# 249-01-81
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## La journée d'Amitié française
### Faire connaître l'appel du Centre Henri et André Charlier
■ La journée d'amitié française organisée par le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER a donc rempli la grande salle de la Mutualité pendant toute une journée, du matin au soir. Pour cela elle n'avait eu ni une affiche sur les murs, ni une ligne dans les organes d'information, ni un mot des radio-télés.
Non pour avoir refusé les media.
Le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER avait envoyé deux cent cinquante communiqués à tous les importants de la grande presse écrite et parlée. Ils étaient au courant. Ils ont fait un silence sans faille.
■ S'ils ont fait ce silence, ce n'est point du tout parce qu'ils auraient trouvé le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER matériellement anémique, numériquement négligeable. Il ne leur en faut pas tant, d'habitude. Tous les jours ils nous font lire, ils nous font entendre messages et interviews de groupuscules qui ne rassemblent que quelques centaines de personnes, voire à peine quelques dizaines.
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Mais ce sont des groupuscules *de gauche.* Ce sont des groupuscules *étrangers* à la plus ancienne tradition nationale et religieuse de la France, -- parfois même, ou souvent, étrangers à la nationalité française elle-même. Ils font partie de la puissance occupante : les quatre ou cinq États confédérés qui composent la classe dirigeante et colonisent les moyens d'information. Cette situation, il faut la connaître, il faut en prendre une exacte mesure.
■ Pas d'annonce avant, et ensuite, pas de compte rendu non plus. Aucun quotidien, aucune antenne, aucun destinataire des *deux cent cinquante* communiqués n'a voulu savoir et faire savoir. Au vrai, ils savaient d'avance qu'ils *devaient* ignorer.
■ La leçon permanente de cette permanente discrimination -- de cet *apartheid* qui frappe en France la tradition nationale et religieuse la plus ancienne de la France -- c'est à coup sûr qu'il faut renforcer, qu'il faut utiliser, qu'il faut développer beaucoup plus largement nos propres moyens d'information et d'expression.
Ou alors, il ne reste plus qu'à se coucher sur le bord de la route et tout subir sans un mot, sans un geste, si l'on a une vocation d'esclave.
■ Mais quelque chose commence.
A la journée d'amitié française du 30 novembre, il y avait la foule ; il y avait le nombre ; il y avait la jeunesse ; il y avait l'ardeur ; il y avait le cœur.
Ce fut d'autant plus une fête que plusieurs personnalités représentatives étaient venues donner l'exemple : Mgr Ducaud-Bourget, l'amiral Auphan, Gustave Thibon, François Brigneau, le capitaine Sergent, Jean-Marie Le Pen, Pierre Pujo, le colonel Château-Jobert...
-- Donner l'exemple, quel exemple ?
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-- Celui précisément du bon voisinage dans la bienveillance réciproque.
Bienveillance et bon voisinage entre ceux qui ressentent tel qu'il est le processus de génocide spirituel, intellectuel et politique que subit le peuple français.
■ D'autres le ressentent eux aussi, ce processus ; d'autres qui n'étaient pas là. Il était inévitable qu'il y ait des hésitations et que, dans l'incertitude d'une première fois, tout le monde ne soit pas venu. Plusieurs demandaient à voir d'abord comment cela se passerait. C'était légitime. Ils ont vu. La fois prochaine le cercle de l'amitié française aura grandi encore, nous l'espérons fermement.
■ Le génocide français se pratique sous l'anesthésie générale que distillent les media occupés : cette anesthésie fait que la plupart ne s'en rendent pas compte. Le phénomène d'occupation *étrangère* est pour les anciennes nations chrétiennes d'Europe le phénomène capital de la seconde moitié du XX^e^ siècle. C'est en Pologne que pour le moment il est le plus visible : une minorité qui ne représente même pas 3 % de la population impose au peuple polonais une idéologie, un pouvoir, un système étrangers à son être national et religieux. Mais l'Église catholique elle-même, on le sait, subit dans sa hiérarchie une occupation étrangère à son authentique tradition. La classe dirigeante en France est étrangère à la tradition française la plus ancienne. Les pouvoirs temporels et spirituels, sous l'influence ou entre les mains soit des francs-maçonneries soit du communisme, quand ce n'est pas des deux à la fois, travaillent plus ou moins brutalement ici ou là, mais travaillent partout à *effacer des âmes la foi et la patrie *: ce qui est la plénitude du génocide.
■ Telle est notre situation.
Nous subissons dans l'État, dans l'Église, à l'école et dans les media *une occupation étrangère à la patrie et à la foi.*
Dans cette situation, il faut relire ligne à ligne, faire connaître et faire comprendre l'appel du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER qui constituait l'invitation à la journée du 30 novembre et qui demeure comme une exigence d'honneur et de survie :
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■ « Un génocide très sophistiqué, sous anesthésie générale, frappe les Français, chaque jour davantage, dans leur vie nationale, religieuse, familiale, professionnelle et les atteint jusque dans leur existence physique.
■ « Par la perversion libéral-socialiste des lois et des spectacles, des idées et des mœurs, le génocide fait que les Français sont de moins en moins chrétiens et se sentent de moins en moins français.
■ « L'incitation générale à la dénatalité, les ravages de l'avortement, le déracinement des populations, l'immigration sans frontières arrivent à faire que les Français sont de moins en moins nombreux en France.
■ « La démocratisation de la pornographie vient parachever cette perversion libéral-socialiste : les Français sont de moins en moins des hommes dignes de leurs vocations.
■ « A cette formidable entreprise de mal et de mort s'oppose la volonté nationale de résistance et de survie. A travers beaucoup de différences, de divergences, de divisions, s'exprime et grandit une renaissante fidélité à l'âme de la France et à cette race française dont parlait Péguy. C'est en cette même fidélité que nous nous retrouvons : nous qui, si le pire l'emportait, serions ensemble au plus bas de l'adversité.
« Le génocide ouvre la voie à l'installation du communisme, horizon indépassable de l'esclavagisme moderne.
« Y faire face est une urgence de salut public. Entre tous ceux qui le comprennent et dont la tâche est difficile, il est besoin d'une bienveillance réciproque dans l'amitié française. C'est pour cela que nous vous invitons aux rencontres entre amis et voisins. »
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■ Un premier pas a été accompli le 30 novembre 1980. C'est un point de départ. Entre tous *ceux qui comprennent l'urgence du salut public*, il est donc possible, puisqu'on vient de le faire, et il est tonifiant, on vient de l'éprouver, -- d'établir cette *bienveillance réciproque dans l'amitié française.*
A elle seule, elle ne suffirait à rien. Mais elle est indispensable à tout. Et elle est un bon commencement.
J. M.
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### L'allocution de Jean Madiran
En venant ici aujourd'hui, vous avez les uns et les autres répondu à l'invitation du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER. Les uns et les autres : je veux dire d'une part les Organisations, publications et personnalités qui présentent leurs ouvrages et leur documentation sur les tables de leurs stands ; et d'autre part vous autres, lecteurs, militants, amis, sympathisants, ou peut-être simples curieux d'un jour -- mais pourtant, si vous êtes venus, c'est en curieux de la survie nationale, puisque c'est cette préoccupation commune qui aujourd'hui nous réunit ici.
Pour ce qui concerne les personnalités, publications et organisations, dont vous voyez les tables tout autour de la salle, eh bien cette salle est quasiment déjà trop petite -- elle l'est d'autant plus qu'il faut penser aux absents, à ceux qui cette fois ne sont pas venus, ils hésitaient et ils ne sont pas sortis de leur hésitation, peut-être avaient-ils peur de se trouver un peu seuls ici, vous voyez qu'ils ont eu tort d'avoir cette peur ; on ne leur en veut certes pas, ils sont déjà invités pour la prochaine fois -- et la prochaine fois, je pense qu'ils viendront eux aussi ; ils seront accueillis fraternellement.
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Mais parmi les uns et les autres, beaucoup, et peut-être la plupart, c'est la première fois qu'ils entendent parler du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER.
Il n'y a rien d'étonnant à ce que le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER soit encore peu connu : il vient d'être fondé, cette année même, il n'a pas encore un an d'existence, il n'a fait jusqu'à présent qu'organiser une université d'été qui a d'ailleurs parfaitement fonctionné.
Le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, on peut le définir d'un mot il est vrai trop galvaudé : c'est un centre culturel ; un centre culturel d'inspiration catholique, puisqu'il a été fondé et qu'il est dirigé par le militant catholique Romain Marie. Et donc, il ne considère pas la culture comme un divertissement -- mais comme un devoir : le devoir pour chacun de cultiver les dons et talents qu'il a reçus. La culture, ce n'est pas la culture de n'importe quoi : c'est la culture des vertus intellectuelles, morales et civiques. A contre-courant d'une époque cultivant les vices qui dégradent les âmes, défont les sociétés, tuent la France.
Et si le centre culturel fondé par Romain Marie se nomme le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, c'est parce que ces deux noms, celui d'Henri Charlier, celui d'André Charlier, ont leur place, à la suite de ceux de Péguy et de Maurras, dans l'histoire de la réforme intellectuelle et morale en France.
Qu'est-ce que la réforme intellectuelle et morale ?
C'est une idée qui a un siècle maintenant. Au lendemain de la défaite de 1871, un certain nombre de penseurs, et parfois ceux que l'on aurait attendus le moins, se mirent à estimer que cette défaite surprenante, humiliante, avait des causes intellectuelles et morales. Des hommes aussi peu traditionnels, aussi peu réactionnaires, aussi peu cléricaux, aussi peu nationalistes que Taine et que Renan s'avisèrent que la cause profonde de l'abaissement de la France était quelque part dans le règne des idées intellectuelles et morales issues de 1789, idées dominantes dans le gouvernement, dans l'opinion, dans l'enseignement.
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Ils ne virent pas du premier coup en quoi et pourquoi ces idées étaient débilitantes, mais ils eurent la pensée de les mettre en question, et de proposer d'en changer. Telle est l'origine du projet de réforme intellectuelle et morale : il s'agit de réformer la mentalité dominante, parce que cette mentalité est un facteur de décomposition nationale.
Ce projet a été repris et continué, sur des voies plus ou moins parallèles, entre autres, pour ne citer que les plus célèbres, par Charles Péguy et par Charles Maurras. Mais, pour diverses raisons historiques, la réforme des idées dominantes n'a pas eu lieu. Et, faute de cette réforme, parce qu'elle n'avait pas été faite, la France a connu en 1940 le plus grand désastre de son histoire. Au plus profond de ce désastre, il y eut une voix pour dire aux Français la vérité : pour leur dire qu'ils avaient besoin d'un redressement intellectuel et moral : « C'est à un redressement intellectuel et moral que d'abord je vous convie. »
Nous ne pouvons l'oublier : ainsi parla le maréchal Pétain.
En raison des circonstances, qui étaient abominables, la réformé intellectuelle et morale ne put être accomplie. Et nous en sommes toujours au même point. C'est-à-dire que la France continue à descendre. Et que la nécessité d'une réforme intellectuelle et morale n'a fait que grandir.
L'essentiel de cette réforme ou si je puis dire : son cœur même, c'est de *sortir du tunnel où les Français ne s'aiment pas, et faire en sorte que les Français recommencent à s'aimer.*
« Quand les Français ne s'aimaient pas » est le titre d'un livre de Charles Maurras, et le titre de ce livre a provoqué un contresens chez ceux qui n'avaient pas lu le livre mais seulement le titre.
Ils ont pensé qu'il s'agissait de la division *entre* Français et que ce titre voulait dire : Quand les Français ne s'aimaient pas *entre eux.* Mais cela voulait dire autre chose. Cela voulait dire : Quand les Français ne s'aimaient pas eux-mêmes, et c'est bien, encore aujourd'hui, notre situation.
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Quand les Français ne s'aiment pas eux-mêmes : c'est-à-dire quand ils n'aiment pas, en eux, leur qualité de Français, leur qualité d'héritiers de la France, parce qu'ils ne savent plus et n'aiment plus ce qu'est la France.
Pour surmonter leurs divisions et leurs guerres civiles, pour recommencer à s'aimer *entre eux,* les Français doivent recommencer à s'aimer *eux-mêmes :* à aimer l'être historique de la France au lieu de se laisser persuader d'en avoir honte.
Quand les Français ne s'aimaient pas, c'était l'époque, il y a un siècle, où l'historien Fustel de Coulanges déclarait que l'histoire de France, celle que l'on enseignait aux petits Français dans les écoles, semblait avoir été *écrite par des ennemis de la France.* Il y a un siècle au moins que cela dure. Et que dirait-il aujourd'hui.
Le plus haut personnage de l'État, que l'on pourrait nommer le grand indifférent à l'âme française, nous a donné sa pensée dans un livre qui n'a pas un mot pour notre tradition nationale, pas un mot pour notre civilisation chrétienne. Pour lui notre tradition religieuse se réduit à un « spiritualisme », je ne connais pas cette religion-là, il a peut-être voulu dire spiritisme, pour faire tourner les tables. Pour lui notre tradition nationale s'incarne en Gavroche et en Marianne -- dans un pays qui a eu Jeanne d'Arc et Bayard !
Son bras droit, ou gauche, Alain Peyrefitte, est l'auteur d'un livre intitulé : *Le mal français.* La cause de tous les maux présents, c'est la France elle-même, -- c'est le cœur de la France, c'est sa tradition catholique romaine. Il veut en somme que les Français soient libérés de la France, déracinés de la France... Je reviens à Henri et André Charlier, dont la pensée et la vie ont tracé l'itinéraire qui va du mensonge moderne à la foi chrétienne. L'inverse de l'itinéraire que suivait au même moment l'Église de France, l'itinéraire dit progressiste qui de la foi chrétienne s'en allait au mensonge moderne.
Qu'est-ce que le mensonge moderne ?
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C'est de nous faire croire que nous sortons des ténèbres du Moyen Age et que nous allons vers les lumières de la démocratie universelle.
Henri et André Charlier avaient grandi dans cette idée. Fils d'un important franc-maçon, ils avaient été élevés dans la discipline républicaine et dans la laïcité. La discipline républicaine, c'est le pas d'ennemis à gauche. La laïcité, c'est le pas de Dieu sur la terre comme au ciel ; un chef du gouvernement de la République, c'était Viviani, s'écriait avec satisfaction : « Nous avons éteint au ciel des étoiles qui ne se rallumeront plus. » -- Il rêvait un peu, car on n'a pas encore trouvé le moyen de soumettre les étoiles à la discipline républicaine. -- Mais enfin Henri et André Charlier avaient été élevés dans ces idées, et ils en sont sortis, c'est en cela qu'ils indiquent le cheminement par lequel la France moderne peut redevenir la France éternelle.
Henri Charlier avait découvert un jour, en passant devant Notre-Dame de Paris, l'évidence que le mensonge moderne est pleinement un mensonge : l'époque et le peuple qui ont édifié Notre-Dame de Paris, il n'est pas possible que ce soit une époque de ténèbres et un peuple arriéré. Au contraire : nous avons là sous les yeux le témoignage irrécusable qu'ils étaient plus grands que nous. A partir de cette certitude, nous pouvons jeter un regard nouveau sur l'histoire de la France -- et nous pouvons recommencer à aimer l'être historique de la France. A sa racine, à sa source, alors, renaîtra l'amitié française.
Vous êtes ici pour manifester votre désir et votre recherche de cette amitié.
Et, du côté des organisations et publications ici représentées, vous vous découvrez sans doute beaucoup plus de voisins que vous ne l'imaginiez. Entre voisins, il y a deux choses : il y a des différences, et il y a le voisinage. Ce que nous voulons montrer tous ensemble, c'est que *le voisinage peut être un bon voisinage sans porter atteinte aux différences auxquelles chacun est normalement attaché.*
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Héritiers de la France, nous sommes des héritiers en danger d'être les derniers survivants du peuple de la cathédrale et de la croisade, de la chevalerie et de la mission. Chacune de vos organisations, chacune de vos publications détient quelque chose de la France, quelque chose de la tradition française, quelque chose de la survie française, -- et la survie française, ce ne sera pas l'un ou l'autre d'entre vous seulement, mais tous ensemble.
Vous connaissez l'aphorisme de Saint-Exupéry : chaque sentinelle est responsable du salut de l'Empire, chaque sentinelle tient en ses mains le sort de l'Empire.
Vous êtes autant de sentinelles en des points divers du rempart de la survie française.
Oh je sais bien, les décadences, les décompositions ressemblent à un cauchemar. Il semble qu'un rien pourrait nous en réveiller, mais le cauchemar continue. Nous voulons bouger et rien ne bouge. Nous voulons crier et personne n'entend. Et pourtant il ne faudrait pas grand chose pour s'en déprendre. Dans cette nuit nous entendons la vieille interrogation venue du fond des siècles : -- *Custos, quid de nocte ?* « Veilleur, est-ce l'aurore ? » Peut-être. Peut-être en effet est-ce l'aurore. Peut-être. Peut-être aujourd'hui, de notre rencontre, de notre reconnaissance mutuelle, une nouvelle espérance prend le départ, si notre résolution grandit à la mesure de cette espérance.
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### Le discours de François Brigneau
*"La plus bête du monde"*
MESDAMES, mesdemoiselles, messieurs, chers amis, Françaises et Français (pardonnez-moi si j'en oublie), -- si réussie, si émouvante, si rare dans son esprit aussi bien que dans ses promesses que soit cette journée offerte à l'amitié française, je manquerais à mes devoirs essentiels et à mon goût bien connu du dénigrement, si je n'en soulignais pas d'abord les insuffisances et les manques.
Je prie M. Jean Madiran de bien vouloir excuser la sévérité de mon propos.
Je demande à M. Romain Marie de ne pas y chercher malice. Mais tout de même, quand on a la prétention de rassembler de vastes audiences pour leur parler de la France, de la lumière française, du sourire français, du chant et du sang français, de l'intelligence et de l'action françaises, de l'héritage et de l'avenir de notre pays et de notre peuple, et des ennemis qui le menacent, il faut réussir à présenter au public des vedettes dont on parle.
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La présence de M. Coluche dans notre assemblée lui eût donné le lustre et l'éclat qui lui manquent.
Du coup nous aurions vu accourir tous les micros, toutes les caméras. Sans oublier les échotiers.
D'autant que pour présenter M. Coluche nous aurions pu demander le concours de M. Maurice Schumann.
On a beaucoup brocardé M. Schumann. On a mis en doute ses qualités de parachutiste. Mais depuis qu'il a été parachuté à l'Académie les rieurs sont de son côté. Et M. Schumann peut parler sans que l'assistance se mette à chanter « J'y vas-t-y, j'y vas t'y pas » pour l'inviter à quitter son avion. M. Schumann nous aurait expliqué que M. Coluche n'était pas un phénomène isolé. Il a des prédécesseurs. Des guignols devenus des penseurs politiques. Pierre Dac, par exemple : le général de Gaulle qui ne passait pas pour un amateur de caleçonnades et de calembredaines l'avait bien compris. Pour gagner la guerre qu'il faisait aux Français il avait eu besoin d'un comique croupier. Et il avait trouvé Pierre Dac. Le génial inventeur des mots de passe de Londres : « *L'os à moelle annonce l'assiette au beurre.* Je répète : *L'os à moelle annonce l'assiette au beurre. *» Fantastique.
Le maréchal avait Philippe Henriot. Le général avait Pierre Dac. Le résultat était acquis d'avance.
Certes pour plus de sûreté quelques pacifistes hostiles à la peine de mort prirent la précaution d'abattre Philippe Henriot.
Mais même vivant il n'aurait rien changé.
#### *L'absence d'Althusser*
Le gaullisme avait donc Pierre Dac.
Le giscardisme a Coluche. Et, soyons juste : Jean-Jacques Servan-Schreiber. Servan-Schreiber c'est le clown blanc. Coluche c'est l'Auguste. Ça c'est une affiche. Ça, ça fait causer dans le quartier.
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Tandis que Madiran, Mgr Ducaud-Bourget, Le Pen, Roland Gaucher, Jean-Pax Mefret, mille regrets, ça ne fait pas le poids, c'est râpé. Mieux vaut rester chez soi regarder Gicquel marcher à côté de ses pompes funèbres.
On se demande, souvent, la raison profonde de notre inexistence politique. Il ne faut pas aller chercher ailleurs. Nous ne savons pas composer un programme.
Tenez. Une supposition. A défaut de Coluche, nous aurions pu présenter Althusser.
Dans une cage naturellement.
Sans quoi la préfecture de police n'aurait pas donné l'autorisation.
Vous vous rendez compte du retentissement qu'aurait eu la présence d'Althusser parmi nous.
A la Une. Sur cinq colonnes. Cinq colonnes, pour nous, c'est toujours le tarif.
Avec des caractères comme ça. Uniquement employés pour la mobilisation générale.
Exclusif, à la Mutu
ROMAIN MARIE PRÉSENTE
ALTHUSSER.
L'agrégé désagrégé
dans
« Norm' Sup brûle-t-il ? »
« Un spectacle sensationnel. Du P.C. à Sainte-Anne (Entre parenthèses : ça c'est un « itinéraire », Madiran). Avec le clou, la nuit tragique, l'étrangleur de la rue d'Ulm. La confession du philosophe. Lénine était dans la tombe et regardait Cachin. Tous les détails... »
Vous imaginez l'impact ? Elkabbach arrivait ventre à terre. Avec les Duhamel de la France sur les talons. On se faisait une publicité du tonnerre. Un coup Bleustein, un coup Blanchet, on arrivait à refiler notre produit : Travail, Famille, Patrie et Génocide, à condition, naturellement, de placer au moment des *spots* le Club Méditerranée et Jeanne Birkin, dansant, vêtue d'innocence sophistiquée, sur une musique du délicieux Gainsbourg.
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Mais que voulez-vous !
Nous n'avons pas Coluche. Nous n'avons pas Althusser.
Comment voulez-vous qu'on nous remarque ? Qu'on prête attention à ce que nous disons ?
#### *Le jugement de Guy Mollet*
Une fois pour toutes nous sommes classés, étiquetés.
Nous sommes « la droite la plus bête du monde », a dit un jour M. Guy Mollet.
C'est resté. A jamais.
Et pourtant M. Mollet, ce n'est pas le pied ! Il est même très bien porté de le considérer comme une crotte de bique du socialisme à visage humain. Chef d'État médiocre. Chef de parti encore plus médiocre, qui conduisait la S.F.I.O. au tombeau quand Mitterrand, ce fils de Léon Blum et de Rosa Luxembourg, qui passait justement dans le quartier, vit de la lumière, entra et sauva la baraque.
Ce pauvre Guy Mollet est donc aujourd'hui un personnage décrié et sans crédit. Même Mme Giroud, qui ne tire pourtant pas sur les ambulances, ne rate pas une occasion d'aller cracher sur sa tombe.
Néanmoins cette phrase de lui reste comme un postulat -- une vérité d'évangile : *Nous sommes la droite la plus bête du monde.* Et c'est vrai -- c'est tristement vrai. Tous les actes que nous avons faits, toutes les paroles que nous avons dites, tous les jugements que nous avons prononcés, en témoignent. Nous sommes des crétins. Des bornés. Des stupides. En tout. Surtout. Partout.
Regardez la Chine.
Avons-nous jamais cru à la Chine de Mao ?
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Non.
Dès le commencement nous avons dénoncé ce qu'on appelle plaisamment aujourd'hui l'apocalypse Mao : une révolution sauvage ; -- l'extermination de centaines de millions d'êtres au profit d'un système dément qui soumettait 800 millions de Chinois à un stalinisme aux yeux bridés, puritain, xénophobe et raciste.
Ces propos faisaient sourire les connaisseurs. M. Peyrefitte, balançant doucement dans l'air du soir ses grandes oreilles soyeuses, murmurait suave : -- Ces gens de droite, quels imbéciles !
Lorsque le Grand Timonier passa la barre à gauche, M. Giscard d'Estaing déclara, la voix brisée par l'émotion :
-- « *Avec le Président Mao-Tsé-Tung s'est éteint un phare de la pensée mondiale. *»
Le *Figaro* paraissait crêpé de noir et tout trempé des larmes de M. d'Ormesson qui, nonobstant son stoïcisme distingué, ne parvenait pas à surmonter le chagrin que lui causait ce deuil. Dans les églises sonnait le glas qui n'avait pas tinté pour les missionnaires empalés par les bambous de la Chine Libérale avancée. Bref toute la France était rassemblée autour du corps du grand chef jaune. *Sauf nous.*
Nous étions les seuls à dénoncer l'adhésion de la frivolité tricolore au bourreau chinois.
Mais quel profit en avons-nous tiré ? Aucun.
Aujourd'hui que la preuve est faite que nous avions raison, qu'en Chine comme ailleurs le communisme n'est qu'une entreprise de brigandage et de banditisme où les copains se servent des coquins pour saigner les crétins de Pékin et tenir en esclavage ceux qui restent, quel bénéfice tirons-nous de notre lucidité ? Aucun.
Personne ne nous sait gré d'avoir eu raison avant tout le monde.
#### *La savante mécanique de Moscou*
Et ce qui vaut pour la Chine, fille aînée de l'Église marxiste, vaut pour l'Église elle-même : l'Union Soviétique.
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J'ai dit souvent que si je ne suis pas anticommuniste depuis 1917, c'est que je suis né en 1919. (Ce qui entre nous ne nous rajeunit pas.) Aujourd'hui où l'anticommunisme revient à la mode (parce que les chrétiens ne sont plus les seuls à souffrir en U.R.S.S.), cette antériorité devrait me valoir une certaine considération.
Eh bien, il n'en est rien.
Cette considération est réservée aux convertis de fraîche date. A ceux qui avaient encore leur carte du parti hier et peuvent donc dire aujourd'hui :
-- J'ai eu tort pendant trente ans. C'est donc la preuve que j'ai raison maintenant que je dis le contraire de ce que j'affirmais.
Les ouvriers de la dernière heure, on n'a rien contre. A condition que ceux de la première ne soient pas poussés dans les orties. C'est pourtant ce qui arrive.
Nous, nous ne cessons d'annoncer la couleur. Mais ce sont les autres qui vendent le tableau. Guy la Molle avait bien raison.
Peut-on être plus bête ?
On touche du doigt ce qui différencie essentiellement la droite de la gauche.
Les événements, le mouvement de l'Histoire, l'évolution des êtres, des mœurs, des techniques et des choses ne cessent de donner tort à la gauche -- ce qui ne l'empêche pas de continuer à faire croire qu'elle a raison.
En revanche les événements, le mouvement de l'Histoire, l'évolution des êtres, des mœurs, des techniques et des choses ne cessent de prouver que nous avions et que nous avons raison -- et nous ne réussissons pas à convaincre nos concitoyens que nous n'avons pas tort.
Nous dénoncions les dangers de la pseudo-détente et de la politique philosoviétique du général de Gaulle quand Mme Marie-France Garaud les approuvait dans l'ombre de M. Pompidou.
Mais qui fait figure d'anticommuniste musclé, aujourd'hui -- c'est elle.
Et pourtant, à contre-courant, dans les sarcasmes et les menaces, entourés de ce climat aigre et froid qui accompagne toujours ceux qui dérangent, nous n'avons cessé d'avertir, de prévenir, d'alerter, de sonner le tocsin, ou du pipeau, selon nos moyens.
18:249
Quand tout le Paris muscadin courait se faire voir à Neauphle-le-Château, nous disions : attention. Quand vous aurez déstabilisé le Shah, disloqué l'armée iranienne, ruiné ce pays ami, l'ayatollah Khomeiny se mélangera les pinceaux dans la barbe et Moscou posera sa patte sur les pétroles, et le Golfe... Nous n'en sommes plus loin.
Voilà trente ans que nous disons qu'au grand tamtam de la décolonisation, c'est l'ours soviétique qui danse le plus fort. Quand on regarde Moscou qui se glisse en Afrique le long de l'Océan Indien et, par Cubains interposés, débouche sur l'Atlantique par l'Angola (enfin débarrassé du Portugal de Salazar), nous croyons voir un film de cauchemar réalisé sur un scénario écrit par nous depuis toujours.
Voilà trente ans que nous dénonçons le parti communiste de langue française comme un parti de l'étranger. Voilà trente ans que nous prouvons par les textes et les exemples que Moscou, grâce à une savante mécanique d'engrenage, manipule les organisations communistes terroristes internationales. Et que par son internationale visible et invisible il ordonne et coordonne la stratégie, la tactique, l'action à court et à long terme des partis communistes visibles et invisibles -- car les appareils clandestins, leurs prolongements camouflés, leurs agents masqués sont aussi importants et plus dangereux encore que ceux qu'ils montrent sur les estrades.
Voilà trente ans que nous répétons que les partis communistes ne sont que des divisions avancées de l'armée rouge.
Et que, sauf sursaut de salut public, nous n'aurons bientôt qu'à choisir entre la finlandisation ou l'invasion.
Jamais nous n'avons cessé d'évoquer la tragédie de l'Europe de l'Est -- de l'Europe esclave, abandonnée à la terreur rouge.
De temps à autre une crise éclate qui nous donne dramatiquement raison :
C'est le mur de Berlin.
C'est la Hongrie.
C'est l'Afghanistan.
C'est la Tchécoslovaquie et son pauvre printemps fripé.
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A chaque fois, l'Occident s'ébroue. Les François-Poncet de service s'écrient :
-- *C'est inacceptable. C'est intolérable.*
Mais ils acceptent. Ils tolèrent.
Ils continuent imperturbables leur politique d'autruche ou de traîtres -- qui ne leur permet, qui ne nous permet rien d'autre que de tolérer et d'accepter.
#### *Un drôle d'antimunichois*
Actuellement les troupes russes sont en alerte aux frontières de la Pologne...
Que dit la gauche humanitaire ?
Rien. Elle observe attentivement.
Quand on est du *Nouvel Observateur,* on ne peut rien faire d'autre que d'observer.
Que dit le R.P.R. ?
Pas grand chose. D'une part parce que pour M. Chirac l'anticommunisme ne constitue pas une politique. D'autre part parce que, pour M. Debré, l'Union Soviétique constitue l'allié privilégié de la France.
C'est la politique dite de Normandie-Niemen.
On leur enverra des camemberts.
Ils nous enverront des missiles.
Sur la tête.
Quant au président de la République, lui, il chasse chez le comte de Beaumont. Il a autre chose à faire qu'à écouter nos avertissements puisque, une fois pour toutes, nous sommes le camp de la bêtise et de l'aveuglement. Le président de la République est antimunichois par principe et postulat. Parce que Munich est pour lui symbole de capitulation totale et honteuse. Alors que la vérité historique est bien différente. Mais qu'est-ce que l'histoire pour un homme qui se flatte de conduire sans rétroviseur.
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C'est-à-dire qui se flatte d'aller de l'avant sans jamais s'occuper de ce qui se passe, ou s'est passé, derrière lui ?
Le président de la République, donc, est antimunichois parce que c'est à la mode. Et surtout parce que c'est facile et sans danger. Munich date de 42 ans ! Et Hitler a disparu en 1945. C'est facile, en 1980, de faire le bravache et de rouler les mécaniques devant l'ombre portée d'un homme qui s'est suicidé en 1945 !
Ce qui est moins facile c'est d'être antimunichois au sens qu'a pris ce mot -- en 1980. Ce qui est moins facile c'est d'être contre la capitulation honteuse et sans conditions aujourd'hui, devant des puissances vivantes, réelles, féroces. Moins facile que de prétendre qu'on l'aurait été hier !
Quand on a signé les accords d'Évian on n'est pas antimunichois.
Quand on a signé les accords d'Helsinki sur les droits de l'homme soviétique de mettre dans les goulags les hommes non communistes on n'est pas antimunichois.
Aujourd'hui Munich s'appelle Varsovie et Venise. Et si l'on ne s'était pas déculotté à Helsinki on n'aurait pas tant de mal à essayer de remettre son caleçon à Madrid.
Quand on dépose une gerbe sur le tombeau de Lénine c'est la capitulation que l'on fleurit. C'est l'asservissement que l'on honore. C'est la collaboration avec l'envahisseur que l'on prône. Aujourd'hui !
Oui, nous, qui appartenons, parfois sans le savoir, à « la droite la plus bête du monde », nous avons été les seuls, je dis bien les seuls, à crier sur tous les tons, à toutes occasions, que le communisme est l'ennemi n° 1, -- un ennemi qu'il faut abattre et détruire si l'on ne veut pas être abattu et détruit par lui !
#### *Incendiaires mais pompiers*
J'ai parlé du communisme et de l'anticommunisme un peu longuement, parce que le sujet redevient d'actualité et qu'il finit par être agaçant de voir la place occupée par les vociférations et les anathèmes d'anciens incendiaires déguisés en pompiers. On a tort de monter à la grande échelle quand on a le fond du pantalon douteux.
21:249
Mais il n'y a pas que sur le communisme que la droite la plus bête du monde n'a cessé d'avoir raison.
Il y a 20 ans que nous disions à ceux pour qui la politique n'est que l'heureuse gestion des intérêts économiques :
-- N'abandonnez pas l'Algérie, ne serait-ce que pour conserver le pétrole dont nous allons avoir besoin.
Qui avait raison alors ?
Les brillantes intelligences des techno-podo-suceurs, les tenants du despotisme éclairé à la lampe Pigeon ?
Ou les réacs, les bornés, les Dupont-la-joie macho-facho-rétro-boulot ?
L'Algérie française ce n'était pas que le pétrole français. Mais c'était aussi le pétrole français.
Et c'est si vrai que si nous avions résisté douze ans de plus aux souffleries russo-américaines où se fabrique le vent de l'histoire... Si nous avions résisté douze ans (et qu'est-ce que douze ans dans l'histoire d'un pays) jamais un gouvernement, même gaulliste, n'aurait abandonné l'Algérie française car il aurait eu contre lui les automobilistes français : *les seules forces blindées du monde qui deviennent redoutables quand elles n'ont plus d'essence.*
#### *La décadence plus grave que la crise*
Cette crise où pataugent les super-techniciens que nous avons mis au pouvoir et ce général de l'économie qui fait moins penser à Joffre qu'à Gamelin, la droite la plus bête du monde l'annonçait dès 72, et donnait le remède en même temps que le diagnostic. Nous disions que la crise où s'exaspère et se défait la France quoi qu'il puisse le sembler est *moins économique et sociale que morale et politique.*
22:249
En effet, malgré les difficultés dues à la politique du pétrole que l'on a abandonné aux pays arabes et aux compagnies internationales -- malgré le désordre monétaire voulu et entretenu par les trois ou quatre grandes banques mondiales dont les mains cachées dirigent tout, même le chaos -- malgré la grande mutation technique que l'homme contemporain invente mais ne maîtrise pas, il demeure possible de corriger la société actuelle de ses erreurs matérielles -- bas salaires, logements, transports, environnement, à la condition d'abord que le patron ne soit pas l'État, ni l'État le patron, mais l'arbitre.
Et plus encore que soit arrêté -- ce qui est infiniment plus difficile -- le processus de décadence intellectuelle, morale, politique et physique dans lequel nous sommes engagés. Cette décadence est aujourd'hui le péril majeur qui guette la France. Elle pervertit l'individu. Elle mine la famille. Elle appauvrit le travail. Elle détruit la patrie. Elle ronge *les principes* sans lesquels les communautés disparaissent dans le chaos de l'intérieur ou la mainmise de l'étranger : l'autorité, les libertés, la discipline nationale, les responsabilités, le courage, le goût de l'effort et du travail, le respect de la propriété individuelle.
Faut-il, fallait-il être bête pour émettre de pareilles âneries ? Faut-il être un abruti pour croire que la crise économique qui secoue la France n'est grave que parce qu'elle trouve un peuple français disloqué, malade et perverti. Un peuple français que l'on s'applique à rendre de moins en moins français dès sa naissance, dans sa formation et ses apprentissages, dans son travail et ses loisirs...
#### *Famille, je vous hais !*
J'entends ici et là parler d'une politique de la famille. Enfin ! Après vingt-deux ans de Cinquième République. Et à la septième année du septennat !
23:249
Mais voilà belle lurette que nous attirions l'attention de ceux qui gouvernent et de ceux qui sont gouvernés sur l'importance du problème.
Nous disions, nous avons toujours dit :
C'est dans la famille que l'enfant commence à devenir l'homme ou la femme qu'il sera.
C'est là que se forme son intelligence, son caractère, sa sensibilité. C'est là qu'aimé, il apprend à aimer. Or la famille aujourd'hui est attaquée de toutes parts. On ne cesse de dénoncer et de réduire son autorité. Gide triomphe et son tristement célèbre Familles, je vous hais ! L'enfant naturellement bon, l'enfant qui a tous les droits, l'enfant roi, cela sous-entend les parents esclaves, les parents qui n'ont que des devoirs, les parents naturellement mauvais. Il devient de plus en plus difficile de fonder une famille depuis que le Dr Freud est devenu le mister Hyde de l'Éducation nationale où l'on apprend que tout enfant de sexe masculin bien constitué doit désirer sa maman et avoir envie de tuer son papa.
Vous imaginez les dialogues dans les familles modernes :
-- Toto, va me chercher du pain !
-- Toi, fais attention à mon complexe d'Œdipe.
M. Séguy parle des cadences infernales dans les usines. Mais n'est-ce pas le métier de parents qui, aujourd'hui, est devenu infernal ? Les parents sont devenus l'ennemi. Les psychosociologues les dénoncent. S'ils font preuve d'autorité : ce sont des fascistes. Et comme le fascisme ne passera pas, il ne leur reste plus qu'à trépasser. S'ils cèdent aux exigences de leurs affreux jojos qui leur demandent : « Papa, fais le poirier sur les vouaters... Maman, monte aux rideaux », ce sont des moules.
M. Giscard d'Estaing nous a longtemps bassinés avec ses réformes. Il avait même nommé un ministre des réformes : J.J.-S.S., dit le turlupin. Qu'il a d'ailleurs réformé illico. Le temps passe comme l'ombre...) Mais la première réforme de base serait d'empêcher cette démission des parents, provoquée par la nouvelle société étrangement hostile à l'esprit de famille. C'est la famille qu'il faut glorifier, défendre, honorer et célébrer autrement que par la fête des Mères.
Voilà une réforme qui serait autre chose qu'un changement.
24:249
#### *Pas d'école sans âme*
La remarque vaut pour l'école. Avec cette nuance qu'ici les réformes n'ont cessé de s'accumuler, toutes pires les unes que les autres, les dernières aggravant les précédentes. (Attention. Une réforme en cache souvent une autre.) Depuis 1968 qu'on ne parle que d'améliorer l'école, elle n'a cessé de se détériorer.
Quand on constate qu'il y a un demi-siècle, un gosse de douze ans en savait trois fois plus qu'un gosse d'aujourd'hui, on se dit qu'on n'arrête pas le progrès.
Quand on voit que l'on garde à l'école jusqu'à 16 et 17 ans des lascars qui n'y apprennent rien, sinon qu'ils sont les victimes d'une société oppressive -- alors qu'on manque d'apprentis boulangers, mécaniciens, plombiers, maçons, charcutiers, d'apprentis tout court (sauf d'apprentis « chômeurs-consommateurs », emploi pour le C.A.P. duquel tout le monde se presse), on se dit que ça ne tourne plus rond dans le système triangulaire -- je veux dire maçonnique.
Là encore c'est la droite la plus bête du monde qui a raison. Elle dit : L'école qui est le prolongement de la famille doit redevenir ce qu'elle fut : le lieu où l'on forme les citoyens conscients de leurs droits -- sans lesquels ils sont avilis -- et de leurs devoirs -- sans lesquels ils sont corrompus.
Enseigner doit aller de pair avec éduquer. Il faut redonner à la fonction de maître et de professeur son sens et son éclat. La réforme des programmes, l'adaptation de l'enseignement aux technologies et aux exigences du monde moderne, le sport et la formation du corps considérés comme des éléments importants de l'éducation des Français ne seront efficaces que si l'esprit change de la maternelle à l'Université.
Voilà encore une réforme essentielle à accomplir, messieurs les réformateurs : mettre fin à l'école sans âme, sans hiérarchie, sans discipline, sans sélection, sans esprit civique et pratique qui est l'école de ce bel aujourd'hui.
25:249
#### *Profession : consommateur assisté*
Il faudrait, dans la foulée, après la famille et l'école, parler du travail. Il faudrait s'interroger sur le moyen de redonner aux Français le goût du travail en leur offrant un travail qui ait du goût.
Hélas. C'est plutôt du non-travail qu'il convient de parler. Ce septennat de M. Giscard d'Estaing aura été marqué par ce double phénomène : le nombre des chômeurs n'a cessé de croître et celui des étrangers d'augmenter. On a dépassé le million et demi de demandeurs d'emplois.
On envisage avec la plus grande sérénité les deux millions de Français qui seront en vacances prolongées toute l'année.
Si on y ajoute les jeunes sans occupations, sans métier et sans désir d'en trouver -- les étudiants qui n'étudient pas -- les oisifs de vocation -- les retraités avant l'âge -- les fatigués de naissance -- et l'immense armée des besogneux mesurés qui vivent de leur emploi sans se tuer au boulot, on arrive à cette effarante constatation : la France est une nation de 50 millions d'estomacs qui ne mangent pas trop mal, grâce au travail réel, au travail effectif, productif, créateur de richesses de 5 millions d'individus. Pas davantage !
Cette situation, il faut se dépêcher de dire qu'elle ne révolte que la poignée de crétins que nous sommes, les vieux croûtons séniles, obstinément attachés à gagner leur pain à la sueur de leur front.
En revanche elle ne choque pas les pouvoirs publics. Au contraire. Elle est normale, souhaitable, conforme aux perspectives des technocrates. Leur plan est *la* mise en place d'une nation d'assistés. Et quoi de plus assisté qu'un chômeur qui dépend de l'État pour le vivre, le couvert, la distraction, l'information ?
Votez et nous ferons le reste...
26:249
#### *La fin du peuple français*
Vous direz que je ne suis pas gai, ce soir.
C'est vrai. J'ai l'impression parfois de ressembler à ce Melchior de Vogüe dont Drumont disait : -- « Il était assis mélancoliquement sur des ruines pour y regarder des nuées... ».
Et pourtant je ne suis pas arrivé au plus grave.
Car il y a plus grave que la montée du communisme. Plus grave que la destruction de la famille française, plus grave que la mise à sac de l'école française. C'est la lente et progressive disparition du peuple français.
On dirait d'une plage qu'une mer grise recouvre peu à peu, dans le mouvement lent mais inexorable de la marée montante.
Rien, ne sert, pendant la guerre, de repousser les envahisseurs, si la paix revenue, les frontières ouvertes, on laisse entrer et s'installer qui veut, sans souci des intérêts spirituels, intellectuels, matériels et raciaux de la communauté française.
Sans s'occuper jamais de préserver nos mœurs, nos sentiments, nos manières d'être, nos traditions, nos chansons, nos noms, la religion de nos pères, le regard clair de nos mères.
Le peuple français fut un grand peuple : ingénieux, travailleur, intelligent, courageux et frondeur, d'esprit et moqueur, cabochard, turbulent, violent et parfois même féroce, mais aussi de mœurs courtoises et naturellement aimables, comme il se doit quand on a la fortune d'habiter le pays le plus aimable du monde.
L'Écossais John Moore, l'auteur des *Causes et progrès de la Révolution Française,* écrivait qu'en 1770 « la politesse et l'honnêteté ont passé en France dans tous les rangs et quoiqu'elles ne soient pas exactement les mêmes, on les retrouve cependant chez le dernier ouvrier aussi bien que chez les Grands. C'est un trait caractéristique du génie de la nation française. L'homme en haut est poli avec les inférieurs, le riche avec le pauvre, et le mendiant lui-même, en implorant des secours, a quelquefois le ton d'un homme comme il faut ».
27:249
Cette France, ce peuple-là, pouvait être un peuple et un pays d'accueil. L'étranger y fit souvent souche. Souvent bien. Se fondant dans la communauté française. S'assimilant respectueux de la patrie qu'il embrassait. S'assimilant. Parfois devenant aussi Français que les Français par le service rendu et par le sang versé.
C'était à une époque où cet apport étranger demeurait dans d'étroites limites. Il constituait une infime minorité et qui avait en commun avec la majorité française un détail, mais d'importance : la religion.
En outre la France de ce temps était une France jeune, victorieuse, bien armée moralement, politiquement et physiquement, une France qui n'avait peur que de Dieu, une France prestigieuse, rayonnante, que l'on admirait et qui, par cette admiration, devenait puissamment assimilatrice.
Est-ce le cas aujourd'hui ? Vous savez bien que non. Vous savez bien que certaines villes, certaines régions, certains quartiers sont envahis.
Et que le résultat de cette invasion qui, comme une poussière grise, commence à recouvrir nos maisons, nos écoles, nos banlieues, c'est que le peuple français se transforme.
Le cosmopolitisme déteint. Nos mœurs changent. Nos goûts, nos réactions.
Sur la naissance et sur la mort nous avons perdu les comportements de nos pères. Le nombre des étrangers et la perte de la vitalité française font que nous n'assimilons plus. Il se forme alors au flanc des villes d'immenses réserves de métissés, déracinés et sans mémoire, baragouinant un idiome composite, une humanité dont l'avenir terrifie.
Dans ces ghettos la police est interdite de séjour. Si elle veut intervenir elle trouve devant elle des bandes armées. Des bandes qui seront demain des troupes.
Le gouvernement commence à s'émouvoir. Il est bien temps. Voilà dix ans que la droite « la plus bête du monde » supplie qu'on s'intéresse à ce grave problème de l'immigration si l'on ne veut pas que la France devienne l'Amérique des Black Panthères.
Voilà sept ans qu'Ordre Nouveau a été dissous parce qu'il demandait que la France appliquât à ses frontières le régime qu'Israël impose aux siennes.
28:249
Aujourd'hui M. Stoleru, l'apôtre du travail manuel, qui confond robot et rabot, a trouvé la solution. Aux Arabes qu'il invitait chez nous l'an passé, il offre maintenant un million par tête pour qu'ils s'en retournent chez eux. Résultat : Sidi Mohammed empoche la brique à Marseille et Mohammed Sidi revient par Port Vendres. C'est la noria magrebine.
Récemment, la cour d'appel d'Amiens a condamné M. Jean-Claude Berger, directeur de l'Institut technique de traitement du bois, à payer 3.000 fr d'amende au M.R.A.P. (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples... mais pas pour l'amitié entre les Français ?). M. Jean-Claude Berger s'était effectivement rendu coupable d'un délit particulièrement odieux. Il avait spécifié dans une affiche d'offres d'emplois qu'il demandait des candidats « de nationalité française ». Ce qui était insupportable au M.R.A.P. Non parce que le M.R.A.P. s'intéresse au traitement du bois. Mais parce que le M.R.A.P., organisation paracommuniste, internationaliste, mondialiste, dont les présidents les plus éminents furent André Blumel, M. Lyon-Caen et M. Lévy, estime intolérable qu'en France un patron français ait le droit de rechercher l'embauche d'ouvriers de nationalité française.
Et un tribunal français a reconnu que le M.R.A.P. avait parfaitement raison ; et M. Berger parfaitement tort de souhaiter employer des ouvriers français. Car aujourd'hui, chez nous, le seul racisme autorisé est le racisme anti-français.
On a le droit et le devoir d'être fier d'être Russe.
On a le droit et le devoir d'être fier d'être Algérien, Cubain, Albanais, Palestinien, Israélien.
Mais si vous prétendez être fier d'être Français, attention, cela sent le fagot, le réac ranci, le fasciste hypocrite. Le M.R.A.P. n'aime pas. La cour d'appel d'Amiens non plus.
Voilà où nous en sommes. Voilà ce que nous sommes en train de devenir. Avec la complicité dynamique d'un gouvernement pourtant élu par des électeurs que cet état de choses horripile.
M. Giscard d'Estaing est élu par des Français qui ne veulent pas de M. Mitterrand et de sa politique, de M. Marchais et de sa politique. Et M. Giscard d'Estaing, dès qu'élu, s'emploie à ménager M. Marchais et sa politique ; et à faire une politique voisine de celle de M. Mitterrand. En regrettant d'ailleurs ouvertement que M. Mitterrand ne la fasse pas avec lui. C'est ce qu'on appelle le libéralisme avancé.
29:249
#### *Le désespoir surmonté*
Tel est le drame politique de la France.
Tel est aussi notre drame, puisque malgré nos efforts, nos dévouements, nos sacrifices, et quoique demain vérifie toujours nos propos d'hier, nous n'arrivons pas à conjurer le malheur. Depuis trente-cinq ans nous sommes les exilés de l'intérieur.
La grande presse, la radio, la télévision nous ignorent. Jean-Marie Le Pen rappelait l'autre dimanche que depuis plus d'un quart de siècle qu'il fait de la politique il n'avait pas été invité une fois à un grand débat télévisé.
Il est vrai qu'on ne peut pas passer son temps à nous expliquer, sur le petit écran, que Reagan ne peut pas gagner ; puis, ensuite que ce n'est pas lui qui a gagné mais Carter qui a perdu, -- et trouver celui de s'occuper de gens qui sont ennuyeux comme la pluie, au point de ne pas changer d'idées sous le fallacieux prétexte que l'événement ne cesse de leur donner raison.
A cet ostracisme des médias il faut ajouter que le système électoral nous condamne d'autant plus aisément que pour la plupart nous ne croyons pas aux vertus de la loi du nombre.
En démocratie, cela rend le combat difficile.
D'autant plus difficile que notre lutte sur trois fronts, -- contre le capitalisme anonyme et vagabond, contre l'abjecte démagogie de la démocratie et contre le communisme intrinsèquement pervers, -- est épuisante.
Mais il n'en est pas d'autre.
Car c'est la lutte pour la vérité et le salut.
Charles Maurras auquel il faut toujours revenir disait :
« *Il y a des moments de l'histoire qui sont si étroits et si difficiles que les héros eux-mêmes ne peuvent rien sauver qu'un principe, une tradition, une idée. *»
30:249
C'est ce que nous nous sommes appliqués à faire pour que nos enfants ou les enfants de nos enfants, ayant reçu en héritage ce principe, cette tradition, cette idée, redonnent à la France le sourire et la grâce de Reims.
C'est ce que nous nous sommes encore appliqués à faire aujourd'hui dans cette merveilleuse journée, parce que placée au signe merveilleux de l'amitié française. Je ne sais pas si nous avons encore une chance de vaincre. Mais je sais que si cette chance existe elle passe par l'amitié des Français qui recommencent à s'aimer. Des Français qui ont reçu la France comme une bénédiction. Des Français qui savent avec Bernanos, qu' « il ne suffit pas d'avoir raison contre l'erreur, il s'agit d'en avoir raison » et que « la forme la plus haute de l'espérance c'est le désespoir surmonté ».
31:249
### Le sermon de l'abbé Pozzetto
La journée du 30 novembre avait pour programme : « *Des catholiques vous invitent à une journée d'amitié française *»*.* Les catholiques invitant étaient ceux du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER. Les invités n'avaient bien entendu à satisfaire à aucune condition soit de religion soit de laïcité.
Pour les catholiques, la journée de ce dimanche avait commencé par une messe que célébra, -- à Saint-Nicolas du Chardonnet, en présence de Mgr Ducaud-Bourget, -- l'abbé POZZETTO, prêtre de la « Fraternité sacerdotale S. Pie X » de Mgr Lefebvre, et aumônier du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER.
Voici en son entier le sermon qu'il prononça.
*Excita, Domine, potentiam tuam et veni...* Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il. « Faites paraître, Seigneur, votre puissance et venez... » Monseigneur, mes frères, l'Église en ce premier dimanche de l'année liturgique demande à Dieu de se manifester, de venir... Elle pense, bien sûr, à Noël... Elle pense aussi à tous les moments de l'histoire du monde où les hommes oublient leur Dieu, leur Père et Maître. Et dans la suite de l'oraison de ce dimanche l'Église demande que le Seigneur vienne nous délivrer des imminents périls où nos péchés nous engagent et qu'Il nous sauve par Sa puissance libératrice.
32:249
Ces imminents périls dont parle la collecte, c'est certainement ce terrible génocide spirituel auquel nous sommes affrontés et qui nous fait assister à l'anéantissement de la foi dans notre France catholique, ce génocide qui s'attaque à l'âme de la France. Ce sont certainement les péchés des Français, l'infidélité de nos gouvernants civils et maintenant religieux qui nous ont engagés dans ces imminents périls.
La France catholique -- disons la France -- est entraînée à l'apostasie... « France, fille aînée de l'Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » France, fille aînée de l'Église, celle dont le peuple à la suite de Clovis au Noël de l'année 496 s'est converti à la Foi... France qui a donné au Ciel, au monde saint Louis, sainte Jeanne d'Arc, saint François de Sales, saint Vincent de Paul, le saint Curé d'Ars et tant d'autres saints qui ont été si français, cette même France qu'a-t-elle fait des promesses de son baptême ? La question posée par le pape est restée sans véritable réponse et depuis six mois nous assistons toujours à cette destruction de la France ; et la réponse qui est criante sous nos yeux c'est : non ! la France n'est pas restée fidèle. Les promesses du baptême, c'est de garder la foi... la France ne l'a pas fait, elle est apostate et ses gouvernants actuels sont allés jusqu'à renier le droit naturel lui-même. L'état général de la France, celui qui apparaît à tous, c'est celui d'une fille ingrate qui a abandonné son passé, s'est coupée de ses racines, en particulier depuis 1789, une France qui s'est séparée dans la quasi-totalité de son épiscopat de la grande tradition de l'Église. Comment peut-on hésiter à répondre au pape que la France n'est point fidèle elle qui, officiellement et aux frais des citoyens, autorise et bientôt impose l'avortement... elle n'est point fidèle celle qui a rayé depuis bien longtemps le nom de notre sainte religion catholique de sa constitution et Celui de notre Dieu, le seul Vrai Dieu, elle n'est plus fidèle celle qui, par nos évêques, a laissé depuis le concile Vatican II pénétrer toutes les erreurs modernistes et libérales dans les séminaires, les écoles catholiques, les paroisses, les mouvements d'action catholique elle n'est plus fidèle celle qui n'est plus féconde et n'est plus capable de donner des prêtres, des religieux, des religieuses, elle qui ne donne plus aux enfants le Pain Eucharistique et la véritable Parole de Dieu.
33:249
C'est un génocide terrible auquel nous assistons, c'est l'âme de notre pays qui est en train d'être détruite.
Devant la ruine de la foi dans notre France, sa foi qui est sa fierté la plus haute, nous, catholiques convaincus que la France catholique, la France du baptême de Clovis, celle de saint Louis et de sainte Jeanne d'Arc a encore quelque chose à dire à nos contemporains et au monde, nous appelons Dieu au secours et nous lui crions : « *Excita, Domine, potentiam tuam et veni... *» afin que nous soyons délivrés de cet imminent péril... *quia hora est jam de somno surgere...* il est déjà l'heure de nous réveiller du sommeil, nous dit saint Paul dans l'épître d'aujourd'hui.
Il est temps de nous réveiller et c'est pourquoi, avec tout le mouvement de résistance française et catholique déjà bien vivant depuis plusieurs années, le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER organise aujourd'hui une journée d'amitié française à laquelle beaucoup d'entre vous participent, cette journée qui est une invitation de catholiques, cette journée qui commence par une messe catholique et se terminera par un moment de prière... Nous sommes en effet bien conscients que ce qui permettra avant tout de faire face au triple génocide spirituel, intellectuel et physique dans notre pays c'est la restauration de sa FOI, sa foi ancestrale qui l'a constitué « Fille aînée de l'Église », sa foi vivante qui lui a donné un rayonnement dans le monde entier par ses missionnaires et tous les laïcs qui sont partis de notre pays... mais nous ne voulons et nous ne croyons qu'à la foi qui a animé nos saints et saintes de France, une foi intègre, une foi éclairée, une foi vivante.
Une foi *intègre,* sans compromission avec l'erreur, avec l'hérésie moderniste... la foi de la messe catholique de toujours, celle qui grâce à Dieu et aux prêtres fidèles de Paris est célébrée quotidiennement ici, la foi du catéchisme traditionnel, la foi de la véritable Écriture Sainte, non falsifiée, non adaptée sous prétexte d'œcuménisme.
Une foi *éclairée :* et c'est pourquoi l'œuvre de restauration spirituelle de notre pays est intimement liée à celle d'un redressement intellectuel qui passe par l'ouverture d'écoles catholiques fidèles, d'Universités comme celle qui s'est ouverte le mois dernier ici à Paris grâce à Monseigneur Lefebvre.
34:249
Ce redressement intellectuel se fera aussi et se fait par la diffusion d'une presse traditionnelle d'un haut niveau intellectuel, une presse intelligente qui a enfin compris que l'essentiel est de travailler ensemble au lieu de renouveler sans cesse des critiques à l'égard de ceux qui sont le plus proche de nous.
Et enfin c'est une foi *vivante* qu'il nous faut pour faire face au triple génocide... Une foi vivante -- et c'est sa qualité la plus exigeante -- ne signifie donc pas seulement qu'elle est intègre et éclairée, mais c'est une foi animée par la charité, une foi qui n'est pas seulement dans notre intelligence ou dans notre sensibilité mais qui transforme en profondeur tout notre être par l'amour qui l'anime, amour qui vient de Dieu.
Nous, catholiques, et en particulier nous qui participons à cette journée d'amitié française, soyons bien persuadés, au moment même de rencontrer nos amis et voisins venus à cette journée, que ce qui redonnera à la France son âme, ce qui la rajeunira et lui redonnera le visage de son baptême, c'est notre sainteté, notre foi intègre et éclairée vécue dans la charité. Faisons régner Notre-Seigneur de plus en plus en nous et sur nous pour que bien vite, au moment voulu par Dieu, Il puisse à nouveau régner sur notre terre de France.
Pour cette magnifique œuvre de restauration de notre pays faisons appel, avec confiance et amour, à Marie, Notre-Dame de France, la Patronne de notre pays, afin qu'elle soit notre avocate auprès de Dieu lorsque nous demandons avec une foi pleine d'amour : « *Excita, Domine, potentiam tuam et veni,* Faites paraître, Seigneur, votre puissance et venez... » venez en nous... venez régner sur la France. Ainsi soit-il.
35:249
## CHRONIQUES
36:249
### Vu en Espagne cinq ans après
par Hugues Kéraly
*Sur la grand place de l'Occident chrétien\
un million d'Espagnols pour Franco\
le 23 novembre 1980*
*El destino de los Borbones es fomentar la revolucion, y morir a manos de la revolucion por ellos mismos fomentada.* « Le destin des Bourbons est de fomenter la révolution, et de mourir aux mains de la révolution par eux-mêmes fomentée. » (Marquis de VALDEGAMAS, aux Cortès, 1868.)
J'ÉTAIS A MADRID le dimanche 23 novembre 1980, cinquième anniversaire de la « royale-Démocratie »... Et triple anniversaire en vérité, car le général Franco devait mourir un 20 novembre comme José Antonio Primo de Rivera, fusillé par la République en 1936. Les obsèques nationales du Caudillo eurent lieu le 23 novembre 1975 ([^1]) ; tandis que la veille, 22 novembre, Juan Carlos de Borbon y Borbon prononçait aux Cortes le serment constitutionnel qui le dénonce depuis cinq ans comme prince félon, parjure et déloyal à tous les engagements de son intronisation ([^2]).
37:249
La démocratie espagnole naissait de ce suprême mensonge, qui a fait tant de petits, dans la bouche d'un Bourbon.
J'y pensais dans l'avion de Madrid, ce dimanche matin, où nos intentions de prière auraient pu comporter ceci : « Pour le retour des communistes, l'inflation, le chômage et la grève, pour la montée des séparatismes et l'explosion du terrorisme urbain, pour la drogue, la délinquance, la pornographie et le divorce, en attendant l'avortement ; pour le déchaînement des idéologies anti-chrétiennes et l'enchaînement au génocide-libéral-avancé du reste de l'Occident -- couverts chez vous de ce grand nom français -- amis espagnols, pardon. »
\*\*\*
Les libertaires de moins haut rang prospèrent certainement en Espagne, puisqu'on lit toute l'année leurs aventures dans nos journaux, mais je n'en ai pas vu un seul manifester une joie quelconque à travers les rues... Par contre, dès les premières heures de la matinée, j'ai bien cru me retrouver vingt-cinq ans en arrière dans le soleil de Madrid, un jour de fête nationale, avec mon frère Olivier qui était né là-bas... Nous hurlions ensemble *Arriba España !* en guettant l'arrivée des fanfares, des chevaux, et le majestueux cortège du Caudillo, mais notre voix comptait pour rien dans le délire des acclamations : *Viva Franco ! Viva !* L'Espagne avait un chef, une âme, et la paix portait son nom. Il nous a fallu quelque temps, par la suite, pour dissocier le franquisme des manifestations de joie populaire, et apprendre de notre mère qu'il n'était ni prudent ni convenable de crier ces choses espagnoles au défilé du 14-Juillet.
Si j'embarrasse le lecteur avec la préhistoire de mon éducation politique, c'est que ce 23 novembre 1980, contre toute attente, Madrid avait retrouvé la couleur du début des années cinquante. La splendeur rouge et or du drapeau espagnol s'affichait partout, flottant sous d'innombrables formats, aux balcons, aux portières des voitures, aux boutonnières des passants ; et l'on était plus excusable que jamais de se retourner dans la rue, car bien des filles et de bien jolies en avaient orné leurs cheveux...
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Jeunesse chrétienne et nationale, comme on voudrait la voir renaître chez nous en si grand nombre, et manifester avec autant de grâce son dégoût des entreprises officielles contre l'essence de la patrie et la soumission aux lois de Dieu, qui ne s'en sépare jamais.
J'ai reçu ma propre cocarde à la Puerta del Sol, des mains d'une petite vieille qui regardait passer la foule immense de ses compatriotes en pleurant de joie, car elle n'y trouvait plus personne à décorer. Il est facile de comprendre la formidable signification politique de cette unanimité : -- *Les couleurs de l'Espagne, signe de ralliement de toutes les oppositions nationales au nouveau régime !* Phalanges, carlistes, Communion Traditionaliste, Fuerza Nueva... Madrid offrait là une occasion unique de mesurer leurs forces, hors du continuel mensonge des puissances qui fabriquent l'opinion.
L'Espagnol rechigne à défiler en troupeau, mais il est doué pour les grandes concentrations sur la place publique, la communion vibrante aux harangues et aux hymnes nationaux : *acto de afirmacion,* le mot dit bien la chose et il se passe de traduction. Celui-là avait lieu comme chaque année à pareille époque devant le Palais-Royal, plaza de Oriente, où parlait le général Franco. Les partis du nouveau régime l'ont abandonnée faute de pouvoir en tenir la centième partie, malgré cinq ans de démocratique monopole sur la radio et la télévision.
La plaza de Oriente est en effet une des plus vastes d'Europe. Lorsqu'on la remplit, en serrant, cela représente pas loin d'un million de personnes. Ce dimanche-là, non seulement les Madrilènes m'y marchaient sur les pieds, avec beaucoup de gentillesse, mais toutes les avenues qui y descendent débordaient... J'ai pris note de quelques autres éléments d'appréciation indiscutablement objectifs. Attente : 2 heures ; orateurs : quatre ; évanouissements huit ; température : 1 degré ; drapeaux espagnols : par centaines de milliers ; drapeaux français : six ; moyenne d'âge : 15 ans... Beaucoup de jeunes en uniforme, et plus encore de familles nombreuses, venues au grand complet pour plébisciter la vocation catholique de leur grande nation. C'est dire qu'il faudra attendre encore quelques années pour que le gros des troupes soit politiquement opérationnel. Mais qui nous fera croire désormais que les noms de Francisco Franco et de José Antonio ne mobilisent plus en Espagne que des anciens combattants ?
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Sur cette « *plaza mayor de l'Occident chrétien *»*,* comme Blas Piñar l'appelle avec autant d'esprit que de vérité, un million de voix se sont unies pour réciter le Notre Père aux intentions du redressement national. Car « *l'Espagne croit en Dieu, fin et providence *» : encore un mot de Blas Piñar, qui exprime l'essentiel de la résistance au nouveau régime. La destruction de l'Espagne, au-delà des institutions du franquisme, passe par celle de son identité nationale ; c'est-à-dire qu'elle est d'abord, comme la Révolution française, une entreprise de déchristianisation. Tous les autres malheurs de la péninsule ibérique, de la récession économique au naufrage de l'État, sont dans la dépendance de celui-là.
\*\*\*
Jusqu'en 1975, lorsque les Madrilènes levaient le bras sur la place d'Orient pour chanter le *Cara al sol* et saluer leur Caudillo, les moralisateurs de la presse française laissaient grincer leurs plumes avec ensemble sur l'air des masses « enrégimentées ». Mais voici que s'achève l'année 80, et que la foule d'Espagnols présente au grand anniversaire du franquisme ne fait qu'augmenter... Cinq ans après la mort du terrible Dictateur. Et après cinq ans d'une propagande insensée, à l'école, à la télévision, à l'église même, dans ce *pays* qui reste le plus clérical de la planète, pour charger l'ancien régime de tous les maux imaginables (passés, présents et à venir). -- Alors, ces gens qui ne veulent plus voter aujourd'hui qu'avec leurs cœurs et leurs pieds, sur la grand'place de l'Occident chrétien, qui les appelle en ce lieu ? Quel instinct de la foi divine et nationale, imperméable aux propagandes de la presse, de l'instituteur et du curé ? Qui pourra les convaincre de renoncer ?
Oui : *Arriba España !* Ce n'est pas au mensonge des urnes, mais d'en haut et vers le haut que l'Espagne appelle ses enfants d'aujourd'hui. José Antonio a le visage de la jeunesse, et dans le cœur espagnol, à l'heure du combat, il continue toujours de monter.
Hugues Kéraly.
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### Propos agricoles
par Hervé Kerbourc'h
Il a l'air tout content, le spiqueur de la radio, ce soir. Il a une bonne nouvelle à annoncer à ses amis paysans : les prix agricoles vont augmenter de 2,5 % a-t-on dit à Bruxelles. Comme d'habitude, le spiqueur prend ses auditeurs pour des imbéciles. 2,5 % d'augmentation, quand la hausse des prix est de 14 %, il y a vraiment de quoi sauter de joie... ([^3]) Et quand on n'a pas une bonne nouvelle de ce genre à leur annoncer, on essaie de leur donner mauvaise conscience. On leur fait comprendre qu'ils sont des assistés, qu'ils coûtent cher à l'État, qu'on les supporte comme des handicapés, excepté qu'ils n'ont aucune excuse valable pour expliquer leur délabrement économique. Parfois c'est l'insulte qui fuse. Comme ce paysan vendéen traité de chouan intégriste (pour moi ce n'est pas une insulte, bien au contraire, mais à la radio, c'en est une) parce qu'il a « pris le maquis » plutôt que d'aller en prison pour refus systématique de laisser vacciner ses bêtes, et parce qu'il fait partie d'un groupement de paysans pratiquant l'agriculture biologique dirigé par un royaliste catholique. Avouez qu'il est difficile d'être plus « passéiste » !
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Les chiffres que j'ai cités suffisent pour comprendre quelle est la situation des agriculteurs : leurs revenus diminuent d'année en année. Un de mes voisins élève des porcs. Pour tout bénéfice, il a... le lisier. Un autre voisin me disait : « Pour mon grand-père, quand on pouvait acheter une paire de sabots avec une livre de beurre, ça allait bien. » Aujourd'hui, c'est huit livres de beurre que coûte une paire de sabots. « En ce temps-là, on pouvait vivre avec trois vaches et une brouette. » Aujourd'hui, il faut déjà toute la lactation d'une vache pour payer l'assurance maladie obligatoire, uniquement maladie, et couvrant seulement les frais médicaux, sans aucune indemnité en cas d'arrêt de travail, et encore pour ce qui est maintenant une petite ferme. Un autre voisin m'a dit qu'il lui fallait deux vaches de plus par an pour garder le même revenu. Difficile à croire ? Il y a six ans, il avait seize vaches. Il en a maintenant une trentaine, et toujours la même voiture, la même maison, et il aurait toujours le même tracteur si l'autre n'avait été cassé dans un accident. Deux vaches de plus chaque année, cela veut dire au moins un hectare de plus chaque année (en agriculture très intensive et en terre très riche). Cette terre, il faut la trouver, l'acheter ou la louer. C'est pourquoi les agriculteurs n'ont que deux solutions : ou bien s'agrandir, c'est-à-dire « bouffer » le voisin ([^4]), et travailler de plus en plus en payant de plus en plus de charges, en faisant de plus en plus d'emprunts pour acheter des machines de plus en plus grosses, pour essayer de maintenir leur revenu, ou bien disparaître, s'inscrire au chômage, devenir ouvrier agricole... C'est une effrayante course à la terre, aux rendements, aux subventions.
N'accusez pas trop vite les paysans, quand vous avez dans votre assiette une substance vague et fade, indéfinissable. Les paysans font ce qu'ils peuvent pour survivre. On pourrait penser qu'un agriculteur qui élève quelques centaines de porcs avec une poudre puante dans un hangar, et un ou deux porcs avec des céréales et des pommes de terre pour lui, n'a plus la moindre notion du bien commun. Mais s'il voulait vendre son porc correctement nourri à un prix qui corresponde au travail fourni et aux produits utilisés, ce prix serait tel que personne n'en voudrait. C'est la même chose pour les poulets. Un poulet réellement nourri au grain dans des conditions normales serait actuellement invendable.
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Les poulets soi-disant « de grain » sont seulement « finis » au maïs. C'est la même chose pour tout le reste. Je donnerai un exemple simple. Un producteur de lait vend son lait à la laiterie environ 1,15 F le litre ([^5]). Personne n'osera dire que c'est cher, alors que c'est nettement inférieur au prix de l'eau chez l'épicier. Pour faire un kilo de beurre, il faut vingt-trois litres de lait. Le kilo de beurre, en puissance, vaut donc déjà plus de vingt-six francs. Après il faut écrémer ce lait, battre la crème à la température convenable, laver le beurre, le malaxer une ou plusieurs fois selon la saison pour en extraire l'eau, éventuellement le saler et le malaxer de nouveau, le peser, le mouler, et aller le vendre... à quel prix ? A un prix que personne ne voudra payer, tellement il sera plus élevé que celui du « beurre » du commerce. Comment les épiciers font-ils pour vendre le kilo de beurre moins cher que le prix du lait nécessaire à sa fabrication ? J'avoue que cela demeure pour moi un demi-mystère. La laiterie doit payer des camions, des chauffeurs, des usines, un matériel ultra-moderne, des tonnes de détergents chaque jour, etc. Il faut ajouter les bénéfices des intermédiaires, le coût du transport, la marge bénéficiaire du détaillant. J'ai eu un début de réponse quand j'ai appris que tout le lait arrivant en laiterie est écrémé. Ensuite, pour faire du « lait entier », on rajoute un peu de crème, très peu, puisque ce lait contient 28 ‰ (pour mille) de matière grasse, alors qu'une vache normale produit du lait à 38 %o (pour mille). Une partie du surplus de lait écrémé est vendue très cher en yaourts maigres et fromages blancs « pour garder la ligne ». Ce qui reste est revendu... au paysan pour nourrir ses veaux. Et si on tient compte du travail supplémentaire, on s'aperçoit que le prix du lait « reconstitué » est plus élevé que celui du lait frais. A propos de ce scandale des veaux, une étude a été faite qui montre et prouve que les dépenses de devises dues au pétrole (transports et fabrication) et aux matières premières d'importation (graisses végétales) nécessaires à la fabrication de la poudre de lait, sont équivalentes au budget agricole européen... C'est-à-dire que les économies réalisées pourraient résoudre tous les problèmes agricoles du Marché Commun ; il suffirait que les veaux fassent cette chose extraordinaire de boire le lait de leur mère... Mais avouez que cela ne ferait pas sérieux dans un pays moderne et industriel...
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Le paysan qui fait son porc, son poulet, son beurre, n'a pas perdu le sens du bien commun ; il lutte pour sa survie, mais il n'a pas encore perdu le goût. Et il est encore à louer, car de moins en moins d'agriculteurs se comportent ainsi. De plus en plus, ils se contentent de la même nourriture que les autres.
Si Adam avait été mis en présence des animaux qui servent actuellement à la nourriture des gens, il aurait été bien incapable de les nommer, c'est-à-dire de leur donner un nom *spécifique.* Il est parfois bien difficile de distinguer entre les différentes substances visqueuses, pâteuses ou cartonneuses qu'on nous présente sous les noms de viandes autrefois réellement distinctes mais produites aujourd'hui avec la même poudre puante. C'est la même chose pour la pâte grasse qu'on appelle encore *beurre* parce que produite à partir du lait de vache et qui n'est généralement pas meilleure que la margarine. C'est la même chose pour les légumes et plus encore pour les fruits qui ont tous le même goût remarquable de l'eau qui irrigue les vergers qui les produisent, et qui ne se distinguent plus les uns des autres que pour la vue.
Plutôt que les paysans, il faudrait accuser les consommateurs, qui cherchent à manger au moindre prix pour se payer davantage de vacances et de gadgets, et accroître le déficit de la Sécurité Sociale. Les gens ont commencé par délaisser toute nourriture spirituelle véritable, puis ils ont délaissé toute nourriture intellectuelle consistante pour se tourner vers les nourritures frelatées et sans goût des media et des divertissements frivoles ; il est logique qu'ils aient fini par délaisser la saine nourriture corporelle. Ils se contentent d'ersatz de religion, d'ersatz de culture, d'ersatz alimentaires. Mais c'est là faire grand cas de la volonté des consommateurs. Laissons-les à leurs illusions sur leur pouvoir, leur influence...
Ce ne sont pas les consommateurs qui ont décidé la disparition des trois quarts des exploitations agricoles dans les prochaines années, la disparition de six cent mille agriculteurs d'ici 1985 ([^6]). C'est à Bruxelles qu'on décide cela. Bien sûr, dans un contexte d'industrialisation, il était fatal que l'agriculture se mécanise et nécessite de moins en moins de main-d'œuvre. Mais il ne s'agit plus d'évolution « normale ». Il y a une volonté délibérée de supprimer l'exploitation familiale ([^7]), c'est-à-dire *le paysan,* pour que l'agriculture devienne réellement industrielle.
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Et ce n'est pas la France qui décide, à Bruxelles. On a décidé que c'était l'Allemagne qui devait produire les taurillons, l'Allemagne et la Belgique les porcs, l'Italie -- et bientôt l'Espagne -- les fruits, la Nouvelle-Zélande (*sic*) les moutons, et la Hollande, le Danemark et la Grande-Bretagne les produits laitiers. Par conséquent, on fera tout pour décourager les Français de produire du bœuf, du mouton, du lait, du beurre, etc., en jouant par exemple sur les disparités monétaires (montants compensatoires) et en expliquant que si les prix sont si bas, c'est parce qu'il y a des excédents. Pour prendre un exemple précis, la Hollande et la Grande-Bretagne imposent leur conception de la production laitière, et prétendent montrer à l'Europe qu'elles sont les seules valables. Le nombre de vaches idéal par étable se situe entre soixante et deux cents, il faut supprimer les fermes qui ont moins de soixante vaches, parce que non rentables, non compétitives, comme par exemple les petites fermes bretonnes anarchiques qui rendent impossible toute planification et qui sont -- donc -- responsables de l'excédent laitier. Et les journalistes français reprennent en chœur cette propagande, et montrent du doigt les coupables, les petits paysans. Alors que tout cela est faux. *Quels excédents ?* titrait récemment le bulletin d'information de l'Union bretonne des industriels laitiers. En 1978, la France était déficitaire en beurre. Sans l'augmentation de productivité des élevages français, et spécialement des petites exploitations bretonnes, la France serait actuellement importatrice de produits laitiers. Voilà pour les excédents qu'on nous reproche. Et on ne fait pas que nous les reprocher, puisqu'il a été décidé de réduire la production laitière française en taxant les productions supérieures à un certain *quantum.* Quant à la soi-disant productivité supérieure des élevages industriels, un organisme officiel britannique a publié récemment une étude comparative des petits élevages bretons et des grands élevages anglais pour parvenir à la conclusion que les premiers sont plus productifs que les seconds.
On ne veut pas supprimer les « petits » paysans : on veut supprimer *le paysan,* et c'est en bonne voie. Déjà il n'est plus l'héritier d'une longue et belle culture, celle de sa province, de son *pays.* Il a abandonné ses bancs sculptés, ses armoires et ses tables massives pour des chaises en tubes et des meubles en formica. On peut encore voir de magnifiques coffres à grain en train de pourrir entre un silo et une étable en tôles. Il a abandonné ses danses et ses chants.
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Surtout, il a abandonné sa religion. Le paysan, c'est l'habitant du *pays.* Ce n'est pas que cela. Le paysan, c'est celui qui *fait* le pays, qui organise le *paysage* en un réseau de prés, de terres labourées, de landes, de bois, de talus, de haies. Les industriels de l'agriculture, les *exploitants* agricoles le détruisent, aidés d'une armée de techniciens et de géomètres. Il a fallu qu'ils suppriment les talus pour se rendre compte qu'ils avaient une importance capitale sur le plan écologique, pour couper les vents, retenir les eaux, entretenir la vie de toute une faune nécessaire à l'équilibre écologique, régulariser le climat et les précipitations... et j'ai entendu des imbéciles dire que les talus n'étaient que l'expression de la propriété privée.
\*\*\*
Le paysan cultivait la terre. Il se passe en agriculture la même chose que dans l'enseignement. On emploie le même mot de *culture* parce qu'il s'agit de choses rigoureusement analogues. Le paysan cultivait la terre, c'est-à-dire qu'il la nourrissait, lui donnait une vie de plus en plus équilibrée et de plus en plus féconde, afin de léguer à son fils une terre en meilleur état. L'enseignant et l'exploitant agricole ne cultivent plus. Ils bourrent d'ersatz, ils dénaturent, ils empoisonnent. On ne considère plus la terre comme un milieu vivant, mais comme un support, depuis l'absurde et néfaste théorie de Liebig suivant laquelle on doit donner au sol sous forme chimique les trois éléments N. P. K. dans la même proportion que la prochaine culture doit en exporter. Ce n'est que récemment que les agronomes officiels se sont aperçus que les cultures exportent autre chose que de l'azote, du phosphore et de la potasse. Ils font ainsi de temps en temps des découvertes stupéfiantes. Et ils inventent, aussi. Je viens de lire le rapport d'un agronome qui est en train d'inventer la prairie traditionnelle. Un procédé quasiment révolutionnaire d'engraissement des veaux, encore peu utilisé, consiste à leur donner... du lait de vache. Mais ils n'ont toujours pas compris que la vie du sol est extrêmement complexe (il ne s'agit pas seulement du sol mais de tous les êtres vivants qui y vivent et transforment sa structure et sa composition, des bactéries aux vers de terre) et extrêmement mystérieuse, et qu'il s'y passe vraisemblablement des transmutations biologiques, dont L. Kervran a fait une théorie, rejetée *a priori* par les mandarins de l'Institut National de la Recherche Agronomique qui la refusent comme ils refusent des méthodes d'analyse comme la bio-électronique de L.C. Vincent ou les cristallisations sensibles de Faussurier, comme ils refusent systématiquement ce qui n'est pas strictement dans le cadre de leurs recherches et de leurs théories (on constate la même situation dans le domaine médical).
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Qu'on l'explique comme on veut, ou qu'on refuse de l'expliquer, il demeure vrai qu'une terre peut conserver après la récolte la même teneur en potasse (par exemple) qu'elle avait avant une culture exigeante en cet élément. A force de court-circuiter la vie du sol, on l'appauvrit, et particulièrement en humus, qui est le fondement de sa vie. Et il n'est pas rare de voir une terre ne plus rien produire du tout, malgré des doses massives d'engrais, après une dizaine d'années de monoculture. On constate aussi que plus on utilise de pesticides, plus on a de problèmes de parasitisme, que plus on utilise de désherbants et plus on a de mauvaises herbes. Le déséquilibre entraîne et accroît le déséquilibre, et la nature se défend comme elle peut. Par contre, plus un sol est équilibré et riche en humus, moins on a de problèmes de mauvaises herbes et de parasitisme.
\*\*\*
La création est un tissu d'analogies. On tue la vie de l'esprit en supprimant la culture véritable pour la remplacer par l'idéologie et la technologie, on tue la vie de la terre en supprimant la culture véritable pour la remplacer par l'emploi d'engrais chimiques. Comme la vie de la terre, la vie sociale est aussi une vie organique. On tue la vie de la société en voulant en faire une juxtaposition d'ouvriers et de technocrates. Et quand il n'y a plus de paysans ni d'artisans dans leur réalité traditionnelle, on s'aperçoit que ça ne marche plus, comme en U.R.S.S. où les riches terres à blé produisent dix-sept quintaux à l'hectare, c'est-à-dire le tiers d'une production moyenne en terre française. Quand on veut faire des éléments bio-chimiques du sol des fonctionnaires, il se passe la même chose : ça ne marche plus. Plus il y a de fonctionnaires, moins ça fonctionne.
Les racines de la vie de l'esprit et de la vie sociale plongent dans le sol. Maintenant qu'a été détruite la vie saine de l'esprit et la vie saine de la société, et enfin la vie saine du sol, quelques plaisantins à la mode prétendent remettre en honneur ces racines qui n'existent plus, un enracinement qui n'est qu'une forme de l'esthétisme de leurs nébuleuses idéologiques, car il ne s'agit en fait que d'émotions esthétiques provoquées par des œuvres d'art, et réellement telles, qui leur parlent du Paradis Perdu (comme par exemple *Le Cheval d'orgueil* -- de P. J. Helias ou *L'Arbre aux Sabots* d'E. Olmi), d'un âge d'or esthético-sentimental sans rapport avec la réalité.
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Ces œuvres décrivent bien des réalités historiques, mais elles ne sont pour eux idylliques que dans leur imagination. Ils n'envisageraient jamais sérieusement de vivre comme les paysans bretons ou lombards de la fin du siècle dernier, même en transposant, même en n'en gardant que l'esprit, pour la bonne raison que cet esprit était traditionnel et religieux, et qu'ils sont aux antipodes de toute pensée traditionnelle. Si j'osais une mauvaise extrapolation sociale de saint Jean de la Croix, je dirais que nous sommes dans la nuit de l'esprit et la nuit sociale, dans le vide de tout ce qui nous parlait de Dieu et nous y conduisait, aussi bien dans le domaine intellectuel que dans la vie sociale. Il ne nous reste plus que Dieu seul, Dieu dans la nuit, dans le désert. Mais un tel « détachement » n'est pas souhaitable, comme le montre l'expérience. Car, de même que le détachement intérieur (qui, lui, est souhaitable, mais personnel), que décrit saint Jean de la Croix est le fait d'un tout petit nombre, de même fort peu de gens se dirigent vers Dieu s'ils n'ont pas des appuis et des soutiens sensibles, s'ils ne sont pas dirigés et guidés au sein d'institutions religieuses, politiques et professionnelles traditionnelles. Sans parler du symbolisme inhérent à tous les métiers, celui des travaux des champs étant constamment évoqué dans les Saintes Écritures. Mais c'est là un autre sujet.
Hervé Kerbourc'h.
48:249
### La Télé
par Louis Salleron
LA TÉLÉVISION, devenue rapidement la télé, a pour premier et peut-être seul mérite d'être la parfaite image du monde où nous vivons. Que peut-on lui demander de plus ?
Attendre d'elle plus de vérité, plus de beauté, plus d'intelligence serait la subordonner à une conception de la politique où primerait le service du bien commun. Ce n'est pas la conception démocratique. La télé doit être neutre, au sens démocratique du mot, c'est-à-dire refléter les goûts et les opinions du plus grand nombre, tels qu'ils sont supposés ou imposés par les minorités qui nous gouvernent.
Dans cette optique, je ne vois pas trop ce qu'on peut lui reprocher. Les Français, et les Françaises, peuvent s'y contempler et s'y admirer complaisamment à longueur de journées d'un bout de l'année à l'autre. Les esprits chagrins, dont je suis, y trouvent de quoi alimenter leur réflexion sur la nature humaine en général et sur ses particularités nationales. La télé les fait vivre, derrière son rideau d'images, avec Pascal, La Bruyère, La Rochefoucauld, Maurras, Simone Weil et Jacques Perret. C'est une compagnie flatteuse, quoique lourde à porter, et au total consolante.
Les « informations » illustrent parfaitement ces propos. Je les « prends » régulièrement, sur TF 1, à 13 h et 20 h. Pourquoi cette chaîne plutôt qu'une autre ? Simplement parce que les images (noir et blanc) et le son y sont meilleurs sur mon poste un peu débile.
49:249
MM\. Mourousi à 13 h et Gicquel à 20 h mènent le jeu. Ils ont leurs qualités et leurs défauts. M. Mourousi, en une demi-heure, nous donne à peu près dix minutes d'information et vingt minutes de show. Mon cœur de contribuable se pince un peu quand il croit devoir planter son spectacle à Pékin, à Moscou ou à New York. Mais c'est pour nous gâter et on ne peut que lui savoir gré de son intention. Il est prince, paraît-il. Cette dignité le préserve de toute partialité dans la présentation d'une actualité qui le passionne beaucoup moins que le décor dont il peut l'entourer. M. Gicquel informe davantage dans sa demi-heure du soir. Moins acteur que son prédécesseur du déjeuner, il a le défaut bien français de nous donner son opinion sur tous les faits qu'il nous rapporte. En deux mots généralement, avec un geste et un hochement de tête. Parfois avec un commentaire très assuré. Il est né pédagogue. Il plaît ainsi, me dit-on. Pour moi, c'est un défaut majeur. L'informateur doit informer et non pas enseigner son public. Mais il n'y a guère qu'en Angleterre qu'on sache informer.
Les acolytes des deux officiants principaux sont excellents. Un Duhamel, un Gérard Saint-Paul, d'autres dont les noms m'échappent exposent avec clarté les événements qui relèvent de leur compétence. Ce ne sont pas des prises de position personnelles. Ils développent et expliquent l'information, sans la déformer.
Le « climat » de ces « prestations » est celui du régime. Il est divertissant, c'est-à-dire qu'il nous divertit, du sens pascalien au sens vulgaire du mot. Le football, les hold-up, les attentats en tout genre, les défilés de la C.G.T., le guignol des vedettes politiques nous détournent de penser au pétrole, aux guerres lointaines, à la permanente expansion soviétique, à la lente montée de la marée du Tiers-Monde battant nos côtes et s'infiltrant dans nos villes. *Carpe diem.*
En dehors des informations, il y a, paraît-il, dans la journée, de bonnes émissions. Tant mieux. Je n'y ai jamais été voir. Mais le soir, je les cherche en vain. Il est vrai que je suis couche tôt. Pour ce qui m'est disponible, il n'y a guère qu' « Apostrophes » qui ne soit que rarement décevant. Certes Bernard Pivot est un malin qui barde de précautions ses apparentes audaces. Mais il mène son monde avec une grande maîtrise et arrive à faire dialoguer ses six ou sept invités sans qu'on s'ennuie presque jamais. Que la formule tienne après plusieurs années constitue une sorte d'exploit. Georges Suffert s'essouffle à la copier avec sa « rage de lire ». Il est vrai qu'on lui met des bâtons dans les roues. Pendant des semaines on lui donnait l'antenne à 22 h.
50:249
C'était d'autant plus tard que le 22 h devenait, sans préavis, 22 h 10, ou 22 h 20. On allait se coucher. Maintenant, il a obtenu 21 h 30 -- sauf match de football ou autre spectacle. Mais à part deux ou trois réussites, il tâtonne encore, parlant trop lui-même et mal habile à répartir le temps de paroles entre les participants. On s'étonne qu'intelligent et bon journaliste comme il est, il ne trouve pas les créneaux qui assureraient le succès de son émission.
En ce qui concerne les débats qui suivent certains films, ils ont généralement lieu à une heure trop tardive et trop imprévisible pour qu'on ait la patience de les attendre. Neuf fois sur dix d'ailleurs, ils s'égarent et s'égaillent dans toutes les directions. On va se coucher.
Les diverses séquences qui composent « L'événement » sont remarquablement annoncées et présentées par Julien Besançon. Mais elles sont trop souvent dévaluées par les informations des jours précédents qui ont déjà passé la plupart des images.
« Le grand échiquier » eut son heure de gloire. Il se survit péniblement.
Restent certains grands reportages d'exceptionnelle qualité, d'admirables images d'animaux, et la ressource inépuisable : les films de cinéma. De ceux-ci on revoit parfois les plus beaux avec plaisir (un ou deux par trimestre, en ce qui me concerne).
Nous allons maintenant avoir le grand divertissement des élections présidentielles, déjà commencé. Psychologiquement, c'est intéressant et amusant.
La critique est aisée... « Que feriez-vous, me demandera-t-on, si vous étiez le patron de la télé ? » Ce que je ferais ? Je laisserais tout en l'état et je ferais une nouvelle chaîne dont les émissions n'auraient lieu que le soir, de 20 h à 23 h, et seraient exclusivement des émissions d'une qualité parfaite dans leur genre. La vérité y serait vraie, la beauté belle, et l'intelligence intelligente. Je suis convaincu qu'elle connaîtrait le plus grand succès. -- On peut toujours rêver.
Louis Salleron.
51:249
### Quand la Raison tonne en son cratère
par Jean-Pierre Brancourt
L'UN DES LIEUX COMMUNS les plus amoureusement cultivés par les historiens libéraux est le thème des procès intentés aux animaux sous l'Ancien Régime ce temps de barbarie et d'obscurantisme fut heureusement balayé par la Révolution !
Le 10 novembre 1793, Paris célébrait la Fête de la Raison, et la Convention Nationale était transportée d'enthousiasme en écoutant l'orateur du département : « La raison humaine est enfin régénérée ; le fanatisme et la superstition ont disparu ; *la raison seule a des autels... *» On ne tarda pas à le constater : une semaine plus tard, le 27 brumaire an II (17 novembre 1793, en langage chrétien), comparaissait devant le Tribunal Révolutionnaire un invalide nommé Saint-Prix, accusé d'avoir tenu des propos tendancieux et outragé la Révolution. L'odieux individu aurait même répondu à une citoyenne qui lui demandait s'il montait la garde : « Je ne suis pas fait pour monter la garde avec les gueux et les scélérats... J'aime mieux l'ancien régime que le nouveau. » ([^8])
Ce sinistre personnage avait aggravé son cas en s'associant un complice qui faisait le guet, l'avertissait des visites dangereuses et alla même, un jour, jusqu'à se jeter sur un vrai républicain.
52:249
Dans ces conditions, la qualification des infractions commises se trouvait modifiée : il ne s'agissait plus de simples crimes, mais d'une véritable conspiration.
« Rien que la mort n'était capable
D'expier un tel forfait. »
Seuls des esprits obtus et réactionnaires auraient avancé l'idée saugrenue que le complice en question étant le chien du coupable, l'ampleur de la conjuration restait limitée. L'invalide et son chien furent frappés du même châtiment -- impitoyable, mais juste : la mort.
Le 28 brumaire, Saint-Prix était guillotiné sur la place de la Révolution, mais la partie de l'arrêt concernant son co-accusé fut également exécutée, comme en témoigne le procès-verbal dressé en bonne et due forme ([^9]).
« Section des Tuileries, Comité de surveillance révolutionnaire. Du 28 brumaire, l'an deuxième de la Révolution française, une et indivisible.
« A Fouquet-Tainville, accusateur public.
« Nous avons au reçu du jugement du Tribunal révolutionnaire qui condamne Saint-Prix à la peine de mort et ordonne que son chien soit assommé, fait procéder à l'exécution de cette dernière partie du jugement. Nous t'envoyons le procès-verbal dressé à ce sujet : nous te prions de faire rembourser les frais qui ont été déboursés.
Signé : Lavillette et Chauvet.
« Au nom de la Loi,
« Ce jourd'hui, vingt-huit brumaire, l'an deuxième de la République française une et indivisible.
« En vertu d'un jugement rendu par le Tribunal révolutionnaire établi par la loi du 4 mars, qui condamne le nommé Prix, dit Saint-Prix, portant peine de mort, également par le dit jugement que le chien du dit Saint-Prix serait assommé, que le dit tribunal ayant envoyé les ordres en conséquence au comité de surveillance de la section des Tuileries. Le dit comité désirant faire mettre à exécution le dit ordre, et en vertu de l'arrêté du dit comité, nous nous sommes transportés, nous Claude-Charles George, commissaire du dit comité, accompagné du citoyen Pierre-Louis Hosteaux, inspecteur de police, dans une maison appelée le *Combat du Taureau,* tenue par le citoyen Maclart, où étant nous avons trouvé la citoyenne Maclart, et après lui avoir exhibé l'ordre dont nous sommes porteurs, en l'invitant de nous représenter le dit chien mentionné ci-dessus, à quoi elle s'est soumise. Nous avons de suite requis le citoyen Bonneau, sergent de la section des Arcis, de garde au poste du Combat, pour être présent à l'exécution du dit ordre, nous avons au désir du dit tribunal assommé en sa présence le chien sus-désigné.
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« De tout ce que dessus avons dressé procès-verbal, après en avoir donné lecture en présence des personnes susdésignées, qui l'ont reconnu véritable et ont signé avec nous : *Bonneau,* sergent de poste ; femme *Macquart : George,* commissaire ; *Hosteaux. *»
La raison humaine était indiscutablement régénérée. « La raison seule avait des autels. » Et la justice révolutionnaire était rendue.
Jean-Pierre Brancourt.
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### La conduite de la guerre révolutionnaire
*1792-1800*
par André Guès
DISTINGUANT chez les Jacobins leur politique de guerre et leur politique militaire de leur conduite de la guerre, j'ai exposé les premières dans ITINÉRAIRES (juillet-août 77, juillet-août 79, décembre 79, février 80). Il me reste à dire la manière dont ils ont fait la guerre car, que mon lecteur ami de l'histoire se rassure : Bossuet ou Anatole France ne sont que digressions à mon entreprise anti-jacobine et anti-sorbonnarde dont j'ai eu récemment la joie d'apprendre qu'elle irrite M. Albert Soboul, titulaire de la chaire d'Histoire de la Révolution à la Sorbonne et membre du P.C.F.
Les Jacobins ont inauguré la guerre révolutionnaire, cette guerre qui n'est soumise à aucune autre loi, écrite ou non écrite, qu'à celle de l'efficacité, qui est absolue et qui veut que tous les moyens soient bons pour imposer sa volonté à l'adversaire, à la limite en le détruisant, et non plus seulement son armée, dans ses forces matérielles, intellectuelles et morales, dans son être même et maintenant dans sa génétique.
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On notera que cette manière de faire n'est pas la plus intelligente et qu'elle est en opposition totale avec la conception du XVIII^e^ siècle considérant que la bataille elle-même est fâcheuse et qu'elle est au fond l'ultime recours des mauvais généraux.
Certes, depuis la première génération des Jacobins, la guerre révolutionnaire a fait des progrès par l'effet de la technique et des connaissances acquises sur la psychologie collective. Celle-ci, en particulier, est très utilisée dans le maniement du terrorisme. Mais le principe est demeuré le même que tous les moyens sont bons qui détruisent l'ennemi dans son âme ou dans son corps et, à l'inverse, soulèvent les passions des exécutants et du peuple dont ils font partie (Claude Delmas : *La guerre révolutionnaire,* P.U.F. 1959).
Clausewitz s'est bien aperçu que ce genre de guerre a été inauguré par la Révolution française, mais je n'infligerai pas au lecteur ce qu'il en dit (*Vom Kriege VIII,* 6 B) dans son style pesant de teuton, d'autant que, froid technicien, il ne s'est pas étendu sur ce « *malheur *» considéré comme tel seulement pour la Prusse et ses alliés mais non pas pour l'humanité ; que, piètre philosophe, il n'a pas constaté là un changement dans la nature profonde de la guerre : pour lui, ce n'était qu'un « *nouvel art *» appliqué à un même objet ; enfin que, survolant les choses de haut, il ne l'a pas étudié systématiquement.
Sans doute le seul principe jacobin de « *la nation en armes *» eût-il été suffisant à conduire à la guerre totale et de là à la guerre absolue, par l'effet de la seule logique des choses. Mais l'histoire ne présente pas cette expérience, pure et comme *in vitro,* car les Jacobins ont dès l'abord voulu cette guerre qui correspondait à leur système intellectuel de niais infatués d'eux-mêmes, souvent jusqu'à la pathologie (Monnerot : *Sociologie de la Révolution,* Fayard 1969). Certaines correspondances de Brissot et de Carnot sont caractéristiques de leur mépris glorieux : du premier pour l'étroitesse des entreprises extérieures de l'ancien régime, du second pour la manière mesurée dont il conduisait la guerre.
Accédant au pouvoir, les Jacobins n'ont pas été longs à proclamer que le droit international était à leurs yeux périmé pour être remplacé par un droit nouveau de leur fabrication qui, n'étant que le leur, faisait une absence de droit c'est-à-dire, en fait, celui créé par la force : le progrès en civilisation n'est pas sensible. Le 16 novembre 92 le Conseil exécutif (ministres) ordonne à Dumouriez de « *prendre les mesures les plus précises et d'employer tous les moyens à sa disposition pour assurer la liberté de la navigation et des transports dans tout le cours de l'Escaut *»*.*
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Or la navigation sur l'Escaut est réservée à la Hollande suivant les traités de Westphalie dont la France est signataire : elle déchire un « *chiffon de papier *» et le fait cyniquement, par principe et non pas par nécessité militaire : « *malgré toutes les conventions *»*,* dit l'arrêté du Conseil qui pense se justifier en se disant « *frappé de ces puissantes considérations *» qui sont « *que la nature ne reconnaît pas plus de peuples que d'individus privilégiés et que les droits de l'homme sont à jamais imprescriptibles *»*.*
Mais déjà, près de deux mois auparavant, le Conseil exécutif avait ordonné le 29 septembre au commandant de l'Armée des Alpes d'occuper Genève. C'est que Genève regorgeait d'or et le Genevois Clavière, alors ministre des Contributions, le savait de reste. Or la France était, avec le Piémont, garante de la constitution et de la neutralité helvétiques : c'était déjà un « *chiffon de papier *» que les Jacobins déchiraient. Montesquiou n'exécutera pas cet ordre, puis viendront des revers qui suspendront l'exécution du projet mais ce ne sera que partie remise jusqu'à ce que le programme directorial d'un glacis de « *Républiques-sœurs *» couvrant la République-mère de la Mer du Nord à la Méditerranée le fasse reprendre en plus grand.
La Suisse fait une fâcheuse discontinuité dans ce dispositif ? Qu'à cela ne tienne : on commence par y expédier des agents révolutionnaires et comme leur succès n'est pas évident, les armées de la République occupent le Canton de Bâle le 15 décembre 97, renforcées un mois plus tard par la division de Masséna détachée d'Italie. La menace paraît suffisante pour appuyer l'ultimatum au Sénat de Berne d'avoir à transformer la Confédération « aristocratique » en République démocratique. Or il n'en est rien, et le Sénat tarde à obtempérer : de nouvelles forces affluent, formant sous Brune l'Armée d'Helvétie qui bat les maigres troupes suisses à Fraubrunnen, occupe la capitale de la ci-devant Confédération : par l'effet de ses baïonnettes la nouvelle République helvétique est proclamée le 12 avril 1798. Le Troisième Reich et l'U.R.S.S. n'ont jamais fait mieux. Là encore, l'humanitarisme n'a pas travaillé au bonheur des populations : leur résistance est sauvagement réprimée par l'occupant, puis la Suisse devient le champ de bataille de la France et de la Russie entrée en lice.
Voici Bonaparte en Italie. Du 9 au 21 avril 96 et en quatre rencontres, il sépare les Piémontais des Autrichiens, les bat et les contraint à signer un armistice qui fait de leur pays un collaborateur de la République et une vache à lait pour l'Armée d'Italie qui en a le plus grand besoin :
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« *Soldats, vous êtes nus, mal nourris. Le gouvernement vous doit beaucoup et ne peut rien pour vous. *» Voilà donc une bonne chose de faite, mais les vraies difficultés vont commencer. Or que faire quand on est un général jacobin devant un Autrichien retranché derrière une grosse rivière dont il a retiré toute la batellerie et coupé les ponts ? Eh bien on passe par un duché neutre et voilà l'Autrichien tourné, obligé de rétrograder en hâte. Combien de sorbonnards ont admiré la manœuvre du jeune général révolutionnaire contre une vieille baderne d'Autriche, en négligeant qu'elle relevait *aussi* de la doctrine du « *chiffon de papier *»* ?*
En 1798, la République française entretient un Commissaire aux Iles ioniennes. C'est Comeyras, personnage douteux qui fut, avec les conventionnels Merlin (de Douai) et Guillaume, syndic des biens séquestrés de Philippe Égalité après avoir été sa créature. Un beau jour, il se présente devant Raguse avec une petite division navale et envoie au Sénat de la ville l'ultimatum d'avoir à payer un million dans les 24 heures sous peine de bombardement, débarquement et démocratisation de cette République « aristocratique ». Vu le caractère du personnage, on subodore que si Raguse a pu s'en tirer avec 600.000 livres, c'est qu'une partie de la différence est passée dans la poche du citoyen-commissaire.
(Parenthèse pour Hugues Kéraly, à insérer dans ses dossiers sur la télévision. Il y a quelques mois, un Grand Échiquier de l'honorable M. Jacques Chancel a eu lieu à Dubrovnik. On y a longuement vu les monuments anciens de cette ville sans que le nom de Raguse, qui fut le sien pendant des siècles, soit prononcé. Davantage : de la bouche d'un ambassadeur yougoslave, homme du régime, on a appris que l'État de Yougoslavie date de la dernière guerre : entendez que c'est une création de Tito. Sa fondation le 1^er^ décembre 1918, la délimitation de ses frontières par les traités de Neuilly, de Trianon et de Saint-Germain en 1919-1920, autant de choses que les Français doivent oublier au profit d'une entreprise marxiste comme ils doivent oublier le nom de Raguse qui fut depuis 1403 et pendant quatre siècles celui d'une République prospère, mais, dit Larousse, « *aristocratique *»*.*)
La conduite proprement dite de la guerre par les Jacobins s'est caractérisée par : l'introduction par la force du régime révolutionnaire dans les territoires occupés, leur pillage et saccage organisés, la prise d'otages, la déportation de main-d'œuvre, enfin l'ordre gouvernemental de massacrer les prisonniers de guerre. Voici un assez joli tableau sur lequel l'histoire sorbonnarde a été fort discrète.
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Le 15 décembre 92, la Convention définit la politique à appliquer « *dans les pays qui sont, seront occupés par les armées de la République *»*.* Le Conseil exécutif fait suivre ce décret de ses *Instructions pour les Commissaires* créés pour son application, glose qui n'est pas sans intérêt. Article 1^er^ du décret : « *Les généraux proclameront sur-le-champ, au nom de la nation française... la souveraineté du peuple, l'abolition des impôts ou contributions existants, de la dîme, de la féodalité, des droits seigneuriaux, tant féodaux que censuels, fixes ou casuels, des banalités, de la servitude réelle ou personnelle, des droits exclusifs de chasse et de pêche, des corvées, de la noblesse et généralement de tous les privilèges. *» Glose du Conseil : exercer une stricte surveillance dans l'exécution, déférer les contrevenants en justice comme « *concussionnaires *» et « *opérer une dissolution complète des autorités... Il ne faut pas que l'ombre même de ces autorités subsiste *»*.* Voilà donc des peuples libérés de tous impôts ? Attendez, car voici la suite qui va permettre de les pressurer sans contrôle. Article 7 : des commissaires nationaux « *se rendront de suite* (*sic*) *sur les lieux pour se concerter avec les généraux... sur les mesures à prendre pour la défense commune, et sur les moyens à employer pour se procurer les habillements et les subsistances nécessaires aux armées et pour acquitter les dépenses qu'elles auront faites pendant leur séjour sur son* (*?*) *territoire *»*.* Glose du Conseil : ce sont surtout les assignats qu'il faut répandre, et au pair, pour propager à coup sûr la Révolution (cf. ITINÉRAIRES de novembre 1975 : *Philosophie de l'assignat*)*,* ce qui est, explique le Conseil, « *le principal objet du décret *»* :* « *C'est un fait reconnu. Toute révolution veut une puissance provisoire qui ordonne ses mouvements désorganisateurs, qui fasse en quelque sorte démolir avec méthode toutes les parties de l'ancienne constitution sociale... -- Tel doit être le* POUVOIR RÉVOLUTIONNAIRE » (souligné). De la sorte pourvus, trente commissaires nationaux avec leurs adjoints et auxiliaires s'abattirent sur la Belgique, jusqu'à ce que Neerwinden mette fin à leurs tristes exploits dont le pillage, article 7, n'est pas le moindre.
Le principe jacobin, en effet, est que « *la guerre doit nourrir la guerre *», mais ne peut être évidemment appliqué que par un seul des deux belligérants, au plus, celui qui conquiert, et en 1815 les Français verront ce qu'il en coûte de n'être plus celui-là quand les Alliés entreprendront de se rembourser, encore que faiblement. Car, en attendant, les armées de la République et de l'Empire s'en seront donné à cœur joie, depuis l'automne 1792 jusqu'en 1813.
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Dès la première invasion qui suit Jemmapes, puis, après les revers du printemps de 93, en Belgique, Hollande, Rhénanie, Suisse, Espagne, Piémont et, au fur et à mesure de leur avance, dans toute l'Italie, les armées de la République taxent les villes de contributions forcées en or, produits finis et matières, les campagnes en grains, viandes sur pied et animaux de trait, vidant littéralement trésors publics, banques, magasins, étables, bergeries, soues, écuries et granges. J'espère dire cela avec plus de détails, si Dieu me prête vie et M. Madiran quelques pages d'ITINÉRAIRES, en décrivant l'ampleur des ressources dont la République en guerre a disposé, puis ce qu'elle en a fait. A quoi il faut évidemment ajouter les pillages individuels généralisés de la part de troupes réduites à une quasi-famine par la défaillance de la logistique.
Pendant la deuxième invasion, les généraux agirent en exécution de cet arrêté du Comité de salut public daté du 18 septembre, explicitant un décret conventionnel du 15 : « 1° -- *Quand les troupes de la République entreront en pays ennemi, les commandants des armées se feront remettre des otages pris parmi les citoyens les plus notables des lieux, et ils feront désarmer indistinctement tous les habitants.* -- 2° -- *Ils exigeront des villes des contributions soit en nature, soit en numéraire.* -- 3° -- *Ils se procureront, autant qu'il sera possible, sur le pays ennemi, les subsistances nécessaires à l'approvisionnement des armées, ainsi qu'à l'armement, habillement, équipement et charrois.* -- 4° -- *Ils feront prendre et passer sur les arrières de l'armée les vivres, fourrages, bestiaux, chevaux, cordes, fers, chanvres, toiles, cuirs, laines et toutes espèces de hardes, charbons, bois de chauffage et tous les objets qui ne seraient pas d'une nécessité indispensable pour le moment et qui pourraient leur être utiles dans la suite.* -- 5° -- *Ils feront saisir l'argenterie des églises, les fonds appartenant au fisc et toutes les propriétés publiques susceptibles d'être transportées, et ils les feront passer dans l'intérieur de la République et dans une ville où ils soient en sûreté.* -- 6° -- *Les généraux auront soin de faire raser les forteresses, combler les ports, détruire les ponts, canaux et écluses et dépaver les chemins... *»
Cet arrêté contient quelques dispositions normales en pays ennemi : désarmement des habitants et destruction des forteresses, mais d'autres qui sont tout à fait barbares : destruction des ports, canaux, ponts, écluses et chemins, et qui ne paraissent pas très opportunes dans des pays qu'on va annexer ou dont on va faire des Républiques-sœurs. Il n'est pas non plus très prudent de couper les ponts et détruire les chemins derrière soi en s'interdisant toute retraite. Mais Paris veille à la soigneuse exécution. C'est ainsi qu'ayant appris que des émigrés lyonnais ont créé à Constance une florissante industrie de la soie, le Directoire ordonne d'en démonter les machines et détruire les installations non transportables.
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L'article 1^er^ ordonne la prise d'otages. Il ne s'agit pas, la pratique était courante au Moyen Age, d'un échange d'otages princiers en garantie de la loyale exécution d'un traité de paix, mais d'une saisie de prisonniers civils en garantie de la complète livraison des prélèvements de toute nature que j'ai dits plus haut et que stipulent les articles 2, 3, 4 et 5. Le Grand Carnot veillait, qui écrivait le 16 juin à ses collègues en mission Choudieu et Richard, en prévision de la prise d'Ypres : « *N'oubliez pas de faire des otages. *» Il arrive que ces malheureux sont expédiés sur les arrières des armées et, des mois après, on en trouve qui croupissent dans les prisons de la République : en janvier 1795, il y en avait à Metz en provenance de Pirmasens, c'est-à-dire de l'offensive de Hoche de l'automne 93.
Ce que ce texte ne stipule pas, ce sont les déportations de main-d'œuvre. J'en ai relevé deux dans les *Actes du Comité de salut public,* ce qui ne signifie évidemment pas qu'il n'y en a pas eu d'autres. Le 28 mai 94, considérant que telle fonderie de Catalogne ne peut être conservée, il ordonne sa destruction, « *après en avoir enlevé tout ce qui peut être utile, même les ouvriers attachés au service de cette fonderie *»*,* déportés à Toulouse. Le 28 septembre, le représentant Lacombe Saint-Michel rend compte qu'il a requis Gand, Bruges, Furnes et les pays adjacents de fournir 2.000 travailleurs à Dunkerque : ce ne fut pas facile à obtenir mais il a fait donner la troupe et maintenant ils sont au travail. Je relève aussi de la part du Comité un ordre de déportation concernant les Îles anglo-normandes visées par une expédition qui n'eut pas lieu (cf. ITINÉRAIRES de mai 1976).
Le 10 octobre 1796, le Directoire adjurait les Cinq-Cents de « *faire des lois sévères contre les désordres qui règnent dans les armées *»*.* A ce message étaient joints deux rapports dont un de Pancus, directeur général des revenus des pays conquis : de celui-ci, il ressort que des enfants ont été enlevés par les troupes, que leurs parents ont dû racheter à prix d'argent (Debidour : *Recueil des actes du Directoire exécutif,* Imp. nat., 4 vol. 1910).
Pour finir, il me faut dire l'affaire du massacre des prisonniers de guerre ordonné par la Convention. L'origine me paraît être dans cette lettre du conventionnel Lequinio en Vendée, lue à la Convention le 19 décembre 1793, et, par son ordre, publiée au *Moniteur* du 21 : « *J'ai crié partout qu'il ne fallait pas faire de prisonniers ; et, s'il m'est permis de le dire, je voudrais qu'en adoptant les mêmes mesures dans toutes nos armées, nos ennemis usant du réciproque, il serait impossible, désormais que nous eussions des lâches. *»
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Cette idée, fort congruente à l'humanitarisme jacobin, fit lentement son chemin et, sur rapport du Comité, la Convention décréta le 26 mai et le 4 juillet 94 sur la conduite à tenir envers les garnisons anglaises et autrichiennes des places assiégées. J'avoue n'avoir pas trouvé les raisons qui motivèrent cette priorité de 39 jours accordée aux Anglais, sauf à interpréter cette découverte ethnologique de Barère, rapporteur devant la Convention du décret les concernant : ils « *ne peuvent démentir leur origine : ils descendent des Carthaginois et des Phéniciens *»*.* Texte jugé si admirable par l'Assemblée qu'elle en décréta la diffusion à 200.000 exemplaires.
Du temps que la guerre était civilisée, c'était il y a peu, les choses se passaient généralement de la sorte pour mettre fin aux sièges : l'assiégeant attendait que l'assiégé fût a quia après une défense honorable, manquant de vivres ou de munitions et sans espoir de secours, pour lui envoyer l'ultimatum d'avoir à se rendre sous les menaces les plus terribles qu'il n'avait aucunement l'intention d'appliquer puisqu'il avait attendu que la reddition fût quasiment acquise. Entre les gens de bonne compagnie qu'étaient les généraux, on avait alors vite fait de s'entendre sur les conditions d'une reddition avec honneurs. Pour le Comité et la Convention, ce n'était pas cela du tout : aussitôt reçu le décret conventionnel, les commandants des troupes assiégeantes devaient envoyer aux assiégés l'ultimatum de se rendre dans les 24 heures, faute de quoi ils ne seraient plus reçus à composition, mais tous passés au fil de l'épée. Puis le 11 juillet, la Convention décréta purement et simplement qu'il ne serait plus fait aucun prisonnier espagnol. Seuls les chers Prussiens étaient exclus de cette barbarie.
Naturellement, les généraux, dont l'immense majorité provenait de l'ancien régime, n'exécutèrent pas, couverts en cela, il faut le dire, par certains représentants en mission dans leurs correspondances au Comité, évidemment ambiguës, sur cette affaire. Cette désobéissance patente des généraux fut tenue par Robespierre pour un des attendus de leur condamnation globale pour trahison portée par lui dans son dernier discours et qui causa sa perte.
Je vois dans ces trois décrets l'entière responsabilité du Grand Carnot. Il s'en est expliqué devant la Convention le 22 septembre 94 : pour lui, une garnison laissée en arrière par l'ennemi en retraite, c'était « *un voleur détaché de sa bande *»*.* C'est lui qui a notifié aux armées les décrets conventionnels. De sa main sont les lettres du Comité des 11 et 19 juillet qui houspillent les généraux à l'exécution pure et simple.
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Encore après Thermidor les 12 et 21 août, il écrit à Schérer, qui commande les forces de siège, ses ordres les plus péremptoires concernant les sommations à faire à Condé, Valenciennes, Le Quesnoy et Landrecies et ses reproches les plus violents pour ne pas les avoir encore faites (Charavay *Correspondance générale de Carnot,* 4 vol., Imp. nat. 1892-1907). Cet homme de bien repose au Panthéon.
André Guès.
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### Raoul Follereau 1903-1977
par Hugues Kéraly
Le dimanche 25 janvier 1981, troisième après l'Épiphanie, sera celui de la 28^e^ *Journée mondiale des lépreux.* L'homme qui devait décider le monde à fêter aussi, un jour par an, ces malades-là est mort voici trois ans presque inconnu des Français. Mais il laissait derrière lui de l'Afrique à l'Océanie quinze millions d'orphelins, qui l'appelaient « papa Raoul », et avaient trouvé en lui pendant plus d'un demi-siècle le vrai visage de l'amitié, de la vocation française.
ON L'A DIT vagabond de la charité, pour avoir parcouru trente-deux fois le tour du monde à la recherche des plus déshérités ; poète de l'amour, et dix livres témoignent à chaque page que ce fut là son unique sujet ; ambassadeur des pauvres auprès des pauvres, car c'est le cœur qui donne, et patient dérangeur de certitudes immorales dans le courrier des « grands ». -- Préférons-lui cependant la qualité d'*apôtre*, qui fait mieux ressortir les seules armes de son formidable combat : la parole et la foi... Raoul Follereau a transporté des montagnes, en effet, parce qu'il savait s'émouvoir lui-même de la véritable injustice, la poser devant nous sur la table et lui donner son nom.
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Sa vie publique commence au lendemain de la première guerre mondiale avec une conférence qu'il intitule « *Dieu est amour *» en toute simplicité. C'est l'idée fixe de ses quinze ans. Et il consacrera les quelque soixante ans qui restent à illustrer dans ses œuvres le second terme de la relation. Si un homme fut fidèle aux grandes pensées de sa jeunesse, c'est Raoul Follereau.
Poète, orateur, romancier, journaliste, dramaturge même, et consacré par la Comédie Française à l'âge de vingt-trois ans, cette variété des talents ne doit pas faire oublier le trait essentiel de sa forte personnalité : Raoul Follereau est salué partout où il passe comme le vrai visage de la France, parce qu'il a le cœur généreux, et place très au-dessus de la moyenne les exigences de notre mission dans le monde entier. Non politique, mais spirituelle. Humaine. Universelle. -- Une mission d'amour. Intellectuels s'abstenir.
Sa première rencontre avec la lèpre remonte à 1936. Un grand quotidien de Buenos Aires, *La Nacion,* lui confie le soin d'un reportage au Sahara sur les traces du Père de Foucauld. C'est à l'occasion d'une panne de voiture dans les sables du désert qu'il voit surgir à quelques pas de lui, si l'on peut dire, le grand sujet de sa vie. Les hommes et femmes qui se tiennent là offrent un visage monstrueusement déformé ; leur corps famélique semble réduit tout entier à l'état de plaie ouverte, puante, disloquée ; certains n'ont plus de mains ; d'autres pourrissent littéralement sur place au-dessus des amas de chair qui leur servent de pieds... Ces morts-vivants fuient l'homme, car l'homme les chasse ou les fuit. L'accès des oasis et des villages leur est interdit. Socialement, ils n'existent pas. Ce sont des lépreux. Malades ? Non. Maudits.
Pendant tout le Moyen Age, que nous tenons pour obscurantiste et cruel, l'Église recommandait instamment aux évêques d'au moins les nourrir et les habiller. Au beau XX^e^ siècle, si prompt à s'alarmer du sort des bébés-phoques ou des chevaux de boucherie, la souffrance physique et morale de ces malheureux n'était même pas reconnue. Elle n'avait plus droit de cité dans le cœur humain. « *C'est ce jour-là,* écrit Follereau, *que j'ai compris qu'il existait un crime impardonnable, promis à n'importe quel châtiment, un crime sans recours et sans amnistie : la lèpre. *»
Au détour de cette piste africaine, Raoul Follereau est devenu ce qu'il reste aujourd'hui pour l'éternité dans la mémoire de notre civilisation : *l'apôtre des lépreux. --* Pèlerin de l'enfer, il va dresser aux quatre coins du monde la carte des sinistres fosses où la société humaine, « moderne », les a relégués. -- Visiteur sans médecine ni médicaments, il lui suffit de les embrasser tous pour faire renaître en eux le plus important : le sentiment d'exister.
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« *La lèpre est une affection qui se soigne par l'affection. *» *--* Avocat sans parti ni fortune, il remplit plus de deux mille salles successives, entre 1942 et 1952, pour apprendre au monde des nantis que les lépreux existent ; qu'ils se comptent même en millions ; et qu'ils sont *guérissables,* par la vertu conjointe des sulfones et de la charité... ADZOP, en Côte d'Ivoire, premier village de lépreux à l'ère du Boeing et de la télécommande miniaturisée, est tout entier sorti de là.
Mais il ne suffit pas de savoir que le malheur existe, ni que de plus vaillants que nous le combattent au loin. Il ne suffit pas non plus de lui voter des bourses, et de le conjurer la main sur la poitrine dans nos conférences internationales ou nos salons. Il faut lui faire une place habituelle, lui ouvrir périodiquement une brèche dans notre vie... Non pas seulement donner parce qu'on a su garder le cœur « bon », mais, avec les meilleurs, *se donner* un peu à qui l'on donne, et lui reconnaître cet abandon comme allant de soi.
Les plus belles campagnes de Raoul Follereau, dans sa bataille contre la lèpre « et toutes les lèpres », auront porté la hache sur ce point : heure des pauvres créée en 1943, le Noël du Père de Foucauld en 1946, la journée mondiale des lépreux à partir de 1954, ses appels aux « Grands » et à la jeunesse du monde dans les années suivantes -- autant de coups portés au système de défense du bonheur à l'occidentale ; autant de brèches dans la muraille de notre égoïsme et de notre cécité.
Le salut du monde, pour ce qui dépend de nous, revient à ne jamais permettre que ces brèches se referment sur le désespoir et la solitude des modèles dominants. Tel est le grand message de Raoul Follereau... Un des meilleurs praticiens du siècle en matière de guérison spirituelle : son cœur à lui avait aboli toute muraille, bénéficiant ainsi d'une vue extraordinaire, sur trois cent soixante degrés.
Faute de voir ce qu'il voyait, sur le sentier des cimes, écoutons ce qu'il dit.
Hugues Kéraly.
Dons, renseignements, documentation : *Fondations Raoul Follereau,* 33 rue de Dantzig, 75015 Paris, tél. (1) 828.72.42. (CCP Paris 2406-60 T.)
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### La découverte de l'autre
*suite*
par Gustave Corçâo
#### Alphonse avait raison
J'ÉTAIS ALLÉ RENDRE VISITE à deux amis très intimes, qui ne faisaient pas de manières devant moi, et c'est ainsi que j'assistai à la discussion. Il faut dire qu'Alphonse et dona Antônia vivent dans la plus parfaite harmonie. On en parle même comme d'un couple exemplaire. Pour moi, je ne puis que confirmer ici l'opinion générale, quoique mes préférences inclinent à des modèles plus éloignés du matriarcat.
En règle générale en effet, c'est dona Antônia qui a raison ; Alphonse se contente presque toujours de hausser les sourcils dans l'attitude de l'homme fatigué, de l'homme qui en a déjà vu et entendu suffisamment pour mériter qu'on lui fiche la paix. Mais ce soir-là c'est bien lui qui avait raison et, contre toute attente, je le vis s'enflammer et frémir comme un paladin.
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La discussion avait pour cause un magasin de chaussures. Elle s'était engagée sur un ton uniforme et doux, dona Antônia voulait seulement savoir si Alphonse avait choisi ses nouveaux souliers à l'adresse arrêtée par ses soins diligents. A un certain tournant de l'explication, Alphonse, qui pèche par excès de détail et manie des précisions topographiques, lâcha que le magasin se trouvait entre le passage Saint-François et la rue Uruguaiana. Dona Antônia alors releva la tête, piquant l'aiguille à tricoter dans sa pelote, et se mit en devoir de rectifier avec sérénité :
-- Non. Il se trouve entre la place Tiradentes et le passage, du côté gauche, pour celui qui descend.
L'arrêt rendu, elle reprit son tricot. Le mari, qui était debout, se tourna vers elle plein de bonne volonté, mais fort aussi d'une solide conviction :
-- Du côté gauche en effet, mais après le passage.
-- Non, le magasin est avant.
Dona Antônia rétorquait avec le tranquille entêtement de son sexe, sans que la cadence des aiguilles en soit seulement modifiée. Cette assurance électrisa en Alphonse quelque nerf caché, remuant un tas de vieilles choses avec lui :
-- Mais enfin, ma fille ! J'en suis sûr !
-- Il est avant, Alphonse.
Mon ami éleva sa chaude voix de baryton et, la main étendue au-dessus de l'abat-jour, dans un geste expressif et puissant, déclara qu'il connaissait mieux que personne ce coin de la rue de la Carioca. Il le connaissait comme la paume de sa main. Il énuméra même d'une voix frémissante tous les magasins qui s'y trouvaient, repliant un doigt avec énergie et précision à chaque commerce qu'il ajoutait. Alphonse s'attardait minutieusement sur toutes les pièces du dossier, pour accabler l'adversaire, multipliant ses preuves, donnant le nom des propriétaires et les cas de faillite. Il la savait vraiment par cœur, sa rue de la Carioca.
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Dona Antônia se taisait, et quand la main éloquente du mari projetait une ombre incommode pour son ouvrage, elle se déplaçait légèrement sur sa chaise sans marquer aucune contrariété. Elle avait l'habitude de ce ton chaleureux que les hommes adoptent pour discuter politique ou religion, et savait d'avance qu'ensuite tout rentrerait dans l'ordre, parce qu'en fin de compte ces gens qui parlent... ne parlent que pour parler. Surtout lorsqu'il s'agit de questions impersonnelles, une rue ou un credo.
Mais son tranquille mutisme, ce soir-là, avait fait sortir Alphonse de ses gonds ; et déjà mon ami glissait du cas de la rue à celui de l'épouse, cas beaucoup plus ancien et apparemment désespéré. Elle avait toujours été comme ça, avec cette manie de s'entêter, et encore, uniquement pour le faire enrager.
-- Mais le magasin est avant, Alphonse. Que veux-tu que j'y fasse ?
Alphonse alors explosa. Ouvrant les bras, les yeux hagards, les narines frémissantes comme l'étalon qui charge, il s'écria :
-- Ah ! Tu veux voir ? Attends donc.
Il sortit comme le tonnerre et revint aussitôt après en brandissant un annuaire téléphonique... Quoi de plus simple : consulter le volume des rues ! Hein, quoi de plus facile ? Le doigt d'Alphonse courait déjà sur la page, sa voix grondait dans l'ordre le nom des magasins dont il avait fourni tout à l'heure la nomenclature détaillée.
-- Et voilà ! Regarde ici.
Comme dona Antônia ne se levait point avec toute la célérité requise, c'est lui qui a fourré l'annuaire sur ses genoux, labourant littéralement de l'ongle le nom du magasin en question. L'explication reprit alors un tour paternel, et lui sa voix de bon garçon. Pas de doute : le magasin de chaussures ancrait clairement ses semelles entre le passage Saint-François et la rue Uruguaiana.
-- Tu vois ? C'est ici.
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Dona Antônia voyait, mais elle attendit tout de même la fin de la démonstration pour demander d'un ton tranquille si, par hasard, l'annuaire téléphonique ne serait pas erroné...
-- Ça par exemple ! Mais c'est parfaitement impossible ! Alphonse referma l'annuaire avec fracas, mais c'était l'énergie de la satisfaction. Il me regardait par-dessus les lunettes qu'il avait dû chausser pour la consultation, plissant le front, et répéta à mon intention dans un sourire triomphal :
-- C'est que je connais la rue de la Carioca comme la paume de ma main.
On parla alors de diverses choses : la guerre, qui déjà menaçait le monde, et la mort d'un ami d'enfance. Mais Alphonse avait fait provision de bonne humeur pour le restant de la soirée. Il avait gagné la partie.
Il avait eu raison.
#### Goûts et opinions
Cette discussion était futile, mais je crois bien avoir trouvé en elle le nœud d'un grave problème. Si le lecteur veut me suivre avec attention, je lui promets de mettre en évidence dans cette histoire le germe d'un élément qui a déjà engendré sur cette terre une avalanche de suicides, apostasies, révolutions et incendies de cités entières.
La scène que j'ai contée, en elle-même, n'étonne pas. Chacun de nous a assisté des centaines de fois à ces discussions qui atteignent des paroxysmes sur un point de départ insignifiant. Ce qui surprend vient précisément de l'énorme disproportion entre l'objet et la véhémence du litige en question. On dirait qu'un étrange brouillard s'interpose entre les personnes en ces occasions, provoquant des réfractions fantastiques, d'où il résulte qu'une paire de pantoufles ou une simple adresse arrivent à prendre dans la salle à manger le volume d'une montagne au milieu du chemin.
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Je revivais mentalement la scène à laquelle je venais d'assister, désireux de cerner le véritable motif qui avait pu pousser Alphonse à défendre la position d'un magasin de chaussures avec la fougue d'un paladin. Il est clair que le magasin lui-même, ici, comptait pour rien. Si le journal du lendemain en avait annoncé la destruction par incendie, je suis certain qu'Alphonse ne serait pas rentré chez lui en pleurant convulsivement, les mains tordues de désespoir. Dona Antônia peut-être aurait dit : -- Dommage. Juste le magasin où tu avais enfin trouvé chaussure à ton pied... La discussion aurait pu se nouer ici sur un terrain plus radical que cette sotte histoire de pâtés de maisons où mon ami avait puisé un tel élan.
La boutique, donc, ne comptait pas. L'objet restait sans proportion avec l'enthousiasme d'Alphonse. Cherchons maintenant l'explication du phénomène dans le sujet lui-même, c'est-à-dire chez mon ami Alphonse. Son prestige d'individu bien informé serait-il en cause ? Partiellement, peut-être.
Il y a toujours une certaine satisfaction à paraître bien informé, au courant des choses, en prise directe sur les faits, comme aussi une joie plus grande encore à être le véhicule-même de l'information, surtout quand celle-ci est nouvelle. Dans l'hypothèse avancée, celle de l'incendie, Alphonse serait rentré chez lui plus satisfait que d'habitude, pour y entrer dépositaire d'une nouveauté ; dépositaire de quelque chose de neuf, dans la terrible et accablante vieillesse du monde. Une nouvelle porte toujours en elle quelque chose de neuf et c'est-à-dire de bon, quand même il s'agirait de mort ou d'incendie.
Je me souviens d'une personne de la famille qui, aux temps de la grande épidémie de grippe, arrivait chez nous visiblement excitée et, sitôt passé le seuil, laissait choir au milieu du silence le nom de quelque ami emporté par la maladie. Non que cet homme aurait nourri de mauvais penchants ; je pourrais fournir au contraire d'abondants témoignages de sa bonté. Mais je crois bien avoir surpris un éclair dans son regard, le jour où l'épidémie devait lui abattre d'un coup quelque sept personnes de nos relations.
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Nous aimons apporter aux autres du nouveau ; il y a donc une satisfaction bien compréhensible, pour chacun d'entre nous, à recueillir et conserver des informations. Mais, dans le cas de notre discussion sur le magasin de chaussures, ces considérations ne sauraient s'appliquer que très partiellement. Il n'y avait pas nouveauté, et comme objet de connaissance, cette cordonnerie offrait un aliment bien maigre aux appétits de la vanité, même en tenant compte qu'il est des vanités pour tout. Partant, je ne crois pas qu'Alphonse aurait défendu là quelque érudition topographique, et une espèce de prestige cadastral. On n'a jamais entendu dire que quelqu'un se soit acquis chez nous la moindre célébrité ou décoration parce qu'il connaissait absolument par cœur la rue de la Carioca. Non, décidément, la chose n'avait rien à voir avec l'importance propre de l'objet, ni avec le prestige de l'ordre intellectuel, qui reste toujours plus ou moins proportionné à son objet.
Mais si la raison du phénomène ne se situe pas dans l'objet, il ne reste plus à la chercher qu'au niveau du sujet. Analysons mieux les choses. Voyons en quel point de son intérieur le sujet souffrirait si la boutique avait été placée en un autre pâté de maisons. Serait-ce du côté de la mémoire ? Il ne le semble pas non plus. J'ai bien souvent entendu Alphonse faire allusion à son manque de mémoire d'un air satisfait. Je crois même qu'il existe un type de vanité pour le manque de mémoire, les cas d'oubli nous étant presque toujours rapportés comme de joyeux divertissements.
Or donc, puisque nous écartons l'objet, et aussi la connaissance ou la mémoire au-dedans du sujet, quel pouvait être le véritable enjeu, le coin caché d'Alphonse si vivement tétanisé dans la discussion ?
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Je crois avoir trouvé la solution, -- Alphonse défendait une opinion, et le point névralgique de sa personne était la volonté.
\*\*\*
L'opinion est une attitude que le sujet adopte devant l'objet, sans que celui-ci importe. Ce n'est pas l'objet qui la mesure, elle reste sans proportion avec lui. L'opinion n'a besoin de l'objet que pour sortir du sujet et faire retour en lui. L'importance d'avoir raison enlève ici toute importance à l'objet de raison : qu'il s'agisse d'un tableau de Salvador Dali, de l'existence de Dieu, ou de l'horaire des cars entre Bédoin et Avignon. La colère soulevée par un point d'art moderne ou de religion sera sans doute plus forte et plus durable que celle qui s'arrime à la position géographique d'un magasin de chaussures, mais cela ne prouve pas le contraire de ce que j'ai dit. On ne trouve pas dans ces cas une plus grande proportion objective, mais seulement un degré d'irritation supérieur du côté du sujet, provoqué par la persistance du phénomène... Il est facile d'imaginer dans quel état de nerfs et d'exaltation grandissante Alphonse serait resté s'il n'avait pu vérifier son assertion dans l'annuaire téléphonique, ou -- pire encore -- s'il s'était heurté à chaque instant à des allusions, des ouvrages imprimés, des salles d'exposition, des clochers de cathédrales, bref, tout un système de références construit sur la base d'une localisation erronée de sa fameuse boutique !
Nous voici en mesure d'isoler la fine pointe de la racine nerveuse, le dernier maillon de la chaîne où s'origine l'opinion. Mises hors de cause les autres parties de notre moi, reste celle-là qui est la plus irritable, la plus écorchée, et qui passe son temps à heurter la limite incommode des objets : la volonté.
L'opinion est sécrétée par la volonté ; elle ne vient pas d'une connaissance mais d'un appétit. Le mécanisme de l'opinion peut être décrit comme une volonté qui s'interpose entre l'intelligence et son objet. La juste proportion de l'esprit à l'objet, *adequatio rei et intellectus*, en résulte empêchée, car celle-ci ne parvient à s'établir que dans une libre confrontation de l'intelligence avec les choses, c'est-à-dire dans la contemplation.
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J'aimerais rendre bien claire l'immense gravité de ce problème et l'importance vitale du rétablissement, dans la structure même de notre personne, de ce respect envers l'objet, de cette ouverture au réel par quoi tant l'intelligence que la volonté, la bonne volonté, aspirent à la plus haute objectivité. Le grand péché de la pensée moderne a son origine dans cette inversion interne, par laquelle la volonté s'arroge un droit de conquête dont l'intelligence seule détient le primat. Nous tous, peu ou prou européens, nous sommes imprégnés jusqu'à la moelle d'idéalisme philosophique ; nous sommes convaincus que notre plus haute dignité réside dans ce subjectivisme obstiné qui voudrait ramener toutes choses du ciel et de la terre à une demi-douzaine d'opinions. Bien des gens croient que c'est là grandeur et marque de caractère ; que la personnalité humaine s'affirme en cette fermeture aux objets et se grandit en cette déformation de l'esprit.
L'esprit libéral, qui couve amoureusement ses petites opinions « personnelles », qui s'alarme de tout ce qui n'entrerait pas dans le morne ressassement de son intériorité, face aux objets les plus simples, tombe en garde dans une attitude crispée. Sa volonté s'interpose aussitôt entre la porte des sens et les chemins de l'esprit ; et comme, son chemin à elle est plus court, ou parce qu'elle est plus agile, sa suggestion arrive avant l'arrêt du jugement et engendre le préjugé. L'intelligence perd sa liberté, et la volonté convainc alors le sujet de sa qualité éminente de libre-penseur.
C'est sur cette question névralgique de la liberté que la volonté s'excite le plus, et clame, dans le dialogue intérieur, son souverain monopole sur toutes les décisions. Sans cesse offensée, bousculée, choquée, froissée par les réalités de l'extérieur ; la volonté cherche à prendre sa revanche. et se retourne vers l'intérieur. Elle se retourne contre le sujet lui-même, s'accroche en parasite au noble cerne de la personne et mord l'intelligence.
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La liberté psychologique et volontariste, née du conflit avec les choses réelles, a pris la place de la liberté ontologique qui s'enracine dans l'adéquation *rei* et *intellectus.* Le primat de l'intelligence est usurpé, et c'est alors qu'au lieu du jugement droit surgit l'opinion.
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Chacun aura entendu dire, mille et une fois, que des goûts et des couleurs *on-ne-discute-pas.* Le proverbe menace de figurer bientôt en bonne place dans la Déclaration des droits-de-l'homme, et il me fut rappelé l'autre jour à propos des œuvres de Machado de Assis ([^10]) et de Pablo Picasso. Je suis prêt à reconnaître que le goût ne se discute pas lorsqu'il s'agit de plats. La chose me coûte un peu, mais j'irais jusqu'à concéder la parfaite légitimité du goût pour les betteraves. En ce qui concerne la peinture de Picasso ou les livres de Machado de Assis, on admettra encore une certaine relativité dans la sympathie, en fonction des goûts et des tempéraments, mais je ne saurais accepter que le jugement sur de telles choses se réduise à cet élément de l'ordre du sensible. Ce serait bien la dernière, la plus grave concession de l'esprit : la soumission aux sens.
\*\*\*
Devant un tableau de Picasso, l'individu affecté de subjectivisme libéral, convaincu de la dignité supérieure des libres opinions, n'hésite pas à formuler une condamnation péremptoire quand bien même le difficile problème de l'art ne lui aurait point coûté dix minutes de réflexion dans toute sa vie. Avant la réflexion, l'étude, l'effort de la recherche, au-dessus de toute autre chose, il installe le droit, inexplicablement glorifié, de la seule opinion.
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L'art moderne est une proie bien facile pour la mauvaise volonté ; on pourrait presque dire qu'il constitue un défi à l'objectivité. Il a quelque chose de caché, de voilé, qui ne se livre pas aux sens avec la simplicité de l'art classique ; il a quelque chose de crucifié. Il requiert l'humilité, et exige comme une confiance dans l'absolu. Les sens ont vite fait de récuser comme laids Rouault ou Picasso : la mauvaise volonté colle aussitôt à ce jugement des sens, ce pseudo-réalisme, et tisse avec lui une intrigue dans l'intelligence. Plus encore, l'intelligence reste convaincue qu'elle exerce là sa plus noble activité, puisqu'elle fonctionne alors dans l'engrenage rationaliste sur la base d'un critère sensible.
J'entraînerais mon lecteur sur des chemins fascinants en larguant ici la question des opinions pour explorer le problème de l'art ; mais chaque chose a son temps, et mon programme pour l'heure présente est de poursuivre les conséquences de cette attitude particulière qui agresse toute objectivité.
En vérité, qui se prononce sur un roman de Machado de Assis ou un tableau de Picasso, parlant bien haut dans un salon, et s'arrogeant lui-même le droit d'en dire n'importe quoi, quand il ne s'en fait pas un devoir dans le digne exercice de ses fonctions de citoyen, est purement et simplement un ennemi personnel de l'Absolu. Pour cet individu, les choses ne sont pas, elles valent ; elles ne recèlent pas d'absolu mais du plus ou du moins, c'est-à-dire un prix. Et si notre homme parle haut, c'est qu'il ne lui vient pas à l'esprit qu'il existe une vérité objective pour toute chose, où lui ne voit que des valeurs conférées par le sentiment de chacun.
L'univers entier serait ainsi comme une espèce de Bourse, et chaque opinion un prix jeté de la corbeille aux courtiers. L'univers entier, et non seulement Machado ou Picasso, mais les infusoires et les constellations, oui, toute chose se réduirait à l'état de fœtus insuffisamment créé, en l'attente du dernier mot, du verdict final -- qu'on aura lâché à la cantonade, autour d'une tasse de thé, dans le salon des petits-bourgeois.
\*\*\*
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Je dois ouvrir ici une parenthèse. Le lecteur enclin à l'ironie se murmure peut-être, avec un sourire malicieux, que chaque ligne de cet ouvrage ne contient rigoureusement rien d'autre que des opinions ; et que, pour combattre celles de mon prochain, je m'efforce ici tout bonnement de lui inculquer la mienne. Je répondrai à cette malice comme Léon Bloy à Francis de Miomandre, quand l'aimable romancier lui demanda par lettre son opinion sur la littérature française contemporaine : « *Cher monsieur, j'ai le chagrin de vous dire que vous n'avez rien compris à l'Exégèse des Lieux Communs, puisque vous supposez que je peux avoir une* opinion *sur n'importe quoi...Je n'ai que des croyances ou des certitudes absolues ; lesquelles sont toujours à prendre ou à laisser, bien entendu. *» ([^11])
Celui qui s'attarderait dans cette malice, imaginant que mon projet est seulement d'avoir le dernier mot sur un certain nombre de sujets, je tiens à l'avertir qu'il n'a de toute évidence rien compris aux chapitres précédents ; et que la suite lui restera plus étrangère encore, de page en page, ce livre ayant été écrit pour raconter précisément le contraire de ce qu'il croit : comment j'ai renoncé à mes opinions.
Mais au lecteur de bonne volonté, sincèrement désireux de découvrir avec moi toute l'antiquité et la profondeur de ce problème de l'objectivité, je dois aussi une précision. Au sens classique, aristotélicien ou platonicien, l'opinion est une catégorie de l'intelligence pourvue d'irréfutables droits de cité. Léon Bloy en ce sens pouvait se prononcer sur la littérature française ou sur l'art des zoulous, comme je le ferais moi-même, à la rigueur, sur Machado ou Picasso. Toutefois, même au sens classique, l'opinion reste la catégorie la plus pauvre de l'esprit humain, qui fait dire à Phédon : « Âmes déchues et impures ont l'opinion pour aliment plutôt que la vérité. »
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La chose à quoi je me réfère ici est différente. Je n'ai pas prétendu, et je crois que Bloy non plus n'y prétendait pas, utiliser une exagération littéraire pour introduire une simple rectification : je cherche à faire la rectification elle-même, non pas seulement d'une exagération, mais d'une, monstrueuse déformation du concept. Dans l'usage courant du terme, l'opinion est un fibrome de l'intelligence sécrété par le refus de toute objectivité. Car, de petite et modeste donnée de l'intelligence, elle en vient à être tenue pour sa plus haute et glorifiante conquête. Qui se repaît allègrement de cette nourriture, la trouve aimable, succulente, est comparable au convive qui dédaignerait la viande, le pain et le vin pour publier bien haut devant ses hôtes les vertus supérieures du cure-dents. C'est contre cet étrange régime que je sens jaillir en moi une juste indignation.
\*\*\*
Les réflexions contenues dans ce chapitre, évidemment, ne remontent pas aux jours où j'ai vécu les expériences qu'on aura lues plus haut. Elles sont d'aujourd'hui, et me viennent maintenant ; elles résultent d'une recherche pour établir un lien entre tout cela.
Il est exclu dans mon cas de retracer avec exactitude ce que j'ai pu penser en ces moments-là, ni de décrire ces états de conscience qui avaient quelque chose de l'accouchement. Je dirai seulement que je voyais comme naître et grandir en moi un sens de l'*objectivité,* une conscience nouvelle tournée vers le dehors et un principe de confiance dans le salut qui ne pouvait plus venir que de là... En entendant proférer, sur romans ou peintures, que tout se ramenait à une question de goût, je sursautai littéralement. Je me dis que, si l'existence de chaque chose se réduisait à sa « valeur », à la mesure de cette valeur conférée par l'opinion, il suffirait qu'une épidémie de grippe nous tue au Brésil quelque vingt ou trente personnes avisées pour que l'œuvre de Machado de Assis cesse d'être une grande œuvre.
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Or, cette hypothèse du subjectivisme universel m'acculait à deux choses terribles : d'un côté une intolérable solitude, de l'autre une insupportable et gigantesque responsabilité. D'un côté je me retrouvais seul ; et en même temps, de l'autre, le sens ultime et définitif de toutes les choses de l'univers ne dépendait plus que de moi-même et de mon opinion. L'immensité de la tâche à remplir m'accablait, et la condamnation à l'isolement m'invitait au plus complet désespoir. Il me venait alors à l'esprit l'idée que j'aurais pu tout détruire, rien qu'en me détruisant.
(*A suivre*.)
Gustave Corçâo.
(*Traduit du portugais par Hugues Kéraly.*)
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### Ils veulent convertir les jeunes... ?
par Hervé Kerbourc'h
ILS ÉTAIENT QUELQUES DIZAINES dans une chapelle assez laide, assez froide. Un harmonium jouait n'importe quoi, à contretemps, faux. Un prêtre en soutane disait et chantait une curieuse messe, celle de Paul VI, partie en latin, partie en français. Dans les détails, cela était par moments complètement incompréhensible. Ils ont dit que c'était bien. Puisqu'il y avait du latin... Communion en file indienne, debout. Quelques jours après les instructions de Jean-Paul II recommandant vivement un geste de révérence avant la réception du sacrement. Personne ne fit le moindre geste... et ils se disent traditionalistes ([^12]). Il y eut un sermon, aussi. Un saint prêtre m'a-t-on dit, un homme de valeur...
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J'en ai retenu deux choses. Premièrement, obéissance absolue *à la hiérarchie.* Sans commentaire. Deuxièmement, si on constate un recul de la foi, des principes intellectuels véritables, une apostasie galopante jusque dans le clergé, c'est à cause de la dégradation des mœurs, c'est parce qu'il n'y a plus de morale. Curieux renversement de ce qui pour moi, et je l'espère pour quelques autres, est l'absolue évidence. La hiérarchie des valeurs veut que les valeurs spirituelles et intellectuelles soient les premières. Les valeurs morales ne sont que des conséquences, vivre selon les règles de la morale, c'est faire des exercices d'application. Ce saint prêtre s'imagine-t-il vraiment que s'il pouvait restaurer la morale chrétienne, le dogme et les principes intellectuels se restaureraient d'eux-mêmes ? Hypothèse absurde. La morale ne précède rien. Elle suit.
L'après-midi il y avait une discussion. Cela tourna autour de trois thèmes : l'obéissance au pape, c'est-à-dire surtout que les fidèles ne doivent pas dire « Per ipsum »... (pourquoi disaient-ils *per ipsum* puisque partout on dit *par lui ?...*) et tous de chercher des techniques qui permettent à chacun dans sa paroisse d'empêcher les autres de le dire... Deuxième thème, la dégradation des mœurs... On y revient. Quel scandale, cette affiche de tel cinéma de Vannes, etc., etc., etc. (trois fois *etc*. parce que c'était très important). Troisième thème : nous sommes tous vieux, il faut recruter des jeunes, convertir des jeunes, les amener à l'Église catholique... Il y avait un jeune couple, c'était ma femme et moi, il y avait trois enfants, c'étaient nos trois enfants. Mais ils ne nous reverront plus. Ce n'est pas en prêchant la morale sexuelle de l'Église et l'obéissance au pape qu'ils convertiront des jeunes, surtout à notre époque de licence et d'anarchie. Cela ne peut se prêcher qu'à des catholiques, à des gens qui ont déjà la foi catholique. Une fois qu'on vit dans la lumière de la foi et des principes intellectuels véritables alors on peut (et on doit) faire descendre cette lumière dans tous les degrés de l'être, la diffuser partout en nous.
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Ce qui est vrai pour la foi l'est aussi et davantage pour la charité. C'est ainsi que la charité vraie se reconnaît dans les actions les plus banales. Mais jamais personne ne fera monter la lumière des humbles actions moralement bonnes jusqu'aux principes intellectuels. Jamais un philanthrope ne découvrira la Sainte Trinité en pratiquant la philanthropie. Si tout découlait de la morale comme le prêtre semblait le prétendre, ils auraient raison. Mais comme c'est le contraire qui est vrai, ils ont immensément tort.
\*\*\*
Il y a des jeunes qui cherchent une doctrine solide, satisfaisante pour la raison, qui cherchent une philosophie qui soit une vraie sagesse et non une critique d'une autre philosophie, qui cherchent le sens du symbolisme dans les loges maçonniques ou auprès de quelque guru plus ou moins hindou, qui cherchent une illumination spirituelle auprès de quelque maître plus ou moins zen. Il y en a beaucoup qui cherchent, et très peu apparemment finissent par trouver la vraie religion. Parce que l'Église est muette sur ce que cherchent les jeunes qui cherchent. Non, hélas, elle n'est pas muette. Elle bavarde comme un parti social-démocrate, démagogue et adoratrice du monde que ces jeunes voient sans espérance, sans doctrine, sans le moindre point de repère intellectuel. Je me suis converti malgré le pape, malgré les évêques, malgré cette hiérarchie à laquelle il faudrait paraît-il que j'obéisse de façon inconditionnelle. Malgré le pape, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que si on m'avait donné à lire les discours hebdomadaires de Paul VI, je ne me serais certainement pas converti, parce que l'anarchiste que j'étais y aurait retrouvé les mêmes obsessions progressistes et démago-humanistes que je combattais, la même logorrhée inconsistante sur la paix et la justice, etc. Je me suis converti quand j'ai compris, en dehors de l'Église catholique, ce qu'est un rite sacré, et ce qu'est la Tradition, particulièrement la tradition sacerdotale. J'ai acquis de lumineuses certitudes intellectuelles sur la tradition et le symbolisme rituel. La conjonction avec l'Église s'est faite grâce au livre splendide de la fille spirituelle de Dom Guéranger, première abbesse de Sainte-Cécile de Solesmes, Mme Cécile Bruyère. Puis j'ai trouvé la liturgie et les Pères. J'étais catholique, parce que tout ce que je découvrais était admirablement conforme aux certitudes intellectuelles dont j'ai parlé. Cassien, saint Augustin, saint Bernard, Dom Guéranger venaient étayer, développer et transfigurer tout ce que je *savais* vrai.
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La Vulgate fut une nouvelle révélation de l'Évangile à cause de sa puissance d'expression et de la précision d'un grand nombre de formules trop souvent abâtardies ou même faussées dans trop de bibles françaises (par exemple, le « Principium, qui et loquor vobis » (Jean 8, 25), réponse de Jésus aux Juifs qui lui demandent qui il est, que je n'ai trouvé traduit nulle part selon le sens évident de la phrase latine, phrase d'ailleurs intraduisible quant à la force d'expression, parce que la phrase française pour être correcte et compréhensible doit comporter beaucoup plus de mots que la phrase latine. Mais de là à trouver : *absolument ce que je vous dis,* ou bien : *la même chose que ce que je vous ai dit depuis le début,* ou même : *ai-je besoin de vous répondre ?...*)*.*
Mon Père spirituel se gardait bien de proposer à mes méditations les productions de la hiérarchie d'alors, qui est sensiblement la même qu'aujourd'hui, pape excepté. Mais peu à peu je m'aperçus que ceux qui étaient sacramentellement les authentiques continuateurs de la Tradition erraient bien loin de cette Tradition dont ils ne parlaient plus et même que certains d'entre eux rejetaient. Et j'ai vu que dans l'Église, on ne comprenait plus rien aux rites et à la Tradition et qu'on n'hésitait pas à les détruire, d'une façon plus ou moins ouverte, plus ou moins arrogante et imbécile. Alors il est bien difficile d'expliquer aux gens qu'on est catholique mais qu'on ne partage pas du tout les idées de ceux qui représentent la religion catholique à la télévision, à la radio, et dans la presse. C'est tellement difficile que certains préfèrent cacher soigneusement qu'ils sont catholiques plutôt que de se voir assimilés aux ahuris fraternels des joyeuses assemblées charismatiques ou œcuméniques ou socialo-progressistes. Depuis que l' « affaire Lefebvre » a révélé au public les « intégristes » je me dis « intégriste » sans surestimer ce que cette épithète veut dire pour mon interlocuteur. Par exemple Mandouze dit que les intégristes sont d'incurables analphabètes dont la religion commence et s'arrête au Concile de Trente ([^13]). De la part d'un tel personnage, cela ne surprend pas. Mais il est une publication que certains traditionalistes conseillent, et qui présentait récemment les « intégristes » d'une façon guère plus flatteuse. Il s'agissait de trois réactions au passage du pape en France. La troisième était celle d'un protestant. Le personnage n'est pas précisé davantage. La première est celle d'une femme *particulièrement bonne et droite,* mais sans religion. La seconde (on notera le contraste), est celle « d'un vieil ami intégriste, tout raidi dans une fidélité qui ne lui permet pas de discerner l'accessoire de l'essentiel » ([^14]).
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Autrement dit, pour toute l'intelligentsia « catholique », les « intégristes » sont tous de vieux schnoques demeurés. Mais pour l'homme de la rue, ce sont des gens qui veulent garder la messe et le catéchisme comme ils étaient « avant », et cela me convient.
\*\*\*
Il y a ceux qui voudraient faire croire que Paul VI était un pape parfaitement traditionnel. De son vivant, ils s'acharnaient à extraire de ses déclarations des phrases à résonance traditionnelle. Je veux bien croire qu'ils avaient un but pastoral, et qu'ils se donnaient pour mission de faire conserver aux gens l'attitude normale du catholique vis-à-vis du saint-père, mais je m'aperçois qu'ils continuent ; alors qu'ils feraient mieux d'oublier et de faire oublier ce pape. Cc qui était admissible à cause du but pastoral ne l'est plus. Car les textes traditionnels de Paul VI ne pèsent pas lourd à côté de tout ce qu'il a dit et écrit d'antitraditionnel. L'obéissance et la piété n'ont rien à faire avec le mensonge. Car c'est un mensonge de prétendre que Paul VI était un pape traditionnel. Et c'est une imposture de faire croire qu'il voulait conserver la langue latine dans la liturgie, car même s'il a dit cela une fois, avec le concile, il a dit aussi expressément le contraire. A force de prendre les chrétiens pour des imbéciles on en fait des veaux. Un fidèle catholique ne doit pas être un veau. Il doit réfléchir et voir les choses comme elles sont et non pas comme les fanatiques du pape-quel-qu'il-soit voudraient qu'elles soient. La vraie souffrance du catholique n'est pas dans l'abandon déchirant d'une liturgie que l'on aime pour adopter par une obéissance tragique une liturgie dont on voit clairement les défauts et les erreurs (erreurs au niveau de l'expression du sacré). La souffrance du catholique traditionnel est de se voir seul face à l'abandon quasi-général de ce rite éminemment vénérable, admirablement construit au cours des siècles par des saints qui en ont fait une œuvre d'art sacrée parfaite dans son organisation, dans son rythme, dans son unité irréformables. Un théologien écrit ceci : « Certes, je regrette un peu l'ancien Missel. (...) Il m'a été plus pénible encore d'abandonner ordinairement le latin pour célébrer en « vernaculaire », mais je comprends que les religieuses dont je suis l'aumônier préfèrent qu'il en soit ainsi ; au reste est-on prêtre pour soi seul ? » ([^15]) *sic*. Laissons là les commentaires que l'on pourrait faire de cette phrase étonnante.
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Mais le plus étonnant est que ce même théologien a établi un impressionnant catalogue des erreurs et des déviations qui apparaissent dans la traduction française du Nouveau Missel Romain. Voilà un prêtre qui écrit une longue étude sur les défauts multiples de la traduction française du nouveau missel mais qui lit en public ce missel tous les jours, par obéissance au pape, à son évêque... et à ses religieuses. Je ne doute pas qu'il en souffre, mais cette souffrance ne me touche pas. La démarche n'est pas cohérente. La nouvelle messe en langue vulgaire rompt la tradition. Jusqu'au concile, les papes ont répété avec force que la messe devait être dite exclusivement en latin. Ils ont toujours parlé d'impiété, de sacrilège, lorsque certains voulaient utiliser la langue vulgaire ([^16]). Et voilà que tout à coup le sacrilège devient vertu, par le biais de l'obéissance. Toute rupture de la tradition est antitraditionnelle. Ce n'est pas une évidence, c'est une tautologie. Par conséquent, je ne vois pas où est le soi-disant problème de l'obéissance.
Je me suis converti quand j'ai compris le sens et la beauté de la Tradition. Je me suis converti malgré un pape qui a tout fait pour amoindrir l'aspect sacré du rite principal de l'Église, pour profaner le Mystère et ouvrir la porte à toutes les aberrations possibles. Je me suis converti à la Tradition sacrée qui seule peut me mener à Dieu. Je ne me suis pas converti à la religion d'un pape. Le pape a changé. Mais rien n'a changé dans l'Église. Jean-Paul II m'a beaucoup impressionné par sa prestance, par sa voix, par ses attitudes, sa foi profonde, éclatante et chaleureuse. J'aimerais l'aimer et l'admirer, moi aussi, comme ceux qui sont en adoration devant le pape-quel-qu'il-soit. Mais il n'a toujours rien dit pour la messe traditionnelle. Il a même critiqué ceux qui « se durcissent en s'enfermant (...) à un stade donné (...) d'expression liturgique dont ils font un absolu, sans en pénétrer suffisamment le sens profond » (*sic*). Bien qu'il préfère le nouvel ordo il ne lui serait pourtant pas difficile de dire simplement que celui-ci n'a pas aboli l'ancien et que tout prêtre peut légitimement employer l'ancien missel. Je ne vois pas en quoi cela pourrait nuire à sa politique de récupération en douceur (subtile et intelligente mais je le crains, inefficace, voir note 1). Une telle déclaration ne changerait rien à l'attitude des évêques et des prêtres qui font l'opinion. La situation matérielle serait toujours la même. Mais nous ne serions plus des parias. Nous aurions un pape qui nous aurait souri, une fois, et cela suffirait pour qu'on l'aime comme on doit aimer le saint-père.
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Les « ultramontains » du XIX^e^ siècle et des papes comme saint Pie X ont insisté sur la nécessité d'une obéissance absolue au Saint-Siège ; un vrai fidèle ne doit pas seulement acquiescer aux définitions dogmatiques, mais aussi il doit se conformer à tous les conseils, à tous les souhaits du pape. Ils avaient raison, et en même temps ils ont eu tort. Ils avaient raison, parce que le pape était quasiment le dernier bastion de la Tradition, dans le monde qui se déchristianisait, et même dans l'Église, qui commençait à être infiltrée par la subversion. Ils ont eu tort, parce qu'ils n'ont pas prévu (mais qui leur en ferait grief ?) qu'un jour, un pape pourrait ne pas être le gardien vigilant, le restaurateur authentique de la Tradition face à tous les modernismes, et le vivant témoin de sa vitalité.
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Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père et les chemins de la conversion sont tous différents les uns des autres. J'ai lu récemment un livre admirable qui peut certainement contribuer à la conversion de personnes qui s'intéressent au symbolisme, c'est le livre de Jean Hani : *Le symbolisme du temple chrétien.* Le problème de cette voie, c'est qu'on risque de se perdre (et combien le font !) dans l'étude du symbolisme de toutes les religions et de finir dans le ron-ron de l'histoire des religions, alors qu'on avait commencé une recherche spirituelle... On confond symbolisme vivant et efficace avec culture livresque et stérile.
Je pense qu'un esprit philosophique peut être attiré vers la religion catholique par des livres comme l'admirable *Introduction à la philosophie de saint Thomas* de Gilson, qui ne peut être du reste qu'une révélation pour les jeunes qui, comme moi, n'ont jamais entendu dire un mot, pendant leurs études, sur la philosophie entre Platon et Descartes. Je pense aussi que Chesterton peut « parler » aux jeunes d'aujourd'hui, les amener à réfléchir sainement et à découvrir la Tradition qui a fait réfléchir Chesterton sainement. Il peut les attirer par son style et son humour qui sont très modernes, comme par sa façon de prendre systématiquement des exemples farfelus pour expliquer des choses graves et importantes.
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Mais je n'essaierai pas de faire un catalogue des différentes catégories de conversion. Ces choses-là sont complexes et secrètes. Il y a un vrai mystère de la conversion. Quand je discute avec un agnostique j'essaie de trouver le point où je pourrais le toucher, mais jusqu'à présent je n'ai encore jamais trouvé. Aussi je suis quelque peu effaré quand je vois des gens faire des théories et des dogmes à ce sujet. Ainsi j'ai pu lire dans une introduction à un petit ouvrage sur sainte Thérèse de Lisieux que la « petite voie » était la seule qu'on puisse proposer aux hommes de notre temps. Sans doute je ne suis pas de mon temps, ou bien peut-être je ne suis pas catholique ? Lorsque j'ai ouvert les écrits autobiographiques, j'en ai lu quelques pages, et j'ai abandonné. Quelque temps après j'ai fait un gros effort et j'ai fini le livre. Mais il ne m'en est rien resté. Sauf l'impression générale qu'on pouvait tout comprendre de travers dans ce livre si on n'était pas déjà catholique, devenir quiétiste ou protestant. Deux ou trois choses m'avaient choqué. Je ne me souviens plus que de l'une d'elles. Sainte Thérèse dit que l'Évangile lui suffit et qu'elle n'a pas besoin de commentaires. Puisque l'Église dit qu'elle était une sainte je le crois volontiers, et puisqu'elle était une sainte il est bien possible que l'Évangile lui suffisait et qu'elle recevait des lumières spéciales pour le comprendre. Mais cette affirmation est très dangereuse : « sainte Thérèse a dit qu'elle n'avait pas besoin de commentaires, donc *je* n'ai pas besoin de commentaires » (si j'en parle, c'est qu'on m'a fait cette remarque). Quant à moi je ne comprends pas grand chose à l'Évangile, et les commentaires des Pères sont pour moi une pluie extraordinaire de traits de lumière. Je n'ai pas de lumières spéciales et je suis bien content d'avoir celle des phares de l'Église pour balayer la nuit de mon intelligence. Saint Thomas aussi était un saint, et il a fait ce tour de force incroyable d'écrire un livre dans lequel il n'y a rien de sa plume, mais tout de son génie. Il a écrit un commentaire complet, mot après mot, des quatre évangiles en utilisant exclusivement des citations des Pères mises bout à bout, séparées parfois seulement par une virgule. C'est la *Catena Aurea,* la chaîne d'or, somptueux joyau de la Tradition ([^17]). Je ne dis pas qu'on ne peut pas se convertir avec sainte Thérèse, ou que la petite voie n'est pas la bonne voie. Ce serait absurde puisque l'expérience montre les bienfaits des écrits et exemples de la sainte de Lisieux. Je prétends seulement avoir le droit de suivre une autre voie.
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Des intolérances, il y en a d'autres. Il y a ceux qui ne voient que par les apparitions mariales et les prophéties. Ce serait également refuser l'évidence de contester qu'il y a des conversions sur les lieux des apparitions de la Vierge. Mais ces conversions posent un nouveau problème. Elles sont souvent sentimentales et un véritable travail doit suivre pour qu'elles atteignent la sphère proprement spirituelle, et il ne pourra se faire que si c'est la grâce c'est-à-dire une influence spirituelle qui a produit le sentiment en vue de la conversion.
Et souvent les jeunes ne voient dans la religion catholique que des dévotions sensibles, sentimentales, surtout si on leur parle de traditionalisme. Si vous leur parlez des apparitions de la Sainte Vierge, ils souriront. Si vous leur parlez du Sacré-Cœur, ils vous prendront en pitié. Les dévotions sentimentales ont proliféré depuis la fin du Moyen Age (depuis la déviation intellectuelle de la Renaissance, ceci est important à souligner), jusqu'à faire oublier parfois leur fondement intellectuel et symbolique. Elles peuvent même aller plus loin, jusqu'à présenter à la dévotion des faits contraires à la théologie traditionnelle, comme par exemple la pâmoison de Notre-Dame qui contredit le *Stabat Mater* essentiel pour le rôle de coopératrice de Marie dans l'œuvre de la Rédemption. Il est frappant aussi de constater l'opposition qui existe entre les christs romans, crucifiés de gloire, dont le visage rayonne, vers l'intérieur, de la contemplation suprême -- ce qui est l'expression du Saint-Suaire -- et les christs tordus de douleur qui apparaissent à la Renaissance. Je ne veux pas dire que la dévotion aux douleurs de la Passion soit erronée ou stérile. Je constate seulement qu'on est passé de la contemplation mystique du Christ en gloire -- tel *qu'il est --* à la dévotion aux souffrances physiques de Jésus, avec toutes les déviations morbides que cela peut comporter, ainsi que l'ont étalé trop de peintures et d'ouvrages « pieux ». La méditation de la Passion est un puissant moteur de la vie spirituelle et morale. Mais on peut fixer le crucifix au point d'oublier qu'Il est ressuscité. Le crucifix roman est la représentation iconographique de cette magnifique fête de l'Invention de la Sainte Croix, qui projette la lumière de Pâques sur la Passion et transfigure l'instrument sinistre de la Rédemption, comme les croix d'or et d'argent surchargées de pierres précieuses. Car le sombre instrument de torture est devenu le joyau incomparable, la clef du Paradis. Les jeunes qui cherchent une doctrine refuseront systématiquement aussi bien les magnifiques *pietà* du XV^e^ que les pauvres Sacrés-Cœurs phtisiques au sourire triste et doux... et quelque peu niais de la grande époque sulpicienne.
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Ce n'est pas de leur faute s'il n'y a personne pour leur montrer que ces dévotions, et quelques autres, reposent sur des vérités théologiques de la plus haute importance et de la plus grande profondeur. On comprendra que je ne condamne pas plus ces dévotions que la ferveur pour les apparitions mariales ou la « petite voie ». Mais chaque chose devant être à sa place, le sentiment doit être à la sienne, qui n'est pas la première. Tout comme les applications morales, les dévotions sensibles ne peuvent précéder la connaissance de la vérité. Et, de même que la foi et la charité étendront peu à peu leur influence jusqu'à la vie des sens, de même la foi et la charité orienteront peu à peu les sentiments. Mais il faut bien, constater que le sentimentalisme dévotionnel a trop souvent tenu lieu de religion, comme le moralisme a trop souvent envahi la prédication, dans l'Église avant le concile. Dévotions et morales n'avaient absolument rien de mauvais en soi. Elles n'étaient pas toujours à leur place, le concile aurait pu remettre les choses en ordre. Hélas ! Il ne s'agit plus de désordre, mais d'une inqualifiable perversion. Le sentimentalisme et le moralisme sont toujours à la première place chez les représentants patentés de l'Église et dans leurs publications, mais ils sont devenus anti-traditionnels, anti-catholiques. Le sentimentalisme actuel c'est le larmoiement continuel sur toutes les injustices sociales et mondiales, vraies, supposées ou inventées, la peine de mort, le droit des enfants, les droits des animaux, et j'en passe... Le moralisme actuel c'est le contraire du précédent au nom de la spontanéité et de l'authenticité. La différence, c'est que sentiments et morale qui était autrefois dans l'aura sacrée sont maintenant sentiments et morale d'une abjecte prostitution aux phantasmes modernes. Une autre différence, c'est que le psychologisme qui pouvait envahir l'Église à certaines époques se heurtait à l'objectivité des sacrements et du dogme révélé, alors qu'il envahit tout aujourd'hui et dilue l'ensemble de la religion dans un subjectivisme et un individualisme négateurs de toute transcendance.
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La religion catholique n'étant pas une doctrine ésotérique, il était normal que son enseignement s'adaptât à tous pour porter tous les hommes à Dieu selon leurs possibilités intellectuelles, et il était fatal que certaines dévotions finissent par avoir un développement qui occulte leur signification symbolique. La liturgie, quant à elle, culte public de l'Église, a toujours gardé son contenu total, toutes ses relations avec les réalités les plus élevées.
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Ce qui peut être obscurci, à cause de l'incurie des pasteurs, c'est la compréhension des symboles liturgiques, compréhension pas seulement rationnelle, mais aussi intuitive, en mode poétique, approche et appréhension mystiques des mystères.
Le trésor de la liturgie reste toujours intact, et (à condition d'avoir reçu un minimum de formation) chacun peut y puiser selon son degré d'avancement spirituel et y puiser davantage d'année en année. Je parle de la liturgie traditionnelle, de la liturgie complète, avec tous ses mystères, sa puissance d'évocation et son équilibre divin, et non du résumé vulgarisé qu'on veut nous servir en ersatz. On nous a dit : les temps ont changé ; la société a changé, il faut adapter la liturgie aux hommes d'aujourd'hui... Comme si depuis l'Empire romain les conditions socio-culturelles n'avaient jamais changé. Comme s'il y avait un rapport entre les sénateurs romains et les clans irlandais, entre les guerriers francs et la cour de Louis XV, entre le magnifique XIII^e^ et le lamentable XIX^e^ ! Et pourtant ils avaient tous la même messe. Quoi de commun entre la basilique romaine et l'oratoire de branchages des ermites du haut Moyen-Age, entre la Sainte-Chapelle et l'église de Le Corbusier ? Pourtant ces édifices furent tous construits pour la même messe.
Cependant ils ont raison. Les temps ont changé. Sur le plan intellectuel, la rupture se situe à la Renaissance, rupture tragique qui obligea l'Église à cristalliser sa doctrine et sa liturgie. Sur le plan politique, elle se situe à la Révolution. Cependant une grande partie de la population continua à avoir des réflexes traditionnels et même souvent à vivre dans une société traditionnelle (je pense aux paysans) jusqu'en 1914. Et c'est depuis cette guerre que les temps ont totalement changé. Surtout depuis le développement des media qui ont définitivement détruit toute vie traditionnelle jusque dans les campagnes les plus reculées. Oui, les temps ont changé. La barbarie actuelle n'a jamais eu d'équivalent. Le point commun entre des peuples de cultures si diverses, entre des époques si différentes les unes des autres, c'était une juste notion de la Tradition, dont la messe, le sacrifice divin, était l'expression suprême. Du grand philosophe au modeste paysan, la lumière de la Tradition s'est progressivement éteinte. Mais tout en haut, il restait la messe. Saint Pie V avait pris ses précautions pour qu'elle, au moins, demeure, quoi qu'il arrive. Peine perdue. « Ils » ont cassé la messe. « Ils » ont cassé la Tradition jusque dans la messe. Et il y a des imbéciles qui ne s'en sont même pas rendu compte et qui trouvent beaucoup plus important de dénoncer l'affiche d'un cinéma porno... qui s'imaginent amener des jeunes à la foi catholique en leur récitant *Humanae Vitae,* qui gloussent d'indignation si on leur représente que Alexandre Borgia fut un bien meilleur pape que Paul VI, parce que malgré sa vie privée scandaleuse, il avait le sens de la Tradition et le souci de la maintenir.
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A considérer l'état, l'influence et la compréhension des notions traditionnelles dans le monde contemporain, et sans envisager l'éventualité d'un miracle toujours possible, il est clair que la situation est humainement désespérée. N'en déplaise à ceux qui s'imaginent vivre le renouveau de l'Église, et qui gazouillent et s'ébrouent au milieu du désastre.
Hervé Kerbourc'h.
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### État des livres liturgiques
par Jean Crété
#### I. -- Le bréviaire
En 1960, la congrégation des rites avait donné aux éditeurs pontificaux l'assurance que le régime institué par le *Code des rubriques* de Jean XXIII resterait stable. L'éditeur Mame, de Tours, eut l'imprudence de prendre cette assurance au sérieux et édita un nombre important de missels d'autel et de bréviaires, qui ne trouvèrent que peu d'acquéreurs. En effet, il y avait peu de différences entre le missel de Jean XXIII et le missel antérieur ; il y en avait davantage dans le bréviaire, mais comme il s'agissait surtout de suppressions, on pouvait réciter l'office de Jean XXIII sur un bréviaire de saint Pie X. Le concile venait d'être annoncé ; tout le monde se rendait compte qu'il risquait d'apporter de très importantes modifications dans la liturgie ; ce n'était vraiment pas le moment d'acheter des livres neufs.
Les réformes liturgiques, en effet, s'ajoutèrent les unes aux autres. En 1972, Mame se résigna à vendre deux francs des bréviaires qui en valaient cent cinquante en 1960, et vingt francs des missels d'autel qui en valaient quatre cents.
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Le Père Barbara, domicilié en Touraine, récupéra une partie des missels d'autel et la totalité du stock de bréviaires comportant le psautier de la Vulgate ; et il en céda la majeure partie à Mgr Lefebvre. C'est ce stock qui a permis jusqu'ici de fournir des bréviaires aux séminaristes d'Écône et à des religieuses de diverses communautés. Mais ce stock n'est pas inépuisable. En outre, beaucoup de séminaristes et de jeunes prêtres désirent avoir un bréviaire de saint Pie X ; on le trouvait d'occasion jusqu'à ces dernières années ; il est aujourd'hui introuvable.
Le Père Barbara se préoccupa donc, dès 1977, de rééditer le bréviaire de saint Pie X ; il envisagea d'abord la solution la plus simple, qui consistait à reproduire en *offset* l'édition typique de 1914, en un seul volume. Il lança à cet effet une souscription à deux cents francs l'exemplaire ; le trop petit nombre de souscripteurs ne permit pas de réaliser ce projet ; mais plusieurs personnes et des communautés exprimèrent le désir d'avoir un bréviaire latin-français. Le Père Barbara refit ses calculs et fixa à quatre cents francs le montant de la souscription. Cette fois, les souscripteurs furent assez nombreux pour que l'œuvre pût être entreprise. La preuve en est donc faite : l'ignorance du latin est telle aujourd'hui qu'on trouve plus facilement des souscripteurs à quatre cents francs pour un bréviaire latin-français que des souscripteurs à deux cents francs pour un bréviaire latin. Pour la réalisation de ce bréviaire, une association *Les amis du bréviaire romain* a été constituée ; elle est propriétaire de l'édition qui restera hors commerce. Pour maintenir le bréviaire au prix fixé, on l'a réalisé en *offset,* procédé à base de photographie qui a l'avantage d'être économique ; une édition en typographie aurait coûté le double. Le Père Barbara s'est astreint à faire lui-même l'énorme travail de mise en page : il a fallu découper les textes latins et français dans divers livres anciens et les mettre côte à côte et bout à bout sur 7400 pages. Il faut avouer que le Père Barbara a réalisé ce travail avec un soin minutieux : les textes latins et leur traduction se trouvent toujours juxtaposés sur deux colonnes, avec une exactitude qu'on ne trouve pas toujours dans des éditions en typographie. Il est rare que le raccordement de deux découpures soit visible. Ce qui saute aux yeux -- et le Père Barbara s'en explique lui-même dans la post-face -- c'est la disparité des caractères d'imprimerie : on a dû employer une dizaine de livres différents pour réaliser le bréviaire et naturellement chaque livre avait sa typographie propre. L'inconvénient, si c'en est un, est mineur : le bréviaire est lisible partout, à l'exception d'un seul passage : il y a un blanc en bas de la page 560 au détriment de la deuxième moitié de la leçon I du commun des évangélistes. Quelques pages sont un peu plus pâles que les autres, mais restent lisibles.
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Le texte latin des psaumes est toujours en caractères assez gros. La traduction des psaumes est faite sur la Vulgate, avec le vouvoiement envers Dieu. A part de rares exceptions, les traductions des leçons bibliques sont également faites sur la Vulgate, mais les passages obscurs ont été rectifiés d'après l'original grec ou hébreu.
L'édition se compose d'un corps du bréviaire de XXIV -- 1240 pages ; de quatorze fascicules du Propre du Temps à insérer en tête du bréviaire, et de treize fascicules du Propre des saints, à insérer en fin de bréviaire. Un fascicule supplémentaire contient les bulles de saint Pie V et de saint Pie X, le calendrier, les rubriques de saint Pie V et les *Additiones* de saint Pie X.
Le corps du bréviaire comporte l'Ordinaire, le psautier réparti sur les sept jours de la semaine, le commun des saints, le petit office de la Sainte Vierge, l'office des morts, les homélies des dimanches après la Pentecôte, un rituel contenant, en latin et avec les traductions approuvées par Pie XII en 1947, le baptême, la confirmation, la communion des malades et l'extrême-onction, la recommandation de l'âme, les prières avant et après la messe et les différentes litanies, y compris celles du Précieux Sang, introduites par Jean XXIII. C'est donc un livre précieux que nous offre le Père Barbara dans cette édition bilingue : l'office divin sous la forme que lui a donnée saint Pie X en 1913, avec toutes les fêtes ajoutées par Benoît XV, Pie XI et Pie XII, y compris saint Joseph artisan. Mais on a maintenu la fête et l'octave de saint Joseph, patron de l'Église universelle ; les usagers pourront donc choisir entre ces deux fêtes, ou même célébrer les deux. Pie XII avait substitué, en 1956, la fête de saint Joseph artisan à la solennité de saint Joseph. Mais des indults avaient été accordés aux bénédictins pour leur permettre de garder la solennité de saint Joseph, et aux carmes pour leur permettre de célébrer les deux fêtes. Chacun agira sur ce point selon son attrait.
Dans les fascicules, il y a quelques petites erreurs ou lacunes faciles à rectifier : la page 125 du fascicule 3 a été imprimée à l'envers ; le fascicule 6, page 34, indique le 30 mai, en France : vêpres du suivant (Marie-Reine), mémoire de sainte Jeanne d'Arc. Mais sainte Jeanne d'Arc est double de seconde classe *primaire,* et Marie-Reine double de seconde classe *secondaire ;* il faut donc dire les deuxièmes vêpres de sainte Jeanne d'Arc, avec mémoire du suivant : c'est d'ailleurs ce qu'indiquent tous les calendriers, tant de « Forts dans la Foi » que d' « Itinéraires ». Le 3 octobre (fascicule 11), on donne l'office propre à la France de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, mais on a oublié d'indiquer comment son office devait se dire hors de France. Le 9 octobre, la fête des saints Denys, Rustique et Éleuthère est *double* en France, et non semi-double.
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On regrette l'absence des offices de sainte Geneviève et de sainte Clotilde, concédés à tous les diocèses de France. Mais c'est peu de choses pour une édition de 7400 pages ; les bréviaires officiels contenaient, eux aussi, des erreurs ou des fautes de typographie.
Dans l'ensemble, le bréviaire latin-français de 1980 est une œuvre remarquable et qui rendra les plus grands services. Sa présentation est rendue agréable par une quarantaine d'images extraites de livres d'heures anciens. On peut facilement ré-citer l'office en latin tout en jetant un coup d'œil sur la traduction française toute proche. Car il faut garder le latin pour l'usage liturgique. On pourra utiliser les traductions pour la méditation ou la lecture en famille, au réfectoire des maisons religieuses ou même en chaire la lecture des leçons d'une fête vaut un bon sermon.
#### II. -- Le missel
Les missels d'autel neufs sont introuvables, Mame ayant détruit le restant de son stock. Il faut donc récupérer, si l'occasion s'en présente, les missels d'autel même anciens ou usagés, en se disant bien qu'on n'en aura pas d'autres avant peut-être très longtemps. Les missels latin-français pour fidèles se trouvent encore en librairie, mais seront épuisés dans quelques années. Il faut conserver précieusement tous les missels qu'on peut avoir ou trouver et ne pas laisser les enfants les détériorer.
#### III. -- Les livres de chants
C'est dans ce domaine que la situation est la plus grave. Les livres complets de chant grégorien : graduel et antiphonaire, et les éditions de Desclée : 800, 801, 800 c, 804, 904, qui réunissaient l'essentiel de ces deux livres de chants officiels, sont épuisés depuis des années, et impossibles à rééditer. Il faut et il faudra pendant très longtemps se contenter de ceux qui existent. Ce sont des livres précieux ; il ne faut surtout pas les laisser traîner dans des chapelles où ils seraient exposés au vol ; la perte d'un livre de chants est aujourd'hui irréparable.
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On peut se servir de tous les livres édités depuis 1908 : les chants de la messe, des vêpres, des complies, sont identiques dans toutes les éditions. En revanche, il y a parfois des différences d'une édition à l'autre pour les matines ou certains chants du Salut du Saint-Sacrement, notamment certains répons des Ténèbres, l'*Adeste fideles,* le répons *Homo quidam,* le *Tantum ergo* mozarabe, l'*Oremus pro pontifice.* Pour ces chants, on peut prendre l'une ou l'autre version, mais il faut, sous peine de cacophonie, comparer les livres avant l'office et choisir la version à chanter. Les usagers de l'édition de 1908 n'oublieront pas que trois antiennes des vêpres des dimanches ordinaires ont été changées en 1913 et que le psaume 30 a été supprimé à complies.
Depuis 1965, des efforts ont été faits pour éditer quelques livres de chants :
-- Le manuel de Mgr Besnier a été réimprimé deux fois, par l'éditeur Lemoine-Biton, de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), selon l'édition de 1948. Ce manuel contient un Kyriale important, les vêpres et complies des dimanches et le Propre de la messe et des vêpres des très grandes fêtes ; pour les fêtes inférieures, les temps liturgiques et les communs, seules les hymnes sont données ; ce manuel ne permet donc de chanter que le Propre des fêtes solennelles. Près de la moitié du manuel est occupée par des faux-bourdons et des chants du Salut, dont beaucoup sont peu connus et d'exécution difficile. Malgré ce grave déséquilibre, le « Besnier » est le plus complet des livres de chants actuellement disponibles.
-- Le Père Barbara a édité un *Livre de chants liturgiques à l'usage des fidèles* comportant un Kyriale presque aussi important que celui de Besnier et un petit nombre d'autres chants.
-- L'association *Una Voce* a édité chez Téqui un livret contenant six messes grégoriennes en notation moderne et quelques autres chants.
-- Mgr Ducaud-Bourget a fait éditer un livret de cantiques, sans notation.
-- M. l'abbé Son, curé de Gripport, 54290 Bayon, vient de publier un recueil de cantiques traditionnels, suivis de quelques motets latins, avec notation.
-- Il arrive que le diable porte pierre. A la suite de la mise en service du missel de Paul VI, Solesmes a publié un graduel romain, conforme au nouveau missel. Mais toutes les pièces grégoriennes traditionnelles y figurent ; elles ont simplement changé de place. On peut très bien se servir du nouveau graduel pour chanter la messe de saint Pie V ; il suffit de rechercher les chants du jour dans la table alphabétique et de marquer soigneusement les pages. C'est la bonne solution si l'on manque de 800.
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« Attendons-nous à une épreuve difficile », disait André Charlier dans *Le chant grégorien.* L'épreuve est venue, et il est probable qu'elle durera longtemps encore. Toutes les précautions doivent être prises pour assurer la transmission de l'héritage de la liturgie latine et du chant grégorien ; les livres sont indispensables mais ne suffisent pas. Il faut s'astreindre à former les enfants et les jeunes gens au chant grégorien et leur en donner le goût et l'intelligence. Il appartient aux parents, aux éducateurs, aux maîtres de chapelle de faire cet effort, sans lequel le chant grégorien disparaîtrait avec notre génération.
Jean Crété.
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### Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
La vie de saint Louis-Marie ressemble au ciel tourmenté de sa Bretagne natale, dont il a sillonné les routes pierreuses, brûlé de soleil et battu par les vents, en butte aux avanies et aux persécutions, parmi les splendeurs et les ombres d'un grand règne.
Lorsqu'il naît en 1673, Louis XIV s'est installé avec la Cour au château de Versailles, et la vie de notre saint s'achèvera un an après la mort du « Roi-Soleil », en 1716.
Bien qu'il ne se soit jamais mêlé des affaires temporelles du royaume, son œuvre missionnaire, quatre-vingts ans plus tard, sera à l'origine du soulèvement de la Vendée militaire, véritable croisade *pro aris et focis,* et ce n'est pas sans raison qu'il affirma, sous la forme d'une confidence dont son humilité voilait l'aspect prophétique que si Dieu l'eût destiné pour le monde, il aurait été « *le plus terrible homme de son siècle *».
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Pourtant c'est à une famille humble et besogneuse qu'il appartient : plus de dix-huit berceaux se succéderont régulièrement ; trois garçons entreront dans les ordres, trois filles prendront le voile. Exemple admirable de ces familles généreuses, soumises humblement aux saintes lois du mariage et soucieuses d'accroître le nombre des élus. Dieu répond à cette générosité par le don royal de la sainteté qui est le plus bel ornement d'une famille et la raison d'être des civilisations. Montfort n'était pas le nom patronymique de notre saint. Comme le pieux roi Louis IX qui aimait à signer Louis de Poissy, en souvenir de la ville où l'eau du baptême avait fait de lui un fils de Dieu, Louis de Grignion prit l'habitude, pour le même motif, de joindre à son nom celui de sa ville natale, et le jour de sa confirmation, mû par une tendre inclination envers la Reine du ciel, il y ajouta le nom de Marie.
C'est dans l'ancien diocèse de Saint-Malo où quelque 150 ans plus tôt Jacques Cartier s'était embarqué pour le Canada, qu'il avait fait ses études, avec, pour condisciples, une pléiade de missionnaires et d'explorateurs, parmi lesquels le fondateur des Spiritains, Claude Poullard des Places, et le marin René Dugay-Trouin. C'est sur cette terre pétrie de romantisme et de mysticité que les embruns chargés de sel feront entendre l'appel du large au cœur et à l'âme de jeunes impatients, dont la générosité ardente sera l'honneur du XVII^e^ siècle français.
Mais Louis-Marie ne songe pas aux horizons marins de la côte bretonne ; ce sont les horizons infinis du Royaume des cieux qui attirent ses regards : il sera missionnaire apostolique.
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Ses contemporains auront eu devant eux l'image d'un apôtre de feu. Heureuses les âmes qui ont entendu la prédication enflammée de ce nouveau Vincent Ferrier. Heureux siècle qui a vu se déployer l'énergie indomptable et les industries de ce missionnaire qui sculptait lui-même des madones, inventait des cantiques sur des airs de viole, pour attirer et convertir les âmes éloignées du sanctuaire, et parfois des femmes légères comme celles de La Rochelle qu'il amena à résipiscence.
Un de ses compagnons de mission, Monsieur des Bastières, rapporte à ce sujet un trait de sa vie qui nous paraît sans précédent dans les annales des saints :
« Il m'a souvent conduit dans des lieux de débauche sans m'en avertir... Il se mettait à genoux au milieu de la chambre, ayant un petit crucifix à la main. Je m'y mettais aussi à son exemple et nous disions un Ave Maria. Et après avoir baisé la terre, nous nous relevions. Il les prêchait ensuite avec tant de force et d'onction que ces messieurs et leurs créatures ne savaient que dire ni faire, tant ils étaient consternés. La plupart des hommes sortaient et les créatures restaient. Il y en avait qui pleuraient amèrement ; les autres étaient comme des statues immobiles. Mais M. de Montfort les faisait mettre à genoux. »
Cependant ne voir en lui qu'un prédicateur hardi serait restreindre singulièrement la portée de son rayonnement. On doit attribuer à un deuxième facteur la profonde influence que l'apôtre exercera non seulement sur son temps et sur les provinces de l'Ouest, mais sur tous les temps et jusqu'aux confins de la terre.
Ce génie tout de conquête et d'action est le fruit mûr d'une génération de saints prêtres qui formèrent ce qu'il est convenu d'appeler l'École française de spiritualité à laquelle restent attachés les noms de Bérulle, Condren, Olier, saint Vincent de Paul, saint Jean Eudes, Surin, Caussade, Bossuet.
Ces hommes éminents ont marqué le clergé français d'un caractère que n'effaça pas la tourmente révolutionnaire de 1789. Le séminaire de Saint-Sulpice fondé par M. Olier qui accueillit le jeune Louis-Marie, était encore pénétré de l'esprit et des vertus de son fondateur :
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une révérence profonde pour la souveraine grandeur de Dieu, une haute idée de l'état sacerdotal voué à l'offrande d'un sacrifice perpétuel, le primat de l'adoration sur tous les autres mouvements de l'âme, allié à une conscience aiguë de la misère propre du pécheur et de son incapacité à tout bien. Perspective abrupte qui laisserait l'âme quelque peu désolée, si le contraste entre la divine majesté et l'impuissance radicale de la créature ne se trouvait résolu dans la présence douce et active de l'Homme-Dieu, véritable centre de la religion. L'École Française, c'est la religion du Verbe Incarné.
Pour M. Olier, l'âme chrétienne réduit sa vie et ses activités à ne faire plus qu'un avec « l'intérieur de Jésus-Christ » qui suffit à tous nos devoirs ; tandis que Bérulle prêche « l'adhérence aux états du Verbe Incarné » qui ne sont pas éteints et passés mais « vifs et opérants en nous comme ils le furent en Jésus ».
Voilà ce que le jeune Louis-Marie, formé par les maîtres sulpiciens, retiendra essentiellement. Or cette théologie vigoureuse, aux arêtes vives, toute centrée sur le mystère de l'Incarnation, amènera le jeune prêtre à découvrir le rôle et la place de Marie dans la sanctification des âmes. Car, pour reprendre le mot de Bossuet, « les dons de Dieu étant sans repentance », Dieu qui a voulu se servir de Marie dans l'Incarnation pour mettre Jésus-Christ au monde, se servira d'elle pour mettre au monde de la grâce les membres de Jésus-Christ.
Un petit livre résumera cette doctrine et fera fortune chez les fidèles au XX^e^ siècle : le *Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge.* C'est une doctrine de vie intérieure et seules peuvent le goûter les âmes intérieures. Tout semble y être dit avec une force et une onction sans égales sur la liaison de Marie au Verbe Incarné et sur l'exigence qui découle de cette doctrine : la libre consécration de l'âme à Jésus par Marie. Traduit en plus de quarante langues, il est devenu le bréviaire spirituel de millions de fidèles, moyen dont Dieu se sert pour introduire doucement les âmes au plan surnaturel et donner une merveilleuse efficacité aux « apôtres des derniers temps ».
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Il faut lire le *Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge* et ne pas se laisser rebuter par la forme archaïque mais goûter le fond qui est éternel. Il faut lire également le *Secret de Marie,* plus bref, qui veut faire de nous les « esclaves d'amour de la Sainte Vierge » et qui commence par ces mots brûlants :
« Ame prédestinée, voici un secret que le Très Haut m'a appris et que je n'ai pu trouver en aucun livre ancien ou nouveau. » L'ouvrage s'achève par la pratique du saint esclavage qui est d'agir *avec* Marie, *en* Marie, *par* Marie et *pour* Marie.
Une puissante doctrine découle de ses ouvrages principaux qui sont :
*L'Amour de la Sagesse éternelle,* la *Lettre aux amis de la Croix, Le Secret admirable du Très Saint Rosaire,* le *Secret de Marie,* le *Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge.*
Cette doctrine ramène sans cesse les âmes autour d'un axe vertical dont le schéma nous est désormais familier. Au sommet de tout, la majesté infinie de Dieu à laquelle sont dues toutes les adorations. A la base de tout, la créature pécheresse impuissante à se sauver. Au centre, Jésus-Christ. Et, unie à Lui plus intimement que la lumière ne l'est au soleil : Marie. Pour atteindre Dieu il faut vivre en Jésus par Marie. Le secret de cette doctrine vient de son extrême simplicité et de sa facilité d'adaptation pour tous les états de vie.
Confirmé par le magistère pontifical, l'enseignement de celui que l'Église nommera peut-être un jour son *Doctor marialis* rayonne dans l'encyclique de Pie XII *Fulgens corona* qui exalte la maternelle Royauté de la Très Sainte Vierge.
Illustrée et cautionnée par les apparitions de Fatima, la doctrine de la consécration à Marie du « Père de Montfort » culmine dans le souhait exprimé par la Mère de Dieu auquel le Pape Pie XII répondit par la consécration du genre humain au Cœur Immaculé de Marie.
La fécondité et le caractère prophétique d'un message qui semble, par sa forme, très marqué par son temps, n'échappent plus à personne.
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On a maintes fois souligné la portée historique des missions de l'Ouest qui donnèrent à ces régions un nouveau visage, au point qu'une communauté d'hommes s'y reconnaîtra aux heures sombres de la Révolution : il s'agit de la Vendée Militaire.
Le 6 juin 1888, lors des fêtes de la béatification, Mgr Freppel témoigna en ce sens :
« Qui avait retrempé l'âme de ce peuple aux sources de la foi ? Qui avait formé de longue date et préparé à des luttes héroïques cette Vendée militaire, devenue l'admiration du monde entier dans les plus mauvais jours de notre histoire ? Qui avait donné le branle à ce mouvement de résistance chrétienne dont les effets allaient se faire sentir à quatre-vingts ans de là ? Ah ! n'hésitons pas à le dire et à le répéter avec la voix publique : nul n'y a plus contribué que Grignion de Montfort. Ces choses merveilleuses ont été, en grande partie, son œuvre et celle de ses fils. »
Depuis lors, il apparaît clairement que nulle croisade, nulle reconquête ne pourra plus se concevoir en dehors du Cœur surmonté de la Croix.
Ô saint Louis-Marie, géant de la charité et de l'apostolat, voyez la détresse des temps présents, prodrome de l'apostasie générale décrite dans l'Apocalypse, et obtenez-nous ces apôtres des derniers temps que vous avez annoncés ! Que le Seigneur, malgré notre indignité, daigne les choisir parmi nos fils, et c'est avec confiance que nous faisons nôtre votre prière embrasée :
« Seigneur, levez-vous ! Pourquoi semblez-vous dormir ? Levez-vous dans votre toute-puissance, votre miséricorde et votre justice, pour vous former une compagnie choisie de garde-corps, pour garder votre maison, pour défendre votre gloire et sauver vos âmes, afin qu'il n'y ait qu'un bercail et qu'un pasteur et que tous vous rendent gloire dans votre temple. »
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Ô grand saint, témoin et chantre de la *vie en Marie,* obtenez-nous cette grâce insigne que vous évoquez dans les dernières pages de votre Traité, en disant qu' « il faut se livrer à l'esprit de Marie pour en être mu et conduit de la manière qu'elle voudra (...) Se mettre et se laisser entre ses mains virginales, comme un instrument entre les mains de l'ouvrier, comme un luth entre les mains d'un bon joueur (...)
Se perdre et s'abandonner en elle, comme une pierre qu'on jette dans la mer. »
Alors, portés allègrement dans le sein très pur de Marie, nous attendrons le beau jour de notre enfantement dans l'éternité, et notre vie ici-bas sera un commencement de Paradis.
Benedictus.
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## NOTES CRITIQUES
### Attention : mauvais livres pour enfants
« Il y a un chemin direct qui va de l'œil au cœur », disait Chesterton.
Enfants nous avons tous connu l'éblouissement d'une image, jaillie soudain sur la clarté d'une page ; une belle image qui a marqué. C'était un chevalier, ou bien un père blanc, s'avançant la croix à la main parmi les sauvages. D'autres fois nous étions frappés par une silhouette, Monsieur Dumollet, les trois jeunes tambours, la mère Michel courant après son chat, criant par la fenêtre « qui c'est qui me le rendra ».
Dans la mémoire collective, elles étaient nos belles images, autant de hérauts qui nous rappelaient un certain art de vivre et aussi de rire. Grâce à elles on pouvait apprendre la France avec *Le petit Grégoire* ou la bergère qui gardait ses moutons Ron Ron.
Il y avait aussi les symboles les fées, qui créaient des merveilles et les monstres de l'ombre qui tissaient leurs maléfices. Aussi les livres de Noël apportaient-ils aux enfants sages une fresque du monde où les valeurs étaient en place.
Actuellement beaucoup d'images sont horribles.
C'est une conception de l'Art tout à fait révolutionnaire, parfois même satanique.
Ce folklore *nouveau* transforme notre passé et l'Art présent que nous vivons prépare un avenir où rien n'aura plus le même sens.
C'est pourquoi je serai dure avec les albums et livres que j'ai lus dernièrement pour vous.
Peut-être avez-vous récolté les titres qui suivent pour Noël.
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#### Où sont les héros de naguère ?
« Au revoir, ma chérie » dit saint Nicolas, « il faut que je file ».
C'est ainsi que le bon saint quitte sa femme dans un ouvrage intitulé : « *Douze contes de Noël *» écrit par Michaël FOREMAN et paru aux Éditions GARNIER.
Je viens de lire ce livre et quelques autres du même style : c'est vraiment navrant !
Ces douze contes sont des histoires laides, vraiment très laides. On y découvre un univers de désordre, de cauchemar et de grossières ripailles qui n'a rien à voir avec les Noëls miraculeux chers à la littérature chrétienne. Et puis, il y a ces couleurs bourbeuses, ces gris sales des images.
Si votre enfant a reçu cet album en cadeau pour Noël, mettez-le vite à la poubelle !
Je commence par ces *contes* parce qu'ils sont typiques d'une mode inquiétante et qui tend à *renouveler* de façon bien étrange notre patrimoine artistique.
Voulez-vous un autre exemple. *Carabi Toto Carabo* paru aux Éditions de l'Amitié nous rappelle de chers souvenirs : Cadet Roussel, ce Roi Dagobert qui a toujours sa culotte à l'envers, Maman les p'tits bateaux, Malbrough et sa guerre ; tout le petit monde qui peuplait nos jeudis et les heures de rêve de notre enfance, ressuscite ici.
*Carabi Toto Carabo,* avec ses 28 chansons, dévalise le vestiaire aux oripeaux et transforme tous ces personnages en affreux monstres. C'est un massacre ; c'est un massacre et d'autant plus blessant que tout le charme de ces chansons tient à ces personnages.
Compère Guilleri, Monsieur Dumollet, la Mère Michel : autant de types français ciselés par les siècles dans leur grâce légère et qui ne doivent pas bouger. Ici, on leur a volé leur âme. Des gueules d'enfer remplacent ces Messieurs et Dames en petit bonnet blanc ou en queue de pie. C'est une dérision. C'est l'œuvre, soit d'un sot, soit d'un pervers. Il est impossible de « voir » dans un personnage aussi gentil que Pierrot, le petit vicieux à figure chafouine que l'illustrateur nous propose !
Un autre personnage célèbre en prend un coup ces temps-ci : c'est Renart.
Renart, vu par Delessert, devient une bête cartonnée, frappée d'œdème et couvant une conjonctivite. C'est une silhouette sans esprit qui orne le *Roman de Renart* Tome I paru chez GALLIMARD dans la collection Folio-Junior. En découvrant ce Renart nouveau, on reste de glace. Le texte est bon, le personnage qui l'accompagne ne lui correspond pas.
C'est une trahison. Le Renart de Delessert a l'air idiot ainsi que tous les personnages.
Je n'ai pas un goût enragé pour les vieilleries ou les musées ; et l'on peut, bien sûr, changer les chausses de Renart et lui mettre un nouveau chapeau. Ce qui n'est pas admissible, c'est d'en faire un autre être. Les grands illustrateurs ne se sont jamais permis ce genre de faute.
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Prenez les images de Gustave Doré illustrant les fables de La Fontaine. Indéniablement, elles ont le style du XIX^e^ siècle. Cependant, elles respectent l'esprit du créateur. C'est toujours *le même* savetier et *le même* financier créés par l'auteur.
Si vous avez reçu ce petit livre illustré par Delessert, non seulement il faut le jeter, mais donner à l'enfant un autre *Roman de Renart* dont les images ne trahissent pas le texte.
Il en existe un aux Éditions DELAGRAVE. C'est un grand et beau livre beaucoup plus cher que celui dont je viens de parler. Mais là, vous découvrez Goupil dans toute sa splendeur : museau acéré, oreilles traîtresses, regard menteur et, jusqu'à la moustache, le personnage sent la combine. C'est la meilleure illustration que je connaisse ; on peut faire mieux mais celle-là est très bonne.
Continuons l'inventaire des catastrophes. Un autre sujet habituellement traité avec délicatesse est celui des Fées. Le voici, arrangé à la manière nouvelle.
Les Éditions NATHAN nous sortent un livre intitulé : « *Au pays des Fées *» sous la direction artistique de Borge SVENSSON avec un texte de Claude PISTACHE. Ici, les brouillards nordiques -- qui tiennent peut-être à l'origine de l'auteur -- font irruption dans le monde gai et merveilleux des fées. Le texte invite l'enfant à jouer avec le plus inquiétant des invisibles... En fait de féerie, on pense à *une nuit sur le Mont Chauve,* musique de Moussorgsky en voyant cet album. Des nuées de petits êtres faméliques et translucides envahissent les pages, tracassant les humains et faisant tout un sabbat, à dada sur chevaux blancs par nuit de maigre lune...
Le livre, en relief, fait surgir, par-ci par-là un gnome, un monstre. C'est tout à fait rassurant. Et ce n'est pas un pays de *Fées* c'est le pays des âmes mauvaises qui rôdent au crépuscule pour turlupiner les pauvres gens.
A proscrire. On peut faire le même reproche aux : « *Aventures d'Alice au pays des merveilles *» paru également chez NATHAN en livre « animé », avec des images mouvantes.
L'histoire de cette petite fille à transformations est déjà par elle-même assez étrange. L'album paru chez NATHAN souligne très lourdement cet aspect. Et même, il en rajoute. Tirez sur une languette, un diable aux yeux blancs apparaît dans la pénombre. Tirez sur une autre, l'affreux matou tapi dans un arbre se change en chat-fantôme. Ici, apparaît une jambe, et là, Alice tombe dans un entonnoir. Non, vraiment ce n'est pas un univers fréquentable.
*Chère Mathilda aux bains de mer* de Christianna toujours chez NATHAN, collection : « Arc en ciel », est un peu de la même veine. C'est l'histoire d'une gouvernante anglaise, grosse, noire et laide, aux prises avec des enfants, petits, désobéissants et criards. Alors que Mathilda frappe par terre avec sa canne, il se passe des choses inquiétantes et même terribles. Ce livre est plutôt un cauchemar qu'un été de vacances heureuses au bord de la mer. Texte et images forment un univers désolant.
*Il y a un crocodile sous mon lit, Gentleman Jim* et *Le marchand de fessées* parus tous trois chez Grasset me mettent dans la plus grande gêne : comment vous parler de ces albums qui offensent la pudeur et le bon goût ?
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Le premier démystifie les monstres de la nuit, ou cherche à le faire, sans doute ! Mais ce crocodile aux dents effilées qui prend son bain avec un petit garçon parmi les bulles de savon et les vapeurs d'eau n'est pas convaincant. Il fait peur. Il est affreux !
*Gentleman Jim* qui traîne sa vie, gardien de W.C. publics et rêve et retombe en d'autres W.C., n'est pas admissible ! Quant au *Marchand de fessées* dont la plus belle est la fessée à pointes métalliques, c'est une sorte de fantasme, produit par un auteur digne des pires pensionnats anglais du temps de Dickens.
Il y a peu de chances que nos lecteurs d'*Itinéraires* aient reçu de semblables cadeaux ; cependant, on ne sait jamais quelle idée peut investir l'esprit d'un invité naïf, et qui veut faire un cadeau original au temps de Noël...
*Les Histoires de France* de Pierre Miquel viennent de paraître aux Éditions Hachette. Ceux qui ont entendu son émission sur France-Inter savent quel fatras il nous sert. Le livre est du même genre. Il n'y a aucun fil directeur, aucun esprit de Foi, aucune leçon à tirer de ce livre. C'est un assemblage dans l'ordre chronologique, de certains faits, de certains personnages, de certaines époques. Il n'y a aucun amour de la France, aucun respect. Voulez-vous un échantillon ?
Prenons l'histoire de Jeanne d'Arc. L'auteur achève son récit sur la bataille d'Orléans ; et puis, il passe à autre chose.
Sans doute, trouverez-vous d'autres livres dans la chambre de vos enfants. Regardez-les tous. C'est plus prudent, les images comptent autant que le texte, surtout pour les petits.
Elles comptent d'autant plus que beaucoup, par mode, par bêtise, ou subversion volontaire, transforment et saccagent notre patrimoine artistique. Renart devenu idiot, Dagobert obèse et grotesque, Malbrough clochard famélique et dépenaillé, forment un cortège d'antihéros en désaccord avec notre véritable héritage.
On ne se moque pas de l'art, c'est lui qui nous apprend à chérir.
France Beaucoudray.
### Le Père Lamy
Les Serviteurs de Jésus et Marie ont réédité en 1976 la vie du Père Lamy, écrite par son ami le comte Biver en 1934, avec une préface de Jacques Maritain et rééditée en 1966. Cette édition de 1976 est une simple réimpression de l'édition de 1966.
Le comte Biver cite si abondamment le Père Lamy que le livre est presque une autobiographie. Plus de la moitié du texte (entre guillemets) est du Père Lamy lui-même.
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Né le 23 juin 1853, au Pailly (Haute-Marne), Jean-Édouard Lamy fut baptisé le lendemain. Son père était maçon et avait quelques terres. Les parents étaient très chrétiens et Jean-Édouard fut un enfant très pieux ; il pensait au sacerdoce ; les parents avaient économisé une somme importante pour lui payer ses études ; tout fut perdu dans un incendie qui détruisit la maison. Jean-Édouard, qui avait alors seize ans, dut renoncer à poursuivre ses études. On ne nous explique pas pourquoi, à seize ans, Jean-Édouard n'était pas encore entré au petit séminaire, ni ce qu'il fit jusqu'à son service militaire. Il fit ses trois ans de service militaire de 1875 à 1878. Il pensait toujours au sacerdoce ; les oblats de saint François de Sales, de Troyes, lui promirent de l'y préparer s'il prenait chez eux un engagement de quinze ans. Après trois mois de probation, on le mit à la tête de l'Œuvre de la jeunesse, de Troyes. C'était à la fois une maison d'accueil et un patronage, pratiquement sans ressources, dont aucun prêtre ne voulait s'occuper. L'abbé Lamy, simplement revêtu de la soutane, s'y dévoua sans compter. En fait de préparation au sacerdoce, il n'avait que deux heures de cours par semaine et ne pouvait étudier que la nuit. Il était sur le point de renoncer quand, une nuit, saint Joseph lui apparut et lui dit avec autorité qu'il devait devenir prêtre. Peu après, le 21 mars 1885, il recevait les ordres mineurs. Le 12 décembre 1886, il était ordonné prêtre à la chapelle des Lazaristes, rue de Sèvres, à Paris. Il resta à la tête de l'Œuvre de la jeunesse de Troyes, avec l'autorité accrue que lui donnait son sacerdoce. Quoique très sévère, éliminant impitoyablement tout garçon susceptible de corrompre ses camarades, il était très estimé et aimé des enfants et, sur la fin, confessait presque tous les enfants de Troyes. Les veilles de fêtes, il passait la nuit entière au confessionnal, donnant la communion tous les quarts d'heure entre minuit et sept heures du matin aux garçons qui rentraient dans leur famille ; à cette époque, la rigueur du jeûne eucharistique n'aurait pas permis aux enfants de communier aux messes un peu tardives (10 h, 10 h 30) auxquelles les emmenaient leurs parents. ([^18])
Après dix-sept ans passés (dont neuf comme prêtre) à la tête de l'Œuvre de la jeunesse de Troyes, l'abbé Lamy dut se retirer pour raison de santé. Il accepta un vicariat à Guéret puis, six mois plus tard, à Saint-Ouen ; il avait quarante ans. Il y resta sept ans ; seul vicaire pendant deux ans de cette paroisse de 23 000 habitants, la « paroisse des chiffonniers ». Il s'occupa avec dévouement de ces paroissiens misérables et, pour la plupart, sans religion. En sept ans, le nombre des premiers communiants passa de cent à quatre cents par an ; et il secourait le plus possible les détresses.
Le 14 septembre 1900, le Père Lamy était installé curé de La Courneuve, qui était alors un pays de maraîchers. Il y resta vingt-trois ans. Là encore, il s'occupa très spécialement des enfants et des jeunes gens, sans négliger les adultes. Le dimanche, les offices, instructions et réunions se succédaient sans interruption ; le pauvre curé avait à peine le temps de déjeuner et, le soir, il était épuisé. Très bon musicien, le Père Lamy soignait les offices ; on chantait en latin, mais il conservait précieusement les vieux cantiques, riches de doctrine.
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Il organisa un patronage d'hommes, à une époque où la pratique religieuse masculine était nulle ; en 1914, il en avait quarante-neuf ; il arrivait à les faire communier une fois par an ; si ce n'était pas à Pâques, c'était à la Toussaint. La guerre désorganisa tout.
Le Père Lamy était très assidu à visiter les malades, de jour et de nuit, et il lui arriva d'être guidé surnaturellement au chevet de malades inconnus de lui. Il vivait en effet, dans la compagnie de la Sainte Vierge et des anges qui lui apparaissaient ou se faisaient en tendre de lui. L'épisode le plus connu de sa vie en est une illustration. Depuis 1909, le Père Lamy avait eu par la Sainte Vierge la révélation de la guerre prochaine et il l'annonça à de nombreuses personnes. La Sainte Vierge lui avait promis de protéger son pays natal, Le Pailly, de l'invasion, et en effet Le Pailly fut épargné Pendant la guerre, il y avait sept hôpitaux à La Courneuve, et il avait parfois jusqu'à huit cent prêtres dans ces hôpitaux. Quelques jours avant le 15 mars 1918 le Père Lamy nettoyait les vitraux de son église quand il entendit les anges dire : « Il fait là un travail bien inutile. » Il comprit qu'une explosion allait pulvériser les vitraux et produire combien d'autres dégâts et de victimes. Il se mit en prière, ne demandant qu'une seule chose : que les vies soient épargnées. Il revenait de Paris et se trouvait à Aubervilliers à cent mètres de l'église, au moment où le dépôt de munitions de La Courneuve sauta, provoquant d'effroyables dégâts matériels dans un rayon de plusieurs kilomètres, faisant neuf cents blessés, pas un seul mort. Dieu avait exaucé son serviteur. Celui-ci se précipita au secours des blessés. Lorsqu'il put enfin rentrer dans son église, il n'y trouva non seulement les vitraux pulvérisés, mais même des pierres arrachées par la violence de l'explosion ; le tabernacle était endommagé, et le ciboire reposait sur le corporal miraculeusement soutenu en l'air, sans point d'appui. L'archiprêtre de Saint-Denis vint constater le miracle et transporta le Saint-Sacrement au tabernacle du maître-autel.
Le Père Lamy, favorisé de nombreuses apparitions de Notre-Seigneur, continua son ministère à La Courneuve. Mais sa santé déclinait, sa vue faiblissait. En 1923, il démissionna. Il passait l'hiver dans une infirmerie parisienne et la belle saison au Pailly, avec sa sœur et son beau-frère. A la suite d'une apparition de la Sainte Vierge à Gray en 1909, il y avait établi une chapelle à Notre-Dame des Bois ; un pèlerinage, qui subsiste encore aujourd'hui, y avait lieu le dimanche qui suit le 8 septembre. L'idée lui était venue de fonder une congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie. Ce projet paraissait peu raisonnable à son âge et compte tenu de ses infirmités. En 1930, un essai de fondation fut fait à Notre-Dame de Chambourg, au diocèse de Tours ; ce fut un échec ; en janvier 1931, le Père Lamy libérait ses derniers novices.
Le 1^er^ décembre 1931, le Père Lamy mourait presque subitement chez son ami, le comte Biver, à Jouy-en-Josas. (Le livre n'est pas très bien ordonné : le récit de la mort du Père se trouve en tête du livre, page XVIII.) Son corps -- fut ramené et inhumé à La Courneuve.
Plusieurs chapitres du livre sont consacrés aux nombreuses apparitions de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, des anges, de saint Joseph, dont le Père Lamy fut favorisé.
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Dix ans après la mort du Père Lamy, le comte Biver et un de ses amis entreprirent de réaliser la fondation des Serviteurs de Jésus et Marie. Le 2 octobre 1941, ils s'établirent à Ourscamp (Oise). Les cisterciens de la commune observance prêtèrent leur concours, et le 15 juillet 1948 l'évêque de Beauvais érigeait la fondation en institut de droit diocésain. Une sérieuse question se pose au sujet de cette fondation posthume : dans quelle mesure correspond-elle à la pensée et à la volonté du Père Lamy ? Nous avons l'exemple des fondations qui se réclament du Père de Foucauld et qui en réalité n'ont pas grand chose à voir avec le célèbre ermite du Sahara. Les Serviteurs de Jésus et Marie ne nous sont connus que par les quelques pages (154 à 164) que leur consacre le livre ; ces pages ont été rédigées en 1966 par le supérieur général de l'institut. Que sont devenus les Serviteurs de Jésus et Marie dans la crise post-conciliaire ? Nous l'ignorons. De la vie d'Édouard Lamy, il faut retenir l'exemple d'un jeune homme, puis d'un prêtre totalement consacré au service de Dieu et des âmes et spécialement aux œuvres de jeunesse et, de surcroît, favorisé de grâces mystiques exceptionnelles. On retirera grand fruit en lisant sa vie, et nous ne pouvons que recommander le livre. En d'autres temps, on aurait pu espérer une béatification. Si l'on considère l' « enterrement » systématique des causes de Pie IX, du cardinal Merry del Val, du Père de Foucauld, et de François et Jacinthe de Fatima, il n'y a aucune illusion à se faire. Si un culte public ne peut leur être rendu, ces bons serviteurs de Dieu et le Père Lamy sont pour nous des modèles ayant donné, dans les temps modernes, l'exemple de la sainteté qui ne fait jamais défaut à l'Église.
Jean Crété.
### Bibliographie
#### J. J. Servan-Schreiber *Le défi mondial *(Fayard)
Après *Le défi américain* qui, il y a une dizaine d'années, connut un grand succès, J. J. Servan-Schreiber publie *Le défi mondial.*
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Le titre d'hier avait un sens, du moins dans la mesure où le mot français « défi » traduit le mot américain « challenge ». L'Amérique lançait un défi à la France et à l'Europe par ses méthodes modernes de production et de vente. Il importait de relever le défi, c'est-à-dire de suivre son exemple. Le titre d'aujourd'hui ne signifie rien. Peu importe, répondrait sans doute l'auteur, puisqu'on le comprend. On le comprend, en effet, mais de manière confuse. Cette confusion s'étend malheureusement au livre lui-même. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de trois choses bien distinctes : 1) Le problème du pétrole qui s'élargit en problème général de l'énergie, 2) le défi japonais qui relaie le défi américain et menace l'Amérique tout autant que l'Europe, 3) le problème-défi de l'informatique qui vu comme un problème et ressenti comme un défi, serait en réalité la solution mondiale de tous les problèmes qui constituent la crise actuelle.
Le thème central du livre est l'informatique et, plus précisément, cette dernière incarnation de l'informatique qu'est le *microprocesseur.* Celui-ci « est, très simplement, une microplaquette de sable compact sur laquelle est imprimée toute la chaîne de travail d'un ordinateur : l'unité de calcul, la mémoire de données, la fonction de programmes, l'unité de sortie » (p. 360). Autrement dit, le microprocesseur est un ordinateur miniaturisé, quasiment microscopique, d'une capacité de travail et de vitesse défiant l'imagination.
C'est parce que le Japon s'est lancé à corps perdu dans l'informatisation universelle de ses activités qu'il est en train de conquérir tous les marchés, surclassant tous ses concurrents par la qualité et le prix de ses produits.
Une question vient naturellement à l'esprit : le Japon, en mettant à genoux l'Europe et l'Amérique ne va-t-il pas plonger le monde dans le chaos absolu et déclencher la guerre universelle ? Non, répond l'auteur qui donne l'exemple du plan Marshall. Après la dernière guerre, l'Europe était exsangue et l'Amérique régnait sur la planète. Marshall a compris que le relèvement de l'Europe lui serait plus profitable que son anéantissement. D'où ce « miracle » d'une prospérité partagée où l'Amérique gardait seulement sa prédominance. Le Japon, aujourd'hui, a également intérêt à communiquer ses méthodes et son exemple, ce qu'il semble comprendre. Pour vendre des produits, il ne faut pas seulement partager les moyens de les acheter mais les moyens mêmes d'en faire d'autres, car ce sont finalement les produits qui s'échangent contre les produits. La croissance se bloque si elle se fait monopolisatrice.
Dans un ballet d'optimisme auquel il nous invite J.J.-S.S. voit donc dans la convergence du quasi-monopole du pétrole détenu par les pays arabes, du quasi-monopole de l'informatique, détenu par le Japon, du quasi-monopole de l'expérience politico-économique et de l'importance du marché solvable de l'ensemble américano-européen, enfin du monopole absolu des besoins et de la disponibilité du Tiers-Monde, les chances d'un progrès sans précédent de l'humanité.
Cette vision a toutes les séductions de l'utopie. Les objections se présentent d'elles-mêmes. Celle-ci tout d'abord : en quoi le microprocesseur peut-il résoudre la crise de l'énergie ? Jusqu'à présent, dans l'histoire du monde, le progrès économique a été assuré par le développement couplé de la machine et de l'énergie, l'une portant l'autre. Mais la machine ne remplaçait pas l'énergie, elle la postulait.
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En quoi l'informatique peut-elle remplacer l'énergie ? Qu'il y ait, comme le dit l'auteur, une relation fondamentale « entre l'énergie, la matière et l'information », on l'admet sans peine ; mais relation n'est pas identité. Passe, sur la foi des savants, pour l'identité entre l'énergie et la matière, mais entre celles-là et l'information ? J.J.-S.S. nous fait miroiter, grâce à l'information, la prochaine maîtrise du soleil et de la fusion nucléaire, puis celle de la vie par « l'ingénierie biologique » (pp. 447 et s.). Tout est possible, mais ce n'est pas pour demain.
Allons plus loin. Supposons que tous ces progrès techniques soient réalisés à bref délai, le problème qu'ils poseraient au monde serait tel que la crise qui en résulterait serait sans commune mesure avec celle dans laquelle nous sommes entrés.
A cette objection J.J.-S.S. répond par une affirmation gratuite : ce que nous prenons pour un problème est en réalité la solution. Le microprocesseur supprimera le chômage, car il exige tellement de cerveaux d'œuvre -- on n'ose employer l'expression main-d'œuvre -- que la population quelle qu'elle soit aura peine à fournir aux emplois. Et comme le cerveau d'œuvre peut apprendre, grâce au microprocesseur (!), son métier en quelques mois, même s'il ne sait ni lire ni écrire, la révolution tranquille d'un monde unifié dans la prospérité, la liberté, D'égalité et la fraternité se fera en un rien de temps.
Bref, ce que nous annonce J.J.-S.S., c'est l'avènement du meilleur des mondes -- le monde robotisé, qui remplacera celui où « les doctrines, les dogmes, les conclusions figent le temps, la pensée et la vie » (p. 457). Marx et sa lutte des classes, Teilhard et sa complexité-conscience cèdent le pas au microprocesseur de J.J.-S.S...« Une matière jusqu'à présent inerte et ignorée mais inépuisable, le silicium du sable, devient sous le simple regard intelligent de l'homme la ressource des ressources » (p. 445). Le roseau pensant fait surgir de l'entropie des rivages désolés du futur la néguentropie de sa pensée.
L'auteur du *Défi mondial* est suffisamment connu pour qu'on n'ait pas à dénoncer sa volonté de provocation. Il connaît toutes les ficelles du métier et n'hésite pas à en faire des câbles. Qu'il irrite ou qu'il plaise, son but est atteint pourvu qu'on parle de lui et de son livre. Faut-il alors faire le silence ? Nous ne le pensons pas. On a beau savoir en gros tout ce dont il parle, on ne le sait pas en détail. On s'instruit à le lire, et d'abord des dangers, tant spirituels que physiques, qui menacent notre planète. Nous avons donc d'abord à réagir spirituellement à la robotisation du monde. Plus que jamais sont actuels les mots célèbres de Bergson appelant à un supplément d'âme pour le corps agrandi de l'humanité.
Nous avons aussi à réagir intellectuellement et en l'espèce politiquement. Simple instrument, l'informatique est neutre. Elle assumera les fonctions que nous lui fixerons. Il faut s'en occuper activement, car d'elle-même, multipliant les pouvoirs de l'homme, elle accroît d'abord le pouvoir de l'État. L'idéologie socialiste à cet égard fait le lit du totalitarisme. Il y a vingt-cinq ans, nous avons publié un petit livre sur l'automation (coll. « Que sais-je ? »). Dans le dernier chapitre nous posions cinq questions : 1) L'automation se freine-t-elle elle-même ?, 2) L'automation accentue-t-elle la centralisation ?, 3) L'automation tuera-t-elle les petites entreprises ?, 4) L'automation mène-t-elle à l'étatisme ?, 5) L'automation libère-t-elle ou asservit-elle ?
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Nous expliquions qu'à chacune de ces questions deux réponses contraires pouvaient être données et qu'elles dépendaient de l'intelligence et du vouloir de l'homme. C'est vrai pour le microprocesseur comme pour l'ordinateur géant et même pour la machine.
*Le Défi mondial* néglige le problème spirituel et le problème politique dans son ensemble parce qu'il croit au bienfait du progrès comme on y croyait au XIX^e^ siècle. Il esquisse cependant la politique internationale qui devrait accompagner la diffusion de l'informatique, et cette esquisse, assez vague, est raisonnable dans la mesure où il montre que l'Occident, le Japon, les pays arabes et le Tiers-Monde ont intérêt à associer leurs capa-cités et leurs besoins.
Avec quelques amis étrangers, l'auteur a constitué un « Groupe de Paris » qui est un peu la réplique du « Club de Rome » dont il s'est inspiré pour s'y opposer ou le compléter. De juillet 1979 à août 1980, le Groupe de Paris a tenu onze réunions à Hambourg, Paris, Zurich, Tokyo, New Delhi, Koweït, Riyad, Paris, Washington, Alger, Koweït et Paris. *Le Défi mondial* est la synthèse des informations et des idées apportées par les membres du groupe. Quelle que soit l'inexistence (ou le matérialisme) de sa philosophie, un tel livre est incontestablement utile par la réflexion à laquelle il oblige le lecteur. L'industriel et l'ingénieur n'y peuvent trouver qu'un aiguillon à l'innovation. A cet égard, on ne peut nier le service que l'auteur rend à son pays.
Ceci dit, nous en avons assez dit pour que chacun, devant cette accumulation de matière subtile, estime devoir à sa place et à son rang, s'appliquer à « bien penser ». Le défi que nous lance le microprocesseur, c'est de l'intégrer lui-même à la « Sagesse éternelle », chère à Grignion de Montfort et à Jean-Paul II. Vaste programme, auquel il peut nous aider, mais qu'il n'exécutera que si nous le lui assignons.
Louis Salleron.
#### Centre de Recherches d'Histoire Religieuse de l'Université d'Angers *Histoire de la messe. XVII^e^-XIX^e^ siècles*
Professeur à l'Université d'Angers et directeur du Centre de recherches d'histoire religieuse de ladite Université, Jean de Viguerie publie aujourd'hui les Actes de la troisième rencontre du Centre, organisée à Fontevraud le 6 octobre 1979.
Le volume (172 pages, 16 24) comprend les communications suivantes :
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-- *La dévotion populaire à la messe dans la France des XVII^e^ et XVIII^e^ siècles,* par Jean de Viguerie. Ce qui m'a frappé le plus dans cette excellente étude, c'est de constater à quel point la « messe de paroisse » de cette époque est, dans sa théologie, son rite, sa pratique, la même que la grand messe que nous connaissions partout à la campagne avant Vatican II.
-- *L'eucharistie et le concile de Trente,* par Charles Tesseyre, professeur agrégé au lycée d'Agen. -- Présentation des décrets et canons conciliaires sur l'eucharistie et conséquences de la doctrine du concile.
-- *Les controverses sur la messe à la fin du XVI^e^ siècle et au début du XVII^e^ siècle,* par Louis Desgraves, inspecteur général des bibliothèques de France. -- C'est le premier état de l'opposition du protestantisme au catholicisme.
-- *La messe et le prêtre dans l'esprit de l'école française de spiritualité,* par Raymond Darricau, maître assistant à l'Université de Bordeaux III, président de la Société des bibliophiles de Guyenne. -- Où domine le grand nom de M. Olier, largement cité.
-- *Les sources liturgiques anciennes et les missels français du XVIII^e^ siècle. Le missel monastique de Saint-Vanne* (*1781*)*,* par Pierre Jounel, professeur à l'Institut supérieur de liturgie (Institut catholique de Paris). -- Savante étude d'un missel monastique. Notons cette information : « La prière eucharistique de tous les Missels français n'apporte aucune variante à l'antique Canon de la Messe » (p. 72).
-- *Les explications de la messe en France du XVI^e^ au XVIII^e^ siècle,* par Dom Oury, moine de Solesmes. -- Inventaire d'une abondante littérature dominée par l'ouvrage du P. Pierre Le Brun, de l'Oratoire : « Explication littérale, historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la Messe, suivant les anciens auteurs et les monuments de toutes les Églises du monde chrétien, avec des Dissertations et des Notes sur les endroits difficiles et sur l'origine des Rits » (4 volumes, 1716-1726).
-- *Une méthode d'éducation chrétienne vers 1705 : saint Jean-Baptiste de la Salle, les enfants et la messe,* par Yves Poutet, frère des écoles chrétiennes, docteur ès lettres. -- Où l'on voit le très fin psychologue que fut saint Jean-Baptiste de la Salle, dont *Les devoirs d'un chrétien* fut un « véritable best-seller de l'édition catéchétique au XVIII^e^ siècle » (p. 99).
-- *La messe et l'autel, constructions et décorations d'autels en Anjou aux XVII^e^ et XVIII^e^ siècles,* par B. Lauvrière. -- Ce qui m'a frappé dans cette communication c'est la vitalité *locale* de l'art et de l'artisanat à cette époque.
-- *Fondations et demandes de messes à Angers à la veille de la Révolution,* par Jacques Maillard, maître assistant à l'Université d'Angers. -- Étude menée à partir du dépouillement de 158 testaments rédigés par des habitants des 16 paroisses d'Angers, en 1786 et 1787. L'auteur souligne le « net déclin des demandes de messes à Angers, dans les années qui précèdent la Révolution » (p. 138). Mais ce qui m'a frappé, c'est que parmi les 158 testateurs on trouve 13 marchands, 34 maîtres des métiers, 19 compagnons des métiers, 3 aubergistes, 1 jardinier, 1 porteur d'eau, 3 pêcheurs, 3 soldats, 27 journaliers, 17 domestiques (p. 134), ce qui montre à quel point l'aisance était répandue.
-- *Les fondations dans le diocèse de Nantes de 1800 à 1850,* par Marius Faugeras (Université de Nantes). -- Minutieuse étude des catégories de donateurs, des institutions et organismes bénéficiaires, de la diversité des legs, des conditions posées et des conflits avec les héritiers naturels.
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-- *Les messes clandestines en France entre 1793 et 1802,* par René Pillorget, professeur à l'Université de Picardie, et Suzanne Pillorget maître assistant à l'Université de Paris-Sorbonne. -- Il n'y eut pas seulement les messes clandestines célébrées par les prêtres réfractaires, il y eut aussi, faute de prêtres, les « messes » célébrées par des laïcs (notamment les « messes de maîtres d'école »). « Lorsque le Concordat est signé et mis en application, un certain nombre de ceux qui ont été les plus fermes durant la persécution s'indignent de voir des jureurs maintenus ou promus à l'épiscopat (...). Ils adhèrent au schisme de la Petite Église (...). Durant neuf ans, bien des chrétiens ont associé l'idée d'orthodoxie à celle du culte caché » (pp. 163-164). Les deux auteurs se bornent à cette constatation historique. Peut-être pouvons-nous en tirer la leçon que si Rome continue à ignorer le problème actuel de la messe en France nous risquons d'avoir demain deux Petites Églises : celle des traditionalistes fidèles à la messe de saint Pie V et celle des progressistes installés dans leurs A.D.A.P. (assemblées dominicales en l'absence de prêtres).
On excusera cette sèche énumération. Elle nous a paru préférable à une recension plus élégante de forme mais qui eût risqué de masquer la richesse de ces Actes dont la variété et la documentation (puisée aux sources et souvent inédite) composent le meilleur tableau de la messe à la fin de l'ancien régime. A comparer ce qui *était* en ce temps-là et ce qui *est* aujourd'hui, on n'est pas heureux. Du moins l'Histoire, en nous révélant ce que nous avons perdu, nous invite-t-elle à le retrouver. C'est une manière comme une autre de nous encourager.
L. S.
#### Frère Bruno Bonnet-Eymard *Notre-Dame de Guadalupe *(Contre-Réforme catholique)
Après avoir publié, ces dernières années, des études savantes et convaincantes sur l'authenticité du Saint-Suaire de Turin, le Frère Bruno Bonnet-Eymard publie dans la *Contre-Réforme Catholique* (supplément au n° 157 de septembre 1980), une très intéressante étude : *Notre-Dame de Guadalupe et son image merveilleuse devant l'histoire et la science.* Le Frère Bruno est allé lui-même à Mexico au moment où le *Centro de Estudios Guadalupanos* tenait son congrès sur les anti-apparitionistes et la valeur historico-critique de leurs arguments.
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Car, bien entendu, ceux qui rejettent toute intervention surnaturelle ont élaboré des thèses, d'apparence savante, pour tenter de prouver que le culte de Notre-Dame de Guadalupe est le résultat d'un syncrétisme identifiant la Sainte Vierge à la déesse-mère Tonantzin, et son image une peinture du XVII^e^ siècle. C'est le cas, en France, de Jacques Lafaye et de Jacques Soustelle.
Le Frère Bruno raconte d'abord les faits :
Le 9 décembre 1531, un indigène mexicain, Juan Diego, baptisé en 1524, est favorisé d'une apparition de la Sainte Vierge dont nous avons de nombreux récits anciens. La Sainte Vierge demande qu'on lui construise une chapelle au lieu de l'apparition. Juan Diego va trouver l'évêque. Le soir même il a, au même lieu, une nouvelle apparition de la Sainte Vierge. Le lendemain, il retourne trouver l'évêque qui demande un signe. La Sainte Vierge envoie Juan Diego cueillir un bouquet de fleurs au sommet de la colline et les porter à l'évêque. Lorsqu'il ouvrit son manteau pour montrer les fleurs, l'évêque et tous les assistants virent l'image de la Sainte Vierge miraculeusement peinte sur le manteau blanc de Juan Diego. L'évêque se fit conduire au lieu de l'apparition, puis emporta le manteau marqué de la précieuse image, d'abord dans son oratoire, puis dans l'église majeure des Franciscains.
Puis la chapelle fut construite sur le lieu de l'apparition et l'image miraculeuse y fut transportée. De nombreux miracles accompagnèrent ces événements. Une source miraculeuse jaillit au lieu de la quatrième apparition et de nombreuses guérisons, au cours des siècles, ont été obtenues par cette eau.
Puis le Frère Bruno expose et réfute le mythe du syncrétisme idolâtre inventé par les écrivains rationalistes. Il montre que la sainte image ne peut pas être une peinture indienne. Nous n'entrerons pas ici dans les détails qui sont très nombreux, très savants et absolument convaincants. De nos jours, des expertises savantes ont été faites ; elles ont confirmé que les colorants de l'image n'étaient ni animaux, ni végétaux, ni minéraux. Surtout, elles ont permis de découvrir un détail qui n'était pas visible à l'œil nu : dans les yeux de la sainte image, on peut, à la loupe ou avec des instruments ophtalmologiques, voir le reflet d'un homme qui ne peut être que le voyant, Juan Diego, reflété par un œil vivant. Le Frère Bruno y consacre de longues pages et plusieurs photographies. Un livre entier a été consacré par l'écrivain mexicain Carlos Solinas à ce reflet de Juan Diego dans les yeux de la Vierge miraculeuse.
Du point de vue théologique, précisons que l'authenticité de l'image de Notre-Dame de Guadalupe de Mexico a été reconnue par Benoît XIV, pape « critique » plus que tout autre. Ce miracle, survenu dix ans seulement après la conquête espagnole, a beaucoup contribué à la conversion des Indiens et il a incité les Espagnols à traiter les Indiens plus humainement. Il y a eu, certes, bien des excès dans la conquête. Mais c'est un fait que les Espagnols et les Portugais catholiques se sont unis par de nombreux mariages aux indigènes, donnant naissance à des races fortement métissées ; alors que les Anglais protestants ont exterminé en grande partie les Indiens d'Amérique du Nord et parqué les survivants dans des « réserves ». La conquête de l'Amérique par les Européens entrait dans le plan de la Providence seule, cette conquête pouvait apporter aux Indiens la vérité révélée.
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Ce but a été atteint en Amérique latine qui est un bastion du catholicisme, et d'un catholicisme sans préjugés raciaux ni sociaux. On comprend donc que l'apparition de Notre-Dame de Guadalupe soit survenue dès les débuts de la conquête : la Sainte Vierge prenait sous sa protection les peuples du nouveau monde ; sa merveilleuse image fut et reste un centre de pèlerinage très fréquenté. Notre-Dame de Guadalupe est patronne principale, non seulement du Mexique, mais de toute l'Amérique latine. Puisse-t-elle la protéger de la révolution qui la menace aujourd'hui.
Jean Crété.
#### Dom Jacques de Bascher *La Vierge noire de Paris *(Téqui)
Nombreux ceux qui ignorent l'existence d'une Vierge noire à Paris. Elle y est pourtant l'objet d'une très ancienne dévotion. A l'origine, cette Vierge se trouvait à Saint-Étienne des Grès, au Quartier Latin, église qui date du VI^e^ siècle. La statue que nous avons est du XVI^e^. Sans doute remplace-t-elle une effigie plus ancienne, disparue. Elle est connue sous le vocable de Notre-Dame de la bonne délivrance. On ne compte plus ceux qui la prièrent et en furent aidés : saint François de Sales, le père Olier, saint Vincent de Paul, entre des milliers d'autres. En 1533 se fonde la Confrérie royale de Notre-Dame de la bonne délivrance. Elle mourra au XVIII^e^ siècle sous les chicanes du Parlement de Paris. A la Révolution, l'église est désaffectée. La statue court le risque d'être détruite. Mais elle est rachetée par la comtesse de Saint-Maurice qui la cache pendant la Terreur, preuve d'un beau courage (les « patriotes » ne plaisantaient pas avec la « superstition »). En 1806, la comtesse donne la statue aux religieuses de saint Thomas de Villeneuve, rue de Sèvres. Nouvelles menaces sous la Commune, mais de fait, c'est le métro qui aura raison du nouvel asile : la chapelle qui abrite la statue est expropriée en 1906. Depuis, Notre-Dame de la bonne délivrance est à Neuilly, toujours chez les sœurs de Saint Thomas.
Une photo la montre, l'Enfant sur un bras, tenant de l'autre main un lys. Il y a un autel moderne devant celui qu'elle surmonte. A chaque messe, le prêtre lui tourne sans doute le dos, post-conciliairement.
Les théologiens de la « libération » se soucient-ils encore de la « délivrance » ?
Georges Laffly.
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#### Charles Daney *Le Transsibérien *(Herscher)
La société de géographie possède des milliers de photos prises au XIX^e^ siècle par des voyageurs qui n'étaient pas encore des troupeaux de touristes. Ils ont saisi, conservé, les traces d'un monde qui disparaissait à mesure qu'on le découvrait.
Charles Daney a eu l'excellente idée de publier un certain nombre de ces documents. Le premier volume est ce « Transsibérien ». Vaste sujet, d'autant que l'auteur a ordonné son texte et ses images de telle façon qu'il montre la colonisation russe de la Sibérie par le rail. Dans le Far-East comme dans le Far-West, la civilisation européenne, ses juges, ses usines, ses théâtres et ses journaux avançaient avec la locomotive. Et les Russes essaimaient le long des rails. Une colonisation de peuplement renforçait le dessein politique du Tsar.
Excellent texte. Étonnantes photos. Fillettes tatares dansant devant un mur de pierres sèches une image qu'on croirait venue de Kabylie. Rassemblement de Kirghizes, les uns coiffés de chéchias, les autres de la casquette russe, famille Kirghize dans sa tente envahie de tapis, Goldes qui sentent la Chine, soldats cosaques, trappeurs, chercheurs d'or, ponts, petites gares, bateaux à vapeur, et wagons-salons où trône le samovar, c'est la Sibérie des fils de Michel Strogoff, étonnamment lointaine et présente.
G. L.
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## Informations et commentaires
### Jacques Maritain et Saul Alinsky
Dans *Le paysan de la Garonne* (1966) Jacques Maritain écrit « (*...*) *Je ne connais qu'un exemple de* « *révolution chrétienne *» *authentique, c'est celle que le Président Eduardo Frei tente en ce moment au Chili, et il n'est pas sûr qu'elle réussisse.* (*C'est vrai aussi que parmi mes contemporains encore en vie tandis que j'écris ces lignes je ne vois guère dans les pays d'Occident que trois révolutionnaires dignes de ce nom. Eduardo Frei au Chili, Saul Alinsky en Amérique, et moi en France, qui compte pour du beurre, puisque ma vocation de philosophe a tout à fait obnubilé mes possibilités d'agitateur...*) » (p. 41).
En note, Maritain nous informe que « *Saul Alinsky, qui est un de* (*ses*) *grands amis, est un indomptable et redouté organisateur de* « *communautés populaires *» *et leader anti-raciste, dont les méthodes sont aussi efficaces que peu orthodoxes *»*.*
Maritain joue les modestes. Ses possibilités d'agitateur ont été fécondées par sa vocation de philosophe, comme chez Marx, chez Sartre et chez tant d'autres. Il a été le révolutionnaire par excellence, ayant porté *in sinu gremioque Ecclesiae* les germes d'une autodestruction qui donnait ses meilleures chances à la révolution communiste. C'est ainsi que son disciple et ami Eduardo Frei conduisit Allende au pouvoir avec les beaux résultats que l'on sait.
Sur Alinsky, mort en 1972, nous étions moins renseignés. Nous le sommes maintenant grâce à Hamish Fraser qui, dans *Approaches* de la Toussaint 1980, n° 71 (1 Waverley Place, Saltcoats, Ayrshire KA 21 5 AX, Scotland) consacre un long article (56 pages) à *Jacques Maritain et Saul Alinsky pères de la* « *Révolution chrétienne *»*.*
En attendant la traduction intégrale de l'article signalons-en quelques passages.
« Alinsky était si estimé par Maritain que ce dernier n'hésita pas à le présenter à son distingué ami et disciple, alors archevêque de Milan, Mgr Giovanni Battista Montini, le futur Souverain Pontife Paul VI, « *avec lequel il passa une semaine à discuter des relations entre l'Église et les cellules communistes locales *» ([^19])*.*
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Comme Alinsky le rappelle : « *Ce fut un contact intéressant entre l'archevêque Montini et une belle blonde aux yeux gris, militante d'une cellule communiste milanaise avec laquelle j'explorais les intérêts communs qui relient entre eux le communisme et le capitalisme *» ([^20])*.*
Notons au passage que le grand ami de Maritain -- qui le considérait de surcroît comme « l'un des rares véritables grands hommes de ce siècle » ([^21]) -- était juif et incroyant. Mais l'œcuménisme de Maritain ne se souciait pas de ces détails pour la révolution chrétienne à laquelle il aspirait. Dans la cité séculière, le lien social peut et doit s'établir autour d'un Credo humaniste qui surplombe la diversité des credos particuliers, religieux ou athées.
Le credo d'Alinsky est sans équivoque. Il « déteste et redoute le dogme ». Certes les idéologies sont des aiguillons nécessaires à l'activité révolutionnaire, mais elles risquent de se durcir en dogmes. Là est le drame. « *Le dogme est l'ennemi de la liberté humaine *» ([^22])*.*
En politique, Alinsky est « radical ». Le radicalisme américain, c'est la gauche révolutionnaire. Pour lui « le pouvoir populaire est l'objectif réel ». Il l'entend au sens socialo-communiste. Il reproche à Machiavel d'avoir écrit *Le Prince* pour enseigner à « ceux qui ont » (*The Haves*) la manière de conserver le pouvoir. Lui écrit ses « Règles pour les radicaux (*Rules for Radicals*) afin d'apprendre à « ceux qui n'ont pas » (*The Have-nots*) la manière de prendre le pouvoir en en chassant les détenteurs (p. 11). Il s'agit, dans son esprit, d'un enseignement *moral.* Machiavel croit que la politique réaliste est étrangère à la morale. Alinsky professe qu'elle est au contraire très morale car les mains qui se salissent pour instaurer la justice sont purifiées par le succès de la révolution (p. 10). Manifestement cette pensée intrépide fascine Maritain qui n'oserait pas l'exprimer aussi carrément. Maritain se contente d'engendrer Frei, qui engendre Allende, qui ne peut engendrer que Pinochet ou un nouveau Staline. Si c'est Pinochet qui arrive, il sera temps de le dénoncer comme un nouveau Staline. (Et si c'est Staline, il suffira d'attendre quelque temps pour dire que son action a été finalement positive et qu'il appartient désormais aux chrétiens d'en baptiser les effets diaboliques.)
Quant à la morale personnelle d'Alinsky, c'est celle de la permissivité intégrale. Lui-même, marié trois fois, a divorcé une fois (p. 15. -- J'imagine que la troisième femme est morte.). En tout sa morale est sans obligation ni sanction -- pas plus dans l'autre monde qu'en celui-ci. S'il y a une vie après la mort, il déclare faire choix de l'enfer et s'en explique : « L'enfer serait le paradis pour moi. Toute ma vie j'ai été avec les *Have-nots.* Ici-bas, si vous êtes un *Have-not,* c'est le fric qui vous manque. Si, en enfer, vous êtes un *Have-not* c'est la vertu qui vous manque. Dès que je serai en enfer, je commencerai à y organiser les *Have-nots...* C'est avec ce genre d'individus que je me sens dans mon élément » (p. 16).
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Boutade, si l'on veut, mais à laquelle il entend donner tout son poids en tirant son chapeau à Lucifer « le premier *radical* connu qui se dressa contre l'*establishment* et le fit si efficacement qu'il y gagna du moins son propre royaume » (p. 16).
On se doute bien qu'Alinsky fut un compagnon de route des communistes. Il s'en vante. Rappelant les années 30, il proclame : « Quiconque prétend avoir alors travaillé activement dans les mouvements de progrès, sans relation aucune avec les Rouges est un sacré menteur. » Faisant probablement allusion à la guerre d'Espagne, il déclare : « J'ai joué un rôle important dans la collecte de fonds pour la Brigade internationale et j'ai, à ce titre, agi en liaison étroite avec le parti communiste » (p. 17). On pourrait dire, en gros, que son attitude à l'égard du communisme est celle d'un Sartre. Mais sa philosophie, si l'on peut employer ce mot, est celle d'un vague sentimentalisme révolutionnaire accueillant toutes les chapelles dans son panthéon utopique. Il fait siennes toutes les valeurs qui ont été « les drapeaux de l'espoir et du désir dans toutes les révolutions, aussi bien « Liberté, Égalité, Fraternité » de la Révolution française que « le pain et la paix » de la Révolution russe et « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux » du brave peuple espagnol » (p. 40). A l'Église, universellement œcuménique, d'assurer quelque cohérence éthique à toutes ces aspirations.
Alinsky semble avoir exercé une grande influence dans les deux Amériques. Mais ce qui nous intéresse le plus, nous autres Français catholiques, c'est qu'il ait pu envoûter Maritain au degré que celui-ci confesse.
A travers Maritain, Mounier, Paul VI et Vatican II, l'histoire de la démocratie chrétienne reste à écrire. L'interdit jeté sur l'Action française par Pie XI en 1926-27 et la « conversion » de Maritain qui en fut le premier fruit en marquent le point de départ. Aujourd'hui le nom seul en survit en Europe, mais elle demeure active en Amérique latine. Ses futurs avatars sont imprévisibles.
Louis Salleron.
#### En Angleterre le choix du défunt doit être respecté pour la messe de ses funérailles
Dans le bulletin de novembre 1380 de la *Latin Mass Society* (n° 46) le président A. Maman rappelle la lettre que lui adressa le cardinal Heenan, à la date du 10 mai 1974, au sujet des messes de Requiem.
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Ayant soumis la question aux évêques : « Ils ont accueilli avec sympathie, écrit-il, l'idée de reconnaître le droit des catholiques à laisser des instructions concernant le rite à observer pour la messe de leurs funérailles. Le clergé sera informé en conséquence. » (*They were sympathetic to the idea of recognising the right of Catholics to leave instructions regarding the rite to be used at their Requiem Mass. The clergy will be accordingly informed.*)
M. Marnan ajoute : « Notre actuel Cardinal (Hume), dans sa sagesse et sa charité, m'a indiqué que la concession pastorale de son prédécesseur, faite au nom de tous les évêques, n'a pas besoin de confirmation nouvelle. »
Certes aucun prêtre n'a besoin d'une autorisation de son évêque pour célébrer la messe des morts, ou toute autre messe, selon le rite traditionnel. Mais qu'il doive, à ce sujet, respecter la volonté du défunt est évidemment une grande consolation pour les familles. L'épiscopat anglais se montre à cet égard plus humain, plus chrétien et plus catholique que l'épiscopat français.
L. S.
#### Saint Thomas d'Aquin patron des écoles chrétiennes
Le 4 août 1880, Léon XIII publiait le Bref *Cum hoc sit* proclamant saint Thomas d'Aquin patron des écoles catholiques. Il répondait par cet acte à de nombreuses demandes émanant d'ordres religieux, de Facultés, d'Académies et de sociétés littéraires. En 1879, Léon XIII avait publié une encyclique demandant la restauration de la philosophie chrétienne selon l'esprit du Docteur angélique, saint Thomas d'Aquin, dans les écoles catholiques. Dans son Bref du 4 août 1880, Léon XIII écrit que « les évêques, les académies, les doyens de facultés et les savants de tous les points de la terre répondirent d'un seul cœur et d'une seule voix qu'ils seraient dociles à ces prescriptions ». Léon XIII se fait quelque illusion s'il prend au sérieux ces belles promesses. Certes, il y eut, à la suite de son encyclique, un mouvement thomiste, qui prit son développement dans la première moitié du XX^e^ siècle, mais après bien des résistances. J'ai eu sous les yeux les cahiers de théologie d'un de mes curés, qui avait fait son séminaire à Orléans de 1901 à 1906. Non seulement le cours n'était pas du tout thomiste, mais le professeur ne parlait des thèses thomistes que pour les tourner en dérision. Le thomisme ne fut adopté à Orléans qu'à partir de 1912 et pour une trentaine d'années seulement.
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Entré au séminaire en 1941, je fus un des derniers à bénéficier de l'enseignement thomiste de M. Tachaux, qui devait mourir en déportation en 1943. Il fut remplacé par M. Jounel, devenu depuis fort célèbre comme réformateur de la liturgie.
A cette bienheureuse et trop courte époque où l'enseignement thomiste était dispensé aux séminaristes, saint Thomas d'Aquin était bien effectivement honoré comme patron des étudiants en philosophie et en théologie ; la journée du 7 mars était un jour de fête ; le matin, la messe de saint Thomas d'Aquin était solennellement chantée ; dans l'après-midi avait lieu une séance académique, en présence de l'évêque. Deux séminaristes, désignés plusieurs mois d'avance, y lisaient l'un une dissertation de philosophie, l'autre une dissertation de théologie ; puis des chants grégoriens et polyphoniques étaient exécutés par les séminaristes ; et la journée se terminait par un Salut du Saint-Sacrement.
L'intention de Léon XIII a été de donner saint Thomas d'Aquin comme patron, non à toutes les écoles catholiques en général, mais aux Facultés, Académies et écoles supérieures, appelées à traiter de philosophie, de théologie ou de sciences humaines ayant quelque rapport avec la philosophie et la théologie, telles que la sociologie, l'anthropologie, l'histoire, la morale, la politique. Il précise en outre que le patronage de saint Thomas d'Aquin ne doit pas faire tort aux patronages déjà existants ; rappelons que sainte Catherine d'Alexandrie est honorée depuis très longtemps comme patronne des philosophes.
Quant aux écoles chrétiennes d'enfants, elles ont pour patron saint Joseph Calasanz, honoré le 27 août. Saint Jean-Baptiste de la Salle étant patron des instituteurs chrétiens est également honoré, par extension, comme patron des écoles enfantines. Les écoles secondaires honorent traditionnellement comme patron saint Charlemagne ; et, même dans les lycées laïcs, sa fête était marquée par un goûter. Mais c'est saint Louis de Gonzague (mort à 24 ans) qui a été donné officiellement comme patron, par Benoît XIII, à la jeunesse étudiante ; c'est donc lui qui devrait être honoré comme leur patron par les lycéens, collégiens et par les étudiants en sciences profanes. Il faut avouer qu'il est bien méconnu aujourd'hui. Il faut souhaiter que chacun de ces saints reprenne la place qui lui a été assignée par l'Église. Saint Thomas d'Aquin doit toujours être le guide et le protecteur de ceux qui s'adonnent à l'étude de la philosophie, de la théologie et des sciences humaines. Plus que jamais, en nos temps troublés, il est un guide très sûr et un modèle dont on ne peut s'écarter sans grand péril.
Jean Crété.
#### Démenti au « Figaro-Magazine » et à « L'Homme nouveau »
Au moment où s'organisait la journée d'amitié française du 30 novembre, il y avait d'autre part un mouvement inverse, venu d'ailleurs, qui cherchait à semer la zizanie.
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Dans le *Figaro-Magazine,* un anonyme (c'est-à-dire donc, déontologiquement, le directeur Louis Pauwels) *inventait* que la création à Paris d'une université catholique par Mgr Lefebvre provoquait des « remous chez les intégristes » et « suscitait de vives polémiques ».
Entre autres, les « partisans de l'abbé de Nantes » auraient, selon ce roman, protesté que le rectorat de cette université aurait dû « être confié à leur chef de file », parce qu'il a « une solide formation théologique et philosophique ».
Langage absurde, invraisemblable et provocateur. Nous faisions observer dans notre précédent numéro qu'il n'était pas plausible que l'abbé de Nantes ait été candidat à une fonction qu'il aurait eu à exercer sous l'autorité de Mgr Lefebvre.
C'était bien le sentiment de l'abbé de Nantes, qui a démenti en termes précis (CRC, n° 159, p. 14) :
« *Comment prétendrais-je à un ministère quelconque dans un Institut religieux auquel je n'appartiens pas ? *»
Ce démenti envoyé au *Figaro-Magazine,* Louis Pauwels ne l'a pas publié.
*L'Homme nouveau* avait intégralement reproduit, sans aucune réserve, les fausses informations de Pauwels. Il n'a pas encore reproduit le démenti de l'abbé de Nantes.
Concernant « les gens » du *Figaro-Magazine,* l'abbé de Nantes écrit avec raison :
« A la vérité, ces gens nous haïssent et ils ne se trompent pas de cible. Ils cherchent à semer la zizanie dans notre traditionalisme catholique pour en détourner leur clientèle par le mépris. Alors ils achèveront de paganiser le milieu *riche-bourgeois* et lui feront partager leur athéisme, leur haine du Christ et de ses prêtres. Pour qui travaillent-ils ? Les derniers numéros le montrent : en vue des présidentielles, pour une réconciliation gaullo-judéo-aristo-maçonnique... »
#### Expliquez-vous, expliquons-nous
Dans *Le Droit de vivre* de novembre 1980, ce curieux entrefilet (reproduction intégrale) :
« *Itinéraires *» est le journal d'expression des intégristes catholiques qui se réclament de Mgr Lefebvre. C'est dire que la prose qui est offerte au lecteur, n'est pas avant-gardiste.
Dans son numéro du 15 octobre, on peut lire dans « Itinéraires » des diatribes vengeresses contre la papauté accusée de se détourner de la bonne voie chrétienne. Mais cela ne nous concerne pas. Par contre, ce qui nous regarde, ce sont les attaques dirigées contre l'immigration et le caractère xénophobe de certains écrits, selon lesquels la présence des travailleurs étrangers, fait que les Français sont de moins en moins nombreux en France.
125:249
La perfidie de l'allusion ne peut tromper personne. Elle s'inscrit dans *une volonté politique de créer un climat de haine à l'égard des immigrés,* que les intégristes veulent bouter hors de France, *sans pour autant s'engager à occuper les emplois qui deviendraient alors vacants.*
Lorsque Mgr Lefebvre invite ses ouailles à faire de la politique « bien entendu une politique chrétienne », on sait ce que cela veut dire : revenir à la féodalité économique et à un « avant 1789 », saupoudré de racisme, de xénophobie et d'antisémitisme.
Que Dieu nous garde des intégristes de ce genre.
Il s'agit non point de la revue ITINÉRAIRES, mais du SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, comme le suggère la référence à un « numéro du 15 octobre ».
Bien entendu ce numéro ne contient aucunement des « diatribes vengeresses contre la papauté », mais seulement nos « trois remarques sur les droits de l'homme, l'évolution conciliaire et le concile lui-même » ; le distingué rédacteur du *Droit de vivre* n'y aura sans doute pas compris grand chose, on voit bien que « cela ne le concerne pas ».
Ce qui « par contre » le « regarde » -- on se demande en quoi -- c'est que nous aurions assuré que « la présence des travailleurs étrangers fait que les Français sont de moins en moins nombreux en France ». Ne pouvant contester l'évidence arithmétique de cette constatation, le *Droit de vivre* affirme que « la perfidie de l'allusion ne peut tromper personne », et qu'elle « s'inscrit dans une volonté politique de créer un climat de haine... »
Nos lecteurs aimeront sans doute avoir sous les yeux le texte contenant la « perfide allusion » aux Français de moins en moins nombreux en France. On comprendra peut-être, en le revoyant, pourquoi le *Droit de vivre* a préféré y faire une simple... « allusion » plutôt que de le citer.
C'est un passage de l'appel du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, celui-ci :
« Par la perversion libéral-socialiste des lois et des spectacles, des idées et des mœurs, le génocide fait que les Français sont de moins en moins chrétiens et se sentent de moins en moins français.
« L'incitation générale à la dénatalité, les ravages de l'avortement, le déracinement des populations, l'immigration sans frontières arrivent à faire que les Français sont de moins en moins nombreux en France.
« La démocratisation de la pornographie vient parachever cette perversion libéral-socialiste : les Français sont de moins en moins des hommes dignes de leurs vocations. »
Ces remarques ne plaisent guère au *Droit de vivre,* c'est une chose. C'en est une autre de tout confondre. Nous ne lui appliquons pas la loi du talion, nous ne le lui rendons pas. Nous ne confondons pas la LICRA, dont le *Droit de vivre* est l'organe, avec le MRAP. La LICRA est simplement antipathique et vraisemblablement maçonnique ; le MRAP est, au sens technique, une courroie de transmission du parti communiste ; ce n'est pas pareil. Avant 1789, il n'y avait ni *racisme,* ni *xénophobie,* ni *antisémitisme ;* ou du moins, s'il y en avait, car tout est dans tout, il n'y en avait pas suffisamment pour qu'on ait éprouvé le besoin de les nommer.
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Le terme *antisémite* apparaît dans la langue française seulement en 1889 ; *antisémitisme* en 1894 ; *xénophobie* en 1906 *; racisme* en 1930 (dates du Petit Robert). Toutes ces belles choses sont venues avec la démocratie (religieuse) moderne.
\*\*\*
Une autre erreur du *Droit de vivre :* il croit que nous voulons *bouter hors de France les immigrés sans pour autant nous engager à occuper les emplois qui deviendraient alors vacants.* Pas du tout. Nous voulons bien nous engager. Nous ne sommes pas pour l'incompétence, nous ne remplacerions certes pas n'importe qui n'importe où. Nous sommes prêts à nous engager selon nos capacités : à occuper, dans les media, les emplois que laisserait vacants le départ de quelques-uns, étrangers à la nationalité française ou à la tradition nationale et religieuse de la France. Chiche !
============== fin du numéro 249.
[^1]: -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 199 de janvier 1976 : *Ceux qui pleuraient* (Tombeau du général Franco).
[^2]: -- (2). Voir ITINÉRAIRES, numéro 231 de mars *1979 : Le parjure de Juan Carlos inscrit dans sa Constitution.*
[^3]: -- (1). Il s'agit de ce qui avait été seulement proposé par la commission au début de l'année 1980 ; l'augmentation a été en fait plus forte, après des discussions très dures. Cependant, selon les chiffres *du gouvernement,* le revenu brut des agriculteurs a baissé dans l'ensemble de 6,2 % en 1980 ; ce qui fait une baisse de revenu net de 10,5 %
[^4]: -- (2). Je vous laisse deviner ce que deviennent les relations de voisinage...
[^5]: -- (3). A titre indicatif, je signale que le litre de lait était payé 1,50 F en 1977 en Norvège, et 1,53 en 1979 en Finlande. Je sais, ces pays ne font pas partie du Marché Commun...
[^6]: -- (4). Plus d'un million ont disparu depuis 1958.
[^7]: -- (5). Il faut remarquer l'habileté diabolique du Parti Communiste. Les paysans se voient acculés à la faillite par la politique du gouvernement. Ce gouvernement étant « la droite », ils se tournent vers « la gauche ». Et justement, le P.C. a créé le MODEF : mouvement d'organisation et de défense des exploitations familiales. Oui, le P.C., celui des kolkhozes ; celui des massacres de paysans, en U.R.S.S.
[^8]: -- (1). Bulletin du tribunal criminel révolutionnaire, n° 95.
[^9]: -- (2). *Archives Nationales,* Jugements du tribunal révolutionnaire, W 296 ; voir aussi : E. CAMPARDON, *Le tribunal révolutionnaire de Paris,* Paris 1862, 2 vol., I, p. 186.
[^10]: -- (23). Joaquim Maria Machado de Assis (1839-1908), au jugement même de Gustave Corçâo, était le plus grand écrivain du Brésil ; et donc pour nous un des plus grands soldats inconnus, dans ce « tombeau de la pensée humaine » qui est selon Corçâo le lot du portugais.
[^11]: -- (24). En français dans le texte de Gustave Corçâo.
[^12]: -- (1). J'ai compris la portée de telles recommandations lorsque j'ai trouvé la constitution apostolique *Christus Dominus* du 6 janvier 1953 et le motu proprio *Sacram communionem* du 19 mars 1957, qui réduisaient le jeûne eucharistique à trois heures. Dans le premier texte, on lit ceci : « Nous voulons cependant confirmer dans toute leur vigueur la loi et la coutume du jeûne eucharistique ; Nous voulons aussi exhorter ceux qui peuvent obéir à cette loi de continuer à le faire ponctuellement de manière que seuls ceux qui s'y trouvent forcés par la nécessité aient recours à ces permissions dans la mesure même de cette nécessité ». Dans le second : « Nous exhortons vivement les prêtres et les fidèles qui sont en mesure de le faire d'observer avant la Messe ou la Sainte Communion, l'antique et vénérable forme du jeûne eucharistique ». A voir ce que les gens ont fait de ces « vives exhortations », on se demande si ces textes ne concernaient que les Bantous et les Apaches, ou bien si tout à coup les fidèles qui pouvaient jeûner avant le 6 janvier 1953 ne le purent absolument plus à partir de cette date, à cause sans doute d'une brusque mutation biologique.
[^13]: -- (2). I.C.I. oct. 79.
[^14]: -- (3). M. Martinie dans *Famille Chrétienne.*
[^15]: -- (4). R.P. J. Renié, *La pensée catholique* n° 144.
[^16]: -- (5). Voir *La liturgie,* Enseignements pontificaux, Solesmes, et surtout les *Institutions liturgiques* de Dom Guéranger.
[^17]: -- (6). A ceux qui se disent, comme moi-même je le pensais, que la *Catena Aurea* est évidemment introuvable, je signale que sa dernière édition (Marietti 1953) est toujours disponible. Il faudrait la traduire pour la faire connaître.
[^18]: -- (1). Du temps de notre jeunesse encore, la communion n'était pas donnée aux messes célébrées après neuf heures. Si l'on voulait communier à une messe plus tardive, il fallait le demander avant la messe.
[^19]: -- (1). *The Professional Radical, Conversations with Saul Alinsky,* par M. K. Sanders, p. 9, Harper and Row, 1970.
[^20]: -- (2). *Id*.
[^21]: -- (3). Interview d'Alinsky dans *Playboy* de mars *1972.*
[^22]: -- (4). P. 9 de l'article d'H. Fraser. Je donnerai désormais les pages de cet article en référence, parce qu'on s'embrouille un peu dans les documents auxquels Fraser se réfère lui-même.