# 272-04-83
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## Le catéchisme
### Il ne faudra pas s'étonner
LE CARDINAL RATZINGER A FINALEMENT CAPITULÉ. Il consent à une rétractation. Ce n'est pas lui qui nous le dit : mais on nous le dit en son nom, on nous le dit de sa part, l'épiscopat français l'annonce et *La Croix* le publie le 19 mars. Nous prenons acte de ce qui nous est ainsi notifié.
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*La Croix* nous explique qu' « *il était jusqu'à présent difficile de se faire une opinion *» sur ce qu'avait bien pu vouloir dire le cardinal Ratzinger : il « *n'avait pas livré le fond de sa pensée *» dans cette conférence dont le texte intégral n'occupe pas moins de vingt-deux pages d'ITINÉRAIRES ([^1]) ; mais « *c'est maintenant chose faite *»*,* ce fond de sa pensée qu'il n'avait pas livré en vingt-deux pages de sa main, il le livre dans la trentaine de lignes d'un communiqué qu'il « *vient de rédiger conjointement avec Mgr Vilnet *».
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Nous allons donc lire ce communiqué tel que nous le fait connaître l'épiscopat français par l'intermédiaire de *La Croix.* Mgr Vilnet, comme on le sait, ou comme il est permis de l'ignorer, est le président de la conférence épiscopale de France. En lisant ce communiqué conjoint, n'omettons pas de garder constamment à l'esprit le contexte qui lui est donné, la présentation qui en est faite officiellement. Les vingt-deux pages que le cardinal Ratzinger a dites de sa bouche et écrites de sa main, vous l'avez bien compris, ne livraient pas le fond de sa pensée. Le vrai fond de sa vraie pensée se trouve seulement dans les trente lignes qu'il n'a pas prononcées, et qu'il a écrites par la main de Mgr Vilnet. Voilà ce qu'il faut croire absolument si l'on veut être un bon catholique bien soumis à un épiscopat que le monde entier nous envie.
Lisons donc avec componction et confiance la vérité officiellement garantie :
« *Certaines questions ayant été soulevées à propos de* Pierres vivantes... »
On ne nous dira pas quelles questions. Les catholiques français, et spécialement les catéchistes, ne sont décidément pas des chrétiens adultes.
« ...*un dialogue a été établi avec la congrégation pour la doctrine de la foi. *»
Un « dialogue », notez-le, qui restera secret.
« *Ce travail commun, il convient de le comprendre... *»
Pardon. Il ne nous convient pas du tout de le comprendre. Ni d'une manière ni d'une autre. C'est bien impossible. Puisqu'on nous condamne à n'en savoir rien.
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« ...*il convient de le comprendre* « *comme un service que notre congrégation désire offrir *», *ainsi que l'écrivait le cardinal-préfet le 2 décembre dernier,... *»
Les formules souvent excessives de la politesse romaine se trouvent ainsi prises au piège.
« ...*en vue de parfaire cet ouvrage appelé à jouer un rôle important dans la catéchèse des enfants de France.*
« *Ce contexte donne à la méthode de travail le sens positif d'une recherche commune. *»
Abracadabra, ni vu ni connu je t'embrouille : tout cela pour ne rien dire sur le fond du débat.
Voici maintenant la rétractation du cardinal Ratzinger :
« *Le cardinal Ratzinger est venu à Lyon et à Paris dans le cadre des conférences sur la transmission de la foi. Il entendait, a-t-il précisé, traiter de la situation globale de la catéchèse en explicitant les problèmes et les perspectives du renouveau, et non désavouer le travail catéchétique en France. *»
Il a fait en somme, dit le communiqué, une conférence théorique et générale, qui ne concernait nullement l'évanouissement du catéchisme français. Nous l'avions entendu parler de crise et de désagrégation, mais je te baptise carpe, il sera réputé avoir parlé avec émerveillement de notre sensationnel renouveau.
« *Le fait même qu'il ait cité le texte de référence indique bien son accord avec ce document. D'ailleurs, la préoccupation du contenu théologique de la catéchèse, d'une juste place de l'Écriture dans la vie de l'Église qui inspire ce document rejoint les réflexions fondamentales du cardinal Ratzinger dans sa conférence en France. Nous avons pu de vive voix vérifier récemment notre accord avec lui sur tous ces points. *»
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Nous prenons acte de cet accord. Un tel accord est un démenti apporté au contenu explicite de la conférence du cardinal Ratzinger. C'est pratiquement une rétractation.
Il resterait à faire connaître les raisons, motifs et arguments qui ont amené le cardinal Ratzinger à si soudainement et si totalement changer d'avis.
« *En tout ceci, il faut toujours en revenir aux propos du saint-père aux évêques de l'Île-de-France : c'est aux évêques qu'il appartient de promouvoir la catéchèse et de veiller à sa qualité tant pédagogique que doctrinale afin que la transmission de la foi se fasse à tous les niveaux dans la vérité, dans la charité, dans l'unité.* »
Fin du communiqué que le cardinal Ratzinger « vient de rédiger conjointement avec Mgr Vilnet ».
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A la suite d'une telle communication officielle, il est tout à fait légitime que *Le Monde* annonce en résumé : « *Mgr Ratzinger souligne son accord avec l'épiscopat français au sujet de la catéchèse *»*,* et spécialement son accord « *sur le texte destiné à la catéchèse des enfants, intitulé* Pierres vivantes, *et dont l'auteur est l'épiscopat français *»*.*
Après quoi, le cardinal Ratzinger ne devra pas s'étonner s'il constate que son autorité morale en France, qui n'était pas négligeable, est brusquement tombée au niveau de celle des évêques auxquels il n'a pas refusé son accord.
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Le P. Michel Boullet, porte-parole officiel de l'épiscopat, a selon *La Croix* du même 19 mars ajouté à celles qui précèdent une mystification supplémentaire. D'après lui :
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« *Dans* Pierres vivantes *existent bien les quatre piliers dont parle le cardinal Ratzinger : le Décalogue, le Credo, le Notre Père et les sept sacrements. *»
Qu'ils y *existent* n'est pas du tout la question. Comme il faut toujours prendre l'hypothèse la plus bienveillante et supposer que le P. Michel Boullet ne cherche pas cyniquement à tromper son monde là-dessus, mais tout simplement n'y comprend rien parce qu'il en ignore tout, nous allons répéter patiemment l'essentiel à son intention et à celle de ses semblables.
Le catéchisme romain, ou catéchisme du concile de Trente, invoqué par le cardinal Ratzinger comme donnant « les quatre composantes classiques et maîtresses de la catéchèse », dit bien que « toute la doctrine et toute la science du salut se ramène à quatre points principaux qui sont le Credo, le Notre Père, le Décalogue et les sacrements ». Mais il ne dit pas qu'il suffit qu'ils *existent.* Il ne dit pas qu'il suffit de les *mentionner* ou de les *réciter.* Il dit qu'il faut les *expliquer.* Ce que ne font plus depuis quinze ans les fonds, pierres et parcours catéchétiques de l'épiscopat français.
Continuons à répéter patiemment.
Il y a trois connaissances nécessaires au salut.
La connaissance de ce qu'il faut CROIRE, qui est procurée par *l'explication* du Je Crois en Dieu, et qui instruit la vertu théologale de FOI.
La connaissance de ce qu'il faut DÉSIRER, qui est procurée par *l'explication* du Notre Père, et qui instruit la vertu théologale d'ESPÉRANCE :
La connaissance de ce qu'il faut FAIRE, qui est procurée par *l'explication* du Décalogue, et qui instruit la vertu théologale de CHARITÉ.
Ces trois connaissances nécessaires au salut demeurent ordinairement impuissantes sans le secours des sacrements, dont *l'explication* constitue la quatrième partie obligatoire de tout catéchisme catholique.
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Depuis quinze ans, ce n'est plus le catéchisme catholique qu'enseigne la catéchèse officielle de l'épiscopat français. Depuis quinze ans, nous travaillons au maintien en France du catéchisme romain, enseigné en dehors des évêques, malgré les évêques, contre la volonté mauvaise des évêques. Nous avons hautement réclamé contre l'injustice majeure que depuis quinze ans le Saint-Siège fait subir au peuple français en laissant se prolonger cette dramatique absence officielle d'enseignement du catéchisme catholique. Quand en janvier dernier le cardinal Ratzinger est venu tenir à Lyon et à Paris substantiellement le langage même que nous tenions contre vents et marées depuis quinze ans, et que nous réclamions du saint-père depuis dix ans, nous avons demandé, nous avons déclaré :
-- *Est-ce Rome qui commence à répondre ? est-ce le Saint-Siège ? ou bien est-ce une opinion personnelle du cardinal Ratzinger, qui toutefois est le préfet de la congrégation romaine de la doctrine de la foi ? Nous ne voulons, bien sûr, ni tourner le dos à l'espérance, ni prêter les mains à l'illusion...*
C'était en effet un mirage.
Le cardinal Ratzinger, celui de la conférence de janvier, a disparu entre deux portes, entre deux voyages, entre deux communiqués, il s'est évanoui, relégué dans l'inconsistance.
Avant même sa capitulation, il n'y avait eu aucun changement. L'épiscopat n'avait pas levé son interdiction canonique de tous les catéchismes autres que les siens. Le catéchisme romain restait interdit en France. La capitulation du cardinal n'était donc pas indispensable, elle n'a été qu'une formalité protocolaire.
Pour parfaire les choses, pour bien huiler le fonctionnement de la machine à mensonges, l'épiscopat nous laisse entrevoir, dans *La Croix* du 19 mars toujours, que l'on commence à préparer...
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« *On commence à préparer une seconde édition de* Pierres vivantes *qui sera une adaptation émanant à la fois des utilisateurs et du travail avec les congrégations romaines. *»
On commence à préparer... Ce n'est donc point à cette édition future que le cardinal Ratzinger a donné son accord, mais à l'édition actuelle, nullement censurée, toujours en usage. On ne parle même pas d'une éventuelle *rectification,* comme on l'avait fait pour le catéchisme hollandais ou pour l'article 7 définissant vicieusement la messe, -- *rectifications* qui furent spectaculairement inefficaces, mais c'était encore trop qu'elles aient pu avoir le nom et l'apparence de *rectifications.* La seconde édition de *Pierres vivantes* ne sera donc même pas une édition supposée rectifiée. Ce sera une édition adaptée. Elle sera tout entière une *adaptation :* mais à quoi, c'est ce que l'on ne dit pas et qu'au demeurant personne sans doute ne saurait dire. On mentionne qu'elle émanera à la fois, à égalité, des « utilisateurs » et du « travail avec les congrégations romaines ». Comme pour la communion dans la main, comme pour la rasade d'alcool un quart d'heure avant de communier, comme pour le latin et le grégorien, comme pour la doctrine sociale, comme pour le communisme intrinsèquement pervers, comme pour tout, c'est le règne du bavardage dans le brouillard, qui n'arrête aucun mauvais coup, qui en couvre au contraire le développement sans fin.
La conférence du cardinal Ratzinger suivie de l'équivalent pratique d'une rétractation, cela ne fait après tout qu'un épisode supplémentaire dans une histoire déjà longue. Le cardinal Ratzinger n'était pas comme les autres cardinaux. Il l'est devenu.
Après tout ce que la hiérarchie catholique fait subir au peuple chrétien depuis 1958, il ne faudra pas s'étonner des conséquences.
Jean Madiran.
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## CHRONIQUES
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### A propos des municipales
*De la victoire de Messidor\
à la défaite de Germinal an II*
par François Brigneau
LE PEUPLE FRANÇAIS est grand amateur de spectacles : surtout de spectacles sportifs. Toutes les élections l'intéressent donc. Elles sont à la politique politicienne de tous les jours, sans sanction visible, ce que sont, en football, les matchs « de compétition » aux matchs « amicaux » sans enjeu (parce que l'amitié n'a pas de prix).
Les 6 et 13 mars derniers l'intérêt a été encore plus vif que devant. Les élections n'étaient cependant que municipales. Mais la situation, le présent, l'avenir, leurs conséquences leur donnaient une importance particulière. Même ceux qui, par tactique, le dissimulaient parfois, ne l'ignoraient pas. Elles allaient compter pour le pouvoir, l'opposition, les élus, les battus, les électeurs ; les abstentionnistes et les abstentionneurs (j'appelle ainsi ceux dont la non-participation au vote est de volonté politique), pour ceux qui croient au bulletin et même pour ceux qui n'y croient pas.
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#### *La victoire de Messidor*
Les élections intervenaient vingt-deux mois après la victoire de l'alliance socialo-communiste. Le 10 mai 1981, M. Mitterrand avait été porté à l'Élysée par 15.714.853 voix contre 14.614.787 à M. Giscard d'Estaing. Soit 51,75 % contre 48,24 % des suffrages exprimés. (30.363.385 votants, sur 36.392.678 inscrits. Environ 44,1 % des inscrits.)
Ce succès relativement modeste et qui aurait dû le décevoir (« *Je veux gagner avec une marge telle que ce soit la France, et pas seulement une partie de la France qui sera, demain, rendue à elle-même *», disait-il, début mai, à Montpellier), M. Mitterrand le recevait comme un triomphe, d'une signification dépassant les élections traditionnelles. « *A la troisième étape d'un long cheminement, après le Front Populaire et la Libération, la majorité politique des Français vient de s'identifier à la majorité sociale *» affirmait-il le 21 mai. Étant donné « *la légitimité du fait majoritaire *», il déclarait illégitime l'Assemblée nationale élue trois ans plus tôt. Il en ordonnait la dissolution. Les législatives des 14 et 21 juin 81 amplifiaient les présidentielles : près de 56 % des suffrages exprimés pour l'union de la gauche. Le PS obtenait à lui seul la majorité absolue de l'Assemblée nationale (265 élus plus 20 apparentés sur 491 députés).
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Pour M. Mitterrand et ses idéologues dont les limites ont toujours favorisé les certitudes, ce verdict électoral impliquait la réussite automatique. Grâce à *l'état de grâce,* grâce au *formidable élan national ;* grâce à la défaite des incapables et des profiteurs ; grâce à la victoire de l'intelligence ; de l'imagination, des lumières, des vertus, du savoir-faire et du faire savoir ; grâce au monopole des solutions aux problèmes les plus difficiles, le *changement* allait être réussi en un tournemain. On allait changer la société française. *Y avait qua* et la République socialiste irréversible serait établie, protégée à jamais par la nature et le nombre des réformes ainsi que par la conquête des pouvoirs adjacents aux pouvoirs exécutif et législatif : le pouvoir communal, le pouvoir régional, le pouvoir policier, le pouvoir judiciaire, le pouvoir intellectuel, le pouvoir scolaire, le pouvoir syndical, le pouvoir militaire, le pouvoir financier, le pouvoir industriel.
Vingt-deux mois après une métamorphose d'une telle prétention mais qui semble ressortir davantage à celle de Kafka qu'à celle du papillon, le jugement de l'électorat ne pouvait ne pas prendre une valeur exceptionnelle.
#### *Pourquoi ne pas perdre*
D'autant que les municipalités sortantes avaient été élues en 1977 et que 1977 annonçait 81. Ce fut l'année de la première victoire de l'union du PS, du PC et du Grand Orient contre Giscard. (51 % et 57 grandes villes gagnées.) Certes, un an plus tard, en 78, la gauche avait reflué. Elle perdit les législatives, à cause du parti communiste qui rompit l'union jusqu'au premier tour des présidentielles de 1981. (N'oubliez pas que Fiterman commenta ainsi la candidature de Mitterrand à l'Élysée : « *Sa décision ne provoquera pas beaucoup d'émotion dans les chaumières. *») Ukase de Moscou ? Erreur tactique ? Peu importe. Depuis le 10 mai cette union est redevenue sacrée pour les communistes. Ils s'en réclamaient, comme jamais. Tout recul sur 1977 n'aurait pu s'expliquer par la division, du moins des appareils.
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Il constituerait un arrêt, un reflux de fait ; la condamnation de la politique communale et nationale de la gauche ; la perte de la majorité sociale entraînant celle de la majorité politique ; la fin de l'élan national ; la remise en cause du savoir-faire et du faire savoir de la gauche ; le retour du réel : la sublime victoire du Panthéon ne procédait que d'une irritation sectorielle.
A ces sombres perspectives générales, il convenait d'ajouter deux aperçus incidents mais tout aussi fâcheux.
Après avoir perdu en mars 82 le pouvoir cantonal, perdre en mars 83 le pouvoir communal revenait à perdre le pouvoir régional. Tout le plan de M. Gaston Defferre, ministre d'État, ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation s'en serait trouvé condamné. Ce qui aurait été fort dommageable tant il était ingénieux. Si ingénieux qu'il valait aussi bien pour Paris que pour la province. A Paris, M. Defferre créait vingt mairies d'arrondissements pour réduire et gêner le pouvoir central de l'Hôtel de Ville, au besoin pour s'y opposer. En province, plus tortueux que Vautrin, M. Defferre constituait vingt assemblées régionales, capables, si le « château » revenait, de limiter la portée de sa victoire législative ou présidentielle. Naturellement, ces manigances impliquaient qu'on ne perdît pas de mairies. Nul n'en doutait au grand soleil de Messidor. Dans les premiers jours de Pluviôse, il en allait, hélas, autrement.
Pour les communistes, cette éventualité était encore plus amère. Même si les résultats électoraux n'ont jamais déterminé la politique du Parti, il est comme les autres : il n'aime pas perdre les élections et plus que toutes les autres, les élections municipales. Les marchés municipaux et le commerce avec l'Est constituent ses ressources principales. Une municipalité communiste fait de la mairie la maison du Parti. Elle officialise et francise encore plus ce qui demeure, malgré la modification des signes, la S.F.I.C. (Section Française de l'Internationale Communiste). Elle facilite la pénétration et l'implantation de l'appareil clandestin, l'espionnage industriel, financier ou autre ; si besoin est, le sabotage et le terrorisme.
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En cas de guerre avec l'Union Soviétique, chaque mairie communiste constitue un noyau de résistance à la mobilisation et un fortin ennemi au cœur de la défense du territoire français. En cas de paix, une mairie communiste offre des moyens supplémentaires à la propagande et à la préparation du pouvoir soviétique. Tout cela est connu. S'en souvenir en période électorale permet de mieux comprendre l'acharnement farouche mis par le P.C. à défendre son pouvoir communal.
#### *Comment ne pas perdre*
Pour toutes ces raisons, le pouvoir socialo-communiste ne pouvait se permettre d'être battu, sous peine d'ajouter à ses difficultés qui sont déjà considérables. Il s'y est employé. Il a tout mis pour éviter la défaite. A tout le moins pour la limiter et la camoufler. Quand on dit « tout » : c'est tout. Sans hésiter sur les moyens et les conséquences. Depuis l'été dernier l'idée fixe de M. Mitterrand était : éviter à tout prix que les résultats des municipales ne nous fassent capoter.
Cela explique le charcutage des secteurs de Marseille ; la mise en arrondissements de Paris et de Lyon, la loi électorale la plus compliquée d'Europe ; l'utilisation forcenée des télévisions et des radios régionales (plus arbitraire encore que celle de TF1 et Antenne 2 ; et pourtant...) ; le retard de mesures qui s'imposaient mais qui auraient pu mécontenter l'électorat ; la constitution de véritables listes officielles soutenues par le préfet et les ministres ; l'aide financière apportée par les fonds secrets aux villes menacées (Brest, Belfort, Paris, Marseille, entre autres), les sondages-bidons (IPSOS donnant Chenard et Sanguedolce largement en tête à Nantes et Saint-Étienne, où ils furent battus, le premier au premier tour !) ; le manipulage du nombre des demandeurs d'emplois : il diminue mais celui des assistés augmente ; l'annonce précipitée mais définitive de la retraite à 60 ans quand son financement n'est pas encore arrêté ;
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l'affaire des taux d'intérêt de la Caisse d'Épargne ; les camouflages divers, variés et dans tous les domaines (le dernier en date particulièrement révélateur : le préavis de la grève du 16 mars à la télévision ne fut annoncé que le 15, quoique déposé le 9 (entre les deux tours) « pour ne pas interférer dans les élections »).
Le bilan des « interférences » de l'État socialo-communiste dans ces municipales pourrait constituer un livre blanc de 800 pages, au bas mot. Malgré ses écoles anglaises, de Gaulle n'était pas un chevalier du « fair-play ». Il ne respectait l'adversaire qu'à terre, sous son talon et mort de préférence. Il n'en a pas moins perdu un référendum que Defferre, le charcutier de la Canebière, lui aurait gagné puisqu'il a réussi à être élu à Marseille en étant minoritaire en voix. C'est beau la loi du nombre, c'est riche et quand on possède le « patron », on peut faire tous les tricots, à la mesure.
Il y a encore les « attentats » -- comme à Marseille -- scandaleuse exploitation de bizarres opérations. Des accusations d'enlèvements d'enfants comme à Draguignan (voir PRÉSENT du 17 mars), les pressions, les chantages, les menaces. On n'en finit pas.
(Confidence, j'écris ceci à la hâte, au lendemain du second tour. Plus j'avance et plus le terrain s'élargit devant moi. Il y a tant de choses à dire sur cette élection-témoin... Tant d'anecdotes et de faits qu'il faudrait citer... Rassurez-vous. Cette fois je vais savoir me limiter. Je ne vous referai pas le coup de *Jules l'imposteur.* Parti en mars, vous ne me retrouverez pas en décembre sur le même sujet.)
Tout fut bon dans cette campagne pour tromper l'électeur. A Brest et Marseille vous auriez cherché vainement le mot « socialiste » ou le mot « communiste » sur les immenses affiches en polychromie payées par les électeurs.
« *Votez Brest* » disait le socialiste Maille, modèle pourtant du prof socialo, internationaliste, laïque, sectaire, haineux, un sous-Mermaz : pour l'ouverture, mieux vaut chercher un autre serrurier.
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Defferre est maire de Marseille depuis 30 ans et davantage. Pour la première fois il se présentait allié, intimement allié aux communistes. Son vieil adversaire Lazarino soutenait un de ses bras droits, M. Pezet, président du Conseil général et secrétaire de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. A son adversaire le plus redoutable Guy Hermier, membre du bureau politique du P.C., futur premier adjoint à la jeunesse et au sport (très important), il offrait, en sus, le 6^e^ secteur et sa mairie. Voilà des nouvelles que ces partisans de l'information loyale et objective auraient dû largement diffuser. Mais à 73 ans, trois fois marié, sans enfant (« je ne les aime pas »), M. Defferre ne craignait pas le ridicule de couvrir le mur de sa ville de grands panneaux qui montraient un petit garçon et une petite fille marchant la main dans la main, au devant de la vie et dans la lumière du matin. Légende : *Le nouveau Marseille. Le socialisme est un humanisme.*
Les listes d'Union, dès le premier tour, exigées par le Parti communiste dès l'été (c'était le slogan de la Fête de la Courneuve) procédaient de ce souci de ratisser large et dans les coins. Dans les rares communes où les socialistes locaux (toujours les socialistes, jamais nulle part les communistes : c'est un signe) refusèrent l'alliance malgré les ordres de Paris, les communistes reprirent à leur compte l'appellation contrôlée. Pour la justifier ils y introduisirent des catholiques. Et pas n'importe lesquels : des prêtres, des religieuses, en leur donnant un métier ou le titre de *syndicaliste.* On voulait de l'électorat qu'ils pouvaient attirer mais sans risquer de choquer les tolérants de l'école laïque.
Enfin il faut dire un mot des fraudes électorales. Il y en a toujours eu. Jamais comme cette fois. Normal : Defferre le technicien est ministre de l'Intérieur. Il connaît tous les trucs. Il peut donner des conseils. C'est une raison. Il y en a d'autres. Dans la région parisienne, les communistes se savaient en danger de mort. A Limeil-Brevannes, Choisy-le-Roi, Sarcelles, Villepinte*,* Villeneuve-Saint-Georges, Les Clayes-sous-Bois, Noisy-le-Grand, Antony, Trappes, etc, toutes les techniques de filoutage ont été utilisées.
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Ici on a bourré les urnes. Ailleurs des procès-verbaux furent rectifiés ou travaillés au *corrector.* De son chef, Mme Goutman (PC) se permet d'annuler mille bulletins de l'opposition jugés par elle non conformes. Elle est venue le dire, sans vergogne, sur FR3. Le permanent détaché à l'information, de service ce jour-là, opinait gravement, l'air pénétré et triste à la fois. Il y avait de quoi. Finalement ce maëlstrom de tricherie, de malversations, de combines, de truquages ; cette gigantesque et pitoyable mobilisation d'arlequins ; cette débauche d'argent et d'efforts ; ce jeu de doux illuminés pratiqué par des voyous sordides, n'auront servi de rien. La gauche est battue. Le « *fait majoritaire *» a changé de camp. M. Lang est retourné dans les ténèbres. L'élection est le sacre de la République. Mais le sacre-Winchester, le sacre automatique et à répétitions. M. Mitterrand l'a perdu. Il a perdu sa majorité. Il a donc perdu sa légitimité.
#### *La défaite de Germinal*
Ce fait ne devrait pas pouvoir être discuté ni contesté. Si le principe en est accepté et dans la mesure où ceux qui le reconnaissent s'y soumettent, l'élection a au moins un mérite : son verdict ne peut se discuter. A obtient 4 voix. B n'en retient que 3. 4 étant supérieur à 3, 4 a raison et 3 a tort. C'est idiot. Mais c'est simple et net. Même Fillioud peut le comprendre.
En cela l'épreuve du scrutin ressemble aussi au sport de compétition. (Dans un article de revue, rappeler à la fin un élément du début souligne l'heureuse composition du morceau et ajoute au crédit de l'auteur. Il serait sot de ne pas en profiter.) Celui qui court le plus vite n'est pas forcément celui qui court le mieux. C'est celui qui met le moins de temps à parcourir la distance.
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Les commentaires ne changent pas le chrono. En Espagne, lors des demi-finales de la Coupe du Monde, la France joua mieux que l'Allemagne. Les joueurs allemands ayant marqué plus de buts que les joueurs français, ce fut l'Allemagne qui gagna. Et qui joua et perdit la finale. On n'y peut rien. Crierait-on « Schumacher SS » jusqu'à la fin des temps que le résultat demeurerait sur les tablettes.
Le 13 germinal an II, au coup de sifflet final, M. Mitterrand était battu en mairies, en sièges de conseillers municipaux, et en voix. Malgré le camouflage de M. Defferre, classant sous l'étiquette de la *Gauche centriste* (?) des électeurs ayant *tous* voté contre les listes socialo-communistes d'Union de la gauche, M. Mitterrand perdait au moins 7 points sur sa majorité présidentielle de Prairial (de 51,8 %, il tombait à 45 %) et 10 sur sa majorité législative de Messidor an I (de 55 à 45 %).
C'est PRÉSENT, dans son numéro daté du mardi 15 mars, qui le montra le premier avec le plus de force : *Mitterrand toujours sans majorité,* titrait-il pleine page. Tandis que le *Quotidien* se laissait abuser par les vieilles ficelles du guignol marseillais. Sa manchette disait : *A chacun son tour.* Ce qui est plus qu'une erreur : une contre-vérité. La gauche a perdu le premier tour. La gauche a perdu le second tour. Vingt mois après la victoire de Messidor, c'est la défaite de Germinal.
Honnête, loyal, démocrate conséquent, respectueux du principe même de son pouvoir, M. Mitterrand devrait normalement dissoudre l'Assemblée. Ce n'est pas dans la loi écrite. C'est dans la loi morale. La majorité des élus ne représente plus qu'une minorité d'électeurs. Il faut donc voter. Telle fut la position que les socialo-communistes répétèrent avec force après les municipales de 1977, qu'ils avaient gagnées.
Toutefois M. Mitterrand a si souvent prouvé que son honneur n'était pas fidélité, qu'il y aurait mauvaise grâce à lui reprocher ce manque d'attachement à lui-même. Au regard des paroles d'honneur données et reprises, cette dernière volte (dernière en date, bien star) est vénielle.
18:272
A défaut de dissolution, M. Mitterrand pourrait demander son avis au pays :
-- *Après le résultat des municipales, pensez-vous qu'il faille dissoudre l'Assemblée ?*
Après tout, le référendum, M. Mitterrand n'y était pas hostile lorsqu'il briguait l'Élysée. Le 5 avril 1981, au Club de la Presse, il avait déclaré : «* Le référendum, c'est vrai, c'est une idée nouvelle, mais je l'ai eue avec sept ou huit ans d'avance. Cela consiste à dire : pourquoi les Français ne seraient-ils pas traités en gens majeurs ? Pourquoi sur un certain nombre de problèmes importants, ne seraient-ils pas appelés à se prononcer, tout simplement ? *» Pourquoi, en effet ? Voilà le type même d'un problème important que les Français pourraient résoudre si M. Mitterrand les considérait comme majeurs.
S'il ne le fait pas, c'est que ce ne doit pas être le cas. A moins qu'il se soit soudain souvenu du moyen radical de ne plus jamais perdre les élections municipales. C'est lui qui l'avait trouvé. Comme le référendum, il l'avait eu il y a six ou sept ans. Il figure au n° 80 des 110 points de son programme présidentiel : « *Le droit de vote aux élections municipales sera donné aux travailleurs immigrés après cinq ans de présence sur le territoire français. *» Aux prochaines municipales, les immigrés seront quatre millions (au moins) dans ce cas. Ce sera en 89. Quel beau cadeau d'anniversaire. M. Defferre, qui en aura 79, est capable d'en reprendre pour six ans. Il y parviendrait avec beaucoup moins de difficultés qu'en 1983.
François Brigneau.
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### Les chevaliers des chansons de geste
*Témoins de la foi pour aujourd'hui*
par Geneviève Le Guillou
L'ÉPOQUE des chansons de geste ne ressemble guère à la nôtre, comme l'enfant ne ressemble guère à l'adulte, souvent blasé, qu'il deviendra. Aujourd'hui, bien des chrétiens se déclarent adultes responsables, tolérants, ouverts au monde. Aujourd'hui, beaucoup cherchent une expression toujours plus « intellectuelle » de la foi, la croyance en un Dieu peu dérangeant qui n'existerait que dans la subjectivité de ces nouveaux chrétiens. Aujourd'hui, l'on rit de la foi du charbonnier, mais on admire la foi musulmane et son expansion ; on abandonne en France d'antiques églises, mais on y construit des mosquées.
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Qu'est devenu le pays de Roland et d'Olivier, de Guillaume d'Orange, du bon empereur à la barbe fleurie ? Et pourtant, à l'heure où Jean-Paul II nous rappelle qu'il ne faut pas avoir honte de Jésus-Christ, qu'il faut ouvrir toutes grandes ses portes au Fils de Dieu, ne pourrait-on écouter encore la lumineuse leçon des chansons de geste ? Une leçon trop simple sans doute pour nos cœurs tourmentés d'Occidentaux libéraux, une leçon si claire qu'on a jugé plus sage d'en garder les enfants et de l'exclure pratiquement des programmes scolaires, mais une leçon de courage et d'enthousiasme, propre à réveiller les cœurs endormis.
LES CHEVALIERS D'AUTREFOIS apparaissent comme des chrétiens triomphants. Pour eux, se présenter, c'est affirmer sa foi, avant même de dire son nom et son pays, à la manière du jeune Vivien : « Je crois en Dieu qui partout a puissance / Et suis extrait du lignage de France / Et le neveu de Guillaume d'Orange. » On appartient à son Dieu, avant d'appartenir à un pays, à une famille. Les chevaliers vivent à chaque instant, comme une pressante réalité, l'ancien cantique, banni de nos églises : « Catholiques et Français toujours ». Comme ils ne connaissent encore ni saint Freud, ni saint Marx, ils ne craignent pas d' « aliéner » leur liberté en se déclarant « les serfs de Jésus-Christ ». Ils osent même prétendre que cette foi chrétienne constitue une supériorité sur les incrédules, car leur garant est au ciel, « celui qui siet haut et voit loin », le seul vrai roi, le tout-puissant qui a créé le monde et peut à tout moment intervenir encore dans sa création. Loin d'eux l'idée que toutes les croyances -- et non simplement les personnes -- sont respectables et d'égale valeur ! Ils ne voient pas dans les musulmans tant les disciples de Mahomet que ceux qui ne croient pas en Jésus-Dieu : la religion des « Infidèles » repose sur des bases fausses puisqu'ils méconnaissent la divinité du Christ.
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Nos chevaliers ne reconnaîtraient sans doute pas Jésus dans le camarade révolutionnaire, dans le rêveur humaniste que présentent tant de catéchismes et de paroisses modernes. Pour eux, aucun doute n'est possible : Jésus est Dieu, et l'on pourrait retrouver auprès d'eux un sens du respect et de l'adoration profonde, que les catéchismes modernes développent trop peu chez l'enfant. Sans cesse les auteurs épiques nous rappellent que c'est Dieu le Fils qui s'est « aombré » (incarné) en la Vierge Marie ; c'est Dieu le Fils qui naquit à Bethléem, qui « pour nous souffrit et mort et passion », puis qui « vint de mort à vie », tandis qu'inversement Jésus était déjà en Dieu, quand celui-ci « nous fit à son image » et créa « ciel et rosée ». C'est pourquoi le Fils a droit à même adoration que le Père et, à l'instar du prophète Isaïe, qui saluait l'enfant de Noël des titres de « Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix », les chansons de geste parlent de Jésus comme du « roi aimant », de « notre père du ciel ». Voilà de magnifiques formules pour souligner la spécificité de la foi chrétienne et nous redire qu'elle n'a rien à voir avec un vague déisme : elle est tout entière centrée sur la personne du Christ.
#### *Une foi agissante*
Solidement enracinée, la foi des chevaliers guide toutes leurs actions et s'exprime dans la moralité de toute leur vie. Point n'est besoin d'un débat sur la foi et les œuvres : les implications morales de la foi sont si évidentes ! Se dire chrétien, c'est laisser entendre qu'on est un chevalier loyal et vaillant, soumis à son roi, protecteur de la veuve et de l'orphelin. Le chevalier chrétien sait qu'il y a un bien et un mal ; il a le péché en horreur et redoute par-dessus tout de succomber à la Tentation, car ce serait écouter le Diable et se couper de Dieu, alors qu'il lui faut toujours observer la loi divine et « l'essaucier » (l'exalter). Cette simplicité dans la pensée est garantie de droiture ; mais aussi d'humilité : il est naturel pour un chevalier de mettre sa foi en pratique et de se consacrer au service de Dieu. A l'inverse, une morale laïcisée est impensable et il faut savoir se montrer indulgent aux traîtrises des Infidèles ils se sont donc coupés de la source du Bien.
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Les chevaliers puisent en cette foi simple et vivante un courage inlassable, car renoncer à sa foi reviendrait à renoncer à son identité. Aussi vaut-il mieux s'exposer à perdre la vie qu'abandonner son Dieu, et l'épopée résonne souvent de vigoureuses protestations, comme celle de Guillaume d'Orange « Mieux vaudrait avoir la tête coupée / Et pièce à pièce tout mon corps démembré / Que je renie le roi de majesté. » Les chevaliers se montrent donc toujours prêts au martyre ; ils y aspirent même, comme tant de saints, comme sainte Thérèse d'Avila, par exemple, en son enfance. Ils ont gardé en effet l'enthousiasme de l'enfant ; à son exemple, ils savent tout donner et se donner eux-mêmes entièrement. Ces bâtisseurs de chrétienté demeurent proches de l'enfant que le Christ nous demande d'être, bien plus que tous ces habitués des écoles à qui l'on a appris l'art des discours creux, des nuances, du « dialogue », l'art des éternelles polémiques sur la guerre et la violence, l'art de la prudence blasée et du relativisme moral. Les héros des chansons de geste, eux, savent seulement qu'aimer Dieu, c'est le servir jusqu'au bout, même s'il leur faut pour cela affronter une guerre. Ils reconnaissent une échelle des valeurs et, au-dessus de la conservation de leur vie, au-dessus de la paix, ils placent Dieu, prêts à défendre par les armes les conditions qui permettront de le servir pleinement ou, en cette époque d'expansion pour la chrétienté, prêts à lui conquérir de nouveaux territoires. Si bien souvent leur évangélisation use de moyens expéditifs et violents, force est du moins de leur reconnaître un réel souci de l'honneur de Dieu et du salut des âmes. Devant les multitudes de musulmans qui demeurent aux portes du royaume de France, une seule pensée : que d'âmes perdues pour Jésus-Christ ! Et cette idée leur inspire « grand pitié ». Trouverait-on le même souci chez les hommes d'aujourd'hui face Aux progrès de l'Islam ?
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#### *Une foi inébranlable*
Trop d'inquiétudes rongent le chrétien moderne. Il s'entend répéter qu'il ne doit pas se « sécuriser », qu'il ne doit pas chausser les pantoufles douillettes d'une foi tranquille. Clercs et laïcs l'exhortent à « se remettre en question », à ne pas croire qu'il détient « la » vérité ; au nom d'une tolérance mal comprise, le voilà perpétuellement en proie au doute, à la mauvaise conscience, n'osant même plus se laisser aller à cette joie surnaturelle que le Christ nous promettait pourtant à travers les plus grandes épreuves. Qu'il regarde donc les chevaliers ! Pauvres de cœur, ils ignorent l'art de l'analyse et de l'introspection ; ils ont pleine confiance dans les enseignements de l'Église et sont certains de demeurer dans le vrai aussi longtemps qu'ils les mettent en pratique. Forts de leur foi, ils ne doutent pas de la présence de Dieu à leur côté lorsqu'ils s'engagent dans une voie. Aussi, dès qu'une décision est prise, n'y a-t-il plus de place pour l'hésitation. Il est évident pour eux que Dieu répond à la confiance de son enfant et n'attend souvent qu'un acte de foi pour agir. Le héros est alors véritablement transformé par la toute-puissante présence de son Dieu ; ainsi que l'écrit l'auteur de Doon de Mayence, « il n'a plus de peur, ni de doute, car il se fie en Dieu ».
Il a pris au mot la prière enseignée par le Christ et voit en Dieu son père. Il reconnaît la main du Seigneur dans tout ce qui lui arrive. S'il est sauvé, c'est que Dieu l'a « gari » (protégé) et sans cesse, au combat, il se souvient, comme Aymeri de Narbonne, que « le nom de Dieu qu'il avait nommé / L'a de la mort garanti et gardé ». Au contraire, s'il meurt, c'est que Dieu y a consenti, et il accepte cette mort sans révolte, comme il avait su accepter avec joie tous les dons de Dieu. Le Fiat de Marie revient souvent dans la bouche des chevaliers : « Que Dieu fasse de moi sa volonté ! » Comme Job, ils vont jusqu'à louer Dieu au sein des plus grands malheurs. « Puisqu'il plaît à Dieu, qui jamais ne mentit / Et à sa douce mère, je les en remercie / De tout ce qu'ils m'envoient », déclare ainsi Pépin le Bref. Cette acceptation de la volonté divine ne semble pas à nos héros contraire à *leur* liberté. Ce n'est pas l'homme, à leurs yeux, qui construit le monde et instaure le Royaume de Dieu ; c'est le Seigneur lui-même ; et la liberté de l'homme consiste à collaborer à son œuvre. A travers toute l'histoire, en effet, Dieu agit ; il est là pour donner son sens à l'histoire, qu'on ne peut comprendre en dehors du christianisme.
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#### *Une foi éclairée*
Une telle conviction dispose les chevaliers à la contemplation, la contemplation de l'œuvre divine dans le monde d'aujourd'hui ou bien de celle dont l'Ancien et le Nouveau Testament gardent le souvenir. Lorsqu'ils évoquent ainsi le monde de la Bible, il ne s'agit pas de se réjouir un moment de récits merveilleux. Pour eux, réellement, l'Histoire Sainte est toujours vivante, et nos catéchistes modernes qui s'inquiètent tant de savoir ce que la Bible pourrait encore « dire à l'homme d'aujourd'hui » trouveraient de magnifiques leçons auprès d'eux. La vie du chevalier ne prend sa pleine signification qu'en référence constante à l'Ancien Testament. Il est animé de la foi du « baron Abraham, qui fit sacrifice de son enfant ». Lorsque Dieu le délivre, il se souvient que c'est ce Dieu qui « Sauva Jonas du ventre du poisson / Et Daniel en la fosse au lion », et qui « garda sainte Suzanne du faux témoin ». Mais s'il meurt, il meurt comme Adam et ses enfants, comme les hommes du temps de Noé, à cause de sa nature pécheresse. Un frère traître, lui, agit comme Caïn, « qui tant fut forcené », tandis que les païens sont de la race de Goliath. Si l'on a à se plaindre d'une mégère, avec un sourire on se réfère à l'Ecclésiaste et aux Proverbes pour exprimer son scepticisme sur la droiture des femmes, comme le comte Amile : « Je sais bien que Salomon dit vrai : sur sept mille, il n'y en a ni quatre, ni trois de bien parfaites ! »
Cependant, plus encore que les patriarches et les prophètes, c'est Jésus lui-même qui revit en ses serviteurs, et leurs prières se réfèrent aux miracles qu'il accomplit durant son ministère terrestre : pourquoi le Christ ne renouvellerait-il pas le miracle des noces de Cana ou de la résurrection de Lazare ? Ces évocations vivantes transfigurent l'existence du chevalier et donnent un sens nouveau à chacun de ses instants. Lorsqu'il se marie, par exemple, sa femme lui est confiée comme Jésus sur la croix confia sa mère à l'apôtre Jean. Mais surtout aucun des détails de la passion du Christ n'est ignoré ou laissé dans l'ombre : ni l'agonie au Mont des Oliviers, ni le couronnement d'épines et la flagellation, ni la crucifixion puis la mise au tombeau. Par amour pour le Christ, les héros épiques peuvent revivre en effet cette passion sur le champ de bataille.
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Les souffrances du jeune Vivien, à l'Archamp, retracent ainsi celles du Christ, jusqu'à sa blessure au côté droit qui rappelle le coup de lance reçu par Jésus sur la croix. Vivien lui-même se montre conscient de cette ressemblance, et sa dernière prière constitue un des plus beaux cris d'amour au messie souffrant. Vivien a demandé à Dieu de lui épargner les souffrances et la mort, mais « quand il l'eut dit, le baron se repentit : « Je ne pensais que folie, quand je croyais préserver mon corps de la mort, alors que le Seigneur ne le fit pour lui-même et pour nous souffrit en sainte croix, pour nous libérer de nos mortels ennemis. Je ne dois pas, Seigneur, te demander répit de mort, car à toi-même tu ne voulus l'accorder. » Quelle union plus étroite pourrait-on imaginer avec son sauveur ? Les chevaliers aiment leur Seigneur jusqu'à la mort, parce qu'ils le connaissent et renouvellent sans cesse cette connaissance dans la prière et dans la foi. On ne leur a point répété dans leur enfance qu'ils devaient d'abord chercher Jésus en leurs petits camarades d'école, on n'a pas édulcoré l'histoire du péché originel ou le récit de la Passion ; depuis leur baptême, simplement, on les a mis en présence du Dieu vivant et cette présence a donné à leur vie une dimension surnaturelle.
#### *Une foi priante*
Emplis d'amour et de reconnaissance pour leur Seigneur, les chevaliers vivent dans un état de prière continue et, fréquemment, au milieu de leurs activités, au milieu même de la cour, on les voit s'arrêter pour se tourner vers Dieu. Sur le champ de bataille ou en voyage, ils n'hésitent pas à descendre de cheval pour s'agenouiller ou se prosterner les bras en croix, tournés vers l'Orient, « en grande humilité ». La louange vient souvent à leurs lèvres, car les événements qu'ils traversent leur semblent non les fruits « du hasard ou de la nécessité », mais l'œuvre d'une divine Providence. « Seigneur, loué soyez-vous de cette destinée », s'exclament-ils à tout moment. Il arrive même que, tout pénétré de l'enseignement de Jésus : « Quand vous priez pour demander quelque chose, croyez que vous l'avez reçu et cela vous sera donné », le héros épique remercie à l'avance Dieu du secours qu'il enverra, à l'exemple du roi Flore : « Loué soyez-vous, par votre douce vertu, / Car quand il vous plaira, bien nous sera rendu. »
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Les demandes à Dieu se font en effet nombreuses et variées, précises aussi. Comme le prophète Malachie, le chevalier se réjouit à l'idée que le Seigneur va ouvrir pour lui les écluses des cieux. Au combat, bien sûr, il réclame son secours, afin qu'il ne soit « ni vaincu, ni récréant » (renégat), et, si le danger se fait pressant, humblement il lui demande pardon et le supplie de lui ouvrir son paradis. Mais il prie aussi pour les autres, pour le salut de ses amis, de sa famille, tandis que le chef, avec un sens aigu de sa responsabilité, intercède pour ses soldats. Dieu semble si proche qu'on n'hésite pas à l'appeler même pour de simples détails de la vie matérielle : « Que Dieu, qui fut cloué sur la croix, pense au ravitaillement », demande Qui de Bourgogne. Enfin, à une époque où les enfants sont considérés comme une bénédiction, le chevalier s'adresse souvent à Dieu pour lui réclamer la grâce d'une nombreuse descendance. Mais, à côté de ces requêtes ordinaires, maintes fois les héros épiques osent demander des miracles ; ils ne s'embarrassent pas de savoir si ceux-ci étaient réservés à la primitive Église et ne s'interrogent pas sur leur réalité objective. Ils supplient Dieu simplement de les réaliser ; ils « prient Dieu, le roi de paradis, de faire des miracles, afin qu'ils puissent les voir » ; ... et leur prière est exaucée.
En des circonstances particulièrement solennelles, ils ne craignent pas de se lier par des vœux, d'engager leur avenir, et l'on retrouverait auprès d'eux la vraie signification du pèlerinage : un témoignage d'amour et d'humilité du serviteur devant son Dieu. C'est dans ces sentiments que l'on se rend au saint sépulcre ou à Saint-Jacques de Compostelle ; tout le voyage est déjà prière. Les chevaliers n'oublient pas non plus d'associer l'Église entière à leur joie reconnaissante et, une fois leur prière exaucée, construisent chapelles et abbayes. Car en eux demeure, toujours très fort, le sentiment ecclésial.
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#### *Une foi ecclésiale*
Le chef et ses soldats forment eux-mêmes une petite Église ; un lien spirituel les unit : le Saint-Esprit est là, qui fait d'eux un seul corps, face à des milliers de païens, et ils aspirent à recevoir « Dieu le Saint-Esprit » dans sa plénitude, comme les apôtres le jour de la Pentecôte. Les compagnons de Vivien, par exemple, jurent fidélité au jeune chevalier « en cette loi que Dieu sur la terre donna à ses apôtres quand sur eux il descendit », tandis que Vivien reçoit leur foi « En cet esprit qu'il eut en son corps / Quand pour pécheurs il souffrit la mort ». C'est pourquoi le chef pourra, sans démagogie aucune, diriger les actions et tous lui obéiront, priant sans cesse les uns pour les autres.
Le même lien les unit à l'Église triomphante qui a déjà pris sa place aux côtés du Seigneur, si bien que nos héros « vont souvent réclamant Dieu et ses saints ». Ils ne voient en effet nulle superstition dans le recours à l'intercession des saints, mais ils y puisent la certitude de n'être jamais seuls, même lorsqu'ils se trouvent isolés du reste de l'armée, au milieu des païens, car les chevaliers, comme les saints, sont « les amis de Dieu » et, souffrant comme eux pour défendre la foi chrétienne, ils invoquent volontiers les martyrs : saint Denis, saint julien, saint Vincent, aussi bien que sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Sophie... Ainsi n'affrontent-ils jamais le danger sans être entourés des prières célestes. Les Infidèles eux-mêmes soupçonnent que là demeure le secret de leur force.
Cependant cette union à l'Église trouve son expression la plus parfaite dans le culte de Marie, la protectrice des chevaliers, la conseillère par excellence. Les poètes épiques nous apprennent à aimer « la Vierge honorée et bénie » ; ils cherchent pour elle les expressions les plus tendres : « la douce vierge chère », « la très douce mère de Dieu », « la dame de grande bonté », ou les titres les plus glorieux « Notre-Dame », « la Dame du ciel », « Marie qui est proclamée reine souveraine », « reine couronnée ». Ils nous rappellent que son appui ne fait jamais défaut à qui l'invoque ; elle est celle « qui à ses bons amis fait secours et aide ». Sous sa garde sont réunis tous les croyants, et sa protection souligne, pour les chevaliers, leur appartenance à une communauté chrétienne, car ils sont protégés en tant que membres d'une Église, ou d'un peuple de croyants, « la douce France ». Il est à noter que ce sentiment ecclésial des chevaliers ne se montre si fort que parce que toute leur vie est centrée sur Dieu et qu'ils recourent sans cesse à celle que notre siècle a proclamée « Mère de l'Église ».
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Quelle leçon pour aujourd'hui où l'on voudrait donner à l'enfant un sens communautaire, avant de le mettre en la présence vivifiante de Dieu et de sa mère !
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Brûlants d'amour pour Dieu, emplis d'enthousiasme et de fougue à son service, les chevaliers des chansons de geste se présentent comme des modèles de croyants pour notre siècle de tiédeur. Il n'est pas question, bien sûr, de les canoniser hâtivement ; car, prompts à s'enflammer, ils se révèlent aussi prompts à jurer et à tuer. Mais toujours, après les plus grands péchés, ils savent, comme David, revenir vers leur Dieu en toute humilité et lui offrir avec amour toutes leurs actions. Les poètes épiques, conscients de la leçon qu'ils nous offrent, nous invitent eux-mêmes à la méditer, comme l'auteur d'Aymeri de Narbonne : « En abbaye et en religion / On doit ouïr d'Aymeri la chanson. / Car en tout temps écouter la doit-on, / Et en carême et en toute saison. » Saurons-nous les écouter ?
Geneviève Le Guillou.
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### Comme les autres
par Gustave Thibon
JE N'AI RIEN CONTRE LES PLAISIRS de la table qui prolongent les joies de l'âme. Ce n'est pas par hasard que le mot agape (repas fraternel), dérive du grec *agapé* qui veut dire amour. Ce qui me hérisse, c'est d'abord la séparation entre ces deux termes, (le réveillon éclipsant de plus en plus le mystère de Noël, les chandelles du souper, l'étoile des mages...) et, ensuite, le caractère mécanique et presque contraignant de ces rites gastronomiques -- sans parler des surenchères grotesques auxquelles ils donnent lieu, comme par exemple, cet imprimé que j'ai sous les yeux, proposant un réveillon-surprise à Moscou, avec aller et retour par avion, aux seules fins de déguster des plats typiquement slaves qu'on trouve sans peine dans n'importe quel restaurant russe de Paris ! Dépaysement total, annonce le prospectus. Pourquoi pas un « Noël-surprise » dans quelque îlot de l'Archipel du Goulag, avec le menu des prisonniers ? L'effet de contraste serait beaucoup plus saisissant, le dépaysement plus absolu pour nos blasés fortunés que ronge le prurit de nouveauté à tout prix... Recherche du plaisir ? Pas même ; obéissance à un rite profane imposé par l'opinion et par l'habitude.
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Témoin : mon dialogue, avec une bonne femme entre deux âges, rencontrée dans un supermarché à la Saint-Sylvestre de l'an dernier. Poussant à grand peine son chariot surchargé, elle m'apostropha en ces termes : « *Les fêtes, Monsieur, on devrait les supprimer ! Être obligé de se ruiner en victuailles, de cuisiner du matin au soir, de manger jusqu'à l'indigestion, c'est une folie, etc. *» Je lui fis doucement remarquer que, pour l'instant, rien ne l'empêchait de se comporter, au moment des fêtes, comme tous les autres jours de l'année, qu'aucune sanction pénale ne s'abattait sur les abstinents, que les commerçants ne disposaient d'aucun moyen de contrainte contre ceux qui ne dévalisaient pas leurs magasins, bref que, même au temps des grandes bombances rituelles, on était libre de ménager à la fois son porte-monnaie, et son estomac. Toute ahurie par cette évidence, la brave femme branla la tête sans souffler mot...
Et l'on ose dire que le plaisir est le principal mobile des actions humaines ! C'est plutôt le conformisme social : il faut faire comme tout le monde, et donc s'empiffrer à l'unisson de la masse, dût la réjouissance imposée par le calendrier tourner à la pire des corvées. On se réveillera demain, la langue pâteuse, et la bourse vide, trop heureux si la crise de foie, provoquée par les agapes, n'entraîne pas l'achat de remèdes qui aggravera le déficit de la sécurité sociale, mais on aura fait son devoir !
A la même date, la télévision nous montrait, devant la porte d'un magasin polonais, une longue file de postulants à je ne sais quelle maigre ration alimentaire. Ceux-là n'avaient pas le choix : il fallait faire la queue dans la nuit d'hiver, ou se laisser mourir d'inanition. Poignant contraste avec l'Occident d'un côté, les forçats de la faim, de l'autre les forçats de l'indigestion. La pression de la coutume presque aussi forte que la nécessité biologique....
Le même phénomène de mimétisme se retrouve à tous les niveaux, par exemple, en ce qui concerne la soi-disant liberté sexuelle. J'ai reçu hier une petite lycéenne de 15 printemps, qui s'obstine à refuser les étreintes amoureuses dont la pilule neutralise les conséquences et à qui ses compagnes dessalées répètent comme un leit-motiv : « *Tu as beau faire, beau dire, tu y passeras comme les autres. *» Comme les autres, voilà le grand mot, le nouvel impératif catégorique. Même sans plaisir, il faut obéir à la loi du plaisir. Celui-ci, proclamé d'abord comme un droit, devient ensuite un devoir.
L'homme est un animal imitateur -- ce qui, à première vue, semble justifier l'opinion qu'il descend du singe. D'où cette étrange corruption du sens du devoir. Tel comportement que, dans les époques relativement saines, on condamnait comme une offense à la morale ou à Dieu, revêt, dans une ambiance décadente, les couleurs d'un geste libérateur, « épanouissant », et celui qui s'y refuse, se rend coupable, aux yeux de la nouvelle morale, de l'impardonnable péché d'anachronisme.
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L'ancienne morale, malgré son rigorisme excessif, séquelle du jansénisme qui avait affecté jusqu'aux milieux non religieux, nous parlait au moins du plaisir qui suivait l'obéissance au devoir. J'entends encore le vieil instituteur de mon enfance exalter « la satisfaction du devoir accompli ». La contre-morale qui lui a succédé, opère à l'inverse : elle fait du plaisir un devoir, et du même coup, elle éteint le vrai sens du devoir, et la vraie jouissance du plaisir. Ce que résume admirablement le mot de Talleyrand qui soupirait au sortir d'un bal auquel les devoirs de sa charge l'avaient condamné à assister : « La vie serait encore supportable, sans les plaisirs. »
Gustave Thibon.
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### La musique de Rebatet
par Mireille Cruz
LES ÉDITIONS Robert Laffont, dans leur excellente collection « Bouquins », rééditent *Une histoire de la musique,* de Lucien Rebatet, personnage bien connu dans les milieux d' « extrême droite ». « Extrême droite » ne veut pas toujours dire tradition. Ce livre en est une illustration. Car il est antitraditionnel et progressiste. L'erreur fondamentale de Rebatet est en effet de confondre évolution et progrès. Il est clair qu'il y a une évolution de la musique occidentale, que des formes se sont constituées peu à peu, que des instruments sont nés, que d'autres ont disparu, que l'écriture musicale est devenue de plus en plus complexe. Une chose est de constater cette évolution, une autre est de considérer systématiquement comme un progrès tout nouvel apport. Cette attitude conduit Rebatet à conforter le terrorisme culturel qui règne aujourd'hui. Comme toute nouveauté est un progrès, c'est toujours l'avant-garde qui a raison (je n'invente rien). Rebatet, comme le plus grand nombre des musicologues actuels, passe son temps à *juger les compositeurs en fonction de ceux qui vont suivre.*
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Un grand compositeur est celui chez qui on trouve *déjà* ce que va faire son successeur. Et un compositeur qui ne sera pas *en avance* sur son temps sera cité seulement comme une bête curieuse : c'est un attardé. Étant entendu que toute l'histoire de la musique prépare Wagner et que depuis Schoenberg elle a pris une nouvelle ascension.
Pour tout évolutionniste, il faut un point zéro d'où s'élèvera la courbe du progrès. En ce qui concerne la musique occidentale, le niveau zéro de la barbarie, c'est le chant grégorien. Eh bien oui, évidemment. Rebatet est d'accord avec Berlioz, qui estimait qu'il ne fallait pas confondre simplicité et indigence, et qu'avec aussi peu de notes il était impossible que le chant grégorien exprimât quoi que ce soit (« Le Moyen Age qui épelait à peine des neumes approximatifs ») d'autant plus que la mélodie n'est généralement pas « appropriée aux paroles » (sic). Pour être plus précis, disons que Rebatet considère même que le chant grégorien est au-dessous du niveau zéro, c'est une musique orientale modale imposée à l'Occident qui pensait déjà plus ou moins en ut majeur (ce qui est archi-, faux, on se demande où il est allé pêcher cela).
Il y a pourtant d'autres critères pour juger de la musique que celui du nombre de notes et de la complexité de leur ordonnancement. Celui-là est le seul « scientifique », sans doute. Mais il est nettement insuffisant. Ainsi on ne trouvera pas de musicologue pour placer par exemple la 2^e^ symphonie de Vincent d'Indy au-dessus d'une partita pour violoncelle de Bach ou des leçons de Ténèbres de Couperin. Pourtant, la 2, symphonie de d'Indy est un superbe chef-d'œuvre de science de la composition et de science orchestrale. Mais la science ne fait pas toute la musique, et la monodie des partitas de Bach, le dessin très simple des leçons de Couperin, ont une puissance d'expression incomparablement plus élevée. Quel progrès entre Couperin et d'Indy ? Aucun, sur le plan de l'art proprement dit.
Même sans entrer dans le domaine de l'appréciation subjective, il est un critère que l'on peut évoquer : celui de la difficulté d'interprétation. Il est des pièces de virtuosité qui sont infiniment plus aisées à interpréter que des traits techniquement faciles, de Mozart par exemple dans ses sonates ou concertos pour piano.
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Et maint jeune génie de la virtuosité à la technique époustouflante se casse les dents sur les plus belles œuvres et disparaît de la scène. C'est que la technique ne suffit pas pour exprimer l'inspiration, le souffle, l'étincelle divine. Et il n'est pas difficile de voir que les plus belles œuvres de musique sont aussi les plus difficiles à interpréter, quelle qu'en soit la difficulté technique. Les mélomanes traditionalistes ont pu remarquer que de médiocres scholas pouvaient chanter correctement des œuvres polyphoniques du XVI^e^ siècle et étaient incapables de restituer comme elles doivent l'être les pièces grégoriennes. Ainsi le plain-chant est-il incontestablement plus difficile à très bien chanter que les polyphonies les plus élaborées du XVI^e^ siècle. Cela n'est pas « logique ». C'est le contraire qui devrait être vrai, si l'on se place du point de vue de la « science » et de l' « évolution ». Mais c'est que le chant grégorien est une musique divine et que sa puissance d'expression est infiniment plus grande que la musique, pourtant belle en soi, des polyphonistes du XVI^e^.
Bien entendu, si l'on se fonde sur de tels critères, il n'est plus question de confondre évolution et progrès. Le chant grégorien est, pour s'en tenir au strict plan musical, un sommet en soi. Il en est de même pour toutes les grandes œuvres, quelles que soient leur époque et leur place dans l'évolution de la musique occidentale.
D'un point de vue progressiste, tout ce qui peut ressembler à un « retour en arrière » ou même à une simple stagnation est condamnable. L'évolution doit être homogène et quiconque s'écarte de la ligne tracée par l'historien de la musique doit être impitoyablement rejeté.
Le tournant du XX^e^ siècle est très significatif. Pour Rebatet, comme pour bon nombre de musicologues, la musique tonale, essoufflée, devait disparaître. Les hommes de progrès furent Schönberg, Berg et Webern, les compositeurs de l'école de Vienne qui inventèrent le sérialisme dodécaphonique. Ceux qui ont continué à écrire de la musique sans tenir compte du nouveau dogme sont des ahuris, des attardés, des imbéciles, même si l'on consent à leur trouver parfois du « talent ».
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Mais ceux qui se mettent à découvrir autre chose, alors ceux-là il faut les détruire. Ainsi en est-il d'Erik Satie. Voilà un personnage qui s'amuse à retrouver la musique modale. Non seulement il ne suit pas l'évolution obligée mais il se permet de retourner au Moyen Age : tare suprême. A vrai dire, les torrents d'insultes ignobles que déverse Rebatet sur le pauvre Satie laissent perplexe. Pourquoi lui consacrer quatre pages si sa musique est si peu intéressante ?
D'une part, il est vraisemblable que Rebatet se déchaîne plus sur Henri Charlier, qui admirait Satie, que sur le maître d'Arcueil lui-même, sans oser le dire franchement. D'autre part, Rebatet sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans sa théorie (qui n'est autre que la théorie officielle, d'ailleurs) et cela l'énerve. Il sent qu'il y a quelque chose qui lui échappe dans Satie. Et pas seulement dans Satie. Le musicologue a fermé son âme. Il refuse de voir dans la musique autre chose que des notes. Il ne comprend pas la spiritualité de la musique de Satie mais il n'arrive pas à l'ignorer tout à fait. Il y a quelque chose de lamentablement diabolique dans son acharnement.
On retrouve cette attitude pour le 3^e^ concerto pour piano de Bartok. C'est un exemple significatif. Ce concerto, pour Rebatet, c'est du Bartok décadent (modal, comme par hasard), très en retrait (réactionnaire) par rapport à tout ce qu'il a fait jusque là, et donc sans le moindre intérêt. Or cette œuvre est un miracle de la grâce. Il n'est pas besoin de beaucoup connaître Bartok pour saisir que cet athée était profondément angoissé, terriblement tourmenté. La guerre, qui le chassa de son pays et le réduisit en un exil misérable, sembla mettre le point final à cette existence noire. Et c'est précisément à ce moment-là que Bartok écrit une œuvre de la plus profonde sérénité, comme si à l'approche de la mort son âme était tout à coup apaisée, d'une grande paix spirituelle. Et pour la première et la dernière fois, Bartok écrit sur sa partition : *religioso*. Lorsque j'ai découvert cela, j'ai été bouleversé. Mais Rebatet voit seulement qu'il y a moins de notes dans ce concerto que dans le deuxième et qu'elles sont disposées avec moins de recherche, d'originalité et de modernité. Un monde nous sépare.
Cette fermeture spirituelle se retrouve tout au long du livre. On l'a déjà vue à propos du chant grégorien, qui n'a pas le moindre intérêt pour Rebatet : il le considère comme particulièrement « inexpressif ».
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Mais je ne m'explique pas autrement le fait qu'il consacre quatre lignes (quatre !) aux sonates pour piano de Schubert, dont les dernières sont un sommet de l'expression spirituelle en musique, ou qu'il ne parle pas du tout des concertos pour piano de Mozart. Ce ne sont là que deux exemples.
Même les personnes n'échappent pas à sa vindicte antireligieuse. Ainsi Rebatet conteste-t-il que Palestrina ait été un mystique authentique. Pour quelle raison ? Le portrait qu'on a de lui montre « un homme pondéré, positif, d'aspect assez bourgeois, avec une certaine ruse dans les yeux ». Or la vie mystique ne va pas « sans des efforts et des tourments dont on ne perçoit aucune trace dans l'art ni dans la vie de Palestrina ». D'où il ressort surtout que Rebatet n'a pas la moindre notion de ce qu'est la spiritualité. Quant à Philippe de Néri, ami de Palestrina, Rebatet nous assure que « ses transports surnaturels paraissent bien relever de la pathologie ». Signalons seulement qu'il s'agit de saint Philippe Néri. Si nous passons à d'autres époques, nous pouvons aussi remarquer la lourde et insultante ironie de Rebatet quant à la foi profonde d'Anton Brückner ou d'Olivier Messiaen. (Il y aurait beaucoup à dire sur ce dernier, littéralement traîné dans la boue parce qu'il est catholique et qu'il n'est pas dans la ligne de l'orthodoxie post-sérialiste.)
C'est d'un bout à l'autre du livre que Rebatet se révèle foncièrement anti-traditionnel et anti-catholique ([^2]). Dans son introduction, il explique doctement que « l'émission vocale a dû passer progressivement du son répété et instable à un embryon de dessin mélodique, se développant plus tard et se fixant sur les différents degrés d'une gamme instinctive ». La musique eut ensuite une fonction magique, et « de ces incantations dériveraient plus tard les musiques de rites religieux ». Tout cela sous-entend le dogme de l'évolution. C'est le contraire qui est vrai : tout part de la révélation divine. La musique fut donc d'abord sacrée, puis magique (la magie étant toujours une décadence de la religion), puis un jeu.
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A la fin de son livre, Rebatet reprend son hymne à l'avant-garde. Il avait déjà loué cette « heureuse période (la Renaissance) où tous les mélomanes étaient naturellement d'avant-garde » (?). Alors son livre se termine par des éloges dithyrambiques des musiciens à la mode, Boulez, Xénakis, Stockhausen. Ces compositeurs ne sont certes pas inintéressants, mais on pourrait se demander ce que valent, face à ces personnages qui ont détruit les structures traditionnelles de la musique, ceux qui écrivent une musique qui, pour être moderne, obéit cependant aux lois de la composition. Rebatet ne se pose même pas la question. Et sans doute serait-il chagrin de la popularité de plus en plus grande d'un Dutilleux qu'il expédie en onze lignes avec son « classicisme foncier » (!).
Il ne faudrait pas conclure de ces critiques que l'histoire de la musique de Rebatet est à rejeter en bloc. Elle contient des pages remarquables sur les compositeurs qui trouvent grâce à ses yeux, Jean Sébastien Bach par exemple, et surtout Wagner, qui est son dieu, et pour qui ont travaillé tous les musiciens qui l'ont précédé. Finalement, ce livre qui reparaît pour le centenaire de la mort de Wagner arrive bien : il est tout entier centré sur le maître de Bayreuth. Seulement, il ne faut pas le prendre pour ce qu'il n'est pas. Il sacrifie à tous les dogmes modernistes. C'est cela qu'il faut savoir.
Mireille Cruz.
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### Pour faire mémoire d'Henri V
par Hervé Pinoteau
Luigi BADER : *Le comte de Chambord et les siens en exil* (Diffusion Université Culture, 45, rue Rémy-Dumoncel, 75014 Paris).
J'AI DÉJÀ parlé d'un livre du docteur Bader qui réside à Gorizia, donc en Italie (ITINÉRAIRES, n° 220, février 1978, pp. 154-158). Il s'agissait d'un ouvrage sur la vie de la famille royale française à Goritz (du temps de l'Autriche), Charles X ayant voulu y résider et y ayant trouvé la mort en 1836. On l'inhuma donc dans le couvent des franciscains, situé sur la colline de la Castagnavizza ; là vinrent le rejoindre Louis XIX et sa femme, la duchesse de Parme fille du duc de Berry, Henri V (frère de cette dernière) et sa femme.
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Or, la mort d'Henri V remonte au 24 août 1883 et nous devons tous célébrer la mémoire d'un tel roi. M. Bader s'y emploie à sa façon, en produisant un livre illustré de nombreux documents, préfacé par René Pillorget, professeur à l'université d'Amiens, le texte étant rectifié par Gérard d'Amarzit. Le livre est dédié à la mémoire de Raymond de Jeanvrot « collectionneur passionné de souvenirs du comte de Chambord » ([^3]).
L'auteur nous donne une série de documents peu connus ou même inédits. Parmi ceux-ci, le texte du testament d'Henri V, facile à trouver aux Archives d'État d'Autriche à Vienne, mais que personne n'avait consulté jusqu'ici.
Ce texte, comme on le savait, ne parle pas de politique et de succession au sens strict du terme, mais Henri V laisse tous les souvenirs à sa femme, propriétaire de Frohsdorf, qui ne pouvait que les laisser à ses plus proches héritiers, c'est-à-dire aux fils de sa sœur Marie-Béatrice ; c'est ainsi que les souvenirs historiques de la branche aînée parvinrent aux rois carlistes ou traditionalistes, ce mode de transmission étant, bien entendu, prévu par le roi en exil ([^4]).
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Nombreux sont les legs d'Henri V à la religion : 500.000. F à la Propagation de la Foi, 200.000 F aux pères franciscains de la Terre sainte, 100.000 F à l'archevêque d'Alger pour ses œuvres africaines, 100.000 F au R.P. Prosper Bole ([^5]), pour l'œuvre des écoles apostoliques fondées par le P. de Foresta, 100.000 F au père Marie Alphonse Ratisbonne pour ses œuvres de Jérusalem, toutes ces sommes devant être payées intégralement en monnaie d'or. 100.000 F étaient aussi à régler aux pauvres de France et 20.000 F aux pauvres de sa dernière résidence habituelle ; un fonds de 400.000 F était légué au denier de S. Pierre, c'est-à-dire au pape : placé d'une manière sûre, ce fonds devait procurer une rente au pontife et à ses successeurs, afin de prier pour le repos de son âme (qu'est-il devenu ?). 50.000 F étaient destinés à faire dire des messes pour le repos de son âme, 30.000 F immédiatement après sa mort et 20.000 F pour une fondation de messe quotidienne perpétuelle... ([^6]) On apprend aussi que le comte de Chambord avait des fonds chez « MM. Rotschild et sons de Londres ».
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On voit aussi avec curiosité que le roi ne s'est point défini dans ce texte, écrit à Frohsdorf, le 4 juin 1883 : « Je déclare... » n'explique pas qui signe « Henri », mais le roi agissait toujours ainsi, sa signature et le cachet aux armes de France authentifiant les actes.
Beaucoup serait à dire pour commenter les nombreux documents montrés, certains faisant part de l'ignorance des uns et des autres dans la rédaction des inscriptions ([^7]). Mais passons. L'impression sur papier couché n'est pas toujours heureuse et la mise en page laisse à désirer (p. 15, chiffre oublié, en haut !). Quoi qu'il en soit, c'est un ouvrage indispensable, qu'il faut acheter si on aime les Bourbons et que toutes les familles traditionalistes se doivent de posséder. Voici quelques réflexions page par page :
P. 38 : Charles X serait, pour certains, l'unique mort du choléra à Goritz.
P. 39 : c'est une p. de la table du registre des décès, et non la p. de l'acte même.
P. 43 : Sosthène de la Rochefoucauld, futur duc de Doudeauville ne fut pas ministre de Charles X ! Curieux personnage plein de lui-même et littérateur impénitent, Sosthène (1785-1864) fut comme vicomte de la Rochefoucauld, directeur général des beaux arts ; il travaillait directement avec le Roi, ce qui entraîna beaucoup de jalousies et on doit noter qu'il fut un temps sous les ordres de son père, duc de Doudeauville, alors ministre de la maison du Roi. La correspondance officielle entre père et fils ne manque pas d'intérêt (cf. Arch. nat., Maison du Roi sous la Restauration, donc en 0^3^).
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P. 52 : il y a tout à parier que le tableau représentant le comte de Marnes (Louis XIX, qualifié ici de Louis-Antoine, Dauphin), n'est pas relatif à ce prince ; même s'il y a cordon et plaque du Saint-Esprit (ce qui n'est pas certain) rien ne peut assurer, dans les traits du personnage, que c'est là le fils subsistant de Charles X ! Comparer avec le portrait de la p. 66.
P. 55 : I. de Saint-Amand est à citer au complet, car I. est Imbert et c'est un patronyme. L'homme se nommait : Arthur-Léon Imbert de Saint-Amand (1834-1900) ; ministre plénipotentiaire et historien, il fut auteur de livres sur la cour de France à travers les divers règnes de la fin du XVIII^e^ et au XIX^e^ siècles.
P. 57 : la reliure d'un ouvrage appartenant au comte de Chambord peut être mieux datée. Certes le livre est de 1832, mais les armes d'Artois (de France à la bordure crénelée de gueules), timbrées de la couronne de prince du sang et ornées des drapeaux de colonel général... (sans doute des Suisses, le prince étant tel en 1830) sont avec des colliers des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit. Il est notoire qu'Henri d'Artois, duc de Bordeaux, ne fut pas reçu dans l'ordre du Saint-Esprit avant son exil, qu'il n'avait pas non plus reçu les insignes à son baptême, car il n'était que petit-fils de France, comme fils d'un fils de France cadet, le duc de Berry. Il est certain qu'on ne donna pas les ordres au duc de Bordeaux quand il fit sa première communion à Édimbourg et que l'imagerie est mensongère quand elle montre le prince portant plaque et cordon du Saint-Esprit. Je me suis longtemps demandé quand Henri V reçut la permission de les porter, ce qui entraînait le port des colliers autour de son écu. Après de multiples réflexions je crois que c'est peu après la mort de Charles X, quand Louis XIX envoya à son neveu les insignes de son grand-père, fait qui fut noté. On était donc en novembre 1836 et c'est ainsi, de façon toute pratique, que le futur roi, devenu immédiat héritier, reçut l'autorisation de porter les ordres sur lui et en héraldique. On aurait donc la date 1836-1844, époque où le duc de Bordeaux, ou comte de Chambord, devint Henri V, utilisant les armoiries de roi de France, et pratiquement le cachet aux armoiries de son grand-père ([^8]).
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P. 62 : on admirera une image d'Henri V avec cette légende « Le petit fils de St Louis n'est pas un prétendant (,) c'est un principe. » Tout est dit et c'est ce que n'a pu admettre la haute société libérale maîtresse des destinées de la France en 1873 ([^9]).
P. 65 : l'histoire du mariage du comte de Chambord est curieusement relatée. Henri V voulut d'abord épouser Marie-Béatrice, archiduchesse d'Autriche-Este, princesse de Modène (1824-1906), qui correspondait assez bien à son âge (il était né en 1820), mais cette princesse ([^10]) déclara qu'elle était amoureuse de don Juan d'Espagne, futur et lamentable roi carliste, qu'elle épousa en 1847. Devant cette volonté, Henri V fit un choix ahurissant, en demandant la sœur aînée, pas bien belle : Marie-Thérèse (1817-1886), qui avait trois ans de plus que lui, et qui fut ainsi la comtesse de Chambord.
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Henri V ne demanda l'avis de personne, ni de sa tante, comtesse de Marnes, ni du duc de Lévis. Marie-Thérèse n'eut pas d'enfant, sa sœur n'en eut que deux, leur frère François V, dernier duc de Modène n'en eut qu'un (une fille morte à quelques mois) et leur frère Ferdinand n'eut qu'une fille, reine de Bavière ([^11]). Visiblement une race fatiguée, et se mêlant, hélas, aux Bourbons de France dont la fécondité tendait vers zéro ([^12]).
P. 66 : Louis XVIII était à Mittau lorsqu'il reçut la future duchesse d'Angoulême.
P. 83 : la question de la succession d'Henri V est présentée de naïve façon et rien n'est dit sur le droit. Tout est artistiquement noyé dans des imprécisions à tendance orléaniste. On retrouve là les méthodes obliques déployées avec art dans l'album dit *Hommage de la Gazette de France à la mémoire du Roi* (cf. n. 4) et dans le livre contemporain : *La maladie, la mort et les obsèques de monsieur le comte de Chambord,* Paris, La Gazette de France, 1883.
P. 69 : on replonge en arrière avec Madame Royale, duchesse d'Angoulême à Bordeaux en 1815, etc.
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P. 72 : le prince de Graves en question est tout bonnement « le prince de Gavre » ; il signe ainsi le récépissé de Bâle, en date du 26 décembre 1795, déclarant qu'il a bien reçu « de M. Bacher, commissaire français délégué à cet effet, la Princesse Marie-Thérèse, fille de Louis XVI » ([^13]).
P. 74 : on voit une lettre de « Marie Thérèse de France » alors qu'elle était plus ou moins dans les mains de la cour d'Autriche. Il est inhabituel d'ajouter le « de France », mais la jeune princesse exilée, qui pleurait en quittant son pays, où elle avait eu un si cruel destin, précisait bien son origine, alors que la cour d'Autriche devait avoir d'autres Marie-Thérèse ([^14]).
P. 88 : la berline de Henri V se trouve effectivement à Chambord avec d'autres voitures de ce roi, fort bien présentées au public. Une autre berline de ce genre a été vendue à la cour de Grèce, peinte avec d'autres armoiries, et c'est avec elle que le couple don Juan-Carlos I^er^-Sofia de Grèce est allé se marier à Athènes (1962).
P. 89 : l'original du journal de Henri V peut être à Londres, en compagnie d'autres souvenirs royaux de ce roi, probablement dans le coffre d'une banque... Mais les Parme ne disent rien au sujet de ce qui devrait revenir aux aînés et sont des artistes en brouillard. Trop à dire ([^15]).
P. 90 : A Londres, en 1931 et quelques, ce ne sont pas les héritiers de la comtesse de Chambord qui ont dispersé des objets, mais bien ceux de Jacques I^er^ / don Jaime...
P. 96-97 : belle lettre autographe de Henri V à Pie IX.
P. 99 : le prince Jérôme-Napoléon était en réalité le prince Napoléon tout court, signant autrefois Napoléon (Jérôme) pour se distinguer de son cousin Napoléon III ; c'était le chef de la famille impériale depuis la mort du prince impérial et le grand-père de l'actuel chef.
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P. 110 : dans la légende de la planche (en vérité figure) 108, une erreur, avec la copieuse multiplication des prétendants à la mort de Henri V : « Sur ce point les royalistes étaient partagés entre les Bourbons d'Espagne, les Deux-Siciles, les Parme, les Orléans. » Je n'ai pas entendu parler de quoi que ce soit pour les Parme et encore moins pour les Deux-Siciles ; c'est une plaisanterie.
P. 111 : il existe donc une plaque disant que des royalistes français réunis à l'hôtel de la Poste de Goritz proclamèrent un nouveau prétendant, qui ne peut être que le comte de Paris, quand on connaît le contexte. Et c'était vrai. D'ailleurs tout un chacun est libre de proclamer un prétendant et même d'être prétendant. Les tenants du droit, eux, ne réclamaient rien. On comprend les attitudes de Français militants ou fidèles et on peut admettre aussi que des princes attachés à l'Espagne aient pu être sur la réserve devant une telle affaire, entraînant l'hostilité d'une partie des Français. A la même page, erreur de taille : la comtesse de Chambord dit par lettre que les obsèques de son mari devaient être familiales et non politiques, ce qui entraînait que les Bourbons d'Espagne passaient en tête, bonne méthode pour les mettre en évidence et faire taire les passions politiques. Mais ce n'était pas mettre en tête Robert, duc de Parme, qui était en première place à Goritz, à égalité avec le prince Jean (don Juan). Si, dans la chapelle de Frohsdorf, on suivit un ordre strictement familial et bourgeois, faisant passer les fils de la sœur en première place (et d'ailleurs don Juan n'était pas là), on appliqua à Goritz l'ordre familial dynastique, faisant ainsi présider les obsèques par les premiers dynastes dans l'ordre de primogéniture, don Juan, etc. (cf. supra), qui étaient en vérité fort loin parents, puisqu'il fallait remonter au Grand Dauphin, fils de Louis XIV, pour avoir un ancêtre commun entre Henri V et eux. On sait que le roi des Deux-Siciles, François II ne vint pas (cf. ce que j'en ai dit dans ITINÉRAIRES, n° 255, juil-août 1981, pp. 135-136, n. 12), de même que les Orléans. On a beaucoup ironisé, côté Orléans, sur l'attitude des princes d'Espagne, qui se sont par ailleurs heurtés à l'incompréhension et à l'hostilité de quelques royalistes français. On a copieusement cité la lettre de don Carlos, duc de Madrid, au chef carliste Nocedal, pour lui dire, après les obsèques de Goritz, qu'il n'aimait que l'Espagne. On s'est bien gardé de donner le texte de celle qu'il expédia à la comtesse de Chambord, quelques jours après, 24 octobre 1883. En voici le texte, d'après ce qui a été publié par Paul Watrin dans La *tradition monarchique* (Paris, 1916, pp. 214-215), visiblement d'après l'original conservé à Frohsdorf et communiqué par Jacques I^er^ / don Jaime :
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Ma chère tante Thérèse, il y a aujourd'hui deux mois que Dieu m'a enlevé un oncle que je ne saurais oublier. Comme je pense à vous, à mesure que le temps passe, j'admire de plus en plus la grandeur d'âme que vous avez manifestée dans ces tristes moments, lorsque vous imposiez silence à votre douleur pour interpréter les volontés de mon oncle et maintenir avec énergie le droit de mon père qui, en renonçant à l'Espagne, n'a renoncé ni à la France, ni à aucun des droits de primogéniture dont il est maintenant le dépositaire.
Le groupe de Français, petit groupe, mais groupe d'élite, qui reste fidèle au drapeau blanc et au droit salique, vous garde comme moi une profonde reconnaissance pour l'énergie que vous avez montrée en vous opposant aux prétentions des d'Orléans, qui, en définitive ne sont et n'ont jamais été que les représentants de la Révolution. Ils ont bien démontré leur perfidie en essayant de convertir le pardon chrétien que mon oncle Henri V leur a si généreusement accordé en une reconnaissance de droits qui n'ont jamais existé et que, par conséquent, mon oncle ne reconnaissait pas lorsqu'il leur concédait la place qui leur revient dans la famille, c'est-à-dire la dernière.
D'après ce que j'entends dire, mon père n'a pas l'intention, quant à présent, de prendre l'initiative d'un acte spécial. Il estime que, pour affirmer son droit, il lui suffit d'avoir accepté la consécration que vous-même lui avez ménagée, en lui donnant la présidence des funérailles et en exigeant, comme c'était juste et naturel, qu'il passât avant tous les autres princes, ce qui fut suffisant pour éliminer du cortège funèbre les d'Orléans...
Quand je serai sûr de ne pas vous gêner, j'irai à Goritz où j'aurai la consolation de vous voir et de prier sur les tombes de mon oncle Henri, de Louis XIX et de Charles X. Je leur demanderai qu'ils m'obtiennent force et lumières pour accomplir jusqu'au bout la mission que ma naissance m'impose. »
Après une formule de compliments finaux et la signature CARLOS, la lettre devait se terminer par le lieu et la date. Devenu chef de maison à la mort de son père en 1887, Charles XI allait reprendre le flambeau de la légitimité.
P. 113 : contrairement à ce que dit l'auteur, les légitimistes, en minorité, ne firent pas scandale à Goritz, laissant les orléanistes manifester bruyamment. Lucien Brun, le comte de Chevigné et le marquis de Flers n'étaient pas de deux groupes opposés ! Ils étaient tous orléanistes. Maurice d'Andigné et Joseph du Bourg étaient les principaux tenants du droit et avaient fort à faire face à la majorité (?) tapageuse des orléanistes ([^16]).
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P. 114, 116 : il est désolant qu'on n'ait pas donné les photographies des obsèques, celles que l'on trouve pâlissant dans l'album dit *Hommage de la Gazette de France...* se détériorant lamentablement. Il y a là des « monuments » de notre histoire qui disparaissent sans qu'on s'en inquiète.
P. 117 : l'historien Henri de Luz est en réalité Pierre de Luz, auteur d'un *Henri V* pas trop mauvais, paru chez Plon en 1931 ([^17]). P. 123 : pl. 131, cette gravure est faite d'après le sombre et grand tableau de Ludwig-August baron de Schwiter (1805-1889), peintre hanovrien travaillant à Paris où il exposa, au Salon, de 1831 à 1859 ; ami d'Eugène Delacroix et peintre à succès, Schwiter signa et data de 1854 le tableau d'Henri V. On trouve ce tableau dans le château de Chambord. On remarque que le graveur a interprété le décor (ajoutant les armes royales avec un collier de fantaisie) et qu'il a vieilli le roi, ce qui entraîne qu'il a travaillé bien après la réalisation du tableau, disons au moins quatre ans si l'on en croit certaines représentations du roi. On regrettera que le graveur, Gaujean, ait fait de Venise une ville sombre sur l'horizon, alors qu'elle est toute lumineuse sur le tableau. Dernier point : le roi porte, à moitié cachée par le revers de son habit, une plaque du Saint-Esprit. Nous saisissons là un point d'intérêt : Henri V ne portait jamais de décoration, mais lorsqu'il se fait représenter, il n'hésite pas à montrer que la tradition du port de l'ordre est continuée, alors que plus personne ne le porte en France depuis l'été 1830. C'est pour lui un signe de « princerie » et il est d'ailleurs grand maître ; il récite tous les jours l'office des chevaliers. Bien entendu, le roi est souvent représenté avec décorations et même vêtements et insignes du sacre, mais il n'est pas responsable de ces images. Là, c'est lui qui commande le tableau et c'est toute la différence.
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P. 128-129 : on trouve là un écrit d'importance, c'est-à-dire la reproduction de la lettre envoyée par Henri V à l'empereur d'Autriche pour lui dire que le comte de Marnes est mort, après une maladie chrétiennement supportée, et que devenant chef de la maison de Bourbon, il continuera à porter le titre de comte de Chambord (alors que son oncle s'était même déclaré roi dans le privé). Il proteste contre le changement apporté en France à l'ordre de succession, déclare qu'il ne renoncera jamais à ses droits liés à de grands devoirs... Bien entendu, il traite l'empereur de « Monsieur mon frère et cousin », car il se considère comme l'égal de celui-ci ([^18]).
P. 130 : il est curieux de constater que l'auteur oublie le témoignage du Dauphin Louis-Antoine sur la question de la prise des titres d'incognito par la famille royale exilée. En effet, le baron d'Haussez vit la famille royale en rade de Cowes, alors qu'elle n'avait pas encore débarqué du navire américain sur lequel elle était montée à Cherbourg. C'était le 19 août 1830 et le Dauphin (qui avait été amiral de France) dit à d'Haussez (qui avait été ministre de la marine) : « Ah ça ! Vous me donnez toujours du monseigneur et de l'Altesse ; plus rien de tout cela, mon cher. Le Roi se fait appeler le comte de Ponthieu ; ma femme et moi, la comtesse et le comte de Marnes ; la duchesse de Berry et sa fille, la marquise et mademoiselle de Rosny, et le duc de Bordeaux, le comte de Chambord. » ([^19]).
Voilà qui tranche toute discussion, encore que la duchesse de Berry fût comtesse et non marquise de Rosny, du nom de son château de Rosny-sur-Seine (act. Yvelines) ; mais il y eut sans doute un moment d'hésitation au début de l'exil, la comtesse d'Artois ayant été marquise de Maisons en émigration, en souvenir de son château homonyme (act. Maisons-Laffitte, Yvelines). Marnes est le nom de la commune (actuellement Marnes-la-Coquette, Hauts-de-Seine) où se trouvait le château de Villeneuve-l'Étang, appartenant à la Dauphine.
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P. 133 : « L'orléaniste Didier » relate une visite à Henri V sous le titre suivant : « Une visite au Duc de Bordeaux »... Manque de chance pour l'auteur, car Charles Didier qui publie *Une visite à monsieur le duc de Bordeaux* (Paris, Michel Lévy frères -- sic --, 1849), est républicain, démocrate, etc. et ne s'en cache pas auprès du roi : ce « républicain français » (p. 94) dit à Henri V qu'il ne souhaite pas le retour d'un pouvoir héréditaire (p. 54). Tout ce que dit et décrit Didier est d'ailleurs plein de finesse ; c'est un bon observateur psychologique et observateur des lieux. Comme tout Français peu au fait des lois de l'exil, il nomme Henri V avec le titre qu'il portait lors de son départ et qui lui fut donné par de nombreuses autorités étrangères, jusqu'à sa mort.
P. 134 : les monnaies d'Henri V en tenue véritablement princière, viennent confirmer ce que je dis plus haut : ce sont des personnes zélées, mais sans mandat, qui ont frappé ces pièces ornées d'un jeune homme en uniforme (précis, car il y a la couronne royale, sur les épaulettes, signe du Roi depuis Louis XVIII en émigration), portant cordon et plaque du Saint-Esprit, ainsi que la Toison d'or. Henri V n'a jamais porté ce dernier ordre.
P. 140 : la planche (sic) 141 montre au revers « les insignes de la royauté : la couronne et les mains du Pouvoir et de la justice » ! Jusqu'ici je ne connaissais que la main de justice et il n'y a là, entrecroisés sous la couronne, que la main de justice avec un court sceptre fleurdelisé.
P. 142 : qui est Roger Valuet, mis en relation avec un timbre représentant Henri V en 1875 ?
P. 143, pl. 147 : il me semble que la médaille de Chambord ne peut être de 1848, mais je ne suis pas spécialiste. Cependant, ce n'est pas le style de l'époque (vue aérienne, etc.). Faut-il lire 1948 ?
P. 146 etc. bonnes pages sur la vie de la comtesse de Chambord lors de son veuvage ; cette époque est bien mal connue et il faut remercier l'auteur d'en avoir esquissé l'histoire, et histoire illustrée, ce qui ne gâche rien. Par contre, il aurait été bon de conter le port du drapeau blanc lors des obsèques de la reine. Par ordre de don Carlos, duc de Madrid (son père don Juan, étant absent) et de Robert, duc de Parme, le drapeau blanc des obsèques d'Henri V fut à nouveau déployé et porté par le général Henri de Cathelineau qui était resté légitimiste ; un moment fatigué, le général confiera ce drapeau à son fils Joseph, pour monter la colline de Castagnavizza. Cela et d'autres faits auraient pu être soulignés, mais au détriment des Orléans. On n'en parle donc pas ici ([^20]).
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P. 150 : la plaque de marbre noir mise dans le palais Lantieri de Goritz/Gorizia dirait, selon la légende, qu'est morte là « Marie-Thérèse archiduchesse d'Habsbourg-Este », le « VIII des calendes d'avril 1886 », et en N.B., l'auteur ajoute naïvement : « La date de mort, d'après notre calendrier, est le 25 mars 1866 » (sic, pour 1886, épreuves mal relues). Mais le 25 mars se traduit effectivement par le VIII des calendes d'avril, puisque c'est le 7^e^ jour avant le 1^er^ avril ou jour des calendes, ou Kalendes... L'inscription étant mise intégralement en latin, elle était donc juste : VIII. KAL. APRILA. MDCCCLXXXVI, les deux chiffres étant surmontés d'un trait horizontal classique pour prouver qu'il s'agit bien de chiffres et non de mots ([^21]). De plus, l'inscription dit exactement que la princesse est MARIA.THERESIA.ATESTINA... ARCHID.AVSTR., c'est-à-dire Marie-Thérèse d'Este, archiduchesse d'Autriche, ce qui est erroné, mais c'est bien ce qui est écrit.
P. 153 : Habsbourg-Este répété, hélas ! Le nom de Habsbourg et même, plus véridique, de Habsbourg-Lorraine (la dernière Habsbourg étant Marie-Thérèse, épouse de François de Lorraine), était utilisé par les généalogistes ou les historiens, mais jamais par les membres de la maison... d'Autriche. C'est la loi socialiste du 3 avril 1919 qui leur imposa ce nom, sans particule, alors même que les titres et qualifications (Altesse, etc.) étaient interdits par la République d'Autriche. Le chef de l'archimaison d'Autriche n'est plus actuellement, en son pays natal, que le Herr Dr. Otto Habsburg-Lothringen, sans plus.
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P. 156-157 : l'église de la Castagnavizza serait dédiée à Notre-Dame du Mont-Carmel, ? Je n'en crois rien. La pl. 167 montre une lithographie de 1855 où l'église (ou sanctuaire) est dite « della B.V. del Carmine ». Mais notre Sosthène de la Rochefoucauld, futur duc de Doudeauville, est précis en ses *Mémoires :* le couvent des capucins est de l'Annonciation de la T.S. Vierge, la crypte où reposait Charles X étant sous l'autel de la Sainte Vierge du Mont Carmel ([^22]).
Le sanctuaire de la Castagnavizza fut détruit par les combats entre Italiens et Austro-Hongrois (1916-1917). L'impératrice reine Zite (en français, et non Zita) ([^23]) fit venir les cercueils à Vienne ; « à cette œuvre de sauvetage concourut le prince don Jaime de Bourbon »... Ah ! Et pourquoi donc ? Tout bonnement parce que c'était le chef de la maison de Bourbon et que cet auguste prince, vivant cloîtré à Frohsdorf ([^24]), était forcément partie prenante dans l'affaire du déplacement des tombes de ses prédécesseurs. Lors du retour des corps à la Castagnavizza reconstruite, don Jaime était mort, et son très vieil oncle, don Alfonso Carlos/Charles XII, était moins motivé, d'où son évidente absence des cérémonies.
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P. 166 : « Saint-Louis » ? mettre : « saint Louis ». Le simple fait qu'il y ait des corps royaux et princiers à Saint-Denis, qu'ils soient du XIX^e^ siècle ou antérieurs, ne peut entraîner la phrase « Puisqu'il en est ainsi, il vaut mieux parler d'un ossuaire plutôt que de tombeaux. » Je reviendrai sur cette question une autre fois.
P. 167 : merci à M. Gérard d'Amarzit d'avoir permis la reproduction de l'en-tête du *Drapeau blanc,* d'André Yvert (chevalier de l'ordre du Lys nommé par Jacques I^er^/don Jaime). Ce genre de journaux est maintenant ignoré et la Bibliothèque nationale n'en a que des collections incomplètes. Il faut veiller pieusement sur de telles « feuilles », souvent imprimées sur du papier détestable.
P. 169 : déjà vue, mais pourquoi cacher que le chef de la maison de Bourbon a fait déposer une gerbe de lis le 8 juin 1981 ? C'est M. Christian Papet-Vauban qui a fait ce geste au nom du Prince et le ruban portait l'inscription suivante : « Le duc d'Anjou à ses prédécesseurs ».
Avant que de passer à la p. 170 qui terminera mon épluchage par diverses considérations mélancoliques, je signale qu'à la p. 178 on a oublié de souligner le nom de la comtesse de Chambord, qui paraît ainsi ne pas avoir été inhumée à Goritz, à côté de son époux. Pauvre reine, elle n'aura eu que des incompréhensions ! Quant à Louis XVII, l'auteur pense rester « dans le vent » en mettant un ? après sa date de mort. Je n'en dirai rien ici, renvoyant à mon « Louis XVII : état de la question » (ITINÉRAIRES, n° 250, févr. 1981, pp. 70-94), mais nombreux sont les bons arguments pour admettre que le petit roi est bien mort au Temple ; un nouvel article de Michel Fleury met d'ailleurs par terre un des arguments servant à prouver l'improbable « survivance » (« A propos des fouilles du cimetière Sainte-Marguerite : le prétendu projet d'enlèvement de Louis XVII par Robespierre », dans *Cahiers de la Rotonde,* Paris, n° 4, \[1981\], pp. 65-73).
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P. 170 : le monument d'Henri V est toujours là, environné d'arbres hauts et il n'est nullement « en ruines » comme c'est dit p. 172. J'avoue avoir longtemps tout ignoré de ce monument, connu seulement par le récit des festivités légitimistes de la fin du siècle dernier. Or, à la suite d'une série de circonstances véritablement providentielles pour moi, je me suis trouvé en Bretagne avec ma femme, lors du mois de juillet 1981, et nous fûmes ainsi à même de faire les pèlerinages indispensables. C'était le 25 du mois et nous nous rendîmes tout d'abord aux pieds de Sainte-Anne d'Auray ([^25]), et après avoir tout visité, nous demandâmes aux divers points de vente de cartes postales s'il était possible de se procurer un document sur le monument d'Henri V. Personne n'en avait et une vendeuse m'a laissé entendre que l'église locale avait fait ce qu'il fallait pour qu'on n'en vende pas. Sans trop d'étonnement, nous nous rendîmes donc par la route au dit monument, qui est, il faut bien le préciser, totalement abandonné. L'aspect est navrant. Imaginez un vaste enclos d'herbes folâtres, environné d'arbres pas taillés et démolissant la ligne du monument, une grille peu peinte, délimitant l'espace du côté de la route. Sur la porte, deux écriteaux en écriture ronde, sous plastique, donnaient quelques renseignements ([^26]). Le ciel s'était mis de la partie, tout était sombre, des touristes étrangers campaient à côté et dans la plus profonde indifférence.
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Nous entrâmes dans l'enclos après avoir coupé quelques roses sauvages et des fleurs des champs ; ma femme en composa un bouquet que je déposai sur le plus haut gradin, faisant une prière pour que le roi méconnu vienne à l'aide des traditionalistes de 1981... Je dois dire qu'on nous regarda avec curiosité et j'espère que le comte de Chambord, à genoux et orant, voulut bien faire à son tour une prière pour nous tous. C'est navré que je m'en allai. La visite du Champ des martyrs ne fut pas plus consolante. L'enclos faisait plus qu'abandonné et le temple en haut de ses marches était fermé, ce qui pouvait être un bien, car en quel état aurait été l'intérieur ! Après ces émotions nous trouvâmes un excellent restaurant dans Auray, quelques huîtres commençant à me remonter le moral. Nous nous rendîmes ensuite à la Chartreuse d'Auray où je pus contempler le monument couvert des noms de la plupart des braves gens qui furent fusillés par les révolutionnaires, après l'affaire de Quiberon qui fut un désastre. Une bonne partie d'entre eux s'étaient rendus aux « bleus » sur la foi de la parole à eux donnée, qu'ils seraient traités comme des prisonniers de guerre... Un certain Hoche eut en la matière un rôle des plus suspects ; je n'en dirai pas plus, mais ce brave général crut bon de s'éloigner pendant le massacre, vrai Ponce-Pilate faisant tout à coup le délicat.
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Je trouvai donc le nom d'un oncle originaire du Gers, âgé de 65 ans et capitaine émigré, que la commission Dinne, siégeant à Saint-Pierre, village de Kerdavid, envoya à la mort le 2 août 1795, par jugement républicain, exécuté le lendemain. En s'aidant de l'excellent livre du chanoine Eugène Le Garrec (*Les vrais martyrs de Quiberon,* Vannes, 1935) et d'une remarquable carte au 1/25.000^e^ achetée dans une librairie de Quiberon (tête du libraire quand je lui ai dit pourquoi !) ([^27]), je pus identifier le bout de plage, au creux d'une falaise, situé entre Kergroise et Keridanvel. Il y avait grand soleil, des enfants jouaient avec un cerf-volant... et rien n'indiquait qu'on avait massacré 88 Français, fidèles à Dieu et au Roi, alors qu'à quelques kilomètres de là, passant devant le Fort-Penthièvre, j'avais pu voir une pyramide d'importance, consacrée à quelques résistants qui avaient trouvé la mort de la main des Allemands... Faut-il dire : sort plus enviable ? Descendant de « bleus » (mais pas ceux de Quiberon !) comme de « blancs », je philosophais tristement en ce jour de juillet 1981. Le vent du large, abondant, et la perspective d'un bon dîner chez des cousins fort proches, ne pouvaient m'éviter de penser à toutes ces catastrophes issues de cette incessante guerre franco-française, à cette incroyable déveine de la France qui gémit véritablement dans les affres de l'enfantement d'un nouveau régime qui n'arrive toujours pas.
Qu'on m'excuse de ces évocations familiales, mais j'ai souvent saisi ainsi l'ampleur du drame national, et si ces lignes n'étaient pas trop longues, j'irais jusqu'à montrer comment, après l'affreuse guerre de 1870-1871, on attendait Henri V comme le Messie, dans de nombreuses familles françaises, souvent humbles et même d'origine libérale. Un de mes bisaïeux, original rimailleur, mais pieux, s'était moqué de cette attente fervente dans un petit livre qui ne mérite pas de passer à la postérité autre que la sienne ! Infirmier dans l'armée en retraite, puis dans Paris assiégé, il avait vécu une telle horreur, qu'il envisageait les choses d'une façon différente ;
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il pensait qu'un gouvernement à poigne était seul capable de régler les choses, et que le nom du titulaire du pouvoir espéré n'avait que peu d'importance. Sa femme, qui avait vécu l'occupation et la dévastation de sa maison à la Chartre-sur-le-Loir (Sarthe), pensait comme son père à elle, ancien juge de paix de ce village : Henri V et vite ! Quand je me promène le long du Loir et que je relis les lignes de ma bisaïeule, qui mourut d'ailleurs sans avoir vu la guerre de 1914, ni la nouvelle dévastation de la maison abandonnée en 1940, je prends conscience de façon presque physique qu'on n'en sort pas et que l'intolérable est de plus en plus maître du terrain. Henri V, l'espoir de tant « d'honnêtes gens » (c'est comme cela qu'on parlait autrefois), est mort il y a cent ans et nous allons gaillardement vers des lointains de plus en plus sombres et dont la précision fait peur. Certes, notre confiance est en Dieu ; elle doit être totale, mais comment ne pas être inquiet en voyant une telle progression dans le mal ? Car, si les aïeux ont vécu les tourmentes de 1789-1815, de 1830, de 1848 (où il y eut l'affreux juin après février), 1851, 1870-1871, il n'en reste pas moins qu'ils pouvaient fort bien penser qu'on pouvait émigrer, voyager, bref s'éloigner et que tout reviendrait dans la paix un jour ou l'autre. Il n'y avait pas alors un pouvoir révolutionnaire monstrueux et polymorphe (moscovite et compagnie), envahissant et paraissant invincible. Certes, la France de 1814 était largement laïcisée, gangrenée par Voltaire, les droits de l'homme, la légende napoléonienne grandissante et les sociétés secrètes, mais il y avait encore un fonds commun qui tend, en nos jours de disgrâce, à complètement disparaître. L'école laïque et les médias ont entre-temps fabriqué des générations de barbares qui sont arrivés au sommet de l'État, et même de toute la société, Église comprise, inutile de se le cacher...
Quelle peut être la responsabilité d'Henri V dans tout cela, pour en revenir au livre si utile du Dr Luigi Bader ? Je crois qu'il est difficile de l'apprécier. Ce que l'on peut dire est que Henri V voulait régner, mais qu'il doutait probablement du résultat final devant tant d'obstacles se dressant devant lui : une société libérale, largement révolutionnaire, des élites du même genre (une bonne partie des monarchistes étaient orléanistes, admettant Louis-Philippe et le drapeau tricolore), des militaires désirant garder le drapeau symbolisant 1789, sous prétexte de gloires (et pourtant que de défaites !), et le reste à l'avenant. Ensuite, problème taraudant pas de fils pour lui succéder, la loi de succession ancienne désignant des Espagnols inconnus des Français (et leur chef, don Juan, étant libéral), des princes d'Orléans avides de pouvoir et munis d'une clientèle, prêts à tout faire pour avoir l'air de succéder légitimement, bref des ennuis sans fin à l'horizon.
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Mgr Curé, aumônier de Frohsdorf a expliqué une bonne partie de ces questions dans un petit livre pour ainsi dire introuvable ([^28]). Les conseillers du prince, Pie, évêque de Poitiers, Blanc de Saint-Bonnet et d'autres, ne purent donner que de bons conseils pour tout ce qui était plans, idées, projets, spéculation. Mais il n'est pas certain qu'ils aient pu entraîner un prince si courageux dans une action politique précise. Dans son livre critique déjà vu supra, le républicain Didier avait écrit p. 62 : « Il me paraît plus propre à l'expectative qu'à l'action. » « Par éducation, par nature, la force d'inertie l'emporte en lui sur la puissance d'exécution »... Est-ce bien vu ? Certes, Henri V s'emportait quand on lui disait qu'on prétendait qu'il ne voulait rien faire. Mais le résultat est là, malgré beaucoup de travaux.
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Qu'on pense à la gigantesque correspondance du prince ([^29]) et à tout ce travail qui consista en 1879 à nommer des représentants dans toute la France en vue d'un coup de force du général Ducrot ! Deux longues lettres par département, c'est-à-dire, de l'auguste main princière, environ 180 lettres donnant tous pouvoirs à des fidèles pour diriger les opérations lors des premiers jours de la tentative prévue... Devant tant d'efforts dépensés en vain, il semblerait que ce qui manqua au roi exilé fut le « punch », l'allant, ce qui fit qu'un Henri IV drainait derrière lui d'énormes énergies, même avec peu de monde. Terrible Béarnais !
Mais faut-il penser : navrant descendant ? Je ne crois pas, car Henri V fit ce qu'il put avec la personnalité qui lui fut impartie par l'hérédité, et ainsi par Dieu. Les circonstances étaient différentes, c'est certain, et la santé du comte de Chambord ne fut pas toujours bonne sur la fin, loin de là. Il ne pouvait plus facilement monter à cheval avec l'embonpoint qui le faisait peser 125 kg, d'où une cure d'amaigrissement qui entraîna des désastres... Il y eut aussi certainement, chez ce digne prince, espoir de plusieurs générations de Français, de bonnes crises de découragement. Sans aller jusqu'à admettre ce que conta Gyp ([^30]), il est bien probable que le roi dut parfois douter ; il était homme après tout, mais il est tout aussi évident qu'il se raccrochait aux principes dont il était l'incarnation. Bien que n'habitant pas la France, il voyait l'hostilité d'une grande partie de la société et je pense comme Pierre de Luz que le roi douta non pas de la restauration, mais de la pérennité du succès.
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« La défection du maréchal » (de Mac-Mahon duc de Magenta, président de la République) « a ouvert les yeux du prince sur d'autres défections » (p. 436 de son *Henri V*)*.* Et Luz d'ajouter que l'affaire aurait duré six mois selon Mgr Pie, un des conseillers les plus écoutés de Henri V ; il cite à ce sujet une lettre de l'évêque de Poitiers à un prélat (p. 436, n. 1). Devant la conjuration libérale, avide de pouvoir, Henri V ne put ou ne crut pouvoir aller de l'avant et nous en sommes, hélas, cent ans après, les Soviétiques aux portes, à nous demander si le roi libérateur viendra un jour catalyser les énergies, manifester que Dieu n'a pas abandonné le « saint royaume » sombré dans tous les péchés d'une civilisation tarée.
Un dernier mot. Henri V ne fut pas, sur son lit de mort, un roi à la Henri III, enjoignant à ses courtisans de rejoindre, de reconnaître le nouveau roi, même protestant. Éloigné des Orléans par les principes, il n'a fait nul geste en leur faveur, hors la manifestation du pardon dû par le chrétien qu'il était. Henri V s'en alla ayant proclamé les principes, ordonné que ses souvenirs historiques et royaux aillent par le canal de sa femme aux « princes d'Espagne », chargés de présider à ses obsèques. C'est ainsi qu'il montra à tous, lors d'une ultime cérémonie, quel était le fil d'Ariane pouvant sortir les Français de leurs régimes de mort. Son cercueil fut suivi de deux gentilshommes portant un drapeau blanc ([^31]) et l'étrange drapeau blanc, orné du Sacré-Cœur, qui fut arboré par les Volontaires de l'Ouest, en particulier à Loigny.
Nous resterons fidèles à ce souverain calomnié et nous entretiendrons le culte de son souvenir par la lecture des ouvrages qui ont paru et qui vont paraître sur lui. C'est dire la reconnaissance que nous pouvons avoir pour l'auteur, son éditeur et tous ceux qui ont participé à ce livre que j'ai eu l'honneur de présenter au public éclairé d'ITINÉRAIRES.
Hervé Pinoteau.
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### Autour d'une "pensée"
par Georges Laffly
« QUELLE VANITÉ que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux. » Boutade de Pascal dont l'acide ne cesse de mordre, après des siècles. Son but est de montrer la vanité des œuvres humaines. La peinture est réduite à une entreprise de duplication de l'univers. On ne regarde pas les pommes au jardin, ni le compotier dans la maison, mais on vante le tableau « compotier avec pommes ». C'est bien futile d'admirer l'habileté d'une main à créer l'illusion de l'objet (jusqu'au trompe-l'œil) alors qu'on ne s'arrête pas à regarder la beauté dans la nature. Nous sommes à la fois négligents devant la création et pleins de vanité devant nos simulacres, comme si nous n'admettions le beau qu'à travers l'homme et son aptitude à l'imiter.
Depuis Pascal, la question a changé. La peinture s'est détachée de la ressemblance, lassée de faire de la figuration. On prétend (il y a des raisons à cela) que ce changement remonte à l'invention de la photo. Une mécanique exécute infailliblement et vite ce que le peintre ne réussit qu'à force de métier.
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Il en est humilié et cherche d'autres voies. Si les choses se sont passées ainsi, la phrase des « Pensées » est vérifiée : battu sur l'imitation, l'homme y renonce. C'est bien la preuve qu'il y attachait une grande importance.
Mais est-ce vrai ? Est-ce que tout l'art de la peinture pouvait se ramener à la ressemblance ? Mille fois non, et Du Bos a raison de répondre en nommant Chardin (entre bien d'autres dont l'exactitude exquise n'est qu'une des moindres vertus) et d'évoquer la part de *miracle* du fait esthétique. Il y a dans la peinture organisation des éléments donnés par la nature et transfiguration. Les pommes du tableau sont autre chose que des pommes. Ce n'est pas la ressemblance qu'on admire, mais plutôt ce que le peintre ajoute, ce qu'il fait passer de vie silencieuse (c'est l'expression allemande pour désigner les « natures mortes ») dans ses fruits et sa faïence.
Delacroix a dans son *Journal,* un mot qui paraît proche de celui de Pascal, et qui en est l'opposé : « Étrange chose que la peinture, qui nous plaît par la ressemblance des objets qui ne sauraient nous plaire. » Pascal veut que l'on admire la Création, œuvre de Dieu, qui nous rapproche de Lui. Delacroix est persuadé que c'est ce qu'elle ajoute à la Création qui justifie la peinture. Il parle encore de ressemblance, mais il sait que peindre ce n'est pas rendre la nature telle quelle, mais en filtrer, en composer les éléments. Très attentif à la nature, on le voit toute sa vie étudier un talus, une flaque bordée de cailloux, ou la lumière du soleil sur une forêt, les spectacles les plus minces comme les plus grandioses, mais tous ne sont que des matériaux.
\*\*\*
Si la peinture a changé, il doit y avoir une autre raison que la photo, simple révélateur. La ressemblance est un moyen ancien de la peinture occidentale, dont le but ne fut pourtant jamais la duplication. Le projet naturel de cet art est la louange de la Création : il chante, exalte les formes, la lumière et les couleurs, plutôt qu'il ne les reproduit. Michel-Ange disait : « La véritable peinture est en elle-même chose noble et pieuse, car la lutte pour atteindre la perfection élève déjà l'âme jusqu'au recueillement, où elle se rapproche de Dieu et s'unit à Lui ; la vraie peinture est copie de Ses perfections et l'ombre de Son pinceau. »
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Delacroix, incroyant, aurait approuvé, Pascal non. L'Italien dit bien qu'il s'agit non pas d'une copie de la nature, mais de montrer les perfections divines que l'on entrevoit à travers elle. L'art exclut, choisit, et son résultat est de nous rapprocher de la réalité, de nous rendre plus sensible à ce qui est vraiment. Par là, le peintre et aussi le spectateur, même mécréant, se rapproche de Dieu.
Mais la peinture peut aussi chercher à défier la Création, à la concurrencer. Question qu'il ne faut pas confondre avec celle de la figuration ou de son refus. Le défi peut exister aussi bien dans la peinture qui copie que dans celle qui invente, et d'abord parce que celle-même qui semble copier invente, le mot de Delacroix le montre. Et la notion de « Beau idéal », qui règne pendant l'âge classique, peut parfaitement être comprise comme une des formes du défi ; elle vise à une peinture qui serait plus régulièrement belle et harmonieuse que les données visibles ; il s'agit bien de « faire mieux » que la Création. Or, c'est bien là une idée très présente dans la peinture moderne, c'est même un mot de Picasso (« faire mieux que la nature »), mais on pourrait citer à côté une phrase de Paul Klee qui ne révèle pas du tout cette ambition. Lui parle tout simplement de se tenir « un peu plus près du cœur de la création ».
En fait, la possibilité du défi est contenue dans le projet même de peindre. Pour nous en tenir au temps de la ressemblance, rivaliser avec la nature, c'est concurrencer Dieu, dresser une Création face à la sienne. On pourrait montrer cela avec *Le chef-d'œuvre inconnu*, de Balzac. Et par parenthèse, les romanciers n'ont pas manqué, eux, de proclamer une telle ambition, Balzac parlant de « faire concurrence à l'état civil » ou Faulkner de « faire un peu mieux que le Créateur (encore !). Je dirai naïvement que le défi existe dès qu'on veut le voir, c'est-à-dire dès qu'on suspecte la peinture, comme fait Pascal. Son mot ne tend à rien de moins qu'à rallumer la querelle des iconoclastes. Et il faudrait parler de notre excessive susceptibilité, depuis quelque : temps, au sujet de l'idolâtrie.
Pour nous en tenir à Pascal, il n'a pas de peine à montrer l'infirmité de cette « création » picturale qui ne peut se passer des matériaux procurés par son modèle. Et qui prétend donner en deux dimensions ce que le monde nous offre en trois. Elle a pour résultat une illusion de ressemblance, au prix d'un affaiblissement de la réalité.
\*\*\*
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Là, on peut penser à la vieille image de la caverne. Ce que nous appelons réalité n'est en fait que l'ombre projetée du réel. Nous ne tenons qu'un fantôme. Ce qui vraiment est nous échappe. Notre but devrait être de surmonter cette séparation, de nous rapprocher de la réalité qui nous fuit. Or la peinture, c'est l'opération exactement inverse. Tout ce que nous faisons, c'est transposer une apparence sur la toile ou le mur, pour obtenir l'ombre d'une ombre, un fantôme de fantôme. Il y a ridicule et échec. De plus cette tentative qui vise à saisir la réalité nous en éloigne en fait, nous repousse un peu plus hors de cette nature qui, si elle n'est pas une pleine réalité, reste d'origine divine, porte le reflet de son Créateur et peut nous rapprocher de Lui.
La peinture n'est pour Pascal qu'une forme de divertissement, un moyen d'oublier la seule question qui compte. Elle ne nous fait penser qu'à l'homme (contrairement à ce que disait Michel-Ange). C'est un relais supplémentaire, un nouvel écran qui nous sépare du réel, un obstacle construit de nos propres mains sur le chemin du vrai. Tout se passe, avec le tableau, comme si l'on préférait, à la personne que l'on aime, son reflet dans un miroir. Et pour montrer la sottise de la situation, il faut ajouter : comme si l'on préférait ce reflet parce qu'il serait notre ouvrage.
La peinture moderne a inventé une autre forme du défi, en créant ses propres formes, et en quelque sorte un monde autonome qui se passerait du monde créé. Entreprise qui a son éclat, sa séduction, mais qui n'est peut-être pas aussi créatrice qu'on l'espérait. On a pu mettre en face des tableaux les plus « abstraits » ou « informels » des photographies (cellules vues au microscope, coupes dans un tissu vivant, gouttes de lait tombant dans du café ou simplement photos aériennes) qui montrent que la réalité avait en quelque sorte prévu ces images. La main de l'homme serait incapable de créer du jamais vu : la nature, catalogue inépuisable de formes colorées, a toujours une référence à présenter. Mais même s'il en était autrement, la sévérité de Pascal pourrait s'exercer : le divertissement est là, encore plus patent.
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On pourrait modifier la formule et dire : « quelle vanité que le théâtre qui attire l'admiration... ». Et il est vrai que le théâtre, dans la mesure où il est représentation de la réalité, mise en scène de moments où des hommes et des femmes feignent de vivre sous nos yeux, tombe sous la même condamnation. Il ajoute une illusion supplémentaire à l'illusion du réel, il redouble l'image de la caverne. Et encore mieux quand il utilise le vieux procédé du théâtre dans le théâtre, comme on le voit dans *Hamlet, l'Illusion comique* etc.
Est-ce que ce redoublement d'apparence a compté pour l'Église, aux temps anciens où elle repoussait cet art ? L'acteur doit mimer un personnage. Il lui faut s'absenter de lui-même pour donner corps à un autre être, donc se laisser déposséder chaque soir. Même s'il s'agit de se mettre dans la peau d'une créature fictive, d'un fantôme, il y a là quelque chose d'une opération de sorcellerie, qui pouvait irriter une Église intransigeante. A-t-on le droit de s'absenter pour laisser place en soi à une autre âme ? C'est une question.
Ce goût du mime peut envahir une époque. La mode, la puissance des spectacles opèrent sur des foules cette sorte de transfert, où des âmes faibles renoncent à ce qu'elles pourraient être et se laissent occuper. On obtient des faux-semblants, se coiffant, marchant, parlant comme le fait l'idole.
La forme même de la scène évoque une caverne. On y voit évoluer des êtres qui paraissent vivre un moment de leur existence. On sait bien que ce n'est qu'une feinte et l'illusion est connue de tous, encore que l'on cite le cas de naïfs qui criaient aux acteurs : « attention, le traître vous écoute ». Mais l'illusion surmontée, bizarrerie notable, garde une efficacité. Nous intéressant, pour deux heures, à un monde faux, elle a le pouvoir, par contraste, de rendre plus réel, plus consistant le monde des spectateurs. Elle renforce le piège où nous ne sommes déjà que trop pris, de croire à la solidité de notre vie. Au lieu de nous rapprocher de la réalité, de la dévoiler, le théâtre a donc pour résultat de nous en éloigner. Lui aussi ajoute un reflet qui nous égare.
Autre particularité : par le prestige des lumières et l'éclat des costumes, la force du texte, la beauté des actrices, le théâtre exalte le factice. L'image de la vie paraît supérieure à la vie. Les temps faibles, les bredouillements, les maux de dents, toutes les menues imperfections du quotidien sont gommées (ou mises en valeur pour un effet particulier, ce qui change tout). Résultat : apparaît comme réalité accomplie, parfaite, ce qui est, en fait une réalité amoindrie.
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Le théâtre interpose un miroir trompeur entre la vérité et nous. Il nous fait donc tourner le dos au seul souci sérieux la recherche de ce qui est vraiment. Si Pascal n'en parle pas, c'est que la question lui paraissait réglée, et cet art condamné.
Ce que l'on dit là est encore plus vrai pour le cinéma, qui est d'ailleurs un mélange de théâtre et de peinture. Passer des heures à regarder des ombres semblables à nous, dans l'oubli et la suspension de notre propre vie, donner notre temps, bien qui nous est si exactement compté, à ces doubles qui n'existent que par notre regard, c'est une passion étrange. Nous opérons avec prodigalité cette transfusion de temps, alors que nous ne savons pas quelle part nous en est mesurée, et si ce n'est pas nos derniers moments que nous gaspillons. Assez féroces quand il s'agit de notre moi, nous le livrons sans compter pour gonfler des fantômes. On peut trouver surprenante la vogue des films de vampires, dans un temps aussi hostile aux légendes que le nôtre ; en fait cette vogue est l'image de notre situation c'est chaque jour que la plupart se laissent vampiriser.
Ces accusations visent théâtre et films qui mettent en scène des personnages que nous pourrions être, et avec lesquels nous nous identifions sans peine. Il y a d'autres spectacles ; ils nous font accéder à des mondes différents, leurs héros éloignent toute idée de familiarité. Si une ressemblance avec eux nous effleure, c'est dans ce que nous avons de plus haut. Une tragédie nous impose par son sujet, sa langue, de sortir de la vie quotidienne, de nous ouvrir à des sentiments hors du commun. Nous en sortons grandis. Les reproches qu'on exposait plus haut tombent. On n'est plus dans le monde des reflets : c'est un peu de réalité qui nous est rendu accessible.
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Pascal est un chasseur, tout tendu vers le gibier qu'il traque. Il ne s'arrêtera pas pour écouter une source, regarder le balancement de branches dans le vent. Cet acharnement peut être trompeur. Comme il y a une peinture de louange qui rend visible l'invisible, il y a un théâtre qui montre l'homme essentiel. Dans les deux cas, une alchimie propre à l'art nous tire hors de l'apparence, révèle ce que cette écorce contient d'allusion à la réalité, nous offre un monde plus dense et plus vrai que celui que nous savons voir. Cette peinture, ce théâtre sont le contraire du divertissement. Là est la limite du mot célèbre auquel nous nous sommes arrêtés. La meilleure part des œuvres humaines échappe à sa flèche.
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Pascal, lui, n'avait sans doute pas besoin de tels intermédiaires. Il n'était donc sensible qu'au risque qu'ils comportent : ils peuvent nous égarer au lieu de nous rapprocher du but. Ce ravageur détruit, veut détruire tout obstacle entre Dieu et nous. Il n'admet pas que pour des natures moins ardentes que la sienne l'obstacle qu'il redoute peut être au contraire un tremplin, un secours.
Georges Laffly.
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### Les Cristeros (V)
*Chronique d'une insurrection*
par Hugues Kéraly
La guerre des femmes
SANS LA PIÉTÉ DES FEMMES, le soulèvement du Mexique chrétien en 1926 paraît difficile à imaginer. La mère mexicaine s'inscrit en première avocate des droits souverains de la religion. Elle donne le fil directeur de la « Cristiada », comme Marie est médiatrice de toutes les grâces à chaque grain du Rosaire que récite le soldat.
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Chaque Cristero prévenu de son exécution veut faire passer à sa mère le dernier message, il rêve de partir sous ses yeux, certain de lui laisser dans ce martyre le plus beau couronnement de son éducation. Elle est le seul témoin qui compte, le seul adieu qui lui importe vraiment. Dans les cachots de la police, entre deux séances d'infernales tortures, il se précipite encore à ses pieds pour recevoir la bénédiction. -- *Mamacita...* Qui rendra un plus bel hommage à la vertu de sa mère, dans l'éducation du courage chrétien ?
On nous a longtemps trompés, et la mythologie hollywoodienne s'y applique encore, sur l'organisation familiale des Mexicains. Le terrorisme du « *macho *» sans foi ni loi, qui réduit les femmes de son entourage au destin de servantes ou de prostituées, existe en effet : chez les aventuriers du Nord, les chefs de bandes, qui fournissent depuis l'origine tous les hommes de la Révolution. Ce modèle reste étranger cependant au Mexique chrétien des villes et des campagnes où la vénération des mères, gardiennes de la foi, se confond avec celle de la *Santisima Virgen de Guadalupe.*
#### Dios te salve, Maria
Tout Mexicain digne de ce nom a appris l'espagnol en priant. Il a appris la soumission et la confiance à travers le modèle de Marie, sur les genoux d'une mère qui, dans les plus grandes difficultés de l'existence, ne perdait jamais de vue le critère de l'honneur chrétien. Il a vu les hommes revenir au foyer, ivres de dispute et de vin, pour demander sans mots à Concepcion ou Rosario l'absolution mariale des péchés contre la paix.
S'il y eut des faibles et des forts, dans la genèse du soulèvement chrétien, c'est le courage, le sacrifice des femmes, d'abord, qui a tout fait. Elles n'auront de cesse, jusqu'à la suspension du culte, de harceler le clergé : ceux qui croyaient facile de régler leur mouvement sur la lâcheté de l'évêque local se souviendront longtemps, dans les chapelles privées de Mexico, qu'on n'expédie pas une mère, une sœur aux abois, sur la question des sacrements, avec des considérations de sécurité physique ou de porte-monnaie !
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Quand les sacristies seront désertes, à la fin de l'été 1926, ce sont les femmes encore qui descendront dans la rue, le chapelet à la main, pour organiser des pétitions contre le gouvernement. Occuper les églises. Défiler dans la rue sous la menace des mausers fédéraux. Distribuer des tracts à l'entrée des théâtres et des cinémas. Imposer, à toutes les catégories sociales, le boycott économique de la Révolution. Combien d'entre elles auront péri sous la charge des régiments de cavalerie, à coups de sabre, à coups de crosse, ou pire encore, livrées aux déchaînements de la bestialité humaine dans les salles de police, sous le regard et les blasphèmes de l'officier, tandis que les évêques mexicains continuaient de prêcher la patience, en se portant garants de la bonne foi du Président ?
Septembre 1926. Le sang a coulé dans la plupart des États du Mexique. Tous les moyens « légaux » ont échoué. Le peuple mexicain n'a plus de Hiérarchie catholique, plus de clergé diocésain, plus de sacrements. Reste l'unique ressource, absolument légitime en droit, absolument nécessaire dans les faits, de l'insurrection générale. Les femmes y pousseront de tout leur poids, qui fut décisif dans les premières actions. Elles appellent les maris à « *ser hombres *» (se comporter en hommes), ce qui dans tout l'univers hispanique constitue un discours suffisant, et *donnent leurs fils,* l'un après l'autre, aux régiments du Christ-Roi.
-- *J'ai offert la vie de mes quatre garçons au Christ,* dit simplement la mère de Luis Navarro Origel, premier général cristero. *Mais le Seigneur est resté un peu court, Il n'en a pris que deux !*
C'est la même doña Guadalupe qui reçoit après la guerre les commissaires du gouvernement bolchevique, venus pour confisquer dans ses fermes toutes les réserves de blé :
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-- *Mes bons messieurs, si je vous ai laissé mettre mes fils à mort pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, comment pourrais-je refuser aujourd'hui le blé de mes champs ? Voici la clé des réserves, confisquez donc tranquillement* ([^32])*.*
La foi des mères mexicaines nous rappelle en permanence au sentiment du Nord chrétien. Elle est si gaie, si forte, sur les fondements du catéchisme, qu'elle se méfie d'instinct de toute exaltation. Doña Maria, la mère de José de Leon Toral, exécuteur du général Obregon, supportait mal de voir son fils multiplier les exercices spirituels et les méditations : -- *Laisse donc tous ces efforts qui te bousculent l'esprit... Qu'il te suffise de ne jamais abandonner la messe, le Rosaire et la sainte communion.* Quand la police du régime mettra la main sur le jeune homme, pour le soumettre à toutes les tortures imaginables, doña Maria montrera cependant comme elle savait prier :
« *La science a découvert les anesthésiques, dont le pouvoir contre la douleur est bien établi. Si mon pauvre enfant devait souffrir encore de nouveaux martyres, Seigneur, ne sois pas moins que la science avec ton Pouvoir infini* *: fais en sorte qu'il souffre un peu moins, qu'il ait la force de tout supporter et, davantage encore, de le faire par amour de Toi.* »
*Que lo lleve todo en amor tuyo :* « qu'il supporte tout par amour de Toi ». C'est la formule de la conformité parfaite à la volonté de Dieu, le secret des saints. Quand on lui rend le corps de José de Leon Toral, en février 1929, doña Maria, du fond du cœur, pardonne aux bourreaux. « *Ça ne m'a pas coûté beaucoup d'efforts,* avoue-t-elle dans ses mémoires. *Dieu a tout fait pour moi. Ce qui s'appelle monter en ascenseur, comme la petite Thérèse disait. *» ([^33])
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Par-delà toutes les passions du gouvernement, le complot des diaboliques, et les trahisons mêmes du clergé, il faut comprendre ce que fut l'économie profonde de la « Cristiada ». Dans le Mexique pacifique et marial des années vingt, silencieusement, sur la simple fidélité aux vertus chrétiennes, vécue dans les épreuves sans gloire du quotidien, la sainteté de milliers de mères avait préparé au Christ des milliers de saints. -- *Dios te salve, Maria...*
#### Les « B. B. » du Christ-Roi
Les mères, les femmes, et les filles aussi. Dans le Mexique cristero, elles sont nubiles à douze ans, adultes à quatorze, et n'attendent pas le droit de vote pour réclamer de prendre part aux dangers de l'insurrection. Il y aurait eu quelque injustice, d'ailleurs, à réserver aux mâles le grand concours du qui-perd-gagne ouvert par la folie de Callès dans tous les États mexicains : *douze balles dans la peau, un aller simple pour l'Amour divin.* Tout à recevoir, sans délai ; et le curé lui-même n'avait rien à dire, la mort servant de fiancée. Dans la jeunesse mexicaine, ce fut le coup de foudre généralisé.
L'organisation militante des filles, qui se fera militaire dès les premiers soulèvements, remonte à 1925. Elle est l'œuvre de Luis Flores Gonzalez et Maria Goyaz, fondateurs de l'Union Catholique des Employées de Guadalajara. Au début, il s'agissait surtout d'associer les jeunes travailleuses des villes -- vendeuses, employées de bureau, couturières -- à l'intendance des campagnes publiques et des manifestations de rue. L'orchestration du boycott économique, qui se heurtait à une répression féroce, prépara les meilleures d'entre elles à la clandestinité. Quand la guerre éclata dans les campagnes, elles étaient prêtes, pour tout ce qu'on leur demanderait... Les Cristeros manquaient d'argent, de munitions, d'explosifs, de vivres, de soins, de caches, de renseignements ? Les filles allaient se mettre en guerre, séance tenante, pour leur porter tout ça. Rien de moins.
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La première brigade féminine est formée le 21 juin 1927 à Zapopan (Jalisco) avec dix-sept militantes. Elles seront 135 quelques jours plus tard et 25 000 à travers tout le Mexique quand la Hiérarchie fait déposer les armes aux soldats du Christ-Roi : vingt-six brigades complètes et trente commandos spécialisés. On les baptise « *Brigades féminines sainte Jeanne d'Arc *» au sein de l'Armée de libération nationale et, sous leur nom de code, qui sonne si joliment dans l'imagination, « *B.B. *» (*Brigades Bonitas,* les jolies brigades ?).
Leur histoire reste assez peu connue, même dans les samizdats de la Cristiada, en raison de la clandestinité des tâches, et des inquisitions postérieures du clergé : « Quand fut publié le *Modus vivendi* du 21 janvier 1929 (*les funestes accords tripartites Rome-Washington-Mexico*)*,* Mgr Ruiz y Flores, délégué apostolique, et Mgr Diaz Barreto, archevêque de Mexico, dans leur plan de neutralisation des organisations catholiques existantes, confièrent au Père Miguel Diario Miranda la tâche d'intervenir dans les Brigades féminines sainte Jeanne d'Arc. Ayant destitué leur chef, Luis Flores Gonzalez, celui-ci prit possession des volumineux dossiers d'archives *et les incinéra,* détruisant à jamais, sous prétexte de sécurité, la source historique la plus complète sur cette institution exemplaire à tous les points de vue. » ([^34])
Quelques documents néanmoins échappèrent au désastre, entre les mains des générales qui avaient survécu. Ils attestent, mieux qu'elles ne sauraient le faire, l'extrême rigueur paramilitaire de l'organisation. Ainsi, ces extraits de leurs statuts :
« *Il s'agit d'une société mexicaine, exclusivement féminine, civique, libre, autonome et rationnellement secrète, c'est-à-dire que ses membres jurent de garder seulement tout le secret nécessaire à la vie de l'institution, à celle de ses membres et au développement de son objet :* (*...*) *organisation, guerre, finances, renseignement, liaison, bienfaisance au service des croisés. *» (Chap. I, art. 1-5.)
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Renseignement. -- « *Il s'agit de faire de l'espionnage, aussi bien dans notre camp que dans celui de l'adversaire, pour découvrir à temps les traîtres, les mouvements, les plans et la situation de l'ennemi. *» (Chap. I, art. 9.)
Liaison. -- « *L'organisation se chargera de transmettre toutes les communications entre les chefs combattants, les régiments et les organisations civiles. *» (Chap. I, art. 10.) Les filières de transmission des messages obéissent en effet aux règles de la clandestinité, avec des cloisonnements et des sécurités multiples à chaque niveau.
Serment. -- « *Le deuxième serment se prête à genoux, devant le crucifix : En présence de Dieu, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, de la Vierge de Guadalupe, et à la face de ma Patrie, moi, X..., jure, même s'ils me martyrisent ou me tuent, même s'ils me promettent tous les royaumes du monde, de garder tout le temps nécessaire un secret absolu sur l'existence, les activités, les noms des personnes, les adresses, les signes de reconnaissance qui se rapportent aux membres, de l'organisation. Avec la grâce de Dieu, je mourrai plutôt que de dénoncer. *» (Chap. III, art. 7.) ([^35])
La jeunesse du Mexique était entrée en guerre, elle en acceptait le prix. Il fut souvent plus lourd à payer dans le cas des filles, que la troupe fédérale ne fusillait jamais sur-le-champ... Pour cette brigadière de quinze ans, tombée entre ses mains dans les volcans de Colima, avec un plein sac de pansements et de munitions, le secours de sainte Jeanne d'Arc ne fut pas un vain mot. Elle aura tout offert, tout appris, tout enduré du déchaînement de la Bête, dans la terreur d'une nuit, sans desserrer les lèvres un seul instant... Soldat de l'ombre, écartelée dans la fange au bord des promesses de la vie, son procès ne sera jamais nécessaire, sinon pour juger dans l'Église les principes et les hommes qui la livraient, toute seule, toute nue, au témoignage de la Foi :
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« Sa tendresse et sa beauté provoquèrent dès le premier instant les instincts des Fédéraux, qui déchirèrent ses vêtements. Elle fut soumise à un interrogatoire sans pitié. Ils se relayaient pour lui arracher le nom des chefs et les filières de l'organisation, mais elle ne lâcha pas un mot. L'enfant serrait fortement les lèvres, et il fallait lire sur son visage la douleur, l'humiliation, la fièvre qu'elle ravalait à chaque instant. *-- Tu as l'orgueil d'une vierge, rugit l'officier. Continue comme ça et je te livre séance tenante au bon plaisir de mes soldats !...* La jeune fille fit non de la tête et leva les yeux au ciel, mais sa prière déjà ne visait plus l'officier... *-- Elle est à vous : prenez-la ! *» ([^36])
Quand l'adolescente eut fini de servir, les Fédéraux furent privés du plaisir supplémentaire de l'égorger : elle avait rendu son âme à Dieu au milieu des blasphèmes et du déchirement.
En trois ans de guerre, du côté des « Brigades féminines sainte Jeanne d'Arc », il n'y eut pas une seule défection connue. Quelle organisation de résistance politique pourrait en dire autant ?
#### Missions spéciales
A vrai dire, les Fédéraux durent attendre le printemps de 1929 pour mesurer la formidable efficacité des filles dans l'insurrection cristera. Elles épiaient tous *les* mouvements de troupes, dans les gares, aux portes des garnisons, interceptaient les télégrammes, s'engageaient dans les cantines et les mess d'officiers. On les trouvait partout, souriantes, versant à boire, mais elles éveillaient plutôt le désir que la méfiance des soldats. Les messages à destination des « *croisés *» étaient appris par cœur.
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Bientôt, les munitions elles-mêmes purent circuler sans donner l'éveil, grâce au stratagème que des couturières de choc avaient su mettre au point : un gilet « *porte-balles* »*,* en tissu, fait de petits logements ad hoc juxtaposés, que les filles laçaient à même la peau, sous les vêtements, pour traverser la campagne et rejoindre leurs frères au combat.
Les « Brigades féminines sainte Jeanne d'Arc » firent mieux que de transporter les munitions aux insurgés. Elles les achetaient au marché noir, les volaient dans les usines de l'armée (où des complices s'étaient engagées), les fabriquaient dans leurs ateliers clandestins. Toute l'organisation s'y employait sans relâche, du haut en bas de la hiérarchie. *Sara Flores Arias,* générale à trente ans dans la région de Guadalajara, trouve la mort avec deux autres compagnes par l'explosion d'une bombe qu'elles étaient en train de fabriquer. *Sebastiana Acunla,* veuve Vazquez, rend ce compte émouvant des travaux réalisés en cinq mois, pour la « Cause », dans les Altos de Jalisco ([^37])
Rancho Palmitos,\
San Julian, Jalisco,\
24 Juin 1928.
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Argent reçu 3.200 Pesos
Collecté à Mexico 465 Pesos
Total 3.665 Pesos
Cartouches collectées et distribuées : 17.867
Grenades confectionnées à domicile : 100
Cartouches recalibrées 1.500
Amorces 10.000
Balles 700
Fourni à la Cause, en plus :
Pull-overs 36
Jeux complets de linge 64
Couvertures neuves 6
Usagées 7
Linge de corps neuf 56
Pistolet 45 réglementaire 1
Paire de Jumelles prismatiques 1
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Les « B.B. » du Christ-Roi avaient mis le charme au service de la Cause, en sus de leur patiente industrie. C'est le témoignage formel d'un général de l'armée révolutionnaire, Cristobal Rodriguez, commandant alors la zone militaire de Queretaro, qui vaut toutes les archives détruites sur ordre de l'épiscopat : « Il y eut des fonctionnaires, des autorités villageoises et même des militaires sans scrupules pour oublier leur devoir, tomber dans les filets des *sirènes de Jeanne d'Arc* et leur fournir des cartouches sorties de nos usines. Cela explique que les Cristeros aient brûlé des cartouches de 1927, 1928, 1929 alors que nos troupes brûlaient encore du 1925-1926. »
Le charme jouait aussi dans les rues, pour détourner la vigilance des contrôles policiers : les filles donnaient le bras aux agents de liaison qui devaient entrer ou sortir en plein jour, dans les villes de garnison. En cas de coup dur, les filles n'hésitaient pas à se sacrifier, protégeant la fuite des officiers cristeros. Beaucoup payèrent ce service de travaux forcés l'administration fédérale les expédiait sans jugement au pénitencier des Islas Marias, où les matons s'arrangeaient avec la vraie canaille pour que les résistants catholiques meurent de faim...
Parfois le châtiment est plus terrible encore, et immédiat. *Candelaria Borjas* et *Maria Ortega,* surprises avec trois Cristeros le 24 juin 1928 dans une rue de Colima, sont contraintes d'assister au supplice de leurs compagnons : le fouet, appliqué avec une telle fureur que l'un d'eux en mourra aussitôt. Les soldats obligent alors les deux filles à charger son cadavre jusqu'à la place de la cathédrale, lieu de l'exécution. (On fusillait aussi les morts en ce temps-là.) Elles doivent ensuite rester debout, dos au mur, sous un soleil terrible, pieds nus dans le sang des martyrs que toute la ville vient contempler.
-- *Voici les Cristeros, ne vous avisez pas de les aider !*
Mais Marie, au pied de la croix, n'a d'yeux que pour un corps disloqué... Les Fédéraux finissent par arracher les filles à ce premier calvaire, tableau de la foi mexicaine persécutée, qui fait trembler -- d'admiration -- les habitants de Colima.
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La nuit du 25 juin fut atroce pour les deux jeunes femmes. On les sépara l'une de l'autre, dans l'obscurité des cours intérieures de la Jefatura, où les soldats se relayaient pour leur arracher ce qu'elles savaient... Des hommes qui avaient comme mission de terroriser le Mexique chrétien, qui criaient *Viva el Demonio.* La torture faisait partie de leur métier : « Ils menacèrent Candelaria de la pendre et lui passèrent la corde au cou. Comme elle préférait la mort à l'infidélité, la malheureuse fut arrachée du sol au milieu de ces fauves, qui riaient. Leur intention n'était pas de la tuer ; mais elle avait perdu connaissance quand on la décrocha. Les soldats rouèrent alors de coups ce corps pâle et glacé. Il fallut lui jeter plusieurs seaux d'eau sur le visage et la poitrine pour qu'elle revienne à la vie... Le larynx, selon le médecin de la troupe, avait souffert du choc de la pendaison : de fait, Candelaria ne pouvait plus parler. » ([^38])
Candelaria fut jetée dans un coin de la cour, sur le crottin des chevaux. On fit subir le même sort à Maria Ortega, après trois séances de pendaison. Au matin, un général prit la relève pour les faire traîner toutes deux jusqu'au poteau d'exécution, aligner ses hommes et aboyer les ordres prévus par le règlement. Les jeunes filles avaient résisté toute la nuit à l'escalade des souffrances et des humiliations. Elles attendaient la mort, son dernier simulacre ne pouvait ébranler leurs dispositions. Le pouvoir se résigna à les faire déporter, sans en avoir tiré un mot.
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#### Une intendance qui précédait
Avec les militants de l'Union Popular (UP) pour l'État de Guadalajara, et ceux de l'A.C.J.M. ([^39]) dans tout le Mexique, les « Brigades féminines sainte Jeanne d'Arc » auront tenu à bout de bras la plupart des services essentiels de l'insurrection cristera : *finances, armement, munitions, ravitaillement, santé, liaison, renseignement, propagande, contre-espionnage.* Ce fut la chance de cette armée populaire, qui n'avait aucune expérience de la guerre, et ne possédait rien. L'intendance ici aurait plutôt précédé le mouvement des soldats. Jean Meyer l'a compris sur place, aux témoignages des survivants, et il l'explique fort bien :
« Leur activité était si vitale pour les Cristeros et si dangereuse pour le gouvernement que l'on ne peut croire à l'indulgence de l'appareil policier et militaire. Il s'agit bel et bien d'une organisation qui pendant deux ans mit en mouvement jour et nuit des milliers de femmes qui faisaient la navette des villes aux champs de batailles (...).
« Certaines d'entre elles, ayant des connaissances scientifiques bien supérieures à celles des paysans, firent travail d'artificiers, et de professeurs, apprenant aux Cristeros à fabriquer des explosifs, à faire sauter des trains, à manipuler batteries et fulminants.
« Les B.B. ont pris très au sérieux leur mission de guerre... Se prévalant de tous les moyens, elles organisaient des bals dans les villages pour gagner la confiance des officiers, endormir leurs soupçons et obtenir des renseignements. Ces nouvelles Judith dirigées par Josefina de Alba mirent sur pied avec l'aide d'Andrès Nuño le groupe d'Action Directe, qui s'est illustré en tuant d'un coup de couteau un prêtre schismatique, Felipe Perez, espion du gouvernement.
« Le soin aux blessés cachés dans les villages ou en ville incombait aux B.B., dirigées en cela par le Dr Rigoberdo Rincon Fregoso ([^40]), ainsi que la direction des rudimentaires hôpitaux de campagne des Altos, de Colima, du Sud Jalisco et de l'hôpital clandestin de Guadalajara.
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« Si les B.B. se sont encore occupées de ravitailler les Cristeros du point de vue alimentaire, elles n'auront pu que seconder en cette tâche, parfois coordonner, les efforts de tous les paysans, parents et amis des Cristeros, qui le faisaient directement sans passer par elles. Avec l'U.P. elles travaillaient à la propagande et à la presse clandestine éditée près de Zapopan, puis près de Tlaquepaque ; toujours avec l'U.P. elles assuraient partiellement le courrier politique et militaire des Cristeros, et contribuaient à leur réseau de renseignements. » ([^41])
De combien de vies humaines les « Brigades féminines sainte Jeanne d'Arc » ont-elles payé cet engagement physique dans l'effort de guerre chrétien ? L'épiscopat mexicain s'est arrangé dès la signature des Arreglos pour que nous n'en sachions rien. Les arrestations massives de femmes étant intervenues peu de temps avant la fin des hostilités (en avril-mai 1929), aucune liste n'avait pu circuler à l'extérieur de l'organisation.
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Nous ne voyons qu'une chose. Dans le Mexique de la Révolution contre les droits de Dieu, les officiers du gouvernement avaient licence de faire déshabiller les résistantes catholiques pour déchaîner la troupe, qui se délectait de conclure le viol collectif à la cravache et au couteau. Cette saignée des vierges était au programme de la répression bolchevique, et tout le monde le savait. Les Jeanne d'Arc mexicaines mieux que personne, quand on les admettait dans une brigade à prêter serment. Mesurons la lâcheté des clercs, et le prix de l'offrande, aux conditions du combat.
(*A suivre*.)
Hugues Kéraly.
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## TEXTE
### Belle lurette
par Jacques Perret
« *La raison de cet ouvrage est de raconter ma plus belle aventure, à savoir la Guyane... *»
*Ainsi commence le nouveau volume des* « *souvenirs* » *de Jacques Perret :* BELLE LURETTE, *chez Julliard. Deux cents pages de vagabondages dans l'espace et le temps, où la Guyane apparaît parfois, entre la Suède et la Turquie, et vingt autres pays, sans oublier la France, avec une complaisance particulière pour l'Île-de-France, qui redégage elle-même de manière privilégiée la France et le Parisis. Que de villages* « *en France* » *et* « *en Parisis* »* !*
*Je tiens Perret, et je ne suis pas le seul, pour l'un des plus grands écrivains français. Aussi suis-je embarrassé pour parler de lui. Quelle langue ! Et quelle invention verbale ! Je me délecte de cette prose coruscante, si imprévue à chaque ligne qu'on est obligé de relire après avoir lu pour ressaisir cette profusion de diamants qui vous filent entre les doigts. Je ne sais si le grand Robert me renseignerait mieux que le petit pour percer le mystère de ces mots enchanteurs :* fondouks, aubin, bonites, abattis, aïmaras, katouri, carbet, bâtée, amphibole, trémolite, actinote, apostume, maxillis *et cent autres du même genre. Non moins savoureux sont les mots anglais francisés par l'orthographe :* ponche, blœufer, djob, aoute, ouatères, clach, ouisqui*, etc.*
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*Car J. Perret a tous les défauts qu'on impute, à tort hélas ! au Français. Il est patriote, nationaliste, impérialiste, intégriste et ne s'en flatte même pas tant cela lui est naturel. Anti-gaulliste évidemment. Antimilitariste du même coup, en ce sens du moins que la résistance, pour lui, consiste à résister et que les généraux félons sont ceux qui ont le sens de l'honneur. Quand je pense qu'il est né le 8 septembre et moi le 15 août, et que j'ai joué jadis au tennis avec lui à Carolles, je me demande de quel droit. J'admire l'homme autant que l'écrivain. Ce n'est pas peu dire !*
Louis Salleron.
#### La Suède Souvenir de Fersen Vive le roi
Au dernier recensement, l'archipel de Stockholm comptait environ deux cents pièces et morceaux. Mon ami et mécène y possédait un îlot sauvage entièrement rocheux, relativement isolé de ses pareils, nettement plus petit que l'île de la Jatte, et sur lequel s'érigeait un bungalow miniature genre cabane forestière avec dépôt de vivres et provision de combustible. Nous y fûmes quelques jours, il faisait froid. Un peu de pêche, quelques observations et repérages à la jumelle et la nuit venait. Un semblant de ménage, un rien de cuisine et la conversation au feu de bois, café, cigares, et l'aquavit, alcool sauvage. Il connaissait, Dieu merci, le bon usage des silences mais il était plus causant que moi, ce qui n'est pas difficile, et le temps passait gentiment jusqu'au bain de minuit, pratique inattendue pour moi. S'agissait-il d'une règle ou pénitence personnelle ou d'une coutume propre aux vacanciers insulaires ? Je ne me souviens plus.
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Il m'avait dit que surtout je ne me tinsse pas pour obligé de le suivre et donc je le suivis. « L'eau sera glacée, à point », me cria-t-il en tombant le caleçon et je ne m'attendais pas à ce détail ; il eut de son côté la courtoisie de ne pas s'étonner que je gardasse le mien. Chez nous en effet la libération des coutumes et des mœurs n'était pas encore accomplie, mais la bourgeoisie déjà s'entichait du Nord et de ses pratiques libérales. N'empêche qu'au régiment, sur la plage de Mazagan, le troisième bataillon du 1^er^ Zouaves déferlait sur la plage déserte, bel et bien caleçonné des reins aux chevilles, et l'eau n'était pas froide. Là-haut, bien sûr, la mer n'était pas encore gelée ; j'y sautillais sans plaisir cependant qu'Olaf en station verticale savourait l'ineffable froidure où baignait sa patrie : « C'est pour l'hygiène et le moral ! » me criait-il. Je revoyais alors cette image de *l'Illustration* qui représentait, non loin de son traîneau, un boyard à poil et la mine réjouie, plongé jusqu'aux épaules dans le trou pratiqué par ses gens au bord d'un lac immense et gelé. Nous n'eûmes pas la satisfaction de casser la glace mais Olaf, raffinant sur l'épreuve, la pratiquait à minuit et, sous ces latitudes, minuit sonnait comme un midi dans la nuit claire. Vous imaginez le retour à la cabane, la douceur du chandail, le feu ranimé qui pétille, les cigares, les pipes, le flacon d'aquavit et l'intimité un peu théâtrale de tout cela. Je me disais que rien ne manquait pour jouer une fois de plus la comédie ou le drame de l'île déserte et deux hommes dedans. Ce thème aurait toutefois pour circonstance originale et aggravante le nocturne étiré jusqu'à l'aube incertaine. Il semblait en effet qu'intimidés par la promesse d'une si longue nuit nous fussions d'abord économes de nos paroles, mais bientôt les bolées de ponche aidant, les propos s'enchaînaient avec plus d'entrain et de liberté. Honnêtement démarré selon la loi des associations d'idées, le dialogue s'abandonna tout de suite aux puériles associations phonétiques du genre pipe-en-terre-Terpsichore-corpuscule-culot-de-pipe-pipeen-terre, et le serpent qui se mord la queue. Ainsi le coup d'envoi donné par ma pipe allumée d'une braise menaçait-il de nous piéger en circuit fermé quand Olaf, en qualité d'artiste, força l'ouverture par une allusion aux *Fumeurs de pipes* de Frans Hals ; et voici en gros l'enchaînement des thèmes subséquents : l'École flamande, Van Loo, les tableaux de bataille, la guerre de Hollande, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI enfin et Marie-Antoinette et Varennes.
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C'est à ce moment-là qu'Olaf saisit la bouteille et remplit nos verres comme il eût fait aux abords d'un passage délicat. Cela fait, comme s'il eût craint de me prendre au dépourvu, il s'assura que j'étais suffisamment instruit du règne de Louis XVI pour qu'il n'ait pas à m'apprendre tout du chevalier de Fersen. Je savais en effet quelque chose des imprudences de Marie-Antoinette et qu'il y avait eu un Suédois dans sa vie.
-- Eh bien, figurez-vous, cher ami, et soit dit en toute simplicité, que je suis descendant de Fersen, en ligne droite ; mais rassurez-vous, Marie-Antoinette n'en est pas pour autant mon aïeule illégitime et Dieu merci, un tel poids d'histoire m'eût un peu gêné dans la vie.
Il eut encore quelques mots plus ou moins touchants sur le couple royal, un gros Louis XVI, mollasson et médiocre en toutes choses mais une reine, créature de rêve, admirable profil et toutes les noblesses d'âme et de cœur :
-- A la reine ! dit-il, et nous levâmes nos verres.
-- A son pauvre époux quand même ! dit-il encore en levant à peine son verre, comme par charité.
-- Vive le roi ! dis-je en brandissant le mien, et sachez un peu que ces trois mots comme liés entre eux par tirets furent criés dans la joie plus de dix siècles durant.
Par ces mots je ne pensais que défendre l'honneur de la patrie devant l'étranger malveillant ou rien que mal informé. A vrai dire, hélas, je ne l'étais guère mieux que lui. Sur Louis XVI entre autres et en dépit des avertissements paternels et fraternels, je restais impressionné par l'enseignement républicain, laïque, obligatoire et scrupuleusement fallacieux mais tempéré je dois dire par la lecture des *Belles images,* du *Jeudi de la jeunesse* et du *Diabolo-Journal* qui nous laissaient rêver de princes charmants, de conspirateurs zélés et de valets galonnés. N'empêche que, jeune homme et bientôt bachelier, je ne voyais encore en Louis XVI qu'un monarque vertueux mais indolent, gourmand et serrurier. Telle était alors l'opinion générale, entretenue et surveillée de la communale au lycée pour le confort et la sécurité de nos institutions.
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Je devrai attendre quelque vingt ans pour que deux ou trois historiens me révélassent, pièces en main, que Louis XVI fut bel et bien grand monarque et savant homme. Quant à Marie-Antoinette, son charme et ses vertus, j'en étais encore à cette créature idéale à tout point de vue, encensée, illustrée par les poètes et feuilletonistes, les romanciers, les artistes peintres, les graveurs et les dramaturges. Or il se trouverait quelques historiens honnêtes et briseurs d'ailes pour démontrer pièces en main que, non seulement l'adorable reine n'était qu'assez loin d'être belle, ce qui n'est pas grave, mais passionnément antifrançaise et comploteuse au profit des ennemis du royaume. Nous ne pourrons désormais la respecter que dans la dignité de ses prisons et de sa mort.
#### Beyrouth
Donc, laissant le Pont-Euxin pour la Phénicie, je ne saurais préciser quel navire ou quel chameau voulut bien me déposer à Beyrouth, et peu importent les moyens. En revanche, et comme si j'y étais, je retrouve le bonheur de cette ville où l'air, la lumière, les gens et les choses, tout me parut tout de suite plus familier, mieux accordé à mes préférences et partis pris que les attractions les plus grandioses proposées par Stamboul et Constantinople. Pourtant je débarquais dans la métropole d'une région réputée au monde la plus diversement peuplée comme la plus anciennement tourmentée qu'on appelait encore la Syrie, la grande Syrie qui s'étendait du littoral jusqu'aux déserts arabiques. Le nom global de Syrien ou Syriate sera donné aux habitants de fraîche ou longue date et parmi lesquels on trouvera, patents ou larvés, des Chaldéens, Araméens, Maccabées, Perses, Turcs, Scythes et Parthes, Gaulois, Grecs, Juifs, Maronites, Druzes et cetera sans pouvoir les citer dans l'ordre où l'histoire les a superposés. Beaucoup sont allés au mélange, les autres ont résisté, fidèles à leur religion ou retenus par cet instinct dont parfois nous médisons sous le nom de racisme.
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La dernière vague est arabe, Omeyyades et Abbassides. Ils dominent aujourd'hui par la langue le nombre et la religion ; mais au temps de mon passage, et la diaspora faisant figure de châtiment surnaturel, je me complaisais dans l'idée que les habitants les plus justement implantés, c'étaient les chrétiens, minorité irréductible et prospère. A l'heure où j'écris, elle est sauvagement bombardée par les Palestiniens. Peu s'en faut dirait-on qu'Israël ne vienne à la rescousse des chrétiens, sans émouvoir pour autant la République française ; elle a refusé l'héritage et s'en frotte les mains ; mais rien n'empêche qu'elle puisse avoir, de temps en temps, une façon de faire tirée de l'Évangile, à son insu.
Donc je disais qu'à Beyrouth et dès les premiers pas le méli-mélo démographique me parut heureux. Quelque chose m'empêchait de le qualifier d'interlope. Ayant eu, en effet, à m'instruire de la situation auprès de différentes personnes, je pus constater ceci : les gens interrogés, bourgeois, débardeurs, fonctionnaires, vieillards ou gamins ne m'ont pas répondu en français comme pour faire valoir une deuxième ou troisième langue apprise à l'école ou par nécessité professionnelle. Ils ne font que tout bonnement usage de leur langue maternelle depuis saint Louis et Baudouin. Ils ont même toutes les grâces d'un baptême privilégié : toutes les eaux là-bas sont plus ou moins sanctifiées par le Jourdain. Toujours est-il qu'aujourd'hui encore, à la radio, je viens d'entendre un Libanais forçant de la voix sous une pluie de fer et de feu pour commenter le quarante-cinquième bombardement des quartiers chrétiens, et je croyais entendre un né-natif de Seine-et-Oise. Ces fracas et tumultes à l'heure qu'il est sont devenus monotones, mais que voulez-vous qu'on y fasse, on appuie sur le bouton pour avoir le tiercé. Encore une fois, la dixième croisade n'aura pas lieu. Il faut bien admettre en circonstance atténuante que, faute de baptême, la République française n'ait pu voir en ce conflit qu'un retour affligeant aux moyenâgeuses ténèbres ; mais reconnaître aussi que la cinquième du nom a toujours honnêtement témoigné des plus tendres sentiments à l'égard de l'Islam et qu'aujourd'hui, tout entière occupée de finances et d'économie, elle a d'autres chiens à fouetter que ces tueurs de chrétiens. On dit alors chrétiens en manière d'euphémisme, on pourrait dire catholiques mais c'est plus grave et M. Peyrefitte vous expliquerait pourquoi.
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Toujours est-il qu'il n'est pas dans son jeu, pour la République, de se montrer plus chrétienne que le pape. Il faut alors avouer que le Saint-Siège lui-même sur un tel sujet se tient à carreau. Le renoncement au pouvoir temporel aura pu à la longue entraîner une timidité de parole en témoignage d'ultime humilité. A part ça, rien ne l'empêcherait d'élever la voix jusqu'à fulminer si les intérêts de l'œcuménisme à tout prix ne lui faisaient la douce obligation de remplacer les saintes colères de jadis par toutes les expressions de la tristesse. Quel que soit le motif, un pape vraiment moderne et conciliaire, ne pouvant plus tonner, déplore. Depuis Jean XXIII au moins les déplorations pontificales n'arrêtent pas de nous inonder, amollir, confondre ou bercer. C'est la dilution du vrai et du faux dans un bain de larmes. On déplore et on invite, c'est l'opération bras ouverts, du Saint-Esprit bien sûr. Et l'esprit de charité allant de pair avec celui de sacrifice et dépouillement, on renoncerait aux intransigeances de la religion catholique pour la faire compatible avec toutes les autres, et les derviches tourneurs danseront l'alléluia, on bénira les priapées œcuméniques et nos chers défunts pourront choisir entre la métempsycose et le paradis d'Allah.
-- Je vous en prie, arrêtez le baratin, calmez-vous, nous savons déjà que Mahomet n'a rien à fiche en Guyane, que Dieu soit loué !
-- Attention ! L'Islam est à la mode, Charles Martel en disgrâce, le Croissant Fertile pas loin de sa pleine lune et les Cavaliers d'Allah commencent à nous caracoler sur le système ; les marchands de tapis sont aujourd'hui drapés de brocart, les chameliers du désert sont venus s'installer dans les châteaux de nos marquis en dèche, et la progéniture de nos tirailleurs fait sa pelote en usine. Mais l'histoire est toute remplie de ces mouvements et...
-- Vous avez raison et j'allais le dire ; mais à propos de migration et en fait de salade vous connaissez la dernière ? La voici : l'Institut international d'Étymologie préhistorique ayant décidé que Guyane est venu de Guyenne qui vient de N'Guyen, ils en ont conclu que nos Indiens venant du Laos et passant par Cognac seraient en droit de revendiquer l'honorable appellation de gnacoué.
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Ce n'est pas insulter au martyre de Beyrouth qu'évoquer ses beaux jours dans le temps même où quatre nations et trois religions au moins s'empoignent et s'étripent dans la poussière des ruines et grâce aux dernières créations de la balistique prodiguées par les nations chrétiennes ou marxistes. Jadis, abordant ces lieux, je n'étais pas sans savoir que nous avions là quelques droits et privilèges à conserver vaille que vaille et consécutifs à nos devoirs de protecteurs historiques depuis Godefroy de Bouillon qui conquit Jérusalem et saint Louis les âmes. Ce n'est rien de le dire, mais le constater sur place, dans le vif du quotidien, et me voilà tout fier et même attendri de voir qu'à Beyrouth comme à Casablanca le nom français se porte si bien. Comme le disaient nos stratèges de salon, nous contrôlions la Méditerranée. A quoi le premier bachelier venu faisait observer que nous avions bel et bien laissé à Rhodes la clé du système et que nous aurions avantage à la reconquérir mais que nous disposions d'une autre clé qui était Beyrouth ; elle nous donnerait enfin à pomper ce trésor liquide et souterrain qui n'avait si longtemps servi qu'à l'éclairage intime et fumeux de nos soirées d'hiver. Toujours est-il qu'à seulement les regarder sur la carte les déserts de l'intérieur embaumaient le pétrole ; on parlait de pipe-lines et déjà tous les parfums de l'Arabie s'évanouissaient dans les vapeurs irisées de la gazoline ; pour mieux dire le fabuleux bourbier, l'omnipotente matière chienlitique et philosophale commençait de suinter dans les jardins de Bérénice. La République, mettez-vous à sa place, n'avait pu jusqu'ici que négliger un héritage spirituel inadéquat aux institutions démocratiques. Mais dès lors que surgit l'espoir d'un formidable temporel, je n'irai tout de même pas lui reprocher de sauter sur l'occasion. Il faudra bien alors qu'elle soit chrétienne pour autant qu'elle est française ; et, qu'elle le veuille ou non, le bonheur d'une telle entreprise ne pourra que profiter aux œuvres paroissiales comme aux sociétés anonymes. Les banquiers d'ailleurs ne sont pas rares qui fréquentent l'église au moins pour les décès et mariages ; mais si le capitaine en tenue prend le goupillon il compromet son avancement.
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Toujours est-il que je n'arrêtais pas de me complaire en cette ville et ces lieux où tout le monde en usait comme d'une mère patrie, Orientaux, Levantins, juifs, Turcs, Maronites et toutes les variétés du monde arabe et byzantin sans compter les originaires de Toulouse et de Belleville. Je dois dire aussi que mon sentiment de bien-être était confirmé par la présence de nos soldats en service, corvée ou permission, aussi à l'aise qu'ils l'eussent été sur la Canebière. Je ne voulais douter que la population tout entière ne partageât cette impression. Si la guerre des Druzes, terribles guerriers, avait donné beaucoup de mal et même de l'inquiétude, l'affaire était maintenant réglée, on respirait. J'ai dit Canebière, mais pour moi c'était plutôt l'atmosphère de Casablanca le jour qu'ayant fini mon temps je traversais la ville en sifflotant, récuré, lessivé, rhabillé de neuf, la chéchia sur l'œil et le chèche non réglo, cravaté à la Bruant, l'allure enfin caractéristique du militaire libéré, aligné en solde et vivres, feuille de route en poche avec mention « isolé », pour enfin gagner le port où m'attendait le bateau du retour.
Le pied léger peut-être, mais cette fois le cœur un peu lourd : mon escale à Beyrouth n'a d'autre raison que le cimetière militaire. C'est là qu'est enterré le cousin qui me tenait lieu de petit frère. Nous avions pris ensemble de merveilleux fous rires baignés de larmes angéliques dont le souvenir me fait aujourd'hui la gorge un peu serrée. Incorporé à Orléans, il s'est porté volontaire pour la Syrie. Il y est mort en soldat. Je me trouve un peu honteux d'être là bel et bien vivant, mais il est content de me voir et tout de suite me rassure : « Je sais bien, me dit-il en riant, que tu n'as pas fait exprès de survivre. » Il a retrouvé là-haut sa mère, son père tué à Tahure et son grand cousin, mon frère, tué dans la Somme. « Ne t'impatiente pas, me dit-il, dans cinquante ans au plus, autrement dit dans une seconde, nous serons tous réunis sans nous être jamais quittés. » On sait bien qu'en ce genre de dialogue, sauf intervention de fluide, médium, table et autres foutaises c'est le vif qui parle pour le mort, ce qui n'implique pas forcément l'imposture.
-- Loin de moi pareille idée, entends-je dire, tout cela est fort émouvant, captivant, mais enfin vous annonciez la Guyane, raison première de ce volume, et jusqu'ici rien encore ou si peu que rien n'en est dit. Vous avez même eu le culot de nous balader dans les petites Amériques sans toucher la Guyane.
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-- Et alors ? Ne vous ai-je pas averti que la richesse et l'énormité du sujet laissaient prévoir une mise en route un peu laborieuse, au moins flâneuse ? Si j'ose prendre mon récit pour un fleuve et qu'il soit rectiligne ou sinueux, quoi de plus important, de plus chéri pour un fleuve que le souvenir des sources ?
-- Méfiez-vous, le retour aux sources aujourd'hui fait un peu rengaine, c'est la tarte à la crème.
Soit ! Je ne quitterai quand même pas le souvenir de ce pèlerinage au cimetière sans me demander si quelques années plus tard, en 1942, le même cimetière n'aurait pas accueilli les corps de nos soldats tombés sous le tir d'autres soldats non moins français mais commandés par un général français domi-cilié à Londres. En ce cas, à l'heure qu'il est et l'union des âmes étant faite, les bombardements se sont chargés de réunir les corps dans la fraternité des ruines.
#### La Guyane
La Guyane ? Je n'ai fait que répondre à son appel, et j'y suis. Elle ne sera pourtant ni racontée ni décrite mais tout juste échantillonnée, de quoi remplir une petite boîte de Pandore sauf que le bon et le mauvais s'y trouveront mélangés. Aussi bien en ferais-je un labyrinthe mais son fil est fragile. A propos d'Ariane, j'apprends qu'un projectile explorateur ainsi nommé vient d'être lancé du Kourou, ayant déjà plusieurs fois raté son coup. Le Kourou est une région maritime assez propice aux déboires et même aux sinistres. C'est à juste raison qu'on aurait parlé de mauvais sort. Le premier avertissement fut donné sous Louis XV. Une réclame d'origine incertaine ayant fait savoir à la cour les trésors entassés là-bas autant qu'insoupçonnés jusqu'ici, la nouvelle se propage dans tout le royaume et au-delà des frontières, l'aventure et la spéculation se précipitent sur l'aubaine.
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Des vaisseaux sont armés pour le transport des futurs colons qui n'arrêtent pas d'affluer, grands et petits bourgeois et gens du peuple, aristocrates indigents, dames et demoiselles de tous rangs, comédiens, acrobates et danseuses, avocats, laboureurs, apothicaires, jardiniers, chômeurs allemands, le tout confié à la vigilance et l'autorité d'un gouverneur qui sera le chevalier Turgot ; apparenté au grand ministre et néanmoins personnage oblique, il se révélera avide et bêta ; il mettra quelques années avant de rejoindre son poste. Il en usera de telle sorte que Paris avant peu le rappellera pour inaptitude notoire dans l'exercice de ses fonctions et agissements suspects dans la gestion des finances. En revanche, M. de Chanvallon restait chargé de l'intendance, ingrate besogne à tel point qu'il finit ses jours à la Bastille. Il trouva la résidence un peu sévère et dépeuplée, mais ce qu'il restait de taulards faisait encore une compagnie fort civile et de bonne conversation. La nourriture était satisfaisante, les geôliers quasiment sympathiques. Là-bas, cependant, quelque dix mille colons, encouragés par Choiseul, débarquaient au Kourou et tout naturellement s'organisaient en société provinciale. Trois ans plus tard, ils ne seraient plus qu'une centaine. Ils avaient eu à cœur et devoir de constituer leur colonie en manière de Picardie équinoxiale. S'ensuivrait le prodigieux désastre en manière d'apothéose avec chansons et cris de joie, tambourins et farandoles, gavottes, pavanes et autres figures des plus galantes, encore que dysenterie et coliques eussent obligé les danseurs aux contorsions les plus méritoires et que la fièvre paludéenne imposât aux musiciens une espèce de vibrato-sostenuto inhabituel aux violons de Lulli. Permettons-nous à ce propos de comparer notre aimable et sanglante opérette à la chienlit suicidaire qui vient de promouvoir la Guyane hollandaise à la notoriété mondiale ; venus de l'Amérique du Nord, un millier d'immigrants bataves et fanatiques religionnaires, saisis de nécrophilie infernale, se sont donné mutuellement la mort à coups d'arsenic ou de pistolet. Laissant là, disions-nous, ce Kourou aux amateurs de pathétique et diablerie, nous avancions très lentement dans les profondeurs du Sud-Sud-Ouest illustrées par Manoa d'Eldorado, la cité tout en or qui se dresse au milieu du lac Parime, tout scintillant lui-même des paillettes étalées sur son, lit. Sans trop l'avouer, cette légende nous taquinait un peu : sait-on jamais, pas de fumée sans feu et autres dictons prometteurs. Toujours est-il que j'ai encore devant les yeux et punaisée au mur une carte ancienne où figurent bel et bien le lac et la ville. Et j'avoue que pour moi une carte du XVII^e^ siècle fait un peu autorité.
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Ainsi partions-nous pour d'ineffables conquêtes. Sachez-le dès maintenant, si la première personne du pluriel doit commander ma narration il ne s'agit pas du pluriel de majesté. En effet nous serons deux et la première place pour Lucien le Berrichon : sept ans de Guyane. Il avait essayé déjà de toutes les disciplines actives que ces rivages méconnus proposaient à quiconque d'assez hardi et fier pour y échouer sans accuser le mauvais sort. Il caressait d'irréalisables et grandioses projets. Quand on passe du Cher au Maroni ce n'est pas pour cultiver des radis. Il attendait l'occasion ou les moyens de s'enfoncer en bas-bois aussi loin qu'il le faudrait pour dénicher la Toison d'Or qui le ferait propriétaire d'un petit domaine en Berry. Je serai donc cette occasion et j'apporterai pour ma part quelques moyens de grand prix tels que la sueur et le bon vouloir.
Cent quinze mille kilomètres carrés tout en foret, à cela près que la forêt n'existe pas ; on ne saurait parler que de bois : on est parti en bas-bois, on travaille en bas-bois, on meurt en bas-bois. Son feuillage plafonne à cinquante mètres et le sous-bois est généralement assez clair pour y tailler passage moyennant au plus deux coups de sabre à chaque pas ; c'est le sabre d'abattis, les Espagnols disent machette. Dans les endroits qui apparemment ne réclament pas le fer, nous aurons quand même la prudence de couper une branche au moins tous les trois pas, faute de quoi le tracé interrompu ou seulement douteux peut amener au retour la perdition du voyageur et bientôt le régal des charognards ; les fourmis se chargent de nettoyer le squelette. Je ne saurais témoigner d'aucun processus de ce genre mais l'image appartient ici au répertoire des prudences élémentaires.
Une pirogue s'appelle ici tout simplement un canot. Les plus grands peuvent aller jusqu'à dix mètres, les plus petits se nomment fileuses. Le tronc d'angélique ou de bagasse est parfois creusé à l'herminette mais l'outil est rare chez les Indiens et la technique immémoriale du feu tout imprégnée de mystique fait encore très bien l'affaire. Le lancement dans la crique est fêté rituellement. La crique n'est pas une petite baie ; tous les cours d'eau, ils sont innombrables, s'appellent crique.
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On ne dit rivière que par rapport aux affluents et dans l'expression maman-la-rivière. Le parler créole s'est propagé avec les prospecteurs et les forestiers. Il est compris et relativement parlé par les nègres Bonis, descendants d'esclaves évadés de la Guyane hollandaise. Ils ont le monopole du trafic fluvial sur la rive droite du Maroni qui est française. Ils n'ont pas de contacts avec les Indiens, ils en ont peur, et ceux-ci n'ont que mépris pour quiconque supporterait en amont la présence d'un Boni qui polluerait les eaux. C'est ainsi que peu à peu le Rouge a dû se déplacer toujours plus haut et laisser le Noir se tremper en aval. Nos Indiens ne savent rien du langage créole ni du boni, à plus forte raison, ignorent-ils le parler parisien. Quoi qu'il en soit, j'ai constaté en maintes circonstances qu'il n'était pas nécessaire de parler le même langage pour se comprendre. J'apprends aujourd'hui que d'autorité nos Indiens sont tous descendus, rassemblés à l'embouchure du Maroni et non seulement devenus francophones mais profiteurs enfin de tous les bienfaits de la civilisation occidentale. N'ayant pas l'intention d'épiloguer sur la fatalité du progrès, je me demanderai seulement si les djobs trouvés là-bas n'auront pas de temps en temps rappelé à nos Indiens leurs libertés perdues, les flâneries sans fin, les jours de fête, les petites musiques du soir, les cigarettes de pétun, l'herbe à Nicot à l'état natif et roulées dans l'écorce maho-pipa, les tournées de cachiri -- boisson fermentée à trois-quatre degrés --, les farandoles en rond scandées au grelot de calebasse, le chapelet des petits symboles familiers égrené en cadence et pour finir les invocations paisibles et murmurées à Oudakala, le divin chasseur des bois éternellement giboyeux, l'adorable pêcheur d'aïmaras tout cuits dans les criques éthérées indéfiniment bouclées rebouclées pour se jeter dans leurs sources par-delà les nuages et les étoiles, tout cela fondu dans la personne d'Oudakala, aussi bien nommé Mossa Gadou, Monsieur Dieu. Ce disant, et pour un peu, je me laisserais imaginer qu'Oudakala serait en mesure et même tenté de se faire agréer comme synonyme du Dieu des chrétiens ; téméraire et scandaleuse hypothèse, bien sûr, mais je pense qu'aujourd'hui, tout éblouis de synthèses, nos évêques inviteraient de bon cœur nos innocents et timides Indiens au baptême œcuménique dans les eaux mélangées de la Seine et du Maroni.
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Les parasites les plus sophistiqués n'arrêtaient pas de se régaler à nos dépens. Ils nous obligeaient tous les soirs à des séances d'extirpation à l'épingle et brûlage de l'intrus. Si la moustiquaire de nos hamacs se laissait dépasser par un pied, c'était l'aubaine des vampires. Qu'à ce mot vos cheveux n'aillent pas se dresser : le vampire n'est jamais qu'une chauve-souris, une chaussoui, mais sa bouche est ainsi faite que la morsure à l'emporte-pièce est indolore, que la bête une fois gavée s'envole en douce, que le trou béant prolonge la saignée et que la victime se réveille exsangue, situation alarmante. Ce que j'en dis n'est pas d'expérience, mais quand il s'agit de Guyane l'extraordinaire est toujours admissible ; et rappelez-vous enfin que là-bas, en ce temps-là au moins, tout avait lieu sur fond de fièvre : accès froid accès chaud et quinine à gogo. Pour ce qui est des Indiens, leur séjour multimillénaire ne les ayant pas immunisés, ils pratiquaient toutes sortes de piayes, autrement dit magies, tantôt démonstratives, musicales et alimentaires. La plus habituelle des pratiques n'en restait pas moins le repos en hamac. Aujourd'hui encore, je m'accuserai d'avoir pu la confondre avec la paresse. Toujours est-il que cette façon de faire était un peu la nôtre et que ces dispositions favorisaient les amitiés. Il arriva qu'un jour, assommé par un accès bilieux, qui -- paraît-il -- annonçait l'agonie, je fus pris en main complètement évanoui par Caïman assisté de Toucoutsi et Lucien. Ils firent chauffer une marmite énorme pleine d'eau assaisonnée d'herbes et racines bienfaisantes, après quoi me suspendirent au-dessus jusqu'à me faire dégoulinant de sueur et fumant de vapeurs. Le traitement ayant échoué, je fus confié, en ultime recours, au chef de tribu, Caïman, et qui d'un coup de pouce trempé dans une calebasse de genipa inscrivit en noir sur mon front les signes indispensables à mon accès au paradis indien. Mise à part une mortalité infantile particulièrement sévère, mourir jeune est ici comme une vieille habitude. Si prolonger son existence est d'instinct pour tout le monde, l'accès garanti aux félicités posthumes abolit chez eux la terreur de mourir. C'est là, je pense, une manière d'être assez confortable. J'entends alors un médecin me dire :
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-- Beau parleur ! Si nous n'étions pas venus, il n'y aurait plus d'Indiens.
-- C'est une hypothèse. En voici une autre : une fois délivrés de l'héritage pathologique, immunisés contre fièvres et chiasses, qu'attendez-vous qu'ils fassent et qu'on en fasse ? Une réserve pour les touristes et le cinéma ? Un contingent électoral pour les législatives ? Un métissage à gogo et l'établissement d'une race unique et suffisante, la marmelade ethnique où s'abolirait enfin la notion elle-même de race ?
A m'entendre ainsi déballer ces propos de zélateur espérantiste et écologue primaire, je dois rêver ; réveillons-nous. Le relief de la Guyane se présente comme une assiettée de petits pois baignant dans l'eau, le tout à l'ombre des bois. La monotonie du trajet nous échappe ; plus que l'or lui-même, le seul esprit de recherche suffit en général à maintenir le moral et entretenir les jarrets sous le poids du katouri tressé de lianes en manière de hotte où s'entasse le fourbi. Que nous cheminions en bas-bois ou remontions les rivières supposées aurifères sur les bords ou dans leur lit, sitôt choisi l'emplacement nous construisons le carbet. Dans sa version élémentaire, c'est un abri du genre tonnelle : six poteaux pour le toit de feuillage mais solidement étayés pour suffire à la tirée des hamacs. Après quoi, sur le bord des petits affluents, sondage au bâton pointu pour estimer la profondeur du niveau quartzeux, plus simplement appelé la couche. S'il y a lieu, nous empoignons la pioche et cette pelle surnommée la criminelle sans doute en mémoire d'altercations dramatiques. Une fois la couche atteinte, on en met une pelletée dans la batée, récipient tronconique évasé dont nous laverons le contenu peu à peu évacué d'un mouvement hélicoïdal assez minutieux pour ne laisser que le plus lourd au fond ; c'est alors qu'à petits coups très attentionnés on fera glisser le résidu pour y surprendre le point d'or qui pour nous jamais n'y sera. Pas plus de pti-l'or que de gros-l'or autrement dit jamais trouvé la couleur, mot suffisant à désigner ici l'unique objet des efforts et des vœux. On va se retaper le moral d'un pti-ponche, à savoir le coup de tafia sur un morceau de sucre. La nuit tombante, et toujours à six heures, c'est le boucan ; le mot désigne l'ensemble des opérations voulues pour cuire et fumer le gibier mais aussi l'ambiance consécutive aux préparatifs comme à la dégustation.
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Le boucan de cochon est non seulement le plus habituel mais aussi le plus célèbre en littérature. Ledit cochon n'est pas rose mais noir et son nom est pécari. On sait que le mot boucan en est venu à désigner toute espèce de bruit un peu exceptionnel sinon chahuteur. Nous avons connu de joyeux boucans et quelquefois de maussades. Qu'ils soient en balade au fond du Maroni ou assis sur un banc du Luxembourg, il y a des circonstances ou des humeurs qui rendent silencieux les meilleurs amis. L'Indien chasse à l'arc mais si nous lui prêtons le fusil, un vrai fusil de grand-père Wetterli calibre 16, il ne cache pas son plaisir. Un jour, à l'étape, je m'étais écarté, seul, assez loin du camp et me suis perdu ; pas moyen de retrouver mon tracé. Ce sont là de pénibles moments ; tout ce qui peut vous passer par la tête, à commencer par la malédiction de l'or et dans les termes les plus grossiers du genre : peuvent se les mettre au cul leurs pépites ! Malheureusement les vœux de ce genre sont rarement accomplis. Cela dit, écœuré de mes apostrophes et piétinements dans tous les sens et quitte à me froisser l'amour-propre je poussai quelques appels du type ho-ho !... comme le papa dans un parc eût hélé ses enfants ; mais bientôt les appels en viendraient aux cris et les cris aux hurlements ; après quoi, la gorge serrée, râpée, je sentis venir les premières bouffées du désespoir. C'est alors que l'imagination prend l'affaire en main, et ça galope : je vais mourir de fatigue et de faim, tout piqué de guêpes géantes et d'insectes bizarres. Les charognards qui déjà planaient sur les cimes ont repéré l'aubaine, me tombent dessus, me dévorent jusqu'à l'os et les fourmis se chargeront du nettoyage. Comme vous le constatez j'ai quand même retrouvé mon chemin. Pour tout dire, au bord du renoncement absolu, j'en avais appelé tout simplement à mon ange gardien. Il se ferait un peu désirer à tel point qu'homme de foi pourtant j'avais pu le soupçonner de m'avoir abandonné sous prétexte que j'abusais de lui depuis trop longtemps. Il se présenta comme d'habitude sous les apparences de mon grand frère en tenue d'artilleur, le front percé et le regard un peu moqueur mais le sourire on ne peut plus fraternel. Au moins ne serai-je plus seul.
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Si nous partons dans les bois avec un Indien nous sommes trois, chiffre suffisant et nécessaire pour faire une file indienne, au sens originel du mot. A noter que la file est une formation instinctive dans tous les cas d'environnement hasardeux mais d'un but précis, ne serait-il pour nous que faire du chemin avant de reconstruire un carbet pour y tendre nos hamacs. Par ailleurs, en d'autres lieux et cas et pour des raisons tactiques, la file peut être bleue ou kaki et recevoir le nom de colonne par un. Elle est aussi bien d'usage constant et traditionnel pour la promenade des détenus et la tranquillité des gardiens, comme elle le fut jadis dans les chaînes de bagnards en déplacement sur les routes et comme je l'ai connue naguère autour de la baraque disciplinaire dans les stalags.
Le degrad Blicade. On appelle degrad, prononcez degra, tout emplacement du rivage, naturel ou confectionné, qui fera débarcadère. La rivière étant le seul moyen de communication, elle va desservir un placer, un village, ou simplement un carbet. Pour peu que l'usager soit industrieux, il va construire un petit ponton de fortune. Le degrad en question desservait encore quelques placers en voie d'extinction, comme *Élysée, Enfin, Pas-Trop-Tôt* et autres pactoles convaincus d'épuisement, mais l'espoir est inépuisable et le panier d'oranges, la poche d'or, toujours possibles. Or donc l'atterrissage était privilégié d'un bistrot-bazar fondé par M. Blicade, un mulâtre intelligent, serviable, actif. Le degrad portait son nom. Les deux fois que nous fîmes étape au degrad Blicade, l'une en montée l'autre en descente et cinq mois plus tard, ce fut la petite fête et tous les plaisirs ne venaient pas que du tafia mais de la société ; le mulâtre est facilement gai. Si nous remontons la rivière, le passage des rapides que nous appelons sauts est un exercice plus ou moins joyeux quand il exige le transport du canot vidé de son contenu, hissé au sec et mobilisé sur rondins. La descente, en revanche, nous propose quelquefois des coulées cascadeuses qui nous rappellent certaines attractions du Magic-City.
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#### Journalisme
*En 1942, ayant quitté Berlin sur les coudes, abordé les Gobelins en rasant les murs, festoyé en tapinois les douceurs du foyer, je traversai la Loire sur la pointe des pieds pour faire surface à Vichy. Mon intention se bornait à saluer quelques amis, me renseigner sur les conditions d'existence en zone libre, obtenir les formules bien tamponnées attestant ma situation d'évadé et surtout m'enquérir de la bicyclette* Goéland, *porteur lourd, guidon droit frein rétro, laissée en* 1939 *à un confrère du* Journal *avec liberté d'en user jusqu'à la paix. Ce n'était encore que l'armistice mais je brûlais de retrouver l'usage de mon vélo bien-aimé dont j'attendais maints plaisirs et grands services. Il avait, me disait-on, changé de mains plusieurs fois et même connu la popularité quand Émile Condroyer, grand reportère au journal* Le Journal *replié à Vichy, se dévouait modestement sur mon vélo dans le rôle d'estafette du Maréchal avec un chargement de messages et dossiers empilés sur le porte-bagages qui en avait porté bien d'autres et de toutes sortes. Après quoi, devenu* res nullius *à la disposition des écuyers en peine de déplacement, le* Goéland *avait disparu de la circulation vichyssoise. On me certifia pourtant qu'avec un peu de chance et de peine je finirais bien par dénicher ma bécane. L'entraide alors se pratiquait volontiers, c'en était quasiment la mode. Du Nord au Midi des réseaux de solidarité familiale, professionnelle ou partisane spontanément constitués, fussent-ils politiquement adversaires, s'évertuaient à rechercher les enfants et* les *objets perdus pour les rendre à ceux qui les avaient perdus. Toujours est-il qu'un mois plus tard, séjournant à Montauban, on m'avisa que* la *bicyclette volage m'attendait en consigne à la gare. Elle aurait d'ailleurs à souffrir bien d'autres aventures et même quelques péripéties qu'il n'y a pas lieu de raconter tout de suite.*
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*Vichy ne serait pas quitté que je n'aie vu Grafteau. Cherché en vain dès le premier jour, il m'apparut le surlendemain dans un bar, devant le comptoir et comme par hasard en situation d'engueulement public. Il fulminait contre le patron à propos de sa bière :* « *Une cervoise d'Auvergnat, disait-il, une vraie bibine à biberon et c'est toujours pas avec ça que tu rallumeras tes volcans etcétéra... *», *une logomachie celtique, un choc de têtes rondes, le Massif central se mesurait à l'armoricain. Mon arrivée interrompit cette querelle de famille et ce fut l'accolade. Depuis deux jours ce n'était pas la première et depuis le 10 mai 1940 un certain nombre de péripéties avaient donné lieu à des congratulations de ce genre plus ou moins expansives et dans le mouvement des rencontres mythologiques. Il y a des cas en effet où la poignée de main n'épuise pas le bonheur de se retrouver bien vivant et bon copain, sur le champ de bataille, dans les barbelés, au coin d'une rue ou d'un bois, dans un bourbier, dans un salon. Comme en toute manifestation affective, il y a le vrai, le faux, l'expansif, le discret ou l'ambigu ; comme la poignée de main, le sourire, la caresse, le bras d'honneur, le coup de pied au cul ou le coup de chapeau, on a vu des accolades bien tapées sur les omoplates et laissant imaginer les intentions les plus généreuses comme les plus noirs desseins. Enfin l'accolade est si bien desservie par tant de références historiques et scènes de tragédie que parmi les témoins de l'embrassade il y a toujours quelqu'un pour la trouver au moins théâtrale. Quant à savoir, en l'occurrence, de quel côté penchait le partenaire, on marchait sur des œufs. Avec mon Grafteau la question ne se posait pas. Son visage tout plissé ridé miroitait d'un sourire ondoyant jusqu'aux oreilles pour me signifier à peu près : mon petit vieux, rassure-toi, la Bretagne c'est du granit, la pierre levée scintille par tous les temps même la nuit. Il était là pour gagner son pain sans se préoccuper de beurre. Néanmoins captivé par le spectacle il n'en perdait pas une miette, gaiement, librement dans les péripéties d'un drame où il s'honorait de compter les coups. Il savait très bien les apprécier, ménager ses compliments, fulminer l'anathème ou encadrer le ridicule. Comme prévu, et Dieu merci, la personne du général de Gaulle avait tout pour lui déplaire :* « *Un Flamand pareil, disait-il, aucune chance de séduire un Breton.* » *Mieux encore il se flattait de n'être là que pour...*
\*\*\*
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-- *Aussi bien, cher ami, vous flattâtes-vous de n'être ici que pour chanter la Guyane et vous n'arrêtez pas non seulement de traînailler en des lieux et temps qui lui sont parfaitement étrangers mais de vous complaire en incidents anachroniques dont la vanité parfois n'est pas loin de vous desservir dans l'opinion des lecteurs, et j'en suis, rappelez-vous, le seul délégué.*
*Soit dit entre nous, le délégué,* a priori, *est un personnage qui porte à méfiance, comme l'interprète, le traducteur et autres intermédiaires y compris les informateurs de presse, tourneurs de commissariats et reporteurs à long cours. Souvent d'ailleurs, il ne s'agit que de modifications plus ou moins conscientes à l'avantage du bien public ou de l'enquêteur lui-même. Ce disant, j'ai comme l'impression de respirer cette odeur d'imprimerie qui nous attendait, plus ou moins tonique, au seuil des grands journaux. Ce rappel olfactif m'invite au souvenir de Stéphane Faugier, mon ami et feu confrère au journal* Le Journal. *Un soir qu'il grattait fiévreusement du papier dans la salle de rédaction où tout le monde autour de lui se racontait des histoires parfaitement étrangères à la profession, je lui demandai quel fait divers ou reportage l'obligeait de travailler avec tant de zèle.*
*-- Je travaille pour moi, disait-il.*
*Ainsi fais-je ici même et je persiste. Sans me laisser à proprement dire fasciner par l'adorable moi-moi, je le cultiverais plutôt par économie d'invention, même dans la seule charité ou fatuité d'en apprendre au lecteur. Toujours est-il qu'à mes retours d'escapade et visitant les divers patrons qui m'avaient employé, je n'y cherchais qu'un tremplin assez dynamique pour me catapulter jusqu'aux bords des Caraïbes les plus fortunées. Ainsi courus-je les salles de rédaction voir un peu si mon absence avait été nuisible ou profitable à mes patrons, voire à mes confrères. Parmi ceux-ci, les cabochards, les papillons avaient pris la tangente, mais d'abord les plus doués et ambitieux qui, ne pouvant souffrir, disaient-ils, de travailler au-dessous de leurs moyens, s'en étaient allés chercher fortune ailleurs, et même en d'autres métiers. Le journalisme, on le sait, mène à tout à condition d'en sortir ; aimable dicton, me disais-je en grimpant les escaliers du* Matin, *du* Journal, *du* Petit Parisien *dit* Pépé, *de* L'Ami du Peuple *et des* Débats, *aimable dicton et qui du même coup, me disais-je encore et en toute philanthropie, allait dégager la place pour les fugueurs malchanceux qui reviennent sur leurs pas.*
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*Malheureusement de Réaumur à l'Opéra les pisse-copie à la recherche d'un emploi étaient nombreux cette année-là. Soit dit en passant, nous n'avions pas encore, Dieu merci, la tête échauffée par le sentiment que l'emploi nous était dû.*
*La corporation commençait à peine de s'émouvoir à la grande marée des avantages sociaux. Nous n'avions pour la plupart ni l'impression ni même l'impatience de nous sentir concernés par ces branle-bas. Et pourtant nous étions en 1936, grande année de drapeaux rouges et de justice sociale. Envoyés sur le tas, les informateurs de la grande presse ne paraissaient en rien touchés par l'événement qu'ils avaient mission de relater sans plus de malveillance que d'enthousiasme. S'ils ne pouvaient en âme et conscience qu'approuver les avantages consentis de la sorte au monde ouvrier, l'idée ne leur venait pas encore de les désirer pour eux-mêmes. Avant peu cependant, des confrères jusqu'ici effacés dans le genre père pénard sans avenir se découvrirent une vocation de syndicalistes et revendicateurs. Tant et si bien que désormais la sécurité de l'emploi nous serait, disait-on, légalement garantie. C'était pour les patrons la fin du privilège inestimable d'embaucher à leur guise et congédier sans frais. S'ensuivrait un blocage du personnel sans doute avantageux pour les médiocres et les gentils fainéants dont le droit à l'existence et à la paye était enfin reconnu. Tout cela ne pouvait qu'alourdir un peu le fonctionnement des services et l'atmosphère des rédactions. Finie la glorieuse incertitude d'un métier qui nous faisait aller venir d'un journal à l'autre, embauché sur la bonne mine et renvoyé pour excès de ratages ou convaincu d'une vocation de tire-au-cul. Ce n'est là, dira-t-on, qu'un point de vue très subjectif ; on ira même y soupçonner le peu de cas que je ferais de ma dignité personnelle ; rassurez-vous, elle ne dépend pas d'autrui, je m'en occupe. Et pour ce qui est des lendemains à prévoir je respecte infiniment leur adorable incertitude.*
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*Or donc, en automne 1936, Blum régnant sur la France et le chômage dans ma profession, je battais le pavé dans le quartier des journaux avec l'espoir d'y retrouver quelques amitiés anciennes ; c'est pourquoi je commencerais par* le Matin *et* Le Journal, *celui-ci n'hésitant pas à se titrer comme le journal par excellence. J'en connaissais les escaliers, les couloirs, les ouatères, les cyclistes, les huissiers, les directeurs et le caissier, sans négliger bien sûr le bistrot d'en face et le contigu où fréquentaient les rédacteurs, les typos, plus rarement les chefs de service. Les patrons qui jadis m'avaient essayé au département des Informations parisiennes conservaient de mes passages le souvenir d'un collaborateur discret et inconstant, ce qui n'avait rien d'original. Quoi qu'il en fût, toutes les salles de rédaction affichaient complet.*
*Est-il besoin de rappeler le côté à la fois subalterne et privilégié du fameux service des Informations parisiennes, autrement dit des chiens écrasés. Il consistait pour chacun à visiter les commissariats dans les arrondissements confiés à sa diligence et faire le compte rendu des cambriolages, des accidents de voirie, des pendus et des alcooliques déchaînés. Nul n'ignorait, fût-ce en haut lieu, que la mission s'accomplissait par effet de roulement, trucage au demeurant pratiqué en toute conscience et honnêteté. Chacun de nous assurait, à son tour, au moins la mission de deux confrères et tous les journaux ainsi personnalisés se retrouvaient le soir pour communication des faits du jour à tel ou tel bistrot agréé comme base arrière. Combien d'illustres poètes comme André Salmon et d'authentiques génies comme Audiberti n'auront-ils pas gagné leur pain dans l'usage d'un artifice irréprochable. Pour tout dire, le service des chiens écrasés faisait le secteur le mieux organisé de la profession. En cas de catastrophe ferroviaire à trois cents kilomètres de la rue de Richelieu, c'était l'affaire des enquêteurs au sommet. Anecdote affreuse : un jour, le chef des Informations parisiennes répondit au téléphone à l'appel d'un tourneur de commissariat qui avait jugé bon de le prévenir sans délai d'un suicide pourtant classique par pendaison au crochet du plafonnier.*
*-- Et alors ? Si vous me dérangez pour un pendu, j'aime à croire qu'il s'agit d'un général, d'un ambassadeur, d'un ministre ?*
*-- Non, tout simplement parce qu'il s'appelle comme vous Durouchoux.*
*-- Les Durouchoux pullulent, mon cher. Prénom ?*
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-- *Robert.*
*-- Ah ! Signes particuliers ?*
*-- Nez busqué, oreilles en éventail, moustache à la mousquetaire.*
*-- Ciel ! C'est mon père !*
#### Information, Poitiers, les Sarrazins
Toutes ces digressions plus ou moins heureuses consomment un grand nombre de minutes au préjudice de ma Guyane. Si ça continue comme ça, je l'emporterai avec moi au Père-Lachaise, ou alors ni vue ni connue dans mon baluchon de projets en souffrance. Elle y retrouvera sa bonne vieille condition de *terra incognita.* C'est un fait que le temps, par malice ou charité, s'applique à m'échapper. Or depuis que les calculateurs ont fait une quatrième dimension, le temps n'entend plus qu'on le perde. Il fait l'important, l'infatué, le bouffi d'orgueil, et sa réputation en tant que friandise ineffable a dépassé la truffe. Plus moyen de se régaler innocemment d'une aubaine de temps gratuit ou même d'une occasion de laps à bon marché comme si brusquement les jours de ce monde lui fussent comptés à haute voix et qu'il eût à cœur d'en finir avant que l'éternité ne le tue.
La science et ses machines nous avaient promis des heures creuses à gogo, et vous n'entendez partout que gémissements sur les journées trop courtes. Le nombre des gens dévorés par leur activité professionnelle n'a pas tellement diminué. Le spectacle en est parfois écœurant. Non seulement il n'y a pas de temps à perdre, mais celui qu'on gagne est investi aussi sec pour éviter les impôts de telle sorte qu'il devient difficile de trouver prêteur. Si vous flairez ici ou là un temps à perdre, ne le criez pas sur les toits et si d'aventure vous trouvez un temps perdu, ne le portez pas au commissariat, faites comme moi, dans la poche, le droit d'aubaine.
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Jusqu'ici les enfants bénéficiaient d'un temps à eux, incalculable, inaliénable et dont ils faisaient une consommation plutôt scandaleuse. On leur casse encore les oreilles avec la rengaine du temps perdu qui ne se rattrape jamais. Mais qu'est-ce que ça pouvait bien leur fiche, ces refrains perroquets ? Or il semblerait qu'aujourd'hui la précipitation du cours de l'histoire, entraînant la maturité précoce de la conscience civique, eût aboli cet irritant privilège du temps puéril. Plus de gâchis. Désormais nos galopins seront ménagers de leurs instants ; si la valeur des minutes n'attend plus le nombre des années, chacune d'elles vaut son pesant de roudoudou. C'est la raison du ramassage des écoliers bucoliques par navette automobile. Supprimer la divagation des petits pèlerins musards en capuchon bleu, c'est gagner deux heures d'étude au moins. L'autre jour, des petits campagnards ont fait grève parce que leur secteur n'était pas desservi par le ramassage. Ils ont refusé l'humiliation du trajet à pied, la tentation des chemins creux, les plaisirs dégradants du pousse-cailloux, les promiscuités archaïques de la nature, les leçons pernicieuses du merle siffleur et autres agents des temps perdus.
Ainsi l'école buissonnière menace-t-elle de périr dans la grande rafle ? Ils y seront quand même arrivés, depuis le temps. L'éloge de l'école buissonnière et son rôle dans l'équilibre des sociétés sont au répertoire du chroniqueur nostalgique et je n'ai jamais reculé devant les sujets faciles, mais je ne voulais aujourd'hui que dénoncer la ruse, au passage : pendant qu'ils amusaient le tapis avec la querelle des écoles laïques et confessionnelles, ils préparaient sournoisement la ruine de l'école buissonnière, ultime espoir de l'union nationale et prétendue pépinière de mauvais esprits. Bien sûr, nos garnements trouveront d'autres genres de buissons, mais feront-ils école ? Et leurs baies, quel goût auront-elles ?
-- Je dois alors constater, dites-vous, l'ignorance où vous êtes, et volontaire je crois, des heureuses dispositions prises par le gouvernement en exercice et relatives à l'extension des loisirs.
Ah ? La distribution des sucres d'orge ? Ils seront bientôt sucés sinon crachés. Rappelez-vous que le temps concédé n'aura jamais la saveur de celui qu'on trouve ou qu'on prend et quelle que soit l'époque.
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Au lycée Montaigne la récréation était prise au sens propre. Je ne doutais pas que je fusse Bayard ou Pépin et nos empoignades entre latin-langues et latin-grec se déroulaient tout naturellement dans le ton des grandes mêlées chevaleresques. Je vous rappelle donc, à ce propos, que l'heure où j'écris est facilement en retard de quelques années sinon de siècles. Je n'ai besoin de magie ni de pythonisse ou mandragore pour me retrouver en chair et en os au baptême de Clovis : le sacrement accompli, c'est dans la main du clergeon votre serviteur que la coquille fut remise. Je suis donc un peu qualifié pour témoigner que la France née chrétienne et royale est morte assassinée le 21 janvier 1793. C'est ainsi que depuis lors la France est peuplée à 80 % de renégats, enfants trouvés et orphelins. Ils n'en ont pas moins gardé, je dois dire, une certaine aptitude au combat en tant que progéniture gallo-romaine additionnée de Francs saliens ou chevelus. Pour ce qui est des beaux-arts, du cœur et de la civilité, d'aucuns voudront qu'aujourd'hui encore et en dépit de certaines apparences l'héritage ne soit rien de moins que celui d'un peuple industrieux, courtois, héroïque au besoin et quel que soit le régime. Oui, je sais, nos grammairiens discutent encore sur le sens positif ou négatif du rien-moins-que ; je ferai confiance au lecteur pour décider du bon choix, comme disait Giscard. Toujours est-il que son successeur, l'autre soir, nous a fait la bonne surprise de célébrer la mémoire de Colbert. Il a bien fallu qu'alors je lui tirasse mon chapeau à cet arriviste arrivé enfin dans un bruit de casseroles pour incarner la République socio-jacobine. L'histoire, il est vrai, nous apprend que l'exercice du pouvoir peut aussi bien assagir qu'affoler l'acrobate. De sa part, en outre, on peut imaginer qu'un tel hommage rendu à la politique royale n'était pas sans malice quand l'Église aujourd'hui et le pape lui-même vont chanter les droits de l'homme à tous les vents. C'est pourquoi je rends hommage audit président qui a su résister à la tentation d'abandonner nos Indiens à tous les cafouillis et pièges d'une indépendance qui n'est même pas réclamée ni désirée. Aussi bien, dans le cas où le sujet eût retenu son attention, lui aurais-je appris ou rappelé que ledit Colbert, fondateur de la Compagnie des Indes occidentales, dépêcha M. de Pourville en Guyane avec mission d'en expulser les Hollandais qui avaient eu l'invraisemblable culot de nous disputer Cayenne mission accomplie en deux coups de mousquet et trois coups d'épée. C'est ainsi que nos Indiens auront échappé à la contagion du batave hérétique.
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A ce propos je me souviens d'une expérience impunément entreprise par les Hollandais, il y a quelques années, à savoir l'achat de nos terres honteusement abandonnées, disaient-ils, aux techniques ancestrales. Si je parle de scandale on m'accusera de chauvinisme intempestif et préjudiciable aux intérêts de la nation. Toujours est-il que l'invasion eut lieu ; les Hollandais ont payé correctement et nos paysans, tout fiers de leur promotion urbaine, ont laissé de bon cœur la bouse pour l'usine. Je ne saurais dire si nos déserteurs aujourd'hui s'en frottent les mains ou s'en mordent les doigts ; mais pour ce qui est des Hollandais en Île-de-France, nous savions déjà qu'ils n'auraient de cesse que Steinkerque, Fleurus et Neerwinden fussent vengés. Voilà qui est fait, dans la mesure où le profit fait la gloire : ils sont même venus en tracteur dans le pas de nos percherons labourer la Seine-et-Oise où je suis né en 1901 (la guerre des Boers, le sous-marin *Gustave-Zédé,* l'exécution d'un sanglier homicide). Venu au monde un 8 septembre comme la Sainte Vierge, il me serait permis d'en porter le signe zodiacal ; malheureusement, que je sache, il n'est pas dans le commerce et même pas traduisible en typographie. Pour ce qui est du pays natal, j'en dirai quelques mots et rassurez-vous, l'enfant cette fois ne sera pas dans le paysage, et même pas dans le discours ; l'amour-propre aidant, je refuserai la parole à ce poupon qui déjà dans son babil annonçait un parleur inhabile. En revanche, il me plairait aujourd'hui de célébrer son pays natal, à savoir le département de Seine-et-Oise qui appartient à l'Île-de-France, et les traits d'union, voyez-vous, ne manquent pas. L'île en question fait une province capitale et nettement caractérisée par sa condition insulaire en milieu terrestre, unique au monde. Je n'insisterai pas sur l'impropriété intrinsèque et farceuse d'une pareille appellation géographique. Toutes les personnes ici concernées, indigènes, vacanciers, banlieusards d'adoption, immigrés implantés, tout le monde en est ravi.
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Il va de soi que la répartition démographique n'est pas stationnaire. Si la contagion du citadin retraité et le baratin des promoteurs ne font pas encore pulluler sur nos fondations mérovingiennes la fermette aménagée ou le prieuré-cinéma, à l'ombre des bildings babéloïdes, l'aliénation absolue ne saurait tarder ; le joli surnom de péquenot s'étouffera sous le béton d'une suburbe hypertrophiée, on le frappera d'interdit et les infractions seront pénalisées par les contrôleurs du vocabulaire. Tout cela, bien sûr, au nom du Progrès. Peut-être alors est-il honnête et bon de rappeler l'ambiguïté de ce vocable majusculaire : annoncé comme progressant dans l'azur, il se révélerait assez malicieux pour foncer dans les ténèbres. Beaucoup de rêveurs, sans compter les augures et pythonisses, ont soupçonné la catastrophe tellurique ou simplement nucléaire ou tout bonnement militaire de mijoter son clach pour l'an 2000, c'est le charme et l'autorité des chiffres ronds ; ou alors tout bonnement se déchaîneront les barbares orientaux tout équipés de nos machines et gadgets tactiques et trop heureux de venger Attila en l'absence de Geneviève. Toujours est-il que beaucoup de vieux, dont je suis, vont trouver plaisir ou délectation morose à marcher à reculons et rejoindre ainsi les fortunes et misères des temps passés, le favori bien sûr étant le plus-que-parfait. Pour ce qui est du Progrès, nul ne doit ignorer que la France, la vraie France mère et maîtresse du Progrès, a vu le jour en même temps que Robespierre et dans sa couche. Bien entendu, il se trouve encore des arriérés ou des bouffons pour la trouver dans les langes de Bituit l'archi-grand-père et mystérieusement évincé de nos manuels.
Jacques Perret.
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## NOTES CRITIQUES
### Foi et fidéisme, raison et rationalisme
On sait ce qu'est, pour les catholiques, le *fidéisme.* On le sait mieux qu'on ne sait le définir. Car c'est une notion complexe. Dans son *Dictionnaire théologique,* le P. Bouyer dit, à ce mot « Erreur de ceux qui veulent retirer à la foi tout appui rationnel. » Parfait. Il renvoie cependant au mot *foi,* où nous lisons : « ...Enfin l'Église a pris au Concile du Vatican des définitions contre les rationalistes et aussi bien les irrationalistes. Ces définitions visent en particulier ceux qui au XIX^e^ siècle, comme Hermes, tendaient à faire de l'adhésion à la foi un acte purement rationnel, où la grâce n'interviendrait pas, ou, au contraire, comme Günther, tendaient à penser qu'une fois la foi reçue comme une grâce il deviendrait possible de démontrer la suite des dogmes d'une façon purement rationnelle. Mais elles atteignent aussi ceux qui, s'opposant à l'un et à l'autre, comme les fidéistes, en particulier de l'école de Lamennais, voulaient exclure de la foi tout élément rationnel. Le Concile du Vatican a donc défini que l'acte de foi était un acte simultanément surnaturel (dépendant tout entier de la grâce), rationnel (justifiable par un exercice de la raison et se prêtant par la suite à une investigation rationnelle, pourvu qu'elle demeure respectueuse du mystère) et volontaire (c'est-à-dire où l'adhésion de l'intelligence, encore que sollicitée par la grâce et encouragée par la raison, demeure l'objet d'une décision personnelle et libre. V. Sen. III, Constitution *de Fide catholica,* cap. 3 et 4, avec les canons correspondants, dans D.B. 1789-1800 et 1810-1820). »
On voit que le fidéisme met en cause non seulement la *raison* mais encore la *volonté* dans l'acte de *foi.* Du fait qu'elle est une vertu théologale, la foi est un mystère, où peuvent se concevoir et où se vérifient toutes les formes possibles de relation entre le surnaturel et le naturel.
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La conversion subite, même lorsqu'elle a été précédée d'un cheminement intérieur plus ou moins perceptible à l'intéressé, apparaît à celui-ci comme une illumination à laquelle la raison est totalement étrangère. C'est saint Paul terrassé sur le chemin de Damas. Mais son cas n'est exceptionnel que par l'envergure du personnage et l'éclat du phénomène. Autrement, c'est le cas général. Maurice Clavel, parlant de son retour à la foi et de sa lutte contre « cet Étranger qui se mêle de notre intime, comme s'il y était, le pire étant qu'il y est », confesse le fidéisme, non comme s'identifiant à la foi, mais comme « un moment nécessaire, et forcément le premier ».
En fait, les débats et tourments intérieurs que peut susciter la foi chez un individu peuvent être de toutes sortes mais sont reliés principalement soit à la *volonté* soit à la *raison.* C'est l'aspect *raison* qui nous retient ici pour ce que nous voulons dire.
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Nous pensons que s'il y a un fidéisme chrétien, il y a aussi, paradoxalement, un fidéisme *rationaliste.*
*Paradoxe,* puisque le conflit, ou du moins le débat est entre la *raison* et la *foi* (irrationnelle par nature, c'est-à-dire spécifiquement autre que la raison, qu'on la veuille différente, distincte, étrangère ou contraire).
*Vérité* cependant, parce que la foi, considérée non plus comme une vertu théologale, ni même comme l'adhésion à quelque religion que ce soit, mais comme une disposition spontanée de l'esprit, est absolument générale et positivement connaturelle à l'homme. On peut dire, sans exagération aucune, que *vivre,* c'est *croire.*
Rien, en réalité, n'échappe à la foi ou, si l'on préfère, à la croyance, en tout cas au non-prouvé, au non-démontré ni démontrable. Le domaine de cette foi s'inscrit dans un cercle complet, de l'indifférente banalité du quotidien aux plus profonds engagements de la personne.
Exemple de la *banalité :* « Qui a démontré qu'il sera demain jour, et que nous mourrons ? Et qu'y a-t-il de plus cru ? » C'est Pascal qui le dit.
Exemple de l'*engagement :* « (le communisme) résout le mystère de l'histoire et il sait qu'il le résout ». C'est Marx qui le dit. La foi marxiste accède à la « religion » pure. Elle est l'envers, et l'enfer, du christianisme, essentiellement eschatologique et intégralement irrationnelle et anti-scientifique.
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Si le substantif « foi » a une résonance surtout religieuse, le verbe « croire » s'étend à tout et n'importe quoi. « Je crois en Dieu », mais aussi bien « je crois qu'il va faire beau ». C'est pourquoi nous disons que *vivre,* c'est *croire.* Car on ne fait rien que pour l'incertain, comme le dit encore Pascal qui ne réintroduit la raison dans la décision que par le pari. Mais ce n'est évidemment pas par raison que le joueur parie. Les mathématiques rendent compte de tout mais ne résolvent que les problèmes qu'elles posent. Elles peuvent aider à vivre, mais ne sont pas la vie.
La *raison* et la *science* peuvent être définies de bien des façons, mais l'une et l'autre signifient une investigation de la réalité et une approche de la vérité d'une nature radicalement autre que celle de la *foi.* Or on les oppose souvent à la foi, comme s'il y avait concurrence. Bien mieux, on en fait, à certaines époques ou dans certains milieux, un objet de foi. Le siècle des Lumières rend un véritable culte à la raison. La déesse Raison est installée dans la cathédrale de Paris. Au siècle suivant, la Science détrône la Raison et réclame pour elle-même l'exclusivité des ardeurs de la Foi. Rien n'est plus étonnant que ces égarements de l'esprit ; car s'il est loisible de ne pas croire à des dogmes religieux, il est contradictoire d'ériger en dogmes des vérités scientifiques qui ne sont jamais que des approches provisoires de la réalité phénoménale.
Cette sacralisation de la raison et de la science s'explique par l'histoire et par la nature de l'esprit humain. La Bible a été longtemps reçue comme littéralement vraie. Le soleil tournait donc autour de la terre ; Adam et Ève étaient apparus sur la terre à l'époque et dans les conditions que révèle la Genèse. Les noms de Galilée et de Darwin symbolisent le choc qui résulta de la rencontre de la foi chrétienne avec les découvertes de la science. Aujourd'hui ce conflit n'a plus guère de sens. Il est en tout cas largement dépassé. Mais ce *dépassement* est plutôt un *déplacement* en ce sens qu'au culte de la raison, puis de la science, a succédé le culte de l'Homme. La *foi en l'Homme* remplace la *foi en Dieu.* L'*humanisme* supplante le *christianisme.* La foi en Jésus-Christ est devenue pour beaucoup la foi en l'homme parfait, le modèle insurpassable de « l'homme pour les autres », la référence absolue de la contingence pure.
Quelles que soient l'accélération de l'histoire et l'évolution des attitudes spirituelles, il reste que la foi s'y inscrit sans changer réellement de nature. Le savant comme l'ignorant est *homo religiosus* avant même d'être *homo* *faber* ou *homo sapiens.* Il l'est à son insu et en quelque sorte naïvement.
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Dans notre livre « ...ce qu'est le mystère à l'intelligence » (Éd. du Cèdre, pp. 108-110), nous avons cité à ce sujet le texte révélateur du professeur Jacques Monod dans son discours d'inauguration de la chaire de biologie moléculaire au Collège de France, le 3 novembre 1967. Pour lui, athée convaincu, seule existe la connaissance « objective », c'est-à-dire scientifique, et seul existe l'objet de cette connaissance. Qu'en sait-il ? Rien. Il le croit. C'est une *profession de foi* qu'il est donc amené à faire, le mot *foi* venant d'ailleurs spontanément sous sa plume : « Disons que je serais surpris, et ma *foi* dans l'unité du monde vivant déçue, si ce prodigieux organe de coordination téléonosmique, le système nerveux central de l'homme, n'utilisait pas lui aussi ce moyen de communication moléculaire, déjà découvert par les bactéries, que représentent les interactions allostériques. »
Ne prolongeons pas la citation. Ce qui nous importe, c'est que Jacques Monod ne peut fonder son athéisme que sur sa *foi* dans la science. Il ne fait donc qu'opposer une foi à une autre foi, et la sienne est doublement irrationnelle, se niant d'une part comme foi, et ne reconnaissant pas d'autre part que si la science répondait à toutes les questions qu'il se pose dans le domaine de la biologie moléculaire, elle ne répondrait pas à la question de l'alpha et de l'oméga, du principe et de la fin, du *pourquoi* de tous ces *comment* déchiffrés.
Le domaine de la science est immense, mais il a ses limites. Ce sont celles du mystère universel -- auquel ne peut répondre que la foi ou l'agnosticisme : « je crois » ou « je ne sais pas ».
Notons que la foi scientifique n'est foi intégrale que quand elle croit que la science dissipera un jour le mystère universel (selon la formule de Marx, par exemple). Quand elle est simplement croyance au développement des connaissances humaines, elle n'est pas irrationnelle puisqu'elle s'appuie sur l'histoire. Mais l'idée d'un progrès général de l'homme autre que celui de la capitalisation des acquis de la connaissance relève de la seule foi.
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Cependant une question se pose : si l'on voit bien en quoi consiste la *foi* en la raison ou la foi en la science, peut-on parler de *fidéisme* à leur propos.
Dans le christianisme, le fidéisme se différencie nettement de la foi, en ce sens que celle-ci entend réserver à la raison (et à la science) la place que celui-là lui conteste ou lui refuse.
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Dans le domaine propre de la raison et de la science, celui de l'observable, du démontrable et du vérifiable, la foi, nous venons de le voir, est paradoxalement partout présente. Cette omniprésence pose à l'intelligence une foule de questions qui exigeraient, pour des réponses correctes, des analyses très délicates. Simplifions donc.
Posons au départ ce fait incontestable : si l'on peut distinguer chez l'homme quantité d'éléments spirituels -- le sentiment, la volonté, l'amour, la raison, la curiosité, le courage, la peur, l'illusion, l'opinion, l'habitude, etc., etc. -- aucun d'entre eux n'existe en lui à l'état pur. L'homme est un tout, une totalité, véritable univers cybernétique de ce qui le compose et avec quoi il est en relation.
En tant que vertu théologale, la Foi catholique adhère à un mystère qui, dans sa substance, lui est impénétrable, mais qui, dans ses aspects phénoménaux, implique, voire requiert, l'exercice de la raison. Il y a objectivement, distinction du domaine de la Foi et du domaine de la raison. Subjectivement, il y a unité -- l'unité d'une relation intime. C'est le *Credo ut intelligam.* L'objet retrouve ainsi son unité, qui s'impose à l'intelligence. Le modernisme condamné par Pie X est précisément le fidéisme qui sépare le Jésus de la Foi du Jésus de l'Histoire.
Il faut tenir les deux bouts de la chaîne, ce qui n'est pas facile comme le montre l'histoire de l'Église depuis le XVI^e^ siècle. La nature de la difficulté est, du moins, parfaitement claire. Ce qui, ici, nous suffit.
Mais comment peut-on parler de fidéisme rationaliste ou scientifique ?
On peut en parler parce qu'il se révèle rapidement à l'analyse. Nous allons expliquer comment, mais nous pouvons dire tout de suite qu'en gros la foi rationaliste concerne le général et le fidéisme le particulier.
Au fond la *foi rationaliste* consiste en la substitution du temps, et habituellement de l'*avenir* à l'*éternel.* L'*utopie* faite dogme est la foi rationaliste. *Fides substantia rerum sperandarum.* La foi est la substance de ce qu'on espère. Croire à la résurrection de la chair et à la vie éternelle, c'est la foi catholique. Croire au paradis sur terre à l'avènement du communisme, c'est la foi rationaliste. « Avenir, combleur de vide », disait Simone Weil, qui professait également que la foi au progrès est nécessairement athée. Toute eschatologie est religieuse ; elle l'est encore, quoique se niant telle, dans la foi rationaliste.
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Le *fidéisme rationaliste* prend son point d'appui sur la *foi* rationaliste pour expliquer *des cas particuliers* du mystère universel. L'évolution est caractéristique à cet égard. Notons que l'évolution est, en elle-même, étrangère à la religion. On peut imaginer tout ce qu'on veut quant à l'apparition de l'homme ; le mystère de la création demeure. Mais le fidéisme rationaliste consiste à substituer l'évolution à la création, comme si elle *expliquait* l'existence de l'homme.
L'apparition du cosmos donne lieu à la même confusion. Le 26 octobre 1982, à la séance publique des cinq Académies, Mme Yvonne Choquet-Bruhat, faisant le point de la cosmologie moderne, disait que « parmi les différents modèles possibles, la cosmologie standard rend mathématiquement plausible la théorie du « grand boom », quasi universellement acceptée aujourd'hui, selon laquelle, il y a quelque dix milliards d'années, une explosion initiale serait à l'origine du monde » (*Le Monde,* 28 oct. 1982). Notons qu'elle-même ne se prononce pas et qu'aussi bien, si cette hypothèse a une signification pour les savants, elle est, elle aussi, tout à fait indifférente au dogme de la création. On peut imaginer le cosmos surgi d'un *bang* originel, ou temporellement éternel, ou survenu de n'importe quelle autre manière ; la création n'en demeure pas moins ; mais il suffit d'une *hypothèse* pour qu'on en fasse une *explication.* Fidéisme donc.
Dans *Le Monde* du 31 octobre 1982, M. Jean-Pierre Changeaux, chercheur à l'Institut Pasteur et professeur au Collège de France, déclare : « On parle beaucoup d'indéterminisme en physique atomique. Ce n'est bien sûr pas mon domaine de recherche. Mais je reste sur l'expectative. Le mot me hérisse, car je ne peux m'empêcher d'y voir une entrée sournoise de la métaphysique. Il me paraît plus sain de se cantonner dans un constat d'échec expérimental ou théorique. Cela vaut pour le cerveau. Les conduites humaines paraissent échapper au déterminisme simplement parce qu'on n'en connaît pas les mécanismes internes (...). Théologiens et philosophes (pas tous) considèrent les fonctions supérieures du cerveau comme leur domaine réservé, et cela avec d'autant plus d'assurance que celles-ci ne sont pas encore tombées sous le bistouri de l'analyse scientifique. Elles le seront tôt ou tard et cela n'a rien d'inquiétant (...). Pour le neurobiologiste que je suis, il est naturel de considérer que cette activité mentale, quelle qu'elle soit, réflexion ou décision, émotion ou sentiment, conscience de soi... est déterminée par l'ensemble des influx nerveux circulant dans des ensembles définis de cellules nerveuses en réponse ou non à des signaux extérieurs. J'irai même plus loin en -- disant qu'elle n'est que cela. » La *foi rationaliste se* fait *fidéisme* sur le *cas particulier* du cerveau.
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Ce qui étonne dans le rationalisme scientifique, ce n'est pas cette confiance dans la science, dont les progrès permettent d'aller toujours plus loin dans l'explication des phénomènes. Ces progrès sont certains et continueront. Ils postulent l'existence de lois naturelles, c'est-à-dire du déterminisme. Cependant à mesure qu'ils nous révèlent des pans inconnus du mystère, ils ajoutent à la profondeur du mystère. On se heurte toujours aux deux infinis de Pascal. Mais l'homme est tellement fait pour croire que s'il ne veut pas croire en Dieu il lui faut croire à l'absolu de la raison et de la science. De cette foi il fait un fidéisme sur chaque aspect particulier du mystère.
Face à cette déraison on doit reconnaître la valeur supérieure de la raison religieuse. Elle est pourtant modeste dans ses prétentions. Elle dit que Dieu est, mais qu'elle ignore ce qu'il est. Dieu, nul ne l'a vu. Mais Dieu s'est révélé aux hommes ; et ceux qui croient à sa parole le connaissent. Foi et raison établissent la vérité catholique, que résume parfaitement le *Credo.*
Louis Salleron.
### Le procès de Louis XVI
Paul et Pierrette Girault de Coursac : *Enquête sur le procès du roi Louis XVI.* La Table ronde.
Voilà un bien gros livre, lourd de 660 pages. Les auteurs, avec une certaine fierté et peut-être naïveté, nous avertissent que c'est un livre sérieux, qui a duré des années à faire et ils énumèrent les archives vues, les 200 cartons et liasses dépouillées et les clichés de microfilms effectués, 15.000 à ce qu'il paraît. Bref, une œuvre de titan si on les croit, alors que l'ouvrage n'est au fond qu'une œuvre du genre thèse de doctorat. N'importe quel universitaire peut en faire autant et le fait sans claironner sa peine. Il est probable que l'édition moderne, qui n'est pas scientifique dans ses buts, veut montrer qu'elle est capable de sérieux, elle aussi. Ce n'est donc peut-être pas le fait des auteurs, mais bien celui de l'éditeur, enfin je le souhaite pour M. et Mme Girault de Coursac.
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Cela écrit, remercions les auteurs de leur travail qui vient apporter quelques bons éléments dans la défense du roi Louis XVI et dans la démolition des mythes républicains. Le roi a été jugé de façon inique, par des canailles élues par une minorité du corps électoral (un dixième des électeurs, uniquement hommes, évidemment). On s'en doutait, mais les auteurs se sont bien mis dans l'esprit de la législation révolutionnaire de l'époque et il est manifeste que tout a été transgressé, puisque le roi n'a pas eu de témoins à décharge et, au fond, qu'il était condamné d'avance.
On ne compte pas les trouvailles des auteurs, qui avaient bien déblayé le terrain par la parution de numéros de la revue *Découverte.* A ce sujet, le lecteur qui ne connaît pas cette revue est largement frustré, certaines références étant données à des articles inconnus du public. Il aurait été bon d'ajouter deux pages à l'œuvre pour dire ce qu'il y a d'essentiel comme articles dans *Découverte.* Mais il est évident que neuf ans de recherches peuvent et même doivent transformer toutes choses dans une telle affaire, capitale, à plus d'un titre, si j'ose dire.
Ajoutons, pour les préliminaires qui doivent être signalés *Marie-Antoinette et le scandale de Guines* (Gallimard, 1962) et *L'éducation d'un roi :* Louis XVI (ibidem, 1972).
Je n'irai pas jusqu'à conter le présent livre dans tous ses innombrables détails, car ce serait fastidieux et inutile. Il suffit de savoir que c'est la vie du roi dans ses dernières années, histoire faite en relation avec le procès. Curieux procès s'il en fut ! Inique et truqué. Tous les témoins à décharge sont pour ainsi dire liquidés, ou s'ils ont réussi à prendre la fuite, leurs lettres ne sont pas prises en considération, car il ne fallait pas qu'on puisse penser que le roi était innocent. Même les témoins contre Louis XVI sont récusés, pour qu'on n'ait pas la possibilité d'envisager des témoins en sens contraire : cela a été dit du haut de la tribune de l'assemblée ! Et on massacre avec allégresse. Disparaissent ainsi les personnes qui avaient été renvoyées devant la haute cour siégeant à Orléans. On les fit revenir vers Paris et à Versailles on les tua, le « on » voulant dire l'escorte officielle... et non pas le peuple de Versailles comme on l'a trop souvent écrit (24 août 1792). D'autres personnages d'importance sont liquidés lors des massacres des 2-5 septembre 1792, organisés par Roland, ministre de l'intérieur (une crapule qui haïssait le roi), Danton (autre grand ancêtre, vil, méprisable), Marat et compagnie, qui ont payé les tueurs pour vider les prisons... et remplir le ciel avec tous les évêques et autres prêtres assassinés par ces paladins de la gauche triomphante. Deux cent trente-cinq égorgeurs contre environ douze cents pauvres gens sans défense.
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Le procès n'était d'ailleurs que le reflet des mœurs des assemblées de l'époque, la Législative, comme la Convention. Imaginez une bande de sept cents élus, manipulés et terrorisés par deux cents d'entre eux, jacobins et, paraît-il, amis de la Constitution, comme ils se disaient. Les auteurs montrent la lamentable action, ou inaction, de la majorité peureuse, les votes changeant selon les heures, c'est-à-dire en fonction de la présence de la minorité active seule, ou d'un plus grand nombre d'élus, faisant alors parfois entendre une voix timide. Fournaise ardente de haine et de stupidités, l'assemblée révolutionnaire doit d'ailleurs être comprise avec son environnement de tribunes, remplies d'un peuple manipulé, ivre de sang. C'est ce creuset démoniaque, Législative, puis Convention (pour ne pas évoquer la Constituante) qui a servi à la façon d'une rougeoyante alchimie : la transformation d'un royaume très chrétien en une république laïque, assassine, et le reste.
Là-dessus est évoqué le problème de l'armoire de fer des Tuileries qui sert généralement à accabler le roi. Les auteurs démontrent que c'est l'ignoble Roland, occupant les Tuileries après le 10 août 1792, qui fit faire l'armoire de fer si facile à ouvrir (avec un simple passe-partout), pour accabler le roi déchu : elle donnait l'impression que Louis XVI avait besoin de cacher les traces écrites de ses machinations. Rien que pour cette partie, l'ouvrage est excellent. Bien entendu, les révolutionnaires du 10 août qui mirent la main sur des archives immenses, ne retinrent qu'une faible partie, déjà énorme, pour accabler le roi. Ce dernier ne put qu'entrevoir ce flot de papier qu'on lui montra en quelques heures à la Convention nationale.
Les auteurs démontrent assez bien que Louis XVI ne voulait pas que ses frères, les comtes de Provence et d'Artois, forment un contre-gouvernement en exil et que le roi n'a jamais demandé aux alliés une aide quelconque pour se débarrasser de ses sujets révoltés. Il est certain que le roi n'aimait pas l'émigration qui pouvait lui causer du tort et il le fit savoir.
C'est alors que les auteurs se lancent dans une longue démonstration qui veut dire ceci : la reine, aidée de Fersen, a inondé l'Europe de faux, destinés à constituer un contre-gouvernement et à monter les souverains contre le pouvoir établi en France. Ce qui entraîne que le roi n'était pas un artiste en duplicité et qu'il n'avait qu'une seule politique, celle qui consistait à tout accepter (sauf quatre vetos, d'ailleurs obligatoires, selon la Constitution, si l'on en croit les auteurs).
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Qu'aurait pu faire le roi, alors qu'il était totalement désarmé ? On l'a bien vu au 20 juin 1792 quand les Tuileries furent envahies et au 10 août suivant : les Suisses ne firent rien, sinon, à la suite d'une fausse manœuvre, se faire tuer, alors que tout était réglé. La garde constitutionnelle avait été licenciée pour faire plaisir à la Législative, alors que, comme son nom l'indiquait, elle était prévue par la Constitution. Mille huit cents hommes avaient été renvoyés par un décret du 25 mai 1792. La municipalité de Paris, animée par cette autre crapule qu'était Pétion, ne voulait que la mort du roi. Il arriva ce qui devait arriver : le roi ne fut pas défendu contre les révolutionnaires et tout particulièrement les fameux fédérés qui restèrent des mois à Paris au lieu d'aller aux frontières pour défendre la France. A ce sujet, les auteurs montrent que le roi fit ce qui était en son pouvoir pour organiser l'armée et qu'elle remporte des succès... La pagaille révolutionnaire eut vite fait de transformer en retraite l'action d'une armée qui ne rencontra aucune sympathie dans ce qui est actuellement la Belgique.
Mécanique infernale ! Les auteurs en arrivent à répéter que Louis XVI n'y pouvait rien. Il ne pouvait pas se défendre, il ne pouvait pas protéger ses ministres décrétés d'accusation (car la Constitution avait établi que les décrets de la Législative n'avaient pas besoin de l'aval du roi pour ces actes), il ne pouvait pas faire régner l'ordre dans sa famille dressée contre lui, il ne pouvait pas aller à la messe où il voulait, bref, c'était l'apothéose de l'impuissance. La seule chose que pouvait faire le roi (qui n'était plus souverain, la Nation étant seule souveraine), c'était de faire imprimer ses lettres ou autres textes rétablissant la vérité. C'est maigre, car donner un satisfecit à un bon serviteur licencié n'apporte pas grand chose.
C'est un des gros écueils de ce genre de livres. Les auteurs captivés, à juste titre, par leur sujet, partagent le monde en deux : d'un côté le roi qui est un être sublime et tout blanc, d'un autre côté tous ceux qui l'ont trahi, etc. C'est la même chose avec le *Louis XV* de M. del Perugia. On conviendra qu'il y a alors quelque gêne à lire de tels livres.
Car enfin, ce Louis XVI n'avait pas toutes les qualités et il donnera aux hommes, durant des siècles, l'impression d'avoir eu un grand courage passif, mais non pas celui d'un chef meneur d'hommes. Il est manifeste que ses aïeux, un Louis XIV et un Henri IV, ne se seraient jamais laissé faire comme lui.
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La faute effrayante de ce souverain aura été de tout accepter ou presque. Louis XVI mourut bien, mais régna-t-il bien ? Le rappel des parlements sonna le glas de la monarchie. Les auteurs nous disent qu'il avait fait d'utiles réformes et qu'il allait en faire d'autres bien meilleures. Soit. Mais il avait fait la guerre d'Amérique (qui nous avait apporté de belles victoires, mais aussi du déficit, et une curieuse propagande pour une république révolutionnaire érigée sur une insurrection contre un roi légitime), et il allait instaurer une véritable démocratie (sic), nous sortant enfin de la monarchie dictatoriale de Louis XIV et de Louis XV (resic). Si l'on en croit les auteurs, Louis XVI, archi-coincé de partout, grâce à ses nombreuses capitulations, aurait essayé de montrer que la Constitution ne valait rien en essayant de la faire marcher. Jouant le jeu de la révolution, il se serait imposé comme un homme loyal qui fait son possible, et comme tout ne pouvait aller que mal, et même de pire en pire, on en serait arrivé à une situation telle qu'on aurait enfin envisagé une nouvelle Constitution. A lire les auteurs, le roi était largement d'accord avec l'état des choses et même, il aurait été ravi de revenir du voyage de Varennes (où il aurait été trahi par Bouillé !) : il entra dans Paris (et on sait comment était l'état de la capitale hostile !), assez calme, alors qu'il y avait eu mort d'homme, et le reste, si on songe à l'incroyable humiliation de la royauté : « Il est remarquable qu'à son retour à Paris, Louis XVI n'était ni abattu ni accablé. L'écriture de la note préparatoire à sa déposition du 26 juin, exceptionnellement montante, trahit même le soulagement et l'optimisme »... « Il a remporté une victoire appréciable, et la situation est redevenue assez claire pour qu'il puisse choisir une ligne de conduite avec des chances raisonnables de succès » (p. 256). La thèse soutenue est donc qu'en naviguant au milieu des récifs, Louis XVI serait un jour ou l'autre arrivé à redresser la situation, en s'appuyant sur la partie saine de la population.
C'est ici un point qui mérite d'être souligné. Les auteurs ont donné quelques bons indices prouvant qu'une grande partie du peuple montrait de la sympathie pour son roi, et cela même après le 10 août. Des villes eurent l'insolence de prendre la défense du roi après sa chute et la Convention déclara qu'elle était journellement accablée de témoignages en faveur de l'ex-roi.
Alors pourquoi la chute ? Tout simplement du fait que c'est une révolution et qu'on sait depuis toujours que les minorités agissantes font la loi aux majorités peureuses. Le roi se trompait lourdement sur la nature de l'affaire, et ses illusions n'étaient point partagées par ses proches.
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Et c'est là que les auteurs accumulent des preuves montrant que Marie-Antoinette était une méchante reine, que les frères du roi étaient de dégoûtants personnages, et qu'ils firent capoter la noble entreprise politique du roi composant avec la révolution.
Il est bien manifeste que la reine et les princes ont essayé de sauver la monarchie. Marie-Antoinette était mal élevée et son rôle fut plus d'une fois funeste, mais elle n'était pas non plus n'importe qui. C'était la fille d'une femme énergique, dont le nom servit à la fille du couple : ce sera la non moins énergique Madame Royale, qui, comme duchesse d'Angoulême, fera son possible pour garder Bordeaux au roi. Marie-Antoinette n'avait pas le sang saxon de Louis XVI, de Charles IV d'Espagne et de Ferdinand I^er^ des Deux-Siciles, Bourbons inférieurs à leur tâche ([^42]). Notre reine était donc bien fille de la grande Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780) qui sut tenir tête à tous ses ennemis, rallier les Hongrois qui la couronnèrent « roi », faire proclamer son mari François de Lorraine, empereur élu des Romains, et respecter la pragmatique sanction de 1713. Marie-Thérèse fut comme le Béarnais : elle monta à cheval et se secoua un peu... ce que ne fit pas Louis XVI, triomphant dans l'étude, les beaux plans, la chasse et les plus nobles ambitions. Il est évident que pour la reine, il fallait se battre pour son fils subsistant, le futur Louis XVII, et qu'on peut facilement comprendre que les événements subis par son époux devaient la rendre enragée. Bon sang ne peut mentir. Qu'elle ait été folle (sic) de se démener, ce sont les auteurs qui l'assurent (p. 304).
Louis XVI n'était pas un personnage si simple que cela et des indices montrent qu'il joua un double jeu. Je ne le juge pas, mais je constate qu'il déclara ne pas toujours respecter les institutions révolutionnaires. En octobre 1789, il envoyait l'abbé de Fonbrune au roi d'Espagne pour que ce dernier reçoive en main propre, et en tant que « chef de la seconde branche » de leur commune maison (celle de Bourbon), la protestation qu'il émettait contre tout ce qui s'était fait en France depuis le mois de juillet. Albert Mousset a retrouvé trace de ce document d'intérêt, et depuis longtemps. (*Un témoin ignoré de la Révolution, le comte de Fernan Nuñez,* Paris, 1923, ch. XII, lettre du 12 octobre.) Mousset avoue, à cette occasion, que « Charles IV avait un trait commun avec Louis XVI : la faiblesse de caractère ». (*Histoire d'Espagne,* Paris, 1947, p. 323.)
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Un autre point qui n'a pas été soulevé par les divers auteurs est celui-ci : lorsqu'il rédigea son fameux testament, si discutable, Louis XVI se présenta comme roi de France : « Moi Louis XVI^e^ du nom Roy de France. » ([^43])
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C'était très précis, car éliminait la Navarre, réunie à la France durant l'automne 1799, par adhésion des populations au nouvel ordre des choses, contrairement aux vœux des états de ce royaume qui désiraient maintenir l'indépendance. Mais « roi de France » balayait intégralement la période de faiblesse, de compromission avec la Révolution. C'est un souverain oubliant la titulature révolutionnaire acceptée par lui dès le 6 novembre 1789 (date des premières lettres patentes la portant), ratifiée par la Constitution du 3 septembre 1791 (acceptée par le roi le 14 suivant) et à lui ôtée le 10 août 1792 : roi des Français. En ce jour de Noël 1792, voyant qu'il n'avait plus rien à perdre, Louis Capet se retrouvait lui-même, c'est-à-dire qu'il avouait à la face du monde qu'il s'était toujours tenu pour *roi de France,* donc qu'il pratiquait un double jeu. Son adhésion à la Constitution n'était donc point sincère. La chose fut relevée par *Le Moniteur universel* (réimpression, Paris, 1847, t. 15, p. 242, correspondant au n° 23 du mercredi 23 janvier 1793, an 2^e^ de la République) commentant l'exécution et le testament : « On y verra qu'après avoir répété tant de fois qu'il avait sincèrement adopté la Constitution, le roi constitutionnel n'était à ses yeux qu'un roi dépouillé de son autorité légitime, et qu'il repoussait jusqu'au titre de *roi des Français* que la Constitution lui avait donné, pour se décorer, au moins dans le dernier acte de sa vie, de celui de *roi de France.* Les témoignages irrécusables de mauvaise foi contenus dans ce testament pourront tarir quelques-uns des sentiments de pitié que les âmes compatissantes aiment à ressentir. » Ce qui tend à prouver que le roi était plus complexe que les auteurs veulent bien le dire.
C'est devant l'attitude de ce roi complexe, et qu'ils connaissaient depuis leur naissance, que les princes ont essayé d'organiser l'émigration. Cette dernière est un fait qui découle de la panique des nobles qui virent tout s'écrouler, leurs châteaux incendiés, les leurs massacrés, et dès juillet 1789. La Grande Peur se brocha là-dessus. Il leur sembla qu'il fallait organiser une résistance à un tel flot qui voulut rapidement emporter les pays voisins... et qui le fit ! On sait toutes les catastrophes qui en sortirent. Il était alors naturel que les princes, chefs nés de la noblesse, après le roi, se mettent à faire quelque chose. L'affaire était compréhensible, encore que dangereuse.
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De toutes façons, l'expérience subie par l'aîné paraissait devoir être temporaire. Que d'illusions dans l'émigration ! Que de gens partirent en dépensant toutes leurs réserves sans prudence ! Lisez les livres de Diesbach, de Castries et de tant d'autres qu'on peut trouver dans le commerce. On comprend alors combien les paroles de Louis XVI ne pouvaient que tomber dans le vide, quand il adjurait ses nobles de revenir (proclamation du 14 octobre 1791, p. 329) : « Français qui avez abandonné votre patrie, revenez en son sein. C'est là qu'est le poste d'honneur, parce qu'il n'y a de véritable honneur qu'à servir son pays et à défendre ses lois. » Or, là était justement le hic : quelles lois ? L'appel du roi peut être jugé émouvant, mais il n'en reste pas moins qu'on imagine la froideur des éventuels lecteurs. Que pouvaient en penser des princes nommés Condé, Bourbon, Enghien ? On savait se battre chez ces gens-là. On avait le courage actif, et on était donc fort loin des pensées d'un roi coulant sans aucun faste.
Je n'ose penser ce qui serait arrivé aux dits princes s'ils étaient revenus, ou s'ils étaient restés en France. Seul l'insignifiant prince de Conti put s'en sortir, mais Égalité fut trucidé (il ne l'avait pas volé !) et ses fils Montpensier et Beaujolais firent longtemps séjour dans une infecte prison, alors que le fils aîné, ex-duc de Chartres, avait proprement déserté pour sauver sa peau. Même le futur roi citoyen avait jugé bon d'aller respirer un autre air, et rapidement. Certes, le duc de Penthièvre (petit-fils illégitime de Louis XIV et beau-père d'Égalité) avait pu mourir en paix, mais il n'était connu que par ses bonnes œuvres et vivait au loin, à la campagne. Sa bru, princesse de Lamballe, fut dépecée et sa fille, veuve Égalité, fit de la prison. On comprend le manque d'enthousiasme des émigrés. Notons que Provence était homme de décision et pratique. Il fila vers la Belgique en voiture légère avec Avaray, sa femme passant par un autre chemin... Pendant ce temps, la famille royale se traînait vers Varennes. Quant à Artois, il avait tout de suite su que faire, et avait émigré le premier. Il est probable que tout le monde comprit le 15 ou le 16 juillet 1789 que l'affaire était perdue et que devant la dispersion des régiments, il n'y avait plus rien à tenter. Beaucoup de Français durent penser la même chose.
Il y a dans tout cela un bien grand mystère qui permit à Louis XVI d'être un Roi Martyr, mais il est certain que la majorité des Français ne lui avait jamais demandé de jouer ce rôle qui peut paraître à juste titre ruineux pour notre pays. Le roi mourut saintement, après une prison chrétiennement supportée.
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On ne peut que s'incliner devant son martyre et celui des siens ([^44]), c'est certain, mais il n'en reste pas moins qu'on peut récuser sa manière d'agir.
Les auteurs content fort bien les dernières semaines et même les dernières heures de l'ex-souverain, condamné d'inique manière. Là est encore une qualité du livre.
Livre curieux au demeurant, où rien n'est précisé sur le rôle d'Égalité (on ne dit même pas qu'il vota la mort), de la maçonnerie... Livre qui se lit avec un certain malaise, car pour sauver l'image de Louis XVI, les auteurs torpillent la reine (qui elle aussi sut mourir, et comment !), Madame Élisabeth (même réflexion, que de grandeur chez ces princes !), les comtes de Provence et d'Artois, les Condé. C'est beaucoup et c'est sans doute injuste. La partialité des auteurs en devient gênante. Elle indique un état d'esprit curieux et qu'on ne saurait adopter.
Quelques petits points sont à rectifier. Les cotes d'archives ne sont pas toujours exactes et l'on voit trop souvent du 0° 1 pour 0\*^1^ aux Archives nationales (série de la maison du roi sous l'ancien régime, 01 est affecté d'un \* lorsque c'est un registre). Page 304, les archives royales de Suède doivent être orthographiées : Riksarkivet. Page 344, François II, roi de Hongrie et de Bohême, certes, car on ne voulait pas avoir l'air d'attaquer l'Allemagne, mais successeur de son père Léopold II, mort le 1^er^ (et non le 3 comme c'est dit là) mars 1792 : il allait se trouver à la tête du corps germanique. Page 358, il semble bien que les commissaires Deprez, Crassier... ne soient qu'une seule personne, de Prez (de) Crassier (les Préz-Crassier existent encore). Enfin, les auteurs assurent que Louis XVI garda jusqu'au bout l'anneau du sacre. Je serais heureux de savoir d'où ils sortent cela, car l'anneau était généralement une bague montée au dernier moment (parfois on oubliait qu'il en fallait une !) et comme il y avait une belle pierre, elle était difficilement portable quotidiennement, c'est-à-dire qu'on la renvoyait au trésor, et même au garde-meuble où étaient les joyaux de la Couronne.
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On constatera pour finir que les auteurs ne croient pas que l'on ait retrouvé le corps de Louis XVI en 1815, ce qui les met en contradiction avec les autorités de l'époque, qui ont pourtant été très prudentes avec la question des restes de Louis XVII mort au Temple et de Madame Élisabeth. Le chancelier de France Dambray a fait à ce sujet un procès-verbal qu'il serait bon de consulter. Le roi donna même le cordon noir de Saint-Michel (le premier donné depuis la Restauration !) à l'homme qui avait acheté le cimetière et conservé le souvenir précis des endroits où étaient Louis XVI et Marie-Antoinette. On peut toujours tout nier.
Ces petites choses ne sauraient enlever tout l'intérêt qu'on doit à ce gros pavé. Il est probable que sa masse lui évitera bien des critiques, car peu de lecteurs seront à même de le lire de bout en bout, avec l'esprit critique, plume à la main. Cette masse fait sérieux et peut effrayer plus d'un. Je crois que ce sera maintenant le rôle d'autres chercheurs que d'aller plus avant. Je suis même certain que dans dix ou vingt ans, peut-être avant, car on va s'agiter autour de 1989, on révisera un tel ouvrage qui apporte autant de renseignements. On aura peut-être une vision plus sereine... car si on lit bien cette *Enquête,* et qu'on admet tout ce qui est avancé, il faudrait reconnaître que Marie-Antoinette a tué son mari, aidée par ses beaux-frères et d'autres émigrés. C'est bien gros et il faut défendre la reine.
Il faudra aussi défendre les populations de l'Ouest dont les motifs d'insurrection sont peu compris (p. 646...). Il ne faut pas le cacher, il y a de l'odieux dans ce livre et des mots qui font mal (« ceux qui prétendaient défendre leur religion », p. 648).
Tout ceci démontre qu'on ne saurait accepter sans réagir les diverses conclusions des auteurs, mais qu'il y a là une œuvre d'intérêt, utile et discutable.
Un dernier mot : je suis consterné du décès d'André Guès et ne puis que déplorer son absence pour critiquer cet ouvrage. Il était beaucoup mieux préparé que moi à en faire l'analyse.
Hervé Pinoteau.
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### Lectures et recensions
#### Michel de Saint Pierre *Lettre ouverte aux assassins de l'école libre* (Albin Michel)
Au nom de l'égalité, le socialisme a toujours été l'ennemi mortel de la liberté, à commencer par celle de l'enseignement. Il ne fait, à cet égard, que renforcer le sectarisme totalitaire du républicanisme français dont l'anticléricalisme s'est toujours déchaîné contre l'école catholique. Le nom de Jules Ferry résume la guerre permanente qu'il a menée contre elle.
En 210 pages, bourrées de documents, Michel de Saint Pierre dénonce cet « assassinat » que voudrait parachever le gouvernement actuel par l'institution d'un grand service public unifié de l'enseignement, en violation des principes constitutionnels et des déclarations des droits de la famille inscrites dans plusieurs conventions internationales auxquelles la France a adhéré. Dès maintenant, plusieurs centaines de communes socialistes refusent illégalement de payer les subventions convenues aux écoles privées (p. 202). Cette violation de la loi naturelle et des lois positives sus-cite de nombreuses protestations dont Michel de Saint Pierre donne le texte. Son livre constitue à cet égard un outil de travail indispensable que les amis de la justice et de la liberté doivent avoir toujours sous la main.
Quant à François Mitterrand, il a oublié ce qu'il écrivait en novembre 1946 et que rappelle l'auteur en épigraphe (p. 13) : « Que va devenir la liberté d'enseignement sur laquelle nous sommes totalement d'accord ? Quelle que soit notre origine confessionnelle et philosophique, nous sommes persuadés que le premier bien de l'homme, c'est sa liberté de pensée et d'enseignement. Que demandons-nous ? Simplement que l'on en revienne aux lois qui, peu à peu, ont établi chez nous la paix religieuse. Or, le parti communiste et le parti socialiste, en refusant d'inscrire cette liberté dans la Constitution, nous menacent implicitement du monopole de l'enseignement. »
Louis Salleron.
127:272
#### François Garnier *Le langage de l'image au Moyen âge Signification et symbolique* Le Léopard d'or 11, rue du 4 septembre, 75002 Paris
M. l'abbé Garnier est chargé de recherche à l'Institut de recherche et d'histoire des textes, organisme dépendant du C.N.R.S., et dans un grand livre in-4°, de 260 pages, augmenté de nombreuses planches et d'une multitude de dessins, il apporte une importante étude de l'art médiéval. Véritable « grammaire de l'image », ce livre est le fruit d'une vaste enquête portant avant tout sur des enluminures de manuscrits médiévaux, souvent relatifs à la Bible. L'auteur établit et propose une typologie (comme on le dit actuellement) des dimensions, des situations, des positions, des gestes, classés et décrits avec leur signification. Nous avons donc là, en mains, un véritable code de l'imagerie médiévale, et un code bien imprimé, ce qui ne gâte rien !
F. Garnier étudie ainsi tour à tour le langage iconographique, la documentation et son exploitation, (avec les règles de description), les aspects généraux dit langage iconographique (cadres et structures), les éléments (les simples et les complexes), les dimensions, les situations, les positions du corps, les positions et expressions de la tête, les gestes de la main et du bras (une des parties les plus complexes, car comment faire comprendre, avec une main tendue, qu'il s'agit d'un refus ou d'une prise ?), les positions et gestes des jambes et des pieds, les relations avec les objets... L'auteur apporte un grand nombre d'idées sur l'interprétation de scènes déjà décrites, et rectifie bien des points de vue sur l'imagerie de la Bible, des commentaires des Pères sur l'Écriture, sur les *Grandes chroniques de France*, etc. Il ne cache pas l'ampleur de la tâche et que les débats sont largement ouverts sur certaines interprétations. « Les questions ne manquent pas. On s'abstiendra de proposer des réponses prématurées. » Science et modestie, voilà des caractéristiques sympathiques pour qualifier un érudit tel que l'abbé Garnier.
Hervé Pinoteau.
128:272
#### Marie-France James *Ésotérisme et christianisme autour de René Guénon *préface de Jacques-Albert Cuttat
*Ésotérisme, occultisme, franc-maçonnerie et christianisme\
aux XIX^e^ et XX^e^ siècles ; explorations bio-bibliographiques*\
préface d'Émile Poulat, directeur de recherches au CNRS
(Nouvelles Éditions Latines)
Voici, en deux tomes, un excellent ouvrage qui analyse tout un petit monde qui grouillait, et grouille encore, autour de l'ésotérisme et aux limites du christianisme.
Docteur ès lettres et Canadienne, Mlle James a fait ici un prodigieux travail qui rendra service aux historiens et à tous ceux qui portent de l'intérêt au monde de l'étrange. Évidemment, la figure de René Guénon émerge de ces pages : homme double et même triple, cet auteur cachait son jeu, passant pour catholique et écrivant dans les meilleures revues, alors qu'il avait déjà rallié la maçonnerie puis l'islam. Bref, un menteur, et ainsi un nuisible, encore qu'il ait rendu des services. Le diable lui-même porte pierre, comme l'assure un dicton, mais que penser d'un homme qui se marie catholiquement alors qu'il est évêque gnostique, et maçon, et initié au soufisme ? On comprend le malaise qu'on ressent à la lecture de tant d'ouvrages où le Christ est évacué, et toute la pernicieuse influence d'un esprit brillant et érudit sur des intelligences moins savantes. C'était un séducteur...
Dans le premier volume, Mlle James analyse la personnalité de Guénon à travers l'astrologie (sic), et à travers la graphologie, ce qui est quand même plus sérieux. Puis elle passe en revue, et dans le détail, les divers aspects de la vie de Guénon, suivant l'ordre chronologique. Ce qui nous vaut des considérations sur la collaboration de Guénon à des entreprises catholiques, avant et après la première guerre mondiale, puis un long exposé de son séjour en Égypte où il sera le sheikh Abdel Wahed Yahia, sujet du roi de ce pays, y ayant obtenu la naturalisation. Bref, un renégat... On peut espérer que ces centaines de pages ouvriront les yeux, car Guénon conserve encore de nos jours de nombreux admirateurs. Une longue bibliographie et une table des noms viennent compléter l'épais volume.
Beaucoup de choses pourraient être dites sur l'affaire Guénon, ne serait-ce que des commentaires sur le temps qu'il a fallu à de beaux esprits pour se rendre compte de la nocivité du personnage. Il est vrai qu'il rendait aussi service en une époque touchée par le matérialisme ; l'illusion pouvait durer.
129:272
Beaucoup furent touchés par la pensée de ce « maître » assez mystérieux. On prendra, quant à nous, quelque intérêt pour l'aventure de *Regnabit* et du Hieron de Paray-le-Monial et l'on sourira devant l'assurance, p. 238, que le « baron de Sarachaga » descendait par son père de sainte Thérèse d'Avila. Fichtre ! Disons, tout au plus, qu'il était de la famille de la sainte, et j'avoue que je serais intéressé de savoir comment. Mais c'est une petite chose, pas grave. P. 240 il est assuré que Léon XIII fit du baron un commandeur constantinien. Là encore, c'est à voir de près, car l'ordre constantinien était distribué au XIX^e^ siècle par le roi des Deux Siciles et le duc de Parme, nullement par le pape. En 1983, il est conféré par S.A.R. Mgr le duc de Calabre, chef de la famille royale des Deux Siciles et il n'y a toujours pas de « commandeurs » en son sein. Ces petites critiques ne sauraient entacher un livre plein de notes abondantes, ce que je ne saurais blâmer ! Il n'est pas inutile de signaler que le préfacier, J.-A. Cuttat, a rompu avec le guénonisme et qu'il a écrit quelques textes d'intérêt, évoqués dans ITINÉRAIRES, n° 260, févr. 1982, pp. 76-77.
Avant de passer à la suite, je signale que l'auteur nomme Guénon « notre ami », et ce à plusieurs reprises. Est-ce un exercice de style ? Le signe d'un véritable attachement ? Il me semble que le « héros » de ce livre n'en valait guère la peine.
Le deuxième ouvrage, en quelque sorte le tome deux, est un index ou dictionnaire bio-bibliographique de tous les personnages, ou presque, qui ont été mentionnés dans l'ouvrage précédent. J'avoue être fasciné par ce travail qui évoque tout un monde dont on ne parle pas tellement et qui s'est agité dans l'ombre, ou, tout du moins ; en marge de la grande littérature, des partis politiques, etc. Et qui s'agite encore. La méthode employée par cette demoiselle de Montréal, ayant transité par la V, section de l'École pratique des hautes études (sciences religieuses) qui est à la Sorbonne, devrait pouvoir resservir utilement. Émile Poulat présente avec talent cet « ensemble » : « Le domaine (de la recherche) : entre ciel et enfer, entre le grimoire obscur et la rumeur folle qui nourrissent sa légende, tout un monde insolite au sein même de notre monde dont il dérange la rationalité et qui craint même pour sa sécurité. Un monde perçu comme déroutant, fascinant et menaçant. Un monde interdit et fermé, tout au moins d'accès difficile si ce n'est risqué »... « Ça sent le soufre et la folie. » Le préfacier montre encore que l'index de 250 notices de cet ouvrage n'est sans doute pas grand chose à côté de tout ce que l'on peut imaginer : « Ce que nous savons est dérisoire par rapport à ce que nous commençons à soupçonner. » Pour cet index et les deux autres qui doivent suivre (les périodiques et les organisations), Mlle James a dû voyager, avec l'aide d'un organisme canadien et du C.N.R.S.
Devant ces 268 pages, on peut facilement penser que l'auteur n'a pas eu que des amis sur son chemin. On imagine même que certains maçons et d'autres occultistes doivent lui vouer une particulière inimitié pour avoir osé se promener au milieu de ce milieu ésotérique, plus ou moins chrétien, et où l'harmonie ne règne guère. Certes, beaucoup de ceux qui sont inscrits là sont morts, mais nous avons des vivants et des pistes.
130:272
Émile Poulat dit lui-même qu'on est à la recherche de ce qui existe véritablement et qui ne paraît pas être un complot contre l'Église, au sens habituel du terme. Ces infiltrations, ces connivences, sont à analyser de plus près. On trouve dans cet index des gens de tous milieux, de toutes orientations, polarisés autour des symboles et de la symbolique. Loisy comme Pitra furent touchés par ce genre de problèmes, ce qui est dire l'ouverture du champ décrit. Il s'agit en particulier d'une recherche des sources anté-scolastiques d'un essai de ressourcement, et l'on sait tout ce qui a pu sortir des épais volumes érudits des uns et des autres... De plus, le terrain était miné par toute une littérature bien contestable.
Un reproche qui est un hommage. L'auteur, épuisée par tant de travail, a parfois renvoyé à des articles peu faciles à trouver. Des notices de personnages d'intérêt sont ainsi réduites à une ligne : voir... C'est terriblement frustrant !
Quoi qu'il en soit, il ne me reste plus qu'à souhaiter la publication de la suite. C'est en effet une œuvre de salubrité nationale et internationale.
Hervé Pinoteau.
#### Pierre Aubé Baudouin IV de Jérusalem Le roi lépreux (Taillandier)
Avec une préface de Régine Pernoud ce livre émouvant relate la courte vie d'un des plus vaillants « Francs » de toute l'histoire des croisades : Baudouin IV, de la famille comtale d'Anjou installée en Terre Sainte. Né en 1161, Baudouin IV fut roi de Jérusalem en 1174, après la mort de son père, et disparut lui-même en 1185, atteint, depuis sa jeunesse, d'un mal épouvantable, la lèpre. Ce fut un grand roi, vaillant et juste, souffrant le martyre. Tout enfant des écoles se devrait de connaître sa vie, placée sous le signe du sacrifice et de l'amour du prochain. Pierre Aubé la retrace avec talent en un livre de cinq cents pages ; c'est une plongée dans des temps révolus mais souvent exaltants. Les « Francs », plus ou moins mâtinés de populations locales (Baudouin IV avait ainsi du sang arménien), écrivirent une geste fameuse, qui plonge parfois le lecteur dans des abîmes de réflexions : on retrouve en effet, dans la geste de Terre Sainte, tous les travers des Français et on se désespère parfois de constater combien le succès aurait pu être plus éclatant.
131:272
La discorde, l'orgueil, la vanité, toutes ces causes de destruction existaient pleinement en Terre Sainte. Et parfois, quel manque de sens politique ! Quel manque de foi ! Que de massacres inutiles, ponctuant tristement une juste récupération de la Terre Sainte ! Les Francs ont trop souvent accepté d'imiter la sauvagerie des tenants de l'islam (avec un petit « i », s.v.p., alors que l'auteur abuse de l' « I » majuscule), mais on peut cependant constater une chose très curieuse, lorsqu'un massacre de civils ou de soldats ennemis est accompli. Le chroniqueur franc n'en est pas si fier alors que son collègue arabe, au sens large, s'en régale et disserte longuement et avec précision sur l'atroce, détaillant la découpe ou le viol avec plaisir. Différence de mentalité, c'est certain, quand on lit un ouvrage cité par Pierre Aubé : *Chroniques arabes des croisades,* paru chez Sindbad en 1977. La bibliographie de l'auteur est honnête, mais on s'étonne qu'il ignore tout de la dernière et grande histoire des croisades, celle de Steven Runciman, auteur illustre dont la France ne connaît véritablement que *La chute de Constantinople* (Hachette, 1968), alors que son œuvre en trois tomes (1951-54) a été traduite en espagnol, et en format de livre de poche, ou presque. D'autres ouvrages étrangers auraient pu être cités, tout particulièrement celui de Weyprecht-Hugo comte Rüdt de Collenberg : *The Rupenides, Hethumides and Lusignas, the structure of the armeno cilician dynasties* (Fondation Calouste Gulbenkian, Lisbonne, 1963). Je n'ai pas grand mérite de le citer, y ayant dessiné les blasons des dynasties concernées, mais je crois que de bonnes bibliothèques doivent l'avoir. L'auteur y aurait eu de bons renseignements sur la famille arménienne de son héros. Il aurait ainsi pu voir que la femme de Jocelin I^er^ de Courtenay se nommait Béatrice ([^45]). Je crois qu'il aurait été aussi fort bon de préciser que les images montrées ne sauraient en rien préciser les traits authentiques des personnages historiques : l'art de l'époque, et d'ailleurs postérieur aux événements en question, ne pouvant exprimer une vérité iconographique.
Il me reste à souhaiter que les nombreux lecteurs de ce livre fassent leur miel d'un tel ouvrage qui est un hymne au courage. Plus d'une fois un seul chevalier peut sauver une communauté en péril, et quelques chevaliers un royaume tout entier. Qu'on lise le récit de la bataille de Montgisard ! Et d'ailleurs, aux énergies terrestres viennent parfois s'adjoindre les forces du ciel : les anges, saint Georges (dûment identifié... et pourtant rayé depuis peu du calendrier recyclé) et d'autres saints, tous vêtus de blanc, couleur des ressuscités, mais aussi du royaume de Jérusalem ([^46]).
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Il serait bien vain de nier l'aide du ciel si on est chrétien : sainte Jeanne d'Arc fut un exemple fameux de tout ce qui peut advenir quand le ciel s'en mêle. Mais le ciel peut punir sévèrement. L'auteur indique bien que le pape Alexandre III, lui-même, écrivait aux rois d'Europe pour leur montrer que Baudouin était accablé « par le juste jugement de Dieu ». Pierre Aubé ajoute : « La lèpre qui ronge le roi est la manifestation de la justice divine, l'affirmation que le péché contient en lui-même sa propre sanction. Et ce péché, c'est celui qui corrompt la Terre Sainte... Pour tous les hommes du Moyen âge, entre le roi et le troupeau qu'il avait pour mission de guider existait une symbiose quasiment organique, une communion mystérieuse de prospérité ou de désordre, de bienfaits ou de malheurs. Cette face léonine, terrifiante, ce n'est pas le visage de Baudouin, c'est celui du roi de Jérusalem. C'est celui de son royaume... Et la honte de la Terre Sainte, tendue au peuple du royaume comme le miroir permanent de ses infidélités. » (P. 263-264.) Il est vrai que les temps étaient curieux. Le patriarche de Jérusalem, principal personnage ecclésiastique du royaume, vivait ouvertement en concubinage avec la femme d'un mercier de Naplouse ; on la nommait « la patriarchesse » ! L'historien et chancelier du royaume, Guillaume, archevêque de Tyr, avait pourtant averti les prélats de Terre Sainte et les chanoines du Saint-Sépulcre : « Avec lui Jérusalem est perdue, et toute la terre. » C'est ce qui advint. L'exemple donné par les grands et tout particulièrement les clercs, est de la plus terrible importance.
Qu'il soit permis, pour terminer, de formuler le souhait suivant : il serait bon qu'un éditeur nous donne le texte complet de l'*Histoire d'Éraclès,* traduction française, faite par un anonyme du XIII^e^ siècle, de l'*Histoira rerum in partibus transmarinis gestarum* de Guillaume de Tyr. Il est permis d'espérer.
Hervé Pinoteau.
133:272
#### Chants profanes, chants sacrés
L'école Saint-Dominique du Cammazou, à Fanjeaux, tenue par les dominicaines enseignantes, publie un disque enregistré les 14 et 15 juin 1982 par la chorale de l'école (SERP, 6 rue de Beaune, 75007 Paris) composée de quarante jeunes filles de 12 à 18 ans. Tous les chants sont exécutés en polyphonie à quatre voix. On sait que, normalement, dans ce genre de chant, les deux voix inférieures sont des voix d'hommes. La chorale ne comprenant que des jeunes filles, on a légèrement modifié l'harmonisation ; les deux voix inférieures sont exécutées par des jeunes filles ayant des voix assez graves pour chanter à l'octave inférieure. L'effet ainsi obtenu est très heureux.
Le disque comprend par moitié des chants profanes et des chants religieux. Les chants profanes sont presque tous des chants des XV^e^, XVI^e^ et XVII^e^ siècles, avec toutefois un poème de Guillaume Apollinaire : Les saltimbanques. -- On a ainsi : *Sur le joli jonc ; Comme le rossignol qui passe* (chant russe) ; *El grillo* de Josquin des Prés ; *Les soldats de Turenne ; Réveillez-vous, Picards ; Dieu qu'il fait bon regarder,* de Charles d'Orléans, avec musique de Claude Debussy ; *Le chant des Oyseaux,* de Clément Janequin. Dans *Les soldats de Turenne* (appelé aussi *Les dragons de Noailles*)*,* on a très heureusement supprimé la strophe (qui figure sur le disque : *Chants d'Europe*) : *Ils ont incendié* *Coblence, et saccagé le Palatinat.* Il n'y a pas de quoi s'en vanter ! Luce Quenette a stigmatisé sévèrement ces crimes de l'armée de Louis XIV en Allemagne. Les dominicaines ont eu raison d'éliminer cette strophe qui défigure un chant par ailleurs très beau.
Les chants sacrés sont tous des chants latins, mis en polyphonie au XVI^e^ siècle par Palestrina, Vittoria et Van Berchem. Ils sont très émouvants, surtout les chants de la Passion : *Christus factus est* et *O vos omnes*.
Les élèves de l'école Saint-Dominique sont admirablement formées au chant. Profitons de ce disque qui nous permet de les entendre.
Jean Crété.
#### Jacques Soustelle Les Maya (Flammarion)
Entre le II^e^ et le IX^e^ siècle de notre ère, la civilisation maya s'épanouit dans le sud du Mexique et au Guatemala. Ses villes (Palenque, Tikal, Uxmal) ont laissé au milieu de la jungle des palais et des temples en forme de pyramides, et des sculptures d'une grande beauté. Les Maya connaissaient l'écriture (mais on n'a pas encore bien déchiffré leurs inscriptions) et avaient de grandes connaissances arithmétiques et astronomiques. Ils avaient découvert le zéro et les chiffres positionnés de gauche à droite, ce qui permet des opérations rapides. Leur « compte long. » permettait d'établir un calendrier s'étendant sur des millions d'années.
134:272
Ils adoraient le soleil, là pluie et le maïs. Leur religion comportait des sacrifices humains (mais peu nombreux, semble-t-il). Ils étaient peu guerriers. Vers le IX^e^ siècle, la civilisation maya décline. Il y aura un regain, dans le Yucatan (la ville de Chichen-Itza) avec l'arrivée des Toltèques, mais il s'agit alors d'une société plus brutale, plus guerrière. Les sacrifices humains se multiplient.
Pendant ce temps, les vieilles cités sont englouties peu à peu par la jungle. Au XVI^e^ siècle, Cortès passera tout près d'elles sans les voir.
Jacques Soustelle, spécialiste des civilisations du centre de l'Amérique nous donne ici un livre très clair et très dense (excellemment illustré, de plus). Les Maya l'intéressent particulièrement, il me semble, parce qu'ethnologue, il a travaillé chez les Lacandous, qui en sont les descendants, ont gardé le type maya, parlent cette langue. Mais ces héritiers ont perdu la clé de l'héritage : ils sont incapables de lire les inscriptions des temples, ils ne comprennent même pas qu'il s'agit là d'une écriture.
La persistance des Lacandous, et la rupture totale avec la civilisation dont ils sont issus posent une question grave, celle de la transmission des connaissances, des croyances, d'une vision du monde. Physiquement, les Lacandous ont été préservés par la jungle. Ils n'ont pas été transformés par un sang étranger. Mais leur esprit n'est plus celui de leurs pères Maya. Ils viennent encore offrir le copal (l'équivalent de l'encens) dans les temples abandonnés, mais sans savoir à qui. Il leur a manqué les prêtres, les doctes qui auraient transmis le savoir ancien.
Parlant d'eux dans un autre ouvrage (*Les quatre soleils*), Soustelle notait que ces « primitifs » ne sont pas d'avant une civilisation, mais d'après. Ils sont en régression. C'est l'hypothèse de J. de Maistre, si souvent rejetée parce qu'elle s'oppose à notre mythe du progrès.
Pourquoi la civilisation maya s'interrompt-elle au IX^e^ siècle ? Les causes extérieures sont à éliminer : pas de guerre ravageuse, d'épidémie anéantissante, de tremblements de terre. Soustelle fait l'hypothèse d'une sécession des paysans. C'est sur leur travail que reposait la construction des temples, le luxe des dignitaires. Ils l'acceptaient parce qu'en échange ils se sentaient assurés de l'amitié des dieux et de la régularité des phénomènes naturels. Sans doute aussi étaient-ils sensibles à l'ordre et à la grandeur de la cité. Mais les choses se sont dégradées : les prêtres ne pensaient de plus en plus qu'à leurs vertigineuses spéculations astronomiques, les chefs de guerre devenaient plus exigeants, plus agités. L'accord social fut rompu. Il y eut peut-être des jacqueries. J. Soustelle estime plus probable un repli des paysans, vivant à l'écart, rompant avec les villes. Ils renonçaient à ce qu'elles apportaient, mais ils les asphyxiaient par cet abandon.
135:272
Ce mouvement de retrait, quand le citoyen veut échapper au cadre des lois, parce qu'elles sont oppressives, et qu'il en ressent plus les contraintes que le bienfait, peut se reproduire. La vie de nos sociétés, par exemple, suppose un travail productif contrôlé. Le goût de produire peut diminuer. L'excès du contrôle, et des prélèvements, peut décourager. Un esprit de paresse, de parasitisme, peut gagner des parties importantes de la population. Les Lacandous nous y font penser.
Georges Laffly.
136:272
Pèlerinage de chrétienté
### Pour le renouveau spirituel de la jeunesse de France
*Pentecôte 1983 21, 22 et 23 mai*
Le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER organise pour la Pentecôte un grand pèlerinage *de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres* (environ 100 km à pied en trois étapes) : pour le renouveau spirituel de la jeunesse de France.
A l'image des grandes marches contemporaines vers Fatima, au Portugal, ou vers Czestochowa, en Pologne !
Le responsable général du pèlerinage est Rémi Fontaine, 12 rue Calmels, 75018 Paris ; téléphone : (1) 259.97.82. L'aumônier général est l'abbé François Pozzetto, prêtre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et professeur au séminaire international d'Écône.
Samedi 21 mai : rassemblement à 6 h sur le parvis de Notre-Dame de Paris.
Bivouac dans la vallée de Chevreuse. Veillée le soir.
137:272
Dimanche 22 niai : messe à 7 h.
Veillée spirituelle en l'église de Gallardon vers 20 h. Lundi 23 mal : départ de Gallardon à 8 h 30.
Grand messe à Chartres à 15 h 30. Retour à Paris par train spécial.
*Des rattrapages* sont prévus pour ceux qui ne pourraient faire tout le pèlerinage. Les lieux, horaires et moyens sont communiqués aux responsables de province (liste ci-après) au début du mois d'avril.
*Chaque pèlerin* devra emporter avec lui sa nourriture pour trois jours et son couchage individuel (duvet, couverture) et collectif par famille ou groupe (tente). Le transport des sacs à dos et des tentes se fera en camions fournis par l'organisation du pèlerinage : se munir d'une musette pour la nourriture du jour.
*Le livret du pèlerinage* comportant programme détaillé, prières, méditations, chants etc., sera adressé, avec les derniers renseignements, à tous les inscrits.
*Pour s'inscrire :* demander un bulletin d'inscription au CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, 12 rue Calmels à Paris XVIII^e^ ou aux responsables de province du pèlerinage, dont voici la liste :
ILE DE FRANCE : Alain BROSSIER, 24, rue Kléber, 78150 LE CHESNAY. Tél. 954.06.61.
NORD : Jean DEVAUX, 34, rue François de Badts, 59110 LA MADELEINE -- Tél. (20) 74.99.44.
EST : Denis SLAVIK, 8, impasse des Prédelés, 57210 MAIZIÈRES-LÈS-METZ -- Tél. (8) 761.62.94.
OUEST : Philippe EVANNO, 22, bd de Gaulle, 49000 ANGERS.
SUD OUEST : Romain MARIE et Christophe DEROO 4, quai Lombard, 31000 TOULOUSE. Tél. (61) 23.24.24.
SUD EST : Gérard PRIEUR -- Le Bosquet St-Jacques -- RICHERENCHE -- 84600 VALREAS Tél. (90) 37.41.00.
BELGIQUE : Paul-Augustin DEPROOST 69, Vhierbockherg -- 1900 OVERIJSE.
138:272
##### Le Centre Henri et André Charlier
Siège national : 12, rue Calmels -- 75018 Paris -- Tél. : 259.97.82, permanence téléphonique de 17 à 19 heures.
Directeur spirituel : Abbé François Pozzetto de la Fraternité St Pie X, professeur au séminaire Saint Pie X. Écône CH 1908 Riddes, tél. : (026) 6.23.08 -- 6.29.27.
Direction générale : Romain Marie.
Direction artistique : Atelier de la Sainte-Espérance -- Maître : Albert Gérard -- Massier : Clotilde Devillers.
Organisation générale des journées d'amitié française et trésorier : Max Champoiseau.
Secrétariat administratif : Catherine Gestin, Brigitte Maurice.
Actions militantes : Pierre et Jacques Le Morvan.
Relations universitaires : Jean de Viguerie. Librairie, documentation : Gérard Prieur.
Enregistrements et diffusion des cassettes : Dominique Magerand.
##### L'organe du Centre
Le CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER, et sa branche action constituée par les COMITÉS CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ, ont pour organe un périodique mensuel intitulé *Chrétienté-Solidarité,* publié 12, rue Calmels, 75018 Paris.
« Gazette de liaison et d'expression du Centre Henri et André Charlier et des Comités Chrétienté-Solidarité » jusqu'au mois de janvier 1983, le mensuel *Chrétienté-Solidarité* est devenu à partir de février la « revue du Centre Henri et André Charlier ».
Directeur de la publication : Romain Marie.
Rédacteur en chef : François-Xavier Guillaume.
Secrétaire de rédaction : Marie-Christine Choné-Bévillard.
Mise en pages : Atelier de la Sainte-Espérance.
Administration : Max Champoiseau et Catherine Gestin.
Comité de rédaction : Rémi Fontaine, Bernard Long, Bertrand Wattlez, Pascal Gannat, Maurice Rémond, Pierre Le Morvan, Jacques Le Morvan, Jacques de Chambon, Anne-Christine Roullier, Jean Faure, Danièle Masson, Alain Brossier, François-Xavier Renauld.
139:272
## ENQUÊTE POLITIQUE
### Réponses de Jean-Marie Le Pen et d'André Diligent
*DEUX réponses supplémentaires à notre enquête politique. Elles ne pouvaient paraître dans notre numéro de février.*
*-- Celle d'André Diligent, secrétaire général du CDS* (*Centre des démocrates sociaux*) *parce qu'elle est faite à titre personnel. Nos enquêtes politiques, celle de 1978 comme celle de 1983, recueillent des réponses* OFFICIELLES, qui ENGAGENT *le parti ou mouvement qui nous les fait.*
*-- Celle de Jean-Marie Le Pen, président du Front national, parce que notre enquête interrogeait les partis de la majorité présidentielle giscardienne, qui nous demandent nos suffrages pour leur* « *reconquête du pouvoir* »*. Le Front national n'entre évidemment pas dans cette catégorie.*
*Mais puisque l'une et l'autre réponse existent, nous remercions ceux qui ont bien voulu prendre la peine de nous les faire, et nous les publions, hors enquête, très volontiers. Toutes les notes à l'une et l'autre réponse sont* d'ITINÉRAIRES.
140:272
#### Réponse de Jean-Marie Le Pen
Monsieur le Directeur,
J'apprends par le VOLTIGEUR 104 que ITINÉRAIRES va procéder à une enquête politique avant les élections municipales auprès des partis de l'actuelle opposition parlementaire.
Il y est écrit : « Ces partis sont en position de ratisser à leur profit les voix de tous les mécontentements et de toutes les résistances suscités par le gouvernement sectaire et despotique de la gauche. »
Je me permets de contredire cette affirmation au moins partiellement. En effet, les Français ne seront contraints à cette solution du moindre mal que dans les circonscriptions où le Front National ne présente pas de liste ([^47]).
141:272
J'avoue souhaiter vivement que vos lecteurs ne croient pas qu'ils sont enfermés partout dans un dilemme et qu'il est des cas où ils pourront voter pour des candidats plus proches de leurs idées. C'est pourquoi je sollicite de votre bienveillance que nos positions soient portées à leur connaissance, bien que nous n'ayons pas eu de responsabilités dans l'actuelle décadence de la France que, au contraire, nous avons combattue de toutes nos forces.
1\) Diffusion de la propriété privée.
Nous pensons que la propriété privée est non seulement la garantie fondamentale de la liberté des citoyens et de la perpétuation des familles mais qu'elle est un climat fondamental de l'harmonie sociale parce que répondant matériellement de la responsabilité de chacun.
Nous avons proposé avant le 10 mai 1981, que l'ensemble du secteur public soit dénationalisé et ses actions distribuées à tous les citoyens français ou à tous les chefs de famille pour leur constituer un portefeuille mobilier, donnant ainsi au peuple français « la propriété des moyens de production et d'échange » et ainsi de montrer à chacun qu'il participe à la gestion du patrimoine créé par ses ancêtres pour être transmis aux générations futures.
2\) Oui.
3\) Supprimer les subventions de l'État à tous les syndicats qui prétendent sortir de leur rôle syndical -- CGT mais aussi CFDT ([^48]).
142:272
4\) L'épargne doit être indexée pour que cesse le vol des citoyens par l'État, parce que ce vol est la source d'une immoralité publique dont l'effet d'entraînement est considérable.
5\) Oui.
6\) Il faut abaisser l'âge de la scolarisation obligatoire à 14 ans et favoriser l'apprentissage. L'enseignement technique français a au moins 30 ans de retard sur la réalité industrielle. Les maîtres sont coupés des réalités de la production, enclins à la paresse et à la sclérose intellectuelle qui envahissent un corps enseignant hyper-syndicalisé. Mais il faut aussi revaloriser les rémunérations du travail manuel, ce qui ne peut se faire tant que subsiste la pression de l'immigration.
7\) Je ne crois pas cette revendication réaliste, car avec les satellites, le monopole d'émission échappera aux États. C'est aux familles d'établir la discipline de réception. Cependant, on doit exiger, en tout cas, qu'un certain nombre d'émissions soient programmées hors des heures d'écoute de la jeunesse.
8\) Il n'y a pas d'État qui mérite ce nom sans un minimum de morale sociale ; ni d'État national sans le respect d'un certain nombre de coutumes et de mœurs. L'éducation sexuelle doit être dispensée par la famille mais dans beaucoup de cas, celle-ci n'ose ou ne peut, c'est pourquoi je pense qu'elle doit être du ressort du corps médical, gardien privilégié de la santé publique physique et morale.
9\) Réservées strictement aux familles françaises, les allocations familiales doivent être relevées de façon à faire face à la menace mortelle qui pèse sur la démographie française. Mais avant de redistribuer ce qui implique intervention d'une bureaucratie coûteuse, il faudrait commencer par ne pas prélever en établissant le quotient familial fiscal à une part par enfant, ce qui ne serait qu'une justice élémentaire à l'égard de celui-ci ([^49]).
143:272
10\) Le vote familial permet de prendre en compte l'avenir du pays et de compenser le vieillissement excessif de notre corps électoral.
11\) Oui, mais ce n'est pas un problème simple. Il exige de la part des gouvernants, intelligence de l'avenir menacée par un véritable torrent d'immigration colonisatrice en provenance du Tiers-Monde, générosité à l'égard des immigrés les plus anciens, mais aussi fermeté inflexible pour faire respecter l'intérêt national. L'immigration est certainement la solution la plus stupide et la plus injuste à tous égards, des problèmes économiques et sociaux du monde.
12\) Oui.
13\) Oui.
14\) Le Décalogue est le plus grand commun dénominateur et le plus petit commun diviseur du monde. Il est la seule règle morale admise par la majorité des hommes.
Croyez, Monsieur le Directeur, etc.
Jean-Marie Le Pen.
#### Réponse d'André Diligent
1*. DIFFUSION DE LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE*
Cette question nous a déjà été posée et est parue ([^50]) dans le numéro de janvier 1978 d'ITINÉRAIRES.
144:272
Elle est toujours valable.
Notre réflexion s'est d'ailleurs approfondie sur ce point et je vous prie de trouver ci-joint le livre « DE L'ÉTAT LIBÉRÉ » publié par notre ami Charles Dasville. Vous y lirez que, contrairement au collectivisme, qui a pour objectif l'appropriation étatique des moyens de production, système qui entraîne l'emprise totalitaire sur les personnes, nous nous donnons, nous, à l'inverse, comme objectif « l'appropriation privée des moyens de production ». Par ailleurs, avant même que Valéry Giscard d'Estaing ait lancé la formule « rendre les Français propriétaires de la France » nous avions lancé l'idée d'un Office National d'Accession à la Propriété, comme nous l'avons exposé dans votre numéro de janvier 1978.
2*. VÉRITE DU BULLETIN DE PAYE*
Nous sommes entièrement d'accord sur ce point.
La grande faiblesse des citoyens de notre époque est une sous-information économique évidente.
Les sciences économiques sont d'ailleurs, notamment dans l'enseignement secondaire, enseignées de façon extrêmement partisane et il serait bon d'y inclure un chapitre de connaissances élémentaires sur la vie et les moyens d'une entreprise ([^51]).
3*. SUPPRESSION DES SUBVENTIONS DE L'ÉTAT A LA C.G.T.*
Faut-il prévoir un régime discriminatoire à l'égard de la C.G.T. ? Certains en sont partisans pour l'unique raison que ce syndicat a une finalité révolutionnaire. Dans ce cas, il faudrait se ranger derrière Saint-Just, si je ne me trompe, qui s'est écrié : « pas de libertés pour les ennemis de la liberté » ([^52]). Ce n'est pas mon opinion.
145:272
Pour d'autres, parce que la C.G.T. est une simple courroie de transmission du Parti communiste. Mais d'autres syndicats ont également des rapports privilégiés avec d'autres partis, sans, bien entendu, aller aussi loin que la C.G.T.
Rentrer dans la voie de la discrimination ne me paraît pas acceptable ([^53]). Nous luttons pour que la conscience civique des Français soit suffisamment éveillée et qu'une politique sociale et réaliste devienne une réalité, et qu'ainsi tout syndicat d'obédience communiste soit réduit à sa plus simple expression. C'est d'ailleurs cette situation que l'on trouve dans presque tous les pays de la Communauté européenne.
4\. *INDEXATION DE L'ÉPARGNE*
Nous avions proposé en 1980 une indexation de l'épargne populaire, malheureusement, nous n'avons pas été suivis.
5*. INSTAURATION DU COUPON SCOLAIRE*
La loi Debré est actuellement attaquée. Nous pensons qu'elle peut être améliorée mais ce serait une erreur de remettre en cause l'essentiel, c'est-à-dire la reconnaissance respective des droits et des devoirs de l'État, comme des devoirs et des droits de la famille ([^54]).
146:272
6*. DESCOLARISATION*
J'ai personnellement toujours considéré que le tronc commun était un leurre.
Comme nous l'écrivions dans « L'AUTRE SOLUTION », pour nous, l'essentiel est de ne rien négliger, pour que l'adaptation des méthodes se fasse au rythme de chaque enfant. Tout système pédagogique doit être débarrassé de la hantise de l'élitisme, car presque toutes les matières sont nobles, si elles sont « facteurs » d'épanouissement humain et social.
Notre ami, Maurice Godet, de son côté, écrivait : « Le traitement des prétendus échecs scolaires consiste justement souvent, par des tours de passe-passe à faire d'un manuel un intellectuel, d'un concret un abstrait, d'un artiste un conceptuel, c'est-à-dire, l'exact contraire d'une renaissance spirituelle. » On croit armer pour la vie, on désarme. Et cet élitisme sent son matérialisme à quinze pas ([^55]).
147:272
7*. DIMINUTION DES HORAIRES DE LA T.V.*
La T.V., sur certains, provoque effectivement un effet d'abrutissement. Elle devient une sorte de chewing-gum pour l'œil sur des êtres qui finiront par atteindre peu à peu le rythme d'une vie végétative.
Mais la solution n'est pas dans une limitation de la durée des programmes.
Avec l'arrivée des nouvelles techniques : câblages, satellites, magnétoscopes, nous allons subir une pluie équatoriale d'images, une télévision sans frontière et nous n'y pourrons rien.
Il faut plutôt apprendre aux jeunes à ne pas être les esclaves de l'appareil, à le maîtriser, à être des téléspectateurs actifs et non passifs et à s'ouvrir surtout aux autres moyens d'accès à la culture et au délassement.
8*. SUPPRESSION DE L'INCITATION POLITIQUE A LA LUXURE...*
Cette question mériterait un très long développement.
En ce qui concerne la pornographie, il est évidemment essentiel d'en protéger l'enfance.
Pour le reste, nous croyons à la remise en honneur des valeurs familiales. Il est d'ailleurs symptomatique de constater que c'est dans le même mois que le Gouvernement décide du remboursement de l'I.V.G. et de la suppression ou la diminution des avantages aux familles pour la naissance du troisième ou quatrième enfant.
Et ceci me donne l'occasion de répondre à votre neuvième question.
9*. RELÈVEMENT DES ALLOCATIONS FAMILIALES...*
Nous ne demandons pas de voir favoriser les familles nombreuses mais nous demandons qu'elles ne soient plus « défavorisées » comme c'est le cas actuellement.
148:272
C'est le projet de loi Briane qui répond globalement à cette question en prenant en compte également le service que la mère de famille qui reste à son foyer rend à la collectivité en éduquant ses enfants.
10*. VOTE FAMILIAL*
Je ne suis pas partisan du vote familial.
En ce qui concerne votre question, je ne comprends pas que vous sembliez lier le droit de vote à la déclaration de revenus, excluant ainsi les familles du Quart-monde.
12*. REMISE DES ÉGLISES INOCCUPÉES\
AUX CATHOLIQUES TRADITIONNELS QUI LES RÉCLAMENT*
Il y a en Alsace un village qui s'appelle Hulawihr. C'est le même monument qui sert à la fois de temple et d'église le dimanche à 10 heures il est ouvert au culte protestant et à 11 heures au culte catholique.
Je crois que c'est un exemple pour tous ceux qui se réclament du même dieu.
Autant je crois que l'usage des églises et des temples doit être exclusivement réservé aux offices religieux, autant je ne vois aucun inconvénient, bien au contraire, à ce que des églises inoccupées soient confiées aux catholiques traditionnels qui les réclament.
13*. RÉVISION POLITIQUE FONDAMENTALE*
J'avoue ne pas très bien comprendre cette question.
Hitler a commis le pis. C'était un illuminé sadique. Si en juillet 1944, l'attentat contre sa vie avait réussi, tout le régime se serait effondré et c'est sans doute la raison pour laquelle Soljénitsyne a pu écrire que le communisme est plus dangereux que l'hitlérisme.
149:272
Lénine et Staline ont engendré un régime qui se perpétue et qui a livré le pouvoir à un gouvernement de vieillards cooptés et aussi criminels qu'Hitler.
Mais très franchement, je ne vois pas à qui, dans le domaine de l'horreur, il faut accorder la palme ([^56]).
============== fin du numéro 272.
[^1]: -- (1). Numéro 271 de mars. Elle a aussi paru en brochure éditée (discrètement) par l'archevêché de Paris, et dans la *Documentation catholique,* n° 1847 du 6 mars.
[^2]: -- (1). Le sectarisme anti-catholique de Lucien Rebatet, on le sait, est au demeurant une des sources d'inspiration de son œuvre entière.
[^3]: -- (1). Raymond Jeanvrot, sans particule, avait constitué un musée sur Henri V et sa famille à Bordeaux. Membre de l'Académie des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux, il est mort le 5 mai 1966 (cf. annonce dans *Le Figaro*). S.A.R. Ferdinand de Bourbon, duc de Calabre, chef de la famille royale des Deux Siciles, l'avait nommé chevalier du mérite de l'ordre constantinien de Saint Georges le 20 août 1959 (j'ai le rôle de l'ordre sous les yeux). J'avoue que je ne sais ce que la ville de Bordeaux a fait de cette belle collection bourbonienne et trouve bizarre, par ailleurs, qu'on dédie un livre à une personne en lui donnant un nom augmenté d'une particule qu'elle ne porta pas. Légèreté...
[^4]: -- (2). Marie-Thérèse archiduchesse d'Autriche-Este, princesse de Modène, comtesse de Chambord avait une sœur, Marie-Béatrice qui avait épousé don Juan d'Espagne, le chef de la branche carliste, prince... libéral s'il en fut ! Or c'était le successeur obligatoire d'Henri V qui ne pouvait qu'en être désolé. Il le fit cependant présider ses obsèques (d'où la fureur des Orléans et des orléanistes), en compagnie de ses deux fils, don Carlos duc de Madrid, devenu roi carliste en 1868 (par abdication de don Juan) et l'infant don Alfonso, ex-zouave pontifical et ex-chef d'armée carliste dans le nord de l'Espagne ; le fils de don Carlos, le jeune don Jaime, né en 1870*,* était aussi là ; filleul d'Henri V, propriétaire de Frohsdorf, il mourut en 1931 et ses sœurs dispersèrent les souvenirs historiques de navrante façon, la princesse Berthe de Rohan, deuxième femme de don Carlos, se mettant de la partie pour anéantir tout ce qui avait trait au carlisme espagnol ! Par ailleurs, on peut s'étonner que le testament d'Henri V soit aux Archives d'État de Vienne. La chose est due au fait que les Bourbons aînés, comme les Parme, les Bragance, etc. avaient le privilège d'avoir leurs actes enregistrés, non devant notaire, mais bien devant le grand maréchal de la cour. Les archives de ce grand maréchal furent ainsi déposées aux Archives d'État après 1918*.*
[^5]: -- (3). Jésuite vivant à Frohsdorf, ayant servi de précepteur aux fils de la duchesse de Parme (veuve de Charles III duc de Parme et sœur d'Henri V), le P. Bole était haï des orléanistes qui ont déversé des tonnes de stupidités sur lui, car il avait le malheur d'être légitimiste. Il est habituellement considéré comme l'âme damnée de la comtesse de Chambord ; il correspondait, paraît-il, fréquemment avec ses supérieurs... chose horrible pour des Français toujours méfiants devant la Compagnie de Jésus ! Sur ce bon jésuite, estimé d'Henri V et de sa femme, et sur ses idées, cf. ROBINET DE CLÉRY, *Les prétentions dynastiques de la branche d'Orléans. Deux lettres du révérend père Bole, aumônier de Frohsdorf,* Paris, 1910*.* Né à Thise, Doubs, le 20 mai 1810*,* mort à Sion, Valais, Suisse, le 8 janvier 1890*,* Bole faisait partie de la province de Germanie (*La Science historique,* Paris, nlle série, n° 19, sept.-déc. 1959, pp. 91-94, texte du R.P. Paul BAILLY s.j.). Si le père Bole fut confesseur d'Henri V, un autre jésuite eut par la suite un rôle qui eut pu être important : c'est le père Eugène Marquigny, né en 1836 et qui vit, avec l'autorisation de la comtesse de Chambord, toutes les archives d'Henri V : « il y a des trésors ici », écrivait-il, mais il n'eut pas le temps d'écrire la biographie du roi, car il mourut le 28 juillet 1885*,* à Frohsdorf, d'une attaque d'apoplexie et la comtesse de Chambord laissa tomber le projet de biographie (BAILLY, *ibidem*). Par la suite, les archives du château furent pillées lors de la présence des princes espagnols. Au sujet de Bole, cf. encore des lignes utiles de Gérard D'AMARZIT, dans *La Science historique,* n° 24*,* 1963*,* p. 59*.*
[^6]: -- (4). P. 175, parmi les légataires, on voit le comte Henri de Vaussay et il est bien manifeste qu'il s'agit de Vanssay. Des Français n'auraient pas dû laisser passer une telle erreur. De même, Édouard de Cazenova est Cazenove ! Cazenove de Pradines et Vanssay faisaient partie de la « maison du roi » (cf. *Hommage de la Gazette de France à la mémoire du Roi,* Paris, 1883)*.*
[^7]: -- (5). Les inscriptions tumulaires et autres sont trop souvent fantaisistes. Je signale tout spécialement la plaque commémorative mise au palais Strassoldo, à Goritz/Gorizia, en 1981 par les soins du Comité 83*.* Il y est question du duc d'Angoulême (qui fut Dauphin en 1824 puis comte de Marnes en 1830 et même Louis XIX en 1836 !)*,* de Marie-Thérèse de France (elle a droit à prénoms et nom !) duchesse d'Angoulême (pourtant Dauphine en 1824*,* comtesse de Marnes en 1830 et reine en 1836 !) et de leurs neveux Henri comte de Chambord et Louise-Marie d'Artois, Mademoiselle... Or cette dernière fut Mlle de Rosny en 1830*,* avec le nom de Bourbon (et de droit celui de France, dès 1844*,* comme sœur de roi, nom qui lui est donné sur son cercueil) qu'elle utilisa comme duchesse de Parme... Il n'y a que les Autrichiens et les Orléans qui donnèrent jusqu'au bout de l'Artois à Henri V et à sa sœur, ce qui était les minimiser. J'ai déjà abordé ces questions dans *Le Sang de Louis XIV, l'État présent de la maison de Bourbon,* etc.
[^8]: -- (6). J'ai l'impression qu'il ne s'agit pas d'un fer de reliure composé pour le comte d'Artois qui eut aussi les Suisses, car le style me semble plus moderne et le futur Charles X avait aussi le collier de la Toison d'or dans ses armoiries. Le duc de Berry, qui avait lui aussi la Toison d'or, portait des étendards de cavalerie. Cf. H. PINOTEAU, « Notes de vexillologie royale française », 2) « Les drapeaux dans les armoiries des Rois et Princes sous la Restauration 1814-1830 », dans *Hidalguia,* Madrid, n°, 172-173, mayo-agosto 1982, pp. 355-367. On sait par ailleurs que le collier du Saint-Esprit donné par Jacques I^er^ (don Jaime duc d'Anjou et de Madrid, filleul d'Henri V) à Alphonse XIII, le 25 septembre 1931 (Hôtel Savoy, Fontainebleau-Avon), était celui d'Henri V et de Charles X, ce qui confirme que les insignes du vieux roi furent donnés à « Bordeaux ». Encore un mot sur la question pour que l'on comprenne sa complexité : le duc de Bordeaux eut la Toison d'or dans sa jeunesse, avant 1830, mais il ne la portait jamais, n'ayant pas reçu les ordres du Roi (de France). Or, en exil, Louis XIX et Henri son neveu, furent rayés de la Toison d'or par le gouvernement libéral d'Isabelle II, alors que les Bourbons de France ne reconnaissaient que Charles/don Carlos V puis ses fils (don Carlos VI, don Juan), etc. Louis XIX et Henri V n'arborèrent jamais la Toison d'or et le collier de cet ordre ne figura pas aux obsèques de ce dernier Bourbon. C'est en 1834 que don Carlos (V), ses fils don Carlos (VI), don Juan (III) et Fernando furent rayés de la Toison d'or (mesure qu'ils ne reconnaissaient certes pas !) ; deux autres Espagnols étaient aussi rayés. En 1836 était rayé l'infant don Sebastian, puis en 1837 : dom Miguel (ex-roi de Portugal, exilé), Louis XIX, le duc de Bordeaux, Tatischeff, Talaru, Pozzo di Borgo, Villèle, Chateaubriand, Nesselrode, Noailles, Cassaro... et Charles X... mais il était déjà mort ! Je m'arrête là, car trop à dire.
[^9]: -- (7). Pour dire comment on sait lire, le texte est transcrit deux fois :... Saint Louis... Saint Louis... Or il y a St Louis.
[^10]: -- (8). Elle était aussi princesse royale de Hongrie et de Bohême, ceci précisé pour les titres de sa sœur, que l'on voit gratifiée p. 65, en légende de pl. (en réalité fig.) 61 : de Habsbourg-Este. Seigneur !
[^11]: -- (9). Les deux fils de Marie-Béatrice furent donc don Carlos VII duc de Madrid (le Charles XI des légitimistes) et don Alfonso (Carlos, le Charles XII des légitimistes) ; l'aîné eut des filles qui dispersèrent les souvenirs comme je l'ai déjà écrit, et un fils (don Jaime, Jacques I^er^) qui ne put jamais se marier pour de nombreuses raisons ; le cadet mourut sans postérité en 1936, laissant l'aînesse de la maison de Bourbon à Alphonse XIII. L'archiduc Ferdinand, mort en 1849, donc bien avant son frère aîné, le dernier duc de Modène, François V (détrôné en 1859, mort en 1876), fut donc le père d'une archiduchesse Marie-Thérèse, qui fut l'épouse de Louis III roi de Bavière (détrôné en 1918) : leur petit-fils, S.A.R. Mgr Albert, duc de Bavière, chef de sa maison royale, est ainsi le représentant des droits des Stuart qui avaient transité à travers les Orléans, les Savoie et les Autriche-Este-Modène jusqu'à la reine de Bavière... ce qui n'empêche pas cet auguste prince de recevoir chez lui, pour une tasse de thé, la reine Élisabeth II voyageant en Allemagne, il y a de cela quelques années. Quand on pense aux milliers de civils et soldats qui se sont fait tuer pour les Stuart catholiques, on croit rêver !
[^12]: -- (10). Louis XVI mit du temps à avoir quatre enfants. Louis XVIII n'en eut pas ; Charles X n'en eut que deux qui devinrent adultes, l'aîné (duc d'Angoulême) n'en eut pas de la fille de Louis XVI et le cadet (duc de Berry) fut un père prolifique, ayant de nombreuses maîtresses, mais il n'eut que deux enfants légitimes devenant adultes, la duchesse de Parme qui n'eut le temps que d'avoir deux fils et deux filles et Henri V qui n'eut pas de postérité.
[^13]: -- (11). G. LENÔTRE, *La fille de Louis XVI...,* Paris, 1924, p. 213. Le prince de Gavre était grand-maître de la maison organisée pour la princesse par l'empereur François II.
[^14]: -- (12). On retrouve des lettres signées ainsi, ou « Marie-Thérèse Charlotte de France » dans l'ouvrage de LENÔTRE, cité n. 11.
[^15]: -- (13). Sur l'étrange mentalité du prince Sixte de Parme (mort en 1934), cf. H. PINOTEAU, *L'héraldique capétienne en* 1976*,* Paris, 1977, pp. 41-46.
[^16]: -- (14). Comte René DE MONTI DE REZÉ, *Souvenirs sur le comte de Chambord,* Paris, 1930, p. 233* :* Chevigné est avec les orléanistes, ce qui ne se discute même pas pour les deux autres. Monti de Rezé est un orléaniste qui a laissé des souvenirs partiaux mais d'intérêt quand on sait les lire (ils ont d'ailleurs été dictés à quelqu'un de peu familier avec ce genre de questions, car la transcription de nombreux noms est phonétique).
[^17]: -- (15). Pierre de Luz était en réalité le comte Pierre de la Blanchetaie, mort en sept. 1956 à l'âge de 62 ans ; diplomate, il fut épuré en 1945 et il écrivit plusieurs ouvrages, dont un sur Isabelle II qui est une somme de fables injurieuses pour la reine et une honte pour lui.
[^18]: -- (16). Il eût été souhaitable que l'auteur, ayant cherché dans les archives d'État de Vienne, ait aussi produit la lettre de Louis XIX à l'empereur d'Autriche, après la mort de Charles X.
[^19]: -- (17). Baron d'HAUSSEZ, *Mémoires,* Paris, 1897*,* t. 2, p. 347*.* Le baron, né Charles Lemercier de Longpré (1778*-*1854)*,* fut un excellent ministre de la marine en 1829*-*1830*,* dans le ministère Polignac. « Il dirigea avec une grande habileté les préparatifs de l'expédition d'Alger »... dit Lalanne, mais il eut le malheur de contresigner les ordonnances de juillet 1830*,* put s'enfuir en Angleterre (d'où la rencontre en question), fut condamné par contumace par la cour des pairs et ne revint en France qu'après l'amnistie de 1837*.*
[^20]: -- (18). (Victoire DE KERMEL comtesse DE CATHELINEAU, son épouse), *Le général comte de Cathelineau. Sa vie et ses mémoires,* Rome, Paris, Lille, Bruxelles (1892 ?), ouvrage qui n'est pas à la Bibliothèque nationale, si je ne me trompe pas. On trouvera pp. 429-431 le récit des obsèques de la reine d'après le *journal de Paris,* du 11 avril 1886, article d'Henri MARCHAND.
[^21]: -- (19). Bien entendu, je ne rêve pas en disant que le 8^e^ jour avant les calendes est en réalité le 7^e^. Voyez le calendrier romain. Le jour d'avant les calendes d'avril, ou veille, est le 31 mars ; le jour d'avant est le 30 mars ou III C, etc. et ainsi le VIII C, ou VIII Kal. Apr., est le 25 mars. Cf. M. N. BOUILLET, *Atlas universel d'histoire et de géographie,* Paris, 1865, pp. 44, 51.
[^22]: -- (20). Vicomte DE LA ROCHEFOUCAULD, puis duc DE DOUDEAUVILLE, *Mémoires,* Paris, 1864, pp. 247-248 et avant dans : *Pèlerinage à Goritz,* Paris, 1840, p. 21. Henri ARSAC, *Goritz, Frohsdorf ou les stations de* l'exil, Nancy, 1884, t. 1 (et unique), p. 73 : la chapelle de la Castagnavizza (ou châtaigneraie) est une église dédiée à la Ste Vierge, et p. 77, à la Vierge Marie, mère de Dieu ; une chapelle, au-dessus du caveau royal, est dédiée à Notre-Dame du Mont-Carmel.
[^23]: -- (21). Zita est la forme italienne, puis autrichienne du prénom de cette princesse de Parme, donné en l'honneur de sainte Zite, née vers 1218 au diocèse de Lucques, servante à 12 ans et ainsi patronne des servantes, morte en 1272, si j'en crois *Ecclesia* (*encyclopédie populaire des connaissances religieuses*)*,* Paris, 1948, p. 1131. Ayant assisté au mariage de S.A.I.R. l'archiduc d'Autriche-Este (Robert, frère cadet d'Othon évoqué au sujet de la p. 153) qui eut lieu à Brou en 1953, je me souviens qu'on avait demandé aux Français présents de ne pas parler de l'impératrice reine Zita, mais bien Zite.
[^24]: -- (22). Roi de France et d'Espagne en pur droit, Jacques I^er^/don Jaime était un ancien officier... russe ! Il s'était couvert de gloire lors de divers épisodes de la campagne contre les Boxers, puis lors de la guerre russo-japonaise, mais en devenant chef de la maison de Bourbon, à la mort de son père (Charles XI/don Carlos VII, duc de Madrid, 1909), il ne pouvait rester le « capitaine de Bourbon » au service russe. Il abandonna donc le service et l'empereur Nicolas II le fit colonel honoraire des hussards de Grodno... qualité impossible à porter quand l'Autriche et la Russie furent en guerre ! C'est ainsi que don Jaime fut longtemps assigné à résidence dans Frohsdorf et qu'il faisait connaître sa position favorable aux Français et aux Britanniques, alors que les carlistes étaient pour les empires centraux (cette position entraîna des mouvements divers dans le carlisme quand elle fut connue en 1918-1919 !). Sur ce prince si français, et jugé tel par Pierre LOTI qui le rencontra à Nagasaki en 1901, voir en particulier *La seconde jeunesse de Mme Prune,* Paris, 1905, p. 127 sq., p. 150 sq. : « C'est, en somme, un Français. »
[^25]: -- (23). Sainte Anne est patronne de Bretagne et comme le déclara le curé de la Turballe, en son sermon du dimanche suivant, ce fut aussi « La grand-mère d'un p'tit gars émigré », en Égypte s'entend...
[^26]: -- (24). Qui m'en voudra de livrer à la postérité le texte de ces écriteaux ? Le voici donc avec ses majuscules abusives : « Le Comte de Chambord en 1872 ou le duc de Bordeaux, se déclarait candidat au trône de France. Les Royalistes de l'Ouest, qui rêvaient d'une restauration à son profit, prirent l'habitude de venir prier pour lui à Ste Anne le jour anniversaire de sa naissance qui se trouvait être le 29 septembre. Ils faisaient célébrer, pour lui, une Messe à 11 h, après midi ils tenaient réunion. La fête de St Michel, le siècle dernier, était une fête à grande solennité. Toutefois elle risquait de n'être plus qu'un rassemblement royaliste, ce qui ne manqua pas d'inquiéter la Direction du Pèlerinage de Ste Anne. En 1883, mourait le Comte de Chambord et avec sa mort s'effondraient tous les espoirs. En souvenir d'Henri V les Royalistes décidèrent d'ériger un monument en son honneur. Ce fut *M. Deperthes, architecte de la basilique* (souligné dans le texte) « qui se chargea du plan en fonction de 5 Statues faites prématurément ». (Henri V est à genoux en manteau de sacre, la couronne posée devant lui, sur un coussin !) « On commença par commander les 5 pièces de bronze à un artiste de Nantes. En 1889, le Monument était érigé. » Autre écriteau : « On doit reconnaître que le Monument a fière allure avec son énorme piédestal en granit monté sur une imposante base en gradins également en granit. Au sommet, le *Comte de Chambord* à genoux face à Ste Anne. » (L'église est assez loin. En gros 1*,*5 km.) « Près de lui, la couronne d'Henri V qu'il ne porta pas, peut-être pour avoir échoué, lui-même la tentative de restauration prévue *en refusant d'accepter le drapeau tricolore de la Révolution* à la place du drapeau fleurdelisé de la Monarchie. » (Le style n'est pas heureux et la monarchie, ou la France royale, en soi, avait un drapeau à terre, ou un pavillon à la mer, tout blanc, sans fleurs de lis.) « Sur le côté du piédestal, face à la basilique, Jeanne d'Arc -- dos à dos Ste Geneviève. Côté Nord le connétable Bertrand Duguesclin qui perdit la bataille d'Auray le 29 Sept. 1364. » (Charmant souvenir ! Le duc de Bretagne de la lignée de Montfort en mit S. Michel dans sa symbolique !) « Face au Sud, Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche. Ces statues portent la signature de *Caravanier* (...) Elles sont impressionnantes de virilité et de majesté. Ces statues auraient coûté 70000 F (...) Autrefois un concierge assurait l'entretien et y mettait des fleurs. » Cette transcription faite avec les photos sous le nez, est d'intérêt par ce qui est dit ou caché. Éric MURAISE, *Sainte Anne d'Auray et la Bretagne,* Paris, Fernand Lanore ; 1980 (cf. mon commentaire dans ITINÉRAIRES, n° 255, juil.-août 1981 : pp. 157-158) a donné quelques pages sur ce monument, et laissé son imagination féconde errer à loisir. Il est situé par rapport à Auray sur le plan de la p. 44 ; le grand axe de l'enclos a dans les 200 m de long.
[^27]: -- (25). Je conseille à toute personne voulant visiter la région (Quiberon, Auray et sa Chartreuse, mais pas Sainte-Anne d'Auray, le monument d'Henri V et le Champ des martyrs) la belle carte 0821 est au 1/25.000, de l'I.G.N. (Sainte-Anne d'Auray, etc. en 0820 est). La carte orthographie Kergroix et Keridenvel les deux localités dont je parle ; les autres lieux cités par Le Garrec pour situer la Fosse aux martyrs ne sont pas indiqués mais il semble bien que l'endroit même soit à Port Bara. Voir aussi pour cette histoire le petit livre de Job DE ROINCÉ, *Le drame de Quiberon,* impr. Rennes, 1976 : il qualifie Hoche de Ponce-Pilate, car il se défila très lâchement.
[^28]: -- (26). Mgr Amédée CURÉ, ancien aumônier de M. le comte de Chambord, camérier d'honneur de S.S. Léon XIII et de S.S. Pie X, chanoine honoraire de Châlons (Marne), *M*. *le comte de Chambord et sa sainteté Léon XIII ; observations sur les* « *Mémoires* » *de Mme de la Ferronays,* Paris, 1904* :* ce prélat était tout à fait légitimiste, mais ne cachait pas les énormes obstacles. Il allait jusqu'à dire que la loi salique désignait les Anjou (c'est-à-dire les Bourbons aînés), mais qu'elle était tombée en désuétude, le peuple ayant la liberté de se choisir un souverain. De toutes façons, Henri V était lié par la loi salique, et ne pouvait innover en rien. Sur le trône, à l'aide des États généraux ou par plébiscite, il aurait peut-être pu modifier l'ordre successoral... Curé va jusqu'à dire : « Les peuples ont toujours les gouvernements qu'ils méritent. S'ils veulent avoir un meilleur gouvernement, qu'ils deviennent meilleurs eux-mêmes, et que, par leurs prières et leurs bonnes œuvres, ils fassent violence au Ciel et en obtiennent des princes selon le cœur de Dieu » (p. 78). Si un lecteur me trouve ce livre, je suis prêt à le lui payer un bon prix ! Le 26 août 1883*,* dans la chapelle de Frohsdorf, A. Curé saluait « les princes qui sont les héritiers de son nom et de son sang » (à Henri V), or, étaient présents le duc de Madrid et son frère Alphonse, le duc de Parme et son frère le comte de Bardi (*Allocutions prononcées dans la chapelle royale de Frohsdorf après la mort de M. le comte de Chambord le 26 août et le 2 septembre* 1883*,* Paris, 1884). Cette allocution était d'autant plus précise que l'orateur avait commencé par dire : « Mais ne pouvons-nous pas désirer que Dieu lui rende la vie d'une autre manière ? Oui, mes frères, nous pouvons désirer que Dieu le fasse revivre dans les princes... » etc. On ne pouvait guère être plus précis, alors qu'il n'y avait aucun Orléans sur place. Né à Vouillers, Marne, le 23 janvier 1838*,* mort à Frohsdorf, le 8 octobre 1905*,* Curé fut un excellent et très pieux prêtre. (J. LEISTLER, *Un prêtre modèle au XIX^e^ siècle. Monseigneur Alex-Amédée Curé, aumônier de Mgr le comte de Chambord,* Paris, Lille, 1908*.*)
[^29]: -- (27). Le marquis DE BELLEVAL en son livre *Souvenirs contemporains,* Paris, 1900, montre l'énorme travail du courrier. Le prince rédigeait tout à la main (p. 141)*.*
[^30]: -- (28). GYP (Sybille DE RIQUETTI DE MIRABEAU, comtesse DE MARTEL), « Souvenirs d'une petite-fille, VI Une visite à Frohsdorf », dans la *Revue des deux mondes,* Paris, 11 août 1927, pp. 616*-*638*.* Selon cette dame (1850*-*1932)*,* elle serait allée avec son père à Frohsdorf et alors bambine, ou presque, n'aurait pas caché au roi qu'elle était pour Napoléon III. C'était à l'automne 1859 et les témoignages donnés sont assez pénibles, que ce soit de la bouche de Maxence de Damas ou même d'Henri V : le roi pense qu'il ne régnera jamais, que cela n'a pas d'importance car il n'a pas d'héritiers, que la royauté est une chimère, etc. Il serait étonnant que le père de l'auteur et celle-ci aient entendu autant de témoignages précis en si peu de temps, alors que le roi ne parlait jamais de la question de succession, etc. Comment la femme adulte a-t-elle interprété les souvenirs de l'enfant de neuf ans ?
[^31]: -- (29). Petit drapeau blanc fleurdelisé, orné des armes de France et frangé d'or, à lui offert par les dames de Bordeaux en 1872*.* On ne sait où se trouve cet emblème, par contre le drapeau des Volontaires de l'Ouest est au musée de Loigny-la-Bataille (Eure-et-Loir).
[^32]: -- (1). MARTIN CHOWEL : *Luis Navarro Origel, el primer cristero,* Éd. Jus, Mexico 1959.
[^33]: -- (2). *Memorias de Maria Toral de De Leon, madre de José de Leon Toral,* Éd. Tradicion, Mexico 1972.
[^34]: -- (3). Antonio RIUS FACIUS : *Mejico cristero,* Éd. Patria, Mexico 1966.
[^35]: -- (4). Cité par J. MEYER : *Apocalypse et révolution au Mexique.*
[^36]: -- (5). Luis RIVERO DEL VAL : *Entre las patas de los caballos,* Éd. Jus, Mexico 1953.
[^37]: -- (6). D'après *Apocalypse et révolution, op. cit.*
[^38]: -- (7). SPECTATOR : *Los Cristeros del Volcan de Colima, Éd. Jus.* Mexico 1961.
[^39]: -- (8). Association Catholique de la jeunesse Mexicaine.
[^40]: -- (9). Assassiné après les « Arreglos ».
[^41]: -- (10). Jean MEYER : *La Christiade,* Payot, 1975.
[^42]: -- (1). Louis XV avait un fils, Louis dauphin de France, qui épousa Marie-Josèphe de Saxe, d'où Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Marie-Josèphe était fille de Frédéric-Auguste III roi de Pologne, duc de Saxe, qui eut une autre fille, Marie-Amélie, épouse de Charles III, d'où Charles IV et Ferdinand I^er^
[^43]: -- (2). Le testament du roi vient d'être réédité en fac-similé et en imprimé, en compagnie de la dernière lettre de Marie-Antoinette à sa belle-sœur, Mme Élisabeth, elle aussi en fac-similé et en imprimé, par le Mémorial de France à Saint-Denys. Ce dernier a mis dans la même publication, la prière composée par Mme Élisabeth au Temple : « Que m'arrivera-t-il aujourd'hui, ô mon Dieu... » Ce texte n'est pas de cette princesse, lui étant antérieur. Dans un petit livre paru chez Auguste Seguin, à Montpellier, en 1814*,* il est très exactement dit dans le titre, fort long : *Vœu du roi-martyr Louis XVI ; par lequel il consacre sa personne, sa famille et son royaume au Sacré Cœur de Jésus, etc., suivi des paroles qu'il adressa à Mme Royale le jour qu'elle fit sa première Communion : de la prière que la Reine de France faisoit réciter à son jeune fils le Dauphin, dans la tour du Temple ; et de celle que Madame Royale, aujourd'hui Duchesse d'Angoulême, disoit chaque jour dans la même prison.* On trouve le texte de cette dernière prière pp*.* 22*-*23*,* augmenté de la note : « Quelques personnes ont prétendu que cette prière étoit celle de Madame Élisabeth. C'est une erreur. » Autrement dit, un libraire assez renseigné pour publier de tels textes touchant la famille royale, et donc renseigné aux meilleures sources (sans doute la duchesse d'Angoulême elle-même), affirme que la prière « Que m'arrivera-t-il aujourd'hui, ô mon Dieu... » n'était pas de Madame Élisabeth et même qu'elle fut récitée par Madame Royale. Ce qui ne veut pas dire que Madame Élisabeth l'ignorait. Elle l'a même peut-être apprise à sa nièce, mais n'en était point l'auteur. On peut à ce sujet lire ce qu'écrivent Maurice de La Fuye, Émile-Albert Babeau dans leur *Madame Élisabeth* (P*.* Lethielleux éditeur, Paris, 1957, pp. 197-198) : la princesse permit à Hüe de copier « sa prière habituelle, dont la composition lui a été longtemps attribuée »... Cette prière existait dans un ouvrage de Gabriel Nicollet, *Le parfait adorateur du Sacré-Cœur de Jésus* paru en 1772*,* la princesse s'étant bornée à ajouter quelques mots pour en renforcer l'application à sa situation ; j'ai compté neuf : « je l'ignore... pour être tranquille... dans nos maux ». Par contre, Madame Élisabeth écrivit une consécration au. Sacré Cœur de Jésus (*ibidem,* p. 223, n. 1). Espérons que la princesse sera un jour sur les autels.
Ayant évoqué au passage le Mémorial de France à Saint-Denys, Société des amis de la basilique, je précise que c'est l'association culturelle qui veille sur l'ancienne nécropole de nos rois, reines et princes. Fondé en 1914 lors des commémorations de Bouvines, le Mémorial fait dire chaque année une messe pour Louis XVI et une autre pour Marie-Antoinette. De plus, avec l'argent des cotisations et des festivités (conférences, etc.) données durant l'année, le Mémorial aide souvent à des réparations dans l'église, à la confection d'objets (nouveau reliquaire de saint Louis, par exemple), etc. L'actuel président est M. Jacques de Bauffremont-Courtenay, duc et prince de Bauffremont. L'adresse de cet organisme : 36, rue du Laos, 75015 Paris.
[^44]: -- (3). L'allocution consistoriale prononcée le 17 juin 1793 par le pape, ou mieux par son ordre, sur la mort de Louis XVI, est du plus grand intérêt. Dans cet acte officiel, le pape (qui le fit lire par un tiers) déclare que le roi est mort à la suite d'une conjuration impie et compare son destin à celui de Marie Stuart. Louis XVI a été condamné « en haine de la religion catholique » et on peut être humainement persuadé qu'il est mort martyr, encore que le Saint-Siège ne se soit pas formellement prononcé par jugement. Ce texte a plus d'une fois été imprimé, dans les recueils officiels de la papauté et ailleurs. Le texte latin et le texte français figurent dans un petit livre édité par Édouard Privat, illustre éditeur de Toulouse, et en 1917 : *Un document révélateur, Allocution consistoriale du pape Pie VI sur la mort de Louis XVI.*
[^45]: -- (1). Je signale, à toutes fins utiles, l'ouvrage même W. H. RÜDT DE COLLENBERG sur un sujet connexe, et magistralement traité : « Les Lusignan de Chypre », Leucosie, 1980 (*Epetéris,* t. X, 1979-1980, pp. 85-319 tirées à part pour faire un volume).
[^46]: -- (2). Dès la troisième bataille de Ramla (27 août 1105), on voit apparaître deux caractéristiques fondamentales de la symbolique hiérosolymitaine : l'étendard blanc du roi et la relique de la Vraie Croix, c'est-à-dire un reliquaire en forme de croix, comportant du bois de la Croix, et brandi, probablement au bout d'une perche, par un prélat d'importance. Lorsque les armes du royaume et du roi apparaîtront au XIII^e^ siècle, elles montreront un champ blanc (ou d'argent), chargé d'une croix d'or potencée, parfois semée de joyaux, et par la suite accompagnée de croiselles d'or. C'était l'émouvant souvenir de la Vraie Croix, palladium du royaume de Jérusalem, perdu lors de la lamentable défaite de Hattîn, quand Saladin fit prisonnier le roi Gui de Lusignan, prélude à la chute de Jérusalem (4 juillet 1187). Roi de Jérusalem de droit, par investiture pontificale datant de 1738, le roi des Deux Siciles est le légitime porteur de ces armes qui évoquent tant de grands souvenirs. A notre époque, ce roi. est S.A.R. Mgr Charles de Bourbon, duc de Calabre, qui réside à Madrid. Le destin lui a fait présider le récent XV^e^ Congrès international des sciences généalogique et héraldique, tenu à Madrid en septembre dernier. Sur les armes de Jérusalem, que Baudouin IV ne porta probablement pas, l'héraldique étant tardive en Terre Sainte : H. PINOTEAU*,* « L'héraldique de saint Louis et de ses compagnons ». Paris, 1966 (*Les cahiers nobles*, n° 27), pp. 36-38, etc. (les dessins sont de Claude Le GALLO) ; du même auteur : « La date de la cassette de saint Louis été 1236 ? » (dans *Cahiers d'héraldique* Le Léopard d'or, Paris, 1983, n° IV).
[^47]: -- (1). Ce « ratissage » par l'UDF et le RPR, c'est pourtant bien ce qui était prévisible pour de multiples raisons ; et c'est ce qui s'est effectivement produit. Le Front national et de son côté le PFN ont finalement présenté fort peu de listes. Jean-Marie Le Pen a personnellement fait une brillante campagne dans le XX^e^ arrondissement de Paris. L'acharnement que les leaders de l'opposition parlementaire ont mis à l'écarter l'a empêché d'être élu « conseiller de Paris », il est seulement « conseiller d'arrondissement ». Presque partout l'UDF et le RPR ont refusé tout accord, même limité, avec les mouvements nationaux non représentés au parlement. On se souvient que le parti républicain s'est spécialement distingué en refusant (pas moins) de répondre à notre enquête. -- Il est manifeste que le RPR et l'UDF *ont peur* d'être accusés d'extrémisme (etc.) par les socialo-communistes s'ils ne se mettent pas eux aussi à excommunier l' « extrême-droite ». Cette lâcheté ne leur sert de rien. Le président de l'Assemblée nationale Louis Mermaz, parlant ès-qualités, n'en a pas moins dénoncé les élus de l'UDF et du RPR comme des « subversifs » et des « racistes », et Bérégovoy, l'homme du président Mitterrand, comme des « factieux ». Jacques Chirac a eu beau faire contre Jean-Marie Le Pen des déclarations incroyablement hostiles, Mermaz n'en a pas moins prononcé la sentence : « *Derrière Chirac se profile l'ombre de Le Pen. *» A quoi Jean Madiran a répondu dans PRÉSENT du 12 mars : « *Mais derrière les socialistes au pouvoir, ce n'est pas l'ombre, c'est la réalité du KGB qui s'avance, et c'est Fiterman aux transports. A côté de l'appareil communiste international installé au cœur du gouvernement français, l'ombre de Jean-Marie Le Pen est parfaitement débonnaire. *» (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^48]: -- (2). Nous ne nous battrons pas pour le maintien des subventions à la CFDT. Toutefois le cas de celle-ci n'est pas purement et simplement assimilable à celui de la CGT, laquelle ne se contente pas de « prétendre sortir de son rôle syndical ». La CGT est une stricte courroie de transmission (au sens léniniste) du PCF. ; et elle est la couverture syndicale des milices communistes. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^49]: -- (3). Avant de redistribuer, commencer par ne pas prélever, établir le quotient familial à une part par enfant : excellente proposition que nous introduirons désormais dans la formulation de notre revendication n° 9. Celle aussi, qui devrait aller de soi, que les allocations familiales soient réservées aux familles françaises. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^50]: -- (1). André Diligent veut sans doute parler, en réalité de sa *réponse* et dire qu'elle *a paru*. -- Il ne répond, pas, comme s'il n'avait pas entendu, sur le point qui concerne les doctrines de Louis Salleron relatives à la diffusion de la propriété ; doctrines qui sont tout de même autre chose que la vaine et trompeuse formule de Giscard d'Estaing. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^51]: -- (2). L' « enseignement secondaire » n'est déjà que trop surchargé de connaissances théoriques prétendument pratiques. Au point qu'il n'y a justement plus d' « enseignement secondaire ». (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^52]: -- (3). Les syndicats n'ont pas seulement des libertés. Ils ont des privilèges. Bénéficier de subventions gouvernementales n'est pas un droit naturel ; la suppression des subventions n'est pas attentatoire à la liberté. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^53]: -- (4). André Diligent paraît ignorer que c'est *la loi* qui distingue entre les syndicats, en définissant les conditions auxquelles leur conférer la « représentativité ». Si cela est *discrimination* coupable, il faut alors changer la loi. Mais il faudrait aussi ne pas s'élever contre cette « discrimination » seulement à l'idée que la CGT en serait éventuellement atteinte, et supporter sans bouger qu'elle frappe très réellement la CSL... (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^54]: -- (5). Il ne s'agit pas dans nos propositions de « remettre en cause l'essentiel », mais d'abord de s'apercevoir que nous en sommes privés. Il n'existe pas en France une convenable « reconnaissance respective des droits et des devoirs de l'État, comme des devoirs et des droits de la famille ». (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^55]: -- (6). André Diligent paraît ne pas comprendre du tout ce que déclare notre revendication n° 6. C'est que, tout autant que les idées de Louis Salleron sur la diffusion de la propriété, il paraît ignorer les *Libertés universitaires* de Jean Rolin et *Culture, École, Métier* d'Henri Charlier ; et même l'encyclique *Divini illius Magistri* exposant la doctrine de l'Église en la matière. On a beau le savoir d'avance plus ou moins, on est toujours étonné de constater à quel point la classe politique peut se tenir en marge du mouvement des idées : comme si elle n'était renseignée là-dessus que par Bernard Pivot, Christine Ockrent ou Philippe Tesson. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^56]: -- (7). Il ne s'agissait pas de décerner la palme de l'horreur. Il ne s'agissait pas non plus *seulement* de l' « horreur ». D'autre part il est bien dommage qu'André Diligent, comme la quasi-totalité de la classe politique, n'ait pas lu (ou pas compris) Soljénitsyne : il y aurait trouvé les raisons pour lesquelles le communisme est bien pire et beaucoup plus dangereux que l'hitlérisme. Et ainsi André Diligent n'en serait pas réduit à faire là-dessus une hypothèse explicative (d'ailleurs futile). -- Le secrétaire général du CDS n'a pas répondu à notre point 11 ni à notre point 14. (Note d'ITINÉRAIRES.)