# 269-01-83 2:269 ### Le Missel de l'apostasie et du communisme *SOUS un voile de plus en plus léger, sous un camouflage qui devient de plus en plus mince, le* « *Nouveau Missel des dimanches 1983* » *est substantiellement apostat et communiste.* *Ce* « *Nouveau Missel des diman­ches 1983* » *est, on le sait, garanti et imposé par l'épiscopat français.* *Aucun évêque en France n'a élevé la voix pour le rejeter, ni même pour s'en désolidariser.* *Par ignorance et manque de dis­cernement, ou par lâcheté devant l'intimidation, par obscurcissement à coup sûr de la foi théologale, les livres catéchétiques et liturgiques de l'épiscopat français sont une cour­roie de transmission de l'apostasie et du communisme.* *Pour les recueils et parcours catéchétiques, à commencer par* « *Pierres Vivantes* »*, la preuve n'est plus à faire.* *Pour le* « *Nouveau Missel des di­manches 1983* »*, on lira dans le pré­sent numéro l'analyse et le commen­taire d'Yves Daoudal.* *Après quoi, il n'est plus besoin d'aucune démonstration théologique et canonique pour ce qui est devenu une évidence solaire : il est mainte­nant tout à fait hors de saison de nous adresser l'habituelle exhorta­tion romaine, clause de style connue mais anachronique, nous invitant à nous unir derrière nos évêques. Ces évêques-là ! Regardez-les donc ! Écoutez-les ! Lisez-les ! Qu'on les change d'abord, qu'on les ramène à la foi catholique ou qu'on les rem­place, ensuite seulement nous au­rons à leur obéir.* *Mais obéir à l'apostasie, obéir au communisme, non, point n'est be­soin de supputations hésitantes et de discours savants pour tenir en toute certitude que nous en sommes dispensés. Et même que cela nous est interdit.* 3:269 *Peut-être existe-t-il quelques évê­ques secrètement réfractaires, em­prisonnés comme des otages dans une collégialité totalitaire et tru­quée. Mais rien n'explique ni n'ex­cuse que ces otages soient des otages muets.* *Il y a quatre ministres commu­nistes au gouvernement de la Répu­blique, sans compter les sous-ma­rins. Il y a beaucoup plus de quatre ministres communistes et de sous-marins dans le noyau dirigeant et l'appareil bureaucratique de l'épis­copat français. Pourquoi en est-on absolument certain ? Parce que c'est la cause nécessaire, c'est la cause proportionnée des livres apostats et communistes que nos évêques pré­tendent imposer au peuple chrétien. Prétention vaine. Nous n'acceptons pas. Nous refusons le poison. Nous refusons les empoisonneurs.* Jean Madiran. 4:269 ## ÉDITORIAL ### La longue marche communiste par Louis Salleron DANS UNE EXCELLENTE FORMULE, Mme M.-F. Garraud disait récemment à la télévi­sion : « L'U.R.S.S. ne veut pas la guerre, elle veut le monde. » De fait, elle est en train de le conquérir. On peut le contester. En Afrique, plusieurs pays qui s'étaient donnés au communisme s'en sont libérés. Un peu partout dans le monde, le communisme a évolué d'une manière qui en fait plutôt un non-alignement. En Europe occidentale, les partis communistes ont reculé devant les partis socialistes. 5:269 Dans l'Europe de l'Est, outre la résistance polonaise, les « démocraties populai­res » ont plus ou moins secoué soit le joug sovié­tique, soit le dogme marxiste. En U.R.S.S. même, la dissidence, la religion, la passivité de la popu­lation et l'âge des dirigeants mettent plus en évidence les privilèges de la *Nomenklatura* que le militantisme du parti. L'absence soviétique dans les conflits du Proche-Orient a également été très remarquée. Tout cela est vrai. Si le communisme est la vieillesse du monde, comme dit Jean Madiran, il est aussi la vieillesse de l'U.R.S.S. Mais cette vieillesse a enseigné le monde et fait école. Si le socialisme occidental endigue apparem­ment le communisme, *c'est en devenant lui-même de plus en plus communiste.* Car qui dit « socia­lisme » aujourd'hui dit « communisme ». On le voit fort bien en France où l'alliance socialo-com­muniste s'est faite le plus naturellement du monde. L'invasion communiste s'est faite sans révolution. Le résultat est le même. Le noyau communiste, celui des purs et des durs, est intact. La C.G.T. mobilise ou paralyse le pays à son gré. Tout le bassin méditerranéen est aujourd'hui socialiste. Le parti communiste le tient, étant lui-même parfois au pouvoir. L'intelligentsia manifeste la même ambiguïté. A part le retournement complet d'un E. Le Roy-Ladurie et le désenchantement certain d'un Claude Roy, la plupart des intellectuels de gauche se sont contentés de rompre avec le stalinisme, en quoi ils ne se différencient pas de leurs homologues russes. 6:269 René Rémond dit quelque part dans son his­toire des droites françaises que la gauche glisse toujours lentement vers la droite. C'est vrai en un sens. Le cas limite de Pierre Laval illustre cette vérité. Mais le contraire n'est pas moins vrai. Le régime démocratique explique ce para­doxe. Dans une époque de relative stabilité, le jeune ambitieux qui débute dans la politique surenchérit sur les promesses de ses concurrents. Confirmé par une ou deux réélections dans sa circonscription, ayant acquis une clientèle par les petits services rendus, sa qualité de bon commis­sionnaire l'incite à un certain conservatisme cor­respondant aux intérêts de sa majorité. En atten­dant, le socialisme a progressé. A ce jeu s'institue une sorte de fonctionna­risation générale de la population. C'est, en effet, toujours de l'État que s'obtiennent les faveurs, les privilèges, les exonérations, les subventions, bref les discriminations de toutes sortes qui, aux inégalités naturelles, substituent une inégalité bi­partite, celle des plus favorisés et des moins fa­vorisés -- cadre de la lutte de classe, donc du « socialisme marxiste » qui n'est autre que le « communisme ». Une société dont les revenus sont, pour les quatre cinquièmes, des salaires, et dont les autres sont de plus en plus tarifés, favo­rise l'écrasement de la hiérarchie. L'égalitarisme, qui est l'autre nom du socialisme, devient la réalité sociale. A l'augmentation des bas salaires s'ajoute la diminution des heures de travail. Il en résulte un phénomène nouveau dont l'analyse désespère les économistes qui, faute de mieux, l'appellent l'économie « informelle » ou « souterraine », et que le vocabulaire courant nomme le « noir » **--** marché *noir* et travail *noir.* 7:269 Or, où le *noir fleurit-il ?* Partout, sans doute, mais *d'abord dans les régimes communistes.* Quand la réglementation est générale, quand les prix et les salaires sont tarifés, quand une limite au temps de travail est imposée, quand tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire et que tout ce qui n'est pas obligatoire est interdit, le *noir* appa­raît. On peut mesurer le degré de socialisation d'un pays à l'extension du « noir ». Il suffit de lire n'importe quel reportage sur la vie dans l'Eu­rope de l'Est pour voir l'importance qu'y tient le *noir.* Dans un pays comme la Hongrie, le phéno­mène est devenu pour ainsi dire institutionnel. En fait, il y a aujourd'hui trois types de « libé­ralisme » : celui des pays libéraux, comme les États-Unis, celui des pays anarchiques, comme l'Italie, et celui des pays *noirs,* comme au premier rang la Hongrie. La querelle qui oppose le « libéralisme avan­cé » au « socialisme à la française » masque la progression continue d'une réglementation éta­tique qui engendre un *noir* de plus en plus proche de celui des pays communistes. Les experts esti­ment à quelque quatre-vingts milliards les impôts dérobés au fisc par le marché et surtout le travail noirs. C'est pourquoi livres et articles se multiplient pour dénoncer l'illusion des statistiques relatives à l'économie nationale, notamment en ce qui con­cerne la situation réelle des individus. Le fait que le budget social de la France dépasse le bud­get de l'État, comme le fait que le salaire payé à celui qui le reçoit atteint à peine les deux tiers de la somme déboursée par l'employeur, sont révélateurs. 8:269 Ils ne sont pourtant que la fraction émergée de l'iceberg. La répartition des avan­tages et des charges dont bénéficie ou pâtit chacun est insaisissable à l'œil le plus perçant. Tout le monde le sait et c'est pourquoi tout le monde tombe d'accord que notre législation fiscale et sociale est à refondre complètement, -- tout le monde étant d'ailleurs d'accord que c'est impossible. Le socialisme veut faire l'égalité. Il n'aboutit qu'au *noir* et aux inégalités multipliées. Jamais sans doute il n'y a eu autant de pauvres qu'aujourd'hui. Ils sont sans voix. La réglementation universelle fait chez nous la *Nomenklatura.* Ses contours sont encore indécis. Mais M. Mitterrand ne manque pas une occasion de nous rappeler qu'il a sept ans pour parachever son œuvre socialiste. On se demande seulement pourquoi il dit « socialisme » là où le mot « communisme » définirait parfaitement son projet. Louis Salleron. 9:269 ## CHRONIQUES 10:269 ### La politique agricole du gouvernement socialiste *Ombres et clair-obscur* par Yves Daoudal DEPUIS ce mémorable 23 mars de l'année 1982 où François Guillaume avait tenu son pari de faire défiler 100.000 paysans dans la capitale, on n'a guère entendu parler des paysans, ni de leurs relations avec le pouvoir. Certes il y a eu quelques manifestations, mais elles furent « catégorielles » : les viticulteurs fin juillet, les producteurs de tomates bretons à la même époque, et plus récemment les aviculteurs bretons protestant contre la fermeture des frontières britanniques, ou encore les viticulteurs charentais début no­vembre. Il semble bien que le pouvoir ait été très impressionné par la manifestation de Paris, par la détermination paysanne galvanisée par François Guillaume. Alors tout se passe main­tenant en sourdine et à l'ombre. 11:269 A l'ombre, la discussion parlementaire sur les offices d'in­tervention (offices par produit) ? Oui, d'une certaine façon, car elle se déroula dans l'indifférence générale, l'opposition n'ayant à peu près rien à se mettre sous la dent. C'était la... dix-septième mouture du projet, peu à peu remanié devant l'hostilité catégorique des organisations paysannes. Au mois de mars, le Conseil d'État l'avait refusé, pour incompatibilité juridique entre le statut de société commerciale des offices et leur rôle administratif. C'était une brèche irréparable dans l'étatisation. Puis le président Mitterrand, qui avait solennelle­ment déclaré que les offices n'auraient en aucun cas un relent d'étatisation, voulut y mettre sa patte. Puis le projet fut de nouveau soumis au Conseil d'État. Bref, il fut voté le 2 juillet par l'Assemblée, et parut le 6 octobre au journal officiel. Il ne reste du projet socialiste qu'un cadre vide. Les députés socia­listes qui ne reconnaissaient pas leur œuvre, le votèrent en gro­gnant, et Édith Cresson elle-même se montra peu fière du résultat. Cependant, *alors que François Mitterrand avait assuré que les agriculteurs seraient majoritaires dans ces offices, il se révèle que pour obtenir la majorité du conseil d'administration, il faut leur ajouter les représentants de la transformation et de la commercialisation.* Inutile donc pour les paysans d'attendre en contrepartie de certaines contraintes une garantie de revenus. Des contraintes, oui, car ces offices seront placés sous *la tu­telle de l'État* et pourront se substituer aux organismes profes­sionnels « en cas de défaillance ». De plus, en ce qui concerne l'office des fruits et légumes, les achats de ces produits effectués par les négociants directement auprès des producteurs seront progressivement contrôlés puis « strictement limités », ce qui est évidemment contraire à l'intérêt des producteurs, des négociants et des consommateurs. Sans doute faut-il jouer sur les mots pour ne pas voir là cet « étatisme rampant » que prétend ne pas vouloir le prési­dent de la République. En tout cas les professionnels des fruits et légumes ne s'y sont pas trompés, qui fin septembre ont pure­ment et simplement refusé de discuter les articles de la création de « leur » office. Il faut ajouter qu'une commission commune « groupe par­lementaire socialiste » -- « parti socialiste » sur les offices était constituée, avant même que la loi fût votée. Cela montre bien que les socialistes n'ont pas abandonné leur projet collectiviste et qu'ils attendent seulement le moment favorable pour trans­former l'essai péniblement et timidement marqué. 12:269 Dans la lancée, même après cet essoufflement caractérisé, motivé à la fois par l'opposition paysanne et le surgissement de difficultés économiques qui firent passer les problèmes agri­coles au second rang, le Parlement devait voter une loi sur les offices fonciers. Les premiers projets étaient clairement collec­tivistes, dans la droite ligne du projet socialiste, et les offices fonciers cantonaux ressemblaient à s'y méprendre à des soviets. Mais voilà, ce n'était plus le moment. Entre les grèves de l'auto­mobile, la chute du franc et du commerce extérieur, le blocage des prix et des revenus et le mécontentement syndical, on avait d'autres chats à fouetter. Cependant le parti socialiste n'a pas oublié. Et le voici qui rappelle qu'il ne faudrait pas oublier les offices fonciers (qui en sont eux à leur neuvième projet de loi). Et les « paysans-travailleurs » (gauchistes), forts de leur reconnaissance officielle, font savoir au ministre, sans s'embarrasser d'une poli­tesse excessive, qu'il ne faudrait pas les prendre pour des imbéciles et qu'ils attendent que le gouvernement tienne ses promesses. Mais Laurent Fabius, à l'origine des remaniements successifs du projet, ne paraît pas pressé de le ressortir. Pour l'heure, il a d'autres problèmes, autrement graves et urgents. Et dans son budget la part allouée à l'agriculture ne permet guère de fantaisie. Quant au gouvernement dans son ensemble, il se demande s'il serait bien sage de risquer la colère de François Guillaume si près des municipales. Cependant, au parti socialiste, on insiste lourdement. Et Bernard Thareau, secrétaire national pour l'agriculture, souligne qu'il est nécessaire d'accélérer les réformes structurelles. Dans l'ombre encore, les manœuvres gouvernementales pour affaiblir la FNSEA. Après les grandes reconnaissances, au début du règne socialiste, des autres organisations syndicales agricoles, on a vu peu à peu la concertation s'effectuer surtout, de nou­veau, avec la FNSEA. Pendant ce temps, le pouvoir créait son syndicat, la FNSP, et tentait de provoquer des scissions au sein de la FNSEA. Sans grand résultat. Avec même des échecs patents, comme dans la Loire où la base de la fédération dépar­tementale a obligé les dirigeants, qui voulaient passer à la FNSP, à démissionner, et à annuler l'assemblée générale qui devait entériner le putsch. 13:269 Dans l'ombre encore, ces prétendus « États généraux du développement agricole », qui prétendaient cet automne faire se réunir les paysans pour répondre à des questionnaires. Mais quand on vendange ou qu'on prépare la terre pour le blé d'hiver, on a autre chose à faire que de remplir les imprimés de madame le ministre. C'est quand même beau la démocratie directe. Surtout que les paysans n'avaient pas à se creuser la tête. Il y avait dans le document officiel un paragraphe intitulé : « *Ce qu'il conviendrait de trouver dans les conclu­sions* »*...* Dans l'ombre aussi, les discussions entre Fabius et les organisations syndicales sur l'imposition des agriculteurs. Car c'était encore un des points du projet socialiste, d'imposer tous les agriculteurs au bénéfice réel (avec TVA et comptabilité vérifiable) et de supprimer l'imposition au forfait. Édith Cresson suggérait dans un premier temps d'abaisser le seuil à partir duquel l'imposition au réel devient obligatoire. Mais même cette première mesure a été finalement rejetée par Fabius, qui a fait comprendre une fois pour toutes à Mme Cresson qu'il avait autre chose à faire que de s'occuper des paysans, et que de plus, l'imposition au réel rapporterait moins que de laisser les choses en l'état. Et on change rarement de système d'imposition pour que ça rapporte moins, surtout en régime socialiste. Mais Ber­nard Thareau ne l'entend pas ainsi, et annonce avec fermeté qu'en 1983, il faudra « poser le débat essentiel : celui de la connaissance du revenu, des cotisations et des prestations sociales, de la fiscalité ». Dans l'ombre enfin, les négociations d'Édith Cresson à Moscou au mois d'octobre, qui a ajouté à sa couronne de gloire d'être le premier ministre français à se rendre en URSS après la proclamation de l'état de guerre en Pologne. Le dernier jour de sa visite, elle s'est engouffrée à l'Opéra, sans vouloir répondre aux journalistes. C'est Jean-Baptiste Doumeng, le milliardaire rouge, l'un des grands financiers du parti commu­niste, qui a parlé à sa place. Il a fallu attendre le retour du ministre à Paris pour entendre de sa bouche la confirmation du marché (ventes de céréales) annoncé par Doumeng, qui détient le quasi-monopole du commerce avec les pays socialistes, notamment par sa firme Interagra. 14:269 On savait que Krasucki donne ses ordres aux ministres communistes. Mais le PC contrôle manifestement aussi plusieurs autres ministères, de façon ouverte ou occulte selon l'opportunité. Il semble bien que le parti soit devenu maître de plusieurs loges, et ceux qui se croient les héritiers de la République radicale sont de pauvres naïfs. Ils n'ont fait que préparer le chemin à la barbarie intégrale, chemin qui leur avait été ouvert généreusement par Giscard. Mais c'est la France qui paiera. Yves Daoudal. 15:269 ### Une médecine nouvelle par Michel de Saint Pierre DEPUIS l'âge le plus tendre, je me suis trouvé attiré par l'irrésistible besoin d'écrire. Je puis dire qu'à partir de ma dixième année, mes projets à cet égard étaient arrê­tés déjà. Et pourtant, entre ma dix-septième et ma dix-neuvième année, j'ai connu une hésitation presque dramatique : sans abandonner la vocation littéraire, je voulais « faire ma médecine ». Je me suis alors inscrit à ce qu'on appelait autrefois le P.C.N., qui correspondrait aujourd'hui à la première année de médecine. Sans attendre, d'ailleurs, je commençai à dévorer tout ce qui me tombait sous la main, particulièrement en ce qui concerne l'encéphale et le système nerveux. Enfin, je m'inscrivis aux cours de psychiatrie en Sorbonne et à Sainte-Anne. Cela dit, à 19 ans, je finis par prendre ma décision définitive, -- et m'engageai comme ouvrier manœuvre aux ateliers et chantiers navals à Saint-Nazaire, -- dans le double but de m'évader de mon milieu, et de prendre mes distances avec la médecine... Je dois dire que, de cette véritable crise, me sont restées d'assez méchantes séquelles. Car la médecine n'a jamais cessé de m'intéresser passionnément -- ce qui m'a valu de visiter souvent des malades lorsque je résidais à Paris, et de faire des stages dans divers milieux hospitaliers. 16:269 Sans parler d'un autre stage accompli en compagnie de mon ami Jacques Bergier (co­auteur du célèbre *Matin des Magiciens* et qui est mort depuis quelques années) chez le cher Professeur P.P. Grassé, dans son institut de biologie et de zoologie comparée du boulevard Raspail. Au demeurant, j'ai toujours été attiré par les sciences mais celles qui relèvent des mathématiques et de la physique n'ont pas voulu de moi. Pour tout vous dire, je n'y comprends rien. En mathématiques, je me suis arrêté au postulatum d'Eu­clide -- et en physique au principe d'Archimède et à la machine de Gramme. Je ne pouvais donc prendre ma revanche que dans les domaines de la biologie et de la médecine : ce que j'ai fait. \*\*\* En tant que romancier, dès mon premier roman intitulé *Ce Monde ancien* et qui mettait en scène deux jeunes gens, un ouvrier et un étudiant en Sorbonne, je me suis résolument placé sous l'enseigne de *l'écrivain témoin de son temps.* Disons que j'ai une conception un peu balzacienne du roman -- et que je voudrais survoler, dans ma fresque romanesque, les divers aspects de la vie moderne à l'époque où j'aurai vécu. Ainsi, après l'usine et la Sorbonne, j'ai abordé les problèmes de la guerre et des mercenaires dans *La Mer à boire,* ceux de ma caste dans *Les Aristocrates,* les milieux de la littérature et de l'édition dans *Les Écrivains,* les communautés chrétiennes dans *Les Murmures de Satan,* les collèges catholiques dans *Les Nouveaux Aristocrates,* et l'affrontement des clergés traditio­naliste et progressiste dans *Les Nouveaux Prêtres.* Après une pause, consacrée à des professions de foi, des pamphlets et un ouvrage sur les Romanov, j'ai repris le cours de mon cycle, avec *Le Milliardaire* (puisque j'ai vécu dans les milieux d'affaires et dans l'import-export, à un niveau mo­deste, pendant dix-sept ans), -- avant d'écrire *L'Accusée,* ro­man qui touche les milieux pénitentiaire et judiciaire. Deux autres romans furent écrits : *La Passion de l'abbé Delance* (suite et fin des *Nouveaux Prêtres*) et *Laurent* (sur la jeunesse universitaire d'aujourd'hui). Et je me suis trouvé face à un projet que je remettais depuis quinze ans : composer un roman sur la profession médicale. 17:269 Car il faut bien le dire : je bronchais devant la perspective de revenir à mes anciennes amours et de prendre un médecin comme centre d'un nouveau récit. Ce qui m'a décidé, c'est la rencontre avec quelques jeunes généralistes, installés dans cette Normandie qui est chère à mon cœur, ce qui me fournissait à la fois l'occasion d'un portrait vivant et celle d'un décor que j'aime plus que tous les autres. \*\*\* La tâche était à la fois fascinante et difficile... Fascinante, car, ainsi que l'a écrit le Professeur Jean Bernard : « La médecine se trouve, en cette fin du XX^e^ siècle, occuper une place centrale, un carrefour où se mêlent science pure, humanisme et humanité, économie et sociologie. Et cette place centrale, ce carrefour, loin d'être statiques, sont cons­tamment changés, transportés, bouleversés. » Cette citation même indique à elle toute seule les difficultés dont je parlais. Car si la médecine, dans son ensemble, a stagné en certaines périodes de son histoire, elle est aujourd'hui la mouvance même. Cela tient, bien sûr, aux immenses progrès qu'a pu faire la méthodologie dans l'art médical. Un peu partout à travers le monde, de vastes équipes se sont formées, où la recherche et la thérapeutique ont tenté de s'appuyer l'une sur l'autre. Des concertations inconnues jusqu'alors se sont produites presque spontanément. A telle enseigne qu'aux États-Unis, par exemple, les savants et les praticiens ont pu confronter leurs trouvailles et leurs expériences, et mettre en fiches d'innombrables cas d'échecs et de guérisons, ébaucher enfin des stratégies combinées pour la guérison de nos maux, à l'ombre des ordinateurs. On n'en finirait pas d'énumérer les progrès ainsi obtenus par la médecine scientifique -- depuis une quarantaine d'années. En matière de dépistage et de diagnostic, sans parler des « Scan­ner », des « Doppler » ni de tout un équipement fabuleux, sans parler davantage des progrès de la radiologie, les analyses de toutes sortes en laboratoires se sont affinées d'une manière extraordinaire. Oui, le diagnostic et le dépistage, ainsi que la prévention, ont fait des progrès considérables -- et nous ne saluerons jamais assez la contribution de la médecine française à cet effort. Pour ne prendre qu'un exemple, comment ne pas rendre hommage aux découvertes du Professeur Dausset, qui obtenait récemment le Prix Nobel ? 18:269 Quant au domaine thérapeutique, il a lui-même fait des pas de géant. L'usage efficace et sophistiqué des antibiotiques a sauvé des millions de vies -- et pour ne prendre qu'un exemple, alors que les méningites tuberculeuses entraînaient un pronostic fatal à 100 %, maintenant on en guérit le plus grand nombre des cas. Et même si l'on découvre aujourd'hui une résistance nouvelle du mal, une véritable accoutumance des microbes aux remèdes, il est certain que les maladies vénériennes sont le plus souvent vaincues. Même chose pour les graves maladies inflammatoires, et pour une foule de troubles des systèmes ner­veux, digestif, respiratoire et circulatoire. Que dire enfin des remarquables performances obtenues en pédiatrie ? L'un des médecins-chefs les plus éminents de cette spécialité, le docteur Claude Lévêque, dans le service duquel j'ai fait plusieurs lon­gues visites, a prononcé devant moi cette phrase significative : « Autrefois, la mort d'un enfant dans nos services n'avait, hélas, rien d'anormal. Aujourd'hui, c'est une catastrophe ra­rissime. » Il est bien exact qu'en dehors de la terrible myopathie (qui est l'atrophie musculaire progressive chez un enfant) et de la redoutable mucoviscidose (qui aboutit notamment à un véri­table rétrécissement de la cage thoracique) il n'y a plus guère de maladies infantiles qui ne puissent être dominées. Par exemple, la leucémie aiguë lymphoblastique, mal implacable voici quel­ques années seulement, est aujourd'hui guérie chez les enfants dans une proportion notable, grâce aux travaux des Professeurs Jean Bernard et Mathé. Pour évoquer d'autres progrès accomplis, je ne rappelle que pour mémoire les merveilles de la micro-chirurgie, les perfectionnements de la radiothérapie et de la chimiothérapie, les greffes -- et d'une manière générale, les étonnantes pres­tations actuelles de la chirurgie dans son ensemble et de la chirurgie réparatrice en particulier -- les miracles opérés en cardiologie et qui sont maintenant devenus monnaie courante, etc., etc. Comment, dans ces conditions, ne pas être à la fois plein de gratitude et rempli d'optimisme ? Il s'ensuit, d'ailleurs, que la longévité humaine augmente d'année en année -- celle de la femme restant nettement supé­rieure à celle de l'homme et dépassant aujourd'hui la moyenne de soixante-dix printemps... 19:269 Mon roman, *Docteur Erikson,* s'ouvre dans une atmosphère d'espoir, et j'ai voulu montrer, en écrivant ce récit, un jeune généraliste de 32 à 33 ans, normand d'origine scandinave et qui vient s'établir en Normandie avec sa femme, une charmante et très jeune eurasienne nommée Armèle. J'ai brossé le tableau de sa vie quotidienne, qui le met aux prises avec les maladies classiques de notre bon pays normand où l'on avale trop de crème, où l'on boit trop de cidre, où l'on déguste trop de calvados. Fort heureusement pour le jeune docteur, la plupart des maux en face desquels il se trouve sont guérissables : des troubles digestifs à la phlébite bénigne, de l'hypertension sans gravité aux premières alertes des troubles circulatoires, de la bonne vieille coxarthrose aux autres affections rhumatismales, de la bronchite enfin aux grippes saisonnières. Cependant, il y a des ombres au tableau : les gens vivant plus vieux et résistant davantage aux diverses maladies, la mala­die suprême, celle dont certains malades n'osent même pas prononcer le nom -- le cancer -- fait des ravages qu'il est impossible de sous-estimer. Qui n'a pas, dans sa famille, dans son entourage, un ou plusieurs cancéreux dont l'agonie se dé­roule de la manière la plus dramatique ? Et qui d'entre nous n'a pas maudit ces hôpitaux où l'on ne fait que prolonger la vie pénible, parfois atroce, du malade -- en résistant mal à la tentation d'appeler ces grands centres hospitaliers des « mou­roirs » ? Ici l'orgueil de l'homme trouve son humiliation -- ici, l'échec médical apparaît -- ici, la science officielle piétine, même si elle prétend nous rassurer par la voie de la presse et des médias. La vérité, c'est que nous avons peur -- et que, dans ce terrible secteur précis, nous ne nous sentons plus protégés... J'ai tiré mon chapeau à la médecine scientifique d'aujour­d'hui, le plus sincèrement et le plus chaleureusement du monde. Je ne retire rien de ce que j'ai dit ou publié à ce sujet. Il n'en reste pas moins que certaines rares maladies (et le cancer est la principale d'entre elles) nous obligent à poser le problème brûlant : pourquoi ces retards dans la guérison, pourquoi ce piétinement sinistre dont je parlais ? *Le problème est capital,* puisqu'il s'agit de notre vie, de notre souffrance éventuelle, de notre mort. Or j'ai lu et relu, ces temps-ci, deux ouvrages dont je veux maintenant parler -- et dont la lecture a précédé la rencontre inespérée que j'ai faite d'une certaine équipe-pilote que j'évoquerai plus loin. Ces deux livres s'intitulent : *Le Cancer aujourd'hui* et *La Décision médicale.* 20:269 Ils ont été publiés respec­tivement aux éditions Grasset et chez Calmann-Lévy, et ils émanent l'un et l'autre du Professeur Lucien Israël. Par son ouverture d'esprit, par le langage nouveau qu'il apporte à l'ex­pression d'une pensée médicale, par sa totale indépendance, par son rejet presque violent du confort intellectuel et du confor­misme, Lucien Israël m'apparaît comme l'un des hommes de science les plus originaux de notre époque. Je le dis d'ailleurs en toutes lettres dans l'avertissement que j'ai publié en tête de mon roman. Et c'est en partant de lui, du Professeur Israël, que je vais tenter de livrer une explication sur une certaine situation dramatique au sein de la médecine officielle d'aujourd'hui. \*\*\* La première réflexion sur laquelle je voudrais insister, c'est la formation professionnelle en médecine elle-même. Ce sujet capital, je l'aborde dans *Docteur Erikson* et l'on m'excusera de me citer. Au début du livre, lorsqu'il réfléchit à ce métier où il n'est encore qu'un débutant, Erikson réalise mieux encore qu'auparavant qu'il n'est pas scientifique pour deux sous ! « Son baccalauréat de mathématiques et ses deux premières années de médecine -- vouées presque entièrement aux sciences (maths, physique et chimie) par la stupidité des décisions officielles -- ont été pour lui autant de longs supplices. Guillaume se sent, comme beaucoup des bons médecins d'autrefois, l'âme d'un littéraire, doublée d'un philosophe, fasciné par la culture géné­rale. Et l'orientation « scientiste » de la médecine lui semble pour l'avenir un écueil redoutable. Cette spécialisation mathé­matique -- et le barrage insensé qu'elle représente -- lui semble de monumentales sottises lorsqu'il s'agit de la médecine. Ainsi, un littéraire, fût-il génial, ne pourrait plus être mé­decin ? » Pour écrire mon roman, j'ai interrogé près de cin­quante généralistes ou spécialistes, et plusieurs d'entre eux ont donné raison à mon Erikson sur ce point : on semble acheminer la médecine vers toutes les aridités. On veut la déshumaniser. Un abus de formation mathématique et la sélection qui s'en suivra ne peuvent pas, j'en suis pour ma part absolument sûr, porter bonheur à la médecine future. 21:269 Mais il y a pire -- et là encore je rejoins Lucien Israël. Dans un retentissant article publié par *Paris-Match,* il n'hésite pas à nous crier : « *Nous fabriquons de mauvais médecins* ! » Le Professeur a soin de nous dire, tout d'abord, que les difficultés sont de plus en plus grandes, touchant la formation médicale. « N'affirme-t-on pas que la somme du savoir médical double tous les cinq ans ? » En même temps, de nombreux éléments de ce savoir sont chaque jour dépassés par de nouvelles découvertes. Un médecin, nous dit Israël, ne peut jamais estimer qu'il est à jour, qu'il est à la page. Il a besoin constamment, « non plus de simples recyclages, mais d'une véritable formation permanente ». Il est inutile d'ajouter que cette formation ne lui est pas acquise -- en France, du moins. Et le Professeur poursuit son raisonnement : « Nous avons sans cesse du retard sur ce que nous devrions savoir, tellement tout va vite ; d'où la nécessité d'une discipline, d'une gymnas­tique d'esprit à laquelle mes jeunes confrères ne sont pas spécia­lement préparés par la formation qu'ils reçoivent. » De quoi Lucien Israël veut-il exactement parler ? Eh bien, il s'agit d'une formation « axée davantage sur la quantité des renseignements emmagasinés, que sur la qualité du savoir et sur la préparation de l'esprit ». Ce qu'il voudrait, et bien d'autres avec lui, c'est que l'on nous forme avant tout des médecins qui soient de bons « déci­deurs », capables de prendre leurs décisions avec suffisamment de points d'appui et de rapidité. « Et je déplore, nous dit le Professeur, que rien ne soit fait ni dans le domaine de la sélection des candidats, ni dans celui de la formation, pour obtenir ce résultat essentiel. » Il faut lire ce livre que j'ai personnellement lu, relu et médité : *La Décision médicale.* Car dans les domaines du diagnostic et de la thérapeutique des maladies graves, ladite décision a pris une importance exorbitante : et ceci, compte tenu de la redoutable efficacité des traitements et médicaments qui sont désormais à la disposition du thérapeute. Car qui dit efficacité, dit en même temps puissance -- et « qui dit puissance, dit en même temps toxicité possible et danger ». En vérité les pouvoirs du médecin moderne se sont à ce point accrus que remèdes et traitements sont devenus de véritables explosifs. Autrefois, les armes étaient beaucoup moins efficaces et le médecin avait tout le temps de se retourner. 22:269 Com­me le dit encore Israël, il pouvait rester, à l'égard de son malade, « dans une certaine attitude de léthargie méditative ». Aujourd'hui, nous savons tous, encore une fois, que les temps ont changé... Et pendant que ces bouleversements s'opèrent, nos étudiants « s'échinent à apprendre par cœur, ou presque, des données qui devront nécessairement être remises en question peu d'années plus tard. (...) *Mais personne ne leur enseigne à prendre des décisions ! *»*.* Quant à nous, les malades en puissance, les patients virtuels, nous trouvons cette carence extrêmement fâcheuse. Autre chose est le savoir des livres, autre chose cette mouvance des connais­sances en médecine et des remèdes utilisés. -- Est-ce là votre principal grief contre la formation médi­cale actuelle ? demandait un journaliste à Lucien Israël. Et le Professeur de répondre qu'il y a plus grave encore. La formation actuelle ne met pas assez en valeur, en effet, les finalités de la médecine. « Comment un médecin doit-il utiliser les ressources de son art ? Y a-t-il des bornes devant lesquelles il doit s'arrêter ? Voilà des questions brûlantes que nos étudiants ne sont absolument pas préparés à affronter. » Des médecins d'un certain âge que j'ai consultés m'ont confirmé tout cela. Lorsqu'ils étaient étudiants, la consigne était : « *Primum non nocere* », c'est-à-dire : « D'abord ne pas nuire. » En somme, il suffisait pour être un bon médecin de ne pas jouer avec la vie du malade en prescrivant des remèdes dangereux, en recourant à des doses susceptibles de comporter un certain risque. C'est donc une tout autre médecine dont il s'agit dans les jours que nous vivons, et cette différence entre le moderne et l'ancien ne peut que s'accentuer chaque année, à une vitesse qu'il est difficile de mesurer mais que l'on peut d'ores et déjà considérer comme impressionnante. « Il n'est plus question de s'abstenir, dit Lucien Israël, *il faut absolument s'engager.* Il s'agit de choisir, il s'agit d'appli­quer rapidement la meilleure stratégie possible. » Or cela n'est pas facile. En particulier, devant des maladies cruelles à l'issue incertaine, un bon médecin doit savoir doser les risques à courir (sans risques, on ne peut faire avancer la médecine), prévenir la douleur possible, assurer au patient un minimum de confort physique et moral, prendre garde aux réactions de son psychisme personnel, et tout cela entre en compte au moment de la décision qu'il faut prendre. 23:269 Les questions, d'ailleurs, se pressent, toutes ensemble. « Il y a par exemple, dit encore Israël, des maladies incurables mais que l'on peut prolonger. Alors faut-il prolonger ? Et à quel prix ? Il est parfois très difficile de déterminer quel est le véritable intérêt du malade. Se battre pour prolonger une existence de cinq ans, pas de problème ; surtout si la qualité de la vie et le confort sont sauvegardés. Se battre pour un an ? Les patients sont toujours preneurs, mais les bien-portants commencent à poser des questions. Et pour six mois ? Le problème est encore plus délicat si la rémission et même la guérison sont acquises au prix d'une mutilation. » Oui, nous sommes loin de la notion du docteur tranquille, du médecin patient et gentil, qui sait écouter les malades, leur prendre la main, les consoler d'un regard. Maintenant, il faut que le médecin soit également « capable d'identifier la totalité des choix possibles -- et, d'autre part, d'assigner à ces choix leurs valeurs respectives ». Cette tâche est difficile, d'une difficulté croissante -- et cependant, « *elle n'est enseignée nulle part* »*.* C'est vrai. Et j'ai bien d'autres témoignages à ce sujet. « On enseigne la médecine comme avant-guerre », me disait un médecin célèbre. Il ajoutait, avec scepticisme et cet esprit cri­tique si fréquent parmi nos bons docteurs : « On peut même dire qu'on l'enseigne comme au temps de Molière ! » Mauvaise formation médicale -- à quoi correspond logique­ment une mauvaise sélection. Au passage, plusieurs professeurs de ma connaissance ont jeté devant moi un coup de patte à la formation mathématique, devenue l'outil privilégié de la sélec­tion. Or un médecin n'a guère besoin des mathématiques ni de la physique. Donc, les inventeurs de ce système stupide considèrent que l'on impose ces dernières disciplines comme un test d'aptitude. Alors, la méthode devient tout à fait bizarre. Éliminer les moins forts en mathématiques pour choisir les futurs médecins, cela n'a ni queue ni tête. C'est digne de M. Purgon. Je suis heureux, quant à moi, pour en revenir à ce problème qui m'obsède, que d'éminents praticiens partagent mon point de vue sur cette importante question. Et qui pourrait affirmer sans ridicule que les meilleurs mathématiciens font automatiquement les meilleurs « décideurs » ? Le système actuel visant davantage à sélectionner des tech­niciens que des stratèges et des humanistes, on peut dire avec les illustres détracteurs du système en question, que nul effort sérieux n'est fait aujourd'hui pour sélectionner les hommes dont la médecine a réellement besoin. 24:269 Vraisemblablement, il fau­drait donc repenser presque dans son entier l'enseignement mé­dical -- modifier les programmes -- changer l'esprit dans lequel ils sont enseignés. En bref, que pouvons-nous demander à un médecin, dans nos jours difficiles, à la fois pénétrés d'angoisse et tout remplis d'espoir ? Nous pouvons lui demander l'humanisme, les qualités morales, la rigoureuse fidélité à la déontologie du métier, la charité qui éclairera chez lui l'intelligence, une compétence et une logique à la fois hardies et tranquilles pour le diagnostic et pour la décision. Mais il faut aussi que le médecin ne soit pas l'homme commun, celui que l'on rencontre à chaque coin de rue. Car le patient doit se trouver en face de celui qui est capable de se dépenser sans compter pour trouver la meil­leure formule et choisir le meilleur traitement. Devant un homme *décidé à guérir.* Avec les médecins que j'ai consultés à ce sujet, je ne vois pas que la formation médicale actuelle puisse répondre, même de loin, à ces exigences capitales. \*\*\* Malheureusement, il reste un domaine tout aussi sérieux que celui que nous venons d'aborder : il s'agit, en France et ailleurs, de la médecine officielle *et du mandarinat.* On peut dire que de tout temps, les officiels ont jeté sur la médecine une chape de plomb. Cela était déjà vrai sous Molière -- puis sous les encyclopédistes. Plus tard, dans une génération où les grands noms de la médecine étaient Charcot, Déjerine, Sydenham, Duchesne de Boulogne, Gall et autres Broca, les « patrons » exerçaient, comme, aujourd'hui, une tyrannie absolue sur leurs services et leurs hôpitaux. Il s'en­suivait, lorsque ces messieurs vieillissaient, une sclérose qui risquait d'atteindre la médecine en même temps que les artères des grands patrons. L'un des cas les plus typiques est celui de Charcot, à la Salpêtrière : dupé par plusieurs malades -- et surtout par quelques-uns de ses assistants -- Charcot, qui d'ailleurs était un homme de haute valeur, a littéralement en­terré une certaine part de la médecine dans une théorie sur l'hystérie qui a fait long feu et dont il ne subsiste à peu près rien. 25:269 Or Charcot, que Léon Daudet a peint admirablement dans ses Mémoires, était une sorte de Napoléon d'hôpital, maniant son stéthoscope comme une cravache et régnant sur ses internes et ses étudiants de la manière la plus absolue. On peut dire qu'aucun président-directeur-général, aucun chef d'industrie, aucun chef d'État ne dispose de pareille autorité. A cet égard, le monde médical est bien curieux à observer, et son histoire, bien singulière et nourrissante... Oui, me direz-vous. Et qu'en est-il aujourd'hui ? L'ambiance moderne n'a-t-elle pas transformé tout cela ? Hélas, la réponse est non. De nos jours, à l'heure où je parle, les grands patrons de la médecine et de la chirurgie sont, plus que jamais, des maîtres absolus. Ils gouvernent les plus grands centres hospitaliers, disposent d'un personnel et d'un équipement fabuleux, de crédits irremplaçables, d'équipes en chaînes. Ils sont experts ou ils désignent les experts. Sans eux, aucun médicament ne peut accéder à l'A.M.M. (c'est-à-dire à l'autorisation de mise sur le marché). L'enseignement, ce sont eux qui le dispensent. Hors de leur leçon, point de salut ! Ils ont la confiance et l'appui de la Sécurité Sociale, des labora­toires multinationaux et des services officiels de la Santé. Ils siègent au Conseil National de l'Ordre des Médecins, qui peut disposer souverainement d'une carrière. Enfin, ce sont toujours eux, toujours les mêmes, que l'on voit pontifier à la radio ou à la télévision -- à telle enseigne qu'ils agissent un peu comme s'ils étaient propriétaires des médias. En ce qui me concerne, *je dis que cette prépotence est inacceptable.* Pourquoi ? Tout simplement parce que, à côté des efforts groupés de la médecine scientifique dont j'ai reconnu tout à l'heure les immenses mérites, il existe des chercheurs indé­pendants qui souvent ont fait avancer brusquement la science médicale en train de piétiner. Quel sort réserve-t-on à ces chercheurs ? Tout simplement, on les écrase. Ceci est d'autant plus grave que nous retrouvons là nos préoccupations sur le cancer. Permettez-moi, à cet égard, de vous conter une petite histoire : un jour du mois de novembre 1977, je me trouvais avec un ami en Pologne, où nous préparions un pèlerinage. Cet ami me confessa qu'il souffrait beaucoup, qu'il subissait des hémor­ragies nombreuses, et qu'il était certain d'avoir un cancer. Rentré à Paris, il m'écrivait huit jours plus tard qu'en effet, ses analyses en laboratoire révélaient un cancer de la prostate avec plaie ouverte, rigoureusement inopérable. 26:269 Trois semaines plus tard, une métastase pulmonaire se déclarait. D'un courage surhumain, mon ami se disait prêt « à faire ses valises pour le ciel ». Il avait 65 ans et les médecins ne lui donnaient que quatre à six mois de vie. Un peu de temps passa. Et puis, mon ami m'écrivit qu'il venait de se confier, en désespoir de cause, abandonné par la médecine officielle, à une équipe de cher­cheurs, de médecins et de pharmaciens dont il avait entendu parler par hasard. C'est alors que ce qui fut pour moi d'abord une sorte de miracle, se produisit. Un mois plus tard, la métastase de mon ami avait disparu -- effacée, gommée. Puis les hémorragies cessèrent, en même temps que les dernières douleurs. Puis enfin, d'après les constatations du médecin traitant stupéfait, la prostate elle-même redevint « normale comme celle d'un jeune homme ». Mon ami condamné en 1977, je le répète, par la médecine officielle, non seulement est toujours vivant -- mais il déploie une grande activité, et peu d'hommes approchant de l'âge de 70 ans seraient capables de faire ce qu'il fait. Nous avons le même médecin, et celui-ci me disait récemment : « Oui, notre ami mourra certainement de quelque chose, comme vous et moi. Mais sûrement pas de cette prostate ! » Fatalement, lorsque je commençai les études préliminaires pour mon roman, *Docteur Erikson,* ces faits qui m'avaient im­pressionné me restaient en mémoire. Or en 1978, un autre ami me téléphone, consterné, affolé : « Mon fils, me dit-il (il s'agis­sait d'un jeune religieux d'une quarantaine d'années) vient de rentrer à Paris, affligé d'un cancer. On croyait qu'il s'agissait d'une simple lithiase dans la vésicule biliaire. On a ouvert et refermé. Le diagnostic final est : cancer au foie avec métas­tases disséminées. Mon fils est perdu. Il en est au stade de la cachexie et pèse moins de 40 kilos. On lui donne six à huit semaines à vivre, et il le sait. » Entre temps, fort heureusement pour lui, ce jeune religieux était entré en contact avec l'équipe qui avait déjà guéri mon ami. Or, condamné donc en 1978 à la mort à très brève échéance, le religieux dont il s'agit est aujourd'hui bien vivant. Il a repris des kilos, fait la navette entre Paris et Rome en exécutant les missions que lui confie son Ordre. Il poursuit ses études en théologie, ses articles dans les revues spécialisées, l'exercice de son ministère sacerdotal -- et même s'il n'est pas encore entiè­rement remis, il est incontestablement sur la voie de la guérison. 27:269 Ici, il faut bien que je souligne devant vous cette étrange coïncidence entre la réalité et la fiction. J'étais parvenu à peu près à la moitié de la composition de mon roman lorsque des amis me firent connaître le principal animateur de l'équipe guérisseuse dont je viens de parler. De fait, je rencontrai un per­sonnage extraordinaire, un biologiste âgé de plus de 80 ans, pourvu d'un visage au teint rose, aux cheveux blancs clairsemés, aux yeux bleus d'une vivacité surprenante. Cet homme étudie les problèmes de la cancérologie depuis plus de 60 ans. Il a mis au point, bel et bien, un remède qui -- sans prétendre être une panacée, car il n'y a pas de panacée en médecine -- a déjà guéri et guérit encore de nombreux cas de cancers devant lesquels les plus grands centres hospitaliers et les plus célèbres patrons se sont trouvés impuissants. De quoi s'agit-il ? D'une poudre de perlimpinpin, d'une manœuvre de charlatan, ou plus simplement de ce qu'on appelle en jargon médical un « place­bo », c'est-à-dire une drogue à la fois inefficace et inoffensive ? Il s'agit de tout le contraire. Et comme il n'y a pas de remède-miracle, le médicament que j'évoque se réfère le plus rigoureusement du monde à une science connue (ou plutôt entrevue) depuis Pasteur et fort mal maîtrisée encore de nos jours : *l'immunologie.* Le ressort essentiel de ce remède dont j'ai appelé les modulations D 50 et D 80 dans mon roman, c'est tout simplement, tout bonnement, la stimulation des dé­fenses naturelles de l'organisme. Et ce miracle qui n'en est pas un, cette arme logique, irréfutable, est née de l'observation qu'a faite, il y a plus d'un demi-siècle, ce vieux biologiste que j'ai eu l'honneur de rencontrer. En effet, une étude préliminaire, lucide et appliquée, des ovins et des bovins par notre chercheur lui montra que ces animaux n'avaient jamais de cancer. De là à conclure que leurs défenses organiques naturelles étaient meilleures que celles de l'homme, il n'y avait qu'un pas, qui fut franchi. En prélevant donc sur certains organes des tissus d'animaux, mon biologiste put faire des expériences *in vivo,* c'est-à-dire sur des animaux vivants auxquels il avait préala­blement inoculé le cancer. Il s'agissait principalement de souris et de cobayes -- et le remède s'avéra sur eux efficace. Il fut alors procédé à la reconstitution par synthèse, en laboratoire, des extraits de tissus en question : résultat confirmé. Comme dans mon roman, le produit fut alors élaboré savamment. Et son application, que de nombreuses expériences successives sur animaux avaient révélée non-toxique, put intéresser l'organisme humain. La non-toxicité du remède garantissait qu'il ne s'agis­sait pas, en l'espèce, d'une expérimentation, ni du moindre risque à courir. 28:269 Une cousine du biologiste, cancéreuse abandon­née par les hôpitaux, fut alors traitée : on lui donnait quelques semaines à vivre -- et elle vient seulement de mourir, de tout autre chose d'ailleurs que d'un cancer. Ce qui représente en sa faveur une quarantaine d'années de survie. Et j'en reviens à ces premières tentatives. Depuis lors, à la condition que les prescriptions de l'inventeur fussent observées scrupuleusement dans le traitement, les succès succédèrent aux succès. J'entends encore les sceptiques me dire : « *Si ce que vous prétendez était vrai, cela se saurait ! Il y a longtemps qu'on aurait recours à ce fameux médicament ! *» C'est là, justement, que l'erreur du public est énorme. Car il faut savoir qu'un remède ne peut venir sur le marché, que son usage ne peut être autorisé, que si la Mafia officielle y consent. Le biologiste que je vous ai décrit, l'inventeur, a tenté à plusieurs reprises, vous le devinez, de faire tester sa trouvaille pour que ce médicament anticancé­reux puisse être largement répandu et utilisé. Il n'essuya que des rebuffades. Les prétextes en sont faciles : dossiers insuffi­sants, obligation de constituer un nouveau « dossier » -- qui ne coûterait pas moins, aux chercheurs, que huit cent millions à un milliard d'anciens francs, tant les exigences sont grandes. Pour ne prendre qu'un exemple de la mauvaise volonté officielle, notre biologiste envoya voici quelques années un certain nombre de souris choisies et inoculées à ses frais, à un laboratoire français renommé. Il fournit son remède et demanda qu'on voulût bien le tester, sous contrôle officiel, sur les souris en question. Quelques semaines plus tard, il n'avait pas de nou­velles. Téléphone. « Mille regrets, cher monsieur ! Vos souris ont été noyées dans un accident de laboratoire... » C'est très exactement ainsi que les choses se sont passées. Or ce genre d'incident n'arrive jamais ! Et l'exemple n'est pas unique, tant s'en faut. « Dans ces conditions, répondit le chercheur sans perdre son calme, je peux vous renvoyer d'autres souris ino­culées -- et même d'autres quantités de mon remède si vous l'avez perdu. » « Inutile, lui répondit-on. Finalement cela ne nous intéresse pas. » Tout cela forme le nœud dramatique de mon roman. C'est à cela même que se heurtent le docteur Erikson et l'équipe qu'il a lui-même rencontrée. Or presque toujours, le public non informé, lorsqu'on lui raconte des faits semblables, s'écrie que cela n'est pas possible et qu'il s'agit d'une pure invention de romancier imaginatif. 29:269 Ah, j'aimerais bien qu'il en fût ainsi ! Mais j'en reviens ici au Professeur Israël lui-même, à son expérience, à ses ouvrages. Voici quelques-uns de ses propos, choisis par moi dans *Le Cancer aujourd'hui ou* dans *La Décision médicale :* « J'ai assisté à la stupeur et au scepticisme de mes aînés en 1947-1948 lorsqu'il apparut que la streptomycine pouvait guérir les méningites tuberculeuses et que la pénicilline élimi­nait en quelques jours la syphilis. » « La cancérologie n'est pas une spécialité reconnue. Elle ne fait pas partie des enseignements obligatoires dans les fa­cultés et écoles de médecine. Les cancérologues se forment eux-mêmes, se décernent ce titre eux-mêmes, se cooptent et s'excom­munient comme les médecins généralistes pendant la Révo­lution. » « Il existe entre les besoins et les structures un décalage considérable. Le réseau des rivalités, des routines, des situations acquises, la rigidité spécifique du corps médical... » « Des controverses très vives agitent les milieux cancérolo­giques mondiaux. Des attitudes conservatrices freinent l'ex­pansion des traitements médicaux. » « Les chirurgiens font preuve généralement d'une mécon­naissance souveraine des grandes stratégies anticancéreuses. » Puis encore : « Bien des phénomènes qui prennent place au sein du tissu cancéreux ne sont encore que soupçonnés ou restent inconnus. « La plupart des radiothérapeutes français en exercice au­jourd'hui n'ont reçu qu'un enseignement de cancérologie rudi­mentaire et désuet, ce qui ne les empêche pas d'intervenir sans appel dans l'élaboration des stratégies thérapeutiques des ma­lades qui leur sont confiés. » (...) « Tout se passe pour eux, à l'égal de la plupart des chirurgiens, comme si le cancer n'était qu'une maladie locale et que les métastases n'étaient qu'un phénomène accidentel, alors que c'en est la définition même. » Je ne veux pas abuser des citations -- et je ne veux pas davantage que ceux qui me lisent puissent connaître une in­quiétude accrue, soit qu'ils aient tout simplement peur du cancer comme beaucoup d'individus bien portants, soit qu'ils soient eux-mêmes atteints, et qu'ils risquent ainsi de désespérer de leur guérison. Or je vous dis, à tous, non seulement qu'il ne faut jamais désespérer -- mais qu'aujourd'hui, grâce à cer­taines découvertes, il n'existe presque plus de maladies propre­ment incurables. 30:269 Pour ne parler encore que du cancer, il est certain que la chirurgie réalise des merveilles ; qu'avec les accélérateurs li­néaires, la radiothérapie est devenue infiniment plus précise qu'autrefois, risquant beaucoup moins de détruire les cellules saines avec les cellules malades ; que les modulations succes­sives de la chimiothérapie permettent une thérapeutique à la fois moins lourde et plus sûre ; que les spécialistes, enfin, même s'ils méritent trop souvent les sévères critiques ci-dessus, acceptent de plus en plus souvent une concertation qu'ils refu­saient autrefois -- et ceci, en vue des stratégies combinées qui allongent les rémissions ou permettent les guérisons. Enfin et surtout, nous voyons devant nous s'ouvrir les perspectives de l'immunologie, qui consiste précisément à stimu­ler, comme je le disais tout à l'heure, les défenses naturelles de l'organisme humain, si bizarrement déficientes en certains cas. « L'immunothérapie, dit Israël, commence à sortir du ghetto où l'avaient d'abord enfermée... les chimiothérapeutes. » Et parmi l'arsenal de l'immunologie, le B.C.G. qui est un vaccin jouit de la propriété d'activer les macrophages (nos défenseurs naturels) et d'induire leur multiplication. Or ces macrophages activés n'aiment pas du tout les cellules cancé­reuses. Et quand ils peuvent venir à leur contact, ils les tuent. D'où l'espoir que la science et les travaux des immunologues actuels font naître, lorsqu'il s'agit de la lutte anticancéreuse. C'est justement à cela que j'en voulais venir. Les travaux de mon vieux biologiste à qui l'on refuse de tester officiellement sa découverte, s'inspirent des principes de cette immunologie -- avec 10 ou 20 ans d'avance. La science officielle vaincra le cancer, tôt ou tard. Mais nous voulons que ce soit « tôt », et non pas « tard ». Alors, il nous reste à émouvoir suffisam­ment l'opinion publique si crédule et les médecins trop souvent conformistes, sans parler des mandarins jaloux, pour que l'on s'intéresse enfin à la découverte évoquée dans mon roman, qui existe vraiment, et qui devrait faire couler beaucoup d'encre. Pour cela, il faut soulever le couvercle de la marmite officielle -- il faut secouer le conformisme général, l'apathie, la naïveté ! Il faut amener un certain nombre de grands patrons à s'intéresser aux véritables progrès, en consentant à sortir des rails où la médecine scientifique, dans le domaine du cancer, est bloquée. 31:269 Je compte sur vous, je compte sur tous ceux qui me liront, pour ce combat pacifique. Je le précise avec la vigueur dont je suis capable : il ne s'agit nullement de condamner tel, ou tel. Chaque professeur pris en particulier, chacun des médecins que j'ai approchés jusqu'ici, chacun des généralistes et chacun des spécialistes, quels que soient leurs titres universitaires, je les ai trouvés empoignés par la beauté de leur métier, animés de la passion de guérir, et souffrant, précisément, des échecs, si nombreux qu'ils rencontrent encore. Pourquoi cela n'a-t-il pas empêché nos mandarins d'écraser Solomidès et ses pyroxidases, Estripeaut et son 816, Thomas et ses sérocytols, Mattéi et son magnifique hémotest ? Oui, pourquoi ? C'est pour moi, pour nous tous, un mystère. J'ai du mal à me contenter de l'expli­cation qui se résumerait à évoquer la « jalousie » des grands patrons et leur « orgueil minéral ». Je n'ai d'ailleurs pas fini mes recherches dans ce domaine, et j'entends les poursuivre bien au-delà de mon livre. Étudiant divers dossiers de cher­cheurs indépendants, morts ou vivants, que les officiels ont accablés, j'ai été surpris de la férocité de certaines attaques, qui sonnent presque comme un appel au meurtre. Mon ami le docteur Mattéi, qui a gagné pourtant tous ses procès, et mon ami le docteur Pradal, coupable d'avoir publié dans des ou­vrages devenus célèbres la liste des remèdes qu'il considérait comme efficaces, ont été vraiment persécutés, et le mot n'est pas trop fort. Mattéi en a éprouvé un véritable stress, subissant une hémiplégie dont il a le plus grand mal à sortir. Tout cela n'est pas juste. Bien sûr, il y a les charlatans -- et j'en ai fait justice dans mon bouquin. Je n'aime pas les charlatans, pas plus que ne les aiment les grands patrons actuellement en service. Mais il serait bon que la médecine officielle sût faire la distinction entre les faux-guérisseurs et les chercheurs authentiques. Ce n'est tout de même pas trop leur demander ! Lors d'un grand congrès médical à Munich, il y a peu d'années, le Professeur Maurer s'écriait : « Des cher­cheurs isolés, dont malheureusement on n'a pas dit un mot, ont depuis longtemps fait une œuvre considérable de pion­niers ! » Et c'est encore Lucien Israël qui -- après avoir souligné de nombreux exemples d'une résistance consciente ou non, organisée ou diffuse, à l'innovation médicale -- oui, c'est encore lui qui a écrit ces lignes où je puise un grand réconfort : 32:269 « Beaucoup de grandes révolutions thérapeutiques sont réa­lisées au sein de petites équipes menant des études-pilotes, et non au sein des groupes coopérateurs qui plutôt occupent le terrain. » « Encore une fois, la liberté est essentielle en médecine comme ailleurs, et il ne saurait être question de régenter la recherche, ni a fortiori d'imposer une orthodoxie scientifique qui n'a rien à voir avec la vérité. » Nous ne sommes pas seuls. Pour franchir une nouvelle étape dans ce combat vers la guérison et la vie, il suffirait aujourd'hui de bien peu de choses. Je pense à ces chercheurs que l'on étouffe encore, à ces découvreurs qui continuent d'être juridiquement persécutés, à ces « décideurs » qui font avancer la médecine par des voies nouvelles : les pages de mon livre et l'action que je voudrais mener contre le mortel ronron des habitudes n'ont pas d'autre ambition que les aider. Michel de Saint Pierre. 33:269 ### Gloire et mort des musées par Georges Laffly NOTRE CIVILISATION n'a créé ni un temple, ni un tombeau, disait André Malraux. Il se trompait. Elle a créé le musée, qui est à la fois l'un et l'autre. Temple, d'abord. Si l'on y rassemble les œuvres de toutes les civilisations, ce ne peut être par admiration esthétique il n'y a pas de Beau commun à tous ces objets. Mais chacun incarne un moment de l'art, une empreinte du sacré disparu ; tous ensemble, ils composent une sorte de chant éternel qui ne s'adresse à personne. Un « ardent sanglot » substitut de la religion. La culture est le nouveau culte. Tableaux, statues sont les monuments de ce que l'humanité a éprouvé de plus haut. Le pari est de transmettre aux hommes d'aujourd'hui un sentiment de communion avec des efforts si divers, fruits de piétés disparues. On vénérera le résultat d'élans que l'on trouve absurdes. C'est ainsi que l'homme se sentira héritier de toutes les civilisations -- fardeau plus lourd que celui du Blanc au temps des colonies, et posé sur des épaules bien fragiles. Mais il faut croire que cette idée est active, si l'on veut expliquer le ministère de la Culture en France, ou l'effort mondial pour sauver le temple de Philae, que le barrage d'As­souan devait engloutir. 34:269 Les visiteurs des musées prennent d'ailleurs, instinctivement, une attitude dévote, parlant à mi-voix. Ils s'y rendent comme on allait à la messe quand la foi faiblissait, mais qu'il était encore exclu de rompre avec l'Église : par obligation sociale. De façon plus patente encore, le musée est un tombeau. La place des œuvres d'art c'est l'église, le palais, la voie publique, quand l'art vit et touche tout un peuple : il en exprime la foi, les rêves, le sens de la beauté. Quand cette vie a reflué, le musée apparaît. Les peintres travaillent en pensant que leurs tableaux lui sont destinés. Les mieux nantis fondent leur musée. C'est le circuit court, pour l'œuvre, qui vise dès sa naissance cette retraite. Comme le Mobilier national accumule les bureaux, fauteuils, lits, tapis des anciens palais, dont les usagers naturels ont disparu, les musées rassemblent les œuvres qui n'ont plus de fonction mais que l'on reconnaît comme précieuses ; bien plus précieuses même qu'à l'origine où une Vierge de Memling n'était qu'un support à la prière des fidèles, où *l'homme aux gants* du Titien n'était qu'un portrait de famille. Ce qui comptait, c'était la prière, ou les traits de tel individu pour sa femme, ou son père ; ce qui compte pour nous, c'est le peintre et la peinture. Mais comment savoir où s'arrête l'art, ou la notion du précieux ? L'éloignement dans le temps donne une valeur aux moindres vestiges. Un lambeau de tissu, un peigne, une coupe finissent par être soigneusement présentés sous vitrine. Le Pha­raon emportait dans sa tombe ses objets familiers ; nous en­tassons dans des salles ad hoc jusqu'aux plus humbles ustensiles des provinces d'hier ou des îles du Pacifique. Tout cela est objet de science et de piété. Ces témoins sont réunis pour le long voyage de l'immortalité, et aussi exposés au regard du moderne qui les considère comme ceux d'une autre espèce ; il imagine difficilement une humanité sans eau courante, sans auto, sans télé. C'est une autre forme du culte des morts, culte, semble-t-il, de moins en moins personnel, -- les tombeaux de famille sont dispersés, les concessions éphémères, la mémoire aussi, -- mais qui reste puissant dans la collectivité, ainsi que le montrent les plaques des rues, les émissions historiques, les expositions, et les musées. 35:269 Dans notre civilisation, qui tourne le dos au passé, le soin mis à veiller sur ces restes semble singulier. Il répond peut-être au besoin de s'envelopper d'une certaine épaisseur de temps, dans un monde neuf et nu. On craint de se trouver seul, comme un enfant trouvé, et l'on veut compenser le vide qu'on sent derrière soi, dont en même temps on se félicite : l'homme moderne est persuadé d'être le premier homme. Il est certain que la fréquentation des musées ne cesse de croître. Les chiffres parlent. Seul un mauvais sujet pourrait les chicaner. Si l'on essaye de prendre ce vilain rôle, il faut dire qu'une bonne moitié des visiteurs (sans parler même des troupeaux scolaires qui sont menés, l'œil absent, à cette nouvelle torture pédagogique) a le masque de l'ennui mortel. Le nombre y est, pas la ferveur. On a parlé d'une obligation sociale ; en effet, les gens viennent parce que c'est *convenable.* Le passage au musée est naturellement compris dans le voyage touristique. Quant aux autochtones (si l'on peut dire) ils y vont aussi, soit désœuvrement, soit incitation d'un magazine, soit entraînement d'une copine prestigieuse ou d'un chef de bureau, avec l'intention vague de rêver au vieux temps qui s'étend, chacun le sait, de l'âge des cavernes aux années 1960. Sans doute, l'émotion ressentie n'est pas, et de loin, à la hauteur de celle que donne un match ou un film. L'attention s'accroche mal à ces pierres qui figurent des personnages inconnus (Latone, David, Persée), à ces toiles si hautaines dans leurs cadres à moulures, avec leur air de reine outragée qu'on expose sur le marché aux esclaves. Reste qu'un impératif social donne à ces moments la valeur du devoir accompli. Il joue pleinement, au­jourd'hui, en faveur des temples-tombeaux, et leur assure des entrées considérables. Mais ces modes-là passent, et le mouve­ment se renverse avec d'autant plus de force que la contrainte a été puissante. Un ressort se détend. Je crois entrevoir le temps où les musées seront joyeusement désertés, laissés à leurs derniers gardiens et aux rats. Plus per­sonne ne consentira à donner un sou pour ces monuments funéraires, conscient tout à coup que l'on n'en a pas besoin, que l'on n'y ressent rien. « Laissons pourrir ces vieilleries. Et puis, c'est qui Delacroix, Watteau, Uccello ? qui, Ramsès, Louis XIV ? » je crois déjà entendre ces cris du cœur. La génération qui monte, ou la suivante, les poussera joyeusement. Le senti­ment de l'art est peu répandu, et ne s'accroît certes pas pro­portionnellement au nombre de ceux qui reçoivent une instruction prolongée. L'engouement artificiel pour les musées ne résistera pas au mouvement d'une barbarie naturelle qui tranche tout lien avec le passé. On ne peut aimer l'art de siècles qu'on ignore, et qui nous deviennent profondément étrangers. 36:269 Il sera alors d'autant plus facile de supprimer les trésors de l'art humain qu'ils ont été concentrés en quelques endroits. Isolés comme on isole les déchets radioactifs. Un optimiste avancerait que l'on garde également dans des réserves ce que l'on considère comme très précieux : la flore et la faune mena­cées. Réponse : là aussi, la mise à l'écart n'est que le premier pas vers l'élimination. Il suffira d'un relâchement de la sur­veillance, d'une réduction des crédits, d'une famine, pour que la vie si soigneusement préservée se trouve exposée aux coups et détruite totalement. Totalement, puisqu'on l'a concentrée sur un espace restreint, et qu'elle n'existe plus ailleurs. Toute survie protégée et cantonnée est fragile. Il en va de même pour l'art. Mêlé à la vie quotidienne, il ne peut périr. Il est présent, aimé, indispensable. Les chefs-d'œuvre dans les maisons, les rues, les écoles, les bureaux sont intégrés à la respiration même de la cité, et d'ailleurs si dispersés qu'ils ne sauraient tous dispa­raître. C'est ainsi qu'ils ont pu traverser les guerres, les révo­lutions. Mais aujourd'hui, parqués dans des palais comme des suspects dans des camps, ils sont perdus. C'est d'autant plus certain qu'on leur attribue à la fois une fabuleuse valeur financière (dans une société soumise à l'éco­nomie, l'œuvre est devenue un *placement* -- et un placement qui se camoufle en goût désintéressé, double avantage) et une sorte de caractère sacré. Moyen sûr d'attirer sur eux la double foudre de l'envie et de la haine pour toute piété. L'instinct du monde moderne a agi infailliblement : refusant la durée, étranger à la beauté gratuite, ce monde hait l'art. Il a eu l'idée géniale d'en conduire les produits vers quelques lieux étroits. C'est en apparence pour leur rendre hommage, en fait pour les écarter, comme on éloigne les résidus de la vie. Puis un jour vient où l'on s'aperçoit qu'il est grand temps d'anéantir cet amas inutile et envahissant, visible reproche à notre stérilité. Georges Laffly. 37:269 P.S. I. -- Les réserves des musées contiennent déjà cinq à six fois plus d'œuvres cachées, et que personne ne voit jamais, qu'il n'y en a d'exposées. La mise à l'écart est un fait. P.S. II. -- En 1968, un portrait de Richelieu qui se trouvait à la Sorbonne fut lacéré. Des étudiants justifièrent cet acte (voir *Combat* du 11 février 1969) en disant qu'il ne s'agissait que d'une copie de l'œuvre de Philippe de Champaigne ; ils ajoutaient que le vandalisme « pourrait se comprendre dans certaines périodes révolutionnaires » ; et ceci, encore plus clair : « il n'y a pas d'œuvre d'art en soi sacrée, alors qu'elle est devenue dans une culture œuvre morte ». P.S. III. -- On part ici d'une remarque de Malraux. Plus que tout autre, il a conçu le musée comme un temple. Mais c'est de lui que je veux parler maintenant. Quel silence, quel abandon autour de ce mort, après tant de bruit. En fait les gens qui font le tapage ou le silence (les informants bien situés) le détestent sans doute comme renégat politique. Plus encore, on se venge d'avoir fait semblant de l'admirer, quand il le fallait, alors qu'on le comprenait mal et qu'il ennuyait, survolant malgré tout d'un peu trop haut les marécages. Sa puissance évanouie, on a enfin le droit de hausser les épaules, ou de ricaner. Ils ne s'en privent pas, ceux qui n'auraient jamais osé le faire de son vivant. Preuve entre mille de l'incroyable frivolité des opinions, et du trucage de cette « Bourse des valeurs » littéraire dont il faut bien admettre l'existence. G. L. 38:269 ### La fléchette par Bernard Bouts Un vieil homme marchait devant moi, retour du marché, chargé de deux sacs de papier. Au coin des Eaux Fer­reuses et de la rue du Général Glicérine il y a un édifice tout neuf, mi cage à mouches mi reposoir, douze étages, avec une entrée de marbre entourée de plantes et une « sculpture » si l'on peut dire, faite de tubes d'aluminium disposés en hélice autour d'un axe vertical. On devinait, à travers les vitres couleur marron, le hall d'entrée, les ascenseurs au fond et le majestueux portier en uniforme, assis à sa table, à écrire des mystères sur un carnet. J'ai remarqué que tous les portiers prennent contenance en fei­gnant d'écrire, malgré qu'ils soient tous à peu près analphabètes, comme mon marin, qui ne savait pas lire, se plongeait dans le journal, sur le quai, pour observer les passants sans en avoir l'air. Mon bonhomme d'aujourd'hui posa ses deux sacs avec pré­caution, pour souffler un peu, l'œil hébété sur les tubes d'alumi­nium. C'était un Anglo-saxon du genre maigre, légèrement voûté mais large d'épaules, à moitié chauve, modestement vêtu. Je m'étais assis sur le rebord en marbre et je lui adressai la parole en anglais : « Il fait chaud aujourd'hui » ; mais il ne comprit pas : « Je suis né en Suisse, me dit-il, de parents suisses mais je suis « brasi­linisé » et figurez-vous que je ne sais plus un mot d'allemand. » 39:269 A ce moment une fléchette en papier, lancée des étages supé­rieurs, vint frapper sa poitrine et tomba par terre. Il la ramassa, l'examina, c'était réellement une jolie fléchette, bien faite comme il faut. Se renversant un peu en arrière, il chercha des yeux à toutes les fenêtres, jusqu'à apercevoir au sixième étage un enfant blond et son papa, le constructeur. Le vieil homme leur fit un geste clair : « attendez ! » et d'un mouvement vif il lança la fléchette dans leur direction. A notre grande surprise elle monta, monta vers l'édifice. Il est vrai que le vent de mer s'était levé tôt et il est probable qu'en ce cul-de-sac et contre cette immense façade il créait un courant ascendant. Elle arriva à la hauteur du sixième, non pas en face de la fenêtre du petit garçon et de son papa (que d'en bas nous voyions crier leur enthousiasme) mais d'une autre fenêtre du même appartement, qui était également grande ouverte. Elle s'y engouffra. Le vieil homme et moi nous nous regardâmes interloqués « C'est bien la première fois de ma vie que je réussis quelque chose » me dit-il, pensif, scandant les mots et hochant la tête. Et nous reprîmes notre chemin, remontant vers la rue du Vieux Côme, chargés de nos paquets. N'attendez pas que je tire une morale de cette incroyable aven­ture, ou que j'élucubre des théories sur les courants d'air. Le plus étonnant, à mon avis, fut de me trouver juste au bon endroit et au bon moment. Le reste de l'histoire me fut servi sur un plat depuis A jusqu'à Z, je n'avais qu'à écouter. Tout en marchant à pas comptés l'homme parlait, comme causant avec lui-même, car il n'avait plus l'air de remarquer ma présence et je me gardai de l'interrompre pour lui demander des explications ou pour lui faire répéter la phrase lorsque passait un bus assourdissant. « Quand je repense, disait-il, à tout ce que j'ai essayé... et raté dans ma vie ! Pourtant j'étais travailleur et honnête ! Honnête Voilà ! trop honnête, peut-être ! J'étais 3^e^ débardeur, et quand j'ai essayé de devenir titulaire, ouiche ! on m'a menacé. Je suis parti. J'ai été commis d'un avocat. Il me payait bien mais il m'emprun­tait de l'argent et un jour il disparut sans me rembourser. J'ai été garçon au restaurant « Le Roi des Huîtres ». C'est là que je me suis ouvert la paume de la main. Je suis allé à l'hôpital et à mon retour la place était prise. » Il avait de nouveau posé ses paquets pour regarder sa main. J'y vis une énorme balafre. Il reprit ses paquets. 40:269 « Je me suis marié. N'en parlons pas. Deux fils. N'en parlons plus, il y a vingt ans que je ne les ai plus revus. Je suis allé dans le Nord-Est, sur une annonce de journal, pour planter des oignons et j'ai même pu acheter mon terrain. Je l'ai payé, j'ai un reçu, et malgré tout le notaire prétend que tout ça est illégal parce que l'homme qui m'a vendu n'était pas le propriétaire. Le propriétaire était la Marine, paraît-il. Je suis allé à la Marine, à la Mairie, et jusqu'au Gouverneur, mais personne ne m'a reçu. On m'a dit qu'ils étaient tous de connivence, et j'ai encore reçu une lettre de menaces... « Revenu à Rio, j'ai trouvé une place de concierge, là-haut, chez le Nabuchodonosor, mais la firme était en faillite, on ne me payait pas, et tout ça n'est pas amusant. Qu'est-ce que j'ai raté encore ? » Nous étions en train de dépasser ma ruelle mais je continuai tant j'avais le désir de savoir toute l'histoire. « Ensuite j'ai été garde de nuit au grand hôtel Ana Bacapoc, avec un uniforme et un revolver à la ceinture. J'y suis resté un an à peu près, mais un soir, il y a eu un hold-up, ils ont tiré sur moi, ils m'ont raté, j'ai tiré à mon tour, j'en ai tué un, les autres se sont sauvés et j'ai été mis en prison pour assassinat parce que, disait le juge, j'avais tiré le premier. « Mais, monsieur le juge, je lui dis, je n'ai pas tiré le premier, c'est eux qui ont tiré dans tous les sens et c'est miracle que personne n'ait été touché ! » -- « Je ne crois pas aux miracles, répondit le juge. » Enfin, un jeune avocat est arrivé à me faire libérer au bout d'un an. » « Dans la prison il y avait des trafiquants, des voleurs, des mauvais garçons. Ils m'ont proposé toutes sortes de trucs pour faire fortune « quand on sortira ». Maintenant me voilà bistrot, en société avec le José... mais c'est moi qui fais les achats, moi qui balaye, et lui, il boit. Moi je ne bois pas et j'en ai vraiment marre d'être la tête de turc de tout le monde. Voyez-vous, Monsieur, me dit-il en se tournant vers moi, cette fléchette, ça m'a fait du bien. Le fait d'avoir tué un homme par hasard, avec un revolver que je ne savais pas manier ne m'a pas fait de bien. Mais la flé­chette ! 41:269 Voyez que j'ai réussi (je me suis appliqué il est vrai) quelque chose que, probablement personne au monde n'a pu faire avant moi et que personne ne recommencera : lancer une fléchette de bas en haut, six étages, et pan ! dans la fenêtre. Faut le faire ! » Nous arrivions à sa boutique. « Eh bien, lui dis-je, vous avez réussi une prouesse extraordinaire, unique, je vous fais mes com­pliments. » Et je m'en retournai, n'osant pas ajouter : « Surtout n'en parlez pas, on ne vous croirait pas. » Bernard Bouts. 42:269 ### La véritable histoire des Cristeros (II) *Les forces en présence* par Hugues Kéraly ET DONC, aux premiers jours de l'année 1926, l'Église n'a plus de personnalité légale pour le gouvernement mexicain. Le général Plutarco Elias Calles, président de la République, vient de signer un « *projet de loi* » qui entend urger et alourdir l'article 130 de la Constitution im­posée en 1917 par les bolcheviks du nouveau continent. Il n'attendra pas son enregistrement par les Chambres (27 octobre 1926) pour en étendre le méfait à tous les États mexicains par la ruse, la force, et jusqu'au bain de sang. 43:269 Le diktat présidentiel donne compétence aux autorités fédé­rales pour légiférer en matière de discipline ecclésiastique. Toutes les églises deviennent propriété du gouvernement. Les ministres du culte se voient gratifiés d'un statut à part, unique alors dans l'histoire des relations de l'Église et de l'État : ils sont placés sous contrôle judiciaire, et déchus de tous leurs droits. Le moindre gouverneur a licence d'en fixer le nombre par décret, sur son terrain de chasse ; et d'imposer le fouet, l'exil ou le bagne aux récalcitrants. Aboutissement d'une conspiration très ancienne, où les francs-maçons et les protestants yankees donnent constamment la main, pour écraser le catholicisme, aux dictateurs de Mexico. Dans les clubs américains, on raconte que les progrès de la Science, du Sport et d'une Éducation populaire assurée par l'État sont en passe de triompher, au Mexique, des fables obscurantistes et rétrogrades distillées par le clergé sur un peuple ignorant. -- Pie XI lui-même, qu'on n'accusera pas d'intégrisme pour la première partie de son pontificat, a deviné les terribles persécutions qui s'annonçaient sous cette propa­gande. Il écrit son inquiétude aux évêques mexicains, victimes d'un « *gouvernement ennemi de l'Église* »*,* dont les arrêts « *ne semblent même pas mériter le nom de lois* »*.* A travers les évêques, le pape engage les fidèles à faire « *le meilleur usage de leurs droits et de leurs devoirs* »*,* nonobstant les interdits officiels, « *pour le bien suprême de la patrie et de la religion* » ([^1])*.* Il va être entendu, au-delà de toute espérance, par les catholiques du rang. #### *Un évêque parle* Début février 1926, *El Universal* publie une fracassante interview de Mgr Mora y del Rio, archevêque de Mexico : 44:269 « *La doctrine de l'Église est invariable, en tant que vérité révé­lée... Nous engageons une campagne contre les lois injustes et contraires au droit naturel. Nous -- épiscopat, clergé, fidèles -- déclarons ne pas reconnaître les articles 3, 5, 27 et 130 de la Constitution en vigueur, que nous combattrons. Cette position nous est dictée par la foi et la religion, ce serait les trahir que d'y rien changer.* » ([^2]) Qu'on en juge en effet. L'article 3 interdisait aux prêtres et aux corporations religieuses l'exercice de l'enseignement. L'article 5 assimilait à un détournement de mineur, puni de prison, l'acceptation de vœux monastiques par les supérieurs de couvents. L'article 27 expropriait au profit de l'État tous les biens, meubles et immeubles, des « associations religieuses dénommées églises ». (Calles n'appliquera jamais cette mesure aux églises réformées ; contre le clergé catholique au contraire, la loi fait appel à la délation : « La présomption sera suffisante pour tenir comme fondé en justice l'acte de dénonciation. ») L'article 130 enfin, dont Pie XI s'inquiétait justement, four­nissait le détail des recettes juridiques et policières pour appli­quer au clergé, selon l'expression de Jean Madiran, la « tech­nique sociologique de l'esclavage ». Toutes les associations de laïcs -- la Ligue pour la Défense de la Liberté Religieuse, l'Association Catholique de la jeu­nesse Mexicaine et l'Union Populaire --, sur lesquelles allait reposer le poids de la résistance, souscrivent aussitôt par voie de presse au *non possumus* du prélat mexicain. Calles fulmine. Il convoque son chef de police, le général Roberto Cruz, dans son bureau : -- *Ce qu'ils ont fait est un défi au gouvernement et à la Révolution. Je ne suis pas disposé à le tolérer.* 45:269 Le 6 février, l'archevêque de Mexico est inculpé : le verbe « combattre », utilisé dans sa déclaration, constituerait une menace directe pour la sécurité de l'État. Prudent, Mgr Mora maintient la protestation de l'Église mais retire le mot. Il fait valoir qu'aucun refus de reconnaître la loi, aucun appel direct à la résistance ne figurait dans ses déclarations au reporter d'*El Universal,* qui aura forcé la note pour complaire à sa direction... Sans le nommer, *La Vanguardia,* organe de la Ligue pour la Défense de la Liberté Religieuse, rétablit l'intégrité de la position catholique, tire l'échelle et coupe les ponts : « *Le droit de l'Église est antérieur à celui de l'État... Nous rejetons d'avance tout acte ou manifeste, de quelque personne qu'il émane, fût-elle ecclésiastique et haut placée, qui serait contraire à la liberté de la religion.* » ([^3]) *--* Cet épisode suffit à faire comprendre sur quelles forces de résistance, désormais, les droits de l'Église vont pouvoir compter. Vers le 10 février 1926, Calles convoque un conseil des ministres extraordinaire pour précipiter l'application des décrets antireligieux. Le clergé, qui faisait l'impossible pour obéir aux évêques, et rester « dans le cadre de la légalité », en sera la victime privilégiée. Un premier contingent de deux cents prêtres étrangers se voit conduit de force à Veracruz, où la police les embarque en 3^e^ classe à bord de *L'Espagne,* direction Cuba. Quatre-vingt-treize couvents et collèges catholiques sont fermés à Mexico, et cent quatre dans l'ensemble des autres États ([^4]). Les établissements qui restent ouverts sont rebaptisés de noms laïques et purgés de tout symbole religieux. Parallèlement, comme l'article 58 du code pénal de Lénine dans l'archipel Goulag, l'article 130 se met à fonctionner. Les gouverneurs contingentent *le nombre de prêtres* au gré de leur imagination, plus ou moins fertile en cruauté. Celui de Mexico arrête que cent quarante suffiront, pour la population d'un État qui dépasse alors le million de baptisés. 46:269 A Colima, l'adminis­tration autorise un prêtre par tranche de 2.500 habitants (puis se reprend, et les limite à une quinzaine pour toutes les villes de l'État). A Jalisco, un prêtre pour 5.000 habitants. A Yucatan, un pour 10.000. A Durango, un pour 20.000. A Tabasco, un pour 30.000... Qui dit mieux ? -- Le gouverneur de l'État de Campeche : il délivre, en tout et pour tout, trois habilitations ! Les prélats, en dépit de toute leur prudence, ne sont pas mieux lotis. Mgr Caruana, le nouveau nonce apostolique amé­ricain dépêché par Pie XI pour désamorcer le conflit, avait passé la frontière du Mexique le 4 mars 1926. Il la repassera dans l'autre sens le 12 mai entre deux gendarmes, sous le grief d'avoir violé l'article 130 de la Constitution, en dissimulant aux autorités mexicaines sa *naissance,* sa *profession* et sa *religion !* Lesquelles n'ont pas droit de cité dans le Mexique de la Révolution. Formidable article 130... Comme dit si bien Soljénitsyne : « *Amenez-moi donc saint Augustin, en moins de rien je vous l'aurai fait entrer là-dedans.* » Des résistances épiscopales, il y en a d'individuelles seule­ment, et qui n'ont pas longtemps le loisir de se manifester. Mais alors, quelle leçon ! C'est ainsi que l'évêque de Huejulta, José de Jesus Manriquez y Zarate, dans une lettre pastorale du 1^er^ mars 1926, s'adresse sans détour au tyran : « (...) Monsieur le Président de la République vient de déclarer qu'il considère que l'application des articles constitutionnels attentatoires à la liberté de culte ne soulève aucun problème notable dans le pays : tout se serait réduit à des protestations de bonnes femmes, sans qu'aucun individu de sexe masculin n'ait assez de courage pour en prendre la direction. Monsieur le Président de la République vient de mentir à la nation. « Il doit savoir qu'ici, en ces terres lointaines perpétuel­lement soumises à la barbarie, brûlées par un soleil d'Afrique, il existe une race d'homme, de chrétien, qui aura le courage, avec la grâce de Dieu, d'endurer le martyre en cas de nécessité pour la cause sacrosainte de Jésus-Christ. Si le jacobinisme peut accorder quelque faveur : qu'on ne vienne pas poignarder cet homme-là dans le dos. 47:269 Puisque le gouvernement du Mexique exige des catholiques de son pays le vrai courage chrétien, ceux-ci sont en droit d'exiger de leurs bourreaux le minimum d'honneur et d'audace des césars de la Rome païenne. » ([^5]) Pour toute réponse, le 15 mai 1926, Calles dépêche à l'évêque de Huejulta un régiment de cavalerie. Dès l'aube du lendemain, Mgr Manriquez, à cheval aux côtés du colonel Lopez Leal, bénit les fidèles du diocèse agenouillés sur le bord de la route et prend le chemin de sa prison. Il s'y morfondra un an, avant d'en passer dix-sept en exil loin des siens. Aucun avocat n'assurera sa défense devant les tribunaux : « -- *Je ne reconnais, ni de loin ni implicitement, la compétence des juri­dictions civiles en matière de religion.* » Au Mexique aussi, en plein XX^e^ siècle, le chemin de l'hon­neur chrétien passe par les prisons. L'Évangile lui-même n'avait pas prédit autre chose, qui montre le Christ au cachot à la veille de sa victoire sur la croix, et de la Résurrection. #### *L'épiscopat parlemente* Un seul autre évêque mexicain prend publiquement position, neuf mois plus tard, en faveur de l'insurrection cristera. Sa lettre pastorale est lancée « hors de la Porte Flaminia », c'est-à-dire sans la caution de Rome : « *Nous n'avons jamais provoqué ce mouvement armé. Mais dès lors que, tous les moyens paci­fiques ayant été épuisés, ce mouvement existe, nous devons dire à nos fils catholiques insurgés pour la défense de leurs droits sociaux et religieux : soyez en paix avec votre conscience et recevez notre bénédiction. *» ([^6]) 48:269 *--* Encore faut-il préciser que l'archevêque de Durango, chapitré par Rome et le nonce apostolique, ne tardera pas à rentrer dans le rang. L'honneur contre sa place, il n'a pas hésité. L'épiscopat mexicain de 1926 compte trente-huit évêques *un* qui résiste, *un* qui cède, et *trente-six* qui se taisent ou condamnent le soulèvement armé, seule forme de résistance capable d'en finir avec le despotisme anti-religieux. (Les pro­portions ne se sont guère améliorées, depuis, sur le champ de bataille chrétien.) En juillet 1926*,* une mesure néanmoins, dont nous avons parlé, réunit l'assentiment général de l'épiscopat : la SUSPENSION DU CULTE PUBLIC. Elle est lourde de conséquences, qui ne seront pas assumées. En voici le décret : « *Dans l'impossibilité où nous sommes de maintenir l'exercice du ministère des sacre­ments selon les règles imposées par le droit canon, ayant consulté le saint-père, S.S. Pie XI, et obtenu son approbation, nous ordonnons qu'à partir du trente et un juillet de la présente année, et jusqu'à ce que nous en disposions autrement, on suspende dans toutes les églises de la République le culte public qui requiert l'intervention du ministère sacerdotal. *» ([^7]) On pourrait croire que l'Église mexicaine se saborde, face aux prétentions du gouvernement. Elle ne cherche en réalité par ce recours extrême qu'à provoquer l'explication et l'arran­gement avec lui. Qui y puisera une occasion supplémentaire de déchaîner, contre les chrétiens, la horde des persécuteurs ga­lonnés. A partir du mois d'août 1926*,* les catholiques mexicains ont le sentiment, bien fondé, d'avoir tous les pouvoirs contre eux. Rome se tait. La troupe viole et fusille sans jugement. Le gouverneur fait pendre les leaders catholiques. *L'évêque les prive des sacrements* ([^8]). -- C'est une apocalypse**,** indifférente au monde entier**,** dans le cœur du Mexique chrétien**.** 49:269 Pendant ce temps, à Mexico, les évêques parlementent. Ils s'entretiennent dans l'illusion du compromis historique avec le socialisme à visage humain. Déjà... Mgr Pascual Diaz reçoit les journalistes étrangers (2 août 1926). Il vient de rencontrer le Président. A plusieurs reprises. Des entretiens privés. Il en sort avec la certitude qu'une solution est en vue, sur les bases suivantes : « suspension dans la pratique des lois anti-cléricales, consultation du pays et révision partielle de la Constitution » ([^9]). Un memorandum en ce sens est soumis le 16 août au général Calles par le Comité Épiscopal mexicain. Les évêques y réclament la liberté de conscience, de pensée, de culte, d'enseignement, de presse et d'association -- rien de moins... Non sans humour, pour dé­fendre la « suspension du culte » qui vient de provoquer un peu partout les premiers soulèvements armés, ils font également valoir au Président que « *le fait de s'abstenir d'un acte sanc­tionné par la loi ne saurait être tenu pour une rébellion* »*.* Le 17 août, sans attendre la réponse de Calles, l'épiscopat apporte une nouvelle preuve de son innocence politique (ou de sa criminelle légèreté) : il déclare acquise la « bonne foi » du gouvernement dans les négociations. -- Mgr Glemp pourrait bien avoir adopté aujourd'hui une politique du même ordre, vis-à-vis de Jaruzelski. Trois jours plus tard, Calles reçoit officiellement les repré­sentants de l'épiscopat mexicain. Il met les points sur les « i », avec toute l'insolence qu'autorise le pouvoir absolu : 50:269 -- Mon gouvernement ne fera aucun pas en arrière. Je n'userai pas de mon influence pour que les Chambres modifient les lois, qui seront appliquées dans toute leur rigueur... Les choses sont bien claires : il n'y a plus d'autre solution pour vous que les Chambres, ou les armes ! (*No les queda mas remedio que las Camaras o las armas !*) Les évêques, incorrigibles : -- Nous nous réjouissons, Monsieur le Président, des précisions que vous nous apportez. L'Église n'entend pas dé­fendre ses droits par la violence, dont les triomphes sont éphé­mères. Elle cherche un arrangement plus solide et, pour cette raison, préfère les voies légales et pacifiques ([^10]). Le recours aux Chambres était là pour la frime, bien en­tendu, mais les évêques ne manquent pas de tomber dans le piège du tyran. Leur appel, déposé le 6 septembre 1926, est jugé irrecevable deux semaines plus tard par les députés : « *Les évêques ne sont pas habilités au Mexique à exercer un droit de pétition.* » *--* Objection d'ailleurs juridiquement fondée, la Constitution de 1917 ne reconnaissant pas de statut civil au clergé. L'Église n'a qu'un droit, celui de se taire, qui paraît trop généreux encore au despotisme maçon. Il ne restait donc plus que les armes, comme Calles l'avait prédit sans risque de se tromper. Les catholiques mexicains n'ont demandé à personne l'autorisation de s'en servir, ils n'avaient pas le choix, mais le gouvernement a beau jeu d'ac­cuser l'épiscopat. Les communiqués du *Boletin Oficial del Estado Mayor Presidencial* claironnent que les drapeaux saisis chez les Cristeros, frappés du Sacré-Cœur et de la « Virgen » (de Guadalupe), dénoncent le clergé comme instigateur direct de la rébellion. La riposte des évêques -- 1^er^ novembre 1926 -- est foudroyante, quant à leur parfaite irresponsabilité : « *L'épisco­pat a toujours recommandé aux catholiques de s'en tenir aux voies légales et pacifiques.* » Sur le fond, elle fait preuve d'une incroyable légèreté : 51:269 « *Quant aux rébellions, séditions et cons­pirations contre l'autorité, légitime, nous avons toujours rappelé ce que l'Église enseigne, à savoir que ces moyens sont réprouvés par la morale catholique, qui rejette le prétendu droit de rébellion.* » -- Doctrine indiscutable mais bien peu opportune**,** voire un tantinet hypocrite**,** dans un pays où le pouvoir multi­plie chaque jour les preuves de sa radicale illégitimité**.** L'épiscopat ajoute**,** comme pour se mettre en règle avec la théorie** :** « *Il est des cas où les théologiens catholiques auto­risent, non la rébellion, mais la défense armée contre l'agression injuste d'un pouvoir tyrannique, dès lors que toutes les voies pacifiques ont échoué.* » (Ceci dit, n'est-ce pas, nous ne sommes pas théologiens.) ([^11]) En novembre 1926 toutes les voies pacifiques, de l'occu­pation d'église au boycott, ont démontré leur inutilité. La persé­cution redouble. Les associations de laïcs vont donc presser de toutes parts les évêques mexicains pour qu'ils appliquent la doctrine aux réalités, reconnaissent la légitimité de l'insur­rection et bénissent les combattants. On ne leur demandait pas de monter à cheval et de prendre le maquis. Seulement leur bénédiction, pour ceux que la troupe assassinait dans la nuit, au motif de leur foi en Jésus-Christ. Cette consolation, si naturelle, si puissante pour les soldats de l'honneur chrétien, les Cristeros ne l'obtiendront jamais. Les évêques se taisent, forts de leur obéissance au siège romain. Certains mêmes font du zèle, tel l'Ordinaire de Chi­huahua, un roquet misérable qui interdit formellement l'insur­rection sur le territoire de son diocèse, et va jusqu'à brandir des menaces d'excommunication. Calles fera obtenir de l'avance­ment à ce bon prélat, interlocuteur privilégié du régime, il irait bien jusqu'à financer ses nombreux voyages au Vatican... Le Patriarcat de Moscou**,** dans les mêmes années**,** ne procé­dait pas autrement**.** 52:269 #### *Les Yankees font l'aumône* En août 1926, le bruit courut à Mexico que le général Enrique Estrada, ancien ministre de la guerre du cabinet Obre­gon, préparait un soulèvement militaire contre Calles depuis son exil américain. La Maison Blanche lui avait donné l'assu­rance qu'elle n'interviendrait pas. En même temps, elle faisait prévenir le gouvernement mexicain : la paix dans ses concessions de pétrole, contre l'anéantissement des insurgés. Estrada et ses troupes furent donc cernés par la cavalerie américaine en Cali­fornie, près de la frontière du Mexique, désarmés et traduits devant les tribunaux. -- Solidarité yankee : le Nord contre le Sud, les capitaux contre la foi. Elle ne se démentira donc jamais, dans l'histoire du nouveau continent. A cette époque, les dirigeants de la Ligue pour la Défense de la Liberté Religieuse n'en sont pas encore convaincus leur jeune vice-président, René Capistran Garza, franchit clan­destinement la frontière américaine le 16 août 1926. Il a pour mission d'entreprendre « *les plus pressantes démarches, auprès de l'épiscopat et des catholiques nord-américains, en vue d'obte­nir leur ferme appui moral et financier dans le combat de la Ligue* » ([^12])*.* L'archevêque de Mexico, au nom de l'épiscopat, y ajoutait de sa main cette étonnante caution : « *M. Capistran Garza est, entre les laïcs, le seul représentant aux États-Unis des intérêts de la Hiérarchie et des catholiques mexicains.* » ([^13]) L'Église du Mexique s'était donné un ambassadeur extraordi­naire, à la mesure de la situation. 53:269 Le premier évêque visité est celui de Corpus Christi, Texas, dans un territoire arraché au Mexique par les Américains. Le prélat écoute patiemment l'exposé des motifs, et prie l'ambassa­deur de rejoindre l'hôtel, où une réponse lui parviendra. Ce fut un télégramme de onze mots : -- *Nothing doing. They do not like mexican people in this diocese.* (« Rien à faire. On n'a pas de sympathie pour les Mexicains dans ce diocèse. ») Ça com­mençait bien... A Galveston, l'évêque sort un billet de *dix dollars* pour mettre fin à la conversation. Celui d'Houston pousse à *vingt dollars* l'aumône de la dérision ; Dallas : *trente dollars ;* Little Rock : *cinquante. --* L'ambassade du martyre mexicain ne couvrait pas ses frais ! Le plus généreux fut l'archevêque de San Luis (Missouri), dont Antonio Rius Facius nous conte la réaction : « Quand René eut exposé une fois encore, avec plus d'ardeur que jamais, la situation légale de notre Église et la situation pratique des catholiques mexicains, Son Excellence s'indigna et, frappant du poing sur son bureau, s'écria que si une chose pareille survenait aux États-Unis, le gouvernement serait aussitôt écrasé par les catholiques américains, qui sauraient imposer leurs droits... L'espoir renaissait. Il fut bien vite déçu : un billet de *cent dollars,* insuffisant pour équiper un seul soldat, venait traduire entre nos mains la force morale du prélat. » ([^14]) Il y eut pire encore. A Boston, le cardinal O'Connel, tout-puissant sur la communauté catholique des États-Unis, exhor­te René Capistran Garza à supporter avec patience les épreuves que Dieu envoie. Et comme le Mexicain se lève, en soupirant : -- Vous savez, si vous cherchez un emploi, je peux vous munir d'une recommandation personnelle pour les Chevaliers de Christophe Colomb. René Capistran Garza cessa de rencontrer les évêques amé­ricains. Il n'eut pas plus de chance avec le Département d'État, qui avait signé un chèque en blanc aux armées de la Révolution et, face aux représentants des Cristeros, faisait valoir les conventions internationales pour maintenir un sévère embargo. 54:269 Un seul homme écouta un instant l'ambassadeur chrétien. Capistran Garza lui-même nous le présente ainsi : « *Nicolas Brady, multimillionnaire américain résidant à New York, catho­lique fervent, chevalier de Saint-Georges, duc de la Cour Ponti­ficale, très attaché à l'Église et au Saint-Siège apostolique.* » ([^15]) *--* Brady considérait comme légitime au Mexique l'insurrection armée. Il en avait évalué les chances de succès, fixant sa contri­bution personnelle à 500.000 dollars, pour l'achat des armes et des munitions. L'affaire devait se conclure à New York au début du mois de mars 1927. Malheureusement pour les Cristeros, depuis le 1^er^ février, un évêque mexicain sillonnait les États-Unis : Pascual Diaz y Barreto, exilé par le gouverneur de Tabasco pour « incitation à résistance armée ». En fait de résistance, Mgr Diaz allait partout proclamant que le clergé n'avait aucune part à « *l'agi­tation religieuse du Mexique* »*,* malgré la désobéissance indi­viduelle de quelques prêtres isolés : lui-même, comme évêque et comme citoyen, « *il condamnait la rébellion, quelles qu'en soient les causes* ». Nicolas Brady se laissa émouvoir par le vaillant prélat, et l'ambassadeur du soulèvement ne fut plus reçu chez les millionnaires catholiques américains. Le cléricalisme l'emportait, à New York, sur l'instinct de la foi. Inutile de rappeler ici les millions de dollars yankees qui auront passé la frontière mexicaine à chaque nouvelle étape de la Révolution maçonnique, de Benito Juarez (1867) à Lopez Portillo, aujourd'hui. Les ennemis de l'Église n'ont jamais eu à rougir de la moindre avarice, dans leurs guerres de religion. #### *Aux premières lignes* La *Ligue pour la Défense de la Liberté Religieuse* (NDLR) n'a pas le monopole de l'insurrection cristera, loin de là, qui reste dans de nombreuses campagnes un mouvement spontané. 55:269 Mais elle est la première à monter en ligne contre le despotisme anti-religieux. La première à ouvrir les vannes de la résistance armée, et d'abord par l'exemple, en sacrifiant les siens. Exemple terriblement contagieux. Au 25 juin 1925, sou­tenue encore par les prêtres et toute la Hiérarchie, elle comptait 36.395 ligueurs, d'origines diverses ([^16]). En septembre 1926, l'épiscopat s'est retiré du mouvement avec les Dames Catho­liques et les Chevaliers de Colomb ; mais la Ligue aligne dans les cités mexicaines *800.000 militants,* dont un demi-million de femmes qui répondent de leurs fils et de leurs parents : -- *El hombre reina, la mujer gobierna...* Inutile de traduire, n'est-ce pas ? (« Affaires de bonnes femmes », rageait Calles, qui en fera violer et pendre le plus grand nombre possible par les soudards de ses régiments.) Ce formidable réseau explique le succès (temporaire) du *boycott économico-social* décrété par la Ligue le 31 juillet 1926, jour de la suspension du culte public sur tout le territoire mexicain. Les jeunes « *acejotaemeros* » ([^17]) descendent dans la ville pour expliquer l'impasse, dénoncer le génocide pro­grammé par Calles, et mettre chacun en face de ses responsa­bilités de chrétien. Aux portes des églises, prises d'assaut dans les derniers jours de juillet par un peuple affolé, ils justifient la position des évêques, qui les maudissent déjà en secret de cette publicité odieuse aux despotes du gouvernement. Devant les théâtres et les magasins, ils demandent un geste de pénitence, et recom­mandent l'abstention. En quelques jours, dans la capitale, quinze cinémas et trois théâtres se voient contraints de fermer leurs portes. Sept millions de pesos sont retirés des comptes du Banco de Mexico, création gouvernementale. 56:269 La fabrique de tabac « El Buen Tono » licencie. Plusieurs sociétés de transports déposent leur bilan. D'août à septembre 1926, sous l'effet conjugué du boycott et des désordres économiques de la Révolution, les affaires nationales accusent une baisse de 75 % ! Quand la police commence d'arrêter ses étudiants dans la rue, l'ACJM diffuse un ordre du jour qui doit être consigné là-haut sur le grand livre pour la gloire du Christ-Roi : « *Contre l'article 18 sur les délits en matière de culte religieux, qui punit d'une amende de 500 pesos, ou à défaut de quinze jours de prison, l'usage de vêtements ou d'insignes religieux en dehors des lieux de culte, nous avons décidé que le port de notre insigne sera obligatoire pour tous les membres de l'ACJM à partir du 31 juillet.* » ([^18]) *--* L' « honneur du combat à visage décou­vert », dit Madiran... L'ACJM joue la vertu de sacrifice contre la force brutale du gouvernement : la suite de notre histoire lui donnera raison, quand tout le pays suivra. Le succès du « boycott économico-social » sera de courte durée, car les pauvres y investissent fort peu, tandis que les riches n'y participent pas : « Catholiques ou pas, les riches avaient horreur du boycott et ils furent capables de faire parta­ger leur point de vue par le Vatican... La compagnie de tabac El Buen Tono, au bord de la faillite, fit intervenir le Père Araiza... Le magasin français La Ciudad de Mexico, à Guada­lajara, utilisait les bons offices du chevalier de Colomb Efrain Gonzàles Luna... Les intérêts des catholiques riches les ren­daient solidaires du gouvernement. » ([^19]) L'argent, une fois encore, se portait au secours de la Révolution. Les « ligueurs » n'avaient plus qu'à payer de leur personne : le prix fort, celui de l'honneur chrétien. 57:269 Un des premiers à s'offrir, selon les archives de l'ACJM, s'appelle José Garcia Farfan. Il a soixante-six ans. Sa boutique, à Puebla, diffuse les publications catholiques. Dès que les choses ont commencé à mal tourner, il a constellé sa vitrine des affiches de la Ligue : *Viva Cristo Rey ! Viva la Virgen de Guadalupe ! Solo Dios no muere !* Etc. Le 28 juin 1926, comme il revenait de la messe, une voiture de l'État-Major s'arrête devant le magasin. On lui fait signe de s'approcher pour parler au général Amaya. -- Où est-il ? demande le boutiquier. -- Dans la voiture, garée à votre porte. -- Dites à votre général qu'il y a la même distance de son automobile à mon magasin que de mon magasin à son automo­bile. S'il veut me parler, *a sus ordenes,* je ne bouge pas d'ici. José Garcia Farfan fut passé par les armes dans la caserne de San Francisco à l'aube du 29 juin. Le général Amaya s'était chargé lui-même de saccager de fond en comble, à coups de bottes et de revolver, la boutique du pacifique résistant. Sa fureur oublia une pancarte, dans un coin. Elle disait « *Dieu ne meurt pas.* » En ville, où les assassinats de l'armée fédérale ont la popu­lation entière pour témoin, le corps du martyr est rendu aux siens. Ce sera l'occasion de gigantesques funérailles ; des mil­liers et des milliers de personnes prient aux fenêtres sur le passage des cercueils, brandissent l'image de la Guadalupe, s'agenouillent dans la rue : -- *Place aux martyrs du Christ-Roi !* Anacleto Gonzales Flores, chef de l'Union Populaire dans l'État de Jalisco, le José Antonio de l'insurrection cristera, en tira cette leçon que les martyrs avaient voté contre la Cons­titution de l'Antéchrist, et le Mexique avec eux. #### « *El plesbieito de los martires* » Les responsables de l'*Association Catholique de la jeunesse Mexicaine* sont faciles à trouver. 58:269 Dans le village de Chalchi­tuites, Zacatecas, zone contrôlée par le général Eugelio Ortiz de sinistre mémoire, c'est le curé Luis Batiz, assistant ecclésias­tique de l'ACJM locale, Manuel Morales (28 ans), David Roldan (24 ans) et Salvador Lara (21 ans). Arrêtés le 14 août 1926, ils seront fusillés le 15 en rase campagne, sans même une parodie de jugement... -- *Viva Cristo Rey, fuego !* Le jour même, les Cristeros prenaient les armes dans l'État de Zacatecas. L'ACJM n'aurait-elle pu revendiquer que ces trois morts, à Chalchituites, il faut leur rendre la première place dans l'économie surnaturelle de la « Cristiada » : sur leurs corps percés de balles, les paysans du Zacatecas ont juré de vaincre ou mourir pour le Christ-Roi. Les militants de l'ACJM partent en croisade sans aucune notion de la clandestinité, ni du combat. A Mexico, le 6 sep­tembre 1926, Joaquin de Silva, 28 ans, fait irruption chez son confesseur, les yeux brillants. Il porte des bottes de cuir, une culotte de toile épaisse et sous la veste, sa chemise a les couleurs de la Vierge de Guadalupe. Dans ses poches, pour tout bagage, un pistolet 38 mm, cinquante cartouches, neuf cartes et le précieux chapelet qu'il avait récité chaque nuit, à la lumière des étoiles, sous les arbres du jardin... -- Pas question de devenir un catholique au rabais. Je pars rejoindre l'armée du Christ-Roi ! Donnez-moi votre béné­diction. -- Tu abandonnes ta mère et tes sœurs à Mexico, sans soutien ? -- Le Seigneur s'en charge, et d'ailleurs, ce sont elles qui m'envoient. Le Père Cardoso s'exécuta dans la plus grande inquiétude. Joaquin de Silva prenait le train le soir même, pour Tinguindin, en compagnie de deux camarades de l'ACJM : Armando Ayala, 21 ans, et Manuel Melgarejo, 17 ans, qui partait avec la bénédiction et toutes les économies de ses pauvres parents. Ils allaient soulever le Michoacan ! 59:269 Dans le wagon, les trois apprentis Cristeros lient conver­sation avec un général en retraite, Francisco Zepeda, qui s'abandonne à leur montrer quelque cicatrice avantageuse, dé­voilant sur sa poitrine une impressionnante batterie de médailles et de scapulaires. -- Vous êtes catholique, mon général ? -- Comme vous voyez. -- Que pensez-vous de la politique religieuse du gou­vernement ? -- Calles n'a aucun droit de persécuter l'Église comme il le fait aujourd'hui. Joaquin de Silva ne peut s'empêcher de lâcher le morceau. Il invite le général à examiner son plan de guerre... Et pour­quoi un soldat de sa trempe ne se joindrait-il pas à eux dans le bon combat ? Le général ne dit pas non. Rendez-vous est pris pour le lendemain, au ranch de Zepeda. Armando Ayala est dépêché à Mexico, séance tenante, por­ter la bonne nouvelle aux dirigeants. Les deux autres seront livrés le 11 septembre à la municipalité de Tinguindin par le général Zepeda. Fusillés sans jugement, eux aussi, le 12 sep­tembre, sur instructions directes du président Calles. Joaquin de Silva prendra congé en ces termes de son dénonciateur : « *Vous me livrez à la mort. Je vous offre en échange d'intercéder pour vous auprès du Père tout-puissant.* » ([^20]) Le pape pensait-il aux martyrs de Tinguindin, deux mois plus tard, lorsqu'il s'écria : « Certains de ces adolescents, de ces jeunes -- comment retenir nos larmes en y songeant -- se sont portés d'eux-mêmes au devant de la mort, le Rosaire à la main, au cri de *Vive le Christ Roi !* Indicible spectacle donné au monde, aux anges et aux hommes ! » ([^21]) 60:269 L'émotion de Pie XI est bien compréhensible : il avait proclamé la Royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ (*Quas primas,* 1925) ; les Cristeros la signaient de leur sang... Pourquoi ses cardinaux, ses finances et sa politique n'ont-ils pas suivi ? La réponse est sans doute au Mexique, dans l'arène des persécutions. Les Cristeros, abandonnés du monde entier, avaient conscience de vivre un temps d'Apocalypse. Leur aban­don prépare le nôtre, et ils savaient leur mort nécessaire au triomphe de la foi... -- *Nous allons périr. Nous ne verrons pas la victoire, mais le Mexique a soif de tout ce sang pour sa purification... Le Christ recevra l'hommage qui lui est dû. Aussi sûr que vous me voyez vivant devant vous aujourd'hui et mort demain.* (Salvador Vargas, fusillé le 3 janvier 1927 dans le Bajio avec trois autres compagnons, auxquels on cou­pera la langue, avant le supplice, pour leur interdire le dernier hommage au Christ-Roi.) #### *Les colonnes du Démon* Les Fédéraux assassinent au hasard, dans l'espoir (toujours déçu) de couper les unités cristeras du reste de la population. Durant les premiers mois de 1927*,* le rapport des forces n'au­torise encore aux chrétiens, pour la plupart des États, que des opérations de commandos. Mais jamais guérilla ne fut plus populaire sous le ciel latino-américain. Les Cristeros ne sacri­fiaient qu'eux-mêmes, et ils ne volaient pas. C'est ainsi que trois jeunes gens font irruption le 5 avril 1927 dans le village de Coquimatlan, désarment le poste de police sans rencontrer de résistance, et se retirent au grand galop dans les volcans du Colima avec les munitions prises à l'ennemi. Le 6 avril, avant le lever du jour, un fort détache­ment de troupes fédérales vient boucler solidement toutes les issues du village : on ne passe plus. 61:269 Quatre gardiens de troupeaux qui revenaient des champs, sans se douter de l'affaire, sont arrêtés. La police les torture, pour rien. Les familles intercèdent. En vain. Le père d'un des otages, Jesus Zarate, insiste pour rencontrer le général. Il obtient de rejoindre son fils au cachot. La nuit même, les cinq prisonniers sont conduits sur la « route de l'Indépendance », et pendus aux branches pour l'édification de leurs parents et amis, qui viendront retirer les corps le lendemain... Par une attention spéciale des exécuteurs démocratiques, le père et le fils Zarate avaient partagé leur supplice sur le même arbre, au bord du chemin. Dans tout l'État de Colima, la vigueur du soulèvement chré­tien en sortira décuplée : « *L'enthousiasme des soldats du Christ-Roi était indescriptible. Ils ignoraient la peur. Quand les Cristeros entendaient dire que l'ennemi approchait, ils sau­taient littéralement de joie, saisissaient leurs machettes ou leurs vieux tromblons, ce qui leur tombait sous la main, et dévalaient les collines sus au persécuteur, sans regarder s'ils étaient à un contre cent.* » ([^22]) Modèle de l'honneur chrétien, l'État de Colima fut l'un des plus sauvagement décimés par la rage des Fédéraux. En juin 1926, quand le gouvernement ne contrôle plus que les capi­tales, force lui est de se rabattre sur les citadins. On décime. Pour l'exemple. Trois jeunes gens, torturés une nuit entière par les soldats, sont fusillés le 25 contre un mur de la cathédrale de Colima, avec toute la ville pour témoin. -- Regarde, nous allons mourir aux pieds de la Vierge de Guadalupe : derrière ce vitrail, au-dessus de nos têtes, se trouve sa statue. 62:269 Détail significatif, les officiers callistes filmaient partout leurs propres atrocités. La photographie de celle-là montre un homme traîné sur un brancard au lieu de l'exécution, et les deux autres fauchés autour, qui baignent de leur sang un sinistre caniveau. Appuyés sur le mur de la cathédrale, pour les besoins de la mise en scène, les fusils de la rébellion. A droite et à gauche des cadavres, trois jeunes femmes d'une vingtaine d'années, voilées de noir, debout, dos au mur, montent sous l'œil des sentinelles une garde d'honneur forcée. C'était l'ha­bitude de faire assister les proches aux exécutions. Ces trois-là sans doute auraient préféré mourir avec leurs frères dans le petit matin : après le spectacle de l'exécution, et le supplice du soleil de juillet à Colima, contre un mur nu, elles seront torturées l'une après l'autre dans les casernes de l'armée. L'of­ficier de service poussa son délire de cruauté jusqu'à les sou­mettre plusieurs jours de suite à des simulacres de pendaison. On réanimait les malheureuses à l'eau froide, entre deux sus­pensions ([^23]). Les trois jeunes femmes appartenaient aux « BB », les Brigades féminines Sainte Jeanne d'Arc, elles avaient mis sur pied dans leur ville un service de renseignements. La solda­tesque, qui arrêtait souvent au hasard des rues, pour assouvir son appétit de viol et de sang, ne s'exposait pas à l' « erreur judiciaire » : dans le Mexique cristero, toute la jeunesse résistait. #### *Quand les héros sont des enfants* La jeunesse est une des caractéristiques remarquables de l'in­surrection cristera. Sa gaieté dans la mort aussi. Elles ont écrit, entre nos deux guerres, les plus belles pages de la chrétienté. En voici deux que les tribunaux de l'Église, loin des fumées de Satan et du compromis historique avec la Révolution, au­raient déjà canonisées. 63:269 Tomasino de la Mora a juste dix-sept ans, et il en paraît quinze sur ses photos. Il appartient pourtant au comité directeur de l'ACJM de Colima. Sa piété lui a valu le grade de préfet dans la Congrégation de Marie. Son courage en fait le corres­pondant privilégié de l'état-major cristero pour la capitale de l'État. Le 27 août 1927, les soldats investissent la maison de ses parents. -- Maman, ils vont me tuer ! Le général Flores s'est réservé le soin de l'interroger : -- Si tu me dis ce que tu sais des Cristeros, je te laisse en vie. -- Vous auriez tort, vraiment : libre, demain, je continuerais la lutte pour le Christ-Roi au milieu de mes compagnons. Le combat pour la liberté religieuse n'est pas chez nous une matière à option. -- Tu ne sais pas ce que c'est que la mort, moucheron ! -- Il se trouve en effet qu'une chose pareille ne m'est encore jamais arrivée. Et vous, mon général ? Tomasino de la Mora fut pendu le soir-même, sans juge­ment. Rius Facius raconte que son bourreau voulait le con­traindre à se passer lui-même la corde au cou. -- Pardonnez-moi monsieur, je ne sais pas m'y prendre. C'est la première fois qu'on me pend. Les enfants du Christ-Roi avaient le sacrifice vaillant et gai. Ce fut le cas encore de José Sanchez del Rio, ACJM de Sahuayo, Michoacan, treize ans. Encerclé le 5 février 1928, avec son chef de groupe qui vient d'être blessé par les Fédé­raux. Il lui cède son cheval, couvre sa retraite, puis se fait prendre à court de munitions. -- Sachez bien, raconte-t-il à l'officier de service, que je ne me suis pas rendu. J'ai manqué de cartouches, voilà tout ! 64:269 L'enfant est poignardé cinq jours plus tard au bord d'une fosse ouverte dans le cimetière de Sahuayo, et achevé à coups de feu. Les blanchisseuses du village découvriront dans les poches d'un uniforme militaire ce simple papier. « *Ma petite maman. Me voilà pris et ils vont me tuer. Je suis content. La seule chose qui m'inquiète est que tu vas pleurer. Ne pleure pas, nous nous retrouverons. -- José, mort pour le Christ-Roi.* » ([^24]) #### A voté ! Oui, dans le Mexique de Calles, ce Mexique humanitaire et généreux qui fait l'admiration des Mitterrands, ce sont les martyrs qui votaient. Sans limite d'âge. Avec des sourires d'ange, un cœur gros comme ça, et tous les culots. *--* « *Notre référendum est resté ouvert,* écrit Anacleto Gonzales Flores, fusillé lui aussi par les Fédéraux, *depuis le jour où les persé­cuteurs sont descendus l'épée au poing pour égorger la conscience des chrétiens. Hier encore le pays entier était comme une immense urne électorale abandonnée par le peuple, où le gouvernement psalmodiait ses répons pour l'enterrement du ca­tholicisme.* 65:269 *Aujourd'hui, tout le Mexique se met en branle devant ce plébiscite inespéré et gigantesque où le Christ sera proclamé, comme l'air que nous respirons, comme le soleil qui nous illumine, comme l'eau qui nous rafraîchit, principe et fin de la totalité de notre vie et de la vie nationale. Il n'y a pas d'autre solution. La démocratie a dû, elle doit encore jeter sur ses épaules la dépouille ensanglantée des martyrs du Christ-Roi. *» ([^25]) La Cristiada triompha un jour des mensonges de la Sorbonne et des trahisons du clergé. Avec une place à part au martyrologe de la chrétienté. Elle juge en effet la « dé­mocratie », comme guerre de religion. (*A suivre.*) Hugues Kéraly. 66:269 ### Le Nouveau Missel des dimanches 1983 *Pour vous conduire à l'apostasie\ en une seule année liturgique* par Yves Daoudal « DIMANCHE 9 janvier : le Baptême du Seigneur (...) Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc. (...) Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait, après avoir été baptisé lui aussi, alors le ciel s'ouvrit. L'Esprit Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. Du ciel une voix se fit entendre : « C'EST TOI MON FILS : MOI, AUJOURD'HUI, JE T'AI ENGENDRÉ. » 67:269 Le blasphème est à la mesure de l'imposture. Blasphème et imposture amplifiés par le commentaire de la messe, qui est tout au long commentaire de cette seule phrase. « *Fête du choix et de la consécration du Sauveur, fête de la rencontre et de la mission... Toi qui reçois l'Esprit* (sic*,* invocation placée dans le Kyrie)... *Le Père donne son Esprit à Jésus... Jésus se voit investi par l'Esprit... La mission de Jésus et celle de l'Église sont annoncées.* » C'est toi mon fils : moi aujourd'hui je t'ai engendré. Jésus était un homme exceptionnel. Dieu l'a choisi, l'a préparé, l'a consacré et lui a donné sa mission, à l'âge de trente ans, en lui donnant son Esprit. Voilà ce que vous expli­que le « *Nouveau missel des dimanches 1983* » des évêques de France, le missel qui a l'*imprimatur* de René Boudon, évêque de Mende et président de la « commission liturgique franco­phone », dont les éditeurs sont : Brepols, Centurion, Cerf, Chalet, Desclée de Brouwer, Desclée, Droguet et Ardant, Maine, Proost, Tardy. Les évêques de France prétendent sortir cette répugnante hérésie de l'Écriture Sainte, de l'Évangile selon saint Luc. Mais il y a tromperie. Il y a *falsification volontaire.* Une falsi­fication qui ne peut s'appuyer sur aucun texte authentique ou prétendument tel de l'Évangile : ni sur la Vulgate, ni sur le texte grec de saint Luc*.* Il n'y en a pas d'autre. Or les textes grecs qui nous sont parvenus disent très exactement la même chose que la Vulgate. La voix que l'on entend, quand le ciel s'est ouvert et que la colombe s'est posée sur Jésus, dit : *Tu es filius meus dilectus ; in te complacui mihi :* « *Tu es mon Fils Bien-Aimé ! En toi, je me suis complu !* » : traduction iden­tique chez le P. Lagrange (scientifique) et le P. Bruckberger (littéraire et moderne). Nos évêques se moquent du P. Lagrange. C'était peut-être un très grand exégète, mais il était d'avant le concile ! On préfère aller voir chez Chouraqui, « le premier en Israël à avoir traduit ce texte neuf encore après les vingt siècles dont il a inspiré l'histoire ». *La traduction du Juif Chouraqui est effectivement celle que donne le Nouveau Missel des diman­ches.* CHOURAQUI CEPENDANT N'A PU TRADUIRE SAINT LUC QUE D'APRÈS LE TEXTE GREC. 68:269 Alors ? Les juifs n'ont pas cessé de trafiquer l'Écriture Sainte. C'est d'ailleurs pourquoi la *version authentique* de l'Ancien Testament est celle de la Vulgate et non la version hébraïque, modifiée pendant les sept premiers siècles chrétiens pour gommer ou atténuer, entre autres, les passages qui prou­vent que Jésus de Nazareth est le messie tant attendu. Chou­raqui continue, avec le Nouveau Testament. En *falsifiant* saint Luc, il prétend montrer que Jésus n'était qu'un homme, et que cet homme fut investi par Dieu d'une mission le jour de son baptême dans le Jourdain. La version authentique de la parole qui descend du Père se trouve déjà dans l'Ancien Testament. C'est ce qui lui confère une puissance de démonstration irréfutable : c'est le deuxième verset du chapitre 42 d'Isaïe, une des grandes prophéties mes­sianiques. A ce verset, Chouraqui... et les évêques de France *substituent un verset d'une autre prophétie messianique,* le deuxième psaume (verset 7 : *Filius meus es tu, ego hodie genui te,* c'est la génération éternelle du Fils de Dieu). Mais, dira le fidèle impressionné par ce que lui dit son missel, ce baptême, le ciel qui s'ouvre, le Père qui désigne son Fils, le Saint Esprit *qui vient se poser* sur Jésus, cela veut bien exprimer quelque chose, et quelque chose d'important ? Certes, et la tradition n'a cessé d'en donner le sens exact, et la liturgie le souligne. Il s'agit de l'Épiphanie, de la deuxième épiphanie. Jésus se révèle aux hommes, il révèle ce qu'il est de toute éternité. Le Père et l'Esprit se joignent au Fils pour une pro­clamation solennelle devant le peuple de la mission du Verbe incarné, jusque là révélée à un tout petit nombre, trente ans avant, lors de sa naissance : 69:269 Le baptême de Jésus a aussi un sens pour chacun de nous au moment de notre baptême, le Saint Esprit nous est donné et la porte du ciel s'ouvre. Mais il est évident que *Jésus est le même avant qu'après son baptême,* le Fils de Dieu, le Verbe qui s'est fait chair pour nous sauver. #### *C'est vous qui le dites* L'autre énorme falsification du texte de l'Écriture Sainte dans le *Nouveau Missel* est celle du récit de la Passion. Je ne peux ici que renvoyer le lecteur à *Présence d'Arius,* d'Hugues Kéraly ([^26]), qui étudie ce point en détail, sous le titre : *la religion du c'est-vous-qui-le-dites.* « Tu es donc le Fils de Dieu ? » demandent à Jésus les scribes et les prêtres. Réponse : « C'est vous qui dites que je le suis. » Pilate lui demande : « Es-tu le roi des Juifs ? » Réponse : « C'est toi qui le dis. » Or « Notre-Seigneur ne s'est pas dérobé devant Pilate, au moment d'affirmer sa divinité par un « c'est-vous-qui-le-dites » de malandrin goguenard ou calamiteux. Pas plus qu'il n'a refusé à Caïphe la confession publique de sa Divinité ». (*Présence d'Arius,* p. 67.) Le texte falsifié des évêques n'est pas seulement une insulte à la foi, il rend l'histoire absurde. En effet l'aveu que Jésus fait de sa royauté est le motif de sa condamnation, il conclut l'interrogatoire. La version : « Tu le dis, je le suis » est nécessaire pour la simple compréhension du dialogue. C'est d'ailleurs celle que l'on retrouve partout, avec des variantes qui laissent toujours le sens de la parole divine intact, y compris dans l'évangile juif de Chouraqui. On se demande où les évêques sont allés pêcher une telle horreur, où la distinction s'efface entre celui qui dit d'un air narquois : « C'est vous qui le dites » et Pilate qui laisse tomber dubitativement : « Qu'est-ce que la Vérité ? » 70:269 Puisque le récit de la Passion est proclamé trois fois dans l'Église au cours de la Grande Semaine, « les évêques de France ont gardé ceci d'évangélique que, s'ils suivent leurs propres textes, ils auront renié trois fois Notre-Seigneur dans sa divinité » (Hugues Kéraly). Comme nous l'avons vu, ils l'avaient déjà fait dès le premier dimanche « ordinaire » (9 janvier). Au cours de l'année, ils ne se privent pas d'appuyer et de souligner leur blasphème. Voici un dernier exemple particulièrement significatif. La pre­mière lecture du troisième « dimanche ordinaire » est un extrait du livre de Néhémie, où Esdras lit le texte sacré (la loi de Moïse) devant le peuple et le fait expliquer par les lévites. L'évangile de ce dimanche est l'extrait de saint Luc où Jésus lit et commente un passage d'Isaïe à la synagogue de Nazareth. « *Jésus fait comme Esdras, mais pour un enseignement nouveau, décisif : après avoir parlé au peuple par la Loi, par les prophètes, de diverses manières et à maintes reprises, Dieu, en ces : temps nous parle par son Fils* » (citation volontairement tronquée de la première phrase de l'épître aux Hébreux... mais on n'en finirait pas de relever tous les détails). Et la prière universelle nous fait prier « *pour que se lèvent encore des porte-parole de Dieu* ». Vous avez compris : Esdras, Isaïe, Jésus, Luther-King, Helder Camara, une longue tradition de porte-parole de Dieu, dont le plus important est quand même Jésus ; parce qu'il apporte « un enseignement nouveau, décisif ». Un seul détail fait pourtant s'écrouler tout l'édifice mensonger et blasphématoire : Jésus *ne fait pas* comme Esdras. Celui-ci lit la Loi et la fait expliquer par les lévites. Jésus lit un texte messianique et explique lui-même, ni scribe ni lévite, que le messie défini par Isaïe, c'est lui, que la parole de l'Écriture, il l'accomplit. Là aussi éclate sa divinité, et une fois de plus, les évêques de France n'en veulent pas. 71:269 #### *L'Eucharistie, c'est l'accueil et le partage* Et maintenant, l'ignominie centrale de ce *Nouveau Missel,* qui permet ensuite toutes les dégradations. Voici la Fête-Dieu, -- ce qu'on appelait autrefois la Fête-Dieu, exprimant ainsi on ne peut plus clairement ce qu'est cette hostie portée triompha­lement en procession. C'était la fête du Très Saint Sacrement. Dans le Nouveau Missel, c'est « *le Corps et le Sang du Christ* » ni saint, ni sacré. La « célébration » s'ouvre ainsi : « *Ton Corps est pour nous, ton Sang est pour nous, éveil de la vie, appel de la joie.* » L'explication de cette célébration nous est donnée dès avant ce merveilleux cantique, sous le titre : *Célébrer l'accueil mutuel.* En effet, la signification première de l'Eucha­ristie est celle-ci : « *Dieu nous a libérés pour nous unir dans des communautés où l'on s'accueille mutuellement en son nom, partageant ce qu'il nous donne et le bénissant de son Al­liance.* » Application de ce principe : Première lecture : « *Melchisédech a apporté le pain nécessaire pour accueillir Abraham, père des croyants, et le vin pour rendre grâce à Dieu de sa victoire. C'est ainsi qu'il est devenu la figure du Christ. Dans l'Eucharistie, celui-ci nous rompt le pain pour accueillir les croyants à la table du Père et fournit le vin grâce auquel nous fêtons sa victoire, qui est aussi la nôtre* » (Genèse 14 ; 18-20). Deuxième lecture : « *L'Eucharistie est essentiellement un rite de* « *mémorial.* »*, Alors, proclamer à Dieu notre reconnaissance pour ce qu'il fait pour nous, nous dispose à accueillir l'Esprit dans le pain qu'il nous partage, nous engage à rendre possible l'achèvement de son œuvre en nous* » (I. Corinthiens 11, 23-26). Troisième lecture : « *En multipliant les pains et les poissons, le Christ nous donne une figure de l'eucharistie. Il a voulu avoir besoin de ses disciples pour accueillir ses invités et leur partager le pain* » (Luc 9, 11-17). 72:269 Le lecteur voudra bien m'ex­cuser de lui infliger cette littérature. Mais il faut savoir jusqu'à quel degré peut descendre le *Nouveau Missel.* On aura remarqué qu'il n'y a pas là la moindre allusion à la doctrine catholique de l'Eucharistie. On peut même remarquer que la « doctrine » présentée ici est très largement en retrait des théories luthé­riennes ou calvinistes. En fait elle n'a plus rien de chrétien. C'est pourquoi la prière universelle nous fait prier pour « *ceux qui, sans croire au Christ, partagent avec d'autres leur pain et leur vie* ». Partager son pain et sa vie, là est l'essentiel. Lors de la fête de tous les Saints, la prière universelle nous fait prier « *avec les Saints de toutes croyances et incroyances* ». L'œcu­ménisme est ici pulvérisé par la négation de toute religion révélée. Ce n'est pas si brutal tout au long du *Nouveau Missel.* On trouve tous les degrés, toutes les préparations qui doivent permettre au chrétien de base de parvenir à l'apostasie en une seule année liturgique. La Fête-Dieu selon le *Nouveau Missel* nous apprend que l'accueil et le partage sont l'axe principal du christianisme, la clef qui permettra d'ouvrir toutes les portes, de tout expli­quer. Par exemple l'évangile de Marthe et Marie. « Elles ont le même souci : bien recevoir le Christ et leurs amis. Elles se répartissent le travail. Marthe à la cuisine, *Marie en participant à la conversation* avec les invités. Les préoccupations de Marthe et celles de Marie sont également nécessaires. Le repas partagé n'est pas sans importance ; et *il ne faut pas que les préoccu­pations des soins matériels l'emportent sur les échanges de l'amitié.* » Il n'y a là strictement rien de surnaturel. Jésus dit à Marthe que Marie a choisi la meilleure part : *la conversation* (alors qu'elle ne dit pas un mot !). Tous les pères de l'Église, la tradition unanime nous enseignent que cet évangile montre LA PRIMAUTÉ DE LA CONTEMPLATION. 73:269 Mais bien sûr, non seule­ment la contemplation n'a plus aucune prééminence, mais il n'y a plus de contemplation du tout. Ce n'est qu'une perte de temps. Ce qui est important c'est « l'accueil » : faire « la cuisine », faire « la conversation ». Hors de là, point de salut. Et la prière ? Certes la prière existe toujours, sinon on ne pourrait plus vendre de *Nouveau Missel.* Mais apprenez (p. 470) que « *la prière partagée* (ils veulent dire : liturgique) *permet à chacun de penser aux autres* »*.* L'obscurcissement du sens chrétien est tel qu'une prière (savoureuse) nous fait dire (p. 493) : « Empêche le doute de tuer ma foi et fais que, du moins, au moment de ma mort, j'attende... avec une intense curiosité. » (Les points de suspension sont authentiques.) Il est normal que dans un tel contexte on patauge lorsqu'on essaie d'aborder les thèmes de l'amour et du sacrifice. Les chrétiens savent que ces deux notions sont intimement liées. Il n'y a pas d'amour sans sacrifice, parce que l'amour est un don, et que tout don est un sacrifice. Dieu nous a tant aimés qu'il nous a donné son Fils, qui a accompli par amour, dans l'amour, le sacrifice de la Croix. Dans le *Nouveau Missel,* rien de tel. La célébration du *Cœur du Christ* est caractéristique. Elle oppose le vrai Dieu dont l'amour pour nous est « *incon­ditionnel* » (sans précision) au faux Dieu d'avant (le concile) « susceptible et vengeur, qui serait apaisé par une offrande de sang ». Tout au long du *Nouveau Missel,* on nous explique que Dieu n'a jamais voulu de sacrifices, mais des cœurs accor­dés à sa volonté. Cette totale incompréhension, cette exégèse erronée est celle des Pharisiens qui ont abandonné les sacri­fices du Temple pour une religion qu'ils croyaient (qu'ils croient toujours) intellectuellement plus haute, et qui est seulement infra-religieuse ; signe d'une psychologie coupée des principes. A partir du moment où on ne sait plus ce qu'est l'amour, et donc le sacrifice, on ne sait plus ce qu'est le péché. L'in­troduction à la célébration du Cœur du Christ nous explique qu'il n'y a plus de pécheurs, comme il y en avait du temps de la Loi, mais des brebis égarées. Par une fausse exégèse de l'épître aux Galates (p. 368), on veut nous faire croire que la foi au Christ exclut toute loi, puisque c'est la foi qui nous justifie et non la loi. 74:269 Autant de sophismes qui se tiennent chaud ensemble et permettent par exemple de composer une messe pour : enfants (p. 279) sans employer une seule fois le mot péché ou sacrifice. Sachez seulement que Jésus vous convie au « *repas de l'amour* ». Et chantons tous en chœur : « *Tu étais venu nous trouver* *pour inventer la vie, pour inventer l'amour* (bis) » (p. 370). On se demande dans ces conditions comment l'œcuménisme peut faire des progrès aussi lents que ceux rapportés p. 81. Il est vrai que les catholiques ne font pas toujours preuve de bonne volonté. Il nous faut donc prier « *pour les croyants qui sont tentés de s'installer dans leurs certitudes* » (p. 128, -- suivez mon regard) et « *pour que nous soyons ouverts aux diverses expressions de la foi* » (p. 306, -- sauf à celles qui prétendent exprimer des certitudes, évidemment). #### *L'Église coupable* L'Église catholique est gravement coupable. Il y a 500 ans, le 10 novembre 1483*,* naissait « *Martin Luther, dont la destinée* (la destinée ?) *devait tant peser sur l'unité de l'Église* » (p. 81). A la page 493, nous apprenons que sa révolte était « *motivée en grande partie par la situation de l'Église à l'époque *» car il était « *scandalisé par le trafic des indulgences et les abus de l'Église *». En conséquence de quoi il fit un schisme, qui n'est pas un abus, mais une regrettable « *cassure entre frères chré­tiens* ». Nous apprenons aussi que Luther ne s'attaqua pas au baptême, à l'eucharistie ni à la pénitence (*sic*). Aucune raison par conséquent de condamner les concélébrations prêtres-pasteurs. Et si Luther vient protester que sa théorie de la sainte Cène est loin d'être aussi ridicule et horizontaliste que celle exposée par le *Nouveau Missel,* on pourra toujours lui répondre que lui aussi, après tout, est d'avant le concile. 75:269 Autre schisme, celui d'Henry VIII, roi d'Angleterre. Il épouse secrètement Anne Boleyn le 15 janvier 1533, alors qu'il est marié à Catherine d'Aragon. « Le pape l'excommunie, *ce qui entraîne* la rupture avec Rome. » Ce n'est pas Henry VIII qui se sépare de l'Église, c'est l'Église qui accomplit le schisme, à cause d'un pape obscurantiste insensible à l'amour royal qui dépasse la loi. Ce pape n'avait pas lu l'exégèse que fait le *Nouveau Missel* de l'épître aux Galates. Vu l'état dans lequel le *Nouveau Missel* laisse le dogme, l'œcuménisme peut s'étendre indéfiniment. Voyons les grandes oraisons du vendredi saint. Pour les juifs : « Qu'ils *progressent* dans l'amour de son Nom et la fidélité à son Alliance. » Quel Nom ? Quelle Alliance ? Pour ceux qui ne croient pas en Jésus : « Demandons qu'à la lumière de l'Esprit Saint ils soient capables eux aussi de s'engager *pleinement* sur le chemin du salut. « Pourquoi pleinement ? En quoi sont-ils engagés sur le chemin du salut, s'ils ne croient pas au Christ ? Mais souvenons-nous. A la Toussaint, nous prions « *avec les saints de toutes croyances et incroyances* »*...* Tout cela est bien flou, direz-vous. Mais que penser des sectes qui, elles, ont souvent une doctrine précise, dont on peut avoir à affronter l'agression jusque chez soi ? Deux grandes pages sont consacrées à ce problème dans le *Nouveau Missel.* A la fin de la première page se dégage une première conclusion : il faut juger les sectes à la lumière de l'œcuménisme. C'est simple. Il suffisait d'y penser. On doit considérer comme sectes « celles qui s'estiment les seules fidèles à Jésus-Christ et refusent de rechercher avec les autres confessions chrétiennes les chemins de l'unité ». Il n'y a plus de dogme, plus aucune référence, plus aucun point fixe. La communauté plus ou moins « chré­tienne » digne de ce nom, l' « Église » digne de considération est *celle qui recherche démocratiquement un consensus avec les autres.* 76:269 Mais si vous vous appuyez sur une tradition, sur un dogme, et que vous restiez intransigeant, alors vous faites partie d'une secte. Vous comprenez ? C'est pour cela qu'il faut prier « pour les croyants qui sont tentés de s'installer dans leurs certitudes ». La deuxième page sur les sectes prétend donner une classi­fication de celles-ci en quatre groupes. Classification totalement arbitraire, qui ne repose sur aucun fondement sérieux. Inutile d'analyser ce stupide tableau. Le premier groupe, toutefois, est intéressant. Il s'agit des « mouvements de réveil pour les Églises et dans les Églises : la ferveur des origines décroît à mesure qu'on s'en éloigne, toute religion connaît ce mal. De temps en temps surgissent des hommes de foi qui se proposent d'éveiller leurs frères. *Certains le font en demeurant dans leur famille religieuse ; d'autres en en créant de nouvelles *»*.* Saint Bernard, Luther, sainte Thérèse, Calvin... Les saint Bernard, les sainte Thérèse, les saint François, les saint Dominique, etc., n'ont pourtant jamais été considérés comme fondateurs de sectes. Mais qu'importe ? L'essentiel est de noyer la spécificité du dogme catholique dans une nébuleuse œcuménique, où cha­que secte, *comme en démocratie chaque parti,* discute avec les autres, à condition de rester dans le cadre de l'œcuménisme, comme chaque parti doit rester dans le cadre de la démocratie. L'absurde classement des « sectes » par le *Nouveau Missel* permet aussi de NE PAS ABORDER LES DEUX SECTES DE LOIN LES PLUS DANGEREUSES, LA FRANC-MAÇONNERIE ET LE COM­MUNISME, qui pourtant répondent toutes les deux à la définition donnée à la première page puisqu'il s'agit « de suivre une doctrine ou un maître réputés meilleurs ». Meilleurs que quoi ? Peu importe. Meilleurs que les représentants de l'Église, appa­remment. Voyez cette affaire Galilée. Quelle histoire lamentable ! Comment voulez-vous que l'on soit du coté du pape ? Il ne s'agit même plus d'œcuménisme. C'est « *un exemple de con­fusion entre le domaine scientifique et le domaine spirituel *». 77:269 Galilée fut condamné parce qu' « il s'était rallié au système du monde proposé par Copernic, conception que Rome, attachée à la lettre de la Bible, déclarait hérétique ». Pourquoi alors avoir condamné Galilée et non le chanoine Copernic** ?** Parce que Galilée**,** lui**,** confondait le domaine scientifique et le domaine spirituel**,** et réinterprétait les Saintes Écritures *selon son système*. (Pour le détail, voir l'article de Louis Salleron dans PRÉSENT du 24 février.) On peut ajouter que Galilée s'est soumis à l'Église et n'a pas constitué de secte**.** En quoi il me paraît tout aussi condamnable que le pape**,** selon la philosophie du *Nouveau Missel.* #### *La fausse humilité d'une liturgie misérabiliste* Pour ne pas donner prise à une quelconque accusation de sectarisme, il va de soi que la liturgie doit être aussi *ouverte* que possible. Sur le plan des « idées » (on vient d'en voir quelques exemples) et aussi sur le plan de la formulation. D'au­tant que la liturgie doit être *évolutive,* pour suivre les mouve­ments du monde, pour épouser « le progrès » de l'humanité. C'est pourquoi ce missel est toujours *nouveau,* bien que la première édition date d'il y a treize ans seulement. « *Car chaque année, et c'est la joyeuse liberté des chrétiens* (tra la la laire), *tout est toujours nouveau.* » Dès avant l'*imprimatur,* on vous prévient qu'on n'arrête pas le progrès. « *Si, en cours d'année, vous entendez le célébrant utiliser une autre prière, ne croyez pas que votre missel est fautif. Les responsables de la liturgie autorisent des formules nouvelles, à titre expérimental et temporaire. Dès que ces prières auront leur forme définitive, nous les publierons dans le* Nouveau Missel des Dimanches. » 78:269 Il n'y aura jamais de forme définitive, comme le montrent les extraits cités des directives pour les messes de petits groupes et du directoire pour les messes d'enfants, qui permettent au prêtre de s'inspirer simplement des oraisons en les « actua­lisant » et de choisir n'importe quelle lecture dans la Bible (pp. 232-3). D'ailleurs pourquoi prendraient-elles une forme défi­nitive, alors qu'on pose comme principe les bienfaits de la créativité ? C'est un des nombreux mystères de la nouvelle religion. Car on ne nous donne pas le moindre indice qui per­mettrait de savoir quand la période expérimentale pourrait prendre fin. Bien au contraire, l'évolution est un des dogmes de la pseudo religion conciliaire. C'est même un texte du concile qu'on nous cite à l'appui, un extrait de *Gaudium et Spes* qui sort tout droit de l'œuvre de Teilhard : « Le Seigneur est le terme de l'histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation... » (p. 503). A la limite, on pourrait donner une interprétation catholique de cette phrase. Mais, au temps de Noël (p. 40), voici ce qu'il faut en penser : « *Depuis le fond des âges, Dieu filtre notre sang de toutes ses impuretés. Ce qu'il a fallu de bagarres, et de blessures, et de larmes, et de pardons, et de cris d'espérance pour qu'il batte enfin pur dans cette famille simple !* » Quel dommage que cette famille n'ait pas perpétué cette race pure du péché originel ! Au fait pourquoi cette longue évolution n'a-t-elle abouti qu'à une seule Marie ? Et quel rapport doit-on établir entre la grande évolution du genre humain qui aboutit au Christ-oméga de Teilhard et l'évolution du peuple d'Israël qui aboutit à l'Immaculée-Conception ? Ne posez pas ce genre de question. Vous allez vous faire traiter d'intellectuel élitiste. La nouvelle religion est destinée « aux gens simples » (aux imbéciles qui acceptent toutes les contradictions sans les relever). A qui est d'abord annoncée la grande nouvelle de l'Incarnation ? Aux bergers, qui « sont des marginaux, presque des clochards ». Des marginaux, les bergers, dans un peuple de civilisation pastorale ? A d'autres ! 79:269 Des gens simples, oui, certainement. Simples, donc ouverts au mystère, au véritable mystère, celui qui est le langage de Dieu, et en l'occurrence, le Verbe même de Dieu fait chair. Aux gens simples, il faut une liturgie simple, c'est-à-dire simpliste, au niveau de l'équation bergers-clochards. Un misé­rabilisme content de son inanité, qui s'abaisse au niveau indé­passable de la chansonnette actuelle. J'en ai déjà donné deux exemples. En voici un autre. C'est, paraît-il, un chant de Noël : « *Il gèle à pierre fendre* *Oh ! qu'il fait froid ce soir* ! *Et l'âpre nuit vient tendre* *Son grand manteau tout noir* » etc. Précisons : c'est le chant de *communion* de la messe de *l'aurore* (sic). Il faut bien se pénétrer de ce que « la liturgie n'est pas l'expression plus ou moins fastueuse d'une religion puissante et fière. Le Seigneur nous met en garde contre ceux qui se donnent en spectacle. Par ses célébrations le peuple chrétien cherche hum­blement à se mettre à l'écoute d'une même parole, la parole qui pardonne, et à s'ouvrir à une vie nouvelle, en partageant le repas du Seigneur ». La confusion est totale entre l'humilité du chrétien d'une part, la puissance et la richesse de Dieu d'autre part. Ces gens-là, en fait, ont gommé Dieu. Il ne reste plus que l'homme, l'homme sans Dieu, sous-homme. En quoi les fastes de la liturgie traditionnelle sont-ils le fait de gens qui se donnent en spectacle ? Les auteurs du *Nouveau Missel* ont complètement perdu le sens de l'orientation, de l'orientation sa­crée. Alors bien sûr, « aux yeux de Dieu », osent-ils dire, alors que c'est leur opinion de pauvres hommes repliés sur eux-mêmes, « il n'y a plus de nation privilégiée, de race supérieure, ou de *langue sacrée* »*.* Bien. Cela est dans la logique de leur système, même si c'est contraire à l'expérience, au fait que nous avons tous connu des messes de village où les bonnes gens chantaient admirablement le grégorien, et ne sentaient absolument pas le besoin d'avoir une liturgie faussement populaire et clocharde fabriquée par des intellectuels de salon. 80:269 « L'Esprit de Dieu ignore les frontières des hommes. » Tiens ! Mais c'est juste­ment une des raisons de l'usage d'une langue liturgique. Alors que la liturgie en langue vulgaire rétablit dans l'Église les frontières dont elle ne voulait pas pour la célébration du culte divin. Encore une de ces contradictions qui montrent que leur système arbitraire ne repose sur aucun fondement vrai ; il éclate en contradictions dès qu'on essaie de l'expliciter. Un détail éclaire la façon dont leur humilité, qui offense les droits de Dieu à être reconnu comme Tout puissant et Toute gloire, est une fausse humilité. L'évangile du 27^e^ di­manche ordinaire (Luc 17, 10) se termine par ces paroles de Jésus : « Quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : Nous sommes des serviteurs *quel­conques :* nous n'avons fait que notre devoir. » Le texte authentique, c'est : « Nous sommes des serviteurs *inutiles*. » Se définir comme serviteur quelconque, c'est apparemment faire preuve d'humilité. Mais un serviteur quelconque peut être utile. C'est donc une façon de se rabaisser au niveau le plus vulgaire -- quelconque -- sans pour autant accepter la parole divine : vous êtes des serviteurs inutiles. On veut bien être humble, à condition d'être quand même quelque chose... même quelconque. A condition aussi que le Christ fasse preuve, lui aussi, d'un peu d'humilité. Qu'il ne fasse plus de miracles, par exemple. C'est chose faite dans le *Nouveau Missel,* depuis longtemps, d'ailleurs, Jésus ne fait plus que des « *signes* ». Le changement de l'eau en vin, ce fut « *le commencement des signes que Jésus accomplit* ». Voilà où ils en arrivent, avec leur populisme, à ne pas être compris du peuple. Tout le monde comprend : « Ce fut le premier miracle accompli par Jésus », tandis que « le commencement des signes », c'est du charabia. Voulu. Pour estomper la divinité du Christ. Avec le blasphème en filigrane. 81:269 #### *Du communautarisme au communisme* Ce qui est important, on l'a bien compris, ce n'est pas Dieu, ce n'est pas Dieu transcendant, dont on peut penser à la limite qu'il n'existe pas, c'est Dieu en communion avec les hommes et, plus simplement, la communauté humaine. La « communauté », c'est le thème 1983 du *Nouveau Missel.* Si bien que ce mot est omniprésent. On le trouve plusieurs fois par page. L'Église est une communion de communautés (p. 309), la Communauté des communautés (p. 5), etc., etc. C'est à étouffer et à se demander s'il est aussi permis de se retrouver seul avec Dieu, ou si la nouvelle liturgie est une tyrannie tota­litaire... Peut-être y prépare-t-elle. Mais dans la joie, dans la bonne humeur, en chantant, comme au dimanche de la Sainte Famille : « *Oh qu'il est bon d'être tous ensemble* *Oh qu'il est bon de chanter ton nom Seigneur* *Oh qu'il est bon d'être tous ensemble* *Oh qu'il fait bon, dans ta maison !* » (p. 58) Pour être tous ensemble, on n'a pas forcément besoin d'un prêtre. « La célébration par l'eucharistie est sans doute la meil­leure manière d'animer un *rassemblement de chrétiens,* mais elle n'est pas la seule » (p. 15). S'il s'agit seulement d' « ani­mer », il est évident qu'on n'a pas besoin d'un prêtre. D'ailleurs « la plupart de ceux qui ont entrepris de faire partie de l'équipe qui anime les dimanches sans prêtre ont fait remarquer qu'ils ont trouvé là *un nouveau sens à leur engagement de chrétiens.* Certains ont constaté le retour de chrétiens qui avaient perdu le chemin de l'Église *parce que le ton de l'assemblée est bien plus chaleureux* ». Et c'est là l'essentiel, souvenons-nous : l'accueil et le partage. 82:269 Le Saint Sacrifice passe au second plan. Ou plutôt il disparaît, car jamais on ne nous dit à quoi exactement pourrait bien servir le prêtre. Et quand il n'y en a pas, la « prière d'action de grâce » qui remplace la « prière eucharistique » qui a elle-même remplacé le canon permet « une *plus grande* participation » de l'assemblée. Cette propagande pour les « assemblées dominicales en l'absence de prêtre » va de pair avec celle qui concerne les « communautés de base ». Et revoici le mot clef du *Nouveau Missel 1983,* chargé d'un sens tout à fait particulier. Il y a une page entière sur les communautés de base (p. 349). Elle est placée à la fin de la messe de la Pentecôte, pour bien montrer qu'elles sont inspirées par le Saint Esprit, qu'elles sont les héri­tières directes des premières communautés chrétiennes. Chacun sait que les communautés de base sont les cellules de la subversion, établies à l'intérieur de l'Église ou sur ses frontières par des hommes souvent généreux mais manipulés par l'appareil communiste, quand elles ne sont pas directement créées par des communistes, pour diffuser la nouvelle théologie, celle de la « libération », qui voit en Moïse un précurseur de Lénine. Bien entendu cela suppose une destruction de la foi catholique. Le *Nouveau Missel* ne le cache pas. Ce qui compte c'est le « *souci d'authenticité* ». Il faut « dépasser l'intellec­tualisme, *rompre avec les sécurités de la foi reçue,* pour parve­nir à se réapproprier, dans une recherche personnelle et res­ponsable, une foi adulte », suggérée voire dictée par des *intellectuels* marxistes-léninistes. D'ailleurs l'intérêt des com­munautés de base est de fournir à ces chrétiens « adultes » (les premiers depuis les temps apostoliques) des lieux « où la *confrontation avec les militances dans le monde puisse s'effec­tuer* »*.* Les communautés de base « s'efforcent de partager au maxi­mum les tâches, ministères, responsabilités en leur sein et de prendre collectivement leurs décisions ». Tous les membres sont égaux, libres et frères. Enfin on réalise la devise inscrite sur les frontons de la République. 83:269 L'hystérie égalitaire fait écrire aux auteurs du *Nouveau Missel* un commentaire de l'épître aux Galates (p. 373) qu'on relit plusieurs fois en se frottant les yeux : « Le baptême nous greffe sur le Christ, sa vie nous fait vivre. *Il n'y a plus entre nous des inégalités d'origine humaine.* Nous sommes tous fils et filles de Dieu. » Comment peut-on prétendre, en niant l'évidence, que la grâce abolit les inégalités naturelles ? La réponse est simple. Il suffit de tout mélanger, de nier la distinction naturel-surnaturel, ce qui est facile puisqu'on nie sans cesse la transcendance et qu'on lamine toute la religion sur le plan horizontal. En un terreau si bien préparé, la contamination commu­niste peut croître, se développer et fleurir. Au soleil (ou à l'ombre, comme on voudra) des grands principes humanitaires confondus avec les béatitudes détournées de leur sens véritable. Trois des grands dogmes imposés par les Soviets à l'Occi­dent mou devenu complice sont en bonne place dans le Nouveau Missel. Il y a d'abord le dogme fondamental : l'horreur totali­taire, c'est le nazisme. On n'a jamais vu pire que le nazisme, on ne verra jamais pire que le nazisme. C'est la fameuse théo­logie d'après Auschwitz, expliquée dès la page 11. L'his­toire du monde est divisée en deux ères : avant Auschwitz, et après. « Il y a trente-cinq ans, alors que le mal triomphait, que la violence se déchaînait, Dieu paraissait étrangement absent. » Ainsi Auschwitz fut le sommet de l'horreur dans l'histoire des hommes. Malgré la propagande communiste, re­layée par la propagande franc-maçonne et étayée par la pro­pagande juive, de plus en plus de gens commencent à savoir que les Soviets ont fait pire que les nazis, après eux, mais aussi avant eux, et que depuis Auschwitz ils ont perfectionné le système et l'ont étendu à un nombre de plus en plus grand de pays. Trois fois au cours du *Nouveau Missel,* le dogme d'Auschwitz nous est assené. Page 99, on nous apprend qu'il y a 50 ans, en mars 1933, c'est en Allemagne « l'ouverture des premiers camps de concentration ». 84:269 Car en 1933, seize ans après l'angélique révolution soviétique, sous la houlette du bon Staline, il n'y avait pas encore de goulags. Bien sûr. Et à la page 319, on remet ça avec les autodafés du 10 mai 1933, horizon indépassable de l'intolérance et du fanatisme. (C'est à croire que l'Inquisition ne fait plus recette.) Le deuxième dogme est qu'en l'absence actuelle du régime nazi, l'horreur suprême d'aujourd'hui, ce sont les régimes poli­tiques autoritaires qui combattent la subversion pour conserver la liberté de leurs peuples chrétiens. C'est ce qui est suggéré à la page 374, quand la prière universelle nous fait prier « *pour ceux qui persécutent leurs frères au nom d'un* « *ordre* » *prétendument chrétien* ». Mais il n'y a pas une ligne dans tout le *Nouveau Missel* pour condamner les régimes communistes, responsables, eux, de massacres sans nombre dans les pays qu'ils soumettent à leur esclavage, sans parler des crimes des pauvres guérilleros persécutés. Le troisième dogme est que dans la défense des droits de l'homme, il y a une organisation dont l'honnêteté, l'impartialité et l'efficacité sont insurpassables : Amnesty International, citée p. 33 en tête d'une longue liste d'organisations de défense des droits de l'homme. Sur Amnesty, je ne peux que renvoyer le lecteur à la somme que viennent de réaliser Hugues Kéraly, Alain Sanders, Jean Nerle et Francis Bergeron ([^27]). Qu'il suffise de rappeler que le directeur du département central de recherche d'Amnesty est un dirigeant communiste, choisi évidemment pour son « impartialité ». Dans l'optique philocommuniste, le sommet est cependant la notice sur Karl Marx, laquelle fait table rase de l'enseigne­ment de l'Église, spécialement des papes Pie XI et Pie XII, pour déclarer tranquillement que « *l'appréciation de la valeur de l'analyse socio-économique proposée par le marxisme relève des sciences humaines* »*.* 85:269 Cette notice exige un examen appro­fondi, que Jean Madiran a déjà esquissé dans son discours du 14 novembre 1982 à la journée parisienne d'Amitié française, et qu'il développera je l'espère dans un prochain numéro d'ITINÉRAIRES. Il suffit, après cela, de saupoudrer le tout de brèves allusions au « peuple des exploiteurs » (p. 455) qui ne saurait être le « peuple définitif de Dieu » (sic) ou de donner quelques ci­tations du genre : « Je suis de la couleur de ceux qu'on per­sécute » (Lamartine, p. 439), pour achever de faire du chrétien de base un bon *compagnon de route,* et même, pourquoi pas, dans le cadre des communautés de base, de la JOC ou de l'ACO, un bon *militant communiste* qui au nom de ce qu'il croit être sa religion prépare le règne sans partage de la barbarie athée. Yves Daoudal. 86:269 ## NOTES CRITIQUES ### Trois lectures de François Brigneau François BRIGNEAU : *Mon village à l'heure socialiste.* (La Table Ronde.) *Première lecture* *Cette série de chroniques retrace un an de pouvoir socialiste, de mai 81 à mai 82. Depuis le triomphe éberlué de gens qui n'en croyaient pas leurs yeux, jusqu'au moment où les plus con­vaincus commencent à déchanter.* *François Brigneau, on s'en doute, n'est pas un témoin neutre. Dès le début, il sait que l'échec socialiste viendra. Ce n'est pas d'ailleurs qu'il regrette les princes de la veille, ceux qui ont préparé leur défaite en menant le plus qu'ils pouvaient la politique de leurs adversaires, et non celle de leurs amis. Gaullistes et libéraux, les gros bataillons de* « *l'opposition* » *sont presque aussi fascinés par la gauche que la gauche elle-même. Ils rêvent d'une France heureuse qui leur laisserait le pouvoir, et où ils seraient applaudis, les larmes aux yeux, par la FEN et la CGT. Rêve dont la réalisation est peu probable. Résultat : victoire des roses en 1981, le Panthéon et la suite.* 87:269 *Mitterrand, Defferre, Cheysson, Mauroy constituent ici les cibles principales, ajustées avec précision. Brigneau a les vertus nécessaires au polémiste : un peu plus de mémoire que la moyenne des citoyens, l'habitude d'appeler un chat un chat, et le talent de fixer d'un trait une situation, un instant de l'histoire. Une anecdote, une phrase décortiquée, et voilà que tout s'éclaire. Le coup est lancé.* *Si l'on veut essayer de trouver une parenté entre Brigneau et les grands carnassiers du genre, il faudrait le rapprocher de Rochefort, pour une certaine gouaille, la netteté du trait, l'art du coup direct. Mais Rochefort, c'est quand même un boulevardier, un sceptique blagueur, et il n'y a pas de scepticisme chez Brigneau. Il serait donc plus proche de Veuillot, par exemple, carré, inébran­lable dans ses fidélités, solidement peuple. Et chez tous deux, le fond est assez ferme pour que des chroniques d'actualité survivent aux circonstances qui les ont fait naître. Cela va au-delà du jour­nalisme, et des colères du moment.* Georges Laffly. *Seconde lecture* Depuis le 10 mai 1981, nous vivons la terne réalité socialo-communiste subissant les soubresauts velléitaires des professeurs de marxisme qui s'acharnent à gouverner. C'est, comme le souli­gnent les journaux financiers, la « morosité » rose. Les semaines s'égrènent au fil des contradictions, des démentis, des valses hési­tations et finalement des catastrophes. Le moral n'est pas au beau fixe et si les Français, cependant, toujours un peu frondeurs, colportent les dernières bévues de la bande à Mauroy, il faut bien dire que souvent le ton n'y est pas. 88:269 Pourtant, quand tout va mal et que le sort reste incertain, il convient de puiser dans les ressources du bon sens, de l'ironie, voire de la gouaille pour retrouver le courage nécessaire, reprendre du tonus et enfin rire de nos malheurs pour éviter d'en pleurer ! C'est ce que vient de faire François Brigneau en publiant son dernier ouvrage : *Mon village à l'heure socialiste.* Bien sûr, il fallait un certain aplomb pour faire un livre avec une chronique des bourdes et des sottises de la coterie qui nous gouverne. Revenir sur la « grande victoire du 10 mai », sur le pèlerinage du Panthéon, les éclats intempestifs de Gastounet, ceux du morne Cheysson, les sorties campagnardes de la Cresson, le bada de Badinter... c'était risqué. Et j'avoue avoir hésité à ouvrir ce livre susceptible, peut-être, de raviver critiques crispées et regrets nostalgiques. Eh bien, n'hésitez pas et répondez à l'aplomb de François Brigneau car vous passerez un bon moment. Tout l'art de Brigneau, c'est d'abord d'être lui-même : sexagénaire moustachu, ronchonnant sur ce qui ne va pas à son gré, toujours prêt à sauter sur son vélo pour « participer », comme on dit, à une réunion engagée, un collage d'affiches, ou un bon déjeuner. C'est une sorte de grand reporter auprès des Français « moyens », dont le cœur généreux déborde de tendresse pour les choses de la vie simples et familières, mais dont l'esprit critique et la plume acérée, accrochent ce qui gauchit. Et depuis dix-huit mois ce qui gauchit accroche beaucoup ! Le style de Brigneau est à facettes. Il use de sa plume comme un escrimeur de son fleuret. Faussement malhabile, il feint de craindre son adversaire, il recule pas à pas pour mieux se fendre et toucher magnifiquement. Ou alors, il attaque « bille en tête » et en quatre moulinets porte directement l'estoc... Usant tour à tour de feinte bonhomie, de fausse admiration, il ridiculise ce qui se targuait de grandeur ou de pouvoir. Admi­rateur, ironique, indigné, gouailleur, imaginatif, il trace des événements de ces années 1981-82 des tableaux, des portraits, des scènes de rue ou de salon qui, je l'espère, passeront le mur de l'indifférence et du temps. Cette chronique des années sombres force le rire et fait mouche par les formules incisives et les comparaisons accablantes. Ainsi, cet anniversaire du 10 mai 81, où Mitterrand, voulant rester simple et près dit peuple, va passer sa soirée à Bobine, écouter chanter Catherine Ribeiro, François Brigneau le trousse ainsi : 89:269 « UN ANNIVERSAIRE SYMBOLIQUE : *17 mai 1982. M. Mitterrand avait fêté sa victoire au Panthéon. Il en a célébré l'anniversaire à Bobino. Tout commentaire est superflu.* » On dira qu'il polémique**,** qu'il systématise**,** qu'il caricature**...** On dira ce qu'on voudra**.** En lisant cette chronique**,** on a l'im­pression d'être mis en scène et d'avoir soi**-**même trouvé le style**,** le ton**,** la formule**,** la répartie de ce que l'on pense et qu'on était peu capable d'exprimer**.** Pour cette collaboration involontaire**,** mais réhabilitante**,** à l'heure socialiste**,** merci Monsieur Brigneau** !** Rémi Fontaine. *Troisième lecture* Vingt heures précises, le 10 mai 1981... la gifle historique re­tentit sur les écrans de télévision. Hébété, hagard, Valéry Giscard d'Estaing s'esbigne, laissant à ses sous-fifres le soin de commenter sa défaite. Cette semaine-là, François Brigneau note dans son article, sans amertume excessive : « La république de carnaval est morte de ses masques. Nous n'aurons pas l'hypocrisie de la pleurer. » Masques peints et décorés des révolutions quarante-huitarde et soixante-huitarde, masques sculptés du mondialisme technocra­tique, masques contrefaits du socialisme à la suédoise, masques grossiers et hilares de la société permissive, masques nègres du Tiers-mondisme, masques grotesques de la démagogie roublarde, masques effrayants de la franc-maçonnerie, hideux masques de l'avortement libre, Giscard aura habillé son pouvoir politique, intellectuel et moral avec tous les déguisements de la mode pro­gressiste. Son obsession : être dans le vent de l'histoire. Cette Histoire avec un grand H, dont les marxistes prétendent accélérer le mouvement en gorgeant un peu partout ses locomotives de cadavres, Giscard voulait en être l'agent double. Faire la politique de la gauche avec les voix de la droite. Exit Giscard. Les socialo-communistes entrent, triomphants, par la grande porte du Panthéon. Déjà François Brigneau les ajuste, un à un, dans sa ligne de mire. 90:269 Dans sa rubrique hebdomadaire de *Minute,* il deviendra le chroniqueur de notre apocalypse rose et climatisée, fixant semaine après semaine les vertiges suicidaires de ses compatriotes. Il peindra les différentes étapes de la catas­trophe marxiste avec les couleurs qui sont les siennes : vivacité, truculence, cocasserie, férocité, émotion, lucidité, vif éclat du style, chatoiement bigarré des mots, rutilance des épithètes. Et ce mouvement irrésistible des phrases qui déferlent sur l'adversaire à la façon d'une charge de cavalerie, bousculante et dévastatrice. Le verbe sabre au clair ! Les adjectifs déployés en étendards ! La colère sur son cheval blanc qui sonne la charge ! François Brigneau écrit comme on livre bataille... Sous le titre *Mon village à l'heure socialiste,* La Table Ronde vient de publier le premier recueil de ses rubriques. En deux cent soixante douze pages elles dressent, sans une seconde de complai­sance, le bilan désastreux d'une année de pouvoir socialo-com­muniste. De mai 1981 à mai 1982. *Mon village à l'heure socialiste,* c'est d'abord une fabuleuse galerie de figures. Leurs figures ! François Brigneau portraiture au couteau tous les dresseurs de puces, dompteurs de fauves, cracheurs de feu, trapézistes sans filet, écuyères de charme, jongleurs uni­jambistes, prestidigitateurs-bonimenteurs, clowns pailletés, devins-escrocs, hommes caoutchouc et femmes-serpents du *Mitterrand circus.* Les histrions responsables de notre effondrement dans les enfers planifiés de la technocratie marxiste. Voici d'abord Gaston Defferre, « l'atrabilaire des Bouches-du-Rhône », qualifié par le député RPR de Paris, Jacques Marette, lors d'une séance de l'Assemblée, de « provocateur ignoble et gâteux ». Mais épouvanté par sa propre audace, Jacques Marette se rétracta, présentant ses excuses. Un recul qui vaut à ce dernier d'être accroché dans la galerie de François Brigneau, juste à côté de Gaston : « M. Marette doit être de la race des témoins qui ne se font pas égorger afin de pouvoir continuer à témoigner. » Re­venons à Defferre, ou plutôt à l'époux comblé « d'une grande bourgeoise catholique, la charmante, l'aimable et si simple Ed­monde Charles-Roux, Mademoiselle du Canal, l'héritière de Suez. Ça fait toujours riche dans une corbeille, même si l'heureux élu est un partageux ». François Brigneau croit discerner dans le cheminement de ce « matamore révolutionnaire, ce grand Lustucru rouge, mal embouché, vindicatif, despotique » une tentative pour se rapprocher de nous. « Je veux dire la droite. On lui a dit que la droite, c'est les privilèges : il les exige tous. Exemple. Dix avions par jour font la navette entre Paris et Marseille. 91:269 Il en réclame un onzième, pour lui seul, un Mystère du GLAM, payé par les contribuables, avec un hélicoptère en prime, monsieur s'ennuie dans les embouteillages. » Tel est Gaston, « l'illusionniste génial qui a réussi à devenir milliardaire, alors qu'il était un avocat qui ne savait pas parler et un journaliste qui ne savait pas écrire ». Après Defferre, Mauroy dit Gros Quinquin, dit le Géant des Flandres, ou encore, selon Brigneau : le permanent parvenu. « Lieux communs, clichés, phrases toutes faites, idées creuses, philosophie de hanneton, M. Mauroy jargonne avec une majesté sentencieuse. C'est le socialiste gentilhomme découvrant la prose. » Devant les caméras, le premier ministre « n'arrête pas de jaspiner, à droite, à gauche, avec des mines, des mouvements de sourcils, des joues gonflées, dans le style des mauvais comédiens, qu'on appelle : les chargeurs réunis ». Claude Cheysson : « Il a ce sourcil en accent circonflexe, cet œil de cocker triste et résigné, ce nez renifleur circonspect, cette bouche désabusée, en dos d'âne, ce visage un peu mou et mélan­colique, que le sourire éclaire et transforme d'un coup. » Le premier secrétaire du parti socialiste : « M. Lionel Jospin est de ces êtres d'élite qui paraissent être partout indispensables, irremplaçables et implacables. Il y a en lui du Saint-Just. On le voit très bien en conventionnel, prompt à décoller l'aristo. » Dé­puté de la Goutte d'Or, tout semblait prédestiner Jospin à cette fonction : « Même son physique de nègre blanc, qu'accentue encore sa chevelure crépue, coiffée afro. » La glamoureuse Édith Cresson : « Dans son luxueux apparte­ment (200 m ^2^ rue Clément-Marot, VIII^e^), Mme Cresson a mieux appris à distinguer la qualité des moquettes que celle des variétés de colza. » Jacques Delors : « Toujours modeste, le regard sous le buvard, les mains fébriles du chouraveur, un air de boy-scout faisant la retape. » Charles Fiterman : « Monsieur le ministre, votre réussite est prodigieuse. Quand on songe que vos parents n'ont été naturalisés français qu'en 1934, et que vous êtes devenu ministre des Trans­ports, on ne peut qu'être ébloui par la rapidité de votre course, son efficacité. A côté, le TGV lambine. » Jacques Attali, le gérontophage : « Personne n'ignorait plus que cet étrange personnage, aux yeux de biche et au crâne de lucane (ou de cerf-volant) qui laissait les femmes songeuses tant il ressemblait au fils que Stoléru aurait pu avoir de Fabius, nour­rissait depuis toujours une passion dévorante : la chasse aux vieux en rase campagne. » 92:269 Pour nous raconter, en deux épisodes, *le songe d'Attali-Attila,* le style de François Brigneau devient onirique. Son stylo se transforme en une caméra expressionniste, brossant à coups de travelings un décor cauchemardesque, diffusant un éclairage glauque d'outre-monde, distillant l'angoisse à travers une atmos­phère magique. On croirait ce rêve, où bourdonne en surimpression l'ombre gigantesque d'Attali, « l'insecte aux élytres gaufrées », filmé par Fritz Lang ou Murnau. Dans la galerie de François Brigneau trône en bonne place François Mitterrand. Sous un uniforme inattendu : celui d'un brave petit soldat du maréchal Pétain. Avec la francisque au revers de la boutonnière. François Mitterrand écrit alors dans *France-Revue de l'État nouveau,* dont le directeur, Gabriel Jeantet, est aussi son parrain. Voici, incorporé au tableau, tel un collage dadaïste, l'ex­trait d'un article où Mitterrand raconte ses tribulations de soldat vaincu en Allemagne. Et les réflexions qu'elles lui inspirent. « Je pensais que nous, les héritiers de cent cinquante ans d'erreurs, nous n'étions guère responsables. J'en voulais à cette histoire triomphale qui précédait imparablement cette marche lente d'une génération dans des wagons à bestiaux... Je songeais aux jugements qui condamneront notre débâcle ; on incriminera le régime affais­sé, les hommes nuls, les institutions vidées de leur substance et l'on aura raison. » Bigre ! Ainsi donc, pour François Mitterrand, l'héritage de la Révolution française se solde par cent cinquante années d'erreurs, qui entraînèrent les héritiers à cette marche lente d'une génération dans des wagons à bestiaux ? Pour un futur président de la République, c'est osé ! Ces princes roses et rouges de 189 années d'erreurs (disait Mitterrand), fossoyeurs ineptes de la grandeur française, de la substance française, de l'âme française, François Brigneau les *tympanise.* Tympaniser ! Un verbe du XVI^e^ siècle, issu du latin *tympanizare* et du grec *tempanizein.* Critiquer, ridiculiser publique­ment. Lui seul définit exactement l'art journalistique de *Mon village à l'heure socialiste.* François Brigneau *tympanise* les pitres gris et tristes de nos déchéances, tambourinant ses brocards avec fureur et véhémence sur tout un orchestre de mots sonores et dé­chaînés. Des mots qu'il fait tintinnabulailler comme autant d'ins­truments baroques et cocasses : chapeau chinois, carillon de fan­fare, violes d'amour, orphéon, timbales. Et même un orgue de Barbarie où le père de Coco-Bel-Œil moud ses tournures faubou­riennes, à la syntaxe verte et épicée. 93:269 François Brigneau demeure aussi l'un des très rares polémistes contemporains capables d'affronter, avec une folle témérité, les trois plus importants groupes de pression, travaillant chacun de son côté à la conquête du monde. Le communisme d'abord. Mais aussi les lobbies juif et franc-maçon. Contre les arrogantes flottilles d'avisos et d'escorteurs de ces trois États confédérés, il n'hésite pas à passer à l'attaque, sur son frêle esquif, surgissant à l'instant inattendu, il aborde les forteresses ennemies dans un grand remous de phrases tempétueuses et vengeresses, aux invectives exacerbées, aux odeurs de poudre. Le souffle de Drumont, de Maurras, de Léon Daudet, et même parfois de Bernanos, gonfle sa voile. Jean Bart de la contre-révolution, ce solide Breton est un des derniers corsaires du royaume de France. A travers ses chroniques d'un an de pouvoir socialiste, François Brigneau appréhende également l'arrivée de la grande nuit marxiste en train de tomber doucement sur notre pays. Elle a commencé par un crépuscule rose, aux teintes euphoriques. Coucher de soleil pour cartes postales. État de grâce estival. L'heure socialiste n'en est pas moins crépusculaire, donc synonyme de déclin. Peintre subtil de la lumière française, François Brigneau saisit, en une suite de tableaux impressionnistes, cette imperceptible métamorphose du paysage gaulois en train de s'assombrir. Évanouissement des formes et des couleurs de l'ancienne France. Anéantissement de toute idée nationale. Évaporation des valeurs chrétiennes dans des évanes­cences décadentes. L'armée elle-même, en train de se dissoudre en ombres vacillantes. Journaliste écrivain, François Brigneau est aussi le militant exemplaire d'une cause. Sa passion politique donne parfois à sa prose la brutalité d'un coup de poing, le ton percutant et impératif d'un mot d'ordre, la sèche efficacité de l'action. Exemple, cette superbe proclamation intitulée : « *Un plan ORSEC anticoco* »*.* Un manifeste à placarder sur tous les murs de notre village socialiste. Je n'ai pas la prétention de proposer ici un plan d'action susceptible d'arrêter la répression communiste en Pologne et de soutenir la résistance de « Solida­rité ». Mais si l'on prétend vraiment défendre les droits de l'homme à refuser le communisme, il faut déclencher un plan O.R.S.E.C. anticommuniste à tous les niveaux. 94:269 Il ne nous appartient pas de mettre le parti commu­niste hors la loi. Mais nous pouvons, si nous le voulons, mettre les communistes en quarantaine. Il faut boy­cotter toutes les manifestations soviétiques (ballets, Cirque de Moscou, Chœurs de l'Armée rouge). Il faut mettre l'U.R.S.S. au ban des compétitions sportives internationales (on l'a bien fait pour l'Afrique du Sud). Les ministres communistes collent au gouvernement pour ne pas perdre les élections municipales de 1983. Il faut réclamer leur départ à toutes occasions, dans toutes les circonstances, sur tous les tons, à tous les niveaux. Il faut faire éclater les municipalités socialo-communistes. Il faut tout mettre en œuvre pour leur faire perdre les mairies que la trahison socialiste leur avait livrées lors des dernières municipales. Il faut organiser une campagne pour inciter les touristes à ne plus séjourner dans les villes de vacances à municipalité communiste. Il faut exiger du gouvernement que *L'Humanité* et la presse soviétique de langue française, dans son ensemble, ne reçoivent plus une publicité d'État (S.N.C.F., Gaz de France, Bons du Trésor, Caisse d'Épargne, etc.). Il faut dénoncer par voie d'affiches les P.D.G. des entreprises capitalistes qui soutiennent le Parti, ses journaux et ses maisons d'édition. Il faut expulser tous les ressortissants soviétiques comme persona non grata. Il faut fermer tous les bu­reaux d'achats avec l'U.R.S.S., les banques de trafic avec l'Est, ne plus vendre un gramme de beurre à tous ceux qui affament le peuple polonais. Sur tout le terri­toire, il faut poursuivre les pro-soviétiques français, coupables de non-assistance à Pologne en danger. Nous ne pouvons pas leur faire la guerre là-bas. Faisons-leur la guerre ici. Et pas seulement par soli­darité avec « Solidarité ». Mais par égoïsme. Par sim­ple réflexe d'autodéfense. Car si nous perdons à Var­sovie, c'est que nous aurons aussi perdu à Paris. Com­me le souhaite M. Cheysson, ministre des Relations extérieures de la France, qui, dès dimanche, affirmait que la France de 89, la France de la Liberté, de l'Éga­lité, la France généreuse, la France qui avait inventé les Droits de l'homme « n'avait absolument pas l'intention de faire quelque chose » dans ce nouveau massacre des innocents. 95:269 On se prend à rêver... Un bref communiqué proclamant l'in­terdiction totale du parti communiste. Dans le même instant, trois escouades de CRS déjà à pied d'œuvre, place du Colonel Fabien, en train d'investir l'immeuble des agents de Moscou. Et transformation de cet immeuble, dès le lendemain, en un ministère des affaires anti-marxistes... Un centre de contre-propagande, char­gé de démarxiser l'école et les médias, préalable indispensable à toute reconstruction intellectuelle, morale, et sentimentale des Français. Un rêve bien sûr... Une idée comme il vous en pousse à une heure du matin, quand vous lisez du François Brigneau, sans pouvoir sortir de son *Village à l'heure socialiste,* tant ses rues contiennent d'animation, bruissent de passion et de spectacles drôles... Jean Cochet. ### Poulat médite sur le modernisme Émile POULAT : *Modernistica.* (Nouvelles Éditions Latines.) Comme, sans l'indiquer nettement, le titre du livre le laisse pressentir, *Modernistica* est le recueil d' « un ensemble d'articles dispersés depuis vingt ans au gré des circonstances et des de­mandes » (p. 18). Mais le thème est unique ; c'est celui du *moder­nisme* et de la *modernité,* traité sous trois aspects : « Horizons », « Physionomies » et « Débats ». La partie consacrée aux « physionomies » est pour nous la plus intéressante parce qu'elle nous apprend beaucoup de choses sur des personnages que nous ne connaissons guère que de nom : Auguste Sabatier, Paul Desjardins, Mgr Duchesne et Giovanni Pioli. Pour équilibrer ces physionomies modernistes ou moderni­santes, seize pages sont consacrées à « une famille traditionaliste : les Rambaud ». 96:269 Henri Rambaud était l'ami d'Émile Poulat, dont il partageait le goût pour les analyses minutieuses. Les lecteurs d'ITINÉRAIRES n'ont pas oublié les pages de son journal que Jean Madiran parvint à lui arracher pendant quelques mois. Aller plus loin eût été au-delà de ses forces. Les « horizons » et les « débats » tournent autour du *change­ment* dont l'auteur explore, avec une lucidité pénétrante, le contenu et l'exacte signification. Sa recherche se veut celle du sociologue et de l'historien, mais la métaphysique y est sous-jacente. Au fond, les questions indéfiniment posées sont : qu'est-ce que le change­ment ? qu'est-ce qui change ? qu'est-ce qui ne change pas ? Les changements visibles ne masquent-ils pas un changement invisible qui lui-même est peut-être un leurre ? Les phrases, très denses, appellent constamment la relecture et l'on sort un peu désorienté de cette impitoyable investigation. L. Salleron. Ouvrages d'Émile POULAT précédem­ment recensés dans ITINÉRAIRES : -- *Catholicisme, démocratie et socialisme :* n° 213 de mai 77, p. 146. -- *Église contre bourgeoisie.* Intro­duction au devenir du catholicisme actuel : n° 215 de juil-août 77, p. 162. -- *Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste :* n° 232 d'avril 79, p. 78. -- *Une Église ébranlée.* Changement, conflit et continuité de Pie XII à Jean-Paul II : n° 248 de déc. 80, p. 83 ; et n° 261 de mars 82, p. 55. ### Pierre Gaxotte PIERRE GAXOTTE est mort le 21 novembre. Il venait d'entrer dans sa quatre-vingt-huitième année. Son nom restera lié à l'histoire du XVIII^e^ siècle. Sur le règne de Louis XV, dont il montra la grandeur, comme sur la Révolution, il a apporté des vues neuves et justes, qui se sont imposées. Or ce n'est pas un partisan qui s'exprimait dans ces thèses, mais l'esprit positif, critique, mesuré, capable de redresser les erreurs imposées à l'opinion par l'idéologie et la routine. 97:269 Sans doute, il n'était pas le premier dans cette voie. Mais il reste celui qui y a apporté nombre de matériaux inattaquables, et un talent d'exposition qui semblait rendre faciles les questions les plus ardues. Après lui, certaines erreurs n'ont pu subsister. Tous ceux qui sont attachés au passé français doivent lui être reconnaissants de cette œuvre de salubrité. Ce XVIII^e^ était son siècle de prédilection. Il faisait remarquer qu'aux yeux du monde, c'est lui qui représente toujours la civi­lisation française. Pour sa part, il en avait l'esprit aimable, le goût profond de la raison et de la clarté, et celui des horizons nettement définis. Son style précis, leste, sec, pouvait, sans pastiche, prolonger ce temps des lumières (au sens le plus pur de ce mot chargé d'intentions diverses). Longtemps, il a signé ses chroniques *Pangloss.* Un livre comme *le nouvel Ingénu,* ou ses souvenirs le montrent très bien comme un homme issu de ce siècle civilisé. Et aussi *Thèmes et variations,* suite de « petits écrits sur de grands sujets », plein de mordant, et profond dans sa légèreté. On y admire la solidité de son jugement, et une inaptitude totale à prendre des vessies pour des lanternes. Le chapitre sur la liberté, écrit sous la IV^e^, reste d'une actualité effrayante : les masses n'ai­ment que la servitude, dit-il. Il est très bon de relire aussi le morceau qui a pour titre : « L'illusion de l'hexagone ». Mais il faut revenir à ses grands ouvrages. Gaxotte était un historien classique, « événementiel » dit le patois. Faits politiques, grandes figures, c'est là-dessus qu'il centrait son attention. Mais il ne négligeait nullement l'étude de l'économie, et jusqu'au prix des objets courants, l'évolution des idées, des usages, la vie du peuple, la technique. Il suffit de relire son *Histoire des Français,* grand livre. D'ailleurs, sa vocation d'historien avait commencé par là. Il écrivit son diplôme sur *La corvée et les routes royales,* et c'est l'étude de ce point qui le porta à réviser les idées alors communes sur Louis XV et son règne. Il écrivit aussi un *Frédéric II* et une *Histoire de l'Allemagne* qui ont fait date. On sait que dans sa jeunesse, Gaxotte fut le secrétaire de Charles Maurras. Il lui resta fidèle. Agrégé, il aurait pu avoir une carrière universitaire. Le hasard, et l'amitié d'Arthème Fayard, le dirigèrent vers le journalisme. Rédacteur en chef de *Candide* (1924-1940) de *Ric et Rac* (1928-1940)*,* de *Je suis Partout* (1928-1937), il retrouva le journalisme après la guerre, dans des journaux aussi différents qu'*Elle* et *Le Figaro.* 98:269 L'historien est un homme absorbé par le passé, le journaliste est occupé par le présent. Chez Gaxotte, les deux métiers faisaient bon ménage, preuve d'une tête vraiment bien faite. La solide connaissance du passé équilibrait la pression de l'actualité, et aidait à déchiffrer l'événement du jour. Journaliste, il avait deux grandes qualités : la rapidité à saisir ce qui est important, significatif, et une langue ferme, directe, qui ne triche pas. Je crois qu'on aura toujours intérêt à lire Gaxotte, si l'on veut n'être pas dupe des mensonges, de la mode, des trucages qui prolifèrent si bien aujourd'hui. Georges Laffly. ### Recensions #### Robert Poulet : *Le caléidoscope *(L'Age d'homme) *Première lecture* « Trente-neuf portraits d'écrivains » dit le sous-titre. Des portraits en trois ou quatre pages, images animées par le caléidoscope. Ainsi défi­lent sous nos yeux Chardonne, Céline, Morand, Montherlant, Jouhandeau et tous les autres, classés en « éminents », « profonds », « divertissants », « singuliers », « fantômaux », « éventuels ». Une centaine d'épigrammes en distiques résument ces eaux-fortes vivantes, sauvant ainsi de l'oubli la foule des moins grands ou des plus grands que la prose avait négligés. Barrès : *Qui, dans ce vieil* ÉCHO *dont les feuilles jaunissent* *Reconnaîtrait le pas léger de Bérénice ?* 99:269 Anna de Noailles : *L'air du Parnasse et ses parfums allaient au teint* *De Phryné, déguisée en penseur byzantin.* Sacha Guitry : *Quelle que soit la scène, on ne se plaindrait pas* *Que tournent aussi mal tous les fils à papa.* Faute de pouvoir analyser ni résumer trente-neuf portraits et quatre-vingt-dix-neuf épigrammes, on voudrait du moins en tirer le portrait de l'auteur. Mais là encore il nous coupe l'herbe sous le pied. Car il y songea lui-même et y renonça, s'apercevant que ce portrait aussi était déjà fait : « il se dégage de l'ensemble des autres (...) ne fût-ce qu'à travers la façon d'écrire ». On ne peut donc que lire le livre. On y gagne. N'y manquez pas. L'épigrammatiste même s'y épingle : *Il lui faudrait, dans son emploi de distiqueur* *Plus de finesse, plus d'esprit -- et moins de cœur.* Nous pourrions ajouter : *Donnant et recevant les coups, il a vécu* *Laissant au ciel de juger vainqueur et vaincu.* Louis Salleron. *Seconde lecture* Ces trente-neuf portraits d'écrivains en suggèrent un quarantième, celui de l'auteur lui-même. Mais pourquoi ne pas se fier plutôt au dessin tracé par Jacques Chardonne, à la fin de *Matinales :* « Une singularité chez Robert Poulet : cette longue et funèbre claustration \[*les trois ans où il fut enfermé dans la cellule des condamnés à mort, victime de l'épuration belge*\] ne lui a rien donné, sinon plus de considération encore pour une femme admirable. Il est sorti de sa cellule tel qu'il y était entré, car c'est un mystique, un habitué du monde invisible, et pour qui la mort et l'éternité sont choses vivantes. 100:269 « Un mystique d'une sorte étrange, comme enfiévré par la vie, doué d'une énergie prodigieuse et qui contient dans une sorte de frémissement électrique une puissance intellectuelle inusable. « Il est l'auteur de *Handji,* un beau roman ; il est aussi critique d'un fort jugement, et qui sait écrire, le principal peut-être, même pour un critique. » Cela a été écrit il y a vingt-six ans. Robert Poulet garde toujours sa belle plume et son énergie. Dans les portraits qu'il présente ici, il n'a pas tort de dire qu' « il se rapproche (à force de vérité) de la caricature ». Il pousse tout de suite à la limite, puis il revient, corrige, nuance. Mais le premier trait est porté. Effet probable d'un grand amour de la littérature : ces écrivains qu'on aime, on les voudrait parfaits, et la statue s'effrite dès qu'on la bouscule un peu. Poulet les traite avec une liberté incroyable, une allègre et cruelle familiarité. Voici Paraz : « Peut-être ses romans ne valent-ils pas grand chose... Ses pamphlets, du Céline gras, respirent du moins la sincérité et l'hon­nêteté... » Et Chardonne : « Il est devenu l'écrivain le plus original de son époque dès lors qu'il n'a plus eu rien à dire, ou qu'il s'est interdit de rien dire... » Dans une bibliothèque idéale, on aurait eu, pour illustrer ces pages, des dessins d'André Rouveyre. Les deux hommes s'apparentent par la jubilation dans le trait mordant et une sorte de féroce innocence. Georges Laffly. Ouvrages de ROBERT POULET précé­demment recensés dans ITINÉRAIRES : **--** *Billets de sortie :* n° 202 d'avril 76, p. 127. -- *Ce n'est pas une vie :* n° 205 de juil-août 76, p. 162. -- *Dis-moi qui te hante :* n° 222 d'avril 78, p. 238. -- *J'accuse la bourgeoisie :* n° 223 de mai 78, p. 147. -- *La conjecture :* n° 252 d'avril 81, p. 112. 101:269 #### Ernst Jünger *L'auteur et l'écriture *(C. Bourgois) L'écrivain, c'est l'artisan ; il po­lit son style. L'auteur c'est le sourcier qui atteint aux nappes pro­fondes de l'esprit, le créateur, comme nous disons un peu vite. Espèce rare, Montaigne le remar­quait déjà. Et l'auteur, c'est l'hom­me complet. Curieusement, Jünger le compare au Pauvre de l'Évangile : « Comme lui, il porte en soi-même un trésor caché que l'on ramène rarement. » A vrai dire, tout homme porte ce trésor, mais peu entreprennent de le mettre au jour. Les vraies vocations sont ra­res, et encore plus dans une société où l'économie commande tout. Il faut choisir entre Mercure et Apollon, le profit et la beauté. C'est vite fait : un auteur de renom « gagne à peine autant qu'un ouvrier qualifié ». Jünger note aussitôt que ce gain paye le travail manuel de l'écrivain. L'ef­fort spirituel ne saurait être que gratuit. L'époque, peu favorable, ne cesse de s'obscurcir : « Si le niveau de la culture continue à s'abaisser, la gloire posthume elle-même pourrait devenir redoutable, étant le résultat d'une sélection négative. » Exem­ples, en France : Zola et E. Sue passent pour les plus grands de nos écrivains. Le conformisme po­litique fait aussi des dégâts. Il faut être classé à gauche pour avoir droit au respect. Il est dif­ficile de rester libre, comme on le voit en France où des écrivains qui furent pétainistes ou fascistes passent leur temps à arranger ce passé gênant, faisant penser à ce personnage du *Hussard bleu* qui dit : « Dans la garde à Pétain, on avait tout à fait l'esprit de la Résistance. » Revenons à des choses sérieu­ses : ce livre montre la noble idée que l'auteur des *Falaises de marbre* se fait de la création lit­téraire. « Le service du langage a toujours sa récompense, en lui-même déjà. » Même l'œuvre mé­connue ou avortée grandit celui qui y travaille. Quant au livre accompli, il accède à l'éternel, au-delà des siècles où on le lira : « Ilion se dresse intacte dans le poème d'Homère. Mais cela même n'est qu'un sursis : Ilion survit dressée hors du temps. » Cette assurance explique une tranquille ironie à l'égard de l'opi­nion marchande, et de ce que l'on croit être « la vie littéraire » : « Un tirage de cent mille exem­plaires : plus facile à atteindre en un mois qu'en un siècle. » Pour les esprits mal intentionnés, il faut rappeler que Jünger a connu *aussi* de gros succès de vente. Il dit aussi : « D'un livre digne de ce nom, on peut attendre qu'il ait modifié son lecteur. » Et pour compléter la triade auteur-criti­que-lecteur, signalons cette remar­que sur les juges de livres : il faut une harmonie entre l'auteur et le critique. « Ne jamais écrire sur quelqu'un qu'on n'aime pas. » Autre note, d'une valeur plus gé­nérale : « Qu'on vous crache au visage, on ne peut l'éviter ; mais bien de se laisser taper sur l'é­paule. » 102:269 On trouvera également dans cet ouvrage des considérations qui rappellent *le Mur du temps* ou *Eumeswil.* Nous sommes entrés, selon Jünger, dans une ère de Ti­tans (machines, révolte contre le Ciel), avec des présages apocalyp­tiques « comme à la fin de tout millénaire » ; autres symptômes : la nécrophilie, « on descend chez les morts -- non pas pour leur rendre honneur, mais pour les piller, ravir ce que contiennent les tombeaux des Pharaons, les tré­sors de l'âge carbonifère » ; caï­nisme, « on les voit chercher dans l'inhumain, avec des lanternes. Ce qui les éclaire, c'est la phosphores­cence de leur nature caïnite ». L'an dernier, Ernst Jünger, à 87 ans, se vit décerner le prix Goethe, ce qui déclencha dans son pays les aboiements de plusieurs meutes de roquets. Manière révé­latrice de traiter un des grands héritiers de la civilisation euro­péenne. Georges Laffly. Ouvrages d'Ernst JÜNGER précédem­ment recensés dans ITINÉRAIRES : -- *Approches : drogues et ivresse :* n° 174 de juin 73, p. 174. -- *Rivarol :* n° 182 d'avril 74, p. 187. -- *Le lance-pierres :* n° 187 de nov. 74, p. 278. -- *Héliopolis :* n° 195 de juil-août 75, p. 142. -- *Le Contemplateur solitaire : n° *202 d'avril 76, p. 134. -- « Cahier Ernst Jünger » : n° 211 de mars 77, p. 108. -- *Graffitti, Frontelières :* n° 212 d'avril 77, p. 166. -- *Eumeswil :* n° 225 de juil-août 78, p. 144. #### Philippe Simonnot *Le grand bluff économique des socialistes *(Éd. J. C. Lattès) Aussi fortement documenté qu'intelligent et bien écrit, ce livre n'est pas, comme son titre pourrait le faire croire, un pamphlet. S'il est inspiré par la colère, c'est « celle des amoureux déçus de la gauche ». Privilège de la jeunesse (déjà mûre). 103:269 Les plus anciens avaient connu le Front populaire qu'ils retrouvent aujourd'hui dans ses illusions, les espoirs qu'il sou­leva, et jusqu'au rythme de ses dévaluations. Quiconque a lu Al­fred Sauvy, pourtant socialiste (qu'il dit), n'a plus rien à ap­prendre sur la question. Aux er­reurs de leurs prédécesseurs s'a­joute seulement, chez nos gouver­nants, celle d'un Keynésianisme mal compris. La relance par la consommation ne vaut pas mieux que le partage des heures de tra­vail pour augmenter le nombre des emplois. Précieux par son information, qui nous met sous les yeux le ta­bleau complet des dix-huit pre­miers mois du gouvernement socia­liste, le livre se recommande en­core par quantité d'observations aussi justes qu'originales. J'ai beaucoup apprécié pour ma part l'idée de la « soviétisation » de notre économie. L'auteur n'entend pas par là le communisme propre­ment dit mais l'état social qui en résulte. « On ne s'est pas assez interrogé, écrit-il, sur le pourquoi de la pérennité du régime soviéti­que en dépit de ses échecs de plus en plus flagrants. Il n'est pas sûr que -- hypothèse malheureu­sement invérifiable -- si les ci­toyens soviétiques étaient appelés par referendum à choisir entre capitalisme et socialisme, ils vote­raient pour le premier (...) Mais ce qu'ils seraient en tout cas assu­rés de perdre en abandonnant le socialisme, c'est la sécurité de l'emploi et une certaine noncha­lance dans le travail, deux éléments qui pourraient bien faire que, *du point de vue des citoyens soviéti­ques,* du moins de ceux qui ne peuplent pas le Goulag, le bilan soit globalement positif » (p. 152). C'est ce que Madiran appelle la vieillesse du communisme et moi, l'instinct de mort du socia­lisme dont l'extension permanente n'est que la croissance de l'entro­pie. Où en sommes-nous à cet égard ? L'auteur rappelle quelques chiffres (c'est moi qui souligne) : « la part du secteur public s'élève dé­sormais, à 29,4 % des ventes de l'industrie (24,3 % hors énergie), contre 17,2 % (8 % sans l'énergie) avant le 10 mai 1981 ; pour les *entreprises industrielles de plus de deux mille personnes, c'est près de la moitié du chiffre d'affaires* qui est sous la coupe de l'État (...) Dans les *entreprises de moyenne importance,* la progression est plus spectaculaire encore : 18 % des ventes et 15 % des effectifs con­tre, respectivement, 4,7 % et 3,8 % avant les nationalisations » (p. 144). Sans oublier, ce qui est plus grave encore, la nationalisa­tion totale du crédit (petites ban­ques mises à part, et filiales étran­gères, rameaux des multinationa­les honnies). Sans oublier non plus la mise en place, à tous les postes clefs, de socialistes et de communistes. Ajoutons à tous les mérites de l'ouvrage (dont on peut certes dis­cuter certains points de vue), la qualité des portraits des princes qui nous gouvernent, Mitterrand, Chevènement, Attali et tutti quanti. A lire donc. On s'instruit et on ne s'ennuie pas. Louis Salleron. 104:269 ## DOCUMENT ### Le discours de Soljénitsyne à Formose *C'est un discours très important que Soljénitsyne a pro­noncé en russe, le 23 octobre 1982, à Taipeh, capitale de l'île de Formose, que l'on appelle aussi Taiwan. On ne l'a peut-être pas tout à fait oublié : en 1949-1950, quand la Chine continentale tombait tout entière sous la domination com­muniste, Taipeh est devenue la capitale de la République libre de Chine.* *Le discours de Soljénitsyne est ici rapporté en substance seulement, mais très exactement. Il s'adresse directement aux Chinois libres de Formose. On verra qu'il est d'un intérêt aussi direct pour les Européens et les Américains.* J. M. Au cours des trente-trois dernières années, beaucoup de gens à travers le monde se sont, je crois, intéressés à Taiwan, à cause de son destin tout à fait particulier. Ce fut mon cas, il y a déjà longtemps. Soixante nations sont tombées sous le joug du communisme. 105:269 Une seule a été assez heureuse pour maintenir ne serait-ce qu'un petit bout de terri­toire où l'autorité de son gouvernement pût continuer de se manifester malgré cette rupture, et permît au monde entier de faire la comparaison entre ce régime et le désordre communiste. En Russie, la Crimée de Wrangel aurait pu être ce bout de terre. Mais faute d'appui extérieur, trahie par ses alliés du début, elle fut bientôt écrasée par les communistes. Tandis qu'en Chine, grâce à un large détroit, un morceau de l'État chinois est devenu cette République de Chine qui, pendant un tiers de siècle, a montré au monde quel niveau de développe­ment la Chine entière aurait pu atteindre si elle avait échappé au joug du communisme. Aujourd'hui la République de Chine à Taïwan l'emporte par son développement, ses réussites indus­trielles et le bien-être de sa population, montrant comment on peut gouverner raisonnablement les forces d'une nation quand elles ne sont pas entre de mauvaises mains. Une comparaison si instructive devrait frapper, semble-t-il, tous les habitants de notre planète ; ils devraient voir combien ceux qui échappent au communisme sont florissants, tandis que ceux qui le subissent périssent par millions. L'histoire des massacres communistes en Union soviétique, en Pologne et au Cambodge est maintenant bien connue de tous. Si l'histoire des massacres de Chine, du Vietnam et de Corée du Nord est encore à écrire, du moins de nombreux indices permettent déjà d'en juger. Mais non ! C'est la Chine libre qui a dû supporter les pires injustices et les attitudes les plus ignobles de la part des autres pays. Les Nations Unies, depuis longtemps tombées au rang d'amuseurs publics irresponsables, se sont déshonorées en ex­cluant les dix-sept millions de Chinois libres. La majorité des pays de notre planète ont traîtreusement chassé votre pays de l'Organisation des Nations Unies, dont les délégués, ajoutant l'insulte à l'injustice, sifflaient, ricanaient, hurlaient. La ma­jorité des pays du Tiers-Monde se sont comportés comme des imbéciles qui ne savent pas le prix de la liberté, mais appellent les coups de botte. 106:269 Pendant des siècles le monde occidental a très bien su le prix de la liberté. Mais, les années passant, le confort une fois obtenu, il est de moins en moins préparé à payer ce prix. Les Occidentaux apprécient leur liberté politique ? Ils sont de moins en moins disposés à la défendre avec leur propre sang. Au fil des décennies, l'Occident est devenu de plus en plus sénile, de moins en moins capable de se défendre. L'un après l'autre, tous les pays capitulent cela a commencé dès avant la Seconde Guerre mondiale. Après, l'Occident n'eut même plus de scrupules à sacrifier l'Europe de l'Est à la simple sauvegarde de son confort. C'était si facile de trahir le gouvernement de Mikolajczyk ([^28]) ; si facile de retirer son soutien à son allié Chang-Kaï-chek. Et bientôt nous verrons un pays en trahir un autre simplement pour survivre un petit peu plus longtemps. Alors faut-il s'étonner que la plupart des pays occidentaux, apeurés, n'osent vous vendre des armes de peur d'irriter Pékin ? Voilà leur combat pour la paix ! Pourtant l'Europe menacée devrait mieux comprendre votre situation ; mais elle est trop lâche pour se préoccuper de savoir si la République de Chine et d'autres pays sont eux-mêmes en danger. Tout récemment l'ancien Premier ministre du Japon déclarait qu'armer la Chine libre déstabiliserait l'Extrême-Orient. Qu'ajouter à cela ? Ils sont tous obnubilés par la recherche de la sécurité et d'un rapprochement. Aussi un mythe a-t-il fait son apparition selon lequel il y aurait de « mauvais » et de « bons » commu­nistes. Et de ce mythe est née l'image d'une Chine communiste bien disposée en faveur de la paix. Faut-il s'en étonner alors qu'en Corée du Sud, pays qui a lui-même subi le choc d'une agression communiste et y a survécu, on cultive le mythe selon lequel l'Union soviétique n'est pas vraiment hostile, pas si ennemie que cela, pas comme la Corée du Nord... Les Coréens du Sud eux aussi ont fait l'impossible pour gagner les faveurs de Pékin. Les voilà maintenant qui hésitent à donner à la Chine libre un avion qui a fui la Chine rouge. 107:269 Non, si l'on se forge de tels mythes, ce n'est pas par aveu­glement, ce n'est pas par stupidité. C'est parce qu'on n'a plus d'espoir, c'est parce qu'on n'a plus d'âme. Les relations des États-Unis avec vous sont un cas particulier. Jusqu'à ce jour, les États-Unis fournissent la seule garantie exté­rieure contre une attaque de votre île par les communistes. Mais comme il leur devient difficile de rester loyaux envers Taiwan ! Quel recul déjà ! Les Américains aussi ont succombé à la tentation universelle d'abandonner la République de Chine à ses périls, à son destin. L'Amérique a fait un pas vers l'abro­gation des relations diplomatiques avec la République de Chine. Au nom de quoi ? Quels inconvénients avaient-elles ? C'est tout simplement sous l'emprise du rêve futile des Occidentaux de se faire un allié de la Chine communiste. L'Amérique a relâché ses liens avec vous, a réduit son soutien militaire et vous refuse bien des choses dont vous avez besoin. Quelles pressions ont été exercées sur les présidents amé­ricains pour qu'ils abandonnent Taiwan ! Tous n'ont pu y résister. Voici un ancien président ([^29]) qui rentre d'un voyage en Chine, où il a flagorné ses hôtes en déclarant qu' « une Chine communiste puissante est une garantie de paix » et que l'Amérique a sans doute intérêt à ce que la Chine rouge soit forte. Ce sont des gens de cette espèce qui ont gouverné les États-Unis et rien ne garantit que d'autres du même acabit ne succéderont pas au président Reagan. Les États-Unis sont très hétérogènes. Des courants puissants y poussent à la capitulation. Des cercles extrêmement puissants penchent pour l'abandon de pays libres au profit d'une alliance avec des pays totalitaires. 108:269 Ils ont accueilli avec joie la propo­sition hypocrite faite par la Chine communiste d'une « réuni­fication dans la paix ». Beaucoup de journalistes américains crient sur les toits que Pékin est maintenant « lié par sa pro­messe » de faire la réunification dans la paix. Ils veulent oublier, et donc ils oublient facilement, combien de fois les commu­nistes ont déjà triché. L'expérience des « gouvernements à participation communiste » de l'Europe de l'Est d'après-guerre n'a pas servi de leçon. On est maintenant en train de faire cette expérience sans issue au Cambodge. De la même façon, si l'on se fiait aux accords conclus par Kissinger, le Vietnam du Nord était « lié par un cessez-le-feu »... jusqu'à ce qu'il fixe le jour de son choix pour s'emparer du Vietnam du Sud. Et les chefs de file des journaux américains atteignirent des sommets d'im­bécillité, allant jusqu'à écrire que l'Amérique ne commettait pas d'erreurs. Si la Chine rouge « rompt sa promesse » et s'empare de Taiwan par la force, alors -- alors seulement -- l'Amérique serait libérée de ses obligations et pourrait de nou­veau livrer des armes... à qui, désormais ? Oui, on lit ces propos délirants dans les premiers journaux américains, et ils ne comprennent pas ce qu'ils font ! C'est ainsi que les cercles influents aux États-Unis veulent contraindre Taiwan à accepter des capitulations négociées, à renoncer volontairement à sa liberté et à sa puissance. Or que vous veut la Chine communiste ? Assurément elle est avide de mettre la main sur votre économie florissante et de la piller. Après tout ce qui s'est passé en ce siècle, seuls des nigauds à la vue basse peuvent croire aux promesses de Pékin selon lesquelles votre système économique et social serait tota­lement respecté, et même vos forces armées avec quelques libertés. Mais l'essentiel n'est pas de mettre fin à votre prospé­rité, de ravir les fruits de votre dur labeur. L'essentiel, c'est que le système communiste ne tolère aucune déviation, nulle part, en quoi que ce soit. La Chine communiste vous hait pour votre supériorité économique et sociale. Elle ne peut supporter que d'autres Chinois sachent qu'on peut vivre mieux sans le commu­nisme. 109:269 L'idéologie communiste ne peut tolérer aucun îlot de liberté. Aussi, de toutes leurs forces, les communistes veulent interdire qu'on vous vende même des armes défensives, afin d'affaiblir vos capacités, de rompre l'équilibre des forces dans le détroit et de rapprocher ainsi le jour de l'invasion de votre île. Pour paralyser davantage les États-Unis, la Chine rouge spécule sur ses négociations avec Moscou en vue d'un rappro­chement. Ce rapprochement n'est pas une illusion. C'est une perspective bien réelle. Les deux gouvernements ont de pro­fondes racines communes, voilà un fait que tout le monde semble oublier. Dès 1923, un agent soviétique, Grusenberg alias « Borodin », préparait un coup de force communiste en Chine, et c'est lui qui a promu Mao et Chou En-lai aux plus hauts postes du parti. Tout ce que je suis en train de vous dire, beaucoup le com­prennent bien, sinon tous, à cause du danger de mort où vous vous trouvez. On comprend mieux la menace ici qu'en Corée du Sud, où la jeune génération, les étudiants, ont complètement oublié les brèves horreurs de l'invasion communiste, au point que la liberté actuelle leur semble insuffisante. Mais ils se souviendront et jugeront autrement leur actuelle « absence de liberté » quand après un rapide « les mains dans le dos ! on les conduira sous bonne garde dans des camps de concen­tration : C'est à la mode en Occident, semble-t-il, d'exiger de ceux qui sont aux avant-postes de la défense, sous le feu des mi­trailleuses ennemies, la démocratie la plus large, pas la simple démocratie, mais la plus absolue, à la limite de l'anarchie totale, de la haute trahison, du droit de détruire son propre État et son propre pays -- droit que des pays occidentaux tolèrent. Voilà ce que l'Occident exige de tout pays menacé, y compris du vôtre. Mais il semble que sur votre île on connaisse les limites raisonnables, nécessaires à la poursuite du combat. 110:269 Un autre danger vous menace. Vos succès économiques, votre niveau de vie, votre confort sont une arme à double tranchant. Ils représentent l'espoir pour tous les Chinois. Mais ils peuvent aussi devenir un point faible. Tous les peuples prospères sont enclins à perdre la conscience du danger -- c'est la pente où mènent les bonnes conditions de vie d'aujourd'hui -- et donc leur volonté de résistance. J'espère que vous éviterez cette faiblesse, je vous conjure de l'éviter. Ne laissez pas la jeunesse de votre pays devenir molle et apathique, s'inféoder aux biens matériels au point de préférer finalement la captivité et l'esclavage au combat pour la liberté. Le fait que pendant trente-trois ans vous ayez vécu en paix ne signifie pas que vous ne puissiez être attaqués dans les trois années suivantes. Vous n'êtes pas une île sereine et sans souci ; vous êtes une armée sans cesse menacée par la guerre. Vous êtes dix-huit millions, à peu près autant que les juifs le sont de par le monde, et votre problème est à la même échelle. Mais le problème juif attire l'attention de tous les États, il est devenu un des problèmes capitaux de l'époque contemporaine. Quand je fais la comparaison avec votre si­tuation unique au monde, je ne comprends pas pourquoi le destin de Taiwan ne requerrait pas la même attention de tous. Mais dans le monde d'aujourd'hui la trahison par lâcheté est reine, et c'est seulement sur votre propre force que vous pouvez vraiment compter. Il y a pourtant aussi un espoir qui grandit : les peuples des pays esclaves ; car ils ne supporteront pas indéfiniment l'esclavage, mais viendra l'instant où ils se dresseront -- instant critique pour leurs maîtres communistes. Dans vos livres vous écrivez que votre île est un bastion de guérison nationale. Ainsi soit-il. Votre but ne doit pas être de vous défendre, de vous préserver, mais d'aider, de libérer vos compatriotes qui souffrent sur le continent, et d'abord de leur donner des émissions radio libres et courageuses. Il peut sembler, puisque aucun nom ne vient à l'esprit, que vous n'avez pas d'alliés solides et loyaux, quoiqu'ils puissent apparaître à l'heure du massacre. 111:269 Mais vous avez le plus for­midable allié du monde : un milliard de Chinois. Leur sym­pathie, c'est votre soutien moral et spirituel. Il y a juste quelques jours, vous receviez un message encourageant de vos compa­triotes à travers le ralliement d'un pilote de l'aviation commu­niste chinoise. Souvent je pense aux prisonniers encore ano­nymes des goulags chinois, dont l'histoire vraie pourrait n'être pas écrite avant le XXI^e^ siècle. Ces peuples opprimés, y compris ceux d'Union soviétique, ne peuvent compter sur une aide extérieure, mais seulement sur leur propre force. Au mieux, le monde serait spectateur, avec indifférence, peut-être même avec un grand soulagement, si les déments qui dirigent la Chine et l'U.R.S.S. laissaient la guerre éclater entre eux. J'espère que cela n'arrivera pas. Mais quoi qu'il en soit témoignons ici et maintenant de l'amitié et de la confiance mutuelles des peuples de Chine et de Russie, de l'absence de conflit entre eux ; allons plus loin même : formu­lons l'espoir que nos compatriotes qui souffrent depuis long­temps s'uniront contre leurs deux gouvernements communistes. Quoi qu'il puisse arriver entre ces deux gouvernements égoïstes et anti-nationaux, préservons notre bonne entente, notre sym­pathie mutuelle et notre amitié. Ne permettons pas à ces gou­vernements de nous rendre sourds et aveugles par de stériles haines nationales. Nous ne savons pas combien de temps notre monde sera malade de la plaie communiste. Il y a cent trente-cinq ans, qui aurait dit aux chefs des grands empires d'alors que le grou­puscule d'utopistes communistes qui s'organisaient en Europe les vaincrait avec du fer et du sang, et mettrait à genoux leur puissance et leur gloire ? Ils n'auraient même pas souri d'une telle prophétie. On ne pouvait même pas imaginer cela. La force des communistes était dans leur volonté implacable ; la faiblesse de l'Occident dans son refus de se battre ! 112:269 Nous ne savons pas quels zigzags capricieux fera l'histoire humaine. J'ai déjà émis l'hypothèse que le communisme mon­dial survivrait à la chute des régimes communistes soviétique et chinois, pour se répandre dans d'autres pays, dont beaucoup sont encore tentés par l'expérience. Mais dans nos deux pays le bon sens national prévaudra finalement. Quoi qu'il en soit, nos deux peuples ont trop souffert, trop perdu ! Ils sont déjà en marche sur le chemin de la libération et de la guérison ! ============== fin du numéro 269. [^1]:  -- (1). Lettre apostolique *Paterna sane sollicitudo* du 2 février 1926. [^2]:  -- (2). Antonio RIUS FACCUS, *Mejico cristero,* Ed. Patria, Mexico 1966. [^3]:  -- (3). ANTONIO RIUS FACIUS, *La juventud catolica y la Revolucion mejicana,* Ed. Jus, Mexico 1963. [^4]:  -- (4). Alfonso TORD, *La Iglesia y et Estado de Mexico,* Archivo Gene­ral de la Nacion, Mexico 1927. [^5]:  -- (5). Mgr José de Jesus MANRIQUEZ Y ZARATE, *Pastorales, mensajes y diversas publicaciones,* 1925*-*1932*.* [^6]:  -- (6). Mgr Gonzales y Valencia, archevêque de Durango, lettre pastorale du 2 février 1927. [^7]:  -- (7). Deuxième lettre pastorale collective du Comité Épiscopal mexicain, 25 juillet 1926. [^8]:  -- (7 bis) Au même moment (curieuse... coïncidence ?) s'entame le processus qui va priver des sacrements les catholiques d'Action fran­çaise... [^9]:  -- (8). Luis BALDERRAMA, *El Clero y et Gobierno en Mejico,* Ed. Cuauhtemoc, Mexico 1927. [^10]:  -- (9). D'après Antonio Rius FACIUS, *Mejico cristero, op. cit.* [^11]:  -- (10). *Mejico cristero, op. cit.* [^12]:  -- (11). René CAPISTRAN GARZA, archives privées. [^13]:  -- (12). *Mejico cristero, op. cit.* [^14]:  -- (13). *Mejico cristero, op. cit.* [^15]:  -- (14). René CAPISTRAN GARZA, archives privées. [^16]:  -- (15). Chevaliers de Colomb, Dames Catholiques, Congrégation Ma­riale, Adoration Nocturne, syndicats catholiques et ACJM. [^17]:  -- (16). Militants de l'ACJM : ASOCIACION CATOLICA DE LA JUVENTUD MEJICANA. [^18]:  -- (17). *Mejico cristero, op. cit.* [^19]:  -- (18). Jean MEYER, *La christiade. L'Église, l'État et le peuple dans la révolution mexicaine,* Payot, Paris 1975. [^20]:  -- (19). D'après ANTONIO RIUS FACIUS, *Mejico Cristero, op. cit.* [^21]:  -- (20). Encyclique *Iniquis afflictisque* du 18 septembre 1926. [^22]:  -- (21). SPECTATOR, *Los Cristeros del Volcan de Colima,* Ed. Jus, Mexico 1961. [^23]:  -- (22). D'après *Los Cristeros del Volcan de Colima, op. cit.* [^24]:  -- (23). D'après *Mexico cristero, op. cit.* [^25]:  -- (24). Guadalajara, avril 1926. Article reproduit dans *El plebiscito de los martires,* clandestin, Mexico 1930. [^26]:  -- (1). Un volume chez DMM. [^27]:  -- (2). Un volume chez DMM : *Cinq continents accusent Amnesty In­ternational*. [^28]:  -- (1). Mikolajczyk, dernier président du gouvernement polonais en exil à Londres pendant la seconde guerre mondiale, a été évincé par les communistes et a dû fuir à l'Ouest en 1947. [^29]:  -- (2). Il s'agit de Nixon.