# 271-03-83
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## Le catéchisme
### Dix années de réclamation
Très Saint Père,
Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe.
Nous en sommes de plus en plus privés par une bureaucratie collégiale, despotique et impie qui prétend à tort ou à raison, mais qui prétend sans être démentie s'imposer au nom de Vatican II et de Paul VI.
......
Rendez-nous le catéchisme romain : celui qui, selon la pratique millénaire de l'Église, canonisée dans le catéchisme du concile de Trente, enseigne les trois connaissances nécessaires au salut (et la doctrine des sacrements sans lesquels ces trois connaissances resteraient ordinairement inefficaces).
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Les nouveaux catéchismes n'enseignent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; prêtres et évêques en viennent, comme on le constate en les interrogeant, à ne même plus savoir quelles sont donc ces trois-là.
Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de l'enseignement ecclésiastique des trois connaissances nécessaires au salut, il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous rendre le catéchisme romain, nous le rendiez. Nous vous le réclamons.
......
Et puis, surtout, laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants.
Les enfants chrétiens ne sont plus éduqués mais avilis par les méthodes, les pratiques, les idéologies qui prévalent le plus souvent, désormais, dans la société ecclésiastique. Les innovations qui s'y imposent en se réclamant à tort ou à raison du dernier concile et du pape actuel -- et qui consistent, en résumé, à sans cesse retarder et diminuer l'instruction des vérités révélées, à sans cesse avancer et augmenter la révélation de la sexualité et de ses sortilèges -- font lever dans le monde entier une génération d'apostats et de sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s'entre-tuer aveuglément.
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Rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Écriture.
Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité.
Daigne Votre Sainteté agréer, avec ma très vive réclamation, l'hommage de mon filial attachement à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain, et pour votre personne, l'expression de ma profonde compassion.
Jean Madiran.
#### C'est une réclamation permanente
*De cette lettre au souverain pontife, qui est du 27 octobre 1972, nous avons précisé deux ans plus tard, au mois de novembre 1974, en la publiant dans le volume* « *Réclamation au Saint-Père *»* :*
Si donc il le faut, c'est jusqu'aux successeurs de Paul VI que s'adressera notre réclamation.
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Mais c'est à l'ensemble des baptisés que notre réclamation est confiée, pour qu'ils s'y reconnaissent, pour qu'ils s'y instruisent, pour qu'ils la portent dans leur cœur, dans leur prière et dans leur action.
Il est manifeste que les nouveaux catéchismes ne sont pas sûrs, que les nouveaux missels ne sont pas sûrs, que les nouvelles mœurs et les nouveaux rites ecclésiastiques ne sont pas sûrs. Cela constitue une catastrophe universelle. Et pour le moment l'autorité dans l'Église coexiste avec cette catastrophe sans y apporter aucun remède.
#### C'est une réclamation ininterrompue
*Nous l'avons répété dans presque tous les numéros de la revue, à la rubrique des* «* intentions d'ITINÉRAIRES au service du bien commun *»*.*
*Nous le répétons encore et toujours :*
Tournés vers les responsables de la hiérarchie ecclésiastique, nous faisons entendre une réclamation ininterrompue :
-- Rendez-nous l'Écriture sainte, le catéchisme romain et la messe catholique !
Notre réclamation, quand les hommes d'Église ne veulent pas l'entendre, nous la crions à la terre et au ciel, aux Anges et à Dieu.
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#### Après dix années, une réponse ?
Au bout de dix ans, est-ce Rome qui commence à répondre ? est-ce le Saint-Siège ? ou bien est-ce une opinion personnelle du cardinal Ratzinger, qui toutefois est le préfet de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi ?
Il est venu le 15 et le 16 janvier dire à l'Église de France qu'elle a eu tort d'abandonner le catéchisme traditionnel et qu'il faut maintenir la structure, la méthode, le contenu du catéchisme romain.
Il l'a fait en des termes tels que l'abbé Sulmont, le curé de Domqueur bien connu, a cru pouvoir en écrire dans son bulletin paroissial :
« *On jurerait que Mgr Ratzinger fait sa lecture spirituelle dans* ITINÉRAIRES *de M. Madiran. *»
Il est arrivé en effet que nous nous sommes trouvé (presque) complètement seul à rappeler et maintenir la doctrine et la pratique traditionnelles de l'Église, abandonnées ou méconnues même par beaucoup de nos amis : à savoir qu'il y a quatre parties obligatoires dans le catéchisme catholique, les trois connaissances nécessaires au salut et la doctrine des sacrements. Pour l'avoir affirmé et réaffirmé, montré et démontré quand tout le monde s'en détournait (ou l'ignorait), ce n'est pourtant pas devenu notre propriété : c'est la doctrine commune, la pratique commune, le bien commun de l'Église. Il y a donc eu un cardinal pour s'en souvenir à haute voix : cela n'arrive pas tous les jours.
\*\*\*
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Et maintenant ?
Nous ne voulons, bien sûr, ni tourner le dos à l'espérance, ni prêter les mains à l'illusion.
Depuis 1967-1968, l'épiscopat français ne fait plus enseigner le catéchisme catholique. En 1982, il l'a même frappé d'interdit. Jusqu'ici, le Saint-Siège n'a pas su, pas pu ou pas voulu rétablir le catéchisme catholique en France. Il est à craindre que de simples paroles, d'ailleurs tardives, n'y suffisent pas.
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### Quinze années de combat
*Chronologie*
Octobre 1967\
Le Fonds obligatoire
Titre : *Fonds obligatoire à l'usage des auteurs d'adaptation. Catéchisme français du cours moyen.*
Auteur : « Assemblée plénière de l'épiscopat de France ».
Les précédents catéchismes « nationaux » de l'épiscopat français (1937, 1947) avaient diverses faiblesses, même graves, mais on n'en pouvait pas dire qu'ils n'étaient plus catholiques : Le *Fonds obligatoire* est le premier catéchisme officiel (et obligatoire) qui n'enseigne plus la foi catholique.
Ce *Fonds obligatoire* est édité sous forme de « supplément au n° 29 », daté d' « octobre 1967 », de la revue *Catéchèse* publiée « sous le patronage de la commission nationale de l'enseignement religieux ». Parution discrète, qui passe à peu près inaperçue jusqu'aux environs de Noël ([^1]).
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Au même moment, l'antidote :\
le Catéchisme de S. Pie X
La revue ITINÉRAIRES publie en un seul volume de 400 pages le *Catéchisme de S. Pie X* (édition complète : premières notions, petit catéchisme, grand catéchisme, instruction sur les fêtes, petite histoire de la religion). Le *Catéchisme de S. Pie X* est une adaptation à l'usage des enfants du *Catéchisme du concile de Trente.*
C'est le numéro 116 de la revue (septembre-octobre 1967), envoyé à tous les abonnés.
20 février 1968
Tribune libre de Louis Salleron dans *Le Monde* contre le *Fonds obligatoire :* « Nulle part nous ne sommes assurés que Jésus est « vrai Dieu et vrai homme »... Le climat du nouveau catéchisme est typiquement moderniste.
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7 mars 1968
Article dans *Rivarol* de Mgr Marcel Lefebvre, qui alors est encore supérieur général des Pères du Saint-Esprit. L'article est sur « la crise actuelle de l'Église » et il déclare notamment « *tout le catéchisme est bouleversé* »*.*
Mars et mai 1968
Argumentations détaillées de la revue ITINÉRAIRES contre le nouveau catéchisme. Un extrait de l'article de mai 1968 « Un catéchisme sans Pater ni Credo » est reproduit plus loin sous ce même titre.
1969\
Catéchisme\
du concile de Trente
La revue ITINÉRAIRES publie en un seul volume de 582 pages le *Catéchisme du concile de Trente.* C'est le numéro 136 de la revue (septembre-octobre, 1969), envoyé à tous les abonnés. DMM publie le *Catéchisme de la famille chrétienne* du P. Emmanuel.
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1970
La revue ITINÉRAIRES réédite le Catéchisme de S. Pie X, édition complète en 400 pages : c'est le supplément au numéro 143 de mai 1970.
*Il n'existe aucune autre édition disponible en français du* Catéchisme du concile de Trente *ni du* Catéchisme de S. Pie X. *Ces deux éditions* d'ITINÉRAIRES *ont fait l'objet d'un* « *reprint* » (*voir plus loin*) *chez DMM où l'on peut se les procurer* ([^2])*.*
1972\
Lettre à Paul VI
« Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe » (les passages concernant le catéchisme sont cités aux pages 1 à 3 du présent numéro de la revue).
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1973\
Le "Petit catéchisme"\
de S. Pie X
Édition séparée et illustrée du *Petit catéchisme de S. Pie X* (92 pages en gros caractères et deux couleurs), toujours disponible chez DMM.
1974\
Réclamation au Saint-Père
Réitération commentée de la Lettre à Paul VI, avec sa parution en volume sous le titre : *Réclamation au Saint-Père* (Nouvelles Éditions Latines), appuyée par les instances et explications de vingt-cinq écrivains.
1977
DMM réédite le *Catéchisme de la famille chrétienne* du P. Emmanuel.
1978
« Reprint » par DMM du *Catéchisme du concile de Trente,* édition d'ITINÉRAIRES.
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1979
Réitération, à l'intention de Jean-Paul II, de la Lettre au souverain pontife : ITINÉRAIRES, numéro 230 de février 1979, p. 2 couverture et pp. 1 à 5.
1982
*Pierres vivantes,* cadeau empoisonné de l'épiscopat aux enfants de France ; et floraison vénéneuse des « parcours catéchétiques ». C'est la suite, dans le même esprit, du *Fonds obligatoire* de 1967.
L'épiscopat frappe d'interdiction tous les autres catéchismes que les siens. Sont ainsi interdits le *Catéchisme du concile de Trente* et le *Catéchisme de S. Pie X.*
1983
Le cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi, vient déclarer à Lyon et à Paris qu'il faut en revenir au *Catéchisme du concile de Trente* avec ses quatre parties : les trois connaissances nécessaires au salut et la doctrine des sacrements.
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### Un catéchisme sans Pater et sans Credo
Il y a quinze ans : c'était déjà le nouveau catéchisme d'aujourd'hui. Contre lui nous proposions, comme le fait le cardinal Ratzinger maintenant, le retour aux « quatre parties » du Catéchisme du concile de Trente. Voici les principaux passages de l'éditorial de notre numéro 123 de mai 1968.
AUTREFOIS on disait volontiers que tout est dans tout. Maintenant rien n'est plus dans rien. Après « Dieu sans Dieu », inventé par Bonhoeffer et Robinson, nous avons le « catéchisme sans catéchisme » inventé par le national-catéchisme français.
Par ce nouveau catéchisme, les enfants seront privés du Pater et du Credo : ils en seront privés au moins jusqu'à l'âge de onze ans. Après onze ans, on les leur rendra peut-être ; mais point avant.
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Comment cela se fait-il donc ?
Voici comment cela se fait.
\*\*\*
Le *catéchisme,* c'est-à-dire l'enseignement qui est donné sous ce nom et qui est contenu dans un livre ainsi dénommé, a pour but de procurer *les connaissances qui sont nécessaires au salut.*
TROIS CONNAISSANCES, selon saint Thomas, SONT NÉCESSAIRES AU SALUT (« Tria sunt homini necessaria ad salutem, etc » ; début du Prologue de son ouvrage *In duo praecepta caritatis et in decem legis praecepta expositio*, dont on peut trouver commodément le texte (latin) ([^3]) au tome II des *Opuscula theologica* de l'édition Marietti, Turin 1954, page 245) ; trois connaissances :
1\. -- la connaissance de ce qu'il faut croire ;
2\. -- la connaissance de ce qu'il faut désirer ;
3\. -- la connaissance de ce qu'il faut faire.
Ces trois connaissances nécessaires déterminent trois parties indispensables du catéchisme. La quatrième partie concerne les sacrements.
La *doctrine chrétienne* se résume en ces quatre parties.
\*\*\*
Les trois premières pourraient en théorie être enseignées de bien des manières différentes.
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Mais il se trouve que le contenu de ces trois parties est rassemblé en *trois textes inspirés* ([^4])*.* Il se trouve en outre que la plupart des enfants baptisés arrivent normalement au catéchisme en *sachant par cœur* ces trois textes. Il se trouve enfin qu'ils en font un *usage quotidien.*
Ce sont le Credo, le Pater et les Commandements. Le Credo sous sa forme la plus simple : le Symbole des Apôtres ; le Pater qui est la prière composée et prescrite par Notre-Seigneur ; les Commandements de Dieu, ou Décalogue, qui sont la loi révélée sur le Sinaï que le Christ est venu non pas abolir mai : accomplir.
Si bien que les trois premières parties du catéchisme s'établissent et se distribuent de la manière suivante :
1\. *-- Explication* du Credo, ou ce qu'il faut croire (vertu théologale de foi).
2\. *-- Explication* du Pater, ou ce qu'il faut désirer (vertu théologale d'espérance).
3\. *-- Explication* des Commandements, ou ce qu'il faut faire (vertu théologale de charité).
A quoi vient s'ajouter la quatrième partie :
4\. *-- Explication* des sacrements.
\*\*\*
Une telle composition du catéchisme est expliquée en quelques mots dans la Préface du Catéchisme du concile de Trente :
« C'est avec une profonde sagesse que nos Pères ont ramené toute la doctrine et toute la science du salut à *quatre points principaux* qui sont le Symbole des Apôtres, les Sacrements, le Décalogue et l'Oraison dominicale.
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« En effet, tout ce que nous devons croire et connaître de Dieu, de la création et du gouvernement du monde, de la rédemption du genre humain, de la récompense des bons et de la punition des méchants, tout cela est contenu dans le *Symbole.*
« Quant aux signes et aux moyens que Dieu nous donne pour obtenir sa grâce, nous les trouvons dans les sept *Sacrements.*
« Les préceptes divins qui ont tous pour fin la charité sont inscrits dans le *Décalogue.*
« Enfin tout ce que nous pouvons désirer, espérer ou demander pour notre bien est renfermé dans l'*Oraison dominicale.*
Ainsi lorsque nous aurons expliqué ces *quatre articles,* qui sont comme les lieux communs de la sainte Écriture, il ne manquera presque plus rien au chrétien pour connaître ce qu'il est obligé de savoir.
« En conséquence, nous croyons devoir avertir les Pasteurs que chaque fois qu'ils auront à mettre en lumière un passage de l'Évangile ou de toute autre partie de l'Écriture sainte, ils pourront toujours le ramener à *l'un de ces quatre points* et y prendre comme à sa source l'explication désirée. »
......
Aux quatre points principaux, aux quatre parties essentielles du catéchisme, on ajoutait, bien entendu, l'Ave Maria, des récits d' « Histoire sainte » et de « Vie de Jésus », et des explications de textes liturgiques préparant la messe du dimanche suivant.
Et bien entendu encore, l'ordre de succession des quatre parties indispensables n'est pas fixe. Les quatre parties ne sont pas non plus limitatives. Ce qui est certain, c'est qu'il les faut toutes les quatre, et qu'elles constituent le véritable « fonds obligatoire » de tout catéchisme catholique.
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Le plan du Catéchisme du concile de Trente est le suivant :
I. -- Symbole des Apôtres.
II\. -- Sacrements.
III\. -- Décalogue.
IV\. -- Oraison dominicale.
Le Catéchisme du concile de Trente est un catéchisme « pour adultes » : « à l'usage du clergé et des fidèles, des paroisses, des familles et des maisons d'éducation ».
Le Catéchisme de S. Pie X est une adaptation, à l'usage des enfants, du Catéchisme du concile de Trente. Il comporte notamment un « Petit Catéchisme » et un « Grand Catéchisme ». Voici le plan du « Grand Catéchisme » de S. Pie X :
I. -- Le Symbole des Apôtres.
II\. -- Pater, Ave, invocation des saints.
III\. -- Les Commandements.
IV\. -- Les Sacrements.
A quoi vient s'ajouter une V^e^ partie : Les principales vertus et autres choses qu'un chrétien doit savoir.
......
Avec le nouveau national-catéchisme français, jusqu'à onze ans au moins, *les enfants ne réciteront plus le Pater et le Credo.*
Ou bien *ils réciteront un Pater et un Credo qui ne leur auront été expliqués d'aucune manière.*
......
Les enfants réciteront toujours (du moins on le suppose) le Pater et le Credo : mais le catéchisme ne les leur explique plus.
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Ils feront toujours leur examen de conscience : mais le Décalogue ne leur est plus expliqué au catéchisme.
Un tel chef-d'œuvre d'irréalisme est assuré de demeurer, exemplaire, dans la petite histoire de l'Église. Et aussi, malheureusement, dans la grande histoire, si les responsables s'obstinent à vouloir faire les malins.
Jean Madiran.
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### Ce que nous disons, ce que nous voulons, ce que nous expliquons
REDISONS ce que nous disons, expliquons, répétons depuis l'apparition du « nouveau catéchisme » et depuis que nous sommes en lutte constante contre la prévarication d'une catéchèse qui n'enseigne plus le catéchisme catholique.
Le catéchisme, c'est l'*instruction religieuse.* Bien sûr, il ne suffit pas d'avoir des connaissances. Mais il est indispensable d'en avoir certaines. Depuis plus d'un siècle déjà, l'ignorance religieuse était dénoncée par tous les papes comme le plus grand mal du monde moderne. Elle n'a fait que croître en notre, temps d'obscurantisme spirituel.
Le remède direct à l'ignorance religieuse est l'instruction religieuse. Le *catéchisme,* c'est-à-dire l'enseignement qui est donné sous ce nom et qui est contenu dans un livre ainsi dénommé, a pour but de procurer *les connaissances nécessaires au salut*.
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Selon toute la tradition doctrinale et pédagogique de l'Église, codifiée dans le catéchisme du concile de Trente, il y a *trois* connaissances nécessaires au salut :
I. -- *La connaissance de ce qu'il faut croire :* connaissance qui instruit la vertu théologale de *foi* et qui est procurée par L'EXPLICATION DU CREDO.
II\. -- *La connaissance de ce qu'il faut désirer :* connaissance qui instruit la vertu théologale d'*espérance* et qui est procurée par L'EXPLICATION DU PATER.
III\. -- *La connaissance de ce qu'il faut faire :* connaissance qui instruit la vertu théologale de *charité* et qui est procurée par L'EXPLICATION DES COMMANDEMENTS DE DIEU.
Mais ces trois connaissances nécessaires au salut demeurent ordinairement inefficaces sans les *sacrements :* l'explication des sacrements constitue le *quatrième* point obligatoire de tout catéchisme catholique.
#### Le catéchisme romain
Donc, tout catéchisme catholique comporte *quatre points obligatoires :* les trois connaissances nécessaires au salut et l'explication des sacrements.
On pourrait supposer que nous l'avons inventé ou décrété nous-même : il n'y a quasiment qu'ITINÉRAIRES pour le rappeler, avec une insistance qui n'est guère entendue.
Mais l'ignorance, l'indifférence religieuse et l'oubli qui règnent aujourd'hui avec arrogance sur un clergé décadent ne peuvent changer ni supprimer la vérité : *ce sont la doctrine et la pratique constantes de l'Église* qui imposent les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique.
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Il n'y a qu'un catéchisme catholique romain, c'est le catéchisme du concile de Trente, promulgué par le pape saint Pie V : aucun concile ni aucun pape n'a ordonné la rédaction d'un catéchisme différent. C'est le catéchisme « à l'usage du clergé et des fidèles, des paroisses, des familles et des maisons d'éducation ». Le catéchisme de saint Pie X en est une adaptation authentique à l'usage des enfants. Mais, compte tenu de l'atrophie actuelle des cerveaux abrutis par l'audiovisuel, il peut en beaucoup de cas, aujourd'hui, servir utilement de catéchisme pour adultes. Naturellement, seuls peuvent s'y instruire ceux qui ont l'humilité d'apercevoir qu'ils ne savent pas, et qu'ils ont tout à apprendre. Ce qui s'y oppose le plus directement, c'est l'illusion barbare, méthodiquement diffusée aux écoliers, lycéens et étudiants : qu'ils sauraient tout avant même d'avoir rien appris.
#### Expliquer et raconter
A l'explication des textes (Credo, Pater, Commandements), l'instruction religieuse ajoute des *récits* *historiques :* vie de Jésus, vie des saints, histoire sainte, histoire de l'Église.
Ce sont en effet, dans l'ordre surnaturel comme dans l'ordre naturel, les deux méthodes fondamentales, universelles, complémentaires de l'éducation intellectuelle :
a\) expliquer (et faire expliquer) des textes ;
b\) raconter (et faire raconter) des histoires.
L'explication de la liturgie -- là où la liturgie catholique et son calendrier ont été conservés -- permet souvent d'unir le récit historique et l'explication de textes.
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Théoriquement, bien sûr, on pourrait enseigner les vérités nécessaires au salut autrement que par une explication du Credo, du Pater et des Commandements.
Mais nous n'avons ici que faire d'hypothèses et de possibilités purement théoriques. Il s'agit de savoir ce qui est réellement nécessaire aux enfants dans leur vie surnaturelle de chaque jour.
Avec les nouveaux catéchismes, *les enfants ne récitent plus le Pater et le Credo.*
Ou bien, *ils récitent un Pater et un Credo qui ne leur ont pas été expliqués.*
Ils n'apprennent plus à faire leur examen de conscience quotidien : en tout cas, *ils ne le font plus en regard des Commandements de Dieu.*
Sous le prétexte de rejeter ce qui est « abstrait » et d'enseigner un « comportement religieux concret », les nouveaux catéchismes ont complètement perdu de vue *la réalité :* à savoir que la vie religieuse quotidienne est fondée d'abord sur la prière de chaque jour et sur l'examen de conscience.
La prière quotidienne, l'examen de conscience de chaque jour progressent à mesure que progressent l'explication du Credo, l'explication du Pater, l'explication des Commandements de Dieu : telle est la réalité concrète et vivante, telle est la pédagogie catholique. Rien d'autre ne peut remplacer les Commandements, et le Pater, et le Credo. Laisser les enfants sans Credo, sans Pater, sans Commandements, -- les laisser sans catéchisme qui les leur explique, -- c'est les condamner à un abandon spirituel épouvantable. Dans cet abandon, spirituellement orphelins, ils deviennent des sauvages.
Avec les nouveaux catéchismes, dans le meilleur des cas le Credo, le Pater et les Commandements survivent comme des formules récitées par cœur sans jamais avoir été expliquées.
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#### Petite histoire du catéchisme en France depuis un demi-siècle
La « déviation abstraite » du catéchisme français n'a point résidé dans le plan et le contenu traditionnels du catéchisme catholique : trois connaissances nécessaires au salut, quatre points obligatoires. Cette déviation se fit jour, au contraire, dans la mesure où l'Église de France s'était écartée du catéchisme romain.
L'évêque étant docteur de la foi pour son Église diocésaine, chaque diocèse de France avait son catéchisme jusqu'en 1937. Ces catéchismes diocésains s'inspiraient plus ou moins directement, plus ou moins heureusement du catéchisme du concile de Trente. Littéralement, ils étaient plus ou moins différents les uns des autres. Inconvénient pratique pour les enfants qui changeaient de diocèse pendant leurs années de catéchisme ; inconvénient qui préoccupe l'épiscopat français « aux environs de l'année 1930 » ([^5]), en raison de la mobilité croissante de la population. Cette préoccupation avait été celle de saint Pie X un quart de siècle plus tôt. En rendant obligatoire dans les diocèses de la province de Rome le catéchisme qui porte son nom, il exprimait le vœu, il formulait l'espoir que les évêques du monde entier, ou au moins ceux d'Italie, l'adopteraient chacun pour sa part : « Nous avons confiance que les autres diocèses voudront aussi l'adopter *pour arriver ainsi à ce texte unique, au moins pour toute l'Italie, qui est dans le désir de tous. *» ([^6]) Un quart de siècle plus tard, l'épiscopat français (qui se croit toujours en avance) commença à prendre réellement en considération ce désir et ce besoin.
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J'ai personnellement connu l'un des experts alors consultés : l'abbé V.-A. Berto. Je tiens de sa bouche que par lui au moins (et peut-être aussi par d'autres) fut donné l'avis suivant :
-- *Si l'on renonce au catéchisme diocésain, il faut alors adopter en France le catéchisme romain : le catéchisme de saint Pie X.*
Cette solution fut écartée.
L'opposition à la mémoire de Pie X était très puissante dans certains milieux dirigeants de l'Église de France (cette opposition n'a d'ailleurs fait qu'y grandir depuis la canonisation par Pie XII...). Et puis, on voulait un catéchisme « français ». On eut donc le « Catéchisme à l'usage des diocèses de France », publié en 1937. Repoussant un projet qui se présentait (déjà) comme « plus évangélique » que l'enseignement traditionnel, le cardinal Verdier avait déclaré : « Ce que nous voulons, c'est le catéchisme de l'Église : dogme, morale, sacrements. » ([^7]) -- En quoi il se trompait, non quant à l'intention ni quant à la doctrine, mais quant à la « pédagogie » précisément ; quant à la pédagogie de l'Église : Le catéchisme de l'Église romaine n'est pas ainsi composé. Le catéchisme du concile de Trente ne connaît pas ces trois parties-là, « dogme, morale, sacrements », mais les quatre que nous avons dites. Le catéchisme romain de saint Pie X est lui aussi fondé principalement sur l'explication du Credo, du Pater et des Commandements. En France, au lieu de faire aux enfants une *explication de textes* concernant les trois textes religieux les plus officiels, si l'on peut dire, et en même temps les plus quotidiens et les plus familiers, on allait se mettre à leur enseigner « *le dogme *» et « *la morale *» comme à des élèves de philosophie ou à des étudiants en théologie. C'était passer du concret vécu à un intellectualisme excessif et prématuré.
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Les partisans d'un catéchisme « plus évangélique » pouvaient alors reprocher avec raison à ce catéchisme français d'être trop « abstrait ». Plus « abstrait » à vrai dire par son plan, par son orientation, par sa présentation que par son contenu : mais *il était en train de perdre le contact avec le concret vécu du Credo, du Pater, du Décalogue.* On voulut remédier à cette « abstraction » excessive dans l'édition « revue et corrigée » de 1947 ([^8]). Mais on était déjà très enfoncé dans ce verbalisme et ce verbiage qui sont la maladie actuelle des clercs (des clercs laïques et ecclésiastiques). On ne revint pas au concret de la vie religieuse quotidienne. On se contenta de *changer les mots.* A la place de « dogme », on écrivit : « Les vérités que Jésus-Christ nous a enseignées » ; à la place de « sacrements » : « Les secours que Jésus-Christ nous a préparés » ; à la place de « morale » : « Les commandements que Jésus-Christ nous a donnés. » Ce n'est donc point le catéchisme français de 1947 ni celui de 1937 que nous réclamons ou que nous regrettons.
Dans le catéchisme de 1947, on expliquait encore les Commandements ; les articles du Credo étaient cités davantage comme ornement épigraphique que comme texte à expliquer point par point ; et le Pater était expédié avec *huit lignes* de paraphrase pour toute explication.
#### La turlutaine de l' « adaptation
Depuis un quart de siècle, l'épiscopat français est travaillé par la volonté de créer des catéchismes « nouveaux » : le catéchisme « progressif » de 1957, le « fonds obligatoire » de 1967-1968, les « pierres vivantes » et « parcours » de 1982.
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Chaque fois, ces nouveaux catéchismes se prétendent *adaptés*. En réalité ils ne sont adaptés à rien, puisqu'ils ne contiennent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; ils ne comportent plus les quatre points obligatoires de tout catéchisme catholique ; ils ne procurent plus l'essentiel de l'instruction religieuse ; ils sont des catéchismes d'ignorance.
L'adaptation vraie ne demande pas tant de contorsions, de recherches pseudo-scientifiques, de commissions ésotériques. La mère de famille parle *spontanément* un langage « adapté » à son petit enfant. Tout enseignement *oral*, celui du catéchisme comme les autres, est par lui-même, inévitablement, et au moins instinctivement, une « adaptation » à ceux qui l'écoutent. Les uns sont plus doués que d'autres pour enseigner ; mais c'est affaire aussi d'amour et d'expérience ; de prière et de grâce. Et non pas d'une prétendue science psycho-sociologique ou pédagogique qui, telle qu'elle est aujourd'hui, est *vaine* dans le meilleur des cas, et *fausse* le plus souvent.
L' « adaptation » n'est pas le problème premier ni le problème essentiel. L'enseignement du catéchisme en France ne souffre pas d'abord d'*inadaptation*, il souffre d'abord d'*infidé*lité et d'*ignorance*.
C'est à l'ignorance et à l'infidélité qu'il faut avant tout porter remède : par une instruction religieuse véritable et vraie, puisée dans un catéchisme que l'on puisse étudier avec une confiance absolue. Le Catéchisme du concile de Trente. Le Catéchisme de saint Pie X.
Jean Madiran.
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## CHRONIQUES
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### Caractères de l'histoire de la France
par Jean de Viguerie
Le titre complet de cette étude est : *Quelques caractères originaux de l'histoire de France.* C'est la conférence magistrale que Jean de Viguerie a donnée à la « journée d'Amitié française » de Paris, le 14 novembre 1982, puis à celle d'Angers, le 12 décembre. Il l'a entièrement récrite et complétée pour être publiée ici.
JE VOUDRAIS VOUS PARLER de l'histoire de la France. C'est un bien grand sujet. Je suis persuadé de ne pas être à sa hauteur. Il faut pourtant le traiter. Nous devons nous convaincre nous-mêmes de l'existence de notre pays. Il est des moments heureux où les convictions vont d'elles-mêmes, où, communément partagées, elles n'ont pas besoin d'être plaidées. Il est d'autres moments, comme celui que nous vivons où toute la démonstration est nécessaire, où nous sommes obligés de nous rappeler toutes les raisons que nous avons de croire.
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Vous savez que pour beaucoup de nos compatriotes la France n'est plus qu'un mot, un mot magique certes et qui peut servir encore dans les campagnes électorales. Vous savez que pour beaucoup de nos enfants le patriotisme n'a pas de sens. Ils ne s'en moquent pas, mais ils ne savent pas ce que c'est.
A ces citoyens sans cité, à ces enfants sans patrie, nous ne savons que dire. Les discours sur le patriotisme ne ranimeront pas la flamme du patriotisme. Dirons-nous à cette génération que nous sommes un grand peuple et supérieur aux autres ? Qui nous croirait ? Peut-être vaut-il mieux lui rappeler que la France existe ? Et qu'elle existe malgré tout, et même si le patriotisme a disparu. Et qu'elle existe non pas à cause des changements et des révolutions passées, présentes ou futures, mais plutôt malgré ces changements et ces révolutions, certains traits d'elle-même demeurant, ne changeant point. Certes la vie va son train, les temps succèdent aux temps, et les nations subissent la loi commune du changement et du vieillissement, mais, de même que pour l'espèce humaine, leur être ne se confond pas avec leur devenir, leur personnalité est faite de ce qui en elles demeure, échappe au temps, défie le temps.
Ainsi nous savons de la France qu'elle est une nation depuis plus d'un millénaire. Car elle est depuis plus d'un millénaire un État gouvernant un territoire et par conséquent une communauté politique, un peuple digne de ce nom, une patrie véritable. Au lendemain de la guerre de 1870, l'historien Fustel de Coulanges écrivait :
« Les hommes sentent dans leur cœur qu'ils sont un même peuple, lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affection, de souvenir. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La Patrie c'est que l'on aime. »
Est-il meilleure définition du sentiment national ? On a longtemps professé que ce sentiment était né en 1789. C'est une erreur. Il existe depuis fort longtemps chez nous. Avant la Révolution, et dès le Moyen Age, il était fondé sur l'unité du royaume.
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Les Français étaient fiers de l'unité du royaume incarnée par le Roi, unité qui revêtait ainsi un caractère un peu mystique et surnaturel. Au début du XVI^e^ siècle, le Chant Royal de Gringore emprunte son refrain à une formule alors populaire :
« Un Dieu, un roi, une foi, une loi. »
« Il n'y a habitant en ce royaume de France, dit un libelle des guerres de religion, n'y entre tous les aultres royaulmes de la chrétienté qui ne confesse que la couronne des François estre la plus honorable et la plus précieuse qui soit en Chrétienté. »
Raison bien justifiée. La France est un pays qui a bénéficié dans la plus grande partie de son existence d'une extraordinaire stabilité politique. Je pense aux rois de la Troisième Race. Pendant huit siècles, de 987 à 1789, nous avons été gouvernés par la même famille. C'est un record européen et même je crois bien mondial. Considérez les dynasties successives de la Chine depuis ce que nous appelons le Haut Moyen Age. Aucune n'a duré plus de trois siècles. Les Tang 3 siècles, les Tchéou 3 siècles, les Ming 3 siècles. Ni les cités de la Grèce, ni Rome n'avaient connu semblable continuité. Les Français de l'ancienne France parlaient du « miracle royal ». *Cette stabilité politique est bien l'un des caractères originaux de notre histoire.*
Ainsi, je crois, que le caractère modéré, équilibré de nos anciennes institutions de gouvernement. Nous avions une Constitution qui, pour être non écrite, n'en avait pas moins de force. C'étaient les lois fondamentales. Et le Roi disait lui-même qu'il se trouvait dans « l'heureuse impuissance de les changer ». Les rois gouvernaient par conseil, c'est-à-dire qu'ils prenaient tous les avis. Enfin le pouvoir politique s'affirmait comme le défenseur naturel du repos des familles et de la conservation des patrimoines. On disait dans toute l'Europe que notre monarchie était vraiment royale, parce qu'elle n'était ni despotique, ni tyrannique, parce qu'elle respectait la liberté des personnes et la propriété des biens. Or ce régime a duré huit cents ans. Cela compte dans la vie d'un pays. Cela marque. A ce point que même après la disparition de l'ancienne monarchie, il nous est resté quelque chose dans nos institutions de cette sagesse et de cette modération. La monarchie constitutionnelle aurait voulu s'en inspirer.
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La Troisième République, Jacques Bainville l'a bien fait voir, a été à certains égards le régime modéré, digne de notre vieux bon sens politique. Elle a su éviter la démocratie pure, et jusqu'en 1934 « n'a pas commis d'erreur vraiment capitale », ne s'obstinant « jamais à conserver un gouvernement détesté » (Bainville).
Les rois, selon la fameuse formule, en mille ans, ont fait la France. Notre unité nationale est fort ancienne, confirmée par les siècles. Presque tous nos pays français le sont depuis fort longtemps. Avant d'être rattachés au domaine du roi, ils faisaient déjà partie du royaume. Ils avaient leurs usages, leurs coutumes, leurs parlers, mais ils appartenaient depuis longtemps à la communauté française. Les autonomismes contemporains n'ont que peu de chances d'aboutir. Ce sont des affaires d'intellectuels ou de terroristes, et parfois d'intellectuels terroristes. Les Français savent que les libertés régionales ne trouvent de signification qu'au sein de la communauté nationale.
Le revers de l'unité c'est la *centralisation,* la centralisation qui a commencé avec la monarchie, n'a cessé de progresser surtout à partir du XVII^e^ siècle, et que les jacobins et l'Empire ont renforcée. La disproportion entre Paris et la province existe dès le début du XVI^e^ siècle. Paris, véritable capitale politique depuis Philippe-Auguste, est déjà sous Louis XIV, avec près de sept cent mille habitants non seulement la plus grande ville de France, mais la plus grande ville d'Europe et peut-être du monde. Depuis des siècles et des siècles, tous les chemins de France mènent à Paris. On peut le déplorer, mais c'est ainsi. La centralisation est dans le caractère national. On ne pourra décentraliser que très progressivement. Car il faut pour cela beaucoup d'hommes et de talents sur place. Et depuis des siècles, Paris aspire toutes les énergies des régions.
Curieusement, et c'est un des paradoxes de la personnalité nationale, le pouvoir centralisateur s'il a toujours assez mal toléré les libertés des provinces s'est toujours assez bien accommodé des libertés locales, je veux dire celles des villages et des villes. Ce pays a toujours été administré à la base par les collectivités locales, oligarchies de notables ou démocraties plus ou moins pures. Les premières communes franches sont apparues il y a huit cents ans. Les communautés villageoises s'administrent elles-mêmes depuis très longtemps.
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Pendant des siècles les parvis de nos églises de campagne ont vu se tenir, le dimanche après la messe, les assemblées de paroisse. Chacune de nos trente-six mille communes de France a derrière elle une longue expérience de la démocratie civique. C'est là, dans ces assemblées, dans ces corps de ville, que les Français ont appris au cours des siècles le sens de l'utilité publique, de l'intérêt général. Il est permis de voir dans ces institutions de liberté un des legs les plus précieux de ceux que nous a fait l'Empire romain. Les Romains avaient possédé à un haut degré les qualités propres au gouvernement, et ils avaient merveilleusement appliqué ces qualités dans notre pays. Ils nous ont laissé les institutions municipales, ou, comme disait Fustel de Coulanges : « l'art de gouverner en fait une ville isolément ».
Cependant le pouvoir politique et l'administration ne forment pas le tout d'une nation. Une nation est aussi une société. Surtout en France où l'édifice social est le résultat d'une très longue et lente élaboration, où les structures sociales sont très complexes, diversifiées à l'infini et comportent une infinité de strates et de conditions. La société française fut aussi pendant très longtemps une société très hiérarchisée, mais les différences et les inégalités étaient peut-être moins ressenties que dans d'autres sociétés, à cause du très grand nombre des degrés intermédiaires. Pendant près de huit siècles, jusqu'aux approches de la Révolution, les critères de différenciation sociale ont été chez nous plus sociaux qu'économiques, plus spirituels -- en un sens -- que matériels. Il y avait une noblesse riche, mais il y avait aussi une noblesse très pauvre. Au XIX^e^ siècle cette vieille société survivait encore. C'était le siècle de la bourgeoisie. On nous présente aujourd'hui les bourgeois d'autrefois comme des hommes d'argent cupides et esclavagistes. Mais beaucoup d'entre eux n'avaient que peu d'argent et n'exploitaient personne. Mais ils se distinguaient par leurs vertus et leur façon de vivre. Définissant le bourgeois du Second Empire, un historien écrivait récemment : « C'est quelqu'un qui a un piano. » Encore aujourd'hui le tissu social français est extrêmement complexe, fait d'une grande variété de milieux qui coexistent, se fréquentent, mais ne se pénètrent guère. Or un milieu social chez nous, c'est un genre de vie, mais c'est aussi une certaine politesse, des usages propres à ce milieu et qui ne contredisent pas ceux des autres, un sens particulier de la respectabilité, et, pour tout dire, une certaine forme d'honneur.
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Il existe encore aujourd'hui chez nous mille frontières à peine visibles aux yeux mal exercés, mille façons de vivre différentes. Cette diversité que les traditions familiales maintiennent contre vents et marées fait la force de notre société, sa force de résistance à l'entreprise de socialisation.
Cette nation et cette société sont chrétiennes. L'œuvre de christianisation de la France a commencé au ive siècle de notre ère, il y a environ mille six cents ans, lorsque les premiers évêques des cités gallo-romaines, prenant leur bâton pastoral, sont allés dans les campagnes fonder sur les temples et les autels détruits des faux dieux les premières églises des paroisses rurales. Depuis ce temps les paroisses existent et ce sont les communautés naturelles des Français, leurs « communautés de destin ». L'État lui-même a été christianisé par le baptême de Clovis. Il a été sanctifié par la vertu du roi saint Louis. A partir de saint Louis il s'est fait dans les esprits une opinion particulière sur la royauté française, on la regarda comme une autorité bienfaisante, vénérable, presque sainte. Au début de chaque règne, le sacre de nos rois, seuls rois sacrés d'Occident (avec le Roi des Romains) renouvelait l'alliance du trône et de l'autel. Le roi sacré, disait-on, n'était pas pur lai. Le roi sacré était thaumaturge ; il guérissait les écrouelles, et, sauf le roi d'Angleterre, il n'y avait pas d'autre roi au monde qui guérisse ainsi.
Les Français ont souvent été gallicans. Ils ont souvent regardé avec suspicion l'autorité romaine. Le gallicanisme a souvent produit de mauvais fruits. Je pense aux thèses du Concile de Constance, aux Quatre Articles de 1682, à l'opposition des évêques français à Vatican I, pour ne rien dire d'un certain gallicanisme contemporain. En contraste, et par une autre originalité de leur nature, les Français ont maintes fois prouvé -- leur attachement à la personne du Pontife romain, du successeur de Pierre. Par deux fois dans leur histoire, les Français ont refusé le schisme. La première fois au XVI^e^ siècle, quand la moitié de l'Allemagne et l'Angleterre rompaient avec Rome, la deuxième fois lorsque la Révolution a voulu imposer au peuple chrétien une Constitution civile schismatique, les évêques n'étant plus confirmés par Rome.
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Ce furent les grandes insurrections de l'Ouest. Est-il pour en rappeler le souvenir un meilleur lieu qu'Angers où furent fusillés au lieudit aujourd'hui le champ des martyrs tant de confesseurs de la foi ? Beaucoup de ces hommes et de ces femmes furent condamnés à mort -- on ne le souligne pas assez aujourd'hui -- pour cette seule raison qu'ils avaient refusé d'assister à la messe du prêtre constitutionnel. Tout au long de la persécution révolutionnaire, les manifestations de fidélité à Rome furent innombrables. J'aime à citer le fait suivant. Le pape Pie VI avait accordé des indulgences aux fidèles qui prieraient pour la paix de la France et de l'Église « pendant une demi-heure avant midi » en s'unissant d'intention avec lui. Or un conventionnel, représentant en mission dans l'Allier, constata que les habitants de certaines localités de ce département « se prosternaient à dix heures du matin du côté de Rome et s'unissaient d'intention avec le pape ».
Voilà ce que nous sommes. Faudrait-il dire ce que nous faisons ? Il conviendrait alors de rappeler les constantes de l'histoire de notre richesse, fruits de nos travaux et de nos épargnes, de rappeler en particulier les bienfaits des deux siècles bénis de la stabilité monétaire, de 1726 à 1914. Pendant ces deux siècles, en effet, des millions de moyens et de petits patrimoines se sont formés et ont duré, une réservé prodigieuse d'épargne s'est constituée.
Il faudrait dire les beautés de notre langue et de notre littérature, examiner quel genre littéraire nous réussit le mieux. A mon avis c'est l'éloquence. Jugement partial sans doute, mais je prise plus que tout les orateurs sacrés du Grand Siècle et en particulier Bossuet. Jugement partial, mais, il faut le reconnaître, la langue française excelle à démontrer. Peut-être plus que le latin elle est langue de rhéteur. D'où lui vient cette aptitude particulière ? Sans doute de son ordre qui est l'ordre direct. « Le Français, écrivait Rivarol dans son Discours de l'U. de la l. fr., nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est le sujet de l'action, et enfin l'objet de cette action. Or cet ordre si favorable, si nécessaire au raisonnement est presque toujours contraire aux sensations (...) C'est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l'ordre des sensations.
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La syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas français... » La syntaxe française est incorruptible... Malheureux Rivarol ! S'il lisait les manuels de français de nos enfants... !
Nous aimons à démontrer, et c'est pourquoi notre art et notre littérature sont infiniment sociables. Et cela aussi est un trait marquant de la France. Nos écrivains pendant des siècles ont eu pour préoccupation majeure de plaire au public sans pour autant s'abaisser devant lui. Il n'y a qu'en France qu'un critique pouvait écrire -- c'était Henri Massis en 1920 -- il n'y a pas de littérature sans société. Et d'ailleurs nous vérifierons bien la vérité de cet axiome quand le socialisme aura tué la société.
Tant de qualités, tant d'art de plaire font que depuis toujours la France est contente d'elle-même, et que très souvent au cours de l'histoire ce sentiment de supériorité a tourné à la fatuité et même parfois à la vanité imbécile. Sommes-nous supérieurs ? La France a-t-elle montré plus de génie que les autres nations ? Je ne sais, je ne me prononce pas. Je note seulement que nous avons inventé l'art roman et l'art gothique, non l'art baroque, mais l'art classique. Je note (un autre peuple pourrait-il s'en vanter ?) que nous atteignons au sublime dans la simplicité. De toute l'œuvre de La Fontaine ce que je préfère sans doute c'est sa traduction du Dies Irae :
« Tu vois mon cœur contrit et mon humble prière
Fais-moi persévérer dans un juste remords
Je te laisse le soin de mon heure dernière.
Ne m'abandonne pas quand j'irai chez les morts. »
Trois siècles plus tard, la Prière de la fin de Charles Maurras retrouve les mêmes accents :
« Seigneur endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l'Espérance et de l'amour. »
Tant de qualités ! tant d'art ! tant de supériorité peut-être ! Comment avons-nous pu vivre avec les autres nations ?
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Le caractère original de notre situation géographique est, vous le savez, notre vulnérabilité à l'Est. Pendant des siècles la France s'est battue contre l'envahisseur de l'Est. Que de batailles ! Que de noms de bataille dans ces plaines du Nord et de l'Est : Bouvines, Rocroi, Malplaquet, Verdun... Dans ce combat incessant les qualités militaires de la race se sont forgées.
Notre nation a toujours été conquérante. Dès le Moyen Age, au temps des Croisades quand les Francs fondaient le Royaume latin de Jérusalem, et plus tard, quand Baudouin de Flandre ceignait à Byzance la couronne impériale, quand des Français étaient ducs d'Athènes, marquis de Thessalie, rois de Salonique et de Macédoine. Elle sera conquérante au temps de la Renaissance quand des gouverneurs français régiront Milan et Naples. Elle le sera enfin sous Napoléon au temps du grand Empire lorsque Hambourg, Anvers et Rome seront des préfectures de départements français.
Sans parler de l'épopée, de l'aventure coloniale, qui a commencé chez nous très tôt, dès le XVI^e^ siècle. Il n'y a pas si longtemps la France était un empire. Combien le savent aujourd'hui dans la jeunesse des écoles ? Pendant plus de trois siècles nous *avons été une nation impériale, rayonnant* dans le monde entier, imposant la paix à des multitudes de peuples et de tribus, disposant d'un réservoir inépuisable de possibilités, d'emplois, d'entreprises pour les jeunes talents, pour les hommes en mal d'aventure. La paix française... Là aussi nous étions les héritiers de Rome. Nous apportions la paix. Notre colonisation africaine recouvrait les territoires qui furent jadis ceux des Romains. Nous mettions nos pas dans ceux des légions. Nous faisions revivre des déserts et des steppes qu'autrefois les Romains avaient irrigués, que les Vandales et les Arabes Hilaliens avaient brûlés et stérilisés pour des siècles.
Telle fut la France. Telle est la France. Mais est-elle encore cela ? Les caractères originaux de son histoire tendent à s'estomper. Les constantes ne reviennent plus.
La Révolution de 1789 peut expliquer en partie cette altération de notre personnalité. Ce fut une rupture brutale, une cassure profonde comme aucune histoire d'aucun autre pays n'en a jamais connu. C'est sans doute le plus grand changement de l'histoire, et tous les autres changements n'en sont que les suites.
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La Révolution fut une rupture dans tous les domaines. Dans le domaine politique d'abord : après mille ans de stabilité commença le règne de l'instabilité, soit la succession des régimes, des républiques, des gouvernements, des partis. Depuis 1789, la France est à la recherche d'une légitimité. L'assassinat du roi Louis XVI, crime décidé, crime délibéré, un récent livre de Madame de Coursac le montre, bien avant le procès qui lui fut intenté, revêt une signification profonde. Ce fut un parricide.
Rupture dans le domaine des institutions et des lois : mille ans de lois, de coutumes, d'institutions, de privilèges, de libertés, abolis d'un coup, comptant pour rien.
Rupture et désagrégation d'une société : du jour au lendemain plus d'ordres, plus de corps, plus de corporations, plus de confréries, plus de compagnies, et l'individu seul face à l'État.
Et qui dira toutes les conséquences ?
Le retard économique en premier lieu. Au XVIII^e^ siècle, la France avait multiplié par quatre son commerce extérieur. Elle avait connu une expansion remarquable de sa façade atlantique. La croissance ne reprendra que sous l'Empire, mais ne sera qu'une récupération des pertes subies pendant la Révolution.
Le retard démographique ensuite. Les lois sur le divorce, le Code civil et l'irréligion en sont les facteurs. Depuis 1801 la courbe des jeunes est en France constamment décroissante. Au XVIII^e^ siècle, notre population s'accroissait au même rythme que celle de l'Angleterre. A partir de 1800 on note l'essor de la population britannique, la stagnation de la population française. En 1901 la densité britannique est de 163 habitants au km ^2^, la nôtre de 73.
Retard enfin de l'enseignement. Du jour au lendemain la Révolution a dissous un réseau d'écoles qui était le plus complet, le plus beau de toute l'Europe (vingt et une universités, plus de deux cents collèges, des milliers d'écoles primaires) et ne l'a remplacé par rien ou presque rien.
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Après la Révolution trente années seront nécessaires pour reconstituer un réseau scolaire aussi dense que celui de l'Ancien Régime. La suppression en 1790 des ordres religieux a eu dans le domaine de la vie de l'esprit des conséquences désastreuses incalculables, les milliers de monastères avec leurs archives, leurs bibliothèques étaient des foyers de vie intellectuelle et érudite. La Révolution a chassé les moines, les bâtiments ont été laissés à l'abandon, des quantités de livres et de manuscrits ont été perdus.
Mais tout cela n'est rien à côté de l'apostasie. La Constituante a provoqué le schisme. La Législative et la Convention ont persécuté la religion catholique et déchristianisé systématiquement. Le résultat est facile à voir : en 1801, au moment du Concordat la proportion des catholiques français pratiquants est tombée de 99 % à 50 %. La moitié de la Nation française s'est détournée de Dieu. Un siècle plus tard, après des prodiges d'apostolat et de sainteté, le bilan est le même : en 1914, 50 % des Français font leurs Pâques. Autant dire que la moitié perdue entre 1789 et 1801, l'Église ne l'a jamais retrouvée.
1789-1989. Il paraît que l'on prépare déjà dans les sphères officielles le bi-centenaire de la Révolution française. Des crédits sont votés, des expositions projetées, des historiens mobilisés. Nous n'aurons quant à nous ni crédits, ni moyens d'aucune sorte. Cela ne nous empêchera pas de célébrer nous aussi cet anniversaire. A notre manière. Nous ferons les comptes. Nous dirons, nous écrirons tout ce que ce rêve éveillé nous a coûté. Certes la Révolution est dans notre histoire, et comment pourrions-nous ne pas en tenir compte ? Mais est-elle notre patrimoine ? Ce ne sont pas les révolutions qui font les nations. Elles les défont plutôt. Encore une fois l'être d'une nation ne se confond pas avec son devenir.
Me voici parvenu au terme de cette réflexion. Heureux si j'ai pu, sans trop vous lasser, ranimer dans vos esprits votre affection pour la patrie.
Dois-je vous dire qu'à moi-même ces pensées ont été bénéfiques, et que les entretenir a renouvelé mes propres convictions ?
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« L'histoire, disait un latin, est vie de la mémoire et maîtresse de vie. » L'histoire est maîtresse de vie quand elle nous enseigne la piété filiale, piété envers nos parents, nos aïeux et nos maîtres. Aucune patrie ne se conservera sans cette piété, sentiment noble et spirituel, qui entretient des liens par delà les frontières de la mort.
Sachons ne pas nous séparer du passé. De l'avenir, du présent et du passé, seul le passé a consistance et réalité. Le présent n'est qu'un instant fugitif, l'avenir n'existe pas encore. La seule réalité est le passé. C'est pourquoi on veut nous en détourner. La seule réalité est le passé. Les seuls faits sont ceux du passé. Voilà pourquoi on veut les écarter.
« Écartons les faits », disait Jean-Jacques Rousseau. Or il est dans la nature humaine de vivre avec le passé, de construire avec lui, de faire du nouveau avec lui. Et c'est pourquoi lorsqu'on veut tuer l'initiative, lorsqu'on veut abolir l'esprit d'entreprise, on commence par anéantir jusqu'au souvenir même du passé.
Heureusement, comme disait Fustel de Coulanges, « le passé ne meurt jamais tout entier, l'homme peut bien l'oublier, il le garde toujours en lui ».
Jean de Viguerie.
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### La véritable histoire des Cristeros (IV)
*La guerre des étudiants*
par Hugues Kéraly
*Ils n'avaient qu'une\
peur au monde : c'est\
d'offenser Notre-Seigneur.*
LES PREMIERS MOIS DE LA « CRISTIADA » sont redoutables pour les jeunes insurgés citadins, dans cet État-policier du Mexique où le pouvoir entretient un mouchard par débit de boissons. Le 31 décembre 1926, à Mexico, alors que des milliers de paysans sont déjà sous les armes, ils ne sont guère plus d'une trentaine à venir entendre la messe et communier dans le couvent clandestin de la Mère Conchita, qui finira au pénitencier des îles Marias. (Vingt ans de réclusion criminelle : elle avait fait davantage pour alimenter la résistance catholique que tous les évêques mexicains réunis.)
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L'abbesse remit à Manuel Bonilla Manzano, 23 ans, avec toutes les bénédictions de l'Ordre, un drapeau mexicain au centre duquel les Sœurs avaient brodé l'image du Sacré-Cœur, et, sur l'autre face, celle de la Vierge de Guadalupe. On fit le compte des armes : *8 mausers, 7 carabines 30-30, 2 fusils de chasse et 9 revolvers.* Après quoi le chef du groupe, Armando Tellez Vargas, animateur du « Centre des étudiants catholiques » de la ville de Mexico, donna l'ordre de se mettre en marche vers Cuernavaca.
Les douze coups de minuit venaient de sonner la naissance de l'année 1927. Pour l'honneur du Christ-Roi, dans une totale impréparation militaire, un nouveau régiment catholique était né. Moyenne d'âge : 20 ans. Formation : ACJM ([^9]). Situation sociale : étudiants.
A défaut d'expérience, ils se donnèrent un général : Manuel Reyes, ancien compagnon d'armes du célèbre Zapata, que la Mère Conchita s'était chargé de *catéchiser,* en compagnie de dix autres -- des aventuriers au chômage, comme lui, depuis que Calles avait érigé le banditisme en monopole d'État. Avec la Mère Conchita, les choses ne traînaient pas : on recevait son ordre de marche en même temps que les sacrements de l'Église et le mode d'emploi du chapelet. Muchachos, en avant !
La rencontre eut lieu à la tombée de la nuit sur le sommet du pic d'Aguila. Reyes attendait là avec les dix hommes promis. Armando Tellez saisit le drapeau national des mains de Manuel Bonilla et fit face à l'officier :
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-- *Señor general don Manuel Reyes : jurez-vous sur votre honneur de Mexicain, de soldat et de catholique de soutenir et défendre, fût-ce au prix de votre vie, la cause de la religion catholique, apostolique et romaine, en évitant dans toute la mesure du possible de porter préjudice à vos concitoyens ?*
*-- Je le jure !*
*-- Si vous tenez parole, que Dieu et la patrie vous en récompensent, sinon, qu'ils vous en demandent raison* ([^10])*.*
Quarante hommes défilèrent après lui pour baiser le drapeau et crier *Viva Cristo Rey !* Le dernier soleil de janvier incendiait de rouge les collines environnantes quand les nouveaux Cristeros, à genoux, commencèrent leur veillée d'armes par la récitation du chapelet.
#### *La passion de Manuel Bonilla*
Le 2 janvier 1927 ils descendent au village d'Ajusco, dans la plaine, pour réquisitionner des armes et des chevaux. Chemin faisant, les étudiants interceptent aussi les rares automobiles de la piste Mexico-Cuernavaca. Avec une gentillesse incroyable, l'accent de la capitale et des discours de chevaliers errants. Chacun donne ce qu'il veut, pour l'amour du Christ qui est Roi du Mexique, et la grâce des apprentis-soldats qui s'apprêtent à Lui verser l'impôt du sang. La récolte est si maigre, dans ce pays si pauvre, qu'on choisit de poursuivre à travers champs.
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Le 4 janvier, un détachement de neuf Cristeros en mission de reconnaissance se voit surpris par soixante soldats du 15^e^ régiment de ligne : Armando Tellez Vargas est fait prisonnier, on l'arrache aux cadavres de cinq compagnons, foudroyés sur place par la puissance de tir des Fédéraux. L'officier de service lui videra un chargeur entier dans la tête, à bout portant, après avoir demandé au prisonnier s'il était toujours d'accord pour crier en sa présence *Vive le Christ-Roi ! --* Armando Tellez Vargas était toujours d'accord. Sa croisade avait duré trois jours, comme la Passion de Jésus-Christ. Il avait vingt-deux ans.
Dans la rencontre qui suivit immédiatement, avec le « gros des troupes » du général Reyes (une trentaine d'étudiants), l'effet de surprise joua contre les Fédéraux, qui abandonnèrent quinze hommes, quinze mausers et huit chevaux sellés sur le terrain. Mais Reyes dut précipiter la retraite, car toutes les troupes de l'État commençaient de converger vers le lieu du combat.
Les Fédéraux restèrent sur place, avec vingt et un cadavres sur les bras. Ils se mirent en devoir de les déshabiller entièrement, sans acception d'origine, et de les pendre tous aux arbres le long du chemin. Une simple inscription, « *Cristeros *»*,* venait prévenir les Mexicains de passage du sort réservé aux résistants de la Foi. Rien ne ressemble plus à un martyr pendu aux branches, sans vêtements, qu'un soldat du même âge pendu dans la même abjection. D'innombrables recrues fédérales serviront ainsi, jusqu'en 1929, les propagandes du gouvernement.
Les Cristeros bien sûr ne se battent pas de la même façon. Ils ne savent rien de la guerre moderne, qui s'impose par la terreur, tremblent eux-mêmes tout ce qu'ils savent à la vue des camarades mutilés, humiliés, pendus aux arbres, ce qui ne les empêche d'ailleurs jamais de libérer leurs propres prisonniers. Nous en avons un témoignage très sûr dans le *Journal de Manuel Bonilla,* publié après sa mort par les autorités, en version expurgée, pour faire savoir à tous la grande misère des étudiants fourvoyés dans la guerre par les « provocations du clergé ».
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Même ainsi, le *Journal de Manuel Bonilla* reste le plus précieux miroir pour comprendre le sacrifice des jeunes héros de cette Cité catholique qui n'ont pas reculé devant les conséquences pratiques du « Pour qu'Il règne » sur la nation. Avec la plus dure épreuve, pour des combattants de la Foi, qui fut celle de la désertion. ([^11])
« *5 mars 1927. --* Nous ne sommes plus que dix-sept, et nous avons dû fuir en direction d'Ixhuayesca pour éviter la rencontre avec les Fédéraux. Il n'y a rien à manger, nous avons faim. Chacun murmure autour de moi contre le manque de nourriture et d'argent. Nous avons fini par attraper deux brebis dans la plaine, pour les manger sans sel. Pouah !
« *9 mars. --* Nous avons dormi deux heures et nous sommes remis en route car la voie était libre à nouveau. A la Loma del Borrego, nous avons retrouvé le général Reyes avec la nouvelle de neuf désertions... Nous ne sommes plus que dix. Je suis convaincu de la sincérité du général Reyes : c'est un homme en qui l'on peut se fier. Tu nous éprouves, Seigneur, par cette inconstance de Tes propres soldats. Donne-nous la force de mieux Te servir.
« *15 mars. --* Nous avons appris la pendaison de plus de dix des nôtres dans les banlieues sud du District Fédéral (Mexico). Que de crimes, que d'iniquités ! Et le peuple, qui attend toujours...
« *19 mars. --* Trois heures du matin. Nous nous mettons en selle. A la Cima, sur la route de Cuernavaca, nous arrêtons dix voitures automobiles pour leur demander de la nourriture et de l'argent...
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« *24 mars. --* Mon esprit est en paix, je ne souffre plus atrocement comme ces jours derniers. Merci, mon Dieu ! Prends soin de ma mère, j'ai confiance en Toi. L'opinion générale s'est émue en notre faveur à travers tout l'État. Quelqu'un nous a dit que le Gouvernement s'alarmait beaucoup de savoir que nous avions traversé les villages de l'État de Morelos. Il croit que nous sommes plus de mille, quand nous voici neuf aujourd'hui... »
(La censure gouvernementale nous fait perdre ici pour toujours plusieurs pages du *Journal de Manuel Bonilla,* qui relataient les succès des Cristeros dans l'Ajusco et le Guanajuato, dont le pouvoir central avait bien des raisons eu effet de s'alarmer grandement. A un contre dix, avec l'appui de la population locale, la technique de harcèlement des soldats du Christ-Roi faisait souvent merveille contre les Fédéraux.)
« *7 avril. --* En marche. Nous arrivons à un passage entre Cajones et Santa Fe, pour arrêter le train... Cette fois, c'est le général Reyes qui dirige l'assaut. On déboulonne les rails pour interdire toute retraite au convoi. Sans méfiance, le mécanicien tombe dans le piège, sa locomotive reste clouée sur place et le réservoir d'eau verse sur le bas-côté. Nos hommes ont tiré alors sur l'escorte des convoyeurs, qui s'est défendue pendant plusieurs minutes. Nous les invitons à se rendre... Ils ont déjà un mort, et nous faisons sept prisonniers. Le butin s'élève à cinq mille Pesos... Nous nous retirons avec un seul blessé et un cheval abattu. En chemin, *on laissera partir* les *prisonniers sans leur faire le moindre mal.*
« *11 avril. --* Nous arrivons à Tecomatepec. Je pris la parole devant les villageois, qui s'enthousiasmaient... Nous arrivons à Coatepec de Animas, agglomération importante. A deux heures de l'après-midi, sur la place, je pris la parole. Puis nous avons fait irruption au palais municipal, coupé le téléphone et exigé un tribut de deux cent cinquante Pesos. Il ne fut pas versé aussitôt, nous sommes donc repartis en emmenant avec nous le secrétaire de mairie et un officier supérieur.
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« *12 avril,* 3 h du matin. -- Un émissaire est venu nous rejoindre avec l'argent, *on a remis les prisonniers en liberté...* Nous arrivons au village de Tequisquiapan à 2 h de l'après-midi. Nous réquisitionnons des montures. Je prends la parole au village de la Placita ; le chef des volontaires a signé son engagement à la Révolution ([^12]) et nous avons passé la nuit à Instancia. »
Le 15 avril 1927, après un terrible combat contre les forces callistes, les derniers Cristeros de la brigada Reyes, à bout de munitions, furent dispersés. Manuel Bonilla et son assistant fuyaient, se faisant passer pour marchands de bétail, mais ils sentaient la poudre et la mort à dix pas. Un fermier de San Diego Linares, près de Toluca, leur offrit à déjeuner. Les étudiants héroïques n'eurent pas longtemps à s'étonner de ses manières obséquieuses et fuyantes à l'excès : ils étaient encore à table que le gros homme ouvrit la porte, pour livrer passage aux Fédéraux.
L'exécution eut lieu sur le bord de la route, entre Toluca et Mexico. Manuel Bonilla demanda quelques instants pour s'agenouiller, le chapelet à la main. Il mit le point final à son carnet de route avant de faire face au peloton : « *Muero por Dios *»*.*
La Passion de Manuel Bonilla s'achevait sur ces mots, le Vendredi-Saint de l'année 1927, à trois heures de l'après-midi. Les témoins racontent qu'un éclair aussitôt déchira le ciel, tandis qu'une pluie violente obligeait tout le monde à rentrer... L'âme de l'étudiant mexicain avait mis trois mois à gravir ce calvaire, sur les pas du Maître, dans une admirable conformation volontaire au modèle divin. Nous savons ce que fut son Jardin des Oliviers, car Manuel écrivait tout et priait aussi la plume à la main :
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« *Tous ceux en qui j'avais confiance sont partis et m'ont abandonné. S'ils désertent, eux qui savent que seule la force peut reconquérir notre liberté, qui va lutter, se sacrifier, qui arrachera ses armes au tyran ? Il n'est pas de réponse qui me satisfasse. Je sais bien que pour les grandes choses, Dieu se sert des plus petits, et que le remède ne vient pas d'où on l'attendait... D'où viendra notre remède ? Combien de temps l'attendrons-nous ? Je fais confiance à la bonté de Dieu : tous ces sacrifices ne seront pas stériles, ils toucheront le Cœur de ton Fils, parce que toi, Señora, tu es notre Mère et les mères ne supportent pas que leurs enfants souffrent, quand même ils ne seraient pas bons. *» ([^13])
Manuel Bonilla Manzano fut déposé par les paysans à même la terre, dans une fosse creusée sur le lieu de l'exécution. Sa mère vint chercher le corps quatorze jours plus tard pour lui donner une sépulture plus décente au cimetière de San Marcos : elle eut la surprise de le trouver absolument intact, comme s'il venait de s'endormir entre ses bras.
*Quinze ans plus tard,* le 19 juillet 1942, on décida de lui consacrer un caveau sous l'autel de la Vierge, dans l'église paroissiale de Tlalpan. Antonio Rius Facius assistait à cette nouvelle exhumation, avec quarante délégations de l'ACJM venues des quatre coins du Mexique cristero. Lorsqu'on ouvrit le cercueil, et que les quarante drapeaux s'inclinèrent sur la dépouille du héros, chacun put voir que Manuel Bonilla avait échappé aux lois communes de la décomposition. La victoire spirituelle du Mexique conserve intact, en ce village, son plus beau fleuron.
#### *L'honneur de Luis Segura*
Manuel Bonilla avait choisi le maquis : « *L'arme au bras, sous la nuit claire, avec les étoiles au-dessus de lui dans le ciel *», comme écrira José Antonio d'une seconde Croisade qui doit beaucoup à l'épopée cristera.
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D'autres continuaient le combat dans la clandestinité des villes, pour assurer l'intendance et la coordination des premiers soulèvements. L'essentiel de leur tâche consistait à réunir de l'argent, acheter des munitions et les faire parvenir aux populations insurgées, avec le plus de renseignements possible sur les mouvements de troupes fédérales dans les divers États. Mission périlleuse entre toutes, qui obligeait à circuler partout, ouvrir son cœur aux riches proches du soulèvement chrétien et le cacher aux puissants.
Luis Segura Vilchis y excellait. Il avait toujours aimé résoudre les problèmes ardus. Cette disposition lui valut la première place pendant toutes ses études dans un collège de Pères maristes français. Puis de devenir ingénieur des mines à 21 ans, sans abdiquer aucune de ses responsabilités militantes au comité général de l'ACJM.
Après le départ de René Capistran Garza pour les États-Unis ([^14]), il est le leader incontesté de la résistance étudiante à Mexico. Son état-major clandestin a trouvé refuge dans une banlieue discrète, au numéro 1 de l'avenue du Président Madero, où l'on centralise les renseignements et les caisses de munitions.
C'est là qu'il tentera de convaincre ses camarades, dès la fin de l'année 1926, d'une solution nouvelle qui s'impose à con esprit :
-- L'agression contre la liberté religieuse est une agression contre la patrie. Vouloir détruire l'Église, c'est décréter la mort du Mexique lui-même. S'il existe un droit naturel et souvent un devoir de repousser par la force les malfaiteurs qui attaquent votre maison, le même droit et le même devoir s'appliquent nécessairement à l'agresseur de la patrie... Tout bien considéré, les commanditaires du crime anti-national ne sont pas nombreux. Calles reste hors d'atteinte. Supprimons Obregon ([^15]).
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Luis Segura Vilchis ne se trompait pas. Plutarco Elias Calles était président de la République mexicaine par arrêt personnel du tout-puissant général Alvaro Obregon, « *Caudillo de la Revolucion *»*,* qui ne manquerait pas de retrouver les pleins pouvoirs au prochain mandat. Il fallait viser au sommet de la dictature maçonnique. Abattre « l'homme fort » de la Révolution, celui qui répétait partout : « *Le Mexique a les dirigeants qu'il mérite. *» Et encore : « *Ma force principale vient de la lâcheté des ennemis, qui n'ont rien dans le ventre. *»
Segura Vilchis avait quelque chose dans le ventre, et dans la tête aussi. Il n'eut pas de mal à mettre d'accord ses amis étudiants : si les paysans avaient pris les armes, si le pays entier entrait en rébellion ouverte, il fallait tout mettre en œuvre) à Mexico pour la mort du tyran. Au comité directeur de la Ligue ([^16]), son discours eut moins de succès. On multiplia les objections morales et politiques, qui traduisaient surtout l'hésitation personnelle des dirigeants. Plusieurs firent valoir qu'Obregon n'était pas rééligible à la présidence d'après la lettre de la Constitution, -- objection qui n'avait pas grand poids, comme on le verra par la suite, s'agissant d'un révolutionnaire mexicain... Mais la religion de Luis Segura Vilchis était faite : il agirait sans mandat.
Une première occasion se présenta à la fin du mois de mars 1927. Segura Vilchis venait d'apprendre que le général Obregon allait quitter Mexico pour Sonora à bord du convoi présidentiel le « *Tren Olivo *»*.* Il résolut aussitôt de le faire sauter. Avec l'aide des étudiants de la faculté de chimie, Luis mit au point un explosif artisanal extrêmement puissant : dans un tube d'acier de quinze centimètres de diamètre, et plus d'un mètre de long, bourré de dynamite, il avait adapté un système de mise à feu par batterie. La machine infernale fut scellée de nuit sur le pilier central du viaduc de Tlalnepantla qu'empruntait le convoi, non loin de la capitale.
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Le départ du général Obregon était prévu pour le samedi 2 avril 1927, à la nuit tombée. Segura Vilchis et quatre de ses assistants vinrent brancher les fils du détonateur à six heures de l'après-midi. Deux autres comparses surveillaient à Mexico, dans la gare centrale de Colonia, le départ du convoi présidentiel... A huit heures, Segura Vilchis vit briller au loin les phares de la locomotive. Il avait déjà la main sur le détonateur quand une traction-avant surgit en trombe sur la route au-dessus de lui, avec les deux étudiants de la gare centrale qui vociféraient :
-- Arrêtez tout, camarades, arrêtez ! Il y a des passagers dans le train !
Le général Obregon avait pris place à la dernière minute, avec tout son état-major civil et militaire, dont de nombreux ministres du gouvernement Calles, dans un wagon spécial du train de voyageurs Mexico-Guadalajara.
-- Bendito sea Dio, s'exclama Luis. *Si tu n'étais pas arrivé à temps pour nous prévenir, je ne me serais jamais pardonné la mort de tant de compatriotes qui n'ont rien à voir avec Obregon* ([^17]).
La bombe de Tlalnepantla fut désamorcée aussitôt ; elle sera descellée du viaduc, deux ans plus tard, par les agents de la compagnie ferroviaire, auxquels le commando étudiant avait fourni à cet effet des instructions écrites détaillées. -- Jusqu'au bout, et par-delà la mort, les Cristeros de l'ACJM respecteront leur engagement solennel d'épargner la vie des innocents. Tel fut l'honneur de ce combat chrétien, qui affrontait des hordes bolcheviques, mais n'avait qu'une peur au monde : « celle d'offenser Notre-Seigneur ».
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Luis Segura Vilchis continua d'assumer à Mexico la direction du « Control Militar » de l'ACJM. La Ligue, en ce printemps, demandait des cartouches et des hommes pour le soulèvement du Michoacan. L'ingénieur pressura l'un après l'autre tous ses réseaux d'intendance clandestine, et dépêcha trois mois de suite ses meilleurs lieutenants. Quand ce fut le tour de Colima, Jalisco, Zacatecas, qui manquaient de tout, il trouva encore à envoyer des munitions, des hommes et de l'argent. Ses plus proches amis étaient déjà colonels ou gouverneurs dans les États cristeros qu'il continuait d'annoter les cartes et de recevoir les courriers dans son PC de Mexico, sans protection suffisante, à la merci d'un simple coup de filet. Un camarade de clandestinité l'a croqué pour nous, quinze anse plus tard, dans l'exercice de ses fonctions :
« Je crois bien que Luis Segura fut comme le José Antonio, du soulèvement mexicain... Une chose en lui me frappait particulièrement : quand il fallait prendre une décision immédiate, sur un point important, on lui voyait sur le visage un léger tremblement, effet de sa tension nerveuse ; mais les mots qu'il prononçait et la vivacité de son regard, comme le ton de sa voix, nous imposaient aussitôt la certitude de la vérité. Nous : touchions du doigt la maîtrise de son esprit sur les éléments, la maîtrise sans faille qu'il exerçait sur lui-même et répandait autour de lui. » ([^18])
En juin 1927, un avatar de la Révolution mexicaine vint confirmer avec éclat les pronostics de Luis Segura Vilchis sur le dessein politique d'Obregon. La campagne « électorale » venait de s'ouvrir, pour la succession du président Calles. Trois généraux révolutionnaires et francs-maçons annonçaient leur candidature : Francisco Serrano, gouverneur de l'État de Mexico, Arnulfo Gomez, candidat du « Partido Nacional Antireeleccionista », et Alvaro Obregon, qui se contentait officiellement « d'accepter le choix de ses amis » (portés au pouvoir par lui-même) pour son « éventuelle » réélection !
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Serrano et Gomez furent assassinés en octobre, avec leurs états-majors respectifs, par les hommes de main d'Obregon. Cette nuit des longs couteaux eut lieu sous la protection policière du gouvernement Calles, qui ne pouvait désigner plus clairement son candidat à la succession anti-catholique du pouvoir central. (Gourez et Serrano s'étaient en effet prudemment tenus à l'écart des persécutions, ce qui permit à Calles de les désigner après coup comme « rebelles » à la nation !)
Le 12 novembre 1927, Luis Segura Vilchis prend place avec trois camarades à bord d'une vieille *Essex,* qui file à grande allure vers la gare centrale de Mexico, où l'on attend le « *Caudillo de la Revolucion *»*.* Cette fois-ci, il n'agit pas sans mandat : le comité directeur de la Ligue vient de décider l'élimination physique du tyran. Eût-elle retenu cet ordre que ça n'aurait rien changé au plan de l'ingénieur mexicain.
A une heure de l'après-midi, l'*Essex* prend en filature discrète la voiture du général Obregon. Segura Vilchis est à l'arrière avec une nouvelle bombe de sa fabrication. Dans une rue déserte, l'*Essex* double le cortège du général et se met en travers de la chaussée. Segura Vilchis bondit pour lâcher sa dynamite dans la voiture de tête, et le reste se perd pour lui dans une énorme fumée... Il ne sait pas encore en sautant dans l'*Essex* qu'Obregon, précipité sur le trottoir par ses deux gorilles, est sorti indemne de la formidable explosion.
Dans leur fuite éperdue à travers Mexico, poursuivis par les puissantes voitures de l'escorte officielle, les quatre étudiants cristeros ne peuvent éviter l'accident. Segura Vilchis et son assistant doivent abandonner les deux autres, Nahum Lamberto Ruiz, atteint d'une balle dans la tête, et Juan Antonio Tirado, aux mains des policiers.
On peut croire qu'aucun des deux n'a parlé, puisque les policiers n'arrêtent pas aussitôt l'ingénieur mais seulement Humberto Pro et son frère Miguel, jésuite, coupable d'avoir cédé la vieille *Essex* aux insurgés, quelques mois plus tôt. Ils n'avaient d'ailleurs l'un et l'autre aucune responsabilité directe dans l'attentat contre Obregon.
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Le soir même de leur arrestation, Luis Segura Vilchis se livrait à la police mexicaine pour les innocenter.
Peine perdue. Il sera exécuté sans jugement le mardi 22 novembre en compagnie de Juan Antonio Tirado, du jésuite et de son frère Humberto. (Nahum était mort à l'hôpital sous la torture des policiers.)
La police n'avait eu aucun mal à convaincre les frères Pro de sympathies cristeras, délit amplement suffisant pour les conduire tous deux au peloton d'exécution. Le chef du Control Militar de l'ACJM vint les rejoindre avec un grand sourire en prison : -- *Mes amis, nous serons tous au ciel avant qu'il fasse nuit !* Cette fois-ci, le calcul était bon. L'honneur de Luis Segura Vilchis ne s'était pas démenti.
Quand on conduisit les corps des quatre martyrs au cimetière de Mexico, une foule énorme envahit les rues, qui chantait les louanges du Christ-Roi ([^19]).
#### *José de Leon Toral*
Sept mois plus tard, le premier dimanche de juillet 1928, le général Obregon, « *Caudillo de la Revolucion *»*,* candidat unique à la présidence des États-Unis du Mexique, est réélu sans l'ombre d'une difficulté : seuls les fonctionnaires votent, et ils sont tous achetés.
Le mardi 17 juillet, il fête cette victoire de l'appareil avec tous les politiciens de la capitale sur les terrasses de « La Bombilla », restaurant à la mode des faubourgs de Mexico.
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Il est deux heures vingt, on savoure le triomphe de la force et personne n'est pressé... Un jeune homme aux yeux très vifs contemple la scène en souriant. Obregon sans doute l'a déjà remarqué. Le voici qui s'approche de la table présidentielle, un carnet à la main.
-- *Vous êtes journaliste, amigo ?*
*-- Dieu m'en garde, Señor Presidente, je voulais seulement vous montrer mes dessins.*
Obregon a souri. Il renonce pour une fois à se mettre en colère contre le nom du Tout-Puissant. L'artiste est maintenant debout derrière le camarade président. De la main gauche, il lui présente le carnet. Mais voici que sa droite brandit un gros calibre -- dix coups -- dont pas un ne sera perdu pour le vieux bolchevik « réélu » par ses propres brigands. Obregon a fini de déchirer le Mexique chrétien. Il est *justiciado,* comme dit très bien l'espagnol, lorsqu'il s'agit d'abattre un monstre malfaisant.
C'est un Calles plutôt souriant (de conserver le pouvoir) qui se réservera d'interroger le jeune homme en premier.
-- *Oui t'a commandé ce crime ?*
*-- Je jure, sur le salut de mon âme, que j'ai agi de mon seul mouvement. J'ai fait justice à Obregon pour que le Christ règne à Mexico.*
*-- De quel royaume veux-tu parler,* ironisa Calles, que le souvenir de Pilate ne tracassait pas... ([^20])
Le jeune homme s'appelait José de Leon Toral. ACJM, lui aussi, mais sans aucun lien -- sinon spirituel -- avec les deux précédents. Calles n'attendit pas une seconde pour le livrer aux tortionnaires de la capitale. Il restera sept mois entre leurs mains, jusqu'au poteau d'exécution.
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Chaque nuit, José de Leon Toral priait et dessinait ; fort bien d'ailleurs : sa mère, ses gardiens, ou les supplices innombrables que la police lui infligeait. Inutilement, car il n'avait qu'une chose minuscule à leur confesser : le 27 septembre 1927, dans la chapelle clandestine de la Mère Conchita, pendant une messe que célébrait Miguel Pro -- le jésuite assassiné -- José de Leon Toral avait offert sa vie pour le Mexique du Christ, Roi des nations ([^21]).
(*A suivre.*)
Hugues Kéraly.
56:271
### Une Europe fatiguée
par Louis Salleron
MADAME THATCHER, déjà populaire dans son pays, a renforcé sa popularité par son attitude dans l'affaire des Malouines. L'orgueil britannique a été satisfait que la Royal Navy pût encore assurer la protection d'une parcelle échappée à la ruine de l'empire et ce à l'autre extrémité de la planète. Sentiment compréhensible, mais contestable à la raison. Car pourquoi engloutir des milliards dans une affaire sans intérêt, d'ailleurs pendante depuis des dizaines et des dizaines d'années devant diverses juridictions ? La vérité, c'est qu'un vieux pays fatigué était fier de se prouver à lui-même que toutes ses forces ne l'avaient pas abandonné. C'est le sentiment qu'éprouve un septuagénaire engagé dans une course de fond. Il ne prétend évidemment pas la gagner ; mais s'il la termine, ce résultat lui suffit. Il mérite les compliments que tous lui prodiguent.
Le cas de l'Angleterre est celui de toute l'Europe. Les Américains lui ont rendu un fier service en l'obligeant à décoloniser. Elle était trop fatiguée pour tenir à bout de bras cet empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais.
57:271
L'Europe, comme l'Angleterre, s'est repliée sur elle-même. Elle n'avait pas le choix, mais c'était bien tout de même son choix. Elle a tant de blessures à panser qu'elle n'a pas envie d'y ajouter d'autres.
Les colonies réclament leur indépendance. Grand bien leur fasse ! Elles connaîtront les formes nouvelles de la colonisation. Celle de l'argent, par l'Amérique. Celle de la révolution, par l'U.R.S.S.
Si la colonie, c'est la dépendance, si la décolonisation c'est l'indépendance, où est aujourd'hui la dépendance ? où l'indépendance ? Dom-Tom, quésaco ? Faites un petit jeu de société : distribuez des bouts de papier à vos invités et demandez-leur d'inscrire les Dom et les Tom de la France. Le dépouillement sera instructif.
Il était question ces temps-ci de la Nouvelle-Calédonie. Bonne occasion d'apprendre un peu d'histoire et de géographie. Interrogez voisins et amis : où gîte-t-elle cette Nouvelle Calédonie ? et où l'ancienne, s'il en est une ? Quelle taille a-t-elle ? Qui l'habite ? Qu'y trouve-t-on ? Soyons justes : la télévision, organe de l'éducation permanente et de la culture universelle, nous a fourni là-dessus quelques rudiments de connaissance. Mais qu'en savions-nous il y a six mois ? Toujours est-il que cette Calédonie nous embête. Pourquoi faut-il qu'on y trouve des Français ? S'il n'y avait que les indigènes, on leur rendrait immédiatement leur île. C'est beau, c'est grand, c'est généreux, la France. Mais il y a ces encombrants Français. Certes, ils seraient de taille à gouverner l'île. Mais le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes obligerait la métropole à prendre le parti des autochtones, premiers et légitimes occupants. Que d'ennuis, mon Dieu !
Les gens fatigués redoutent les ennuis. Les pays aussi. Et les continents. L'Europe fatiguée a assez de ses propres problèmes. Quelle Europe, d'ailleurs ? Elle est coupée en deux. Colonisée à l'Est par l'empire soviétique, semi-colonisée à l'Ouest par l'empire américain. L'Est n'a pas la parole. Il se tait donc -- sauf la Pologne que le catholicisme, le patriotisme et la langue ont toujours unie contre ses dépeceurs traditionnels. L'Ouest se proclame hautement indépendant : *U.S. go home !* Mais si les États-Unis l'abandonnaient, il serait immédiatement soviétisé, comme il l'est déjà à moitié par une cinquième colonne assoiffée de servitude. A la différence de la Prusse, l'Amérique est un gilet qui tient chaud sans gratter.
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L'Allemagne, protégée par les trois cent mille G.I. qui campent chez elle, s'adonne au neutralisme et à l'écologisme pour se distraire des souvenirs du nazisme ; et la France, fière d'être toujours le phare intellectuel du monde, dénonce à Cuba, par la voix d'un ministre expert, l'impérialisme culturel de l'Amérique, ayant quant à elle renoncé depuis longtemps à cette forme de colonisation comme aux autres.
Le *New York Times*, relayé par Dominique Dhombres, nous apprend dans *Le Monde* du 14 janvier que : « La France est passée récemment de la troisième à la cinquième place dans la liste des pays exportateurs de livres. Entre 1980 et 1981 les ventes de films français à l'étranger ont diminué de 11 %. (...) Les rodomontades du ministre de la culture prennent, dans ce contexte, une allure burlesque. Le journaliste du *New York Times* fait dire en effet à ce dernier : « *Paris devient la capitale intellectuelle du monde *»*,* tout en glissant ailleurs dans son article une remarque de M. Le Roy Ladurie selon laquelle l'appartenance de M. Lang à la communauté intellectuelle « *pose problème *»*. *» Les Français ont *Dallas* et E.T. pour apaiser leur soif de culture.
Une France fatiguée, dans une Europe non moins fatiguée ; la démographie en témoigne. Pas un pays dont le taux de fécondité assure la survie, le plus touché étant l'Allemagne fédérale qui traîne depuis des années au-dessous de 1,50, le mieux loti étant, imprévisiblement, la France, grâce d'une part à la législation familiale élaborée juste avant la guerre et qui n'est pas encore totalement détruite, grâce aussi à l'apport portugais et maghrébin dont les nationaux rapatrient généreusement leurs salaires et leurs allocations pour nourrir leur famille et se bâtir une maison.
L'Europe peut-elle survivre ? C'est la question que se pose Alfred Sauvy à la fin de son livre sur les mondes en marche. Face à la montée de l'Islam, de la négritude et de l'Asie on peut se le demander.
Pourtant l'Europe a toujours été menacée et toujours en guerre avec elle-même. C'est son destin et c'est peut-être la raison de sa vitalité. La menace est toujours venue des deux mêmes côtés : l'Asie, qui semble glisser sur elle d'un mouvement lent et continu filtré par la Pologne et l'Allemagne, et l'Afrique judéo-islamique que les Pyrénées, Charlemagne et Charles Martel ont tenue hors de nos frontières. Mais malgré Venise, l'Ordre de Malte et les galères du Roi, les barbaresques ont sillonné la Méditerranée jusqu'au XIX^e^ siècle.
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L'Europe fatiguée réagit peu au péril renaissant. Mieux, elle le favorise, prodiguant ses armes, ses techniques et son argent. Elle achète même le pétrole qu'elle a découvert et mis en exploitation dans des pays pauvres auxquels elle le paye au prix fixé par eux.
C'est sa grandeur. C'est aussi sa faiblesse, mais peut-être, à terme, son salut. Car elle doit perpétuellement inventer pour survivre. Peu à peu, l'énergie nucléaire fournit l'électricité et le pétrole se découvre partout.
Mais combien de temps durera ce jeu ? « Le phénomène de la mise en exploitation du globe, le phénomène de l'égalisation des techniques et le phénomène démocratique, qui font prévoir une *diminutio capitis* de l'Europe, doivent-ils être pris comme décisions absolues du destin ? Ou avons-nous quelque liberté *contre* cette menaçante conjuration des choses ? » C'est Paul Valéry qui pose ces questions. L'Europe fatiguée se les pose avec lui.
Louis Salleron.
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### Les aliénations indolores
par Gustave Thibon
NOS ASCENSEURS électriques marquent un progrès notable sur les bons vieux ascenseurs hydrauliques de ma jeunesse. Ceux-ci, constitués par une plate-forme surmontée d'une cage grillagée, gravissaient péniblement les étages avec des hoquets asthmatiques, ceux-là nous conduisent à destination d'une démarche plus rapide et plus souple. Mais ce progrès n'est pas sans bavure. Dans l'ascenseur d'autrefois, l'usager restait relativement à l'air libre et pouvait à l'occasion interpeller les gens qui préféraient l'escalier, tandis que l'ascenseur d'aujourd'hui ressemble à un coffre hermétique dont la porte se rabat comme un couvercle de cercueil et laisse le passager totalement démuni en cas de coupure de courant. Je songe à ce couple de vieillards qui resta emprisonné durant quarante-huit heures entre deux étages d'un immeuble déserté par l'évasion du week-end. De quoi injecter la claustrophobie aux systèmes nerveux les plus endurcis !
Cet état de claustration et d'impuissance s'aggrave en fonction du perfectionnement de nos instruments de locomotion.
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Un piéton est parfaitement libre de ses mouvements, un automobiliste déjà beaucoup moins (combien ont péri à la suite d'un accident faute de pouvoir se dépêtrer de leur carcasse métallique !), le passager d'un train moins encore (on n'a plus même la ressource, dans nos convois climatisés, de baisser la vitre pour mieux respirer...), celui d'un avion presque plus du tout. Et que dire du cosmonaute empaqueté dans les étroites limites d'un engin spatial ?
Ce prisonnier ne participe ni par le corps ni par l'esprit au mouvement qui l'emporte ; aucune initiative de la pensée, aucun effort musculaire ; l'homme ne fait plus rien, la machine fait tout.
C'est l'image même de l'*aliénation*, si l'on entend par ce mot le fait d'être la proie désarmée d'une réalité étrangère à soi-même. L'homme est libéré des vieilles servitudes imposées par la matière, la pesanteur, l'espace et le temps, et du même coup, se trouve *captif de ses moyens de libération*.
Passe pour les moyens de locomotion dont les avantages dépassent largement les inconvénients et dont l'impact négatif n'altère guère notre vie intérieure. Mais ce rapport libération-aliénation se retrouve dans d'autres domaines qui touchent au cœur même de l'être humain.
La Sécurité sociale, par exemple, nous soustrait aux aliénations causées par la maladie et par la vieillesse, avec la détresse économique et morale qui en résulte. Mais en substituant une solidarité abstraite et impersonnelle aux anciens réseaux d'entraide (familles, mutuelles, œuvres de bienfaisance, etc.), en cultivant l'égoïsme individuel, ce frère jumeau du collectivisme (chacun pour soi et l'État pour tous) n'accentue-t-elle pas notre dépendance à l'égard d'un pouvoir central dont l'aspect providence a fatalement pour contre-partie la mainmise totalitaire sur nos personnes et sur nos biens ?
De même en matière d'information : les média dilatent le champ de nos connaissances jusqu'aux confins de l'univers. Mais le seul fait que ces informations reflètent presque toujours les options des informateurs ou des puissances qui les manipulent et ne comportent pour l'informé ni expérience personnelle ni possibilité de dialogue et de critique tend à transformer nos cellules cérébrales en ficelles de marionnettes. Écoutez parler l'homme de la rue : combien d'opinions et même de convictions ne sont que la resucée inassimilée de propos glanés dans le journal du matin ou la télévision du soir ? En fait d'authenticité et de vérité, j'avoue préférer la conversation du paysan qui me parle de ses récoltes et de ses voisins aux réflexions irréfléchies de M. Tout-le-Monde sur les intentions secrètes du président Reagan ou les vicissitudes conjugales de Lady Diana.
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Évoquerai-je la libération du sexe ? Elle a balayé quelques tabous poussiéreux, héritage du moralisme étriqué des générations précédentes. Son revers : l'invasion généralisée d'un érotisme de bas aloi qui fait du sexe le centre de gravitation de tous nos mobiles et nous en présente une image hypertrophiée qui relève de l'obsession plus que de l'instinct biologique et de l'amour.
Et ces aliénations sont d'autant plus dangereuses qu'elles restent inconscientes et indolores : comme chez les drogués, l'esclavage donne souvent à ses victimes l'illusion de l'évasion.
Est-ce à dire que l'on doive refuser en bloc les facilités que nous offre le monde moderne ? Ce n'est ni possible ni souhaitable...On ne quitte pas le siècle où l'on vit comme on se défait d'une maison ou d'un vêtement. Il s'agit plutôt de réduire au minimum la rançon de nos progrès, les servitudes engendrées par tant de libérations équivoques. Par exemple, au temps des avions supersoniques, savoir encore flâner dans la nature et savourer ses couleurs et ses odeurs. Garder le sens du risque, des responsabilités personnelles et de l'entraide fraternelle à travers l'étouffante « couverture sociale » déjà rongée par les mites de l'égoïsme et du parasitisme, filtrer les informations et les propagandes au lieu de les avaler sans discernement. Défendre l'amour contre l'érotisme, etc.
C'est à ce prix seulement que nous pourrons sauver notre liberté, menacée de toutes parts par les retombées aliénantes de ses conquêtes libératrices...
Gustave Thibon.
63:271
### Gloire de l'espion
par Georges Laffly
L'ESPION se cachait, il trône. Il est devenu une sorte de héros mythologique dans nos fictions ; et dans la réalité, on vient de voir accéder au pouvoir suprême, en URSS, Andropov, chef du service d'espionnage.
Cette glorification d'un emploi tenu pour honteux dans toutes les civilisations est bien remarquable. Évidemment, nous avons perdu tout sens de l'épopée. Achille, Roland, Énée n'auraient pu être espions. Nos « héros » trichent, se déguisent, mentent : nous sommes bien dans un autre monde, et ses figures principales sont d'en bas.
Il reste pourtant que le succès de l'espion vient d'un besoin d'action humaine, individuelle, dans un monde de masses et de machines qui l'exclut. Le héros d'épopée, hier, décidait de la victoire et du sort de l'État. Pour le combattant moderne, c'est inconcevable. L'avion, le missile, la bombe comptent plus que lui. On se rabat donc sur l'espion. Seul contre tous, petit grain d'humanité face aux puissances les plus gigantesques, son intervention peut tout changer. Il est capable de sauver le monde (il s'agit de l'espion des romans, bien sûr, dont c'est l'exploit habituel). A sa façon, James Bond est David contre Goliath, la fronde remplacée par de coûteux appareils électroniques.
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Il semble aussi que le succès de l'espion soit lié à la domination de l'information. Plus nous sommes informés, plus il nous paraît que l'essentiel nous est caché et que tout se passe dans les coulisses. Or l'espion est justement l'homme des coulisses, celui qui connaît l'envers des choses. Il dévoile ce qui devait rester caché, il dérobe les secrets, réalisant symboliquement ce que nous rêvons de faire. Son œuvre peut être aussi de manœuvrer l'opinion : il l'empoisonne comme jadis pour détruire une armée on empoisonnait les points d'eau. Sa puissance est immense, et il reste invisible. Une gloire qui n'apparaît pas, c'est un autre trait d'époque : les hommes célèbres qui s'agitent sur la scène et qu'on voit dans les magazines sont soupçonnés de moins compter que les maîtres cachés qui tirent les ficelles. L'espion lui aussi est de ceux qui font mouvoir les marionnettes.
#### Jeux
Que dans un pays les jeux de hasard aient plus de succès que les jeux de compétition, ce ne peut être sans signification. En France, par exemple, il y a beaucoup plus de gens qui jouent au tiercé que de cavaliers. Et le rapport serait encore plus net si l'on y permettait, comme en Italie, de parier sur les matchs de foute.
Le jeu de compétition n'a pas pour but le gain. On voit aujourd'hui des champions de tennis ou de fouteballe qui gagnent des sommes considérables, mais ce gain reste subordonné à des victoires et à la renommée qu'elles donnent.
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C'est un résultat annexe, qui pourrait ne pas apparaître (longtemps, ce fut ainsi). Ce qui fait le champion, c'est sa force et son habileté au jeu. Les jeux de hasard n'exigent du gagnant aucune des qualités nécessaires aux participants des compétitions sur lesquels ils sont fondés. On n'a pas besoin d'être bon cavalier pour gagner au tiercé, ni de savoir donner des coups de poing pour encaisser les paris sur un match de boxe. C'est une question de chance et de bons « tuyaux ».
Matériellement, la compétition peut apporter la gloire et la richesse, le jeu de hasard la richesse. Il est visible que beaucoup plus de gens sont tentés par la deuxième voie que par la première. C'est le fait d'un peuple de spectateurs, phénomène qui revient périodiquement. Les Romains s'asseyaient en foule sur les gradins du Colisée pour voir combattre quelques gladiateurs. Nous n'avons plus à nous déplacer. Nous pouvons voir à la télévision les acrobaties de casse-cous en avion ou en auto. L'émotion éprouvée devant le risque couru par un autre suffit à nous combler. Vie par procuration, et aventures par procuration : c'est ainsi que nous côtoyons les bêtes sauvages et que nous marchons sur la lune. Comme si nous y étions, mais nous n'y sommes pas.
Le succès des jeux de hasard tient à l'espoir que nous avons qu'un coup de chance pourrait transformer notre vie. Un bon numéro nous donnerait la richesse, nous ferait sortir du destin tracé. Ce changement, faute d'espérer l'obtenir par notre force, nous le demandons à une ruse, le coup de chance étant assimilé à une distraction du sort, une minute d'inattention des Parques et des lois qui déterminent notre voie.
Par la télévision l'histoire est devenue un spectacle que nous suivons au jour le jour (ce qu'on veut bien nous en montrer). En conséquence, on se demande pourquoi les événements attendus ne font pas l'objet d'un vaste système de paris. Les États-Unis installeront-ils leurs Pershing en Europe ? L'Iran va-t-il vaincre l'Irak ? Les Verts auront-ils beaucoup d'élus en Allemagne de l'Ouest ?
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Il y aurait des millions de parieurs, et les sommes engagées seraient telles que certaines forces essaieraient de peser sur les événements, de modifier l'issue de la course. Il est vrai qu'il y a déjà les banquiers qui, d'une certaine façon, jouent à ce jeu, mais il doit être possible de le populariser.
#### Maternalisme
Le paternalisme, sollicitude d'un homme pour ses employés dont il pense être responsable, est une attitude détestée, sans doute parce qu'elle est un des derniers restes, déformé, incomplet, du rapport féodal de personne à personne.
Au contraire, on trouve normale, souhaitable, pleine d'avenir la sollicitude de la société envers l'ensemble de ses ressortissants ou assujettis. On est protégé, guidé, de la naissance à la mort ; contraint à l'épargne (cotisations pour maladie, vieillesse) et empêché de s'enrichir par cette épargne (les intérêts sont inférieurs à l'inflation) ; la vitesse sur les routes est limitée, et les gérants de l'industrie automobile autorisent la fabrication de voitures qui dépassent cette limite ; il y a un monopole de vente du tabac, et ceux qui en disposent lancent aussi des campagnes antitabagiques. Etc.
C'est le principe de cette société : il faut que ses membres aient l'illusion qu'il y a un jeu dans la machinerie, tout en étant conduits d'un bout à l'autre de leur vie : ce qu'on appelle liberté.
Nous avons là un maternalisme qui assure la nécessité de l'État organisateur et dispensateur de ces échanges. Il diffuse une sécurité sans chaleur, sans amour (l'administration ne peut quand même pas être affectueuse) mais à peu près totale, sauf s'il s'agit d'invasion, de vol ou d'assassinat, risques non couverts.
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#### Publicité et sondage
Les deux guides magiques de notre société sont la publicité et les sondages, deux moyens complémentaires : il faut savoir sur quelle pâte humaine on travaille (sondages) et la modifier utilement (publicité). Telle est la conséquence nécessaire du mouvement incessant de notre monde, qui refuse tout principe stabilisateur, mortel selon lui, et progresse de mode en mode, cahin-caha. Il faut bien, à chaque instant, vérifier où l'on est, de quel côté on penche, et tâcher à rétablir l'équilibre.
Publicité et sondages soutiennent donc cette société moderne, comme le lion et la licorne héraldiques soutiennent un blason. Outil d'observation et outil d'action fonctionnent tous deux selon les mêmes méthodes psychologiques et sociologiques, rationnelles, éprouvées, auxquelles se fient tous les *décideurs,* du marchand à l'homme politique.
Or en octobre dernier, un sondage de la SOFRES mettait en lumière le fait que 65 % des Français sont hostiles à la publicité (20 % seulement y sont favorables ; le reste n'a pas d'avis). La licorne a mangé le morceau, et trahi le lion. Le péril est grand. Tout le système repose sur la croyance que l'homme, le grain d'humanité, est prévisible et conditionnable. Avec les incitations appropriées, on peut incliner et transformer ses choix : lui faire passer le goût du pain, approuver l'avortement, etc. Que le sujet (au sens médical ou politique du terme) ait des réticences, on s'en est aperçu. Ce n'est pas pour rien qu'on lance périodiquement des campagnes contre les « publiphobes ». Qu'après tant d'efforts, ces derniers représentent deux Français sur trois, ce serait un échec. A partir de là, on pourrait douter également des sondages.
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Si les réactions des sujets ne sont pas aussi mathématiquement prévisibles qu'on l'avait décidé, il est douteux que les « échantillons » questionnés soient aussi représentatifs qu'on le désire. Si la licorne a trahi le lion, elle s'est détruite du même coup, et la société, n'étant plus soutenue par ces créatures fabuleuses, tombe dans le vide. La question n'est pas sans importance.
Hypothèse : les sujets se permettraient-ils de prendre conscience de l'action exercée sur eux au point de la refuser ? Et faudra-t-il passer de la persuasion à la contrainte pour les mener ? Mais il n'y a plus de contrainte légitime dans notre société : au nom de quel principe l'exercerait-on ? Autre hypothèse (momentanément rassurante) : une des grandes vérités sociologiques sur notre temps a été découverte par un romancier, J. L. Curtis : il a décrit l'avènement du snobisme de masse. Une des manifestations de ce snobisme peut être le rejet de la publicité, et alors, rien n'est perdu (pour le moment). Car entre le rejet proclamé et le rejet effectivement éprouvé, il y a dans ce cas un abîme. Les 65 % de Français hostiles à la publicité sont probablement, pour une grande part, de ces gens dont les opinions et attitudes ne correspondent que très lointainement avec les comportements réels. On dit qu'on est hostile à la publicité parce qu'on pense que cela fait bien (signe de culture, de liberté d'esprit, de contestation). En fait, on la gobe à merveille.
Cette hypothèse est probable. N'empêche qu'elle entraîne un doute sur la crédibilité des sondages (la licorne est renversée), et qu'à la longue, les attitudes affectées deviennent vraies, c'est-à-dire qu'on s'y conforme dans l'action. Et nous nous retrouverons dans le noir, avec une foule de sujets se forçant à agir imprévisiblement.
Georges Laffly.
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Pour son centenaire
### Marie Noël a disparu
par Yves Daoudal
IL Y A CENT ANS naissait Marie Noël, le 6 février 1883. Il n'y a pas longtemps qu'elle nous a quittés. C'était le 23 décembre 1967 : la vieille dame d'Auxerre, de son vrai nom Marie Rouget, n'avait pas menti quand elle avait dit que son nom de grâce, son nom d'éternité était Noël. Elle est Marie Noël dans l'éternité de Dieu, puisque c'est le nom de son âme, elle restera toujours aussi Marie Noël pour les hommes, tant qu'il y en aura, puisque c'est son nom de poète.
« C'est le plus grand poète français vivant », disait d'elle Montherlant. Aragon était ébloui par l'habileté et la souplesse de sa versification. Ses poèmes traduits en anglais firent le tour des États-Unis et du Canada. C'est assez dire qu'elle avait dépassé le cadre de sa Bourgogne et de l'estime que les chrétiens peuvent avoir pour un poète qui chante leur foi.
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Que reste-t-il de cette renommée universelle ? Je suis allé voir dans un des énormes supermarchés parisiens de la culture. Il n'y avait rien. Strictement rien. J'ai poussé la curiosité jusqu'à parcourir les diverses histoires de la littérature. Pas un mot sur Marie Noël, ou son nom seulement cité parmi d'autres. Une seule de ces histoires, la plus grosse, donnait un paragraphe laconique qui n'en apprenait guère plus sur la poétesse d'Auxerre que la notice du dictionnaire. J'ai téléphoné à la librairie parisienne réputée pour être spécialisée dans la poésie des XIX^e^ et XX^e^ siècles. On m'a presque ri au nez. Je suis allé chez un grand marchand de partitions de musique. J'ai demandé si cela existait encore, les chansons de Marie Noël, ces poèmes qu'elle avait mis elle-même en musique et dont elle avait fait imprimer les paroles seules à regret. On s'est contenté de me regarder avec un sourire condescendant, tout proche de la pitié.
La maison Stock avait publié *L'œuvre poétique* de Marie Noël en 1969. Puis l'*Œuvre en prose* en 1977. Cela ne se trouve plus. Pas plus qu'on ne trouve les livres qui furent écrits sur elle et sur son œuvre. J'ose espérer que cette année du centenaire verra la réédition de ces purs chefs-d'œuvre de la littérature française, de la littérature chrétienne, de la littérature universelle.
Je crains que l'œuvre de Marie Noël ait été victime d'une désastreuse méprise. Des esprits stupides, ou malveillants, en ont fait en quelque sorte la petite fille de Francis Jammes, un poète de sacristies et de pensionnats. Ce n'est peut-être pas gentil pour Francis Jammes, mais il faut bien reconnaître que l'œuvre de Marie Noël est à celle de Francis Jammes ce que l'aigle est au passereau, aussi charmant celui-ci soit-il.
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Il est vrai qu'on trouvera dans *L'Œuvre poétique* quelques poèmes, d'ailleurs merveilleux de charme et de grâce, qui chantent les petites fleurs et les petits oiseaux. *Ils se comptent sur les doigts d'une main.* Vous ne pouvez pas y adjoindre les huit poèmes qui illustrent chacun une heure canoniale, de *Matines* à Complies. La transparence de la nature décrite ici est prière franciscaine. La citation des *Fioretti* mise en exergue ôte d'ailleurs tout doute à ce sujet. Vous ne pouvez non plus y joindre des poèmes comme l'Annonciation (un des plus connus), qui baigne dans la même lumière surnaturelle que les chefs-d'œuvre de Fra Angelico.
D'ailleurs, il n'est pas besoin de faire de longues dissertations. Il suffit de lire les tout premiers vers de *L'Œuvre poétique :*
*Les chansons que je fais, qu'est-ce qui les a faites ?*
*Souvent il m'en arrive une au plus noir de moi...*
*Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi*
*C'est cette folle au lieu de cent que je souhaite.*
(Il faut se souvenir que *L'Œuvre poétique* est la « somme » *organisée* par Marie Noël elle-même, et non un *recueil.* Elle s'ouvre sur cette interrogation sur « *les chansons que je fais *» et se termine par les *Chants du dernier temps* et la *Dernière messe.*)
Et pourtant, c'est dans les poèmes les plus légers que se trouve la clé de l'œuvre de Marie Noël. Non pas dans les quatre ou cinq précédemment évoqués. Mais dans ceux qui *commencent* de façon plus légère encore, comme des chansons populaires, *et débouchent brusquement sur la blessure intérieure mise à nu.* L'un d'eux commence ainsi :
*Vers le milieu de mon âge*
*Avec mon petit panier,*
*Je suis partie en voyage*
*Au soleil avant-dernier.*
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Suit le récit de la promenade. Il fait beau. Je passe devant une église. Je fais une petite prière. Je vais « *à travers les champs légers *» vers les vergers, et puis...
*Au jardin d'après-midi*
*J'ai mon âme rencontrée,*
*Comme en l'herbe haute un puits*
*Ouvert à la dérobée,*
*Mon âme, béante nuit...*
*Et dedans je suis tombée.*
La troisième partie du long poème intitulé *Fantaisie à plusieurs* voix commence ainsi :
*Dansons la Capucine...*
*Que le bonheur est doux*
Et l'élan se brise aussitôt :
*J'en vois chez la voisine*
*Mais ce n'est pas pour nous.*
Et peu après :
*Ma peine solitaire*
*Crie à remplir le soir.*
Il est vrai que la chanson redevient gaie ensuite, mais d'une gaieté forcée (« *Dansons une seconde / Comme si c'était vrai *»)*,* déchirante.
Juste en dessous de *Fantaisie à plusieurs voix,* Marie Noël a écrit : (*sur un thème de Mozart*)*.* Notation précieuse. En effet, on ne peut pas s'empêcher de penser à Mozart devant ce charme délié qui brusquement se brise, devant cette gaieté légère que rompt un cri déchirant venu du plus profond de l'être :
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« *Je veux rire et chanter et pleurer pêle-mêle avec vous* », dit Marie Noël à ses vers, « *ce nid tout palpitant de jeunes mots qui bougent *»*,* au début du *Prélude.* Et bientôt éclate un « *Je suis tellement seule... *»*,* et suit une description détaillée de cette solitude, jusqu'à « *l'ombre où j'ai ma source, mon trouble, ma flamme *»*.* Le deuxième mouvement, *Andante,* est un de ces nombreux chants de son amour déçu. C'est la mélancolie poignante de certains *andante* de Mozart. « *J'ai filé de la joie en mon cœur tout le jour *»*,* et personne n'est venu. Après la *Danse* (« *Dansons la Capucine *»)*,* vient *Récitatif et Conte fantasque.* C'est encore un *andante* de Mozart. D'une autre sorte. Le premier vers finit par « *Il fait triste *»*,* le second par « *J'ai peur *»*.* Mais le poème se termine dans la sérénité, une sérénité un peu irréelle certes, mais la douleur a été bercée. La dernière pièce est encore musicalement un andante, c'est la *Berceuse de la grand-mère,* où se trouve ce vers typiquement mozartien : « *On n'a pas besoin de bonheur pour être heureux. *»
Bien sûr, ce n'est pas là tout Mozart. Seulement le commentaire d'une de ses phrases les plus déchirantes. Le charme, l'élégance, la puissance aussi de Mozart, tout cela se retrouve dans les thèmes chantants et enchanteurs d'autres poèmes.
Certes le charme de Mozart et celui de Marie Noël ne sont pas de même nature. Celui de Mozart, c'est la frivolité mondaine des salons viennois. Passage obligatoire pour survivre. Et encore se trouvait-il en position d'infériorité par rapport à ses concurrents pour qui tout l'art musical consistait à flatter les oreilles qui ne voulaient pas entendre autre chose que de simples divertissements. Le charme de Marie Noël est à cent lieues de là. Il a une certaine analogie avec les chansons de la Renaissance, chansons fraîches des prés et des rues, sans apprêt, qui sentent les fleurs des champs et non les parquets cirés de Vienne. Et pourtant ces deux versions apparemment sans rapport de la grâce gracieuse ont peut-être un point de rencontre les jardins du Prater, où Mozart, malgré les moqueries des musiciens de cour, organisait des concerts en plein air, où les sons grêles de son *piano-forte* ne gênaient guère les oiseaux et se mêlaient au chant de la nature. Mais surtout, ce point de rencontre est une même sensibilité, extrêmement vive, la sensibilité d'âmes que le moindre mouvement transforme en écorchés vifs.
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La différence entre Mozart (Schubert est tout près, lui aussi) et Marie Noël réside dans la conscience qu'a l'artiste de « *la grande Déchirure *», comme l'appelle notre poète. Pour elle, tout s'explique par la foi (le péché originel, la croix, la rédemption). Mozart, bien que de tradition catholique, n'a jamais fait preuve de ferveur religieuse. En fait la différence est minime. Car Mozart s'exprimait par cet art totalement « abstrait » qu'est la musique. Et cette musique qu'il « transmettait » était aussi mystérieusement spirituelle que le sont les vers de Marie Noël, sans qu'il en ait eu conscience.
Un exemple : Don Juan. Tout le monde connaît celui de Mozart, un des plus grands chefs-d'œuvre de la musique. Beaucoup moins nombreux sont ceux qui connaissent *Le jugement de Don Juan,* la seule pièce de théâtre écrite par Marie Noël. D'un côté, un opéra bouffe, qui se veut joyeux et seulement divertissant. (Telle était réellement l'*intention* de Mozart, et tel est le livret de Da Ponte.) De l'autre, une pièce profondément chrétienne, profondément émouvante par son affirmation de la miséricorde divine, de la Justice divine limitée par la Bonté et l'Amour. Il est curieux de noter que le Don Juan de la pièce poignante de Marie Noël est sauvé, alors que le Don Juan « *giocoso* » de Mozart est emporté dans les ténèbres de l'enfer. Et Mozart n'a pas seulement gardé la fin tragique habituelle de l'histoire, il a demandé à Da Ponte de commencer l'opéra par le meurtre du père de Donn' Anna. Ce n'est d'ailleurs pas ce double drame qui donne une profondeur à l'opéra, mais la musique de Mozart, une musique où passe le souffle divin (et parfois les paroles légères ne sont plus qu'un support sans importance), qui est le même souffle divin que chez Marie Noël. La différence est que chez elle c'est explicite, alors que chez lui c'est caché dans des notes qu'il ne comprend pas lui-même, dont il ne comprend pas pourquoi elles le font souffrir ou le transportent de joie quand elles sortent de lui.
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Cependant les tempéraments ne sont pas les mêmes, et Mozart sait être beaucoup plus souvent franchement gai et insouciant que Marie Noël. Après ce passage par Mozart, la lancinante détresse de Marie Noël fait penser davantage encore à Bernanos. Il y a chez ces deux personnages, chrétiens l'un et l'autre, à la fois la conscience de ce qu'est la blessure intérieure que tout homme lucide finit forcément par découvrir en lui-même, et un curieux demi-refus de l'attribuer à la déchirure originelle en lui donnant -- aussi -- une cause humaine. L'effrayante tristesse du curé de campagne vient de sa maladie d'estomac. L'angoisse panique de Blanche (de l'agonie du Christ) vient de ce que juste avant qu'elle naisse, le carrosse où se trouvait sa mère fut pris par un début d'émeute...
La tristesse, la douleur, la peine qui hante Marie Noël, elle l'attribue au chagrin d'amour qui l'a effectivement poursuivie toute sa vie. L'homme qu'elle aimait a épousé sa sœur (celle qui était jolie... et Marie Noël se trouva laide). Cette histoire, elle la raconte souvent, sous des formes plus ou moins allégoriques, parfois dans la nue réalité autobiographique (*Nous étions deux sœurs *[^22])*,* sous la couverture d'une chanson populaire, ou d'une imagerie vaguement médiévale.
Cependant Marie Noël, comme Bernanos, sait que la blessure est plus profonde. La conscience de la non-adéquation de l'âme à Dieu, qui résulte du péché originel, et qui a pour conséquence le sentiment de l'absence de Dieu, de la solitude absolue, bien qu'ayant une réelle analogie, sur le plan humain, avec l'absence définitive de l'amant perdu, finit par détruire le maquillage... pour enfoncer l'âme dans une douleur infiniment plus vive. Le poème intitulé *Chanson de la robe* en est le plus émouvant témoignage. C'est celui qui, ayant commencé comme une chanson à tonalité vaguement moyenâgeuse, se termine par « *La grande Déchirure* »*,* avec un D majuscule, et c'est la déchirure de l'âme assimilée à la tunique sans couture du Christ.
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« *Je suis celle blessée entre toutes qui pleure.* » Tel est le thème du plus grand nombre des poèmes de Marie Noël. Sa détresse est telle qu'elle est parfois difficilement supportable, soit qu'elle s'exprime dans une sorte d'infra-sérénité désespérée (et là ce n'est plus Mozart, c'est Bartok), dans de longs vers qui déroulent de longues plaintes, ou dans des strophes brisées en sanglots, comme celle-ci :
*Quel vent me poussa dans*
*Mon âme ? -- Mais était-ce*
*Mon âme ? -- Un pâle étang*
*Qui se meurt de tristesse.*
Le long poème intitulé *Jugement* est d'une terrifiante lucidité. Marie Noël s'y accuse devant Dieu de ce qu'elle reconnaît comme son péché, et qui résonne d'un « *Je m'accuse *» martelé dans le cœur déjà trop meurtri. Je m'accuse...
*D'avoir trop habité la grande solitude*
*Où pleurent en rêvant les monstres endormis*
*Et d'avoir bu dans les étangs d'inquiétude*
*Beaucoup plus de douleur qu'il ne m'était permis.*
Et elle descend plus bas encore, jusqu'au point où la lucidité n'a plus de prise.
*Je vogue abandonnée à la terreur des cieux.*
*Je m'accuse... J'ai dans l'âme une place impie,*
*Un lieu vertigineux où je suis poursuivie*
*Dans une arrière-nuit par un arrière-Dieu ;*
*Un gouffre sans naissance au fond toujours ailleurs,*
*D'où souffle, par-dessous les époques profondes,*
*Quelqu'un sourd et muet qui met le Mal au monde*
*Et qui peut-être est Vous... ou ne l'est pas, Seigneur.*
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Et cette partie du poème se termine par ces deux vers :
*Je crie, ô Vérité, ma faute la première*
*Et dernière, le mal dont je me meurs : la Nuit.*
Cette nuit terrible, pour le chrétien, devient forcément la nuit de Noël. Car dans cette nuit se trouve aussi le « *Dieu tout noir *» qu'évoque Marie Noël à plusieurs reprises. La grande Déchirure est nécessaire parce que c'est par elle que *Dieu entre,* la nuit est nécessaire pour révéler la lumière. Le désespoir est nécessaire pour générer l'espérance, car
...*c'est au fond qu'est la cime*
*Où le ciel se retourne et rentre au Paradis...*
*C'est au creux le plus noir de ma plus sombre route*
*Qu'ô merveille ! J'ai bu de ton ciel une goutte.*
Et encore :
*Le Mal, mon Mal... le cri d'essentiel*
*Déchirement en terre intérieure*
*D'où jaillit l'or des divines demeures...*
Ce combat, c'est l'école de la nuit, qu'évoque Marie Noël dans le *Chant du gardien.* Il s'agit de l'ange gardien, et il dit :
*J'attends ici, j'attends, penché sur la Nuit noire,*
*Qu'elle ramène à moi les pas obéissants*
*De ma petite fille, après l'avoir fait boire,*
*La tête sous l'eau triste, à* son *gouffre puissant.*
Est-il aventureux de voir ici la voie décrite par saint Jean de la Croix ? Certes non, et si l'on avait encore un doute, voici deux vers qui l'ôtent assurément :
*Soit ! jette sur mes sens un silence hermétique,*
*Noir, épais...*
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Ce combat dans les ténèbres, incertain, contre quelqu'un qu'on n'arrive pas toujours à définir, c'est le combat de Jacob, le combat contre l'Ange, contre Dieu à qui l'âme résiste de toutes ses forces avant de succomber... à la lumière, après de terribles chutes dans des fondrières qu'on ne voit pas.
*Et vous avez été ma guerre sans merci.*
*-- Me battre avec un autre était-il nécessaire ?*
*Et vous avez été mon unique adversaire.*
*-- Quel autre que Vous seul est digne de souci ?*
C'est ainsi que l'excès de sensibilité, l'absence cruelle d'amour humain, la tristesse noire deviennent une voie. « Il suffit » (comme on dit) de les faire coïncider avec la Croix du Christ.
Certains, tels Mozart ou Schubert, savent transcrire leur âme dans leurs œuvres, mais ils ne sont pas conscients des reflets divins qui les traversent. Non seulement Marie Noël est consciente, dans la lumière de la foi, que sa douleur, dont elle a l'impression qu'elle la tue, sera aussi ce qui la sauvera, mais elle sait exprimer ce chemin, cette voie de la croix qui conduit au Royaume. Ainsi en est-il dans *Jugement,* dans la *Dernière messe,* dans d'autres poèmes, et plus clairement encore dans le conte intitulé *Le Noël de l'oiseau mort.* C'est l'histoire d'une « fille sauvage » (le qualificatif -- employé souvent dans les poèmes -- permet de reconnaître aussitôt Marie Noël) dont le père était berger à Bethléem. Le jour de Noël, tous les ans, elle allait offrir à l'Enfant de la crèche un oiseau, chaque année différent. Mais un jour le Malheur lui arracha son ami. « *Alors elle tira de son cœur ce qu'il lui restait, sa Douleur, et l'élevant dans ses mains comme une colombe palpitante, elle la lança dans le Ciel.* (*...*) *Puis elle demeura les mains vides, avec sa plaie grande ouverte qui commença de saigner sans s'arrêter ni jour ni nuit.* » Quand ce fut le temps de l'Avent, elle ne put trouver aucun oiseau. « *Je n'ai plus rien pour le Seigneur. J'ai souffert trop, j'ai saigné trop. J'ai trop laissé mourir mon âme. Je n'ai plus rien pour le Seigneur. *»
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Alors tomba du ciel dans ses mains la colombe poignardée, qu'elle apporta à Jésus, en retard... c'était le jour des Saints Innocents. L'enfant « *amena l'oiseau sur sa poitrine, et tout d'un coup fourra son doigt dans le cœur percé, d'où le sang coula. Une goutte roula sur son pied, une goutte sur son autre pied, une goutte sur sa main gauche, une goutte sur sa main droite. Et la colombe ensanglantée demeura sur son cœur comme une plaie pure. *» La Sainte Vierge dit à la « fille sauvage » : « *Saigner est une grande offrande. Paix à ton âme* (*...*) *Saigner est un grand ouvrage. C'est l'ouvrage de ton oiseau. C'est l'ouvrage de mon Agneau.* » La fille sauvage, pleurant de joie, fut alors transfigurée. « *Une grande lumière l'entourait, où tous les oiseaux de sa vie revenaient chanter ensemble. Et le silence de l'oiseau mort chantait plus haut que les autres.* (*...*) *Alors la fille sauvage pencha la tête, la posa sur la paille et, dans le rayon de l'Enfant qui la baignait de Paradis, elle attendit patiemment -- splendidement -- la fin de mourir.* » Je ne me permettrai pas de détruire, par un commentaire, la poésie et le mystère de ce texte admirable, déjà trop malmené par mon résumé.
Noël occupe une place considérable dans l'œuvre de Marie Noël. Elle n'avait pas « choisi » (plutôt reçu d'en haut) ce nom pour rien. Nous venons de voir quelle est la place de Noël dans sa voie particulière. Ce qui l'attire dans l'histoire de la Nativité, c'est la sublime tendresse qui s'en dégage, la tendresse de Dieu, la tendresse de la Mère de Dieu, cette tendresse que Marie Noël réclamait à tous les vents mauvais et qu'elle ne connut jamais dans un cœur humain. « *Qui m'aimera ? *» répétait-elle, « *Aimez-moi ! *»*.* Noël, c'est aussi l'occasion pour elle de procéder à ces ruptures de ton dont nous avons parlé. Le poème intitulé simplement *Chant de Noël* est particulièrement significatif. Il est en trois parties. La première et la dernière sont une description alerte et joyeuse d'une nuit de Noël en famille. La deuxième est une déchirante plainte de l'âme solitaire devant un foyer qui meurt dans des sanglots d'enfant.
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Sur le plan théologique, cela donne le *Chant de la Vierge Marie,* qui est un dialogue entre la Sainte Vierge et les anges. Et à chaque objet préparé pour la venue de l'Enfant, les anges opposent un objet similaire qui servira à la Passion. C'est un chef-d'œuvre de l'expression poétique de l'unité théologique de l'Incarnation et de la Rédemption.
De même, la tragédie du *Vendredi Saint* est extraordinairement évoquée dans le poème qui porte ce nom. Marie Noël décrit le joyeux printemps et la vie quotidienne des habitants de Jérusalem au milieu d'une nature qui rendît. Ce sont les éléments d'une fraîche tapisserie qui passent sous nos yeux, et tout à coup, comme un coup de glaive foudroyant :
(Elle a vu)
*Sur le chemin qui monte au nord*
*Passer trois condamnés à mort.*
Et ceux-ci, où tout est ramassé en quelques mots :
*... Viens-nous-en : A Gethsemani,*
*Les oliviers sont pleins de nids.*
*Chant de Pâques, les Heures, le Rosaire des joies, Psaumes, Vendredi Saint, Résurrection, Dernière messe...* Le nombre des poèmes inspirés par la liturgie indique assez l'importance qu'elle avait dans la vie de Marie Noël. Dans son numéro 257 de novembre 1981, ITINÉRAIRES a publié trois textes magnifiques, extraits de ses *Notes intimes,* qui montrent la compréhension lumineuse qu'elle en avait. Sans cesse, dans ses poèmes, on entend l'écho des psaumes. Mais il en est un qu'elle avait, semble-t-il, en particulière prédilection, c'est le psaume 138, dont elle cite un bout de verset en exergue de la première partie du recueil intitulé précisément *Psaumes :* « *Pour toi, lumière et ténèbres, c'est tout un.* » (Le verset précédent dit : « *Peut-être les ténèbres me piétineront-elles, mais c'est alors que la nuit sera mon illumination *» -- Nous avons vu comme cela correspond à la voie de Marie Noël.) Dans *Chemins,* on lit ceci :
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*Ô Dieu noir, ô Dieu clair*
*Que la plainte de l'ombre*
*En nous a tant cherché,*
*Fallait-il te cacher ?*
Si le Dieu noir est un Dieu caché, c'est plutôt parce que c'est l'homme qui se cache de Dieu, depuis le premier péché. L'homme cherche à fuir, mais partout il se heurte à l'ombre de Dieu. C'est ce qu'on retrouve dans un autre verset du même psaume : « *Où irai-je pour échapper à ton esprit, et où luirai-je loin de ta face* *? Si je monte au ciel tu es là, si je descends dans les enfers, tu y es aussi.* »
Dans le poème des *Heures* sur les *Vêpres* (le psaume 138 est justement un psaume de vêpres), on trouve ceci :
*Seigneur, éloignez-vous, de peur que je ne meure*
*Éloignez-vous !... Où fuir ?... Ah faites ! prenez-moi !*
Enfin, il est un verset de ce psaume qui est assez obscur : « *Tes yeux ont vu mon imperfection, et dans ton livre tous sont inscrits, les jours étaient formés et il n'y avait personne en eux* » (traduction littérale, généralement édulcorée de façon à lui trouver un sens clair toujours dévalué). Il est une strophe de *Chemins* (dans les *Chants de la Merci*) qui donne à ce verset une explication lumineuse, véritablement inspirée :
*Nous avons brisé le fil d'obéissance.*
*Nous avons cassé le fil d'Amour. Épars,*
*L'Amour cherche, l'Amour ne trouve nulle part.*
*Un appel est partout et partout une absence.*
Telles sont les grandeurs de Marie Noël. J'ai voulu les rétablir, dans leurs aspects dramatiques, déchirants, et confondre à jamais, si c'était possible, les imbéciles qui esquissent un sourire du coin des lèvres quand on évoque son nom, synonyme pour eux de mièvrerie et de niaiserie, même si l'on admet volontiers que les vers sont plutôt bien troussés.
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En cette année du centenaire, j'ai voulu rendre un hommage qui tente (trop rapidement et maladroitement, hélas) de rendre compte des richesses d'un cœur où la poésie est prière et recherche de Dieu par une sensibilité écorchée par les hommes (« *Mon prochain ce champ d'épines *») et par l'effrayant silence de Dieu.
J'espère que d'autres voix, plus autorisées que la mienne, s'élèveront pour révéler un peu plus à nos contemporains l'œuvre de la dame d'Auxerre, de la grande dame de la poésie française. Sinon, je resterai seul avec elle. Et après tout, je ne m'en plaindrai pas.
Yves Daoudal.
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### Antériorités et intériorité
par Jean-Baptiste Morvan
UNE IMAGE est restée dans mon souvenir, après bien longtemps : parcourant le haut-pays forestier entre Flers et Bagnoles de l'Orne, je me trouvais à l'entrée de l'allée menant au château des Yveteaux, jadis domaine du poète satirique Vauquelin. De grands arbres récemment coupés montraient sur leur section toute fraîche, avec une belle régularité, les cercles concentriques des années. Je me rappelai la commune étymologie latine des mots « anneau » et « année » ; l'intérieur de l'arbre est le registre du temps passé. On peut éprouver une légitime méfiance envers les méditations philosophiques fondées sur l'origine des vocables et leurs transformations sémantiques : méthode qui, chez Heidegger, m'a parfois un peu agacé ou bien fait sourire à cause d'affirmations linguistiques moins évidentes qu'il ne semblait le croire. Du moins s'il n'y a là que prétexte et symbole, encore peut-on en profiter : dans le silence propice au recueillement, au cours de trois journées de clinique, je m'amusai à rapprocher les notions d'antériorité et d'intériorité, et les troncs d'arbres du château normand me revinrent en mémoire. Dans quelle mesure l'antérieur est-il constitutif de la vie intérieure ? Ce qu'on pensa du problème au cours des derniers siècles est lui-même intégré à notre passé : il ne me parut pas indifférent d'en évaluer le rôle et l'importance.
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Au temps classique, le prestige de l'antérieur n'était pas admis de manière uniforme. Pascal, témoin des controverses relatives aux « lois fondamentales du royaume », les évoque dans les « Pensées » sur un ton sévère et caustique : « Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l'état, qu'une coutume injuste a abolies. C'est un jeu sûr pour tout perdre. » La Bruyère, traçant les caractères jumeaux et opposés du défaitiste Démophile et de Basilide, l'optimiste aveugle, attribue au premier des radotages grincheux : « Il parle là-dessus avec admiration d'Olivier le Daim et de Jacques Cœur : c'étaient là des hommes, dit-il, c'étaient des ministres. » Chez les deux auteurs, les retours sur le passé sont présentés comme des prétextes vains ou nuisibles de contestation, et sans doute à cause des humeurs personnelles que l'on y mêle. Pour les classiques, la méditation des temps antérieurs est subordonnée à la foi et aux enseignements de l'Écriture ; privée de cette essentielle raison d'être, elle risque de divaguer. Aussi les précurseurs des « philosophes » s'attaquèrent-ils d'emblée à la tradition religieuse et la contestation politique s'y rattache, en somme, secondairement. Cent ans plus tard, quand l'œuvre destructrice eut atteint son but, la nouvelle génération, marquée par la psychologie romantique, éprouvera des sentiments de nostalgie et de frustration fort justifiés ; elle cherchera, par opposition et compensation, à exalter le monde antérieur. Le retour à la foi chrétienne étant mal assuré, parfois bien faible et égaré dans des syncrétismes aberrants, la célébration de l'antériorité sera disproportionnée ou même délirante. La vie intérieure s'emplira de l'antériorité, mais la « folle du logis » trouvera matière à s'en régaler passionnément.
Tout est loin pourtant d'être également négligeable ou douteux : Brizeux n'est pas Nerval, et la restitution de certaines valeurs était en elle-même salutaire. Il fallait combler un vide intérieur par le recours aux biens endommagés, profanés ou détruits. L'enfance sera donc un thème de prédilection, unissant la famille, la maison natale, le terroir, le souvenir encore porteur des vestiges de l'histoire. Les aspects sont multiples et variés, de Chateaubriand jusqu'à Colette et Giono : en effet la crise de 1870, le grand ébranlement de 1914 plus encore, vinrent renouveler l'épreuve et les blessures. L'antérieur, à travers l'enfance et l'adolescence, est paré de tous les signes de santé et de vitalité, même si chez les plus lucides on discerne quelques accents d'ironie légère, d'ailleurs toujours empreinte de tendresse :
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« Il y avait dans ce temps-là de grands hivers, de brûlants étés... Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales... » Ainsi parle Colette dans « Sido » et visiblement elle mesure la puissance simplificatrice des alchimies du souvenir. Au lyrisme s'ajoute le grandissement épique de la « quête » presque magique de l'enfance ; les exemples en sont nombreux, et le « Grand Meaulnes » est un des plus connus. Finalement, l'essentiel de l'âme n'apparaît dans toute sa lumière que situé dans un passé si lointain qu'il lui confère une autonomie presque absolue. Ce qui est réalisé absolument dans le mythe de la « Vie antérieure » -- une autre existence préalable à celle-ci -- thème sans doute influencé par Platon mais répondant à ce désir de poursuite vite transformée en fuite vers l'irréel ou le surréel. Nerval l'a illustré dans « Fantaisie » et à peu près dans toute son œuvre, Baudelaire dans « La vie antérieure » et l'idée est au moins suggérée dans le « Louis Lambert » de Balzac.
La littérature classique avait fréquemment repris le lieu commun antique du Temps destructeur, « *tempus edax *». Notre XIX^e^ siècle a établi symétriquement le thème du Temps-trésor, du Temps-grenier. On peut y voir une sorte de paradis terrestre offert à une reconquête passionnée. Mais la passion seule, lancée dans cette recherche, prend un caractère douloureux et parfois dérisoire. Telle est dans « Sylvie » de Nerval la scène du grenier où Gérard et Sylvie redécouvrent les costumes portés par l'oncle et la tante au temps passé, celui d'avant la Révolution. Et comme l'épisode lui-même, dans la rêverie de Gérard, se situe bien des années en arrière, nous trouvons le drame psychologique et sentimental de l'antériorité porté à la deuxième puissance.
La quête de l'antérieur implique une solitude certaine. Sans doute est-elle inhérente à la vie intérieure, surtout dans la création littéraire. Mais dans le romantisme qui a, peu ou prou, marqué deux siècles de poésie et de fictions diverses, la solitude devient un isolement intellectuel et social, avec la crainte obsédante d'un démenti ou d'une incompréhension de l'entourage humain. Les réactions sont diverses, apparemment contradictoires : défi fracassant et provocant ou repli douloureux, malédictions jetées au « bourgeois » conçu comme représentant de la société présente ou adhésion aux clichés politiques et sentimentaux du libéralisme volontiers affiché par la « jeunesse des écoles », additionné d'un bellicisme revanchard, lui-même logiquement incompatible avec le pacifisme humanitaire également à la mode.
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Un effet curieux de ces dualismes s'observe dans la complaisance des poètes pour les généalogies réelles ou fictives. Chateaubriand, issu d'une authentique famille d'ancienne chevalerie, affecte de croire que cela n'intéresse plus personne dans le nouvel état social et moral, mais il en parle longuement. Vigny peut faire valoir une noblesse datant de deux siècles, mais il en rabaisse la valeur au profit de son œuvre personnelle. Hugo réclame pour ancêtre un officier des ducs de Lorraine, prétention des plus douteuses, et il orne le mobilier de Guernesey du blason de ce personnage, conjointement avec les armes conférées au général son père : et cela dans les années où il adhère à la démocratie rougeoyante. La clef de ces étrangetés nous est donnée par Nerval, imaginant en son demi-délire qu'il a pour dieux les seigneurs périgourdins de Labrunie : « Je suis le ténébreux, -- le veuf, -- l'inconsolé, -- le prince d'Aquitaine à la tour abolie... » La revendication d'une glorieuse ascendance n'est destinée qu'à conforter la notion d'une excellence intérieure de la personnalité, à l'enrichir d'un pathétique plus sensible, d'un mystère plus insolite ; les grandeurs ne valent que parce que l'intéressé en est injustement frustré. On retrouve le thème chez les symbolistes, comme Viélé-Griffin dans « Royauté », manifestement inspiré par la légende de la ville d'Ys : « Je suis ce roi des anciens temps -- Dont la cité dort sous la mer -- Au choc sourd des cloches de fer -- Qui sonnèrent trop de printemps... » L'antériorité mythique nourrit l'intériorité, mais dans un songe individualiste totalement étranger aux réalités sociales et politiques. Féodal imaginaire, l'auteur condamne au besoin, comme Vigny, l'état royal d'autrefois. Les chevaliers de la « Légende des Siècles » semblent des porte-parole de la démocratie avancée. Toute royauté réelle porte ombrage à la royauté intérieure de l'écrivain, l'antériorité historique n'a d'intérêt que si elle est morte.
Cette psychologie romantique se continue à travers tout le XIX^e^ siècle. L'antériorité personnelle se trouve reportée dans un monde hors du réel, dans une enfance maladivement méfiante envers l'âge adulte ; l'antériorité sociale et historique, affectée d'un malaise analogue, est incapable de s'intégrer à un traditionalisme collectif et organisé. Pour l'une comme pour l'autre, c'est le « linceul de pourpre où dorment les dieux morts ». Il en est ainsi jusqu'à Barrès dont la démarche intellectuelle révèle la grandeur des difficultés qu'il fallait vaincre pour aboutir à un militantisme vraiment vivant, inscrit dans une large communauté d'opinion, capable d'une efficacité offerte aussi bien à la jeunesse qu'à l'âge mûr.
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Ainsi l'antériorité historique et nationale se trouvera intériorisée authentiquement et deviendra une structure de l'âme et de l'action, portée dans la société tout entière. Il semble que Barrès passe de l'individualisme esthétique et anarchisant au culte stendhalien de l'énergie ; mais cette énergie personnelle cherche sa justification dans l'énergie nationale, et Pascal suggère à Barrès un approfondissement plus convaincant encore : étapes difficiles, itinéraire tourmenté, qui expliquent à la fois l'intérêt de la pensée barrésienne et les déceptions ou insatisfactions que parfois il nous cause.
Péguy part de l'humanitarisme socialiste, mais l'enfance a inscrit en lui la conscience affective du terroir. L'influence de Michelet semble certaine : mais l'histoire de France, même ramenée à la marche ascendante de la classe populaire, invite à s'interroger sur les valeurs supérieures qui ont animé la vitalité de ce peuple. Il faut unir l'église à l'école, comme le rêve d'Alain-Fournier unissait l'école au château. La gratitude de Péguy envers l'école implique l'intégration de l'enfance à la chronologie française millénaire ; et alors, comment admettre que l'Université inflige à l'une et à l'autre un insolent démenti ? Le souci de l'unité intérieure ne peut s'en accommoder : il faut rompre avec quelque chose, il reste à choisir l'apparente rupture qui sauvegarde l'unité.
Je me bornerai à ces deux exemples. J'ai jadis traité du thème de l'enfance chez Maurras (*Itinéraires* n° 122 -- 1968) en insistant sur le fait que chez lui le thème des premières années, jusque dans les anecdotes familières, était d'emblée ouvert sur un ensemble humain et « politique ». En dépit des tentations libertaires ou mennaisiennes de la prime jeunesse, vite écartées, la rigueur de la pensée rendait l'itinéraire plus rapide. A l'univers mental déchiré du romantisme, Maurras substituait une synthèse harmonieuse propre à la réconciliation intérieure. Cela explique à mon sens la phrase, étonnante à première vue, de Proust écrivant peu avant sa mort dans la préface de « Tendres Stocks » de Paul Morand : « ...mes maîtres, MM. Léon Daudet et Charles Maurras et leur délicieux émule Jacques Bainville ». Pour l'auteur de la « Recherche du temps perdu », Maurras n'était-il pas le messager du « temps retrouvé », de l'accès à un monde intérieur reconstruit ?
Jusque là, toute une littérature souvent décevante, enlisée dans ses paradoxes et contradictions, conservait du moins la conscience obscure des structures nécessaires, la nostalgie de l'unité véritable, et offrait aux maîtres authentiques les bases d'une démonstration salutaire. Les penseurs de la subversion comprirent qu'il leur fallait anéantir cette tentation contraire à leurs visées.
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D'où une destruction systématique menée sur deux plans. La dérision et l'ignorance élimineraient les antériorités historiques et les traditions spirituelles ; d'autre part la mise en pièces de l'intériorité détruirait, déshonorerait, « démythifierait » l'enfance, le terroir, les affections personnelles et jusqu'à la cohérence de la vie en ses épisodes successifs. L'insolite et l'étrange qui parfois chez les romantiques et les symbolistes rouvraient la porte aux tendresses profondes, ne devaient plus suggérer que l'absurdité du néant. La profanation, regardée souvent par les niais comme le sursaut d'âmes généreuses mai comprises et en quête de lumière pure, ne fut et n'est toujours qu'un instrument dont l'usage d'abord littéraire et esthétique est en train de passer aujourd'hui dans les mœurs et la législation. Sachons au moins comment on nous a menés là, et l'histoire des idées contribuera, si Dieu le veut, à proposer à une génération nouvelle une démarche inverse, sans hésitations et sans ménagements.
Jean-Baptiste Morvan.
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Un centenaire oublié
### Paul Cazin
*1881 -- 1963*
par Jacques Urvoy
NÉ à Montpellier de parents bourguignons, Paul Cazin a surtout illustré Autun et Paray-le-Monial. Paray où il vécut enfant auprès d'une mère qui était « des femmes les plus pieuses de la ville, et la ville, des plus pieuses de la terre... comptant presque autant de couvents que d'auberges ». Il semble en revanche qu'il ait peu parlé du petit séminaire de Rimont (qui a sombré dans la tourmente conciliaire), où il poursuivit sa formation, « cette formation où prédomine l'élément religieux, qui ne fait pas d'emblée considérer ce bas-monde comme un comptoir ni la vie comme une affaire, mais développe la sensibilité et le souci de la perfection intérieure ».
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Paul Cazin est mort à Aix-en-Provence, où il avait enseigné la langue et la littérature polonaises ; mais il repose à Paray-le-Monial selon son vœu. On s'explique mal l'oubli profond où sont tombés ses œuvres et jusqu'à son nom. Pourtant ses deux premiers livres en particulier, *L'Humaniste à la Guerre* (1920) et *Décadi ou la pieuse enfance* (1921), connurent un réel succès d'estime : Gyp et Barrès encouragèrent ces débuts prometteurs d'écrivain, soutenus aussi dans la presse par des personnages aussi divers que Maritain, Ghéon, Jean-Jacques Brousson, par les prestigieuses *Nouvelles littéraires* d'alors et même, en 1934, par Bernanos.
Seul aujourd'hui Jean-Marie Paupert, qui édita en 1959 avec Daniel-Rops l'un des derniers ouvrages de Cazin (*L'Homme qui avait vu des choses,* Fayard), évoque ([^23]) le souvenir de son vieil ami morvandiau, « peut-être le plus grand écrivain mineur de l'entre-deux-guerres ».
Qu'il suffise de rappeler ici que, nourri des trois langues sacrées (hébreu, grec, latin), Cazin fut un des derniers témoins de l'humanisme chrétien des générations pré-conciliaires. Partant comme sergent d'infanterie dans les Hauts-de-Meuse en 1915, il plaçait sa campagne sous la double invocation de l'Odyssée et du Psautier, « livre terrible, bien propre à échauffer une cervelle de sectaire et souffler la folie de la persécution, le plus juif et le plus humain des livres, mais très pur miroir où chacun découvre son image, anatomie parfaite de toutes les parties de l'âme, arche sacrée du sentiment » :
*Domine, Domine, virtus salutis meae, obumbrasti super caput meum in die belli...*
Dans une des plus belles pages de *Décadi* ([^24])*,* sur laquelle on peut conclure, Paul Cazin montre combien la liturgie latine éclaire le mystère de la mort. L'enfant qu'un vieux républicain a surnommé Décadi demande à l'un des savants jésuites de Paray-le-Monial :
-- « Mais où vont-ils, les morts, mon père ?
-- « Sais-tu ce que dit ton catéchisme, au chapitre des fins dernières ?
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-- « Je le sais.
-- « Tu en sais donc autant que moi.
-- « Oh ! vous, mon père, vous êtes savant. Vous savez à quoi ressemble le paradis.
-- « Ce ne sont pas les plus savants qui en savent le plus long là-dessus, mon ami. Moi, je sais ce qu'en dit la sainte Église et ce que nous répétons, chaque jour, au canon de la messe. Quand nous faisons mémoire de ceux qui nous ont précédés avec le signe de la foi et qui dorment du sommeil de la paix, nous disons : « A ceux-là, Seigneur, et à tous ceux qui reposent dans le Christ, accorde, nous t'en supplions, un lieu de fraîcheur, de lumière et de paix. » Mais le latin est bien plus beau : *locum refrigerii, lucis et pacis, ut indulgeas deprecamur.* Voilà le paradis. Tu peux déjà comprendre, petit frelon, ce que la fraîcheur et la lumière ont de bon. Tu useras plus d'une paire de souliers avant de comprendre que le repos, la paix, la tranquillité sont le bonheur parfait. Mais tu sentiras un jour ce qu'il y a de douceur dans cette imploration : *ut indulgeas deprecamur ;* ce qu'il y a de sagesse dans cette confiance. Tu apprendras que les païens disaient : « S'il est un lieu réservé aux mânes des justes, si les grandes âmes ne s'éteignent pas avec le corps... » Ils doutaient. Nous, nous croyons. Ils se plongeaient, tête baissée, stupidement, disaient-ils eux-mêmes, dans la mort, comme dans une profondeur muette et obscure. Nous, nous ne cédons pas ; nous ne voulons pas mourir. Ils perdaient leurs morts ; nous ne perdons pas les nôtres ; nous les confions à Dieu : *ut indulgeas deprecamur...*
« Et Décadi s'en alla, roulant dans sa bouche cet « indulgeas » où ses dents s'enfonçaient comme dans la pulpe juteuse d'un bon fruit. Il n'aurait pas su répéter ce qu'avait dit le P. de La Sorbière, mais il sentait qu'au prix de ces belles choses, tout ce que pouvaient raconter les dames Langelure ou Bidolet, et autres théologiennes du carafon, n'était que rêves et fariboles. »
Jacques Urvoy.
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### Marie-Caroline
par Hervé Pinoteau
Jacques DINFREVILLE : *Le secret de Marie-Caroline, duchesse de Berry.* Pierre d'Esneval, éditeur, Mesnil-Jourdain, 27400 Louviers.
Pour être libre de toute contrainte, Jacques Dinfreville a été obligé de se passer des grands éditeurs parisiens et c'est ainsi qu'il a pu écrire en paix un livre commémorant le souvenir d'une femme attachante, la mère d'Henri V.
L'auteur ne cache pas sa sympathie pour cette petite princesse napolitaine, assez jolie et peu cultivée, que l'on maria à ce curieux balourd qu'était le duc de Berry, brave prince, mais gaffeur et noceur... mort saintement, en demandant la grâce de l'homme qui l'avait assassiné !
Mort Charles-Ferdinand d'Artois, bien mal en point paraissaient les espoirs de la dynastie : Artois n'avait qu'un fils, Angoulême, et ce dernier n'avait aucun enfant ; la duchesse veuve de Berry n'avait qu'une fille en vie après plusieurs fausses-couches... Les uns parlaient des Orléans, toujours prêts à prendre la suite, d'autres évoquaient la branche d'Espagne, désignée par son incontestable aînesse, malgré les renonciations.
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On comprend le « ouf » de soulagement quand on apprit que la duchesse était enceinte et qu'elle mit au monde un fils en la fête de saint Michel, le 29 septembre 1820. Dieu souriait à la France, Louis XVIII fit des largesses et le peuple montra son contentement... alors que les Orléans faisaient la plus mauvaise des grises mines, montrant un visible mécontentement à tous, même devant la mère, et allant jusqu'à faire imprimer des infamies qu'ils ne renieront visiblement point après 1830. Cela, Henri V le savait. De même qu'il avait souffert d'être privé de sa mère. Celle-ci n'avait point voulu se contenter de l'exil et avait essayé de soulever des provinces. L'aventure se déroula tristement. La courageuse princesse, qui se tenait pour régente de son fils, termina, par trahison, dans une forteresse, celle de Blaye. Là eut lieu l'humiliation qui abaissa la régente et tous les Bourbons de la branche aînée : Marie-Caroline accoucha en effet d'une fille, qu'elle déclara être issue de son mariage secret avec un comte sicilien. Dinfreville n'y croit guère, laissant entendre que l'amant et père était le comte Paul de Lavenne de Choulot. Quoi qu'il en soit, Marie-Caroline en fut totalement dévaluée et ne put véritablement plus vivre avec ses enfants, qui restèrent ainsi avec leur grand-père, Charles X, leur oncle, Louis XIX, puis avec la veuve de celui-ci, la « reine » Marie-Thérèse, fille de Louis XVI...
Bien que mariée à un comte de son royaume natal, Marie-Caroline resta jusqu'au bout la duchesse de Berry, ne portant pas d'autre titre, ni même d'autres armes. Elle vivait sur la fin, vieille et assez laide, mais française jusqu'au bout des ongles en son château de Brünnsee, à environ cinquante kilomètres de Gratz. Elle ne parlait que le français, alors que sa tante Marie-Amélie, reine des Français, rédigea toujours son journal en italien... ainsi que le remarque finement Dinfreville (p. 340, n. 1).
On est évidemment loin des calomnies engrangées dans les fameux mémoires de l'incroyable comtesse de Boigne. Notre auteur a fait son possible pour présenter au mieux une princesse dont la vie fut perturbée par un mariage de raison, un assassinat et une révolution, ainsi que par tout ce qui s'en suivit. « Si son mari le duc de Berry avait régné, Marie-Caroline, mûrie par l'âge et l'épreuve, aurait été une bonne reine de France aimée du peuple français, étincelante comme une luciole, appétissante comme une reine-claude, pieuse et sage telle Blanche de Castille... »
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Regrettons que les tableaux généalogiques aient été si mal rendus : traits oubliés ou en trop, cafouillage dans les rois carlistes, etc. n'aident pas le lecteur moyen. En outre quelques erreurs et confusions. P. 324 il est écrit que la princesse Caroline, demi-sœur de la duchesse de Berry, épousa le prince de Montemolin ; il s'agit en réalité du comte de Montemolin, alias don Carlos VI Luis, roi carliste, que l'on trouve en annexe 4 (mais il n'est pas le Charles XI des légitimistes, car, celui-ci, don Carlos VII, duc de Madrid, est fils aîné de Jean III, le cadet étant don Alfonso Carlos, alias Charles XII...). A la même page 324, il est dit que la comtesse de Chambord fut stérile. Vite dit ! Pourquoi pas Henri V ? Car enfin, Louis XVIII et Louis XIX le furent, ou si l'on préfère, n'eurent pas d'enfants. N'est-ce pas là une coïncidence dénotant une race fatiguée ? Sauf pour le duc de Berry, évidemment et Louis XVI.
Au sujet du duc de Berry, on a la stupeur de voir évoqué dans cet ouvrage le mariage du duc de Berry avec Amy Brown. C'est là une vieille fadaise, tranchée au plus haut niveau par la justice française (la cour de cassation) en relation avec l'affaire Freeman. Femme « au grand cœur » de la société londonienne, la Brown eut des enfants de plusieurs personnes, dont deux filles bâtardes du duc de Berry. L'aînée, titrée comtesse d'Issoudun, fut mariée à un Faucigny Lucinge, et la cadette, comtesse de Vierzon, à un Charette, noms on ne peut plus honorables, mais point dynastes. On pardonnera à l'auteur et on le remerciera pour tout le reste qui est si positif.
Hervé Pinoteau.
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### Démolition et résistance au diocèse de Campos
par Julio Fleichman
POUR un pays d'une si grande population (plus de 100 millions d'habitants) le Brésil a un nombre singulièrement faible de fidèles catholiques fermes dans la défense de la foi contre le « progressisme » qui détruit l'Église. Avec environ un tiers de la population du Brésil, l'Argentine possède un groupe de défenseurs de la tradition catholique bien plus important. Cependant, il y a eu au Brésil un phénomène unique au monde : un diocèse, et assez étendu, a pu être préservé pendant vingt-deux ans des ébranlements et du venin qui a empoisonné tous les autres diocèses du monde tout au long de la crise qui ravage l'ensemble de la chrétienté à partir du pontificat de Jean XXIII. Cette crise est devenue aiguë et dramatique après la clôture du Concile Vatican II, et surtout après l'adoption de la nouvelle messe en novembre 1969.
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Dans le diocèse de Campos au Brésil, l'action énergique, tranquille et discrète de l'évêque Dom Antonio de Castro Mayer, n'a jamais admis ni la nouvelle messe, ni le « nouveau » langage adopté par les évêques du monde entier ainsi que par le pape Paul VI. Langage qui, chaque jour, devient de plus en plus fortement en désaccord avec le langage qui caractérisait la manière catholique de parler pendant vingt siècles. Ainsi le diocèse de Campos a pu être préservé pendant toutes ces années de crise comme le seul diocèse du monde qui soit demeuré entièrement catholique dans la continuité de ses normes disciplinaires et de ses rites, de sa mentalité, de son langage, de son enseignement et de sa spiritualité. Ce diocèse qui occupe une surface très étendue a comme centre la ville de Campos (environ 400.000 habitants) mais il comporte en outre plusieurs autres villes d'une certaine importance, en règle générale les villes prospères d'une région productrice de sucre : Sâo Fidelis, Itaperuna, Santo Antonio de Padua, Miracema, Bom Jesus de Itapaboana, villes qui ont en moyenne 50.000 habitants chacune.
Cette longue fidélité, c'est évident, n'a pu être maintenue sans combat. La Conférence épiscopale brésilienne (C.N.B.B.) a toujours cherché à déconsidérer Dom Antonio à Rome, en même temps qu'elle cherchait les moyens de limiter son action. C'est ainsi que la C.N.B.B. a cherché à opérer la division du diocèse : il y a eu un projet complet. Pourquoi n'ont-ils jamais réussi ? On ne sait pas. Des rumeurs disent qu'il y eut une sorte de trêve obtenue par le cardinal-archevêque de Porto Alegre, Dom Vicente Scherer. Mais ces rumeurs n'ont pas pu être confirmées.
Pendant que le pape Jean-Paul II était hospitalisé à la suite de l'attentat du 13 mai 1981, le cardinal Baggio (avec ou sans la permission du pape) a écrit à Dom Antonio pour le prier de se retirer du diocèse, en invoquant le prétexte qu'il avait déjà dépassé l'âge de 75 ans. Dom Antonio a jugé devoir accepter après qu'il eût écrit au pape une demande de confirmation et que celle-ci lui ait été envoyée. Le nouvel évêque désigné pour le diocèse de Campos, Dom Carlos Alberto Navarro, était l'évêque auxiliaire, depuis 6 ans, du cardinal de Rio de Janeiro, Dom Eugênio Salles. Celui-ci est un homme vindicatif qui sait feindre la modération. A la différence des évêques du genre Helder Câmara ou du cardinal Arns de Sâo Paulo, qui inclinent vers le marxisme, Dom Eugênio incline plutôt vers l'horizontalisation du catholicisme. Il aime tout ce qui est œcuménique, il a toujours eu un intérêt particulier pour les sectes africaines.
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A cause de cela, pendant que les évêques du genre Helder Câmara ou Arns ont toujours manifesté un manque d'intérêt à propos des messes que l'on célèbre dans leur diocèse à condition de ne pas faire de bruit, Dom Eugênio, quant à lui, a une rancune implacable et pleine de zèle contre tout ce qui est traditionnel. Il a toutes les tolérances avec les macumbeiros ([^25]). Mais il est implacable dans son refus de tolérer la messe que l'Église a toujours célébrée. C'est pour cette raison que Dom Eugênio assume la charge de superviser l'œuvre de démolition de ce qui avait été préservé à Campos. Cette œuvre de démolition du nouvel évêque a commencé tout de suite après sa nomination.
#### *L'œuvre de démolition*
Comme le recommandait Machiavel et comme c'est devenu le trait caractéristique de notre monde moderne, la diffamation a été et continue à être la première arme des démolisseurs.
Le nouvel évêque porte la responsabilité première et directe dans ce processus. En effet, de lui, de ses déclarations et de ses lettres sont nées des rumeurs diffamatoires, suivies de démentis pleins de ruses, chaque fois que les diffamateurs craignaient un procès canonique ou judiciaire.
La première rumeur diffamatoire est apparue tout de suite après la prise de possession de Dom Navarro. L'évêque aurait rencontré la maison épiscopale vide, avec un vieux frigidaire, quelques meubles cassés et seulement 500 cruseiros dans un coffre. Toutefois les journaux se sont emparés de cette rumeur. Il est curieux de noter que les journaux, tous, sentent qu'ils doivent être du côté du progressisme, même quand ils sont entièrement indifférents ou hostiles à la religion. Quand, cependant, les rumeurs prirent du volume, le nouvel évêque de Campos lui-même, dans une lettre adressée au journal *O Globo* de Rio de Janeiro, a démenti avoir trouvé la maison épiscopale dans cet état.
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Le nouvel évêque a commencé son activité pastorale par la démission du Chancelier de la curie et vicaire de la Cathédrale de Campos, l'abbé Conrado Fischer, homme de confiance de Dom Antonio de Castro Mayer. Il est allé ensuite visiter la ville d'Itaperuna. Là, reçu avec tous les honneurs et respects dus à sa condition d'évêque, il s'est senti « offensé » parce que le vicaire de la paroisse de Vinhosa et une grande partie du peuple se sont retirés de l'église au moment où il commençait à célébrer la messe selon le rite de Paul VI. Il faisait ainsi semblant de ne pas savoir ce que tous les prêtres fidèles de Campos lui avaient déjà dit verbalement : que pour des raisons de conscience, par un motif de défense de la foi, ils ne pouvaient pas accepter le « nouvel Ordo » de Paul VI. Le vicaire de Vinhosa étant démis de sa charge à la suite de ces événements, les autres prêtres fidèles du diocèse (alors 23 prêtres) adressèrent à l'évêque une longue lettre dans laquelle ils signalaient par écrit et publiquement pourquoi ils ne pouvaient accepter le « nouvel Ordo », selon leur conscience, se référant à la crise qui ravage l'Église, aux réserves soulevées contre la nouvelle messe par les cardinaux Ottaviani et Bacci, au fait que le « nouvel Ordo » n'engage pas l'infaillibilité papale. Ils citaient saint Bellarmin et saint Thomas d'Aquin pour signaler que leur résistance n'est pas une désobéissance mais un drame de conscience de personnes qui veulent défendre leur foi et qui la voient menacée. Ils terminaient leur lettre en réitérant que, ne pouvant transiger dans une question qui a rapport à la foi, l'attitude qu'ils ont prise n'est due ni à un manque de respect ni à un manque d'obéissance soit en relation à leur nouvel évêque soit en relation au pape.
A cette lettre respectueuse qui soulevait une objection de conscience catholique à leur pasteur, ce même pasteur a répondu avec une méchanceté peu commune, insinuant une diffamation contre le groupe de prêtres résistants catholiques. L'évêque, Dom Navarro, faisait publier une lettre dans les journaux du 14 janvier 1982 dans laquelle il disait que la question soulevée par les prêtres serait tranchée par Rome, mais il ajoutait sous la forme d'une interrogation : « Est-ce qu'ils ne veulent pas avec cela détourner l'attention de la vente des terres ? »
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Comme toute diffamation, la réfutation de celle-ci demande des longues explications. Un prêtre du diocèse de Campos, Monseigneur ([^26]) Ovidio Simon, âgé de 75 ans, prêtre depuis 50 ans, 31 dans le diocèse et 24 dans la paroisse de Sâo Fidelis, avait été chargé de gérer les biens immeubles de la curie diocésaine pendant les longues années durant lesquelles Dom Antonio de Castro Mayer a été évêque à Campos. En cette qualité il avait les procurations de la curie et il effectuait des transactions d'achat ou de vente d'immeubles. Peu après l'entrée en charge du nouvel évêque, celui-ci a révoqué les procurations données par son prédécesseur, déclarant qu'il allait procéder à une « vérification des comptes ». Cette déclaration était accompagnée d'un certain apparat public sans toutefois qu'il ait accusé personne à cette occasion. Avec l'insinuation de la lettre signalée plus haut, tous les journaux se sont mis à publier de longs reportages avec la photo du malheureux prêtre en citant des sommes imaginaires qui auraient été détournées, des ventes illégales de terres, des enquêtes sévères conduites par l'avocat du nouvel évêque, etc. Le *Journal du Brésil* et *O Globo* du 17 janvier 1982 ont insisté sur ce sujet. Le premier est avec sa première page et toute une page interne pleine de scandales et de diffamations avec le titre « Le Diocèse de Campos a vendu 60 millions en immeubles avant le départ de Dom Antonio ». Le journal *O Estado de Sâo Paulo* du 15 janvier 1982 dit qu'on évalue à 4.050.000 l'argent qu'on a laissé remettre au siège épiscopal. Dans le même numéro, ce journal insiste sur l'histoire selon laquelle le nouvel évêque aurait trouvé la maison épiscopale avec à peine un vieux frigidaire et quelques vieux meubles cassés.
Sentant une certaine peur, l'avocat du nouvel évêque a remis au *Journal du Brésil* une lettre où il dément qu'on aurait signalé quelques irrégularités dans les comptes remis au nouvel évêque. Il contestait seulement l'usage des procurations données par l'ancien évêque après que le nouveau eût déjà pris possession de sa charge. Or cela est normal, surtout quand il s'agit de signer les contrats définitifs de l'achat et de la vente d'immeubles qui faisaient l'objet de promesses signées auparavant. L'avocat ajoutait que l'inventaire des biens de la curie continuait à être fait « sans que cela signifie une enquête dans le diocèse », mais seulement parce que le registre dans les archives diocésaines n'était pas suffisant ; et l'avocat ajoutait que « toutes les conversations tenues avec les anciens procureurs se sont déroulées d'une manière cordiale et polie sans aucune animosité... etc. ». Évidemment cette lettre a été publiée en petits caractères dans la section « lettre des lecteurs » du *Journal du Brésil* du 19 janvier 1982, mais ce journal, ni aucun autre, ne s'est jugé dans l'obligation de désavouer aucune des affirmations diffamatoires faites auparavant.
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Malgré que les conversations fussent cordiales et qu'il s'agissait seulement d'une prestation de compte normale comme dit la lettre de son propre avocat, le nouvel évêque n'a pas eu de scrupules à insinuer (dans la lettre citée ci-dessus et qui est à l'origine de tout ce bruit) que l'angoissante objection de conscience de ces prêtres avait, peut-être, eu comme seul but de détourner l'attention du problème des ventes de terres. A cause de cela, même après la publication de la lettre de l'avocat, la revue *Veja* (une espèce d'imitation brésilienne de *Time magazine*) dans son numéro du 20 janvier 1982, a publié un reportage d'une page entière avec des photos en couleurs dans laquelle il était dit : « Tout de suite après la prise de possession, Dom Carlos a ordonné une enquête dans les papiers secrets (*sic*) du diocèse et a découvert (*sic*) que quelques (*sic*) prélats achetaient et vendaient des terrains de l'évêché... et qu'ils ont lésé l'Église d'environ 25 millions de cruseiros. » Inutilement, les fidèles de Sâo Fidelis ont écrit au *Journal du Brésil* une lettre datée du 4 février 1982, montrant l'absurdité infamante soulevée contre Monseigneur Ovidio Simon. La diffamation a suivi son cours.
La troisième diffamation a surgi quand le nouvel évêque, toujours lui, a été à l'origine d'une nouvelle rumeur, les traditionalistes selon lui l'avaient menacé de mort.
Ainsi les prêtres catholiques de Campos sont devenus suspects de pousser les fidèles à menacer de mort un évêque. Encore un de ces « terrorismes de droite » qui merveilleusement ne bénéficient qu'à la gauche, comme par exemple, « l'agression » subie par le gauchiste catholique Dallari, la veille du jour où il devait lire l'épître à la messe que le pape a célébrée à Sâo Paulo. La même technique a été employée à Campos et son origine est comme toujours dans les paroles publiées par le nouvel évêque (12/6/82).
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#### *Le débat théologique*
Malgré que la population locale dans sa majorité (mais non dans son unanimité) soit du côté des prêtres traditionalistes, les grands journaux des grandes villes ont cherché invariablement à minimiser l'importance du groupe résistant. Les évêques de gauche, qui sont protestantisés, ont pris de leur côté la même attitude dès le début. Dom Eugênio Salles a dit expressément qu'il n'était pas préoccupé parce que « il s'agit d'un groupe extrêmement petit, et, il me semble, quelque chose de passager ». Des évêques de la C.N.B.B. ont grossi la rumeur avec des clameurs diffamatoires ou minimisatrices vis-à-vis de ce qui se passait : « C.N.B.B. condamne les 23 prêtres qui se sont rebellés à Campos » (*O Dia* du 13.1.82). « Les prêtres de Campos veulent une société d'élitistes », a dit l'évêque de Bauru, le tristement fameux Dom Candido Padim (*O Globo* du 15.1.82). Le Primat du Brésil Dom Avelar Brandao (le même qui a célébré une messe dans un temple maçonnique) menace les « rebelles » et Dom Luciano Mendès de Almeida, secrétaire du C.N.B.B., fait de même. Tous posent la question en termes de « rébellion », « désobéissance », « irrévérence à l'égard du pape », « fanatiques », « réactionnaires ».
De part et d'autre, prêtres et nouvel évêque écrivent à Rome en déposant dans les mains du pape, les uns, une supplique pour la reconnaissance de la légitimité de leur cause et l'autre, une demande de sanctions en présentant le scandale de « l'insurrection » des prêtres appelés « subversifs ». Évidemment le débat se joue entre de simples prêtres d'un côté et le nouvel évêque de l'autre, mais tous savent qu'avec les prêtres il y a leur ancien évêque qui ne les a pas abandonnés, Dom Antonio de Castro Mayer, en même temps que, comme il est dit plus haut, derrière le nouvel évêque de Campos s'élève la figure rancunière du cardinal de Rio de Janeiro, Dom Eugênio Salles.
La position théologique des deux parties s'affronte comme dans un dialogue de sourds. Dom Antonio et ses prêtres, dans toutes leurs déclarations (et plusieurs ont été faites et déjà publiées), insistent toujours : nous ne sommes pas des rebelles, nous ne manquons de respect vis-à-vis de personne, nous ne pouvons pas mettre en termes d'obéissance ce que nous considérons évidemment comme une irrévérence des autorités ecclésiastiques en place à l'égard de ce qui a déjà été défini par les autorités catholiques du passé et qui a été ainsi incorporé définitivement à la Tradition. A Campos comme partout ailleurs, la crise s'est concentrée sur la question de la messe malgré que ce qui sépare les catholiques fidèles des catholiques « aggiornados » ne se limite pas au problème de la messe. Cette crise est au « carrefour » de toutes les erreurs, comme l'a déjà dit saint Pie X à propos du modernisme, forme initiale du « progressisme » actuel.
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Malgré qu'il s'agisse d'un empoisonnement subreptice de toute la spiritualité catholique et que tout devienne corrompu (messe, catéchisme, langage des évêques et des papes, rites des sacrements, utilisation de la Vulgate, mode de formation des prêtres, enseignement des enfants, etc.), en fait la crise s'est concentrée, en ce qui regarde la discussion pratique, journalière, dans cette question de la messe. Les autorités progressistes (qui se gardent bien de s'avouer telles) privent cruellement les catholiques, qui résistent pour la défense de leur foi, de l'accès à leur principal devoir du culte et de la pratique des sacrements tels que l'Église les a toujours pratiqués : et cela au moment où ces mêmes autorités prêchent au nom de la dignité humaine le « devoir » de « respecter » toutes les sectes, toutes les macumbas ([^27]) et tous les rituels des terreiro ([^28]).
C'est aussi dans le refus de célébrer le nouvel ordo et d'assister à sa célébration par le nouvel évêque que s'est concentrée pratiquement la résistance catholique des prêtres fidèles de Campos.
Pour cette raison, les autorités ecclésiastiques actuelles opposent à toute objection la pure et simple réitération d'un ordre : « obéissez », « rebelles », « insoumis », ajoutant que, refusant le nouvel ordo, ils sont en train de manquer de respect au pape.
Dom Antonio de Castro Mayer, interrogé, a déclaré aux journaux du 16/1/82 que la volonté du pape, pour digne de respect qu'elle soit, ne jouit pas de la prérogative de l'infaillibilité.
Il explique : « Les papes ne peuvent rien prescrire contre la Tradition. » « On ne peut suivre leurs enseignements que lorsqu'ils sont fidèles à la Tradition catholique. »
Quelques jours après, les journaux du 18/1/82 publiaient la réponse de Dom Eugênio Salles : « *Le pape est infaillible.* » Il ajoutait : « Le pouvoir du pape est total, il est infaillible. » Le journal qui l'a interviewé (*O Dia* du 18/1/82) a dit encore : « Le cardinal de Rio de Janeiro voit une querelle de mots dans la définition du pouvoir limité ou illimité du pape. » « La question, dit-il, ne s'applique pas au cas de Campos, où le pape a tout pouvoir d'imposer à ses prêtres le respect des normes de l'Église. Dans le cas présent le pouvoir du pape est illimité (*sic*) et ils (les prêtres) n'ont personne à qui recourir... »
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Plus tard les prêtres fidèles préciseront à ce propos : « Le pouvoir du pape est suprême mais non pas illimité. S'il y avait une controverse au sujet d'une doctrine pour savoir si elle est conforme ou non à la Tradition, alors le pape, utilisant son charisme d'infaillibilité, pourrait trancher la question. Mais dans le cas présent il n'y a à proprement parler, aucune controverse puisque les dogmes eucharistiques et les vérités non explicitées dans la messe nouvelle ont déjà été clairement définis par le magistère de l'Église ; et les hérésies favorisées par la messe nouvelle ont déjà été condamnées une fois pour toutes. Donc en ne suivant pas la nouvelle messe nous sommes en train de suivre la Tradition clairement interprétée par le Magistère de l'Église. »
Malgré que les positions de chaque côté soient ici décrites d'une manière sommaire nous pouvons résumer les positions de chaque côté et dire, qu'au fond, ce qui est en jeu c'est le caractère de catholicité ou de non-catholicité des chemins ouverts par les directives libérales de l'Église depuis Paul VI.
Nous sentons, nous apercevons, nous constatons un autre esprit. Nous refusons de les suivre dans le chemin qu'ils suivent. Nous apercevons aujourd'hui de quel guet-apens nous avons été délivrés par un miracle du ciel. En sachant bien que l'obéissance, vertu chrétienne surnaturelle, n'a de sens que si elle est au service de la foi et non pas la foi au service de l'obéissance.
Les journaux ont cherché appui auprès du Nonce Dom Carmino Rocco mais ils sont sortis déçus. L'un d'eux, le *journal du Brésil*, a publié, malgré cela, dans son numéro du 16/1/82, que le Nonce ne trouvait pas que l'attitude des prêtres de Campos était une désobéissance.
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#### *La séquence des faits*
Les évêques et les prêtres ayant écrit à Rome chacun de leur côté, les faits se sont succédé dans l'ordre suivant le nouvel évêque, sans attendre la réponse, ferme le séminaire « Maria Imaculada » en incitant les séminaristes (environ 20 séminaristes en comptant le grand et le petit séminaire) à se transférer au séminaire de Rio de Janeiro, ce qu'aucun d'eux n'accepte. Dans toutes ses visites pastorales aux paroisses de Campos dont la plupart sont tenues par un des « 25 de Campos », le même spectacle se répète. Reçu avec tous les signes de respect, le nouvel évêque, au moment où il commence sa messe nouvelle, voit le curé (qui l'en avait averti) quitter l'église, suivi de la plus grande partie des fidèles ; en règle générale plus des deux tiers des personnes présentes. Ceux qui ne sont que « vicaires » sont alors démis de leur charge, comme c'est déjà arrivé à Bom Jesus, à Itapaboana, à Itaperuna, à Vinhosa... Les fidèles font des processions et des actes publics d'appui aux prêtres traditionalistes, et à Bom Jesus de Itapaboana ils s'efforcent, en accord avec les autorités publiques locales, d'obtenir du nouvel évêque le maintien de leur vicaire qui depuis 23 ans desservait la paroisse. Mais cela sans aucun résultat.
Dans toutes les messes, les prêtres traditionalistes, prévoyant le pire, enseignent, avertissent, exhortent la population en expliquant les raisons de leurs objections, la nature, l'étendue et la virulence du progressisme qui a envahi et occupé l'Église. Ils cherchent à éclairer les fidèles surtout au sujet du caractère non catholique des positions progressistes adoptées par les autorités ecclésiastiques.
Au début de juillet 1982, la Congrégation romaine pour le culte divin, en une lettre signée par son pro-préfet, Mgr Casoria, et par son secrétaire, Mgr Virgilio Noé (sur lequel nous avons de mauvais renseignements) donne sa réponse aussi bien aux prêtres qu'au nouvel évêque, en insistant sur « l'obéissance », ajoutant que les raisons de conscience invoquées par les prêtres avaient été « dûment répondues » en leur temps (ce qui n'est pas vrai). La lettre ajoutait que mettre en doute l'orthodoxie de la nouvelle messe signifie mettre en doute l'orthodoxie de Paul VI et Jean-Paul II. Le nouvel évêque, à la réception de cette lettre publie un décret fixant le jour du 25 septembre 1982 comme date limite pour que les prêtres de Campos fassent connaître leur soumission inconditionnelle et la date du 25 octobre 1982 pour commencer effectivement à dire la messe selon le nouvel Ordo de Paul VI. Le décret est accompagné de menaces invoquant des articles du code du droit canonique : destitution des charges, suspense et même réduction à l'état laïque.
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A la veille du jour limite les prêtres ont remis à leur évêque leur réponse : ils réitèrent leur position de fidélité à la tradition catholique et soulignent qu'il s'agit d'une question de conscience concernant la foi elle-même. Ils citent les plus renommés docteurs de l'Église (surtout saint Thomas et saint Robert Bellarmin) pour signaler qu'en matière de foi ils ne peuvent transiger avec personne, selon l'enseignement de saint Paul. Quant à l'allégation que, refusant le nouvel Ordo, ils mettent en doute l'orthodoxie de Paul VI et de Jean-Paul II, ils demandent : ceux qui ont approuvé le nouvel Ordo n'ont-ils pas par hasard mis en doute les conclusions du Concile de Trente et des papes Paul IV et saint Pie V qui les avaient approuvées ? Ils réitèrent ainsi leur non possumus. Réponse semblable est envoyée au pro-préfet romain Dom Casoria.
Finalement, environ un mois après, le nouvel évêque de Campos a commencé à exécuter ses menaces. Le journal *O Globo* du 10/11/82, encore mal instruit dans l'art des contorsions intellectuelles des progressistes, a dit avec raison en notifiant le fait : « L'évêque punit les traditionalistes. » Les prêtres fidèles de Campos sont punis parce qu'ils veulent se maintenir comme l'Église l'a toujours voulu. Parce qu'ils veulent prier comme l'Église a toujours prié. Parce qu'ils veulent la messe que l'Église a élaborée au long de sa vie terrestre : la messe qui est arrivée à sa forme définitive aux environs du X^e^ siècle et que le Concile de Trente et le pape saint Pie V ont fixée d'une manière immuable pour toujours. A cause de leur attachement à cela encore 2 des 25 prêtres de Campos, les curés de Miracema et d'une autre petite ville ont été démis.
L'évêque qui les a punis a cherché comme toujours à cacher l'évidence de ce qu'il avait fait. Il annonce qu' « il ne s'agit pas d'une punition » mais seulement d'une « dispense ». Il dit que cette « dispense » regarde seulement les prêtres provenant d'autres diocèses, (mais qui depuis des années desservaient des paroisses à Campos). Qu'il s'agissait seulement d' « un processus de rénovation à l'occasion du premier anniversaire de sa nomination comme évêque de Campos » (*Journal du Brésil* du 10/11/82).
Ainsi, si l'un de nous, esprit critique, rappelle que ces deux prêtres, maintenant « dispensés », font partie du groupe des « 25 », le nouvel évêque certainement dira qu'il s'agit d'une simple coïncidence, n'est-ce pas ? et son hypocrisie raffinée ne se souviendra pas que, se refusant à admettre qu'il a puni des traditionalistes (comme a bien dit le journal *O Globo*), il entre en contradiction avec son décret qui menace de punir.
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Ainsi ces libéraux, comme tous les libéraux, arrivent à l'évidence de leur hypocrisie et de leur inconsistance. Pour ma part, je leur dis qu'après avoir pris à la maçonnerie la devise des droits de l'homme, le caractère philanthropique de leur « option pour les pauvres », il leur manque de compléter leur propre tableau en disant avec les maçons libéraux : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Qu'ils le disent. Ils n'ont pas d'autre issue. Quant à nous, prions, fermes dans la foi, pour notre propre fermeté et celle de nos frères, prêtres authentiques de Campos.
Julio Fleichman.
107:271
### Un jubilé marial
*A propos du 125^e^ anniversaire\
des apparitions de Lourdes\
et du bimillénaire de la naissance\
de la Sainte Vierge*
par Jean Crété
L'ANNÉE 1983 est celle du 125^e^ anniversaire des apparitions de la Sainte Vierge à Lourdes. Ceux d'entre nous qui ne sont plus tout jeunes se souviennent des fêtes du centenaire, en 1958, qui eurent un grand éclat et attirèrent plus de huit millions de pèlerins à Lourdes ; ce furent les dernières solennités du pontificat de Pie XII, qui devait mourir le 9 octobre 1958. Voilà un siècle, le 25^e^ anniversaire des apparitions avait été célébré très solennellement, et Léon XIII avait accordé aux pèlerins de Lourdes une indulgence jubilaire.
En 1979-1980, nous avions indiqué dans le calendrier le 2^e^ millénaire de l'Immaculée-Conception et de la nativité de la Sainte Vierge, tout en observant que ce calcul était conjectural.
108:271
Quelques personnes éminentes, dont l'abbé Richard et l'abbé Henry, étaient d'accord avec nous pour célébrer en 1979-1980 ce bi-millénaire de Marie. Des démarches faites alors à Rome n'avaient obtenu qu'un simple accusé de réception de la secrétairerie d'État.
La période 1979-1980 avait été choisie compte tenu du décalage de quatre ou cinq ans qui sépare le début de l'ère chrétienne de la date réelle de la nativité de Notre-Seigneur. Une dernière occasion se présentait de célébrer le bi-millénaire de Marie : c'était de ne pas tenir compte du décalage et de célébrer ce bi-millénaire seize ans avant l'an 2000, soit le 8 décembre 1983 et le 8 septembre 1984. De nouvelles instances ont été faites auprès du saint-père, par l'intermédiaire de son secrétaire particulier. Une fois de plus, la réponse est venue de la secrétairerie d'État, mais cette réponse n'est plus un simple accusé de réception ; elle aborde la question de fond.
Voici la traduction du passage essentiel ; nous laissons en italien une incise dont le sens est à examiner :
« ...*En ce qui concerne la proposition susdite, je me fais un devoir de vous signifier qu'elle a été étudiée par les organismes compétents, compte tenu surtout des bonnes dispositions qui l'ont inspirée. Toutefois,* IN OSSEQUIO A VENERATO INCARICO, *je vous communique que pour divers motifs on n'a pas reconnu opportun de l'accueillir.* »
La lettre est signée par le substitut de la secrétairerie d'État, Monseigneur Martinez.
L'incise : IN OSSEQUIO A VENERATO INCARICO se traduit littéralement : *en obéissance à la vénérée commission* ou *au vénéré mandat.* Elle laisse supposer que la commission ou le mandat de répondre a été donné par une personne digne de vénération : le pape lui-même ? ou le secrétaire d'État ? Quoi qu'il en soit, la Rome conciliaire juge inopportune la célébration du bimillénaire de Marie. On a pourtant bien célébré le quinzième centenaire de la naissance de saint Benoît en 1980, alors que la date en est encore plus conjecturale que celle de la naissance de Marie. Saint Benoît a très bien pu naître dix ou quinze ans plus tôt, alors que pour la Sainte Vierge la marge n'est guère que de cinq ou six ans : elle a pu naître entre 20 et 25 avant l'ère chrétienne. Mais le centenaire de saint Benoît ne gênait personne ; alors que la célébration du bi-millénaire de Marie indisposerait les œcuménistes et modernistes de tout genre, très attentifs à faire observer le décret conciliaire qui recommande d'éviter *toute exagération* dans le culte rendu à Marie. Le moins qu'on puisse dire est que la tendance du clergé moderne et des « militants » n'est pas précisément d'exagérer le culte rendu à la Sainte Vierge.
109:271
Jean-Paul II a déjà fait deux allusions dans des documents officiels au grand jubilé de l'an 2000 qu'il espère bien présider ; il n'aura alors que 80 ans. Rappelons que les jubilés de 1800, 1850, 1875 et 1900 n'ont pu être célébrés en raison des circonstances politiques. Il est donc bien téméraire d'annoncer vingt ans d'avance le jubilé de l'an 2000 ; alors que la célébration d'un jubilé marial serait à notre portée. L'Église conciliaire ne célébrera pas le bi-millénaire de Marie. Nous l'avons célébré de notre mieux en 1979-1980. Ceux qui ne se sont pas unis à nous alors peuvent le célébrer en 1983-1984. Ils accompliront un acte agréable à Dieu dont la volonté est que les louanges dues à la Mère de Dieu soient célébrées par son Église en toute occasion opportune.
Jean Crété.
110:271
## In memoriam
### Georges Bidault
Il avait rang d'ancien chef d'État, puisqu'il avait été en 1946 président du gouvernement provisoire de la République. Aujourd'hui les maîtres de cérémonie du régime omettent de lui donner ce titre, ils l'ignorent ou volontairement l'effacent. Mais ce n'est point cette grandeur d'établissement, issue de la résistance gaullo-communiste, que nous saluons. Nous saluons l'homme qui avait dépouillé son rang, ses honneurs, la tranquillité dorée qui lui était offerte, pour défendre la nation française d'Algérie victime d'un génocide politique. Nous saluons l'exilé, chassé de tous les pays d'Europe. Nous saluons le chef du Conseil national de la résistance à l'abandon criminel de l'Algérie.
Georges Bidault vient de mourir à l'âge de 83 ans. Abandonné par la plupart de ses anciens amis. Il était à contre-courant, parce que c'était le courant qui abaisse et décompose la France. La version officielle le décrit comme tombé dans le dérisoire, terminant sa vie dans l'oubli : il y accompagnait la patrie en deuil, bafouée par des chefs indignes.
111:271
Nous ne venions certes point de la même paroisse. Nous nous sommes retrouvés pour subir ensemble le sort contraire qui accable notre pays. Dans l'adversité, Georges Bidault a donné l'exemple du courage, de l'honneur, de la fidélité. Il a toujours conservé aussi la hauteur qui convient en face de ceux qui, par la défaite de la France, ont gagné la guerre d'Algérie et leur bataille pour le pouvoir. Quand les Raymond Barre et les Jean Foyer refusaient une complète amnistie, il était déjà atteint à mort, il leur a lancé sa dernière parole : -- Ne nous rendez pas trop difficile de vous pardonner ([^29]).
Jean Madiran.
#### L'honneur et la fidélité
C'est en 1954, par le choc avec Mendès l'Anti-France dans la guerre d'Indochine, que va se modifier radicalement sa situation dans la géographie politique. Dien-Bien-Phu est tombé le 7 mai. Depuis l'année précédente, Georges Bidault est redevenu ministre des affaires étrangères. Il était partisan d'une intervention américaine contre les Viets pour dégager Dien-Bien-Phu dans la bataille qui a commencé le 13 mars. Mais il n'est pas suivi par les autres dirigeants français. Déjà en juin 1953, alors qu'il était président du conseil désigné par le président de la République pour former le gouvernement, il avait été refusé par l'Assemblée nationale. L'influence de Mendès commençait à grandir : Mendès qui réclamait depuis des années l'ouverture d'une négociation-capitulation directement avec Ho-Chi-Minh. Dans les milieux gouvernementaux, Bidault devenait l'homme de la résistance au communisme, il allait être combattu là-dessus et progressivement isolé pour cela.
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Le courant Mendès contraint le gouvernement français aux négociations de Genève avec les communistes : Bidault s'y rend mais ne lâche rien. C'est alors que Mendès se taille un triomphe à l'Assemblée nationale en tenant le discours exact qui est à Genève celui de l'ennemi. Le gouvernement renversé, Mendès arrive aux affaires. Ayant accepté d'avance les conditions communistes, il conclut facilement une « paix » qui est l'abandon de l'Indochine par la France.
A partir de cet épisode, la politique française va basculer dans un sens, celui de la non-résistance à la montée du communisme dans le monde, et Georges Bidault, en sens contraire, va confirmer et renforcer son anti-communisme militant. Il est particulièrement indigné par l'attitude de l'épiscopat et de la presse catholique d'appellation contrôlée, qui condamnent l'anticommunisme « négatif » et ne trouvent jamais aucun anticommunisme assez « positif » pour être déclaré acceptable.
Quand je le rencontre en 1955 après avoir publié *Ils ne savent pas ce qu'ils font,* il me salue comme un « adversaire » dont il souhaite l'alliance contre le progressisme chrétien, et spontanément il m'ouvre plusieurs portes au Vatican. Nous n'imaginions encore, ni lui ni moi, à quel point il était déjà fort tard.
La démocratie chrétienne
« Adversaire », oui, car il venait de la démocratie-chrétienne. Il ne l'a d'ailleurs jamais quittée : c'est elle qui l'abandonna, pour suivre au fil de l'eau le courant dominant, où elle a d'ailleurs disparu.
113:271
Né en 1899 à Moulins, élève des jésuites, étudiant à Paris, agrégé d'histoire, professeur en province puis à Louis-le-Grand jusqu'à la guerre, volontaire pour le front en 1940, prisonnier puis rapatrié, à nouveau professeur, à Lyon en 1942-1943, il avait commencé sa carrière politique en 1934 comme éditorialiste de *L'Aube,* le quotidien démocrate-chrétien. En 1943, il remplace Jean Moulin à la tête du Conseil national de la résistance ; à ce titre il accueille le général de Gaulle à Paris en 1944*,* il est ministre des affaires étrangères, en mai 1946 chef du gouvernement provisoire de la République. Il fonde le MRP dont il sera président, puis président d'honneur. Sans avoir subi la contamination philosophique du marxisme, il fut longtemps, dans la résistance puis dans le « tripartisme », l'allié politique, méfiant mais forcément solidaire, du parti communiste. Il partagea complètement ce que Soljénitsyne a dénoncé comme la plus grave erreur des démocraties occidentales depuis 1941 : l'alliance avec l'URSS. Lorsque le changement des circonstances lui parut réclamer un changement d'attitude sur ce point, alors ses amis politiques et ses alliés de gauche commencèrent presque tous à s'éloigner progressivement de lui : c'était à leurs yeux une évolution à droite, faute inexpiable, péché sans rémission.
Son échec à l'Assemblée nationale au mois de juin 1953 était un signe. En avril 1958*,* lorsqu'il est pressenti comme président du conseil, dans la IV^e^ République à l'agonie, il renonce à former le gouvernement sans même aller devant l'Assemblée : il mesure combien a décliné son influence sur la classe politique. Deux mois plus tard, pour renverser la tendance, il fondera un nouveau mouvement, « Démocratie chrétienne de France », la précision nationale de la dénomination ayant une intention résolument patriotique et anti-communiste. Mais l'épiscopat, qui a viré à gauche en 1945, y est ancré de plus en plus et pour longtemps, il ne veut plus de Bidault : un parti démocrate-chrétien rejeté par l'épiscopat n'a évidemment aucune chance démocratique.
114:271
La rupture avec de Gaulle
Entre avril et juin 1958, il y avait eu le soulèvement de l'Algérie française luttant pour sa survie, et le retour du général de Gaulle au pouvoir.
Georges Bidault avait été partisan de ce retour, dans une illusion qui à cette époque fut partagée par beaucoup, et qui était habilement entretenue par le personnage lui-même : l'homme qui avait tant de fois sauvé la France et qui ne capitulait jamais devant l'ennemi, quelle espérance, quel recours ! Son nom, son passé vu à travers sa légende étaient une garantie sans égale.
C'est alors seulement que Georges Bidault découvrit combien il s'était trompé sur le général de Gaulle. Sans doute ne s'était-il jamais très bien entendu avec lui. Mais il ne l'imaginait pas abandonnant l'Algérie aux criminels de guerre auxquels il l'a finalement livrée.
Une dernière désillusion attendait encore Georges Bidault. Lorsque, président du Conseil de la résistance à l'abandon de l'Algérie, il est poursuivi pour complot contre la République et doit s'exiler, la « démocratie-chrétienne » européenne lui tourne le dos. Elle est au pouvoir dans plusieurs pays d'Europe, puissante dans plusieurs autres, avec parfois des dirigeants qui, lorsqu'ils étaient eux-mêmes proscrits, trouvèrent en France protection et soutien auprès de Georges Bidault. Tous lui refusèrent l'asile. L'Europe entière lui fut interdite. Il dut aller jusqu'au Brésil pour trouver un refuge, il fut réduit à cette lointaine retraite pendant plus de quatre années, de mars 1963 à juillet 1967. Il connut ainsi l'ombre du malheur qu'il avait laissé infliger à d'autres vaincus quand, vingt ans plus tôt, il défilait en compagnie des communistes, à deux pas en arrière du général de Gaulle.
115:271
Ses premiers compagnons sont allés, comme ils l'avaient annoncé, « de la résistance à la révolution », -- de la résistance gaulliste à la révolution marxiste, le chemin n'était ni long ni difficile. Il avait pris le chemin contraire, celui de l'honneur, celui de la fidélité, celui de la France. Ce ne fut point sa faute si, dans la classe politique qui gouverne la République, il s'est alors trouvé si seul. Il ne plia point, il ne faiblit pas, il ne céda rien, ce fut sa grandeur ([^30]).
Jean Madiran.
#### Obsèques nationales sans l'État
Nous savions bien que nous avions changé de régime. Mais nous ne savions pas encore, nous n'avions pas compris à quel point le nouveau régime était déterminé à nous faire changer de pays.
A Saint-Louis des Invalides, les honneurs civils et militaires rendus à la dépouille mortelle de Georges Bidault furent ceux qui étaient dus à son rang d'ancien chef de l'État français : mais sans l'État.
Formellement, tout y était. Concrètement, moralement, politiquement, le gouvernement socialiste n'y était pas : y compris ceux de ses membres qui l'avaient servi comme ministres autrefois, dans une coalition de gauche, issue de la Résistance, et qui doivent toute leur carrière à cette histoire-là.
116:271
La disparition de Georges Bidault comporte une leçon décisive pour l'avenir politique de notre nation : à gauche, le réflexe d'honneur français, qui fut celui du président Bidault, de Jacques Soustelle et de Max Lejeune, dans l'affaire d'Algérie, est assimilé d'instinct à une trahison de l'Internationale, il ne pardonne pas.
Et pour nous-mêmes, voici qu'il devient en effet plus difficile, chaque jour, de leur pardonner ([^31]).
Hugues Kéraly.
Monsieur le président,
Sur la place des Invalides, me rendant à vos obsèques, ce matin de 1^er^ février, alors que soufflait la tempête, j'évoquais avec mon ami Le Pen, sous la pluie rasante poussée par les vents d'ouest, votre souvenir. La démarche pieuse que nous accomplissions dans ce temps de catastrophe était toute imprégnée à la fois d'admiration et de reconnaissance.
La tempête vous allait bien, Monsieur le Président. La foule qui se rassemblait pour vous accompagner y trouvait comme une amère satisfaction. Votre carrière était à l'image du temps de ce jour : les éléments contrariés rendaient à votre vie terrestre l'hommage splendide que les grands de notre monde politique n'avaient pas cru devoir accomplir. *Ministre, premier ministre, chef de l'État...* Ces titres, ces qualités étaient sans doute insuffisants aux yeux de ceux qui nous gouvernent, ainsi qu'à ceux qui ont l'ambition de nous gouverner à nouveau, pour vous rendre le dernier hommage.
117:271
Permettez, Monsieur le Président, un instant de colère près de votre cercueil, l'État présent n'était représenté que par un ministre : celui des Anciens combattants. On ne pouvait faire moins. Il y avait aussi des attachés, des chefs de cabinets, ceux de l'Élysée, de la Mairie de Paris, des gens des ministères, un peu n'importe qui.
J'ai imaginé votre sourire narquois. Ce sourire que vous aviez quand vous me racontiez, à votre retour d'exil, à Bruxelles, alors que vous logiez au sommet d'un grand immeuble : « De ces fenêtres, je contemple à la fois Waterloo et Montcornet. »
Beaucoup de vos compagnons étaient défaillants. Gardons-nous de les juger, encore qu'en politique comme dans la vie, comme aux frontières de la mort, n'existe souvent que ce qui paraît exister.
Monsieur le Président, notre ami Pierre Florent me racontait que le pape Jean-Paul II, informé de votre mauvais état de santé, vous avait fait tenir un chapelet béni de sa main. Pierre précisait que ce chapelet se trouvait près de vous à l'ultime minute de la dernière bénédiction en l'église Saint-Louis des Invalides. Qu'il vous accompagne, Monsieur le Président, avec notre affection et aux sons de la « sonnerie aux morts » exécutée, comme l'a bien dit le prêtre, au nom de la Patrie que vous avez si bien servie ([^32]).
Pierre Durand.
#### Le pré carré
Jean Madiran a rendu à Georges Bidault l'hommage qui lui est dû. Rarement un homme qui avait acquis dans sa résistance à l'occupant allemand tous les titres à la reconnaissance nationale chercha moins à les monnayer.
118:271
Patriote intransigeant il paya de l'exil et de la persécution gaulliste son opposition à l'abandon de l'Algérie. Il fut vraiment, en toute circonstance, l'homme « du courage, de l'honneur, de la fidélité ». Amis et ennemis s'accordent en ce point au lendemain de sa mort.
Nul cependant, retraçant sa carrière, n'a songé à rappeler un acte politique qui marque d'un trait vif le patriote en même temps que le professeur d'histoire et de géographie.
Serait-ce ma mémoire qui me trompe ? Car on ne prête qu'aux riches. Je crois bien cependant que mes souvenirs sont exacts et que c'est lui effectivement qui, après la guerre, rendit Tende et La Brigue à la France.
Ces deux bourgs et leurs environs avaient été laissés à l'Italie lors du rattachement de la province à la France, par gracieuseté envers le roi Victor-Emmanuel qui aimait à chasser le bouquetin sur les deux versants des Alpes. Georges Bidault tint à ramener le pré carré dans ses frontières naturelles.
Les touristes ne fréquentent guère La Brigue, qui est d'un accès difficile. La route la plus courte est celle qui part de Vintimille. Mais si l'on sort d'Italie par le Nord, on y arrive après avoir traversé, venant de Coni (Cunéo), le tunnel de Tende. On découvre alors une pittoresque petite localité, avec une belle église romane, et tout près de là, dans un vallon tranquille la chapelle Notre-Dame des Fontaines qu'ornent des fresques magnifiques.
J'ai fait ce voyage, il y a bien des années. Je ne me doutais pas alors, en visitant ce coin très italien, que c'est grâce à Bidault que je m'y trouvais en territoire français ([^33]).
Louis Salleron.
119:271
#### Je n'oublie pas
Georges Bidault a reçu dans ce journal ([^34]) un solennel éloge funèbre, non seulement, à juste titre, pour son attitude courageuse dans l'affaire de l'Algérie française, mais encore, sous certaines réserves, pour l'ensemble de son personnage et de sa carrière.
Qu'il me soit permis de dire pourquoi je ne puis m'associer à cet hommage.
Sous l'Occupation, Georges Bidault fut de ceux qui organisèrent, avec les communistes et à leur principal profit, la résistance *armée*, dont les méthodes, que je tiens pour illégitimes, comportèrent, couvrirent, approuvèrent un grand nombre d'assassinats politiques.
Après la Libération, il fut un des épurateurs les plus implacables, dans les rangs de cette démocratie-chrétienne dont un représentant se vanta publiquement d'avoir les mains plus sanglantes encore que celles de Robespierre...
Charles de Gaulle, ayant promis à François Mauriac de gracier Robert Brasillach, se ravisa sous des pressions dont on connaît la nature par la brutale réponse de Georges Bidault à ceux qui, devant lui, évoquaient l'éventualité de cette grâce : « *Il n'en est pas question* ! »
Le propos fut tenu au cours d'une réception... à l'ambassade soviétique... Tout y était donc : la haine recuite que les « catholiques de gauche » vouent à leurs frères de droite, la furie meurtrière que cette haine leur inspire, leur collusion avec les pires, les seuls ennemis de la Foi et de la Civilisation.
120:271
C'est pourquoi il m'est impossible de laisser croire que je participe, fût-ce par mon silence, à l'éloge funèbre de cet amateur de guerre civile.
Que Dieu lui pardonne ! ([^35])
Robert Poulet.
La grâce de Brasillach ?
J'ai interrogé le président Georges Bidault à deux reprises sur cette anecdote. La première fois à Bruxelles, le lendemain de son retour du Brésil. La seconde, dans son appartement du XVII^e^. Les deux fois, sa réaction fut immédiate : « *Forgerie* »*.* Je verse ce témoignage au dossier ([^36]).
François Brigneau.
De temps en temps...
De temps en temps, dit-on, Homère lui-même sommeillait... Pour une fois, notre grand dévoreur de textes a mal lu.
121:271
Le salut à Georges Bidault n'allait point à « l'ensemble de sa carrière », mais explicitement à son action depuis 1954. Ce qu'il faut reprocher à son passé a été dit (numéro du 29 janvier) mais comme on doit le faire -- *nos ouvrages, monsieur, diffèrent en cela --* sur la tombe d'un ancien adversaire qui fut plein d'honneur ([^37]).
Jean Madiran.
122:271
## NOTES CRITIQUES
### Un grand roman sur la paix refusée par la secte au pouvoir dans l'Église
Bryan HOUGHTON : *La paix de Mgr Forester.* Préface de Gustave THIBON. Dominique Martin Morin, éditeurs.
#### Première lecture
Dans la forme, un roman savoureux. Dans le fond, une substantielle et pertinente critique de la nouvelle messe. L'abbé Houghton, converti du protestantisme, a été ordonné prêtre à Rome en 1940 et vit maintenant en France, dans l'Isère où il est le voisin de Gustave Thibon.
123:271
Il imagine un évêque, Mgr Forester, fidèle à la messe traditionnelle et qui maintient ses ouailles dans le droit chemin en écrivant de tous les côtés pour justifier sa position. Le livre est le recueil de ces lettres.
D'un humour très britannique, Bryan Houghton-Forester prodigue admonestations et conseils avec une ouverture d'esprit égale à sa fermeté. Prêtres, religieux, religieuses et laïcs sont ainsi habilement dirigés selon leur état. Il n'est pas jusqu'au délégué apostolique en Grande-Bretagne qui reçoive l'expression respectueuse mais dépourvue d'ambiguïté de ses sentiments. « Quelles erreurs, lui écrit-il, ont été condamnées ? Quels hérétiques excommuniés ? Pourquoi des catéchismes douteux ont-ils remplacé des catéchismes parfaitement sûrs ? Pourquoi toutes les célébrations de l'Eucharistie sont-elles permises à l'exclusion unique du rite traditionnel ? (...) Il n'est pas indifférent, Monseigneur, que vous ayez fait une carrière de diplomate sans jamais exercer une charge de pasteur. Si vous aviez eu charge d'âmes, vous auriez mieux compris le rôle de gardienne des fidèles que doit aussi assurer l'Église. Vous n'auriez pas permis que les plus petits parmi les enfants de Dieu soient scandalisés comme ils l'ont été. C'est pour l'honneur de Dieu, et pour leur bien, non pour le mien que je demeure -- dans une opposition indignée -- votre E.F. »
Le pape lui-même n'échappe pas à ses traits : « ...que Paul VI soit un saint ou un pécheur, son règne a toutes chances d'être retenu comme le plus désastreux de l'histoire de l'Église ». Il le gratifie même de cette plaisante épitaphe :
*Ci-gît le pape Paul.*
*Bien qu'habile en paroles,*
*Son manque de sagesse*
*Mit l'Église en détresse.*
Toutes ces libertés de plume ne l'empêchent pas de traiter avec autant de sérieux que de pertinence des grands problèmes tels que ceux de l'obéissance et de la vie religieuse. Sur l'Être infini et la Transcendance divine il a d'excellentes formules (pp. 193-195).
124:271
Mais surtout Bryan Houghton ne se contente pas d'analyser, de critiquer et de plaisanter, il propose. Puisque le vent est au changement, il propose une « messe commune » qui « suivrait le nouveau rite dit en langue vulgaire par le prêtre, en étole, face au peuple, pour le ministère de la parole jusqu'au Credo », et « à partir du *Credo* l'ancien rite dit en latin par le prêtre en chasuble, dos au peuple » (p. 240).
L'idée est ingénieuse. Elle n'a qu'un double inconvénient elle ajouterait une troisième messe aux deux précédentes et elle ne satisferait personne, par le fait même. Jean Madiran en a déjà parlé ([^38]).
Quoi qu'il en soit, ce livre excellent vaut d'être lu. Nous lui souhaitons le succès qu'il mérite.
Louis Salleron.
#### Seconde lecture
En feuilletant ce livre, on se dit : tiens, voilà l'abbé Houghton qui remet ça avec ses « propositions de paix ». On les a déjà lues dans le numéro de décembre 1981 d'ITINÉRAIRES. Elles ont suscité une remarquable absence de réactions. Alors il recommence.
Oui, c'est vrai, l'abbé Houghton, par le biais d'un roman épistolaire, reprend ses propositions de paix. Elles sont formulées par un évêque d'un petit diocèse d'Angleterre, Mgr Forester, qui décide, au début de 1977, de les appliquer. Mais c'est aussi beaucoup plus que cela. C'est un roman complexe et savoureux, et l'abbé Houghton se révèle un véritable écrivain. Il y a d'abord les réactions de ses confrères de l'épiscopat, des prêtres du diocèse, des laïcs et des media, à ce qu'il appelle sa « bombe ». Et, bien sûr, cela permet à l'abbé Houghton de présenter l'éventail des diverses positions.
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Le cardinal est de cœur avec Mgr Forester, mais sa raison le désapprouve. Le chancelier de la délégation apostolique, Testastorta, l'accuse d'être un diviseur et de se servir de la messe traditionnelle comme d'un drapeau. Un évêque le soutient verbalement mais demeure prudent s'il s'agit de le suivre. Un autre désapprouve formellement son entreprise mais la soutiendra parce qu'il a le droit avec lui. Un autre lui explique qu'il faut distinguer entre la Tradition et les traditions. Un autre l'accuse de s'opposer au sens de l'histoire. Un autre, l'évêque de Derby, l'accuse de saper l'autorité des évêques et de prétendre que le nouvel ordo est invalide. Les curés du diocèse sont divisés. Certains sont enthousiastes. D'autres hostiles. L'un d'eux, l'abbé Harris, demande à Mgr Forester d'être « assez aimable pour le transférer dans un diocèse dont l'évêque n'ait pas perdu la boule ». Les laïcs sont en majorité favorables.
Mais ce constat n'est pas fixé une fois pour toutes, et l'abbé Houghton se révèle un fin psychologue. Il n'y a pas que femme qui varie, les évêques aussi peuvent être imprévisibles. La versatilité, le respect humain, la peur, la lâcheté, la trahison même, cela existe. L'illumination progressive ou soudaine, cela existe aussi. Ainsi Mgr Forester ira d'étonnement en étonnement. L'évêque qui le soutenait sans trop s'engager dès le départ devient son adversaire le plus implacable. Celui qui lui avait écrit la lettre la plus désagréable, la plus dure (celui de Derby) est le seul qui ensuite soit relativement bienveillant. Le curé qui lui avait d'abord demandé de le transférer « dans un diocèse dont l'évêque n'ait pas perdu la boule » finit par se lancer dans la réforme avec enthousiasme. Ainsi la vie a-t-elle son lot de bonnes et de mauvaises surprises. La plus mauvaise, la plus dramatique pour Mgr Forester, sera d'apprendre que l'un de ses confrères, un vieil ami, relativement bienveillant quoique fort critique, jouera un rôle de mouchard, et surtout que son bras droit, son confident, son ami de toujours, a juré sa perte et a trouvé l'occasion ou jamais de prendre enfin sa place.
L'abbé Houghton ne pouvait pas ignorer les media. Mgr Forester se félicite du fait que sa bombe, l'*Ad clerum* que les curés doivent lire en chaire, sera connue un dimanche. Ainsi les premières réactions seront spontanées, elles ne seront pas influencées par les hebdomadaires « catholiques » qui ne paraîtront que le vendredi suivant.
126:271
Les réactions de la grande presse nationale sont plutôt sympathiques. Un évêque qui se singularise, qui sort pour une fois de la grisaille de la conférence épiscopale, c'est une bonne aubaine. Mais le vendredi, comme Mgr Forester l'avait prévu, les hebdomadaires « catholiques » se déchaînent contre lui. Il s'attendait à tout. Sauf à ça : « L'ÉVÊQUE MOURANT S'OPPOSE AU PAPE : Mgr Forester souffre d'un cancer inopérable. Il semble que l'issue fatale soit relativement proche. C'est le moment qu'il a choisi, alors qu'on aurait pu le croire occupé à d'autres pensées, pour interdire le nouvel ordo dans son diocèse et imposer le retour à la messe de saint Pie V qui, elle, est interdite. » Effectivement Mgr Forester va bientôt mourir d'un cancer. Mais il croyait naïvement que le secret était bien gardé. Le caractère ignoble de l'attaque n'est pas tout. Aussitôt c'est une avalanche de lettres, de ceux qui s'apitoient sincèrement, de ceux qui compatissent faussement, de ceux qui ont enfin « compris » que l'action de Mgr Forester était le fait d'un homme malade quasiment délirant au bord de la tombe, etc. La vision qu'a l'abbé Houghton des media n'est que trop cruellement réaliste. Ici comme pour le reste, il se sert des réactions suscitées par « l'affaire Lefebvre ». Et l'on sait que ce sont des journalistes agnostiques qui ont parlé de l'évêque avec bienveillance, tandis que les journaux dits catholiques s'acharnaient sur lui en multipliant sciemment des mensonges qu'ils savaient tels.
La restauration que tente Mgr Forester permet à l'abbé Houghton de brosser un tableau, non seulement du collège épiscopal britannique, mais d'un diocèse particulier. Nous avons déjà évoqué les réactions diverses des curés. Il faut ajouter ce vicaire qui demande à être réduit à l'état laïque, et à qui Mgr Forester répond une forte lettre sur le fait que la réduction à l'état laïque ne peut rien changer à la réalité des choses et que la seule femme que pourra jamais avoir un prêtre est l'Église. Il y a le charismatique de service, qui organise des « célébrations » délirantes dans le couvent où il est aumônier. Il y a donc aussi les religieuses. Le diocèse compte de très nombreux couvents et Mgr Forester s'accuse de s'y être débarrassé de prêtres indésirables, et d'y avoir laissé prêcher des théologiens notoirement « avancés », voulant croire qu'ils gardaient leurs idées pour leurs livres et prêchaient la saine doctrine aux religieuses. Peu avant de mourir, Mgr Forester fera le tour des couvents et trouvera les religieuses obstinées plus que tous ses autres interlocuteurs dans leur aggiornamento.
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Il y a aussi le chef de la résistance catholique. Nous sommes en Angleterre, et ce chef est la duchesse de Blackwater ; dont l'abbé Houghton ne fait qu'esquisser le portrait pour ne pas sombrer aussitôt dans une trop facile caricature. La duchesse de Blackwater est une convertie. Un jour, elle avait répondu au curé qui lui avait demandé d'assister à la messe de la paroisse : « Aucun évêque, pas même celui de Rome, ne me fera retourner à ce que j'ai vomi. »
Avec le juge John Cutting (Sir John) et le président du comté Cyril Outman, on a là les trois premiers membres de l'Association tridentine que fonde Mgr. Forester pour gérer les fonds considérables qui affluent à Stamford de la part de gens qui soutiennent son initiative. Cette association, Mgr Forester tient à ce qu'elle soit à majorité laïque. En plus des trois déjà cités, il y aura Villiers, le président de l'Association pour la défense du rite latin, et Solly Glauben, un juif « converti à la Présence sacrificielle du Dieu qui s'incarne à la messe », mais qui se retrouve en exil dans l'Église actuelle comme les Juifs au bord des fleuves de Babylone. « Je trouvais l'Église militante empoisonnée par l'idolâtrie en son nadir et le blasphème en son zénith : l'humanisme religieux, l'identification de l'homme avec Dieu. Plus de Dieu transcendant, plus d'alliance, plus d'Incarnation, plus de messe. Et l'on osait parler d'œcuménisme alors que même un fétichiste aurait crié à la trahison. »
Les trois prêtres de l'association sont Mgr Forester, son grand ami l'abbé Houghton, et Mgr Bouverie, un prêtre traditionaliste relégué comme aumônier d'un hôpital psychiatrique, et dont Mgr Forester va faire le directeur du séminaire qu'il est urgent d'ouvrir et pour lequel il y a immédiatement un grand nombre de candidats. Mais il faut beaucoup d'argent. Les dons ne suffiront pas. Alors Glauben lance une opération publicitaire qui paraît assez extravagante mais qui est le sommet de l'humour, à la limite du non-sens britannique, de ce livre. Dans les magazines pour hommes paraît une photo de l'évêque en grand apparat qui « brandit un index vengeur vers le lecteur ». Le texte : « Que dit-il ? Que vous ne valez pas cher et que vous irez en enfer. Qui est-il ? Monseigneur l'évêque de Stamford et il dit vrai. Que fait-il ? Il meurt d'un cancer. Que veut-il ? Beaucoup d'argent pour faire du bien. Envoyez vos dons...à la duchesse de Blackwater... » Et cela se trouve sur la page qui fait face à la pin-up de la semaine. Dans les journaux féminins, c'est la photo de la duchesse « comme si elle était la vieille reine Mary, avec un ruisseau de perles... ».
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Glauben compte récolter deux cent cinquante mille livres. Un mois plus tard ; c'est un million de livres qui est arrivé, alors que Glauben lance la nouvelle campagne : « Une duchesse dans chaque pub. »
Le sourire se teinte parfois de tristesse. Avant le chambardement des couvents, il y avait les mères Massedarmes et les sœurs Pommedapi. Aujourd'hui, « mère Massedarmes a été rongée par la rouille, et sœur Pommedapi s'est flétrie lorsque le ver lui a touché le cœur ».
Et il se fait volontiers impertinent. A Mgr Klushko, le délégué apostolique qui vient d'être nommé à Rome secrétaire de la Congrégation des évêques, Mgr Forester envoie ses félicitations. Puis « Étant donné votre relative jeunesse, un minimum d'application devrait vous permettre d'être cardinal, ce qui doit avoir, j'imagine, plus d'un côté amusant -- encore que le renouveau de l'Église selon l'esprit de Vatican II ait supprimé la principale attraction de cette haute charge. Je veux dire, bien sûr, le chapeau. » Et, répondant à l' « invitation » de Mgr Klushko à participer à une « *conversation* » au Vatican, il répond : « Comme vous le savez, il se trouve que je suis mourant. Cela me prend pas mal de temps et me rend casanier. » On aura compris qu'il s'agit là d'une allusion à la « *conversation *» de Mgr Lefebvre avec trois cardinaux et qui avait servi à la condamnation de sa Fraternité.
Au long des lettres, Mgr Forester, c'est-à-dire l'abbé Houghton, aborde la plupart des questions actuellement disputées dans l'Église. En 16 pages, il brosse l'histoire du nouvel ordo, d'une façon claire et précise. La bulle de saint Pie V, le concile, le motu proprio *Sacram liturgiam,* l'instruction *Tres abhinc annos,* la constitution *Missale Romanum* (2 pages sur la phrase qui soi-disant donne force de loi à la nouvelle messe), l'*Institutio generalis* et son fameux article 7, la mise en œuvre du nouvel ordo, le discours consistorial du 24 mai 1976. Tout y est, avec toutes les contradictions et les irrégularités, et de fortes conclusions qui sont en substance les mêmes qui furent formulées par Mgr Lefebvre, Jean Madiran et Louis Salleron. Vers la fin du livre se trouve également résumée de façon précise l'histoire de la condamnation sauvage de Mgr Lefebvre, dont la revue ITINÉRAIRES a publié tous les détails en son temps ([^39]).
129:271
Le nouvel ordo est longuement critiqué tout au long du livre. Ce que l'abbé Houghton lui reproche, en dehors de son ambiguïté théologique, c'est de n'être pas *priable.* Et il nous donne de belles pages sur la prière, et sur la façon dont la messe traditionnelle apprend à prier, parce qu'elle apprend à adhérer à la Présence divine. Ailleurs, il explique : « A ma connaissance la seule chose qui n'ait jamais converti personne, c'est un sermon. Les symboles convertissent ; les mots, non. » C'est peut-être un peu excessif, mais ainsi est souligné ce pourquoi la nouvelle messe (qui est, de plus, évolutive : « vous avez le choix entre l'ancien ordo et le mouvement perpétuel ») est mauvaise. Plus de symboles, plus de prière, il ne reste qu'une logorrhée informe. « L'accès au Calvaire a été interdit. Défense d'entrer sous peine de poursuites. Le guide commente la visite au micro. Nous nous asseyons et nous pleurons. » D'autre part l'abbé Houghton est l'un des rares auteurs à insister sur le fait que le nouvel ordo a été conçu pour être dit en langue vulgaire. Le dire, le chanter en latin, avec chant grégorien, il appelle cela un *maquignonnage liturgique.* D'ailleurs, « si le nouvel ordo est dit en latin il perd son unique justification : une participation rationnelle grâce à l'emploi d'une langue compréhensible par tous les fidèles ». On a assez insisté sur le fait qu'il a été promulgué pour des raisons *pastorales.* Mais si l'abbé Houghton est si sévère avec le nouvel ordo (qu'il n'a jamais dit et qui est la seule raison de son exil), pourquoi, demandera-t-on, lui donne-t-il une place dans ses propositions de paix ? Sa réponse, c'est que dans la situation actuelle, il faut tenter de trouver un accord aussi large que possible. Ensuite la messe traditionnelle, chantée chaque dimanche dans toutes les églises, s'imposera peu à peu d'elle-même, *mole sua.*
Mais si les prêtres ont accepté si facilement la nouvelle messe, c'est peut-être qu'il y avait un défaut dans leur formation. Puisque Mgr Forester crée un séminaire, il réfléchit sur ce sujet. Le principal défaut des anciens séminaires, c'est qu'on n'y apprenait pas à prier.
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La foi était une adhésion à des propositions abstraites, et non à des réalités. Or, « le passage des propositions abstraites aux réalités de la foi se fait, dans sa part divine, par la grâce à laquelle l'homme ne peut correspondre que par une seule voie : la prière ».
Au cours des discussions de l'Association tridentine, on évoque aussi la question des écoles « catholiques ». C'est Cyril Outman qui ne cesse d'en parler. Et il convainc aisément Mgr Forester que c'est actuellement « une plaisanterie de parler d'écoles catholiques ».
A l'occasion des menaces de la délégation apostolique d'attaquer l'association pour détournement de fonds, l'abbé Houghton laisse éclater sa colère, par la plume de Mgr Forester qui répond une lettre à la fois vive et attristée où il détaille les nombreux et authentiques détournements de fonds opérés par la liquidation, dans des conditions fort douteuses, du mobilier des églises. Nul doute que les faits évoqués ici sont véridiques. Et ils sont graves.
On a substitué un micro au crucifix, un ordo fabriqué à la messe de toujours, le discours rationnel à la prière, les charismatiques ont rejeté le latin mais s'expriment en des langues qu'ils ne comprennent pas, l'évolutionnisme a remplacé la théologie de l'histoire... Il y a évidemment opposition entre la nouvelle religion et l'ancienne, et la nouvelle a ruiné l'Église. C'est à la mort de Pie XII qu'on peut situer la rupture. L'ancienne religion est fondée sur l'orthodoxie, la nouvelle sur l'orthopraxis : « Il vous faut décider si vous choisissez de croire aux vérités révélées transmises par la Tradition, le témoignage et l'autorité de l'Église, dans la formulation qu'elle leur a donnée, ou si vous choisissez d'embrasser la religion de demain qui naît de votre libre-expression. Il faut choisir entre l'*orthodoxie* et l'*orthopraxis :* il faut déterminer si vous croyez l'Église militante infaillible dans sa foi ou impeccable dans sa marche. Cette décision prise vous devrez faire face à ses conséquences. » C'est bien ce qu'on trouve dans une phrase célèbre de Paul VI : l'orthopraxis définie par le concile Vatican II est plus importante que l'orthodoxie définie par le concile de Nicée. C'est ici que se résout le problème tant débattu de l'obéissance. Il suffit de savoir à quoi on veut obéir. D'autre part, si l'ancienne religion pouvait dévier en superstition, la nouvelle conduit plus sûrement à l'infrastition, ce qui est infiniment plus grave. « La superstition est parfois idiote mais elle implique une certaine générosité et un certain empressement à croire. »
131:271
Tandis que l'*infrastition* « consiste à être incrédule contre l'évidence. A l'erreur, elle ajoute l'avarice ». La superstition reste liée au surnaturel, tandis que l'infrastition est liée au « sousnaturel » qu'elle prend pour la nature immaculée.
Ajoutons encore qu'à l'occasion des lettres, des *Ad clerum,* des causeries aux religieuses, l'abbé Houghton nous donne de belles pages de spiritualité, sur la prière, sur la pénitence, sur le célibat des prêtres, sur l'ascétisme et la contemplation, sur le Saint Sacrement... Mais on n'en finirait pas de détailler les richesses contenues dans ce livre. La préface est signée par un voisin de l'aristocrate britannique en exil, un paysan ardéchois du nom de Gustave Thibon. Admirable convergence spirituelle de deux hommes aux origines si différentes, dans la liberté des enfants de Dieu.
Yves Daoudal.
### Un témoignage accablant sur l'Ordre dominicain : celui du P. Festugière
Ce témoignage est posthume. Le Père André-Jean Festugière, helléniste éminent, membre de l'Institut, auteur aussi d'ouvrages de spiritualité (*La Sainteté,* 1942), est mort l'an dernier à quatre-vingt-quatre ans.
*La Lettre aux Amis de Solesmes* (1983, n° 1) donne des extraits de sa correspondance avec un moine de l'abbaye, dom L. Regnault.
« Ma vraie vocation, lui écrivait le P. Festugière le 3 octobre 1973, était d'être Bénédictin. Quand le choc de la grâce me fut donné en 1923, c'était à Maredsous, où j'avais un oncle. A tort ou à raison, il me dit : Pas ici. Il n'y avait pas alors de Bénédictins en France, et je m'en fus au Saulchoir... »
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Dom Regnault explique : « Il s'orienta vers les Frères prêcheurs, chez qui il retrouvait les éléments essentiels de la vie monastique, en particulier cette louange de Dieu qui l'enthousiasma toujours. »
Mais le 4 décembre 1975 le P. Festugière lui écrit :
« ...Tout cela existait quand je suis entré dans l'Ordre et c'est parce que cela existait que je suis entré. Tout cela, Dieu me l'a enlevé. Et je n'ai plus désormais aucune aide d'aucune espèce. Puisse Dieu m'en tenir compte quand je paraîtrai devant Lui, bientôt, bientôt, je le souhaite *cum rugitu cordis... *»
Et le 7 avril 1977 :
« C'est la souffrance profonde de ma vie (une vraie blessure) qu'ait disparu chez les Dominicains ce qui les rapprochait encore un peu de la vie monacale. »
Des questions que nous ne cessons de poser sont à nouveau soulevées par ce témoignage posthume : qui a dévoyé l'Ordre dominicain ? Au nom de quels principes ? Sous le patronage de quels supérieurs ? Avec la complicité ou la tolérance de quels cardinaux ou de quel pape ?
Et surtout : qui a réduit quantité de prêtres et de laïcs à ne plus avoir *aucune aide* spirituelle *d'aucune sorte ?* qui les a poussés au désespoir (car tous n'ont pas trouvé la force d'âme du P. Festugière) ?
Jacques Urvoy.
### Grandeur de Fustel
FUSTEL DE COULANGES : *La Cité antique.* Édition Albatros-Valmonde.
Une grande part de la pensée historique et politique en France n'est rien d'autre qu'une méditation sur Rome et la Grèce, reprise d'âge en âge. Les questions posées changent à chaque génération, mais c'est toujours vers ces exemples qu'on se tourne. Dans sa préface à *La Cité antique,* Georges Dumézil note que le livre de Fustel « met en tout cas dans un éclairage nouveau un long fragment de cette expérience humaine qui reste, quoi qu'on entreprenne parfois contre elle, le fond de notre culture ». Oui, c'est là qu'est pour nous la source.
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Le livre célèbre, et qu'on a eu grandement raison de rééditer, est résumé par Fustel lui-même dans son introduction : « ...une religion primitive a constitué la famille grecque et romaine, a établi le mariage et l'autorité paternelle, a fixé les rangs de la parenté, a consacré le droit de propriété et le droit d'héritage. Cette même religion, après avoir étendu et élargi la famille, a formé une association plus grande, la cité, et a régné en elle comme dans la famille. D'elle sont venues toutes les institutions comme tout le droit privé des anciens. C'est d'elle que la cité a tenu ses principes, ses règles, ses usages, ses magistratures. Mais avec le temps, ces vieilles croyances se sont modifiées ou effacées ; le droit privé et les institutions politiques se sont modifiés avec elles. Alors s'est déroulée la série des révolutions, et les transformations sociales ont suivi régulièrement les transformations de l'intelligence ».
Thèse trop rationnelle, ordonnance trop régulière qui fait disparaître la diversité, l'originalité des faits. Ces défauts sont connus depuis longtemps, et G. Dumézil les résume à nouveau. Pour Fustel, Rome et la Grèce ont des destins parallèles. Il croit pouvoir remonter aux origines, à la première société : d'abord la famille et son culte des morts, puis plusieurs familles se groupant pour former la cité. Mais les premiers Grecs, ou Italiques, sont déjà de vieux peuples, des héritiers. Des Indo-Européens (que Fustel cite d'ailleurs), ils tiennent un langage, des institutions, une religion. Ils ne créent pas à partir de rien, ils transforment lentement des notions reçues.
Cela n'empêche nullement *La Cité antique* de rester un grand livre. Et si G. Dumézil a raison de remarquer « on a souvent l'impression que le temps et l'espace ont été expulsés de son jeu de fiches », il est probable que notre hyper-sensibilité à la chronologie nous fait sous-estimer les éléments permanents, ou peu variables, comme les rites, que Fustel favorise au contraire.
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Son intuition fondamentale demeure le rôle capital de la religion dans les cités antiques. Cette vue contrariait, quand le livre parut, toute une imagerie. On s'était habitué à exalter l'Antiquité comme une école de liberté. On vénérait ces républiques où des citoyens vertueux tordaient le cou, non pas à l'éloquence, mais aux tyrans. C'est le décor de notre révolution et son vocabulaire ; les factions, le forum, les faisceaux, Brutus ou Démosthène, les chœurs de vierges, etc. Pour une bonne part le jacobinisme naît d'une vision scolaire et déformée de cette antiquité, qui devient garante de l'esprit républicain. Or, l'esprit républicain est irréligieux en France.
En 1864, quand paraît le livre de Fustel, il y a scandale, parce qu'il apporte une Grèce et une Rome pétries de piété et de cérémonies religieuses. L'habitude est déjà prise de tout interpréter selon nos petites querelles. Le monde antique, modèle rêvé, va-t-il être mis au service de « l'infâme » ? Fustel sera longtemps soupçonné de manœuvre cléricale, et il le paiera, sous la III^e^ République. D'un autre côté, sa synthèse nourrira toute une France traditionnelle, très vivante, qui se trouve confortée dans sa vision de l'histoire. Ce titre de chapitre peut le faire comprendre : « La religion a été le principe constitutif de la famille ancienne. » Il s'agit bien sûr du paganisme, mais d'ailleurs, à la fin de son livre, Fustel reconnaît expressément la supériorité du christianisme, religion de tous.
Autres thèmes de réflexion (ils abondent), cette citation de Pausanias : « Les Mégariens demandaient un jour à l'oracle de Delphes comment leur ville serait heureuse ; le dieu répondit qu'elle le serait s'ils avaient soin de délibérer toujours avec le plus grand nombre ; ils comprirent que par ces mots, le dieu désignait les morts, qui sont en effet plus nombreux que les vivants. » Ou bien, cette remarque de Fustel : « La série des révolutions, une fois commencée, ne devait plus s'arrêter. Les vieux principes étaient renversés, et l'on n'avait plus de traditions ni de règles fixes. Il y avait un sentiment général de l'instabilité des choses qui faisait qu'aucune constitution n'était plus capable de durer bien longtemps. »
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L'auteur de *La Cité antique* n'avait pensé qu'à faire une œuvre scientifique. Il n'était pas croyant. Cependant il est dans l'esprit de son livre, et de toute une famille intellectuelle de ce XIX^e^ siècle si divers, d'avoir demandé des obsèques religieuses. G. Dumézil cite sa lettre : « Je dois me souvenir que je suis né dans la tradition catholique, et que ceux qui m'ont précédé dans la vie étaient aussi catholiques. Le patriotisme exige que si l'on ne pense pas comme les ancêtres, on respecte du moins ce qu'ils ont pensé. » Il savait encore ce qu'est la durée, *ce* qu'est la fidélité.
Georges Laffly.
### Lectures et recensions
#### Une autre édition de Sun-Tsu
J'avouais mon ignorance, dans l'article sur Sun-Tsu. Elle se montre éclatante. *L'art de la guerre* n'est pas la seule édition française disponible. Il en existe une autre : « Sun Tse : *Les treize articles *»*,* publiée à la Librairie de l'Impensé radical.
Une brève note annonce : « Édition refondue et augmentée tirée de la version établie en 1772 par le Père de la Compagnie de Jésus J.J.M. Amiot (1718-1794). »
Le français est bien meilleur en effet. Dans quelle mesure a-t-on suivi la version d'Amiot, je ne saurais le dire. On voit aussi que le titre n'est pas le même (mais il s'agit bien du même ouvrage chinois) ni même la graphie du nom de l'auteur.
G. L.
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#### Analyses et réflexions sur *Les Contemplations *(Éditions Marketing)
Les livres IV et V des *Contemplations* de Victor Hugo figurent jusqu'en juin 1984 au programme de l'épreuve de français des concours d'entrée à Polytechnique et autres grandes écoles scientifiques, avec pour thème d'étude : *la vie et la mort.* Comme la plupart des candidats n'ouvrent pas un livre de littérature et suivent distraitement les cours de français, des éditeurs astucieux font rédiger à la hâte par des agrégés des ouvrages collectifs comme celui-ci, qui s'arrachent comme des petits pains jusqu'à la veille des concours. Je ne sais pas si les acheteurs lisent ces ouvrages, mais d'être en possession de ce talisman les rassure un peu.
Moi, j'ai ouvert celui des éditions Marketing. Et j'ai été stupéfait. Un premier article (de M. Jacques Martin, professeur au Lycée Louis-Le-Grand) s'ouvre sur des citations bien longues d'André Breton et de Claude Roy, avant de traiter de la religion de Victor Hugo. Alors surgit une troisième citation, superbe cette fois, du « célèbre Jouffroy » : « Il y a un petit livre qu'on fait apprendre aux enfants et sur lequel on les interroge à l'église. Lisez ce petit livre, qui est le catéchisme, vous y trouverez une solution à toutes les questions que j'ai posées, oui à toutes sans exception. Demandez au chrétien d'où vient l'espèce humaine, il le sait ; où elle va, il le sait ; comment elle y va, il le sait. Demandez à ce pauvre enfant, qui de sa vie n'y a songé, pourquoi il est ici-bas, ce qu'il deviendra après sa mort, il vous fera une réponse sublime. Voilà ce que j'appelle une grande religion, je la reconnais à ce signe qu'elle ne laisse sans réponse aucune des questions qui intéressent l'humanité. » Parti de ce beau préambule, M. Martin conclut quelques pages plus loin : « Tout le monde n'arrive pas nécessairement à la Foi. Chez beaucoup il y a une Foi qui s'ignore. Trop oublient de la demander dans leurs prières. Hugo a beaucoup écrit, trop écrit, beaucoup pensé, trop pensé. Son œuvre ne saurait indubitablement conduire à la négation, à l'incroyance, au matérialisme. Elle est même susceptible de secouer l'indifférence. Mais elle s'arrête là. Hugo n'a pas de religion.
Quelques pages plus loin, remarquable exposé de M. Georges Bafaro, professeur au Lycée Thuillier d'Amiens, en quatre pages, sur « ce que disent les chrétiens de la souffrance et de la mort », avec un renvoi en conclusion au livre du P. Martelet, *L'Au-delà retrouvé.*
Tout le recueil n'est pas de la même tenue (il y a en particulier le maniaque de service qui propose son « approche psychanalytique » de *Pauca meae*)*.* Mais j'y ai trouvé ce que plus aucun aumônier, plus aucun prédicateur, plus aucun catéchiste recyclé n'ose enseigner. Exprimé tranquillement par des professeurs (de lettres) de l'enseignement public. A l'usage des lycéens. Allons ! tout n'est pas perdu...
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Il est vrai que l'ouvrage s'adresse aux derniers lycéens *sélectionnés,* ceux des classes préparatoires aux grandes écoles, les seules classes où il reste possible de conduire une réflexion approfondie et que le gouvernement socialo-communiste rêve donc de supprimer.
Jacques Urvoy.
#### Marcel Laurent *Jean Soanen et la vie religieuse à Riom *(Horvath)
Ce livre est un recueil d'articles groupés autour de la personnalité de Jean Soanen, né à Riom en 1647, oratorien distingué (au point de prêcher le Carême à la Cour de 1686 à 1688), sacré évêque de Senez dans les Basses-Alpes en 1696, puis suspendu comme janséniste et mort en 1740.
Pierre Gaxotte résume ainsi l'affaire dans son *Siècle de Louis XV *: « Quels étaient les évêques les plus écoutés du clergé janséniste, premier obstacle à l'apaisement ? Le vieux Noailles et l'évêque de Montpellier. Mais celui-ci était un Colbert... Fleury (le cardinal ministre du jeune roi) jugea plus sûr d'écraser Soanen, un vieillard entêté et batailleur, qui n'avait pour lui que d'être un saint. Traduit devant un concile provincial que présidait l'archevêque d'Embrun, Tencin, il fut mis en interdit et aussitôt enfermé à l'abbaye de la Chaise-Dieu : parti sévère qui intimide et démoralise les autres *appelants. *» Gaxotte ajoute plus loin ceci, que M. Laurent n'a pas relevé : « Cet acte d'autorité valut à Tencin de la part des jansénistes des *Nouvelles ecclésiastiques* d'atroces accusations de débauche et de simonie. Cependant, avant de quitter Embrun, Soanen protesta qu'on l'avait trompé et lui demanda pardon *de ce qu'il avait avancé de faux et d'injurieux contre lui. *»
Comment ne pas rapprocher, si l'on s'en tient aux apparences, *l'affaire* Soanen et *l'affaire* Lefebvre ? Même procès joué d'avance (« j'étais condamné avant d'être ouï » dit Soanen, et les juges font irrésistiblement penser au trio de chats-fourrés : Garrone, Whrigth et Tabera), même chantage à l'unité et à l'obéissance aux derniers textes de circonstance, mêmes pressions sur le clergé et les religieuses. Et jusqu'à ce choix d'un point de résistance précis (la Constitution *Unigenitus ;* la messe de St Pie V), jusqu'à ce goût des manifestations surnaturelles, chez les persécutés (au XVIII^e^ siècle le tombeau du diacre Paris), jusqu'à cet évêque sympathisant qui tient bon dans son diocèse (Colbert de Croissy ; Castro-Mayer)...
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« Ils veulent remonter au Concile de Trente ! » dit même un constitutionnaire de ses adversaires. Un thème cependant, celui des « premiers chrétiens », est passé aujourd'hui du camp des persécutés à celui des persécuteurs.
Pourtant, si l'on examine les choses plus au fond, on voit d'abord combien l'augustinisme était lié à tout un mouvement socio-politique, et même nationaliste, dont témoignent les parlementaires et la bourgeoisie gallicane. Surtout on constate une différence essentielle avec la situation présente : la prédication d'un Soanen différait peu finalement (M. Laurent en a fait lui-même la démonstration dans un opuscule sur *Soanen et Massillon*) de celle des modérés ou même des jésuites : toute-puissance de Dieu, nécessité d'une conversion personnelle, culte des saints sont des thèmes communs à tous. Les deux tendances étaient nourries de la Contre-Réforme et elles ont pu se fondre dans le renouveau catholique du XIX^e^ siècle, le Curé d'Ars en fournit un magnifique exemple.
Tandis qu'on entend aujourd'hui deux discours inconciliables : d'un côté toute référence à la doctrine catholique (revendiquée autrefois par les deux camps) est bannie, on loue volontiers le protestantisme, l'Islam et le bouddhisme, on a le culte de l'Homme et de ses Droits, de Gandhi et de M.L. King, on organise des « célébrations-partages » ; de l'autre on insiste sur la nécessité des sacrements et de la mortification, on reste attaché au Saint-Sacrifice de la messe, à la tradition doctrinale, au culte des saints.
Voilà quelques réflexions où nous conduit la lecture des articles érudits de M. Laurent, fervent augustinien (et s'il n'en reste qu'un...) égaré dans notre siècle de laxisme religieux.
Jacques Urvoy.
#### Jacques d'Arnoux *Les sept cotonnes de l'héroïsme *(Éditions de Chiré)
Nombreux sont les lecteurs d'ITINÉRAIRES qui se souviennent de ce texte fameux et qui parut en 1938. Il était véritablement introuvable et c'est donc une bonne action de « Chiré » que de l'avoir réimprimé en offset.
Pilote d'avion blessé en 1917, Jacques d'Arnoux est resté à demi paralysé depuis qu'il fut abattu. Les soixante-trois années de souffrances qu'il allait endurer jusqu'à son décès en 1980, allaient être en partie compensées par de grands élans mystiques.
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On ne peut rester, insensible au souffle spirituel et parfois surprenant qui anime ces lignes. On a dit aussi que c'était l'un des livres les plus importants du siècle... Au lecteur de se laisser pénétrer par la « lumière irradiante qui porte notre foi et nous éclaire en nous appuyant sur les sept colonnes que sont l'Intelligence, l'Enthousiasme, la Mémoire, la Volonté, le Sacrifice, l'Ire et la Grâce ».
Hervé Pinoteau.
#### Rémy *La bataille de France *(Éd. France-Empire)
Cinquième tome de la « Chronique d'une guerre perdue », celui-ci couvre la période tragique de mai 40, après « L'entre-deux-guerres », « Le 10 mai », « Sedan » et « De la Norvège aux Flandres ».
Ce n'est pas un livre d'histoire, mais comme son sous-titre l'indique, une « chronique », c'est-à-dire une suite de récits concernant des combats divers -- « Les cinq jours de Lille », « Les huit jours de Dunkerque », « Au canal de l'Ailette », etc.
Ce n'est pas de l'histoire, disons-nous, mais ce sont des éléments de l'histoire, car le narrateur n'intervient que pour présenter, rassembler, commenter les témoignages des participants de la bataille de France.
Si la bataille fut perdue, ce ne fut pas sans de furieux combats qu'attestent les pertes subies. C'est ainsi que le 27^e^ B.C.A. paya quatre jours d'une lutte acharnée de 5 officiers tués et 13 blessés, 9 tués et 13 blessés sur ses 81 sous-officiers, 102 caporaux et chasseurs tués, et près de 200 blessés sur un effectif de 620. N'oublions pas non plus les victoires locales, dans l'aviation notamment où, en deux jours, les 8 et 9 juin, la chasse française remporta 65 victoires, au prix de huit pilotes tués, douze blessés et deux prisonniers. Quant aux gestes d'héroïsme individuels, ils sont innombrables.
Louis Salleron.
140:271
#### Jean Prieur *Les symboles universels *(Fernand Lanore)
C'est une courte étude sur les symboles. On sait que ceux-ci sont depuis quelque temps le sujet de nombreux livres (par exemple ceux de René Alleau) et même de dictionnaires ([^40]). C'est dire que le sujet est à la mode. Avec le présent livre, on en aura une première idée, agrémentée de blasons en provenance de l'œuvre de Hierome de Bara, *Le blason des armoiries,* publié à Lyon en 1581 autant le dire, puisque ce n'est pas avoué dans le présent ouvrage. L'auteur passe en revue les symboles mais aussi les nombres, les couleurs (qui sont pour lui l'occasion d'émettre les plus contestables théories quand il aborde notre tricolore : son jeu intellectuel n'est même pas drôle) ([^41]), les éléments, etc. On retrouve les préoccupations de l'auteur, protestant (?) imbu de merveilleux paranormal (il est spécialiste des « messages » adressés par les morts et sur, lesquels il y aurait évidemment beaucoup à dire !) quand il disserte sur les auras émises par le corps la tradition tibétaine est appelée à la rescousse pour expliquer leurs couleurs. Il est évident que l'auteur est loin du catholicisme et qu'il faut lire son livre, comme le reste de ses œuvres, avec la plus grande prudence. Quoi qu'il en soit, quelques bonnes idées, mais aucune source véritable pour contrôler.
Hervé Pinoteau.
141:271
#### Jean Autin *Louis XIV architecte *(Fernand Lanore)
Le Roi Soleil fut un grand bâtisseur et ce qui reste de son œuvre nous fait comprendre l'ampleur de la tâche impartie aux architectes et aux nombreux corps de métier. Durant des dizaines d'années, Louis XIV régenta l'art, s'occupant des moindres détails, répartissant les travaux, aidant à les fignoler par des conseils ou des ordres, agitant son monde et donnant de sa personne en visitant les chantiers. Digne petit-fils d'Henri IV et de Marie de Médicis, digne neveu de Gaston d'Orléans, il fut aussi, et combien, influencé par sa mère Anne d'Autriche, ainsi que par son fastueux parrain, le cardinal Jules Mazarin. Il aura appris le goût auprès de ces deux derniers ; il « sait lire les plans, connaît les modes de bâtir et a le don de la sélection. Mais il est moins homme de dossier que de terrain ». « Pour Louis XIV rien n'est secondaire : il n'y a pas de petites choses ; il n'existe qu'un grand dessein, auquel tout, par le menu, doit contribuer. Son avis, au demeurant, est requis pour tout. » Avec un roi capable de s'occuper d'urbanisme et du style des meubles, comme de la beauté des jardins, nul doute qu'on devait s'activer ferme, et avec des moyens énormes : 36.000 ouvriers à Versailles en 1686, 6.000 chevaux employés chaque jour sur ce chantier ! Travail de jour et de nuit, même l'hiver, même le dimanche... Rien n'est véritablement génial chez le roi, mais c'est un infatigable travailleur et toutes les décisions sont prises par écrit, rapidement... souvent beaucoup plus vite que de nos jours où l'on est si fier de notre technique. Qu'on lise ce livre abondamment illustré ; il se termine par un chapitre X qui est une longue liste non exhaustive des principales réalisations architecturales du grand siècle (1661-1715), tant à Paris qu'en province. Une liste des principaux architectes du règne, un récapitulatif des comptes des bâtiments du roi, par année et par nature ; une liste des grandes étapes et grands travaux du règne, un catalogue de toutes les maisons royales et édifices appartenant au roi... (le tout, hélas, sans sources) vient compléter l'ouvrage. La bibliographie donne les livres sans lieu d'édition, ni dates. On constate que pour l'auteur il y a encore des Archives de l'Empire (elles sont *nationales* depuis septembre 1870 !) et il y aurait beaucoup à dire sur la façon d'écrire les cotes des dites archives...
Quelques erreurs : p. 9, la couronne d'épines ne venait pas de Terre Sainte mais bien de Constantinople via Venise. P. 15 : le roi portait le cordon bleu du Saint-Esprit (et non de Saint-Michel comme dit l'auteur, car c'est un ordre second, et avec ruban noir) comme tous les chevaliers ; on savait donc que c'était le roi par la magnificence de son habit et surtout l'environnement. P. 120 c'est Charles V qui laissera le Palais de la Cité au parlement. P. 168 : le duc d'Antin était fils légitime du marquis de Montespan et de Françoise Athénaïs de Rochechouart Mortemart !
Enfin, comme dans tous les ouvrages modernes, la typographie est trop souvent illogique.
Hervé Pinoteau.
142:271
#### François Gondrand *Au pas de Dieu *(Éd. France-Empire)
Fondé en 1928, devenu institut séculier en 1947, et érigé en Prélature personnelle le 27 novembre 1982, l'*Opus Dei* est une institution originale qui compte quelque 60.000 adhérents, prêtres et laïcs, et est répandue dans le monde entier.
Son but est simple ; c'est la sanctification personnelle par l'accomplissement du devoir d'état.
Sa bible est *Le chemin* (*Camino*, dont le titre évoque le Christ : « je suis le chemin, la vérité et la vie ») et qui est un recueil de 999 pensées sur la spiritualité chrétienne. Traduit dans toutes les langues, il atteint une diffusion voisine de trois millions d'exemplaires.
L'auteur du « Chemin » est le fondateur de l'Opus, Mgr Escriva de Balaguer (né en 1902, mort en 1975), un saint prêtre dont la cause de béatification est ouverte. Malgré l'approbation de tous les papes successifs et de centaines d'évêques, l'*Opus Dei* a été plus d'une fois l'objet de campagnes calomnieuses de dénigrement. On veut y voir une société secrète à but politique. L'accusation est totalement fausse, mais s'explique par le fait que nombreux sont les universitaires et les intellectuels qui font partie de l'association.
Fr. Gondrand publie aujourd'hui la première biographie complète de Mgr Escriva de Balaguer. C'est dire l'intérêt de son livre, très bien informé mais un peu confus dans sa présentation.
Signalons à ceux qui ne connaissent pas *Le chemin* qu'il est publié en français aux éditions Fayard (Paris 1977).
Louis Salleron.
#### R.P. Trémeau O.P. *Éléments de spiritualité chrétienne *(Éditions CLD à Chambray)
Après *Le célibat consacré* et *Le mystère du Rosaire,* le Père Trémeau publie *Éléments de spiritualité chrétienne* ([^42])*.* Après avoir, dans un premier chapitre, rappelé la transcendance divine et l'impossibilité pour l'homme de posséder intimement Dieu par ses propres moyens, le Père Trémeau étudie d'abord la vie chrétienne dans les évangiles synoptiques : vie de renoncement, de plénitude et d'action ; l'action se traduisant par des œuvres d'apostolat, de justice et de charité.
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Après la descente du Saint Esprit sur les apôtres, saint Paul et saint Jean élaborent une théologie du christianisme. L'élément fondamental de la doctrine de saint Paul, c'est la vie « dans le Christ Jésus », expression qui revient cent soixante quatre fois dans ses épîtres. Notre vie morale et religieuse n'est pas autonome : c'est une participation à la vie divine dans le Christ Jésus ; celui-ci est la tête du corps mystique, dont nous sommes les membres. Un autre élément capital de la théologie de saint Paul, c'est la mort et la résurrection du chrétien dans le Christ Jésus, symbolisées et réalisées dans le baptême.
L'Évangile de saint Jean débute par le sublime prologue qui nous fait connaître la génération éternelle du Verbe au sein du Père et son incarnation corporelle. Par la suite, saint Jean raconte des faits moins nombreux que les faits relatés par les synoptiques, mais choisis et commentés pour leur portée spirituelle, avec parfois de longs discours. Les synoptiques et saint Paul nous racontent l'institution de la sainte eucharistie ; saint Jean ne raconte pas l'institution mais nous en fait comprendre la portée dans le discours sur le pain de vie. Saint Jean insiste sur la filiation divine offerte aux hommes par et en Jésus, et que nous devons recevoir avec docilité : saint Jean emploie près de cent fois le verbe *croire* et plus de soixante dix fois le verbe *écouter.*
Le Père Trémeau consacre un chapitre à la nature et la grâce. La nature humaine est complexe créée bonne par Dieu, viciée par le péché originel, rachetée par Jésus.
L'homme racheté doit donc à la fois combattre les tendances désordonnées qui sont en lui les suites du péché originel, et utiliser ce qu'il y a de bon en lui, en transfigurant toutes ses actions par la grâce. Le progrès est la loi de la vie surnaturelle comme de la vie naturelle. Ce progrès se réalise par les sacrements, la prière et la pratique des vertus théologales et morales.
L'auteur traite ensuite de l'humanisme chrétien. On doit toujours assurer la primauté au surnaturel ; mais les vocations sont diverses ; un petit nombre d'hommes et de femmes sont appelés au renoncement total dans la vie religieuse ou sacerdotale. La plupart doivent se sanctifier dans le monde ; ils peuvent en utiliser les valeurs en les subordonnant au bien suprême et en évitant tout excès.
Le Père Trémeau parle ensuite du personnalisme chrétien. Il ne fait aucune allusion au faux personnalisme de Mounier. Il expose les fondements du vrai personnalisme. Le christianisme permet à chacun d'affirmer sa personnalité en faisant bon usage des talents reçus ou acquis et en écartant les déviations, notamment l'orgueil et l'appétit des jouissances. Cela vaut pour tous les éléments de la personne humaine : corps, intelligence, cœur, volonté. « je peux tout, dit saint Paul, en celui qui me fortifie. »
Un chapitre est consacré au pardon et à la miséricorde qu'il nous faut implorer et espérer de Dieu, car nous sommes pécheurs. Le pardon et la miséricorde, qu'on a tendance à estomper de nos jours pour ne parler que de justice et d'amour, sont cependant ce dont nous avons le plus besoin.
L'auteur consacre un dernier chapitre à : *Dévotion et dévotions.*
144:271
La dévotion consiste dans le dévouement, la consécration, la fidélité à Dieu. Certaines dévotions sont obligatoires, parce qu'objets de foi : dévotions envers Notre-Seigneur, sa Passion, la sainte eucharistie, la Sainte Vierge ; elles peuvent revêtir des formes diverses. D'autres sont facultatives. Chacun a ses dévotions selon son attrait et doit respecter celles des autres.
Au moment où la crise de l'Église entraîne beaucoup de chrétiens à rechercher une spiritualité dans les cultes orientaux, le livre du Père Trémeau, d'une lecture facile, nous rappelle que c'est dans le catholicisme que nous trouvons la véritable spiritualité qui satisfera nos aspirations profondes et nous conduira à Dieu, notre fin dernière.
Jean Crété.
#### Roland Edighoffer *Les rose-croix *(Presses universitaires de France)
Paru en 1982, ce « Que sais-je ? » n° 1982 (sic), est de grand intérêt, car il se penche sur les énigmes de la Rose-Croix, dont on parle depuis le tout début du XVII^e^ siècle. C'est un bon petit guide, rédigé par un universitaire, relatant idées et organisations sorties des rêveries découlant de la kabbale, de Paracelse, etc.
Rêveries, mais aussi idées tordues, imbibées de gnose, donc dangereuses et toujours en vogue. « Science de tous les secrets », la gnose était l'une des préoccupations du mystificateur qui se trouvait à l'origine de cette littérature fantastique : un étudiant luthérien, Valentin Andrae (1586-1654) qui faisait de la théologie à Tübingen, en Wurtemberg. Certes, Andrae n'est pas seul responsable de l'origine et de ses proches conséquences, mais il a quand même avoué son action capitale dans un mémoire qui fut publié à la fin du XVIII^e^. Voulant promouvoir une authentique fraternité des chrétiens, et au moins des luthériens, Andrae travailla à cette tâche par des romans, s'efforçant de réunir des hommes de bonne volonté pour constituer une société chrétienne. Le rôle de Tobias Hesse, ami d'Andrae, mort en 1614, est aussi précisé, car c'est lui qui fit la jonction avec la kabbale.
La rose et la croix figuraient dans le blason de Luther et dans celui d'Andrae : là fut donc l'origine des symboles qui donnèrent leur nom à l'entreprise, laquelle échappa à ses auteurs.
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L'Angleterre fit un bon accueil aux idées rosicruciennes et certains ont pu avancer que la franc-maçonnerie en fut le fruit. « C'est sur le sol britannique que ce serait opérée l'assimilation des idées rosicruciennes avec les traditions médiévales de la guilde des maçons, et cette conjonction aurait eu lieu entre 1633 et 1646. » (p. 81) Le rôle du savant Jan Amos Comenius (1592-1670), évêque de frères moraves, chassé de son pays (actuellement la Tchécoslovaquie qui l'honore, évidemment !), paraît d'ailleurs fort grand. Comenius voulait d'un collège universel, « comprenant l'élite du monde entier, (qui) rassemblera dans un travail collectif la totalité du savoir, et cette culture profitera sans distinction à tous les hommes... » (p. 83). Comme on est près de l'UNESCO !
Inutile de suivre ici toutes les organisations rosicruciennes, colorées ou non de maçonnerie et même, pourquoi pas, de résurgences templières. On est là dans le domaine des phantasmes et de l'absurde, avec tous les dégâts qui en découlèrent. Nombreux furent les littérateurs contaminés par les idées subversives de la Rose-Croix et encore de nos jours, l'auditeur de la modulation de fréquence peut attraper l'émission de l'A.M.O.R.C., organisation californienne, implantée en France, et qui répand ses erreurs avec dynamisme et amples ressources monétaires.
D'autres organismes se réclament aussi de cette Rose-Croix... Ce petit livre si utile se termine par une étude sur la symbolique rose-croix, en liaison avec les idées de Jung et autres auteurs de tous les temps. J'avoue que je m'émerveille qu'un étudiant en théologie, aidé d'un vieux maître, ait pu contaminer autant d'esprits durant des siècles. Oui, les écrits ont plus d'importance qu'on ne le pense et c'est un motif de plus pour continuer à guerroyer par la plume, ou pour être plus véridique quant à moi, par la machine à écrire.
Hervé Pinoteau.
#### Paul Gache *Sainte Jeanne d'Arc à Vaucouleurs *(Chez l'auteur, 45220 Châteaurenard)
Certains points de la vie de sainte Jeanne d'Arc ont fait l'objet d'études minutieuses. L'abbé Henry ( 1979) avait consacré sa dernière brochure (1976) à *Jeanne d'Arc et son pays natal.* Pierre Rocolle a publié *Un prisonnier de guerre nommé Jeanne d'Arc* ([^43])*.* Paul Gache publie *Sainte Jeanne d'Arc à Vaucouleurs.*
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Il montre que Vaucouleurs représente le tournant décisif de la vie de sainte Jeanne d'Arc, le passage de sa vie privée à l'accomplissement de sa mission. Ce ne fut pas sans peine. Paul Gache, par une étude très fouillée, prouve que Jeanne dut faire plusieurs démarches, entre l'Ascension de 1428 et le 12 février 1429. Plusieurs fois, Robert de Baudricourt l'éconduisit sans ménagements. Lui-même était en position difficile ; et fin juillet ou début août 1428, il avait dû signer avec les Bourguignons une trêve avec promesse de reddition de Vaucouleurs dans les six mois. Enfin, en février 1429, Baudricourt fait examiner Jeanne par des clercs du diocèse de Toul et l'examen est positif. Jeanne, de son côté, donne deux signes à Baudricourt : elle lui révèle la défaite subie près d'Orléans par l'armée royale lors de la « journée des harengs » ; cette révélation est faite le 12 février, et Baudricourt en reçoit confirmation par un messager le 22. En outre, Jeanne confie à Baudricourt une partie au moins du secret qu'elle révélera à Charles VII. C'est donc en connaissance de cause, et conformément aux règles du discernement des esprits, que Baudricourt le 22 février se décide à envoyer Jeanne au roi. Non seulement il lui fournit un habit, une monture et une escorte, mais il lui rédige une lettre de créance sans laquelle Charles VII n'aurait sans doute jamais reçu Jeanne.
La providence est avec Jeanne : en onze jours et demi, elle franchit sans la moindre difficulté les 660 kilomètres qui séparent Vaucouleurs de Chinon, dont plus de 400 en pays anglais ou bourguignon.
Sur présentation de la lettre de créance de Baudricourt, Charles VII la reçoit, et Jeanne lui révèle le secret qui emporte la conviction du roi. Ce n'est que par excès de prudence et pour rassurer son entourage que Charles VII fait examiner Jeanne par la commission de Poitiers.
Paul Gache montre en outre qu'un fort mouvement d'opinion en faveur de Jeanne s'était formé à Vaucouleurs et dans les environs à la suite de ses démarches de 1428 et que, dans toute la France, sur la foi d'une prophétie, on attendait un secours miraculeux venant d'une jeune fille de Lorraine. Un prisonnier anglais l'avait annoncé à Dunois au cours de l'hiver.
Paul Gache ajoute à sa brochure divers appendices dont l'un, très intéressant, prouve que Charles VII fit des efforts très sérieux pour essayer de libérer Jeanne prisonnière : d'abord une démarche diplomatique auprès des Bourguignons en 1430 ; puis, au cours du procès de 1431, plusieurs essais d'intervention armée, dont l'un, au début d'avril, conduisit les troupes françaises jusqu'aux portes de Rouen. Mais la garnison anglaise de cette ville était trop importante ; le détachement français dut se replier. On ne peut donc pas reprocher à Charles VII de n'avoir rien fait pour délivrer sainte Jeanne d'Arc. La brochure de Paul Gache apporte donc des éléments très intéressants, en partie nouveaux, à l'histoire de l'héroïne suscitée par Dieu pour délivrer la France.
Jean Crété.
147:271
#### Joseph Thérol *L'épée de Dieu. Sainte Jeanne d'Arc *(Nouvelles Éditions Latines)
Ce n'est pas sans émotion qu'on ouvre ce petit livre illustré, car on a l'impression que cette vie résumée de notre sainte nationale est comme le dernier message de notre ami Joseph Thérol, noble et enthousiaste desservant du culte johannique. L'essentiel de la vie de son héroïne est dit, mais la caractéristique de la collection des N.E.L., faite pour le grand public, réside avant tout dans une abondante illustration. Celle qui nous est offerte comporte quatre représentations de la vie de Jeanne en couleurs, d'après des fresques *du* Panthéon (hé oui !), exécutées par Jules-Étienne Lenepveu ( 1898)
Jeanne écoutant ses voix, à l'assaut des Tourelles, au sacre de Charles VII et enfin au bûcher. C'est un art dit « pompier » mais qui montre honnêtement ce que l'on pensait alors de notre histoire et d'une reconstitution ; c'est donc plein d'erreurs archéologiques, mais point vulgaire. Autrement dit, c'est de la bonne image d'Épinal qui ne peut qu'émouvoir le catholique, le Français et le fervent de Jeanne. Il n'est pas certain qu'un touriste de passage reste indifférent à une telle évocation d'un de sommets de notre histoire nationale, qui est histoire sainte.
Hervé Pinoteau.
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## DOCUMENTS
### La conférence du cardinal Ratzinger sur le catéchisme
*Texte intégral*
Ancien archevêque de Munich, actuellement préfet de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi, le cardinal Joseph Ratzinger a donné le 15 janvier à Lyon et le 16 janvier à Paris une conférence dont on a beaucoup parlé depuis lors, et dont voici le texte intégral.
Les notes numérotées en chiffres arabes (1, 2, 3...) sont du cardinal. Les notes indiquées en grandes capitales (A, B, C...) sont de notre rédaction : elles sont chaque fois suivies de la mention : « Note d'ITINÉRAIRES ».
La dernière parole que le Seigneur adressa à ses apôtres les chargeait d'aller dans le monde entier pour y faire des disciples (Mt 28, 19s ; Lc 16, 15 ; Ac 1, 7).
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Il appartient à l'essence de la foi qu'elle demande à être transmise : c'est l'intériorisation d'un message, qui s'adresse à tous parce qu'il est la vérité et que l'homme ne peut être sauvé sans la vérité (1 Tm 2, 4). C'est pourquoi catéchèse, transmission de la foi ont été, dès l'origine, une fonction vitale pour l'Église et elles doivent le rester tant que l'Église durera.
#### I. -- La crise de la catéchèse et le problème des sources
##### *1. Caractéristiques générales de la crise.*
Les difficultés actuelles de la catéchèse sont un lieu commun qu'il n'est pas besoin de prouver dans le détail. Les causes de la crise et ses conséquences ont été souvent et abondamment décrites ([^44]). Dans le monde de la technique, qui est une création de l'homme lui-même, ce n'est pas le Créateur qu'on rencontre d'abord, mais l'homme ne rencontre toujours que lui-même. Sa structure fondamentale est d'être « faisable », le mode de ses certitudes est celui du calculable. C'est pourquoi la question du salut ne se pose pas en fonction de Dieu, qui ne paraît nulle part, mais en fonction du pouvoir de l'homme qui veut devenir son propre constructeur et celui de son histoire. Les critères de sa morale, il ne les cherche donc plus dans un discours sur la création ou le Créateur, qui lui sont devenus inconnus. La création n'a plus pour lui de résonances morales, elle ne lui parle que le langage mathématique de son utilité technique, à moins qu'elle ne proteste contre les violences qu'il lui fait subir. Même alors l'appel moral qu'elle lui adresse ainsi reste indéterminé : finalement la morale s'identifie d'une manière ou de l'autre avec la sociabilité, celle de l'homme envers lui-même et celle de l'homme avec son milieu. De ce point de vue, la morale aussi est devenue une question de calcul des meilleures conditions de développement du futur.
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La société en a été profondément changée : la famille, qui est la cellule portante de la culture chrétienne, paraît être, la plupart du temps, envoie de dissolution. Lorsque les liens métaphysiques ne comptent plus, d'autres sortes de liens ne peuvent, à la longue, la maintenir. Cette nouvelle image du monde, d'une part, se reflète dans les mass-media, de l'autre, se nourrit d'elles. La représentation du monde et de l'événement par les mass-media marque aujourd'hui la conscience plus que ne le fait l'expérience personnelle de la réalité. Tout cela influe sur la catéchèse aux yeux de laquelle les soutiens classiques de la société chrétienne sont brisés, sans pouvoir prendre appui sur l'expérience vécue de la foi dans une Église vivante ; la foi semble condamnée au mutisme en un temps où le langage et la conscience ne se nourrissent plus que de l'expérience d'un monde qui se veut son propre créateur.
La théologie pratique s'est énergiquement consacrée à ces problèmes dans les dernières décennies, afin de tracer à la transmission de la foi des voies nouvelles et mieux adaptées à cette situation. Beaucoup, certes, sont arrivés à se convaincre dans l'intervalle que ces efforts ont contribué davantage à aggraver qu'à résoudre la crise. Il serait injuste de généraliser cette affirmation, mais il serait tout aussi faux de la nier purement et simplement. Ce fut une première et grave faute de supprimer le catéchisme et de déclarer « dépassé » le genre même du catéchisme. Certes, le catéchisme comme livre n'est devenu usuel qu'au temps de la Réforme ([^45]) ; mais la transmission de la foi, comme structure fondamentale née de la logique de la foi, est aussi ancienne que le catéchuménat, c'est-à-dire que l'Église elle-même. Elle découle de la nature même de sa mission et on ne peut donc y renoncer.
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La rupture avec une transmission de la foi comme structure fondamentale puisée aux sources d'une tradition totale a eu pour conséquence de fragmenter la proclamation de la foi. Celle-ci fut non seulement livrée à l'arbitraire dans son exposé, mais encore remise en question dans certaines de ses parties, qui appartiennent pourtant à un tout et qui, détachées de lui, apparaissent décousues.
Qu'y avait-il derrière cette décision ([^46]) erronée, hâtive et universelle ? Les raisons en sont variées et jusqu'à présent à peine examinées. Elle est d'abord sûrement à mettre en rapport avec l'évolution générale de l'enseignement et de la pédagogie, qui se caractérise elle-même par une hypertrophie de la méthode en comparaison du contenu des diverses disciplines. Les méthodes deviennent critères du content et n'en sont plus le véhicule. L'offre se règle sur la demande : c'est ainsi que sont définies les voies de la catéchèse nouvelle dans le débat sur le catéchisme hollandais ([^47]). Aussi fallut-il s'en tenir aux questions pour commençants, au lieu de chercher les voies qui permettaient de les dépasser et d'en arriver à ce qui était d'abord non compris, méthode qui seule modifie positivement l'homme et le monde. Ainsi le potentiel de changement propre à la foi fut-il paralysé... Dès lors la théologie pratique n'était plus comprise comme un développement concret de la théologie dogmatique ou systématique, mais comme une valeur en soi. Ce qui correspondait de nouveau à la tendance actuelle de subordonner la vérité à la praxis, qui, dans le contexte des philosophies néo-marxistes et positivistes, se fraya une voie même en théologie ([^48]). Tous ces faits contribuèrent à rétrécir considérablement l'anthropologie : préséance de la méthode sur le contenu signifie prédominance de l'anthropologie sur la théologie, en sorte que celle-ci dut se trouver une place dans un anthropocentrisme radical. Le déclin de l'anthropologie fit apparaître à son tour de nouveaux centres de gravité : règne de la sociologie ou encore primauté de l'expérience comme nouveaux critères de la compréhension de la foi traditionnelle.
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Derrière ces causes et d'autres encore, qu'on peut trouver au refus du catéchisme et à l'écroulement de la catéchèse classique, il y a cependant un processus plus profond. Le fait qu'on n'a plus le courage de présenter la foi comme un tout organique en soi, mais seulement comme des reflets choisis d'expériences anthropologiques partielles, reposait en dernière analyse sur une certaine défiance à l'égard de la totalité. Il s'explique par une crise de la foi, mieux : de la foi commune à l'Église de tous les temps. Il en résultait que la catéchèse omettait généralement le dogme et qu'on essayait de reconstruire la foi à partir de la Bible directement. Or, le dogme n'est rien d'autre, par définition, qu'interprétation de l'Écriture, mais cette interprétation, née de la foi des siècles ne semblait plus pouvoir s'accorder avec la compréhension des textes, à laquelle avait conduit entre temps la méthode historique. De la sorte, coexistaient deux formes d'interprétations apparemment irréductibles : l'interprétation historique et l'interprétation dogmatique. Mais cette dernière, selon les conceptions contemporaines, ne pouvait passer que pour une étape préscientifique de l'interprétation nouvelle ([^49]). Aussi paraissait-il difficile de lui reconnaître une place propre. Là où la certitude scientifique est considérée comme la seule forme valable, voire possible, de la certitude, celle du dogme devait paraître ou bien comme une étape dépassée d'une pensée archaïque, ou bien comme l'expression de la volonté de puissance d'institutions survivantes. Elle doit alors être évaluée selon la mesure de l'exégèse scientifique et peut à la rigueur conforter les déclarations de celle-ci ; elle ne peut plus prétendre à la juger en dernier ressort.
##### *2. Catéchèse, Bible et dogme.*
Nous voici arrivés au point central de notre sujet, au problème de la place occupée par les « sources » dans le processus de la transmission de la foi.
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Une catéchèse qui développait pour ainsi dire la foi directement à partir de la Bible sans faire le détour par le dogme pouvait se prétendre une catéchèse spécialement dérivée des sources. Mais alors se fit jour un phénomène curieux. L'effet de fraîcheur, provoqué d'abord par le contact direct avec la Bible, ne fut pas durable. Certes, il en résulta d'abord beaucoup de fécondité, de beauté et de richesse dans la transmission de la foi. On sentait « l'odeur de la terre de Palestine », on revivait le drame humain dans lequel la Bible est née. Il y eut ainsi plus de vérité humaine et concrète. Bientôt, cependant, apparut l'ambiguïté du projet, que J.A. Moehler avait décrit de manière classique il y a 150 ans. Ce que la Bible apporte en fait de beauté, d'immédiateté, à quoi on ne peut renoncer, est ainsi décrit :
*Sans l'Écriture, la forme propre des paroles de Jésus nous resterait cachée, nous ne saurions pas comment parlait le Fils de l'homme, et je crois que je n'aimerais pas continuer à vivre si je ne l'entendais plus.*
Mais Moehler souligne aussitôt pourquoi l'Écriture ne peut être séparée de la communauté vivante dans laquelle, seule, elle peut être « l'Écriture », lorsqu'il continue :
*Seulement, sans la tradition, nous ne saurions pas qui parlait alors ni ce qu'il annonçait, et la joie qui vient de sa manière de parler se serait aussi évanouie* ([^50])*.*
D'un tout autre point de vue, se trouve décrite la même évolution d'une catéchèse uniquement liée à l'étude littéraire des sources, dans le livre qu'Albert Schweitzer consacra à l'historiographie des recherches sur la vie de Jésus :
*Ce qui est arrivé à la recherche sur la vie de Jésus est singulier. Elle est partie à la recherche du Jésus de l'histoire, et elle crut qu'elle pourrait le replacer dans notre temps tel qu'il était, comme Maître et Sauveur. Elle défit les liens qui, depuis des siècles, l'unissaient au roc de l'enseignement de l'Église, et se réjouissait en voyant sa silhouette reprendre vie et mouvement, et le Jésus historique venir à sa rencontre. Mais voici, il ne s'arrêta pas, il passa à côté de notre temps et retourna vers le sien* ([^51])*.*
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En réalité, ce processus, dont, il y a presque un siècle, Schweitzer avait cru avoir arrêté l'évolution théologique, se répète toujours d'une manière nouvelle et avec des modifications variées dans la catéchèse moderne. Car les documents que l'on voulait lire sans aucun autre intermédiaire que celui de la méthode historique s'éloignèrent du même coup à la distance qui les sépare du fait historique. Une exégèse qui ne vit et ne comprend plus la Bible avec l'organisme vivant de l'Église devient archéologie ([^52]) : un musée de choses passées.
Concrètement, cela se vérifie d'abord en ce que la Bible se désagrège comme Bible, pour n'être plus qu'une collection de livres hétérogènes. D'où la question : comment assimiler cette littérature et selon quels critères choisir les textes avec lesquels il faut bâtir la catéchèse ? La rapidité avec laquelle s'est faite cette évolution se voit, par exemple, dans cette proposition faite récemment en Allemagne par la lettre d'un lecteur à une revue, d'imprimer dans les nouvelles éditions de la Bible, en petits caractères ce qui est dépassé, et de mettre inversement en valeur ce qui reste valable. Mais qu'est-ce qui est valable ? Qu'est-ce qui est dépassé ? A la fin du compte, c'est au goût de décider, et la Bible sera tout juste bonne à approuver notre bon plaisir. Mais la Bible se désagrège encore autrement. En cherchant l'élément primitif, jugé seul sûr et fiable, on se heurte aux sources plus anciennes reconstruites à partir de la Bible, que l'on estime finalement plus importantes que « la Source ». Une mère allemande me raconta un jour que son fils, qui fréquentait l'école primaire, était en train de s'initier à la christologie de la soi-disant source des « logia du Seigneur » ; mais des sept sacrements, des articles du Credo, il n'avait pas encore entendu un traître mot. L'anecdote veut dire ceci : avec le critère de la couche littéraire la plus ancienne comme témoignage historique le plus sûr, la Bible véritable disparaît au profit d'une Bible reconstruite, au profit d'une Bible telle qu'elle devrait être. Il en est de même de Jésus. Le « Jésus » des Évangiles est considéré comme un Christ considérablement remanié par le dogme, derrière lequel il faudrait revenir au Jésus des logia ou d'une autre source supposée, pour retrouver le Jésus réel. Ce Jésus « réel » ne dit et ne fait alors plus que ce qui nous plaît. Il nous épargne par exemple la croix comme sacrifice expiatoire ; la croix est ramenée aux dimensions d'un scandaleux accident, auquel il ne convient pas de s'arrêter trop.
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La Résurrection aussi devient une expérience des disciples selon laquelle Jésus, ou au moins sa « réalité », continue. On ne s'attarde plus aux événements, mais à la conscience qu'en ont eue les disciples et « la communauté ». La certitude de la foi est relayée par la confiance en l'hypothèse historique. Or ce procédé me paraît irritant. La caution de l'hypothèse historique, en nombre d'exposés de catéchismes, prend assurément le pas sur la certitude de la Foi. Celle-ci est tombée au niveau d'une confiance vague sans contours précis. Mais la vie, elle, n'est pas une hypothèse, la mort non plus ; on s'enferme dans l'écrin vitré d'un monde intellectuel, qui s'est fait de lui-même et qui peut pareillement ne plus être.
Mais revenons à notre sujet. Si nous résumons les réflexions faites jusqu'à présent, nous pouvons d'abord constater que le bouleversement de la catéchèse des dernières vingt ou trente années se caractérise par une nouvelle immédiateté avec les sources écrites de la foi, avec la Bible. Si, auparavant, la Bible n'entrait dans l'enseignement de la foi que sous l'aspect d'une doctrine d'Église, maintenant on essaie d'accéder au christianisme par un dialogue direct entre l'expérience actuelle et la parole biblique ([^53]). Le gain de cet effort, c'était un accroissement d'humanité concrète dans l'exposé des fondements du fait chrétien. Ce faisant, le dogme n'était généralement pas nié, mais il tombait au rang d'une espèce de cadre orientatif de peu d'importance pour le contenu et la structure de la catéchèse. Derrière, il y avait une certaine perplexité à l'égard du dogme ; elle provenait du fait que n'avaient pas été éclaircis les rapports entre lecture dogmatique et lecture historico-critique de l'Écriture. A mesure que progressait cette évolution, il apparut que l'Écriture, livrée à elle-même, commençait à se dissoudre : on la soumettait toujours à de nouvelles « relectures ». En cherchant à actualiser le passé, c'est l'expérience personnelle ou communautaire qui devenait, à vue d'œil, le critère décisif de ce qui demeure actuel. Ainsi naissait une espèce d'empirisme théologique, où l'expérience du groupe, de la communauté ou des « experts » devient la source dernière. Les sources communes sont alors canalisées de telle manière qu'on ne reconnaît plus grand chose de leur dynamisme originel.
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Si l'on a reproché jadis à la catéchèse traditionnelle de ne pas conduire aux sources, mais de les faire parvenir aux hommes après filtrage, aujourd'hui ces canalisations du passé devraient plutôt se comparer à des torrents par rapport aux méthodes nouvelles de maîtriser les sources. Une question centrale se pose, en effet, aujourd'hui, et c'est là proprement notre sujet : comment l'eau des sources peut-elle être conservée pure dans la transmission de la foi ? Avec cette question apparaissent deux problèmes essentiels pour la situation actuelle :
*a*) Les rapports exégèse dogmatique et exégèse historico-critique.
La question des rapports entre exégèse dogmatique et exégèse historico-critique est celle qui doit être examinée en priorité. C'est aussi la question des rapports à établir entre le tissu vivant de la tradition, d'une part, et les méthodes rationnelles de reconstitution du passé, de l'autre. Mais c'est encore la question des deux niveaux de pensée et de vie : quelle est donc en fait la place de l'articulation rationnelle de la science dans le tout de l'existence humaine et de sa rencontre avec le réel ?
*b*) Rapports : méthode et contenu, expérience et foi.
La deuxième question nous paraît consister dans la détermination des rapports entre méthode et contenu, entre expérience et foi. Il est clair que foi sans expérience ne peut être que verbiage de formules creuses. Il est inversement tout aussi évident que réduire la foi à l'expérience ne peut que la priver de son noyau. Nous nous égarerions dans le domaine de l'inexpérimenté et nous ne pourrions pas dire avec le psaume 31 \[30\] v. 9 : « Tu m'as donné du large », étant emprisonnés dans l'étroit de nos propres expériences.
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#### II. -- Pour surmonter la crise
##### 1. Qu'est-ce que la Foi ?
Ce serait faire preuve d'un académisme inadmissible d'attendre qu'on « ait fini de discuter » avant de promouvoir un renouveau de la catéchèse. La vie n'attend pas que la théorie soit arrivée au terme de son élaboration ; la théorie a plutôt besoin des initiatives de la vie, qui est toujours « d'aujourd'hui ». La foi elle-même est *anticipation* sur ce qui est actuellement inaccessible. C'est ainsi qu'elle le rejoint dans notre vie et qu'elle conduit notre vie à se dépasser. Autrement dit : en vue d'une juste rénovation théorique et pratique de la transmission de notre foi, tout comme en vue d'un vrai renouveau de la catéchèse, il est indispensable que les questions qui viennent d'être énoncées soient reconnues comme telles et conduites vers leur solution. Or, l'impossibilité où nous sommes de renoncer à la théorie, même en Église et au sujet de la foi, ne signifie pas que la foi doive se résoudre en théorie, ni qu'elle dépende totalement de la théorie. La discussion théologique n'est, en principe, possible et significative que si et parce qu'il y a en permanence une avancée du réel. C'est de cette donnée que parle avec insistance la première épître de saint Jean, à propos d'une crise tout à fait semblable à la nôtre :
« *Vous avez l'onction qui vient du Saint, et tous vous possédez la science.* » (1 Jn 2, 20)
Ce qui veut dire : votre foi baptismale, la connaissance qui vous a été transmise par l'onction (sacramentelle), sont un contact avec la réalité elle-même, qui a, dès lors, le pas sur la théorie. Ce n'est pas la foi baptismale qui doit se justifier devant la théorie, mais la théorie devant la réalité, devant la connaissance de la vérité accordée dans la confession baptismale. Quelques versets plus loin, l'Apôtre trace une frontière très nette aux exigences intellectuelles qui s'appelaient « gnose ». Car ce qui est alors en cause, c'est l'existence même du christianisme ou sa récupération par la philosophie du temps. L'Apôtre dit :
« *L'onction que vous avez reçue* (*= la connaissance de la foi dans la communion d'esprit avec l'Église*) *reste en vous, et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne. Mais puisque son onction vous instruit de tout* (*son onction = la foi christologique de l'Église, don de l'Esprit*) *et qu'elle est véridique et sans mensonge, comme elle vous a enseigné, vous avez à demeurer en lui.* » (I Jn 2, 27)
Ce passage avertit, de par l'autorité apostolique de celui qui avait touché le Verbe incarné, que les fidèles doivent résister aux théories qui dissolvent la foi au nom de l'autorité de la raison pure. Aux chrétiens, il est dit que leur jugement -- celui de la simple foi de l'Église -- a une autorité plus haute que celle des théories théologiques, car leur foi exprime la vie de l'Église, qui est au-dessus des explications théologiques et de leurs hypothétiques certitudes ([^54]).
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Or, avec ces renvois à la primauté de la foi baptismale sur toutes les théories didactiques et théologiques, nous sommes en réalité en pleine réponse aux questions fondamentales de notre exposé. Pour mieux élaborer et approfondir ces vues, il nous faut maintenant mieux formuler notre question. Pour y répondre exactement, il nous faut donc éclaircir ce qu'il faut entendre par foi et par source de la foi.
L'ambiguïté du terme « croire » vient de ce qu'il recouvre deux attitudes spirituelles différentes. Dans le langage quotidien, croire signifie « penser, supposer » ; ce qui est un degré inférieur du savoir au sujet de réalités dont nous n'avons pas encore de certitude. Or il est communément admis que la foi chrétienne elle-même est un ensemble de suppositions sur des sujets dont nous n'avons pas une connaissance exacte. Mais une telle opinion manque totalement son objet. Le plus important catéchisme catholique, le « Catéchisme Romain » publié sous Pie V à la suite du Concile de Trente -- et auquel nous aurons souvent à revenir -- s'exprime en effet, au sujet du but et du contenu de la catéchèse, qui est la somme des connaissances chrétiennes, conformément à une parole de Jésus rapportée par saint Jean :
« *La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, Toi, le véritable Dieu, et ton Envoyé Jésus-Christ* (Jn 17, 3) ([^55]). »
Ce disant, le Catéchisme Romain entend préciser contenu et finalité de toute catéchèse, et précise effectivement d'une manière fondamentale ce qu'est la foi : croire, c'est trouver et réaliser la vie -- la vraie vie. Il ne s'agit pas de n'importe quel pouvoir, qu'il serait loisible d'acquérir ou de laisser de côté, mais précisément du pouvoir d'apprendre à vivre, et de vivre une vie qui puisse demeurer toujours. Saint Hilaire de Poitiers, qui écrivit au IV^e^ siècle un livre sur la Trinité, a semblablement décrit le point de départ de sa propre recherche de Dieu :
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il avait finalement pris conscience que la vie n'est pas donnée seulement pour mourir ; il avait reconnu en même temps que les deux buts de la vie, qui s'imposent comme contenu de vie, sont insuffisants : ne suffisent, dit-il, ni la possession ni la jouissance tranquilles de la vie. « Biens et sécurité », c'est ce que la vie ne peut se contenter d'être, sinon l'homme y obéirait plus qu'à son ventre et à sa paresse ([^56]).
Le sommet de la vie ne peut être atteint que là où il y a autre chose encore : la connaissance et l'amour. On pourrait dire aussi : seule la relation donne à la vie sa richesse : la relation avec l'autre, la relation avec l'univers. Pourtant, cette double relation ne suffit pas non plus, car « la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, Toi ». La foi, c'est la vie, parce qu'elle est relation, c'est-à-dire connaissance qui devient amour, amour qui vient de la connaissance et qui conduit à la connaissance. De même que la foi désigne un autre pouvoir que celui d'accomplir des actions isolées, le pouvoir de vivre, de même elle possède aussi en propre un autre domaine que celui de la connaissance des êtres particuliers, à savoir celui de la connaissance fondamentale elle-même, grâce à laquelle nous prenons conscience de notre fondement ; nous apprenons à l'accepter, et grâce à lui nous pouvons vivre. Le devoir essentiel de la catéchèse est donc de conduire à la connaissance de Dieu et de son Envoyé, comme le dit justement le Catéchisme de Trente.
Nos réflexions nous ont fait retracer jusqu'à présent ce qu'on pourrait appeler le caractère personnel de notre foi. Mais ce n'est que la moitié d'un tout. Il existe un deuxième aspect, que nous trouvons encore décrit dans la Première Lettre de saint Jean. Au verset 1, l'expérience de l'Apôtre est qualifiée de « vision » et de « contact » du Verbe, qui est Vie et s'offrit au toucher parce qu'il devint chair. D'où la mission des apôtres, qui est de transmettre ce qu'ils ont entendu et vu, « afin que vous aussi, avec nous, vous puissiez entrer en communion » avec cette Parole (1 Jn 1, 1-4). La foi n'est donc pas seulement un face à face avec Dieu et le Christ, elle est aussi ce contact, qui lui ouvre la communion avec ceux à qui Dieu lui-même s'est communiqué. Cette communion, pouvons-nous ajouter, est le don de l'Esprit, qui jette pour nous un pont vers le Père et le Fils. La foi n'est donc pas seulement un « Je » et un « Tu », elle est aussi un « Nous ». En ce « Nous » vit le mémorial qui nous fait retrouver ce que nous avons oublié : Dieu et son Envoyé.
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Pour le dire autrement, il n'y a pas de foi sans Église. Henri de Lubac a montré que le « Je » de la confession de foi chrétienne n'est pas le « je » isolé de l'individu, mais le « je » collectif de l'Église ([^57]). Quand je dis : « Je crois », cela veut dire que je dépasse les frontières de ma subjectivité, pour m'intégrer au « Je » de l'Église, en même temps que je m'intègre à son savoir dépassant les limites du temps. L'acte de foi est toujours un acte par lequel on entre dans la communion d'un tout. C'est un acte de communion, par lequel on se laisse intégrer à la communion des témoins, si bien qu'à travers eux, nous touchons l'intouchable, entendons l'inaudible, voyons l'invisible. Le cardinal de Lubac a encore montré que nous ne croyons pas en l'Église comme nous croyons *en* Dieu, mais que notre foi est fondamentalement un acte accompli avec l'Église entière ([^58]). Chaque fois donc que l'on estime tant soit peu pouvoir, dans la catéchèse, négliger la foi de l'Église sous prétexte de puiser dans l'Écriture une connaissance plus directe et plus précise, on pénètre dans le domaine de l'abstraction. Alors en effet, on ne pense plus, on ne vit plus, on ne parle plus en raison d'une certitude qui dépasse les possibilités du moi individuel et qui se fonde sur une mémoire ancrée aux bases de la foi et dérivant d'elle ; on ne parle plus en vertu d'une délégation qui dépasse les pouvoirs de l'individu ; au contraire, on plonge dans cette autre sorte de foi qui n'est qu'opinion, plus ou moins fondée sur l'inconnu. Dans ces conditions, la catéchèse se réduit à n'être qu'une théorie à côté d'autres, un pouvoir semblable à d'autres ; elle ne peut plus alors être étude et réception de la vie véritable, de la vie éternelle.
##### 2. Qu'est-ce que les « sources » ?
A considérer la foi dans cette perspective, même la question des « sources » se pose différemment.
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Lorsque voici environ trente ans, je tentai de faire une étude de la Révélation dans la théologie du XIII^e^ siècle, je me heurtai à une constatation inattendue : en effet, personne n'avait eu l'idée, à cette époque, d'appeler la Bible « la Révélation » ; de même aussi ne lui fut pas appliqué le terme de « source ». Ce n'est pas que l'on ait tenu alors la Bible en moindre estime qu'aujourd'hui. Tout au contraire, on en avait un respect beaucoup moins conditionnel, et il était clair que la théologie ne pouvait et ne devait être autre chose qu'interprétation de l'Écriture. C'est l'idée qu'on se faisait de l'harmonie entre Écriture et Vie qui différait. C'est pourquoi on n'appliquait le mot « Révélation » d'une part qu'au seul acte à jamais inexprimable en paroles humaines, par lequel Dieu se fait connaître à sa créature, et d'autre part à la réception par laquelle la condescendance divine devient perceptible à l'homme sous forme de Révélation. Tout ce qui doit être fixé en paroles, donc l'Écriture elle-même, témoigne de la Révélation, sans être cette Révélation au sens le plus strict de la parole, seule la Révélation elle-même est à proprement parler « source », une source à laquelle puise aussi l'Écriture. Si on la détache de ce contexte vital de la condescendance divine dans le « Nous » des croyants, dès lors la foi est arrachée à son terroir naturel, pour n'être plus que « lettre » et « chair » ([^59]). Lorsque, beaucoup plus tard, on appliquait à la Bible le concept historique de « source », on élimina du même coup sa capacité interne de dépassement, qui pourtant appartient à son essence, et l'on réduisit aussi à une seule les dimensions de sa lecture. Celle-ci ne pouvait plus atteindre autre chose que l'historiquement vraisemblable ; mais que Dieu agisse, cela ne pouvait et ne devait plus rentrer dans les catégories du vraisemblable aux yeux de l'historien.
Si on ne considère la Bible que comme une source au sens de la méthode historique (ce que, certes, elle est aussi), alors l'historien est seul compétent pour l'interpréter ; mais alors aussi, elle ne peut nous donner autre chose que des renseignements historiques. L'historien se doit d'essayer de faire de l'agir de Dieu dans un temps et un lieu déterminés une hypothèse inutile.
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Si, au contraire, la Bible est le condensé d'un processus de Révélation beaucoup plus grand et inépuisable, si son contenu n'est perceptible au lecteur que lorsque celui-ci a été ouvert à cette dimension plus haute, alors le sens de la Bible n'en est pas diminué. Ce qui, par contre, change du tout au tout, ce sont les compétences de son interprétation. Cela signifie qu'elle appartient à un réseau de références, par lesquelles le Dieu vivant se communique dans le Christ par l'Esprit Saint. Cela signifie qu'elle est expression et instrument de la communion grâce à laquelle le « Je » divin et le « Tu » humain se touchent dans le « Nous » de l'Église par l'intermédiaire du Christ. Elle est alors partie d'un organisme vivant dont elle tire d'ailleurs son origine, d'un organisme qui -- à travers les vicissitudes de l'histoire -- conserve néanmoins son identité et qui, par conséquent, peut faire valoir pour ainsi dire ses droits d'auteur sur la Bible comme sur un bien qui lui est propre. Que la Bible, comme toute œuvre d'art et bien plus que toute œuvre d'art, dise davantage que ce que nous pouvons comprendre maintenant de sa lettre, cela résulte alors du fait qu'elle exprime une Révélation, reflétée mais non épuisée par la parole. Ainsi s'explique aussi que là où la Révélation a été « perçue » et est redevenue vivante, il s'ensuit une union avec la parole plus profonde que là où elle n'est analysée que comme un texte. La « sympathie » des saints avec la Bible, leurs souffrances partagées avec la Parole, la leur font comprendre plus profondément que n'ont pu le faire les savants de l'époque des lumières. C'est là une conséquence tout à fait logique. Mais en même temps deviennent compréhensibles et le phénomène de la Tradition, et celui du Magistère de l'Église ([^60]).
Quel est le rapport de ces analyses avec notre sujet ? Si elles sont exactes, cela signifie que les sources historiques doivent toujours confluer avec la source par excellence, à savoir Dieu qui agit dans le Christ. Cette source n'est pas autrement accessible que dans l'organisme vivant qui l'a créée et la maintient en vie. Dans cet organisme, les livres de l'Écriture et les commentaires de l'Église qui expliquent la foi ne sont plus des témoignages morts d'événements passés, mais des éléments porteurs d'une vie nouvelle. Là, ils n'ont jamais cessé d'être présents et d'ouvrir les frontières du présent. Du moment qu'ils nous conduisent vers Celui qui tient le temps dans sa main, ils rendent aussi perméables les frontières du temps. Le passé et le présent se rejoignent dans l'aujourd'hui de la Foi ([^61]).
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##### 3. La structure de la catéchèse.
*a*) Les quatre composantes maîtresses.
La cohésion interne entre la parole et l'organisme qui la porte trace le chemin à la catéchèse. Sa structure apparaît à travers les événements principaux de la vie de l'Église, qui correspondent aux dimensions essentielles de l'existence chrétienne. Ainsi est née, dès les premiers temps, une structure catéchétique dont le noyau remonte aux origines de l'Église. Luther a utilisé cette structure pour son catéchisme aussi naturellement que les auteurs du Catéchisme du Concile de Trente l'ont fait. Cela fut possible parce qu'il ne s'agissait pas d'un système artificiel, mais simplement de la synthèse du matériel mnémonique indispensable à la foi, qui reflète en même temps les éléments vitalement indispensables à l'Église : le Symbole des Apôtres, les Sacrements, le Décalogue, la Prière du Seigneur. Ces quatre composantes classiques et maîtresses de la catéchèse ont servi pendant des siècles comme dispositif et résumé de l'enseignement catéchétique ; ils ont aussi ouvert l'accès à la Bible comme à la vie de l'Église. Nous venons de dire qu'elles correspondent aux dimensions de l'existence chrétienne. C'est ce qu'affirme le Catéchisme Romain, en disant qu'on y trouve ce que le chrétien doit croire (Symbole), espérer (Notre Père), faire (Décalogue), et dans quel espace vital il doit l'accomplir (Sacrements et Église) ([^62]). Ainsi devient perceptible en même temps l'accord avec les quatre degrés de l'exégèse, dont il est question au Moyen âge, et qui sont aussi considérés comme une réponse aux questions qui se posent aux quatre étapes de l'existence humaine.
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Il y a d'abord le sens littéral de l'Écriture, qui s'obtient par l'attention à l'enracinement historique des événements de la Bible. Ensuite vient le sens dit allégorique, c'est-à-dire l'intuition et l'intériorisation de ces événements en vue de les dépasser -- ce grâce à quoi les faits historiques rapportés font partie d'une histoire du Salut. Il y a enfin, le sens moral et anagogique, qui font apparaître comment l'agir découle de l'être et comment l'histoire, au-delà de l'événement, est espérance et sacrement du futur ([^63]). Il faudrait refaire aujourd'hui l'étude de cette doctrine des quatre sens de l'Écriture : elle explique la place indispensable de l'exégèse historique, mais délimite tout aussi clairement ses limites et son nécessaire contexte.
A la collection mnémonique des matières de la foi que représentent les quatre composantes maîtresses que nous venons d'énumérer préside donc une indéniable logique interne. C'est pourquoi le Catéchisme Romain les a caractérisées à juste titre comme les « lieux de l'exégèse biblique ». Dans le langage scientifique et théorique d'aujourd'hui, on dirait qu'il entend les considérer comme les points fixes d'une topique et d'une herméneutique de l'Écriture ([^64]).
On ne voit pas pourquoi on croit devoir, aujourd'hui, abandonner à tout prix cette structure simple, aussi juste théologiquement que pédagogiquement. Aux premiers temps du nouveau mouvement catéchétique, elle passait pour naïve. On crut devoir édifier à tout prix une systématisation chrétienne à la fois logique et contraignante. Or de tels essais appartiennent à la recherche théologique, et non à la catéchèse : ils survivent d'ailleurs rarement à leurs auteurs. A l'extrême opposé, il y a abolition de toute structure et caducité des choix faits en raison de la situation actuelle : ce fut une réaction inévitable aux excès de la pensée systématique.
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####### b) Réflexions sur deux problèmes de contenu.
Le but de cet exposé n'est pas de détailler le contenu de ces quatre parties maîtresses. Il ne s'agit ici que de problèmes de structure. Je ne puis néanmoins éviter quelques brèves réflexions à propos de deux éléments de cette structure, qui me paraissent aujourd'hui particulièrement menacés.
-- Notre foi en Dieu Créateur et en la Création.
Le premier point est celui de notre foi en Dieu Créateur et en la Création comme élément du symbole de foi de l'Église. De temps en temps, se fait jour la crainte qu'une trop forte insistance sur cet aspect de la foi puisse compromettre la christologie ([^65]). A considérer quelques présentations de la théologie néoscolastique, cette crainte pourrait paraître justifiée. Aujourd'hui cependant, c'est la crainte inverse qui me paraît justifiée. La marginalisation de la doctrine de la création réduit la notion de Dieu et, par voie de conséquence, la Christologie. Le phénomène religieux ne trouve alors plus d'explication en dehors de l'espace psychologique et sociologique ; le monde matériel est confiné dans le domaine de la physique et de la technique. Or c'est seulement si l'être, y compris la matière, est conçu comme sorti des mains de Dieu et maintenu dans les mains de Dieu, que Dieu est aussi réellement notre Sauveur et notre Vie, la vraie Vie. On tend aujourd'hui à éviter la difficulté partout où le message de la Foi nous met en présence de la matière, et à s'en tenir à une perspective symbolique : cela commence avec la Création, continue avec la naissance virginale de Jésus et sa Résurrection, finit avec la Présence réelle du Christ dans le pain et le vin consacrés, avec notre propre résurrection et avec la Parousie du Seigneur.
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Il ne s'agit pas d'une discussion théologique de peu d'importance quand on situe la résurrection individuelle à la mort, et qu'ainsi on ne nie pas seulement l'âme, mais encore la réalité du salut pour le corps ([^66]). C'est pourquoi un renouveau décisif de la foi en la Création constitue une condition nécessaire et préalable à la crédibilité et à l'approfondissement de la christologie comme de l'eschatologie.
-- Le Décalogue.
Le deuxième point que je voudrais souligner concerne le Décalogue. Ce fut en raison d'une incompréhension fondamentale de la critique faite par Paul de la Loi que beaucoup en sont arrivés à penser que le Décalogue, en tant que Loi, devait être éliminé de la catéchèse et remplacé par les Béatitudes du Sermon sur la montagne. Ainsi méconnaît-on non seulement le Décalogue, mais encore le Sermon sur la montagne, ainsi que toute la structure interne de la Bible ([^67]). Paul, au contraire, a caractérisé le passage de la Loi au Nouveau Testament comme « l'accomplissement de la Loi par l'amour », et pour expliquer cet accomplissement, il s'est expressément référé au Décalogue (Rm 13, 8-10 ; cf. Lev 19, 8 ; Ex 20, 13 ss ; Dt 5, 17) ([^68]). Là où le Décalogue est expulsé de la catéchèse, c'est la structure fondamentale de celle-ci qui est touchée. Il n'y a plus alors d'introduction réelle à la Foi de l'Église ([^69]).
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*c*) De la structure formelle de la catéchèse.
Je voudrais terminer mes réflexions par deux observations sur les questions théologiques essentielles qui ont fait l'objet de notre considération dans la première partie de l'exposé.
-- *Rapports : exégèse dogmatique et exégèse historique.*
La première réflexion concerne les rapports de l'exégèse dogmatique avec l'exégèse historique. A l'origine du retour à l'Écriture, qui fut en même temps un abandon de la catéchèse dogmatique traditionnelle, il y avait la peur que le lien avec le dogme ne laissât pas de vraie liberté à une lecture compréhensive de la Bible. La manière dont la tradition dogmatique avait effectivement pratiqué l'exégèse scripturaire justifiait en effet amplement cette crainte. Mais aujourd'hui, nous constatons que seul le contexte de la tradition ecclésiale met le catéchiste en mesure de s'en tenir à toute la Bible et à la vraie Bible. Aujourd'hui, nous voyons que c'est seulement dans le contexte de la foi communautaire de l'Église qu'on peut prendre la Bible au pied de la lettre, et tenir ce qu'elle dit pour réalité actuelle tant pour notre monde d'aujourd'hui que pour son histoire. Cette circonstance légitime l'interprétation dogmatique de la Bible même d'un point de vue historique : le lieu herméneutique que constitue l'Église est le seul qui puisse faire admettre les écrits de la Bible comme Écriture Sainte, et leurs déclarations comme significatives et vraies. Il y aura néanmoins toujours une certaine tension entre les questions nouvelles de l'histoire et la continuité de la Foi. Mais en même temps, il nous apparaît clairement que la foi traditionnelle ne constitue pas l'ennemi, mais bien le garant d'une fidélité à la Bible qui soit conforme aux méthodes de l'histoire.
-- *Rapports : méthode et contenu de la catéchèse.*
La deuxième et dernière réflexion nous fait retourner à la question des rapports entre méthode et contenu de la catéchèse. Le lecteur d'aujourd'hui peut s'étonner que le Catéchisme Romain du XVI^e^ siècle ait eu une conscience très vive de la méthode catéchétique.
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On y lit, en effet, qu'il importait énormément de savoir que tel enseignement devait être donné de telle ou telle manière. C'est pourquoi la catéchèse doit être exactement au courant de l'âge, des capacités de compréhension, des habitudes de vie et de la situation sociale des auditeurs, pour être vraiment tout à tous. Le catéchiste devait savoir qui avait besoin de lait, qui avait besoin d'aliments solides, afin d'adapter son enseignement à la capacité de chacun. L'étonnant pour nous est cependant que le Catéchisme Romain ait laissé au catéchiste beaucoup plus de liberté que ne le fait généralement la catéchétique actuelle. En effet, il laisse à l'initiative de l'enseignant l'ordre à adopter dans sa catéchèse en fonction des personnes et des circonstances ([^70]). Il présuppose aussi, il est vrai, que le catéchiste vive et fasse sienne la matière de son enseignement par une méditation continuelle et une assimilation intérieure, et que -- dans le choix de son propre plan -- il ne perde pas de vue la nécessité de l'ordonner en fonction des quatre composantes maîtresses de la catéchèse ([^71]).
Le Catéchisme Romain n'exige certes pas de prescrire telle méthode didactique. Il dit bien plutôt : quel que soit l'ordre choisi par le catéchiste, nous avons choisi pour ce livre la voie des Pères ([^72]). Autrement dit il met à la disposition du catéchiste le dispositif fondamental indispensable, ainsi que les matériaux avec quoi le remplir ; mais il ne le dispense pas de trouver lui-même quelle voie est la plus propre à sa transmission dans telle situation concrète. Sans nul doute, le Catéchisme Romain présupposait ainsi déjà l'existence d'une littérature de second degré, grâce à laquelle le catéchiste pouvait être aidé dans sa tâche, sans qu'elle puisse cependant programmer à l'avance toutes les situations particulières.
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Cette distinction des niveaux est, à mes yeux, essentielle. La misère de la catéchèse nouvelle consiste en définitive en ceci : on a un peu oublié de distinguer le « texte » de son « commentaire ». Le « texte », c'est-à-dire le contenu proprement dit de ce qu'il faut annoncer, se dilue de plus en plus dans son commentaire ; mais le commentaire n'a alors plus rien à commenter, il est devenu sa propre mesure, et perd, du même coup, son sérieux. Je suis d'avis que la distinction faite par le Catéchisme Romain entre le texte de base (le contenu de la Foi de l'Église) et les textes parlés ou écrits de sa transmission n'est pas une voie possible parmi d'autres : elle appartient à l'essence de la Catéchèse. D'une part, elle est au service de la nécessaire liberté du catéchiste dans le traitement des situations particulières ; d'autre part, elle est indispensable pour garantir l'identité du contenu de la Foi. A cela, on ne peut objecter que tout discours humain relatif à la Foi est déjà un commentaire et non plus le texte primitif, puisque la Parole de Dieu ne peut jamais être emprisonnée dans les mots humains. Que la Parole de Dieu soit toujours infiniment plus grande que toute parole humaine, plus grande même que les mots inspirés de l'Écriture elle-même, cela n'enlève pas au message de la Foi son visage et ses contours. Bien au contraire, cela nous oblige d'autant plus à sauvegarder notre foi ecclésiale comme un bien commun. C'est lui que nous devons essayer d'expliquer dans des situations toujours changeantes, avec des mots toujours nouveaux, afin de correspondre ainsi, à travers le temps, à l'inépuisable richesse de la Révélation. Je crois par conséquent, nécessaire de distinguer de nouveau clairement les degrés du discours catéchétique, même dans les livres destinés à la catéchèse. Cela veut dire qu'il faut oser présenter le catéchisme comme un catéchisme, afin que le commentaire puisse rester un commentaire, et que les sources et leur transmission puissent retrouver leurs rapports exacts.
Je ne saurais trouver de meilleure conclusion à mes réflexions que les paroles avec lesquelles le Catéchisme Romain -- que j'ai souvent cité -- décrit la catéchèse :
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« *Toute la finalité de la doctrine et de l'enseignement doit être placée dans l'amour qui ne finit pas. Car on peut bien exposer ce qu'il faut croire, espérer ou faire ; mais surtout on doit toujours faire apparaître l'Amour du Christ, afin que chacun comprenne que tout acte de vertu parfaitement chrétien n'a pas d'autre origine que l'Amour et pas d'autre terme que l'Amour. *» ([^73])
\[Fin de la reproduction intégrale de la conférence faite par le cardinal Ratzinger à Lyon le 15 janvier et à Paris le 16 janvier 1983.\]
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### Souvarine avertit
Pour présenter et préfacer, en quelque sorte, un article de Leopold Unger dans le *Herald Tribune,* BORIS SOUVARINE a écrit à cette occasion, dans *Est et Ouest,* un préambule plus de deux fois plus long. On ne s'en plaindra pas. C'est un rappel synthétique des avertissements maintes fois donnés aux démocraties occidentales sur la tromperie et le danger des relations économiques avec l'U.R.S.S. Ces avertissements, peu écoutés, sont plus que jamais actuels, avec l'affaire du gazoduc de la honte, consenti par Giscard et Barre, poursuivi par Mitterrand.
Voici la reproduction intégrale du texte de Boris Souvarine.
En 1916, Lénine écrivit son petit livre sur *L'impérialisme, stade suprême du capitalisme.* Le chapitre VIII, en particulier, y dénonce « le parasitisme et la putréfaction du capitalisme ». Selon cet ouvrage, fondé sur des données établies au début du siècle, ce capitalisme est non seulement « pourrissant », mais « agonisant ». Ce sont les propres termes de Lénine, maintes et maintes fois répétés, paraphrasés par ceux qui se disent ses disciples.
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Cependant, depuis plus d'un demi-siècle, tous les progrès techniques, tous les *dostifeni* (résultats) industriels, économiques et autres dont l'U.R.S.S. se vante sans vergogne sont obtenus avec le concours de ce capitalisme de plus en plus pourrissant et agonisant. Des millions et des millions d'innocents ont péri en Sibérie pour en extraire l'or qui a servi à payer la contribution de « l'Occident pourri » à la prospérité soviétique.
Dans le présent bulletin, notre article *Les affaires sont les affaires* (n° 310, de décembre 1963) mentionne nommément les grandes firmes européennes, américaines et japonaises qui contribuaient au relèvement de l'économie « socialiste » épuisée par la révolution et le régime pseudo-soviétiques. Cet article citait Krouchtchev qui déclarait alors avec aplomb : « Dans sept ans, nous serons le premier pays. » Et, selon le même hâbleur, « les hommes d'affaires d'Allemagne de l'Ouest, d'Italie, du Japon et de la France faisaient de fructueux bénéfices » en traitant avec Moscou. Il portait un toast « aux capitalistes et aux réalistes » (sic) présents à son discours, « fréquemment applaudi ou interrompu par des rires de la part des représentants des plus grosses banques et industries américaines ».
En conclusion, cet article de 1963 constatait que l'impérialisme « pourrissant » procurait à l'État pseudo-socialiste tout ce qui lui manque, moyennant finances, ajoutant : « Les affaires (communistes) sont les affaires (capitalistes), et *vice versa.* Qui parle d'antagonisme entre deux mondes ? »
Deux ans après cet exposé toujours actuel, le même bulletin publiait un autre article sur le même thème, sous le titre : « *Putréfaction *» *du capitalisme et* « *socialisme triomphant *» (n° 348, d'octobre 1965). L'auteur y rappelle le chapitre VIII de la brochure de Lénine sur l'impérialisme et qui s'intitule : *Le parasitisme et la putréfaction du capitalisme,* ainsi que la conclusion de la préface datée de 1920 : « L'impérialisme est à la veille de la révolution sociale du prolétariat. Cela s'est confirmé depuis 1917 à l'échelle mondiale. »
Or, s'il avait fallu constater dès 1963 que le « socialisme triomphant » n'était pas capable d'assurer le pain quotidien à ses bénéficiaires, engagés dans le « sens de l'histoire », ce qu'attestait alors l'achat soviétique de 12 millions de tonnes de céréales à l'étranger, on devait remarquer en 1965 que la « putréfaction » capitaliste était mise à contribution une fois de plus puisque les contrats passés jusqu'à fin août 1965 prévoyaient l'importation de quelque 10 millions de tonnes.
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Depuis cette date, la putréfaction du capitalisme et le triomphe du socialisme n'ont cessé de progresser, puisque les achats soviétiques de grains à l'extérieur ont atteint récemment, pour une année, le chiffre modique de 40 millions de tonnes. C'est ce que le porte-parole du K.G.B. et du Goulag, à Paris, appelle un « bilan globalement positif ».
Notre article de 1965 complétait celui de 1963 en mentionnant les principales entreprises et firmes occidentales, et japonaises, qui contribuent à industrialiser et à équiper l'Empire soviétique sans Soviets en lui fournissant les dernières créations du progrès technique occidental (le Japon est à l'occident de l'Amérique...) et à des conditions de crédit bancaire exceptionnellement avantageuses.
La liste de ces entreprises et firmes capitalistes qui injectent le progrès technique dans l'économie pseudo-soviétique retardataire serait trop longue pour trouver place dans le présent article. Remarquons seulement que leur concours empressé, bien que non désintéressé, en dit long sur ce que le vocabulaire socialiste et communiste dénomme l'esprit de classe ou la conscience de classe. Pour les banques occidentales, cet esprit ou cette conscience de classe se manifestent par l'octroi de crédits à des conditions singulièrement favorables qui doivent donner aux potentats communistes une haute idée de « l'ennemi de classe ».
« Pour les banquiers, les pays de l'Est restent un bon risque » : titre d'un article du *Monde* (24 juillet 1979), selon lequel l'endettement des pays prétendument socialistes atteignait « environ 50 milliards (de dollars) l'an dernier » et devrait atteindre 66 milliards en 1980. La dette extérieure de la Yougoslavie était de 13 milliards de dollars en 1979 et celle de la Pologne de 16 milliards (*Herald Trib.,* 22 septembre 1979). Les États-Unis accordent un don de 10 millions de dollars à la Yougoslavie pour aider à réparer les dommages d'un séisme (même journal, 1^er^ octobre 1979). La dette extérieure des pays de l'Est s'élève à 52 milliards de dollars en 1977 (idem, 19 janvier 1980). Elle serait d'environ 60 milliards en 1979 (*Le Monde,* 3 avril 1980). Elle atteint 65 milliards (même journal, 25 avril 1980). Elle passe à 67 milliards dont 21 milliards pour la Pologne et 14 milliards pour l'U.R.S.S. (*Herald Trib.,* 27 mars 1981). La dette extérieure yougoslave s'élève à 17 milliards (*Le Monde,* 5 avril 1981). Le total de l'endettement « socialiste » passe à 70,4 milliards, toujours en dollars (*Le Figaro* du 24 novembre 1981).
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Il faut abréger. Non sans rappeler toutefois que Moïse, arrivé dans la Terre promise, a dit à ses ouailles : « L'homme ne vit pas seulement de pain » (Deut. VIII, 3), et que Jésus l'a cité textuellement (Matt. IV, 4 ; Luc, IV, 4), bien avant un auteur soviétique. Aussi faut-il mentionner les achats soviétiques de 63.000 tonnes de beurre français en 1979 (*Le Figaro,* 29 janvier 1980), après les 135.000 tonnes achetées l'année précédente (*Le Monde,* 18 janvier 1980). Ces ventes de beurre étaient subventionnées par le Marché commun européen, donc par les contribuables occidentaux, suscitant une protestation de l'Angleterre (cf. dépêche Reuter in *Herald Trib.* du 14-9-1979). « L'U.R.S.S. revend ce beurre parfois à un prix double de celui auquel elle l'a acheté » (*Le Monde,* 4 mai 1980). Le 23 mai, même année, la Commission économique européenne décide de limiter à 70.000 tonnes la vente annuelle de beurre à l'U.R.S.S. (*Le Monde,* 27 mai 1980). Mais, l'année suivante, les États-Unis, où le capitalisme est en « putréfaction » particulière, s'apprêtent à vendre aux staliniens 100.000 tonnes de beurre « en empruntant des voies détournées » (la Nouvelle-Zélande) et à moitié prix, pour écouler une partie de leurs excédents (*Le Monde,* 12 juillet 1981).
Et ce n'est pas fini. Mais il faut ici se limiter, pour en venir au *gazoduc* de brûlante actualité. Constatons seulement que les vaches soviétiques, comme les travailleurs kolkhoziens, font une sorte de grève perlée pour protester contre le communisme stalinesque toujours en vigueur sous le joug de ces messieurs de la *nomenclature.*
\*\*\*
La Sibérie septentrionale recèle d'immenses réserves souterraines de gaz naturel. Il est normal que les Soviétiques veuillent les exploiter. Surtout, ils voudraient en vendre aux pays d'Europe occidentale qui en sont dépourvus, ou presque, et qui auraient avantage dans bien des cas à le substituer au charbon. Cela pose une question de transport sur des milliers de kilomètres, c'est-à-dire la construction d'une conduite en acier (pipe-line ou gazoduc) traversant toute l'Europe et une petite partie de la Sibérie.
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Comme tout pays arriéré, l'U.R.S.S. exporte principalement des matières premières pour se procurer des devises lui permettant de payer ses achats aux pays de l'impérialisme « parasitaire » et du capitalisme en « putréfaction ». Or, elle est incapable de produire les tubes d'acier nécessaires, et encore moins l'appareillage technique (rotors, turbines, compresseurs, etc.) indispensable au fonctionnement du système.
Cet appareillage très spécialisé est d'invention et de technologie américaines, c'est-à-dire œuvre de l'impérialisme en pleine putréfaction, qui en rétrocède les brevets à diverses firmes européennes, lesquelles n'ont pas souvent l'aubaine d'une commande aussi mirifique. Pour la réaliser, il leur faut obtenir des banques occidentales des crédits particulièrement avantageux (pour l'État stalinien) que les banquiers consentent volontiers, sous l'inspiration de leur « conscience de classe ». Mais, là-dessus, le gouvernement américain s'avise un peu tard que les industriels européens vont un peu fort en se mettant ainsi au service d'un régime abominable qui envahit militairement et policièrement l'Afghanistan au prix de milliers de vies humaines innocentes et qui opprime la Pologne avec une odieuse brutalité suscitant une indignation, toute platonique, dans le monde entier. Et ce en utilisant le dernier mot de la technique américaine en pleine « putréfaction et parasitaire » depuis le début du siècle, Lénine *dixit.* D'où l'intention exprimée à Washington de s'opposer à une telle utilisation des brevets et procédés américains.
Les gouvernements et les capitalistes européens (Français, Anglais, Allemands, etc.) n'ont nullement l'intention d'obtempérer au *veto* du président Reagan, sachant que la « plus grande puissance mondiale » (sic), comme disent les politiciens et les journalistes, est tout simplement impuissante à les empêcher de réaliser leurs desseins. Ils entendent s'en tenir à la fameuse détente : « détente, entente, coopération » avec Moscou. Comme principal argument, ils se réfèrent aux ventes de céréales que pratiquent les États-Unis avec l'U.R.S.S.
L'objection est fallacieuse pour deux raisons. *Primo :* ces ventes de céréales font sortir des milliards de dollars du Trésor soviétique, alors que le futur gazoduc, au contraire, l'enrichira de dix à douze milliards de dollars par an, quand il fonctionnera à plein.
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*Secundo :* lorsque Washington décrète un embargo sur les céréales à destination de l'U.R.S.S., cela ne fait que favoriser les exportations céréalières du Canada, de l'Australie, de l'Argentine (dite « fasciste » par les communistes) et même de l'Europe occidentale, sans priver les Soviétiques d'un seul quintal de blé ou de seigle. Mais aucun argument, aucun raisonnement n'ont d'effet quand des intérêts matériels immédiats sont en jeu. Au diable « l'esprit de classe »...
Une autre question épineuse se pose dans cette affaire : celle de la main-d'œuvre pénale nécessaire aux gigantesques travaux de terrassement et de manutention impliqués dans l'installation du gazoduc. Il est inconcevable que de tels travaux soient possibles sans l'exploitation impitoyable des forçats du Goulag. Comment recruter pour la Sibérie septentrionale des milliers de travailleurs volontaires, même avec un double salaire qui ne leur permettrait que de ne rien acheter ? Pour ne citer qu'un précédent : on sait par I. Soloniévitch, qui a travaillé dans les services de planification et de répartition du canal mer Baltique -- mer Blanche, avant de s'enfuir, que 286.000 malheureux fournis par le Goulag ont peiné sur ce vaste chantier (son livre a paru chez Payot). On sait, d'autre part, ce qu'a été la mortalité dans ces travaux forcés, là et ailleurs.
Les autorités soviétiques ont le cynisme d'affirmer que la main-d'œuvre employée au gazoduc exige une haute spécialisation technique, donc exclut les bagnards. Cela n'est vrai que pour un très petit nombre de cadres dirigeants : la masse laborieuse ne peut provenir que des « camps de la mort ». La direction des pseudo-syndicats soviétiques a invité le Bureau international du Travail à visiter les chantiers du gazoduc pour constater *de visu* l'absence de main-d'œuvre pénitentiaire. C'est se moquer du monde. On sait la capacité du K.G.B. de présenter des villages « à la Potemkine ». Panait Istrati et ses compagnons de voyage sont allés aux îles Solovki sans rien y voir d'anormal. L'ex-vice-président des États-Unis, Henry Wallace, a visité Magadan, le pire des camps mortels de détention, pour en revenir satisfait et rassuré : il a reconnu plus tard, repentant, avoir été joué par la mise en scène stalinienne, laquelle n'a rien perdu de son efficacité de nos jours.
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Le public, dans les pays civilisés, est mal renseigné sur des questions brûlantes de cette sorte. Aussi reproduisons-nous ci-après un article exceptionnel paru dans le *Herald Tribune* international du 14 août dernier, signé de notre confrère Leopold Unger, analyste et commentateur des plus compétents en matière de politique soviétique et des événements en cours dans l'Europe centrale et orientale.
\[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Boris Souvarine paru dans *Est et Ouest,* numéro 670 de janvier 1983.\]
Voici maintenant l'article en question de Leopold Unger, tel qu'il a été traduit et reproduit par *Est et Ouest sous* le titre : *Des miradors le long du gazoduc.*
Les derricks des gisements gaziers d'Urengoi et les chantiers du gazoduc sibérien seront plus grands que tout ce qui existe en ce moment, et sont plus importants pour l'avenir de l'Union soviétique que tous les autres projets actuels. Mais ils ont une chose en commun avec tous « les grands travaux du Communisme ».
Il y aura des miradors tout autour des derricks, et le gazoduc menant à l'Europe occidentale croisera plus d'une ligne de fils barbelés. Aujourd'hui, 100.000 prisonniers travaillent à ce projet, dont quelque 10.000 sont des « politiques ».
L'Association internationale des Droits de l'Homme, sise à Francfort ([^74]), a publié des documents prouvant l'utilisation de la main-d'œuvre pénale pour le gazoduc, et les a envoyés à tous les chefs de gouvernement des pays qui recevront le gaz sibérien. L'Association ne demande pas à ces gouvernements de se retirer du projet (la violation des droits de l'homme n'a jamais été une raison suffisante pour influer sur la politique d'un gouvernement), mais simplement de faire pression sur l'Union soviétique pour obtenir d'elle la garantie que le gazoduc serait construit par une main-d'œuvre libre, agissant dans des conditions normales de salaire et de travail.
Et c'est précisément ce qui est impossible. Les documents produits pour l'Association par louri Belov (qui a travaillé comme « ZEK » -- c'est-à-dire comme prisonnier du Goulag -- depuis une quinzaine d'années) expliquent pourquoi. Ils soulignent que huit camps de travail participent à la construction du gazoduc, l'un d'eux parmi les pires, étant réservé aux femmes, et tous étant situés dans la région de Yamal, le chantier de gaz naturel le plus important du monde.
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Les gouvernements d'Allemagne fédérale et de France ont déclaré qu'ils avaient demandé à leurs ambassades à Moscou de se livrer à une enquête sur ces allégations, ajoutant qu'ils étaient surpris que des prisonniers puissent être utilisés aux travaux de construction du gazoduc.
Cette surprise est incroyable. Et si la révélation de l'Association des Droits de l'Homme, elle, n'était pas une surprise, la réaction des gouvernements occidentaux semble bien insuffisante.
L'idée d'une enquête indépendante, objective, en Union soviétique est en soi la preuve ou de leur naïveté, ou de leur cynisme. Il n'y a aucune chance qu'une telle enquête puisse avoir lieu. Aucun fonctionnaire soviétique, aucun journaliste n'osera répondre à des questions concernant les prisonniers utilisés à la construction du gazoduc, si ce n'est en calquant son attitude sur celle de l'Agence Tass et en déclarant : « Tout cela n'est que grossier mensonge ! »
Pourtant, ce qu'a révélé l'Association des Droits de l'Homme n'a rien de nouveau en ce qui concerne l'Union soviétique. Les prisonniers -- qu'ils soient « politiques » ou de « droit commun » -- ont toujours été employés au « travail forcé » depuis la révolution bolchevique. Les premiers camps furent institués par Lénine et, ultérieurement, Staline les transforma en une force industrielle nationale. Depuis le creusement du Canal de la Mer Blanche (au cours duquel 1.000 prisonniers périrent chaque jour), et parmi d'autres projets importants tels le nouveau chemin de fer transsibérien, le métro de Moscou, les mines d'or de Kolyma, et la voie ferrée de Vorkouta -- connue comme « l'enfer du Goulag » -- le ZEK a toujours été le dénominateur commun, à toujours fourni la source inépuisable de main-d'œuvre. Cela a été le cas particulièrement pour tous les projets entrepris dans le Grand Nord.
La revue du Samizdat (publiée à Bruxelles) vient juste d'éditer la quatrième édition de son « Who's Who in the Goulag ». Elle comporte 848 noms de prisonniers politiques et apporte des informations sur les camps de travail, y compris la précision que bon nombre de ces camps sont étroitement proches du tracé du gazoduc.
Iouri Orlov, qui fut condamné en 1977 à sept ans de Goulag et à cinq ans d'exil intérieur pour ses activités dans le cadre du Comité de surveillance pour l'application des accords d'Helsinki, a fait parvenir en Occident, par une voie clandestine, un rapport sur les prisonniers soviétiques. Selon lui -- qui vit dans un camp de la région de Perm, près du tracé du gazoduc -- cinq millions de personnes environ travailleraient actuellement dans des conditions de « travail forcé » en Union soviétique. Et les conditions de travail, tout comme les conditions de logement et de nourriture, sont inexprimablement détestables.
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L'utilisation du « travail forcé » n'est qu'un aspect du contrat gazier sibérien. En dépit d'une promesse de doublement des salaires, Moscou n'a eu que peu de volontaires et a dû se retourner vers les travailleurs étrangers, en particulier vietnamiens, et la main-d'œuvre des prisonniers.
Le sénateur William Armstrong (républicain), du Colorado, a demandé le 18 juin dernier que le Sénat veuille bien jeter un regard « sur les rapports signalant que les travaux dangereux du gazoduc étaient impartis à la population du Goulag ».
Bien entendu, ce n'est pas une coïncidence si les documents révélés par l'Association des Droits de l'Homme de Francfort sont rendus publics maintenant, ni s'ils tendent à démontrer que l'affaire du gazoduc n'est pas seulement commerciale. Et il est tout aussi certain que des considérations morales sur le travail forcé ne suffiront pas pour l'emporter sur les avantages économiques du projet.
La « Realpolitik », comme nous l'avons vu en Afghanistan et en Pologne récemment, n'a pas de place pour méditer sur l'inhumanité de l'homme pour l'homme.
\[Fin de l'article de Leopold Unger dans le *Herald Tribune* du 14 août 1982, reproduit Ici selon la traduction qu'en a donnée *Est et Ouest* dans son numéro 670 de janvier 1983.\]
============== fin du numéro 271.
[^1]: -- (1). Mais on savait ou subodorait ce qui se préparait. Il y avait eu l'article d'Henri Fesquet dans *Le Monde* du 8 décembre 1966 qui annonçait (à la suite d'indiscrétions) quelles seraient « quelques-unes des caractéristiques fondamentales » du futur *Fonds obligatoire.* L'abbé Georges de Nantes avait vivement réagi dans la *Contre-Réforme catholique.* La revue ITINÉRAIRES (n° 110 de février 1967) en avait fait état en déclarant : « C'est incroyable... S'il en était ainsi, on se trouverait en présence d'une situation insurrectionnelle. » -- Il y avait eu une première tentative dix ans auparavant, dans le même esprit : celle du « catéchisme progressif ». Mais Pie XII était encore là, et il avait donné un coup d'arrêt : voir les « documents » de notre numéro 17 de novembre 1957.
[^2]: -- (2). DMM : Dominique Martin Morin, éditeurs à Souère, 53290 Grez (tél. : (43) 70.61.78).
[^3]: -- (1). Traduction française en 1970 dans la « Collection Docteur commun » aux Nouvelles Éditions Latines, sous le titre : Les *commandements,* un volume de 240 pages, texte latin et traduction en regard. (Note de 1983.)
[^4]: -- (2). Au sens strict, « inspiré » est inexact. (Note de 1983.)
[^5]: -- (1). Selon le témoignage du chanoine André Boyer dans la revue *Catéchèse,* n° 29, p. 401.
[^6]: -- (2). Lettre de saint Pie X au cardinal Pierre Respighi, 14 juin 1904.
[^7]: -- (3). Mot attesté par le chanoine André Boyer, *loc. cit.,* p. 402.
[^8]: -- (4). « Catéchisme à l'usage des diocèses de France », « édition revue et corrigée 1947 », Éditions Tardy 1947, imprimatur de « Joseph Lefebvre, archevêque de Bourges ».
[^9]: -- (1). *Association Catholique de la Jeunesse Mexicaine.* Elle tient une place de premier plan, cinq ans de suite, dans la préparation psychologique, l'encadrement et l'intendance du soulèvement armé. (Nous nous séparons ici de Jean MEYER, qui aime à opposer la ville à la campagne, les bourgeois aux paysans, et n'évoque l'ACJM que pour discréditer ou minimiser son action.)
[^10]: -- (2). Formule utilisée pour le serment public des princes dans tout l'empire espagnol. Franco s'y soumet douze ans plus tard. Juan Carlos s'y parjure cinquante ans après.
[^11]: -- (3). Nous traduisons ici le *Journal de Manuel Bonilla* sur le texte établi par Antonio RIUS FACIUS : *Mejico Cristero,* Éd. Patria, Mexico 1966. Il s'agit d'un carnet de route, sans effet littéraire, ni souci grammatical d'accorder les temps.
[^12]: -- (4). Les Cristeros disent « *Revolucion *», « *Liberacion nacional *», « *Ejercito Popular *», et se désignent eux-mêmes comme « *libertadores *»*.* C'est le langage de toutes les contre-révolutions latino-américaines. Le mot de « *Cristiada *» ne viendra qu'après.
[^13]: -- (5). D'après Joaquin BLANCO GIL : *El clamor de la sangre,* Éd. jus, Mexico 1967.
[^14]: -- (6). Voir chapitre II : Les forces en présence (numéro de janvier 1983).
[^15]: -- (7). D'après son camarade Fernando Diez de Urdanivia, cité par Andres BARQUIN Y *Rulz : Luis Segura Vilchis,* Éd. Ius, Mexico 1967.
[^16]: -- (8). L.N.D.L.R. : La Ligue nationale pour la défense de la liberté religieuse. (Voir chapitre II.)
[^17]: -- (9). D'après Jorge Tellez Vargas, cité par Andres BARQUIN Y RUIZ, *op. cit*.
[^18]: -- (10). Octavia Sandoval de Palacio, in Andres BARQUIN Y RUIZ, *op. cit*.
[^19]: -- (11). Antonio RIUS FACIUS : *Mejico cristero, op. cit.*
[^20]: -- (12). D'après Antonio RIUS FACIUS, *Mejico cristero, op. cit.*
[^21]: -- (13). RAMON, RUIZ RUEDA : *José de Leon Toral,* Éd. Tradicion, Mexico *1975. -- Memorias de Maria Toral de De Leon, madre de José de Leon Toral*, Éd. Tradicion, Mexico *1972.*
[^22]: **\*** -- Voir It. 121, p. 20 : mais selon H. Charlier elle n'avait que des frères.
[^23]: -- (1). Dans *Péril en la demeure* (France-Empire, 1979), témoignage passionnant sur l'évolution de l'Église et de notre société ; témoignage brûlant au point de susciter une conspiration du silence au *Monde* et dans la presse Gélamur et Hourdin. Recension de cet ouvrage dans ITINÉRAIRES, numéro 265 de juillet-août 1982, pp. 106-107.
[^24]: -- (2). On peut se procurer *Décadi,* réédité avec soin en 1975, auprès de M. Marcel Barbotte (La Comaille, 71400 Autun), président des Amis de Paul Cazin.
[^25]: -- (1). Sorciers d'origine africaine ; voir plus loin la note 3.
[^26]: -- (2). «* Monseigneur *» : ce titre, au Brésil, ne désigne pas un évêque, lequel est désigné par le titre de « Dom ».
[^27]: -- (3). *Macumbas *: cérémonies superstitieuses des sectes africaines introduites au Brésil avec la venue des noirs apportés en esclavage.
[^28]: -- (4). *Terreiro *: lieu où l'on exécute ces cérémonies superstitieuses.
[^29]: -- (1). Article paru dans PRÉSENT du 28 janvier.
[^30]: -- (2). Article paru dans PRÉSENT du 29 janvier.
[^31]: -- (3). Article paru dans PRÉSENT du 3 février.
[^32]: -- (4). Article paru dans PRÉSENT du 3 février.
[^33]: -- (4). Article paru dans PRÉSENT du 3 février.
[^34]: -- (5). Le journal PRÉSENT.
[^35]: -- (6). Article paru dans PRÉSENT du 3 février.
[^36]: -- (7). Note parue dans PRÉSENT du 3 février.
[^37]: -- (8). Note parue dans PRÉSENT du 3 février.
[^38]: -- (1). ITINÉRAIRES, numéro 258 de décembre 1981.
[^39]: -- (1). *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre,* huitième édition revue et complétée, 332 pages, numéro spécial hors série de la revue ITINÉRAIRES, avril 1977.
[^40]: -- (1). L'auteur cite le *Dictionnaire des symboles* de chez Laffont, 1969, sous la direction de Jean Chevalier et la collaboration d'Alain Gheerbrant. Il me semble qu'il y a deux éditions, de tailles différentes ; il y aurait beaucoup à dire sur cet ouvrage.
[^41]: -- (2). L'histoire de France ne semble pas très familière au spécialiste des messages post-mortem ! Selon lui, Charles X n'aurait guéri aucun malade des écrouelles, ce qui est contraire à la vérité.
[^42]: -- (1). Aux éditions C.L.D., 42 avenue des Platanes, 3710 Chambray.
[^43]: -- (1). Recension dans ITINÉRAIRES, n° 267 de novembre 1982, page 130.
[^44]: -- (1). Conférence épiscopale française, *La catéchèse des enfants, texte de référence,* Le Centurion, 1980, pp. 11-26.
[^45]: -- (A) Seulement au temps de la Réforme ? Cela est souvent supposé en raison du zèle spectaculaire que les luthériens mirent à répandre leurs catéchismes parmi les enfants, ce qui incita les catholiques à ne pas se laisser distancer. Mais les catéchismes pour enfants, par questions et réponses, existaient au moins depuis le VIII^e^ ou IX^e^ siècle. Celui qui est attribué à Alcuin (*Disputatio puerorum per interrogationes et responsiones*) fut abondamment utilisé, recopié, imité pendant deux siècles. Le moine Ottfried avait au IX^e^ siècle composé à Wissembourg un catéchisme en langue tudesque. Il y eut de nombreux catéchismes pour enfants au XIII^e^ et au XIV^e^ siècle. Gerson (mort en 142*9*) écrivit tout un traité expliquant pourquoi il avait jugé indispensable de composer de petits livres de catéchisme à mettre aux mains des enfants. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^46]: -- (B) En France, la rupture avec la manière traditionnelle de transmettre la foi -- rupture qui se traduisit pratiquement par le rejet du catéchisme romain -- n'est pas une décision récente. Elle remonte aux environs de 1930 : voir notre « Petite histoire du catéchisme en France » dans l'article : « Ce que nous disons, ce que nous voulons », au début du présent numéro. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^47]: -- (2). Informations dans J. Ratzinger, *Dogma und Verkündigung*, Munich, 1973, p. 70.
[^48]: -- (3). J. Ratzinger, *Theologische Prinzipienlehre,* Munich, 1982, pp. 334 et suivantes.
[^49]: -- (C) Remarque profonde : l' « interprétation dogmatique » (c'est-à-dire la vérité de foi et ce qui en découle) ramenée au rang de simple « étape préscientifique de l'interprétation nouvelle », cette dernière étant seule scientifique et donc seule certaine. Tout cet alinéa, d'une grande densité, apporte une puissante lumière. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^50]: -- (4). J.A. Moehler, *L'unité dans l'Église,* tr. fr. A. de Liliendfeld, Paris, 1938, p. 52.
[^51]: -- (5). D'après W.G. Kümmel, *Das Neue Testament -- Geschichte der Erforschung seiner Probleme*, Fribourg/Brisgau, 1958, p. 305.
[^52]: -- (D) Même observation qu'à la note C. -- Nous nous abstiendrons par la suite de répéter cette observation, car il faudrait la réitérer plusieurs fois à chaque page de cet exposé magistral. (Note d' ITINÉRAIRES.)
[^53]: -- (E) Cette funeste tentative est celle d'un catholicisme « repensé » dans la perspective d'une sorte d'empirisme subjectiviste. Un exemple modéré, limité, mais éclatant, en est donné par l'interlocuteur d'André Frossard, dans son dernier livre... (Note d' ITINÉRAIRES.)
[^54]: -- (6). Ceci est la position fondamentale de saint Irénée dans son affrontement à la Gnose, si capital pour le fondement de la théologie catholique, fondant de manière décisive la doctrine de l'Église et reçu comme tel.
[^55]: -- (7). Catéchisme du Concile de Trente : Art. X.
[^56]: -- (8). Saint Hilaire de Poitiers, *La Trinité* I, 1 et 2.
[^57]: -- (9). Henri de Lubac, *Paradoxe et mystère de l'Église,* Aubier-Montaigne, Paris, 1967.
[^58]: -- (10). Henri de Lubac, *La foi chrétienne, essai sur* la *structure du symbole des Apôtres,* Aubier-Montaigne, 1969, 2^e^ éd. 1970, pp. 201-234 voy. aussi J. Ratzinger, *Theologische Prinzipienlehre,* Munich, 1982, pp. 15-27. Important et éclairant à ce sujet est ce que souligne Louis Bouyer dans *Le métier du théologien,* France-Empire, Paris, 1979, pp. 207-227.
[^59]: -- (11). Pour la problématique générale, voir de Lubac, *Exégèse médiévale,* 3 vol. Aubier-Montaigne, 1959, 1961, 1964.
[^60]: -- (12). La présupposition biblique de ces relations et la nécessité de lire la Bible dans sa perspective propre ont été abordées, du point de vue linguistique par P.G. Müller, *Der Traditionsprozesse im Neuen Testament,* Fribourg/B., 1981, point de vue important dans H. Gese, *Zur biblischen Theologie,* Munich, 1977, pp. 9-30.
[^61]: -- (13). Ainsi le « aujourd'hui » et le « demain » de la liturgie dans le temps de l'Avent et dans celui du Carême n'est pas simple jeu verbal dans la foi, mais bien interprétation de la réalité.
[^62]: -- (14). Catéchisme du Concile de Trente : Art. XII.
[^63]: -- (15). Voir H. de Lubac, *Histoire et esprit. L'intelligence de l'Écriture d'après Origène,* Aubier-Montaigne, Paris, 1950.
[^64]: -- (16). L'introduction du *Catéchisme romain, XII,* parle de ces quatre « lieux communs » de la théologie ; le ch. XIII traite de la première de ces quatre composantes ; le mot « source » intervient pour dire que tout énoncé biblique peut se ramener à un de ces « lieux », auxquels le catéchiste doit avoir recours « comme à la source de la doctrine à expliquer ». Pour l'usage de « source » comme pour la compréhension pratique de ce qui constitue l'enseignement chrétien, cette remarque me semble particulièrement importante : la Bible n'est pas considérée comme la source par rapport aux quatre « composantes de la foi » (dans une perspective hiérarchisée), mais ce sont ces composantes qui sont la source d'où s'écoulent les énoncés bibliques. Ceci s'applique au Décalogue, dans son rapport aux livres juridiques de l'Ancien Testament, comme l'a montré, avec une exégèse scientifique, H. Gese, *Zur biblischen Theologie,* Munich, 1977, pp. 55-84. On peut le montrer de façon non pas semblable, mais analogique pour les trois autres composantes.
[^65]: -- (17). Cette crainte est rappelée par la Conférence épiscopale française, *La catéchèse des enfants, texte de référence,* Le Centurion, 1980, p. 37, qui souligne, avec justesse, par ailleurs, « qu'on ne peut parler chrétiennement de Dieu créateur que dans la lumière de Jésus le Christ ressuscité ».
[^66]: -- (18). Sur cette problématique, voir J. Ratzinger, *La mort et l'au-delà. Court Traité d'espérance chrétienne,* tr fr. de H. Rochais, Fayard, 1979, et mon article « Entre la mort et la résurrection », *Revue catholique internationale Communio V,* 3, p. 419 (1980).
[^67]: -- (F) Cette méconnaissance de la loi naturelle -- méconnaissance de sa substance, méconnaissance de sa place et de sa fonction dans l'économie du salut -- ne touche pas seulement le catéchisme. Ou plutôt, si elle a envahi et vicié le catéchisme, c'est que, préalablement ou simultanément, elle avait envahi et vicié tout le champ de la pensée catholique, spécialement chez les évêques de notre temps. C'est précisément cela que nous avons nommé *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* dans un volume paru sous ce titre en 1968. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^68]: -- (19). H. Gese, cf. note 16.
[^69]: -- (20). C'est le mérite du texte de référence (*La catéchèse des enfants*) de la conférence épiscopale française d'avoir situé avec justesse l'actualité du Décalogue (p. 59). De même ce qui est dit (p. 57) de la catéchèse comme « démarche structurée sacramentellement » est en rapport avec notre propos.
[^70]: -- (G) Cette liberté légitime et nécessaire, la bureaucratie épiscopale française s'est appliquée à la supprimer en fait depuis son « Fonds obligatoire » de 1967-1968. Et en 1982, elle a osé la supprimer en droit, quand elle a interdit l'usage de tous catéchismes autres que les siens. L'interdiction frappait donc le catéchisme romain. Elle était évidemment invalide : mais son existence manifeste quel degré exorbitant a pu atteindre l'arbitraire épiscopal en France. -- On aura remarqué que les notes 17 et 20 du cardinal Ratzinger signalent une ou deux observations justes dans les documents catéchétiques de la conférence épiscopale française. C'est courtoisie et charité. On peut être sûr que si le cardinal Ratzinger avait trouvé d'autres passages à louer, il n'y aurait pas manqué. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^71]: -- (21). Catéchisme du Concile de Trente : Art. XIII.
[^72]: -- (22). Cf. note 21.
[^73]: -- (23). Concile de Trente : Art. X.
[^74]: -- (1). Cette association internationale possède une section française dont le siège se trouve à Paris, 9, rue du Bouloi, 75001 (note d'*Est et Ouest*).