun visant avant tout au maintien des relations sociales vivantes toujours menacées par l'individualisme in­hérent à l'activité économique. Voilà qui ne se fera pas en un jour, en dix ans, ni en un siècle. *Voilà qui exige de nous une continuité dans l'exercice de la vertu de force de génération en génération,* tant pour résister aux maux qu'engendre toute décadence que pour attaquer ceux qui les propagent, et pour laisser croître la plante humaine sous le soleil de Dieu. La nature et Dieu nous y aident. La première a tou­jours mis à côté du mal le remède. *Natura malorum re­media demonstrat.* Un diagnostic exact est au principe de la guérison. Et Dieu ne délaissera jamais l'homme qui le prie. Il y a en effet des lieux privilégiés qu'habitent quel­ques rares réfractaires à la maladie de la Révolution per­manente, et qui sont des points de départ d'un renouveau parce que la suprématie de la Technique qui détruit tout, une fois abandonnée à elle-même, ne peut les détruire sans se détruire elle-même. La Technique aura toujours besoin de savants et d'un minimum de souci du bien commun pour produire ses biens matériels et les répandre sur un marché de consommateurs qui ne soit ni une foire d'em­poigne ni une caserne. 105:243 Ce sont les communautés naturelles et semi-naturelles de base où les *réalités* de la vie quotidienne *résistent* malgré tout à la violence révolutionnaire qui veut les abattre pour leur substituer les constructions de l'esprit humain autonome qui consolideraient ainsi son empire. Sans doute, « les conditions d'une vie familiale et pro­fessionnelle normale disparaissent de plus en plus, ten­dant à la limite à faire de cette vie un enfer » ([^90]), mais le jour où il n'y aura plus ni famille ni entreprise où les rapports sociaux organiques se subordonnent les rapports techniques, l'humanité aura terminé sa course. Ce sera « la fin de l'Histoire », la fin tout court de l'Histoire tout court. A moins d'être intoxiqués jusqu'aux moelles par la Révolution permanente qu'entraîne le renversement de la hiérarchie des activités humaines et, dès lors, de ne plus déjà faire partie de ces communautés, les membres d'une famille ou d'une entreprise se trouvent placés en face de *réalités* qui ne peuvent pas ne pas s'imposer à eux, *s'ils les regardent,* comme un bien commun supérieur à la folie destructrice et reconstructrice qui pourrait les séduire. Tout est là : dans le regard attentif aux réalités qui font quotidiennement corps avec notre être, qui ne peuvent en être séparées sans que nous en souffrions, et qui, si nous les vivons, nous épanouissent. Dans les communautés de la vie familiale et professionnelle, nous sommes sur un terrain où nous ne pouvons être vaincus que si nous l'abandonnons à l'ennemi : celui du DEVOIR D'ÉTAT, ex­pression qui ne se rencontre plus guère dans le langage contemporain, surtout de l'*intelligentsia* écrivassière ou parlotteuse, et pour cause ! Tel est le devoir suprême ici-bas, qui suit immédiatement, depuis la Révélation, le devoir d'aimer Dieu par-dessus toutes choses, et duquel *seul* déri­vent des droits, s'il est accompli. Il n'y a pas d'autre droit que de remplir son devoir d'état et d'en recueillir les fruits qui en naissent et qui n'avortent jamais qu'accidentelle­ment, parce que nous sommes dans le domaine de l'action et que l'action n'atteint sa fin qu'*ut in pluribus,* dans la plupart des cas ([^91]). 106:243 Le devoir d'état c'est ce qu'on est obligé de faire en fonction de sa manière d'être fixe et immuable ([^92]), en fonction de sa nature concrète d'homme, en fonction du fait qu'on appartient à une famille et à un pays par la naissance, à un métier ou à une profession par attirance ou par nécessité. Le devoir d'état coïncide *avec l'être* qu'on est concrètement et auquel toutes nos activités pro­prement humaines se réfèrent. Il ne souffre donc aucune délégation de pouvoir, aucun amoindrissement, aucune dérobade de notre part, à peine de s'avilir soi-même. Il est défini, constant, invariable, comme tout ce qui appar­tient à la nature. Personne ne peut se substituer à personne dans ces petites sociétés naturelles et semi-naturelles dont nous ne pouvons nous séparer qu'en pensée, en imagi­nation, en action, mais en aucune manière *quant à l'être qu'on est :* c'est à jamais que *j'appartiens* à telle famille, telle profession, telle patrie. Dans ces sociétés, la place de chacun est déterminée par ce qui ne dépend pas de lui, par son apparition à l'existence en tel jour, en tel lieu, par sa vocation, par la réponse qu'il donne à un appel qui le transcende et pourtant le constitue, par des incli­nations dont l'élan provient de la nature et la direction de la volonté droite. Parce que l'état et l'être n'en font qu'un, il faut prendre sur soi pour accomplir son devoir d'état et réaliser son être. *Il exige éminemment l'activité de la vertu de force qui résiste aux mirages de l'égoïsme, --* lequel sépare le Moi de son être, -- *aux sollicitations de la dissociété, aux facilités qu'offre la faiblesse humaine pour intensifier la politique libérale et socialiste moderne.* Dans ces communautés, le devoir d'état est toujours axé sur le bien commun de ses membres. Loin de s'opposer à leur bien respectif, il le constitue : travailler par exem­ple au renom et à la prospérité de l'entreprise dont on fait partie, rejaillit sur soi sous forme de considération particulière et d'avantages matériels. L'égoïsme dont nul n'esquive la tentation se trouve corrigé par l'irrécusable présence et par le contrôle des autres membres de la communauté. 107:243 Les obligations, parfois sévères, du bien com­mun à sauvegarder n'impliquent chez personne aucune raideur stoïcienne, aucun héroïsme, mais bien plutôt de la joie : il n'est guère de plus grande satisfaction que d'avoir bien rempli sa journée ou de voir croître de vrais hommes, de vraies femmes en ses enfants. L'exercice de la vertu de force dans l'accomplissement du devoir d'état s'accom­pagne toujours de contentement, malgré les misères inévi­tables de cette vie. La plupart des hommes l'ont oublié sous la pesée de la dissociété qui les enfonce dans le chaos de ses jouissances éphémères. Il faut donc lutter *de toutes ses forces* contre le libé­ralisme dont le point de départ fut la bienveillante con­ception humaniste selon laquelle l'homme, « maître du monde » ([^93]), ne porte aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu'il importe d'amender, et contre « le socialisme en général comme en toutes ses nuances qui aboutit à l'anéantissement universel de l'es­sence spirituelle de l'homme et au nivellement de l'hu­manité dans la mort » ([^94]). Les forteresses des micro-communautés naturelles nous acculent à cette *nécessité impérieuse,* si nous voulons survivre comme animal rai­sonnable et comme animal politique. Ceux qui le veulent devront par la parole, l'écrit et surtout l'exemple, enseigner aux pères, mères et membres de la famille, l'ABC de l'at­titude à prendre et qui est le NON de la force de résistance. On ne redira jamais assez qu'en matière pratique d'action tendue vers sa fin propre, OUI *commence à* NON. *Les principes élémentaires de la morale familiale* suivront. Il faut apprendre à tous les producteurs, à tous les échelons de l'entreprise, *les rudiments de la morale économique :* on ne produit pas pour produire ni pour produire de plus en plus ; les salaires, les appointements, les profits sont la ré­compense des services rendus aux consommateurs ; les consommateurs sont des êtres humains ; 108:243 ils sont les seuls êtres capables d'équilibrer matériellement et moralement la production et la consommation, pourvu que l'économie de marché soit réglée par des mœurs saines et par un code juridique qu'un État véritable, gardien du bien com­mun, fasse respecter contre les assauts des parasites obsé­dés par leurs seuls biens particuliers ([^95]) ; le socialisme à visage humain est un leurre et une imposture ; l'argent est un moyen et non une fin ; la propriété est privée en son être et commune en son usage et par ses produits ; la propriété collective des moyens de production est le déguisement d'une « nouvelle classe dirigeante » auprès de laquelle le capitalisme le plus oppressif fait figure de libérateur ; le communisme, quoi qu'en disent des évêques écervelés qui louchent vers lui avec concupiscence, est « intrinsèquement pervers », etc. Ces rudiments d'une évidence solaire, mille fois con­firmés par l'expérience, réclament la vertu de force sous sa double forme : *sustinere et aggredi,* résister et attaquer. A ces humbles gestes de la vie quotidienne où brillent encore quelques étincelles de la nature concrète de l'hom­me et de son activité vertueuse tendue vers le bien com­mun, il faut ajouter le souffle de la vérité prise en son centre : le droit naturel et chrétien enseigné par l'Évangile et par l'Église antéconciliaire. Sans le regard fixé sur l'étoile, la marche sur la terre est impossible dans la nuit obscure que nous traversons. C'est ainsi et dans ces milieux privilégiés où notre action peut encore se développer et surtout se transmettre, qu'*en tenant ferme* les deux bouts de la chaîne, le naturel et le surnaturel, nous pourrons parcourir les maillons in­termédiaires et restaurer patiemment la cité et l'Église. A l'émancipation illimitée de l'homme par une Technique omnipotente, à laquelle la privation des lumières souve­raines du Vrai et du Bien ne laisse d'autre échappatoire que la violence subversive et la Révolution permanente, à la destruction de la nature concrète de l'homme qui s'en­suit, il n'est de réponse que la persévérante réfection de l'animal raisonnable et de l'animal social en nous *par la vertu de force et par les actes extérieurs* qui la conduisent vers sa fin. 109:243 L'histoire simple et bouleversante contée par Ramuz dans *Derborence* illustre le réalisme de la vertu de force chez les plus obscurs des hommes, mais les plus proches aussi de la terre et du ciel à la fois ([^96]). Quelques pâtres sont montés dans leurs chalets au-dessus des nuages pour garder leurs troupeaux en transhumance. Une nuit, la montagne contre laquelle s'adossent leurs bergeries s'écrou­le. Un seul échappe à l'avalanche. Il se trouve enseveli sous un amas gigantesque de roches. Pendant deux mois, il se nourrit de pain sec et d'eau suintante. Il tâtonne sous la pierre. Il se creuse une issue, se déchirant les mains, tantôt vaincu et toujours victorieux de sa défaite. Il arrive enfin au jour, muet, bégayant, spectral. Car il veut vivre. Son foyer a besoin de lui. Son foyer l'attend. Il redescend au village qui s'émeut devant son fantôme. Le curé s'avan­ce à sa rencontre armé de la croix. Sa femme s'approche, s'arrête. « Et elle, l'ayant encore regardé attentivement, bien qu'à distance, comme si elle n'osait pas s'approcher : -- Oh ! Antoine, est-ce toi ? -- Touche seulement, c'est de la peau, c'est de la viande *et puis à présent que j'ai passé sous la croix...* Touche seulement, disait-il, tu verras, *ce n'est pas de l'idée, c'est solide, ça dure, c'est moi...* -- Oh ! disait-elle, est-ce possible ? » L'avenir est à la magnanimité des humbles, à leur force inépuisable. Marcel De Corte, *Professeur émérite à l'Université de Liège.* 110:243 ### Les psaumes par Jean Crété AUCUNE PARTIE de l'Écriture sainte n'est plus employée par l'Église dans sa liturgie que le psautier, recueil de cent cinquante psaumes composés par des poètes inspirés du peuple élu, et en usage déjà sous l'Ancien Tes­tament. Nous disons que les psaumes et leurs auteurs sont inspirés. Ils le sont, certes, au sens courant du mot, c'est-à-dire que les compositeurs des psaumes avaient un don poétique évident. Mais à cette inspiration poétique, qui est un don naturel, s'ajoute l'inspiration proprement dite, qui est un don du Saint-Esprit. Il n'est pas inutile de préciser le sens de ce mot. Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, a accordé, pour le bien de tous, à certains hommes choisis de lui des grâces spéciales appelées par les théologiens *charismes* ou *grâces gratis datae.* Un charisme ou grâce gratis data est une grâce actuelle spéciale accordée par Dieu à un homme (ou à son Église), non pour sa sancti­fication personnelle, mais pour le bien commun. Les théologiens distinguent soigneusement trois es­pèces de charismes ou grâces gratis datae : 1° la *révélation*, qui est la manifestation faite par Dieu à un homme d'une vérité inconnue (exemples : la Sainte Trinité, l'Incarnation) ou la manifestation plus complète et plus parfaite d'une vérité déjà connue ou connaissable par la raison (exemples : l'existence de Dieu, la loi natu­relle) ; 111:243 2° l'*inspiration* est le don accordé par Dieu aux écri­vains sacrés, c'est-à-dire aux auteurs des différents livres de la Bible, pour les guider infailliblement à écrire ce que Dieu veut et comme il le veut ; ce don ne supprime aucunement la liberté de l'écrivain sacré ; ce n'est pas une « dictée » miraculeuse de ce qu'il a à écrire ; les facultés naturelles de l'écrivain : mémoire, imagination, intelli­gence, volonté, s'exercent normalement, mais sont guidées efficacement par ce don surnaturel, dont l'écrivain peut avoir ou ne pas avoir conscience. Les dons de révélation et d'inspiration ne sont plus accordés depuis la mort du dernier des apôtres ; la révélation est irrévocablement clo­se, et aucun écrit postérieur n'est inspiré. 3° L'*assistance* est le don accordé par Dieu à son Église et aux chefs légitimes de son Église pour les préserver de l'erreur et les guider dans leur tâche. L'assistance in­faillible est accordée : *a*) au pape, à titre personnel, et au concile œcuménique à titre collégial, dans le cas précis d'une définition ex cathedra touchant la foi ou la morale ; *b*) à l'Église prise dans sa continuité, dans l'enseignement ordinaire de la foi et de la morale et en tout ce qui concerne la validité des sacrements. Dans tous les autres cas, l'as­sistance est faillible : le pape, les évêques, les prêtres tint des grâces d'assistance dans l'exercice de leur ministère, mais ils peuvent résister à ces grâces ou y mal corres­pondre, et donc se tromper, même en matière de foi et de morale, et égarer les fidèles qui leur sont confiés. L'affirmation constante par l'Église que tel livre de la Bible est inspiré, que tel passage a un sens messianique, est couverte par l'assistance infaillible. Les psaumes sont inspirés, puisqu'ils font partie intégrante de la Bible. En outre l'usage constant d'utiliser les psaumes dans la liturgie, en leur donnant un sens chrétien qui n'est pas forcément le sens littéral du psaume, nous garantit infailliblement que les psaumes sont la prière par excellence de l'Église, valable pour tous les temps et tous les pays. Nous avons rappelé un peu longue­ment ces vérités élémentaires, qui sont, hélas, méconnues d'une grande partie du clergé. Depuis vingt ou trente ans, nous avons vu des prêtres remplacer les psaumes par des compositions modernes qui ne sont inspirées en aucun sens du mot. 112:243 Nous avons lu et déjà cité cette phrase déli­rante : « Il faudrait composer de nouveaux psaumes, adaptés à l'homme moderne. Et puis, les psaumes ne parlent pas du Christ. » ([^97]) Les psaumes ne parlent pas du Christ ? Toute la tra­dition juive et chrétienne est là pour nous attester le contraire. Les Juifs considéraient de nombreux psaumes comme messianiques ; et l'Église a toujours donné aux psaumes un sens chrétien. Quelques psaumes ont toujours été regardés comme messianiques au sens littéral. Ainsi l'admirable psaume 21 que Notre-Seigneur lui-même, sur le point d'expirer, utilisa sur la croix : *Eli, Eli, lamma sabacthani ? --* Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? D'autres psaumes, en plus grand nom­bre, sont messianiques au sens typique. Il arrive en effet très souvent qu'un texte inspiré ait un double sens : un sens littéral, qui exprime la première intention de l'au­teur ; et un sens typique, plus profond, mais réellement et objectivement contenu dans le texte, quoique second par rapport au sens littéral : sens plénier imprimé au texte sacré par le Saint-Esprit, sens que l'auteur inspiré a pu vouloir ou ne pas vouloir, comprendre ou ne pas com­prendre, suivant les cas ; mais que la tradition juive et chrétienne a reconnu et affirmé. Ainsi le psaume 109 *Dixit Dominus* s'applique sans doute littéralement à David, mais son sens typique messianique est évident ; et il se peut que certains versets de ce psaume soient messianiques au sens littéral. En outre, tous les psaumes, même les psaumes « imprécatoires » honnis des réformateurs et exclus du bréviaire de Paul VI, sont susceptibles d'une interprétation chrétienne au sens accomodatice. A la différence du *sens typique,* qui est objectivement contenu dans le texte et couvert par l'inspiration, le *sens accomodatice* est une interprétation trouvée après coup, qu'on ne pourrait uti­liser comme argument dans une thèse ou une discussion exégétique ou théologique, mais qui peut légitimement être employée dans la liturgie et la piété personnelle ; l'exemple le plus classique en est la seconde moitié du verset 18 du psaume 138 : 113:243 *exsurrexi et adhuc sum tecum* (je me suis levé et je suis encore avec toi) devenue dans l'introït de Pâques : *resurrexi et adhuc tecum sum* (je suis ressuscité et je suis encore avec toi). La liturgie utilise largement le sens accomodatice : ce sens est souvent sug­géré par l'antienne. Le même psaume peut prendre, disons une coloration très différente, suivant la circonstance de son utilisation. Ainsi le psaume 129 *De profundis* est utilisé aux vêpres de Noël, du Sacré-Cœur et des défunts, et com­me psaume de pénitence. A Noël, il n'a absolument rien de funèbre : l'antienne : *Apud Dominum misericordia, et copiosa apud eum redemptio* (*auprès du Seigneur est la miséricorde, et la rédemption en lui est abondante*) *en* fait une méditation sur le mystère de la nativité qui inau­gure notre rédemption. Aux vêpres du Sacré-Cœur, l'an­tienne est la même, à un mot près : *propitiatio* au lieu de *misericordia,* et le psaume rend un son plus grave, en exprimant le caractère douloureux de l'œuvre rédemptrice. Aux vêpres des morts, avec l'antienne *Si iniquitates,* le psaume devient une supplication déchirante en faveur du défunt ; comme psaume de pénitence, il implore la ré­mission de nos propres péchés. Il en est ainsi de tous les psaumes. Bien sûr, celui qui les récite peut donner aux psaumes un sens accomodatice inspiré de son propre état d'âme. David est regardé, par toute la tradition, comme le principal auteur des psaumes ; il est certain qu'il en a composé un bon nombre. Des psaumes de David ont pu être retouchés par la suite. Toute la tradition attribue le psaume 50 *Miserere* à David après son péché. Or, à l'avant-dernier verset, on trouve une allusion fort claire à la reconstruction des murs de Jérusalem, après le retour d'exil ; ce verset a été ajouté à cette époque. D'autres psaumes, en revanche, ont été composés plus tardivement ; certains en exil : par exemple les psaumes 41 *Quemadmodum cervus* et 42 *Judica me ;* d'autres, au retour d'exil, par exemple les psaumes graduels (119 à 133) ; les neuf premiers sont utilisés pour les petites heures de l'office monastique en semaine et du petit office de la Sainte Vierge ; quelques-uns ont été composés au temps des Maccabées. Peu importe d'ailleurs l'auteur de tel ou tel psaume ; tous sont inspirés. Certains psaumes ont un titre, dont le sens n'est pas toujours très clair ; une réponse de la commission biblique précise que les titres ne sont pas couverts par l'inspiration. 114:243 On n'est donc pas obligé d'attribuer à David tous les psaumes intitulés de David ; certains sont manifestement postérieurs. Ce n'est qu'assez tardivement que, sous l'Ancien Tes­tament, les psaumes ont été placés dans l'ordre que nous leur connaissons et répartis en cinq livres ; il n'y a rien à en conclure quant à l'origine des psaumes. Les psaumes sont de longueur très variable. Le psaume 116 n'a que deux versets. Le plus long est le psaume 118, écrit en exil ou au retour d'exil, à la louange de la loi divine : psaume alphabétique de vingt-deux strophes, com­posées chacune de huit versets commençant tous par la même lettre de l'alphabet hébreu. Ce psaume, divisé en onze, était jusqu'en 1912 le psaume invariable des petites heures dans le bréviaire romain ; il est, depuis 1913, ré­servé aux dimanches et fêtes. Dans l'office monastique, les vingt-deux strophes du psaume 118 sont réparties sur les petites heures du dimanche et du lundi. Composés naturellement en hébreu, les psaumes furent traduits en grec vers 283 avant Jésus-Christ, à la demande du roi d'Égypte Ptolémée Philadelphe, par soixante-dix ou soixante-douze scribes : ce fut le début de la célèbre *version des Septante,* étendue par la suite à toute la Bible (il fallut des dizaines d'années pour la réaliser) et consi­dérée par toute la tradition juive et chrétienne comme inspirée au même titre que les originaux hébreux. Cette vénérable version grecque est toujours employée dans la liturgie orientale. La liturgie romaine primitive était grec­que. Toutefois les psaumes furent très tôt traduits en latin, car ils étaient utilisés comme prière privée ; les chrétiens apprenaient certains psaumes par cœur et s'en servaient dans leur vie de prière personnelle et familiale ; et c'est probablement par les psaumes que le latin s'introduisit dans la liturgie dès le II^e^ siècle. Le passage du grec au latin dans la liturgie romaine ne se fit pas brusquement ni par voie d'autorité ; il se fit par une évolution lente et spontanée qui dura au moins deux siècles. 115:243 L'antique version latine des psaumes était imparfaite, mais populaire. Pour ne pas troubler les habitudes, saint Jérôme, chargé par le pape saint Damase (366-384) de « restituer l'Ancien Testament à la vérité hébraïque », ne retoucha le texte latin des psaumes qu'avec beaucoup de prudence. Sa première révision, faite d'après les Septante, constitue ce qu'on a appelé le *psautier romain :* en usage à Rome jusqu'au X^e^ siècle, il est encore utilisé dans le psaume *Venite exsultemus* qui commence matines, et dans les textes liturgiques de la messe empruntés au psautier. Une seconde version, faite sur les Hexaples d'Origène ([^98]), est appelée *psautier gallican :* adoptée d'abord en Gaule, elle finit par s'imposer à Rome ; c'est cette seconde version qui figure dans la Vulgate et dans tous les bréviaires latins antérieurs à 1946. Une troisième version des psaumes faite par saint Jérôme sur l'hébreu et appelée *psalterium juxta hebraeos* n'a jamais été adoptée pour la liturgie parce qu'elle s'écartait trop du texte reçu. Le psautier gal­lican a donc gardé sa place jusqu'à nos jours au moins dans l'office chanté. La version réalisée en 1945 par le Père Bea, jésuite allemand, avait été généralement adoptée pour la récitation privée ; elle est d'une extrême lourdeur et ne convient pas au chant. Aussi a-t-elle été abandonnée dès la mort de son auteur. Entre temps, le Père Weber, Bénédictin de Clairvaux, avait proposé une révision du psautier gallican, avec des corrections empruntées au *psal­terium juxta hebraeos,* aux passages parallèles de la Bible ou, exceptionnellement, au psautier de 1945. Dom Weber eut l'honnêteté de publier cette recension en 1962, ce qui permit à tous ceux qui le voulurent d'en faire une critique constructive. C'est ce texte, mis au point par les Bénédictins de Saint-Jérôme, qui figure dans la Liturgia Horarum de Paul VI ; très proche du psautier traditionnel, il est ex­cellent. La commission liturgique l'a malheureusement amputé de six psaumes entiers et de nombreux versets jugés imprécatoires. Les Bénédictins de Saint-Jérôme ne sont pas responsables de cette censure infligée au psautier. L'office divin a revêtu diverses formes suivant les temps et les lieux. Il semble que Rome ait adopté dès le IVe siècle la répartition des cent cinquante psaumes sur la semaine. L'ordre des psaumes, fixé définitivement au cours du Moyen Age, n'avait pas été modifié par saint Pie V ; il l'a été radicalement par saint Pie X, avec le double souci de raccourcir l'office et d'éviter les répétitions. 116:243 Les premiers moines avaient pris l'usage de dire le psautier entier chaque jour. Saint Benoît a très sagement réparti les psau­mes sur la semaine, mais dans un ordre différent du schéma romain. Les psaumes sont divisés en versets et sont normale­ment alternés entre deux chœurs. A Mesnil-Saint-Loup, le Père Emmanuel avait établi une belle alternance entre voix d'hommes et voix de femmes, et il expliquait les psaumes à ses paroissiens. Les psaumes évoquent souvent les grands événements de l'histoire sainte, et expriment admirablement les senti­ments de l'âme : adoration, crainte de Dieu, louange, amour, espérance, supplication, action de grâces. Les psau­mes sont faits pour être chantés ; leurs titres donnent parfois des indications, d'interprétation difficile, sur leur chant primitif en hébreu. En latin, on les chante sur des mélodies simples, correspondant aux huit modes grégo­riens ; un astérisque indique la médiante de chaque ver­set. Le ton du psaume est déterminé par l'antienne. Les antiennes sont très anciennes : elles figurent dans l'anti­phonaire romain, devenu introuvable, et, sous une forme plus pure, dans l'antiphonaire monastique de 1934, dû principalement à Dom Gajard. Les antiphonaires ne con­tiennent pas le chant des matines. On trouve dans les livres de chant grégorien appelés « 800 », devenus, eux aussi, introuvables, les parties les plus usuelles de l'antiphonaire romain, ainsi que les matines de Noël, de la semaine sainte, de Pâques, de la Pentecôte, de la Fête-Dieu et des morts. Les paroisses et communautés qui possèdent ces précieux livres feront bien de chanter le plus possible les offices qu'ils contiennent et de transmettre aux jeunes les trésors de la liturgie. La psalmodie sacrée sera toujours la louange la plus agréable à Dieu et la plus fructueuse pour nos âmes. Jean Crété. 117:243 ### Le mois de Marie NOUS FAISONS PEU USAGE de la poésie. Nous demandons peu de chose aux poètes, ces magiciens d'un frêle bonheur ; nous demandons peu de chose aux ambassadeurs de l'été, porteurs d'une lointaine en­fance avec laquelle, grâce à Dieu, nous gardons de secrètes attaches. Pourquoi Platon, lui-même grand poète, les a-t-il mis à la porte de la République ? Toute civilisation digne de ce nom baigne dans un univers de poésie. C'est la poésie qui maintient l'homme en relation vivante avec les valeurs pour lesquelles il consent à mourir : la Religion, la Patrie, « *et les pauvres honneurs des maisons paternelles *»*.* Les générations de la Grèce antique se sont formées en récitant par cœur les chants de l'Iliade ; le Moyen Age en écoutant les chansons de geste, en récitant les psau­mes de David, en jouant le jeu grave et profond de la liturgie à l'intérieur des cathédrales, véritables poèmes de pierre où nos ancêtres ont inscrit l'image de notre destin. 118:243 La paysannerie s'est maintenue fidèle à son noble lignage aussi longtemps que les anciens, écoutés et respec­tés, purent transmettre aux plus jeunes, au cours des veillées, le trésor des contes, des légendes, des chansons du terroir et la beauté des coutumes qui sont des poèmes en action. Toute une sagesse venue du fond des âges. Le mois de Marie fait partie de ce legs. C'est une œuvre de poésie aussi sérieuse que les traités des docteurs sur les privilèges de la Mère de Dieu. Cela est situé dans un autre registre ; voilà tout. Née dans le cœur et l'imagination des fidèles, cette institution ne dépend ni du magistère (aucune encyclique sur le sujet) ni de la liturgie (aucune grande fête mariale). L'origine du mois de Marie doit être cherchée ailleurs, dans le mystérieux rapport qui existe entre l'œuvre de la création et les mystères de la vie surnaturelle. L'instinct de la foi, soutenu par le Saint-Esprit qui est le père des pauvres, a inspiré à la piété populaire des trouvailles déli­cates : le rapprochement entre les mots *mai* et *mère,* d'une part ; d'autre part, le rapport entre le sourire du prin­temps et l'âme virginale de Marie, nouveau paradis, nou­velle création plus parfaite que l'ancienne. D'où il vient que jadis, dans nos provinces, pour honorer la très sainte virginité de Marie, on ne célébrait pas de mariage pendant le mois de mai. Les statues de la mère de Dieu étaient fleuries, le chapelet récité chaque soir au retour du tra­vail, la messe dominicale agrémentée de processions et de litanies. Au mois de mai, nous le savons, il y a une présence de Marie, il y a un sourire de Marie sur les familles et sur les nations. Il ne faut pas compter sur les hommes d'Église pour nous dire cela. 119:243 C'est aux mères de famille que nous faisons appel pour garder fidèlement, pour cul­tiver et pour enrichir ce trésor. Que les familles soient résolues à entretenir la coutume de fleurir et d'illuminer les statues de la très sainte Vierge. Qu'on lui chante les plus beaux cantiques parmi lesquels il faut nommer l'in­comparable *Salve Regina.* Toute la doctrine mariale et, dirai-je, toute la philosophie de la vie humaine s'y trouvent ramassées : Royauté de Marie -- douceur mêlée aux sou­pirs de l'exil -- clameur des fils d'Ève montant de cette vallée de larmes -- vision promise de Jésus, espérance de la gloire -- l'antienne s'achève sur l'invocation : *O dulcis Virgo Maria !* Ces mots ont-ils besoin d'être traduits ? Pour que l'harmonie soit complète, il faut que les enfants entendent à l'école la même chose que dans leur famille. Il est à conseiller que les maîtresses enseignent à leurs élèves l'œuvre de nos plus grands poètes célébrant le mystère de la mère de Dieu. Qu'elles se rassurent, elles ne sortent point alors de leur devoir d'enseigner les hauts chefs-d'œuvre de notre littérature. Pour les guider et pour notre plaisir citons quelques-uns d'entre eux. Commençons par François Villon, si proche de nous par la sensibilité, l'absence d'académisme, encore que le discours s'inscrive dans une forme rigoureuse. Nous con­naissons tous la ballade que fit Villon à sa mère pour prier Notre-Dame. Prenons garde que la bonhomie du propos ne nous voile la grandeur de l'œuvre. Il est excel­lent que des élèves de quinze à seize ans découvrent à travers le rythme léger du décasyllabe une confiance simple et droite en Marie. On ne leur cachera pas que Villon, né en 1431, l'année même où Jeanne d'Arc montait sur le bûcher de Rouen, fut un mauvais ladre plusieurs fois condamné à la pendaison, mais assez humble de cœur pour avoir écrit, à la requête de sa mère, le plus beau joyau, peut-être, de notre littérature chrétienne. 120:243 Ballade pour prier Notre-Dame *Dame du ciel, régente terrienne,* *Empérière des infernaux palus,* *Recevez moi, vostre humble chrétienne,* *Que comprise sois entre vos élus,* *Ce non obstant qu'oncques rien ne valus.* *Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse,* *Sont trop plus grands que ne suis pécheresse* ([^99])*,* *Sans lesquels biens âme ne peut mérir* ([^100]) *D'avoir les cieulx, je n'en suis jengleresse* ([^101]) *En cette foy je veux vivre et mourir.* *A vostre Fils dites que je suis sienne ;* *De lui soient mes péchés absolus* *Pardonne moy comme à l'Égyptienne,* *Ou comme il fit au clerc Theophilus,* *Lequel par vous fut quitte et absolus,* *Combien qu'il eût au diable fait promesse.* *Préservez moy de faire jamais ce,* *Vierge portant, sans rompure encourir* ([^102]) *Le sacrement qu'on célèbre à la messe.* *En cette foy je veux vivre et mourir.* *Femme je suis povrette et ancienne,* *Qui rien ne say ; oncques lettres ne lus.* *Au moustier voy, dont suis paroissienne,* *Paradis peint où sont harpes et luths* *Et un enfer où damnés sont boullus* *L'un me fait peur, l'autre joye et liesse.* *La joie avoir me fay, haute Déesse* ([^103])*,* *A qui pécheurs doivent tous recourir,* *Comblés de foy, sans feinte ni paresse.* *En cette foy je veux vivre et mourir.* 121:243 *Vous portastes, Vierge, digne princesse,* *Jésus régnant qui n'a ni fin ni cesse* *Le Tout Puissant, prenant notre faiblesse,* *Laissa les cieulx* ([^104]) *et nous vint secourir,* *Offrit à mort sa très chère jeunesse* *Nostre Seigneur tel est, tel le confesse.* *En cette foy je veux vivre et mourir.* *François Villon.* Le dernier vers, émouvant en sa répétition, si limpide et si simple, exprime un mouvement de l'âme si essentiel au programme chrétien qu'il se passe de commentaire. Rapprochons de Villon son homologue du XIX^e^ siècle, Paul Verlaine. Par quelle fatalité faut-il que les plus belles prières qui sont aussi les plus beaux poèmes de la langue française soient absentes du répertoire de la piété chré­tienne ? Auquel de nos élèves a-t-on donné de réciter par cœur les vers de *Sagesse,* où le poète, pécheur repentant, s'adresse à Marie avec une qualité d'amour filial si pro­fonde, si douce et si affectueuse qu'elle semble directe­ment inspirée de Dieu ? *Je ne veux plus aimer que ma mère Marie.* ([^105]) *Tous les autres amours sont de commandement* *Nécessaires qu'ils sont, ma mère seulement* *Pourra les allumer aux cœurs qui l'ont chérie.* 122:243 *C'est pour elle qu'il faut chérir mes ennemis,* *C'est par elle que j'ai voué ce sacrifice,* *Et la douceur de cœur et le zèle au service,* *Comme je la priais, elle les a permis.* *Comme j'étais faible et bien méchant encore,* *Aux mains lâches, les yeux éblouis des chemins,* *Elle baissa mes yeux et joignit mes mains.* *Et m'enseigna les mots par lesquels on adore.* *C'est par elle que j'ai voulu de ces chagrins,* *C'est pour elle que j'ai mon cœur dans les Cinq Plaies* *Et tous ces bons efforts vers les croix et vers les claies,* *Comme je l'invoquais, elle en ceignit mes reins.* *Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie,* *Siège de la Sagesse et source des pardons,* *Mère de France aussi, de qui nous attendons* *Inébranlablement l'honneur de la Patrie.* *Verlaine* (Sagesse) Le troisième quatrain d'une grâce toute musicale sug­gère admirablement la « causalité physique instrumen­tale » de Marie sur laquelle s'interrogent les théologiens. Nous arrêtons à dessein le poème au cinquième quatrain où est évoqué le salut de la France ; l'enjambement du troisième vers élargit prodigieusement le rythme et donne à la conclusion une beauté solennelle. 123:243 Dans un autre poème, moins propre à la récitation, le pauvre Verlaine s'avoue : *Dur comme un juif et têtu comme lui,* *Littéral, ne faisant le bien qu'avec ennui,* mais le texte s'achève dans une prière admirable de ten­dresse et d'intimité : ... *Votre amour, Mère tendre, et votre culte tendre.* *Ah ! vous aimer, n'aimer Dieu que par vous, ne tendre* *A lui qu'en vous sans plus aucun détour subtil,* *Et mourir avec vous tout près. Ainsi soit-il !* \*\*\* C'est à de très jeunes enfants de huit à dix ans qu'on pourra donner à réciter cette « Visitation » de Marie Noël, poème d'une fraîcheur inouïe dont elle a le secret : Prélude *La femme du charpentier* *A pris un petit sentier* *Qui va dans les fleurs et gagne* *Un pays de la montagne* *En suivant les églantiers.* *Elle est partie au réveil,* *Le cœur frais dans le soleil.* *A peine elle ouvre sa porte* *Que la joie au loin l'emporte* *A travers l'été vermeil.* 124:243 *A sa cousine là-bas,* *Elle apporte de ce pas* *Sous son voile une nouvelle* *Si merveilleuse, si belle,* *Que c'est à n'y croire pas.* *Son secret tremble et pourtant* *Veut s'échapper à l'instant...* *Les petits oiseaux qui vivent* *Dans le bleu du ciel la suivent* *Pour chanter en même temps.* *Son chemin va tout entier* *Se jeter dans l'amitié.* *Le monde en fleurs l'accompagne...* *Un toit, là, sur la montagne,* *L'attend prés du noisetier.* *Marie Noël* (Le Rosaire des joies) Douze vers, toujours dans *Le Rosaire des joies*, de­vraient enchanter les petites élèves de 5^e^ ou de 4^e^ qui se sentent une âme de future maman : Sainte Famille *Le temps passe devant la fenêtre fleurie...* *Dans l'embrasure, Élisabeth, tournée au jour,* *Tire de sa corbeille un bout de broderie,* *Du linge, de la laine et du fil tour à tour.* *Et la Vierge Marie assise en face d'elle,* *Ayant de meilleurs yeux, coud à tout petits points* 125:243 *Des langes, des fichus, des béguins de dentelle* *Dont pour en voir l'effet elle coiffe ses poings.* *Ce faisant, sa cousine à mi-voix la conseille* *Sur les soins qu'il faut prendre avec les nourrissons.* *Marie à ses avis docile ouvre l'oreille* *Mais son cœur au-dedans lui chante des chansons.* *Marie Noël* (Le Rosaire des joies) A l'autre extrême, je pense que le texte de Bernanos que nous allons reproduire est d'une puissance d'expression et d'une pureté de langue qui traverseront les siècles, au même titre que les Élévations de Bossuet ; ce texte devrait être étudié dans les classes terminales ainsi que dans les séminaires, ne serait-ce que pour rappeler aux étudiants ès sciences ecclésiastiques que la théologie n'est pas toute dans les manuels. Il s'agit d'un passage du *Journal d'un curé de cam­pagne*, où le robuste curé de Torcy dévoile à son jeune confrère les splendeurs cachées du mystère de Marie. ...... « Et la Sainte Vierge, est-ce que tu pries la Sainte Vier­ge ? » -- « Par exemple ! » On dit ça... Seulement la pries-tu comme il faut, la pries-tu bien ? Elle est notre mère, c'est entendu, elle est la mère du genre humain, la nouvelle Ève. Mais elle est aussi sa fille. L'ancien monde, le douloureux monde, le monde d'avant la grâce l'a bercée longtemps sur son cœur désolé -- des siècles et des siècles -- dans l'attente obscure, incompréhensible, d'une « *virgo Dei genitrix *»*...* Des siècles et des siècles, il a protégé de ses vieilles mains chargées de crimes, ses lourdes mains, la petite fille merveilleuse dont il ne savait même pas le nom. 126:243 Une petite fille, cette reine des anges ! Et elle l'est restée, ne l'oublie pas ! Le Moyen Age avait bien compris ça, le Moyen Age a compris tout. Mais va donc empêcher les imbéciles de refaire à leur manière le « drame de l'Incarnation », comme ils disent... Mais remarque bien maintenant, petit : la Sainte Vierge n'a eu ni triomphe, ni miracles. Son fils n'a pas permis que la gloire humaine l'effleurât, même du plus fin bout de sa grande aile sauvage. Personne n'a vécu, n'a souf­fert, n'est mort aussi simplement et dans une ignorance aussi profonde de sa propre dignité, d'une dignité qui la met pourtant au-dessus des anges. Car enfin elle était née sans péché, quelle solitude étonnante ! Une source si pure, si limpide, si limpide et si pure, qu'elle ne pouvait même pas y voir refléter sa propre image, faite pour la seule joie du Père -- ô solitude sacrée ! Les antiques démons familiers de l'homme, maîtres et ser­viteurs tout ensemble, les terribles patriarches qui ont guidé les premiers pas d'Adam au seuil du monde maudit, la ruse et l'orgueil, tu les vois qui regardent de loin cette créature miraculeuse placée hors de leur atteinte, invul­nérable et désarmée. Certes, notre pauvre espèce ne vaut pas cher, mais l'enfance émeut toujours ses entrailles, l'ignorance des petits lui fait baisser les yeux -- ses yeux qui savent le bien et le mal, ses yeux qui ont vu tant de choses ! Mais ce n'est que l'ignorance après tout. La Vierge était l'innocence. Rends-toi compte de ce que nous sommes pour elle, nous autres, la race humaine ? Oh ! naturellement, elle déteste le péché, mais, enfin, elle n'a de lui aucune expérience, cette expérience qui n'a pas manqué aux plus grands saints, au saint d'Assise lui-même, tout séraphique qu'il est. Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul vrai regard d'enfant qui se soit jamais levé sur notre honte et notre malheur. 127:243 Oui, mon petit, pour la bien prier, il faut sentir ce regard sur soi qui n'est pas tout à fait celui de l'indul­gence -- car l'indulgence ne va pas sans quelque expé­rience amère, -- mais de la tendre compassion, de la surprise douloureuse, d'on ne sait quel sentiment encore, inconcevable, inexprimable, qui la fait plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue, et bien que Mère par la grâce, Mère des grâces, la cadette du genre humain. Bernanos (*Journal d'un curé de campagne*) \*\*\* Comment Charles Péguy, notre poète national, pourrait-il être absent de cette gerbe offerte à la Reine du Ciel ? Toute son œuvre, élevée de terre et scandée comme un chant liturgique, culmine dans l'hommage qu'il aima dé­poser aux pieds de Notre-Dame : « Étoile de la mer, voici la lourde nappe. » Dans une classe de grands élèves, une récitation en l'honneur de Marie tirée de « *La tapisserie de Notre-Dame *» et exécutée en chœur avec voix de récitant trouverait une splendide expression. Voici, à titre d'exem­ple la « Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres » : (*L'italique indique le rôle du récitant*) *Étoile de la mer, voici la lourde nappe* *Et la profonde houle et l'océan des blés* *Et la mouvante écume, et nos greniers comblés.* *Voici votre regard sur cette immense chape.* Étoile du matin, inaccessible reine, Voici que nous marchons vers votre illustre cour, Et voici le plateau de notre pauvre amour, Et voici l'océan de notre immense peine. 128:243 *Un sanglot rôde et court par-delà l'horizon.* *A peine quelques toits font comme un archipel.* *Du vieux clocher retombe une sorte d'appel.* *L'épaisse église semble une basse maison.* Alors nous naviguons vers notre cathédrale. De loin en loin surnage un chapelet de meules, Rondes comme des tours, opulentes et seules Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. *Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre* *Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.* Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux Un reposoir sans fin pour l'âme solitaire. (*pause*) \*\*\* *... Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,* *Dam le recourbement de notre blonde Loire,* Et ce fleuve de sable, et ce fleuve de gloire N'est là que pour baiser votre auguste manteau. Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau, Dans l'antique Orléans sévère et sérieuse, *Et la Loire coulante et souvent limoneuse* *N'est là que pour laver les pieds de ce coteau.* *Un homme de chez nous, de la glèbe, féconde* *A fait jaillir ici d'un seul enlèvement* *Et d'une seule source et d'un seul portement,* Vers votre assomption la flèche unique au monde. 129:243 Tour de David, voici votre tour beauceronne. C'est l'épi le plus dur qui soit jamais monté Vers un ciel de clémence et de sérénité, Et le plus beau fleuron dedans votre couronne. Un homme de chez nous a fait ici jaillir, Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix, *Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,* La flèche irréprochable et qui ne peut faillir. Voici l'axe et la ligne et la géante fleur. Voici la dure pente et le contentement. Voici l'exactitude et le consentement. *Et la sévère larme, ô reine de douleur.* *Voici la nudité, le reste est vêtement.* Voici le vêtement, tout le reste est parure. *Voici la pureté, tout le reste est souillure.* Voici la pauvreté, le reste est ornement. (*pause*) \*\*\* *Quand nous aurons joué nos derniers personnages,* *Quand nous aurons posé la cape et le manteau,* *Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,* Veuillez nous rappeler nos longs pèlerinages. *Quand on nous aura mis dans une étroite fosse,* *Quand on aura sur nous dit l'absoute et la messe,* Veuillez vous rappeler, reine de la promesse, Le long cheminement que nous faisions en Beauce. 130:243 Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde, Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements, Quand nous aurons râlé nos derniers râlements, *Veuillez vous rappeler votre miséricorde.* Nous ne demandons rien, refuge du pécheur, Que la dernière place en votre purgatoire, Pour pleurer longuement notre tragique histoire, Et contempler de loin votre jeune splendeur. *Péguy* (*Tapisserie de Notre-Dame*) \*\*\* Revenons à notre mois de mai en famille. C'est au foyer, dans le retour régulier de la prière quotidienne, que se forgent les habitudes spirituelles dont l'homme usera plus tard comme d'un instrument. Il n'en aura pas d'autre que celui-là. Pères et mères de famille, aidés de vos aînés, vous saurez profiter du mois de Marie pour reprendre une discipline de prière peut-être émoussée, réciter l'*Angelus,* le *Benedicite,* vous mettre au chapelet du soir. S'il en était besoin, Charles Péguy achèverait de vous convaincre de la noblesse de la prière chrétienne. Vous vous souvenez comment il fait parler Dieu dans *Le mystère des saints Innocents :* De même que le sillage d'un beau vaisseau va en s'élar­gissant jusqu'à disparaître et se perdre. Mais commence par une pointe qui est la pointe même du vaisseau. Ainsi le sillage immense des pécheurs s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre. Et le vaisseau est mon propre fils, chargé de tous les péchés du monde. Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon fils. 131:243 Chaque *Pater* est comme un vaisseau de haut bord Qui a lui-même son propre éperon, *notre père qui êtes aux cieux.* Et derrière ces beaux vaisseaux de haut bord les *Ave Maria* S'avancent comme des galères innocentes, comme de virginales birèmes. Comme des vaisseaux plats, qui ne blessent point l'hu­milité de la mer. Qui ne blessent point la règle, qui suivent, humbles et fidèles et soumis au ras de l'eau. Telle est la flotte des *Pater,* solide et plus innombrable que les étoiles du ciel. Et derrière je vois la deuxième flotte, et c'est une flotte innombrable, car c'est la flotte aux blanches voiles, l'innom­brable flotte des *Ave Maria.* Et c'est une flotte de birèmes. Et le premier rang de rames est : *Ave Maria, gratia plena ;* Et le deuxième rang de rames est : *Sancta Maria, Mater Dei.* Et tous ces *Ave Maria,* et toutes ces prières de la Vierge et le noble *Salve Regina* sont de blanches cara­velles, humblement couchées sous leurs voiles au ras de l'eau ; comme de blanches colombes que l'on prendrait dans la main. 132:243 Or ces douces colombes sous leurs ailes, Ces blanches colombes familières, ces colombes dans la main, Ces humbles colombes couchées au ras de la main, Ces caravelles vêtues de voilures De tous les vaisseaux ce sont les plus opportunes, C'est-à-dire celles qui se présentent le plus directement devant le port. *Péguy* (*Le mystère des saints Innocents*) \*\*\* Faite d'humble répétition, conseillée mille fois par l'Église, par les papes, par les saints, inséparable des apparitions mariales, la récitation du chapelet est la prière chrétienne par excellence. Si nous savions seulement ce qu'il y a de vérité et de lumière dans un *Ave Maria !* Si les âmes du Purgatoire pouvaient revenir sur terre pour réciter un seul *Ave Maria,* grande serait leur conso­lation. Souhaitons que notre âme, en ce mois de mai, res­semble à une mer calme, sillonnée par d'innombrables ca­ravelles sous le regard de Dieu. Benedictus. 133:243 ## UN INÉDIT DE GUSTAVE CORÇAO ### Corçâo parmi nous PENDANT CINQ ANS GUSTAVE CORÇAO NOUS APPORTA *ce que dès le premier jour nous avons nommé l'honneur et le renfort de sa collaboration. Mais pourquoi si tard ? Dom Gérard l'avait con­nu avant nous, au Brésil, il nous avait en rentrant parlé de lui, et puis je ne sais pourquoi aucun contact ne s'était établi. Ou plutôt je sais un peu pourquoi : nous n'avions aucun texte de lui en français, et notre Hugues ne savait pas encore le por­tugais. C'est notre excuse d'avoir été si lent à le connaître et à le reconnaître. Nous nous sommes rattrapés par la suite : il vint à Paris et dès notre première ren­contre, dans une grande et soudaine flam­bée d'amitié, de fraternité des âmes, nous nous étions tout dit une fois pour toutes, il n'y avait plus qu'à développer si l'on y tenait ; nos pensées, nos résolutions, nos espérances étaient identiques sur le mouvant et sur l'immuable, sur le temporel et sur* *l'éternel.* 134:243 *Assurément nous avons sur lui un nu­méro d'*ITINÉRAIRES *en préparation. J'ai pensé que ce numéro devrait paraître seu­lement quand il existera un livre, au moins un, de Corçâo en français : traduit, impri­mé, édité, mis en vente. La traduction est commencée, en voici le début. Elle vient manifester que Gustave Corçâo n'a pas cessé d'être présent parmi nous.* J. M. 135:243 ### Inédit en français GUSTAVE CORÇAO, dont nous ayons pleuré la mort le 6 juillet 1978, cinq ans après que nous l'eussions découvert, ne fut connu en France que par ITINÉRAIRES. Pour en connaître davantage aujourd'hui, il faut puiser dans le trésor qu'il a laissé aux lettres portugaises : dix ouvrages y témoignent que Corçâo reste dans cette famille le plus grand écrivain du siècle -- comme de son vivant déjà tout le Brésil disait, et comme les éditeurs an­glais, italiens ou allemands, qui le tradui­sent, l'ont aussitôt compris. Notre ambition est de combler ici, à notre rythme, une partie du gouffre laissé béant par les maisons françaises. On n'avait que l'embarras du choix, puisque tout est enfoui encore, comme il grinçait lui-même à propos de sa langue, « dans le tombeau de la pensée humaine ». C'est la chronologie qui a tranché, et aussi le plai­sir de donner au lecteur un portrait éton­nant, plein de surprises et de verve, du grand ami disparu : on lira ci-dessous les trois premiers chapitres de son premier ouvrage, *A descoberta do outro,* qui est une fantastique autobiographie. 136:243 Gustave Corçâo fit irruption avec ce li­vre dans le métier littéraire au début de l'année 1944, à l'âge de quarante-huit ans. -- « Tout m'est venu tard dans la vie », répétait-il inlassablement, pour diminuer l'éclat de ses mérites successifs... Car avant la guerre, Corçâo inventait au Brésil des orgues électroniques, il dressait la pre­mière carte géodésique de son continent et lançait en direction d'Europe les fils invisibles, tout neufs, de la télécommuni­cation. -- Comment l'ingénieur est-il passé de cette longue « transe technique » à la découverte conjointe des mensonges de l'argent et des vertus de l'amitié, puis aux conspirations nocturnes de l'anarchie, et de sa logorrhée poético-révolutionnaire à l'apprentissage de la foi, Corçâo le racon­te lui-même dans cette *Découverte de l'au­tre* où tant de Brésiliens ont trouvé la grâce de leur propre conversion. Le premier converti fut le linotypiste de l'imprimerie. Quand il eut achevé son ou­vrage, avec l'émotion définitive d'avoir tou­ché au vrai, le livre fut mis en vente chez un éditeur pratiquement inconnu, et le tirage s'épuisa en l'espace de quelques se­maines. Oswaldo de Andrade put écrire dans les journaux du Brésil : « Je ne me souviens pas avoir rencontré en toute ma vie, parmi les artistes et les hommes de lettres, une personnalité aussi impression­nante que celle de Gustave Corçâo. » Et ce critique nommait fort bien une caracté­ristique de son art en le disant *incassable,* c'est-à-dire capable de passer dans un mê­me mouvement, sans rupture ni contraste, du doux à l'amer, de l'explosif à l'aérien, et de la mise en scène à la méditation « Corçâo est une lame incassable à double tranchant. » 137:243 On a comparé son talent parfois colé­rique à celui de Léon Bloy, rapproché de Bernanos ses irrésistibles caricatures sociales, trouvé en Chesterton son modèle de pénétration stylistique. Mais il est clair en lisant *La découverte de l'autre* que si Cor­çâo a respiré aux mêmes sources dans la communion des saints, son chant lui mé­rite une place entière et propre dans la grande aventure de l'esprit. -- Corçâo a le génie *restituteur, ressusciteur,* par tous les versants de l'œuvre, et je devine que vous m'entendrez là-dessus, comme saint Paul, « une autre fois ». Reste à dire un mot de notre traduction. Elle est le fruit d'une collaboration fran­co-brésilienne : un Français tout seul de­vait craindre de perdre -- dans le portrait, l'anecdote, la confidence -- quantité de saveurs inconnues des dictionnaires de langue publiés à Lisbonne, dont le Brési­lien d'ailleurs ne s'embarrasse jamais... Gustave Corçâo aimait comme un fils l'ami brésilien qui a donc assuré la sauvegarde de ces couleurs et de ces nuances, avec toute la piété requise, parce qu'il vit en religion sous l'habit de notre père saint Benoît. Il ne sera point fait d'autre *vio­*lence à son anonymat. Les quelques notes ajoutées en bas de page à l'intention du lecteur français sont de lui, ou de nous. Hugues Kéraly. 138:243 ### La découverte de l'autre par Gustave Corçâo #### Perinde ac cadaver DANS UN ROMAN d'Alexandre Herculano, le héros pose à sa belle une question pathétique, bien au goût de l'époque : -- « Savez-vous, Hermengarde, ce que c'est que passer dix années de sa vie amarré à son propre cadavre ? » Je ne me souviens plus si Hermengarde savait ; moi-même cependant, je puis me vanter de bien connaître cette situation, pour avoir vécu plus de quinze ans amarré à la technique : cinq parmi les théodolites, plus dix encore, les derniers, les yeux fixés sur les aiguilles d'un galvano­mètre. J'ai tenté pendant cette période de ma vie quel­ques évasions -- molles tentatives il est vrai, velléités d'écritures et de couleurs, de vers ou de tableaux, -- mais je finissais toujours par retourner au galvanomètre. Parfois aussi, en guise de détente, je consacrais plusieurs se­maines de suite à jouer aux échecs, enfermé dans des clubs et toutes les organisations de championnats ; après quoi, je retournais au galvanomètre. 139:243 Ce genre de vie entretient un bon souffle logique, qui me rassasiait l'esprit, et procurait par-dessus le marché un certain prestige. J'ai mis beaucoup de temps à décou­vrir que cette faculté s'était développée en moi au prix d'une atrophie ; il a fallu plusieurs choses graves, en tra­vers du chemin, pour que je prenne conscience que je vivais alors comme le fiancé d'Hermengarde, amarré à mon propre cadavre. -- Cette découverte et ses conséquen­ces sont l'objet principal des pages qu'on va lire. \*\*\* Je n'entends pas ouvrir ici, une fois de plus, le procès déjà volumineux de la technique, ni disserter sur le conflit de l'homme et de la machine. Mais dénoncer un aspect de la mentalité technique, et tenter l'inventaire des risques qui s'y trouvent attachés. La technique est enivrante pour deux fortes raisons. D'abord, parce qu'elle procure à l'intelligence une satis­faction vertigineuse ; ensuite, parce que tous s'émerveillent de ses prestidigitations. Il est dur de résister à l'admi­ration des autres, et le technicien semble aujourd'hui le plus admiré des hommes. D'un côté donc, par les spirales de la logique, le technicien se gave lui-même d'assurance et de certitude ; de l'autre, on le gonfle de louanges. Ses manipulations réussissent. Et quand elles ne réussissent pas, il garde encore le sourire, fort de tous les recours dont dispose sa spécialité pour expliquer ou rectifier le cas. Les raisonnements du technicien en effet, dans ce royaume de la science appliquée, ne s'exposent pas aux aventures angoissantes de la recherche pure : ils se satis­font des causes les plus immédiates. Il y a là un détermi­nisme court, myope, où respire une sorte de rationalisme à la petite semaine. Quant aux rectifications, elles cons­tituent un des plaisirs solitaires de la vie du technicien. 140:243 Pour lui l'*erreur* n'a rien d'un élément tragique ; elle ne fait pas mal. Elle lui provoquerait plutôt une petite cha­touille différentielle, excitante. Comme il est bon de faire la théorie des erreurs, d'appliquer les formules de Gauss, cerner les probabilités, monter finement sur son papier millimétré les mailles d'un impitoyable filet, et de pouvoir se dire en fin de course que l'erreur est contenue là-dedans ! L'erreur est sportive, elle stimule le tonus intel­lectuel, elle met en valeur toute la noblesse de la méthode et la richesse de l'appareil instrumental. Quand un expé­rimentateur prend contact avec son appareillage, la pre­mière chose qu'il fait, c'est la théorie des erreurs. Après cela, il est assuré que la coexistence pacifique avec ces appareils, loin de tout élément imprévu ou tragique, ne dépend que de lui et de certaines précautions faciles à observer. La chose la plus désagréable qui puisse arriver dans le cadre du laboratoire est d'avoir à recommencer. Mais il est toujours possible de recommencer. Tout cela est ainsi, et c'est bien ainsi ; un individu ne doit pas s'interrompre dans la lecture du galvanomètre pour méditer sur la douleur ou sur la mort ; mais il court le risque de conserver ce critère avec lui en dehors du laboratoire. Il en sortira alors chancelant, ivre de loga­rithmes et de papier millimétré, pour débarquer à la mai­son dans ce piteux état. -- J'ai vécu moi-même plus de quinze années dans cette intempérance, et les personnes respectables qui m'ont alors connu admiraient dans ma vie comme un petit modèle de vertu, parce que je ne battais point ma femme, et que je procurais à mes enfants le pain quotidien. Vraiment, je vivais en ce temps-là d'une manière ordi­naire et tranquille. J'avais une femme, deux enfants, et nous habitions loin de la ville, à l'endroit même où je tra­vaillais, ce qui me permettait de retourner nuitamment au galvanomètre, quand tout le monde était au lit. C'était là mon heure préférée : personne ne venait interrompre ma transe technique, comme il arrivait si souvent dans la journée pour toutes sortes de raisons domestiques. J'y demeurais jusqu'à minuit, une heure, deux heures, à bri­coler des fils et des lampes, perdu dans ce petit carré de cosmos que représentait ma table de travail. 141:243 A la fin de la nuit, exténué, je ruminais encore tous les résultats obtenus sans me résoudre à lâcher les appareils. La longue veille restait souvent sans profit notable, mais une espèce d'obsession m'empêchait d'abandonner le galvano­mètre. Les données du problème me restaient dans la tête, elles y rôdaient, tournaient et retournaient, comme ces mélodies lancinantes dont les gens ne peuvent plus se dé­faire lorsqu'ils commencent à les siffler, parce que la fin appelle le début et réciproquement. C'est ainsi que je restais prisonnier presque toutes les nuits de ce sifflote­ment mental, où cinq-six petits résultats expérimentaux tournoyaient, monotones, dans une cervelle fatiguée. Au moment de fermer la pièce et d'éteindre le plafonnier, je m'attardais encore le doigt sur l'interrupteur à con­templer ma table couverte de fils et de valvules. Non qu'il me serait venu une idée nouvelle, ou que j'aurais humé dans l'air l'imminence de quelque solution inespérée ; mais je regardais pour regarder ; je regardais parce qu'il était trop difficile de ne pas regarder. Je passais tous les dimanches à la maison comme un véritable fumeur en état de manque. C'était le jour de la famille. Par un reste de fidélité à ce principe établi, je le consacrais à ma femme et aux enfants, ou à recevoir les visites des parents. Mais la journée me paraissait bien longue, elle me pesait ; je m'y sentais inutile, absent, exilé. Et lorsque ma femme était requise ailleurs, ou que la conversation des visiteurs se passionnait sur un sujet politique, il m'arrivait parfois de m'échapper. J'allais alors fumer en douce quelques milliampères... \*\*\* Or voici qu'un jour, à cause d'un certain instrument de musique à base d'oscillations électriques dont j'avais bichonné la théorie une année durant, ma vie a complètement viré de bord. J'ai commencé par rencontrer un prêtre, franciscain, qui a soutenu avec enthousiasme mon projet d'instrument ; 142:243 après quoi j'ai reçu de mon frère le secours nécessaire pour monter un atelier spécialement destiné à sa fabrication, et l'aide plus grande encore qu'im­pliquait notre installation à Rio... Mais tout devait tourner différemment. Mon projet fut abandonné, parce que l'ate­lier prévu pour fabriquer les orgues électroniques recevait des commandes tout autres, et bien meilleures. L'instru­ment resta dans un coin, oublié. J'ai vécu de longs mois plein de ressentiments, comprenant que la technique de­vait se courber devant d'autres impératifs, et sans trouver en moi cet héroïsme des inventeurs exemplaires dont les histoires édifiantes m'étaient jadis contées. En outre, il était apparu dans d'autres continents des orgues semblables aux miennes et mieux réussies. J'abritai donc chez moi l'exemplaire unique, et lui-même incomplet, de mon in­vention : ce prototype a encombré notre salon pendant trois ou quatre ans, en une monumentale inutilité. Je ne trouvais point le courage de le terminer complètement, ni celui de le démonter. Le Père franciscain venait chez nous de temps à autre pour y jouer un morceau de musique, sans perdre l'espoir de voir un jour aboutir cette inven­tion, qui déjà faisait davantage partie de ses rêves que des miens. -- Un peu plus tard, environ un an après, ce prêtre allait revenir chez moi pour bien autre chose que l'orgue ; et plus tard encore, je pourrai démonter le fameux instrument, parce que deux ou trois ans de tra­vaux acharnés avaient trouvé leur raison d'être en une seule minute : ils m'avaient été surabondamment rachetés, d'une parcelle de pain. #### Des dos et des mains DONC, tout pour moi s'organisait différemment. Dans notre nouvelle installation, malgré un meil­leur salaire et plus de confort, il m'était impos­sible de renouer avec les quinze ans passés de ma vie « technique », parce qu'il n'y avait pas de laboratoire à la maison. 143:243 Pour retrouver le galvanomètre, j'étais obligé de mettre une cravate et de prendre l'autobus. Dans ce trajet quotidien, et les petits détours qui l'agrémentaient, j'ai retrouvé de vieux amis et je m'en suis fait de nou­veaux ; j'étais temporairement contraint d'observer le mouvement des rues, entendre le haut-parleur des voisins, lire les manchettes des journaux sur ce qui se passait alors dans la lointaine Espagne. Et le monde que je découvrais, sur le chemin qui séparait la maison de mon papier milli­métré, me parut stupide et cruel. Au temps de ma clôture technique, j'avais vécu à ce point éloigné des passions politiques qu'un jour, ces cho­ses-là ne s'oublient pas aisément, j'ai dû me reconnaître incapable d'articuler le nom du Président de la République. Un lecteur de la nouvelle génération aura du mal sans doute à imaginer ce phénomène, mais je veux bien venir un peu à son secours en lui confiant qu'en ce temps-là dans notre beau pays l'*Heure du Brésil* n'existait pas ([^106]). La seule conscience sociale qui me restait m'était im­posée par le milieu ambiant, c'est-à-dire l'entreprise où je travaillais comme ingénieur. Et celle-ci était désagréa­ble. Je la supportais comme on subit la chaleur du mois d'août, sachant parfaitement qu'il n'avance à rien de philosopher sur l'axe de la terre ou de maudire le tropique du Capricorne. J'acceptais, et je m'éventais. Dans cette organisation où m'avait conduit mon métier, on compre­nait trop vite que la hiérarchie n'était pas fondée sur le mérite, et que les ouvriers aussi bien que les techniciens étaient exploités par une administration dont la qualité principale résidait dans l'habillement. J'ai bien tenté de percer pour mon compte la genèse d'un directeur ou d'un gérant, mais comme je ne disposais que du critère métri­que, ce fut sans aucun résultat. Je me plongeai alors dans les manipulations de l'électro-magnétique, comme les gens déçus se plongent dans leur verre de gin. 144:243 Et je passai de longs mois sans penser à ces problèmes ; mais ils me revenaient en force, quand je percevais avec plus de nette­té que *les choses rigoureusement élaborées par la technique se trouvaient aussitôt absorbées par l'incohérence.* Un appareil extrêmement bien calculé se diluait dans des uti­lisations exotiques et sans signification. Le paradoxe m'at­teignait en somme par la technique elle-même. Tant de rigueur d'un côté, tant d'absurdité de l'autre. Le récep­teur de radio est un véritable chef-d'œuvre, à condition seulement de ne pas fonctionner ; car il se tourne alors en hallucination. Dans n'importe quel discours, la téléphonie interna­tionale, par exemple, est un prodige du siècle : à l'heure de fonctionner, il faut bien reconnaître qu'elle n'est plus qu'une idiote parmi d'autres idiotes. Elles ont coûté fort cher, ces communications internationales. Les grandes com­pagnies savent ce qu'elles y ont investi, elles établissent une balance entre ce prix de revient et les bénéfices es­comptés, et tout rentre dans l'ordre. Mais le technicien sait mieux encore ce qu'a coûté son travail ; il se souvient des nuits blanches, des calculs, des plans, des discussions, des livres qu'il a consultés, des mesures qu'il a faites. Il a vu ses antennes monter en direction des cieux, il a vu les hommes suspendus par un fil à cent mètres du sol, et le sang des accidents. Il a multiplié les courbes, les gra­phiques, les abaques ; il s'est plié en quatre pour que la voix humaine conserve entre les océans son intelligibilité, voire une certaine dignité. Il a commandé à des dizaines d'assistants, coché les feuilles de présence, reçu toutes les doléances des salariés et répondu à chacun par des sermons sur la vertu du devoir. Au jour de l'inauguration cependant, si le technicien conserve en lui un reste de dignité, il va connaître une immense déception. A partir de ce moment, s'il tente d'éta­blir la balance entre son travail et les résultats de l'appli­cation, il n'y parviendra point. Il aurait besoin de sentir son effort utile à quelque chose et n'y arrive pas. Les directeurs auront beau lui dire que l'opération est du meilleur rendement, que son salaire va être augmenté, s'il a gardé un brin de sincérité, rien de tout cela ne saurait le convaincre d'avoir rendu un bon service à la société. 145:243 Voilà ce que j'ai pensé en écoutant les tout premiers discours et conversations de la téléphonie internationale. Même aujourd'hui, rien ne pourra me convaincre qu'une ineptie transatlantique cesse d'être une ineptie. Avant la radio, les sottises avaient moins de portée : elles se co­gnaient contre les murs, se diluaient au passage des fe­nêtres ou retombaient pesamment sur le sol. Aujourd'hui, un peu par ma faute, elles s'envolent dans la stratos­phère, désincarnées, élevées à la dignité de sottises élec­tromagnétiques ; elles se réfléchissent sur le toit invisible du monde, enfilent gaillardement les méridiens et les paral­lèles, et font le tour du globe pour atterrir sur l'autre hémisphère, où un Brésilien richissime demande à quelque ami, d'une voix anxieuse, des nouvelles de ses chevaux... Je me suis demandé un jour s'il existait une seule pa­role qui eusse mérité toutes ces antennes, toutes ces an­nées d'efforts. Et j'ai dû conclure qu'elle n'existait pas. Il me semblait étrange que la science des hommes réussisse à mettre au point une chose si merveilleuse pour le servi­ce exclusif de la stupidité. Et plus étrange encore me paraissait le consentement de tous. \*\*\* C'est ainsi qu'en m'installant dans la capitale, quand j'ai eu enfin le loisir d'observer et penser les choses hors du galvanomètre, j'en restai bouleversé. Si tordue qu'ait pu alors me paraître l'organisation d'une industrie, celle-ci présentait encore à l'intelligence un vestige d'unité. Le monde au contraire m'apparut comme une énorme masse en convulsion, une chose sans forme, un corps qui n'était pas vraiment un corps, et auquel tout du moins il manquait le visage. Ce monde tentait bien d'en avoir un. Il l'essayait. Peut-être même y faisait-il beaucoup d'efforts. Mais pour n'obtenir ici ou là qu'un résultat fugace et hi­deux, un masque imbécile ou plein de malice, qui vous faisait la grimace et disparaissait. 146:243 Je ne me suis pas mis aussitôt à cultiver la médisance politique dans les coins de rues, monnayant la bêtise des ministres ou les mérites de l'opposition, parce que cette pratique exige une certaine initiation, un certain goût du complot, et qu'elle suppose en outre une vertu au principe de la redistribution des cartes sur les mêmes éléments. Le problème me paraissait plus grave. Mais le concept d' « erreur » que j'héritais de la techni­que m'empêchait de saisir la signification tragique de l'erreur du monde ; elle me laissait seulement l'idée d'une sorte de tromperie monstrueuse ou d'équivoque fondamen­tale. Ce qui s'imposait n'était pas une simple rectification ; c'était une révolution. Il fallait réviser d'urgence tout le système. Comment expliquer par exemple l'étrange lévi­tation des riches et des puissants ? Quel fil, quel fluide les soutient ? Et plus incompréhensible encore que l'élévation des riches et des puissants, le consentement nocturne, suburbain, épais, à peine grommelant, de ces légions de dos qu'on aperçoit aux pauvres ? Contemplant le retour des ouvriers dans le train, une lithographie qui m'avait beaucoup impressionné dans mon enfance me revenait à la mémoire. Elle s'appelait Le retour du travail, et repré­sentait un rude laboureur, plein de force, qui, la houe à l'épaule, s'en revenait des champs ; sa silhouette athlétique et noble se détachait sur un glorieux coucher de soleil, et le fond du tableau laissait voir quelques chaumières au pied d'une église avec son clocher. Les pauvres d'alors qui rentraient du travail entassés dans leurs trains n'avaient rien de la noblesse ni de la forte poésie des personnages de Millet. Je les voyais dans leurs usines, promenant leurs combinaisons fripées et tristes, penchés sur les tours, manipulant des outils cro­chus pour tirer du bronze la forme imposée par le fer allemand. Tristes, ridicules habitants d'un pays exotique aux ramures d'acier, où le sauvage vacarme des scies électriques faisait monter comme un chant de cigales mons­trueuses dans un été de fer et de feu... 147:243 Au cœur de ce titanisme théâtral et facile, il me semblait bien clair que la bataille décisive ne se jouait pas entre le bronze et la main de l'ouvrier. Il existait un enne­mi occulte qui dévorait l'ouvrier, vampirisant sous son triste bleu de travail le peu de chair et de nerfs qui lui restait. Toute cette machinerie reluisante était montée comme un appareil d'intervention chirurgicale qu'on appli­quait au pauvre pour tirer, de sa faiblesse et de sa pau­vreté, la force et l'opulence d'une minorité dominante. Et dans tout ce système, l'ingénieur pour moi faisait figure de complice inconscient, qui trouvait en outre à s'exciter scientifiquement sur le malheur d'autrui, comme le médecin qui enregistre en toute curiosité professionnelle les indications de son stéthoscope sur la poitrine d'un homme écartelé. De l'autre côté de la ville trônaient les maisons des bourgeois et des courtiers : ceux-là qui vous absorbent et accélèrent dans leurs bureaux le mouvement des combinai­sons aliénantes, non comme une éponge de platine, mais comme l'éponge de mer. Parce qu'ils s'imbibent du tra­vail des autres, puis s'en retirent avec les pores ruisselants de profit. Leur réussite incarnait pour moi le triomphe de la porosité. La récompense du vide. C'est toute la ville alors qui me semblait construite au-dessus du gémissement et de la mauvaise grâce hale­tante des travailleurs. Il était facile de se représenter ces milliers de dos, cariatides obscures et sans visage, sans le luxe superflu des visages, ces milliers de silhouettes ré­duites aux dos et aux mains, dos pour soutenir et mains pour besogner ; ces milliers de dos et de mains, tous obscurs, brunâtres, comme brossés en terre de Sienne d'un pinceau brutal. Au-dessus d'eux, la ville ; au-dessus d'eux les maisons et les automobiles, les gens qui passent dans la rue avec leurs paquets, les quartiers tranquilles et leurs beaux enfants, leurs hôtels particuliers, leurs clubs. En­core plus haut, dans ce tableau fantastique, je voyais la tache vert-clair d'un gazon bien tenu : deux ou trois messieurs affables, rosés, peau douce et amples vêtements, se détachaient là sur un ciel de cobalt lustré, comme il s'impose pour un samedi bourgeois. 148:243 Et très au-dessus de tout, au faîte de l'édifice, dans l'azur céleste, blanche com­me une hostie, lâchée dans sa course resplendissante, -- une balle de golf. #### Le veuf a vu l'oiseau ([^107]) JE RESTAIS DONC CONVAINCU, en ce temps-là, que le monde était tordu : intentionnellement tordu par la malice humaine, et au bénéfice exclusif de la détestable classe des bourgeois. Il n'y avait ni tragédie ni mystère d'iniquité, mais bel et bien attrape. Au moindre coup qu'on y porte­rait, le monde reviendrait à la normalité. L'erreur, sans aucun doute, continuerait d'exister, mais avec le caractère qu'elle revêt dans un cadre technique : erreur de détail, circonscrite, stimulante, dont l'évolution viendrait à bout aisément. Je retrouvais de vieux amis et m'en faisais de nou­veaux. Tous partageaient la même hargne antibourgeoise et la même expectative devant la vague des événements qui engrossaient encore la pesanteur du monde. Nous étions dans l'époque de la révolution espagnole, et assis­tions horrifiés aux conséquences du pacte qui se renouait alors entre la politique cléricale, distillatrice de l'opium du peuple, et les bourgeois avides de pouvoir fardés en héros d'opérette. 149:243 Nous formâmes aussitôt un groupe de conspirateurs, où le tout-Rio révolutionnaire se trouvait représenté : léninistes, trotskistes et fascistes. Ces derniers en mino­rité ; ils ne voyaient pas d'un bon œil le phalangisme es­pagnol à cause du clergé et formulaient des réserves sur le fascisme allemand. Notre extrême-droite se contentait d'arborer le drapeau de la grande race blanche en profé­rant des versets implacables de Nietzsche. Nous passions nos nuits à échanger bruyamment des tactiques sur la meilleure façon de rectifier l'axe du monde ; et nous y dépensions beaucoup de générosité, vivant là une sorte d'adolescence mentale où l'on citait en tous sens des auteurs mal lus, on en condamnait d'au­tres absolument ignorés, on inventait des philosophies, et on accusait l'Église d'idéalisme aux saints noms d'Hegel et de Marx. Les problèmes les plus divers de la planète, de la récolte du blé à la libération du sexe, trouveraient une solution immédiate dès que nous aurions pu imposer partout un réajustement de caractère volcanique dans la géologie sociale. Personne ne consentait à prévoir ensuite des sédimentations, parce que c'était sur ce revers que comptaient l'Église et la Bourgeoisie. D'excitation en excitation, et convaincus que tout le mal résidait dans la domination bourgeoise, ou dans la plus-value, ou dans le mensonge vital, la majorité d'entre nous se posait assez peu de questions doctrinales. Pour moi, je dois confesser que le matérialisme historique ne m'a jamais paru tout à fait probant. Cette indiscipline causait bien du souci au groupe, car les autres ne pou­vaient supporter l'expression d'un tel agnosticisme révo­lutionnaire, et trois ou quatre visages burinés de catéchèse se tournaient vers moi. Alors sortait le Manifeste, la société sans classes, et tout le restant. Mais peu m'importait le matérialisme historique ; ce que je voulais, c'était la tête des bourgeois. Sur ce point, il y avait aussitôt unanimité. Et nous restions ainsi jus­qu'aux petites heures du matin à cogner sur Judas absent ; avec quelques anecdotes inédites pour reprendre sa respi­ration. 150:243 Pour moi-même et l'ami Fred, quand les marxistes étaient retenus ailleurs, le problème prenait un caractère plus psychologique qu'économique. Il existait une bonne entente entre nous ; et, plutôt que cette division de la société en classes, qui nous paraissait trop simple et bien ingénue, nous pratiquions la séparation des hommes par le méridien du mensonge. Fred voulait sauver le monde du mensonge, quitte à s'y montrer lui-même implacable et cruel. Il voulait entrer dans les églises et traverser la nef en relevant les fidèles un par un, pour que tous recon­quissent enfin la gloire de la verticalité compromise par les génuflexions. Il nous manquait, cependant, une technique révolu­tionnaire. Comment soulever l'enthousiasme des multi­tudes en leur lisant un poème de Nietzsche ? En ce sens, les autres avaient raison : il était plus facile de triompher par le biais du prolétariat, que par la grande sincérité qui se propose d'établir son nid au milieu des étoiles. On commencerait donc avec Marx, après quoi il faudrait avi­ser. Concession au brin de machiavélisme nécessaire pour le salut de la grande race caucasienne et de l'Homme de demain. Notre meilleure satisfaction consistait à imaginer, par le menu et en couleurs, cette époque radieuse où nous pourrions enfin sortir au grand soleil pour marquer d'un signe le visage des bourgeois. J'avais déjà mis au point le procédé d'identification des réprouvés, qui faisait appel comme en chimie à cer­tains réactifs. Le principal serait l'enfant. J'irais sur les chemins du monde en tenant par la main un petit enfant blond comme cet homme qui découvre les sources armé d'un bâton. Où il y aurait attroupement, je pousserais l'enfant pour lui faire traverser le groupe, et où se tiendrait le bourgeois tremblant, un abondant précipité de mensonge vital s'épancherait sur le sol. Cette propriété offrait à mes yeux la force d'une définition : le bourgeois est l'animal humain qui, devant l'enfant, sécrète nécessairement le mensonge. 151:243 Quand un bourgeois vient de naître, le mensonge, com­me une nourrice invisible, rôde parmi les dentelles et les rubans du berceau. L'enfant ne peut pas encore profiter des conseils édifiants de la famille, il n'est même pas en mesure de s'exprimer par signes. Son seul point vulnérable, c'est la bouche : on va donc lui mettre dans la bouche une petite sucette bien sirupeuse à méditer... Le groupe d'amis se réunissait parfois dans ma mai­son, celle-là même où j'habite encore aujourd'hui ; et comme l'amitié croissait, selon les lois spéciales de cet épiphénomène, il n'était pas rare que ce fût pour dîner. Nous observions alors une trêve dans notre « solarisme » révolutionnaire, parce qu'il était difficile de maintenir cette attitude devant un bon couvert et une maîtresse de maison s'excusant de présenter un pudding qui s'était effondré dans le moule. Nous en restions tout gauches ma plus grande crainte, on le comprend, était que les amis perçussent trop bien le bourgeoisisme de mon intérieur. Ces soirs-là, je n'embrassais pas mon enfant, et quand ma femme se retirait à l'étage, elle emportait pour tout adieu le salut des camarades soviétiques. Un jour, pour ces motifs, et aussi devant l'héroïsme de nos conversations, ma femme déclara tout de go que mes amis et moi, nous étions franchement ridicules. Le malaise grandissait encore quand, mère ou sœur, un autre membre de la famille survenait. Nous étouffions ; nos ailes de condors s'atrophiaient dans l'oisiveté ; et com­me en fin de compte nous étions fils de bonne famille, il fallait bien se résigner à revenir aux petits riens de la conversation bourgeoise. Mais vers onze heures, quand la famille était partie, alors oui, nous nous retrouvions entre nous pour de bon ; et nous prenions la nuit à bras-le-corps à titre de re­vanche, célébrant dans la fumée des cigarettes la vigile tumultueuse de ce noël qu'on promettait au monde. Ja­mais, de toute ma vie, je ne fus à la fois si sublime et si sot. Combien de fois déjà j'ai repensé à vous, mes bons compagnons de nuits blanches ! Nous nous aimions bien malgré tout. Aujourd'hui, vous êtes loin, semés aux quatre vents, certains de vous en exil pour avoir passé de la conversation assise et sans danger à des actes aussi pé­rilleux qu'irréfléchis. Oui, bons compagnons, ma femme avait raison : nous étions ridicules. 152:243 Elle devait d'ailleurs me répéter cela un peu plus tard, dans un langage particulièrement clair et convain­cant. \*\*\* Ces nuits-là, quand mes amis partaient, je fermais rituellement les portes de la maison. Je m'assurais de tous les verrous, vidais les cendriers débordants et vérifiais le bec de gaz, tandis que s'apaisait dans ma mémoire l'écho de nos affrontements... A propos du bec de gaz, je dois dire que ma femme cultivait la phobie du feu. Depuis les pre­miers temps de notre mariage, tous les soirs, il fallait qu'elle renifle une vague odeur de brûlé ; et moi, avec la sollicitude du fiancé, je me mettais aussitôt en demeure de passer l'inspection. Ensuite, pendant la crise d'accli­matation, je refusai de chercher, décrétant sèchement qu'elle souffrait de phobie. Plus tard vinrent les sarcas­mes du mari, du spécialiste, et quand elle me parlait d'une odeur de brûlé, j'ajoutais avoir remarqué en effet une lueur sinistre en passant du côté de la cuisine. Mais à l'époque dont je parle, j'inspectais à nouveau les brûleurs, sondais tous les recoins de la maison, et c'était sans aucun déplaisir. Quinze années de mariage donnent un sens aux gestes les plus inutiles, qui se font choses de notre vie, choses qui unissent, parce que l'amour a enfanté. Lorsque je fermais la maison, au-dessus, à l'étage, ma femme et les enfants dormaient. Ma maison en ce temps-là, beaucoup plus qu'aujourd'hui, avait vraiment deux étages. En bas, le matérialisme historique ou la grande race blan­che ; en haut, couchée depuis dix heures, la femme qui avait passé le jour à discuter ses prix au boucher, coudre, repriser, veiller à la toilette des enfants et prendre soin de mon dîner. J'avais deux maisons. Il est des individus qui concrétisent cela sous des murs différents et sans communication. Moi non. J'avais deux maisons en une ; et deux vies ; et deux langages : Pour conquérir l'ordre et l'unité du monde, je commençais ainsi, avec deux maisons, deux vies, et deux langages. 153:243 L'escalier servait de poste-frontière. Ayant tout bien fermé, je montais à l'étage. Alors, pour ne pas réveiller femme et enfants, et surtout pour ne pas entendre quelque réflexion infailliblement raisonnable, je m'arrêtais au seuil du nid conjugal, et là dans le couloir, appuyé sur le mur, je délaçais avec précaution mes souliers, puis entrais comme un voleur sur la pointe des pieds. Et le jour suivant, l'histoire recommençait. Nous re­lancions, le manifeste à la main, la vocifération dialec­tique. La solidité du groupe s'augmentait insensiblement des vertus de l'affection, de l'honneur, de la parole donnée, mais nous pensions, nous, que c'était la fermeté de la doctrine qui nous soudait le mieux. Insensiblement, nous nous apprêtions à commettre des imprudences décisives, des gestes sans retour ; ne serait-ce que parce que les agents actifs de la révolution rôdaient déjà à notre porte pour cueillir comme il se doit le fruit de nos enthousias­mes. Nos propos sortaient donc du terrain de la divagation et dévalaient la pente des conséquences pratiques. Quel­ques jours de plus et je m'inscrivais, avec ou sans maté­rialisme historique, mais par la force irrésistible du grou­pe, dans une cellule du Parti Communiste. Or, c'est à ce moment-là que ma femme est morte. \*\*\* Elle est morte jeune. Il lui a fallu deux mois pour mourir. Et j'ai passé ce temps courbé sur mon cas parti­culier. Quelqu'un m'avait dit que cette toxémie profonde, avec les progrès de la médecine, comptait seulement un et demi pour cent de conclusions fatales. 154:243 J'ai passé deux mois presque sans dormir à cause de cet un et demi pour cent, lui donnant à boire et à manger comme aux petits enfants, veillant aux moindres détails, exultant un jour pour une petite amélioration, et accablé le lendemain parce que le pouls montait... Une fois, j'aperçus le médecin qui laissait tomber le stéthoscope sur le lit et restait là, pensif, à regarder par la fenêtre. Quand je m'approchai, il remar­qua : -- Joli flamboyant ! J'ai regardé à mon tour ; c'était chez le voisin d'en face. L'arbre était vraiment beau. Sur une branche du som­met nichait un passereau. Je me suis souvenu de mon abécédaire, qui à la seconde ou troisième page disait ainsi : *O viûvo viu a ave,* « le veuf a vu l'oiseau ». Et je restai quelque temps à ruminer bêtement ce phénomène linguis­tique par lequel je risquais moi-même de devenir un *veuf.* Le vocable m'apparut aussi singulier que déplaisant. Notre médecin alors me fit comprendre, en termes charitables, que mon cas particulier entrait tout doucement dans la famille des un et demi pour cent ; et posant la main sur mon épaule, simplement, sans cérémonie, il m'a parlé de Dieu. Elle a vécu encore une vingtaine de jours. Un soir je suis descendu au jardin pour m'asseoir sur le banc, abruti. J'ai regardé le soleil qui se couchait derrière la maison du colonel. Le soleil s'en allait. Le soleil était un million et quatre cent mille fois plus grand que la Terre ; la Terre, avec ses quintillons de tonnes, n'était que grain de poussière perdu dans une énorme galaxie... Ma tête sortait du calcul astronomique pour revenir à la malade condamnée. C'était un cas particulier, un infime cas parti­culier perdu dans l'univers et dans le temps... J'ai pensé au matérialisme historique, et senti tout d'un coup la chaleur de la honte me monter au visage. Je regardai autour de moi, dans la crainte que quelqu'un aurait lu ma pensée. Et vraiment je vibrais tout entier, comme aujourd'hui encore quand je m'en souviens, sous l'emprise d'un grand élan de honte. 155:243 On pourra me citer bien des choses plus graves, des actions plus sérieuses, et de pires conséquences, rien n'est aussi persistant que le souvenir d'une *gaffe* ([^108])*.* Tout cela, les discussions, les systèmes, avait été la gaffe de ma vie. Je savais bien, assis là sur mon banc, que je retournerais *ensuite* à mon travail et à la vie de chaque jour ; que je souffrirais moins à mesure que le temps passerait ; que je recommencerais à bricoler mes appareils et interroger mon galvanomètre. Mais d'une chose encore j'étais tout aussi certain : le matérialisme historique et la grande race blanche n'au­raient pour moi plus jamais aucun sens. L'unité de ma maison se rétablissait ainsi au plus haut prix, et le premier étage emportait le morceau. Je regardai en haut, vers les fenêtres du premier étage, et aussitôt le soleil, avec tous ses millions de fois..., avec tout son luxe d'électrons et de photons, me parut bien petit, il me parut ridicule, devant la vue de cette persienne qui restait fermée. Le prêtre est venu. Ce franciscain qui tant de fois nous avait rendu visite au sujet de l'orgue. L'orgue se trouvait en bas, dans la pièce d'entrée ; et voici qu'à cause de ses fils, de ses oscillateurs, de chacune de ces pièces dont j'avais fait la théorie pendant des années, le père francis­cain était en haut, à l'étage, qui sortait des pans de son habit un petit morceau de pain. -- C'est ainsi que le Corps de Dieu devait entrer pour la première fois sous mon toit, et que j'ai assisté, loué soit Notre-Seigneur, au miracle d'une bonne mort. Parce qu'elle a ri en son dernier jour ! ([^109]) (*A suivre.*) Gustave Corçâio. (*Traduit du portugais par Hugues Kéraly*) 156:243 ## NOTES CRITIQUES ### Le goût de la vérité par Louis Salleron Les problèmes que soulève la notion de vérité m'ont toujours passionné. Il est difficile de connaître la vérité. Il est difficile d'entendre la vérité, de dire la vérité, de faire la vérité. Il est difficile de savoir ce qu'est la vérité (qu'est-ce que la vérité ?). Et pourtant, paradoxalement, rien n'est plus simple que la vérité Tout le monde en a l'intuition. Tout le monde a le sentiment de l'opposition de la vérité et du mensonge, du vrai et du faux. (Mais où se niche l'erreur, dans ces oppositions ?) En toute hypothèse, je pense qu'il est toujours possible, pour soi-même, de cultiver le goût de la vérité, à partir du sentiment inné qu'elle existe et qu'elle est un bien. Ces réflexions générales (et banales), prélude à d'autres qui vont suivre, me viennent à l'esprit après la lecture du livre qu'Ennemond Boniface vient de consacrer à Thérèse Neu­mann ([^110]). Nous y apprenons d'abord que la célèbre stigmatisée avait horreur du mensonge. A cela rien d'extraordinaire. Mais elle poussait si loin son goût de la vérité qu'elle n'aimait pas les fables et les légendes. Ce n'était pas chez elle scrupule reli­gieux. Simplement, elle ne comprenait pas pourquoi on se com­plaisait à des récits où la vérité n'était pas respectée. 157:243 Mais le livre est lui-même tout entier consacré à la vérité, car son auteur s'attache à réfuter les erreurs et les calomnies auxquelles a donné lieu la vie extraordinaire de la célèbre stigmatisée, en restituant « devant l'histoire et la science » des faits qu'éta­blissent une multitude de témoignages incontestables. C'est ce dernier point qui m'intéresse. Rappelons en quoi consiste le caractère extraordinaire de la vie de Thérèse Neumann. C'est d'abord l'*inédie,* c'est-à-dire le jeûne total. Pendant plus de trente ans elle vécut sans rien manger ni boire. Pas le moindre aliment (sauf une par­celle d'hostie consacrée). Pas une seule goutte d'eau. C'est donc la seule communion eucharistique qui la maintenait en vie. Elle subissait la passion du Christ chaque vendredi. Elle parlait des langues inconnues d'elle. Elle lisait dans les cœurs. Elle éprouvait parfois des phénomènes de bilocation ou de lévitation etc. Tout cela au milieu d'une vie paysanne normale qui se déroula du 8 avril 1898 au 18 septembre 1962. C'est l'al­liance la plus déroutante de la sainteté la plus simple dans ses activités habituelles et des charismes les plus prodigieux dans ses états mystiques. Ceux qui nient le caractère surnaturel du miracle permanent que constitue cette vie sont de deux sortes. Les uns sont mus par leur haine du christianisme. Les autres croient à la super­cherie ou à l'hystérie. Ce sont ces derniers qui soulèvent le problème de la vérité. Quand il s'agit de faits extraordinaires (sortant de l'ordinaire, prodigieux, merveilleux), l'établissement de la vérité est difficile. Il faut d'abord s'assurer des faits eux-mêmes, puis de leur nature. La physiologie et la psychologie entrent en jeu. Tant du côté des sujets que du côté des témoins, les causes d'erreur sont innombrables. Et si, dans les phénomènes observés, la religion est en question, le problème est encore plus com­pliqué, car entre les puissances naturelles, les puissances démoniaques et le pur surnaturel chrétien le départ n'est pas tou­jours aisé à faire, surtout quand il y a mélange de ces éléments. On conçoit la prudence de l'Église en face des faits extra­ordinaires, soit qu'ils fassent courir les foules, soit qu'ils polarisent les esprits de petits groupes. On conçoit également la prudence des experts que leur savoir et leur expérience mettent en garde contre toutes les illusions. D'un autre côté, comme il ne peut y avoir de critère naturel de la réalité sur­naturelle, la prudence des experts ou soi-disant tels finit parfois (souvent ?) par dégénérer en scepticisme universel. 158:243 Un véritable préjugé (pré-jugement) les habite. Ils refusent le caractère sur­naturel de faits extraordinaires tant au nom de la science qui ne saurait les accepter qu'au nom de la foi qui n'a pas besoin de ces secours trompeurs. Si, par exemple, nous prenons le cas de l'inédie, le rationaliste et l'expert catholique tomberont d'accord qu'il y a supercherie parce que la science et l'expé­rience commune montrent que nul ne peut vivre sans manger ni boire. Arguera-t-on des faits observés, ils nient le caractère scientifique de l'observation. Pas de problème. A la limite, l'insertion du surnaturel dans le naturel par le mode du merveilleux disparaît. Cette limite est malheureusement atteinte aujourd'hui dans de vastes secteurs de l'intelli­gence catholique. Le néo-modernisme en est l'expression. On ne croit plus aux manifestations extraordinaires du surnaturel, mais si on n'y croit plus dans les manifestations de notre temps, la logique veut qu'on y croie moins encore dans celles des temps anciens où la crédulité était, pense-t-on, plus grande. De fil en aiguille on refuse donc tout le merveilleux de l'Évangile, les miracles, la virginité de Marie, la résurrection de Lazare et celle de Jésus etc. C'est le mystère qui est évacué dans sa totalité -- au nom de la Science et au nom de la Foi. Il est significatif que les deux stigmatisés les plus connus de notre temps et les plus doués de pouvoirs extraordinaires, le Padre Pio et Thérèse Neumann, aient été aussi les plus contestés. Si celle-ci n'a pas subi, de la part des milieux ecclé­siastiques, les persécutions qu'a connues celui-là, elle n'en demeure pas moins suspecte à beaucoup. Ennemond Boniface en cite de nombreux exemples. C'est ainsi que l'abbé Oraison règle son cas en quelques lignes dans un article de *La Vie spirituelle* (décembre 1956). Pour lui, c'était tout bonnement une hystérique. Le R.P. Omez estime, de son côté, qu'elle n'a pas été stigmatisée. Nous ne parlons que des Français (à la décharge desquels on peut dire qu'ils jugent de seconde main, mais ils devaient alors se taire ou réserver leur jugement). Ce qui est frappant dans tous les cas, c'est l'absence complète de rigueur scientifique dans les opinions avancées (au nom de la science). Le scepticisme des experts s'explique sans peine. Tout d'abord, il est généralement fondé. Les foules ont tendance à croire à l'intervention de puissances mystérieuses dans les faits qui sortent de l'ordinaire. Les experts ont beau jeu de déceler les causes naturelles ou les raisons logiques de ce qui est mys­térieux au commun des mortels. 159:243 Mais les experts ne sont pas eux-mêmes à l'abri d'erreurs d'un autre genre. Leur réaction est spontanément « corporative ». Ils sont *ceux-qui-savent* en face de *ceux-qui-ne-savent-pas.* L'opinion de ceux-qui-ne-savent-pas les porte à adopter l'opinion contraire, avant tout examen sérieux. Leur attitude ne change pas mais au contraire tend à se durcir quand l'opinion avancée n'émane pas de la foule mais d'inconnus qui font figure de rivaux. Ceux-ci sont rejetés a priori parce qu'ils semblent lancer un défi à la « corpora­tion » -- c'est-à-dire les diplômés, les universitaires, les acadé­miciens etc. Tout corps constitué, toute institution incline au conservatisme. La nouveauté, l'extraordinaire lui fait peur. Le monde scientifique n'échappe pas plus à ce réflexe que le monde artistique, le monde politique ou le monde religieux. Bref, à toute époque et en tout milieu il y a une idéologie dominante, sorte de credo qu'on ne songe même à discuter. Le paradoxe est que ce credo, qui est précisément une croyance, l'objet d'une adhésion extra-rationnelle, est considéré par les intéressés comme un acte de l'intelligence, un jugement -- le jugement d'une catégorie sociale supérieure aux autres, les ignorants, les imbéciles ou les crédules. Paradoxe supplé­mentaire : ce sont les plus férus de sciences exactes, ceux qu'on appelle volontiers les « savants » ou les « scientifiques » qui sont le plus souvent victimes de cette illusion. Professant que la vérité est leur domaine propre -- seule, pour eux, la science atteint la vérité -- ils ne remettent pas volontiers en cause ce qu'ils tiennent pour vérité acquise dans le champ de leurs connaissances. Les « dogmes » scientifiques ont une consistance infiniment supérieure aux vérités scientifiques et, malgré les leçons de l'Histoire, ils sont l'objet d'une foi qui prouve, de la manière la plus étonnante, que l'homme est fait pour croire et que l'aspiration à la vérité est une aspiration essentiellement religieuse. Comme l'écrit avec humour un sa­vant anglais : « Nous sommes certes une race d'aveugles et la prochaine génération, aveugle à sa propre cécité, s'étonnera de la nôtre » ([^111]). \*\*\* 160:243 A ce point de nos réflexions on voit apparaître la redoutable question : qu'est-ce que la vérité ? Contentons-nous de la défini­tion classique, parfaite selon nous : elle est l'adéquation de l'intelligence à la réalité. Mais qu'est-ce que la réalité ? On entre immédiatement dans la métaphysique. Posons simplement que la réalité est *ce qui est*. Une épithète délimitera la nature ou le degré de la réalité considérée. Aux deux extrêmes nous distinguerons la réalité absolue (ultime, totale, s'identifiant à l'Être) et la réalité phénoménale (correspondant à ce que les sens en perçoivent). Si la vérité est, dans les deux cas, de l'ordre de l'intelligence, celle-ci, quand elle est, vise la réalité, absolue, ne peut y accéder par ses seuls moyens, tandis que, convenablement exercée, elle est capable de se soumettre la réalité phénoménale par le développement du savoir et de son usage. Le *pouvoir* sur les phénomènes qui résulte du *savoir* les concernant vérifie ce savoir et privilégie de ce fait la *vérité scientifique* que nous tendons à identifier à la *vérité absolue*, alors que son évolution même en montre la *relativité*. D'où l'éter­nel conflit de la Science et de la Foi. D'où aussi l'affirmation théologique que la Foi exige, en dehors de la grâce, un acte de la volonté. On ne peut croire aux vérités révélées par la seule intelligence. Notons que le conflit de la Science et de la Foi est beaucoup moins violent aujourd'hui qu'hier. Les « savants » confessent les limites de la Science et s'aperçoivent que son développement menace l'humanité d'autodestruction. Le progrès, qui appa­raissait naguère comme la solution intellectuelle et morale de tous les problèmes humains devient le problème humain par excellence. L'éthique, sans parler de l'esthétique, y est intéressée en même temps que l'intelligence. La Vérité absolue concerne la Réalité absolue. La quête de cette Vérité engage l'homme dans la totalité de ses facultés. Sur la base de cette constatation, les rapports de la Science et de la Foi se font plus faciles. Si, au XIX^e^ siècle, les savants érigeaient abusivement en dogmes les vérités relatives de la Science, les théologiens, de leur côté, prolongeaient volontiers l'absolu dogmatique des vérités révélées dans le domaine scien­tifique. Maintenant la reconnaissance des divers domaines de la réalité et des méthodes différentes d'investigation qu'ils postulent pour découvrir la vérité ne soulève plus de conflit majeur entre la Science et la Foi. En tout cas, le conflit a changé de nature. Il est devenu métaphysique. C'est celui de l'imma­nence et de la transcendance, de la foi ultime en l'Homme ou de la foi ultime en Dieu. \*\*\* 161:243 Si la vérité est difficile à connaître quand le merveilleux religieux se mêle à la réalité commune, elle n'est pas d'un accès plus facile quand il en est absent. Aujourd'hui où l'information est reine, on a le sentiment de ne plus rien savoir sur rien. Avant même la *vérité*, c'est la *réalité* qui semble échapper à nos prises. On devrait, semble-t-il, s'accorder au moins sur les faits, sur les chiffres. Ils sont tous contestés, en eux-mêmes souvent, et toujours en tout cas dans leur signification. Très vite la question se pose : qu'est-ce que l'*information *? Qu'est-ce qu'un *fait *? J'en ai longuement traité dans une conférence sur l'information : « Comment informer honnêtement », au Con­grès de l'Office international des Œuvres de formation civique et d'action doctrinale, qui s'est tenu à Lausanne le 17 avril 1965. Le simple sommaire des questions abordées dans cette con­férence suffit à évoquer les difficultés du sujet : « Introduction -- Qu'est-ce que l'information ? -- Paradoxe de l'information -- Qu'est-ce qu'un fait ? -- La bonne information -- Parenthèse sur le mot « information » -- L'information au public -- Gen­res et niveaux de l'information à l'émission -- Information et objet d'information -- Information et formation -- Information et propagande -- Information et polémique -- Information et secret -- Information et opinion publique -- Conclusion. » La conclusion, en gros, était la suivante : que la vérité de l'infor­mation est en dépendance directe du souci de la vérité chez l'informateur et chez l'informé. Toutes les conditions d'intelli­gence et de méthode étant acquises, c'est l'homme honnête qui fait l'information honnête. Le caractère objectif de la réalité est indissociable du caractère subjectif de celui qui cherche à la connaître. L'éthique est au cœur de la connaissance. Pas de vérité atteignable sans le goût de la vérité. Ontologiquement, c'est la *Réalité* (absolue), c'est-à-dire le *Vrai* (absolu) qui est la mesure de la *vérité*. Mais concrètement, c'est l'*homme vrai* qui est la mesure de la *vérité*, parce qu'en tant qu'homme il est le sommet de la réalité incarnée, la plus proche adéquation de la réalité et de l'intelligence. Si le Christ peut dire qu'il est la voie, la *vérité* et la vie, c'est parce qu'il est l'homme-Dieu, c'est-à-dire l'incarnation absolue de la Réalité absolue. Le monde dans lequel nous vivons depuis la Révolution française est celui de l'idéologie -- de l'idéologie quelle qu'elle soit, c'est-à-dire de l'Idée et non de la Réalité. Faute de la foi, qui se sait foi, en un Dieu transcendant qui est celui de la Réalité absolue, la croyance, qui se veut raison, en l'Idée absolue qui n'est qu'un humanisme se prétendant auto-transcendant, débouche dans le mensonge généralisé. 162:243 L'Idéologie est le règne des mots qui n'expriment que l'idée d'une réalité que nie l'idéologie. Autant dire qu'elle est le règne de l'imposture. Nous vivons dans un monde d'imposture. Confesser l'erreur ou l'échec serait nier l'Idée. Crime impossible à l'idéologie. Mais massacrer des millions d'hommes au nom de la Justice, de la Liberté et de la Paix, c'est honorer l'Idée, c'est proclamer la Vérité de l'Homme. Qu'il s'agisse de faits ou d'idées, tout débat à la radio ou à la télévision est un débat sans issue parce qu'il s'inscrit dans le climat de l'idéologie dominante, à moins qu'il ne soit le choc de deux idéologies ce qui ne vaut pas mieux. Sur le moment ce sont les beaux parleurs qui l'emportent, mais à la longue le scepticisme envahit l'auditeur. Le sentiment général devient : « On nous trompe, on nous masque la réalité, nous ne pouvons pas savoir ce qui est vrai et ce qui est faux. » Le monde de l'idéologie a acquis, de nos jours, une telle consistance que le faux, l'erreur et le mensonge, qui supposent encore une référence à la vérité et à la réalité, finissent par s'y dissoudre. Nous entrons dans un monde d'images (car l'idée a besoin d'un support) qui constitue un monde « réellement » *imaginaire* dans lequel nous vivons et nous mouvons avec la même aisance et la même intensité que les enfants dans les contes de fées de jadis et dans les bandes dessinées d'aujour­d'hui. Du présent au passé, de l'actualité à l'histoire, l'idéologie impose son monde imaginaire aux esprits qui y sont formés dès les bancs de l'école. Les faits de détail sont niés ou affirmés selon l'idéologie du moment. Les faits massifs, dont la réalité s'impose, sont incorporés à l'idéologie par les significations successives et contradictoires qu'elle leur donne afin d'en faire la vérité du moment, c'est-à-dire le mensonge qui doit être honoré à ce moment pour garder sa « réalité » au monde ima­ginaire. Inhérente à l'Idéologie, la dialectique guide le flux des images changeantes où se reflète le caractère immuable de l'Idée absolue. Le chef-d'œuvre de cette palinodie kaléidoscopique est la grande encyclopédie soviétique dont les éditions suc­cessives font des « déviations » d'hier les dogmes d'aujourd'hui, et réciproquement, comme elles font des héros d'hier les traîtres d'aujourd'hui, et réciproquement. La France républicaine et démocratique n'est guère différente à cet égard de l'U.R.S.S. communiste et totalitaire. Les gardiens de l'idéologie en sont seulement occultes au lieu de s'afficher et de plastronner sur les estrades. Ils maintiennent l'idéologie de 1789 comme leurs émules maintiennent celle de 1917. 163:243 A chaque époque ils impo­sent l'image actuelle et les images du passé qu'il faut honorer comme l'expression de l'immuable Idée absolue : la première, la seconde, la troisième, la quatrième, la cinquième république, l'Empire colonial ou le hideux colonialisme, l'affreuse ou glorieuse Commune, l'Algérie française ou l'Algérie algérienne etc. etc. Le Français moyen s'excommunie lui-même de la France idéologique éternelle s'il refuse le culte des images et s'abstient de sacrifier aux idoles du panthéon palingénésique. On conçoit, dans ces conditions, que la vérité n'est pas facile à connaître... Elle n'est pas plus facile à dire, comme nous le verrons la prochaine fois. Louis Salleron. 164:243 ## AVIS PRATIQUES ### Annonces et rappels **La fête nationale\ de Jeanne d'Arc** Principalement à Marseille depuis deux ans et à Paris depuis cette année, diverses initiatives s'efforcent de rendre son éclat et sa portée à la fête nationale de sainte Jeanne d'Arc. Cette fête, d'abord interdite par les pouvoirs publics, a été établie par les combats de rue de l'Action française, qui a institué le cortège traditionnel. Puis elle a été inscrite dans la loi -- il est de la compétence du pouvoir civil de fixer une fête nationale -- et elle est toujours une fête légale. Mais sous la RI, et la y République les célébrations officielles sont devenues plus minces et plus rares, en raison de la désaffection croissante des autorités politiques et reli­gieuses, tandis que l'ensemble du peuple français était, par la plupart de ses prêtres et de ses instituteurs, systématiquement détourné du culte des saints et du culte de la patrie. Cependant la fête de Jeanne d'Arc et son cortège traditionnel ont été maintenus par l'Action française quasiment seule, malgré la diminution matérielle et morale de ses moyens d'action. Ce maintien persévérant et courageux au milieu de circonstances contraires mérite la reconnaissance nationale. 165:243 L'Action française n'a jamais monopolisé la fête nationale de sainte Jeanne d'Arc. Inversement, il ne conviendrait pas non plus de faire mine de la lui enlever. Honorant ce qui a été fait, ce qui a été maintenu, ce qui existe, il faut s'y joindre, en toute indépendance de chacun et commune amitié française. A Paris plusieurs groupements ont commencé cette année à rassembler leurs adhérents autour du cortège traditionnel. Ce n'est qu'un début, qui est appelé à prendre toute son ampleur les années prochaines. A Marseille, le pèlerinage national à Notre-Dame de la Garde, institué par notre ami Daniel Tarasconi, sera cette année présidé par Mgr Lefebvre, comme nous l'avons annoncé ici même dès notre numéro 236 de septembre-octobre 1979 (renseignements et inscrip­tions comme précédemment auprès des « Amis de Notre-Dame de la Garde », 110, rue Paradis, 13006 Marseille ; tel. : (91) 37.44.37). J'invite nos lecteurs à être attentifs et présents à cette renais­sance de la fête nationale de sainte Jeanne d'Arc et à y apporter tout leur concours. J. M. **Bénédictines traditionnelles\ de stricte observance** Mgr Marcel Lefebvre considère avec bienveillance et en­courage la communauté de Bénédictines qui vient de se fonder dans le Vaucluse en étroite union avec le monastère Sainte-Madeleine de Bédoin. La messe d'inauguration a été célébrée le 30 octobre 1979 et la vêture des premières postulantes a eu lieu le 25 mars 1980. Cette fondation a été conçue dans un esprit de fidélité : -- à la règle de saint Benoît ; -- à la liturgie catholique (messe traditionnelle, office inté­gral en latin et grégorien). Célébration de la sainte messe, cours de latin, formation doctrinale sont assurés par les moines de Bédoin. 166:243 La Révérende Mère Élisabeth de la Trinité, moniale bénédictine (trente ans de vie religieuse) est supérieure de ce petit groupe, auquel nous souhaitons un accroissement rapide et sûr, sous l'égide de Notre-Dame et de saint Benoît, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Les offrandes pour ce monastère sont à envoyer à l'adresse suivante : *Mère Élisabeth de la Trinité* *Notre-Dame de l'Annonciation* *Préfleury* *Route d'Avignon* *84140 Montfavet* **Réédition\ des « Lettres aux Capitaines »\ d'André Charlier** *Les Éditions Sainte-Madeleine communiquent :* Les systèmes d'éducation avides de formules nouvelles, ins­pirés par le subjectivisme et l'individualisme, ne font que véhiculer de très vieilles erreurs. « Se libérer des tabous » -- « être de son temps » -- « vivre sa vie », voilà des slogans éculés responsables, en partie, de la faillite de l'éducation à l'école et dans la famille, dont plus personne ne voudrait se réclamer aujourd'hui. Personne ne songera davantage à suivre le mécanique mouvement de pendule tout juste bon à nous ramener au légalisme kantien, père de l' « impératif catégori­que », qui réclame tout et ne se réclame de rien. Vers quels horizons le père de famille, l'éducateur, le directeur spirituel se tourneront-ils ? André Charlier leur répond : vers les vérités éternelles ; car seule l'éternité peut répondre aux questions posées par le temps. Nous avons donc résolu d'éditer les « Lettres aux Capitai­nes », écrites il y a trente ans par un éducateur affronté à des problèmes *concrets,* auxquels il avait à donner une réponse *immédiate.* Mais la réponse était prise de très haut. L'auteur, André Charlier, oblat bénédictin, ancien officier d'infanterie, directeur d'une école *libre* à Maslacq (Htes Pyrénées), à laquelle il entendait maintenir son caractère de liberté, était, comme disait Charles Péguy, « un homme qui ne prend son parti de rien ». Renonçant à un système de discipline obtenu de l'extérieur par l'artifice des « pions », il s'adressa aux grands élèves -- les « Capitaines » -- et leur inculqua le sens de leur responsabilité. 167:243 Il leur demandait de faire régner autour d'eux un certain *ordre* où puissent s'épanouir la culture de l'esprit, la pratique des vertus morales, -- surtout la loyauté, l'énergie, la pureté, -- et, par-dessus tout, la vie de la grâce dans les âmes. Le recueil de ces « Lettres », réunies par nos soins, forme un trésor de sagesse pédagogique, où le lecteur est à même de puiser des conseils judicieux, remarquables par leur caractère de *réalisme* et la référence à d'humbles vertus, dont l'oubli a contribué à nous plonger dans la décadence. André Charlier n'hésitait pas à demander beaucoup aux jeunes gens dont il avait la charge. Il s'en expliquait en disant « C'est le plus grand honneur qu'on puisse faire à la jeunesse que de lui dire qu'elle est vouée à la pureté et à la grandeur. » Il leur disait également : « Vous êtes sollicités de bien des manières ; ayez soin de toujours répondre à l'appel le plus haut. » Il leur enjoignait surtout de vivre dans l'*essentiel* ou (les deux mots étaient pour lui synonymes) dans la vérité. Aux approches de la Pentecôte, qui était la fête de l'École, il écrivait aux Capitaines : « Croyez que quelque chose de grand peut se passer entre Dieu et vous pour peu que vous le deman­diez et que vous n'ayez pas peur du feu de la Pentecôte. Seu­lement il faut donner au feu quelque chose à dévorer ; à vous de lui apporter l'aliment pour qu'il prenne. La vérité prend comme le feu, mais elle ne prend que sur un cœur qui la désire. » L'éducation de l'esprit et du caractère, dans la pensée d'An­dré Charlier, portait d'abord, avec le sérieux de la *belle ouvrage bien faite,* sur les vertus et les valeurs naturelles. Mais elle visait plus haut, soucieuse de préparer un terrain d'éclosion à la vie de la grâce. Le chant grégorien, par son caractère de beauté et de simplicité, était à l'honneur dans cette haute vision des choses. Le penchant à la vulgarité et à la mollesse y était combattu par les valeurs contraires, au nom d'une exigence revendiquant ses droits, comme la suprême forme de l'amour : celle qui cherche à communiquer la grandeur. Peut-on ajouter quelque chose ? André Charlier aimait à s'exprimer librement et familièrement, dans une langue racée, sans ornement, d'une suprême élégance. Cela aussi fait partie de l'éducation. Cette édition est dédiée tout spécialement aux jeunes du « Mouvement de la Jeunesse Catholique Française » (MJCF.), mouvement actuellement en plein essor, qui a eu le mérite de reconnaître, dans les « Lettres aux Capitaines », un message qui transcende le temps. La parution de l'ouvrage est prévue pour le mois de juin. 168:243 En souscription jusqu'au 15 mai : 95 F franco de port ; au-delà de cette date le prix sera de 110 F. Les souscriptions sont à adresser à : *Éditions Sainte-Madeleine* *Monastère Sainte-Madeleine* *84410 Bédoin* **Maison familiale\ de vacances** *On nous communique :* Le Comité pour la justice dans l'Église (Gargenville) informe les familles traditionalistes qu'une Maison familiale de vacances est à leur disposition, pour les vacances d'été 1980, dans les Pyrénées, à 1.400 m d'altitude : à Planès, près de Montlouis et Font-Romeu (Pyrénées orientales). Il s'agit de la première maison familiale dont la direction soit traditionaliste ; l'encadrement des enfants est assuré par des monitrices si les parents le souhaitent ; formées par le MJCF., elles sont compétentes et moralement solides. Cette formule est appréciable pour les mamans, qui n'ont pas de ménage ni de repas à faire. Elle est économique puisque les frais sont en fonction des revenus (séjour gratuit pour beau­coup de familles). L'intérêt de passer des vacances ensemble, entre catholiques fidèles de diverses régions, ne pouvant vous échapper, le Comité vous recommande de faire connaître cette Maison autour de vous. Les loisirs sont variés : volley-ball, ateliers, émaillages, rotin, botanique, géologie et surtout entraînement à la montagne et excursions en moyenne et haute montagne. Renseignements et inscriptions auprès du Directeur : *M. Alain Blanco* *19, av. du Canigou* *66700 St-Genis des Fontaines* 169:243 Au Mesnil-Saint-Loup Dans le coin du cimetière le plus proche de l'église, les tombes du P. Emmanuel, d'Henri Charlier, de Claude Duboscq, d'André Charlier, de Claude Franchet. Dans la maison d'Henri Charlier a été aménagé un oratoire où vous pouvez vous recueillir devant le Saint-Sacrement ; les grilles du jardin, face au portail de l'église, sont ouvertes tous les jours du matin au soir, à votre intention. « Changement d'orientation »\ du bulletin de la Sainte-Espérance Plusieurs abonnés au *Bulletin de l'œuvre de Notre-Dame de la Sainte-Espérance au Mesnil-Saint-Loup* ont reçu le numéro de mars orné d'un papillon polycopié ainsi rédigé : «* Vous êtes peut-être surpris du changement d'orientation de certains articles du présent bulletin. Avant de prendre la décision de vous désa­bonner, écrivez au président de l'association des amis du Père Emmanuel pour renseignements complémentaires. Merci. *» De fait, le numéro de mars contient la première partie d'un feuilleton à suivre, exposant et vantant les idées politico-religieuses du « père dominicain Vincent Cosmao », qui sont farouchement contraires à la doctrine du Père Emmanuel. Si le *Bulletin* change à ce point d'orientation, il serait simplement honnête qu'il change aussi de couverture. La page de couverture est en effet une composition d'Henri Charlier. Il y aurait une manifeste imposture à faire passer, sous cette couverture inchangée, une marchandise tellement changée qu'elle en devient avariée. Avertissement en est donné ici aux responsables du « chan­gement d'orientation ». ============== fin du numéro 243. [^1]:  -- (1). Présentation de la T.O.B. pp. 10 et 11. Édition intégrale, Paris, 1977. [^2]:  -- (1). *Éléments,* n° 33 page 25. [^3]:  -- (1). L'association « Saint Maroun » recueille les dons en faveur des chrétiens du Liban qui doivent être adressés 37, rue des Longs-Prés, 92100 Boulogne. [^4]:  -- (1). Résolution n° 436. [^5]:  -- (1). Le Christ a accompli son premier miracle à Cana, au Liban et ce pays fut la première terre évangélisée par saint Pierre et saint Paul. [^6]: **\*** -- Page 40 : carte du Liban, pas reproduite ici. [^7]: **\*** -- Page 49, photo, pas reproduite ici : Mgr Lefebvre à l'autel avant la messe de dédicace. -- page 50 : (voir 243:50.jpg) *Le Figaro* du 25 mars 1980, page 11, commente sereinement : « Un oratoire a été inauguré à Genève par Mgr Lefebvre pour les quelque TRENTE traditionalistes que compte la ville. » -- Voici les « trente », qui sont trente en effet, je les ai comptés de ma place au 4^e^ rang, mais trente par rangée de bancs soit 450 paroissiens assis, autant debout, plus tous les Genevois qui n'avaient pu entrer !. La presse helvétique elle-même cite un chiffre supérieur au millier... Nous voici prévenus d'avoir à multiplier par trente-six, au moins, les forces que *Le Figaro* prête à la Tradition. [^8]:  -- (44). *Einsicht,* « römisch-katholische Zeitschrift », pério­dique publié à Munich, numéro de février 1980. Nous dési­gnerons les textes français du P. Guérard contenus dans ce numéro par le sigle *EINS. -- *Ce numéro d'*Einsicht* est jusqu'à présent le seul de cette publication que j'aie eu entre les mains. Mais le P. Guérard établit par magie démonstrative que j'ai eu connaissance du numéro de mai 1979 et de celui de sep­tembre 1979 (je ne les ai jamais vus), pour conclure avec sa bienveillance habituelle : « Je suis fondé à me demander si M. Madiran ne serait pas de mauvaise foi » (*EINS,* p. 215).  [^9]:  -- (45). Le premier acte de cette polémique fut, le 12 avril 1979, la « première lettre personnellement adressée à Mgr Lefebvre par le P. Guérard des Lauriers » : lettre qui en France a circulé en privé, et qui a été publiée en Allemagne, au mois de mai 1979, par *Einsicht* (cf. ITINÉRAIRES, numéro 237 de novembre 1979, pp. 156-157).  [^10]:  -- (46). *EINS* p. 217. [^11]:  -- (47). *Ibid.* [^12]:  -- (48). ITINÉRAIRES, numéro 237 de novembre 1979, p. 156 : « La nouvelle messe instituée par Paul VI fut « permise » à partir de novembre 1969 et « obligatoire » ensuite. Selon le calomniateur délirant, Mgr Lefebvre aurait donc devancé de plusieurs mois l' « obligation », il aurait même devancé de plusieurs mois la « permission », il aurait célébré la nouvelle messe, *le premier de tous,* dès avril et mai 1969 ! » [^13]:  -- (49). *EINS* p. 231. [^14]:  -- (50). *FINS* p. 214. [^15]:  -- (51). *FINS* p. 216. [^16]:  -- (52). *Loc. cit.* note 48. [^17]:  -- (53). *EINS* pp. 215-216. [^18]:  -- (54). *EINS* p. 216. [^19]:  -- (55). *EINS* pp. 216 et 217. [^20]:  -- (56). *CASS II* p. 93. [^21]:  -- (57). *CASS I* p. 3. C'est nous qui soulignons le mot *d'abord.* [^22]:  -- (58). Lettre publiée dans notre *Hérésie du XX^e^ siècle,* tome II : *Réclamation au Saint-Père* (NEL). [^23]:  -- (59). *CASS I* pp. 96-97. [^24]:  -- (60). *CASS I* p. 97. [^25]:  -- (61). *CASS I* p. 98. [^26]:  -- (62). Leurs textes, souvent très développés, figurent en ap­pendice (pp. 136-296) de l'ouvrage cité à la note 58. [^27]:  -- (63). *CASS II* p. 93. [^28]:  -- (64). C'est *CASS I*, dont la parution effective est au demeu­rant postérieure de plusieurs semaines. [^29]:  -- (65). *CASS SUPP* pp. 11-12. [^30]:  -- (66). *Ibid.* [^31]:  -- (67). *CASS SUPP* pp. 11-12 ; *CASS II* p. 94 [^32]:  -- (68). *CASS SUPP* p. 11 ; *CASS II* p. 93. [^33]:  -- (69). *CASS SUPP* p. 3. [^34]:  -- (70). Ibid. [^35]:  -- (71). Quand je reçois une lettre de désabonnement me pré­venant que, pour punir la revue ITINÉRAIRES de ne pas suivre aveuglément le savant Cosinus, « nous nous désabonnons en masse », cette action de masse solitaire me paraît cocasse. A la troisième lettre dans les mêmes termes, j'ai une légère im­pression de déjà-lu. A la sixième, je dois bien penser qu'un mot d'ordre a circulé : c'est au moins une « certitude pro­bable ». [^36]:  -- (72). « Revue trimestrielle de controverse catholique » : ce fascicule de 31 (32) pages, qui sans doute est un supplément, paraît sans numéro ni date ni prix de vente ; il a été diffusé gratuitement par envois postaux et distributions sur la voie publique. Il porte un premier titre : « Un temps pour se taire et un temps pour parler », et un second titre : « Réponse au R.P. Dom Gérard. » Nous le désignerons par le sigle *FS*. [^37]:  -- (73). *FS* p. 29. [^38]:  -- (74). *FS* p. 1. [^39]:  -- (75). *FS* p. 29. [^40]:  -- (76). *FS* p. 31. [^41]:  -- (77). *EINS* p. 217. [^42]:  -- (78). *FS* p. 14 ; et passim. [^43]:  -- (79). *Cf. CASS I* pp. 78 et suiv. -- Mais *RES* p. 10 esquive le point, en ne considérant qu' « hérétique » et en taisant « schis­matique, : était-ce donc, déjà en 1978, pour laisser la porte ouverte à une récupération ultérieure de la thèse Barbara ? [^44]:  -- (80). Justification partielle, occasionnelle et je l'espère pro­visoire. L'abbé O est loin d'être zéro. Il s'expose à recevoir cette note lamentable par impatience d'utiliser ses dons natu­rels, qui sont grands, avant de les avoir suffisamment cultivés. Il a pas mal étudié, mais pas assez encore, vraiment, et surtout pas assez mûri pour pouvoir sans présomption voler de ses propres ailes dans les controverses, et se mettre à donner des leçons alors qu'il a tellement besoin d'en recevoir. Entre une demi-douzaine d'exemples analogues, l'usage extravagant qu'il fait, *FS* p. 19, de l'axiome *papa dubius, papa nullus,* le rem­plira de confusion quand il s'en apercevra. Et il lui faudra réaliser dans le silence de substantiels progrès pour arriver à faire oublier à ses contemporains qu'il nous a présenté deux thèses *contraires,* Guérard et Barbara, comme *vraies en même temps.* [^45]:  -- (81). *FS* p. 1. [^46]:  -- (82). *CASS SUPP* p. 11 ; *CASS II* p. 94. [^47]:  -- (1). *L'argent vient d'Allemagne,* ITINÉRAIRES numéro 242 d'avril 1980. [^48]:  -- (2). Conférence des Évêques latino-américains. [^49]:  -- (3). *O Globo,* 29 janvier 1979. La parenthèse est de nous. [^50]:  -- (4). *Jornal do Brasil,* 28 janvier 1979. [^51]:  -- (5). *Jornal do Brasil,* 18 février 1979. [^52]:  -- (6). *Jornal do Brasil,* 23 janvier 1979 (souligné par nous). [^53]:  -- (7). *O Globo,* 22 juillet 1978. [^54]:  -- (8). *Jornal do Brasil,* 28 janvier 1979. [^55]:  -- (9). Père Fernando Bastos d'Avila, *Jornal do Brasil,* 25 fé­vrier 1979. [^56]:  -- (10). *Le Courrier de Rome,* numéro 165. [^57]:  -- (11). Organisme basé à Londres, spécialisé dans les mouve­ments de noyautage. [^58]:  -- (12). *Jornal do Brasil,* 12 avril 1979. [^59]:  -- (13). *O Globo,* 29 janvier 1979. [^60]:  -- (14). *O Globo,* 29 janvier 1979. [^61]:  -- (15). *O Globo* du 5 avril 1979. C'est nous qui soulignons. [^62]:  -- (16). *Jornal do Brasil,* 2 avril 1979. [^63]:  -- (17). *O Globo,* 25 avril *1979.* [^64]:  -- (18). Conférence Nationale des Évêques du Brésil. [^65]:  -- (19). *O Globo,* 27 avril 1979. [^66]:  -- (87). 134, 1. [^67]:  -- (88). 134, 2. [^68]:  -- (89). 134, 2, ad 2 et 3. [^69]:  -- (90). 134, 4. [^70]:  -- (91). 135, 1. [^71]:  -- (92). 136, 1. [^72]:  -- (93). 136, 2. [^73]:  -- (94). 136, 3. [^74]:  -- (95). *Ibid.,* ad 2. [^75]:  -- (96). 136, 5, ad 3. [^76]:  -- (97). 137, 1. [^77]:  -- (98). 137, 2. [^78]:  -- (99). 137, 1, ad 3. [^79]:  -- (100). 137, 4. [^80]:  -- (101). 138, 1. [^81]:  -- (102). 138, 2. [^82]:  -- (103). 132, 5. Cf. *Paul VI,* audience générale du 2 juillet 1969 : « Nous désirons faire nôtres les mots importants employés par le concile, *ces mots qui définissent son esprit* et qui, en une synthèse dynamique, *forment l'esprit de tous ceux qui se réfé­rent à lui,* qu'ils soient ou non dans l'Église. Le mot *nouveauté.* simple, très cher aux hommes d'aujourd'hui et très utilisé, est de ceux-là. *Ce mot nous a été donné* comme un ordre, comme un programme. » [^83]:  -- (104). *Eph.,* 5, 16. [^84]:  -- (105). 139, 1. [^85]:  -- (106). 139, 2. [^86]:  -- (107). *Ibid.,* ad 1. [^87]:  -- (108). *Matth.,* 11, 12. Cité en 140, 1. [^88]:  -- (109). 140, 1, ad 3. [^89]:  -- (110). Comme on sait, l'expression est de G.K. Chesterton. [^90]:  -- (111). L. SALLERON, dans ITINÉRAIRES, janvier 1972. [^91]:  -- (112). Le péché originel n'a pas corrompu la nature sociale de l'homme ; il l'a blessée ; et nos efforts aidés par la grâce peuvent cicatriser la plaie. [^92]:  -- (113). Voir LITTRÉ et ROBERT, *Sub voce :* état. [^93]:  -- (114). Ainsi le définit *Gaudium et Spes,* aveugle devant la crise qui s'annonçait déjà au cours de Vatican II, comme s'il n'y avait pas de péché originel pour les auteurs de cet énorme factum qui n'ont sûrement pas travaillé cette compilation de toutes les insanités modernes à la sueur de leur front. [^94]:  -- (115). Cf. A. SOLJÉNITSYNE, *Le Déclin du Courage,* Discours de Harvard, 1978, Paris, 1978, pp. 25 et 34. [^95]:  -- (116). Comme n'a cessé de le faire dans son action et dans ses écrits feu notre ami Henri de Lovinfosse dont les usines, en plus d'un demi-siècle, n'ont pas connu une seule heure de grève. [^96]:  -- (117). Nous avons déjà cité cette parabole en conclusion de notre *Essai sur la fin d'une civilisation,* mais sans la placer sous l'éclairage de la force naturelle et surnaturelle. [^97]:  -- (1). L'auteur de cette perle, aujourd'hui archevêque d'un diocèse américain, a été pendant huit ans primat des Béné­dictins. [^98]:  -- (1). Origène (185-254) avait mis sur six colonnes le texte hébreu en caractères hébreux, puis en caractères grecs et les quatre versions grecques existant à son époque. [^99]:  -- (1). Une idée familière aux chrétiens et bien faite pour éveiller leur confiance : la bonté de la sainte Vierge est plus grande que notre malice. [^100]:  -- (2). Mériter. [^101]:  -- (3). « Je m'en porte garant. » [^102]:  -- (4). En un sens très profond, Marie a porté, sans qu'il soit fait atteinte à sa virginité, Celui qui est offert en sacrement à la messe. [^103]:  -- (5). L'expression, nullement cho­quante à l'époque, serait imprononçable aujourd'hui, après quatre siècles de malveillance protestante. [^104]:  -- (6). Expression permise en image. [^105]:  -- (1). Pourquoi faut-il que nos petits catholiques ignorent la douceur de ce premier alexandrin lisse comme une âme d'enfant ? Si vous le leur apprenez, ils le sauront par cœur toute leur vie. [^106]:  -- (1). *Hora do Brasil* était une émission de propagande politi­que instaurée par le dictateur Getulio Vargas (1930-1945 et 1950-1954) ; elle devait être diffusée par toutes les stations bré­siliennes aux heures de grande écoute. [^107]:  -- (2). *O viûvo viu a ave :* refrain bien connu autrefois des écoliers de langue portugaise, parce qu'il figurait dans tous les manuels pour apprendre à lire et prononcer la consonne « v ». [^108]:  -- (3). En français dans le texte de Gustave Corçâo. [^109]:  -- (4). *Por que ela riu no seu ùltimo dia :* allusion à un verset du livre de la Sagesse. [^110]:  -- (1). *Thérèse Neumann la crucifiée de Konnersreuth devant l'histoire et la science* (P. Lethielleux, Paris 1979). Sur l'ensemble du livre je renvoie l'excellente analyse d'Hugues Kéraly dans *Itinéraires*, n° 241, de mars 1980. [^111]:  -- (1). L.L. Whyte, *Accent on form* (Londres 1953, p. 33). Cité par Arthur Koestler dans *Les somnambules* (Calmann-Lévy, p. 520 de la réédition de 1980).