# 274-06-83
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## ÉDITORIAL
### Le printemps des évêques rouges plutôt que morts
par Hugues Kéraly
C'EST LE PRINTEMPS des évêques en Occident : ils ont trouvé quelque chose à dire aux hommes de notre temps. Quelque chose enfin à croire et enseigner. Depuis le temps qu'ils s'acharnent, sur le chantier des démolitions liturgiques, dogmatiques, sacramentelles, ils commençaient peut-être à s'ankyloser, manquer de cœur à l'ouvrage ou de matière première à pulvériser. Leur nouvel objectif tient en peu de mots. Il vise un domaine politique, moral, militaire, et s'adresse exclusivement aux bastions du monde libre sur l'ancien et le nouveau continent.
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Concrètement : -- *Rendez-vous sans attendre, au nom de la paix dans le monde, des droits-de-l'homme et de la démocratie*... C'est l'évangile du désarmement, ils le couvaient sans doute depuis longtemps, mais ne s'en cachent plus aujourd'hui. Nous l'avons vu prêcher, en l'espace de quelques jours, dans cinq ou six endroits différents.
**1. **-- BONN, 27 AVRIL 1983 : LES ÉVÊQUES OUEST-ALLEMANDS DISCRÉDITENT LA DISSUASION NUCLÉAIRE. Leur *Lettre pastorale sur la paix*, antérieure à la dernière version de celle des Américains, est rendue publique par le cardinal Joseph Hoeffner, président de la conférence épiscopale, avec toute la solennité requise pour un coup d'éclat. En effet : «* On ne peut pour l'instant renoncer à la force militaire comme élément d'une politique de sécurité. Mais la dissuasion nucléaire n'est pas un élément fiable à long terme pour prévenir la guerre. *» Le vocabulaire utilisé indique que les évêques se prononcent bien ici sur la crédibilité technique des menaces nucléaires. Pour dire une chose énorme, contredite à angle droit par toute l'histoire du monde contemporain : depuis 1945, spécialement dans l'Allemagne du cardinal Hoeffner, c'est la menace atomique qui fait respecter le « partage » de Yalta ; à défaut de paix véritable, c'est elle qui nous protège contre l'invasion. En Asie, en Afrique, en Amérique centrale, où cette menace ne joue pas, l'état de guerre entretenu par les Soviétiques est permanent. Il leur permet d'annexer au goulag, depuis 1975, plusieurs pays par an ; avec un nombre de victimes déjà très supérieur à celui des deux dernières guerres mondiales réunies... « *A l'ère des armes nucléaires*, déclarent encore les évêques allemands, *la guerre ne peut plus être un instrument de la politique*. » Moscou cependant n'en connaît pas d'autre, et personne jamais n'a mis de frein aux prétentions du barbare en désarmant le civilisé.
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Entre l'espérance du « long terme » et les cruelles exigences de l'heure, le document épiscopal finit tout de même par concéder quelque chose à l'armée : la «* tolérance morale de la dissuasion *». Mais cette tolérance elle-même, qui discrédite déjà comme un mal provisoirement nécessaire les vertus de défense présentées par la théologie catholique (et honorées dans l'Évangile) comme un bien, se trouve bridée dans son exercice par «* les plus sévères conditions *» :
a\) Le choix des armements ne doit rendre la guerre ni plus «* réalisable *» ni plus «* vraisemblable *». -- Les missiles déclarant la guerre à la place des hommes, voilà qui est nouveau. Les prélats allemands lisent trop de bandes dessinées. Ils feraient mieux de désigner l'agresseur, si proche de les étrangler, son industrie de guerre et sa volonté de domination, comme causes directes du surarmement mondial. La foi chrétienne ne demande pas de moraliser sur des imaginations.
b\) Les moyens de guerre doivent être ramenés «* au niveau le plus bas *». -- Merveille : c'est le dernier mensonge de la propagande soviétique, dans les négociations de Genève sur les missiles européens ! Avec un seul objectif, le désarmement unilatéral de l'Occident. La manipulation des mouvements pacifistes est aujourd'hui le rouage essentiel du plan, où les évêques allemands engagent (unilatéralement) ce qui leur reste d'autorité.
c\) Les moyens militaires doivent être «* compatibles avec les objectifs d'un désarmement *». -- Jusqu'ici, on demandait surtout aux moyens militaires, en tant que tels, d'être compatibles avec les objectifs d'une défense nationale. Qui se déterminaient d'eux-mêmes, en fonction des menaces accumulées aux frontières par l'ennemi. Le seul objectif militaire conforme au droit naturel et chrétien, face au Pacte de Varsovie, c'est d'être *plus fort* que lui. Pour préférer la tragi-comédie de Genève aux réalités du surarmement soviétique, il faudrait d'abord que le communisme ne soit pas ce qu'il est.
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**2. -- **SANTIAGO, 28 AVRIL : L'ÉPISCOPAT CHILIEN CONDAMNE LA « DOCTRINE DE SÉCURITÉ NATIONALE ». Ce n'est pas encore une déclaration de guerre au gouvernement du général Pinochet. Mais les propos de Mgr José Manuel Santos, président du conseil épiscopal, définissent bien deux camps : « *Nous avons un grand respect pour la personne humaine, tandis que les autorités mettent l'accent sur la défense de l'ordre public. C'est la source de nombreux conflits. *» Pour comprendre comment le « respect de la personne humaine » peut engendrer des conflits avec un gouvernement chrétien, il faut savoir ce que cette formule implique dans l'esprit des évêques du Chili : le retour aux affaires des partis et syndicats politiques, spécialement révolutionnaires, et l'arrêt de la lutte contre la subversion.
En attendant, l'Église chilienne fait tout ce qui est en son pouvoir pour préparer l'avènement de la « démocratie », c'est-à-dire abriter les réseaux clandestins et donner la parole aux opposants. Elle y dispose -- nous l'avons constaté sur place -- de moyens puissants : une radio (point du tout clandestine), d'innombrables publications (en vente libre dans les kiosques), des associations, les paroisses, les collèges, etc.
Monica Madariaga, le ministre de l'éducation, n'hésite pas à accuser l'épiscopat chilien dans son ensemble de *trahison envers la patrie.* Elle met en cause « l'influence marxiste évidente » des ouvrages scolaires édités par les jésuites et les Salésiens, et annonce une révision de tous les documents utilisés en cours de religion... Le conseil épiscopal lui a fait savoir aussitôt qu'il n'acceptait pas d'ingérence extérieure dans « la mission des évêques » -- pour restituer le Chili à la Révolution ? -- et l'affaire est montée au plus haut niveau. Le gouvernement chilien déclare en effet aujourd'hui que « *sa mission de veiller au plein exercice et au respect des valeurs patriotiques lui impose le devoir de s'opposer à ceux qui veulent les dénaturer et les affaiblir *». La réplique est bien douce si l'on songe que, depuis septembre 1973, l'activité principale du clergé chilien consiste à faire campagne contre la Constitution chrétienne et la *paix de l'ordre* rétablies par le général Pinochet.
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Mais c'est la première fois qu'un gouvernement occidental lance un avertissement de cette nature à l'épiscopat. Pour la première fois aussi, la *Junta militar de gobierno* se reconnaît publiquement un « devoir d'opposition » contre la subversion interne du clergé : jusqu'ici, lorsqu'un prêtre était pris en flagrant délit de complicité dans un réseau terroriste, on se contentait de l'expulser en catimini.
**3. -- **CHICAGO, 3 MAI : LES ÉVÊQUES AMÉRICAINS RÉCLAMENT LE « GEL » DES ARMEMENTS ATOMIQUES. En pleine communion d'utopie avec leurs confrères allemands, qui dissertent sur la nocivité des armes pour faire silence sur la responsabilité des hommes, ils déclarent que « les arsenaux nucléaires menacent de détruire l'ordre de la Création » et qualifient d'*immoral* le recours à l'arme atomique, dans tous les cas : agression ou riposte, représailles ou prévention, défense du sanctuaire national ou engagement extérieur au service des puissances alliées. Le document épiscopal demande l'arrêt immédiat et « vérifiable » des *essais*, de la *production* et du *déploiement* d'armes atomiques par les États-Unis et l'Union soviétique. Compte tenu de la situation actuelle des deux « blocs », il est clair que sa sphère d'influence se limite aux catholiques américains, qui constituent aujourd'hui la première communauté religieuse des États-Unis.
Dans PRÉSENT du 5 mai ([^1]), Jean Madiran écrit : « La tendance radicale qui l'emporte ainsi est celle qu'anime le récent archevêque de Chicago, encore plus récent cardinal, Mgr Joseph Bernardin, président du comité de rédaction. Son élévation cette année au cardinalat avait peut-être pour intention de le modérer ? En ce cas, c'est raté.
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Elle a été perçue au contraire comme une approbation de ses positions extrémistes en matière de pacifisme et de désarmement, et elle explique la radicalisation de l'épiscopat américain, persuadé maintenant qu'il répond aux désirs du souverain pontife en prônant pratiquement un désarmement unilatéral et en condamnant la politique de résistance au communisme menée par le président Reagan. »
L'offensive des évêques américains contre le réarmement militaire et moral des États-Unis intervient au moment précis où le Sénat et la Chambre des représentants étudient les moyens d'isoler la résistance au communisme en Amérique centrale retirer tout soutien, militaire, financier, aux insurgés héroïques du Nicaragua ; rappeler les « conseillers » du Salvador ; et même couper l'assistance économique à ce gouvernement, qui s'obstine à refuser le dialogue avec la guérilla... On ne comprend pas grand'chose, il faut bien le dire, aux justifications morales avancées par les démocrates et les évêques américains. Mais le résultat visé reste le même, dans les deux cas : sur le terrain, il revient à réclamer le *gel* d'un *déséquilibre* flagrant. Si la puissance américaine n'intervient pas rapidement en Amérique centrale, compte tenu des moyens militaires qu'y investit chaque jour l'axe Moscou-La Havane-Managua, d'ici un an, six mois peut-être, le nouveau monde sera coupé en deux par la Révolution. Si la doctrine du « gel » atomique finissait par l'emporter sur le théâtre européen, SS-20 en batterie contre Pershing et Cruises absents, l'Armée Rouge n'a plus autant à craindre des capacités de notre dissuasion. Elle peut encore redouter Reagan, dans un second tir, un second temps. Mais supposez que les évêques yankees fassent élire leur candidat...
**4. -- **CITÉ DU VATICAN, 4 MAI : JEAN-PAUL II INTERVIENT DANS LA CAMPAGNE SUR LES « DISPARUS » ARGENTINS. L'action se déroule place Saint-Pierre, à l'audience générale du mercredi, devant 60.000 pèlerins. Le pape ne se prononce pas sur le fond de la question ; il exprime seulement sa compassion personnelle aux parents :
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« *Le problème angoissant des disparus a toujours été dans mon cœur, et il l'est encore plus maintenant. Je désire renouveler aux familles qui ont une épine si aiguë au cœur ma participation émue à leur souffrance, dans un moment où même leur faible espoir semble avoir été brisé. *» Allusion à un document publié quelques jours auparavant par la junte de Buenos Aires pour rappeler qu'il n'existe pas de centres de détention clandestins en Argentine : en conséquence, les personnes dont les noms figurent sur les listes de « disparus » entre 1976 et 1979*,* sauf à se trouver aujourd'hui en exil ou dans la clandestinité, doivent être considérées comme mortes. -- Les paroles du saint-père relèveraient d'un autre commentaire si elles n'intervenaient au moment précis où le gouvernement argentin, désarmé par l'échec des Malouines, la crise économique et le retour en force de la subversion, est la cible d'une nouvelle offensive internationale de grande envergure sur la question des « disparus ». Pour que la junte militaire soit bien assurée de perdre la partie aux élections de la rentrée prochaine (et avec elle l'anticommunisme argentin), il faut accréditer partout qu'elle se compose de tortionnaires, dont la seule passion politique consiste à *faire disparaître* les malheureux opposants. Par milliers. Chaque jour. Pour le plaisir de tuer. Jean-Paul II n'avait qu'un mot à prononcer sur le « drame des disparus » pour rejoindre ce mythe dans l'imagination des gens. Et avec d'autant plus d'aisance qu'il est orchestré par les paroisses catholiques depuis près de sept ans.
Contre le document de la junte, maladroit tant qu'on voudra, mais qui s'en tient aux faits, aussitôt, toutes les capitales ont tonné. L'épiscopat argentin lui-même y a puisé le courage d'aboyer avec les chiens, lui qui se taisait depuis neuf ans pour éviter le ridicule, sur son propre terrain. Car les organisations « humanitaires » fournissent à la calomnie internationale un bilan effroyable qu'aucun journaliste, aucun parti politique argentin n'a jamais accepté de prendre au sérieux : 30.000 disparus. Cette énormité sort tout droit des circulaires d'Amnesty International, fondée par le camarade Sean Mac Bride, prix Lénine de la paix, animée par le camarade Derek Roebuck, communiste australien.
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Il est bien sûr exclu de faire la part des choses dans leur accusation. Les détectives humanitaires d'Amnesty ne s'en soucient d'ailleurs aucunement. Et voudraient-ils s'y mettre qu'il leur manquerait encore 90 % des noms sur lesquels enquêter : la liste la plus longue publiée à ce jour par l'organisation compte *2.665 personnes* en tout et pour tout. (Confirmation autorisée : Rodolfo Galimberti, leader montonero, reconnaissait en avril 1978 avoir perdu 4.000 « militants », qui n'étaient pas tous argentins.)
Les choses sont claires, pour n'importe quel observateur serein. En 1975, la Révolution comptait soixante mille hommes en armes à travers le territoire argentin. Elle en a laissé trois à quatre mille sur le terrain : des professionnels de l'assassinat politique, qui avaient plastiqué, enlevé, égorgé pour l'exemple pendant plus de sept ans, et programmé comme dans toutes les révolutions du monde la mort de trois à quatre millions d'innocents. On peut saluer la conviction des tueurs, et même au besoin consoler les parents. Mais ce n'est pas au monde libre, ce n'est surtout pas à l'Église catholique de pleurer comme autant de victimes d'une tragique répression ceux qui posaient des bombes et massacraient aveuglément. Ni de transformer la légitime défense de tout un peuple en assassinat.
**5. -- **SAN FRANCISCO, 6 MAI : DANS LA LOGIQUE DU DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE, LE DEVOIR D'INSOUMISSION ! C'est Mgr John Quinn, archevêque de San Francisco, qui a l'esprit le plus rapide de tout l'épiscopat américain. S'avisant, au retour de l'assemblée plénière tenue à Chicago, qu'il venait de condamner avec les autres le recours à l'arme atomique, et de le condamner sans appel, comme *moralement injustifiable* dans tous les cas, John Quinn fait un devoir aux militaires catholiques de désobéir au supérieur qui leur commanderait un pareil péché.
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En quoi il triche avec la règle du jeu épiscopal, qui consiste à flétrir l'immoralité de l'atome dans la stratosphère, abstraction faite des intentions humaines, susceptibles de l'utiliser. Mais si l'on revient sur le plancher des vaches, la logique de l'objection de conscience s'impose au premier examen : « *La lettre pastorale,* dit l'archevêque, *implique le refus d'obéissance à tout ordre du gouvernement en vue d'utiliser l'armement nucléaire, que ce soit pour attaquer ou en représailles. Aucune autorité ne peut ordonner à quelqu'un de faire quelque chose de moralement mauvais. Même le président des États-Unis ne peut l'y obliger* *: les lois de Nuremberg, établies par les alliés au cours du procès des dirigeants nazis, stipulent clairement que les individus doivent s'opposer à des ordres gouvernementaux immoraux.* » -- Reagan appréciera la comparaison.
(Signalons au passage que, le même jour, les évêques suisses se prononçaient sur le document arrêté le 27 avril par l'épiscopat allemand. Moralement « *injustifiée *», la dissuasion nucléaire leur paraît néanmoins « *tolérable pour un certain temps *». Cette concession n'a pas dû coûter trop cher aux évêques de la Confédération helvétique, qui ne possède aucun armement atomique sur son sol, et ne se connaît pas d'ennemi. Les prélats réclament tout de même en échange une révision immédiate de la Constitution, pour instituer un service *civil* offrant « *une véritable alternative au service armé *». Ce qui revient à pousser l'objection de conscience plus loin que tous les autres épiscopats. Et ils ne s'en cachent d'ailleurs aucunement : à leurs yeux, « *la défense nationale ne devrait être approuvée que comme dernier moyen de résister à une agression étrangère *». *--* On voudrait bien savoir quels sont les autres, pour éviter de mourir idiot.)
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Les manipulations neutralistes et anti-nationales des évêques allemands, chiliens, américains, argentins, suisses, pour rester dans le cadre de notre instantané, ont déjà le renfort moral de Mgr Vilnet, président de la conférence épiscopale française, qui déclare avoir trouvé le reflet de toutes ses « préoccupations » dans la lettre pastorale des évêques allemands. Elles ont aussi le renfort pseudo-théologique du cardinal Koenig, archevêque de Vienne et président de la conférence épiscopale autrichienne, dans une interview au journal *Le Monde* du samedi 7 mai :
« La notion elle-même de guerre est devenue caduque à l'ère nucléaire : la guerre nucléaire n'est pas une guerre, elle ne peut être *ni juste ni injuste,* elle menace d'extinction l'humanité dans son ensemble. Aucun motif politique ou éthique ne peut justifier la guerre nucléaire, *même pas la volonté de défendre la liberté.* Les thèses de la guerre juste ou de légitime défense étaient valables dans des conditions bien différentes. »
A cette formidable escroquerie morale, qui mobilise aujourd'hui les évêques du monde entier au secours des propagandes du Kremlin, dans PRÉSENT du 5 mai ([^2]), Jean Madiran avait déjà répondu :
« *La plupart des évêques ignorent, mais certains savent, et passent frauduleusement sous silence, que le plus grand théologien sans doute de notre siècle, un génie intellectuel véritablement universel, et qui était en outre souverain pontife, à savoir le pape Pie XII, a traité la question en long et en large, et montré* LA LÉGITIMITÉ MORALE D'UNE DÉFENSE NUCLÉAIRE CONTRE UNE MENACE NUCLÉAIRE. -- *Pie XII fait partie de l'état théologique de la question. S'il s'est trompé, il faut démontrer en quoi et pourquoi. Mais si l'on se permet de le contredire sans l'avoir réfuté, on perd de ce fait, quand on est un évêque catholique, toute autorité morale* (...).
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« *L'autre escamotage est de poser en principe que la survie de la planète est le problème prioritaire, éclipsant au point de n'en même plus parler le problème de son passage tout entière sous la domination de l'esclavagisme communiste. C'est une manière implicite mais équivalente de professer : plutôt rouge que mort. -- Le* «* changement profond *» *de l'Église se fait par étapes. La première a consisté à ne plus enseigner que le communisme est intrinsèquement pervers. La seconde est de qualifier progressivement d'intrinsèque perversité* LES ARMEMENTS NUCLÉAIRES ET LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ NATIONALE *qui s'opposent à l'extension du communisme dans le monde. Bien sûr, l'attitude des évêques américains est d'ordre moral : ils passent moralement à l'ennemi.* »
Oui, plutôt rouge que mort. Plutôt la servitude que la résistance au prix du sang. Et c'est le pire des esclavages qui s'inscrit dans la logique de cette nouvelle autodémolition. Car la domination communiste ne s'arrête pas aux chaînes, elle conspire à l'asservissement mental et spirituel de toute l'humanité. Dans le cas des évêques, l'essentiel du programme a déjà réussi : ils regardent ailleurs dans la bonne direction de la « dictature » chilienne, ou de « l'impérialisme » américain ; ils s'obnubilent en chœur sur les armes qui pourraient tuer, par légitime défense, sans un mot pour ces armées qui tuent aujourd'hui, empoisonnent et bombardent, à la conquête des cinq continents. Et personne ne dit rien. Un grand merci au Vatican.
Hugues Kéraly.
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## CHRONIQUES
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### L'échec du socialisme
par Gustave Thibon
LES PROPOS de M. Mauroy destinés à faire avaler au peuple français l'énorme couleuvre du plan de rigueur ressemblent étrangement aux contorsions d'un équilibriste à bout de souffle dont chaque mouvement annonce la chute prochaine. Gardez-vous à droite : ce serait la social-démocratie dont on ne veut pas. Gardez-vous à gauche : ce serait la radicalisation qui conduit au totalitarisme dont on prétend ne pas vouloir davantage.
M. Mauroy et les siens avaient assez dit et rabâché : *non à l'austérité*, ou : *nous ne serons pas les gérants de la crise*. Or, la crise est là et l'austérité inévitable. Que faire alors ? Une fois de plus, recourir à l'illusionnisme verbal : remplacer le mot austérité par le mot rigueur. Comme si ce n'était pas la même chose ! Quand un médecin prescrit à un malade un régime rigoureux, celui-ci consisterait-il par hasard à se gaver de foie gras ou de dinde truffée ? On joue sur les mots, faute de pouvoir maîtriser les choses : on saupoudre la couleuvre de sucre idéologique...
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Ou l'on rejette la faute sur le voisin. Si, nous dit M. Mauroy, la France est passée de l'état de grâce à l'état de rigueur, ce n'est pas seulement en raison de la crise ; il y a l'effet de la politique de nos partenaires qui est une politique de droite... ce qui nous oblige à une rigueur accrue...
On reste sans voix devant tant de candeur mêlée à tant de mauvaise foi. M. Mauroy avait-il donc oublié, dans l'ivresse de la victoire électorale de 1981, que nos partenaires -- dont dépend en grande partie le succès ou l'échec de notre politique économique --, ne vivaient pas sous un régime socialiste, et que leur demander de soutenir à tout prix notre monnaie à l'heure où s'accumulaient les dégâts de notre mauvaise gestion, c'était leur présenter le serpent monétaire sous la forme d'une autre couleuvre qu'ils n'auraient ni l'envie ni le devoir d'avaler ? La politique est l'art de prévoir et non de rêver.
Il faut bien se dire aussi que si nos voisins, les Allemands en particulier, avaient pratiqué la même politique que nous, ils auraient encore moins pu nous aider, car, en proie aux mêmes difficultés, ils auraient eu eux-mêmes besoin de secours.
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Quoi qu'il en soit, la rigueur s'impose. Ce n'est pas avec la colle des affiches électorales de 1981 qu'on réparera les pots cassés. Le gouvernement n'a le choix qu'entre le dépôt de bilan et la tondeuse broutant la laine jusqu'au cuir. Dévaluations en cascade, avancées sociales qui se traduisent par des reculs économiques et s'annulent du même coup, tour de vis à la liberté d'échanger et de voyager, aggravation concertée du chômage en vue de sauver la monnaie qui sombre, rien ne manque à la panoplie des restrictions.
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Comment s'en tirer aux yeux des électeurs d'hier et de demain ? Il n'est pas question d'avouer tout bonnement qu'on s'est trompé : il est acquis une fois pour toutes que l'Église socialiste est infaillible, qu'on est toujours dans la bonne direction, que la volte-face actuelle n'est qu'un louvoiement imposé par les vents contraires qui soufflent de l'Est, et qu'il n'y a pas lieu de s'alarmer tant que la rose, même effeuillée et réduite à ses épines, restera épinglée au gouvernail.
\*\*\*
C'est toujours, comme je l'ai souligné tant de fois, le même appel au *socialisme-religion* pour voiler les échecs du *socialisme-politique.* Je songe à ce vieux curé de mon enfance qui disait à ses ouailles : « Dieu vous bénit », toutes les fois que leurs prières étaient exaucées et : « Dieu vous éprouve », quand le ciel restait sourd à leurs demandes. Ce qui se justifie dans l'optique de la religion qui situe l'accomplissement de nos destinées de l'autre côté de la tombe. Mais que dire d'un socialisme d'inspiration marxiste qui nie l'existence d'un au-delà et qui ose réclamer à ses adeptes une foi et une espérance à l'épreuve de tous les échecs temporels ? Et comment croire encore aux illuminés -- ou aux Tartuffes -- qui bercent sans fin les pauvres peuples d'espérances terrestres toujours proclamées en paroles et toujours démenties dans les faits ? « Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est l'opium du peuple », disait Simone Weil...
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L'échec récent du socialisme français n'est pas un simple accident de parcours : il met en cause les principes mêmes de ce socialisme. Et tant qu'on restera fidèle à ces principes, on pourra colmater provisoirement telle ou telle voie d'eau, on n'évitera pas le naufrage : il est inscrit dans la logique même du système comme la trajectoire d'un astre dans le ciel.
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Aussi longtemps qu'on ne renonce pas, délibérément et non par sursauts momentanés, à une politique de redistribution au détriment de la production, de nationalisations et d'étouffement de l'entreprise libre, d'hypertrophies des attributions de l'État -- l'État-providence, ou, comme me le disait hier un médecin, l'État mamellaire (mais où prend-il le lait et combien en gaspille-t-il après la traite ?), il faudra abandonner tout espoir d'un redressement durable.
« Qui persévérera dans la foi sera sauvé », dit l'Écriture. Rien à reprendre pour la foi divine. Mais pour la foi politique dont le seul critère de validité est la réussite en ce monde, on peut retourner la sentence : plus on s'obstine dans une foi absurde, plus on court le risque de tout perdre. Mais l'heure commence à sonner -- et nous en avons entendu les premiers tintements à l'occasion des municipales -- où la paille des mots ne suffira pas à masquer le grain avarié des choses et où les derniers croyants du socialisme ne formeront plus qu'un petit troupeau de fanatiques aveugles guidés par des bergers sans scrupules.
Gustave Thibon.
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### Illusion et dangers de l'Islam
par Georges Laffly
Jean-Pierre PERONCEL-HUGOZ *Le radeau de Mahomet* (Éditions Lieu commun).
SYMPATHIQUE, vif, à plusieurs égards courageux, ce livre qui traite d'un sujet capital doit être lu. Il serait excellent si l'auteur, journaliste au *Monde,* ne participait pas des travers de ce journal, donnant leçon comme s'il disposait de l'étalon de la justice et de la vérité. D'autant plus assuré qu'il a du passé une vue d'une partialité sans vergogne.
Laissons cela. Le problème capital sur lequel l'auteur nous alerte ici, c'est qu'on est en train de renouveler pour l'Islam le rêve qu'on a pu voir prospérer à propos de l'URSS, de la Chine, de Cuba : là s'élabore le monde futur, là s'incarne l'espoir du monde, il est interdit d'en douter.
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S'emploient à propager cette imposture ceux que l'auteur appelle « Turcs de profession », une troupe de *gaouris* (ou *roumis*) passés sous la protection du croissant. Intellectuels bateleurs, et parmi eux des prêtres, comme ce Michel Lelong, père blanc, qui s'acharnent à inventer une supériorité ancienne et constante de l'Islam. Le père Lelong ira jusqu'à dire en 1979 que pour les uns c'est par le Christ pour d'autres par le Coran que Dieu s'est fait pleinement connaître : « Mais tous (chrétiens et musulmans) croient -- avec leurs frères en judaïsme -- qu'Il a parlé par les prophètes. » Exactement ce qu'on appelle, en bonne langue, un renégat.
Il ne s'agit pas de fantaisies sans conséquences. Péroncel-Hugoz pose exactement la question quand il écrit : « De même qu'il y a en France toute une intelligentsia, dans la presse écrite, parlée ou imagée, dans l'édition ou les ministères, qui, lors de chaque événement politique à analyser, de chaque livre ou article à publier concernant l'État hébreu, se demande d'abord « Est-ce bon pour Israël ? Voyons comment présenter cela de manière à ne pas lui nuire », il y a chez nous tout un volant de plumes et de voix dont l'unique souci, lorsqu'il est question de l'Islam, est d'enjoliver, de transformer, d'avantager, de disculper, le tout au mépris de l'information. »
Péroncel-Hugoz souligne cette tare de l'esprit d'aujourd'hui, le besoin de trouver quelque part une terre de salut (où, si l'on peut dire, l'utopie a lieu), et il montre aussi que l'Islam n'est pas cette terre. On lui fait à tort un passé immaculé -- alors que le passé chrétien est attaqué et défiguré de toutes façons -- une réputation de tolérance, d'humanisme, de progressisme, qui n'a rien à voir avec la réalité. Et le fondamentalisme islamique qui bouillonne en ce moment n'arrange rien. (L'auteur emploie plus facilement le mot d'*intégrisme,* bien qu'il en sente l'équivoque. A mon sens, *fondamentalisme* est plus indiqué : ce fut d'abord le nom d'une secte protestante, aux États-Unis, avant 1914, qui entendait revenir à une interprétation littérale de la Bible. C'est tout à fait dans ce sens que vont Khomeynistes et Frères musulmans.)
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Ce fondamentalisme tend à resserrer des entraves un peu distendues sous l'influence de l'Occident -- de la colonisation -- et à accroître les inégalités, les dénis de justice envers les femmes, les non-musulmans et les esclaves, puisqu'il faut le reconnaître, il y a encore des esclaves dans bien des pays musulmans. L'Islam est « le type même de la société bloquée », dit l'auteur. Quant à sa civilisation, elle est éteinte depuis des siècles. Voilà ce qu'on peut trouver dans *Le radeau de Mahomet.* Ce que fut cette civilisation, exactement, est souvent magnifié. Je n'insisterai pas ici. Il faut dire cependant qu'il est fâcheux de confondre trop souvent une civilisation musulmane, réelle, avec une civilisation arabe, beaucoup plus floue : les grands lieux d'épanouissement de la civilisation musulmane furent l'Andalousie, la Perse et enfin l'Inde des Moghols. La part proprement « arabe » dans ces beaux moments est faible.
Il convient de rappeler aussi que cette civilisation a plus apporté par ses échanges que par ses créations propres : le zéro et l'algèbre viennent de l'Inde, l'alchimie d'Égypte, la médecine et la philosophie grecques furent transmises par l'intermédiaire des syriaques (reste hellénistique et chrétien préservé par Byzance). Mais ce n'est pas le lieu d'insister.
La question que Péroncel-Hugoz ne pose pas, c'est : Pourquoi ce fondamentalisme ? Est-ce un renouveau religieux ? Il apparaît plus politique, temporel, que proprement spirituel. En fait, il naît du choc avec l'Occident sous sa forme actuelle d'un monde technique, et d'une protestation contre ce monde. D'une part humiliation, que traduit très bien le titre du livre de Youcef Marzouki, un Tunisien : *Pourquoi les Arabes n'iront pas sur Mars.* D'autre part, revanche : « Socialisme et capitalisme ont échoué chez les peuples musulmans. Nous devons maintenant essayer la charia (la loi islamique) sans retouche ni restriction, et vous verrez que notre renaissance ne tardera pas à stupéfier l'univers. »
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Ainsi s'exprime Kichek, un prédicateur égyptien. On voit bien la part de vérité qu'il y a dans cette affaire. Le développement technique ne satisfait personne. Il n'empêche ni l'injustice, ni l'angoisse. Tout le monde sent le besoin d'une renaissance de l'esprit. Mais l'application de la charia répond-elle à ce besoin ? C'est bien douteux. Reste qu'un tel propos a l'avantage de rendre aux musulmans confiance en eux-mêmes : les voilà détenteurs de la seule vérité qui importe.
Et ce sont Khomeiny ou les Frères musulmans qui la diffusent, défendant une religion étroite, sectaire, belliqueuse. Là est le danger. Il se présente jusqu'en France, où Péroncel-Hugoz signale l'influence grandissante des Frères musulmans sur les deux millions et demi de mahométans que contient le pays. « La surprise pourrait être saumâtre un jour » remarque notre auteur. D'autant qu'il rappelle le changement démographique : 270 millions d'habitants au sud de la Méditerranée en l'an 2000, contre 200 millions au nord ; avec cette précision : 30 % des Européens ont moins de 20 ans, et 60 % des musulmans.
Un peuple croyant, prolifique, et star que le monde lui est promis, voilà ce qui grandit près de nous. Il faut le savoir et veiller, non pas l'idéaliser et le magnifier. Le penchant de l'Europe au reniement (elle renie le Christ, et renie son passé) est un symptôme grave. Il s'accompagne comme on sait d'autres signes de tendance suicidaire : la dénatalité, par exemple.
Georges Laffly.
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### Pour des portes fermées
par Jean-Baptiste Morvan
DANS L'ÉTRANGE CLIMAT moral où nous vivons, nous aurons appris à nous méfier de tout, et même de la sincérité qui arrive à porter le masque du mensonge. Ainsi, depuis quelques années, dans les établissements d'éducation, les administrations et les entreprises les plus diverses, nous avons vu se répandre la mode des « journées portes-ouvertes ». Chacun paraît désireux de prouver qu'il n'a rien à cacher, et ce n'est peut-être pas par hasard que le souci de la transparence dans les institutions collectives coïncide avec la vogue de la psychanalyse vulgarisée et de la pornographie pseudo-médicale illustrée ; en somme le naturisme social va de pair avec le nudisme psychologique sans oublier pour autant, bien sûr, le déshabillage total ou partiel immédiat ou différé.
« Portes ouvertes »... On disait aussi naguère « parler à cœur ouvert », mais l'expression fait maintenant penser à une opération chirurgicale. Après tout, l'impératif catégorique de la révélation complète au public prévaut aussi dans ce domaine-là. On ne voit pas sans quelque malaise les magazines en couleur nous livrer les détails grossis des interventions hautement perfectionnées, inventées par les nouvelles techniques médicales.
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Ici comme ailleurs, le prétexte à la sincérité sans nuances ni mesure résiderait dans l'intention culturelle, le désir de satisfaire de nobles curiosités, ou bien dans le besoin de documentation naturel chez un peuple devenu (comme on dit) pleinement adulte et responsable. Pour nous qui avons entendu parler des trois convoitises, de la chair, de la curiosité et de la domination, la multiplication des portes ouvertes ne va pas sans inspirer quelque inquiétude.
Il est désormais admis en principe que n'importe qui a le droit de connaître n'importe quoi, sans aucun critère d'âge, d'intelligence, de formation morale, de science ou de talent. Ne pas livrer le secret de son travail, vouloir préserver la quiétude au moins relative nécessaire aux découvertes, aux créations, aux compositions, serait le signe d'un « élitisme » jaloux et évidemment coupable. D'une part on mettrait ainsi en question le postulat égalitaire, on contreviendrait au dogme de la démocratie universelle en laissant entendre que la foule curieuse contient une forte proportion d'incompétences. D'autre part on se refuserait au collectivisme perpétuel dans les manières de vivre, à la présence constante d'autrui, particulièrement dans l'accomplissement du travail. Il est entendu que tout doit se faire en groupe, en « équipe ». Ce mot d' « équipe » a été, depuis le temps de mon adolescence, de plus en plus utilisé et de plus en plus déformé. D'abord on se référait à des principes supérieurs qui légitimaient la formation de l'équipe, et en précisaient d'emblée l'esprit et les buts, objets d'un accord essentiel et préalable. De plus la constitution du groupe dépendait d'un choix, et toujours quelqu'un était là pour décider du choix, après une expérience des participants éventuels, de leurs caractères et humeurs, aussi bien que de leurs aptitudes. Depuis on a transformé l'esprit d'équipe en une sorte de devoir de charité paradoxale exigeant au besoin l'admission, au sein du groupe, des personnes les moins douées et les moins efficaces, afin de les réconforter en leur conférant des responsabilités. A la volonté précise et toujours personnalisée d'accomplir au mieux une tâche déterminée, on a substitué une sorte de pédagogie sentimentale destinée à faire plaisir plutôt qu'à obtenir un résultat de qualité.
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Jadis on ne se serait même pas étonné des exclusions naturelles, motivées par la constatation évidente que nul n'est bon à tout ; aujourd'hui on pense que toute exclusion est une offense capable de laisser dans les âmes des traumatismes aussi cruels que définitifs. Notre conception de la fraternité supporte les hypothèques du freudisme, de l'égalitarisme absolu et d'une perspective infantile sur la psychologie humaine.
Le silence et la solitude nécessaires à la concentration sont quasiment scandaleux. On juge indispensable de parler sans trêve, d'expliquer ses procédés de travail, de quémander les avis des associés improvisés, fussent-ils indésirables ou tout au moins inutiles, et même de solliciter leurs contradictions. Aussi la « réunionite » sévit-elle un peu partout. Avec les méthodes prescrites dans le fameux rapport Legrand, elle va devenir une des composantes mentales de l'enseignement. C'est dans la « réunionite » que se manifestent les belles âmes, avec leurs générosités affectées et leur tendance à l'acte de contrition public ; on y admire des gens qui ont réussi à faire de l'autocritique un moyen fort théâtral de séduction personnelle, pour ne pas dire d'esbroufe. Dans cette ambiance, on est condamné à toujours rendre compte de ce que l'on se propose de faire, de subir toutes les objections et de sacrifier à l'universel bavardage. Le temps consacré aux parlotes est perdu pour le travail efficace ; mais celui-ci n'est plus regardé que comme une valeur secondaire : peu importe qu'il se trouve finalement exténué par un processus répété d'inhibitions imposées.
Nous avons vu, entre autres exemples, l'effet de cet état d'esprit dans la liturgie nouvelle. Elle excelle à présenter d'étonnantes mixtures, des décors incongrus et caricaturaux où l'on exhibe devant l'autel les barbouillages coloriés des enfants, de même que l'on doit écouter sans s'irriter des propos bizarres de gens manifestement obnubilés par leurs idées fixes, personnelles ou suggérées. Peu importe le caractère décevant et parfois grotesque des conséquences ; on n'attache de prix qu'à une prétendue spontanéité devant laquelle il faut s'extasier. Le sourire fraternel est devenu un rite ; y manquer serait refuser la fraternité chrétienne. « Mes frères, donnez-vous un signe de paix... » Parfois même les assistants doivent se prendre par la main et se trémousser joyeusement en cadence, sous peine d'entendre le vicaire animateur traiter les fidèles de « constipés »...
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Le moyen le plus sûr de garder le sourire serait de n'entretenir en soi-même aucune exigence sérieuse, de ne pas entrer dans le sanctuaire avec dans l'âme les problèmes, tourments et souffrances, qui concernent soi-même ou les êtres chers. En fait, dans toutes les situations soumises à la psychose de la « réunionite », on doit s'attendre à ce que l'ambiance mentale ainsi réalisée soit exploitée par les « animateurs » avisés. Après avoir discuté, objecté, radoté, on se verra proposer une solution, une décision tenue en réserve dès le début de la séance ; et même, avec quelque expérience, on peut en deviner la nature. Le jeu est truqué, c'est un simple psychodrame de l'adhésion. Mais les participants naïfs, tout heureux d'avoir eu en apparence un rôle important et spectaculaire, quitteront le petit théâtre avec une profonde satisfaction d'eux-mêmes.
Consentir aux multiples « opérations-portes-ouvertes », c'est accepter un mensonge préalable. Personne ne fera son travail devant des visiteurs comme il le ferait s'il était seul ou dans une véritable « équipe » de collaborateurs éprouvés. On ne peut, de gaieté de cœur, montrer à des spectateurs profanes les tâtonnements, les incertitudes, les erreurs passagères inhérentes à toute tâche, encore moins les rendre témoins d'échecs non moins prévisibles. Michel-Ange, mécontent de la perfection trop académique de ses premières fresques de la Sixtine, saisit un seau de peinture et en lança le contenu sur son œuvre : qu'aurait pensé le « grand public », s'il avait été invité à venir voir le peintre au travail ? Accueillir autrui, c'est dans de telles conditions s'attendre à être plus ou moins surveillé. Il est souvent bien difficile de croire à une sympathie pleine d'intérêt, à la curiosité attentive de gens venus pour apprendre quelque chose. Le monde, plus que jamais, fourmille d'inspecteurs. L'usager est un contrôleur, et tout le monde a le droit de contrôler n'importe qui ; l'éducation donnée au public l'a orienté essentiellement vers la critique et vers la méfiance. Je me suis souvent demandé si les mystifications déroutantes pratiquées par certains artistes procédaient de leur fantaisie tortueuse ou d'un désir compréhensible de déconcerter des censeurs trop infatués. Si on tend de plus en plus à accepter les « portes ouvertes », c'est parce que tout se passe comme si on avait peur d'autrui, comme si celui qui affirme n'avoir rien à cacher le disait en tremblant.
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L'ouverture universelle suppose une menace policière diffuse. On sait trop bien que toute originalité, toute attitude personnelle décidée, sont plus ou moins suspectes d'indiscipline ou de contestation à l'égard des idées établies ; aussi faut-il prouver à tout instant sa docilité. Dans une société où les directives de la subversion sont passées dans l'opinion commune, toute forme de pensée et de travail se référant au traditionalisme sera mal venue. Celui qui les choisit prend évidemment en considération, dans le silence et l'indépendance, des notions que le public connaît mal, qu'il ignore, ou dont il n'a qu'une idée hostile et déformée. Le contrôle de ce public sera teinté de méfiance, et le créateur en portera le poids.
Le conformisme d'autrefois pouvait s'attacher éventuellement à des banalités ; du moins respectait-il les bases essentielles et communes d'une pensée que l'auteur pouvait reprendre et remodeler. Un respect parfois naïf reconnaissait aux personnes tenues pour qualifiées le droit au choix, à la liberté, à un certain secret. Il n'imposait pas fébrilement une poursuite haletante du « changement », encore moins ces indiscrètes confessions que l'on attend aujourd'hui de l'artiste et de l'écrivain. On estime maintenant que l'activité normale du créateur est de « se défouler », qu'il doit renseigner le public sur ses problèmes les plus intimes ; s'il n'a point de tourments intérieurs étranges ou scandaleux, il aura intérêt à les inventer... L'obscène devient à la limite le critère de la sincérité. Il me semble que dans le domaine des arts plastiques, les créateurs dignes de ce nom se défendent mieux, malgré la publicité avilissante qui à l'entour contrarie leurs nobles et patients efforts. La raison en est peut-être la difficulté pour le public de triturer l'œuvre pour dépister les complexes de l'artiste. Mais dans l'ordre littéraire, est-il possible encore de se dire « écrivain catholique » ? Jadis cette appellation était revendiquée par beaucoup, avec une fierté certaine et l'intention bien arrêtée de se défendre contre les adversaires de la foi. Mais aujourd'hui les milieux intellectuels qui se disent chrétiens ne trouvent d'intérêt que dans les cogitations souvent cyniques d'esprits présumés audacieux. Un certain clergé spécialisé dans ces activités frétille d'aise devant tout ce qui surprend, et bien souvent devant tout ce qui devrait paraître répugnant.
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On a l'impression que celui qui a encore la naïveté de s'affirmer « écrivain catholique » est regardé comme un esprit sans originalité, timide et bénisseur, et finalement comme un minable. Pourtant notre conscience ne nous permet ni de sacrifier au nouveau conformisme de l'exhibitionnisme, ni de renoncer à notre rôle et à notre étiquette chrétienne. Force nous est alors de rompre certains contacts et dd récuser certains Trissotins. Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, disait le proverbe : ce qui implique évidemment qu'elle puisse être aussi fermée... Pour tous ceux qui dans les diverses activités humaines voudront faire quelque chose qui en vaille la peine, l'opération « portes-fermées » va devenir souvent nécessaire. Pour l'ouverture et l'accueil, on verra plus tard.
Jean-Baptiste Morvan.
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### La mort d'Henri V
par Maurice de Charette
LE VENDREDI 24 AOÛT 1883, veille de la saint Louis, à 7 heures du matin, M. le Comte de Chambord mourut en son château de Frohsdorf au sud de Vienne.
Tel était le nom qu'avait choisi de porter Henri V, tant qu'il ne régnerait pas. Cependant, il était véritablement Roi par l'abdication, signée le 2 août 1830, de son grand-père Charles X et de son oncle le Duc d'Angoulême ; on lui en avait d'ailleurs reconnu les prérogatives tout au long du cheminement vers l'exil même si son jeune âge et l'autorité effective du vieux Roi pouvaient favoriser l'équivoque en l'absence d'une Régence constituée.
Enfin, en 1832, le dernier soubresaut de la Vendée se fera au cri de *Vive Henri V,* sous l'autorité de la Duchesse de Berry, agissant comme *Régente de France.*
Ainsi, le sang de ses fidèles a remplacé l'onction du Sacre et son époque l'a reconnu comme Roi en exil. Sa mort a frappé le monde entier et l'histoire s'est arrêtée un instant pour regarder disparaître le dernier Prince revêtu du titre prestigieux de Roi de France et de Navarre !
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Il nous semble convenable de commémorer le centenaire de cet événement considérable et de le faire dans cette revue qui est un des lieux privilégiés de la mémoire et de l'âme françaises ([^3]).
#### *La maladie*
D'après le professeur Vulpian, membre de l'Institut et doyen de la faculté de médecine de Paris qui rédigea pour *la Gazette de médecine et de chirurgie* un rapport médical complet, les premières manifestations du cancer de l'estomac dont devait mourir le Comte de Chambord datent du 14 juin 1883, à la suite de ce qui avait pu paraître d'abord comme une banale indigestion. Pourtant, sa santé, médiocre depuis le printemps, avait donné assez d'inquiétudes pour que dès le début de juin on ait songé à une souscription et un vœu national pour sa guérison... projet qui se heurta à l'immédiate et formelle opposition de l'archevêque de Paris, prudent concordataire.
29:274
Quoi qu'il en soit, les progrès du mal furent très rapides et le 1^er^ juillet le marquis de Dreux-Brézé, représentant du Prince à Paris, communiquait à la presse un bulletin de santé alarmant, demandant des prières. Dans le même temps il convoquait les principales personnalités royalistes et informait officiellement le Comte de Paris qui décida de partir pour Vienne en compagnie des Ducs de Nemours et d'Alençon.
Ce fut l'affolement et la stupéfaction parmi les royalistes des milliers de télégrammes arrivèrent chez Dreux-Brézé, dont la porte était assaillie par la presse et par une foule pressée d'avoir des informations sûres.
Le 4 juillet l'Empereur François-Joseph fit prendre des nouvelles à Frohsdorf ainsi qu'il le fera régulièrement désormais et le 5 le Comte de Chambord reçut l'extrême-onction des mains de son aumônier auquel il demanda de dire les prières bien lentement pour les suivre plus facilement. Il reçut également la bénédiction apostolique de Léon XIII qui se déclarait « profondément affecté ».
Le samedi 7 juillet les Princes d'Orléans se présentèrent à Frohsdorf pour y saluer la Comtesse de Chambord qui les accueillit en compagnie de Messieurs d'Andigné et de Monti, de service auprès du Roi. Ils apprirent alors que le Comte de Chambord avait décidé de les recevoir lui-même, malgré l'avis formel de ses médecins et bien que ses propres neveux fussent tenus écartés du château. Il serra le Comte de Paris contre son cœur, embrassa les autres Princes et leur parla quelques minutes. Selon ses instructions un déjeuner fut servi ; en l'absence de la Comtesse de Chambord, la place d'honneur fut occupée par le Comte de Paris entouré des Princes d'Orléans et des membres des deux Maisons.
Le malade n'avait pas été fatigué par la visite de ses cousins qu'il commenta de ces simples mots : « C'est bien à eux d'être venus me voir. »
Le même jour quelques fidèles étaient arrivés à Frohsdorf et avaient salué les Princes d'Orléans mais sans être reçus au château où l'on s'efforçait d'éviter toute agitation particulière.
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Seuls le comte de Blacas et le marquis de Foresta avaient été introduits en leur qualité de membres du service d'honneur. Le général de Charette fut reçu chez le vieil Obry, dit Charlemagne, le fidèle majordome, ainsi que deux anciens zouaves pontificaux qui l'avaient accompagné, Messieurs de Champeaux et du Puget.
« Puis-je rejoindre ? » télégraphiait le brave colonel d'Albiousse, à bout d'angoisse. Charette aurait volontiers répondu par l'affirmative et convoqué ses zouaves, sentant la noblesse de cette garde silencieuse autour du château, de cette veillée d'honneur. « Le chien fidèle est couché au travers de la porte » disait la baronne de Charette... mais les cours ont rarement le sens de l'exceptionnel et l'ordre était de demeurer au ras du quotidien, dans la grisaille d'un dévouement profond mais terne. D'ailleurs, la Comtesse de Chambord était épuisée de fatigue et de chagrin, sourde au point qu'il fallait écrire ce qu'on voulait lui dire et, dans ces conditions, ne souhaitait voir personne, ni rien changer aux habitudes. Pourtant « on pense trop à Monseigneur, pas assez au Roi » commentait Charette dans une lettre à sa femme, tandis que dans une autre, il s'exclamait : « Ah ! les imbéciles ! »
En dehors des communiqués officiels, les nouvelles ne filtraient que par les valets de chambre.
Le 12 juillet, le Prince, ayant appris l'arrivée de Charette, voulut le recevoir. Il prit contre lui la bannière de Loigny que le Général lui présentait et dit : « Gardez-la bien ; vous l'apporterez sur mon tombeau, ou bien si je vis, nous la déploierons ensemble. »
Le 15 juillet, à Frohsdorf, le dîner traditionnel de la Saint Henri fut présidé par la Comtesse de Chambord dans une atmosphère lugubre, bien que le malade ait tenu à se faire porter quelques instants à la salle à manger pour tremper ses lèvres dans une flûte de champagne.
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Le professeur Vulpian arriva ce même jour pour représenter la médecine française et se mettre d'accord avec ses collègues autrichiens sur le traitement à poursuivre ([^4]). Et enfin, Dom Bosco, amené de Turin par M. du Bourg, fut reçu lui aussi au château où il fut accueilli comme un thaumaturge. Il semble, si l'on en croit La Varende, qu'il n'ait pas très bien compris le miracle qu'on l'invitait à prier Dieu d'accomplir et qu'il n'ait pas mesuré exactement ce que la mort de ce Prince avait de particulièrement grave pour la France, ainsi que pour l'Europe et pour l'Église sans doute ([^5]).
Dans le même temps, un violent orage mit fin à une chaleur intolérable qui avait particulièrement éprouvé le malade. Charette écrivait à sa femme : « Jamais je n'ai souffert de la chaleur comme ces derniers jours. »
A partir de la mi-juillet, l'amélioration des conditions atmosphériques et un certain arrêt de la maladie permirent d'étendre le Prince plusieurs heures par jour sous les ombrages du parc. Jusqu'au 9 août on reprendra espoir et certains parleront de convalescence, mais ensuite tout ira très vite.
#### *La mort*
Le 15 août la *Gazette de France,* qui ne devait pas paraître, fit parvenir à ses abonnés les derniers bulletins officiels qui ne laissaient aucun espoir. De son côté l'Agence Havas signalait que l'Empereur d'Autriche avait dépêché à Frohsdorf son frère, l'Archiduc Charles-Louis, pour y prendre des nouvelles.
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Les Princes de Parme et d'Espagne, neveux du Comte de Chambord ([^6]) arrivèrent le 20, tandis que M. de Blacas, chef de la Maison, convoquait par télégramme quelques privilégiés pour « réunir autour du Roi mourant ses meilleurs amis ».
Le 23 dans la soirée, les aumôniers récitèrent les prières des agonisants. Désormais et jusqu'à la mort, le 24 au matin, ils demeurèrent seuls dans la chambre avec la Comtesse de Chambord et M. de Blacas, tandis que les neveux et les fidèles se tiendront dans le salon voisin dont la porte restera ouverte.
Lorsque tout fut fini, M. de Blacas ferma les yeux de son Prince, puis assista avec le général de Charette à la toilette à laquelle procédèrent les valets de chambre.
Le Roi fut présenté en habit, tourné vers la France ainsi qu'il l'avait voulu, avec les insignes de l'Ordre du Saint-Esprit. Derrière le corps on avait déployé un drapeau fleurdelysé et la banni de Loigny.
#### *Les réactions en France et à l'étranger*
On pensera peut-être que nous nous sommes trop longuement appesanti sur le déroulement de la maladie du Comte de Chambord ; mais nous l'avons voulu en mémoire de l'émotion qui gagna l'Europe dès les premières informations pour durer jusqu'à la fin. Les multiples communiqués et bulletins de santé, se renouvelant jusqu'à cinq et six fois certains jours, furent attendus avec angoisse et diffusés aussi bien par les agences que par des moyens privés jusque dans le fond des campagnes. La masse des télégrammes conservés en demeure la trace.
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Dès le 3 juillet, dans la France entière on avait commencé d'ardentes prières pour que Dieu sauve le Roi. Ce jour-là, à Paris, des messes furent célébrées dans une vingtaine de paroisses aussi différentes que la Madeleine et St-Pierre de Belleville, mais chaque fois dans des églises pleines. Il en fut de même dans toutes les provinces.
Depuis ce moment, les cérémonies, les neuvaines, les adorations, les quarante heures se multiplièrent dans tout le pays avec une intensité particulière le 15 juillet pour la Saint Henri et, bien sûr, dans les derniers jours, lorsque l'on sut que le seul espoir était en Dieu.
Des pèlerinages aussi furent organisés. Le 5 juillet toute la Bretagne pria à Sainte Anne d'Auray ; le 15 les anciens Zouaves Pontificaux de la région se réunirent au Mont Saint-Michel où les moines faisaient succéder les neuvaines tandis que toutes leurs messes étaient célébrées aux intentions du Prince. A Nantes on fit un pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame de Toutes Aides. De leur côté, les bénédictins de Solesmes allèrent en procession pénitentielle prier Notre-Dame du Chêne, à quelques kilomètres de l'abbaye. Il en sera de même dans tous les sanctuaires français, à Lourdes, à Paray-le-Monial, à Fourvière, à Notre-Dame de la Garde, etc.
Et puis, d'une manière moins publique mais aussi émouvante, bien des couvents se mirent en prières, telles ces religieuses de Saint-Yves de Rennes qui se relayaient jour et nuit, neuf par neuf, devant le Saint-Sacrement pour obtenir la guérison du Roi.
Dans les familles on multipliait supplications et bonnes œuvres. Le 14 juillet, on jeûna dans beaucoup de maisons bretonnes à l'appel d'un journal nantais, l'*Espérance du peuple.* Il y eut aussi, dès les premiers jours de juillet et jusqu'à la mort, de considérables dons aux œuvres d'assistance ainsi que des distributions de pain aux pauvres à l'occasion des cérémonies de prières.
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Un siècle plus tard, nous n'avons plus l'idée de cette douleur et de cette fidélité chrétienne qui entourèrent l'agonie du Prince. Il faut se plonger dans les correspondances de ces tristes semaines pour en retrouver la violence sous l'encre passée et le papier jauni.
« Nous sommes consternés » ... « Nous sommes profondément affligés » ... « Je souffre tellement que j'ai tenu à vous exprimer mon chagrin » ... « Dieu aurait-il donc abandonné la France » ... « Que Dieu conserve le Roi ! ».... « Est-il possible que Dieu veuille ainsi nous châtier ; je ne puis me faire à la pensée de notre malheur » ... « Le Roi serait-il à l'agonie que j'espérerais encore » ... « Nous sommes si malheureux, si désespérés » ... « Déposez aux pieds de notre bien aimé Père et Roi l'hommage de nos vœux pour sa guérison » ... « Notre vie est suspendue » ... « C'est le cœur plein d'anxiété et de douleur que je vous adresse cette lettre » ... « Le coup est trop rude, je perds la tête ».
Et parmi toutes ces lettres, voici ce qu'écrivait le 23 août l'alsacien Schmoderer, ancien sergent aux Zouaves Pontificaux, un fidèle parmi les fidèles : « Je suis complètement découragé ; je pleure et je sanglote... C'est bien dur de survivre au Roi... Malgré moi je m'accroche à l'espérance... je demande au bon Dieu de me faire mourir dans n'importe quel supplice mais de laisser régner le Roi. »
Oui, la *Gazette de France* ne détonnait pas d'écrire le 26 août : « Le deuil du Roi devra être porté *comme celui d'un père* c'est-à-dire pendant six mois selon l'usage de Paris, dont trois mois de grand deuil. » Et, si étonnant que cela puisse nous paraître, la consigne fut observée au point que pas une réception ne fut donnée en France pendant trois mois, pas un dîner mondain, pas un grand mariage.
Osons même écrire que, par delà le vrai et profond chagrin, la nécrophilie du XIX^e^ siècle se déploya sous tous ses aspects. Les femmes ne se montrèrent qu'en noir et couvertes de crêpe anglais. Les seuls bijoux portés furent de jais, parce que noirs et tolérés même en grand deuil.
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Les maisons mêmes furent tendues de draperies noires, les volets à demi fermés et les pendules arrêtées. Les conversations baissèrent d'un ton... Mais à travers tous ces excès, il nous semble encore que l'on ait voulu marquer combien en croyant priver le Comte de Chambord de son trône, la France s'était privée d'Henri V.
« Je ne puis ni me taire ni parler comme je l'éprouve de cette immense douleur qui oppresse nos cœurs » écrira le 29 août Mme de la Moricière, veuve de l'ancien chef des armées de Pie IX. Et le général de Courten, un Suisse, qui avait également servi le pape : « Soyez auprès de la Comtesse de Chambord l'interprète de mon immense douleur... Ah ! Si la France avait pu comprendre le bonheur dont elle aurait pu jouir sous le sceptre d'un pareil Roi. »
En dehors de ces témoignages privés, il est assez remarquable que nombre de Conseils généraux, siégeant le 24 août, se soient associés au deuil d'une manière ou d'une autre, certains même -- plus de cinquante a-t-on dit -- en suspendant la séance. Parmi eux, signalons ceux du Gard, du Gers, de la Loire, de la Loire-Inférieure et de la Vendée, pour lesquels nous avons vérifié.
Vingt-six journaux parisiens parurent encadrés de noir, au nombre desquels il peut sembler de nos jours imprévu de citer *La Croix, Le Figaro* et *Le Monde.* En province, plus de cent journaux prirent également le deuil, ainsi que nombre de journaux autrichiens, belges, espagnols, italiens, etc.
Le pape fit exprimer ses condoléances et la promesse de ses prières à la Comtesse de Chambord par le Nonce à Vienne. L'Empereur d'Autriche, la Reine Victoria et tous les souverains d'Europe se manifestèrent également. En Autriche, en Belgique, au Portugal, en Prusse et en Russie ainsi que dans nombre de cours allemandes on prescrivit un deuil officiel... Même ceux qui, en Europe, pouvaient escompter tirer un profit de l'abaissement de la France, ressentirent un instant la grandeur de l'événement.
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Depuis bientôt mille ans on avait accoutumé de dire *le Roi,* pour désigner le Roi de France, tout comme on disait *l'Empereur* ou *le Pape.* Désormais, parce que le Roi était mort loin de son pays, tous les trônes deviendraient plus fragiles, même le trône apostolique !
#### *La veillée mortuaire*
Pendant ces journées, la vie se concentrait à Frohsdorf autour du lit funèbre dont, plus tard, tous les souvenirs seront recueillis. Nous conservons quelques fragments du suaire qui fut partagé ; la cire des cierges consumés autour du corps servira à fabriquer des petites fleurs de lys que l'on s'arrachera. Ouvert dès le 24 août, le testament ne contenait aucune clause politique. Les biens iraient aux neveux après la mort de la Comtesse de Chambord, à l'exception de dons considérables aux œuvres.
Le 27 août, le Comte de Paris sitôt arrivé à Vienne, vint prier auprès du corps en compagnie de son fils le duc d'Orléans, de ses oncles Nemours et Joinville et de son cousin Alençon. Sur ces minutes émouvantes le général de Charette a laissé le récit de ses propres impressions :
« Lorsque je vis entrer les Princes d'Orléans... Comme une vision m'apparut le passé : l'échafaud de Louis XVI, 1830, la prison de Blaye, les équivoques de 1873. Toutes nos anciennes rancunes me revenaient en foule et s'emparaient de moi... L'héritier du passé était donc là, à genoux, priant et comme affaissé sous le poids de tant de responsabilités, en face des gloires de la vieille monarchie ! Que ferait cet homme ? Quel prince, quel roi serait-il ? De quelles traditions se ferait-il le continuateur et le champion ? »
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Le 18 septembre eut lieu dans la chapelle du château un service funèbre présidé par le Nonce et l'archevêque de Vienne. Selon la volonté de la Comtesse de Chambord il s'agissait d'une cérémonie de caractère privé où la famille prendrait place selon les règles de parenté, étant convenu toutefois que l'Archiduc Charles-Louis représentant l'Empereur, souverain du pays, passerait le premier. Le Duc de Parme conduisait donc le deuil mais le Roi de Naples qui le suivait céda sa place au Comte de Paris en murmurant : « Je ne puis passer devant le Roi de France. »
Telle fut la première manifestation d'un incident qui eut une suite après l'office ; le Duc de Parme ayant précisé au Comte de Paris que les dispositions seraient les mêmes aux obsèques officielles, celui-ci annonça son intention de ne pas s'y rendre. « Je croirais manquer à mon devoir si je n'occupais la place qui m'est due.
Les esprits s'échauffant, le duc de Bisaccia demanda au Comte de Paris d'assister aux obsèques et d'y prendre « la place qui lui revenait c'est-à-dire la première ». Albert de Mun, le duc de Fitz James, Charette, Monti et nombre de royalistes appuyèrent le souhait de Bisaccia.
Devant l'émotion générale, le Duc de Parme fit prévenir M. de Blacas qu'il céderait la préséance si don Juan d'Espagne ([^7]) acceptait d'en faire autant. Le général de Charette fut alors sollicité d'aller à Gratz traiter l'affaire avec don Juan, mais la Comtesse de Chambord, mise au courant, coupa toute tentative par les instructions écrites qu'elle remit à Blacas ; se réclamant des (prétendues ?) intentions du défunt elle maintenait sa volonté d'un enterrement de famille, ce qui provoqua un communiqué du Comte de Paris annonçant qu'il n'assisterait pas aux obsèques, « Madame la Comtesse de Chambord ayant désiré que la cérémonie fût dirigée par des Princes étrangers proches parents de Monsieur le Comte de Chambord ».
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Au nom du principe qui veut qu'un Capétien ne puisse jamais perdre la qualité de Français, il eût été plus juste, sans doute de parler de « Princes de Maisons étrangères ». L'idée du communiqué était pleine de dignité mais l'expression un peu jacobine... ce qui ne s'imposait pas, c'est le moins qu'on puisse dire, sous la plume d'un Prince d'Orléans.
Du moins, l'annonce faite aux cours étrangères du décès du Comte de Chambord avait-elle été signée « Philippe, Comte de Paris », preuve que l'héritier renonçait au prénom scélérat de Louis-Philippe qu'il avait porté jusqu'alors... « Il entrait en légitimité » devait dire le général de Charette ([^8]).
#### *Les obsèques*
Le 2 septembre le corps du Roi quitta Frohsdorf au milieu d'une foule d'environ 20 000 personnes pour gagner la gare de Klein Wolkersdorf où devait se faire l'embarquement. Ainsi se manifestaient l'affection et la reconnaissance des populations locales.
Puis le lourd train spécial, avec son wagon chapelle, s'en fut vers le tombeau des derniers Bourbon de France à Goritz, petite ville située à la jonction actuelle de l'Autriche, de la Yougoslavie et de l'Italie. Tout le long du parcours les gares étaient tendues de noir sur instructions de François-Joseph, et beaucoup de châteaux eurent la délicate attention de hisser un drapeau noir fleurdelisé au passage du convoi.
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Et ce furent les obsèques solennelles, en présence des personnalités et de la population de la ville et des environs qui connaissaient et aimaient le Comte de Chambord... En un temps où les voyages étaient onéreux, longs et fatigants il est remarquable de noter la présence de plus de 3 000 Français dont certains étaient passés par Frohsdorf. Les listes publiées par la *Gazette de France,* très incomplètes, mentionnent une cinquantaine de représentants de la presse, cinquante-deux ouvriers et employés accompagnant les typographes de l'*Espérance du Peuple,* une centaine d'anciens Zouaves Pontificaux conduits par un officier de chaque grade, des sénateurs et députés, vingt-cinq jeunes Saint-Cyriens ([^9]), plus de vingt chefs de familles ducales et princières, une vingtaine d'ecclésiastiques en outre de ceux qui étaient au chœur et toute une masse de « sans grade » qui avaient accompli le voyage de leur vie pour que le Roi ne fût pas seul en terre étrangère.
Il ne nous reste plus qu'un mot à dire, pour terminer. Le Duc de Castries a parlé du « grand refus du Comte de Chambord ». Eh bien, il y eut refus du Prince, c'est vrai ; mais pas dans le sens où l'entend son biographe qui l'en juge sévèrement.
Henri V n'a pas refusé les journées bouffonnes ou tragiques de la révolution ; il n'a même pas refusé la guillotine. Il n'a pas non plus opposé le drapeau blanc au drapeau tricolore.
Mais le Roi de France a refusé la doctrine révolutionnaire ; il a refusé de couvrir de son autorité la confusion des esprits, se situant ainsi dans la longue théorie des défenseurs de la Cité et des droits de Dieu, avec Pie IX, Pie X, Pie XII, Pétain... et aujourd'hui Mgr Lefebvre.
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Il s'est ainsi opposé à une autre longue et tragique théorie, qui va de Robespierre aux Bonaparte pour se continuer par l'affairisme des trois ducs en 1873, l'opportunisme du Ralliement en 1892, la condamnation de l'Action française en 1926, et aboutir à de Gaulle puis au Concile avec ses tristes suites. Oui ! Ce fut un refus, un grand et beau refus, auquel nous demeurons fiers de souscrire encore aujourd'hui.
Maurice de Charette.
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### N'oubliez pas le divin Marquis
par François Brigneau
*Lettre à M. Claude Manceron, historien,\
sur Sade et la Révolution*
Maître,
Votre absence surprend. On ne voit plus votre barbe. Superbe, généreuse, modèle « plastron », dit encore « de poitrine », preuve de la pérennité marxiste jusque dans le culte et la culture du poil, elle fut le symbole du changement et le soleil velu de l'été de grâce. Toujours en première ligne des festivités, la télévision multipliait son image jusqu'aux fins fonds de nos villages.
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Si d'aventure un gros malin s'écriait : « *Qui est ce vilain barbu ? *», il se trouvait toujours un citoyen dans l'assistance pour remettre le paltoquet à sa place en disant : « *C'est M. Claude Manceron, l'historien. Il a préparé le présent en écrivant le passé. *»
Et puis, peu à peu, vous vous êtes éclipsé. Vous avez disparu. J'en ai pris conscience l'autre jour et comme je m'inquiétais, les mines se firent graves, alentour :
-- Il travaille, me dit-on, en baissant la voix, comme si l'on voulait protéger le silence, propice au créateur. Il a entrepris sa grande œuvre. Un opéra républicain, pour le bicentenaire de 89... Vous comprenez... Les réussites artistiques et culturelles du premier Front Populaire furent courtes et limitées. L'Expo de 37 ne dura que le temps de l'inauguration : Blum la quitta pour s'en aller. La *Marseillaise,* de Jean Renoir, est un film raté et conventionnel, au mauvais sens du terme. Nous pouvons faire beaucoup mieux. Le maître se trouve déjà à la tâche pour un spectacle total, allégorique, historique, lyrique, coupé de danses et de ballets, mêlant tous les arts, dans la célébration de cette rupture qui fut une naissance...
L'émotion faisait vibrer mes interlocuteurs. Je me suis trouvé tout remué et habité soudain d'une idée fixe : aider à votre entreprise, dans la mesure de mes faibles moyens, bien sûr, mais de toute ma ferveur qui, elle, n'est pas étroite.
Voici qui tombe à pic. Un livre vient de paraître. Vous n'en avez peut-être pas pris encore connaissance, tout accaparé par le geyser de vos travaux. Il s'agit de l'œuvre capitale de M. Gilbert Lely, *Vie du Marquis de Sade,* édition de 1983, revue, complétée, publiée par M. J.-J. Pauvert aux éditions Garnier.
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Malgré son titre, ce gros volume de 693 pages commence au XII^e^ siècle, en Avignon, pour se terminer à Vernouillet, département de l'ancienne Seine-et-Oise, le 26 mai 1940, le jour où mourut Maurice-Henri Meyer-Heine, 56 ans, ancien membre du parti socialiste, puis du parti communiste, ancien journaliste à *L'Humanité,* poète surréaliste, collaborateur technique du marchand de tableaux Ambroise Vollard, enfin, et surtout, auteur d'une *Vie* et de *Morceaux choisis* du Marquis de Sade, ouvrages qui font autorité et que M. Lely cite beaucoup.
Rassurez-vous. Mon apport sera plus rétréci. Je resterai dans nos dates, de 89 à 94. Je ne me permettrai pas de vous distraire par des gaudrioles, fussent-elles philosophiques et libertines, qui ne seraient pas nouées à votre sujet. Il ne s'agit ici que du Sade révolutionnaire, dont il convient de remettre en mémoire quelques traits. L'animal manquerait à votre fresque. Sans lui et ses fantasmagories, l'époque n'eût pas été aussi achevée. Ce n'est pas exagérer que dire qu'il la résume et l'éclaire. Il la révèle. Sade voulait défier Dieu par la souffrance donnée comme un spectacle et les représentations obscènes qui l'accompagnaient. La Terreur ne fut que la projection de son délire sur grand écran.
Ses rapports avec la Révolution sont si étroits qu'il s'en fallut de dix jours qu'il ne fût libéré par l'émeute, le 14 juillet. Louis-Alphonse Donatien, hissé sur les épaules de la canaille tandis que la tête de M. de Launay se promenait au bout d'une pique (dont il allait devenir membre de la Section), avouez-le, maître : le tableau et son saisissant raccourci eussent valu tous les discours.
Malheureusement la réalité n'a pas toujours le sens de la mise en scène. C'est le 4 juillet que M. de Sade sort de la Bastille où le roi le tenait, sur la demande de sa famille, depuis douze années. Il y laisse plus de cent louis de meubles, d'habits ou de linge, six cents volumes « dont quelques-uns fort chers », quatorze manuscrits, dont celui des *120 journées de Sodome,* considéré par les spécialistes comme un sommet.
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Trouvé par Arnoux de Saint-Maximin, confié à la famille Villeneuve-Trans qui le conserva durant trois générations, le manuscrit fut vendu à un « amateur » allemand au début du siècle et publié en 1904, par le psychiatre Iwan Bloch, en raison de « sa grande importance scientifique ».
Nu comme la main, un pistolet sur la gorge, Sade est donc conduit le 4 juillet 1789, à une heure du matin, par six hommes de police, à la maison de Charenton Saint-Maurice, hospice de déments tenu par les Frères de la Charité. On ne retient plus contre lui les crimes d'empoisonnement et de sodomie dont il était accusé au moment de son procès. Simplement du « libertinage outré auquel il se livrait et des absences d'esprit auxquelles il était sujet et qui faisaient craindre à sa famille, que dans un de ses excès, il ne finît par la déshonorer ».
Autant dire rien au regard d'aujourd'hui. L'honneur des familles ne se loge plus dans les culottes. Si tant est qu'il revendique encore sa place quelque part.
\*\*\*
En 1789, M. de Sade a 49 ans. Descendant d'une vieille famille provençale, il possède des terres, des châteaux, des biens, quelques relations, l'assurance que donnent la fortune héritée et la découverte des idées nouvelles, sans oublier la plus méchante des réputations. De taille moyenne (1 m 68), il a le regard bleu mais brillant sous des cheveux blonds. Il ne manque ni de morgue, ni d'allure malgré l'obésité qui vient. Le vice qui le possède ajoute à son charme. Les dames en redemandent parfois.
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Sur son visage d'un dessin ovale et que la détention a empli sans l'amollir, passent les ombres et les lumières de ses humeurs. Ses colères sont soudaines et dévastatrices. Ses gardes et ses proches les ont mesurées. Il a des exigences d'enfant que ses pouvoirs d'adulte rendent plus redoutables. Par son caractère, il annonce le révolutionnaire. C'est un homme qui accuse volontiers le ciel et la terre de leurs fautes, sans reconnaître jamais ses crimes, tout en réclamant toujours le droit à la responsabilité.
Dès l'âge d'homme, M. de Sade a manifesté des appétits pervers qu'une immoralité de principe et de système poussait à la justification par raison démonstrative. Le procédé dénonce aussi son jacobin. L'horreur commise, il ne se jette pas aux pieds du crucifix pour implorer le pardon. Il revendique le droit de l'homme à être inhumain ou a-humain.
Le récit de ces turpitudes ne constitue pas l'objet de cette lettre. Vous les connaissez mieux que moi, maître, et sans y attacher plus d'intérêt. Il n'existe plus de littérature sous le manteau. Giscard l'a supprimée. Les vidéo-cassettes font le reste. Vous l'avouerai-je aussi ? Le goût me manque de m'y attarder. Ces femmes qu'on loue pour les flageller ; celles que l'on drogue pour des locomotions diverses ; le valet maître-queue et maître-jacques ; le Christ mêlé à toutes ces misères : ce n'est pas parce que ces histoires sont vendues désormais dans les bibliothèques de gare qu'elles nous mettent pour autant en train.
Allons donc à notre sujet : Sade républicain. Pour avoir raté le 14 juillet de dix jours, il reste dix mois de plus à Charenton. Le vendredi-saint, 2 avril 90, un décret de l'Assemblée l'en sort. Le 1^er^ juillet il se fait délivrer une carte de « citoyen actif » de la section de la place Vendôme, future section des Piques. Le 14, il assiste, pendant six heures sous la pluie, à la « fête nationale ». Le peuple grommelle. Le mauvais temps lui fait dire que « Dieu vient de se déclarer et qu'il est aristocrate ». M. de Sade, qui n'est pas Dieu, va supprimer sa particule. Il devient le citoyen Louis Sade.
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Toutefois le citoyen, comme le ci-devant, fait deux et parfois trois repas par jour. Or, en juin 91, les boutiquiers refusent les assignats et le crédit. Affligé, le citoyen Sade se couche sans dîner. Les temps sont durs. *Justine ou les malheurs de la vertu* va pourtant sortir des presses, relié en veau. Sade s'en réjouit à peine. Les assemblées générales de la section Vendôme, en l'église des Capucins, exigent sa présence. La tentative de départ de Louis XVI le révolte : « *Quand l'indigne Capet revint de Varennes, je luy addressai une lettre fulminante,* écrit-il... *Elle courut tout Paris, fut lue sur les traîteaux, dans les Thuileries et jetée par mes soins dans son carrosse quand il traversa la place de la Révolution. *»
La passion le brûle. Il dit son fait au Roi vaincu par sa bonté. Comme il sait agir avec les femmes, il le conseille sur la sienne : « *Sachez vous en séparer ; elle ne vous est plus nécessaire ; renvoyez-la dans sa patrie. *» Le dernier volet déplaira peut-être au parti des immigrés. Pour la Révolution et dans le mouvement ça passera, surtout venant d'un homme comme Sade, tellement dans les goûts d'aujourd'hui qu'on en fait un classique, cité dans les écoles, parce qu'il sut toujours ne rien mettre au-dessus de ses plaisirs, sauf la boue.
Vous voyez la scène à faire. La berline, crottée jusques aux malles, qui va lentement au pas des chevaux rompus. La foule, immobile et lasse, qui regarde. Soudain, un homme la fend. C'est le citoyen Sade, le forniqueur tous terrains, qui court à la portière et jette son placet au visage de Louis, Écoutez-moi, cher maître. Vous ferez un triomphe.
\*\*\*
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En 1792, Louis Sade, ci-devant marquis, a encore haussé le ton. Il écrit à sa femme, qui n'a pas voulu reprendre la vie commune. « *Je suis patriote, moi, Madame et l'ai toujours été. *» A ses fils : « *Le roi est un traître, un scélérat. *» « *Il n'y a que des imbéciles *» qui peuvent demeurer sous la bannière de ce « *fourbe *». Le 25 octobre 1792, l'Assemblée générale de la Section des Piques (anciennement place Vendôme) nomme le citoyen Sade, commissaire. Le 21 janvier 1793, jour de l'assassinat de « *Louis Capet, 39 ans, profession : dernier roi de France *», guillotiné sur la place de la Révolution à 10 heures 22 minutes, le commissaire Sade s'occupe « de la surveillance des secours donnés dans les hôpitaux ».
Le 13 avril 1793, Louis Sade est nommé juré dans des affaires de faux assignats. Il explose et l'écrit à son notaire « Juge ! Moi, juge. »
Le 13 mai il fait un « don forcé » (déjà) de cinquante livres pour soutenir la guerre de Vendée. Il récidive, en octobre.
Le 23 juillet, il devient président de la Section des Piques. A ce titre il transmet les consignes pour la Fête de la Constitution. Les propriétaires et les principaux locataires seront tenus :
1° -- de faire peindre sur leurs façades ces mots : *unité, indivisibilité de la* RÉPUBLIQUE, *Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort ;*
2° -- de placer au-dessus de leurs maisons une flamme aux trois couleurs surmontée du bonnet de la liberté.
Il y a belle lurette que M. de Sade a jeté le sien par-dessus les moulins qui n'étaient pas de Valmy. S'il n'était pas aussi affaissé, il aimerait certainement organiser ses parties égalitaires, somme toute, puisque le valet besognait le seigneur, en se contentant seulement de coiffer du bonnet phrygien les dianes chassées invitées aux ébats. Vous tenez là, cher maître, un excellent argument de ballet.
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Ce comportement républicain de l'ancien Père Fouettard d'Arcueil et de l'immortel auteur des *120 journées* est déjà réconfortant. Il y a mieux.
Du 2 au 9 septembre 92, les 48 sections qui sont à Paris le pouvoir révolutionnaire, tuent jour et nuit dans les prisons. A l'Abbaye, aux Carmes, à la Conciergerie, au Châtelet, à la Tour Saint-Bernard, à la Force, à Saint-Firmin, à Bicêtre, c'est une super-fête sadique qui s'improvise. A la lueur des torches et des lampions, dans les salles, les cours, au guichet, on ripaille, on boit, on juge, on cogne, on viole, on tue. « La lubricité se mêle à la cruauté » écrit Gustave Gautherot dans son *Histoire politique des Massacres.*
Sade n'y prend pas part directement. Il monte la garde à l'église des Capucins. Mais il écrit : « *Dix mille prisonniers ont péri dans la journée du 3 septembre. Rien n'égale l'horreur des massacres commis, mais ils étaient justes. *»
Vous voyez, maître, le parti que vous pouvez tirer de ce témoignage. Si vous évoquez la boucherie de la Force, 170 cadavres de femmes, d'hommes et d'enfants abattus, rue des Ballets, devant la prison, au moment qu'ils croyaient avoir retrouvé la liberté ; ou la mise à mort de la princesse de Lamballe, morceau de bravoure s'il en est : la princesse refuse de jurer haine au roi, à la reine et à la royauté ; on la frappe à la nuque ; elle tombe au milieu de la rue ; des piques la transpercent ; la foule la déshabille, la mutile, la traîne dans Paris, la tête à part, plantée au bout d'une pique et portée jusqu'aux murs du Temple ; si vous montrez la boucherie des Carmes, faites entendre *off* la voix du divin marquis : « Ces massacres, ils étaient justes. »
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Ils furent d'ailleurs ordonnés par les 48 sections de Paris, la Section des Piques approuvant la décision de la Section du Faubourg Poissonnière : « Considérant les dangers imminents de la patrie et les manœuvres infernales des prêtres, la section arrête que tous les prêtres et personnes suspectes enfermés dans les prisons de Paris et d'Orléans seront mis à mort. »
Tel en était également le souhait du grand homme de Sade, l'un des personnages les plus représentatifs de votre Révolution : le nommé Jean-Paul Marat. Né Prussien, d'une mère genevoise et d'un père sarde, son patriotisme coulait de source, sinon de sang. Savant méconnu, disgracié, tordu, malade, la peau mangée de dartres, la passion de l'égalitarisme le brûlait. Cela se comprend. L'égalitarisme n'est souvent que la forme politique de l'envie.
Dès le mois d'octobre 89, il déclarait que le peuple ne pouvait se libérer « qu'en étouffant ses oppresseurs dans leur sang ». Depuis il n'a cessé de réclamer des têtes par centaines, par milliers, par centaines de milliers. « *Marat recueille en septembre ce qu'il sème depuis trois ans,* écrit Edgar Quinet qui ajoute *: La face et la main de Marat sont restées empreintes dans le suaire de septembre. *»
Cet acharnement s'explique aussi par un phénomène que vous connaissez bien, maître : ce goût puissant de la propriété qui vient même aux partageux. Citons Gautherot : « *Marat avait été l'un des bénéficiaires du 10 août* (92)*. Le 10, la Commune avait intercepté à la poste des journaux* « *aristocratiques *», *ordonné l'arrestation des* « *auteurs et imprimeurs de ces feuilles anticiviques *», *et décidé que* « *leurs presses et instruments seraient distribués entre les imprimeurs patriotes *». *Muni d'un ordre du Comité de Surveillance et accompagné de* « *solides *» *amis, Marat s'était alors rendu au Louvre, où se trouvait l'Imprimerie Nationale ; il en avait emporté quatre presses et quantité de caractères. C'était un vol. *»
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Non. C'était une dévolution de presses. Nous en avons connu d'autres. Et d'autres bénéficiaires. Leur attitude pendant l'Épuration ne fut guère différente de celle de Jean-Paul Marat. La peur de perdre ce que l'on vient d'acquérir pousse à la férocité.
Cela est si vrai que Marat ne s'en tint pas aux massacres de septembre. Grâce à l'*Ami du Peuple* devenu le *Journal de la République,* il va obtenir la condamnation à mort de Louis XVI, la création du Tribunal Révolutionnaire, l'arrestation des Girondins. La Révolution eût été encore plus belle si le « barbare assassin » de Marat n'eût arrêté cette course exemplaire. L'expression est de Sade. Car voici encore une scène à ne pas manquer, Maître. Sur le piédestal de la statue de la place des Piques, l'ex-divin marquis, l'homme aux bonbons à la cantharide anisée (spécialement composée pour provoquer des dérangements intestinaux), le justicier au fouet et au martinet à épingles, le philosophe libertin qui prouve l'inexistence de Dieu en « pédiguant » ses créatures dans le boudoir, lit son discours aux mânes de Marat. Scevola et Brutus sont évoqués. Mais l'âme de Marat est d'une autre pointure. Eux ne voulaient abattre qu'un tyran : le leur. Lui voulait les anéantir tous. Et qui ? Une femme ? « Sexe doux et timide » ? Non... Souffrez, Maître, que je consigne ici le passage qui concerne Charlotte Corday. Il le mérite tant il dépasse le sujet et le temps pour devenir d'une vive actualité : « *Le barbare assassin de Marat, semblable à ces êtres mixtes auxquels on ne peut assigner aucun sexe, vomi par les enfers pour le désespoir de tous deux, n'appartient directement à aucun. Il faut qu'un voile funèbre enveloppe à jamais sa mémoire ; qu'on cesse surtout de nous présenter, comme on ose le faire, son effigie sous l'emblème enchanteur de la beauté. Artistes trop crédules, brisez, renversez, défigurez les traits de ce monstre ou ne l'offrez à nos yeux indignés qu'au milieu de la furie des Tartares. *»
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Vous recevez le message de Sade, Maître ? C'est une merveilleuse leçon donnée par le divin marquis à tous les révolutionnaires dans l'art d'écrire et de raconter l'histoire. Modifiez, transformez, déformez pour que le passé soit comme le présent exige qu'il ait été. Quel enseignement pour votre opéra-anniversaire ! Charlotte Corday était belle. Faites-la laide. Elle était douce ? Montrez-la au milieu des furies des Tartares. Brisez, renversez, défigurez. C'est Charlotte Corday qui prend son bain de soufre dans la baignoire sabot. Marat, le bon médecin des pauvres, passe prendre de ses nouvelles. Il se penche vers elle. Elle redresse sa grosse tête couleur de terre de sienne brûlée sous son turban oriental. Un sourire diabolique ouvre ses lèvres sur ses dents jaunes. L'haleine qui en sort est si pestilentielle (comme dirait M. Chevènement) que le bon médecin des pauvres se retourne pour reprendre souffle et courage. Alors la mégère se dresse, sort un poignard de son sein flétri, et frappe l'Ami du peuple à la gorge. Avec Jean-Marie Proslier dans le rôle de Charlotte Corday et Jean Rochefort dans celui de Marat, ce tableau intitulé : « La vérité sur la mort de Marat » sera, j'en suis persuadé, le clou de votre opéra.
Vous voyez, mon cher Maître, vous ne pouvez vous passer du ci-devant marquis de Sade, président de la Section des Piques. Toutes les révolutions ont toujours besoin de lui. Il leur donne leur âme et leur feu.
Je vous prie d'excuser la liberté de mon initiative. Au moment de la terminer, je me dis qu'instruit comme vous l'êtes des dessous révolutionnaires, vous n'avez pas besoin de moi pour utiliser Sade. Si tel est le cas, ne voyez, dans ma démarche, que le désir de servir à l'œuvre magistrale que vous entreprenez et croyez à mon admiration circonstanciée.
François Brigneau.
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### La Nativité de saint Jean Baptiste
par Yves Daoudal
ON NE PEUT MIEUX DÉFINIR saint Jean Baptiste qu'en l'appelant le Précurseur. Précurseur du Christ, il l'est totalement, jusqu'à apparaître comme un reflet anticipé de Celui qui vient. C'est évident quand il baptise, si bien que cette fonction de baptiseur est devenue son deuxième nom. Jean baptisant dans l'eau annonce Celui qui baptisera dans l'Esprit. Il est aussi la voix qui annonce le Verbe, le cri mystérieux qui interpelle les hommes et attire leur attention sur la Parole divine qui vient exposer les Mystères. Il est la lampe qui annonce la lumière, qui rend témoignage à la lumière non encore visible. Il est Lucifer. Ce nom qui désigne le plus lumineux des anges (parce que le plus proche de Dieu avant sa chute) convient à Jean, le plus lumineux des prophètes parce qu'assez proche du Dieu fait homme pour le montrer du doigt et le toucher. Ce nom désigne aussi l'étoile du matin, qui annonce comme Jean la venue du soleil (et comme elle, il ne disparaît pas aussitôt mais continue quelque temps à témoigner de la véracité de sa prophétie).
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Il est l'ami de l'époux, qui précède l'époux et l'épouse au jour de leurs noces. Ne fut-il pas leur témoin dès l'origine, quand il tressaillit de joie, dans le ventre de sa mère, en présence du Christ qui venait de s'unir à son Église figurée par Marie, arche du salut et mère de la grâce ?
Il fut reflet du Christ jusque dans sa naissance. Mystérieuse et miraculeuse, elle fut annoncée elle aussi par l'archange Gabriel. Et comme Jésus allait naître au solstice d'hiver, lui naîtrait au solstice d'été. Et l'Église décida de célébrer cette naissance avec une particulière solennité, rehaussée par le fait que, mise à part celle du Dieu fait homme et celle de l'Immaculée, c'est la seule naissance qu'elle célèbre, se souvenant que Jean avait été purifié dès le sein de sa mère, au moment où celle-ci accueillit la mère du Sauveur, qui inaugurait alors sa fonction de médiatrice de toute grâce.
La nativité de saint Jean Baptiste est à ce point un reflet de la naissance de Jésus qu'au Moyen Age, cette fête était la Noël d'été et qu'on y célébrait trois messes, comme à Noël. La liturgie a gardé quelque chose de cette antique audace. Ainsi l'introït et l'épître sont un extrait d'Isaïe qui parle du Christ, puisqu'il ne s'agit de rien moins que du second « chant du serviteur de Jahvé ». Quant à l'antienne du Magnificat, elle renvoie explicitement à l'introït de la troisième messe de Noël *Puer qui natus est nobis :* cet enfant qui nous est né...
Les reflets sont produits par réfraction de la lumière sur des plans différents. Aussi la nativité de saint Jean Baptiste, réfractant la lumière de Noël, se reflète-t-elle en retour sur le solstice d'hiver dans la fête de saint Jean l'évangéliste, et si l'on a une Noël d'hiver et une Noël d'été, on a aussi une Saint-Jean d'hiver et une Saint-Jean d'été. Selon une ancienne tradition, l'Évangéliste serait mort le 24 juin. L'Évangéliste est l'ami intime du Seigneur, le seul qui l'accompagnera jusqu'au bout. Le Baptiste se définit lui-même comme l'ami de l'Époux.
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Jean signifie : grâce de Dieu. Le Baptiste annonce la grâce de Dieu qui vient, et l'Évangéliste témoigne de la grâce de Dieu manifestée au monde. Les liens entre les deux Jean sont soulignés par le fait que c'est dans l'Évangile de saint Jean que se trouve la phrase du Baptiste sur l'ami de l'Époux. Et la phrase qui suit immédiatement est celle qui ramène à l'autre parallélisme : « Il faut qu'Il croisse et que je diminue », phrase dont la triple signification est bien connue. Sens littéral il faut que je m'efface pour qu'Il remplisse sa mission. Sens historique : on me tranchera la tête et Lui sera élevé sur la croix. Sens cosmique : à partir de sa Nativité les jours s'allongent, à partir de la mienne ils se raccourcissent.
Pour qui n'a pas le sens traditionnel, il n'y a là qu'un vain jeu intellectuel. Au mieux, on concédera que ce jeu a été permis par l'Église quand elle a fixé la fête de Noël au 25 décembre, et celle de saint Jean Baptiste au 24 juin. Dans les siècles chrétiens, on ne raisonnait pas ainsi. Il était évident pour tout le monde que Jésus était effectivement né le 25 décembre et saint Jean Baptiste le 24 juin. On savait que le symbolisme est une réalité supérieure à la réalité visible, et que le symbolisme divin commande la réalité visible. Certes il arrivait qu'à partir d'un faisceau de symboles on découvre toute une série de symboles subséquents et que certains d'entre eux aient davantage une valeur de convenance que de réalité supérieure. Mais on savait de science certaine que dans la hiérarchie de la création les symboles essentiels de la religion, de la liturgie, sont des réalités supérieures, qui non seulement ne sont jamais en contradiction avec les réalités humaines et avec l'histoire des hommes, mais les informent et leur donnent leur réalité.
On nous dit maintenant que la fête de saint Jean Baptiste a été fixée par déduction à partir de la date de Noël. Mais a-t-on bien lu le tout début de l'évangile de saint Luc ? Il est rare qu'on le lise attentivement : on est trop pressé d'arriver à ces pages sublimes et si émouvantes de l'Annonciation et de la Visitation. Alors on passe rapidement sur l'Annonciation... de saint Jean Baptiste. Pourtant c'est déjà l'archange Gabriel qui parle.
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Et la circonstance vaut qu'on s'y arrête. Zacharie offre l'encens. Il est seul dans le Temple. Au dehors, la multitude du peuple prie et attend sa sortie. Il ne sort pas et il n'y a pas un lévite, pas un serviteur du Temple qui aille voir ce qui peut bien se passer. Comment cela se fait-il ? La réponse fait apparaître une parfaite concordance entre la Tradition et les recherches historico-archéologiques. Comme ce sont des choses dont on ne parle jamais, je me permets de la souligner avec une certaine solennité.
Il y a une seule occasion où le prêtre pouvait être seul dans le Temple. C'était le jour de l'Expiation. Les circonstances en sont bien connues des chrétiens, grâce à l'épître aux Hébreux qui explique comment le Christ a accompli la figure. Ce jour-là, le grand-prêtre entrait seul dans le Saint des Saints, avec un vase de sang, pour l'expiation des péchés d'Israël. Le Christ, lui, est entré une fois pour toutes dans le Saint des Saints véritable de l'éternité, non pas avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre sang répandu sur la croix. C'est l'épître du dimanche de la Passion.
Mais, objectera-t-on, rien ne nous dit que Zacharie était le grand-prêtre, et il n'est pas question d'un vase de sang, mais seulement d'encens. A la première objection, on répondra facilement. L'évangile nous dit que Zacharie était de la famille d'Abia. Cette famille était l'une des vingt-quatre familles de grands-prêtres, princes du sanctuaire, établies par David dans la descendance d'Aaron. Chacun des vingt-quatre grands-prêtres officiait à son tour dans le Temple selon l'ordre fixé par David. Non seulement Zacharie était assurément grand-prêtre, mais il avait, comme Abia son ancêtre, le huitième rang. C'était lui qui officiait la huitième semaine. Huit est le chiffre de l'Évangile. A cause des béatitudes, à cause du symbolisme du huitième jour, le jour de la résurrection, le dimanche de la béatitude éternelle. De même la huitième semaine est celle qui rétablit l'ordre originel pour toujours après les sept semaines de l'histoire du monde. C'est pourquoi, entre les vingt-quatre grands-prêtres (qui deviennent mystiquement les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse) c'est le huitième qui est choisi pour être le père du Précurseur, de l'Annonciateur du Salut.
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La réponse à la deuxième objection est encore plus facile. A l'époque de Zacharie, il y avait longtemps que le Saint des Saints était vide. Depuis que l'Arche d'alliance n'y était plus, le rite du vase de sang n'était plus observé, le grand-prêtre ne pouvant plus asperger l'arche avec le sang de l'expiation. Il se contentait du rite de l'encens : à l'autel d'or où brûlaient perpétuellement les parfums en l'honneur de Dieu, il prenait des charbons ardents, les mettait dans un vase, y versait l'encens sacré, et le déposait sur une pierre au milieu du Saint des Saints.
Pour les commentateurs modernes de l'Évangile, ce jour de l'apparition de saint Gabriel à Zacharie était un jour de semaine, ordinaire. Effectivement les prêtres offraient l'encens matin et soir, chaque jour. Mais alors Zacharie aurait été dans le Saint, et non dans le Saint des Saints. Et il est invraisemblable qu'il pût être seul dans un sanctuaire qui grouillait de lévites et de serviteurs attachés au Temple, invraisemblable que personne ne soit au moins allé voir pourquoi il ne revenait pas. D'autre part l'Évangile évoque la multitude du peuple qui priait au dehors. Ce qui est difficilement plausible pour un jour de semaine. On peut concéder que c'était peut-être un sabbat. Mais ce serait une raison supplémentaire à l'invraisemblance de la solitude de Zacharie dans le sanctuaire. Enfin il n'est pas sans importance que ce texte soit le début de l'évangile de saint Luc. Ce serait pour le moins curieux que cet évangile soit le seul qui commence par le récit d'un événement qui ne soit pas de la plus haute importance dans toutes ses dimensions. Les évangiles sont des textes trop courts pour que les auteurs sacrés aient pu se permettre de raconter des faits qui ne soient pas absolument essentiels. De plus il ne faut pas oublier que tout le début de l'évangile de saint Luc ne peut venir que de l'épanchement du cœur de Marie, et qu'elle n'y conservait que l'or, le plus pur. Sinon, saint Luc aurait écrit une bibliothèque entière sur les fondements historiques des cinq mystères joyeux du Rosaire...
57:274
Ici je me permettrai une note plus personnelle. Saint Ambroise expose comme allant de soi que Zacharie était le grand-prêtre et qu'il célébrait le jour de l'Expiation quand il fut favorisé dans le Saint des Saints de l'apparition de saint Gabriel. Or le commentaire de saint Luc par saint Ambroise me paraît très supérieur dans son élévation aux autres livres de ce docteur. On peut souligner les emprunts qu'il fait à Origène, mais cela ne me satisfait pas. Et je n'arrive pas à me défaire de l'idée que saint Ambroise était dépositaire d'une tradition remontant à saint Luc.
Quoi qu'il en soit, si ce ne sont pas des preuves absolument irréfutables, il me semble que ce sont plus que des indices qui permettent d'avancer que l'annonciation de saint Jean Baptiste eut lieu le jour de l'Expiation. Or ce jour unique dans l'année avait lieu à l'équinoxe d'automne. Il s'ensuit que la nativité de saint Jean Baptiste eut effectivement lieu au solstice d'été. A partir de là, en faisant les mêmes calculs dont on s'est soi-disant servi pour déterminer cette fête à partir de Noël, on arrive à la conclusion que Jésus est réellement né au solstice d'hiver ([^10]). Je concède qu'il y a là de quoi défriser la quasi-totalité des exégètes, et que par contre les âmes simples trouveront que je ne fais qu'enfoncer des portes ouvertes. Il est bon tout de même que ces âmes-là sachent qu'il n'y a pas à ma connaissance un seul exégète moderne qui croie que Jésus soit né au solstice d'hiver et saint Jean Baptiste au solstice d'été.
Pourtant, si l'on accepte leurs postulats, on se trouve devant une série de coïncidences assez invraisemblable. Ainsi donc la fête de la Nativité a été fixée au solstice d'hiver pour récupérer les fêtes païennes, et elle a été choisie en raison des convenances cosmico-symboliques.
58:274
Soit. A partir de là, on détermine la fête de saint Jean Baptiste grâce à la date donnée par saint Luc dans le récit de l'Annonciation : six mois après la conception de saint Jean. Les neuf mois de gestation de Jésus plus six mois, cela donne l'équinoxe d'automne. S'il est simplement logique que la naissance du Christ fixée au solstice d'hiver implique sa conception à l'équinoxe de printemps, c'est tout de même un merveilleux hasard que la conception du Précurseur ait lieu à l'autre équinoxe. Et un autre merveilleux hasard qu'elle ait lieu quand la lumière (naturelle et, symboliquement, de l'ancienne alliance) décroît, et celle de Jésus quand la lumière nouvelle gagne sur les ténèbres. Et que la date de la naissance de saint Jean Baptiste, calculée uniquement, rappelons-le, par déduction mathématique de celle de Noël, ajoute une dimension cosmique à la phrase : Il faut qu'Il croisse et que je diminue.
C'est par un hasard encore plus extraordinaire que la date de la conception de saint Jean Baptiste tombe ainsi au jour de l'Expiation, quand le grand-prêtre entrait seul dans le Saint des Saints, et que par un dernier fabuleux hasard, saint Luc commence son évangile en parlant du prêtre qui offre l'encens, seul dans le Temple.
Le plus convaincant des adeptes du hasard ne me fera pas croire qu'une telle masse de coïncidences, qu'un tel faisceau de concordances historiques et symboliques résulte de rencontres fortuites. Je crois au Saint-Esprit, et je crois que le Saint-Esprit ne se moque pas des hommes. Et que Dieu est maître des temps et de la nature, comme il l'est des symboles par lesquels il fait entrer les hommes dans la connaissance des réalités supérieures.
Yves Daoudal.
59:274
### L'Effusion de Sang
*Pour la fête du Précieux Sang*\
*le 1^er^ juillet*
COMMENT ne pas être frappé de l'importance et de l'insistance de l'idée du sang dans la Bible, et d'ailleurs dans toute l'histoire humaine ? D'un meurtrier ne dit-on pas qu'il a du sang sur les mains ? « Verser le sang » est synonyme de tuer, et l'on sait ce que signifie être *un homme sanguinaire.* Voulant stigmatiser la répression de Marie Tudor, les Anglais l'ont appelée *the blody Mary.* Le mot *sang* entre également dans l'idée mystérieuse et profonde du comportement humain : « Ils ont ça dans le sang. »
60:274
Et pour exprimer ce que l'homme porte de plus noble en lui, le mot apparaîtra presque infailliblement : ainsi appelle-t-on *princes du sang,* ceux qui appartiennent au lignage royal. Bon sang ne saurait mentir, dit le proverbe, et l'on dira que la *voix du sang* se fait entendre quand l'homme écoute en lui-même l'appel d'un mot d'ordre sacré : « Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte » dit Don Diègue. Donner son sang, exprimera l'action la plus haute, le plus bel acte d'amour, devant lequel, fût-il un ennemi, l'homme se découvre. Enfin dans le symbolisme antique des religions naturelles, le sang exprime l'âme, le principe vital. Donc pas de sacrifice sans effusion de sang.
Combien de pages de la Sainte Écriture ne sont que la description minutieuse des sacrifices rituels : Le Lévitique, par exemple, est une série d'hécatombes, d'où s'écoulent des ruisseaux de sang. La première circoncision établit un pacte d'alliance entre Dieu et Moïse, son enfant et sa femme : Sephora prit une pierre tranchante, coupa le prépuce de son fils et en toucha les pieds de Moïse en disant : « Tu es pour moi un époux de sang. » (Exode IV, 24.)
C'est sur ce fond de pensée religieuse que s'enracine l'économie de la Rédemption. Mystérieuse correspondance entre les intuitions fondamentales de l'humanité et les procédés divins dans l'ordre surnaturel. Si la Croix met fin aux sacrifices sanglants, c'est parce que ceux-ci, impuissants à sauver, n'étaient que l'image et la prophétie d'un Sang « plus éloquent que celui d'Abel » (Héb. XII 24).
La Nouvelle Alliance est éternelle et définitive, parce qu'elle est l'entrée à la suite du Christ Jésus, pénétrant dans le Sanctuaire du ciel « avec son propre sang », *per proprium sanguinem.* Le culte des martyrs, né dès les premiers temps de l'Église, ne fait que prolonger ce pacte initial scellé dans le sang. Le martyre, parfaite imitation de Jésus-Christ, fut, dans la logique d'un christianisme naissant, le sort enviable qui garantit la réussite d'une vie. Il fallut même, à certains moments, interdire aux premiers chrétiens de s'exposer inutilement aux persécutions.
61:274
Lorsque l'un d'entre nous subit les assauts de la tentation (« heureuses les âmes tentées », disait le curé d'Ars), il regarde son Crucifix : « Voilà ce que le Sauveur a souffert pour moi. Vais-je trahir celui qui m'a aimé jusqu'à la mort ? Est-ce possible ? » Toute tentation surmontée est l'œuvre d'un amour plus fort, qui éclipse les autres amours.
Il semble alors que la vision du Crucifié soit la grâce suprême, celle qui interdit tout retour en arrière, tout atermoiement. C'est pourquoi nous serons jugés sur l'usage que nous aurons fait de ce signe terrible de l'Amour de Dieu :
« *Hoc signum erit in Caelo cum Dominus ad judicandum venerit *» (liturgie).
Pascal écrit que le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde : « J'ai versé telle goutte de sang pour toi. » Sainte Thérèse d'Avila se convertit à la vue d'un buste du Christ inondé de sang. Sainte Angèle de Foligno entend la fameuse parole qui la bouleversera pour toujours : « Ce n'est pas pour rire que je t'ai aimée. » Et saint François d'Assise, ravi hors de lui-même par la contemplation des souffrances du Christ, répétait en gémissant : « l'Amour n'est pas aimé ! »
Le splendide essor de la peinture religieuse qui s'est propagé depuis la péninsule ibérique jusqu'en Amérique latine tend, à partir du XVII^e^ siècle, à exprimer le douloureux, l'inexprimable Amour, par la représentation des souffrances du Christ. La fête du Précieux Sang fut instituée afin de « vénérer le prix de notre rachat » (collecte), et donc de pénétrer, à travers les plaies saignantes du Crucifié, jusqu'à la source de l'Amour incréé. En outre, notons-le, ce sang qui ruisselle, non seulement nous lave du péché, mais il nous constitue comme royaume. Il rassemble les fidèles en un seul corps. En un temps où l'on parle tant de rassemblement du peuple de Dieu, avec, semble-t-il, une note de complaisance trop humaine, il serait juste de rappeler que ce royaume s'est fondé dans le Sang, comme nous l'enseigne la liturgie : « Vous nous avez rachetés, Seigneur, par votre Sang, et vous avez fait de nous un Royaume à notre Dieu. » *Et fecisti nos Deo nostro regnum.*
62:274
Mais, dira-t-on, lorsque s'atténue le langage liturgique, lorsque les prédicateurs se taisent -- on n'entend que bien rarement des sermons sur la Passion. -- Que reste-t-il ? -- Il reste le langage silencieux du miracle.
Le récit que nous reproduisons ici est dû à un témoin digne de foi. Il s'agit de Maria Angelica de Souza Bruno qui gravite autour du Centre spirituel de Permanencia, fondé par le professeur Gustave Corçâo. Nous reproduisons le texte tel qu'il a été publié dans le numéro de décembre 1969 de la revue *Permanencia :*
*Nous sommes le 26 janvier 1968, dans une pauvre petite église, vieille de plus de 300 ans, à Porto das Caixas, dans l'État de Rio. Devant l'autel surmonté d'un Crucifix datant du XVII^e^ siècle, le peuple agenouillé prie avec ferveur, ce vendredi soir, pour la sanctification des prêtres et pour les vocations sacerdotales et religieuses. Or tandis que des fidèles priaient, deux personnes remarquèrent que les teintes estompées et brunies du Crucifix prenaient une coloration étrange. Le curé de l'église, Carlos Guillena, croyant qu'il s'agissait d'un reflet des cierges ordonna à l'enfant de chœur, Niromar, de les éteindre. Celui-ci en s'approchant, regarda et vit que des gouttes rouges coulaient des pieds, des genoux et du côté droit du Crucifix, en s'amassant sur le socle de bois qui supportait la croix. Le gamin trempa ses doigts dans ce liquide rouge, et dégringola de l'escabeau en disant :* « *Le Christ saigne* ! » *Le curé le réprimanda :* « *C'est de la peinture* ! » *Mais l'enfant criait de plus belle :* « E' sangue ! E' sangue ! » (*c'est du sang !*)*. Et pendant plus de 3 heures Jésus crucifié saigna de toutes ses plaies sous les yeux des braves gens qui se pressaient dans la petite église de Porto das Caixas. Les examens chimiques du laboratoire confirmèrent la véracité des paroles de cet enfant de 12 ans, l'acolyte Niromar Correia Macabu : le Christ saignait.*
63:274
*C'est aux enfants que revient le privilège d'avoir les premiers monté les degrés de l'autel, pour tremper leurs doigts dans le liquide rouge qui coulait goutte à goutte. José Francisco da Silva Gomès, 10 ans, prévenu par Niromar courut vers le Crucifix, et revint avec du sang plein les doigts pour le montrer à la petite Ana Maria et aux autres enfants. Puis il sortit de l'église, et, en chemin, rencontrant son père, il lui montra ses mains en disant :* « E'Sangue de Nosso Senhor Jesus Cristo. » *Le père le réprimanda sévèrement :* « Menimo, com Deus nao se brinca » (« *Petit, avec Dieu on ne s'amuse pas *»)*. Alors José Francisco devint tout triste et pleura.*
*Après les enfants il y eut grande affluence : hommes et femmes montèrent à l'autel pour observer le Sang qui coulait généreusement des plaies du visage, des mains, des poignets, de la poitrine, des genoux et des pieds du Christ crucifié. Certains en imbibaient linges et mouchoirs, beaucoup touchaient les plaies avec leurs doigts. Le Padre Carlos Guillena monta une deuxième fois, et constata que le Sang coulait bel et bien de toutes les plaies ; il approcha sa main de la bouche du Christ et le sang lui coula sur le dessus des doigts. Puis tout cessa. Mais le Sang restait coagulé sur le grand Crucifix et sur son socle de bois. La nouvelle se répandit. Les jours qui suivirent, on put voir un pèlerinage de fidèles et de curieux défiler dans la petite église. Pendant l'année 1968 il y eut des conversions, des guérisons et des grâces extraordinaires. Le clergé restait sur la réserve, jusqu'au jour où un missionnaire allemand, le Père Klaus Jez, de la Société du Verbe Divin, revenant des Indes, de passage au Brésil, tint à célébrer la messe à Porto das Caixas. C'était le 7 septembre 1969. Après avoir célébré la messe, il toucha, avec la croix de son vieux chapelet, le sang séché qui deux ans auparavant avait coulé abondamment du Crucifix. Puis il se mit à réciter le chapelet. Soudain il s'aperçut que la petite croix de bois de son chapelet était recouverte d'un sang rouge et brillant qui, pénétrant dans le bois noir, lui laissa une couleur marron.*
64:274
*Quelque temps plus tard, on reçut de la lointaine Sanawad, où il était retourné, des témoignages émouvants de l'action de la grâce, chez les païens auxquels il racontait le miracle de Jésus saignant à Porto das Caixas. Le missionnaire faisait réciter les mystères douloureux du saint Rosaire devant une photo du Christ de Porto das Caixas et les catéchumènes en ressentaient toujours une émotion allant parfois jusqu'aux larmes.*
Que dirons-nous après cela ? Peut-on ajouter quelque chose à ce saignement silencieux de Jésus, *en agonie jusqu'à la fin du monde ?*
Soyons de ceux qui croient à la *réalité* et à la *vertu* du sang rédempteur. Que chacun confronte sa vie avec l'événement unique qui a changé le destin des hommes, et qu'un miracle permanent renouvelle chaque matin sur l'autel du Sacrifice. Dans la tentation, regarder, baiser les plaies de son Crucifix, fût-ce à la dernière minute, comme Pranzini, c'est le désespoir impossible ; c'est la trahison impossible ; c'est -- je pèse mes mots -- la damnation impossible. Et, plus beau que tout, c'est peut-être l'aurore d'une vie nouvelle, le commencement d'un grand amour.
Benedictus.
65:274
### Les falsifications de l'évêque de Poitiers
L'évêque de Poitiers, Mgr Rozier, a publiquement falsifié les textes de moi qu'il citait. Il n'a accepté de corriger sa première falsification que par une autre. Il s'est considéré comme finalement dispensé de rectification et de réparation par le fait que la falsification était (à ce qu'il affirme) machinée et couverte par la direction de l'épiscopat. Je n'avais donc plus d'autre recours que d'opérer moi-même ces rectifications, en faisant tout connaître au public. Voici les textes, voici les faits.
*J. M.*
##### *La première agression*
En novembre 1982, dans son Bulletin diocésain, Mgr Joseph Rozier publie un discours qu'il a récemment prononcé à propos de la catéchèse, et qui contient notamment ce passage :
66:274
*Une campagne de dénigrement a été entreprise en France. --* J'en ai eu des témoignages personnels très caractéristiques en France et même à Rome, par la rencontre que j'ai faite d'un « détracteur » du mouvement catéchétique en France.
Ce qui a été dit en ce domaine dépasse en vérité l'imagination. A titre d'exemple, voici les propos tenus par M. Madiran : « *Les catéchismes officiels ne contiennent plus les trois connaissances nécessaires au salut éternel, ce qui est pourtant l'objet propre et le seul objet du catéchisme... Puis-je livrer mes fils et mes filles à une religion autre que celle de Jésus-Christ, c'est-à-dire accepter qu'ils soient élevés dans une Église qui ne leur donnera plus les paroles éternelles, mais un mélange de chair, de sang et de révélation ?... Puis-je accepter ce mélange de la foi en Dieu prostitué avec la foi en l'homme non racheté ? Vais-je, à côté de l'Église de Pierre bâtie sur le témoignage divin, me rendre complice d'une fausse Église dans laquelle basculeraient mes enfants ? *»
Ces propos sont inouïs par la critique qu'ils expriment et aussi par le postulat sur lequel ils reposent. M. Madiran est-il encore un adepte de la religion du « Verbe fait chair » ?
##### *Première lettre à Mgr Rozier*
(1^er^ décembre 1982)
Monseigneur,
Êtes-vous victime de l'imposture d'un provocateur ?
Ce n'est pas moi que vous avez rencontré.
67:274
Je précise :
1\. -- Que je ne vous ai rencontré ni à Rome ni ailleurs, et qu'en conséquence je ne vous ai jamais tenu les « propos » que vous m'attribuez page 607 de votre Semaine religieuse du 13 novembre.
2\. -- Que ni oralement ni par écrit je n'ai tenu à personne de tels propos. La citation que vous faites de moi entre guillemets a neuf lignes : sept sont inventées.
Je vous adresse donc, avec le présent démenti, une catégorique demande de rectification.
Daigne Votre Excellence agréer l'hommage de mon respect à la plénitude du sacerdoce.
Jean Madiran.
##### *Première réponse de Mgr Rozier*
(6 décembre 1982)
Monsieur,
Par votre lettre du 1^er^ décembre, vous m'interpellez sur une communication parue dans *Église en Poitou* concernant la catéchèse et où vous êtes effectivement mis en cause.
Cela me conduit en effet à certains éclaircissements.
Je n'ai jamais dit que c'est vous que j'avais rencontré à Rome. Une exégèse rigoureuse du texte ne permet pas de le déduire. Il s'agit en vérité de Monsieur Lemaire. C'est ce qui fait l'objet dans ce passage du premier paragraphe.
Au paragraphe suivant c'est, j'en conviens, par erreur, que vous est attribuée la totalité des propos qui sont cités. Je rétablis pour les lecteurs d'*Église en Poitou* la citation intégrale de votre propos avec lequel avait été amalgamée, par erreur, une citation extraite du magazine *Aider le pape.*
68:274
Pour faire droit à votre requête, je vous communique le texte de la mise au point que je fais paraître pour les lecteurs d'*Église en Poitou.*
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes meilleures salutations,
Joseph Rozier.
##### *La prétendue rectification*
Accompagnant la lettre de Mgr Rozier, le texte d'un rectificatif qui parut effectivement dans son Bulletin diocésain en date du 11 décembre 1982 :
Note de Mgr Rozier. -- Rectificatif concernant la communication faite à la rencontre des délégués des catéchistes.
La communication faite à la journée des catéchistes comportait un passage relatant la campagne de dénigrement entreprise en France sur la catéchèse. Ce passage appelle certaines précisions et une rectification.
Je fais allusion à « un détracteur » du mouvement catéchétique en France que j'ai rencontré à Rome. Le texte pourrait laisser croire qu'il s'agit de Monsieur Madiran. En réalité il s'agit d'un autre : Monsieur Lemaire.
De plus c'est par erreur que les propos qui sont cités dans le paragraphe suivant sont attribués à Monsieur Madiran. Il s'agit en réalité pour l'essentiel d'un extrait du magazine *Aider le pape.*
69:274
Je rectifie donc, à sa demande, cette attribution indue à M. Madiran de ce passage.
\[*La rectification de Mgr Rozier aurait pu s'arrêter là. L'honnêteté n'en demandait pas davantage, la justice était satisfaite. Et l'on n'en parlait plus. Malheureusement, Mgr Rozier ne tenait pas en place. Il voulait frapper à tout prix. Il a remplacé sa première falsification par une seconde falsification.*\]
Monsieur Madiran s'est contenté d'écrire : « *L'épiscopat impose un catéchisme qui n'est plus catholique. Sa pédagogie fait une place croissante à la politique* (*de gauche*) *et à la sexualité* (*rampante*)*, une place décroissante à la religion. Les catéchismes officiels ne contiennent plus les trois connaissances nécessaires au salut éternel, ce qui est pourtant l'objet propre et le seul objet du catéchisme. Les familles catholiques sont atterrées. Il y a un grand silence dans l'Église de France devenue elle aussi le monde clos du mensonge... L'Église de France est occupée par un pouvoir subversif qui travaille à l'aliéner progressivement. Les fumées de Satan s'épaississent en son sein et égarent une hiérarchie dévoyée. La nouvelle catéchèse qu'elle nous impose est faite pour accélérer le génocide du jeune peuple des croyants que déjà l'école publique consomme quotidiennement. La dénoncer et s'en soustraire est un devoir pour les parents.* »
On conviendra que l'erreur faite à propos de M. Madiran n'éloignait pas le lecteur de sa pensée, mais risquait de le laisser encore au-dessous de la vérité.
Cela fait partie typiquement de ces « campagnes d'opinion » en ce domaine dénoncées par le pape Jean-Paul II.
Joseph Rozier.
70:274
##### *Deuxième lettre à Mgr Rozier*
(9 décembre 1982)
Monseigneur,
Il y a encore erreur. Dans la nouvelle citation que vous faites, la moitié seulement du texte est de moi. L'autre moitié est, à nouveau, un faux.
Sans doute y a-t-il un net progrès sur la fois précédente, où le faux occupait les 7/9 de la citation.
Mais enfin je suppose que vous devez pouvoir finir par obtenir de vos collaborateurs qu'ils vous fournissent des citations entièrement exactes. C'est pourquoi je vous réitère mes réclamations.
Daigne Votre Excellence agréer l'expression du profond regret que j'éprouve à constater la gravité et la persistance d'une telle situation.
Jean Madiran.
Cette lettre ne fit l'objet d'aucune espèce de réponse de la part de Mgr Rozier. D'où la lettre suivante, recommandée avec accusé de réception comme les précédentes.
##### *Troisième lettre à Mgr Rozier.*
(25 janvier 1983)
Monseigneur,
Ma seconde réclamation contre les faux me concernant publiés par votre bulletin diocésain sous votre signature est du 9 décembre 1982.
71:274
Elle n'a obtenu aucune réponse ni, à ma connaissance, aucun résultat.
Puisqu'elle semble avoir été négligée ou égarée, je vous prie d'en trouver ci-joint copie.
Daigne Votre Excellence agréer l'hommage de ma respectueuse patience.
Jean Madiran.
##### *Seconde réponse de Mgr Rozier*
(26 janvier 1983)
On remarquera l'importance singulière de la révélation faite dans cette lettre par Mgr Rozier. La direction centrale de l'épiscopat diffuse, par circulaires clandestines, des attaques contre les personnes auxquelles elle veut nuire. Dans cette intention, elle va jusqu'à fabriquer des faux. Le noyau dirigeant de l'épiscopat intoxique ainsi l'ensemble des évêques, sans qu'on n'en sache rien ni qu'on puisse démentir et répondre.
Monsieur,
Je vous indique la source du texte émanant de vous que j'ai cité : il figure dans une circulaire que Mgr Boffet, président de la commission épiscopale de l'enseignement religieux, a adressée aux évêques de France en août 1982.
72:274
Je vous communique la photocopie de ce passage.
\[*La photocopie communiquée ne comporte effectivement que ce passage, sans aucun signe d'authentification qui permette de l'attribuer à qui que ce soit.*\]
La citation que j'en ai faite est peut-être partielle, mais elle est exacte.
Je n'ai aucune raison de douter de l'authenticité de ce texte. Ce serait à vous d'en fournir la contre-épreuve (sic !!!).
Si un correctif s'imposait, il devrait être signifié à Mgr Boffet et nous être communiqué par ses soins.
Recevez, Monsieur, mes meilleures salutations.
Joseph Rozier.
##### *Quatrième et dernière lettre à Mgr Rozier*
(4 février 1983)
Monseigneur,
Votre lettre du 26 janvier est inacceptable et injurieuse.
1\. Elle est inacceptable, car vous vous abritez indûment derrière une circulaire qui est privée (voire secrète), à l'égard de laquelle je n'ai par suite aucun recours. Tandis que vos écrits sont publics et que vous en êtes publiquement et juridiquement responsable ; comme vous êtes personnellement responsable de votre refus de rectification.
73:274
2\. Votre lettre est injurieuse, car vous osez m'écrire que vous n'avez « aucune raison de douter de l'authenticité » du texte de moi cité par la circulaire. Pourtant vous en avez une, Monseigneur, qui est mon démenti catégorique et insistant. Vous me jetez donc au visage que vous le tenez pour rien. Dans l'Église d'aujourd'hui, les simples laïcs ne sont plus surpris par l'insolence des grands. La vôtre me conduit cependant à interrompre toute communication avec vous.
Non sans vous avoir, c'est mon adieu, précisé deux points :
I. -- La seconde moitié du texte que vous persistez à m'attribuer frauduleusement est en réalité extraite d'un article de Rémi Fontaine paru dans le journal PRÉSENT.
II\. -- Je ne pouvais évidemment pas nourrir l'espoir insensé que mes textes seraient traités par vous avec plus d'exactitude que ceux de l'Écriture Sainte dans vos nouveaux livres catéchétiques et liturgiques. Aussi l'étonnement n'est-il pas au nombre des sentiments que suscite en moi votre comportement sans justice et sans vérité.
Daigne ou ne daigne pas Votre Excellence agréer l'expression de ma grande commisération.
Jean Madiran.
Cet épisode et tous autres analogues (ils sont nombreux) ne sont pas fortuits. Ils sont autant de diversions. Cela fait maintenant quinze ans que l'épiscopat français feint d'ignorer la substance des observations formulées à l'encontre de ses nouveaux catéchismes, et s'attache à esquiver tout débat sur les trois connaissances nécessaires au salut et les quatre parties obligatoires de tout catéchisme catholique.
*J. M.*
74:274
## NOTES CRITIQUES
### Marie Carré
Une grande convertie du XX^e^ siècle nous a quittés. Marie Carré, née Germaine Béguin, s'est éteinte à Marseille le 18 mars de cette année.
Née en 1905, d'un père suisse protestant sans pratique religieuse et d'une mère française sans religion, l'enfant fut baptisée dans le protestantisme. Très tôt, elle se sentit attirée par le culte catholique. Elle habitait Neuchâtel, ville protestante mais qui comporte une importante minorité catholique. A quinze ans, elle fit sa première communion protestante qui la déçut profondément. A seize ans, elle entreprit une immense étude sur les origines du christianisme. Elle acquit la conviction que, seule, l'Église catholique était restée fidèle à l'enseignement et aux institutions de Jésus. Un séjour en Angleterre lui permit de rencontrer le prêtre qui dissipa les difficultés qu'elle éprouvait encore à admettre la présence réelle.
De retour en Suisse, à dix-neuf ans, elle fut invitée au remariage protestant d'une jeune femme divorcée. Elle avait dans l'esprit la parole de Notre-Seigneur : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. » Ce fut le choc qui entraîna sa conversion.
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Elle dit à sa mère : « Je vais me faire catholique. » -- « Très bien, lui répondit sa mère ; mais tu sais que ta marraine est cardiaque ; tu ferais mieux d'attendre sa mort pour te convertir à un autre culte ; ton changement de religion pourrait lui provoquer une crise fatale. » La jeune fille hésita un peu, puis fit le pas décisif ([^11]). « Ma marraine, ajoute-t-elle, mourut en effet d'une crise cardiaque une quarantaine d'années plus tard. »
Ainsi convertie en 1924, elle épousa quelques années plus tard M. Carré, ingénieur français d'agronomie tropicale. Ils vécurent pendant trente-cinq ans aux Antilles, en Indochine, à Madagascar, au Maroc. Malgré les soucis de l'éducation de quatre enfants, Marie Carré put mettre au clair et en ordre la grande enquête qui avait préparé sa conversion. Elle ne put la publier qu'après 1960, sous le titre : *J'ai choisi l'unité.* L'éditeur lui avait malheureusement supprimé quatre chapitres entiers et imposé des corrections malencontreuses. Dans une troisième édition, publiée après le concile, il supprima en outre le chapitre : *La tolérance* (50 pages), comme contraire au décret conciliaire sur la liberté religieuse, ce qui était vrai, mais ce n'est pas Marie Carré qui se trompait ! Heureusement la quatrième édition, réalisée aux éditions de Chiré, reproduit intégralement le manuscrit de Marie Carré.
*J'ai choisi l'unité* est une apologétique de lecture facile, vivante et convaincante. Marie Carré la compléta en publiant : *Mémoires d'une jeune fille gaie* (livre malheureusement épuisé) dans lequel elle donne des détails précieux sur le processus de sa conversion. Nous avons déjà emprunté quelques traits à ce livre. En 1918, les Allemands avaient remis à la Croix-Rouge suisse des officiers français éprouvés par la captivité. Entrant un jour dans une église catholique de Neuchâtel, la petite fille de treize ans y trouva un général français qu'elle connaissait de vue. « L'officier était plongé dans sa prière, ne se doutant pas qu'une petite protestante le contemplait en tête à tête avec son Dieu et en tirait d'immortelles conclusions... » Des années d'étude et de lutte lui seraient encore nécessaires, mais cet exemple avait préparé de manière décisive sa conversion.
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En 1967-1968, Marie Carré publia dans ITINÉRAIRES Une *Vie de Jésus* d'après les quatre évangiles.
La crise conciliaire l'éprouva péniblement sans ébranler sa foi. Il faut avouer que les quelques livres qu'elle publia par la suite n'ont pas la valeur des précédents. E.S. 1025 raconte l'histoire d'un agent soviétique devenu prêtre, mais ce livre est un roman, alors que sa présentation laisserait croire qu'il s'agit d'un récit authentique. *L'Islam et nous* appelle de sérieuses réserves. Marie Carré a imprudemment étendu à la religion islamique la sympathie qu'elle éprouvait pour les Marocains musulmans avec lesquels elle avait vécu. Malgré ces quelques faux-pas, la vie et les premiers écrits de Marie Carré sont, en notre siècle troublé, un témoignage précieux de la vérité et de la vitalité de notre catholicisme, la seule voie de salut que Dieu ait donnée aux hommes.
Jean Crété.
### De la vieillesse
J'aimerais écrire un livre sur la vieillesse. *De senectute.* Mais je suis trop vieux et trop paresseux pour faire plus qu'y songer (car que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ?).
La vieillesse est un naufrage. Peut-être. Mais pas pour tout le monde. Il y a des vieillesses paisibles et heureuses. Il y faut quelques conditions : la santé, l'argent, le logement, le tempérament. Il y a des tempéraments naturellement heureux, d'autres malheureux, ou moroses, ou geignards.
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Je définirais volontiers la vieillesse : l'âge où l'on ne peut plus rien commencer, ni recommencer. Encore est-ce contestable. On peut toujours commencer, et poursuivre, et donc recommencer. Les écrivains ont cette manie de ne jamais cesser d'écrire. C'est nécessaire à leur santé.
Passe encore de bâtir, mais planter à cet âge ! raille le fabuliste. En fait, il est plus commun de planter. A la campagne, c'est un plaisir. En ville, un simple pot de fleurs permet quelques exercices du même genre.
Les désirs de la vieillesse varient avec les époques. Jadis la terreur des vieux était de mourir à l'hôpital. Aujourd'hui le médecin vous y expédie pour un oui ou pour un non. La médecine est devenue si compliquée qu'elle vous chasse de chez vous. Autrefois on naissait et on mourait à domicile. Maintenant c'est en clinique -- à l'hôpital.
Pourquoi les femmes vivent-elles plus longtemps que les hommes ? Sept ou huit ans de plus en moyenne. Les hommes sont apparemment plus fragiles, à tout âge d'ailleurs. Dans les vieux ménages du même âge, l'homme survit peu de temps à la mort de la femme. Inversement, la femme connaît une sorte de nouvelle jeunesse à la mort du mari. Pourquoi ?
Les vieilles dames veuves et les vieilles demoiselles doivent s'inscrire des années à l'avance pour accéder à une maison de retraite. Comment vivre seule quand l'impotence vous rive à votre fauteuil ? Jadis le couple de la maîtresse et de la domestique s'assurait la vie commune de l'aveugle et du paralytique. La Sécurité sociale a détruit cette entraide spontanée. Le socialisme abolit toutes les formes naturelles de communauté.
Les vieux se plaignent tous de perdre la mémoire. Ils ne perdent que leurs souvenirs inutiles. Ils se rappellent fort bien leur enfance. Retomber en enfance n'est que retourner à l'enfance. Les chemins qui y ramènent traversent en zigzag la vie entière. Jacques Perret, octogénaire, perd-il la mémoire ? *Belle lurette* m'assure que du jardin des plantes à l'Île-de-France et de l'Île-de-France à la Guyane il n'a renié en route le souvenir d'aucun sentier, d'aucune route, d'aucune ville et d'aucun paysage.
« Monsieur le Maréchal, on n'est plus heureux à notre âge. » Eh ! non on n'est plus heureux. Mais la gloire de Versailles éclipse dans les siècles les revers d'un règne finissant. De la galerie des glaces on ne se lassera jamais d'admirer les allées du. Roi-Soleil, et de la Bavière aux Amériques le château ne cessera d'essaimer.
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Quand on est vieux, la première chose qu'on regarde dans le journal c'est le « carnet du jour ». Il est rare qu'à la chronique des décès on n'y trouve le nom d'un ami ou du moins d'une personne qu'on connaît. Ce chapelet de morts qu'on égrène nous rappelle notre âge et qu'il n'y a pas que les civilisations à être mortelles.
La mort des civilisations, de la nôtre du moins, nous affecte aussi et sans doute plus que nous n'en avons conscience. Si le socialisme est détestable, ce n'est pas tant pour des raisons économiques que parce qu'il attaque la civilisation à la racine. Il est un instinct de mort, un processus volontaire d'accélération de la croissance de l'entropie. Dans son admirable livre sur « Le phénomène socialiste », Igor Chafarevitch écrit très justement : « Comprendre le socialisme comme étant l'une des manifestations de ce désir d'autodestruction que nous portons en nous à des degrés divers, c'est comprendre l'hostilité qu'il nourrit envers l'individualité, c'est également comprendre ce désir qu'il a de détruire les forces qui soutiennent et fortifient la personnalité humaine : religion, culture, famille, propriété privée, ce besoin qu'il a de réduire l'homme à l'état de rouage du mécanisme d'État... » La vieillesse du monde, dit Madiran.
On se protège de la vieillesse par la lecture, par l'écriture, par la correspondance... Mais les correspondants meurent à leur tour. On se réfugie dans le journal intime. Triste divertissement.
Marche ! Marche ! Ma carrière est de quatre-vingts ans à peine... A peine ? Tout au plus ?... Un vigoureux septuagénaire. Un vigoureux octogénaire. Un vigoureux nonagénaire. La télévision nous fait dialoguer avec un centenaire. Au Caucase on trouve, paraît-il, des hommes de cent vingt, cent trente ans. Grand bien leur fasse !
J'admire les écrivains qui gardent les lettres qu'ils reçoivent d'autres écrivains et celles mêmes qu'ils leur adressent. Ils vont jusqu'à les publier de leur vivant ! *Vanitas vanitatum.* Comment peut-on écrire des lettres, voire un journal « intime », qu'on destine au grand public ?
Louis Salleron.
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### Lectures et recensions
#### Le Livre à Beauvais (*Groupe d'étude des monuments et œuvres d'art du Beauvaisis*)
Ce cahier contient plusieurs articles de M. Philippe Bonnet-Laborderie. L'un d'eux est un catalogue critique de tous les livres consacrés à Beauvais, depuis celui de Pierre Louvet en 1614*.* Le plus important fait défiler tous les éditeurs et livres beauvaisiens depuis leur apparition, relativement tardive, en 1534*.* Cette année-là, le Flamand Ludovicus Cyaneus, alias Blaublomius (dont la marque n'était pas un bluet, mais une tortue avec la devise *Tecum habita*) imprime à Paris les *Constitutiones synodales ;* en 1538 c'est Galliot du Pré qui imprime, toujours à Paris, sous sa marque superbe d'une galère à six rameurs et à la devise *Vogue la Guallée,* le très beau *Missel de Beauvais,* bientôt suivi du *Rituel ou manuel de Beauvais* (1544) dont une partie des prières est en français, et du *Bréviaire de Beauvais* en noir et rouge (1554) qui*,* imprimé cette fois par Anna de Gromors, reprend certains bois du *Missel.* Enfin au XVII^e^ siècle Godefroy Vallet, fils d'un libraire parisien, est le premier imprimeur à s'installer à Beauvais (sa marque : *l'alpha* et *l'oméga* sur un livre ouvert). On lui doit le beau *Bréviaire* de 1618 illustré par le graveur Jean de Courbes (est-il besoin de préciser que le cahier du G.E.M.O.B. est très abondamment illustré ?).
On suit entre les lignes de cet article très riche en informations les démêlés des imprimeurs sous l'Ancien régime. Un petit-fils de Galliot, Denys du Pré (dont la marque représentait, armée d'une épée, *Veritas persequens odiosa*)*,* est écroué en 1567*,* taxé de cent livres en 1571*,* pour avoir vendu des livres interdits. Deux fils et un petit-fils de Godefroy Vallet sont arrêtés en 1677 pour fabrication de faux timbres, condamnés à subir le pilori sur la grand'place de Beauvais et bannis pour cinq ans (mais dès 1680 ils impriment à nouveau). Leur succéda en 1696 Michel Courtois, qui lui-même avait été embastillé en 1691 et banni de Compiègne après saisie chez lui de livres interdits ; il retournera à la Bastille en 1710*,* pour finir à Charenton. Une autre dynastie d'imprimeurs beauvaisiens, les Desjardins (qui ont notamment imprimé les très rares *Prosae novae* de 1725 à l'usage des Augustines de l'Hôtel-Dieu), eut maille à partir avec la police royale : l'intendant de Paris Sauvigny fit saisir chez eux trois ballots de livres interdits en 1754 ; mais P. Nicolas Desjardins reprit vite ses activités (grâce à l'évêque, comme en 1696 Michel Courtois).
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Concernant le XVIII^e^ siècle, on lira aussi l'intéressante analyse, par Y. M. Blandin, du catalogue manuscrit des livres de L.J.B. Bucquet (1731-1801) fils d'un maire de Beauvais et lui-même « jurisconsulte, historien, antiquaire et littérateur », de surcroît réputé janséniste, ainsi qu'il l'écrit dans son *Précis de ma vie :* « à cause de ma famille et parce que j'avais fait brûler la fameuse *Apologie des Jésuites* du Père Céruti par une sentence du baillage ». Voilà qui nous rappelle, comme les *Prosae novae,* que Beauvais est un vieux *pays de Jansénie* (sujet auquel le G.E.M.O.B. a consacré un autre cahier en 1979, très bien illustré).
Parmi les productions du XIX^e^ siècle, on résiste mal à la tentation de citer les petits romans imprimés chez Diot-Moisand, *La Juive ou l'Alsace au XIV^e^ siècle* (3 vol., 750 ex.), *Clara ou l'orpheline* (id*.*)*, Le Colonel ou le père criminel* (4 000 exemplaires) ; dans le genre didactique très en honneur : *Le Petit* *Buffon des Enfants* (5 500 ex.) ou, plus rare, le *Manuel du Chasseur de Papillons* imprimé par Jouvenel Baticle qui édita aussi, en 1849, une *Apothéose des quatre sergents de La Rochelle ;* enfin, dans un genre qui nous touche plus spécialement, l'*Eucologue* de Beauvais (8000 ex. en 1811, 10 000 en 1828) ou le *Livre d'église, latin et français,* chez Victor Tremblay, 1822.
Henri Fromage consacre d'autre part un article très érudit et fin aux images populaires de l'imprimerie Diot : localisation, recensement, datation, étude minutieuse des couleurs et du dessin, en particulier celui des Feldtrappe graveurs originaires de Dresde (H. F. établit que leurs bois ont été souvent copiés par l'imprimerie Abadie de Toulouse). Il resterait à étudier les textes : ceux des oraisons en prose nous ont paru beaux et dignes, pour autant qu'on puisse les lire sur des photos pas toujours bien cadrées... et qui nous privent évidemment de la couleur. A quand un *poster* polychrome de St Onuphre ou de St Louis, de Cendrillon ou de Jean de Calais, encarté dans les cahiers du G.E.M.O.B. ? Il est vrai que cela eût augmenté le prix du numéro, qui est seulement de 35 F (plus 6 F de port), au C.C.P. La Source 33 153 80 P, « Groupe d'étude des monuments du Beauvaisis » (G.E.M.O.B.), chemin de Plouy, Beauvais.
Jacques Urvoy.
#### Philip Mansel *Louis XVIII *(Éditions Pygmalion/Gérard Watelet)
Ce livre de plus de cinq cents pages est la traduction d'un ouvrage homonyme, paru en anglais (1981). La traduction est de Denise Meunier qui paraît être fidèle et le texte français est agréable à lire, ce qui n'est pas rien.
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Né à Londres en 1951, l'auteur a soutenu en 1978 une thèse sur la cour de France durant la Restauration, et a beaucoup voyagé en Europe pour explorer les archives publiques et privées. C'est dire que nous avons en main un livre fait par un universitaire, sachant travailler, donnant toutes les références voulues en une masse de notes qui m'ont appris une multitude de faits. Mansel peint donc un panorama assez complet de la vie de son héros. Britannique et libéral, il n'aime guère la monarchie et la cour d'avant 1789, et montre tous les défauts de Monsieur, comte de Provence, titre premier de celui oui allait se voir hissé à la royauté alors qu'il était en exil.
Louis XVIII fut obligé de composer et changea de disposition d'esprit vis-à-vis de la société française : c'est manifeste quand on lit ses textes, évoluant d'un esprit proche de la vengeance à celui d'un père venant régner tout à fait normalement sur ses enfants. Curieux bonhomme que ce roi ! Érudit et d'esprit léger, tout en soupirant longtemps après une couronne portée par son aîné, et même, théoriquement, par son pauvre neveu emprisonné, il devint enfin froidement réaliste. Il fit toujours passer les intérêts de l'État avant ceux du royalisme, du moins dans son esprit, mais on peut quand même se demander si cette Restauration fut une réussite aussi brillante, quand on voit le volcan qui couvait. Louis XVIII gouverna probablement au mieux, à partir du moment où il gardait les structures de l'État et de la société, véritablement modelés par la Révolution. Fallait-il casser la baraque ou gouverner comme il le fit, sans faste et dans la paix ? Il aurait fallu être un génie de la Contre-révolution ou un saint apôtre du Christ-Roi pour réformer l'ensemble. Louis XVIII se cramponna à la Charte qu'il avait octroyée, mais les choses en étaient venues à un point tel sous son successeur, qu'une épreuve de force fut envisagée contre la Révolution parée du nom de Libéralisme. Et cette épreuve fut mise au plus mauvais moment, alors que la garde nationale avait été chassée, que l'armée était morcelée (victorieuse à Alger, mais aussi manœuvrante en Lorraine et éteignant des paillers en Normandie !) et que le maréchal Marmont, duc de Raguse, major-général de quartier de la garde royale, apprenait la publication des ordonnances en lisant le *Moniteur,* comme tout un chacun ! On croit rêver devant tant d'apparent amateurisme, et on a l'impression que Louis XVIII n'aurait jamais commis autant de légèretés.
Un point qu'il faut souligner avec l'auteur est l'extrême dignité de Louis XVIII en exil. Cet homme, aux pires moments de sa vie de proscrit, sut qu'il était le roi de France, le plus important souverain de la chrétienté, dont la cause ne pouvait être que sacrée pour ses « frères ». Il travaillait tous les jours à son courrier, à ses projets et si certains aspects de cette activité peuvent nous paraître bien artificiels, il n'en reste pas moins qu'il se sentait roi. Petit-fils de Louis XV, frère de Louis XVI, oncle de Louis XVII, le comte de l'Isle (Jourdain en Armagnac), traversant les mers ou les plaines russes, était le roi.
Je note aussi au passage que Mansel est très impartial quand il décrit la pacifique invasion des touristes britanniques se ruant sur le royaume des lis, après la tourmente napoléonienne ces gens étaient, pour les Français d'alors, proprement ridicules dans leurs modes.
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C'est dire l'ouverture d'esprit de notre auteur, mais c'est aussi montrer l'attraction que la France exerçait sur les étrangers, ce qui sous-entend une certaine facilité de vivre, contrastant avec l'agitation parlementaire et les complots. La France n'était pas trop malheureuse sous le règne d'un roi modéré et que les ultras n'appréciaient guère, peut-être à raison, car lucides devant le flot révolutionnaire montant. Beaucoup serait à revoir dans le texte de Mansel, dont les points de vue ne peuvent tous être partagés par des royalistes non libéraux. Mais je souhaite que l'on aille y voir et on ne s'y ennuiera pas. Par les temps qui courent, c'est énorme.
Il y aurait aussi quelques petits détails à rectifier, pas nombreux, mais ils sont plus à communiquer à l'auteur qu'au lecteur, pour une réédition qu'on souhaite rapide.
Hervé Pinoteau.
#### Jean-Marc Bienvenu *L'étonnant fondateur de Fontevraud, Robert d'Arbrissel *Nouvelles éditions latines
Quel curieux personnage que ce Robert, natif d'Arbrissel en Ille-et-Vilaine ! Né vers 1045, il mourut en 1116 après une vie bien remplie et la pratique d'une ascèse fort dangereuse : il avait en effet l'habitude de dormir au milieu des sœurs qui formaient la moitié de sa communauté, histoire de dompter ses sens... L'autre moitié était évidemment composée d'hommes, mais il ne trouva rien de mieux que d'assujettir ces disciples aux femmes, en les faisant obéir à l'abbesse ! Ainsi dura cette abbaye de Fontevraud, devenue illustre du fait des comtes d'Anjou devenus rois d'Angleterre. Henri II, Richard Cœur de Lion, Aliénor d'Aquitaine, Jean Sans Terre et même un comte de Toulouse qui descendait des Plantagenêt, y dormirent leur dernier sommeil. Pour en revenir à ce Robert, sorte de prédicateur ambulant et fondateur de plusieurs monastères à travers la France (dont la Roë, actuellement en Mayenne), on ne saurait trouver meilleur petit guide pour s'introduire dans un monde bien lointain, mais qui nous a laissé de magnifiques bâtiments, véritable aubaine pour le tourisme, depuis qu'ils ne servent plus de prison. Monde bien lointain... Il faut faire des efforts pour recomposer un paysage transformé, imaginer que Robert vivait dans une société en crise et peu édifiante (il était lui-même fils de prêtre), mais qu'il sut mettre la main à la pâte pour récupérer les brebis, allant même dans les lupanars pour les en sortir !
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C'était en quelque sorte une force de la nature, ayant obtenu toutes les cautions de la hiérarchie, et même du pape, dans son œuvre de prédication et de fondation. Saint prêtre hirsute, du genre Jean Baptiste, Robert d'Arbrissel n'a pas fini d'étonner les chrétiens conformistes. La Révolution effaça l'ordre et le fondateur ne fut jamais mis sur les autels. L'auteur montre tous les paradoxes d'une vie et d'une œuvre qui furent des plus originales. A lire avant d'aller visiter Fontevraud.
Hervé Pinoteau.
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## DOCUMENTS
### La suppression de la fête de sainte Jeanne d'Arc
La fête de Jeanne d'Arc, le second dimanche de mai est à la fois, depuis 1920 :
-- une *fête nationale ;*
*-- *une *solennité religieuse.*
La fête liturgique de sainte Jeanne d'Arc est le 30 mai c'est à cette date qu'on la trouve dans les missels.
Mais en 1920, une loi de la III^e^ République, toujours en vigueur, a institué la « *fête nationale de Jeanne d'Arc *» le second dimanche de mai.
Le pape Benoît XV fixait alors la *solennité* de sainte Jeanne d'Arc en ce même second dimanche de mai, afin de faire coïncider la SOLENNITÉ RELIGIEUSE avec la FÊTE NATIONALE.
On a vu, surtout sous la V^e^ République, s'accentuer une grande désaffection simultanée des autorités civiles et des autorités religieuses.
Cependant les autorités civiles n'ont pas supprimé la « fête nationale », qui est toujours une fête légale ; presque complètement abandonnée par les personnalités officielles, mais du moins, point abolie, pas même par le pouvoir socialo-communiste.
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Au contraire, la hiérarchie catholique a subrepticement supprimé la « solennité religieuse ». Et cette suppression a entraîné des catholiques comme ceux de *L'Homme nouveau* à désormais abandonner aussi la fête nationale.
Pour permettre de bien comprendre la situation actuelle, nous donnons ci-après : 1. -- un historique de la fête ; 2. -- un examen de la messe du deuxième dimanche de mai.
#### I. -- Historique de la fête
1904
Décret de saint Pie X proclamant l'héroïcité des vertus, de Jeanne d'Arc.
1909
Béatification de Jeanne d'Arc par saint Pie X.
1909-1912
Interdite sur la voie publique par le gouvernement maçonnique de la République, la fête de Jeanne d'Arc est imposée par les combats de rue de l'Action française qui institue le Cortège traditionnel, lequel est autorisé à partir de 1912.
1919
Canonisation de Jeanne d'Arc par le pape Benoît XV.
1920-1921
Comme il appartient au pouvoir civil d'instituer par la loi une fête nationale, c'est, en 1920, une loi de la Chambre dite « bleu horizon » qui fixe au deuxième dimanche de mai la fête nationale de Jeanne d'Arc.
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La fête légale de Jeanne d'Arc a donc lieu pour la première fois le dimanche 8 mai 1921.
A la demande des évêques français, le pape Benoît XV fixe la solennité religieuse de sainte Jeanne d'Arc, pareillement, au deuxième dimanche de mai, « afin d'assurer la coïncidence de la solennité religieuse avec la fête civique ». (Lorsque ce dimanche est empêché, par exemple les années où il tombe le jour de la Pentecôte, comme c'est arrivé en 1940, en 1951, en 1967 et en 1978, la solennité religieuse est ramenée au dimanche dans l'octave de l'Ascension.)
1922
Un Bref du pape Pie XI désigne sainte Jeanne d'Arc comme patronne secondaire de la France. (La patronne principale est la T.S. Vierge au titre de son Assomption : c'est la fête nationale avant la lettre du 15 août, instituée par le roi Louis XIII mais non reconnue par la République maçonnique.)
1958-1979
A partir du pontificat de Jean XXIII, la solennité religieuse de sainte Jeanne d'Arc disparaît peu à peu des églises et des missels. Les célébrations officielles deviennent plus minces et plus rares en raison de la désaffection croissante des autorités politiques et religieuses. L'ensemble du peuple français est, par la plupart de ses prêtres et de ses instituteurs, systématiquement détourné du culte des saints et du culte de la patrie.
La fête de Jeanne d'Arc et son Cortège traditionnel sont héroïquement maintenus contre vents et marées par l'Action française quasiment seule, malgré la diminution matérielle et morale de ses moyens d'action.
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1979-1982
Une renaissance s'amorce. Le Cortège traditionnel, qui s'était bien réduit, se développe à nouveau : grâce à la participation nombreuse du Front national (à partir de 1979), à l'appel de Jean Madiran (mai 1980), au renfort nombreux du Centre Charlier et de la Contre-Réforme catholique (à partir de 1982).
1983
Le Cortège traditionnel ne part plus de la Concorde pour un parcours réduit ; il décide de s'étendre de nouveau, comme aux grandes années du passé, de la statue de la place Saint-Augustin à celle de la place des Pyramides. Le Front national défile non plus avec le Cortège traditionnel organisé par l'Action française, mais un quart d'heure avant lui.
#### II. -- La messe du second dimanche de mai
Dans le « calendrier » quotidien du journal PRÉSENT, Jean Madiran a publié le 6 mai la notice suivante :
La liturgie nouvelle, issue du concile, ne mentionne ni ne permet plus aucune solennité de sainte Jeanne d'Arc pour le deuxième dimanche de mai, qui y est dénommé cette année *sixième dimanche* « *de* » *Pâques* et s'oppose à toute solennité.
La solennité religieuse de sainte Jeanne d'Arc ne peut donc être célébrée que par les prêtres qui suivent l'ancien calendrier et la liturgie traditionnelle.
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Dans cette liturgie (que nous suivons habituellement dans le présent calendrier, et la solennité de sainte Jeanne d'Arc est une raison supplémentaire de cette fidélité), dimanche prochain 8 mai sera le *cinquième dimanche* « *après* » *Pâques,* messe de ce cinquième dimanche aux messes basses, et à la grand messe *solennité de sainte Jeanne d'Arc,* avec messe propre. On peut aussi chanter les vêpres de la solennité.
Voyez au contraire un journal aussi sérieux pourtant et aussi scrupuleux que *L'Homme nouveau :* il s'est rallié pieds et poings liés à la liturgie nouvelle, et en conséquence, il n'y a plus pour lui ni *solennité religieuse* ni même *fête nationale* de sainte Jeanne d'Arc : plus du tout, rien. La fête nationale et la solennité religieuse sont abolies ensemble. Pour le dimanche 8 mai, *L'Homme nouveau* annonce et commente le « sixième dimanche de Pâques », comme s'il n'y avait rien d'autre ce jour-là...
Ce qu'est une « solennité »
Le terme « solennité » est une abréviation pour « solennité transférée », expression qui désigne la célébration solennelle, reportée à un dimanche, d'une fête qui tombe un jour de semaine non chômé.
Ainsi, la fête liturgique de Jeanne d'Arc est le 30 mai ; la solennité, d'abord fixée sous saint Pie X au dimanche dans l'octave de l'Ascension, a été transférée au deuxième dimanche de mai après la loi de 1920 instituant la fête nationale, « afin d'assurer, déclara le pape Benoît XV, la coïncidence de la solennité religieuse avec la fête civique ».
Les solennités, obligatoires ou facultatives, obéissent à des règles précises. Il y a en France quatre solennités obligatoires : celles de l'Épiphanie, de la Fête-Dieu, des saints Pierre et Paul et du saint patron du lieu ; les autres solennités sont facultatives, célébrées non pas selon la dévotion personnelle du prêtre, mais *in bonum fidelium,* pour le bien des fidèles.
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L'assistance à la messe\
de sainte Jeanne d'Arc
Il est bon que les divers organismes responsables du défilé de dimanche prévoient et facilitent l'assistance à la messe des catholiques. Il y aura notamment, après défilé, la messe de 12 h 15 à Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris ; et à Versailles la messe de 12 h à Notre-Dame-des-Armées.
Toutefois on observera que ce sont des messes basses, ou messes lues, qui forcément ne sont pas la messe propre de Jeanne d'Arc, mais celle du cinquième dimanche après Pâques.
Seule la grand messe peut être celle de la solennité de sainte Jeanne d'Arc ([^12]).
Il serait donc extrêmement souhaitable de bien vouloir y penser en temps utile et de prévoir, l'année prochaine, un défilé qui ne soit pas à l'heure de la grand messe, ou bien une grand messe qui ne soit pas à l'heure du défilé.
Actuellement, l'organisation du défilé est conçue de telle manière que ceux qui y prennent part ne peuvent pas, à Paris, assister à une messe de sainte Jeanne d'Arc. La grand messe de 10 h 30 à Saint-Nicolas sera pratiquement hors d'atteinte pour ceux qui auront participé au défilé.
Il est tout de même curieux que les catholiques aient si peu d'attachement à la fête religieuse de Jeanne d'Arc, à moins que ce soit les organisateurs qui aient si peu de respect pour les catholiques. Que ce soit l'un, l'autre ou les deux ensemble, espérons qu'il aura suffi d'en faire publiquement la remarque pour que ce soit la dernière fois.
\[Fin de la reproduction intégrale de la notice publiée par Jean Madiran dans le « calendrier » quotidien du journal *Présent*, le 6 mai 1983.\]
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### École libre : un scénario ?
*La grande mobilisation nationale pour l'école libre n'aura pas lieu le 12 juin. Nous l'avons annoncé dans le dernier* VOLTIGEUR. *Elle n'aura pas lieu, semble-t-il, cette année ; ni peut-être jamais.*
*Quelle est la véritable position de l'épiscopat ? On peut se poser la question.* ÉDITH DELAMARE, *dans un article de* RIVAROL *du 29 avril, expose pourquoi elle craint en l'occurrence le même scénario que pour l'avortement : encadrer et lanterner la résistance, et ne protester énergiquement que lorsqu'il est trop tard. Voici la reproduction intégrale de son article, qui a eu un grand retentissement.*
Les dirigeants de l'enseignement catholique viennent de donner le spectacle lamentable de leur pusillanimité.
Rappelons les faits. Prenant la parole à Caen le 10 avril dans un congrès du Syndicat national de l'enseignement catholique CFTC, M. Loriau-Prévost, l'un des quatre vice-présidents de l'Union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL), annonce un grand rassemblement national à Paris pour le 12 juin prochain.
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Le lendemain, le président national des APEL, M. Pierre Daniel, démentait cette annonce : aucune manifestation n'était prévue à Paris pour le 12 juin.
Devant ces divergences, la température monte. Il semble que le président des APEL fasse marche arrière par rapport à l'un de ses vice-présidents. D'aucuns n'hésitent pas à accuser l'épiscopat d'avoir fait pression sur la direction nationale des APEL pour obtenir ce démenti. On ne prête qu'aux riches : si l'épiscopat ne se montrait pas si mou dans la défense de l'écale libre, de si noirs soupçons ne pèseraient pas sur lui. Les responsables du plus important syndicat d'enseignants du privé, le SNEC-CFTC vont jusqu'à déclarer que si les évêques « *lâchaient *» les écoles catholiques, « *on pourrait dire que l'épiscopat n'est plus catholique *»*.*
Pour comprendre cette indignation, il faut se rappeler que l'année dernière, lors du grand rassemblement parisien de la Porte de Pantin, les dirigeants de l'enseignement catholique avaient promis d'organiser en 1983 un rassemblement, national cette fois. Fin avril, rien n'est prévu, à l'exception de quelques réunions régionales d'information et d'un congrès le 23 mai à... Bayonne (ce qui est se moquer du monde).
En résumé : avant les élections municipales, il ne fallait pas « politiser ». Et après, il ne faut pas bouger.
M. Pierre Daniel affirme : « *Nous avons toujours, en cas de besoin, un plan d'action parfaitement au point, le plan Mobapel, qui peut être déclenché à travers toute la France en moins de 48 heures *». Il suffit de s'entendre sur le « besoin ». Ici et là, on commence à dire que les évêques refont avec l'enseignement libre, le coup de l'avortement : ils protesteront énergiquement lorsqu'il sera trop tard. En recevant François Mitterrand à l'Archevêché le 20 avril, à l'occasion de la réception donnée pour son élévation au cardinalat, Mgr Lustiger n'a-t-il pas déclaré que cette rencontre avait été « *cordiale et chaleureuse *» ? Et qu'il était « *très sensible à cette démarche du Président qui manifeste ainsi la concorde nationale entre les Églises et les autorités de l'État *» ? Et comme les deux interlocuteurs ont procédé à « *un rapide tour d'horizon des problèmes de l'heure *»*,* on peut supposer ou que le problème de l'enseignement libre n'a pas été abordé (sans parler de ceux de l'avortement et de la télévision). Ou que le sort des écoles catholiques est réglé.
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Tels les choristes d'Opéra
Toutefois, l'émotion n'est pas apaisée parmi les parents d'élèves. Il est évident que « la base » veut marcher, mais que la tête molle se refuse à donner le signal. Ce qui s'est passé à Caen est typique. M. Loriau-Prévost avait été pris par l'ambiance combative et chaude des congressistes CFTC. C'est dans cette atmosphère enthousiaste qu'il lança l'annonce dont il est question plus haut et qui devait être immédiatement suivie du démenti de M. Pierre Daniel. La presse a vu là une reculade. Pierre Daniel a déclaré qu'il s'agissait d'un simple malentendu. A notre avis, c'est lui qui a raison (hélas !). Les paroles du vice-président Loriau-Prévost ont dépassé, sinon sa pensée du moment, du moins le mandat qu'il avait reçu. Ce n'est donc pas une reculade : c'est... une « bavure ». Il ne peut y avoir reculade, là où il n'y a pas eu d'avancée.
Ce n'est pas davantage un signe de discorde au sein des dirigeants de l'UNAPEL : ils sont tous d'accord pour entonner, tels les choristes d'opéra : « Marchons ! Marchons ! » en faisant du sur-place. Ils ne font qu'exécuter la consigne des dirigeants de l'Enseignement catholique. Un détail significatif mérite d'être relevé : les associations des APEL et UNAPEL (qui groupent 850 000 familles) sont logées au 277 rue Saint-Jacques à Paris, dans le même immeuble que le Comité national de l'Enseignement libre, organisme épiscopal auquel appartient le chanoine Paul Guiberteau, secrétaire général de l'enseignement catholique. Ainsi, les dirigeants des UNAPEL n'ont pas même besoin de téléphoner pour prendre la consigne : ils n'ont qu'à passer dans le bureau voisin. Sans doute M. Pierre Daniel réside-t-il habituellement à Marseille, mais il y a toujours, au 277 rue Saint-Jacques, un permanent de service.
Quant aux négociations proprement dites entre le ministre Savary et les dirigeants de l'enseignement catholique, elles en sont au stade des amuseurs de tapis. Un « *processus d'éclaircissement *» est en cours. Ensuite, un éventuel nouveau projet du ministre sera soumis aux responsables de l'enseignement libre. Après quoi, ceux-ci diront s'ils peuvent ou non accepter la négociation.
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Entre temps, les barbus de l'Assemblée nationale auront peutêtre voté la nationalisation de l'enseignement libre, ainsi qu'ils en ont proféré la menace. Les évêques élèveront-ils alors une protestation, selon le scénario mis au point pour l'avortement ?
\[Fin de la reproduction intégrale de l'article d'Édith Delamare paru dans *Rivarol* du 29 avril 1983.\]
CONCLUSION. -- *De même que le pays réel n'est pas représenté politiquement par les quatre grands partis qui se partagent le monopole de la représentation électorale et parlementaire, de même il n'est pas mieux représenté -- au plan scolaire, culturel et moral -- par les directions nationales des grands organismes catholiques.*
*De l'aptitude du pays réel à s'exprimer et à se mobiliser en dehors de ces organismes et de ces partis dépendra dans les prochains mois le sort de la France.*
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### Action catholique et action communiste : même combat
Georges Marchais en personne a reçu la JOC au siège du parti communiste, pour sceller l'accord pratique dans un communiqué commun. A part L'Humanité, organe central du parti communiste, les quotidiens parisiens, y compris La Croix, ont fait un silence (réprobateur ? ou complice ?) sur cet événement survenu le 5 mai.
Les délégations étaient ainsi composées :
Pour le PCF. : Georges Marchais, secrétaire général ; Maxime Gremetz, secrétaire du Comité central (et ministre des cultes, chargé du noyautage de l'Église catholique) ; Marcel Zaidner, membre du Comité central ; Bernard Debreu, collaborateur du Comité central, Élisabeth Ackermann, responsable fédérale de l'Essonne.
Pour la JOC : Alain Mahé, président national ; Bruno Courtois, vice-président ; Denis Monsinjon, responsable national.
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Pour la JOC féminine : Sylvie Duclaux, présidente nationale ; Jocelyne Moisan, vice-présidente ; Monique Ripoche, responsable nationale du secteur est.
Voici le texte intégral du *communiqué commun* publié à l'issue de la rencontre. Ce communiqué a paru dans un seul quotidien, *L'Humanité* du 6 mai :
La J.O.C. et la J.O.C.F. ont informé le PCF. des revendications qu'ils apporteront aux pouvoirs publics lors de leur prochain festival des 21 et 22 mal.
Ils ont également présenté l'ensemble du contenu de leur rassemblement. Ils ont insisté sur le fait que cette manifestation réunira des milliers de jeunes en lutte pour l'emploi et l'obtention d'une formation adaptée aux besoins économiques de notre temps, correspondant à leurs aspirations. Ils ont indiqué leur volonté de voir s'y exprimer fortement l'espoir des jeunes d'avoir un travail dynamisant, leur donnant les moyens de vivre dignement et d'être pleinement responsables.
Le PCF. a souligné combien Il accorde une attention prioritaire à la situation des jeunes. Il a rappelé combien Il est attentif à cette grande question qui pèse sur la jeunesse, le chômage. Pour le résoudre, Il propose que, parallèlement à l'action importante développée pour la formation professionnelle, des mesures soient prises pour assurer :
1\) la reconquête du marché intérieur par l'élaboration d'une grande politique industrielle suscitant l'investissement pour fabriquer français ;
2\) le maintien et le développement du pouvoir d'achat des travailleurs et de leur famille, la réduction des Inégalités, pour relancer la consommation populaire ;
3\) la réforme de l'école, afin qu'elle passe d'un système d'orientation basé sur l'échec à un dispositif s'appuyant sur la motivation et les capacités des élèves et apportant une formation professionnelle initiale débouchant à tous les niveaux sur un métier Intéressant, un emploi stable.
Les délégations considèrent comme essentielle l'intervention des jeunes eux-mêmes pour poursuivre dans la voie engagée depuis 1981, pour développer des mesures qui, en aucun cas, ne sacrifient leurs intérêts, pour faire reculer la droite revancharde et le grand patronat qui jouent la politique du pire sans souci de la qualité de la vie de la jeunesse et de l'avertir de la France.
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Ils soulignent que cette intervention des jeunes est aussi nécessaire pour faire progresser les sentiments d'amitié et de solidarité entre les peuples, pour faire obstacle aux campagnes racistes développées par la droite, pour que des mesures permettant une réelle intégration des immigrés et la disparition des ghettos soient prises.
La JOC, la JOCF., le PCF. ont également abordé les questions de la paix et du désarmement en termes de problèmes de survie pour l'humanité entière et comme une des conditions de la lutte contre le sous-développement.
Ils veulent contribuer à tout faire pour que s'arrête la course aux armements qui risque de déboucher sur un conflit nucléaire qui embraserait le monde et obtenir que les richesses matérielles ainsi récupérées puissent aider les centaines de millions d'êtres humains qui souffrent aujourd'hui de la faim.
\[Fin de la reproduction intégrale du communiqué commun JOC-PCF., tel qu'il a paru dans *L'Humanité* du 6 mai 1983.\]
Cette rencontre et ce communiqué commun ont été commentés en ces termes par Jean Madiran dans PRÉSENT du 7 mai :
DANS L'Église de France, le dialogue dit œcuménique est, en intention et en réalité, dirigé vers le communisme, parce qu'il est considéré comme politiquement le plus fort, et qu'il est donc le plus craint. Mais avec le parti communiste on n'en est plus seulement au dialogue : on en est à la compénétration.
Mouvements d'Action catholique mandatés par la hiérarchie épiscopale et contrôlés par elle, la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et la JOC féminine ont conféré jeudi, au siège du parti communiste, avec Georges Marchais et son état-major.
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A l'issue de la rencontre, JOC et PCF. ont publié un communiqué commun proclamant qu'il faut :
1° « poursuivre dans la voie engagée depuis 1981 » ;
2° « faire obstacle aux campagnes racistes de la droite » ;
3° « aborder les questions de la paix et du désarmement en termes de problème de survie pour l'humanité entière ».
Vaste programme. Tout l'essentiel y est.
**1. -- **On ne voit aucun mouvement d'Action catholique aller conférer avec le Front national de Jean-Marie Le Pen, ou avec le RPR de Jacques Chirac, ou encore avec le SNPMI de Gérard Deuil. La seule hypothèse d'une rencontre provoquerait de sévères protestations. A plus forte raison un communiqué commun pour une voie politique commune. Mais le choix politique va de soi, quand il se place dans le même camp que le PC.
**2. -- **Ce n'est même plus l'extrême-droite, c'est « la droite » tout entière qui est moralement mise hors la loi pour « racisme »...Au nom de l'Évangile, participation obligatoire aux campagnes de mensonge et de terrorisme intellectuel des communistes. Et « la droite », il faut savoir que pour le parti, elle commence à Rocard et à Fiszbin. Pas de quartier.
**3. -- **Le « problème de survie pour l'humanité entière » : on le fait passer avant l'autre « problème », au point de l'occulter complètement : le problème de l'humanité menacée d'être tout entière courbée sous le joug de l'esclavagisme communiste. Cet escamotage est la manière catholique, celle des évêques américains, de dire équivalemment : -- Plutôt rouges que morts.
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Il fallait que ce soit cette semaine. C'est une bonne façon de célébrer joyeusement la suppression, dans l'Église de France, de la solennité religieuse et de la fête nationale de Jeanne d'Arc ([^13]).
\[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Jean Madiran paru dans Présent du 1^er^ mai 1983.\]
L'ACO (Action catholique ouvrière) ne va pas mieux que la JOC. Ce n'est pas faute d'encadrement, comme le souligne Jean-Baptiste Castetis dans PRÉSENT du 14 mai. En cette période de pénurie sacerdotale, l'ACO s'offre le luxe d'un aumônier pour neuf militants, remarquable proportion :
L'ACO (Action catholique ouvrière) tient à Marseille, hier, aujourd'hui et demain, sa 13^e^ rencontre nationale, qui est son congrès triennal. *L'Humanité* d'hier vendredi lui consacre trois colonnes d'approbation et de soutien.
Mouvement d'action catholique mandaté et contrôlé par l'épiscopat, l'ACO est dirigée par un conseil national qui comprend sept membres du parti communiste : sept militants communistes déclarés, sans compter les sous-marins. Il s'y ajoute huit ou neuf membres du parti socialiste, sans compter les sympathisants. Et une quinzaine de cégétistes. L'ACO milite pour « *le changement *» socialo-communiste et pour « *la lutte de classe *»*.*
Cette dérive de l'ACO n'est pas due à une absence d'encadrement ecclésiastique. Au contraire. Pour un ensemble de 18.000 adhérents, l'ACO dispose de 2.000 aumôniers, ce qui est un record toutes catégories dans l'actuelle pénurie de prêtres : un prêtre pour 9 militants...
La JOC, mouvement d'action catholique de la jeunesse ouvrière, qui vient de publier un communiqué commun avec le parti communiste (voir l'éditorial de PRÉSENT du samedi 7 mai), donne à la *Vie Ouvrière,* magazine de la CGTK, une interview qui précise que les militants jocistes sont invités à rejoindre « les forces syndicales et politiques de leur choix », mais que ce choix est absolument limité au PCF., au PS, à la CGT et à la CFDT ; point c'est tout.
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Une difficulté demeure. Elle ne vient pas des évêques. Mais d'Edmond Maire qui a déclaré : « L'ACO est devenue une courroie de transmission du parti communiste. » Il faudra arranger ça d'une manière ou d'une autre.
\[Fin de la reproduction intégrale de l'article de Jean-Baptiste Castetis paru dans Présent du 14 mai 1983.\]
Faut-il donc le rappeler une fois encore, pour éclairer des générations nouvelles de prêtres, de militants, d'évêques qui sont de plus en plus ignorants ? Lénine l'a expliqué une fois pour toutes : le parti communiste ne prêche pas l'athéisme aux croyants ; il se contente de les amener à pratiquer la lutte de classe : cela leur fera perdre la foi, dit-il, beaucoup plus sûrement que tous les discours athées.
C'est bien ce qui se passe aujourd'hui dans l'Action catholique et dans une grande partie du clergé : pratiquant avec les communistes la lutte de classe, ils ont perdu la foi. Ils ne sont pas devenus athées ; ils conservent une certaine croyance, mais qui *n'est plus* la foi catholique.
\*\*\*
Du congrès de Marseille, le meilleur compte rendu dans la presse quotidienne, avec celui de *La Croix* du 17 mai, a été celui, naturellement, de *L'Humanité* du 16 mai.
A l'issue de ce congrès, le nouveau comité national qui dirige l'ACO se trouve porté à 49 membres, sur lesquels on compte 8 communistes avoués et 16 cégétistes reconnus.
Sont également déclarés 13 membres du parti socialiste et 4 du PSU.
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Aucun de l'UDF, du RPR, du Front national ou de n'importe quelle autre formation politique.
Ainsi, l'Action catholique limite strictement son « pluralisme » aux dimensions de l'union de la gauche telle que l'entend le parti communiste. L'ACO n'est pas entièrement communiste, mais elle exclut ceux que le parti communiste exclut il n'en demande pas davantage.
L'épiscopat maintient sa confiance et son « mandat » officiel à l'ACO. Et, selon le compte rendu de La Croix, « si toutes les incompréhensions ne sont pas levées entre l'épiscopat et le mouvement ACO, nul doute que les convergences l'emportent désormais sur les divergences ».
D'où l'aphorisme qui tourne au proverbe :
-- Épiscopat, dis-moi quelle Action catholique tu mandates, et je te dirai qui tu es.
============== fin du numéro 274.
[^1]: -- (1). Article reproduit dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR du 20 mai.
[^2]: -- (2). *Voir la note 1.*
[^3]: -- (1). Sources principales :
1 -- *La maladie et la mort du comte de Chambord,* imprimerie de la Gazette de France, Paris 1883.
2 -- *Frohsdorf -- Goritz -- 20 août-3 septembre* 1883*,* par le général de Charette. Courte brochure hors commerce.
3 -- *Archives du général de Charette.*
Consulté également
4 -- *Les Bourbons de France en exil,* par Luigi Bader.
5 -- *Henri V,* par Pierre de Luz, Plon 1931.
6 -- *Le grand refus du Comte de Chambord,* par le duc de Castries, Hachette 1970.
[^4]: -- (2). Les membres de la Faculté de médecine de Paris avaient pria l'engagement de relayer dans ses fonctions, celui d'entre eux qui partirait pour Frohsdorf.
[^5]: -- (3). Lors de la naissance du Comte de Chambord, le Nonce l'avait appelé « l'enfant de l'Europe » dans son adresse de félicitations au vieux roi Louis XVIII.
[^6]: -- (4). La sœur du Comte de Chambord avait épousé le Duc de Parme et la sœur de la Comtesse de Chambord le fils du prétendant carliste.
[^7]: -- (5). Beau-frère du Comte de Chambord comme ayant épousé la sœur de la Comtesse.
[^8]: -- (6). Bien que l'Empereur François-Joseph n'ait pas eu pouvoir de décider de questions dynastiques françaises, il est intéressant de remarquer qu'il voulut visiter le premier le Comte de Paris, le devançant ainsi qu'il le faisait uniquement pour les souverains de passage à Vienne.
[^9]: -- (7). D'après Jacques Dinfreville in *Le secret de Marie Caroline,* ils furent contraints de démissionner au retour de Goritz.
[^10]: -- (1). Il y a aussi des indices spécifiques pour la Nativité du Seigneur. Par exemple celui-ci. Les bergers étaient dehors, ils veillaient. Évidemment, ils ne veillaient pas habituellement toutes les nuits, pas même à tour de rôle. Mais on sait qu'ils avaient adopté la coutume païenne très répandue de veiller les nuits de solstice. Si l'on prend ce fait au sérieux, cela réduit fortement le champ des possibles...
[^11]: -- (1). C'est alors que Germaine Béguin adopta le prénom de Marie pour son baptême sous condition et sa confirmation.
[^12]: -- (1). Naturellement, rien n'interdit qu'à la messe basse du dimanche, le sermon soit sur sainte Jeanne d'Arc. Ceux qui ont assisté, le dimanche 8 mai, à la messe de 12 h 15 à Saint-Nicolas, ont eu la satisfaction d'y entendre un sermon sur Jeanne d'Arc, édifiant et vigoureux, de l'abbé Simoulin. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^13]: -- (1). Sur cette suppression, voir ci-dessus dans les « Documents »* : La suppression de la fête de sainte Jeanne d'Arc.*