# 268-12-82 1:268 ## ÉDITORIAUX ### L'année religieuse 1982 *DANS le foisonnement du vi­sible et de l'invisible, il faut bien choisir. Choisissons donc quatre faits : l'inconnue de Fatima, la forfaiture du catéchisme, la polo­nisation de la hiérarchie catholique, l'encerclement financier du Vatican.* 1\. -- L'inconnue de Fatima. -- *Le 13 mai, Jean-Paul II a consacré le monde et la Russie au Cœur Imma­culé de Marie. Il a voulu associer l'épiscopat mondial à cette consé­cration.* 2:268 *L'épiscopat a boudé, boy­cotté, saboté. La grande presse dé­mocratique internationale, écrite et audio-visuelle, a systématiquement occulté l'événement, refusant la simple information. Si bien que l'événement est resté quasiment im­perceptible.* PRÉSENT *a été le seul quotidien français à le raconter tel qu'il fut ; nous avons reproduit les documents dans le* VOLTIGEUR *et dans* ITINÉRAIRES*. Question dispu­tée : le pape cette fois, mieux que Pie XII* (*et bien sûr que Paul VI*)*, a-t-il exactement et complètement fait ce qui était prescrit par les demandes de Notre-Dame de Fatima à Sœur Lucie ? Il semble que non ; pas tout à fait, disent les uns ; pas du tout, disent les autres. Nous y reviendrons.* 2\. -- La forfaiture du catéchisme. -- *Le 23 juillet,* PRÉSENT *publie le texte intégral, tenu caché, de la lettre du Saint-Siège alléguée par l'épiscopat français comme donnant l'approbation romaine à son affreux catéchisme nouveau : Pierres vi­vantes. Découverte : ce n'était pas une approbation. Il y a eu trompe­rie.* (*Cette lettre du cardinal Odi a été reproduite et commentée dans le* VOLTIGEUR *numéro 101.*) 3:268 *Depuis quatorze à quinze ans les nouveaux catéchismes de l'épiscopat français ne contiennent plus* *les trois connaissances nécessaires au salut qui sont, selon toute la tradi­tion de l'Église codifiée par le Conci­*le *de Trente :* 1*. -- l'explication du Je crois en Dieu* (*ce qu'il faut croire, vertu théo­logale de foi*) ; 2\. -- *l'explication du Notre Père* (*ce qu'il faut désirer, vertu théolo­gale d'espérance*) ; 3\. -- *l'explication des Comman­dements* (*ce qu'il faut faire, vertu théologale de charité*)*.* *Cette situation dramatique est l'œuvre de la plus terrible des for­faitures commises par le noyau di­rigeant de l'épiscopat. Il impose de­puis quatorze ans des catéchismes scandaleux, tantôt en dissimulant qu'ils n'ont pas reçu de Rome l'au­torisation préalable, tantôt en pré­tendant qu'ils n'ont pas besoin d'une telle autorisation.* *Nous sommes reconnaissants au Saint-Siège d'avoir toujours obstiné­ment refusé son approbation. Mais cela fait quatorze ans que le peuple français est privé du catéchisme ca­tholique, -- sauf initiatives privées qui sont combattues, diffamées, con­damnées par nos évêques prévarica­teurs.* 4:268 *Pourquoi le Saint-Siège, en qua­torze années, n'a-t-il pas réussi à ob­tenir le rétablissement du catéchis­me catholique dans l'Église de Fran­ce ? Combien d'années encore, ou de dizaines d'années, envisage-t-il de nous laisser dans cette situation ?* *C'est à coup sûr la question qui, en France, préoccupe le plus les fa­milles chrétiennes.* 3\. -- La polonisation de la hié­rarchie catholique. -- *La hiérarchie de l'Église abandonne la doctrine impérative de l'encyclique* Divini Redemptoris *sur le communisme, qui énonce que le communisme est intrinsèquement pervers et que l'on ne doit en rien collaborer avec lui, surtout pas quand il propose* (*car c'est un mensonge*) *des objectifs conformes à l'esprit chrétien. La hiérarchie catholique a baissé les bras, cessé le combat, renoncé à prê­cher la vérité sur le communisme. Elle considère en somme que l'Eu­rope tout entière est promise au sort de la Pologne, et que la résistance catholique au communisme doit dès maintenant adopter les méthodes de l'épiscopat polonais, mi-collabora­tion mi-résistance.* 5:268 *On ne peut évi­demment pas, en Pologne, prêcher que le communisme est intrinsèque­ment pervers et que l'on ne doit en rien collaborer avec lui. La hiérar­chie catholique des pays encore li­bres anticipe sur leur polonisation, et ainsi en augmente les chances. Le quotidien* PRÉSENT, *la revue* ITI­NÉRAIRES *ont fait la lumière sur cette stratégie délibérée et combattent cet esprit de démission.* 4\. -- L'encerclement financier du Vatican. -- PRÉSENT *a été le premier quotidien français à exposer l'im­portance et la signification réelles de l'affaire Calvi* (*banque Ambro­siano*)*. La communauté financière internationale s'efforce de capturer dans un scandale bancaire l'IOR, qui est la banque du Vatican, et son di­recteur, Mgr Marcinkus, qui est l'homme de confiance de Jean-Paul II, celui par lequel il a tenté d'échap­per à l'emprisonnement administra­tif où veut le tenir la bureaucratie vaticane mise en place par Paul VI et dirigée par le cardinal Casaroli.* 6:268 *Mais c'est un emprisonnement fi­nancier qui guette maintenant le Saint-Siège : on veut l'obliger à re­connaître une dette de 1.287 millions de dollars, somme qu'il n'a pas, et ainsi l'amener à négocier un com­promis aux conditions des créanciers internationaux...* *André Frossard a, comme nul ne peut plus l'ignorer, posé soixante-dix questions au pape Jean-Paul II, et publié les réponses. Il n'a posé aucune question sur les quatre faits cardinaux sur lesquels s'arrête au­jourd'hui notre méditation.* Jean Madiran. 7:268 ### Pour le tombeau de la Princesse Grace par Alexis Curvers JE NE SUIS PAS AUTREMENT ÉTONNÉ que Pierre Desgraupes ait congédié sur-le-champ celui de ses collaborateurs qui, à la télévision, avait indignement commenté la mort de la Princesse Grace de Monaco. Il arrive que, pour être de gauche, on n'en soit pas moins homme. Que Desgraupes soit capable de vertu chevaleresque, je le sais d'expérience. Il me l'a prouvé en 1964, lorsqu'il présida le débat où j'eus l'honneur de prendre la défense de Pie XII contre Jacques Nobécourt, devant les caméras de « Lectures pour tous ». Je m'attendais à me trouver seul devant deux adversaires. Le regretté chanoine Kuppens m'avait répété le conseil de l'Évangile : ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, le Saint-Esprit vous le soufflera au moment même. Il en fut ainsi. 8:268 Je ne sais si Pierre Desgraupes se ressentit ce jour-là de l'influence du Saint-Esprit, mais je n'ai pas oublié la délicatesse un peu bourrue avec laquelle il me mit en confiance et m'apporta le secours d'une impartialité bienveillante. Le grand pape outragé l'en récompensera sans doute, comme aussi le remercie main­tenant du haut du ciel, pour les mêmes raisons, l'âme charmante de la Princesse Grace. L'homme qui n'est pas de droite a bien vengé l'honneur de la Dame qui n'était pas de gauche. Cependant, si j'avais eu à disqualifier le perfide insulteur, ce n'eût pas été pour manque de respect : les flèches qu'il a lancées contre la défunte volaient trop bas pour la toucher, ou mériter que seulement on les ramasse. C'eût été, faute plus grave, pour manque d'intelligence. Un abîme de stupidité, et de la plus vulgaire, se découvre dans la phrase où il statua que « cette mort ne changera rien à l'histoire de l'humanité ». Il n'est même pas nécessaire d'être fort bête, il suffit d'être matérialiste pour avancer pareille ânerie. Staline raisonnait de même, qui à la fin de la guerre demandait pour rire, à ses compères Churchill et Roosevelt, combien l'armée du pape -- de Pie XII, justement -- comptait de divisions blindées. Ces gens-là se figurent que l'histoire ne se laisse conduire que par la force des armes, armes dont il est vrai que les gardes monégasques sont aussi mal pourvus que les suisses du Va­tican. Encore est-il que ces puissances désarmées enhardissent l'insolence des goujats, laquelle est bel et bien l'un des fac­teurs les plus funestes de l'opinion publique et, par là, de l'histoire. Jamais prénom ne fut mieux porté que celui de cette prin­cesse venue du cinéma, où, comme par miracle, sa jeune gloire ne se fourvoya ni dans le ridicule ni dans l'indécence. Elle garda sur les planches une dignité souveraine qui ne se ren­contre pas toujours sur les marches des trônes. Le succès que lui assura Hollywood n'eut rien de « sulfureux » ; mais le diffamateur avait besoin de cette épithète pour ne pas manquer l'occasion d'inculper, une fois de plus, ces maudits Américains dont le plus grand tort est qu'on ne peut se passer d'eux en aucune circonstance. 9:268 Née princesse, Grace Kelly n'eut qu'à rester ce qu'elle était pour le devenir en titre. Elle entra dans ce nouveau rôle sans changer de personnalité, la grandeur d'établissement allant chez elle de pair avec la grandeur naturelle. Ce nouveau rôle fut le plus beau de sa carrière ; il eût été difficile pour toute autre ; elle le joua ou, pour mieux dire, elle le *remplit* avec autant d'aisance que de générosité. Personne de qualité dans tous les sens du terme, elle offrait l'exemple vivant de la plus rare synthèse que pussent former ensemble un héritage de bonne race, le sens profond de la valeur des choses, l'énergie et la simplicité américaines, l'expérience pratique de la vie, une solide culture, enfin un don proprement français d'élégance. Ce qu'elle avait d'acquis ne se distinguait pas de ce qu'elle avait d'inné. Elle marchait d'un pas égal, et dans la familiarité des grands de ce monde, et dans la fidélité à ses anciens amis, et dans l'exercice d'une constante et attentive bonté qui lui conquit bientôt le cœur des plus humbles. La seule discrétion m'empêche d'en citer ici quelques traits dont je fus témoin. Il ne me faudrait pour cela rien de moins que le talent d'un Bossuet. Pendant la dernière visite que le grand évêque rendit à la duchesse d'Orléans agonisante (*Madame se meurt, Madame est morte*)*,* cette princesse dit en anglais à sa femme de chambre : « Vous donnerez à M. de Condom, lorsque je serai morte, l'émeraude que j'ai fait faire pour lui. » Le bruit courut ensuite que Bossuet, ayant reçu le cadeau, y ferait allusion dans l'oraison funèbre qu'il eut à prononcer à Saint-Denis, le 21 août 1670. Mais comment concilier l'expression d'un remercie­ment personnel avec la majesté de l'éloquence sacrée ? On se le demandait. 10:268 Les auditeurs se le demandaient encore lorsque, le discours s'achevant par l'éloge des vertus de la défunte, l'orateur y glissa enfin comme en confidence : « Que dirai-je de sa libéralité ? Elle donnait non seulement avec joie, mais avec une hauteur d'âme qui marquait tout ensemble et le mépris du don et l'estime de la personne. Tantôt par des paroles touchantes, tantôt même par son silence, elle relevait ses présents ; et cet art de donner agréablement, qu'elle avait si bien pratiqué durant sa vie, l'a suivie, *je le sais,* jusqu'entre les bras de la mort. » Toute la cour, qui retenait son souffle, respira à ces mots, ponctués d'un léger mouvement de la main épiscopale où brillait l'émeraude. Il n'est pas un mot de ce compliment que ne puissent répéter, devant le tombeau de la princesse Grace, tous ceux qui l'ont tant soit peu connue ou seulement approchée. Et chacun d'eux serait en droit d'y ajouter, en son propre nom, ce petit *je le sais* dont les trois syllabes sont plus éloquentes que le reste. *Nous le savons* en tout cas, nous lecteurs de PRÉSENT, premier et peut-être seul journal qui salua du nom de *Princesse catholique* cette femme que tous avaient quelque raison de louer. Parmi les émeraudes qu'elle nous a léguées, j'en distingue deux du plus grand prix, où la lumière du ciel se réfléchit toute pure. La première est cette recommandation qu'elle fit, déjà *entre les bras de la mort,* de consacrer à des œuvres de charité l'argent que le monde entier aurait volontiers prodigué pour fleurir sa tombe. Non qu'elle n'aimât les fleurs. Mais elle ne souhaitait pour elle que celles qu'on cueille dans les jardins et dans les champs. On comprendra que ce vœu m'ait particulièrement touché. Exprimé dans les mêmes termes et dans le même esprit, il fut au nombre des « dernières volontés » de l'épouse que j'ai perdue il y a maintenant un peu plus de trois ans. Les âmes d'élite se ressemblent et se reconnaissent entre elles. 11:268 La seconde émeraude que nous devons à la Princesse Grace est plus rare, plus précieuse, plus exemplaire encore. Quelques jours avant le funeste accident, elle avait pris l'initiative d'entre­prendre et de patronner activement une croisade contre une des pires abominations de notre époque : le trafic des fœtus humains, traités par la science moderne comme sujets d'expé­rience et matière commerciale. On a tout dit sur cette horreur, conséquence directe et logique des avortements en série que les lois nouvelles encouragent et financent. Mais de préférence on en parle peu, et les voix autorisées qui les premières de­vaient s'élever contre pareil scandale semblent moins soucieuses de le combattre de front que de l'étouffer par un silence complice. Attendaient-elles qu'une petite princesse, qui passait pour frivole, donnât le signal et l'exemple du courage qui leur manque ? Pie. XI avait prédit que le triomphe du matérialisme, conditionné par la lâcheté des soi-disant défenseurs de la morale chrétienne, nous replongerait un jour dans une sauva­gerie plus affreuse que celle qui régnait sur la terre avant la venue du Rédempteur. Cinquante ans ne se sont pas écoulés, et la prévision du pape est d'ores et déjà largement dépassée par les faits. L'exploitation scientifique des enfants à naître, légalement assassinés en masse, est de ces choses aujourd'hui courantes que le paganisme le plus barbare n'aurait même pas imaginées. Maintenant que la machine infernale fonctionne à plein rendement, il s'est enfin trouvé une femme qui, forte seulement de son titre de princesse catholique, a osé faire un geste pour tenter d'en arrêter la marche. Je dis qu'il faut être un imbécile pour prétendre que la disparition d'une telle femme ne change rien au sort de l'hu­manité. Tout change, au contraire, quand s'éteint ici-bas ce qui fut un rayon de lumière, de bonté, de gentillesse, de droiture. 12:268 La foi seule permet d'espérer que ce rayon continuera de nous parvenir du fond de l'au-delà. Et surnaturellement, peut-être la mort de la princesse Grace a-t-elle un sens tout autre qu'il n'apparaît à première vue. Il n'est pas interdit de penser qu'avant le fatal accident, d'ailleurs mal expliqué, elle ait offert sa vie en sacrifice, pour l'expiation du massacre des innocents, et pour obtenir de Dieu qu'il mette un frein à la fureur d'Hérode. Ce deuil fut pour beaucoup de gens l'occasion d'évoquer la mémoire de la reine Astrid de Belgique, tuée peu avant la dernière guerre, et elle aussi dans un accident de voiture. On relève d'autres analogies frappantes entre les caractères et les destinées de ces deux princesses que tout le monde aimait. Je ne sais s'il y eut journaliste assez sot pour jamais supposer que la mort de la reine Astrid ne modifierait pas le cours de l'histoire. Les événements qui ont suivi n'auraient que trop démontré le contraire, car c'est bien de là que date, mystérieu­sement, le commencement des malheurs dont la Belgique n'a pas fini de souffrir. *Di avertant omen.* Il arrive qu'un beau sourire de femme illumine la vie de tout un pays, grand ou petit, et suffise à y porter bonheur, pourvu que ce sourire brille du feu de la charité. Mais que serait la charité, sans le courage dont elle a besoin pour agir ? Or, parmi les vertus du couple princier de Monaco, l'une des mieux partagées semble être précisément le courage. C'est par là qu'il impose le respect en inspirant la sympathie. Le prince Rainier pour sa part avait montré de quoi il est capable, quand lui déjà, révolté contre les mœurs du siècle, ne craignit pas de se prononcer contre la mode cruelle des safaris : « Je les exècre... C'est un crime contre tout sentiment humain, contre les lois de Dieu. C'est aussi un crime perpétré contre l'essence même de la beauté. 13:268 Abattre un éléphant ou un tigre royal, c'est démolir, pour rien, une œuvre d'art de la nature. Je n'ai jamais pu me sentir vraiment l'ami d'un tueur de fauves. » Cette déclaration m'est tombée sous les yeux en 1978. Les cir­constances politiques étant ce qu'elles étaient alors, une si franche profession de moralité non conformiste n'allait assu­rément ni sans risques ni sans bravoure. Ainsi les deux époux, à quelques années d'intervalle, ont combattu, avec une force égale et dans un même esprit, ce qu'ils jugeaient être *un crime contre les lois de Dieu.* Sans doute la double dénonciation porte-t-elle sur des objets différents, liés à l'actualité des événements qui l'ont successivement provoquée. Mais pour le principe, il n'y a pas si loin de la destruction des espèces animales à celle de l'espèce humaine, s'agissant dans les deux cas d'attenter à ce qui est l'ouvrage et le dessein du Créateur. La concordance des deux protestations nous découvre la profonde entente spirituelle qui unissait les époux. Et cela nous aide, surtout ceux d'entre nous qui ont quelque expérience de la séparation, à comprendre ce que doivent être la solitude et le chagrin du Prince Rainier ; mais nous aide aussi à espérer qu'il trouvera le meilleur de sa consolation dans ce trésor inépuisable d'une vie spirituelle commune qui ne finit pas avec la mort. Nous l'avons vu comme pétrifié de douleur aux funérailles de son épouse. C'est pourtant là que celle-ci nous offrit, en gage de foi et de confiance, une dernière émeraude : ce beau *Requiem* grégorien que nous eûmes l'émotion bouleversante et douce d'entendre chanter une fois encore, et qui exprime sur le mystère de la mort tout ce qu'on ne saurait en dire autre­ment. 14:268 Le président Pompidou avant la Princesse Grace avait réclamé et obtenu, par exception rare, cette faveur que l'Église nouvelle refuse désormais au commun des mortels. Loués soient les grands de ce monde quand, loin de rougir de leurs derniers privilèges, ils en usent ainsi pour le bien de tous. Alexis Curvers. 15:268 ## CHRONIQUES 16:268 ### La véritable histoire des Cristeros *Cristo Rey de Mexico* par Hugues Kéraly LE SAVIEZ-VOUS SEULEMENT ? De 1926 à 1929, dans les États-Unis du Mexique, tout un peuple chrétien armé de machettes et de vieux tromblons affronte au chant du *Christus Vincit* des régiments de ligne fédéraux, qui ar­borent le drapeau noir aux tibias entrecroisés et crient *Viva et Demonio !* On les appelle *Cristeros.* Leur épopée n'a pas fait moins de morts, elle a donné plus de martyrs à l'Église universelle que la reconquête espagnole, dix ans après. La *Cristiada* entre de plain-pied, dans la communion des saints, avec l'insurrection catholique et royale de Vendée. Elle n'est connue pourtant que de quelques initiés. 17:268 « *La mesure de l'événement cristero,* dit très bien Jean Meyer, *est donnée par le soin qu'ont apporté les censeurs à l'ensevelir. La coïncidence est remarquable entre l'Église et l'État qui ap­portent le même acharnement à présenter une version officielle commune et tronquée* *: il y a eu conflit entre les deux institutions, puis l'héroïsme et le patriotisme des clercs et celui des hommes d'État ont permis, selon les versions, de parvenir à un modus vivendi où chacun voit sa victoire. Dans cette version à double sens, il n'y a qu'un absent* *: le peuple en armes qui, trois années du­rant, tient tête à toutes les forces administratives, économiques et militaires de l'État solidement épaulé par les États-Unis.* » ([^1]) L'histoire est absente en effet des archives officielles du Vatican et de Mexico. Elle est in­connue de nos ouvrages scolaires. Censurée au Mexique par tous les grands media. Si vous en trouvez trace au détour de quelque encyclopédie contemporaine, ce sera en trois paragraphes, dans la version « commune et tronquée » qui arrange les puissants. 18:268 En voici donc trois chroniques, trois perspec­tives essentielles, telles qu'elles nous sont appa­rues, il y a quelques années, au pays des Cristeros. Le véritable écrasement des Cristeros n'eut rien de militaire, comme il sera montré : il fut celui d'une conspiration maçonnique, toujours active, où des évêques donnent la main aux commissaires de la Révolution. Quant au récit des jours et des peines, la grâce du soulèvement, la fureur des combats, ils supposent la connaissance du cœur mexicain, par quoi nous commencerons ici. Rencontres de chroniqueur catholique, non œuvre d'historien. Un mètre cube de mémoires et de documents, sur mon bureau, attend toujours preneur en Faculté. Il suffirait que celui-ci sache lire l'espagnol, en n'ignorant pas tout du chrétien. #### I. -- Rencontres à Jumiltepec DON PABLO conduisait sec, sur ces épouvantables routes de la campagne mexicaine, avec d'autant plus d'as­surance qu'il ne savait rien de la route ni du point d'arrivée. Nous étions partis de Mexico dès l'aurore, à la recherche d'un village indien perdu là-haut, à l'est, dans la direction des volcans du Michoacan ; un village dont le nom semblait sorti d'une aventure de Tintin : *Jumiltepec.* Le curé, réfractaire aux deux révolutions mexicaines -- la politique et l'épiscopale --, motivait cette curiosité. 19:268 J'avais rencontré don Pablo à la sortie d'une conférence bien conventionnelle, organisée par mon éditeur mexicain ([^2]). Il était là sans famille, avec beaucoup de mots à perdre, et nous nous sommes liés d'amitié. Quatre-vingt-dix kilos, un coffre formidable, don Pablo mitraillait un espagnol sonore et décousu qui n'avait rien de mexicain : condamné à mort pour crime de propriété terrienne, il avait fui, voici vingt ans, le paradis du commandant Castro. Lui qui ne trouvait jamais le temps de freiner pour épargner la suspension de sa Ford, dans les ornières, il arrêtait tous les Noirs de passage au bord des routes, les présumait Cubains, et causait du pays. L'énorme havane qui ne lui quittait jamais la bouche -- « *tout ce qui me reste de l'île *» *--* se consumait alors deux fois plus vite, par les deux bouts à la fois... Quand le Noir éclatait de rire, à l'évocation des supplices que don Pablo réservait au Leader Maximo, la Ford avait fait son plein de gaieté nationale et bondissait à nouveau. -- Un cigare, amigo ? -- Merci. La poussière de la route suffira. -- Que cherchez-vous au Mexique, Señor Kéraly ? -- La foi. Don Pablo médita cette réponse d'une opulente bouffée. J'en profitai pour préciser : -- La foi... les Cristeros... la Révolution. -- Vous, vous avez lu Meyer. -- On ne peut rien vous cacher. Mais Jean Meyer officie comme maître de conférences à l'université de Perpignan. Il fait carrière. Il n'est pas des nôtres. J'ai des doutes sur la méthode et les motivations. -- C'est tout le problème. Meyer est venu ici dans la foulée de mai 68. 20:268 Il a interrogé les chefs militaires, enfin... ceux qui survivent encore, dans une semi-clandestinité, et laissé une thèse de trois volumes, éditée en espagnol à Mexico. Elle contient beaucoup de documents essentiels. Pas tous. Meyer ne dissimule pas qu'il est un homme de gauche. Il avoue lui-même être parti d'un point de vue « personnellement hostile » aux Cristeros. Point de vue qui s'est considérablement modifié, voire retourné, dans la rencontre de son sujet. Mais le préjugé « populiste » reste évident. Le rôle des intellectuels, celui des citadins, de l'ACJM ([^3]), en est souvent minimisé. Pour ne pas dire omis. Meyer semble un peu prisonnier de son modèle soixante-huitard. S'il existe pourtant une histoire insurrectionnelle où toutes les classes sociales ont réussi leur jonction, c'est bien celle de la Cristiada... Le Padre Luis vous en parlera certainement... Si nous trouvons Jumiltepec ! #### *Foi de Mexicain* -- En attendant, parlez-moi du Mexique chrétien. C'est la première fois que je mets le pied sur ces hauts plateaux. -- Bien. Commençons par le commencement. (*Don Pablo se gratifie d'un nouveau havane.*) Les États-Unis du Mexique oc­cupent un territoire grand comme quatre fois la France, de l'Atlantique au Pacifique, dans la partie inférieure du conti­nent nord-américain... -- Merci, don Pablo. J'avais remarqué ça dans mon atlas de géographie. 21:268 -- En regardant mieux, vous auriez vu que nous sommes au cœur du sujet : le pays souffre 2.600 km de frontière commune avec les « States of America ». C'est son malheur permanent... Vous connaissez l'adage ? -- « *Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis* *?* » -- C'est un propos cruel, de diplomate. Il reste vrai pour la deuxième partie de la proposition. Sans les États-Unis d'Amé­rique, les Mexicains profiteraient aujourd'hui d'un gouvernement catholique, issu de l'insurrection cristera. Nous aurions un Mexique prospère et rayonnant. Les Américains n'en ont pas voulu. Ils ont mis tout leur poids (y compris militaire) dans la balance d'une Révolution d'agitateurs sanguinaires et cor­rompus. Leurs raisons n'étaient pas seulement idéologiques. Le Mexique exsangue est un excellent terrain de chasse pour les affairistes, et un point de comparaison flatteur au tourisme yankee. Les Mexicains vivent chaque jour en silence cette humiliation. Vous l'avez remarqué ? -- En effet. Je suis là depuis une semaine, à répéter « No soy gringo » en guise d'introduction. L'autre jour, on m'a rendu 100 Pesos de mieux, dans un magasin, en apprenant que j'étais Français. Avec moi, tout le plaisir du vol s'envolait... Mais revenons au Mexique des Cristeros. -- Sa population est de quinze millions d'habitants dans les années qui nous occupent. Elle se caractérise, aujourd'hui encore, par sa religion. Le plus grand pays catholique du monde est sans doute le Brésil. Mais le pays le plus catholique du monde reste certainement le Mexique. Excepté les sauvages de la Nomenklatura, corps étranger à l'essence nationale, tout le monde ici *se* fait baptiser... Non sans mérite. Vous avez vu les *poblaciones* que nous traversons ? Neuf fois sur dix, l'église est fermée. Pas de curé. Ou pas d'autorisation. Dans la mon­tagne, certains villages indiens attendent deux, trois ans la visite du prêtre pour se mettre en fête, et recevoir les sacre­ments... *Caramba !* 22:268 Don Pablo se pencha à la portière pour cracher un havane qui avait trop souffert de la démonstration. Il n'avait d'ailleurs pas besoin d'insister. L'extraordinaire attachement du peuple mexicain à sa foi catholique est visible partout. A la cathédrale de Mexico, devant les grilles d'un autel latéral de la Vierge -- on les ferme tous, sans quoi ils y installeraient leur cam­pement jour et nuit -- j'avais surpris moi-même les sanglots d'un gamin de treize-quatorze ans qui semblait pris d'amour autant que de boisson. Le gosse se chamaillait littéralement avec sa « *Madrecita* » au sujet d'une fille impossible qui lui avait claqué la porte au nez. Il finit par se faire honte lui-même d'une scène aussi déplacée. Quand j'ai quitté les lieux, l'enfant, à genoux sur les marches, psalmodiait des petites chansons bien douces à sa Mère des cieux, pour lui demander pardon. Du côté de Morelia, Patzcuaro, Queretaro, dans les lieux de culte mariaux, j'avais vu de même les Indiens honorer leurs statues de la Vierge Noire en exposant interminablement toutes sortes de problèmes de conscience ou de loyer. Ils la prient à genoux, en famille et les bras en croix. On les voit aussi se retirer à reculons avec de petits pas glissés, de sorte qu'ils ne tournent jamais le dos à l'image de la « *Madre* » ou au Saint-Sacrement... Pour nos paroisses recyclées, quelle leçon ! Nous traversions un nouveau village, en ce dimanche matin. Don Pablo me poussa du coude pour signaler un attroupement : devant la porte close de la petite église colo­niale, les paysans s'étaient réunis. A ma demande, la Ford s'immobilisa. Don Pablo salua du cigare l'extraordinaire ta­bleau. Le village entier récitait là son Rosaire, nu-tête dans le soleil de midi, sous le regard morbide de deux gardes municipaux, bottes crasseuses et baïonnette au canon... Des fois que les chrétiens auraient défoncé la porte, pour entrer chez eux ! -- Le Mexique ne saurait mieux vous dire, Señor Kéraly, comme symbole de sa persécution... On continue ? 23:268 #### *Gangsters et policiers* Nous roulions maintenant sur une petite nationale isolée où le havane de don Pablo donnait des signes de vigilance inhabituels, en dépit d'une maigre circulation. Je compris vite pourquoi. Au détour d'un virage, la voie nous fut coupée par un barrage humain, hérissé d'armes à feu, qui semblait tout droit sorti d'une bande dessinée. -- *Bandidos,* indiqua sobrement mon guide... Pas de pro­blème ; accrochez-vous seulement. Don Pablo stoppa sa voiture sans le moindre heurt (pour la première fois du voyage) à cinquante centimètres d'un gail­lard immense, bien carré sur ses jambes au milieu de la route, qui gesticulait des ordres au moyen d'un très beau revolver mexicain. L'ami cubain, baissant sa vitre, lui fit signe d'appro­cher. Quand l'autre eut fait seulement un pas vers la portière, don Pablo enclencha la première en même temps qu'une triple bouffée de havane et le tour était joué : la Ford bondit dans un torrent d'argile, de fumée, de gravats, qui laissa nos pistoleros furieusement déconfits. L'astuce est classique, au cinéma. Elle suppose bien du sang-froid pour passer aux actes, quand le soleil fait briller le canon des armes à un mètre du pare-brise. -- J'en aurais eu autant à leur service s'ils s'étaient fait méchants, précisa don Pablo, dans l'intention honnête de me rassurer... Il se penchait déjà pour sortir son gros calibre de sous le siège avant, quand son attention fut attirée par un camion de police sur le bas côté. Ces messieurs contrairement aux autres ne tentèrent rien pour nous arrêter. Mais ils station­naient là dans une ligne droite, à quelque cinq cents mètres du barrage armé ! 24:268 Le Cubain, qui roulait déjà à plus de cent dix à l'heure, lâcha son volant pour faire un bras d'honneur énergique à la maréchaussée, ralluma son havane, et se mit en mesure d'expliquer : -- N'allez surtout pas croire, amigo, que ces képis soient là pour nous protéger. Ils surveillent le travail des voleurs, et prélèvent leur petit bénéfice en fin de journée. La plupart des *guardias* se contentent d'un fixe. Les plus gourmands exigent un pourcentage : le car de touristes américains, ça rapporte gros... Cette institution quasiment nationale s'appelle la « *mor­dida *»*.* Elle porte bien son nom. -- La morsure ? -- Oui, la morsure, le croc, la bouchée. Notre pauvre Mexique offre ce privilège d'entretenir le corps de fonction­naires le plus nombreux, le plus avide et le plus corrompu de tout son continent (qui ne l'est pas à demi). L'importance d'un agent de la fonction publique se mesure ici à la quantité de Pesos quotidiens que ses galons lui permettent de prélever sur la population... Aucun Mexicain interpellé par la police au volant de sa voiture ne cherchera sa carte d'immatriculation. Le feu rouge, en ce moment, se négocie aux alentours de 10 Pesos, 20 pour le tarif de nuit. En fin de mois, l'agent béné­ficiaire de votre infraction peut consentir un léger rabais. Mais ne demandez pas à voir le commissaire : vous en sortiriez ratissé jusqu'au dernier centime. Le moindre sous-officier pro­tège ses réseaux et ses pourcentages, il n'a d'ailleurs aucun moyen de survivre autrement. L'homme s'est endetté jusqu'aux épaulettes pour acheter sa charge à quelque ami du ministère. Qui entretient son propre supérieur hiérarchique. Lequel re­verse au ministre. Maqué par un beau-frère du Président... Dans l'armée, les circuits de la *mordida* sont encore mieux réglés. Au sommet, un général qui touche 12.000 Pesos de solde sur le papier en encaissera chaque mois 75.000 de ses fidèles subordonnés. Reconnaissons, à sa décharge, qu'il a beaucoup de frais ! 25:268 -- Tout de même, don Pablo. Voilà bien le seul pays du monde où le principal travail de la police consiste à vérifier si les bourgeois sont détroussés dans les règles par les bandits de grand chemin... -- Oui, le seul aussi où la magistrature se contente d'ap­pliquer aux criminels solvables un tarif d'acquittement. Cam­briolage : 500 à 2.000 Pesos ; coups et blessures : 5.000 ; homicide : 25.000 (supplément pour parricide : 10.000) ; etc. Le Mexique de la corruption socialiste est un serpent occupé à se dévorer lui-même par la queue... Mais vous auriez tort de juger le tempérament mexicain sur la cupidité des fonction­naires, qui forment un corps étranger à l'âme profonde du pays. On ne tarde pas à découvrir ici le peuple le plus doux, le plus accueillant, le plus chrétien qui soit. La grâce particu­lière du peuple mexicain, si fortement métissé, est un héritage *indien,* où l'amour de la paix aura toujours le dernier mot. Tout le reste, son parler, son honneur, sa courtoisie, sa foi, lui est venu de la colonisation espagnole, qui fut précisément le contraire de ce que le gouvernement mexicain voudrait faire croire aujourd'hui à l'univers entier... Vous avez vu les fresques « réalistes » du palais gouvernemental de Mexico ? -- Horrible, en effet. On se croirait à Moscou. -- Le mensonge du Mexique officiel commence là. Les ré­volutionnaires nous racontent l'histoire de l'empire espagnol à l'image de ce qu'ils sont eux-mêmes aujourd'hui : des escla­vagistes. En réalité, la « civilisation » mirobolante des Aztèques ne connaissait ni la voûte, ni la roue. Elle a fini dominée par une redoutable caste bolchevique, qui usait des enfants comme d'autant de mulets, pour dresser ses autels, et se réservait le sang de milliers de vierges à chaque inauguration. Les popu­lations asservies fêtèrent la victoire des Conquistadores comme une véritable libération. Avec l'Espagne, l'Indien sortait d'une boucherie quotidienne, réglée comme un calendrier monastique par des adorateurs de lune. Ou des adeptes du Démon. Don Pablo ne prenait pas de détour, mais il n'inventait rien. 26:268 Je songeais en l'écoutant à ce que la foi du Christ avait fait de cette douceur indienne enfin libérée. A sa vertu de *soumission,* visible dans les choses les plus quotidiennes, comme la relation aux parents. En toute circonstance, le Mexicain s'adresse à eux tendrement -- *papacito, mamacita --,* avec ce génie qu'il a des diminutifs allongeants... Mais dans les familles où je fus reçu, quel que soit l'âge des « enfants », on les voit mettre genou en terre avant de partir, pour recevoir leur bénédiction. -- Quant aux prêtres dignes de ce nom, le catholique mexicain les entoure d'une vénération d'autant plus émouvante qu'elle se passe dans les formes de toute mondanité. L'amour reste au-delà des mots. L'ami cubain me ramena d'un grognement sur le chemin de Jumiltepec : -- Nous sommes suivis. #### *Dans un village cristero* Une belle Américaine soulevait derrière la Ford un nuage aussi gros qu'elle, dans la poussière de la piste où nous nous engagions. Don Pablo s'était laissé dire sur la place d'un dernier village qu'on trouverait Jumiltepec au bout. Un paysan qui passait là à cheval confirma l'information : -- *Jumiltepec ? Derechito, señor, derechito...* (C'est tout-tout-droit.) Les passagers de l'Américaine avaient fait halte eux aussi, car nous occupions la largeur de la piste, et le cavalier soudain fixa son regard dans leur direction. Un homme d'âge au crâne rasé, en bras de chemise, assis à l'avant près du chauffeur, contemplait d'un air maussade les montagnes environnantes. 27:268 Le cavalier remit son chapeau, piqua des deux et disparut à travers champs sans demander son reste, au grand galop. Sa voix se perdît dans les collines : -- Don Sergio ! Don Sergio ! L'ami cubain, qui remettait le moteur en marche, poussa un grognement de jubilation. -- Sergio Mendez Arceo : l'évêque le plus tristement célèbre de tout le Mexique est dans la grosse Américaine, derrière nous. Cuernavaca, son diocèse, s'étend jusqu'ici... Vous voyez ce Yul Brynner de l'autodémolition ? C'est lui qui répétait à Puebla ([^4]) devant les journalistes que le christianisme « *n'a pas de culture propre *» (il doit lui préférer celle des esclavagistes indiens) ; tandis que le socialisme, voyez-vous, « *reste la seule solution pour l'Amérique latine *» ! Mendez Arceo est un personnage officiel de la Révolution mexicaine, notre patriarcat de Moscou... Ça ne doit pas marcher très fort avec le curé du lieu. Nous ne manquerons pas de spectacle aujourd'hui. En effet. A peine avions-nous rejoint les premières maisons de Jumiltepec que des cris jaillirent de partout. Le village entier dévalait des ruelles, des collines, des champs, et se précipitait vers nous. Les hommes fonçaient devant, le grand chapeau rabattu sur la nuque, à pied, à cheval ou à dos de mulet. Certains pour mieux courir serraient la machette entre les dents. D'autres brandissaient des fourches et des bâtons. Ils portaient tous ce curieux pyjama de toile blanche qui est ici l'uniforme de la pauvreté. Je croyais revivre une scène des *Sept mercenaires,* quand les paysans mexicains se décident à interdire l'entrée du village aux pillards yankees. Mais en grandeur réelle, c'est plus impressionnant ! Don Pablo ne s'inquiétait de rien, et s'amusait comme un fou. Il fit signe au cavalier qui avait donné l'alerte de nous ouvrir la voie : Padre Luis attendait cette visite, et le village ne pouvait l'ignorer... 28:268 L'homme nous fit reconnaître en effet, puis précipita son cheval, avec les autres, entre la Ford et la voiture de Mendez Arceo : -- *L'évêque ne passe pas !* Le chauffeur épiscopal tenta d'ouvrir sa portière, qui fut condamnée d'une main sans réplique par deux paysans. Quand la bousculade et sa poussière eurent fini de s'apaiser, je pris le temps de savourer la plus belle scène de mon voyage mexi­cain. Les paysans avaient remis la machette au ceinturon. Ils faisaient barrage de leurs corps, en souriant. Ils se savaient plus forts que tous les discours archiépiscopaux. Ils avaient la foi, et le temps. Mendez Arceo dut sentir que sa Révolution ici ne ferait pas le poids. Peut-être avait-il déjà tâté la vertu de résistance des paroissiens de Jumiltepec, où la « théologie de la libération » restait prisonnière de l'analphabétisme chré­tien... Il fit faire demi-tour à la grosse Américaine, et son départ était salué avec grâce par une forêt de grands chapeaux mexicains. -- *Nous gardons le prêtre, Señor Obispo, nous gardons le prêtre avec nous...* Padre Luis, justement, nous attendait à la cure, au-dessus du village, dans une tenue civile incroyablement rapiécée : elle aurait obtenu un rôle au tournage de *La puissance et la gloire* sans la moindre modification. Le prêtre reconnut don Pablo, me pria de m'installer « chez moi », et s'en fut endosser sa soutane, dans le débarras où il l'avait dissimulée. Elle n'était guère plus neuve que son pantalon. Padre Luis nous pria de l'excuser : -- *Le paysan qui m'a prévenu de l'arrivée de l'évêque ne savait pas me dire si vous étiez civils ou policiers... Un malheur n'arrive jamais seul : j'ai choisi la prudence, pardonnez-moi.* Le Mexique est en effet le seul pays du monde « libre » (pour les innocents) où le port de la soutane constitue un délit sanctionné par la loi. Il en coûte quelque 50 Pesos d'amende à la première infraction. Quand le pape est venu, en 1979, il a fallu que la police « ferme les yeux »... 29:268 Cette régle­mentation n'empêche pas de dormir le clergé progressiste (il se trouve bien dans l'uniforme des blousons noirs), mais elle complique énormément les choses aux serviteurs de la Tradition, qui doivent fourrer leur soutane dans un sac pour circuler en ville ou traverser la rue ! Padre Luis est de ceux-là. Ce qui explique que la police mexicaine ne soit pas seule à le persécuter. Sa paroisse tient le centre d'une région montagneuse dont presque toutes les églises sont condamnées. Faute de prêtres. Le dimanche, de nombreux Mexicains n'hésitent pas à faire trois heures de marche, sous le soleil, pour rejoindre Jumiltepec : nous en avions empoussiéré plusieurs sur la route, en les dépassant. Et autant le soir pour rentrer chez eux. Mais Padre Luis célèbre la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne, selon le Missel romain de S. Pie V. Provocation épouvantable pour l'évêque de Cuernavaca, qui a juré d'avoir sa tête, sa soutane et sa peau... Les paroissiens de Jumiltepec, eux, se contenteraient bien du scalp de Mendez Arceo. Mais l'homme se rase le crâne tous les matins en guise de *Pater noster.* (Ceci explique peut-être cela.) -- Il paraît que vous avez devant vous, dit Padre Luis, un curé *suspens a divinis* et tout et tout. Remarquez, rien n'est sûr : pour des raisons mystérieuses, le courrier de Cuernavaca ne monte jamais jusqu'ici. Le personnel de l'évêché non plus. Nous n'avons pas de liaison régulière, par la route, et aucune voiture à cheval n'accepterait de me conduire à l'Ordinaire du lieu. J'ai dû me faire une raison, voyez-vous ? J'en avais vu en effet bien assez, à Jumiltepec, pour com­prendre que dans ce coin perdu, loin des discours officiels de Mexico, les Cristeros étaient toujours vivants. 30:268 #### *Le bolchevisme mexicain* *--* Connaissez-vous l'histoire du Mexique, Señor Kéraly ? -- Vous savez, Padre, sortis de chez eux, les Français sont d'une ignorance aussi béate qu'illimitée. -- C'est dommage. Le sang des martyrs cristeros s'inscrit dans l'histoire d'une longue persécution, qui commence avant Lénine, et n'est pas près de s'achever aujourd'hui. Il existe ici une Église du silence. Invisible aux touristes, qu'on pré­fère émouvoir avec les rigueurs de la colonisation espagnole. Pourtant, l'histoire du Mexique contemporain est de celle qu'on devrait conter à tous les aspirants du « socialisme à visage humain » : l'histoire d'une révolution permanente menée par un parti de fonctionnaires et d'officiers contre tout l'être natio­nal de notre beau pays, qui se confond avec sa religion. Vous avez dit *avant Lénine ?* *--* Oui, en 1911. Accession au pouvoir des agents de l'étranger. Nous les appelons « Yankees » parce qu'ils viennent des territoires désertiques du Nord mexicain, à la frontière des États-Unis. Ces aventuriers sont protestants, francs-maçons, marxistes, plus souvent tueurs sans foi ni loi, et, dans tous les cas, violemment anti-catholiques. Comme ils ne manquent d'aucun culot, ce sont eux qui dénoncent dans le clergé (et spécialement l'épiscopat mexicain) un « parti de l'étranger », aux ordres du Vatican... Remarquez qu'en un sens, la suite de notre histoire va leur donner raison : la solution finale du problème chrétien, imposée aux Cristeros par la Hiérarchie catholique, c'est celle du parti yankee de Mexico, et des canons américains ! Mais n'anticipons pas... La Constitution révolutionnaire du Mexique, toujours en vigueur aujourd'hui, remonte à 1917, grande date dans les conquêtes du Démon. 31:268 De fait, elle est plus bolchevique qu'américaine, puisqu'elle institue la dictature suprême de l'État : tous les corps inter­médiaires, et spécialement les syndicats catholiques, sont mis dans l'illégalité... La loi prévoit aussi une cascade d'articles anti-religieux. Mais le général Obregon craint la puissance de l'Église mexicaine, il ne la croit pas mûre pour le « compromis historique », et n'urge pas leur application. On se contente, administrativement, de faire la vie impossible au clergé. -- L'Antéchrist, c'est Calles ? -- Comme son nom l'indique ([^5]), Calles va mettre au pouvoir tout ce que les bas-fonds de la capitale comptent d'assas­sins, la lie de la société, et programmer avec elle le génocide du christianisme mexicain. En 1911, notre Révolution se voulait principalement politique, et anticléricale par simple entraînement. Elle se fait eschatologique, pour ne pas dire apocalyp­tique, à partir de 1924. Calles entreprend de démembrer mor­ceau par morceau toute la société mexicaine. C'est lui qui im­pose à coups de fusils l'application de la sinistre « réforme agraire », qui continue aujourd'hui encore de ruiner les terres et les gens. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais le Mexique contemporain cumule les vices des deux modèles do­minants : toutes les misères d'un *capitalisme sans frein* dans des concentrations urbaines surpeuplées ; toutes celles du *socia­lisme* dans nos campagnes arides et soviétisées. Avec les mêmes phénomènes de rejet qu'en Union Soviétique : mes paroissiens vivent d'expédients. Et les mêmes conséquences pour l'armée des nécessiteux : on pourrait dresser une carte de la faim mexicaine, elle n'excepterait aucun *des* États de la Fédéra­tion ! C'est également le président Calles qui impose *la* prédi­cation de l'athéisme dans les écoles du gouvernement. « *Uni­ques, gratuites, obligatoires *»*,* ça vous dit quelque chose, Señor Kéraly ? J'aimerais que vous puissiez consulter nos manuels scolaires : on les dirait traduits du bolchevique. (Le Mexique n'a jamais manqué de « conseillers » pour ça.) 32:268 C'est Calles, toujours lui, qui confie à l'armée l'application des lois anti­religieuses du régime précédent. Pour comprendre le soulève­ment des Cristeros, Señor Kéraly, il faut savoir qu'au Mexique de la Révolution calliste, comme dans la patrie des Soviets, les pouvoirs politiques et militaires sont étroitement confondus. L'armée n'abrite que des commissaires aux postes-clés, elle ne recrute que des aventuriers, elle reste anti-catholique, anti-féodale, anti-familiale, et c'est elle qui fait la Révolution... Nous fûmes interrompus par l'arrivée d'un paysan, qui tourna longuement entre ses mains les bords du grand sombrero national, avant de lâcher : -- Ils arrêtent l'alcade d'Atlatlauhcan ! Padre Luis fut aussitôt sur pied. -- Le maire d'Atlatlauhcan... C'est tout près d'ici. Le village est construit autour d'un des plus vieux monastères mexicains. Son maire veut obtenir l'ouverture de la chapelle, et que j'y célèbre la messe. On l'a déjà emprisonné plusieurs fois pour ce seul délit. Il faut que j'aille aux nouvelles. En attendant, consultez donc mes samizdats dans la bibliothèque. Ils vous en diront plus que je ne saurais le faire, sur la persé­cution de notre foi. #### *Une Église du silence en Amérique latine* Padre Luis parlait de « samizdats », car tous les mémoires du Mexique cristero furent publiés sous pseudonyme, dans une semi-clandestinité dont ils ne sont pas encore sortis. J'ai inter-rogé par la suite deux ou trois survivants ; et rapporté en France tous les volumes disponibles chez mes amis mexicains. Pour y trouver la certitude que le curé de Jumiltepec n'avait rien noirci. 33:268 L'antithéisme de l'armée fédérale mexicaine, sous la pré­sidence de Calles (1924-1928), n'est pas un vain mot. Il s'impose d'emblée par la terreur. Le général Eulogio Ortiz fit fusiller séance tenante un de ses soldats qu'on avait surpris au bain, porteur d'une médaille de la Virgen de Guada­lupe. Un peu partout, les officiers investissent à cheval la maison du Seigneur. Ils profanent les saintes espèces, organisent des orgies sur l'autel, montent en chaire pour blasphémer et dan­sent avec les statues ! Toute la hiérarchie militaire est affiliée aux Loges : elle se donne pour mission de « *défanatiser* » le Mexique, en extirpant la foi. Un jour, en l'église San Joaquin de Mexico, c'est le général Amaro, ministre de la guerre, qui réunit l'état-major pour lui tenir le sermon suivant : « *L'Église catholique, apostolique et romaine, son clergé transformé en parti politique rapace, réactionnaire et rétrograde, ont été la cause unique de tous les malheurs qui ont accablé le Mexique depuis la conquête espagnole... Dans l'interminable série de soulèvements et de coups d'État qui dévastent le pays depuis des siècles, le clergé a été l'instigateur et l'élément le plus puissant, à cause de ses grandes ressources matérielles et de son identification absolue à tous les ennemis de la Révo­lution.* » ([^6]) Les soldats dehors se signent en cachette, avec consternation. Mais l'armée mexicaine, nomenklatura du régime, compte plus de 40 % d'officiers. Certains États punissent d'une amende de 10 Pesos -- une fortune, pour les paysans -- la moindre allusion sur la voie publique au nom du Tout-Puissant. 34:268 On ne dira *plus* « *adios *», ni « *si Dios quiere *» : Les mendiants eux-mêmes (*pordioseros*) doivent changer de litanies. Calles invente d'incroyables mesures pour limiter le nombre des prêtres, jusqu'à celles qui les laisseront tous dans l'illégalité. Les gouverneurs se surpassent, ils feront mieux que lui. Une loi du 28 février 1925, édictée par l'État de Tabasco, « *interdit l'exercice du ministère *» aux prêtres qui ne réuniraient pas les conditions suivantes : 1°) « *Être Tabasqueño ou Mexicain de naissance, avec cinq années consécutives de résidence dans l'État.* » (Pour éliminer les congrégations et Ordres religieux, qui comptent une majorité de prêtres espagnols en leur sein.) 2°) « *Avoir plus de quarante ans. *» (Le clergé mexicain, où les vocations ne manquent pas, est alors un des plus jeunes du monde.) 3°) « *Avoir fait ses études primaires et secondaires dans les écoles* (bolcheviques) *de l'État. *» *4°*) « *Offrir de bons antécédents de moralité.* » (La, propa­gande anticléricale de Mexico veut accréditer le mythe, de la débauche ecclésiastique : entreprise vouée à l'échec, dans un pays où l'immense majorité des prêtres est issue du peuple, et vit avec lui en étroite communauté.) 5°) « *Être marié.* » (Sans doute, dans l'esprit de cette loi, pour « offrir de bons antécédents de moralité », il faut renoncer au célibat... Comme il faut savoir « prendre femme pour vivre saintement », selon une traduction de saint Paul dans le Lection­naire de l'épiscopat !) 6°) « *Ne faire l'objet d'aucune poursuite judiciaire.* » (Condi­tion hors d'atteinte, pour un prêtre, sous le régime du président Calles.) ([^7]) 35:268 Les fidèles bien sûr ne sont pas épargnés. Voici le texte d'une proclamation officielle, affichée sur les portes des églises au début de l'été 1926 : ART. 1 : Tout individu responsable d'une église sera condamné à 50 Pesos d'amende et un an de prison si les cloches sonnent. ART. 2 : Pour toute personne qui apprend à prier à ses enfants, la même peine. ART. 3 : Dans toute maison où il se trouvera des « saints » ([^8]), idem : ART. 4 : Toute personne qui porte des « insignes » ([^9]) sur lui, idem : (Et ainsi de suite, jusqu'à l'article 30.) ([^10]) Parallèlement aux profanations, l'artillerie de l'armée fédé­rale entreprend de détruire les édifices religieux. Dans tout l'État de Tabasco, à la veille de la dernière guerre mondiale, ne restaient sur pied que l'église de Cunduacan, transformée en garnison, et trois chapelles de village perdues dans les monts. ([^11]). La Révolution mexicaine interdisait militairement au peuple de restaurer les ruines ; et elle-même n'a jamais rien construit, Aujourd'hui encore, elle abrite ses musées dans des couvents confisqués à l'Église, et ses gouverneurs, dans les palais épiscopaux... Toutes les Révolutions se rassemblent, dans leur néant. 36:268 #### *Le feu aux poudres* La loi fédérale du 14 juin 1926 frappe le dernier coup. Elle semble directement inspirée du dispositif édicté en France par les Maçons. Rien n'y manque : *expulsion des congrégations religieuses,* spécialement enseignantes ; *inventaire des biens de l'Église,* aux fins de nationalisation (au début, l'armée y logera ses troupes et ses dépôts de munitions) ; *mise hors-la-loi de toutes les organisations professionnelles non gouvernementales,* c'est-à-dire catholiques ; etc. Les religieuses sont particulièrement visées. On les arrête partout. Moniale : *un à deux ans de prison,* sans autre attendu. Supérieure : *six.* La Révolution mexicaine conserve un certain respect de la hiérarchie. Le 2 juillet 1926, les catholiques mexicains, préparés pour­tant par quinze ans de persécutions quotidiennes, doivent se frotter les yeux en découvrant le détail des sanctions prévues par la loi, dans les colonnes du Journal Officiel de Mexico : « *L'enseignement sera laïque pour tout le monde* *: une amende de 500 Pesos viendra punir les contrevenants... Corporations reli­gieuses* *: 500 Pesos d'amende... Personnes qui encourageraient un mineur à prononcer des vœux* *: emprisonnement immédiat, sans acception des liens de parenté... Ministres du culte, port de vêtements ecclésiastiques* *: 500 Pesos... Recel ou dissimu­lation d'un bien de l'Église* *: deux ans de prison... Autorités municipales qui toléreraient ou encourageraient ces délits 1.000 Pesos d'amende et destitution.* » ([^12]) 37:268 Le point décisif de la persécution « callista » est l'ENREGIS­TREMENT DES PRÊTRES, qui équivaut à notre révolutionnaire *assermentation.* Tous les ministres du culte public sont conviés manu militari à passer sous le contrôle direct du pouvoir civil. Le moindre curé de campagne doit « pointer » au commissariat, et y signer des engagements de non prosélytisme religieux. Sous peine d'amende. En attendant l'arrestation, la torture et le peloton d'exécution. (A noter que sur ce point crucial de l'enregistrement des prêtres ; l'épiscopat ne cédera jamais aux prétentions de Mexico. Saluons ce beau courage, sans rien exagérer : Rome n'aurait pas permis, c'était un ralliement manifeste à la Révolution ; ni rien minimiser non plus : il n'y aura pas tant d'actes de bravoure épiscopale à signaler, dans l'épopée des Cristeros.) Nous sommes au début de l'été 1926. Voici donc le peuple mexicain au pied du mur, sommé de se défendre ou de périr dans la foi. Sa résistance est immédiate, unanime, exemplaire. ET TOUT ENTIÈRE A L'INITIATIVE DES ORGANISATIONS DE LAÏCS, qui commencent par épuiser l'une après l'autre les voies paci­fiques sans aucun résultat. Les catholiques mexicains improvisent partout d'immenses manifestations pénitentielles, spécialement dans les centres ma­riaux « *On faisait maintenant pénitence, entrant à genoux dans l'église et récitant le rosaire pour que Dieu concède qu'il n'y ait pas de révolution ; pour que le sang ne coule pas. *» ([^13]) -- « *Les actes de pénitence furent innombrables... Des pèleri­nages le matin et l'après-midi tous les jours, tous récitant le rosaire ou le Via Crucis, couronnés d'épines et pieds nus. *» ([^14]) On adressera aussi des pétitions en forme au Congrès, pour l'abrogation des lois anti-religieuses (articles 3, 5, 19, 23, 27 et 130) de la Constitution. Les étudiants de l'ACJM, bras mili­tant de la *Liga Nacional Defensora de la Libertad Religiosa,* vont réunir en quelques jours deux millions de signatures. 38:268 *Deux millions,* dans un pays où la majorité des citoyens ne sait pas écrire, sans parler de l'état des communications... Le pré­sident de la Chambre des députés fera répondre, en septembre 1926, qu'il n'avait rien reçu ! ([^15]) Vinrent ensuite les occupations d'églises et les manifes­tations de rue : on marche sur les palais gouvernementaux, avec pancartes et statues, sous la protection du Saint-Sacrement. Rassemblements réprimés au Mauser et à la mitrailleuse lourde par les régiments de ligne fédéraux. -- Les premiers martyrs cristeros auront compté beaucoup de femmes, d'enfants, qui défilaient armés du rosaire et vêtus de blanc. Meyer cite cet épisode, qui est du 28 mars, dans l'État d'Aguascalientes : « *Le gouverneur Elizade, rivalisant de zèle avec son collègue de Tabasco, avait convoqué sa clientèle pour la lancer à l'assaut de l'église de San Marcos. Les catholiques qui montaient la garde jour et nuit depuis un mois sonnèrent le tocsin, et les attaquants* (*une centaine*) *durent se replier de­vant la multitude. Renforcés par 200 soldats armés de trois mitrailleuses, ils revinrent à la charge, Le combat dura jusqu'à deux heures du matin, faisant de nombreux morts et 256 blessés. Quatre cents personnes furent sommairement condamnées et expulsées de l'État. Les seules preuves de sédition présentées au tribunal furent deux pistolets, quelques couteaux et un sac contenant des pierres. *» ([^16]) La dernière initiative, lancée par la « Ligue de Défense de la Liberté Religieuse », ne manquait pas d'ingéniosité. On fit circuler la liste de tous les magasins, trusts, services qui, au Mexique, étaient propriété de l'État. Le mot d'ordre restait sous-entendu. Les familles catholiques ne prenaient plus le train, le bateau, la diligence ; elles se privaient de spectacle, de foire, de corrida ; elles annulaient toutes les commandes qui n'étaient pas rigoureusement, nécessaires à la vie. 39:268 Bref, elles organisaient le *boycott économique du gouvernement.* Seuls les petits commerces d'alimentation pouvaient survivre au naufrage général de l'économie. Admirable leçon : les catholiques mexicains prouvent à leurs colonisateurs yankees que le salut de l'âme leur importe davantage, qu'il reste, pour eux, très au-dessus, de tous les progrès matériels de la civilisation. En ferions-nous autant ? Que fait l'épiscopat ? C'est la question que je me posais quand Padre Luis est revenu d'Atlatlauhcan. Le maire du village, justement, faisait l'objet d'une plainte de l'Ordinaire du lieu : il avait forcé les portes de son église, avec toute la population, pour entendre la messe catholique traditionnelle, dans le diocèse de Mendez Arceo Le malheureux n'était pas près de sortir de prison... Padre Luis ne se fit pas longtemps prier pour revenir à la situation de l'Église mexicaine, au mois de juillet 1926 : -- Le sang chrétien, vous le savez maintenant, a coulé partout. Nos évêques en sont encore à temporiser. Au nom d'une « morale évangélique » que la vraie foi mexicaine abomine, déjà réduite au neutralisme bêlant, ils prêchent aux fidèles patience et modération. En sous-main, l'archevêque de Mexico cherche à obtenir du Vatican qu'il prenne à sa place la respon­sabilité d'une décision, face à la guerre imposée par le gouver­nement maçon... Pie XI voulait un arrangement coûte que coûte, l'épiscopat mexicain aussi. Le 23 juillet, on dépêcha Mgr Tito Crespi, légat apostolique, chez le ministre de l'intérieur. Le prélat multiplia les concessions : il se serait bien contenté d'une assurance verbale du gouvernement mexicain, qui, en échange d'une docilité cléricale assurée, « *adoucirait *» l'appli­cation de la loi. 40:268 Rien n'y fit. Tejeda restait inflexible. Surtout sur l'article 19 (enregistrement des prêtres), qui ouvrait la porte à la formation d'un clergé d'État... Le jour même, Rome dut trancher la question. Ce fut le télégramme du cardinal Gaspari au Comité Épiscopal mexicain, dont vous avez dû lire le texte dans mes samizdats : « *Saint-Siège condamne loi en même temps que tout acte qui puisse signifier, ou être interprété par le peuple fidèle, acceptation ou reconnaissance de ladite loi. L'épiscopat du Mexique devra suivre pour norme d'action le critère de la majorité, si possible de l'unanimité, et donner l'exemple de la concorde. *» *-- *Le critère de la « majorité », ce n'était pas très romain. -- Sans doute. Mais dans la situation du peuple mexicain, il était parfaitement éloquent. Une nation entière exigeait l'abro­gation des articles anti-chrétiens. Calles répondit en aggravant le dispositif, Il fallait donc renoncer au dialogue, et riposter autrement. Peu d'appels à la résistance politique, dans toute l'histoire de la Chrétienté, furent aussi clairement légitimes que celui-là. L'épiscopat lui-même comprit aussitôt qu'il ne pouvait plus reculer... Au lendemain de la réponse romaine, le 24 juillet, il décrète une mesure absolument inédite, qui devait entrer en vigueur le 31 du même mois : la SUSPENSION DU CULTE PUBLIC. Pour la première fois, dans l'Église universelle, le clergé cesse partout de célébrer la messe, il cesse d'adminis­trer les sacrements dans l'ensemble des lieux de culte ouverts aux quinze millions de catholiques mexicains. -- Mais c'est contradictoire ! -- Non. La riposte était cohérente, elle était logique, s'il s'agissait de répondre à l'inacceptable décret « *d'enregistre­ment* ». (Vous mettez des conditions impossibles à la conti­nuation du culte public ? L'Église mexicaine ne célébrera donc plus que dans les chapelles privées.) L'astuce épiscopale eût été courageuse, et pleinement catholique, si les évêques aussitôt avaient organisé, s'ils avaient seulement permis l'entrée du clergé dans les catacombes, aux côtés du peuple mexicain qui cachait déjà ses prêtres spontanément. 41:268 Comme vous avez vu que ça se passe encore à Jumiltepec. Tout était prêt... Mais voici que la Hiérarchie ordonne aux curés de campagne de rejoindre en ville l'abri des chapelles privées. Et voici que nos prêtres, qui avaient vingt ans, qui étaient prêts à tous les sacrifices, plient devant l'Ordinaire et sa solution de facilité. On les persuade sans peine que désobéir à l'évêque, fût-ce par fidélité au peuple, qui est alors une Église crucifiée, c'est désobéir au pape. Le moyen de le leur reprocher ? -- Ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Ce drame ne s'est pas éteint dans l'Église avec la mort de Pie XI et des évêques mexicains. Vous glissez, mon fils, mais je l'ai fait avant vous... Revenons au mois de juillet 1926. Une centaine de prêtres seulement, peut-être 110 (sur 3.500) ignorent les consignes de l'épiscopat. Ils iront offrir leur vie, aux côtés des Cristeros. De très nombreux régiments devront donc monter au feu sans le secours des sacrements. Quant aux dames de Mexico, elles ne manqueront jamais de rien. On murmure ici que même la femme du président Calles entretenait ses chapelains... Les autres en furent souvent réduits à acheter la protection de membres du gouvernement. De véritables fortunes doivent d'avoir vu le jour à l'épiscopat mexicain. Il est, aujourd'hui encore, des signes de reconnaissance qui ne trompent pas... Voilà. Vous savez tout ce qu'il faut savoir, Señor Kéraly, et qu'on cache depuis un demi-siècle au monde entier, sur les origines du soulèvement. Quand j'ai quitté Jumiltepec en compagnie de don Pablo, mon ami cubain, la nuit approchait. Nous fûmes salués, en grande cérémonie par tous les anciens du village. Plusieurs portaient encore, sur le visage, les cicatrices de la dernière croisade catholique du nouveau continent. Ils demandaient seu­lement *qu'on sache,* qu'on dise en France leur véritable histoire, et qu'on sache aussi que la persécution continue. 42:268 C'est pourquoi j'ai dû laisser parler ici les deux générations mexicaines, qui n'en font qu'une dans la souffrance de la barbarie révolution­naire, du général Obregon à Lopez Portillo. Notre-Seigneur Jésus-Christ, Roi du Mexique, a sa garde d'honneur sur les collines de Jumiltepec. #### *A la grâce de Dieu* Juillet 1926. Le destin du catholicisme mexicain bascule dans l'extraordinaire. Il vient rejoindre, réveiller dans le sang des pauvres les plus grandes heures du soulèvement vendéen. Le gouvernement de Mexico n'en croit pas ce que télégraphient ses fonctionnaires. Les évêques, encore moins. Voici que ce peuple qui avait tout supporté du despotisme maçon, comme des bandits qui ravageaient le Mexique avant lui : le fouet, la spoliation, la misère -- voici que ce peuple humble et soumis, prêt à tirer son chapeau dans la rue sur le passage des riches et des puissants, ce peuple qui a déjà abandonné à César, dans le sang et les larmes, ses terres, ses richesses, ses libertés, son honneur national, ce peuple qui reste le plus doux du continent américain, voici qu'il ne sup­porte pas qu'on le prive des sacrements de sa religion. 43:268 Le clergé du moins aurait pu comprendre et deviner, qui avait vu pleurer les Indiens du Mexique au récit de la Passion. Il était mieux placé que personne pour représenter au pape et aux évêques que le catholique mexicain de 1926 allait prendre à la lettre l'enseignement de sa religion : l'homme ne vit pas seulement de pain, et seule sa mort spirituelle est, à redouter. Ce pays entrait dans la croisade qu'on lui avait prêchée. Mais les Cristeros sont conscients de monter au combat sous leur seule responsabilité de baptisés. Témoin cette réponse de la brigada Quintanar au vicaire qui supplie qu'on se laisse évangéliquement égorger : « *Sans votre permission et sans votre ordre, nous nous sommes lancés dans cette lutte bénie pour la liberté religieuse. C'est donc sans votre, permission et sans vôtre ordre que, nous là poursuivrons, jusqu'à la victoire ou la mort. Viva Cristo Rey ! Viva la Virgen de Guadalupe ! E viva Mejico ! *» Croisade sans prêtres. De plain-pied dans les malheurs, le mystère et la gloire où nous *appelle* aujourd'hui *le* sourire du Dieu fait homme, pour le pardon des péchés. (*A suivre*.) Hugues Kéraly. 44:268 ### Historique de la guerre scolaire par Michel de Saint Pierre La France est en état permanent de guerre scolaire depuis la Révolution de 1789 qui, beaucoup plus qu'une entreprise politique, fut une agression contre l'âme et la tradition catholiques de notre pays. Le présent historique de la guerre scolaire en France est extrait du livre que Michel de Saint Pierre publie aux Éditions Albin Michel : *Lettre ouverte aux assassins de l'école libre,* dont nous avons déjà publié un chapitre dans notre précédent numéro. J'AI REÇU de mon père Louis de Saint Pierre, exégète des origines normandes et biographe de Rollon, des globules d'historien. Dans ce domaine, je voudrais être un modeste disciple de Fustel de Coulanges, selon lequel l'histoire est l'école des prophètes : sans elle, sans la connaissance appro­fondie du passé, nul ne peut prétendre saisir une part de l'avenir en suspens autour de nous. 45:268 Or le problème brûlant de l'école libre sollicite l'historien, plus que n'importe quelle autre question. Comment pourrions-nous comprendre la situation actuelle et mesurer la menace qui plane sur l'enseignement privé, si nous ignorions les origines de la guerre scolaire -- et d'une manière générale de la guerre anti-religieuse ? Car c'est exactement de cela qu'il s'agit. En vérité, il faut le dire et le redire, *il s'agit de rien moins* *que d'une guerre,* avec toutes les intentions destructrices, avec toute l'obstination féroce que ce mot-là comporte. La guerre anti-catholique dont il est question remonte, dans notre histoire nationale, aux Encyclopédistes, -- aux libres-penseurs de ce XVIII^e^ siècle que l'on appelle « siècle des Lumières » par une étrange aberration, alors que ce fut bien le siècle des Ténèbres. Deux mentalités s'affrontaient, deux attitudes spirituelles et qui d'ailleurs venaient de loin. Pour les définir, rien ne vaut la distinction tranchante établie par saint Augustin : « Deux amours ont donné naissance à deux cités : *la cité terrestre* procède de l'amour de soi porté jusqu'au mépris de Dieu, -- la *cité céleste* procède de l'amour de Dieu porté jusqu'au mépris de soi. » On ne peut mieux exprimer cette vérité capitale. De nos jours, des philosophes et des théologiens en recherche ont tenté de réaliser un syncrétisme boiteux entre les deux Cités. Or qu'il s'agisse du personnalisme de Mounier, de l' « humanis­me intégral » de Jacques Maritain ou de l'évolutionnisme du Père Teilhard de Chardin, nous revenons à l'erreur essentielle ce culte de l'homme et ce subjectivisme rigoureusement inconciliables avec les vérités éternelles de l'Église catholique romaine. \*\*\* Mais reprenons à ses débuts l'histoire de l'école en France. Il faut d'abord souligner ici la plus grave des impostures celle qui revient à dire que l'instruction primaire ne remonte pas au-delà de la fin du XVIII^e^ siècle, et qu'elle a pour unique origine les décrets de la Convention. Ce mythe a été soigneu­sement entretenu depuis deux siècles par les roseaux pensants républicains. Touchant les « bienfaits » culturels de la Révo­lution et « l'obscurantisme » de l'Ancien Régime, que n'avons-nous pas lu, que n'avons-nous pas entendu ? 46:268 Amis, de grâce, abandonnez les pages rougeoyantes de Michelet et les feuillets grisâtres de M. Manceron. Tournez-vous vers les historiens -- authentiques : Fustel de Coulanges, Jacques Bainville, Pierre Gaxotte. Lisez et relisez, pour le Moyen Age, Régine Pernoud. Sans oublier de solides travaux antérieurs, tels ceux de A. Babeau, de l'abbé Ernest Allain, d'Albert Duruy, de Brunetière. Ouvrez, par exemple, *L'Instruction primaire en France avant la Révolution,* de l'abbé Allain. Cet ouvrage fut écrit, voici une centaine d'années, selon des documents inédits puisés dans les dépôts d'archives de différentes provinces, dans les bibliothèques régionales, etc. L'auteur y passe en revue avec un grand soin l'enseignement primaire au Moyen Age, ainsi qu'aux XVI^e^ et XVII^e^ siècles. Il examine objectivement la condition des enseignants et celle des écoles à ces différentes époques, la gratuité sous l'Ancien Régime, l'influence de l'État et de l'Église sur l'enseignement populaire avant la Révolution. Le livre est ho­noré d'une lumineuse préface de l'archevêque coadjuteur de Bordeaux (1881, réédité par Slatkine Reprints, Genève, 1970). Or ces écoles primaires, avant la Révolution, étaient : beaucoup plus nombreuses, mieux organisées, plus efficaces que ne l'ont dit les Francs Maçons et les républicains sectaires ; elles étaient aussi plus : judicieusement réparties ; Prétendre que l'instruction primaire a jailli de la Convention révolutionnaire com­me Minerve de la cuisse de Jupiter, est une imposture désor­mais ridicule. Sous l'Ancien Régime, bien sûr, l'école en question dépen­dait surtout d'influences extérieures au pouvoir central : ini­tiative des évêques, des moines et des prêtres, des corporations, des seigneurs, des bourgeois, etc. « Là où s'élevait un clocher, on pouvait être à peu près certain de trouver une école », a dit le pasteur Schmidt en parlant de la Lorraine ; et cela était vrai dans beaucoup de provinces. Mais que faisait le pouvoir royal, à cet égard ? Il se conten­tait de donner l'impulsion, ce qui explique la faible part que prenait l'enseignement dans les budgets de l'Ancien Régime. Si l'on veut comprendre un peu la situation de l'école avant la Révolution, il faut savoir que jadis, le pays et l'État étaient deux choses absolument distinctes. Ni les communes, ni les pro­vinces, ni les corporations, ni les universités, ni la magistrature n'étaient l'État. Et l'Église, pas davantage : l'idée seule qu'un évêque ou un prêtre pût être classé parmi les fonctionnaires de l'État « eût fait hausser toutes les épaules » ([^17]). 47:268 Ces grands corps vivaient d'une vie propre, indépendante -- et sous le souffle d'une liberté que nous ne pouvons même plus imaginer. « Aujourd'hui, l'État est partout ; ce qui fait que, la liberté n'est nulle part » ([^18]). Hélas ! l'État est aussi, et surtout, maître d'école -- et le plus mauvais maître qui soit. \*\*\* La documentation recueillie par l'abbé, Allain, avec des patiences d'enlumineur, est irréfutable. Elle constitue, ainsi que l'écrit fort bien l'archevêque préfacier, « une revanche victorieuse de l'ancienne France contre notre temps qui l'insulte et qui voudrait la déshonorer ». Sous l'Ancien Régime, l'État payait peu, c'est vrai. « Mais comme tout le monde, payait librement, cela revenait au même » : les communes payaient, en effet, et les provinces, et les universités l'Église, elle aussi, elle d'abord. A ce sujet, je recommande les extraits des visites pastorales des évêques « s'enquérant, dans chaque paroisse, si elle possédait un régent capable ». Capable, et très honnêtement rétribué. Avant la Révolution, les élèves de tous âges et de toutes conditions apprenaient donc à lire, à écrire et à calculer comme ceux d'aujourd'hui mieux que ceux d'aujourd'hui ! Ils n'étaient pas soumis à ces changements perpétuels d'orientations, de méthodes et de pro­grammes que nous subissons actuellement -- et qui deviennent proprement ahurissants dès qu'on les étudie de près ([^19]). De même, on ignorait alors et le sectarisme, et la raideur d'esprit. Il y aurait sans aucun doute, dit encore le préfacier d'Ernest Allain, « tout un livre à faire sur l'état intellectuel du passé de la France, comparé à l'état présent ». C'est, hélas, plus vrai que jamais au XX^e^ siècle qui s'achève. Les méthodes anciennes, elles, nous ont notamment donné les XIII^e^ et XVII^e^ siècles, sous une monarchie tutélaire. \*\*\* 48:268 Vinrent le XVIII^e^ siècle, le libéralisme et les Encyclopédistes évoqués plus haut. Parmi les sectateurs de la libre-pensée, le pire de tous est sans aucun doute Voltaire. Certes il a pu tromper son monde quant à sa véritable nature, par des campagnes qui se voulaient généreuses (affaire Calas) ou par des écrits de circonstance. (Citons son poème ampoulé sur le désastre de Lisbonne, dont lui-même ricanait en disant à l'un de ses amis : « Ce sera mon carême, prêché par le Père Voltaire ».) L'essentiel de sa réflexion n'en demeurait pas moins une haine longue et tenace, quasi diabolique, contre Dieu. Quatre mots célèbres la résument sinistrement : « *Écrasez, écrasons l'infâme. *» L'infâme, pour Voltaire, c'était Dieu, c'était Jésus-Christ. Satan se trouvait tapi au fond de l'encrier. Et Voltaire disait aussi (sans craindre l'atroce répétition) : « *Ce qui m'in­téresse, c'est l'avilissement de l'infâme. *» De Voltaire encore : « *Je suis las d'entendre dire que douze hommes ont suffi pour établir le christianisme -- et j'ai envie de leur prouver qu'il n'en faut qu'un pour le détruire. *» Les amis de Voltaire, ses « compagnons de pensée », ren­chérissaient. Condorcet, entre autres : « *Il arrivera ce moment où les hommes ne reconnaîtront plus sur terre que des hommes libres ; ce moment où les tyrans, les esclaves, les prêtres et leurs stupides ou hypocrites instruments n'existeront plus que dans l'histoire et les théâtres. *» Diderot : « *Quand verrai-je donc le dernier des rois étranglé avec les boyaux du dernier des prêtres ? *» L'agonie de Voltaire, on le sait, fut horrible. J'en emprunte le bref récit à une brochure de Jacques Chevry, *Esprit de Gauche, esprit de Droite, ou les deux cités* ([^20])*.* Voltaire ayant réclamé un prêtre de sa connaissance pour veiller sur ses der­niers instants, se heurta au refus de ses « amis » présents, qui étaient membres de certaines sociétés secrètes. Il supplia, en vain. Alors, il entra dans « un état démentiel de rage et de désespoir ». (Voltaire croyait à l'enfer, il l'avait écrit, il l'avait dit.) De délire en délire, il finit par porter à sa bouche son vase de nuit. Puis il expira, vomissant blasphèmes et malé­dictions. \*\*\* 49:268 Sans aucun doute, les Encyclopédistes ont été les fourriers de la Révolution française. Peu après l'an 1780, un convent maçonnique où ils étaient représentés avait décrété souterrai­nement la ruine des trônes catholiques, à commencer par celui de la France. La tsarine Catherine II (Catherine « le Grand », disait Voltaire) qui avait chéri tous ces libres penseurs français, finit par percevoir les erreurs et les menaces du siècle, déferlant jusqu'au pied de son trône. Un peu plus tard, elle voulut même préparer une expédition contre la France révolutionnaire. Mais sa mort foudroyante, en 1794, balaya les pièces de l'échiquier. \*\*\* Sur l'œuvre scolaire de la Révolution française, on trou­vera à la Bibliothèque Nationale (*Erreurs et mensonges histo­riques,* Paris, Blériot Frères, libraires-éditeurs 1882) les plus succulents détails. Sans pouvoir nous y attarder, disons que la sanglante Convention était éprise comme le socialisme actuel de ses théories absolues, et se croyait, entre deux claquements de la guillotine, « une assemblée de philosophes occupés à préparer le bonheur du genre humain ». La tragique sottise révolutionnaire apparaît, à la vérité, comme une baudruche énorme. Il n'est, pour s'en convaincre, que de lire les discours de ses tribuns -- en particulier concernant l'école. Il s'agissait de former non pas des hommes, mais des républicains. A ce sujet, l'un des spécialistes des questions scolaires, le conven­tionnel Petit, exprimait pendant des heures d'impayables niai­series, écoutées dans un silence religieux : « *Il est, disait-il, un préliminaire indispensable à l'établissement des écoles pri­maires : c'est une école de républicanisme. Le local d'enseignement, ce sera tout le territoire français. Vieillards, jeunes gens, hommes, femmes, ignorants, et savants, nous serons tous élèves. Notre maître, ce sera la nature ! *» Parmi les déclamations de ce tabac, nous n'avons que l'em­barras du choix. Et tout cela pour accoucher du décret du 29 frimaire an II (19 décembre 1793) qui déclarait l'enseignement libre, public, gratuit et obligatoire. On notera *qu'aucune ga­rantie d'instruction n'était demandée aux maîtres.* Ainsi, un candidat instituteur obtenait satisfaction avec la mention sui­vante : 50:268 « Sa façon de penser est celle d'un vrai sans-culotte, conséquemment d'un franc et zélé républicain. » Peu impor­tait, après tout, que ce futur enseignant sût lire. Nous sommes loin ici des exigences et des libertés de l'Ancien Régime. Ce qui me frappe, en poussant mon étude de la courte période révolutionnaire, c'est la Bêtise arrogante et cornue, c'est l'humanitarisme bêlant et pataugeant dans le sang. Rien n'en donne mieux idée, d'ailleurs, que les « *Épîtres et Évangiles du républicain pour toutes les décades de l'année, à l'usage des jeunes sans-culotte *»*,* présentés à la Convention Nationale par Henriquez, « citoyen de la section du Panthéon ». Cette parodie grotesque des livres sacrés fut non seulement agréée, mais officiellement subventionnée. Elle entrait dans le plan éducatif révolutionnaire. La première « épître » était consacrée à l'éloge inconditionnel de Jean-Jacques Rousseau. Quant au premier « évangile », il parlait de Jésus-Christ en termes pour le moins saugrenus : « *Ce révolutionnaire de la Judée, que l'on a fort mal à propos traité d'aristocrate, avait bien raison : il connais­sait les prêtres de son temps ; il prévoyait avec sagesse que les soi-disant ministres de l'Être suprême seraient toujours fourbes et fripons... *» Pour mieux expliquer son propos, l'auteur disait aussi que « *l'âme du républicain ne peut se passer d'aliments sains et continuels. Il n'appartient qu'aux animaux immondes de se vautrer dans la fange des marais infects. Il n'appartient qu'aux rois ; aux prêtres et à leurs, esclaves de traîner leur vie orgueil­leuse et lâche de crimes en crimes ; de nullités en nullités ; d'abrutissements en abrutissements *», etc. Voilà donc le maître à penser que les autorités révolution­naires tenaient à soutenir louant sa « simplicité », le félicitant de son « succès » et de « tout le bien qu'il a dû faire » Ainsi s'écoulèrent dix années d'âneries pédantes et sanglantes, dont la France porte encore le poids. Depuis ces désordres inextricables de la Révolution, notre pays a connu un directoire, un consulat, deux empires, trois rois, cinq républiques. Sur le plan de l'école, un triste chemin nous a conduits, il y a cent ans, à l'imposture anti-religieuse de Jules Ferry. Et nous nous trouvons aujourd'hui menacés, deux cents ans après la tourmente révolutionnaire, par le secta­risme de Louis Mexandeau, compère de François Mitterrand et fossoyeur en chef de l'école libre... 51:268 Les fruits de l'Encyclopédie sont lourds. \*\*\* Ce qui est important, ce qui est essentiel à retenir, c'est d'abord qu'il ne s'agit pas pour l'ennemi, dans ce contrat contre Dieu, de chercher un moyen terme, d'amortir le catholicisme, de réduire son influence. Il s'agit de le *détruire,* avec ses dogmes, son thomisme et l'interminable envol de ses martyrs et de ses saints ; avec la lumière qui nous vient de Rome ; avec la pierre de Simon Pierre, chef des apôtres et timonier de la barque sainte. Il s'agit aussi de détruire l'âme de la France, inséparable de ses lys. Il s'agit de démolir l'autel après avoir effacé le trône. Il s'agit de faire mentir l'oracle de saint Rémi, qui exhale encore son ordre comme un murmure : « *Apprenez, mon fils* (disait Rémi en baptisant Clovis), *que le Royaume de France est prédestiné par Dieu à la défense de l'Église Romaine,* seule véritable Église du Christ. Il sera victorieux et prospère tant qu'il sera fidèle à la foi romaine et ne commettra pas un de ces crimes qui ruinent les nations. *Mais il sera rudement châtié, toutes les fois qu'il sera infidèle à sa vocation. *» (Flodoard, Historia Ecclesiae Rimensis.) Le texte étonnant de saint Rémi n'est-il pas à rapprocher des paroles prophétiques de saint Pie X lui-même : « *Le peuple qui a fait alliance avec Dieu aux fonts baptis­maux de Reims se convertira. Il retournera à sa vocation première... *» « *Un jour viendra, et nous espérons qu'il ne tardera guère, où la France, comme Paul sur le chemin de Damas, sera enve­loppée d'une lumière céleste, et où elle entendra une voix qui lui répétera :* « *Ma fille, pourquoi me persécutes-tu ? Lève-toi et lave tes souillures qui t'ont défigurée, réveille dans ton cœur les sentiments assoupis et le pacte de notre alliance. Et va, fille aînée de l'Église, nation prédestinée, vase d'élection, va porter comme dans le passé mon nom devant tous les peuples et devant les rois de la terre. *» (29 novembre 1911.) Mais voici un nouvel et dernier rapprochement qui s'im­pose : devant la façade de Saint-Denis notre pape Jean-Paul II, après avoir rappelé que ce sanctuaire unique en son genre était « la basilique des rois de France » -- ce que l'évêque français du lieu avait oublié de faire -- n'a-t-il pas posé cette question dont nous rêverons longtemps : 52:268 « *France, fille aînée de l'Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? *» \*\*\* C'est Napoléon, centralisateur acharné, qui pose le principe d'un enseignement nouveau, basé sur la tutelle de l'État. Bien qu'il s'en défende, il est à beaucoup d'égards l'héritier abusif de la funeste Révolution. Malgré cette tendance, de 1800 à 1850, la France va être le théâtre d'une renaissance extraordinaire de l'école chrétienne. Les ordres religieux enseignants connaissent une exubérante floraison. Cependant, les ennemis de l'Église catholique n'aban­donnent pas pour autant la lutte anticléricale haineuse ni l'effort systématique de déchristianisation. (Nous pouvons affirmer que cet effort s'est poursuivi pendant près de deux cents ans, sans relâche, de la Révolution à nos jours.) En pleine Restauration, les ordonnances de 1828 interdisent aux Jésuites d'enseigner ; « elles réduisent les écoles secondaires ecclésiastiques au seul rôle de séminaires » ([^21]). Fort heureusement, à ces attaques incessantes, les Ozanam, Montalembert, Lacordaire, Albert de Mun -- et leurs amis -- vont résister d'abord victorieusement, cherchant à imposer le principe de la « liberté d'enseignement ». « Ce principe, la Révolution de 1830 l'inscrit dans la Charte (art. 89) -- mais il est sans cesse remis en question. La conquête de la liberté d'enseignement sera l'œuvre de plusieurs générations de catholiques. Les lois de 1833 (Loi Guizot sur l'enseignement primaire) -- de 1850 (Loi Falloux sur l'enseignement secondaire) -- de 1875 (sur l'enseignement supérieur) -- en soulignent les étapes. » ([^22]) \*\*\* Je ne puis ici que ramasser les faits et condenser cette histoire de la guerre scolaire : l'essentiel de mon propos est ailleurs. 53:268 Mais si l'on veut connaître beaucoup plus à fond ce qui s'est passé dans le domaine scolaire au XIX^e^ siècle, je recommande la lecture attentive d'un étonnant bouquin où se mêlent à doses égales l'érudition, le jugement politique, un sens aigu du pamphlet dans la ligne de Léon Bloy, de Rochefort et de Léon Daudet -- et le plus talentueux courage : *Jules l'imposteur,* de François Brigneau. Ce livre est un mets tout à la fois succulent et fin, quelque chose comme une brandade parfaite arrosée d'un sancerre frappé. Pendant 76 ans, de la Révolution à la Troisième République, sous tant de régimes différents et souvent opposés, la franc-maçonnerie représente « une constante », un travail soutenu contre la catholicité, nourri d'une haine qui ne désarme jamais. Quelle tension, quelle malignité intelligente dans cet effort au service d'une idée fixe. Il s'agit pour la franc-maçonnerie, nous dit Brigneau, d'assurer « l'établissement en profondeur de la République *en arrachant l'école à l'Église et en la remplaçant par l'école républicaine, l'école maçonnique, l'école laïque.* Ce combat va dominer le XIX^e^ siècle. Il sera plus important que la bataille sociale dont on parle davantage. *Ce fut une guerre totale, et sans merci *»*.* Malgré des hauts et des bas, l'Église et l'Ancienne France l'ont finalement perdue. Hélas ! Elles risquent de perdre aussi les derniers combats. Pour mener à bien son obsédante et diabolique entreprise, « *la maçonnerie joue tous les coups, toutes les cartes *». A telle enseigne qu'il est rigoureusement impossible, si l'on néglige son rôle, de comprendre quoi que ce soit à cette bataille. « *Qui tient l'école tient tout *», disait Jean Macé, franc-maçon fort connu au XIX^e^ siècle, dont Michel Mourre déclare dans son encyclopédie : « *Il considérait que l'on devait refuser la liberté aux catholiques comme dans l'Inde aux étrangleurs. *» Le « *la *» est donné. C'est dans cet esprit que le même Macé a fondé sa fameuse « Ligue de l'Enseignement » qui se définissait par sa prétendue « neutralité », mais dont son auteur devait avouer plus tard : « La Ligue est une ins­titution maçonnique ». Tout cela nous mène, par les chemins tordus des sociétés secrètes et des associations déclarées qu'elles inspirent et qu'elles mènent, à l'avènement de Jules Grévy : cet avocat médiocre, gros mangeur, « abomine les prêtres et les rois ». 54:268 Il appartient à la franc-maçonnerie (Loge : La Constante Amitié). Remplaçant le malheureux maréchal de Mac Mahon, il devient président de la République le soir du 30 janvier. 1879. Sur les : dix ministres qu'il assemble dans son premier cabinet, cinq sont protestants et sept sont maçons, (plusieurs d'entre eux cumulant les deux choix). Étrange conseil pour une France qui est encore catholique dans son immense majorité. A l'Instruction Publique, un autre « Jules » va jouer un rôle prépondérant dans la lutte anti-catholique : Jules Ferry, franc-maçon ; marié civilement à une protestante. Son mot d'ordre est connu, puisqu'il est celui que Gambetta criait deux ans plus tôt en pleine tribune de la Chambre : « *Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! *» Dans *L'université sous M. Ferry* de Francisque Bouillier ; on peut lire ce jugement sur Jules Ferry : « Je ne pense pas qu'en aucun temps, malgré tous les hasards de la politique et toutes les intrigues parlementaires, l'université ait jamais vu arriver un ministre qui lui fût aussi complètement étranger et plus ignorant de toutes choses en matière d'instruction publique. » Tavernier, pour sa part ([^23]), estime que Ferry doit sa pro­motion étonnante à son « ardeur irréligieuse qui (...) passait pour lui tenir lieu de tout... ». Que voulait-il ? « *Porter à la foi une atteinte mortelle. *» Et Tavernier nous livre ce jugement définitif : « Quelle passion lourde, ardente, indomptable Jules Ferry mit au service de la propagande et de la révolution irréligieuses ! Personne n'a raconté comment cet homme qui appartenait à une famille catholique était devenu de bonne heure obsédé d'athéisme. Jus­que dans ses lettres intimes... » Le but de Ferry : la laïcisation de l'enseignement dûment préparée, d'ailleurs, dans les Loges maçonniques. Il est à la bonne place, rappelons-le : ministre de l'Instruction Publique. Ce poste-clé, d'ailleurs, jusqu'à la guerre de 1914, sera presque toujours occupé par des francs-maçons, et c'est là un signe, qui ne trompe pas. Dans sa belle préface au livre de Brigneau, Jean Madiran définit avec sa rigueur habituelle l'objectif essen­tiel de l'oligarchie maçonnique : « Imposer à la France une autre image de la France : faire de la France, une France qui soit désormais celle de Voltaire et Rousseau, d'Émile Zola et de Jean Jaurès, de Sadi Carnot et de Painlevé, de Berthelot et de Langevin. » 55:268 Et Madiran, qui a publié presque en même temps que Brigneau un livre écrasant, *La République du* *Panthéon* ([^24])*,* évoque à nouveau le riche symbole panthéonnien : « Tels sont, avec un morceau de Gambetta, les « grands hommes » qui ont été ensevelis au Panthéon, ceux dont la Patrie doit avoir le culte à la place du culte des héros et des saints, de Bayard et de saint Louis. C'est une autre France : une France différente ; une France nouvelle ; une France infidèle à elle-même. C'est une France qui n'a pas voulu s'établir à *côté* de la France traditionnelle, ni même *à la suite :* mais *à la place,* le Panthéon en est le symbole irrécusable. » Brigneau et Madiran ont cent fois raison : il s'agit ici, avec la franc-maçonnerie et le socialisme, d'une domination étrangère à la France. La construction de notre pays fut une œuvre chrétienne, essentiellement chrétienne. Pour un Jules Grévy, pour un Jules Ferry, pour un François Miterrand, il s'agit de lui imposer un *changement d'identité.* Or le bon moyen, nous l'avons vu, c'est de commencer, par changer l'école. Et Ferry ne peut mieux faire que de reprendre les trois étapes du programme fixé par Gambetta en 1878 : -- dissolution des congrégations ; -- laïcisation, de l'enseignement -- séparation de l'Église et de l'État. Pour parvenir à ses fins, Jules Ferry déploiera toutes les cautèles, toutes les impostures, tous les mensonges dont il est capable et ce n'est pas peu dire. Il ira, pour l'adoption du fameux article 7 de sa loi (dirigé contre les congrégations catholiques enseignantes) jusqu'à passer outre au veto légal des sénateurs. « Ce qu'il n'a pas obtenu par le suffrage, il va l'im­poser par décret. » Tout cela n'est pas précisément le fait d'un homme « respectueux de la légalité républicaine ». On connaît la suite : expulsion scandaleuse et brutale des religieux -- traque des religieuses. Réaction insuffisante des catholiques, cependant majoritaires dans le pays. Ferry s'est démené sans compter. Il a prononcé à la Chambre un discours de sept heures. 56:268 « Son éloquence est dépourvue de chaleur et d'éclat, et pourtant elle retient, car on y devine de la force, de la précision, de la volonté et les frémissements d'une étrange passion, à la fois impétueuse et glacée. » ([^25]) Le Grand Orient ne s'y trompe pas. Il exerce les pressions qu'il faut et Jules Ferry devient président du Conseil. Le 31 décembre 1880, il pourra donner libre cours à son esprit comptable et chiffrer sa victoire : 261 couvents crochetés et vidés. Près de six mille religieux expulsés. Un peu plus tard, l'école laïque obligatoire, gratuite et sans Dieu est imposée par « Jules l'imposteur » ; deux *lois* sont votées, les 16 juin 1881 et 28 mars 1882. Comme le dit François Brigneau : « *L'Église catholique venait de subir la plus sévère défaite de son histoire française. Elle avait perdu l'école, dont la* « *neutralité* » *était dans de bonnes mains. *» Car on le verra bien vite, et nous en reparlerons : l'école laïque, prétendue neutre, ne l'est pas ; ne le sera jamais. Ceux qui l'ont promue ne sont pas neutres, eux non plus. Ils haïssent tout ce qui est catholique de près ou de loin. La Laïque, c'est la haine. Ainsi la petite minorité maçonnique (30.000 francs-maçons sous Jules Ferry), par des tours de passe-passe parlementaires et par de longues manœuvres en coulisse, est parvenue à faire céder -- dans ce domaine essentiel de l'école -- l'énorme majorité catholique (36 millions d'âmes). Tout cela au nom de la démocratie. Michel de Saint Pierre. 57:268 ### « Le Montage » de Volkoff se passe en France par Georges Laffly Vladimir VOLKOFF : *Le Montage.* Éditions L'âge d'homme -- Julliard. LE NOUVEAU ROMAN de Volkoff a pour héros Aleksandre Psar, fils d'un Russe blanc. Le père a végété en France, subi humiliations et injustices. En 45, il a eu l'espoir de retrouver son pays natal, mais il meurt avant le départ. Il fait promettre à son fils de retourner en Russie. Aleksandre ne se sent pas plus Français que son père. Il est resté Russe de la tête aux pieds et rumine encore le sacrifice des armées du tsar à Tannenberg, qui a permis la victoire de la Marne. Il semble que les Russes blancs soient la première communauté d'immigrés à avoir gardé son autonomie, sa cohérence, restant en France un corps étranger. Exemple qui s'est multiplié depuis. 58:268 Aleksandre va être recruté par un certain Pitman, qui fait partie d'une direction particulière du KGB, employée à des travaux plus subtils que les enlèvements, assassinats, chantages et recherches de documents. Il s'agit de s'emparer du pouvoir culturel, comme on dit, de pénétrer l'âme d'un pays en ma­nœuvrant l'opinion. Le chef du service, un Ouzbek russifié qu'on surnomme Stalagmite, a pour maître à penser Sun Tsu, antique stratège chinois. (Sun Tsu est édité chez Flammarion, lisez-le) Ce qui frappe d'abord dans *Le Montage*, ce qui fait son légitime succès, c'est la démonstration par Volkoff de la ma­nière dont on crée un courant d'opinion, et comment, à l'inverse, on occulte ce qui ne doit pas être connu. Cette technique de la désinformation repose sur des recettes simples, mais très efficaces. Et c'est peut-être la première fois, grâce au prestige romanesque, qu'une assez large partie du public va découvrir ces recettes. Volkoff opère de la cataracte, et à ce titre son livre est très utile. Il permet à un lecteur raisonnable de saisir comment des préjugés et des interdits se forment. Nous vivons dans ce monde de fantasmagories, où une étiquette maudite suffit à tuer (intellectuellement) : « fasciste », ou « intégriste (ou « nationaliste, »), cela ne pardonne pas. A l'inverse, il y a des mots qui doivent être préservés. On verra ainsi Psar de­mander à un auteur de substituer *stalinien* à *léniniste.* On peut parler de « terreur stalinienne », la brèche est faite, il faut le reconnaître. Mais il faut garder d'autant plus à l'abri le nom de Lénine, et « terreur léniniste » serait impardonnable. Exemple de mentalité magique, qui n'est pas le fait de sauvages et de « primitifs », mais de citoyens développés, laïques et démocrates : il y a des mots souillés, devenus tabou, et d'autres qui, au contraire, purifient ceux qui les emploient. Ainsi s'est constitué un conformisme extrêmement assuré et solide, auquel tout le monde se plie (sauf quelques marginaux), et les plus jeunes, qui n'ont même pas connu le temps où ce conformisme n'était pas établi, en sont les gardiens les plus farouches. *L'emploi non péjoratif des mots interdits les fait entrer en transes.* Des réflexes pavloviens ont été créés. Le plus drôle, c'est que les plus dociles à ces réflexes s'estiment géné­ralement « contestataires », et pensent braver l'opinion. 59:268 Pour revenir au roman, Aleksandre Psar est l'un de ceux qui ont édifié ce palais d'illusions, où certains mots sont musique et d'autres sont étouffés. Évidemment, il passe, dans le monde de l'édition, pour un homme plutôt réactionnaire. Son person­nage le veut. Et dans certains livres qu'il fait publier (il est agent littéraire), il est question, parfois, de certains défauts de l'URSS. Mais à côté de ces alouettes, il a lancé des troupeaux entiers de chevaux, je veux dire de réquisitoires contre l'Occi­dent, ses tares et ses crimes. Il a bien rempli sa tâche. Toute cette première partie du livre, répétons-le, est une magistrale exposition de l'état de la « culture » à l'heure ac­tuelle, et en dehors du plaisir romanesque qu'on prend à ces pages, c'est un travail nécessaire et qui peut être efficace. Aleksandre approche de la cinquantaine. Trente ans au service de la révolution, il pense avoir rempli son contrat. Il veut rentrer en Russie, accomplir la promesse faite à son père et retrouver sa femme et son fils (car on lui a procuré, grâce à de brèves vacances, une épouse soviétique, agent du KGB, comme de bien entendu, bien qu'il l'ignore). Mais Sta­lagmite n'est pas pressé, et lui et Pitman vont utiliser Psar pour un « montage » (expression du métier) très complexe. Dans un premier temps, il s'agit de disqualifier les dissi­dents : ces Soljénitsyne, Boukovsky, Amalrik, etc. qui ont fait trop de bruit. Un faux opposant, envoyé de Moscou, s'en chargera. Dénonciations et calomnies vont pleuvoir : Opération réussie. Deuxième temps. L'entreprise est plus vaste. Créer un vaste mouvement anti-communiste, en s'appuyant sur « les déçus -- du marxisme », nouveaux philosophes, jeunes gauchis­tes, etc. Comme le groupe sera manœuvré il ne deviendra pas vraiment dangereux, et permettra de contrôler toutes sortes de gens. C'est l'opération *Signe dur.* On se demande même si son but réel n'est pas encore plus extraordinaire : Nietzsche écrit « Et Luther rétablit l'Église : il l'attaqua. » *Signe dur,* ce serait l'équivalent d'un mouvement de Réformation qui aurait été lancé par le Vatican. Pitman, qui a établi le projet, ne vise peut-être pas si loin, mais Stalagmite est très capable d'envisager une relance de la révolution à partir d'une forte réaction anti-révolutionnaire. Les propos qu'il tient sur son lit de mourant le font penser. On touche au plaisir pur de manier les marionnettes. Le parti, le marxisme, comptent moins pour lui que son jeu, sans qu'il y ait reniement : la vraie révolution est une chose trop sérieuse pour qu'on la laisse aux militants et aux chefs politiques. 60:268 Délire ou aveu, Stalagmite affirme que son service a maîtrisé les esprits, d'une manière ou d'une autre (il parle des esprits du monde entier) : « *Toutes les images procèdent de nous. Ils peuvent nous fusiller, mais ils ne peuvent plus rien contre les images que nous avons déjà créées. Nous avons planifié le XXI^e^ siècle. *» Un peu plus loin, il ajoute ceci : « ...Nous conduisons l'humanité vers le bonheur, c'est-à-dire le Bien : tout cela c'est... la même chose. Quant aux Russes, ils nous auront tenu l'étrier. » Comme il a demandé à Pitman s'il avait lu Dostoïevski, on pense évidemment à l'apologue du Grand In­quisiteur, dans *Karamazov.* Il s'agit du bonheur dans l'escla­vage ; tout est programmé. La fable de Dostoïevski est dirigée contre Rome. Elle oppose le Christ à l'Église, vision roman­tique, et suppose que l'Église a remplacé le message de l'Évan­gile par ses règles, assurant au peuple la sécurité morale : plus de doute, plus d'inquiétude. C'est une vision très étrange (et pleine de la détestation de Dostoïevski contre l'Église ca­tholique). Mais ce n'est pas de Karamazov qu'il s'agit ici. Pourquoi cette allusion, alors ? Faut-il comprendre que le nouvel espoir (la Révolution) finit comme l'ancien (le Chris­tianisme) ? Encore faudrait-il admettre que le christianisme ressemble à ce qu'en dit le Grand Inquisiteur, ce que Dostoïevski lui-même ne croit nullement. Et il n'y a pas d'Aliocha dans *Le Montage.* Les propos de Stalagmite laissent aussi rêveur d'une autre façon. S'il ne se vante pas, il a tout prévu et mis en place, y compris les dénonciations de ses manœuvres, y compris la lutte contre sa révolution et ses manipulations. Volkoff écri­vant *Le Montage,* moi écrivant ceci, vous le lisant, nous som­mes tous dans le plan. On entre là dans les aspects les plus ténébreux de ce roman. On a l'impression de se trouver dans un décor à fonds multiples, où les coulisses ont elles-mêmes leurs coulisses, où tout acte perd son sens, à force d'avoir des causes cachées : à chaque niveau, il s'explique d'une certaine façon, qui est insuffisante, on s'en aperçoit au niveau suivant. Qui tient le secret, et la première ficelle ? Stalagmite devient une sorte de démiurge dont les actes sont les plus inattendus : il se vante d'avoir fait sortir Boukovsky d'URSS, contre l'avis de Brejnev. 61:268 Si l'on sort de ces vastes desseins, une autre observation est intéressante. Voilà un roman russe remarquable. Tous les personnages importants y sont Russes (comme dans *Le Retour­nement,* d'ailleurs). Les Français ne sont que des comparses, en général odieux. Tous les Russes sont animés d'un grand patrio­tisme, du Russe blanc à cet Ouzbek de Stalagmite qui s'écrie « Nous sommes les vrais Russes. » *Le Montage* se lit avec passion : Volkoff est un conteur de premier ordre. Il arrive même à vaincre une difficulté pres­que insurmontable : parler de la presse et de l'édition en France sans tomber dans le livre à clefs, et sans qu'on pense trop à l'invraisemblance. Il y a là, par exemple, des journaux, mais qui s'appellent *la Voix ou Objectifs,* et non pas *le Monde, le Figaro,* ou *Match.* Des maisons d'édition, qui ne sont ni le Seuil ni Gallimard. Il est vrai que les journaux et les maisons d'édition dont il est question dans *Le. Montage* sont gangrenés jusqu'à la moelle, échos dociles de la propagande soviétique. C'était délicat de citer des titres et des firmes véritables. D'ail­leurs, les vrais ont fait comme si de rien n'était. Ils ont parlé du livre comme s'il se passait à Shangaï ou à Cotonou. Volkoff doit bien s'amuser. Georges Laffly. 62:268 ### Entre la conversion et le suicide par Gustave Thibon UNE REVUE sud-américaine en quête de copie européenne me prie de répondre à l'énorme -- question suivante « Comment voyez-vous le XXI^e^ siècle ? » J'ai répondu que l'histoire me convenait beaucoup mieux que la prophétie et que j'avais déjà assez de peine à voir un peu clair dans l'imbroglio du présent sans essayer de percer les lourdes ténèbres du futur. Et, pour justifier mon opinion sur la fragilité des prophéties, j'ai communiqué à mon enquêteur un texte étonnant qui pourrait s'intituler : comment, à la fin du XIX^e^ siècle, un grand homme voyait le siècle suivant celui précisément que nous achevons de vivre. Il s'agit de la préface donnée par Victor Hugo au guide de l'exposition universelle qui eut lieu à Paris en 1867. J'en extrais les lignes suivantes où mes lecteurs trouveront, suivant leur humeur, de quoi pleurer sur tant de candeur ou rire de tant de sottise : 63:268 « *Au XX^e^ siècle, il y aura une nation extraordinaire... Elle sera plus que nation, elle sera famille. Unité de langue, unité de monnaie, unité de code...L'abolition du parasitisme mili­taire, les quatre milliards que coûtent actuellement les armées permanentes laissés dans la poche des citoyens... Aucune exploitation ni des petits par les gros ni des gros par les petits, partout la dignité de chacun sentie par tous, l'égalité sortant toute construite de l'instruction gratuite et obliga­toire... La prison transfigurée en école... L'homme qui ne sait pas lire aussi rare que l'aveugle-né... La circulation décuplée ayant pour résultat la production et la consommation -- centuplées. La multiplication des pains, le miracle devenu réalité. L'industrie engendrant l'industrie, les bras appelant les bras. Pour guerre, l'émulation. Toutes autre colère disparue. Un peuple fouillant les flancs de la nuit et opérant au profit du genre humain une immense extraction de clarté. Cette nation aura pour capitale Paris et ne s'appellera point la France, elle s'appellera l'Europe... Le continent fraternel, voilà l'avenir. Qu'on en prenne son parti, cet immense bonheur est inévitable. *» Victor Hugo étayait la réalisation de cette vision bienheu­reuse d'une part sur les progrès des sciences et des techniques qui libèrent l'homme des servitudes de la matière et, d'autre part, sur l'application des principes démocratiques qui mettra fin à l'exploitation de l'homme par son semblable. Sur ces deux points, les prévisions du poète se sont accom­plies : les sciences et les techniques ont pris au XX^e^ siècle un essor vertigineux et quant aux principes démocratiques, il n'est pas de pays -- y compris et avant tout ceux où sévissent les pires dictatures -- qui ne s'en réclame ostensiblement. Seul manque à l'appel « l'immense bonheur inévitable » issu du continent fraternel. Le XX^e^ siècle s'achève et nous pouvons juger l'arbre à ses fruits. Exception faite de l'accroissement du bien-être matériel dans les pays développés, quel enchaînement d'horreurs et de régressions vers les heures les plus sombres de l'histoire : deux guerres mondiales, des révo­lutions sans nombre, des génocides en chaîne, des camps de la faim, de la torture et de la mort, l'asservissement total des corps et des âmes sur la moitié de la planète, etc. Et que de menaces suspendues sur notre proche avenir : épuisement et pollution des ressources terrestres et marines de notre globe, déséquilibre croissant entre les individus, les groupes et les nations et, peut-être demain, guerre nucléaire. En deux mots, tous les progrès matériels de la civilisation mis au service d'une nouvelle barbarie. 64:268 Qui oserait, aujourd'hui, sans ployer d'avance sous le ridi­cule, envisager le XXI^e^ siècle sous la couleur « rose indélé­bile » dont le vieil Hugo inondait ses fresques prophétiques ? En fait, nos futurologues usent plutôt des teintes sombres. Témoin le récent ouvrage d'Édouard Bonnefous, *Le* *Monde en danger,* où sont exposées, à la dure lumière des faits et des statistiques, toutes les raisons convergentes de trembler devant l'avenir. Et cependant ! Il suffirait peut-être d'un rien pour que l'homme de demain échappe à cet engrenage de fatalités malé­fiques et que se réalise, très partiellement bien sûr, car il n'existe pas ici-bas « d'immense bonheur inévitable », la pro­phétie délirante de Victor Hugo. D'un rien qui changerait tout, d'un éclair impondérable de lucidité et d'amour qui dissiperait les lourdes ténèbres de l'agressivité et de la peur, ces deux fléaux de l'âme qui s'ap­pellent sans fin l'un l'autre, et qui substituerait l'esprit d'ac­cueil et de concorde à l'aveugle volonté de puissance. Matériellement, nous détenons les clefs de cette harmonie. Aucun des tragiques problèmes qui se posent à nous n'est techniquement insoluble. Les retombées du progrès scienti­fique ? La science de demain, orientée par la sagesse, peut réparer les erreurs et les abus de la science d'hier, par exemple en mettant au point des sources non épuisantes et non polluantes d'énergie. La misère du Tiers-Monde ? Au temps de Victor Hugo, les dépenses d'armement s'élevaient à 4 milliards de francs par an pour l'Europe. Actuellement, elles se chiffrent à un million de dollars par minute, c'est-à-dire à des centaines de fois plus. Quelle ère de prospérité s'ouvrirait devant nous si, la paix assurée, ces ressources fabuleuses étaient redéversées en vue du soulagement des déshérités ! Et de même pour les autres impasses du progrès. Est-ce un rêve d'espérer un sursaut spirituel par lequel la sagesse des hommes rejoindrait et dominerait l'immensité de leurs conquêtes matérielles ? Tout ce que nous savons du passé de notre espèce nous incline à redouter le contraire. Mais, comme nous l'enseigne M. Bonnefous dans la conclusion de son livre, ce progrès moral devient de plus en plus une nécessité, une urgence, une condition de survie. Notre civili­sation ambiguë n'a plus le choix qu'entre la conversion et le suicide ; en d'autres termes, le pouvoir de tout détruire a pour corollaire obligatoire le devoir de tout sauver. 65:268 Question suprême : l'homme est-il capable, par ses seules forces, d'opérer cette conversion intérieure ? Ou doit-il faire appel pour assurer l'harmonie du monde visible, aux puissances secrètes du monde invisible ? La faillite frauduleuse des ido­lâtries du siècle -- foi aveugle dans les techniques scientifiques ou dans les idéologies politiques -- tranche lumineusement la question en faveur de la seconde branche de l'alternative : pas de salut, même temporel, hors du retour aux sources éternelles du mystère et du sacré. Gustave Thibon. 66:268 ### Les ingénus par Bernard Bouts ON CLASSE QUELQUEFOIS sous le nom de « primitifs » des peintres actuels qui prétendent être enfantins. C'est un abus de langage, une erreur à tous points de vue. D'abord on est mondialement convenu d'appeler *primitifs* les peintres du début de la Renaissance ou qui l'ont immédiatement précédée. Alors on a cru qu'ils balbutiaient, parce qu'ils étaient avant l'événement et on s'imagina recopier « le charme » des balbutiements. Or ils étaient les descendants de plusieurs géné­rations de grands peintres. Ces peintres actuels dont je parle sont titrés aussi « Ingé­nus ». Quelques personnes font une différence entre « primi­tifs » et « ingénus », d'autres n'en font pas et ils ont raison car ils ne sont ni l'un ni l'autre, ayant généralement repris ce qui faisait la peinture académique, ombres sales, ombres portées, perspectives géométriques, ne gardant des œuvres enfantines que la schématisation et la rigidité des attitudes. C'est une mascarade. On raconte qu'un pêcheur, ayant attrapé beaucoup de pois­sons avec une ligne flottante, jeta les poissons et garda les hame­çons. On dit encore que le cousin de cet homme plaça une ligne flottante et lui présenta des poissons pour essayer d'attraper les hameçons. 67:268 Si ces peintres avaient un tout petit peu de culture ils étudieraient les miniatures persanes, par exemple, ou les anciennes peintures chinoises, découvrant du coup ce qui fait l'essentiel du grand style, mais non, ils ont pris les choses à l'envers. D'autres, et le résultat est le même, ont vu les papiers découpés de Matisse, les défigurations de Picasso, les fantaisies de Salvador Dali, et ils ont cru en faire un mélange heureux. Hélas ! il manque le talent, il manque la connaissance et, disons-le, l'intelligence des choses de l'art, comme les mu­siciens bruiteurs croient faire de la musique ! Mais à quoi bon répéter tout cela ? Chacun lit d'un œil et interprète à sa façon, subjectivement, comme il est naturel dans une société libérale. Ce ne sont pas des choses faciles à com­prendre, il est vrai, moins faciles que d'avaler des boissons frelatées, et mon expérience me montre que, non seulement il faut un auditoire nombreux pour trouver *une* personne dispo­sée à comprendre, mais il faut encore du temps. J'ai donné jadis, pendant trois ans, des cours de philosophie de l'art, développant chaque année et serrant de plus près les vérités inhérentes aux arts visuels, mais je sentais une résistance, ou plutôt un vide, qui venait d'habitudes mondaines. N'empêche qu'il y avait régulièrement soixante-quinze personnes à chaque classe, une fois par semaine, et je répétais le même cours les jeudis dans une autre ville. Finalement je ne sais pas ce qu'il en est resté dans l'esprit de ces braves gens, rien peut-être ? tant la pression des journaux et des conversations de salons est grande. Une seule personne, délicate et attentive, me posait des questions, dont les autres, il me semble, ne faisaient guère de profit. J'expliquais pourtant de la façon la plus simple (trop simple ?), évitant d'avoir l'air dogmatique, mais purement lo­gique, en esprit et en faits, avec un grand nombre d'exemples en diapositives. Je sais maintenant que si, admettant toutes les formes d'art, je les avais présentées en salades de psychologies et d'influences sociales, comme font certains critiques et historiens, j'aurais eu un grand succès parce que c'est à la mode. Henri Charlier me disait : « Peignez donc, et montrez vos ouvrages, mais ne parlez pas, cela ne sert à rien quand on sort des ornières. » Et cependant il écrivait *L'Art et la Pensée.* Je me suis tu et j'ai travaillé. Dans ce temps-là j'avais peint une quantité de tableaux di­rectement inspirés par ce que j'avais vu en Bolivie, mais avec toujours présents dans ma tête l'esprit et les concepts des miniatures persanes et, le croira-t-on ? certaines peintures dites préhistoriques. 68:268 Georges Wildenstein fit des difficultés pour les exposer à Paris, en 1954, en même temps que mes autres ta­bleaux, et les accrocha finalement à part, dans une petite salle, tant il les trouvait peu « peinture ». Mais Charlier arriva un jour avant l'exposition et il les examina attentivement sans rien dire. Une amie lui demanda ce qu'il en pensait. Je ne répéterai pas ici ses paroles, mais enfin j'étais bien récompensé de mon travail, et réconforté, car on n'est jamais tout à fait sûr d'avoir réussi, n'est-il pas vrai ? Il y avait donc divergence entre le Marchand et le Patron, et les raisons du Patron, croyez-moi, n'étaient pas seulement des opinions ; elles avaient du « répondant » dirait Perret. Au­jourd'hui, lorsque je montre les deux tableaux qui me restent de cette époque, et ceux que j'ai peints plus récemment, à la lumière d'affaires brésiliennes, mais sans oublier rien de l'esprit pictural des premiers, les connaisseurs me demandent : « C'est de l'art primitif, ingénu ? » Mais depuis longtemps j'ai renoncé à expliquer quoi que ce soit et je demande à mon tour, avec un air aussi sot que possible : « Qu'est-ce qu'on appelle au juste primitif, ingénu ? » Alors, partant du principe qu'un peintre est essentiellement un ignorant, ils m'expliquent... Bernard Bouts. 69:268 ### Des héros pour Noël par France Beaucoudray POUR LES PETITS, Noël de la beauté plastique : celui des belles images qui marquent pour toujours. Pour les plus grands, Noël plus épuré, si l'on peut dire, dans un autre genre, dans un autre ordre : celui de la beauté spirituelle. Un personnage haut en couleurs séduira filles et garçons dès 14 ou 15 ans. *Pélagie-la-charrette,* écrit par Antonine MAILLET et sorti en livre de poche sous le numéro 5496. Première du nom, cette Pélagie-là vous ramène les rescapés du sien peuple en terre des ancêtres, à savoir l'Acadie. Quinze ans elle a trimé dans les champs de coton pour acheter la charrette et les six bœufs noirs qui la traînent. Elle, Bélonie, le conteux -- radoteux, Catoune, Charlecoco les bessons, les autres, autant de personnages pleins de suc, juteux du jus de la vieille France, même après le *grand dérangement* qui les déporte loin de leur patrie. Ils sont braves et ils sont durs et ils sont tenaces et Pélagie plus qu'eux tous. Et puis ils sont bien croyants. 70:268 Le parler chantant de ce coin du Canada nous ramène au langage des époques lointaines. Il y a une sorte de vie rude, une espèce de cadence, une densité paysanne dans ce livre, que nous devions avoir aussi, autrefois, dans notre pays. Ce n'est pas une fioriture par-ci par-là, histoire de donner de l'allure aux phrases et de créer un style. C'est l'expression d'âmes solides et simples qui soumettent les circonstances et elles-mêmes, à leur idéal -- et non pas le contraire... *Pélagie-la-charrette* carre à pleines pages dans l'esprit, l'image d'une grande bringue aux cheveux d'or et qui a quelque chose à voir avec la femme forte de l'Évangile. A ce titre cette histoire est un cadeau savoureux à offrir à une toute jeune fille. Ce livre fut un retentissant Prix Goncourt 1979. Une partie de nos lecteurs s'en souvient sans doute. Paru chez Grasset il existe, dans la même maison, en format de poche comme nous le disions au début. Un type de héros tout récent est celui qui pour avoir voulu être fidèle à ses croyances est déporté au goulag. Alexandre SOLJÉNITSYNE a sorti récemment un livre *rapide* et *petit : Les tanks connaissent la vérité,* paru aux éditions Fayard et traduit du russe par Dimitri SESEMANN. Dire que ces personnages sont des héros serait beaucoup dire. Ce sont des esclaves, de pauvres bêtes battues et affamées. Pourtant chacun reste fidèle à sa pensée. Ce livre frappe d'images violentes car c'est un scénario de film. Le découpage est fait. Les indications sont précises. Il n'y a pas de longueurs. C'est une succession de scènes tantôt féroces et tantôt calmes. En voici un petit extrait pour situer les choses. (Il s'agit de Kichkine, qui ce jour-là sert les maigres pitances aux détenus.) « Il a une face lunaire et stupide, un comportement de débile. Il est bizarrement accoutré : par-dessus sa salopette, une sorte de gilet vert déchiré auquel est épinglé un ruban d'andrinople, comme pour le Premier Mai. Au dos et sur la poitrine de son gilet, on a tracé à la craie le même numéro que sur sa casquette : F-111. Les mangeurs ricanent : -- *Kichkine a le moral !* 71:268 *Gros plan* Un homme, penché sur son écuelle, mastique religieusement un squelette de poisson. La table est jonchée d'arêtes recra­chées. Soudain, une main effleure le morceau de pain posé sur la table à côté de lui. L'homme tressaille, agrippe son pain. Mais quand il a eu levé la tête, un sourire éclaire son visage ce n'était que Kichkine. Celui-ci, hilare, lâche le croûton. -- *Vous êtes tous pareils. Tant qu'on ne touche pas à votre ration, vous vous foutez de tout...* Et le voilà reparti d'un pas dansant, avec sa pile d'écuelles. » Il y a des scènes moins doucement suggestives que celle-là : la révolte des prisonniers qui recherchent les mouchards pour les brûler vifs. Voyez plutôt : ... « Paraît à la fenêtre un visage féroce : -- Messieurs les mouchards ! Les coups dans la porte s'arrêtent. -- Messieurs les mouchards ! Vous avez massacré Gavrons­ki ? Vous avez torturé Tarass ? Le peuple vous a condamnés à mort ! » Soljénitsyne décrit ensuite rapidement l'arrivée du pétrole, les supplications desdits mouchards et la première poignée de paille enflammée. ... « -- Maintenant nous voyons la cellule : les barreaux eux-mêmes brûlent, les parois de la niche aussi, et l'étage supé­rieur des châlits avec les paillasses et les cabans... ... la flamme court au-devant du pétrole dégoulinant. Les flammes orangées, joyeuses, ont tout envahi. Mais où sont les hommes ? Hurlant, râlant, martelant, « ils sont massés tout contre la porte. Ils se bousculent et se battent pour s'incruster dans le renfoncement, pour s'éloigner du feu ne fût-ce que de vingt, de dix centimètres ! Ils essaient de protéger leurs têtes, de se détourner, de se faire un écran de leurs mains crispées tordues ! Hurlements ! Coups de poings ! Sanglots ! » 72:268 L'ensemble vous attaque l'esprit par l'inexorable tristesse des déserts balayés de miradors et la sauvagerie des scènes d'enfer pendant les révoltes : Ces scènes sentent le vrai. Elles sont inspirées par les trou­bles qui ont secoué les camps d'Ekibastouz en 1951-52. Soljé­nitsyne y était : Pour certains garçons c'est un cadeau possible. De sem­blables camps peuvent s'établir en France. Il ne sera pas temps alors de dire : « Attendez monsieur le bourreau, il faut que je retourne dans ma cellule consulter mon petit livre au chapitre 2, pour savoir ce que l'on fait pour tenir sous la torture. J'en ai pour un quart d'heure et je reviens. O.K. ? » Il ne sera pas temps. Ce genre de livre vous glace et puis vous fait réfléchir. Les garçons braves et qui aiment le cinéma et *qui pensent par images* peuvent en tirer bien du profit. Enfin, attendez au moins qu'ils aient quinze ans. En fait la réponse à ce *comment tenir* dans une situation pareille, sans espoir de jamais manger à sa faim, ni peut-être même sans espoir d'en sortir vivant, se trouve dans *Le secret de Maximilien Kolbe.* Ce livre, écrit par Maria WI­NOWSKA et paru aux éditions Saint-Paul, est une douce et merveilleuse lecture. En ce moment où la Pologne est de plus en plus l'honneur de la chrétienté, il passionnera les jeunes lecteurs garçons et filles car tous admirent la Pologne et beau­coup se demandent *comment ils font.* Maria WINOWSKA dit -- en riant ! « Je suis un pilier de prison ! » Aussi sait-elle que le renoncement, la patience, la douceur, le pardon des offenses, la prière pour ses ennemis, ne s'improvisent pas, surtout lorsque ces vertus doivent être pratiquées jusqu'à l'héroïsme. Avec une délicatesse toute polonaise elle s'efface devant son héros. Elle veut, dit-elle, qu'il y ait un dialogue personnel entre l'âme du saint et celle de son lecteur. Et l'admiration pour un tel géant de perfection vient toute seule...L'auteur décrit l'enfance, la fondation de la *Milice de l'Immaculée,* celle du journal *Le chevalier de l'Immaculée,* la suite des événements de guerre. Enfin sa déportation à Auschwitz où se situe son acte mémorable : il prend la place d'un père de famille con­damné au bunker de la mort. Cette mort-là c'était la faim et la soif, au fond d'un cachot, sans air ni lumière. Maria WINOWSKA explique : « *C'est le noviciat de toute une vie que réclame un acte aussi héroïque. *» 73:268 Et le secret pour réussir un tel noviciat, c'est l'amour de la Vierge Marie. Très belle dans sa simplicité cette biographie comporte une photo : celle du Père au regard secret et doux. Au moment où SOLIDARNOSC est dissous, le Père Kolbe est canonisé. Pour les nombreux jeunes qui révèrent la Pologne voici l'histoire d'un héros tout moderne dans des conditions de vie typiques d'aujourd'hui et qui fit sa sainteté avec l'invariable héroïne de toujours : la Sainte Vierge Marie. Un autre grand Polonais laisse un souvenir inoubliable : le cardinal WYSZYNSKI. Il existe un recueil de ses écrits signé de son nom et intitulé : *Un évêque au service du peuple de Dieu.* Vous trou­verez cet ouvrage, préfacé par le cardinal Garrone aux éditions Saint-Paul dans la collection Église et spiritualités. Ce délicieux petit livre est à méditer et à *goûter.* Les sermons courts qu'il contient sont comme un vitrail où brillent les facettes d'une personnalité intelligente et pleine de tact. A l'enfant, à l'étudiant, à l'adulte, à l'évêque, le cardinal prêche le même catéchisme et le même amour de Dieu, mais le ton est presque tendre comme celui d'une mère pour les petits et se nuance d'autres teintes selon son auditoire. La conférence faite aux évêques du Concile Vatican II sur le monde du « DIAMAT » (matérialisme dialectique) montre une admirable intelligence et chaque texte la finesse de cette intelligence. C'est encore un héros moderne, avec les vertus de toujours et dans un temps comme jamais : le nôtre. Les photos montrent la mo­bilité extraordinaire du visage qu'il avait ; tantôt si doux tantôt si grave. Ce livre éclaire un peu ce qu'est la magnifique Église de Pologne. Il convient à des adolescents presque adultes. Revenons à Maria WI­NOWSKA. Il existe d'elle un ouvrage intitulé *L'icône du Christ misé­ricordieux* paru aux éditions Saint-Paul. C'est l'histoire d'Hélène Kowalska, en religion Sœur Faustine. Elle est une de ces âmes vouées à la passion intérieure. En revanche son rayonnement se fait immense. En temps voulu, lorsqu'elle est bien purifiée, Sœur Faustine reçoit de Dieu un ordre : « *Peins-moi tel que tu m'as vu. *» Le résultat, ce sera l'icône du Christ miséricordieux. 74:268 Cette vie montre un autre aspect des héros. Ceux qui se sacrifient au fond des couvents et qui sont à la fois les paratonnerres de la colère de Dieu et les hérauts de Sa Miséricorde. Toujours du tact, toujours une plume humblement admirative, que Maria WINOWSKA met au service de son personnage sans jamais l'écraser. Sœur Faustine, très aimée en Pologne, montrera aux jeunes filles la valeur si grande des souffrances secrètes. Le style est simple. La lecture est facile. À partir de 14 ou 15 ans ce livre est un bon cadeau. \*\*\* Revenons un peu en France, où les héros ne manquent pas. Beaucoup sont des saints et dont l'œuvre existe toujours. C'est le cas pour saint Martin qui a dessiné la géographie de la France catholique en créant des sanctuaires là où trônaient des idoles et en dotant le pays d'un réseau paroissial. Écrit par Henri GHÉON et paru aux éditions Culture et Promotion Populaire, *Saint Martin des païens* est un beau livre et l'histoire d'une vie extraordinaire. La préface -- un entretien avec Régine Pernoud -- prête à sourire. Pour elle les idoles n'étaient pas si nombreuses. Elle omet l'influence satanique et n'a pas sans doute lu le texte du livre de bien près. Saint Martin, pourtant meurt après avoir avoué : « Ils sont durs, Seigneur, les combats qu'il faut livrer dans son corps pour ton service. » Ce n'était donc pas si « facile ». Dès 14 ans les garçons, et même les filles, aimeront cette grande aventure. Tous ces livres sont des exemples de héros : Avouez qu'ils sont des modèles autrement savoureux que Superman et Goldorak ! France Beaucoudray. 75:268 ### Trois instructions sur le désir *Memoriale tuum in desiderio anima*\ (Is. 26-9) ##### 1. *L'éducation du désir.* On ne soulignera jamais assez le rôle du désir dans la vie humaine. Vous êtes venus au monastère parce que vous aviez soif de *Dieu ;* et saint Benoît exige, au sujet du postulant, qu'on s'interroge pour savoir si vraiment il cherche Dieu -- *si vere Deum quaerit.* L'intelligence montre le but, le désir nous y porte ; mais le désir est parfois si fort, qu'il précède la claire intelligence de la fin : ainsi l'oiseau s'élance dans le ciel avant de savoir le ciel. La terre, avec toute sa magnificence, est incapable de nous retenir, parce que nous sommes faits pour Dieu comme l'oiseau pour voler. La qualité d'une vie vient de la hauteur et de la force de son désir. A chacun de s'interroger. 76:268 Le saint temps de l'Avent nous est offert par la liturgie pour aiguiser notre désir de Dieu. Le mystère de l'Incarnation est quelque chose de si grand, qu'il a fallu des siècles pour travailler à sa préparation. La prière des saintes âmes, l'appel des prophètes, les châtiments du peuple élu, ses purifications et ses meurtrissures, l'exil et la persécution, en un mot tout le *mystère de l'attente,* viennent aboutir, et pour ainsi dire se cristalliser, dans l'âme très pure de Marie. En Marie, l'humanité a retrouvé sa drachme perdue : en a-t-il fallu des coups de balai avant que la ménagère retrouve son unique richesse, qui est le désir de l'âme ! Plus que tous les prophètes -- ces grands *expectants --* ; plus que Daniel, *l'homme de désir,* très au-dessus des aspirations plus ou moins nobles, qui atten­daient le Messie tantôt comme le promoteur d'un âge d'or, tantôt comme un chef politique ; de toutes les forces de son âme très pure, Marie attendait. Tendue comme l'héliotrope vers la lumière, la tige de Jessé attendait l'accomplissement des promesses, sans en connaître *le* mode : -- *quomodo fiet istud ? --* Comment cela se fera-t-il ? Mystère de l'âme qui est toute tendue, malgré l'effroi d'une présence inconnue, vers cet inconnu lui-même, plus précieux que tout l'or du monde. Nous chanterons donc avec Marie ces psaumes qu'elle-même a récités, psaumes qui sont des chants de désir, des appels, des cris lancés du fond de notre misère, où se fait entendre toute la détresse humaine. Avec Marie et comme elle, nous chanterons le psaume 62 : « Ô Dieu, mon Dieu, j'aspire à vous dès l'aurore, mon âme a soif de vous et ma chair est comme une terre déserte et aride ; c'est ainsi que j'apparais dans votre sanctuaire pour con­templer votre puissance et votre gloire. » Et le psaume 42 : « Comme le cerf soupire auprès des sources d'eaux vives, ainsi mon âme vous désire, ô Dieu fort et vivant : quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la face de Dieu ? » 77:268 Le dernier livre de la Bible s'achève sur une prière de désir qui était familière aux premiers chrétiens : *Maran atha ! --* « Seigneur Jésus, viens ! Et saint Ignace d'Antioche, martyrisé sous Trajan, écrit : « *J'en­tends une eau qui murmure au dedans de moi : viens vers le Père ! *» Vingt siècles plus tard, la liturgie, aussi fraîche qu'aux premiers temps de l'Église, offre à nos âmes une merveilleuse éducation du désir. ##### 2. *Le désir de la mort.* La préparation à la mort est un exercice salubre que nous pratiquons régulièrement, selon le précepte de saint Benoît « Avoir la mort tous les jours -- *quotidie --* devant les yeux. » Le saint temps de l'Avent nous permet d'y ajouter une part de désir. Car la mort peut être chose désirable. Non certes en tant que cessation de la vie, mais comme l'événement d'une mystérieuse naissance. Pour désigner le jour de la mort de ses meilleurs enfants, l'Église emploie un mot caractéristique : *Dies natalis.* La mort ne devrait être pour nous tous que le jour de notre naissance au ciel. Vous avez remarqué que ces temps-ci nous appelons Celui qui vient, avec les accents du plus haut lyrisme. L'Église chante la venue de l'Époux, elle l'appelle, parfois sur un ton déchirant : *Dic nobis si tu es qui venturus es an alius expectamus ?* (Dis-nous si tu es Celui qui doit venir, ou bien devons-nous en attendre un autre ?) *Veni et noli tardare !* (Viens, et ne tarde pas !) Elle décrit son avènement par des images splendides : « *En ce jour-là, les montagnes distilleront la douceur et les collines répandront le lait et le miel. *» Mais voyez quel est notre illogisme ; il suffit qu'on nous parle de la mort pour que notre visage s'assombrisse. N'est ce pas cependant sur le rivage béni de l'éternité que se réaliseront les promesses ? Oh ! le sais. Il y a aussi la face ténébreuse de la mort et son cortège de souffrance et d'humiliation. Il ne faut pas prendre cela à la légère. Jésus a frémi devant la mort de son ami Lazare. 78:268 Mais comment ne pas désirer Instant qui suit la mort ? L'éclosion de l'âme en Dieu ; en ce Dieu qu'elle n'a cessé d'appeler de tous ses vœux au cours de son exil ; l'épanouissement soudain dans la lumière et la plénitude ! Hélas, beaucoup ne conçoivent les joies éternelles que comme l'étirement dans le temps de nos pauvres plaisirs terrestres. Contre cet appauvrissement criminel de la vertu d'espérance, il n'y a, qu'un remède : la foi. Seule la foi, théologale est capable de faire, : naître en nous un vrai désir de la vie éternelle. Nous faisons un crédit illimité à un Dieu infini. Quoi de plus cohérent ? ##### 3. *L'âme de la prière.* Saint Thomas d'Aquin, citant saint Augustin, nous enseigne que la prière est le déploiement du désir (*explicata desiderii*)*.* Et pour expliquer la consigne de Notre-Seigneur nous enjoignant de prier sans cesse (*sine intermissione orate*)*,* il montre que, si la prière -- en son acte formel -- ne peut être continuelle, elle peut le devenir à condition que le désir de Dieu occupe sans cesse notre âme. Oh ! la belle doctrine ! Ainsi suffira-t-il de désirer Dieu sans cesse dans l'intime de nous-même, pour obéir au précepte de la prière continuelle. Le désir est donc l'âme et comme la force inspiratrice de la prière. On peut ainsi, prier sans cesse : il suffit de laisser aller notre désir. En revanche, ne pas désirer Dieu est, au dire de saint Augustin, la preuve d'une âme malade. D'ailleurs, comment ne pas désirer Celui qui est souverainement désirable ? Nous disons cela, hélas ! sachant bien que cette noble faculté, rendue capable de nous transporter hors de nous-même, et de nous unir directement à Dieu, se trouve violemment sollicitée par toutes les vanités de la vie. Dès lors, que lui reste-t-il de force pour appréhender le souverain Bien ? Contre cette maladie de l'âme, la grâce usera de deux remèdes capables de nous tourner vers l'Unique nécessaire : le *creux* et le *plein.* 79:268 Ce que nous appelons, le *plein* repose sur la voie d'analogie : voyez combien la création de Dieu est belle ; voyez les beaux sentiments et les belles pensées ; voyez l'or spirituel ruisselant du travail des hom­mes, quand du moins ils respectent les vestiges de Dieu ! Eh bien ! Tout cela n'est que la parabole d'une réalité plus auguste nous : la portons en nous comme les arrhes de la vie future. Vous trouverez cela chez saint Augustin, dans sa fameuse vision d'Ostie. Et le *creux,* me demanderez-vous ? cette fois-ci, c'est : saint Jean de la Croix qui répond : *Par une nuit profonde,* *Étant pleine d'angoisse et d'amour enflammée,* *Oh ! l'heureuse fortune,* *Je sortis sans être vue,* *Ma demeure était pacifiée.* Vous reconnaissez dans cette strophe la doctrine des *nuits *: pour éveiller notre désir de Dieu, la grâce nous prive de tout ce qui faisait la joie de nos sens, du moins de tout ce que nous désirions en dehors de Lui. La nuit qui s'étend alors sur notre âme la délivre des fausses clartés du jour. Il faut beaucoup de générosité pour consentir à cette nuit, mais l'âme, délivrée du mirage des sens, y chante le cantique spirituel. Au plan de la liturgie, ces deux voies se retrouvent, parce que le langage somptueux, dont elle use reste léger, chaste, trans­parent, : le poème en sa langue sacrée, soulevé, par la mélodie, monte de la terre, mais il s'en détache et il conduit à Dieu avec force et douceur. Benedictus. 80:268 ## TEXTE ### Trop chrétienne cette école par Luce Quenette Ces pages de Luce Quenette ont été écrites en 1969, au moment où elle venait d'ajouter à son école de garçons de La Péraudière la fondation d'une école de filles à Malvières. CE MONSIEUR et cette Dame si désireux de fonder une école sont revenus nous voir. Leurs filles, au pensionnat, devenaient peu à peu insensibles et contestataires. Or, ils ont des ressources, peut-être une maison, leur objectif est un externat en ville. J'en viens à l'essentiel : « la directrice ? les professeurs ? » Nous les avons, disent-ils, très dévoués, pleins de bonne volonté. 81:268 « Et la Foi ? l'intégrité de la Foi ? » -- « Mais elles l'ont... (hésitation) enfin... *presque autant que vous.* C'est que nous considérons que vous l'avez peut-être trop absolue. Ils l'ont, mais avec le désir de faire quel­ques concessions. -- Vous comprenez, en ville, avec les habitudes, il faut composer. » Comme ils me voient muette, ils poursuivent : « Mais ce sont des *concessions de détail,* sans aucune importance. On ne peut tout de même se retirer du monde. D'autre part, chacune de ces personnes a besoin de gagner sa vie, il y a les charges de famille. C'est légitime ». « Eh bien, dis-je, puisque tout vous semble réuni, marchez, fondez, déclarez, ouvrez ! » « Ah me disent ces excellentes gens, c'est que *au sujet des concessions, personne n'est du même avis,* -- l'un veut concéder sur ceci, l'autre sur cela, selon que tel détail lui paraît important ou non, lui semble toucher au fond ou n'y pas toucher. On perd son temps en discussions. » -- Alors, cher Monsieur, chère Madame, vous ne fonderez pas avec ces personnes l'école de votre cœur et de vos rêves. Vous prouvez par vos propres paroles, que lorsqu'on admet le concept de concession dans notre temps révolutionnaire, finie l'entente, finie l'union éteintes les fortes résolutions. Devant l'horrible courant qui veut nous entraîner, une seule attitude, une seule résolution : je ne mettrai pas le pied là-dedans ! Je ne dis pas qu'en temps de foi, de stabilité et de ferveur, il ne soit pas opportun de réformer, de mettre au point. Mais encore, même en ces conditions, que ce ne soit *pas pour concéder* à l'esprit du siècle, mais *pour convertir,* pour raffermir, pour enfoncer la Foi, pour former des Apôtres invincibles dans « le Siècle ». Le moindre compromis accordé à la corruption ambiante, *parce que c'est l'air du temps,* c'est la fissure, c'est la reconnaissance que le mouvement de révolution a du bon. Il n'en a pas. La Révolution en tant que telle est intrinsèquement perverse. Toute mise au point, toute correction, tout redressement doit être contre la Mutation empoisonnée de ce temps. Et puis, l'Absolu a seul pouvoir d'attirer, non pas d'abord les cœurs généreux, mais les intelligences claires, la raison, le jugement ; et secondairement, éclairés par la complète Vérité, les cœurs généreux. 82:268 Demandez des ouvriers et des ouvrières munis des armes défensives et offensives de la Foi, des gens de Chevalerie, qui « choisissent tout », non pas qu'ils soient déjà arrivés à cette force et à cette résolution qui attache sans faiblesse à Dieu seul -- mais que leur unique et fondamental désir soit d'y tendre et d'y arri­ver -- sans condition, ni ménagement ; je veux dire avec les seules conditions et ménagements que donnera la Grâce de Celui dont le joug est doux et le fardeau léger. La jeunesse comprend -- la flamme s'allume et l'âme jeune, dans cette décision claire, trouve l'aisance, le confort spirituel qui est la paix. Dans les concessions et les arrangements avec la sottise du temps, la jeu­nesse s'embourbe et s'alourdit. C'est pourquoi il faut des pauvres, c'est-à-dire des riches. Je m'explique : Des personnes vertueuses, obligées de gagner rai­sonnablement leur vie, soit parce qu'elles veulent épar­gner, prévoir, et même sagement préparer la vieillesse, peuvent fort bien collaborer à des écoles fermement établies, mais des FONDATIRICES et des FONDATEURS ne doivent s'embarrasser *de rien.* Les tarifs, les salaires réguliers, les épargnes pour de « belles » vacances, les congés payés -- tout cela par terre, envolés -- je ne dis pas « sacrifiés » car si ces jeunes là ont besoin de longues réflexions pour faire ces « sacrifices » c'est que la flamme légère et montante ne les a pas touchés. Ce que je dis est sage et prudent : j'ai trop horreur de l'expression : « les pieds sur terre » pour l'employer. Mais enfin, l'expérience séculaire des FONDATIONS est là. Je veux dire l'expérience spirituelle et matérielle. Com­ment sont nées les grandes entreprises de civilisation, comment ont fait les fondateurs des grands Ordres, des grandes organisations de charité, les grands instructeurs de paysannerie et d'érudition que furent les moines. Par des tarifs, des assurances, des garanties ? Jamais. Mais par des cœurs enflammés, des cervelles et des bras qui travaillaient pour rien, juste (autant que possible) nourris et abrités. Spirituellement, tant que dura la flamme, ils sanc­tifièrent le monde. Temporellement, leur « système » était si fécond, que les richesses accouraient vers eux et que souvent, elles les étouffèrent. Partir d'une prospérité assurée, de gains certains et bien distribués, c'est stériliser la vigueur. Le moins possible de sécurité ; et l'inspiration ; voilà l'heureux départ. 83:268 Seulement, la Prudence, vertu cardinale, veut que, par exemple, ces trois jeunes filles très pauvres qui ont fondé une école, maintenant organisées, s'arrangent sa­gement pour tenir leur école et *boucler tout de suite leur budget.* Pauvreté, désintéressement, mais sagesse et équilibre. Leur « traitement » viendra après, s'il se peut, mais qu'elles vivent avec les enfants et un livre de comptes bien tenu, dans l'angoisse de résister aux feuilles d'impôts et à l'affreuse T.V.A. C'est l'esprit religieux, sa gaîté, sa prudente aven­ture, et cette poésie sans laquelle la jeunesse n'est qu'une vieillesse épargnante anticipée. Et c'est aussi la Force, la Force appuyée sur la Pro­vidence, cette vertu cardinale qui demande lutte et victoire, et le don du Saint-Esprit qui apporte secours et facilité. Il faut la pratique de cette force spirituelle et ingé­nieuse pour faire la classe, et aussi nettoyer les murs, frotter les planchers, coudre les couvre-lits, cultiver les salades. Il convient de donner à cette Force le nom de *constance :* ce beau nom romain : solidité, stabilité, persévérance. Nous venons de traduire en classe le récit de la mort de Thraséas. C'est un Romain stoïcien de ce milieu qui résista héroïquement à Néron et fournira bientôt le noyau de chrétiens de la haute société. Les jours étaient terribles -- le tyran faisait mourir tous ceux dont la vertu l'offensait. C'est ainsi qu'il envoya à Thraséas un jeune questeur de service pour lui ouvrir les veines. Thraséas l'attendait en parlant à ses amis de l'immortalité de l'âme. Il sort seul, va au devant de l'exécuteur, tend son poignet au couteau et, secouant à terre les premières gouttes de sang, dit cette prière : « Je fais libation de mon sang à Jupiter, et toi, jeune homme, prends courage, aux jours que nous vi­vons, il est bon de fortifier ton cœur par des exemples de constance ». Pour moi, ce païen héroïque avait la Grâce, il faisait hommage de son sang à Dieu selon qu'il pouvait Le connaître, et *montrait au jeune, intimidé,* LA BEAUTÉ DE L'ABSOLU. Nous avons rêvé sur cette mort : un païen fidèle à la Grâce ! Et nous, chrétiens, baignés d'amour divin, pensons-nous que les concessions et les facilités inspireront la « constance » qu'exige plus que tout autre le métier d'élever les enfants, en ce temps invrai­semblable surtout ? 84:268 « Donc Monsieur le Curé avait choisi Catherine Lassagne et Benoîte Lardet pour faire la classe aux petites filles. Catherine aurait pu arguer de sa faible santé, du besoin qu'on avait d'elle à la maison. Elle n'en fit rien. D'ailleurs sa famille ne chercha pas à la retenir. N'était-ce pas le bon Dieu qui, par la voix de Monsieur le Curé, l'appelait à *ce bel emploi de sa vie :* élever de petites chrétiennes, aider un prêtre dans son ministère auprès des âmes -- ces enfants n'étaient-elles pas l'avenir de la paroisse ? -- Et cela, obscurément, sans renommée, ni récompense humaine. Cathe­rine avait accepté de grand cœur. » (Mgr Trochu, *Catherine Lassagne,* 1953 Imprim. Patissier à Trévoux probablement épuisé.) Les voilà toutes les trois, ces humbles filles : Cathe­rine Lassagne, Benoîte Lardet, Jeanne Marie Chanay, « lancées dans la voie de la vie parfaite » car l'état où il les engageait, il le savait, exige de hautes vertus. « Pas un instant de repos, de détente, de liberté. La nuit, c'était le coucher, la surveillance des pen­sionnaires... Chaque matin, assistance à la Messe avec les écolières. Après un déjeuner rapide et une courte récréation dont Catherine ou Benoîte assurait la présidence... commençait la classe... où quatre-vingts enfants étaient réunies ensemble dans la même salle et cependant partagées en trois divisions. Point de relâche. On faisait la classe toute l'année... « J'ai ouï dire souvent à Monsieur le Curé, écrira Catherine dans son Petit Mémoire, que ce ne serait qu'au Jour du Jugement qu'on verrait le bien qui s'est produit dans cette maison. » Luce Quenette. 85:268 ## NOTES CRITIQUES ### Être et avoir L'opposition entre l'*être* et l'*avoir* est un thème fréquent chez les philosophes, les moralistes et les prédicateurs. Au sens où on l'entend il ne fait pas difficulté. L'être évoque confusément l'esprit, et l'avoir la matière. Comment ne pas magnifier l'être ? Pourtant cette opposition m'a toujours laissé insatisfait. Logi­quement d'abord. L'avoir n'est pas le contraire de l'être. Il n'y a qu'un contraire à l'être, c'est le non-être, le néant. Les philosophes se posent la question : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Cette question a un sens. Logiquement du moins. Car en réalité elle s'évanouit dans son abstraction. En tout cas, la contra­diction entre l'être et l'avoir altère complètement le contenu des deux mots. Comme toujours, c'est le langage courant qui nous instruit le mieux des rapports entre l'être et l'avoir. Si nous faisions le tour de toutes les expressions où entrent ces deux mots, nous serions bien plus étonnés de ce qui les rapproche que de ce qui les oppose -- ce qui les oppose étant d'ailleurs encore ce qui d'une certaine manière les rapproche. Prenons par exemple leur usage comme verbe et comme substantif. Un verbe que l'on substantifie par un article garde son sens, même si l'article le nuance d'une manière ou d'une autre. Le faire, le dire, l'imaginer, le toucher, le manger, le boire ne font qu'accentuer ou concrétiser faire, dire, imaginer, toucher, manger et boire. Si nous rapprochons les couples « être et avoir », « l'être et l'avoir », « un être et un avoir », nous apercevons déjà l'extrême diversité de sens et de perspectives que cachent les deux mots. Mais il faut aller plus avant. 86:268 L'ambiguïté de ces mots provient, essentiellement de ce qu'ils sont l'un et l'autre également copulatifs. Au point que, *pour les* définir, *on* est spontanément porté à passer de l'un, à l'autre. Si j'ouvre le Petit Robert, je *lis :* « ÊTRE -- 1°) *Avoir* une réalité... », « AVOIR -- 1°) Être en possession, en jouissance de... » On pourrait évidemment proposer d'autres définitions, mais celles-là sont significatives. Si l'on enregistrait pendant une heure n'importe quelle conversation, on s'apercevrait que les verbes être et avoir sont presque toujours utilisés comme copules, ne serait-ce que dans les conjugaisons : « J'*ai* compris », « je *suis* allé ». On dit indifféremment : « il y *a* des cas où », « il *est* des cas où » ; « il *a* la grippe », « il *est* grippé ». On distingue mal la nuance entre « nous *sommes* convenus de », « nous *avons* convenu de », « je *suis* descendu », « j'*ai* descendu (dans mon jardin ; pour y cueillir du romarin) », « je *suis* allé », « j'*ai* été (!) ». Les enfants disent « je *suis été *» qui n'est pas plus extraordinaire que « *j'ai eu* »*.* Les linguistes nous expliqueraient, toutes ces bizarreries...Mais ce qui m'intéresse ici c'est la contradiction qu'oppose le langage courant au langage philosophique. Alors que, celui-ci exalte l'*être* en face de l'*avoir*, celui-là les confond constamment au ras du sol. « Distinguer pour unir », disait Maritain. En l'espèce, le métaphysicien distingue l'être de l'avoir pour l'y opposer, tandis que l'homme de la rue ne l'en distingue que pour l'y assimiler dans une union confuse qui a sans doute des raisons que la raison ne connaît pas. Ce n'est là (il n'y a là) qu'un constat. Simple préliminaire à une contestation plus importante où la philosophie commune entre en jeu. Si l'on descend des hauteurs transcendantales du *Sum qui sum,* « Je suis qui je suis », ou « je suis celui qui suis (l'Être absolu) », l'être terrestre s'enracine dans l'avoir. « Toute la dignité de l'homme consiste en la pensée. » D'accord, mais le « je pense, donc je suis » risque de mener loin. Il est prudent de le corriger par un « J'ai, donc je suis ». Être, c'est d'abord, en effet, « s'avoir », être en possession de soi-même ; c'est ensuite avoir ou être capable d'avoir des choses extérieures à soi-même. La propriété est source de pouvoir et de liberté, donc d'être. C'est la raison fondamentale pour laquelle il faut la diffuser au maxi­mum, selon des critères de justice et d'efficacité. La supprimer, c'est rendre l'être humain esclave de l'État. Trouver l'équilibre à tenir dans la diffusion de la propriété est difficile, mais c'est le but à atteindre. 87:268 La plénitude d'être en résulte pour l'immense majorité des hommes. On ne rappellera jamais trop à ce sujet les paroles frémissantes de Pie XII : -- « Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l'abîme où tend à les jeter la socialisation de toutes choses, socialisation au terme de laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. C'est avec la dernière énergie que l'Église livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : *dignité de l'homme* et *salut éternel* *des âmes.* C'est ainsi que s'explique l'insistance de la doctrine sociale catholique, notamment sur le droit de propriété. » (Message au Katholikentag de Vienne, le 14 septembre 1952.) Si la notion de *propriété* fait peur en notre époque de socia­lisme, celle de travail est fort en honneur. Or, précisément, : l'une et l'autre sont en relation immédiate avec l'avoir. On est proprié­taire de ce qu'on a ; on travaille pour avoir. L'analyse du tra­vail -- quant à sa nature, quant à ses motivations et à ses fins, quant aux problèmes de justice qu'il soulève, etc. -- ne peut être abordée ici. Il nous suffit de constater que pour l'immense majorité des humains, il s'inscrit dans un contexte économique où l'avoir apparaît au premier plan. Ce n'est pas en contradiction mais en conséquence que l'être de l'homme s'en nourrit et s'en valorise. \*\*\* Ces explications et ces rappels n'ont pas pour objet de contes­ter la primauté de l'être sur l'avoir, mais de marquer leur rapport exact. In medio stat virtus. Pour banal qu'il soit, l'adage qui prône le « juste milieu » est parfaitement sensé : De même que le *service,* constamment apposé au *pouvoir* de nos jours, se réalise par le juste exercice du pouvoir dans la hiérarchie, de même l'*avoir* est le support naturel de l'*être* dans la condition humaine. L'individu qui veut vivre dans la sainteté d'une pauvreté absolue reçoit lui-même sa subsistance de ceux qui ont ; et le vœu de pauvreté que font les moines ne peut être tenu que dans l'avoir communautaire. *Ayant* un corps, l'homme *est* dans le domaine de l'*avoir*. La condition angélique n'est pas la sienne. Louis Salleron. 88:268 ### Marc Dem ? Il ne faut pas acheter ça ! Marc DEM : *Dieu et successeurs* (Albin Michel). D'abord une anecdote : -- « *Le dernier livre de Marc Dem, s'il vous plaît* *?* » de­mande un jeune homme dans une librairie « bien pensante » de la capitale. « *Oh, il ne faut pas acheter ça* ! » répond le libraire avec un ton de mépris... Il est des vérités qui font l'effet de gifles à ceux qui, depuis des années, se revêtent du manteau de « conciliaire », à ceux qui, sous couvert de renouveau, ont endormi leur intelligence et en­chaîné leur jugement dans un conformisme consternant... La gifle a le mérite de réveiller par un brusque retour au réel. Elle est pédagogique pour qui sait la recevoir avec humilité, comme un remède. Malheureusement, on préfère souvent l'esquiver, s'en mo­quer par lâcheté intellectuelle. On refuse son effet tonique, parfois humiliant... La réaction du libraire manifeste assurément cette fuite devant l'évidence abrupte, ce refus aveugle des faits les plus visibles pour n'imaginer la réalité que comme on désire la voir. Tout comme hier ; on se gaussait des avertissements de Michel de Saint Pierre dans les *Fumées de Satan* en l'accusant d'aller salement fouiller dans les poubelles de l'Église. Il ne faisait, en vérité, que diagnos­tiquer une intoxication chronique et croissante de l'Église de France depuis le concile. « *Que diriez-vous,* disait Léon Bloy*, d'un homme qui laisserait empoisonner ses frères de peur de ruiner, en les avertissant, la considération de l'empoisonneur ? *» 89:268 L'investigation de Marc Dem, dans son dernier ouvrage : *Dieu et successeurs* (suite logique et chronologique de *Il faut que Rome soit détruite*)*,* est si pénétrante dans le malaise contemporain de l'Église, qu'elle se passe même de démonstration. L'inférence jaillit spontanément. Le lecteur la découvre lui-même au fur et à mesure des chapitres, avec stupéfaction. Le raisonnement par lequel l'esprit, de données singulières suffisantes, infère une vérité générale à cause de leur ressemblance, similitude ou même de leur identité partielle s'appelle une induction, apprenait-on autrefois en logique. Ici, le talent d'artiste, voire de scientifique, avec lequel Marc Dem expose et assemble les pièces conjointes, du puzzle de la crise actuelle, fait que le lecteur va droit à la raison de cette similitude non fortuite. Le parallèle ainsi dessiné est par trop frappant. Ce qui est INTERDIT à l'Est est délibérément ABANDONNÉ ou bradé à l'Ouest. Et l'on arrive à ce paradoxe qu'en Russie sovié­tique, les popes fidèles vont baptiser à domicile et en secret tandis qu'en France catholique, on récuse le baptême avant l'âge de 16-18 ou 20 ans, ce qui alimente la propagande athée des communistes : -- *Il faut, camarades, créer des habitudes nouvelles. Pourquoi les gens baptisent-ils les petits enfants, souvent dès les premiers jours ?* *-- Parce qu'ils croient au péché originel et à des stupidités comme ça, dit l'Ukrainien. C'est dans leur idéologie.* *-- Il faut jouer* le *changement. Dites aux curés, aussi bien qu'aux fidèles, que l'affaire du baptême évolue, ils sont sensibles à ce qui se fait dans l'Église catholique. Ils en sont séparés, mais ils gardent les yeux sur elle. Or que se passe-t-il dans les pays occidentaux ? De plus en plus on attend, avant de le baptiser, que l'enfant soit devenu conscient. On dit en France par exemple :* « *Il faut respecter la liberté des enfants* *; ils choisiront leur religion quand ils auront seize, dix-huit ans. Avant, c'est un abus de pouvoir de parents.* » *Allez-y à fond sur la question de liberté et de responsabilité personnelle et surtout créez un mimétisme...* Ainsi, tout ce qui risque de conduire au martyre à l'Est : entrer dans une église, baptiser, assister à la messe, la célébrer, se consacrer à Dieu ou même faire circuler un livre saint... à l'Ouest, on nous l'a fait abandonner volontairement : églises déser­tes, baptêmes refusés, messes sans sacrifice, séminaires vides, sa­cerdoce et célibat bafoués, livres saints absents ou refondus. La révolution pacifique en somme... 90:268 Partout de l'autre côté la foi des catacombes s'enracine autour de prêtres et d'évêques proscrits, sans autre appui que l'Évangile. Elle s'éclabousse souvent du sang des déportés, des prisonniers qui s'entêtent dans les « superstitions », Elle réussit à survivre dans le peuple comme en Roumanie, en Hongrie et surtout en Pologne. Et c'est le mérite de Marc Dem de nous montrer en quelques tableaux saisissants le tragique, l'héroïsme et la grandeur de ces desesperados du Christ, à genoux sur des ruines que le monde libre piétine pour sa part scandaleusement : Aussi, quel exemple pour les Polonais que ce cardinal primat Wyszynski arrivant au petit mâtin sur les lieux d'une église cons­truite par la foi de ses habitants -- sans bien sûr les autorisations nécessaires -- et démolie par la milice. Revêtu de ses habits sacerdotaux, le cardinal s'avance dans les ruines et sur un autel improvisé de bouts de planches posés sur des briques, il célèbre une messe plus poignante encore, et plus émouvante que celle qu'il aurait pu dire pour l'inauguration. Exemple de foi indomptable et cause de notre espoir commun. Rémi Fontaine. ### Lectures et recensions #### Ricardo Paseyro Poèmes (Le temps qu'il fait. 1, rue Lenotre, 16100 Cognac.) Des poèmes dans une langue qu'on ignore restent lettres closes. Pour­tant certaines traductions nous donnent l'impression que l'on rejoint le chant original, qu'il est possible de faire passer le courant. Ici, à côté du texte espagnol, nous avons des versions françaises qui sont de Mario Maurin, Jules Supervielle et Armand Robin. Grande chance, mais il est des chances qu'on mérite. 91:268 Il s'agit de poèmes brefs. Ils ont l'éclat et la concentration de l'instant saisi dans sa plénitude. Ce sont comme des étincelles d'éternité. Comme dans cet *Art poétique* (je cite en français). *Du vertige de l'eau* *jaillit soudain une mouette blanche.* En deux vers s'incarne le mystère de la métamorphose. A partir des données les plus simples, tout s'organise, une présence est fixée, tout est dit. Paseyro amie la nudité de la sensation. Il se contente dirait-on de montrer, ce qui *est.* Mais derrière ces notations l'invisible s'inscrit en filigrane. Comme par exemple dans *Patmos*. *Là-haut, le monastère* *dresse sa citadelle de prières,* *et le hameau tout en cubes* *de sel* *serre ses labyrinthes.* avec la fin, étonnante : *Dans les jardins muets* *les jasmins suspendent leurs désirs ;* *et moi aussi j'incline mon cœur* *dans la paix fulminante du jour.* Cela fait penser aux poèmes de Larbaud, avec leur lyrisme qui naît dans la simple présentation des choses. Ce sont là des poètes qui gardent un regard privilégié, et qui restituent une certaine innocence au monde -- comme s'ils n'avaient pas été vraiment chassés du pre­mier jardin. Georges Laffly. #### Roger Judrin *Grains de moutarde *(Calligrammes. 18 rue Élie Fréron, 29000 Quimper.) Disciple de Chesterton, Roger Judrin est l'homme le plus sensible aux paradoxes du christianisme, cette foi étrange qui contrarie si fort ce que nous avons de plus cher, et ne promet ses félicités qu'à ceux qui sauront se piétiner : « Le plus grand miracle de notre religion, c'est l'empire encore pré­sent d'une foi si contraire au sens commun dans ses dogmes et si opposée à l'instinct dans sa mo­rale. » 92:268 C'est la folie de la Croix, à quoi il faut toujours revenir. Elle est présente à chaque page de ce re­cueil de réflexions et de notes. Grains de moutarde (de cette mou­tarde noire ou sénevé dont parle l'Évangile) qui peuvent germer dans chaque lecteur -- ou nous placer au moins franchement de­vant notre condition de chrétien, intenable et exaltante ; intenable, parce que nous refusons d'en cou­rir les chances, bien trop timides pour cela, exaltante, puisqu'à cha­que instant cela reste possible. A propos de ces graines de sé­nevé, Judrin évoque la foi en leur étoile d'hommes comme Alexandre ou Napoléon, et aussi bien Lesseps et Hugo. C'est cette confiance qui les transforme en eux-mêmes. « Point de génie qui n'ait dû ce qu'il était devenu à l'outrecuidance qui l'avait enflammé. Mais pres­que personne n'ose être chrétien. Nous voudrions être raisonnables en Jésus-Christ. » Car c'est plus souvent la petitesse qui nous re­tient que le poids et l'attrait du péché. Nous ne savons pas nous élever à la hauteur des promesses auxquelles nous croyons. Et c'est plus vrai encore aujourd'hui où l'homme d'action qu'est l'Occi­dental est devenu un agité, tou­jours avide d'ajouter un travail ou un spectacle à ceux qui l'en­chaînent déjà. « Point de personne utile et re­muante qui n'en veuille aux spé­culatifs d'être des momies et des songe-creux. Gageons qu'il entrait un grain de mépris et une once d'envie dans les reproches que Marthe faisait à Marie. » C'est bien la question. Nous sa­vons qu'une seule chose est né­cessaire, mais *naturellement* nous répondons comme Judas qu'il au­rait été plus convenable de dis­tribuer aux pauvres le prix du parfum. Réponse d'homme d'af­faires et nous sommes tous main­tenant des hommes d'affaires. Il nous faut grand effort pour com­prendre que la prière et la louange du contemplatif ont plus de force et de réalité que nos actions, nos machines et nos livres. Les monas­tères sont bâtis à l'écart du monde. C'est que leur œuvre propre se­rait exactement la même si ceux qui y vivent restaient sur une île déserte, sans recevoir jamais un écho des « nouvelles » qui nous occupent. Voilà où nous entraîne Roger Judrin, avec son ton abrupt, son langage juteux et précieux, savant et paysan à la fois : un langage du temps où les hommes parlaient, et non pas les radios. Georges Laffly. #### Georges Roditi *L'esprit de perfection *(*Stock*) Quand on oppose, comme fait Georges Roditi, l'homme en quête de perfection à l'homme de buts, il est bien naturel que l'on travaille, transforme, enrichisse l'œuvre longtemps méditée, jamais achevée. Voici la quatrième édi­tion de ce livre qui propose une sagesse étrangère au monde de l'esbroufe et de la mode. 93:268 L'homme de perfection, c'est celui qui table sur la maturation, qui s'accorde à l'insensible tra­vail de la nature, qui grandit dans son ordre. Dans notre société, on fabrique tout le contraire : l'hom­me de buts, l'esclave de l'agita­tion, l'activiste (au sens propre du terme, et non pas, bien sûr, avec la notation politique qu'on lui don­nait il y a vingt ans). L'homme de buts veut paraître et dominer. C'est pour lui que Goethe écri­vait : « Une activité sans bornes finit toujours par faire banque­route ». S'il visait, comme on le dit, Napoléon, il fait de lui le type de l'homme moderne (lequel reste très au-dessous du modèle, cela va sans dire). L'esprit de perfec­tion, au contraire, c'est « d'amé­liorer, d'accomplir, non d'avancer ; son progrès est immobile ». C'est en somme, l'esprit de toutes les ci­vilisations, et l'esprit moderne, ce­lui de toutes les décadences. Au moment où l'ordre se défait, n'im­porte qui peut s'emparer de n'im­porte quoi. Le jeu commence comme à chat-perché, et se termine dans le sauve-qui-peut de la pa­nique. Georges Roditi, merveille, refuse d'être original, au sens que le trot a pris. Il écrit au contraire : « Si les choix qu'exprime cet ouvragé, s'étaient trouvés en désaccord avec les époques heureuses de la créa­tion française, j'y aurais vu un argument contre eux. » Une telle modestie a une autre face, dont l'auteur peut légitimement être fier : l'assurance de n'être pas indigne de cette « époque heureu­se », et des moralistes qui sont sans doute l'apport le plus per­sonnel de la France au trésor des humanités. Par bien des aspects, ce livre touche aux questions essentielles qui nous embarrassent. Par exem­ple, notre société ne sait plus ce que c'est que mûrir (déjà Sainte-Beuve ne le savait plus très bien, et se demandait si ce n'est pas se gâter ou se dessécher). Ce qu'on favorise, c'est le choc, la rupture, et on se bat très vite les flancs tous ces fracas débouchent sur le silence. On commence par saluer l'ange du bizarre et l'on finit au service du démon de la bizarrerie. C'est bien pourquoi cet « esprit de perfection » est un excellent et savoureux antidote à nos poi­sons. G. L. #### Willy de Spens *Red boy *(La Table ronde) Vaincus et refoulés en Améri­que, les Indiens ont depuis un siècle conquis toutes les imaginations en Europe (revanche ana­logue à celle des Troyens). Ils ont régné d'abord comme modèles de courage, de sagesse amie de la nature. 94:268 Aujourd'hui, ils prennent une couleur un peu différente. Ce ne sont plus les intrépides cou­reurs des prairies que l'on admire, mais les témoins de la vie d'avant les machines, libres dans les es­paces sans limite (ce qui nous tou­che, nous qui vivons entassés dans le béton). Leur rôle est celui d'op­posants au monde moderne et au type du citoyen consommateur. On le verra avec les aventures de Red boy (un Blackfoot, un Pied-noir !) qui nous promènent dans quelques réserves Le gar­çon ne sera pas tenté par la vie des Blancs, dont rêve sa mère. Fi­dèle au grand-père qui lui ap­prenait les chants et les rites de la tribu, il finira par choisir « un endroit écarté -- où d'être homme d'honneur on ait la liberté ». Homme d'honneur, entendez : autre chose qu'un producteur, homme, libre de tous les esclavages, y compris, celui de l'électricité. Il y a du rêve écologique dans cette affaire. D'où vient le succès de ce rêve ? Une remarque de l'auteur peut nous éclairer. Il dit du vieux grand-père, Ours frisé, qui vit dans le souvenir des anciens fastes : « l'aïeul n'avait rien de gâteux, il connaissait seulement l'infortune des gens qui survivent à la civilisation de leur jeunesse ». C'est un malheur qui n'est plus ré­servé aux Indiens. Il marque des dizaines de millions de gens sur la Terre, et même ceux qui n'ont pas l'âge d'avoir connu le monde ancien, mais qui s'adaptent mal au nouveau. Willy de Spens est toujours un conteur habile, et il est visiblement passionné par son sujet. Il con­naît très bien les Indiens. Son livre est d'un grand intérêt. G. L. ============== fin du numéro 268. [^1]:  -- (1). JEAN MEYER : *Apocalypse et révolution au Mexique. La guerre des Cristeros* (1926*-*1929)*,* Gallimard/Julliard, collection « Archives », Paris 1974*.* [^2]:  -- (1 bis) Plusieurs ouvrages d'Hugues Kéraly ont été édités au Mexique en traduction espagnole : sa *Préface à la politique* (de saint Thomas), son livre sur *Les media* et sa première « enquête » sur Amnesty Inter­national. (Note d'ITINÉRAIRES.) [^3]:  -- (2). Action Catholique de la Jeunesse Mexicaine. [^4]:  -- (3). Troisième assemblée générale de l'épiscopat latino-américain (CELAM), 12-28 octobre 1978. [^5]:  -- (4). Calles signifie rues, au pluriel. [^6]:  -- (5). Cité par J. MEYER : *La christiade,* Payot, Paris 1975. [^7]:  -- (6). SALVADOR ABASCAL : *La reconquista espiritual de Tabasco,* Editorial Tradicion, Mexico 1972. [^8]:  -- (7). *Santos :* image ou statue vénérée sur l'autel familial. [^9]:  -- (8). *Insignos :* médailles et croix pectorales (les catholiques mexi­cains en sont couverts de haut en bas). [^10]:  -- (9). Témoignage de Don Francisco Campos, Santiago Bayacora, État de Durango. [^11]:  -- (10). Témoignage de Salvador Abascal, leader de la « reconquête spirituelle » de Tabasco en 1938. [^12]:  -- (11). JORGE GRAM : *Hector,* Édit. Jus, Mexico, 1966. [^13]:  -- (12). D'après José de Jesus F. Hernandez, Altos de Jalisco. [^14]:  -- (13). D'après les responsables de l'Union populaire à Cocula, Gua­dalajara. [^15]:  -- (14). ANTONIO RIUS FACIUS : *Mejico cristero. Historia de la ACJM,* Editorial Patria, Mexico 1966. [^16]:  -- (15). *La christiade, op. cit.* [^17]:  -- (1). Ernest Allain, *op. cit*. [^18]:  -- (2). *Ibid.* [^19]:  -- (3). On lira avec fruit, à ce sujet, les réquisitoires étincelants d'Alain Decaux et de Paul Guth. [^20]:  -- (4). En vente *à* « *Credo* »*,* 5 allée Corot, 78170 La Celle-Saint-Cloud. [^21]:  -- (5). Louis d'Anselme, *La liberté d'enseignement en France,* édité par l'Action familiale et scolaire, 31 rue Rennequin, 75017, Paris. [^22]:  -- (6). *Ibid.* [^23]:  -- (7). « Cinquante ans de politique. ». [^24]:  -- (8). Dominique Martin Morin, éditeur. On trouvera notamment, dans ce livre de Madiran, une étude éclatante, inflexible, sur le passage du libéralisme au socialisme. [^25]:  -- (9). Tavernier, *op. cit*.