# 290-02-85 1:290 ## ÉDITORIAUX ### Nullam partem : c'est l'apartheid ON EN PARLE comme si on ne l'avait pas lue : et de fait, la plupart ne l'ont pas lue, cette circulaire romaine du 3 octobre 1984 invi­tant les évêques à autoriser ou non, selon leur bon plaisir pastoral, la célébration de la messe tradi­tionnelle. Non, la plupart ne l'ont pas lue dans son texte latin, le seul authentique, le seul officiel, celui qui fait foi, avec son *nullam partem* qui institue un apartheid dans l'Église. *Nullam partem :* « aucun rapport », « aucun lien », « rien à voir » (selon les diverses traduc­tions), « aucune connivence », « aucune relation » avec ceux qui mettent en doute la messe nouvelle de Paul VI. On doit *les tenir à l'écart,* on doit *s'en tenir à l'écart,* NULLAM PARTEM ! C'est une sorte d'excommunication administrative, une excommuni­cation qui n'ose pas dire son nom. C'est les mettre *à part :* « apartheid ». 2:290 Telle est la première des cinq conditions stipu­lées par la circulaire romaine du 3 octobre. Elle a été camouflée dès le début par le com­muniqué du secrétariat de l'épiscopat, le 15 octo­bre, affirmant que cette condition était « *la recon­naissance publique de la légitimité et de la rectitude de la messe de Paul VI...* » ([^1])*.* Cette fausse version fut aussitôt adoptée littéralement par *Le Monde* du 17 octobre, et réaffirmée par lui le 18 décembre. La même version erronée est celle du cardinal Lus­tiger écrivant à Henri Sauguet, président de l'*Una Voce* française, qu'il autorisait la messe tradition­nelle du 15 décembre à Saint-Étienne-du-Mont à la condition « *que votre association ne mette en doute ni la légitimité ni la rectitude doctrinale du missel romain promulgué par le pape Paul VI en 1970... *» (lettre citée dans *La Croix* du 18 décembre). Or ce n'est point cela qu'énonce la première condition. 3:290 Elle n'impose pas *la reconnaissance, publique et sans ambiguïté, de la messe de Paul VI.* Elle impose autre chose : *d'établir publiquement et sans ambiguïté que l'on n'a* NULLAM PARTEM *avec ceux qui ne reconnaissent pas la messe de Paul VI.* Ce n'est pas du tout pareil. Il ne s'agit point de ne pas douter de la messe de Paul VI. Il s'agit de beaucoup plus : de rejeter ceux qui doutent. Autrement dit, la question que cette première condition romaine ordonne de poser à ceux qui présentent une demande n'est pas celle-ci : -- *Mettez-vous en doute la messe de Paul VI ?* La question véritable a une tout autre portée : -- *Avez-vous rompu tout rapport, n'avez-vous plus* NULLAM PARTEM *avec ceux qui mettent en doute ?* #### La grande illusion de « L'Homme nouveau » C'est probablement faute d'en avoir lu le texte latin que le vénérable abbé André Richard a pu présenter la circulaire romaine, dans *L'Homme nou­veau* du 16 décembre, comme «* une ouverture du saint-père en direction de Mgr Lefebvre et des prê­tres ordonnés par lui *». 4:290 L'abbé Richard n'aura donc pas lu le NULLAM PARTEM réclamant qu'avec Mgr Lefebvre et les prê­tres ordonnés par lui (et les laïcs qui pensent comme eux) l'on n'ait « aucun rapport », « aucun lien » ou « aucune relation », qu'en tout cas on les tienne « à l'écart ». Ce n'est pas une « ouverture » en leur « direction », c'est bien au contraire les frapper d'apartheid. La même erreur d'interprétation se retrouve dans *Magistère-Information,* cité par la revue de presse de *L'Homme nouveau* qui s'y rallie en ces termes : « Nous reprenons à notre compte, mot à mot, toute son analyse. » Il est bien dommage, il est bien léger de la reprendre ainsi, parce que cette « analyse » fait complètement abstraction du NUL­LAM PARTEM. En effet, commentant le communiqué de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X qui déclarait « les conditions formulées sont pour nous inaccep­tables » ([^2]), *Magistère-Information* croit pouvoir en conclure : « *Écône refuse donc pour le moment de confesser la valeur légitime et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le pape Paul VI... *» Oui sans doute, « Écône » refuse cela. 5:290 Mais cela ne correspond point à la condition posée. La condition n'est pas de reconnaître le messe de Paul VI : *cela ne suffit pas.* Elle est de n'avoir plus aucun rapport (*nullam partem*) avec... avec, entre autres, avec... « Écône » Car la circulaire romaine n'a point demandé de « confesser la rectitude ». Elle a demandé de reje­ter ceux qui ne « confessent » pas. Voici ce qu'elle dit : « Qu'il soit établi sans ambiguïté et même publique­ment que ce prêtre et ces fidèles \[qui demandent l'autori­sation\] se tiennent à l'écart de \[n'ont *nullam partem* avec\] ceux qui mettent en doute la légitimité et l'ortho­doxie du missel romain promulgué en 1970 par Paul VI. » #### Un exemple concret pour bien comprendre Prenons par exemple le cas topique de Marcel Clément. Si la première condition était simplement de *ne mettre en doute ni la légitimité juridique ni la recti­tude doctrinale de la messe de Paul VI,* il est évi­dent qu'il la remplirait à la perfection, sans ambi­guïté, publiquement. 6:290 Il la remplit quotidiennement et sans défaillance depuis 1970. Il ne connaît, il ne fréquente que la messe de Paul VI. On pourrait donc lui donner la messe traditionnelle sans confes­sion supplémentaire. Mais cela ne suffit pas. Aux yeux de l'autorité épiscopale, Marcel Clé­ment demeure suspect de relations éventuelles, plus ou moins obscures, avec des groupes qui mettent en doute la rectitude de la nouvelle messe : per­sonne en effet n'a oublié, sauf lui, ses anciennes relations avec moi-même et les miens. Aux côtés d'Henri Charlier, de Louis Salleron, d'Henri Pour­rat, il était l'un des quatre qui apportaient à la fondation d'ITINÉRAIRES l'entier concours d'une col­laboration régulière. Oui, nous étions cinq en tout. Pendant des années Marcel Clément poursuivit cette ardente collaboration à la revue ; et même, hor­reur, j'ai préfacé l'un de ses livres. C'est avec cette image de marque que nous l'avons fait connaître du public français. En vingt ans d'efforts, il n'est pas arrivé à l'effacer. Il y met pourtant une inépuisable persévérance. Non seulement il n'est plus « intégriste », mais en­core il faudrait croire qu'il ne l'a jamais été : dans les biographies qu'il publie de lui-même, il manque mystérieusement une demi-douzaine d'années. Il y a supprimé jusqu'au nom d'ITINÉRAIRES, on ne prend jamais assez de précautions. ([^3]) 7:290 Du train dont vont les choses, si je meurs le premier, il ne viendra pas à mon enterrement, il ne sera pas venu me voir avant la dernière heure, il se sera privé de m'en­tendre lui pardonner ces vingt années de mépris ostentatoire et calculé par lesquelles il aura tenté de « *savoir se dédouaner *» selon le religieux conseil qu'au Vatican nous avions reçu ensemble de l'illus­tre Mgr Jacques Martin (qui nous proposait Fabrè­gues comme modèle à cet égard). Eh ! bien, mal­gré tout cela, Marcel Clément ne remplit pas forcé­ment, aux yeux du noyau dirigeant de l'épiscopat, la première condition de la circulaire romaine. On pourrait fort bien exiger de lui une déclaration écrite. Une déclaration publique. Sans ambiguïté. Ce serait conforme à la lettre et à l'esprit de cette première condition. Une déclaration attestant sous la foi du serment qu'il n'a véritablement plus et qu'il ne rétablira jamais *nullam partem* avec ITINÉ­RAIRES en général et J.M. en particulier. Je n'ai pas trouvé d'exemple plus caractéristi­que que celui-là, mais il me semble assez parlant. #### L'intention de Jean-Paul II Il reste cependant que si la circulaire du Saint-Siège n'est pas du tout une « ouverture en direction de Mgr Lefebvre » (elle est en fait, on vient de le voir, tout le contraire), -- elle déclare du moins que le souverain pontife en a eu l'*intention.* 8:290 Et même, son intention déclarée était beaucoup plus qu'une simple « ouverture ». La circulaire du 3 octobre assure, en effet que « le souverain pontife en personne (*ipse*) désire se montrer favorable (*obsecundare*) à ces groupes » de prêtres et de fidèles qui demeurent attachés à la messe traditionnelle. C'est là l'énorme contradiction interne du do­cument romain. Le saint-père désire se montrer favorable à ces groupes, dit la circulaire. Et simultanément, la même circulaire réclame que l'on n'ait *nullam partem* avec eux. Cette contradiction n'a été « analysée » ni par *L'Homme nouveau* ni par *Magistère-Information *; ni par *Le Monde* ni par *La Croix.* \*\*\* A cette contradiction, il n'y a semble-t-il que deux explications possibles. *Ou bien* l'annonce de la bonne intention du saint-père est une clause de style purement rhétori­que, une élégance d'écriture à l'italienne, une roue­rie vaticane. *Ou bien* cette intention est parfaitement réelle, mais Jean-Paul II n'est pas en mesure d'empêcher ses bureaux de la contrarier et de l'annuler. 9:290 Ni l'une ni l'autre des deux hypothèses n'est très brillante. Malheureusement le texte officiel est là, avec sa contradiction interne catégoriquement affirmée, et je ne vois pas à quelle troisième hypo­thèse on pourrait avoir recours. Jean Madiran. Le quotidien PRÉSENT publiera, à partir du 19 février, une grande enquête sur la situation (nouvelle ou non ?) de la messe traditionnelle après la circulaire romaine du 3 octobre : quelle est désormais la situation concrète sur le terrain ? quel est l'avis des personnalités ecclésiastiques et civiles les plus directement concernées ? Exceptionnellement, pour suivre cette enquête, il est possible de sous­crire un *abonnement spécial d'un mois,* partant du 19 février, au prix de 85 F seulement. 10:290 ### Lettre sur la messe par Dom Gérard o.s.b. Chers lecteurs d'ITINÉRAIRES, Comment vous dire la joie que nous ressentons à l'idée que la sainte messe, dont le rite immémo­rial remonte aux premiers âges de l'Église, ait re­couvré son droit de cité ! Sans doute votre méfian­ce aura-t-elle été éveillée par les deux premières conditions apposées au texte de la lettre de Mgr Agostino Mayer. Madiran, avec sa logique impla­cable, en a souligné le caractère incohérent : 11:290 « D'un côté, les seuls admis à demander l'autorisation sont ceux qui n'ont aucun motif de le faire : en tout cas aucun motif religieux. « De l'autre côté, ceux qui reçoivent la faculté de donner l'autorisation sont ceux qui n'ont, pour la plupart, aucune intention de la donner : les évêques de la nouvelle messe et du nouveau catéchisme. » ([^4]) Oui, tout cela est vrai. On est honteux pour les auteurs de ce document. Cependant, depuis bientôt 16 ans que nous travaillons, contre vents et marées, à maintenir le rite traditionnel de la messe, il sem­ble que nous voyions poindre l'aube d'un jour nouveau : la messe est de retour, la messe revien­dra, du moins, on a commencé de lui faire à nou­veau une petite place. C'est peu, et c'est beaucoup. Dans toutes les chapelles, à Saint-Nicolas, salle Wagram, dans nos monastères, on voit apparaître des têtes nouvelles. Sans s'en douter, les braves chrétiens du rang se rallient à une maxime fameuse du Droit Canon, concernant l'interprétation de la loi : *odiosa sunt restringenda :* le caractère strict et accablant -- odieux, à la limite -- attaché à une loi ou à un décret, doit être réduit, ramené à une interprétation bénigne. 12:290 C'est là le sentiment spontané de la *vox populi*. Là où les gens avertis ont flairé, à juste titre, un caractère restrictif, destiné à contrarier l'interpréta­tion naturelle de l'indult, les bons fidèles ont senti se réveiller le désir de retrouver la liturgie tradi­tionnelle. (Maintenant que c'est permis, on ne voit pas pourquoi on s'en priverait !) Alors, pourquoi ne pas profiter nous aussi de ce mouvement de sympathie pour l'ancienne messe ? Chers fidèles, ne comptez pas trop maintenant qu'on vous repasse le plat : servez-vous vite. Demandez tout de suite que le droit à la messe devienne un fait concret : il faut multiplier, pour notre joie et notre sanctifica­tion à tous, les célébrations de messes selon l'ancien rite. Vous surtout, chers amis prêtres, aumôniers, curés de paroisses, vous qui aimez et estimez la messe traditionnelle, qui avez regretté sa disparition (de fait), demandez et faites-en demander la célé­bration effective pour *votre* paroisse, pour *votre* groupe. Ne craignez pas les pièges, les refus de la dernière heure. Témoignez personnellement de la joie que vous éprouvez à célébrer le saint sacrifice de la messe selon le rite de la Tradition plus que millénaire de l'Église. Dites-le dans vos sermons, par voie de presse, ou par la radio, comme l'a fait le curé de l'église de Saint-Étienne-du-Mont, à *Fran­ce-Inter,* lorsque, interrogé sur la célébration mémo­rable qui eut lieu le 15 décembre dans son église noire de monde, il déclara son bonheur d'avoir pu célébrer la messe selon l'ancien rite. 13:290 L'antiquité d'un rite constitue toujours ses plus authentiques lettres de noblesse. L'antiquité d'un rite est un des critères essentiels de sa catholicité. L'Église l'a toujours compris ainsi ; elle sait qu'un rite immémorial jouit d'une prescription sacrée ; elle sait qu'une coutume immémoriale a toujours force de loi. C'est pourquoi le dernier concile a demandé que « tous les rites légitimement reconnus soient conservés et favorisés de toute manière ». (Constitution conciliaire sur la liturgie, n° 4.) Il y a une joie catholique à user de rites et de formules plongeant racines dans le tuf originel où a pris naissance l'antique liturgie de l'Église. C'est alors qu'on touche du doigt ce miracle de virginité et de permanence qui accompagne la transmission du dépôt révélé au cours de l'histoire, et qui est une gloire de l'Église. Je ne résiste pas au désir de vous donner la preuve de la haute antiquité de notre messe tradi­tionnelle par un simple énoncé des prières qui la composent, en les accompagnant de leur datation respective. Le frère qui a dressé cette liste m'a apporté son travail, sans que je le lui demande, juste à temps pour que je puisse vous en faire profiter. I^er^ SIÈCLE Au cœur de la messe, les paroles de la consécration sont léguées, par tradition orale, à partir des paroles mêmes de Notre-Seigneur. 14:290 II^e^ SIÈCLE *Gloria in excelsis. --* Composition de l'hymne, non encore utilisée dans la messe. *Dialogue de la préface.* -- Présent dans toutes les liturgies, le dialogue de la préface est sans nul doute dû à une tradition apostolique. Le nôtre est attesté par saint Hippolyte (III^e^ s.), saint Cyprien et d'autres. *Préface. --* Les Orientaux n'ont qu'une seule préface, laquelle est attribuée aux apôtres. A Ro­me, elle est une prière très libre et mobile, faisant un seul corps avec les prières consécratoires. *Sanctus. --* Le pape saint Clément fait mention du *Sanctus.* Certains auteurs donnent son succes­seur, saint Sixte, comme l'ayant introduit. Il est chanté dans toutes les liturgies. *Qui pridie. --* Toutes les liturgies commencent les prières consécratoires par une formule sembla­ble à la nôtre, ce qui suppose une tradition aposto­lique. III^e^ SIÈCLE *Memento des défunts. --* On trouve dans les catacombes des inscriptions qui rappellent cette prière. Elle a été composée certainement à cette époque, bien que son emploi dans la messe soit plus tardif (V^e^ s.). 15:290 *Doxologie du Canon. --* Présente elle aussi dans toutes les liturgies, la doxologie (*Per ipsum...*) don­née par Hippolyte rappelle déjà la nôtre. *Pater. --* Saint Cyprien le mentionne. Sa place, à cette époque, était avant la communion. IV^e^ SIÈCLE *Partie centrale du Canon. --* Les prières *Quam oblationem, Qui pridie, Unde et memores, Supra quae* et *Supplices* se trouvent dans le *De Sacramen­tis* attribué à saint Ambroise (vers 380), mais ces formules sont encore primitives. *Quam oblationem. --* Selon Jungmann, cette demande de bénédiction des oblats avant la consé­cration est, à Rome, encore plus ancienne. *Unde et memores. --* Toutes les liturgies font, après la consécration, une mémoire de Notre-Sei­gneur. A Rome, au troisième siècle, Hippolyte la fait déjà avec mention de la mort et de la résurrec­tion du Christ. *Baiser de paix. --* Jusqu'ici, il avait lieu après les oraisons pour l'Église, juste avant l'Offertoire. V^e^ SIÈCLE *Kyrie. --* Introduite en Orient au quatrième siècle, cette litanie grecque est adoptée à Rome entre les cinquième et sixième siècles. 16:290 *Introït*. -- Une entrée chantée est attestée dès le cinquième siècle (en général, c'était un psaume). Chant antiphoné dès le sixième. *Gloria in excelsis. --* Datant du deuxième siè­cle, il est étendu par le pape Symnaque aux diman­ches et jours de fêtes. *Aufer a nobis. --* Originairement, cette prière faisait office de collecte. *Collectes. --* La formation des collectes com­mence au troisième siècle, quand le latin se substi­tue au grec. Plus de 200 de nos collectes sont dues à saint Léon. *Lectures. --* Déjà en usage, deux lectures seules, Épître et Évangile. *Alléluia. --* D'origine juive, ce chant est com­mun à toutes les liturgies. Il est signalé à Rome à cette époque, le seul jour de Pâques. *Credo*. -- Introduit à Antioche en 471. *Deus qui humanae substantiae...* (Offertoire). -- Cette prière tire son origine de la collecte de Noël. *Préface. --* Le sacramentaire léonien en donne une pour chaque messe. Le gélasien en donne déjà beaucoup moins. *Te igitur. --* Connu d'Innocent I^er^ (401-417), qui cite la prière pour le pape et pour l'évêque. 17:290 *Memento des vivants. --* Bien établi dans le Canon. Il se peut que sa place d'origine ait été dans l'Offertoire. C'est pendant cette prière que le diacre lisait les diptyques, deux tablettes sur les­quelles étaient écrits les noms des fidèles qui fai­saient une offrande à la messe et les noms des défunts commémorés, ce qui indique que le memen­to des défunts faisait suite à celui des vivants. *Communicantes. --* Antérieur à saint Léon, comportant depuis le Concile d'Éphèse une men­tion de la Mère de Dieu, *Genitricis Dei.* La liste des saints martyrs s'agrandira peu à peu. Sous le pape saint Gélase nous trouvons déjà la liste actuelle. *Hanc igitur. --* Cette prière remonte au pape Symnaque ; elle n'était prononcée qu'en certaines occasions, comme aux messes des défunts, aux mes­ses pour diverses circonstances (anniversaires, temps de guerre, etc.), ou aux messes votives. Chacune de ces messes avait un *Hanc igitur* propre. *Memento des défunts. --* Il est possible que cette prière ait pris cette place au moment de l'ad­dition de la prière suivante. *Nobis quoque peccatoribus. --* Due au pape Symnaque. *Libera. --* Ce complément du *Pater* est déjà attesté par saint Léon. Saint Gélase le fixera. *Baiser de paix. --* Innocent I^er^ demande qu'il soit donné après la consécration, comme signe de l'assentiment du peuple à ce qui précède. *Quod ore sumpsimus. --* Saint Léon. 18:290 *Ite missa est. --* Cette formule est attestée dès la fin du cinquième siècle. Cependant, l'usage de congédier l'assemblée par une formule semblable est aussi ancienne que la messe. VI^e^ SIÈCLE *Alleluia. --* Signalé à Rome, au V^e^ siècle, le seul jour de Pâques, il est étendu à tout le temps pascal au VI^e^ siècle. *Communicantes. --* Achèvement de la liste des saints et variations pour certaines fêtes (ainsi que de nos jours). *Canon à voix basse. --* L'empereur Justinien (527-565) publia un ordre aux évêques et aux prê­tres, de faire la divine oblation non à voix basse, mais de manière à se faire entendre du peuple fidèle ([^5]). Donc l'usage de dire le Canon à voix basse existait déjà, ce qui d'ailleurs est commun chez les Orientaux. \*\*\* Entre 590 et 604, se situe l'œuvre liturgique de saint Grégoire. Elle consiste surtout en une mise en ordre des prières du saint sacrifice. Saint Gré­goire le Grand sera le dernier pape à toucher au Canon de la messe et l'on peut dire que le rite romain traditionnel lui est redevable dans sa quasi totalité. 19:290 En codifiant le missel romain, saint Pie V, au XVI^e^ siècle ne fera que revenir à la pureté du rite, écartant ainsi le foisonnement des liturgies médiévales. Comme le dira, de nos jours, le regretté cardinal Ottaviani : « Il éleva une barrière infran­chissable contre toute hérésie pouvant porter attein­te à l'intégrité du Mystère. » Le maintien de la messe traditionnelle est donc une œuvre de piété filiale, accomplie dans l'esprit même de l'Église, gardienne vigilante de la Révéla­tion, soucieuse de la moindre altération du dépôt. Il semble que l'on s'en aperçoive à Rome. Un opuscule du cardinal Ratzinger, écrit en italien, vient de me tomber sous les yeux. On y lit une charge contre la *messe face au peuple :* « Il y a péril quand le caractère communautaire tend à transformer l'assemblée en un cercle fermé. Il faut réagir de toutes ses forces contre l'idée d'une com­munauté autonome et autosuffisante : la communau­té ne doit pas dialoguer avec elle-même ; elle est une force collective tournée vers le Seigneur qui vient. » ([^6]) 20:290 Nous dédions ces lignes à nos chers frères dans le sacerdoce, et nous les supplions de considérer que le maintien du latin, du canon à voix basse, de l'orientation du célébrant et des fidèles face au Crucifix, est, redisons-le, une œuvre de haute piété. La piété de celui qui reçoit et qui transmet le dépôt intact. Cette piété dont l'Apôtre dit qu'elle est utile à tout. Au premier chef, à garder la foi. Fr. Gérard o.s.b. 21:290 ## CHRONIQUES 22:290 ### Pages de journal par Alexis Curvers ON ME MONTRE un récent *Figaro-Magazine* (6 oct. 84) où M. Alain Peyrefitte reparle de la Chine. Il l'avait bien prédit : ce pays s'éveillerait. Treize ans plus tard, un troisième voyage lui confirme que c'est chose faite : la Chine s'est éveillée, -- il ne dit pas exactement à quoi. Il nous donne cependant une idée de cet éveil pro­digieusement rapide, prouvé par des photographies élo­quentes à souhait : lui-même en personne, très décontracté, roulant à vélo dans une rue de Shanghaï ; un Chinois chevauchant fièrement sa moto devant la belle maison à deux étages qu'il s'est fait construire, étant devenu riche en trois ans dans l'élevage des poulets ; une Chinoise mannequin, très bon chic bon genre, défi­lant à Pékin dans une présentation de mode parisienne ; 23:290 enfin un simple « pêcheur chinois » installé « comme un Français moyen » dans son fauteuil entre sa télé­vision et sa chaîne hi-fi, avec mobilier et décoration modernes, sobres, d'un goût parfait, jusques et y com­pris, dans un coin, une espèce d'arbre de Noël inat­tendu... -- ensemble conforme au type d'appartement modèle qu'on propose à l'admiration des touristes dans tous les pays de l'Est. Bref, le paradis sur la terre. Les régimes capitalistes n'ont plus qu'à s'avouer battus à plate couture sur leur propre terrain. Paradis sur la terre, oui. Mais sur la terre seule­ment. Les Fils du Ciel n'en demandent pas plus, s'il faut en croire M. Peyrefitte : « Dans les années 1970, on faisait trois rêves : une bicyclette, une montre, une machine à coudre. Ils semblent aujourd'hui exaucés pour beaucoup de foyers. Les trois rêves d'aujourd'hui ? Une télévision en couleurs, un cyclomoteur, une ma­chine à laver. » On voit que les rêves des Chinois, malgré l'arbre de Noël, ne volent guère plus haut que ceux de l'Occident matérialiste. Quant au spirituel, il n'en est pas plus question que dans notre Marché Commun. A quoi pensent et que pensent les Chinois quand ils ont le temps de penser ? Qu'ont-ils fait de leurs antiques philosophies, de leurs coutumes et croyances traditionnelles, de leur culte des ancêtres, de leurs dragons, de leurs dieux familiers, et de leur Confucius si longtemps vénéré, puis tour à tour foulé aux pieds et, paraît-il, rentré en grâce ? M. Peyre­fitte n'en souffle mot. Deux autres des photographies qui illustrent son article répondent cependant pour lui sans qu'il s'en doute. Elles représentent une foule de jeunes gens et jeunes filles célébrant le trente-cinquième anniversaire de cette Révolution qui a tant fait pour leur bonheur et celui de leurs familles. 24:290 Bonheur désormais éclatant de ces « jeunes qui ont adopté sans aucune réserve la mode occidentale », et tiennent à la main ou brandis­sent par-dessus les têtes mille grosses fleurs de papier. Il y a toutefois entre les deux images une différence considérable. Dans la première (photo de couverture), tout le monde rit à gorge déployée. Il ne se trouve pas un seul visage qu'un large sourire ne fende jusqu'aux oreilles. La liesse est absolument unanime. A l'avant-plan, un couple se pâme littéralement de rire. Dans la seconde image au contraire (double page intérieure), tout le monde est on ne peut plus sérieux. Même les filles ont le regard tendu, quasi viril à force de gravité concentrée. Une seule d'entre elles, sans dou­te un peu distraite, esquisse un demi-sourire latéral, va­guement teinté d'un scepticisme qui fait tache dans la componction générale. Cette invraisemblable unanimité des sentiments col­lectifs, portés à l'extrême dans l'un et l'autre cas, n'a-t-elle pas surpris M. Alain Peyrefitte ? Et comment l'ex­pliquer, sinon par cette note qu'il nous livre en pas­sant : « Immuable, la nécessité pour tout individu de se rattacher à une collectivité. Le Chinois n'existe, n'a droit à une retraite, à un logement, à un emploi pour lui ou pour les siens, à des tickets de spectacle ou de voyage et même à une bicyclette (...) que par l'inter­médiaire de sa *dan wei,* son unité de rattachement -- entreprise, quartier, village -- laquelle lui sert de tuteur dans tous les avatars de sa vie quotidienne. » 25:290 Alors on comprend. C'est leur *unité de rattachement* qui permet et ordonne aux foules chinoises tantôt de se défouler dans le fou rire, tantôt de se rembrunir et de marcher au pas, avec un ensemble aussi parfait dans un cas que dans l'autre ; qui permet et ordonne aux simples particuliers de se loger, de se meubler, de s'ha­biller, d'élever des poulets, de rouler à moto, de faire fortune à l'américaine pour l'édification de M. Peyre­fitte. Chinois, Chinoises, riez, ne riez plus, pensez ou ne pensez pas, mais surtout ne manifestez aucune émo­tion qui ne vous soit prescrite par votre *unité de ratta­chement* selon les besoins de la propagande. Obéissez, il y va de votre intérêt sinon de votre vie même. Et M. Peyrefitte sera content de vous, content de la Chine et content de lui. \*\*\* Un groupe universitaire organisait récemment un voyage d'étude en Chine. La préparation ne laissa rien à désirer, ou presque. Programme détaillé du voyage, documentation préalable, informations d'ordre histori­que, économique, politique, artistique, tout fut abon­damment publié, y compris une bibliographie assez complète : les livres de M. Peyrefitte y étaient à l'honneur. Seuls y manquaient les livres de Simon Leys, qui connaît mieux que personne le passé et le présent de la Chine et en a parlé d'expérience, avec autant de com­pétence que de talent et de courage. Les organisateurs du voyage n'ignoraient pourtant rien de cet auteur : certains sont même de ses amis. Mais à citer seulement son nom ils eussent risqué de gravement déplaire aux autorités chinoises dont dépendait le succès du voyage. Donc, sur Simon Leys, motus. 26:290 Il y a ainsi des noms tabous qu'il vaut mieux ne prononcer en aucune circonstance. En général, les hommes que ces noms désignent sont de ceux qui ont le plus excellé dans leur ordre, dans leur savoir et notamment dans l'héroïque vertu qu'il faut pour oser dire la vérité. La vérité est malencontreuse et malvenue partout. Elle effraie ceux qui l'entrevoient et fait le vide autour de ceux qui la mettent au jour. (*Et pourtant elle est éternelle...* et hors d'elle point de salut.) Autre exemple : Augustin Cochin, l'homme qui a le plus profondément exploré la genèse et les prodromes de la Révolution française, et qui a fourni là-dessus la documentation la plus authentique, puisée aux sources mêmes. Or vous pouvez lire quantité de savants ouvra­ges sur le même sujet, y compris certains dont les auteurs doivent beaucoup aux découvertes et à la pen­sée de Cochin, sans que sous leurs plumes vous ren­contriez une seule fois son nom. Récente exception, aussi louable que rare : M. François Furet lui consacre nommément une cinquantaine de pages de son livre *Penser la Révolution française* (Gallimard, 1978). De même, plus près de nous, Jean Madiran, sans doute l'observateur le plus pénétrant de la vie religieuse contemporaine, son témoin le plus sûr et le meilleur juge de ses aberrations, maître écrivain par surcroît : tout se passe comme s'il n'existait pas. On le lit, on le redoute, on le combat par tous les moyens, mais le premier de ces moyens est le silence opaque dont on l'enveloppe à défaut de l'étouffer. Madiran a beau faire (et Dieu sait combien ce qu'il fait est beau en effet), rien de ce qui concerne sa personne, son œuvre, son action n'a droit de parvenir à la connaissance du public. Portée à ce degré de perfection et d'efficacité, la conspiration du silence équivaut à une consécration définitive de la supériorité de ceux qu'elle marque. \*\*\* 27:290 Or voici que paraît chez Plon le nouveau livre de M. Alain Peyrefitte, si bien lancé par lui-même dans *Le Figaro-Magazine :* « *Chine, immuable et changeante* »*.* Livre ou plutôt « magnifique album » illustré, dont *Le Figaro* quotidien du 8 décembre publie à son tour un compte rendu enthousiaste, signé François Joyaux. Ce compte rendu, tout comme l'article préparatoire, ne fait que résumer le livre, si bien qu'ils en rendent la lecture inutile. Ne cherchez dans l'un rien de plus sérieux que dans les deux autres. Tous trois proposent à notre admiration les mêmes images enchanteresses : l'éleveur de poulets devenu richissime, le défilé de haute couture, le Maxim's de Pékin, etc. Une collection de gadgets d'où toute pensée et tout sentiment sont absents. Il paraît que ces exhibitions contrôlées traduisent « l'immense mutation » dont la Chine bénéficie depuis quelques années. M. Peyrefitte, s'il faut en croire M. Joyaux, n'en célèbre pas moins l'unité de « l'étonnante civilisation chinoise, de Qin Shihuangdi, le fondateur de la Chine impériale, à Mao, le fondateur de la Républi­que populaire ». A ce compte, il n'est rien en ce monde qui ne soit à la fois *immuable et changeant,* pourvu du moins qu'on méprise deux choses : le principe de contradiction, et le sens à donner au mot *civilisation.* Car M. Peyrefitte, nous dit-on, « sait bien que toutes les fermes et usines modèles qu'il visite ne sont que *des îlots de prospérité dans un océan de pauvreté,* que *certains jeunes ne croient plus en rien,* que les inter­nements politiques restent courants, que chaque année 10.000 à 20.000 condamnés sont abattus d'une *balle dans la nuque *»*.* « En ce sens, commente M. Joyaux, la Chine est immuable : civilisation policée n'a jamais signifié vie facile. » On se demande en quoi la « civili­sation » ainsi évoquée mérite qu'on la dise policée. 28:290 Le compte rendu s'intitule : *Comment comprendre la Chine.* Il manque à ce titre au moins un point d'in­terrogation. Et surtout, comment comprendre M. Pey­refitte et ses laudateurs ? Alexis Curvers. 29:290 Lettre de Rio ### FLEURS par Bernard Bouts LE FLEUVE, le grand fleuve, le Rio de la Plata, n'est jamais semblable à lui-même d'un jour à l'autre selon la direction et l'intensité du vent, selon l'heure, selon la saison, selon qu'on le voit de près ou de loin et surtout selon la fantaisie des nuages. Il a dix sortes de vagues et sa couleur varie du violet foncé à l'ocre d'or clair avec toutes les gammes intermédiaires. La mer aussi est changeante, Dieu sait ! Mais les plantes de mon jardinet fleurissent, chacune selon son espèce, toutes ensemble à un jour près, et dans les jardins voisins, et ailleurs. Or ce n'est pas la tempéra­ture de la saison, car alors d'autres plantes fleuriraient aussi. En Europe, on conçoit que les bourgeons sortent généralement au printemps, mais ici où deux des quatre saisons sont à peine perceptibles, on est bien obligé de ne penser qu'à la génétique, si j'ose dire, dans les familles et les traditions familiales, si j'ose encore dire. 30:290 Le plus ou le moins d'insolation a aussi son impor­tance car certaines plantes en veulent ou en supportent beaucoup (l'hibiscus), d'autres n'en veulent que le matin (orchidées), mais les fougères pleureuses se dessèchent au moindre soleil. L'impression générale serait qu'un mot d'ordre est donné : « attention, demain, les Couronnes Im­périales, fleurissez ! » Je ne sais pas les noms latins, hélas, et d'ailleurs Denise, qui préside aux destinées de notre jardinet, ne les sait pas non plus, et plante tout. Tout ce qu'on lui donne et tout ce qu'elle trouve dans la montagne : petites herbes odorantes, plantes à tisanes pour le cœur, le foie, les reins, et même contre la frous­se ! Aussi des arbres dont un « Castanha do Maranhao » qui doit atteindre soixante-dix mètres en 200 ans ! Le merveilleux livre de Jacqueline de Chimay « Plai­sirs des Jardins » nous ravit, mais ici, à Rio de Janeiro, la nature est autre, et bien souvent les règles, prévisions, et conseils ne servent à rien. Tout pousse à toute vitesse, se bouscule et fleurit, comme j'ai dit, une fois par an, deux fois, ou une fois en cent ans, qui sait ? Un jour, il y a trois ans, au mois de mai, une amie nous a fait cadeau d'une admirable « Fleur de Mai » déjà bien épanouie. Le premier bateau anglais qui porta des colons en Amérique ne s'appelait-il pas « May Flo­wer » ? Pour dire la vérité celle-ci perdit quelques fleurs au bout de quelques jours. Mais voilà que parurent peu après d'autres petits boutons et tout cela fleurit de nou­veau en juillet, bien plus que la première fois. La deuxiè­me année, même chose : quatre ou cinq fleurs en mai, et en juillet, plein, plus grandes et plus belles. 31:290 On voudra bien observer que les saisons étant exactement inversées de l'hémisphère Nord à l'hémisphère Sud, au mois de mai correspond ici novembre, et alors comment cette fleur l'ignore-t-elle ? Serait-ce seulement un temps de ges­tation qui présiderait aux floraisons ? Je l'ai demandé à de modestes jardiniers et aussi à trois charmantes jardi­nières associées, mais personne ne savait. Entre temps ma petite-fille a trouvé intelligent de tomber assise sur la plante, cassant les plus belles bran­ches. Je raboutai comme je pus et j'en profitai pour la changer de pot. Cet émondage involontaire lui plut tant que cette année elle donna plus de fleurs que l'année der­nière au mois de mai, et beaucoup plus en juillet, et tri­ples ! Des belles fleurs qu'on ne se lasse pas de regarder (en penchant la tête à droite à gauche, d'un air attendri). J'aimerais parler aussi des araignées qui tissent leurs toiles dans mon atelier (j'interdis formellement que l'on époussette), partageant leurs insectes avec la plante car­nivore qui se trouve à côté, mais malgré qu'habituelle­ment je ne prête guère attention au qu'en-dira-t-on, je préfère m'arrêter. Bernard Bouts. 32:290 ### La Pologne rempart de la Chrétienté par Michel de Saint Pierre Aux éditions DMM, Yves Daoudal vient de publier une « brève histoire de la Pologne », qu'il a intitulée « Le rempart de la Chrétienté ». L'ouvrage est préfacé par Michel de Saint Pierre. Voici cette préface. YVES DAOUDAL s'est lancé (le mot n'est pas trop fort) dans une entreprise téméraire -- et il a gagné son pari. *Audaces fortuna juvat.* De quoi s'agissait-il ? De brosser l'histoire de la malheureuse et vivante Pologne en un livre relativement bref, embrassant mille ans d'Histoire... 33:290 Et quelle Histoire ! Du baptême de Miesko (dynas­tie des Piast) en 966, aux massacres commis par les Mongols de la Horde d'Or (13^e^ siècle), de Casimir le Grand qui est l'un des fondateurs de la « nouvelle Pologne » aux dynastes Jagellon, de la guerre faite aux fameux et redoutables Chevaliers Teutoniques aux luttes contre les Tartares, puis aux interminables batailles op­posant les Polonais à Moscou, nous voici parvenus à l'une des figures majeures de cette épopée : Jean Sobies­ki : « Né sous l'orage pendant un raid tartare, fils du gouverneur de Ruthénie, il avait toute l'apparence d'un prince oriental, avec ses énormes moustaches, sa longue robe, sa toque de fourrure richement ornée de joyaux, ses bottes turques et son cimeterre au fourreau couvert de fabuleux diamants. Cependant, il avait reçu une éducation latine à l'université de Cracovie, poursuivie à Paris, à Londres, à Amsterdam. Il parlait polonais, latin, français, italien, allemand et turc. » Ce héros prodigieux, terreur des Turcs envahisseurs et de l'Islam, protecteur et sauveur de la chrétienté, avait épousé une Française connue en Pologne sous le nom de Mary­sienka : l'amour à l'ombre des épées. Ainsi, Yves Daoudal sait-il insister sur les person­nages essentiels, dont il nous dresse le portrait d'un crayon sobre et pénétrant. Il avait évoqué pour nous, avant Sobieski, les célèbres « Saints de Pologne » saint Jean de Kenty, saint Casimir, saint Stanislas Kostka. Il n'avait pas manqué de saluer « la petite reine Hedwige », toujours sacrifiée, morte en odeur de sainteté. Car si l'un des visages de la Pologne est celui d'une nation guerrière, l'autre est celui d'une ferveur très chrétienne, éclairée par le brasier de Dieu. Plus tard ce devait être, hélas, les trois partages de la Pologne, déchiquetée par des dents carnassières et soumise à des ennemis conjurés : l'Autriche de Marie-Thérèse, la Prusse de Frédéric, la Russie de la Grande Catherine. 34:290 Le roi de Pologne Poniatowski dut subir ce martyre d'une patrie qu'il aimait : il a peut-être échappé à Yves Daoudal que Poniatowski, cependant, malgré ces infortunes cruelles, sut maintenir et même promou­voir une « culture polonaise » qui devait aider le pays à retrouver son identité. J'ai longuement parlé de ces événements dans mon ouvrage *Le Drame des Roma­*nov... La Pologne, miraculeusement, survécut à cette mort politique des partages. Des héros comme Kosciusko et Joseph Poniatowski purent la maintenir en vie. Mais jusqu'à nos jours, combien de menaces sur la Pologne, combien d'orages, combien de pleurs et combien de sang ? Elle subsiste, cependant, avec son étonnante vigueur. De même qu'elle trouva au début du siècle des Pil­sudski, des Paderewski, elle trouve aujourd'hui d'autres intelligences, d'autres courages, pour résister à l'oppres­seur soviétique. Non seulement la Pologne n'est pas morte, mais elle laisse éclater sa vitalité. La vitalité catholique de sa substance même. Jadis, saint Stanislas, saint Casimir veillaient sur elle. Aujourd'hui, c'est le père Kolbe -- et c'est la Vierge fidèle de Czestochowa. Yves Daoudal a su dégager, à travers les méandres d'une trame historique difficile et complexe, l'essentiel de son propos : après avoir lu cet ouvrage, vous com­prendrez ce qu'est la rude, la fervente, l'indomptable Pologne. Pour ma modeste part, je connais ce beau pays déchiré. Je l'aime -- et je sais, parce que là-bas j'ai ressenti cela dans mes fibres, qu'il est plus fier et plus vivant que jamais. Michel de Saint Pierre. 35:290 ### Un évêque pour la vraie liberté de l'enseignement UN ÉVÊQUE pour la vraie liberté de l'enseignement ? Oui, cela existe. Mais il en existe au moins un en Espagne. Le gouvernement de ce pays a proposé une importante réforme de l'enseignement. Deux projets sou­lèvent l'émotion des catholiques : il s'agit d'une part de sup­primer l'enseignement religieux comme matière obligatoire et d'autre part d'imposer aux établissements privés une nou­velle réglementation qui aura pour effet inévitable de limiter considérablement leur liberté et d'établir une véritable dis­crimination entre les deux types d'enseignement. Mgr Marcel Spinola, archevêque de Séville, est le représentant de la pro­vince ecclésiastique d'Andalousie au Sénat. Ses confrères l'ont chargé de défendre les intérêts de l'école catholique au cours du débat sur le programme laïque d'enseignement pré­senté par Romanones, ministre de l'Instruction publique. Mgr Spinola vient de monter à la tribune. Écoutons quel­ques passages de son discours. Un détail encore : nous sommes le 8 novembre 1901. 36:290 « *Parce que le catholicisme est le contraire de toute forme d'esclavage, parce que la liberté fait partie de son essence, il ne peut se faire le complice d'aucun monopole quel qu'il soit. Or, c'est un monopole, Messieurs, sans aucun doute possible, ce qu'on prétend imposer dans l'en­seignement par le biais de la réforme qui est en cours. De fait on a concédé de si grands privilèges à l'ensei­gnement officiel et on a retiré tant de droits à l'ensei­gnement privé qu'on peut bien affirmer que l'État est devenu l'arbitre de ce que les Espagnols doivent apprendre.* *Or ceci est contraire à la mission de l'État. L'État n'a reçu de personne la charge d'enseigner. Il a autorité et pouvoir pour réglementer les relations entre les citoyens et les associations, pour protéger et défendre les droits légitimes de chacun. Mais il ne possède ni la science ni le pouvoir de définir l'erreur ou la vérité... La notion même d'État exclut celle d'enseignement. Dès lors que l'État s'érige en maître, on ne sait plus que ce qu'il veut qu'on sache et on ne connaît plus que ce qu'il veut qu'on enseigne.* *Quand des ambitieux veulent se rendre maîtres d'un peuple, ils cherchent avant toute chose à contrôler l'édu­cation... Et ceux qui veulent transformer l'ordre existant cherchent à se rendre maîtres de l'enfance et de la jeu­nesse, en un mot de l'enseignement, car quiconque est maître de l'enseignement l'est aussi des intelligences et des cœurs.* *Ainsi donc un* « *État-enseignant* » *ne peut être qu'un* « *État-despote* »*, un* « *État-tyran* » *qui asservit les intel­ligences et les volontés...* 37:290 *La liberté de l'enseignement permet par ailleurs de mettre le savoir à la portée d'un grand nombre, ouvrant l'accès au sanctuaire de la science à bien des enfants que le régime du monopole tiendrait à l'écart. Aujourd'hui les nombreuses contraintes imposées à l'enseignement privé ou non officiel auront pour conséquence la fermeture de beaucoup de ces établissements.* *La gravité des maux engendrés par le système du monopole scolaire apparaît clairement lorsqu'on pense à ce qu'il advient aux jeunes obligés de fréquenter les centres dirigés et financés par l'État. Il existe là ce qu'on appelle la* « *liberté de chaire* »*. Mais cette liberté, telle qu'elle est entendue et pratiquée, est à l'origine des plus graves dommages causés à la foi et à la morale des élèves. Un professeur peut y propager les pires idéologies contraires à notre foi et à notre morale chrétienne ; il peut être athée ou panthéiste et inculquer ses théories à ses élèves... Et il peut ainsi étouffer la foi dans les âmes, troubler les intelligences, corrompre les cœurs et les en­traîner sur les chemins du mal.* *N'est-ce pas là le pire attentat contre les droits des parents ?... Ainsi donc la législation qu'on semble vouloir imposer dans ce pays et qui reflète apparemment l'état d'esprit de ceux qui régissent aujourd'hui l'enseignement, porte gravement atteinte aux droits naturels et inviolables des familles et au bien des enfants.* *Pour ces motifs et d'autres encore facilement conce­vables... nous demandons à cette Haute Assemblée d'ac­corder la plus grande liberté possible à l'enseignement. Cette liberté manifestera son respect des droits des pa­rents, elle sera un élément de progrès pour la science et permettra de surcroît à l'État défaire des économies. *» Est-il besoin de commenter ce discours ? Il suffit de remplacer l'expression « monopole » par celle de « grand service public unifié » pour imaginer ce qu'aurait pu être l'attitude d'un évêque français face aux menaces qui pèsent depuis trois ans sur la liberté de l'enseignement. 38:290 Le calme et la fermeté de Mgr Spinola ont subjugué l'auditoire. Le comte de Romanones s'inclina devant la force de persuasion de son adversaire. Il remballa ses dossiers et renonça aux deux projets dénoncés par Don Marcelo. Il est vrai que celui-ci eut l'habileté de porter le débat sur le ter­rain libéral qui était celui des hommes au pouvoir, utilisant leur argumentation pour mieux la retourner contre eux. Sur le fond l'archevêque de Séville n'a fait qu'exposer la doctrine de l'Église en la matière sans crainte d'en tirer les conclusions qui s'imposent : l'éducation n'est pas du ressort de l'État ; son libre choix est un droit absolu de la famille. Toute loi qui tendrait à limiter cette liberté fondamentale est une atteinte aux droits de l'homme et à la liberté de l'Église. De plus cette liberté, pour être réelle, implique logiquement la séparation de l'École et de l'État. Séparation dont tire­raient d'ailleurs le plus grand avantage à la fois la qualité de l'enseignement et les finances publiques. Défendre ainsi, sans ambiguïté, le droit des familles et la liberté de l'Église, n'est-ce pas le strict devoir d'un évêque ? On remarquera que Mgr Spinola ne se demandait pas s'il faisait de la politique ou non en intervenant ainsi au Sénat. La conscience de sa mission et la hauteur de ses vues le dispensaient de ce genre de problématique. Bien sûr ses adversaires ne manquèrent pas de lui opposer l'argument fallacieux de la « récupération » qui aujourd'hui fait trem­bler tant d'évêques englués dans leurs préventions et leurs conformismes. On l'accusa d'être carliste. La réponse est celle d'un homme libre, elle manifeste de façon lumineuse ce que doit être la liberté d'un évêque : « *La gloire de Dieu, le bien des âmes, l'Église, sa doctrine et son esprit sont l'unique objet de mes pensées, de mes aspirations et de ma vie. Si sur certains points les carlistes pensent comme moi, c'est tout simplement parce que sur ces points-là les carlistes pensent comme l'Église. *» 39:290 En signant, le 24 septembre 1983, le décret reconnaissant l'héroïcité des vertus de Marcel Spinola, le pape Jean-Paul II proposait cette grande figure du catholicisme moderne à la vénération de toute l'Église. Il est permis de voir dans cet acte une réponse maternelle de l'Église au désarroi de tant de familles de France qui se sentent aujourd'hui abandon­nées et trahies par leurs évêques. Par ses vertus, notamment celles de prudence et de force, Mgr Spinola appartient à la race des saints. Ce sont eux qui révèlent le vrai visage de l'Église. Jean-Paul Krempp. Une importante biographie de Mgr SPINOLA écrite par José Maria JAVIERRE a donné lieu à deux publications : -- DON MARCELO DE SEVILLA, Éd. Juan Flors, Barcelona 1963. -- EL ARZOBISPO MENDIGO, B.A.C. Minor, Madrid 1974. Une traduction française de ce dernier ouvrage est en prépa­ration. \[Voir aussi It. 311, « Le bienheureux Marcel Spinola », pp. 63-92\] 40:290 ### Les vierges martyres du temps d'hiver *Saintes Cécile, Lucie,\ Agnès et Agathe* par Jean Crété LES QUATRE MOIS d'hiver : novembre, décembre, janvier et février, comportent chacun la fête d'une vierge martyre particulièrement illustre. Ce rapprochement entre les quatre vierges martyres a été voulu ; en effet, le jour du martyre de sainte Cécile est le 16 septembre ; c'est à cette date qu'elle a sa notice au martyrologe ; et on peut, le 16 septembre, sauf dans le cas où ce jour serait le dimanche ou le mercredi des quatre-temps, célébrer la messe de sainte Cécile, avec *Gloria in excelsis* et mémoire des saints occur­rents : c'est ce qui se pratique à l'abbaye Sainte-Cécile de Solesmes ; mais la fête de sainte Cécile a été, dès le V^e^ siècle, fixée au 22 novembre, avec l'intention évidente de la rap­procher des trois autres fêtes de vierges martyres. 41:290 #### I. -- Sainte Cécile Dom Guéranger a publié trois éditions de son livre sur sainte Cécile ; il y a d'importantes différences entre les trois éditions, surtout entre la première et la deuxième. Parti de l'idée que le récit du martyre de sainte Cécile, tel que nous l'avons, était entièrement authentique, Dom Guéranger a révisé ses conceptions d'après les observations faites par son ami Jean-Baptiste de Rossi. Tel qu'il nous est parvenu, le récit du martyre de sainte Cécile n'est que du V^e^ siècle. Comme il arrive souvent, la piété populaire avait enrichi le martyre de la sainte de détails légendaires : ainsi, on voit Valérien et Tiburce, dans leur désir de voir l'ange, aller demander le baptême au pape Urbain et le recevoir aussitôt. Or on n'accordait le baptême à ceux qui le demandaient qu'après une longue préparation. Ce qui est certain, c'est que sainte Cécile a vécu et a subi le martyre au début du III^e^ siècle, car son titre (c'est-à-dire l'église qui lui est consacrée) existait au milieu du III^e^ siècle. Dans l'impossibilité de discerner ce qui est historique de ce qui est légendaire, nous conservons l'histoire de la sainte telle qu'elle se trouve dans le bréviaire romain. De famille noble, sainte Cécile fit toute jeune le vœu de virginité ; mais elle fut donnée en mariage à Valérien, qui était païen. Au soir des noces, Cécile demanda à Valérien de la respecter, car un ange gardait sa virginité. Valérien la respecta et ajouta qu'il se convertirait au christianisme s'il voyait l'ange. Cécile lui répondit qu'il lui fallait d'abord se convertir et être baptisé, et qu'ensuite seulement il verrait l'ange ; c'est ce qui advint. Tiburce, frère de Valérien, se convertit dans les mêmes conditions. Peu après, ils subirent le martyre. Prévoyant le même sort, sainte Cécile distribua aux pauvres tous les biens de Valérien et de Tiburce. A cette nouvelle, le préfet Almachius la fit enfermer dans sa salle de bains, où elle périt au bout de trois jours étouffée par la vapeur. 42:290 Son martyre eut lieu sous l'empereur Alexan­dre Sévère, qui régna de 222 à 235. La maison de sainte Cécile fut transformée en église. Saint Pascal I^er^, pape de 817 à 824, fit transporter dans cette église les corps de sainte Cécile et des saints Valérien, Tiburce et Maxime, qui avaient été ensevelis dans le cimetière de saint Calixte. Sainte Cécile a un office propre, avec des antiennes et des répons magnifiques, qui chantent la virginité et le mar­tyre de la sainte, avec parfois des allusions dont le sens nous échappe. L'antienne des I^e^ vêpres, *Est secretum, Vale­riane,* une des plus belles de tout le répertoire grégorien, a très malheureusement disparu lors de la réforme de Pie XII (1955). La première antienne des vêpres et le premier répons commencent par : *Cantatibus organis, Caecilia decantabat* (avec l'accompagnement des instruments de musique, Cécile chantait...). Aussi sainte Cécile est-elle honorée comme pa­tronne des musiciens. D'autres antiennes parlent, de l'évan­gile que sainte Cécile serrait sur son cœur. Toutes les saintes vierges ont l'hymne *Jesu corona virginum,* composée par saint Ambroise. Les missels pour fidèles donnent l'impression que les messes des quatre vierges martyres sont bien composites, car ils renvoient à diverses messes de communs ; en réalité, cha­cune des quatre vierges martyres a une messe entièrement propre ; et ce sont les messes de communs qui ont été com­posées beaucoup plus tard, à partir des messes propres antiques. Sainte Cécile a donc sa messe propre : l'introït *Loquebar* rappelle le témoignage de la martyre. L'épître est une prière tirée de l'Ecclésiastique. Le graduel *Audi filia,* dont la mélo­die compliquée a été reprise pour la nouvelle messe de l'As­somption, chante la complaisance divine en la beauté surna­turelle de la sainte. L'Alleluia, d'une longueur exceptionnelle, est tiré de l'évangile qui suit, l'évangile des cinq vierges sages et des cinq vierges folles ; cet évangile est commenté à matines par saint Jean Chrysostome. Les Grecs en effet honorent à cette même date sainte Cécile dont ils orthogra­phient le nom : *Kîkilia.* Quand on sait les réticences des Grecs pour tout ce qui est latin, leur culte de sainte Cécile suffit à nous garantir l'historicité foncière de son martyre et la dévotion à son égard de l'Église entière au V^e^ siècle. 43:290 #### II. -- Sainte Lucie La fête de sainte Lucie ou Luce, dont le nom évoque la lumière, a été fixée au 13 décembre, au moment où les jours sont les plus courts. Aussi est-elle honorée dans les pays scandinaves comme symbolisant le retour de la lumière. Sainte Lucie, vierge de Syracuse, en Sicile, subit le mar­tyre au début du IV^e^ siècle. Son office, qui apparaît au VI^e^ siècle, contient probablement des traits légendaires. Voici ce qu'en dit le bréviaire : Lucie se rendit à Catane pour implorer de sainte Agathe la guérison de sa mère, atteinte d'un flux de sang. Sainte Agathe lui répondit : « Vierge Lucie, pourquoi me demander ce que tu peux toi-même procurer à ta mère ? C'est ta foi qui lui obtient sa guérison, car ta virginité est agréable au Seigneur. » Cette phrase revient plusieurs fois dans les antiennes et répons de la fête. Comme sainte Cécile, Lucie avait fait vœu de virginité et distribué tous ses biens aux pauvres. Son fiancé la dénonça comme chrétienne au juge Paschase ; celui-ci voulut la faire conduire en un mauvais lieu où sa virginité serait violée. Mais Lucie avait acquis un tel poids qu'on ne put la soule­ver. Après divers supplices, le juge lui fit transpercer la gorge. Lucie, avant de mourir, annonça la paix prochaine de l'Église, après la mort des empereurs Dioclétien et Maxi­mien. Son corps fut par la suite transféré à Constantinople, puis à Venise. Sainte Lucie a des antiennes propres pour laudes et vêpres et trois répons propres seulement. Sa messe Dilexisti insiste beaucoup sur la virginité ; aussi a-t-elle été reprise plus tard comme messe des vierges non martyres. L'évangile est celui du trésor caché, avec une homélie de saint Grégoire le Grand. 44:290 #### III. -- Sainte Agnès L'historicité des leçons de sainte Agnès et de sainte Agathe est beaucoup plus sûre que celle des légendes de sainte Cécile et de sainte Lucie. Sainte Agnès est romaine et, pourtant, son nom ne vient pas du latin : *Agna,* agnelle, mais du grec : *Aghnè,* pure. Elle a un office entièrement propre qui insiste sur son martyre ; les psaumes des vêpres ne sont pas ceux de la Sainte Vierge, mais les psaumes du dimanche, avec en dernier le psaume *Lauda Jérusalem* dans l'office romain, *Nisi Dominus* dans l'office monastique. Les psaumes de matines sont ceux des martyrs, sauf les deux derniers, qui sont des vierges. Les antiennes et les répons reviennent sans cesse sur le thème des fiançailles de la sainte avec Notre-Seigneur, d'où sa résolution de rester vierge, au prix même du martyre. Les leçons historiques sont tirées de saint Ambroise. Agnès avait treize ans lorsqu'elle fut arrêtée et torturée. Saint Ambroise ne nous dit pas exactement quelles furent les circonstances de son arrestation ; elle fut probablement, comme sainte Lucie, dénoncée par un fiancé évincé. Elle affirma avec une fermeté inébranlable sa résolution de rester vierge et sa foi chrétienne. Elle fut soumise au supplice du feu. Saint Ambroise ne nous donne pas la date du martyre d'Agnès, qui peut se situer entre 254 et 304. La messe *Me exspectaverunt,* composée pour sainte Agnès, insiste sur la virginité. L'évangile est celui des cinq vierges sages et des cinq vierges folles, avec une homélie de saint Grégoire le Grand. Sainte Agnès est ensevelie dans l'église de Rome qui porte son nom ; c'est dans cette église que fut baptisée sainte Françoise Romaine. Aussi sainte Agnès est-elle hono­rée comme patronne secondaire de la congrégation olivé­taine. La fête de sainte Agnès est suivie d'une sorte d'octave simple, unique en son genre. 45:290 Le 24 janvier, on célèbre sa sœur de lait sainte Émérentienne qui, simple catéchumène, fut saisie et lapidée par des païens alors qu'elle priait sur la tombe de sainte Agnès ; elle reçut donc le baptême du sang. Le 28 janvier, on célèbre sainte Agnès pour la seconde fois, avec un office simple et la messe *Vultum tuum.* L'évan­gile est celui du trésor caché. Malheureusement, à une épo­que récente, on a fixé au 23 janvier la fête de saint Ray­mond de Pennafort et au 28 saint Pierre Nolasque, ce qui a réduit sainte Émérentienne et sainte Agnès pour la seconde fois à une simple mémoire. #### IV. -- Sainte Agathe Sainte Agathe fut martyrisée à Catane, en Sicile, vers 250. Elle fut, elle aussi, victime de l'amour désordonné que lui avait voué le prêteur de Sicile Quintianus, qui la livra d'abord à une femme nommée Aphrodise qui chercha à la corrompre, mais échoua totalement. Agathe fut alors tortu­rée de diverses manières, et, en particulier, on lui arracha un sein. La nuit suivante, l'apôtre saint Pierre lui apparut et lui restitua son sein. Les antiennes et répons de l'office revien­nent inlassablement sur cet épisode. Un tremblement de terre ayant ébranlé la ville, le prêteur fit ramener Agathe dans sa prison où elle mourut. Par la suite, lors d'une érup­tion de l'Etna, on opposa le voile de sainte Agathe aux laves qui menaçaient d'engloutir Catane et elles s'arrêtèrent. Sainte Agathe a les mêmes psaumes que sainte Agnès, à une exception près à matines. Elle a une messe propre, avec l'introït *Gaudeamus,* composé pour elle en grec, puis traduit en latin ; cet introït a été repris par la suite pour plusieurs fêtes de la Sainte Vierge et pour la Toussaint ; il est ici à sa place primitive. L'évangile est le passage de saint Matthieu (XIX, 3-12) qui suit l'affirmation par Jésus de l'indissolubi­lité du mariage. 46:290 A la réflexion terre à terre des disciples : « Si telle est la condition de l'homme à l'égard de la femme, mieux vaut ne pas se marier », Jésus, élevant le débat, fait l'éloge de la virginité en soulignant toutefois que tous n'y sont pas appelés. Les offices et messes des quatre saintes vierges martyres comptent parmi les plus beaux de la liturgie ; et le culte qui leur est rendu nous incite au respect de la virginité et à l'admiration pour l'héroïsme de ces saintes vierges, fidèles jusqu'au sang à leur foi et à leur pureté. Jean Crété. 47:290 ### Le drame de la fin des temps (II) par le P. Emmanuel *Sixième article* (*août 1885*) #### L'Église durant la tourmente **I. -- **Saint Grégoire le Grand, en ses lumineux commentaires sur Job, ouvre les aperçus les plus profonds sur toute l'his­toire de l'Église. Il est visiblement animé lui-même de cet esprit prophétique répandu dans toutes les Écritures. Il contemple l'Église, à la fin des âges, sous la figure de Job humilié et souffrant, exposé aux insinuations perfides de sa femme et aux critiques amères de ses amis ; lui devant qui autrefois les vieillards se levaient, et les princes faisaient silence ! 48:290 L'Église, dit maintes fois le grand pape, vers le terme de son pèlerinage, sera privée de tout pouvoir temporel ; on cherchera à lui enlever tout point d'appui sur la terre. Mais il va plus loin encore, et il déclare qu'elle sera dépouillée de l'éclat même qui provient des dons surnaturels. « La puissance des miracles, dit-il, sera retirée, la grâce des guérisons enlevée, la prophétie aura disparu, le don d'une longue abstinence sera diminué, les enseignements de la doctrine se tairont, les prodiges miraculeux cesseront. Ce n'est pas à dire qu'il n'y aura plus rien de tout cela ; mais tous ces signes n'éclateront pas ouvertement et sous mille formes comme aux premiers âges. Ce sera même l'occasion d'un merveilleux discernement. Dans cet état humilié de l'Église, grandira la récompense des bons, qui s'attacheront à elle purement en vue des biens célestes ; quant aux mé­chants, ne voyant plus en elle aucun attrait temporel, ils n'auront rien à déguiser, ils se montreront tels qu'ils sont. » (*Mor,* 1. XXXV) Quelle parole formidable : *les enseignements de la doc­trine se tairont !* Saint Grégoire proclame ailleurs que l'Église aime mieux mourir que se taire. Elle parlera donc : mais son enseignement sera entravé, sa voix couverte ; mais plu­sieurs qui devraient crier sur les toits n'oseront plus le faire par crainte des hommes. Et ce sera l'occasion d'un discernement redoutable. Saint Grégoire revient souvent sur cette donnée, qu'il y a dans l'Église trois catégories de personnes : les hypocrites ou les faux chrétiens, les faibles et les forts. Or, en ces moments d'angoisses, les hypocrites lèveront le masque, et manifeste­ront leur secrète apostasie ; les faibles, hélas ! périront en grand nombre, et le cœur de l'Église en saignera ; enfin plu­sieurs forts eux-mêmes, trop confiants en leur force, tombe­ront comme les étoiles du ciel. En dépit de toutes ces tristesses poignantes, l'Église ne perdra ni le courage ni la confiance. Elle sera soutenue par la promesse du Sauveur, consignée dans les Écritures, que ces jours seront abrégés *à cause des élus.* Sachant que les élus seront sauvés *quand même,* elle se vouera, dans le plus fort de la tourmente, au sauvetage des âmes avec une éner­gie infatigable. 49:290 **II. -- **Malgré l'affreux scandale de ces temps de perdition, il ne faut pas penser en effet que les petits et les faibles seront *nécessairement* perdus. La voie du salut restera ouverte, et le salut sera possible à tous. L'Église aura des moyens de pré­servation proportionnés à la grandeur du péril. Et ceux-là seulement, parmi les petits, tomberont sous la serre de l'oi­seau de proie, qui auront quitté les ailes de leur mère. Quels seront ces moyens de préservation ? Les Écritures ne nous laissent pas sans indication à ce sujet ; et nous pouvons sans témérité formuler quelques conjectures. L'Église se souviendra de l'avertissement donné par Notre-Seigneur pour les temps de la prise de Jérusalem, et appli­cable, du consentement des interprètes, à la dernière persé­cution. « Quand vous verrez l'abomination de la désolation, prédite par le prophète Daniel, debout dans le lieu saint (que celui qui lit, comprenne !), alors que ceux qui sont en Judée s'enfuient vers les montagnes... Priez afin que votre fuite n'ait pas lieu en hiver, ni le jour du Sabbat ! Car il y aura une grande tribulation, telle qu'il n'y en a pas eu depuis l'origine du monde, et qu'il n'y en aura jamais. Et si ces jours n'étaient pas abrégés, nul ne serait sauvé ; mais ils seront abrégés à cause des élus. » (*Matth.,* XXIV, 15, 23.) Conformément à ces instructions du Sauveur, l'Église mettra en sûreté par la fuite les petits du troupeau ; elle leur ménagera des retraites inaccessibles, où la dent de la Bête ne les atteindra pas. On peut se demander comment il y aura des retraites inaccessibles, alors que la terre sera percée et sillonnée de voies de communication. Il faut répondre que Dieu pour­voira lui-même à la sécurité des fugitifs. Saint Jean nous fait entrevoir cette action de la Providence. 50:290 Au chapitre XII de l'Apocalypse, il nous présente une femme vêtue du soleil et couronnée d'étoiles ; c'est l'Église. Cette femme souffre les douleurs de l'enfantement ; car l'Église enfante à Dieu des élus, parmi de grandes souf­frances. Devant elle se tient un grand dragon roux, image du diable et de ses continuelles embûches. Mais la femme s'enfuit dans la solitude, *en un lieu préparé par Dieu lui-même*, et là elle est nourrie durant 1260 jours (V, 6). Ces 1260 jours, qui font 3 ans et demi, indiquent le temps de la persécution de l'Antéchrist, comme il est manifeste par les autres passages de l'Apocalypse. Donc, durant ce temps, l'Église, en la personne des faibles, s'enfuira dans la soli­tude ; et Dieu lui-même prendra soin de la tenir cachée et de la nourrir. La fin du même chapitre contient des détails sur cette fuite. Il est donné à la femme deux grandes ailes d'aigle, pour la transporter au désert. Le dragon cherche à la poursuivre ; et sa gueule vomit contre elle de l'eau comme un fleuve. Mais la terre vient en aide à la femme et absorbe le fleuve. Ces paroles énigmatiques désignent quelque grande merveille que Dieu fera paraître en faveur de son Église ; la rage du dragon viendra expirer à ses pieds. Cependant, tandis que les faibles prieront en sûreté dans une solitude mystérieuse, les forts et les vaillants engageront une lutte formidable, en présence du monde entier, avec le dragon déchaîné. **III. -- **Il est hors de doute en effet qu'il y aura, dans les derniers âges, des saints d'une vertu héroïque. Au commence­ment, Dieu a donné à son Église les Apôtres, qui ont abattu l'empire idolâtrique, et qui l'ont fondée et cimentée elle-même dans leur sang. A la fin, il lui donnera des enfants et des défenseurs, qu'on peut dire non moins saints et non moins grands. 51:290 Saint Augustin s'écrie, en pensant à eux : « En compa­raison des saints et des fidèles qui seront alors, que sommes-nous ? Car, pour les mettre à l'épreuve, le diable sera dé­chaîné, lui que nous ne combattons qu'au prix de mille dangers, maintenant qu'il est lié. Et toutefois, ajoute-t-il, il est à croire qu'aujourd'hui même le Christ a des soldats assez prudents et assez forts, pour pouvoir au besoin déjouer avec sagesse les embûches, et subir avec patience les assauts de leur ennemi même déchaîné. » (*De Civ. Dei, *XX, 8.) Saint Augustin se demande ensuite : Y aura-t-il encore des conversions, en ces temps de perdition ? Baptisera-t-on encore les enfants, malgré les prohibitions du monstre ? Les saints d'alors auront-ils la puissance d'arracher des âmes à la gueule du dragon furieux ? Le grand Docteur répond affirmativement à toutes ces questions. Sans doute les conver­sions seront plus rares, mais elles n'en seront que plus écla­tantes. Sans doute, en règle générale, il faut que Satan soit lié pour qu'on puisse le dépouiller (*Mat., *XI, 29) ; mais, en ces jours, Dieu se plaira à montrer que sa grâce est plus forte que le *fort* lui-même, en son plus furieux déchaînement. Chacun remarquera combien ces données sont conso­lantes. Mais quels seront les saints des derniers âges ? Parmi eux nous aimons à penser qu'il y aura des soldats. L'Anté­christ sera un conquérant, il commandera des armées ; il trouvera devant lui des Légions thébaines, des héros de cette lignée glorieuse et indomptable qui a les Macchabées pour ancêtres, et qui compte dans ses rangs les Croisés, les pay­sans de la Vendée et du Tyrol, enfin les Zouaves pontifi­caux. Ces soldats, il pourra les écraser sous le poids de ses hordes innombrables ; il ne les fera pas fuir. 52:290 Mais l'Antéchrist sera surtout un imposteur ; par consé­quent il rencontrera comme adversaires principalement des apôtres armés du crucifix. Comme la persécution dernière revêtira l'aspect d'une séduction, ceux-ci uniront à la patience des martyrs la science des docteurs. Notre-Seigneur les fit voir un jour à sainte Thérèse, tenant en main des glaives lumineux. A la tête de ces phalanges intrépides, apparaîtront deux envoyés extraordinaires de Dieu, deux géants de sainteté, deux survivants des anciens âges ; nous avons nommé Hé­noch et Élie, dont nous parlerons à l'article suivant. Septième article (septembre 1885) #### Hénoch et Élie Les faits merveilleux que nous allons retracer ne sont pas des suppositions aventurées ; ce sont des vérités prises dans l'Écriture sainte et qu'il serait au moins téméraire de nier. Avant la fin des temps, et durant la persécution de l'An­téchrist, on verra réapparaître au milieu des hommes deux personnages extraordinaires, nommés Hénoch et Élie. Quels sont ces personnages ? Dans quelles conditions feront-ils leur rentrée providentielle sur la scène du monde ? C'est ce que nous allons examiner, à la lumière des Écritures et de la Tradition. **I. -- **Hénoch est un des descendants de Seth fils d'Adam, et souche de la race des enfants de Dieu. Il est le chef de la sixième génération à partir du père du genre humain. Voici ce que la Genèse nous apprend à son sujet : 53:290 « Jared vécut 162 ans et engendra Hénoch... Or Hénoch vécut 365 ans, et engendra Mathusalem. Et Hénoch marcha avec Dieu, et il vécut, après avoir engendré Mathusalem, 300 ans, et il eut des fils et des filles. Et les jours d'Hénoch furent de 365 ans. Et il marcha avec Dieu, et il disparut, parce que Dieu l'enleva. » (*Gen.,* V, 18-25.) Dieu l'enleva âgé de 365 ans, c'est-à-dire, vu cette épo­que d'extrême longévité, dans la maturité de l'âge. Il ne mourut pas, il disparut. Il fut transporté, vivant, en un lieu connu de Dieu seul. Voilà pour Hénoch patriarche de la race de Seth, trisaïeul de Noé, ancêtre du Sauveur. Quant à Élie, son histoire est mieux connue. Hénoch, antérieur au Déluge, naquit plusieurs milliers d'années avant Jésus-Christ. Élie parut dans le royaume d'Israël moins de mille ans avant le Sauveur ; c'est le grand prophète de la nation juive. Sa vie est on ne peut plus dramatique (*Reg.,* III, IV). On pourrait dire qu'elle est une prophétie en action de l'état de l'Église, au temps de la persécution de l'Antéchrist. Il est toujours errant, toujours menacé de mort, toujours à cou­vert sous la main de Dieu. Tantôt Dieu le cache au désert, où des corbeaux le nourrissent ; tantôt il le présente au fier Achab, qui tremble devant lui. Il lui remet les clefs du ciel, pour en faire sortir la pluie ou la foudre ; il le favorise sur le mont Horeb d'une vision pleine de mystères. Il le fait grandir en un mot jusqu'à la taille de Moïse le thaumaturge, de façon qu'avec Moïse il escorte Notre-Seigneur sur le Thabor. La disparition d'Élie répond à une vie d'une étrangeté si sublime. On le voit cheminer avec Élisée son disciple ; il s'ouvre un passage dans le Jourdain, en frappant les eaux de son manteau. Il annonce qu'il va être enlevé au ciel. -- Tout à coup « tandis qu'ils allaient et parlaient ensemble, un char de feu et des coursiers de feu les séparèrent, et Élie monta au ciel dans un tourbillon. Élisée le voyait et criait : Mon père, mon père, toi le char d'Israël et son conducteur. Et puis il ne le vit plus » (*IV Reg.,* II, 11-12). 54:290 Et c'est ainsi qu'Élie, l'ami de Dieu, le zélateur de sa gloire, fut enlevé et transporté, lui aussi, en une région mysté­rieuse, où il retrouva son ancêtre le grand Hénoch. Quelle est cette région ? Hénoch et Élie sont vivants, cela est certain. Où Dieu les a-t-il cachés ? Est-ce dans une contrée inaccessible de ce bas monde ? Est-ce dans quelque plage du firmament ? Nul ne le peut dire. On peut seulement affirmer que pour le moment ils sont en dehors des condi­tions humaines ; les siècles coulent à leurs pieds, sans les atteindre ; ils restent dans la maturité de l'âge, et tels sans doute qu'ils ont été enlevés du milieu des hommes. **II. -- **Leur réapparition sur la scène du monde n'est pas moins certaine que leur disparition. Voici en effet comment parle de ces grands personnages l'auteur inspiré de l'Ecclésiastique, exprimant toute la tradi­tion juive. « Hénoch plut à Dieu, et fut transporté dans le paradis, pour prêcher la pénitence aux nations. » (*E*c*cles., *XLIV 15.) « Qui peut se glorifier à l'égal de toi, ô Élie ? Toi qui as été enlevé par le tourbillon de flammes, et par le char aux coursiers de feu ; toi qui es inscrit dans les jugements des temps futurs, pour apaiser la colère du Seigneur, pour rap­procher le cœur du père vers le fils, et pour rétablir les tri­bus d'Israël. » (*Jb., *XLVIII, 1-11.) Ces paroles d'un livre canonique nous font clairement connaître qu'Hénoch et Élie ont une mission ultérieure à remplir. *Hénoch doit prêcher la pénitence aux nations,* ou, si l'on préfère cette traduction, *amener les nations à la pénitence.* Élie doit *rétablir un jour les tribus d'Israël,* c'est-à-dire leur rendre le rang d'honneur auquel elles ont droit dans l'Église de Dieu. 55:290 L'unanimité des docteurs a compris que cette double mission se réaliserait simultanément vers la fin du monde. Élie en particulier est considéré comme le précurseur de Jésus-Christ venant du ciel comme juge ; cette pensée ressort manifestement des Évangiles. (*Matt., *XVII ; *Marc,* IX*.*) Donc, les hommes verront un jour, et non sans épou­vante, Hénoch et Élie redescendre au milieu d'eux, et leur prêcher la pénitence avec un éclat extraordinaire. Saint Jean les nomme les *deux témoins de Dieu,* et il les dépeint comme il suit dans son Apocalypse (XI, 3-7) : « Ils prophétiseront durant 1.260 jours, revêtus de sacs. « Ce sont les deux oliviers, et les deux candélabres qui se tiennent en présence du Seigneur de la terre. « Si quelqu'un veut leur nuire, le feu sortira de leur bouche et dévorera leurs ennemis. Si quelqu'un porte la main sur eux, il périra nécessairement de la sorte. « Ils ont la puissance de fermer le ciel, pour qu'il ne pleuve pas durant les jours de leur prédication. Ils ont éga­lement la puissance de changer les eaux en sang, et de frapper la terre de toutes sortes de plaies toutes les fois qu'ils voudront. » Qui ne reconnaît à ce portrait l'Élie de l'Ancien Testa­ment, fermant le ciel durant trois années, et en faisant des­cendre la foudre sur les soldats qui viennent le saisir ? Les 1.260 jours marquent le temps de la persécution finale, comme nous l'avons déjà fait observer. Ainsi l'appari­tion des témoins de Dieu coïncidera avec la persécution de l'Antéchrist. Il faut reconnaître que le secours apporté à l'Église sera proportionné à la grandeur du péril. 56:290 Les deux témoins de Dieu, revêtus des insignes de la plus austère pénitence, iront partout, et partout ils seront invulnérables ; une nuée pour ainsi dire les couvrira, et lancera la foudre contre quiconque osera les toucher. Ils auront dans leurs mains tous les fléaux, pour les déchaîner à leur gré sur la terre. Ils prêcheront avec une liberté souveraine, en présence même de l'Antéchrist. Celui-ci frémira de rage ; et ce sera un duel formidable entre le monstre et les deux missionnaires de Dieu. (*A suivre*) Père Emmanuel. 57:290 ### La pensée politique d'Henri Charlier *Avertissement* LE GRAND TEXTE d'Henri Charlier sur la confu­sion du gouvernement et de l'administra­tion a été composé pour ITINÉRAIRES, comme la plus grande partie de son œuvre écrite, spécialement son œuvre politique. Il ne voulait pas tellement écrire, ce n'était pas son métier, ce n'était pas sa tâche. Et surtout, il en avait com­pris la portée limitée en un temps de désintégra­tion du catholicisme, de désarroi et de dispersion des catholiques, abandonnés et trahis, livrés par leurs pasteurs à tous vents et courants. Il l'a dit : « *J'avais mesuré l'impossibilité d'agir dans les mi­lieux chrétiens. Je suis resté chez moi.* » La fondation d'ITINÉRAIRES le fit changer d'avis. C'est à notre demande qu'il entreprit de fixer par écrit sa pensée politique. Cela constitue, article après article, les morceaux d'une œuvre considé­rable, éparpillés tout au long de ses vingt années de collaboration à la revue, et qui n'a pas encore été recueillie en volume, à la seule exception de l'admirable *Création de la France.* 58:290 Sa première contribution, en 1956, fut donc cette vaste étude intitulée *Gouvernement et admi­nistration,* qui comporte trois parties : I *-- La confusion du gouvernement et de l'administration.* II*. -- L'administration de l'enseignement.* III*. -- La barbarie autrefois et aujourd'hui.* Il y décrivait déjà des maux que beaucoup au­jourd'hui croient plus récents, ne remontant qu'à Mitterrand, ou à Giscard, ou au septennat du général de Gaulle. C'est ainsi qu'en ce moment l'opinion publique se balance dans l'alternative simpliste entre le « da­vantage d'État » des socialistes et le « moins d'État » des libéraux. Il est certain que la France et la plupart des nations d'Europe souffrent en ce moment d'un « trop d'État ». Mais ce n'est pas une question seulement *quan­titative* de plus ou de moins : et une réaction purement instinctive, nécessaire et bonne en soi, ne suffit pas. C'est surtout une question *qualitative* qui récla­me un *discernement intellectuel :* la distinction entre les fonctions propres du GOUVERNEMENT et celles de l'ADMINISTRATION, qui ont été abusivement confondues. 59:290 On ne sortira pas vraiment, on ne sortira jamais du socialisme si l'on croit pouvoir faire l'économie d'un tel discernement, qui est la pièce politique centrale de notre nécessaire réforme intellectuelle et morale. « Se réformer ou périr » disait Henri Charlier. Jean Madiran. 60:290 ### Se réformer ou périr *La confusion du Gouvernement\ et de l'Administration* *Henri Charlier a écrit pour ITINÉRAIRES une grande étude sur notre destin temporel :* Se réformer ou périr*. Cette étude comporte trois parties. En voici la première.* Les ennemis des capitalistes ont cru, en nationalisant les entreprises, éviter les erreurs et les excès du capitalisme, empêcher qu'il n'y eut des esclaves de l'argent, ils s'aperçoivent que leurs naïves idées les ont conduits à créer un capitalisme d'État contre lequel il n'y a point de recours d'aucune sorte, sinon la révolte et où l'administrateur dévore tous les profits sans que la dépendance de l'argent soit diminuée ; ils ont, en nationalisant, supprimé cet arbitre naturel que représente l'État entre les différents groupes de citoyens. D'où vient ceci ? De leur méconnaissance de l'homme et de la nature des choses, de leur ignorance de ce qu'est une entreprise, enfin, de leurs *erreurs intellectuelles*. Le capitaliste est responsable personnellement et pécuniairement ; on ne supprime pas le problème économique en enlevant à l'administrateur, comme c'est le cas dans les entreprises nationalisées, la responsabilité personnelle et pécuniaire. On accroît seulement les difficultés. 61:290 L'argent, depuis un siècle tend à se subordonner toutes les puissances spirituelles et même les autres puissances matérielles ; on ne supprimera pas la domination absolue de l'argent en niant des conditions économiques naturelles qui ne peuvent être éludées. *La tâche de dominer l'argent n'est pas économique, mais spirituelle*. L'argent ne sera mis à sa place *qu'en donnant le pouvoir à des gens dans l'esprit duquel il sera à sa place ;* non qu'ils le méprisent, mais ils le placent en son lieu, après la santé morale. C'est le fait d'une aristocratie où chaque génération rassemble l'élite du pays, et qui est capable de discerner au sein des affaires où est le bien commun spirituel. Ce fut l'œuvre entreprise jadis par Charlemagne au sein de la barbarie mérovingienne, lorsqu'il créa l'école du palais ; c'est une œuvre de longue haleine et pour laquelle il est bon, au début, d'avoir un Charlemagne. \*\*\* Nous ne sortons pas de la barbarie, mais nous y retournons à grande vitesse par la même confusion des idées qui l'amena au V^e^ siècle. En attendant un Charlemagne, nous pouvons essayer de redresser les erreurs intellectuelles qui enlèvent au citoyen toute initiative dans la production et atteignent même les libertés civiques. Les réformes administratives attendues, la décentralisation, n'aboutiront qu'à une plus grande puissance de gouvernement des administrations locales, non à une plus grande liberté de choix et de décision des citoyens. Et si les nationalisations s'étendent, tout le monde sera fonctionnaire. Or lorsqu'il en est ainsi, comme c'est le cas en Russie, il n'y a pour l'ancien citoyen aucune différence avec la condition de l'esclave antique, sinon que le prix de l'esclave importait à son maître qui essayait d'en éviter la perte ; elle est indifférente à l'État totalitaire. Or nous courrons à un état semblable ; ceux même qui ont sans cesse à la bouche les mots de liberté et de démocratie nous enserrent de plus en plus en des règlements rigoureux qui détruisent d'ailleurs, avec la liberté, l'épargne, la richesse et les possibilités d'avenir. 62:290 On ne saurait nier que, depuis trente ans, les lois sur les loyers n'aient arrêté la construction et créé la crise du logement avec toutes ses conséquences morales et sanitaires. Les villes, les collectivités qui voudraient y remédier s'aperçoivent qu'elles en sont moins capables que personne d'en faire les irais. Ce n'est la qu'un exemple entre mille. Ceux qui nous ont ainsi mis à l'arrêt dans tous les modes d'activité s'aperçoivent bien que rien ne va plus, ils réclament sans cesse devant les assemblées, inventent sans cesse de nouveaux règlements pour remédier aux erreurs des anciens, insistent personnellement auprès des ministres, agissent auprès des administrations, qu'ils trouvent injustes, arriérées, tracassières, après les avoir mises eux-mêmes dans la condition de se montrer telles. Enfin, on peut dire que, pratiquement, ils pallient par l'anarchie dans le gouvernement à la rigueur de l'administration. Le remède ne vaut guère mieux que le mal. Car la cause leur échappe. Leur principale erreur est la confusion existant *dans leur esprit* entre l'administration et le gouvernement. Cette erreur s'insinue dans la pratique sans qu'on y pense, toute de véritables idées politiques. Elle peut exister sous tous les régimes, populaires ou aristocratiques, sous une dictature de droite ou de gauche, une fédération ou une monarchie. Elle a détruit l'empire romain ; là, une administration toute puissante a si bien supprimé le citoyen qu'il n'y en avait plus pour défendre l'empire quand les mercenaires qui remplaçaient les citoyens s'aperçurent qu'ils avaient plus de gain à piller l'empire qu'à le défendre. Charlemagne a reçu cette erreur tout installée et accrue par la barbarie des Mérovingiens ; les remèdes qu'il essaya d'y apporter durèrent juste autant que lui, car ils s'appuyaient seulement sur le respect de sa puissance et non sur un lien naturel des institutions et sur leur équilibre. A sa mort, on se contenta de ne plus obéir et, sans révolte, il n'y eut plus d'État C'est le sort qui attend la république française ; c'est la maladie dont périra tout seul l'empire des Soviets. 63:290 Cette erreur touche donc à une idée politique fondamentale ignorée. Les partisans des régimes divers ne peuvent la prendre en considération, aveuglés qu'ils sont, soit par leurs intérêts immédiats, soit par des idéologies sans fondement dans la nature des choses que nos écoles transmettent à toute la nation. Nous tournons sous prétexte de progrès à la barbarie politique. Dans sa *Vie de Cobbet* Chesterton dit très justement : « *Ce monde croyait se moderniser et élargir ses horizons, mais Cobbet fut le seul à voir que ce monde devenait monomane et mesquin*. » Et cette barbarie naît d'une barbarie intellectuelle : les changements évidents des conditions de la vie font perdre de vue les conditions normales et fondamentales de la vie en société, beaucoup plus importantes qua les changements et qui forment les vraies idées politiques. La plus importante de celles-ci est de respecter les sociétés élémentaires qui se forment naturellement et même de les aider à se créer quand les changements sociaux et économiques sont propices pour le faire. Ainsi de la famille, des associations de métier ou de région. Le rôle de l'État est de coordonner des institutions libres en leur rendant justice ou en l'imposant ; non de les remplacer ou de les administrer. C'est ce que fait entendre le saint-père dans son dernier message de Noël lorsqu'il dit : « *Quiconque dans cette époque industrielle accuse à juste titre le communisme d'avoir privé de leur liberté les peuples qu'il domine, ne devrait pas omettra de noter que même dans l'autre partie du monde, la liberté sera une possession bien douteuse si la sécurité de l'homme ne dérive plus de structures correspondant à sa vraie nature*. » Mais le monde moderne se rue à l'esclavage. Voici les étudiants qui demandent un salaire ; comment pourront-ils empêcher un jour ou l'autre que l'État qui les paye leur dise : *vous, allez ici, vous, faites cela*, sans qu'ils puissent protester et quels que soient leurs goûts ? Le collectivisme ne réussit nulle part lorsqu'on l'applique à l'agriculture car les profits en sont tout petits par rapport aux investissements en biens fonciers et en outillage ; ils ne s'obtiennent que par un grand labeur que personne n'est disposé à supporter s'il ne le fait pour lui, par un travail familial qui n'a de raison d'être que par un profit familial. 64:290 Le « mouvement Poujade » ne peut guère qu'augmenter l'anarchie si les institutions ne sont pas changées ; c'est une révolte des derniers hommes libres, agriculteurs, artisans et commerçants, de ceux qui acceptent tous les risques d'une entreprise personnelle ; ils forment la grosse part de l'élite *volontaire* d'une nation ; ils sont destinés sans recours aucun aux servitudes militaires les plus dures ; ils sont la source des futures élites. De cette sélection naturelle naîtra la génération qui fera de ses fils l'élite pensante et agissante de la nation. Or elle est accablée d'impôts par rapport aux salariés. L'État qui devrait protéger ces hommes de métier comme la promesse même de sa prospérité à venir, laisse son administration les poursuivre et tenter de les éliminer comme celle de l'empire romain a éliminé les citoyens. C'est au moment où les États grandissent en population, en produits, en richesse, en instruction aussi, que l'on crée des administrations universelles qui essaient de remplacer des hommes beaucoup plus avisés qu'elles. Elles sont débordées par l'ampleur et là diversité des problèmes qu'elles résolvent eu moyen de *statistiques fausses s'appliquant uniformément à des cas très dissemblables,* sans connaissance pratique de ce qu'elles réglementent. Un État qui veut pouvoir GOUVERNER doit se contenter d'être l'arbitre entre des citoyens qui S'ADMINISTRENT LIBREMENT ; l'inextricable mélange du gouvernement et de l'administration est la plaie des États modernes. Les caractères propres de la bonne ADMINISTRATION et du bon GOUVERNEMENT sont très différents et même si contradictoires qu'il y a grand intérêt à ce qu'ils soient aussi complètement séparés que possible. \*\*\* LA BONNE ADMINISTRATION consiste à établir les règles les plus simples et les plus générales ; ce sont les moins coûteuses, les plus sûres aussi pour le contrôle du fonctionnaire lui-même. S'il s'agit de tarifs, en réduire le nombre au minimum possible pour que le calcul en soit simple et la vérification aisée ; 65:290 s'il s'agit d'hommes, les répartir en classes suivant leur activité en faisant le moins de classes possibles, sans toutefois assimiler ce qui est inassimilable. Il va de soi que plus une ADMINISTRATION s'étend dans l'espace et plus elle comprend d'hommes, plus elle doit compliquer ses règlements. Il est impossible d'exploiter de même façon les forêts de chênes du Bourbonnais et les sapins des montagnes ; de donner le même statut agricole dans les Landes, le Biterrois ou la Champagne, car ni les terres, ni la propriété, ni le climat, ni les hommes ne sont les mêmes. C'est justement l'erreur qu'on fait. Mais il est clair que toute administration, de par sa nature même, résiste le plus qu'elle peut à cette diversité, et en somme pour des raisons administrativement bonnes, car la simplicité et l'uniformité des règles sont la gloire d'une administration. Mais son caractère est aussi de *ne pas connaître en elle-même la chose qu'elle administre*. L'administration des finances ignore complètement comment *se créent* les richesses qu'elle exploite ; il peut lui arriver de les détruire par de mauvaises taxes. Son rôle est d'obtenir aux moindres frais et de la manière la plus simple, le plus d'argent possible. L'administration de l'agriculture à qui l'on dit : « il manque 200.000 ouvriers pour la récolte » négociera l'entrée de travailleurs étrangers, établira des règles justes, simples, pour les contrôler et les protéger, mais elle-même, par ses règlements, aura contribué à chasser les travailleurs français de la terre. En autorisant l'exploitation des coupes de bois sur neuf mois au lieu de six, elle a enlevé son travail d'hiver à l'ouvrier agricole. Celui-ci est occupé dès mars ou avril aux soins de la terre. Si l'on autorise la coupe des bois en été, l'exploitant ne peut la faire qu'avec des équipes d'ouvriers étrangers. Mais l'hiver suivant, l'ouvrier autochtone n'aura plus d'ouvrage ; comment resterait-il à la terre l'été, si on lui enlève son travail d'hiver ? On enlève aussi leur ouvrage, non seulement aux ouvriers sédentaires, mais même aux ouvriers de l'émigration saisonnière française, aux bûcherons d'Auvergne, par exemple, qui rentrent en avril dans leurs montagnes, dès que la culture reprend. Les exploitants forestiers ont pris l'habitude de constituer des équipes d'étrangers qui les suivent de coupe en coupe. 66:290 L'administration peut ainsi gouverner sans s'en apercevoir et sans que personne de compétent ait été consulté ; *on ne sait même pas qui consulter,* tant nous manquons de vraies institutions représentatives. L'administration, je le sais, a cru faire son devoir : elle s'est intéressée de savoir s'il y avait quelque inconvénient pour la conservation des bois à ce qu'ils fussent coupés tard en saison ! Toutes les administrations sont ainsi, celles des entreprises privées comme celles de l'État ; cela tient à leur rôle normal. Ceux qui leur demandent ce qu'elles ne peuvent donner sont seuls dans leur tort. La production et l'usage des biens sont en dehors de l'objet propre d'une administration ; mais les administrations privées sont *gouvernées* par l'intérêt de l'entreprise. L'exemple plus haut cité montre qu'une administration discerne très mal le *bien commun,* alors qu'elle distingue très bien, professionnellement, où est la bonne administration ; elle sacrifie presque toujours le bien commun à ce qu'on appelle la routine administrative, qui est pour elle l'expérience de la bonne administration. \*\*\* Le souci d'un bon GOUVERNEMENT est tout différent de celui d'une ADMINISTRATION ; il est précisément la production et l'usage des biens. Le bien commun dont il a la charge renferme certainement celui d'une bonne administration, quand l'État fait l'erreur de s'en charger, mais il faut qu'il y ait d'abord des biens à consommer. La simplicité et l'uniformité des règles n'est nullement un but pour le GOUVERNEMENT comme elle l'est pour une administration. Ce qui importe pour lui, c'est la création des richesses, matérielles, morales, intellectuelles. Il accepte toutes les différences et les singularités si elles sont fondées en nature ; il doit même les susciter. Un bon GOUVERNEMENT doit favoriser toutes les initiatives, individuelles, communales, provinciales. 67:290 Les tourner au bien commun est sa vraie fonction ; il peut être obligé d'arrêter ou de modérer celles dont les conséquences seraient funestes pour la vie économique d'une autre province de la nation, par exemple l'initiative des marchands de bois d'exploiter les forêts en toute saison, car ils hâtent le dépeuplement des campagnes. Susciter l'initiative aboutit forcément à créer des entreprises très diverses à cause des hommes mêmes qui les créent, à cause aussi des lieux et des circonstances. L'ADMINISTRATION de par la nature même de sa fonction a cette diversité en horreur ; quand elle gouverne, elle la supprime, mais elle empêche ainsi la création des biens : c'est ce qu'elle fait depuis la Libération, sous prétexte de les répartir. \*\*\* L'Ancien Régime se contentait de GOUVERNER et il ADMINISTRAIT le moins qu'il pouvait. Il laissait les communes, les villes, les états provinciaux, les corporations, les collèges S'ADMINISTRER EUX-MÊMES. Il était si soucieux de ne pas s'en mêler, qu'il confiait à une compagnie fermière la levée des impôts. Dès l'origine de la monarchie, les prévôts étaient les fermiers de l'impôt ; l'ordre du Temple en était le banquier. Et il est clair qu'un État qui n'a que très peu de fonctionnaires et où les administrateurs ne sont pas membres de l'État, mais dépendent d'un grand nombre de compagnies privées, est bien davantage libre dans sa fonction. La ferme des impôts a excité la fureur des révolutionnaires de 1789. Lavoisier a payé de sa vie la rancune d'un employé de la ferme renvoyé pour malversations et devenu député. Cependant le prix de la levée des impôts directs était seulement de 3,8 %. Trois ans après la suppression de la ferme, malgré la dilapidation de trésors nationaux, comme les biens des universités et des corporations, les Français payaient six fois plus d'impôt que sous l'Ancien Régime. Les fermiers généraux ne pouvaient pas lever plus que ne le permettaient les ordonnances royales ; ils s'enrichissaient sur les économies dans l'administration. Voici ce que dit Marion dans son *Histoire financière de la France *: 68:290 « Les bénéfices de la ferme dépassaient peu, et surtout plus tard, dépassèrent de moins en moins, au dire des gens impartiaux, la limite convenable dans une entreprise qui exigeait tant de capitaux et tant de soins... Le Trosne, quelque physiocrate qu'il soit, distinguera, à propos des impôts directs, entre les choses qu'il condamne et les personnes qu'il épargne, reconnaissant « que le fermier fait son métier et souvent ne le fait pas aussi strictement qu'il y est autorisé ». Un meilleur juge encore, Frédéric II, leur reconnaissait de sérieuses qualités puisqu'il n'hésite pas, se sentant volé par les employés de ses douanes et accises, à faire venir à Berlin toute une colonie de financiers français, que désigna Helvétius : M. de Crécy, de Candis, de Launay, de Lattre, Pernéty, qui pour 15.000 écus par an, eux et leurs 1.500 employés, réussirent à arrêter la fraude et se montrèrent actifs, laborieux, intègres, obligeants, excellents. » (p. 204). Et plus loin : « Il résulte des calculs de Lavoisier que le bail Laurent David discuté par le chancelier, l'abbé Terray, était calculé si juste que : « le chiffre de 152 millions ne laissait d'autre perspective aux fermiers que celle d'une perte sérieuse si le produit n'augmentait pas, ou si la régie ne s'améliorait point ; heureusement, pour eux, cette double hypothèse se réalisa... mais la raison en fut le développement de la consommation et de l'aisance publique, non une sous-estimation des droits affermés. » (p. 275). La régie, c'est *l'administration privée*. Voici ce qu'en dit Marion, (T. I, p. 22) : « Au fond la complication était plus apparente que réelle. (Noms différents pour les mêmes impôts, durées variables à des taux inégaux, à des fermiers différents). De là une législation embrouillée et confuse. Pour sortir de ce désordre, il aurait suffi de faire table rase du passé et de confondre en un seul les différents droits de circulation et les différents droits de vente, en les étendant à tout le territoire, et en laissant d'ailleurs subsister les règlements très sages et très pratiques que la ferme avait imaginés pour l'exacte perception d'un impôt qui n'était ni pratique ni sage ; 69:290 c'est ce qu'ont fait les lois de 1804, 1806, 1814, et surtout 1816, qui s'inspirèrent de l'habile réglementation de la ferme générale, car celle-ci avait enfermé dans un même réseau de prescriptions solides et efficaces les droits multiples et la taxation variable de l'impôt des Aides et derrière l'irrémédiable confusion des tarifs, elle avait su édifier une législation digne de former œuvre durable. » A la fin de l'Ancien Régime, le désordre des finances était grand. Mais ce n'était point l'administration qui était fautive ; elle était indépendante et intéressée à l'économie. L'Ancien Régime est mort de n'avoir pas gouverné, de n' « être pas assez roi », disait Péguy, il est mort de son impuissance vis-à-vis des privilégiés Et il s'en faut que les privilégiés appartinssent tous à la noblesse : Le procureur de l'élection de Sarlat écrit : « On s'est imaginé peut-être qu'il y avait peu de privilégiés dans les communautés de campagne, mais on ignore donc que surtout dans la malheureuse province de Périgord, les campagnes en sont peuplées et qu'outre la nombreuse noblesse et la magistrature, trois villes privilégiées qu'elle a dans son enclave en fournissent une fourmilière. Les fermiers des privilégiés sont taillables, mais en fait sont toujours ménagés. » Colbert lui-même avait souhaité étendre partout le régime de la taille réelle (sur les biens, ce qui supprimait les privilèges personnels), mais il n'avait pu y réussir. Chaque roi en était à craindre quelque ligue du Bien public, quelque Fronde nouvelle qui n'était qu'une ligue des privilégiés pour s'emparer d'un pouvoir qui défendait contre eux le bien commun. La Révolution fut, dans son origine, une Fronde qui réussit. Notre régime périt lui aussi ([^7]) de ses privilégiés qui sont les fonctionnaires et les parlementaires auxquels il est incapable d'imposer les économies qui sauveraient la monnaie, les habitudes qui sauveraient l'économie. Avec une épaisse stupidité, comme leurs prédécesseurs de l'Ancien Régime, ils scient soigneusement la branche sur laquelle ils sont assis. \*\*\* 70:290 Comment un pays où les esprits sont si indépendants à-t-il pu en arriver là ? D'abord, toute révolution, par le désordre et l'anarchie qu'elle engendre, aboutit à un renforcement d'autorité. La Révolution n'a pas échappé à ces conséquences. Les Français n'ont jamais retrouvé les droits les plus élémentaires dont ils jouissaient auparavant, comme celui qu'avaient les communes de s'administrer elles-mêmes librement, de choisir leurs instituteurs. On oublie que si Louis XVI n'a pas envoyé un régiment pour sauver du massacre les malheureux vétérans qui gardaient la Bastille, c'est qu'il n'avait pas droit de garnison dans la Ville de Paris. Tel était ce régime, cru tyrannique, débonnaire en fait. Le roi, qui était, d'après les lois mêmes du régime, le grand justicier et l'ordonnateur des lois, n'a pas osé agir contre cette liberté des Parisiens, comme le bien commun lui en faisait un devoir. Enfin, la Révolution ayant détruit les institutions spontanées de l'Ancienne France, *il a fallu créer de toutes pièces des administrations pour les remplacer*. Justice, économie, finances, enseignement, travaux publics dépendirent désormais de l'État, non seulement en ce qui est légitime et nécessaire, parce que l'État est l'arbitre entre les citoyens et le juge du bien commun, mais en dépendirent aussi pour leur administration, ce qui est tout à fait superflu. Mais il le fallait bien ; la Révolution n'avait pas seulement détruit les institutions libres de l'Ancienne France, mais elle avait dilapidé les biens permettant à ces institutions anciennes de vivre sans rien demander à l'État. Il fallut désormais recourir au budget, et l'administration d'État naquit alors. Napoléon n'en n'était pas fâché, car il avait l'esprit de domination. D'ailleurs, avec une autorité forte, ayant des idées, avec une administration peu nombreuse, les inconvénients de la confusion entre le gouvernement et l'administration ne se font pas d'abord sentir ; il y a même une simplification momentanée de l'art de gouverner. Mais avec une autorité faible et changeante, il en va tout autrement. Les gouvernants ne savent pas leur métier et n'ont pas le temps de l'apprendre ; le plus clair de leur politique consiste à chercher les moyens de durer. 71:290 L'administration devient indispensable ; elle assure quelque stabilité, elle est seule à avoir une tradition et devient le conseiller ordinaire du gouvernement. Et, il faut bien le dire, jusqu'à ce que l'administration fut corrompue elle-même par la politique, vers 1910, elle seule a maintenu une certaine cohésion dans l'action gouvernementale. Depuis, hélas ! les ambitieux sont entrés dans l'administration par goût de dominer, ils ont usé de cette confusion entre deux ordres aussi différents et ils l'ont accrue. Ces ambitieux ont introduit chez les administrateurs le goût du pouvoir et leur ont fait envisager l'administration comme un moyen de domination politique, sans qu'ils eussent pour cela les qualités nécessaires aux hommes de gouvernement. Aujourd'hui le mal ne peut guère s'accroître. \*\*\* CONSÉQUENCES : L'ancienne administration a longtemps empêché la dissolution de l'État. Mais à quel prix ! Elle a imposé ses méthodes, contraires aux méthodes d'un bon gouvernement ; il n'est pas d'initiative à laquelle elle ne veuille dès le début imposer les règles générales et uniformes qui sont en usage dans l'administration. L'initiative est tuée dans l'œuf. Elle introduit partout l'irresponsabilité, particulièrement l'irresponsabilité financière, car elle se désintéresse complètement des richesses qu'elle gère. Une administration privée est rétribuée sur les profits de la chose qu'elle administre ; on a vu le souci des fermiers généraux de rendre leur régie économique. Le propriétaire de quatre chalands sur nos rivières est obligé aujourd'hui d'avoir un comptable. Si les affaires sont difficiles, il réduira les frais d'administration et fera de sa femme ou de sa fille le comptable de la maison. Une administration d'État est bien incapable, on le sait, d'un tel effort, car la vie et le développement de l'administration deviennent pour elle le but véritable qu'elle poursuit instinctivement. Tout « chef », en développant son service, se donne des droits à un grade supérieur, il cherche à le rendre plus important et plus indispensable. Le gouvernement n'ayant point de stabilité, ni d'intérêt personnel véritable à l'économie, la puissance de l'administration est sans Contrôle et sans contrepoids. 72:290 Tout a baissé en France depuis quatre-vingt ans, la moralité, la population, la puissance navale, financière, commerciale, militaire, la vraie culture, la perfection technique, l'esprit d'entreprise, tout, sauf l'étendue et la puissance de l'administration. Il y a quinze ans ([^8]), les indigents étaient encore à la charge des communes. Les communes rurales s'ingéniaient pour en avoir le moins possible ; elles connaissaient les vrais indigents et leur faisaient faire autant que possible de menus travaux comme de ramasser des cailloux, entretenir les chemins. Pour faire nourrir par les campagnes les indigents des villes que multiplient l'absurdité du régime économique et les complaisances politiques, les indigents sont passés à la charge du département. Aussitôt personne n'eut plus aucun intérêt dans les communes rurales à diminuer le nombre des indigents inscrits sur les listes municipales : « Nous payons quand même pour tous, fut-il dit, ne restons pas les seuls à n'en pas profiter. » Il en fut de même pour les adductions d'eau : si l'on ne trouvait pas d'eau, la commune n'avait rien à payer, c'est le département qui ouvrait sa bourse. Le maire regardait percer un trou dans un endroit quelconque choisi au petit bonheur par un fonctionnaire et un entrepreneur désintéressés du succès. Le maire n'avait rien à dire, la commune ne paye que si on trouve de l'eau. Le génie rural touchera son mois sans un centime de réduction ; quant à l'entrepreneur, il lui suffit de faire un trou ; il risque même d'en faire deux si on ne trouve pas d'eau dans le premier. \*\*\* Telle est la méthode générale dans notre démocratie : on déplace la responsabilité, ce faisant, on la supprime. C'est ce que recherchent des hommes politiques qui ne détiennent le pouvoir que pour un temps très court, et les administrations. 73:290 Les personnes directement intéressées à une gestion économique sont éliminées. En unifiant l'administration, on les remplace par d'autres qui sont dans l'incapacité de vérifier la bonne gestion. Cette irresponsabilité des administrations serait normale si elles étaient *gouvernées,* c'est-à-dire surveillées et dirigées efficacement par un gouvernement intéressé, comme dans le cas des entreprises privées. Mais il est bien impossible de contrôler d'assez près ces énormes machines ; l'impuissance de la Cour des Comptes est bien connue. Enfin la prodigalité est quelquefois imposée à l'administration par la sottise d'un pouvoir changeant. On voit, vers la fin de chaque année, certaines administrations « épuiser les crédits » sans nécessité. Si elles ne le font, on les leur diminuera et elles pourront se trouver l'année suivante sans argent devant des nécessités urgentes : elles devront alors attendre le vote de crédits supplémentaires accordés avec d'autant plus mauvaise grâce qu'il s'agira de dépenses ne donnant aucun lustre électoral à ceux qui les auront votées. Tout ce que nous appelons *réserves, provisions* est impossible à l'État et à une administration d'État. Tout finit par s'enrayer avec de telles méthodes. Rien ne se fait plus à temps et tout est mal fait, quand bien même hommes de gouvernement et administrateurs seraient moralement irréprochables. De la meilleure foi du monde, les administrateurs pensent que les choses ne vont pas mieux parce qu'elles ne sont pas assez unies et simplifiées alors qu'il vaudrait beaucoup mieux qu'il n'y eut point les mêmes règles pour les indigents des villes et ceux des campagnes, pour les fermiers de la plaine et ceux de la montagne, alors que le mal vient de ce que le gouvernement ne peut ni se renseigner, ni agir. (A suivre) Henri CHARLIER. 74:290 ## NOTES CRITIQUES ### Le Rock, agent satanique DEPUIS PLUS D'UN AN, je mène contre le Rock N'Roll une campagne acharnée : par conférences, presse et radio. Car je pense que ce fléau (je ne puis dire : cette musique) est d'inspiration satanique. Tout d'abord, même s'il n'y avait ici qu'une action physique, les sons discords attaquent furieusement l'équilibre nerveux des auditeurs, émiettent l'esprit, dissolvent la volonté. Des spécialistes ont relevé, en effet, que le mélange d'un taux de décibels excessif et d'éclairages psychédéliques, sans parler des gestes furieux des chanteurs, représente ni plus ni moins qu'une agression. Mais il y a pire, bien pire. J'ai pu prendre connaissance d'une étude récente de W. Joseph Matt ([^9]). On y voit que de célèbres jeunes « rockers », aux États-Unis, connaissent des tirages de leurs disques Rock à des dizaines de millions d'exemplaires : ce qui, dans la patrie du dollar, leur donne une puissance dont ils se van­tent en toute occasion. Le chanteur Denver, qui s'appelle lui-même « le Messie », n'a-t-il pas déclaré que sa musique est « *l'évan­gile d'une nouvelle religion *» *?* 75:290 En ajoutant sans complexe : « *Je peux tout. Un de ces jours, je serai Dieu. *» Et l'on pourrait entasser les exemples du même genre. Aussi bien, W. Joseph Matt nous recommande de « prendre au sérieux ce phénomène durable et unique en son genre ». Lors d'un congrès récent, de hautes personnalités d'Amérique et d'Europe se sont mises d'accord pour affirmer : « Ce qu'on appelle "musique" Rock est un virus haïssable et ruineux, un fléau véritablement satanique. » Voilà où je voulais en venir. Car enfin, le chanteur Alice Cooper s'est consacré à Satan ; et l'un de ses best-sellers est l'al­bum intitulé « *Alice Cooper goes to Hell *» (Alice Cooper va en enfer). La musique du groupe Black Sabbath est désignée cou­ramment comme le « Satan Rock ». Sait-on enfin que le nom du fameux groupe Kiss se compose des initiales des mots « Kings in Satan's Service » (ministres du culte de Satan) ? Et nous ne sommes pas au bout de nos découvertes, loin de là ! En effet, une étude retentissante du Père J.-P. Régimbal ([^10]) vient de percer à jour l'existence de « messages subliminaux » dans les disques de célèbres formations (Rolling Stones, Zeppelin, Styx, etc). De quoi s'agit-il ? Il s'agit de messages enregistrés à rebours, mais qui, orientés vers « la glorification de sa majesté Satan », attaquent les auditeurs dans leur subconscient. Croyez-moi, ce n'est pas une plaisanterie ! Des observations scientifiques incontes­tables ont établi que « le subconscient peut capter une phrase énoncée à rebours, puis en décoder le message ». Et cela est si vrai qu'une loi protectrice est actuellement en préparation aux États-Unis, les législateurs estimant qu'il s'agit là d'un véritable « viol de conscience ». J'ai voulu insister sur tout cela -- et je dois dire que bien souvent, j'ai reçu des critiques et des injures presque toujours anonymes, ainsi que des messages bizarres. Je suis, de toute évidence, « bête et méchant », « périmé », « amorti » les cartes vermeilles, à la casse ! » 76:290 Quant au Rock, selon mes adversaires, il est roi, il est Dieu, il est grand -- et John Denver, Prince, Michael Jackson, Bob Dylan, Sutch, -- Alice Cooper et autres Mick Jagger sont ses prophètes. Mes contradicteurs, enfin, considèrent comme des gourous sacrés ces jeunes hurleurs du Rock, au visage torturé, au torse ruisselant de sueur. Quant à moi, je suis « un homme de droite » -- ce qui explique, en partie du moins, l'opprobre dont je me suis couvert. L'une des réactions les plus curieuses que j'ai subie venait d'un grand poste de radio périphérique, lequel m'a interviewé par télé­phone. De guerre lasse, le représentant de la radio m'a demandé : « Ne craignez-vous pas de vous sentir... comment dirais-je... *un peu seul* en évoquant le diable ? » J'ai répondu : « Nous sommes environ un milliard de chrétiens à croire au diable... Le pape Jean-Paul II, qui est un personnage robuste, savant et réaliste, vient encore de nous mettre en garde contre « les pièges de Satan ». Non, cher monsieur, vraiment, je ne me sens pas seul... » Depuis lors, j'ai entrepris d'approfondir ma connaissance du Rock, et spécialement du Hard-Rock, en me mettant à nouveau à l'écoute. Exigeant de juger sur pièces, je suis plus que rassasié sursaturé. Or je maintiens tout ce que j'ai dit à cet égard. Je maintiens qu'un Joseph Matt et un Père J.-P. Régimbal, qui tra­vaillent à l'américaine avec des équipes imbattables, ont parfaite­ment raison de dénoncer dans ces éclats effrayants de rythme et de bruit un principe destructeur du cerveau -- et de l'âme. Je maintiens, comme le Père Régimbal, que le diable (son existence est de foi, dogme de l'Église catholique) se trouve aux aguets dans ces démentiels sortilèges -- et que les messages subliminaux que j'ai décrits se découvrent bel et bien, surtout dans les disques de Hard-Rock. La rage -- et parfois l'hystérie -- de ceux que j'irrite, ne prouvent-elles pas que les éminentes équipes américaines en question, s'attaquant au Rock dans sa patrie même, ont touché juste ? Un théologien fort instruit de ces problèmes ténébreux m'écrit de Rome une lettre où je trouve l'éclatante confirmation de tout cela : 77:290 il m'apprend que le groupe Rock Led Zeppelin a bel et bien été l'objet d'enquête et même de condamnation, parce que la justice a établi que les auditeurs de ses chansons recevaient des messages sans en avoir conscience (nous en revenons donc aux « subliminaux »). Mais ce qu'il faut retenir, ce sont les textes des messages en question, tels que l'enquête a pu les déchiffrer. Nous n'en citerons qu'un seul. Il résume tous les autres. On le trouve dans la chanson très connue « *Stairway to Heaven *» de ce même Led Zeppelin. Et le voici, patent, irrécusable : « *I've got to live for Satan *» (Il me faut vivre pour Satan). « Il s'agit là d'une entre­prise luciférienne, m'écrit en conclusion le théologien. *Attention ! Danger... *» *La plus grande ruse du diable,* disait Baudelaire, *est de nous faire croire qu'il n'existe pas.* Michel de Saint Pierre. ### Le Père Calmel et l'hérésie d'aujourd'hui R.-Th. CALMEL O.P. : *Théologie de l'histoire* (DMM). Il y aura dix ans cette année que le Père Calmel nous a quit­tés. Il n'est pas difficile à ceux qui ne l'ont pas connu de trouver quelques dominicaines qui en parlent avec une telle flamme qu'ils finiraient par croire qu'ils l'ont peut-être bien rencontré un jour... 78:290 A ce souvenir extrêmement vivace et d'une bienfaisante piété s'ajoutent les écrits qui nous restent du Père. *Théologie de l'histoire* a été publié il y a presque vingt ans dans ITINÉRAIRES (n° 106, septembre-octobre 1966). Sa réédition, voulue par les dominicaines de Brignoles, et appuyée par Mgr Lefebvre qui leur a envoyé une lettre-préface, est particulièrement bienvenue. *Théologie de l'histoire* est en effet un livre tout à fait d'actualité. Et pas seulement de l'intemporelle actualité à laquelle le titre fait allusion. \*\*\* Le texte du Père Calmel n'est pas d'abord un exposé théologi­que, mais une réfutation des erreurs teilhardiennes. A l'époque, Teilhard était omniprésent. Il semble qu'on n'en parle plus guère. Mais la lecture de *Théologie de l'histoire* met en évidence que les thèses teilhardiennes ne sont plus celles de Teilhard mais celles qui baignent désormais la plupart des productions ecclésiastiques. C'est en quoi ce livre est au moins autant d'actualité aujourd'hui que lorsqu'il fut publié dans ITINÉRAIRES Depuis lors est apparue la « théologie de la libération ». Mais *Théologie de l'histoire* concerne tout autant la « théologie de la libération ». Il n'y a pas en fait de différence de nature entre la vision de l'histoire de Teilhard et celle des « théologiens de la libération ». L'une est fondée sur l'évolu­tionnisme et la marche inéluctable de l'humanité vers le paradis. L'autre utilise le vocabulaire et les schémas marxistes, plaqués sur la Bible, dans le but de provoquer une révolution-libération... et le paradis sur terre. L'une comme l'autre établissent une confusion des plans qui aboutit à la négation du destin proprement spirituel de l'homme, l'une comme l'autre divinisent la société humaine et son histoire. Darwin et Marx s'entendent bien sur une même phi­losophie du devenir incompatible avec la nécessaire philosophie chrétienne de l'être. 79:290 Sans doute est-ce faire beaucoup d'honneur aux soi-disant « théologiens » de la libération que d'englober leurs productions dans ce que réfute le Père Calmel, vu qu'ils sont avant tout des pions de la stratégie communiste. Mais enfin qui réfute le supé­rieur réfute en même temps l'inférieur. Le Père Calmel se situant au niveau de la théologie catholique de l'histoire, il réfute par là-même tout ce qui de près ou de loin ressemble à Teilhard, toute vision de l'histoire fondée sur un « sens de l'histoire » lié à une philosophie du devenir. La réflexion du Père Calmel, toute tissée de citations de la sainte Écriture (citée dans l'admirable traduction de Le Maître de Sacy), s'articule autour de deux notions essentielles : depuis la Rédemption, nous sommes dans la « plénitude des temps » (saint Paul) ; et il y a une incompatibilité radicale et une distance infinie entre la cité de Dieu et la cité de Satan. L'Écriture n'emploie pas précisément l'expression « cité de Sa­tan ». Mais elle parle du « prince de ce monde ». Le Père Calmel définit clairement les trois significations que revêt le mot *monde* dans l'Évangile. Le monde, c'est d'une part « l'ensemble des hommes qui doivent être délivrés par la Rédemption ». C'est d'une autre part « la cité politique et l'univers de la culture ». Ce peut être enfin « les principes du refus de Dieu et de son Église ». L'Écriture l'emploie plus souvent dans ce dernier sens que dans les deux précédents. La « cité de Satan », c'est *le monde* dans sa troi­sième acception, mais avec ses prolongements et son organisation dans la cité politique et culturelle. La cité de Dieu, c'est l'Église. La cité humaine se trouve « prise dans l'attraction » de ces deux cités « suprêmes et définitives », étant entendu que la cité de Satan ne peut jamais s'imposer totalement et que la cité de Dieu ne peut qu'être victorieuse par la croix. La distance entre l'Église et le monde est infinie et irréductible, comme la distance entre la grâce et la nature. Pour diviniser l'histoire, il faut brouiller les plans. La substitution de l'évolution à la grâce, la confusion de l'Église et du monde, conduisent à une his­toricisation du salut, à l'invention d'un faux messianisme, ou « millénarisme ». Au contraire, « le millénarisme du Christ est surnaturel et crucifié ». Le Christ n'est pas venu pour restaurer des sociétés humaines mais pour apporter aux hommes le salut éternel. 80:290 Naturellement cela n'implique pas que l'Église se désintéresse de la cité humaine. Les chrétiens selon leur état doivent travailler à « restaurer toutes choses dans le Christ » et à établir un ordre juste. La foi vécue ne peut qu'irradier toutes les réalités terrestres. Mais il ne faut jamais perdre de vue que le but est « en haut » et non « en avant », et que nos efforts ne déboucheront jamais sur le paradis terrestre. Cela est très clair dans l'Écriture : la fin du monde sera précédée de la grande tribulation et de la grande apostasie, tout le contraire de la « montée » vers la pseudo-parousie que prédisent les faux prophètes. D'autre part il est vain d'attendre une autre ère. La date suprême de l'histoire est celle de la Rédemption. Depuis lors, c'est la « plénitude des temps », depuis lors, ce sont les « derniers temps ». Les derniers temps, parce qu'il n'y en aura pas d'autres. « La plénitude de la grâce est maintenant accordée aux hommes dans l'Église et il ne viendra pas s'ajouter une autre plénitude. » Même après la Parousie il n'y aura pas plus que le Christ, le Christ ressuscité du matin de Pâques, il y a près de deux mille ans. Il y avait bien progression (de la révélation) dans l'histoire sainte, mais l'histoire sainte n'est pas l'histoire humaine, elle a trouvé son aboutissement dans le Christ et son Église. D'ici le retour glorieux du Seigneur, l'Église ne peut que rester ce qu'elle est de par sa constitution divine immuable, et toutes les réalités humaines ne peuvent que garder la signification ultime qui leur a été donnée dans la lumière de la Révélation. Il n'y a donc rien à inventer, il n'y a aucun progrès fondamental à espérer. Toute ten­tative de bouleversement ne peut être due qu'à l'orgueil. Est-ce à dire que la bonne doctrine catholique proscrit tout changement, toute évolution dans ses applications humaines, qu'elle est fixiste, purement « conservatrice » ? Certainement pas. Ce serait confondre tradition et sclérose. On sait que le Père Calmel n'était pas tendre avec les « traditionalistes » qui font cette confu­sion. 81:290 Il y revient ici : « *C'est un vrai malheur lorsque la bonne doc­trine, les saines coutumes, les principes de la sagesse sont enseignés et défendus par des paresseux ou ce qui est pire par des profiteurs. Alors des êtres pleins de vie et de sève, désireux de dépenser leurs énergies au service d'une noble cause, avides de se dévouer en cou­rant des risques, se voient mis de côté, sans raison sérieuse, par des* « *traditionalistes* » *somnolents ou intéressés.* « *Surtout que rien ne bouge et que l'on ne nous demande pas une dépense supplémentaire d'énergie, un nouvel effort de vertu* ! » (*...*) *Ils risquent ainsi d'être scandalisés par ces fameuses bonnes traditions qui, en apparence du moins, font corps avec l'inertie ou de misérables intérêts. Ils peuvent en venir à penser que la vie et l'originalité, le jaillissement et le ris­que sont incompatibles avec les sages coutumes, la saine doctrine ; de là à se jeter à corps perdu en des innovations effrénées, peut-être même en des violences révolutionnaires, il n'y a pas bien loin. *» Non seulement il n'y a pas incompatibilité, mais il y a « ac­cord fondamental » entre la vraie tradition et les forces vivantes et créatrices. Certes il n'y a rien à inventer, mais à chaque généra­tion, à chaque époque, la partition de la tradition (pour prendre une image musicale) est interprétée différemment. Si on garde la partition dans un tiroir et qu'on interdit de la jouer, elle reste sans vie. Si on la joue aujourd'hui, il est normal qu'on ne la joue pas comme il y a cent ans. Chaque interprétation nouvelle peut être un enrichissement, un accroissement. Mais il est nécessaire d'abor­der la partition avec humilité. La vitalité dans l'humilité permet le *renouvellement.* La vitalité dans l'orgueil provoque la *révolution.* La source de la vie se trouve dans la partition divine. En dehors de l'éternelle nouveauté de Dieu, il n'y a que de vieilles erreurs. Vou­loir « être de son temps » n'a aucune valeur en soi. « *Les saints fondateurs, les saints docteurs, les saints rois ont répondu non pas à l'invitation de leur temps, mais à l'invitation de Dieu pour leur temps. *» En résumé, la tradition (ainsi que l'Église qui la transmet) nous a été donnée une fois pour toutes, immuable, pour toute la durée des « derniers temps ». Toute « lecture » nouvelle ne peut être qu'explicitation ou enrichissement par découverte de couleurs et d'accents jusque là négligés ou correspondant à de nouveaux besoins. La tradition est un héritage que chaque génération doit faire fructifier. 82:290 De même sur le plan personnel chaque chrétien, s'inscrivant dans la tradition, dans la mouvance du Saint-Esprit, est appelé à donner sa propre version du *Magnificat,* selon l'admi­rable image du Père Calmel. \*\*\* Tel est le propos central du livre. Mais celui-ci est tellement dense qu'il serait fort long d'énumérer tous les thèmes qui décou­lent de cette réflexion ou la nourrissent. On trouvera en particulier de fort beaux commentaires de l'Apocalypse, et une approche fine des similitudes et des différences entre notre temps et ce que l'Écriture définit comme la dernière période avant la fin du monde, avec des exhortations à ne pas céder au désespoir et à l'épouvante, mais à se fortifier dans la confiance et l'espérance, car « rien ne peut nous séparer de Jésus-Christ ». La troisième « annexe » définit remarquablement l'imposture de la soi-disant neutralité : la seule façon d'éviter le fléau du cléri­calisme est de promouvoir la neutralité de la cité humaine, nous dit-on. C'est un faux argument. Saint Louis avait su vaincre le cléricalisme, sans recourir à la « neutralité ». Le remède au clérica­lisme, c'est la sainteté. Pas l'apostasie. La première annexe évoque le mystère du mal. Elle ne me convainc guère. Le Père Calmel reprend la thèse habituelle : Dieu a créé l'homme libre pour en être aimé librement. Les libertés créées étant défectibles par nature, il s'ensuit que l'homme peut pécher. Mais cela ne fait que souligner à quel point la voie choisie par Dieu pour ses créatures spirituelles est une voie qui les honore. La possibilité du péché est elle-même une preuve de l'amour de Dieu. Peut-être. Il n'empêche que par ailleurs les philosophes chré­tiens nous disent que la véritable liberté n'est pas la liberté de choisir entre le bien et le mal mais de choisir le bien supérieur. Le fait de ne pas pouvoir choisir le mal ne peut pas être considéré comme une limitation de la liberté. Ou alors les bienheureux ne seraient pas libres. Par conséquent Dieu aurait pu créer l'homme libre sans permettre la chute. En fait le mystère du mal est vérita­blement un mystère et aucune explication ne peut être satisfai­sante. 83:290 Voilà le point de départ d'une discussion -- ou d'une réflexion -- sans doute interminable mais non sans intérêt si elle peut per­mettre de cerner le mystère de plus près. Discussion hélas impos­sible aujourd'hui avec le Père Calmel. D'autre part j'aurais aimé dire à notre vénérable dominicain que je ne suis pas d'accord avec sa confrontation Bernanos-saint Pie X. Le Père Calmel oppose l'encyclique *E supremi apostolatus cathedra* de saint Pie X à la conclusion de *La grande peur des bien-pensants.* Il s'agit d'une même perception du monde moderne vu comme préfiguration des « derniers jours », conspirant contre la religion et livré au défer­lement des puissances sataniques. Mais, explique le Père Calmel, d'un côté on a un saint qui écrit « dans la paix de l'oraison et avec la lumière de l'Esprit de Dieu ». De l'autre côté, « la cla­meur de ceux qui, ayant échappé de justesse au désespoir, ne sont pas encore assez pacifiés dans l'oraison pour faire entendre des paroles à la fois vengeresses et porteuses de paix » : « Bernanos n'avait pas assez de sainteté pour supporter sans fléchir la vision qui s'imposait à lui. » Cette dernière phrase me paraît téméraire. Mais ce n'est pas ici le lieu de discuter de la sainteté de Bernanos. Je m'en tiens à l'ar­gument du Père Calmel. Et il ne me paraît pas recevable. En effet il convient de faire la part du genre littéraire. Le style d'une ency­clique pontificale et celui d'un pamphlet n'ont forcément rien de commun. Mais on ne peut rien en déduire sur la sainteté de l'un ou l'autre auteur. Même en faisant abstraction de ce fait, il reste une question de tempérament. La sainteté ne supprime pas la per­sonnalité. Deux personnes d'un tempérament opposé peuvent être également saintes. Il s'en faut de beaucoup que les « stridences » de Bernanos soient une étrangeté. Bernanos se rattache d'une certaine manière, au-delà du courant polémiste français, à la tradition « prophétique » (des prophètes de l'ancien Testament). Dans le cadre de l'Église, il suffit d'évoquer saint Jérôme, saint Hilaire ou saint Bernard. 84:290 Sans parler de Notre-Seigneur s'adressant aux pha­risiens (race de vipères, etc.). Je sais bien que le Père Calmel admirait Bernanos. C'est précisément la raison pour laquelle je soulève cette question. \*\*\* Pour en revenir à l'essentiel, j'espère avoir assez marqué que *Théologie de l'histoire* est un livre important. Inscrit dans la vraie tradition de l'Église, il précise la doctrine pour réfuter une hérésie. Or il s'agit de l'hérésie qui semble triompher aujourd'hui. Le Père Calmel voulait entendre « des paroles à la fois vengeresses et por­teuses de paix ». Fidèle à la grâce, il en a composé lui-même. Recueillons l'héritage, et faisons-le fructifier. Yves Daoudal. ### Lectures et recensions #### Jean Vuaillat *Chemins Mémoires du sablier* Il nous semble juste et néces­saire de faire connaître, parmi les poètes chrétiens de notre temps, l'œuvre déjà longue, riche et importante du chanoine Jean Vuaillat. 85:290 Depuis *Résonances,* pu­blié en 1942, on lui doit de nombreux recueils de poésie, dont *Sacerdotales -- Le prêtre et sa messe* (1960), ainsi que d'au­tres ouvrages, entre autres des études consacrées à saint Phi­lippe Néri, à Mozart, à Gabriel Fauré. On en trouvera la liste complète à la date de 1977 en appendice à *Chemins* (Collection « Les Poètes de Laudes »), avec une biographie de l'auteur. *Che­mins* fut sans doute, et de l'aveu même du poète, particulièrement significatif pour l'inspiration, pour l'orientation du travail créa­teur. On y discerne certains des thèmes indiqués dans les titres de recueils antérieurs, *Collines du Silence* (1943), *Solitude de la neige* (1964), *Exégèse de la nuit* (1970). Le poète accueille comme autant de suggestions, de signes d'appel et d'éveil, les impressions immédiates et innombrables of­fertes par la nature environ­nante, avec toute une vie intense et secrète, avec les liens mysté­rieux et déjà mystiques qui unis­sent les images de la Création. Telles sont les « métaphores », au sens proustien du mot, les transpositions et les échanges entre la mer et le champ de blé « Nul ne sait engranger -- les gerbes de la mer... », ou entre la mer et la nuit : « et toi lune loin­taine -- île d'une autre mer ». L'imagination crée d'étranges présences : « les hoplites blancs de la neige ». Cette nature jus­que dans son silence et dans ses formes minérales, dans sa séré­nité apparemment étrangère, est fraternelle pour l'âme humaine, et d'abord pour le poète ; elle-même compose, écrit et raconte, comme dans cette vision de neige : « Au sablier du ciel -- coule le sable blanc -- du récit Sur le grimoire du temps -- l'innocence du monde écrit -- un message mortel... Des corbeaux en frac signent -- le vélin de leurs griffes -- le livre s'ouvre -- au solstice d'hiver. » L'élément tellurique est déjà porteur d'un sens sacré, et après les chemins de terre, d'hiver, de la mer, de nuit, le recueil se clôt par l'appel à Dieu, le « Chemin vers l'Au­tre » en de très beaux poèmes comme : « Toi seul connaît mon pas » ou le texte final : « Tu n'es pas le nuage -- mais la lumière qu'il dérobe Tu n'es pas la parole -- mais le silence où elle naît... Tu es nulle part au mon­de -- mais le cœur du monde, c'est TOI. » Dans *Mémoires du sablier* (Éditions Subervie, Rodez, 1983) l'ex­périence double du prêtre et du poète l'amène à la difficile évo­cation du monde urbain, où l'on reconnaît Lyon : ensemble tu­multueux, artificiel, décevant d'a­bord, marqué d'un prosaïsme que, paradoxalement, la poésie doit assumer pour en faire surgir les appels de l'esprit. De visions parfois brutales naissent des évo­cations impressionnantes : « Ma ville déchirée par deux glaives liquides -- aux fourreaux de parkings -- et que fouille sous la colline -- le serpent de l'auto­route -- lacéré par les phares... Et sur les ruines du forum -- la maison-forte de la Foi -- dresse dans le ciel de décembre -- la Vierge en feu scellant la nuit -- de son antenne d'or. » Ce monde est « Solitude », « Souffrance au quotidien » ; mais « dans la Babel des média -- pâtés pour chiens et chats » apparaît le visage du Crucifié. 86:290 Les « oiseaux migrateurs » annon­cent une nouvelle étape, corres­pondant sans doute à l'exercice du ministère sacré en deux vil­lages montagnards à dix lieues de Lyon. On revient aux images éternelles d'une poésie rustique, à un certain silence, celui des « vieux villages », de l'oiseau, de l'arbre « seul entre ciel et terre -- Signe de l'absolu ». C'est le « Temps de la mémoire », les évocations de la mère, de l'en­fance, avec les très belles « Res­souvenances », poème de forme classique et qui me semble être le cœur du livre. Nous entendons dans ces poèmes de concentra­tion intime le prélude aux « Dits d'un autre domaine », relatifs à la Foi, « Veilleuse tremblante à l'écoute -- du jour lent à venir ». Le poète évoque saint Jean-Baptiste le Précurseur, les anges, le désir du « Visage de Dieu » ; un court et poignant poème fait l' « Éloge de la Mort » et l'inspi­ration mystique se déploie dans les chants ultimes « Qui es-Tu ? » et « Esprit », d'une gran­de densité poétique et mystique « Hôte de mon silence -- Soleil de mon désert -- Chevalier dont la lance -- m'éprouve de son fer... ». Avec bien d'autres de ces deux recueils il est digne de figu­rer au premier plan dans nos anthologies personnelles, celles qu'il importe de constituer en attendant le jour où la littérature officielle consentira à reconnaî­tre, en poésie d'abord, l'urgence du spirituel dans l'évocation de l'univers, où rien n'a de valeur sans les signes de l'éternité. (S'adresser à l'auteur : Cha­noine Jean Vuaillat, 76, rue François Genin, 69005 Lyon.) Jean-Baptiste Morvan. 87:290 ## DOCUMENTS ### Éric de Saventhem et la messe Le bulletin de l'*Una Voce* française, dans son numéro 118-119 de septembre-décembre 1984, paru en janvier 1985, publie un « résumé » et « des citations » d'une conférence prononcée à Dus­seldorf, le 28 octobre, par Éric de Saventhem, président de la Fédé­ration internationale *Una Voce.* Ce texte est important d'abord par les révélations qu'il apporte sur les *cinq années* de préparation qui ont été nécessaires pour en arriver à la circulaire romaine du 3 octobre 1984 au sujet de la messe traditionnelle. Ensuite il nous fait connaître quelle interpréta­tion en propose Éric de Saventhem. Lors de la réunion annuelle de l'association Una Voce allemande à Dusseldorf, le 28 octobre 1984, le président de la Fédération internatio­nale Una Voce, M. Éric M. de Saventhem a fait un exposé détaillé sur le « retour de l'ancienne messe ». On en trouvera ci-dessous un résumé et les citations complètes des passages les plus significatifs. 88:290 La genèse de l'indult « *Dès le printemps de 1979, le nouveau pape* \[*Jean-Paul II*\] *était décidé, comme le cardinal Seper nous le confirma, à autoriser de nouveau l'ancienne messe, et le projet de la grande encyclique eucharistique Dominicae Cenae aurait déjà contenu l'autorisation générale correspondante. *» Devant l'opposition déterminée du cardinal Knox, alors préfet de la Congrégation du Culte divin et des sacrements, ainsi que de la Secrétaire­rie d'État, le pape se laissa décider à procéder par étapes. « *Il accepta qu'on organise une enquête sur la situation auprès des évê­ques diocésains. Tel est l'arrière plan de la peu glorieuse enquête Knox de juin 1980. Conçue comme une opération confidentielle, sans consultation des fidèles ou même du clergé, elle apporta les résultats qu'on en attendait. D'après ceux-ci, il ne devait plus y avoir ici et là "qu'une petite minorité insignifiante" encore attachée à l'ancienne messe, et ce pour des raisons de bout en bout inacceptables. Et, bien que Rome n'ait absolument pas demandé aux évêques quelle était leur position quant au rétablissement de l'ancien rite -- à côté du nouveau --, la Congrégation du Culte divin et des sacrements conclut audacieusement à partir des réponses reçues que 98,68 % de tous les évêques diocésains étaient résolument opposés à une telle concession ! *» ([^11]) Il y eut deux jalons importants dans la genèse de l'actuel indult. « *En octobre 1982, une commission spéciale de cardinaux aboutit à l'unanimité à la conclusion qu'il avait pas lieu de maintenir l'interdiction générale de l'ancienne messe "ni pour des raisons juridiques ni pour des raisons théologiques", et, en décembre de la même année, le cardinal Rat­zinger écrivit, sur ordre du pape, à Mgr Lefebvre que le Saint-Père avait décidé d'autoriser à nouveau l'ancienne messe, et cela "indépendamment de votre propre cas". Deux conditions seulement furent alors mentionnées* *:* *1°* *que l'utilisation de l'ancien Missel se fasse "sans aucun mépris" du nouveau, et 2°* *que les dimanches et jours de fête, particulièrement dans les messes paroissiales, on observe le nouveau calendrier.* » 89:290 Malgré les violentes protestations des divers instituts liturgiques, le pape ordonna à la Congrégation du Culte divin et des sacrements d'éla­borer le décret projeté. Celle-ci (qui était opposée à cette nouvelle régle­mentation de la messe) tenta « *de neutraliser et même de contrecarrer la volonté de réconciliation du pape par quantité de restrictions discrimina­toires. Un premier projet ne prévoyait pas moins de 12 d'entre elles *»*.* Les mouvements opérés le 6 juin 1984 par le Saint-Père au sein de la Curie évitèrent au cardinal Casoria d'avoir à signer ce texte. C'est Mgr Mayer qui lui succéda à la tête de la Congrégation du Culte divin réta­blie, Mgr Noè (quant à lui, tout à fait opposé à l'indult) étant secrétaire. Il semble que ce dernier s'efforça de repousser au maximum la signature du texte, les responsables des commissions liturgiques nationales devant se réunir à Rome en octobre. On imagine quelle pression ceux-ci auraient pu exercer sur l'autorité suprême. « *Cette intention fut percée à jour* *: le pape fit formellement savoir qu'il ne souffrirait plus aucun ajournement et, après que Mgr Mayer ait entière­ment adhéré à la décision pontificale, Mgr Noè dut se tenir pour battu. Une diffusion immédiate n'avait d'abord pas été prévue -- on voulait donner aux évêques le temps d'étudier ce texte sans que les médias les accompagnent de leur musique. Cette intention fut contrecarrée par une indiscrétion certaine­ment voulue* *: "de source sûre", la presse, dès le 14 octobre, apprit la teneur pratiquement exacte du décret.* » ([^12]) L'interprétation de l'indult Comme tout texte de ce genre, l'indult peut donner lieu à deux lec­tures, l'une « *discriminatoire *»*,* l'autre « *conciliatrice *»*,* plus conforme à la volonté du pape. Voici comment M. de Saventhem voit cette lecture conciliatrice : *On peut distinguer à quatre endroits du document romain la note per­sonnelle du pape. Premièrement dans la brève phrase affirmant que le pro­blème des prêtres et des fidèles demeurés attachés à l'ancien rite "dure encore". Ainsi se trouvent balayés les prétendus résultats de l'enquête Knox -- y compris le chiffre des 98,68 %* (*évoquant les résultats électoraux des démocraties populaires*) *d'évêques diocésains qui se seraient prononcés contre toute "nouvelle réglementation des conditions autorisant l'usage de l'ancienne messe".* 90:290 *Deuxièmement dans le petit mot significatif* ipse : ipse Summus Pontifex -- *le Saint-Père a décrété de par ses pleins pouvoirs apostoliques que le Missel de 1962 devait retrouver sa place parmi les livres liturgiques admis par l'Église. Troisièmement : ce décret a été pris parce que le pape "désirait venir en aide* ([^13]) coetibus istis, *à ces groupes", donc à nous. Et quatrièmement, cette* concessio *doit être comprise comme* (*je cite*) : *"marque de la sollicitude que le Père commun porte à tous ses fils*", *dont il est proche, qu'il poursuit véritablement de sa sollicitude. *» Si l'on s'en tient à une lecture conciliatrice de l'indult, il en découle plusieurs conséquences : 1°) Que là où le nouveau rite de la messe n'est pas méprisé, l'ancien « *n'a pas seulement à être autorisé, mais devrait l'être* »*.* 2*°*) « *Selon la lecture conciliatrice, les prêtres qui sollicitent l'autorisa­tion découlant de l'indult, ne devraient avoir aucune discrimination à crain­dre* *: d'après le libellé du document romain, la sollicitude du Père commun ne s'étend pas moins à eux qu'à leurs confrères "progressistes". On notera à ce sujet que le décret ne contient pas un mot de blâme pour les prêtres et les fidèles qui sont restés, aussi dans la pratique, fidèles à l'ancienne messe -- malgré toutes les ordonnances contraires, romaines mais surtout épisco­pales. Une interprétation conciliatrice du décret attribuera à ce fait une signification particulière et, par conséquent, les prêtres se déclarant pour l'ancienne messe n'auront à en subir aucun préjudice.* » 3*°*) « *Selon la lecture conciliatrice, les évêques ne devraient voir dans les droits supplémentaires qui leur ont été concédés -- désignation d'églises et de jours déterminés -- que des moyens de garantir la seule condition de base posée par le pape lui-même* ([^14])*. Rien n'empêcherait en droit, par exemple, que l'évêque mette toutes les églises de son diocèse à la disposition de célé­brations de l'ancienne messe pour des groupes "autorisés" -- y compris les églises paroissiales, dans la mesure où se présenterait une raison suffi­sante pour justifier l'utilisation exceptionnelle de ces églises* (*par exemple des distances trop grandes à parcourir pour atteindre les oratoires non parois­siaux*)*.* 91:290 *Seules les messes paroissiales en tant que telles seraient exclues de cette possibilité* *: on y utiliserait comme par le passé uniquement le nouveau Missel. De même, l'évêque pourrait étendre l'autorisation à tous les jours ; laisser aux groupes et à leurs prêtres la possibilité du choix des horaires et du genre de messes à célébrer* (*dans la mesure où chaque* rector ecclesiae *y serait disposé*) *et ne pas exiger d'autres "conditions".* » 4°) La dernière conséquence d'une interprétation conciliatrice de l'in­dult concerne les prêtres qui, ayant continué à dire l'ancienne messe, n'ont jamais utilisé le nouveau Missel (prêtres de Mgr Lefebvre, de Mgr de Castro-Mayer, dans le diocèse de Campos, au Mexique, etc.). M. de Saventhem pense qu'il devrait suffire à ces prêtres de déclarer qu'ils considèrent le nouveau Missel, dans sa version originale en latin, comme n'étant ni invalide ni hérétique. « *Mgr Lefebvre était et est encore prêt à faire une telle déclaration -- si bien que la lecture conciliatrice de l'indult pourrait également ouvrir la voie à la réconciliation entre Rome et la Fra­ternité. *» \[Fin de la reproduction d'un article intitulé « L'indult vu par la Fédération Internationale Una Voce », paru dans le bulletin de l'Una Voce fran­çaise, numéro 118-119 de septembre-décembre 1984.\] 92:290 ### Jean Cau et « Le Monde » *Une tête trop grosse\ pour ce qu'elle a de vide* Déclarations -- ou plutôt prétentions -- sur­prenantes dans la bouche de Jean Cau, person­nage qui se présente comme étant principale­ment « conseiller à la rédaction de *Paris-Match *»*.* Il est encore plus surprenant que *L'Écho de la presse,* qui est supposé connaître la presse et son histoire, puisse les rapporter sans broncher, et sans l'ombre d'une seule des rectifications et réserves qui s'imposaient. Voici les contes fantastiques, fariboles, fables et inventions de Jean Cau sur lui-même (*Écho de la presse* du 7 janvier, page 21) « J'ai été le premier à oser, je dirai à avoir la folie de griffer *Le Monde* dans un petit pamphlet publié immédiatement après « 68 » : *Le pape est mort,* où je moquais d'une manière très vive l'attitude de fofolle absolue et irresponsable du *Monde* pendant les « événements » (...). 93:290 « Lorsque donc j'ai griffé *Le Monde,* j'ai été considéré comme un maudit, j'étais marqué à l'épaule par une terrible fleur de lys qui faisait de moi un réprouvé absolu (...). C'était considéré comme le péché absolu, le seul qui, comme dans l'Écriture, ne saurait être pardonné : le péché contre l'esprit. « Mais il fallait bien que quelqu'un commence. Peu à peu la révé­rence, le respect, la terreur qu'inspirait *Le Monde* ont commencé à ne plus être les mêmes, et on a vu des gens oser timidement élever la voix, d'au­tres ont écrit des livres (...). » Il faut un front énorme, et beaucoup de vide derrière, pour prétendre qu'avant Jean Cau, avant 1968, personne n'osait « timidement éle­ver la voix » contre *Le Monde.* « Il fallait bien que quelqu'un commence... », mais en 1968, quelqu'un et même plusieurs avaient amplement commencé, et depuis beaucoup d'années. C'est en 1952 -- soit *seize années avant Jean Cau --* que paraît la forte brochure (72 pages) intitulée : « *Le Monde *»*, auxiliaire du commu­nisme.* Cette brochure est « l'œuvre collective des rédacteurs du B.E.I.P.I. » (le B.E.I.P.I. étant le premier nom de ce qui devint ultérieurement *Est et Ouest*)*.* En fait, c'est Boris Souvarine qui en avait écrit l' « introduction » (26 pages) et une dizaine d'autres pages, le reste étant d'un autre auteur, -- selon le témoignage qu'en a donné Jean Madiran au moment de la mort de Boris Souvarine, dans le quotidien PRÉSENT du 10 novembre 1984. Mais Jean Cau manque un peu de lecture, ce n'est pas là son moindre défaut... Et c'est en 1955 -- soit *treize ans avant Jean Cau --* que Jean Madiran publiait un ouvrage intitulé : *Ils ne savent pas ce qu'ils font,* où il était fortement question, sans aucune « timi­dité », du journal *Le Monde* et de son directeur Hubert Beuve-Méry. N'allons pas supposer pour autant que Sou­varine et Madiran auraient été les seuls, ni même les premiers. Ces deux ouvrages sont cités comme particulièrement importants dans l'histoire de la longue et continuelle contestation élevée contre *Le Monde.* 94:290 Mais si l'on recherche les premiers contestataires, il faudrait à coup sûr aller voir dans les premiers numéros d'*Écrits de Paris,* d'*As­pects de la France,* de *Rivarol.* \*\*\* Pour ce qui est des critiques que Jean Cau adresse au *Monde,* elles sont d'une portée qu'il faut apprécier à sa juste valeur. Ce journal, dit-il, est un « sévère donneur de leçons », un « censeur sourcilleux de toutes nos mœurs poli­tiques, intellectuelles, morales », donc il est « emmerdant comme la pluie ». ... On reste saisi devant la profondeur de l'analyse et la vigueur du trait. \*\*\* Un dernier mot. Que Jean Cau ait comme (presque) tout le monde besoin de gagner sa vie, et que par chance ou malchance il ne puisse le faire ailleurs qu'à *Paris-Match,* tant mieux ou tant pis pour lui, -- *no comment.* Mais en outre il s'honore d'être « conseiller à la rédaction de *Paris-Match *»*,* sans apercevoir qu'il n'y a vrai­ment pas de quoi se vanter, à quelque point de vue que l'on se place, littéraire, intellectuel, poli­tique, moral ou religieux. -- Vous oubliez le point de vue commercial, mon bon monsieur. Henri Hervé. ============== fin du numéro 290. [^1]:  -- (1). Communiqué intégralement reproduit dans ITINÉRAIRES, numéro 288 de décembre 1984, pp. 24 et suiv. [^2]:  -- (2). Communiqué de l'abbé Franz Schmidberger, supérieur général de la Fraternité, intégralement cité dans ITINÉRAIRES. numéro 288 de décembre 1984, pp. 32-33. [^3]: **\*** -- Voir It. 251, p. 138. [^4]:  -- (1). ITINÉRAIRES, décembre 1984, n° 288, p. 40. [^5]:  -- (2). Le concile de Trente a tranché définitivement cette question : « Si quelqu'un dit que le rite de l'Église romaine, où la partie du canon et la formule de consécration sont proférées à voix basse, doit être condamné, ou bien que la messe doit être célébrée seulement en langue vulgaire, qu'il soit anathème. » (Concile de Trente, Sess. XXII, ch. V, can. 9.) [^6]:  -- (3). *La festa della fede.* Éd. Jaca Book 1984. p. 133. [^7]:  -- (1). Écrit sous la IV^e^ République, en 1956. [^8]:  -- (1). Écrit en 1956. [^9]:  -- (1). *Le rock n'roll, instrument de révolution et de subversion culturelle,* par W. Joseph Matt, Éditions Raphaël, 31 rue King (ouest) à Sher­brooke, Québec. [^10]:  -- (2). *Le rock n'roll, viol de la conscience par les messages subliminaux.* Pour les pays de langue française : Éditions Croisade Daniel Chatelain, Case 5, Grange-Canal, 1211 Genève, Suisse. [^11]:  -- (1). Sur cette enquête misérable, effrayant témoignage de l'abjection dans laquelle est tombée une grande partie du personnel qui occupe les bureaux du Vatican, voir l'étude très complète de Louis Salleron dans ITINÉRAIRES, numéro 262 d'avril 1982. (Note d'ITINÉRAIRES.) [^12]:  -- (2). En France, seulement dans la journée du 15 octobre. (Note d'ITINÉRAIRES.) [^13]:  -- (3). *Obsecundare :* c'est plus que « venir en aide », c'est « se montrer favorable à ». (Note d'ITINÉRAIRES.) [^14]:  -- (4). C'est-à-dire de ne pas mépriser le nouvel ordo de la messe. (Note d'Una Voce.)