# 260-02-82
1:260
### Le dormeur ne s'est pas réveillé
*il s'est tout juste retourné\
dans son lit*
Tour à tour hypnotisé, somnambule, anesthésié, l'Occident n'est pas sorti de sa somnolence. Le Noël sanglant de la Pologne ne l'a pas mieux réveillé que l'automne hongrois ou le printemps de Prague. Essayons pourtant. Essayons, parmi les tragiques enseignements que nous réitère le drame polonais, essayons de retenir -- et de méditer -- les plus généraux, les plus urgents, les plus graves.
**1. -- **Le communisme n'a pas changé. Il est toujours « stalinien ». Il est toujours « léniniste ». Il est toujours menteur et barbare, monstrueusement inhumain. Il est toujours lui-même. Il travaille toujours à l'asservissement des peuples en vue de sa domination mondiale. La « détente » était une duperie qui a désarmé l'Occident, moralement et matériellement, et qui n'a désarmé que lui.
**2. -- **Les peuples ne sont pas communistes. C'est l'illusion la plus tenace de l'Occident : s'imaginer que le communisme ne pourrait se maintenir au pouvoir sans un certain consentement des peuples qu'il domine.
2:260
Cette illusion est fabriquée par la propagande communiste elle-même. Dans tous les pays communistes sans exception, le parti communiste est une infime minorité, vomie par l'ensemble de la population : au moins 97 % des Polonais, comme on vient de le voir. Le communisme est partout une *domination étrangère,* même en Russie, c'est le témoignage de Soljénitsyne. Nulle part, d'ailleurs, le communisme n'est arrivé au pouvoir par le consentement des peuples ; mais toujours, sans aucune exception, par la violence politique ou militaire.
**3. -- **L'agriculture et l'industrie des pays du bloc communiste demeurent (ou sont devenues) spectaculairement sous-développées, c'est le résultat de la « construction du socialisme ». Mais leur puissance militaire est maintenant la première du monde. Cette puissance a été édifiée et elle est entretenue par l'Occident lui-même, ses crédits financiers, ses ventes de produits, la livraison de ses techniques de pointe et de ses inventions. Attitude lamentable des dirigeants occidentaux déclarant que si l'URSS continue, ou si elle en fait davantage en Pologne, on envisagera de suspendre une partie de nos livraisons. Il faut les supprimer toutes, tout de suite, inconditionnellement et définitivement, car toutes servent à renforcer son entreprise de domination mondiale. Même les denrées alimentaires et les produits de consommation courante : l'URSS, nous les achète (à crédit ou en monnaie de singe) pour n'avoir pas à les produire elle-même et pouvoir ainsi donner tout son effort aux productions militaires. En acceptant d'approvisionner l'ennemi, l'Occident vérifie la sarcastique prédiction de Lénine « *Ils nous vendront jusqu'à la corde pour les pendre. *» L'Occident n'entend pas non plus la tragique supplication de Soljénitsyne : « *Le communisme nous enterre vivants, ne lui envoyez pas des pelles. *» Tout est dit en ces deux paroles que les gouvernements occidentaux n'ont pas voulu prendre en considération. Quand donc les comprendront-ils ? A l'URSS et à ses colonies, ne livrez plus ni pelles ni cordes ; à plus forte raison, ni usines clés en main ni technologie.
3:260
**4. -- **On nous dit qu'avec la Pologne l'Église maintenant se trouve en première ligne face au communisme. C'est bien beau ; mais ce n'est plus l'Église de 1936 et de 1937, déclarant à la face du monde que le communisme est intrinsèquement pervers et que rien n'est plus urgent qu'une coalition universelle contre lui...
Depuis lors l'Église a réuni un concile œcuménique pour traiter principalement des *problèmes de ce temps,* ils ont tous été traités, sauf le plus important : la marche du communisme à la domination mondiale.
On peut lire et relire, à l'endroit et à l'envers, la « charte du catholique dans le monde de ce temps », à savoir la constitution conciliaire *Gaudium et Spes :* on n'y trouve exactement rien sur l'agression permanente du communisme. Dans cette guerre incessante que nous fait Moscou pour nous asservir, le désarmement spirituel de l'Église est au moins aussi grand que le désarmement politique et militaire de l'Europe.
Depuis la mort de Pie XII, l'Église a parié sur le dialogue et le compromis avec un communisme dont on supposait qu'il deviendrait moins inhumain. Cela n'a servi qu'à favoriser la pénétration des idées et des hommes du communisme à l'intérieur de l'Église, à tous les niveaux.
Là aussi, le redressement nécessaire sera rude.
Jean Madiran.
4:260
### Dans une situation analogue l'attitude et l'enseignement de Pie XII en 1956
*Contre l'esclavagisme communiste, il y avait eu en 1956 la révolte du peuple hongrois, écrasée par les chars soviétiques. Rien sans doute n'est jamais exactement pareil. Mais souvent les événements se ressemblent. Le dramatique Noël polonais de 1981 rappelle le sanglant automne hongrois de 1956. Entre les deux il y a de grandes différences ; il y a aussi une analogie profonde. Devant une telle situation, quelle fut l'attitude, quel fut l'enseignement de Pie XII en 1956 ? Pour le rappeler sans être influencé par les circonstances actuelles, nous reproduisons ci-après l'éditorial paru alors dans ITINÉRAIRES, numéro 10 de février 1957. En méditant ces consignes et ces leçons de Pie XII, on mesurera aussi à quel point elles ont été méconnues par les dirigeants politiques, et perdues de vue dans l'Église à tous les niveaux.*
\[Voir : Résistance et croisade, It 10, p. 1\]
13:260
### Le recours surnaturel : Fatima
En 1960 au plus tard, le Saint-Siège aurait dû rendre publique la troisième partie du secret de Fatima. Il ne l'a pas fait parce que, depuis la mort de Pie XII en 1958, les apparitions, révélations et dévotions de Fatima ont été reléguées dans la même oubliette que l'encyclique déclarant le communisme « intrinsèquement pervers », que le serment anti-moderniste et que les trois connaissances nécessaires au salut du catéchisme du concile de Trente...
Pie XII au contraire ne craignait pas de déclarer au P. Suarez, maître général des Dominicains, en janvier 1953 :
« *Dites bien à vos religieux que la pensée du pape est contenue dans le message de Fatima. Dites-leur qu'ils continuent avec le plus grand enthousiasme à travailler à la propagande du culte de Notre-Dame du Rosaire de Fatima. *» ([^1])
Le « message de Fatima » méconnu, oublié, occulté...
L'essentiel de ce message est quand même véhiculé et transmis par la « prière d'engagement, à renouveler utilement chaque jour » :
14:260
*Sainte Vierge Marie, notre Mère et notre Reine, qui êtes apparue à Fatima et avez promis, si l'on écoute vos demandes, de convertir la Russie et d'apporter la paix au monde, je réponds à votre appel.*
*Je me consacre à votre Cœur Immaculé, voulant me souvenir sans cesse que je vous appartiens et que vous pouvez disposer de moi pour le Règne du Cour Sacré de votre Fils.*
*Je vous promets, en réparation des péchés que vous avez si douloureusement déplorés :*
*d'offrir chaque jour les sacrifices nécessaires à l'accomplissement chrétien de mes devoirs quotidiens ;*
*de réciter chaque jour une partie du Rosaire, en union aux mystères de la vie de Jésus et de la vôtre.*
*Notre-Dame de Fatima, gardez-nous fidèles.*
*Saint Joseph, aidez-nous à servir.*
*Sancte Michaël archangele, defende nos in proelio.*
15:260
## NOTE DE GÉRANCE
### Pour asphyxier la presse dite périodique
Les publications qui ne sont ni des quotidiens ni des hebdomadaires appartiennent à la catégorie professionnelle dite des « périodiques ».
Cette catégorie, jusqu'à présent, bénéficiait d'une « option fiscale » lui permettant de choisir d'être exonérée de la TVA : ce choix n'était pas le plus avantageux dans tous les cas, mais il allait de soi pour les périodiques ayant peu ou point de publicité, c'est-à-dire la plupart d'entre eux.
Les 17 et 19 décembre 1981, les socialistes au pouvoir ont supprimé l'option ; ils ont assujetti tous les périodiques à une TVA de 4 % à partir du 1^er^ janvier 1982. Ils avaient été instamment avertis, amplement informés par les organisations professionnelles. Ils savaient très bien que leur décision condamnait à mort la plupart des « périodiques ». Ils l'ont voulu en pleine connaissance de cause.
16:260
La FNPF (Fédération nationale de la presse française) a publié le 18 décembre un communiqué de protestation :
La FNPF :
-- prend connaissance avec inquiétude du vote qui est intervenu le 17 décembre 1981 à l'Assemblée nationale n'ayant pas retenu, pour la presse périodique, le maintien de l'option fiscale en 1982 ;
-- rappelle que pour les périodiques n'ayant pas ou peu de publicité, la taxation des ventes à 4 % entraînera des charges supplémentaires susceptibles à terme de faire disparaître des périodiques qui participent au maintien du pluralisme de la presse, avec pour autre conséquence une aggravation du problème de l'emploi ;
-- attire l'attention des pouvoirs publics sur le fait que cette décision intervenant à quelques jours de sa mise en application est matériellement impossible à mettre en place immédiatement ;
-- et demande en conséquence que l'assujettissement de la presse périodique à un taux de TVA de 4 % soit reporté au 1.4.1982.
L'emploi ? Les socialistes au pouvoir président, comme prévu, à l'accroissement du chômage. Le « pluralisme de la presse » ? Les socialistes au pouvoir ne le voient pas d'un bon œil, surtout quand il s'agit des *périodiques* professionnels, culturels, spécialisés, etc., où s'expriment principalement les classes moyennes de la France, celles que les socialistes regardent comme leur « ennemi de classe », celles contre lesquelles ils ont formé un « front de classe » avec le parti communiste, celles qu'ils entendent conduire à petits pas, sous anesthésie, à l'asphyxie d'un Katyn économique et social.
17:260
Pourtant, par un amendement à l'article 20 de la loi de finances pour 1982, le Sénat avait rétabli l'exonération des « périodiques ».
Les organisations professionnelles de la presse avaient alors obtenu des socialistes l'assurance que l'amendement sénatorial serait accepté par l'Assemblée nationale. La FNPIS (Fédération nationale de la presse d'information spécialisée, membre de la FNPF) révèle dans sa « Note d'information » du 21 décembre :
« Forts des assurances reçues de la part du porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, nous avons espéré jusqu'au dernier moment -- c'est-à-dire la seconde lecture à l'Assemblée nationale de cet article 20 de la loi de finances 1982 -- que la majorité des députés suivraient l'amendement adopté par le Sénat. Ce n'est que le 17 décembre que cette seconde lecture eut lieu ; lors de celle-ci, l'Assemblée nationale a repoussé l'amendement du Sénat et le samedi 19 décembre, malgré une dernière navette entre les deux assemblées, l'Assemblée nationale confirmait définitivement son vote. »
Pour la plupart des publications périodiques sans publicité, cet assujettissement à la TVA sera le coup de grâce. Il vient après une augmentation de 27 % (vingt-sept pour cent) des tarifs postaux pour la presse, entrée en vigueur le ter octobre dernier : et d'autres augmentations des mêmes tarifs sont programmées pour 1982. Les « périodiques » sont diffusés surtout par abonnements, l'augmentation frénétique de leurs tarifs postaux les étrangle. Sans parler du prix du papier, dont l'augmentation est de l'ordre de 25 % par an.
Les socialistes au pouvoir ne perdent pas de temps.
\*\*\*
18:260
La revue ITINÉRAIRES appartient à la catégorie dite des « périodiques ».
Le *tarif normal* d'abonnement à ITINÉRAIRES (575 F) n'a pas bougé depuis plus d'un an depuis décembre 1980.
Le *tarif minimum* (400 F) est demeuré au niveau du « tarif nécessaire » qui avait été fixé en mars 1979 : *il y a trois ans.*
Ce maintien à 400 F, ce fut, c'est notre « opération 400 ». Grâce à l'effort de tous ceux de nos abonnés qui ont accepté de verser davantage, grâce à la générosité de ceux qui souscrivent des « abonnements de soutien »*, nous avons pu pendant trois années maintenir sans limitation la possibilité de s'abonner à* ITINÉRAIRES *pour 400 F par an.*
Dans les circonstances actuelles, nous ne pourrons plus maintenir cette possibilité très longtemps encore.
19:260
## CHRONIQUES
20:260
### La Pologne à l'heure des échéances
par Louis Salleron
EN AVRIL 1981*,* nous nous interrogions dans ITINÉRAIRES sur ce qui arrivera « quand, il faudra payer la note ». Car nous sommes en présence d'une banqueroute universelle dont il faudra bien sortir un jour ou l'autre par des moyens inédits.
Apparemment, la banqueroute n'est que pour les pays endettés -- qui ne peuvent payer. Mais comme, précisément, ils ne peuvent payer, la banqueroute est également pour les pays créanciers.
Les chiffres retiennent à peine l'attention. C'est l'affaire des experts. D'ailleurs ils varient, car chacun sait que la statistique n'est qu'un « damné mensonge ». Tout de même retenons ceux-ci : l'O.C.D.E. estimait la dette des pays du Tiers-Monde, fin 1981*,* à *524* milliards de dollars, soit quelque 3.000 milliards de nos francs, 300.000 milliards de centimes. Pour rembourser, les pays emprunteurs doivent payer chaque année -- « intérêt et principal », comme la cigale de La Fontaine -- des sommes considérables (112 milliards de dollars en 1981) qui excèdent leurs possibilités et les obligent à emprunter de nouveau. La spirale est sans fin.
21:260
Le cas des pays du Tiers-Monde est également, *mutatis mutandis,* celui des pays de l'Est européen vis-à-vis de l'Occident. Mais là on se trouve devant un imbroglio de situations et de monnaies qui rend l'analyse très difficile. Il faut distinguer notamment les dettes de gouvernements à gouvernements et de gouvernements à banques. Entre gouvernements on peut s'arranger (provisoirement), mais les banques ne peuvent consentir à la faillite sous peine de répercussions en chaîne susceptibles de déclencher *la crise* de type classique, celle que l'on conjure depuis des années par l'inflation et l'augmentation des taux d'intérêt.
*La Vie française* du 28 décembre 1981 a consacré un article à cette question que l' « état de guerre » polonais rend d'une actualité brûlante. Nous y apprenons que l'endettement des pays de l'Est à l'égard de l'Occident est passé globalement de 6 milliards de dollars en 1970 à 70 milliards en 1980 et à 75-80 milliards en 1981*.* « *Quant à la Pologne, la croissance de sa dette a été vertigineuse : de 800 millions de dollars en 1970 à 25,7 milliards en octobre dernier. On sait que le rééchelonnement de cette dette a fait l'objet d'un accord qui devait être signé dans les prochains jours, mais cela est remis en question du fait des événements politiques ; s'y ajoute l'obligation de payer avant la fin 1981* (*?*) *les intérêts sur la dette échue se montant à 350 millions de dollars. *» La part des banques occidentales dans la dette polonaise se montait, fin 1981*,* à 13,5 milliards de dollars. Dans ce total, les banques françaises s'inscrivent pour 2,7 milliards (*Le Monde,* 20-21 décembre 1981).
On conçoit l'embarras de ces banques et on ne s'étonne pas que leur vœu secret (ou exprès) soit que le général Jaruzelski rétablisse rapidement l'ordre à Varsovie. Elles seraient même prêtes, en ce cas, à lui accorder de nouveaux crédits. En Suisse et en Allemagne on pousse en ce sens. Selon *Le Monde,* les créances bancaires allemandes « s'élèvent à 600 millions de DM pour la Commerzbank et à 400 millions pour la Deutsche Bank et la Dresdner Bank réunies. Mais il est certain que celles détenues par la banque des syndicats allemands, la Bank für Gemeinwirtschaft, sont d'un montant beaucoup plus élevé ». Étonnons-nous de l'attitude de M. Brandt et de celle (un peu plus en retrait) du chancelier Schmidt ! En France, la politique intérieure commande tout. Nos socialistes feraient des pèlerinages à Chestochowa pour marquer des points contre leurs alliés communistes. Le PCF. n'en continue pas moins à affirmer imperturbablement son accord avec le général Jaruzelski ; et M. Krasucki vient de rappeler aux socialistes que la CGT est la seule organisation capable d'assurer la paix sociale dans les entreprises -- à bon entendeur salut !
22:260
On se demande constamment en France si le général Jaruzelski fait une politique essentiellement polonaise ou essentiellement soviétique. C'est oublier que la situation de la Pologne ne permet pas la distinction. Successivement des révoltes populaires ont amené au pouvoir Gomulka, Gierek et Kania. Successivement ils ont été rejetés après avoir déçu les espoirs du peuple. La Pologne, chaque fois, a fait un pas en avant vers la liberté et l'indépendance nationale. Mais l'étau soviétique est le plus fort et Helsinki n'est qu'un faible rempart contre Yalta.
De tous côtés on veut ce qu'on veut et le contraire de ce qu'on veut. C'est frappant pour l'Europe et plus encore pour la France. Quand Reagan a voulu installer des missiles en Allemagne pour rétablir l'égalité avec l'U.R.S.S., ce fut un tollé général. Neutralisme et pacifisme mobilisèrent les masses dans tous les pays de l'Ouest. On veut le parapluie américain, mais à condition qu'il reste fermé. Plus récemment, face à la militarisation de la Pologne, les Européens, Français en tête, ont dénoncé la mollesse de la réaction américaine. Quand Reagan a dit qu'il allait couper les vivres à la Pologne, les critiques redoublèrent. C'est l'U.R.S.S. qu'il fallait sanctionner et pas la malheureuse Pologne qui n'était qu'une victime dont on n'allait qu'aggraver le sort. Bon prince, Reagan a décidé alors d'appliquer à l'U.R.S.S. un ensemble de représailles économiques assez impressionnant. De nouveau, fureur et tremblement chez les Européens, Allemands en tête, qui voient leur commerce avec les Soviets menacé et les mirifiques contrats suspendus au gaz sibérien risquer de s'évanouir en fumée.
La France, plus éloignée que l'Allemagne de la Pologne et de l'U.R.S.S., se donne à bon compte des airs avantageux. Mais à terme ses contradictions la vouent au désastre. La (pseudo) légitimité est détenue par la Gauche. Le libéralisme confesse le socialisme. Le socialisme confesse le communisme. La tradition révolutionnaire associe dans un culte commun 1789 et 1917. Les communistes le savent bien et se moquent éperdument des criailleries socialistes. Dans un pays pour qui le général Pinochet est un monstre et Léonid Brejnev un interlocuteur valable, les déclarations pathétiques en faveur des droits de l'homme et des libertés civiles ou syndicales ne sont que mensonge et hypocrisie. Le socialisme français est la fine pointe de la démocratie française et le communisme soviétique la fine pointe du socialisme national.
23:260
La Pologne dérange ce bel ordre de l'imposture universelle. Elle ébranle l'empire soviétique dont les sujets directs et indirects sont las d'un niveau de vie très bas et d'un asservissement total. Elle ébranle aussi l'Occident qui n'a pas la moindre envie de renoncer à la société de consommation et dont la solidarité avec Solidarité entend demeurer « responsable ».
Restent les échéances. Pour la Pologne, elles sont arrivées. Pour nous, elles sont prochaines. Elles signifient, ici et là, un recours à des gouvernements d'autorité : en Pologne, sous un nom ou sous un autre, le régime actuel, plus ou moins ouvert aux libertés personnelles selon les formules d'accord auxquelles on sera parvenu mais rendant aux activités économiques les moyens de se manifester ; en France..., Dieu seul le sait. Nous avons encore quelques crans à descendre. Mais les échéances n'attendront pas longtemps.
Louis Salleron.
24:260
### Une certaine idée de l'Amérique
par François Brigneau
DANS LES DERNIERS MOIS DE SA VIE, alors qu'il se trouvait au Panama, malade, abandonné, menacé d'arrestation et d'extradition, le Shah d'Iran éprouvait toute « l'amertume de l'homme trahi ». C'était surtout le retournement de M. Valéry Giscard d'Estaing qui l'encolérait. Un jour, devant un visiteur, il explosa :
-- Quand je pense qu'il y a moins d'un an cet homme m'appelait « Votre Majesté Impériale » et qu'il me léchait les bottes !
M. Pierre Salinger, qui fut l'attaché de presse de John Kennedy et qui dirige actuellement le bureau parisien de la chaîne de télévision américaine ABC-NEWS, rapporte ce trait, entre beaucoup d'autres, dans son dernier livre *Les Otages* ([^2])*.*
Il n'est d'ailleurs pas plus tendre pour son propre président, Jimmy Carter, l'éternel indécis, partagé et versatile, plus préoccupé de sa réélection que des intérêts supérieurs de sa patrie et qui occupe une place de choix au Panthéon des politiciens vendeurs de boniments et de paroles d'honneur bradées au kilo.
25:260
Le voici, par exemple, le 31 décembre 1977, à Téhéran. Le Shah donne une réception somptueuse au Palais de Niavaran. Des tapis persans couvrent le marbre des sols. Les murs-miroirs multiplient le reflet des lustres et des tables où luit l'or et scintille le baccarat. Le banquet a été fastueux : perles de la Caspienne, ce caviar spécial réservé au Shah, brochettes, pilaf, perdreaux émincés. La nuit se fait pour que flambent les glaces au sherry. Les vins sont français et le champagne du Dom Pérignon. Un orchestre joue Verdi et Chopin. Puis M. Carter se lève. Les électeurs américains l'ont élu contre le mensonge et pour sa loyauté. Il laisse glisser sur l'assistance son regard d'un bleu pâle. Puis, de sa voix « plate et monotone », car la vérité n'a besoin ni de trompettes ni de clinquant, il dit avec une conviction et une émotion qu'on n'a pas fini d'apprécier :
-- « L'Iran, dont le Shah préside si remarquablement à la destinée, est une île de stabilité dans l'une des régions les plus troublées du monde... En circulant dans les belles rues de Téhéran, aujourd'hui, avec le Shah, nous avons vu littéralement des milliers de citoyens iraniens rassemblés pour me manifester leur amitié. J'ai vu aussi des centaines, peut-être des milliers de citoyens américains, venus accueillir leur président dans cette nation qui a su les adopter et où ils sont chez eux... Votre peuple et les dirigeants de nos deux nations partagent le même profond attachement à la cause des Droits de l'homme. Il n'est aucun chef d'État envers lequel j'éprouve un sentiment plus profond de gratitude personnelle et d'amitié personnelle. »
Un an et quinze jours plus tard, nonobstant la qualité de cette gratitude et de cette amitié, M. Jimmy Carter et son gouvernement cherchaient fébrilement, dans l'arsenal des fourberies d'État, le prétexte le moins misérable qui leur permettrait de refuser l'entrée des U.S.A. à l'ami personnel du président en exercice, à l'ex Shah des Shah, à celui qui avait été la Lumière des Aryens et n'était plus qu'un pauvre diable de bouc émissaire, riche encore et pourtant démuni de tout, menacé par des tueurs à gages désireux de gagner de vitesse ce cancer de la lymphe qui se généralisait dans le corps du monarque déchu.
\*\*\*
26:260
Si riche que soit ce thème, ce n'est pourtant pas la tragédie du despote éclairé victime de ceux qui l'avaient poussé aux Lumières, qui retient M. Salinger. *Les Otages,* ce gros reportage-document-dossier de 308 pages, n'a pas cette ambition. Son sujet est ailleurs. Il préfère Pulitzer à Shakespeare. Rédigé, plus qu'écrit, selon les recettes du genre, quelques trucs hollywoodiens dans la construction du récit tenant lieu de talent, bourré de renseignements, même inutiles, il ne veut être que le récit détaillé des 444 jours de négociations multiples, confuses, embrouillées, parallèles ou croisées, contradictoires et contrariées, qui aboutirent finalement à la vente sur le marché des otages des 52 fonctionnaires américains blancs que les étudiants de la Révolution tenaient séquestrés à Téhéran.
Je dis *blancs* parce que les noirs, les indiens, les basanés d'origine mexicaine connurent un traitement de faveur. Leurs geôliers les libérèrent au bout de quelques semaines. M. Salinger se contente de rapporter le fait sans le commenter. A l'époque il n'émut personne. Aucun des professionnels de la lutte contre la discrimination raciale, que nous avons la disgrâce de rencontrer au Palais de Justice, ne crut de son devoir d'alerter les consciences sur ce cas de discrimination raciale. Le racisme ne choque pas quand il est anti-blanc.
\*\*\*
Le cirque dans lequel M. Salinger nous fait pénétrer se joue sur trois pistes. D'un côté il y a les États-Unis de M. Carter, saisis par l'extravagant phénomène de l'élection présidentielle, cette année sabbatique qui revient tous les quatre ans. De l'autre, il y a l'Iran de l'ayatollah Khomeyni, enflammé par la Révolution que les Soviétiques et leurs agents attisent et exaspèrent. Entre les deux se trouvent les otages prisonniers des étudiants, ces détonateurs des révolutions modernes, que tout révolte et surtout l'idée qu'il leur faut travailler pour apprendre et que transporte la possibilité d'interpréter la version persane (et améliorée) du mai 68 français devant les caméras du monde entier.
Raisonnablement, après quelques charivaris par les artistes, tout aurait dû trouver rapidement une heureuse solution. M. Carter avait besoin des otages : sa réélection en dépendait. Ils coûtaient cher à l'ayatollah Khomeyni tant en argent qu'en crédit moral. Enfin les étudiants ne savaient trop qu'en faire.
27:260
Mais les situations révolutionnaires aiment le saugrenu, l'abracadabrant et le surréaliste. Les Américains ne savaient comment, à qui et par qui parler aux révolutionnaires iraniens. Réfugié derrière sa barbe, l'ayatollah avait interdit sous peine de destitution, d'emprisonnement et même de mort, qu'on prit contact avec les États-Unis. Quant aux étudiants, encore éberlués d'avoir pu faire prisonniers les représentants du plus puissant pays du monde, alors qu'ils n'étaient que deux douzaines de palabreurs armés de quatre pistolets, ils flottaient sur un petit nuage rose et entendaient n'écouter personne.
Un tel état est naturellement propice à l'activité fébrile de négociateurs de fortune, bénévoles ou intéressés, illuminés, convaincus ou flairant le bon coup, agissant d'inspiration ou sur ordre, agents en mission ou ne représentant qu'eux-mêmes. Ici M. Salinger se trouve à son affaire. Il connaît tout le monde. Dès que cela frétille, remue et magouille, il arrive derrière son cigare et ses étonnantes cravates. Le nom de Kennedy continue d'agir comme un Sésame. Il ne nous fait grâce d'aucun détail. Son livre est bourré de renseignements, même inutiles, pour prouver qu'il était au parfum.
Et pourtant, malgré ce foisonnement de « secrets » et de « scoops », ce livre vaut moins par ce que son auteur nous révèle de l'imbroglio des tractations que par ce que nous découvrons, presque à son insu, du système politique mondial sous lequel nous vivons.
\*\*\*
Ainsi on est frappé par l'attitude de M. Salinger devant la prise des otages. Il l'accepte. Il ne manifeste ni indignation, ni colère. Il n'appelle pas aux représailles. Il semble ignorer l'importance de l'affront ; ses conséquences sur l'avenir de la politique américaine.
Le drame quotidien des hommes et des femmes séquestrés, leurs : angoisses, leur héroïsme ou leurs défaillances ne l'intéressent pas davantage. Il n'en parle pas. Pas un mot. C'est tout de même curieux. S'ils avaient été aux mains du général Pinochet, je me demande si M. Salinger aurait été aussi indifférent à leurs misères.
Sur leur emprisonnement sans motif ni jugement, par des trublions sans mandat, dans des prisons clandestines, il paraît partager l'opinion de ses interlocuteurs khomeynistes ou pro-khomeynistes qui répètent :
28:260
-- Il ne sert à rien de condamner cette prise d'otages. L'important c'est de réussir à les libérer. Et de savoir comment nous allons nous y prendre, quel stratagème nous allons établir, quel scénario (le mot revient vingt fois) nous allons monter pour y parvenir.
Le livre n'aurait donc pas dû s'appeler *Les Otages.* Ce titre est un titre racoleur et menteur. Le vrai titre aurait dû être : *Match pour la libération des otages.* La seule fièvre qui court dans ce récit rappelle celle des amateurs de spectacles sportifs.
Allons plus loin. Cette acceptation du fait accompli est très révélatrice de l'esprit, de la morale, du comportement de *l'establishment* politique multinational dont M. Salinger est une des figures les plus représentatives. Pas une seule fois il ne pose ni ne se pose la question essentielle. A savoir :
-- Et si la libération des otages n'était pas le problème n° 1 ? Et si les conditions de leur libération étaient plus importantes que leur libération elle-même ? On sacrifie volontiers des soldats aux intérêts supérieurs de la patrie. Pourquoi n'accepterions-nous pas de sacrifier des diplomates et des fonctionnaires du corps diplomatique si le passé, le présent, l'avenir des États-Unis, la politique des États-Unis, les intérêts supérieurs des États-Unis, une certaine idée des États-Unis d'Amérique et de l'honneur américain l'exigeaient ?
M. Salinger est Juif. Le gouvernement d'Israël ne cède jamais au chantage aux otages. On l'a vu à Munich. Ce ne sont pas des soldats qu'il a sacrifiés. Ce sont des athlètes. Nous avons tous été sensibles à la grandeur et à l'héroïsme de cette décision. Les juifs, eux, en ont tiré des motifs de fierté et d'orgueil ; M. Salinger en tête ; et ils avaient raison.
Mais alors, comment expliquer que M. Salinger n'en exige pas au moins autant du gouvernement américain qui a des moyens que ne possède pas Israël ? Quand on célèbre Fort Alamo, en cinémascope, comment peut-on accepter d'un cœur si léger la reddition de l'ambassade de Téhéran et l'aplatissement de Washington dans les palabres des marchands de tapis qui vont suivre ?
29:260
M. Salinger est un homme répandu. Il s'est frotté aux intellectuels les plus huppés ; surtout à ceux qui font la couverture des magazines. Ne serait-ce qu'à cause des Kennedy, il ne peut pas oublier que la mort est l'étalon qui permet de mesurer la vérité des hommes, la valeur de leurs engagements, leur sincérité, leurs vertus, et même leurs passions. Quand le sacrifice suprême n'est plus exigé ou offert et donc célébré et honoré, nos civilisations sont atteintes dans leur ressort essentiel. Comment expliquer, dès lors, que M. Salinger, acteur et spectateur du grand « show » politique planétaire, ne se passionne que pour les mécanismes de la digestion d'une capitulation, le suspense de bazar qui en découle et les tribulations des marchands de poudre de perlimpinpin qu'elle entraîne ?
Ne serait-ce pas parce que M. Salinger est intellectuellement et sentimentalement de gauche et que malgré l'Islam et le traditionalisme révolutionnaire de Khomeyni, la révolution iranienne est une révolution de gauche, en tout cas une révolution qui profite de la gauche, une révolution dont le bénéficiaire numéro 1 sera l'impérialisme, communiste, le seul mouvement organisé capable de profiter de l'affaiblissement du prestige américain ? Ainsi que des répercussions fâcheuses que cette situation a sur le ravitaillement pétrolier des U.S.A. ?
Ce qui est important dans ce livre, ce que l'on y découvre presque à l'insu de son auteur c'est cela, c'est la fascination que l'intelligentsia américaine éprouve, jusque dans sa Maison Blanche, pour la gauche cosmopolite plus ou moins manipulée par le K.G.B.
Je ne citerai qu'un exemple. Le président des États-Unis en personne reçoit, dans le bureau ovale, un des personnages les plus remuants et les plus ténébreux de l'intrigue. Il s'appelle Christian Bourguet. C'est un Français, avocat et militant d'extrême-gauche. Il l'affiche jusque dans sa tenue. Il porte la barbe et les cheveux longs comme un drapeau. Le détail ne saurait freiner M. Carter. Il s'avance vers M^e^ Bourguet, la main tendue. Un grand sourire éclaire son visage anxieux. Et il s'écrie :
-- Ah ! Christian, notre héros !
Qu'a fait M^e^ Bourguet ? Rien qui ait abouti. Toutes ses démarches ont tourné court. Toutes ses négociations ont avorté. Il n'a enregistré que des échecs. Non seulement il n'a pas réussi à faire libérer les otages de Téhéran, mais il n'a pas non plus réussi, à Panama, à faire incarcérer le Shah, le meilleur ami du président Carter, ainsi qu'il en avait le projet. Mais peu importe. Ledit président Carter est ravi de le recevoir. Il s'écrie :
30:260
-- Ah ! Christian, notre héros !
Il faut ajouter que M^e^ Bourguet est un adversaire déterminé des États-Unis. Il est membre de l'association « Amitié et Solidarité du peuple iranien » dont le président est M^e^ Nuri Albala, son ami, avocat français, membre du parti communiste, ou pour être plus précis, plus près de la vérité, agent communiste international. M^e^ Albala voulait que les otages américains de Téhéran fussent jugés par un tribunal de Nuremberg-bis. C'était l'idée d'un autre négociateur, l'Irlandais Sean Mac Bride, prix Lénine, fondateur d'Amnesty International. Partout, et en particulier lors de la guerre du Vietnam, M. Christian Bourguet avait travaillé à la défaite des États-Unis. C'est-à-dire à la victoire de l'expansionnisme soviétique. Il n'empêche. Dans le bureau ovale de la Maison Blanche, le président des États-Unis le recevait avec tous les honneurs et lui disait :
-- Ah ! Christian, notre héros !
\*\*\*
La chute du Shah d'Iran a des causes multiples où l'Amérique tout entière a beaucoup de responsabilités. Mais dans la phase finale de cette chute, dans l'abandon déshonorant d'un homme qu'on avait porté, d'un allié qu'on avait flatté, d'un chef politique qu'on avait guidé, d'un ami pour lequel on éprouvait de la gratitude, c'est la gauche américaine, celle de M. Salinger et de ses coteries, que l'on trouve aux postes de commande de l'ignominie -- cette gauche qui, aux États-Unis comme ailleurs, qu'elle soit aveugle ou consciente, fait toujours le jeu du communisme.
Le Shah avait découvert cette vérité première qui donne la clef de toutes nos défaites. Quelques mois avant de mourir, il commentait ainsi le chaos iranien :
31:260
« Chaque jour apporte son contingent de meurtres, d'effusions de sang et d'exécutions sommaires, l'annonce de la mort d'amis et de tant d'innocents. Toutes ces horreurs font partie de la destruction systématique par Khomeyni du tissu social que j'avais tissé pour mon pays en 37 ans de règne. Il est bien triste de constater que les États-Unis, comme la plupart des pays occidentaux, ont en matière de moralité internationale deux échelles de valeurs : toute action se réclamant du marxisme, quelque sanglante et vile qu'elle soit, est acceptable ; la politique des gouvernements socialiste, centriste ou de droite, elle, n'est pas acceptable. »
C'est la meilleure citation du livre de M. Salinger.
François Brigneau.
32:260
### L'utopie naturiste de l'écologie
par Gustave Thibon
CHOSE ÉTRANGE : quand, il y aura bientôt un demi-siècle, j'émettais des idées très modérées sur les impasses et les dangers de la civilisation technique, je passais pour un affreux rétrograde, un nostalgique du passé et un avorteur de l'avenir, tandis qu'aujourd'hui les mêmes idées poussées à l'extrême sont passées dans le camp du futurisme révolutionnaire. En bref, la politique s'en mêlant, la couleur du pavillon écologique a viré en quelques années du blanc au rouge.
Indigné -- et non sans raison -- contre les retombées malsaines de la civilisation industrielle (concentration urbaine, nourriture frelatée, bruit, pollution, etc.), un jeune écologiste me déclarait récemment : « nous vivons dans un milieu artificiel qui déshumanise l'homme, et il n'est pas d'autre solution qu'un retour massif à la nature ».
La création et la vogue très récente du mot « naturisme » correspond parfaitement à cette mentalité.
Mais je pose aussitôt la question : qu'entend-on par naturel et par artificiel ? La nature, c'est l'ensemble de la création -- minéraux à l'état brut, plantes et animaux sauvages -- tel qu'il se présente en dehors de toute intervention humaine.
33:260
Tout le reste -- depuis la culture des plantes, l'élevage des animaux, la confection des vêtements, la construction des maisons jusqu'aux plus hautes réalisations de la science et de l'art -- c'est l'œuvre de l'homme et par conséquent artificiel. Le naturisme intégral consisterait donc à errer tout nu dans la bonne nature et à chercher, au hasard des saisons et des rencontres, de quoi se nourrir et où s'abriter. Combien de jours survivrait-on dans nos climats et, en hiver, combien d'heures ?
Qui parle d'aller jusque là ? a rétorqué mon jeune naturiste. Je veux dire simplement qu'il faut se rapprocher le plus possible de la nature. Exemple : je viens de passer quinze jours à la montagne. La pureté de l'air, l'ivresse du ski sur les pentes, la contemplation des cimes neigeuses est-ce que cela se compare avec l'atmosphère polluée des villes, la circulation dans le métro et la vision affligeante des H.L.M. ?
Je suis bien d'accord, mais je vous ferai deux remarques.
J'ai bien connu dans ma jeunesse des paysans de la Haute-Ardèche. Ils vivaient, suivant l'idéal que vous proclamez, aussi près que possible de la nature : habitat sommaire, nourriture empruntée presque exclusivement aux produits de la terre qu'ils cultivaient et par là terriblement monotone (pain de seigle, châtaignes, laitages), travail accordé au rythme des saisons, etc. Et je dois vous avouer qu'ils ne représentaient, ni au physique, ni au moral, des types accomplis d'humanité. L'âpreté de leur combat avec la nature usait très vite leur corps et paralysait leur esprit. -- Et quant à vos radieuses vacances de neige, laissez-moi dire qu'elles n'ont aucun rapport avec la dure vie quotidienne de ces pauvres gens, mal nourris et mal logés, en proie aux rigueurs de l'hiver. Est-il « naturel » de trouver des remonte-pentes au flanc des cimes et des hôtels bien équipés pour vous accueillir après les saines fatigues du ski ? Et n'est-ce pas cette civilisation technique que vous maudissez qui vous fournit l'argent et les loisirs par lesquels vous jouissez pleinement des avantages de l'hiver sans souffrir le moins du monde de ses inconvénients ? Mais quoi de plus artificiel que cette nature si soigneusement aménagée pour votre confort et votre plaisir ?
De même dans tous les autres domaines. L'illusion -- pour ne pas dire l'hypocrisie -- du naturisme consiste à faire un crédit illimité à la nature tout en restant solidement adossé aux progrès scientifiques et techniques qui nous protègent contre sa cruelle indifférence.
34:260
L'alimentation. Je connais et je réprouve les excès de la chimie alimentaire. Mais ces aliments dits « biologiques » qui jouissent aujourd'hui d'une si grande vogue, les trouve-t-on tels quels dans la nature ? Et se souvient-on des famines qui décimaient les populations aux époques où l'agriculture embryonnaire s'écartait si peu de la nature ?
L'hygiène et la médecine. On dénonce à juste titre l'abus des remèdes et les maux qui en résultent. Mais quoi de plus naturel que les miasmes, les microbes et tous les agents pathogènes qui existent à profusion sur la planète et qui causaient jadis tant de ravages ? est-ce en laissant faire la nature qu'on guérira de la diphtérie ou du diabète, qu'on éliminera un calcul de la vésicule ou qu'on verra repousser une dent qui tombe ?
En matière sociale, les sociétés de sauvages sont-elles plus harmonieuses, plus justes, plus respectueuses de la dignité humaine que nos civilisations trop élaborées ? A voir le visage et le comportement des tyranneaux éphémères que furent un Amin Dada ou un Bokassa, on les devine plus près de la nature et de ses pulsions élémentaires que les dirigeants de nos pays occidentaux. Mais serait-ce un « retour aux sources » que de vivre sous leur dictature ?
Concluons. Les écologistes affirment avec raison que la nature n'est pas un matériau informe que le génie humain peut modeler indéfiniment au gré de ses désirs et de ses ambitions. Elle a ses lois et ses harmonies dont le viol trop poussé et trop prolongé équivaudrait pour nous au suicide. Mais ces lois et ces harmonies sont relativement élastiques et c'est la vocation de l'homme, le seul être conscient et libre de la création, d'infléchir ces déterminismes aveugles pour les accorder aux exigences de sa survie et de son bien-être physique comme de son accomplissement spirituel. Il ne s'agit donc pas d'une alternative entre l'exploitation sans frein et le respect inconditionnel de la nature mais d'un dosage de ces deux attitudes. Toute civilisation est un mélange, à proportions variables, d'obéissance à la nature et de victoire sur la nature.
Que notre civilisation industrielle ait besoin d'être rééquilibrée, personne ne le conteste. Mais c'est à la science et à la technique, éclairées et orientées par la sagesse et l'expérience, qu'il appartient de corriger leurs erreurs et leurs abus passés ou présents.
35:260
Sinon, comme on l'a déjà vu aux époques chaotiques qui ont suivi la chute de l'empire romain, le retour brutal à la nature signifierait purement et simplement le retour à la barbarie...
Gustave Thibon.
36:260
### Quand l'illusion est quotidienne
par Georges Laffly
#### *Télévision et ubiquité*
Avec la télé, nous sommes reliés par l'image et par le son, dans l'instant même, à n'importe quel coin de la terre. C'est comme si nous étions transportés aux Indes, ou à New York, ou sur un chalutier de l'Atlantique, partout où il se passe quelque chose.
Comme si nous étions transportés ? C'est beaucoup dire. Quand on nous affirme que des dizaines de millions de personnes ont vu en direct un championnat de tennis, « en direct » signifie seulement que nous voyions les images à mesure que le jeu se déroulait. En direct veut dire ici en même temps, et non pas directement, puisqu'il y a un intermédiaire : la caméra et celui qui l'utilise. C'est le journaliste qui filme qui est en direct. Il s'est déplacé, et c'est par ses yeux, en quelque sorte que nous voyons : les images sont celles qu'enregistre son regard. Ils sont au mieux deux ou trois hommes à voir, et nous sommes des millions à recevoir leurs images. Le corps social délègue ses émissaires au contact de la réalité, et les foules de cellules de ce gros corps perçoivent et digèrent le résultat.
37:260
Ce n'est que par illusion que nous sommes persuadés de voir par nous-mêmes. Chacun de nous seul face à son appareil peut s'imaginer que c'est son propre regard qui est porté sur l'événement. Quand nous en parlons ensuite, nous comprenons que nous étions un élément d'une foule. Conséquence : une cohésion supplémentaire de la société, une uniformité plus grande. A la même heure, tous ensemble nous avons regardé le même spectacle. Nous avons réagi à peu près de la même façon. L'instrument collectif qu'est la télé a une fois de plus modelé notre sensibilité à sa manière, et nous a alignés sur le même profil. Autre conséquence : une dépossession. Nous n'avons pas choisi le programme (en France, nous avons quatre possibilités : ouvrir une des trois chaînes, ou fermer le poste). Nous n'avons pas non plus choisi le regard porté sur l'événement. Pour un match, cela peut constituer un avantage : les caméras, bien placées, multiples, nous permettent de nous déplacer sur le terrain (exactement permettent un regard multiple), ce qui n'est pas possible pour qui a loué un gradin. Mais s'il s'agit d'une enquête, d'un reportage, nous savons bien -- nous oublions que nous aurions vu d'autres choses, posé d'autres questions, peut-être suivi d'autres pistes.
Nous ne sommes pas transportés sur des lieux lointains. Nous voyons et écoutons ce que d'autres voient et entendent parce qu'ils ont fait le déplacement. Forcément, leur manière de voir agit sur nous, depuis le sujet qu'ils ont choisi jusqu'à leur manière de le traiter.
La télé nous mène partout où il se passe quelque chose. Mais c'est elle qui peut décider de ce qui se passe, choisir ses sujets, orienter notre curiosité (et donc également détourner notre attention). Le sujet choisi, la façon de l'envisager, les faits que l'on souligne et ceux que l'on omet, tout cela constitue un filtre, qui s'impose à nous. En dehors de ce qui tient à l'idéologie et à la mode, le tempérament de chacun est aussi un filtre inévitable. Et c'est bien pour cela qu'il ne faut pas oublier que ce n'est pas notre regard qui se pose sur la réalité, mais le regard du journaliste qui nous parvient. Si nous n'y prenons garde c'est son regard, sa manière de voir qui se substitue à la nôtre : nous finissons par l'adopter.
38:260
Il est donc bon de se rappeler qu'entre la réalité et le spectateur il y a ce relais obligatoire. Au moment même où j'imagine être témoin d'un fait, je suis seulement témoin de ce qu'un autre a vu. Drôle de témoin, qui voit, mais qui ne peut pas intervenir. Le témoin qui ne peut pas se faire égorger. Situation idéale ?
La télé réalise le vieux rêve de l'ubiquité : se trouver au même moment en des lieux différents. Mais ce rêve, réalisé par une machine, est bien incomplet. On ne se trouve pas vraiment en plusieurs endroits, on croit y être.
#### *Les distributeurs automatiques*
Notre société devient abstraite. Les chiffres et les machines mettent un écran entre la réalité et nous. Un geste typique, c'est celui qu'on a avec les distributeurs automatiques. On glisse une pièce dans une fente, on ouvre un tiroir, et on en tire une marchandise.
Il y a là quelque chose de mécanique, d'autonome, de parfait (parfait parce qu'inhumain) que le commerce ne connaissait pas. N'oublions pas que l'un des sens de ce mot est « fréquenter, avoir des relations » avec des gens. Dans le commerce moderne, c'est justement cette communication avec d'autres hommes qui tend à disparaître. La marchandise surgit comme par magie, en échange d'une pièce qui a elle-même quelque chose de magique, puisque sa valeur n'a rien d'objectif, de raisonnable. Elle est fixée par décret.
Dans cette opération du distributeur, on évite le contact avec le commerçant, comme on évite le contact avec la matière. Le produit à consommer apparaît « conditionné », enveloppé de papier ou de plastique. Dans les marchés, on voit de plus en plus des légumes, des fruits qui sont présentés ainsi. Et aussi bien des tranches de viande. Cela enlève à ces objets élémentaires quelque chose de naturel, pour leur attribuer en quelque sorte une garantie de produit fini, aseptisé, hygiénique. L'effet peut être rassurant ou rebutant, selon l'humeur.
39:260
L'échange de la marchandise contre l'argent est le point de rencontre de deux longues séries de gestes qui convergent vers ce point commun. Tout se passe aujourd'hui comme si l'on faisait oublier ce qui se passe avant cette rencontre. Elle devient hasard pur.
L'exemple de l'aliment est le plus simple. Pour qu'il arrive au stade de la marchandise, il a fallu de longues actions de culture, des semailles à la récolte, puis le transport, des transformations diverses, du blé en farine puis en pâte, par exemple, et des opérations d' « habillage ». Pour l'autre série, celle qui aboutit à la pièce de monnaie, elle représente le travail quotidien, ses chances et ses fatigues.
De plus en plus, le consommateur est inconscient de la première série de gestes. Il est incapable de l'imaginer, faute d'expérience. Quant à la deuxième, celle qu'il produit lui-même par son travail, elle devient aussi abstraite. On voit mal le rapport entre les heures passées à l'usine ou au bureau et l'obtention d'un bien. Ce rapport peut être flou : on peut estimer que l'effort fourni vaut plus que le salaire reçu. Ou bien l'argent a été gagné au tiercé, au loto il est devenu la preuve d'une chance, d'un coup heureux. Pensons aussi au cas où c'est un enfant qui actionne le distributeur automatique. L'argent dépend des parents. Pendant ses quinze premières années au moins, un enfant s'habitue à recevoir de l'argent sans effort de sa part. C'est le hasard familial qui décide certains en ont beaucoup, d'autres peu (et ce ne sont pas les familles les plus riches qui donnent le plus d'argent de poche).
Pas étonnant si tout cela donne l'impression d'une magie. On se retrouve au pays des souhaits, où c'est une fée, un lutin, qui décident ce que vous aurez, sans que la raison intervienne. On est plongé dans un infantilisme qui est le résultat paradoxal d'une société industrielle fondée sur le calcul rationnel, l'effort, l'efficacité. Les biens essentiels en sont d'ailleurs dévalués. Hier, on n'aurait pour rien au monde jeté du pain. Un croûton était respecté, parce qu'il représentait la céréale divine. Personne ne sait plus cela. On jette, on gaspille, parce qu'on croit vaguement que tout est indéfiniment remplaçable, qu'il n'y a pas de limites à ces richesses-là : il suffit de trouver le distributeur.
40:260
#### *Le chapeau et la cravate*
Imaginez la scène. Nous sommes en 1940, année tragique. A Versailles, le préfet, Robert Billecard, homme d'intelligence et de caractère, se débat presque seul au milieu de difficultés immenses. Un matin où il doit partir pour Étampes, son adjoint, Michel Junot, s'apprête à le rejoindre dans la voiture quand il est arrêté par une remarque sèche : « Vous ne pensez pas, je suppose, partir dans cette tenue ? » Junot, déconcerté, examine la manière dont il est vêtu. Et le préfet, agacé, reprend « Où est votre chapeau ? »
Il était inconcevable à ses yeux que l'on puisse se présenter tête nue. Et répétons-le, R. Billecard était un homme de grande valeur. C'est Michel Junot, aujourd'hui médiateur de Paris, qui raconte cette histoire dans son livre charmant et véridique *L'Illusion du bonheur* (éd de la Table ronde). C'était il y a quarante ans. Des détails de ce genre permettent de mesurer ce qui sépare deux époques.
Nous aurions tort de nous étonner trop fort. Les hommes se sont depuis démunis du chapeau, accessoire vestimentaire qui avait d'ailleurs son utilité, protection contre le soleil, le vent et la pluie. Ils ne sont toujours pas débarrassés de la cravate, ornement ridicule, nœud coulant qui les étrangle, tissu qui pend bêtement sur la poitrine et par-dessus le marché ne sert strictement à rien.
Il y a là une forme de fétichisme. Dans un certain nombre de professions, impossible de se passer de cet appendice. Un candidat sans cravate ne se fera pas embaucher, et après vingt ans de loyaux services, un homme fera scandale et sera soupçonné de vouloir partir avec la caisse s'il se présente chemise ouverte ou avec un polo à col roulé. Sans doute, la domination de la cravate n'est plus aussi absolue qu'elle le fut. Mais elle reste immense. Les extravagances de mai 68 n'avaient peut-être pas d'autre ambition réelle que d'abolir ce carcan. Ce fut l'échec. Les cols Mao ou les cols roulés tentèrent une percée un moment réussie, mais ne tardèrent pas à reculer, à renoncer.
41:260
La cravate est restée l'insigne de l'homme sérieux, responsable. On ne pénètre pas sans elle dans un certain nombre de lieux honorables, des palais des fonctionnaires aux grands restaurants.
Il a fallu deux guerres mondiales, des révolutions plus ou moins complètes, la bombe atomique et les voyages dans la lune pour que les chapeaux s'envolent et que les guêtres tombent. Mais les hommes sont toujours tenus en laisse par leur ruban bizarre, symbole de l'esclavage à l'égard des idées reçues. Ils font penser au chien de la fable, qui gardait la trace du collier. « Attachés ? dit le loup ». Nous aussi nous sommes attachés.
#### *Magie technique et séduction*
Nous avons des escalier roulants pour monter les étages sans fatigue, et aussi de portes à œil électronique qui s'ouvrent toutes seules. Pour quoi prend-on tant de soin ; pour nous éviter les efforts C'est vrai que la vie dans les villes est fatigante, mais on n'y souffre pas en général d'un excès d'exercice musculaire Ce sont plutôt les nerfs qui sont éprouvés.
On peut avoir une idée de ce qui se passe en comparant ascenseurs et escaliers roulants. On trouve les deux appareils dans les grands magasins et ils remplissent le même office : faire parcourir les étages sans remuer les jambes. Il y a quand même une différence. Incontestablement, l'escalier roulant est plus amusant. Au lieu d'être enfermés et pressés dans une cage où l'on ne voit que les parois d'une cellule, les clients sentent qu'ils s'élèvent, et leur regard s'étend au loin. Ils voient s'enfoncer sous eux les présentoirs et les objets de l'étage qu'ils quittent. Ils dominent un monde qui s'éloigne, ils accèdent à un autre étage, à un autre état. Cette ascension où l'on est immobile, souverain, ressemble à une apothéose. Grimper, qui est si pénible, devient une opération de majesté.
42:260
Pour l'ouverture électronique des portes, on ne peut vraiment pas dire qu'elle épargne une fatigue. Le but est donc différent. Vous avancez et deux panneaux de verre s'écartent devant vous pour vous livrer passage. Il est clair qu'en cet endroit, vous avez vos entrées, comme on dit. Vous voilà à la fois reconnu (pas besoin de frapper, de donner son nom) et honoré. C'est comme si l'on vous disait : vous êtes chez vous. Rien de plus flatteur. Des serviteurs invisibles sont là pour vous attendre et pousser quand il le faut les panneaux de la porte.
Et il est vrai que la technique a mis à notre disposition toutes sortes de serviteurs qui chauffent l'eau, apportent la lumière, lavent le linge, nous font voir ce qui se passe à l'autre bout du monde ou rouler à cent vingt à l'heure. Nous finissons par les oublier, sauf pour nous plaindre d'eux quand ils ne font pas leur travail. Nous sommes habitués à la puissance, comme un riche Romain entouré de mille esclaves. Et cette puissance est magique, d'abord parce que nous l'expliquons mal. Qui sait comment fonctionnent un frigo, une télé ? On l'apprend et on l'oublie. On se contente de pester quand il faut appeler le réparateur. Puissance magique aussi parce qu'elle ajoute au service le plaisir.
La porte automatique est un bon exemple. Elle nous flatte. Elle nous dispose donc favorablement envers l'hôte qui nous accueille si bien et reconnaît notre importance. Cet hôte, c'est une banque, ou un magasin aussi rempli de richesses que la caverne d'Ali Baba. Et nous n'avons même pas besoin de dire « Sésame, ouvre-toi ». On nous attendait. De même nous sommes heureusement impressionnés par l'ascension due à l'escalier mécanique. Nous accédons à l'étage cherché dans l'euphorie.
Dans les deux cas, il y a une entreprise de séduction. A l'éclat des objets qui nous accueillent, à leur élégance, il faut ajouter une musique berceuse qui nous maintient dans le rêve. Nous arrivons *enchantés.* Bien sûr, la caverne ne livre pas ses trésors pour rien, à nous de ne pas l'oublier. Les petits cartons avec les prix sont là pour nous ramener sur terre. Mais la magie a joué. Il semble que le but de notre technique est de remplacer la nature par un monde où tout est facile, tout est offert. Comme dans les jardins des contes, où l'on ne voit jamais bêcher ou arroser, mais où les fruits pendent, en toute saison, à portée de la main. La technique, en ce sens, nous donnerait un monde où il n'y a qu'à cueillir, où il n'y a rien à faire.
43:260
Rien à faire ? Ce n'est pas souhaitable : on le comprend quand on voit que les gens écoutent leur radio, mais ne chantent plus. La radio chante pour eux, et mieux qu'eux (on veut bien le croire). Pourtant, il vaudrait mieux qu'ils ferment leur appareil et poussent leur chansonnette, même faux.
#### *Mythologie*
Le mot histoire a pris une nouvelle signification, du jour où avec la philosophie allemande, on a pensé que l'histoire a un sens, qu'elle est le juge des actions des hommes. Dans l'esprit de beaucoup cette notion est devenue ceci l'histoire est une sorte de déesse, qui représente le destin. Mystérieusement, l'histoire décrète, tranche, mais elle peut aussi s'absenter, malgré les prières des militants.
Exemples.
I. -- Un professeur de lettres, rocardien, à Carmaux, dit : « *L'histoire n'avance pas toujours aussi vite qu'on le voudrait *» (Voir *Le Monde* du 11.11.80).
II\. -- Dans l'avion qui le ramène du Caire, après l'enterrement de Sadate, Mitterrand parle avec des journalistes. Il leur dit que la mort de Sadate était inscrite « *dans la dialectique de l'Histoire *» car « *tant de gens et d'organisations l'avaient souhaitée que le chemin en était déjà frayé *» (*Le Monde,* 13.10.81).
Il faut croire que le chemin n'avait été frayé ni pour Hitler, ni pour Staline, ni pour Gengis Khan.
III\. -- A l'Assemblée nationale, Vouillot, député du P.S., déclare : « *1936... 1981, l'histoire reprend son cours *» (*Le Monde,* 21.11.81).
Ce dernier exemple est celui qui me plaît le plus. Ainsi l'histoire marche ou s'arrête, coule ou gèle selon que la gauche est au pouvoir ou non. Entre 36 et 81, nous étions en panne d'histoire, malgré la guerre mondiale, la bombe atomique, la décolonisation, etc.
L'histoire est donc une déesse bizarre, qui ne vit, ou n'apparaît dans la vie des hommes, que lorsque la gauche est au pouvoir. Son action est alors très forte : elle accomplit les volontés de la gauche. Si celle-ci perd le pouvoir, l'histoire s'envole dans les nuages, et tout ce qui peut arriver alors n'est qu'une suite d'accidents sans signification, donc sans portée. Non avenus, véritablement. Tout au plus, pendant ce temps, les prêtres de l'histoire, c'est-à-dire les dirigeants de la gauche, peuvent-ils dire ce que l'histoire ferait, ce qu'elle fera fatalement un jour.
De même les tribus primitives croient-elles que les hommes des autres tribus sont des fantômes, de faux hommes, qui feignent de chasser, de chanter ou de manger, qui feignent de parler. Ils ne *sont* pas vraiment. Et l'histoire qui se fait hors de la gauche est une fausse histoire, qui ne compte pas. L'assassinat de Jaurès est un crime, non pas, comme vous et moi le pensons, parce qu'il est un assassinat, mais parce qu'il contrarie les desseins de l'histoire. Celui de Sadate est au contraire inscrit « dans la dialectique de l'histoire », ce qui fait qu'il est certainement beaucoup moins coupable, et peut-être pas coupable du tout.
Georges Laffly.
45:260
### Pour les jeunes artistes
VII\. -- Histoire de l'art
par Bernard Bouts
Il paraît qu'on n'étudie plus l'histoire dans les écoles des Beaux-Arts brésiliennes, serait-ce possible ? Remplacée, me dit-on, par la psychologie de l'art. Je croyais au contraire que l'histoire -- additionnée sans doute de psychologie, de philosophie et même d'un peu de chimie de la couleur -- était la seule chose que puisse enseigner un professeur, le reste, c'est-à-dire tout, ne pouvant que se repasser de maître à élève, sur le tas.
Tout cela n'est pas facile. Les professeurs de dessin ne forment guère que d'autres professeurs de dessin et finalement tout tourne en rond sans grand profit pour la création ; et je comprends jusqu'à un certain point les esprits indépendants qui veulent faire table rase du passé dans l'espoir de percer le cercle vicieux pour se retrouver sur leurs pieds et non sur ceux des autres.
46:260
Mais voilà, qui dit qu'ils pourront seuls repenser et réapprendre ne serait-ce que les techniques matérielles ? et puis, auront-ils le courage et la patience de se plier à une discipline personnelle d'apprentissage comme font les musiciens (et les sportifs), dans un art où l'on est à la fois créateur et exécutant ? Enfin la technique intellectuelle, qui est la vision du chemin à parcourir, n'est pas toujours claire ; ne risquent-ils pas de se tromper de route plusieurs fois dans le labyrinthe ou le jeu d'échecs de la pensée appliquée avant de trouver la vérité ?
Qu'on ne vienne pas me rebattre les oreilles avec le lieu commun : « à chacun sa vérité ». Rien n'est plus faux en art, malgré les manières très diverses et des résultats en apparence différents. L'essentiel est de garder, respecter les constantes, sortes de lois naturelles, dont la principale est *l'expression par la forme* et non pas par les gesticulations ou les expressions psychologiques. Un certain statisme est nécessaire pour parler des valeurs de l'âme ; la civilisation n'est rien d'autre que de placer très haut ces valeurs. Ni les cris, ni les impressions, ni les sensibilités, ni les surcharges, ni les grâces, ni les ombres douteuses, ni les révoltes ne retrouveront les valeurs dont je parle.
Il est bon de le savoir, et puis il faut un don. Sans les connaissances le don risque d'être mal servi, mais sans le don les connaissances risquent d'être mal traitées. Enfin il faut l'amour : l'amour du travail soigné, l'amour de la réussite, et l'amour du travail en soi : car il ne faudrait pas croire que ce soit toujours amusant de peindre, et une personne qui n'est pas habituée au travail, quel qu'il soit, aura tendance à bâcler ce qui l'ennuie.
Telles sont en quelques mots les données essentielles de l'art et je ne développerai pas, sachant de longue date que si on ne comprend pas ces premières données, grosso modo, on ne comprendra pas mieux les détails, mais si vous les comprenez, il suffit.
Tout ce que je viens de dire s'adresse à ceux qui peignent plutôt qu'à ceux qui regardent. Comment ces derniers doivent-ils regarder ? Il y a une infinité de livres et de manuels pour répondre à ces questions, généralement compliqués comme des grammaires mais sans choix, dans leur souci de rester libéraux, à tel point qu'ils placent sur un même niveau les œuvres savantes et les enfantillages, nous faisant prendre à longueur de chapitres des vessies pour des lanternes. Ce sont la plupart du temps des nomenclatures, des classifications arbitraires où sont recherchées avant tout les influences et les raisons, et nous sourions de voir comme il leur arrive de passer à côté. A côté de quoi ? Mais, à côté de ce qui s'est passé ! La réalité des faits échappe facilement aux intellectuels, mais hélas, il faut convenir que ce ne sont pas souvent les artistes d'aujourd'hui qui pourront donner des indications sur les sources de leur inspiration et les raisons de leur choix.
47:260
Je veux dire finalement que hors quelques directives, quelques lois de caractère général, quelques concepts inhérents à l'art, on n'explique pas l'art, qui reste imprévisible comme les mouvements de l'esprit. Nous pouvons multiplier et affiner nos connaissances, nous pouvons parfois, à l'extrême, raisonner des détails de proportions, ou des rapports de couleurs, mais enfin c'est *la longue pratique du métier* qui compte et, pour le spectateur, *la fréquentation des œuvres de qualité.* J'ai vu en France que même les personnes qui ne s'y connaissent pas en vins boivent du vin. C'est leur droit de s'émoustiller mais ce n'est pas eux qui feront augmenter la qualité du vin. J'ai vu aussi des gens, beaucoup de gens à vrai dire, qui, après vous avoir annoncé qu'ils ne connaissent rien en art, vous étalent leurs goûts et, non contents d'opiner, jugent péremptoirement des œuvres et des ouvriers sur la base de leurs connaissances réduites. C'est un peu court, mais cela fait partie du libéralisme général.
On a cru, il y a peut-être encore des gens qui croient au progrès de la civilisation par le libéralisme et par le suffrage universel, et pourtant, sans vouloir me fourvoyer dans les politiques ou dans les mathématiques ou les informatiques, je me permets, après cinquante ans de navigation dans le badigeon et dans les milieux d'art et les problèmes de l'art, d'insinuer que la culture artistique (et la civilisation à laquelle elle contribuait) ne montera ni par le vote populaire, ni par les ouvrages de divulgation, mais par la qualité d'âme des créateurs. Le peuple s'y reconnaîtra et suivra.
Mais alors, ne faudrait-il pas commencer par éliminer les imposteurs et les commerçants ? Ceci me semble un problème insoluble, aussi bien dans les pays capitalistes que dans les pays collectivistes, tant qu'on n'arrivera pas à reformer un système corporatif, qui était autrefois ce qui se faisait de mieux, ou de moins mal, pour mettre en valeur les ouvrages valables.
Bernard Bouts.
48:260
### Le roman des prénoms
*Jean*
par François Sentein
*La préface à ces études de François Sentein a paru dans notre numéro 255 de juillet-août* 1981* :* « *Raisons et roman des prénoms. -- De la liberté des noms des enfants de Dieu. -- Du prénom propre au nom commun. *»
JEAN*,* contraction du médiéval *Jehan,* est parvenu au français par la forme latine et grecque *Iohannès,* qui transcrivait l'hébreu *Yehôhanan,* contracté en *Yôhânân,* et signifie « Donné par Dieu, Cadeau de Dieu ». Le même sens est rendu par les noms grecs Théodore et Théodora. Si à Byzance et en Russie ces deux noms connurent le succès (Feodor\>Fiodor Dostoïevski), en France ils n'évoquent qu'une pièce de Courteline et une comédie américaine : *Théodore cherche les allumettes* et *Théodora devient folle.* Merci pour le cadeau ! pensent Théodore et Théodora.
49:260
Cependant que dans tous les pays Jean devait à travers les siècles connaître un destin fabuleux. Imprimées à la queue leu leu en petits caractères, les formes, officielles et familières, qu'il prit dans toutes les langues du monde -- de l'arabe (*Yahya*) au chinois -- prendraient la place de plusieurs de ces articles. Porté par la brise biblique, puis par le souffle de l'Évangile et le vent de l'Islam, ce nom a pris une ampleur cosmique.
Le Messie aura été annoncé par Jean le Prodrome, qui a sa fête au solstice d'été ; révélé par Jean l'Évangéliste que l'on honore au solstice d'hiver. Au moment même (XII^e^ siècle) où le nom de Jean étendait à l'occident le règne qu'il avait établi en orient, l'observation de cette symétrie ne tombait pas dans le tympan d'un aveugle. Je veux parler du tympan du portail central de Vézelay où le Christ siège au centre, au-dessus du Baptiste, tronc coupé du nouvel arbre de vie, entre ses douze apôtres représentés dans leurs actes et parallèlement aux travaux des douze mois de l'année, cependant que les actes du douzième, Jean l'Évangéliste, se déroulent dans l'arc du cintre, comme si la parole de Dieu pénétrait le calendrier. Sur le retable d'Isenheim, Mathias Grunewald a représenté le Baptiste et l'Évangéliste soutenant Marie de part et d'autre de la Croix -- dont la verticale figure le temps, pour la réflexion symboliste, et l'horizontale, l'espace. Le nom de Jean pullulait sur la terre et, levait-on les yeux, le ciel était plein de saints Jean. En 1636, Jean N..., jésuite de Prague, pouvait établir une « Année de Jean » où il indiquait pour tous les jours de l'année un saint Jean ou une Saint Jean.
Jean n'est plus un prénom ; c'est le prénom. Sa puissance de vie est telle que lorsqu'il fut galvaudé, sa façon de se requinquer fut de mettre son énergie prénominante au service des prénoms victimes de la mode. La générosité de son sang fait toute sa fortune ; c'est le prénom prolétaire. Dans les premiers manuscrits des *Misérables* Jean Valjean était encore Jean Tréjean, c'est-à-dire, dans l'esprit de Victor Hugo, Jean trois fois Jean, trois et quatre fois misérable... Jean Arthur Rimbaud ne voulut se connaître qu'Arthur.
Aujourd'hui Arthur ne serait plus avouable qu'accompagné de Jean. Depuis que les prénoms ne sont plus choisis que pour leur charme, ils cessent vite d'enchanter et meurent de plus en plus jeunes. Heureusement la mode des doubles prénoms -- forme de la surconsommation, qui, au temps des doubles cafés et des doubles whiskies, double le plaisir de nommer qui l'on aime -- permet de transfuser à ces natures fragiles le sang d'un gaillard de village, lequel est presque toujours Jean. Certains lui ont dû de subsister : Jean-Clet, Jean-Roch.
50:260
Il impatronise n'importe quel autre aussi bien que les grands noms déjà liés à lui entre le Précurseur et l'Évangéliste : avec Jean-Jacques, Jean-Pierre, Jean-Marc et surtout Jean-Marie, qui s'est formé au pied de la Croix. Marie joue pour les prénoms doubles des filles le même rôle que Jean pour ceux des garçons. Ce sont les donneurs universels.
François Sentein.
51:260
### Teilhard à Notre-Dame
par Louis Salleron
L'ANNÉE 1981 aura été marquée, sur le plan religieux, par deux événements : le Congrès eucharistique international de Lourdes et la célébration du centenaire de la naissance de Teilhard de Chardin. En ces deux occasions, la théologie du nouveau christianisme se sera affirmée avec éclat. L'avenir dira si ceux qui s'y montrent rebelles ont tort ou raison. Nous pensons qu'ils ont raison. Ce qui reste d'ambiguïté dans la religion nouvelle permet d'en discuter. Mais l'ambiguïté fait place de plus en plus à une parfaite clarté. L'Église ne pourra tarder bien longtemps à dire où est le vrai et où est le faux. Le doute, à nos yeux, est impossible : le christianisme post-conciliaire est incompatible avec le Credo de la Tradition. L'évolution du monde n'y changera rien.
\*\*\*
52:260
Laissons ici le Congrès de Lourdes. C'est de Teilhard que nous voulons parler. On connaît les panégyriques qu'ont fait de lui le cardinal Casaroli, le P. Arrupe et le P. Madelin ([^3]). Il faut maintenant y ajouter celui du P. Martelet, dans la conférence qu'il fit à Notre-Dame de Paris, le 20 septembre 1981. On en trouve le texte intégral dans la *Documentation catholique* du 6 décembre (n° 21).
De l'œuvre religieuse de Teilhard, le P. Martelet retient « la vision qu'il développe du Christ universel » et montre comment cette vision « éclaire quelques grands éléments du mystère chrétien ».
Le dessein est légitime. Surnaturelle ou non -- et celle de Teilhard, purement naturelle, est poétique, à partir d'éléments scientifiques, philosophiques et théologiques -- une vision peut projeter des rayons de lumière sur le mystère universel. En l'espèce, puisqu'il s'agit du Christ et du mystère chrétien, elle peut effectivement, par le flot d'images qu'elle véhicule, amener des esprits, croyants ou incroyants, à s'interroger sur les certitudes simples avec lesquelles ils vivent habituellement. Au terme, le résultat de leur réflexion est imprévisible. Car si, profondément influencés par Teilhard, ils épousent sa foi religieuse, auront-ils, croyants, redécouvert ou perdu la foi catholique, incroyants, l'auront-ils découverte ? Ce qui revient à poser la question de fond : la foi personnelle de Teilhard est-elle *objectivement* catholique ou non ? Si, comme nous le pensons, elle ne l'est pas, son influence ne peut être globalement que néfaste -- comme elle est, selon nous. Concrètement, cependant, les effets de l'influence de Teilhard doivent être moins appréciés en fonction des individus que des *milieux sociaux* intéressés. Par exemple, des ingénieurs catholiques mal-croyants et peu pratiquants peuvent redevenir, au contact de Teilhard, d'excellents catholiques parce qu'il aura levé chez eux l'hypothèque du scientisme athée et que la petite gnose subjective qu'ils en tireront se logera sans difficulté dans la foi de leur baptême.
53:260
A l'inverse, des milieux de théologiens, d'exégètes, de séminaristes, de philosophes, impatients d'une orthodoxie à laquelle se heurtent leurs intuitions et leurs doutes, risquent de trouver chez Teilhard l'audace libératrice qui, non seulement leur garantira l'authenticité de leur foi, mais la lancera à la conquête du monde. C'est, en effet, ce qui est arrivé. On nous a dit et redit que Vatican II confirmait les intuitions prophétiques du précurseur. On nous dit et on nous répète que l'Église postconciliaire est celle qu'il avait annoncée. Le centenaire du nouveau Jean-Baptiste est l'occasion des louanges sans réserve du cardinal Casaroli et des RR.PP. Arrupe et Madelin. Aujourd'hui le P. Martelet va plus loin en célébrant, sur le mode théologique, « *une œuvre religieuse dans laquelle se trouvent réunies la force inébranlable des certitudes de la foi et la beauté de l'expression *»*.*
Les théologiens nous diront ce qu'ils en pensent. Pour nous, certaines choses nous sont claires. Le P. Martelet, pour mettre en forme les illuminations théologiques de Teilhard, part de sa vision du « Christ universel ». C'est, si l'on ose dire, le bon créneau, car c'est celui où la gnose paulinienne cautionne le mieux, en apparence, la gnose teilhardienne.
« Sans la vision qu'il a du Christ universel, écrit le P. Martelet, Teilhard demeure inexplicable comme penseur chrétien. » « *Le Christ universel, tel que je le comprends,* nous dit-il (Teilhard), *c'est une synthèse du Christ et de l'univers* (IX, 146). » ([^4]) L'ambiguïté apparaît immédiatement. Quel peut être ce Christ qui est une synthèse de lui-même et de l'univers ? Quel sens peut-on donner au mot « synthèse » ? Quelle différence y a-t-il entre le « Christ » et le « Christ universel » ?
Notons ici une réflexion étrange du P. Martelet. Il estime que « les affirmations de saint Paul et des Épîtres de la captivité sur le règne cosmique du Christ allaient pour ainsi dire de soi » quand « l'espace et le temps demeuraient des grandeurs à la portée de l'homme » ; mais depuis Copernic et ses successeurs, depuis que dans l'immensité de l'univers galaxique notre histoire semble se noyer, « se noie du même coup, ou semble se noyer, l'importance cosmique du Christ qui, de sa Galilée natale, ne peut plus contrôler, nous dit-on (?), ce nouvel univers... C'est à ce point précis que Teilhard intervient ».
54:260
Ce porche dressé au Christ « universel » étonne encore plus qu'il ne scandalise. Quoi ! ni le Paul des rives de la Méditerranée, ni le Christ de la Galilée ne pouvaient concevoir l'immensité cosmique ? Laissons le vrai Dieu pour ne retenir que le vrai homme qu'est Jésus (Christ) : ni son intelligence, ni sa conscience, ni son intuition mystique -- sa « vision » personnelle -- n'ont eu contact avec le Dieu infini que chante l'immensité des cieux ? L'infini est plus infini et l'immensité plus immense depuis Copernic, Newton et Einstein ? Teilhard doit être loué pour avoir voulu faire le Christ plus grand, pour l'avoir « immensifié » ? On demeure confondu.
C'est pourtant bien cette observation (psychologique) qui guide le P. Martelet dans la reconstruction savante qu'il fait de la théologie teilhardienne concernant l'Incarnation, l'Eucharistie et la Parousie. L'*histoire* de l'homme étant « immensifiée » en *évolution,* le Christ universel dévore le Christ messianique. Le temps de l'histoire devient celui de l'évolution. Les faits de l'histoire deviennent les épisodes figuratifs de la courbe de l'évolution. L'épiphanie du Christ historique s'efface devant la « diaphanie » du Christ cosmique.
On imagine ce que peuvent devenir, dans une telle vision, la création du monde et celle de l'homme, le premier et le nouvel Adam, le péché originel, le problème du mal et celui de la mort, la transsubstantiation et la présence réelle, le retour sur la terre du Fils de l'homme ! Pour en juger, il nous faudrait reproduire l'article entier sous peine d'être accusé de choisir nos citations -- comme toutefois le P. Martelet choisit les siennes, déjà terriblement significatives mais qui le seraient bien davantage si on les rapprochait de mille autres passages infiniment plus éclairants de la pensée profonde de Teilhard. Je ne peux là-dessus que renvoyer à mon petit livre *Contre Teilhard de Chardin* (Berger-Levrault 1967).
Un mot pour finir. Le P. Martelet écrit que « c'est en grande partie à Teilhard que l'on doit ce regain d'optimisme devant la fin du monde, que justifie l'ensemble du Nouveau Testament ». Le mot « optimisme » est bien déplacé pour parler de la fin du monde. C'est la crainte et l'espérance -- l'Espérance théologale -- qui sont en question. Quant à dire que de Teilhard « émanait l'impression du bonheur », c'est une impression toute personnelle. Un autre jésuite, le P. Ravier, nous invitait, lui, à « découvrir de quel fond d'angoisse, de quel vertige intérieur ressurgissent ce que l'on appelle d'un mot fort ambigu l'optimisme de Teilhard de Chardin et sa foi dans le monde.
55:260
De l'inutilité humaine de certains échecs, de la souffrance, de la mort, de tout ce qu'il nomme les passivités de diminution, il eut toujours un sens panique. Mais plus encore, c'est l'existence elle-même qui le remplit d'effroi » ([^5]).
Quoi qu'il en soit, c'est un fait que le *Monitum* du 13 juillet 1962 par lequel le Saint-Office mettait en garde contre les œuvres de Teilhard (qui « *fourmillent de telles ambiguïtés et même d'erreurs si graves qu'elles offensent la doctrine catholique *») est aujourd'hui gommé. L'Église post-conciliaire est teilhardienne. Les voûtes de Notre-Dame ont consacré sa canonisation.
Louis Salleron.
56:260
## TEXTE
### Le programme en quelques siècles
Un livre d'Alain Bourdon (collection Poètes d'aujourd'hui, éd. Seghers) vient de remettre en circulation des poèmes d'Armand Robin. En même temps, on a sur lui deux numéros des *Cahiers bleus* (rue Champeaux, à Troyes, 10000) et un cahier *Plein Chant* (Bassac, 16120, Châteauneuf-sur-Charente).
Les poètes, aujourd'hui, personne ne les écoute. Les anarchistes comme Robin (je ne parle pas des anarchistes fonctionnaires, officiels) on s'en gare. Et c'est encore pire quand ce mur du silence est percé, juste le temps qu'une cause en vogue s'approprie un héros : nous aurons bientôt, sans doute, un Robin mis au service du régionalisme gauchiste. (Il était Breton, n'apprit le français qu'à six ans ; fils d'un père très pauvre, il put faire de brillantes études, mais ne s'accommoda pas de la vie universitaire ; il voulut être homme de partout et traduisit des poèmes de vingt-cinq ou trente langues ; il mourut en 1961, à l'infirmerie du dépôt, assassiné, peut-être.)
Ce qui compte surtout, c'est qu'il fut un vrai poète, avec sa voix propre, rugueuse et fraîche, inimitable. Et que ce révolté avait compris tous les pièges, et que la Révolution est destructrice de l'homme qu'elle prétend « libérer ».
57:260
Voici l'un des *Poèmes indésirables,* édités en 1946 par la Fédération anarchiste, réédités en 1979 par « Plein-Chant ». On y trouvera l'image de notre histoire intellectuelle et spirituelle, et du gigantesque retournement des derniers siècles. A partir du moment où l'homme se sent grand garçon -- on dit : adulte -- il renie toute relation au divin, toute intercession. Il ne veut plus penser qu'à sa propre force, il se glorifie d'être seul : la Fraternité lui paraît supérieure à l'Amour, la justice à la Charité. Il refuse ce détour par Dieu. Un temps, on a vécu ainsi d'un reflet. Et maintenant, le reflet même évanoui, on reste dans la nuit, la tyrannie, le rien.
Georges Laffly.
*On supprimera la Foi*
*Au nom de la Lumière,*
*Puis on supprimera la lumière.*
*On supprimera l'Âme*
*Au nom de la Raison,*
*Puis on supprimera la raison.*
*On supprimera la Charité*
*Au nom de la justice,*
*Puis on supprimera la justice.*
*On supprimera l'Amour*
*Au nom de la Fraternité,*
*Puis on supprimera la fraternité.*
*On supprimera l'Esprit de Vérité*
*Au nom de l'Esprit critique,*
*Puis on supprimera l'esprit critique.*
58:260
*On supprimera le Sens du Mot*
*Au nom du Sens des mots,*
*Puis on supprimera le sens des mots.*
*On supprimera le Sublime*
*Au nom de l'Art,*
*Puis on supprimera l'art.*
*On supprimera les Écrits*
*Au nom des Commentaires,*
*Puis on supprimera les commentaires.*
*On supprimera le Saint*
*Au nom du Génie,*
*Puis on supprimera le génie.*
*On supprimera le Prophète*
*Au nom du Poète,*
*Puis on supprimera le poète.*
*On supprimera les Hommes du Feu*
*Au nom des Éclairés,*
*Puis on supprimera les éclairés.*
*On supprimera l'Esprit*
*Au nom de la Matière,*
*Puis on supprimera la matière.*
AU NOM DE RIEN ON SUPPRIMERA L'HOMME ;
ON SUPPRIMERA LE NOM DE L'HOMME ;
IL N'Y AURA PLUS DE NOM.
NOUS Y SOMMES.
Armand Robin.
59:260
## NOTES CRITIQUES
### Somme théologique : après la désaffection, le ratage (volontaire ?)
*Avis utile à tous les acheteurs\
du dernier volume paru*
L'édition française de la Somme théologique de saint Thomas, qui était autrefois dite « de la Revue des Jeunes », et qui est souvent encore désignée sous ce nom, a commencé à paraître par petits volumes en 1925.
Elle portait alors la mention : « Éditions de la Revue des Jeunes. Desclée et Cie, Paris, Tournai, Rome ». Elle la porta jusqu'en 1953. A partir de 1954, les nouveaux volumes se présentèrent comme une coédition de Desclée et des Éditions du Cerf, on ne vit plus mentionner la « Revue des jeunes », sauf dans le copyright de quelques rééditions. Enfin, depuis l'année dernière, Desclée a disparu à son tour, les Dominicains des Éditions du Cerf sont maintenant le seul éditeur.
Quoi qu'il en soit de ces avatars, les Dominicains français (ou plus spécialement, semble-t-il, ceux de l'une des trois « provinces » dominicaines françaises, la province de Paris, dite « province de France », les deux autres étant celle « de Lyon » et celle « de Toulouse ») sont depuis le début les maîtres d'œuvre et les artisans de cette publication. En plus d'un demi-siècle, ils n'en sont pas encore arrivés à bout ; leur traduction française de la Somme théologique n'est toujours pas terminée. Il est vrai que leur piété filiale et même leur intérêt intellectuel pour saint Thomas d'Aquin sont allés en décroissant surtout depuis 1950, et que maintenant leur désaffection est à peu près complète.
60:260
D'autre part le contenu et la méthode de ces petits volumes ont évolué : c'était avant la guerre une édition manuelle, pratique, précieuse avec un minimum de « notes explicatives » et de « renseignement techniques » (parfois très remarquables, presque toujours honnêtes et sûrs) ; depuis la guerre cette collection s'efforce de devenir une édition savante. Ce changement saute aux yeux lors des rééditions : le traité de la vertu de prudence, première édition de 1925, avait 298 pages ; la seconde édition, qui est de 1949, en comporte 556. Ce n'est pas le texte de saint Thomas qui s'est allongé, ni la dimension des caractères d'imprimerie qui a augmenté. Ce sont les commentaires, de plus et plus érudits, qui manifestent une croissance démesurée. Ceux du Père T.H. Deman sur la prudence sont au demeurant de première qualité Mais la nature même de la collection s'est modifiée. Une évolution tout à fait analogue se remarque chez Gallimard pour la collection dite de la Pléiade. C'est une mode. Elle a son côté sérieux et utile. Elle a aussi de plus en plus, son côté pédant, et sa chute progressive vers l'insignifiance et la stérilité.
Dans le traité de la loi, les questions 106 à 108 de la prima-secundae, concernant *la loi nouvelle,* n'avaient jamais encore été publiées dans cette collection. Le volume vient de paraître, sous ce titre, au mois de novembre, la traduction française et les commentaires sont du Père Jean Tonneau. Mais voici le ratage. A moins que ce ne soit un sabotage. Le livre est sorti des presses sans que l'auteur ait pu voir les secondes épreuves (avec pagination chiffrée) et sans qu'il ait donné le bon à tirer. Il en est réduit à reprographier et distribuer lui-même un petit cahier intitulé *La loi nouvelle, corrections et compléments,* où l'on peut lire :
« *Il reste dans l'ouvrage plusieurs fautes d'impression* (*...*) *dont quelques-unes sont insolubles pour le lecteur.*
« *Surtout, il y manque la table analytique et l'index des auteurs et ouvrages cités qui méritaient, selon l'Avant-propos, un soin particulier, et que je ne pouvais terminer que sur épreuves mises en pages.*
« *Pour remédier dans une trop faible mesure à ce fâcheux contretemps, je propose aux lecteurs studieux qui m'en feront la demande ce petit fascicule de corrections et de compléments. *»
Avis est donc donné aux acheteurs du volume sur *La loi nouvelle* qu'ils demandent ce petit cahier dactylographié au P. Jean Tonneau, en lui écrivant 5, avenue de la République, Le Mesnil-Le-Roi, 78600 Maisons-Laffitte.
61:260
Si les Dominicains des Éditions du Cerf n'étaient pas, depuis des années, tombés aussi bas ; si, à défaut de la doctrine traditionnelle, ils avaient au moins gardé les vertus naturelles de leur métier d'éditeurs, l'honneur professionnel et le respect du public, ils auraient imprimé eux-mêmes les « corrections et compléments » du P. Tonneau, pour les donner à tout acheteur du volume. Mais de telles considérations ne peuvent sans doute plus, là où ils en sont aujourd'hui, que les faire ricaner.
J. M.
### Autour de l'argument ontologique
On appelle argument ontologique celui qui entend prouver l'existence de Dieu par l'idée d'un être parfait que nous tirons de notre imperfection. Cet argument est classiquement considéré comme non valable pour la raison que l'idée d'un être parfait n'implique pas nécessairement son existence.
Cette contestation de l'argument ontologique ne m'a jamais convaincu. Je me souviens fort bien que dès la classe de philosophie j'opposais à mes professeurs qu'on ne pouvait prouver l'existence invisible qu'à partir de l'existence visible et que mon existence m'était plus certaine encore que celle du cosmos. Tout raisonnement est d'ordre intellectuel. Si on le refuse sur l'idée de perfection, on doit le refuser sur l'idée de cause. Indirectement, le refus de l'argument ontologique revient au kantisme.
Depuis l'époque lointaine de mon adolescence, je n'ai guère évolué sur ce point. Mon évolution a été autre. C'est le Mystère qui s'impose à moi. Que le Dieu des savants et des philosophes soit aussi le Dieu des chrétiens, sans doute, mais au plan de la science et de la philosophie. Le Dieu trinitaire, incarné, rédempteur, celui donc de la Révélation est, dans son mystère, sans commune mesure avec lui.
Je lis les philosophes et les théologiens avec intérêt, mais avec méfiance. Ce que je cherche en eux et ce que je retiens d'eux, ce sont, si j'en trouve et qu'elles me paraissent justes, leurs intuitions. Ce que j'en écarte, c'est leur système. Tout système, philosophique ou théologique, est faux en ce sens qu'il tend à évacuer le mystère en l'enfermant dans la raison. A cet égard, nous devons nous féliciter de la mort (toute récente) du scientisme. Mais nous en sommes encore à attendre celle du « philosophisme ». Ce n'est pas que les synthèses scientifiques et philosophiques soient interdites, mais elles doivent être proposées comme hypothétiques et provisoires.
62:260
Je me suis expliqué sur tout cela dans mon petit livre « ...Ce qu'est le Mystère à l'Intelligence » (Éd. du Cèdre). Ma position sur Dieu -- le Dieu des savants et des philosophes et le Dieu des chrétiens -- s'exprime dans les quelques lignes suivantes :
« *Rappelons-nous ce qu'écrit Simone Weil :* « *La méthode propre de la philosophie consiste à concevoir clairement les problèmes insolubles dans leur insolubilité, puis à les contempler sans plus, fixement, inlassablement, pendant des années, sans aucun espoir, dans l'attente. *»
« *Les problèmes religieux relatifs à la foi sont par nature insolubles. La réflexion philosophique ne peut s'y porter que de la manière indiquée par Simone Weil. Le problème scruté devient ainsi mystère contemplé. La contemplation ne résout pas le problème, elle le transmute en mystère. La réponse nous est donnée par la foi elle-même. *»
C'est en somme le *credo ut intelligam.* Mais quelle que soit la nécessité de la théologie en la matière, l'intelligence de la foi nous est rendue plus sensible par les mystiques que par les théologiens, parce que l'intuition mystique est en prise plus directe sur son objet que le raisonnement théologique.
Ces considérations me viennent à l'esprit à la lecture de *La contre-réforme catholique* de l'abbé de Nantes (n° 171, novembre 1981). Quand j'ai aperçu, dans un chapitre sur « La certitude rassurante de l'être pur » l'inter-titre « L'argument ontologique », j'ai lu aussitôt tout l'article avec la plus grande attention.
Il y a à boire et à manger chez l'abbé de Nantes. C'est dans ses pages polémiques qu'il est le meilleur. Son esprit intuitif et mystique y fait merveille et l'outrance, fréquente, ne gêne pas tant elle est évidente. Je suis moins sensible à ses études de fond que je parcours en général plus que je ne les lis. Ces dissertations théologico-métaphysico-scientifiques ont peu d'attrait pour moi sauf, précisément, quand j'y rencontre quelque intuition soudaine qui lance un instant d'éclair dans la nuit profonde du mystère.
Dans le cas présent, il s'agit d'une étude de fond. Or, pour une fois je suis totalement d'accord avec elle ; et l'écrivain-né qu'est l'abbé de Nantes lui donne une forme, remarquable. Impossible de résumer l'article ; mais en voici le noyau :
« Ontologique, cet argument dépouillé de son masque idéaliste mériterait bien plutôt d'être déclaré *existentiel* (*...*)
« Ce n'est pas *l'idée innée* de perfection, ou d'infini, qui pourrait me donner à conclure à son existence. C'est le *fait de l'existence,* qui me contraint à penser cette même existence des choses, dégagée de leurs limites, comme existence parfaite, infinie, immense, éternelle. Plénière. Si je cherche un mot qui dise convenablement cet Être pur sans le souiller, sans l'identifier à rien d'autre, sans l'enfermer dans quelque définition, je retrouve le Nom que le Dieu de Moïse s'est donné, il y a plus de 3 000 ans, « JE SUIS JE SUIS ». S'il y a existence, il y a Dieu... *Si un être est, l'Être pur est.* Sur la ligne de méditation de l'existence, je ne suis arrêté par aucune barrière et je vais à l'infini directement » (p. 9).
63:260
Les italiques sont dans le texte sauf celles des mots « *Si un être est, l'Être pur *» qui sont miennes. Comment ne serais-je pas d'accord, moi qui, dans « ...ce qu'est le Mystère à l'Intelligence », écris « Tous les problèmes, toutes les difficultés, toutes les antinomies n'arrivent pas à me détourner d'une évidence qui s'impose à moi : l'Être est. *Je suis ; et je ne suis pas l'Être. Donc l'Être est. *» (p. 201.)
Bien entendu, tout cela est plus compliqué, à moins que ce ne soit plus simple. Les défenseurs de l'argument ontologique ne s'opposent pas aux défenseurs des arguments classiques, ni vice versa. L'abbé de Nantes nous livre là-dessus des propos significatifs de Jacques Maritain et du P. Bouyer. J'ai eu, du coup, la curiosité de rouvrir le gros dictionnaire de théologie de Vacant et Mangent. Juste ciel ! Quel foisonnement ! Dès qu'on touche au mot « Dieu » tout et son contraire peut être dit et contredit, opposé ou rapproché. Aussi bien n'ai-je eu ici pour objet que de faire écho à mes propres pensées, heureux d'être pour une fois pleinement d'accord avec l'abbé de Nantes qui ne sera pas d'ailleurs pour autant nécessairement d'accord avec moi. Je l'accepte sans peine et lui en donne acte d'avance.
Louis Salleron.
### Livres pour enfants : après les cadeaux de Noël
La grande spécialité de notre époque c'est l'emballage. La moindre chaussure trône souvent sur piédestal de velours. Le plus petit mouchoir s'orne de boîtes glacées à rubans et le sujet le plus mince fait souvent florès au milieu de papier de luxe. Restent les thèmes plus ou moins subversifs à couverture séduisante ou drôle et qui cachent quoi ? Je vais vous le dire.
Aux éditions G.P. vient de sortir un petit livre à première vue charmant par le sujet et amusant par les images : *Le très féroce loup d'Aggobbio,* illustré par Jacqueline Duhême.
En lisant le texte on découvre ceci : « De tous les saints de la Chrétienté François d'Assise sur, les collines de l'Ombrie, apparaît le plus merveilleux, au sens exact du terme. »
Ce merveilleux-là est une espèce de thème ambigu qui parfume toute l'histoire, dont on ne sait jamais très bien sur quel plan exact elle se situe.
64:260
Un peu plus loin par exemple vous trouvez : « Le loup est le symbole de la force brutale et mauvaise. Celui de Gubbio passe aussi pour incarner l'un de ces guerriers sanguinaires qui désolaient alors la contrée et se laissa fléchir par le moine de la douceur. » Plus gênante encore est la suite : « Les jeunes lecteurs à qui le bestiaire universel est familier sauront goûter dans cette histoire fabuleuse si bien traduite pour eux en images, sa teneur concrète et sa valeur d'allégorie. » On nage.
L'adulte ne nage pas, lui, comprenant assez vite que saint François d'Assise est envoyé rejoindre le patrimoine joli et païen des contes universels. Bref rien n'est sûr ni solide. Même la fin nous offre Saint François d'Assise en caractères gras à l'endroit où figure d'habitude la signature. Pourtant le début de l'ouvrage portait l'indication *Fioretti.*
L'enfant sera perdu. Il n'y a plus rien de chrétien dans tout cela.
Si ce livre figure parmi les cadeaux reçus pour Noël, il ne vous reste plus qu'à rendre à saint François son beau visage en racontant son histoire.
Dans son genre et pour des raisons bien différentes, *Benoît de Nursie parle aux enfants* n'est guère plus utile.
Édité chez Téqui, ce livre est écrit par une religieuse et illustré par une autre. Toutes deux commettent une erreur consacrée depuis longtemps par l'habitude : elles font de saint Benoît un enfant pour que les enfants s'y retrouvent. Cela empêche justement le petit de sortir de lui-même et de *s'élever* pour rejoindre le saint. Cette inversion est si ancrée dans les mœurs, qu'elle a pris la place de l'art vrai, en rapport avec son sujet, aussi haut soit-il. C'est, semble-t-il, spécifique aux arts plastiques. Dans le domaine musical on ne fait pas cette sottise. Beaucoup et bien avant l'adolescence, apprennent le chant grégorien ou les polyphonies du Moyen Age. Ils comprennent très bien ce que cela veut dire !
Ce livre du coup rabaisse, fausse et vide son sujet de toute substance. Que reste-t-il des vrais visages de moines dans ces lutins à capuches qui parcourent l'ouvrage ? Indéniablement l'intention était droite. Incontestablement le résultat est mauvais. Reprenez le texte gentiment bêtifiant et rendez-lui corps et vie à partir de la règle de saint Benoît et de sa vie, commentées par vous à un moment propice.
\*\*\*
La poésie aussi est un cadeau habituel en fin d'année. *Grimaces et malices* de Christian Poslianec et Lise Le Cœur, paru à l'École des Loisirs, dans la collection Chanterime, est d'une laideur subtile. C'est un univers grêle et fou où les poèmes n'ont ni queue ni tête, quand ils ne sont pas subversifs. Voici un exemple :
*Une idée.*
*Est-ce une araignée à huit pattes*
*ou un mammifère*
*ou alors un serpent*
*qui se glisse silencieusement*
*dans les oreilles des enfants*
*quand ils entendent crier leurs parents ?*
Des non-sens montés en épingle, des couleurs creuses et l'incohérence mise à la portée des petits, c'est à peu près tout ce que l'on peut attendre de cette catastrophe en papier.
A mettre à la poubelle tout de suite !
65:260
Toujours à l'École des Loisirs, commis par Anne Chapouton, vient de sortir un *Grimoire, formules magiques à l'usage des enfants.*
Bien sûr ces formules magiques ne sont pas méchantes. Ce qui l'est plus c'est *l'univers suggéré.* Ce qui est dangereux c'est le goût de l'imitation chez les jeunes. L'habitude des incantations innocentes peut donner, plus tard, l'idée d'incantations plus diaboliques. De toutes façons, le monde des sorciers et des maléfices, s'il n'est bon pour personne, est un vrai poison pour les enfants.
Dans ce domaine je pense aussi à un livre, *Les sorcières,* « écrit par Colin Hawkins et une vieille sorcière » annonce la couverture. Il vient de paraître chez Albin Michel, dans la collection « jeunesse ».
A première vue c'est de l'humour anglo-saxon ; celui qui ferait mieux de rester en Angleterre.
Ce portrait robot des sorcières et de leurs habitudes ne convient pas aux Français. Et puis certaines phrases peuvent s'imprimer ici ou là dans une imagination trop sensible.
Le propos de l'auteur est de vous aider à savoir si votre grand, mère est une sorcière. A cet effet arrive un questionnaire sur ses qualités et habitudes, où l'on trouve notamment ceci : « Votre grand'mère guérit-elle a) les fièvres bénignes, b) les fièvres malignes, c) les mauvaises humeurs. » Et l'auteur ajoute : « Si vous avez répondu non partout voici un test supplémentaire et infaillible : Demandez à votre grand'mère si elle vous aime. Une véritable sorcière répond toujours oui. » Suit un chapitre sur les *chouchous.* Les *chouchous,* apprenez-le, ce sont les chats ; de faux chats, lutins transformés, qui espionnent au profit de ces dames.
Là aussi le petit joue avec des univers inquiétants, ce qui les démystifie et fait oublier qu'ils sont redoutables.
\*\*\*
Une autre forme de laideur est d'avilir ce qui est naturellement beau ; tel cet album intitulé *Un lion chez le coiffeur,* écrit par André Massepain, illustré par Alain Millerand et paru aux éditions Magnard. La couverture est jolie mais très vite images et textes sentent le persiflage. Le roi des animaux est ridiculisé. Non seulement il est coiffé comme Louis quatorze mais toutes les images l'abîment, tant par la position que par l'expression. A la fin la bête couronnée n'est plus qu'un fantoche de cirque.
*Nestor Babylas,* de Édith et Gilles Cottin, chez le même éditeur est également à proscrire. Cet hippopotame qui barbote à Venise est d'une facture parfaitement grossière. En plus les images dénaturent le peu que l'on voit de la ville. L'ensemble ne peut qu'apprendre le mauvais goût.
Cette vulgarité d'images, accompagnée cette fois d'une absence de sujet, est le fait d'un autre ouvrage, toujours paru chez le même éditeur : *Mic et moi on a fait un exploit,* de Jeanne Loisy, illustré par Gilles Cottin. Il s'agit là d'un livre qui apprendra au lecteur un français commun et affreusement plat.
En revanche, *Des bruits dans l'autruche,* de Georges Kolebka, aux éditions Nathan dans la collection Arc-en-poche, ne manque pas de couleur. Seulement ces aventures surréalistes ne peuvent que faire du mal. Contes de l'absurde et de l'étrange, certains amuseraient des adultes. Les petits, eux, seront déroutés et perdus dans un monde incompréhensible. Le plus mauvais est le conte de *La pomme verte.* Écoutez :
66:260
« Lorsque le premier quart de pomme eut sonné, une Pomme jaune sortit de la Pomme où elle habitait, elle roula durant quelques minutes à la recherche d'une Pomme-taxi »... Plus loin vous trouvez ceci : « La Pomme jaune fouilla dans la pomme où elle mettait son argent et sortit quatre pommes. »
Dans cet univers tout est pomme. Du coup les pommes servent aux pommes venues déjeuner à *La pomme rouge* des paupiettes de pomme et des pommes farcies aux pommes tandis que les pommes, assises sur des pommes, attendent leurs pommes.
Il n'y a plus d'être. Les diverses identités sont réduites en compote -- c'est le cas ou jamais de le dire !
C'est à ne pas mettre entre des mains enfantines ; ces images portent l'incohérence dans les esprits.
Toujours chez le même éditeur et dans la même collection *Le Grand Réparateur* de Guy Jimenes n'est pas mieux. C'est l'histoire d'un garçon dont toutes les bêtises sont réparées par un reflet de lui-même : *le Grand Réparateur.* Qui est-il ce Grand Réparateur ? *L'identité* de ce personnage reste vague et multiple tout au long de l'aventure qui laisse au lecteur un malaise. Tantôt c'est le double de Pierre, tantôt c'est le diable et tantôt un phantasme du petit garçon. En quelque sorte celui-ci est possédé par un esprit indéfinissable qui le porte à faire mille bêtises. C'est d'ailleurs sans importance car les déprédations multiples sont toujours réparées à temps. On ne saura jamais s'il s'agit de Satan ou d'un trouble mental passager. Non seulement l'ambiance du livre est malsaine mais elle tend à évacuer l'action diabolique dont on reconnaît ici toutes les apparences.
Si vos enfants ont lu ce livre demandez-leur ce qu'ils en pensent. Faites en sorte qu'ils ne s'amusent pas à des jeux aussi redoutables. Certains pourraient chercher à faire connaissance avec ledit *Réparateur.*
\*\*\*
Dans le genre phantasme il y a beaucoup de choix.
Soit cette histoire que je vous garde, comme étant la plus laide, pour la fin : *Le Père Cafetière,* de Jean Alessandrini, paru chez Hachette dans la collection Gobelune.
Imaginez une sorte de vieillard un peu du style sapeur Camembert -- ce qui n'est certes pas un reproche. Dans cet album ce bon vieux fabrique à longueur de temps toutes sortes d'objets hétéroclites. Le voilà qui invente une cafetière monstrueuse et s'en va offrir son café aux populations enchantées. Hélas, le roi, lui, ne peut jamais en avoir. L'illustrateur dessine alors d'abominables pages qui sentent le cauchemar : cafetières géantes, bombardées, propulsées ou envolées, qui n'atteignent jamais leur but, car le palais est lointain. En route les cafetières sont vidées par les *Békamokas,* d'immondes bêtes, qualifiées d'oiseaux, qui boivent leur contenu.
L'étrangeté, le vide pâle et angoissant de cet album sont tenaces. En voilà un que je n'oublierai pas !
67:260
Vous n'imaginez pas comme le réel semble beau lorsque l'on sort de pareilles lectures. Cela me donne même envie d'aller boire un vrai café pour me remettre de ces histoires. Un vrai café qui serait dans une honnête tasse avec une ronde et réelle soucoupe, une petite cuiller bien banale et un petit sucre sans histoires. Le jus le plus mauvais ferait mon affaire, pourvu qu'il n'ait rien d'extraordinaire.
C'est cela, pour me remettre je vais aller boire un petit café. Un conseil : si vous trouvez ces horreurs chez vous faites en autant. Vous en aurez besoin !
France Beaucoudray.
### Lectures
#### Les Francs sont-ils nos ancêtres ?
C'est cette interrogation qui figure sur le n° 56 d'*Histoire et archéologie, Les dossiers,* diffusé par les NMPP et paru en septembre 1981 (on peut commander le numéro en écrivant à *Archeologia*, BP 28, 21121 Fontaine-lès-Dijon et en envoyant 20 F). Je ne saurais cacher le plaisir que j'ai eu à trouver enfin diffusé dans le grand public une somme aussi riche de renseignements sur nos origines nationales. On est certes loin, là, des légendes qui enchantent trop souvent les amis de la tradition, mais on comprend mieux ce qui est arrivé en Gaule durant les siècles qui ont vu l'installation et le triomphe des Francs. Les plus grands spécialistes ont écrit les pages en question. Patrick Périn, (La nouvelle histoire des Francs), W.J. de Boone (Les origines historiques des Francs), Bailey K. Young (Que sait-on des Germains et des Francs ?), Joachim Werner (Childéric, histoire et archéologie), Lucien Musset (Les étapes historiques de la conquête franque sous Clovis et ses fils), Patrick Périn à nouveau (L'assimilation ethnique vue par l'archéologie), Michel Rouche (Wisigoths et Francs en Aquitaine), Edward James (Archéologie des Francs en Aquitaine) ; Henri Gaillard de Sémainville (Burgondes et Francs), Paul-Albert Février (La Provence franque), Véra I. Evison (Les Francs en Angleterre au V^e^ siècle), Luc Buchet (Anthropologie des Francs) et enfin le directeur de l'Institut historique allemand de Paris, l'excellent Karl-Ferdinand Werner (Peuple élu ou instrument du destin). Illustrations et tableaux chronologiques agrémentent une série de textes très denses, même sur le plan typographique. Que faut-il retenir avant tout de cet ensemble ? Tout d'abord que les Francs étaient un peu partout dans l'Empire romain finissant et qu'ils ont su se faire accepter par les populations de la Gaule.
68:260
Leur langue officielle était le latin et c'est dans le moule du monde romain, dans le cadre même du Bas-Empire, qu'ils ont fondé un royaume exemplaire d'où allait naître la nation française. C'est sous le signe de la continuité, mais aussi avec un certain respect devant le véritable génie de ce peuple, que l'on doit lire tout ce qui est écrit en ce numéro. Le rôle de l'Église et des grandes familles sénatoriales dans l'établissement du pouvoir franc est évidemment énorme ; les aristocraties locales ont accepté le chef barbare puis catholique, mais il était d'une famille où l'on avait su coopérer avec Rome. De cette symbiose et de cette synthèse est sortie cette magnifique réussite sociale et politique qu'est notre nation française. ([^6])
#### A l'aube de la France La Gaule de Constantin à Childéric
Un beau livre des Éditions de la Réunion des musées nationaux (10 rue de l'Abbaye, 75006 Paris) sert de catalogue à l'exposition de ce nom qui eut lieu au Musée du Luxembourg du 26 février au 3 mai 1981. Fort bien illustré en noir et en couleurs, cet ouvrage remet en tête bien des aspects d'une exposition organisée par le Römisch germanisches Zentralmuseum de Mayence, le Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye et le département des antiquités grecques et romaines du Musée du Louvre. Tous les aspects d'une civilisation mutante nous sont exposés, des cartes aidant à nous faire une idée de ce qu'était la Gaule dans l'Empire et comment Église et Barbares contribuèrent à tout transformer. Là encore les Francs sont au cœur des problèmes. La conversion de Clovis, le nouveau Constantin, est la conclusion logique d'une longue gestation. Cette conversion changea cependant tout et nous vivons encore largement des effets bénéfiques qui en furent la conséquence. Cela mérite qu'on fasse mémoire de l'avènement de Clovis qui eut lieu en 481 ou mieux en 482, date de la mort de Childéric son père ([^7]) il y a 1500 ans. Une nation comme la nôtre se doit de se souvenir da tels événements.
Hervé Pinoteau.
69:260
#### Abbé Joseph Bertuel *L'islam, ses véritables origines *(Nouvelles éditions latines)
L'abbé Bertuel veille sur la mémoire du R.P. Gabriel Théry, O.P., mort en 1959 après avoir servi Dieu et la France. On sait que ce dominicain pugnace avait démontré en son temps toute l'imposture de l'islam, qui n'était qu'un judaïsme destiné aux peuples du désert. Sa thèse était si extraordinaire, et pourtant si simple, qu'il n'avait pu la publier sous son nom. On connaît donc l'œuvre d'Hanna Zakarias. C'est ce que conte l'amiral Auphan dans sa préface et il est bon que cet autre grand serviteur de la France ait pu présenter le travail de Théry, divulgué par l'abbé Bertuel. La religion de Théry, la nôtre à ITINÉRAIRES, implique obligatoirement que l'islam est une fausse religion et que le Coran est une sinistre plaisanterie. Ce n'est pas un livre révélé, mais bien un faux livre saint. Il n'y a donc aucune raison pour qu'on prenne toujours des précautions oratoires et scripturaires à son égard alors qu'on a disséqué la Bible sans aucune pudeur depuis le XIX^e^ siècle ! Les musulmans n'aiment point qu'on s'attaque à une critique du Coran, et aucune exégèse n'a pu être faite en Orient, le livre de Mahomet étant réputé venir d'Allah. Il est à prendre tel quel, un point c'est tout. Et tous nos braves historiens occidentaux d'accepter cette façon de faire, gobant les dires du prophète, les apparitions de saint Gabriel, etc. Théry n'était pas n'importe qui : illustre érudit, spécialiste du pseudo-saint Denys l'Aréopagite, il connaissait l'islam pour avoir vécu en terre africaine. Solide dans sa foi et non-conformiste, Théry avait ce qu'il fallait pour faire une œuvre éclairante et pie. Après lui, pour toute personne de bonne foi, il sera difficile de ne pas admettre le rôle d'un rabbin de la Mecque, plein de savoir judaïque, talmudique même et foncièrement anti-chrétien, faisant passer son message vers les Arabes par le canal de Mahomet. Des torrents de sang sont sortis de son enseignement et de celui de son disciple. C'est dire que cela vaut quand même la peine qu'on aille y voir de près, qu'on analyse l'eau impure qui sort d'une source aussi polluée. Puisque nous sommes à l'époque où l'on secoue tous les « tabous », allons-y carrément avec l'imposture mahométane. Pétrole ou pas, essayons de montrer aux tenants de l'islam qu'ils font fausse route. Là encore, c'est un travail de conversion, découlant de l'ordre du Christ : « Allez et enseignez toutes les nations. » Un second tome à venir nous expliquera comment l'enseignement du rabbin fut appliqué par son élève.
Hervé Pinoteau.
70:260
#### Pierre Ordioni *Le pouvoir militaire en France *(tome I : de Jeanne d'Arc à Bazaine) (Albatros)
Ce livre sur les rapports de l'armée et de l'État montre à quel point l'histoire de la France a dépendu de ce que l'auteur appelle *l'ordre militaire.*
Cet ordre, la noblesse y joua longtemps un rôle essentiel, mais elle n'était pas seule, et en un sens, l'armée était une voie d'accès au deuxième ordre de l'État. En 1445, Charles VII crée la première armée nationale, permanente et royale, et c'est Jeanne d'Arc qui est à son origine. L'auteur a raison de dire que, pour comprendre notre histoire, et celle de l'institution militaire, au moins jusqu'au comte de Chambord, il faut faire la place du sacré.
Cette armée est fondée sur la fidélité, le serment, et donc sur l'ordre chrétien qui, par le sacre, délègue le royaume au Capétien. Rien, après la Révolution de 89, ne remplacera cela. Pierre Ordioni estime pourtant que cet accord est rompu assez tôt, avec Richelieu, qui substitue le principe d'obéissance à celui de fidélité. C'est que le cardinal se méfiait de l'anarchie des Grands. Faut-il penser que la noblesse, dans son désir de revanche, va se jeter dans la Franc-Maçonnerie ? C'est ce qu'affirme l'auteur. J'apprends de lui, entre bien d'autres choses, que tous les grands maîtres de la F.M. furent, jusqu'en 1870, des officiers de haut rang (princes, puis maréchaux de l'Empire).
Là, on passe du rôle du sacré au rôle des sociétés secrètes, des forces occultes, sur lesquelles P. Ordioni affirme apporter bien des choses nouvelles, par des documents privés auxquels il a eu accès. Mon ignorance ne me permet pas d'en juger, et, pour tout dire, je perds pied. Que penser de la survivance des Templiers, de leur influence en Angleterre et de leur alliance avec l'Islam ?
Que penser de leur lutte cachée avec les Franciscains (qui aident Jeanne d'Arc) ? Et ces maçons si nombreux dans l'armée vers 1780, que veulent-ils faire de la monarchie ? On le comprend mal.
On est sur un terrain plus connu quand l'auteur, après avoir montré les malentendus entre l'ordre militaire et la monarchie, nous montre comment cet ordre est reconstitué par Napoléon. La gloire de l'empire restaure un accord, fonde un nouveau pacte entre le prince et l'armée. Le drame, c'est qu'il y aura dès lors deux légitimités, si l'on suit Pierre Ordioni. Cela facilitera les choses pour Napoléon III, tandis que, semble-t-il, Louis-Philippe n'avait pas su nouer des rapports sérieux avec l'ordre militaire. Pourtant l'Algérie, le rôle du duc d'Orléans, d'Aumale, et dans la marine celui de Joinville ?
71:260
Peut-être P. Ordioni est-il trop sensible par nature au lien féodal, personnel. Son livre est en tout cas riche d'aperçus neufs, de vues intelligentes, sans parler des secrets qu'il évoque, et qui laissent rêveur. Le second volume sera lui aussi bien intéressant, on l'attend avec curiosité.
Georges Laffly.
#### Père Louis-Marie *Jean-Paul II et la doctrine catholique*
L'abbé Olivier de Blignières, ordonné prêtre en 1977 par Mgr Lefebvre, s'est établi quelques mois plus tard dans un prieuré d'études à Chémeré-le-Roi (Mayenne). Par la suite, il y a fondé une petite communauté de tertiaires dominicains dont il a pris la tête sous le nom de Père Louis-Marie. Il a publié récemment un opuscule de 45 pages reproduisant une conférence prononcée à Paris le 13 mai 1981 ; le texte, qui porte la date du 11 mai, est soigneusement ordonné selon le plan suivant :
I*. -- La mise en œuvre de l'enseignement de Vatican II, tâche principale du pontificat de Jean-Paul II.*
II\. *-- Le faux principe de Vatican II relatif à l'Incarnation, repris et explicité par Jean-Paul II.*
III\. *-- La nouvelle conception de l'Église de Vatican II, précisée et développée par Jean-Paul II.*
IV\. *-- La doctrine erronée sur la liberté religieuse de Vatican II, constamment enseignée par Jean-Paul II.*
*Conclusion.*
L'auteur développe ensuite chaque paragraphe, en citant de nombreuses déclarations orales ou écrites de Jean-Paul II. Ces déclarations abondent, et la plupart sont bien connues.
Le faux principe de l'Incarnation se trouve énoncé dans *Gaudium et Spes* (n° 22). Jean-Paul II le reprend notamment dans son encyclique *Redemptor hominis :* « Jésus-Christ s'est uni à chacun *pour toujours* à travers ce mystère ». Et, dans de nombreuses déclarations, il en tire les conséquences : l'homme appartient au Christ du seul fait qu'il est homme. Par là se trouve omise la nécessité de la Rédemption, du baptême, de la conversion individuelle, de l'adhésion personnelle à Jésus par la foi et la charité, et il semble insinué que tous les hommes sont sauvés.
De même, Jean-Paul II déclare irréversible l'engagement de l'Église dans le mouvement œcuménique. Il s'ensuit que les communautés non catholiques et même non chrétiennes comportent des éléments importants de vérité et de salut, et que leurs membres peuvent se sauver en elles et par elles ; ce qui est contraire à l'enseignement constant et invariable de l'Église. Jean-Paul II s'efforce d'invoquer les Pères de l'Église à l'appui de ces théories le Père Louis-Marie démontre que ces thèses défigurent la pensée et l'enseignement des Pères de l'Église.
72:260
Quant à la doctrine erronée sur la liberté religieuse, le Père Louis-Marie n'en parle que brièvement, soulignant que Jean-Paul II, non seulement la professe, mais la déclare obligatoire.
En conclusion, l'auteur cite plusieurs expressions de Jean-Paul II : « l'Église contemporaine, l'Église de notre temps, l'Église du nouvel Avent » et son affirmation : « Le concile Vatican II a jeté les bases d'un rapport substantiellement nouveau entre l'Église et le monde, entre l'Église et la culture moderne ».
Ces positions sont bien évidemment étrangères à l'enseignement constant et invariable de l'Église. Le Père Louis-Marie a raison de le rappeler. Il n'est ni le seul ni le premier à le faire. Mgr Lefebvre a dénoncé ces erreurs. Et depuis plus de deux ans, l'abbé de Nantes relève et dénonce inlassablement, dans *La Contre-Réforme catholique,* des paroles de Jean-Paul II qu'on ne voit pas comment accorder à la doctrine traditionnelle.
Le Père Louis-Marie a la discrétion de ne pas aborder la question de la légitimité du pape dans cette conférence. Mais comme il a, dans d'autres écrits ou discours, hautement professé la théorie de l'illégitimité de Paul VI et de ses successeurs, j'en dirai deux mots. J'ai moi-même, à maintes reprises, du vivant de Paul VI et après sa mort, longuement réfléchi à cette très grave question. La pratique de l'Église dans le passé incite à la prudence. Il n'a pas manqué de papes douteux et contestables. Or l'Église ne s'est prononcée que dans un seul cas, celui d'Honorius, qu'elle a déclaré hérétique cinquante ans après sa mort, sans toutefois le rayer de la liste des papes. La question de la légitimité de Paul VI et de la note théologique à attribuer aux actes de Vatican II ne pourra être tranchée que par un futur pape ou un concile dogmatique incontestable. Et il se peut que l'Église ne se prononce jamais et laisse Vatican II et ses suites s'ensevelir dans l'oubli.
En ce qui concerne Jean-Paul II, même si ses positions théoriques sont souvent identiques à celles de Paul VI, ce qui me paraît indéniable, il existe entre ces deux papes deux différences capitales :
1° Paul VI est l'auteur responsable de ce qu'il a appelé lui-même l'autodémolition de l'Église. Jean-Paul II hérite d'une situation dont il n'est pas responsable. Voudrait-il tenter une réaction, même timide, qu'il ne le pourrait guère. Il se heurterait à l'opposition résolue et efficace de son entourage et des conférences épiscopales. Ce n'est pas une supposition gratuite ; Jean-Paul II a tenté quelques réactions limitées : sur la théologie de la libération, sur la communion dans la main, sur le mariage des prêtres réduits à l'état laïque ; à chaque fois, il a subi de telles pressions qu'il a finalement cédé.
2° Sous Paul VI, il y avait chaque année plusieurs trains de réformes. Jean-Paul II en est resté au point atteint à la mort de Paul VI ; il n'a promulgué aucune nouvelle réforme. C'est ce que le cardinal Pellegrino lui reprochait très vivement dans le discours prononcé quelques jours avant l'attentat du 13 mai.
73:260
L'honnêteté la plus élémentaire nous imposait ces remarques. Il faut reprocher à Jean-Paul II des déclarations qui, de toute évidence, s'écartent de la doctrine traditionnelle. Mais il faut reconnaître qu'il est pratiquement réduit à l'impuissance et apprécier qu'il n'ajoute pas de nouvelles réformes à celles dont nous portons le poids très lourd. Devant une telle situation, nous n'avons d'autres ressources que la prière et la fermeté dans la foi, l'attachement inébranlable à l'Église prise dans sa continuité, à son enseignement infaillible, à sa pratique constante et invariable, avec l'espérance que Dieu, par des moyens connus de lui seul, arrachera son Église à la situation désastreuse où l'ont plongée le concile et ses suites.
Jean Crété.
#### Abbé Georges de Nantes *L'échéance... 1983 *(C.R.C.)
Numéro spécial de la *Contre-réforme catholique,* au titre provoquant : *L'échéance... 1983. Plus que deux ans. Deux ans encore.* Une date aussi précise et aussi assurée risque d'arrêter sur le seuil plus d'un lecteur (peut-être d'autres sont-ils, au contraire, attirés ?). Mais si l'on consent à lire plus loin que le titre, on s'aperçoit que « 1983 » n'est pas une prophétie : c'est une prévision raisonnable, une probabilité, le moment où les Soviétiques atteindront le point le plus élevé de leur supériorité militaire sur l'Occident. Ils pourront alors envahir toute l'Europe ; ou bien, plus probablement encore, ils obtiendront de nos gouvernants, simplement par menace et chantage, une complète capitulation. Écrit et publié juste avant le dimanche 13 décembre où l' « état de guerre » fut institué par le communisme en Pologne, ce fascicule n'a pas été démenti par l'événement, et il ne le sera vraisemblablement point dans les prochains mois. Son tableau de la situation mondiale est d'une rare lucidité. Des ouvrages politiques ayant cette ampleur, cette densité, cette exactitude d'ensemble, il y en a fort peu (nous n'irons pas toutefois jusqu'à proclamer qu'il n'y en a « aucun » autre, comme le fait une propagande indiscrète et complaisante, mais sans doute la complaisance et l'indiscrétion sont-elles les travers à peu près inévitables de toute propagande). Le mouvement et la fermeté de l'écriture, toujours aussi vifs, mais, si l'on ose dire, moins négligemment contrôlés que naguère, donnent un grand relief aux analyses et synthèses de l'abbé de Nantes. Aux divers *que faire ?* du découragement et de l'ignorance, il répond par un appel tout à la fois au redressement intellectuel, au sursaut politique, à la conversion des cœurs. Le recours aux révélations de Fatima n'est pas nouveau, mais il est devenu, depuis deux ou trois ans, plus insistant, mieux informé, plus précis. Bref, des pages utiles, et de grande qualité.
J. M.
74:260
#### *Le Saint Suaire*
*La Contre-Réforme catholique* de septembre 1981 comporte un supplément de seize pages contenant une étude très savante sur le Saint Suaire de Turin, par le Frère Bruno Bonnet-Eymard, qui a participé aux études scientifiques faites ces dernières années, avec les moyens les plus modernes, sur le Saint Suaire.
Cette étude est la troisième publiée par le Frère Bruno sur le Saint Suaire. Nous ne pouvons que recommander à toutes les personnes qui s'intéressent à la question de l'authenticité du Saint Suaire de se procurer ces trois études les suppléments 144 et 146 et le supplément de septembre 1981. On peut se les procurer pour 15 francs franco à la Maison Saint-Joseph, 10260 Saint-Parres-lès-Vaudes. On aura ainsi une documentation scientifique sans équivalent sur la précieuse relique conservée à Turin.
Jean Crété.
#### Dom Jean-Marie Beaurin *Flèche de feu *Le Père Augustin-Marie du Très Saint Sacrement, Hermann Cohen (Éd. France-Empire)
Né à Hambourg le 10 novembre 1821, mort à Spandau le 20 janvier 1871, Hermann Cohen est un des personnages les plus extraordinaires du siècle dernier. Enfant surdoué, il bénéficie de la bonne éducation que son père, riche banquier israélite, lui assure ainsi qu'à ses frères et sœurs. Mais sa sensibilité, plus vive encore que son intelligence, s'exprime dans un talent musical exceptionnel. A dix ans il commence à donner des concerts. Dans sa ville d'abord, puis un peu partout en Europe et surtout en France. A quinze ans, il est professeur de piano au conservatoire de Genève. Liszt fait de lui son élève préféré. Les salons parisiens se l'arrachent. Il est le « puzzi » (le petit mignon) de George Sand. C'est la gloire. Il en use et abuse, mène une vie de patachon et accumule les dettes dans sa passion effrénée pour le jeu.
75:260
Il éprouve cependant une sorte de nostalgie permanente du sacré qui lui donne un caractère mélancolique ajoutant à son charme aux yeux de ses admiratrices. Il entre un jour à l'église Sainte Valère, qui n'existe plus, mais qui était située près de celle qui fut construite un peu plus tard en l'honneur de sainte Clotilde (où existe une chapelle dédiée à sainte Valère) entre la rue de Grenelle et la rue Saint Dominique. Il y retourne plusieurs fois, assiste un matin à trois messes successives, revient le soir, et terrassé par la présence du Saint Sacrement qui était exposé, tombe à genoux, s'inclinant jusqu'à terre. Il se sent converti. C'était en mai 1847. Le 28 août, il est baptisé à Notre-Dame de Sion. Le 8 septembre il fait sa première communion.
L'Eucharistie est devenue sa dévotion première. Le « mélancolique puzzi » est désormais le passionné du Saint Sacrement devant lequel il peut rester en contemplation durant des heures. Il fonde l'Adoration nocturne à Notre-Dame des Victoires, le 6 décembre 1848, et trouve finalement sa voie dans l'ordre du Carmel où il fait sa profession le 7 octobre 1850. Il est ordonné prêtre à Pâques, l'année suivante.
Carme, le P. Augustin-Marie du Très Saint Sacrement rêve d'une vie cloîtrée de prière et d'ascèse, mais l'obéissance à ses supérieurs le jette sur les routes de France. Il fonde des carmels, suscite des vocations, prêche un peu partout, confesse, ramène les catholiques à la pratique de la religion, convertit nombre de juifs et de protestants, est submergé par sa correspondance. Si sa sollicitude va d'abord aux plus pauvres, il n'en dirige pas moins les reines Christine et Marie-Amélie, exilées d'Espagne et du Portugal. Il est en contact avec les futurs saints Julien Eymard, le curé d'Ars, Bernadette de Lourdes, mais aussi avec Lacordaire, Dom Guéranger, le « saint homme de Tours », Louis Veuillot, quantité d'évêques et de prêtres. Il compose toujours de la musique, pour des chants latins, des cantiques français et même pour une messe entière. Dans les églises, il joue souvent de l'orgue avant ses sermons.
De sa santé fragile il ne tient pas compte. Cependant ses yeux sont atteints. Il ne peut plus lire son bréviaire. Bientôt la plus faible lumière et jusqu'à la simple clarté du jour lui devient intolérable. Il décide une neuvaine à Notre-Dame de Lourdes. Chaque jour alors lui apporte un soulagement et il se trouve complètement guéri, à la Grotte, le dernier jour. Le docteur Boissarie, directeur du Bureau médical, conclut à un miracle.
Après la France, c'est l'Angleterre. Il y reste deux ans, y fonde un carmel et réanime la minorité catholique très dispersée, jusqu'à son retour en France où il pourra enfin passer deux ans au « saint désert », à Tarasteix, près de Lourdes.
La guerre de 1870 va achever sa carrière. Il est Allemand et doit partir. Pendant son voyage, il manque d'être écharpé -- un espion ! -- mais arrive enfin à Montreux, au service des réfugiés. Comme les prêtres français n'étaient pas autorisés à entrer dans les camps de prisonniers de guerre en Allemagne, il se fait nommer aumônier auprès des 5.300 prisonniers de Spandau, dont environ 500 souffrent du typhus et de la dysenterie. Malgré quelques difficultés au début, à cause de sa qualité d'Allemand, son dévouement le fait vite admettre par la plupart. Il ne cesse de prêcher, confesser, distribuer la communion, répartir les vêtements chauds qu'il fait venir, et soigner les malades. Le 9 janvier 1871, il attrape la petite vérole de deux soldats qui en étaient atteints et à qui il administrait l'Extrême-Onction. Quatre jours plus tard il devait se coucher. Le 20 janvier, il était mort.
76:260
Ce qui étonne, c'est que cet homme extraordinaire et ce saint authentique qui, de son temps, était « le célèbre P. Hermann », aussi connu pour le moins qu'un Lacordaire ou un curé d'Ars et dont la charité ne fut pas moins féconde, soit aujourd'hui presque ignoré. Non seulement le bien qu'il a fait de son vivant est immense, mais les institutions de tout genre qu'il a fondées demeurent pour la plupart, non seulement en France mais dans le monde entier.
Espérons que l'ouvrage de Dom Beaurin aidera à réparer cette injustice. Ce n'est pas qu'il soit sans défaut. L'activité débordante du P. Hermann, comme la masse de documents dont disposait l'auteur, ne facilitaient pas l'ordonnance de cette biographie. Du moins, le livre se lit-il « comme un roman » -- un roman qu'il est en effet, le roman d'un amour fou, passé d'un coup d'aile des choses de la terre à celles du ciel, par le miracle de l'Eucharistie.
Louis Salleron.
#### H. de B. *La prière du cœur *(Arma et artis)
L'éditeur (B.P. 236, 92205 Neuilly-sur-Seine) a réalisé sous forme de mince plaquette la réédition d'un article peu commun et recherché. On peut regretter que ce texte d'origine ne soit ni situé, ni daté, ni expliqué. On peut certes aussi aller à la B.N. et s'y documenter ; je l'ai fait pour ITINÉRAIRES. H. de B. veut dire Habitant de Berne ; il s'agit de Jacques-Albert Cuttat qui a écrit *La rencontre des religions, avec une étude sur la spiritualité de l'Orient chrétien* (Aubier Montaigne, 1957, coll. « Les religions ») et *Expérience chrétienne et spiritualité orientale* (Desclée de Brouwer, 1967, coll. « Foi vivante »).
Quant à *La prière du cœur,* elle fut pour la première fois imprimée par les Éditions orthodoxes en 1953... La prière du cœur ou prière de Jésus est mieux connue depuis quelques dizaines d'années et l'on sait qu'elle consiste avant tout en la récitation incessante d'une même phrase ou d'un même mot (« Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur » ou plus simplement « Jésus », etc.). Pour les pères d'Orient, cette prière peut et même doit être rivée au souffle, à la respiration de l'orant, mais c'est contesté. Nous touchons là aux problèmes de l'hésychasme qui sont rendus familiers par de petits livres faciles à lire et à acheter ([^8]).
77:260
Cette prière du cœur n'est pas donnée à tous et elle ne saurait détourner de leurs habitudes ceux qui ont pour vocation une prière largement communautaire. Elle semble ainsi réservée à ceux qui s'isolent, aux solitaires en rase campagne ou dans le métro... L'orthodoxie est un peu à la mode et l'on sait qu'elle peut apporter quelques nouvelles perspectives à nous autres, occidentaux, liés à Rome et à l'expression de la Vérité par le canal de formules de valeur certaine, encore que par trop habituelles à nos esprits routiniers. Les idées, les formules, les préoccupations des orientaux peuvent nous ouvrir des horizons et ainsi nous aider dans la quête de Dieu. La spiritualité des pères du désert nous est offerte par l'Orient : on aurait tort de s'en priver et c'est pénétrer un monde nouveau que de fréquenter les auteurs énumérés par H. de B., encore que le vocabulaire employé soit parfois déroutant. Beauté, gloire, cosmos sont les composantes de cette spiritualité ; l'icône y a sa place, comme la prière brève et répétée, humble et, paraît-il, efficace. Dans le même ordre, je signale encore le petit livre d'
#### Émile Simonod *La prière de Jésus selon l'évêque Ignace Briantchaninoff* (1807-1867) (Éditions Présence)
Paru en 1976 dans la collection « Le soleil dans le cœur », dirigée par M.-M. Davy, ce livre est relatif à l'œuvre d'un moine orthodoxe qui devint évêque de Stavropol. Des généralités sur la prière de Jésus (priez sans cesse, l'invocation, le nom de Jésus, l'attention, la sobriété, l'humanité du Christ, l'illusion, le passage, l'aspect psychosomatique, -- l'évêque désolidarisant la prière de toute activité physiologique, -- solitude ou communauté) sont suivies de dialogues entre l'élève et le staretz et de textes annexes, dont un très beau sur la gloire de Dieu. Un index des noms et un index des sujets rendent de grands services.
Hervé Pinoteau.
78:260
#### Roland Gaucher *Les finances de l'Église de France *(Albin Michel)
Après *Le réseau Curiel* ([^9])*,* qui a connu un grand succès, Roland Gaucher a publié un volume de 288 pages grand format : *Les finances de l'Église de France,* étude fortement documentée de l'actuelle gestion du patrimoine de l'Église, en France. Rappelons que l'Église avait été presque entièrement spoliée de ses possessions au début du siècle, par suite de la loi contre les congrégations religieuses (1901) et de la loi de séparation de l'Église et de l'État (1905). Son patrimoine actuel a donc été constitué à partir de 1906 uniquement grâce aux dons des fidèles.
Roland Gaucher fait, à plusieurs reprises, remarquer que les actuelles transformations ou aliénations des biens d'Église, sont faites avec un parfait mépris des intentions des donateurs. Sans prétendre résumer un ouvrage d'une pareille ampleur, j'en donne ici les lignes essentielles, avec des exemples pris dans le diocèse d'Orléans, qui est un diocèse tout à fait moyen.
1° *Les ressources de l'Église ont diminué,* ou tout au moins, n'ont pas suivi l'augmentation du coût de la vie. C'est très sensible pour le denier du culte ; c'est le cas aussi pour les quêtes dans beaucoup de paroisses, surtout en campagne. Certes, il y a des exceptions : je sais positivement que les quêtes rendent autant à Saint-Séverin qu'à Saint-Nicolas du Chardonnet, car la réforme liturgique a des partisans enthousiastes, qui donnent largement. Mais, dans la plupart des paroisses, la pratique religieuse a fortement baissé, et les quêtes s'en ressentent. En ce qui concerne le denier du culte, il faudrait introduire un correctif, car le nombre des prêtres a, lui aussi, beaucoup baissé. Ainsi le diocèse d'Orléans comptait 368 prêtres en 1965 ; en quinze ans, une centaine sont morts ; 42 ont été réduits à l'état laïque ; il n'y a eu qu'une dizaine d'ordinations. Le denier du culte est donc réparti entre 250 prêtres environ, au lieu de 368 ; même si la somme collectée n'a pas augmenté en proportion du coût de la vie, le traitement de chaque prêtre a augmenté normalement.
79:260
2° *Les dépenses ont énormément augmenté.* A l'échelon du diocèse d'abord. En 1965, tous les services étaient assurés par des prêtres qui percevaient le traitement d'un curé. Il y a aujourd'hui un nombre assez important d'employés laïques qu'il faut rétribuer au tarif normal et pour lesquels il faut acquitter les charges sociales.
Mais surtout il y a depuis le concile ce qu'on appelle des « structures collectives » ou « collégiales » de l'épiscopat français d'innombrables bureaux, commissions et organismes divers emploient plusieurs centaines de prêtres et de laïcs. Ces structures, dont la seule existence est contraire à l'institution divine de l'Église, entraînent des frais énormes. Non seulement il faut rétribuer les « permanents », mais le fonctionnement de ces structures suppose de multiples déplacements, souvent par avion, donc très onéreux. Et la manie des déplacements inutiles atteint les évêques et les prêtres. En 1962, lors de la première session du concile, Mgr Riobé était revenu à Orléans en avion pour une journée seulement, sans aucune raison sérieuse. Je lui fis remarquer assez vertement qu'il avait dépensé, dans cet inutile voyage, l'équivalent du traitement annuel de plusieurs curés. Bien entendu, je ne reçus aucune réponse. Par la suite, Mgr Riobé effectua d'innombrables voyages en Amérique latine. Puisque je suis sur ce chapitre, j'ajouterai une réflexion sur Mgr Riobé. Dans *Le réseau Curiel,* Roland Gaucher place Mgr Riobé en tête d'une liste de sept évêques français particulièrement engagés dans l'action révolutionnaire. Quelques lignes plus haut, il citait, à la génération précédente, le cardinal Liénart et Mgr Chappoulie. Il n'est pas inutile de remarquer que le chanoine Riobé, vicaire général de Mgr Chappoulie, avait commencé, sous l'égide de son évêque, son action subversive en Afrique noire et en Amérique latine ; il la continua après la mort accidentelle de Mgr Chappoulie, en 1959. Ce fut probablement cette activité qui lui valut d'être nommé évêque coadjuteur d'Orléans en 1961. Il était ainsi bien placé pour continuer l'œuvre de Mgr Chappoulie.
Qu'on ne croie pas que je m'éloigne de mon sujet. La question des finances de l'Église de France est étroitement liée à celle de l'action subversive des « structures » de l'épiscopat ; et ce n'est pas un hasard si Roland Gaucher a écrit *Les finances de l'Église de France* quelques mois après *Le réseau Curiel ;* il y a, entre ces deux livres, une continuité parfaitement logique. Pour financer l'action subversive, les organismes de l'épiscopat français ont été amenés à pratiquer des détournements frauduleux.
Il y a eu d'abord le prélèvement de 30 % effectué sur la quête annuelle faite pour le Secours catholique. Il y eut, il y a l'affectation à des organisations révolutionnaires d'une partie importante des dons collectés par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (C.C.F.D.). Roland Gaucher y consacre des pages et reproduit des photocopies du *Courrier de Pierre Debray,* ainsi que des réponses faites par les responsables. Mais les quêtes et collectes ne suffisent pas à alimenter le budget de l'épiscopat français. L'Église de France vit au-dessus de ses moyens. Alors, on vend le patrimoine de l'Église, les séminaires, les écoles, les couvents. Roland Gaucher estime que la valeur des immeubles vendus depuis quinze ans se situe entre un et deux milliards de nouveaux francs.
80:260
Il cite de nombreux cas d'aliénations scandaleuses et y consacre la majeure partie de son livre. Ces ventes servent à couvrir le déficit des budgets diocésains et à alimenter les « structures collectives » ; mais, dans bien des cas, l'emploi de l'argent provenant de la vente de tel immeuble reste occulte.
La congrégation des Filles de la Charité qui possédait 117 immeubles à Paris en 1950, n'en a plus que 54 en 1975. Pourquoi cette liquidation de 63 immeubles, qui n'étaient pas des immeubles de rapport, mais des maisons abritant des œuvres de charité ? Et qu'est devenu l'argent provenant de ces ventes ? Ces immeubles avaient été donnés ou légués par des bienfaiteurs au profit des pauvres, des malades, des vieillards, des enfants, dont s'occupaient les Filles de la Charité. Il y a, à ces ventes, à la fois des raisons d'ordre sordide et une idéologie qui veut que l'Église soit pauvre, dépouillée de tout. Avant la fin du siècle, l'Église ne possédera plus *rien* en France. On ira alors quémander les fidèles pour reconstituer un patrimoine indispensable à la vie de l'Église, à la formation des prêtres et des religieux, à l'éducation des enfants, au service des pauvres et des malades. Les fidèles seront alors bien avisés d'assurer eux-mêmes la gestion de toutes ces œuvres et de ne pas les livrer à l'incompétence et à la malhonnêteté des clercs.
On peut relever çà et là quelques inexactitudes. Page 18 : l'archevêque de Sens s'est installé à Auxerre, et non le contraire. -- Page 82 : à Joinville, ce ne sont pas des Prémontaines, mais des Annonciades qui ont vendu une grande partie de leur couvent ; mais les trois Annonciades qui restent ne sont pas réduites à l'état laïque ; elles continuent à occuper la partie de la maison qui suffit à leur petit nombre. -- Page 213 : la rédaction de l'avant-dernier paragraphe n'est pas très claire ; il faut comprendre que Mgr Lefebvre a deux sœurs religieuses l'une, Mère Gabrielle-Marie, dirige les Sœurs de la Fraternité Saint-Pie X, dont le noviciat est à Mézières-en-Brenne (Indre) ; l'autre, Sœur Marie-Christiane, est prieure du Carmel de Quiévrain (Belgique). -- Page 219 : le récit de la vente de la maison Lacordaire est inexact ; cette maison n'appartenait pas au diocèse de Dijon, mais aux Dominicains de Paris. L'affaire fut traitée par le président laïque de l'association d'aide aux familles, constituée pour cette acquisition ; la présence de l'abbé Coache au sein de l'association fut naturellement tenue secrète jusqu'après la vente. -- A la page suivante : la nouvelle adresse du prieuré Sainte-Madeleine est : Le Barroux, 84330 Caromb.
Écrivant au printemps de 1981, Roland Gaucher parle des écoles libres sous contrat. Il est absolument certain que toutes les écoles qui ont accepté un contrat d'association seront intégrées à l'enseignement public. Sans les subventions, elles ne pourraient plus assurer le traitement de leurs professeurs. Je prends l'exemple d'un grand collège catholique sous contrat de ma région. Il demande 1500 francs de pension par mois pour un élève du premier cycle ; s'il dénonçait son contrat, il lui faudrait demander le double, ce qui excéderait de beaucoup les possibilités des familles.
A propos des ressources des prêtres, Roland Gaucher écrit, en substance, ceci :
1° En certains diocèses, on garde le système traditionnel : le prêtre garde pour lui les honoraires de messes et le casuel, et perçoit de l'évêché un traitement provenant du denier du culte.
81:260
2° A Paris et en d'autres diocèses, on a institué un système de péréquation : les prêtres versent tout ce qu'ils reçoivent à l'évêché qui répartit ensuite avec égalité les sommes ainsi perçues.
3° Dans les deux cas, le revenu du prêtre est proche du S.M.I.C.
Cette dernière assertion n'est vraie que dans les paroisses assez importantes. Dans les paroisses qui ne comptent que quelques centaines d'habitants, un prêtre ne trouve plus les moyens de vivre décemment. Vivant dans une région déchristianisée, je peux affirmer que, même si le nombre des prêtres n'avait pas diminué, la suppression d'un grand nombre de paroisses rurales était inéluctable.
Le système de péréquation est un leurre. Rien n'empêche les prêtres qui touchent un gros casuel de dissimuler une partie de leurs revenus ; et, avec la mentalité qui règne dans le clergé, on peut être assuré qu'ils ne s'en privent pas. Le système traditionnel est meilleur, mais non sans défauts ; les honoraires de messes (actuellement 30, 35 ou 40 francs suivant les diocèses) représentent de 30 à 50 % du revenu du prêtre. Or le prêtre n'est pas canoniquement tenu de dire la messe tous les jours ; et il peut s'en trouver empêché pour des raisons de conscience ou de santé. L'impossibilité de dire la messe pendant plusieurs jours représente une véritable catastrophe pour un prêtre. D'un autre côté, la péréquation aboutit à verser aux prêtres qui s'abstiennent volontairement de dire la messe une partie des honoraires de ceux qui la disent. Le problème est complexe et il n'est pas nouveau. Depuis la suppression de l'indemnité concordataire (1^er^ janvier 1907), aucune solution satisfaisante n'a pu être trouvée.
Roland Gaucher aborde encore beaucoup d'autres questions. Je n'ai fait que retracer, en y ajoutant quelques réflexions, les grandes lignes de son livre.
Jean Crété.
#### *Un jour... les Scouts *Éditions de l'Orme Rond (32, rue de Trucy, 94120 Fontenay-sous-Bois)
La flamme scoute allumée, il y a 75 ans, par un général britannique du nom de Baden Powell, devait s'embraser en un phénomène social unique en son genre. Comme un feu de savane un jour de grand vent, le scoutisme par son attraction exceptionnelle enflamma le cœur de millions d'adolescents de toute la terre, de toutes cultures, de toutes couleurs.
82:260
C'est une part de cette « saga » prodigieuse que tente de retracer l'album *Un jour... les Scouts* qui, derrière l'objectif du photographe Jos le Doaré, suit essentiellement les grandes heures des Scouts de France, de 1911 à 1960, commentées par Louis Fontaine.
Dès le départ, certains catholiques en France devinèrent le génie d'une méthode éducative renouant avec le réalisme médiéval et en rupture totale avec la pédagogie intellectualiste régnante, fondée sur le dualisme cartésien qui oppose corps et âme.
Plus encore, ils pressentirent que le rayonnement du scoutisme dépassait, de loin, le monde de l'adolescence. Ils y virent, avec le secours de la Grâce, le germe d'une spiritualité authentique capable, à partir d'une éducation réaliste et chrétienne, de féconder une chevalerie nouvelle, un « ordre scout » au service de la société. Et de fait, il y eut de cela...
Ceux-là mêmes qui le comprirent, le réalisèrent et le vécurent, sont devenus des « figures » : ils appartiennent à cette race de « pêcheurs d'hommes » dont la vie et les œuvres ont marqué des générations entières. Le scoutisme s'en est trouvé de la sorte ennobli.
Ils eurent pour noms : le père Sevin, jésuite à l'enthousiasme vibrant ; le chanoine Cornette, « notre Vieux Loup fondateur » ; le père Doncœur, aumônier à l'élan irrésistible ; Guy de Larigaudie, routier de légende ; et bien d'autres connus ou inconnus dont l'exemple était (avant ce livre) mis sous le boisseau...
Si, sur le large million de promesses prononcées depuis 60 ans, beaucoup furent oubliées, emportées par la vie et ses difficultés, combien d'autres, pourtant, touchèrent en profondeur les cœurs et plus encore les âmes. Le scoutisme fut une semence de vocations religieuses, militaires, familiales... partout où le don de soi n'est pas un vain mot.
Et ce n'est pas un hasard, si l'on dénombre encore dans les emplois à responsabilité 2 scouts sur 3 personnes recensées.
Malheureusement, « la marche du temps, les mises à jour, jusqu'aux réformes conciliaires ont créé depuis 1960 les conditions malheureuses de divisions et de morcellements » et le scoutisme affaibli, oublié, trahi, traverse un désert difficile. Le feu, après avoir jailli en bouquets d'étincelles, s'est calmé et au petit matin, il en reste des braises rougeoyantes que le moindre souffle provoque. Si *l'esprit* scout demeure incontestablement à travers quelques « groupes-bastions », la *lettre* du scoutisme est sérieusement atteinte.
Il faut peut-être y lire un signe de la Providence : « Si le grain ne meurt... »
Jean Lhermine.
#### Roger de Saint Chaînas *Fleuves d'eau vive *(*C.L.C.*)
Autour des thèmes du Vrai, du Beau et du Bien, l'auteur rassemble 485 pensées cueillies dans les œuvres de quelque 250 écrivains-penseurs, poètes et saints.
83:260
On les relit ou on les découvre avec plaisir. Dans une brève préface, Jean Ousset écrit, avec justesse : « Loin d'être réduit aux sinistres promiscuités d'odieux compromis, le christianisme apparaît, au contraire, tout au long de (ces) pages, dans sa pleine et souveraine transcendance. »
L. S.
#### François Saint-Pierre Au jardin de mon cœur (Nouvelles Éditions Latines)
Dans ce recueil d'aphorismes, réflexions et pensées diverses, notamment sur la religion et la politique, F.S.P. nous livre avec simplicité et sincérité son cœur mis à nu. Catholique et monarchiste, il pense que les croyances ne valent que dans la mesure où elles sont vécues. Il paye d'exemple, le plus clair de son temps étant pris par les responsabilités qu'il assume dans les œuvres sociales, principalement en matière de logement ; et c'est encore par dévouement que l'écrivain qu'il est a accepté, il y a quelque temps, de devenir secrétaire général des Écrivains Catholiques. Toute sa « philosophie » est résumée par la « pensée » qui termine son livre : « La nuit de Noël est née la lumière des hommes. Ne nous refusons pas la lumière. Ne nous refusons pas le bonheur. »
Louis Salleron.
#### Marcel Le Page *Cao Bang* (Nouvelles Éditions Latines)
Le désastre de Cao-Bang, au Tonkin, en 1950, a déjà eu beaucoup d'historiens. Ici c'est le colonel Le Page, commandant la colonne de secours, qui retrace les opérations, et complète le tableau que nous pouvions avoir. Inutile de dire que les précisions apportées par ce livre sont d'un grand intérêt. L'artilleur (arme d'origine de l'auteur) a le tir efficace.
84:260
Mais ce sont deux autres points qui retiennent l'attention, au-delà du combat lui-même, et de l'héroïsme qui s'y dépensa. Le colonel Le Page était à ce moment le chef d'un groupement de Tabors marocains. Ils se battirent admirablement, aux côtés de la Légion, à la grande surprise des Vietminhs, qui comptaient rallier ces « colonisés », ces « exploités ». L'image des Tabors grimpant à l'assaut aux cris de « Dieu seul est Dieu » (paroles de la Chahada), sous les ordres d'officiers français, dans un combat en Asie, paraît fabuleux, trente ans après. Elle nous fait mesurer l'immense bouleversement qui s'est produit en un temps si bref. Elle devrait faire rêver (et réfléchir, qui sait) pas mal de jeunes esprits qui ne comprennent plus rien à cette période, faute de mesurer de tels faits.
Le deuxième point est la vie de prisonnier que menèrent pendant quatre ans, dans un camp communiste, l'auteur et ses compagnons. Dans ces chapitres aussi, il y a beaucoup à apprendre.
G. L.
#### Dominique Lambert de Douasnerie Paroisses et soldats de l'armée vendéenne
Éditeur de la revue *Savoir* et président de l'Association Vendée militaire, Dominique Lambert de la Douasnerie est un Angevin averti de tout ce qui tourne autour du combat de géants. Soit un des plus célèbres épisodes de la grande guerre franco-française. Or il a décidé de publier méthodiquement tout ce que l'on sait sur les soldats de Dieu et du Roi, paroisse par paroisse, ce qui n'est pas rien. En 1980 a paru le premier fascicule qui est relatif à Andrezé et en 1981 on a vu le premier des trois fascicules consacrés à Le May-sur-Evre, Begrolles et Saint-Léger. L'ensemble est d'une étonnante érudition qui fait honneur à l'auteur que l'on sait être attaché aux archives départementales de Maine-et-Loire. De nombreux documents sont aussi reproduits. On peut se procurer les fascicules chez l'auteur, 21 rue Béclard, 49000 Angers.
Hervé Pinoteau.
85:260
## DOCUMENTS
### Urgent : il faut distinguer entre les diverses catégories d' « immigrés »
*Une des formes du génocide français, la plus visible, la plus physique* (*extraits d'un article de* Maurice BARDÈCHE *dans le numéro de décembre de* DÉFENSE DE L'OCCIDENT).
Bien sûr, il y a deux millions de chômeurs. Bien sûr, il y a deux millions d'immigrés. Bien sûr, si l'on soufflait sur les deux millions d'immigrés, cela ferait de la place pour les deux millions de chômeurs. Mais, tout cela, c'est enfantin, tout le monde le sait, et irréel, tout le monde le sait aussi : car les immigrés couvrent un secteur de travail que les chômeurs refusent d'occuper et le travail que les chômeurs recherchent et qu'ils ne trouvent pas n'est pas un travail confisqué par les immigrés, mais simplement un travail qui n'existe plus. Alors, il est inutile de rêver qu'en soufflant sur les immigrés comme sur des petits pois, on résoudra le problème du chômage -- et le problème de l'immigration. Car ce sont deux problèmes différents.
Nous ne parlerons ici que des problèmes de l'immigration. Il est tellement évident que les Français ne veulent plus pousser des brouettes et ne se sentent pas non plus une vocation d'O.S. à perpétuité qu'il est inutile d'épiloguer sur cette situation. C'est la relève par un prolétariat allogène du prolétariat national qui pose un problème politique : sérieux pour le présent, très grave pour l'avenir.
86:260
Et d'abord, nous sommes *piégés* par une question de vocabulaire. Le mot *immigré* recouvre des catégories très différentes qui n'ont pour point commun que d'être de nationalité étrangère. Tout le mon de reconnaît que *les immigrés espagnols, portugais, italiens, vietnamiens, ne gênent personne, ne troublent pas la sécurité publique, n'abusent pas de l'hospitalité qui leur est offerte.* La législation qui les concerne devrait donc tenir compte de cette situation, elle devrait être une législation de l'accueil et du travail toute spécifique. C'est une première lacune. Elle a pour origine la stupidité du dogmatisme antiraciste qui interdit toute discrimination législative ou administrative en fonction des origines ethniques et qui *interdit même toute étude statistique sérieuse* puisque cette notion est également exclue des relevés et des résultats des statisticiens.
*Le danger social et politique ne provient donc que de deux catégories d'immigrés qui devraient être comptabilisées à part, les noirs et les nord-africains.*
Là encore, notre vocabulaire, trop pauvre, ne tient pas compte de la variété des situations. Les *noirs* (qu'il est préférable d'appeler *les nègres,* mot qui les rattache à des races et à des cultures, plutôt que de les appeler des noirs, désignation insultante qui les met à part en raison de la couleur de peau), appartiennent à des ethnies différentes qui n'ont ni le même caractère ni le même degré de civilisation, ni les mêmes possibilités d'assimilation : qui n'ont pas non plus le même statut selon la législation française, et qui n'ont pas non plus le même projet quand ils nous demandent l'hospitalité, puisque les uns veulent être balayeurs, les autres employés des postes et d'autres enfin colonels ou ministres quand ils rentreront dans leur pays. Là aussi, les conditions d'entrée et de séjour en France devraient être modulées selon la *catégorie ethnique* et aussi la *catégorie sociale* auxquelles le postulant à l'hospitalité appartient. C'est un autre inconvénient de nos lois, qui nous impose d'accorder des droits égaux à tout individu, même soumis en tant qu'étranger à l'arbitraire administratif, et qui nous interdit de distinguer entre des immigrants utiles et des immigrants indésirables.
La sélection devrait être encore plus attentive lorsqu'il s'agit des *nord-africains.* Car aux différences d'origine qui existent entre eux, comme entre les nègres, s'ajoutent pour certains des facteurs historiques qui correspondent à des droits moraux à notre hospitalité et à notre aide. Les *harkis* qui ont combattu dans les rangs des troupes françaises pendant la guerre d'Algérie, et les fils et petits-fils de ces harkis, ne sont pas des étrangers parmi nous. Ceux d'entre eux qui n'ont pas été abandonnés, trahis, livrés aux représailles et aux supplices, et qui ont pu se réfugier en France, ont gagné un titre indiscutable à la qualité de Français. La réglementation administrative, et encore moins l'usage, font peu de cas de cette distinction. C'est pourtant par l'oubli de telles dettes qu'une nation se déshonore.
Les nord-africains d'origine marocaine ou tunisienne qui n'ont pas été mêlés au drame de l'indépendance de l'Algérie sont chez nous des étrangers qui viennent chercher, disent-ils, du travail ou une formation. Il en est de même pour les allogènes originaires du Moyen-Orient.
87:260
Au contraire, *les Algériens,* qui sont les plus nombreux parmi les immigrés, appartiennent par leur origine et par leur formation à un pays avec lequel nos relations sont en voie de normalisation, mais alourdies par les séquelles mal cicatrisées d'une guerre cruelle et haineuse. On peut toujours craindre que, par leur nombre et par les liens qu'ils gardent avec les services politiques de leur pays d'origine, ils ne constituent un jour une masse de manœuvre dont le contrôle nous échappe et qui peut nous créer des préoccupations dramatiques.
Enfin, à cette diversité d'origine et de mentalité, il faut ajouter une autre cause de disparité. Qu'il s'agisse des Arabes ou des Nègres, leur présence dans nos villes doit être diversement jugée selon qu'ils sont des *travailleurs* utiles, des *étudiants* ou des *oisifs*. Les deux premières catégories ne rendent pas nécessaire, en général, une surveillance spéciale. Les oisifs, au contraire, sont une population parasite, souvent agressive et dangereuse, qui vit de proxénétisme, de vols, de jeu, d'escroqueries, et qu'on trouve souvent mêlée à la pègre. Dans cette dernière catégorie, il faut mettre à part les adolescents et les jeunes, presque tous sans travail, enclavés dans des ghettos urbains échappant au contrôle de la police, entraînés par oisiveté, par cupidité, et par frustration, à la violence et au vandalisme.
Même lorsqu'on essaie de porter sur cette situation un jugement dépourvu de passion, il est impossible de ne pas être inquiet devant ces marginaux incontrôlés, inconnus et inassimilés. Selon certaines statistiques, la proportion des actifs dans la population allogène se réduirait à 30 % du total. Bien entendu les 70 % non compris dans cet ensemble ne sont pas tous des délinquants et des parasites. Mais ce chiffre révèle un phénomène différent, mais aussi grave, l'installation sur notre territoire d'un vaste complexe ethnique comportant des familles, des enfants, des retraités, des chômeurs : et par conséquent représentant, dans une autre dimension et dans une autre population, les principales caractéristiques du peuplement français. C'est un phénomène non de passage, comme on le croit trop souvent, mais d'incrustation. Une part non négligeable de la population française actuelle est donc le résultat d'une transfusion de sang qui, à partir d'une certaine proportion, change le caractère national.
La décision du gouvernement socialiste de régulariser la situation de 350 000 immigrés clandestins, la libéralisation des visas d'entrée, sont des actes graves et irresponsables qui augmentent sans contrôle le pourcentage d'infiltration -- et les charges dont il est accompagné. C'est une mesure de prédilection antiraciste, de préméditation du métissage. Il est possible que les effets de cette politique soient peu ressentis dans les cantons de la Creuse et de la Haute-Loire : mais il suffit de prendre le métro à six heures du soir ou d'habiter Marseille ou la banlieue de Lyon pour constater la densité inquiétante des concentrations allogènes dans les grandes agglomérations urbaines. Cette plèbe est calme aujourd'hui : le sera-t-elle toujours ?
Le gouvernement socialiste n'est pas seul responsable. Le stupide antiracisme n'est pas d'hier. Il a inspiré la politique des précédents gouvernements, toutes directions confondues. L'une des initiatives les plus imprudentes est leur œuvre : c'est celle qui consiste à favoriser aveuglément non seulement l'implantation des immigrés, mais celle de leurs familles.
88:260
Sans incidences autres que financières pour les Portugais, les Espagnols et les Indochinois, cette politique fut une véritable opération d'insémination lorsqu'il s'agit des nord-africains et des nègres. Ce fut l'origine d'un bouillon de culture : dont la plupart des Français contemplent le résultat avec attendrissement -- et inconscience -- en s'extasiant sur les délicieux négrillons et les jolis petits enfants arabes qui seront dans dix ans des nègres et nord-africains parfois très courtois, mais, en certains cas, insolents et intempestifs.
N'exceptons personne de cette recherche des responsabilités. Le grand patriote Michel Debré, aujourd'hui si prompt à s'indigner de la décadence française, a préparé celle-ci dans la mesure où cela dépendait de lui : en imaginant un « repeuplement » de la France par un apport de sang nouveau que l'immigration fournirait. Cette politique « nataliste » par implantation est une singulière chirurgie. Ainsi propose-t-on de faire repousser les cheveux à ceux qui n'en ont plus.
Mais la faute la plus grave et la plus lourde de conséquences, commune au « libéralisme avancé » de Giscard d'Estaing, au gaullisme impérieux de Michel Debré et au socialisme musclé de François Mitterrand, est le refus de toute enquête, de toute description statistique, de toute transparence. C'est un plan caché : la transfusion de sang doit se faire sans qu'on s'en aperçoive, sans comptage des globules, sans dosage, sans examen. Le malade se réveillera « transfusé », autre, changé en nourrice. Tout cela se fait dans le noir. Et nos hommes d'État lèveront les bras avec résignation quand les Français constateront que la France ne leur appartient plus.
Cette politique d'implantation systématique, tout le monde sait qu'elle est désastreuse pour l'hygiène et la santé publique, qu'elle est dangereuse pour la sécurité des villes, qu'elle est criminelle à l'égard des femmes, premières victimes de ces oisifs entreprenants. Elle est en même temps ruineuse, car la protection sociale assurée à ceux qui présentent des certificats de travail plus ou moins authentiques est un élément important -- et qu'on refuse de chiffrer, bien entendu -- du déficit de la Sécurité Sociale. Sans compter les escroqueries et les falsifications auxquelles des déclarations invérifiables exposent les centres payeurs. Déjà, certains hôpitaux de banlieue n'ont plus pour clientèle que des nord-africains et des nègres. La syphilis a fait d'énormes progrès, des maladies vénériennes inconnues sont apparues, contre lesquelles nous avons peu de défenses. La pollution morale et ethnique de tous les pays européens est constatée partout, irrite tout le monde, *non les classes aisées, vivant dans des quartiers abrités, mais les familles ouvrières directement atteintes* par le surpeuplement allogène et les menaces de toutes sortes dont il s'accompagne. Le seuil de tolérance est dépassé en de nombreux endroits. Mais aucun gouvernement n'ose bouger et se défendre, c'est-à-dire nous défendre, par peur imbécile d'une accusation de racisme, épouvantail qui fait trembler les belles consciences de notre temps.
L'opposition officielle se garde bien de s'aventurer sur ce terrain dangereux. Nos journaux qui mènent la vie dure au gouvernement sur toutes les autres questions sont muets sur cette pollution sociale préméditée qui les intéresse moins que l'impôt sur la fortune et la défense inconditionnelle des trusts. La défense de la santé physique et morale de la nation est pour tout le monde, de la droite à la gauche, une zone interdite.
89:260
Seule l'extrême-droite réagit et proteste. Mais ses positions absolues et sans nuances perdent de leur force parce qu'elles ne tiennent pas compte des aspects très divers de la situation réelle. « Tous dehors et tout de suite » n'est pas une solution quand le plus grand nombre des manœuvres du bâtiment, des terrassiers, une grande partie des O.S. de nos usines sont des travailleurs immigrés ; quand, symptôme plus alarmant encore, des artisans emploient un personnel immigré parce que les Français refusent d'accepter les emplois qu'on leur propose dans certaines branches, plomberie, peinture, électricité, par exemple ; quand la main-d'œuvre immigrée est, pour l'instant, indispensable ; presque toujours moins chère que la main-d'œuvre autochtone, enfin, dans beaucoup de cas, il faut le reconnaître, n'entraînant aucun désagrément ni pour les employeurs, ni pour les habitants. L'opposition de l'extrême-droite, juste dans son principe, devrait être moins absolue dans son expression. Et surtout, elle devrait s'efforcer de proposer des mesures concrètes, pratiques, efficaces, tenant compte de la complexité d'une situation ancienne qui ne peut être changée du jour au lendemain.
Malheureusement, il est plus facile de souhaiter de telles mesures que de les proposer. Il nous manque d'abord un livre blanc des résultats de l'antiracisme, indispensable pour que l'opinion prenne conscience de la gravité de la situation actuelle. Il faudrait aussi qu'un mouvement de pensée sensibilise l'opinion au *génocide national* que constitue l'implantation systématique d'éléments hétérogènes, en beaucoup de cas inassimilables. Ces préalables sont déjà, en eux-mêmes, chimériques. Que dire alors des mesures concrètes auxquelles on peut penser pour entreprendre un refoulement par étapes, dont le gouvernement socialiste ne veut pas entendre parler parce que sa politique est précisément de favoriser une invasion continue ? La partie de l'opinion qui est consciente du péril ne peut rien, à moins qu'elle ne s'appuie sur les réactions populaires qui commencent à se produire spontanément.
La recherche d'une solution à la fois efficace et acceptable pour la partie saine de la population immigrée est pourtant d'autant plus nécessaire que -- l'arrière-pensée du parti socialiste est électorale. Un ministre trop pressé a fait, au début de la législation, une déclaration intempestive, en exprimant l'idée que les travailleurs immigrés devraient avoir, -- dans certaines conditions, le droit de participer au suffrage universel. Cette revendication prématurée pourrait bien devenir, a bien des chances de devenir, une revendication actuelle quand le parti socialiste sera conscient du déchet électoral entraîné par sa politique doctrinaire. Des renforts électoraux seront les bienvenus : ne doutons pas qu'on ira les chercher auprès des allogènes, qu'on aura systématiquement favorisés.
Cette arrière-pensée électorale n'est qu'une péripétie comme tout ce qui est électoral. C'est aussi une autre pensée, plus grave, qui doit être présente à notre esprit. Ces Portugais, ces Espagnols, ces Turcs, ces Nord-Africains et ces Nègres que nous avons attirés chez nous depuis vingt ans, ils constituent aujourd'hui dans nos nations ce que le vocabulaire marxiste appelle le prolétariat. Les transformations qui ont eu lieu depuis 1945, dans l'éducation et dans la pratique du travail, ont considérablement diminué l'effectif de ce qui constituait le prolétariat français en 1936.
90:260
A la place de la « classe ouvrière », telle qu'on pouvait la définir et la *sentir* à cette époque, il existe aujourd'hui un ensemble social non dénommé qui relie par des nuances insensibles les ménages d'ouvriers qualifiés, d'employés, de retraités dans un prisme social qui va du prolétaire d'autrefois, aujourd'hui minoritaire dans le peuple, au ménage petit bourgeois que la plupart des ménages ouvriers sont devenus par leur mode de vie, leur habitat, leur vêtement, leurs réactions -- et aussi par l'effet du travail des femmes qui met deux salaires à la disposition de chaque foyer. Cette classe populaire, et non plus prolétarienne, est celle qui a voté pour François Mitterrand. Elle ne se distingue plus du bourgeois « standard » que par des signes de culture, des mots de passe par lesquels se reconnaissent ceux qui sont passés jadis par le lycée et qui ont perdu le contact avec leur origine ouvrière, ou par des détails du vêtement, du comportement, des formes du bien-être. Il y a aujourd'hui des opinions différentes en France, mais non, comme on voudrait nous le faire croire, des *classes* ennemies.
Le stationnement sur notre territoire d'un *prolétariat allogène,* étranger par ses mœurs, son éducation, son niveau de vie, son travail et se trouvant chargé de tâches indispensables que nous refusons de remplir, est un danger très grave pour l'avenir. Telle est la conséquence d'un antiracisme virulent et hystérique combiné avec une politique imbécile de l'enseignement, aveuglément menée depuis trente ans sous tous les gouvernements qui se sont succédé. Nous trouverons un jour, installés chez nous, si cette politique continue, à la place du « pays réel », des occupants qui nous imposeront leurs musiques et leurs mœurs, puis leur loi. Mais n'est-ce pas ce qu'on veut secrètement ?
\[Fin de la reproduction des principaux passages d'un article de Maurice Bardèche paru dans *Défense de l'Occident,* numéro 187.\]
91:260
### Apologie pour un certain Pierre Moussa
Pierre Moussa est ce dirigeant du groupe financier « Paribas » qui, sans violer aucune loi ni aucun règlement, a fait en sorte que les filiales suisses échappent à la spoliation socialiste. Voici les principaux passages de l'article que MAURICE BARDÈCHE a écrit à ce sujet dans sa revue DÉFENSE DE L'OCCIDENT, numéro 187 de décembre 1981.
Je ne connais pas M. Pierre Moussa. Il est normalien, comme moi. Il a réussi : moi pas. Il est banquier et je n'aime pas les banquiers. Il aimait beaucoup Maurice Clavel et Louis Althusser, avec lesquels, apparemment, il a crié « Tue ! » pendant que les autres criaient : « Assomme ! ». Enfin, je n'aurais aucune raison de prendre sa défense, si son cas n'était pas doublement symbolique : premièrement, parce qu'il a fait le premier geste de « résistance » ; deuxièmement, parce que, grâce à lui et sans qu'il ait rien de commun avec nous, nous prenons conscience de l'ambiguïté des réactions de l'opposition nationale à l'égard du socialisme jacobin.
Rappelons d'abord une vérité première trop oubliée. Le président de la République a été élu par 52 % des suffrages exprimés qui ne représentent que 40 % des Français électeurs.
92:260
C'est le même pourcentage qui a envoyé à la Chambre, grâce à une loi électorale malhonnête, une majorité absolue de socialistes. Le gouvernement actuel est donc le gouvernement légal, cela ne fait aucun doute. Mais il n'est pas un gouvernement légitime puisqu'il ne représente pas l'opinion de la majorité du peuple français ([^10]).
Les contraintes qu'il impose dépassent donc les pouvoirs qui lui ont été conférés. Sa légalité lui remet le pouvoir de gouverner, mais dans les conditions normales du gouvernement, c'est-à-dire en tenant compte des intérêts et des réactions de ceux qui, n'ont, pas voté pour lui. Si la contrainte et la menace sont employées sans tenir compte de cette opposition impuissante, ceux qui appartiennent à cette majorité d'adversaires et d'indifférents qui sont devenus des otages du pouvoir, ont le droit d'opposer au gouvernement « l'objection de conscience » que provoque toute légalité qui ne repose pas sur une légitimité réelle.
C'est en cela que le choix de M. Pierre Moussa, est symbolique. Dans une première phase, ce grand banquier, homme de gauche, ami de socialistes « bien introduits », pense que la nationalisation ne fera qu'écorner le patrimoine moral qui est sa fierté et son œuvre. Lorsqu'il s'aperçoit qu'il s'est trompé, il est contraint de choisir entre l'obéissance civique qui lui est imposée et la sauvegardé non pas de son bien, mais de son œuvre : il choisit de se défendre contre la spoliation, non pas même par la désobéissance civique, mais par un subterfuge. En quoi son cas est-il différent de celui de milliers de Français moyens qui cherchent eux aussi à échapper, comme ils peuvent et dans la mesure où ils le peuvent, à la spoliation, à la destruction du travail de toute leur vie, à la loi du plus fort ?
M. Jacques de Fouchier, grand patron paternaliste qui avait fait la carrière de M. Pierre Moussa, se prononça contre lui en justifiant sa position par ces mots : « Le gouvernement actuel a été porté au pouvoir par des élections libres. Tant que nous ne sommes pas occupés par une armée étrangère, je respecterai les lois de mon pays. » Belle parole civique : elle pose bien le cas de conscience, mais avec quelle ambiguïté ! Un jacobinisme peut nous faire accepter n'importe quoi avec cette maxime : mais un fascisme aussi. Faut-il s'incliner devant tout état de fait, devant toute politique même suicidaire, si elle est légale ? Une minorité légale a-t-elle le droit d'imposer à 60 % des Français hostiles ou silencieux leur expropriation et leur destruction ? Vae victis, « malheur aux vaincus », disaient les Romains. Tendez vos poignets docilement aux menottes si le chancelier a été régulièrement investi. Parole étrange après tant de discours qui nous répètent depuis trente ans que les Allemands, lesquels n'étaient pas occupés par une armée étrangère, avaient le devoir de ne pas se soumettre aux lois de leur pays !
Les cas de conscience ne sont jamais simples. Il y a quelque chose de captieux dans la maxime si absolue de M. de Fouchier : D'abord, parce que M. Pierre Moussa n'a pas transgressé les « lois de son pays » : ce qu'il a fait était parfaitement légal, il n'avait à l'égard du régime aucun devoir de complicité Ensuite ; parce que l'exception d'occupation étrangère est, en 1981, une hypothèse archaïque, une référence à 1940 qui n'est plus aujourd'hui qu'un effet oratoire :
93:260
il n'y aura pas d'occupation étrangère, ou, s'il y en a une, elle ne nous laissera pas le droit de discuter, mais ce qui est bien plus à craindre, et un ; grand banquier devrait le pressentir, c'est qu'il peut y avoir des légalités. Que fera M. Jacques de Fouchier à Paribas, que feront les frères Riboud et M. Philippe Thomas, président de PUK et M. Jean Gandois, président de Rhône-Poulenc, aujourd'hui partisans de la collaboration, quand les grèves et les pressions syndicales obligeront le gouvernement socialiste, non pas à rompre avec les communistes comme on le croit, mais à partager leur pouvoir, toujours aussi légal, avec huit, puis douze ministres communistes qui dicteraient alors les « lois de notre pays » ? Où doit commencer, non pas la « résistance », mais la défense légitime des « biens » qui sont le résultat et aussi l'instrument de notre travail et de notre liberté ?
Je n'aime pas les banquiers. Je ne me croyais pas destiné à prendre un jour la défense d'un banquier. Et il a fallu un étrange concours de circonstances pour que M. Pierre Moussa, qui n'a rien d'un Français moyen, me paraisse l'incarnation du Français moyen qu'il n'est pas Mais je ne puis pas ne pas avoir, dans cette circonstance, les mêmes sentiments que lui, je ne puis pas ne pas me dire que j'aurais fait, si j'avais été à sa place, la même chose que lui. Car il y a des lois non écrites de la cité. Et la première de toutes, le fondement de tout contrat social est que le souverain protège. Le premier de ses devoirs est le devoir de sécurité : celui des biens et celui des personnes. Or, le pouvoir socialiste saccage. Son vandalisme est composite : il est fait de sentimentalisme, d'ignorance et de laine, mélange dont les proportions varient selon les personnes. Mais le résultat est la destruction : au nom de la générosité, au nom de la lutte des classes, au nom de l'espoir. Les trois impulsions aboutissant à la même fureur jacobine. Il faut faire plier l'échine aux « ennemis de la République ». Au nom de l'idéal, an nom de l'avenir. « Au nom du peuple français... ». Au nom d'un mensonge. Mais ce sont les mots par lesquels commencent les verdicts. Le jacobinisme, intégral aboutit aux lois de Prairial.
Bien sûr, au bout du toboggan, il y a les lois de Prairial. Alors, de quoi nous mêlons-nous, nous autres pauvres hères, en imaginant que Nosseigneurs les Banquiers ont des cas de conscience comme : nous ? Le cas de M. Pierre Moussa est encore plus exemplaire qu'il ne le paraît. Il est abandonné de ses pairs pour avoir fait une « gaffe ». Le mot si prudhommesque de M. Jacques de Fouchier ne l'est pas du tout : il ne résume pas un cas de conscience, il est une « déclaration ». Et même une déclaration opportuniste. Dans un langage mesuré, le président de la République fait entrevoir très discrètement des lois de Prairial qui lui feraient beaucoup de peine : il pourrait y avoir « radicalisation » du régime, il le craint et le déplore. Le grand capital, après avoir recensé les forces dont il dispose, constate avec sagesse qu'il n'est pas question d'engager une lutte inégale, il assure donc de son loyalisme et de sa collaboration. Et même de sa contribution à l'effort commun.
\*\*\*
94:260
Les contradictions du socialisme ont pour origine la légèreté : les contradictions correspondantes de l'opposition nationale ont pour origine le réalisme. Sur les « maîtres-mots » du programme socialiste, il n'y avait pas hostilité de principe : nationalisations, régionalisme, impôt sur les grandes fortunes, solidarité, tout cela était non seulement acceptable ; mais en fait accepté par une opposition nationale, au moins telle que je la conçois, intransigeante et cohérente. Mais sous les mêmes mots, nous ne mettions pas la même chose. Certaines nationalisations nous paraissaient possibles dans des secteurs particuliers, d'autres nous paraissaient même souhaitables, qui n'ont pas été faites, par exemple celle de la publicité, d'autres nous semblaient impossibles et aberrantes, celles qui ont été choisies pour mettre la main sur le « pouvoir économique », sans savoir ce que c'était. Beaucoup de groupes nationaux n'étaient pas hostiles au régionalisme, certains même s'en réclamaient : mais le régionalisme de liberté auquel ils pensaient n'avait pas de rapport avec le quadrillage inventé par Gaston Defferre. L'impôt sur certaines grandes fortunes et même leur pure et simple confiscation, je le réclame depuis longtemps à condition *qu'il s'applique aux fortunes sans cause, inexplicables, miraculeuses,* que la police connaît, ou *aux fortunes apatrides aussi faciles à identifier.* Quant à la solidarité, c'est le mot-clef, c'est la revendication essentielle des régimes dont nous rêvons, mais une solidarité qui exclut la lutte des classes et qui est une solidarité réelle dans le travail et l'efficacité, c'est-à-dire en affranchissant les entreprises des contrôles qui les paralysent, des charges qui les ruinent et d'un contre-pouvoir syndical qui ne songe qu'à les détruire.
Les conceptions doctrinaires du régime socialiste et sa précipitation ont enlevé tout contenu positif à ces revendications. Les socialistes ont *décrété* les nationalisations comme si elles avaient lieu dans la situation qui était celle de l'Europe et du monde en 1930. Ils détruisent un tissu économique qui nous donnait une place dans le commerce mondial : ils agissent comme si la France pouvait fermer ses frontières, s'isoler dans le monde et se passer de pétrole. Le régionalisme, détourné de son sens, est devenu *un système d'installation du socialisme* dont on connaît les gérants, mais dont on ne sait ni le coût ni les moyens. L'impôt sur les grandes fortunes a été détourné de son objectif quand on s'est aperçu qu'il frappait les spéculations des milliardaires apatrides et une intéressante clientèle d'interlocuteurs privilégiés. La volte-face du pouvoir va bien au-delà des « petits collectionneurs » sur lesquels la grande presse s'apitoie naïvement et des intérêts du « marché des œuvres d'art ». Elle exclut de l'impôt les lingots nommés Utrillo, Picasso ou Renoir, et *elle ne frappe plus que les patrimoines familiaux constitués de terres ou d'immeubles, c'est-à-dire la fortune des Français moyens aisés.* Enfin, la solidarité, telle qu'elle est conçue par le régime socialiste est, en réalité, une spoliation systématique de ceux qui travaillent, qui inventent, qui risquent, ou qui ont travaillé, inventé et risqué, au profit d'une plèbe d'assistés installés dans la magouille, la paresse, et l'exploitation méthodique du maquis des « droits acquis ».
\[Fin de la reproduction des principaux passages de l'article de Maurice Bardèche paru dans *Défense de l'Occident,* numéro 187 de décembre 1981.\]
95:260
## Informations et commentaires
### Derniers échos du Congrès eucharistique
On sait ce que fut le Congrès eucharistique international qui s'est tenu à Lourdes du 16 au 23 juillet 1981. Tel qu'il avait été voulu et préparé par les organisateurs français (qui en avaient réservé l'accès à leurs seuls invités), il fut un échec total un fiasco. Tel qu'il eut lieu effectivement quand, en dernière heure, les barrières furent levées, il fut un succès, malgré la pagaille et quelques bavures, grâce au discours radiodiffusé du pape (absent à cause des suites de l'attentat dont il avait été victime le 13 mai), à la dignité et au tact de son légat le cardinal Gantin et à la ville même de Lourdes où la présence invisible de la Vierge ne cesse d'opérer sur l'esprit des pèlerins.
Favorables ou défavorables aux organisateurs du Congrès, tous les comptes rendus parus dans la presse ont, à qui sait lire, confirmé cette analyse. On doit cependant faire une place à part à celui qu'a publié la revue *Esprit et Vie* (ex *Ami du Clergé*) dans son numéro 45 du 12 novembre 1981. Signé du P. Joseph Bordes, recteur des sanctuaires de Lourdes, il avait paru précédemment dans la revue *Recherches sur Lourdes* (no 76, octobre 1981) ; mais dans *Esprit et Vie* il est complété par de nombreuses notes de Dom Bernard Billet.
Pourquoi mentionner spécialement ce compte rendu ? Parce que sa longueur -- 18 colonnes, soit 9 pages -- et le choix qu'en a fait *Esprit et Vie* le désignent à notre attention. Nous sommes, en quelque sorte, invités à y trouver la « note » qu'il faut retenir pour porter un jugement correct sur le Congrès.
96:260
Eh ! bien, ce n'est pas facile. On sent, d'un bout à l'autre, que l'auteur veut prouver quelque chose. Mais quoi ? On n'arrive pas à le saisir. Est-ce une critique subtile ? Est-ce un plaidoyer ? En tout cas à travers les faits rapportés on aperçoit bien en quoi il fut un fiasco et en quoi un succès. Le succès est majoré par l'inflation verbale habituelle aux ecclésiastiques ; le fiasco apparaît radical dans le plaidoyer même.
Comme d'un paragraphe à l'autre, d'une phrase à l'autre, voire à l'intérieur d'une même phrase, tout est perpétuel balancement, il faut lire l'article entier pour l'apprécier à sa juste valeur. Notons tout de même quelques phrases qui en disent long :
« *Certes, on aurait pu faire en sorte que le culte de l'Eucharistie en dehors de la Messe apparaisse moins en rupture avec la pratique habituelle des Congrès Eucharistiques et avec celle de Lourdes.* (*...*)
« *Aurait-on réellement offensé la sensibilité de nos frères protestants en rendant plus accessible à tous l'adoration perpétuelle qu'il fallait* « *gagner *» *à la chapelle du Carmel par un escalier pas tellement commode pour tout* le *monde ? *» (p. 613).
« (*...*) *N'y avait-il pas place pour une manifestation eucharistique, attendue par beaucoup... ? *» (p. 614).
« *On n'a peut-être pas exagéré en disant qu'il s'agissait là de* « *l'acte le plus important depuis le Concile Vatican I *» (faut-il lire « Vatican II » ?). *On a même parlé d'un* « *deuxième Vatican II *» *où les forces vives de l'Église venaient attester que Vatican II était accepté et vécu *» (p. 614).
« *Décidément, dans la longue semaine du Congrès, c'est une autre Église qui a surgi, qui s'est révélée à elle-même, prenant conscience et consistance *» (p. 616).
Ajoutons que si beaucoup des notabilités présentes à Lourdes sont citées et nommées -- Dom Helder Câmara, Mgr. Le Bourgeois, le cardinal Willebrands, le pasteur Louis Lévrier (de l'Église Réformée), le chanoine (?) Roger Greenaire (anglican), le P. Élie Melia (orthodoxe), le cardinal Etchegaray, le cardinal légat est mentionné *sans que son nom soit indiqué* et le message du pape qui fut, du moins pour les non-invités, le moment culminant du Congrès, *est passé sous silence.*
Oui, ce fut bien « un autre Congrès », le congrès d' « une autre Église » où perça cependant l'Église éternelle, présente dans le pape absent, dans la foule des pèlerins innocents, dans le Saint Sacrement caché dans un Carmel et dans la grotte de Lourdes où les fidèles venaient supplier l'Immaculée de les garder dans l'Espérance.
Louis Salleron.
97:260
### Dom Guéranger « réduit à l'archéologie »
Dans *Le Figaro* et dans *L'Aurore* du 8 décembre 1981, on pouvait apprendre en page 15, de bien belles choses :
« *La réforme liturgique du Concile, qui a tout restructuré en répartissant sur trois ans la lecture de l'Évangile, avait anéanti le trésor des missels et commentaires qui alimentait les chrétiens. Elle a réduit Dom Guéranger à l'archéologie. *»
Nous prenons acte de cet enseignement dispensé aux lecteurs du *Figaro* et de *L'Aurore.* Il se résume ainsi :
1\. La réforme liturgique du Concile a « anéanti un trésor » quel aveu !
2\. Ce trésor était celui « des missels (donc du missel romain) et commentaires qui alimentait les chrétiens » quelle précision dans l'aveu !
3\. La dite réforme est parvenue à ce résultat remarquable « en répartissant sur trois ans la lecture de l'Évangile » point c'est tout. Vraiment ?
4\. La dite réforme « réduit Dom Guéranger à l'archéologie » quel langage ! quelle pensée !
\*\*\*
Au troisième paragraphe de la première colonne de l'article cité, il est indiqué que :
« *Dans la chrétienté de mon enfance, la liturgie est le rythme même de la vie sociale : austérité de l'Avent et du Carême, éclat des fêtes. Ma grand-mère, chaque jour, lisait Dom Guéranger, dont le missel-bibliothèque commentait la messe de chaque jour. *»
D'où il suit que, parmi le « trésor anéanti » par « la réforme liturgique du Concile », il y a encore « le rythme même de la vie sociale » qui est « la liturgie ». (Autrement, la précision « dans mon enfance » n'aurait pas de sens : il est clair que « dans mon enfance » s'oppose à « aujourd'hui ».)
D'autre part, présenter *L'année liturgique* comme le « missel-bibliothèque \[qui\] commente la messe de chaque jour » c'est affirmer avec fiel une énorme inexactitude.
Avec fiel, parce que l'expression « missel-bibliothèque » tourne en dérision l'objet même de *L'année liturgique :* donner un commentaire monumental du missel romain.
Une énorme inexactitude, parce que *L'année liturgique* est bien autre chose qu'un « commentaire de la messe de chaque jour ».
98:260
Inexactitude matérielle énorme, car pratiquement aucune messe du sanctoral n'est commentée (il aurait fallu commenter la même messe pour les vierges, les martyrs, les docteurs, les confesseurs qui n'en ont pas de propre, et c'est la majorité). Inexactitude beaucoup plus grave selon l'esprit, car l'essentiel de l'œuvre de Dom Guéranger consiste à montrer comment *L'année liturgique* forme un tout organique et offre aux fidèles « une manifestation de Jésus-Christ et de ses mystères dans l'Église et dans l'âme fidèle ».
\*\*\*
Question : comment un partisan déclaré du retour aux sources peut-il parler de « réduire » quelqu'un (ou son œuvre) à l'archéologie ? (Mis de côté le charabia.) Nous croyions naïvement qu'être digne de l'attention des archéologues était une *élévation* dans l'ordre du mérite conciliaire. Fiel ; impiété, bêtise. N'en restons pas là. Relisons Benedictus « Ô Sainte liturgie, honneur de l'Église, toi qui inspiras tant de monuments d'art et de poésie, toi qui inspiras à saint François, le petit pauvre, de chanter la gloire de son Seigneur sur les routes du monde ; toi qui mets sur nos lèvres le cantique des élus et règles nos pas dans notre marche vers le ciel ; toi qui chasses de nos cœurs l'impureté et les attires doucement vers les biens invisibles, nous te jurons fidélité jusqu'à la mort et même au-delà, dans ce paradis dont tu nous dévoiles quelque chose des splendeurs indicibles. »
Antoine Barrois.
### Oui, il est sans doute encore temps
Intéressante, l'évolution des pensées de Jean Daniel (*Nouvel Observateur,* n° 894 du 26 décembre 1981) :
« *La plus grande centrale syndicale française, la CGT, en refusant de se déclarer solidaire de son homologue polonaise, a prouvé bien plus que dans le passé qu'elle n'était que la* « *courroie de transmission *» *d'un parti pour lequel les intérêts de l'Union soviétique s'identifient avec ceux du mouvement ouvrier. *»
Clause de langage : la CGT aurait prouvé « bien plus que par le passé » qu'elle est une courroie de transmission du parti communiste. Il faut entendre simplement que le *Nouvel Observateur* s'en aperçoit bien mieux aujourd'hui qu'avant-hier. Ce n'est donc pas la preuve qui est meilleure. C'est le regard qui est moins brouillé.
99:260
Ou le parler qui est plus franc. Jean Daniel est maintenant « *d'avis d'abandonner tout biais et toute nuance *», et il prend de fermes résolutions :
« *Nous n'aurons jamais rien en commun avec les gens qui oppriment le peuple polonais ni avec ceux qui approuvent son oppression ou s'en accommodent. Nous n'aurons jamais rien en commun avec ceux qui, à Moscou, à Varsovie, chez nous, où que ce soit, font preuve de quelque bienveillance ou même de résignation devant un forfait fascis*te *donnons-lui son nom comme celui que vient de commettre la junte dirigée par Jaruzelski... *»
\[*Donnons-lui son nom :* c'est un forfait communiste.\]
« ...*En 1981, il n'est plus permis de dire que la fin justifie les moyens puisque nous avons tous éprouvé que ce sont les moyens qui conditionnent, façonnent et déterminent la fin. Mais quand, au surplus, la fin qu'on ose nous proposer, et à laquelle il faudrait sacrifier certains moyens, c'est ce modèle soviétique prétendu* « globalement positif », *alors je ne vois pas comment le dialogue serait possible. *»
Dont acte. Jean Daniel devient adulte. Face à l' « hégémonisme soviétique », il incite à la nécessaire résistance :
*A ceux qui proclament à l'envi et non sans raison, bien sûr, qu'on ne peut envoyer des chars, répondons que, pour le moment, il s'agit au moins d'armer les esprits et d'édifier une digue morale pour limiter la contagion. La résistance spirituelle réclame une longue, une attentive préparation.*
Cette préparation nécessaire, et nécessairement longue et attentive, on aurait pu ne pas attendre Noël 1981 pour commencer *à l'envisager*.
Jean Daniel a pris beaucoup de retard.
Mais enfin, mieux vaut tard que jamais.
Si c'est pour de bon.
J. M.
### L'immense vertu que nous propose « Le Figaurore » : c'est le scepticisme
Le 8 décembre dernier en la fête de l'Immaculée-Conception le *Figaro* et *l'Aurore,* ces deux journaux qui n'en font qu'un, et que la gouaille parisienne a surnommé le *Figaurore,* nous donnait le fac-similé d'un acte, de baptême laïque tel qu'il est employé par la mairie de Bezons (Val d'Oise).
100:260
On y lit que les parents d'un nouveau-né « *ont déclaré présenter leur enfant au premier magistrat de la Commune afin de le placer sous la protection de la Cité, affirmant leur volonté de le soustraire à l'emprise des religions et de l'élever dans le culte de la Vérité et de la Raison *»*.*
Des formules, démarches et cérémonies analogues avaient cours pendant la Révolution française.
Mais voici le commentaire du *Figaurore :*
« *En somme, on ne fait que changer de dieux. Mais que l'on se méfie de ceux qui ont toujours soif, car ils ne connaissent pas l'indulgence, la générosité et cette immense vertu qui est le scepticisme. *»
Maurras avait surnommé le *Figaro :* « le journal maudit ».
Le scepticisme religieux s'appelle l'incroyance volontaire et systématique. On peut être victime de l'incroyance comme d'un malheur. On peut chercher la vérité sans la trouver : mais lui tourner délibérément le dos, et faire de ce refus de principe une « immense vertu », c'est autre chose. C'est l'anti-dogmatisme, c'est le libéralisme maçonnique, signé Hersant et Pauwels.
J. M.
Si ce n'est pas de la haine,\
c'est quoi ?
Marcel Clément a patronné, édité et cautionné naguère une traduction française de l'encyclique *Divini Redemptoris* sur le communisme, en expliquant pourquoi il la tenait pour la meilleure, et de loin.
Or maintenant, quand Marcel Clément cite l'encyclique *Divini Redemptoris* (il en cite le paragraphe 41 en première page de *L'Homme nouveau* du 3 janvier), il la cite dans une traduction antérieure, la vieille traduction de la Bonne Presse, dont il connaissait bien les insuffisances et les défauts.
La raison évidente et unique de ce bizarre comportement est que la traduction française naguère prônée, publiée et garantie par Marcel Clément était signée Madiran. Non seulement ce nom ne doit plus jamais être imprimé dans *L'Homme nouveau,* mais encore aucune ligne de cet auteur ne doit y être imprimée, fût-ce anonymement.
Une vigilance qui se porte à de telles extrémités, on n'arrive pas à croire qu'elle soit le fruit de la haine. Et pourtant, quoi d'autre que la haine pourrait aller jusque là ?
101:260
Nationalisme « débridé » ...\
... ou trop bridé ?
Dans le journal *Présent* du 6 janvier, on a pu lire cette juste remarque :
« *Pour désigner les maux qui frappent le monde moderne et l'entraînent dans la guerre, le pape Jean-Paul II nomme les nationalismes débridés. La vérité c'est que le général Jaruzelski,* *serviteur zélé de l'internationalisme communiste, a parfaitement bridé le nationalisme polonais. *»
« Patapon » à la dérive\
(suite)
Nous avions précédemment alerté nos lecteurs sur la dérive *de Patapon.*
Notre alerte avait semblé prématurée.
Il est confirmé que *Patapon* (pour les petits) et *Vertes collines* (pour les plus grands) sont devenus la propriété de la maison d'édition Téqui, laquelle est entre les mains de Pierre Lemaire.
A l'automne dernier, Pierre Lemaire a complètement changé le genre de *Vertes collines,* sans avertir Mme Récamier ; il a vulgarisé les couleurs et la présentation, sous l'influence, semble-t-il, d'un ecclésiastique auteur d'un catéchisme modernisant. Nous avons appris qu'il écarte les articles de l'ancienne rédaction, notamment sur des sujets tels que le Christ-Roi ; le maréchal Pétain, Verdun...
La présentation de *Patapon* demeure pour le moment inchangée, mais le contenu devient de plus en plus inconsistant.
102:260
## AVIS PRATIQUES
### Annonces et rappels
*Depuis le 5 janvier, le journal* PRÉSENT *paraît chaque jour* (*cinq jours par semaine*)*. Les premiers mois, il ne sera pas dans les kiosques, mais envoyé aux seuls abonnés.*
*Cependant il est souhaitable qu'il soit individuellement mis en vente au numéro par tous les libraires et dépositaires qui le veulent. A eux de se faire connaître en écrivant ou téléphonant au journal* PRÉSENT, *5, rue d'Amboise, 75002 Paris ; téléph. :* (1) 297.51.30.
#### Pour le 19 mars 1982
Les communistes et leurs courroies de transmission s'efforcent chaque année davantage de faire commémorer comme une victoire leur victoire l'anniversaire du 19 mars 1962, date du misérable cessez-le-feu imposé à l'armée française en Algérie, entraînant la débâcle la plus honteuse de notre histoire, parce que la plus évitable.
Les catholiques du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER appellent tous les Français, anciens d'Algérie ou non, originaires de la métropole ou de toutes les terres de ce qui fut l'empire français, à donner au 19 mars sa seule signification nationale possible, en en faisant désormais une *journée de prière et de recueillement pour la patrie humiliée.*
103:260
Manifestations et cérémonies déjà prévues.
*A Paris :* 18 mars, grande salle de la Mutualité, de 21 h à 23 h, veillée du souvenir et d'hommage aux morts de l'Algérie française. Puis, de 23 h 30 jusqu'à 6 h du matin le 19 mars, récitation du chapelet pour tous les morts de la guerre d'Algérie et adoration du Saint-Sacrement.
*A Marseille :* 19 mars, à 20 h, procession au flambeau pour la montée à Notre-Dame de la Garde.
Tous renseignements au CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, 12, rue Calmels, 75018 Paris ; téléph. (1) 259.97.82.
#### Le texte de l'appel pour le 19 mars
Voici le texte de l'appel lancé par le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER :
Certains voudraient faire du 19 mars 1962 un événement à commémorer.
Cet événement, ce fut le cessez-le-feu imposé à une armée française victorieuse à laquelle, selon le témoignage même de Ben Bella, chef du parti fellagha, ne s'opposaient plus guère que quinze cents rebelles démoralisés.
Ce cessez-le-feu entraîna la débâcle la plus honteuse de notre histoire, parce que la plus évitable.
En quelques semaines, alors que l'armée française, privée des chefs trop peu nombreux qui n'avaient pas voulu renier leurs serments, demeurait immobile, plus de deux cent mille Français Musulmans coupables de fidélité française étaient arrêtés, torturés et massacrés, ainsi que plusieurs milliers d'Européens dont nombre de femmes vouées au sort le plus épouvantable.
En quelques jours plus d'un million de personnes durent tout abandonner dans une fuite plus éperdue que celle de la débâcle de 1940.
Jamais dans notre histoire la France n'avait connu la honte d'un abandon aussi tragique et aussi rapide, d'une fuite aussi importante, motivée non par un désastre militaire mais par la seule volonté de ses propres gouvernants.
Jamais elle n'avait connu une pareille défaite, librement voulue, dans un mépris absolu de la solidarité nationale et de la pitié la plus élémentaire.
Voilà ce que l'on commémore déjà depuis des années et que l'on voudrait commémorer plus officiellement encore.
Voilà ce que l'on va essayer de faire d'abord passer dans les faits avant que de l'imposer définitivement dans la loi.
Les Français qui se reconnaissent dans la France de saint Louis et du Père de Foucault, la France des victoires, et des défaites jamais acceptées, ne peuvent tolérer cela.
104:260
Voilà, pourquoi les Catholiques du Centré Henri et André Charlier appellent tous les Français, anciens d'Algérie ou non, originaires de métropole ou de toutes les terres de ce qui fut un grand et noble empire, de toutes croyances et de toutes races, à donner au 19 mars sa seule signification possible, en en faisant désormais une « journée de prière et de recueillement pour la patrie humiliée ».
#### Communiqué des Dominicaines enseignantes de Fanjeaux
Sur les Dominicaines enseignantes de Fanjeaux, le lecteur, peut se reporter à l'article de Jean Madiran : *L'église et la caserne,* paru dans notre numéro 253 de mai 1981.
Voici le communiqué récemment publié par les Dominicaines de Fanjeaux :
Avant la rentrée des classes, nous informions les parents de nos élèves de notre intention d'ouvrir une troisième école pour filles et leur demandions de nous aider à trouver un lieu d'implantation. Nous avons aussitôt reçu de nombreuses propositions dont la générosité a souvent fait notre admiration et nous tenons à dire à tous notre reconnaissance.
L'une des maisons proposées, ayant tout l'équipement nécessaire à une communauté religieuse et à une école, pourrait être utilisée dès la rentrée prochaine.
Mais comme nous l'écrivions, si la Providence a suscité suffisamment de vocations pour nous permettre d'envisager une nouvelle fondation, nous ne pouvons la réaliser faute de moyens financiers.
C'est pourquoi nous nous adressons comme il y a six ans à tous ceux, parents et amis, qui, ayant compris l'importance et la nécessité de l'école catholique, peuvent et veulent nous aider.
Il suffirait, en effet, que mille personnes nous adressent un chèque de mille francs -- ou que deux mille nous en adressent un de cinq cents francs -- pour que cette maison soit acquise et qu'en un autre coin de France, le cœur, l'âme et l'intelligence d'autres petites Françaises soient évangélisés dans la fidélité à la Foi de toujours et qu'elles y reçoivent une culture authentiquement chrétienne.
Conscientes que cette requête s'ajoute à beaucoup d'autres non moins urgentes mais confiantes en votre générosité qui, depuis six ans n'a cessé de faire vivre nos maisons de Fanjeaux et d'Unieux, nous remettons l'existence de cette future école entre vos mains.
105:260
Nous prions Dieu, la Vierge Marie et saint Dominique de vous rendre en grâces et bénédictions de toutes sortes l'aide que vous nous apportez et que vous nous apporterez.
Adresser la correspondance à Mère Prieure, Saint-Dominique du Cammazou, 11270 FANJEAUX.
Libeller les chèques de la façon suivante :
-- Chèque bancaire : Les amis de la Clarté, 11270 FANJEAUX.
-- C.C.P. : Les amis de la Clarté -- Toulouse 665 86 T.
#### Les Amis des Saints
Signalons à nouveau ce petit journal qui donne beaucoup de détails intéressants sur la vie de nombreux saints et encourage ses lecteurs à suivre leur exemple.
Les enfants le lisent volontiers. Certains se précipitent sur les jeux nombreux et astucieux (peut-être occupent-ils un peu trop de place ?). Des subtilités byzantines des charades, mots croisés, énigmes et rébus, on ne peut trouver la solution que si l'on a d'abord soigneusement étudié les textes donnés en lecture. Ces *Amis des Saints* sont le meilleur journal que l'on puisse actuellement recommander pour les enfants. Adresse :
74, av. Abel Roland, 81390 Briatexte (directeur : l'abbé Lambadarios).
A la même adresse : un agenda de poche pour l'année 1982, avec les saints du calendrier liturgique traditionnel. Cet agenda est recommandé par Mgr Lefebvre.
#### L'Atelier de la Sainte-Espérance
Élément essentiel du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, l' « Atelier de la Sainte-Espérance », fondé et dirigé par Albert Gérard, élève d'Henri Charlier, se réunit souvent au Mesnil-Saint-Loup. Tous les participants à la journée parisienne d'Amitié française, le 22 novembre 1981, ont pu y visiter la très belle exposition de l'Atelier et admirer le travail qui s'y fait pour que continue malgré tout, à notre époque d'obscurantisme croissant et de barbarie généralisée, la grande tradition de l'art chrétien toujours renouvelé et toujours fidèle.
106:260
L'ATELIER DE LA SAINTE ESPÉRANCE accepte les commandes de travaux de broderie, de peinture sur tissus et en général d'art graphique. Écrire, téléphoner ou venir à l'adresse du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, 12, rue Calmels, 75018 Paris ; téléph. : (1) 259.97.82.
============== fin du numéro 260.
[^1]: -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 38 de décembre 1959, pp. 84-85. C'est notre numéro spécial : *La Royauté de Marie et la consécration à son Cœur Immaculé,* avec cent pages d'enseignements pontificaux, principalement de Pie XII.
[^2]: -- (1). Éd. Buchet-Chastel.
[^3]: -- (1). Voir : *Les cent ans de Teilhard de Chardin,* dans ITINÉRAIRES, numéro 255 de juillet-août 1981, pp. 35 et suiv. ; voir aussi : *La canonisation de Teilhard,* ITINÉRAIRES numéro 259 de janvier 1982, pp. 119 et suiv.
[^4]: -- (2). Les chiffres IX et 146 indiquent le tome des œuvres complètes et la page (Éd. du Seuil).
[^5]: -- (3). *Blondel et Teilhard de Chardin* (Beauchesne 1965) pp. 160-161.
[^6]: -- (1). Dans cette série on doit aussi connaître les numéros suivants des *Dossiers de l'archéologie* (devenus *Histoire et archéologie, les dossiers*) : 21 (mars/avril 1977 sur la Belgique de César à Clovis, avec des articles sur Tournai, les Francs), 30 (sept./oct. 1978 sur Charlemagne et la renaissance carolingienne), 32 (janv./fév. 1979 sur les bijoux de la reine Arégonde découverts à Saint-Denis), 34 (mai 1979 sur Jeanne d'Arc et l'archéologie de la guerre de cent ans, ce qui est loin des Mérovingiens, mais autant le signaler), 53 (mai 1981 sur Autun, foyer d'art antique et médiéval), etc.
[^7]: -- (2). Sur le trésor découvert dans la tombe de Childéric à Tournai, sous Louis XIV, et dont il ne reste plus que des épaves, lire de Mme Françoise Dumas : *Le tombeau de Childéric* publié à Rouen en 1975 ; il est en vente à la Bibliothèque nationale, l'auteur étant conservateur au cabinet des médailles.
[^8]: -- (1). *Petite philocalie de la prière du cœur,* traduite et présentée par Jean Gouillard, Éditions du Seuil, collection « Livre de vie », nn. 83-84 (paru en 1968, et sous une autre forme dès 1953) connaît le texte d'H. de B., qu'il *si*tue : Éditions orthodoxes, Paris 1952* ;* Un moine de l'Église d'Orient, *La prière de Jésus,* ibidem, n° 122 (paru en 1963 aux Éditions Chevetogne avec imprimatur de Namur et dans la collection en question en 1974) ; *Récits d'un pèlerin russe,* traduits par Jean Laloy (paru en 1978 au Seuil, collection « Points, Sagesses » n° 14, avec aussi le nom de La Baconnière, et sous d'autres formes dès 1943* -- *le traducteur ayant alors le pseudonyme de Jean Gauvain --, et 1966*,* au même Seuil, collection « Livre de vie », n° 63) ; *Le pèlerin russe. Trois récits inédits* traduits par une équipe et avec introduction d'Olivier Clément (paru en 1979, dans la même collection « Points, Sagesses », n° 19, avec le nom d'éditeur de l'abbaye de Bellefontaine). On ne saurait oublier *Le nuage d'inconnaissance* par un chartreux anglais du XIV^e^ siècle si l'on en croit de bons auteurs (paru aux Éditions du Seuil, 1977*,* collection « Points, Sagesses », n° 12, et dès 1953 aux Cahiers du Sud).
[^9]: -- (1). Recension dans ITINÉRAIRES, n° 253 de mai 1981.
[^10]: -- (1). Maurice Bardèche veut dire que *même selon la théorie démocratique* de la légitimité politique, l'actuel gouvernement socialiste ne jouit pas d'une légitimité incontestable. (Note d'ITINÉRAIRES.)).