# 245-07-80 II:245 L'œuvre de RÉFORME IN­TELLECTUELLE ET MORALE, chacun commençant par soi, est l'héritage que nous avons reçu du P. Emma­nuel, de Péguy, de Maur­ras, des Charlier, de Massis, d'Henri Pourrat et de tous ceux qui avec eux et com­me eux ont retrouvé le sens de notre véritable tradition nationale et chrétienne. Cet héritage, nous avons à le maintenir vivant et à le transmettre aux nou­velles générations. La réforme intellectuelle et morale dont notre temps a besoin consiste en résumé à redonner dans la société à l'esprit de sacrifice la place qu'il occupe forcé­ment dans la vie militaire, où il est plus visible, plus éclatant, ce qui a une valeur d'exemple. Aujourd'hui, au milieu de l'obscurantisme spirituel et du désert moral des sociétés modernes, que pro­poser à l'enthousiasme de la jeunesse, sinon d'abord l'austérité, la discipline, l'héroïsme militaires. Et non pas notre devise officielle « liberté-égalité-fraternité » qui tient lieu d'idéal moral et civique à nos républiques. Certes il serait très im­portant, au lieu d'en avoir une idée fausse, d'avoir une idée juste de la liberté, une idée juste de l'égalité, une idée juste de la fraternité ; et une idée juste des « droits de l'homme ». Mê­me dans ce cas, ces idées ne suffiraient pas à susciter la discipline nationale et l'esprit de sacrifice. Il faut d'autres idées pour faire naître, cultiver, honorer l'esprit de sacrifice qui anime les vertus du travail, les vertus familiales et les vertus militaires. Le véritable rôle des pou­voirs culturels est précisé­ment de cultiver les vertus intellectuelles et morales car toutes les vertus ont be­soin d'être cultivées, elles ont besoin d'être exercées avec patience et énergie, elles ont besoin d'être en­couragées et honorées, si­non elles s'anémient ou dis­paraissent. Les pouvoirs culturels du monde moderne cultivent les vices de la société per­missive. Ils cultivent l'es­prit de jouissance au détri­ment de l'esprit de sacri­fice ; ils cultivent l'esprit de revendication à la place de l'honneur de servir au péril de sa vie. Les vertus religieuses que cultive la tradition catholi­que sont aussi marginali­sées, aussi discréditées que les vertus militaires. Ce sera une fois encore l'alliance des vertus mili­taires et des vertus religieu­ses qui pourra partout dans le monde refaire une chré­tienté ; et ici, restaurer le visage de la France, son âme et son honneur. 1:245 ### Attention... Je suppose que la plupart des lecteurs de la revue le savent déjà : soit directement par la circulaire de DMM, soit par le VOLTIGEUR du 15 juin. C'est un sérieux revers, qu'il importe de prendre en considération ; c'est le signe d'une détérioration qui n'est peut-être pas irrémédiable, encore faut-il réagir avec énergie. Vous le savez donc, mais je vous demande d'y penser de nouveau : malgré tous les avis et appels invitant à donner l'attention qu'ils méritent aux « livres de fond » publiés par Dominique Martin Morin, la vente en est demeurée insuffisante, et par suite leur parution et leur diffusion ne peuvent être normalement poursuivies ; elles vont être ralenties, suspendues peut-être. Les *Albums de Mathias,* si bien venus, si nécessaires, n'ont eux non plus trouvé la moitié du nombre d'acheteurs qu'il leur aurait fallu. Nous sommes en plein désastre. On trouvera la cir­culaire de DMM à la fin du présent numéro, parmi nos « Avis pratiques ». \*\*\* Parallèlement, je suis très frappé de constater que l'œuvre des bourses d'abonnement à la revue ITINÉRAIRES rencontre parmi nos lecteurs une indifférence numériquement comparable. Cette œuvre d'entraide est en même temps (ou pourrait devenir) la meilleure propagande in­tellectuelle pour la revue. Elle est assurée par les COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES : il leur manque, comme aux *Albums de Mathias,* d'avoir deux à trois fois plus d'amis actifs, d'adhérents, de cotisants, de militants. 2:245 D'autant plus qu'à la différence d'autres œuvres elle n'attire déci­dément pas ceux qui ont le plus de moyens : la sous­cription la plus importante qui depuis l'automne dernier ait été versée aux COMPAGNONS pour l'œuvre des bourses s'élève à 3.000 francs ; elle a été versée par un écrivain sans fortune qui est un collaborateur régulier de la revue. Je livre ce fait aux réflexions de chacun. \*\*\* Depuis le 1^er^ mars 1979, nous avons maintenu un tarif d'abonnement à 400 francs. Depuis lors nos frais et dé­penses de toutes sortes n'ont cessé d'augmenter au rythme de 15 à 16 % par an. C'est pourquoi il existe, à côté du *tarif minimum* à 400 F, un *tarif normal* qui est actuelle­ment à 500 F et qui est appelé, lui, à suivre l'augmentation des coûts. Pour des motifs évidents, nous désirons main­tenir le plus longtemps possible le tarif minimum à 400 F. Mais si la revue doit simultanément supporter la charge des bourses d'abonnement que les COMPAGNONS n'arrivent plus à lui régler, plus rien n'est possible. Nous allons à l'asphyxie. Je vous demande d'y faire attention maintenant. \*\*\* Parmi ceux d'entre vous qui vont partir en vacances, beaucoup n'ont pas eu le temps de lire comme ils l'auraient voulu les dix numéros de la revue parus depuis un an. Qu'ils les emportent avec eux. Qu'ils y consacrent quelques moments. 3:245 Qu'ils considèrent notamment à quel point la revue ITINÉRAIRES, comme l'écrit Benedictus, « *non seulement nous apprend une foule de choses inconnues ; elle est aussi et surtout un moyen inappréciable de culture intellectuelle, une méthode capable d'apprendre à lire et à penser *»*.* Il faut un antidote au flot croissant d'images audio-visuelles qui submerge les esprits, les engourdit et les nivelle. Chaque jour se restreint davantage la zone de véritable liberté intellectuelle. Que chacun de ceux qui ont connu la revue ITINÉRAIRES s'interroge sur sa responsabilité à l'égard de ceux qui ne la connaissent pas ou qui la méconnaissent, et qui pourraient l'utiliser avec fruit eux aussi pour leur autodéfense intellectuelle si seulement ils y étaient incités, encouragés, aidés. Le premier moyen d'y travailler est de donner votre adresse, votre éventuelle adhésion, au moins votre souscription aux COMPAGNONS D'ITINÉRAIRES. \*\*\* Je n'ignore pas, j'y ai déjà fait allusion, que trop de nos lecteurs sont aujourd'hui impressionnés, découragés, paralysés par les attaques délirantes que la malveillance a déchaînées parmi nous. Quiconque est suspect d'aimer Mgr Lefebvre, Mgr Ducaud-Bourget, Dom Gérard, est accu­sé d'être comme eux « franc-maçon », pas moins, « traî­tre », coupable de soumission « inconditionnelle » aux bureaux ecclésiastiques, de « ralliement » au modernisme, de « capitulation ». Ne vous laissez pas démoraliser ; res­saisissez-vous. Nous n'avons pas à nous plaindre de ces attaques, même portées à l'incandescence par une sombre frénésie : elles sont normales de la part de ceux qui nous détestent. Mais il est nécessaire, il est devenu tout à fait urgent que ceux qui nous approuvent mettent autant d'énergie et de persévérance à nous soutenir. Jean Madiran. 4:245 ## ÉDITORIAUX ### France, fille aînée de l'Église es-tu fidèle aux promesses de ton baptême Le début de cet artiste, imprimé ici en italiques, a paru dans le SUPPLÉ­MENT-VOLTIGEUR n° 79. *LE pape est donc venu en France pour deman­der à la France si elle se croit fidèle aux promesses de son baptême. Comment ne pas recevoir cette question en plein cœur. Nous n'allons certes pas vous dire* « *ce qu'il faut penser *» *d'un tel pape. Nous écoutons en silence la résonance pro­fonde de son interrogation.* *Au demeurant nous ne pouvons prétendre avoir dès maintenant scruté l'abondance et la variété de ce qu'il est venu nous dire en quatre jours de visite pastorale ; encore moins avoir tout exactement com­pris du premier coup.* 5:245 *Il faudra reprendre posément les textes dans leur publication authentique et intégrale ; méditer la portée réelle de ce qui a été énoncé, sans se laisser prendre au piège de la sonorité ou de la couleur de certains mots inattendus ou trop usés.* *Quelques obscurités sans doute, quelques incerti­tudes, mais déjà, mais avant tout, quelques évidences massives : quand nous le voyons, quand nous l'en­tendons, un instinct très puissant nous assure que ce pape est le pape, qu'il est un vrai pape catholique, que c'est bien la parole de Dieu qu'il est venu prêcher parmi nous et pour nous, qu'il est le père commun des fidèles et le vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu'il nous est envoyé pour notre conversion.* *En plein fief communiste, à Saint-Denis, le samedi 31 mai, il a prononcé ce que les radio-télés ont voulu surnommer son* « *programme politique et social *»*, mais c'était fort clair, son discours peut être résumé en trois mots : c'était le discours* « *travail-famille-patrie *»*.* *Le lendemain il a prononcé trois autres mots :* « *liberté-égalité-fraternité *»*, assurant que* « *au fond *» *ce sont des idées chrétiennes. Avouons qu'au premier abord le contenu d'une telle assertion* (*déjà formulée par Paul VI*) *demeure pour nous insaisissable ; com­me celui de* « *droits de l'homme *» *annexés aujour­d'hui par une Église qui hier les rejetait : et l'en­seignement du Saint-Siège qui les rejette est détaillé, circonstancié, précis, tandis que l'enseignement qui les accepte est encore à venir...* *Naturellement, l'homme a des droits naturels et imprescriptibles : mais point exactement* (*et quelque­fois point du tout*) *ceux que tout le monde entend aujourd'hui quand on parle des* « *droits de l'hom­me *»*. Tout aussi naturellement, la devise maçonnique* « *liberté-égalité-fraternité *»*, forgée dans un dessein résolument anti-chrétien, utilise trois termes qui ne sont pas intrinsèquement pervers ; la revue* ITINÉRAIRES *l'a dit et répété dans ses déclarations de principe :* 6:245 « *Il serait très important, au lieu d'en avoir une idée fausse, d'avoir une idée juste de la liberté, une idée juste de l'égalité, une idée juste de la frater­nité. *» *Mais nous n'avons pas encore entendu un enseignement explicite du Saint-Siège qui en ce do­maine aurait discerné le vrai du faux avec une clarté telle que l'on puisse désormais employer ces termes sans risque de confusion.* *Par ailleurs Jean-Paul II* PARAÎT *avoir une insen­sibilité à peu près complète à la laideur, à l'inconve­nance, à l'inexactitude de certains rites réformés ou innovés, comme à la sensualité sans spiritualité des musiques qui les accompagnent ; une indifférence sans remords à l'égard de l'incomparable trésor litur­gique que l'Église actuelle laisse s'enfoncer dans l'ou­bli, abandonné au détour des années enfuies et des monastères sécularisés, recouvert peu à peu de ronces, de broussailles et de gravats comme une ruine étrus­que.* APPARENCE *seulement ? En tout cas, apparence cruelle ; tragique ; épouvantable. Mais dans le même temps c'est à lui-même que plusieurs, et* Le Monde *du 31 mai, attribuent très vraisemblablement la décision, sans précédent depuis dix ans, d'avoir autorisé à Lourdes, le jour de la Pentecôte, les* « *intégristes *» *à célébrer* « *dans les sanctuaires des messes de saint Pie V *»*. Alors ?* *Il serait bien prématuré, et nous n'en avons ni la compétence ni le désir, de prononcer sur ce pape un jugement global, objectif, équilibré, souverain, avec annotations marginales comme pour une copie d'exa­men.* *En tout respect et en toute fidélité, c'est-à-dire sans esprit de contestation comme sans esprit de complai­sance, nous devons je crois poursuivre notre témoi­gnage : celui de notre famille spirituelle, qui ne réclame certes point le gouvernement de l'Église, mais qui entend occuper dans l'Église et dans la société toute la place, singulière ou modeste, reconnue ou persécutée, que Dieu lui réserve.* 7:245 *Les familles spirituelles pas plus que les personnes n'ont le droit de s'abandonner au suicide. La nôtre, qui n'est pas née du* « *concile *» *ou d'une* « *interprétation du concile *»*, est celle qui veut maintenir vivant et trans­mettre aux nouvelles générations l'héritage que nous avons reçu du P. Emmanuel, de Péguy, de Maurras, des Charlier, de Massis, d'Henri Pourrat :* LA CULTURE CHRÉTIENNE DE TRADITION FRANÇAISE, *avec cette nuance particulière : l'itinéraire spirituel qui va* DU MONDE MODERNE A LA FOI CHRÉTIENNE, *en réaction contre le courant dominant qui entraîne les peuples de la foi chrétienne à l'apostasie moderne. Cet héri­tage intellectuel et moral n'est inégal à aucun autre, c'est le moins que l'on en puisse dire, pour disposer les âmes à entendre la question qui nous a été posée :* -- FRANCE, FILLE AÎNÉE DE L'ÉGLISE, ES-TU FIDÈLE AUX PROMESSES DE TON BAPTÊME. #### Trois remarques sur l'intégrisme comme tendance et comme effervescence 1\. -- Nouveauté : le terme d'intégrisme est entré pour la première fois dans le vocabulaire pontifical lors du discours adressé le 1^er^ juin par Jean-Paul II aux évêques de France. Sauf erreur, Paul VI n'en parlait qu'en sub­stance ou par allusion, sans le nommer ; il le désignait implicitement comme le pire danger, l'ennemi n° 1, la plus grande abomination ; suivant en cela Maritain qui, lui, professait explicitement que l'intégrisme est « la pire offense à la vérité divine et à l'intelligence humaine » ([^1]). 8:245 Pour Jean-Paul II ([^2]), l'intégrisme n'est plus le pire, il est l'une des « deux tendances extrêmes » qu'il met en paral­lèle : il y a les progressistes qui portent atteinte à l'essen­tiel de la foi, et il y a les intégristes qui réagissent contre le progressisme mais « se durcissent en s'enfermant dans une période donnée de l'Église, à un stade donné de formu­lation théologique ou d'expression liturgique dont ils font un absolu, sans en pénétrer suffisamment le sens profond, sans considérer la totalité de l'Histoire et son développe­ment légitime, en craignant les questions nouvelles, sans admettre en définitive que l'Esprit de Dieu est à l'œuvre aujourd'hui dans l'Église avec ses pasteurs unis au succes­seur de Pierre ». En somme donc, il n'y aurait entre l'intégrisme et le pape qu'une sorte de malentendu dans les formulations, joint à une soumission insuffisante aux pasteurs genre Marty que tous les siècles futurs ne man­queront pas de nous envier. Comparé au reproche fait au progressisme, le reproche fait à l'intégrisme est plutôt bénin. Certes la voie de la comparaison n'est pas une voie de progrès spirituel ; mais elle est inévitable dans l'ordre du gouvernement. Que l'intégrisme ne soit décidément plus considéré comme le pire, ce serait déjà un changement appréciable. 2\. -- Toutefois l'intégrisme a un sens plus large. Il est antérieur au progressisme. Il n'est pas seulement une in­terprétation du dernier concile. Ce terme est entré dans le vocabulaire ecclésiastique puis dans la nomenclature courante comme sobriquet servant à tourner en dérision la personne, le gouvernement, la doctrine et les disciples de saint Pie X. 9:245 Est-ce précisément à ce pontife et à ce pontificat que Jean-Paul II a voulu faire allusion en par­lant d' « une période donnée », d' « un stade donné de formulation théologique ou d'expression liturgique » C'est fort possible. Lorsqu'il parle de ses grands prédéces­seurs, c'est Paul VI et Jean XXIII qu'il nomme, ce n'est ni Pie X ni Pie XII. Pourtant, si l'on veut bien considérer qu'il n'y a pas tellement de papes modernes qui soient canonisés, et que saint Pie X est le dernier en date et le plus proche de nous, on comprendra qu'en un temps où les peuples se sont à diverses reprises sentis abandonnés par leurs chefs spirituels et temporels, plusieurs « inté­gristes » aient eu l'idée de se référer en particulier à l'en­seignement, à l'exemple, à la pastorale de ce pape-là. S'efforcer de suivre la doctrine et la pratique des saints ne devient pas automatiquement mauvais à partir du mo­ment où le saint considéré est un pape. Mieux que d'autres, les saints incarnent et manifestent des principes, un es­prit, une attitude qui chez eux sont substantiellement les mêmes à toutes les périodes de l'histoire. Les vêtements, les détails diffèrent ; le langage lui-même, du moins le vernaculaire, évolue rapidement, surtout quand il se défait, comme aujourd'hui. Quant à l' « expression » proprement « liturgique », il y aurait beaucoup à dire des changements qu'elle a subis depuis vingt ans, mais à quoi bon, tout en a été dit. Jean-Paul II semble vouloir essayer d'établir dans une certaine respectabilité et convenance les restes décomposés de la liturgie réformée de Paul VI : les céré­monies et célébrations dont on l'a régalé lors de ses quatre journées en France permettent d'avancer, en tout respect, l'opinion qu'un tel dessein risque fort d'être utopique. De toutes façons, Si l'intégrisme est bien le surnom donné aux idées, aux méthodes, à la pastorale de saint Pie X, et si tout cela comporte en surface un aspect passa­ger qu'il serait coupable, ou du moins regrettable, de vouloir transporter tel quel d'une époque dans une autre, il sera sans doute licite de remarquer de la même manière qu'il serait dommageable de « s'enfermer dans une (autre) période », celle de Paul VI, dont ni les formulations théologiques ni les expressions liturgiques n'ont reçu les promesses de l'éternité. 10:245 3\. -- Dans un récent article du *Monde* ([^3])*,* Émile Pou­lat suggérait une autre manière de considérer l'inté­grisme : « Le dernier numéro de la revue *Communio* rappelle cet axiome intangible : « *Le savant qui refuserait d'accepter comme norme de son étude...* \[Le « savant » dont il s'agit ici, comme l'indique le contexte, est celui qui l'est ès sciences ecclésiastiques : théologie, his­toire sainte, exégèse...\] ... *qui refuserait d'accepter comme norme de son étude ce que l'Église affirme d'elle-même manquerait son objet. *» « Point n'est besoin d'être « intégriste » pour défendre ce principe : il suffit d'être « catho­lique ». L' « intégrisme » c'est quand il entre en effervescence par suite de circonstances dé­favorables. » Considérer l'Église, accepter l'Église, l'aimer et la ser­vir *telle qu'elle se définit elle-même* est l'irrécusable principe catholique méconnu par les réformateurs et rappelé au XX^e^ siècle avec une force sans pareille par Charles Maurras. Dans cette perspective le terme d'intégrisme cesse d'être un sobriquet pour devenir un drapeau : il se réfère alors à l'*intégrité* et à l'*intégralité* de la doctrine catholique, par opposition aux tendances qui en altèrent ou en mutilent le contenu. Mais en quoi l'intégrisme se distingue-t-il ici du catholicisme ? En rien. *Point n'est besoin,* comme dit Émile Poulat, *d'être intégriste* pour tenir ferme à l'intégrité et à l'intégralité de la doctrine, sans altération ni mutilation : *il suffit d'être catholique.* Et pourtant il y a une différence sous un autre rapport. La fine remarque d'Émile Poulat, considérons-la bien : l'intégrisme, c'est le catholicisme, oui, mais *quand il entre en effervescence ;* et il entre en effervescence *par suite de circonstances défavorables,* disons : de circonstances hosti­les. 11:245 Quand il est aux prises avec des circonstances forte­ment contraires -- et quoi de plus contraire que le monde moderne, son libéral-socialisme, son obscurantisme spiri­tuel -- le catholicisme se laisse entamer ou entraîner, il s'amollit, il biaise, il s'adultère ; ou bien, pour rester lui-même, il réagit, il se raidit, il « se durcit », il entre en *effervescence,* et c'est là tout l'intégrisme. Je crois bien n'avoir jamais rencontré auparavant une qualification de l'intégrisme qui, sans une ombre de méchanceté ou d'in­justice, désigne avec autant de bonheur ce qu'il peut avoir d'agité : le catholicisme en état d'effervescence, à cause de circonstances hostiles. Le contraire de l'effervescence est le calme ou la tranquillité, grande vertu quand il s'agit de la tranquillité de l'ordre. Mais quelle tranquillité garder, comment rester calme quand les pires désordres s'installent jusque dans les sanctuaires ? Sans doute l'effervescence comporte elle aussi ses risques, ses dangers, ses excès. Cette effervescence qui défend contre le modernisme l'infaillibilité de l'Église ne doit pas se prendre elle-même pour infaillible. Et puis l'effervescence ne devrait normalement être qu'un état passager. Cependant le seul moyen de véritablement calmer une effervescence qui se prolonge serait de faire cesser les désordres qui la provoquent. Or il y a des désordres anciens et profonds, venus du monde et peu à peu entrés dans une Église affaiblie, qui vraisemblablement ne dis­paraîtront qu'avec la disparition (ou la conversion ?) du monde moderne ; leur permanence entraînera toujours une effervescence intégriste du catholicisme, une fièvre de dé­fense contre l'infection. Mais il y a aussi la face la plus récente de ces désordres, dont le plus insupportable est constitué par les *faux interdits :* l'interdiction de fait du catéchisme catholique, l'interdiction fictive de la messe traditionnelle, les suspenses injustes portées contre Mgr Lefebvre et contre plusieurs prêtres ([^4]). 12:245 Il est grandement regrettable que la levée de ces faux interdits ne paraisse toujours point considérée comme une urgence prioritaire. #### Trois remarques sur les droits de l'homme, l'évolution conciliaire et le concile lui-même 1\. -- LES DROITS DE L'HOMME. -- Jean-Paul II en parle habituellement par référence explicite à la « déclaration universelle des droits de l'homme » adoptée et proclamée le 10 décembre 1948 par l'assemblée générale de l'ONU. Sauf erreur, Pie XII n'avait jamais parlé de cette dé­claration. C'est Jean XXIII qui le premier la mentionne en 1963 dans l'encyclique *Pacem in terris :* « Nous n'ignorons pas que certains points de cette déclaration ont soulevé des objections et fait l'objet de réserves justifiées. 13:245 Cependant nous considérons cette déclaration comme un pas vers l'établissement d'une organisation juridico-politique de la communauté mondiale. Cette déclaration reconnaît solennellement à tous les hommes sans exception leur dignité de personne ; elle affirme pour chaque individu ses droits de rechercher librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les devoirs de justice, d'exiger des conditions de vie con­formes à la dignité humaine, ainsi que d'autres droits liés à ceux-ci. » Donc, la déclaration universelle des droits de l'homme faisait l'objet de *réserves justifiées.* Jean XXIII mention­nait ces « réserves » sans dire en quoi elles consistaient, ce qui enlevait toute portée pratique au rappel de leur existence. On ne peut même pas dire avec une certitude scientifique à quelles réserves en particulier il faisait ainsi allusion. Demeure néanmoins le témoignage : réserves *justifiées.* De 1963 à 1980, la déclaration de l'ONU n'a été en rien modifiée. Que sont devenues les « réserves » ? Ont-elles cessé d'être « justifiées » ? La doctrine du magistère a-t-elle changé ? En attendant une réponse éventuelle à ces questions, en fait de « réserves justifiées » nous maintenons les nôtres, celles que notre famille spirituelle oppose aux déclarations modernes des droits de l'homme. Ces réserves, objections et réfutations sont exposées dans notre opuscule *Les deux démocraties* et dans nos cours et conférences sur la loi naturelle ([^5]). Tout l'essentiel a été dit en résumé par l'éditorial d'Alexis Curvers dans notre numéro de juin. Nous aurons bien sûr à y revenir dans les prochains mois. 14:245 2\. -- DÉSAVEU DE L'ÉVOLUTION CONCILIAIRE TELLE QU'ELLE A ÉTÉ. -- Jean-Paul II dit en substance que le concile a été mal interprété et mal appliqué, à quoi il oppose « l'acceptation et l'application de Vatican II selon son contenu authentique » et l'intention de « réaliser le concile tel qu'il est et non comme certains voudraient le voir et le comprendre ». Cette position, qu'en France l'on pourrait nommer, pour faire court, la position Marcel Clément, n'est pas aussi réellement claire qu'on l'imaginerait au premier abord. Le concile en effet n'a pas été déformé par *certains* inconnus, anonymes, irresponsables et marginaux. Il a été interprété et appliqué par ceux qui l'avaient fait, il a été interprété et appliqué selon l'intention du législateur conciliaire, par le législateur lui-même. C'est l'épiscopat mon­dial, en union avec Paul VI, et non pas seulement la « si­tuation spéciale » de l'Église de France, qui a été le pro­moteur, le moteur, la cause, le garant et le protecteur de l'évolution conciliaire telle qu'elle est. On peut comprendre que Jean-Paul II n'aperçoive pas le moyen de mettre en cause utilement l'ensemble de l'épiscopat mondial, ou du moins les noyaux dirigeants qui ont colonisé ses nouvelles structures. Mais si l'on ne change pas l'orientation ac­tuelle de l'épiscopat, on ne changera rien à l'évolution conciliaire et à son processus de décomposition. Il apparaît que Jean-Paul II a choisi, soit définitivement, soit comme première étape, de transformer la mentalité épiscopale par la persuasion, la caresse, le copinage fraternel, en « travail­lant de plain-pied ensemble ». Nous attendions autre chose. Qu'en l'occurrence Jean-Paul II ait tort ou raison, sa lucidité ou son erreur n'est que pédagogique, que gouverne­mentale, que tactique, et cette démarche prudente n'aurait pas d'inconvénient majeur s'il n'y avait des urgences tou­jours pendantes : le catéchisme, la messe, la version tra­ditionnelle et authentique de l'Écriture, dont la plus grande partie du monde catholique demeure privée par son clergé conciliaire. 3\. -- UNE QUESTION FONDAMENTALE SUR LE CONCILE se situe ailleurs néanmoins. Aux évêques de France, Jean-Paul II a déclaré : 15:245 « Nous croyons que le Christ, par l'Esprit Saint, était avec les pères conciliaires, que le concile contient dans son magistère ce que l'Es­prit dit à l'Église. » On avait déjà lu une affirmation semblable une pre­mière fois dans l'encyclique *Redemptor hominis* et une seconde fois dans la lettre sur l'eucharistie. Si l'on croit vraiment que les textes conciliaires nous rapportent ce que l'Esprit a dit à l'Église, il fallait que les pères du concile attestent cette origine et annoncent cette foi certaine : par la note d'infaillibilité. Ils nous ont donné au contraire des déclarations atypi­ques par leur forme, leur contenu, leur indiscernable degré d'autorité. Il ne va pas de soi que l'on puisse aujourd'hui conférer après coup une sorte d'infaillibilité à des actes conciliaires qui ne voulaient en comporter aucune. #### La nécessaire levée des faux interdits Avec respect, avec patience, après la visite du pape Jean-Paul II en France, nous renouvelons l'expression de notre témoignage : malgré toutes les clauses de style of­ficielles sur les merveilleux résultats du concile, l'Église militante est aujourd'hui en décomposition. Elle se retrou­vera elle-même dans la sainteté ; et par voie d'autorité. La­quelle autorité manifestera pratiquement sa réapparition en recommençant à interdire dans son sein ce qui doit l'être ; et d'abord en commençant par cesser d'interdire ce qui jamais n'aurait dû être interdit. Jamais on n'aurait dû interdire aux prêtres la messe qu'ils ont été ordonnés pour célébrer : cette interdiction, sans valeur juridique ni morale, n'existe que par le poids sociologique de l'arbi­traire administratif. 16:245 Jamais on n'aurait dû, en bannissant le catéchisme du concile de Trente et le catéchisme de saint Pie X, empêcher la transmission des trois connais­sances nécessaires au salut : cette interdiction est nulle de plein droit. Jamais on n'aurait dû frapper d'interdit, en la personne de Mgr Lefebvre, la renaissance d'une Église missionnaire. Car l'Église missionnaire est celle qui, par la conversion, conduit *du monde moderne à la foi chrétienne.* C'est l'inverse d'une Église ouverte à tous vents, amenant les âmes à mépriser la foi traditionnelle et à se laisser déboiser par la démocratie moderne. Avec patience, avec respect, nous rappelons et répé­tons. -- Mgr Lefebvre n'est pas un rebelle. Toutes les con­damnations portées contre lui reposent sur un seul fonde­ment, sur le fait initial qu'il n'a pas accepté une première condamnation, celle de 1975. Tout a découlé de là : ne pas s'y être soumis et avoir aggravé son cas par la persé­vérance dans l'insoumission. Or cette première condam­nation n'a aucune existence juridique ni morale. Encore aujourd'hui, cinq ans après, on ignore par qui elle a été portée, on ignore qui en est l'auteur responsable : aucun document ne le mentionne. On soupçonne bien qu'en fait c'est Paul VI lui-même, mais clandestinement. Cette con­damnation initiale a eu pour incroyable procédure de convier Mgr Lefebvre à deux conversations amicales, lui dissimulant qu'en réalité il était convoqué comme accusé par des juges chargés d'instruire contre lui. C'est ainsi que Mgr Lefebvre n'a point été entendu avant d'être con­damné ; et qu'il a été condamné par un anonyme, dont rien ne permet de découvrir l'identité dans les textes officiels des sentences qui lui ont été notifiées ([^6]). Et c'est sur ce néant juridique que toute la suite a été vicieusement construite, y compris les soi-disant sanctions et suspenses. S'il s'était agi d'une simple cruauté disciplinaire ne lésant que ses commodités personnelles, Mgr Lefebvre aurait pu s'incliner devant l'injustice. Mais il s'agissait d'une pièce essentielle dans la machination administrative contre la transmission des connaissances nécessaires au salut et contre la célébration du saint sacrifice de la messe. 17:245 C'est pourquoi Mgr Lefebvre a continué et continue d'étendre son activité missionnaire selon les pouvoirs, droits et capacités qui étaient les siens après la fondation de son Institut et qui ne lui ont pas été validement ôtés. Il s'en est suivi une situation embrouillée et douloureuse. La seule issue est de déclarer la nullité des interdits arbitraires. Et d'en revenir aux normes fondamentales. Les normes fondamentales ? C'est qu'il n'est pas vrai que l'on puisse être validement exclu de la communion catholique pour le simple motif d'avoir formulé une opinion, fût-elle audacieuse ou téméraire, sur les orientations pastorales et l'esprit moderne de Vatican II et de Paul VI ; il n'est pas vrai que l'on puisse continuer d'appartenir à la communion catholique quand on n'adhère plus aux décisions dogmatiques de Nicée ou de Trente. Par une anomalie qui est une trahison, trop de détenteurs actuels de la succession apostolique admettent dans leur com­munion ceux qui estompent ou écartent les décisions dogmatiques de Nicée et de Trente, pourvu qu'ils pro­fessent une adhésion, au moins globale ou verbale, aux orientations non dogmatiques de Vatican II ; et ils chas­sent de leur communion ceux qui contestent les orienta­tions modernes de Vatican II mais professent tous les dogmes définis. C'est une « communion » d'un type nou­veau, suggérée par Teilhard, une communion humaniste, œcuménique, philanthropique, démocratique ou tout ce que l'on voudra, ce n'est plus la communion catholique. Les interdits prononcés pour instituer, défendre, imposer cette nouvelle communion n'ont aucune validité dans l'Église. Nous l'avons dit à la fin du règne de Paul VI, quand il déclarait, au printemps 1978 : -- Mon pontificat s'achève. Nous avons rappelé qu'à la fin du sien Pie XI était convain­cu qu'il lui fallait lever l'interdit injuste porté contre l'Action française : à force de remettre au lendemain, il n'en eut pas le temps ; la levée de l'interdit, pratiquement sans conditions, fut l'un des premiers actes de son succes­seur Pie XII. A plusieurs égards foncièrement différente, l' « affaire » dite de Mgr Lefebvre et des « traditiona­listes » est analogue en ceci : il n'y a pas d'autre issue. Plus on attendra, plus seront profondes les blessures faites à l'Église, et plus avancée la décomposition du tissu catho­lique. 18:245 Sans doute il demeurera de toutes façons beaucoup de questions pendantes : mais elles commenceront à pouvoir être traitées utilement à partir du moment où sera reconnue la nullité des interdits contre la messe, contre le catéchisme, contre la personne de Mgr Lefebvre et contre les prêtres qu'il a formés et ordonnés en vue d'un prin­temps nouveau de l'Église. Dans cette attente, nous redisons avec Alexis Curvers : « Veuille Dieu faire du pape Jean-Paul II l'instrument du salut, en lui accordant la triple grâce d'une foi savante comme celle de Jarre, profonde comme celle de la veuve de Naïm, passionnée comme celle de Marthe, en un mot toute-puissante contre la mort. » Jean Madiran. 19:245 ### Très Saint Père n'ayez pas peur On a pu le constater avant comme après le voyage en France du pape Jean-Paul II : diverses considérations et opinions, parfois sé­rieuses et de poids, et qu'il n'y a pas lieu de mépriser, ont cepen­dant pour résultat excessif de multiplier les fractionnements super­flus, les divisions malencontreuses, les querelles qui s'enveniment. En sens résolument contraire, plusieurs catholiques français ont voulu prouver le mouvement en marchant, et montrer que des démar­ches communes demeurent possibles sur des points essentiels. L'adresse au saint-père que l'on va lire est une démarche de laïcs, en toute indépendance de chacun dans la même communion catholique. 20:245 *Très Saint Père,* *A travers la pluie et les nuages qui ont accompagné votre voyage en France, les catholiques français ont reçu de votre présence et de votre parole le rayon de soleil qui leur rendait l'espérance. Ils tiennent à vous en exprimer leur filiale et* respectueuse *reconnaissance.* *Ils ne doutent pas que dans la liturgie officielle de l'Église de France que vous avez tenu à obser­ver par égard pour nos évêques, vous ayez perçu la anse profonde du désarroi des fidèles français. A Notre-Dame, à Saint-Denis, au Bourget, à Lisieux, ceux-ci souf­fraient de l'image qui vous était im­posée de leur catholicisme.* *Dans les messes que vous avez célébrées, ils étaient tous unis der­rière vous quand vous chantiez le Credo et quand vous distribuiez vous-même la communion. Ils se sentaient séparés de vous et d'eux-mêmes par le massacre liturgique auquel se livraient les organisateurs des célébrations.* *Nous permettrez-vous, Très Saint Père, d'emprunter vos propres pa­roles pour vous dire :* « N'ayez pas peur ! » *Rendez à l'Église de Fran­ce la messe, la liturgie, les sacrements, les prêtres, les séminaires, le catéchisme, et vous retrouverez la fille aînée de l'Église fidèle aux vœux de son baptême. Notre espé­rance demeure. Nous la remettons entre vos mains, pour notre salut et celui de l'Église de France.* 21:245 Cette adresse au souverain pontife a été présentée par : Jean AUGUY -- Yann CLERC -- Geor­ges DAIX -- Pierre DEBRAY -- Édith DELAMARE -- Jean MADIRAN -- Ro­main MARIE -- André MIGNOT -- Jacques PERRET -- Michel de SAINT PIERRE -- Louis SALLERON -- Henri SAUGUET -- Gustave THIBON. Elle a obtenu en outre les signatures de : Amiral AUPHAN -- Jean BORELLA (Uni­versité Nancy II) -- Duc de CASTRIES (de l'Académie française) -- Yvan CHRIST -- Michel CIRY -- Michel DÉON (de l'Aca­démie française) -- Jacques DHAUSSY -- Michel DROIT (de l'Académie fran­çaise) Monsieur et Madame M. DURU­FLE (organistes à Saint-Étienne du Mont) -- Jean DUTOURD (de l'Académie fran­çaise) -- André FIGUERAS -- Roland GAUCHER -- Bernard GAVOTY (de l'Institut) 22:245 -- Ivan GOBRY (Université de Reims) -- Professeur GRASSE (de l'Institut) -- Christian LANGLOIS (de l'Institut) -- Dr Paul ORSONI -- Jean RASPAIL -- Dr ROUAULT de la VIGNE -- Gilbert TOUR­NIER -- Raymond TRIBOULET -- (de l'Ins­titut) -- Gérald VAN DER KEMP (de l'Ins­titut) -- Jacques VIER -- Doyen Jean de VIGUERIE (Université d'Angers). 23:245 ## CHRONIQUES 24:245 ### Comment la France se socialise par Louis Salleron TOUTES les grandes transformations politiques ont une double cause : la première, spirituelle ; la seconde, matérielle -- avec interaction per­manente et réciproque de l'une sur l'autre. A long terme, c'est toujours la première cause qui est la plus importante ; à court terme, c'est la seconde. Dans tous les pays, la progression du socialisme est l'effet de ces deux causes. On le vérifie en France depuis de longues années. Nous appelons « spirituelle » la cause qui agit sur l'esprit humain. Elle peut être de la plus haute qualité, méritant ainsi pleinement l'épithète. Plus souvent, elle est la corruption d'une vérité, devenant alors « idéologique ». L'idéologie qui est à la racine du socialisme est l'égalité, corruption de la justice. 25:245 M. Giscard d'Estaing, qui se flatte de défendre la liberté par son libéralisme avancé, est en réalité dominé par l'idéologie égalitaire. Il ne cache pas que son modèle est le régime suédois, lequel combine une production capitaliste avec une répartition socialiste. Après des résultats spec­taculaires, facilités par les données géopolitiques du pays, ce régime vient d'exploser et va devoir procéder à des révisions déchirantes. Notons, d'ailleurs, qu'un pays com­me la Suisse, qui lui est à bien des égards comparable, bénéficiait, dans une liberté bien supérieure, d'une égalité non moindre. Nous avons cité, il y a quelques années, les propos dépourvus d'ambiguïté que notre président tenait aux jeunes républicains indépendants. S'adressant à eux, le 5 mai 1973, il leur disait : « Une société homogène doit avoir un impôt unique, et on doit commencer à le réaliser à la fois par les hauts revenus et les bas revenus. » Il préconisait « un régime de protection sociale de base unique pour tous les Français », car « il n'y a aucune raison pour que, dans une société homogène, le niveau de protection sociale de base varie en fonction de la nature de l'activité professionnelle » ([^7]). Nous commen­tions : « Vouloir une société homogène, ne respectant pas la variété des activités professionnelles, et nivelant tout par l'argent à partir de l'impôt unique et d'une protection sociale de base également unique, c'est vouloir faire de l'État le robot tout-puissant destructeur de la liberté au nom de l'égalité et de la sécurité. » L'idéologie de l'égalité postule celle de l'organisation rationnelle qu'évoque le vocable reçu de technocratie. Nos technocrates sortent, soit de l'École nationale d'adminis­tration, soit de l'École polytechnique, quand ils ne cumu­lent pas les diplômes de ces deux honorables institutions. Formés par les mathématiques et le juridisme au service de l'État, ils sont très savants, très intelligents et d'une haute conscience professionnelle. Mais la réalité sociale leur échappe. Quand ils font une « option, politique », c'est encore celle d'une idéologie qui ne fait que coiffer le particularisme de leur idéologie technocratique. Sous des étiquettes différentes, leur pensée est la même. C'est ainsi que si vous lisez les articles de M. Jacques Attali et ceux de M. Christian Stoffaes, vous ne pouvez savoir, tant qu'ils ne vous l'ont pas dit, que l'un est socialiste, conseiller de François Mitterrand, et l'autre libéral avancé. 26:245 Là encore, nous nous excusons de rappeler les propos tenus par ce dernier dans le numéro de l'été 1974 de *La Jaune et la Rouge* (bulletin des polytechniciens). Prônant le mythi­que « impôt négatif », il convenait des difficultés de sa mise au point, notamment à cause de « la part *encore* im­portante de non-salariés ». Il gardait bon espoir à cause du rythme de l'évolution économique. « Mais, disait-il, il faudra néanmoins *encore quelques années* avant que cela ne se résolve. » ([^8]) Ainsi, pour Christian Stoffaes, libéral, non socialiste, le but à atteindre est une société composée uniquement de salariés, dont les revenus et les activités pourraient être, du fait de leur condition, intégralement contrôlés et diri­gés par l'État. Ce n'est même plus du socialisme, c'est du communisme. Mais pour lui c'est la liberté puisque c'est la soumission nécessaire à la science et à la raison. Tel est le climat idéologique dans lequel vivent les Français depuis 1973. Étonnons-nous des progrès géants réalisés pendant ce temps par le socialisme ! \*\*\* A la cause spirituelle s'ajoute la cause matérielle. Celle-ci est d'abord tout simplement le *progrès technique.* Pour ne pas remonter au gouvernail et au collier de cheval, disons que la révolution industrielle a engendré le monde moderne. Le développement du machinisme et de l'énergie a bouleversé les structures sociales. En lui-même le progrès est neutre. Il n'aboutit qu'à la croissance de nos pouvoirs sur la nature. Mais si « le corps agrandi de l'humanité » ne trouve pas ce « supplé­ment d'âme » qu'il exige, selon Bergson, il tend à favoriser le matérialisme en même temps que le rationalisme. Ce qu'il n'a pas manqué de faire. Le socialisme en est né, légitime protestation à l'ori­gine contre les injustices du capitalisme libéral institué par la Révolution française, puis peu à peu revendication égalitaire que la démagogie, inhérente à la démocratie, allait nourrir indéfiniment. 27:245 Les *mécanismes* de la socialisation se sont mis en place par l'évolution spontanée de la société. Quand la majorité de la population a viré de l'indépendance -- paysanne, artisanale, commerciale et intellectuelle -- au salariat, la désignation par l'élection des détenteurs de la souveraineté nationale a donné le Pouvoir légal au socia­lisme. Celui-ci a peu à peu rongé les pouvoirs subordonnés de la société, dans les régions, dans les professions, dans les coutumes et dans les mœurs, traquant toutes les liber­tés dans les derniers remparts de leurs propriétés. L'auto-allumage de la socialisation se fait surtout, maintenant, par l'*inflation* qui, engendrant une formidable inégalité entre ceux qu'elle ruine et ceux qu'elle enrichit, suscite du même coup l'intervention de l'État pour insti­tuer une nouvelle égalité par d'incessantes mesures fis­cales et sociales qui réduisent à la condition salariale les derniers indépendants, augmentant la richesse des plus riches (difficiles à atteindre), convertissant en misère la pauvreté des plus pauvres (dont l'épargne est dévorée), raccourcissant l'échelle des salaires au-delà de la justice et au détriment du bien commun, favorisant enfin la des­truction du civisme et des mœurs dans tous les domaines. Face à cette anarchie, la loi est impuissante. Elle dis­paraît, d'ailleurs, avec le législateur, parlement devenu chambre d'enregistrement des décisions du Pouvoir prési­dentiel. S'abritant derrière des lois incompréhensibles ou ambiguës, fleurissent les décrets, les arrêtés et les circu­laires qui, par milliers, entendent régler la multitude des cas particuliers à coup d'obligations, d'interdictions, d'exemptions, de subventions, de privilèges, de pénalités, que nul n'est en mesure de connaître et qui rendent l'Ad­ministration maîtresse de nos destins. Mais l'Administration ne peut toucher que ceux qui ont une activité normale et ne disposent pas de la pro­tection des puissants pouvoirs parallèles incrustés dans l'État, ceux de l'argent, du syndicalisme et des mass media. La liberté se réfugie dans le travail noir et le capital noir, créateurs de richesse ou sauvegarde de l'avenir, mais facteurs d'immoralité et de nouvelle inégalité qui, une fois encore, suscitent des mesures égalitaires de répression n'atteignant que les maladroits ou les malchanceux, et provoquant chez tous l'inquiétude, l'irritation, la révolte et une certaine aspiration diffuse à la catastrophe « pour en sortir ». 28:245 Il serait intéressant de démonter, secteur par secteur, région par région, profession par profession, selon l'âge, la situation sociale et familiale, l'état de santé, etc., les mécanismes concrets du processus de socialisation. Une telle étude serait précieuse pour le jour où les conditions seront réunies qui rendront possibles les réformes né­cessaires. Avec Simone Weil nous pouvons dire : « Après l'écroulement de notre civilisation, de deux choses l'une : ou elle périra tout entière, comme les civilisations antiques, ou elle s'adaptera à un monde dé­centralisé. « Il dépend de nous, non pas de briser la centralisation (car elle fait automatiquement boule de neige jusqu'à la catastrophe), mais de préparer l'avenir. » Louis Salleron. 29:245 ### Un tour en France par Bernard Bouts J'AVAIS PASSÉ quelques jours à Paris en 1973 et n'y revins qu'en 1980. Alors les amis m'ont demandé « Qu'en pensez-vous ? qu'y a-t-il de changé ? avez-vous vu le Centre Pompidou ? quel effet vous a produit le métro en grève ? et l'art, les galeries ? le théâtre ? le ciné­ma ? la politique ? la culture ? » C'étaient les amis de Paris bien sûr, parce que ceux du Brésil ne m'ont posé aucune question à mon retour, occupés qu'ils sont avec *leur* politique, *leur* culture, *leur* art, *leur* métro... A vrai dire je n'ai pas vu grand chose à Paris, si ce n'est une bonne douzaine d'éditeurs, pour un livre, mais ils n'avaient pas besoin de mon livre, j'aurais dû m'en douter. Oh ! ils n'ont pas été méchants, ils m'ont même remercié de la visite, mais ils ne voulaient pas de mon livre ! Et moi qui le trouvais si bien, un livre d'images représentant mon travail de ces cinquante dernières an­nées ! Bref je fus treize fois mis à la porte poliment (et une fois brutalement) et je me retrouvais dans la rue, ma maquette sous le bras, les photos dans une sacoche et j'allais prendre un café. Paris n'a pas changé à ce point de vue : on va prendre un café quand on n'a rien à faire. C'est le contraire du Brésil où les gens vont prendre un café quand ils savent très bien ce qu'ils ont à faire, mais qu'ils attendent l'heure d'être en retard. 30:245 A part les éditeurs j'ai voulu profiter de mon séjour pour me mettre au courant, me « recycler » comme on dit, au sujet de mon métier de peintre et j'ai arpenté la rue de Seine et quelques autres dans le Quartier, et aussi Rive Droite ; eh bien je n'étais pas satisfait, parce que tout ce que j'ai vu dans les galeries me paraissait modal, fragmentaire et même commercial, c'est-à-dire condition­né, cloisonné, soit par une mode, soit par une recherche, soit par des nécessités commerciales. Ainsi j'ai vu défiler toutes les tendances, celle de pointe étant actuellement le « Super-Réalisme ». Il est en général remarquablement peint, presque en camaïeu quoique bien supérieur aux essais du XVIII^e^ siècle, et cependant je sentais une absence et vous me permettrez de ne pas vous dire tout ce que j'ai médité à ce sujet, paresseux que je suis en écriture. Pour le reste, on comprendra que je ne m'attarde pas au surréalisme, au néo-impressionnisme ou au néo-fauvis­me. J'ai quand même vu des tableaux dits « non figuratifs » extrêmement bien composés, couleur et forme, éla­borés et soignés dans les coins, mais je suis ailleurs. J'ai été aussi au « Centre Pompidou » pour y voir les œuvres de jeunesse de l'homme « qui avé la moustache la plou grande dou monde ». Dès l'entrée j'ai aperçu des quantités de salamis de six mètres pendus au plafond pour habituer, m'a-t-on dit, les étrangers à prononcer le français : « bon jour sans souci, à combien sont ces six saucisses-ci ? » La foule des visiteurs, avides d'apprendre, répétait en chœur : « ces six saucisses-ci sont six sous » dans les accents les plus divers, grâce à quoi ce centre didactique, protégé par un si grand nom, est bien l'ex­pression de notre époque, on en sort intelligent, même si ces saucissons ne sont peut-être que des andouilles, qui sait ? Pour l'extérieur du bâtiment les uns m'assurent que c'est admirable, à rapprocher de l'Enfer de Gérôme Bosch, et les autres le traitent avec mépris de « raffinerie sans pétrole », comme si une raffinerie devait être nécessaire­ment laide ? A la vérité ce n'est pas gai gai gai, mais ne sommes-nous pas adultes ? fi des contorsions ! à nous les tubes fonctionnels ! on a réponse à tout, je te repasse le tuyau ! 31:245 Je déjeunai sur la place et je fus sans doute le millio­nième à demander au garçon : « et vous, qu'en pensez-vous ? » -- « C'est, me répondit-il, Monsieur, un stand de foire très bien monté pour attirer la pratique, maintenant que le musée Grévin et la Tour Eiffel datent un peu. » Dans mes déambulations je n'oubliai pas un court pèlerinage à ce coin de la rue de Fleurus où j'ai habité dans ma jeunesse. Dans ma jeunesse j'ai habité aussi à Versailles, j'y suis même né, et en Bretagne, et en Cham­pagne Pouilleuse, et je suis retourné, cette fois, visiter tous ces lieux plus ou moins chéris, mais je dois avouer à ma honte que rien de ces paysages et des maisons et mai­sonnettes n'a éveillé en moi la moindre émotion. Je les voyais comme on regarde un album de photos jaunies. Hélas, je suis un monstre. Par contre j'ai eu du plaisir à revoir les gens, vivants et morts (car on serait bien ingrat et stupide de visiter les amis, parents et connaissances sans faire un tour au cimetière, mais il me fallut le faire parfois presque en cachette, sauf en Bretagne où cette courtoisie est toujours de mise, grâce à Dieu !) Les vivants, bons vivants, ont été charmants, et à côté des trous de mes longues absences nous arrivions à nous entendre sans avoir trop à dire : « tu te rappelles ? » parce qu'on ne se souvient pas nécessairement des mêmes choses et il faut faire un effort pour restituer des événe­ments qu'on ne savait que par lettres mais qu'on n'avait pas vu « de visu », comme ce garçon qui me dit : « j'ai sept enfants ». Bien sûr, lors de mon dernier voyage, il y a sept ans, il n'en avait qu'un, et j'en étais resté là ! Le Caporal, l'illustre, toujours les pieds sur la terre mais la tête au ciel me dit : « Nous avons pris un bon coup de vieux l'un et l'autre ; moi, je perds la mémoire. » Ce n'était pas mon avis, mais allez donc contredire un tel homme ! Il me semble que nous vieillissons, lui et moi, normalement, si ce n'est aisément, et son histoire de mé­moire n'est qu'une feinte pour mieux laisser courre l'étourderie ; lorsque les expériences s'accumulent avec l'âge, nous profitons de la distraction pour éliminer ce qui nous gêne, laissant apparaître une certaine négligence dans nos rapports semés de points de suspension... 32:245 Sortant de ce restaurant russe où le géant moustachu semblait battre la mesure, la mignonne fillette jouait à cache-cache avec son jeune père, entre les convives occu­pés aux salamalecs du départ, dans la ruelle déserte ; je croyais voir Camille ou Madeleine et avec elles, toutes les petites filles bien élevées, il n'y en a plus tant... Ce sont des riens, certes, mais je les garde, et par contraste vous pouvez deviner jusqu'à quel point les lour­deurs me choquent : au moment même où j'écris ces lignes la radio me déverse je ne sais quel duo pesant, (si encore c'étaient des cornemuses !) qui me fait repenser à cet homme s'écrasant un pied avec l'autre et s'écriant : « oh ! que ça fait mal ! » Eh bien j'arrête la radio et je reviens au boulevard Saint-Germain où je vis certain soir des bateleurs transparents, aériens, prodigieux dans leur hu­manité simple, dansant et sautant au son d'un orgue de barbarie tout neuf, faisant des tours avec aisance, se rigo­lant, jonglant avec des balles de tennis, avec des bouteilles, avec des torches, imitant des automates, et faisant enfin jouer le public, Roméo et Juliette, très finement. Voilà, vous avez voulu savoir ce que je remporte de Paris, mon cher ami, c'est ça, sans compter des dizaines de tickets-reçus qu'ils m'ont rendus dans leurs sacrées boutiques. Après, après les démarches vaines mais les bons dîners, après tant d'amitiés retrouvées, il fallut repartir. Le géant russe me conduisit, de peur que je ne me trompe d'aéro­port, et l'après-midi ou le soir (sait-on jamais dans ces avions ?) somnolant entre les nuages, je me demandais si j'étais content ou triste de quitter Paris, de retrouver Rio, ou les deux, ou rien des deux ? Il est vrai qu'à partir d'un certain âge une pointe de tristesse nous accompagne partout, sans bien en savoir la cause. C'est peut-être le regret des temps passés mais plutôt, je crois, celui de n'avoir pas été juste en tout et la crainte de ne plus pou­voir rattraper. Bref je me posais des questions auxquelles je ne savais répondre, et ce n'est que le lendemain, voyant le grand soleil et les arbres de mon jardinet, que je sentis combien on s'attache, si détaché soit-on, à l'ambiance dans laquelle on travaille depuis longtemps. Bernard Bouts. 33:245 ### Pages de journal par Alexis Curvers OCTOBRE 1979. -- La presse belge publie une lettre que l'avocat Michel Graindorge vient d'adresser à la Ligue des droits de l'homme : « ...Le code pénal doit d'urgence remplacer la majorité des peines de prison par des mesures non privatives de liberté, permettant un réel dialogue entre les délinquants et les victimes. » C'est l'assurance d'un monde meilleur, puisque les dé­linquants en liberté, pour se donner enfin le plaisir de dialoguer avec leurs victimes, commenceront évidemment par ne plus les assassiner. On savait déjà que M. Graindorge est un grand cœur. On voit maintenant que c'est un grand esprit, bien digne que toute la gauche s'ameute pour le tirer de la prison d'où on le soupçonne d'avoir fait évader l'un ou l'autre assassin, inopportunément condamné à des peines priva­tives de dialogue. \*\*\* 34:245 Janvier 1980. -- Mon bon vieux *Dictionnaire général de biographie et d'histoire* (etc.) en deux gros volumes, dixième édition « entièrement refondue par M.E. Darsy » (Delagrave, 1889), à l'article *congrégation,* comptait sous Léon XIII jusqu'à dix-neuf congrégations romaines, cha­cune ayant pour *préfet* le pape ou un cardinal. De ce nombre était la *Congrégation* « *de l'examen des évêques *»*.* Faut-il comprendre qu'elle examinait les évê­ques (génitif objectif), ou qu'elle veillait à ce que les évêques s'examinassent eux-mêmes (génitif subjectif) ? On voit assez qu'elle a maintenant cessé d'exercer l'une et l'autre fonction. Plus rien n'en rappelle l'existence ni seulement le titre, bien que mon dictionnaire la nom­mât encore, il y a moins d'un siècle, parmi les dix-neuf congrégations *permanentes.* Resterait à savoir quand, pourquoi et comment cette permanence a pris fin, au terme d'une de ces évolutions silencieuses dont les causes ne se révèlent que par leurs effets. \*\*\* Excellent article de Louis Salleron dans *De Rome et d'ailleurs* (n° 7, janvier 80) : « Après les sanctions prises contre le P. Pohier, o.p. Le problème de la liberté intellec­tuelle dans l'Église. » J'y remarque, entre beaucoup d'au­tres, ce passage à méditer : « On définit souvent la politique comme l'art du pos­sible. Ce n'est pas faux, mais la définition qu'en donne Canovas del Castillo est beaucoup plus belle et plus profonde : « La politique est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire. » Un gouvernement qui voit bien ce qui est nécessaire ne doit pas rendre ce nécessaire impossible. » Il me semble que nos gouvernements actuels, non contents de rendre le nécessaire de plus en plus impos­sible, font tout ce qu'il faut pour rendre l'impossible finalement nécessaire. Combien d'hommes sur la terre, combien de peuples entiers sont d'ores et déjà réduits à vivre dans des conditions où la vie même n'est plus possible ! \*\*\* 35:245 Grande nouvelle. -- Washington, mardi 1^er^ janvier 1980 (A.F.P.). A la télévision américaine, « le président Carter a accusé, lundi, M. Brejnev de ne pas dire la vérité au sujet de l'Afghanistan... Il a déclaré que M. Brejnev lui avait donné des explications « manifestement fausses »... sur l'engagement soviétique dans le coup d'État en Afgha­nistan... Il a cité la réponse de M. Brejnev à sa protestation envoyée vendredi par le téléphone rouge au Kremlin : M. Brejnev « a affirmé qu'il avait été invité par le gouverne­ment afghan à venir protéger l'Afghanistan contre une menace étrangère », a déclaré le président Carter. « C'est manifestement faux, parce que la personne qui selon lui l'a invité, le président Amin, a été tué ou assassiné après que les Soviétiques eurent réalisé leur coup. » « Le président Carter a répété que cette intervention soviétique avait « bouleversé son opinion » sur ce qu'il croyait être les « buts poursuivis » par l'U.R.S.S. depuis qu'il a pris ses fonctions. » L'agence A.F.P. ne dit pas s'il reste quelques Améri­cains capables d'assez de bon sens pour que ce discours télévisé ait « bouleversé leur opinion » sur les facultés mentales du président qu'ils ont élu. Ceux-là doivent tout au moins se reprocher de n'avoir pas pensé plus tôt à lui offrir les œuvres complètes de Lénine, lequel annonçait haut et clair, dès avant 1917, les « buts poursuivis » par le communisme, à savoir la domination du monde, et en­seignait l'art d'y parvenir par tous les moyens, en premier lieu par le mensonge. Tous les successeurs de Lénine ont eu beau professer la même doctrine et employer la même méthode, et toujours avec le plus grand succès, les princes qui nous gouvernent en sont chaque fois pareillement sur­pris. Le temps de se remettre de leur étonnement, et les revoilà tout disposés à croire à la bonne foi des communistes, lesquels mettent ce temps à profit pour leur pré­parer, en les rassurant, de nouvelles surprises aussi im­prévues que les précédentes. 36:245 Un homme prévenu en vaut deux, disait-on. Mais que sert de prévenir des hommes qui n'en sont plus ? \*\*\* L'aimable Marchais revient de Moscou avec un large sourire, tout rayonnant de triomphalisme stalinien. Il n'en a pas fallu moins pour inquiéter un peu la presse occi­dentale, et lui donner le courage de s'avouer enfin que « le P.C. français porte un rude coup à l'eurocommunis­me ». Quels autres rudes coups faudra-t-il pour crever cette baudruche de l'eurocommunisme, qui n'a jamais été nulle part autre chose qu'un gadget publicitaire, fabriqué à Moscou pour attirer du monde au rayon des farces et attrapes ? \*\*\* Février 80. -- Je suis un peu triste mais non très éton­né d'apprendre par Louis Salleron (dans *l'Aurore* du 21 février) que Paul VI est mort « abandonné de tous ». Ses funérailles, à la télévision, m'avaient paru baigner dans une étrange grisaille d'indifférence, de froideur et d'ennui. Telle est la fin que se préparent habituellement les hommes qui ont trop voulu plaire au monde, à tout le monde. \*\*\* Un journaliste courageux adresse à un éminent chef d'État occidental cet avertissement : « Vous finissez par attacher, contre votre volonté, le wagon France au convoi soviétique. » Peu importe qu'il s'agisse de la France. L'avertisse­ment serait également de mise dans les autres pays d'Eu­rope occidentale, dont tous ou presque tous les gouvernements commencent ou finissent par faire exactement ce que la Russie soviétique attend d'eux. 37:245 Seulement, je ne crois pas que ce soit *contre leur volonté.* C'est tout au plus contre leurs discours, peut-être même contre leurs illusions. La volonté profonde et réelle d'un homme, quoi qu'il en dise ou qu'il en pense, est bien celle que traduit son action. Le même journaliste prend soin de reconnaître à son chef d'État une « intelligence hors série ». Compliment d'usage ou précaution oratoire, l'erreur est néanmoins patente. Un homme qui croirait avoir des raisons d'agir contre sa volonté n'est pas un homme intelligent, mais tout au plus un habile homme. \*\*\* On a beaucoup parlé des crimes de la colonisation. Ils sont indéniables en effet. On parle beaucoup moins des crimes de la décoloni­sation, qui sont plus indéniables encore. Ce sont d'ailleurs les mêmes, à ceci près que l'horreur s'en est fortement aggravée, sous le règne des nouveaux colonisateurs que la décolonisation a eu pour but et pour seul effet de substituer aux anciens. \*\*\* Bonne représentation de *Georges Dandin,* ce dimanche 2, sur F 3. Les rôles de paysans y sont joués au naturel, les personnages d'aristocrates caricaturés à souhait, odieux et ridicules juste assez pour amener l'anachronisme du *Ça ira* au son duquel le rideau tombe. Il faut bien que tout finisse par des chansons. Et les chansons révolution­naires jouissent d'un privilège d'immortalité qui ne les rend déplacées dans aucun siècle passé ni futur. 38:245 *Madam' Veto avait promis -- De faire égorger tout Paris*. Cela se chante encore. La promesse a bien été tenue. Mais elle le fut par Robespierre et ses amis, qu'on ne s'est jamais permis de chansonner pour si peu. Le tsar Nicolas et toute sa famille massacrée font piètre figure sur tous les écrans où on ne se lasse pas de les ressusciter pour leur honte. Le seul Staline, tant mort que vivant, échappe à tout risque de lèse-majesté. Devant son profil dessiné par Picasso lui-même avec une familia­rité insuffisamment protocolaire, le monde entier se voile la face, tremble et demande pardon. \*\*\* Les nombres 3 et 4, symbolisant respectivement le ciel et la terre, composent par addition le 7 et par multipli­cation le 12, qui est ainsi le plus parfait des nombres nombre chrétien par excellence, où toutes les virtualités de la terre et du ciel s'interpénètrent, s'embrassent et se fécondent les unes par les autres. Jésus désigne d'autorité les douze Apôtres qu'il a choi­sis lui-même. Ceux-ci n'appellent à leur aide que sept diacres qu'ils font élire par l'assemblée. Grande leçon de politique. Les peuples devraient élire leurs administrateurs et leurs fonctionnaires, et laisser au ciel ou à ses délégués le soin de leur donner des chefs d'État légitimes. Ce serait précisément le contraire du système en vigueur dans les sociétés modernes, où tout marche de travers et va de mal en pis. Quant au mode de dévolution des pouvoirs suprêmes, le simple tirage au sort, dont le droit de naissance n'est qu'une variante, serait beaucoup plus sage et moins aléa­toire que le suffrage universel, lequel d'ailleurs n'est lui-même autre chose qu'un tirage au sort, mais tempéré par le mensonge. \*\*\* 39:245 Des Français, justement fiers d'un glorieux passé, conti­nuent à parler d'une « mission divine de la France », comme si tous les peuples n'en auraient pas une également divine. Le tout est de voir comment ils s'en acquittent, la France et les autres, chacun selon sa vocation et ses moyens propres. Il ne suffit pas d'être appelé pour être élu, c'est-à-dire pour se montrer et rester digne d'avoir été appelé. Que si la mission particulière d'un peuple était plus divine que celle des autres, elle ne pourrait consister qu'à entraîner ces autres, par le conseil et par l'exemple, à remplir chacun la sienne. Tels ne semblent être aujour­d'hui l'exemple ni le conseil d'aucun peuple. Je le dis à regret : les missions trahies ne sont pas un titre de gloire. \*\*\* Mars 80. -- M. Raymond Ruyer le dit fort bien : « Chez presque tous les pédagogues, il y a un démagogue qui sommeille. » Il faut ajouter que chez tous les démagogues, il y a un dictateur qui s'éveille. On commence par la créativité, le libre épanouissement de la personnalité de l'enfant, l'égalité des chances pour tous, l'éducation sexuelle et autres attrape-nigauds de l'école soi-disant non directive (en réalité dirigée d'une main de fer) ; on continue par l'abêtissement universel ; et on couronne le tout par la dynamique de groupe, le lavage des cerveaux et la terreur. *Émile* est mûr pour le goulag. Alexis Curvers. 40:245 ### Le mythe de la "condamnation conjointe" *dans les rapports d'Amnesty* par Hugues Kéraly UNE ILLUSION TENACE fait croire aux militants des droits-de-l'homme, et, avec de plus graves consé­quences, aux puissances établies dans l'opinion, qu'*Amnesty International* distribue « équitablement » ses coups sur l'échiquier politique des nations : «* Parce que la liberté d'opinion appartient à tout le monde, Amnesty International n'appartient à personne. *» Un coup à droite, un coup à gauche, sans acception de gouvernements, telle est l'image de marque, et la noble façade de l'organisation. Mais ce qui reste vrai sans doute dans l'intention des militants se révèle faux à tous les autres points de vue. Et faux d'abord dans *l'analyse des textes,* aussi bien quantitative que qualitative. A tel point que les progrès du communisme dans le monde semblent pavés chaque jour davantage des « bonnes intentions » de cette justice humanitaire, où les mensonges mêmes de la propagande du Parti ont su pénétrer. -- L'enquête impose d'entrer ici dans quelques précisions. \*\*\* 41:245 La revue *Confidentiel* a donné dans son premier nu­méro ([^9]) un tableau de répartition des publications d'*Am­nesty* durant l'exercice 1976-1977, d'après le « Rapport 1977 » de l'organisation ([^10]). Ce calcul fait apparaître au premier coup d'œil une énorme disproportion quantitative entre les travaux consacrés aux violations-des-droits-de-l'homme en pays communistes et ceux qui s'en prennent au reste de l'univers : sur dix-neuf titres exactement, *deux* mettent en cause des républiques du bloc socialiste (Yé­men du Sud et R.D.A.), tandis que les *dix-sept* autres s'étalent de l'Argentine à la Turquie, en passant par Ceylan, le Chili, la Corée du Sud, l'Espagne, la Grèce, le Guatemala, l'Indonésie, l'Iran (de 1977), le Maroc, la Namibie, le Nicaragua (id.), le Pakistan, le Paraguay, les Philippines et Taïwan... Soit 89,5 % des brochures d'*Am­nesty* destinées à confondre les pays non communistes ([^11]), pour une période qui fut celle des plus grands massacres colonisateurs du communisme en Afrique et en Asie. -- La proportion semble un peu moins scandaleuse dans les publications signalées par le « Rapport 1979 » paru en mars 1980, où ce même calcul donne 30 % des titres au passif de la barbarie communiste (Chine, Éthiopie et Co­rée du Nord), contre 70 % pour les nations du monde civilisé. Mais chacun comprend hélas que même en inver­sant ces pourcentages de condamnations, nous restons encore loin de la juste mesure imposée par les faits. Le même déséquilibre abyssal se manifeste à qui sur­vole la situation des « prisonniers et droits de l'homme », pays par pays, dans les volumineux rapports annuels de l'organisation. Ainsi, le *Kampuchéa Démocratique* (Cam­bodge) se voit-il attribuer une page et demie, sur deux cent cinquante-huit, dans le « Rapport 1977 » d'Amnesty où le Chili en encaisse trois, l'Argentine quatre et l'Afrique du Sud huit en comptant ses avatars de Namibie. Et c'est en plein cœur du génocide cambodgien que le rapporteur humanitaire ose déclarer : 42:245 « Le 28 février 1977, *Amnesty International* a écrit au président Khieu Samphan POUR LUI FAIRE PART DE SON INQUIÉTUDE AU SUJET DES CIVILS QUI, DANS CERTAINES RÉGIONS, SERAIENT MENACÉS OU MAL­TRAITÉS PAR LES AUTORITÉS LOCALES. » ([^12]) -- En 1944, la courtoise Amnesty aurait écrit sans doute au chancelier Adolf Hitler « *pour lui faire part de ses interrogations au sujet des groupes ethniques qui, dans certains pays occupés, seraient importunés par les S.S. et la Gestapo *» *;* en 1952, elle aurait pu de même exprimer ses craintes au camarade Staline « *sur les populations civiles de certaines Républiques de l'Union, qui se sentiraient molestées par un excès de zèle des miliciens de la Gépéou *»... Ce n'est pas comparable ? -- Si. A ceci près cependant que les Khmers Rouges imitaient Staline plutôt qu'Hitler, dans l'étendue du massacre, et que les armées du monde libre n'ont rien fait pour l'arrêter. Dans le « Rapport 1979 », deux cent cinquante-six pages, le sort du malheureux Cambodge est expédié en une trentaine de lignes, dont la moitié se contente d'énumérer les actions d'*Amnesty International* contre (?) le régime précédent. Le rédacteur s'en explique en ces ter­mes : « *Lors de la rédaction du présent document, on ne disposait que de peu d'informations sur la situation des droits de l'homme depuis le changement de régime.* ([^13]) » C'est criant d'inexactitude : en décembre 1979, quand fut préparé le rapport, on savait déjà par une foule de témoi­gnages recueillis à la frontière thaïlandaise que l'armée vietnamienne d'occupation du Cambodge poursuivait le génocide du peuple khmer inscrit dans le plan soviétique ; et d'abord en confisquant pour elle-même les dons « pu­rement humanitaires » de médicaments et de vivres livrés par l'Occident sans aucune condition. 43:245 D'ailleurs, si le rédacteur d'*Amnesty* avait manqué d'informations, ne suf­fisait-il pas de réfléchir aux données ? Au nom de quelle morale une armée d'occupation communiste se priverait-elle d'accaparer nos envois ? et comment pourrait-elle bien vouloir, simplement parce que nous le lui demandons, le contraire de ce qu'elle fait ? Pour respecter même partiel­lement l'intention du donateur, le Vietnam devrait ration­ner et affaiblir ses troupes fixées au Cambodge (deux-cent mille hommes environ), puis leur imposer de nourrir pa­ternellement deux millions de vaincus exsangues qui lui feront aussitôt deux millions de résistants. La supposition hélas ne tient pas... Chasser le *politique* de l'*humanitaire*, selon le leitmotiv de M. Francois-Poncet aux conférences internationales, qui est aussi la grande illusion des mili­tants d'*Amnesty*, voilà bien le pire service que la com­munauté occidentale pouvait rendre aux survivants du génocide cambodgien. Il est atroce et cependant remarquable, si l'on s'atta­che (comme Amnesty devrait le faire) aux froides moti­vations du crime, que les deux empires du communisme dans le monde se trouvent l'un après l'autre d'accord pour ne laisser au Cambodge aucune solution de vie. C'est ce que nous avions expliqué en ces termes, qui sont hélas tou­jours d'actualité, dans l'éditorial du numéro de janvier 1980 : -- « Le gouvernement de Pékin avait « objective­ment » intérêt à provoquer puis soutenir comme il l'a fait le génocide du peuple khmer pour établir sa propre four­milière, impénétrable et menaçante, au cœur des visées asiatiques de Moscou. L'Union soviétique n'a pas moins intérêt à ce que le génocide du Cambodge soit mené à son terme, s'il s'agit d'offrir à « l'allié » vietnamien le moyen de pénétrer pour elle, contre la Chine, toute la péninsule indochinoise. Voyez la carte. Ce n'est pas la sécheresse ou la fièvre, ni l'aptitude à l'esclavage, c'est la carte dans cet univers qui décide de la vie des gens. » ([^14]) 44:245 ... Voilà en peu de mots ce que le rédacteur d'*Amnesty International* aurait pu dire, pour rendre compte au mois de janvier 1980 de la situation des droits de l'homme en « République populaire du Kampuchéa ». Au lieu de quoi il préfère s'alarmer dans son rapport que le nouveau Conseil de la Révolution au Cambodge ait «* ordonné la mise en jugement des personnes coupables de crimes contre le peuple sous le régime précédent *» ([^15]) ! Mais qu'importe aux droits-de-l'homme que des massa­creurs et tortionnaires communistes se dévorent entre eux ? qui regrettera jamais qu'un Pol Pot, coupable en effet d'avoir organisé le génocide de la première moitié des siens, soit lui-même fusillé sans jugement ? Sur les vrais martyrs du Cambodge hélas, vous ne trouverez pas une ligne, pas un mot, pas une larme dans le dernier rapport annuel d'*Amnesty*. \*\*\* On pourrait continuer longtemps le petit jeu des rapprochements de cas et des analyses de contenu. Mais la litanie des mensonges à sens unique, par omission, sélection ou amplification des faits, n'a rien d'amusant. Nous limiterons donc les observations qui suivent à trois cas de pays antagonistes et voisins, où la comparaison s'imposait pour mesurer dans les faits « l'impartialité » d'Amnesty. **1. -- **La *Corée du Nord,* communiste, fait l'objet de sept lignes serrées dans le rapport d'*Amnesty* paru en 1978, qui méritent d'être rapportées : « *Amnesty International* a passé au crible toutes les informations en provenance de Corée du Nord. La seule chose qu'on puisse affirmer est que celles-ci ne contiennent pas la moindre précision concernant des cas d'arrestations, de procès ou d'empri­sonnement dans ce pays. Il apparaît, de surcroît, que les nouvelles faisant état de violations des droits de l'hom­me y sont entièrement censurées. Malgré tous ses efforts, *Amnesty International* n'a pu découvrir aucune infor­mation, même favorable, sur la question de ces droits...de l'homme en Corée du Nord. » 45:245 -- D'où il faut conclure que les enquêteurs d'*Amnesty* ne savent pas lire les journaux en provenance du sud-est asiatique ; ou ne reçoivent de là-bas, « malgré tous leurs efforts », que des publications communistes ; ou peut-être auront accrédité dans cette partie du monde un filial serviteur des intérêts de l'Union... car la *Corée du Sud,* qui vient immédiatement après dans le « Rapport 1977 » ([^16]), y occupe trois grandes pages de cinquante-deux lignes, à égalité avec le sinistre Ouganda d'Amin ! Dans le « Rapport 1979 » d'*Amnesty* ([^17]), les deux Co­rées récupèrent au palmarès de la répression un semblant de fraternité : près de deux pages au Nord, un peu plus de trois au Sud. Mais il faut se garder, dans ces lectures en diagonale, des illusions d'optique. Le Nord voit détailler avec complaisance les « garanties » que sa Constitution de 1972 accorde aux prisonniers ; au Sud, on énumère avec soin toutes les dispositions légales qui « restreignent la liberté du citoyen » : *mensonge par sélection*. Pour le Nord, un seul cas d'internement politique est cité ; dans le Sud, le rédacteur d'*Amnesty* en totalise sans effort quelque cent soixante-dix entre le 26 juin et le 22 septem­bre 1978, mais il indique aussi au mépris de toute pru­dence la circonstance des « arrestations » : et le lecteur comprend que la police ici a embarqué des casseurs et des manifestants, dont *cinq*, les meneurs, devaient être « con­damnés à des peines de prison allant d'un an à deux ans et demi et ont été déchus de leurs droits civiques pour une période équivalente à dater de l'expiration de leur peine »... Sévérité bien entendu regrettable, mais les tri­bunaux français la pratiquent en des circonstances sem­blables plusieurs fois par an. Cinq condamnations même supposées injustes ne suffisent pas à bâtir un goulag, com­me une hirondelle ne fait pas le printemps. D'ailleurs, ce n'est pas en Corée du Sud que les tribunaux de justice appliquent le code pénal de l'Union. -- *Mensonges par omission, et amplification.* 2*. -- République populaire de Chine *: « Le rapport (1979) fait ressortir à cet égard plusieurs points jugés préoccupants par *Amnesty International* : 46:245 l'existence de lois rédigées en termes vagues permettant de multi­plier les emprisonnements pour raisons politiques ; une Constitution prévoyant la possibilité de priver de leurs droits certaines catégories de la population ; le recours à d'incessantes campagnes de mobilisation des masses pour identifier les dissidents qui contestent la politique officielle ; la pratique qui consiste à faire subir de longues périodes d'emprisonnement aux auteurs de dé­lits politiques avant l'ouverture de leur procès, et à les obliger à rédiger des récits autobiographiques et des aveux pendant cette détention préventive ; l'absence de garanties formelles du droit à la défense, et le recours habituel aux procès à huis clos ou aux procès publics de masse (excluant toute possibilité de défense) dans les cas des personnes accusées de délits politiques ; di­vers aspects des conditions de détention qui ne répon­dent pas aux normes reconnues, tant nationales qu'in­ternationales, pour le traitement des prisonniers ; et enfin les cas de certains prisonniers retenus ou astreints à travailler dans des établissements pénitentiaires après avoir purgé leur peine. » ([^18]) -- Les préoccupations d'*Amnesty International* sur la Chine semblent un peu laborieuses, mais il s'agit ici de neuf cent millions d'êtres humains, et je n'ai rien voulu couper. Le plus frappant d'ailleurs dans cette liste déjà sombre, c'est bien CE QUI N'Y FIGURE PAS, parce que les gros efforts d'*Amnesty* sont encore trop mous, mais que vous retrouverez sans peine dans tous les récits et témoignages directs sur le goulag chinois : *l'exécution sommaire* par balle, *la torture* phy­sique et *les camps* de mort lente par le travail... A sup­poser qu'un pour cent seulement de la population chinoise, hypothèse ridicule de chroniqueur occidental, soit en butte depuis 1949 à ces tout autres « préoccupations », cela représente tout de même plusieurs dizaines de millions de victimes aujourd'hui entassées dans les fosses, qui n'auront pas eu la consolation de figurer au martyrologe d'*Amnesty*. -- Lisons plus loin : les observateurs d'*Am­nesty ont* « *accueilli favorablement les déclarations de personnalités officielles chinoises, depuis le printemps 1978, sur la nécessité d'une réforme judiciaire et de la révision d'anciennes erreurs *»... 47:245 Ils ont « *pris acte de ces changements *» et se sont «* félicités des initiatives prises pour réhabiliter certaines catégories de personnes privées de leurs droits *»... ([^19]). A la bonne heure. Mais quel sinolo­gue serait assez crédule pour souscrire au mensonge officiel et partager l'enthousiasme d'*Amnesty ?* quel observateur politique, pourrait affirmer sans rire qu'une réforme du « droit », fût-elle contresignée à Helsinki par le monde entier, affectera en Chine la réalité quotidienne de l'es­clavage et de la barbarie communistes... ? Je sais bien que les dirigeants d'*Amnesty*, puissants dans le monde entier pour soutenir les « victimes » du terrorisme inter­national, trouveraient bien peu d'écho dans la presse s'il leur venait la grâce de se convertir au secours des vérita­bles suppliciés. Au moins, en risquant une petite exception à la règle dans le cas des bagnards du goulag chinois, ils se seraient émus, grandis, dévoués ; ils les auraient une fois nommés ; ils auraient regardé un jour en direction de leurs chaînes et de leurs charniers. On n'a rien fait pour ceux qui souffrent, avant de les avoir reconnus, et aimés. Retour au réel. -- *Taiwan, République de Chine,* seize millions d'habitants, deux pages dans le « Rapport 1979 » paru en 1980. Plus question ici de conditionnel, quand même on ne serait sûr de rien. *Amnesty* fulmine : « De­puis 30 ans règne l'état de siège, en vertu duquel les personnes soupçonnées d'appartenir à l'opposition con­tinuent d'être détenues et condamnées pour sédition ou pour tout acte considéré comme contraire à la politique anticommuniste officielle. On ignore le nombre des pri­sonniers politiques détenus actuellement. Pour les trois dernières années les estimations ont varié de 250 selon les sources officielles à plusieurs milliers selon les mi­lieux émigrés. » ([^20]) -- Nous laisserons répondre ici un ami voyageur mieux informé que nous : Thomas Molnar. Les lecteurs d'ITINÉRAIRES se souviendront sans doute qu'il avait rapporté de son troisième périple sabbatique en Extrême-Orient ce témoignage direct, parfaitement adapté aux préoccupations d'*Amnesty :* 48:245 Voici exactement trois semaines, une mani­festation d'une rare violence devait éclater à Kaohsiung, grand port de la côte méridionale de Taiwan. Cette manifestation regroupait les rédacteurs et lecteurs du magazine Formosa, périodique d'opposition favorable à la démocra­tie, aux droits-de-l'homme, Amnesty et autres machins de désintégration nationale qui cachent une pure et simple volonté d'anarchie. La tolé­rance des autorités de Taiwan est suffisamment établie par le fait que *Formosa* s'affichait sans entraves dans tous les kiosques de l'île. Mais comment ne pas s'interroger sur les motifs véri­tables de la manifestation de Kaohsiung, lors­qu'on apprend que son slogan numéro un était « l'indépendance de Taiwan », principe rejeté non seulement par le gouvernement taïwanais, mais aussi par celui de Pékin... ? (...) Je me suis rendu à Kaohsiung moins de quin­ze jours après les événements qui s'y sont dé­roulés. C'est une ville active et prospère, où les proclamations d'indépendance paraissent le der­nier souci des habitants. Les manifestants eux-mêmes s'étaient d'ailleurs bien gardés de criti­quer là-bas la politique économique du gouver­nement formosien, de peur de s'attirer la colère du peuple. J'ai dû m'entretenir un peu au ha­sard avec les gens, car tous ne parlent pas an­glais : un chauffeur de taxi, la secrétaire d'un ami, un ingénieur du chantier naval, deux pro­fesseurs de l'enseignement secondaire... Mes in­terlocuteurs, dont aucun ne s'expliquait les mo­tifs de la manifestation, furent unanimes à s'in­digner de sa violence, et de la mollesse du gou­vernement : 183 agents de police à l'hôpital (tel fut le bilan de cette journée), qui avaient reçu interdiction de porter des armes à feu, voilà peut-être l'explication ! -- L'opinion ne com­prend pas : *primo*, que les autorités de l'île n'aient pas aussitôt sévi ; *secundo*, qu'elles aient laissé filer la pétroleuse américaine ; *tertio,* qu'elles n'aient point eu l'idée d'envoyer les 26 personnes arrêtées en flagrant délit de violence devant un tribunal d'exception ([^21]). 49:245 Il faudra surveiller de près, dans le « Rapport 1980 » d'*Amnesty* à paraître au printemps de l'année prochaine, comment le rédacteur va présenter à l'opinion mondiale la réalité et les suites judiciaires de cette manifestation. Et comment surtout l'organisme humanitaire va s'affran­chir ici, une fois de plus, de ses propres principes : « *Il paraît clair que si Amnesty International entreprenait d'agir pour la libération de prisonniers convaincus de violence, elle compromettrait l'efficacité de son action tant en ce qui concerne cette catégorie de prisonniers que celle des prisonniers d'opinion. C'est cette considération et non une autre raison, qui est à l'origine de la clause de non-violence. *» ([^22]) **3. -- **Le « Rapport 1979 » d'*Amnesty* paru en 1980, ce sera ici notre dernier échantillon expérimental, consacre 41 pages à la situation des droits de l'homme dans les pays d'*Amérique* latine. En voici la répartition, sur la carte politique du continent (avant le coup d'État sandiniste au Nicaragua) a\) *Pays non communistes* à régime civil ou militaire 39 pages d'*accusations féroces,* dont 11 pour les seules nations particulièrement anticommunistes du cône sud (Chili, Argentine, Uruguay), où « les violations des droits fondamentaux sont facilitées par une législation d'excep­tion qui sert surtout à légaliser la répression politique et à perpétuer les régimes répressifs » ([^23]). Depuis l'affaire chilienne, nous savons comment. b\) *Cuba :* 2 pages de *félicitations courtoises* pour la refonte du code pénal et les récentes mesures d'amnistie, assorties toutefois de quelques réserves sur « les articles qui pourraient donner lieu à une interprétation ambiguë », et sept lignes sur le témoignage (unique) d'un « ancien prisonnier » ([^24]). 50:245 Dans la longue introduction générale du rapporteur sur «* les arrestations arbitraires, la torture, les dispari­tions pour motifs politiques, l'emprisonnement de longue durée sans inculpation ni procès, les exécutions extra-judiciaires, les assassinats politiques et la peine de mort *» ([^25]) qui caractérisent la situation actuelle du continent pour quatorze pays ([^26]), le nom de l'île achetée par Moscou n'est même pas cité... On se demande vraiment en lisant le rapport d'*Amnesty* quelle folie pique chaque année des milliers et des mil­liers de Cubains, de vouloir à toute force rejoindre l'enfer d'en face, plutôt que de convier les autres dans leur petit paradis. \*\*\* L'exemplaire injustice du dernier regard amnestien sur l'Amérique latine me rappelle une page étonnante qui devait échapper le 3 mai 1979 au journal *Le Matin.* La fortune capricieuse des assemblages avait réuni là côte à côte, j'ai conservé cet éloquent aveu, une dépêche alors exceptionnelle dans la presse française, sur les malheureux prisonniers du goulag cubain, et un article plus convenu sur le défilé du 1^er^ mai à Santiago du Chili... « LES MA­TRAQUES DU 1^er^ MAI », car il y avait eu matraque pour au moins trois personnes, tant les manifestations de rue se ressemblent dans le monde entier, s'étalaient au bas de cette page 10 sur trois « quart-colonnes » à 4 centimètres -- soit 117 cm ^2^ --, à côté du Loto. La dépêche sur les quelques CUBAINS LIBÉRÉS du goulag n'occupait au pied de la troisième colonne chilienne que 3,5 centimètres par 4, -- soit 14 cm ^2^. Et il y avait encore à cette date une légion de 500.000 détenus, d'après *International Rescue Committee* de New York (dont les enquêtes sont plus crédibles que celles du professeur Roebuck), dans les prisons et bagnes de Fidel Castro... Une simple division, opérée sur le nombre de lignes, conduit ici à la conclusion tout bonnement effarante que le détenu politique cubain valait trois millionièmes de lignes (ou 0,00028 cm ^2^) au 3/5/79 dans la presse française, tandis que la matraque chilienne plafonnait ce jour-là à seize lignes (59 cm ^2^) par coup ! ([^27]) 51:245 La partialité énorme des centimètres carrés alloués à l'Amérique latine en page 10 de ce *Matin*-là comporte d'ailleurs une leçon. Le mensonge journalistique sur la situation des « droits de l'homme » à travers le monde, dont *Amnesty International* n'est que le principal four­nisseur, évite le plus souvent d'avoir recours à une simple contre-vérité. C'est un mensonge subtilement *indirect*, non pas tant par omission ou extrapolation plus ou moins coupable du fait, que par élection systématiquement orientée : par accumulation de choix successifs et par­tiels. Cette pratique en effet ne devient mensonge qu'au terme d'un nombre suffisant de répétitions ; autrement dit, à condition d'en faire un usage constant, cohérent et assu­ré... Elle consiste moins à falsifier la nature des événe­ments eux-mêmes qu'à *choisir* entre tous ceux qu'il con­viendra de mentionner (comme les matraques chiliennes) ou au contraire de sacrifier (comme les détenus cubains) par priorité, en quels termes, sur quelle page et jusqu'à quel point. Le plus souvent, on se contentera donc ici de créer, à l'occasion d'un événement déterminé et indis­cutable, une « information » qui *dépasse* ou à l'inverse *n'exprime pas* la portée réelle de cet événement. Je ne crois pas que cette savante alchimie, malgré les apparences, soit toujours volontaire. Car le procédé sem­ble avoir atteint chez certains professionnels de l'infor­mation déformante le pouvoir désormais coercitif d'une seconde nature : un véritable *habitus*, hautement spécia­lisé. L'instinct, que d'autres appelleront le « nez » ou le « flair », prend alors la place de la raison, du sens critique et de la volonté. C'est lui qui permet au rédacteur ou à l'agence de presse de reconnaître infailliblement, en fonction des sentiments de sympathie ou de répulsion en cours dans la profession : 1°) l'événement qu'il ne faut *jamais* voir, ou avec quelles réserves, afin de protéger un mythe acquis dans l'imagination des gens (ex. : l'amnistie accordée aux terroristes chiliens) ; 52:245 2°) celui qu'on peut voir *quelquefois,* lorsque les cir­constances rendent impossible de faire autrement, et la manière de le faire voir au moment opportun (Pinochet libère Corvalan, l'homologue de Georges Marchais au Chi­li) ; 3°) celui enfin qu'on devra *toujours* voir, au besoin sans avoir rien vu, et avec quel éclat, pour réchauffer l'ar­deur des convictions générales (la police chilienne embar­que trois manifestants). « *L'information,* écrit très bien Georges Laffly, *a changé de statut : il ne s'agit plus seulement de renseigner ou de distraire, mais de guider, d'enseigner le vrai et le bien. Il ne s'agit pas de transmettre, mais de transformer. A l'heure où l'Église bredouille, la théologie morale n'est pas abandonnée. *» ([^28]) Hugues Kéraly. 53:245 ### Le cours des choses par Jacques Perret Que le désordre dans les choses dénonce le désordre dans l'esprit voilà bien un préjugé de moraliste ama­teur et superficiel. J'en par­le en connaissance de cau­se : si l'ordre tend à régner dans ma tête, le désordre en fait de même sur ma table. A mon avis et soit dit en passant l'ordre immuable inviterait plus facilement au suicide que le désordre per­manent. Grâce à Dieu il nous faut accepter là en­core comme un bienfait la solidarité des contraires. On voudra bien m'excuser de découvrir la lune mais ces banalités n'arrêtent pas de m'enchanter. Ainsi donc, à ne considérer que l'environnement privé, immédiat et quotidien, j'apprécie le désordre qui devenu paroxystique m'impose l'ineffable satisfaction d'une re­mise en ordre. Il va de soi qu'en acceptant de faire image de l'ordre absolu la table rase abolit sa raison d'être table. Si l'homme d'ordre a besoin d'une table il verra tout de suite qu'une telle surface est un lieu privi­légié du désordre et se réjouira de lui imposer sa loi. Je ne ferai pas le détail des éléments constitutifs de ces désordres-là, ils sont occasionnels ou habituels, instables ou entêtés, provisoirement témoins d'un sursaut d'activité ou bizarrement racinés dans un coin d'élection. Parmi ces mélanges et fouillis le rôle du papier est le plus obsédant, je veux parler des bouts de papiers, écrits ou dessinés, le dessin étant généralement venu par-dessus l'écriture con­trairement aux leçons de la préhistoire. Il n'a d'ailleurs aucun rapport avec le texte ; l'injure qu'il peut faire à l'écrit sera toujours innocente et gratuite. Il peut même arriver que la silhouette improvisée se révèle, dans son genre, mieux réussie que la phrase humiliée dans son rôle de support. Il n'est pas rare en effet qu'un parasite soit plus digne d'intérêt que le parasité. Notons enfin le cas assez fréquent où le profil croqué, en style acadé­mique ou bouffon, vient non seulement en surcharge mais en confirmation d'une première biffade expédiée dans l'impatience. 54:245 Toujours est-il que le triage des bouts de papiers pose des problèmes de mémoire devant le numéro de téléphone anonyme griffonné sur dos d'enveloppe, en marge de copie, au coin d'un brouillon, ou la belle phrase essayée en vi­tesse et devenue illisible, ou la citation sans référence, ou le prétendu mémento en abrégé sur le blanc d'une invi­tation de société, ou encore le nom crayonné d'un incon­nu sur une feuille d'impôt 79. Toujours est-il que l'heure venue de fêter le nettoyage on est tout de suite embarrassé de scrupules. On a peur du geste insensé autant qu'irré­médiable qui ferait disparaître le petit papier génial un instant méconnu et balancé dans le processus autoritaire des ordures municipales. Mais bientôt pressé d'en finir, agacé de vos hésitations, vous accélérez le débarras sans plus ergoter sur le bon ou mauvais escient. En fin de compte et à votre insu, vous éliminez un petit trésor pour mettre en sûreté la sottise ou le mal-foutu. Peut-être avez-vous déjà constaté ou ouï-dire que toute entreprise d'épuration incline à jeter l'utile et le bon pour garder l'inutile et le mauvais. Tout cela pour vous dire que j'ai retrouvé ce matin par hasard le bout de papier où j'avais noté une courte et brève déclaration de M. Chirac. Sa candeur et sa banalité m'ont beaucoup ému : « Ce que j'admire le plus chez le général de Gaulle, c'est le refus de l'abandon. » Oui, on ne se lasse pas de le répéter. Il y aurait en effet malveillance ou bêtise à lui reprocher une désertion en 40, une capitulation à Evian, une fuite en Irlande, une dérobade en Roumanie, sans parler de l'abandon straté­gique de cent cinq mille compatriotes, c'est le chiffre officiel, livrés à la justice des tueurs bénévoles qui travail­laient pour sa gloire. A retenir aussi bien l'anecdote mé­connue du sabre si galamment abandonné en 1916 devant Verdun et sans combat entre les mains d'un oberleutnant tout confus de l'aubaine et qui n'en croyait pas ses yeux. Sachez d'ailleurs que le sabre des officiers français cap­turés en combat leur serait courtoisement restitué au départ de l'offlag. Le lieutenant de Gaulle n'aura pas bé­néficié de cette coutume. Il fut peut-être le seul. Et c'est peut-être alors qu'il a découvert et savouré sa condition de personnage exceptionnel. 55:245 Tout écœuré que je suis de ma mauvaise foi je rappellerai, pour ma décharge, à quel point nous sommes fâcheu­sement habitués, et Chirac lui-même, à ne prendre aban­don qu'au sens péjoratif. Le grand mérite et l'originalité du général, si justement glorieux de son refus, est d'avoir publiquement et personnellement prouvé qu'abandon pou­vait, à l'occasion, souffrir une acception heureuse. Comme on dit qu'Henri III a bien fait d'abandonner le trône de Pologne pour le trône de France, on dira que de Gaulle a bien fait d'abandonner l'honneur de sa parole au béné­fice de son destin. Ayant pris déjà plusieurs fois la résolution de ne plus parler de lui, je la renouvelle et j'en viens au successeur. \*\*\* Préposé à l'entretien du foutoir démocratique, mania­que de la concertation suivie de résultats positifs et con­crets, mégalo du genre tête d'enflé au propre et au figuré, le côté pourri de fric et sciences-po qui joue au play-boy et baladin du mondialisme, l'intelligence très vive et très lacunaire, conditionnée par le fanatisme irresponsable du « bon choix » dont l'excellence est notifiée, tonifiée, par la chuintante assortie d'un gonflement des joues légère­ment clapoteux et d'un allongement des lèvres en suçoir à gober le destin, les trois cheveux cosmétiqués en diadème sur le Mont Chauve, enfin le regard émincé du faux jeton. Le dernier de ses bons choix c'est Brejnev. A ceux qui se perdent en conjectures sur les options orientales de Giscard : rappelez-vous le camouflet qui l'at­tendait à son débarqué aux États Unis. La descendance des combattants américains et français de la guerre d'Indé­pendance fait un club très fermé ; si bien que Giscard s'étant annoncé comme petit neveu du célèbre amiral d'Estaing, on lui ferma la porte au nez, on dit même qu'elle lui fut symboliquement claquée. Le motif à vrai dire était un peu léger : on lui reprochait comme impos­ture l'enfantillage de se vouloir d'Estaing, comme moi je me dirais de Tourville ou de Montaigne. \*\*\* 56:245 *Toute la vérité sur l'Europe.* Étant entendu qu'Europe est née d'Agenor, roi de Phénicie, et de la nymphe Mélie, nous devons hélas à première vue lui reconnaître une origine quelque peu levantine. C'est une chose que je découvre à la lecture d'un ouvrage savant du XVIII^e^ siècle. Nous y voyons un pédagogue et incontestable spécialiste répondre aux questions de ses élèves. La lettre D annonce la demande et le R la réponse. D -- *Racontez-nous cette aventure.* R -- *Donc Europe était la sœur de Cadmus fils d'Age­nor. Telle était sa beauté que Jupiter en devint amoureux à tel point qu'il prit la forme d'un taureau blanc pour descendre au bord de la mer où Europe venoit se pro­mener en compagnie de ses femmes. La jeune princesse fut frappée de la beauté singulière de ce taureau ; elle osa l'approcher, le caresser, enfin s'asseoir sur sa croupe. Jupiter charmé de son stratagème, marcha insensiblement vers la mer, puis il s'élança dedans avec tant de vitesse que la princesse ne put que pousser des cris. Il la trans­porta en Crète, où il reprit la forme divine. Agenor au désespoir de cette nouvelle, donna ordre à Cadmus son fils d'aller chercher Europe dans tout l'Univers, avec défense de paraître devant lui avant que de l'avoir trouvée. Cad­mus, après bien des recherches inutiles, consulta l'Oracle, qui sans répondre à sa demande, lui prescrivit de bâtir une ville dans l'endroit où un bœuf le conduirait. Ce qu'il fit. Il donna le nom de Thèbes à la ville, et celui de Béotie à la contrée où il la bâtissoit. La Fable ajoute qu'ayant envoyé ses compagnons à la fontaine de Dircé, pour y puiser de l'eau, ils furent dévorés par un Dragon ; que Cadmus impatient, étant allé au devant de ses compagnons, vit le monstre qui achevait de les dévorer, le combattit, le tua, lui arracha les dents par ordre de Minerve, et les sema ; qu'il en naquit aussitôt des hommes tout armés qui s'entretuèrent par l'adresse de Cadmus, à la réserve de cinq qui l'aidèrent à bâtir la nouvelle ville.* D -- *Comment faut-il entendre ce que la Fable dit de l'enlèvement d'Europe par Jupiter ?* R -- *Il est certain, par le témoignage de toute l'anti­quité, qu'Europe passa de Phénicie en Crète. Ce furent sans doute quelques marchands de cette isle, qui ayant abordé sur les côtes de Phénicie, et ayant vu la jeune Europe, l'enlevèrent pour leur jeune Roi Asterius ; et comme leur vaisseau portoit sur la proue un Taureau blanc, et que le roi de Crète se faisoit appeler Jupiter, on publia, et Agenor le premier, que ce Dieu changé en Taureau avait enlevé cette princesse.* 57:245 *Diodore dit qu'Europe fut enlevée par un Capitaine Crétois nommé Taurus dont elle eut trois fils, Minos, Sarpedon et Radamanthe* (*je lui en souhaite*) *et qu'Aste­rius l'ayant épousée ensuite, et n'ayant point eu d'enfants, avait adopté les trois fils de Taurus* (*faut le faire*)*.* D -- *Que raconte-t-on de la blancheur de son teint ?* R -- *Les poètes inventèrent que la jeune Angelo, fille de Jupiter et de Junon, avait dérobé le fard de sa mère pour le donner à Europe. Celle-ci, ajoutent-ils, s'en servit heureusement pour se procurer une extrême blancheur, et elle obtint de Jupiter que cette partie du monde dont les habitans sont blancs, porteroit son nom.* Il me plairait assez de chercher dans ce récit toutes les versions qu'il peut suggérer quant à l'évolution de l'Europe depuis Jupiter jusqu'à Giscard. Louable intention dans la mesure où le poids de l'héritage et la tentation d'accepter tant soit peu du Fatum allégeraient quelques personnages du soupçon de responsabilité. Ce serait pour ma part éveiller le fâcheux soupçon d'une complaisance au paganisme. De toute manière la prudence autant que l'honnêteté m'invite à respecter les limites impliquées dans le titre même de cette chronique. Il me suffira donc de vous faire constater jusqu'où peut aller aujourd'hui l'importance et l'ampleur et l'extravagance du *Cours des choses.* Jacques Perret. P.S. -- Dans sa préface à la *Généalogie des rois de France* de L.J. Bord notre ami Pinoteau, érudit s'il en fût, me révèle à l'instant l'existence d'une réplique mérovingienne à cette exhibition mythologique et balnéaire : 58:245 « Selon Frédégaire, dit-il, Mérovée (qui veut dire combattant de la mer) était le fils de la femme de Clodion conçu de son époux ou d'un taureau marin alors qu'elle se baignait. » Je vous laisse rêver sur la métamorphose rituelle préalable à ces baignades augustes. Vous admettrez j'espère les bonnes intentions de l'hommage païen ainsi rendu aux origines de la fille aînée de l'Église. Pour ma part je veux être au moins cour­tois à l'égard de tout ce qui veut sincèrement contribuer à la gloire du Royaume. J. P. 59:245 ### L'imposture Manceron par Jean-Pierre Brancourt MONSIEUR MANCERON a entrepris à grand fracas, en 1975, de publier une série d'ouvrages intitulée « *Les hommes de la Liberté *» et consacrée à l'histoire du règne de Louis XVI et de la Révolution fran­çaise. Quatre volumes ont paru ([^29]) sur les dix actuelle­ment projetés ([^30]). L'intérêt soudain prêté à cette collection et l'attention paradoxale que certains universitaires émi­nents ont accordée à son auteur dans la presse parlée ou écrite justifiaient un examen méticuleux. Tous les moyens de diffusion de l'opinion ont paru mobilisés pour faire connaître cette entreprise et susciter l'admiration extatique des lecteurs. La démarche est en elle-même surprenante : des revues ou publications qui ont déploré l'ignorance encyclopédique des enfants de la France « libérale avancée » en Histoire prêtent la main à cette campagne 60:245 et contribuent à ériger Manceron en un restaurateur authentique de la vérité historique alors que le même personnage se félicite d'être simplement titulaire de son certificat d'études primaires, et se présente volon­tiers comme un homme de parti. Le lecteur innocent qui parcourt les usuels de la Bibliothèque Nationale a la stu­péfaction de constater que les livres de Manceron ont été admis à l'honneur de figurer dans ces rayons prestigieux, alors que ceux de l'académicien Pierre Gaxotte, ancien élève de l'École Normale Supérieure et agrégé d'Histoire, ne jouissent pas du même privilège. Un pareil traitement commandait une enquête attentive : l'œuvre devait porter la marque du génie. Le projet de Manceron consiste à brosser une vaste fresque de la Révolution française. C'est la nouveauté de la méthode qui a transporté d'admiration la grande presse : dominant sa modestie, l'auteur n'a pas hésité à se féliciter lui-même de sa découverte : son histoire se compose de séquences biographiques qui s'entrecroisent « au fil de la chronologie des événements » ! Il fallait l'ignorance so­lennelle et pontifiante de Viansson-Ponté pour attribuer à ce procédé éculé les mérites d'une invention. La démarche est périlleuse : elle implique des ruptures dans le fil du récit, des redites et des renvois ; elle exige un art consommé. En outre le choix des personnages et celui des anecdotes risquent d'amplifier démesurément les partis pris de l'auteur. Ces écueils n'ont pas été évités. Dès les premières pages le langage de M. Manceron heurte le lecteur. Au XVIII^e^ siècle, l'effort des classiques avait porté la langue française à un degré de perfection que lui enviait l'Europe cultivée : pour traiter de cette période, Manceron a systématiquement affecté un style négligé. Il a recherché la vulgarité et, d'instinct, il l'a trouvée. Peut-être a-t-il voulu recourir à une langue colorée et vivante : il n'a été qu'ordurier. Les expressions triviales fleurissent d'un bout à l'autre des quatre volumes parus. A propos de l'agonie de Louis XV et de la dernière con­fession du roi, Manceron ([^31]) s'autorise des annotations que la décence interdit de reproduire. 61:245 Lorsqu'il traite de l'initiation politique de Louis XVI, l'auteur écrit qu'il s'agit de « mettre le roi dans le coup » ([^32]). Constatant, par des moyens obscurs, qu'en 1781, à Rouen, il n'y avait pas un seul paysan à la représentation de la pièce de Collot d'Herbois, *La Fête dauphine,* Manceron commente : « Qu'est-ce qu'il irait foutre au théâtre ? » ([^33]) Lorsqu'il évoque l'obligation imposée par Frédéric II aux Suisses réfugiés de s'abstenir de toute agitation politique, Man­ceron écrit : « Le souverain... les laissera tranquilles *pour­vu qu'ils écrasent. *» ([^34]) Ailleurs, il rapporte un épisode ridicule de la vie de Beaumarchais et remarque : « Le tout-Paris se marrait. » ([^35]) Les fautes de français, pures et simples, abondent : M. Max Gallo pour qui « l'atout maître de Manceron, c'est... l'écriture » aurait dû avoir la charité de lui enseigner qu'on se rappelle quelque chose et non pas *de* quelque chose ([^36]) ; mais peut-être n'est-il pas lui-même au courant. Un parti pris de grossièreté assaille le lecteur : « Ma­lesherbes, cet emmerdeur... » ([^37]), « Le maréchal de Muy ne pouvait plus pisser... » ([^38]), Jeanne de La Motte « cou­che avec la reine » ([^39]), etc. Il est certain que le demi-monde des lettres et de la politique est victime depuis plusieurs années d'une mode désastreuse qui paraît im­poser aux auteurs en mal d'éditeur un recours plus ou moins accentué à un vocabulaire scabreux ; mais le cas de M. Manceron ne relève pas d'une concession provisoire à une manie d' « intellectuels » ou d'hypo-universitaires : il ne s'agit pas chez lui d'une affectation. Le mal est plus grave, car le fond est en parfaite harmonie avec la forme. La déclaration liminaire suscite l'espoir d'une soumission totale à la vérité : l'auteur prétend reconnaître un seul impératif : « La vérité objective des dates, des faits, des gestes, des paroles, des écrits » ([^40]), mais, aussitôt après, il prévoit « un va-et-vient constant entre Marx et Freud », entre « le terrain économique et social » et l'étude psycho­logique de protagonistes savamment choisis. 62:245 De telles prémisses incitent à la circonspection et bien­tôt l'objectivité tapageusement annoncée se révèle sous sa véritable couleur : une égale bienveillance pour tous les ennemis les plus acharnés de l'Ancien Régime. L'historien est rarement d'une parfaite objectivité et l'on pourrait excuser certains partis pris si l'œuvre reposait sur des données scientifiques réelles. Manceron a l'impudence d'y prétendre, et les félicitations généreusement décernées par les historiens des salons de gauche, ou les journalistes qui les côtoient habituellement risqueraient d'égarer le lecteur. On n'a rien négligé pour singer, dans la présen­tation, les ouvrages sérieux : chaque volume comporte une trentaine de pages de notes numérotées renvoyant à des éléments de bibliographie et parfois même -- rarement, il est vrai -- à des dépôts d'archives. Un index onomastique termine chaque tome. Malheureusement, tout cet appa­reil n'est que mascarade. Les ouvrages cités sont en géné­ral d'intérêt secondaire et le plus souvent rédigés dans la seconde moitié du XIX^e^ siècle. Le recours direct aux sources classiques de l'histoire du XVIII^e^ siècle est exceptionnel : les *Mémoires* de Bésenval sont cités d'après Edgar Faure ; le *Journal* du libraire Hardy a été consulté à travers Jean Cruppi, auteur d'un ouvrage sur Linguet qui parut en 1895 ; les *Mémoires* de d'Argenson ont été examinés à travers Gérard Walter. Le plus surprenant est que l'un des personnages centraux de l'univers de Manceron, La Fayette, n'est jamais consulté que par l'intermédiaire d'André Maurois ou de Tower ; or ses *Mémoires* et sa *Correspon­dance,* si enrichissants pour découvrir tous les aspects de cette solennelle nullité, ont été publiés *in extenso* ([^41]). Les *Mémoires* de Bertrand de Molleville, ceux de la comtesse de Boigne, du comte d'Allonville, de Saint-Priest, ont été négligés. On ne trouve pas trace des écrits spirituels, ni des particuliers, ni du clergé. Les œuvres apolo­gétiques sont innombrables dans la seconde moitié du XVIII^e^ siècle : 63:245 M. Manceron a méprisé les livres de l'abbé Gaultier, ceux de Mgr de La Luzerne ([^42]), de Mgr de Fu­mel ([^43]), de Mgr Jean-Marie du Lau ([^44]) à qui les révo­lutionnaires, eux, prêteront suffisamment d'attention pour l'assassiner en 1792, les mandements et les instructions de Mgr de La Rochefoucauld. Le lecteur s'interroge : mauvaise foi -- ou insondables carences ? La presse de l'époque est méconnue, tout comme l'ont été les remontrances des cours de justice ([^45]), les discours officiels des chanceliers et des souverains, dont la teneur est essentielle pour l'historien soucieux de savoir honnête­ment comment le roi concevait lui-même son pouvoir ([^46]). Les sources manuscrites sont évoquées de loin en loin, mais leur choix, et, d'autre part, leur présentation ont parfois de quoi étonner. Quiconque a fréquenté, même épisodiquement, le dépôt d'Archives des Affaires Étran­gères reste perplexe devant : « Archives des Affaires Étrangères, tome LCII, n° 147 » ([^47]), cote notoirement in­complète. Quant aux références aux archives des pays étrangers, elles ne sont pas moins surprenantes. A propos des événements de Suisse, par exemple, Manceron se re­porte aux Manuscrits de la Bibliothèque Universitaire de Genève, ainsi qu'aux archives de Neuchâtel, mais s'il a effectué des recherches dans les fonds d'archives helvé­tiques, pourquoi a-t-il négligé la Zentralbibliothek de Zurich, et, à la bibliothèque publique de Genève, les ma­nuscrits Kramer ou les archives Tronchin ? Pourquoi a-t-il écarté, aux Archives de l'État de Genève, les Archives de Famille et les Manuscrits historiques ? 64:245 Ces documents, d'une prodigieuse richesse, sont indispensables pour com­prendre l'histoire de Genève au XVIII^e^ siècle : ils étaient à la portée de M. Manceron que son instinct d'historien aurait dû guider jusqu'à eux. La bibliographie générale de M. Manceron sur l'époque qu'il traite est étrangement constituée : le duc de Castries, Edgar Faure, G. Walter, Cabanès... ont retenu l'attention de l'auteur qui, revanche, a ignoré Augustin Cochin, Ga­briel Boissy, Olivier-Martin, et n'a cité Crétineau-Joly qu'après l'avoir grossièrement insulté. Quant aux travaux scientifiques, ceux de Michel Antoine, d'André Corvisier, d'Yves Durand, de Roland Mousnier et de Jean de Vigue­rie, quant aux résultats des colloques sur le XVIII^e^ siècle, ou aux fruits des recherches révélés par les revues histo­riques françaises ou belges, dans la plupart des cas, M. Manceron les a superbement dédaignés. Doté de pareils moyens, il a entrepris de montrer quelle était, depuis 1774, l'activité des protagonistes de la crise révolutionnaire. Sur la toile de fond du XVIII^e^ siècle, le lecteur devrait voir s'agiter un groupe de person­nages déjà célèbres ou appelés à le devenir. Comment Manceron dresse-t-il le décor ? Quels sont les acteurs ? Quelle est leur activité ? Le XVIII^e^ siècle peint par M. Manceron pourrait être vivant et multiple, fortement coloré par les anecdotes rap­portées : il est tout entier dominé par une opposition in­fantile entre exploiteurs et exploités. Toute la population du royaume se répartit entre une immense majorité de misérables, et, d'autre part, quelques familles, souvent dégénérées, détentrices de fortunes considérables. Le moin­dre détail contribue à renforcer ce schéma simpliste : « Les domestiques sont la classe oubliée... il n'existe entre eux aucune structure de solidarité... Un domestique, sauf exception, n'a pas de bien... » ([^48]). En fait, l'examen sys­tématique des successions et des inventaires après décès révèle au contraire ([^49]) l'étroitesse et la solidité des liens unissant, au sein de la famille, maîtres et domestiques. 65:245 Pour faire bonne mesure, Manceron ajoute, sur le ton de l'évidence, que le Paris de Louis XVI est « en train de crever de misère et de luxe » ([^50]) : or on sait que, dans cette ville, deux mille hommes suffisent amplement à maintenir l'ordre. ([^51]) Les spécialistes les plus compétents ont montré l'ina­nité d'une pareille vision de la société française. Des té­moins aussi peu suspects que Rousseau ou Rétif de la Bretonne ont constaté l'aisance des Français : Edme Rétif, père du romancier, paraît assez loin, dans *La Vie de mon père*, du vilain corvéable à merci que, selon Manceron, la Révolution allait enfin émanciper. De tout cela, M. Man­ceron ne veut avoir cure : il tient à sa vision primaire, mais accommodante, du XVIII^e^ siècle. D'une plume gourmande, il relève méticuleusement les dépenses effectuées lors des cérémonies traditionnelles de la monarchie : sacre, mariages princiers n'ont été abordés que sous ce jour. Pour rendre son propos plus percutant, Manceron a jugé oppor­tun de traduire en monnaie actuelle chacun des chiffres avancés : comme l'avait souligné Pierre Gaxotte, pareille) opération est nécessairement illusoire car il existe très peu de références communes au XVIII^e^ siècle et à l'époque con­temporaine (l'importance du pain dans l'alimentation, par exemple, n'a plus rien de comparable ; les éléments inter­venant dans la composition des prix sont profondément différents). Le but poursuivi par Manceron est clair : il relève de la propagande ; le coefficient utilisé est, lui, beaucoup moins évident : à l'intérieur du même volume, il varie d'une page à l'autre. Dans le tome intitulé « *Les vingt ans du roi *», l'auteur indique que le sacre de Louis XVI a coûté 835.000 livres ([^52]) : évaluant cette somme à 3.500.000 francs actuels, Manceron fixe le taux de la livre à 4 F de 1970. Quelques pages plus loin, pour grossir les dépenses de la maison de Monsieur, il porte la valeur de la livre à 5 F. 1970, pour la même année de référence ; il peut alors affirmer avec un sérieux tout scientifique que la dépense annuelle de la maison du comte de Provence équivaudrait à 4.500.000 francs actuels. 66:245 Dans un autre passage encore, pour mettre en évidence la difficulté des problèmes financiers que rencontre Turgot, il élève le prix de la livre à 6 F. 1970 ([^53]). Manceron a peut-être supposé que ce stratagème enfantin pourrait engendrer des doutes dans l'esprit des lecteurs : au début du qua­trième volume, il informe qu'il a « porté le niveau moyen de comparaison pour une livre de 1786 à 7-10 francs, *c'est selon,* de 1979 ». Aucun critère n'est indiqué et il est évident que le fait d'établir *une variation d'un tiers* retire tout intérêt historique à l'opération : M. Manceron peut simplement jouer plus sereinement avec les chiffres. Il ne s'en prive pas : lorsqu'il s'agit d'un prêt consenti par l'usurier Cerf-Beer, la livre vaut pour Manceron 6,60 F ([^54]) ; s'il est question d'une pension versée par le marquis de Boulainvilliers ([^55]), elle est au même taux, mais pour apprécier des revenus princiers ([^56]) ou, à plus forte raison, les rentes de l'abbé de Clairvaux ([^57]), on prend comme chiffre de référence 7,14 et 7,50 : « c'est selon ». L'image que Manceron veut donner du XVIII^e^ siècle est essentiellement faussée par sa totale ignorance des insti­tutions et de l'esprit de la monarchie française. Quel que soit le sujet traité, sacre, parlement, lois fondamentales, il semble affecté d'une complète cécité. Le sacre devient alors une cérémonie grotesque, anachronique, coûteuse et inutile : pour les Français d'Ancien Régime, c'était le grand jour du règne. Le prince sacré était aux yeux de tous le lieutenant de Dieu. S'acharner à nier la force de cette conviction, c'est occulter volontairement un trait de la psychologie collective des Français de l'époque. De Chasseneux à Gobet ([^58]), tous ([^59]) pensaient que le sacre imprimait un caractère particulier à l'autorité et à la personne royale. 67:245 Le discours de l'abbé Léa, recteur de l'université de Reims, lors du sacre de Louis XVI est signi­ficatif : « Votre autorité suprême déjà établie par les liens du sang et gravée dans nos cœurs par les mains de l'amour et du respect va encore être confirmée par la religion dans l'auguste cérémonie de votre sacre... L'onction sainte va rendre votre personne plus auguste, plus sainte, inviolable, l'image subsistante de la divinité. » ([^60]) Le sacre établis­sait un lien religieux entre le roi et son royaume : en recevant l'anneau, le prince épousait la France ; il lui était uni comme par un sacrement. L'idée du corps mys­tique de la monarchie française découlait directement de cette conception. On ne peut pas reprocher à M. Manceron d'ignorer les querelles des spécialistes ([^61]), mais on est en droit de regretter qu'il méprise les auteurs classiques. « Le sacre, avait écrit Louis XIV, encore qu'il ne nous donne pas la royauté, la déclare au peuple et la rend en outre plus auguste, plus inviolable et plus sainte. » Les seules sources d'information de M. Manceron, en ce domaine, sont l'*En­cyclopédie* de Diderot et le *Dictionnaire des Institutions* de Chéruel paru en 1855 : il est évident que, dans ces conditions, toute appréciation juste des événements politiques survenus au cours de la période étudiée lui est interdite. Totalement étranger à la philosophie qui sous-tendait la France d'Ancien Régime et à l'esprit qui avait présidé à son organisation, Manceron est par définition incapable de comprendre la signification de la réforme de Maupeou et des conflits qui l'ont accompagnée. Pendant tout le siècle, une partie de la magistrature, appuyée sur l'exemple du Parlement anglais, avait mené une agitation tapageuse sous les prétextes les plus divers : la bulle *Unigenitus,* les édits fiscaux, les lettres de cachet, etc. Contre la tradition constitutionnelle que défendait le roi, les juges prétendirent s'ériger en représentants de la Na­tion ([^62]) et ils s'acharnèrent à cristalliser autour d'eux les oppositions les plus hétérogènes, celle des jansénistes, celle des pseudo-philosophes, celle des matérialistes que, d'ailleurs, les premiers n'avaient jamais manqué de con­damner quelques années auparavant. 68:245 Le conflit a suscité une littérature surabondante qui devait avoir des répercus­sions politiques considérables. Malheureusement, les ca­rences de Manceron et ses idées fixes lui imposent de ré­duire cette confrontation à des dimensions dérisoires le roi affirme que les magistrats ne tiennent leurs pou­voirs que de lui, et ceux-ci répondent leurs droits que de l'argent ([^63]). L'auteur cite le célèbre discours prononcé par Louis XV, le 3 mars 1766, devant le parlement de Paris ([^64]) : « C'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison... C'est à moi seul qu'ap­partient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans par­tage... L'ordre public tout entier émane de moi ; j'en suis le gardien suprême ; mon peuple n'est qu'un avec moi. » Et d'assortir cet extrait du commentaire suivant : « Mer­curiale véhémente... indécente dans la définition de l'abso­lutisme. » Une intelligence même élémentaire de la France monarchique aurait évité à M. Manceron de pareilles bé­vues. Louis XV se contentait de rappeler ce que savait chaque Français : le royaume tout entier n'est qu'un corps dont les sujets, groupés en ordres, états, métiers, etc. sont les membres et dont le roi est la tête. Le pouvoir du roi ne se divise pas. Comment, dans de telles conditions, M. Manceron aurait-il pu attribuer leur juste importance aux épisodes de cette lutte et faire saisir, par exemple, les conséquences dramatiques du rappel, par Maurepas, des anciens parlements en novembre 1774 ? L'auteur des « *Hommes de la Liberté *» semble con­damné à tourner le dos à la vérité et à s'enfermer, avec ses personnages, dans l'utopie historique. Qui sont les héros de cette fable ? Ils appartiennent à deux groupes antagonistes : les philosophes, les libres-penseurs, les ad­versaires de l'Ancien Régime et du christianisme consti­tuent le premier : ils sont parés de toutes les vertus ; les crimes les plus épouvantables, s'ils ont été commis par leurs mains, ne sont que des vétilles d'enfants turbulents. 69:245 Les autres, les défenseurs de la religion et de la monar­chie traditionnelle, ceux qui respectent les valeurs cons­titutives de l'ordre dans tout pays civilisé, sont des ca­nailles, des vicieux ou des débiles mentaux ; s'ils détien­nent une parcelle d'autorité et qu'ils l'exercent, ce sont des tyrans ; s'ils la négligent, ce sont des lâches et des « gâteux » (*sic*). La hiérarchie sociale est ainsi complète­ment inversée et il est logique de voir la famille royale vouée à l'exécration. Louis XV, Louis XVI et leurs proches inspirent à Manceron une haine viscérale qui le prive de ses moyens. Louis XV est affublé d'un « air terrible qui tient à sa bêtise » ([^65]) ; ses filles, « trois vieilles filles amères et névrosées » ([^66]), ont peut-être été belles mais Manceron ajoute tout de suite : « jamais jolies ». Adé­laïde n'est-elle pas, d'ailleurs, atteinte de « bigoterie » ([^67]). Ces êtres-là ne peuvent avoir que des attitudes bouffonnes qui suggèrent à Manceron des formules inintelligibles pour un Français de bon sens : les princesses de France, écrit-il, ont mené une existence « enlisée dans un vertueux in­ceste » ([^68]). A la mort de Louis XV, elles ont affronté les risques mortels que leur faisait courir la contagion de la petite vérole. Le duc de Croy, l'historiographe Jacob-Nico­las Moreau et l'abbé Maudoux ont témoigné de leur courage ([^69]). Pour Manceron, les princesses « se vautrent avec délice dans l'héroïsme filial » ([^70]) parce qu'elles vont enfin pouvoir dominer leur père. La simple évocation de Louis XVI paraît déclencher de véritables transes accompagnées de développements racistes étonnants que Manceron et ses compères condamneraient impitoyable­ment sous toute autre plume. Louis XVI est un « débile » ; il n'a jamais rien compris aux affaires ; d'ailleurs « c'est un jeune allemand » ([^71]). 70:245 Une documentation même som­maire aurait permis à Manceron de découvrir que la mère du roi, Marie-Josèphe de Saxe, devait à l'allemand Frédé­ric II l'invasion de son pays natal et la captivité de sa mère ([^72]). Manceron brosse de Louis XVI un portrait pi­toyable. Le roi est un gros allemand, il a des « yeux de savon », c'est un parfait « dégénéré ». Les contempo­rains, eux, ont témoigné de la luminosité du regard ([^73]) de Louis XVI : le catalogue de la manufacture de Sèvres, pour désigner une nuance de bleu, a choisi l'expression « bleu œil-de-roi ». Les peintures de Drouais, de Fredou ou de Hall, la sculpture de Guillaume Coustou ont révélé le charme du futur Louis XVI. Sa force prodigieuse qui lui permettait de rivaliser avec les ouvriers qui travaillaient au château, était bien connue. Peu importe ! Le thème de la dégénérescence des familles royales ou aristocratiques fait les délices de Manceron. Le jour du sacre, par exemple, le roi et le comte de Provence lui apparaissent sous les traits de « deux lourdauds dégénérés ». Dégénérée aussi Marie-Antoinette ! Dégénéré Joseph II ! ([^74]) Le futur em­pereur de Russie n'est pas mieux traité : c'est un « sin­ge »... « une sorte de monstre qui dépasse en dégénéres­cence la tribu des souverains détériorés que le droit divin fait ou fera régner sur les peuples à la fin de ce siècle. Détail accessoire : on le croit fou » ([^75]). Georges III est un allemand « ventripotent, aux yeux globuleux » ([^76]). Les princes du sang ont droit aux mêmes égards : leur éducation est un « dressage » ([^77]). 71:245 Les Condé sont gra­tifiés d'une indicible haine : « deux générations de ra­tés... : ces princes du sang qui ne sont plus bons qu'à parader pour impressionner le bas peuple tout en lui suçant la substance : ils sont plus présentables que les princes proches du trône, mieux découplés, moins appa­remment dégénérés » ([^78]). Cette obsession de la dégénérescence, voire de l'apparence physique, ne laisse pas d'inquiéter : M. Manceron se serait-il converti à l'élitisme biologique, regarderait-il les hommes comme un maqui­gnon estime les chevaux ou serait-il victime d'une re­grettable névrose ? En tout cas, l'ensemble de la race royale est l'objet de ses foudres. La princesse Louise de Condé, qui ajoutait à la tare de son origine celle d'être une catholique fervente, et qui allait fonder sous la Restau­ration les bénédictines de Saint-Louis du Temple, ne peut être qu' « une fille pieuse et stupide » ([^79]). Jacques Cré­tineau-Joly s'est rendu coupable du forfait d'avoir rédigé l'histoire des trois derniers Condé sans souscrire aux *a priori* de M. Manceron, car il était, lui, un historien véri­table : il est accusé d'avoir « écrit tout son livre dans une position inconfortable, à plat-ventre devant les Con­dé » ([^80]). Tout le monde, évidemment, ne peut pas s'in­cliner devant des guignols pyromanes ! Ce pitoyable ma­nichéisme domine tous les portraits : La Vauguyon était « inepte » ([^81]). Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, serviteur zélé de la foi, est présenté comme un personnage vénal. Mgr Le Clerc de Juigné est accusé de rigorisme parce qu'il condamnait la multiplication des écrits irréligieux ([^82]). Le marquis de Bussy, commandant l'infanterie française aux Indes, est « gâteux » ([^83]). En réalité, ce « gâteux » se faisait porter en palanquin au plus fort des combats et sut défendre avec une bravoure indiscutée la ville de Gondelour que Suffren put dégager le 19 juin 1783. 72:245 Les œillères de Manceron ne l'autorisent pas davantage à jeter un regard serein sur les saints qu'il rencontre au détour d'un événement. Le mercredi saint, 16 avril 1783, saint Benoît Labre meurt d'épuisement à Rome. Témoin de Dieu au milieu du XVIII^e^ siècle impie et jouisseur de Voltaire et des encyclopédistes, il constitue pour les chré­tiens l'une des figures les plus fascinantes du siècle. La population romaine comprit qu'un saint venait de mourir et se livra à des manifestations de ferveur que le cardinal de Bernis regarda comme du fanatisme. Manceron, inca­pable de comprendre la signification du détachement de saint Benoît Labre et de sa mortification volontaire, assi­mile ([^84]) son renoncement à un suicide. Le saint n'était-il pas fou ? D'ailleurs, il menaçait les 9/10 de l'humanité des peines de l'enfer ; il parlait de son corps en disant : « mon cadavre »... Manceron ne sait pas qu'en France, l'abbé Bridaine, quelques années avant, avait employé le même langage dans les campagnes françaises et converti des centaines de gens. L'aveuglement de l'auteur a ici quelque chose de tragique qui met en évidence sa para­lysie intellectuelle devant le phénomène religieux ([^85]). Le ton dont il use pour décrire les guérisons et les signes miraculeux est celui de la vulgarité voulue et du mépris. En face de ce groupe de fous, d'hébétés ou de malan­drins se dessine celui des archanges de la Révolution. Manceron a sélectionné ses héros afin de suivre, pendant les vingt ans qui précèdent la Révolution, ceux dont les idéaux et les chimères préparent le cataclysme de 1789 l'abbé Raynal. Mirabeau, Danton « qui a assumé sa lai­deur » et qui est « un brave type » ([^86]) (*sic*), Vergniaud, Brissot, le sinistre abbé Jacques Roux, Talleyrand « dont le physique n'est pas déplaisant », etc. Ces personnages sont en réalité des médiocres. Manceron peut, comme l'a montré Lucien Laugier ([^87]), piller Pouget de Saint-André ([^88]) et le suivre lorsqu'il déforme la vérité, Du­mouriez reste un héros assez terne. Mais tout cela n'est que péripétie : tous sont transfigurés. 73:245 Ceux que Manceron considère comme les plus méritants sont gratifiés du titre enviable d' « Hommes de la Liberté » ([^89]). La Fayette, ce zéro majuscule, Beaumarchais, Condorcet et, curieuse­ment, Madame de Staël reçoivent cette récompense. Court de Gébelin est « un vieux sage » ([^90]), il a d'ailleurs influencé Rabaud-Saint-Étienne ; Raynal, qui a endormi des générations de lecteurs mais a eu le mérite de fustiger les missions catholiques outre-mer, est un « auteur va­lable », etc. L'indulgence de Manceron est illimitée. L'abbé Claude Fauchet, futur évêque constitutionnel du Calvados, membre de la loge des Amis de la Vérité est « sincèrement prêtre en Jésus-Christ » ([^91]). Il existe, au demeurant, une hiérarchie dans cette phalange : au sommet de la lucidité se trouvent « ces gens qui, un peu partout en Europe et en Amérique, tentent de voir un peu plus loin que le bout de leur nez : les francs-maçons » ([^92]). Et l'auteur de faire l'apologie de ces « rites parallèles à ceux des religions que la république souterraine prétend dépasser » ([^93]). Manceron décrit alors, avec le plus imperturbable sérieux, l'affiliation de La Fayette à la « révérende loge de Saint-Jean d'Écosse du Contrat Social »... « l'an de la vénérable loge 5782, le vingt quatrième jour du quatrième mois ». Disposant, dans un XVIII^e^ siècle imaginaire, des person­nages caricaturaux, Manceron ne peut donner de la poli­tique qu'une image erronée. La politique extérieure de Louis XV, le renversement des alliances, le rapprochement avec l'Autriche : tout est condamné d'un trait de plume les affaires étrangères de la France n'ont été que « la diplomatie-joujou de Louis XV » ([^94]). *Perseverare diabolicum :* quelques pages plus loin, Manceron le répète : pendant six ans toute l'histoire euro­péenne s'est réduite aux « minauderies de Madame Du Barry » ([^95]). Les origines de l'intervention française dans la guerre d'Indépendance américaine sont considérées à travers des détails qui ne rendent compte ni de la situation réelle de la diplomatie française, ni de l'action royale. 74:245 Manceron a accepté aveuglément la thèse orléaniste, généreusement diffusée par les loges depuis 1774, de la nullité du roi, de son inaptitude au gouvernement. Il était dès lors évident que Louis XVI ne pouvait être que ballotté par les événe­ments et les intrigues. Dans l'affaire américaine, il aurait été manipulé par Beaumarchais et dominé par Vergennes : « Vergennes décide souverainement de la politique étran­gère de la France sous le parapluie de l'asthénie royale » ([^96]). La vérité était tout autre : Franklin avait suggéré qu'en l'absence d'une intervention française, les Américains pourraient se réconcilier avec l'Angleterre et livrer à Georges III les Antilles françaises. Vergennes l'avait écrit au roi : « Nous ne voudrions pas multiplier des précautions et des mesures qui répandraient l'alarme chez nos voisins, mais nous ne devons pas aussi être dupes de notre désintéressement et de notre honnêteté. La sur­prise qui nous fut faite en 1755 est un de ces événements dont l'horreur nourrit le souvenir, quoique le ressentiment ne subsiste plus. » Il était impossible d'oublier en effet, que brutalement, en pleine période de paix, en 1755, l'ami­ral Boscawen avait canonné deux navires français, char­gés de troupes pour le Canada, tandis que les bateaux marchands français étaient partout la proie de la flotte anglaise. Louis XVI avait alors le souci de renforcer les alliances de la France. La Pologne était en train de dis­paraître, la Suède était affaiblie et suivait la même voie ; quant à l'alliance autrichienne, le caractère de Joseph Il la rendait dangereuse, même si elle demeurait indispen­sable pour la paix européenne. Louis XVI ne voulait pas une guerre à outrance contre l'Angleterre. Il finit aussi par considérer que l'occasion lui était fournie de replacer la France dans la situation de force qu'elle occupait avant la guerre de 7 ans. Aux yeux du roi, il était possible de rétablir l'équilibre de l'Europe, faussé par la paix de Fontainebleau. Un autre aspect de la question méritait d'être considéré : Louis XVI supportait mal l'anglomanie qui sévissait au degré le plus élevé de la société française. Les répercussions de la crise américaine sur la politique intérieure française, ne lui ont pas écharpé. La révolte américaine présentait l'avantage de souligner combien l'admiration éperdue de certains Français, pour les cou­tumes et les lois de l'Angleterre, était peu fondée. La constitution anglaise était en défaut, et elle avait réussi à soulever les Anglais d'Amérique contre les Anglais d'Europe. 75:245 Les Américains étaient beaucoup plus violents contre le parlement que contre le roi qui aurait pu, sans la constitution, négocier un accord avec les insurgés. Fran­klin l'avait d'ailleurs pensé. La crise américaine pouvait anéantir la conspiration tendant à imposer à la France une constitution de type anglais. Le roi caressait l'espoir de ramener à la raison les mondains, les parlementaires, etc. Louis XVI jugea possible et opportun de soutenir les Américains dans leur volonté de se séparer de l'Angleterre. Le jeune État aurait dans l'avenir tout intérêt à se com­porter en allié fidèle, ne serait-ce que pour avoir sur le continent européen des ports libres et une aide efficace lui permettant de commercer, même contre le gré de l'An­gleterre. C'est Louis XVI qui a choisi sa politique exté­rieure et qui l'a menée à bien avec énergie. Vergennes ne voulait intervenir qu'avec l'Espagne : celle-ci s'étant déro­bée, le 7 janvier 1778 le roi, de sa propre autorité, dicta à son ministre un mémoire destiné à l'Espagne et exposant les motifs d'entrer en guerre ([^97]). Les événements de politique intérieure ne sont pas mieux traités. La série d'émeutes connue sous le nom de « guerre des farines », qui permit à la subversion de tâter les défenses de la monarchie, sont présentées comme un soulèvement spontané des affamés. Malheureusement, par­mi les « émeutiers de la faim » qui furent arrêtés, se trouvaient un notaire, un avocat, le garde-chasse du fer­mier général Bouret, un valet de chambre du comte d'Ar­tois ([^98]) ; des complicités s'étaient manifestées dans l'en­tourage du roi ; au plus fort des troubles, les lettres de Louis XVI à Turgot étaient divulguées dans Paris, une affiche séditieuse fut même placardée sur la porte du cabinet du roi ; une fois de plus, Manceron a déguisé la vérité. 76:245 La préface annonçait le vœu de l'auteur de se situer entre Marx et Freud. M. Manceron a combiné pornographie et esprit révolutionnaire. Nul n'échappe à son projecteur très spécial : Mirabeau et sa sœur, Marie-Jeanne Phlipor, la future Madame Roland, Marat, Voltaire, Diderot, d'Alem­bert et même Maurepas malgré ses 74 ans. L'imagination de l'auteur se révèle étrangement fertile sur les terrains les plus scabreux. Sade, bien qu'il soit « une illustration parfaite de l'esprit de classe » ([^99]), représente un crous­tillant sujet : Manceron n'a pas manqué de l'exploiter. Cette prose particulière culmine pourtant dans l'odieux lorsque Manceron s'attarde sur la vie intime du couple royal et semble préparer par ses obscénités et ses remar­ques égrillardes les réquisitoires des terroristes. L'imposture commence lorsque l'auteur se grime en historien. Il est vrai que pour des raisons inconnues les revues universitaires s'interdisent toute critique, même légère, à son encontre. Certains allèguent l'inconsistance du personnage. On est alors surpris de voir tel professeur éminent s'entretenir longuement par l'intermédiaire de la presse parlée avec ce spécialiste des ragots d'antichambre. Les appuis illimités dont bénéficie M. Manceron laissent son lecteur ébahi. Ces « Hommes de la Liberté » seraient-ils des « Fils de la Lumière » ? Jean-Pierre Brancourt. 77:245 ### La découverte de l'autre *suite* par Gustave Corçâo #### Voyage au bout de mes poumons QUAND JE FUS OFFICIELLEMENT INFORMÉ qu'il faudrait me soumettre à un examen de santé pour le renou­vellement de mon contrat, celui-là même qui m'avait fait connaître la couronne branlante du lieutenant Lino, j'en restai tout chose. J'ai toujours eu horreur de la médecine ; pour moi, examens et traitements sont les pires aspects de la maladie. 78:245 Notez bien que ce n'est pas une règle générale ; je connais des individus qui se ré­jouissent à la perspective d'une série d'injections au bis­muth. Il me semble que ce phénomène affecte surtout les personnes ordonnées, méthodiques, qui vivent sur terre pour ranger les choses, -- tiroirs ou viscères... J'en connais même un qui répète encore aujourd'hui, les yeux humides de gratitude, qu'il doit la vie à un examen de santé of­ficiel : la médecine avait détecté ce jour-là un soupçon d'opacité dans son poumon gauche, moyennant quoi ce brave homme put passer la moitié de son existence en régime de cure sévère à Campos de Jordâo ([^100]). Le souvenir de ce miracle ne me fit pas recevoir la nouvelle avec plus de satisfaction et je laissais passer les jours, comme si quelque chose allait survenir qui me délivrerait de la corvée. J'avais entendu dire, aussi, que dans ces examens le corps médical commençait par de­mander aux patients de se déshabiller. Je m'imaginais au milieu des autres candidats, nu à ma place dans la file indienne. Sur la plage, et jusqu'à un certain âge, je com­prends encore la nudité ; mais entre les machines à écrire, dans un bureau administratif, une file de professeurs nus, ceux-ci essuyant leurs lunettes, ceux-là fumant pour se donner contenance, constitue positivement un triste spec­tacle... \*\*\* Finalement, j'y suis allé. La certitude de me savoir en bonne condition m'encourageait ; ce serait une simple formalité. Je m'informai, et tombai enfin sur un édifice énorme, construit comme les couvents autour d'un cloître. Un petit jardin oublié, aussi sec que mal planté, jaunissait en son centre. J'ai pensé en le regardant que ces quatre palmiers et les pauvres plates-bandes devaient sans doute leur existence à un processus de formulaires, pétitions et requêtes. Chaque chose, dans cette caserne, avait dû germer en partant d'un timbre-poste. 79:245 D'autres personnes se promenaient autour du cloître en attendant leur tour. De temps en temps une porte s'ouvrait pour laisser passer un individu en blouse qui, l'air pressé et officiel, aboyait un nom ; un de ceux qui attendaient se glissait alors dans l'immeuble, le dos cour­bé, sur les pas du fonctionnaire. Près de moi attendait un sujet maigre, le bras en écharpe, sentant la drogue, qui semblait abîmé en de profondes pensées. Celui-ci sou­dain se tourna dans ma direction, avec un petit air malicieux, comme qui va dévoiler un secret incroyable, et murmura : -- On dirait qu'il va pleuvoir... Mais ce n'était pas la pluie qui l'affligeait ; c'était la solitude. L'homme aurait voulu bavarder, il cherchait un contact quelconque pour se convaincre d'être encore vivant. Il commençait de me conter l'histoire de ses furoncles quand la porte s'ouvrit, et que je fus appelé. Là-dedans siégeaient deux médecins, l'un gros et mar­tial, l'autre plutôt décharné et comme absent au monde. Je perçus tout de suite que mon type hyposthénique ([^101]) les intéressait. Ils me demandèrent d'enlever veston et chemise, et le gros, se penchant avec difficulté, a collé son oreille sur ma poitrine : manifestement, il en voulait à mes poumons. Le médecin avait dû formuler dans sa tête un début de théorie, et cherchait le reste in vivo. Il se redressa bientôt avec l'air de quelqu'un qui a touché juste et fit signe au collègue décharné en murmurant en code le verdict approprié. L'autre vint écouter à son tour et tomba rapidement d'accord... Le gros reprit alors l'écou­te pour préciser la chose, en s'attardant sur un certain point de mon côté gauche. Je lui contemplais l'occiput, reniflais l'odeur de sa brillantine, et comme sa blouse s'entrouvrait un peu, j'avais le loisir d'observer plus bas deux fesses proches de l'éclatement dans ses pantalons rayés. Il s'écarta enfin avec un sourire satisfait en décla­rant que je pouvais m'habiller. 80:245 -- Vous avez trouvé quelque chose, docteur ? deman­dai-je, avec un air de soumission accablée qui me parut aussitôt ignoble... -- Ça reste à confirmer ; vous devrez passer une radio. Et il consigna sur un papier l'ordonnance qu'il me faudrait présenter le lendemain à la section compétente de radiographie. Je me rhabillai, et sortis. J'étais convain­cu, par anticipation, de tuberculose, tout en trouvant une certaine logique dans la brusque apparition de la maladie à partir d'un examen de santé ; mon opinion profonde avait toujours été que, d'une consultation médicale, doit nécessairement surgir quelque maladie. Je résolus cependant de connaître quelques jours en­core le goût de l'indétermination avant de passer ma radio, et profitai de ce répit pour m'habituer à la tuber­culose. Pendant le jour je parvenais encore, en poussant bien sur la logique, à découvrir des avantages à la mala­die ; mais la nuit restait difficile à traverser. Au moment précis de m'endormir, l'idée de la mort m'envahissait avec une singulière netteté. J'ai souvent remarqué que cet ins­tant spécial recèle une intensité de réalisme que nous ne trouvons pas dans l'état de veille ni dans celui du rêve ; on dirait que s'estompe alors un mécanisme de di­version, tandis que la conscience éveillée ne fait pas encore totalement défaut : ces deux conditions réunies nous obli­gent souvent à des confrontations plutôt désagréables. Je laissai passer une semaine, dans cet état. Certains esprits supérieurs ne manqueront pas de sourire devant mon retard à tirer au clair une incertitude. Ces personnes se vantent, sans doute, d'être décidées. Mais si je me vantais précisément du contraire, il deviendrait impos­sible de savoir ici qui de nous a raison. Il est des gens qui se targuent de se lever tôt et d'autres qui s'enor­gueillissent avec plus d'enthousiasme encore de se cou­cher tard dans la nuit. Nos vanités sont très relatives, elles trouveront toujours matière à se vanter. L'individu pieds-sur-terre, « ne-m'en-racontez-pas », croit en lui-même et à la vertu des potions médicales ; moi, j'ai toujours un peu douté de l'un comme de l'autre. 81:245 Quoi qu'il en fût, je finis par me résoudre. Au moins, me disais-je, j'aurai ensuite toutes sortes de choses à mettre au point : trouver des spécialistes, discuter en fa­mille de la meilleure station de cure, choisir une montagne de livres, me munir d'un thermomètre et acheter un bloc de papier millimétré pour garder la main sur mes feuilles de température. Je pris le corçâo par les cornes, et me rendis à l'endroit indiqué sur l'ordonnance que le gros médecin m'avait donnée. Après m'être égaré dans divers services, je finis par m'asseoir dans la bonne salle d'attente. Passé l'ins­tant de gêne, je me mis à observer les personnes qui attendaient aussi. En face de moi une dame corpulente couvait son gamin de quatorze-quinze ans, long, exsan­gue, l'air idiot : voilà bien la victime des rayons X ; mais ce n'était pas pour la poitrine que celui-ci venait, car il arborait un énorme paquet de bandes et de gazes sur la main droite. A côté de la dame se tenait un capitaine d'ap­parence solide, en bottes et uniforme, dans la position cor­recte de l'homme rompu à tous les règlements. Le doux écoulement des heures lui fit perdre peu à peu sa rigidité militaire et il finit par somnoler. A l'autre bout de la pièce, près de la fenêtre, un vieux au buste énorme, les cheveux blancs taillés en brosse, le visage massif et les yeux bleus comme une imitation de pierres précieuses. On avait du mal à l'imaginer hors de cette pièce, dans d'autres circonstances, à tel point il paraissait adapté à sa chaise. C'est là qu'il avait dû naître, et grandir. Il ressemblait à un arbre, un énorme tronc coupé ; et quand il bougeait un peu les jambes ou clignait ses yeux d'azur, on aurait dit qu'une brise légère l'agitait doucement. Tous avaient l'air très bien dans cette salle ; ils vi­vaient. Aucun d'eux ne devait s'affliger en pensant à la rapidité de la Terre, à l'éloignement immense des constel­lations ou à la brièveté de la vie. Deux ou trois heures ainsi ont passé ; le vieux, la grosse dame, le gamin anémié, le capitaine et moi, nous avons vécu là une matinée ensemble dans cette absurde conjonction bureaucratique, tandis que s'opérait derrière la porte vitrée la laborieuse mise en route des répartitions. 82:245 Nous surprenions seule­ment des voix et des bruits de tasses ([^102]). De temps à autre un fonctionnaire au teint verdâtre ouvrait la porte comme s'il y avait eu le feu, nous inspectait du regard et disparaissait. A sa troisième apparition, la grosse dame s'agita, l'accrochant de la voix et du geste, et entama une longue narration sur le cas de son jeune homme, par laquelle nous fûmes tous avertis que celui-ci comptait des ancêtres militaires. Le fonctionnaire voulut bien voir la main et la dame se mit en devoir de dérouler des kilomètres de bandes, tandis que son oiseau blessé sem­blait aussi absent que s'il avait porté par faveur en cet endroit la main d'un autre. La grosse dame était visiblement satisfaite. Elle décli­nait son nom, le nom du mari, la parenté lointaine qui la liait à un haut fonctionnaire ministériel, toute fière de se sentir aspirée dans la grande machine administrative du pays. Elle se trouvait dans une position officielle et, en outre, sur le point de décrocher une radio gratis. Finalement, ce fut mon tour d'être appelé. Je pénétrai dans une salle longue, obscure, croisant sur mon chemin une fille maigre et triste que je n'avais pas vu entrer, et qui maintenant, pour sûr, emportait vers quelque fau­bourg de Rio la confirmation de ses cavernes. Un technicien me pria de retirer veste et chemise et de m'appuyer, bras ouverts, contre un écran ([^103]). Je restai ainsi, le froid pénétrant ma poitrine, dans le devoir absurde d'embrasser une paroi, jusqu'à entendre un « clic ». La voix du technicien m'avertit alors qu'il en avait fini ; je pourrais dans trois jours venir chercher le résultat... \*\*\* 83:245 Ce jour-là, plus convaincu que jamais, et déjà mora­lement assoupli à l'idée de ma tuberculose, je me présen­tai dans le service où je fus introduit avec une surprenante rapidité. Le fonctionnaire surgit, consulta ses fiches et déclara : -- Image pulmonaire normale, rien à signaler. \*\*\* Je me retrouvai dans la rue souple, neuf et comme aérien. Une jeune femme dans sa robe claire marchait sur le trottoir en ma direction. Je remarquai son visage. Il était quelconque ; elle avait les yeux inquiets des filles à marier, ce front fuyant des gens têtus et, par-dessus tout cela, le petit chignon crêpé qui était de mise à cette époque. La fille n'avait strictement aucune relation avec mon histoire, et elle a disparu dans une rue voisine en emportant son secret. Probablement, quelque part dans la ville, un garçon de bureau gardait son portrait dans la poche et montrait fièrement aux collègues son front têtu et le chignon crêpé. Comme elle fut la première personne que je croisai, après la bonne nouvelle, je sentis monter pour elle une grande tendresse, et l'envie de lui faire savoir que je possédais des poumons normaux. Tout d'un coup, cependant, une pensée absurde m'as­saillit : -- *Et maintenant, que vais-je faire de ces poumons normaux ?* Après tant de jours consacrés à l'organisation de mon programme de cure, la normalité me semblait affectée d'une profonde indétermination. Il était beaucoup plus facile en fin de compte de décider quoi faire... avec la tuberculose. La vie, en toute son extension, m'apparut comme un problème d'une insupportable extravagance. Que faire, avec mes poumons normaux ? Cette question pouvait être étendue à tous nos viscères et toutes les circonstances de la vie. 84:245 Oui, que faire ? Comme je devais traverser le jardin de Campo de Santana, sur le chemin du retour au bureau, j'eus l'idée d'utiliser ces poumons en m'asseyant sur le gazon pour jouer avec les tutus ([^104]). J'aurais aimé aussi de lâcher un cerf-volant ou jouer furieusement au ballon. La seule chose qui me semblait inadéquate à la normalité bienheureuse de mes poumons, c'était de re­tourner au bureau. La vérité est que toutes les choses que nous faisons tournent autour d'un trou, d'un manque, d'une certaine erreur qui appelle rectification, et que, par une étrange dérision, la plus grande partie de nos enthousiasmes vient de ce raccommodage constant. Devant la normalité, nous restons perplexes. Le monde entier vit ainsi. Y a-t-il guerre ou peste dans les cités ? l'homme s'exalte et devient opti­miste. Chacun sait exactement ce qu'il doit faire et tous s'oublient dans la tâche commune pour vaincre le mal. Dans les maisons, aussi, la vie n'atteint ses plus hautes vibrations et ne paraît digne d'être vécue que les jours où se déclarent l'inondation, le feu, la tuberculose. Toute catastrophe génère aussitôt une bouffée de bien-être : il suffit de voir dans la rue comme les gens sont heureux quand il pleut des hallebardes ou que surgissent les pompiers. Et c'est dans les sanatoriums que se rêvent, certainement, les plus beaux programmes de vie. Par-delà ces incohérences, j'avais bien sûr nettement conscience de la haute valeur de la normalité, -- mais ne parvenais pas à savoir ce que j'allais en faire. Je me souvins d'une conversation surprise quelques jours aupa­ravant dans un cercle de jeunes : ils rêvaient d'exploits, d'aventures et de voyages merveilleux. Petit, j'avais beau­coup aimé Jules Verne, et je sympathisais encore jusqu'à ce jour avec les individus qui rompent brusquement la routine du quotidien pour découvrir un pôle ou sonder les profondeurs d'un volcan. 85:245 Mais après cet examen de santé, je me pris à songer que l'esprit d'aventure existe parce que les gens ne savent plus quoi faire avec les jours normaux. Le sujet qui s'em­barque pour les mers de Polynésie est un esprit en vérité aussi aventureux que le serait le mien à Campos de Jordâo ([^105]). Il y soignera seulement une infirmité différente de la mienne. Le problème qui s'armait devant moi était donc de savoir s'il existait une aventure positive, une aventure extraordinaire dont tous les éléments fussent normaux ; un voyage insolite, mais qui se serait terminé dans un endroit familier, où l'on m'aurait attendu ; un jeu qui vaudrait vraiment la peine d'être joué, plus que la cutia ou le cerf-volant, et que j'aurais pu pratiquer sans extra­vagance aux jours de mes quarante ans, dans la joie, la gratuité, la liberté, la normalité dont toute chose vi­brait, quand j'étais gosse, au fond de mon jardin. Si cette aventure n'existait pas, alors oui, décidément, mes poumons normaux n'auraient servi de rien, et la vie entière pourrait passer pour une sotte plaisanterie. (*A suivre*.) Gustave Corçâo. (Traduit du portugais par Hugues Kéraly) 86:245 ### Oraison funèbre de Paul VI *selon Bossuet* par André Guès *Serions-nous déjà tous devenus des illettrés et des bar­bares ? Parmi les lectures recommandables, il n'y a pas seulement les manuels, les aide-mémoire, les dictionnaires et les condensés théologiques. L'usage des divers genres et ressources de la littérature fait partie de la culture intellec­tuelle ; de la civilisation. Dans notre numéro de mai nous avons donné, sur Paul VI, deux poésies de Louis Salleron pour illustrer le mot célèbre et incroyable de ce pontife aux acteurs :* « *Nous faisons le même métier *». -- *Voici maintenant autre chose, qui relève d'un autre genre, le pastiche. Mais attention : le pastiche n'est pas forcément une parodie, une imitation burlesque, recherchant un effet comique. Ce pastiche de Bossuet par André Guès recherche un effet intellectuel et moral incitant directement à la réflexion.* *Autre précision qui devrait aller sans dire. Paul VI n'est plus le chef de l'Église militante, il appartient au passé, à l'histoire. C'est la première raison* (*ce n'est pas la seule*) *pour laquelle on peut désormais parler de lui avec une liberté de ton qui ne serait pas convenable à l'égard du pontife actuellement régnant.* *J. M.* 87:245 CETTE TRISTESSE PUBLIQUE et universelle, qui se répand par toute la terre dans cet auguste événement qu'est la mort d'un souverain pontife, avertit les chrétiens de se souvenir que c'est en ce jour que l'Église célèbre ce que le vulgaire appelle celle des saints, pour se réjouir au contraire de leur naissance à la vraie Vie qui est la vie éternelle. Qu'est-ce donc à dire, Messieurs, sinon une évidence que je laisse à votre méditation ? Voilà en peu de mots ce qui nous est proposé dans cette mort ; mais pour en tirer les instructions, il faut que je m'élève au-dessus de l'homme, pour faire trembler toute créature sous le jugement de Dieu, il faut un plus long discours, dans lequel je ne puis entrer qu'après avoir imploré le secours d'en haut. *Ave*. Examinons donc, mes frères, les actions du pontife défunt et leur malignité. « *Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. *» De cette pierre d'angle, il a voulu faire la pierre roulée d'un torrent. Mais ce n'est que de son propre enseignement, répandu en homélies multipliées et contraires les unes aux autres, qu'il a fait ce je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue, qu'on ne sait par quel bord appréhender et qui n'a pas de sens appréciable à l'intelligence des choses divines que la grâce donne à tout chrétien. J'ai dit ailleurs (N.D.L.R. : *Sermon sur le véritable esprit du christianisme*) la nécessité aux chrétiens d'être immobiles et il les a émus, quand il ne les a pas faits contentieux entre eux et contre sa propre autorité. Fâcheux et farouche aux fidèles des dogmes, de la litur­gie et de la morale, qu'il voulut séduire, il accola tendre­ment le schisme oriental en la personne de son prétendu patriarche et donna l'anneau du Pêcheur au chef de l'une des innombrables sectes de la R.P.R., sans pour autant s'acquérir une âme étrangère à la vraie religion, et sans avoir jamais l'audience que des plus déterminés libertins. Dans le même temps il n'eut d'acrimonie que contre la Sainte Église qu'il fallut qu'il tirât de son naturel pour la réputer fautive dans les justes condamnations qu'elle porta des hérétiques, principalement des orientaux et des luthériens. 88:245 Son goût pour les applaudissements du monde le porta à féliciter l'assemblée des nations d'être ce qu'elle n'est pas et de faire autrement qu'elle ne fait. Il l'a créditée du pouvoir très exorbitant d'empêcher la guerre à jamais, alors que la guerre est le fruit du péché qui ne finira qu'au dernier jour. Une si fausse prétention à supprimer l'effet sans exterminer la cause est d'un superbe, alors qu'il est d'un esprit juste d'organiser, pour le borner, le mal que l'on ne peut extirper. Il eut considération pour les inventeurs trop subtils de vaines contentions et de questions de néant, qui ne servent qu'à faire perdre, parmi des détours infinis, la trace toute droite de la vérité. Que dis-je, il fit experts au concile de ces hommes inconsidérés et volages qui soufflent de la poussière et se jettent de la terre dans les yeux, *sufflant pulverem et excitant terram in oculos suos,* dit saint Augustin. Et en effet ces chicanes raffinées, ces subtilités en vaines distinctions sont véritablement de la poussière soufflée, de la terre dans les yeux qui ne font que troubler la vue. Nous l'avons tous vu sur un haut plateau des Amé­riques usurper la personne du Fondateur afin d'instituer un huitième sacrement dont le signe était le populaire assemblé pour l'acclamer. Et dans le même moment il voulut de cette vile multitude faire le Christ-même. Je me tais, je demeure stupide et sans voix devant cette manière de panthéisme. Nous l'avons tous entendu enseigner continûment à aimer l'homme afin d'aimer Dieu, renversant le mouvement à la fois naturel, théologique et évangélique qui est d'aimer Dieu afin d'aimer l'homme. Contre l'enseignement le plus constant de ses saints prédécesseurs, il prétendit absoudre, que dis-je, il osa sanctifier ce que Dieu lui-même condamne : dogmatisant sur cette Révolution satanique, il publia qu'elle ne le fut qu'en apparence et qu'au vrai elle était toute chrétienne par ses principes. De là, mes frères, que ses innocentes victimes portées solennellement par l'Église sur ses autels, ne furent qu'apparemment martyres. Je dis qu'à travers celles de ses témoins, c'est cracher à la face du Sauveur. Ah ! mes frères, tremblez car ce que j'ai à vous dire pour terminer est terrible. Priez pour que ces jours d'épreuves soient écourtés qui troubleraient les élus eux-mêmes. 89:245 Tremblez et priez car il s'en faut de peu que c'en soit fait de l'unité de l'Église, la marque même de sa création divine, et c'est en cela que se ramasse tout son gouvernement : il a entrepris sur la tunique sans cou­tures. Songez avec moi au malheur des peuples qui, ayant rompu leur unité, se rompent en tant de morceaux, et qui ne voient plus dans leur religion que la confusion de l'en­fer et la peur de la mort. Car combien voyons-nous de ces clercs parmi nous, esprits libertins qui, sans savoir la religion, ni ses fondements, ni son origine, ni sa suite, « *blasphèment ce qu'ils ignorent et se corrompent dans ce qu'ils savent *», dit l'apôtre saint Jude, docteurs sans doc­trine, qui pour toute autorité ont leur hardiesse sous le prétexte de la recherche théologique, et pour toute science leurs décisions précipitées sous le prétexte de suivre les mutations du monde, « *nuées sans eau *» et qui ne font rien fructifier, « *arbres deux fois morts et déracinés *» : morts premièrement parce qu'ils ont perdu la Charité rem­placée par je ne sais trop quelle solidarité et quel huma­nitarisme ; mais doublement morts parce qu'ils ont perdu la foi au point que, sommés de la dire, ils se réfugient dans le sophisme qu'elle est inexprimable aux lèvres humaines ; et entièrement déracinés puisque, déchus de l'une et de l'autre, ils ne tiennent à l'Église par aucune fibre, « *astres errants *» qui se glorifient dans leurs routes nouvelles et écartées, sans songer qu'il leur faudra bientôt disparaître. Opposons à ces esprits légers, et à ce charme trompeur de la nouveauté, la pierre sur laquelle nous sommes fon­dés, et l'autorité de nos traditions où tous les siècles passés sont renfermés, et l'antiquité qui nous réunit à l'origine des choses. Marchons dans les sentiers de nos pères et dans les anciennes mœurs comme nous voulons marcher dans l'ancienne foi. Mais sachez, chrétiens, la juste rigueur que subit dès ce monde le pontife défunt. Nous voyons par expérience les hommes qui n'ont jamais suspendu leur existence qu'aux choses de la terre n'en tirer qu'amertumes. Nous savons tous ce ministre (N.D.L.R. : André Malraux) qui déplora que sa longue vie ait été « *sanglante et vaine *», lui qui avait eu tous les honneurs terrestres par la con­fiance de son roi. Le pontife que je dis, lui qui avait cru à la bonté de l'homme, lui qui avait fait confiance aux instincts naturels, lui qui avait pensé fonder la religion de l'humanité, reçut du ciel une leçon méritée dans la mort misérable de son ami, le ministre assassiné après une cruelle prison. 90:245 Fidèles, méditez sa plainte. « *Un senti­ment de pessimisme vient anéantir tant d'espérances se­reines et ébranler Notre confiance dans la bonté du genre humain. *» En la plénitude du sacerdoce, ce prêtre est mort désespéré, qui en avait mésusé. Espérons cependant qu'il aura eu le temps de se reconnaître avant de compa­raître devant son Juge. Et vous, chrétiens, tirez la leçon de cette vie comme de cette mort. Mondains, dont la facilité n'accorde son applaudissement à la parole de Dieu sortie de ma bouche que sur les grâces de l'éloquence, vertu très-seconde que lui donnent les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint, mondains, dis-je, ce discours que vous jugez en ce moment vous jugera au dernier jour et si vous n'en sortez plus chrétiens, vous en sortirez plus coupables. P. c. c. : André Guès. 91:245 ### La prière liturgique pour le pape et l'évêque par Jean Crété LA LITURGIE de l'Église n'est pas désincarnée ; l'Église est une institution visible, en même temps que le corps mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L'Église a donc prévu dans sa liturgie la prière pour ses chefs spirituels, le pape pour l'Église entière, l'évêque pour le diocèse. Les ana­phores orientales comportent la mention du pape, du patriar­che, du métropolite, de l'évêque. Le Canon romain comporte, dès son premier paragraphe, la mention du pape et celle de l'évêque. La prière *Te igitur* demande à Dieu, le Père très clé­ment, d'agréer les dons (le pain et le vin destinés à devenir le Corps et le Sang de Notre-Seigneur), et ajoute : (ces dons) « que nous vous offrons en premier lieu pour votre sainte Église catholique : daignez la pacifier, la garder, l'unir et la régir dans le monde entier, en union avec votre serviteur notre pape N. et notre évêque N. et tous les orthodoxes qui font profession de la foi catholique et apostolique » : *una cum famulo tuo papa nostro N. et antistite nostro N. et omnibus orthodoxis...* Au premier N., on nomme le pape : Pio, Joanne, Joanne Pau­lo... ; au second N., on nomme, par son prénom, l'évêque du diocèse où l'on se trouve ; c'est pour cette raison que le prénom de l'évêque doit être affiché dans les sacristies, à l'intention des prêtres de passage ; on nomme l'évêque du diocèse même dans les églises de religieux exempts. On ne nomme pas un administrateur apostolique, même revêtu du caractère épiscopal, à moins de stipulation contraire expresse de sa bulle de nomination, ce qui est rare. 92:245 Nous en avons eu un cas historique en France : lorsque, en 1821, Rome se résolut à nommer à Lyon un administrateur apostolique pour suppléer le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, archevêque de Lyon, réfugié à Rome depuis 1815, il fut stipulé que les prêtres du diocèse de Lyon devraient nommer l'administrateur apostolique au Canon de la messe, et non plus le cardinal Fesch. Mais ce cas est tout à fait excep­tionnel : en règle générale, on nomme au Canon l'évêque du diocèse, même exilé ou empêché d'exercer sa charge, et non pas son suppléant. Pendant la vacance du Saint-Siège ou du siège épiscopal, on supprime la mention du pape ou de l'évêque et on ne dit rien d'autre à la place. Si le Saint-Siège est vacant, on dit donc *una cum antistite nostro N. et omnibus orthodoxis...* Si le siège épiscopal est vacant, on dit : *una cum famulo tuo papa nostro N. et omnibus orthodoxis...* En cas de vacance simultanée du Saint-Siège et du siège épiscopal, on dit : *una cum omnibus ortho­doxis atque catholicae et apostolique fidei cultoribus.* On nomme un nouveau pape au Canon dès que la nouvelle de son élection est connue ; en revanche, on ne nomme un nouvel évêque que lorsqu'il a pris possession canonique du diocèse en présentant ses bulles au chapitre de la cathédrale, ce qui n'a lieu généralement que plusieurs semaines après sa nomination publique. Il existe dans le missel une oraison pour le pape : *Deus, omnium fidelium...,* avec secrète et post­communion correspondantes. Elle n'est obligatoire que deux fois par an : pour l'anniversaire de l'élection du pape, et le jour ou l'anniversaire de son couronnement. Dans les rubriques en vigueur jusqu'en 1955, une troisième oraison pour l'Église ou pour le pape était prescrite aux semidoubles et aux simples pendant l'Avent, le temps de Noël, le temps pascal, les vigiles et les octaves. On avait donc le choix entre deux oraisons : *Ecclesiae,* pour l'Église, ou : *Deus, omnium fidelium,* pour le pape. Ces oraisons se disaient également, en seconde position, au temps de la Passion et pendant les octaves de Pâques et de la Pentecôte. L'oraison pour l'évêque est prescrite également deux fois par an : pour l'anniversaire de sa préconisation en consistoire, et le jour ou l'anniversaire de son sacre. L'oraison est la même que pour le pape, mais au lieu de dire : *Ecclesiae tuae,* on nomme le diocèse : *quem pastorem Ecclesiae Parisiensi praeesse voluisti.* Si l'évêque porte le titre de plusieurs sièges épiscopaux, on les nomme tous ; ainsi dans le diocèse de Lyon : *Ecclesiae Lugdunensi et Viennensi* (à l'Église de Lyon et Vien­ne). On ne dit jamais l'oraison pour le pape et l'oraison, pour l'évêque à la même messe ; en cas de coïncidence de deux anniversaires, l'oraison pour l'évêque est reportée au len­demain. 93:245 La liturgie du vendredi saint comporte une oraison pour le pape ; la deuxième de la série des huit grandes oraisons : *Oremus et pro beatissimo papa nostro N., ut Deus et Domi­nus noster qui elegit cum in ordine eptscopatus, salvum atque incolumem custodiat Ecclesiae suae sanctae, ad regendum populum sanctum Dei.* *Oremus. Flectamus genua. -- Levate. Omnipotens sempiterne Deus, cujus judicio universa fundantur : respice propitius ad preces nostras, et electum nobis antistitem tua pietate conser­va : ut christiana plebs, quae, te gubernatur auctore, sub tanto Pontifice credulitatis suae meritis augeatur. Per Dominum...* (Prions aussi pour notre bienheureux pape N., afin que Dieu Notre-Seigneur qui l'a choisi dans l'ordre de l'épiscopat, le conserve sain et sauf à sa sainte Église pour gouverner le saint peuple de Dieu. -- Prions, fléchissons les genoux. -- Levez-vous. Dieu tout puissant et éternel, sur le jugement de qui toutes choses sont fondées, regardez avec bonté nos prières et conser­vez par votre bienveillance le pontife, que vous nous avez choisi, afin que le peuple chrétien qui est gouverné par votre autorité, grandisse sous un tel pontife dans les mérites de la foi. Par Notre-Seigneur...) L'oraison suivante prie pour tous les évêques, prêtres et autres membres de la hiérarchie ecclésiastique, pour les con­fesseurs, vierges, veuves et tout le peuple de Dieu. La finale de l'*Exsultet* de la vigile pascale comporte des mentions du pape et de l'évêque du lieu, semblables à celles du Canon et obéissant aux mêmes règles. Il y avait, à la suite, une mention de l'empereur ; cette mention, qui avait perdu sa raison d'être à la disparition du saint empire romain ger­manique en 1806, a subsisté dans les éditions du missel jusqu'au début du XX^e^ siècle et n'a été supprimée que par saint Pie X. Assistant à l'office du samedi saint dans une église de campa­gne en 1955, j'eus la surprise d'entendre le prêtre chanter : *et imperatore nostro Renato.* Je me demandai un moment qui était cet empereur René, et je compris enfin qu'il s'agissait de M. René Coty, alors président de la République française, que le bon curé élevait ainsi à la dignité impériale. Pie XII a remplacé cette mention de l'empereur par une phrase d'une latinité très médiocre pour ceux qui ont le pouvoir de nous gouverner. Notons que la Belgique a obtenu en 1919 le privilège de nommer son roi au Canon de la messe. Les litanies des saints, dont le chant ou la récitation est obligatoire le 25 avril et les trois jours des Rogations, compor­tent une invocation pour le pape et tous les ordres ecclésiasti­ques, puis un verset et une oraison pour le pape : *Oremus pro Pontifice nostro N.* 94:245 *Dominus conservet eum et vivificet eum et beatum faciat eum in terra, et non tradat eum in animam inimicorum ejus.* (Prions pour notre pontife N. -- Que le Seigneur le conserve et le vivifie, qu'il le rende heureux sur la terre, et qu'il ne le livre pas à l'animosité de ses ennemis.) L'oraison, qui vient un peu plus bas, est : *Omnipotens sempiterne Deus, miserere famulo tuo Pontifici nostro N...* Saint Pie X a introduit en 1913 dans les prières fériales de laudes et de vêpres, qui se disent aux féries des temps de pénitence, des versets pour le pape et pour l'évêque ; le verset pour le pape est celui des litanies des saints, ci-dessus. Le verset pour l'évêque est : *Oremus et pro antistite nostro N. R. Stet et pascat in fortitudine tua, Domine, in sublimitate no­minis tui.* (Prions aussi pour notre évêque N. Qu'il tienne ferme et qu'il paisse son troupeau en votre force, Seigneur, pour la sublimité de votre nom.) Cette prière pour l'évêque n'est pas dite par le clergé romain, dont l'évêque n'est autre que le pape. Un prêtre nomme toujours son propre évêque dans ce verset, même hors de son diocèse ; un religieux nomme l'évêque du diocèse dans lequel se trouve le couvent auquel il est cano­niquement attaché. Toutes ces prières pour le pape et l'évêque s'omettent en cas de vacance du Saint-Siège ou du siège épis­copal. Le missel romain contient une messe votive *pro eligendo Summo Pontifice* à dire pendant la vacance du Saint-Siège ; cette messe est absente de beaucoup de missels pour fidèles. On peut dire aussi la messe du Saint Esprit. Enfin, c'est une coutume assez générale, mais ce n'est pas une règle, de chanter une prière pour le pape au Salut du Saint Sacrement. On prend le plus souvent l'*Oremus pro Pontifice...* des litanies des saints, ou le *Tu es Petrus,* antienne de l'office des saints Pierre et Paul, suivie d'un verset variable suivant les diocèses et de l'oraison *Deus, omnium fidelium.* Les livres de chant prévoient aussi la prière pour l'évêque, empruntée aux prières fériales. Dans ce cas, si l'on dit pour l'évêque l'oraison *Deus, omnium fidelium,* on prend pour le pape l'orai­son *Omnipotens*, des litanies des saints. Cette prière pour l'évêque est de peu d'usage. Au cours d'une vie déjà longue, nous n'avons entendu chanter que trois ou quatre fois la prière pour l'évêque, alors que nous avons entendu des centaines de fois la prière pour le pape. Nous répétons qu'elle n'est pas obligatoire. Les seuls chants obligatoires du Salut sont le *Tantum ergo*, le verset *Panem de coelo,* et l'oraison *Deus qui nobis sub sacremento...* Tout le reste est au libre choix du curé ou du supérieur ; dans les monastères de femmes, la supérieure propose le programme du Salut à l'aumônier, qui peut élever des objections. De l'absence d'une prière pour le pape au Salut, on ne peut donc pas induire que le curé ou la communauté refuse de prier pour le pape. 95:245 D'après l'enseignement constant et unanime du magistère et des auteurs spirituels, les devoirs envers les supérieurs légitimes découlent, par analogie, du quatrième commandement de Dieu : « Tu honoreras ton père et ta mère. » Or ce devoir est absolu et persiste même en cas d'indignité des parents. La loi française, en accord parfait sur ce point avec la loi naturelle, maintient l'obligation alimentaire des enfants envers leurs parents, même en cas d'abandon des enfants ou de déchéance de la puissance paternelle. Sans doute, pour les supérieurs religieux ou civils, il y a analogie, et non identité de cas. Nous ne parlons ici que du devoir de la prière. Les auteurs spirituels enseignent qu'il y a devoir de justice de prier pour le prêtre qui nous a bap­tisés, pour ceux qui nous ont instruits, donné les sacrements, pour l'évêque qui nous a confirmés. Un prêtre a un devoir parti­culier de prier pour l'évêque qui l'a ordonné ; la dernière moni­tion de l'évêque aux prêtres qu'il vient d'ordonner se termine par : *et omnipotentem Deum etiam pro me orate* (et priez aussi pour moi le Dieu tout-puissant). Le pontifical romain ajoute : *Respondent se facturos* (ils répondent qu'ils le feront), et la pratique romaine est que les nouveaux prêtres répondent : *Libenter* (volontiers). Il y a assurément un devoir de prier pour le pape et l'évêque en charge et pour leurs prédécesseurs que nous avons connus. Nous terminons en citant une prière pour le pape, aujour­d'hui bien oubliée, que l'Apostolat de la prière et la Croisade eucharistique avaient mise en honneur dans la première moitié du XX^e^ siècle : *Seigneur Jésus, couvrez de la protection de votre divin Cœur notre Saint-Père le pape N. Soyez sa* *force, sa lumière et sa consolation. Ainsi soit-il.* Jean Crété. 96:245 Un inédit du P. Emmanuel ### Traité des fins dernières *La parabole des dix vierges* *Ce texte a paru seulement dans le* «* Bulletin de Notre-Dame de la Sainte-Espérance *»*, deux ans avant la mort du P. Emmanuel. C'est une explication de la parabole des dix vierges, qui constitue un très beau traité des fins dernières, appuyé sur l'Écriture et les commentaires patristiques.* *J. M.* #### I « Le royaume des cieux est semblable à dix vierges, qui, ayant préparé leurs lampes, sortent pour aller au devant de l'épouse et de l'époux. » 97:245 Le royaume des cieux, c'est l'Église. Elle est ainsi ap­pelée, parce que sa première origine doit se chercher dans la prédestination qui est cachée au sein de Dieu ; puis parce qu'elle a été fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'Adam nouveau, l'homme céleste, et qu'elle se compose d'hommes qu'à son image Notre-Seigneur rend célestes. On peut donc affirmer qu'elle vient des cieux ; et un jour elle sera tout entière transportée dans les cieux, où règnent déjà ceux que saint Paul appelle « les premiers-nés de la gloire ». En réalité l'Église est étrangère ici-bas ; elle traverse ce monde, elle n'en est pas. Le royaume des cieux est, comme le dit le divin maître en un autre passage du saint Évangile, semblable à des noces. L'Époux, c'est Notre-Seigneur ; l'Épouse est l'Église. Notre-Seigneur est tout à la fois la tête de son Église et son Époux ; l'Église est en même temps le corps de Jésus-Christ et son Épouse. Il n'y a pas d'antinomie entre ces similitudes. Le mot d'Épouse nous fait voir que l'Église appartient à Jésus-Christ par un libre choix ; le mot de corps désigne la parfaite unité d'esprit qui la rattache à lui. Il s'agit ici d'un corps mystique, dans lequel les âmes ne sont qu'un même esprit avec la tête divine qui les surmonte, et par suite les unes avec les autres comme des membres étroitement unis. Notre-Seigneur a fait ses noces avec notre nature par la sainte Incarnation ; il va, à travers les figes, se ratta­chant des membres par le baptême, et consomme avec chacun son union par l'Eucharistie ; un jour, au dernier jugement, il prendra son Épouse dans la plénitude de ses membres, et l'introduira dans les noces éternelles. Les chrétiens sont-ils assez pénétrés de cette pensée, qu'ils appartiennent au royaume des Cieux ? Se consi­dèrent-ils assez comme voyageurs et étrangers sur la terre ? Comprennent-ils assez le bonheur que Dieu leur prépare, et l'ineffable douceur des noces auxquelles ils sont conviés ? Dès ici-bas, s'ils sont fidèles, Dieu leur en donne un avant-goût ; et il y a de quoi leur faire prendre en profonde pitié la vie mondaine, qui se répand sur les créatures, qui cherche en elles ce qu'elles sont impuissantes à donner. Ô lamentable aberration ! Perdre les pures et enivrantes délices de l'esprit pour les criminelles satis­factions de la chair ! Aventurer son éternité pour une joie éphémère qui ne laisse après elle que dégoût et remords ! 98:245 #### II « Le royaume des cieux est semblable à dix vierges. » Que faut-il entendre par ces dix vierges ? Ce sont, dit saint Augustin, les âmes de tous les chrétiens. Il ne faut pas restreindre la comparaison à celles-là seulement qui font profession de virginité ; il ne faut pas non plus l'éten­dre à tous les hommes. Elle s'applique à tous les chrétiens. Car d'un côté elle a pour terme le royaume des cieux, où entrent les chrétiens mariés comme les vierges ; de l'autre, les vierges sont dites aller au-devant de l'Époux, ce qui ne saurait convenir aux non-chrétiens. Dans un sens les chrétiens sont l'Épouse même ; dans un autre, considérés individuellement, ils sont compagnons et compagnes de l'Époux et de l'Épouse. S'ils sont fidèles, ils seront associés à leur éternelle félicité, et ne feront qu'une même chose avec eux ; s'ils sont infidèles ils en seront malheureusement et éternellement séparés. Il fallait de toute nécessité les considérer individuellement, pour faire voir en eux la distinction des mérites. Pourquoi dix vierges ? Saint Augustin nous dit que le nombre cinq, avec son multiple, convient à l'homme qui a les cinq sens comme caractéristique de sa vie corpo­relle. On peut voir dans le nombre dix une allusion aux dix commandements de Dieu, dans l'observation desquels se résume la vie chrétienne prise en son sens le plus large. Peut-être enfin que c'était la coutume que dix vierges fussent déterminément le cortège de l'épouse dans les noces orientales. Mais comment cette description des dix vierges s'appli­que-t-elle aux chrétiens ? Il y a trois caractères qui en ressortent : ce sont des vierges, elles tiennent en main des lampes, elles sortent pour aller au-devant de l'Époux et de l'Épouse. Ce sont des vierges : comment les chrétiens peuvent-ils revendiquer le beau privilège d'être des vierges ? C'est qu'il y a une virginité qui leur convient à tous, à savoir l'intégrité de la foi et l'abstention des plaisirs illicites. Ici citons saint Augustin : 99:245 « L'Apôtre entend, non pas les seules personnes religieuses, mais toute l'Église quand il dit : « J'ai promis de vous présenter vierge chaste, à un homme unique qui est le Christ. » Et, comme il faut se méfier du diable qui est le corrupteur de cette virginité, il ajoute : « Je crains que, comme le serpent séduisit Ève par sa ruse, vos sens ne soient corrompus et ne perdent la chasteté qui est dans le Christ. » Ainsi peu sont appelés à garder la virginité dans leur corps ; tous doivent l'avoir dans leur cœur. » Celui qui se renferme dans le fidèle accomplissement du mariage et de ses devoirs de famille selon la volonté de Dieu, celui-là est vierge dans son cœur. Les dix vierges tiennent dans leurs mains des lampes : ces lampes, dit saint Augustin, désignent les bonnes œuvres. C'est l'interprétation authentique du saint Évangile « Que vos œuvres, dit le Seigneur, luisent devant les hommes, afin que voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Pète qui est dans les cieux. » Ainsi la bonne vie est comme une lampe éclatante, qui, brillant dans les mains des chrétiens, indique à tous les hommes le droit chemin, et les porte à glorifier le Père céleste. Notre-Seigneur dit de même à ses disciples : « Que vos reins soient ceints et vos lampes ardentes. » La cein­ture passée aux reins et comprimant les désirs de la chair, c'est la virginité ; les lampes ardentes, ce sont les bonnes œuvres, ou du moins un extérieur correct de vie chré­tienne dans lequel il n'y a rien à reprendre. Les dix vierges sortent pour aller au-devant de l'Épouse et de l'Époux. Cette sortie suppose en elles le désir de faire leur salut ; cette sortie s'effectue par la foi et l'espérance. On ne sort pas ainsi, quand on ne croit pas aux vérités éternelles ; on ne sort pas ainsi, quand on n'est pas sti­mulé par l'espérance. Évidemment, dans nos dix vierges, il faut reconnaître ces deux vertus théologales. En résumé, elles sont vierges, elles s'abstiennent des plaisirs défendus ; elles ont tout l'extérieur de la vie chré­tienne, dont elles observent les commandements et suivent les pratiques ; elles ont la foi et l'espérance. Ici se pose une question formidable : pourquoi parmi elles cinq sages et cinq folles ? Pourquoi cinq sont-elles admises aux noces, et cinq repoussées des noces ? Nous posons la question avec saint Augustin, il nous en donnera la solution. 100:245 #### III « Il y avait parmi elles cinq folles et cinq sages. » « Les cinq folles, en prenant leurs lampes, ne prirent pas d'huile avec elles. » « Les cinq sages prirent de l'huile dans des vases avec leurs lampes. » C'est la provision d'huile qui fait entre elles la diffé­rence. Les vierges sages ont cette provision : les vierges folles ne l'ont pas. Que signifie cette huile ? Quelque chose de grand, dit saint Augustin ; et ce quelque chose de grand, c'est la charité. La charité, sans laquelle rien ne sert pour le salut, même la foi, même l'espérance ; La charité, qui nous fait agir pour Dieu seul, par l'unique et souverain désir de lui plaire ; La charité, qui fait qu'on ne s'enfle pas de ses bonnes œuvres, et que pour les avoir fidèlement accomplies on ne se préfère pas au prochain. Cette charité, sceau des élus, gage de l'éternelle vie, les vierges sages l'ont, les vierges folles ne l'ont pas. Extérieurement toutes ces vierges se présentent de mê­me ; c'est dans l'intérieur du cœur, dans le fond de la conscience, que gît la différence entre elles. Car les vases dans lesquels l'huile est renfermée, c'est le cœur, c'est la conscience. Remarquons-le, toutes leurs lampes brillent ; mais les sages ont avec elles de quoi entretenir cette lumière, les folles n'ont pas de quoi l'entretenir. Ici prêtons l'oreille à la très sagace observation de saint Augustin. Les vierges sages agissent pour Dieu, dans la pure in­tention de lui plaire ; il y a là un motif supérieur qui ne saurait leur manquer. Les vierges folles au contraire agissent pour le monde, dans l'intention de s'attirer des louanges. 101:245 Ces louanges sont comme une huile empruntée, qui communique à leurs lampes un certain éclat : mais que ces louanges leur fassent défaut, aussitôt leurs lampes s'éteignent. En un mot, tandis que l'éclat des lampes des premières vierges est assuré, la lumière de leurs lampes à elles est factice et temporaire. Malheureuses vierges folles ! se priver des plaisirs dé­fendus ; s'assujettir au joug de la vie chrétienne, avoir la foi, avoir l'espérance ; et puis compromettre son salut en recherchant les louanges et l'approbation du monde ! Com­bien un tel spectacle ne doit-il pas nous stimuler à fuir la vanité, et à nous conduire en toutes choses par le pur désir de plaire à Dieu seul ! #### IV Elles sortent donc ces vierges, pour aller au-devant de l'Époux et de l'Épouse ; pour attendre cet Époux céleste qui est venu une première fois sur la terre chercher son Épouse, qui l'a quittée pour un peu de temps, qui reviendra la prendre définitivement avec lui dans un appareil de gloire. Cependant l'Époux tarde à venir. Ah ! ces délais de Dieu, qui ne sont rien au regard de l'éternité, comme ils pèsent souvent à l'impatience humaine ! Il est nuit. La nuit désigne la vie présente, où nous sommes éclairés par le flambeau de la foi, en attendant le grand jour de l'éternité. Elle désigne aussi, selon saint Augustin, la profonde ignorance où nous sommes relative­ment à l'heure du jugement. Et les vierges, toutes, s'assoupissent et s'endorment toutes, bonnes et mauvaises, sages et folles. Ici nous cite­rons saint Augustin : « Pensez-vous, dit-il, qu'il s'agisse là d'un bon som­meil ? quel est ce sommeil ? Peut-être bien que, l'Époux tardant à venir, et l'iniquité se multipliant, la charité de beaucoup se refroidit ? Faut-il donc entendre ce sommeil du refroidissement de la charité ? 102:245 Je ne le crois pas, et je dirai pourquoi ; c'est que les sages subissent ce sommeil comme les folles. Il est vrai, le Seigneur a prédit que la charité de beaucoup se refroidirait par l'abondance de l'iniquité dans le monde. Mais il a tout aussitôt ajouté : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. » Or les vierges sages ne sont-elles pas précisément de ceux qui persévèrent jusqu'à la fin ? Sans doute, mes frères : et si elles sont admises aux noces, c'est en raison de leur persé­vérance. Le froid de l'iniquité ne s'est pas glissé dans leur âme, leur charité ne s'est pas refroidie, mais jusqu'à la fin elle est demeurée ardente. Parce qu'elle est demeurée ardente, les portes de l'Époux s'ouvrent pour elles : et comme au bon serviteur, il leur est dit : « Entrez dans la joie de votre Seigneur. » Que signifie donc cette parole, « toutes s'endormirent ? ». Il est un sommeil auquel per­sonne n'échappe. Ne vous rappelez-vous pas l'Apôtre qui dit : « Je ne veux pas vous laisser dans l'ignorance au sujet de ceux qui dorment », c'est-à-dire au sujet de ceux qui sont morts. Pourquoi les morts sont-ils appelés des dormants, sinon parce que, à leur heure, ils ressusciteront ? Donc « toutes s'endormirent ». Une vierge a beau être sage, elle ne peut éviter la nécessité de la mort. Qu'elles soient folles, qu'elles soient sages, toutes s'endorment du som­meil de la mort. « Souvent on entend les hommes dire : voici que vient le jour du jugement, il se fait tant de mal, les fléaux se multiplient de telle sorte, que c'est bien la réalisation de ce qu'ont dit les prophètes, et il ne saurait tarder désor­mais. Ceux qui parlent ainsi, le font en esprit de foi ; et par de telles pensées, ils vont au-devant de l'Époux. Mais voici guerre sur guerre, tribulation sur tribulation, tremblement de terre sur tremblement de terre, famine sur famine, nation soulevée sur nation soulevée, et l'Époux ne vient pas encore. Tandis qu'ils attendent sa venue, tan­dis qu'ils disent : « le voici il ne saurait tarder davan­tage », tous ceux qui parlent ainsi s'endorment les uns après les autres. Le tout est de s'endormir de la bonne manière en persévérant dans la charité jusqu'à la fin ; en un mot, que le sommeil de la mort nous trouve attendant fidèlement l'Époux ! Ce n'est qu'un sommeil, bientôt suivi de la résurrection. Mais ce sommeil, tous le subissent vierges sages et vierges folles ! » 103:245 Quelle peinture que celle de ces générations dispa­raissant de la surface de la terre les unes après les autres, tandis que l'Époux tarde à venir ! Du temps de saint Augustin, les barbares faisaient irruption de toutes parts dans l'empire romain, et portaient le ravage et la désolation en ses provinces florissantes ; en présence de ce déluge de calamités, plusieurs croyaient à la fin prochaine du monde, et saint Grégoire le Grand lui-même se fait l'écho de ces appréhensions. Saint Augustin, lui, ne céda pas à cette impression d'ailleurs bien explicable. Dans une lettre à un certain Hésychius, évêque de Salone, qui est un véritable traité, il explique très doctement les raisons qui l'empêchent d'ajouter foi à un avènement prochain du Juge des vivants et des morts. Son sentiment s'est trouvé juste : quinze siècles se sont écoulés depuis l'invasion des barbares, et le monde attend encore les redoutables assises du dernier jugement. C'est la vérification du mot de l'Évangile : « l'Époux tardant à venir ». Revenons à nos vierges. Les vierges folles, ayant un extérieur compassé de vie chrétienne par lequel elles cher­chent à s'attirer la faveur et l'applaudissement du monde, sont, en somme, des hypocrites. Or saint Grégoire le Grand distingue deux époques dans la vie terrestre de l'Église : l'une pendant laquelle la religion est honorée des grands et des princes, et protégée par les pouvoirs pu­blics ; l'autre pendant laquelle la vraie foi est rejetée par le grand nombre et les bons chrétiens sont honnis et per­sécutés. Pendant la première période les hypocrites se dissimulent soigneusement sous le masque des pratiques religieuses, leurs lampes brillant d'un éclat factice. Du­rant la seconde, ils jettent le masque et se joignent aux ennemis de l'Église qui ont pris temporairement le des­sus ; leurs lampes sont éteintes. N'est-ce pas ce que nous voyons de nos jours ? Ceux qui croyaient de bon ton de conserver quelques pratiques religieuses, les abandonnent, parce qu'ils voient que l'esprit public est hostile à la reli­gion et à ses ministres. Est-ce à dire qu'aujourd'hui l'hypocrisie ne soit plus à craindre, et que tous les chrétiens pratiquants soient de francs et vrais chrétiens. Hélas ! il faudrait connaître bien peu la nature humaine pour croire qu'elle n'ait pas toujours à se défier de la vanité, laquelle empoisonne les meilleures actions ! Il est, de nos jours, un certain chris­tianisme tolérant et accommodant, que le monde même le plus irréligieux couvre de louanges. 104:245 C'est contre ce chris­tianisme, qui n'ose pas affirmer les droits de Dieu, qu'il faut se mettre en garde. S'il insinue son poison jusqu'au fond de nos cœurs, nous sommes perdus. Ayant si peur de déplaire au monde, de heurter le monde, comment, se­lon ce que dit saint Paul, serions-nous encore des servi­teurs de Jésus-Christ ? Ce désir de plaire au monde, n'est-ce pas précisément ce qui constitue les vierges folles ? #### V Toutes nos vierges sont mortes, bien mortes ; et tous les bruits du monde ne les réveilleront pas. Mais « voici qu'au milieu de la nuit s'élève une grande clameur ». « Qu'est-ce à dire, « au milieu de la nuit », se demande saint Augustin ? Cela signifie : quand on en est venu à ne plus espérer, à ne plus croire. La nuit dé­signe une profonde ignorance. Il s'en trouve qui calculent comme il suit : Tant d'années se sont écoulées depuis Adam, voici bientôt la somme de six mille ans qui se complète, aussitôt ce chiffre atteint, d'après certains in­terprètes, éclatera le jour du jugement ; et les années s'accumulent, et les supputations sont reconnues fautives, la venue de l'Époux tarde toujours, et les vierges allant à sa rencontre s'endorment. Et tandis qu'on en est venu à ne plus rien espérer, puisque la date des six mille ans est passée, tandis qu'on se demande anxieusement et sans point de repère « quand viendra-t-il ? », voilà qu'il vient au milieu de la nuit. Il vient, quand on est en pleine incertitude de sa venue. N'est-ce pas là ce que déclare le Sauveur, quand il dit : « Il ne vous appartient pas de savoir les temps que le Père garde en sa puissance. » L'Apôtre tient le même langage : « Le jour du Seigneur viendra comme le voleur dans la nuit. » Veillez donc durant la nuit, pour que le voleur ne vous surprenne pas, quant à éviter le sommeil de la mort, bon gré mal gré, vous ne l'éviterez pas. » 105:245 Ainsi, d'après le saint Docteur, il est inutile d'établir des supputations concernant la fin du monde, de chercher à deviner la date du jugement. Il éclatera précisément au moment où, tous les calculs étant reconnus fautifs, l'humanité déroutée en sera venue à ne plus attendre la venue du Souverain Juge, et presque à n'y plus penser. Jamais les ténèbres n'auront été plus épaisses. Les impies se riront de la vaine attente des justes ; et ceux-ci mêmes seront déconcertés. « Quand viendra le Fils de l'homme, demande le Sauveur, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre ? » Il en trouvera sans doute, puisque son Église subsistera jusqu'à la fin des siècles, et que l'Église n'existe que par la foi. Mais cette foi sera devenue si rare, elle se trouvera si obscurcie et si défaillante, que son flambeau n'aura plus la pénétrante et victorieuse clarté des premiers âges. A ce moment de torpeur générale, une clameur s'élève soit le choc des éléments du globe, qui entre en de su­prêmes convulsions avant que de se dissoudre ; soit la voix des anges qui se rend sensible, qui éclate comme un son de trompette, et qui, par la vertu de Dieu, s'en va réveiller les morts dans leur tombe. Et que dit cette clameur terrible ? Oh ! une chose très douce, une chose enchanteresse : « Voici l'Époux qui vient, sortez à sa rencontre. » C'est en cet appel d'amour que se résout le bouleversement du monde. Heureux les morts que cette clameur, que cet appel d'amour fera tressaillir dans leurs tombes ! Pour ne pas être surpris, méditons sur cet instant re­doutable qui clôturera les annales de l'humanité sur la terre. Nous vivons de la patience de Dieu qui nous attend à conversion. Plus cette patience est étendue, plus l'appa­rition soudaine du Souverain Juge sera formidable. #### VI « Tous, dit saint Paul, nous ressusciterons ; mais tous nous ne serons pas transformés. » 106:245 Mort commune aux bons et aux méchants ; résurrection commune. Puis le jugement général, résumant et complétant le jugement particulier. A la clameur qui retentit, « toutes les vierges se levèrent », « et elles préparèrent leurs lam­pes », elles sortirent de leurs tombes et elles se prépa­rèrent, puisque les lampes désignent les bonnes œuvres, à rendre compte au Souverain Juge des œuvres de toute leur vie. Mais alors qu'arriva-t-il ? Les vierges sages, qui avaient avec elles leur vase d'huile, rallumèrent leurs lampes ; les vierges folles qui n'avaient pas d'huile, ne purent ral­lumer les leurs. Ici écoutons saint Augustin : « Ces vierges folles, par leur abstention des plaisirs coupables, par leurs bonnes œuvres, cherchaient une répu­tation tout humaine. Voulant plaire au monde, et faisant pour lui toutes ces choses louables, elles ne portent pas d'huile avec elles. Ne les imite pas, ô chrétien : porte avec toi ton huile, porte-la intérieurement, là où pénètre le regard de Dieu ; porte le témoignage de ta propre conscience. Celui qui se règle sur le témoignage d'autrui, ne porte pas avec soi son huile. Si donc tu t'abstiens des choses illicites, si tu fais des bonnes œuvres pour être loué par les hommes, tu n'as pas ton huile au-dedans de toi-même. Quand les hommes cesseront de te louer, ta lampe s'éteindra. Prêtez-moi ici votre attention, mes chers frères. Avant que les vierges s'endormissent, il n'est pas dit que les lampes d'aucune d'entre elles se soient étein­tes. Les lampes des sages brûlaient d'une huile intérieure, de la paix de leur conscience, d'une gloire secrète, d'une intime charité. Les lampes des folles brûlaient également pourquoi ? Parce que les louanges humaines ne leur man­quaient pas. Mais après qu'elles furent toutes ressuscitées, elles cherchèrent à disposer leurs lampes et à les rallumer, autrement dit à préparer leur reddition de compte. Mais comme alors il n'y aura plus de louanges trompeuses, com­me chacun sera tout entier occupé de soi-même et du compte qu'il a personnellement à rendre, les lampes des vierges folles s'éteignirent, elles furent impuissantes à les rallumer, et se tournant vers les sages, elles leur dirent : « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s'étei­gnent. » Elles voulurent alors continuer ce qu'elles avaient coutume de faire, c'est-à-dire faire briller leurs lampes avec une huile d'emprunt, quêter les approbations d'autrui. Mais tout cela n'était plus de saison. » 107:245 Les sages leur répondirent : « De crainte que l'huile ne suffise pas pour nous et pour vous, allez plutôt aux vendeurs, et achetez-en pour votre usage. » Saint Augustin voit en cette réponse comme une dérision de l'éternelle sagesse, à l'adresse de ceux qui méconnaissent les droits imprescriptibles de l'amour divin. En tout cas, elle ex­prime, de la part des vierges sages, non pas un désespoir de trouver grâce devant le Souverain Juge, mais une sage défiance touchant leurs propres mérites, et une salutaire humilité. Telle doit être notre attitude pour nous présenter au tribunal de Dieu, qui juge les justices mêmes. « En ce jugement, dit saint Augustin, la bonne conscience elle-même ne peut que trembler. » Loin de s'enfler de ce qu'elle a fait de louable, elle craint que le regard scruta­teur du Juge ne découvre en elle des taches qu'elle ne soupçonne pas. Elle s'humilie donc et s'écrie : « N'entrez pas en jugement, Seigneur, avec votre serviteur. » Elle se réclame à sa miséricorde, et fait appel à sa clémence : « Pardonnez-nous nos offenses. » La vraie justice ne con­naît pas la présomption, mais d'ailleurs elle espère dans les mérites de Jésus-Christ : « En vous j'ai espéré, Sei­gneur, je ne serai pas éternellement confondu. » Dès lors que les justes eux-mêmes ne se fient pas sur leurs justices et mettent l'espoir de leur salut à implorer la miséricorde de leur Juge, ils ne peuvent se porter ga­rants de la vie de leur prochain et en prendre la respon­sabilité. A chacun selon ses œuvres, au tribunal de Dieu ; chacun pour soi-même : c'est une loi qui n'admet pas d'exception. Aussi les vierges sages repoussent-elles le recours des vierges folles : « Allez aux marchands d'huile et achetez-en. » Les marchands d'huile, dit saint Augustin, ce sont les flatteurs. Ils vendent de l'huile, en se faisant payer d'une manière ou d'une autre les louanges qu'ils donnent. Ô le triste commerce ! La louange accuse un fond répréhensible de vanité et chez celui qui la donne et chez celui qui la reçoit. Ah ! s'écrie saint Augustin, au lieu de prêter l'oreille à des flatteurs, que ne portez-vous votre huile en vous-même, que ne faites-vous vos bonnes œuvres par un motif de conscience et pour plaire à Dieu, que ne dites-vous : « Le juste me corrigera et me reprendra miséri­cordieusement, mais l'huile du pécheur ne sera pas versée sur ma tête. » 108:245 Mieux vaut mille fois que le juste me répri­mande, que le juste me reprenne, que le juste me souf­flette, que le juste me châtie, que de recevoir sur ma tête l'huile du pécheur ! qu'est-ce que l'huile du pécheur, sinon les caresses du flatteur ? Au jugement de Dieu, les flatteurs ont disparu. L'âme qu'ils ont trompée les cherche désespérément. Et durant ce temps l'Époux vient, la porte se ferme. C'est la dernière partie du drame qui va se développer devant nos yeux, comme un enseignement vécu. #### VII Voilà donc les malheureuses vierges qui ont leurs lampes éteintes. Elles croyaient avoir fait des bonnes œuvres, et ces œuvres, sont mortes. Elles croyaient tenir quelque chose, et ce quelque chose s'est évanoui comme une fumée ; tel celui qui aurait des billets de banque, lesquels se trouveraient faux et sans valeur. Leur agitation pour trouver des vendeurs d'huile dé­peint leur désarroi et le désespoir de leur âme habituée à des flatteries, et qui ne rencontre autour d'elle qu'un morne silence. Cependant, « l'Époux vient et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces, et la porte fut fermée ». Ah ! dit saint Grégoire le Grand sur ce passage, s'il nous était donné de sentir, par un goût intérieur, tout ce qu'il y a d'admiration en cette parole : « l'Époux vient ! » Et de douceur en cette autre : « Elles entrèrent avec lui aux noces ! » Et d'amertume en cette autre : « Et la porte fut fermée. » *Venit sponsus, quid admirationis !* Il est venu autre­fois sur la terre, si humble et si pauvre ! Il y a vécu si méprisé ! Il y est mort si ignominieusement supplicié ! Il reste au Saint-Sacrement si caché et si délaissé ! Il est si nié, si discuté, si combattu ! Et maintenant le voilà sur les nuées du ciel, entouré d'un appareil de gloire, divine­ment beau, suavement terrible, offert avec ses plaies glori­fiées en spectacle à tous les hommes, ravissement des bons, effroi des méchants, prenant possession lui et les siens d'un royaume qui n'aura pas de fin. 109:245 *Intraverunt cum eo ad nuptias, quid dulceedinis !* Elles étaient prêtes, les vierges sages ; leurs lampes rayonnaient de l'huile d'une bonne conscience, même au soleil de l'éternelle justice. Elles entrent, quelle sécurité ! Avec lui, quelle société ! Aux noces, quelles délices ! *Et clausa est janua, quid amaritudinis !* Et derrière Lui, derrière elles, la porte est fermée, irrévocablement. Ceux qui ont laissé passer le moment d'y entrer resteront dehors, à tout jamais ! Quelle amertume ! Quelle confu­sion ! Quel désespoir ! Pas de place pour eux, pour les malheureuses vierges. Elles ont beau frapper à la porte, et s'écrier avec des lamentations : « Seigneur, Seigneur ouvrez-nous ! » Le Seigneur leur répond : « En vérité, en vérité je vous le dis, je ne vous connais pas. » Vous êtes pour moi des étrangères. Que faut-il donc pour être connu de Jésus ? Il faut avoir le cœur tout à lui plaire ; fuir les regards du monde ; aimer la vie humble et cachée, comme il s'y est lui-même complu. Par cette mise en scène parabolique, par cette allée et venue des vierges folles, par ce stationnement à la porte des noces, Notre-Seigneur a voulu nous faire comprendre qu'il n'y a plus de pénitence après cette vie. Écoutons saint Augustin : « Il a été dit, et c'est là une promesse qui ne trompe pas : « Frappez et l'on vous ouvrira. » Mais frappez, maintenant que c'est le temps de la miséricorde, et non pas quand ce sera le temps du jugement. Ne confondons pas ces deux temps, alors que l'Église chante distincte­ment à son Seigneur miséricorde et jugement (Ps. C). Voici le temps de la miséricorde ; fais pénitence. Mais si tu prétends la faire au temps du jugement, tu prendras place parmi les vierges qui trouvèrent porte close. » Saint Grégoire cite à ce propos les paroles du Seigneur dans les Proverbes de Salomon : « Je vous ai appelés, vous avez refusé ; j'ai tendu la main, vous n'avez pas jeté les yeux sur moi ; vous avez méprisé tous mes conseils, et négligé toutes mes réprimandes. 110:245 Et moi je rirai à votre perte, et je vous tournerai en dérision quand arrivera ce que vous redoutiez. Lorsque fondra sur vous la calamité subite, lorsque votre fin s'abattra sur vous comme la tem­pête, quand vous saisiront la tribulation et l'angoisse, vous m'invoquerez et je ne vous écouterai pas, vous vous mettrez le matin en quête de moi, et vous ne me trouverez pas » (Prov. 124, sq.). C'est ainsi que toute l'Écriture restreint le temps de la miséricorde à la vie présente. Saint Grégoire va plus loin, et de la malheureuse fin des vierges folles, il conclut qu'il ne faut pas renvoyer la pénitence à l'heure de la mort. Il raconte à ce sujet, en terminant son homélie, une histoire terrifiante. Il conclut : Pensons sérieusement à toutes ces choses, mes frères, ne laissons pas se perdre inutilement le temps, ne remet­tons pas à commencer une bonne vie au moment même où notre âme devra quitter son corps. La Vérité qui est Jésus-Christ nous donne cet avertissement : « Priez pour que votre fuite n'ait pas lieu le sabbat ni en hiver. » Le sabbat, la loi mosaïque interdisait les longues courses ; l'hiver, les chemins sont mauvais, le froid glace le voya­geur. Ne remettez pas à fuir vos péchés, quand Dieu ne vous mesurera qu'un court espace de vie, quand vos sens seront engourdis par le froid précurseur de la mort. » #### VIII Notre-Seigneur conclut la parabole des dix vierges par ces mots : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l'heure. » Les vierges sages avaient pris leurs précautions ; les vierges folles ont été surprises. Les premières, ayant toujours devant leurs yeux l'heure inconnue du jugement, s'ingéniaient à plaire à Dieu, s'ef­forçaient de purifier de plus en plus leur conscience. Les secondes, légères, imprévoyantes, se laissaient aller à l'amour des louanges, à la vanité, et perdaient leur temps. L'heure du jugement sonne à l'improviste, et les voilà éternellement confondues. 111:245 Ne nous laissons pas aller à cette mortelle impré­voyance. Il y va de notre salut. Remplissons sans tarder les conditions requises pour être sauvés : sans tarder, disons-nous, car nous ne savons ni le jour ni l'heure à laquelle nous serons appelés au redoutable tribunal de Dieu. Que faut-il pour être vraiment prêts ? S'abstenir des plaisirs coupables du monde ? C'est déjà un point, mais cela ne suffit pas. Mener une vie extérieurement chrétien­ne ? Cela ne suffit pas encore. Il faut de plus avoir une intention droite et pure de plaire à Dieu en toutes ses œuvres ; intention qui est une huile sainte et indéfectible, intention qui rend les œuvres lumineuses aux yeux de Dieu, intention qui provient d'une vraie Charité. Écoutons l'Apôtre exaltant la nécessité de la Charité : « Que j'aie une foi à transporter les montagnes, que je distribue tout mon bien aux pauvres, que je livre mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien. » S'il faut toutes ces conditions réunies pour aller au ciel, et il n'est pas douteux qu'elles aient été posées par le Sauveur, comment déplorer assez l'illusion de ceux qui prétendent y entrer sans avoir gardé la chasteté convenable à leur état, et sans avoir observé dans leur intégrité tous les commandements de Dieu et de son Église ? S'il faut cacher, autant que possible, aux yeux des hommes le bien que l'on fait pour ne pas en perdre le mérite : que penser de ces femmes et de ces filles légères, qui cherchent à attirer sur elles tous les regards par une tenue coquette et mondaine ? La méditation sérieuse de notre Évangile est de nature à dissiper bien des illusions préjudiciables, à retirer bien des âmes d'un chemin dangereux qui les conduirait à leur perte éternelle : puisse-t-elle obtenir un si enviable résul­tat ! Nous n'avons rien avancé que d'après les Commen­taires de saint Augustin et de saint Grégoire. Terminons par l'entraînante conclusion de saint Augustin. « L'heure viendra : quand viendra-t-elle ? Nous l'igno­rons. Ce sera au milieu de la nuit : Veillons, « veillez », conclut l'Évangile, car vous ne savez ni le jour ni l'heure. » 112:245 « Puisqu'il nous faut nous endormir, comment veiller ? Veille par le cœur, veille par la foi, veille par l'espérance, veille par la charité, veille par les bonnes œuvres ; si cor­porellement tu t'endors, comme le veut la nature, bientôt sonnera le réveil. A ce réveil prépare ta lampe : qu'alors elle soit brillante, entretenue par l'huile d'une bonne conscience : alors l'Époux céleste te prendra dans un em­brassement immortel, il t'introduira dans sa demeure où tu ne dormiras plus, où jamais ta lampe ne pourra s'étein­dre. Et maintenant, mes frères, nous sommes dans les labeurs, nos lampes vacillent sous les vents du siècle et parmi les tentations : que leur flamme brûle avec tant de force, que le vent de la tentation, bien loin de les éteindre, ajoute encore à leur ardente clarté. » Père Emmanuel. 113:245 ## NOTES CRITIQUES ### Trois lectures de Jacques Perret Jacques PERRET : *Un marché aux puces.* Première lecture Ce livre me fait l'effet d'une méditation sur la destinée et le sens d'une vie, à partir des premières impulsions de l'enfance et en fonction des antécédents, la famille, les ancêtres, dont on a trouvé l'histoire dans l'ouvrage précédent, RAISONS DE FAMILLE. Il n'y a aucune chronologie dans celui-ci et pourtant la médi­tation est très habilement conduite, et le livre, sous une appa­rente désinvolture, on dirait même négligence, est formidable­ment composé. Il en ressort qu'après des années d'essais et de tâtonnements (Henri Charlier disait « je ne faisais l'affaire nulle part »), à la Sorbonne, dans divers emplois de professeur ou dans des bureaux, matelot, moissonneur au Canada, toutes occupations qu'il ne poursuivait jamais longtemps, il décou­vrit sa voie : guerrier. Vous vous en doutiez ? Eh bien oui, il se stabilise à partir du jour où il se sent au milieu de compa­gnons d'armes, n'importe où pourvu que ce soit pour la bonne cause, et déjà plusieurs de ses ouvrages nous avaient montré son goût pour la bataille, qu'elle soit véritable ou qu'elle soit fictive, comme dans LE VENT DANS LES VOILES. 114:245 Il a raison, c'est bien ça, il ne fanfaronne pas du tout mais, après nous avoir montré tels qu'il les voit, le camp de prisonniers, la Résistance, l'abordage de la Frégate, il parle dans ce dernier livre de la brousse marocaine et en fin de la Guerre d'Espagne, mais, n'a-t-il pas trouvé dans le même temps une autre voie, qui lui est très personnelle et que nous découvrons de page en page au long de ses ouvrages ?... Bernard Bouts. Seconde lecture On s'éblouit à chaque page des performances de sa plume dans l'assaut, la brocante, l'éloge, le conte, le portrait... Ce qui semble moins vu, quand on nous parle de lui, c'est que Perret abrite aussi un talent de moraliste. Et si le mot ne désignait aujourd'hui une science qui a renoncé à son objet, *l'âme humaine,* je dirais que la psychologie l'emporte souvent sur la mise en scène dans les chroniques de Jacques Perret. Inimitable sans doute mais d'abord universel, jamais Perret ne fut si beau qu'en ouvrant des lucarnes sur son « moi », où tout le cœur chrétien s'est donné rendez-vous. Dans « *Un marché aux puces *»*,* qui nous fait vadrouiller à reculons dans sa mémoire, de Salamanque à Verdun, cette psychologie s'élève parfois sans crier gare aux plus hauts mystères de notre religion. Ainsi, page 32 : « Nous avions décidé d'un retour à la terre. Le pluriel représente ici monsieur, madame et leur premier-né, bien que celui-ci, une fillette, ne fût pas en âge de contribuer raisonnablement à la décision. Mais déjà le groupe se connaissait comme un singulier dans son pluriel conformément au régime du trois en un, et réci­proquement. La famille commençant à la triade, chacun de ses membres est tenu d'en assumer les trois personnes consubs­tantielles et distinctes. Les créatures ont leurs mystères à l'image du créateur. » -- Voyez le *De Trinitate* du saint Père Augustin ; que si le texte latin vous intimide, reportez-vous aux lumineux commentaires de Gilson (*Introduction à l'étude de saint Augustin*) ou Schmaus (*Die psychologische Trinitätslehre*) : Jacques Perret est chez lui, qui l'eût cru, et sans faiblir sur la formule, dans la théologie augustinienne des vestiges trinitaires de la création. La psychologie de Perret ne débouche pas nécessairement sur la mystique mais tire argument de tout, et toujours pour instruire sur le quotidien. -- Page 7, en pleine guerre civile espagnole, pouvait-on mieux saisir la vertu des grands fléaux : 115:245 « Toujours est-il que les passants n'avaient pas l'air de s'en­nuyer. L'abondance et la qualité des ennuis ne permettaient pas de s'ennuyer vraiment. » (Le jeu des rencontres au som­met fait que Gustave Corçâo développe sur son expérience individuelle une leçon identique, dans ce même numéro.) -- Et encore, page 124, cet étonnant éloge de la velléité : « C'est d'une morale un peu sommaire et fâcheuse que mépriser a priori tout velléitaire, épisodique ou chronique. La velléité est une fonction nécessaire à l'équilibre des sociétés. Je ne tiens pas registre de mes volontés fondues en velléités, mais j'ai la prétention de croire que le total est encore assez loin de la moyenne au-dessous de laquelle un honnête homme n'est plus sociable. Supposition que toutes les décisions prises en une journée de par le monde viennent à s'accomplir, imaginez un peu les catastrophes. » Mais oui, l'autocensure fait partie des fonctions vitales de la sociabilité, et seules les bêtes n'ont jamais rien retenu. Nous pourrions citer des pages entières, dans le « *Marché aux puces *»*,* où la qualité de l'introspectant fait oublier (et comprendre) au lecteur les incessants flâches-baques du récit. L'apprenti-écrivain que je suis s'est positivement régalé de découvrir au chapitre III un petit traité en forme, avec travaux pratiques, sur la physiologie élastique de la parenthèse et les vertus électrisantes de l'infinitif... Mais chacun trouvera son bonheur dans ce livre où la force d'une âme supplée si bien aux caprices de la mémoire, et qui parle de nous. Hugues Kéraly. Troisième lecture Jacques Perret a l'esprit taquin. Il commence son récit avec un grand luxe de détails et le lecteur une fois bien appâté, il passe à autre chose avec une désinvolture dont le vrai nom est pudeur. On ne confondra pas souvenirs et confidences. Ne comptez pas sur lui pour aller dénicher « le petit tas de se­crets » comme disait Malraux. Ce n'est pas par hasard que ce nom vient ici. Il est question de lui dans ce « marché aux puces ». Avec une gentillesse frondeuse, un beau brin d'irrespect, mais sans la moindre méchanceté. Celle-ci est une vilaine fée que Perret n'a évidem­ment jamais rencontrée. 116:245 Cela dit, si Malraux, particulièrement le ministre, n'est pas de sa famille, on leur trouvera un point commun : il y a un air d' « antimémoires » dans ces souvenirs irréguliers, compo­sition savante où l'auteur ne perd jamais le fil, mais fait semblant de vouloir le faire perdre au lecteur. On part de Salamanque, pendant la guerre civile espagnole. Perret est reporter, et veut rencontrer Franco. Sa sympathie a beau aller aux « rebelles », il va passer un mauvais quart d'heure. Nous tremblons pour lui. A cet instant même il prend congé, dans les meilleures traditions du feuilleton, pour nous parler de son retour à la terre, quelques années auparavant. Il s'était installé en Touraine. Mais les plantes ne l'aiment pas. Elles devinent en lui le citadin de vieille souche. Repli en bon ordre sur Paris et c'est alors qu'il est question de Malraux, amateur de façades à classer, et conseiller littéraire : ce sera le premier lecteur de « Rocou ». On laisse l'illustre dans la cour du Louvre, en compagnie d'un chat, le soir de ses obsèques et on file pour une virée au Canada. Histoire de retrouver un peu les héros de « trafic de chevaux ». On remonte ensuite à la première jeunesse, au temps où l'auteur hésitait entre plusieurs vocations. Il était étudiant en philo mais tenté par le dessin. Il ne dira pas qu'il était doué et que certains le savaient plein de promesses. Il dit même tout le contraire. Mais les lecteurs d' « Itinéraires » (n° 228) en savent un peu plus. C'est le temps où Perret n'a pas quitté encore le foyer dont la joie est bannie depuis la mort du grand frère : Thérèse et Marc vivent dans son souvenir. Reportez-vous à « Raisons de famille », ce chef-d'œuvre. Des travaux incertains, de jolies amies, les copains, la pratique des sports, ne suffisent pas à remplir les jours d'un garçon aventureux et solide. Un mètre quatre vingt cinq sous la toise. Il décide de faire son service, volontaire pour le Maroc. C'est le moment de la guerre du Rif. Découverte de l'armée d'Afrique, tirailleurs sénégalais et algé­riens, embuscades et convois dans la « zone de dissidence ». Ici, Perret raconte un très joli fait d'armes en blaguant, et en le tirant le mieux possible au comique. Ne craignez rien : on finit par retrouver Salamanque. Mais avec tous les détours et vagabondages que l'on peut rêver, « le paquet ne sera pas vidé ». Il ne peut d'ailleurs pas l'être. On s'attend a chaque instant à entendre un épisode de Tolbiac, de la bataille des Harengs où se trouvait Lafleur, ou de Malplaquet (il n'y a pas seulement de bons moments). Perret ne l'a pas voulu. C'est tout juste si au cours d'une marche au Maroc, il confie : 117:245 « Je me souviens en revanche avoir été suivi tout un moment d'étape et proba­blement soutenu par la vision d'un grand oncle chimérique et rouquin, seul survivant des supplétifs gaulois d'une légion romaine, partie de Volubilis au secours des camarades assiégés dans le retranchement d'Issoual. Il me sifflotait à l'oreille un tire-lire d'alouette. Et là, ajoute Perret à l'adresse de son lecteur : vous me soupçonnez de charrier un peu dans l'in­vention ; jugement téméraire. » En effet. Une fois de plus on constate une force d'évocation qui est proprement résurrection. Elle joue tout autant pour restituer la vie des années vingt. Dans ces souvenirs si honnêtes, si remarquables par leur jus­tesse de ton (chose peu commune dans cet exercice) il suffit au conteur de quelques lignes, d'une phrase, pour rendre pré­sent un moment avec ses couleurs, ses odeurs, sa vie fraîche. Merveille d'une langue qui n'a jamais été plus franche, plus naturelle et plus savante à la fois, et d'une capacité propre à Perret de redonner corps à tout ce qu'il touche de sa plume sergent-major. Certaines pages de Fargue sur son enfance, d'autres de Cingria, donnent aussi cette impression. Ils sont peu nombreux les sorciers maîtres de ce charme. Georges Laffly. ### Le témoignage du Chah d'Iran Mohammed Reza Pahlavi : *Ré­ponse à l'Histoire* (Albin Michel). Comment « la maudite alliance du Rouge et du Noir », contractée récemment au sein du « marxisme islamique » (phénomène comparable, som­me toute, au « progressisme chrétien, ») et aggravée par le « lâchage », aussi lamentable qu'absurde, de l'Occident, a pu plonger l'Iran moderne, di­xième puissance économique du monde, dans l'anarchie sanglante et la misère, c'est ce que le lecteur découvrira avec consternation au fil de ce dossier écrit directement en un français efficace, à la fois inspiré et précis, par l'ex-Chah Mohamad Reza Pahlavi. L'ancien souverain répond notamment à trois accusa­tions : 118:245 -- *Non, l'Empire iranien n'a pas été antireligieux*. Sans doute le Chah et son père n'ont-ils pas caché leur admi­ration pour Ataturk. Ennemis d'un cléricalisme qui consis­tait « à regarder tout pouvoir temporel, quel qu'il soit, com­me nécessairement usurpa­teur », ils se sont néanmoins gardés d'une laïcisation forcée et de brutaliser l'Islam (le port du voile, par exemple, n'a ja­mais été interdit aux femmes en Iran). Le Chah rappelle que son régime bénéficiait d'ailleurs de l'appui d'une ma­jorité de mollahs en raison de sa fidélité à l'esprit de l'Islam et du respect manifesté à ses traditions. Il ne discute pas la primauté morale du spi­rituel sur le temporel. Écou­tons-le définir la ferme con­ception de son père : « La véritable spiritualité devait se tenir au-dessus de la po­litique et de l'économie. Reza Chah était trop croyant pour considérer Dieu comme une sorte d'agent électoral supé­rieur ou d'ingénieur en chef des puits de pétrole. » Ajou­tons que l'ouvrage s'achève sur une poignante prière : « Dieu tout-puissant, sauvez notre peuple ! » -- *Non, la Savak n'était pas l'instrument d'une dictature policière totalitaire.* Créé en 1953 pour faire face à la va­gue de terrorisme communiste consécutive à l'affaire Mossa­degh, ce soi-disant « État dans l'État » n'a jamais comp­té plus de quatre mille fonc­tionnaires (à la fin de 1978). De l'aveu même de la « Chro­nique de la répression », pu­blication d'opposition clan­destine, le nombre des per­sonnes arrêtées de 1968 à 1977 pour des raisons politiques n'excédait pas 3 164 (les chiffres de vingt-cinq mille, de cent mille ont été avancés par les « médias »). Les droits de la défense n'ont jamais été remis en cause et le Chah a systématiquement usé du droit de grâce (il cite le cas de Nikhah, instigateur de la tentative d'assassinat de 1964 par l'extrême-gauche, gracié, puis rallié et exécuté par les Khomeinystes à cause de ce ralliement). En ce qui concer­ne les tortures il reconnaît qu'il y a eu des « bavures » ; encore ses prisons s'étaient-elles ouvertes devant les re­présentants de la Croix-Rouge et avait-il été tenu compte de leurs observations, ainsi que de celles de juristes inter­nationaux (prodigieusement muets sur les violations des droits de l'homme par les Khomeinystes, qui ont refusé à la Croix-Rouge de visiter leurs 20 000 prisonniers poli­tiques). -- *Non, l'empereur n'a pas amassé sur le dos du peuple iranien une fortune colossale.* Dès 1961, les biens personnels du Chah (terres, immeubles, hôtels et actions d'entreprises diverses telles que la banque Omran ou les assurances Mel­li) avaient fait l'objet d'une dotation officielle à la Fonda­tion Pahlavi, créée en 1958 dans un but culturel (prêts d'honneur à 13 000 étudiants, entretien des mosquées, etc.) et social (construction de 6 000 appartements à loyer modéré). Ce qui restait a été définitivement légué à cette Fondation en novembre 1978. Mais sa *Réponse à l'Histoire,* Mohammed Reza Pahlavi la situe surtout dans les réali­sations de la Révolution blan­che, devenue la Révolution du Chah et du peuple, entre 1953 et 1978. Cette description de l'Iran en marche vers la gran­de civilisation constitue la partie la plus frappante de l'ouvrage. 119:245 Rappelons quelques chif­fres : un taux annuel moyen de croissance évalué par l'O.N.U. à 13 % ; un revenu an­nuel par habitant passé de 160 à 2 200 dollars ; une pro­duction d'énergie électrique multipliée par dix entre 1963 et 1977 ; une production agri­cole doublée dans le même temps. Parallèlement, la ré­forme agraire de 1963 avait constitué propriétaires deux millions de paysans chefs de famille ; le salaire moyen de l'ouvrier non qualifié avait été multiplié par cinq (abs­traction faite de la participa­tion aux bénéfices et des di­videndes d'actions) ; signa­lons encore des retraites éga­les à un salaire minimum in­dexé sur le coût de la vie et atteignant parfois 100, % du dernier salaire ; enfin, pas de chômeurs en Iran et même un million de travailleurs étrangers. De 1941 à 1978, le taux d'alphabétisation était passé de 20 à 75 % ; de 1963 à 1978 les effectifs scolarisés s'étaient hissés de 1,5 à 10 millions, le nombre des écoles étant multiplié par trois ; on comptait dans l'Iran de 1978 185 000 étudiants (100000 au­tres étant inscrits dans des universités étrangères). De tels résultats plaident évidemment en faveur du mo­dèle de développement ira­nien, à base de solidarité en­tre les classes et de capitalis­me populaire, admirablement équilibré et sous-tendu par le dessein politique à long ter­me d'une dynastie. Beaucoup de pays sous-développés ga­gneraient à s'inspirer de cet exemple de conquête réaliste de la véritable indépendance économique autant que politi­que. Le symbole de l'indépen­dance iranienne a été bien sûr la maîtrise du pétrole. Dès 1951, le Chah avait pro­mulgué, d'enthousiasme, la loi de nationalisation ; il devait faire de la compagnie natio­nale S.N.I.P. la première société pétrolière du monde. Durement attaqué dès la fin de 1973 comme initiateur de la politique du « pétrole cher » il la défend comme le seul moyen de parer au gas­pillage de l'énergie nationale et de rendre, à terme, compé­titives les énergies de substi­tution (il avait amorcé la re­conversion nucléaire de l'I­ran) ; ses initiatives ont tou­jours été assorties de la re­commandation aux pays con­sommateurs de diminuer leurs prélèvements fiscaux sur le pétrole. Il observe aujourd'hui que les pétroliers américains sont en train de reprendre ses thèses à leur compte, comme en fait foi l'étude sur « La crise de l'énergie et le prix du pétrole » publiée dans le supplément diplomatique du *Monde* de mars 1979. Quant aux moyens emplo­yés, ils frappent par leur em­pirisme. Les grandes orienta­tions définies, le Chah sait qu'il manque de cadres pour les promouvoir et se méfie d'ailleurs de la bureaucratie. Aussi fait-il largement appel à son peuple, qui approuve la révolution blanche par réfé­rendum, et, parmi ce peuple, aux conscrits et aux volontai­res féminines qu'il suscite et envoie aux quatre coins du pays (c'est aussi un instru­ment de décentralisation), groupés dans les trois « ar­mées » du Savoir, de l'Hygiène et du Développement ; la participation des femmes, par­ticulièrement enthousiastes, est à elle seule tout un pro­gramme. Si l'État intervient, en outre, dans l'économie, c'est pour s'effacer devant l'initiative privée dès qu'elle aura fait ses preuves. 120:245 Arrêtons-nous à deux réali­sations originales : -- *Les sociétés agricoles par actions.* « Les cultivateurs propriétaires en deviennent membres à part entière en confiant leurs terres à la société contre des actions. Ils restent propriétaires de leurs terres mais ne peuvent ni les vendre ni en acheter d'autres en dehors de la société. Quant aux actions, elles peuvent être vendues, mais seulement aux actionnaires de la même société. Les héritiers des pro­priétaires recevront non des terrains, mais des actions. Ainsi les milliers d'hectares de la société ne peuvent être morcelés et doivent offrir en permanence les meilleures conditions pour la mise en œuvre de programmes à long terme et l'emploi de méthodes d'exploitation modernes. » -- *L'actionnariat ouvrier.* La participation des travailleurs aux bénéfices de l'entreprise est acquise depuis 1963. La loi de 1975 rend le travailleur ira­nien co-propriétaire de son entreprise : « Toutes les uni­tés de production privées exis­tant depuis plus de cinq ans devaient vendre 49 % de leurs actions à leurs propres ouvriers et employés. L'in­dustrie étatique de création récente devait répartir 99 % de ses actions entre ses ou­vriers et employés, ceux des autres entreprises, enfin les paysans, etc. » On comprend que malgré les ruines accumulées depuis par la République islamique, l'ex-empereur reste persuadé que la grande civilisation ain­si inaugurée « continue d'exis­ter, pareille à ces fleuves puis­sants qui disparaissent sous les montagnes, que l'on croit perdus, et dont la résurgence étonne ». Encore cinq ans et les gou­lets d'étranglement de l'éco­nomie iranienne, tenant principalement à l'insuffisance de l'infrastructure ferroviaire et portuaire et du logement dans les villes, auraient été forcés. Aussi Mohammed Reza Pahla­vi incline-t-il à penser que ce n'est pas un hasard si la Ré­volution a éclaté en 1978-79, à l'heure où, d'autre part, la puissance militaire atteinte par l'Iran (540 000 hommes dotés d'un armement « sophis­tiqué ») commençait à porter ombrage à ses voisins et ri­vaux. Toutefois, la bureaucra­tie et la corruption, difficiles à extirper, constituaient de lourdes hypothèques. A plusieurs reprises le Chah se demande si l'évolution qu'il a conduite n'a pas été trop rapide. Notamment à propos des étudiants, phénomène nou­veau, exagérément privilégié : « Aujourd'hui j'en viens à penser que les événements de 1978-79 s'expliquent en partie parce que j'ai voulu aller trop vite en ouvrant les portes des universités sans imposer une sélection préalable plus sévè­re : les concours d'admission étaient trop faciles. André Malraux me disait « qu'il fal­lait, dans un pays, dix mille chevaliers ». Il avait raison, je crois. Mon erreur fut aussi de ne pas faire suffisamment sentir à tout mon peuple qu'on trouve des chevaliers parmi les artisans, les laboureurs, les métallurgistes... En 1970 déjà, tous les jeunes ne vou­laient plus être qu'étudiants. » 121:245 N'y a-t-il pas eu aussi une certaine équivoque institution­nelle ? Sa monarchie popu­laire, Mohammed Reza Pah­lavi l'inscrit dans un cadre constitutionnel selon lequel l'empereur règne mais ne gou­verne pas ; il n'hésite pas à parler de « démocratie impé­riale ». Mal expliqué, à notre sens, l'échec du parti unique Raztakhiz (de la Renaissan­ce), créé en 1974, semble con­vertir définitivement le Chah au pluralisme (mais peut-être s'agit-il de poser des jalons pour un compromis ulté­rieur ?). N'avait-il pas annon­cé lui-même, dès le commen­cement des troubles, des élec­tions libres pour 1979 ? On assista alors nous rappelle-t-il, « à une mobilisation géné­rale des forces de l'anti-Iran tout fut mis en œuvre pour que la nation ne pût exprimer librement sa volonté ». Plus loin, il reconnaît : « Des me­sures qui auraient dû susci­ter l'approbation générale fu­rent, encore une fois, inter­prétées comme un signe de faiblesse de ma part. » Le Chah confesse en outre deux graves erreurs : -- *L'insuffisance du* « *faire savoir *»*.* « Je dois m'accuser de n'avoir cherché qu'à peine à défendre notre régime con­tre la calomnie qui le minait. C'est seulement aujourd'hui que je comprends à quel point le système employé contre nous était perfectionné, effi­cace. Trop sûr de moi, je commis la faute d'en sous-es­timer les effets, beaucoup des accusations étant absurdes. J'oubliais que la propagande ne vise pas les hommes d'État, mais les jeunes, les femmes, les ignorants pleins d'illu­sions. » Et encore : « J'ai cru que l'immense effort accom­pli depuis 1963, j'ai cru que nos réalisations dans tous les domaines populaires et sociaux parlaient d'eux-mêmes et j'étais dans l'erreur. Ce n'est pas que j'aie surestimé les capacités d'enthousiasme et de travail du peuple ira­nien, quelque peu versatile, il est vrai ; mais s'il y a le savoir-faire, il y a aussi, il y a surtout le faire savoir que j'ai trop négligé. La propa­gande de fait réalisée par les jeunes de nos trois armées a été efficace, sans doute. Mais elle était contrée par la propa­gande et l'agitation insidieu­ses, incessantes, des gens qui n'avaient rien à perdre et tout à gagner : l'argent, et cette puissance politique qui leur avait échappé il y a plus d'un demi-siècle. » -- *Le caractère improvisé de la lutte contre l'inflation.* Celle-ci n'avait pu être maîtri­sée et le contrôle des prix, confié les dernières années du règne à des étudiants volon­taires, trop zélés et ignorants des réalités commerciales, voi­re infiltrés par des éléments communistes, devait jeter beaucoup d'industriels et de commerçants du côté de la Révolution. \*\*\* 122:245 La suite, nous ne la con­naissons que trop. Le pro­nostic du Chah est sombre : les ayatollahs révolutionnaires « sont compromis. Demain, ils se trouveront isolés ; ensuite, comme il est de règle dans l'univers marxiste, ils devront se soumettre, et nul ne pren­dra leur défense. Ils n'appar­tiendront plus à l'Histoire que par les crimes qu'on leur a fait commettre et dont ils ont pris l'épouvantable responsabilité « au nom de Dieu ». Et voici le pire : c'est donc la religion qui, en définitive, sera mise en accusation par l'athéisme militant, cette fois au nom du peuple souverain et des évan­giles communistes ». Si toutefois l'Iran échap­pait aux deux périls de la « goulagisation » et de la dé­sintégration, peut-on imaginer un retour du Chah au pouvoir, comme après l'affaire Mossa­degh ? Mohammed Reza Pah­lavi ne semble pas envisager cette hypothèse : « C'est en lui-même que le peuple ira­nien doit trouver son salut. » Mais il nous rappelle aussi qu'il commença son règne, en 1941, alors que son pays était occupé au nord par les Sovié­tiques, au sud par les Britan­niques ; la somme des diffi­cultés qu'il a su vaincre (et nous ne pensons pas seule­ment aux attentats auxquels il a miraculeusement échappé) est véritablement impression­nante : à un tel homme, beau­coup de choses sont certaine­ment possibles. Le silence « diplomatique » qu'il nous paraît observer, dans sa *Ré­ponse à l'Histoire,* à propos de la personnalité comme de la tentative de Chapour Bakh­tiar pourrait accréditer l'es­poir d'une solution de rechan­ge ; la santé de l'ex-empereur, sa liberté de mouvements assu­rément très relative lui per­mettront-elles de s'imposer ? L'avenir le dira, si l'Iran a encore un avenir. Paul Gherlain. ### Bibliographie #### Marcel Proust *Correspondance,* tome V (Plon) Dans cette correspondance, toujours passionnante dans son mélange d'intelligence et de frivolité, on arrive à 1905. Année capitale pour Proust. C'est celle de la mort de sa mère. Mais il se passe aussi d'autres choses cette année-là. Et pour les Français (Proust compris), elle est moins marquée par la rébellion du « Potemkine » qui est signa­lée dans la « chronologie », en fin de volume, que par le coup de Tanger, et la menace allemande. 123:245 Événement qui fut un tournant, pour Péguy (*No­tre patrie*) et bien d'autres. Proust lui-même, si loin de ces préoccupations, écrit à Fernand Gregh : « En trou­vant excellente l'agression des Japonais contre nos alliés russes nous avons rendu mo­ralement possible l'agression sans raison de l'Allemagne... On a l'impression d'un très grand abaissement moral. » Georges Laffly. #### Jean-Jacques Marziac *Monseigneur Marcel Lefebvre *(Nouvelles Éditions Latines) La personne et l'œuvre de Mgr Lefebvre endurent depuis 1975 un procès bruyant mais sans valeur, parce que les droits de la défense n'y sont jamais respectés. La première justice à leur rendre sera donc de prêter à l'une comme à l'autre la simple attention re­fusée par les tribunaux ecclé­siastiques aux tristes heures de la « condamnation sauva­ge », puis par toutes les puis­sances qui agitent l'opinion. -- Telle est la tâche qu'entre­prend le Père Marziac, mis­sionnaire d'Afrique, avec le premier tome de ce nouveau « *Lefebvre *»*,* qui promet d'être aussi gros que l'autre sur un autre plan d'utilité... Mgr Lefebvre, contrairement aux accusations qui le projet­tent dix fois par an à l'avant-scène de l'actualité, n'a ja­mais rien ourdi ni comploté contre l'*autorité,* l'*unité* et l'*obéissance* dans l'Église de Dieu. Il n'a fait qu'écouter le jugement de sa conscience chrétienne éclairée par la foi et suivre les grâces propres à son état en refusant de rallier, avec les siens, le marécage de l'humanitarisme con­temporain ; de se laisser noyer, et nous peut-être avec lui, dans le torrent de l'auto­démolition. -- L'évêque jus­qu'ici se sera donc contenté de remplir à sa place, sans provocation d'aucune sorte, son devoir de pasteur spiri­tuel : gardien d'un troupeau menacé de toutes parts, il prend ses dispositions contre le loup ; invité (bien malgré lui) à choisir dans le fatras post-conciliaire du spontanéis­me liturgique, il déclare qu'il s'en tient, pour son œuvre, et dans la soumission aux lois millénaires de l'Église, à « l'expérience » de la Tra­dition. Comme nous disons avec Jean Madiran que l'Écriture, le catéchisme et la messe *suffisent* à garder la foi, quand même chacun de nous serait indigne, inégal à cette tâche, et n'y suffirait pas. 124:245 Tout cela est bien connu en principe des lecteurs d'I­TINÉRAIRES. Je le rappelle ici à cause du temps qui passe, des forces ou des cerveaux qui lâchent, et des difficultés inhérentes à cette position... Voici longtemps que certains de nos amis accusent la résis­tance de Mgr Lefebvre d'en de­mander trop au simple fidèle, et d'autres -- bien sûr -- pas assez. Mais on attend toujours que, chacun dans leurs sphè­res propres, pour continuer l'Église, ils aient fait aussi bien que lui. Hugues Kéraly. #### Raymond Dulac *La collégialité épiscopale au deuxième concile du Vatican *(Éditions du Cèdre) Cet ouvrage réunit les étu­des désormais classiques de l'abbé Dulac sur la machine infernale du « collégialisme » imposé aux évêques par le noyau dirigeant de Vatican II : études publiées pendant et depuis les discussions conciliaires dans *La pensée ca­tholique* et la revue ITINÉRAI­RES. On s'étonne que l'auteur ait pris soin de donner les références précises à la pre­mière publication en omettant partout de mentionner la se­conde ; à moins que les ci­seaux de l'éditeur ne soient intervenus ?... Cette petite at­teinte à la confraternité, mal venue dans un recueil comme celui-là, ne doit pas faire ou­blier le précieux travail de l'abbé Dulac pour lever une à une les difficultés du sujet, et qu'il n'en est pas d'autre aujourd'hui si l'on veut étu­dier la question. H. K. #### R.-L. Bruckberger *Le Bachaga *(Flammarion) Le premier tome des Mémoires du P. Bruckberger -- *Tu finiras sur l'échafaud* se terminait en 1948. Au prin­temps de cette année, pour fuir une passion amoureuse et satisfaire ses supérieurs qui ne songent qu'à se débarras­ser de lui, il traverse la Mé­diterranée et s'enfonce dans le Sahara où il va passer vingt mois et vivre une ex­traordinaire aventure. 125:245 Il la présente lui-même, au dos de la couverture du li­vre : « Quand j'ai remis ce récit à mon éditeur, celui-ci, après l'avoir lu, m'a dit : « C'est une histoire folle. C'est une histoire complètement folle ! » « Cette histoire folle, je l'ai vécue, et cela se passait en des temps très lointains, puis­qu'il y a maintenant près de trente ans et que le Sahara était français. J'y étais l'hôte de la Légion étrangère. « J'y ai découvert que le mythe de *L'Atlantide* de Pier­re Benoît est totalement faux. Il n'est pas besoin d'une fem­me exceptionnellement belle pour que le Sahara soit à feu et à sang. Sous le ciel incan­descent empli d'orages magné­tiques qui mettent les nerfs à fleur de peau, la moindre ma­ladresse peut provoquer des explosions en chaîne. C'est pourquoi je n'y fus pas suppor­té et que, aussi vaste que soit ce territoire immense, j'en fus expulsé, au bout de vingt mois. Je m'y étais fait pourtant quel­ques amis : les Sœurs Blan­ches, les légionnaires, et ce grand seigneur musulman, chef à la fois religieux et politique du Sahara occidental, qu'on appelait « Le Bachaga », image fascinante de ce qu'est l'Islam civilisé et même raffiné. « Ce temps était pour moi un temps de retraite et d'exil. Ce fut aussi le temps trouble d'un affrontement : l'affron­tement de l'angoisse à l'inté­rieur de moi, l'affrontement de deux camps autour d'un couple fugitif et scandaleux, que je n'ai jamais rencontré et dont on peut se demander s'il n'était pas imaginaire. « Une histoire folle en ef­fet : un jeu périlleux et sans merci où chacun essaie de de­viner qui est qui. » Voilà. Je n'ajouterai rien, quant à l'aventure. Elle cons­titue un véritable roman -- ou plutôt une nouvelle de 175 pages -- qui se lit donc com­me un roman. C'est-à-dire qu'on ne lâche plus le livre une fois qu'on l'a ouvert. Le suspense est à toutes les pa­ges. On veut savoir la suite, et la fin. On est servi. Il y a une suite, à rebondissement, et une fin -- ce qui est de plus en plus rare dans les romans et les nouvelles. Précisons toutefois que, quand le P. Bruckberger dit qu'il ne fut pas supporté au Sahara et qu'il en fut finalement expul­sé, il ne vise pas ses compa­gnons de séjour mais la hié­rarchie ecclésiastique et sub­sidiairement l'Administration civile. Si l'aventure vécue fait l'in­térêt romanesque du livre, l'idée centrale qu'elle illustre en fait l'intérêt spirituel : c'est celle de l'honneur de Dieu et de l'honneur de l'hom­me. Là, le P. Bruckberger est à son affaire, avec ses défauts et ses qualités. Ses défauts, on les connaît. Ils se résument dans l'expression abrupte de ses jugements, de ses senti­ments et de ses ressentiments, comme s'il avait à cœur de se faire autant d'ennemis que d'amis. C'est à prendre ou à laisser. Laissons. Ses qualités, Dieu merci ! l'emportent sur ses défauts. Elles tiennent tou­tes dans la fidélité à sa vocation de moine-soldat. 126:245 Sa de­vise pourrait être, non pas tant « Dieu premier servi » que « Jésus-Christ toujours confessé » -- par le moine dans le soldat, par le soldat dans le moine. Au Sahara, le moine est fasciné par le désert, le soldat par la Légion étrangère. D'où, au plan litté­raire, la qualité exception­nelle de ce récit. Le style, c'est l'homme. L'homme, ici, fulgure dans l'auteur. *Tolle, lege.* Vous ne serez pas déçu. Louis Salleron. #### Rémy *Le 10 mai 1940 *(France-Empire) Poursuivant sa « chronique d'une guerre perdue », Rémy en consacre le deuxième volu­me au 10 mai 1940. *Chroni­que* donc, et non pas *histoire.* C'est le 10 mai, narré dans une série de témoignages par ceux qui l'ont vécu, à des ni­veaux divers mais générale­ment à la base, dans le ton­nerre de l'offensive alleman­de déclenchée en Belgique. Le combat, pour celui qui y participe, c'est Austerlitz ou Waterloo, connu seulement au soir de la bataille ou le len­demain matin. Ce ne fut hé­las ! pas Austerlitz. Chapitre par chapitre, nous découvrons la surprise, l'héroïsme, la pa­ralysie de troupes pratique­ment livrées à elles-mêmes, rapidement sans ordres, voire sans armes ou sans munitions, emportées dans une giration insensée où nul ne sait plus que faire ni où aller, tandis que les panzerdivisionen écrasent tout sur leur passage et que les stukas clouent au sol, de leurs sirènes et de leurs mitrailleuses, soldats et civils confondus. Si ces récits hallucinants occupent les trois quarts du volume (326 pages), Rémy a tenu cependant à nous les rendre compréhensibles en nous rappelant « l'héritage du Front populaire » et l'opti­misme du général Gamelin, assuré de vaincre un ennemi qui, dès le premier jour, avait la bonne grâce de se confor­mer à ses plans. Pour nous, qui lisons ces pages au quarantième anniver­saire du désastre qu'elles rela­tent, nous ne pouvons nous empêcher de trembler. La chronique nous ramène à l'histoire. Peut-on parler de leçons de l'histoire quand on volt l'état de la France en 1980 ? L. S. 127:245 #### Lucien-Jean Bord *Généalogie commentée des rois de France *(Éditions de Chiré) Voici un livre (348 pages) qui rendra de bien grands services. C'est en effet la liste de tous les rois de France -- Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens, Valois et Bourbons -- avec présentation rapide de chacun d'eux, tableaux gé­néalogiques, tables des matiè­res et de concordance diver­ses, bibliographie etc. Une excellente préface d'Hervé Pinoteau, qui ne prend pas nécessairement à son compte le « texte passion­né » de l'auteur, situe très heureusement cette longue gé­néalogie de nos rois dans le contexte d' « histoire sainte » qui est celui de la monarchie française. L. S. #### L. Lamartel *La doctrine sociale de l'Église *(Éditions du Cèdre) Ce petit livre de 140 pages rendra service. Sur les pages de droite, on y trouve les principaux textes du Magistè­re relatifs à la doctrine socia­le de l'Église. Sur les pages de gauche, des citations d'au­teurs divers (théoriciens et hommes politiques) qui s'y opposent. Le lecteur s'évite ainsi de longues recherches pour retrouver, sur les gran­des questions de la famille, de la personne, de la justice, de la société, de la propriété etc., les documents de base qui soulignent le caractère sub­versif des idéologies contem­poraines. L. S. #### Robert Ambelain *Crimes et secrets d'État 1785-1830 *(Robert Laffont) L'auteur de cet ouvrage se décrit comme un franc-maçon de grande importance tant en France qu'à l'étranger ; grand maître et grand maître d'hon­neur dans la secte, il est aussi, dit-il, membre de « deux or­ganisations initiatiques tra­ditionnelles ». 128:245 Auteur de nom­breux ouvrages sur « l'histoi­re des sociétés secrètes, des religions, courants initiati­ques, doctrines ésotériques, etc. » et chez Robert Laffont, dans la collection « Les énig­mes de l'univers » sur la­quelle il y aurait trop à dire, Robert Ambelain a déjà pu­blié *Jésus et le mortel secret des templiers* (1970), *La vie secrète de saint Paul* (1972)*, Les lourds secrets du Golgotha* (1974)*,* etc. tous titres qui font sourire ceux qui veulent raison et foi garder, mais qui rendent certainement popu­laire un auteur dans le vent d'une époque complètement tourneboulée par les plus étranges doctrines. Évidem­ment, cela peut impression­ner ; « membre de l'Acadé­mie nationale d'histoire, de l'Académie des sciences de Rome, section littéraire... » sont des qualifications qui peuvent faire illusion, mais la lecture de l'ouvrage qui m'est tombé sous les yeux, frappé des armes de France sur la couverture vert olive, m'inci­te à écrire qu'il ne faut point en faire l'acquisition. En 340 pages, Ambelain enfile tout un chapelet de ragots non vé­rifiés et souvent non vérifiables, sous-tendus d'insinua­tions et démontrés (*sic*) par une bibliographie souvent bien contestable, pour nous expo­ser les plus ahurissantes affir­mations d'apparence gratuite. Je dis d'apparence, car ce fils de Lucifer ne veut qu'une chose, c'est nous montrer que la maison de France ou de Bourbon, Orléans compris, n'était qu'un ramassis de crétins débauchés, artisans d'une généalogie truquée et dont lui seul est capable de démêler le vrai du faux. L'auteur « dé­montre » ainsi que Louis XVII (possible fils de Fersen) fut sorti du Temple, que sa sœur (enceinte à sa sortie du mê­me endroit) fut changée en une demoiselle Lambriquet qui fut seule connue par la suite comme Madame Royale et que cette dernière vécut en Saxe sous un autre nom (cela déjà plusieurs fois dit sans preuve), que Fualdès et le duc de Berri furent assassinés pour avoir eu connaissance de la survie de Louis XVII-Naundorff, que la demoiselle Lambriquet n'était autre qu'une filleule et bâtarde du comte de Provence futur Louis XVIII, qu'elle avait une demi-sœur qui n'était qu'une bâ­tarde de Louis XVI, etc. etc. La tête vous tourne devant tant de « révélations » s'ap­puyant souvent sur une série de témoignages plus ou moins déformés et incontrôlables. L'ennui pour la véracité de ces thèses, est que cet amateur de mystères, c'est le moins qu'on puisse en dire, les ponc­tue d'erreurs historiques les plus grossières, démontrant, elles, sans appel, que le sieur Ambelain manifeste une igno­rance crasse de l'histoire. Je passe sur le fait que Louis XVI n'eut jamais le phimo­sis annoncé (Bernard Faÿ, *Louis XVI ou la fin d'un monde,* Paris, 1955, p. 388), sur l'affirmation que Louis XVI, Louis XVIII et Charles X furent maçons (cela n'a ja­mais été prouvé, au contrai­re !), sur le fait que Fersen ne fut pas le rédacteur du manifeste du duc de Bruns­wick (c'est le marquis de Li­mon qui l'écrivit), qu'il n'emporta pas les sceaux de Fran­ce lors de la fuite de Va­rennes, car ils étaient à la chancellerie, que le duc de Berri n'épousa jamais Amy Brown (femme au grand cœur dont il eut deux bâtardes), etc. etc. 129:245 Des dizaines d'er­reurs sur les titres, les noms, les parentés, une incroyable ignorance de l'héraldique royale et princière (pp. 103, 111 !), des lois de succession à la couronne de France et à celle de Navarre (il ignore tout de l'acte de 1620), de l'ordre de naissance des dy­nastes (le duc de Berri frère aîné du duc d'Angoulême, p. 249 !), de la façon dont on s'écrivait dans la famille ro­yale, une manie de citer des actes inconnus ou ceux qui peuvent être connus... de tra­vers, bref une incompétence notoire, discréditent cet ou­vrage qui n'est d'ailleurs mê­me pas cohérent dans toutes ses parties. Que penser d'un auteur qui n'hésite pas à écri­re que Fualdès n'avait pas vo­té la mort de Louis XVI quand il était juré au tribunal révo­lutionnaire de Paris (évidem­ment, car pour voter la mort il fallait être de la Conven­tion nationale !), qu'il avait emprisonné sous les Cent jours des royalistes ayant commis des excès durant la Terreur blanche (p. 162, 164, alors que la Terreur blanche est après les Cent jours), qu'un homme de la maison du comte d'Artois, en sa li­vrée verte (on n'est pas plus voyant !) vint s'occuper de son assassinat au fond de sa province, etc. Que penser d'un auteur qui déclare pp. 271-272 que le prince Louis Napoléon devint Napoléon III empereur des Français après le coup d'État du 2 décembre (1851) et que le 22 janvier 1852, le même empereur (*sic*, car fut tel le 2 décembre sui­vant) signa les décrets spo­liant les Orléans et rétablis­sant les titres de noblesse, « sous l'inspiration de l'im­pératrice Eugénie de Monti­jo », le mariage impérial da­tant du 29 janvier 1853 ? Le plus beau est que notre au­teur qui se dit maçon, « prou­ve » que Marie-Antoinette, Joseph II (le très laïcisant empereur) et Marie-Caroline de Naples leur sœur étaient personnages peu sympathi­ques et mal élevés, alors qu'ils étaient les enfants d'un ma­çon, François I^er^ de Lorrai­ne, empereur élu des Ro­mains, et que le maçon De­cazes fit assassiner le maçon duc de Berri : belle fraternité que celle des fils de la Veu­ve ! Que faire admettre de raisonnable à un auteur qui mêle tout et dans le plus grand désordre ? Mme Royale aurait donc été substituée par les Autrichiens ? Je n'en crois pas un mot. Mise « hors cir­cuit » quelques semaines pour une raison politique ou autre que j'ignore, elle fut reconnue sans hésitation par toutes les personnes ayant fréquenté la cour de Versailles. Lisez les mémoires de Mme de Boigne et de tant d'autres pour cons­tater qu'il n'y eut jamais au­cun problème à ce sujet. Des centaines de personnes se se­raient-elles trompées en 1814 lors de l'arrivée de la du­chesse d'Angoulême ? Poser la question, c'est la résoudre. Par contre, qu'il y ait un mystère Louis XVII, c'est bien manifeste et permis par Dieu. Il n'en reste pas moins que des spécialistes pensent en­core de nos jours que le petit roi est mort au Temple, alors que pour d'autres, l'affaire n'a aucune importance, car il ne serait pas le fils de son père, mais bien de Fersen (la ques­tion est évoquée depuis long­temps dans un petit livre ou­blié de tous : Bernard Devis­mes, *Le secret de Louis XVIII,* Paris, 1933-1938). 130:245 On s'en tiendra raisonnablement à ce qui est vraisemblable, la fa­mille royale n'étant pas plus mauvaise que toute autre fa­mille française, bien que les témoignages de Mmes de Boigne et de la Tour du Pin ne soient guère en faveur de la très haute noblesse à la fin de l'ancien régime. Si le comte de Provence fut un curieux intrigant et si le com­te d'Artois fut bien léger, il n'en reste pas moins que cette famille souveraine, la nôtre, ne faisait pas si mauvaise fi­gure avec un roi pieux, des princesses de même (les filles de Louis XV, les sœurs du roi) et le duc de Penthièvre qui était presque de la mai­son royale. Sous la Restau­ration, la piété de Charles X, du Dauphin et de la Dauphine ne saurait être remise en cause... Nul doute que les étu­des de la famille Girault de Coursac apporteront progres­sivement bien des précisions sur toutes ces questions, dans une atmosphère plus limpide, érudite et sereine. Nous con­naissons le palmarès de la maçonnerie dans son entre­prise de démolition de la Ci­vilisation (elle s'en vante d'ailleurs), nous savons toute sa nocivité à notre époque (ne serait-ce que par sa participation active au génocide qu'est l'avortement), nous res­pirons tous les jours l'air em­poisonné de la cité qu'elle a édifiée, nous avons souvent vu ses tentatives de réécriture du passé pour l'accommoder à sa guise... nous saisissons aujourd'hui une nouvelle entre­prise de noircissement de nos rois et des leurs. Le lecteur informé appréciera, mais hé­las, il y a bien des chances pour que le public, perturbé par des générations de pro­fesseurs d'école publique et, maintenant, par la télévision souveraine, soit une fois de plus la victime de ce genre de littérature. Le plus triste est qu'un autre livre d'Am­belain est prévu ; on sait déjà qu'il annoncera que Louis XIII n'est pas le père de Louis XIV et le reste à l'ave­nant. A côté d'Ambelain, les Castelot et Decaux sont des monstres d'intelligence, d'érudition et de sérénité impar­tiale... c'est tout dire ! Hervé Pinoteau. 131:245 ## Informations et commentaires #### Les gentils et les méchants Quand Cyrille, huit ans, ar­rive au milieu d'une histoire dont il a manqué le début, il s'enquiert d'abord de l'iden­tité des amis et des ennemis qui sont « les gentils » et qui sont « les méchants », qu'on sache bien s'il faut se réjouir ou se désoler quand ils sont jetés à bas de leur cheval ou fendus de la tête aux pieds d'un coup de francisque. Il y a quelquefois des « gentils » qui deviennent des « méchants », ce sont les traîtres. Aujourd'hui paraît-il ce serait plutôt l'inverse. Quand on faisait l'année der­nière le compte des évêchés occupés par des « gentils », l'inventaire était vite terminé. Cette année on ne sait plus trop bien qui est devenu « gentil » et qui reste encore « méchant » parmi les évê­ques. Lourdes, Dijon, Marseil­le et même Paris, et quelques autres, ont vu l'ordinaire du lieu hésiter ou changer dans ses attitudes à l'égard de la messe traditionnelle. Il y a toutefois celui qui hésite sans changer encore, le cardinal de Marseille ; et celui qui n'a encore ni chan­gé ni hésité, l'évêque de Lau­sanne. Le 11 mai, pour la fête na­tionale de sainte Jeanne d'Arc, le grand pèlerinage tradition­nel à Notre-Dame de la Garde, créé par notre ami Daniel Ta­rasconi, était présidé par Mgr Lefebvre accompagné de Mgr Ducaud-Bourget. Il fut d'abord convenu que ce pèlerinage n'était « ni autorisé ni inter­dit, mais toléré ». Au dernier moment, le 9 mai, Mgr Etche­garay publiait un communi­qué déclarant que le pèleri­nage n'était « pas autorisé », ce qui donnait à entendre qu'il était interdit. Puis il fermait le sanctuaire, suppri­mant tous les offices du di­manche après-midi et faisant bloquer le pont-levis. Au con­traire, comme on le sait, lors du pèlerinage traditionnel à Lourdes, le jour de la Pente­côte, 25 mai, la basilique Saint-Pie X fut mise à la disposition des pèlerins pour y célébrer la messe traditionnelle. 132:245 Le dimanche 8 juin, j'avais l'honneur d'assister à un con­grès ardent, sympathique, en­thousiaste : le congrès annuel de l'*Una Voce Helvetica* de la Suisse romande, qui fêtait le quinzième anniversaire de sa fondation et le centenaire de la naissance de son fondateur Gonzague de Rey­nold. La simple annonce qu'une messe traditionnelle y serait célébrée par Dom Gé­rard avait provoqué une let­tre de Mgr Mamie disant en substance : -- *Du latin et du grégorien autant que vous voudrez, on s'en moque ; mais prenez le rite nouveau, il est obligatoire.* Cette prétention arbitraire n'eut bien sûr au­cun effet sur personne, et moins que tout autre sur le solide président, notre ami M. Roger Lovey. Mais que cette prétention existe encore, avec sa vigilance méchante, sa promptitude malveillante, vient opportunément nous rappeler qu'il y a des « mé­chants » qui ne sont nulle­ment pressés de venir se ran­ger parmi les « gentils ». J. M. #### Flexis genibus imploramus ! Sous ce titre, *The Latin Mass Society* qui est en Angleterre l'analogue de nos associations européennes *Una Voce*, com­mente en termes excellents la lettre du pape aux évêques sur l'eucharistie. L'aspect le plus extraordi­naire de ce document, dit M. Marnan, président de la Society, est que le pape en soit arrivé à estimer nécessaire d'exposer à ses évêques le B, A, BA de la doctrine catholi­que sur « la signification, et le caractère sacré et sacrificiel de la messe » ; que, ce fai­sant, il se soit cru obligé de les « implorer -- à genoux -- d'accepter son enseignement ». On éprouve un froid qui saisit jusqu'à l'âme de voir un pape se frayer un chemin à tra­vers les chicanes de la collé­gialité pour élever « une voix solitaire afin de défendre l'or­thodoxie -- la teneur même de la lettre étant celle d'une voix dans le désert, la voix de quelqu'un qui est en droit de douter que sa parole sera entendue ». Les commentaires, dont nous ne donnons qu'un aper­çu, ne sont pas ironiques, comme on pourrait le croire ; ils sont parfaitement respec­tueux, mais teintés du tradi­tionnel humour britannique. Qu'on en juge par ces quel­ques mots : « Nous conti­nuons de plaider pour le ré­tablissement du *Vetus Ordo Missae,* et non pas seulement pour la messe en latin. Aussi bien ce rétablissement pour­rait infuser une force de sur­vie au nouveau rite. » 133:245 Signalons que grâce à l'in­dult obtenu, il y a plusieurs années par le cardinal Hee­nan, les catholiques anglais auront eu, le 21 juin la grand messe traditionnelle célébrée dans la cathédrale de West­minster. L. S. #### Petite leçon de choses Marcel Clément poursuit l'édification d'une histoire de la philosophie (une histoire de l'intelligence) qui n'est comme aucune autre, et dont il faudra sérieusement mesu­rer l'apport. Il commente l'ac­tualité religieuse et politique d'une manière souvent pro­fonde et juste, mais qui d'au­tres fois ne coïncide pas avec la nôtre. Mais voici autre cho­se, écrit par lui en marge de la venue du pape en France, dans *L'Homme nouveau* du 1^er^ juin : Nous venons de prendre connaissance des dossiers destinés aux mille journa­listes étrangers qui seront en France pour couvrir le voyage du pape. L'un de ces dossiers, in­titulé « L'Église et les me­dia en France », rédigé par Michel Dubost, en date du 15 mai 1980, fait état « de la presse qui tend à préci­ser ce qu'est l'évangélisa­tion et ce qu'est l'Église » -- en clair, de la presse ca­tholique ! On y trouve Astrapi, La Croix, Le Pèlerin, Okapi, Pomme d'Api, Fripounet, Perlin et Pimpin, L'Écho de notre temps, La France Catholique, La Vie catholi­que, Témoignage chrétien et quelques autres. Mais il en est d'autres qui manquent. Et non des moindres ! « L'Homme Nouveau » n'existe pas ! Notre excellent confrère « Famil­le chrétienne » n'existe pas ! « Pour aujourd'hui, je ne tenterai aucun commentaire. Je poserai seulement trois questions : 1° quand un journal tel que L'Homme Nouveau sert l'Église et le pape, qu'il re­flète son enseignement com­me visée essentielle au vu et au su de tous, qu'il poursuit cet effort depuis un tiers de siècle, que son tirage (O.J.D.), depuis déjà six ans, oscille entre 74 000 et 78 000 exemplaires de mo­yenne annuelle, que lui faut-il être ou faire, en plus, pour qu'une information donnée à tous les journalis­tes étrangers mentionne -- au moins -- son existence ? J'insiste : c'est une *ques­tion*. 134:245 2° les organes de presse cités dans ce dossier, sont visiblement ceux qui sont regroupés au sein du Cen­tre National de Presse Ca­tholique que je connais bien, dont j'ai été vice-président, et qui est un or­gane de liaison technique sans aucune dépendance d'ordre doctrinal ou pasto­ral avec l'épiscopat. Pour­quoi la qualité de catholi­que, pour la presse, dépen­drait-elle NON DE LA RÉA­LITE ÉVIDENTE ET NO­TOIRE de ce qu'est un or­gane de presse, mais d'une appellation contrôlée qui n'est même pas un label de qualité ? C'est aussi une *question.* 3° on évoque parfois les « options temporelles ». On m'accordera sans doute que des organes comme les *In­formations Catholiques in­ternationales, France Catho­lique ou Témoignage* chré­tien, profitent pleinement du droit des laïcs d'exprimer de telles options. Seules les nôtres, qui sont connues (tant à l'égard de l'avorte­ment, de la contraception, que des diverses idéologies de droite ou de gauche) seraient-elles incompatibles avec la qualité de journal catholique C'est une troi­sième *question.* Il va de soi que nous ne demandons pas aux bureaux qui rédigent de tels docu­ments de traitement de fa­veur ! Nous sommes prêts, bien entendu aussi, à redres­ser ou à rectifier ce qui se­rait, à notre insu, un obsta­cle habituel à notre exis­tence comme « publication catholique » quoique, de Rome non moins que de plu­sieurs diocèses, nous n'ayons jamais reçu que des encou­ragements... Une telle excommuni­cation en une telle occasion pose un problème au sein du laïcat catholique de France. S'agit-il d'un laïcat véritable, fraternel, fidèle et loyalement ouvert ? Ou désigne-t-on sous ce nom la réalité de groupes de pres­sion qui, sous le couvert de l'autorité épiscopale, dé­tiennent un monopole « ca­tholique » qui s'exerce sur la presse, la radio et la té­lévision ? \[Fin de la reproduction inté­grale d'un article de Marcel Clément paru dans *L'Homme nouveau,* numéro 765 du 1^er^ juin 1980.\] La première remarque qui vient à l'esprit est que *L'Hom­me nouveau* est traité par la « presse catholique » subs­tantiellement de la même ma­nière que lui-même, avec une obstination égale, traite la revue ITINÉRAIRES. Cette première remarque n'est pas frivole. Elle est in­troductrice. Le système d'exclusion que Marcel Clément met en cause est spécifiquement le système que la *gauche* (politico-reli­gieuse) emploie contre tout ce qu'elle désigne comme étant de *droite.* 135:245 Si grande soit l'ouverture au monde que l'on prône et l'ouverture à gauche que l'on pratique, on est toujours à droite de quelqu'un, toujours susceptible d'être dans ce système frappé d'exclusion. Vouloir échapper *indivi­duellement* à ce système, com­me *L'Homme nouveau* s'y ap­plique en vain depuis un tiers de siècle, ne peut dans le meilleur des cas qu'obtenir une faveur provisoire, une vice-présidence passagère, sans modification véritable de la situation. C'est le système lui-même qu'il faut renverser. Le peut-on ? Chacun en tout cas peut commencer par ne point pra­tiquer lui-même ce système. Ce serait une application immédiate du principe de la loi (morale) naturelle. Quand *L'Homme nouveau* traitera la revue ITINÉRAIRES comme lui-même voudrait être traité par la « presse catholique », il aura réussi à changer les mœurs de la presse. A les changer pour autant qu'il dé­pendait de lui. Par un effet de la visite en France du pa­pe Jean-Paul II. Quant aux autres remarques, elles vont encore plus de soi. Les *questions* que pose Marcel Clément sont une figure de rhétorique plutôt qu'une in­terrogation. Les réponses en sont connues depuis long­temps : il y a aujourd'hui dans l'Église un profond dé­sordre, et la tyrannie d'un parti qui est comme une oc­cupation par une armée d'in­vasion. J. M. #### A propos du « changement d'orientation » de la Sainte-Espérance Dans notre numéro de mai (p. 169) nous y avons déjà fait allusion. Nous y revenons pour deux raisons. La pre­mière est que beaucoup de nos lecteurs connaissent le Mesnil-Saint-Loup, le P. Em­manuel, la Sainte-Espérance. La seconde raison est que le « changement d'orientation » en question est parfaitement représentatif du changement introduit dans la foi catholique par les orientations dites conciliaires. Rappelons d'abord de quoi il s'agit. Plusieurs abonnés au *Bulle­tin de l'œuvre de Notre-Dame de la Sainte-Espérance au Mesnil-Saint-Loup* ont reçu le numéro de mars orné d'un papillon polycopié qui décla­rait : 136:245 « Vous êtes peut-être surpris du changement d'orientation de cer­tains articles du présent bulletin. Avant de prendre la décision de vous désabonner, écrivez au prési­dent de l'association des amis du Père Emmanuel pour renseigne­ments complémentaires. Merci ». De fait, ce numéro de mars contenait la première partie d'un feuilleton à suivre, ex­posant et vantant les idées politico-religieuses du « père dominicain Vincent Cosmao ». Depuis lors la publication de ce feuilleton s'est poursuivie. Qui est ce P. Cosmao, nous a-t-on demandé, en quoi ses idées sont-elles contraires à la doctrine du P. Emmanuel ? Voici ce qu'en dit très cour­tement, mais très exactement, le périodique bi-mensuel *Mag-Info* dans son numéro 220 du 1^er^ mai dernier : « Le P. Cosmao appartient à cette famille d'esprits qui répudient la doctrine sociale de l'Église pour em­brasser l'idéologie révolu­tionnaire : scandalisés par les injustices sociales qui sévissent en Amérique latine, ils précipitent, par leur théorie et leur action, ces malheureux peuples dans la révolution marxiste, tout en essayant de trans­former radicalement l'Église du dedans. Le résultat est partout catastrophique, et ce sont les pauvres qui sont les principales victi­mes, comme en Indochine. Pourtant, ces, idéologues impénitents continuent : Ni­caragua, Salvador... « Dans son *Courrier* du 13 mars, Pierre Debray note que le P. Cosmao est l'ins­pirateur du CCFD et cite ce texte du même religieux « L'Église, *une autre Église* en train de naître à l'inté­rieur de l'Église, est un peu partout aux côtés de ces peuples en marche. Cette Église fait d'autant plus peur à la *vieille Église* qu'elle est en train d'éla­borer le langage et la théo­rie de sa pratique dans une *théologie de la libération* dont la démarche apparaît au moins aussi insolite que ce qui s'y dit. Mais ce lan­gage « des autres » n'est-il pas aussi le langage de l'Autre » qui fait irruption dans l'Histoire pour lui fai­re dire le sens qu'elle pren­drait si elle (re)devenait *l'histoire de la création col­lective de l'homme par l'homme* dans la fraternité des fils de Dieu »... Ce lan­gage obscur camoufle le marxisme le plus authenti­que sous un galimatias pseudo-religieux. » Le même périodique cite cet autre texte du P. Cosmao : « L'Église qui est en train de naître en Amérique la­tine ne se construit *qu'en désintégrant de l'intérieur* la chrétienté, -- ou la nou­velle chrétienté. » Le messianisme politique du P. Cosmao est le contraire de la Sainte-Espérance du P. Emmanuel. Celui-là tend à prendre la place de celle-ci dans la plu­part des organisations et pu­blications catholiques. Installer cette mutation mê­me au Mesnil, sous le patro­nage du P. Emmanuel et d'Henri Charlier, c'est une imposture probablement in­dépassable. 137:245 #### Le docteur Paul Carton et la médecine naturelle En 1947 mourait le docteur Paul Carton, grand médecin, grand esprit, auteur d'une œuvre écrite d'une trentaine de volumes, étouffée par une persévérante et satanique conspiration du silence. Le numéro 80 de la revue *Lecture et Tradition* lui est en­tièrement consacré. C'est une lecture utile. On peut deman­der ce numéro à Chiré en Montreuil, 86190 Vouillé, ou chez notre ami A. Grelin, à Arbin, 73800 Montmélian. #### Le « Figaro » avait rectifié Dans notre numéro de mai (p. 50) nous avions relevé une erreur du *Figaro* évaluant à « quelque trente traditionalis­tes » le nombre total des amis de Mgr Lefebvre dans la ville de Genève. Cette estimation nous avait paru très amusante. Il faut cependant préciser un point qui nous avait échap­pé : quelques jours plus tard, *le Figaro* avait procédé à une complète rectification en bonne et due forme. Le rensei­gnement erroné avait été « publié sur la foi d'une dé­pêche d'agence », et le *Fi­garo* demandait qu'on veuille bien excuser « une erreur de fait indépendante de (sa) vo­lonté ». De cela on l'excuse bien volontiers. On voudrait pouvoir en dire autant de tout le reste... #### Un (bon) lecteur (de plus) L'abbé Georges de Nantes écrit dans la *Contre-réforme catholique,* numéro 154 de juin : « Ému de m'entendre dire que je ne recevais plus ITI­NÉRAIRES, un ami m'en a envoyé la collection complète, pour les deux ans passés. Je m'y suis plongé. Avec intérêt et profit. Et je l'ajoute donc en très bonne place parmi les toutes pre­mières revues mensuelles de doctrine et de polémique catholiques. L'abonnement est élevé mais s'en trouve justifié. » Le contraire de la malveil­lance existe donc aussi. 138:245 ## AVIS PRATIQUES ### Annonces et rappels La liste complète des annonces et rappels permanents ne paraît plus dans chacun de nos numéros, mais seulement de temps en temps. Leur dernière version intégrale, à laquelle se reporter, a paru dans notre numéro 243 de mai 1980. \[...\] 139:245 #### La circulaire de DMM Sous le titre : « un appel pressant », *DMM* a envoyé à ses amis et correspondants une lettre-circulaire dont voici le texte intégral : C'est un appel pressant que nous vous adressons aujour­d'hui. Depuis trois ans, c'est-à-dire depuis que nous avons entrepris la réédition de la Vulgate, du Catéchisme du concile de Trente, du Caté­chisme de saint Pie X, et maintenant celle de L'année liturgique, nous avons deman­dé que l'on accorde une (cer­taine) priorité aux livres de fond. Cette demande est res­tée sans effet appréciable. Depuis un an, nous avons entrepris un nouvel effort de réalisation et de diffusion d'ouvrages destinés aux jeu­nes. Ce travail n'a pas ren­contré un succès suffisant, c'est le moins qu'on en puisse dire, pour que nous soyons en mesure de continuer. Et nos deux dernières no­tes, celle qui présentait les « Albums de Mathias » et celle qui annonçait principa­lement « L'année liturgique » ont été deux échecs commerciaux, si le succès d'estime est sensible. Il y a de nombreuses ex­plications à cette situation. Nous tenterons un jour pro­chain d'en examiner quel­ques-unes -- si nous en avons les moyens. Mais aujourd'hui, il faut bien le dire, ce n'est pas d'explications qu'il s'agit. Il s'agit de savoir si DMM peut continuer la re-publica­tion de « L'année liturgique » et la sortie des « Albums de Mathias ». 140:245 Nous avons conscience que les appels à la mobilisation générale des porte-monnaie se multiplient. Mais cette consi­dération-là ne peut nous arrê­ter en face de cette autre considération : si un certain nombre de nos amis ne ma­nifeste pas un soutien décisif à DMM dans les semaines qui viennent, il faudra tailler dans le vif : supprimer le secréta­riat, réduire (suspendre) les travaux en cours. Nous adressons donc à tous nos amis, à tous les lecteurs de cette note, un appel pres­sant pour qu'ils accordent à DMM *un soutien immédiat et direct.* Il y a *L'année liturgique* (deux volumes parus -- le troisième en relecture). Il y a *Les albums de Ma­thias* (quatre albums parus -- la deuxième série en prépara­tion). Et il y a les autres livres publiés par DMM. Tous figurent dans le catalogue général joint à cet appel. Nous ne demandons pas une aide à fonds perdus, ni les moyens de nous accroître, ni ceux de faire autre chose que ce que nous faisons. *Nous vous demandons d'acheter sans attendre au moins un livre* (plusieurs si possible) de notre catalogue ; si ce n'est pour vous, du moins pour vos enfants, pour vos amis. Et nous demandons à tous ceux qui le peuvent de souscrire sans tarder à « L'année liturgique » en édi­tion de soutien. La conservation des moyens actuels de DMM, la poursuite des travaux en cours dépen­dent de *votre* réponse. *Pour recevoir le catalogue général et les bulletins de commande de DMM, écrire à* DOMINIQUE MARTIN MORIN, 96, *rue Michel-Ange, 75016 Paris.* #### Université catholique d'été : le Centre Henri et André Charlier Pourquoi le Centre Henri et André Charlier ? Parce que d'une manière générale, mal­gré le travail des maîtres qui ont gardé le sens et l'amour de leur métier, l'on doit constater que le terme « Édu­cation nationale » ne répond plus à la réalité. L'école et l'université fran­çaises n'éduquent plus au mieux dispensent-elles une instruction. Et, sauf excep­tion, cette instruction ne vise pas plus à transmettre les valeurs spirituelles sur lesquel­les fut fondée notre civilisa­tion qu'à cultiver les vertus intellectuelles et morales qui permirent la constitution et la préservation de notre pa­trimoine français. L'instruc­tion que l'on dispense aux jeunes Français n'est plus une éducation. Elle n'est pas non plus nationale. 141:245 Au contraire l'école et l'uni­versité françaises, et d'une manière générale, tous les pouvoirs culturels de notre monde moderne, cultivent les vices de la société permissive. Oui, ce que l'on appelle l'Éducation nationale enseigne mal, cultive le contraire de ce qui devrait être cultivé, ne transmet plus ce qui devrait être transmis. L'éducation nationale enseigne mal Son enseignement, au lieu de permettre le plus possible la prise en considération de l'extrême variété des dons et des intelligences, croit assu­rer le développement des pe­tits Français dans un moule unique. Niveleur, égalisateur, il dé­forme plus qu'il ne forme, il conditionne plus qu'il n'édu­que, il réduit plus qu'il ne développe. Abstrait là où il devrait être enraciné dans le réel, il est au contraire mû par un es­prit purement utilitariste, là où il devrait enseigner les idées générales permettant à l'homme de se situer dans la société, dans l'histoire, de ré­fléchir sur sa destinée et d'ac­céder à la vérité. Elle cultive le contraire\ de ce qui devrait être cultivé D'abord parce que la con­ception de la culture qui pré­side à la mise en œuvre des actions dites culturelles, est fausse. Au lieu d'encourager les êtres à cultiver les talents qui sont les leurs on parle de la culture comme d'une nour­riture unique qu'il faudrait ingurgiter à tout le monde de la même façon. La pensée officielle, mille fois répétée et développée par le chef de l'État lui-même est de viser le plus possible à l'égalisation culturelle de tous les Français. Ce fond commun de culture : en boîte, indifférenciée, n'a évidemment rien à voir avec le concept de « culture uni­verselle » qui n'est que l'af­firmation selon laquelle les mêmes grandes vérités sur la nature humaine et sa des­tinée peuvent être découvertes par les voies les plus variées de l'effort intellectuel. Se cultiver équivaut aujour­d'hui à avaler la culture ! Mais s'aviserait-on de deman­der à un paysan de cultiver de la culture ? En fait, sur ce fond com­mun de « culture » artificielle, notre dite « Éducation nationale » peut fabriquer en quantité des masses de spécia­listes étroits, ces hommes qui selon le mot de Paul Valéry savent tout sur rien et rien sur tout, animaux parfaits pour la termitière collecti­viste. Notre éducation nationale\ ne transmet plus Faisant du passé table rase, elle déracine les élèves et les étudiants de leur milieu na­turel, de leurs traditions pro­vinciales et nationales. Par le fait même ils sont amputés de leur avenir d'hommes conscients de leur signification et de leur place. Elle fabrique le constituant idéal d'un mon­de totalitaire uniquement or­donné autour des impératifs de la production et de la con­sommation. Développant l'orgueil col­lectif de l'homme moderne, elle lui fait croire qu'il vit dans une époque supérieure en tout aux précédentes et lui inculque, au mieux, un conservatisme condescendant. 142:245 De fait, notre époque, refu­sant tout héritage vrai, ne faisant plus fructifier mais au contraire détruisant volontai­rement le patrimoine, n'est supérieure que dans les va­leurs inférieures des époques qui l'ont précédée. Les progrès qu'elle accom­plit dans l'ordre de la tech­nique accompagnent, hélas, un formidable recul dans l'ordre religieux, moral et politique. Notre époque est une épo­que de barbarie. Le Centre Henri et André Charlier :\ sa mission particulière Face à cette décadence tou­tes les initiatives de recons­truction intellectuelle et mo­rale, si petites soient-elles, ont leur importance. Les éco­les et les universités dispen­sant un véritable enseigne­ment catholique, libre de toute intrusion idéologique subversive, sont encore trop rares et ne peuvent satisfaire tous les besoins. Le Centre Henri et André Charlier se donne pour mis­sion particulière de faciliter le travail personnel des étu­diants soucieux d'acquérir les moyens de cultiver leurs vertus intellectuelles et mora­les et leur sensibilité artisti­que. Les enseignements qui y seront dispensés consisteront à traiter d'une manière à la fois simple mais profonde quelques sujets essentiels de philosophie, d'histoire, d'art et de science politique. Sur­tout, ils viseront à donner aux étudiants une méthode de travail permettant de progres­ser eux-mêmes dans l'acqui­sition des connaissances et de réagir contre les déforma­tions auxquelles ils sont sou­mis. Ces enseignements rejetant tout intellectualisme stérile viseront aussi à aider les par­ticipants dans la détermina­tion de leurs objectifs pro­fessionnels. A cette fin, des rencontres seront organisées avec des hommes représen­tatifs des professions les plus variées. Le Centre Henri et André Charlier entend donc être un élément de réponse à la triple crise de la foi, de l'intelli­gence et du courage dont souffre notre société en géné­ral et notre enseignement en particulier. Organisé dans un des plus hauts lieux de la résistance et de la renaissance catholique d'aujourd'hui, comme Fan­jeaux l'était déjà lorsque saint Dominique y fondait les frè­res prêcheurs il vise à mettre l'intelligence au service du bien commun et de la foi. Ce stage d'été s'adressant à des jeunes, ne négligera pas non plus l'éducation physi­que, source de détente intel­lectuelle et formatrice du cou­rage. Les participants auront à cœur de mettre le plus à pro­fit cette dizaine de journées où seront harmonisés, la priè­re, le travail et la détente. Acceptant bien sûr la néces­saire discipline indispensable à la plus grande efficacité, ils trouveront dans les respon­sables du Centre Henri et An­dré Charlier des prêtres, at­tentifs à leur attente, des maî­tres dont l'amitié bienveillan­te leur est assurée et dont l'autorité, selon la conception chrétienne n'a d'autre sens que d'être un service. 143:245 Enfin, par la participation commune aux offices avec les religieuses de la Communauté de Fanjeaux, ils pourront vé­rifier combien la vérité de la foi apparaît d'autant mieux qu'y est associée la beauté de la liturgie grégorienne. A qui s'adresse l'enseignement\ du Centre Henri et André Charlier ? En priorité bien sûr aux élèves des classes terminales des Lycées et Collèges et aux étudiants de l'enseignement supérieur qui trouveront au Centre Henri et André Char­lier de quoi sécréter les « an­ticorps » leur permettant de résister à l'enseignement sub­versif qu'ils reçoivent trop souvent. Aux personnes qui, sans avoir nécessairement atteint un certain niveau d'enseigne­ment secondaire ou supérieur, n'en ont pas moins acquis, par leur vie professionnelle, leur engagement religieux, politique ou social, leurs lec­tures, la possibilité de rece­voir un enseignement exigeant une aptitude à l'attention ré­fléchie. Aux éducateurs, professeurs qui pourront à la fois profiter d'enseignements et de confé­rences, aider les étudiants et se rencontrer utilement. \*\*\* Direction : Bernard ANTONY, ancien professeur de Lettres, Directeur des Relations Humaines, Fondateur du Centre de Formation aux Relations du Travail de Toulouse, Membre de la Commission Formation du C.N.P.F. Le Directeur est le responsable du Centre pour tout ce qui relève de la dé­finition des objectifs et des programmes, du choix des conférenciers et des participants. Il est assisté dans cette tâche par M. RIVIERE, responsable administra­tif, par M. Gérard PRIEUR, responsable de la discipline et de la librairie. M. l'Abbé POZZETTO assure la direc­tion spirituelle du Centre. La communauté des religieuses de Fanjeaux accueille avec joie le Centre Henri et André Charlier. Elle n'assume cependant ni la responsabilité morale, ni la responsabilité pédagogique du Centre. La Direction du Centre Henri et André Charlier, les professeurs et conférenciers, les stagiaires, s'engagent, bien sur, à travailler d'une façon qui soit en harmonie avec la vocation et les exigences de la communauté qui les re­çoit. PROFESSEURS ET ENSEIGNANTS Philosophie : Jean MADIRAN Directeur de la revue Itinéraires : « La loi naturelle et les droits de l'hom­me ». Hugues KÉRALY, Agrégé de philosophie : Psychologie sociale : « L'information, religion dominante du XX^e^ siècle ». Philosophie : « La vérité dans l'histoire de la philosophie ». Quelques leçons d'expression écrite... Histoire : Bernard ANTONY : « Cours d'histoire sociale et syndicale de 1789 à nos jours ». « La réalité de l'entreprise française ». Jean-Pierre BRANCOURT, Professeur d'histoire du Droit à la Sor­bonne : « Révolution et insurrections ». Jean de VIGUERIE, Doyen de la Faculté des Lettres d'An­gers : « Éléments d'histoire de l'enseignement en France ». 144:245 Art : Albert GÉRARD, Élève d'Henri Charlier : « Les grandes constantes de l'art ». Littérature : Maurice BARDÈCHE, Professeur à la Sorbonne. Jacques VIER, Faculté des Lettres de Rennes. Musique : Patrick de BELLEVILLE, Ancien Professeur à la Schola Cantorum : « La guitare classique ». CONFÉRENCIERS DOM GÉRARD, Prieur du Monastère Sainte-Madeleine : « La vie monastique », « Le chant gré­gorien ». François BRIGNEAU : « Ma vie de journaliste ». Roland GAUCHER : « Le parti communiste, son organisation, ses structures », « La stratégie révolu­tionnaire communiste ». Gilbert TOURNIER, Ancien Directeur de la Compagnie na­tionale du Rhône, écrivain : Présentation des films : « Sont morts les bâtisseurs », « Rhône fleuve Dieu » (films réalisés par Gilbert TOURNIER et Pierre FRESNAY. Voix de Pierre FRES­NAY). MODALITÉS PRATIQUES ET PRÉCISIONS Dates : du 29 juillet au 9 août. Le 29 juillet est réservé à l'arrivée et à l'installation dans l'après-midi des par­ticipants. 18 h : Présentation du stage et des participants. 20 h : Repas. Les cours se termineront le vendredi 8 août au soir. Le samedi 9 août : 9 h : Grand-messe aux intentions du Centre Henri et André Char­lier. 16 h : Causerie finale par Jean MA­DIRAN, stand de librairie. Si­gnature des ouvrages par les écrivains présents. N.B. -- Pour le bon fonctionnement du Centre, il ne sera en aucun cas possi­ble d'accueillir des participants après le début du stage. Lieu et hébergement Les repas seront pris et les cours dis­pensés à l'école des filles « Saint-Do­minique du Cammazou », située au pied du village de Fanjeaux. Les professeurs et conférenciers y seront logés ainsi que les jeunes filles. Les étudiants seront logés à l'école Saint-Joseph au village. Sauf dérogation accordée par la direc­tion du Centre, le stage n'a pas un caractère familial. Les participants voudront bien appor­ter leurs draps ou sacs de couchage et serviettes de toilette, les couvertures étant fournies. Ne pas outiller affaires de sport et chaussures de marche. Coût : Le montant de la pension journalière est de 60 F par personne et par jour. La participation aux frais d'enseigne­ment, d'organisation et de documenta­tion, pour l'ensemble du stage, est fixée à 100 F par stagiaire. Agréments et inscriptions Les inscriptions, accompagnées du chè­que correspondant, devront être adres­sées à M. RIVIÈRE, Le Cammazou, 11270 FANJEAUX. Le choix des participants incombe en dernier lieu au Directeur du Centre qui se réserve toute liberté à ce sujet. HORAIRE DES JOURNÉES 6 h 30 MESSE 9 h 00 PETIT DÉJEUNER 9 h 30 à 12 h 30 COURS 13 h 00 DÉJEUNER 18 h 00 CONFÉRENCE 20 h 00 REPAS 21 h 00 VEILLÉE 22 h 00 COMPLIES L'après-midi au gré des participants et des possibilités : détente, travail ma­nuel, sport, rencontre avec les conférenciers. 145:245 Sur la soi-disant « nouvelle droite » Sur le thème « Culture païenne, Europe et Chrétien­té » s'est tenu le 26 avril le colloque que nous avions an­noncé dans notre SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR*.* Ce colloque universitaire avait lieu à la Sor­bonne dans le cadre des ac­tivités du *Centre de prospec­tive sociale et politique* de l'Université de Paris IV. Les communications propo­sées à une assistance de plus de cent cinquante personnes analysèrent les thèses déve­loppées récemment par la soi-disant « nouvelle droite » dans différentes publications élitisme, nominalisme, chris­tianisme primitif, révolution conservatrice, etc. Les orateurs : le doyen Jean de Viguerie, les professeurs Claude Polin, Borella, Th. Buron, H. Guillotel, A. Néry, Cl. Rousseau, G. Soutou et J.-P. Brancourt, indiquèrent les différences profondes sépa­rant la pensée traditionnelle de cette idéologie nouvelle et s'attachèrent à révéler la véri­table nature de son anti-chris­tianisme agressif : un maté­rialisme authentique. Le *Centre de prospective sociale et politique* (adresse Université de Paris IV, Sor­bonne, 15 à 17 rue des Écoles, 75005 Paris) assurera la pu­blication ultérieure de ces communications. On peut lui écrire pour lui demander la date et les modalités de cette importante parution. L'Institut universitaire Saint-Pie X Comme nous l'avons annoncé dans notre précédent nu­méro, Mgr Lefebvre ouvre à Paris dès l'année scolaire 1980-1981 un établissement privé d'enseignement supé­rieur : *l'Institut universitaire Saint-Pie X* (philosophie, lettres classiques et modernes, histoire). Renseignements et inscrip­tions les mardi, mercredi et jeudi de 14 à 18 h au Prieuré Sainte-Geneviève, 21, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris ; téléphone : (1) 222.00.26. ============== fin du numéro 245. [^1]:  -- (1). *Le paysan de la Garonne,* p. 235. [^2]: **\*** -- Jean-Paul II a parlé en France, et notamment au Bourget, de la « Sagesse éternelle » et de l' « alliance avec la Sagesse éternelle ». Il ne semble pas que les commentateurs aient saisi le sens précis de cette ex­pression, ni qu'ils se soient reportés à Grignion de Montfort, à qui le pape a fait nommément allusion. La Sagesse éternelle, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ. L'ouvrage de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, *L'amour de la Sagesse éternelle,* a été réédité, à l'initiative de notre « Fraternité catholique militante », par DMM, 96 rue Michel-Ange, 75016 Paris. \[en encadré dans l'original.\] [^3]:  -- (2). Numéro du 8 avril 1980, p. 2. [^4]:  -- (3). Chaque cas ou presque est un cas particulier dans le détail précis de sanctions diverses par leur degré ou leur nature et par le motif invoqué. Mais tous ont en commun d'avoir été frappés par l'arbitraire implacable du parti au pouvoir dans l'Église, avec une rigueur que l'on n'emploie plus contre les hérésiarques ou les avorteurs. Et les prêtres que l'on a prétendu « marginaliser », « suspendre » ou « disqualifier », on semble considérer que leur sort est ainsi réglé *in aeternum,* et que ces situations de violence injuste peuvent se prolonger indéfiniment. L'abbé Georges de Nantes le remarque dans *La contre-réforme catholique,* numéro 154 de juin : « ...*Per­sonnellement et pour toutes mes œuvres écrites et orales, passées, présentes et futures, mystiques, théologiques ou poli­tiques, Rome m'a déclaré* disqualifié *en 1969. Je n'existe plus, nos amis non plus, je ne suis plus entendu et ne dois plus l'être... Une reprise de contact dont j'avais pris l'initiative en 1978 avait eu lieu. Puis, plus rien. Rome ne répond plus.* Allo, Rome ? *Non, la ligne est coupée* (*...*). *Je n'existe plus pour Rome* (*...*). *On parle de CRC au Nonce. Il vous regarde d'un œil froid et passe. *»* -- *Tout se passe comme si les « quatre ou cinq États confédérés » qui colonisent nos sociétés civiles dominaient aussi la société ecclésiastique. (Voir notre brochu­re : *Les quatre au cinq États confédérés : face à la démocratie religieuse, la question de l'homme pratique.*) [^5]:  -- (4). L'ouvrage sur *Les deux démocraties* est publié aux Nouvelles Éditions Latines. Notre cours sur « la loi naturelle et les droits de l'homme », qui sera donné cet été au CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER (voir à la fin du présent numéro la rubrique « Avis pratiques ») existe aussi en cassette que l'on peut demander en écrivant ou en téléphonant à notre FRATERNITÉ CATHOLIQUE MILITANTE, 40 rue du Mont-Valérien, 92210 Saint Cloud ; tél. : (1) 771.63.00. [^6]:  -- (5). Tous les documents sont reproduits et commentés dans le numéro. spécial d'ITINÉRAIRES intitulé : *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre.* [^7]:  -- (1). Voir ITINÉRAIRES, n° 185 de juillet-août 1974. [^8]:  -- (2). Voir ITINÉRAIRES, n, 188 de décembre 1974. [^9]:  -- (1). Hiver 1979. Revue éditée par l'*Institut européen de Re­cherches et d'Études Politiques et sociales.* [^10]:  -- (2). Publié en 1978, au moment de nos propres découvertes chiliennes sur les « disparus » d'Amnesty. [^11]:  -- (3). Avec une prédilection manifeste pour les pays anti-com­munistes, ou ceux qui se situent sur un axe de pénétration du communisme dans leur continent (Corée du Sud, Guatemala, Iran, Namibie, Nicaragua, Pakistan). [^12]:  -- (4). *Amnesty International, Rapport 1977,* page 145. (Pour l'Argentine au contraire, le rédacteur ne craint pas d'affirmer, sans crainte d'ailleurs de se contredire : « Il y a à présent six mille prisonniers politiques environ dans le pays... Le nombre des enlèvements a augmenté depuis le coup d'État ; il peut se situer entre deux mille et dix mille... La population est soumise à des actes de terrorisme par les forces de sécurité qui parais­sent n'avoir que mépris pour la Constitution et pour la loi... Des milliers de gens ont été enlevés par les forces de sécurité et emmenés dans des camps secrets disséminés à travers le pays où ils sont généralement torturés et assassinés en nombre incalculable. » Etc. Etc. Etc.) [^13]:  -- (5). *Amnesty International, Rapport 1979,* page 124. [^14]:  -- (6). Voir « Le secours militaire », ITINÉRAIRES numéro 239 de janvier 1980. [^15]:  -- (7). *Amnesty International, Rapport 1979,* page 123. [^16]:  -- (8). Pages 133 à 136. [^17]:  -- (9). Pages 11 à 116. [^18]:  -- (10). *Amnesty International, Rapport 1979* (de 1980), page 108. [^19]:  -- (11). *Ibid.,* page 109. [^20]:  -- (12). *Amnesty International, Rapport 1979,* pages 141 à 143. [^21]:  -- (13). Thomas Molnar : *Mes carnets sabbatiques* en Extrême-Orient, ITINÉRAIRES numéro 242 d'avril 1980. [^22]:  -- (14). *Amnesty International*, *Brochure 1978,* page 26. [^23]:  -- (15). *Amnesty International*, *Rapport 1979,* page 57. [^24]:  -- (16). *Ibid.,* pages 75 et 76. [^25]:  -- (17). *lbid.,* page 57. [^26]:  -- (18). Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa-Rica, Guate­mala, Mexique, Nicaragua, Paraguay, Pérou, République domi­nicaine, Salvador, Uruguay et Venezuela. (Situation de 1978-1979.) [^27]:  -- (19). Ces opérations sont effectuées sur un computeur élec­tronique de marque française. [^28]:  -- (20). « Le pouvoir de l'information », ITINÉRAIRES numéro 202 d'avril 1976. [^29]:  -- (1). Claude MANCERON, t. I : *Les vingt ans du roi,* Paris, 1975 ; t. II : *Le vent d'Amérique,* Paris, 1976 ; t. III : *Le bon plaisir,* Paris, 1976 ; t. IV : *La Révolution qui lève,* Paris, 1979. [^30]:  -- (2). En 1970, l'ouvrage devait comporter cinq volumes, huit en 1976, et dix en 1979. L'imagination torrentielle de M. Man­ceron et son sens aigu du commerce condamnent l'éditeur à envisager un plan de parution étalé sur vingt ans en quarante volumes ! [^31]:  -- (3). Cl. MANCERON, *Les hommes de la Liberté,* t. 1, p. 71. [^32]:  -- (4). Cl. MANCERON, *Ibidem,* p. 221. [^33]:  -- (5). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. III. p. 3. [^34]:  -- (6). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. III, p. 141. [^35]:  -- (7). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 15. [^36]:  -- (8). Cl. MANCERON, *Les hommes de la Liberté,* t. IV, p. 73 « Le royaume de France va se rappeler de Bar-sur-Aube. » [^37]:  -- (9). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. 144. [^38]:  -- (10). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. 195. [^39]:  -- (11). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 86. [^40]:  -- (12). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. 25. [^41]:  -- (13). *Mémoires, Correspondance et manuscrits du général La Fayette publiés par sa famille,* Londres, 1837, 6 vol. [^42]:  -- (14). César-Guillaume de LA LUZERNE, *Œuvres Complètes,* Lyon, 10 vol., 1842. [^43]:  -- (15). Henri-Félix de FUMEL, *Culte de l'amour divin ; Ins­truction pastorale de Mgr l'évêque de Lodève sur les sources de l'incrédulité du siècle,* Paris, 1765, etc. [^44]:  -- (16). Voir les rapports de Mgr du Lau à l'Assemblée du Cler­gé de France, *in : Procès-verbal de l'Assemblée du Clergé de France tenue à Paris en 1780,* Paris, 1782 ; et aux Archives Nationales : G^8^ 701-702-703. [^45]:  -- (17). Éditées, pourtant, par J. FLAMMERMONT, *Remontrances du Parlement de Paris au XVIII^e^ siècle,* Paris, 1888, 3 vol. [^46]:  -- (18). Voir : en particulier, le discours du chancelier Lamoi­gnon au Parlement, le 3 mars 1766 (FLAMMERMONT, *op. cit.,* t. II, p. 554, sq.) ; le discours de Maupeou au lit de justice du 7 décembre 1770 (FLAMMERMONT, *op. cit.,* t. III, pp. 158-169), etc. [^47]:  -- (19). Cl*.* MANCERON, *op. cit.,* t. III, p. 409. [^48]:  -- (20). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 20. [^49]:  -- (21). Le professeur Roland Mousnier a dirigé des recherches qui ont porté, au Minutier Central des notaires parisiens, sur plusieurs milliers de cas pour le XVII^e^ et le XVIII^e^ siècle. [^50]:  -- (22). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. III, p. 159. [^51]:  -- (23). Cf. René PILLORGET, « Les problèmes du maintien de l'or­dre public entre 1774 et 1789 », in : *Actes du Colloque Interna­tional* *de Sorèze*, 1976 : *Le règne de Louis XVI,* pp. 199, sq. [^52]:  -- (24). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. 225. [^53]:  -- (25). *Ibidem,* p. 301. [^54]: **25 bis** -- (25 bis) Cf. Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 85. [^55]:  -- (26). *Ibidem,* p. 80. [^56]:  -- (27). *Ibidem,* p. 171. [^57]:  -- (28). *Ibidem,* p. 62. [^58]:  -- (29). *Le sacre et le couronnement de Louis XVI,* Paris, 1775 ; voir aussi : Th. GODEFROY, *Le cérémonial français,* 2 vol., Paris, 1615. [^59]:  -- (30). Cf. R. MOUSNIER, *Comment les Français du XVI^e^, siècle voyaient la constitution,* Bulletin de la société des Études du XVII^e^ siècle, 1955, n^os^ 25-26. [^60]:  -- (31). Cf. Abbé PICHON, *Journal historique du sacre et du couronnement de Louis XVI,* Paris, 1775, p. 20. [^61]:  -- (32). Cf. *Colloque sur les sacres,* Reims, octobre 1975. [^62]:  -- (33). Cf. MAULTROT, MEY, BLONDE, *Les maximes du droit public français,* Paris, 1772. [^63]:  -- (34). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. 104. [^64]:  -- (35). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 174. [^65]:  -- (36). MANCERON, *op. cit*., t. I, p. 62. [^66]:  -- (37). *Ibidem,* p. 67. [^67]:  -- (38). *Ibidem,* p. 67. [^68]:  -- (39). Ce thème, cher à Manceron, préfigure les moments les plus odieux du procès de Marie-Antoinette. L'auteur se plaît à entretenir une espèce d'ambiguïté autour des sentiments de Louis XV envers ses filles. Pareille démarche le juge. Cf. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 91 : il est question de la « tendresse équivoque » de Louis XV pour les princesses Adélaïde et Victoire. [^69]:  -- (40). Cf. P. del PERUGIA, Louis XV, éd. Albatros, Paris, 1976, p. 697. [^70]:  -- (41). Cl. MANCERON, *op. cit*., t. I, p. 67. [^71]:  -- (42). *Ibidem,* p. 75. [^72]:  -- (43). Abbé PROYART, *Vie du dauphin, père de Louis XVI,* Paris 1788, p. 382 ; BOISGELIN DE CUCE, *Oraison funèbre de Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France,* Paris, 1767. [^73]:  -- (44). Le baron d'HEZEQUES, qui fut page de la chambre de 1783 à 1786 écrit à ce propos : « Sa figure était agréable... ses yeux, qu'aucun peintre n'a jamais pu rendre avec vérité avaient malgré cette couleur claire, que la mode avait consacrée sous le nom d'œil du roi, une douceur et une bonté qu'on n'aper­cevait pas d'abord... » [^74]:  -- (45). Cl*.* MANCERON, *op. cit*., t. I, p. 437. [^75]:  -- (46). Cl*.* MANCERON, *op. cit*., t. III, p. 72. [^76]:  -- (47). *Ibidem,* p. 205. [^77]:  -- (48). *Ibidem,* p. 25. [^78]:  -- (49). *Ibidem,* p. 68. [^79]:  -- (50). Cl. MANCERON, *op. cit*., t. III, p. 69. [^80]:  -- (51). *Ibidem,* p. 70. Manceron ignore sans doute que, lorsque Crétineau-Joly écrivait son *Histoire des derniers princes de* la *maison de Condé,* Paris, 1872, le dernier des Condé était mort depuis quarante ans. [^81]:  -- (52). Cl*.* MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. *82.* [^82]:  -- (53). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 9. [^83]:  -- (54). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. III, p. 198. [^84]:  -- (55). *Ibidem,* p. 213. [^85]:  -- (56). *Ibidem,* p. 217. [^86]:  -- (57). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. I, p. 210. [^87]:  -- (58). *Université Libre,* mai-juin 1978, p. 12, sq. [^88]:  -- (59). PUGET de SAINT-ANDRÉ, *Le général Dumouriez,* Paris, 1914. [^89]:  -- (60). Cl. MANCERON, *op. cit*., t. III, p. 81­ [^90]:  -- (61). *Ibidem, p.* 115. [^91]:  -- (62). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. IV, p. 169. [^92]:  -- (63). Cl. MANCERON, *op. cit.,* t. III, p. 87. [^93]:  -- (64). *Ibidem,* p. 87. [^94]:  -- (65). Cl. MANCERON, *op. cit*., t. I, p. 39. [^95]:  -- (66). *Ibidem,* p. 70. [^96]:  -- (67). Cl. MANCERON, *op. cit*., t. III, p. 114. [^97]:  -- (68). Lettre de Vergennes à Montmorin du 8 janvier 1778, Archives des Affaires Étrangères, Correspondance Politique, Espagne, 558, f° 37-38. [^98]:  -- (69). Cf. BACHAUMONT, *Mémoires secrets pour servir à l'his­toire de la République des Lettres,* Londres, 1786, t. XXX, p. 260-261 : « Presque tous les gens arrêtés avaient de l'argent sur eux et n'étaient pas dans un état de misère capable de porter au désespoir... Un valet de chambre de M. le comte d'Artois, nommé Carré, a été condamné à Versailles à être pendu. » [^99]:  -- (70). Cl. MANCERON, *op. cit*., t. IV, p. 23. [^100]:  -- (17). La Bourboule brésilienne. [^101]:  -- (18). Gustave Corçâo est resté longiligne, maigre et sec pen­dant toute sa vie d' « animal-professeur ». [^102]:  -- (19). A café, bien entendu : c'est le bruit de fond de toutes les administrations brésiliennes, de neuf heures du matin à la tombée de la nuit. [^103]:  -- (20). En français dans le texte de Gustave Corçâo. [^104]:  -- (21). Cutia : petit rongeur brésilien, très peu farouche et assez bien élevé. On le caresse sans repentir dans les jardins de Rio. [^105]:  -- (22). Voir ci-dessus note 17.