# 279-01-84 1:279 ## Lettre ouverte au pape Jean-Paul II *Manifeste épiscopal\ de Mgr Marcel Lefebvre\ et de Mgr Antonio de Castro Mayer* *Le 9 décembre 1983, en des conférences de presse tenues par eux-mêmes ou par leurs émissaires dans plusieurs villes d'Europe et d'Amérique, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer ont rendu publique leur lettre ouverte à Jean-Paul 11.* *En voici le texte complet, que* PRÉSENT *a été le seul quotidien parisien à publier intégralement.* Très Saint Père, Que Votre Sainteté nous permette, avec une franchise toute filiale, de lui soumettre les réflexions suivantes. 2:279 La situation de l'Église est telle, depuis vingt ans, qu'elle apparaît comme une cité occupée. Des milliers de membres du clergé et des millions de fidèles vivent dans l'angoisse et la perplexité, en raison de « l'autodestruction de l'Église ». Les erreurs contenues dans les documents du concile Vatican II, les réformes post-conciliaires et spécialement la réforme liturgique, les fausses conceptions diffusées par des documents officiels, les abus de pouvoir accomplis par la hiérarchie, les jettent dans le trouble et le désarroi. En ces circonstances douloureuses, beaucoup perdent la foi, la charité se refroidit, le concept de la véritable unité de l'Église dans le temps et dans l'espace disparaît. En notre qualité d'Évêques de la Sainte Église catho­lique, successeurs des Apôtres, nos cœurs sont bouleversés à la vue de tant d'âmes, dans le monde entier, désorientées et désireuses pourtant de demeurer dans la foi et la morale qui ont été définies par le magistère de l'Église et qui par elle ont été enseignées d'une manière constante et univer­selle. Nous taire dans cette occurrence nous semblerait deve­nir complices de ces mauvaises œuvres (cf. 2 Jn 11). C'est pourquoi, considérant que toutes les démarches que nous avons faites en privé depuis quinze ans sont demeurées vaines, nous nous voyons obligés d'intervenir publiquement auprès de Votre Sainteté, afin de dénoncer les causes principales de cette situation dramatique et de La supplier d'user de son pouvoir de Successeur de Pierre pour « confirmer ses frères dans la foi » (Luc XXII, 32) qui nous a été fidèlement transmise par la Tradition apos­tolique. 3:279 A cet effet nous nous permettons de joindre à cette lettre une annexe contenant les erreurs principales qui sont à l'origine de cette situation tragique et qui, d'ailleurs, ont déjà été condamnées par vos prédécesseurs. La liste qui suit en donne l'énoncé, mais n'est pas exhaustive : 1 -- Une conception « latitudinariste » et œcuméni­que de l'Église, divisée dans sa foi, condamnée particuliè­rement par le Syllabus, n° 18. 2 -- Un gouvernement collégial et une orientation démocratique de l'Église, condamnée particulièrement par le concile Vatican I. 3 -- Une fausse conception des droits naturels de l'homme qui apparaît clairement dans le document sur la Liberté Religieuse, condamnée particulièrement par *Quanta Cura* (Pie IX) et *Libertas praestantissimum* (Léon XIII). 4 -- Une conception erronée du pouvoir du pape. 5 -- La conception protestante du saint Sacrifice de la messe et des Sacrements, condamnée par le concile de Trente, sess. XXII. 6 -- Enfin, d'une manière générale, la libre diffusion des hérésies caractérisée par la suppression du Saint-Office. Les documents contenant ces erreurs causent un malaise et un désarroi d'autant plus profonds qu'ils viennent d'une source plus élevée. Les clercs et les fidèles les plus émus par cette situation sont d'ailleurs ceux qui sont les plus attachés à l'Église, à l'autorité du Successeur de Pierre, au magistère traditionnel de l'Église. Très Saint Père, il est urgent que ce malaise dispa­raisse, car le troupeau se disperse et les brebis abandonnées suivent des mercenaires. Nous vous conjurons, pour le bien de la foi catholique et du salut des âmes, de réaffir­mer les vérités contraires à ces erreurs, vérités qui ont été enseignées pendant vingt siècles par la sainte Église. 4:279 C'est dans les sentiments de saint Paul vis-à-vis de saint Pierre lorsqu'il lui reprochait de ne pas suivre « la vérité de l'Évangile » (Gal 2, 11-14) que nous nous adres­sons à Vous. Son but n'était autre que de protéger la foi des fidèles. Saint Robert Bellarmin, exprimant à cette occasion un principe de morale générale, affirme que l'on doit résister au pontife dont l'action serait nuisible au salut des âmes (*De Rom. Pon.* 1. 2, c. 29). C'est donc dans le but de venir en aide à Votre Sain­teté que nous jetons ce cri d'alarme, rendu plus véhément encore par les erreurs du Nouveau Droit Canon, pour ne pas dire les hérésies, et par les cérémonies et discours à l'occasion du cinquième centenaire de la naissance de Luther. Vraiment, la mesure est comble. Que Dieu Vous vienne en aide, Très Saint Père, nous prions sans cesse, à votre intention, la Bienheureuse Vierge Marie. Daignez agréer les sentiments de dévouement filial qui sont les nôtres. *Rio de Janeiro, le 21 novembre 1983*\ *Fête de la Présentation de la Très Sainte Vierge* Marcel Lefebvre. *ancien archevêque-évêque de Tulle* Antonio de Castro Mayer. *ex bispo de Campos* 5:279 ANNEXE ### Bref résumé des principales erreurs de l'ecclésiologie conciliaire #### I. Conception « latitudinariste » et œcuménique de l'Église. La conception de l'Église comme « peuple de Dieu » se rencontre désormais dans de nombreux documents officiels : les actes du concile *Unitatis Redintegratio, Lumen Gentium, --* le nouveau Droit Canon (C. 204.1), -- la lettre du pape Jean-Paul II *Catechesi tradendae* et l'allocution dans l'église anglicane de Canterbury, -- le Directoire œcuménique *Ad totam Ecclesiam* du Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens. Elle respire un sens latitudinariste et un faux œcuménisme. Des faits manifestent avec évidence cette conception hété­rodoxe : les autorisations pour la construction de salles desti­nées au pluralisme religieux, -- l'édition de bibles œcuméniques qui ne sont plus conformes à l'exégèse catholique, -- les céré­monies œcuméniques comme celles de Canterbury. 6:279 Dans *Unitatis Redintegratio* on enseigne que la division des chrétiens « est pour le monde un objet de scandale et fait obstacle à la prédication de l'Évangile à toute créature... que l'Esprit Saint ne refuse pas de se servir des autres religions comme moyens de salut ». Cette même erreur est répétée dans le document *Catechesi tradendae* de Jean-Paul II. C'est dans le même esprit, et avec des affirmations contraires à la foi tradi­tionnelle, que Jean-Paul II déclare à la Cathédrale de Canter­bury, le 25 mai 1982, « que la promesse du Christ nous ins­pire la confiance que le Saint-Esprit guérira les divisions intro­duites dans l'Église dès les premiers temps après la Pentecôte », comme si l'unité du Credo n'avait jamais existé dans l'Église. Le concept de « peuple de Dieu » porte à croire que le protestantisme n'est pas autre chose qu'une forme particulière de la même religion chrétienne. Le concile Vatican II enseigne « une véritable union dans l'Esprit Saint » avec les sectes hérétiques (*Lumen Gentium,* 14), « une certaine communion, encore imparfaite avec elles » (*Unitatis Redintegratio*, 3). Cette unité œcuménique contredit l'encyclique *Satis Cogni­tum* de Léon XIII qui enseigne que « Jésus n'a pas fondé une Église qui embrasse plusieurs communautés qui se ressemblent génériquement, mais qui sont distinctes et qui ne sont pas liées par un lien qui forme une Église individuelle et unique ». De même, cette unité œcuménique est contraire à l'encyclique *Humani Generis* de Pie XII qui condamne l'idée de réduire à une formule quelconque la nécessité de l'appartenance à l'Église catholique, contraire aussi à l'encyclique *Mystici Corporis* du même pape qui condamne la conception d'une Église « pneu­matique » qui serait un lien invisible des communautés sépa­rées dans la foi. Cet œcuménisme est également contraire aux enseignements de Pie XI dans l'encyclique *Mortalium animos :* sur ce point il est opportun d'exposer et de repousser une certaine opinion fausse qui est à la racine de ce problème et de ce mouvement complexe par le moyen duquel les non-catholiques s'efforcent de réaliser une union des églises chrétiennes. 7:279 Ceux qui adhèrent à cette opinion citent constamment ces paroles du Christ « Qu'ils soient un... et que n'existe qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur » (Jn 17,21 et 10,16) et prétendent que par ces paroles le Christ exprime un désir ou une prière qui n'a jamais été réalisé. Ils prétendent de fait que l'unité de foi et de gou­vernement, qui est une des notes de la véritable Église du Christ, pratiquement jusqu'aujourd'hui n'a jamais existé et aujourd'hui n'existe pas. Cet œcuménisme condamné par la morale et le droit catho­liques, en arrive à permettre de recevoir les sacrements de pénitence, d'eucharistie et d'extrême onction de « ministres non-catholiques » (Canon 844 N.C.) et favorise « l'hospitalité œcuménique » en autorisant les ministres catholiques à donner le sacrement de l'eucharistie à des non-catholiques. Toutes ces choses sont ouvertement contraires à la Révé­lation divine qui prescrit la « séparation » et repousse l'union « entre la lumière et les ténèbres, entre le fidèle et l'infidèle, entre le temple de Dieu et celui des sectes » (2 Corinth. 6, 14-18). #### II. Gouvernement collégial-démocratique de l'Église. Après avoir ébranlé l'unité de la foi, les modernistes d'au­jourd'hui s'efforcent d'ébranler l'unité de gouvernement et la structure hiérarchique de l'Église. La doctrine déjà suggérée par le document *Lumen gentium* du concile Vatican II sera reprise explicitement par le nou­veau Droit Canon (Can. 336) ; doctrine selon laquelle le collège des évêques joint au pape jouit également du pouvoir suprême dans l'Église et cela d'une manière habituelle et cons­tante. 8:279 Cette doctrine du *double pouvoir suprême* est contraire à l'enseignement et à la pratique du magistère de l'Église, spécialement dans le concile Vatican I (Dz. 3055) et dans l'ency­clique de Léon XIII *Satis cognitum.* Seul le pape a ce pouvoir suprême qu'il communique dans la mesure où il le juge oppor­tun et dans des circonstances extraordinaires. A cette grave erreur se rattache l'orientation démocratique de l'Église, les pouvoirs résidant dans le « peuple de Dieu » tel qu'il est défini dans le nouveau Droit. Cette erreur janséniste est condamnée par la Bulle *Auctorem Fidei* de Pie VI (Dz. 2602). Cette tendance à faire participer la « base » à l'exercice du pouvoir se retrouve dans l'institution du Synode et des confé­rences épiscopales, dans les conseils presbytéraux, pastoraux et dans la multiplication des commissions romaines et des com­missions nationales, comme au sein des congrégations religieu­ses (voir à ce sujet concile Vatican 1, Dz. 3061 -- Nouveau Droit Canon, can. 447). La dégradation de l'autorité dans l'Église est la source de l'anarchie et du désordre qui y règnent partout aujourd'hui. #### III. Les faux droits naturels de l'homme La déclaration *Dignitatis humanae* du concile Vatican II affirme l'existence d'un faux droit naturel de l'homme en matière religieuse, contrairement aux enseignements pontificaux, qui nient formellement un pareil blasphème. Ainsi Pie IX dans son encyclique *Quanta Cura* et dans le Syllabus, Léon XIII dans ses encycliques *Libertas praestantis­simum* et *Immortale Dei,* Pie XII dans son allocution *Ci Riesce* aux juristes catholiques italiens, nient que la raison et la révé­lation fondent un pareil droit. 9:279 Vatican II croit et professe, d'une manière universelle, que « la Vérité ne peut s'imposer que par la force propre de la Vérité », ce qui s'oppose formellement aux enseignements de Pie VI contre les jansénistes du concile de Pistoie (Dz. 2604). Le concile en arrive à cette absurdité d'affirmer le droit de ne pas adhérer et de ne pas suivre la Vérité, d'obliger les gouver­nements civils de ne plus faire de discrimination pour des motifs religieux, établissant l'égalité juridique entre les fausses et la vraie religion. Ces doctrines se fondent sur une fausse conception de la dignité humaine, provenant des pseudo-philosophes de la Révo­lution française, agnostiques et matérialistes, qui ont été déjà condamnés par saint Pie X dans le mandement pontifical *Notre Charge apostolique.* Vatican II dit que de la liberté religieuse sortira une ère de stabilité pour l'Église. Grégoire XVI au contraire affirme que c'est une suprême impudence d'affirmer que la liberté immo­dérée d'opinion serait bénéfique pour l'Église. Le concile exprime dans *Gaudium et Spes* un principe faux lorsqu'il estime que la dignité humaine et chrétienne vient du fait de l'Incarnation, qui a restauré cette dignité pour tous les hommes. Cette même erreur est affirmée dans l'encyclique *Redemptor hominis* de Jean-Paul II. Les conséquences de la reconnaissance par le concile de ce faux droit de l'homme ruinent les fondements du règne social de Notre-Seigneur, ébranlent l'autorité et le pouvoir de l'Église dans sa mission de faire régner Notre-Seigneur dans les esprits et dans les cœurs, en menant le combat contre les forces sata­niques qui subjuguent les âmes. L'esprit missionnaire sera accusé de prosélytisme exagéré. La neutralité des États en matière religieuse est injurieuse pour Notre-Seigneur et son Église, lorsqu'il s'agit d'États à majorité catholique. #### IV. Pouvoir absolu du pape Certes le pouvoir du pape dans l'Église est un pouvoir suprême, mais il ne peut être absolu et sans limites, étant donné qu'il est subordonné au pouvoir divin, qui s'exprime dans la Tradition, la sainte Écriture et les définitions déjà promulguées par le magistère ecclésiastique (Dz. 3116). 10:279 Le pouvoir du pape est subordonné et limité par la fin pour laquelle son pouvoir lui a été donné. Cette fin est claire­ment définie par le pape Pie IX dans la Constitution *Pastor aeternus* du concile Vatican I (Dz. 3070). Ce serait un abus de pouvoir intolérable de modifier la constitution de l'Église et de prétendre en appeler au droit humain contre le droit divin, comme dans la liberté religieuse, comme dans l'hospitalité eucharistique autorisée par le nouveau Droit, comme l'affirma­tion des deux pouvoirs suprêmes dans l'Église. Il est clair que dans ces cas et autres semblables, c'est un devoir pour tout clerc et fidèle catholique de résister et de refuser l'obéissance. L'obéissance aveugle est un contresens et nul n'est exempt de responsabilité pour avoir obéi aux hom­mes plutôt qu'à Dieu (Dz. 3115) ; et cette résistance doit être publique si le mal est public et est un objet de scandale pour les âmes (Somme de théologie, II, II, 33, 4). Ce sont là des principes élémentaires de morale, qui règlent les rapports des sujets avec toutes les autorités légitimes. Cette résistance trouve d'ailleurs une confirmation dans le fait que désormais ceux-là sont pénalisés qui s'en tiennent fer­mement à la Tradition et à la foi catholique, et que ceux qui professent des doctrines hétérodoxes ou accomplissent de véri­tables sacrilèges ne sont nullement inquiétés. C'est la logique de l'abus de pouvoir. #### V. Conception protestante de la messe La nouvelle conception de l'Église telle que le pape Jean-Paul II la définit dans la constitution précédant le nouveau Droit, appelle un changement profond dans l'acte principal de l'Église qui est le sacrifice de la messe. 11:279 La définition de la nouvelle ecclésiologie donne exactement la définition de la nouvelle messe : c'est-à-dire un service et une communion col­légiale et œcuménique. On ne peut mieux définir la nouvelle messe qui, comme la nouvelle Église conciliaire, est en rupture profonde avec la Tradition et le magistère de l'Église. C'est une conception plus protestante que catholique qui explique tout ce qui a été indûment exalté et tout ce qui a été diminué. Contrairement aux enseignements du concile de Trente dans la XXII^e^ session, contrairement à l'encyclique *Mediator Dei* de Pie XII, on a exagéré la place des fidèles dans la participation à la messe et diminué la place du prêtre devenu simple président. On a exagéré la place de la liturgie de la parole et diminué la place du sacrifice propitiatoire. On a exalté le repas communautaire et on l'a laïcisé, aux dépens du respect et de la foi en la présence réelle par la transsubstantiation. En supprimant la langue sacrée, on a pluralisé à l'infini les rites en les profanant par des apports mondains ou païens et on a répandu de fausses traductions, aux dépens de la vraie foi et de la vraie piété des fidèles. Et cependant les conciles de Florence et de Trente avaient prononcé des anathèmes contre tous ces changements et affir­maient que notre messe dans son canon remontait aux temps apostoliques. Les papes saint Pie V et Clément VIII ont insisté sur la nécessité d'éviter les changements et les mutations, en gardant perpétuellement ce rite romain consacré par la Tradition. La désacralisation de la messe, sa laïcisation entraînent la laïcisation du sacerdoce, à la manière protestante. La réforme liturgique de style protestant est l'une des plus grandes erreurs de l'Église conciliaire et des plus ruineuses de la foi et de la grâce. 12:279 #### VI. La libre diffusion des erreurs et des hérésies La situation de l'Église, mise en état de recherche, intro­duit dans la pratique le libre examen protestant, résultat de la pluralité des Credo à l'intérieur de l'Église. La suppression du Saint-Office, de l'Index, du serment anti­moderniste a provoqué chez les théologiens modernes un besoin de nouvelles théories qui désorientent les fidèles et les engagent vers le « charismatisme », le « pentecôtisme », les « commu­nautés de base ». C'est une véritable révolution dirigée en défi­nitive contre l'autorité de Dieu et de l'Église. Les graves erreurs modernes toujours condamnées par les papes se développent désormais librement à l'intérieur de l'Église : 1 -- Les philosophies modernes anti-scolastiques, existen­tialistes, anti-intellectualistes sont enseignées dans les Universi­tés catholiques et les grands Séminaires. 2 -- L'humanisme est favorisé par ce besoin des autorités ecclésiastiques de faire écho au monde moderne en faisant de l'homme la fin de toutes choses. 3 -- Le naturalisme, l'exaltation de l'homme et des valeurs humaines font oublier les valeurs surnaturelles de la Rédemp­tion et de la grâce. 4 -- Le modernisme évolutionniste cause le rejet de la Tradition, de la Révélation, du magistère de vingt siècles. Il n'y a plus de Vérité fixe, ni de dogme. 5 -- Socialisme et communisme : le refus du concile de condamner ces erreurs a été scandaleux et fait légitimement croire que le Vatican aujourd'hui serait favorable à un socia­lisme ou un communisme plus ou moins chrétien. 13:279 L'attitude du Saint-Siège durant ces quinze dernières années confirme ce jugement, tant au-delà qu'en deçà du rideau de fer. 6 -- Enfin les accords avec la maçonnerie, avec le conseil œcuménique des Églises et avec Moscou réduisent l'Église à l'état de prisonnière, la rendent incapable de remplir sa mission librement. Ce sont de véritables trahisons qui crient vengeance vers le ciel, de même que les éloges décernés en ces jours à l'hérésiarque le plus scandaleux et le plus nuisible à l'Église. Il est temps que l'Église recouvre sa liberté de réaliser le Règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ et le Règne de Marie sans se préoccuper de ses ennemis. 14:279 ### Il y a de quoi par Jean Madiran OUI, *il y a de quoi élever clairement la voix. Le surprenant n'est pas qu'ils soient deux évêques à le faire, mais qu'ils ne soient encore que deux. Pour le moment.* *Depuis la mort de Pie XII en 1958, l'Église est dans un état chaque jour plus tragique. Et rien n'y fait, ni concile, ni aggiornamento, ni ouverture à gauche, ni litur­gie nouvelle, ni œcuménisme : ces remèdes sans miracle ont au contraire accéléré une décomposition générale.* *Le fameux* « *renouveau conciliaire* » *a été rêvé, il a été espéré, il a été abondamment parlé, il n'existe nulle part. A sa place, un effondrement de tout : de la doctrine, de la liturgie, des vocations, de la pratique religieuse. Un recul universel.* *Mais masqué par des euphémismes officiels. La lettre au pape de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer fait sortir l'opinion publique d'une anesthésie qui était un mensonge.* 15:279 *Après un premier tumulte, qui retombera, va commen­cer la réflexion.* *On peut, en raison de l'ignorance religieuse croissante, ne pas s'apercevoir de cet immense désastre qui interrompt la transmission de la foi. Mais quand on s'en aperçoit, et quand on constate que pendant quinze années trois papes successifs n'ont pu apporter aucune amélioration à cette situation spirituellement intolérable, alors on se dit qu'il y a tout de même de quoi élever la voix. Et l'on commence à comprendre la surnaturelle urgence de l'acte solennel que Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer viennent d'accom­plir.* Jean Madiran. 16:279 ## ÉDITORIAL ### Catéchisme : L'anecdote et la foi Interrogée en 1982 à propos du catéchisme, la congrégation romaine de la doctrine, dont le préfet est le cardinal Ratzinger, a mis une année pleine pour répondre. Elle a répondu le 7 juillet 1983. Dans la rubrique « *Documents *» du pré­sent numéro, on trouvera le texte intégral des questions et des réponses. Il y avait deux questionneurs. D'une part, la congrégation romaine du clergé. D'autre part, la conférence épiscopale française. 17:279 Elles étaient en conflit. Elles ont provoqué l'arbitrage de la congrégation de la doctrine qui retrouve ainsi, le temps d'un litige, le rôle de « suprême congrégation » qui était celui du Saint-Office auquel elle a succédé. Le différend consistait en ceci. Le cardinal Oddi, préfet de la congrégation du clergé, n'aimant guère les catéchismes officiels de l'épiscopat français (mais pas au point de les interdire), s'était mis à recommander officieusement des catéchismes « non-officiels ». Les évêques français ripostaient (en substance) : que le cardinal Oddi aille s'occuper ailleurs de ses oignons et qu'il nous laisse tranquilles, nous qui avons la charge pleine, entière et souveraine de catéchiser la France à notre façon. C'était un conflit d'attributions ; un conflit de pouvoirs. Oui au cardinal Oddi Le cardinal Oddi avait donc demandé à la congrégation romaine de la doctrine de réaffirmer les pouvoirs du Saint-Siège et de rabaisser les prétentions abusives de l'épiscopat en matière de catéchisme ; c'est-à-dire d'énoncer : 1\. -- Que les conférences épiscopales ne peuvent publier de documents catéchétiques « valables sur le plan extra-diocé­sain » sans l'approbation préalable du Saint-Siège ; pas même à titre « expérimental » ou « pour la simple consultation ». 2\. -- Que les bureaux, en l'occurrence les « commissions épiscopales », n'ont aucun droit de se substituer aux évêques pour approuver un catéchisme au niveau national ni même au niveau diocésain. 18:279 3\. -- Que l'on peut utiliser d'autres catéchismes que le catéchisme officiel de l'épiscopat ; sous-entendu : un catéchisme « non-officiel » discrètement recommandé par le cardinal Oddi. Le cardinal Oddi a obtenu entièrement gain de cause, à un détail près, encore que ce détail soit d'importance : les caté­chismes non épiscopalement officiels recommandés par le car­dinal Oddi seront autorisés seulement comme « moyens subsi­diaires ». En somme, ils ne seront ni obligatoires, ni interdits ; ils seront tolérés. Non à l'épiscopat français De son côté, en relation avec le même conflit, la conférence épiscopale française demandait que l'on confirme le droit de l'évêque à refuser l'imprimatur ([^1]) même à un catéchisme par­faitement catholique en doctrine, si (par exemple) sa méthode pédagogique n'est pas au goût du jour. La congrégation de la doctrine a rejeté la demande de l'épiscopat français aussi radicalement qu'elle avait accepté les demandes du cardinal Oddi. 19:279 L'astuce de l' « imprimatur » Chacune des deux parties avait, bien sûr, posé les questions qui lui convenaient le mieux et de la manière qui lui était la plus favorable. Le cardinal Oddi interrogeait sur les vrais pou­voirs du Saint-Siège et sur les véritables devoirs de l'évêque : il était assuré d'obtenir gain de cause. De son côté, la confé­rence épiscopale française était aussi tranquille quant à son bon droit en interrogeant habilement sur l'imprimatur : qu'elle ait pu être déboutée là-dessus est un échec juridiquement inattendu. En effet, la conférence épiscopale dénonçait une thèse exces­sive : celle qui estime que la concession de l'imprimatur est un DROIT pour celui qui la demande et un DEVOIR de la part de l'évêque, si l'ouvrage proposé ne contient « rien de contraire à la foi et aux mœurs ». La congrégation de la doctrine vient de faire à l'épiscopat français l'affront d'avaliser cette thèse arro­gante : thèse pourtant mal fondée en droit et inapplicable en fait. L'évêque, en réalité, pourra toujours refuser l'imprimatur à un ouvrage qui lui paraît DOCTRINALEMENT irréprochable mais PASTORALEMENT inadapté ou dépassé, pour parler le lan­gage d'aujourd'hui. Ou, pour parler celui d'hier, il arrivera toujours à refuser l'imprimatur à un ouvrage parfaitement ORTHODOXE mais qu'il juge INOPPORTUN. Il n'est pas possible de retirer cette fonction « pastorale » aux évêques ; il n'est pas possible de leur interdire ce jugement « prudentiel ». Ils en abusent. Mais ils l'ont. Sur leurs abus en la matière, je suis personnellement ren­seigné depuis longtemps. 20:279 J'avais écrit un commentaire monumental, ligne à ligne, de l'encyclique *Divini Redemptoris* sur le communisme. Plusieurs en connaissent la substance, puisque j'en fis plusieurs fois une série de douze cours de deux heures, pas moins, vingt-quatre heures de commentaire oral. Il en existe des cassettes pour les amateurs robustement patients. Le commentaire écrit aurait constitué un énorme volume, peut-être illisible. En tout cas je voulais le publier. Je demandai docilement l'*imprimatur* à l'évêque de mon diocèse. C'était avant le concile, pourtant. La revue ITINÉRAIRES n'avait pas encore été condamnée par l'épis­copat. Mais c'était déjà après la mort de Pie XII. L'évêque me fit, par l'intermédiaire du censeur qu'il avait délégué, tellement de chinoiseries, il m'opposa tellement de billevesées, il m'ob­jecta tellement d'arguties qui ne tenaient pas debout, qu'un autre se serait découragé. Je réfutais point par point toutes les arguties. Aussitôt il en inventait d'autres pas meilleures, c'était inconsistant mais obstiné, à un point tel que cela demandait une explication. Il finit, à bout de souffle et d'imagination, par me l'avouer : -- *La vérité, c'est qu'il faut bien vous dire que l'épiscopat français n'acceptera jamais de vous donner l'* « *imprimatur* » *pour un commentaire d'encyclique signé par vous.* Il en avait parlé avec le secrétariat général de l'épiscopat. Il n'avait aucun désir d'aller contre les consignes. On ne crut pas pouvoir refuser l'*imprimatur* à ma traduction, qui était la première et qui à ce jour, je crois, est encore la seule traduction de *Divini Redemptoris* faite directement sur le texte latin officiel. J'ai donc publié la traduction isolément, sans commen­taire ([^2]). Imaginez que j'aille maintenant proposer à l'*impri­matur* un catéchisme écrit de ma main, j'en ai un tout prêt clans ma tête, c'est le *Catéchisme de saint Pie X* réécrit en un style et un vocabulaire actuels. 21:279 Le cardinal Oddi ni le cardinal Ratzinger n'arriveraient à trouver un seul évêque français pour me consentir son *imprimatur.* La vraie crise Aucun décret romain, aucune disposition d'ordre adminis­tratif ou juridique n'y changera rien. Depuis deux générations -- on le sait bien : depuis 1926 -- les évêques français ont été choisis puis se sont cooptés à gauche, parmi les tenants et les fils spirituels de la « démocratie religieuse » d'inspiration maçonnique. Autrement dit, ils ont subi l'influence non seule­ment politique *mais aussi religieuse* de cette gauche française qui est maçonnico-marxiste. Cela devait bien un jour ou l'autre déteindre jusque sur le catéchisme. La crise actuelle de la catéchèse est beaucoup plus profonde et beaucoup plus ancienne que les documents romains du 7 juillet 1983 ne le laissent apparaître. J'ai redonné récemment ([^3]) le communiqué épiscopal de 1957 (*cinquante-sept,* il y a un quart de siècle) sur les déviations du catéchisme français. En 1957 nous étions encore sous Pie XII. Rome avait contraint l'épiscopat français à réprouver les erreurs de son catéchisme. Qu'on relise le texte : ces erreurs sont celles-là mêmes qui se sont démesurément amplifiées jusqu'aux sommets atteints par le « Fonds obligatoire » en 1967 et par « Pierres vivantes » en 1982. Le communiqué de 1957, si l'on s'y conformait enfin, serait suffisant pour restaurer le catéchisme catholique en France. 22:279 Mais nous n'entendons plus énoncer les vérités et les prescriptions du communiqué de 1957. Ni à Paris ni à Rome. Rome a réagi le 7 juillet 1983, dans l'ordre strictement juridique et administratif, contre le mépris de son autorité et les empiétements de l'épiscopat. Rome n'a plus, depuis la mort de Pie XII, réagi à l'effondrement doctrinal de l'épiscopat fran­çais. Cet épiscopat est fondamentalement impropre à l'enseigne­ment du catéchisme catholique. Les hommes qui le composent sont marqués par une culture intellectuelle qui est maçonnico-marxiste. Déjà leur « catéchisme national » de 1947, qui restait encore à peu près catholique dans l'ensemble, commençait à s'effriter, il ne contenait plus l'explication du Notre Père, il n'instruisait plus la vertu théologale d'espérance. Mais depuis 1967, c'est radical : le catéchisme des évêques n'enseigne plus les trois connaissances nécessaires au salut. Cela fait seize années. Cette disparition, dans le catéchisme français, des connais­sances nécessaires au salut, les autorités religieuses ne s'en sont pas aperçues. En seize ans. Ou bien elles n'en ont cure. A Paris et à Rome. Que ce soit indifférence ou aveuglement, ou les deux, le résultat est le même. Le peuple chrétien est abandonné. Jean Madiran. 23:279 ## CHRONIQUES 24:279 ### Deux discours au Maréchal par François Brigneau Le 12 novembre 1983, l' « Association Pétain-Verdun » se réunissait à l'île d'Yeu, autour de la tombe du maréchal Pétain qui s'y trouve toujours relégué. Le colonel Rémy avait envoyé un message déclarant : « *A l'approche du terme d'une longue existence, j'ai pu constater que la fidélité dans le malheur est le signe d'une juste cause. Soyez sûrs que triomphera celle que vous défendez avec tant de persévérance et de désintéressement. Je m'unirai par le cœur à votre pieux pèlerinage de l'île d'Yeu.* » La « juste cause » évoquée par le colonel Rémy est celle du transfert des cendres du Maréchal à Douaumont. Il y aura quarante ans en 1985 que Philippe Pétain, maréchal de France, fut condamné à mort, à la confiscation de tous ses biens et à l'indignité nationale à perpétuité. Un grand pèlerinage à Mile d'Yeu est envisagé pour cet anniversaire. Le 12 novembre dernier, François Brigneau a prononcé deux discours à l'île d'Yeu. Le premier sur la tombe du Maréchal. Le second au cours de la réunion qui a suivi. 25:279 #### I *Sur la tombe du Maréchal, François Brigneau raconta ses souvenirs des obsèques, auxquelles il avait assisté :* Trois anciens combattants vendéens et un fossoyeur tenaient les cordes. Un soleil terrible écrasait le petit cimetière de l'île d'Yeu. La foule, muette, baissait la tête. Le général Weygand, mince, presque fluet, avait joint les mains. Le cercueil com­mença de glisser dans la fosse bétonnée. La masse noire et blanche du clergé fit un pas. On entendit au loin un cri d'en­fant qui trembla longtemps dans la lumière dorée. Le cercueil glissa encore. Il y eut un bruit sourd. Il avait atteint la dalle. Alors le fossoyeur en cotte bleue et chaussé d'espadrilles sauta dans la tombe. Il libéra le cercueil des deux cordes qui l'enser­raient : ultimes chaînes de chanvre du plus vieux prisonnier du monde. Puis, posant un pied sur le chêne ciré, l'homme remonta lestement. C'était fini. Le Maréchal était enfin en paix. Aussitôt, le défilé commença. Madame la Maréchale n'avait pu résister à la chaleur et à sa peine. Je l'avais vue durant toute la cérémonie, à l'église, immobile, les doigts entrelacés, la tête droite sous le chapeau frangé de crêpe. Les yeux n'étaient qu'un filet gris derrière les lunettes aux montures translucides. Parfois un tic agitait la paupière gauche. Parfois les lèvres blê­mes se serraient davantage encore et la gorge se crispait sur un sanglot muet. Noire, dure et volontaire, dans ce fauteuil avancé près du catafalque, elle ressemblait à une sentinelle dressée près du vieux chef et comme une sentinelle, elle symbolisait le courage et la fidélité têtue. Mais l'air marin, le vent et surtout la chaleur qui tombait sur les tombes eurent raison de sa vail­lance. 26:279 Au moment où les porteurs avaient saisi le cercueil pour le dernier voyage, on l'avait vue faire un signe à M. Louis-Dominique Girard. Celui-ci l'avait aidée à se lever de la chaise placée près du caveau. Le public dense et muet s'était écarté. Au bras de M. de Herain son fils, s'aidant de sa canne, la Maréchale était partie -- à la minute même où son compagnon la quittait. Derrière la famille, le général Weygand vint s'incliner une fois encore sur la tombe de celui qui fut son chef et son ami. D'un geste sec, il jeta quelque chose dans la fosse. Les caméras tournaient. Les appareils photographiques cliquetaient. Les jour­nalistes se précipitèrent. Qu'est-ce ? Une étoile ? Sa croix ? Non point. Simplement l'insigne d'ancien combattant qu'un soldat de Dunkerque lui avait envoyé pour « faire don au Maréchal ». Et puis ce fut la procession devant le monument tout sim­ple : un bloc de ciment de deux mètres de haut, deux mètres cinquante de long et un mètre cinquante de large et une dalle peinte en blanc. Les gerbes et les couronnes portant des ins­criptions comme : *Hommage des anciens combattants de Ver­dun à leur ancien chef* entouraient le caveau. Le long cortège les pressa et les piétina un peu. On n'entendit que le bruit des pas sur les graviers. Et puis, brusquement, une voix lança : -- Vive la France ! Trois fois la foule répondit : -- Vive la France ! Alors la voix recommença : -- Vive le Maréchal ! Et trois fois, la foule répondit à nouveau : -- Vive le Maréchal ! Aujourd'hui, trente-deux ans plus tard, que dire d'autre, que dire mieux que : -- Vive la France ! Vive le Maréchal ! 27:279 #### II *Le second discours que François Brigneau prononça le 12 novembre 1983, à l'île d'Yeu, pourrait s'intituler* « *La France du Maréchal est toujours en prison *»*.* Je vous remercie de l'honneur que vous m'avez fait en me demandant de participer à cette journée de pèlerinage et de souvenir. Je vous prie aussi de croire que cette phrase de politesse rituelle n'est pas une phrase de circonstance. J'ai été avec le Maréchal dans les jours sombres. Je le suis encore, aujourd'hui qu'ils se sont à peine éclaircis, l'occupation cosmopolite et socialo-communiste ayant remplacé l'occupation allemande. J'ai été soldat du Maréchal. Je n'ai jamais cessé de l'être, de le dire, de l'écrire et donc de vivre en marge de la vie officielle de la France depuis bien­tôt quarante ans. C'est pourquoi je vous remercie de me permettre de témoi­gner aujourd'hui de cette fidélité à Philippe Pétain, maréchal de France, chef de l'État français, homme de guerre, homme de paix, grand réformateur politique -- dans cette île d'Yeu où il fut enfermé pendant six ans -- où il mourut le 23 juillet 1951, à l'âge de 95 ans -- et où il repose dans une sorte de prison maritime, d'une grandiose simplicité, mais qui n'en est pas moins une prison puisque du fond de son cachot il ne for­mula que deux requêtes à ses bourreaux : 28:279 -- *Qu'ils cessent les poursuites contre les Français dont le seul crime avait été le crime d'obéissance envers le chef légitime de la France.* *-- Qu'ils autorisent le transfert de sa dépouille à Douau­mont afin de lui permettre de dormir au milieu de ses soldats.* La réponse fut *non* aux deux questions. Les poursuites continuent contre les Français qui avaient obéi au maréchal Pétain, devenu chef de l'État français, le 10 mai 1940, après un vote quasi unanime de l'Assemblée nationale : 569 suffra­ges favorables sur 640 votants. Rappelons que la chambre des députés était celle du Front populaire élue en 1936 ! Le crime de pétainisme est devenu passible des tribunaux. On a forgé des lois qui interdisent de raconter l'histoire vraie de 39-45, sous prétexte que ce serait dénigrer la Résistance et réhabiliter la Collaboration. Nous continuons à payer notre adhésion à la Révolution nationale. Contre la volonté du Maréchal, les juifs portèrent l'étoile jaune pendant deux ans -- et cela bouleverse encore les consciences. Les maréchalistes la portent depuis 40 ans, ils sont condamnés au wagon de queue de la société. Mais cela n'émeut personne. Sur Douaumont, la réponse fut également non. Pendant des années et des années j'ai entendu les maréchalistes se quereller sur la question de ce retour. Les uns tenaient que la réhabili­tation devait précéder Douaumont. Les autres que Douaumont entraînerait la réhabilitation. Je ne sais qui a raison et n'ai aucune qualité pour trancher. Ce que je sais c'est qu'il est tou­jours là. Ce que je sais c'est que le procès qui se termina le 15 août 1945 fut la condamnation à mort, à l'indignité nationale à vie et à la confiscation des biens du vainqueur de Verdun, coupable en 1940, d'avoir accepté le poids d'une défaite dont il n'était en rien responsable, ce que je sais c'est que ce procès ne semble pas avoir plus de chance d'être révisé aujourd'hui qu'hier et que dans un proche avenir. En tout cas tant que le pouvoir n'aura pas changé d'esprit ; et d'âme. Et ce n'est pas demain la veille de ce changement. Le vrai. Je dirais le seul qui compte car il prouverait la reconquête de la France par les Français. 29:279 Ce que je sais c'est qu'il en serait autrement si le maréchal Pétain n'avait été que capitaine et qu'il se fût appelé Dreyfus. Ce que je sais enfin c'est ceci. Nombreux furent les colla­borateurs et défenseurs du Maréchal qui, des années durant, nous demandèrent, au nom de l'efficacité de leurs démarches, de mettre moins de feu dans nos propos et moins d'indignation dans la constatation de l'injustice faite à Philippe Pétain -- et à travers lui à l'esprit de son œuvre et aux Français qui y sont attachés. « Il y a temps pour tout, disaient-ils, quand ils nous faisaient la grâce de nous parler. Laissez-nous gagner cette première victoire. Après vous pourrez développer vos arguments avec tout l'allant que vous voudrez. » Ces précautions, ces réserves, cette prudence tactique n'auront servi de rien. Elle n'aura servi de rien, non plus, cette savante discrimination entre ceux qui avaient cru le Maréchal à la lettre et ceux qui prétendaient ne s'être attachés qu'à l'esprit. Tout cela n'aura servi à rien. Le Maréchal est toujours en prison parce que ses idées politiques, morales, sociales, spirituelles sont toujours hors-la-loi. Puisque nous sommes réunis ici pour honorer sa mémoire, ayons le courage et la lucidité de regarder la réalité en face. Le vainqueur de Verdun a été condamné à mort en 1945 parce qu'il avait signé l'armistice en 1940. Quoique le procu­reur Mornet ait déclaré du haut de son siège du ministère public de la Haute cour : « *L'armistice ne constitue pas un des chefs d'accusation* »*,* c'est l'armistice qui le condamnait. De Gaulle l'a écrit dans ses mémoires : « *Pour moi la faute capi­tale de Pétain et de sort gouvernement c'était d'avoir conclu, au nom de la France, le soi-disant armistice. *» De Gaulle a raison. C'est le nœud de la tragédie. L'ambi­tion politique du général lui permet d'abandonner les soldats en pleine défaite, les civils en pleine débâcle et la France envahie pour préparer la revanche en Angleterre. 30:279 La philosophie politique du Maréchal le lui interdit. Il l'a dit au conseil des ministres réuni le 13 mai au château de Nitray : « La question qui se pose en ce moment n'est pas de savoir si le gouvernement français demande ou ne deman­de pas l'armistice, elle est de savoir si le gouvernement français demande l'armistice ou s'il accepte de quitter la France métropolitaine... « Il est impossible au gouvernement, sans émigrer, sans déserter, d'abandonner le territoire français. Le devoir du gouvernement est, quoi qu'il arrive, de rester dans le pays, sous peine de n'être plus reconnu comme tel. Priver la France de ses défenseurs naturels dans une période de désarroi général, c'est la livrer à l'ennemi, c'est tuer l'âme de la France, c'est, par conséquent rendre impossible sa renaissance. « Le renouveau français, il faut l'attendre bien plus de l'âme de notre pays, que nous préservons en restant sur place, plutôt que d'une reconquête de notre territoire par les canons alliés, dans des conditions et dans un délai impossibles à prévoir. « Je suis donc d'avis de ne pas abandonner le sol fran­çais et d'accepter la souffrance qui sera imposée à la Patrie et à ses fils. La Renaissance française sera le prix de cette souffrance. « Je déclare, en ce qui me concerne, que hors du gou­vernement s'il le faut, je me refuserai à quitter le sol métropolitain. Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères. » Tout ce qui sépare Charles de Gaulle de Philippe Pétain, -- tout ce que le Général ne pourra jamais pardonner au Maréchal se trouve résumé dans cette page. Elle permet également de comprendre pourquoi il accepte le pouvoir à 84 ans et tout ce qu'il va tenter, la tâche énorme, d'une importance capitale qu'il va tenter pour nationaliser la nation française malgré la situation catastrophique dans laquelle il se trouve. 31:279 Les Allemands tiennent la France de Bayonne à Châtelle­rault et à la frontière suisse. Ils tiennent le charbon, l'acier et le blé français, les usines françaises, un million et demi de Français entre 20 et 40 ans, la force vive du pays. Il y a dix millions de réfugiés. Plus rien ne fonctionnait. Le château de cartes républicain s'est effondré. La France légale a disparu...Le Maréchal est seul sur les décombres et à 84 ans, il va non seulement résoudre les problèmes immédiats mais apporter aux Français les fondations politiques, morales, intellectuelles, socia­les, spirituelles qui doivent permettre à la France de redevenir française. Voilà ce que Maurras appela « la divine surprise » -- ce qui lui fut tellement reproché. Et pourtant c'était bien de cela qu'il s'agissait. Voilà pourquoi le Maréchal, même mort, est toujours condamné à la déportation dans l'île atlantique la plus éloignée des côtes de France. Car aujourd'hui ce n'est plus à cause de l'armistice que l'ostracisme demeure. C'est le chef de l'État nouveau qui est condamné. Et il faut bien avouer qu'il suffit d'écouter sa voix aujourd'hui pour mesurer ce qui le sépare de ceux qui l'emmu­rèrent vivant. Pour comprendre aussi pourquoi, allongé dans le petit cime­tière de l'île d'Yeu, sous les cris aigus des mouettes, dans la lumière frissonnante et changeante des pays d'ouest, sous le vent de la mer, avec ses puissantes odeurs et son souffle iné­puisable, le Maréchal dérange tant de parvenus du malheur français. Il est là, à l'écart, oublié dans sa tombe aussi simple que les autres tombes de paysans et de pêcheurs qui l'entourent, lui qui était le fils d'un paysan et d'une paysanne. On parle peu de lui et le plus souvent pour s'en moquer et le dénigrer. On se moque de son âge car la France, qui jadis respectait et honorait ses vieux, s'amuse aujourd'hui à les tourner en déri­sion. On se moque qu'il ait ramassé, à 84 ans, dans la pous­sière un pouvoir abandonné par les responsables du désastre -- mais on ne s'émeut pas qu'ils aient pu, revenus aux affaires, tenir dans la geôle de la Pierre-Levée, humide, sombre, froide, privée d'un confort dont on ne prive plus les assassins de vieil­les dames, un maréchal de France entre sa 89^e^ et sa 95^e^ année... 32:279 Il est là, au ban de la France, entouré de l'opprobre que ne cessent d'alimenter les résistants de septembre 44, les profiteurs de l'Épuration, les falsificateurs de l'Histoire, les faux témoins, les faux dévots, les faux héros et pourtant il fait encore trem­bler nos cœurs car sa voix est unique qui dit les vérités essen­tielles de la France. Écoutez, jamais aucun autre chef d'État français contem­porain n'a dit ce qu'a dit le Maréchal : « L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacri­fice a édifié. C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie. » « L'esprit de jouissance l'a emporté sur l'esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu'on n'a servi. On a voulu épargner l'effort ; on rencontre aujourd'hui le mal­heur. » « N'espérez pas trop de l'État qui ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez pour le présent sur vous-mêmes et pour l'avenir sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir. » « Le travail des Français est la ressource suprême de la patrie. Il doit être sacré. Le capitalisme international et le socialisme international qui l'ont exploité ont été d'autant plus funestes que, s'opposant l'un à l'autre en apparence, ils se ménageaient l'un l'autre en secret. Nous ne souffrirons plus leur ténébreuse alliance. » « Un peuple n'est pas un nombre déterminé d'indivi­dus, arbitrairement comptés au sein d'un corps social. Un peuple est une hiérarchie de familles, de professions, de communes, de responsabilités administratives, de famil­les spirituelles, articulées et fédérées pour former une patrie animée d'un mouvement, d'une âme, d'un idéal, moteurs de l'avenir, pour produire, à tous les échelons, une hiérarchie des hommes qui se sélectionnent par les services rendus à la communauté, dont un petit nombre conseillent, quelques-uns commandent et, au sommet, un chef qui gouverne. » 33:279 « La solution consiste à rétablir le citoyen, juché sur ses droits, dans la réalité familiale, professionnelle, com­munale, provinciale et nationale. C'est de cette réalité que doit procéder l'autorité positive et sur elle que doit se fonder la vraie liberté. » « Je me propose de recomposer un corps social d'après ces principes. Il ne suffira plus de compter les voix. Il faudra peser leur valeur pour déterminer leur, part de responsabilité dans la communauté. » « La politique est l'art de gouverner les hommes confor­mément à leur intérêt le plus général et le plus élevé. Elle ne s'adresse pas aux sentiments bas tels que l'envie, la cupidité, la vengeance, mais à la passion du bien public, à la générosité. » « Elle ne se propose pas d'exploiter le peuple, mais de le servir ; elle ne s'efforce pas de le flatter ou de le séduire, mais d'éveiller sa conscience et de provoquer sa réflexion ; et si elle lui parle de ses droits, elle n'oublie pas de lui rappeler ses devoirs. » « Le droit des familles est antérieur et supérieur à celui de l'État comme à celui des individus. La famille est la cellule essentielle ; elle est l'assise même de l'édifice social, c'est sur elle qu'il faut bâtir ; si elle fléchit, tout est perdu ; tant qu'elle tient, tout peut être sauvé. » « S'il est normal que les hommes se groupent selon les affinités de leur métier, de leur niveau social, de leur genre de vie, et s'il est légitime que ces groupements divers essaient de faire valoir, les uns par rapport aux autres, leurs intérêts et leurs droits, la lutte des classes considérée comme le grand moteur du progrès universel est une conception absurde, qui conduit les peuples à la désagrégation et à la mort. » 34:279 « La nature ne crée pas la société à partir des individus, elle crée les individus à partir de la société. » « Le travail répond à cette loi sévère de la nature que rien ne s'obtient sans effort. C'est donc à tort que l'on a fait luire à vos yeux le mirage d'une cité future où il n'y aurait plus de place que pour le plaisir et pour le loisir. Mais si le travail est pour l'homme un fardeau, il est aussi un bienfait : il est une condition de la bonne santé morale et physique, de l'équilibre et du développe­ment des facultés humaines. C'est une erreur de croire que l'on puisse conserver intacts ces dons ou ces facultés dans l'oisiveté. Nous ne développons nos capacités et n'augmentons nos forces que par l'exercice que nous leur donnons. » « Il s'agit de mettre fin à cet esprit revendicatif qui, passant du social au politique et respectivement, nous a perdus parce qu'il a dissocié et décomposé les mœurs et les pratiques qui sévissaient dans les rapports du capital et du travail. » « Il y avait à la base de notre éducation nationale une illusion profonde : c'était de croire qu'il suffit d'instruire les esprits pour former les cœurs et pour tremper les caractères. « Le cœur humain ne va pas naturellement à la bonté ; la volonté humaine ne va pas naturellement à la fermeté, à la constance, au courage. Ils ont besoin, pour y attein­dre et pour s'y fixer, d'une vigoureuse et opiniâtre disci­pline. Vous le savez bien, parents : un enfant bien élevé ne s'obtient pas sans un usage vigilant, à la fois inflexible et tendre, de l'autorité familiale. » « L'école française ne prétendra plus à la neutralité. La vie n'est pas neutre ; elle consiste à prendre parti hardiment. Il n'y a pas de neutralité possible entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, entre la santé et la maladie, entre l'ordre et le désordre, entre la France et l'Anti-France. » 35:279 « Il faudra que les maîtres de notre enseignement pri­maire se pénètrent de cette idée qu'il n'est pas moins noble et pas moins profitable, même pour l'esprit, de manier l'outil que de tenir la plume, et de connaître à fond un métier que d'avoir sur toutes choses des clartés superficielles. » « Jeunes Français : vous payez des fautes qui ne sont pas les vôtres. C'est une dure loi qu'il faut comprendre et accepter, au lieu de la subir ou de se révolter contre elle. Alors l'épreuve devient bienfaisante, elle trempe les âmes et les corps et prépare des lendemains réparateurs. « Méditez ces maximes : le plaisir abaisse, la joie élève ; le plaisir affaiblit, la joie rend fort. Cultivez en vous le sens et l'amour de l'effort : c'est une part essen­tielle de la dignité de l'homme et de son efficacité. « Lorsque vous aurez à faire le choix d'un métier, gardez-vous de la double tentation du gain immédiat et du minimum de peine. Visez de préférence aux métiers de qualité qui exigent un long et sérieux apprentissage. « Seul, le don de soi donne son sens à la vie indivi­duelle, en la rattachant à quelque chose qui la dépasse, qui l'élargit et qui la magnifie. » « Mères de notre pays de France, votre tâche est la plus rude, elle est aussi la plus belle. Vous êtes, avant l'État, les dispensatrices de l'éducation. Vous seules savez donner à tous ce goût du travail, ce sens de la discipline, de la modestie, du respect, qui fait les hommes sains et les peuples forts. Vous êtes les inspiratrices de notre civi­lisation chrétienne. Et voici qu'aujourd'hui, dans nos deuils, dans nos misères, vous portez la plus lourde croix. Mères de France, entendez ce long cri d'amour qui monte vers vous. Mères de nos tués, mères de nos prisonniers, mères de nos cités, qui donneriez votre vie pour arracher vos enfants à la faim, mères de nos campagnes qui, seules à la ferme, faites germer les moissons, mères glorieuses, mères angoissées, je vous exprime aujourd'hui la recon­naissance de la France. » 36:279 Voilà ce que l'on n'a jamais plus écouté depuis qu'il a cessé de parler. Voilà ce que les jeunes générations n'ont pas le droit d'en­tendre depuis qu'on s'est efforcé de discréditer sa voix et quand cela s'avérait impossible, de l'étouffer. Voilà ce qui justifie notre engagement indéfectible sous le drapeau du Maréchal. Voilà qui explique notre présence aujourd'hui ici même, sur le lieu où il subit l'épreuve dans la dignité et la noblesse. Nous sommes de ceux qui chantaient, chantent et chante­ront : *Maréchal, nous voilà,* sans ressentir jamais aucun ridicule, au contraire. Comme si l'injustice faite au Maréchal donnait des ailes éclatantes à des vers qui sont souvent de mirliton. Nous éprouvons même une sorte de fierté joyeuse -- la fierté joyeuse que donnent les grandes causes -- à répéter : *Maréchal, nous voilà encore,* *Nous voilà toujours* *Nous voilà jusqu'à la fin* *et même après, si Dieu le veut !* François Brigneau. 37:279 ### La dénatalité, pourquoi ? par Gustave Thibon Je lis, dans un grand journal du soir, une étude de M. Jen­tel, directeur de l'Institut d'études professionnelles et familiales, sur les causes de la dénatalité qui affecte aujourd'hui notre pays. On attribue cette régression démographique à une infinité de causes. Économiques, comme les bas salaires, l'insécurité de l'em­ploi, l'exiguïté des logements urbains, l'aide trop faible aux familles nombreuses, etc. Morales et sociales, comme l'emploi des contraceptifs, la légalisation et le remboursement de l'avortement, la propagande antinataliste, l'effacement des interdits moraux et religieux, etc. Tous ces facteurs ont leur importance, mais d'après l'auteur, la cause principale gît dans la détérioration de la qualité du couple. Détérioration qui apparaît dans la statistique des divorces 20 % dans l'ensemble de la France, plus de 30 % dans une ville comme Paris, 40 % aux U.S.A. Dans ce dernier pays, des enquêtes très poussées nous apprennent que trois couples sur quatre sont plus ou moins désunis. Sans parler de l'augmenta­tion galopante des couples illégitimes qui, conscients de leur fragilité, hésitent devant un engagement définitif, suivi de pro­création. 38:279 C'est donc, toujours selon M. Jentel, l'insatisfaction conju­gale (ou préconjugale) qui est à la base de ce refus de l'enfant : un couple qui se sent branlant dans le présent manque de fer­veur pour grever son avenir de cette lourde hypothèque d'une ou plusieurs naissances. D'où la conclusion de l'auteur : « Il s'agit d'étudier les conditions les plus favorables à la création de couples stables à une époque où les unions ne sont plus fondées sur la trans­mission de la vie et du patrimoine, mais surtout sur les senti­ments. » En d'autres termes, puisqu'on se marie surtout par amour, comment conférer à ce sentiment strictement personnel assez de puissance et de continuité pour braver l'épreuve du temps et du changement ? \*\*\* Que se passait-il aux époques où les couples étaient plus stables qu'aujourd'hui et, par voie de conséquence, le taux de natalité plus élevé ? L'amour, certes, avait sa part, même dans les unions dictées en partie par les conventions et les intérêts. La nécessité d'une collaboration quotidienne n'allait pas sans créer des liens inti­mes entre les époux. Mais combien de couples boiteux se traî­naient en clopinant jusqu'à la tombe sans se disjoindre ! -- « Vos parents s'aimaient-ils ? », ai-je demandé à une jeune femme issue d'un milieu paysan. « Je n'en sais rien, m'a-t-elle répondu, je les ai toujours vus comme deux bœufs attelés paci­fiquement au même joug. » La nécessité matérielle, l'œuvre commune à accomplir, la puissance indiscutée de l'institution, la morale et la religion imposant la fidélité comme un devoir absolu, la pression de l'opinion condamnant sans appel le divor­ce -- tous ces facteurs pesaient plus lourd que les sentiments personnels pour assurer la stabilité du couple. Et la natalité s'inscrivait d'elle-même dans la ligne de ces impératifs biolo­giques et sociaux : l'enfant, désiré ou simplement accepté, fai­sait partie de ces grandes continuités humaines qui dépassent l'individu. 39:279 M. Jentel part de ce fait qu'aujourd'hui on se marie par amour, c'est-à-dire par attraction réciproque. Mais quelle attrac­tion et à quel niveau ? Je n'ai aucun mépris pour la passion amoureuse : j'en connais qui ont suffi à remplir une existence. Mais l'expérience prouve que les « amourettes » sont plus fréquentes que le « grand amour », et que c'est parmi les mariages dits d'amour que se recrute, l'ivresse passée, la majo­rité des couples désunis et des divorces. Je songe à la dernière pièce d'Anouilh où deux vieux époux aigris discutent du pro­chain mariage de leur toute jeune fille avec un garçon à peine plus âgé qu'elle. Le père exprime son appréhension ; la mère réplique : « Mais voyons, ces enfants s'aiment ! » Réponse du père : « C'est bien ça qui me fait peur ; nous aussi nous nous aimions ». Un avocat américain me disait récemment que sur 100 mariages contractés avant l'âge de vingt ans, on observait, à courte échéance, 80 % de divorces. Ce phénomène n'a rien d'étonnant : c'est la même impatience d'un bonheur immédiat qui fait le couple à l'heure du désir et le défait à l'heure de la déception. M. Jentel fait état de l'insatisfaction conjugale. Cette insa­tisfaction, on la cultive sans fin par les mythes, si largement répandus, du droit à l'amour, au plaisir, à l'épanouissement, par les promesses puériles d'un paradis sexuel au ras du sol. Il me souvient, pour ne pas quitter l'Amérique, d'une émission télé­visée où je parlais du mariage et où les téléspectateurs étaient invités à poser des questions au conférencier par téléphone. J'entends encore la voix plaintive et revendicatrice d'une dame disant à peu près ceci : « J'estime que le mariage ne m'a pas apporté la plénitude à laquelle j'avais droit et je tiens mon mari pour responsable de cet échec. » A quoi j'ai répondu : « J'ignore les capacités de Monsieur votre époux, mais il se peut aussi que les vôtres ne soient pas illimitées et de toute façon, on est toujours déçu quand on demande l'impossible. » \*\*\* Il reste que cette dissolution des anciennes mœurs est un fait et que l'harmonie du couple repose de plus en plus sur la qualité intérieure des époux. D'où la nécessité d'une éducation, je dirai presque d'une ascèse de l'amour conjugal. La vie à deux n'est pas un décalque de la presse du cœur ou la projec­tion d'un film sentimental. 40:279 Il ne suffit pas de croire avoir ren­contré l'homme ou la femme de sa vie (rien n'est plus facile et plus illusoire aux heures de pointe de la passion) ; il faut savoir aussi que le mariage est un engagement -- et que cet engage­ment doit être tenu, quelles que soient les fluctuations des sentiments. Le sens de l'honneur, si oublié aujourd'hui, la consé­cration religieuse, le don commun aux mêmes réalités qui débor­dent l'horizon étroit du couple clos sur lui-même sont des éléments indispensables à la survie de l'amour. Ce que résument les lignes suivantes d'un romancier amé­ricain : « J'avais compris que l'amour n'est pas un cadeau, mais un vœu. Seuls les courageux peuvent s'y tenir au-delà d'une courte période... L'amour, on peut le trouver avec n'im­porte qui, n'importe où. Mais on ne peut jamais le garder, sauf si on est prêt à mourir pour lui. » Bien entendu, il ne s'agit pas de mort physique, mais de mort à cette partie inférieure de nous-mêmes faite d'égoïsme à courte vue, d'attrait du plaisir superficiel et éphémère, de refus de l'effort et du sacrifice -- de tout ce qui aspire au bon­heur sans le mériter. Mort qui ouvre la porte à une vie supé­rieure... Dans un tel climat, l'amour se prolonge et s'accomplit par l'enfant aussi naturellement que la saison des fruits succède à celle des fleurs. Gustave Thibon. 41:279 ### Artisans d'art par Michel de Saint Pierre LES DEUX MAINS s'agitent comme des sorcières autour du métal. Elles le palpent, elles le pressent, elles l'étouffent comme une proie. La main droite exécute une passe d'envoûtement caressante tandis que la main gauche, têtue, retient. Un instant les mains méditent, appuyées l'une contre l'au­tre. Mais leur activité renaît, et les voici qui reprennent autour du métal leur danse sacrée. Des outils sont mis en œuvre. Les mains créatrices ont la rapidité, la cruauté, l'admirable patience des insectes. Car le joaillier, à la fois forgeron, fondeur et orfèvre, n'a pour lui, en ce siècle de machines-outils, que ses mains, et l'habileté qu'elles possèdent dans l'emploi de la bouterolle, de la pince et du marteau. Une vie ardente s'anime, dans une gamme de bruits qui va du choc brutal au tintement délicat. La lime. Le métal précieux gémit comme un enfant. Le marteau... La main droite s'acharne minutieusement et son effort précise avec lenteur, le long d'un pouce musculeux, une veine bleue au dessin de guirlande. 42:279 Et le travail se poursuit, la souffrance du métal se creuse sous le charme des doigts patients qui apportent à la naissance de l'ouvrage une intelligence de bourreaux. J'évoque les phrases de Carrel : « La main est un chef-d'œuvre. A la fois elle sent et elle agit. On dirait presque qu'elle voit... Nous n'aurions jamais acquis la maîtrise de la matière sans l'aide des doigts, ces cinq petits leviers composés chacun de trois segments articulés qui sont montés sur les métacarpiens et le massif osseux de la main. La main s'adapte au travail le plus brutal comme au plus délicat... Elle est propre à tuer et à bénir, à voler et à donner... » Le métal torturé est lentement soumis, autour duquel se rétrécit un cercle magique... Les mains se font de plus en plus précises, éclairées d'un rayon de soleil dont elles sont éclaboussées ainsi que dans un tableau de primitif, et il me semble voir deux grandes araignées d'or qui tissent une œuvre d'art. Enfin, elles se détendent. Elles ralentissent leurs gestes, adoucissent leur âpreté. Sur la paume de l'une d'elles repose le métal qui a cessé ses gémissements. Et la victime se transfigure dans cet écrin de chair. Le métal a pris lentement la forme d'un oiseau-lyre, aux ailes offertes, que le sertisseur va combler de saphirs. L'oiseau gît sur la table maintenant. Près de lui reposent les deux mains, appuyées à plat et secouées de frémissements comme si elles reprenaient leur souffle. Apaisé je m'en vais -- mais avant de partir je ne puis résister au désir de me retourner une dernière fois : les mains se sont déplacées lentement, amou­reusement, et j'emporte la vision d'elles qui rôdent encore autour du métal avec la tendresse cruelle des oiseleurs. \*\*\* Ceux que nous appelons « artisans d'art » sont encore nom­breux. Beaucoup de grandeur est demeurée dans leur corpora­tion où flotte un parfum vieilli de Moyen-Age, où passe aussi, parfois, le souffle mystérieux des bâtisseurs. Chez quelques-uns d'entre eux, je l'avoue, le goût du beau métier est flétri par l'amertume de l'exercer en une lutte inégale. Il me souvient en particulier de celui-ci que j'interrogeais dans une petite salle où il exposait ses œuvres : de chaque socle, en chaque vitrine la merveille jaillissait. Et cependant l'auteur de ces miracles ne prit aucun souci de me les faire admirer. 43:279 Il ne cessa, tandis que j'essayais vainement de m'évader vers un beau vase ou une urne d'argent, de me citer des chiffres et des textes de loi dont il ressortait que ses intérêts étaient lésés, que tel de ses confrères l'imitait bassement, qu'il était seul digne de représenter sa profession... Toutes ses jalousies, étayées parfois de mensonges... Élargissant le problème, il prenait la vie entière à témoin et demandait des comptes à la Société, avec une apti­tude remarquable à n'envisager que le petit côté des choses pour en négliger le grand. Et tandis qu'il parlait, vulgaire, obèse et malfaisant, les œuvres fines qu'il avait faites de sa main s'élevaient, absolument simples et pures, comme des prières. Étrange personnage, cupide, analyste primaire du péché des autres, jouissant d'une bedaine de bourgeois et d'une âme de maquignon, et dont la MAIN mystique rêvait seule. J'ai tenu en conscience à ébaucher ce portrait car il me posait un problème humain. Mais la plupart des artisans d'art que j'ai connus possèdent à la fois un haut orgueil de leur pouvoir et une certaine vigueur pensive qui est l'écho du mar­telage et celui des rêves. Tel d'entre eux me disait : « J'ai tra­vaillé quinze heures hier. Après avoir recommencé plusieurs fois le travail, CAR JE NE M'ENTENDAIS PAS BIEN AVEC LA MATIÈRE, j'ai fini par sortir ça... » Et il me tendait une bague minuscule, légère comme un rayon, au chaton de laquelle s'ani­maient deux émaux impalpables dont les tons s'opposaient : bleu matinal et bleu de nuit. Quelques mois après, je fus à une exposition des œuvres de cet artisan. Sur tous les bijoux et les pièces d'orfèvrerie de l'une des vitrines éclatait, dans sa fraîcheur et sa sagesse, l'opposition des deux bleus. L'auteur inclina vers moi une face heureuse et me dit à l'oreille : « Cette vitrine représente beaucoup de sous, mais je ne vendrai rien de ce qui s'y trouve, car j'en suis content. Je ne referai pas ça... Alors, je le garde. Voyez-vous, mes yeux ont beaucoup travaillé, et je leur dois cette récompense. » Savantes paroles, et dignes d'autrefois. Devant cette fierté qu'ils ont tous, je me réjouis comme devant le signe d'une justice. Il ne faut pas oublier qu'au XVII^e^ siècle le mot artiste était d'un usage courant pour désigner un maître d'œuvre de valeur. Ils se sont transmis comme un héri­tage cette qualité ombrageuse qui leur sert encore de cocarde. 44:279 Bernard Palissy ne s'honorait-il pas d'être de ces gentilshom­mes de métier ? En fait d'orgueil celui-là n'avait de leçon à recevoir de personne, et pas même d'un roi. A Henri III qui venait lui dire en sa prison qu'il allait être « contraint » de le brûler vif, Palissy répondit ces paroles célèbres : « Sire, vous m'avez dit plusieurs fois que vous aviez pitié de moi ; mais moi j'ai pitié de vous qui avez prononcé ces mots : « Je suis contraint... » Ce n'est point parler en roy... Nous qui avons part au royaume des cieux, nous vous appren­drons ce langage royal : que tous les Guisards, votre peuple, ni vous ne sauriez contraindre un potier à fléchir les genoux devant des statues. » Quelles lettres de noblesse pour les artisans d'art, en vérité ! \*\*\* Ceux dont je parle ont pour gardienne la PATIENCE. Elle est vertu majeure et dans les plaines du monde, c'est elle fina­lement qui mène le jeu. Il faut patience à saint François pour convertir -- patience aux chercheurs de secrets, de couleurs ou de rimes -- et patience à l'orfèvre pour tailler sa gloire dans le métal. J'en pourrais dire bien davantage à propos de ces gens-là. Leur sagesse, la pureté des sources sur lesquelles ils se penchent et qui datent de vieux siècles sans mensonge... Il est cependant un de leurs caractères sur lequel il me plaît de m'attarder ici leur audace. Car ils sont téméraires. Ils risquent leur rêve comme on risque sa vie, faisant taire l'angoisse sous l'acte de foi et mêlant à la matière des parcelles de leur âme, pour d'étranges alliages. Écoutez-les parler de l'origine de leurs recherches. Ils ont l'ac­cent de l'aventure. « Alors, nous dit l'un d'eux, sans avoir égard que je n'avais nulle connaissance des terres argileuses, je me mis à chercher les émaux comme un homme qui tâte en ténèbres... » \*\*\* 45:279 Je salue humblement les artisans d'art, pour tous les secrets dont ils m'ont entr'ouvert les portes -- ceux de la patience, de la sagesse, de l'audace ; celui d'un orgueil juste et d'une humi­lité plus juste encore. Il me souvient aussi que d'Alembert disait d'eux : « C'est peut-être chez les artisans qu'il faut aller chercher les preuves de la sagacité de l'esprit. » Je continuerai donc à me donner la joie de les voir dans l'effort et la beauté de leurs travaux. Je caresserai des grilles gonflées d'une sève de métal, des rampes feuillues, des balcons délicats, m'étonnant encore de la condescendance de la matière et de cette exultation du métal en printemps de fer forgé. Je surveillerai la naissance des vitraux en « cristal éclaté » com­posés d'énormes morceaux de verre polychrome incrustés dans toute l'épaisseur d'un bloc de béton massif, qui rougeoient comme des braises ou bleuissent sombrement comme un ciel de nuit. Je converserai avec tel groupe d'artisans dont la devise est si magnanime que je ne puis résister au plaisir de la citer : « Reprenant le rôle de maître d'œuvre que lui fixaient les traditions du Moyen-Age, l'architecte a réuni autour de lui fres­quistes, tailleurs de pierres, maîtres verriers, tapissiers, céramistes, orfèvres, tisserands, ferronniers. Et tous se considèrent selon le thème mystique médiéval, comme les compagnons d'un même idéal dont le seul but est l'œuvre d'art qui devra rester commune et anonyme. » J'irai voir des hommes « savants en leur mestier » œuvrer dans leur puissance et leur sagesse -- ceux qui attaquent le fer et le cuivre à coups de lourds marteaux retentissants, à toute volée, si âprement qu'ils semblent combattre un dragon. Ceux qui disposent à leur gré des bois durs et les anoblissent en forme de vases, de meubles ou de coupes. Ceux qui martèlent l'argent sonore des orfèvres -- et ces étonnants sertisseurs dont les mains sont si vives qu'il doit y avoir un cœur d'oiseau battant sous leur paume. Je me pencherai encore sur des coupes où l'émail se gonfle en couleurs. J'aimerai des aiguières, des urnes où se mêleront l'éclat léger des matins et le rose pensif des soirs. Je reviendrai -- pèlerinage ! -- chez ce céramiste à tête fruste qui ignorait les antiques, mais créa sous mes yeux un lécythe dont eût rêvé le potier grec. 46:279 Et surtout je m'arrêterai, loin des pauvretés d'aujourd'hui, chez tel créateur d'art sacré que je connais. Celui-là offre à Dieu son travail comme le jongleur de Notre-Dame. Peut-être alors, chez lui, verrai-je renaître l'ostensoir d'or où neigeait, lorsque j'étais enfant, l'hostie des pauvres. Michel de Saint Pierre. 47:279 ### Le besoin de communiquer par Louis Salleron Dans *Tel Quel* (p. 646) Paul Valéry écrit : « Étrange folie de communiquer. « Communiquer sa maladie ! -- son opinion -- communi­quer la vie. « Nos « opinions », nos « convictions » ne sont que nos cruelles nécessités. Notre nature veut que nous pensions quel­que chose sur tous les sujets. La constitution politique nous y oblige. Dieu nous contraint de prononcer sur son existence et ses qualités. « Notre nature exigeant que nous répondions à toutes les questions qu'elle nous fait croire qui nous sont posées ; elle veut aussi que nos réponses nous soient chères comme venant de nous. Le contraire serait plus sensé. » *Étrange folie,* dit Valéry. Incompressible besoin en tout cas. Le besoin de communiquer est de nature diverse et se situe à différents niveaux. Passons sur le verbe transitif. On communique un dossier, un renseignement, un secret. 48:279 C'est le verbe intransitif qui nous intéresse, et en tant que le sujet est une personne. Que la cuisine communique avec la salle à manger n'est qu'un rapport de fait. Que je communique avec un ami, un voisin est autre chose. Que j'éprouve le besoin de communiquer, sans complément indirect, dans l'absolu, pose un nouveau problème. De nos jours, on est très porté à « communiquer », à « échanger ». Au départ, tout est simple. L'homme est un animal social, *zôon politicon.* Le plaisir de l'homme, c'est l'homme, disait Bossuet. Si la nature l'a doté de la parole, c'est pour s'en servir. Au commencement était le Verbe, dans les deux sens du mot. Dieu a parlé aux hommes. « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé jadis aux pères par les prophètes, Dieu, en cette fin des jours, nous a parlé par le Fils... » (Hébreux, 1-2.) Le besoin de communiquer nous presse de plus en plus. Signe de la décomposition sociale. On s'efforce de refaire le tissu qui s'effiloche. D'où la prolifération des petits groupes, des communautés -- « de base » et autres. On communique par la parole parlée, mais aussi par la parole écrite. Tantôt l'interlocuteur est lointain, ignoré et pas­sif. C'est le lecteur du livre ou l'auditeur de la radio, du ser­mon, de la conférence. Tantôt l'interlocuteur est partenaire. Il dialogue. La correspondance est le type universel de cette communi­cation. Ses formes sont variées à l'infini. Il y a les lettres d'affaires. Salutations distinguées. Il y a les lettres d'amour, passionnées. Il y a les lettres d'amitié. On raconte ses projets, ses voya­ges, ses lectures. On s'enquiert de l'ami : « Que deviens-tu ? » Il y a les lettres des jeunes aux vieux, des vieux aux jeunes, des parents aux enfants et des enfants aux parents. Il y a les cartes-postales, bien commodes pour les quatre lignes qu'elles suffisent à remplir. Il y a les lettres de direction spirituelles etc. Mais le besoin de communiquer s'exprime encore dans un cas qui m'a toujours beaucoup frappé. Certaines personnes, dans leur vieillesse ou quand elles croient leur mort prochaine se sentent comme chargée d'un message qu'elles ont à délivrer à leurs proches ou au monde. 49:279 C'est tout le contraire d'une confession, de l'aveu d'un péché ou d'un remords, c'est bien plutôt le sentiment d'une obligation, à laquelle la vanité est totalement étrangère. J'en citerai deux exemples. Le premier est celui de Simone Weil. Certes c'était une passionnée, qui voulait toujours convaincre et ne lâchait son interlocuteur que quand il s'était enfin rendu à ses raisons. (Georges Poupet m'a raconté qu'il avait passé toute une nuit à discuter avec elle, n'étant pas d'accord avec certaines de ses idées et qu'il avait dû lui concéder qu'elle était dans le vrai afin de pouvoir aller se coucher.) Elle se sentait en possession d'une « pépite d'or », toute spirituelle et donc communicable ; elle voulait la communiquer à tous ceux qu'elle aimait ou esti­mait. Thibon en a su quelque chose. Le second est encore plus probant. C'est celui de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Elle était, aux yeux de ses compa­gnes, une bonne petite carmélite comme les autres, assez insi­gnifiante pour que l'une de ses sœurs se demandât ce qu'on pourrait bien trouver à écrire sur elle dans sa notice nécrologi­que. C'est sur l'ordre de sa mère supérieure qui pressentait sa sainteté qu'elle écrivit son autobiographie qui, sous le nom d'*Histoire d'une âme*, allait faire le tour du monde, déclen­chant cet « ouragan de gloire » dont a parlé Pie XI. C'est par obéissance qu'elle y consentit. Mais elle s'en félicita plus tard, confessant avec simplicité : « *Ces pages feront beaucoup de bien... Ah ! je le sais bien, tout le monde m'aimera. *» Elle avait senti le besoin de communiquer -- aussi détachée dans ce besoin qu'elle l'était en toutes choses. Sans cette communication, comment eût-elle pu convertir ou toucher les millions de lecteurs qui la vénèrent ? Dans le livre qu'il lui a consacré ([^4]), Guy Gaucher cite quelques-uns des plus célèbres : Sangnier, Maurras, Claudel, Ghéon, Berna­nos, Giovanni Papini, René Schwob, Lucie Delarue-Mardrus, Julien Green, etc. On sait la vénération qu'avait pour elle Édith Piaf. Sa sœur en a porté témoignage : « Peu après sa naissance, Édith a eu une cataracte. On ne s'en est même pas aperçu. La grand-mère Louise l'a emmenée à Lisieux. Elle a vu. Depuis cette date elle vouait une véritable dévotion à sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Non seulement elle a longtemps porté une médaille sur elle, mais elle avait toujours sur sa table de nuit une petite image de la sainte ([^5]). » 50:279 Pierre Varillon m'a raconté qu'à la mort de Bainville, ce sceptique intégral, on avait trouvé une médaille de la sainte. Alain Mimoun, le champion olympique de marathon, décla­rait : « C'est sainte Thérèse de Lisieux ma patronne. Les rosiers blancs que j'ai plantés devant elle (sa statue dans le jardin) fleurissent presque toute l'année. » ([^6]) Le besoin de communiquer, quand il est porté par l'amour, ne connaît ni les frontières du temps ni celles de l'espace. Il atteint l'univers entier dans la multitude des assoiffés des Béa­titudes. Les derniers mots qu'a écrits Paul Valéry, tranquille et parfait agnostique, sont : « Le mot Amour ne s'est trouvé associé au nom de Dieu que depuis le Christ. » ([^7]) « L'Évangile est la communication de la bonne nouvelle. » Louis Salleron. 51:279 ### Remarque sur l'anti-colonialisme par Georges Laffly LA REVUE UNIVERSITAIRE Historiens-Géographes a rendu compte dans son numéro 294 (avril-mai 1983) du numéro d'ITINÉRAIRES : « Vingt ans après, l'Algérie ». Non sans un certain dédain. Dans l'article, signé Yves Perville, je relève ceci : « *Le parti pris apologétique de l'en­semble, excluant toute perspective critique, lui interdit de dépas­ser le simple* « *témoignage pour l'Histoire* »*. *» « Le parti pris apologétique », traduisez : l'absence de mauvaise conscience. Si les pieds-noirs étaient bourrelés de remords, on les accepterait mieux. Si Kaberseli rêvait de deve­nir membre du F.L.N., on le citerait. Mais non, ce n'est pas notre voie. Il est bien remarquable aussi que M. Perville traite avec dédain ces « témoignages pour l'Histoire » (avec une H majus­cule, ça fait plus hégélien, marxiste, solide). Que peuvent faire des témoins, sinon dire ce qu'ils savent ? 52:279 Il n'est quand même pas trop surprenant que dans l'interminable procès fait à l'Algé­rie française, jusque dans les livres scolaires, il se trouve des témoins à décharge. Mais ces témoins suscitent l'agacement (la fureur). Pour ceux qui les écoutent -- je pense ici à M. Per­ville -- ils sont partiaux, récusables (ils sont les fils de l'accu­sée) et au fond, inutiles à entendre. Ils prolongent sans raison un procès jugé, une condamnation acquise. Je me suis demandé, autrefois, pourquoi « l'anti-colonia­lisme » avait été si profond chez les intellectuels français, et notamment dans le corps enseignant. Certes, la marxisation de ce corps explique cette position. Elle n'explique pas son carac­tère passionné. \*\*\* Laissons ici la revue *Historiens-Géographes* pour considérer cette question : pourquoi la passion de l'anti-colonialisme fut-elle si âpre, si déterminée, dans le corps enseignant en particu­lier. La première réponse est : ce corps a la conviction d'exer­cer un rôle spirituel. Il dit le vrai, le bien. Les profs, ce sont les clercs de la société moderne, et au sens étroit du mot clercs ils se sentent investis d'un sacerdoce. Prétention ridicule, sacer­doce usurpé, sans loi, mais c'est ainsi. Et nous avons la deuxiè­me réponse : passion de la justice. Hommes éclairés, mieux informés, mieux capables de dire ce qui doit être, nos « ensei­gnants » ont saisi cette noble cause des peuples coloniaux. Il y a souvent derrière le goût de la justice bien des sentiments cachés (l'envie, le ressentiment). On pourrait les mettre en valeur. Il est certain aussi que ce corps si vaste, si politisé, et dont la rigueur intellectuelle n'est pas toujours ce qu'elle devrait être, s'est laissé tout simplement manipuler comme foule, intoxi­quer par la propagande qu'il était placé pour recevoir (dont il avait l'appétit). 53:279 Au delà, il est possible de voir, à la racine de cette passion, un rejet de notre société, une opposition catégorique à tout ce qu'elle est. Cette négation est plus répandue qu'on ne le croit. Alfred Métraux disait : « La plupart des ethnographes sont... des rebelles, des anxieux, des gens qui se sentent mal à l'aise dans leur propre civilisation. » (*Entretien avec A. Métraux,* éd. Mouton.) Il y a quelques années, Roger Caillois s'étonnait que les surréalistes, maudissant le pape, éprouvent en même temps le besoin d'adresser une supplique au Dalaï-Lama. Voilà deux exemples de cette haine de soi, équilibrée par la dévotion spon­tanée pour ce qui est le plus étranger, le plus exotique. Ethno­graphes, surréalistes, ce sont des individus exceptionnels, sans doute, mais le succès de l'ethnographie et du surréalisme, le retentissement qu'ils ont eu dans un publie très vaste, montre qu'ils étaient représentatifs d'une sensibilité très populaire. Et dans cette sensibilité, le rejet de la civilisation occidentale avait une grande part. Il faut évoquer aussi un élément parallèle, complémentaire, un thème mythique fondamental : la nostalgie du paradis. M. Eliade lui a consacré un volume. Il écrit dans son avant-propos : « Le Paradis terrestre, auquel croyait encore Christo­phe Colomb (n'avait-il pas pensé l'avoir découvert) était devenu, au XIX^e^ siècle, une île océanienne, mais sa fonction dans l'éco­nomie de la psyché humaine restait la même : là-bas, dans l' « île », dans le « Paradis », l'existence se déroulait en dehors du Temps et de l'Histoire ; l'homme était heureux, libre, non conditionné ; il n'avait pas à travailler pour vivre ; les femmes étaient belles, éternellement jeunes, aucune « loi » ne pesait sur leurs amours. Jusqu'à la nudité qui retrouvait, dans l'île lointaine, son sens métaphysique : condition de l'homme par­fait, de l'Adam d'avant la chute. » Cette admiration béate du lointain, le primitif devenant le type de l'homme « pur », non corrompu par la civilisation, cette admiration commence par une critique de la civilisation. C'est parce qu'on ne supporte plus celle-ci qu'on rêve de son contraire. Sentiment ancien. On peut le trouver chez Montai­gne. Le chapitre « des cannibales » est l'acte de naissance du bon sauvage. 54:279 Notre société impose pratiquement trop de contraintes et se vante de trop de libertés pour n'avoir pas renforcé ce rêve compensatoire. Dans cette situation, l'expansion européenne sur le monde, entraînant la destruction de bien des cultures jusque là préservées, pouvait apparaître tout à coup scandaleuse, mons­trueuse. Et les rêveurs s'indignaient : on était en train d'anéan­tir leur rêve. Des voix s'élevaient pour affirmer que ces cultures exotiques valaient bien la nôtre, ou valaient mieux. C'est l'Eu­rope, tout à coup, qui paraissait barbare, et dont on soulignait les vices : elle apporte l'alcool et la misère disait-on, oubliant qu'elle avait apporté la fin de l'anarchie et de l'esclavage, la diminution de la mortalité (en particulier de la mortalité infan­tile, d'où le bond démographique du Tiers-Monde), oubliant surtout qu'un développement technique supérieur a toujours entraîné dans l'histoire conquête puis accès des attardés à cette technique. Pour que les rêveurs de paradis se réveillent brusquement, et entrent en action contre le colonialisme, il avait suffi d'une circonstance historique : les deux vainqueurs de 1945 -- URSS et États-Unis -- avaient décidé la fin des empires coloniaux *européens.* Nos anti-colonialistes, intellectuels amis des droits de l'hom­me, ne remarquaient même pas que se rebellant contre la colo­nisation, ils entraient en révolte contre de respectables ancêtres dont ils disent prolonger les principes et les idéaux (pour n'en citer qu'un : Jules Ferry). La III^e^ République, en développant les colonies, obéissait à bien des motifs, mais en particulier à celui-ci : elle avait le devoir d'apporter aux peuples « les idées de 89 », et de les arracher à l'archaïsme de leurs traditions, à la superstition et au despotisme. Bref, elle devait les libérer. De même la I^e^ République prétendait-elle apporter la liberté au monde, sans lui demander son avis, ce qui nous valut quel­ques années de guerre. 55:279 L'idéal progressiste de la III^e^ République avait son armée le corps enseignant. Ces professeurs, ces instituteurs, n'étaient pas indemnes des préjugés de leur temps, et, envoyés aux colo­nies, ils se représentaient leur mission comme le devoir d'ame­ner à notre hauteur, à la hauteur des « lumières », des peuples attardés (et peut-être même pensaient-ils : des races inférieures). C'est que sévissait alors, fait presque inhérent à tout évolution­nisme, une sorte de racisme dans le temps. On s'imaginait les tribus primitives comme étant plus près de la racine, dans notre arbre généalogique, et plus empreintes d'animalité. On les voyait (certains les voient encore, sans doute) comme représen­tant aujourd'hui ce que furent nos lointains ancêtres du paléo­lithique. Des non-évolués. Un des illustres penseurs du temps, Lévy-Bruhl, avait conçu la théorie de la « pensée primitive », qui fit longtemps autorité, et qui limitait à la magie, à la reli­gion, la capacité conceptuelle de ces peuplades exotiques. Temps lointain. Il faut dire que vers la fin, Lévy-Bruhl lui-même ne croyait plus guère à sa « pensée primitive ». Certes, les Arabes, les Indochinois, les Malgaches, bon nom­bre de peuples noirs n'étaient pas classés dans cette catégorie archaïque. Le sentiment officiel restait réticent : il s'agissait là de peuples féodaux, qui n'avaient pas connu les beautés de la Révolution, de la démocratie. Eux aussi, il fallait les hausser jusqu'aux merveilles de la laïcité. \*\*\* Sur le tas, officiers, professeurs, missionnaires, marchands même avaient une autre vue des choses. Ils ont élevé, un peu partout dans le monde, des hommes qui se réclament encore de la France, et dont les fils ne sont pas tous ingrats ou ignorants de leur dette. 56:279 Mais il y a eu le retournement de l'après-guerre, et cette œuvre a été tournée en dérision, haïe avec acharnement. Ce retournement est injustifiable. Il vient trop au secours d'autres impérialismes. Il renie trop facilement la civilisation occiden­tale, comme on dit, c'est-à-dire la civilisation. Georges Laffly. 57:279 ### Les Cristeros (VII) par Hugues Kéraly *Des généraux pour la Cristiada* Les « Cristeros » : au Mexique, le combat les armes à la main pour le Christ-Roi (1926-1929). L'histoire de cette insurrection chrétienne est absente des archives officielles du Vatican. Elle est inconnue de nos ouvrages scolaires. Elle est censurée au Mexique même. Vainqueur sur le terrain, le général en chef des armées catholiques fut poignardé dans le dos par la hiérarchie ecclésiastique : « *Ils nous ven­dent, Manuelito *» furent ses dernières paroles avant d'être tué au combat. 58:279 C'était l'époque où semblablement, en Eu­rope, la hiérarchie ecclésiastique multipliait les complaisances à l'adresse des ennemis de l'Église et condamnait l'Action française : condamnation qui ne fut levée qu'en 1939, trop tard. *Les six premiers chapitres de cette chronique d'une insurrection chrétienne ont paru dans* ITI­NÉRAIRES, *du numéro 268 de décembre 1982 au nu­méro 273 de mai 1983.* L'INSURRECTION des catholiques mexicains, qui se trou­vait sans cesse à court d'argent et de munitions, n'a pas manqué d'officiers. Elle les recrutait en son sein, spontanément, par acclamation populaire. Les titres de guerre comptaient moins que l'autorité morale de l'homme, son indé­pendance, la réputation de sa foi ; on vit de vieux militaires accepter de servir sous les ordres d'un étudiant, d'un maire, d'un paysan héroïque qui finissait fusillé à vingt-trois, vingt-cinq ans, les bras en croix, pour entrer dans l'Éternité avec le beau titre de général cristero. Pie XI pleurait littéralement d'émotion au récit de leurs exploits. Il voyait naître une che­valerie du XX^e^ siècle, capable de faire échec dans toute la chré­tienté au despotisme de la Révolution. Que n'y a-t-il engagé aussitôt sa politique, et les épiscopats ? C'est une croisade, une croisade pour la liberté des enfants de Dieu. Elle n'a pas d'autre prédicateur direct que la fureur des persécutions religieuses, ni d'autre objectif que la survie des institutions catholiques. 59:279 L'instinct des insurgés se méfie des politiques et des militaires, dans un pays où les deux pouvoirs restent étroitement confondus ; il va au rayonnement spirituel si grand, chez la plupart des chefs cristeros, que de nombreux aventuriers et bandits de grand chemin, qui rêvaient jusqu'en 1926 de devenir Pancho Villa, s'y rallieront humblement sans le moindre profit. Ils se feront souvent hacher sur place, à court de munitions, pour couvrir un chef qui réprime sévèrement le moindre pillage, et n'a pas le sou. Pie XI avait de quoi s'émer­veiller : trois ans de suite, dans la nation la plus vaniteuse de son continent, c'est l'éclat intérieur des vertus chrétiennes qui fournit un modèle au macho mexicain. Le chef cristero est incorruptible, et c'est à ce titre qu'il est obéi. On n'en cite pas un seul que le pouvoir bolchevique soit parvenu à compromettre ou acheter. Les hommes de Plu­tarco Calles, tous professionnellement corrompus, à proportion de leurs galons, durent se résigner à n'y comprendre rien... Réponse d'un cordonnier de Jalisco, chef de secteur cristero, qui se voyait proposer le grade de colonel dans l'armée révo­lutionnaire par un envoyé de l'état-major fédéral où il comptait d'anciens amis : -- *Je ne te fais pas fusiller, parce que tu m'as l'air de bonne foi ; mais va dire à ton maître que je déchire ses parchemins. Je ne lutte pas pour conquérir des grades dans l'Armée. Je lutte pour l'Église et pour mon Christ-Roi. Sitôt la victoire acquise, je retournerai à mes souliers...* Domingo Anaya ne verra ni la victoire, ni son retour aux souliers : il périra encerclé, gazé avec tous ses hommes, le 28 mars 1928, dans un ranch du Guanajuto qu'il avait transformé en fortin ([^8]). Les officiers cristeros ne se laissent pas monter la tête par les honneurs militaires, mais ils tiennent à grand honneur d'avoir servi dans la Cristiada, au mépris de tout intérêt mondain. Ceux qui lui survécurent le revendiquèrent hautement sans souci du danger. Témoin cet admirable et laconique billet que le général José Rebollo adresse le 1^er^ juillet 1929, juste après les funestes « arreglos », au président du comité directeur de la Ligue ([^9]) : 60:279 « Comme nous voici proche du jour où le Comité Spécial chargé des affaires militaires n'aura plus de raison d'être au sein de la LNDLR, je prie respectueu­sement qu'on veuille bien me faire parvenir le *Certifi­cat de Services* correspondant, pour la période où j'ai eu l'honneur de commander en chef ledit Comité. Ce document constitue pour moi la plus glorieuse attes­tation : j'entends le léguer à mes fils, il leur montrera le chemin du devoir. « Je ne doute pas que vous donniez suite à ma requête. Puisque les dignitaires ecclésiastiques qui sont venus régler la question religieuse nous ont tenu dans un si lamentable oubli, qu'on puisse dire, de vous, que vous êtes restés jusqu'à la fin du côté des combattants. » José Rebollo, officier de carrière mexicain, qui avait servi en effet comme ministre de la guerre au sein de la Ligue depuis le 1^er^ mai 1927, ajoute malicieusement : « *C'est un devoir impérieux pour tout militaire de veiller à la bonne tenue de son carnet de services. *» L'armée du Christ-Roi avait partout déposé les armes, sur un signe de Rome, elle se faisait partout égorger : le général José Rebollo réclamait son attestation ! Celui-là était si sûr de mourir, ou si pressé d'offrir son sang au Chef suprême, Roi des nations, que la providence le laissera survivre trois ans de suite à ses compagnons ([^10]). Le langage des chefs nous révèle une armée mystique autant qu'insurrectionnelle ; une armée de la rédemption nationale, qui s'acculait elle-même pour l'exemple au sacrifice du sang ; une armée qui venait rappeler au monde, si le monde avait voulu l'entendre, non la révolte de la conscience ou de la chair torturée, mais le plan du Salut, par l'insurrection de la foi : 61:279 « *Nous ne cherchons ni honneurs, ni avantages, ni places, ni argent ; nous travaillons pour le Christ et c'est pour Lui que nous lutterons jusqu'à la victoire ou la mort. Peu importe que nous succombions, il faut qu'il y ait des martyrs ; peu importe que nous mourions avant la victoire, il faut que le sang des chrétiens lave le Mexique de ses énormes taches. Conduisez-vous en dignes soldats de Jésus-Christ. Rappelez-vous que nous ne sommes pas des bandits, mais les défenseurs de l'Église et de la patrie ; ne déshonorez pas la cause que nous défendons.* » -- Ordre du jour du général Ochoa, mort carbonisé le 13 novembre 1927 dans l'explosion d'une bombe incendiaire ([^11]). Eduardo Ochoa sera entendu. Il n'y eut ni viol ni pillage dans l'armée des Cristeros, « *los libertadores de Cristo Rey *», nourris et soutenus trois ans de suite par toute la population des États repris au pouvoir de Mexico. #### *Navarro Origel, le premier Cristero* La Ligue a désigné elle-même le plus noble officier de la Cristiada en nommant *Jefe civil supremo de la epopeya cristera* un jeune maire qui se faisait appeler général « Fermin Gutier­rez », et tenait la côte du Michoacan. Le général Gutierrez, c'est Luis Navarro Origel, propriétaire terrien dans la région de Penjamo. Il a grandi avec le déchire­ment national. Treize ans en 1911 (chute de l'Ancien Régime mexicain). Un garçon cultivé, d'une remarquable courtoisie naturelle, pacifique, curieux de tout. Les parents en profitent pour le confier au Grand Séminaire de Morelia, première école d'Amérique, selon le cardinal Mercier, qui ait ouvert ses pro­grammes au beau mouvement du renouveau thomiste. 62:279 En 1914, lorsque les bolcheviques mexicains commencent à assassiner les prêtres, dévaster les séminaires et violer les couvents, Luis a seize ans. Son profil est celui d'un étudiant studieux, doublé d'un chrétien exemplaire, qui communie chaque jour et se tient à l'écart des combats de coqs. A dix-neuf ans, il est licencié en philosophie. C'est l'époque où « les grandes batailles de la Révolution » travaillent au couteau de boucherie le corps mexi­cain : les hordes de Villa et d'Obregon s'entretuent dans les plaines du Bajio ; vingt mille morts ; on n'oublie pas de brûler les églises et les curés dedans ; l'intendance des armées révo­lutionnaires déguise ses mules avec les ornements du sacerdoce ecclésiastique... Luis Navarro Origel s'en réveille chaque nuit glacé de sueur et d'épouvante. Il se jette avec passion dans les exercices spirituels de saint Ignace, pour en sortir autrement crucifié : il veut mourir, « *mourir pour Jésus-Christ *»*,* « *mou­rir d'un coup de feu pour la cause du bien *»*.* Le 5 mai 1917*,* néanmoins, année de la Constitution dia­bolique toujours en vigueur sur le sol mexicain, il se marie. Elle a seize ans, lui vingt. La Révolution n'est pas mûre encore pour l'assaut final contre l'Église : Carranza, puis Obregon, mettent en veilleuse le dispositif de la persécution. Luis Navarro va connaître plusieurs années de paix. Il passe ses journées aux champs, passionné d'élevage, d'irrigation, d'apiculture, et une bonne partie de ses nuits à dévorer des bouquins, quand il n'y a pas adoration nocturne du Saint-Sacrement. On peut dire de Navarro Origel qu'il est entré en politique par la religion. Face à la démagogie révolutionnaire, l'Associa­tion Catholique de la Jeunesse Mexicaine dont il faisait partie lance ses élites dans l'action sociale. Luis, aimé de tous, et spécialement des humbles, devant lesquels il n'omet jamais de se découvrir, réussit à se multiplier : tous les cercles d'études, les bibliothèques, les caisses d'épargne, les coopératives agricoles ou commerciales, dans la région, viennent de lui. A vingt-quatre ans, il est maire de Penjamo. 63:279 Le pouvoir fédéral envoie un détachement militaire pour « dissoudre » son administration Luis Navarro n'a aucun mal à lui démontrer qu'il faudrait dis­soudre d'abord tous les habitants du canton. On dit qu'Obre­gon, président de la République, a salué l'adversaire en ces mots : -- *Avec une douzaine de maires comme celui-là, on ne s'en serait pas sorti.* En 1926, il fait partie des premiers fondateurs de la Ligue. Sans esprit belliqueux : -- *J'aimerais mieux* *être tué d'une balle dans le dos que d'aller tuer des gens* (à sa femme, le 27 sep­tembre). Deux jours plus tard, il avait pris l'initiative du sou­lèvement armé à Penjamo, neutralisé la caserne et organisé la défense civile contre les Fédéraux. Il reste honoré dans les archives de la Ligue du titre de premier chef cristero. Des mil­liers d'hommes suivront cet élu pacifique qui avait tant payé de sa personne et qui, à l'heure du choix suprême pour la nation mexicaine, prenait toujours sur lui : « *Je vais tuer pour le Christ ceux qui tuent le Christ ; et si personne ne me suit dans cette entreprise, je vais mourir pour Lui, qui en a tant besoin ; je vais offrir, conformément à l'Écriture, le sang de la Rédemption. *» La Ligue lui confie la direction des opérations militaires dans l'État du Michoacan (entre Guerrero et Colima). Luis n'y oublie pas sa vocation politique, et associe partout les munici­palités à l'insurrection. Le 23 avril 1927*,* la population de Coalcoman se proclame indépendante du gouvernement bolche­vique. A l'aube du 24, il fait une entrée triomphale à Aguilil­las ; on se précipite à l'église pour sonner les cloches : -- *Voici les soldats du Christ-Roi !* « Le général fit annoncer à la popu­lation qu'on célébrerait une messe solennelle, suivie d'une pro­cession publique... Les soldats de l'Armée de Libération, avec leur armement misérable, occupèrent la partie centrale de l'église. A leur tête, le général Gutiérrez et son frère. Un dra­peau national fut déployé au pied de l'autel. Au moment de l'élévation, les soldats présentèrent les armes » ([^12]). -- Après la messe, c'est le Saint-Sacrement qui défila en tête des troupes, pour reprendre possession d'Aguilillas... Neuf mois après la suspension du culte par l'épiscopat, deux villes étaient rendues à la foi des catholiques mexicains. 64:279 Ce fut plus difficile avec Tepalcatepec, où le gros des trou­pes fédérales s'était retranché. Navarro Origel dut faire appel aux bandes de deux aventuriers légendaires, El Guarachudo et El Perro, qui sévissaient dans les environs. Le *Perro* (chien) devait son nom de guerre à la façon qu'il avait de s'annoncer lui-même lorsqu'il chargeait l'adversaire, en aboyant ; lors­qu'il n'aboyait pas, il jurait. Le *Guarachudo,* mi-indien mi-asiatique, qui ne prononçait pas trois mots par jour, s'était fait une spécialité de dévaliser les exploitants malhonnêtes pour nourrir les déshérités. Navarro Origel récita sur les deux ban­des un exorcisme complet avant de les admettre à l'honneur de combattre pour le Christ-Roi. Tepalcatepec fut prise, perdue et reconquise encore sur les Fédéraux. Navarro Origel ne pouvait tenir longtemps dans les villes avec ses soldats-paysans, dont les effectifs fondaient comme neige au moment des semailles et des moissons. Plus encore, pour les actions de grande envergure, il manquait de munitions ; on guetta deux ans de suite sur la côte pacifique les caisses qui devaient arriver de Floride par bateau : en vain, la Maison Blanche avait déployé tous les moyens requis pour faire respecter l'embargo. Quand Mexico lâcha des divisions entières sur le Michoa­can, avec auto-mitrailleuses, canons, avions de chasse, il fallut se résoudre à mener en rase campagne une guerre de harcèle­ment. Luis Navarro Origel y lança ses forces (jusqu'à 10.000 hommes) avec une puissance et une précision remarquables, comme tout ce qu'il faisait. Le maire qui préférait mourir d'une balle dans le dos plutôt que de tuer un seul homme note serei­nement, en 1928 : « *Depuis le 9 janvier de l'année dernière, je n'ai cessé de marcher jour et nuit pour gagner du terrain à* *l'ennemi, l'attirer chez nous et l'obliger à combattre* (*...*) *Les soldats du tyran n'ont pas connu un seul* jour blanc *jusqu'à aujourd'hui* (*...*) *Leurs pertes furent si nombreuses certains jours, qu'ils devaient renoncer à enterrer leurs morts et les entassaient par paquets de douze au milieu des champs.* » ([^13]) 65:279 Luis Navarro Origel est tombé le 10 août 1928 à sept heures du matin, le sourire aux lèvres, en préparant une nouvelle « journée noire » aux Fédéraux. Il était membre de l'ACJM, de la Ligue, de l'Adoration Nocturne, du Tiers-Ordre de saint François et des Chevaliers de Christophe Colomb. C'était un pionnier de l'action catholique, un homme qui communiait cha­que jour et enseignait la doctrine sociale de l'Église à des cer­cles de militants. Au pied du mur, il n'a pas reculé devant les conséquences de son enseignement. On ne cède pas au despote le pouvoir d'étendre son injustice contre les droits de Dieu. Les prélats qui ont conspiré la condamnation de cette croisade portent dans l'histoire de l'Église contemporaine une atroce responsabilité. #### *La conversion de Gorostieta* La Cristiada n'a pas converti seulement des bandits de grand chemin. Ce fut le cas aussi, spectaculaire, d'un général qu'on disait franc-maçon, Enrique Gorostieta Velarde. Sa phi­losophie personnelle était plutôt libérale, en effet, mais il détestait suffisamment le régime en place pour suivre avec sympathie les progrès de l'insurrection. Quand la Ligue le fit pressentir, en juillet 1927, il était en demi-solde de l'armée fédérale, malgré ses trente-six ans, s'ennuyait ferme, et accepta l'aventure aussitôt. 66:279 « Le militaire et l'homme -- écrit Jean Meyer -- étaient conquis par le Cristero ; lui qui avait tellement maudit la médiocrité de l'armée fédérale, qui n'avait connu que des officiers incapables brimant des troupes misérables, s'émerveillait devant ce miracle : des soldats en sandales et vêtus de toile blanche, l'esprit encore tout plein de leur village, de leur champ, de leurs projets intimes, de leur famille, tenaient au feu, ne rusaient pas devant l'effort, franchissaient sous ses yeux cette ligne au-delà de laquelle on ne s'aime plus soi-même, au-delà de laquelle on ne pense plus à se maintenir en vie. Il les voyait se lever et marcher au feu, se jeter la machette à la main sur les mitrailleuses fédérales, gravir les pitons au sommet des­quels de simples paysans commencent à nous apparaître comme des preux. » ([^14]) Gorostieta ne mit pas six mois à faire apprécier ses remar­quables capacités de chef de guerre dans tous les États de l'insurrection. Il força les Cristeros à se montrer plus économes de leur propre sang : fatiguer l'adversaire, contrarier ses mou­vements, choisir le lieu et l'heure du combat. En bon technicien, il leur apprit l'utilité des reconnaissances et des liaisons, com­ment préparer une marche, assurer la sécurité des campements, harceler l'intendance et les transports de l'ennemi. La guérilla prit une si redoutable efficacité, sous son com­mandement, que des régiments fédéraux entiers furent plusieurs fois anéantis. On reconnut à Gorostieta le titre de général en chef, avec pleins pouvoirs, d'un océan à l'autre, sur toute l'organisation militaire du mouvement. Les Cristeros, qui savaient si bien mourir, découvrirent rapidement sous ses ordres la joie de gagner : « *Pour le combat rappelez-vous que son objet est de briser la volonté de l'ennemi pour imposer la nôtre, chose qui ne s'obtient que par des victoires complètes achevées par la poursuite ; on ne combattra donc que lorsque la supériorité numérique, celle des positions ou celle que donne la surprise, sera manifeste, permettant logiquement d'attendre la victoire. En d'autres termes, vous ne combattrez que là où cela vous conviendra et quand cela ne conviendra point à l'en­nemi. Vous ne vous fatiguerez pas de manœuvrer jusqu'à fati­guer l'ennemi et l'obliger à présenter combat en situation défavorable pour lui. *» ([^15]) 67:279 Les forces de l'insurrection prennent le nom de Garde Nationale, et Gorostieta multiplie les règlements de guerre, il galope jour et nuit à travers le Mexique pour en faire une véritable armée. Tous les secteurs sont visités, circonscrits, hiérarchisés. Les liaisons étaient rudimentaires : il s'échangera désormais jusqu'à quarante télégrammes par jour entre les états-majors de la Cristiada. Chaque unité doit tenir ses comp­tes et son cahier de marche. Gorostieta rencontre tous les chefs, pour les confirmer dans leur autorité ; il se contentera de diminuer les grades qui ne correspondent pas à une réalité, n'admettant comme colonels que les officiers capables de pré­senter un régiment complet. On forme des brigades dans cha­que État, qui apprennent à coordonner les coups. Aux hommes, Gorostieta impose toutes les disciplines traditionnelles de l'en­gagement sous les drapeaux, « *car c'est avec des soldats et rien qu'avec des soldats qu'on fait la guerre *»*.* On n'hésite pas à désarmer les récalcitrants. Ni à sélectionner, parmi les volon­taires qui ne cesseront d'affluer. Dès le mois de février 1928*,* le général commandant en chef la *Guardia National* peut écrire en toute vérité : « *Notre lutte, j'ai l'orgueil de le dire, bien qu'elle soit une véritable guerre de guérillas, étendue à un territoire immense qui rend difficile sa direction, est aussi loin de l'anarchie et du désordre que nos ennemis le sont de la justice et de l'honneur.* » ([^16]) *--* Un an plus tard, la Guardia National contrôle directement plus d'une douzaine d'États dans l'ouest mexicain, à l'exception de quel­ques grandes villes tenues par les garnisons. La tache noire de l'insurrection atteint 600 km de large, d'est en ouest, et, du nord au sud, couvre 1500 km de haut ! 68:279 Le pouvoir de Mexico continue de réduire le soulèvement, dans les communiqués officiels, à quelques « foyers de fanatisme religieux » entretenus par le clergé ; mais les habitants de la capitale ne peuvent s'empêcher de remarquer les trains qui partent chaque jour bourrés de soldats, pour revenir en ambulances, débordant de blessés. Amaro, le ministre de la guerre, lâchera un jour 30 unités de ligne, 6 régiments d'artillerie de montagne et 3 esca­drilles de chasseurs aériens sur le seul Jalisco, infligeant d'indicibles souffrances aux populations civiles, sans réussir à déloger la Guardia National de ses positions. Telle est l'œuvre d'Enri­que Gorostieta Velarde, le général « franc-maçon » converti à la cause du catholicisme par le courage des insurgés cristeros. Sur les sentiments de Gorostieta dans les derniers mois de la grande aventure mystique, nous possédons deux témoignages de sa main. Le 16 mai 1929, il confie à un ami mexicain resté à Mexico : « *Je vous remercie bien de vous souvenir de moi, car voici quelque temps que je vis dans un monde à part, un monde magnifique et nouveau que par beaucoup d'efforts et de sacrifices nous avons pu créer. Nous qui l'habitons, nous som­mes maintenant heureux... *» La même lettre révèle un homme conscient de la force immense qui est venue se discipliner, militairement, sous sa direction ; conscient aussi que les plus redoutables ennemis du peuple mexicain ne résident pas seulement dans les palais de Mexico : « *Je crois, comme vous, que la seule chose qui man­que est de convaincre le peuple américain, toujours amoureux de la liberté, que son gouvernement fait aujourd'hui un très mauvais usage du magnifique pouvoir qui est le sien en soute­nant le Calife le plus ignoble que l'histoire des peuples ait connu. Et je crois aussi que ce travail vous incombe, à vous qui êtes restés dans les cités. *» Écoutez encore cette confidence du général Gorostieta, transfiguré lui-même par l'exemple du courage chrétien, où la lucidité politique n'abdique pas ses droits. 69:279 Le style, c'est l'hom­me : « *Avec l'aide de Dieu, recueillant la force virile de cette masse d'hommes de bonne volonté qui s'est décidée à sauver sa patrie, et qui dans cet élan a fait preuve de si grandes ver­tus militaires que j'en suis resté moi-même stupéfait, j'ai réussi à créer, ou plutôt à mettre en forme une force irréductible qui fait échec au tyran, malgré l'assistance traîtresse repue de l'étranger. Cette force est réelle, palpable, macroscopique ; ce n'est point quelque chose qui pourrait être, mais quelque chose qui est. Et pourtant, l'ensemble des hommes d'ordre que compte certainement le Mexique, les hommes craignant Dieu, respec­tueux du droit et amoureux de leur patrie, ceux-là restent sourds, ils restent muets, comme des femelles qui assistent épou­vantées au combat de deux machos dans la grand'rue ; ils ne se sont même pas risqués à faire un accueil sympathique à la force qui se levait ; ils l'ont laissée pousser comme l'herbe, soumise à la clémence des cieux : écrivains, politiques, com­merçants, banquiers, propriétaires, évêques, à de rares excep­tions près, n'ont été capables de nous aider en rien. Ils ont peur. Tant que cette classe ne réagira pas, tant qu'elle ne se décidera pas à soutenir ceux qui combattent sur le terrain, précisément par le travail d'opinion que vous signalez, le combat devra se poursuivre, chaque jour plus cruel, sans espoir d'amélioration. Ce que je vous explique ici n'a rien d'une plainte. J'ai oublié ce que c'était, de se plaindre. D'ailleurs, même en dépit de la passivité de ceux qui devraient se battre avec moi, je n'ai rien à redouter : tant que les hommes qui m'accompagnent dans ce combat resteront animés de l'esprit qui est le leur, nous serons invincibles. *» ([^17]) Le général Gorostieta n'exagérait ici ni l'isolement politi­que et mondain de la Cristiada, insurrection de la foi popu­laire, ni la formidable détermination des Cristeros, invincibles sur leur terrain : entre 1926 et 1929, comme aujourd'hui en Afghanistan, le pouvoir des bolcheviques mexicains dut se contenter de quelques capitales, et des voies de communication protégées par l'armée. Toutes les puissances qui sont interve­nues dans ce conflit, du Vatican à la Maison Blanche, traitaient en somme avec l'Occupant. 70:279 Une autre lettre du général Gorostieta, expédiée le 30 mai 1929, deux jours avant sa mort, à un ami américain, fixe bien le rapport des forces en présence à l'apogée de la Cristiada ([^18]) : « *Je dispose maintenant de vingt mille hommes en armes -- presque toutes retirées à l'ennemi -- mais très pauvres en munitions* *; ce qui oblige à des actions de guérillas.* » (Goros­tieta ne comptabilise ici que les unités de la Guardia National placées sous son commandement direct, c'est-à-dire capables d'agir conjointement. Les soldats de l'insurrection sont trois fois plus nombreux, sur l'ensemble des zones libérées.) « *Ces effectifs sont des hommes d'ordre, d'une moralité absolument sans précédent dans les troupes mexicaines. D'où l'échec du gouvernement, en dépit du soutien de l'étranger, de son or et de ses pratiques criminelles.* » (Du côté fédéral, on enregistre plus de vingt mille désertions par an.) « *Mon autorité est un fait établi* *; plus encore, elle est fon­dée sur l'amour et non sur la terreur* *: il me suffira de vous indiquer à ce sujet que, pour l'établir, il ne m'a pas été néces­saire de fusiller un seul soldat.* » (« Les soldats des Altos de Jalisco pleurent aujourd'hui la mort d'un père », écrira le 2 juin Aristeo Pedroza, prêtre et général cristero.) « *Notre mouvement est étroitement soutenu par toute la population, et les efforts du tyran pour empêcher sa croissance sont voués à l'échec. Sans compter sur aucun renfort étranger, dans un an, nous aurons quarante mille hommes sous les armes.* » (Le soutien populaire est tel en effet, dans les campa­gnes, que les expéditions de l'armée fédérale n'ont jamais dis­tingué entre civils et combattants.) 71:279 « *Le callisme se vante de l'appui américain, il est en train de semer une haine énorme contre cette nation. J'ai la certitude que s'ils lâchaient seulement cette bride, ils ne tiendraient pas quatre-vingt-dix jours. A cause de Washington, le combat va se prolonger encore une ou deux années. Nous y sommes prêts, et préparons les populations.* » (La responsabilité américaine est dénoncée avec une immense amertume par tous les témoins : « Pour que la cause catholique triomphe, dans toute sa justice -- écrit l'évêque de Tacambaro au père Saenz Arriaga --, il suffirait que les yankees retirent leur aide au gouvernement. ») « *Nous comptons avec nous plus de deux mille autorités civiles en fonction, et nous avons* plus *de trois cents écoles administrées par nos soins.* » (Gorostieta, qui s'était engagé par esprit d'aventure militaire, est fier de participer au grand mouvement de restauration catholique de la nation mexicaine. Son seul écrit politique, un *Manifiesto a la Nacion,* qui abroge la Constitution révolutionnaire et rétablit les droits de l'Église dans tous les États libérés, est acclamé par les régiments de la Garde le 28 octobre 1928, fête du Christ-Roi.) Enrique Gorostieta Velarde est mort au combat le 2 juin 1929 à la Hacienda del Valle, dans l'État de Jalisco. Le géné­ral en chef de l'insurrection cristera avait trente-huit ans. Il préparait l'offensive finale contre Guadalajara, dont la chute n'aurait laissé militairement aucune chance au dernier réduit bolchevique, dans la capitale fédérale de Mexico. Gorostieta fut surpris à l'étape, avec ses officiers d'état-major, par plus de deux cents Fédéraux. Quinze contre un : leur sort était joué. La dernière scène est digne d'un Camerone qu'illumine­rait la grâce du martyre chrétien : 72:279 *-- Que hacemos, mi general ?* *-- Pelear como valientes y morir como hombres* ([^19])*.* Gorostieta est tombé le premier, en chargeant, au cri de *Viva Cristo Rey* qui scellait pour l'éternité son baptême du sang. Il venait d'embrasser la croix pectorale qui ne le quittait pas, avant de précipiter sa monture sur les mitrailleuses fédé­rales, furieusement, heureux de finir en simple soldat. Heureux peut-être d'échapper à la honte, qu'il savait imminente, de « l'accord » entre les bolcheviques et l'épiscopat (21 juin 1929). Le général converti, transfiguré, invaincu, invincible, connais­sait trop bien ses hommes pour ne pas sentir, avant tous les autres, qui les ferait chuter : « *Dès qu'ils ouvriront les églises, vous m'abandonnerez tous. *» Quand le culte public fut rétabli par l'épiscopat, les Cris­teros en effet déposèrent les armes, et la Révolution prit sa revanche dans un bain de sang : la Passion du Mexique recom­mençait. Enrique Gorostieta Velarde avait fini la sienne dans les mêmes dispositions que le Maître, au Jardin des Oliviers. Hugues Kéraly. 73:279 ### Saint Louis de Gonzague *d'après sa première biographie\ par le Père Virgilio Cepari\ son confesseur au collège romain* par Jean Crété AU XVI^e^ SIÈCLE, la famille de Gonzague régnait sur le duché de Mantoue. L'arrière-grand-père de saint Louis avait donné à son fils cadet le modeste fief de Castiglione della Stivere, au nord-ouest du duché, tout près de Solférino. C'était ce qu'on appelait alors une *marche,* située à la limite de l'État, et le seigneur en était appelé *marquis*, bien que les Gon­zague fussent princes. On disait : le prince marquis de Casti­glione. Ce fief, complètement détaché du duché de Mantoue, relevait directement de l'empereur, et le marquis en recevait des charges et des missions. Le marquis Ferdinand, père de saint Louis, fut un moment gouverneur de Novare. Mais, jeune homme, il avait été envoyé à Madrid ; et c'est là qu'il se maria en 1566 : ce mariage fut le premier mariage contracté en Espagne selon les règles établies par le concile de Trente. Les jeunes époux revinrent en Italie, et Louis naquit à Castiglione ; 74:279 sa naissance fut difficile ; il vint au monde déjà prévenu par la grâce du baptême. De nombreux petits frères et sœurs devaient suivre, dont la plupart moururent jeunes. Trois gar­çons seulement survécurent : Louis, Rodolphe et François. Ils furent élevés pieusement par leur mère, chrétienne fervente. Louis donna tout jeune des signes d'une grande piété. Mais il était d'un tempérament très vif. Il aimait la compagnie des soldats. A sept ans, il avait un très ardent désir de tirer lui-même quelques coups des gros canons qui étaient dans la cour du château. Un après-midi d'été, alors que tout le monde faisait la sieste, il se glissa dans la cour, réussit à charger un canon et y mit le feu ; il courait un danger mortel : celui d'être écrasé par le recul de la pièce. Mais, voyant le canon reculer, il eut la présence d'esprit de faire un saut sur le côté. Toute sa vie, il attribua à son ange gardien la rapidité du réflexe qui lui avait sauvé la vie. Réveillés par la détonation, le marquis et les soldats accoururent et furent stupéfaits qu'un enfant si jeune ait pu charger un canon et tirer le coup. Le marquis rêvait donc d'une grande carrière militaire pour son fils. Mais Louis s'adonnait de plus en plus à la piété. S'il ne fit sa première communion qu'à douze ans, selon l'usage de l'époque, il s'adonnait très jeune à l'oraison. A neuf ans, au cours d'un séjour à Florence, il fit secrètement vœu de virginité perpé­tuelle. Il résolut de faire chaque jour une heure d'oraison, sans aucune distraction ; s'il en avait une, il recommençait ; il resta parfois jusqu'à cinq heures en oraison. Il pratiquait les morti­fications les plus rudes, se privait de nourriture, se flagellait jusqu'au sang. Il ne se désintéressait pas de ses jeunes frères ; il apprit à François à dire le chapelet, en lui donnant à chaque *Ave Maria* un grain de raisin confit dans le sucre. Il était aima­ble envers tous et ne laissait rien paraître de ses mortifications. Lui, si vif, avait acquis une douceur exquise. Il avait douze ans quand l'empereur demanda au marquis et à d'autres sei­gneurs voisins d'accompagner en Espagne l'impératrice Marie, sœur de Philippe II, roi d'Espagne, et mère de la jeune reine. Le marquis s'embarqua pour l'Espagne avec toute sa famille. Leur séjour en Espagne devait durer quatre ans. Louis se dis­tingua par sa piété, sa modestie, son dévouement envers l'infant don Diego, dont il était le page ; il eut une bonne influence sur cet enfant nerveux qui devait mourir jeune. 75:279 A quatorze ans, Louis se mit à réfléchir sérieusement à son avenir. Il résolut d'abord de laisser le marquisat à Rodolphe. Mais il ne voulait pas devenir prêtre séculier, par crainte des honneurs ecclésiastiques : il avait, dans sa parenté, nombre de prélats, dont trois cardinaux. Il décida de se faire religieux et, après mûre réflexion, fit choix de la Compagnie de Jésus. Les jésuites étaient tenus par leur règle de fuir les dignités ecclé­siastiques et de ne les accepter que sur ordre formel du pape. Mais Louis voulut obtenir du ciel confirmation de son choix. Il se prépara à la fête de l'Assomption par une neuvaine de prières extraordinaires ; et, au cours de sa communion du 15 août, il entendit une voix céleste lui ordonner d'entrer dans la Compagnie de Jésus et de s'en ouvrir au plus tôt à son confes­seur. Cette dernière partie de l'ordre céleste remédiait à la tendance qu'avait Louis à se diriger lui-même, sans consulter personne. Le jour même, il s'ouvrit de sa décision à son confes­seur et à sa mère ; celle-ci se chargea d'en instruire le marquis qui fut très contrarié de voir son aîné s'orienter vers la vie religieuse. Il fit tout son possible pour l'en détourner. A sa demande, un évêque fit, pendant plusieurs heures, en présence du marquis, des objections à saint Louis, s'efforçant de lui prouver que son devoir était de garder le rang que sa naissance lui assignait. Louis sortit vainqueur de cette controverse, et l'évêque avoua qu'on ne pouvait douter de sa vocation. Mais le marquis ne se rendit pas si facilement. Pendant quatre ans, Louis eut à soutenir de nombreux assauts de la part de son père. La famille revint à Castiglione alors que Louis avait seize ans. Il obtint la permission de faire un séjour à Rome. Il y fit les exercices de saint Ignace pendant trente jours en tête à tête avec le prédicateur. Il vit les trois cardinaux, ses cousins, et d'autres personnages. Le Père Claude Aquaviva, général des jésuites, était le fils aîné du duc d'Atri ; et il avait dû soutenir une longue lutte pour obtenir de son père la permission d'en­trer en religion ; il était donc bien préparé à comprendre le cas de Louis. Il l'exhorta à la patience, à la persévérance. Louis revint à Castiglione et y reprit sa vie pieuse et mor­tifiée. La marquise travaillait à gagner le consentement de son mari. Celui-ci fit examiner Louis, en sa présence, par une com­mission de théologiens. Comme à Madrid, Louis sortit vain­queur de cet examen. Un jour, le marquis envoya chercher Louis. Le serviteur trouva Louis se flagellant jusqu'au sang et revint en pleurant dire au marquis : « Si votre excellence pou­vait voir dans quel état se trouve son fils, elle ne s'opposerait plus à sa vocation. » Le marquis, atteint de la goutte dont il devait mourir quelques mois plus tard, se fit transporter, en chaise à porteurs, dans la chambre de Louis, en compagnie de la marquise. Louis n'y était plus, mais ses parents reconnurent à terre les traces de son sang. C'en était trop : le marquis, tout en larmes, donna son consentement. 76:279 Louis entreprit aussitôt les démarches en vue d'obtenir de l'empereur la permission d'abdiquer son droit d'aînesse en faveur de Rodolphe. L'empereur y consentit, mais demanda que l'abdication soit faite, avec les cérémonies d'usage, en présence de toute la famille de Gonzague. L'acte d'abdication fut dressé minutieusement par plusieurs juristes et soumis au sénat de Milan. Le marquis, malgré sa goutte, se fit transporter, avec toute sa famille, à Mantoue. L'acte d'abdication fut lu devant toute la famille de Gonzague en larmes, sauf Rodolphe. Louis le signa, puis transmit le manteau, la couronne et le sceptre à Rodolphe, qui témoignait d'une joie enfantine. « Eh bien, mon frère, lui dit Louis, lequel de nous deux est le plus content ? Sois bien assuré que c'est moi. » Louis se retira dans la cha­pelle pour rendre grâces, puis revêtit un habit jésuite qu'il s'était fait tailler secrètement et parut ainsi au repas. La famille fondit de nouveau en larmes. Mais Louis, d'un ton joyeux, fit l'éloge du dépouillement total des biens terrestres et de l'état religieux. A Milan, Louis eut à subir une dernière tentative de son père pour le garder près de lui jusqu'à vingt-cinq ans. Il en triompha et partit pour Rome. Il était temps : deux mois plus tard, le marquis Ferdinand mourait et Rodolphe, à l'âge de seize ans, héritait du marquisat. A Rome, Louis fut reçu très chaleureusement par le Père général, qui revivait en lui son propre renoncement. L'abdica­tion d'un aîné était alors un événement ; celle de Louis, comme, quelques décades plus tôt, celle de Claude Aquaviva, provo­qua l'émotion générale en Italie et au-delà. Louis visita les trois cardinaux, ses parents, puis fut reçu par Sixte Quint, qui lui donna sa bénédiction. Enfin, il entra au noviciat ; il y trouva ce qui lui avait tant manqué dans le monde : une direction ferme, qui lui apprit que l'obéissance vaut mieux que les sacri­fices. Louis entrait en religion avec une santé ruinée par ses mortifications indiscrètes et des maux de tête provoqués par ses efforts sans mesure pour faire son heure d'oraison quotidienne sans distraction aucune. Le maître des novices lui interdit toute mortification corporelle et limita à une demi-heure son oraison, avec ou sans distractions. Louis se consolait en faisant de fréquentes visites au Saint-Sacrement. On lui accorda de communier tous les dimanches : il consacrait les trois jours précédents à préparer sa communion et les trois jours suivants à l'action de grâces. 77:279 Les novices récitaient, chacun en particu­lier, le bréviaire de saint Pie V. Louis le disait bien lentement, avec ferveur ; il mettait au moins une heure à dire matines. Il se pliait ponctuellement au règlement du noviciat. Habitué à une nourriture réduite au minimum, il avait quelque peine à manger normalement. Un jour de jeûne, le maître des novices, s'apercevant qu'il n'avait presque rien mangé, le renvoya au second service, avec ordre de manger tout ce qu'on lui servi­rait. Lorsqu'il revint en récréation, un père se mit à le plaisan­ter : « Eh bien, frère Louis, en voilà une manière de jeûner ! manger peu une première fois et davantage une seconde ! » -- « Que voulez-vous, répondit Louis, *ut jumentum factus sum apud te* (je suis comme une bête de somme devant vous), dit le psalmiste. » Du noviciat, Louis passa au collège romain ; il y eut des professeurs éminents, dont saint Robert Bellarmin, le plus illustre théologien de l'époque. Il fut un moment le confesseur de Louis. Puis Louis eut pour confesseur le père Virgilio Cepari, qui devait être son premier biographe. Les scolastiques, pris par leurs études, ne récitaient que le petit office de la Sainte Vierge ; ils avaient un temps d'oraison qui, pour Louis, resta toujours limité à une demi-heure. Classes, études et exercices de piété se succédaient à un rythme régulier. Louis se plia aisément à ce régime et se montra très bon élève. A plusieurs reprises, on le choisit pour des controverses publiques, auxquelles assistaient même des cardinaux, et il s'en tira avec honneur. On lui fit, une fois, soutenir la thèse insoute­nable que le mystère de la Sainte Trinité peut être démontré par la raison. Naturellement, il n'eut pas le dessus, mais se défendit tout de même très bien. Les récréations se passaient en promenades par petits groupes dans la cour. Louis s'arran­geait pour mettre la conversation sur des sujets de spiritualité ; sa parole édifiait ses condisciples, qui avouaient tirer plus de profit de ces conversations que de l'oraison elle-même. C'était l'époque de la grande controverse au sujet de l'édition sixtine de la Bible, qui se heurta à l'opposition résolue de saint Robert Bellarmin. Le père Virgilio Cepari n'y fait aucune allusion. Cette vie d'études et de piété, au cours de laquelle Louis fit ses vœux et reçut la tonsure et les quatre ordres mineurs, fut interrompue par de graves événements familiaux. Un oncle de Louis étant mort sans enfant, Rodolphe occupa son fief, fort modeste, voisin de Castiglione. Mais le duc de Mantoue, arguant d'un testament fait en sa faveur, pria Rodolphe de se retirer. 78:279 Rodolphe refusa. Le duc fit des préparatifs militaires. La duchesse de Mantoue et la marquise mère de Castiglione jugè­rent que seul Louis pourrait empêcher un conflit. Elles écrivi­rent au père Aquaviva, qui convoqua Louis, lui expliqua la situation, et lui ordonna de partir pour Castiglione, en compa­gnie d'un Père d'âge mûr, qui lui servirait de guide spirituel. Les deux religieux partirent à cheval. Le retour de Louis à Castiglione souleva l'émotion des habitants qui se pressaient pour le voir. Louis et Rodolphe se rendirent à Mantoue. Le duc était fort irrité contre Rodolphe, mais, dès les premiers mots de Louis, sa colère tomba ; il pressa Rodolphe sur son cœur, en l'appelant son frère, et tous deux s'en remirent à l'ar­bitrage de l'empereur. L'empereur trancha en faveur de Rodol­phe : un fief d'empire ne pouvait se transmettre que par héri­tage ; son possesseur n'avait pas le droit d'en disposer par tes­tament. Revenu à Castiglione, Louis s'occupa d'une affaire qui lui paraissait bien plus grave encore : il avait appris que son frère vivait avec une jeune personne de petite noblesse, ce qui faisait grand scandale. Aux observations de Louis, Rodolphe répondit qu'il était marié secrètement depuis deux ans. Louis en fut tout joyeux, mais fit remarquer à son frère que le scan­dale persisterait tant que son mariage resterait secret. Rodolphe se résolut alors à rendre son mariage public, et tout rentra dans l'ordre. A son retour à Rome, Louis savait, par révélation, qu'il approchait du terme de sa vie. Cette année 1590-1591 fut dra­matique pour l'Église romaine. Après la mort de Sixte Quint, il y eut quatre conclaves en dix-huit mois. Urbain VII, Gré­goire XIV et Innocent IX ne régnèrent chacun que quelques mois. Grégoire XIV eut le temps et le courage d'ordonner la destruction de l'édition sixtine de la Bible, contre laquelle s'était élevé saint Robert Bellarmin. Clément VIII ne fut élu qu'après la mort de Louis. Au printemps de 1591, une épidé­mie de peste s'était déclarée à Rome. Les jeunes jésuites du collège romain obtinrent la permission de soigner les pestifé­rés et beaucoup moururent de la contagion. Louis se distingua par son dévouement ; il excellait à préparer les mourants aux derniers secours de la religion. Il exerça deux mois cet aposto­lat héroïque, puis fut lui-même atteint. Il reçut les derniers sacrements en pleine connaissance. Les cardinaux ses cousins, saint Robert Bellarmin, le Père Cepari et d'autres vinrent lui rendre visite. 79:279 Le pape lui envoya sa bénédiction et une indul­gence plénière. Mais la maladie de Louis traîna en longueur ; il redemanda la communion. « Je ne crois pas qu'on puisse la réitérer », lui répondit le frère infirmier. Mais il avait affaire à un scolastique bien formé : « L'extrême-onction, non ; la com­munion, si ! » lui répliqua Louis. On lui apporta plusieurs fois la communion. La Fête-Dieu tombait le 13 juin en 1591. Louis avait demandé la grâce de mourir pendant l'octave ou le vendredi il fut exaucé ; il mourut dans la nuit du 20 au 21, alors que finissait l'octave et commençait le vendredi, ce vendredi qui devait par la suite devenir la fête du Sacré-Cœur. La coutume était d'enterrer les jésuites sans cercueil ; mais le Père Aqua­viva, prévoyant un procès de béatification, ordonna de mettre Louis dans un cercueil et de bien noter le lieu de sa sépulture. Quelques mois plus tard, la marquise mère tomba grave­ment malade ; elle était à l'article de la mort, quand elle vit Louis lui apparaître resplendissant de gloire et elle se trouva subitement guérie. Rodolphe survécut peu à son frère ; il ne laissait que trois filles. Ce fut donc François qui hérita du marquisat. Il fit preuve d'une telle sagesse que, quelques années plus tard, l'empereur le choisit comme son ambassadeur à Rome. François s'occupa très sérieusement de la béatification de son frère, fortement appuyé par saint Robert Bellarmin, devenu cardinal. On recueillit d'abondants témoignages de l'héroïcité des vertus de Louis ; la guérison de sa mère fut retenue comme un des deux miracles exigés pour la béatifica­tion, et le second ne tarda pas à se produire. Quinze ans après sa mort, Louis était béatifié, en présence de sa mère, de son frère et d'une foule de gens qui l'avaient connu. La canonisation se fit attendre plus d'un siècle. Ce fut Benoît XIII (1724-1730) qui canonisa saint Louis de Gonza­gue et le donna comme patron et modèle d'innocence et de pureté à la jeunesse, principalement à la jeunesse étudiante. Sa fête, célébrée le 21 juin, comporte une messe propre. Nous retiendrons la demande de l'oraison : que, ne l'ayant pas suivi dans son innocence, nous l'imitions dans sa pénitence. Jean Crété. 80:279 *Prière de saint Louis de Gonzague à la Sainte Vierge.* Ô ma souveraine, sainte Marie, je me mets sous votre protection bénie et votre garde spéciale ; je remets aujourd'hui, pour chaque jour et pour l'heure de la mort, mon âme et mon corps dans le sein de votre miséricorde. A vous, toutes mes espérances et mes joies, toutes mes difficultés et mes peines, ma vie et la fin de ma vie ; que par votre sainte médiation et vos mérites, toutes mes œuvres soient réglées et déterminées selon votre bon plaisir et celui de votre divin Fils. Ainsi soit-il. 81:279 ### Pour saluer l'An Neuf AVOUONS-LE, nous nous sentons tellement faits pour quelque chose d'autre que ce qui nous a déjà été donné, déçus et fatigués par tant de répétitions et d'accoutumance reçues d'une main morte, que l'idée même de la nouveauté, l'idée de quelque chose de neuf qui commence, exerce toujours sur nos pauvres cœurs un immanquable prestige. Avec une candeur infinie nous saluons, chaque année, le Nouvel An comme un événement chargé de bonheur, comme une image du royaume : « le vous la souhaite bonne et heureuse » dit le bon peuple. Avec quelle persévérance cette pauvre humanité, tou­jours déçue, toujours crédule, en état de tension et de désir vers sa fin -- nous sommes nés désirants -- tour­mentée par l'idée d'un bonheur absolu dont il ne lui est offert ici-bas que de pâles analogies, avec quelle persévé­rance, avec quelle tendresse parfois, ne s'éprend-elle pas de cette nouveauté censée porteuse d'espérance ? La nais­sance de l'enfant, le blé qui lève, les premières amours. 82:279 « Il y a dans tout ce qui commence, disait Charles Péguy, une vertu qu'on ne retrouve jamais plus »... \*\*\* La célébration rituelle de la nouvelle lune et du Nouvel An est très ancienne, et d'inspiration profondément reli­gieuse. Les Hébreux, conformément à la Loi de Moïse, célébraient les Néoménies (fête de la nouvelle lune) : dès que la lune apparaissait dans les rayons du soleil couchant, commençait un nouveau mois. On en célébrait l'ouverture au son des trompettes, par des holocaustes et des sacrifices ; on immolait un bélier et sept agneaux, en offrant six mesu­res de farine, ainsi que des libations de vin. Les offrandes magnifiaient Dieu, Maître absolu des temps et des saisons, qui renouvelle la face de la terre. Pour l'année sabbatique, tous les sept ans, on devait lais­ser reposer la glèbe, et abandonner aux pauvres les fruits de la terre, qui devenaient le bien commun de tous. Au grand jubilé de la cinquantième année, les esclaves étaient affranchis, les terres revenaient à leurs propriétaires dépos­sédés ; ainsi les riches ne pouvaient accroître indéfiniment leur richesse, et les esclaves ne pouvaient se multiplier sans mesure. Sages institutions qui permettaient à l'homme du clan ou de la cité de pouvoir *respirer,* de pouvoir *recom­mencer,* de se donner à lui-même l'image d'un renouvelle­ment spirituel. \*\*\* Car l'attrait qu'exerce sur l'esprit humain le scintille­ment de la nouveauté n'est que la traduction d'un besoin très profond de renouvellement intérieur : nous sommes las de ce qui n'est pas éternel, avides d'un commencement de beauté absolue, d'une coupe où nous n'avons pas encore trempé nos lèvres : tout indice de nouveauté est l'appel d'une plénitude. 83:279 Voilà pourquoi au moment où l'année liturgique recom­mence le cycle de ses mystères, loin d'éteindre le désir qui habite l'âme de ses meilleurs enfants, la Sainte Église fait briller à leurs yeux l'espérance d'une ère nouvelle qui comblera leur attente. Telle est la signification du lyrisme des premières antiennes de l'Avent : « En ce jour-là, les montagnes distilleront la douceur et les collines feront cou­ler le lait et le miel, Alleluia. » -- « Voici venir un grand prophète qui *renouvellera* Jérusalem, Alleluia. » Jérusalem, figure de l'Église et de l'âme, a besoin d'un renouvellement. Le Nouvel An liturgique n'évoque pas seulement une année nouvelle par rapport à celle qui vient de s'écouler ; c'est, bien plus profondément, l'annonce d'une nouveauté inté­rieure, d'une qualité spirituelle qui doit transfigurer le vieux monde auquel nous appartenons. Ce faisant, la litur­gie éduque le désir en le détournant des soifs superficielles d'une nouveauté tout extérieure, pour l'incliner vers la seule réalité qui ne trompe pas : la *renovatio interna,* ce renouvellement profond, synonyme d'enfance retrouvée, cette mystérieuse nouvelle naissance dont parle Jésus à Nicodème : c'est le grand œuvre de la vie spirituelle. Seules la prière et la poésie sont aptes à remplir cette mission redoutable : nous débarrasser des chaînes de l'ac­coutumance (un mot, une alliance de mots, suffisent parfois pour faire tomber nos fers) ; nettoyer ce regard embué par la grisaille quotidienne et lui donner accès à la vision. Prière liturgique, poésie biblique, et même toute poé­sie, pourvu qu'elle ne s'arrête pas aux jeux de l'école et de l'académie, nous offrent le don inestimable de changer notre regard sur Dieu et la création. Au fond, toute opé­ration de connaissance, selon des modes différents, a pour mission de soulever -- fût-ce très légèrement -- le voile qui recouvre le mystère de notre destinée non pour le réduire aux capacités de la raison, mais pour nous permet­tre de saisir quelque chose de son éclat et de sa nouveauté. C'est pourquoi il n'y a pas de poésie profane : « l'œuvre d'art est la petite fille de Dieu » dit Dante. 84:279 Lorsque dans *Booz endormi,* qui est un poème réussi, encore qu'il sente trop le métier, nous tombons sur ce distique ; *Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèles,* *Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala,* c'est tout l'être soudainement qui est mis en rapport avec la paix de Dieu sur sa création. Pour Charles Péguy, entrer en poésie, c'est communi­quer la pensée à l'état naissant, à son point d'éclosion où l'idée et l'image apparaissent encore non démêlées. De là son attrait pour l'enfance, pour Jeanne d'Arc ; pour l'éveil d'un monde, d'une vocation, d'une pensée, avant ce qu'il appelle le *durcissement propre à l'écriture.* Aussi son grand poème commence-t-il par dépeindre le regard même de Dieu sur les premiers âges du monde : *Et Dieu lui-même jeune ensemble qu'éternel* *Regardait ce que c'est que la fleur du jeune âge.* *Provident, il voyait d'un regard paternel* *Le monde se dresser pour cet appareillage.* Et le poème continue admirablement : ce monde devient un gros bourg, un humble village. Mais cet effort de remonter vers la pureté de l'être -- au plan de la vie ou de l'art -- suppose une ascèse que peu d'hommes savent consentir. Combien peuvent dire avec Léon Bloy : « Quand je veux savoir les dernières nouvelles, je lis saint Paul. » C'est l'ascèse du regard, celle même que Jésus évoque en saint Luc : « La lampe de ton corps c'est ton œil ; si ton œil est pur, tout ton corps sera dans la lumière. » \*\*\* 85:279 Mais la nouveauté porte en elle un ferment de malice. C'est là une observation aussi vieille que le monde : parmi les blessures du péché originel, il y a l'ignorance ou -- disons mieux -- l'aveuglement. Car en tout être l'igno­rance de ce qui dépasse sa nature n'est pas un mal ; tan­dis que l'aveuglement hérité de nos premiers parents suppose un regard blessé, en proie aux ténèbres et aux hallucinations. Or, l'hallucination dont nous sommes le plus souvent victimes, est celle que fait briller à nos yeux le miroir maléfique du changement, de la nouveauté maté­rielle. Définition de l'hallucination donnée par le Robert : « Sensation éprouvée par un individu sans que les condi­tions normales en soient réalisées ». En l'occurrence, on remarquera une confusion quasi fatale entre la nouveauté et les transcendantaux -- Spécialement le Beau et le Bien -- dont elle est censée être porteuse. Bossuet répond : *nova, falsa !* (c'est nouveau, soit, mais c'est faux). Cette bévue, une des plus communes à l'huma­nité de tous les temps, s'appelle la mode, le goût du changement. Elle a pour racine un besoin incoercible *d'autre chose,* parce que nous savons que nous sommes faits pour autre chose que le pain de la terre, et que le retour du même et de l'identique est un supplice intolérable. J'y vois, pour ma part, une preuve de l'existence de Dieu et d'un au-delà, qui seul peut répondre à nos soifs. Peut-être, n'y a-t-il pas d'erreur plus grave que celle qui induit à confondre la nouveauté comme qualité spirituelle, au sens où il est dit d'un spectacle qu'on ne s'habitue pas, que c'est une chose toujours nouvelle, avec la nouveauté de l'être, au plan matériel, qui n'est que le dernier en date dans la succession du temps. C'est de l'appétit désordonné des nouveautés que se nourrit le mythe du progrès. Gustave Thibon obtient toujours beaucoup de succès, lorsqu'il raconte qu'un bistrot de son pays changeait de nom tous les dix ans, s'appelant alternativement le *Bar du Progrès* ou le *Bar de l'Avenir.* Nous touchons ici -- à l'étage le plus bas -- l'éternel prurit de changement, *du nouveau, encore du nouveau, toujours du nouveau ?* Par quoi l'homme se voit condamné à une course horizontale, où le temps, comme le pressentaient les vieilles mythologies, dévore ses propres enfants. 86:279 De nos jours, Chronos se fait servir : la politique et la publicité exploitent à fond cet universel instinct, et le détournent des vrais renouvelle­ments de l'esprit. \*\*\* Mais c'est dans l'ordre doctrinal et religieux surtout que cette démangeaison de nouveautés risque d'être fatale. Déjà saint Paul avertit son disciple Timothée qu'un temps viendra où les hommes, affectés d'un prurit auricu­laire, se tourneront vers les fables. En écrivant ces lignes nous pensons autant aux « apparitionistes » qu'aux idéolo­gues. Les premiers réclament des signes. Notre-Seigneur répond sèchement que la prophétie de Jonas suffit ; et saint Jean de la Croix affirme dans ses *avis et maximes :* « L'âme doit s'appliquer à n'accueillir aucune nouveauté en matière de foi. » Il met en garde ses disciples « contre les varia­tions qui peuvent altérer les croyances et entacher la pureté de la foi », leur conseille de « ne pas désirer la claire intelligence des choses afin de conserver dans sa pureté et dans son intégrité le mérite de la foi, et de par­venir à travers les ombres de cette nuit de l'intellect, à la lumière splendide de l'union divine ». Il déclare que Dieu nous ayant tout dit dans son Fils, on ne peut plus désirer une faveur sensible sans se rendre coupable d'un péché véniel. Quant aux novateurs idéologues, acharnés à forger de nouvelles doctrines, ils ont contre eux 2000 ans de tradi­tion catholique. Il y a dans l'attrait des nouveautés, une pente dangereuse que jadis la société elle-même réprou­vait : au Moyen-Age, on inculpait les novateurs imprudents du *crime de novelté.* Comprenons que pour une société traditionnelle, il y avait dans l'apparition d'une nouveauté, une perversion essentielle : par le fait qu'elle est nouvelle, entièrement nouvelle, par conséquent *non transmise,* la nouveauté ne souffre aucun critère normatif ; coupée de toute lumière antécédente, la nouveauté pure réclame un crédit absolu, un saut dans la nuit, puisqu'il faut en être pour la juger, et qu'elle ne tiendra ses promesses que lors­qu'on l'aura embrassée : 87:279 « Vous serez comme des dieux » c'est le langage du Serpent. On touche du doigt la prudence, l'humilité intelligente des anciens, pour qui le neuf n'était acceptable que s'il était transmis : « *Nil innovetur nisi quod traditum est. *» « Dieu, dit Bossuet, a voulu que la Vérité vînt à nous de porteur en porteur, et de mains en mains, sans que jamais on s'aperçût d'innovations. C'est par là qu'on reconnaît ce qui a toujours été cru et, par conséquent, ce que l'on doit toujours croire. C'est, pour ainsi dire, dans ce « toujours » que paraît la force de la vérité et de la pro­messe ; et on le perd tout entier dès que l'on trouve de l'interruption en un seul endroit. » Même langage, plus énergique encore, dans sa lettre au pasteur Diroys (1682) : « Lorsqu'il s'agit d'expliquer les principes de la morale chrétienne et des dogmes essentiels de l'Église, tout ce qui ne paraît pas dans la Tradition de tous les siècles, et principalement dans l'antiquité, est dès lors non seulement suspect, mais mauvais et condamnable ; et c'est le principal fondement sur lequel tous les saints pères et papes, plus que les autres, ont condamné de fausses doctrines, n'y ayant jamais de plus odieux à l'Église romaine que les nouveautés. « Quant aux doctrines nouvelles dont on ne s'est jamais avisé et qui par conséquent n'ont pas été combat­tues par les Anciens, il n'y a rien de plus nécessaire que de les rejeter, précisément comme nouvelles et inouïes, la Vérité ne pouvant jamais l'être dans l'Église. » A ces textes robustes, en harmonie parfaite avec la Tradition des Pères, on objectera peut-être la parabole du père de famille, tirant de son trésor des choses nouvelles et anciennes, *nova et vetera.* Mais il est évident que les deux mots ne s'opposent pas dialectiquement. 88:279 Les choses nouvelles sont anciennes ; ce sont les mêmes qui sont à la fois nouvelles et anciennes : anciennes, parce qu'éternelles ; nouvelles, parce qu'elles gardent la fraîcheur de leur origine divine, dont la nature est de rester toujours neuve et inépuisable. \*\*\* Nous avons soif, ô combien ! d'un renouvellement qui ne soit pas une répétition morte, mais une aurore qui monte ; qui soit comme le choc d'une rencontre, comme le dévoilement d'une vérité rassasiante, la remontée vers une source plus pure que le visage dont le fard dissimule les outrages du temps : ces nouveaux cieux, cette nouvelle terre dont parle l'Écriture, et qui ne sont, peut-être, que la transfiguration de nos corps. Nous avons soif de voir, non pas une nouvelle année, qui nous décevra comme les autres, mais une année qui nous apporte notre propre renouvellement intérieur, à condition de ne pas nous conformer au monde. C'est le conseil de l'Apôtre : « Ne vous conformez pas à ce siècle, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit. » Alors, de renouvellement en renouvellement, nous méri­terons, un jour, d'entendre le Christ, consommateur des temps et de la succession des temps, ouvrir les portes de l'éternelle vie, en criant d'une voix forte comme celle des grandes eaux : « Voici que je fais toutes choses nouvelles, *Ecce ego nova facio omnia. *» Benedictus. 89:279 ## NOTES CRITIQUES ### État des livres liturgiques sur le marché Nous avons déjà traité cette question ([^20]) ; nous y revenons, car la situation s'aggrave et s'aggravera encore. Les livres de chant antérieurs à la réforme de Paul VI sont devenus introuvables. Un seul livre liturgique traditionnel est encore en vente à Solesmes : l'antiphonaire monastique de 1934, plusieurs fois réimprimé avec la date d'origine ; ce livre contient tout l'office monastique tradi­tionnel, à l'exception des matines, avec la notation grégorienne des chants. Il ne coûte que 110 F, ce qui n'est pas cher pour un livre de 1316 pages auxquelles s'ajoutent, en appendice, 32 pages d'adaptation au régime de Jean XXIII, dont on n'est pas obligé de tenir compte. Dans les lieux où, faute de livres, on ne peut plus chanter l'office romain, rien n'empêche d'adopter l'office monastique. Même les personnes isolées ont intérêt à se le procurer sans tarder. Solesmes prépare un nouvel antiphonaire conforme au régime de Paul VI ; dès qu'il aura paru, l'antiphonaire traditionnel sera retiré du commerce. Précisons que l'*antiphonaire* ne comporte pas la messe. Le livre qui contient les chants de la messe s'appelle le *graduel.* Or, je l'ai déjà dit, mais il n'est pas inutile d'y revenir : Solesmes a édité un graduel romain conforme au régime de Paul VI, mais utilisable pour la messe de saint Pie V : il suffit de chercher les pièces de la messe du jour dans la table alphabétique et de marquer les pages. 90:279 Ce livre, qui coûte également 110 F, contient toutes les pièces grégoriennes traditionnelles de la messe, à l'ex­ception de l'introït *Intret,* de plusieurs martyrs, et des messes récentes sans valeur grégorienne, telles que celles de saint Jean Bosco, saint Boniface, saint Pie X, sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, en tout une vingtaine de messes qui, pratiquement, n'étaient jamais chantées. On y trouvera toutes les messes des dimanches, des féries de carême et des fêtes, à l'exception des fêtes du Saint Nom de Jésus et du Précieux Sang, supprimées dans le régime de Paul VI. Là où l'on manque du précieux « 800 », désormais introuvable, il ne faut pas hésiter à adopter ce graduel romain. Pour les simples fidèles, restent disponibles le manuel de Mgr Besnier, le *Livret de chants liturgiques* du Père Barbara et le *Manuel grégorien des fidèles* de « Una Voce ». Je terminerai en disant : pitié pour les livres ! C'est le cœur serré que je vois de jeunes enfants jouer à longueur de messe avec des livres qu'ils détériorent. Il faut conserver précieusement les livres anciens même usagés et les traiter avec respect et précautions. C'est grâce à eux que nous transmettrons l'héritage du chant grégorien et de la liturgie traditionnelle. Jean Crété. ### Lectures et recensions #### Kostas Papaioannou *La consécration de l'histoire *(Champ libre) Ces études, d'abord publiées en revue, montrent comment l'histoire est devenue l'Histoire, non pas une suite d'accidents heureux ou malheureux, mais un processus déterminé, chargé de sens, par lequel l'humanité maîtrisant de mieux en mieux la nature, se libère, s'accomplit. 91:279 L'Histoire devient sacrée, c'est-à-dire en somme seule « réel­le ». C'est le résultat d'un long cheminement qui passe par la subordination de la nature et l'effacement du rapport à Dieu. Papaioannou commence par les Grecs. S'ils sont une des ori­gines de notre civilisation, ce n'est certainement pas de ce point de vue. Pour eux, l'his­toire, au sens d'un progrès, d'une révélation poursuivie dans le temps, n'existe pas. La nature commande. Le cosmos est pour l'homme modèle d'ordre et de perfection. La loi de la cité doit se conformer à cette raison su­prême et permettre d'écarter la démesure, la tentation de l'abî­me, Cet ordre du cosmos étant permanence et répétition, l'idée d'une évolution vers un ordre meilleur est inconcevable. Cet esprit non-historique est d'ail­leurs celui de toutes les civili­sations anciennes. En Chine aus­si bien « l'Auguste Ciel ordonne le temps et rythme les saisons ; la principale fonction du prince consiste, de son côté, à assurer la concordance entre cet ordre céleste des saisons et l'ordre des travaux humains ». Le temps, quand il n'est pas répétition, ne peut signifier que corruption et dissolution. D'où le renouvellement périodique du monde, avec les cérémonies de la nouvelle année, ou du début d'un règne. Pour les Grecs, la seule manière dont l'homme puisse intervenir dans l'ordre du cosmos, c'est en le dégra­dant. La tragédie montre la pos­sibilité de ce péril. La loi en préserve, régulière comme le cours des astres, qui décrivent des cercles parfaits. On n'en res­ta pas toujours là. La démagogie triompha dans les cités, et tout se mit à changer au gré de l'humeur des citoyens. « Dans le premier type de démocratie, la pensée des citoyens est diri­gée vers le stable et le dura­ble... » dit l'auteur. Si ce pre­mier type ne fut pas surtout idéal et mythique, il tirait sa force de la piété des citoyens : « La démocratie se vide de son contenu lorsque les citoyens sont incapables de viser autre chose que ce qui transparaît à travers les humeurs changeantes da moment. » Et, ajoute l'au­teur, « la possibilité d'une pa­reille dégénérescence de la dé­mocratie ne devint manifeste que du jour où l'optimisme mo­ral eut refoulé le sentiment tra­gique de la justice sur lequel se fondait la démocratie classi­que ». En tout cas, cet optimis­me ne se transforme jamais en un illuminisme capable de faire imaginer que l'âge d'or et l'harmonie sont au bout des ca­prices et des révoltes. Les Grecs n'inventèrent pas le progrès. Les Juifs non plus, mais ils mirent en place les conditions de son avènement. Dieu crée le monde, qui dit sa gloire. Ce monde n'est qu'une émanation, un reflet de la réalité divine. La nature n'est plus qu'un ob­jet. Et Dieu fait alliance avec un peuple dont l'histoire est liée au salut de l'homme. Dès lors, l'histoire n'est plus hasard, suite d'images de kaléidoscope. 92:279 Elle porte un sens. A travers elle, Dieu guide, fait signe, châtie ou encourage. Le christianisme va achever cette révolution de pensée qui transfère le sacré de l'espace au temps, et du monde à l'âme : c'est Dieu lui-même qui se fait homme, un jour, en Galilée. A tout jamais la pous­sière humaine en reçoit un re­flet divin, mais aussi le temps, comme l'explique Eliade : « Le Temps devient plénitude par le fait même de l'Incarnation du Verbe divin ; mais ce fait même transfigure l'histoire. Comment serait-il vain et vide le Temps qui a vu Jésus naître, souffrir, mourir et ressusciter ? Comment serait-il réversible et répétable *ad infinitum ? *» Et il ajoute : l'événement historique est trans­formé en théophanie. Le temps n'est plus simple répétition selon le rythme des saisons, et on ne peut non plus concevoir un éternel retour, où le Christ serait à nouveau crucifié, un nombre infini de fois. Il y a un Avant et un Après le jour du Calvaire, qui donne son sens à toute l'aventure humaine. « L'homme voit désormais l'his­toire comme un grand drame cosmique. » Précisons que, dans ce drame, l'événement capital est passé : c'est la mort et la résurrection du Christ, qui ont libéré tout homme, lui ont rendu la possibilité de retrouver sa nature première, celle d'avant la chute. Si l'histoire est un dra­me cosmique, chaque vie est un drame personnel, où l'âme choi­sit entre le salut et la perte. L'homme, ainsi, est au centre de la création. La nature, le monde, sont du même coup dé­valorisés. Grande stupeur des Grecs quand on leur dit qu'un homme est plus important, plus réel qu'un astre. On en voit un écho chez Plotin (il vise les gnostiques, mais les chrétiens tout aussi bien) : « Voilà des gens qui ne dédaignent pas d'ap­peler frères les hommes les plus vils ; mais ils ne daignent pas donner ce nom au soleil, aux astres du ciel et pas même à l'âme du monde, tellement leur langage s'égare. » Ce mot a l'avantage de nous faire savoir la coupure entre deux mondes, et aussi ce que peut avoir d'incroyable, de dis­proportionné, cette importance infinie attribuée à chaque hom­me, et que nous acceptons tout naturellement : elle s'explique bien par l'amour et le sacrifice du Christ, mais il est remarqua­ble qu'elle continue de paraître évidente à tous ceux qui sont étrangers à la foi chrétienne (il est vrai qu'il n'est pas cou­rant de renoncer à une position flatteuse). Connaissance de Dieu, con­naissance de l'homme, voilà tout ce qui importe, aux yeux de saint Augustin. Cela inclut logi­quement l'histoire : le destin des empires est conduit par la Providence, comme celui des hommes. La nature a perdu de son importance. Elle est certes une Bible vivante, où l'on ad­mire Dieu dans ses œuvres. Elle n'est plus « le vivant parfait » qu'elle était pour les Grecs. Elle n'est *sacrée* que parce qu'elle émane de Dieu. 93:279 Si l'homme un jour se grise de sa grandeur (il est centre du monde, et d'un monde infini), s'il détourne son regard du ciel, la nature ne sera plus qu'un champ offert à sa volonté de puissance, à son besoin d'exploiter et de trans­former. Nulle piété à l'égard de cette matière ne le retiendra, nulle révérence : ce n'est que matière justement. Le roi de­vient tyran. On voit apparaître ce nouvel esprit dès le XVI^e^ siè­cle, et en même temps, autre face de ce déséquilibre, le sen­timent d'un abandon, le senti­ment de la contingence humai­ne « inconcevable aussi bien pour la Grèce classique que pour la chrétienté médiévale » dit Papaioannou. C'est le temps de la *Melancholia* de Dürer. L'homme n'a plus sa place dans un cosmos harmonieux (le mon­de ne fait plus un tout). Et il a perdu la certitude de faire partie du drame où il doit ré­pondre à Dieu. Il fallait donc que la nature fût désacralisée par le christia­nisme, et qu'ensuite la foi dans un monde ordonné par Dieu fût ressentie moins nettement pour qu'il ne reste plus qu'un sujet, l'homme, devant une ma­tière à dominer. De la théolo­gie de l'histoire selon saint Au­gustin ou Bossuet, on va passer à l'Histoire qui réalise dans son développement le sens divin, qui accomplit la destinée de l'humanité. Ce sera Hegel, puis Marx et tant d'autres depuis. Hegel qui voyait dans l'histoire « le calvaire de l'absolu ». Marx, qui comparait le dieu du progrès « à cet horrible dieu païen qui ne voulait boire le nectar que dans le crâne de ses victimes ». Ces grands hommes ne donnent pas dans la fadeur. Engels non plus : « Ce sont précisément les passions mauvai­ses des hommes, la convoitise et le désir de domination qui sont les leviers du développement historique. » On voit là toute la distance avec l'idée vulgaire du progrès, qui nous mènerait sans effort et sans risques vers l'har­monie et l'abondance. Hegel parle de « calvaire ». On a souvent remarqué aussi ce qu'il pouvait y avoir de « re­ligieux » dans certains éléments du prophétisme marxiste : le prolétariat-Christ, la « fin de la préhistoire » (c'est-à-dire de notre histoire) et la société sans classes, reflet parodique de la Parousie. Il s'agit du *renverse­ment* le plus complet de la bonne nouvelle chrétienne. Cette ressemblance (inversée) explique une bonne part du succès de la doctrine, et du triomphe de l'Histoire, l'idole la plus décon­certante qu'aient pu inventer les hommes. Toujours puissante, elle est cependant reniée de divers côtés. Verrons-nous le déclin de la déesse-Histoire ? Il ne pour­rait survenir que si l'on assis­tait à un retour vers les cons­tantes et les rythmes répétitifs du temps. Peut-on imaginer cela ? Le dernier essai du livre de Papaioannou étudie cette va­riante du culte de l'histoire qu'est la modernité. Idole se­condaire, non sanglante, mais désastreuse dans le domaine des arts, où elle règne. La moder­nité n'est pas le désir très na­turel de coïncider avec son temps, d'en attendre des formes, une sensibilité qui lui soient propres : 94:279 une telle attitude a toujours existé spontanément, alors même qu'on ne se souciait nullement d'être moderne. La modernité est autre chose : elle suppose la croyance que l'instant le plus récent est su­prême ; étant *indépassé,* il in­carne l'esprit sous sa forme la plus accomplie. Cela implique que le présent sera détrôné à son tour, par l'avenir, mais en attendant cet avenir n'existe pas, et nous avons le plaisir de dominer, *par définition,* tout le passé. N'importe quelle crotte née aujourd'hui est sublime, du fait qu'elle est une crotte neu­ve. La faiblesse du système est que le nombre des surprises est limité ; on tombe dans les au­daces répétitives, inédites et sur­prenantes en 1912, mais qui ont perdu de leur vertu depuis. De plus, la spéculation mar­chande joue un rôle trop visible pour que « l'expression la plus récente de la beauté » ne soit pas souvent confondue avec le dernier calcul des marchands de New York ou de Tokyo. Georges Laffly. #### André Figueras *Les catholiques de tradition *(Éditions de l'Orme rond) Enfin, allais-je dire, un ou­vrage illustré sur le combat des « traditionalistes ». A notre siècle de l'image, ce n'est certes pas dommage, après au moins quinze ans déjà de ce combat. Car qu'on le veuille ou non, l'image a toujours valeur de té­moignage. *Les catholiques de tradition* est un livre qui se présente justement comme une sorte de dossier de presse ou plutôt comme un exceptionnel ouvrage de documentation. Avec 200 photos et documents qui jalonnent près de vingt ans de vie religieuse pour ces « catholiques de tradition », c'est aussi un magnifique album (noir et couleur) du souvenir. Bref, un « révélateur »... André Figueras à qui en a été confié le commentaire sobre et informatif l'explique, du res­te, fort bien dans sa conclu­sion : « *Si schématique qu'ait été notre description, les images, encore une fois, ont eu la paro­le. Avec leur langage... elles ont dit l'importance et la majesté du courant traditionaliste en France ; non point du tout mo­saïque de petites rébellions, mais regroupement calme et fort, dans le chant, dans l'oraison, dans la foi, de gens -- prêtres ou laïcs -- qui assument l'hé­ritage de la catholicité fran­çaise, telle qu'elle fut, pendant des siècles. *» 95:279 Il ne s'agit donc pas d'une étude de fond cherchant à jus­tifier tel ou tel « chef de file », ou même à expliquer doctrina­lement la cause traditionaliste. Non, en publiant ce volume dans la collection « *La photo témoigne* »*,* l'éditeur a simple­ment voulu « réunir un dossier illustré, donc parlant, sur un grave problème de conscience et de foi de notre époque ». Et c'est là toute l'originalité de l'œuvre. C'est, si vous voulez, le « *point de vue* »*,* au sens litté­ral du terme, des catholiques de tradition *du rang.* Ils exis­tent et forment, dans la crise contemporaine de l'Église, une entité visible qui, malgré ses nuances et ses divergences, ne peut être ignorée. Essayons donc à partir de ce document -- mais cela, c'est au lecteur de le faire -- d'entrer davanta­ge dans ce point de vue afin de le comprendre, au sens figuré cette fois. « *Ils campent sur des rui­nes *» : le sous-titre en dit déjà énormément. « *On a tenté de traiter les affaires du monde en dehors du Christ,* disait saint Pie X ; *on a commencé à bâtir en rejetant la pierre angulaire. Saint Pierre le reprochait à ceux qui crucifièrent Jésus. Et voici qu'une seconde fois la masse de l'édifice s'écroule, en brisant la tête des constructeurs *» (Encyclique *Jucunda sa­ne,* 12 mars 1904). Camper sur des ruines aujour­d'hui pour les catholiques de tradition, c'est bien sûr prati­quer la sainte liturgie dans la misère, hors des lieux de culte décents qui leur sont interdits (chapelles délabrées, granges, hangars, garages, cinémas etc.). On verra notamment par des photos saisissantes comment on leur ferma la porte, à Lourdes (en 1979) et à Chartres (en 1983) où la messe traditionnelle, in­terdite dans les sanctuaires, fut dite pour des milliers de pèle­rins devant les portails clos... Mais camper sur des ruines c'est aussi et surtout « *survi­vre *» dans ce champ de ruines que le monde moderne ne cesse d'accumuler pour avoir rejeté la pierre angulaire, et qui ra­vage maintenant même le chris­tianisme. Paul VI parle « *d'au­todestruction de l'Église *»*.* Cam­per sur des ruines, cela veut dire aussi, selon le mot de Ma­diran « *déblayer cet immense champ de ruines, dans l'ordre spirituel, comme les premiers chrétiens ont déblayé, au spiri­tuel, mais totalement, le monde païen *»*.* Présomptueux, direz-vous. Ce à quoi Jean Madiran répond « *Nous sommes aussi démunis en puissance temporelle devant le monde que les premiers chré­tiens l'étaient devant le monde païen ; mais nous sommes au­tant qu'eux et pour la même raison assurés de la victoire, qui n'est pas la nôtre, mais celle du Christ Notre-Seigneur, victoire déjà acquise par sa Passion et sa Résurrection. *» 96:279 La « Tradition » au sens sociologique du terme, avec ses défauts que ne manque pas de souligner avec réalisme Figue­ras, est bien sûr l'objet d'un débat et d'un combat qui dé­passe les traditionalistes eux-mêmes. De la même façon par exemple que l'école libre est au­jourd'hui l'objet d'un débat qui la dépasse. Dans la défense de l'école libre c'est la liberté de l'enseignement que nous envi­sageons et cela touche *toute* l'école. Dans la défense des tra­ditionalistes c'est, osons le dire, la Chrétienté que nous envisa­geons. Nous ne défendons pas une boutique, une chapelle, mais un principe. Plus qu'un principe : une pierre angulaire, sans laquelle l'édifice ne peut tenir. « *Catholiques de tradition* » le pléonasme est lui-même révé­lateur, comme l'a rappelé PRÉ­SENT : « *Tout catholique bien sûr est de tradition. La Tradi­tion est en effet consubstantielle au catholicisme puisque c'est elle qui porte nécessairement la sève vitale qui nourrit la tige temporelle de l'Église vivante.* » Mais, dans l'*autodémolition* de l'Église post-conciliaire, ce pléo­nasme est devenu pratiquement indispensable pour désigner ceux qui, dans la nuit troublée de la foi, déblaient justement les gra­vats néo-modernistes en conser­vant l'essentiel intact. En atten­dant l'apaisement de l'aurore. Les « catholiques de tradition », c'est aujourd'hui une nécessité. C'est-à-dire le contraire de la contingence... « *Quand le pasteur se change en loup,* écrit Dom Guéranger, *c'est au troupeau de se défendre tout d'abord.* » Quand les insti­tutions religieuses responsables ont défailli, il a bien fallu peu à peu trouver soi-même la nour­riture du fidèle. Car, ajoute Dom Guéranger : « *Les vrais fidèles sont les hommes qui pui­sent dans leur seul baptême, en de telles conjonctures, l'inspira­tion de leur ligne de conduite* *; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la sou­mission aux pouvoirs établis, attendent pour courir à l'enne­mi, ou s'opposer à ses entre­prises, un programme qui n'est point nécessaire et qu'on ne doit point leur donner.* » Il a donc fallu suffisamment de discernement aux catholiques de tradition pour garder et trans­mettre, à leur place de laïques et de prêtres du rang, *la pen­sée permanente, universelle et définie de l'Église.* C'est essen­tiellement le maintien de la mes­se catholique traditionnelle, la­tine et grégorienne selon le mis­sel romain de saint Pie V, la conservation du catéchisme ro­main et la transmission du texte authentique et de l'interpréta­tion traditionnelle de l'Écriture sainte. Ce pain quotidien qu'ils ob­tiennent comme à la dérobée dans une quasi-clandestinité, ils ne cessent de le réclamer officiellement pour le peuple chré­tien à une hiérarchie qui ne veut pas, jusqu'à présent, les entendre. Mais ils continuent et ils continueront encore, sûrs du dépôt sacré dont ils ont comme la garde obligée et qui en font, comme dit Figueras, « *les très nécessaires intercesseurs entre jadis et* *demain* »* :* 97:279 Voilà donc, dans l'actuelle apostasie immanente, le « point de vue » du catholique de tra­dition avec ses problèmes (in­ternes) de conscience et (ex­ternes) d'obéissance. Un point de vue qui n'est guère de con­fort et de sécurité comme nous le montrent les clichés de notre album. C'est le sort des chré­tiens fidèles d'être toujours « en résistance » avec le monde et parfois persécutés par lui comme l'a annoncé saint Mat­thieu : « *On vous insultera, on vous calomniera de toutes les manières. *» C'est d'une certaine façon bon signe si je puis dire. Car c'est le prix du « déblaiement ». Hon­neur donc à ces catholiques qui campent sur des ruines dans l'hostilité du monde laïque et clérical qui les entoure. Car malgré leurs faiblesses et leurs insuffisances, leurs défauts et même leurs divisions avec leurs familles, leurs enfants, et sur­tout leurs vocations si nombreu­ses, ils apportent « *l'espoir des fondations *»*.* Et c'est justement, nous si­gnale André Figueras, l'objet d'un futur volume... Jean-Michel Beaussant. #### Philippe Héduy *Histoire de l'Indochine *(Collection SPL, 184 rue de Vaugirard à Paris) Philippe Héduy publie aux éditions SPL-Henri Veyrier une *Histoire de l'Indochine* en deux volumes. La première histoire complète, racontée par le texte et illustrée par l'image, de la présence française au Vietnam. Soit trois siècles, s'étendant de l'arrivée du premier missionnai­re jusqu'au départ du dernier soldat. 1802 : L'empereur Gia-Long, soutenu par l'évêque d'Abran et quelques militaires français, réunit sous son sceptre tous les pays de l'Indochine orientale. Devenu son conseiller, le consul français Chaigneau ouvre la Co­chinchine à l'influence écono­mique et culturelle de la Fran­ce. Cinquante-cinq ans plus tard, en 1857 exactement, la France entame la conquête progressive de la Cochinchine, de l'Annam et du Tonkin qui, avec le Laos et le Cambodge, formeront l'In­dochine française. Une conquê­te de vingt-sept ans, définitive­ment achevée en 1881. 98:279 Une conquête que préparè­rent, pendant plus de deux siè­cles, l'héroïsme et le sacrifice des missionnaires, fécondant la terre indochinoise avec leur sueur, leurs larmes, leur sang, leur sainteté, faisant lever à chaque génération des mois­sons, toujours plus grandes, de chrétiens. En 1624, le jésuite Alexandre de Rhodes fut le pre­mier européen à prendre con­tact à Faïfo et Hué avec les ci­vilisations du Vietnam. Un con­tact d'emblée profitable pour les Vietnamiens, puisque Alexandre de Rhodes, entre autres bien­faits, élabora le «* quoc ngu *», écriture qui, se substituant au seul usage des caractères chinois, permit l'accession des Vietna­miens à la culture universelle. D'un voyage à Paris, Alexandre de Rhodes ramena avec lui le Tourangeau François de Pallu, premier évêque français à se rendre, en 1652, dans la pénin­sule indochinoise où il fonda la Société des missions étrangè­res, grâce à laquelle les Fran­çais allaient évangéliser à tour de bras, conquérant tout à la fois les âmes et les cœurs et ensemençant les jeunes esprits de culture chrétienne. Dès 1682, Mgr Laneau, administrateur gé­néral des missions de la Cochin­chine et du Tonkin, pouvait écrire : « De tous les royaumes idolâtres où travaillent nos mis­sionnaires français sous la con­duite de Mgr Pallu et des au­tres vicaires apostoliques, il n'y en a point où la religion chré­tienne fasse de plus grands progrès que dans le Tonkin, quoi­qu'elle y soit plus sévèrement défendue et plus souvent persé­cutée que dans les autres lieux de nos missions. Lorsque M. Le­febvre, l'un de nos missionnai­res, en partit, en 1682, il apprit qu'il y avait plus de deux cent mille chrétiens. On y avait bap­tisé cette année-là environ six mille âmes, et ce nombre qui paraît ici considérable, parais­sait petit à nos ouvriers, en com­paraison de ce qu'ils espéraient faire les années suivantes, où ils rie seraient pas occupés, comme ils l'avaient été dans celle-là, à faire gagner le jubilé de l'année sainte à tous les chrétiens, par des confessions et des prépara­tions extraordinaires. « Il y avait pour lors onze prêtres naturels du pays, cinq qui étaient sur le point d'être promus au sacerdoce, deux évê­ques français vicaires apostoli­ques, cinq missionnaires d'Eu­rope, outre deux pères jésuites, qui avaient aussi baptisé beau­coup de monde, et un bon nom­bre de grands et de petits ca­téchistes. » Et l'évangélisation continuait à progresser, en dépit des per­sécutions de toutes sortes. La Société des missions étrangères, fondée en 1663, et le séminaire de la rue du Bac, où se for­maient les missionnaires pour l'Extrême-Orient, furent de vé­ritables pépinières d'où sorti­rent des régiments de héros et de saints. Des conquérants, sans autre armure que l'amour du Christ, sans autres armes que les vérités de Dieu. Beaucoup de missionnaires payèrent cet apostolat de leur vie ou d'indi­cibles souffrances. 99:279 De 1670 à aujourd'hui, le martyrologe des missions compte 500 noms. En­core ne comprend-il que les noms des membres de la société et pas ceux des nombreux prê­tres ou catéchistes vietnamiens morts dans les mêmes atroces supplices et glorieuses agonies ; comme par exemple Paul Buong, capitaine des gardes du roi, décapité en 1833 ; ou le pè­re Phuoc, massacré dans la cita­delle de Saigon en septembre 1835 avec 600 personnes. Et tant d'autres qui témoignèrent de leur foi à travers mille tour­ments, signant de leur sang la vérité du Christ. Les missionnaires n'en con­tinuaient pas moins à extirper l'idolâtrie du sol vietnamien, plantant à sa place l'étincelle divine. Page 24 du premier vo­lume, on trouve, extraite d'une *Vie de Mgr Mahot,* une évoca­tion de l'existence du mission­naire, saisie dans le miracle de sa vie quotidienne : « Le missionnaire qui veut vi­siter sa mission, annonce le jour qu'il partira, par où il commen­cera, et l'ordre des églises qu'il visitera. Par là chaque caté­chiste sait le jour qu'il arrivera chez lui, et a grand soin de faire assembler son peuple et que tout soit en état. Lors donc que le missionnaire arrive dans une église, où pour le moins il y aura 60 ou 80 communiants, à qui il faut administrer les sa­crements cette nuit-là, il se met au confessionnal ; et si, par ha­sard, il se trouvait quelques personnes dont la conscience fût fort embarrassée, il faut qu'elles attendent que le fort des confessions soit passé, pour qu'on leur donne tout le temps nécessaire. Que le missionnai­re ait achevé les confessions ou non, à 3 heures du matin, c'est une nécessité de commencer la messe, parce qu'il faut renvoyer le peuple avant le lever du so­leil, crainte que ces assemblées ne fassent trop de bruit. « On prêche ordinairement après l'Évangile, et on dit enco­re un mot avant de sonner la sainte communion. La messe fi­nie, on commence les baptêmes, car il y en a toujours quelques-uns, tantôt plus, tantôt moins (M. Mahot en a baptisé jusqu'à 80 dans une matinée). Les caté­chistes les mettent en ordre, les hommes séparés des femmes, les enfants au milieu, chacun ayant ses parrain et marraine derrière soi, qui sont toutes personnes d'élite. Entre parenthèses, les parrains et marraines en Cochin­chine sont si respectés que les enfants leur rendent autant d'honneur qu'à leurs parents. Le missionnaire fait subir un exa­men aux catéchumènes, et il lui arrive d'en rebuter quelques-uns qui ne sont pas assez instruits. « Après l'administration du baptême, il faut juger souvent des procès entre les chrétiens, raccommoder les mariages, écou­ter les plaintes contre de mau­vais chrétiens ; finir le travail par la visite des vieillards et malades qui n'ont pas pu venir à l'église. Après toutes ces fonctions, l'on donne quelque chose à manger au missionnaire, du riz et du poisson, quelque­fois de la viande à demi cuite selon l'usage du pays. 100:279 « Tout cela achevé, le mis­sionnaire se remet en campagne, le bâton à la main, toujours pieds nus pour ne pas être dé­couvert, ou à cause des boues continuelles, ou encore parce que, les souliers usés, il n'y a pas de cordonniers pour en avoir d'autres. Quelquefois il faut faire des journées de neuf à dix lieues dans un pays brûlé, montagneux ou marécageux et, au bout de la journée, il faut recommencer une nuit sembla­ble à la précédente, puis le len­demain se remettre en chemin jusqu'à une nouvelle église. En­fin, il ne faut faire autre chose durant six semaines ou deux mois, si l'on veut que les chré­tiens que l'on conduit reçoivent une ou deux fois l'année les sacrements. Voilà la vie ordinai­re des missionnaires, car excep­té les jours de Pâques, Pente­côte, Noël, où ils sont dans leur principale église, toujours ils sont en mission. » En lisant ces lignes, comment ne pas penser au *Génie du chris­tianisme,* quand Chateaubriand écrit : « *Il nous semble que c'était un juste sujet d'orgueil pour l'Europe et surtout pour la France, qui fournissait le plus grand nombre de missionnaires, de voir tous les ans sortir de son sein des hommes qui al­laient faire éclater les miracles des arts, des lois, de l'humanité et du courage, dans les quatre parties de la terre. De là prove­nait la haute idée que les étran­gers se formaient de notre na­tion et du Dieu qu'on y adore. *» Les persécutions contre les chrétiens et les massacres de missionnaires conduisirent Na­poléon III à intervenir. En 1859, l'amiral Rigault de Genouilly s'empare de Saigon. Le traité de paix de 1862 cède la Cochinchi­ne à la France. En 1873, Francis Garnier prend Hanoï. Dix ans plus tard, Jules Ferry proclame la conquête du Tonkin. Conclu­sions naturelles d'un long pro­cessus d'intégration. Le bilan de la présence fran­çaise donne raison à Chateau­briand. L'augmentation de la population ? Obtenue grâce à la science et au dévouement des médecins français, essentielle­ment ceux de la coloniale. Sans oublier le rôle de tant de reli­gieuses venues de France. Les ingénieurs français édifièrent le réseau routier et le réseau ferro­viaire reliant le sud au nord, jusqu'à la Chine, ou le Cam­bodge à la Thaïlande. Nos ar­chitectes dessinèrent entière­ment les villes de Saïgon, d'Ha­noï, de Phnom Penh... Nos plan­teurs développèrent la rizicul­ture, étendirent les cultures du café, du thé et des fruits tropi­caux. Autour des riches planta­tions d'hévéas naquit toute une industrie du caoutchouc, solide­ment structurée. En un mot, la France coloniale organisa l'In­dochine et la dota des bases éco­nomiques nécessaires pour s'in­tégrer dans le monde moderne. Plus que tout, la colonisation apporta la sécurité. Depuis des siècles, ces populations se trou­vaient en proie aux razzias des pirates, ces derniers incendiant les maisons si on ne leur don­nait pas assez de piastres. Sans compter les prélèvements exor­bitants des mandarins et des bonzes. Il fallut plus d'un siè­cle pour que ces populations martyrisées s'affranchissent peu à peu des vieilles terreurs ances­trales. 101:279 Un peu avant la seconde guerre mondiale, un vieux Viet­namien confiait à un haut-fonctionnaire français : « Les progrès de votre civilisation, même la médecine, ne sont rien à côté de la protection des per­sonnes et des biens que vous nous avez apportée. » D'année en année, l'ordre succédait aux désordres. Dans tous les domaines. Dom Gérard, préfaçant le se­cond volume, écrit : « *A ceux qui seraient tentés de l'oublier, ces deux ouvrages restituent, par-delà le mensonge des pro­pagandes, le visage harmonieux d'une œuvre de colonisation intelligente, toute à l'honneur d'une France éducatrice des peu­ples, fraternelle et généreuse. *» Une œuvre pour laquelle Phi­lippe Héduy rassemble, dans ces deux volumes, d'innombrables pièces à conviction, documents bruts et témoignages directs, sus­ceptibles de confondre tous les détracteurs. *Histoire de l'Indochine ?* Une épopée civilisatrice, placée sous le double signe de l'épée et de la foi. Jean Cochet. #### Maurice Courant *Que l'on dirait d'un ange... *(Éditions Art et Lumière, 14 rue Duphot à Paris) Ce recueil réunit vingt poèmes brefs et denses, conformes à l'esthétique classique, parfois en alexandrins, mais avec une pré­dilection pour l'octosyllabe, et qui sont précédés par un prélu­de en vers de quatre syllabes, appel mystérieux et fervent à la mémoire intérieure. On peut, je crois, et sans forcer le sens du mot, qualifier de mystique l'in­tention générale ; le titre est lui-même tiré d'un des poèmes qui caractérisent la recherche psy­chologique et spirituelle présente dans tous : « Source frileuse ! Calme étrange !... Où s'en va l'eau qui coule ainsi, De pal­me en palme, sans mélange, A la poursuite d'un souci D'où ne viendrait nul goût de fange, D'un bruit que l'on dirait d'un ange D'aile diver­se -- et d'ombre aussi ! » 102:279 La poésie est vouée à la quête in­térieure de l'Être, de l'Éternel, de la splendeur rayonnante du Divin ; la méditation ardente du « cœur rapace » ne peut échap­per aux incertitudes et aux fluc­tuations du monde en cette vie, angoisses nées de la fuite du temps, déceptions du miroir, spectacles fugitifs des ramures d'automne, ombres harmonieu­ses mais mélancoliques où la mort est présente. Mais com­ment accueillir aisément le pres­sentiment de la lumière pure « de glace, d'or, de feu », de la « cime lucide », de la « nudité blanche », « cœur de l'être dans le miracle du printemps » ? La ferveur qui guide le poète est « une flamme » qui presse l'âme « de brûler tous ses dé­serts ». Les paysages évoqués, par les présences du vent, de la nier, des vols d'oiseaux sont ri­ches d'appels signifiant que « tout survit à la mort, puis­que la mort est vide ». L'hom­me ne peut renaître « que du Silence où l'Être est Roi ». Le « temps profond » de la poésie spirituelle est une somme altière des problèmes les plus essen­tiels ; le mystère n'est jamais une concession aux phantasmes ou au caprice gratuit. La pensée qui l'exprime adopte un style d'une construction marie qui n'abolit point les perplexités et les tourments de l'épreuve ; mais les sentences passionnées y trou­vent leur musique propre, leur rayonnement étrange et capti­vant. La « lumière exacte » pal­pite en l'âme pure « comme, en la nuit la plus obscure, -- Une étoile éclatante et sombre ». Cette lecture m'a fait parfois songer à saint Jean de la Croix, mais l'inspiration personnelle et puissante de Maurice Courant doit être saluée comme un té­moignage exceptionnel de la su­blimité spirituelle en poésie pour notre temps. Jean-Baptiste Morvan. 103:279 ## DOCUMENTS Catéchisme Les documents romains\ du 7 juillet 1983 *Datés du 7 juillet 1983 et envoyés aussitôt à leurs destina­taires, ces documents ont été rendus publics seulement le 29 octobre dans* « *L'Osservatore romano* »*. Il n'y en a eu aucune édition française avant le 15 novembre.* ### Réponse de la congrégation de la doctrine à la congrégation du clergé Ces documents ont été rédigés en italien. Nous en donnons la traduction publiée par l'édition française hebdomadaire de *L'Osservatore romano* dans son numéro du 15 novembre 1983. 104:279 Lettre au cardinal Silvio Oddi\ préfet de la congrégation du clergé Monsieur le Cardinal, Avec la lettre du 2 juillet 1982, Vous avez présenté à la congrégation cinq questions relatives à l'interprétation à donner aux dispositions du Décret « Ecclesiae Pastorum », art. 4, sur l'approbation des œuvres des­tinées à la catéchèse. Ce problème a été soumis à l'étude des Consulteurs et des Très Éminents Cardinaux Membres de cette congrégation, qui l'ont examiné dans leurs réunions des 23 mars et 22 juin 1983. Les décisions ont été ensuite approuvées par le Saint-Père à l'occasion des Audiences des 26 mars et 1^er^ juillet 1983. J'ai l'honneur de remettre à Votre Éminence les réponses aux cinq questions de cette congrégation pour le clergé, précédées par une intro­duction, voulue par les Très Éminents Cardinaux eux-mêmes, dans le but de rappeler les principes auxquels ces réponses se réfèrent. Veuillez agréer, Excellence, l'expression de mes sentiments de très respectueux dévouement dans le Seigneur. Joseph Card. RATZINGER\ *Préfet* Jérôme Fr. HAMER\ Arch Tit. de *Lorium\ Secrétaire* \[*On remarquera le terme* « *Excellence* » *dans la salu­tation finale. En français, l'usage est d'employer le terme* « *Éminence* » *à l'égard d'un cardinal. D'autre part, ni* « *Éminence ni* « *Excellence* » *ne sont des vocatifs en français. Mais depuis l'effondrement sémantique et syn­taxique de la langue française, c'est l'usage italien qui a tendance à prévaloir sur ce point.*\] 105:279 #### « Introduction » Les différentes questions qui ont été posées sur la procédure à suivre pour l'approbation des publications de catéchèse concernent l'exercice de l'autorité du Siège Apostolique, des évêques de chaque diocèse et des conférences épiscopales. Donc, avant de donner les réponses particulières, la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi considère opportun d'in­diquer les principes d'ordre doctrinal, juridique et pastoral qui en sont le fondement, énoncés en particulier dans le « Directorium catechisticum generale » de la S.C. pour le clergé, du 11/4/1971, n. 134 (AAS 64/1972/ 173) ; dans le Decretum « Ecclesiae Pastorum » de la S.C. pour la Doctrine de la Foi du 19/3/1975, art. 4, par. 1 (AAS 67/1975/283) dans la « Responsio » de la S.C. pour la Doctrine de la Foi du 25/6/1980 (AAS 72/1980/756 ; dans le can. 775 du nouveau C.I.C. (Code de Droit Canon)). 1\) « Le Pontife Romain est par divine institution revêtu d'un pouvoir suprême, plein, immédiat et universel pour le bien des âmes (...) Puisqu'il a été désigné pasteur de tous les fidèles pour encourager le bien commun de l'Église universelle et aussi le bien des Églises individuelles, il détient le pouvoir suprême ordinaire sur toutes les Églises » (Concile Vatican II, Décret « Christus Dominus » n. 2 ; nouveau C.I.C., can. 331). Par cet article, il établit pour l'Église universelle des normes en ma­tière de catéchèse, qui, en application du Concile Vatican II, ont été énoncées dans le « Directorium catechisticum generale » (AAS 64/1972/ 97-176) et rappelées en bonne partie dans l'Exhortation apostolique « Catechesi Tradendae ». 2\) « Les évêques, eux aussi, établis par le Saint-Esprit, succèdent aux apôtres comme pasteurs des âmes : ils ont été envoyés pour assurer, en union avec le Souverain Pontife et sous son autorité, la pérennité du Christ, Pasteur éternel (...). Aussi, par l'Esprit Saint qui leur a été donné, les évêques ont-ils été constitués de vrais et authentiques maîtres de la foi, pontifes et pasteurs » (Christus Dominus, n. 2 voir nouveau C.I.C., can. 375). Comme le Souverain Pontife pour l'Église universelle, ainsi les évêques pour leurs Églises particulières exercent immédiatement, en vertu du « *jus divinum *», le pouvoir d'enseigner (« munus docendi »). Donc ils sont, dans leurs diocèses, l'autorité première responsable de la catéchèse dans le respect des normes du Siège Apostolique (voir can. 775, par. 1 du nouveau C.I.C. ; voir aussi can. 827, par. 1 ; « Catechesi Tradendae » n. 63). 106:279 3\) La conférence épiscopale est « une assemblée dans laquelle les pasteurs d'une nation ou d'un territoire exercent conjointement leur mandat pastoral, pour l'augmentation du bien que l'Église offre aux hommes, en particulier par ces formes et ces méthodes d'apostolat appropriées aux circonstances actuelles » (Christus Dominus, n. 38 ; nouveau C.I.C., can. 447). Elle détient tous les pouvoirs qui lui sont reconnus par le droit (voir Christus Dominus, n. 38, par. 4 ; con. 455 du nouveau C.I.C.) et ne peut pas déléguer son pouvoir législatif aux commissions ou aux autres organismes par elle créés (voir Réponse de la Commission sur l'interprétation des Décrets du Concile Vatican II, 10 juin 1966). En ce qui concerne la catéchèse, demeurant sauf le droit propre de chaque évêque (voir can. 775, par. 1 ; can. 827, par. 1 du nouveau C.I.C.), il est de la compétence de la conférence épiscopale, si cela semble utile, de faire éditer, avec l'approbation du Siège Apostolique des catéchismes pour son propre territoire (voir can. 775, par. 2 du nouveau C.I.C. ; Directorium catechisticum generale, nn. 119 et 134). 4\) L'action pastorale catéchétique doit se réaliser d'une manière efficace et coordonnée, dans le cadre d'une région, d'une nation ou de plusieurs nations appartenant à une même zone socioculturelle. Ceci implique que, -- dans le respect des compétences que nous venons de rappeler --, il faut un accord entre les évêques diocésains, les conférences épiscopales et le Siège Apostolique, une action com­mune qui soit à la fois fraternelle et respectueuse du principe de la collégialité. #### Les questions et les réponses : Q. I. Après le Décret *De Ecclesiae Pastorum vigilantia circa libros* (AAS 67/1975 p. 283) et l'ultérieure précision de la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi avec la réponse au doute en mérite de l'art. 4 (AAS 72/1980/p. 756), est-ce que les conférences épiscopales natio­nales ou régionales peuvent publier des catéchismes nationaux ou régionaux et des documents valables sur le plan extra-diocésain sans la préalable approbation du Saint-Siège ? 107:279 R. *Négative.* *Observations :* Nous renvoyons à la réponse de la S.C. pour la Doctrine de la Foi au doute cité dans la question conformément aux nn. 119 et 134 du Directorium catechisticum generale et surtout au canon 775 par. 2 du nouveau C.I.C. : « Episcoporum conferentiae est, si utile videatur, curare ut catechismi pro suo territorio, praevia Sedis Apostolicae appro­batione, edantur. » Q. II. Sans la préalable approbation du Saint-Siège peut-on proposer et diffuser des catéchismes à un niveau national issus des conférences épiscopales, pour « la consultation et l'expérimentation » ? R. *Négative* *Observations :* a\) En ce qui concerne l'*expérimentation :* on ne peut pas admettre la publication de catéchismes « ad experimentum » : les catéchismes destinés à toute une nation doivent avoir, en ce qui concerne le contenu et la méthode, une valeur prouvée qui puisse assurer l'autorité et la stabilité propres à la catéchèse. Toutefois on n'exclut pas les « expe­rimenta particuliaria » qui précèdent la publication, comme à l'art. 119, par. 2 du Directoire catéchistique (AAS 64/1972/166). b\) En ce qui concerne la *consultation :* le concept de catéchismes « pour consultation » a besoin de plus de précisions. Mais s'il s'agit d'une œuvre catéchistique de consultation destinée à une nation tout entière et proposée par la conférence épiscopale, sont valables les normes ci-dessus (ad. 1). Q. III. Est-ce que les ordinaires diocésains individuellement, qui ont donné un avis favorable pour un catéchisme national, peuvent donner « l'imprimatur » à des catéchismes particuliers, quand ils sont sûrs dans le contenu et clairs dans l'exposition ? R. *Affirmative* Q. IV. Est-ce que une commission épiscopale peut avoir l'autorité permanente d'approuver ou de ne pas approuver des catéchismes à un niveau national ou diocésain ? R. *Négative* *Observations :* La responsabilité de « curare ut catechismi pro suo territorio, praevia Sedis Apostolicae, edantur » revient collégialement à la confé­rence épiscopale. 108:279 Une commission épiscopale peut être *chargée* même en permanence de *préparer* le matériel catéchistique, étant toujours sauf le droit de la conférence épiscopale, dans son ensemble, de décider de l'accepter ou non et, en ce qui concerne les catéchismes nationaux, de le soumettre ou non à l'approbation du Saint-Siège. Cette décision qui concerne l' « Institutio catechetica » placée oppor­tunément par le nouveau Codex dans le livre II « De Munere Docendi », rentre dans le pouvoir législatif de la conférence épiscopale et doit donc être prise avec une majorité qualifiée, comme au can. 455, par. 2 et ne peut pas être déléguée (voir réponse « Ad dubium » de la commission pontificale pour l'interprétation des Décrets du Concile Vatican II du 25 mai 1966 : AAS 60/1968/361). Voir aussi les « decreti generalia » selon le can. 29 « proprie sunt leges ». Q. V. Outre le catéchisme officiel, peut-on utiliser d'autres catéchis­mes dûment approuvés par l'autorité ecclésiastique ? R. *Affirmative* juxta mentem : 1\) pour la catéchèse faite sous l'autorité de l'évêque dans les parois­ses et dans les écoles, il faut utiliser les catéchismes approuvés et adoptés comme textes officiels par l'évêque lui-même ou par la confé­rence épiscopale. 2\) D'autres catéchismes approuvés par les autorités ecclésiastiques peuvent être utilisés comme des *moyens subsidiaires.* #### Réponse de la congrégation de la doctrine à la conférence épiscopale française Les trois documents qui répondent à la conférence épiscopale française ont été, semble-t-il, rédigés en français. En tout cas, ici encore, c'est le texte de l'édition française hebdomadaire de *L'Os­servatore romano* que nous reproduisons. 109:279 Lettre à Mgr Jean Vilnet\ président de la conférence épiscopale Excellence, Par lettre en date du 3 août 1982, vous avez soumis officiellement à notre congrégation une demande relative à l'interprétation des disposi­tions sur l'*imprimatur* des ouvrages de catéchèse, énoncées par l'article 4 du décret *Ecclesiae Pastorum.* Cette question a été soumise à l'examen des consulteurs et cardinaux membres de notre dicastère, qui l'ont traitée respectivement lors de leurs réunions des 23 mars et 22 juin dernier. L'approbation des décisions a été donnée par le Saint-Père au cours des audiences des 26 mars et 1^er^ juillet. Je suis maintenant en mesure de vous communiquer la réponse à la question posée (cf. Annexe). Comme vous le verrez, elle est précédée d'un préambule, expressément voulu par les E.E. Cardinaux, qui rappelle les principes fondamentaux dont elle découle. Veuillez agréer, Excellence, l'expression de mes sentiments de très respectueux dévouement dans le Seigneur. Joseph Card. RATZINGER\ *Préfet* Jérôme Fr. HAMER, O.P.\ Arch. tit. de *Lorium* \[*Même remarque que plus haut sur l'emploi, gramma­ticalement vicieux en français, du terme. Excellence comme vocatif.*\] « Préambule » \[*Le* « *préambule *» *annoncé à la conférence épiscopale française est quasiment identique, comme on va le voir, à l'* « *introduction* » *destinée à la congrégation du clergé.*\] 110:279 Avant de répondre à la question posée, la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime opportun d'indiquer les principes généraux d'ordre doctrinal, juridique et pastoral énoncés notamment dans le *Directorium catechisticum generale* de la S.C. pro Clericis, du 11/4/1971, n. 134 (AAS 64/1972/173) ; dans le Decretum *Ecclesiae pastorum* de la S.C. pro Doctrina Fidei du 19/3/1975, a. 4, par. 1 (AAS 67/1975/283) ; et dans la *Responsio* de la S.C. pro Doctrina Fidei, du 25/6/1980 (AAS 72/1980/756) ; dans le can. 775 du nouveau C.I.C. 1\. « Le pontife romain jouit, par institution divine, du pouvoir suprême, plénier, immédiat, universel pour la charge des âmes... En sa qualité de pasteur de tous les fidèles envoyé pour assurer le bien com­mun de l'Église universelle et le bien de chacune des Églises, il possède sur toutes les Églises la primauté du pouvoir ordinaire » (Concile Vatican II, Décret *Christus Dominus,* n. 2 ; nouveau C.I.C., can. 331). A ce titre, il détermine pour l'Église universelle des normes en matière de catéchèse, qui, en application du Concile Vatican II, ont été énoncées dans le *Directorium catechisticum generale* (AAS 64/1972/ 97-176) et rappelées pour une bonne part dans l'Exhortation apostolique *Catechesi Tradendae.* 2\. « Les évêques, établis par le Saint-Esprit, succèdent aux apôtres comme pasteurs des âmes ; ils ont été envoyés pour assurer, en union avec le pontife romain et sous son autorité, la pérennité de l'œuvre du Christ... Aussi ont-ils été constitués de vrais et authentiques maîtres de la foi, pontifes et pasteurs » (*Christus Dominus,* n. 2 ; cf. nouveau C.I.C., can. 375). Comme le souverain pontife pour l'Église universelle, chaque évêque pour son Église particulière exerce immédiatement, en vertu du *ius divinum* le pouvoir d'enseigner (*munus docendi*)*.* Aussi est-il, dans son diocèse, la première autorité responsable de la catéchèse dans le respect des prescriptions du Siège Apostolique (cf. can. 775, par. 1 du nouveau C.I.C. ; cf. également can. 827, par. 1 ; *Catechesi tradendae,* n. 63). 3\. La conférence épiscopale est « une assemblée dans laquelle les prélats d'une nation ou d'un territoire exercent conjointement leur charge pastorale, en vue de promouvoir davantage le bien que l'Église offre aux hommes, en particulier par des formes et des méthodes d'apostolat convenablement adaptées aux circonstances » (*Christus Dominus,* n. 38 ; nouveau C.I.C., can. 447). Elle détient les pouvoirs qui lui sont reconnus par le droit (cf. *Christus Dominus,* n. 38, par. 4 ; can. 455 du nouveau C.I.C.), et ne peut déléguer son pouvoir législatif aux commissions ou autres orga­nismes créés par elle (cf. Réponse de la commission d'interprétation des Décrets du Concile Vatican II, 10 juin 1966). 111:279 En ce qui concerne la catéchèse, demeurant sauf le droit propre de chaque évêque (cf. can. 775, par. 1 ; par. 1 du nouveau C.I.C.), il est de la compétence de la conférence épiscopale, si cela semble utile, de faire éditer, avec l'approbation du Siège Apostolique, des catéchismes pour son propre territoire (cf. can. 775, par. 2 du nouveau C.I.C. ; *Directorium catechisticum generale* nn. 119 et 134). 4\. L'action pastorale catéchétique doit se réaliser d'une manière efficace et coordonnée, dans le cadre d'une région, d'une nation ou même de plusieurs nations qui appartiennent à une même zone socio­culturelle. Ceci implique -- dans le respect des compétences précédemment rappelées -- une nécessaire entente entre évêques diocésains, conférence épiscopale et Siège Apostolique, dans une action commune à la fois fraternelle et respectueuse du principe de la collégialité. Question et réponse L'article 4, par. 1, du décret *Ecclesiae Pastorum* implique-t-il que l'or­dinaire du lieu ou la conférence épiscopale doivent tenir compte qu'un livre est destiné à usage catéchétique lorsqu'ils sont sollicités de lui donner l'approbation prévue par ce décret ? En effet, certains auteurs ou éditeurs qui préparent des livres à contenu et destination de « catéchismes » arguent de l'article 1 du décret *Ecclesiae Pastorum* pour urger de l'évêque compétent l' « appro­bation » prévue en cet article, si les livres en question ne contiennent rien de contraire à la foi et aux mœurs, indépendamment de toute appréciation de la valeur de son contenu pour usage catéchétique. Ils estiment que la concession de *l'imprimatur* même pour des livres à contenu catéchétique et destinés à cet usage est un « droit » de l'impétrant et conséquemment un « devoir » de la part de l'évêque concerné. R. *Affirmative iuxta menten, à savoir :* *a*) si l'approbation est demandée pour la *seule publication* d'un catéchisme, sans qu'elle signifie l'adoption du livre comme texte officiel pour la catéchèse diocésaine, elle doit être donnée selon les critères qui règlent d'une manière générale la censure préalable des livres à soumettre au jugement de l'Ordinaire, c'est-à-dire en tenant compte avant tout de l'orthodoxie du contenu et des normes ecclésiastiques universelles concernant la catéchèse (nouveau C.I.C., can. 823, par. 1 ; 830, par. 2 ; *Directorium catechisticum generale,* n. 119 ; proemium par. 6). 112:279 *b*) si l'approbation est demandée pour *des catéchismes destinés à la catéchèse officielle du diocèse,* en plus de l'orthodoxie du contenu et des normes universelles de la catéchèse, l'Ordinaire tiendra compte également des règles particulières édictées par lui-même en fonction des besoins concrets du diocèse (nouveau C.I.C., can. 775, par. 1) et des normes fixées par la conférence épiscopale et approuvées par le Saint-Siège (Directorium catechisticum generale, n. 134). #### Le commentaire de *L'Homme nouveau* Le caractère théologique de la note préliminaire et le caractère juridique des demandes faites et des réponses contribuent à rendre la lecture de l'ensemble difficile. On peut en dégager les conclusions suivantes : 1\) Le pouvoir du pape s'exerce sur l'Église universelle et aussi sur chaque portion particulière de cette Église. 2\) L'évêque, dans chaque diocèse, est la première autorité respon­sable de la catéchèse. 3\) Les conférences épiscopales peuvent faire éditer des catéchismes : a\) à condition que ce soit avec l'approbation préalable du Siège apostolique, b\) chaque évêque demeurant premier responsable de la catéchèse dans son diocèse. 4\) Les Ordinaires diocésains, même s'ils ont donné un avis favo­rable pour un catéchisme national peuvent, en plus, accorder l'impri­matur à des catéchismes particuliers à leur diocèse. Simultanément, lorsque des livres à destination de catéchismes sont soumis au jugement de l'évêque compétent pour approbation, celle-ci doit être donnée en tenant compte avant tout de l'orthodoxie du contenu, du moins dans la mesure où cette publication ne signifie pas que le livre soit adopté comme texte officiel pour la catéchèse diocésaine. 5\) S'il s'agit de la catéchèse officielle d'un diocèse, l'évêque tiendra compte non seulement de l'orthodoxie, mais des règles particulières fixées par lui-même et des normes fixées par la conférence épiscopale et approuvées par le Saint-Siège. 113:279 6\) Les conférences épiscopales nationales ou régionales ne peuvent publier des catéchismes nationaux ou régionaux non plus que des docu­ments catéchétiques valables sur le plan extra-diocésain sans l'appro­bation préalable du Saint-Siège. 7\) Des catéchismes ne peuvent être publiés pour expérimentation lorsqu'ils sont destinés à une nation entière. Seules les expérimentations particulières peuvent être autorisées. 8\) Une commission épiscopale ne peut avoir l'autorité permanente pour approuver des catéchismes nationaux ou pour un diocèse parti­culier. C'est la conférence épiscopale dans son ensemble qui a com­pétence pour accepter ou refuser le matériel catéchétique de portée nationale, et s'il en est digne, de le soumettre à l'approbation du Saint-Siège. Une telle décision doit être prise avec une majorité qualifiée. 9\) Les catéchismes officiels demeurant utilisés normalement dans les paroisses ou dans les écoles, d'autres, revêtus de l'imprimatur, peuvent légitimement être employés comme moyens subsidiaires. \[*Ce commentaire technique a été publié par* L'Homme nouveau du *20 novembre. Il n'a pas bien aperçu que le Saint-Siège* INTERDIT D'INTERDIRE *les catéchismes conformes à la doctrine catholique, mais non conformes à la mode épiscopale du moment.*\] #### Le commentaire de Michel Denis dans Famille chrétienne « *Confiance et joie* » Ces documents sont datés du 7 juillet dernier. La lettre d'accompagnement de la Sacrée Congrégation veut mani­festement donner un certain poids à sa réponse. Elle engage nommément le Saint-Père. Elle donne aussi à sa réponse une envergure qui dépasse l'objet de la question posée sur l'imprimatur, par une note préliminaire qui, en fait, remet en question les procédures en usage, en France, en matière catéchétique. 114:279 La base du document est que l'évêque, successeur des apôtres et pasteur des âmes, est le « maître de la foi » en son diocèse « pour assurer en union avec le pontife romain et sous son autorité, la pé­rennité de l'œuvre du Christ ». Il est le patron de la catéchèse « dans le respect des prescriptions du Siège Apostolique » (Rome). Tous ceux qui œuvrent à la catéchèse en son diocèse sont tenus de respecter ces prescriptions. A ce sujet, il faut savoir que, dans le domaine catéché­tique comme dans les autres, on peut relever à Lourdes depuis plusieurs années, et dans leur diocèse, une tendance de plus en plus manifeste des évêques à réactiver leur autorité personnelle, leur liberté de choix et de discernement, à ne pas laisser réduire la collégialité apostolique à un conformisme collectif soumis aux pressions des « chapelles » ou appareils. Le document les y aide. Ainsi la conférence épiscopale ne peut (plus) déléguer son pouvoir législatif à des commissions (même épiscopales) ou autres organismes en matière de catéchèse (on croit pouvoir déduire qu'il doit en être de même dans les autres domaines). La procédure actuelle de délivrance des « labels » pour les « parcours catéchétiques » nous paraît ainsi remise en cause. La conférence épiscopale pourra éditer des « catéchismes natio­naux », elle devra le faire chaque fois avec l'approbation nécessaire de Rome ; mais chaque évêque restera libre de les utiliser ou non, étant entendu que l'action pastorale catéchétique (mais pas forcément au niveau des manuels) peut être coordonnée au niveau d'une région d'une nation, etc. en lien avec les autres évêques diocésains, la confé­rence épiscopale et le Siège apostolique. C'est chaque évêque, en son diocèse, qui décide quels manuels, quels catéchismes, seront utilisés officiellement. Lui seul, si l'on comprend bien, peut donner un « label », à un ou des ouvrages, valable pour son diocèse. Ses diocésains sont donc tenus en conscience de les utiliser en premier. Et c'est là qu'intervient la question posée par la conférence épiscopale française concernant « l'imprimatur ». Des groupes ou des éditeurs, en effet, produisent des catéchismes, des manuels pour lesquels ils requièrent, de l'Ordinaire du lieu, l'imprimatur. Celui-ci, on le sait, se prononce simplement sur le plan de la conformité à l'orthodoxie. Cet imprimatur ne peut être refusé si l'ouvrage a cette conformité. Mais il n'implique pas automatiquement que l'évêque le reconnaisse comme catéchisme officiel de son diocèse. Le bon sens implique simplement que le catéchiste peut l'utiliser comme outil complémentaire personnel parmi d'autres (livres de spiritualité, vies de saints) de même qu'il lui est recommandé habituellement et plus certainement encore de se servir de la Bible, du missel, etc. 115:279 Et « Pierres Vivantes » ? Il n'en est pas question ici. Ce qu'on sait est qu'il est en refonte par un travail commun de Rome et de la conférence épiscopale. « La catéchèse : confiance et joie » : c'était le titre de notre éditorial du 31 mars dernier. Nos lecteurs, y compris les plus méfiants, peuvent constater que, si la catéchèse demeure et doit demeurer un chantier permanent, notre vue positive de l'évolution des choses en ce domaine était fondée. \[*Ce commentaire de Michel Denis a paru dans* Famille chrétienne *du 24 novembre. Il pousse, comme on le voit, l'irréalisme et l'illusion à un point qui en fait une page d'anthologie.*\] #### Le commentaire de Jean Madiran dans Présent *Des dispositions parfaitement prudentes\ du point de vue de Sirius\ qui n'apportent aucun soulagement véritable\ à la grande misère du catéchisme français* La note vaticane du 7 juillet vient d'être rendue publique. Elle vise à régler le différend qui, au sujet du catéchisme, s'est récemment élevé entre l'épiscopat français et le Saint-Siège. De ce différend, on niait officiellement l'existence : ce n'était que dialogue, disait-on, concer­tation et travail en commun. Toutefois le règlement du 7 juillet ne plaît guère aux évêques de France : *La Croix* d'hier mercredi n'en donne qu'un compte rendu squelettique et parfaitement obscur. C'est un signe qui ne trompe pas. La note du 7 juillet est un document de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi, que dirige le cardinal Ratzinger. Il rappelle ou restaure des dispositions administratives de portée universelle : -- Oui, dit-il en substance, les évêques sont responsables de la catéchèse, oui, une conférence épiscopale peut promulguer un catéchisme officiel, *mais* avec l'approbation préalable du Saint-Siège. Les évêques français le savent bien. Ils ont imposé une catéchèse, mais en précisant que ce n'était pas un « catéchisme » à proprement parler, et qu'en outre elle n'était pas promulguée par la conférence épiscopale, mais par chaque évêque dans son diocèse, double motif pour se dispenser d'une approbation romaine préalable. On ne voit pas pourquoi ils ne continueraient pas, de cette manière, ou d'une autre, à passer au travers. 116:279 Le document romain du 7 juillet fixe en outre la condition des éditeurs dits *indépendants* qui publient des catéchismes dits *non-officiels.* Ces catéchismes, l'épiscopat les avait *interdits* par le biais de l'obligation d'utiliser *seulement* le catéchisme officiel (*Pierres vivantes* et les « par­cours catéchétiques »). Le Saint-Siège décrète que les évêques n'auront plus le droit de refuser l'*imprimatur* aux catéchismes non-officiels dès lors qu'ils sont conformes à la doctrine catholique ; et qu'ils ne devront pas non plus empêcher leur utilisation auxiliaire et subsidiaire à côté du catéchisme épiscopalement officiel. Il n'est pas évident que des dispositions aussi générales (et parfai­tement prudentes du point de vue de Sirius) puissent apporter un soulagement véritable à la grande misère du catéchisme français. La situation actuelle est la suivante : D'une part, depuis quinze ans, le catéchisme français épiscopalement officiel ne contient plus les trois connaissances nécessaires au salut, il n'est plus catholique. Il contient en revanche de plus en plus d'insinua­tions malhonnêtes. D'autre part, on se propose d'accepter théoriquement, comme caté­chismes de seconde zone, « indépendants » et « non-officiels », des catéchismes tels que le *Catéchisme du concile de Trente* et son adap­tation pour les enfants : le *Catéchisme de saint Pie X.* Ces catéchismes démocratiquement suspects passent de la situation de livres *certainement interdits* à la situation de livres *peut-être tolérés.* C'est donc encore et toujours dans la contradiction, dans la persé­cution, que les écoles chrétiennes et les familles chrétiennes continueront à maintenir le catéchisme catholique. Merci Messeigneurs. *Cet article a paru dans* PRÉSENT *du 3 novembre. Jean Madiran en a ultérieurement donné une version plus développée dans le* SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR *du 15 décembre :* Le 7 juillet, le Saint-Siège a fait sur le catéchisme en général, et précisément sur le catéchisme en France, une mise au point adminis­trative et juridique. 117:279 Il s'agit d'une note -- et même de deux notes -- de la congréga­tion romaine pour la doctrine de la foi. L'une est adressée à la confé­rence épiscopale française. L'autre à la congrégation romaine pour le clergé. *L'Osservatore romano* les a publiées seulement le 29 octobre. *La Croix* du 2 novembre n'en a donné qu'un compte rendu partiel, squelettique et obscur, -- signe assuré que ces notes romaines déplai­sent vivement aux évêques français. L'édition française hebdomadaire de *L'Osservatore romano* a retardé jusqu'au 15 novembre le moment de procéder à la première publication française intégrale de ces deux textes. Ces deux notes romaines du 7 juillet visent à régler le différend qui, au sujet du catéchisme, s'était récemment élevé entre l'épiscopat fran­çais et le Saint-Siège. De ce différend, on niait officiellement l'existence ce n'était que dialogue, disait-on, concertation et travail en commun. Le croira qui voudra. Les notes du 7 juillet rappellent ou restaurent des dispositions juridiques et administratives de portée universelle : -- Oui, dit Rome en substance, chaque évêque est responsable de la catéchèse dans son diocèse. Oui, une conférence épiscopale peut promulguer un catéchisme officiel, *mais* avec l'approbation *préalable* du Saint-Siège. Les évêques français ne l'ignoraient pas. Ils avaient pris quelques précautions rusées. Ils imposaient une catéchèse officielle, celle de *Pierres vivantes,* mais en précisant que ce n'était pas un « catéchisme » à proprement parler, et qu'en outre elle n'était pas promulguée par la conférence épiscopale, mais par chaque évêque dans son diocèse, double motif pour se dispenser d'une approbation romaine préalable. Les décrets romains du 7 juillet ont pris la forme littéraire de *réponses* de la congrégation de la doctrine aux *questions* qu'avaient posées d'une part la congrégation du clergé, d'autre part la conférence épiscopale française. Ces décrets fixent en outre la condition des éditeurs dits *indépendants* qui publient des catéchismes dits *non-officiels.* Ces catéchismes, l'épiscopat français les avait *interdits* par le biais de l'obligation d'utiliser *seulement* la catéchèse officielle (*Pierres vi­vantes* et les divers « parcours catéchétiques »). Le Saint-Siège décrète que les évêques n'ont pas le droit de refuser l'*imprimatur* aux caté­chismes non-officiels dès lors qu'ils sont conformes à la doctrine catho­lique ; et qu'ils ne doivent pas non plus empêcher leur utilisation auxiliaire et subsidiaire à côté du catéchisme épiscopalement officiel. Bref, le Saint-Siège *interdit d'interdire* les catéchismes vraiment catholi­ques qui n'ont que le tort de n'être pas à la mode épiscopale du moment. 118:279 Ces dispositions générales sont parfaitement justes et prudentes du point de vue de Sirius. Il n'est pas évident qu'elles puissent apporter un soulagement véritable à la grande misère du catéchisme français. La situation actuelle, en effet, est la suivante : D'une part, depuis quinze ans, le catéchisme français épiscopalement officiel ne contient plus les trois connaissances nécessaires au salut ; il ne comporte plus les quatre parties obligatoires de tout catéchisme catholique. Il recèle en revanche de plus en plus d'insinuations mal­honnêtes. D'autre part, les catéchismes qui étaient *interdits,* et qu'il est main­tenant *interdit d'interdire,* les catéchismes dits « indépendants » et « non-officiels », sont principalement, en fait, le *Catéchisme du concile de Trente* et son adaptation pour les enfants : le *Catéchisme de saint Pie X*. Ils vont être désormais, si l'épiscopat n'y met pas trop de mauvaise volonté, acceptés comme catéchismes de seconde zone : ils vont passer de la situation de livres *certainement interdits* à la situa­tion de livres *peut-être tolérés.* Merci pour eux. Merci pour saint Pie X. Merci pour le concile de Trente. Merci, Messeigneurs. Il demeure fortement improbable que des mesures administratives de cette sorte soient suffisantes et qu'elles puissent amener ou con­traindre les évêques français à faire enseigner un catéchisme traditionnel dont ils ont perdu (ou dont ils n'ont jamais eu) la substance, le goût, l'amour. Il demeure fortement probable que jusqu'à nouvel ordre c'est encore et toujours dans la contradiction, encore et toujours dans la persécution, que les familles et les écoles chrétiennes continueront à maintenir le catéchisme catholique. 119:279 ### Les déclarations de Romain Marie au journal "Le Monde" *François Brigneau écrit dans* PRÉSENT *du 29 novembre :* « *M. Alain Rollat, journaliste du* Monde, *attaché aux problèmes de la droite qu'il nomme extrême, a posé sept questions à Romain Marie. Celui-ci connaît les procédés du* Monde. *Il a donc répondu* par écrit *aux sept questions de M. Rollat.* Le Monde *n'en a publié que cinq. Celle où apparaît* ITINÉRAIRES *a sauté. Le manque de place, sans doute. Outre que M. Rollat a dit à Romain Marie qu'au* Monde *on ne voulait pas polémiquer avec Jean Madiran.* Au Monde *on est perfide mais prudent. *» *Voici d'abord les cinq questions et réponses publiées par* Le Monde *des 27 et 28 novembre, sous le titre :* « *Un entretien avec un militant chrétien d'extrême droite *». « *Pourquoi éprouvez-vous le besoin d'avoir deux identités ? Pourquoi vous faire appeler Romain Marie quand vous dirigez les Comités Chrétienté-Solidarité, que vous avez fondés, alors que vous présidez sous votre vrai patronyme, Bernard Antony, la fédération de Haute-Garonne du CNIP ? A quoi correspond cette distinction ?* 120:279 -- Je m'appelle Bernard Romain Marie Antony. En 1975, j'ai lancé un mensuel, *Présent*, qui devait, le 1^er^ janvier 1982, donner son titre au quotidien que *le Monde* a découvert récemment et au lancement duquel je m'honore d'avoir participé ([^21]). J'eus l'idée dans ce premier journal de signer de mes deux seconds prénoms. Romain et Marie symbolisent en effet tout ce pour quoi je lutte : une terre, une civilisation, une foi... Mes racines, spirituelles, intel­lectuelles, physiques même, tiennent en ces deux beaux prénoms. D'abord, je suis Bigourdan, et fervent de Lourdes et de la Sainte Vierge. Ensuite, paraphrasant Maurras, je pourrais dire comme lui : je suis de Tarbes, je suis de Bigorre, je suis Français, je suis Romain, je suis universel. Je me sens tellement pétri de ces réalités inséparables que sont la romanité et la catholicité que si, par malheur, elles étaient extirpées de moi, je ne me sentirais plus un homme. « Voilà pourquoi un peu partout en France, je suis devenu Romain Marie, par la plume d'abord puis par la parole. Mais comme je milite dans le Sud-Ouest depuis 1961, je demeure Bernard Antony pour mes nombreuses connaissances de la région. En fait, me voilà dans l'ordre politique, indifféremment Bernard Antony ou Romain Marie. -- *Comment peut-on en même temps prêcher l'amitié française, affirmer que l'on refuse tout sectarisme et mener croisade, comme vous le faites, contre ceux de vos concitoyens, parfois aussi chré­tiens que vous, qui se réclament du socialisme ou du communisme ?* -- L'Amitié française, c'est d'abord la réunion de tous les Français qui aiment la France, qui savent ce que signifie la fidé­lité aux promesses de son baptême. C'est la volonté de continuer une tradition qui va de saint Rémi et des chevaliers des croisades au Père de Foucauld, à Saint-Exupéry et aux paras de Dien-Bien-Phu et de Kolwezi. Aujourd'hui, nombre de nos concitoyens qui ne se sentent pas Français, piétinent ce passé, rient des vertus chré­tiennes et françaises, n'ont que sarcasmes pour nos saints et nos héros. 121:279 « Or, qu'ils le veuillent ou non, l'avenir de la France sera chrétien ou ne sera pas. Je suis pour la croisade contre le commu­nisme. Le socialisme n'en mérite pas tant : les Français ont déjà fait la croix dessus. Le communisme est l'horizon indépassable de l'esclavagisme moderne. Il tuait alors que le nazisme ne tuait pas encore. Il tuait pendant que le nazisme tuait. Il tue toujours. « Au poids des cadavres, la monstruosité communiste enfonce par dix à un la monstruosité nazie. Même Yves Montand s'est aperçu de cela. Alors, si certains chrétiens se déclarent commu­nistes, je prétends qu'ils ne sont que des communistes cherchant à se faire passer pour chrétiens. Comment un chrétien pourrait-il accepter le système politique qui viole le plus totalement la loi naturelle et la loi de Dieu ? Le communisme n'est pas seulement athée. Il est le système social le plus pervers qui soit, « l'intrinsè­quement pervers » comme l'a nommé définitivement le pape Pie XI. « Plutôt rouges que morts disent les pacifistes. Je dis que le communisme, à la fois, tue les corps et veut asservir les âmes. Aussi, n'ai-je que mépris pour ses compagnons de route, pour ses tristes apparatchiks et pour ces chefs cyniques. M. Doumeng a déclaré récemment que les Polonais étaient des « *mongoliens *» ([^22])*.* Seule une cervelle bolchevique peut proférer une telle abjection. Y a-t-il racisme plus odieux, et pour les Polonais, et pour les mon­goliens qui ont droit plus que tous les autres à notre attention. Que font donc le MRAP et la LICRA ? -- *Vous récusez à la fois les orientations politiques de Mme Veil, celles de MM. Barre, Chirac, Giscard d'Estaing. Seuls, appa­remment MM. Malaud et Le Pen trouvent grâce à vos yeux. L'un des deux correspond-il au profil de l'* « *homme nouveau* » *que vous appelez de vos vœux ? A qui pensez-vous exactement ? Croyez-vous donc à l'éventualité d'un* « *sauveur* » *politique pour la France ?* 122:279 -- Les hommes providentiels se méritent. Pour que vienne Jeanne d'Arc, il a sans doute fallu d'abord Du Guesclin et les prières du peuple de France. « Je ne crois donc pas aux « hommes providentiels » que la providence n'envoie pas. Pour l'instant, je crois donc davantage à l'alliance des hommes de bonne volonté qu'à la venue de je ne sais quel personnage salvateur. Je n'ai rien d'hostile à Jean-Marie Le Pen. Je sais combien sont injustes les caricatures dans les­quelles on a essayé de l'enfermer. Il se proclame démocrate chur­chillien. Je suis pour ma part républicain comme Péguy, démo­crate comme Mistral, Amouretti, Aubanel, Philadelphe de Gerde et autres félibres fédéralistes qui ont cultivé des raisons, des ver­tus et des beautés qui ne sont pas celles de la « culture » des maisons prévues pour cela. « Si j'ai adhéré au CNIP, c'est parce que je suis d'abord un indépendant. Je cherchais donc un rassemblement qui soit le moins possible un parti, mais au sein duquel je puisse défendre électora­lement les six exigences fondamentales de l'Amitié française et des Comités Chrétienté-Solidarité, qui n'ont pas pour vocation la politique électorale. « J'ai été accueilli au CNIP par Philippe Malaud, que j'apprécie beaucoup. Je le sais profondément honnête. J'apprécie qu'il sache énoncer sans complaisance, même pour lui, les erreurs et les errements de l'ancienne majorité. Dans la logique de tout cela, je ne vous surprendrai pas en disant que je suis d'abord et avant tout partisan non pas de l'unité, mais au moins de l'alliance sans exclu­sive de toutes les forces de la droite nationale. -- *Quelle est votre conception de la liberté politique ?* *-- *Je refuse un monde qui va de plus en plus ressembler au *Meilleur des mondes* d'Huxley, ou au 1984 d'Orwell. Je suis donc d'abord un anti-totalitaire militant. Le totalitarisme c'est l'État confis­quant simultanément le politique, le social, l'économique, le reli­gieux, et, bien sûr, l'éducation. Le livre remarquable d'Igor Cha­farevitch, publié au Seuil, *Le système socialiste,* montre combien l'utopie totalitaire est ancienne. Régir l'individu, du berceau à la mort, tel est le dénominateur commun de tous les totalitarismes. Aucun totalitarisme ne peut, bien sûr, se passer d'être socialiste, aucun socialisme ne peut se passer d'être totalitaire. Jean-Jacques Rousseau est un des sommets de la pensée totalitaire : Robes­pierre, Napoléon, Marx, Lénine, Staline, Hitler, Mao, sont, à des degrés divers, ses monstrueux enfants. 123:279 « Il faut en finir avec Rousseau. Il faut lutter pour remettre l'État à sa place. Il faut lui redonner son rôle qui est de gouver­ner plus que de tout administrer. L'État doit battre monnaie, protéger les citoyens des menaces intérieures et extérieures. Il doit arbitrer entre les intérêts qui se heurtent, en fonction du seul intérêt national. Il faut rendre leurs libertés aux corps intermé­diaires, aux communautés naturelles, que sont les provinces, les municipalités, les professions. « Le zéro et l'infini », ou plus exactement l'individu de plus en plus déraciné, isolé, broyé par l'État, sans fin, voilà la réalité sociale léguée par le jacobinisme. Il faut, avec Paul Valéry, cons­tater qu'il ne faut plus appeler société ce monde moderne qui est la « *multiplication des seuls *»*.* C'est le monde atomisé, la « dissociété », pour reprendre l'expression du grand philosophe belge Marcel De Corte. « Les plus grands esprits des dix-neuvième et vingtième siècles, au-delà de leurs divergences, n'ont pas manqué pour dénoncer cela : Comte et Renan, les félibres déjà cités, Proudhon et Maur­ras, Gustave Thibon, Bernanos, Salleron et Simone Weil, je veux parler de la grande Simone Weil, sur qui l'indigence intellectuelle de nos contemporains ne s'est pas trompée : ils lui ont préféré Teilhard de Chardin, le chantre du totalitarisme... -- *Quelle est votre conception de la liberté religieuse ?* -- Ma conception de la liberté religieuse est l'adhésion à la doctrine enseignée en la matière par l'Église catholique et dévelop­pée avec le plus de clarté par le pape Pie XII. Concrètement, aujourd'hui, pour le catholique que je suis, la liberté religieuse, c'est d'abord le fait de pouvoir dispenser à mes enfants l'éducation catholique que j'ai non seulement le droit mais le devoir de leur donner. « C'est de pouvoir ouvrir la radio à 11 h 30 le matin sans entendre un bouffon grotesque, à vulgarité sans limite, proférer des obscénités sur sainte Bernadette. 124:279 « C'est de pouvoir envoyer mes enfants dans la rue ou aux kiosques à journaux sans que s'étale sous leurs yeux la pornogra­phie la plus dégueulasse, la plus nihiliste, la plus méprisante pour l'honneur de la femme et la pureté des enfants. « C'est de pouvoir ouvrir la télévision sans assister, sous cou­vert d'enquête, à des émissions étalant complaisamment tous les aspects de l'univers pédérastique. « C'est enfin de pouvoir disposer des mêmes droits à la défense de l'honneur de ma religion que les fidèles des autres religions. « Hélas, le catholique français ne dispose d'aucune association reconnue d'utilité publique telle que le MRAP ou la LICRA pour se protéger du racisme antichrétien. « Je suis enfin, selon la doctrine catholique, favorable à la tolérance religieuse. Il ne me viendrait pas à l'idée de demander, par exemple, la Grande Mosquée de Paris pour y faire célébrer une messe ! On voudra alors bien comprendre que le tolérant que je suis puisse trouver intolérable que les églises de France soient de plus en plus fréquemment livrées à quiconque les demande, sauf aux catholiques qui souhaiteraient y voir célébrer le culte pour lequel elles ont été bâties. -- *Quelle est finalement votre ambition politico-religieuse ?* *-- *Je suis catholique et non adhérent de je ne sais quelle secte théocratique. Donc je ne suis ni pour la séparation ni pour le mélange du religieux et du politique. Je suis, conformément à l'Évangile, pour leur distinction. Je ne saurais donc avoir une quelconque « ambition politico-religieuse ». Je ne me prends pas pour Savonarole, à qui je ne voue pas une admiration particulière. « En tant que citoyen et militant politique, je n'ai qu'une ambition : me battre, toujours me battre, encore me battre, par tous les moyens légaux à ma disposition : pour mon pays, pour ma foi, contre l'esclavagisme communiste. « Comme chrétien, je ne puis avoir que l'ambition de tous les chrétiens de toutes les époques et de tous les pays : que Dieu, lorsque je mourrai, accorde sa grâce et son pardon au pécheur que je suis. » 125:279 *A ces cinq questions et réponses parues dans* Le Monde, *nous pouvons ajouter les deux qu'il n'a pas publiées :* *-- Quelle est votre conception de la liberté scolaire ?* Les idées auxquelles j'adhère sont remarquablement dévelop­pées ce mois-ci dans la revue ITINÉRAIRES que dirige Jean Madiran. Je suis certes pour l'enseignement libre. Je suis encore plus pour la libération de l'enseignement. Il faut en finir avec le monstre que constitue ladite « éducation » faussement « nationale ». Il faut séparer l'école de l'État. Il faut redonner l'éducation et l'en­seignement aux parents, aux communautés naturelles, aux profes­sions et bien sûr, pour les catholiques, à l'Église qui se doit de demeurer enseignante. Il faut restaurer ou créer des modes d'édu­cation adaptés, concurrentiels, différents. Il faut en même temps adapter l'enseignement aux enfants, aux étudiants, mais leur pro­poser aussi des études et des apprentissages correspondant aux besoins des régions et de la nation. Il faut en finir avec des principes jacobins qui relèvent du Lit de Procuste. Pour ce qui est du financement, je me prononce pour l'institution du coupon scolaire qui fonctionne parfaitement dans d'autres pays. Je ne vois pas pourquoi je dois, en ce moment, payer deux fois pour l'éducation de mes enfants qui sont dans une école admirable : Saint-Dominique du Cammazou à Fanjeaux. Les enfants y travaillent bien, mieux qu'ailleurs et sans difficulté, croyez-en l'ancien professeur que je suis. Elles y prient, elles y chan­tent, elles y rient. Tout cela grâce au sacrifice, à l'abnégation sans limite de religieuses dont la compétence n'a d'égale que la gentil­lesse : cela pour moins de 40 F par jour, nourriture comprise ; demandez à n'importe quelle œuvre laïque de fonctionner à ce tarif sans subvention ! Est-il normal que je paye avec mes impôts les lycées où règnent la drogue, le racisme, la pornographie, la violence politique ? -- *Quelle est votre conception de la liberté d'entreprise ?* 126:279 *-- *Je suis pour la liberté d'entreprise. Je suis aussi pour le syndicalisme libre. Mais la liberté n'exclut pas la déontologie, ni l'organisation. Je suis donc pour une organisation professionnelle plus poussée et pour une rénovation des rapports sociaux et éco­nomiques au sein des professions. Il m'est difficile d'être bref en ce domaine. Je souhaite donc m'exprimer ultérieurement plus lon­guement sur cela si vous le voulez bien. Je suis aussi pour un contrôle plus strict de certaines activités lucratives qui ne s'exercent pas du tout en vue du bien commun. Je crois qu'il est simultanément du devoir de l'État de protéger la liberté d'entreprendre et de combattre les industries du vice pour lesquelles il me semble que tous les gouvernements qui se succè­dent ont beaucoup trop d'indulgence. En matière sociale, je sou­haite l'autogestion du salaire par les salariés eux-mêmes. Je rejoins les propositions de bon sens de l'U.N.A.M. du docteur Bernard Savy. 127:279 ### Le témoignage de Jacques Soustelle *L'accusation de "racisme"\ est le leitmotiv d'un terrorisme\ intellectuel et politique* *Le 25 novembre 1983 Jacques Soustelle, de l'Académie fran­çaise, prenant d'abord l'exemple de l'Afrique du Sud, en est venu à faire cette constatation :* Quand des immigrés en Europe exigent un développement séparé et le respect de leurs dif­férences, c'est l'apartheid qu'ils revendiquent. *Il parlait à un dîner-débat organisé par l'AFCA* (*Amis français des communautés sud-africaines*)*, association sise 96 avenue de Suffren à Paris et qui a pour président d'honneur Antoine Pinay.* *Voici les déclarations de Jacques Soustelle :* 128:279 L'Afrique du Sud provoque un réflexe pavlovien né d'une répétition éternelle des mêmes slogans et des mêmes accusations. Quoi qu'il fasse, ce pays est systématiquement condamné. Le 2 novembre dernier, il plébiscitait le changement par la voie d'une nouvelle constitution. Treize jours plus tard, l'Assem­blée générale des Nations-Unies rejetait formellement son initiative par 141 voix contre zéro. Bien entendu, au nombre des sept pays qui s'étaient abstenus ne figurait pas la France, dont le gouverne­ment actuel ne témoigne d'aucune compréhension pour les réalités sud-africaines. En fait, l'Afrique du Sud est la cible permanente d'une offen­sive qui va du terrorisme intellectuel au terrorisme tout court. Le terrorisme tout court qui tue et qui mutile nous connaissons, mais le terrorisme intellectuel et politique qui a pour « leitmotiv » l'accusation de « racisme » nous semble hélas encore plus néfaste. Je fais de l'ethnologie depuis cinquante ans et cette question m'est quelque peu connue. Qu'est-ce que le racisme ? C'est évidemment une doctrine par laquelle une race opprime ou même supprime une autre. Cela n'est pas le cas en Afrique du Sud. Si ce pays était un enfer pour les Noirs, on ne verrait pas ceux-ci accourir de toute l'Afrique australe avec l'espoir d'y travailler dans des conditions plus favorables que nulle part ailleurs. De plus, il faut bien reconnaître qu'à de rares exceptions, la plupart des États qui ont surgi de la décolonisation sont des échecs complets tant au point de vue économique qu'au point de vue social et politique. La FAO et l'ONU reconnaissent que le niveau de vie, et en par­ticulier le niveau agricole, a *baissé* de plus de 30 % en 10 ans. La différence de classes n'a jamais été plus grande qu'aujourd'hui dans ces pays qui naviguent de dictature en coups d'État militai­res, avec pour conséquence l'oppression et le massacre de leurs propres populations. On reprendra le slogan « l'Afrique aux Africains ». Pour ma part, je ne le récuse pas, mais le tout est de savoir qui est Africain. En Afrique du Sud, aucune des populations -- blanche, noire, métisse, indienne -- n'est véritablement autochtone, toutes sont venues de l'extérieur. L'Afrique du Sud est donc peuplée d'un cer­tain nombre de minorités ethniques originaires du centre de l'Afri­que, d'Europe et de l'Indo-Asie. La solution que le monde entier voudrait lui imposer se traduit par une idée simpliste : « one man, one vote ». 129:279 Cela serait valable dans des pays homogènes du point de vue de la population et de la civilisation, tels que la France par exemple. Mais dans un État qui est une mosaïque de cultures différentes, de langages différents, de religions différentes, de tra­ditions différentes, il est absurde de vouloir appliquer un système aussi mécanique et faussement démocratique. Le véritable pro­blème est de faire en sorte que ces différentes ethnies vivent en paix dans le respect mutuel de leurs différences, auxquelles elles sont viscéralement attachées afin de développer le pays tout en se développant elles-mêmes. Nous en arrivons à l' « apartheid », tant décrié, qui provoque une indignation de commande chez les habi­tuels détracteurs de l'Afrique du Sud, -- qu'ils soient ou non conscients de sa véritable signification. L'ennui est qu'il se trouve dans le monde entier, y compris en France, des gens pour reven­diquer *l'apartheid* à leur profit, sans même s'en rendre compte. Ainsi les fortes populations d'immigrés entendent légitimement poursuivre dans leurs pays d'accueil la pratique de leurs coutumes et de leurs traditions. Elles demandent des écoles dans leur langue et des temples pour leurs religions, bref elles exigent leur « déve­loppement séparé ». Mais qui sait au juste que « *développement séparé* » se dit « *apartheid* » en afrikaans ? 130:279 ### Maurice Gaït Maurice Gaït est mort le 19 novembre 1983, à l'âge de 74 ans. Directeur de *Rivarol*, il était l'auteur de l'éditorial signé « Rivarol » qui y paraissait chaque semaine. Voici l'hommage de François Brigneau, celui de Robert Poulet, celui de Maurice Bardèche et celui de l'abbé Georges de Nantes. (*Article de François Brigneau\ dans* Présent *du 16 novembre.*) Une grande figure de la résistance au Résistancialisme a dis­paru. Maurice Gaït, ancien élève de l'École normale supérieure, diplômé des sciences politiques, professeur agrégé, ancien com­missaire à la jeunesse du Maréchal, directeur de *Rivarol,* est mort samedi, dans son appartement de la rue du Cherche-Midi. Il avait 74 ans. L'âge qu'aurait eu Robert Brasillach si le 6 février 1945... Je l'avais connu en 1949, à *France-Dimanche* où Max Corre protégeait comme il le pouvait les anciens « frontistes » de Gaston Bergery : Jean Maze, Maurice Gaït, moi-même, des rigueurs de l'Épuration. 131:279 Sous le pseudonyme de Fabricius Dupont, Gaït venait de publier un pamphlet dont le titre annonçait la couleur : *Le mani­feste des Inégaux.* Modeste, discret jusqu'à l'effacement, profondé­ment désespéré et convaincu de l'inutilité de toute action, il était néanmoins tendu vers de nouveaux combats. Rue Beauregard, dans l'atelier de couture de ma seconde femme, nous fondâmes *La Fronde,* bi-mensuel d'opposition au gaullo-communisme. Le débonnaire Pierre Lazareff, patron du groupe auquel appartenait *France-Dimanche,* nous pria d'aller exercer nos talents ailleurs. Ce fut *Rivarol,* qui naquit rue Saint-Germain-l'Auxerrois avant de grandir aux Champs-Élysées. Pendant 32 ans Maurice Gaït a tenu à bout de bras l'hebdo­madaire de l'opposition nationale auquel il aura apporté son intelligence, sa culture, une puissance de travail phénoménale et un dévouement sans limite. Sans se mettre jamais en avant, il était toujours en première ligne. Sensible, exigeant pour lui-même, indulgent pour les autres, il était de ceux qui croient n'avoir rien donné tant qu'ils n'ont pas tout donné. Jean Madiran -- qui fut un des éminents collaborateurs de *Rivarol* -- étant absent de Paris, c'est au nom de toute l'équipe de PRÉSENT que je présente nos condoléances attristées à la famille de Maurice Gaït et à celle des Rivaroliens. Après Pierre-Antoine Cousteau, Pierre Dominique, Guy Crouzet, André Thérive, Albert Paraz, Michel Dacier, ils viennent de perdre un irremplaçable ami. C'est toute l'opposition nationale qui est en deuil aujourd'hui. \*\*\* (*Article de Robert Poulet\ dans* Présent *du 17 novembre.*) Bardèche, Brasillach, Sartre, Maulnier, Aron, quelques autres... C'était l'École normale supérieure aux environs de l'an 1930, quand un Breton un peu corse, un peu marseillais, parisien d'élection, y fut brillamment admis. Sa vie spirituelle commençait au milieu de ces copains de génie. Il était temps : on voyait revenir les bourras­ques ! 132:279 Tous eurent ce qu'on appelle *une destinée.* Philosophes essayis­tes, critiques, maîtres au sens le plus noble du terme, et de la plus haute qualité. Un prix Nobel, deux académiciens, un martyr... Maurice Gaït aussi fut un moment quasi ministre. Normalement, si l'on peut dire. Mais sa vraie destinée, toute différente, se des­sina plus tard, aux yeux de ceux qui lui rendaient visite à Rivarol, dans ce petit bureau-débarras dont un contremaître d'usine n'aurait pas voulu, purgatoire d'intellectuel entouré de livres et de dossiers poussiéreux, d'où s'exhalaient ces deux vertus les plus rares de l'esprit : une ferveur et une fidélité. Après un détour par la persécution, honneur de ce temps, consécration ou damnation de l'âme, il avait traversé l'enseigne­ment, à la stupeur fascinée des lycéens ; et puis il était entré là, dans ce réduit, et il avait commencé son travail. Servir la vérité, entre les deux fantômes de la France et de l'Europe, tel était son but, sa foi, sa raison de vivre. Il s'y est tellement donné qu'il en est mort. Épuisé, écrasé par sa fabuleuse besogne. Pourtant je me demande s'il y croyait encore... L'expé­rience humaine et la puissance d'analyse s'unissaient en lui pour lui faire penser que toutes les routes du salut étaient désormais barrées. De tous les côtés, Maurice Gaït n'apercevait que bas­sesses, maladresses, reniements, paresses ; toutes les formes de l'étrange humeur suicidaire où l'Occident paraît se vautrer. Et quel sursaut pouvait-on encore lui proposer ? De quel avenir Maurice Gaït pouvait-il encore rêver, dans son laborieux ermitage ? Chaque semaine, pendant trente ans, je l'ai écouté réfuter, railler, chapitrer les hommes au pouvoir et leurs adversaires. La molle Droite, la folle Gauche, les vétérans de la politique et les nouveaux venus. Le rouge aux joues, les dents serrées, il bâtissait des phrases qui, après leur passage, ne laissaient rien d'innocent, rien d'intact dans les idéologies à la mode. Excepté cette abstraction singulière que nous avons au cœur, la Tradition, qu'il fallait ressentir et non définir, sous peine de la détruire ou de la com­promettre. Nul n'a jamais su au juste quelle doctrine inspirait les inexo­rables « éditoriaux » de Gaït. Car c'était, au fond, un homme assez secret, dont on ne peut esquisser l'image qu'en évoquant une tête lucide, enflammée, sans merci, vidée intérieurement par le désespoir. Ne devinaient cet état que ceux qui le surprenaient à l'heure de ses froides et dures colères, inattendues chez ce chef d'une parfaite et charmante courtoisie. 133:279 Sans doute ne pouvait-il oublier que son talent de journaliste -- dont il bannissait tous les ornements, par droiture et par orgueil -- se situait bien au-dessous de ce dont il était capable. Dans des temps moins stupides, moins aveugles, ç'aurait été l'un de ces grands commis de l'État, à la fois libre et dévoué, l'égal d'un Pitt ou d'un Colbert. Mais non sans une frénésie de justice qui l'agitait obscurément, ce qu'indiquait sa tendresse pour certains commu­nards. Un fasciste du type bonapartiste, qui aurait lu Thucydide et Sénèque, et dont le goût de l'ordre aurait couvert une pensée sagement révolutionnaire... Mystère vivant, protégé des excès par une probité intran­sigeante, il a pendant plus d'un quart de siècle, franchi de son pas rapide la sordide « Cour des Miracles » où se cache la plus pauvre et la plus indomptable des publications françaises -- les ouvriers seuls ont des voitures -- ; un royaume de l'idée où il fallait se glisser entre des machines d'un autre âge pour parvenir à l'espèce de placard d'où sortirait le produit le plus riche de l'écriture : une sincérité intelligente, amère et allègre, simple et chargée de nuances, prête à toutes les ironies comme à tous les sacrifices, élixir âcre et vif qu'un reclus volontaire distillait. J'ai coudoyé cet être-là pendant six lustres, et je ne l'ai pas connu... Nous n'avons jamais dépassé entre nous le stade de la politesse affectueuse et cérémonieuse. Mais c'était mon compagnon de combat ! Il était venu un jour me chercher par le bras, et nous étions partis, d'un même pas ; séparés toutefois (pourquoi ne pas l'avouer ?) par ce je ne sais quoi qui fait que les caractères -- puérilement -- se plaisent ou se déplaisent. Cela ne dépend pas d'eux. J'admirais Maurice Gaït, j'avais en lui une confiance illi­mitée. Nous n'étions pas à l'aise ensemble. Malgré quoi, écrivant pour Rivarol, je sentais son regard qui pesait sur moi et, pour chaque ligne, j'en tenais compte. En lui en sachant gré. Depuis quelque temps il m'inquiétait, à l'autre bout du télé­phone. Le son de sa voix avait changé. Sa mort m'a affligé sans me surprendre... Que dire encore ?... Son souvenir sera pour moi une gêne et une chaleur. Sans cette réserve qui me poursuivra toujours, comme elle l'a toujours hanté : c'est un homme qui s'est tué à la tâche, et qui cependant ne s'y est pas vraiment accompli. \*\*\* (*Article de Maurice Bardèche\ dans* Rivarol *du 25 novembre.*) Les plus grands exemples du courage sont ceux qui ne portent pas de nom. Ils laissent aux autres les miroitements du succès, quelquefois de la célébrité : eux sont des soldats. 134:279 Ils ont un sourire désabusé, un haussement d'épaules, ils ont tout compris c'est à eux seuls qu'ils rendent compte de ce qu'ils font, ils sont leurs seuls juges, muets. Et sans dire un mot, ils tiennent ces postes difficiles que personne n'est capable de tenir, ils passent leur vie aux frontières de l'empire qu'ils se sont choisi, face au désert des Tartares. Ce sourire sans illusions, je l'ai toujours vu sur le visage de Gaït, dans la niche étroite et poussiéreuse, chenil de paperasses dans lequel il a vécu trente ans. Il remuait d'une main indifférente les coupures de presse qui encombraient sa table. Il était accoutumé depuis longtemps à la bassesse et à la sottise des hommes, rien ne l'étonnait. Il était de la race de ces Méridionaux froids que rien ne peut abattre parce qu'ils s'attendent toujours au pire. L'avantage des grandes carrières, c'est qu'on voit les hommes tels qu'ils sont, bas, solliciteurs, ingrats, serviles ou haineux selon les temps. Il avait eu cette chance de ne servir que sous des maîtres intelligents, Bergery, Anatole de Monzie, Abel Bonnard. A trente-trois ans, il avait un secteur ministériel et un titre équivalents à un sous-secrétariat d'État. Il faisait des envieux : cela ne se par­donne guère. Il rendait des services : cela ne se pardonne pas du tout. J'avais peu connu Gaït. Contrairement à ce que croit le public, on se connaît mal à l'École normale entre camarades de promotion. Il parlait peu, passait comme une ombre : une ombre aimable, bienveillante, mais traversant la scène, il était discret : déjà il n'aimait pas faire l'important. Il dut convenir à Bergery, à qui la jactance et le bruit déplaisaient. Je n'ai jamais su s'il avait eu de l'amertume d'avoir dû renoncer à la carrière brillante qui lui était promise. Je ne lui en ai jamais parlé : comme si ce silence mutuel avait été convenu tacitement entre nous. Mais je suis abso­lument convaincu que ce sentiment de parvenu lui était étranger. Seulement, un pli amer de sa bouche révélait ce qu'il n'a jamais dit, je pense, à personne : aucune main secourable ne s'était tendue vers lui. Il était d'une famille pauvre. Les pauvres qui s'élèvent ne méritent pas de pitié. C'est une loi de la vie sociale, non écrite mais toujours observée. Était-il un homme de droite ? Ses débuts me laissent un peu sceptique. Il le devint par mépris. Il s'engagea à droite comme on s'engage dans la Légion. Le cagibi du passage des Marais fut pour lui le barda du légionnaire. Le travail était dur, la soupe était parfois maigre. C'était la vie. On ne se plaint pas quand on est tombé de la Roche Tarpéienne : mais on ne fait pas beaucoup de différence, au fond du ravin, entre un fauteuil et un tas de cailloux. Une carrière de moine-soldat ? Pourquoi pas ? 135:279 S'il y eut pendant plus de trente ans, un hebdomadaire assez courageux pour représenter tous ceux qui avaient été injustement frappés pendant les années de l'Épuration, assez libre pour combattre le mensonge et l'imposture, assez ouvert à tous pour que tous puissent compter sur son appui, c'est à René Malliavin et à Maurice Gaït qu'on le doit : l'un le fonda, l'autre le fit. Être le rédacteur en chef de *Rivarol,* ce n'était pas une vacation de pacha : pas de trône où des esclaves empressés viennent recevoir des ordres. Préparer, coordonner, décider, à l'occasion remplir, il fallait tout faire. A la fin, il n'était même plus Maurice Gaït, il était devenu *Rivarol :* il l'était tellement qu'il ne signait même pas son éditorial au bas duquel figurait seulement le nom du journal. Combien de lecteurs savaient-ils que si la protestation opiniâtre d'un million d'hommes avait encore une voix perceptible, on le devait à un réfractaire dont cent personnes à peine savaient qu'il était irremplaçable ? Nous avons trouvé cela tout naturel. C'est étrange comme les hommes trouvent tout naturel l'héroïsme des autres. Oui, cette tâche accablante des dernières années, si nécessaire et si courageusement accomplie par ce paysan de Paris solitaire et désabusé, c'était de l'héroïsme à l'état pur, le plus rare, celui qui n'est pollué par aucune ostentation. Gaït n'était pas accueilli par des acclamations, ni même par ce murmure flatteur qui signale l'entrée des vedettes. Je ne l'ai jamais vu sur une estrade. Il laissait la mitre et la crosse à ceux qui avaient envie de les porter. On le voyait, on le connaissait, on le coudoyait : il trouvait tout simple cet anonymat monastique. Ces effacements sont rares. Ils ne sont acceptés que par des âmes d'une qualité exceptionnelle. Ceux qui ont connu Maurice Gaït pourront dire qu'il y avait en lui la plus vraie, la plus profonde des aristocraties naturelles : celle qu'on ne remarque pas. Ce genre de courage est contagieux. Il était autrefois celui des fondateurs d'ordres qui trouvaient toujours des disciples pour imiter leur vie. Gaït avait suscité ce genre de vocation. Il avait réuni autour de lui cette équipe que tous les lecteurs de *Rivarol* connaissent. Elle lui ressemblait par le talent, par l'acharnement, par l'efficacité. Ainsi il aura protégé son œuvre jusqu'au-delà de sa vie en rassemblant autour de lui ceux qui permettront à *Rivarol,* nous l'espérons tous, de continuer. \*\*\* 136:279 (*Article de l'abbé Georges de Nantes\ dans* Rivarol *du 25 novembre.*) A-t-on le droit de publier le secret d'une amitié intime ? Ne serait-ce pas une manière de se vanter d'avoir eu avec un tel homme des liens qui attirent sur soi l'attention, et l'estime ? Mais ma peine est si grande, et pour tant de raisons, que je me dois de la partager avec les « Rivaroliens » connus et inconnus. Enfin, son désespoir constant, profond, universel, qui n'était que la face pathétique de son extraordinaire amour, « fasciste », de la vie, de la beauté, de la civilisation, de notre Europe, je n'ose dire, hélas ! de l'Église... son désespoir aura gagné de vitesse notre espérance, nos désirs, les premières lueurs aperçues d'une renaissance. Et nous demeurons avec la peine, mais qui sait ? de n'avoir pas su les lui faire partager. Ce qui lui était le plus odieux ? L'hypocrisie. Au point de celer ses sentiments les plus élevés. Ce qui lui était une règle suprême ? La fidélité. Oui, la fidélité et l'amitié. Vertus romaines ; chrétiennes aussi. D'autres ont dit la douceur de nos chères visites dans son innommable bureau de l'imprimerie. A les lire, j'en ai ressenti une fois encore le charme, et la peine de ne plus jamais les renou­veler m'a étreint. Peine de l'ami, souci pour la Cause nationale, compassion pour les siens, pour celle, ardente, qui ne vivait que de lui, et pour lui, et qui demeurait notre lien constant, sentiment d'une perte cruelle, toutes ces ardeurs de nos cœurs, je les dépose en gerbe aux pieds de Jésus et de Marie pour son âme, que je ne puis concevoir de ne jamais revoir et retrouver dans la Cité de gloire où flotteront « nos rouges drapeaux », où les vaincus de ce monde décadent, où les persécutés seront vainqueurs, et lui, Maurice Gaït, qui lutta avec la lucidité d'une sagesse qui ne man­qua jamais de compassion pour les pauvres hommes et d'amour du bien. Encore un mot. Je voudrais que beaucoup de désespoirs sem­blables engendrent d'autres dévouements, qui continuent cette œuvre pour laquelle nous l'avons vu aller jusqu'au bout de ses forces, Rivarol, sa dévorante passion, son service, à quoi il a tout sacrifié. 137:279 ### Jean de Fabrègues Jean de Fabrègues, qui est mort le 24 novembre dernier, à l'âge de 77 ans, n'avait pas été en 1956 l'un des « quatre », mais l'un des « quatre autres » ; il fut aussi le premier à s'en aller. On lit en effet dans le numéro 100 d'ITINÉRAIRES, sous la signature de Jean Madiran : « Au moment de la fondation d'ITINÉRAIRES, quatre per­sonnes, pas une de plus, m'avaient promis leur collaboration régulière : Henri Charlier, Louis Salleron, Marcel Clément, Henri Pourrat. « Quatre autres avaient accepté d'apporter une collabora­tion plus ou moins occasionnelle : l'amiral Auphan, Henri Massis, Marcel De Corte, Jean de Fabrègues. « Jean de Fabrègues partit le premier, c'est-à-dire aussitôt, en me laissant une lettre que j'ai gardée et un conseil que je me suis appliqué à garder le moins possible : *Souffrez.* Soyez *solitaire*. » Cette lettre de Jean de Fabrègues a paru dans ITINÉRAIRES, numéro 3 de mai 1956. \*\*\* Article de Gilbert Comte, qui l'a bien connu, dans *Le Monde* du 26 novembre : 138:279 Pendant les quarante-cinq années de sa tumultueuse existence, l'Ac­tion française, comme plus tard le parti communiste, regorgea de luttes internes, douloureuses, assorties de scissions féroces ou d'exclusions impitoyables. Victime d'une de ces dissidences, l'un des plus prestigieux fondateurs du mouvement, Bernard de Vesins, entraîna en 1931, à sa suite, beaucoup des meilleurs cadres catholiques, et, parmi eux, Jean de Fabrègues, l'un de ces anciens secrétaires de Maurras toujours choisis pour leur inébranlable attachement au vieux maître. Dans ce cas précis, l'attachement avait été ébranlé. Intellectuel catholique, ardemment royaliste, Jean de Fabrègues sup­portait très mal, avec beaucoup d'amis, la rupture entre sa foi religieuse et sa foi politique, provoquée par le conflit entre l'Action française et le Vatican. Après bien d'autres jeunes gens des générations de l'entre-deux-guerres, il avait publié ses premiers articles dans l'*Étudiant fran­çais,* organe de l'Action française au quartier Latin. De Jacques Laurent à Claude Roy et Philippe Ariès, quelques adolescents promis à la célébrité affûtaient déjà leur plume. Dans le bouillonnement idéologique de l'époque, les scléroses, les timidités du maurrassisme, contrastaient fort avec les ambitions conqué­rantes du fascisme. A la fois hostile à la démocratie politique et au libéralisme économique, partisan d'une intégration totale du prolétariat dans une société qu'il estimait égoïstement bourgeoise, Jean de Fa­brègues appartenait à une droite anticonformiste dont les principes ressemblaient souvent à ceux qu'Emmanuel Mounier défendait dans la revue *Esprit.* Avec Thierry Maulnier, Jean de Fabrègues lança le mensuel *Combat* pour donner à ses idées un bon instrument doctrinal. De 1935 à 1937, il collabora simultanément au *Courrier royal,* hebdo­madaire de grande diffusion lancé par le comte de Paris pour soustraire ses fidèles à l'influence qu'il jugeait dangereuse de *L'Action française.* En 1940, la défaite balaya toutes ces entreprises. Jean de Fabrègues passa dans la partie méridionale de la France, provisoirement soustraite par l'armistice à l'occupation. Il approuva le maréchal Pétain, comme l'immense majorité des Français. Installé à Lyon, il devint rédacteur en chef de la revue *Demain,* soutenue par l'épiscopat. Là, il entreprit de rallier les catholiques au gouvernement de Vichy. Mais, déjà très échaudé par les expériences de sa jeunesse, il apporta dans cette tâche nouvelle suffisamment de précautions pour n'encourir aucune rancune. Quatre ans plus tard, il traversa les vengeances de l'épuration sans subir aucune représaille et put, au lendemain de la guerre, prendre la direction de *La France catholique* avec M. Jean Le Cour Grandmaison. Dans cet hebdomadaire, placé sous le contrôle discret mais effectif de l'archevêché, Jean de Fabrègues s'efforça de prémunir ses lecteurs contre les séductions du marxisme et les tentations du teilhardisme. 139:279 Suivant une politique souhaitée par Pie XII, il appuya la construction européenne, la décolonisation en Afrique noire, et fut l'un des très rares catholiques de droite à soutenir la fameuse loi-cadre de 1956 organisée par Gaston Defferre et François Mitterrand. Mais il se pro­nonça aussi fermement pour l'Algérie française, le retour du général de Gaulle au pouvoir et la Constitution de 1958. Discret, précautionneux, parfois tatillon, homme d'études et de livres, modeste malgré sa grande intelligence, Jean de Fabrègues appar­tenait à ces laïcs intégrés à l'appareil de l'Église comme il s'en trouve dans les romans de Balzac, et dont l'épiscopat se servit pour agir dans le monde tout au long du dix-neuvième siècle et jusqu'au concile de Vatican II. L'irruption du prêtre télégénique en complet veston ainsi que les métamorphoses et l'immense recul du catholicisme lui retirèrent peu à peu ses raisons de vivre dans un monde en plein changement qu'il regardait avec stupeur et mélancolie. Comme la plupart de ses anciens amis, il n'échappa jamais à la fascination intellectuelle qu'exerça Charles Maurras et, dans son âge mûr, consacra au maître de sa jeunesse une biographie fort critique mais équitable, nécessaire pour comprendre un demi-siècle de passions françaises. Article de Louis Salleron dans PRÉSENT du 30 novembre : Un coup de téléphone de PRÉSENT m'apporte la nouvelle de la mort de Jean de Fabrègues. Encore un de ma génération qui disparaît. Il aurait eu 78 ans en janvier prochain. Je l'ai bien connu dans ma jeunesse. Nous écrivions dans les mêmes petites revues, dont *Combat* qu'il dirigeait avec Thierry Maulnier et *Civilisation* dont il fut directeur. Mais c'est surtout à *La France catho­lique* dont il fut, après 1945, le rédacteur en chef puis le directeur, qu'il trouva sa place. Je dis « sa place », car s'il s'affirma et fut toujours traditionaliste, au plan politique comme au plan religieux, il était un tantinet conformiste et redoutait les excès. Son maître à penser était Gabriel Marcel, philosophe avant tout mais « engagé » quand l'occasion s'en présentait. Je me rappelle un dîner chez lui en compagnie de Marcel. Celui-ci prononça, sur je ne sais plus qui, un jugement très dur dont fut fort marri ce pauvre Fabrègues qui venait justement de publier sur le quidam un article très élogieux. 140:279 Quand ITINÉRAIRES parut, il accepta d'y collaborer. Mais écrivit une lettre pour expliquer pourquoi il n'y collaborerait pas. Les raisons qu'il donnait de son refus étaient peu claires. On les trouvera dans le numéro 3 (mai 1956) de la revue. En réalité, il craignait déjà un « ex­trémisme » auquel il répugnait. Son nom n'y figurera plus qu'une fois, dans le numéro 49 (janvier 1961) consacré à Massis. Son article s'in­titule : *Massis ou l'amour de la vérité.* Il se trouve que, de mon côté, j'écrivais : *Fidélité et vérité.* On pourra comparer ce que nous disons l'un et l'autre. Tout cela n'empêche pas que nous étions amis. *La France catholique* n'a certes rien gagné au jour qu'il cessa d'y écrire. En réalité cependant, il avait fini par reprendre une colla­boration effacée à ce journal qui avait été le sien et qui lui avait été enlevé sans douceur. Cette collaboration, il l'a pour­suivie jusqu'à sa mort. *La France catholique,* devenue *France catholique-Ecclesia,* a rendu hommage à Jean de Fabrègues dans son numéro du 2 décembre, sous les signatures d'Antoine de Fabrègues, de Robert Masson et de Luc Baresta. On y insiste notamment sur le fait qu' « il se plaisait à signaler l'intérêt culturel de journaux comme le *Nouvel Observateur* ou *Libération *»*,* que sa collabo­ration avec Maurras avait été « tumultueuse et vite rompue », ou sur le fait qu'il « dénonçait avec une égale vigueur les rai­deurs de l'intégrisme et les modes du progressisme ». Nous y apprenons aussi que « la crise de l'Église le passionnait sans vraiment l'inquiéter ». Luc Baresta nous précise qu' « il accueil­lit sans réserves le renouveau conciliaire ». Pardon : quel renouveau ? 141:279 ### CORRESPONDANCE *C'est seulement pour déférer à la demande de Pierre Pujo, directeur d'* « *Aspects de la France* »*, qu'à notre vif regret nous publions la correspondance ci-dessous.* ### I. -- Lettre de Pierre Pujo à Jean Madiran 19 septembre 1983 *Monsieur,* *Dans le numéro d'*Itinéraires-Supplément Voltigeur 110 *du 1^er^ septembre 1983, vous me mettez en cause à propos de l'attribution du prix Saint-Louis 1983 par l'Association professionnelle de la presse monarchique et catholique. Votre relation des faits est cependant erronée. C'est pourquoi je tiens à vous apporter les précisions suivantes en vous demandant de bien vouloir en donner connaissance à vos lecteurs.* *Le prix Saint-Louis, fondé par Xavier Vallat, est décerné cha­que année à une œuvre servant la cause de l'Église et de la Monar­chie française, conformément aux idéaux qui animent l'association.* 142:279 *Celle-ci se situe dans l'allégeance au chef de la Maison de France, Mgr le Comte de Paris. C'est pourquoi elle ne saurait décerner son prix à un auteur qui, quels que soient par ailleurs les mérites de son œuvre, ne se situe pas dans la fidélité à la Mai­son de France.* *Si j'ai estimé qu'il n'y avait pas lieu de vous décerner le prix, c'est précisément parce que j'avais des raisons de penser que vous remettiez en cause la légitimité de Mgr le Comte de Paris pour faire allégeance à quelque prince espagnol. Je n'étais pas seul de cet avis, et le partage des voix que vous indiquez est tout à fait fantaisiste.* *Mais qu'importe, puisque vous avez accepté le Prix Saint-Louis, j'en déduis que vous reconnaissez, comme l'association qui vous l'a décerné, Mgr le Comte de Paris comme le Prétendant légitime au trône de France, levant ainsi les ambiguïtés qui ont suscité ma méfiance. Je m'en réjouis sincèrement et vous en félicite.* *Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.* Pierre Pujo. ### II. -- Lettre de Jean Madiran à Pierre Pujo 8 octobre 1983 Monsieur, Votre lettre du 29 septembre m'est parvenue seulement aujour­d'hui. Soyez assuré que j'étudie son contenu et ses conséquences avec la plus sérieuse attention. 143:279 Pour l'immédiat, je n'y aperçois pas du tout de quels faits vous concernant personnellement le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR aurait donné une relation erronée. Je vous prie donc de bien vouloir me préciser plus clairement quelles rectifications vous me demandez de faire connaître. Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations confraternelles. Jean Madiran. ### III. -- Lettre de Jean Madiran à Pierre Pujo 27 octobre 1983 Monsieur, Je vous ai prié le 8 octobre de bien vouloir me préciser sur quels faits vous concernant personnellement vous me demandiez une rectification. Est-ce l'effet de la grève des PTT ? Peut-être ma lettre ne vous est point parvenue. En tout cas je n'ai pas eu votre réponse. Dans ma lettre du 8 octobre, je réservais mes réponses sur le fond à votre lettre du 19 septembre. Les voici maintenant. I. -- M'étant renseigné, il m'apparaît que l'acceptation du Prix Saint-Louis ne comporte nullement, de la part du lauréat, les condi­tions que vous imaginez. Cette acceptation n'exige, ne signifie, n'implique aucun codicille ni aucun retranchement à l'ouvrage couronné. 144:279 II\. -- Je ne fais *allégeance* à aucun prince ni d'ailleurs à aucun non-prince. Ma seule allégeance temporelle a été à l'égard du maréchal Pétain, qui m'a admis dans l'Ordre de la Francisque, avec le serment que vous connaissez, auquel je demeure fidèle. III\. -- Je ne me suis pas prononcé sur la question de la pré­tendance légitime au trône de France. *Non omnia possumus omnes* je ne me sens pas en mesure de trancher le débat qui vous inquiète et, rassurez-vous, je n'y prends aucune part. Faut-il vous rappeler que quelques semaines seulement avant de me soupçonner d' « allégeance à quelque prince espagnol », vous me reprochiez dans ASPECTS d'être républicain ? Il me sem­ble que vos suspicions successives (et contradictoires) ont été aveu­glées par un certain manque de bienveillance. C'est cette bienveillance que je vous demande en grâce ; elle vous ferait peut-être enfin comprendre ce que je vous ai plusieurs fois prouvé : que je ne suis pas votre ennemi. Veuillez agréer, Monsieur, mes confraternelles salutations, Jean Madiran. ### IV. -- Lettre de Pierre Pujo à Jean Madiran 14 novembre 1983 *Monsieur,* *Je vous remercie de votre lettre du 27 octobre* 1983*. Je regrette cependant que vous ne la publiiez pas dans* ITINÉRAIRES *avec ma lettre du 19 septembre. Vos lecteurs sauraient ainsi que si je ne vous ai pas accordé mon suffrage pour un prix décerné par l'Association professionnelle de la presse* monarchique *et catholique, ce n'est pas en raison d'un quelconque parti pris contre vous mais uniquement parce que vous me paraissiez avoir quelques complai­sances pour un prince espagnol et mettre en doute la légitimité du chef de la Maison de France.* 145:279 *L'hospitalité que vous donnez dans* ITINÉRAIRES *et dans* PRÉ­SENT *à un tenant notoire du duc de Cadix était de nature à étayer ma conviction, sans compter la façon cavalière dont vous aviez vous-même précédemment parlé des* « *Orléans* »*.* *Je prends note cependant que, dans votre lettre du 27 octobre, vous vous défendez de faire allégeance à* « *quelque prince espa­gnol* »*.* *Je regrette encore une fois que vous ayez dénaturé dans* ITINÉ­RAIRES *de septembre le sens de mon refus de vous accorder le Prix Saint-Louis* (*refus qui fut aussi celui de Guy Coutant de Saisseval, pour la même raison*)*. Vous avez ainsi déformé la vérité.* *Veuillez agréer quand même, Monsieur, mes confraternelles salutations,* Pierre Pujo. ### V. -- Lettre de Jean Madiran à Pierre Pujo 19 novembre 1983 Monsieur, Puisque vous insistez pour que votre lettre et la mienne soient publiées dans ITINÉRAIRES, j'y consens finalement, à grand regret, car les querelles que vous me cherchez me paraissent futiles. Cette publication que vous réclamez et qui me désole, je vous en laisse la responsabilité. 146:279 Une fois de plus, vous m'adressez des reproches artificiels, qui n'ont aucun rapport avec la réalité, et qu'un minimum de bienveil­lance vous aurait évités (mais je vois bien que décidément la bienveillance restera absente). 1\. -- Nulle part dans ITINÉRAIRES on n'a jamais pu « dénatu­rer le sens de votre refus », pour la bonne raison que l'on n'y a donné *aucun* sens et que l'on n'en a proposé nulle part *aucune* interprétation. Vous n'avez pas voté pour moi, bon, c'est très bien, je n'y vois aucun inconvénient, c'est votre droit, j'en suis d'accord avec vous : j'ai moi-même publiquement désapprouvé plusieurs attributions précédentes du Prix Saint-Louis. C'est la liberté d'ap­préciation et de jugement de chacun. Je n'ai absolument rien là-contre. Ce qui avait fait l'objet d'une réprobation quasiment générale, à laquelle la revue ITINÉRAIRES a fait écho, c'est que dans l'abondant compte rendu qu'ASPECTS a donné des activités de l'Association, vous ayez complètement passé sous silence le Prix Saint-Louis 1983, comme si quelque tare honteuse faisait de moi un innommable. C'est votre attitude sur ce dernier point qui vous a été reprochée par plus d'un comme l'équivalent d'un affront volontaire, public et gratuit. 2\. -- Il est intellectuellement scandaleux d'isoler tendancieu­sement « l'hospitalité donnée à un tenant notoire du duc de Cadix » dans ITINÉRAIRES et dans PRÉSENT, alors que vous savez fort bien que la même « hospitalité » y est simultanément donnée à des tenants du comte de Paris, à des républicains nationalistes, peut-être à des bonapartistes, etc., sans inquisition ni exclusive de ma part. 3\. -- Je ne connais aucune raison de ne point « parler de façon cavalière des Orléans » si je le trouve nécessaire ou conve­nable, mais ce n'est nullement cela qui s'est produit. Vous avez, il y a plusieurs mois, créé un incident public parce que j'employais l'expression « la famille d'Orléans » et que, selon vous, argument décisif et unique de votre querelle sur ce point, Maurras ne se serait jamais permis d'utiliser une expression aussi blâmable. 147:279 Vous vous trompiez : je vous ai aussitôt donné la référence de Maurras employant cette expression. Que vous reveniez là-dessus comme vous le faites maintenant, je préfère y voir une faiblesse de votre mémoire plutôt qu'un excès de votre témérité. Avec la regrettable publication de notre correspondance (que vous réclamez dans ITINÉRAIRES mais que vous ne faites point dans ASPECTS) je considère comme clos les incidents que vous avez déplorablement créés et qui ne servent assurément aucune des causes religieuses et nationales pour lesquelles je ne renonce pas à espérer qu'une union fraternelle, ou au moins un honnête et bon voisinage, devienne possible entre nous. C'est l'expression de ces sentiments que je vous prie, Monsieur, de bien vouloir prendre un jour ou l'autre en considération, Jean Madiran. ============== fin du numéro 279. [^1]:  -- (1). Imprimatur : « Permission d'imprimer ». Les ouvrages touchant à la foi et à la morale sont en principe soumis à une censure ecclésias­tique préalable. La « permission d'imprimer » est donnée par l'évêque après que le censeur désigné par lui a émis par écrit le *nihil obstat *: l'avis que l'ouvrage ne contient « rien de contraire à la foi et aux mœurs ». La censure préalable était ordonnée par les canons 1385 et 1386 de l'ancien Code de droit canonique, celui de saint Pie X et de Benoît XV, qui a cessé d'être en vigueur le dimanche 27 novembre 1983. Depuis lors est en vigueur un nouveau Code dont nous n'avons pas encore le texte définitif, le pape y ayant fait plus d'une centaine de corrections après sa promulgation, ce qui explique le retard (et l'afflic­tion) des éditeurs. [^2]:  -- (2). Aux Nouvelles Éditions Latines ; deux éditions épuisées. [^3]:  -- (3). Dans notre numéro 273 de mai 1983, pages 5 et suiv. [^4]:  -- (1). Guy Gaucher : « Histoire d'une vie. -- Thérèse Martin » (Éd. du Cerf, Paris 1982). [^5]:  -- (2). Guy Gaucher, *op. cit*., p. 231. [^6]:  -- (3). Id., p. 236. [^7]:  -- (4). Paul Valéry : « Œuvres complètes » (Bibliothèque de la Pléiade), T. 1, p. 72. [^8]:  -- (1). JOAQUIN BLANCO GIL, *El clamor de la sangre,* Éd. Jus, Mexico 1967, pp. 37, 117, 118. [^9]:  -- (2). LNDLR : Liga Nacional Defensora de la Libertad Religiosa. [^10]:  -- (3). *El clamor de la sangre, op. cit.,* pp. 381-382. [^11]:  -- (4). *El clamor de la sangre, op. cit.,* p. 287 [^12]:  -- (5). MARTIN-CHOWELL, *Luis Navarro Origel, el primer cristero,* Éd. Jus, Mexico 1959, p. 114. [^13]:  -- (6). *Luis Navarro Origel, op. cit.,* pp. 124 et 133. [^14]:  -- (7). *La Christiade,* Payot, Paris 1975 ; p. 61. [^15]:  -- (8). Cité par JEAN MEYER, *Apocalypse et révolution au Mexique,* Gallimard/Julliard 1974, pp. 120-121. [^16]:  -- (9). *Apocalypse et révolution au Mexique, op. cit.,* p. 118. [^17]:  -- (10). Cité par RAFAEL RAMIREZ TORRES, *Miguel Agustin Pro,* Éd. Tradition, Mexico 1976, pp. 460-461. [^18]:  -- (11). *Miguel Agustin Pro, op. cit.,* pp. 461-462. [^19]:  -- (12). « *Mon général, qu'est-ce qu'on fait* *? -- On se bat en guerriers et on meurt en hommes.* » D'après ANTONIO RIUS FACIUS*, Mexico cristero,* éd. Patria, Mexico 1966, p. 372. [^20]:  -- (1). Cf. État des livres liturgiques, dans ITINÉRAIRES, numéro 249 de janvier 1981. [^21]:  -- (1). Le Monde a annoncé la naissance de Présent dès la publication du pre­mier numéro de ce quotidien, dans ses éditions du 8 janvier 1982. (Note du *Monde*.) L' « annonce » était d'une parfaite discrétion. [^22]:  -- (2). M. Romain Marie fait allusion aux échanges de propos intervenus au cours de l'émission « Droit de réponse », diffusée par TF 1 le 29 octobre, dont M. Jean-Baptiste Doumeng était l'invité principal. (Note du *Monde*.)