# 256-09-81
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## Situation politique de la France
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### Notre politique
par Jean Madiran
■ La politique est le monde clos du mensonge. Non point par nature, mais par aventure ; elle l'est devenue aux mains de la démocratie moderne, instrument de la *ténébreuse alliance* entre le socialisme apatride et la fortune anonyme et vagabonde ténébreuse alliance qui réduit les peuples chrétiens en servitude et leur vole leur âme, en commençant par l'âme des enfants. Mais par nature, la politique est la science et l'art du bien commun temporel, elle a vocation de vérité, de justice, d'honnêteté ; de sainteté. Notre politique française, c'est saint Rémi et sainte Clotilde ; c'est saint Éloi : travail, famille, patrie ; c'est Charlemagne et c'est saint Louis, et c'est Jeanne d'Arc. Dans le même esprit. Avec le même cœur. Mais sans anachronisme, nous savons bien que nous sommes à un autre âge de l'humanité.
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#### I
■ La politique est devenue le monde clos du mensonge à partir du moment où tout son système, toute sa légitimité a reposé sur le jeu *gauche contre droite.* A l'origine une gauche maçonnique se pose en s'opposant à une « droite » qu'elle délimite et désigne à son gré. Il y a toujours eu toutes sortes de mensonges dans la vie politique. L'histoire et l'expérience montrent que plus le mensonge politique est à gauche, plus il est ignoble : c'est le mensonge qui sème et cultive la haine et l'envie pour s'en faire un instrument de combat, de destruction, de domination.
Le mensonge maçonnique fut d'abord essentiellement anticatholique. Il l'est resté. Mais aujourd'hui il aime à se déguiser en un autre mensonge : celui d'une gauche socialiste mobilisant les militants, l'opinion, les électeurs contre les abus d'une droite capitaliste. Mensonge, car la *ténébreuse alliance* est celle que noue le socialisme international avec le grand capitalisme anonyme et vagabond : le socialisme fait bon ménage avec ce vagabondage cosmopolite, avec cet anonymat apatride. Il ne mobilise l'envie et la haine que contre la fortune bien enracinée dans la terre de France, contre la richesse féconde et responsable, contre les patrimoines qui disent leur nom et servent le pays, voilà « la droite » qu'il veut abattre. Il l'abat d'autant mieux qu'elle-même, à l'intérieur comme à l'extérieur du CNPF, est devenue libérale, puis libéral-socialiste, ayant accepté pour buts et critères de sa politique ceux que lui avaient fabriqués ses ennemis pour sa mort : la « réduction des inégalités » et la « démocratisation de la vie sociale ».
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■ Eh bien non : nous ne sommes pas la droite. Nous ne sommes pas la droite libérale de la République maçonnique. Nous ne sommes pas la droite capitaliste que met en scène comme repoussoir la gauche socialiste. Nous ne sommes jamais « la droite » telle que « la gauche » depuis 1789 la désigne pour cible de ses opérations électorales ou révolutionnaires. La droite est une invention arbitraire de la gauche, un mythe mobilisateur pour la conquête du pouvoir, un bouc émissaire dans l'exercice du pouvoir. Nous refusons le système gauche contre droite, mensonge installé au centre et au fondement de la vie politique française. Nous refusons d'être les figurants de droite indispensables à cette mise en scène de gauche. Nous refusons le jeu et la règle du jeu. Il n'y a rien d'étonnant à ce que depuis toujours, dans la géographie parlementaire, « aucun grand parti n'accepte de se laisser classer à droite » : le système politique français depuis 1789 est celui de la désignation arbitraire d'une « droite » et de sa destruction progressive, désignation et destruction opérées par une gauche qui se constitue pour cela et y trouve son unique moyen de conquête du pouvoir.
Le système gauche contre droite est une imposture permanente conçue et agencée pour assurer à peu près automatiquement la victoire électorale ou révolutionnaire de la gauche. La solution n'est pas d'entrer dans l'imposture du système en espérant y conforter la droite au point que la gauche y serait finalement battue. La solution est d'en sortir. Comprendre le système. Le dénoncer. N'en être plus dupe. Travailler en dehors de lui : pour se préparer à utiliser les circonstances qui permettront de l'interrompre.
■ Si l'on tient à « se situer politiquement », à se situer dans l'espace, qui comporte la droite et la gauche comme le haut et le bas, à se situer dans l'éventail, il faut alors se déclarer avec François Brigneau « *à droite de la droite *»* :*
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cela surprend, cela donne à penser, cela fait réfléchir, cela sort du cadre préfabriqué, cela montre qu'on récuse le système gauche-droite ; mais bien sûr il ne faut en attendre aucun rendement électoral : de quoi il n'y a pas lieu de se chagriner immodérément, car jamais depuis que la France existe un régime politique n'y a été établi ou renversé par des élections au suffrage universel.
■ *A droite de la droite :* par là nous n'entrons pas un instant dans le piteux plaidoyer des droites libérales, nouvelles, claironnantes, ou honteuses, qui essaient de se qualifier devant l'opinion en se réclamant des critères de la gauche : « ordre républicain », « réduction des inégalités », « légitimité démocratique », « démocratisation »...
La droite dont nous sommes est celle qui refuse le mensonge de la gauche, le système de la gauche ; qui le refuse complètement, jusqu'à ne pas s'attacher à cette dénomination de « droite » que la gauche a inventée pour en disqualifier ses adversaires.
Quiconque est accusé d'être de droite et s'en défend, on entend aussitôt qu'il tente ainsi de se situer à gauche de la droite. Nous nous situons au contraire à droite de la droite ; parce que la droite elle-même est trop à gauche.
Faites donc l'expérience. Interrogez. Recherchez dans la République un parti ou mouvement de droite qui adhère à « travail-famille-patrie », « Dieu premier servi ». En privé, à voix basse, peut-être vous confessera-t-on que bien sûr et dans le fond, on est tout à fait d'accord ; mais pas question d'en faire une devise et un drapeau : les critères de gauche, les préjugés de gauche empêchent toutes les droites françaises d'oser se déclarer ainsi.
Enregistrons donc le fait : « travail-famille-patrie », « Dieu premier servi », c'est bien à droite de la droite.
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#### II
■ Vous voilà donc « situés », nous dira-t-on, ce n'était pas la peine d'en raconter autant, un mot aurait suffi. Vous êtes à droite de la droite ? Vous êtes l'extrême-droite.
■ Assurément n'importe quel interlocuteur peut à son gré nous « situer » où il veut. A droite. A l'extrême-droite. Ce sont des termes péjoratifs, ce sont même des injures dans le langage mensonger de la gauche, qui est devenu aujourd'hui, par les media, le langage de tout le monde. Et sous un certain angle, d'un certain point de vue, nous ne pouvons que tenir à honneur d'être, par le mensonge de la gauche, injuriés plutôt que complimentés. Nous n'y manquons pas.
Mais si l'on nous demande de « nous situer », c'est-à-dire de déclarer *nous-mêmes* ce que nous sommes et où nous sommes, alors il faut entendre la réponse qui est la nôtre.
C'est une réponse qui modifie la formule de François Brigneau, ou plutôt qui l'accomplit et l'épanouit dans sa complète vérité : -- Nous sommes *à droite de l'extrême-droite.*
■ Ce n'est point mépris non différencié pour tous ceux et tout cela que le jargon officiel présente comme « l'extrême-droite ». Mais d'abord c'est, ici encore, refus de l'arbitraire de gauche qui inspire et impose un faux classement. Il n'y a en réalité aucun *extrémisme,* de droite ou d'ailleurs, à vouloir fonder la vie sociale sur « travail-famille-patrie », « Dieu premier servi ».
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Il n'y a aucun *extrémisme* dans les doctrines du traditionalisme politique français, de Bossuet à Maistre, de Louis Veuillot à Maurras, de Le Play aux Charlier. Il n'y a aucun *extrémisme,* mais au contraire une sagesse sereine, encore que provisoirement méconnue, à refuser de fonder la loi morale et la légitimité politique sur la volonté générale : mais à les fonder sur le décalogue et sur le bien commun.
La propagande officielle assure qu'à l'extrême-droite il y a de véritables « extrémistes », des réseaux terroristes. Quand c'est vrai, c'est le plus souvent la provocation policière de gauche qui les manipule ; ou bien c'est le KGB qui les arme et qui les utilise. Mais enfin nous n'en sommes pas, le terrorisme est une maladie et un crime de gauche. Nous sommes étrangers à ce crime et à cette maladie. Nous y sommes complètement extérieurs. Nous ne pouvons nous situer à gauche de cette monstruosité de gauche. Nous sommes à droite de cet extrémisme-là, à droite de tout terrorisme. Mis à part, bien entendu, le cas de l'OAS, qui dans l'ensemble n'était pas terrorisme, mais légitime défense contre le génocide politique du peuple français d'Algérie.
Nous répudions tous les *extrémismes* politiques. Mais non point par un compromis, une atténuation, un amollissement qui nous placerait au « centre ». Au centre de la République maçonnique ! Nous sommes carrément à droite de tous les extrémismes.
■ *A droite de l'extrême-droite,* si l'on veut maintenant aller au fond des choses, oui : nous sommes à droite de l'extrême-droite parce que toute la politique moderne, extrême-droite comprise, est frappée d'un *gauchissement* qui est la cause prochaine de sa décadence et de sa décomposition. Autrement dit, nous nous plaçons à droite de toute la politique moderne, parce qu'elle est tout entière à gauche.
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-- A gauche de quoi ? A gauche de vous-mêmes ?
-- Non point. Nous ne sommes évidemment pas un point de repère universel. Sans doute, les notions de gauche et de droite sont, à un premier niveau, relatives l'une à l'autre, et en ce sens on est presque toujours à gauche de quelqu'un et à droite de quelqu'un d'autre, rien de plus. Mais tout n'est pas purement relatif. Il existe ce que Pie XII nommait des *valeurs absolues.* Toute la politique moderne, même dite de droite, est *à gauche* de cet absolu qui est constitué par le droit naturel, *à gauche* de la loi morale naturelle qui fonde le droit, *à gauche* du décalogue dans sa tradition et son interprétation catholiques. A gauche et non à droite : ce qui est droit est droit ; rien ne peut être plus droit que ce qui est droit. Il n'y a rien à droite du droit naturel : cela n'aurait aucun sens. Tout ce qui s'écarte du droit naturel s'en écarte en le gauchissant : on ne peut pas s'en écarter autrement, on ne peut pas s'en écarter en le faisant *plus* droit, en le faisant *trop* droit. Le fascisme est à gauche dans la mesure où il se sépare (beaucoup moins que le communisme) du droit naturel. Nous sommes à droite du fascisme parce que le droit naturel est à droite du fascisme. Le droit est à droite de tout ce qui le gauchit.
Quand on est pleinement en règle avec le droit naturel, on n'a plus rien ni personne qui soit plus droit, on n'a plus rien ni personne sur sa droite. Nous nous y efforçons.
■ L'apparition moderne du système politique *gauche-droite* n'a pas été l'apparition d'une gauche *et* d'une droite : mais l'apparition d'une gauche, point c'est tout. Et d'une droite imaginaire, prison mentale, antichambre de l'échafaud, où la gauche enferme, d'abord par persuasion et mirage, ceux qu'elle rejette. Ne nous laissons pas enfermer.
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Quand on ne se situe ni dans les extrêmes ni dans les centres, ni à gauche ni à droite, il serait outrecuidant de prétendre voir les choses d'en haut et se situer au plafond. Ce qui au demeurant ne servirait de rien, ne conférerait aucune honorabilité dans la République maçonnique, aucun laissez-passer pour pénétrer dans les media. Tout ce qui n'est pas le mensonge de gauche, tout ce qui gêne la gauche dans son combat, la gauche le situe à droite, le répute de droite, le dénonce et le maudit comme tel, l'amalgamant aux capitalistes exploiteurs, aux tueurs nazis, aux hypocrites rétrogrades. Nous n'allons pas perdre notre temps en dénégations, d'ailleurs inopérantes, qui se référeraient aux *critères de gauche* et viseraient à faire reconnaître que nous ne sommes ni des fascistes assassins ni de fourbes capitalistes. Accepter de discuter explicitement d'après de tels critères, ce serait accepter au moins implicitement le mensonge selon lequel le capitalisme, le fascisme ou la réaction supposée rétrograde seraient *le pire ;* avec pour corollaire inévitable que ce n'est plus le communisme qui serait l'intrinsèquement pervers. Plaider devant la gauche selon le vocabulaire et les valeurs de gauche, -- que ce soit pour démontrer que la droite n'est pas si mauvaise, ou que ce soit pour assurer que soi-même l'on n'est pas de droite, -- c'est reconnaître et confirmer la gauche dans le rôle de juge du bien et du mal qu'elle s'est arbitrairement attribué ; c'est renforcer le système qu'elle impose ; c'est fortifier ses critères, et en quelque sorte contresigner qu'ils sont les bons, qu'ils sont les seuls. Quand la gauche nous dénonce comme gens de droite, la seule réponse possible, qui fait éclater le système et les critères de la gauche, c'est :
-- *Non : à droite de la droite.*
Et quand alors la gauche enchaîne :
-- *Ils l'avouent eux-mêmes : ils sont l'extrême-droite,* la seule réponse est encore, pour la même raison et avec le même effet :
-- *Non : à droite de l'extrême-droite.*
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#### III
■ Nous sommes pleinement catholiques en politique comme en tout le reste. Nous pensons et menons notre politique en catholiques et en tant que catholiques. C'est notre intention et c'est notre volonté. Il est impossible d'être *trop* catholique en politique ou en quoi que ce soit : ce qui arrive toujours, à nous comme aux autres, c'est de ne l'être *pas assez.* Du moins nous le savons, et nous le disons, d'abord à nous-mêmes.
Être catholique sauf en politique, à la manière réclamée de nous par le laïcisme maçonnique et consentie par l'œcuménisme moderniste, c'est le début de l'apostasie.
■ Cela ne veut point dire que nos attitudes et jugements politiques seraient déduits des dogmes catholiques comme la conclusion d'un syllogisme est déduite des deux prémisses. Cela ne veut pas dire non plus que notre gouvernement politique devrait être assuré ou politiquement supervisé par le pape et les évêques. Cela veut dire que l'inspiration, les principes, les critères de notre pensée et de notre action politiques sont uniquement ceux du christianisme vécu et formulé selon la tradition catholique. Il n'y a aucun autre motif premier et dernier de faire quoi que ce soit sur cette terre que d'y faire la volonté de Dieu, en vue de la vie éternelle et de l'achèvement du nombre des élus. Le bien commun politique est une fin temporelle ayant sa consistance propre ; et cependant il est fin intermédiaire en vue des fins dernières ; la vie naturelle est pour la vie surnaturelle.
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En politique comme ailleurs, *Dieu premier servi,* selon la devise politique de sainte Jeanne d'Arc ; en politique comme ailleurs, cherchons d'abord le royaume de Dieu et sa justice, le reste nous sera donné par surcroît : non dans l'inaction, c'est à notre effort que le surcroît est donné, puisqu'il est écrit qu'il est donné à la sueur de notre front. En politique comme ailleurs, nous sommes des catholiques qui, sans dissimulation et sans complexes, s'efforcent d'être ouvertement, authentiquement, intégralement catholiques.
Tous les systèmes politiques modernes ont subi plus ou moins le même gauchissement, qui les a plus ou moins écartés, mais tous écartés, de la royauté sociale et politique de Jésus-Christ sur les nations ; qui a écarté la France de sa nature et vocation de fille aînée de l'Église.
Nous sommes à droite de ce gauchissement.
#### IV
■ Avec nous, en politique, des incroyants ; et nous avec eux. Comment, pourquoi ?
Le système politique gauche-droite, inventé et maintenu par la gauche, a pour finalité essentielle la destruction sociale du christianisme. Mais il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour être politiquement rejeté à droite par la gauche. La secrète et véritable LIGNE DE DÉMARCATION tracée par la gauche ne concerne pas la foi chrétienne en elle-même, mais *la principale œuvre temporelle de la foi,* à laquelle des incroyants ont pu contribuer, et que des croyants ont pu méconnaître : c'est LA CHRÉTIENTÉ.
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Le dessein constitutif de la gauche maçonnique est d'anéantir la chrétienté. La chrétienté, ou civilisation chrétienne, c'est-à-dire *la morale sociale du christianisme enseignée par la tradition catholique et inscrite dans des institutions politiques :* elle a fait la cathédrale et la croisade, la chevalerie et la mission, la piété nationale et familiale, l'esprit de sacrifice et l'honneur de servir. De la chrétienté il ne reste plus grand chose, la gauche travaillant avec succès à la faire disparaître depuis deux siècles ; il en reste toujours trop à son gré. Et surtout, elle pressent d'instinct qu'une renaissance de la chrétienté demeure possible à tout moment ; elle n'arrête pas d'en massacrer les prémices, jusque dans le cœur et l'esprit des enfants dont elle veut pour cela contrôler l'éducation, déchaîner la sexualité, droguer l'intelligence, quadriller les activités.
Oui, des incroyants, avec nous, en politique, et nous avec eux, pour déplacer la LIGNE DE DÉMARCATION. C'est la condition de tout le reste. Si nous ne pouvons pas tout de suite la déplacer au niveau de l'opinion publique, du moins nous devons la déplacer en ce qui dépend immédiatement de nous, au niveau de notre pensée, de notre langage, de notre comportement. Car la seule condition nécessaire et suffisante de la victoire de la gauche, c'est que la LIGNE DE DÉMARCATION passe entre la droite et la gauche, et que le combat politique soit celui de la gauche contre la droite. Inversement la seule condition nécessaire et suffisante, à la longue, de la défaite de la gauche, c'est que la LIGNE DE DÉMARCATION ne soit plus entre la droite et la gauche. Commençons donc par nous situer en dehors : à droite de la droite.
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D'autre part, la seule condition nécessaire et suffisante, à la longue, de la victoire du communisme est que la ligne de démarcation politique ne passe pas entre les communistes et les non-communistes. Qu'elle soit maintenue entre la gauche et la droite est cela même qui fait véritablement, inéluctablement le jeu du communisme. Inversement, l'unique condition nécessaire et suffisante, à la longue, de la défaite du communisme, c'est l'isolement politique du parti communiste et de ses courroies de transmission : c'est-à-dire que la ligne de démarcation politique passe entre le communisme, qui est *le pire* et *l'intrinsèquement pervers,* et le reste de la nation. C'est la tâche de l'anti-communisme : faire comprendre et sentir à l'opinion publique, aux responsables et aux pouvoirs de tous niveaux, jusqu'à ce que cela devienne un réflexe naturel de survie, que le communisme est incomparablement *pire* que tout le reste, et que tout le reste doit se mobiliser contre lui.
■ Ainsi, au *pas d'ennemi à gauche* qui conduit inévitablement à la victoire du communisme, il convient de substituer le *pas d'ennemi à droite* qu'impose inéluctablement tout anticommunisme en règle.
Mais il faut pénétrer exactement le sens logique et pratique de ces formules.
Le *pas d'ennemi à gauche* interdit à chaque membre de la gauche toute hostilité à l'égard de ceux qui sont sur sa gauche et non l'inverse. La gauche la moins à gauche (la droite de la gauche, si l'on veut) est toujours légitimement critiquée, morigénée, bousculée, discréditée, en légitimité de gauche, par la gauche la plus à gauche (la gauche de la gauche). Exemples. Si le parti radical critique le parti socialiste, ou si le parti socialiste critique le parti communiste, c'est une méchante critique « de droite », c'est une entorse inacceptable au « pas d'ennemi à gauche ». Mais quand le parti communiste réprouve et vitupère le parti socialiste, ou quand le parti socialiste gourmande le parti radical, c'est une saine et louable critique « de gauche » contre les survivances de droite qui freinent la gauche modérée sur la voie du progrès.
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Le « pas d'ennemi à gauche » s'entend et s'applique pour chacun : pas d'ennemi sur sa gauche, mais feu à volonté sur sa droite, même à l'intérieur de la gauche. Tout parti ou mouvement de gauche, par ce système, est moralement désarmé devant les attaques qui lui viennent de partis ou mouvements plus à gauche que lui-même, et il est constamment incité à attaquer les partis et mouvements qui, même de gauche, sont cependant moins à gauche que lui. Ainsi ce système provoque une continuelle *évolution à gauche,* que les historiens et sociologues prennent pour une loi des temps modernes et de leur conscientisation, alors qu'elle est une conséquence du système gauche contre droite.
Pour *renverser* ce système il est probable qu'il faudra d'abord l'*inverser,* l'événement aidant et sous l'empire de la nécessité enfin perçue d'un anti-communisme en règle : alors un net *pas* *d'ennemi à droite* interdira moralement à chacun d'attaquer ceux qui sont sur sa droite ; c'est-à-dire qu'il interdira à la gauche d'attaquer la droite, et à la droite d'attaquer ce qui est à droite de la droite ; simultanément, la critique des survivances de gauche chez ceux qui sont le moins à droite, faite par ceux qui sont le plus à droite, sera légitime et permanente, jusqu'à ce que la gauche et sa distinction « gauche-droite » aient entièrement disparu. Ainsi l'anti-communisme conséquent conduit à la chrétienté aussi sûrement que la démocratie libéral-socialiste conduit au communisme.
Cette implication inéluctable de tout anti-communisme en règle, les francs-maçons les plus lucides en sont tout à fait conscients, et c'est pourquoi ceux d'entre eux qui veulent arrêter l'expansion communiste cherchent à le faire par d'autres voies que celle de l'anti-communisme (primaire, viscéral et systématique) : par les utopies du dialogue et du compromis, de la détente et de l'entente, du partage du monde et du gouvernement mondial, et de l'atténuation du communisme en socialisme à visage humain...
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Toutes ces chimères ont depuis quarante ans favorisé l'expansion du communisme beaucoup plus qu'elles ne l'ont freinée. Le monde entier passera sous la domination communiste s'il ne reprend pas le chemin de la chrétienté.
■ Dans le combat spirituel et politique pour la chrétienté, où nous sommes engagés en catholiques et en tant que catholiques, nous sommes au coude à coude, en parfaite amitié, avec tous ceux qui, sans la foi chrétienne, militent en fait pour la morale et les institutions politiques du christianisme vécu et formulé selon la tradition catholique : c'est-à-dire, sous leur angle, pour l'esprit et les mœurs de l'ancienne France, qu'il s'agit au demeurant de transposer plutôt que de recopier, comme l'avait fait le maréchal Pétain dans son œuvre de réforme intellectuelle, morale et politique que résume la devise « travail, famille, patrie », devise si parfaitement traditionnelle qu'elle était déjà, en substance, la devise politique de saint Éloi, ministre au VII^e^ siècle de Clotaire II, de Dagobert I^er^, de Clovis II et de la reine et régente Bathilde. Nos amis incroyants n'aperçoivent aucun empêchement à unir étroitement, dans cet esprit, leurs labeurs aux nôtres pour des entreprises politiques communes. Il serait affligeant, et suicidaire, que des catholiques, par un scrupule diabolique, voient un empêchement imaginaire à cette action politique en commun, et se fassent par fausse doctrine les faux docteurs de ce faux scrupule, comme ils l'ont déjà malencontreusement fait l'année dernière à propos de notre journée parisienne de l'Amitié française le 30 novembre 1980. Puisse-t-il suffire de leur rappeler l'injonction de Pie XII (2 juin 1948) : « *N'hésitez pas à conjuguer vos efforts avec tous ceux qui, tout en ne faisant pas partie de l'Église, admettent néanmoins la doctrine sociale de l'Église catholique et sont disposés à suivre le chemin tracé par elle. *»
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Le chemin tracé par la doctrine sociale catholique, c'est le chemin de la chrétienté : nous y marchons la main dans la main.
#### V
Ce travail en commun est autre chose et beaucoup plus qu'une simple alliance. Mais au-delà du travail en commun il y a place légitime, précisément, pour les alliances politiques.
Des alliances ponctuelles ou plus durables peuvent être conclues ou exister en fait avec tous ceux qui (et dans la mesure où ils) considèrent et traitent le communisme comme le plus grand mal politique, le pire à éviter et à combattre : afin de travailler à ramener la principale ligne de démarcation politique là où elle devrait être, entre d'une part le parti communiste et ses courroies, d'autre part le reste de la nation.
-- Mais, objectera-t-on, il faudrait savoir à quoi vous nous invitez : à nous situer « à droite de la droite », et même de l'extrême-droite, ou au contraire à nous rapprocher des personnalités et groupements de droite et de gauche qui sont éventuellement disposés à une alliance générale contre le communisme ?
-- Il n'y a pas contradiction : à condition toutefois de *sortir du système* « gauche-droite » et « pas d'ennemi à gauche ». Dans ce système, un traditionaliste ne pourrait s'allier aux libéraux qu'en se faisant plus ou moins libéral ; un libéral ne peut s'allier aux socialistes qu'en faisant des concessions au socialisme. Nous vous invitons à n'y point entrer, fût-ce seulement en esprit ; nous vous invitons à en libérer votre pensée et votre imagination.
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C'est tout en étant nous-mêmes, tout en restant nous-mêmes, tout en nous déclarant, comme nous le sommes, « à droite de l'extrême-droite », que nous envisageons d'éventuelles alliances avec des syndicalistes socialistes et des technocrates libéraux qui sont restés, qui deviennent ou qui redeviennent anti-communistes : alliances politiques avec leur anti-communisme, nullement avec leur libéralisme technocratique ou leur socialisme syndical.
-- Alors ils ne voudront pas de vous : ils vous tiendront pour des « fascistes ».
-- Justement. C'est le point décisif. Ce leur sera l'occasion de réfléchir ; et d'entreprendre la révision, à coup sûr déchirante pour eux, qu'ils n'éviteront pas s'ils veulent éviter le communisme : au faux principe qui domine la conscience politique des démocraties occidentales depuis 1941, -- et qui édicte que *contre le fascisme, ennemi n° 1 et pire ennemi, il faut s'allier même avec le communisme*, il est absolument inéluctable de substituer, en théorie et en pratique, le principe inverse : *contre le communisme, ennemi n° 1 et plus grand danger, il faut s'allier même avec le fascisme*. On devra de toute nécessité aller jusque là, bien que le fascisme n'existe plus guère aujourd hui en Europe que dans l'imagination démocratique manipulée par les media : on devra aller jusque là parce qu'il faudra purger l'imagination elle-même, il faudra purger surtout l'imagination, il faudra la purger des mythes mensongers par lesquels la gauche tient captives les âmes.
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#### VI
Ces considérations politiques paraîtront peut-être impolitiques à quelques lecteurs. A un discours définissant « notre politique », ils reprocheront l'absence de réclamations ou propositions bien « concrètes ». Je crois qu'ils auraient tort de négliger la portée parfaitement concrète de ce qui vient d'être énoncé. Toutefois, s'agissant surtout de nous « situer », cela réclamait l'exposé de quelques généralités. Mais on se tromperait en les croyant sans portée pratique. Les devises conjointes « travail-famille-patrie », « Dieu premier servi », n'excluent pas l'attention au quotidien : elles l'exigent au contraire, et l'inspirent. Notre politique est pleinement apte à s'exprimer en revendications immédiatement réalisables ou capables de mobiliser, soit d'un coup soit peu à peu, un mouvement d'opinion.
Par exemple :
-- *la vérité du bulletin de paye,*
-- *l'indexation de l'épargne,*
-- *le vote familial,*
-- *le coupon scolaire,*
-- *l'abolition de l'avortement volontaire,*
-- *le relèvement des allocations familiales de manière à rattraper et dépasser l'augmentation des* *salaires,*
-- *la déscolarisation des âges et des professions qui n'ont rien à faire sur les bancs d'une école,*
-- *la diminution des horaires de la télévision,*
-- *l'interdiction de toute information sexuelle faite en public par les puissances publiques,*
-- *la remise des églises inoccupées aux catholiques traditionnels qui les réclament.*
Voilà des réclamations que l'on pourra estimer fragmentaires ou sectorielles : comme tout ce qui est concret. Mais qu'on y regarde de près : de même que nos considérations générales avaient une portée concrète, de même nos revendications concrètes ont une portée générale. Examinons un peu les quatre premières.
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■ LA VÉRITÉ DU BULLETIN DE PAYE. -- La plupart des Français sont maintenant des salariés. Leur bulletin de paye est un mensonge. Il leur dissimule, et donc il leur escroque, une partie de leur salaire, par un artifice de comptabilité.
Soit une entreprise qui crée un emploi rétribué 4.000 F par mois (salaire brut, ou de base). Le bulletin de paye mentionnera :
Salaire de base : 4.000
Retenues (environ) : 480
Net à payer : 3520
Les « retenues » sont les cotisations dites « ouvrières » à la Sécurité sociale. Les salariés savent que ces cotisations leur coûtent 10 à 13 % de leur salaire ; ils trouvent que c'est assez important ; peut-être un peu trop. *Ils ne savent pas qu'ils payent beaucoup plus.*
Assurément ils ont entendu parler des « cotisations patronales ». Mais c'est une tromperie. Les patrons ne cotisent pas du tout pour leurs employés. Tout ce que l'entreprise débourse en raison de la rétribution d'un emploi *est du salaire ;* tout ce qui n'en est pas perçu par le salarié est du *salaire différé* (différé au profit de la retraite, de l'assurance maladie, de l'assurance chômage, etc.). Dans le cas envisagé d'un salaire de base de 4.000 F, l'entreprise doit *en outre* débourser environ 1.680 F par mois de cotisations dites « patronales » et de taxes diverses sur les salaires. C'est bien l'entreprise qui débourse, -- et non pas le « patron » qui cotiserait sur son argent de poche ou sur ses frais de fonction. Au demeurant que peut bien vouloir dire « cotisation patronale » dans les entreprises nationalisées ?
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Donc, dans le cas cité de ce que l'on appelle un « salaire de base » de 4.000 F, cas où le salarié touche effectivement 3.520 F par mois, la VÉRITÉ DU BULLETIN DE PAYE consiste à lui révéler qu'il est en réalité appointé à 5.680 F par mois, et que sa « couverture sociale » lui coûte mensuellement non pas 480 F mais 2.160 F : c'est bien à lui, et non au « patron », que cela coûte autant, c'est bien *sur son salaire* que cette somme est prélevée.
Le salarié qui touche 3.520 F par mois devrait chaque mois lire sur son bulletin de paye :
Salaire : 5.680
Retenues (environ) : 2.160
Net à payer : 3.520
Près de *quarante pour cent* de la rétribution du travail déboursée par l'entreprise sont retenus par l'actuel système étatique et social. La question n'est pas premièrement de débattre si c'est trop. La première urgence est de réclamer qu'on *cesse de le cacher* aux salariés ; puis de demander aux salariés s'ils acceptent de ne pas *gérer eux-mêmes* quarante pour cent de leur salaire ; et ainsi de suite : beaucoup d'évolutions et de renversements, d'abord psychologiques, en découleront. La vérité du bulletin de paye chaque mois, cela est plus fort que l'anesthésie des media.
Cette revendication peut être immédiatement satisfaite par n'importe quel gouvernement, par n'importe quelle majorité législative. C'est une revendication qui n'appartient à aucun parti, et qui en elle-même ne contredit visiblement à l'idéologie d'aucun. C'est une revendication qui se situe à droite de l'extrême-droite : dans le réel.
■ L'INDEXATION DE L'ÉPARGNE. -- Ce qu'il y a aujourd'hui de moins défavorable pour le petit épargnant, c'est le « livret A » : il rapporte 7,5 % d'intérêts exonérés d'impôts, son montant est limité à 49.000 F. Au-delà de cette somme, il faut aller au « livret B », qui peut recevoir des dépôts illimités et rapporte lui aussi 7,5 %, mais ces intérêts sont imposables.
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Ainsi l'épargne est dépouillée, escroquée, volée par un système d'une injustice manifeste. L'intérêt de 7,5 % est inférieur à peu près de moitié au taux de dévaluation du pouvoir d'achat de la monnaie. Et, redoublement de l'injustice, cet intérêt misérable, insuffisant, au-dessus de 49.000 F il est frappé d'impôt comme s'il s'agissait d'un revenu ou d'un bénéfice.
L'indexation de l'épargne doit se faire, comme pour le SMIC, sur l'indice du coût de la vie, et s'aligner trimestre par trimestre sur la hausse des prix : donc un intérêt qui aurait dû être de l'ordre de 12 à 14 % pour les récentes années. Les intérêts versés ainsi n'étant ni un bénéfice ni un revenu, ils doivent être totalement exonérés d'impôt, et cela sans plafond (ou jusqu'à un plafond beaucoup plus élevé que les 49.000 F actuels).
Comme la précédente, cette revendication n'appartient à aucun parti, elle peut être adoptée par n'importe lequel d'entre eux ou par tous à la fois, n'importe quel gouvernement peut la satisfaire à n'importe quel moment.
■ LE VOTE FAMILIAL : c'est la solution aux difficultés et inconvénients du suffrage universel en politique. Ces inconvénients, ces difficultés, tous les hommes d'État de quelque bon sens les reconnaissent en privé ; mais ils ne savent pas comment en sortir, le suffrage universel étant une idole qui ne supporte aucune offense visible : on peut ruser avec elle, on peut la duper de mille manières, c'est la tromperie habituelle de toute démocratie, il faut cependant la respecter, l'honorer, la vénérer.
Nous ne demandons pas l'abolition du suffrage universel. Maurras lui-même ne la demandait pas.
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Nous réclamons que LE VOTE SOIT FAMILIAL COMME L'IMPÔT.
Aucune difficulté administrative, les rôles sont déjà établis, prêts à fonctionner.
*Il suffit d'édicter que toute personne tenue ou admise à déclarer ses revenus a droit de vote, et dispose d'autant de voix qu'il y a de personnes mentionnées sur sa déclaration.*
Cette revendication va contre l'idéologie de tous les partis elle les menace tous. Aucun gouvernement issu de l'élection et du système des partis, qu'il soit libéral ou qu'il soit socialiste, ne consentira un tel suicide. Mais aucun régime politique n'est éternel ; et cette revendication, fondée sur la réalité sociale, doit être vivante dans l'opinion publique, pour contester le système actuel et préparer les bases de celui qui lui succédera.
■ LE COUPON SCOLAIRE, c'est une revendication qui doit, elle aussi, être vivante et active, contestant aujourd'hui et préparant demain. *Il faut que ce soient les familles qui payent l'école qu'elles désirent pour leurs enfants :* le rôle de l'État est de leur en donner les moyens par des allocations scolaires plus ou moins analogues aux allocations familiales. Dans la défense des libertés de l'enseignement contre le totalitarisme maçonnique, il est urgent d'inviter les familles à *réclamer leur droit ; si* elles l'ignorent, les en instruire. En dehors des grandes écoles que l'État organise lui-même pour y former ses hauts fonctionnaires, le budget de l'éducation nationale doit aller directement aux familles. Les modalités pratiques n'en sont pas irréalisables, on a le choix entre plusieurs méthodes.
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Mais c'est le principe même de cette réforme, c'est son principe familial, que repoussent tous les partis : en ne taisant pas cette revendication, en la fortifiant au contraire et l'amplifiant, on mettra mieux en évidence le fait que les partis démocratiques, tels qu'ils sont inspirés, organisés ou contrôlés en France par la franc-maçonnerie, sont une structure étrangère à la société française, un parasitisme colonisateur.
Jean Madiran.
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### La France est-elle encore une nation ?
par Georges Laffly
LA FRANCE EST LA PLUS ANCIENNE DES NATIONS, -- fille aînée de l'Église par le baptême de Clovis, -- mais est-elle encore une nation ?
Quand on emploie ce mot, on se réfère souvent à ce que dit Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. » Définition un peu idéaliste, qui passe sous silence (parce que cela va sans dire ?) la réalité charnelle.
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Jules Monnerot, lui, précise : « ...une formation culturelle et historique comme la nation qui part de la race et du sol, et sous l'effet de l'histoire aboutit à ce résultat qu'on nomme un peuple ». (*Sociologie de la révolution.*)
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Pour Renan, il existe une identité de la nation, qui comporte mémoire et volonté, et se manifeste à travers la durée. A chaque instant de l'histoire, des forces de cohésion assurent cette identité, que d'autres forces travaillent à dissocier (invasions, guerres civiles, négligence ou oubli).
Mais cette mémoire, cette volonté peuvent être atteintes mortellement. « Le riche legs de souvenirs », s'il subit trop de ruptures -- ou de *fractures* -- ne permet plus une référence claire. Il peut y avoir des souvenirs contradictoires. Péguy célèbre à la fois les soldats de l'an II et les cathédrales, mais il n'est guère suivi. Si les images du passé sont inconciliables, ce n'est pas sans conséquences sur « la volonté de vivre ensemble », et l'identité, dédoublée, donc niée, est perdue.
\*\*\*
Avant d'en venir à ce péril tardif, il faut voir la longue période de l'édification, qui a formé un peuple sur un sol. Ce fut d'abord l'œuvre de la monarchie, première des forces de cohésion. La France ne se définit pas par une race, une unité géographique, ou une langue même, tout le monde en est d'accord. Elle est l'espace fait français par ses rois. Ils ont fait vivre ensemble la Bretagne et la Provence, le Limousin et la Franche-Comté. Il n'est pas inutile de rappeler cette évidence. A mesure que le souvenir de l'origine s'estompe, on devient trop sensible à ce que peut avoir de hasardeux la réunion de provinces si opposées. Reste que l'effort qui les amalgama était solide et bienfaisant, si bien que, la monarchie tombée, la France ne se défit pas. (Les Français trouvent cela tout naturel ; erreur.) L'unité incarnée dans le roi fut remplacée d'abord par l'élan révolutionnaire. La République fut « une et indivisible » (devise qui ne disparut qu'en 1962), et le jacobinisme une force de cohésion, moins durable d'ailleurs que la monarchie.
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Cette force, il est vrai, était équivoque parce que fondée sur une rupture, une diminution du capital historique. Il fallait à la fois persuader les Français qu'ils étaient héritiers d'un passé et que ce passé était détestable. Ces héritiers malheureux n'avaient qu'un facteur positif dans leur bilan : la révolution, justement, l'acte même qui rejetait les constructeurs de l'héritage. La mémoire commune se résumait, pour le bien, à cet acte, et à ses protagonistes, vite baptisés les grands ancêtres (expression qui suffit à indiquer le retour à une mythologie primitive).
La France, aînée des nations, devenait tout d'un coup la cadette, mais d'un type nouveau et exemplaire. En ce qui touche le présent et l'avenir, la force cohésive était plus assurée : tous les Français avaient en commun une mission, apporter leur révolution au monde. Ils étaient modèles, et propagateurs de leur modèle. Cela s'est terminé seulement en 1917, où apparut une révolution qui démodait la nôtre.
Certains datent les débuts de la nation de cette grande cassure de 1789, parce que le cri de « Vive le roi » est alors remplacé par celui de « Vive la nation ». Au vrai, le fait national est vécu en France depuis longtemps (et la preuve, c'est que l'unité survit à la dynastie). Mais il faut reconnaître qu'un sentiment nouveau apparaît -- c'est lui qui fait accepter l'héritage -- la Nation se sent *adulte.* Elle rejette son tuteur et découvre la griserie de n'avoir plus à obéir au Père, ce Père qu'elle a la honteuse audace de tuer.
Dans ce moment où la première force de cohésion est détruite, elle est remplacée, croit-on, par la libre union des citoyens. A la famille, à la personne vivante du roi, on substitue un autre symbole d'unité, le drapeau. Signe sacré, pour quoi on risque sa vie dans une bataille, et devant quoi on se découvre. Il enflamme, il est l'image pure, immuable, impeccable de la France. Voilà des avantages, mais les inconvénients d'un objet symbole se montreront avec le temps. Il peut être utilisé à diverses fins, désigner une faction plutôt que l'ensemble du pays, servir des camps adverses dans une crise. Le drapeau était à Londres comme à Vichy, dans la dernière guerre.
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L'objet symbole est schématique, uniforme -- et centralisateur. Enfin, si une enseigne militaire reste sacrée par le feu et le sang, elle se vulgarise en devenant emblème civil, bon pour les foires et spectacles. Elle y perd son efficacité. Le symbole ne se réactive pas. Si les Français ont longtemps reporté sur le drapeau l'attachement qu'ils vouaient au roi, il est clair que cela n'est plus vrai. Indice, d'ailleurs, de l'affaiblissement du sentiment de la nation.
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Le lien vivant du toi, le lien abstrait du drapeau sont de l'ordre du cœur. L'unité est en même temps affirmée par les actes du pouvoir et le rôle de l'État. Par son importance, sa variété, le nombre de ses agents, la part qu'il prend quotidiennement dans la vie des gens, ce rôle est devenu, en notre siècle, comme d'une autre nature. Le grand passage a été opéré par la Révolution, et l'Empire, mais on n'en voit le plein effet qu'aujourd'hui. École, service obligatoire, fisc, justice, assurances contre la maladie et la vieillesse, direction de l'économie, information, l'État agit à chaque instant sur notre vie. Il y a donc là une force de cohésion énorme, mais on aurait tort de croire qu'elle vivifie la nation : elle en utilise le souffle. L'État agit au nom de la nation. En fait, il la masque, ou la compromet. On aime sa nation, on ne peut aimer l'État. On le sert, mais non pas pour lui-même, pour ce qu'il représente. Et cet appareil froid finit par faire oublier la communauté dont il n'est que l'outil. Un éloignement pour la nation peut être observé. Il est parallèle à la croissance de l'État.
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La force de cohésion politique n'aurait pas imprimé dans l'histoire la même figure de la France sans les autres forces fondatrices qui ont permis, elles aussi, la durée. L'Église, à l'origine même (Clovis devient catholique au milieu de peuples ariens) et dans la suite des temps, par ses évêques, ses moines, ses saints.
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L'armée, qui, dans un pays ouvert aux invasions, représente la volonté de subsister. A ses débuts, l'armée, c'est la noblesse féodale : l'ordre militaire reste lié à la noblesse jusqu'à nos jours. La paysannerie, par son attachement au sol, ses vertus, est le réservoir de la vitalité. Elle se différencie, et c'est d'elle que sortiront bourgeois et ouvriers, qui longtemps ne rompront pas le lien avec la terre : à peu près jusqu'en notre siècle.
A ces forces -- que l'on peut résumer par la formule des trois états -- il faut ajouter la langue. Maurras ne dit-il pas que La Fontaine est un facteur d'unité française tout comme les Capétiens ? Le français s'affine et remplace peu à peu le latin, les langues d'oc, le flamand, le breton. Il rayonne de sa propre force autant que de celle du royaume. Il ne s'impose pas par contrainte, mais par l'attrait d'un signe de civilisation.
C'est l'action commune de ces forces qui fait de la France une réussite singulière. Selon le moment, c'est l'un ou l'autre des éléments qui donne sa couleur à l'ensemble, mais tous y concourent. A mesure qu'on se rapproche de notre temps, ces oscillations s'amplifient. Pour un Français de 1700, la France, c'est sans doute le roi, et la paroisse. En 1900, probablement le drapeau et Victor Hugo. C'est qu'entre ces deux dates, l'Église a été reniée, refoulée, calomniée, par une partie du pays. Et les « régimes » se succèdent sans s'établir tout au long du XIX^e^ siècle. Mais l'amitié, la parenté, persistent, et les souvenirs communs sont très présents.
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Aujourd'hui, nous sommes dans une troisième étape. Les forces fondatrices sont ruinées. L'Église a perdu une grande partie de son poids -- c'est une minorité qui est catholique et après avoir été attaquée et vaincue de l'extérieur (tentative avec la Réforme, réussite avec les Lumières), il semble qu'elle s'acharne contre elle-même et s'*autodétruise.* Elle renonce à sa propre leçon spirituelle, en l'interprétant selon des idéologies. Elle paraît, en général, avoir plus le souci de former des électeurs de gauche que des chrétiens.
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L'armée est dédaignée et suspecte, parce qu'elle est un ordre, et parce que sa mission est nationale. La paysannerie n'existe plus, non seulement parce qu'elle est réduite à 10 % de la population, mais parce que le modèle urbain triomphe jusque dans les fermes.
La langue, minée par l'anglais et les jargons, avec un outil grammatical abaissé au niveau du sabir, a perdu son rayonnement.
\*\*\*
Les esprits rassurants trouveront bien normal que des forces à l'œuvre au X^e^ siècle soient en déclin au XX^e^. Mais pourquoi, si elles représentent des fonctions fondamentales ? Un double phénomène a modifié la situation : la rupture révolutionnaire et la rupture technique, si opposées qu'elles soient dans leur nature, ont eu des effets semblables. Un de leurs résultats a été le mépris de la durée, l'entrée dans une dynamique où le passé est toujours le terme insuffisant. On n'examine que ce qu'il faut en changer. Au contraire, le fait même de la nation supposait une amitié de la durée.
On assiste à un retournement du temps à l'espace. L'unité que l'on assurait en un lieu au cours des siècles, on la cherche sur l'espace le plus vaste (toute la terre, si possible) mais pour un moment. La mode remplace l'institution. L'uniformité ronge les différences.
Toutes les forces de durée sont affaiblies, toutes les forces de mutation et de chaos en pleine vigueur. Ce qui tient à la naissance, à l'hérédité, au nom est sous-estimé ou haï. Or, la vitalité de la nation tient à la vitalité du sentiment d'une origine commune. La même remarque pourrait être faite pour les familles : elles restent fortes, mais ce qui s'efface, c'est la communauté dans le temps, la lignée. A la limite, une famille commence à chaque mariage.
\*\*\*
Des forces nouvelles agissent. Certaines sont utilisées pour la cohésion nationale, mais c'est un détournement. De nature, elles sont étrangères à la nation, elles tendent même à ruiner cette forme. Et d'autres forces encore sont complètement hostiles à la nation, ont un rôle uniquement centrifuge.
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Dans le premier groupe, on peut compter le système de l'information et soutenir que l'unité française est aujourd'hui solidement (et bassement) assurée par les *media,* particulièrement les radios et les télés. Mêmes informations, mêmes divertissements. On convoque tout le pays à la même heure devant les postes, d'où une uniformisation prodigieuse. Ces moyens de communication sont le ciment d'une unité de spectacle qui a grande importance dans une société où le spectacle est une fonction capitale. Mais on voit bien que le mot d'unité, ici, est abusif. Il s'agit réellement d'uniformité (le contraire). Cette uniformité réduit le pays à son dénominateur, impose à tous un contenu cosmopolite, « déracinant ». Modes, mœurs, idées reçues sont diffusées de façon massive, et cet « air du temps », à peu près semblable à New York, Paris, Londres ou Tokyo, agit comme un acide sur la substance nationale -- et les substances régionales -- qui deviennent marginales, clandestines. On *planétarise* le public.
Une certaine perception de l'unité se fait aussi à travers l'économie. « La France, pays de Jeanne d'Arc » semble une devise peu efficace. « La France, 4^e^ exportateur mondial » est censé, au contraire, mobiliser notre énergie. Il est vrai que la prospérité ou la misère s'arrêtent aux frontières. L'économie joue dans le cadre de la nation. Mais elle pousse plus à l'égoïsme qu'au sacrifice pour le bien commun. Surtout si l'on pense que la production des marchandises est primordiale, le jour où la société anonyme France ne nous satisfait pas (n'est plus rentable), rien n'empêche d'être tenté par une autre S.A., l'Europe par exemple. Une nation ne peut être considérée comme une entreprise sans perdre beaucoup de sa divinité.
Forces centrifuges, les idéologies, et les partis politiques qu'elles suscitent, débordent très naturellement la forme de la nation. Même si un parti se présente comme national, il ne peut l'être complètement. Par nature, il est partial. Et quoi que chacun d'eux prétende à haute voix, parlant de pluralisme et de diversité, la vocation d'un parti est de regrouper tous les citoyens (sauf les méchants). Aucun n'y parvient, et c'est un bonheur, mais du coup, chacun laisse entendre que les méchants -- tous les autres -- sont bien nombreux.
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La concurrence nécessaire fait aussi que les partis alimentent les querelles, les divisions, négatrices de l'unité. Il y a plus. Le parti le plus partisan vit de l'idée de la lutte des classes, qui implique que l'hostilité entre des citoyens de rôles économiques différents est plus vraie, plus fondamentale que l'amitié nationale. Mais cela joue pour tous. Chacun, pour attirer une clientèle, morcèle le pays en fractions, appuie telle ou telle minorité. On flatte, on attise les différences, on émiette l'ensemble en une multitude de cellules antagonistes.
Des idéologies comme le marxisme ou le mondialisme sont, par définition, hostiles à la nation. Le régionalisme actuel est pour une bonne part idéologie (au départ, moins un sentiment vécu, naturel, qu'un système d'idées), et pour une autre part le résultat de forces qui ont rendu abstraite l'idée nationale. D'où naissent des fantômes de petites nations, bretonne, corse, occitane, sur les débris de la grande. On s'en prend, dit-on, à Paris et à la centralisation, on atteint le fait français.
\*\*\*
Les forces de cohésion disparues ou impuissantes, les forces de dissociation en pleine virulence, la nation, qui est une âme, selon Renan, s'en trouve affaiblie. Mais il faut regarder aussi l'aspect charnel de la réalité nationale.
Pour la nation aussi, l'identité se détermine par comparaison avec les autres. Elle se renforce de les sentir différentes. Et à l'occasion, de se trouver supérieure, plaisir dont la France a pu jouir à plusieurs reprises depuis mille ans. En contrepartie, quand on a donné le ton au monde civilisé, il est moins agréable de vivre au second rang. Les Français sont peut-être moins attachés à la France, depuis qu'il est moins flatteur d'être Français. Et leur excuse, c'est que l'expression « être Français » est en même temps devenue moins claire. Les influences, les attractions étrangères sont si fortes qu'elles produisent une dénaturation. Modes américaines, chansons anglaises, vêtements arabes ou indiens, et moto japonaise, cet attirail de l'adolescent a un sens. L'identité se fait floue. Et pas seulement en surface.
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Il n'y a jamais eu de race française, constatation connue. Il y eut jusqu'ici un peuple français, dont la diversité ethnique est visible, mais qui tirait son unité de la communauté des mœurs, d'une civilisation. Les apports étrangers, qui n'ont jamais manqué, étaient assez faibles numériquement, jusqu'au début du siècle, pour s'agréger à cet ensemble sans le modifier c'étaient eux qui s'adaptaient, adoptaient un modèle d'ailleurs assez célèbre. Leur nouveau statut était un avantage (au XVIII^e^, c'est toute l'Europe lettrée qui se sentait française).
On compte aujourd'hui quatre millions d'étrangers en France, qui pour la plupart s'établissent et font souche. A quoi il faut ajouter les cinq à six millions venus entre 1900 et 1930, et dont les descendants sont français. *C'est la plus forte modification de peuplement depuis les grandes invasions.* Or, il semble que l'incorporation de ces éléments joue moins bien : le prestige de la francisation a diminué, la particularité nationale s'efface, enfin la substance à assimiler est trop importante. On voit des noyaux d'immigrés qui ne sont plus des étrangers garder leur identité propre. Les Polonais venus après la guerre de 1914 préservent des liens avec la Pologne. Les Russes blancs seraient un autre exemple. Il y a 300.000 Arméniens en France, installés depuis un demi-siècle. Ils gardent, paraît-il, un vif sentiment national.
Quant aux immigrés récents, certains sont peu disposés à se fondre dans l'ensemble français. C'est le cas des Maghrébins. L'Islam, le mirage de la nation arabe renforcent leur autonomie.
On est donc dans une situation toute nouvelle : un apport étranger très fort, une vitesse d'intégration moins grande. D'autre part, si *nation* implique *naissance,* le fait de l'hérédité, de l'appartenance durable à un groupe est sous-estimé. Entre ce qui est choisi et ce qui est *donné* (remarque de P. Boutang), on met plus haut ce qui est choisi. Les naturalisations se multiplient, elles ne sont que formalité, elles n'engagent pas vraiment. La double nationalité se propage, et plus encore la double allégeance. Il paraît tout simple d'avoir un attachement pour deux nations.
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Ces groupes ethniques qui se sentent autonomes s'ajoutent aux minorités régionales pour composer une mosaïque de communautés enchevêtrées, vivaces, qui effacent ce qui devrait être le fonds commun. Mirabeau avait tort de dire que le royaume était « un agrégat inconstitué de peuples désunis ». Mais cela commence à être vrai. Pour ces groupes, les récents ou les plus anciens, que peut signifier « le riche legs de souvenirs » ? Les souvenirs communs tendent vers zéro.
Le plus probable est que cette évolution continuera. Nous avons à nos portes de très fortes pressions démographiques. De quelque côté qu'on regarde, il y a déperdition, qui laisse échapper une réalité glorieuse et bienfaisante. La part de la substance française diminue en France. Et, plus irrémédiable, la connaissance de cette substance s'éteint, avec l'amour qui lui était porté. Il y eut une vanité d'être Français (au XIX^e^, par exemple). On en est loin. C'est plutôt le dédain, par ignorance, et par la séduction de puissances neuves.
Bizarrement, on voit en même temps les hommes anxieux de retrouver des racines, à l'heure même où ils renient leur passé. Ils ne savent même plus de quoi ils parlent.
De ce qu'on a constaté, une grande part vaut pour les autres nations européennes, pays dont l'histoire semble s'être retirée. Pareils à des dents dévitalisées.
Cela ne veut nullement dire que le fait *nation* est périmé. On le voit au contraire, dans d'autres continents, prospère, triomphant. Nous nous aveuglons bêtement. Certains se féli-citent du déclin de la nation, supposent une évolution fatale et heureuse vers la paix et un gouvernement mondial. Simple illusion de l'eurocentrisme.
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Ils prennent notre maladie pour un progrès exemplaire, en font un modèle qui se propagera à travers le monde. Il n'y a aucune raison dans ces rêveries. Le reste du monde nous regarde mourir, attendant le moment du dépeçage.
Georges Laffly.
*P.S. -- Les remarques qui précèdent valaient avant le 10 mai. En quoi le* « *changement *» *peut-il les modifier ? On verra par exemple ce que donne le projet de décentralisation. L'idée de décentralisation est bonne tant qu'elle suppose, en face de forces centrifuges contrôlées, l'action d'une puissante force centripète. Passer du jacobinisme au fédéralisme, c'est revenir à une vie plus saine tant que l'unité n'est pas mise en cause. L'unité, ce fut le roi, puis l'idée révolutionnaire* (*y compris* « *les saintes baïonnettes *» *de Michelet*). *Et aujourd'hui ? Le parti socialiste omniprésent qui relierait et animerait les divers morceaux de la France ? C'est compter sur un lien partisan, en oubliant que l'esprit de parti suscite schismes et déviations, qu'il est diviseur.*
*Ce projet peut permettre de futurs démembrements. Non parce qu'il les préparera sciemment, mais parce qu'il créera une situation pleine de possibilités en ce sens.*
*Il y a les politiques qui fondent. Et il y a ceux qui choisissent de constater, d'enregistrer la tendance, et même de la hâter, parce que c'est suivre une pente. En ce sens, ils provoquent l'événement, eux aussi, mais c'est dans le sens de la facilité. Il y eut ainsi, il y a vingt ans, un chef d'État qui* « *constata *» *que la France n'était plus une puissance impériale. Le chef d'État actuel est peut-être celui qui acceptera le fait que la France ne soit plus une nation.*
G. L.
36:256
### La divine surprise est-elle encore possible ?
par François Brigneau
**1. -- **En mai et juin dernier la France est tombée dans le socialisme comme un fruit blet.
En vérité ce fut moins une chute que la dernière étape d'un glissement. On le sentait venir depuis longtemps. De nombreux moteurs travaillaient à l'avènement de cet événement. Citons, entre autres : la logique républicaine ; la victoire des démocraties ; la dictature intellectuelle et sentimentale qui s'exerce depuis 1944 ; l'esprit du corps enseignant ; le système électoral ; la machinerie communiste ; le regain maçonnique ; l'habileté manœuvrière de M. Mitterrand ; la destruction de l'esprit militaire ; le ralliement de l'Église ; la faiblesse et la division des « forces » de résistance et d'opposition, etc. Cela fait déjà beaucoup. Ce glissement s'est opéré sans secousse ni sursaut. Les esprits et les cœurs y étaient préparés. La disparition de l'ancienne majorité révélait au pays, un peu éberlué tout de même, combien était artificielle cette représentation parlementaire pourtant importante. Ce fut un naufrage extraordinaire, corps et biens, mais par mer calme, jolie brise, alors que les récifs étaient encore loin. Ajoutons que la « légitimité républicaine » couvrit le tout de son manteau d'arlequin.
37:256
Plus encore que la satisfaction des élus, ce qui frappa ce fut l'indifférence et la torpeur des électeurs. Seule une petite minorité montrait son inquiétude. Elle se composait des travailleurs indépendants, des classes moyennes, des professions libérales, de ceux qui doivent leur réussite sociale à leur intelligence et à leur travail -- un travail qui tend davantage vers la semaine de 70 que de 35 heures.
Cette catégorie de Français, isolée dans un pays d'assistés en voie de fonctionnarisation totale, se consolait en se disant que cette république d'instituteurs hurluberlus serait de courte durée. Le temps de vider les caisses et elle s'évanouirait sous les quolibets. On peut estimer que c'est là beaucoup d'optimisme.
**2. -- **Cette république totalement socialiste et par conséquent appelée à devenir très vite totalitaire, on aurait tort -- à mon avis -- de la croire menacée dans un proche avenir. Seuls de graves échecs économiques et monétaires d'une part, politiques de l'autre, échecs exploités par une opposition nationale miraculeusement réunie et mobilisée, pourraient précipiter sa disgrâce.
L'échec économique et monétaire est vraisemblable. Seul un socialisme fasciste, autarcique, nationaliste pourrait l'éviter. Pour un temps tout au moins. Et encore n'est-ce pas certain, l'interdépendance économique des États étant si avancée qu'on éprouverait beaucoup de difficultés à fermer les frontières autour d'un peuple soudain soudé et galvanisé (?). Deux jours sans voiture et M. Mitterrand pourrait bien être invité à rentrer à Latché. Voyez 68.
Pour que la crise économique se transforme en débâcle politique, il faudrait que les États-Unis l'aggravent. Ce qui n'est pas évident. Rien ne dit que les USA ne préfèrent pas un État socialiste mais aligné contre l'impérialisme soviétique, à un État capitaliste et libéral, plus indépendant et capable d'un jeu plus ambigu avec Moscou. Dans ce cas les U.S.A. tiendront le régime de M. Mitterrand, le nez juste au-dessus de la vague mais ne l'enfonceront pas.
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Cette situation peut durer entre deux et cinq ans -- le temps que la machine économique se disloque complètement ; que les devises viennent à manquer ; que la réalité soit plus forte que l'opium de la télévision, des radios et des journaux gouvernementaux.
Le temps aussi que -- sous la pression soviétique -- le parti communiste et la C.G.T. modifient leur tactique et passent de la collaboration horizontale à la revendication tous terrains.
**3. -- **On quitte là le domaine de l'échec économique et monétaire pour celui de l'échec politique.
Celui qui menace le nouveau régime est essentiellement intérieur au système. Le pouvoir socialiste ne sera pas écrasé du dehors. Mais il peut exploser du dedans. Les clans y sont nombreux. Les rivalités de personnes très vives. Un échec cuisant de la tentative actuelle ruinerait l'avenir de M. Rocard. Il serait surprenant qu'il y consente.
Les lobbies, groupes de pression, d'inspiration et de manipulation divers, seront d'autant plus actifs que la majorité parlementaire est confortable. Il est certain que les services secrets britanniques contrôlent des députés socialistes -- et non des moindres. (« L'Humanité » accusa jadis M. Rocard d'être un agent de l'I.S.) On peut supposer qu'il en est de même pour l'Union Soviétique et le parti communiste. Ainsi que pour Israël et les deux grandes tendances de la communauté juive de France. Les ordres maçonniques y ont leurs représentants. Si apeuré qu'il soit, le patronat a réussi à glisser quelques hommes et à circonvenir quelques autres. Bref, avant longtemps, tous ces corps étrangers commenceront à se heurter au sein de la nébuleuse et chercheront à se détruire. On verra apparaître des lézardes, des fissures. Personne ne peut en annoncer aujourd'hui le nombre ni la gravité. On peut douter qu'elle mette prématurément un terme à l'expérience socialiste. Sauf événement imprévisible, bien entendu.
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**4. -- **D'autant que M. Mitterrand n'a pas grand chose à craindre de l'ancienne majorité. Elle n'a plus ni tactique, ni stratégie. Elle attend tout de l'actualité. Elle est encore tout abasourdie de sa défaite. M. Chirac souhaitait l'échec de M. Giscard d'Estaing, mais il n'imaginait pas qu'il perdrait autant de monde et de prestige dans la bataille. M. Barre accuse à la fois MM. Chirac et Giscard de cette déroute. M. Giscard en fait le reproche à M. Barre, à M. Chirac, et à la droite « qui n'a rien compris ni rien oublié ». Surtout il ne comprend pas par quel tour de passe-passe son bilan économique globalement positif a été présenté comme globalement négatif aux électeurs et reçu comme tel par eux.
A la rancune des trahisons s'ajoutent chez lui les sentiments mêlés de l'orgueil blessé. Pour parler le jargon des psychologues, un témoin dit qu'il est en « état d'inflation psychique ». Il voulait réapparaître dans l'été. Ses conseillers et sa belle-famille ont obtenu qu'il ne bouge de six mois. Un ancien du château déclare :
-- « Je ne sais si Giscard sera, comme il le dit, l'homme du recours. C'est possible. La politique a ménagé d'autres surprises. Caillaux est sorti de la Haute-Cour pour redevenir ministre. En 1919, les députés de la chambre bleu-horizon ont préféré porter Deschanel à l'Élysée que Clemenceau, le Père-la-Victoire. Le lendemain de l'attentat-bidon de l'Observatoire, qui aurait imaginé que M. Mitterrand, accusé d'outrages à magistrat, deviendrait un jour le premier magistrat de France ? Le peuple de Paris qui acclamait le maréchal Pétain en mai 44 acclamait pareillement le général de Gaulle en août. Renvoyé dans ses foyers par les Françaises-et-les-Français, M. Giscard d'Estaing peut parfaitement faire figure de sauveur. La vox Populi n'est pas à une erreur ni inconséquence près. Néanmoins pour que le retournement devienne crédible il faut du temps. Deux ou trois ans. Sans doute davantage. »
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**5. -- **Quoique M. Gaston Defferre veuille la mettre hors-la-loi, l'extrême-droite, qui aurait dû trouver des forces nouvelles dans l'échec giscardien qu'elle n'avait cessé d'annoncer, ne paraît pas en meilleur état que l'ex-majorité. On assiste même à un étrange phénomène. Ses appareils sont en pleine décomposition. Le P.F.N. n'a présenté que 30 des 75 candidats qu'il annonçait tandis que son n° 1, M. Alain Robert, se présentait à Aulnay-sous-Bois, avec l'étiquette du R.P.R. ! Le Front National qui avait cessé de s'appeler Front National mais se nommait Rassemblement pour les Libertés et la Patrie -- sigle où l'on retrouvait les initiales de son président, L.P. Le Pen -- est confronté à un problème capital. Il s'interroge pour savoir s'il convient de revenir à la première appellation ou d'en arrêter une troisième susceptible d'améliorer son image. Pendant ce temps une scission couve entre les nationaux-révolutionnaires du groupe « Militant » et les nationaux-conservateurs de l'état-major lepéniste s'accusant et se condamnant les uns les autres avec une vigueur digne d'un meilleur emploi.
Ni l'un, ni l'autre de ces partis ne possède de presse digne de ce nom et les autres groupuscules ne sont pas plus fringants. Et pourtant les thèmes de l'extrême-droite courent le pays. La droite gaulliste est à prendre. Le nationalisme demeure vivace dans certaines couches populaires. Les événements qui ont secoué la Grande-Bretagne, et que nous connaîtrons bientôt, font de la lutte contre l'immigration envahissante un thème auquel de nombreux Français sont sensibles. Comme ils sont sensibles à la nouvelle justice de M^e^ Badinder ; à la prochaine suppression de la peine de mort ; à l'extension de l'avortement ; à la suppression de l'école libre ; au progrès accéléré de la décadence, etc.
En bonne logique toute cette eau devrait aller au moulin d'une droite nationale, accordée au moins sur dix idées-force. Il n'en est rien. Rivalités, scléroses, fatigues (compréhensibles), divisions, appauvrissement, difficultés d'entrer dans un système électoral fait contre les minorités, rejet aussi de ce système pour des raisons de peau et de tête : l'impuissance est partout. M. Defferre est bien bon de vouloir tuer l'extrême-droite. C'est peut-être le seul moyen de la ressusciter.
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**6. -- **Si l'extrême-droite est exsangue, à bout de souffle, ce ne sont pas que les idées lui font défaut. Le travail, la famille, la patrie demeurent les réalités essentielles que la mode ni les contre-courants ne nous ont empêchés d'exalter.
Si nous ne sommes pas mieux entendus, si nous ne pesons pas davantage, ce n'est pas parce que nos vérités sont reçues comme des erreurs. C'est parce que nous ne proposons pas un système politique qui permettrait notre politique.
Beaucoup d'entre nous sont monarchistes. Mais nous savons bien que cette monarchie ne pourrait s'établir, avec des chances de succès, qu'à la suite d'un gouvernement autoritaire. Le maréchal Pétain aurait pu accomplir cette tâche s'il en avait eu le temps. Le général de Gaulle aussi, s'il en avait eu l'envie. Ce n'était pas le cas, hélas. En 1944 il était plus facile de détruire la droite maréchaliste que le parti communiste. En 1958 il était plus facile de détruire l'armée que l'école maçonnique. Mais la question demeure entière et sa réponse peu aisée. Qui, quel homme, quelle force, seraient aujourd'hui capables d'obtenir un certain consentement populaire sans lequel on ne peut imposer à la nation tout entière, la contre-révolution indispensable. Je cherche. Je ne vois pas. Je me demande si la « divine surprise » serait possible aujourd'hui...
**7. -- **Est-ce à dire qu'il n'y a rien à faire ? Au contraire, il y a tout à faire.
Il y a à former les jeunes Français. Il y a à reconquérir les esprits et les âmes. Il y a à dénoncer partout le mensonge, le truquage et l'erreur. Il y a à aider ceux qui résistent ; à faire la chaîne avec ceux qui combattent. Même si nous pouvons être parfois désespérés, nous sommes toujours ces petits Hollandais qui n'avaient que leurs doigts pour boucher les crevasses de la digue mais qui auraient préféré mourir plutôt que de renoncer à cette tentative de sauvetage, si dérisoire qu'elle parût.
Et puis n'oublions jamais Bernanos qui disait : « La plus haute forme de l'espérance c'est le désespoir surmonté. »
François Brigneau.
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### Les mirages de notre défense
par Hervé de Blignières
LA FRANCE passe pour le berceau de la logique cartésienne. Son irréalisme en matière de défense ne cesse pourtant d'étonner. Il suffit de comparer la doctrine officielle, prônée avant les conflits, à la réalité des faits qui ont suivi.
A la veille de 1914, c'était le dogme de l'offensive à outrance, vite anéanti sous le feu des mitrailleuses. En 1939, c'était le dogme de la ligne Maginot, bientôt pulvérisé par le binôme char-avion. Aujourd'hui c'est le dogme de la dissuasion nucléaire, déjà fort compromis par l'action révolutionnaire qui ne cesse d'étendre son emprise sur la planète.
En 1918 l'élan patriotique des Français, conforté par l'aide de leurs alliés, a fini au prix de beaucoup de sang par redresser la situation. En 1944, l'énergie de nos alliés a permis de libérer notre territoire, presque sans nous, d'une occupation sans précèdent. Dans cette optique, il serait sage de s'interroger sur le bien fondé de notre doctrine de défense : l'indépendance nationale et la sauvegarde de notre liberté, garanties par la force de dissuasion nucléaire.
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Poser la question revient à commettre une sorte de sacrilège, puisque depuis près de vingt ans notre défense ressortit du « sacré ». Paradoxalement, à l'encontre du courant de désacralisation qui frappe toutes nos institutions, l'Église, la justice, l'Université, la famille, et bien d'autres lignes de force du patriotisme, nul n'a le droit de mettre en doute le réalisme de notre doctrine militaire, sous peine de passer pour rétrograde, voire anti-national.
Tout le monde politique, pour des motifs divers et parfois opposés, s'accorde sur la formule officielle de notre défense *indépendance* et *dissuasion.* Les gaullistes le font par tradition, les giscardiens par discipline, les socialistes par respect du fait nucléaire, les communistes parce que la France, en lézardant le front occidental, rend service à Moscou sans constituer pour elle une réelle menace. Quant aux militaires responsables de hauts niveaux, ils savent, pour l'avoir vécu voici vingt ans, ce que coûte d'émettre sous la y République des opinions défavorables aux thèses officielles.
Certes les mots « indépendance nationale » sonnent clair aux oreilles des Français. Nul ne saurait s'en offusquer. Il est réconfortant de se sentir à l'abri de l'impérialisme soviétique et délié de toute servitude à l'égard du capitalisme américain. A droite et à gauche, chacun y trouve son compte, encore que les mobiles des uns ne concordent guère avec ceux des autres. Mais cette indépendance, au reste inexistante au plan énergétique, voire économique, repose sur la capacité dissuasive de nos armements nucléaires. Et le pouvoir, par les moyens d'information les plus directs, n'a pas ménagé ses efforts pour expliquer à nos compatriotes que la Force Nucléaire Stratégique constitue un potentiel de dissuasion à la mesure des menaces qui pèsent sur la France. Après quelques hésitations, rapidement balayées par l'optimisme des responsables politiques et les démonstrations de quelques « spécialistes », la presse dans son ensemble se fait l'écho complaisant du dogme officiel. Et ceci d'autant plus facilement que, si la notion d'indépendance nationale n'a nul besoin de commentaires pour être perçue par le grand public, la notion de dissuasion ressortit de paramètres techniques, de données géostratégiques, et d'une dialectique psychologique dont la complexité échappe à la quasi totalité de nos compatriotes.
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En outre le contenu sémantique des expressions utilisées dans la « littérature nucléaire », totalement hermétique au commun des mortels, favorise au plus haut point l'ambiguïté habillée de scientisme. Il n'est pour s'en convaincre que de lire certains exposés à caractère officiel, notamment au sein de nos établissements d'enseignement militaire supérieur, l'exégèse du dogme prévalant largement sur l'analyse critique. On ne discute pas des articles de foi !
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Voici peu *Le Figaro* consacrait une page entière au renouveau de la pensée militaire en France. Acceptons-en l'augure, en dépit de formules-choc plus imprégnées de dogmatisme que de réalisme : « *La France est le seul pays d'Europe qui ait le privilège d'être maître de sa défense *», fait-on dire dans un raccourci percutant au général Valentin, lequel justement à écrit un ouvrage où il démontre la relativité d'une telle profession de foi en regard de la conjoncture actuelle ([^1]). Il n'en demeure pas moins que, par delà les analyses de presse, notre doctrine officielle de défense repose sur notre capacité dissuasive. Or celle-ci, en l'état actuel des choses, découle d'un double postulat :
-- d'abord une stratégie anti-cités, parce que nos moyens actuels ne nous offrent pas d'autres solutions ;
-- ensuite un consensus national pour l'emploi éventuel du feu nucléaire, parce que tel est le jeu de la démocratie, surtout libérale.
Sans aborder le domaine technique des armements nucléaires dont la presse nous nourrit, souvent il est vrai pour l'horizon 1985, il convient d'examiner avec soin le premier terme de ce postulat. En effet, si nous sommes réduits à une stratégie anti-cités, c'est que notre potentiel nous interdit toute autre frappe efficace de l'adversaire.
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Et il va de soi que celui-ci, si atteint qu'il soit dans ses populations civiles, garde la possibilité d'anéantir toute vie sur l'Hexagone. La géographie et l'histoire font que la France est quarante fois plus vulnérable que l'Union Soviétique au plan de l'infrastructure, et dix fois plus sensible au plan de la population. En admettant même l'invulnérabilité de nos sous-marins atomiques, au reste vraisemblable, la survie des missiles du plateau d'Albion, déjà plus aléatoire, et la pénétration effective d'une partie de nos Mirages stratégiques, assez illusoire, notre doctrine anti-cités implique en retour la vitrification de tout le territoire français. Ainsi donc, dans la perspective d'une dissuasion française indépendante, de quoi pèsent une blessure et des dommages faits à l'ennemi, fussent-ils significatifs, s'ils ont pour conséquence le suicide national ?
Le deuxième terme du postulat n'est pas moins sujet à caution. L'opinion des Français s'est exprimée à son endroit au cours de diverses enquêtes effectuées en juin 1980. Il ressort d'un sondage du journal *Le Point,* étayé par d'autres hebdomadaires, qu'une majorité de 64 % de nos compatriotes se déclare partisan de la paix à n'importe quel prix, et qu'une écrasante majorité de 72 % serait opposée à l'emploi effectif de l'arme nucléaire, même si la France était sur le point d'être envahie. Lors de la mobilisation de 1914, voire à un moindre degré lors de celle de 1939, tous nos concitoyens ont rejoint leur poste, manifestant ainsi un consensus populaire pour défendre la patrie. Sans doute le Président de la République peut-il se passer du consensus national pour déclencher le feu nucléaire. Mais quelle crédibilité l'adversaire peut-il accorder à cette éventualité ?
La France en effet n'a pas le choix : compte tenu de la disproportion de ses moyens de destruction par rapport aux Soviets, elle ne peut mettre en œuvre qu'une stratégie « anti-cités » comme base rationnelle de sa dissuasion. Sa crédibilité relative repose sur le fait que le *risque* encouru par Moscou serait tel qu'il renoncerait à son *enjeu* français, parce que les pertes à subir sont hors de proportion avec les gains. Encore faut-il que les Soviets soient convaincus que la France a la volonté de déclencher des représailles : « *Faire croire qu'on a cette volonté,* écrivait le général Beaufre, *est plus important que tout le reste. *»
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Et il ajoutait plus loin : « *De cette montagne d'évaluations conjecturales, d'hypothèses et d'appréciations fondées sur des intuitions complexes, n'émerge qu'un seul facteur de valeur certaine : l'incertitude. *» ([^2]) Malheureusement pour la France le Kremlin, lui, détient une certitude : les trois quarts des Français se refusent à conforter la volonté dissuasive, pièce maîtresse de notre défense.
Dans ce contexte, notre doctrine militaire repose à l'évidence sur des assises bien fragiles. Est-ce à dire pour autant que notre Force Nucléaire Stratégique serait sans valeur ? Ce type d'affirmation n'a aucun sens. Notre potentiel stratégique de frappe est loin d'être négligeable, encore qu'il soit permis de formuler quelques réserves. Celles-ci portent notamment sur les choix du système d'armes et sur une propension bien « gauloise » à présenter comme acquis ce qui n'est que projet.
Compte tenu de l'exiguïté de notre territoire, on peut se demander, en effet, quelle confiance accorder aux missiles enterrés du plateau d'Albion, alors que seuls l'espace et la profondeur des océans sont en mesure d'assurer la survie de vecteurs nucléaires. Sans faire injure aux réalisations françaises, souvent remarquables, on peut aussi s'interroger sur la solidité d'*une doctrine fondée aujourd'hui sur des armements qui ne seront opérationnels que dans quatre ou cinq ans,* tels le nombre de sous-marins en permanence à la mer, ou le missile stratégique M4 à têtes multiples qui équipera un de nos sous-marins nucléaires en 1985.
Mais là n'est pas le seul problème de notre défense. Si sophistiqué que soit notre système d'armes stratégiques, encore faut-il qu'il réponde sans faille à la menace globale qui pèse sur la France.
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Depuis Hiroshima, en Occident et singulièrement en France, l'usage est de classer les conflits en trois catégories : la guerre atomique, la guerre classique et la guerre subversive. Ce classement a le mérite de la simplicité. Il n'est pas sans danger, d'abord en raison de son impact sur l'opinion publique, ensuite et surtout du fait de ses conséquences sur notre politique de défense.
En effet aujourd'hui, plus qu'hier, la guerre est une et ne souffre pas de divisions arbitraires. Rien dans le passé et surtout dans l'actualité n'autorise à caractériser une guerre par les seuls moyens utilisés. Désormais deux phénomènes nouveaux tendent à fondre les notions de paix et de guerre : le fait nucléaire et le fait communiste. Tous deux agissent sans ouverture officielle des hostilités, le premier par la dialectique de la dissuasion, le second par ses effets indirects de pénétration et de destruction.
Si la révolution nucléaire dans l'art militaire tient le haut du pavé, il est curieux de constater combien la subversion communiste laisse indifférents nos stratèges. Du côté de Moscou au contraire, les conséquences politiques du fait communiste ont été exploitées au maximum dans une dynamique géostratégique singulièrement efficace. On peut même constater que cette dynamique n'a cessé de s'amplifier, dès lors que l'U.R.S.S. a pu jouer d'un potentiel nucléaire dont est issu « l'équilibre de la terreur ». Mais, à Moscou, on se garde de classer les conflits selon les normes françaises. Voici vingt ans déjà, le 6 janvier 1961, Krouchtchev disait : « Dans les conditions actuelles, il faut distinguer les catégories suivantes de guerre : les guerres mondiales, les guerres locales, les guerres de libération nationale, les soulèvements populaires. » Et bien entendu, sauf à se défendre, il éliminait des perspectives soviétiques les guerres ouvertes -- mondiales ou locales -- pour proclamer publiquement son soutien aux guerres qu'on ne déclare pas. Les succès de l'impérialisme soviétique, direct ou par personne interposée, en sont la preuve éclatante.
Le classement des conflits n'est pas une querelle de mots. Ce qui est grave, c'est qu'il révèle une conception différente de la guerre, et donc une « doctrine de défense » radicalement opposée. Pour les Soviets la guerre est une dans le temps et dans l'espace : la promotion politique de la guerre résulte du « fait marxiste », particulièrement exploité à la faveur du « fait nucléaire ». La combinaison de ces deux facteurs dans une ambiance internationale mouvante ouvrait la voie à une stratégie dont l'Occident et la France sont victimes.
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Pour les Soviets, les armes et les techniques ne sont qu'une composante, au sein d'une stratégie globale. Pour nous, ces armes et ces techniques différencient les conflits au point de dénaturer l'idée de défense face à une menace, pourtant globale elle aussi. Sans trop forcer la note, le concept français répond à peu près au schéma suivant : le prestigieux nucléaire relève de la politique, le regretté conventionnel appartient au militaire ; enfin le subversif, dans la mesure où son existence n'est pas niée, est du ressort de la « préfectorale ».
Ce mode caricatural de présentation a au moins le mérite de souligner le déséquilibre de la pensée militaire en France. En matière nucléaire, elle s'exprime avec un respect de la doctrine officielle qui frise parfois l'incohérence. Dans le domaine de la subversion, elle garde une réserve proche du silence, que lui impose le poids de l'État et de l'opinion publique, comme héritage des conflits d'Indochine et surtout d'Algérie. Enfin, par enthousiasme irréfléchi ou par discipline raisonnée, elle souscrit entièrement à la notion d'indépendance nationale engendrée par notre capacité nucléaire.
Cette attitude d'esprit est certes confortable pour la vie quotidienne. Qu'elle se manifeste au plan électoral par la plus haute autorité de l'État ne saurait étonner en démocratie. Mais qu'elle domine dans les cénacles des militaires appelés aux responsabilités laisse rêveur... Voici les convictions qui s'exprimaient, récemment, à la conférence inaugurale d'une très grande école d'enseignement militaire :
-- La dissuasion nucléaire est un mode de défense efficace attesté par l'histoire d'un tiers de siècle.
-- La France dispose effectivement d'une capacité de représailles susceptible de dissuader quiconque, y compris les plus grands.
-- Il est « nécessaire » que l'allié américain ne soit pas indispensable, car cela équivaudrait à nous placer en situation de dépendance.
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Tout cela est bel et bon, mais ne résiste pas une seconde à l'analyse. Sans insister sur la confusion entre la dissuasion nucléaire occidentale, c'est-à-dire celle des États-Unis, et la dissuasion nationale, il suffit de se pencher sur une carte du monde de 1950, puis sur celle de 1981, pour constater qu'en un tiers de siècle l'Occident a reculé à peu près partout au profit de l'Union Soviétique ou de ses protégés. En Europe, il est vrai, les positions sont restées relativement stables, du fait du nucléaire, mais ailleurs les Soviétiques ont développé une stratégie indirecte singulièrement efficace. Aussi faut-il avoir le courage d'admettre que non seulement la stratégie nucléaire a ses limites, mais encore que si elle n'est pas intégrée dans une stratégie globale elle ne répond qu'en partie à une menace globale.
Or cette menace globale semble être ignorée, au vu des termes de la seconde assertion : la capacité nucléaire de la France, susceptible de dissuader quiconque, y compris les plus grands. Hors de toute comptabilité quantitative et qualitative du potentiel des uns et des autres, il est sans doute flatteur de sacrifier au mythe de l'indépendance nationale, mais il demeure aberrant de mettre sur le même pied les États-Unis et l'U.R.S.S. : c'est aux États-Unis que nous devons notre liberté d'hier et d'aujourd'hui ; c'est contre l'U.R.S.S. et ses alliés, contre ses menaces extérieures et intérieures que nous sommes contraints d'organiser notre défense. Au reste, sauf erreur, nous appartenons à l'Alliance atlantique dont les États-Unis constituent la clef de voûte, même si nous avons chassé de notre territoire les bases américaines et soustrait nos forces de couverture au commandement de l'O.T.A.N.
Au temps d'un impérialisme soviétique galopant, qui cherche-t-on à tromper en jouant sur les mots ? Nous-mêmes, ce qui est grave, ou les autres, ce qui est pure illusion. En définitive, il s'agit bien de dissuader Moscou. Et si par hypothèse d'école, notre capacité de représailles « fait peur aux Soviétiques », il n'en demeure pas moins vrai, en l'état actuel des choses, que, sans la caution américaine, la sanction pour la France de toute initiative nucléaire au plan stratégique serait la vitrification totale de l'hexagone.
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Resterait encore à prouver que la seule menace qui pèse sur la France présente un caractère militaire, du type des dernières guerres mondiales. Il se trouve justement que le « tiers de siècle » écoulé offre une remarquable démonstration, d'une part de l'encerclement progressif de l'Europe par la pénétration soviétique au Proche-Orient et en Afrique, d'autre part des efforts communistes pour miner de l'intérieur les pays occidentaux. Dans l'un et l'autre cas *la dissuasion nucléaire des États-Unis, puis de la France, n'a en rien contrecarré la stratégie indirecte et subversive des Soviets.* Il semblerait que les Américains aujourd'hui se rendent mieux compte que, si les Forces Nucléaires Stratégiques sont la condition nécessaire de tout système de défense, elles ne sauraient en être la condition suffisante.
Faut-il également souligner le manque de sérieux, pour ne pas dire plus, qui consiste à proclamer la « nécessité » pour la France de se passer de l'allié américain, sous peine d'être « en situation de dépendance » ? Bien sûr, tout Français de cœur aimerait retrouver sous la y République la puissance et l'indépendance nationales d'un glorieux passé. C'est un souhait pieux, qui relève du mirage, car la révolution nucléaire, si fondamentale soit-elle, ne peut ni modifier la situation géostratégique de notre pays, ni lui conférer les ressources, les moyens et l'espace qui lui font défaut. Il est vrai cependant que les thuriféraires de l'atome stratégique -- facteur décisif et quasiment unique de notre défense -- n'ont pas manqué au lendemain de l'explosion française de Reggane (1960). Leur écho a pris d'autant plus d'ampleur qu'il s'agissait de faire oublier des abandons récents, au profit d'une vision exaltante d'un proche avenir. La France venait de perdre son indépendance énergétique à Evian, mais l'atome allait la rendre maîtresse de son destin. La France venait de voir s'écrouler son empire africain, mais sa vocation nucléaire allait lui conférer une autorité planétaire. L'armée française s'était fourvoyée depuis quinze ans dans des conflits révolutionnaires, mais le temps était venu de sa reconversion vers la « vraie » guerre moderne. Dès lors, l'accent va être mis sur le nucléaire stratégique, pivot de notre défense, tandis que le reste des forces dites classiques seront reléguées au rang de gardiennes, plus ou moins avancées, de notre force de frappe. Dans ce schéma, la France ne pouvait que se soustraire aux servitudes de l'organisation militaire du Pacte Atlantique.
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Vingt ans plus tard, le bilan de l'opération n'est guère encourageant. En fait d'indépendance, nous courons le monde en quête de pétrole en essuyant humiliations et déceptions. L'exemple de notre autonomie militaire dans le contexte atlantique fait école : ici et là, en Allemagne notamment, nous avons éveillé des velléités de neutralisme propices aux vues soviétiques, sans désarmer quiconque. A l'intérieur, la caution du parti communiste, avec sa centrale syndicale omniprésente, grève lourdement notre vie politique ; le « civisme » de la gauche marxiste-léniniste n'a-t-il pas été consacré par le soutien efficace qu'elle a donné au Pouvoir d'hier lors des « guerres coloniales » et qu'elle accorde aujourd'hui en reconnaissance de liens privilégiés avec les Soviets ? C'est un atout de poids dans la stratégie globale du Kremlin, qui n'hésite pas à le faire savoir, sans beaucoup de diplomatie, pour peu que la politique militaire d'indépendance de la France risque d'être remise en cause à l'occasion d'une échéance électorale. Enfin, nolens volens, en 1981, la liberté de l'Europe et donc de la France continue de dépendre du contrepoids américain.
Certes les problèmes de défense sont fort complexes et hérissés de difficultés ; encore faut-il les résoudre sous le signe de la cohérence.
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Il est vrai qu'il y a en France un renouveau de la pensée militaire. Mais il est paradoxal que ce renouveau s'opère sous le signe de la guerre que nous craignons, mais qu'on ne nous fait pas, et jamais sous le signe de la guerre que nous subissons, sans accepter de la reconnaître. Toute cette pensée se développe autour du nucléaire, singulièrement du nucléaire stratégique, alors qu'elle évite soigneusement le domaine du subversif et du révolutionnaire dont les Soviets ont acquis la maîtrise absolue.
Désormais, dans les études militaires de haut niveau, les critères de défense découlent uniquement de données nucléaires. Rarement ces critères, au reste assez théoriques, ne sont affectés d'un coefficient de relativité dû à d'autres facteurs, pourtant bien réels. Ainsi s'élabore un système basé sur une seule donnée des conflits modernes : la « logique nucléaire »...
52:256
Celle-ci s'impose d'autant mieux qu'elle exclut la stratégie indirecte, propre au subversif qui gêne, et qu'elle réduit la stratégie opérationnelle au rôle limité de couverture des moyens de la stratégie nucléaire anti-cités. Quelques extrapolations hardies sur les implications du feu nucléaire permettent dès lors de conclure à la « modernité » et à la crédibilité de l'ensemble.
Dans le passé, nous dit-on, la situation géographique d'un pays, l'étendue de son territoire, sa richesse démographique, la puissance de son industrie lourde, son autonomie logistique, constituaient les facteurs fondamentaux de sa défense. Avec les missiles nucléaires ces critères sont dénués de sens. Un nombre réduit de vecteurs, compte tenu de leur capacité de destruction, servis par un petit nombre d'hommes, construits par une industrie de pointe, permettent une stratégie qui ne tient compte ni des distances, ni des reliefs, ni des conditions atmosphériques, ni des gros bataillons, ni des problèmes d'intendance puisque, les vecteurs consommés, tout sera réglé en quelques heures. Le paradoxe aidant, il ressort que pour la France les vents dominants Ouest-Sud-Ouest nous confèrent un atout et hypothèquent la liberté d'action des Soviets pour l'emploi contre nous des missiles mégatonniques, en raison du danger des poussières radio-actives ! Cela rappelle étrangement le dogme des Ardennes infranchissables aux blindés...
Laissant les vents de côté et renonçant à l'analyse critique de ces nouveaux critères de défense, qui pour beaucoup sont fort contestables au simple plan nucléaire, je me contenterai d'un constat : ni les États-Unis, ni l'U.R.S.S., superpuissances atomiques par excellence, ne se sont dotés d'un système de défense conforme aux critères que nous venons d'énumérer. Outre qu'ils disposent de la richesse démographique et de la puissante industrie lourde que nous n'avons pas, de l'espace, du recul et de l'indépendance logistique qui nous manquent, ils ne confient pas leur survie au seul fait qu'ils sont détenteurs d'armes stratégiques capables de détruire les cités adverses. A la limite, le raisonnement français donnerait à un petit pays comme Israël, s'il avait une force nucléaire stratégique, la possibilité de dissuader le Kremlin. Ce concept relève du mirage. Il y a une faille dans notre raisonnement : l'inanité d'une course aux armements nucléaires avec les super-grands apparaît d'évidence.
53:256
Peut-être faudrait-il alors prendre le problème de notre défense autrement, tout en bénéficiant de l'acquis que nous avons en matière nucléaire. Des formules moins flatteuses mais plus réalistes, dans le cadre de l'alliance atlantique, devraient nous permettre d'affirmer notre personnalité et notre vocation pour dissuader un adversaire dont l'avant-garde campe à 180 kilomètres de notre frontière. Mais ceci ferait l'objet d'une autre étude. De toutes façons, ce n'est certainement pas en se plaçant au point de vue de Sirius qu'on y parviendra. Ce n'est pas non plus en tirant un trait sur les données géographiques, politiques, humaines et économiques de la France continentale, telle qu'elle s'inscrit dans l'ensemble européen, qu'on résoudra le problème de sa défense. L'indépendance et la grandeur sont de bons thèmes électoraux ; la survie d'un pays ressortit de critères peut-être moins exaltants, mais plus réalistes.
Hervé de Blignières.
54:256
### Introduction à notre état démographique
par Pierre Chaunu
QUAND ITINÉRAIRES m'a demandé de présenter brièvement l'état démographique de la France en 1981, je me suis trouvé dans la situation de celui qui, pour avoir déjà tant et tant dit, ne sait plus très bien ce qu'il conviendrait encore d'ajouter qui n'ait été déjà clairement expliqué ([^3]).
55:256
Je me suis donc tourné vers Jean Legrand, un de nos meilleurs démographes, l'inlassable compagnon du combat pour le Respect de la Vie. Il a préparé pour les lecteurs d'ITINÉRAIRES ces *instantanés démographiques,* documentation irréfutable que chacun s'efforcera de diffuser, par tous les moyens à sa disposition, auprès des relais de l'opinion anesthésiée... qu'il faut -- *Deus lo volt* -- coûte que coûte, alerter.
En vérité la France est malade. Et pourtant, comparée à l'Allemagne, à l'Italie... aux pays scandinaves... à une partie de la Russie d'Europe et des États de l'Est des États-Unis, nous ne sommes pas les plus atteints. Et c'est bien ce qui est grave.
*Je lève les yeux vers les montagnes...*
*D'où me viendra le secours. *
Ainsi s'exprime le psalmiste. Le secours ne nous viendra d'aucun des rivages de l'ancienne chrétienté.
Oui, le psalmiste a raison qui ajoute :
*Le secours me vient de l'Éternel*
*Qui a fait les cieux et la terre.*
Le secours viendra de l'Éternel mais à condition que nous sachions le prier. « Repentez-vous. »
Jamais la Parole éternelle n'a été aussi présente qu'en ce jour. « Repentez-vous car le Royaume des Cieux est proche. » Le massacre des innocents dans nos grands hôpitaux blancs, la mutilation à la chaîne de cent millions d'êtres jeunes (cela s'appelle la stérilisation) à travers le monde en dix ans... devraient nous empêcher de dormir... et, toute activité cessante, mobiliser la totalité de nos énergies.
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Le drame du refus de plus en plus radical de la vie affecte depuis 1964 l'ensemble du monde industriel. En quinze ans, pour le quart le plus riche du monde (27 % de la population, 35 % des adultes, 80 % de l'appareil économique, 99,5 % des laboratoires) on a observé une chute de moitié de la fécondité. Ce phénomène sans précédent nous achemine vers un *Futur sans Avenir* puisque avec 1,7 ou 1,8 enfant par femme nous avons franchi la barre en dessous de laquelle ni la vie, et *a fortiori* la culture, *ne sont plus ni transmissibles, ni reprogrammables.*
Ce phénomène vraiment unique au cours de l'histoire -- puisque les civilisations qui ont connu quelque chose d'approchant sont mortes sans laisser de descendance et que les fossiles seuls témoignent pour elles -- s'explique par la superposition de plusieurs facteurs : une crise de croissance de la civilisation industrielle (effets nocifs accumulés de l'hyper-urbanisation et de l'hyper-concentration) ; une crise de la structure familiale et concrètement la réduction massive et scandaleuse des transferts dont a bénéficié cette cellule fondamentale du tissu social ; la révolution contraceptive, cette inversion diabolique qui modifie le rapport séculaire que les anciennes contraceptions naturelles avaient respecté (elle élimine les enfants non positivement désirés mais simplement acceptés, elle déclenche l'implacable surenchère des moyens, de la contraception hormonale/D.I.U. à l'avortement et de l'avortement à la stérilisation, à la chaîne, à la mutilation irréversible donc de cent et bientôt deux cents millions d'êtres humains à l'échelle planétaire). Superposition surtout de la crise de croissance du monde industriel, de la révolution des inhibiteurs de la vie et de la crise la plus fondamentale du SENS, porté aux quatre coins du monde assommé par la révolution multiplicatrice des media.
Il est bien évident que si, comme l'écrivait Jacques Monod, dont le succès fut pur produit des media, nous avions tiré notre lot à la roulette de Monte-Carlo, seule conscience douloureuse de nous-mêmes sous le regard de la mort, produit du hasard bête et de la stupide nécessité, il n'y aurait aucune nécessité de prolonger plus longtemps une aventure aussi stupidement dépourvue d'intérêt.
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Cela, le vieux mythe grec de Silène l'avait exprimé. Si le plus grand bonheur est de ne pas être né, ... la conduite la plus sage est de mourir sans descendance. Nous en avons désormais les moyens... sans effort.
\*\*\*
Cependant, de l'excès même du mal, Dieu peut faire jaillir un bien. Désormais, seuls survivront ceux qui savent que la vie vaut réellement la peine d'être vécue, puisqu'à partir des instants qu'Il nous prête, Dieu, dans Sa Grâce, bâtit l'Éternité participée, à laquelle Il nous appelle par le précieux sang du Christ. Après la sélection naturelle, suivant la belle expression de Jérôme Lejeune, intrépide combattant du Respect de la Vie, voici donc venu le temps de la Sélection Surnaturelle.
Après avoir compté, supporté et soupesé, le démographe ne peut que s'en remettre à Celui qui conduit le monde et l'histoire vers le point par Lui fixé, librement, de toute Éternité pour l'Éternité.
Pierre Chaunu.
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### Instantanés démographiques
par Jean Legrand
#### I -- Natalité et nuptialité
1° La situation démographique début 1981
-- Il y a eu 799.000 ± 1.000 naissances en France en 1980. 42.000 de plus qu'en 1979 (757.000), soit 14,85 naissances pour 1.000 habitants.
Amélioration, certes, mais le niveau atteint reste insuffisant pour assurer le remplacement des générations. Toutefois, le déficit est moins important que les années précédentes (60.000 au lieu de 100.000) ; il aurait fallu, en effet, 860.000 nouveau-nés en 1980, soit 60.000 de plus pour que le niveau nécessaire au remplacement des générations soit atteint.
Depuis 1974, la France ne remplace plus les générations.
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Le taux net de reproduction en 1980 égal à 0,93 demeure inférieur à l'unité et dans ces conditions, les décès dépasseraient le nombre des berceaux au début du XXI^e^ siècle.
-- 333.000 mariages : 7.000 de moins qu'en 1979 et 83.000 de moins qu'en 1972 (416.500). La permissivité, la cohabitation juvénile expliquent cette diminution ininterrompue de la nuptialité. Nous aurions dû compter 450.000 mariages en 1980 si l'indice de nuptialité était resté le même qu'au début de la dernière décennie ; car les jeunes en âge de fonder un foyer n'ont jamais été aussi nombreux qu'aujourd'hui. Avec les taux actuels, il y aurait bientôt 30 % de « célibataires ».
Il y avait, en 1979, 88.000 divorces... le nombre des divorces à doublé depuis 10 ans.
-- 546.000 décès environ en 1980. Du fait de la jeunesse relative de la population, le bilan naissances/décès reste positif, bien que le taux net de reproduction soit inférieur à l'unité. Comme on l'a vu plus haut, la diminution est inéluctable à terme si la situation ne se rétablissait pas rapidement.
2° A quoi est due l'amélioration actuelle ?
-- Les mesures annoncées fin 1979 (21.11.1979) ont-elles permis la venue plus fréquente du troisième enfant et des suivants ? Le relèvement a été particulièrement net en septembre 1980, 9 mois après !
-- S'agit-il au contraire, comme en 1977 d'une « récupération » d'enfants de rang 1 et 2 sans influence sur la descendance finale des générations ?
Le climat a quelque peu changé parmi les media ces derniers temps, ceux-ci sont moins défavorables à la venue de l'enfant ; sans doute y a-t-il un peu des deux phénomènes dans le relèvement constaté en 1980.
La baisse de la fécondité des dernières années était due non au refus total de l'enfant, mais à la forte diminution de la probabilité d'agrandissement des familles de deux et trois enfants. En 1968, on comptait 256.000 nouveau-nés de rang 3 et plus ; il n'y en avait que 121.000 en 1978, moins de la moitié.
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Si les naissances de rang 3 étaient tombées de 116.000 à 71.000 (- 39 %), les naissances de rang 4 et plus étaient en voie de disparition : 140.000 en 1968, 45.500 seulement en 1978 ([^4]), soit plus des deux tiers en moins (- 68 %).
Pour atteindre à nouveau l'équilibre, il faudrait environ 40.000 naissances de plus de rang 3 et autant de rang 4, ce qui paraît difficile actuellement.
-- On constate également le fait que quelques femmes qui avaient des difficultés pour trouver un emploi se sont tournées vers la maternité.
-- On peut aussi se poser la question à propos du « plafonnement de la pilule » : le recul de la pilule (phénomène de ras le bol) est sensible dans plusieurs pays (en Angleterre notamment) et explique peut-être le relèvement important du chiffre des naissances (15 % depuis 1977) en Grande Bretagne (U.K.).
Notons que le rapport « Aspects médicaux des évolutions démographiques récentes » ([^5]), publié sous l'égide du Haut Comité de la Population, met en garde contre certains dangers de la pilule : 500 décès lui seraient imputables chaque année en France du fait de l'augmentation des risques cardiovasculaires.
3° L'amélioration n'est pas générale
Alors qu'en 1974-1975, la baisse avait touché à la fois villes et campagnes, l'amélioration est peu sensible aujourd'hui dans beaucoup de villes de province. Elle est plus marquée ailleurs : bourgs et villages, et aussi la région parisienne.
Dans beaucoup de villes, la baisse de la fécondité a continué en 1979 et même en 1980 ([^6]). L'indice ville publié par l'INSEE marque la diminution relative importante des naissances dans les villes de province depuis 1978. Le tarissement de certains courants migratoires ne peut expliquer à lui seul ce phénomène, qui apparaît inquiétant pour l'avenir. La baisse est particulièrement marquée dans certaines villes de l'Ouest.
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Il y a aujourd'hui dans plusieurs régions des différences de fécondité importantes entre villes et campagne, à l'Ouest principalement.
Certaines villes ont aujourd'hui une fécondité inférieure à celle de Paris (1,61 enfant par femme). Dans ce cas se trouvent Poitiers (1,34 enfant par femme en 1979, 1,47 en 1980), Toulouse et Limoges (1,41 enfant par femme en 1979), Tours (1,47). Au contraire, Roubaix (qui compte, il est vrai, 20 % de population étrangère) avec 2,60 enfants par femme, a le meilleur indice de fécondité avec quelques autres villes comme Tourcoing, Cholet (2,15).
Les campagnes de l'Ouest sont restées assez fécondes et remplacent assez souvent leurs générations. Si Rennes est tombée à 1,55 enfant par femme, l'Ille-et-Vilaine, sans Rennes, à 2,20, remplace ses générations (1979).
Au total, quatre régions remplacent leurs générations en 1980 (deux seulement en 1979) : le Nord Pas-de-Calais avec 2,25 enfants par femme, les Pays de la Loire (2,19 malgré la Sarthe en dessous de deux), la Basse Normandie (2,14) et la Franche-Comté (2,12). La Haute Normandie frôle également le seuil (2,09 à 2,1).
Au bas de l'échelle, le Limousin et la Région Midi-Pyrénées avec 1,63 et 1,65 enfant par femme respectivement sont les régions les moins fécondes de France.
Cette évolution démographique défavorable de beaucoup de villes nous a conduit à effectuer une étude concernant leur fécondité, afin d'informer de la situation réelle de leur ville les personnalités locales, les plus à même de cerner les facteurs propres à cette situation et d'y porter remède. En effet, en province, peu nombreuses sont les communes qui disposent sur leur territoire d'une ou plusieurs maternités. L'évolution préoccupante de la fécondité d'un grand nombre de villes est susceptible d'entraîner à l'avenir vers la baisse la fécondité de l'arrière-pays rural et des banlieues, moins touchées pour l'instant.
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#### II -- Deux facteurs essentiels sont à prendre en considération
1° L'évolution au cours des dix dernières années\
c'est-à-dire l'ampleur de la baisse
Nous avons donc considéré trois dates :
-- 1968, année de recensement, pour laquelle la composition de la population est bien connue ;
-- 1976, proche du dernier recensement de 1975 ;
-- 1979, dernière année connue, car de 1976 à 1979, beaucoup de villes sont restées orientées à la baisse.
Si l'on considère la variation de la fécondité, la moyenne nationale était de 2,58 enfants par femme en 1968 1,83 enfant par femme en 1976 1,865 enfant par femme en 1979. La variation 1968-1979 est de 28 % en baisse.
Face à une baisse de 28 % (0,72 enfant par femme), la baisse est bien plus considérable dans plusieurs villes.
Si l'on ne considère que les villes de plus de 50.000 habitants, la baisse de 1968 à 1979 est de :
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Nombre d'enfants par femme
niveau 1968 niveau 1979
43 % à Tarbes 2.81 1.61
42,5 % à Niort 2.71 1.56
42,4 % à Annecy 2.79 1.62
41 % à Troyes 2.67 1.57
40,5 % à Cherbourg 3.11 1.85
40 % à Bourges 2.83 1.70
---------------------------- ---------------------------- ---------------------
La baisse est encore de 38 % à Tours et Arras, de 37 à Brest et à Montluçon, de 36 % au Mans et à Rennes, etc.
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2° Le niveau absolu atteint en 1979
Les villes dont la fécondité est la plus faible étaient :
Poitiers : 1,34 enfant par femme en 1979 ([^7]).
Toulouse, Limoges : 1,41
Tours : 1,47
Montpellier : 1,48
Dijon : 1,49
Montluçon, Nice, Bordeaux : 1,54
Rennes : 1,55
Niort : 1,56
Troyes, Grenoble : 1,57
Paris, Tarbes, agglomération de Bayonne : 1,61 environ
puis :
Annecy, Marseille : 1,62
Lyon 1,63 etc.
A l'autre extrémité de l'échelle, la ville la plus féconde, ROUBAIX, comptait 2,60 enfants par femme en 1979 malgré la situation économique difficile de la région, partie à cause de l'importance de la population immigrée (20 %), TOURCOING 2,35, CALAIS 2,25, LORIENT 2,18, CHOLET 2,15 (en 1980), MULHOUSE 2,13.
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#### III -- L'avortement en 1979
Les chiffres officiels sont très sous-évalués -- 155.500 en 1979, on parle de 170.000 en 1980 -- les chiffres réels se situant sans doute à l'intérieur d'une fourchette de 240.000 à 300.000 avortements.
Par la presse, on connaît l'affaire d'une clinique de Lourdes où il y a eu des décès par suite d'avortements. Or, en 1979, les chiffres officiels ne font état que de 275 I.V.G. pour cette ville, dont aucune n'est pratiquée en clinique privée.
Néanmoins, dans d'autres départements, les chiffres sont plus proches de la réalité. D'après le Ministère de la Santé, 678 établissements parmi lesquels 325 hôpitaux publics pratiquent l'avortement dans le cadre de la loi, chiffre qui est considérable, car le nombre de localités qui disposent d'une ou de plusieurs maternités n'est pas considérable. Des départements très étendus comme la Dordogne ou le Cher n'ont chacun que trois localités qui disposent de maternités.
L'avortement n'est pas sans incidence sur la natalité, on l'a vu tout particulièrement lors de la baisse de l'été et de l'automne 1975.
Plus près de nous, l'ouverture de nouveaux centres s'est traduite par des baisses importantes dans plusieurs départements et tout particulièrement au chef-lieu où le centre d'IVG était établi.
Ouverture du centre d'Amiens en 1978 (713 IVG officiels dans la Somme), 896 IVG en 1979. Amiens compte 2708 naissances domiciliées en 1978, 2423 (- 11 %) en 1979 et son indice de fécondité tombe de 2,13 enfants par femme à 1,90 (1979).
L'installation du centre de Châteauroux explique la baisse de l'Indre en 1979 et de Châteauroux (2 enfants par femme en 1976, 1,78 en 1979) ; une douzaine seulement de départements ont eu moins de naissances en 1979 qu'en 1978 parmi lesquels l'Indre, la Somme, la Sarthe et la Haute-Loire.
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L'augmentation des chiffres officiels dans la Sarthe et la Haute-Loire semble traduire la réalité : augmentation considérable des avortements. La Sarthe est devenue le premier département de l'Ouest pour l'avortement : 1603 IVG en 1976, 1845 en 1978, 2417 en 1979 pour 7158 naissances (34 avortements officiels pour 100 naissances, la ville du Mans compte 28 de nouveau-nés de moins en 1979 et 1980 qu'en 1972). Trois enfants par femme dans la Sarthe en 1968, 2,14 en 1975, 1,92 en 1979. C'est le plus mauvais score de la région. Le léger relèvement de la Sarthe en 1980 ne touche pas Le Mans.
La Haute-Loire, département du Ministre de la Santé, un des rares départements restés assez féconds dans la moitié Sud, a vu sa situation se détériorer ces dernières années, surtout au Puy.
Cent quatre-vingt quatorze IVG en 1977, 318 en 1978, 432 en 1979 pour 1847 naissances enregistrées (23,4 IVG pour 100 naissances) proportion supérieure à la moyenne nationale (20,5). Les naissances ont diminué en Haute-Loire en 1979, et surtout au Puy : 544 naissances en 1972, 439 en 1977, 370 en 1979, 32 % de moins que la moyenne nationale, pas de reprise au Puy en 1980. La Haute-Loire rurale n'accuse de 1972 à 1979 qu'une diminution de 13 % des naissances, à peu près la moyenne nationale. L'interruption volontaire de grossesse semble expliquer au moins en partie la baisse des naissances très sévère dans certaines villes, là où la chute de la fécondité atteint ou excède 35, voire 40 % depuis 1968.
L'avortement paraît s'étendre ou se banaliser, tant là où il était le moins pratiqué que là où il l'était le plus.
En 1979, l'Hérault, Paris, les Hautes-Alpes, frôlent les *40 avortements officiels pour 100 naissances* et sont suivis de la Sarthe (34), de la Gironde, de la Savoie, de la Haute Corse (33), des Alpes de Haute-Provence et du Cantal (32).
Il convient d'informer tout particulièrement de cette situation les élus et les responsables de ces départements les plus atteints.
Ces chiffres sont les plus élevés d'Europe occidentale !
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#### IV -- Le bilan de la dénatalité
1° Des enfants désirés, non nés
L'équilibre démographique avait été obtenu dans le proche passé grâce à un grand nombre de naissances non positivement voulues, mais acceptées.
Ainsi, en 1963, une enquête effectuée à Grenoble montrait que 37 % des femmes qui venaient d'accoucher auraient utilisé une pilule si elles en avaient eu la possibilité pour éviter la naissance qui venait d'avoir lieu.
Depuis cette date, la fécondité a diminué de 30 à 55 % dans la plupart des pays développés, sous l'effet de la « révolution contraceptive », c'est-à-dire du développement de techniques contraceptives de très grande fiabilité et de la libéralisation de l'avortement (qui, quoi qu'on ait dit, était moins pratiqué qu'on le pensait à cette époque vers 1960-1965). De 1964 à 1976, la baisse de fécondité en France a été de 37 % (de 2,90 à 1,83 enfant par femme), soit 1 enfant en moins par foyer.
Les campagnes tonitruantes contre les grossesses non désirées ou non positivement voulues, ont abouti au résultat suivant :
Notre politique familiale a été longtemps laissée de côté, l'accent ayant été mis sur le mot *contraception* et non sur le mot *fécondité :* l'enfant n'est plus l'ami public n° 1 qu'il était redevenu à la Libération.
Une étude de l'INED montre qu'aujourd'hui, du fait des contraintes qui continuent à peser sur la maternité, les enfants souhaités non nés sont 5 à 6 fois plus nombreux que les enfants non positivement voulus nés. Sur 10 femmes qui avaient l'intention d'avoir un nouvel enfant rapidement, deux ans après, la moitié (50 %) avaient renoncé à leur projet, tandis que seulement une femme sur 10 (10 %), qui déclarait ne plus vouloir d'enfant, en avait eu un, soit qu'elle ait changé d'avis, soit qu'elle ait mené à terme une grossesse non positivement voulue.
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2° 1.700.000 jeunes non nés
Si la fécondité était demeurée au niveau du palier de 1970-1971, soit 2,48 enfants par femme (nous avions cru un moment qu'elle se maintiendrait à ce niveau) avant le développement massif des nouveaux moyens qui permettent de refuser l'enfant, nous compterions 1.700.000 jeunes de moins de 9 ans de plus et nous aurions eu en 1980 1 million de naissances. (Ces 1.700.000 jeunes non nés sont pour la plupart des enfants de rang 3, 4 ou 5.)
3° L'aggravation du chômage
1.700.000 jeunes non nés, ce sont évidemment 1.700.000 jeunes consommateurs qui manquent. Cela signifie que, par suite du non renouvellement des consommateurs, 300.000 emplois (1 emploi pour 5 ou 6 enfants non nés) n'ont pas été créés, parmi lesquels 70.000 environ dans l'enseignement. Cela veut dire également que 1.400.000 femmes ont refusé soit 1, soit 2 enfants, 3^e^ ou 4^e^ enfant pour la plupart. Comme 50 % des mères ayant 1 ou 2 enfants et 20 % seulement des mères de 3 ou 4 enfants exercent une activité hors du foyer, cela signifie que, par suite notamment de l'insuffisance des prestations familiales, 500.000 parmi ces 1.400.000 femmes sont en activité ou demandeurs d'emplois.
La conséquence de la dénatalité est simple : 300.000 emplois non créés + 500.000 demandes de plus = 800.000 chômeurs de plus.
Ainsi *le chômage* en France et chez les neuf nations du Marché Commun (devenues dix au 1/l/1981) *est dû pour la moitié à la dénatalité.*
4° Le déficit des générations
Si l'on admet que la fécondité était restée au niveau qui assure le remplacement (2,10 enfants/femme), nous aurions 530.000 enfants de plus.
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Tel est le déficit absolu des générations cumulé depuis 1974.
5° Les moins de 20 ans seront moins de 30 % en 1981
En ayant moins d'enfants, l'âge moyen de la population augmente et le vieillissement s'accélère. C'est au cours de l'été 1981 que la proportion des moins de 20 ans, en France, descend comme après la guerre en 1945, au-dessous de 30 %.
Jean Legrand.
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\[Voir tableaux :
Naissances réduites (principales villes, 1968, 76 et 79) : 256-69.jpg.
Nombre d'enfants par femme (1962, 68, 76 et 80) : 256-70.jpg.
Baisses de fécondité 1968-1979 les plus marquantes : 256-71.jpg.\]
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### Le génocide audiovisuel
par Hugues Kéraly
JE MEURS DE HONTE d'avoir à revenir dans ce numéro sur la phénomène audiovisuel qui me hante depuis des années car c'est un phénomène anti-social, anti-chrétien et puissamment anti-français : le moins visible peut-être des maux don nous souffrons, et le plus répandu ; le plus propre aussi mesurer l'ampleur qualitative et quantitative du génocide de l'esprit français. -- Mais faut-il parler de nos rêves ou de réalités ? Le désordre politique de la France, en 1981, tien d'abord à celui des esprits. Pour comprendre ce qui s'y passe il suffit de regarder dans la vie de chaque jour l'assommoir où ils sont.
« *Mass-media *»*...* Les trouvailles de la sociologie contemporaine sont si pleines de sens qu'elles impliquent souvent d'elles mêmes une condamnation de l'objet décrit. La notion de « mas se » en effet, de quelque côté qu'on la retourne -- physique militaire, culturel, politique -- impose l'écho d'une pesanteur mécanique et sans discernement, d'une force brute indifférenciée, qui convient à merveille au type d'influence exercé sur l'esprit et le corps du Français contemporain par tous les grands media.
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L'artisan du mariage latino-yankee « mass-media », qui s'appelle McLuhan, ne portait pas de jugement moral. Il n'entendait que ramasser en un concept unique le support et la cible des communications de « diffusion sociale », pour marquer les dangers d'une analyse séparée des termes de la relation. Car les deux phénomènes, information et massification, restent étroitement liés : « *Cette généralisation de l'information* -- écrit André Charlier -- *survient dans une société qui, par l'effet de la concentration industrielle et de la création des grands ensembles urbains, est en voie de massification. Les deux phénomènes se renforcent l'un par l'autre pour créer cette réalité de masse, qui donne un caractère absolument nouveau au monde contemporain. *» ([^8])
Nous pourrions aussi bien accorder au mot de *masse* sa signification instrumentale, dans l'arsenal des outils de guerre. La « masse d'armes » éveille également l'image d'une force offensive brute capable de mettre tout le monde d'accord au profit d'un centre unique, selon la vigueur du mouvement de rotation imprimé par le manche au redoutable instrument. On arriverait ainsi à cette définition raccourcie, mais fort explicite, des mass-media : *moyens de se soumettre la masse en l'assommant.* -- En l'assommant spirituellement et moralement sous anesthésie audiovisuelle, c'est-à-dire à coups continus d'images et de sons... Il ne s'agit pas ici de plaider à découvert pour une doctrine quelconque ou un système de gouvernement ; il s'agit d'imposer des réflexes, un vocabulaire, un comportement, une sorte de *sensibilité progressiste* dénuée de tout raisonnement, mais dont la gauche totalitaire et terroriste recueille ensuite les fruits pour s'imposer. La fascination exercée sur les « masses » sociales par le grand tam-tam tribal de la radiotélé est d'autant plus efficace, et perverse, que ses conséquences politiques ou morales ne semblent jamais perçues ni dénoncées comme telles par ceux qui le devraient.
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Une autre explication, d'ailleurs complémentaire, consiste à prendre *masse* dans le sens qui lui est donné par le physicien : « rapport constant d'une force quelconque, appliquée sur un corps, à l'accélération du mouvement qu'elle lui imprime » (m = F / A). Cette dernière analogie ne fait que renforcer notre idée de départ. Les techniques particulières mises en œuvre par la communication de masse constituent une « force » capable « d'accélérer le mouvement » de quelque chose dans la conscience collective -- autrement dit, dans le comportement psychologique et moral du groupe.
Que les grand prêtres de l'audiovisuel n'aient guère conscience de manier ou servir ainsi une arme de gouvernement spirituel, une entreprise politique et sociale de grande envergure, au point d'attribuer à « l'opinion publique » les changements qu'ils y ont provoqués, n'enlève rien à l'importance du problème posé. Cela tendrait plutôt à l'alourdir et le dramatiser.
\*\*\*
D'où nous vient cette force capable d'agir en profondeur sur les mentalités, ce pouvoir anonyme et multiforme d'intervention sur les consciences qui soude les media au nouveau centre de gravité de la vie sociale et décide finalement de tout, depuis le contenu des discussions familiales jusqu'au résultat des élections : -- des messages eux-mêmes, ou de l'apathie grandissante des esprits qui s'y soumettent à haute dose au point d'en faire le tout de leur alimentation ? -- du contenu habituel des « informations », ou des formes d'organisation mentale qu'elles supposent déjà acquises chez l'informé ? -- du médiatisant, ou du médiatisé ?
Plusieurs études de psychologie sociale ont montré que le problème ne saurait se résoudre à cette alternative. La répétition en effet finit par engendrer l'habitude, le réflexe psycho-affectif ; l'automatisation du mental. Toute publicité, comme toute propagande, joue sur cette inclination permanente de la nature humaine. Mais leur influence ne se développe pas sur n'importe quel « terrain ».
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Sans quoi il deviendrait inexplicable, par exemple, que la majorité de nos habitudes commence à la première fois : qu'elles puissent conditionner l'orientation d'une vie entière, à la minute même où elles ne s'y introduisent qu'à titre d'essai provisoire et de première expérience. Il y faut d'abord une certaine tendance du sujet, des dispositions implicites de son subconscient. Et ce qui est vrai de l'individu le sera davantage encore au niveau du groupe, où la part des stéréotypes et des comportements acquis tend à tout envahir.
C'est pour cette raison, peut-être, que les notions de « conscience de groupe » et d' « inconscient collectif » sont employées l'une pour l'autre dans le discours des psychologues contemporains, malgré le paradoxe évident... Paradoxe instructif. Paradoxe essentiel au fonctionnement du Système. Paradoxe même de la démocratie : nous voici en effet gouvernés par une « opinion générale » qui se réfléchit et s'impose de toutes les manières dans la vie sociale mais, par définition, ne réfléchit pas. Le vote lui-même n'est qu'un miroir sociologique, un constat d'évolution glandulaire, non une délibération ou un choix ; et en ce triste sens, il ne se discute pas.
Le problème immédiatement important, pour ce qui nous occupe, demeure celui du contenu en extension de la « cible » visée par les media, qui suppose une définition précise de phénomène de *masse* au point de vue de la stratification sociale. Or, sur ce terrain, les spécialistes ne se compromettent pas. Ils nous décrivent la chose comme un conglomérat amorphe d'individus répartis dans un espace géographique donné, mais sans relations les uns avec les autres, à la manière des éléments interchangeables d'un grand ensemble mathématique. Par où l'on pressent tout de même que « masse » n'est pas un mot chrétien. Qu'il implique une fusion contre nature de la personnalité individuelle dans cette réalité sans âme : un univers où le tout conditionnerait l'existence des parties jusqu'à les absorber. Et qu'il reste, hors des livres, un concept dénué de tout attrait, dont chacun de nous se méfie assez pour trouver d'excellentes raisons d'en réserver l'usage à son prochain. Pour moi, je n'ai rencontré personne qui consente d'appartenir à la « masse » de ses congénères. Mais personne non plus pour nier la réalité et le poids du phénomène dans le monde contemporain. L'ambiguïté vient de ce que la notion de « masse », dans le sens péjoratif du début de ce siècle, a perdu l'essentiel de sa consistance.
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Non pas, évidemment, à cause des progrès de la culture dans toutes les classes de la société, mais en raison du phénomène de prolétarisation socioculturelle de la bourgeoisie elle-même, renforcé, depuis plus d'un demi-siècle, par l'embourgeoisement économico-social des prolétaires du temps de grand papa. -- De nos jours en effet, lorsque l'on évoque les couches inférieures ou moyennes de la stratification sociale, c'est presque exclusivement pour marquer des différences de revenus. Le processus égalisateur de l'Éducation Nationale, et l'école continuée des media, ont fait de la répartition des richesses économiques le critère déterminant des nouvelles appartenances sociales. Les problèmes de l'argent, nous le savons, sont passés au centre de toute action, de toute propagande politique : ils détiennent aujourd'hui le quasi-monopole des déclarations présidentielles ; et, depuis belle lurette, le monopole absolu des revendications syndicales... Ne serait-il pas temps d'en conclure que l'élite, en tant que telle, est une espèce en voie de disparition ? L'inculture audiovisuelle des masses fait éclater l'une après l'autre les frontières historiques des « classes » dans la société française ; et il ne nous restera plus bientôt qu'à uniformiser par décret tous les pouvoirs d'achat pour réaliser chez nous la « parfaite et définitive fourmilière » que prophétisait Valéry, préparait Giscard et programme Mitterrand...
On objectera que, nos cultures étant supposées différentes au départ, une consommation même généralisée et constante de messages audiovisuels identiques ne saurait entraîner aucun nivellement des intelligences réceptrices : chacun de nous ne reçoit-il pas à sa manière, pour en assimiler ou rejeter le contenu, le message des media ? Tel est le point de vue de nombreux sociologues qui prétendent ne pas vouloir se mêler de psychologie, mais tranchent allègrement dans les affaires du voisin. Voyez plutôt :
Tout message étant l'objet d'une réception différentielle selon les caractéristiques sociales et culturelles du récepteur, on ne peut conclure de l'homogénéisation des messages émis à l'homogénéisation des messages reçus, et encore moins à l'homogénéisation des récepteurs des messages :
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il faut dénoncer la fiction selon laquelle les « moyens de communication de masse » seraient capables d'homogénéiser les groupes sociaux en transmettant une « culture de masse » identique pour tous et identiquement perçue de tous ([^9]).
Cette critique reste un peu hors-sujet, en dépit d'une rigueur apparente, parce qu'elle pose en termes de physique des corps un problème de psychologie sociale. On ne veut pas tenir compte du facteur vraiment décisif, dans l'influence de l'audiovisuel, qui préférera toujours le mode de *l'imposition de formes* à celui des propositions d'idées ; et la suggestion implicite, esthétique, émotionnelle, à la fragilité des formulations directes. Or, vis-à-vis de ce mode d'intervention propre aux media, fondé sur les techniques très fortes de l'image et du son, les cultures classiques à base de lecture et de rhétorique restent à peu près sans défense : elles situent en effet leur efficacité, leur influence, sur un tout autre plan de l'organisation mentale. C'est le témoignage, aussi, de tous les psychologues qui ont su étudier la question hors des préjugés en cours sur les bienfaits de la société contemporaine :
Du point de vue de l'information (visuelle) et de sa portée, il paraît assez vain d'opposer aux masses d'aujourd'hui, comme elle s'y opposait hier, une élite qui aurait elle-même échappé à la massification. *Sociologiquement* on peut distinguer des minorités qui par leurs fonctions, leur fortune, leurs pouvoirs, ne se confondent pas avec la masse. *Anthropologiquement,* l'académicien, l'ingénieur, le salarié de l'industrie, le cultivateur se prêtent également aux effets de l'information visuelle et la subissent d'une manière fort semblable. Différenciés entre eux sur le plan de l'outillage verbal et mental, ils ne le sont déjà plus sur le plan du monde perceptif et des structures imposées de sa représentation ([^10]).
La « masse » donc, dans sa réalité contemporaine, a désorganisé en profondeur les relations du *social* et du *mental.*
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Elle échappe désormais de plus en plus aux tentatives de délimitation rationnelle en fonction des niveaux de culture, des classes d'âges ou des catégories professionnelles observés en sociologie. Sous l'effet des nouveaux modes de distraction et d'information imposés au grand nombre dans sa propre dépendance à l'égard des media, les différences entretenues vivantes par l'hérédité ou les vestiges de l'éducation sont passées au second plan, et c'est la société entière qui tend aujourd'hui à se métamorphoser en « masse »... En agrégat d'individus, dramatiquement isolés les uns des autres par leur ressemblance même, dans une surconsommation généralisée de messages audiovisuels... En juxtaposition d'unités réceptrices, inutiles les unes aux autres -- au moins en cela qu'elles ne communiquent plus entre elles dans le temps de la réception, mais immobilisent ensemble l'essentiel de leur disponibilité mentale sur un corps extérieur et par nature indifférent à leurs milieux de vie. De sorte que, du haut en bas de l' « échelle » sociale, si l'on excepte les quelques survivances hiérarchiques nécessaires au fonctionnement des métiers, aucune catégorie, aucune classe d'individus n'échappe en effet à cette forme de massification, de *dissociété,* qui s'est annexé le domaine grandissant de l'information, de la « culture » et des loisirs à travers tout le pays.
C'est ainsi que l'indiscutable majorité des familles françaises nous fait voir des parents éduqués selon les normes de l'immédiat après-guerre, loin donc du cinéma permanent de la télévision, mais parfaitement d'accord avec leurs enfants d'après 68 pour mobiliser de concert neuf soirées par semaine (celles du vendredi et du dimanche comptent double, à cause du « ciné-club ») autour du poste familial. Le seul sujet de discussion susceptible de virer au drame éclate en général à huit heures vingt-cinq, au moment de choisir la chaîne. Et la campagne pas plus que la ville n'échappe aux sortilèges de l'embrigadement : n'essayez pas de tomber en panne entre Guéret et Montluçon à l'heure des émissions de Guy Lux ou de Jacques Martin... C'est ainsi également qu'à l'Assemblée Nationale, les jours de débat ordinaire -- je veux dire sans retransmission télévisée --, on peut compter sur les doigts d'une main les députés présents qui ne consultent pas *Le Monde* ou *Charlie Hebdo* au nez de l'orateur, fût-il ministre ; et sur un cheveu du président Mermaz le héros qui ne suivrait point les autres en coulisse au moment des informations, pour reparaître en séance vers neuf heures, onze en cas de *Dossier de l'écran,* et y reprendre une petite lecture de passe-temps...
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J'ai emprunté un jour les jumelles de mon voisin, à la tribune de presse du Palais-Bourbon, pour voir ce que lisaient en séance les députés qui ne ronflotaient pas... Ce fut une fameuse surprise, propre à balayer tout ce qui aurait pu survivre de foi démocratique et parlementaire dans mon subconscient. Ces messieurs consultaient avec ferveur la dernière édition du *Monde,* partout ouverte sur la même page, au compte rendu des débats de l'Assemblée Nationale ! On comprend mieux par là ceux qui se font journalistes, dans l'arène politique, plutôt que députés.
\*\*\*
Le développement des media, c'est un fait, a canalisé massivement les goûts et les mœurs du Français d'aujourd'hui vers les stimulations de surface, la boulimie du choc. L'éducation, l'instruction, le niveau de responsabilité des dirigeants eux-mêmes n'y résistent plus. Selon un mot très juste de René Huyghe, «* un prurit auditif et optique obsède, submerge nos contemporains *» ([^11]) ; il a entraîné le triomphe de l'image, sous toutes ses formes : sonore ou visuelle, fixe ou animée, commerciale, politique, érotique, scientifique, encyclopédique ou sentimentale. La consommation d'images, comme véhicule privilégié de l'information, a envahi le siècle à la manière d'un véritable cancer social. Aucune religion jamais n'avait tenu autant de place, dans la vie des fidèles, que celle-là.
Existerait-il pour autant une forme correspondante de « culture audiovisuelle », une nouvelle *culture de masse *? On hésite presque à poser la question, tant les appétits de la masse et les exigences de la culture paraissent antinomiques, sur tous les plans. Le public en effet, ce public auquel les media ne peuvent pas ne pas s'adresser, n'est guère dans sa majorité un public sensible aux joies de l'esprit, ni aux valeurs de l'art. C'est le « grand public » contemporain : matérialiste, indifférentiste, confortable, ignorant, et plutôt content de l'être.
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Précisons. -- Nous savons bien que, par nature, l'homme de la rue n'entretient aucune hostilité à l'encontre des productions de l'art et de l'esprit. Il est seulement en puissance de s'élever à leur contact ou de se réfugier dans la sécurité de l'inculture selon ce que voudront les circonstances, c'est-à-dire les artistes, les éducateurs, les doctes et les puissants. Si donc ce grand public contemporain paraît spécialement étranger aux valeurs artistiques et culturelles vraies, celles qui exigent un mouvement et comme une dilatation particulière de l'âme hors des cheminements quotidiens, c'est que les choses qu'on lui propose aujourd'hui, trop souvent, n'en sont plus d'authentiques -- en cela du moins que lui, le petit peuple, n'en est pas *touché...* Peut-on d'ailleurs imaginer message moins parlant, moins universel, plus informe en vérité, pour les gens dans la vie, qu'une cacophonie de musique « concrète », un tableau « abstrait », un roman « surréaliste » ou une (non) pièce du « living-theater » ? L'imbecilentsia de l'absurde a fait, depuis longtemps, la preuve de son incapacité à servir les aspirations supérieures de l'esprit humain.
Au tout-venant des candidats à la « culture » contemporaine, il ne reste donc que les productions commerciales de la radiotélé : l'émission de variétés, le film d'acteurs ou le feuilleton, qui monopolisent à dessein les heures de grande écoute. Il faut comprendre, aussi, à quel type de consommateur et de situation se trouvent mariés les producteurs de l'audiovisuel. On ne traite pas un public en pantoufles, qui n'est pas sorti de chez lui, qui ne vous a concrètement rien demandé, qui n'a pris que la peine de tourner un bouton, comme on le ferait d'un auditoire de théâtre ou de conférence. Il faut entrer en sourdine dans l'intimité familiale du travailleur, son moment de « détente », et le distraire des fatigues de la journée combler en somme son horreur du vide audiovisuel, mais sans chercher à provoquer en lui la moindre excitation cérébrale susceptible de l'entraîner trop loin...
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La télé, ne l'oublions pas, sonne l'apéro, préside à table et mène au lit. Ce serait mal servir les maîtres que de leur bousculer l'esprit avec toute sorte de questions. Cette circonstance explique le succès grandissant du film et du feuilleton d'acteurs sur les trois chaînes de télévision, parallèlement à une évolution moderne du cinéma qui a déjà sa bourse et sa cote des valeurs. Par film *d'acteurs,* j'entends celui où le style des vedettes engagées prime le sujet du drame, au point de périmer la notion même d'interprétation. Son apothéose est la série à toile de fond historique ou policière, dont le scénario sert exclusivement de faire-valoir aux tics immuables de son héros, commissaire, agent double ou bandit de grand chemin.
L'erreur serait de croire que des productions ainsi bâclées en quelques semaines, pour répondre à la demande, restent un divertissement anodin. En l'occurrence, le manque de fond et d'intérêt dramatique n'est pas sans intention explicite, puisqu'il détourne le regard de s'intéresser réellement aux situations, fussent-elles les plus romanesques, pour l'axer sur les vertus subjectives d'un *modèle.* L'influence psychologique d'un tel cinéma semble même beaucoup plus décisive que celle du film à thèse, dont l'ésotérisme limite l'audience à un public d'initiés. Le point de vue de l'absurde en effet n'est pas à la portée du premier venu ; il faut déjà une certaine inversion intellectuelle, un certain goût morbide du non-sens ou du casse-tête, pour entrer dans les méandres d'un cinéma d'auteur à la Buñuel, Pasolini ou Bresson. Rien de tout cela par contre dans le film ou la série d'acteurs, conçus pour les « honnêtes gens », c'est-à-dire ceux qui suivent les programmes dans le but innocent de *se distraire,* et qui sont bien persuadés ne rien faire d'autre en les suivant. Ici en effet le message est direct, accessible à tous. On y raconte une histoire qui, si pauvre soit-elle, a son petit début, son développement, sa fin... Et surtout ses interprètes, ou plutôt ses personnages assez fortement typés pour qu'on les suive d'un œil tranquille, sans perdre les mailles de son tricot, étant bien entendu qu'ils ne font que promener les vertus de leur « paraître » sur l'écran... C'est l'acteur qui, à chaque instant, nous est présenté comme le centre véritable de la production ; l'intrigue n'importe pas.
A la limite, l'œuvre sera d'autant plus forte et réussie, pour le grand public, que la super-vedette aura su y demeurer pleinement semblable à elle-même à travers toutes ses apparitions.
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Les Français tiennent à retrouver leur Delon ou leur Signoret immuables et identiques à chaque nouveau rendez-vous -- ce qui diminue encore leurs réserves de sensibilité vis-à-vis du véritable art dramatique, dont ils commencent déjà à se méfier comme d'une entreprise intellectuelle suspecte a priori. Dès lors, la cigarette qu'on allume, le propos de table vague et inachevé, le verre qu'on tourne distraitement entre ses doigts, bref les non-événements de la vie quotidienne, où la vedette n'a d'autre rôle à jouer que celui de sa propre personne, constituent la matière idéale de ce genre de productions. Lelouch, au cinéma, l'a fort bien compris, et qui veut réussir en ce domaine doit l'imiter.
Il est exclu, naturellement, que ce genre « artistique » mis au point par les media sous la pression supposée de leur public soit jamais moral : la morale d'une histoire ne relève pas de sa matière mais de la forme que l'auteur aura su lui donner, et du jugement qu'il nous amène à prononcer sur les problèmes en cause. On peut penser toutefois qu'un tel cinéma, érigé en système par la télévision, reste socialement et massivement « moralisateur », puisqu'il suggère au public -- sans le recul habituel aux choses de l'art -- des modèles unitaires de comportement. Modèles d'autant plus puissants sur l'imagination du grand nombre qu'ils resteront plus proches des attitudes et des choses de la vie...
C'est ainsi que les enfants grandissent par procuration, si l'on peut dire, et vieillissent aujourd'hui dans leurs aspirations plus rapidement que jamais. Une enseignante de l'école primaire racontait qu'un jour, ayant demandé aux élèves à quel personnage célèbre ils aimeraient ressembler, elle s'entendit répondre par une petite fille, les yeux brillants d'admiration : « -- Marlène Jobert ! » Réponse doublement étonnante, pour qui connaît le genre de films où cette actrice se produit, et si l'on précise que la question était posée dans une ville de province où les cinémas n'abondent pas. -- Mais, à la réflexion, si cette petite fille écoute la radio, si elle regarde la télévision, si elle est attentive à ce qui se dit autour d'elle, ne voit-elle pas constamment les adultes répondre comme elle, avec la même religieuse ardeur, que tel acteur de cinéma, telle vedette du chobiz représente pour eux l'idéal de vie le plus haut qui soit ?
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Il me semble qu'en cela, oui, il existe une certaine dimension ou parodie de *culture* dans le phénomène des communications de masse. Car nous constatons bien, autour de nous, que les aspirations, les comportements et jusqu'aux manières communes de s'exprimer trahissent une influence prépondérante des « messages » transmis par l'audiovisuel. Cependant, par son anonymat, son impersonnalité, son uniformité, et surtout parce qu'elle s'impose aux mécaniques, aux attitudes des sens plutôt qu'à celles de l'esprit, cette mutation nous mène aux antipodes des exigences de la culture et de la sociabilité. Elle s'inscrit en réalité dans un projet politique, qui vient masquer les vérités toutes simples de la vie, et éteindre l'un après l'autre les foyers de résistance au totalitarisme dans l'esprit français.
\*\*\*
N'allons pas charger les media, par eux-mêmes, de tous les péchés du siècle. L'effet de « masse » est la juste conséquence des nouvelles mœurs adoptées vis-à-vis de l'information et de ses forces centrifuges, qui en font la pierre de touche du pouvoir économique et social. Mais l'information elle-même dans la forme envahissante que nous lui connaissons, n'est pas spontanément issue d'un besoin individuel. Ce qu'on nous présente aujourd'hui comme un droit fondamental et même un devoir, pour le bon citoyen, affiche en réalité tous les caractères d'une nécessité conditionnelle : vitale seulement pour les puissances qui se partagent l'opinion.
Ce n'est point parce que nous sommes au siècle du triomphe technologique qu'aucun de nous n'échappe aux influences atomisantes de la presse, de la radio et de la télévision, mais parce que nous vivons, ou croyons vivre, en démocratie. Système de gouvernement qui *vit* lui-même *de l'information,* au point d'obliger la foule des honnêtes gens qui jusque là s'informaient pour vivre à perdre toute mesure, et vivre pour s'informer.
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Dans les démocraties modernes en effet, le pouvoir politique reste étroitement lié à une publicité. On le voit clairement à l'occasion des campagnes électorales. Mais il serait vain de séparer ici les perspectives de la campagne de celles de l'action. Le représentant « du peuple » reste toujours en situation de déclaration propagandiste, publicitaire, puisqu'il ne vise qu'à s'assurer ou conquérir des votants.
Or, sorti des questions de petits sous, le peuple sait très peu de lui-même en matière politique ce qui fera son bien. La classe politique, et la classe informante sans laquelle celle-ci n'existerait pas, se placent donc *dans la dépendance d'une opinion qu'elles restent par ailleurs sans cesse obligées d'entretenir ou de fabriquer.* Du coup, c'est le corps social entier qu'elles dressent à vivre dans une soumission croissante aux messages « informants », révélateurs ou accélérateurs de l'Opinion.
La propagande communiste sort gagnante à court terme d'une telle situation, parce qu'elle est sociologiquement la plus volumineuse et la mieux organisée. Mais ici, il faut s'entendre. La presse du Parti est une chose ; sa propagande en est une autre, qui s'accommode de tous les sujets, et de bien des étiquettes ; l'écho de cette propagande, une troisième, qui ne connaît plus de limites aujourd'hui. Les communistes sont parvenus à déclencher l'écho de leur lutte et de leur haine partout où ils devaient renoncer à s'introduire directement. Et cela seul suffit à assurer toute la soumission, toute la mobilisation périodique de la classe informante. Le Parti en effet a moins besoin de nos votes que de ces voix autorisées et de leur magique répercussion.
Encore une fois, le vocabulaire communiste suffit. Car il est le fidèle miroir de leur violence. Le courant mobilisateur. Le système nerveux central de la Révolution.
Hugues Kéraly.
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### La colonisation de la classe informante
par Christian Brunei
-- *Qui est Christian Brunel ? -- C'est le pseudonyme impénétrable d'un homme de métier, journaliste professionnel dans la presse écrite et dans la presse audiovisuelle. Appartenant lui-même au milieu qu'il décrit, il ne pourrait sans danger le faire sous son nom, et encore moins dans* ITINÉRAIRES, *circonstance pleinement aggravante*...
J. M.
LES JOURNALISTES seraient-ils semblables à ces personnages du nouveau théâtre qui ne pensent que « *dépassé un certain degré de terreur *» ? La question mérite peut-être d'être posée, devant les réactions de tous ceux qui constatent aujourd'hui que la prise de contrôle de la gauche sur la presse n'a rien à voir avec l'aimable partie de plaisir que d'aucuns prévoyaient.
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Un homme a cristallisé dès le début l'ensemble des commentaires, le ministre de la communication Georges Fillioud. Cet ancien journaliste de l'audiovisuel ne cesse en effet de jeter l'anathème et de réclamer des têtes, qu'il a d'ailleurs très rapidement commencé à obtenir.
Dans un premier temps, les milieux de la presse n'ont pas compris. Puis ils n'ont pas voulu comprendre. Aujourd'hui, ils craignent d'avoir compris. En dépit de ses maladresses, de ses outrances verbales, M. Fillioud a bien été dès le début l'exécuteur zélé des basses œuvres socialistes, le porte-parole fidèle de la nouvelle politique de l'information que les socialistes veulent instaurer.
La preuve en est que, contrairement à quelques-uns de ses anciens collègues, Maurice Faure à la justice ou Alain Bombard à l'Environnement, chassés de leurs ministères pour avoir déplu en haut lieu, Georges Fillioud, lui, a été confirmé dans ses fonctions. En d'autres termes, son attitude a reçu la bénédiction de l'Élysée et de l'Hôtel Matignon. Au demeurant, lorsque le premier ministre Pierre Mauroy déclarait à Rouen, au mois de juin, qu'il ne chassait personne mais qu'il ne retenait non plus personne, il ne faisait que confirmer indirectement les propos de son ministre de la communication.
#### *D'abord l'audiovisuel*
Cela n'étonnera que les naïfs : le secteur de l'audiovisuel s'est tout de suite trouvé placé en première ligne. L'ancien pouvoir lui-même avait pris l'habitude d'user, voire d'abuser de cet instrument d'information devenu au fil des ans un instrument de propagande. De ce point de vue, la continuité prend le pas sur le changement.
Toutefois, dans les multiples déclarations qui ont suivi l'élection de François Mitterrand le 10 mai, puis la victoire de la gauche au second tour des législatives, un détail pourtant aveuglant a échappé à la plupart des observateurs.
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Les journalistes, les réalisateurs qui réclament aujourd'hui le départ de certains responsables ne sont pas des nouveaux venus. Leur carrière s'était développée, pour certains de façon inespérée, sous un régime qui, à les entendre aujourd'hui, les aurait honteusement brimés, humiliés, détruits à petit feu.
Claude Villers, qui animait dans la nuit du 10 mai les réjouissances populaires de la Bastille est, depuis plusieurs années, l'un des enfants chéris de la direction de France-Inter dont la responsabilité des programmes est confiée à un ancien syndicaliste de la C.F.D.T....
Pierre Bouteiller, l'un des premiers à se rendre au soir du second tour au siège du P.S. rue de Solférino, occupe lui aussi une place de choix.
Quant aux producteurs de France-Musique et de France-Culture dont les sympathies pour la gauche sont notoires, ils sont légion.
De même à la télévision, les producteurs qui exigent une plus grande liberté de création n'ont jamais caché leur appartenance à la gauche, sans pour autant voir cesser la manne financière que les pouvoirs publics déversaient sur eux. Ainsi, Serge Moatti et Stellio Lorenzi, pour ne citer qu'eux, n'ont jamais eu à se plaindre de l'État pour le financement de dramatiques aussi contestables que l'adaptation de la Vie de Zola.
Enfin, quelques têtes pensantes des radios périphériques, Étienne Mougeotte à Europe 1 et Michel Bassi à Radio Monte-Carlo, touchés sur le tard par la grâce giscardienne, n'ont jamais totalement renié les prises de position progressistes, voire gauchisantes de leur jeunesse.
Donc, sans même tenir compte de la foule des ralliés, comme ce chef de service de France-Inter annonçant le 11 mai que « *le vent ayant tourné, il tournait avec *»*,* il faut malheureusement constater que l'ancienne majorité, par son laxisme ou son incompétence, aura facilité la tâche au nouveau régime : il aura permis l'ouverture de la brèche dans laquelle la gauche s'engouffre aujourd'hui.
L'une des caractéristiques de cette gauche est d'essayer d'arriver à ses fins en respectant la légalité, ou du moins un semblant de légalité.
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En ce qui concerne par exemple les P.D.G. des chaînes de radio et de télévision, protégés en théorie par la loi, la tactique a consisté à les pousser à la démission. Les premiers à céder ont été Maurice Ulrich à Antenne 2 et Claude Contamine à F.R.3, d'autant plus vulnérables qu'ils étaient tous deux des fonctionnaires détachés à ce poste. Mais leur démission même forcée aura permis de sauver la face.
A un échelon inférieur, le pouvoir doit encore se débarrasser de quelques personnages gênants qui n'ont pas encore eu le bon goût de se retirer à l'instar du directeur de l'information de Radio-France, Roland Faure. Cependant, cette tâche est déjà en partie accomplie grâce à l'action des syndicats et des multiples cellules de réflexion créées durant l'été. Il est frappant de constater que le régime, en dépit de son légalisme de façade, s'appuie dans l'audiovisuel sur une structure pratiquement révolutionnaire. A la radio, à la télévision, les Soviets de base font la loi. Les réunions du personnel succèdent aux assemblées générales, les motions revendicatives aux communiqués vengeurs.
#### *La politique des Soviets*
Dans l'attente de la nouvelle loi prévue pour cet automne, la gauche a déjà mis ses pions en place, l'intersyndicale de l'audiovisuel jouant dans cette optique un rôle primordial. Le texte de 1974 brisant l'O.R.T.F. présentait sans doute bien des défauts. Mais il avait l'avantage de remettre en cause la toute-puissance des syndicats qui, à l'époque, faisaient déjà des ravages. Aujourd'hui le problème se pose de nouveau avec acuité. Les syndicats ont beau parfois prendre le contre-pied de certaines prises de position gouvernementales, leur jeu s'inscrit en réalité dans le cadre d'une politique voulue par les pouvoirs publics.
D'abord en multipliant les invectives contre certains responsables encore en place. Jean-Pierre Elkabbach en a fait l'expérience au sein de la rédaction d'Antenne 2. Ensuite en contrôlant la carrière des journalistes.
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Dans l'hypothèse où l'intersyndicale obtiendrait satisfaction, les différentes rédactions, en fait leurs représentants syndicaux, auraient un droit de veto sur les nominations des responsables. En un mot, la carrière d'un journaliste dépendrait essentiellement de son appartenance à un parti ou à une coterie.
A la télévision ou à Radio-France, organismes d'État, ce point peut paraître relativement secondaire puisque le gouvernement contrôle déjà la situation. Il n'en est pas de même dans les radios dites périphériques où la manœuvre des syndicats tend à mettre les directions actuelles sur la défensive. Pourtant là aussi, les pouvoirs publics disposent de nombreux atouts, en particulier le poids de la Sofirad, cette société étatique qui gère 98 % du capital de Radio Monte-Carlo et qui occupe une position de force au sein des autres postes privés. Ainsi dans la semaine qui a suivi le second tour des législatives, il n'a fallu au nouveau patron de la Sofirad Michel Caste, un ancien billettiste du *Monde,* qu'un bref entretien avec Jean-Luc Lagardère, le P.D.G. d'Europe 1, pour mettre les « choses au point ».
Les résistances sont plus vives à R.T.L., où la structure même du capital de la station met cette dernière davantage à l'abri du diktat présidentiel ou gouvernemental. Les pouvoirs publics sont malgré tout représentés au sein du conseil d'administration, où ils disposent donc d'une base de départ. Mais c'est surtout dans ce contexte que se situe l'importance de la démarche syndicale. En établissant une structure regroupant toutes les chaînes de radio ou de télévision, qu'elles soient publiques ou privées, les organisations professionnelles, dont les sympathies politiques sont connues, peuvent espérer contourner plusieurs obstacles et contraindre les directions les plus réticentes ou les moins exposées à s'allier à leur tour au changement.
Si demain l'on doit réécrire *ces chaînes qu'on abat,* comme tout le laisse supposer, il faudra bien constater que le premier coup, le plus insidieux, aura été porté par l'ancienne majorité.
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#### *Le rôle des agences de presse*
Un élément majeur de la prise en main de l'information reste le plus souvent inconnu du grand public : le rôle fondamental joué par les différentes agences de presse.
En France, mis à part les bureaux parisiens de l'agence britannique Reuter et de l'agence américaine Associated Press, deux d'entre elles peuvent revendiquer une dimension nationale, l'Agence France-Presse, la célèbre A.F.P., et l'Agence Centrale de Presse, l'A.C.P. Jusqu'à présent, un équilibre très relatif avait pu être trouvé entre l'A.F.P., agence d'État, et l'A.C.P., entreprise privée dont le P.D.G. n'est autre que Gaston Defferre. La seule évocation des nouvelles fonctions ministérielles de ce dernier démontre à quel point la gauche se trouve aujourd'hui en position de force dans ce secteur clé de l'information.
Les agences de presse en effet ne constituent pas seulement « ce temple du journalisme à l'état brut », comme se plaisent à le souligner leurs responsables. Elles interviennent directement ou indirectement dans le choix rédactionnel de la quasi totalité des organes de presse français. D'abord, tout le monde le sent bien, parce qu'elles sont à la source de l'actualité. Une information « donnée » par une agence est ainsi portée à la connaissance des journalistes qui sans cela l'auraient vraisemblablement ignorée, dans la mesure où l'une des caractéristiques de la grande presse est de *faire confiance aux agences* pour la recherche de la nouvelle de base. Ensuite, parce que les informations diffusées par une agence, en particulier l'A.F.P., prennent un caractère d'authenticité, une sorte d'imprimatur permettant au journaliste de la radio et de la télévision qui la répercutera de se sentir couvert. Enfin parce que les « synthèses » des agences de presse, synthèses politiques, diplomatiques, économiques, sociales, voire culturelles ou sportives, sont très souvent reprises in extenso par tous les quotidiens de province qui ne possèdent pas des effectifs suffisants pour analyser eux-mêmes l'actualité nationale ou internationale.
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Cet état de fait qui, encore une fois, n'est peut-être pas toujours très bien perçu en dehors des milieux concernés, et parfois même en leur sein, prend depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir toute sa signification. *Pour la première fois, des hommes au service d'une même idéologie sont en passe de contrôler totalement les sources d'information.*
Mais comment ne pas évoquer là aussi l'énorme responsabilité de l'ancien régime qui, par laxisme ou par on ne sait quel calcul dérisoire, a laissé se développer au sein de l'Agence France Presse un contre-pouvoir syndical qui tient désormais tous les leviers de commande, sans même que le nouveau pouvoir politique ait eu besoin d'intervenir ?
Sur les 750 journalistes de l'agence, presque tous sont syndiqués, généralement à des syndicats contrôlés par la gauche, 30 % à la C.F.D.T., 25 % à la C.G.T., 22°, % au S.N.J., le Syndicat National des journalistes, lui-même inféodé à la gauche. Dans l'énorme immeuble aux vitres teintées, tout un symbole, à deux pas, autre symbole, des locaux du Club Méditerranée, les syndicats font la loi, quand ce ne sont pas les partis de gauche. Les communistes y comptent notamment une cellule particulièrement active.
Financièrement parlant, l'A.F.P. est à la remorque de l'État dont proviennent plus de 60 % de ses ressources par le biais de centaines d'abonnements dans les services publics, les ambassades, les ministères. Bref, l'*Agence ne peut pas se permettre de déplaire à un régime qui est, avant même les différents organes de presse, son premier client.*
Selon le mot de son fondateur Jean Marin, « pour que cette agence soit crédible, il faut qu'elle soit neutre mais pour cela, il doit y avoir un équilibre des forces à l'intérieur »... Désormais, l'équilibre est rompu. Certains des abonnés ont tout de suite pu remarquer un changement de ton : cette dépêche du second tour des législatives annonçant que Michel Poniatowski avait « lu un texte préparé à l'avance », ou encore cette synthèse écrite à l'occasion du premier conseil des ministres du gouvernement Mauroy, insistant sur le poids « des anciennes mesures » pour expliquer la difficulté de la lutte contre le chômage...
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Ce ne sont pas bien sûr les premiers manquements. Déjà en 1977, la direction du *Parisien Libéré* avait reproché à l'A.F.P. d'épouser la cause du Syndicat du Livre dans le conflit qui l'opposait aux responsables du quotidien. A contrario, d'aucuns ont mis en cause la couverture de certains scandales du règne giscardien (Bokassa, Boulin, De Broglie). Mais même dans ce registre, l'agence a su faire pencher la balance du « bon côté ». Alors que les révélations du *Canard Enchaîné* (récemment encore sur le passé de M. Papon) trouvent à l'A.F.P. le relais dont elles ont besoin pour toucher l'opinion publique, celles au moins aussi nombreuses émanant de *Minute* ou de journaux catalogués de droite sont systématiquement passées sous silence.
#### *L'avenir de la presse écrite*
A priori, la situation de la presse écrite pourrait paraître plus favorable. Une étude superficielle permet de recenser à Paris davantage de journaux proches de l'opposition que de la nouvelle majorité, encore que l'on puisse s'interroger sur la conception du rôle d'opposants que se font la plupart d'entre eux.
En réalité, les dés sont pipés dans bien des cas. Ainsi, en ce qui concerne le groupe Hersant, dont les difficultés ne sont un secret pour personne : la gauche a déjà décidé de brandir à son égard les fameuses ordonnances de 1945 qui interdisent à une même personne d'être responsable de plusieurs quotidiens. Ordonnances qui, par parenthèse, ne paraissent pas appliquées à Marseille où le ministre de l'Intérieur Gaston Defferre serait dans une position similaire sans déchaîner pour autant les hurlements d'effroi des adeptes de la bonne conscience. Au sein même de la rédaction du *Figaro,* certains tentent de profiter de la conjoncture pour évincer leur patron, alors que des rumeurs concordantes laissent présager la vente prochaine de *France-Soir* qui passerait en d'autres mains, peut-être socialistes. Des groupes financiers proches du P.S., qui avaient déjà apporté la preuve de leur savoir-faire avant le 10 mai, se seraient mis sur les rangs pour offrir au gouvernement le grand quotidien populaire qui, aux yeux de certains de ses stratèges, lui fait actuellement défaut.
93:256
D'une manière générale, les pressions que la gauche exerce sur de nombreux journaux sont directement liées au programme des nationalisations élaboré par les pouvoirs publics. En raison notamment de la politique de concentration voulue par les conseillers de M. Giscard d'Estaing et par l'ancien chef de l'État lui-même, de nombreux titres appartiennent aujourd'hui à des banques ou à des entreprises nationalisables. Une véritable épée de Damoclès est suspendue au-dessus de la tête de leurs dirigeants.
Parmi les quotidiens parisiens, que deviendra le *Nouveau* *journal,* dont les rapports avec certaines entreprises nationalisables sont étroits ? Quel avenir sera réservé au *Quotidien de Paris,* dans la mesure où l'autre quotidien du groupe, le *Quotidien du Médecin,* pourrait perdre l'appui des puissants laboratoires pharmaceutiques ?
La marge de manœuvre des principaux hebdomadaires se révèle elle aussi particulièrement étroite, notamment pour *Le Point* coincé entre le groupe Hachette et le groupe Matra, ou pour *Le journal du Dimanche,* la dernière acquisition de Matra, dont la dépendance à l'égard de l'État a été soulignée dès le lendemain du second tour des législatives par les quelques « retouches » intervenues au sein de la rédaction d'Europe 1.
De même, les informations faisant état dès la fin du mois de juin d'une démarche du pouvoir auprès du groupe Hersant pour qu'il se livre lui-même à une chasse aux sorcières au sein de la rédaction du *Figaro Magazine* n'ont jamais reçu le moindre démenti. Et pour cause...
Quand on sait enfin que les difficultés du groupe Hersant concernent évidemment aussi tous les journaux de province qu'il contrôle, que Gaston Defferre tient l'ensemble de la presse marseillaise, que la presse lyonnaise marquée par les maladresses du P.D.G. du *Progrès,* Jean-Charles Lignel, peut basculer à n'importe quel moment, que de nombreux rédacteurs d'Ouest-France ont de plus en plus tendance à s'aligner sur le nouveau régime, sur lequel la presse nordiste s'appuie déjà, il ne sert à rien d'essayer de se voiler la face : les positions de la gauche se renforcent de jour en jour.
94:256
Dans ces conditions, comment imaginer un instant que le nouveau régime puisse être tenté de gâcher tous les atouts que M. Giscard d'Estaing lui a donnés : les premières démarches de Georges Fillioud, les réactions de Pierre Mauroy, les pressions des conseillers de François Mitterrand, André Rousselet et Pierre Bérégovoy sur les chaînes de radio et de télévision l'ont prouvé dès le départ. La gauche a bien l'intention de mettre au pas toutes les publications au sein desquelles elle pourra intervenir. Autrement dit, la plupart d'entre elles, ne serait-ce qu'en raison de la nationalisation du secteur bancaire.
Cette démarche reflète bien en réalité l'autoritarisme profond d'hommes qui ne croient pas réellement aux vertus du dialogue et qui, de surcroît, accordent contrairement à l'ancien régime une importance considérable au *pouvoir culturel,* donc en l'occurrence au pouvoir de la presse. Peut-on d'ailleurs leur donner tort, alors que ce sont en partie les positions acquises dans ce secteur qui leur ont permis de conquérir le pouvoir politique au mois de mai dernier ?
#### *Et les radios libres ?*
La volonté d'hégémonisme de la gauche se traduit d'ailleurs par la volte-face intervenue dans le domaine des radios libres. La suppression du monopole promise avant le 10 mai se double aujourd'hui de l'intention de surveiller les nouvelles radios susceptibles de voir le jour. Limitation de la puissance des émetteurs, interdiction d'une gestion axée sur les rentrées publicitaires. Les pouvoirs publics, mis en éveil par la tentative de *Radio Alpha* lancée à Charenton par l'ancien député Alain Griotteray, ne tiennent pas à laisser se développer de nouvelles stations de radio d'opposition qui pourraient battre en brèche les positions dont la gauche est en train de s'assurer le monopole.
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Or il est bien évident qu'une radio dépourvue de ressources, d'une portée de quelques kilomètres n'aurait aucun impact politique important, quelle que soit la qualité de ses programmes. C'est, semble-t-il, en s'appuyant sur ce constat que le ministre de la communication Georges Fillioud a décidé d'agir, selon ces deux impératifs : contrôler ce qui existe et contrôler ce qui n'existe pas, c'est-à-dire empêcher ou limiter la création d'organes de presse susceptibles de constituer à moyenne échéance une gêne pour le pouvoir, principalement dans l'audiovisuel.
\*\*\*
Le précédent régime avait tout fait pour bâillonner la presse réellement indépendante, courtisant les journalistes de gauche tout en étouffant à droite ceux qui lui déplaisaient. A la radio et à la télévision, il confondait systématiquement engagement et complaisance, amitié et servilité. Ce qui l'a conduit à accorder sa confiance à des gens qui ne l'ont servi que par intérêt et qui désormais se rallient à la gauche avec d'autant plus de zèle qu'ils ont un passé à faire oublier. Il a également préféré faire assassiner plusieurs journaux, dont *L'Aurore,* plutôt que de prendre le risque de les voir tomber aux mains d'hommes qui n'étaient pas disposés à vénérer son action.
\*\*\*
Aujourd'hui, la gauche n'a plus qu'à tendre le bras pour cueillir les fruits de cette politique de gribouille. M. Giscard d'Estaing lui a permis de prendre pied, de s'installer, d'accroître son audience, de s'emparer de plusieurs leviers de commande, tout en empêchant ses adversaires de mener le combat qui, il y a sept ans, était déjà indispensable. Après tout, Georges Fillioud ne fait que suivre le sillon tracé par son prédécesseur....
Il faut toutefois s'attendre à une nuance. Le nouveau régime ne fera pas preuve de la même bonté ou du même laxisme à l'égard de ses adversaires... C'est peut-être cela qu'il appelle le changement.
Christian Brunel.
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### Analyse morale d'une décadence
par Antoine Argoud
LA POLITIQUE est, au sens étymologique du terme, la gestion du bien commun. Celle-ci sera d'autant mieux assurée que la vie de la Cité se rapprochera davantage de l'ordre naturel, que les habitants de la Cité vivront une vie plus « vertueuse » pour parvenir au bonheur éternel, disposeront d'une manière plus équitable des biens nécessaires à la vie.
Ainsi sera garantie la paix intérieure, bien suprême de la Cité. Ainsi, elle sera prête à se défendre contre toute agression.
Or, cette gestion du bien commun dépend pour l'essentiel :
-- D'une part, de la nature et de l'organisation des pouvoirs en place, c'est-à-dire du régime en vigueur.
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-- D'autre part, des dispositions d'esprit suivant lesquelles agissent les membres de la Cité, de leurs vertus et de leurs vices.
Force est de constater que depuis deux siècles le bien commun a été dilapidé, que les Français se sont laissé corrompre par l'orgueil et le matérialisme, en d'autres termes que la France est en pleine décadence.
Pendant neuf siècles, la France bénéficia, en dépit des vicissitudes propres à toute société humaine, d'un même régime : la monarchie. Régime des quarante rois, qui en neuf siècles firent la France.
Cette monarchie permit à notre pays de conserver « per fas et nefas » l'équilibre fondamental, l'autorité et un harmonieux développement à l'abri de ses frontières naturelles.
Le sacre célébré à Reims, qui conférait au roi l'onction divine, maintenait étroitement associés le spirituel et le temporel, rappelant la double nature de l'homme.
La Révolution française porta le premier coup de hache au régime monarchique.
La mort de Louis XVI sur l'échafaud en 1792 signifiait la fin de tout assujettissement de l'ordre politique à l'ordre divin.
C'était le prélude à une ère de troubles et de désordres, qui dure encore aujourd'hui.
Après un demi-siècle de soubresauts marqués par quelque huit régimes, deux révolutions et deux coups d'État, l'écroulement de l'Empire et la capitulation ouvrirent la voie à la III^e^ République.
Régime d'où Dieu est fondamentalement absent, où la vérité est du côté du nombre, où la démagogie verbale tient lieu de sagesse politique.
La III^e^ République, « la femme sans tête », comme l'appelait Marcel Sembat, dura 70 ans. Venue au monde à Sedan, elle s'écroula elle aussi à Sedan, ironie du destin, sous les coups de la Wehrmacht, instrument choisi par la Providence pour châtier la France.
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Mais, alors qu'en 1870 Sedan n'avait été qu'une défaite militaire provoquée essentiellement par la décrépitude de notre système militaire, le désastre de 1940 provoqua l'éclatement de toute la nation.
Ce désastre sans précédent dans la longue histoire militaire de la France témoignait de la manière dont avait été géré le bien commun.
La tentative de redressement faite par le maréchal Pétain et appuyée au départ par 95 % des Français tourna court. Le principal artisan de son échec fut le général de Gaulle. Mû par l'orgueil et la haine, il réussit grâce aux communistes à étouffer dans l'œuf l'œuvre de restauration nationale entreprise par le Maréchal, en associant dans l'esprit de ses compatriotes le régime de Vichy à l'envahisseur abhorré.
La République retourna à ses vomisseurs.
De Gaulle écarté, la IV^e^ succéda à la III^e^, à laquelle elle ressemblait d'ailleurs comme une sœur.
Elle consacrait un nouveau régime d'assemblée. Le gouvernement procédait toujours du législatif. L'exécutif restait donc comme sous la III^e^ soumis aux caprices des partis.
Ceux-ci étaient les maîtres du jeu. Plus encore que la III^e^, la IV^e^ fut caractérisée par l'instabilité et l'impuissance. Elle ne dura que douze ans.
Le drame algérien donna l'occasion au général de Gaulle de rentrer en scène et de se venger de sa mise à l'écart de 1946.
Il fabriqua alors une république à sa mesure. République présidentielle, la V^e^ du nom porte dans ses flancs les équivoques et les ambiguïtés foncières de son créateur. Elle n'a pas encore épuisé la réserve de ses redoutables conséquences.
Au total, en près de deux siècles, la France connut une douzaine de régimes. Ces deux siècles d'instabilité foncière ont été caractérisés au plan politique par deux phénomènes d'importance capitale :
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Dans l'ordre spirituel, l'athéisme a gagné progressivement du terrain, sous l'influence des élites intellectuelles et des communistes. Dans l'État d'abord, où c'est chose faite depuis la séparation de l'Église et de l'État, puis dans l'instruction publique et enfin dans les familles.
Dans l'ordre temporel, lors de la première révolution industrielle, la concentration de masses ouvrières vivant dans des conditions odieuses et le développement concomitant de moyens d'action psychologique à l'échelle moderne ont créé les conditions favorables à l'apparition du phénomène communiste. Fruit empoisonné de la soif d'enrichissement qui s'empara de la classe bourgeoise dès le début du XIX^e^ siècle.
Le communisme devait faire payer très cher les fautes, voire les crimes commis au préjudice des travailleurs. Agent de perversion intellectuel et moral à vocation universelle, le régime communiste allait s'étendre en un demi-siècle à la moitié de la planète, tout en maintenant la classe ouvrière sous la pire des servitudes.
Le gouvernement, par le truchement de ses élites, gère le bien commun et exerce par là une action sur son évolution. Mais ce sont les membres de la Cité eux-mêmes, en définitive, qui choisissent ceux qui les dirigeront parmi les élites, éventuellement les remplacent ou les chassent : *Vox populi, vox Dei.*
Or, deux éléments caractéristiques fondamentaux ont eu depuis la fin du XVIII^e^ siècle une action déterminante sur l'état d'esprit des Français :
Le premier est la soif de jouissance, autrement dit le matérialisme. Instinct profondément ancré dans le cœur de l'homme qui le pousse à jouir au maximum de la vie, surtout en l'absence de tout contrepoids spirituel. Ce matérialisme, dénoncé voici 2000 ans par Tite-Live comme la cause première de la décadence romaine. Ce matérialisme qui peu ou prou est à l'origine de la mort de toutes les civilisations et qui emprunte aujourd'hui le masque rassurant du libéralisme. Ce matérialisme dont les ravages sont déjà en France et dans tout l'Occident plus profonds et plus étendus que ceux du communisme, car il ronge toutes les énergies et n'épargne aucune classe de la société. Matérialisme qui s'accompagne d'une crise religieuse sans précédent, puisque certaines régions françaises sont devenues de véritables terres de mission.
100:256
« France, fille aînée de l'Église, qu'as-tu fait des promesses de ton baptême ? » s'est écrié le pape Jean-Paul II lors de son récent voyage en France.
Le second élément caractériel est l'orgueil, qui pousse les élites intellectuelles à se croire les égales de Dieu et par là même à se passer de lui. Il interdit toute référence, tout recours à une puissance supérieure et ouvre la porte au matérialisme athée.
L'orgueil a pris une dimension nouvelle à partir du XVIII^e^ siècle sous la pression de la brusque accélération des progrès scientifiques et techniques. C'est lui qui est la cause essentielle de la Révolution française et de l'avènement de la III^e^ République.
L'intelligence, source de l'orgueil, ne sert aux hommes, sous le couvert de conquêtes scientifiques, qu'à satisfaire leurs besoins matériels et à échafauder des alibis à leur propre lâcheté.
« La société moderne a commis l'erreur fondamentale de désobéir à la loi de l'ascension de l'esprit. Elle a arbitrairement réduit l'esprit à l'intelligence. Elle a cultivé l'intelligence parce que l'intelligence donne, grâce à la science, la maîtrise de toutes choses. Mais elle a ignoré les autres activités de l'esprit, ces activités dont le langage scientifique ne demeure jamais qu'une représentation incomplète et qui ne s'expriment que par l'action, l'art ou la prière » affirme Alexis Carrel.
L'histoire universelle a beau enseigner que l'intelligence se révèle impuissante, sinon nuisible lorsque le caractère lui fait défaut. Dans la société moderne elle est honorée à l'égal d'un Dieu.
Et pourtant, au bout de deux siècles de culte de l'intelligence, quel est le bilan ?
Elle n'a pas, comme des prosélytes candides ont pu le croire, fait avancer d'un pas la résolution des problèmes fondamentaux qui se posent à l'homme.
101:256
Ceux-ci, mus par l'orgueil, ont espéré un instant à la fin du XIX^e^ siècle que le moment était proche où ils allaient découvrir enfin les secrets de toutes choses, de l'infiniment petit -- comme de l'infiniment grand, de l'origine du monde comme des fins dernières.
Ce rêve s'est révélé un mirage.
Écoutons plutôt les savants de notre temps :
« Nous sommes dans un univers fantastique, où presque rien ne nous prouve que l'existence ait un sens », opine Fred Hoyle.
Pour Albert Schweitzer : « Les progrès de la science consistent en une constatation toujours plus précise des procédés de la nature. Mais ils nous obligent en même temps à renoncer de plus en plus à vouloir comprendre ses intentions. »
C'est pour la science un véritable constat de faillite.
Si les progrès ne sont pas associés à un progrès spirituel correspondant, et partant à la vertu d'humilité, ils étendent les conséquences pernicieuses de l'abus des biens terrestres.
Grâce à eux, la généralisation de l'assurance contre la souffrance et la mort est assurée et ils tuent ainsi le goût du risque. Ils déséquilibrent enfin le milieu naturel et contribuent ainsi à la destruction de l'homme.
L'esprit de jouissance et l'intelligence ont éclipsé les autres facultés. Les Français ont du même coup perdu l'instinct de conservation.
L'instinct de conservation pour les individus, pour les sociétés comme pour les espèces animales, correspond au maintien d'un équilibre qui leur permet de résister aux agressions extérieures et intérieures, d'où qu'elles viennent.
Le processus est clair. Corruption progressive des élites sous les effets conjugués du pouvoir et de l'argent. Dégradation de l'esprit civique et des mœurs, affaiblissement de l'autorité à tous les échelons de la société : famille, école, justice, armée. Et in fine, refus de se battre pour se défendre.
La famille, cellule de base de la société, est atteinte en priorité.
102:256
Le maillon le plus faible, la femme, est attaqué en premier. Sous le fallacieux prétexte d'une égalité avec l'homme, elle veut désormais vivre sa vie, remplir toutes les tâches de son compagnon, ne plus subir de tutelle jugée dégradante.
Elle se refuse à remplir désormais la mission irremplaçable qui lui a été fixée par Dieu : procréer et élever ses enfants. Oubliant que tout groupe a besoin d'un chef naturel, on a peu à peu supprimé toutes les prérogatives de l'autorité masculine.
Dernière étape, après la légalisation du divorce, la pilule, puis l'avortement sont autorisés en fait sinon en droit.
On assiste à ce spectacle inimaginable : des hommes liés naguère par le serment d'Hippocrate tuent aujourd'hui légalement des enfants dans le ventre de leur mère.
La première victime de cet état de choses est la femme. La philosophie de son existence se trouve radicalement transformée, en contradiction avec l'ordre naturel. Elle ne peut y trouver que le déséquilibre et la ruine morale.
La deuxième victime est l'enfant, dont l'éducation au départ de la vie est compromise irrémédiablement.
La troisième victime est la Cité elle-même, dont les fondations sont ébranlées. Le remplacement des générations n'y est même plus assuré.
A l'école, l'équilibre des valeurs spirituelles et des valeurs intellectuelles est entièrement remis en cause au bénéfice de ces dernières.
On gave des cerveaux avec des notions abstraites, qu'ils apprennent sans les comprendre.
L'éducation sexuelle est désormais pratiquée dès l'âge le plus tendre, sans égard pour la sensibilité des enfants.
On fait une impasse totale sur l'éducation civique et morale. La justice, borne témoin de la qualité d'une société, est devenue dérisoire.
La sécurité des personnes et des biens n'est plus assurée. Les assassins sont protégés contre leurs victimes.
103:256
La délinquance juvénile, conséquence directe de la destruction de la famille et de l'absence de toute éducation morale, est en augmentation foudroyante.
C'est l'heure que nombre de magistrats ont choisie pour faire preuve de la faiblesse la plus insigne vis-à-vis des criminels. La peine de mort n'est plus appliquée. On n'a plus à la bouche que les droits de la défense, perdant de vue que la société elle aussi a le droit d'être protégée.
La défense de la Cité, enfin, n'est plus assurée.
Comment pourrait-il en être autrement, alors que les jeunes ont perdu jusqu'à la notion du bien commun et celle de la patrie ?
Comment pourrait-il en être autrement alors que les officiers, comme les prêtres, ont désormais honte de leur uniforme ? En bref, la société française, comme toute la société occidentale, est en pleine décadence. La permissivité, le laxisme et la licence règnent en maîtres.
La guerre comme la paix risquent de lui être également funestes. La guerre, car elle est vouée à la défaite, puis à la servitude. La paix, car le matérialisme finira par tout corrompre.
« L'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. » La vérité de ce diagnostic du maréchal Pétain sur les raisons profondes du désastre de 1940 est encore plus aveuglante aujourd'hui.
Est-ce à dire que tout est perdu ?
A vue humaine, à coup sûr. Car on voit mal comment extirper de la société française les maux qui la rongent de toute part. On voit mal comment une force humaine pourrait contraindre toutes les classes de la société à pratiquer les vertus chrétiennes, seul moyen de salut.
« France, fille aînée de l'Église », qu'as-tu fait de ton âme ?
Cette âme, que la France a perdue, Dieu seul peut la sauver.
Antoine Argoud.
104:256
### Entropie et néguentropie dans la politique
par Louis Salleron
PRÉFACE. -- La notion de Pouvoir évoque la Politique.
Traiter du Pouvoir, c'est traiter de Politique. Mais la société politique n'est pas un bloc. Elle englobe toutes les activités humaines. Il n'est pas de relations entre les hommes qui ne s'inscrivent dans l'orbe politique et où n'apparaisse, fût-ce à titre secondaire, le phénomène du pouvoir. Celui-ci est, en effet, naturel puisqu'il n'est que l'exercice de la force ; mais cette force est humanisée en pouvoir, parce qu'elle est régie par la loi politique.
L'entreprise étant une activité économique, il est normal que l'idée de Pouvoir ne se présente pas d'abord à l'esprit à son sujet, mais elle est sous-jacente à tous les débats qui la concernent.
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Caractéristique à cet égard est la dernière grande étude qui lui ait été consacrée. Nous parlons du « Rapport remis au Président de la République et au Premier Ministre le vendredi 7 février 1975 » au nom du Comité d'étude pour « la réforme de l'entreprise » présidé par Pierre Sudreau. Il n'est que lire le sommaire du rapport pour constater que le mot « pouvoir » ne figure dans aucun des douze chapitres. Pourtant il n'est guère question que de l'aménagement du Pouvoir dans ce rapport.
Les élections présidentielles et législatives de 1981 sont un acte politique. Elles se situent donc dans la perspective du Pouvoir. On dit tout naturellement : *le parti socialiste a conquis le Pouvoir*. On précise même souvent qu'avec la présidence de la République et la majorité absolue au Parlement il dispose du *Pouvoir absolu.* Théoriquement, c'est exact. Quand le Pouvoir politique n'est pas limité légalement par un contre-Pouvoir, on peut le dire absolu. Dans la pratique, c'est différent, car les forces vives de la société s'opposent spontanément au Pouvoir absolu et finissent par l'user ou le renverser.
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ENTROPIE ET NÉGUENTROPIE. -- Les notions d'*entropie* et de *néguentropie* font image. Elles sont commodes pour éclairer les faits sociaux et les idéologies. Néanmoins on hésite, ou du moins j'hésite quant à moi à employer ces mots dont le sens précis ne peut qu'être altéré par un usage non scientifique. Si j'ouvre les petits dictionnaires, je lis 1) dans le Robert : « Sc. Fonction mathématique exprimant le principe de la dégradation de l'énergie. -- Cette dégradation, qui se traduit par un état de désordre toujours croissant de la matière. *L'entropie du monde tend vers un maximum *» ; 2) dans le Larousse « Grandeur qui, en thermodynamique, permet d'évaluer la dégradation de l'énergie d'un système : *l'entropie d'un système caractérise son degré de désordre *»*.*
Le mot *néguentropie* ne figure ni dans le petit Robert, ni dans le petit Larousse. Je n'ai pas été voir dans les grands. Il signifie évidemment le contraire d'*entropie* -- à condition que l'entropie ait un contraire, ce qui ne m'est pas évident à la lecture des définitions citées.
106:256
Quoi qu'il en soit de la thermodynamique, je constate que les mots *entropie* et *néguentropie* se rencontrent assez souvent dans des livres ou des articles traitant de bien autre chose que de physique pure. Ils sont donc pris dans un sens analogique. Est-ce légitime ? L'Académie française nous le dira. Je me suis, moi aussi, servi parfois de ces mots, non sans hésitation parce que je savais bien que je les détournais de leur sens exact, mais parce que dans le sens infléchi que je leur donnais ils me paraissaient aussi compréhensibles à mon lecteur qu'à moi-même.
L'entropie me paraît désigner communément l'état, ou le mouvement, ou l'état potentiel, de toute réalité allant vers la destruction. La néguentropie désigne l'état ou le mouvement contraire, c'est-à-dire la résistance à cette marche vers la destruction.
On définit parfois la vie comme l'ensemble des forces qui résistent à la mort. La vie serait donc essentiellement néguentropie, tandis que la mort serait l'entropie absolue. Les épithètes « entropique » et « néguentropique » exprimeraient commodément l'aspect dynamique des phénomènes dont les substantifs exprimeraient le « degré de désordre » considéré.
Ordinairement, quand, à partir du même mot, on veut exprimer le caractère positif et le caractère négatif d'une quelconque idée ou réalité, c'est le mot positif qui est premier, tel ou tel préfixe servant à rendre négatif le sens du mot. Par exemple, on dira : adroit et *maladroit*, sensible et *insensible*, ordre et *désordre*. Quand deux mots différents expriment des réalités contraires, l'esprit est invinciblement porté à penser l'un des deux comme le négatif de l'autre. Par exemple : vrai et faux, bien et mal, beau et laid, être et néant, vie et mort. On sent le vrai comme ontologiquement premier avant le faux, le bien avant le mal, le beau avant le laid, etc.
Or, curieusement, on dit entropie et néguentropie, comme si l'entropie était première.
107:256
Cette anomalie apparente est, en fait, purement logique. Comme l'énergie dont il est question est physique, elle s'identifie à la matière. Tout ce qui est matière ou lié à la matière évolue en se dégradant. L'entropie, en ce domaine, est bien la réalité première. La néguentropie n'a de signification que par rapport à elle. Si nous gardions le mot « énergie » pour caractériser les contraires, nous pourrions dire que l'énergie *physique* est *entropique* et l'énergie *spirituelle néguentropique.*
La dialectique universelle est celle de l'esprit et de la matière, de la liberté et de la nécessité, du vrai et du faux, du bien et du mal, du beau et du laid, de la vie et de la mort, de l'être et du néant -- de la néguentropie et de l'entropie. Installons-nous dans le second terme de tous ces contraires, la dialectique est celle de l'entropie et de la néguentropie.
Teilhard de Chardin, qui a eu un sens très vif de ce double mouvement, écrit : « Dans l'état actuel de la science, il paraît incontestable que, au moins par effet statistique, des courants, *deux* courants se dessinent expérimentalement dans l'Étoffe cosmique : l'un, évidemment universel, ramenant graduellement la matière, par voie de désintégration, vers une énergie physique élémentaire de radiation ; l'autre, en apparence local, et coïncidant avec une sorte de remous énergétique, où la matière, en s'arrangeant en édifices formidablement compliqués, prend la forme de corpuscules organisés où une certaine intériorité psychique apparaît et grandit en fonction de la complication. Dérive simultanée vers la complexité et la conscience : tout le phénomène de la vie. » Citant ces lignes dans le petit livre que j'ai consacré à Teilhard ([^12]), j'employais déjà les mots « entropie » et « neg-entropie » pour résumer l'observation de Teilhard (que je critiquais pour l'usage qu'il en faisait). C'est d'ailleurs manifestement à l'entropie qu'il songe, sans prononcer le mot.
Face à l'éternité, le temps est, dans l'évolution universelle, le vecteur de l'entropie. Dans cette course à la mort, la vie est néguentropie, mais sa nature est ambivalente. En tant qu'énergie physique, liée à la matière, elle est à la fois entropique et néguentropique. En tant qu'énergie spirituelle, elle a vocation à l'éternité et est néguentropie pure. C'est la gnose paulinienne qui nous rend le mieux compte de ces contradictions. Dans la perspective de la résurrection, le corps spirituel, qui y est appelé, est distingué par saint Paul du corps psychique où l'âme est seulement la forme du corps.
108:256
Le baptême nous introduit à la mort dans le Christ parce qu'il nous ouvre les portes de la vie éternelle. Plut mystérieusement encore, c'est tout l'ensemble du monde créé qui est appelé à devenir terre nouvelle et cieux nouveaux et qui gémit dans les douleurs de l'enfantement en attendant cette libération de l'esclavage de la corruption (Ro. 8, 19-22). De l'infiniment petit à l'infiniment grand, dans la hiérarchie et la diversité des éléments et de leurs ensembles qui composent l'ordre du créé, le péché originel a perturbé le paradis terrestre.
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En quoi les notions d'entropie et de néguentropie sont-elles commodes pour éclairer les faits sociaux ? En ceci, qu'elles permettent de signifier les tendances concourant à la mort des groupes sociaux et, à l'inverse, les tendances concourant à les maintenir en vie ou à les guérir d'un mal mortel.
Les familles, les cités, les nations, les civilisations, les religions sont mortelles. Qu'est-ce qui les pousse à la mort ? et qu'est-ce qui les fait croître, les rend florissantes, ou les ranime au moment qu'elles paraissent vouées à leur perte ? A quelles lois, s'il en est, obéissent leur naissance, leur vie et leur mort ?
Le passé éclaire l'objet de nos interrogations. Fournit-il les réponses ?
Un nom vient à l'esprit : Paul Valéry. Teilhard est le visionnaire du cosmos, mais Valéry est celui du monde habité. Si la vie et la mort des êtres humains sont le thème de ses plus beaux poèmes -- qu'on se rappelle *La jeune parque, La Pythie, Le cimetière marin !* --, la vie et la mort des nations, des civilisations, des trésors de l'esprit fournissent à sa méditation philosophique des centaines de pages d'une prose incomparable. L'entropie le hante. En a-t-il prononcé le mot ? Je n'en ai pas le souvenir, mais l'idée est partout et de manière parfaitement consciente comme on peut en juger par ces lignes : « Les *physiciens* nous enseignent que dans un four porté à l'incandescence, si notre œil pouvait subsister, il ne verrait -- *rien.* Aucune *inégalité* lumineuse ne demeure et ne distingue les points de l'espace. Cette formidable *énergie* enfermée aboutit à l'invisibilité, à l'*égalité* insensible. Or, une *égalité* de cette espèce n'est autre chose que le *désordre* ([^13]) à l'état parfait » ([^14]).
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Pour Valéry, le ver rongeur, « le ver irréfutable » qui « vit de vie » et ne nous quitte pas ([^15]) habite l'humanité à l'instar de l'individu. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » (p. 988). La dialectique permanente, de l'ordre et du désordre, de l'égalité et de l'inégalité, du flux et du reflux est celle d'une auto-destruction lente à laquelle on ne saurait échapper. « Le monde, qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s'éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d'une société animale, une parfaite et définitive fourmilière » (p. 994).
Avant de refermer Valéry, citons encore de lui les lignes suivantes : « L'ordre pèse toujours à l'individu. Le désordre lui fait désirer la police ou la mort. Ce sont deux circonstances extrêmes où la nature humaine n'est pas à l'aise. L'individu recherche une époque tout agréable, où il soit le plus libre et le plus aidé. Il la trouve vers le commencement de la fin d'un système social. -- Alors, entre l'ordre et le désordre, règne un moment délicieux. Tout le bien possible que procure l'arrangement des pouvoirs et des devoirs étant acquis, c'est maintenant que l'on peut jouir des premiers relâchements de ce système. Les institutions tiennent encore. Elles sont grandes et imposantes. Mais sans que rien de visible soit altéré en elles, elles n'ont plus guère que cette belle présence (...). Le corps social perd doucement son lendemain. C'est l'heure de la jouissance et de la consommation générale » (p. 512).
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Nous y sommes. Ce moment délicieux a un nom : *socialisme.* Le socialisme n'est que la fine pointe de la *démocratie.* Il est l'intime combinaison de la raison et de l'utopie, du progrès indéfini et de l'égalité absolue, du matérialisme concret et du spiritualisme éthéré -- bref, l'entropie.
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Politiciens et politologues ont analysé à l'infini les élections françaises de 1981. Ils n'en ont pas moins négligé certains aspects essentiels.
L'arrivée au pouvoir du parti socialiste a, d'abord et avant tout, marqué la fin du gaullisme dont il était le terme logique. Le général de Gaulle se considérait comme l'incarnation personnelle de la légitimité nationale. Il n'en subordonnait pas moins sa légitimité propre à celle de la démocratie et, à ses yeux, c'était la Gauche qui détenait la légitimité permanente. Avec toute son intelligence, toute son énergie et toute son autorité, il ne se jugeait pas en mesure d'affronter la légitimité démocratique ; il ne se considérait capable de prendre et d'assumer le Pouvoir qu'en mettant provisoirement la Gauche sur la touche. Un scrutin victorieux lui permettrait ainsi de régner plus ou moins longtemps. Après l'épisode de la Libération et la longue traversée du désert, l'affaire algérienne lui permit d'exercer les qualités machiavéliques qu'il avait dit, dans ses propos d'avant-guerre, être celles du chef véritable -- la ruse, le mensonge, la violence. A Oran, en juin 1958, il proclame : « *Il faut qu'il n'y ait en Algérie rien autre chose -- mais c'est beaucoup -- rien autre chose que dix millions de Français et de Françaises avec les mêmes droits et les mêmes devoirs* (*...*) *Vive Oran, ville que j'aime et que je salue, bonne terre française ! *» Vers la même époque, à Mostaganem : « *Il n'y a plus ici, je le proclame en son nom* (*la France*) *et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères, qui marcheront dans la vie se tenant par la main. Vive Mostaganem ! Vive l'Algérie française ! *» On sait la suite. La parole donnée fut tenue par nombre d'officiers et de civils qui furent fusillés ou emprisonnés par de Gaulle. Hérité ou versé, le sang toujours sacre ou consacre le chef légitime. De Gaulle dura dix ans. La Gauche, dont il avait comblé les vœux, s'opposa à lui dès le premier jour mais ne put que préparer son retour. Il s'en fallut d'un cheveu qu'elle réussît en 1974.
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Elle ne perdit rien pour attendre. 1981 inaugure son triomphe. De Gaulle rejoint Pétain -- sur le banc d'infamie de la Droite (au pouvoir pendant 23 ans, nous assure-t-on !). Présidence de la République, Chambre des Députés, syndicats, intelligentsia, le socialisme n'a plus contre lui que le pays réel et les dures lois de la réalité économique. La néguentropie ne jouera pas avant de longs mois. L'entropie s'installe, un cran plus bas.
Cependant Giscard d'Estaing n'a pas été le seul fourrier du socialisme. L'Église a été l'autre. Le catholicisme, qui, dans de nombreuses provinces et de larges fractions de la société, opposa longtemps un rempart au laïcisme sectaire de la Gauche, a fini par céder à l'apostasie collégiale de l'épiscopat. Beaucoup de prêtres et tous les mouvements d'Action catholique sont venus grossir les bataillons du socialisme. Les catholiques fidèles à leur foi et à la Tradition sont pratiquement excommuniés par l'Église comme ils sont frappés d'interdit par les « vrais » républicains, c'est-à-dire par la Gauche. 1981 réconcilie l'Église de France et l'État français dans la communion socialiste.
A ces réflexions d'ordre général on pourrait en ajouter bien d'autres qui en seraient comme le corollaire. Par exemple, de Gaulle avait en horreur les partis politiques ; il les ressuscite post mortem, valorisant logiquement du même coup le parti socialiste, seul bénéficiaire de ses anathèmes. L'U.D.F. et le P.R. souffrent d'être à peine structurés, et le R.P.R., plus vigoureux, est obligé de se nier comme gaulliste, tant pour être fidèle au gaullisme anti-parti que pour ne pas succomber au poids de l'héritage. Autre exemple : Mitterrand qui, dès l'origine, fut le plus constant adversaire de De Gaulle -- allant jusqu'à l'insulter s'il faut en croire la mémoire *assurée* du général de Boissieu --, bénéficie aujourd'hui des institutions dont l'odeur monarchique déplaisait à ses narines démocratiques. Les ruses de l'Histoire n'en finissent pas d'inviter la France à pavoiser.
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Si le mot « *entropie *» m'est venu spontanément à l'esprit au moment d'écrire cet article, c'est parce que ce qu'il a d'un peu mystérieux pour moi répondait à l'image de la dégradation sociale qui me hante. Cette dégradation présente ce caractère étonnant d'être non seulement consentie mais accueillie favorablement. Aux orages désirés dont parlait Chateaubriand se substitue l'acceptation sereine ou joyeuse de la décomposition universelle. C'est bien « l'heure de la jouissance et de la consommation générale » dont parlait Valéry, l'heure du *socialisme* dont nous attendons « le miracle d'une société animale, une parfaite et définitive fourmilière ».
Nous sommes entrés dans la « République des professeurs », entraperçue naguère, mais aujourd'hui pleinement réalisée. « *Le Monde *» du 23 juin a dressé le tableau éloquent de la répartition par profession des députés élus en métropole, pour chaque parti. Les enseignants des niveaux primaire, secondaire et supérieur représentent 58,7 p. 100 des effectifs socialistes. Si l'on ajoutait les avocats, les journalistes, les cadres administratifs supérieurs, ce pourcentage grimperait vers les sommets. En face de quoi, l'on trouve (non plus en pourcentage mais en chiffres absolus) 5 industriels ou directeurs de société, 3 artisans ou commerçants, 1 agriculteur, 3 employés et 2 ouvriers -- quelque chose comme 5 p. 100 du total. Si, dans le vocabulaire démocratique, les *travailleurs* sont les seuls travailleurs *manuels,* le parti socialiste peut difficilement prétendre à les représenter. Malgré son ratatinement, le parti communiste, avec 4 agriculteurs et 13 ouvriers (sur 43 élus) y a plus de titres. Il le sait, et saura s'en servir. Le « pas d'ennemis à gauche » a un sens. C'est le « pas d'ennemis à l'Est ». Les lendemains chantent encore. Foin des surlendemains !
Louis Salleron.
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### La politique du bonheur
par Gustave Thibon
JE RENTRE passablement étourdi par le changement brutal d'heure, de saison et de langue, d'une tournée de conférences dans un lointain pays d'Amérique latine.
Les organisateurs ayant bien fait les choses, j'ai voyagé, pour la première fois de ma vie, en classe de luxe. Rien à dire en ce qui concerne le confort des fauteuils et la courtoisie standard du personnel. Quant aux merveilles gastronomiques annoncées sur un menu somptueusement imprimé, j'avoue mon désenchantement. Premier service : une langouste dont la carapace écarlate promettait des délices gustatives, mais dont la chair, sans doute mortifiée par une longue réfrigération, avait la consistance et la saveur du carton bouilli. Ensuite, je ne sais quelle viande un peu plus honorable assortie d'une sauce aussi impersonnelle que les sourires des hôtesses et de légumes de conserve d'une affligeante neutralité. Et, pour conclure, le même type de fromages et de desserts...
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Le paysan que je suis resté n'a pas pu s'empêcher de plaindre -- même sur le plan très inférieur du plaisir des sens -- les personnages importants qui voyageaient près de lui et qui, vraisemblablement, doivent déguster à longueur d'année ces pseudo-chefs-d'œuvre culinaires.
Effet de contraste : pendant ma laborieuse digestion, j'évoquais un repas pris au printemps dernier chez mes voisins agriculteurs. Menu : des asperges cueillies le matin même, une omelette d'œufs du jour avec de larges tranches de truffes, creusées une heure avant par la bergère assistée de son petit chien, une savoureuse volaille de l'élevage familial, un fromage de chèvre parfumé aux herbes de Provence, des fruits qui n'avaient fait qu'un saut de l'arbre à la table -- et l'ensemble arrosé d'un vin du terroir d'où toute chimie était absente...
Menu exceptionnel ? Par le nombre des plats sans doute, mais non par leur qualité et leur fraîcheur qui se retrouvent tous les jours sur la même table.
Mais, le contraste ne s'arrête pas là. Ces voisins sont des paysans aisés, mais aucune exploitation de l'homme par l'homme n'entache leur modeste bien-être puisqu'ils cultivent seuls leur propriété. Je regarde leur maison. Construite au siècle dernier (par quels moyens à cette époque de pauvreté ?), elle comporte 250 m ^2^ de surface habitable sans parler des dépendances. La vue s'étend jusqu'à l'horizon des Préalpes d'un côté et des Cévennes de l'autre. L'air est pur et le silence absolu.
Transportons-nous à Paris ou dans n'importe quelle grande ville. De quel revenu faudrait-il disposer pour s'offrir un appartement à cette dimension et pour consommer des aliments authentiquement et si fraîchement biologiques ? Et même avec toute la fortune du monde, qui pourrait se procurer l'ampleur de ce paysage et la qualité de ce silence ?
« Trop heureux les paysans s'ils connaissaient leur bonheur », chantait le vieux Virgile. Je ne veux pas idéaliser la vie champêtre : j'en sais l'âpreté, les difficultés et les risques.
Mais, comment ne pas être saisi par cette inversion du vrai luxe qui donne aux habitants pauvres des campagnes, ce qu'il refuse aux plus riches citadins ?
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Ceux-ci gagnent et manipulent plus d'argent liquide, ils peuvent s'offrir plus de biens artificiels et de distractions inutiles, mais le rapport se renverse en ce qui concerne la qualité des biens qui, non seulement nourrissent, mais colorent et parfument l'existence. En d'autres termes, si le niveau de vie est plus élevé dans les villes, la qualité de vie y est moindre que dans les campagnes. Et, dans tous les domaines, la qualité représente un luxe par rapport à la quantité : à nombre égal de grammes et de calories, mon omelette aux œufs du jour et aux truffes fraîches m'apporte ce superflu impondérable, absent de la langouste parcheminée de l'avion, et sans lequel le fait de manger, vidé de toute poésie, se résout en pure fonction animale.
Qu'on ne m'accuse pas de matérialisme. Les plus hautes traditions culinaires ne concernent pas seulement les mets rares et coûteux : elles peuvent s'appliquer aux aliments les plus communs et n'excluent ni la sobriété ni la pauvreté. Elles émanent de ce souci de perfection qui doit accompagner toute œuvre humaine : une vulgaire purée de pommes de terre peut être un chef-d'œuvre au même titre que le plat le plus pré-cieux. Et ce n'est peut-être pas par hasard que les pays les plus matérialistes sont aussi ceux où l'art culinaire est pratiquement inexistant : le péché contre l'esprit s'y prolonge par le mauvais traitement infligé à la matière.
A quoi tient ce déplacement du luxe ? Tout simplement à l'urbanisation croissante de la société. Est-il normal, pour ne citer qu'un seul exemple, qu'une ville comme Buenos Aires absorbe le tiers de la population d'un immense pays comme l'Argentine ? Dans les grandes cités, l'air, l'espace, le silence, la qualité des aliments sont déjà mesurés aux riches. Et que dire des pauvres, condamnés à l'entassement, à la pollution, au bruit et aux nourritures frelatées ? Faut-il s'étonner du malaise psychologique et social quand les biens les plus naturels deviennent un luxe impossible ?
Le remède serait de transporter les villes dans les campagnes, disait en plaisantant Alphonse Allais. Mais, la chose peut aussi s'entendre dans le sens d'un éclatement des grands centres, urbains et d'une dissémination des populations. Là serait la vraie décentralisation.
116:256
Les progrès des moyens de transports et de communication et l'évolution des mentalités la rendront-elles possible demain ? Je n'ai aucune compétence pour en juger. Je sais seulement que si le processus concentrationnaire ne s'inverse pas, le déracinement humain sera suivi des pires conséquences. Les capitales sont, comme leur nom l'indique, la tête des nations : il faut veiller à ce qu'elles n'en deviennent pas progressivement le cancer.
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« CONTRE la bêtise, les dieux mêmes luttent sans espoir. » Ces mots de Schiller me revenaient à l'esprit devant le débordement d'inanités euphoriques déclenché par l'élection de Mitterrand à la présidence de la République. Quelques exemples : « Cette joie populaire spontanée éclose sur le pavé des rues... Cette euphorie profonde après un long accablement, ces cortèges, ces farandoles de gens qui se congratulaient, qui voyaient la nuit en rose, tout ce bonheur d'un soir donne la mesure de l'espérance soulevée par la victoire de Mitterrand », écrit d'une plume qui vire subitement de l'acide à l'eau de rose le rédacteur en chef de notre journal satirique national. Mieux encore : « A partir d'aujourd'hui, nous conjuguerons le verbe vivre au présent », s'est écrié un jeune professeur interrogé par la télévision. Ou les banderoles flottant autour du Panthéon avec cette inscription : « Aujourd'hui, premier jour de l'espoir »...
Où sommes-nous donc ? Dans la nuit de Bethléem, au matin de Pâques, au soir de la Pentecôte ? On ne vivait pas, on va vivre ; on n'espérait plus, on espère enfin : un sauveur, un rédempteur serait-il sorti de l'urne électorale ? Ce bonheur universel que vingt siècles de civilisation chrétienne n'avaient pas réussi à faire descendre sur la terre, allons-nous enfin le connaître par la grâce toute puissante du nouveau Messie ? « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu », disait le Christ.
117:256
Depuis que les idéologies politiques ont remplacé la religion, on peut modifier ainsi la sentence évangélique : ce qui est impossible aux hommes est possible à l'État.
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Soyons follement optimistes et supposons, contrairement aux leçons du passé et à toute prévision raisonnable, que l'expérience socialiste réussisse. Quel rapport aurait cette réussite avec l'espoir démesuré qu'on a mis en elle ?
Sur le plan économique d'abord. Admettons généreusement que les avantages financiers accordés aux plus humbles ne soient pas annulés par l'inflation ; que le pouvoir d'achat du Français moyen augmente de 20 à 30 % ; qu'on abaisse l'âge de la retraite et la durée du temps de travail, qu'on renforce l'assistance aux familles nombreuses, aux vieillards, aux handicapés ; qu'on nivelle un peu plus les fortunes et les revenus, où est le lien entre ces progrès du bien-être matériel et cette chose impondérable et mystérieuse qu'on appelle le bonheur ? Je faisais remarquer récemment, à la suite de Jean Fourastié, que le niveau de vie des Français s'était élevé, en régime libéral, dans la proportion de 1 à 3 depuis la dernière guerre. Ce sont là des éléments extérieurs du bonheur, mais quel usage en a-t-on fait et qui oserait dire que les Français sont dans l'ensemble plus heureux en profondeur ? La facilité avec laquelle ils ont mordu à l'hameçon du changement semble prouver le contraire...
Quant à l'égalisation des revenus, le socialisme suédois nous en a fourni le modèle rêvé. Résultat : la stagnation et l'ennui qui découlent de l'absence d'émulation dans une société uniformisée.
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Vous oubliez le facteur spirituel qui fait aussi partie du programme socialiste, me dit un vieux militant macéré dans l'attendrissante utopie du « grand soir » : ce climat de liberté, de fraternité, de chaleur humaine qui règnera dans une société enfin délivrée de l'oppression et de la corruption capitalistes ; c'est de là plus encore que des avantages matériels que naîtra le bonheur futur.
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Que répondre à cela, sinon qu'en effet, les hommes seront heureux quand ils s'aimeront pleinement les uns les autres ? Mais suffit-il du verdict des urnes et d'une passation de pouvoirs pour créer cet état de grâce ? L'amour se programme-t-il comme le rendement d'une usine ou la construction d'un immeuble ? Ou s'impose-t-il par une série de décrets-lois ? Est-il un pays au monde où s'éteignent, par la magie de l'administration, l'égoïsme, l'envie, les dissensions et tous les maux inhérents à la condition humaine ?
Exemple concret : ce petit employé d'une banque privée trouvera-t-il son travail plus passionnant, se sentira-t-il plus débordant de sympathie pour ses collègues, ses supérieurs et ses clients le jour où son entreprise passera du secteur privé au secteur public ? Ne sera-t-il pas soumis à des tâches, à des horaires, à une discipline à peu près semblables ? Sera-t-il moins enclin à l'insatisfaction, à la négligence, à l'absentéisme ? Nous avons déjà beaucoup d'entreprises nationalisées, et les faits prouvent le contraire...
On parlera de décentralisation, d'autogestion et du climat de détente et de ferveur qui naîtra de ces réformes. On oublie que, pour être efficaces, de telles réformes présupposeraient déjà l'existence de ce climat -- c'est-à-dire d'un milieu social fait de communautés authentiques et de liens humains spontanés, de compétences à tous les niveaux et de responsabilités partagées -- toutes choses que le libéralisme sauvage et sa réplique négative, la lutte des classes et des partis, ont progressivement éliminées, et qu'aucune alternance du personnel politique ne peut reconstituer. Car les échanges vitaux naissent de la vie et ne s'organisent pas à coups d'ordonnances légales. Je connais telle moyenne entreprise où l'autogestion existe en fait, dans ce sens où règne de haut en bas un esprit de confiance et d'équipe, où les avis et les suggestions des plus humbles sont pris en considération et où chacun assume sa part d'initiative et de responsabilité. C'est loin d'être toujours le cas dans la société libérale, ce ne l'est jamais dans la cité collectiviste. L'expérience a prouvé que le fameux *pouvoir ouvrier --* ce mets rince-bouche des démagogues -- se traduit finalement par *pouvoir de l'État sur l'ouvrier.*
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On en sait quelque chose dans les pays de l'Est où les travailleurs, muselés par le système, n'ont plus que l'ironique consolation de contempler au fronton des monuments officiels les deux emblèmes de la dictature du prolétariat : la faucille et le marteau, la première servant à faucher les libertés au ras du terrain humain et le second, instrument idéal de bourrage de crâne...
Mitterrand établit une distinction subtile entre nationaliser et étatiser. Mais l'extension démesurée du pouvoir central qu'impliquent les nationalisations ne peut que mener tout droit au totalitarisme d'État. Que la plupart des électeurs socialistes ne souhaitent pas ce type de changement, je l'accorde volontiers. Mais la logique des choses est toujours plus forte que les vœux des hommes. Poussez une pierre sur une pente -- les meilleures intentions du monde ne l'empêcheront pas de rouler jusqu'en bas...
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En attendant ce réveil, le rêve féerique continue. Dans un de ses derniers discours, M. Mauroy nous dit en substance que l'espérance allait entrer désormais dans les lois. Bravo ! C'est aux scribes de l'Élysée et de Matignon -- sans parler de ceux de l'ineffable ministère du Temps libre -- qu'il appartiendra de nous insuffler cette vertu dite jadis théologale, de faire éclore l'homme nouveau dans le vieil homme. On croit entendre saint Paul, revu et corrigé à l'image et à l'usage de l'électeur moyen. Mais ceux qui refuseront cette grâce ? Faut-il prévoir des sanctions pour ce nouveau péché contre l'espérance ?
Nous n'en demandons pas tant. Nous savons depuis toujours que César s'apparente au diable dans la mesure où il joue à Dieu. Le meilleur gouvernement est celui dont le pouvoir se limite à assurer l'ordre et la justice au dedans et la paix au dehors et qui, pour le reste, laisse aux individus et aux corps intermédiaires le soin d'organiser leur propre destin. Celui qui contrôle et arbitre les libertés, *sans les absorber.*
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Par opposition, le pouvoir collectiviste est le pire de tous, car il étend ses tentacules dans toutes les directions et finit par résorber la nation dans l'État.
Et c'est là qu'achoppe l'idolâtrie de la politique. Les citoyens s'habituent de plus en plus à tout attendre de l'État, mais celui-ci n'a pas même la ressource de la plus belle fille du monde qui peut au moins donner ce qu'elle a, tandis que l'État n'a rien par lui-même et ne peut donner que ce qu'il prend. Si l'on veut tout recevoir de lui, il faut consentir à s'abandonner totalement à sa providence aliénante jusqu'au jour où l'on s'aperçoit trop tard, que s'il ne peut rien pour notre bonheur, il peut presque tout contre la première condition de ce bonheur : notre liberté.
Gustave Thibon.
121:256
### La politique du Notre Père
par Dom Gérard, O.S.B.
IL NE FAUT PAS CRAINDRE, pour éclairer l'ordre temporel de nos sociétés, de porter très haut la lumière qui en illuminera la marche. On n'élèvera jamais trop haut le débat sur le gouvernement des cités que Platon situait au zénith des activités humaines. Cet ordre politique donne naissance à une *science* noble entre toutes que saint Thomas qualifie de science architecturale, et à un art dont l'exercice sublime émane de la Très Sainte Trinité comme de sa source et de son archétype.
S'il est vrai que nous mourons d'une perte du sens du sacré, aucune profanation, aucune dévaluation du sacré n'aura été aussi préjudiciable que celle qui s'attaque aujourd'hui à l'art de régir les peuples. On est épouvanté de voir à quel degré, non pas de machiavélisme ce qui serait la tentation normale, mais d'épaisse vulgarité on en est arrivé.
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Jadis gouverner ou administrer revêtait un caractère proprement religieux. Il n'est pour s'en convaincre que de lire l'admirable *Cité Antique* de Fustel de Coulanges. Ouvrons ce livre au chapitre IX qui traite du gouvernement civil :
« Il ne faut pas se représenter une cité, à sa naissance, délibérant sur le gouvernement qu'elle va se donner, cherchant et discutant ses lois, combinant ses institutions. Ce n'est pas ainsi que les lois se trouvèrent et que les gouvernements s'établirent. Les institutions politiques de la cité naquirent avec la cité elle-même, le même jour qu'elle ; chaque membre de la cité les portait en lui-même ; car elles étaient en germe dans les croyances et la religion de chaque homme.
La religion prescrivait que le foyer eût toujours un prêtre suprême. Ce prêtre du foyer public portait le nom de roi. Quelquefois on lui donnait d'autres titres : comme il était, avant tout, prêtre du prytanée, les Grecs l'appelaient volontiers *prytane ;* quelquefois encore ils l'appelaient *archonte.* Sous ces noms divers, roi, prytane, archonte, nous devons voir un personnage qui est surtout le chef du culte ; il entretient le foyer, il fait le sacrifice et prononce la prière, il préside aux repas religieux. Il est visible que les anciens rois de l'Italie et de la Grèce étaient prêtres autant que rois. On lit dans Aristote : « Le soin des sacrifices publics de la cité appartient, suivant la coutume religieuse, non à des prêtres spéciaux, mais à ces hommes qui tiennent leur dignité du foyer, et que l'on appelle, ici rois, là prytanes, ailleurs archontes. » Ainsi parle Aristote, l'homme qui a le mieux connu les constitutions des cités grecques. »
Comment ne pas ressentir une impression de tristesse, en pensant qu'après vingt siècles de christianisme, les hommes d'État puissent avoir cette prétention inouïe, *en rupture avec l'humanité de tous les temps,* de gérer les intérêts d'une cité sans la moindre référence au Dieu qui règle le destin des hommes !
Voici encore ce que rapporte l'auteur sur l'établissement des rois dans l'Antiquité :
« Les anciens ne nous renseignent pas sur la manière dont les rois de Sparte étaient établis en fonction, ils nous disent du moins qu'une cérémonie religieuse était alors accomplie. On reconnaît même à de vieux usages qui ont duré jusqu'à la fin de l'histoire de Sparte, que la cité voulait être bien sûre que ses rois étaient agréés des dieux.
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A cet effet, elle interrogeait les dieux eux-mêmes, en leur demandant un signe, « *semeion *». Voici quel était ce signe, au rapport de Plutarque : « Tous les neuf ans, les éphores choisissent une nuit très claire, mais sans lune, et ils s'asseyent en silence, les yeux fixés vers le ciel. Voient-ils une étoile traverser d'un côté du ciel à l'autre, cela leur indique que leurs rois sont coupables de quelque faute envers les dieux. Ils les suspendent alors de la royauté jusqu'à ce qu'un oracle venu de Delphes les relève de leur déchéance. » *O tempora ! O mores !*
*Notre Père qui êtes aux cieux*
Il y eut donc un temps où la fonction royale et la fonction sacerdotale étaient tenues dans la même main. Présider aux destinées d'un peuple ou apaiser les dieux par des sacrifices était tout un. La cité étant d'origine divine, on ne pouvait en assurer le gouvernement qu'en s'accordant à la volonté des dieux.
Le culte rendu à César pendant le Bas-Empire n'était que le résidu et l'abâtardissement d'une très haute idée religieuse. Les chrétiens qui refusaient farouchement de brûler de l'encens à l'empereur ne niaient pas pour autant le caractère divin de son autorité. Ce n'était pas une conception laïciste de l'État qui détournait les chrétiens, c'était un sentiment très pur de la souveraineté de Dieu, que ne saurait usurper nulle créature.
Mais ce qui ne doit être usurpé peut être participé. Plus tard, lorsque le christianisme inspirera le statut politique des royaumes, le monarque chrétien échappera à toute tentation de rivalité ou d'usurpation envers le Dieu qu'il représente. Le sacre par lequel il inaugurait la fonction royale faisait du souverain un lieutenant de Jésus-Christ, et de son autorité politique une émanation de la paternité divine. Ce caractère paternel de la monarchie française impressionna toujours les visiteurs étrangers invités à la Cour. S. Louis rendant la justice sous un chêne, ce n'est pas une image d'Épinal, c'est la réalité profonde.
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Les conditions qui permettent l'exercice harmonieux et durable de l'autorité dans les sociétés sont extrêmement nombreuses, entrelacées et complexes ; mais elles ne peuvent en aucun cas se passer de l'intelligence des principes. La contemplation intelligente d'un principe garantit l'exercice des actions qui en émanent. C'est bien par amour maternel, je dirais même par un amour tendre et passionné pour la paix et l'harmonie de nos familles charnelles, que l'Église reste inflexible sur le principe de l'indissolubilité du mariage. Tout s'effondre lorsque ce principe déchoit. Il en va de même pour les sociétés. Tant de conditions sont nécessaires pour le bon exercice de l'art politique sans compter celles, imprévisibles, qui naissent de la fortune, que des bibliothèques entières ne sauraient suffire à les énumérer.
Mais, avant de réunir ces conditions, il faut se rattacher soi-même et tout l'univers à quelques grands principes. Comme Jeanne d'Arc s'est préparée à sa mission en récitant le *Notre Père,* on cherchera avec fruit dans les trois premières demandes de l'oraison dominicale, les principes d'un ordre temporel digne de celui qui en est le Père, comme il est le Père de nos âmes.
*Que votre Nom soit sanctifié*
Le *Notre Père* est une prière essentielle, non seulement parce qu'elle dévoile l'essence de ce que l'homme doit demander à Dieu, mais parce qu'elle dévoile l'essence de l'homme lui-même. Les trois premières demandes sont le lieu géométrique des interrogations humaines : nous ne pouvons nous connaître qu'en regardant Dieu.
« Quand vous voudrez prier, vous direz : Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre Nom soit sanctifié. »
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Voilà, énoncé sous forme de prière, un des grands principes de l'art politique, que j'appellerais le principe de la distinction des ordres. Sanctifier le Nom de Dieu signifie, non pas premièrement qu'il est de notre devoir de prononcer ce Nom avec respect ; cela signifie qu'il faut, avant tout, maintenir le caractère de *sainteté* absolue, c'est-à-dire de *séparation* de l'essence de Dieu d'avec ce qui n'est pas Lui, les deux mots ayant une même racine. Il ne faut pas seulement que l'homme déclare de bouche la sainteté de Dieu et manifeste les marques du plus grand respect pour son immensité et sa transcendance infinie ; encore faut-il que cet ordre de grandeur soit perçu à tous les niveaux de la pensée et de l'action, en sorte que jamais *l'humain et le divin ne soient confondus.*
Or le grand péché de l'homme politique c'est précisément d'abolir les frontières entre l'absolu et le relatif. La soif d'absolu qui habite l'homme, n'est qu'une étincelle du brasier divin tombée dans son âme au moment de sa création. Et cette étincelle qui devrait monter dans la nuit et le guider vers la Patrie perdue, menace, chaque fois qu'elle est détournée de son sens, de mettre l'incendie à la forêt de ses ambitions et de ses rêves.
On aperçoit ici le faux éclat des messianismes terrestres qui demandent au temps de tenir les promesses de l'éternité. Le feu que Prométhée voulait ravir à Jupiter c'est, dans le cas des romantismes et des fièvres politiques, l'embrasement des passions humaines substitué au feu surnaturel de l'amour. Les messianismes idéologiques ne sont pas seulement voleurs, ils sont faussaires. C'est le détournement de la parole de Jésus : « *Je suis venu jeter le feu sur la terre, et que désiré-je sinon qu'il s'embrase ? *»
Quand les ministres du sacré introduisent dans le social et le politique un discours religieux avec ses accents libérateurs et sa charge d'absolu, cela donne lieu aux explosions que l'on sait : le ver rongeur qui pourrit le projet socialiste, ce n'est donc pas « le partage des biens de production », qui n'est qu'un innocent miroir aux alouettes, mais le ferment interne d'un messianisme trouble qui enivre les cœurs et fausse les intelligences.
Or nous assistons depuis cinquante ans à l'avènement d'un mythe dangereux, que Charles Maurras stigmatisait sous le nom de *Démocratie religieuse,* qui n'est que le détournement malhonnête des thèmes libérateurs de l'Évangile, au profit de l'idéologie marxiste.
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La maladie du politique ce ne sont pas les émeutes, ce sont les idéologies. Ces messagères, porteuses de rêves absurdes, doivent le jour à l'effacement d'une Transcendance ; et le remède à cette confusion, c'est la reconnaissance et la « sanctification » du Nom divin : Dieu reconnu comme au-delà de tout ce que peuvent nous dire les concepts, Dieu « habitant dans une lumière inaccessible », *au-dessus* et non *au bout* des routes de l'histoire, pacifiant les conflits au lieu de les exacerber, se dévoilant Lui-même comme le seul absolu auquel toute valeur doit être subordonnée, tout sacrifice consenti.
J'entends une voix amie m'objecter : « Votre Dieu serait-il donc un Dieu lointain et abstrait qui n'exercerait aucune mouvance sur les sociétés ? » Je reconnais là une soif légitime d'incarnation et d'intimité, mais la réponse à cette question nous est donnée par la deuxième demande du *Pater.*
*Que votre Règne arrive*
Contemplateur de la transcendance divine, non seulement l'esprit échappera à la tentation du vieux panthéisme qui tend à immerger Dieu dans sa création, mais encore il évitera de confondre le Règne de Dieu avec la Révolution.
Certains cependant, par refus du panthéisme, se voient rejetés comme par un mouvement de pendule, à l'extrême opposé où sévit l'erreur manichéenne. Le manichéisme, refusant l'analogie de l'être, décrète impossible ou détestable toute participation entre ce que Pascal appelle *l'ordre des corps, l'ordre des esprits,* et *l'ordre de la charité,* et cela par une fausse notion du Bien, conçu comme une forme pure « tombée dans la matière », une matière ennemie qui pollue et compromet l'esprit ainsi rendu prisonnier. Ce faisant, le manichéisme apparaît comme l'adversaire de tout projet politique, de toute structure humaine ou sociale. Ce fut le drame de l'hérésie cathare ; c'est aujourd'hui le drame d'un certain extrémisme catholique, impuissant à reconstruire une société chrétienne, assailli et obnubilé par une vision de l'enfer qui l'empêche de croire à la puissance attractive du Bien, à son pouvoir de purification et d'assomption.
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Pourtant le chrétien appelle de tous ses vœux le Règne de Dieu, non seulement dans la phase triomphante et définitive que le Christ doit inaugurer à la fin des temps, mais encore -- et il est magnanime de le désirer -- dans les ténèbres de ce bas monde, vallée de larmes, où gémissent les fils d'Ève.
Le Règne de Dieu sur terre est chose à la fois simple et subtile ; il a pour ennemis ceux qui s'opposent à toute autorité divine, parce qu'ils appartiennent déjà au royaume des ténèbres ; et ceux qu'effraient les déformations ou caricatures de ce règne : la *théocratie,* Dieu, roi invisible, se passant du gouvernement des hommes (mais ce statut n'exista qu'une fois, en Israël, et, ne réapparaîtra plus jamais) ; le *cléricalisme* qui est un abus de pouvoir des clercs usant de leur autorité spirituelle à des fins temporelles.
Il reste que Jésus, « Roi par nature et par conquête », exerce sur toute créature un droit souverain. Il doit régner sur les âmes, sur les institutions et sur les mœurs. *Opportet illum regnare --* il faut qu'il Règne -- ainsi s'exprime saint Paul. Et toute la pléiade des saints de l'Église au cours des siècles n'ont eu qu'une hantise, celle de voir régner Jésus-Christ. C'est la soif du Règne qui a provoqué les œuvres de charité, les écoles, les missions, les croisades ; et certains saints ont été envoyés de Dieu spécialement pour rappeler les droits souverains de Jésus-Christ sur les nations, comme ce fut le cas pour sainte Jeanne d'Arc dont la mission tient tout entière dans ces quelques mots échangés avec le dauphin de France : « Le royaume n'est pas à vous, il appartient à Messire. -- Et quel est votre Sire ? -- C'est le Roi du Ciel, répondit-elle. Il vous l'a donné pour que vous l'ayez en commende. » C'est pourquoi elle n'eut de cesse qu'elle n'ait conduit le roi à Reims pour y être sacré. Il est remarquable que la mission de Jeanne ne se soit pas bornée à bouter les Anglais hors de France (un sursaut national exploité par quelque grand chef de guerre y aurait suffi). Dieu l'a suscitée pour restaurer un ordre politique menacé et le rendre d'une façon éclatante à sa véritable vocation.
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Or la vocation de l'ordre politique c'est, non pas d'instaurer le royaume de Dieu sur la terre, mais d'en tracer les avenues et de créer le climat où la foi et les vertus chrétiennes pourront s'épanouir librement. Vocation sublime, à la vérité, que renforce encore l'exigence d'une nécessaire articulation de l'Église et de l'État, cette *chaste alliance* que les souverains pontifes ont décrite en la comparant à l'union de l'âme et du corps. Alliance, non pas résorption. (Léon XIII*, Immortale Dei.*)
Est-il besoin de souligner qu'après tant de grâces et de prévenances divines, le refus obstiné de la France officielle à reconnaître les droits de Dieu sur elle, plonge notre politique actuelle dans un état de péché mortel ?
*Que votre Volonté soit faite*
Reste à savoir comment sortir de cette impasse. Le refus de la Royauté sociale de Jésus-Christ est-il irréversible ? Est-ce l'heure de l'agonie ? Devra-t-on, comme le Christ Jésus, répéter dans une sueur de sang : « *Que votre Volonté soit faite et non la mienne ? *»
Cette prière va-t-elle jeter celui qui la prononce dans une attitude de résignation passive aux traverses et aux contradictions ? En ce cas ni l'homme de guerre, ni l'homme du combat politique, ne la pourraient prononcer. Erreur, profonde erreur. La troisième demande du *Pater* est, en politique comme en mystique, le suprême recours : non pas subir passivement la volonté de Dieu mais s'en faire ardemment les instruments dociles et ne s'en remettre à la Providence que dans l'inéluctable. Voici un texte de Bossuet qui donne, en quelques lignes, la conduite à tenir. Il est intéressant de noter que l'exemple choisi par l'évêque de Meaux soit emprunté précisément à l'action politique :
« Il y a un abandon à Dieu qui vient de force et de piété ; il y en a un qui vient de paresse. S'abandonner à Dieu sans faire de son côté tout ce qu'on peut c'est lâcheté et nonchalance (...) La piété de David n'a point ce caractère bas.
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En même temps qu'il attend avec soumission ce que Dieu ordonnera du Royaume et de sa personne pendant la révolte d'Absalon, sans perdre un moment de temps, il donne tous les ordres nécessaires aux troupes, à ses conseillers, à ses principaux confidents pour réussir sa retraite et rétablir ses affaires.
-- Dieu le veut ; agir autrement c'est le tenter contre sa défense : « Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu. » Ce n'est pas en vain qu'il nous a donné une sagesse, une prévoyance, une liberté : Il veut que vous en usiez. Ne le faire pas et dire en son cœur : j'abandonnerai tout au gré du hasard ; et croire qu'il n'y a point de sagesse parmi les hommes sous prétexte qu'elle est subordonnée à celle de Dieu, c'est disputer contre lui ; c'est vouloir secouer le joug et agir en désespéré. » ([^16])
Nous savons qu'il y a encore des hommes capables d'entendre ce langage ferme et d'y accorder leur action. Devant eux, la rose au poing, se tient le *mal socialiste.* La rose est déjà fanée. Reste le poing. Du choc de la rencontre jaillira la révélation des meilleurs et, si Dieu le veut, nous sera enfin rendu ce gouvernement des *Aristoï* que Platon portait si haut dans sa conception de la cité.
En attendant ce beau jour, la joie nous est offerte de nous battre, et peut-être de mourir pour la Patrie. *Dulce et decorum pro Patria mori.* L'apparition du mal socialiste dans le grand corps national ne nous effraie pas ; nous y voyons, non l'augmentation d'une blessure, mais le déchirement des linges qui la dissimulaient.
Les hommes qui s'avancent résolument contre l'hydre, sont armés de la troisième demande du *Pater.* Grande est leur supériorité sur les romantiques de l'*Internationale :* alliant l'esprit d'enfance aux vertus militaires, ils savent que leur Père du ciel aura toujours le dernier mot ; ils savent que faire Sa volonté est la suprême réussite, et que mourir est encore une manière de vaincre.
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Plus exercés que leurs adversaires, ils se battent depuis vingt siècles sur tous les champs de bataille du monde ; ils savent que la *lutte finale* n'est jamais finie, par quoi ils accèdent à la gratuité et sourient au destin.
\*\*\*
Savez-vous quelle est leur dernière invention ? -- Ils lancent un journal quotidien de tradition catholique française, « pour délivrer la France, moralement captive, pour que s'exprime à nouveau le pays profond ; pour souder notre peuple autour de ses cathédrales, lui redonner l'amour des vocations civiques et militaires, le rappeler aux vertus chrétiennes du travail, de la famille et de la patrie ». -- Quel accent ! Quelle lumière ! Et quelle bouffée d'air pur !
A eux donc notre estime, notre affection, notre prière ! Habitués de longue main à participer au gouvernement de la Providence, il ne faut pas s'étonner qu'ils accomplissent, aujourd'hui encore, sans l'ombre d'une volonté de puissance, avec la gentillesse et le naturel des gens de métier, les *gesta Dei per Francos* de nos pères. Et par mille tours, qui n'appartiennent qu'à eux, pour l'honneur de Dieu et la joie des Anges, ils tracent sur la terre les avenues du Royaume.
Fr. Gérard O.S.B.
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## TEXTE
### Petit memento politique
*Publié il y a plus de trois ans, le 15 février 1978, dans notre* SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR, *ce* « *Petit memento politique *» (*suivi de :* « *Quelques points de repère *») *est toujours actuel. Il l'est même devenu davantage.*
■ Jamais, dans aucun des pays qu'il domine, le communisme n'est arrivé au pouvoir par le suffrage de la majorité des électeurs. Il y est arrivé par la violence ; par la guerre civile et la guerre étrangère. Aujourd'hui en France, il n'existe aucune chance de voir la majorité des électeurs donner le pouvoir politique au parti communiste. Mais souvenez-vous : il n'en existait pas davantage dans la Russie de 1917, dans la Pologne et la Hongrie de l'après-guerre, avant-hier au Vietnam, hier en Angola.
■ Voilà donc une caractéristique du communisme : jamais, nulle part, il n'a eu aucun moyen ni aucun espoir d'emporter la majorité : jamais avant d'être lui-même au pouvoir et d' « organiser » lui-même les élections.
Et pourtant, malgré cela, le communisme avance toujours, il range sans cesse de nouveaux pays sous sa domination directe. Ou sous sa domination indirecte, comme la Finlande, cela se nomme la « finlandisation ».
La France, comme d'autres, comme l'Italie, est menacée.
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■ Les élections n'enverront certainement pas à l'Assemblée nationale une majorité communiste : cela ne s'est jamais vu nulle part avant que le parti communiste détienne le pouvoir. Cela est impossible même dans la France actuelle, saoulée, droguée, désorientée. Pourtant il existe un péril prochain, les élections peuvent fort bien préparer la domination du communisme autrement qu'en lui donnant une majorité absolue ou relative.
■ Si la gauche gagne les élections, le parti communiste *fera échouer* l'expérience socialiste qui s'en suivra. -- Mais, direz-vous, une expérience socialiste échouera de toutes façons, comme partout, comme toujours. -- C'est entendu : mais elle échouera plus vite et plus fort qu'il n'eût été naturel, le parti communiste poussant à l'échec et l'aggravant autant qu'il le pourra. *Parce que c'est l'échec, et non la réussite, qui enclenchera le processus révolutionnaire communiste.* L'échec rapide de l'expérience socialiste, ce sera l'augmentation énorme du chômage, l'arrivée d'une misère générale, le détraquement de tout. Le parti communiste persuadera l'opinion que cette catastrophe universelle provient non point du socialisme, mais au contraire du *sabotage* organisé par les ennemis du socialisme. Alors commencera la dénonciation publique des *saboteurs,* des *traîtres,* des *ennemis du peuple.* On connaît la suite.
■ Le parti communiste fera cela, il pourra le faire, parce qu'il est politiquement puissant, mais puissant ailleurs que sur le terrain électoral. Il est puissant par sa C.G.T., qui lui assure *dès maintenant* le contrôle des secteurs-clés de l'économie il peut, il l'a montré, couper quand il veut l'électricité en France, et alors tout s'arrête. Il est le propriétaire du plus gros groupe de presse en France ; et la parution de tous les autres journaux parisiens, et de beaucoup de journaux de province, dépend du bon plaisir du syndicat communiste. La télévision, l'enseignement, et bien d'autres secteurs encore de l'activité nationale, sont profondément colonisés par le communisme. *Il n'a pas la majorité du peuple français, mais il a déjà le pouvoir d'un État dans l'État.*
133:256
■ Cette puissance politique, le parti communiste l'a acquise en dehors des élections : il l'a augmentée et perfectionnée, comme jamais auparavant, sous le régime, le règne, le gouvernement du président Giscard d'Estaing, de ses ministres, de sa majorité. Il n'y a eu sous ce règne aucune véritable résistance de l'État au communisme. On n'a même pas supprimé les subventions gouvernementales à la C.G.T., principale courroie de transmission du parti communiste. On n'a jamais vu se manifester un anti-communisme giscardien, sauf quelquefois au moment des élections, pour capter nos suffrages.
■ Alors c'est simple. D'UN CÔTÉ le parti communiste fait une *guerre politique permanente,* il discrédite, il isole, il « marginalise » ce qui risquerait de lui faire obstacle, il noyaute et colonise les secteurs-clés de la vie économique, sociale et culturelle. DE L'AUTRE CÔTÉ, en face de lui, il n'existe aucune contre-action également permanente, également organisée, également résolue. RÉSULTAT : le communisme avance, plus ou moins, mais sans cesse, il augmente toujours davantage son *implantation aux points stratégiques de la société française.* Les élections ne sont pas sans importance. Mais l'implantation communiste, que nos gouvernants ne veulent pas regarder en face, est beaucoup plus importante.
■ Souvenez-vous : le parti communiste n'a jamais, nulle part, gagné les élections. La domination communiste s'établit toujours par d'autres moyens.
#### Quelques points de repère
■ La « démocratie libérale » est moins mauvaise, moins injuste, moins despotique, moins insupportable que la « démocratie socialiste ».
■ Mais elle y conduit.
134:256
■ Elle y conduit à terme, elle y conduit peu à peu, lentement, logiquement. Le libéralisme giscardien est un libéralisme avancé *vers le socialisme *; c'est un socialisme libéral ; de plus en plus socialiste. L'étatisme socialiste, qui est la forme moderne de l'esclavage, augmente chaque jour.
■ La « démocratie libérale » conduit progressivement à la « démocratie socialiste », elle y conduit inévitablement SI n'intervient aucun autre facteur politique : autre que la démocratie libérale elle-même.
■ Politiquement, plutôt que de soutenir le moindre mal provisoire de la démocratie libérale, il vaut mieux préparer l'intervention nécessaire d'un facteur tout à fait autre, seul capable d'enrayer le passage progressif du libéralisme au socialisme.
■ D'ailleurs, si pour tous et pour chacun, et même pour les communistes, il est moins pénible de vivre en démocratie libérale qu'en démocratie marxiste-léniniste, -- ce n'est nullement parce que la démocratie libérale serait « plus démocratique » ou serait seule « la vraie démocratie ».
La supériorité relative de la démocratie libérale tient à des réalités *antérieures* et *étrangères* aux idées et institutions démocratiques.
■ La démocratie libérale, en effet, laisse survivre -- encore que de moins en moins -- des usages, des droits, des principes qui sont fort bons, fort amis de l'homme, mais qui sont fort suspects à l'idéologie démocratique. Car ces usages, ces droits, ces principes trouvent leur fondement ailleurs que dans le système démocratique : dans le décalogue (*c'est-à-dire dans la nature humaine*) et dans la civilisation chrétienne.
J. M.
135:256
Le calendrier liturgique
\[...\]
189:256
## Informations et commentaires
### L'enquête sur la messe
*La réponse de Mgr Castro-Mayer\
évêque de Campos* (*Brésil*)
On se souvient de l'enquête secrète lancée l'année dernière par la congrégation romaine de la liturgie que préside le cardinal Knox : enquête qui interrogeait directement et individuellement les évêques du monde entier, leur posant deux questions :
1\) *Y a-t-il dans votre diocèse des messes célébrées en latin ? Les fidèles continuent-ils à en demander ? Cette demande est-elle en augmentation ou en diminution ?*
*2*) *Y a-t-il dans votre diocèse des personnes ou des groupes qui réclament l'ancien rite de la messe ? Quelle est leur importance ? Quels sont leurs motifs ?*
C'est par la revue ITINÉRAIRES, dans son numéro 256 de septembre-octobre 1980, que l'existence de cette enquête et la teneur de ces questions furent révélées en langue française.
Les réponses devaient parvenir au Saint-Siège avant le 31 octobre 1980.
A l'heure actuelle, un an après, nous ne savons encore absolument rien des réponses qu'ont pu faire les évêques français.
En revanche nous connaissons la réponse de Mgr Castro-Mayer, évêque de Campos au Brésil.
Il y expose tranquillement que la messe traditionnelle, dite « messe tridentine », n'a pas besoin d'être *réclamée* dans son diocèse, pour la bonne raison qu'elle y est normalement *célébrée* par le clergé séculier conformément aux instructions de l'évêque.
La réponse de Mgr Castro-Mayer donne d'amples explications de fait et de droit, de pastorale et de doctrine, sur le rite et la langue de la messe catholique.
190:256
Nous publierons dans notre prochain numéro le texte intégral de cette réponse. Nous publierons aussi le texte intégral de la lettre de l'évêque de Campos à son clergé et à ses fidèles, lettre dans laquelle il critique fortement les « doutes et ambiguïtés de l'après-concile », principalement la (fausse) liberté religieuse et le (faux) œcuménisme enseignés aujourd'hui comme vérités nouvelles.
### Pour les vingt-cinq ans d' « Itinéraires »
Le périodique *Action familiale et scolaire,* dans son numéro 36 d'août 1981*,* écrit sous la signature d'Arnaud de Lassus :
« Il y a vingt-cinq ans, Jean Madiran fondait la revue *Itinéraires*.
« Cet événement, ignoré de la grande presse, a donné lieu à de nombreuses manifestations de sympathie adressées à Jean Madiran et à son équipe.
« Nous tenons à y joindre la nôtre.
« Celui qui veut marquer sa reconnaissance pour les services rendus par Itinéraires se trouve au départ devant l'embarras du choix. Dans les mille contributions d'Itinéraires au combat des idées des vingt-cinq dernières années, lesquelles faudrait-il rappeler de préférence ?
« Les éditions DMM (Dominique Martin Morin), dans une lettre diffusée à l'occasion de ce vingt-cinquième anniversaire, ont établi une sélection. Nous la reproduisons car elle nous paraît meilleure que celle que nous aurions pu faire....
Après avoir reproduit cette lettre de DMM que nos lecteurs connaissent bien (elle figure dans notre numéro 253 de mai, p. 2 à 6), Arnaud de Lassus ajoute :
« Faut-il parler, comme le font les éditions D.M.M. de « *fraternité de combat *» en rappelant comment *Itinéraires* a défendu, parmi tant d'autres, la *Cité catholique* scandaleusement calomniée à l'époque... Cette *Cité catholique* dont notre œuvre est issue ? Sujet délicat, le malheur des temps et notre individualisme gaulois ayant, au cours des dix dernières années, multiplié les clivages et divisions entre forces menant le combat pour la sauvegarde de notre patrimoine catholique et de notre patrimoine français.
« La contribution d'*Itinéraires* à l'organisation et au succès de la journée d'amitié française du 30 novembre 1980 à Paris montre que le souci d'une réelle fraternité de combat reste vif aujourd'hui comme hier.
« Tel est notre souhait pour conclure -- que cette fraternité s'affirme, sans confusion ni mélange de genres, chaque équipe ayant son rôle à jouer, et celle d'*Itinéraires* devant poursuivre le sien en entamant son second quart de siècle. »
191:256
Pour faire, au profit de tous, le journal quotidien PRÉSENT, voici justement que se manifeste un consensus très significatif d'écrivains et de journalistes : allant de FRANÇOIS BRIGNEAU au Père BRUCKBERGER, de JEAN MADIRAN à PIERRE CHAUNU, de GUSTAVE THIBON à MAURICE BARDÈCHE, de l'amiral AUPHAN à JEAN-PAX MÉFRET, du colonel de BLIGNIÈRES à ROBERT POULET, de LOUIS SALLERON à PAUL DEHÈME, d'ALEXIS CURVERS à ROMAIN MARIE, de JEAN FAURE à GILBERT TOURNIER, de YANN CLERC à THOMAS MOLNAR, de GEORGES DAIX à ÉDITH DELAMARE, de JACQUES PERRET à MICHEL DE SAINT PIERRE, de FRANÇOIS SENTEIN à SERGE JEANNERET, du colonel ARGOUD à PIERRE DEBRAY-RITZEN, de PIERRE DUDAN à G.P. WAGNER, de JEAN RASPAIL à HUGUES KÉRALY, etc., etc.
Ce consensus sans équivalent doit sans doute beaucoup aux idées et aux méthodes qui l'ont rendu possible, -- idées et méthodes de la revue ITINÉRAIRES et du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER.
\*\*\*
Dans le même numéro 36 d'*Action familiale et scolaire,* on lit une sévère -- et combien justifiée -- mise en garde contre le nouveau et misérable « recueil » faussement catéchétique de l'épiscopat français intitulé : *Pierres vivantes.* L'épiscopat français continue à ne plus enseigner *les* trois connaissances nécessaires au salut.
(*Action familiale et scolaire* est publié 31 rue Rennequin, 75017 Paris.)
\*\*\*
C'est « à Arnaud de Lassus et à ses amis », en même temps qu' « à la mémoire du P. Gabriel Théry OP » qu'est dédié l'ouvrage de l'abbé Joseph Bertuel : *L'Islam, ses véritables origines, essai critique d'analyse et de synthèse,* tome I préfacé par l'amiral Auphan, qui vient de paraître aux Nouvelles Éditions Latines. Nous en reparlerons.
### « Plaisir de lire »
Cinquante-quatrième numéro de *Plaisir de lire,* publication éditée par « Culture et lecture des jeunes ». Numéro des « grandes vacances 1981* *». Tristesse : *Plaisir de lire* annonce : « Au moins pour le moment, il nous faut réduire un peu nos dépenses. » Chaque numéro sera réduit à 28 pages, ce qui est peu, pour une revue critique complète des livres qui paraissent en langue française. « *Si vous êtes intéressé par les problèmes que pose la lecture des jeunes... *» depuis des années *Plaisir de lire* rend aux familles ce service inestimable, les informer, leur signaler les bons ouvrages pour enfants et jeunes gens, les mettre en garde contre les mauvais. Il faut connaître et faire connaître *Plaisir de lire.* L'abonnement annuel est de 100 F seulement. Demandez des numéros specimen en écrivant à *Plaisir de lire,* 349 rue Saint-Honoré, 75001 Paris.
192:256
### De « Patapon » aux « Amis des saints »
*Patapon* semble en passe de surmonter sa crise récente. La parution continue. Le contenu, en gros, est inchangé ; il semble que des collaborations nouvelles soient venues pallier l'absence de Mme L.A.-Delastre. Le bulletin pour les parents ne paraît plus : on ne regrettera pas ses partialités et ses silences fâcheux, cependant il rendait service aux familles en recommandant de bons livres pour enfants. Les parents qui sont maintenant privés de cette information nécessaire la trouveront, beaucoup plus ample, équitable et motivée, dans *Plaisir de lire* plus haut nommé. Nouvelle publication pour enfants : *Les Amis des saints,* mensuel qui en est à son huitième numéro, sous la direction de l'abbé Lambadarios. On peut demander des numéros specimen en écrivant 74 avenue Abel-Roland, 81390 Briatexte.
### Fernand Sorlot
*Notre ami Sorlot est mort le 10 août, dans sa soixante-dix-huitième année. Il a été mon éditeur depuis 1947. Pendant trente-quatre ans. Sans lui, au moins les vingt premières années, je n'aurais certainement pu faire éditer aucun de mes livres. Même René Wittmann, même avec une lettre de Maurras qui lui en faisait la recommandation quasiment comminatoire, refusait de se risquer à me publier. Il y fallut Sorlot et les mystérieuses prédilections de l'amitié, une amitié qui a traversé tous les orages entre nous survenus, car il était vif, et d'une violence par moments aussi grande que sa bonté. Nous n'avions pas les mêmes conceptions et méthodes de travail. Il ne me cachait pas que s'il avait eu à faire la revue* ITINÉRAIRES, *il l'aurait faite très différente de ce qu'elle est ; je lui répondais que si j'avais eu à diriger sa maison d'édition, je ne l'aurais pas dirigée de* la *même manière que lui. Ainsi nous échangions en abondance des avis non pas forcément divergents, mais tellement parallèles qu'ils nous paraissaient le plus souvent inutilisables.*
193:256
*Avant que soit venu le temps des médecines et des régimes qui l'en écartèrent peu à peu, nous déjeunions ensemble presque chaque semaine dans l'un ou l'autre restaurant de ce bon vieux quartier Saint-Sulpice, qui est resté un quartier d'éditions et d'éditeurs, du moins pendant la journée, et nous nous tenions mutuellement des discours sentencieux ou anecdotiques sur la marche du monde et les accidents de la politique. Je ne sais pas bien, mais arrive-t-il jamais qu'on le sache vraiment, dans quelle zone profonde se situait entre nous ce mystère d'une amitié qui n'avait pas besoin de raisons, et qui surplombait sans les détruire les raisons qui lui eussent été contraires. Je pense qu'en hommes de métier nous nous reconnaissions réciproquement un savoir-faire efficace mais complètement différent, dans lequel nous ne pénétrions guère, mais que, l'ayant constaté, nous consultions avec estime et circonspection, sans en adopter les arguments, sans en admettre les verdicts, sans en suivre les oracles. Homme de métier à coup sûr, qui s'était formé lui-même, Fernand Sorlot mérite de trouver un historiographe qui soit capable de reconstituer l'air du temps, les pièges cachés, l'environnement hostile, même parmi les amis, et de saisir comment, dans ces conditions, la survie quotidienne des Nouvelles Éditions Latines était souvent un tour de force, un chef-d'œuvre de courage, d'obstination, d'ingéniosité, d'intuition professionnelle. Plusieurs fois écrasé, administrativement, juridiquement, par la persécution haineuse des quatre ou cinq États confédérés qui colonisent la France et dominent l'édition, il a toujours trouvé la force et les moyens de relever sa maison, de reprendre et de développer son travail d'éditeur libre, maître chez lui, et méprisant les puissants de l'heure. Pour les mastodontes de la banque et de l'usine à papier, il était un petit éditeur : pour les petits éditeurs il était déjà un grand. J'ai dirigé chez lui deux collections de librairie ; l'une est la* « *Collection Docteur commun *»* ; Fernand Sorlot est en effet l'un des éditeurs français de saint Thomas d'Aquin : ils ont été fort peu nombreux dans toute l'histoire de France, c'est un titre durable à demeurer dans les mémoires et dans les bibliographies ; il a édité en langue française des textes de saint Thomas qui jamais encore n'avaient été traduits. Mais ce qu'aucun historiographe peut-être n'apercevra, c'est un autre Fernand Sorlot, le même pourtant, ami des monastères, des moines et de leur chant. Nous étions allés ensemble à Bédoin, son pays natal, visiter le monastère Sainte-Madeleine, en juin 1974, non sans faire un détour, d'une autre manière mémorable, chez Brun, quai Rive Neuve à Marseille.*
194:256
*Mais voici ce que je voulais dire : sans rien retrancher au deuil qui l'y amenait, au chagrin qu'il en éprouvait, il aimait les messes de funérailles, quand elles étaient grégoriennes, il en aimait le rite et la mélodie, il était sensible à ce langage énigmatique qui n'est pas porteur de tristesse mais qui au contraire chante l'espérance en la résurrection finale. Par delà toutes les images que je garde de lui, celle-ci demeure la plus forte : Fernand Sorlot a été un homme d'espérance. Que son espérance maintenant soit rassasiée.* Quia apud Dominum misericordia et copiosa apud eum redemptio.
============== fin du numéro 256.
[^1]: -- (1). *Une politique de défense pour la France,* de François Valentin, Calmann-Lévy.
[^2]: -- (2). Général Beaufre : *Introduction à la Stratégie,* Librairie Armand Colin, 1963.
[^3]: -- (1). Depuis vingt ans l'historien, pour les besoins de la cause, s'est fait un peu démographe. Récemment Jean Legrand m'a aidé et je lui en exprime toute ma gratitude.
J'ai publié sur ce thème plusieurs centaines de notes, mémoires et articles. Pour me borner aux seuls livres, je mentionnerai
-- *De l'histoire à la prospective,* Paris, Laffont, 1975, 400 p.
-- *Le refus de la vie,* Calmann-Lévy, 1975, 344 p.
-- *La peste blanche* (avec G. Suffert), Gallimard, 1976, 264 p.
-- *Histoire quantitative, histoire sérielle,* Paris, A. Colin, 1978, 304 p.
-- *La mémoire et le sacré,* Calmann-Lévy, 1978, 282 p. et Pluriel, 1979, 351 p.
-- *Le sursis,* Laffont, 1979, 340 p.
-- En collaboration, *La France ridée,* Pluriel et *Maiastra,* Plon, 1979. -- *Un futur sans avenir* (avec J. Legrand), Calmann-Lévy, 1979, 320 p.
-- *Histoire et imagination, la transition,* P.U.F., 1980, 304 p.
et
-- *La décadence* (à paraître), Perrin, 1981, 350 p.
En ce moment, ces livres sont traduits et adaptés aux besoins des publics de langue allemande grâce à Hermann Kusterer à qui j'exprime comme à Jean Legrand, mon amicale et fidèle gratitude.
[^4]: -- (1). Par G. Milhaud et H. Bourlière.
[^5]: -- (2). 44.800 en 1979.
[^6]: -- (3). Plusieurs villes où la natalité s'était améliorée en 1979 baissent à nouveau en 1980, surtout en fin d'année.
[^7]: -- (4). 1,46 environ en 1980 pour Poitiers.
[^8]: -- (1). « Une civilisation de masse ? », ITINÉRAIRES numéro 121 de mars 1968.
[^9]: -- (2). P. Bourdieu : *L'école conservatrice, Revue française de Sociologie,* Julliard 1966*.*
[^10]: -- (3). G. Cohen-Seart et P. Fougeyrollas : *L'action sur l'homme. Cinéma et télévision.*
[^11]: -- (4). *Les puissances de l'image,* Flammarion 1965*.*
[^12]: -- (1). *Contre Teilhard de Chardin,* p. 20 (Berger-Levrault, 1967).
[^13]: -- (2). *Désordre* est en italiques dans le texte. Les italiques des autres mots sont de nous.
[^14]: -- (3). *La crise de l'esprit,* p. 991 du tome I des Œuvres de Paul Valéry dans la Bibliothèque de la Pléiade. Nous n'indiquerons que la page du Tome I dans les citations suivantes.
[^15]: -- (4). *Le cimetière marin.*
[^16]: -- (1). *Bossuet.* La politique tirée de l'Écriture sainte, Livre VII, art. VI, prop. 11.