# 254-06-81 II:254 Le socialisme est essentiellement négatif. Il est l'anti-capitalisme. Il naît, vit et meurt avec le capitalisme dont il n'est que le para­site, -- du moins tant qu'il se veut « à visage humain », c'est-à-dire respectueux des liber­tés personnelles. Si au contraire il entend rester logique avec lui-même, c'est-à-dire cohérent avec les conséquences nécessaires de l'abolition de la propriété privée, il débou­che dans le communisme dont l'autre nom est le totalitarisme étatique. Par la contrainte du pouvoir, le communisme redonne à l'éco­nomie le moteur que celle-ci trouve norma­lement dans la contrainte de la liberté. Le socialisme libéral de M. Mitterrand n'est pas une « alternative » au libéralisme socialiste de M. Giscard d'Estaing. Seule une restau­ration de la vérité politique peut assurer de­main à l'activité économique la place subor­donnée où la création des richesses concourra au bien commun. Louis SALLERON : « Force et faiblesse du socia­lisme, réponse à M. Mitterrand », dans ITINÉRAIRES, numéro 208 de décembre 1976. 1:254 ### Écrit en mars 1978 arrivé en mai 1981 *Le pourquoi et le comment\ avaient été expliqués* *Si l'on veut comprendre, il faut prendre le temps de lire et de réfléchir attentivement.* *Les pages que voici sont extraites du numéro 221 d'*ITINÉRAIRES *paru en mars* *1978* (*pages 192 à 200*)*.* Le président Giscard d'Estaing veut étendre sa majorité, en quoi il n'a pas tort, car s'il ne l'étend pas elle risque de n'être même plus une majorité lorsque se feront les comptes du 12 et du 19 mars. Mais vous l'avez également noté : il veut l'étendre sur sa gauche ; seulement sur sa gauche. Voyez son discours de Verdun-sur-le-Doubs, le 27 janvier, et tous autres semblables. Rien, ni un demi-mot, ni un quart de geste, pas même l'ombre d'une promesse, rien pour l'étendre sur sa droite. Il ne désire pas gagner nos suffrages. Je ne sais pas s'il y arriverait, mais il ne fait rien pour les obte­nir. S'ils lui font défaut, c'est donc lui qui en portera la principale responsabilité. \*\*\* La France, dit le président, est divisée en quatre ; elle est divisée entre le parti communiste, le parti socialiste, le parti (ou plutôt, dirons-nous, le conglomérat) giscardo-centriste, et le parti gaulliste ; point c'est tout. Telle est en effet la situation officielle des candidatures, tel est bien sans doute le pays légal, comme disait Maurras, la « classe politique », comme on aime à dire aujourd'hui, bref, la ou les castes dirigeantes de notre démocratie. Ce n'est pas une représentation exacte du pays réel. Prenez le cas des très nombreux Français qui, politique­ment, ont par-dessus tout en horreur le mensonge de gauche (plus haineux et plus vil que tout autre mensonge politique) : un grand nombre ne sont ni gaullistes ni centristes. Ils sont tout à fait disposés à voter contre la gauche, mais pour voter contre la gauche il leur faudrait au second tour, et souvent déjà au premier, voter gaulliste ou voter centriste. Beaucoup d'entre eux n'ont aucune envie de le faire. En tous cas, ils n'ont pas envie de le faire sans quelque honnête compensation politique ou morale. Quel genre de compensation ? Par exemple l'abolition de l'avortement volontaire ; la remise des églises inoccupées aux catholiques traditionnels ; l'instauration de la proportion­nelle scolaire ; l'indexation de l'épargne ; et autres choses semblables, dont nous saurions dresser un ample catalogue si on nous le demandait, et où les partis anti-marxistes, le centriste et le gaulliste, pourraient choisir les compensations à rions promettre, compensations propres à nous convaincre ou au moins nous consoler de voter pour eux. Mais ni le parti gaul­liste ni le parti centriste n'entendent nous proposer aucune compensation. 3:254 Nous appartenons à la seule catégorie d'électeurs à laquelle on ne fasse aucune avance, aucun sourire, aucun baratin. On escompte que notre vote sera automatiquement acquis. On risque de se tromper quand on traite avec autant de mépris une partie de la population française aussi diverse, aussi étendue, aussi importante : il y a bien 25 % de l'électorat, et peut-être bien davantage, qui est vivement hostile à la gauche tout en n'étant ni gaulliste ni centriste ; n'y en aurait-il que 4 ou 5 %, leur abstention aux scrutins de mars, abstention pro­voquée par le mépris giscardien, serait plus que suffisante pour donner la victoire à la gauche marxiste. Je ne sais pas si cela se produira. Ce que je veux dire c'est que, si cela se produit, le président Giscard d'Estaing l'aura bien cherché. \*\*\* Qu'on ne vienne donc pas, avant ou après les scrutins, nous faire les gros yeux en nous suspectant d'abstention coupable. Nos responsabilités politiques, en cette occurrence, auront été infimes. Le voudrions-nous, ce n'est pas nous qui aurions le pouvoir de faire sortir de l'abstention, au profit d'un candidat gaulliste ou d'un candidat giscardien, des électeurs que le gis­cardisme et le gaullisme continuent à mépriser et à tromper. Il appartient aux candidats de trouver eux-mêmes les paroles, les gestes, les assurances, les garanties qui pourraient éventuel­lement obtenir de ces électeurs, à défaut d'une adhésion enthou­siaste, un consentement résigné. Mais non. Gaullistes et giscar­diens travaillent à s'étendre sur leur gauche et non pas sur leur droite. Ils n'ont pas renoncé à se montrer davantage antifascis­tes qu'anti-communistes. Ils ne sont pas disposés à pratiquer ouvertement le « pas d'ennemis à droite » qui pourtant est le plus sûr moyen de n'être pas électoralement submergé par l'as­saut de ceux qui pratiquent le « pas d'ennemis à gauche ». 4:254 Ils subissent, sans oser la contredire, la croyance selon laquelle ce qu'ils nomment le fascisme, la droite, la réaction, est un mal aussi grand ou plus grand que le communisme : cette croyance, quand elle n'est pas combattue, finit tôt ou tard, mais imman­quablement, par porter le parti communiste au pouvoir. #### Le parti communiste : un État dans l'État déjà sous le régime giscardien Mais justement, dira-t-on. Il faut voter, même gaulliste, et même centriste, parce qu'il y a la menace communiste. Certes, la menace existe. Elle est même beaucoup plus réelle, beaucoup plus grave que ne l'imaginent ceux qui l'évoquent seulement lors des consultations électorales, pour capter nos suffrages. Devrions-nous cependant, par anti-communisme, voter pour le parti giscardien et pour le parti gaulliste, l'un et l'autre res­ponsables de l'implantation sans précédent, déjà réalisée, du parti communiste dans la société française ? Il a dès maintenant la puissance énorme et scandaleuse d'un État dans l'État. Il l'a acquise ces dernières années, spécialement sous la présidence Giscard d'Estaing, sous le gouvernement du parti giscardien et du parti gaulliste. Ces deux partis vont-ils se ressaisir et enfin mettre en œuvre une véritable résistance politique à l'im­plantation communiste ? Ce n'est pas impossible. Ce n'est guère probable. On peut assurément concevoir, en théorie, que la nécessité d'un vote anti-communiste passe avant les autres considérations que nous inspire le lourd passif politique du parti gaulliste et du parti giscardien. Il faudrait alors que la portée réellement anti-communiste d'un tel vote soit garantie ou au moins imagi­nable. Comment omettre de remarquer que gaullistes et giscar­diens nous refusent, même sur ce chapitre, le minimum ? 5:254 Qu'on se reporte à l'enquête politique que nous avons publiée dans notre numéro de janvier. Ni le parti giscardien ni le parti gaulliste n'ont pu donner l'assurance qu'ils supprimeraient les subventions gouvernementales à la CGT, principale courroie de transmission du parti communiste. Il est vrai que s'ils nous avaient donné cette assurance, nous leur aurions demandé pour­quoi ils n'avaient pas déjà opéré cette suppression, depuis le temps qu'ils sont au pouvoir. Mais ils ne nous l'ont pas donnée. Ils nous ont même, en substance, donné l'assurance contraire : à savoir que s'ils restaient au pouvoir, ils continueraient à verser à la CGT les habituelles subventions. Bien sûr nous ne prétendons pas qu'il suffirait de supprimer les subventions allouées à la CGT pour que la société française soit libérée de l'implantation communiste. Une telle suppression est un minimum non certes suffisant, il s'en faut de beaucoup, mais préalable, indispensable et significatif. C'est le plus facile : il y faut seulement appliquer la loi sur la représentativité syn­dicale. Nos candidats gaullistes et giscardiens n'osent même pas envisager ou promettre ce minimum. Incapables du moins, comment seraient-ils capables du plus ? La CGT est non la seule, mais la principale place de sûreté, la principale force d'occupation et de colonisation qu'utilise le parti communiste pour fonctionner avec la puissance d'un État dans l'État. Un long, un rude combat politique, civique, social sera nécessaire pour desserrer son emprise, pour la faire reculer. Nos candi­dats giscardiens et gaullistes ne font pas le poids, de très loin. Cette implantation communiste, d'une part, cette non-résistance, d'autre part, voilà qui est plus important que la péripétie élec­torale, qui pourtant n'est pas elle-même sans gravité. Comment va-t-on arriver à nous faire voter, par anti­communisme, en faveur de partis qui maintiendront (qui aug­menteront, on peut leur faire confiance) les subventions officielles à la CGT ? Mais rassurez-vous : nos suffrages, on ne nous les demande même pas. 6:254 #### Le passage du libéralisme au socialisme Les sociétés occidentales, depuis qu'elles ont atteint un stade avancé -- je veux dire un stade avancé de déchristianisation -- ne sont, en politique, occupées qu'à une chose : à organiser leur grand passage mental, culturel, économique : leur passage du libéralisme au socialisme. C'est la seule chose qu'elles sa­chent faire. Et cela ne veut pas dire qu'elles quittent le libéra­lisme pour aller au socialisme ; cela veut dire que c'est le libé­ralisme lui-même qui passe au socialisme, qui se fait socialiste, en douceur, par son propre pourrissement. En France la « majorité » et l' « opposition » s'accordent à jouer le même jeu, avec la même règle, selon la même mise en scène : qui consiste à faire croire que l'unique problème politique est dans le choix, le « bon choix » des modalités du passage. « Majorité » et « opposition » s'accordent à poser le problème politique comme s'il consistait en une seule alterna­tive : entre le passage progressif et le passage brutal, étant entendu que le passage du libéralisme au socialisme est de toutes façons tôt ou tard inévitable. Il est d'ailleurs fortement commencé. Le libéralisme avancé propose de continuer d'avan­cer pas à pas vers le socialisme ; les socialistes voudraient tout le pouvoir tout de suite. Situation analogue dans l'Église post-conciliaire, qui pour cela s'est libérée de la « doctrine sociale de l'Église ». Cette doctrine rejetait le capitalisme libéral et le socialisme étatiste, la perversité finale de celui-ci étant désignée comme une con­séquence de la perversité initiale de celui-là. Mais dans le monde moderne, s'opposer à la fois au socialisme et au libéra­lisme, c'était s'exposer à être « marginalisé » par les puissances temporelles, -- aussi marginalisé que le furent les premiers chrétiens dans l'empire romain, -- et l'évolution conciliaire s'applique par tous les moyens à éviter la marginalisation, suspecte d'être l'antichambre du martyre. 7:254 Désormais, dans la société ecclésiale issue de Vatican II, la réflexion, la prospec­tive, la pastorale se limitent à explorer le passage inévitable du libéralisme au socialisme ; et la politique montinienne *couvre* à la fois les deux branches de l'alternative, le passage progressif et le passage brutal. Peut-être effectivement est-il inévitable que le libéralisme passe au socialisme. Mais cette problématique ne concerne que les libéraux ; et les socialistes. Pas les chrétiens. #### Le premier ministre est déjà passé Le libéralisme avancé s'avance donc jusqu'au passage, et les libéraux les plus avancés sont déjà passés. Demi-page d'an­thologie, le premier ministre Raymond Barre psalmodie « le socialisme du quotidien, le socialisme du possible, le socialisme européen », car il ne veut plus « laisser à d'autres le monopole du mot socialisme ». Je recopie un échantillon de sa musique dans *Le Monde* du 31 janvier. « Aucun d'entre nous, quelle que soit sa tendance politique, ne peut renier ce que le socialisme fran­çais a apporté à la pensée sociale de notre pays et à sa politique. Je tenais à le dire sans ambages. Peut-on ignorer Proudhon et Jaurès ? Pouvons-nous igno­rer ce qu'a fait Léon Blum ? « Mais ceux-là ne séparaient pas le socialisme de la France, et dans tous les éléments (*sic ?*) qui furent décisifs pour notre pays, ils surent faire les choix qui s'imposaient dans le seul intérêt de la na­tion. » 8:254 Nous n'avons pas le privilège de connaître la personne du premier ministre Raymond Barre. Nous ne le connaissons que par ses discours publics. Celui-ci est un exemple peu ordinaire de débilité mentale en matière politique. Faut-il commenter ? Laissons de côté Proudhon, cité ici comme otage, Proudhon qui n'a rien de commun avec le marxisme de Jaurès et de Léon Blum. « Quant à ce qu'un homme comme Proudhon aurait fait d'un misérable comme Jaurès si le volumineux poussah lui était tombé entre les mains, il vaut mieux ne pas y penser. » (Péguy, *L'Argent, suite.*) Blum et Jaurès ont étouffé, ont liquidé la tradition proudhonienne, c'est-à-dire non marxiste, du socia­lisme français. Les voici érigés en maîtres penseurs de la ma­jorité giscardienne que le premier ministre conduit au combat électoral. Nous dire qu'ils se sont déterminés en considération du *seul intérêt de la nation* est digne de la foire aux cancres : car « faire les choix qui s'imposent dans le seul intérêt de la nation », cela est le principe et le critère du nationalisme, et non point du socialisme internationaliste de Jaurès et de Blum. Ce principe nationaliste, ce critère nationaliste, Jaurès et Blum l'avaient en détestation absolue. Qu'on veuille les honorer l'un et l'autre ou les déboulonner, qu'au moins ce soit pour ce qu'ils furent et non pour le contraire de leur pensée. Le socialisme, s'il le désire, peut honorer Blum et Jaurès comme de grandes figures de son histoire, c'est son affaire. Mais de son histoire à lui. Autre chose est d'en faire de grandes figures de l'histoire de France ; de grands serviteurs du pays ; qu'ils ne furent justement point. Léon Blum se fit élire en 1936 à la tête d'une majorité de Front populaire qui avait pour pro­gramme : « Pain-Paix-Liberté ». Cette majorité nous valut la guerre, la défaite, l'occupation allemande, la misère, le ration­nement. Et quand on y fut arrivé par sa faute, cette même ma­jorité abandonna tous ses pouvoirs au maréchal Pétain. Ah ! monsieur le premier ministre, ne nous induisez pas en tentation, ne nous parlez plus de Léon Blum. Ni d'ailleurs de Jaurès. Péguy a un peu plus d'autorité morale que vous-même en ce qui concerne « la pensée sociale de notre pays et sa politique ». 9:254 Or Péguy réclamait pour Jaurès la guillotine, avec un roulement de tambour pour couvrir sa grosse voix : « Pour Jaurès l'expli­cation est extrêmement simple. Il est pangermaniste. (Il faudrait l'en féliciter s'il était né sujet allemand.) Il est un agent du parti allemand. Il travaille pour la plus grande Allemagne. » (*L'Argent, suite.*) En vue de nous intéresser à la « pensée socia­le » de son socialisme, le premier ministre Raymond Barre aurait pu invoquer, à côté du socialiste Proudhon, le socialiste Péguy, le socialiste Sorel : nous n'aurions pas marché aveuglément, mais nous aurions un peu dressé l'oreille. Point ; ce n'est pas cela du tout. Quand le libéralisme giscardo-barrien passe au socialisme, c'est au socialisme de Jaurès et de Blum qu'il passe. C'est complet. Sa seule circonstance atténuante serait qu'il ne croit peut-être pas un mot de ce qu'il dit, simple pantalonnade à destination électorale. En ce cas il s'y prend mal, il en fait trop. La pantalonnade à destination uniquement électorale est un genre littéraire qui demande plus d'aisance, plus de désin­volture, plus de bonne humeur implicite, moins de laborieuse solennité. Voilà donc au contraire que le premier ministre Ray­mond Barre se met à nous parler de « la pensée ». Jusqu'ici nous ne lui connaissions de prétention qu'aux prévisions con­joncturelles et météorologiques, il nous annonçait régulièrement « temps variable avec averses passagères et éclaircies locales », c'était en substance l'alpha et l'oméga de son discours gouver­nemental. Passant du discours gouvernemental au discours électoral, brusquement il devient « sans ambages » l'héritier de la pensée socialiste dans la ligne de Jaurès et de Léon Blum. -- Or il s'agissait initialement, l'aurait-il en chemin perdu de vue, il s'agissait initialement de voter, le 12 et le 19 mars, contre le socialisme. Le premier ministre aura bien travaillé lui aussi à augmenter le nombre des abstentions. #### A propos du choix de société La « majorité présidentielle » s'est mise à nous avertir qu'un choix de société est en question, et que l'arrivée au pouvoir de l'actuelle « opposition » serait un bouleversement et une catas­trophe. Il fallait y penser avant l'approche des élections, et y penser plus sérieusement que dans une perspective électorale. Oui, les partis marxistes, celui de Marchais, celui de Mitterrand apportent avec eux non pas une simple « alternance » comme entre les conservateurs et les travaillistes en Angleterre, entre les républicains et les démocrates aux USA : ils apportent une terrible révolution. Un grand nombre de Français ne peuvent pas le croire. Ils voient à la télévision Mitterrand et Marchais faire partie de la même société que Giscard et Chirac : la même société, l'actuelle, le même régime, le même monde. Les actes, les gestes, les spectacles comptent davantage que les mots. Si les marxistes représentent non point une réforme de la société où nous vivons, mais la fin de cette société, pourquoi y sont-ils installés au même titre que nous, ou plutôt bien mieux que nous ? 10:254 Un numéro très bien fait d'*Initiative nationale*, magazine publié par le PFN, a démontré avec une documentation précise ce que l'on pressentait ou devinait : les meneurs socialistes de la révolution anti-capitaliste vivent sur le même pied, de la même manière, avec les mêmes moyens démesurés que les pro­fiteurs et privilégiés de la société actuelle. A leur situation ma­térielle éminente dans cette société vient s'ajouter leur situation morale non moins pharamineuse. Non seulement Marchais et Mitterrand disposent des radio-télés pour leur propagande, mais encore, mais surtout *c'est le marxisme qui constitue la principale philosophie morale* du régime giscardien. Quatre-vingts pour cent des enseignants publics sont marxistes. La pensée affichée ou sous-jacente de la plupart des émissions et manifestations culturelles est une pensée marxiste (ou freudo-marxiste). La présidence giscardienne n'a pas fait reculer ce phénomène ; elle l'a au contraire officialisé sous le nom de pluralisme : pluralisme à sens unique, comme dans l'Église post-conciliaire. Le premier ministre Barre, nous l'avons vu, au chapitre de la « pensée sociale » invoque le marxiste Jean Jaurès et le mar­xiste Léon Blum. Le président Giscard a fait un livre qui s'ap­pelle *Démocratie française :* on n'y trouve aucune allusion, pas même voilée ou implicite, à la loi naturelle, à la tradition na­tionale, à la civilisation chrétienne. Il les ignore autant que les ignore le cardinal Marty. Quand on n'a plus du tout le sens, ni même le souvenir de la civilisation chrétienne, de la tradition nationale, de la loi naturelle, on n'est plus séparé du marxisme par rien de réel ; par rien de consistant ; par rien d'important. La moitié de l'électorat français qui se prépare à voter pour la gauche ne veut pas voter pour le goulag, mais elle ne peut pas croire que Mitterrand va nous précipiter dans une société très différente ; très inférieure à celle où nous vivons actuelle­ment. Elle se trompe en ne le croyant pas. Mais si elle ne le croit pas, c'est parce qu'elle ne peut pas croire qu'il y ait une différence fondamentale entre la philosophie morale d'un Gis­card et celle d'un Mitterrand. Et en effet il n'y en a pas. 11:254 Pour éviter que la gauche marxiste gagne irrésistiblement les prochaines élections ou les suivantes, c'est tout un univers mental qu'il faut renverser : l'univers mental d'une certaine démocratie qui reconnaît comme démocratiquement légitimes le marxisme en général et spécialement le parti communiste. Dans cet univers mental, Brejnev, Tito, Fidel Castro, Kadar sont légitimes, et même Staline l'a été jusqu'à sa mort, tandis que Pétain, Franco, Salazar, Pinochet sont moralement hors la loi. La démocratie giscardienne n'est pas marxiste ? Elle l'est du moins en ceci, qui est décisif, qu'elle reconnaît au marxisme, et spécialement au parti communiste, une fréquentabilité dé­mocratique, une authenticité démocratique, un droit de cité démocratique qui sont la condition nécessaire et suffisante pour qu'une démocratie libérale devienne une démocratie commu­niste. Ce que notre société comporte encore de vivable, mais que nous perdons peu à peu chaque jour sous le régime giscardien, et que nous risquons de perdre tout à fait et tout d'un coup si la gauche gagne, c'est ce qui survit, dans nos lois et dans nos mœurs, de la civilisation chrétienne et de la tradition nationale qui ont fait jadis la grandeur, le charme, la noblesse de la France. Cette tradition nationale, cette civilisation chrétienne sont aujourd'hui « marginalisées » ; elles sont entièrement ignorées par les détenteurs de tous les pouvoirs, politiques et religieux, économiques et culturels. C'est donc une reconquête de la France par elle-même qu'il faut préparer. Jean Madiran. Numéro 221 de mars 1978 Pages 192-200 ■ Sur les causes certaines du drame actuel, voir plus loin d'autres citations explicatives et annonciatrices, en annexe de l'éditorial : « Treize années d'avertissements » parus dans la revue ITINÉRAIRES depuis 1968. 12:254 ### Un quotidien de combat *pour le combat de chaque jour* Dans la crise économique mais plus encore intellectuelle, poli­tique et morale où nous nous enfonçons, avec le passage du mensonge libéral au mensonge socialiste, l'absence d'une contre-information immédiate, d'une réaction immédiate, d'un commen­taire immédiat, se fait plus cruellement sentir que jamais. C'est pourquoi, décidés à ne plus *supporter chaque jour des journaux étrangers à notre esprit, dédaigneux de nos morts, hos­tiles à notre espérance, ennemis de toutes nos vérités,* François BRIGNEAU, Pierre DURAND, Roland GAUCHER,\ Hugues KÉRALY, Jean MADIRAN et ROMAIN MARIE vous proposent aujourd'hui de réagir en les aidant à lancer un journal quotidien, *votre* quotidien : « PRÉSENT » ; *fondé et dirigé par eux six.* C'est difficile. Très difficile. Ce n'est pas impossible. *Si vous le voulez.* Un quotidien de combat national ■ Pour délivrer la France moralement captive, et que s'exprime à nouveau le pays profond, 13:254 ■ pour que le passé français ne soit plus falsifié et dénaturé, ■  pour retrouver l'esprit de la chevalerie et de la croisade, des héros, des saints et de ce peuple vif, allègre, audacieux, indus­trieux, qui fut le peuple le plus civilisé d'Europe, ■ pour dénoncer, chaque jour, l'invasion du territoire national par le goutte à goutte de l'immigration, la destruction des libertés concrètes sous le couvert d'une liberté abstraite, la collectivisation du pays réel par la bureaucratie et la fiscalité, la politisation et le naufrage de l'enseignement, ■ pour appeler à la lutte contre le communisme, le terrorisme, la subversion, révéler les scandales et démasquer les coquins, ■ pour défendre pied à pied ce qui a fait la richesse de la France : l'artisanat, la paysannerie traditionnelle, la petite et moyenne entreprise, ■ pour souder notre peuple autour de ses cathédrales, lui redon­ner l'amour des vocations civiques et militaires, le rappeler aux vertus chrétiennes du travail, de la famille et de la patrie, "PRÉSENT" sera un *quotidien de combat.* Le journal du combat quotidien, étape nécessaire de la réaction française en marche contre les mensonges et les crimes de l' « alternance » libéral-socialiste. **Un quotidien\ contre la désinformation\ et le génocide** Cette réaction existe déjà. Nombreux sont les Français qui résistent à la dictature de la classe politico-informante. Nombreux ceux qui, par la plume, la parole, l'enseignement, l'exemple, s'op­posent au génocide de l'être français : génocide spirituel par la démocratisation de l'immoralité, génocide intellectuel par la démo­cratisation du mensonge politique, et même génocide physique par la démocratisation de l'avortement. 14:254 PRÉSENT vient les aider dans ce combat, apporter une arme et un outil supplémentaire à l'autodéfense quotidienne dont nous avons tous le plus pressant besoin. Il ne prend la place de personne, au créneau quotidien de la véritable information. **Un quotidien\ pour le réveil des esprits** Dans les progrès du génocide français sous anesthésie géné­rale dont nous sommes les témoins horrifiés mais trop souvent impuissants, la télévision tient une place capitale. Elle est une entreprise de démoralisation, d'intoxication et de pourrissement des esprits. Par sa pression et son oppression insidieuses, jour après jour, elle déforme, elle gauchit, elle pervertit les sentiments et les mœurs, caricature et ridiculise les vérités à détruire. Hier au service de la social-démocratie, aujourd'hui aux ordres du collectivisme totalitaire, elle nous ment sur le passé comme sur le présent, pour mieux imposer à la France son complot mondialiste, cosmo­polite et technocratique. Il faut lui opposer d'urgence une réponse quotidienne : démys­tifier ses faux débats, sa fausse science, sa fausse histoire, sa fausse conscience, sa fausse poésie, sa fausse vulgarisation, ses faux bonshommes. Ce sera une des tâches principales de PRÉSENT. Pour réveiller les esprits assoupis et secouer les âmes captives, il faut que *l'écrit qui fait réfléchir* vienne répondre chaque jour *à l'audiovisuel qui fascine* et qui engourdit. Seul l'écrit quotidien peut soutenir, nourrir, armer en permanence les réactions instinc­tives du bon sens national. 15:254 Tel est le but de PRÉSENT : *jour après jour, analyser et juger l'événement selon les critères qui sont les nôtres, -- ceux de la tradition française, de la chrétienté française, de l'amitié française.* **Difficile mais possible,\ si vous le voulez** Réaliser un tel quotidien ne sera pas facile, on s'en doute. Nous n'avons au départ ni capitaux ni soutien. Aucune fortune anonyme et vagabonde, aucun internationalisme d'argent ne se dissimule derrière notre nationalisme de tête et de cœur. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, c'est-à-dire sur chacun d'entre vous que cet appel aura rejoint dans ses convictions. Voici ce que nous proposons pour commencer : *quatre pages chez vous tous les matins, cinq jours par semaine,* du mardi au samedi. Coût : 500 F par semestre (84 F par mois) si nous pouvons compter sur 15.000 abonnés ; un peu moins, si vous êtes davan­tage à vous manifester. Êtes-vous d'accord ? Si oui, répondez-nous avec le bulletin ci-dessous : 1\. -- En nous donnant votre avis, et bien sûr votre adresse, sans engagement définitif de votre part, pour être tenu au courant des progrès de l'opération. 2\. -- En nous aidant à faire connaître ce projet de quotidien de salut public aux nombreuses personnes intéressées. 16:254 3\. -- En faisant un versement de 50 F pour nous permettre d'engager de nouveaux frais de prospection. Nous devons toucher, pour réussir, tous ceux qui ne supportent plus d'être condamnés chaque jour à des journaux qui salissent et détestent la France que nous aimons. (Attention. Si la parution de PRÉSENT est finalement impossible, cette somme ne vous sera pas remboursée ; si PRÉSENT voit le jour, vous pourrez la déduire de votre premier abonnement.) Voilà. Tout est clair. Simple. Et, répétons-le, difficile. Mais non impossible. A vous de nous dire si vous êtes décidés à sou­tenir cet effort pour secouer le joug des « media », et faire paraître un quotidien national qui soit vraiment le vôtre, dans tous les combats. Bulletin de réponse à l'adresse suivante \[...\] 17:254 ## ÉDITORIAL ### Ce n'est pas un accident ■ Depuis treize ans, depuis mai 1968, nous avions désigné M. Giscard d'Estaing comme l'allié objectif et l'instrument le plus efficace en France de la subversion marxiste. Avant même son élection à la pré­sidence en 1974, nous avions expliqué pourquoi sa politi­que rendait inévitable tôt ou tard, mais chaque jour plus inévitable, une victoire élec­torale de la gauche socialo-communiste. Ce malheur nous est arrivé le 10 mai 1981. Il ne nous est pas arrivé comme un accident, mais comme un résultat. ■ La TV giscardienne, que les socialistes ont tellement contestée, donnait sans doute meilleure place aux déclara­tions giscardiennes qu'aux déclarations socialistes. Mais en dehors de ses émissions d'in­formation politique, cette TV, dans ses films, dans ses dé­bats, dans ses feuilletons, dans ses chansons et variétés, dif­fusait une culture de gauche, conditionnait une mentalité de gauche, fabriquait des ré­flexes de gauche. Elle véhicu­lait la permissivité morale et le scientisme matérialiste. Sur le fonds substantiel d'un vo­cabulaire, d'une sensibilité, d'une idéologie constamment de gauche, elle plaquait acci­dentellement une information politique plus ou moins de droite : c'était déjà vrai, nous l'avions dit, sous la présiden­ce Pompidou, et déjà sous la présidence De Gaulle. La pré­sidence Giscard, pendant sept années, a maintenu et renforcé cette prépotence idéologique à la TV, dans les radios, dans les écoles, dans les facultés. Cela étant, il est extraordinai­re, et encourageant, que les Français n'aient pas *davanta­ge* voté à gauche. 18:254 ■ Au demeurant, quelle « droite », la droite giscar­dienne ? « *Depuis sept ans,* écrivait M. Jacques Fauvet dans *Le Monde* du 8 mai, *les idées et les réalités du giscar­disme sont mieux définies et mieux connues : ce sont celles d'une droite moderne ou, plu­tôt, celles d'une droite classi­que qui a su s'adapter au monde moderne. *» S'y adap­ter sans doute, mais pour le suivre et le subir, et non pour le réformer. Non, une droite LIBÉRALE n'est pas la droite CLASSIQUE de Louis Veuillot, d'Albert de Mun, de La Tour du Pin, de Charles Maurras, d'Henri Charlier. S'adapter au monde moderne à la manière giscardienne, c'est tout simple­ment accepter, comme critères de jugement, les critères de gauche. Et c'est bien en in­voquant explicitement les cri­tères de la gauche, c'est en se présentant comme la meilleure selon ces critères, que la droite giscardienne a fait ses propagandes et ses campagnes, en 1981 comme en 1974 et comme en 1968 : le critère suprême, résumant tous les autres, étant non plus le bien commun, mais l'aveugle et systématique *réduction des iné­galités* que le socialisme érige en principe souverain pour ju­ger en dernier appel le bien et le mal, le vrai et le faux d'une politique. Une telle droite peut très bien, au nom des critères de gauche, gagner les élections une fois, deux fois, dix fois. Mais chaque fois, ce faisant, elle confirme davantage que les *critères de gauche sont donc les bons ;* elle les installe plus profondé­ment dans les mentalités. Il arrive forcément un jour où il se forme une majorité élec­torale pour estimer que ceux qui correspondent le plus exactement aux critères de gauche, ce sont les hommes de gauche. Il vaut toujours mieux, même en politique, être battu sous le drapeau de la vérité que vainqueur dans le men­songe. Car la victoire dans le mensonge est forcément aus­si, et surtout, la victoire du mensonge. Le mensonge socialiste, le mensonge égalitaire a été ren­forcé dans les esprits par chaque victoire que l'acroba­tie giscardienne remportait en son nom. L'acrobatie a fini dans l'évanouissement après avoir établi le mensonge dans une domination bien assise sur l'opinion publique. 19:254 ■ J'ignore si les socialistes au pouvoir voudront, en ma­tière de solennités, modifier la légalité républicaine. Pour le moment cette légalité recon­naît, institue, ordonne de cé­lébrer chaque année deux fê­tes nationales : d'une part la dénommée « fête nationale » célébrée le 14 juillet, d'autre part la dénommée « fête na­tionale de Jeanne d'Arc » cé­lébrée le second dimanche de mai. (Cette légalité est si forte­ment établie que cette année même, contrairement à ce que j'aurais supposé, les pou­voirs publics ne crurent pas pouvoir, le 10 mai, empêcher ou reporter la fête nationale de Jeanne d'Arc, bien que les défilés et manifestations sur la voie publique soient norma­lement interdits un jour d'élections générales. Nous avons donc défilé de la Con­corde aux Pyramides, en com­pagnie de François Brigneau, Romain Marie et tous les au­tres ; avec le cortège tradi­tionnel que l'Action française a fondé et qu'elle a toujours maintenu, acte de fidélité et d'espérance, symbole des re­naissances à venir.) Pourtant ces deux fêtes nationales sont antinomiques. Celle du 14 juillet est celle des droits de l'homme et de leur résumé « liberté-égalité-fraternité » entendus au sens maçonnique, dans l'esprit « ni Dieu ni maître ». Celle de Jeanne d'Arc est celle de « travail-famille-patrie » en­tendu dans l'esprit chrétien et selon la devise de la sainte : « Dieu premier servi ». ■ Voilà bien les deux traditions oppo­sées, celle-ci l'ancienne et au­thentique tradition nationale, celle-là tradition révolution­naire acharnée à supplanter la précédente. A ce niveau-là les désignations de « droite » et de « gauche » prennent une signification consistante. Mais dans la V^e^ République, hier comme avant-hier et comme aujourd'hui, la gauche et la droite se réclament l'une et l'autre de la même tradition révolutionnaire violemment su­perposée à la tradition natio­nale. Cette dernière, personne ne s'en réclame plus dans le débat public, bien qu'elle de­meure présente au cœur de beaucoup de Français, une forte minorité à coup sûr, une majorité peut-être. Eh ! bien, sachons-le : on ne pourra blo­quer la socialisation, renver­ser l'évolution à gauche, évi­ter le communisme si l'on se refuse toujours, si l'on hésite encore à proposer explicite­ment aux Français de se re­connaître dans leur devise « travail-famille-patrie » et de se rassembler sous leur dra­peau : « Dieu premier servi ». 20:254 ■  « Travail-famille-patrie » entendu dans l'esprit « Dieu premier servi », ce n'est pas une pensée vague, une consi­dération abstraite, une loin­taine métaphysique. Cela peut se traduire à tout moment en mesures, revendications et ré­formes tout à fait concrètes, pleinement actuelles, en voici déjà huit d'effet immédiat : -- *l'indexation de l'épar­gne ;* *-- le relèvement des allo­cations familiales* (*de manière à rattraper et dépasser l'aug­mentation des salaires*) ; *-- le vote familial ;* *-- la proportionnelle sco­laire ;* *-- la déscolarisation des âges et des professions qui n'ont rien à faire sur les bancs d'une école ;* *-- l'abolition de l'avorte­ment volontaire ;* *-- l'interdiction de toute information sexuelle faite en public par des puissances pu­bliques ;* *-- la remise des églises inoccupées aux catholiques traditionnels qui les réclament.* Aucun des deux grands partis qui forment la droite de la V^e^ République n'a pré­conisé l'ensemble de ces huit mesures. Aucun n'en a préco­nisé trois ou quatre ; aucun, une ou deux. Les deux pre­mières, qui sont les revendi­cations les plus pratiques, les plus immédiates, les plus réelles des familles françaises, c'est la gauche socialiste qui parle d'en procurer quelque apparence ou quelque bribe. Aucun des deux grands partis supposés de droite, même au chapitre des promesses élec­torales prononcées sans y croire, n'a daigné nous pro­mettre rien de semblable. Leur idéologie, leur univers mental, leur paysage moral sont à la fois inconsistants et pourris. ■ Une page est tournée. Gis­card conduisait à Mitterrand. Derrière leur rivalité personnelle n'avait point cessé de fonctionner, dissimulée aux regards, la *ténébreuse alliance* qui réduit les peuples chré­tiens en servitude et leur vole leur âme. Il y eut un jour, une fois, un chef d'État, celui que notre Henri Pourrat nom­mait *le chef français,* pour le dire tout net Le travail des Français est la ressource suprême de la patrie. Le CAPITALISME international et le SOCIALISME international qui l'ont exploité ont été d'autant plus funestes que, s'opposant l'un à l'autre en apparence, lis se ménageaient l'un l'autre en se­cret. Nous ne souffrirons plus leur ténébreuse alliance. » C'est principalement pour venger, pour annuler, pour faire oublier cette révélation que le maréchal Pétain fut abattu par la ténébreuse al­liance. 21:254 A l'intérieur de cette téné­breuse alliance, la classe diri­geante de la V^e^ République avait pensé éviter l'arrivée au pouvoir des socialistes en fai­sant d'avance toutes sortes de concessions au socialisme et en construisant par étapes presque insensibles une socié­té socialo-capitaliste. Pour ac­complir ce dessein dérisoire, les trois présidences successi­ves avaient, par divers moyens, exclu, neutralisé, marginalisé les hommes, les institutions et les idées capables de résister au communisme et d'inverser l'évolution à gauche. Les équi­pes économico-politiques qui nous ont ainsi menés jusqu'à la grave situation présente ne sont pas qualifiées pour ins­pirer, animer ou diriger la réaction nationale maintenant urgente. ■ Tout va sans doute devenir plus difficile. Nous n'avons jamais nié, nous avons tou­jours déclaré que la détestable société libéral-socialiste est beaucoup moins insupportable et tyrannique que la société socialo-communiste : *mais elle y conduit,* ajoutions-nous cha­que fois ; elle y conduit iné­vitablement si l'on ne renverse pas ses hommes, ses princi­pes, ses méthodes. Nous voici donc au seuil de cette société socialo-communiste qui est l'aboutissement naturel du gaullisme et du giscardisme. Mais si tout risque de devenir plus difficile, tout sera aussi plus net. A la condition de comprendre ce qui s'est passé et de ne plus fermer les yeux. Jean Madiran. 22:254 ANNEXE ### Treize années d'avertissements *Quelques phrases, quelques points de repère à travers les années, quelques-uns seulement parmi beaucoup d'autres que nous aurions pu semblablement recueillir.* *Ces points de repère, ces citations datées ont valeur historique­ment explicative.* *Pour nos nouveaux lecteurs ; mais aussi pour nos lecteurs plus anciens, afin de leur remettre en mémoire, et sous les yeux, des avertissements auxquels ils avaient pu n'être pas tout à fait attentifs, ou qu'ils avaient pu ne pas bien comprendre en leur temps : car nous étions presque seuls, et parfois tout seuls, à tenir ce langage.* *On verra ainsi que, même dans le domaine proprement poli­tique, la revue* ITINÉRAIRES *a donné en temps utile à ses lecteurs une information de fond qui est souvent sans équivalent.* *Dès 1968, nous prévenions, nous annoncions que choisir Gis­card d'Estaing ce serait faire le mauvais choix.* *Devenu président, il a fiscalisé, bureaucratisé, socialisé la France comme jamais auparavant. Il a sans cesse favorisé l'évolution à gauche des esprits, des mœurs, des institutions. Ce n'est pas en mai 1981 que le socialisme a commencé en France. Il faut le savoir pour comprendre ce qui s'est passé et ce qui va se passer ; et ne pas se laisser prendre aux apparences des attitudes feintes et des discours électoraux.* 23:254 1968 Avec une intelligence hors de pair, avec beaucoup de talent, de sang-froid et de conscience de ses responsabilités, oui, avec une parfaite et quasiment géniale adéquation à son rôle, M. Valéry Giscard d'Estaing a porté durant la crise (de mai 68) à un point extrême d'exactitude ce rôle de manifestation, d'incarnation visible et tangible de la catégorie nombreuse que Bernanos a nommée : « les imbéciles ». Je déclare que M. Valéry Giscard d'Estaing est objectivement l'allié le plus efficace de la subversion. Il est pire qu'un député communiste : parce qu'un député communiste, ça ne fait en défi­nitive qu'un député communiste, tandis que M. Valéry Giscard d'Estaing, dans un Parlement, vaut à lui seul beaucoup plus, pour la Révolution, que cent députés communistes. Jean Madiran. « *Après la Révolution de mai 1968 *»*,* supplément au n° 124 (juin 1968) de la revue ITINÉRAIRES p. 21 et p. 23. 1971 En France, ce processus (de passage progressif au socialisme) trouve ses meilleurs agents d'exécution dans les dirigeants qui sont au pouvoir depuis quelques années... Aussi laborieux qu'in­telligent, M. Giscard d'Estaing en est la parfaite incarnation. Antisocialiste de conviction, il accélère le passage au socialisme par conscience professionnelle. Louis Salleron. Numéro 149 de janvier 1971, p. 34-35. 1973 La majorité ne conçoit pas d'autre politique *sociale* que *socia­liste.* 24:254 Il y a aujourd'hui dans les esprits un consentement général au socialisme qui est une véritable démission de l'intelligence et de la volonté, car c'est le consentement à une désagrégation per­manente de la société, dont le terme ne peut être que le commu­nisme ou la réduction du pays à un état comateux de basse-Répu­blique, très inférieur à celui que l'Histoire nous présente dans le bas-Empire. Louis Salleron. Numéro 173 de mai 1973, p. 43-44. Le samedi 5 mai 1973, M. Valéry Giscard d'Estaing ouvrait son cœur aux jeunes républicains indépendants. A la radio, j'entendis quelques-uns de ses propos, trop beaux, me sembla-t-il, pour être exactement rapportés. Mais j'avais bien entendu. *Le Monde* du 8 mai me le confirma. « *Une* SOCIÉTÉ HOMOGÈNE, *déclara le ministre, doit avoir un* IMPÔT UNIQUE *et on doit commencer à le réaliser à la fois par les hauts revenus et les bas revenus. Les budgets de 1974 et 1975 marqueront des étapes significatives. *» D'autre part, doit être mis en place un « *régime de protection sociale de base* UNIQUE *pour tous les Français *»*,* car « il n'y *a aucune raison pour que, dans une* SOCIÉTÉ HOMOGÈNE, *le niveau de la protection sociale de base varie en fonction de la nature de l'activité professionnelle. Cela conduit à l'inégalité et à la rigi­dité *»*.* Telle est la profession de foi ministérielle. Il la considère com­me l'expression d'un « *progressisme libéral *»*,* face à la « *société collectiviste *»*.* On se demande comment il conçoit la société collectiviste. Sans doute M. Valéry Giscard d'Estaing entend-il désamorcer le socialisme de l'opposition en montrant que celui de la majorité le vaut bien. Position tactique donc. Mais ce faisant, il confesse, d'une part, que le socialisme est bien la vérité (sans quoi il le combattrait expressément) et, d'autre part, on sent bien que telle est effectivement sa pensée. Louis Salleron. Numéro 175 de juillet-août 1973, p. 26. 25:254 1974 M. Valéry Giscard d'Estaing, ministre des finances et de l'éco­nomie nationale, a expliqué le fond de sa pensée politique et morale dans le *Nouvel Observateur,* « numéro 472 du 26 novembre au 2 décembre 1973 ». La plupart de nos lecteurs, nous le soupçonnons, ne lisent pas le *Nouvel Observateur *: il y a beaucoup de chances pour que la plupart de nos lecteurs n'aient pas eu connaissance des décla­rations de M. Valéry Giscard d'Estaing sur le fond de sa pensée. Nous croyons utile de leur en faire connaître les deux points à notre avis les plus importants. Premièrement, M. Valéry Giscard d'Estaing est un libéral : « *Que je sois libéral, c'est un fait, mais je vous précise qu'il ne s'agit pas du tout du libéralisme au sens où l'en­tendent les économistes. Non. *» Au sens où l'entendent les économistes, on ne peut être que libéral ou socialiste. Socialiste, Louis Salleron pense que M. Giscard d'Estaing l'est assez gaillardement (voir : « Le nouveau socialisme », article Louis Salleron dans ITINÉRAIRES, numéro 175 de juillet-août 1973). Libéral néanmoins, en un autre sens que celui des économistes. Quand on est libéral, mais pas au sens « économique » du terme, c'est qu'on l'est au sens moral et religieux, au sens philo­sophique. Justement. Le seul exemple que M. Valéry Giscard d'Estaing donne de son libéralisme, c'est qu'il est « libéral » en matière d'avortement : « *La loi sur l'avortement, par exemple. J'estime qu'en un tel domaine, quels que soient les principes ou les croyances de chacun, la loi n'a pas à se substituer à l'ap­préciation personnelle des intéressés. *» \*\*\* 26:254 Second point, qui intéressera certainement les braves électeurs « de droite » : « *Les gens -- et même certains de ceux que vous appe­lez mes amis -- découvrent une chose que, moi, je sais depuis longtemps : les croyances qui m'animent et l'action que je conduis ne sont ni les croyances ni l'action d'un représentant de la droite classique. Il fallait bien qu'un jour celle-ci le découvre. Voilà, c'est fait. A bien y regarder, j'ai été classé dans la droite classique bien plus en raison de mon appartenance sociale, de mon éducation et des calculs de mes adversaires qu'en raison des positions que j'ai prises. *» Excellente clarification. Nous avons toujours pensé que la « droite classique » n'est pas du tout représentée dans le régime actuel et dans l'actuelle majorité gouvernementale. \*\*\* A peu près au même moment, nous lisions en dernière page de *La Croix* du 24 novembre un « profil », c'est-à-dire un portrait, de M. René Rémond, recteur de l'université de Nantes et président des soi-disant « Intellectuels catholiques ». L'auteur du « profil » de M. Rémond écrit tranquillement : « *Présider les Intellectuels catholiques, dont l'éventail des opinions s'étend de la droite libérale à la gauche classique ou nouvelle, constitue également une performance, -- etc. *» Est-ce la première fois ? A notre connaissance, oui, c'est la première fois qu'EXPLICITEMENT on reconnaît dans *La Croix* que « la droite » est désormais exclue du catholicisme en général et des « Intellectuels catholiques » en particulier. Car regardez bien : toute la gauche y est admise. La gauche *classique* et la gauche *nouvelle.* Mais ni la moindre droite « nouvelle », ni cette droite « clas­sique » dont M. Giscard d'Estaing se sépare ostensiblement. Seulement la « droite libérale ». Or il est bien clair qu'une droite qui peut être dite « libérale » n'est certainement plus une droite du tout. C'est le centre. Et même le « centre gauche ». 27:254 *La Croix* aurait dit exactement la même chose, mais elle l'aurait dite plus clairement, si elle l'avait dite ainsi : « *Les Intellectuels catholiques, dont l'éventail des opi­nions s'étend d'un bout à l'autre de la gauche, depuis l'extrême-gauche jusqu'au centre gauche...* » Bien entendu, on peut dire aussi que ces classifications et éti­quettes de gauche, de droite et de centre n'ont aucun sens. Cela est vrai d'une certaine manière. Mais alors, quand on les emploie de cette manière-là, on parle pour ne rien dire. Or M. Giscard d'Estaing n'a point parlé pour ne rien dire. Et ce n'était pas non plus pour ne rien dire que *La Croix* a précisé les limites de « l'éventail des opinions » admises au sein des Intellectuels catholiques. Pour l'un et pour l'autre le sens est clair et sans équivoque. M. Giscard d'Estaing ne gouverne pas la France en la considérant comme le pays de saint Louis, de Jeanne d'Arc, de Lyautey, de Philippe Pétain. Et le catholicisme actuel selon *La Croix* exclut Le Play, La Tour du Pin, Albert de Mun, Xavier Vallat. Nous citons chaque fois quatre noms, et point vingt ou cent, parce que ces quatre-là suffisent à rendre visible et sensible sur qui et sur quoi pèsent les nouvelles excommunications. Quand M. Giscard d'Estaing tourne le dos à la « droite classique », c'est à la France de saint Louis, de Jeanne d'Arc, de Lyautey, de Philippe Pétain qu'il entend tourner le dos. Quand *La Croix* n'ad­met comme catholique que la « droite libérale », à l'exclusion des autres droites, classiques et nouvelles, c'est bien la droite catho­lique traditionnelle à la Le Play, La Tour du Pin, Albert de Mun, Xavier Vallat qu'elle entend exclure. Dont acte. Jean Madiran. *Numéro 179 de janvier 1974, pp. 181-184.* Le résultat de l'élection présidentielle est connu d'avance, pour cette fois ou pour la suivante. Nous sommes gouvernés par la V^e^ République de telle façon que la coalition socialo-communiste aura la majorité : elle l'aura ce mois-ci ou elle l'aura plus tard, mais elle l'aura, logiquement, mécaniquement, en quelque sorte auto­matiquement, si aucun facteur imprévisible, homme ou événement, ne vient modifier les données de notre situation. 28:254 Les gouvernants de la V^e^ République ne font de l'anti-commu­nisme qu'au moment des élections ; ils le font seulement pour la frime, et pour avoir nos suffrages. S'ils estimaient vraiment que le communisme, le socialisme, le marxisme, la coalition socialo-communiste sont un danger pour la France, ils s'en occuperaient quand ils gouvernent. Pour prendre un seul exemple, ils com­menceraient par supprimer les subventions gouvernementales à la CGT... L'Éducation nationale, monopole gouvernemental, et l'Office de la Radio-Télévision Française (ORTF), autre monopole gouver­nemental, travaillent chaque jour à multiplier le nombre des élec­teurs de gauche. Ces deux institutions étatiques y travaillent sur­tout, et le plus efficacement, quand elles ne parlent pas de poli­tique. Elles diffusent une culture de gauche, elles développent une sensibilité de gauche, elles indiquent, illustrent et vivent une morale de gauche. Jean Madiran. Numéro 183 de mai 1974, pp. 11-12. Il serait illusoire, pour barrer la route au communisme *et à la gauche unie avec lui, de voter pour le* « moindre mal » Chaban ou le « moindre mal » Giscard. Si l'on a Giscard pour sept ans, on aura Giscard et la gauche avant sept ans. La droite classique a considéré Giscard comme son représen­tant au point de lui apporter fidèlement ses suffrages dans toutes sortes d'élections. Était-il exactement honnête de lui laisser, à cette droite, le soin de découvrir elle-même, un jour ou l'autre, après coup, qu'il y avait erreur sur la personne ? Encore voudrait-on être sûr que cette découverte, maintenant, est faite et bien faite, et qu'aucune voix de la « droite classique » n'ira plus s'égarer (trompée par la bonne « éducation » de Giscard, qui fait illusion). Nos lecteurs du moins auront été avertis. Jean Madiran. Numéro 183 de mai 1974, p. 17 et p. 20. 29:254 La victoire électorale de la « gauche unie » (unie au parti com­muniste) n'est donc pas pour cette fois. Mais il s'en est fallu de peu ; et ce sera pour la prochaine, si demeure en place l'universel système de conditionnement qui inculque à la population une mentalité de gauche, une sensibilité de gauche, des réflexes élec­toraux de gauche. Les deux monopoles gouvernementaux de l'Édu­cation nationale et de l'ORTF « informent » et « forment » les esprits, en permanence, à l'univers idéologique de la société mo­ralement permissive et du scientisme matérialiste. Nous n'avons rien entendu dans le programme annoncé aux électeurs par M. Giscard d'Estaing qui indique que l'importance vitale d'une telle situation ait été seulement aperçue. Jean Madiran. Numéro 184 de juin 1974, p. 31. Ce qui me frappe dans la campagne électorale, c'est la sur*en­chère socialiste qui se manifeste entre* les principaux candidats. « Qu'appelez-vous socialisme ? » me demandera-t-on. J'appelle socialisme la prétention d'instaurer l'égalité entre tous et la sécurité pour tous par la voie de l'État, -- l'abolition partielle ou totale de la propriété et la redistribution de la richesse étant les moyens privilégiés de l'opération. A cet égard, c'est à qui promet davan­tage. Louis Salleron. Numéro 184 de juin 1914, p. 37. M. Lecanuet (dans *Le Point*) : « Je combattrai jusqu'à ce que les socialistes entrent dans cette majorité, et je vous fiche mon billet que cela se fera. Je suis entré au M.R.P. à vingt-cinq ans avec cette idée-là, et je l'ai gardée. En politique, il n'y a pas, comme en religion, d'ordres contemplatifs et d'ordres missionnaires. Les socialistes sortiront de leur couvent, parce qu'on fait de la politique pour arriver au pouvoir. 30:254 « D'ailleurs, nous sommes en train de vider la gauche de tout son programme. Ah ! bien sûr il reste l'étatisme, le collectivisme, qui marquent toujours la frontière entre nous. Mais pour le reste, tout le côté généreux, social, de la gauche, je le fais mien. Mieux encore j'appartiens aujourd'hui à un gouvernement qui peut le mettre en œuvre. » Inutile de ponctuer de « sic » et de points d'exclamation les perles de ces propos sans fard. Admirons simplement la candeur, ou le cynisme. « On *fait de la politique* pour *arriver au pouvoir. *» M. Leca­nuet n'avait pas besoin de nous révéler ses pensées intimes. Voilà des années qu'elles sont claires à tout le monde. Cependant, une fois au pouvoir, il faut bien faire *une politique.* Comme on n'a guère d'idées en la matière, on se retourne du côté du socia­lisme, qui est la légitimité démocratique et qui a un programme. Et on le vide de tout son programme. Attention tout de même aux électeurs ! Rassurons-les avec des mots ! Le programme, c'est le « généreux », le « social ». Ce n'est pas l'étatisme et le collectivisme. Vraiment ? M. Lecanuet croit-il vider le socialisme de tout son programme en payant la pilule aux gamines de quinze ans, en libéralisant l'avortement, en ouvrant les prisons, etc. ? Tout cela, c'est le généreux, le social, qui comble l'ancien M.R.P. Mais qu'il ne s'y trompe pas, c'est bien le socialisme qui le séduit. Et c'est bien le socialisme que fait le gouvernement auquel il appartient. Louis Salleron. Numéro 187 de novembre 1974, pp. 28 et 29. 1976 M. Giscard d'Estaing, qui est *l'homme politique qui a porté les coups les plus durs à la famille* par ses lois sur le divorce, la contraception et l'avortement, entreprend maintenant de la dé­truire en l'attaquant dans ses biens. Il la pénalise déjà dans ses « revenus » en *augmentant beaucoup plus les salaires que les allocations familiales.* Il s'en prend maintenant à son « capital », -- pauvres éléments de propriété mobilière ou immobilière qui constituaient essentiellement des « souvenirs de famille », souve­nirs d'un état appartenant à une civilisation en voie de disparition accélérée. Bien entendu, ce sont les familles dites nombreuses qui seront les plus touchées puisqu'elles sont de plus en plus obligées de vendre pour répartir les miettes du patrimoine entre les enfants. 31:254 Le président de la République est obsédé du modèle suédois. Des couples, mariés ou pas, où l'homme et la femme travaillent, et dont l'enfant unique ou les deux enfants seront pris en charge dès leur naissance par une société qui les modèlera à son image, voilà pour lui l'idéal du libéralisme avancé. L'alliance de l'étatisme et du grand capitalisme assurera le plus haut revenu par tête d'habitant avec le maximum d'égalité. Quant à la natalité, le Portugal et l'Afrique y pourvoiront. Louis Salleron. Numéro 204 de juin 1976, p. 14 et p. 15. M. Giscard d'Estaing a contre lui l'opposition ; mais *il n'a plus pour lui ceux qui l'ont élu. Une* minorité *ne lui pardonne pas et ne lui pardonnera jamais d'avoir porté contre la famille les coups les plus rudes qu'elle ait jamais eu à subir.* La libéralisation du divorce, de la contraception et de l'avortement, si elle corres­pond à ses idées personnelles et lui assure les bonnes grâces de la franc-maçonnerie, est en opposition radicale avec la morale catho­lique, tout en s'inscrivant au rebours des nécessités démographiques de la France. Le libéralisme avancé de M. Giscard d'Estaing *est* le socialisme suédois. Convaincu que le socialisme est dans le sens de l'Histoire, il veut vider de sa substance le programme commun de la gauche. Ne pousse-t-il pas ainsi une partie de son électorat dans les bras de M. Mitterrand ? Louis Salleron. Numéro 207 de novembre 1976, pp. 70-71 et p. 73. Le socialisme libéral de M. Mitterrand n'est pas une « alter­native » au libéralisme socialiste de M. Giscard d'Estaing. 32:254 Seule une restauration de la vérité politique peut assurer demain à l'activité économique la place subordonnée où la création des richesses concourra au bien commun. Louis Salleron. Numéro 208 de décembre 1976, p. 5. 1977 Quand l'inflation, il y a quelques années, était seulement d'en­viron 6 % par an, Louis Salleron expliquait ici comment et pourquoi elle est une profonde maladie *politique,* qui ronge la substance *morale* du pays. Aujourd'hui, nos gouvernants considè­rent comme une prouesse improbable de revenir à une inflation qui serait « seulement » de 6 %. La démoralisation est générale ; la gauche arrive. \*\*\* Déjà d'un simple point de vue électoral, si l'on voulait éviter la prochaine arrivée au pouvoir d'une majorité socialo-communiste, il faudrait cesser de faire *une politique intellectuelle et morale qui inculque à la population les réflexes mentaux d'un électeur de gauche.* \*\*\* Une jeunesse condamnée à passer toute sa vie active en milieu scolaire, et toutes ses soirées à la télévision, en est institutionnelle­ment décérébrée, *même* si l'on suppose cette télévision et cette scolarité libérées de leur actuelle colonisation marxiste. Car toute la vie active de la jeunesse en milieu scolaire, et toutes ses soirées au spectacle télévisé, cela fait une constante contre-éducation, une révolution culturelle permanente, *noyant les âmes dans un monde imaginaire,* les détournant de l'*apprentissage du réel* et de l'*apprentissage de l'effort.* Il n'est pas conforme à la nature humaine de repousser obligatoirement au-delà de seize ans l'apprentissage d'un métier ; il n'est conforme aux vrais besoins d'aucun âge d'être au spectacle tous les soirs. 33:254 Les besoins véritables de la nature humaine sont le bonheur familial (il n'existe pas d'autre bonheur temporel) et l'exercice d'un métier qui apporte, comme le dit Henri Charlier, un profit légitime en même temps qu'un intérêt intellectuel et spirituel dans le travail même : la prolongation démesurée de la scolarité et l'usage quotidien de la télévision y sont puissamment contraires. Jean Madiran. Numéro 209 de janvier 1977, p. 1, p. 6 et p. 7. 1978 L'originalité la plus certaine de la présidence giscardienne est une invention qui, dans les États civilisés, est absolument sans précédent : la « permissivité » sexuelle officiellement établie et imposée par la loi. C'est une véritable nouveauté ; la seule, sans doute, de ce règne funeste ; en tout cas la plus formidable. Partout et toujours, en effet, toutes les civilisations ont estimé que des règles et limites s'imposent obligatoirement à ce que l'on nomme aujourd'hui l'activité sexuelle. On s'est souvent trompé au cours de l'histoire sur l'exacte nature de ces limites et de ces règles ; souvent ces règles, ces limites ont été peu ou mal respec­tées. Mais l'idée inouïe, monstrueuse, pour la première fois officiel­lement établie, est qu'il ne doit plus y avoir en la matière ni limites sociales ni règles morales. La réalité de l'officielle information sexuelle, doublée de la non moins officielle propagande pour la contraception, consiste à inciter les enfants à la luxure et à leur en enseigner les moyens. De tout temps il y a eu des gens pour pervertir à leur usage l'enfance et la jeunesse ; il y a eu aussi des souverains pour en donner l'affreux exemple. Mais c'était en passant outre à la loi morale, en tournant la loi civile. 34:254 Aujourd'hui la loi civile prétend supprimer la loi morale et installer une universelle et méthodique excitation des enfants à la débauche. C'est la plus profonde (et la plus atroce) révolution politique et religieuse de notre temps. *Jean Madiran* Numéro 219 de janvier 1978, pp. 90-91. 1979 Nous sommes entrés dans la société socialiste, avec les deux branches qu'on lui connaît. Le communisme met tout le monde en esclavage. Le libéralisme avancé prolétarise et asservit 80 ou 90 pour cent des individus, confiant au reste le soin d'assurer le financement du système par la voie capitaliste. Louis Salleron. Numéro 231 de mars 1979, p. 5. Quand le libéralisme a consommé tout le capital de patri­mo*ines, de structures, de mœurs qui le fai*sait vivre, il n'est plus qu'autodestruction et s'offre de lui-même aux dictatures de l'idéo­logie socialiste qu'il a installée dans les esprits. Louis Salleron. Numéro 238 de décembre 1979, p. 9. 1980 M. Giscard d'Estaing, qui se flatte de défendre la liberté par son libéralisme avancé, est en réalité dominé par l'idéologie éga­litaire. 35:254 Nous avons cité, il y a quelques années, les propos dépourvus d'ambiguïté qu'il tenait aux jeunes républicains indépendants. S'adressant à eux le 5 mai 1973, il leur disait : « Une société homogène doit avoir un impôt unique, et on doit commencer à le réaliser à la fois par les hauts revenus et les bas revenus. » il préconisait « un régime de protection sociale de base unique pour tous les Français », car « il n'y a aucune raison pour que, dans une société homogène, le niveau de protection sociale de base varie en fonction de la nature de l'activité professionnelle ». Nous commentions : -- Vouloir une société *homogène,* ne respectant pas la *variété des activités professionnelles,* et nivelant tout par l'argent à partir de l'*impôt unique* et d'une *protection sociale de base* également *unique,* c'est vouloir faire de l'*État* le robot tout-puissant destruc­teur de la liberté au nom de l'*égalité* et de la *sécurité.* Louis Salleron. Numéro 245 de juillet-août 1980, pp. 24-25. *Extrême fragilité politique* des trois grands partis non-commu­nistes sur lesquels repose le fonctionnement de la République. La raison de cette fragilité permanente de la classe dirigeante française est d'abord mentale : elle n'a pas compris l'avertissement de Soljénitsyne (qui est aussi l'avertissement de l'histoire contem­poraine, et celui du bon sens) selon lequel *le communisme est bien pire que l'hitlérisme et beaucoup plus dangereux.* Bien pire que l'hitlérisme, cela veut donc dire très précisément bien pire que le racisme, bien pire que l'anti-sémitisme. C'est une grave erreur politique de manifester contre le racisme et de combattre l'anti-sémitisme *avec* le parti communiste (et plus encore : *derrière* lui). Tout ce que la classe dirigeante et la classe informante pro­fèrent d'anathèmes, de menaces et d'interdits contre le racisme et l'anti-sémitisme, elles devraient le proférer plus *encore* contre le communisme. La démocratie religieuse moderne est une idéologie commune, en son fonds essentiel, aux libéraux avancés et aux marxistes commune, oui, malgré tout le secondaire et le subsidiaire qui les opposent par ailleurs, commune assurément au libéral-socialisme et au communisme. Pour cette idéologie, le *pas d'ennemis à gauche* demeure vrai en substance, obligatoire en conscience. 36:254 Si bien que le libéral-socialisme, quand il veut s'opposer aux communistes, est moralement obligé de prétendre contre toute évidence que le communisme n'est pas de gauche. D'où par exemple la formule connue de Guy Mollet : « Le communisme n'est ni de droite ni de gauche, mais de l'Est. » Jean Madiran. Numéro 248 de décembre 1980, pp. 150-151. 1981 Aucun candidat n'ose proposer un programme précis. L'in­flation, le chômage, l'anarchie sociale, le problème de l'énergie et le risque de guerre ne sont évoqués que pour laisser entrevoir une politique, renouvelée à droite, radicalement autre à gauche, mais également inadéquate à la gravité du péril. Il en résulte une démoralisation profonde des Français. Saoulés par le mensonge ou l'infantilisme des propos qui leur sont tenus par ceux qui prétendent les sauver, la mobilisation à laquelle on les invite au nom de la Démocratie, de la République, de la Résistance, du Gaullisme, du Libéralisme, du Socialisme, de l'Éco­logisme, de l'Anti-racisme, de l'Anti-capitalisme et de cent autres idoles du même acabit les laisse froids. Les jeunes surtout ne voient qu'imposture et vieilleries dans tous ces mots usés jusqu'à la corde. Louis Salleron. Numéro 250 de février 1981, p. 48. Rien n'obligeait (le président Giscard) aux paroles et aux gestes symboliques qui faussent l'esprit public et pourrissent l'âme d'un peuple. Non seulement il est allé à Moscou comme le général de Gaulle mais, ce que le général de Gaulle lui-même n'avait point fait, il y a fleuri et vénéré la tombe de Lénine. Rien ni personne ne l'obligeait à proclamer que Mao-Tsé-Tung a été « un phare de la pensée mondiale ». Jean Madiran. Numéro 250 de février 1981, p. 13. 37:254 ## CHRONIQUES 38:254 ### Entre deux gauches, entre deux maux par Hugues Kéraly LA MÉDIOCRATIE INFORMANTE n'aura donc retrouvé l'usa­ge du mot *devoir*, en ce printemps de 1981, que pour nous faire obligation morale d'aller choisir entre deux mala­dies. -- Gangrène progresso-li­bérale, cancer libéro-socialiste, la République vous laisse maî­tres de nommer son principe in­fectieux, qui oserait se tenir à l'écart de la consultation ? La réponse est aujourd'hui connue : les pêcheurs à la li­gne, dont Perret a écrit tout le bien qu'il fallait penser, et un nombre conséquent d'électeurs qui n'ont pas su choisir entre deux gauches, Giscard et Mit­terrand... Je n'aurai garde quant à moi de leur jeter la pierre, elle commencerait par me tomber dessus. Voyons le problème comme il se pose au jugement de l'es­prit civique, sans nous monter la tête avec des certitudes im­possibles dictées par les étiquet­tes électorales et le mensonge audio-visuel du « choix » de société. « *De deux maux,* dit le proverbe, *il faut toujours choisir le moindre. *» Personne n'en discutera l'évidence. Mais qui va décider du « moindre-pire », pour la France, sinon la nature même des maux à af­fronter ? Or nous savons d'ex­périence, historique ou directe, ce qu'ils coûtent tous les deux... 39:254 Le « libéralisme » réalisait au pouvoir, et il continuera d'ail­leurs d'activer sur ses nou­velles positions, une destruction insidieuse de tout ce dont nous vivons : les lois de l'héritage national, c'est-à-dire de l'être français ; l'esprit de sociabilité et de sacrifice ; les vertus chré­tiennes du travail, de la famille et de la patrie. Le « socialis­me » programmait dans l'oppo­sition, et il réalisera au pouvoir, la consécration tapageuse de tout ce dont nous mourons : obsession matérialiste, bureau­cratisme centralisateur, collec­tivisation. Le drame et le mensonge de l'*alternance* libéro-socialiste, c'est d'être bien plutôt une con­tinuité. Il n'existe aucune diffé­rence de nature ou de finalité politique, si l'on considère froi­dement les choses, entre ce que les deux systèmes ont à pro­poser : ici nationalisation mas­sive de l'enseignement privé, là son asservissement sous contrat au naufrage de l'Éducation Na­tionale ([^1]) ; d'un côté la spo­liation publique des propriétés et des héritages familiaux, de l'autre leur étranglement fiscal organisé ; à gauche une fonc­tionnarisation croissante de l'é­conomie sous le contrôle de l'État, à droite (si l'on peut dire) l'asphyxie progressive de l'arti­sanat et de la petite entreprise sous la pression du Capital sans foi ni loi. Etc., hélas, etc. ! Le parti au pouvoir depuis vingt-trois ans n'a rien fait pour épargner à la France la funeste « expérience » qui menace bel et bien de se réaliser. Il aura même œuvré dans le sens exac­tement contraire en débilitant d'avance les meilleurs foyers de résistance au totalitarisme dans l'organisation sociale, pour ne rien dire des propagandes cri­minelles qu'il encourageait par­tout, des bancs de l'école pri­maire aux plateaux de télévi­sion. Je veux bien concéder que ce soit davantage par inconscience ou mépris du réel que par conviction : le président sorti a souvent répété que les siennes propres, dans la mesure où il en reste, ne s'imposaient pas... Mais le résultat est le même aujourd'hui. Avec la ruée aux affaires de la gauche officielle derrière François Mitter­rand, l'État libéral récolte, Gis­card lui-même encaisse et fait payer à la France ce qu'il a semé. Qui a gagné ? qui a perdu ? Un vieux routier de la gauche ouvertement planétaire et socia­liste renverse au passage un technocrate mondialiste et sour­noisement socialisant : on com­prend bien l'accident de par­cours, l'accélération du proces­sus historique, le surcroît de désordre économique et social que le nouvel élu aussitôt va soulever en France s'il débride les processus de sa collectivi­sation -- mais où est donc leur fameux *choix de société ?* Le pouvoir change de mains, de méthodes, de protégés, de parti. Il ne change pas d'idéologie. Giscard en somme vient d'être battu par les siens, -- ceux qu'il lisait à la campagne et choyait à sa table, souvenez-vous... A deux pour cent près, nous les aurions vus demain gouverner la France sous sa li­bérale détermination de progrès. 40:254 Qui aurait gagné alors, qui au­rait perdu...Fallait-il vraiment le sauver contre lui-même et malgré tout, avec l'énergie du désespoir, pour qu'il se repente ensuite (par quel miracle) d'avoir si bien servi la gauche, tant ignoré la France et si fort craché sur son électorat ? Chirac lui-même, qui connaît l'homme, n'en rêvait pas au­tant. \*\*\* Prenons le problème autre­ment. -- Oui, la politique du pire est bien la pire des poli­tiques. Et le pire en politique porte un nom : il s'appelle le *communisme*. A cet égard, on peut tout craindre d'un homme qui a fait alliance électorale avec lui. Fût-il le plus solide, le plus fin manœuvrier du mon­de, comme on voit bien que c'est le cas de François Mitter­rand... Pour déclarer cependant sur cette base la question résolue, il faut beaucoup d'innocence et d'optimisme rétrospectifs (les candidats de la majorité sortan­te n'en manquent pas) ; il faut vraiment se boucher les yeux et les oreilles sur plusieurs com­posantes essentielles du système gaullo-giscardien. En commen­çant par tenir pour politique­ment négligeable que le candi­dat de Moscou, en 1981, c'était encore Giscard, et qu'il l'est resté jusqu'au bout. Personne n'est en mesure d'annoncer aujourd'hui ce que le Parti Communiste « Français » réserve au président en place lorsque l'électrochoc des élections aura été digéré. Nous savons bien par contre ce que le communisme international recevait du généreux Giscard jusqu'au printemps de cette an­née : l'assurance d'une ligne d'inconduite, étrangère aussi bien qu'intérieure, qui l'avan­tage puissamment. En politique étrangère par la *finlandisation*, c'est-à-dire une neutralité ou une servilité croissante de notre diplomatie à l'égard du canni­balisme bolchevique dans le monde entier -- et la caution d'une France communiste ne serait plus ici d'aucun poids. En politique intérieure par le *pour­rissement*, le déclin des vertus civiques et militaires, l'agnosticisme, la démoralisation -- car aucun passage au communisme n'est possible sans invasion étrangère dans un pays croyant et sain : le Brésil, le Chili et l'Argentine sont là pour le prouver. On ne va pas énumérer ici dans le détail les bons offices diplomatiques de Valéry Gis­card d'Estaing au hit-parade de la collaboration : premier de tous les chefs d'État occiden­taux à reconnaître officielle­ment le doux régime des Khmers Rouges pour commen­cer son septennat ; inventeur aussi du génial *moratoire* qui entendait confier la garde des réfugiés du sud-est asiatique à leurs propres bourreaux, et dic­ter en ce sens la conduite de tout l'Occident ; premier enco­re à serrer la main de Brejnev après l'invasion de l'Afghanis­tan... Aucun président « socia­liste » d'Europe occidentale n'aura accumulé, dans la même période, autant de monstrueu­ses complicités. 41:254 Les Français de la Libérale, à l'exemple du président sorti, n'attachaient plus dans leur en­semble aucune espèce d'impor­tance ou de crédibilité durable aux progrès de l'impérialisme soviétique dans le monde entier. Ils n'ont pas cru cette fois-ci en nombre suffisant au péril in­térieur de l'alliance avec le P.C. Et voici que les tenants de la V^e^ appellent à la mobilisation générale ou fondent de trouille dans leurs godillots. Mais qu'ont-ils fait, en vingt-trois ans de pouvoir, pour persuader les électeurs que l'homme du ving­tième siècle n'a pas de pire en­nemi que le communisme, ni de tâche plus urgente que de lui résister ? Qui donc passait son temps à condamner sur nos an­tennes l'anticommunisme « pri­maire, systématique et viscé­ral » des véritables nationaux ? Qui mobilisait la France entière, ses magistrats, ses policiers, ses professeurs, autour du mythe si commode de la renaissance na­zie ? Qui subventionnait géné­reusement de nos deniers pu­blics l'organe central du P.C.F. et les diverses courroies de transmission, sinon la V^e^ Répu­blique et le président sortant ? La première victoire du com­munisme dans un pays ne con­siste pas à gagner des voix aux élections ; elle consiste à ne plus passer pour ce qu'il est *l'ennemi public numéro un*. A cet égard le bilan du gaullisme, historique ou néo, est plus que globalement positif pour la Révolution. L'appareil communis­te a eu tout le loisir d'asseoir ses positions là où elles comp­tent, c'est-à-dire partout sauf au Palais-Bourbon : dans l'école et l'entreprise, l'armée, la po­lice, la magistrature et l'épisco­pat ; ses propagandes, sans au­cun doute les plus volumineuses et les mieux organisées, cou­vrent aujourd'hui légalement tout l'éventail du débat « démo­cratique », on ne le conçoit pas sans eux ; un syndicat aux ordres peut paralyser en une nuit la presse et l'édition... Que le P.C. demain fasse échouer l'alternance en vertu des inté­rêts supérieurs de l'Union, ou profite hardiment de l'aventure socialiste pour tenter le grand coup, -- il faudrait bien que les Français le sachent -- c'est encore à l'héritage de la V^e^ République qu'ils devront de lui en avoir donné les moyens. J'ai d'ailleurs le sentiment, sans vouloir rien pronostiquer quant à l'avenir immédiat, que le Parti a trop reçu de la V^e^ pour aspirer ou conspirer à sa disparition avec François Mit­terrand... On me dira qu'un socialiste libéral, au double point de vue (communiste) de la fin­landisation et du pourrissement, vaut bien un libéral socialisant. Mais ce n'est pas certain, pour beaucoup de raisons. La politique étrangère relève du seul pouvoir présidentiel, qui peut fort bien changer d'at­titude à l'égard de l'impérialis­me soviétique, comme il peut remettre en cause le système de défense gaullien soutenu en France par le Parti de Moscou. 42:254 Quant au dépérissement des forces morales et spirituelles de la nation, personne n'ignore que sur toutes les « évolu­tions » importantes du système libéral -- désarmement de la justice répressive, sexualité obli­gatoire sur les bancs de l'école, libéralisation des drogues pré­tendues douces et des spectacles assurément violents, banalisa­tion intégrale du crime d'avor­tement -- les vues des deux candidats qui se sont affrontés le 10 mai sont étonnamment identiques, à quelques détails d'application près pour ména­ger dans un sens ou dans l'au­tre les sensibilités de l'électorat. Giscard d'Estaing cependant, qu'on voyait à la messe, avait bien davantage d'atouts et de poids pour hâter les choses en ce domaine qu'un François Mitterrand... Mais enfin, ici en­core, qui a gagné les élections, sinon la philosophie même du perdant ? La subversion des mœurs françaises, de l'amitié française, de l'esprit français, reste aussi essentielle au projet de domina­tion communiste sur le monde entier que tous les programmes de nationalisations. Car la réus­site ou le malheur économique ne décide pas de tout. On peut se suicider sur un tas d'or, et trouver sans un sou les chemins de vie. -- Si la majorité sortan­te finissait par comprendre cela, dans l'opposition, il deviendrait enfin spirituellement crédible que le « choix de société » entre les uns et les autres n'est pas un mensonge de plus fabri­qué par l'information. \*\*\* Soyons sérieux. Le socialisme est mauvais, d'expérience, dans toutes les solutions qu'il appor­te aux réelles injustices du pou­voir d'argent ; et le libéralisme corrupteur, technocratique, éta­tisant... la plus mauvaise de toutes les protections politiques contre le mirage d'un socialis­me « à visage humain ». Nous ne sortirons pas de l'étatisme, ni de la corruption des mœurs, ni d'aucune autre décadence, si le débat se poursuit en Fran­ce entre socialistes et libéraux. Les admirables survivants de l'opposition nationale y change­ront-ils quelque chose en re­cueillant 1 à 3 % des voix aux prochaines consultations électo­rales, selon la place que le sys­tème informant assigne d'avan­ce aux avocats du pays réel, et où il a tous les moyens de les maintenir usque ad mortem pour les besoins de sa démons­tration ? La mort dans l'âme, je n'y crois pas. Il n'est pas d'action politique plus nécessaire et plus urgente, au point où nous en sommes, que de *forcer* l'entrée du débat national, avec toutes les vérités que nous défendons : secouer ce joug du véritable pouvoir de destruction et d'asservissement collectif qui est un pouvoir, sur les esprits, au pouvoir des puis­sances fabricatrices d'opinion. Le mental d'abord. C'est pour­quoi nous rouvrons au lance­ment d'un journal quotidien, en réponse au mensonge quotidien du libéro-socialisme antifrançais. 43:254 Ceux qui nous accusent de mépriser la politique pour n'avoir pas pris la défense des millions et des mignons du gis­cardisme, ses avortoirs, ses mo­ratoires et sa décrispation, n'auront vraiment plus rien à dire, -- s'ils trouvent encore dix bonnes raisons de ne pas suivre sur ce terrain. Hugues Kéraly. 44:254 ### Dix jours en tête à tête avec la radio par Louis Salleron JE VIENS DE PASSER DIX JOURS en tête à tête avec la radio. C'est un événement moins banal qu'il ne peut paraître. Tous en effet nous « prenons » la radio de temps en temps pour avoir des nouvelles ou écouter une émission qu'on nous a si­gnalée. Ça n'est pas vivre en tête à tête avec la radio. Opéré de la cataracte le 27 avril au matin, je me suis vu condamné à ne plus lire ni écri­re pendant de longues semaines. Dans la chambre d'hôpital où j'étais confiné, je pensais pren­dre mon mal en patience avec la radio dont je m'étais muni. Quand on a le choix entre France-Inter, Europe, RTL et France-Musique, ce serait bien le diable si on ne trouvait pas de quoi se satisfaire. J'ai déchanté mais en me consolant par l'expérience dont je me suis enrichi. J'ai même eu l'impression de *vivre avec mon temps* pour la première fois depuis de bien longues an­nées. Bref, une cure de rajeu­nissement en attendant qu'un œil tout neuf me rende ma vingtième année aux premiers jours de l'été. Déjà j'avais eu la chance d'entrer à l'hôpital le dimanche 26 avril vers six heures du soir, c'est-à-dire deux heures avant d'avoir les résultats du premier tour de l'élection présidentielle. 45:254 C'est dire que de vingt heures à vingt-trois heures j'ai eu tout le temps de penser à autre chose qu'à mon opération du lendemain. Grâce aux candi­dats à la Présidence je me suis endormi paisiblement en rêvant du nouveau septennat. De sur­croît ce premier tête à tête avec la radio me donnait une leçon dont je vais vous faire profiter. Les commentateurs furent una­nimes à déclarer leur étonne­ment du faible score fait par M. Marchais et du score rela­tivement médiocre fait par M. Chirac. Les sondages furent une fois de plus dénoncés. La leçon que je tirai de ce commentaire unanime est à multiples facet­tes. Je la simplifierai en disant que je ne sais pas pourquoi on dénonce perpétuellement les sondages pour leur inexactitude. La technique de la méthode est parfaitement au point et, si elle est bien employée, donne les résultats les plus proches de la réalité qu'on puisse espérer. Certes il peut y avoir fraude, manipulation, etc., mais je ré­pète que la technique est bon­ne et que les résultats obtenus sont supérieurs à tous ceux qu'on espérerait obtenir par d'autres moyens. En l'espèce les quelque quin­ze pour cent de Georges Mar­chais confirmaient très exacte­ment les pourcentages un peu supérieurs à ceux des sondages successifs enregistrés précédem­ment, et ce que perdait Geor­ges Marchais formait le gain tout naturel de François Mitter­rand qui se trouvait ainsi tout proche de Valéry Giscard d'Es­taing. Quant aux quelque dix-sept pour cent de Jacques Chi­rac ils étonnaient à cause du dynamisme de sa campagne dont certains escomptaient des résultats extraordinaires mais là encore les résultats obtenus confirmaient l'exactitude des sondages antérieurs. Bref, au lieu de dire comme je l'ai en­tendu de tous les côtés à la radio : les résultats du premier tour montrent la vanité des son­dages, on aurait dû dire qu'ils révélaient au contraire la valeur de ceux-ci même à travers les manipulations et les pressions qui s'étaient visiblement exer­cées dans certains instituts d'une réputation mal établie. Je regrette pour ma part que les sondages aient été suppri­més la dernière semaine. Ils eussent été bien intéressants. Ce qui est impossible à savoir c'est l'influence que les sonda­ges peuvent avoir sur le vote des électeurs. Quand les résul­tats diffèrent notablement des sondages, cela ne signifie pas que les chiffres des sondages étaient faux mais que certains électeurs, influencés par eux, ont voté autrement qu'ils n'au­raient fait pour aboutir au ré­sultat qu'ils souhaitaient au fond d'eux-mêmes. Autrement dit pour une grande portion de l'électorat le vote est toujours simultanément *pour* et *contre.* Selon ce qu'indiquent les son­dages ils peuvent modifier leur vote pour arbitrer dans un sens ou dans l'autre le résultat glo­bal de l'élection. En ce vendre­di 8 mai où ces réflexions me viennent à l'esprit, l'incertitude finale de l'élection provient ma­nifestement du tourbillon des aspects *pour* et des aspects *contre* qui se heurtent dans l'es­prit d'un très grand nombre d'électeurs. 46:254 Ni les reports des communistes, ni ceux des chi­raquiens, ni les votes de ceux qui se sont abstenus au premier tour ne sont déterminés. Cette élection marque une transition et une mutation. Une certaine V^e^ République s'achève et une certaine V^e^ République va naî­tre dont nul ne sait si elle sera viable. Les deux personnages les plus représentatifs des petits candidats sont à cet égard tout à fait significatifs. Avec Michel Debré se termine la V^e^ Répu­blique gaulliste et gaullienne. Avec Marie-France Garaud se pointe une République V^e^ ou VI^e^ dont chacun se demande sera-t-elle dieu, table ou cuvette. Pour celui qui comme moi ne lit plus de journaux depuis dix jours le débat a quelque chose de surréaliste. Je ne sais ce que donnait à la télévision le face à face Mitterrand-Giscard, mais à la radio on se serait cru dans la lune. De peur d'être accusés de favoriser l'un ou l'autre des deux candidats, les postes de radio déclaraient le match nul et ils enregistraient impartiale­ment les chants de victoire des supporteurs de l'un et l'autre candidat. Il eût été facile de dire que Giscard d'Estaing do­minait Mitterrand par une dia­lectique infiniment plus subtile, mais que Mitterrand bénéficiait en quelque sorte de sa propre infériorité par un embarras de parole qui le rendait plus pro­che de son public et lui confé­rait un brevet de légitimité po­pulaire dont était dépourvu son concurrent. Au fond, deux courants con­traires coexistent dans la masse électorale. Le premier est celui de la vieille gauche tradition­nelle qui entend prendre sa re­vanche d'une droite dont on commence à se fatiguer. Le se­cond est celui du vieux conser­vatisme traditionnel qui entend ne pas exposer aux aventures d'un socialisme peu sûr de lui-même les acquis d'une longue période de liberté bourgeoise. Il faudrait un sondage par jour pour enregistrer les flux et les reflux de ces deux courants dans l'électorat. Le côté comi­que de la métempsycose cons­titutionnelle que nous sommes en train de vivre a été fourni par la déclaration du général de Boissieu déclarant qu'il dé­missionnerait de sa fonction de grand chancelier de la Légion d'honneur si François Mitter­rand était élu parce que ce dernier avait jadis insulté son beau-père. Ah, quel bonheur d'avoir un gendre ! Pendant ce temps la Bourse imperturbable, et plus manipulable encore que les sondages, enregistre jour après jour la victoire de Valéry Giscard d'Estaing lequel d'ail­leurs depuis l'attentat d'Ajaccio est assuré des « sentiments in­défectibles d'amitié » de M. Brejnev. Resterait à savoir ce que nous voulait le trappiste défroqué détourneur d'avion. Il s'en est expliqué paraît-il dans un long mémoire qu'il a rédigé au Touquet-Paris-Plage. On ne nous a dit qu'une chose, c'est qu'il s'agissait du troisième se­cret de Fatima. 47:254 Bon. Je m'aperçois que je voulais parler de la radio pour dire à quel point ce n'était qu'un amas d'inanités sonores et je voulais en apporter ici la dé­monstration à travers quelques exemples qui me montent à la mémoire. Mais ce serait du temps perdu pour tout le mon­de et je ne veux pas abuser de l'obligeance amie qui enregistre ces propos décousus. J'espère que la prochaine fois mes yeux recouvrés me permettront d'écrire moi-même les réflexions que me suggéreront les événe­ments intérieurs et extérieurs qui accompagneront les débuts du nouveau septennat présiden­tiel. 8 mai 1981. Louis Salleron. 48:254 ### Lettre ouverte à Jean Madiran *Pour le 25^e^ anniversaire* par Jacques Vier Sur l'usage d'un adjectif démonstratif Cher Jean Madiran. Je ne sais si vous avez lu la masse de pages (503) sous lesquelles M. Henri Guillemin vient de tenter d'enfouir la gloire de Péguy. Ce compilateur, comme tous ceux de sa race, ne possède au ser­vice de l'histoire et de la critique littéraires que deux instruments, le scalpel et l'encensoir. Sa spécialité consiste à apparaître un temps plus ou moins long après décès, et à interpeller des dépouilles ou à renouveler de solennelles funérailles. Chateaubriand, Benja­min Constant, Alfred de Vigny, Montalembert, Claudel ont été disséqués, Zola embaumé. 49:254 Bernanos dut à son ralliement à la Qua­trième république de ne pas perdre ses droits au mausolée, à vrai dire concédé de justesse. M. Henri Guillemin eut moins de chances avec les grandes figures historiques. Les spécialistes ne supportèrent pas que l'on parlât de Jeanne d'Arc sur un certain ton ni avec une telle indigence de documents. Il en cuit encore à l'incompétent indiscret. On le laissa déblatérer à son aise sur les Napoléons, exalter la Commune, souffleter les épurés de 1945. Mais tant de réquisitoires, coupés de rares apothéoses, ne satisfaisaient pas une conscience inquiète et bourrelée de scrupules sinon de re­mords. M. Henri Guillemin a une mission à remplir et, sur le penchant de l'âge, il a conscience de ne lui avoir pas été assez fidèle. Il avoue avoir été tourmenté de longues années par la vie, l'œuvre et la survivance de Péguy. Allons-nous le croire sur pa­role ? Oui, mais ce n'est pas tout. Certes, depuis longtemps il rêvait d'enquêter sur l'homme qui fit de sa vie et de son œuvre une offrande et qui mourut comme il écrivit, en plein jour et sur la crête de la tranchée. Notons en passant, mais nous y reviendrons, que ce détail arrête un instant et à la dernière page de son livre notre fouilleur d'archives, qui a reçu de ses maîtres non pas le respect mais la religion de l'autographe et de l'imprimé. Avec lesquels du reste, il n'est pas toujours impossible de prendre les libertés que, chez Molière, l'on prend avec Dieu. Il est sûr en tout cas, que si Péguy avait survécu à la guerre et était mort dans son lit, M. Henri Guillemin, affamé de justice, comme l'on sait, eût écrit 1.500 ou 20.000 pages et eût mis en citations et références l'œuvre intégrale de l'infortuné. Il savait qu'il écrirait sur Péguy depuis le temps où François Mauriac, non sans ironie probable, l'avait adoubé pour cette tâche. Et pourtant ces 503 pages, cette scrupuleuse enquête qui n'entend pas seulement tirer parti des contradictions de l'homme mais répandre le doute sur la qualité littéraire d'une œuvre que l'interprète de la postérité réduit à quelques quatrains, ne sauraient être en elles-mêmes une fin. Il faut les prendre pour un simple moyen, un de plus, pour une tentative supplémentaire afin de triompher de l'impossible. Car M. Henri Guillemin est travaillé d'une passion que rien ne peut satisfaire. J'ai bien des fois écrit que le but de sa vie d'écrivain, le *Livre* au prix duquel ses cinquante volumes publiés ne sont que broutilles, c'est le démantèlement de l'œuvre de Charles Maurras. Cela doit dater du *Sillon* dont la débâcle lui mit la plume en main et, sous le pseudonyme de Christianus, lui dicta la nature et l'ultime fin de son apostolat. Seulement voilà, il est impossible de mordre sur la bibliographie maurrassienne, l'au­teur de la *Démocratie religieuse* demeurant rebelle à tout déballage de citations interprétées. 50:254 Le travail put être tenté par un cardinal, en vue d'une inquisition vaticane, mais le chêne demeurant debout, il devenait ridicule de grignoter son écorce fibre à fibre. Le *ne varietur* de Maurras stérilisait d'avance les constats de contradic­tion, les doutes habilement répandus sur la bonne foi de l'auteur, les itinéraires cauteleux conduisant à la victoire du scholiaste. On ne jette pas à bas une bibliothèque inaccessible aux rongeurs. Et M. Henri Guillemin cherchait comment tourner l'obstacle. Alors jaillit en lui l'idée d'un irrécusable diptyque. Bernanos, d'abord fidèle à Maurras, se détacha de lui jusqu'à claironner partout son reniement. Péguy, d'abord parti du socialisme, finit dans le voisi­nage barrésien de l'Action française. Louer l'un de son évolution, maudire l'autre de la sienne, quel festival en perspective de cita­tions surveillées, les unes progressant vers le mieux, les autres séduites par le pire. Et M. Henri Guillemin au milieu, réglant la chorégraphie d'un ballet d'apocalypse où Charles Maurras, à tra­vers le juste et le pécheur, se voit habilement, et toujours par pro­curation, affronté à ses fins dernières. J'ai toujours pensé qu'il y a du psychopompe chez M. Henri Guillemin encore plus que du Fouquier-Tinville ou du procureur Mornet, chargés, en des époques mémorables, de l'équilibre justicier. \*\*\* De telles précisions étaient indispensables pour saisir toutes les nuances encloses dans un simple adjectif démonstratif, et s'en réjouir comme il se doit, car, désireux d'associer le plus de com­pagnons possibles au naufrage de Péguy, aussi soigneusement or­chestré que fabriqué, M. Henri Guillemin s'est préoccupé de vous y joindre, cher Jean Madiran, et sous la forme la plus brève ima­ginable, apte à exprimer toute une quintessence de hargne et d'animosité. Vous voilà désormais inscrit en un palmarès qui ne peut qu'exciter la jalousie. « En novembre 1967, est-il dit dans ce livre, la revue d'extrême droite ITINÉRAIRES s'enrichit d'un dithy­rambe où sont réunis Maurras et Péguy, œuvre d'un nommé Charlier qui, dans le numéro 82 de la *Défense de l'Occident* (juin 1969) rend compte avec ferveur d'un ouvrage signé Madiran (*L'Hérésie du XX^e^ siècle*) ; ce dernier, dit le commentateur, a constamment pensé à Péguy tout au long de son ouvrage », Péguy, « ce témoin implacable, à la voix prophétique ». 51:254 Une note de cette même page 28 tente d'aiguiser le dard : « En novembre 1978, le R.P. Bruckberger saluait comme un allié de sa propre croisade CE Jean Madiran « seul de nos écrivains qui maintienne parmi nous la voix grave, nécessaire, obsédante, de Péguy » ([^2]). » Laissez-moi vous le dire tout franc, je suis ravi, transporté, ébloui de ce démonstratif. Comment votre place n'aurait-elle pas été marquée dans un Péguy aux outrages, puisque le noble fré­missement qui fait à peine tressaillir votre style, dissolvant sans égal des insanités contemporaines, vous fut transmis par le héraut de sainte Jeanne d'Arc, comme un legs à faire fructifier dans le champ que le Seigneur vous avait réservé. Peut-être M. Henri Guillemin vous en veut-il de n'avoir guère été mentionné dans vos propres ouvrages, comme si sa façon de citer et d'argumenter, contre les défenseurs de l'Église et en faveur de ses ennemis, ait pu lui donner quelque titre à votre attention. Surtout il voit, et cette fois il a raison, dans la revue ITINÉRAIRES, la suite et le renouvellement des *Cahiers de la Quinzaine.* A partir du moment où les labours post-conciliaires creusent et ensemencent de nou­veaux *Sillons,* celui qui signait *Christianus* ne peut qu'invectiver contre ceux qui combattent le désordre établi. Zola au Panthéon, saint Pie X aux oubliettes, Charles Maurras mort, ou peu s'en fallut, en prison, M. Henri Guillemin pourrait savourer quelque détente et quelque joie. Mais il y a CE Madiran, il y eut « le nommé Charlier » pour maintenir intact l'héritage d'un homme qui, venant de Chartres, se serait volontiers arrêté à Versailles pour boire à la santé du Roi. A supposer que vous eussiez pris le temps de vous occuper de M. Henri Guillemin, vous l'eussiez fait sans passion ni mépris mais avec cette logique souveraine qui n'a pas besoin de désorienter les textes pour leur faire dire ce qu'ils ne contiennent pas. A la réflexion, ce démonstratif qui me hante trahit peut-être quelque crainte. N'aurait-il pas l'espoir de passer inaperçu ? Il est si petit, minuscule même ! Hypothèse à rejeter puisque la suite du discours montre bien que le biographe de Péguy entend éclabousser de son dédain quelques-uns de ceux qui furent ou qui sont les meilleurs et les plus saints de vos amis. Et pourtant laissez-moi rêver encore. Sommes-nous bien sûrs que « CE » Madiran ait valeur péjorative, au sens très exact du pronom latin *iste *? Lequel peut aussi inclure l'éloge et même l'emphase. M. Henri Guillemin le sait-il ? Quant aux lettres anciennes, il ne faut pas toujours le croire sur parole, tout agrégé qu'il soit. 52:254 Il voulut un jour nous convaincre que Félicité de La­mennais souffrit dans sa jeunesse d'érotisme rentré. N'avait-il pas composé à La Chesnaie en 1812 un *hymne ityphallique *? M. Henri Guillemin ignorait que l'expression, prosodique et nullement obscè­ne, ne désignait qu'un mètre particulier de la poésie latine. Il fit son *mea culpa* depuis ([^3]), mais sans racheter la première bourde ; si sa science progresse, son aversion stagne. Supposons un instant que ce « CE » fût laudatif et qu'il ait voulu faire votre éloge ! Il est vrai que l'apposition *revue d'extrême droite,* accolée à ITINÉRAIRES, remet les choses au point, mais, en appliquant la définition lumineuse que vous inspira naguère la droite, conçue comme une invention de la gauche, il faudrait faire de l'extrême droite la création de l'extrême gauche et envisager, par conséquent, la collaboration de M. Henri Guillemin ! Impensable me direz-vous. Soit, mais il ne faut pas décourager la contrition, même si le coupable devait 503 fois se frapper la poitrine. En ce cas il suffirait de canaliser le repentir. Reste un dernier sens, mais qui, cher Jean Madiran, ne vous est plus applicable, car M. Henri Guillemin n'a pas, que je sache, d'attaches méridionales. En revanche mes propres origines langue­dociennes me permettent de le gratifier lui-même du démonstratif en question. Seulement, dans mon pays, on ajoute une locution adverbiale et l'on accompagne le tout d'un hochement de tête « CE Guillemin tout de même ! » Avec la signification approxi­mative suivante : « Voyez-vous, il a dit pis que pendre de Cha­teaubriand, de Vigny, de Montalembert, de Claudel et de combien d'autres suppôts de la réaction ! Alors il amusait le tapis, quelque­fois sifflé, parfois toléré, jouant tant bien que mal au soldat contes­tataire de l'imperator. Va-t-il maintenant oublier que la balle qui tua Charles Péguy visait à la tête et non pas au-dessous du cœur ? » Que non pas ! Sa cinq cent troisième page a trois lignes d'attendrissement où l'on chercherait volontiers une larme car M. Henri Guillemin a coutume de s'émouvoir sur ses victimes. Reste à savoir si une oasis aussi maigre suffit à rompre la mono­tonie du désert. Veuillez, cher Jean Madiran, en ce vingt-cinquième anniversaire, accepter avec l'expression de ma vive admiration, celle de mes vœux les meilleurs pour la prospérité d'ITINÉRAIRES. Jacques Vier. 53:254 ### La liberté a besoin d'être éduquée par Gustave Thibon JE TROUVE les lignes suivantes dans un grand quotidien parisien « La notion de faute d'orthographe est culpabilisante et doit être dénoncée comme telle, affirme le syndicat des élèves-maîtres d'une École normale de l'Ouest en réponse à un professeur refusant de donner la moyenne aux copies à l'orthographe délirante. Mieux encore : dans un collège du Centre, il est conseillé aux enseignants de ne jamais dire à un élève : c'est bien, ou : voilà la bonne réponse, les notions de bien et de bon étant liées à celles de mal et par conséquent moralisantes. » J'essaye péniblement de comprendre. Si l'on proscrit comme moralisant, et par suite comme culpabilisant, tout usage des no­tions de bien et de mal, on arrive à cette conclusion paradoxale que l'unique mal est de faire une distinction entre le bien et le mal, c'est-à-dire que toutes les conduites se valent et que rien n'est préférable à rien. Ce qui implique une contradiction interne, car donner des directives à un professeur pour qu'il s'abstienne de noter les copies afin de ne pas traumatiser les élèves, c'est encore une attitude moralisante : si tout est permis, il est permis aussi de ne pas permettre et la logique de l'illogisme veut qu'il soit indifférent de noter ou de ne pas noter les copies ! 54:254 Ces énormités n'écorchent ni la langue qui les prononce ni la main qui les écrit. Mais dans les choses de la vie ? Quelle serait la réaction d'un de ces intellectuels distingués si, au détour du chemin il se voyait agressé et détroussé par un loubard qui fut jadis son élève et s'entendait dire s'il avait l'audace de protester : « Que signifie cette attitude moralisante et pourquoi tenez-vous à me culpabiliser ? Je ne fais qu'appliquer vos propres principes. » On me dira qu'il y a loin de la bénigne faute d'orthographe à la délinquance ou au crime. Certes, mais on y trouve déjà, à l'état d'ébauche, le même défi aux lois et aux conventions qui régissent toute vie sociale. Le mauvais élève se comporte avec les règles de la grammaire comme le chauffard avec le code de la route ou le voleur avec les lois concernant la propriété. Pas d'intervention moralisante à l'école. Mais qu'est-ce donc que cette morale si détestée ? Tout simplement, à son niveau le plus humble, un ensemble de règles et d'usages qui rend possible la vie en société et qui repose sur ces deux évidences : a\) l'être humain ne peut ni subsister ni se réaliser sans l'aide de ses semblables ; b\) il n'est pas directement structuré par la nature pour vivre harmonieusement en société. Il porte en lui des instincts favorables à l'existence en commun (sympathie, amour, dévouement, etc.) et d'autres hostiles (égoïsme, agressivité, paresse...) -- et c'est la tâche de l'éducation de développer les premiers et de réprimer les seconds. A-t-on jamais vu une société d'où seraient bannies les notions de bien et de mal et les sanctions qui s'y rattachent ? Qu'on ait trop insisté sur le côté négatif et répressif de la morale, qu'on ait multiplié sans raisons sérieuses les conventions et les interdits et que, par là, on ait culpabilisé des innocents, ce fut trop souvent l'erreur des générations précédentes. Faut-il pour cela se ruer vers l'excès inverse et substituer à l'abus des feux rouges la généralisation des feux verts à tous les carrefours et dans toutes les directions ? « Méthode répressive et périmée » affirme le document syndical cité plus haut à propos des notations scolaires. La notion de faute doit être abolie, car elle éveille le sentiment de culpabilité. On ne parle ici que de l'école, mais puisque le principe est si bon, pour­quoi ne pas l'étendre aux autres circonstances de la vie ? Trans­férez cela dans le concret. Faut-il ne faire aucune différence entre l'élève qui traduit correctement la phrase latine : *cerva pueros peperit* (la biche mit bas ses petits) et celui (j'ai eu la copie sous les yeux) qui, après avoir hâtivement consulté le dictionnaire (pa­rio : mettre bas -- pueri : petits) traduit par : la biche mit ses socquettes ? 55:254 Alors, à quoi sert l'école ? Ou bien, est-ce culpabiliser les sportifs que d'homologuer leurs performances respectives et de leur attribuer des rangs inégaux dans les résultats de n'importe quelle compétition, une course cycliste par exemple ? Ou encore faut-il, dans une entreprise, ne pas tenir compte de la qualité du travail de chaque membre du personnel, ou, en justice pénale, « comprendre » le délinquant jusqu'au point de ne plus le distin­guer des honnêtes gens ? Cet égalitarisme de pacotille prépare-t-il les jeunes à la vraie vie qui est faite de compétitions où les mieux doués et les plus actifs l'emportent fatalement sur leurs rivaux ? Ne pas culpabiliser ? Il est bon, au contraire, que l'homme se sente fautif là où, effectivement, il y a faute. Car la vie est une course d'obstacles et la conscience d'avoir mal fait est aussi, sauf dans les cas pathologiques, une incitation à mieux faire. Si personne n'est coupable de rien, il n'y a plus ni liberté ni responsabilité, et l'homme et la société s'en vont à vau-l'eau. Pour éviter les morsures de la mauvaise conscience, on élimine la conscience tout court... « L'homme est né bon, c'est la société qui le gâte. » Fidèle à cette maxime de Rousseau, nos éducateurs dans le vent font un crédit illimité à la spontanéité, à la « créativité » de l'enfant. Leur anti-morale peut se définir ainsi : est bon tout ce qui résulte de l'impulsion, du caprice ; est mauvais tout ce qui comporte un élément de dressage et de contrainte ; en d'autres termes, la vie n'est plus qu'un jeu sans règles du jeu. On commence, hélas, à connaître les résultats de cet optimisme infantile : chute vertigi­neuse du niveau scolaire, prolifération des « paumés » et des marginaux, augmentation de la délinquance, etc. Les « loubards » qui s'amusent à poser des pavés sur les voies ferrées ou à bom­barder les trains de projectiles représentent le type accompli de l'éducation non répressive : ils exercent sans scrupules leur créa­tivité négative ! Si l'éducation de la liberté, avec les sanctions qu'elle comporte, ne commence pas à l'âge où l'être humain est le plus malléable, c'est-à-dire dans la famille et à l'école, les réflexes anti-sociaux s'incrustent en lui, ce qui rend plus difficile son adaptation ulté­rieure aux nécessités et aux devoirs de la vie. Sans compter que le laxisme fait automatiquement le lit du rigorisme. Toute société qui se décompose réagit tôt ou tard, pour ne pas mourir, par un durcissement inhumain des lois et des mœurs. 56:254 Tel l'alcoolique qui se voit contraint à ne boire, au lieu du vin dont il avait abusé, que l'eau dont il avait ignoré l'usage. Vive l'ivresse, mais gare à la cure de désintoxication ! Nous voyons déjà poindre quelques indices de ce durcissement, par exemple, dans les récentes condamnations à mort par les jurys populaires ou dans les lois anti-terroristes, qui, pour mieux atteindre les criminels, restreignent les libertés des honnêtes gens. On confond d'abord la liberté avec la licence, puis la confusion s'opère en sens inverse : pour parer aux ravages de la licence, on étouffe la liberté. Gustave Thibon. 57:254 ### Jules l'imposteur *Une lecture de la République* par François Brigneau **10. -- **LE COUP DE L'ARTICLE 7. Le 5 janvier 1879, 82 sièges de sénateurs étaient à pourvoir. Les républicains en con­quièrent 66. Les voici maîtres des deux assemblées. Mac-Mahon reculait depuis six ans sur des positions pas toujours préparées à l'avance. Aujourd'hui le trouve acculé. Il n'a cessé de se soumettre sans que sa soumission soit jamais estimée suffisante. Il n'imagine rien d'autre que de se démettre. 58:254 « *Mac-Mahon avait toutes les qualités de sa race sur le champ de bataille, il en eut tous les défauts au pouvoir,* écrit Drumont. *Il fut invraisemblablement grotesque comme Président, se laissa chasser d'une position inexpugnable, ne parvint jamais à rien comprendre et finit par capituler honteusement devant quelques avocats qui tremblaient dans leur peau chaque fois qu'il cherchait son mouchoir, croyant qu'il allait saisir son épée. *» ([^4]) Gambetta, Ferry et les autres réclamaient la tête des chefs d'armée qu'ils ne trouvaient pas assez républicains. Mac-Mahon refusait. Mais pour ne pas les révoquer il s'en va, les livre à son successeur et les perd. Le cardinal de Bonnechose tente une ultime démarche. Il court à l'Élysée. Il exhorte le Maréchal. -- Rien n'est perdu. Congédiez la Chambre pour un mois. Appelez auprès de vous vos généraux et d'abord les plus menacés. Formez un cabinet d'action... ([^5]) Ce dernier conseil paraît particulièrement judicieux. Le premier ministre en exercice, M. Dufaure, court allègrement sur ses 81 ans. Libéral, respectueux du parlement, excellent homme au demeurant, il gouverne comme on danse le tango : un pas en avant, deux en arrière. En 1879 on ne dansait pas le tango. Mais on hésitait, déjà. Le Maréchal écoute en silence. On dit de lui : un fourbe qui ne parle jamais mais qui ment toujours. Cette fois encore il ne répond pas. Mais sa décision est prise : il s'en va. Le 30 janvier 1879 il démissionne, avant midi. Le soir même son remplaçant est élu. Heureuse époque. Les campagnes électorales ne traînaient pas. Par 563 voix sur 713 votants Jules Grévy devient président de la République. C'est un avocat médiocre, marié à la fille d'un cabaretier. Amateur de bonne chère, très adroit au billard, la poli­tique l'a enrichi. « Il abomine les prêtres et les rois. » Il appartient à la Franc-Maçonnerie ([^6]) (Loge : La Constante Amitié). Son élection provoque donc l'allégresse. Le 31 janvier, la *République française* écrit : « *Depuis hier* nous sommes en République. » Et *La Révolution :* « *Ce qui s'est accompli hier à Versailles est plus que le remplacement d'un homme par un autre : c'est la fin d'un système et l'inauguration d'un gouvernement nouveau. C'est une révolution légale... La République des Républicains va com­mencer. *» 59:254 Naturellement Mac-Mahon félicite son vainqueur, le premier président franc-maçon de France, qui depuis 1873 n'a pas manqué une occasion de le ruiner. On n'est pas plus niais. Grévy lui ne s'attarde pas à ces fariboles héritées de l'Ancienne France. On piaffe dans les Loges. La fin des couvents préparée depuis dix ans par les convents mais retardée par l'Assemblée des ruraux, par l'Ordre Moral, par Mac-Mahon lui-même, le temps est enfin arrivé qui va permettre de la réaliser. Le premier cabinet de la présidence Grévy, le cabinet Waddington, témoigne de cette volonté. Sur les dix ministres qu'il assemble, six sont protestants (Le Royer, Léon Say, Waddington, Jauréguiberry, général Gresley. Chez Juliette Adam, M. de Laspeyrie dit : « C'est la revanche de la Saint-Barthélemy »). Sept sont maçons. Ceux-ci occupent les ministères-clés. Charles Lepère est à l'Intérieur et aux Cultes ; Le Royer et Goblet (secrétaire d'état) à la Justice ; Léon Say aux Finances ; le général Gresley à la Guerre ; Tirard, vénérable de la Loge « Le Parfait Silence », au Commerce ; et, enfin, à l'Instruction publique (et aux Beaux-Arts), l'homme de la situation, Jules Ferry, qui fait la liaison : maçon, il est marié civilement à une protestante. Un homme des Lumières à chaque poste. Tout est en place pour le quadrille des enfants de la Veuve. La République des républi­cains va effectivement pouvoir commencer. On connaît son mot d'ordre. C'est Gambetta qui le lui a donné, le 3 mai 1877, en criant à la tribune de la Chambre : « Le cléri­calisme voilà l'ennemi. » ([^7]) Dans la guerre religieuse qu'il annonce, le ministère de l'Instruction publique est essentiel. Ferry ne le doit pas à ses compétences. Un orfèvre, M. Francisque Bouil­lier, ancien inspecteur de l'Instruction publique, ancien directeur de l'École Normale Supérieure, membre de l'Institut, porte sur lui un jugement sans complaisance. Dans son *Université sous M. Ferry* on peut lire : « *Je ne pense pas qu'en aucun temps, malgré tous les hasards de la politique et toutes les intrigues parlementaires, l'université ait jamais vu arriver à sa tête un ministre qui lui fut aussi complètement étranger et plus ignorant de toutes choses en matière d'instruction publique. *» ([^8]) 60:254 Sa promotion il la doit à son « *ardeur irréligieuse qui, alors* (*comme aussi longtemps après*) *passait pour tenir lieu de tout. Il ambitionnait de conduire la grande entreprise qui avait pour but de porter à la foi une atteinte mortelle. Il s'offrit. Il fut, non seulement accepté et sou­tenu, mais, en outre, il bénéficia d'honneurs spéciaux, d'une intro­nisation solennelle et même tout à fait exceptionnelle... Quelle passion lourde, ardente, indomptable il mit au service de la propa­gande et de la révolution irréligieuses ! Personne n'a raconté com­ment cet homme qui appartenait à une famille catholique était devenu de bonne heure obsédé d'athéisme. Jusque dans ses lettres intimes, Jules Ferry éprouvait le besoin de se déclarer athée et se plaignait de ne pouvoir l'être complètement dans ses discours publics. Il enrageait d'avoir pour électeurs des républicains qui allaient à la messe et qui faisaient des processions. Lui-même l'a dit. Il trouvait aussi que bon nombre de ses amis politiques étaient de pitoyables libres-penseurs. Dès 1871 et plus tôt encore il aurait, de tout son cœur, voulu abolir le Concordat. Mais force lui était d'attendre que la France fût préparée à faire ou à laisser faire cette réforme. Jusque là, quelle œuvre du même genre entrepren­dre ? La laïcisation de l'enseignement ; laïcisation décidée et pré­parée dans les Loges Maçonniques. Et voilà comment Jules Ferry, ayant fait offre de service, reçut de la Maçonnerie une investiture solennelle *»*.* ([^9]) Après la dislocation du cabinet Waddington, si Ferry se succède à lui-même dans les deux cabinets Freycinet, s'il occupe ce même ministère de l'Instruction publique dans les deux ministères qu'il va présider c'est que la Franc-Maçonnerie l'a choisi et imposé. Il y a d'ailleurs un signe qui ne trompe pas. A partir de Grévy, jusqu'à la guerre de 1914 les ministres de l'Instruction publique seront presque tous francs-maçons : après Ferry ; Paul Bert, Goblet, Spüller, Lockroy, Bourgeois, Dupuy, Combes, Bienvenu-Martin, Briand, Doumergue, Maurice Faure, Théodore Steeg, Viviani. Quand ils ne sont pas maçons, le président du Conseil l'est ([^10]). En 1879 Ferry est aux yeux de la maçonnerie l'homme capable de changer le cœur de ce vieux peuple monarchiste et chrétien, en réalisant les trois points (évidemment) du programme fixé par Gambetta en septembre 1878. Première étape : dissolution des congrégations. Seconde étape : laïcisation de l'enseignement. 61:254 Troi­sième étape : séparation de l'Église et de l'État. Afin « non seule­ment d'affirmer la République mais de la fonder sur des bases solides » et, selon le mot de Léon Bourgeois ([^11]) : de « *substituer à l'esprit de l'Église l'esprit de la Réforme, l'esprit de la Révolution, l'esprit de la République *»*.* L'entreprise n'est pas mince. Pour la mener à bien il faut de grandes vertus et des vices supérieurs. Ferry les possède, on va le voir bientôt : précis, volontaire, acharné et sans scrupules ; passionné et froid ; dissimulé, retors, et brutal ; tenace, avec le goût du travail et capable de toutes les roueries, de tous les subterfuges pour conduire à son terme la tâche commencée. Il possède également l'avantage d'un plan préparé de longue date. La rapidité de la manœuvre en est la preuve. Le ministère Waddington se présente devant la Chambre le 6 février. Le 15 mars Ferry dépose sur le bureau de l'Assemblée deux propositions qui sont des défis et qui cachent un piège. Le premier de ces projets modifie le conseil supérieur de l'Ins­truction publique et les conseils académiques. Sous le prétexte de préférer « les compétences aux influences sociales » Ferry évince les évêques des premiers et les religieux enseignants des seconds. Le second projet se présente comme une réorganisation laïque de l'enseignement supérieur. L'article 1 supprime les « jurys mixtes » qui permettaient aux étudiants des universités libres de se présenter, pour l'obtention des grades universitaires, devant des professeurs qui ne provenaient pas tous des universités d'État. Désormais, seuls les professeurs d'État feront partie des jurys. L'article 4 interdit aux établissements libres de prendre le nom d'universités et de donner à leurs diplômes les noms de bacca­lauréat, licence ou doctorat. L'article 8 statue que seule une loi pourra reconnaître d'utilité publique un établissement libre. Tout cela est connu. En 1876 ces mêmes textes avaient été repoussés par le Sénat. Mais la Droite y dominait. Tel n'est plus le cas. Ferry revient donc à la charge et profite de son avantage pour aller plus avant. C'est là qu'apparaît la fourberie. Dans cette loi limitée à l'enseignement supérieur il glisse un article vicieux, le fameux article 7, qui vise également le primaire et le secondaire. 62:254 Cet article 7 est ainsi rédigé : « *Nul n'est admis à diriger un établissement public ou privé, de quelque ordre qu'il soit ni à donner l'enseignement, s'il appartient à une congrégation non autorisée. *» Le but est bien cadré. L'enseignement privé (1.600.000 élèves ; un garçon sur cinq ; une fille sur deux) est essentiellement donné et dirigé par des congrégations non autorisées. C'est-à-dire des congrégations que la Révolution avait mises hors la loi républicaine (Liberté ; égalité ; fraternité) et bannies, mais qui sont revenues depuis, tolérées sans avoir jamais été officiellement reconnues. La plus célèbre d'entre elles est la Compagnie de Jésus. C'est elle que Ferry veut atteindre et détruire. Il ne s'en cache pas : -- La Compagnie de Jésus non seulement n'est pas autorisée, mais elle est prohibée par toute notre histoire, dit-il. Il faut fermer ces maisons où l'on tient école de contre-révolution, où l'on ap­prend à détester et à maudire les idées qui sont l'honneur et la raison de la France moderne ([^12]). Peu lui importe qu'elles aient formé Condé, Descartes, Bossuet, Bourdaloue, Molière, Voltaire, saint François de Sales, Richelieu, Rohan, Villars, Lamartine et combien d'autres que toute notre histoire n'a pas prohibés. Peu lui importe même que ces fils de l'obscurantisme aient parfois quitté l'école de la contre-révolution pour celle de la révolution. L'essentiel c'est d' « écraser l'in­fâme ». L'article 7 le touche de plein fouet. S'il est voté il ne reste plus grand chose de l'enseignement privé en France. Il ne reste plus rien du tout de l'enseignement français dans le monde. Celui-ci se trouve dans sa totalité dispensé par les congrégations maudites : Jésuites, Lazaristes, Oblats de Marie Immaculée, Pères du St Esprit, Pères Blancs, Missions africaines de Lyon, Maristes, Pères de Picpus, Dominicains, Capucins, Franciscains, Sulpiciens, Frères enseignants essaimés dans 13.000 écoles, 124 collèges, 2 universités et 304 orphelinats. L'article 7 les balaye. -- Vive l'article 7, clame le F**.·.** M**.·.** Paul Bert à la fin d'un banquet de Vignerons, auquel assiste un autre F**.·.** M**.·.**, le frère Charles Lepère, ministre de l'Intérieur et des Cultes. Je bois à la destruction du phylloxéra... Le phylloxéra qui se cache sous la vigne et l'autre... le phylloxéra que l'on cache avec des feuilles de vigne. Pour le premier nous avons le sulfure de carbone ; pour le second, l'article 7 de la loi Ferry... 63:254 Quand nous aurons l'article 7 nous l'essaierons... Mais s'il ne répond pas à notre attente nous n'hésiterons pas à chercher un insecticide plus puissant pour sauver la France ([^13]). **11. -- **LA RÉPUBLIQUE DICTATORIALE. La stupeur passée, les catholiques essayent d'organiser la riposte. Le 20 mars, le cardinal Guibert se rend à l'Élysée. Il y découvre un Grévy contrit, qui avoue son impuissance. -- Je n'y puis rien, dit le président de la République. Il m'est souvent fort difficile de faire accepter mon opinion par le conseil des ministres, et à plus forte raison par la majorité parlemen­taire ([^14]). Ce n'est qu'une attitude. Devant ses amis le joueur de billard tient un propos différent. Bernard Lavergne note dans son journal : « *Avant notre conversation politique en tête à tête, Grévy cau­sant avec M. Périvier, premier président de Besançon, républicain éprouvé et magistrat éminent, en vint à donner les motifs saisis­sants qui nous empêchaient de permettre aux congrégations non-autorisées d'enseigner. Il nous raconta l'entretien qu'il avait eu sur ce sujet avec le cardinal Guibert, archevêque de Paris. Voici la conversation :* L'ARCHEVÊQUE : *Je viens vous porter mes doléances et mes pei­nes : on traite bien sévèrement et bien illégalement nos sociétés religieuses.* GRÉVY : *Puisque vous portez le terrain sur la légalité, Monsei­gneur, voulez-vous que nous examinions à ce point de vue ce qui a été fait ?* L'ARCHEVÊQUE : *Volontiers.* GRÉVY : *Aucun pays, n'est-ce pas, ne souffre chez lui des associations qu'il n'a pas autorisées ? Au point de vue de la loi vos sociétés n'existent pas. On ne leur accorde aucun droit civil, ni civique. Un Chinois viendrait à Paris avec la prétention d'enseigner qu'il ne le pourrait pas. Vos sociétés n'existent pas.* 64:254 L'ARCHEVÊQUE : *Mais ceux de ses membres qui enseignent le font comme de simples citoyens, non comme membres d'une association.* GRÉVY : *Voyons, Monseigneur, entre nous, puisque nous sommes en tête à tête, est-ce que, quand je vois cinq ou six jésuites réunis pour enseigner, est-ce la Société qui enseigne, oui ou non ?* *Grévy conclut :* « *Je le tins* « *capot *» *tout le temps, sans un mot de réplique. *» ([^15]) L'expression, empruntée aux salles de jeu et de billard (« faire capot » signifie : battre un adversaire aux cartes sans lui permettre de réussir une levée) révèle l'agressivité du faux-jeton, formé à la Loge « La Clémente Amitié ». Seulement Grévy donne le change et pas seulement à ses adversaires. Jules Simon s'y laisse prendre. Franc-maçon mais déiste, et donc en porte-à-faux, le Grand Orient ayant radié depuis 1877 toute référence au Grand Architecte de l'Univers ([^16]), Jules Simon est hostile à l'article 7. « Comme le président de la République » déclare-t-il au *Figaro :* « *M. Grévy est absolument hostile aux lois Ferry ; il les trouve abusives, impo­litiques et dangereuses. Il l'a dit devant moi, et devant plusieurs de ses amis. C'est ce qui m'a fait agir comme vous l'avez vu. Je me suis fait l'interprète de M. Grévy et de tous les hommes qui ont confiance dans son bon sens et sa droiture. *» ([^17]) Si averti qu'il soit du marécage républicain et de ses fourbe­ries, Jules Simon se met le doigt jusqu'au coude dans l'œil du triangle. Il en aura la démonstration quelques mois plus tard. Il verra en effet Grévy, cet homme de droiture et de bon sens, hostile aux lois Ferry, soutenir celui-ci dans ses excès les plus furieux. Dans cette confusion savamment entretenue la chaleur monte et le climat se durcit. Au nom de Léon XIII, Mgr Czacki conseille la prudence et la modération. Le cardinal Guibert réplique, du ton le plus vif : -- C'est le point de vue du nonce ; il est diplomate. Nous, nous sommes des évêques. Notre devoir est de défendre le peuple. Et, puisque pour le défendre, il faut parler, nous parlerons ([^18]). Et ils parlent en effet. Mgr Freppel, évêque de Tours, vole au secours des jésuites : 65:254 -- Un ordre essentiellement étranger, celui qui a eu pour ber­ceau la ville même de Paris ? Qui plus qu'aucun autre s'est iden­tifié pendant des siècles avec la vie et l'éducation nationale et dont les chefs-d'œuvre sont une des gloires de l'éloquence française, sans compter qu'il n'est pas une partie du sol français qui ne porte les traces de son génie et de son activité ! Nous regrettons profondément que de pareilles assertions, auxquelles l'histoire donne le plus éclatant démenti, soient venues se placer sous la plume d'un ministre du gouvernement français ([^19]). Mgr Fava, évêque de Grenoble, dénonce le projet de Loges maçonniques de décatholiciser la France : -- « Ils disent qu'ils laisseront en paix le clergé séculier, qu'ils n'en veulent pas à la religion, ne les croyez pas. Après avoir pros­crit les jésuites, ils proscriront les autres religieux ; puis viendra le tour du clergé. » C'est très exactement le plan de Ferry et de Paul Bert, qui ne se séparent que sur des problèmes de dates et de mesures priori­taires. Le premier déclare : « *La République est perdue si l'État ne se débarrasse pas de l'Église, s'il ne désenténèbre pas à tout jamais l'esprit français du dogme *» et le second : « *Les Jésuites expulsés, et la loi nous permet de le faire en 24 heures, le pays sera calmé ; or, si nous attendons quelque temps avec patience, ce sont toutes les congrégations que nous expulserons à la fois. Les congrégations expulsées, le clergé séculier qui les déteste sera dans nos mains, nous en ferons ce que nous voudrons. *» ([^20]) Mgr Fava n'exprime donc que l'exacte vérité. Le F**.·.** Lepère, ministre des Cultes, se croit pourtant autorisé à lui adresser un blâme et à déclarer « d'abus » Mgr Forcade, archevêque d'Aix, parce qu'il raille « ces ardents démagogues, en train de devenir les pires ennemis de la liberté » ([^21]). Ces textes qui circulent, ces manifestations qui jaillissent, ces pétitions qui circulent (1.500.000 signatures recueillies à la fin de mai) exaspèrent Ferry. A Épinal, il déclare : -- Reculer devant les congrégations prohibées, ce serait leur céder la place à jamais. Ce serait sceller, dans la société moderne, la pierre du tombeau. 66:254 Il redouble ses coups, inaugurant la longue série des mesures anticatholiques qu'il va prendre durant son pouvoir : suppression des lettres d'obédience (qui tenaient lieu de capacité) accordées aux institutrices congréganistes (20 mai 1879), reprise du projet de loi Naquet sur le divorce (juin 1879), suppression de l'aumô­nerie militaire (juillet 80), création des lycées de jeunes filles dans le but (avoué par l'instigateur, le F**.·.** M**.·.** protestant Camille Sée) d'enlever à l'Église l'éducation des femmes (décembre 80), laïcisation de l'enseignement (1881 et 1882). L'article 7 est adopté par la Chambre (333 voix contre 164) le 9 juillet. Quoique le vote du Sénat paraisse une formalité Ferry ne ralentit pas pour autant son effort. Il court la France pour y combattre la résistance catholique. Les pétitions approchent main­tenant les deux millions de signatures. Des incidents éclatent un peu partout. Au lycée Fontanes pour la remise des prix, c'est le scandale. Ferry a tenu à présider la cérémonie. On appelle le lauréat du premier prix d'honneur, admis premier à l'École Nor­male Supérieure. -- M. René Doumic. Le jeune René Doumic se lève : -- Je refuse de recevoir mon prix des mains de M. Jules Ferry, dit-il. Et il crie : -- Vive le roi ! Des réunions fiévreuses se tiennent un peu partout. A Paris, au Cirque d'Hiver, Albert de Mun est acclamé par la foule. M. Ches­nelong à Tours, M. de Belcastel à Bordeaux, M. Depeyre à Limoges connaissent le même enthousiasme. Contre cette résistance, Ferry s'agite, se multiplie, prêche son article 7. Ses discours des mois d'août et septembre 1879 forment un chapitre important de ses œuvres. Il parle partout : au concours général, au congrès pédagogique, aux distributions de prix des associations philotechnique, polytechnique, etc. A Toulouse, les Loges enfiévrées l'accueillent, toutes bannières, sautoirs, tabliers, médailles, distinctions et décorations dehors. On le remercie « pour la lutte difficile qu'il soutient contre les éternels ennemis de la société civile ». Perpignan le trouve lyrique, plein d'emphase : -- Je me dévouerai à cette grande cause, m'élevant au-dessus des haines que j'ai soulevées. Je leur opposerai ma poitrine parce que je suis défendu par le suffrage universel. Aussi je ne crains pas de crier avec vous : vive l'article 7, car l'article 7 est un symbole et un drapeau. 67:254 A Béziers : -- De la Gironde au pied des Pyrénées, au seuil de la Cata­logne j'ai trouvé dans la bouche de tout le monde et jusque sur les lèvres des petits enfants ce cri : vive l'article 7. A Lyon : -- La France crie : vive l'article 7 comme elle criait en 1848 vive la réforme ! Elle ferait une révolution pour l'obtenir. Que les Pères conscrits le sachent bien ! Quant au gouvernement, il est uni, n'a jamais varié, ne variera pas et ne transigera pas sur la loi dont j'ai pris l'initiative ([^22]). Ce n'est qu'un mensonge de plus. Waddington regrette cet acharnement et cette fureur. Le 24 décembre 1880 l'article 7 arrive en discussion au Sénat. Avec la majorité nouvelle on s'attendait à quelques passes d'armes à la tribune et à un vote favorable mais tout de suite la bataille est acharnée. L'opposition fait bloc. Elle compte de grands orateurs. M. Buffet attaque en posant la question : qu'est-ce qu'un clérical ? ([^23]) -- Un homme est né dans la religion catholique ; il en remplit jusqu'à un certain point les devoirs, il ne se marie pas civilement ; il assiste à la messe ; à sa mort il fait appeler un prêtre et il est enterré religieusement : c'est un catholique. On l'appellera même un catholique sincère, un catholique non fanatique. Celui-là n'est pas un clérical. Mais un catholique s'avise de croire que ce qu'il va chercher dans l'église, quand il s'y rend, c'est la règle de sa vie, la force de supporter le poids, les labeurs de l'existence, la force nécessaire pour livrer sans défaillance le combat imposé à tout homme ; et si, pénétré de ces sentiments, il se dit qu'étant père de famille, il ne lui suffit pas de ne pas abjurer sa foi, qu'il doit veiller à transmettre à ses enfants ce dépôt sacré, ce bien plus précieux à ses yeux que tous les autres, qu'il doit par conséquent réclamer des écoles où cette foi ne coure pas de périls ; alors cet homme n'est plus seulement un catholique, c'est un zélateur, c'est un clérical ! Et il va plus loin : s'il se dit que le premier précepte de l'Évangile est la charité et qu'il ne suffit pas pour l'accomplir d'abandonner aux malheureux une partie de son superflu, qu'il faut encore que le don du cœur se joigne au don de la main, qu'il faut porter aux pauvres en même temps que le secours matériel, des consolations, des paroles d'espérance immortelle ; et si, enfin, pour remplir ce devoir, s'unissant à d'autres, animés de la même foi, il forme une de ces admirables conférences de Saint-Vincent-de-Paul, oh ! alors il est condamné, ce n'est plus un catholique, c'est un zélateur, c'est un clérical ! 68:254 Si allant plus loin encore, il fonde un journal pour soutenir cette cause ; si voyant quelles turpitudes sont distribuées aux enfants qu'aucune loi de colportage ne protège plus aujourd'hui contre les porteurs allant leur offrir -- et cela est arrivé à la sortie des écoles -- les récits les plus infâmes ; s'il veut lutter contre cette propagande immonde, non pas par la force, non pas par la compression, mais en offrant une nourriture moins empoisonnée à cette jeunesse ; s'il publie, s'il crée un journal catholique, c'est un zélateur, c'est un clérical. Enfin s'il voit que le gouvernement par les résolutions qu'il prend, par les lois qu'il présente, par les mesures qu'il propose, compromet la liberté religieuse, qu'il porte atteinte à ses droits les plus chers et qu'il se dit : « Mais moi aussi je suis électeur, il faut sauve­garder ce grand intérêt de la liberté religieuse qui domine les simples intérêts politiques », s'il s'entend avec d'autres pour élire un député, un sénateur, qui défendra ses droits ici, oh ! alors, vous vous écriez : « Non seulement c'est un zélateur, c'est un clérical. Mais le cléricalisme est un parti politique : il faut absolument le proscrire. » « *Quiconque n'a pas entendu ce magnifique discours --* raconte le R.P. Du Lac -- *ne peut que difficilement s'imaginer l'émotion grandissante qui envahissait les bancs, les tribunes, toute la salle du Sénat, à mesure que M. Buffet* ([^24])*, tremblant lui-même d'émotion, pâle, mesuré, mais armé de cette langue aiguë, de ce geste incisif qui donnait à son éloquence l'air d'une attaque à l'arme blanche, répétait ces paroles :* « *Ce n'est plus un catholique, c'est un clérical ! *» *J'entends encore ces tonnerres d'applaudisse­ments soulignant de leurs doubles et triples salves le retour de ses paroles, je vois pâlir certains visages du centre gauche qui sentaient la victoire leur échapper... *» Mais c'est Jules Simon qui va porter le coup décisif. Il le fait dans le tumulte. Le président a beau demander « d'écouter avec le silence du dédain », les républicains, les yeux hors de la tête, la bouche tordue de fureur, le poing tendu, hurlent leurs insultes : -- Renégat ! Canaille ! Vendu ! Simon affecte un calme qu'il est loin d'éprouver. Cet homme de manœuvres et de combinaisons déteste l'attaque frontale. Mais écarté du pouvoir par ses amis, il lui faut régler ses comptes en leur rappelant leurs principes. 69:254 -- « La France républicaine, telle que je la comprends, est une France où, non seulement on a le droit à la liberté de ses actes, mais aussi à la liberté de sa pensée et par conséquent à la liberté de l'enseignement... Vous n'avez pas le droit d'imposer une doc­trine. Vous n'avez qu'un droit, c'est d'aimer la liberté, c'est de la propager et de vivre par elle... Ce n'est plus l'article 7 que j'ai devant moi, c'est un système de gouvernement. Je me demande, en vérité, en présence de la situation des esprits dans le Sénat, si je puis discuter autre chose que la question de savoir si la liberté existera ou si elle n'existera pas... Voici ce que je pense de votre article 7. Premièrement, il est inutile : vos craintes ne sont pas fondées. Secondement, il est inefficace et ne produira rien. Les doctrines que vous reprochez aux Jésuites s'enseignent partout où il y a un clergé catholique ; les Jésuites chassés elles continueront d'être enseignées par leurs successeurs, réguliers ou séculiers. Troisièmement, il est injuste, ce qui est un grand malheur. Qua­trièmement, il est souverainement impolitique... Messieurs, on n'aime vraiment la liberté que quand on l'aime chez ses adver­saires. Quand on ne l'aime que pour soi, on ne l'aime pas, on ne la comprend pas, on n'est même pas digne de la comprendre. » Ferry répond les 5 et 6 mars par un discours de sept heures. Est-ce la détestation qui l'entoure ? (Les journaux de droite le traitent de Néron, de Dioclétien, de « préfigurateur de l'anté­christ » ([^25]).) Il semble encore plus large, plus massif. Planté sur la tribune, son corps épais légèrement penché en avant, il parle d'une voix qui ne correspond pas à son physique : c'est une voix blanche, claire, sans résonance et l'émotion la rend parfois pâteuse. Son éloquence est dépourvue de chaleur et d'éclat et pourtant elle retient, car on y devine de la force, de la précision, de la volonté et les frémissements d'une étrange passion, à la fois impétueuse et glacée. Il y a en lui quelque chose de puissant et de gauche, de timide et de rogue. Son visage est lourd, encadré par des favoris de majordome et d'énormes oreilles qui sont, à l'époque, aussi blaguées que celles de M. Peyrefitte aujour­d'hui ([^26]). 70:254 *--* « Messieurs, dit-il en terminant, la question qui est posée devant vous se rattache par des liens intimes à la lutte entamée par le parti clérical, par le parti de la théocratie, sous l'inspiration des doctrines de la Compagnie de Jésus, contre la société moderne... Nous vous convions à soutenir, avec nous, le combat qui est vrai­ment le combat de l'heure présente, le combat de tous ceux qui procèdent de la Révolution française, de tous ceux qui ont recueilli son héritage, qui révèrent ses principes et se consacrent à son service, de tous ceux qui croient que nous avons de grands devoirs vis-à-vis des générations futures, et que le premier de ces devoirs, c'est d'arracher aux contempteurs de la société moderne, de l'ordre politique et social dans lequel nous vivons, l'âme de la jeunesse française. » La gauche se lève et l'acclame. On passe au vote le 9 mars. Et stupéfaction, la majorité républicaine s'est divisée. 148 voix (contre 129) refusent l'article 7. Ferry sort sous les applaudisse­ments et les huées. Arrivé au ministère une colère le saisit. Il crie : -- Force restera à la loi ! A la loi que les sénateurs n'ont pas voulu voter, évidemment. Et de fait, ce grand homme respectueux de la légalité républicaine passe outre à la décision des élus. Ce qu'il n'a pas obtenu par le suffrage, il va l'imposer par décrets. Ceux-ci paraissent à l'Officiel le 29 mars, avec un préambule du président de la République. Ferry a poussé l'impudence et la provocation jusqu'à appuyer ses décisions sur des ordonnances de l'Ancien Régime (arrêts du Parlement de Paris de 1762, 1764, 1766 et 1777) mêlées aux lois révolutionnaires de 1790 et 1793, à l'article de la loi organique du Concordat du 18 germinal an X et de l'article 4 du décret du 3 messidor. Ces lois sont depuis longtemps inappliquées. Aucune d'entre elles n'a été exécutée complètement. Il n'empêche. Ferry décrète : « 1° -- *La société non autorisée, dite de Jésus, devra, dans un délai de trois mois, se dissoudre et évacuer ses établissements. Ce délai sera prolongé jusqu'au 31 août pour les maisons d'ensei­gnement.* « 2° -- *Toute congrégation ou communauté non-autorisée est tenue, dans le délai de trois mois de demander l'autorisation, en soumettant au Gouvernement ses statuts, ses règlements, le nombre de ses membres, etc. On devra indiquer si l'association s'étend à l'étranger ou si elle est renfermée dans le territoire de la Répu­blique. Pour les congrégations d'hommes, il sera statué par une loi ; pour les congrégations de femmes par une loi ou par un décret du Conseil d'État. *» 71:254 Comme l'avait écrit la *République française --* le journal de Gambetta -- le lendemain du rejet de l'article 7 par le Sénat : « *La question va renaître plus impérieuse et plus urgente. Dans le duel engagé entre la démocratie et le cléricalisme, ce n'est pas la démocratie qui sera vaincue ; nous en faisons le serment. *» **12. -- **CROCHETEURS CONTRE JÉSUITES. 29 juin 1880. La nuit va venir. Paris a la lumière et les odeurs des soirs d'été. Les bruits de la ville commencent à s'assourdir. Des lampes s'allument déjà et palpitent. A 9 heures moins le quart de relevée, comme on dit encore, une petite troupe de sergents de ville em­menée par deux officiers de police, les commissaires Clément et Dulac, se déploie devant la maison des Pères jésuites, rue de Sèvres. Le commissaire Clément, à la porte, donne du marteau. Un judas s'ouvre. -- Qu'y a-t-il ? -- Nous voulons voir le Père Supérieur. -- Pourquoi ? -- Nous venons fermer la chapelle. La maison est pleine de monde : des amis, des fidèles, des personnalités parisiennes, des hommes politiques (de Broglie, entre autres) venus pour témoigner de leur solidarité. Sourds aux pro­testations, les policiers apposent des scellés sur toutes les portes. Le R.P. Lecanuet écrit : « *Notre-Seigneur reste donc prisonnier dans son temple, n'ayant devant lui que le Père Olivaint et ses compagnons qui dorment sous les pavés de marbre, la poitrine trouée par les fusils de la Commune. *» ([^27]) Coïncidence signifi­cative : c'est l'époque où l'amnistie, accordée aux communards, ramène les assassins de la Roquette, de Sainte Pélagie, du terrain vague de la rue Haxo, ceux qui tuèrent Mgr Darboy, l'abbé De­querry, les Pères Clerc, Allard, Ducoudray, 480 otages en tout, massacrés au milieu des vociférations de la foule qui disait : « Les curés ont la vie dure. Quel travail pour les refroidir. » ([^28]) 72:254 Les opérations d'expulsions commencent au petit jour. Les serrures des portes de chaque cellule sont crochetées. Quand les serrures résistent on enfonce les portes. Les religieux sont agrip­pés, tirés, poussés dehors. Ce sont des vieillards, très souvent. L'un d'eux, le Père Hus montre ses jambes déformées. -- J'ai 78 ans, dit-il. Je suis asthmatique et impotent. Il m'est impossible de marcher. C'est dans les établissements de Cayenne, au service de la France, que j'ai contracté ces douleurs ([^29]). On l'emporte. Ce sont les ordres. Les ordres de Jean, Ernest, Antoine Constans qui a remplacé le F**.·.** M**.·.** Lepère au ministère de l'Intérieur. Député de la Haute-Garonne et également franc-maçon, Constans appartient à la loge « Les Cœurs Réunis ». Que serait-ce s'ils étaient séparés ? On entraîne un autre vieillard. Celui-là proteste. C'est le Père Lefebvre. Il crie : -- Vous n'avez pas honte ! Les hommes de la Commune m'avaient laissé ici. Et vous, vous me chassez ! Dehors, la foule gronde et prie. Dix mille chrétiens, agenouillés, dans les fleurs coupées, chantent leurs cantiques, à voix basse. Près des fourgons, devant les troupes, on remarque un homme vêtu avec recherche, portant des gants gris perle, qui préside à la cérémonie. C'est Andrieux, le préfet de police. Il écrira plus tard dans ses Souvenirs : « *Il fallait pousser à la porte des prêtres sans défense. Leur attitude de prière, leurs physionomies méditatives et résignées et jusqu'à la bénédiction donnée en sortant aux fidèles agenouillés, contrastaient péniblement avec l'emploi de la force publique. Il n'était pas nécessaire d'avoir la foi catholique pour éprouver l'impression que je décris ; et quelles que fussent leurs croyances particulières, ce n'était pas pour de pareilles besognes que tant de vieux soldats avaient revêtu l'uniforme des gardiens de la paix. *» ([^30]) -- Arrêter les malfaiteurs, c'est bien, déclare l'un d'eux. C'est le métier. Mais ces vieux... Je ne croyais pas que cela me remuerait autant ([^31]). 73:254 En province, ce 30 juin, aux mêmes heures, commissaires de police et détachements pénètrent de la même façon dans les établissements de la Compagnie de Jésus. Comme à Paris les serrures sont forcées, les portes enfoncées, les religieux traînés jusque dans la rue. A Grenoble et à Angers, les évêques sont chassés avec les Pères. A Nantes, M. Waldeck-Rousseau, le père du futur ministre et premier ministre ([^32]) accueille dans sa maison les Jésuites sans toit. A Toulouse, le premier Jésuite que l'on voit sortir est le Père Guzy. Il a 90 ans. Ancien aumônier de l'armée, décoré de la Légion d'honneur il s'appuie sur M. de Belcastel, sénateur de Haute-Garonne. Des gendarmes pleurent. D'autres présentent les armes. La foule prie et chante des cantiques. Des femmes jettent des fleurs sous les pas du vieillard. A Lille, le Père Fristot harangue les fidèles accourus : -- C'est la seconde fois que je suis expulsé de ma demeure. La première fois c'était en 1872. Les Allemands me chassèrent de Strasbourg, pour avoir entretenu le sentiment français dans leur nouvelle conquête. Je sortis portant à ma boutonnière un ruban qui attestait ma fidélité à mon pays. Je regrette qu'un fonctionnaire, ceint d'une écharpe tricolore, préside à ma seconde expulsion. « L'Église est atteinte en plein cœur », écrit M. Debidour. Un sentiment où se mêlent l'indignation, la stupéfaction, la révolte, soulève le pays croyant. Un jurisconsulte éminent, M^e^ Rousse, plaide l'illégalité des dossiers. Il soutient que la dissolution des congrégations ne peut résulter d'une décision administrative mais d'une mesure judiciaire résultant d'un tribunal ordinaire. La réplique de Ferry est immédiate. Il fait tonner son Garde des Sceaux, le F**.·.** M**.·.** Jules Cazot, ancien premier président à la Cour de Cassation, sénateur inamovible, appartenant à la loge « l'Étoile des Cévennes » ([^33]). Si les expulsés tentent d'échapper aux mesures administratives par des recours à des tribunaux et si ceux-ci « osent se déclarer compétents » on en appellera contre eux au *tribunal des conflits* composé en nombre égal de Conseillers d'État et de Conseillers à la Cour de Cassation, que préside le Garde des Sceaux lui-même, garant de la justice républicaine. Devant l'arbitraire -- on s'appuie sur la loi pour la tourner -- l'appareil judiciaire refuse de plier. On assiste à ce qu'on aurait aimé voir, à l'automne 44 : la révolte des juges. Des avocats généraux, des procureurs, des substituts, des présidents de Chambre ou de Cour démissionnent. En tout 400 magistrats et pas des moindres : M. Lacointa, avocat général de la cour de Cassation, quinze avocats généraux, vingt procureurs de la République ([^34]). 74:254 « Une émeute de robins affidés à la Compagnie de Jésus » ironise la presse maçonnique, de loin la plus nombreuse ([^35]). Il grêle des pamphlets antireligieux : « Les crimes de la calotte », « Débauche et turpitudes des moines ». « La Lanterne », qui n'est plus de Rochefort mais d'Eugène Mayer, maître chanteur (celui qui estimait que les « pauvres calotins fusillés par la Com­mune ne l'avaient pas volé » ([^36])), « la Lanterne » donc, publie en feuilleton : « Les amours d'un jésuite » tandis que Clemenceau, dans « La justice » fait du roman chez la portière sous le titre « Les Congrégations ». Des manifestations sont organisées autour des enterrements civils qui deviennent symboliques. Il ne s'agit plus de porter en terre un défunt sans le secours de la religion. Il s'agit de montrer que le « gouvernement des prêtres » est terminé. Devant le cor­billard les Loges de la ville ou du chef-lieu marchent sous leurs bannières, portant leurs triangles et leurs tabliers. On s'arrête devant les églises. Mais c'est pour les défier. Il y a des affronte­ments, des bagarres qui tournent à la bataille rangée dans le Finistère. Une odeur de guerre civile flotte dans l'air. Malgré sa superbe, le gouvernement s'en inquiète. Grévy et Freycinet voudraient bien négocier. Andrieux, le préfet de police, écrit : « *On se trouve sur une pente au bout de laquelle il n'y a que de la déconsidération à rencontrer, sans aucun profit, sans aucun résultat pratique, pour le parti républicain... Si le gouver­nement éclairé sur les dangers de la route suivie, ne fait pas à temps machine arrière, il s'aliénera toutes les classes de la société française. *» De son côté Rome n'est pas hostile à une transaction. Léon XIII l'a dit à Mgr Lavigerie, archevêque d'Alger qu'il envoie en mission à Paris : « Les jésuites sont irrémédiablement condam­nés ; tâchez au moins de sauver les autres. » 75:254 Des négociations s'engagent dans un certain secret. Il semble que Ferry n'en soit pas informé. Le parti catholique non plus. Seul M. de Freycinet rencontre Mgr Lavigerie, Mgr Czacki, le cardinal de Bonnechose -- ces derniers agissant contre le sentiment profond de la communauté catholique française. Le divorce est si grand que l'archevêque de Paris, le cardinal Guibert, refuse de se mêler aux conversations : « Nous ne pouvions faire moins que les magistrats qui démissionnèrent pour nous défendre », dit-il. Après bien des transactions, des discussions, des menaces de Paris, des pressions de Rome qui veut arriver à un accord, un -- arrangement est à peu près trouvé. Les supérieurs des congré­gations non-autorisées vont adresser au ministre des Cultes, mi­nistre de l'Intérieur, le F**.·.** M**.·.** Constans, une déclaration où l'on peut lire ceci : « *Pour faire cesser tout malentendu, les congré­gations dont il s'agit ne font pas de difficulté pour protester de leur* RESPECT *et de leur* SOUMISSION *à l'égard du gouverne­ment de ce pays. *» Moyennant quoi elles seront à nouveau tolé­rées. Jusqu'à nouvel ordre et sans engagement définitif, évidemment. -- Inacceptable, s'écrie l'archevêque de Paris. On ne peut avoir de respect pour plusieurs de ces Messieurs du gouvernement qui sont des gredins ([^37]). Il biffe *gouvernement* qu'il remplace par *institution.* On croit le compromis trouvé. Le 20 août, à Montauban, M. de Freycinet déclare : -- « Nous avons dissous la Compagnie de Jésus et donné ainsi une satisfaction immédiate au sentiment de la Chambre des Dé­putés en même temps que nous avons fourni une preuve de la force du gouvernement et de l'autorité des lois qu'on avait osé contester. Quant aux autres congrégations, le décret spécial qui les vise n'a pas fixé la date de leur exécution ; il nous a laissés maîtres de choisir notre heure. Nous nous réglerons à leur égard sur les nécessités que fera naître leur attitude ; et sans rien abandonner des droits de l'État, il dépendra d'elles de se priver du bénéfice de la loi nouvelle que nous préparons, et qui déterminera d'une manière générale les conditions de toutes les associations laïques aussi bien que religieuses. » 76:254 Ce discours révèle le piège. Sur l'insistance du nonce (« C'est le pape qui a rédigé la Déclaration ; refuser de signer serait lui désobéir » ([^38])), 52 congrégations d'hommes et 224 congrégations de femmes vont se « déshonorer » (l'expression est de l'archevêque de Paris) pour essayer de sauver ce que le pouvoir républicain est bien décidé à ne pas leur permettre de sauver. Alors un journal légitimiste de Bordeaux, « La Guyenne » se décide. Après bien des hésitations et des scrupules, il révèle la trahison qui se trame. Il publie le texte intégral de la déclaration. Et c'est l'explosion. Les bonapartistes qui ont trouvé là un argument d'agitation politique allument l'incendie. « On a voulu assermenter les con­grégations avant de les asservir, s'écrie M. de Cassagnac. On a voulu les faire abjurer avant de les précipiter dans le cirque. » A gauche on crie : -- Freycinet démission ! Il se cache, dans les Pyrénées. Mais à Paris, Constans le ministre de l'Intérieur et des Cultes plastronne. La Déclaration ? *Ques aco ?* « *Ce qui doit être fait sera fait... Le travail est prêt. J'agirai méthodiquement. Si, par hasard, on commence par les Capucins, tous les Capucins de France seront expulsés le même jour, dans toute la France. Le lendemain on s'occupera d'une autre confrérie. *» ([^39]) Une telle détermination émeut jusqu'aux larmes « Les Cœurs Réunis », sa loge toulousaine, qui le complimente et lui décerne « une magnifique palme de feuilles d'acacia, emblème maçonnique, et de feuilles de chêne, emblème civique ». Ferry, lui, pose et s'impose. Il tient Grévy, mais le ménage contre la peau de Freycinet. C'est celui-ci qui va porter la responsabilité de la manigance avortée. Au mieux c'est un benêt. Au pire, un traître. Les deux peut-être. Les Loges le dénoncent et l'accablent. Du 13 au 18 septembre le Grand Orient tient ses assises annuelles. Il exige le départ de Freycinet et l'arrivée de Ferry. Avec cette remarque qui vaut tous les discours : « La maçonnerie ne saurait oublier que le ministre de l'Instruction publique est un de ses fils les plus distingués. » 77:254 Cinq jours plus tard, ce fils distingué devient président du Conseil d'un ministère où l'on voit apparaître les affairistes, Daniel Wilson, gendre de Grévy, aux Finances ; David Raynal aux Travaux Publics. Maçons tous deux. Vous le savez déjà. **13. -- **LA GRANDE TRAQUE DES RELIGIEUX. On s'attend à une offensive immédiate, générale et sans merci. Rien ne bouge. C'est le silence. L'attente. « Est-ce que le crochet trem­blerait dans leurs mains ? » écrit « l'Univers ». On signale la visite d'un policier enquêteur au couvent des Carmes, rue de la Pompe. Il veut des renseignements sur l'Ordre. -- Quel est le nom de votre fondateur, demande-t-il. -- Le prophète Élie. -- Ça s'écrit comment ? -- É, l, i, e. -- Merci. Vit-il encore ? -- Oui, monsieur, et bien qu'il soit plus que centenaire il a conservé le parfait usage de ses facultés. -- C'est prodigieux. A-t-il obtenu l'autorisation ? -- Oui, Monsieur. Jézabel l'avait d'abord refusée, mais Jéhu a fini par l'accorder. -- Jéhu ? Je ne me souviens pas. -- Oh ! ce n'est pas étonnant. Il y a eu tant de ministres depuis celui-là. On colporte le dialogue. Il fait rire. Pas pour longtemps. Le 16 octobre Jules Ferry lance l'offensive. Les premiers visés sont les Carmes, justement. Ils sont chassés de toutes leurs maisons de France. A Montpellier, contre-attaque de l'évêque. En habit de chœur, il se rend à la préfecture, demande à être reçu par le préfet et l'excommunie. La scène vaudrait le tableau. Je renonce. J'ai pitié de Jean Madiran qui voit avec mélancolie et un rien d'inquiétude ce récit déborder, de numéros en numéros. Je ne devais pas dépasser avril. A Noël j'y serai encore si je me mets à buriner le détail. Courons ailleurs. 78:254 Le 4 novembre, à cinq heures, dans une nuit noire et froide des escouades d'officiers de paix, d'agents, de pompiers placés sous l'autorité de commissaires de police donnent l'assaut de onze couvents de Paris. En même temps sont enfoncées les portes des Franciscains de Terre Sainte, des Frères mineurs conventuels, des Capucins, des Franciscains de la rue Jean-de-Beauvais et du Faubourg Saint-Honoré, des Rédemptoristes, des Pères de Picpus, des Oblats, des Maristes, des Pères de Sion et des Assomptionnistes. Certains se sont barricadés. On a installé des verrous, des chaînes et protégé les portes de défenses de fer. Des guetteurs sont chargés de sonner l'alerte. Des relais préparés répandent la nouvelle. Les fidèles accourent, s'agenouillent sur le pavé. Ils prient. Ils chan­tent. Il faut les déloger. Ils reviennent jusqu'à ce que la chasse les repousse à nouveau ([^40]). Au Havre, un témoin, le Père Monsabré raconte : « *Je crois encore entendre ce cri sinistre : les voilà ! et le pas de la troupe humiliée qui vient faire le siège d'une maison inoffensive et les cris d'un peuple qu'on refoule et les sommations altières de l'arbitraire et les vains appels faits à la justice, et les protestations indignées de l'honneur, du droit et de la liberté, et les truands qui s'écrient : à l'ouvrage ! et les coups retentissants des haches et des marteaux, et les lourdes pesées des pinces, et les craquements du bois qui vole en éclats et les cris impérieux : en avant ! Sortez ! Emportez-les ! et les voix douces et fermes qui protestent. *» A Autun, Mgr Perraud s'est enfermé avec les oblats dans leur maison. On le traîne dehors. Il découvre un spectacle prodigieux. Une foule énorme qui crie : « Vive la religion ! » « Vive la liberté ! » Un clairon sonne. Des soldats montrent le poing. D'au­tres rendent les armes. Des officiers saluent de l'épée la croix épiscopale et celui qui la porte. Un cortège se forme, jusqu'à l'évêché. Les cloches des églises sonnent. Bagarres à Lyon. L'armée ne suffit pas. La populace participe. Les catholiques se battent. Il y a du sang, des blessés, un mort. A Nîmes, 400 soldats entourent le quartier des Récollets. Sept heures de manœuvres, de feintes, de mise en place des dispositifs. La foule s'amasse. Elle s'enfièvre. Les portes résistent au bélier. Il faut chercher une hache. Huées, lazzis, bousculades. Enfin, une brèche. Les soldats s'engouffrent. Stupéfaction. Les Récollets sont déjà partis pour l'Italie. Les autres sont morts. On ne trouve qu'un vieux cuisinier que le peuple conduit en triomphe à l'évêché. Une véritable opération militaire se déroule au Frigoulet-en-Tarascon. Le bruit court que les Prémontrés veulent résister jus­qu'à la mort. Le général Billot mobilise un régiment d'infanterie et cinq escadrons de dragons avec de l'artillerie. Le blocus dure quatre jours. 79:254 Les troupes campent autour de l'abbaye. On entend les moines qui chantent et les paysans qui crient contre les dragons qui chevauchent sur leurs terres. D'autres paysans, des Blancs du midi, arrivés à pied, sous leurs bannières, chantent des cantiques en provençal. Il y a du mouvement. La lumière et le soleil du midi apportent leurs couleurs. Enfin le général Billot se décide. Disposés en tirailleurs, les armes chargées, les soldats chargent. C'est le moment que choisit l'averse pour tomber à seaux. Il en faudrait d'autres pour mouiller la poudre et le courage des enfants de Valmy. Une porte est crochetée. Trente-sept Prémontrés sont ex­pulsés sans ménagement. Force reste à la République. La troupe rentre à Avignon sous les injures. « Mission accomplie » télégra­phie le général Billot. Rien n'a pu l'arrêter. Même pas les chape­lets. Quoique l'armée française ait écrit des pages plus glorieuses il aura de l'avancement. A Cholet, dix mille personnes défendent la Trappe de Belle­fontaine où soixante-dix moines attendent en priant. Mgr Freppel, député du Finistère, M. de Maillé, député de Vendée, des notables, des prêtres se sont enfermés avec eux. Toute la Vendée martyre est à nouveau debout. On a déterré de vieux fusils, barré les chemins, construit des barricades de fascines et de troncs d'arbres. Il fait froid. La tempête d'ouest hurle dans les chemins creux. Des feux piquent la nuit de la plaine de Bégroltes. La cloche du monastère sonne le tocsin sans interruption. On entend aussi, comme un bruissement, les prières du rosaire. Le 6 novembre à 6 heures, l'ennemi arrive : le 135^e^ de ligne, six brigades de gendarmerie entourant le préfet Assiot, des magis­trats et les serruriers assermentés. A l'intérieur de l'abbaye, 1.500 personnes chantent le *Parce Domine* et *Je suis Chrétien.* Mais un mot d'ordre court aussi, donné par le clergé : -- Évitez l'affrontement. Et ce sera la ruée à l'intérieur, les croyants dispersés à coups de crosses, l'évêque d'Angers et tous les religieux chassés de la chapelle ; et l'armée occupant les lieux, car il faut bien s'occuper des troupeaux de bœufs, de vaches, de la porcherie et de la basse-cour. Le supérieur des Bénédictins de Solesmes, don Couturier, « *est un moine du Moyen Age, austère et énergique, à la tête dure comme le roc, au cœur tendre comme une mère *» ([^41]). Il a refusé de signer la Déclaration. Aujourd'hui il déclare : 80:254 -- Je n'ai pas voulu d'un simulacre de soumission. Je ne veux pas davantage d'un simulacre de résistance. On lui pose la question : -- Que doivent faire les religieux si leurs maisons sont envahies ? -- Ils ne doivent point les quitter. Le 6 novembre personne ne répond aux sommations du sous-préfet de Sablé et des commissaires de police. Gendarmes et soldats reçoivent l'ordre d'entrer, « par tous les moyens ». Il faut en­foncer les portes du jardin, de la cour, du cloître. Mais ce n'est qu'un début. Le combat continue. Quinze Pères se sont barricadés dans leurs cellules dont il faut faire le siège, l'une après l'autre. Un par un il faut s'emparer des religieux, les molester, les traîner du couvent sur les dalles et les empêcher de revenir quand on les a sortis ([^42]). Pendant ce temps 70 autres moines se sont enfermés avec dom Couturier dans le chœur de l'église. Ils psalmodient l'office. Ils disent le rosaire. Les cinq cloches sonnent à la volée. Quand les soldats réussissent à crocheter une porte latérale, tous les moines se lèvent et reprennent en chœur, les versets du *Beati critis :* « Vous serez heureux lorsque les hommes vous haïront et vous disperseront à cause du Fils de l'Homme. Soyez alors dans la joie et dans l'allégresse car voilà que votre récompense est grande dans le Ciel. » Gendarmes et soldats n'en progressent pas moins. Ils montent vers le chœur, C'est le Père cérémoniaire qui les arrête. Il leur rappelle leur première communion. Il se couche devant la sainte table. On le saisit. On l'emporte dans le tumulte et le grondement du tocsin. Le sous-préfet se détache. -- Je vous en supplie, dom Couturier, sortez maintenant sans résister davantage. -- Je ne reconnais à aucun pouvoir humain le droit de m'arra­cher du poste que Dieu m'a confié, répond dom Couturier. Il se lève. Il chante le *Suspice.* L'heure du sacrifice est ve­nue ([^43]). 81:254 Debout, les bras étendus vers la colombe d'argent où repose le Saint Sacrement, les moines redisent le chant : « *Suspice me, Domine, secundum eloquum tuum et vivam. *» Agenouillés, les bras croisés sur la poitrine, la tête inclinée, ils ajoutent : « *Et non confundas me ab exspectatione mea. *» Ils reçoivent la béné­diction. Ils se relèvent. Ils se tiennent immobiles dans leurs stalles, statufiés, blocs de pierre et de foi dans ce décor de foi et de pierre. Quand on veut les entraîner, ils s'accrochent aux pu­pitres qu'il faut arracher, D'autres s'allongent. On doit les porter, comme des cadavres. A chaque expulsion, le chœur, accompagné de l'orgue chante le *Parce Domine.* Quand les gendarmes rentrent, ils sont accueillis par l'hymne de Toussaint, particulièrement par la strophe composée au temps où les Normands saccageaient les églises, tuaient ou chassaient les moines. Enfin le Père Abbé reste seul agenouillé dans sa stalle. Il prie et pleure. -- Mon Dieu ayez pitié de ces malheureux qui vous outragent. Les gendarmes sont très ennuyés. -- Monseigneur, ne nous condamnez pas à porter la main sur vous... -- Et pourquoi ? dit dom Couturier, Vous avez arraché tous mes enfants de ce sanctuaire. Vous les avez emportés comme on porte des morts. Vous me traînerez, vous m'emporterez, comme eux. Alors les gendarmes le soulèvent. Ils l'enveloppent dans sa *cappa magna.* Doucement, avec mille précautions, ils le sortent. Mais la détresse a été trop grande pour le vieillard, l'émotion, la tension aussi. Il perd connaissance. On le porte sur un lit où il meurt. 82:254 Ce n'est pas le premier mort de Jules Ferry. Mais c'est certai­nement celui qui doit lui faire le plus plaisir. Il symbolise et résume le combat engagé et son issue, la défaite du catholicisme. Le 31 décembre Ferry peut mesurer l'étendue de sa victoire : 261 couvents crochetés et vidés. 5.641 religieux expulsés. Le projet maçonnique est en bonne voie. (*A suivre*.) François Brigneau. 83:254 ### La découverte de l'autre *Aux portes d'un royaume* par Gustave Corçâo VOICI PRÈS D'UN AN, j'ai reçu d'un ami lointain une lettre qui me demandait, entre étonnement et sourire, l'histoire de ma conversion à la foi catho­lique. Renonçant l'une après l'autre à deux ou trois explications en règle qui menaçaient de ne pas finir, je lui répondis de manière confuse. Depuis lors, sans me souvenir exactement de ce que disait la lettre, je suis hanté par la crainte d'avoir fabriqué là un roman, et exhibé un certain triomphe intellectuel. Ce problème m'est resté comme une arête en travers de la gorge, qui ne se décide pas à passer. Et maintenant, face à l'indétermination, à l'impersonnalité de ce lecteur qui peut être homme de bonne volonté aussi bien qu'imbécile adonné aux livres, la menace de l'arête se fait plus angoissante que jamais. Jusqu'ici, le lecteur qui attendait une relation des événements m'ayant conduit à la foi doit être bien déçu ; il pourrait même m'accuser d'avoir écrit un feuilleton médiocre, poussif et raté, dont les divers épisodes conver­gent obligatoirement vers un épilogue que j'avais déjà dans la manche avant de commencer. 84:254 A ce lecteur mécon­tent, je donne sans doute l'impression d'avoir tiré les fils d'une demi-douzaine d'événements lourds d'intention dé­monstrative, sans respect de la liberté, de l'existentialité qui fournit son climat normal au roman ; d'être tombé en somme dans des artifices de mauvais goût, comme à travers ces pages où Victor Hugo décrit une bataille dont tous les personnages sont d'avance historiques, et dont le nom lui-même résonne depuis l'enfance à l'oreille du lecteur : *Waterloo.* Je reconnais franchement quelque artifice dans le choix des épisodes introduits sous ma plume comme figures explicatives, mais je suis le premier aussi à déclarer bien haut mon ignorance sur la signification et l'influence exac­tes de chacun dans mon itinéraire spirituel. A l'ami qui me demandait le comment et le pourquoi de ma conver­sion, ce livre ne prétend pas répondre ; en revanche, il lui retournerait volontiers la question : -- Et toi ? Conte-moi donc les faits qui t'ont conduit à ne pas te convertir ? Telle est pour moi la véritable position du problème. Une conversion n'a rien d'un événement original ; c'est plutôt le fait que tous ne se convertissent pas qui constitue l'incroyable énormité. Je trouve aujourd'hui beaucoup de bizarrerie aux enquêtes sur la normalité. Les choses véri­tablement positives, véritablement normales, résistent à l'explication. Personne, par exemple, n'ira demander d'un ton civil au passant qu'il voit secouer dans la rue la pous­sière de ses pantalons, avant de ramasser deux ou trois paquets répandus sur le sol, pourquoi diable... en vertu de quel mystérieux dessein... il a tenu à se relever. Pour les trépanés du stylo à bille, l'individu renversé sur le trottoir est beaucoup plus romantique que cet autre, qui se contente de rentrer chez lui à l'heure habituelle. Mais après la conversion, nous découvrons que rien n'est plus aventureux ni plus fascinant que le retour à la mai­son. Nous entrons d'un coup dans l'aventure inouïe de la normalité et, à travers le plus émouvant de ses avatars, y découvrons ce prodige incarné par l'*autre.* 85:254 En ce moment même j'aperçois notre boulanger, à la porte de la cuisine, qui attend sa monnaie ; et je reste émerveillé de penser qu'il est unique ; que dans cet énorme et festif univers, entre les infusoires et les constellations, l'abîme des mers et l'abîme des galaxies, lui, le boulanger, il est unique. J'étais déjà parvenu à cette conclusion, en d'autres circonstances, à propos de ma femme et de mes enfants ; dès les premières rencontres de l'amour, cette idée de l'objet *unique* m'avait assailli, et dès les premiers revers elle m'avait torturé. Tout amoureux sait parfaite­ment que sa bien-aimée brille d'une irremplaçable singu­larité, mais nous comprendrons seulement après la récu­pération de la normalité qu'il est aussi intrinsèquement romanesque d'aimer son boulanger. La plus grande difficulté, cependant, pour établir l'échange avec un lecteur éloigné du christianisme, n'est pas dans cette question des attitudes que tous instinctive­ment comprennent plus ou moins. Le roman chrétien ne peut être conté qu'à partir d'un personnage central qui est, Lui-même, tout le roman. Il est impossible de parler en christianisme sans commencer par dire que le Christ *est.* Bien des fois j'ai entendu discuter de la doctrine chrétienne en fonction des intérêts intellectuels et des avantages moraux, sans que le fondement fût un fonde­ment. Cette manière me paraît peu raisonnable. Permettez-moi ici une illustration supplémentaire : supposez que je sois parti aux Indes chasser des éléphants, et qu'un ami curieux vienne me voir au retour pour que je lui conte en détail cette aventure, mais sous la stricte condition de ne pas mentionner le nom du pachyderme, vu que la philosophie de mon ami s'oppose radicalement à son existence. Il est clair qu'une chasse aux éléphants ne devient intelligible et éventuellement captivante que par l'existence de l'animal. Au contraire, si je réussissais le prodige littéraire de retracer avec émotion et couleur l'histoire de tirs bien ajustés sur des abstractions, ou de peindre la richesse d'un marbre arraché à de pures hypo­thèses, l'ami alors pourrait conclure qu'une chasse aux éléphants est chose passionnante, en dépit de l'inexistence du sujet. 86:254 En vérité, répétons-le, je n'ai pas prétendu écrire ici l'histoire d'une conversion, enfilant des anecdotes pour appâter le lecteur distrait et le faire tomber ensuite dans une embuscade ; j'ai tenté de montrer que d'une certaine manière, nous sommes tous tombés dans une très vieille embuscade et que, pour récupérer notre normalité perdue, la seule chose que nous puissions faire est d'accepter les trois secours offerts par la grâce de Dieu. \*\*\* Aujourd'hui cependant, peut-être pour la simple raison d'avoir touché au sujet, il m'arrive de chercher dans ma mémoire les faits anciens qui ont pu me conduire à la situation, rare sous les tropiques, de commencer un pre­mier livre à l'âge où je devrais déjà profiter des avantages d'une position assise. Personne n'échappe à la nostalgie, et de temps à autre je me surprends à célébrer avec un certain lyrisme, face aux enfants et aux neveux, la notable supériorité du pain de campagne d'autrefois. Selon un lieu commun trop répandu, notre monde aurait connu un grand progrès matériel, lequel malheureusement n'a pas été suivi du nécessaire progrès moral et spirituel. Ce qu'on entend par spirituel dans ces sentences n'est pas très clair, mais même en concédant l'imprécision qui passe pour vertu dans l'exposé des idées générales, je trouve bien difficile de démontrer le progrès matériel de notre époque parce que les choses simples et fondamentales comme le pain, la viande et la maison familiale étaient meilleures voici trente ans qu'aujourd'hui. En matière de culture j'ai moins à regretter. Quand j'entends les anciens vanter les discours du commandeur Rui Barbosa ([^44]), ou soupirer sur les poètes parnassiens, une grande mélancolie m'envahit. 87:254 Aujourd'hui, au moins, personne ne peut plus décemment s'extasier sur les agres­sions à la mode dans toutes les catégories de « l'art » ; quant à la rhétorique, tellement en faveur par ces temps déclamatoires, nous savons désormais, nous avons fait la triste expérience des extrémités auxquelles elle peut conduire. Le premier discours que j'ai entendu, à l'occasion d'un départ professoral, en première année de cours secondaire, produisit en moi une profonde impression. La chose me parut obscène et comme déboutonnée. Je me sentais le rouge au front tandis que le collègue, orateur officiel, élancé, victorieux, facile, enfilait les perles d'un sublime et déchirant adieu au professeur de français. Pour ajouter à ma confusion, je remarquai autour de moi un consensus tacite à l'égard du discours, sorte de conspiration générale contre les choses exactes ; et je me sentis malheureux, exclu. J'eus aussitôt l'emphase en aversion, rentrai au-dedans de moi et pris peur de la vie. Par la suite, quand il y avait une composition à faire, en étude de portugais, je savais d'avance que ma note ne serait pas brillante ; et parfois, devant toute la classe ravie, le vieux. Fausto Barreto me demandait avec une ironie sévère... si je ne pouvais pas rédiger les choses de manière moins sque­lettique. Maintenant, je vois d'ici un garçon de dix-sept ans. Je le vois, sans regrets, mais non sans tendresse, ce garçon un peu maigre, un peu blond, traversant le cours Saint-François avec un gros volume d'astronomie sous le bras. Qu'il y eût *meeting* sur la place ou examen à l'école, il allait sans émotion, marchait sans enthousiasme, la braise d'un rire caché couvant au fond du cœur. Le monde entier était ridicule, et lui plus ridicule que le monde entier. Il passait de la timidité de l'enfant sans souci à la timidité de l'adolescent inquiet et solitaire. Selon le jour, selon des variations subtiles dans l'air ou dans le sang, il était enfant ou il était homme, et le rire caché lui grandissait dans la poitrine, montait comme une lave volcanique pour jaillir en sarcasmes à la terrasse des cafés ou s'étouffer en san­glots sur le traversin. 88:254 En ce temps-là je passais des nuits entières à scri­bouiller des choses, tentant de vêtir mon verbe squelettique au moyen de tissus imprimés. Ce n'était point ressenti­ment, ni désir d'obtenir des performances semblables au discours de l'orateur de service, préposé dans mon école aux mensonges de fin d'année. Je me forçais en quelque sorte à l'insertion sociale, je tentais une approche, j'expé­rimentais une communication. Gomme j'éprouvais une horreur physique pour le verbiage de notre parnasse, et ne parvenais pas à galvaniser ma prose avare de timide, j'entrepris d'imiter les sonnets d'Antero ([^45]). Je tâtai ensuite de quelques essais romanesques, rêvant d'écha­fauder une série monumentale sur le modèle des Rougon-Macquart ([^46]), mais j'étais bien forcé de reconnaître en secret que tout cela sonnait aussi faux que les sanglots indécents et sensuels de notre poésie. Si l'on m'avait dit à cette époque qu'Anatole ([^47]) était sceptique, et que son influence pseudo-épicurienne menait nos meilleurs esprits à l'esthétisme pur, j'en aurais éprouvé une immense sur­prise ; car moi-même, à vingt ans, je me sentais de taille à donner des leçons de scepticisme à cet innocent Berge­ret ([^48]) qui déclamait des utopies socialistes devant une nièce rigoureusement absente du sujet. J'avais, à cet égard, cinq à six mille ans d'âge bien tassés, et je savais, de cette sagesse séculaire du désespoir, que l'œuvre d'Ana­tole France était aimable et crédule ; dans le dépouillement de sa parole, la maigre élégance de son langage, je discer­nais une noblesse, une bonté de vieil oncle qui croit dur comme fer en une montagne de choses, depuis Dreyfus jusqu'au Petit Pierre. 89:254 Je n'ai pas connu à cette époque le vertige nietzschéen, et quand Gide a fondu sur notre bande pour y révéler la formule définitive de l'adolescence mentale, -- dis-po-ni-bi-li-té --, j'étais parti faire des relevés astronomiques dans le Mato Grosso. Le théodolite m'aura servi à quelque chose. Tandis que notre intelligentsia, saturée de verbiage, écœurée de déclamation, s'adonnait à une véritable orgie de purges esthétiques, tandis que Graça Aranha brandis­sait avec des restes d'élégance l'étendard multicolore des « nouveaux », que Marinetti chantait sur une estrade les grâces émouvantes de la locomotive ([^49]), moi, je m'em­ployais bien loin de là à traverser des gués, attraper la malaria, dormir à la belle étoile, chevaucher des lieues et des lieues, quelque part du côté de Ponta Porâ. Des années plus tard, déjà marié, j'entrais en clôture technique à Jacarepagua et restai près de dix ans, comme il fut conté au premier chapitre de cette histoire, les yeux fixés sur l'aiguille d'un galvanomètre. Et voilà, lecteur. Dès que nous tentons de coordonner les époques et les faits, nous tombons en contradiction. J'ai commencé ce livre en attribuant au galvanomètre la triste aridité de ma jeunesse ; je viens de découvrir ici que, d'une certaine manière, cet appareil m'a sauvé d'une tristesse encore plus grande. J'ai médit du galvanomètre, qui fut peut-être la première pierre importante sur mon chemin. Sans ces dix années de transe technique, mon penchant littéraire, qui après avoir avorté de sonnets et romans me laissait encore en mesure d'inventer une philo­sophie et fonder deux ou trois religions, aurait fini par s'ajuster. Sans le galvanomètre, aujourd'hui, je serais certainement académicien, comme tout le monde, j'aurais déjà derrière moi un lourd passé d'auteur, je serais rentier de quelque formule brillante : je vivrais en somme sur mes assurances intellectuelles. \*\*\* 90:254 Tout cela corrobore ce que j'ai dit plus haut sur la difficulté de conter une histoire. Les événements les plus simples sont inépuisables : les raconter tous s'avère impos­sible ; en choisir quelques-uns équivaut à posséder d'avan­ce la clé de l'histoire, le sens ultime de toutes les choses. C'est naïveté de prétendre épuiser, et présomption de choisir. Dans mon histoire toute simple, le plus simple objet, en l'occurrence un galvanomètre, impose déjà la perturbation d'une ambivalence. Tantôt obstacle, tantôt secours. A première vue on pourrait croire que je suis en train de démontrer, mû par quelques relents de scepticisme, l'impossibilité du roman. Tout au contraire, j'entends af­firmer ici comme une de mes plus solides convictions la possibilité du roman. Le roman vainc l'histoire, et sa pleine réalisation se fonde sur cette victoire. Beaucoup de gens pensent ingénument que l'idéal du roman consiste à raconter des histoires, servies par une poignée de figures humaines. Le personnage principal d'un tel roman serait mythique, qu'il s'appelle temps, mort ou amour. Or, bien au contraire, le roman existe pour affirmer la réalité de personnages qui résistent au temps. Son objet propre est la personne humaine présente comme réalité ontologique, subsistante, et représentée comme réalité eschatologique, en recherche et en présence quotidienne des ultimes réali­tés. Cette formule, qui prend le risque du pédantisme par souci d'une plus grande précision, peut être illustrée et se faire plus aimable, si nous songeons ici à ce boulanger qui attendait sa monnaie, voici une demi-heure, à la porte de notre cuisine. Je tirerais bien un roman raisonnable et romantique de ce boulanger, si je pouvais convaincre le lecteur que cet homme est unique : si je parvenais à force de paroles, de gestes, d'événements, de réactions qui se nouent à des profondeurs plus grandes que les nerfs ou les glandes du corps humain, qui atteignent à la sève de son être, si je découvrais là, en même temps que mon lecteur, que tout l'être de ce boulanger est orienté, comme une boussole vivante, vers les pôles de l'espérance. 91:254 En ce sens, tout roman est chrétien, qu'il soit signé par un Mauriac clairement conscient de sa mission, ou rédigé par un Machado qui l'avait presque devinée mais se recroquevillait en une réserve frileuse, pour n'avoir pas voulu reconnaître lui-même le sens de son œuvre. A propos de Machado de Assis, je ne résiste pas à la tentation d'ouvrir une parenthèse pour dire quelques mots de ce « scepticisme » qui est devenu un lieu commun dans le vocabulaire superficiel et facile des approximations littéraires. Il sera bon de rappeler d'abord le sens actuel et courant que revêt le terme. Courant donc au dictionnaire, je trouve cette définition rigide : « *celui qui ne croit en aucune chose *»*.* Juste en dessous cependant, l'auteur ayant peut-être entrevu qu'un tel individu ne pouvait pas exister, vient cette autre définition adoucie : « *ou qui ne croit pas aux choses respectables *». On voit par là que le problème n'est pas simple, même s'il ne reste encore qu'à découvrir... quelles sont les choses respectables. Je sais moi-même aujourd'hui, grâce à Dieu, où résident ces choses, mais tout nous porte à supposer que le sceptique, pour l'auteur du dictionnaire, est l'individu qui n'ajoute aucun crédit à ses propres opinions encyclopédiques. Les tempéraments déclamatoires, enclins aux crédu­lités éphémères, qui se tiennent entre eux pour généreux et constructifs, ne peuvent pas supporter la présence de caractères comme Machado, qui se courbent sous le déses­poir, mais résistent férocement et avec dignité à la ten­tation de fabriquer leurs propres vérités. Au sens rigoureux du terme, laissant de côté la res­pectabilité, je ne crois pas qu'il existe un seul écrivain sceptique. Le fait d'écrire, non seulement par l'effort requis, mais par la participation du verbe, l'usage confiant du mot, et par la croyance au témoignage, ne laisse pas place au scepticisme. 92:254 Si Renan avait été rigoureusement sceptique, il n'aurait pas écrit sa *Vie de Jésus ;* ce livre cruel et blasphématoire fut un élan, un effort arraché au désespoir : une espèce de provocation qu'il jetait en direc­tion des cieux avec le secret désir, l'espérance inconsciente d'en recevoir une réponse à ses outrages. Nous avons tous appris ce qu'est le véritable scepticisme, quand nous y fumes paralysés aux jours de nos vingt ans, pétrifiés au centre d'un univers sinistre entièrement commandé par la sensation. La négation, le refus de l'œuvre, du geste, et surtout de la parole, voilà le véritable scepticisme. Il ne saurait y avoir ainsi d'auteurs sceptiques ; il n'est que des lecteurs sceptiques. Machado ne peut être comparé à Renan, et moins que quiconque dans la littérature mérite l'accusation de scep­ticisme, car toute son œuvre croit en une chose extrême­ment respectable, qui est la personne humaine. Il croit en Capitu ; il croit en lui et le respecte. Il admet que Capitu soit une personne libre et ne l'amarre pas à une théorie quelconque ramassée dans le dernier almanach, comme les auteurs soi-disant réalistes qui jouissaient à cette épo­que d'un énorme prestige. Qui persiste à croire à la sécheresse d'âme de Machado doit lire sa critique magis­trale de *Primo Basilio* ([^50])*,* où on le voit réclamer dans l'angoisse, fiévreux, presque emphatique, le vide de la triste et médiocre Louise : « Donnez-moi sa personne morale ! » Machado de Assis croit aussi en la parole : à l'époque où il a vécu, dans le climat intellectuel qu'il a supporté, son œuvre constitue un miracle. Face à cette logorrhée ambiante qui offensait la parole et trahissait à angle droit l'esprit de notre langue, Machado sut se préserver ; com­prenant que le portugais est ennemi des rondeurs, il a écrit comme ses anciens, bref de souffle et sec de formes. Il fut véridique dans l'œuvre et véridique dans l'instrument. Eça de Queiros au contraire, dans un admirable lan­gage, a écrit de mauvais romans sur des personnages typi­ques qui, par cela même, n'étaient pas des personnages. 93:254 La typologie, qu'elle soit observée en surface dans les mœurs, ou épluchée dans les alcôves féminines comme font les détestables Bourget et Montherlant, tend au numé­ro contre le nom, elle vide les personnages et détruit le roman. Il est possible évidemment d'écrire des pages d'étude sociale ou psychologique à l'aide de figures humaines in­carnant des symboles et des types, mais l'œuvre en ce cas doit obéir à sa logique propre, elle doit déclarer hon­nêtement ce propos, au lieu de multiplier les équivoques et les glissements d'intention. Dans *La Sphère et la Croix,* Chesterton nous donne un admirable essai de cette caté­gorie, illustré et plein de couleur, mais la forme reste proportionnée au contenu et aucun lecteur ne se trompe sur la véritable intention de l'œuvre. Eça de Queiros peut bien s'enflammer sur le martyre de la Pologne, et croire dur comme fer en Huxley ou Zola : il a manqué à la générosité fondamentale envers la personne humaine, pour n'avoir pas su en témoigner. \*\*\* Au point de vue romantique, l'aspect qui m'a paru le plus choquant dans le marxisme, quand je fréquentais cette idéologie, fut son optimisme tranquille dans l'inter­prétation des événements. L'intrigue que le matérialisme historique propose au monde suit la logique repoussante des policiers de Conan Doyle. Je me sentais une espèce de Dr Watson chaque fois que mes camarades initiés énonçaient des déductions infaillibles (lesquelles souffri­rent d'ailleurs de cette petite imperfection d'avoir négligé le facteur de la police), et plus d'une fois je me surpris à désirer traîtreusement que toutes leurs prévisions se révèlent fausses, pour que je puisse un jour respirer. On peut dire, pour cette raison, que le marxiste est l'homme qui a perdu le sens du roman. J'ignore comment survivent en Russie, en quelles catacombes se terrent les romanciers qui voudraient encore témoigner de la personne humaine dans l'aride république des Soviets. 94:254 Chez nous, l'inutile abondance des romanciers de la canne à sucre et du tabac offrira en l'an deux mille, si par miracle leurs livres y ont été conservés, un éloquent témoignage de l'époque. Je dois dire cependant, puisque nous enquêtons dans ce chapitre sur les faits qui ont pu avoir une influence dans mon retour au christianisme, que mes premiers prédicateurs furent les communistes. Auteurs et discus­sions préparaient mon chemin vers l'Évangile, ils me donnaient soif de roman, provoquaient en moi la volonté de chercher, dans ce sinistre univers colloïdal qu'on me proposait, un personnage qui fût véritablement unique. Après Engels et le médiocre Boukharine, je ne pouvais plus embrasser mon enfant ni aimer ma femme, parce que, pour ces choses extrêmement simples, il n'en restait pas moins indispensable que la femme et l'enfant soient des personnes, qu'ils soient uniques, qu'ils soient enfin les personnages principaux dans le roman de ma vie. Quand ma femme est morte, je pris clairement conscience de tout cela et sentis que je récupérais, au coût le plus élevé, le sens du roman. Un peu plus tard, conduit à étudier des problèmes de pédagogie, je rencontrai chez Dewey, et plus encore dans un livre de Lourenço Filho, un phénomène qui devait réveiller en moi des forces insoup­çonnées. La matière du livre, et surtout l'air satisfait avec lequel l'auteur savoure son petit caramel pédagogique, me donnaient envie de vomir ; ils m'incitaient à prendre un sac et un bâton pour courir le monde, frappant de porte en porte, jusqu'à tomber sur quelque chose qui ne fût pas cette pédagogie. Si je contais, faisant violence à la pudeur, que j'ai mouillé de mes larmes les pages d'*Escola Nova*, le plus étonné de tous serait bien l'auteur lui-même, qui les a écrites assis sur le plus confortable et désespérant optimisme. Pour moi, j'ai compris que je ne pourrais vivre un seul jour de plus en bons termes avec cette sale men­talité. Les mauvais livres sont bons quelquefois, comme la même pierre peut servir au meurtre ou à la construction. 95:254 Les ouvrages rationalistes sur la pauvreté ou l'éducation ont eu sur moi une salutaire influence en m'obligeant au désespoir, aux larmes du désespoir qui sont un com­mencement de l'espérance. Leurs auteurs les avaient rédigés avec la funèbre allégresse des parvenus, bureaucra­tiquement, dans une satisfaction de fonctionnaire qui vérifie la parfaite régularité d'un certificat de décès ; ils exultaient de découvrir la complète déshydratation de la vie et se frottaient les mains, avec un sourire professionnel, devant la fosse béante... où il manquait Dieu. Certains lecteurs penseront que je m'amuse ici à coups de paradoxes, pour faire sourire, mais non -- et même j'irai plus loin : pour moi, la seule chose étrange, c'est qu'il n'arrive pas à tout le monde ce qui m'est arrivé. Logiquement, les montagnes littéraires et scientifiques que l'intelligentsia défèque quotidiennement devraient produire deux vagues énormes : l'une de conversions et l'autre de suicides. S'il n'en est rien, c'est parce que peu de gens établissent un rapport entre ce qui se dit et ce qui se vit. Les paroles ne sont pas vécues ; les livres n'ont rien à voir avec les réalités de la vie familiale ; il n'existe aucune corrélation entre un enfant de chair et d'os et un manuel d'éducation, un frère véritable, et la fraternité universelle prêchée par les socialistes. J'ai tout de même quelques souvenirs joyeux du livre de M. Lourenço Filho. Je me souviens, par exemple, du passage où l'auteur concède une base philosophique à sa pédagogie déjà abondamment enracinée dans la science. Il admet une base philosophique, mais trépigne face au lecteur, et presque s'en étrangle, dans sa hâte à préciser qu'il ne saurait s'agir ici d'une de ces philosophies *a priori* dont il faudrait seulement sourire, tant elles sont inno­centes, mais d'une tout autre philosophie sévèrement gis­cardisée par les sciences... Je comprends parfaitement qu'un pédagogue brésilien présente quelques séquelles du positivisme qui fut la doctrine officielle de notre malheu­reuse république ; je trouve bon aussi que de temps à autre *le* pédagogue sourie, et nous fasse alors la grâce de prévenir ; mais je ne puis en aucun cas tomber d'ac­cord avec le principe que cet auteur professe à propos d'une *base,* qui dans sa propre construction s'apparente beaucoup plus à une cheminée. 96:254 On me permettra aussi d'observer que le mot « scien­tifique » revient dans le livre de M. Lourenço Filho avec une fréquence qui n'est pas d'usage dans les ouvrages du même nom : je n'ai jamais consulté aucun traité de chimie ou d'astronomie dont l'auteur éprouve le besoin de nous avertir, à intervalles réguliers, qu'il est en train de faire œuvre scientifique. Qu'on me pardonne ces allusions à un ouvrage bien oublié, qui n'a pas connu le succès fracassant du médiocre Carrel, publié à point, peu de temps après, pour parfaire mon lavage d'estomac. Ces livres détestables ont été bons pour moi par la miséricorde de Dieu, et aujourd'hui encore je prends le galop de la colère, avec des enthousiasmes de croisé, quand je songe au mal cendreux et morne qu'ils répandent sous le couvert de l'optimisme scientifique. Peut-être sont-ils pires que les blasphèmes rugis avec la bave aux lèvres, parce que, escamotant le désespoir, sé­chant les larmes, ils cachent en réalité l'espérance du divin. Ils séparent la parole de la vie : parler est une chose, vivre en est une autre. On parle pour parler ; on écrit pour écrire. Lorsque ce pédagogue a souri d'une phi­losophie qu'il trouvait par trop innocente, j'eus la brusque impression qu'il était en train de se moquer de moi, de ma mère, de mon enfance, et de quelque chose encore, d'une vérité qu'il me fallait découvrir, quand même tous les pédagogues du monde se moqueraient de moi. Il n'y a rien de pire que l'optimiste, ennemi méticuleux du désespoir. Je suis prêt à sympathiser avec l'individu qui vient me raconter, hurlant de douleur, comment il a perdu sa mère, ou que sa femme s'est envolée ce matin avec un violoniste ; mais je ne saurais pas supporter qu'il arrive chez moi satisfait, parce que ces événements sont venus confirmer sa philosophie... Mieux valent les grands blasphémateurs, qui ont pleuré leurs blasphèmes et payé un amer tribut. Nietzsche, en comparaison avec ces bureau­crates de la douleur, a eu le mérite de conduire le déses­poir à son désespoir, l'athéisme à son déicide, la folie à sa folie. 97:254 Il a découvert, avec saint Paul, que tout est permis si le Christ n'est pas ressuscité. Il oblige au désespoir comme il s'y est lui-même obligé, exemple vivant de la brûlante parole de l'Apôtre. \*\*\* Ayant donc entendu marxistes et nietzschéens, lu les socialistes et la pédagogie, et vécu des jours difficiles, je découvris que j'étais nu. Il m'a fallu près de deux ans pour trouver un tissu capable de me couvrir. Quand l'ami charitable m'a apporté les livres de Chesterton et Maritain, je ne me suis pas jeté aussitôt dans ces lectures ; je les mis de côté, prévenu par le catholicisme des deux auteurs. Je dois à Maurois, en un livre superficiel, acheté sans conviction, mon premier intérêt pour l'humoriste anglais. Je lus alors *Orthodoxie* et *La Sphère et la Croix.* Et je restai ébahi de découvrir Chesterton et ensuite Maritain honnêtement, il me fallait renoncer à tous mes préjugés sur le catholicisme, préjugés que j'avais tenus jusqu'alors pour le pinacle de la sagesse. Le livre monumental de Karl Adam, *Jésus*, *le Christ,* acheva de me convaincre de la terrible gravité (seriedade) du christianisme. Je rôdai alors aux portes des églises, méfiant et curieux. Quelquefois j'y entrais, mais je me sentais exclu, ne sachant pas le sens des cérémonies et ne pouvant admettre la nécessité (qui me semblait obligatoire) d'abandonner au portail, non seulement Maritain et Karl Adam, mais ma propre intelligence inutile et comme démissionnée. Je ne connaissais rien de la Messe. J'ignorais que j'étais ap­pelé pour une fête et que je pouvais, *hic et nunc*, la célé­brer déjà sur le chemin en mangeant la pâque du Seigneur. La messe dominicale, au contraire des prémices d'un ban­quet, signifiait pour moi une imposition compliquée et en­veloppante, une sorte de preuve de bonne volonté, de sou­mission totale, nécessaire pour obtenir la carte de catho­lique. 98:254 J'avais lu des allusions, ici ou là, aux splendeurs des cathédrales, des ornements, de la musique sacrée, mais, loin de cet appât artistique fait pour consoler les ponctuels et les méritants, les églises où j'entrais étaient laides et tristes, elles auraient plutôt servi à alourdir l'épreuve de la patience et de la docilité. (Aujourd'hui encore le problème de ce catholicisme efféminé qui dispense de toute notion, même approxima­tive, du sens de la liturgie constitue pour moi une énigme. Loin de l'autel, on parle beaucoup, et sur un diapason élevé, de la crédibilité, de la rationalité de la Foi ; on prouve Dieu, on démontre le Christ. Et devant l'autel l'intelligence reste suspendue, dans la circonstance précise où elle devrait être le plus haut placée. Après les leçons de la messe des catéchumènes, après le Credo et l'Offer­toire, après le Sursum corda, la Préface est un appel, défi­nitif et véhément, à notre intelligence. La plus pensée, peut-être, des parties de la Messe précède le Sanctus : elle souligne ainsi de manière évidente que la clé qui ferme notre offertoire et ouvre notre adoration est cette même intelligence qui la nuit dernière lisait Chesterton et Mari­tain, et qui maintenant, vivifiée, dilatée par la foi, écoute en silence le verbe de Dieu.) Je sortais des églises déçu, et c'était pire que tout lorsqu'il y avait eu sermon sentimental ou moralisateur. Je retournais à mes auteurs, à un christianisme nocturne et intellectuel, humilié, meurtri de ne pouvoir vivre la doctrine de la foi. L'invitation au sacrement me semblait une parole dure. Un soir, je fus entendre un prêtre qui donnait une conférence sur le communisme. C'était dans une petite salle blottie derrière une église, à l'abri, commode, tran­quille, et protégée par la loi qui finissait de frapper alors les derniers communistes de 1935. Une quarantaine de dames entre deux âges semblaient déjà toutes horrifiées d'avance, en attendant le prêtre, par les cruautés sovié­tiques. L'orateur n'eut pas grand'chose à faire pour sou­lever de petites vagues frissonnantes cette assemblée en or. Des citations d'auteurs, Gide en tête, venaient convaincre les convaincus et faire peur aux apeurés. De temps en temps, l'ecclésiastique répétait : « les faits sont les faits », comme s'il voulait résumer en cette équation hémiplégique toute la sagesse chrétienne. 99:254 Une heure après je me retrouvai dans la rue, les nerfs en boule, ruminant les phrases que j'allais assener, dans une lettre, au conférencier. J'allais lui dire ma soif de doctrine, ma déception devant ses faits et ses auteurs : lui citer d'autres faits et d'autres auteurs ; lui citer Gide en personne. L'envie me prenait à la gorge de chercher une cellule communiste qui renouvelle en moi le principe de la foi, qui vienne me défier avec une doctrine, avec quelque chose de pensable, à la place de cette sinistre litanie d'anecdotes... Je n'écrivis point la lettre, ni ne découvris la cellule, mais je rentrai à la maison et passai une grande partie de la nuit à lire chez Maritain quelques bonnes raisons, viriles avant tout, de n'être pas commu­niste, sans qu'il fût besoin de se ravager l'esprit dans l'anticommunisme primaire du journaliste ([^51]). \*\*\* Vraiment, je n'arrive pas à isoler avec clarté les principaux faits qui m'ont conduit à la foi catholique. Dans mon histoire, comme dans celle des autres, la part essen­tielle reste cachée, tel un extraordinaire monde sous-marin qui n'offre au regard, çà et là, que la pointe de quelques récifs. Parmi ceux-là, cependant, je dois mentionner ici un rocher de forme particulière où un inextinguible phare signale l'entrée du port. Par cette allégorie simple, em­brassant l'eau et la lumière qui brille au-dessus du roc, je veux rappeler mon baptême. Ma conversion ne fut rien d'autre qu'un retour, au terme d'un grand voyage, de beaucoup de calculs maritimes fondés sur des boussoles en folie, à ce port antique : les fonts de mon baptême. 100:254 En quarante ans de voyages, bien des choses ont passé avant que j'aperçoive de nouveau ce cierge allumé au-dessus d'une pierre ; et cela m'est arrivé dans une messe de requiem. Après ce jour-là, j'ai monté encore beaucoup d'expé­ditions en haute mer ; je marchais sans nord, cherchant à découvrir de nouveau dans l'obscurité cette lumière an­tique, rêvant de renverser des montagnes pour conquérir la terre promise, au lieu de hisser mon pavillon et d'at­tendre le remorqueur qui sait ouvrir le chemin entre deux eaux. Beaucoup de choses miraculeuses passèrent près de moi, comme elles passent à tout instant près de chacun, mais j'ai dû en oublier la plus grande partie, et je crains d'attribuer pour mon compte, à quelques événements plus singuliers, davantage qu'ils ne contenaient. Un soir, par exemple, sortant de voiture en compagnie d'un ami récent qui avait besoin de moi pour réparer un amplificateur, j'ai rencontré une pierre. Une pierre réelle, concrète, grani­tique : un parallélépipède. La voiture de mon ami avait heurté cette pierre et, dans la secousse, la boîte à gants du véhicule s'était ouverte devant moi, laissant choir sur mes pieds un missel. Je pourrais développer cet épisode en insistant sur la pierre, comme Carlos Drummond de An­drade ([^52]), ou plus astucieusement sur le missel, pour montrer l'évolution du livre, lente et graduelle, du pied jusqu'à la main. Des pages d'anthologie sont sorties de moins que cela ; mais, franchement, j'aurais quelque scrupule à tirer un paragraphe de plus de cette minuscu­lité, une sorte d'instinct m'avertit que sa valeur littéraire serait discutable. Le fait est que pour la première fois, j'ouvris la bouche et parlai à voix haute de mon problème religieux. La chose est arrivée dans un restaurant où nous étions venus dîner, mon nouvel ami et moi, pour discuter des applications de l'oscilloscope cathodique à la culture des tissus. 101:254 Après une demi-heure de conversation, l'ami, d'un ton inspiré et sans réplique, me déclara : -- *Il faut que tu connaisses Alceu* ([^53]). Et il fila tout droit au téléphone pour chercher en trois ou quatre endroits différents où se trouvait ce per­sonnage que j'admirais par les livres, mais qui me faisait légèrement peur dans sa position officielle de « leader catholique ». Quelques jours plus tard, je le rencontrais, et recevais de lui un service énorme que, dans l'instant, je ne sus pas mesurer. Amoroso Lima me parla de la liturgie chrétienne, me recommandant de chercher à la connaître, et me munit sur l'heure d'un mot de présen­tation pour un Père du monastère Saint-Benoît. \*\*\* Dans les jours qui suivirent, je m'en souviens avec précision, il m'était impossible de passer un quart d'heure sans penser au saint nom de Dieu. C'était un siège en règle ; un assaut ; c'était une véritable persécution qui m'acculait contre l'autel. La vague du mérite de tous les saints, le vent de toutes les prières, me déplaçaient le sol au-dessous des pieds. Et je ne savais pas que le silencieux mouvement des lèvres de toute la chrétienté prenait soin de moi, murmurant un secret qui me concernait, comme le chuchotement des grandes personnes à la veille de Noël, quand j'étais petit... Je fus voir le Père bénédictin, en lui portant la recom­mandation de l'ami, et lui contai mes afflictions. Il m'écou­ta avec attention et charité. J'eus l'impression curieuse d'être *écouté* pour la première fois ; mais je sortis déçu de la conversation. 102:254 J'attendais un signe indubitable, une émotion subite, qui serait venu me convaincre de ma propre conversion. N'ayant rien senti, je restai déçu. Je revins quelques jours plus tard, exigeant du moine une évidence du Dieu vivant, une possibilité de vivre la doc­trine ; et lorsqu'il me répondit en parlant de la messe, je pensai que c'était pour détourner la conversation, ou re­venir aux préalables administratifs de l'immatriculation. Je relançai. Le moine alors, d'un ton triste, me confessa sincèrement qu'il ne savait pas discuter. Quelques jours encore ont passé, jusqu'à ce que sur­vienne un incident que j'ai ici quelques scrupules à rap­porter. En tout cas je le fais : j'étais à mon travail, plongé dans une expérience sur les galvanomètres et les lampes électroniques, attentif au service, provisoirement étranger à toute cogitation, lorsqu'un ouvrier qui m'aidait à monter les circuits se brûla le doigt sur son fer à souder, lâchant un juron blasphémateur pour le nom du Christ. J'arrêtai tout aussitôt et regardai autour de moi d'un air confus, tandis qu'une énorme chaleur me montait au visage. Ce pauvre blasphème de pauvre m'avait atteint de plein fouet, comme un coup de poing au plexus... Je découvrais sou­dain, inondé de joie, que j'aimais le Seigneur Jésus et qu'il coulait dans mon cœur un cantique nouveau. Et tandis que l'ouvrier suçait avec tristesse son doigt brûlé en maugréant contre le sort, j'enfilai mon veston, sortis en courant sans aviser personne et sautai dans un taxi, avec hâte d'arriver au monastère pour me jeter au pied de l'autel. J'étais tombé de cheval. Pendant quelque temps, étourdi par le choc, je n'ai pas bien compris ce qui se passait. Je me trouvais contre toute attente au milieu d'amis jeunes et joyeux, et le plus jeune souriait près de moi comme s'il s'était tenu là de toute éternité. Mais je ne comprenais pas grand'chose à ce qu'ils disaient. 103:254 Une fois, j'étais encore bien petit, il m'est arrivé de connaître cette même situation de radicale nouveauté qui maintenant m'enveloppait. J'avais eu la rougeole ou la coqueluche, pendant un temps dont la mesure semblait énorme à mon enfance. Ce matin-là, sitôt réveillé, j'ai perçu que le monde était nouveau. Ma mère ouvrait les rideaux de la fenêtre en parlant avec d'autres personnes qui se tenaient à la porte, mais je n'entendais pas ces paroles, qui me semblaient elles aussi entièrement nou­velles. Le soleil, en entrant, allumait les fleurs rouges du papier peint... Dans les nuits de fièvre, ce papier peint avait brodé sous mes yeux un univers de cauchemar. La monotonie des fleurs, du sol au plafond, dans le dessin et la couleur, établissait autour de mon lit une sorte de siège lancinant. C'était pire encore si j'arrêtais les yeux sur un détail, où surgissaient aussitôt des pupilles mystérieuses qui me fixaient et des bouches sanglantes pour se moquer de moi. J'appelais au secours, en pleurant, mais taisais le motif de ma peur par crainte d'exciter la colère de tous ces monstres cachés dans la paroi. Ce matin-là, donc, quand le soleil est entré dans la chambre, j'ai compris tout de suite qu'il avait lavé le monde entier : les fleurs du papier peint étaient vives et fraîches ; le drap, l'air, la lumière, tout était neuf et bon ; je n'entendais pas les paroles que la joie dilatait, mais je les sentais joyeuses, je sentais que ma mère parlait ce matin-là un langage entièrement neuf, avec des paroles fraîches comme l'eau et vivifiantes comme les fleurs. J'en­trais en convalescence, cette convalescence qui dans l'en­fance est une splendeur de l'enfance... A quarante et un ans, je rencontrais la même nouveau­té, la même fraîcheur, la même convalescence. Les amis se tenaient tous autour de moi et ils conversaient. Quand j'ai commencé à comprendre, je sus que j'avais d'ores et déjà traversé le pont, que j'étais bien de l'autre côté, et que devant nous s'ouvraient, à deux battants, les portes d'un Royaume ! (*A suivre*.) Gustave Corçâo. (Traduit du portugais par Hugues Kéraly) 104:254 ### Échec au darwinisme américain par Thomas Molnar LES MÂNES d'Étienne Gilson devaient veiller l'autre jour sur ce tribunal de Californie où (serait-ce l'esprit Reagan ?) un juge départagea assez impartialement les tenants de l'évolutionnisme et ceux du créationnisme. Le dogme de l'évolution, inutile de le dire, règne en qualité de science iné­branlable sur les classes amé­ricaines depuis 1922, quand le fameux procès de l'instituteur Scopes avait tranché la question en faveur des origines simies­ques. On avait fait aussitôt de lui un martyr de la Science, et de ses adversaires des obscuran­tistes -- réactionnaires -- capitalistes qui bloquaient le progrès de l'humanité. Ainsi la vérité du darwinisme est-elle un peu une vérité américaine, elle fait par­tie du fonds (anti)culturel com­mun, à la manière du Zola de l'affaire Dreyfus passé dans la légende. Voici peu, donnant une con­férence dans le lointain Oregon pour démonter le mythe de « l'humanisme chrétien », un brave homme dans l'audi­toire m'interpellait violemment : « -- Je parie que vous êtes également *contre* l'art moderne, la Réforme de Luther et l'évo­lution !... » Je fis semblant de m'étonner (tactique toujours payante, elle met les rieurs de votre côté), répliquant : 105:254 « -- Et vous, monsieur, vous y croyez encore, à l'évolution ? Réfléchis­sez, voyons. La physique atomi­que a bien progressé, elle a plu­sieurs fois renouvelé tous ses postulats depuis Maxwell et Faraday, avec l'astrophysique, la méga et la microphysique, Planck, Einstein, Heisenberg, Bohr et les autres... Pourquoi donc voudriez-vous mordicus que la biologie soit la seule science à demeurer station­naire ? » J'ai laissé dans l'ombre mes vues sur Luther et l'art moder­ne, enregistrant toutefois l'amal­game révélé par ce contradic­teur, qui nous récitait là les articles d'un même credo. En effet, pour en revenir à l'évo­lution, il s'agit bien d'une croyance, d'un contre-christia­nisme, même si le père Teilhard pensait pouvoir baptiser Dar­win en le faisant glisser de la biosphère à la noosphère. La confrontation devant le tribunal californien constitue précisé­ment un chapitre de plus dans cette guerre de religion aussi acharnée qu'au XVI^e^ siècle, à ceci près que les termes en sont hypocritement voilés -- démo­cratie libérale oblige -- pour ne pas traumatiser les militants et fanatiques américains de la « Science ». (Les savants véri­tables ne sont point embarras­sés, mais on ne les convoque guère à la barre des témoins.) En réalité, ce nouveau procès Scopes n'est que la partie vi­sible de l'iceberg. Il existe en effet depuis plusieurs années, aux États-Unis, des instituts de recherche sur les origines dont la position paraît simple et honnête : ni le « créationnisme » ni « l'évolution » ne peuvent se prévaloir d'un caractère scientifique, au sens actuel (et dégradé) du mot, car on ne peut fournir aucune preuve de laboratoire à l'appui de l'une ou l'autre des deux théories. Il s'agit donc là de deux croyan­ces, qu'on devrait enseigner dans les classes en tant que telles au lieu de dire à l'enfant que sa religion est « fondée sur des erreurs », seule la scien­ce moderne étant capable d'at­teindre la vérité... Et il y a lieu d'amender tous les manuels scolaires sur ce point, pour y modérer le totalitarisme évolu­tionniste, et donner la parole aussi aux partisans de la créa­tion. Les créationnistes, collabora­teurs des instituts de recherche mentionnés plus haut, produi­sent dans ce débat des argu­ments scientifiques et même très sophistiqués. Exemples : -- De mémoire d'homme, on n'a jamais observé dans le monde animal une seule mu­tation « progressive », c'est-à-dire capable d'engendrer à ter­me un organe nouveau. -- Pour faire sortir de la « soupe pri­mitive » l'homme complet, compte tenu des lois de l'agi­tation moléculaire, il aurait fal­lu infiniment plus de temps que les cinq milliards d'années at­tribuées par la science aux ères géologiques ([^54]). 106:254 On voit ici qu'il ne s'agit pas d'obscurantistes, mais bien de savants, qui portent leurs con­naissances au combat contre le matérialisme invétéré du milieu ambiant. Malgré ces réussites indéniables (les premières mani­festations créationnistes remon­tent à 1972, et on commence à réviser aujourd'hui les ma­nuels scolaires), les propos de Gilson restent toujours d'actua­lité : l'homme de science pré­fère s'aligner sur le hasard plu­tôt que de postuler une intelli­gence créatrice antérieure à la matière pour expliquer ce qui est. Mais il faut remarquer que les nouveaux matérialistes ne sont plus tellement sûrs d'eux-mêmes ; ils nous proposent en effet une théorie selon laquelle les particules sub-atomiques se­raient à ce point poreuses et élusives qu'elles établissent par leur structure propre l'inutilité du postulat de l'âme spirituelle, animale ou végétative, la ma­tière elle-même devant être te­nue comme responsable de tous les phénomènes dits animés. La « gnose de Princeton » adopte plus ou moins cette position, ainsi que le colloque de Cor­doue, l'an dernier. Cependant, le fait que la science contem­poraine commence à se sentir mal à l'aise dans le carcan du matérialisme et du déterminis­me ne signifie nullement qu'il s'agisse d'abandonner les thèses anciennes. Lucrèce lui-même n'avait-il pas décrit en son temps les atomes de « l'âme » comme plus fins et plus lisses que ceux qui constituent la ma­tière ? Encore une fois, cette science est et reste empêtrée dans sa propre incapacité à postuler autre chose que la ma­tière comme substrat de l'uni­vers entier et de toute la for­midable organisation qui le constitue dans l'être, lui donne forme et finalité. L'étiquette « darwiniste » dis­simule davantage, aux États-Unis, qu'une position scientifi­que. Vers 1870, sous l'influence de Darwin, et plus encore sous celle d'Herbert Spencer (Gilson montre dans *D'Aristote à Dar­win et retour* que Spencer est le grand responsable de l'af­faire, ayant promu en idéologie dominante les hypothèses du savant), un curieux phénomène a surgi en Amérique : le « dar­winisme social », venu à point pour prêter main forte au ca­pitalisme naissant. Le profes­seur Sumner fut le chef de file de cette école à Yale Univer­sity, mais sa doctrine était sur­tout recueillie par les business­men qu'elle justifiait dans leur course à la fortune, au succès, à l'individualisme forcené. Du coup, la « Science » elle-même se portait moralement garante de leur concurrence féroce, de la mise hors-circuit des pauvres, des bas salaires ouvriers. L'éthi­que darwinienne exprimait à merveille la brutalité, non seu­lement du capitalisme et du grand business, mais de l'attitu­de fondamentale par laquelle l'Américain, jusqu'à aujourd'hui, se hisse au sommet, par tous les moyens, et justifie son dé­dain pour l'échec. \*\*\* 107:254 Je ne m'écarterai point de mon sujet si j'explique que dans les universités et collèges américains, le jeune enseignant est soumis à une pression ex­traordinaire pour écrire et pu­blier : un peu n'importe quoi, il faut le dire, du moment que son dossier se remplit de pages imprimées dans les administra­tions. Cette politique du « *pu­blish or perish *» exprime ad­mirablement l'esprit du darwi­nisme social. Celui qui publie le plus décrochera le poste, sans qu'aucun professeur de faculté se préoccupe jamais de savoir ce que vaut la chose comme « contribution à la science et à la culture » ; car lui aussi doit l'essentiel de sa carrière à toute une accumulation de paperasses que personne n'a lues. Ce qui renforce une fois de plus l'ar­gument des anti-darwiniens : quand je passe en revue mes propres collègues d'université, force m'est bien de constater que celui qui survit n'est ja­mais le plus génial ou le plus apte, intellectuellement, mais le meilleur tacticien, l'opportunis­te, le bureaucrate aplati. \*\*\* La demi-victoire des « créa­tionnistes » a été remportée par des parents californiens, les Seagraves. Ceux-ci accusaient l'école de leur fils (13 ans) d'avoir porté atteinte à la reli­gion de celui-ci en permettant à une institutrice de ridiculiser, en classe, le récit de la Créa­tion : les Seagraves sont pro­testants, de la branche « fondamentaliste » ([^55]). Derrière la décision du juge se profile la crainte des Américains de ne pas observer scrupuleusement la sacro-sainte « séparation de l'Église et de l'État ». Car si l'une et l'autre, création aussi bien qu'évolution, sont décla­rées « croyances », on ne peut plus enseigner le dogme darwi­nien dans les écoles publiques, financées par l'impôt. La vic­toire des Seagraves reste juste­ment d'avoir su remettre en cause le caractère « scientifi­que » de l'évolution pour la faire apparaître comme ce qu'elle est, une espèce de reli­gion, grâce aux interminables controverses des savants cités comme témoins par les deux parties. Il faut dire aussi que le cli­mat général américain commen­ce à se prêter à la contre-offensive. Les gens normaux osent admettre aujourd'hui leur dégoût du dévergondage géné­ralisé, et répondre aux media. Ils comprennent que leur nom­bre a toujours été supérieur à celui des destructeurs patentés qui fabriquent l'opinion. Et s'ils se manifestent, ici ou là, c'est qu'ils se sentent plus ou moins rassurés par l'élection d'un président qui, pour une fois, ne semble ni fripon ni dé­bile mental. Ce qui prouve à nouveau que l'autorité doit émaner d'en haut : la pénétra­tion des rangs inférieurs se fait presque automatiquement. 108:254 Mais il y a davantage. On commence à diagnostiquer le mal répandu chez nous sous le nom d' « humanisme laïque », cette religion horizontale qui envahit la société entière lors­que la foi véritable en est écar­tée au nom de la séparation de l'Église et de l'État. Il n'y a point de société et d'État sans religion, et point de religion qui soit seulement -- comme le voudraient les libéraux -- une affaire privée. A défaut de la religion transcendante, une religion immanente pénètre partout dans la société, s'inven­tant toutes espèces de justifica­tions idéologiques ou scientifi­ques. Certes, la présidence de Reagan ne suffira pas à tout changer dans le monde améri­cain, où un Jimmy peut tou­jours refaire surface sous le nom de Teddy. Mais pour l'ins­tant l'orthodoxie libérale se terre, elle n'a pas encore absor­bé le choc du pays réel. \*\*\* On se demandera pourquoi le procès de l'évolution a été déclenché par les fondamenta­listes plutôt que par les catho­liques américains. Il existe à cela plusieurs raisons, qui mé­ritent d'être considérées. La première est l'absence totale d'initiative dont font preuve les évêques, à plat ventre devant l'idéologie régnante, mais cruels et brutaux quand il s'agit d'ajouter à la persécution de leurs propres fidèles. Ce n'est même plus la prudence poli­tique qui les conduit, la diplo­matie, le tact, encore moins le machiavélisme, mais l'ignoran­ce, la lâcheté et la trahison. -- Toute réaction catholique dépend donc des groupes de laïcs, qui à juste titre font da­vantage confiance à Reagan qu'à leurs évêques ou au nonce apostolique, Mgr Laghi, récem­ment nommé par Jean-Paul II. Or les catholiques américains ont à faire face aujourd'hui au plus urgent, à savoir la légis­lation sur l'avortement. Et là encore, ils comptent bien da­vantage sur les nouveaux élus du Congrès que sur l'épiscopat. Cette méfiance est parfaite­ment fondée. Les évêques amé­ricains l'entretiennent d'ailleurs périodiquement par des mesures incroyables, comme la révoca­tion du Père Paul Marx, béné­dictin, qui dirigeait depuis quin­ze ans un centre de protection de la vie humaine (l'*Human Life Center*) fondé par lui. Le Père Marx et ses associés ont parcouru 45 pays dans le mon­de pour conseiller chrétienne­ment les jeunes couples et lut­ter contre la politique de Was­hington, qui revient à imposer partout la pilule au titre de « l'aide à l'étranger ». C'est le Père Marx qui devait alerter les évêques sur la législation qui se préparait en faveur de la contraception, et il se trouve aujourd'hui au premier rang de ceux qui cherchent à faire révoquer les lois meurtrières. En guise de remerciement, les commissaires épiscopaux se sont rendus plusieurs fois dans l'uni­versité qui abrite l'*Human Life Center* pour faire pression sur le Recteur, obtenir la fermeture du centre, ou du moins le ren­voi de l' « inquiétant » béné­dictin. 109:254 Et finalement, ils ont obtenu ce qu'ils voulaient... A remarquer que ces mêmes évê­ques s'empressent d'applaudir les groupes de pression radi­caux lorsque ceux-ci exigent, dernière en date de leurs pré­tentions, que l'on modifie cer­tains textes liturgiques où le Christ parle au « masculin », dans un langage « sexiste » ! \*\*\* Puisque nous sommes sur le sujet, signalons que l'impudicité pro-marxiste de la confé­rence épiscopale américaine vient d'éclater une fois de plus dans les propos d'un certain Tom Quigley, expert aux af­faires latino-américaines de la­dite conférence. Précisons tout de suite que les évêques des États-Unis sont totalement igno­rants de tout ce qui peut se passer dans le monde : ils dé­pendent donc entièrement des « experts » infiltrés parmi eux, qui dictent en fin de compte leur politique religieuse... Or, interrogé sur la situation du Salvador, dans une interview à l'hebdomadaire catholique *The Wanderer,* le nommé Quigley déclare tout bonnement que la livraison d'armes aux insurgés ne prouve en rien l'existence d'un axe Moscou-La Havane-Managua, qu'il s'agit d'une af­faire purement intérieure, entre Salvadoriens, et que le seul souci des évêques est d'inciter Washington à ne pas y mettre le nez. Après soixante-quatre ans de leçons infligées par les communistes dans le monde entier sur la véritable nature du Parti, le porte-parole des évêques américains peut tenir ce langage de stupidité, d'in­culture, d'insolence et d'inhu­manité. On comprend que les simples fidèles se sentent tra­his et commencent à se révol­ter. De toute évidence, en Amé­rique comme ailleurs, la visite de Jean-Paul II n'est plus qu'un souvenir de fête, d'ores et déjà digéré. Le super-spectacle pon­tifical a impressionné le petit peuple en même temps qu'il le décourage aujourd'hui, car on commence à voir que le pape n'a guère de pouvoir réel sur l'organisation du soviet épisco­pal. Ce que nous disions tout à l'heure à propos de Reagan vaut dans ce domaine aussi : l'autorité bien exercée se ma­nifeste vite et clairement. Les évêques américains et leurs maudits « experts » en savent aussi peu sur la situation poli­tique du Salvador que sur l'évo­lutionnisme ou l'avortement. Ils nous récitent les dossiers préparés par leurs bureaux, qui sont aux mains de l'ennemi. Si bien que les batailles religieu­ses du siècle alignent une mino­rité de laïcs restés orthodoxes contre des légions infernales où se côtoient apparatchiks com­munistes, radicaux de toute es­pèce, et prélats de la Sainte Église Romaine. Thomas Molnar. 110:254 ### La tempérance *suite* par Marcel De Corte COMME la pudeur et le sens de l'honneur, la chasteté a une signification sociale très nette : finalisée par la réalité *authentique* de l'espèce humaine dont les membres ne naissent et ne se développent que dans la famille et dans la Cité, elle en maintient le sens dans la bonne direction. La chasteté n'est pas, comme on le pense trop souvent, une vertu négative. Comme le montre toute la morale de saint Thomas, elle ne sup­prime pas la sexualité, puisqu'il est trop clair que toutes les passions irascibles ou concupiscibles font partie de la nature humaine ; elle l'ordonne vers la fin que la droite raison lui assigne et qui est la conservation des familles et des diverses sociétés où l'homme se trouve inséré, vers le bien commun de ces commu­nautés qui est l'entretien d'une vie réellement humaine. Le liber­tin qui poursuit son plaisir particulier est vraiment un homme sans famille et sans Cité. L'expérience la plus élémentaire montre au reste que la débauche est un des facteurs les plus destructifs des sociétés. Elle est la mère de l'anarchie. Cet aspect positif de la chasteté, trop rarement souligné, est si vrai, si réel, que là où règne cette vertu, la nécessaire répression de la concupiscence et de la licence charnelles ne se fait sentir qu'accidentellement. 111:254 La chasteté ne détruit pas, elle édifie. Seul l'homme qui a discipliné ses passions et les a mises au service de sa nature humaine peut désirer ce qu'il faut, comme il le faut, quand il le faut et selon l'ordination imposée par la raison ([^56]). Le *non* précède ici le *oui* et il le *prépare.* De même que la chasteté, la virginité est une vertu, mais son propos n'est pas de tempérer la propension au plaisir sexuel et de régler celui-ci selon la droite raison et le bien commun de la famille et de la Cité, il est de s'abstenir perpétuellement (*perpetuo*) d'une telle délectation ([^57]). Il semblerait à première vue que nous quittons ici le terrain du bien commun temporel pour celui de la Révélation qui a consacré la virginité des hommes et des femmes préposés par l'Église à la transmission du message pro­prement évangélique. Ce n'est pas complètement et intégralement vrai. Saint Thomas sait très bien que le vœu de virginité des Ves­tales n'était que temporaire. Il sait que cette vocation n'existait pas dans les sociétés païennes. C'est à peine s'il fait une exception pour Platon qui, selon certains, se serait abstenu de tout plaisir sexuel par amour de la contemplation, et il ne reprend pas cette opinion à son compte ([^58]). La raison en est manifeste : pour saint Thomas et pour toute la tradition catholique, la grâce n'abo­lit pas la nature, mais la surélève. Il en résulte que, selon lui, le christianisme a introduit dans les sociétés humaines un élément nouveau, capital : une nature restaurée dans son état d'avant le péché originel, non sans doute complètement, puisqu'il lui reste des blessures qui ne seront cicatrisées que dans l'au-delà, mais d'une manière suffisante pour que l'homme puisse agir en être humain et non pas en bête, pourvu qu'il ait la volonté, dirigée par la droite raison, de viser au bien commun pour lequel il est fait tant dans l'ordre temporel que dans l'ordre spirituel. C'est pourquoi la virginité qui n'est pas un précepte et qui relève du conseil ([^59]) est, non pas selon lui une fin en soi, mais un moyen indispensable et souverainement efficace pour s'élever vers le plus haut bien commun transcendant qui est Dieu. Les biens du corps sont des biens extérieurs que fabrique l'intelligence ouvrière de l'homme et nous avons vu qu'il fallait en modérer le nécessaire usage. Les biens de l'âme ou de l'intelligence active orientée vers le bien commun temporel familial ou social, ne sont pas cependant les biens ultimes qui comblent les aspirations de l'homme, mais depuis que le Christ l'a déclaré en saint Luc : 112:254 « Marie a choisi la meilleure part » ([^60]), ils ne sont pas seulement subordonnés au Bien transcendant que vise la vie contemplative de l'esprit, ils lui sont *ordonnés.* Il appartient donc à la rectitude de la raison pratique d'user des biens communs temporels de manière à ce que, par leur bonne organisation, ils servent de tremplin à la vie spéculative. « Il s'ensuit que si l'on s'abstient de posséder certaines choses -- biens particuliers et biens communs temporels -- que par ailleurs il serait bon de posséder -- dans l'intérêt de la santé ou du corps ou encore en vue de la contemplation de la vérité, cela, loin d'être un vice, comme certains esprits malades le suppo­sent, est rigoureusement *conforme à la droite raison. *» ([^61]) La grande majorité des hommes n'est pas obligée de vaquer à la vie contemplative, mais déjà, dans l'Antiquité, des esprits supé­rieurs, tels Platon ou Aristote, ont pu s'élever, par éclairs, aux plus hauts sommets de la contemplation naturelle de Dieu pour laquelle l'esprit humain est fait ([^62]). Les flancs de ces cimes ne sont toutefois accessibles qu'à quelques-uns et de manière fugace, depuis que l'homme à la suite de la dégringolade de la nature humaine sous l'effet du péché originel a été contraint de gagner son pain à la sueur de son front et de bâtir des sociétés de loin inférieures à celle qu'il avait avec Dieu. Il fallait donc que la grâce divine intervienne pour remédier à cette considérable déficience de la créature séparée de son Créateur. Le Christ, Fils de Dieu, s'est incarné et a fondé une Église qui continuât son œuvre salvatrice à cette fin. Il fallait que les clercs responsables de ce retour définitif de l'humanité à la vie contemplative après le jugement particulier qui suit la mort et la Résurrection qui mettra fin à la vie temporelle, que Dieu instituât un ordre de clercs dont la vie active fût ordonnée, selon la hiérarchie des vies, à la vie contemplative. « Il est suffisamment pourvu à la multitude hu­maine si certains accomplissent l'œuvre de la génération charnelle, mais certains autres qui s'en abstiennent s'adonnent à la contem­plation des choses divines, pour la beauté et le salut du genre humain tout entier. » ([^63]) 113:254 C'est l'apanage des clercs de faire vœu de virginité afin que la vie active qu'ils doivent mener ici-bas, tant dans le siècle que dans l'Église, soit suspendue à la vie contem­plative sans laquelle la première n'aurait aucun sens, aucune direction surnaturelle. La virginité des clercs doit montrer aux fidèles que ceux-là qui leur servent d'intermédiaires indispensables pour être sauvés et dont l'action naît de la surabondance de la contemplation leur servent aussi de *modèles* pour l'état qui sera le leur dans la vie future où la nécessité des sexes sera définitivement abolie. *Le vœu de virginité des clercs anticipe en quelque sorte sur l'éternité.* Il montre que la nature restaurée par la grâce n'est pas de soi vouée à la seule reproduction corporelle, mais aussi et surtout au progrès spirituel. D'une manière plus parfaite que la multitude, le clergé montre ainsi que la grâce n'abolit pas la nature mais la surélève en sa fonction hiérarchiquement la plus noble et la plus sacrée : la contemplation. Il signifie aux fidèles qu'il y a une vie transcen­dante à la vie d'ici-bas et les invite à partager à leur manière l'élévation à cette vie supérieure en pratiquant la chasteté qui ne les asservit plus à la chair. Loin d'être une institution révocable à tout instant, comme on le chante sur tous les tons aujourd'hui, la virginité du prêtre est impérieusement requise par son statut d'intermédiaire entre l'homme et Dieu, destiné par sa vocation et par l'appel qu'il a reçu de Dieu, comme par le sacrement de l'Ordre, à être le gardien du troupeau qu'il doit conduire aux portes de l'éternité où la vie laborieuse et la vie active feront place à la seule vie contemplative, propriété des êtres pourvus de raison. Considérer l'action comme la caractéristique essentielle de l'homme et du chrétien à la manière et à la seule de Blondel, c'est choisir la part inférieure au détriment de la part supérieure, non seulement au point de vue surnaturel, mais au point de vue naturel qui place l'activité spéculative de l'esprit au-dessus de son activité sociale et politique et de son activité laborieuse. Il sévit depuis que les clercs ont goûté au fruit empoisonné de la philosophie moderne qui a mis la hiérarchie des fonctions de l'esprit cul par-dessus la tête, une véritable « hérésie de l'action », comme l'appe­lait Pie XII qui consiste dans la glorification de l'*ipsemet,* de la personne humaine et qui aspire vainement à bâtir de toutes pièces une société de personnes à l'imitation, dégradée à un point inima­ginable, de la société surnaturelle de personnes qu'est l'Église catholique, lesquelles sont finalisées en dernière analyse par le bien commun de la Vérité éternelle. La frénésie actuelle de « la pastorale » le prouve superlativement. On saccage de la sorte et la société humaine et la société divine. 114:254 La campagne menée avec intensité pour l'abolition du vœu de virginité et pour le mariage des prêtres est liée à cette formidable révolution dont la philoso­phie subjectiviste moderne est la cause. En insistant sur la vertu de virginité ordonnée « à la contemplation des choses divines pour la beauté et le salut du genre humain tout entier », saint Thomas ne remet pas seulement les choses droites comme elles doivent l'être, il distingue sans les confondre et, au contraire, pour les *unir hiérarchiquement,* l'Église et la Cité temporelle. La séparation entre l'Église et l'État, conséquence de la disparition de la primauté de la contemplation que la virginité des clercs entretient, aboutit alors à la primauté de la dissociété de personnes qu'est la démo­cratie, sur l'Église réduite à la fonction de servante de ce système aberrant, mythique et pseudo-religieux. Dans le domaine de la vérité, tout se tient du vœu de virginité à la conception d'une société saine et d'une Église fidèle à l'inspi­ration de son divin Fondateur. Tout est également cohérent dans le domaine de la grâce et de la nature : une Église attachée à la contemplation des vérités éternelles ne peut pas ne pas consolider fermement la primauté du bien commun dans la société tempo­relle qui les transmet de la sorte dans l'espace et dans le temps. Elle ne peut pas davantage renoncer à rappeler aux fidèles les conditions d'une société stable et les inciter à la lutte contre la dissociété révolutionnaire. En prétendant abjurer leur vœu de vir­ginité, bon nombre de clercs, ainsi que l'observation la plus simple en témoigne, versent en même temps dans la subversion de toutes les valeurs sociales. En ne les sanctionnant pas vigoureusement à ce double point de vue, les autorités ecclésiastiques officielles deviennent leurs complices. Sans doute la virginité est-elle de prime abord ordonnée au bien particulier, mais elle dépasse en dignité le mariage ordonné au bien commun temporel, non seulement parce que tel ou tel bien privé peut être meilleur quant à son genre que le bien commun, en ce cas parce que « la virginité consacrée à Dieu l'emporte sur la fécondité de la chair » ([^64]), mais encore parce que tout bien particulier est ordonné au bien commun de son espèce, en l'occur­rence le bien commun surnaturel et, par la médiation de ce dernier, au bien commun de la société civile qui s'en trouve affermie. L'histoire de la chrétienté et de ses débris l'atteste : un clergé saint fait un peuple honnête ([^65]). 115:254 A la chasteté et à la virginité s'oppose la luxure qui se déchaîne dans les plaisirs de la chair, brisant les freins que leur impose la raison. « Les plaisirs sexuels étant le plus grand dissolvant de l'âme humaine » ([^66]), on peut se demander si la luxure n'est pas un vice capital. Elle l'est. Mais d'abord il faut ici distinguer : « Dans les actes humains, on appelle péché ce qui est contre l'ordre de la raison. Mais l'ordre de la raison consiste à ordonner convenablement toutes choses à leur fin. C'est pourquoi il n'y a pas de péché à user raisonnablement des choses pour la fin qui est la leur, en respectant la mesure et l'ordre qui conviennent, pourvu que cette fin soit un véritable bien. Or de même qu'il est vraiment bon de conserver la nature corporelle de l'individu, de même c'est un bien excellent (*bonum excellens*) que de conserver la nature de l'espèce humaine. Et de même qu'à la conservation de la vie de l'homme est ordonné l'usage des nourritures, de même à la conservation de tout le genre humain est ordonné l'usage des réalités sexuelles. C'est pour­quoi saint Augustin peut dire : « Ce que la nourriture est pour le salut de l'homme, l'acte charnel l'est pour le salut de l'espèce. » Ainsi, de même que l'usage des aliments peut être sans péché, lorsqu'il a lieu avec la mesure et l'ordre requis, selon ce qui convient au salut du corps, de même l'usage du sexe peut être sans aucun péché, lorsqu'il a lieu avec la mesure et l'ordre requis, selon ce qui est convenable pour la fin de la génération hu­maine » ([^67]), c'est-à-dire dans le mariage et en vue d'engendrer des enfants qui perpétueront l'espèce, la famille et la Cité, per­mettant de la sorte à la Révélation et à la grâce de Dieu de se propager par des canaux naturels, car la grâce présuppose toujours la nature et ne la remplace pas entièrement. La luxure est un péché, car « plus une chose est nécessaire -- et la conservation du genre humain l'est -- plus aussi il faut qu'en ce qui la concerne l'ordre de la raison soit observé ». Le nécessaire se dit en effet d'une condition, d'un moyen dont la présence ou l'action rend seule possible une fin ou un effet. C'est le cas de la transmission de la vie, nécessaire essentiellement au maintien non seulement de l'espèce humaine, mais aussi de la nature raisonnable de chacun de ses membres et à la subordination de la chair à l'esprit. Il s'ensuit que l'ordre de la raison doit surtout être observé en cette matière où la chair intervient. Il s'ensuit encore que « l'action charnelle est d'autant plus vicieuse que l'ordre de la raison est oublié. 116:254 Par conséquent, si l'on fait usage du sexe en dehors de ce que prévoit l'ordre de la raison, on agit alors à la manière de la bête et on tombera dans le vice. C'est précisément cela qui définit la luxure : elle consiste à violer l'ordre et la mesure de la raison dans les choses sexuelles. La luxure est donc sans aucun doute un péché » ([^68]). Elle est même incontestablement un péché capital, c'est-à-dire « un vice qui se propose un but très désirable au point que cet appétit conduit l'homme à commettre beaucoup d'autres péchés qui, tous, naissent de lui comme de leur source principale. Or la fin de la luxure est le plaisir sexuel, qui est le plus grand. C'est pourquoi cette jouissance est par-dessus tout désirable pour l'ap­pétit sensible, tant à cause de la véhémence du plaisir qu'à cause du lien qui unit cette convoitise à la nature humaine. Il est donc manifeste que la luxure est un vice capital » ([^69]). C'est un fait que les facultés sensibles sont affectées de façon véhémente par leurs objets, il en résulte une sorte d'obscurcissement des facultés supérieures promues à leur direction. Or pour le vice de luxure tout particulièrement, les passions du concupiscible se tournent avec violence vers le plaisir. Il en résulte une désorganisation et une paralysie de la raison et de la volonté, à un degré extrême. Les actes principaux de la raison sont perturbés et déviés de leur fin. L'acte principal de la raison pratique qui appréhende une fin comme bonne est entravé. C'est l'aveuglement de l'esprit. Délibérer sur ce qu'il faut faire pour atteindre la fin devient alors impossible. La réflexion est inhibée. C'est la précipitation. Le jugement porté sur ce qu'il faut faire est réduit à l'impuissance. C'est l'irréflexion. Le commandement de la raison ne s'exerce plus. C'est la soumission aux élans impétueux et désordonnés de la chair. Il s'ensuit que la Volonté n'est plus braquée vers la fin vers laquelle la raison pra­tique la dirige. Alors que la raison pratique est ordonnée au bien qui lui est extérieur (*ad bonum quod est extra ipsum*) et que son premier objet n'est pas la vision mais le visible ni son acte propre, mais le bien commun temporel et spirituel qui la dépasse ([^70]), elle se trouve obnubilée par le plaisir, lequel, séparé de son support : le bien objectif, devient son seul souci, déclenchant la pire des aberrations : l'amour de soi (*amor sui*) qui conduit au dérèglement social et à la haine de Dieu, accompagnés des moyens qui y mènent : l'attachement exclusif à la vie présente et à sa subjectivité, le désespoir de la vie future et le dégoût des choses spirituelles. 117:254 L'égoïsme inhérent au plaisir que l'on désire pour soi est à cet égard « le principe commun des péchés » (*commune principium peccatorum*)*.* Ne surnagent plus de cette tempête que l'impatience, l'audace, l'inconstance, la négligence, la prudence de la chair, la ruse et l'astuce, le tout enveloppé de paroles obscènes, de bouffonneries, de grasses plaisanteries et de sots bavardages ([^71]). Le moraliste observe que la luxure se subdivise en six espèces : la fornication simple qui entrave la fécondation, l'adultère, l'in­ceste, le stupre ou défloration d'une vierge, le rapt ou violence à l'égard de l'autre sexe, et le vice contre nature, qui sont toutes « d'une manière qui n'est point accidentelle » ([^72]) des attentats contre la justice tant générale que commutative, à des degrés divers, et qui sont toutes également des atteintes graves à l'ordre naturel et surnaturel, des péchés mortels, des sacrilèges même, puisque, selon l'avis de saint Augustin, « renverser les barrières des mœurs par convoitise des rapports sexuels » est un attentat contre l'ordre voulu par la nature et par Dieu ([^73]). Quel est le prêtre, quel est le moraliste qui oseraient parler de la sorte aujourd'hui ? Ils seraient immédiatement hués ou, mieux encore, entourés d'un hermétique et méprisant silence qui laisserait leurs voix sans portée, sans écho. #### V Saint Thomas ne se lasse pas d'énumérer et d'analyser les nombreuses vertus annexes -- et leurs contraires -- qui se ratta­chent directement à la tempérance par la modération et la mesure qu'elles apportent dans une série de domaines de la vie vertueuse. Encore que ces vertus -- dites parties potentielles -- qui sont inté­grées à la tempérance ne correspondent pas avec exactitude à la notion précise de celle-ci que nous avons déjà dégagée, elles n'en sont pas moins des vertus apparentées par le tempérament qu'elles apportent à de nombreuses passions du concupiscible dans des domaines qui leur sont propres et qui ne sont pas directement dé­pendants des plaisirs du toucher. 118:254 Ce sont la continence (et son contraire l'incontinence) ; la clémence et la douceur (et leurs op­posés : la colère et la cruauté) ; la modestie et l'humilité (ainsi que leur antithèse : l'orgueil) ; la studiosité (et la curiosité) ; la vertu qui règle les mouvements extérieurs du corps et celle qui en mesure la tenue extérieure ou la toilette. Cet ensemble a paru disparate et artificiel à certains ([^74]). Nous n'en croyons rien : outre le thème de la modération et de l'équilibre qui les réunit toutes, nous verrons qu'elles sont toutes également axées sans exception sur le tempérament qu'il sied d'apporter aux diverses poussées, parfois frénétiques, de diverses passions du concupiscible qui, abandonnées à elles-mêmes, n'aboutissent à rien d'autre qu'à la dilatation du Moi et à sa volonté de puissance. Il semblerait à première vue que la continence ayant la même matière à régler, -- à savoir les convoitises des plaisirs du toucher, se confond avec la tempérance. En réalité, alors que la tempérance est une vertu et même une vertu cardinale qui rectifie l'appétit concupiscible où il siège, la continence est une quasi-vertu qui a pour sujet la volonté. Comme l'indique l'étymologie du mot, la continence implique un certain frein, une certaine retenue, une certaine maîtrise de soi (*tenet se*) dans les convoitises qui relèvent du manger, du boire et du sexe. La différence en est qu'alors que la tempérance dompte et soumet à la raison d'une manière du­rable, au titre d'*habitus,* cette triple concupiscence jaillie de l'appé­tit sensible, la continence s'exerce pour ainsi dire du dehors au dedans, à la surface de cette avidité pour résister simplement à son assaut. Il ne faut donc pas restreindre la continence au sens de l'abstention de tout plaisir sexuel comme on le fait d'ordinaire, ce qui la réduirait à la virginité. La continence affermit l'âme contre les trois principales passions du concupiscible mais de telle sorte que ces passions peuvent encore s'insurger contre elle et suivre l'inclination de la nature qui pousse l'homme vers la conser­vation de l'individu et de l'espèce d'une manière violente. L'hom­me continent peut encore éprouver des désirs mauvais que le tempérant ne ressent plus parce qu'il est fixé dans sa vertu et par sa vertu. 119:254 Le concupiscible se comporte au contraire de la même façon en celui qui est continent et celui qui est incontinent, car en l'un et en l'autre il y a de véhéments accès de convoitise mauvaise. Il est donc clair que la continence ne pénètre pas jusqu'au sein du concupiscible pour le domestiquer et le rendre obéissant aux ordres et à la finalité de la raison. « Pareillement la raison se comporte en l'un et en l'autre de la même façon car tous deux ont une raison droite et qu'en l'absence de la passion ils ont l'intention de ne pas suivre les convoitises illicites. » Évidemment, le continent, en dépit de ses véhémentes envies, choisit de ne pas les suivre, tandis que l'incontinent, malgré l'opposition de la rai­son, s'abandonne à leur élan. Un choix s'exerce ici. Comme le choix relève de la volonté, il faut dire que la continence est, comme en son sujet, dans la volonté qui résiste à l'attrait des trois convoitises violentes qui peuvent assaillir l'homme à certains moments. La continence, étant donné le caractère accidentel et comme entrecoupé du déchaînement des passions du concupiscible, ne s'exerce donc pas d'une manière continue comme le fait la tempérance. C'est pourquoi elle n'est pas une vertu au sens plein du terme, mais elle est associée à la vertu de tempérance qui rend avec constance le concupiscible docile aux injonctions de la raison. De ce point de vue la tempérance est bien une vertu supérieure à la continence et elle se compare à elle comme le parfait à l'im­parfait : là où la raison est plus vigoureuse et exerce d'une manière habituelle sa domination, il y a un plus haut degré dans l'échelle des valeurs ([^75]). Il ne faudrait pas estimer que la volonté étant une faculté supérieure au concupiscible, la continence qui en relève est supérieure à la tempérance dont le point d'attache est le concupiscible qu'elle maîtrise. « Le tempérant affirme l'ordre de la raison jusque dans la faculté du concupiscible ; le continent n'a que momentanément sa volonté rectifiée sur sa raison : ses vertus sont à peine ébauchées. Sans doute, résiste-t-il à la tentation, mais il est loin d'avoir son âme garantie contre l'irruption et l'acuité de la concupiscence. Au contraire, le vertueux est un pacifié chez lui, la raison a conquis tout l'homme. » ([^76]) Il suit de là que l'incontinence se trouve à son tour dans la partie supérieure de l'âme qui cède aux pulsions du désir et n'use pas de la raison pour résister aux trois principales passions du concupiscible. Elle est donc un péché qui blesse la nature de l'homme, comme l'intempérance, parce qu'elle s'écarte de ce qui est conforme à la raison et qu'elle s'abandonne à des jouissances blâmables. 120:254 Il faut toutefois remarquer que si l'incontinence affecte le désir des honneurs, des richesses et autres choses semblables, elle n'est que relative : en ce cas elle est encore un péché contre l'ordre naturel, non point parce qu'on s'abandonne à des convoi­tises perverses, mais parce qu'on n'observe pas la nécessaire me­sure de la raison dans des choses qui, de soi, méritent d'être recherchées. Mais comme la continence est inférieure à la tempé­rance, dans la hiérarchie des vertus, l'incontinence est un péché moins grave que l'intempérance : ici la volonté est inclinée au péché par la coutume et par l'*habitus* qui en procède, là au con­traire, elle se porte vers le péché sous l'effet de la passion. Il en résulte que, dès que la passion cesse de s'exercer, l'incontinent éprouve du repentir pour sa faute, ce qui n'arrive pas à l'intem­pérant qui se réjouit plutôt de son péché devenu en lui connaturel sous l'effet de l'habitude. On rétorquera peut-être que l'incontinent agit sciemment contre l'ordre des fins puisqu'il sait que ce qu'il convoite est mauvais, tandis que l'intempérant estime que l'objet de son désir est bon. Il est vrai que l'ignorance précède parfois l'inclination de l'appétit et en est la cause. En ce cas, l'ignorance diminue ou excuse le péché dans la mesure où elle le rend invo­lontaire. Mais, dans d'autres cas, c'est l'ignorance de la raison qui suit l'inclination désordonnée de l'appétit. Le péché est alors d'autant plus grave que l'ignorance, en fonction de la puissance déréglée de l'appétit, est plus forte. Chez l'intempérant elle est causée par la permanence de l'*habitus* et chez l'incontinent par la poussée violente, mais de moindre durée, du désir. Chez le premier, elle dure, telle une maladie consomptive ou un cancer, chez le second elle est temporaire. L'ignorance de l'intempérant est égale­ment plus grande, car elle porte sur la fin elle-même de la vie humaine complètement voilée par la poursuite sans frein des con­voitises. Celle de l'incontinent sauvegarde au moins la juste esti­mation de la fin. Elle est donc moins grave ([^77]). L'incontinence est également moins grave que celle où l'on tombe dans la colère, lorsqu'on perd la maîtrise de soi au point de faire du tort au prochain. Elle est cependant plus grave d'un autre point de vue : le désordre engendré dans la concupiscence est plus déréglé que celui provoqué par la colère. Au reste, on tient pour plus honteux la convoitise charnelle et la gloutonnerie que la colère ([^78]). La volonté de possession ou de puissance qui s'y manifeste, le repli de l'âme sur elle-même et l'autosatisfaction du moi qu'on y observe montrent que l'incontinence répétée con­duit droit à l'intempérance habituelle, au désir de ramener toutes choses au moi immergé dans la matière individuante où s'enracine l'appétit sensible. 121:254 La clémence et la douceur ont dans leur domaine une structure analogue à celle de la tempérance : elles sont modératrices, avec des nuances : « la clémence modère la punition extérieure, tandis que la douceur a pour fonction propre de tempérer la passion de colère » ([^79]). Elles font potentiellement partie de la tempé­rance dont elles sont les vertus annexes. Elles sont bien des vertus puisqu'elles rendent bon celui qui la possède et ce que ce dernier fait, comme le dit Aristote. C'est le bon sens qui le dit. Elles ressemblent à la tempérance en ce que la première diminue les peines et la seconde calme la colère, exactement comme la tempé­rance modère les convoitises des plaisirs du toucher : dans les trois cas, il s'agit d'une sorte de répression, de diminution, de réduction des désirs du concupiscible. La clémence est aussi ap­parentée à la justice dont elle abaisse les peines qu'inflige la loi, en considérant les circonstances particulières où la faute a été commise. Elle est à la sévérité ce que l'équité est à la justice légale dont les exigences, formulées en général, sont plus rigou­reuses et que certaines considérations peuvent assouplir. Clémence et douceur sont des vertus qu'il faut pratiquer. Du point de vue concret où elles s'exercent, elles écartent du mal et atténuent la colère et le châtiment légitimes. Étant donné qu'il est plus parfait de poursuivre le bien que de s'écarter du mal, on peut dire d'elles qu'elles ordonnent indirectement et relativement au bien. Elles sont toutefois moins parfaites que les vertus naturelles de prudence et de justice et que les vertus théologales, qui ordonnent toutes au bien de façon directe et absolue. Rien n'empêche toutefois qu'elles revêtent une certaine excellence parmi les vertus qui résistent aux affections mauvaises. La clémence perfectionne en effet la justice et la douceur rend l'homme plus maître de soi en atténuant sa colère ([^80]). Si le moraliste veut être fidèle à la réalité concrète de l'action qu'il analyse et justifie, il importe d'ajouter que la clémence n'apaise que la colère illégitime. Il est de bonnes et saintes colères qui soulèvent normalement une volonté de vengeance et de châtiment contre l'auteur d'un mal grave, mais il est aussi des colères mauvaises lorsque, par exemple, quelqu'un est trop ou trop peu em­porté, sortant ainsi de la mesure de la droite raison. 122:254 Mais si la colère est conforme à l'ordre de celle-ci, elle est louable. Si elle précède la raison, elle est alors mauvaise ; si elle la suit, en ce sens qu'elle s'élève contre le vice, alors elle est bonne. Saint Thomas va jusqu'à dire que « si, dans l'exécution même de l'acte, cette colère gêne quelque peu le jugement de la raison, elle ne lui enlève pas toutefois sa rectitude ». Il est juste et honnête de se mettre parfois en colère contre les malfaiteurs et les criminels endurcis : la colère se met ici au diapason de la raison pratique et de sa finalité. Bien des moralistes et des juges d'aujourd'hui pourraient ici en prendre de la graine. Le châtiment qui se place à la hauteur des forfaits et qui vise sa fin : la conservation de la justice est alors normal. Il l'est encore lorsqu'on garde la juste mesure dans la colère proportionnée au mal qu'elle punit. (*A suivre*.) Marcel De Corte. 123:254 ### Marie à Éphèse LORSQUE le feu de la Pentecôte se répand sur les Apôtres réunis au cénacle, la vie de l'Église prend une forme visible, sociale. L'Évangile fait place aux Actes, l'âge du Saint Esprit com­mence avec splendeur, sous un ciel de miracles, dans une prédi­cation libre et joyeuse de la vérité. Voici le ton de liberté que prend le discours de saint Pierre après la guérison du boiteux de la Belle Porte : « *Israélites, pourquoi vous étonner de cela ? Ou pourquoi tenir les yeux fixés sur nous, comme si c'était par notre propre puissance que nous avons fait marcher cet homme ? *» Et pour la joie, voici le discours de saint Paul devant Agrippa : « *Comme je me rendais à Damas, vers le milieu du jour, je vis sur le chemin, ô Roi, une grande lumière qui tombait sur moi et mes compagnons ! *» La conclusion étonnante de ce discours est bien connue, ce n'est plus de la joie, c'est de la jubilation : « *Plût à Dieu que vous tous qui m'écoutez aujourd'hui, vous soyez tels que je suis, à l'exception de ces chaînes ! *» 124:254 Les Apôtres se sont donc disséminés aux quatre coins du monde, ils guérissent, ils prêchent merveilleusement, ils se dé­clarent heureux de souffrir quelque chose pour le nom du Christ. Et qu'advient-il de Marie, l'Épouse du Saint Esprit ? Marie reste seule en compagnie de saint Jean. « *Celui-ci, dit Jésus à Pierre, si je veux qu'il reste ainsi jusqu'à ce que je revienne, que t'importe ? *» De la vie de Marie après la Pentecôte, pas un mot dans l'Écriture. Marie reste seule, nous le savons par tradition orale ; elle demeure seule avec saint Jean, à Éphèse, et ceci enferme un grand mystère. Marie n'apparaît plus au regard des hommes -- non pas que le service de l'*ancilla* soit fini. Loin d'être fini il se prolonge d'une façon plus profonde et plus mystérieuse encore que jadis, mais ce ministère s'enveloppe de silence. Les esprits orgueilleux qui veulent tirer toutes les vérités du salut des seules Écritures butent là contre un mur de silence, tandis que la foi des humbles entre dans ce silence comme en un chemin d'amour où la Tradition les conduit doucement jus­qu'aux plus secrets événements de l'histoire des hommes. Et voici le rôle caché et suréminent de la Très Sainte Vierge Marie : si la prédication des Apôtres est une roue de feu occupée à sillonner les routes de la terre, la Très Sainte Vierge en est le centre ; si la roue tourne c'est parce que son centre reste immobile. Les sillons ainsi creusés dans la mémoire des hommes forment l'histoire de l'Église. Marie est au centre de cette histoire, mais elle y est invisible, seule, perdue dans l'anonymat des pauvres. Une femme parmi les autres. \*\*\* Deux sommets de la vie de Marie absorbent le regard chré­tien, inspirent l'art et la poésie chrétienne : ces deux sommets, ce sont Nazareth et le Golgotha. Le regard des chrétiens, parce qu'il est un regard aimant et un regard filial, s'attache à contempler le Fiat de leur Mère comme une réponse à l'appel de Dieu et le Stabat comme une réponse aux suprêmes exigences de l'Amour. Et ces deux sommets sont bordés de deux abîmes où le regard se perd : d'abord le mystère de l'Immaculée Conception, enclos dans la Pensée Divine, de toute éternité ; puis la vie inté­rieure de Marie après la Pentecôte, montée spirituelle cachée aux yeux des hommes et dont les Anges furent les témoins extasiés. Ce qu'ils virent nous le verrons au Paradis. Ce qu'ils voyaient alors était si grand qu'ils se penchaient, pour ainsi dire, sur ce mystère sans fond, mystère d'une Église-Épouse ramassée en un point de l'espace et du temps, à un degré de perfection unique : jamais cette Église pérégrine n'aura été aussi sainte que du temps où elle possédait en son sein terrestre le trésor de la présence de Marie. C'est ce mystère « dans lequel » saint Pierre nous dit que « les Anges désirent contempler » : *in quem Angeli desiderant prospi­cere* ([^81])*.* 125:254 Pourquoi les Anges désirent-ils de toute leur force, qui est grande, contempler ce mystère ? Parce que c'est un mystère de croissance. Eux ne croissent plus dans la Charité, ils sont fixés au terme : ils sont *comprehensores.* A Éphèse, en compagnie de saint Jean, Marie Immaculée grandissait en silence et ce grandissement était un miracle de grâce qui émerveillait les Anges du Ciel. Ce que fut la vie de la Mère de Dieu à Éphèse, nulle bouche humaine ne pourra jamais le dire. On peut chanter les vertus héroïques, mais la justesse des correspondances à la grâce est-elle traduisible en langage humain ? Le regard des Anges lui-même pénétrait-il jusqu'au cœur de cette harmonie montante, sans heurt ni faux pas, de cette intercession qui redescendait avec tendresse comme une paix radieuse sur une communauté de fidèles dont ne peut s'expliquer le prodigieux essor que par la présence en son sein du plus auguste trésor que la terre pourra jamais enfermer ? Et ce trésor était porté par une humble femme entre les femmes qui portait de l'eau, qui allumait le feu, qui ravaudait, signifiant pour les générations à venir que la vraie grandeur s'accomplit dans des actions familières sans éclat. La souffrance violente, se retirant peu à peu, laissait paraître une âme lisse comme un lac de montagne dont le miroir sans défaut restituait intacte l'immensité du ciel. Il faudra attendre l'éternité pour comprendre la portée du psaume 44 dont certain verset prophétise un ordre de beauté qui n'appartient qu'à Marie : « Toute la gloire de cette fille de Roi est à l'intérieur. » Benedictus. 126:254 ## NOTES CRITIQUES ### Cinq lectures de « Présence d'Arius Hugues KÉRALY : *Présence d'Arius*. Essai sur une vieille origine de la nouvelle religion. Préface de Pierre Chaunu. (Dominique Martin Morin.) *Lecture de Louis Salleron* Voici un précieux petit livre (115 pages) qu'il faudra toujours avoir sous la main pour suivre la crise de l'Église. Hugues Kéraly commence par rappeler qui est Arius -- un évêque du IV^e^ siècle -- et en quoi consiste l'arianisme -- le refus de la « consubstantialité » du Fils au Père (qui débouche dans la négation de la divinité du Christ). L'hérésie arienne s'est réveillée comme un volcan en notre temps dans des christologies de plus en plus « humanistes ». Le Credo fran­çais ne professe plus désormais que le Fils est « de même nature » que le Père. A Pilate qui l'interroge : « Alors, tu es roi ? », Jésus ne répond plus : « Tu l'as dit, je suis roi », mais « c'est toi qui le dis » (sous-enten­du moi je n'irais pas jusque là). Dans les traductions de l'Évangile, chez les théologiens comme Pohier, dans la conscience collégiale de notre épiscopat, Jésus est vrai homme et simple image de Dieu. L'œcuménisme évacue le dogme catholique. Seuls, avec quelques Athanase contemporains, les laïcs, comme il y a quinze siècles, sauvent la foi traditionnelle en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. 127:254 Sur tous ces points de l'histoire et de l'actualité, Kéraly rassemble la documentation essentielle. On ne regrette que l'absence de la réaction d'Étienne Gilson à la suppression du « consubstantiel au Père » et celle de l'incroyable réponse que fit le cardinal Lefebvre à la pétition des laïcs qui lui en demandaient le rétablissement. Louis Salleron. *Lecture d'Hervé Pinoteau* Excellent petit livre, bien présenté comme tous ceux de DDM, le plaisir des yeux rejoignant celui de l'esprit. Oui, Kéraly a raison. Nous vivons en un monde imbibé d'hérésie arienne ; il faut le dire, ce qui entraîne qu'on doit expliquer ce que c'est que l'arianisme, donc revenir aux sources, des siècles en arrière. Or, ce pèlerinage vers des temps qui pourraient paraître révolus, nous mène, comme par hasard, aux sources de notre propre nation. Car enfin, il faut le montrer plus que jamais, la France est née d'un baptême catholique, orthodoxe peut-on dire, alors que tous les royaumes barbares étaient ariens. C'est parce que le roi des Francs a été baptisé dans la vraie foi, alors que le reste de l'Europe était arien, que la France est « la fille aînée de l'Église ». Bouleversé par le baptême royal qui ouvrait tant de pers­pectives à l'apostolat, saint Avit, évêque de Vienne sur le Rhône, écrivait à Clovis : « Votre foi est notre victoire ! ». Kéraly touche donc là un point sensible. Nos évêques de 1981 sont largement arianisés et le pouvoir politique qui nous mène à la ruine est en large commu­nion avec lui. C'est dire l'abîme dans lequel nous sommes et l'ampleur de l'effort à accomplir pour en sortir. 1981, 481, mille cinq cents ans que Clovis vint au pouvoir : bientôt nous serons à même de fêter (vers 1996) notre millénaire et demi de catholicisme. Le petit livre de Kéraly est une borne utile sur le chemin de notre combat et de nos commé­morations. Hervé Pinoteau. 128:254 *Lecture de Georges Laffly* L'esprit humain est si infirme que non seulement il lui est difficile de trouver et de suivre la voie de la vérité, mais que ses erreurs mêmes sont monotones, et en somme, peu nombreuses. On se trompe rare­ment de façon inédite. On s'embourbe toujours dans les vieilles ornières. Que l'hérésie arienne, vieille de seize siècles, soit aujourd'hui vivace, et d'une certaine manière triomphante, c'est ce que Kéraly montre très bien. Ce succès s'explique. Arius est rationaliste. On ne lui fera pas croire que Dieu lui-même s'est fait homme et a été crucifié. Ce scandale *lui* donne le vertige, ce qui est bon, mais il s'arrête au vertige. Il biaise. Un prophète crucifié, oui, et si l'on veut un fils de Dieu, mais non pas le Fils consubstantiel au Père. L'homme moderne est au moins aussi réfractaire à un si grand mystère. Il ne supporte pas l'idée qu'un tel drame se soit déroulé pour lui. Son horizon est trop court. Il est plus à l'aise pour admettre que le royaume promis, c'est le monde de demain (onusien, socialiste) à construire. Il imagine volontiers Jésus prêchant la libération de la Palestine. Cet homme moderne est aussi convaincu du progrès. Il ne va pas se brouiller avec juifs ou musulmans pour ce détail : la divinité du Christ. Cela suffit. Un christianisme arianisé, défiguré, s'instille sournoisement, la foi se dissout. Nous pouvons nous réveiller demain déistes, ou « spiritualistes », sans avoir compris comment. Renégats et satisfaits. Kéraly en montre le mécanisme, décrit les rouages déjà mis en place. En fait, nous sommes bien plus bas qu'Arius, qui avait foi en un Dieu transcendant. Le culte de l'homme a ruiné cela. « L'hérésie arienne reposait tout entière, c'est à la fois son mérite dans le siècle et sa condamnation dans l'au-delà, sur une vue trop philosophique de la divinité. L'apostasie moderne véhicule partout dans son sillage, comme un drapeau, sa glorification divinisante de l'humain. On reconnaît à ce signe sa supérieure nocivité. » Les effets sont à craindre. On a oublié que l'Espagne wisigothe, longtemps arienne, se retrouva musulmane en quelques années (cf. l'article de Julio Garrido, ITINÉRAIRES, n° 237). Aujourd'hui, en Afrique, dans de vastes zones, christianisme et Islam sont face à face. Si l'aria­nisme pratique n'est pas résorbé, Mahomet aura partie gagnée. 129:254 En France même, on observe des milliers de conversions à l'Islam, de nos jours. L'esprit arien et son action, ce n'est pas un sujet de controverse pour érudits, c'est une des lignes de mort de notre destin. Le livre de Kéraly la décrit avec talent et vigueur. *Présence d'Arius* est dédié « à tous ceux qui récitent encore dans leurs églises le Credo de Nicée -- Constantinople ». C'est le cas de Pierre Chaunu, qui vient préfacer l'ouvrage par une belle méditation sur le motif central de la foi, et partant, de sa rencontre avec nous : « Dans le malheur de ces temps difficiles, où tout se brouille à notre regard, de mystérieuses solidarités se nouent entre ceux qui cheminent sur des routes différentes et qui ne se seraient jamais rencontrés sans les étranges concours de la Providence. » -- Voilà où nous en sommes en 1981. La trahison des évêques aura été jugée aussi par un pro­testant. Georges Laffly. *Lecture de Paul Ollion* Après avoir consulté les écrits des pères de l'Église et des papes, ceux des hérésiarques anciens et modernes et les commentateurs les plus « autorisés » des uns et des autres, l'auteur très savant nous livre le fruit de ses recherches et de ses réflexions sur l'actualité de l'hérésie arienne. Cependant, ce n'est pas un des moindres mérites d'Hugues Kéraly d'avoir rendu compte de toute cette science dans un ouvrage accessible à tous, concis, utile, pratique, et de lecture agréable car l'auteur joint à toutes ses éminentes qualités intellectuelles des dons d'écrivain au style alerte et ses phrases sobres n'excluent pas la verve et le talent. Le premier chapitre nous rappelle les origines de cette hérésie surgie d'Orient au IV^e^ siècle. J'avoue que je n'ai jamais si bien compris ce qui la rendit si séduisante. Elle consistait essentiellement à nier la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ ou du moins l'égalité des per­sonnes dans la Sainte Trinité, rejetant le mystère afin de rendre Dieu plus rationnel, c'est-à-dire plus intelligible pour la raison humaine. Un Dieu fait homme mort sur la croix par amour pour nous était une sorte de scandale pour les Juifs, les Grecs et les Gentils. C'est ce qui explique le succès de l'hérésie arienne au quatrième siècle et aussi à notre époque ([^82]) où l'intelligence humaine accepte mal les mystères révélés par Dieu et enseignés par son Église, vérités que nous devons croire par la seule vertu de foi. 130:254 La pure philosophie permettra tout au plus de connaître l'existence de l'Être nécessaire, infini, parfait, elle ne nous expliquera pas pourquoi il y a un seul Dieu en trois personnes ni le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption. Les ressemblances de l'hérésie arienne à l'hérésie de notre « après concile » ne se bornent point à la doctrine elle-même. Hugues Kéraly retrouve d'étonnantes similitudes dans leurs caractères secondaires. L'arianisme ancien fut, comme l'arianisme moderne : *Épiscopal :* beaucoup d'évêques suivirent l'arianisme « celui-ci par conviction philosophique personnelle, celui-là par esprit œcuménique et d'ouverture au siècle, tel autre encore pour ne pas perdre ses rentes et sa place ». *Collégial :* les premiers évêques ariens ne restèrent pas inactifs et assaillirent leurs confrères de « pressions intellectuelles et circulaires, lettres ouvertes, signatures et pétitions » mettant ainsi en œuvre les premières « manipulations ès collégialité ». *Conciliaire :* le résultat de toutes ces manœuvres fut que « sur 25 conciles ou synodes importants, tous comptes faits et refaits, treize d'entre eux peuvent être considérés comme ariens, semi-ariens ou arianisants... sept seulement restent pleinement orthodoxes ». Le génie de saint Athanase trouva le mot qui exprime le plus adéquatement le mystère du Dieu unique en trois personnes distinctes mais identiques. Ce terme « CONSUBSTANTIEL » fut proclamé au concile de Nicée et ce fut la borne de séparation entre l'orthodoxie et l'aria­nisme. Nous le récitions dans le Credo, symbole de Nicée-Constantinople, jusqu'à ce qu'une partie des catholiques en soit privée par le nouveau Missel des Dimanches qui l'a remplacé par DE MÊME NATURE. En grec, de substance semblable se dit « homoiousios » et consubstantiel « ho­moousios » et je me souviens que Mlle Luce Quenette nous expliquait combien de sang, de larmes et de persécutions, de persévérance et de saints martyrs il fallut pour que l'Église refusât définitivement ce petit iota de la langue grecque, minuscule caractère qui faisait toute la doctrine, ultime perchoir de l'orgueilleuse hérésie. Hugues Kéraly nous montre aussi cela et retrouve chez les évêques d'aujourd'hui la même indifférence qui laissa faire tant de progrès à l'arianisme au IV^e^ siècle. Ce précieux *consubstantiel,* certains n'ont pas encore compris que « *notre foi n'est pas d'abord de le comprendre, mais d'y adhérer *»*.* 131:254 Les conséquences impies de l'arianisme ancien ont été l'abandon du latin comme langue liturgique et le recours aux langues locales, la réduction des dogmes à quelques schémas très simples et celle de la morale évangélique et de la liturgie à ce qui pouvait frapper la sen­sibilité des populations. Hugues Kéraly pourchasse impitoyablement les traces d'arianisme que l'on trouve en grande quantité dans l'Église de France contempo­raine et que pour la plupart la revue ITINÉRAIRES avait déjà dépistées et démasquées au fur et à mesure de leur apparition. Nous voyons successivement, devant la pointe de ses flèches : 1965 -- la traduction française du Credo qui, dès 1965, abolit le *consubstantiel *; 1968 -- le nouveau catéchisme où l'on omet d'enseigner que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu, -- que la sainte Vierge est la Mère de Dieu ; 1970 -- la falsification de l'épître du dimanche des Rameaux, « un des textes les plus importants de l'Écriture pour l'affirmation de la divinité du Fils » que le Nouveau Missel des Dimanches de l'année traduit : « Le Christ Jésus est l'image de Dieu, mais il n'a pas voulu conquérir de force l'égalité avec Dieu » ; 1975 -- la lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre où il affirmait : « le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même, sous certains aspects, plus important que celui de Nicée ». Ce qui est énorme, si on se souvient que le concile de Nicée a défini la doc­trine de l'Église sur la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ et promulgué la première partie du Credo, tandis que Vatican II ne se voulait même pas disciplinaire, mais suggestif et pastoral. 1980 -- Le Nouveau Missel des Dimanches où, parmi beaucoup de cuistreries allant toujours dans le même sens, on peut lire dans le récit de la Passion, où Notre-Seigneur est interrogé par Caïphe et par Pilate dans saint Lue, et par Pilate dans saint Jean : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » -- « Es-tu le Roi des Juifs ? » -- « Alors, tu es Roi ? » On lui fait répondre : « C'est vous qui dites que je le suis » -- « C'est toi qui le dis ! » -- « C'est toi qui dis que je suis Roi ! » Traduction que l'on retrouve dans la détestable Tob. Les pères de cette nouvelle doctrine : Le dominicain Cardonnel : « Il n'y a pas de Dieu en soi, il n'existe de Dieu qu'en vie commune avec les hommes. » 132:254 Et les modernes « christologies de la conscientisation » des pères Pohier et Bouhier, selon lesquelles c'est par sa vie avec les hommes et en entendant leurs paroles que Jésus-Christ aurait fini par prendre conscience de ce qu'il était véritablement, -- doctrine qui fait l'admi­ration de certain évêque qui « écoute Kung et recopie Pohier ». Tel est le sinistre tableau de chasse d'Hugues Kéraly et encore il nous précise qu'il n'a choisi que le plus gros -- la parenté de toutes ces falsifications et erreurs avec l'arianisme est frappante et le lecteur en sera encore plus convaincu en abordant la question de l'œcuménisme arien. « L'hérésie d'Arius était œcuménique au sens actuel et non catho­lique du mot. » Escamotant la révélation évangélique de la Trinité, elle proposait une doctrine sur la divinité acceptable pour tous les grands systèmes philosophiques de l'époque. Les juifs furent spécialement intéressés, car le christianisme était une menace pour la religion hébraïque et l'arianisme, au contraire, l'avantageait plutôt. Le dogme trinitaire ne fut jamais contredit explicitement, ni par les ariens, ni par leurs modernes successeurs, mais on en parle le moins souvent possible et, avec les omissions du Novus Ordo Missae, on ne sait plus que la fin ultime de la messe est d'être « sacrifice de louange à la Très Sainte Trinité » comme l'ont rappelé les cardinaux Ottaviani et Bacci dans le « Bref Examen critique ». Le triomphe des hérétiques du IV^e^ siècle se manifeste par d'ignobles profanations dans les églises de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que les hérétiques actuels ne peuvent encore se permettre en vertu des lois civiles, mais l'auteur fait tout de suite le rapprochement avec la ten­tative de Mgr Etchegaray qui voulut faire de Notre-Dame de la Garde un centre monothéiste : Temple -- Mosquée -- Synagogue (entreprise qui heureusement échoua grâce aux saines réactions des Marseillais) ; et celle de Rennes où une statue de Bouddha, placée devant le maître autel, fut adorée par des bonzes ou lamas et l'évêque du lieu laissa faire. Cependant, Hugues Kéraly nous précise dans la conclusion : « Le seul œcuménisme véritable, c'est le nôtre ou plutôt celui de l'Église qui appelle à la Vérité immuable de la parole de Dieu tous les hommes de bonne volonté. » Il semble que le préfacier, M. Pierre Chaunu, professeur de théologie, protestant, ait entrevu quelque chose de semblable car nous lisons à la fin de son texte cette interrogation : « Y aurait-il, face à l'œcuménisme d'Arius, un œcuménisme d'Athanase ? Une rencontre sur le motif central de la Révélation qui dit création, chute, rédemption ? » 133:254 Le choix d'un préfacier protestant pour un livre qui défend la tradition catholique pourrait sembler curieux, voire choquer, mais il nous oblige à réfléchir et nous met devant cette évidence : Nous sommes doctrinalement beaucoup plus proches de M. Pierre Chaunu, fidèle au Credo de Nicée-Constantinople, que des personnes qui se prétendent encore catholiques et ont abandonné ce symbole de notre foi, depuis qu'elles fréquentent la Nouvelle Messe délibérément ou sous anesthésie. Souhaitons que la constatation de ce fait soit un réveil salutaire pour beaucoup et ce sera un mérite de plus pour ce petit livre qui nous a dit tant de choses véritablement utiles. Que notre résolution soit aussi forte que celle des héros dont on nous cite le témoignage à la fin du volume : saint Athanase, -- le pape Libère, -- Osius de Cordoue, -- saint Basile. L'ouvrage contient aussi de quoi stimuler notre résistance : le juge­ment du cardinal Newman qui conclut : « Je vois donc dans l'Histoire de l'arianisme un exemple achevé d'un état de l'Église pendant lequel si nous voulons connaître la tradition apostolique, c'est aux fidèles que nous devons avoir recours » ; et l'ardeur communicative d'Hugues Kéraly : « Tant que l'on occupe des églises ou des hangars dans le monde entier pour s'agenouiller devant l'autel et réciter le Credo, la nouvelle religion n'a pas le droit de se sentir en paix. Elle peut d'ailleurs compter sur nous pour l'affermir dans ce sentiment. » Paul Ollion. *Lecture de Jean Crété* En 1968 déjà, dans son rapport introductif au Congrès de Lausanne, Jean Madiran établissait un parallélisme saisissant entre la crise arienne du IV^e^ siècle et la crise moderniste qui ravage l'Église contem­poraine ([^83]). Cette comparaison instructive est reprise par Hugues Kéraly, avec plus de développement, dans son « essai sur une vieille origine de la nouvelle religion » : *Présence d'Arius.* Hugues Kéraly a eu la bonne idée de faire préfacer son livre par Pierre Chaunu, pro­testant fermement attaché à l'enseignement des Écritures et du Credo de Nicée-Constantinople, qu'il récite comme nous. « Y aurait-il, face à l'œcuménisme d'Arius, un œcuménisme d'Athanase ? Une rencontre sur le motif central de la Révélation, qui dit création, chute, rédemp­tion ? » 134:254 Dans une première partie, Hugues Kéraly nous présente Arius (256-336) et son enseignement, qui consiste à « rationaliser » la foi en niant l'identité d'essence entre le Père et le Fils dans la Sainte Trinité, tout comme l'éternité de leurs relations d'origine. Le Fils peut être dit Dieu improprement, au sens large, mais il n'est qu'une créature, la plus parfaite de toutes. N'est-ce pas là également la pensée profonde des théologiens modernistes depuis bientôt un siècle ? (Loisy enseignait à Paris avant 1890.) Malgré l'extrême prudence à laquelle ils étaient tenus avant le concile, on pouvait très clairement le discerner. Je pense à certaines notes, à certaines traductions de la Bible de Jérusalem. Et à la même époque, vers 1950, on pouvait aussi, dans les sermons de certains prêtres, dans les propos de certains « militants », recon­naître que, pour eux, Jésus n'était qu'un grand homme, l'Homme par excellence, un envoyé de Dieu, un prophète, tout ce qu'on voudra sauf Dieu, sauf le Fils consubstantiel au Père. Après le concile, on sera encore tenu à quelque prudence, mais moins étroitement. En 1964, le consubstantiel du Credo sera rendu par : de même nature ; et malgré les critiques et protestations du cardinal Journet, d'Étienne Gilson et de combien d'autres, la traduction de 1964 est demeurée intangible, depuis dix-sept ans, au milieu du bouleversement à peu près complet de la liturgie. Ce qui donne, au niveau populaire, ce jugement d'un garçon de dix-sept ans lui aussi, reproduit avec émerveillement par la revue *Catéchèse *: « Qui es-tu, Jésus ? Tu es un gars sympa, un peu âgé, mais très présent... » Dans une deuxième partie, Hugues Kéraly analyse la ligne de partage du « consubstantiel ». Il rappelle l'appui apporté à Arius par tout un groupe d'évêques, et montre que l'arianisme est avant tout une hérésie collégiale. De même, à notre époque, c'est par des institutions collégiales, les conférences épiscopales, que le modernisme s'est ins­tallé solidement dans l'Église ; et contre ce collégialisme, le pape lui-même est impuissant, les trente premiers mois du pontificat de Jean-Paul II en sont la preuve. Au IV^e^ siècle, les évêques se liguent pour tenir en échec la définition du concile de Nicée ; et, selon un mot de saint Jérôme, « l'univers entier gémit et s'étonna de se retrouver arien ». L'arianisme est une hérésie conciliaire, qui s'affirme et se propage par une série de pseudo-conciles : Tyr, Jérusalem, Arles, Milan, Sirmium, Rimini, Constantinople, voilà les grands « conciles » ariens du IV^e^ siècle. De nos jours, le grand concile de Vatican II -- plus important, selon Paul VI, que celui de Nicée -- est prolongé par d'innombrables réunions, conférences, synodes. A Lourdes, il y a toujours trois ou quatre évêques, prudemment anonymes, pour voter contre les résolutions de l'assemblée générale de l'épiscopat français. Rentrés dans leurs diocèses, que font-ils, que peuvent-ils contre les résolutions de la toute-puissante assemblée ? 135:254 « Hors-Dieu et pauvre homme », tel est le titre de la troisième partie. Hugues Kéraly y rappelle les progrès de l'arianisme dans l'Église de France, de 1965 à 1980. En 1968, Louis Salleron publiait son grand article : « Le catéchisme du nouvel arianisme » (ITINÉRAIRES, n° 124 de juin 1968) sur le fonds obligatoire imposé par les évêques pour les nouveaux catéchismes. En 1970, c'est la falsification de l'Épître du dimanche des Rameaux. En 1980, le Nouveau missel des dimanches fait répondre à Notre-Seigneur « c'est vous qui le dites », « c'est toi qui le dis », aux questions des Princes des prêtres et de Pilate sur sa divinité. On insinue que Jésus se dérobe à la question, alors que sa réponse fut si catégorique qu'elle devait entraîner sa condamnation ! Par ailleurs, des « théologiens » comme Bouyer, Pohier et Gérard Huyghe, évêque d'Arras, professent ouvertement la théorie de la conscientisation (mot emprunté au vocabulaire communiste) : Jésus n'a pris conscience que progressivement de ce qu'il était, et de ce qu'était sa mission. Dans la dernière partie du livre, on voit l'arianisme et le modernisme tendre l'un et l'autre à un syncrétisme acceptable pour les hommes de diverses religions ou philosophies. L'arianisme pratique l'œcuménisme à l'égard du judaïsme ; il le pratiquera par la suite à l'égard de l'Islam et l'aidera à conquérir l'Espagne. De nos jours, on retrouve ce même esprit, prêt à sacrifier tous les dogmes pour trouver un terrain d'entente avec les protestants, les juifs, les musulmans, voire les athées et le communisme lui-même. « Nous honorons les mêmes prophètes », disait Maximos V à Alger : Abraham, Jésus, et bien sûr le plus grand de tous, Mahomet. Et combien d'organisations catholiques sont devenues des courroies de transmission de la propagande communiste ? On retrouve le pluralisme, avec parfois d'étranges coïncidences : ainsi, le concile arien d'Antioche publie quatre Symboles « scripturaires » contre le Credo de Nicée ; Paul VI promulgue quatre « prières eucharistiques » contre le Canon romain. L'arianisme et le modernisme pratiquent également l'évacuation du dogme. Dès 1965, l'invocation *Sancta Trinitas, unus Deus* était sup­primée des litanies des saints. La réforme de 1967 faisait disparaître de la messe le *Placeat tibi, Sancta Trinitas.* Le nouveau missel de 1969 a supprimé le *Suscipe, Sancta Trinitas.* Le signe de croix et sa for­mule trinitaire sont devenus rares. On a éliminé le Symbole trinitaire dit « de saint Athanase » ([^84]). 136:254 Hugues Kéraly rappelle aussi les profanations d'églises par les ariens et évoque les tentatives de l'archevêque de Marseille de transformer en centre de médiation « mo­nothéiste » la crypte de la basilique Notre-Dame de la Garde. Ce projet, tenu en échec par « Les amis de Notre-Dame de la Garde » avec Daniel Tarasconi, aboutissait à installer un tapis de prière dans la basilique, c'est-à-dire l'objet rituel par excellence de l'Islam. Le monothéisme qu'on voulait installer à Notre-Dame de la Garde était donc le mono­théisme musulman. Rappelons que tous les docteurs de l'Église ; ; s'accor­dent pour considérer l'Islam comme la singerie démoniaque du chris­tianisme : voyant que le paganisme antique ne pouvait résister au christianisme, le démon a suscité une fausse religion monothéiste pour concurrencer le christianisme. Voilà cinquante ans, les missionnaires d'Afrique disaient : « Nous sommes engagés dans une véritable course de vitesse avec l'Islam. Aidez-nous. » L'Islam, hélas, a gagné cette course de vitesse, avec la complicité des évêques œcuménistes. Dans ITINÉRAIRES de février 1964, donc en plein concile, Louis Salleron se demandait si le monde n'allait pas, une seconde fois, se réveiller arien. Ce pronostic s'est vérifié ; la plupart des catholiques dorment, sous anesthésie spirituelle générale, tandis qu'une poignée de résistants mène le combat pour la foi. Telle est la conclusion d'Hugues Kéraly. Cet excellent livre s'inscrit dans la ligne des grands ouvrages de Jean Madiran : *L'hérésie du XX^e^ siècle* et *Réclamation au Saint-Père.* Le disciple se montre digne du maître. A ceux qui l'ignoreraient, précisons qu'Hugues Kéraly a commencé très jeune sa carrière d'écrivain dans ITINÉRAIRES, où son talent lui a valu la place qu'il occupe aujourd'hui, au premier rang derrière le fondateur et directeur de la revue. Pour nous qui vieillissons, il représente au vrai sens du terme la génération « qui monte » -- celle qui prend la relève, qui continue le combat, et qui le mènera s'il plait à Dieu à la reconquête pleine et entière de la fol de Nicée : Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, consubstantiel au Père et rédempteur du genre humain. Jean Crété. ### Bibliographie #### Jean Cau *Réflexions dures sur une époque molle *(La Table ronde) Il y a beaucoup de bonnes, de justes remarques dans le livre de J. Cau. Elles nous touchent. On réagit comme lui devant la sottise et les mensonges du temps. 137:254 On a plaisir à le voir tirer dans le blanc de la cible. Exemples « Le XX^e^ siècle a mis la justice plus haut que l'honneur. Dès lors rien n'est de vaincre. Il faut ensui­te condamner et souiller. » « Ils réclamèrent l'égalité et ils l'ob­tinrent. Alors commença le règne des malins et des escrocs qui de­vinrent la seule élite que fut capa­ble de produire ce troupeau. » « Et ils ne voulurent pas com­prendre cette terrible évidence que l'immigration était une inva­sion. » Bonnes remarques qui décri­vent une réalité qu'en général on esquive. Il y a là quelque chose du ton de Montherlant (mais il était plus prudent) et des éléments d'un Nietzsche simplifié. Et à côté, des propos de table, des « échos ». Du trait, de la verve, mais qui sentent parfois le boulevard. Ces remarques sont trop rarement des réflexions sur les causes qui ont produit ce monde, sur les moyens qui l'établissent et le renforcent (le système d'information, par exemple). Enfin, il y a erreur indiciaire, et d'une taille qui fait douter de la qualité du juge. Jean Cau s'en prend à l'esprit d'envie, de veulerie, de moralisme geignard, à l'égalitarisme. Et pour lui, la responsabilité en est due au chris­tianisme, ou, comme il dit, selon la mode, à « l'esprit judéo-chrétien ». Il est certain pourtant que l'Occident tel qu'il est aujourd'hui, et dont les traits sont bien tels que Cau les décrit, s'est établi sur les débris et par la ruine de la civi­lisation chrétienne. Dernière vic­toire de l'esprit révolutionnaire : il accuse l'Église ; ; du désastre qu'il a provoqué justement par la dé­molition de l'ordre chrétien. Le mieux est qu'on peut sur ce point renvoyer Cau à ses propres textes : « Décadence : quand une civilisa­tion appelle Mal ce qui fut *son* Bien », ou ceci : « Quand une société se noie dans les lâchetés du présent, elle accuse son passé de la rage. » C'est exactement ce qu'il fait. Parce que c'est la mode ? Ou par prudence ? Mais cette er­reur fausse tout, et l'on n'a plus que des réflexions molles sur une époque dure. Georges Laffly. #### Philippe de la Trinité o.c.d. *Thérèse de Lisieux, la sainte de l'enfance spirituelle *(P. Lethielleux) Mgr Combes, admirateur pas­sionné de sainte Thérèse de Li­sieux, lui a consacré un nombre considérable de livres, conférences, retraites et écrits divers. Il a donc eu fréquemment l'occasion de parler de la « voie d'enfance spirituelle », la « petite voie » à laquelle Thérèse était tellement attachée. 138:254 Mais craignant que les lecteurs des œuvres de Thérèse ne trouvent dans cette voie d'en­fance un alibi pour se confiner dans une sorte d'infantilisme quiet, voire quiétiste, il s'irrite de l'usage qu'on fait de l'expression et prétend que les mots « voie d'enfance spirituelle » n'existent pas tels quels dans les manuscrits de la sainte. Ceci dit, il proclame à tout bout de champ que, bien comprise, la petite voie d'enfance spirituelle est au cœur de la doc­trine thérésienne. Le P. Philippe de la Trinité, admirateur non moins passionné de Thérèse que Mgr Combes, a lu tous les textes de celui-ci et de celle-là, ainsi que tous les docu­ments du procès de canonisation. Armé de cette formidable docu­mentation, il remet les choses au point, pour aboutir à des conclu­sions qui montrent que le simple, naïf et honnête lecteur de l'*His­toire d'une âme* saisit parfaitement et du premier coup la pensée de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Son livre (168 pages) intéressera le théologien et l'intellectuel qui veulent comprendre la *doctrine* de l'héroïque carmélite. Louis Salleron. #### Pierre Dudan : *Antoine et Robert *(Antagnes, CP 2465, CH 1002, Lausanne) Imaginer Saint-Exupéry et Bra­sillach (Antoine et Robert), fan­tômes revenus sur terre, et dialo­guant, il fallait la fantaisie toute-puissante, et ingénue, de Pierre Dudan, pour s'y risquer. Et, en somme, échapper à presque tous les écueils de ce genre anti­que qu'est le dialogue des morts. G. L. 139:254 ## DOCUMENTS ### Un évêque proteste *Voici le texte de Jean-Paul Vincent, évêque de Bayonne*, *lu à Radio-Vatican le samedi 7 mars* 1981*, à 21 h 15, et publié ensuite dans le bulletin diocésain de Bayonne.* *Laissez-moi protester* contre ceux qui disent que l'Église Ca­tholique, avant eux, était forma­liste, cantonnée dans le rituel et les observations extérieures ; qu'aujourd'hui, enfin, on a décou­vert la religion selon l'Esprit, dé­gagée des pratiques aliénantes. Je m'inscris en faux. Je n'ai pas rencontré, ni dans mon en­fance, ni dans ma jeunesse, ni plus tard, une Église professant une telle religion. Par contre j'ai connu des prêtres respectueux de leur peuple, discrets dans leurs conseils, hommes de prière et de charité. J'ai fréquenté des laïcs libres, pleins d'initiatives, ayant leur franc-parler. Une seule chose les réunissait et liait leurs consciences : leur foi. Elle était vive ; elle était humble ; elle marquait leur vie. Ils aimaient l'Église ; par laquelle ils vivaient ; ils étaient capables de souffrir pour elle et même de souffrir par elle. *Laissez-moi protester* contre ceux qui disent et répètent que les catholiques ignoraient la Bible et la découvrent aujourd'hui. Ma grand'mère me racontait, -- cela se passait il y a quelque cent trente ans -- que son père, ou­vrier passementier, lisait la Bible à ses filles et comme parfois il marquait un temps d'arrêt ou une hésitation dans la lecture, celles-ci, curieuses, lisaient par-dessus son épaule le passage qu'il avait jugé peu convenable. En tout cas, sous forme condensée, l'Histoire Sainte était dans un grand nombre de foyers et l'essentiel était connu de beaucoup. Qu'en est-il aujour­d'hui ? Sans doute aujourd'hui la litur­gie fait défiler la majeure partie des textes de l'Ancien Testament et la quasi totalité du Nouveau Testament, à la messe de chaque jour. Mais l'assistance est bien plus réduite qu'autrefois, comme elle l'est le dimanche, et je crains que l'ignorance de l'Écriture, au niveau des fidèles, n'aille gran­dissant. 140:254 *Laissez-moi protester* contre ceux qui disent qu'autrefois les fidèles n'avaient pas le sens litur­gique. Les grands parents d'un ami, petits artisans, disaient en­semble l'office chaque jour. Et je sais bien comment, dans ma pe­tite enfance, le temps liturgique, dans ma paroisse de ville, mar­quait la vie. Plût au ciel qu'au­jourd'hui, l'Avent, Noël, le Ca­rême, Pâques et la Pentecôte aient autant de relief que naguère. *Laissez-moi protester* contre ceux qui affirment que le sens social était absent chez les chré­tiens. Je sais, d'expérience, les ef­forts et les résultats des syndicats chrétiens dans le milieu du tissage que j'ai bien connu. Eux, et eux seuls, étaient présents dans cette partie féminine du monde ouvrier. Rien n'avait l'esprit moins cléri­cal que leurs dirigeantes ; elles avaient, certes, une foi vivante, mais elles n'allaient pas chercher des directives dans les sacristies. *Laissez-moi protester* contre ceux qui disent que les questions sexuelles étaient naguère une ob­session chez les chrétiens. Il suffit d'ouvrir un missel des fidèles d'autrefois et de regarder l'exa­men de conscience qui y figurait pour constater que ce domaine tenait bien peu de place au mi­lieu des interrogations sur le sens de Dieu, les relations familiales, la justice dans les affaires, les rapports avec le prochain... C'est bien plutôt aujourd'hui que ce domaine est envahissant, ces questions surestimées et les désor­dres bien plus graves qu'autrefois. *Laissez-moi protester* contre ceux qui croient que le sens de l'universel date d'aujourd'hui, de la télévision ou de la radio. Il faut tout ignorer de l'essor prodi­gieux des missions au XIX^e^ siècle, de l'amour des peuples étrangers qui animait les missionnaires pour le dire. Un de mes cousins, ap­partenant à une société mission­naire, fut la majeure partie de sa vie, employé, à son regret, mais pour le service de ses confrères, dans l'administration ou dans la formation des jeunes sujets ; sur le tard, à sa demande, il fut en­voyé dans les hauts-plateaux du Viet-Nam et travailla, plus tout jeune, à un dictionnaire de la lan­gue des montagnards. N'était-il pas au service de la culture de ce peuple ? D'autres, ailleurs, en ont fait autant. Que d'hommes et de femmes, grâce aux *Annales de la Propagation de la Foi,* ont vu leur esprit et leur cœur s'ouvrir aux dimensions du monde ! Les catholiques font-ils mieux aujour­d'hui ? Font-ils même aussi bien ? Bien sûr tout n'était pas parfait hier. Mais le dénigrement du pas­sé ne sert pas le présent. Ce passé était fait comme notre temps du meilleur, du moins bon et du pire. Il avait ses points forts et ses points faibles. Tous n'ont pas mon expérience ; mais elle n'est ni uni­que, ni privilégiée. Elle est, je le crois, commune. Si je proteste ce n'est pas par amour de ce qui fut et n'est plus. C'est que cette opposition du pas­sé au présent a quelque chose d'enfantin, de caricatural et de malsain, qui ne peut servir qu'à couvrir une actuelle médiocrité. Mieux vaut travailler de toutes ses forces à améliorer aujourd'hui pour que les chrétiens, affermis dans leur foi, annoncent sans peur le Sauveur du monde. 141:254 \[Fin de la reproduction du texte de Jean-Paul Vincent, évêque de Bayonne, lu à Radio-Vatican, le samedi 7 mars 1981 à 21 h 15.\] Ce contre quoi l'évêque proteste -- s'en rend-il com­pte ? -- ce n'est pas contre un courant d'air soufflant on ne sait d'où ; c'est contre ce qu'est en fait l'évolution conciliaire, imposée par le noyau dirigeant de l'épiscopat, favorisée ou tolérée par la quasi-totalité des évêques... 142:254 ## Informations et commentaires #### Le communiqué de DMM En la fête des apôtres saint Philippe et saint Jacques, c'est-à-dire le 11 mai, les Éditions Dominique Martin Morin ont diffu­sé le communiqué suivant : *Il faut que France, il faut que chrétienté continuent.* *Le passage du socialisme camouflé au socialisme déclaré est l'abou­tissement d'une politique qui s'est menée, par trahison, contre nous.* *Les conditions de notre combat ne sont pas nécessairement aggravées en tous points par cette mise à jour. Il peut se faire, Dieu aidant, que le choc soit salutaire. S'il provoque une vue plus exacte de notre vraie situation politique et religieuse, il entraînera, avec la grâce de Dieu, une mobilisation plus généreuse des esprits et des cœurs.* *Mais pour qu'il en soit ainsi il ne faut pas que nous tous qui portons le poids du combat depuis tant d'années nous marquions, maintenant, le moindre fléchissement.* *Les hommes qui nous gouvernent avec la permission de Dieu sont dans sa main comme nous y sommes. Le salut de notre pays ne peut venir que de son retour à sa tradition propre. Cette tradition, Jean Madiran nous le rappelle, deux paroles la définissent : Travail, Famille, Patrie, --* Dieu premier servi. *Il dépend de nous de l'affirmer aujourd'hui, sans témérité, -- mais sans peur.* *Sursum corda !* Antoine Barrois. 143:254 #### La protestation d' « Una Voce » Le complot liturgique continue, bien en­tendu. La préparation du congrès eucharis­tique de Lourdes est bien ce que l'on pou­vait attendre de l'actuel noyau dirigeant. D'où la protestation d'*Una Voce* (française) dans le numéro 97 de son bulletin, sous le titre *Ces chants dont on ne veut pas :* « *Après les lamentables exhibi­tions musicales du Bourget et de Saint-Denis, dont le saint-père s'était montré visiblement contra­rié, et qui avaient suscité un tollé de protestations jusque dans les milieux les plus éloignés du ca­tholicisme, on aurait pu espérer que la leçon aurait servi pour la nouvelle venue du pape à Lour­des, et que celui-ci n'y entendrait que des chants de qualité et con­nus de tous.* « *Puisqu'il s'agira d'un congrès international, il serait tout indiqué d'utiliser au maximum le chant propre de l'Église, le grégorien, et sa langue universelle, le latin. On verra dans ce numéro les démar­ches que nous avons entamées dans ce sens.* « *Cependant, voici que sont pu­bliés les cinq chants officiels* pro­*posés pour le congrès : non seu­lement on n'y trouve pas un mot de latin, mais tous sont nouveaux et tous sont aussi affreusement médiocres, vulgaires ou douteux que ceux de l'an dernier.* « *Mais enfin, pourquoi cette obstination à imposer systématique­ment aux fidèles des chants nou­veaux dépourvus de toute valeur ?* *Est-ce ainsi que l'on veut favoriser leur participation active et leur édification ? Pourquoi ce rejet dé­daigneux des chants qui leur sont familiers, aussi bien latins que français ? Ces chants seraient-ils donc l'expression d'une théologie considérée comme périmée ? Veut-on faire alors de ce congrès celui d'une nouvelle religion ?* « *Cette fois, nous ne nous laisserons pas surprendre comme l'an dernier. Nous avons été prévenus suffisamment à l'avance. Aussi faisons-nous appel à l'autorité du magistère : il n'est pas possible qu'il laisse substituer à la religion de Jésus-Christ une vague idéolo­gie humanitaire ; il n'est pas possi­ble qu'il laisse remplacer le culte dû à la très sainte Eucharistie par un simple repas fraternel. Il n'est pas possible que soit mis au rebut le patrimoine sacré qui est le bien de tous les chrétiens, depuis les sublimes mélodies grégoriennes et les splendides polyphonies classi­ques que tant de chorales, en Fran­ce, seraient heureuses d'interpréter, jusqu'aux chants populaires expri­mant la foi de tout un peuple, son culte eucharistique et sa dévotion mariale. Est-ce concevable qu'à Lourdes on ne chante pas l'Ave Maria ? Souvenez-vous du Parc des Princes, l'an dernier !* 144:254 « *Il n'est pas possible qu'on laisse remplacer tout cela par des nouveautés bâclées, ou équivoques. Trois mois nous séparent du congrès eucharistique international. Utilisons-les pour faire entendre notre voix à temps et à contre­temps. Nous ne pouvons pas ne pas être entendus. *» Mais si, mais si, vous pouvez très bien n'être pas entendus ; comme d'habitude. La situation ecclésiastique est telle qu'il semble que personne sur terre n'y puisse plus rien. Ce n'est pourtant pas une raison pour ces­ser de protester, de témoigner, d'enseigner, partout où on le peut. #### Au Mesnil-Saint-Loup : de plus en plus fort Le *Bulletin de l'Œuvre de Notre-Dame de la Sainte-Espérance,* qui sous la direction de l'abbé Jean Piot commet l'imposture de continuer à paraître sous ce titre, et sous la couverture dessinée par Henri Charlier, se surpasse maintenant chaque fois, comme s'il tenait ab­solument à figurer dans les antho­logies futures de la sottise et de l'infamie. Dans le numéro d'avril, sous la signature de Charles-J. Ledit : *Les lecteurs du bulletin ont vu plusieurs fois apparaître des ana­lyses relatives à l'Islam. En 1977 surtout sous le titre : Frères d'Is­lam et puis cette année sous le titre : Lecture chrétienne du Co­ran.* *Pourquoi cette recherche ? Tout simplement parce que d'ici vingt ans UN HOMME SUR QUATRE SERA MUSULMAN. Parce que dans le même temps, les pays du Tiers-Monde* (*parmi lesquels l'Is­lam fait figure de religion pré­pondérante*) *auront atteint un ni­veau technologique leur permet­tant, avec le contrôle de l'éner­gie mondiale, de promouvoir une avancée musulmane inouïe depuis l'expansion initiale du VII^e^ siècle, qui porta l'Islam de l'Arabie aux Indes et en Espagne.* *C'est dire l'urgence de la re­cherche fondamentale en ce do­maine. Car il ne saurait être ques­tion, comme cela s'écrit quelque­fois de recommencer la conquête de l'Algérie avec de nouveaux zouaves porteurs d'une inexora­ble consigne : Crois ou meurs...* 145:254 Cette merveilleuse « recherche fondamentale » déclarait en janvier de cette année que *les musul­mans, dans la communauté de foi issue de la famille d'Abraham, re­présentent le noyau le plus impor­tant après les catholiques.* A quoi nous avons répondu qu'imaginer que nous sommes avec les musul­mans dans une « communauté de foi », c'est avoir perdu la claire notion de ce qu'est la foi catholi­que. Nous avons là-dessus cité le P. Emmanuel, que le bulletin du Mesnil ignore, ou feint d'ignorer, sur ce point et sur plusieurs autres aussi importants. (Voir ITINÉ­RAIRES, numéro 251 de mars 1981, pp. 102-104.) (Et subsidiairement, voir notre numéro 245 de juillet-août 1980, pp. 135-136.) Cette fois-ci, les extravagances du bulletin du Mesnil appellent trois remarques : 1\. -- Personne au monde ne peut affirmer quelle sera dans vingt ans la proportion des mu­sulmans sur la terre. C'est une ânerie matérialiste. Les phénomènes religieux n'obéissent à aucun déterminisme scientifiquement en­registrable. Il faut beaucoup d'ignorance, ou beaucoup d'audace, ou les deux, pour donner comme une certitude indiscutable que dans vingt ans un homme sur quatre sera musulman. 2\. -- Il est encore plus aberrant de croire et d'affirmer que le « Tiers-Monde » aura dans vingt ans « le contrôle de l'énergie mondiale », rien ne l'assure et que peut-on en savoir aujour­d'hui ? 3\. -- A la sottise, Charles-J. Le­dit ajoute l'infamie : *recommencer la conquête de l'Algérie avec de nouveaux zouaves porteurs d'une inexorable consigne : Crois ou meurs...* Qui a fait cela, qui a voulu cela, qui a dit cela ? Personne. C'est une invention, pour désho­norer simultanément l'Église et la patrie, le passé national et le passé religieux. #### Le naufrage de « Patapon » Le vice-président (démissionnai­re) de l'association « Avenir et Tradition », qui éditait « Pata­pon », a envoyé le 27 avril, « aux amis et parents des jeunes lec­teurs de Patapon », une lettre-circulaire dont voici le texte inté­gral : *Vous venez de recevoir le numéro 56 du mois d'avril de* PATA­PON, *aussi je me dois de vous ap­porter des précisions à la suite de l'envoi de ce journal qui a subi quelques transformations. -- Une association* « AVENIR ET TRADITION » *a été créée il y a plus de cinq ans afin de faire publier, entre autres, un journal vraiment catholique pour jeunes enfants :* PATAPON. 146:254 *Après avoir dirigé pendant plus de quatre ans la rédaction de cette revue avec un courage qui ne peut que forcer l'admiration, Madame* L. A.-DELASTRE *a été obli­gée pour raison de santé de dé­missionner de son poste de Di­rectrice et de Rédactrice en Chef de la publication* PATAPON *et* VERTES COLLINES. -- *L'imprimeur de ce journal, Monsieur* BETINAS, *qui a toujours fait le maximum pour éditer ces revues avec une grande recher­che de qualité et pour les livrer en temps voulu, avait fait une proposition pour continuer sa dif­fusion avec l'équipe qui avait l'habitude de collaborer avec lui et dont le travail important vous avait toujours donné satisfaction depuis près de cinq ans.* -- *Sans l'accord du Conseil d'Administration d'*AVENIR ET TRA­DITION, *le journal est maintenant la propriété de la librairie* TÉQUI, *qui en assure la rédaction, l'im­pression, la diffusion et en re­çoit directement le montant des abonnements, comme cela est in­diqué en pages 1 et 2 de ce nou­veau numéro d'avril.* *Il est important que vous con­naissiez ces changements interve­nus dans la direction, la rédac­tion et l'impression de ce journal que les abonnés actuels continue­ront, sans doute, à recevoir.* #### A propos de Laënnec Dans notre numéro 253 de mai (p. 104 et suiv.) nous avons in­diqué que le livre de Janig Cor­lay : *Laënnec face à l'Ankou* était en vente à « Art Media Éditions ». Mais cette maison est maintenant fermée, et le livre est désormais à commander chez l'au­teur, 9, impasse des Loriots, 56100 Lorient. #### Émile Durin Le président des Compagnons d'Itinéraires, notre ami Émile Du­rin, est mort le 8 avril. Il était allé au bout de son âge, de sa démarche tranquille et souriante. Nous perdons un militant. Il avait été des premiers, il avait répondu au premier appel, lors de la fon­dation des Compagnons, en 1961. A l'époque nous avions une per­manence qui nous était prêtée par la rue des Renaudes. Avec une discrétion aussi parfaite que sa ponctualité, il venait prendre son tour de garde, recopier des adresses, coller des enveloppes, faire des paquets ; ne se signalant à l'attention que par quelques remarques ou questions, toujours judicieuses et profondes, sur l'un ou l'autre article paru dans ITINÉ­RAIRES*.* 147:254 Un jour où la présidence était vacante, je lui demandai de la prendre, puisque parmi nos « compagnons » il se trouvait être « le plus ancien dans le grade le plus élevé ». Il m'écrivit une longue lettre pour me représenter tous les inconvénients d'une telle désignation, en raison notamment des fonctions qu'il avait exercées avant de prendre sa retraite : il n'y avait jamais fait allusion et j'en ignorais tout. Mais ses objec­tions n'étaient pas une dérobade. Il présida avec intelligence, discer­nement, amitié, et une grande sû­reté de jugement en toutes cir­constances. Pour cette présidence, je lui avais décerné le titre, qui n'est pas habituellement attribué en dehors de la rédaction, de « collaborateur régulier d'ITINÉ­RAIRES », et il avait bien voulu l'accepter. J. M. 148:254 ## AVIS PRATIQUES ### L'université d'été du 20 au 30 juillet *Direction :* Bernard ROMAIN MARIE An­tony, *conseiller aux relations sociales du groupe Pierre Fabre, di­recteur* « *d'Hommes et Indus­tries *»*, vice-président de l'A.S.F.O. Midi-Pyrénées, rédacteur en chef du journal* « *Présent *»*.* Le Directeur est le responsable du Centre pour tout ce qui re­lève de la définition des objectifs et des programmes, du choix des conférenciers et des participants. Il est assisté dans cette tâche par M. RIVIÈRE, responsable adminis­tratif. M. l'abbé POZZETTO assure la direction spirituelle du Centre. La communauté des religieuses de Fanjeaux accueille avec joie le Centre Henri et André Char­lier. Elle n'assume cependant ni la responsabilité morale, ni la responsabilité pédagogique du Cen­tre. La Direction du Centre Henri et André Charlier, les professeurs et conférenciers, les stagiaires, s'engagent à travailler d'une fa­çon qui soit en harmonie avec la vocation et les exigences de la communauté qui les reçoit. *Dates, lieu et hébergement* Le 20 juillet est réservé à l'arrivée et à l'installation dans la matinée des participants. 18 h 30 : messe de rentrée. 20 h 30 : conférence de présentation par ROMAIN MARIE. 149:254 Le 30 juillet : 5 h : Grand-Messe aux intentions du Centre Henri et André Charlier célébrée par le R.P. de CHIVRÉ. 10 h 30 : causerie finale par Jean MADIRAN. N.B. -- Pour le bon fonctionnement du Centre, Il ne sera en aucun cas possible d'accueillir des participants après le dé­but du stage. Les repas seront pris et les cours dis­pensés à l'école de filles « Saint-Domi­nique du Cammazou », située au pied du village de Fanjeaux. Les professeurs et conférenciers y seront logés ainsi que les jeunes filles. Les étudiants seront logés à l'école de la Fraternité St-Pie X, à quelques kilomètres de là (transport par car). L'université est strictement réservée aux étudiants et étudiantes de 18 à 25 ans, agréés par la direction, aux jeunes enseignants de moins de trente ans et aux responsables des diverses activités du Centre Henri et André Charlier. Les étudiants voudront bien apporter matelas pneumatiques et sacs de cou­chage ; lits, matelas et couvertures se­ront fournis aux étudiantes dans les lo­caux de Saint-Dominique du Cammazou. Ne pas oublier affaires de sport et chaussures de marche. Le montant de la pension est de 65 F par personne et par jour. La participation aux frais d'enseigne­ment, d'organisation et de documentation, pour l'ensemble du stage, est fixée à 200 F par stagiaire. *Agréments et inscriptions* Le montant à verser à l'inscription est de 350 F. Les demandes d'inscription doivent être présentées sur un formulaire qui est à demander à *M*. *Rivière, Le Cammazou, 11270 Fanjeaux.* Les formulai­res dûment remplis doivent être renvoyés à la même adresse. Le choix des participants incombe en dernier lieu au Directeur du Centre qui se réserve toute liberté à ce sujet. Après réponse, les personnes agréées voudront bien envoyer leur participa­tion aux frais à M. Rivière. *Pour se rendre\ à Saint-Dominique du Cammazou\ *(*Fanjeaux*) La gare la plus proche de Fanjeaux est celle de Bram (à 11 km) et les étudiants pourront être accueillis en gare de Bram aux heures suivantes : 150:254 -- en provenance de Carcassonne à 12 h 54*,* -- en provenance de Toulouse à 10 h 48, 12 h 56. -- Au départ de Toulouse, (direction Quillan) un car part de la gare rou­tière (à côté de la Gare SNCF.) à 16 h et arrive au carrefour de Prouilhe (à quelques centaines de mètres du Cammazou) vers 17 h 30. -- Au départ de Carcassonne, un car (départ à 100 m de la gare) part vers 15 h 45 et arrive au carrefour de Prouilhe vers 16 h 30. Programme *Conférences* *--* Dom GÉRARD o.s.b. -- Maurice BARDÈCHE. -- François BRIGNEAU. -- Roland GAUCHER. -- Maître G. P. WAGNER. *Cours* Albert GÉRARD, élève d'Henri Char­lier : « Les grandes constantes de l'art la rupture ». Hugues KÉRALY, journaliste et écrivain : « Le Credo : je crois en Dieu ». Abbé LORANS, recteur de l'institut St-Pie X : « La contre-révolution cultu­relle ». Jean MADIRAN : « Les méthodes du communisme : technique du noyautage et pratique de la dialectique ». ROMAIN MARIE. « Le syndicalisme français dans l'ornière ». René PILLORGET, professeur d'histoire à l'université de Picardie : « La famille française de l'ancien régime à nos jours ». Claude POLLIN, professeur de philo­sophie à la Sorbonne : « Faut-il encore lire Clausewitz ? », « L'armée et la politique ». Jean de VIGUERIE, professeur d'his­toire. Ancien doyen de la faculté des lettres d'Angers. Membre du conseil su­périeur des universités : « La crise de la conscience européenne ». *Rencontres* Bernard CHAMBON, directeur du per­sonnel d'une grande entreprise. Des Com­pagnons du Devoir. Des syndicalistes ouvriers et patronaux. Des officiers. Ge­neviève POULLOT, présidente de SOS Futures Mères...Henri ESCHBACH, In­dustriel, président de l'union comtoise des P.M.I. Et pour nos soirées : Patrick de BELLEVILLE notamment. 151:254 *A qui s'adresse\ l'université d'été ?* *En priorité bien sûr aux élèves des classes terminales des Lycées et Collè­ges et aux étudiants de l'enseignement supérieur qui trouveront au Centre Henri et André Charlier de quoi sé­créter les* « *anticorps *» *leur permet­tant de résister à l'enseignement sub­versif qu'ils reçoivent trop souvent.* *Aux personnes qui, sans avoir né­cessairement atteint un certain niveau d'enseignement secondaire ou supérieur, n'en ont pas moins acquis, par leur vie professionnelle, leur engagement re*­*ligieux, politique ou social, leurs lec­tures, la possibilité de recevoir un en­seignement exigeant une aptitude à l'at­tention réfléchie.* *Aux éducateurs, professeurs qui pour­ront à la fois profiter d'enseignements et de conférences, aider les étudiants et se rencontrer utilement.* #### Dernières nouvelles de Bédoin « *Notre bail s'achève, sur visite d'huissier, en juillet 1981 et nous devons impérativement quitter Bédoin *» nous écrit Dom Gérard qui demande aux amis du monastère Sainte-Ma­deleine « *un dernier effort *» financier « *en vue de notre transfert au Barroux *». Au Barroux, une aile du mo­nastère est *presque* construite, dans l'avenir elle sera destinée à l'accueil des hôtes ; dans l'im­médiat elle va, en juillet, rece­voir les moines. « *Pour cela il nous faut doubler le nombre d'ouvriers travaillant sur le chantier, ce qui entraîne... une double sortie de fonds. Or nous sommes au ras du coffre ! *» Eh ! bien, sans attendre que la dévaluation de nos écono­mies se soit davantage aggravée par la vertu du socialisme, en­voyons quelque secours aux moines de Bédoin. Adresse : Monastère Sainte-Madeleine, 84410 Bédoin. Chè­ques postaux : Monastère Sain­te-Madeleine, No 641365 A Marseille. Chèques bancaires à l'ordre du Monastère. Voir les images du monastère en construction dans notre nu­méro 234 de juin 1979, pages 1 à 5. 152:254 #### Le septième Album de Mathias « PAGES D'HISTOIRE » : 48 pa­ges, deux couleurs, illustré. -- Ces « pages d'histoire » ne figurent plus dans les livres de lecture ni dans les manuels d'histoire desti­nés aux enfants. Or ce sont des leçons concrètes de vaillance, d'endurance, de loyauté et de piété dont la mémoire et l'ima­gination des enfants doivent être nourries. Il y a dans ce recueil des pages éclatantes comme la *prise de Jé­rusalem* par les Croisés, d'autres douloureuses comme les *bourgeois de Calais. Il* y en a de très célè­bres -- mais qu'il faut donner aux enfants : pour chacun d'eux, elles sont nouvelles -- telle *Bayard au Garigliano ou saint Louis rendant la justice.* D'autres sont moins connues comme, au temps de Hu­gues Capet, le duel prodigieux qui opposa le *Chevalier Grise-Gonelle* à un soldat de l'empereur Otton. Toutes ces pages sont éclairées par la célèbre prophétie de saint Pie X sur le destin de la France, qui clôt ce *septième album de Mathias.* Chaque album de 48 pages 24 F chez Dominique Martin Mo­rin, 96, rue Michel-Ange, 75016 Paris. ============== fin du numéro 254. [^1]:  -- (1). Réservons pour l'instant la ques­tion des écoles libres de tout contrat, qui sera d'ailleurs un test, les pro­moteurs du « vote juif » en possèdent en effet presque autant que nous. [^2]:  -- (1). Henri Guillemin. *Charles Péguy*. 1981. pp. 27-28. [^3]:  -- (2). Dans son livre *Précisions*, 1973. [^4]:  -- (101). Drumont. *op. cit.,* p. 433. [^5]:  -- (102). Lecanuet. *L'Église de France sous la troisième république*. T. II p. 16. [^6]:  -- (103). Grévy est le premier président franc-maçon. Ce ne sera pas le dernier. Avec lui on en compte 5 : Félix Faure, Millerand, Dou­mergue et Doumer. [^7]:  -- (104). Le mot est en réalité d'Auguste Peyrat, ancien séminariste, sénateur, journaliste, qui écrivit : « Le cléricalisme, c'est là l'ennemi » (Tavernier. *Cinquante ans de politique.* Éd. Spes ; p. 224). [^8]:  -- (105). *L'Université sous M. Ferry -- *Avertissement p. IV. [^9]:  -- (106). Tavernier, *Cinquante ans de politique*, pp. 200-201. [^10]:  -- (107). A cinq exceptions : Fallières, Ribot, Waldeck-Rousseau, Poin­caré, Barthou. [^11]:  -- (108). Léon Bourgeois. Pape et philosophe du radicalisme. F **.·.** M**.·.** Loge « La Sincérité ». Dans son ministère (95-96) la concentration maçonnique sera plus grande encore que dans celui de Waddington : 9 F**.·.** M**.·.** dont à l'Instruction publique et aux Cultes, le féroce petit père Combes, Loges « les Amis Réunis » et « La Tolérance et l'Étoile de la Saintonge réunies ». [^12]:  -- (109). Chastenet. *op. cit.,* T II p. 72. [^13]:  -- (110). Discours d'Auxerre. 24-IX-79. [^14]:  -- (111). Lecanuet. *L'Église en France sous la Troisième République,* T II, p. 20. [^15]:  -- (112). B. Lavergne. *op. cit.,* p. 67. [^16]:  -- (113). « Et interdit ce statut qui disait obligatoire « la croyance en Dieu et en l'immortalité de l'âme ». » Chastenet *op. cit.,* T. 1 p. 200. [^17]:  -- (114). *Le Figaro.* 9-IX-79. [^18]:  -- (115). Lecanuet, T II p. 21. [^19]:  -- (116). Lettre de l'évêché de Tours aux députés, 24 mars 1879. [^20]:  -- (117). Juliette Adam. *op. cit.,* p. 152. [^21]:  -- (118). Lecanuet, *op. cit.,* p. 23. [^22]:  -- (119). Lecanuet, *op. cit.,* p. 35. [^23]:  -- (120). R.P. Du Lac : *Jésuites,* Plon, p. 103. -- [^24]:  -- (121). Buffet, ancien président du Conseil, sous Mac-Mahon, était un des chefs du parti conservateur. [^25]:  -- (121 bis) Chastenet. *op. cit.,* T II p. 72. [^26]:  -- (122). Les éléments de ce portrait sont empruntés à E. Tavernier. *op. cit.,* p. 200. [^27]:  -- (123). Lecanuet *op. cit*., p. 62. [^28]:  -- (124). M.A. Fabre. *Les drames de la Commune,* pp. 170-200. [^29]:  -- (125). *L'expulsion des Congrégations religieuses. Récits et témoi­gnages,* par H. Duparc et H. Cochin. La journée du 30 juin. [^30]:  -- (126). Andrieux. Souvenirs d'un préfet de police. T 1 p. 229. [^31]:  -- (127). R P. Lecanuet. *op. cit.,* T II p. 63. [^32]:  -- (128). 22 juin 1899 -- 7 juin 1902. [^33]:  -- (129). Saint-Pastour. *op. cit.,* p. 100. [^34]:  -- (130). Voir *Le Livre d'Or de la Magistrature,* par G. Barcillon. [^35]:  -- (131). Citons : Le Temps (protestant, anticlérical), le Journal des Débats, Le Siècle, Le Rappel (Camille Pelletan), La République fran­çaise (Gambetta), le XXe siècle (About), La Lanterne (Mayer), Le Vol­taire, L'Événement, la Marseillaise, Le Mot d'ordre -- contre lesquels on ne trouve que l'Univers (Veuillot), Le Figaro (Villemessant), Le Pays (bonapartiste) et épisodiquement Le Gaulois (Arthur Meyer). [^36]:  -- (132). *La Lanterne* 4-XII-1883. [^37]:  -- (134). R.P. Lecanuet -- Propos tenus au P. Le Doré, supérieur des Eudistes. p. 71. \[pas de note 133 dans l'original\] [^38]:  -- (135). R P. Lecanuet. op. cit., p. 74 -- Il note : « Quelques-uns résistèrent et il est remarquable que ce furent les ultramontains les plus ardents » parmi lesquels dom Couturier, abbé de Solesmes. [^39]:  -- (136). *National,* 11 septembre 1880. [^40]:  -- (137). Voir *Expulsion des Congrégations, récits et témoignages,* par H. Duparc et H. Cochin. Préface du Duc de Broglie. Paris 1880. [^41]:  -- (138). R.P. Lecanuet. *op. cit.,* p. 87. [^42]:  -- (139). Voir *Dom Couturier,* par Ch. Houtin. M. Cartier *Les Moines de Solesmes : Expulsions.* Collection du journal *L'Univers.* [^43]:  -- (140). Ce passage et celui qui suit sont empruntés au résumé des dépositions des témoins, qu'a donné le R P. Lecanuet. *op. cit.,* pp. 88-89. [^44]:  -- (32). Prosateur et homme d'État brésilien, 1849-1923. [^45]:  -- (33). Poète portugais dont nos dictionnaires n'ont pas retenu le nom. [^46]:  -- (34). *Les Rougon-Macquart :* série de vingt romans dans lesquels Émile Zola raconte « l'histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire » (1871-1893). [^47]:  -- (35). Anatole France, bien entendu. [^48]:  -- (36). *Monsieur Bergeret :* type du professeur républicain érudit et sceptique, créé par Anatole France dans sa série « Histoire contemporaine ». [^49]:  -- (37). Allusion à une extravagante « Semaine de l'art mo­derne » organisée par des poètes en 1922, à Sâo Paulo, en réaction violente contre toute influence académique, par­nassienne et même simplement européenne, dans l'art brési­lien. [^50]:  -- (38). Roman « réaliste » d'un célèbre écrivain portugais, Eça de Queiros, 1845-1900. [^51]:  -- (39). Rappelons que Gustave Corçâo écrit ce livre en 1943. L'allusion n'aurait aucun sens aujourd'hui où ce sont bien souvent les journalistes eux-mêmes, et même brésiliens, qui dénoncent tout anticommunisme comme « primaire, systé­matique et viscéral ». [^52]:  -- (40). Un des chefs de file de la poésie contemporaine au Brésil. Son œuvre a chanté beaucoup de pierres, sur le bord du chemin. [^53]:  -- (41). Alceu Amoroso Lima, sorte de Jean Ousset brésilien : il a joué un grand rôle dans la conversion de Gustave Corçâo, puis à ses côtés dans les travaux du *Centre Dom Vital* pour la formation civique et doctrinale du laïcat chrétien. Après quoi, Amoroso Lima connut une évolution parallèle à celle de Maritain, et « l'esprit du concile » les a tous deux définitive­ment séparés. [^54]:  -- (1). C'était déjà l'argument central du grand livre de G. Salet, *Hasard et certitude,* contre Jacob et Monod. On pourra consulter sur ce point « Les hérésies biologiques du transformis­me », ITINÉRAIRES numéro 172 d'avril 1973. [^55]:  -- (2). Né aux États-Unis pendant la première guerre mondiale, le fonda­mentalisme est la position qui admet seulement le sens littéral des Écritures Saintes, rejetant comme impie toute exégèse, toute théologie, toute interprétation. [^56]:  -- (92). *In X libras Eth Arist. ad Nicomachum expositio,* 1. III, lectio 22, § 647 *in fine.* [^57]:  -- (93). 152, 1, c. [^58]:  -- (94). 152, 2, ad 3. Il la tire de saint Augustin, fervent platonicien... [^59]:  -- (95). 152, 2, *sed contra.* [^60]:  -- (96). 10, 42. [^61]:  -- (97). Cf. tout le *corpus* de 155, 2, qui est capital et manifeste à quel point saint Thomas est un génie de l'ordre *objectif* auquel le sujet doit se soumettre. [^62]:  -- (98). Cf. la comparaison qu'Aristote trace au livre X de l'*Éthique à Nicomaque* entre la vie active et la vie contemplative. [^63]:  -- (99). 152, 2, ad 1. [^64]:  -- (100). 152, 4, ad 3. [^65]:  -- (101). Au sens de l'*honestas*. [^66]:  -- (102). 153, 1, c. [^67]:  -- (103). 153, 2, c. [^68]:  -- (104). 153, 3, c. [^69]:  -- (105). 153, 4, c. [^70]:  -- (106). 1-2, 3, 5, ad 2 et 1-2, 3, 4, ad 2. [^71]:  -- (107). Sur tout cet alinéa, cf. 153, 5, c. et ad 3, ad 4. [^72]:  -- (108). 154, 1-12 ; 1 ad 2 ; 2, c. ; 3, c. ; 3, ad 3, c. [^73]:  -- (109). 154, passim et 10, c. [^74]:  -- (110). R.P. Sertillanges, *La philosophie morale de saint Thomas d'Aquin,* Paris, p. 19. [^75]:  -- (111). 1-2, 155, l-4. [^76]:  -- (112). Le R.P. Noble dans la première édition du *Traité de la Tempérance* (t. II, p. 196) dont nous suivons la seconde due au R.P. Vergriete. [^77]:  -- (113). 1-2, 156, l-3. [^78]:  -- (114). l-2, 156, 4. [^79]:  -- (115). l-2, 157, 1. [^80]:  -- (116). 1-2, 157, 2-4. [^81]:  -- (1). 1 Petr. 1/12. [^82]:  -- (1). L'auteur nous fait remarquer que l'arianisme se développa au mieux chez les barbares, et la barbarie intellectuelle que nous voyons s'étendre aujourd'hui lui fournit un terrain aussi favorable. [^83]:  -- (1). Ce *Rapport introductif sur le sens de l'histoire* figure dans les Actes du Congrès de Lausanne 1968, et il a été édité en disque au Club du Livre Civique. [^84]:  -- (2). Les symboles des Apôtres et de saint Athanase ont été rédigés en latin au VI^e^ siècle par saint Césaire d'Arles ou quelqu'un de son entourage.